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AVANT-PROPOS

On ne saurait mettre assez de modestie pour écrire un


traité simple sur l'Histoire de la Médecine du XXe siècle
au Maroc.
Beaucoup d'événements, dans le domaine de l'action
médico-sanitaire, se rapportant à ce siècle, datent à peine
d'hier.
Les faits récents peuvent être oubliés, dit-on.
L'œuvre sanitaire et médicale fut, dans la première moitié
de ce siècle, celle des médecins et administrateurs
européens, venus avec les protectorats français et
espagnol. Elle continua et se développa dans la seconde
moitié après l'indépendance.
L'ensemble de cette action procéda d'une œuvre collective,
quoique certains médecins ou responsables aient brillé par
leur apport. Ils ont donné une note particulière par leur
savoir et leur savoir-faire, à l'installation et au
développement de la a médecine marocaine.
La médecine a toujours été un sujet de l'Histoire. Elle a
intéressé des générations d'historiens et continue à le faire.
Mais, ceux-ci semblent s'être tenus surtout du côté de la
médecine arabe, l'ancienne, la médiévale, celle de l'époque
glorieuse du IXe au XIVe siècle, celle des hommes, esprits
universels qui ont allié génie et générosité pour faire
bénéficier leurs contemporains de leur savoir et véhiculer
a l'humanité et a l'Occident le savoir médical grec et
asiatique.
Les événements divers qui ont fait 1e tissu de ce siècle se
sont exprimés selon des périodes et ont permis à des
hommes de bâtir une pratique médicale avec sa forme
sociale et administrative à travers des croyances, des
traditions et une manière de penser.
Le caractère local de l'œuvre sanitaire de ce siècle au
Maroc a son importance et son intérêt. Saisissant cet
intérêt nous espérons par cet écrit faire œuvre utile.

INTRODUCTION
Notre but dans cet ouvrage est de réunir, autant que faire
se peut, les données historiques et juridiques du XX' siècle
dans le domaine de la santé et de la médecine au Maroc.
Le fait de mener parallèlement et conjointement ces deux
aspects s'est imposé à nous comme un pari. Pour réussir
celui-ci, il nous fallait retenir, en dépit de l'arbitraire que
suppose tout choix, quelques axes d'accès indispensables à
la réflexion. Durant les cents dernières années, que s'est-il
passé dans le domaine sanitaire? On peut dire que le
Maroc fut un véritable laboratoire d'expérience pour toutes
les idées nouvelles en matière de santé et de médecine.
A une époque de l'Histoire, ce royaume appelé jadis,
Empire, puis Empire Chérifien, a étendu ses frontières loin
au Nord en Europe, loin au Sud dans les régions sub-
sahariennes, et loin à l'Est en Afrique du Nord. Il a forgé
sa civilisation, modelé sa personnalité et préservé ses
traditions, que le temps n'a pas trop modifiées, malgré le
progrès qu'il admet progressivement et sans trop de
résistance. Aujourd'hui, il fait place aux débats sur les
problèmes que ce progrès pose à la religion et à l'éthique,
pour promouvoir une recherche afin d'atteindre l'équilibre.
Avant l'installation de la médecine d'aujourd'hui, existait
une médecine populaire qu'on appelle traditionnelle.
Celle-ci trouve encore son soutien dans la croyance de la
population. Nombre de ses remèdes et actes thérapeutiques
sont d'une certaine efficacité. On lui reconnaît des
professionnels, une pharmacopée et même une
déontologie. Certes, elle n'a que peu de rapports avec la
médecine arabe du X siècle, transmise à l'Occident et
étudiée dans les écoles du Moyen âge. Elle conserve de
nos jours une activité plus ou moins importante selon les
régions, certainement plus dans les zones rurales que dans
les villes. Elle s'exprime uniquement sur le terrain
thérapeutique et associe la sorcellerie à la science
populaire des herbes médicinales. Elle n'est pas évincée
complètement à la fin du XX siècle par la médecine
moderne. Elle trouve encore sa place dans le système
sanitaire en raison du retard que celui-ci prend à s'étendre
et à trouver des solutions à certains problèmes de santé. Si
d'aucuns cherchent à réhabiliter cette médecine
traditionnelle, il faut reconnaître que celle-ci, continue à
compter dans la consommation médicale des ménages.
Certes, ses jours sont plus ou moins comptés, et ceux de
ses remèdes "miracles" aussi. Leur survivance ne peut
rester longtemps compatible avec la civilisation technique.
Mustapha Akhmisse, dans son dernier livre sur l'Histoire
de la Médecine au Maroc, des origines au protectorat,
rapporte que l'enseignement médical sanctionné par des
diplômes, se faisait encore à Fès dans la vieille université
Karaouiyine, à la fin du XlXe siècle.
À côté de cette médecine populaire s'est installée une
médecine nouvelle, entièrement importée d'Europe avec la
colonisation, depuis le début du siècle.
Le progrès médical de ce siècle s'est appuyé sur les
notions nées de l'ère pasteurienne.
L'évolution qu'ont connue la Santé et la Médecine au
Maroc est allée de pair avec son homologue en Europe.
Elle toucha à tous les domaines du développement et du
progrès, sans atteindre le l'expansion suffisante, et ce, en
raison des difficultés économiques. Si les contraintes
imposées par ces seules difficultés étaient moindres,
qu'aurait pu être le paysage sanitaire à la fin de ce siècle,
et qu'aurait pu être la réponse au formidable défi d'offrir à
l'ensemble des citoyens marocains l'accès au système de
santé en l'an 2000?

Cette Histoire comporte plusieurs périodes:

1896-1926 : Les débuts de la médecine moderne


La médecine militaire.
1926-1925 : La Direction de la Santé et de l'Hygiène
Publiques.
1956 : L’héritage colonial.
1956-1975: L'époque de transition.
La médecine marocaine.
1975-1995: L'époque contemporaine.
CHAPITRE I

LES DÉBUTS DE LA MÉDECINE MODERNE

Enfermé sur lui-même depuis plus de trois siècles, épuisé


par une centaine d'années de difficultés économiques, de
guerres sur ses frontières et d'infiltrations par de multiples
puissances européennes, le Maroc était voué à la conquête.
Plusieurs puissances se sont partagé son territoire,
principalement la France et l'Espagne.
Est-ce utile d'entrer dans une profonde analyse des raisons
avancées ou réfutées pour justifier l'action de l'une et
l'autre de ces deux puissances dans leur initiation du
Maroc à une certaine modernité, et particulièrement dans
leur apport sanitaire?
La lecture attentive des écrits de l'époque sur le Maroc ne
montre, certes, qu'un pays décadent, attardé, et leurs
auteurs européens semblent ne s'être attachés qu'à décrire
les aspects négatifs d'une situation résultant de ce siècle de
difficultés.
Au XIXe siècle, la société marocaine fut, certes, l'objet de
violences et de contradictions internes qui ont abouti
fatalement à une situation de santé désastreuse. Ceci n'est
pas étonnant, car de tous temps les guerres et les troubles
dégradent l'état sanitaire des populations concernées. "...
La population grouillait littéralement au milieu des
ordures, La peste, le typhus, la variole faisaient des
hécatombes périodiques", écrit le Docteur F.Weisgerber
(1868-1944), dans son livre "Au seuil du Maroc
Moderne".
Bien avant la signature de l'acte du protectorat, les
médecins ont participé au phénomène de l'infiltration. Ils
ont accompli conjointement deux œuvres, en prodiguant
des soins aux blessés et aux malades. Assurant ainsi la
sécurité sanitaire aux troupes des occupants et en dressant
des cartes et relevés de terrains pour aider à la
reconnaissance des régions. Le rôle assigné à l'action
médicale et aux médecins dans l'installation de
l'occupation fut reconnu dans la stratégie d'ensemble. Dès
le départ, Lyautey assigna un rôle prépondérant aux
médecins: "...un médecin est plus important qu'un
bataillon", avait-il l'habitude de dire.
L'assistance médicale s'organisa au fur et à mesure de
l'installation des postes. "Ceux-ci voyaient affluer, chaque
jour, des centaines de consultants, dont certains venaient
se faire panser les blessures reçues en nous combattant ".
Le long de la côte atlantique, furent· installées des
infirmeries dirigées par le Dr Brau (Larache), le Dr
Guichard (Mazagan: El Jadida), le Dr Bouveret (Mogador:
Essaouira) et Cristiani qui organisa des dispensaires dans
la région de la Chaouia.
Plus tard, nommé Résident Général au Maroc (28 Avril
1912), Lyautey a fait appel aux médecins pour venir
participer à "l'œuvre civilisatrice". Les premiers groupes
constitués furent des groupes mobiles. Chaque bond en
avant de ces groupes mobiles, qui avaient constitué le fer
de lance de l'armée coloniale, était frayé au préalable par
une intensive préparation fondée sur une minutieuse
connaissance cartographique et ethnographique du terrain.
Tout territoire grignoté était transformé en "substratum
politique et économique" par la création d'un réseau de
postes, de souks et d'infirmeries.
Lyautey, à qui beaucoup d'écrits et de détracteurs ont prêté
des idées et des tendances "royalistes", avait trouvé à sa
taille un empire qu'il voulait transformer à sa façon. Ayant
vite reconnu la qualité du peuple et de la nation auxquels il
avait affaire, il a voulu préserver le Maroc de
l'envahissement de tout apport qui pourrait polluer
"L'idée" de l'œuvre qu'il voulait y accomplir.
Lyautey rêvait d'une "colonisation faite de cadres",
éduquant par l'exemple les Marocains.
Avec Les as recrutés grâce à L'engouement que suscite Le
Maroc Lyautéen, il constitue autour de Lui un Etat-major
de grands commis "Légistes" et "technophiles". Ceux-ci
galvanisés par L'imagination débordante et constructive du
"patron", ont vu tout en grand et ont "Lancé" en série ce
qu'ailleurs n'était encore qu'à L'état de prototype. Tout
devait se faire dans L'esprit de technologie de pointe. De
sorte que Le Maroc des années vingt, s'imposa comme un
des Laboratoires d'un "'néo-capitalisme".
Mais les choses ne pouvaient continuer ainsi. A la fin de la
première guerre mondiale, les exigences du système du
protectorat ont multiplié l'espèce de fonctionnaires honnis
par Lyautey qu'on vit tempêter contre "La bureaucratie". Il
avait à affronter la colère des colons "hermétiques et
fermés au sens du protectorat", et portés à traiter les
marocains en "ilotes". Il fut révulsé par "L'odieuse
muflerie du colon français", contaminé par l'exemple de
son "homologue algérien" dont il a dénoncé la mentalité
de pur boche, avec Les mêmes théories sur les races
inférieures destinées à être exploitées sans merci. Alors, le
Maroc de Lyautey fut submergé par les "indésirables":
"une pléthore d'artistes Lyriques", brutalement
démobilisés après le retour au foyer des "poilus" en quête
de puissance et de profits, au lendemain de la première
guerre mondiale.
Le peuple marocain, naturellement révolté, n'a eu aucune
difficulté à comprendre que l'entreprise française n'aurait
pas l'allure généreuse, que mobilisait peut-être la volonté
de réussir de l'époque première de Lyautey. Le Maroc,
comme toute autre colonie, devait devenir un simple
marché à dominer, à développer et à garder le plus
longtemps possible.
Néanmoins, l'entreprise lyautéenne avait lancé la machine
organisatrice des différents services: les travaux publics, la
conservation foncière, la justice, l'extension et
l'organisation des villes, la fonction publique, la santé et
bien d'autres secteurs encore.

LA MEDECINE MILITAIRE

Dès 1912, Lyautey lança son appel aux médecins pour


venir au Maroc. La réponse fut rapide. La vague des
immigrés devint importante après la première guerre
mondiale,
Dès le départ, latitude fut donnée à tous, dans un esprit
d'ouverture, de choix et de libéralisme dans le mode
d'exercice. Beaucoup parmi eux ont participé dans le cadre
public à organiser les infirmeries et à les diriger; d'autres
dans le cadre libéral, ont installé, dès 1917, des
consultations dans les villes et les "médinas"; d'autres
enfin ont fait l'essentiel et probablement le plus important
dans le début de l'œuvre sanitaire; les médecins militaires.
La guerre de Crimée et les guerres coloniales avaient
offert des occasions pour acquérir le savoir faire. Quelques
grandes figures ont dominé cette première période, et la
population marocaine en garde encore le souvenir.
Le Dr Mauran fut chargé d'organiser le service civil de la
Santé. Il créa à Rabat la polyclinique Mauran (1915). Son
nom fut donné au premier hôpital de Casablanca.
Le Dr Murat créa le premier hôpital dans la Médina de Fès
(1911), l'hôpital Murat ou Zerbtana.
Le Dr Cristiani, venu au Maroc en 1907, dirigea l'Hôpital
Cocard à Fès de 1913 à 1937.
Par ailleurs, les premières installations dans le secteur
privé remontent à 1917, les premières autorisations furent
délivrées aux docteurs Herrero, puis Bienvenue, Delanoë,
Berros, Ferriol et Meynadier.
La tâche qui revenait aux médecins militaires était
d'organiser le service de santé pour assurer les services
médicaux des troupes, puis installer et développer
l'assistance médicale aux populations.
Au départ, l'action se basa sur les formations sanitaires
mobiles (docteurs Chatinières, dont l'hôpital de Taroudant
a porté le nom jusqu'il y a quatre ans, et Morras) qui
installèrent dans quelques agglomérations des
baraquements fixes que remplacèrent peu à peu des
établissements hospitaliers de plus ou moins grande
envergure.
Le médecin Général Inspecteur Oberlé, proche
collaborateur de Lyautey, puis plus tard le médecin
Général Vanlande furent les premiers organisateurs et
directeurs du service de santé des troupes du Maroc. Ce
dernier fut assisté par le médecin Colonel Laurens.
Les premiers hôpitaux de grande dimension furent des
hôpitaux militaires dont la construction fut commencée
pendant la première guerre mondiale autour de l'année
1915. Ce fut le cas de l'hôpital militaire de Rabat, de
Casablanca, de Meknès (hôpital Louis), de Fès (hôpital
Auvert) et de Marrakech (hôpital Mauchamp).
L'action des groupes sanitaires mobiles (G.S.M) n'a jamais
cessé. Elle se développa quantitativement pour atteindre
seize groupes en 1937. Leur double mission fut de réaliser
des consultations et d'organiser la prophylaxie par les
vaccinations.
Les principales maladies que rapportent les écrits de cette
première époque et auxquelles il fallait faire face étaient,
la tuberculose, le paludisme, la syphilis, le typhus, la peste
et la variole.
Dans le cadre de l'organisation générale du protectorat,
l'administration de Lyautey a mis sur pied en 1913, le
premier plan officiel de la défense sanitaire et de la
protection de la santé publique. L'action à entreprendre fut
définie par Lyautey lui-même; "L'action de l'hygiéniste,
déjà si difficilement acceptée en France et dans les pays de
l'Europe, devrait être au Maroc extrêmement prudente et
habile, mais il faut de plus qu'elle fut un moyen d'attirance
au lieu d'être imposée; elle devait au contraire, constituer
un moyen d'action politique pacifique."
Le règlement du 21 Mai 1913 résumait l'action à
entreprendre:
La création d'un service central.
La fixation du mode de recrutement des Médecins,
L'établissement du statut des infirmiers français et
marocains
La réglementation de la vie administrative et technique des
formations et des groupes sanitaires mobiles (GSM)
L'établissement du premier programme de construction
d'hôpitaux et d'infirmeries.
L'action du protectorat français dans le domaine sanitaire
dont ce programme représente une ébauche et une
projection va continuer après 1926 sous la direction de la
Santé Publique. L'organisation de la santé militaire
s'installa peu à peu pour aboutir à un dispositif calqué sur
les divisions territoriales. Chaque division ou territoire
disposait à son chef-lieu d'un hôpital équipé pour faire
face aux malades, toutes spécialités confondues. Ces
hôpitaux drainaient les malades et blessés, venus des
hôpitaux annexes, et des infirmeries de postes ou de
garnisons.
Le service de santé des troupes du Maroc fut mis sous les
ordres d'un médecin général qui dirigeait l'ensemble du
service, adaptait les exigences techniques aux exigences
militaires. Les médecins-chefs de divisions et territoires
surveillaient l'exécution du service dans les corps de
troupes, les infirmeries et les hôpitaux placés sous leur
autorité, réglaient les évacuations et prenaient toutes les
mesures de prophylaxie pour le maintien des troupes en
bon état sanitaire.
De 1912 à 1926, la médecine militaire avait la charge de la
Santé du pays. Elle a suivi la trace de l'armée de
l'occupation. C'est à elle que revenait la tâche d'hygiène et
de salubrité publique, dans la surveillance du régime des
eaux potables, la prise des mesures concernant les
établissements insalubres et dangereux et la répression de
la falsification des denrées alimentaires.
Les troupes constituées d'éléments français, puis de
légionnaires et plus tard, de recrues marocaines,
bénéficiaient en premier lieu des services de toutes les
installations. Les soldats marocains avaient en plus les
"Dar el Askrt", institutions pour leur recrutement, leurs
douches et leur éducation sanitaire.
Pendant la première guerre mondiale, le Maroc, malgré
l'insécurité provoquée par la résistance à la colonisation,
appelée la "pacification", était un territoire relativement
plus sûr que ne l'était l'Europe en général et la France en
particulier, pour vivre, entreprendre et espérer. La
migration s'accentua peu à peu et devint importante au
lendemain de la première guerre mondiale. Elle amena sur
le terrain une population civile française qui réclama pour
elle, les avantages d'une organisation sanitaire, et
l'application des nouvelles idées économiques et sociales
de l'après guerre.
CHAPITRE II

LA DIRECTION DE LA SANTE PUBLIQUE

Déjà en 1918, l'action militaire sur le plan


sanitaire semblait avoir atteint son but dans les
régions occupées. Elle s'articulait sur un service
possédant une unité de direction, une unité de
doctrine, un personnel qualifié et rodé et un
budget autonome. Si l'action restait encore
soumise à l'autorité militaire, la formule
devenait de plus en plus civile et commençait à
se caractériser par la gratuité complète.
Le 24 Juillet 1920, un Dahir consacra ses
résultats en créant le service de la Santé et de
l'Hygiène Publiques, qui fut érigé en 1926 en
direction autonome.
En 1927, commença l'âge d'or de la
colonisation.
La mission "civilisatrice" des nations coloniales
prit un aspect naturel partout. Lyautey était
parti. Des résidents diplomates lui ont succédé.
L'administration coloniale prit ses aises. Le
jeune Souverain Mohammed V monta sur le
trône. Avec lui, s'individualisa la notion de la
sauvegarde de l'unité nationale et de l'identité
marocaine. Il devint le symbole de la résistance
politique. L'incident important du Dahir berbère
était passé sans trop de dommage. La fête du
trône fut célébrée avec faste, pour la première
fois en 1933, par le peuple marocain.
Quatre directeurs vont se succéder à la tête de
cette direction, pendant trente ans, jusqu'à
l'indépendance du Maroc. Ce fut d'abord Jules
Colombani (1926-1934) et Maurice Gaud
(1934-1942), encore dans la mémoire de la
population, leurs noms furent donnés aux deux
formations hospitalières de la ville de
Casablanca, puis le Dr Maurice Bonjean assura
cette direction de 1942 à 1947, après avoir été
directeur-adjoint de l'Institut d'Hygiène en 1930,
et inspecteur des services de la Santé Publique.
Arrivé à la retraite, son adjoint le Dr Georges
Sicault (1947-1956) lui succéda jusqu'à la fin du
protectorat. Ce dernier directeur quitta le Maroc
pour les Etats-Unis, nommé. au poste
d'administrateur général de l'UNICEF.
Ces quatre directeurs, rompus à l'administration
sanitaire, ont assuré la continuité des idées et
des réalisations. Sous leur autorité, fut installée
l'armature sanitaire du pays qui s'est orientée
vers la population et qui a constitué, en grande
partie, le système sanitaire 'légué par le
protectorat au Maroc indépendant.
De 1920 à 1954, les formules hospitalières vont
évoluer considérablement tenant compte du
développement de la science médicale, du
changement des doctrines en matière
d'architecture médicale (Noël Lemaresquier,
architecte) et surtout des besoins évoluant eux-
mêmes avec les données démographiques et
sociales du pays.
"Les principes de cette organisation furent
fatalement très souples mais obéissaient à une
hiérarchie très poussée".
A la base, étaient installées des salles de visites
réparties dans le pays, offrant les premiers soins
et les premiers secours, dans un esprit exclusif
de consultation et non d'hospitalisation, en
attendant le transfert des cas graves sur des
établissements plus équipés.
Au-dessus, étaient répartis des hôpitaux selon
les subdivisions administratives et dont la
capacité hospitalière était de quarante à soixante
lits. Au sommet, les hôpitaux de cercles ou de
territoires, complétés aux chefs-lieux des
régions par les hôpitaux régionaux et de
spécialités" Cet ensemble constituait avec les
centres de santé et les dispensaires des villes les
pièces maîtresses de la structure sanitaire" (G.
Sicault).
Cette organisation relevait d'une politique
générale qui se calquait sur l'organisation
administrative progressive et reflétait, les
changements sur le terrain et les adaptations
politiques et idéologiques du protectorat.
Si les opinions se sont heurtées, du début jusqu'à
la fin, entre la notion de "territoires civils" et de
"territoires militaires", l'extension de la zone
civile a suivi régulièrement l'occupation, jusqu'à
l'achèvement de celle-ci en 1934. Au-delà de
cette date, elle reprit plus lentement et plus
sporadiquement. Les autorités militaires se sont
maintenues dans certaines zones où pourtant,
selon les termes de Lyautey, existait chez les
populations une soumission de longue date,
Ainsi l'on retrouve, que le contrôle civil n'a pris
pied dans la région d'Agadir qu'entre 1950 et
1955.
L'organisation sanitaire, à cette époque, résulta
surtout de l'offre publique. L'administration dota
le pays de structures et concentra son intérêt et
ses efforts sur leur fonctionnement et leur
gestion.
Ce n'est que plus tard, vers les années cinquante,
que le problème de paiements des services
consentis par ces structures, allait se poser. Il
engagea des débats qui ne trouvèrent aucune
solution, malgré l'apparition d'une classe aisée,
et d'une certaine mutualité. Néanmoins, on créa
des services cliniques pour payants dans les
principaux hôpitaux du Maroc, dont la gestion
n'a pas été poursuivie.
Par ailleurs, latitude fut laissée à la société civile
de faire sa propre politique. Les associations de
bienfaisance, et la médecine libérale ont
bénéficié de lois particulières. On soumit leur
action à d'autres administrations et à d'autres
directions et non à la Direction de la Santé
Publique. En effet les ligues, les associations et
les installations médicales dans le privé,
relevaient d'une réglementation générale
dépendant des affaires sociales du secrétariat
général du protectorat, voire parfois de la haute
autorité du pays.
Cette organisation, jugée aujourd'hui "libérale",
imprima sa marque sur l'organisation actuelle
qui perpétue la situation née de cette époque. A
partir de là, il nous paraît intéressant de scinder
l'époque de la Direction de la Santé en deux
périodes: l'une allant de 1926 à la fin de la
deuxième guerre mondiale et l'autre, une
période d'après-guerre jusqu'à l'indépendance.
Ces deux étapes sont différentes à plusieurs
titres. Le progrès médical offrait plus de
possibilités d'action. L'urbanisation intensive
sollicitait une intervention différente sur le plan
sanitaire, La croissance économique favorisait
une immigration générale et médicale intenses.
Dans la première période, il fallait se donner les
moyens en hommes, en équipement et agir. Les
écrits racontent, s'il faut prendre l'exemple de
l'année 1937, que 141 médecins étaient attachés
à la Direction de la Santé et que 200 médecins
étaient installés à leur propre compte.
La mission des 141 médecins était de procurer
l'assistance médicale dans les formations fixes,
hôpitaux, infirmeries, salles de visites, mais
aussi dans les formations sanitaires mobiles. On
décompte à cette époque 66 infirmeries et 71
salles de visites. On réalisa 6 800 000
consultations et 67 600 hospitalisations avec un
séjour moyen de 23 jours; tandis que les GSM
au nombre de 16 renforçaient l'action sanitaire
fixe et avaient réalisé en 1937, 300 000
consultations et 220 000 vaccinations.
Les principales maladies qu'on rencontrait dans
cette deuxième époque étaient encore la
tuberculose, le paludisme, la syphilis, mais aussi
et moins, le typhus, la peste et la variole.
En 1937, les cas de tuberculose déclarés avaient
atteint 6000. Le traitement faisait appel au
pneumothorax artificiel, la phrénicectomie, la
chrysothérapie intraveineuse et l'antigène
méthylique dans les atteintes chez l'enfant.
Le paludisme dominait à cette époque la
pathologie africaine. Le service antipaludique,
rattaché à l'Institut d'Hygiène, suivait de près la
situation dans ce domaine, en dressant des
courbes d'après les index spléniques et
plasmiques. Ce service procédait également à
des campagnes de lutte anti larvaire et
d'amendement des réservoirs de virus. Il menait
cette action de concert avec la direction générale
des Travaux Publiques et le service du Génie
Rural. Les régions impaludées furent
régulièrement surveillées et assainies et
particulièrement celle du Gharb, de la vallée du
Sebou, d'Inaoun, de la plaine du Saïs et de Fès.
La population consomma cette année pour se
prémunir 3000 kilos de quinine.
La syphilis, le "Nouar", légion dans les milieux
pauvres, faisait courir déjà la population derrière
la "piqûre".
Le typhus, maladie traditionnelle de l'Afrique du
Nord, sévissait par épidémies meurtrières. Il
accompagnait les difficultés économiques et les
mauvaises années agricoles. Seules les mesures
d'hygiène et de prophylaxie pouvaient en limiter
les conséquences. Les travaux de Georges Blanc
de l'Institut Pasteur du Maroc ont abouti à la
découverte d'un vaccin préventif en 1937
(vaccin Blanc-Baltazard suivi plus tard du
vaccin Cox). La guerre empêcha sa fabrication
en quantité suffisante. Charles Nicolle de
l'Institut Pasteur de Tunisie montra que le pou,
suspecté déjà en 1907, dans la transmission de la
fièvre récurrente, par le Dr Henry Foley qui
travaillait en Algérie, était le vecteur du typhus
exanthématique. Les mesures d'éradication de ce
parasite par le D.D.T, allait changer pendant et
surtout après la deuxième guerre mondiale,
l'aspect de cette maladie et entraîner peu à peu la
disparition des épidémies qu'elle provoquait:
La peste a sévi de tous temps au Maroc et
ailleurs. Il y a déjà plus de mille ans, dans le
Kitab al Istiqça (Naciri), on relève la
recrudescence d'épidémies de la peste tous les
trois, cinq ou dix ans. Celle de 955, au temps
des Idrissides, emporta presque toute la
population du Maghreb et de l'Espagne. Celle de
1799, emporta soixante mille personnes à Fès,
vingt mille à Rabat, cinquante mille à
Marrakech. La solution consistait à dépister
précocement les foyers pour les limiter. Dans les
siècles passés, les rois brûlaient les villages
atteints et enfermaient les populations derrière
les remparts et derrière les portes des quartiers
contaminés. Leurs habitants, malades ou non,
étaient condamnés à mourir. Les portes étaient
ré ouvertes quelques années plus tard.
La variole qui a toujours sévi par épidémies
(1914, 1923, 1932, 1937, 1940, 1946) bénéficia
d'une campagne vigoureuse de vaccination en
1937. Elle fut l'œuvre de 300 médecins publics
et privés, 82 pharmaciens, 78 chirurgiens
dentistes et 112 sages-femmes mobilisés. Deux
cent vingt mille personnes ont pu être vaccinées.
Du résultat de l'action sanitaire entreprise dans
le domaine de l'hygiène et de la prévention,
l'administration du protectorat pouvait tirer la
satisfaction de voir la population passer de 4
933 000 en 1926 à 6292000 en 1936,40
La deuxième période fut celle de l'extension des
structures des soins et surtout de l'organisation
des professions de santé.

LES INSTITUTS
L’institut d’hygiène
Avec la mise au point sur le plan militaire des divers
services sanitaires, la nouvelle direction de la Santé
publique jugea nécessaire et indispensable de créer de
grands ensembles sous forme d'instituts nationaux.
L'Institut d'Hygiène mérite dans cette Histoire la première
place, puisque c'est à lui que va être confiée l'étude
technique des problèmes relatifs à la protection de la santé
publique. Il comprenait dès le départ:
- Une section d'enseignement qui recevait les jeunes
médecins, nouvellement arrivés au Maroc, afin de les
initier à la pathologie marocaine, de leur prodiguer
conseils et recommandations, voire compléter leur
formation, et de leur montrer la dimension importante et
spéciale de leur mission.
- Une section d'étude et de recherche avec quatre
laboratoires, pour l'anatomo-pathologie, pour la
microbiologie, pour la chimie et pour la lutte
antipaludique.
- Une section de prophylaxie pour la lutte contre le
paludisme, la tuberculose, en liaison avec la "Ligue
Marocaine contre la Tuberculose", qui associait européens
et marocains. La ligue fut fondée par le Dr Lapin en 1924.
- Une section d'hygiène scolaire créée en 1937, en accord
avec la direction de l'Enseignement, des Beaux Arts et des
Antiquités. Sa mission fut l'étude des questions d'ordre
médical et social se rapportant à l'enfance scolarisée,
l'organisation de l'inspection médicale, et le contrôle
médical de l'éducation physique et sportive.
- Des services généraux pour le recrutement des
fonctionnaires, la tenue des archives et la publication d'un
bulletin.
Notons ici, que tous les examens anatomo-pathologiques
du Maroc, se faisaient dans les laboratoires de l'Institut
d'Hygiène. Celui-ci répondait à la demande nationale
jusqu'en 1960, date à laquelle un deuxième service fut
ouvert à Casablanca, (Drs Mesbah et Mme Chorfi ). Le Dr
Bru resta le seul anatomo-pathologiste du secteur privé
jusqu'en 1970.

L'INSTITUT PASTEUR.

Celui de Tanger, zone internationale, fut créé en 1913.


Celui du Maroc fut créé à Casablanca en 1929.
Centres de recherche scientifique appliquant les méthodes
de Pasteur, leurs travaux ont concerné la préparation des
vaccins antivarioliques, le traitement antirabique et la
fabrication des vaccins antivenimeux. De 1932 à 1935,
premières années d'installation, l'Institut Pasteur du Maroc
a fourni près de 3 900 000 doses de vaccins ou sérums
pour usage humain et 750 000 doses de vaccins ou sérums
pour usage vétérinaire. L'Institut Pasteur du Maroc s'est
signalé au monde par la découverte du vaccin contre le
typhus par le Docteur G.Blanc.

La Pharmacie Centrale.

Créée en 1929, cette institution devait fonctionner comme


une usine de fabrication de pommades, de sirops, de
teintures, de solutions, de dragéification de comprimés, de
préparations injectables et aussi d'entrepôt. De son
fonctionnement résulta une économie sensible pour les
services publics, la sécurité et l'organisation des stocks.
L'importance de cette unité centrale ne cessa de grandir
jusqu'aux années 1970. Elle a servi d'exemple par la
réussite de sa mission, dans son activité et son rendement,
à l'installation précoce d'une industrie pharmaceutique au
Maroc. Celle-ci satisfait de nos jours quatre vingt pour
cent des besoins du pays. Le secteur privé a pris dans ce
domaine, et avec succès, le relais de la pharmacie centrale.

L'ACTION MEDICALE ET SANITAIRE DANS LES


VILLES.
LA SANTE PUBLIQUE A CASABLANCA.
L'Ancienne Médina", agglomération primitive de
Casablanca, était au début du siècle une petite bourgade de
25.000 habitants, enfermée derrière ses remparts.
L'administration du protectorat décida, sous l'instigation
de Lyautey, en raison des possibilités qu'offraient la côte,
la rade et l'absence de barre, d'installer le port qui allait
devenir le plus important du Maroc, éclipsant peu à peu
tous les autres. Autour de ce port, s'est installée la ville la
plus importante du pays, point de départ des axes routiers
et ferroviaires, et qui devint la capitale économique.
C'est à partir de 1927, que l'essor de Casablanca fut rapide.
A partir de cette date, elle n'était plus qu'un chantier
immense. En dehors de l'''ancienne médina", s'installa la
"ville européenne" avec ses larges artères. Au Sud "une
nouvelle médina" s'éleva.
Cette extension rapide, imposa à la municipalité un effort
considérable sur le plan de l'assainissement, des
canalisations d'eau potable et d'électrification.
Il a fallu déployer un effort important pour appliquer les
règlements d'hygiène et veiller à la propreté des terrains
vagues. Le Bureau Municipal d'Hygiène (BMH) et ses
équipes procédaient en permanence au nettoyage et à la
désinfection des quartiers, à la surveillance des marchands
de denrées alimentaires, et particulièrement les laitiers et
colporteurs qui se sont multipliés en raison d'une demande
créée par l'augmentation rapide de la population. Une des
missions essentielles du Bureau Municipal d'Hygiène était
de dépister les maladies épidémiques, circonscrire leurs
foyers et exécuter les mesures prophylactiques.
L'Histoire rapporte que de 1927 à 1937, le Bureau
Municipal d'Hygiène eut à lutter contre des cas
sporadiques de typhus, de peste et de variole. En 1928, à la
suite d'une année exceptionnellement pluvieuse, le
paludisme a sévi sévèrement. En 1932, une épidémie de
variole obligea à vacciner, en moins de dix jours, cent
deux mille personnes, en divisant la ville en trois secteurs
et en multipliant les équipes pour vacciner
continuellement la population, rue par rue, maison par
maison, au point qu'on n'enregistra aucun cas en 1933 de
cette maladie. Enfin l'année 1937, connu une épidémie de
typhus meurtrière.
La lutte contre la peste s'organisa par la surveillance des
muridés, leur capture, et leur autopsie. Récompense fut
donnée à quiconque, petit ou grand, rapportait son rat. La
lutte contre le paludisme connut, en 1928, les grands
travaux d'assainissement des banlieues en faisant
disparaître les mares et marécages, et en empoissonnant
les oueds.
Ces travaux de prophylaxie ont été menés de pair avec la
construction des hôpitaux. Le premier hôpital, fut l'hôpital
J. Mauran, appelé aujourd'hui hôpital Sidi Soufi. Il fut
construit dans le quartier de la T.S.F. (ce qui correspond
de nos jours à la RT.M.) sur un terrain offert par Haïm
Bendahan. Il fut ouvert en 1917 aux malades israélites et
musulmans. Cet hôpital fut détruit en 1993 pour recevoir
une nouvelle construction entièrement à la charge d'un
bienfaiteur. Mr Ghali Berrada. Ce donateur aura, après
soixante quinze ans reconstruit un hôpital moderne et
confortable, sur un terrain offert par un autre bienfaiteur
du début du siècle. Son premier médecin-chef fut le
Docteur Murat qui a travaillé pendant onze années à Fès
dans un hôpital de la médina de cette ville "l'hôpital
Zerbtana". Le service de médecine fut confié à Melle
Broïdo et celui de chirurgie au Docteur Bienvenue qui
créa aussi la Goutte de Lait de Casablanca. Cette
institution demeure de nos jours, et depuis 1920, un des
rares services de prématurés.
Le "Lazaret d'El Ank", installé en 1913 (Dr Duché), fut
annexé à J.Mauran pour constituer un ensemble de 400 lits
pour recevoir les malades contagieux, puis secondairement
et bien plus tard, les malades mentaux.
La maternité de J.Mauran fut entièrement construite par H.
Bendahan et les enfants Braunschwig. Cet ensemble resta,
jusqu'à la fin des années quarante, l'hôpital pour malades
marocains.
Des médecins prestigieux, dont se souvient encore la
population. y ont longtemps travaillé, tels Pérard, Martin
et Sésini.
L'hôpital militaire, construit en 1917, aujourd'hui. Hôpital
du 20 Août, contenait au départ 500 lits destinés aux
militaires européens et musulmans: deux cents pour les
blessés, deux cents pour les malades, cinquante pour les
contagieux et trente étaient réservés aux officiers et à leurs
familles. Non loin de l'hôpital militaire, fut construit en
1930, l'hôpital qui allait prendre le nom du premier
Directeur de la Santé publique. Colombani. Ce grand
hôpital s'étale sur une superficie de plus de dix sept
hectares et avait une surface construite de dix huit mille
mètres carrés.
Déjà. en 1937, la ville de Casablanca avait une population
de 300 000 habitants, à grande majorité musulmane. La
construction d'un grand hôpital pour musulmans s'imposa.
L'hôpital qui prit le nom de Maurice Gaud. Directeur de la
Santé publique depuis 1934, fut ouvert en 1948. Sa
construction, commencée en 1938, avait été retardée par la
guerre.
A côté des grands hôpitaux ont été installés plusieurs
dispensaires destinés aux musulmans (1930), tel le
dispensaire de Derb Soltane (antituberculeux.
antivénérien), celui de la nouvelle médina, de Benmsik, et
de la rue Jenner (1935).
La ville de Casablanca, devenue ville industrielle,
portuaire et point de départ du réseau ferroviaire, incita,
dès 1930, 'la Compagnie des Chemins de Fer, avec le
Docteur Thierry, à ouvrir une infirmerie pour dispenser
des soins au personnel et à organiser des consultations
pour nourrissons et des consultations de gare.
La Compagnie de Navigation Paquet fit le même effort et
créa un service médical, tant à terre qu'en mer, doté de son
propre stock de pharmacie.
L'Office Chérifien des Phosphates (O.C.P), créé en 1920,
eût le même souci en installant des consultations au port
de Casablanca et à Khouribga. Cette ville fut dotée d'un
hôpital pour répondre aux besoins sanitaires de 6000
agents et ouvriers qu'on dénombrait en 1936. L'O.C.P dota
Louis-Gentil (Youssoufia) d'un hôpital en 1934, agrandi
en 1938.
L'assistance psychiatrique était assurée par une formation
annexée de 1919 à 1930 à l'hôpital militaire qui fonctionna
isolément depuis cette dernière date dans un pavillon de
l'hôpital Colombani. En 1936, l'hôpital psychiatrique de
Berrechid a été érigé en établissement public sous le
contrôle technique et administratif de la direction de la
Santé publique et a pris le nom de l'Hôpital
Neuropsychiatrique de Berrechid. Sa capacité de 170 lits
au départ (1922-1923) fut portée à 500 plus tard. Il a eu
comme premier directeur le docteur Pierson, médecin des
Asiles de France.

LA SANTE PUBLIQUE A RABAT

Dès le début du protectorat, Rabat devint la capitale


administrative du Maroc. Elle a pris un essor considérable
pendant la première guerre mondiale. Les plans de la ville
nouvelle ont été dessinés par Henri Prost et Albert
Laprade. Ces architectes furent appelés par Lyautey en
1915. Prost s'était distingué par l'aménagement de la ville
d'Anvers, et celui de la Côte d'Azur varoise. Il créa aussi le
premier schéma directeur de Casablanca et celui des villes
nouvelles de Marrakech et de Fès. Rabat bénéficia très tôt
d'un Bureau Municipal d'Hygiène qui donnait son avis sur
toutes les demandes de constructions. Il surveillait l'eau,
les denrées alimentaires et le commerce du lait.
L'assainissement du sol et des égouts ont requis toute
l'attention. On y installa partout des dispensaires de
spécialités et très tôt des infirmeries et des hôpitaux:
l'hôpital musulman, l'Hôpital Moulay Youssef, et l'hôpital
Marie Feuillet, devenu l'hôpital Mohammed V, (Marie
Feuillet, infirmière de la croix rouge, venue au Maroc en
1911, est morte de typhus contracté en service en 1912).
La région de Rabat, le territoire de Port-Lyautey (Kénitra
d'aujourd'hui), celui de Ouazzane
LA SANTÉ PUBLIQUE À FES

Cette cité millénaire présentait une remarquable propreté


des habitations et un aspect défectueux sur le plan de
l'hygiène des rues.
L'eau courante dans toutes les demeures, fait que la ville
n'a connu que peu d'épidémies. Le B.M.H. créé en 1925,
eut à s'occuper surtout de l'hygiène publique. La
dysenterie et la typhoïde y régnaient néanmoins à l'état
endémique.
L'hôpital Murat est le plus ancien hôpital de Fès. Créé en
1911, et dirigé par le Dr Murat.rtl demeura l'hôpital
général de la Médina jusqu'en 1930, pour médecine et
chirurgie. Il devint plus tard une annexe de l'hôpital
Cocard ouvert en 1917-18. Il fut consacré depuis à
l'ophtalmologie et à l'O.R.L. (Docteur Guinaudeau).
L'hôpital Cocard était dès le départ une grande formation.
Le prestigieux Docteur Cristiani, chirurgien, y travailla
jusqu'en 1937. Arrivé au Maroc en 1907, puis à Fès en
1910, ce grand médecin était vénéré par la population
fassie. Lui succéda le Docteur Secret, dont l'efficacité et le
charme furent à l'origine de l'admiration et la sympathie de
tous. Il a fait plusieurs publications sur les stations
thermales de la région de Fès et surtout les eaux de
Moulay Yacoub.
L'hôpital Auvert s'installa en hôpital mixte, civil et
militaire, en 1933, sur le plateau de Dhar el Mehraz,
emplacement choisi par le Maréchal Lyautey.
La Goutte de Lait de Fès a été fondée par la Maréchale
Lyautey en 1920, secondée par les Dames Watin et
Dermoncour, puis fut installée en 1924 dans une villa avec
jardin, bâtie grâce aux dons du pari mutuel. Cette
institution distribuait jusqu'â 260 000 biberons par an, et
donnait des consultations pédiatriques.

LA SANTÉ PUBLIQUE À MEKNES

La prophylaxie devait accompagner l'agrandissement de la


cité. La lutte contre les épidémies y a connu un constant
effort. Les grands travaux d'assainissement sur la rivière
de Boufakrane (travaux à l'origine des premières émeutes
de1934) ont été entrepris en même temps que ceux sur
l'oued jnane el Hafia et de la Saguia el Hamria.
L'Hôpital militaire "Louis", fut construit en 1915 sur une
surface de 27 hectares.

LA SANTÉ PUBLIQUE À OUJDA

Cette vieille cité bédouine a connu tant d'événements et de


remous au cours de l'Histoire de la fin du siècle dernier et
au début de ce siècle. Elle a bénéficié des applications
attentives des principes d'hygiène. Elle avait la
particularité d'être une ville peuplée â moitié d'européens
et â moitié de marocains jusqu'â la deuxième guerre
mondiale.
Son hôpital militaire qui reçut le nom du médecin aide-
major de l ère classe Accolas, mort du typhus en 1921,
fonctionne depuis 1926. Il recevait des malades civils et
militaires de la région d'Oujda et des régions algériennes
proches (Maghnia et Nemour ...)

LA SANTÉ PUBLIQUE À MARRAKECH

Le développement de l'hygiène a vu la réalisation du


double principe du Maréchal Lyautey: le respect de
l'intégralité artistique de la ville ancienne et l'application à
la ville nouvelle des règles de l'urbanisme moderne. Le
réseau d'égouts a été commencé en 1925 et le B.M.H. a
entrepris les travaux d'assainissement et de prophylaxie.
Marrakech a connu, comme les autres villes en 1927-28 et
en 1937-38, deux graves épidémies de typhus.
Le premier hôpital fut l'hôpital Mauchamp, (actuellement
Hôpital Mamounia ou Ibn Zohr), dont les travaux avaient
été commencés en1913 et furent terminés en 1918. Il a été
installé dans les jardins de la Mamounta: Kébira des Rois
Sàadiens. Il fut ouvert par le Dr guichard. L'hôpital civil
destiné aux européens fut inauguré en 1938 (Hôpital
Guéliz).
L'énumération de ces travaux n'est, certes, pas exhaustive.
Il ne nous a pas semblé nécessaire de rappeler ici, et dans
les détails, l'ensemble du puzzle sanitaire installé par la
Direction de la Santé et de l'Hygiène Publiques. Plus loin
et dans le chapitre consacré à "l'héritage colonial", nous
donnerons de plus amples détails sur cette œuvre.

L'ACTION SANITAIRE ET LA POPULATION

Il est certainement difficile, voire impossible de se


prononcer sur la valeur des chiffres de la population des
deux premières décennies du protectorat. On ne pouvait
recenser valablement la population d'un pays qui ne fut
occupée et "pacifiée", théoriquement, qu'en 1934, date à
laquelle plusieurs zones étaient encore inaccessibles.
Certains recensements estimatifs donnaient en 1921,
4253000 marocains et 81 000 non marocains; en 1936,
plus de six millions de marocains et plus de 200 000 non
marocains; tandis qu'en 1952, 7600000 marocains et
363000 non marocains.
La population à cette dernière date était encore à 80%
rurale.
L'accroissement de la population musulmane, entre 1936
et 1952, a été de 26%. Les villes traditionnelles comme
Fès, Marrakech, Salé, Meknès restèrent stationnaires sur le
plan des autochtones.
Tandis que les "villes neuves" montrent un "boom"
spectaculaire; c'est le cas d'Agadir, Safi, Port Lyautey
(Kénitra), Oujda et surtout Casablanca. Ces cités sont
considérées "neuves" en raison de l'importance des
nouvelles constructions. Leurs centres d'origine sont très
anciens.
L'afflux des nouveaux citadins qui habitent les villes
"neuves" vont poser d'énormes problèmes d'urbanisme.
La poussée démographique rapide empêcha l'application
des règles nécessaires à un bon environnement et à
l'esthétique.
Des quartiers neufs se construisaient à l'initiative des
pouvoirs publics avec une certaine réussite. D'autres
quartiers furent construits par "des lotisseurs", et ont
donné des "taudis neufs". D'autres enfin, installés à
l'initiative sauvage des émigrés ruraux, ont donné des
agglomérations de baraques, "les bidonvilles". Ce nouvel
habitat posa d'abord des problèmes d'adaptation au style
de vie, 11 créa un voisinage inhabituel et une promiscuité
non appréciée des ruraux, devenus ouvriers et prolétaires.
Ceux-ci étaient appelés à vivre les uns sur les autres dans
des bâtiments à plusieurs étages, aérés par des fenêtres que
certains murèrent par des briques rouges, pour mettre leurs
épouses et leurs mères à l'abri des regards indiscrets. Les
bidonvilles ont constitué le plus hideux des habitats, le
plus- insalubre. Il grandissait à vue d'œil. 11 a posé à
plusieurs générations le problème de son remplacement et
le pose encore. Cette construction, inconnue au Maroc, est
née de l'imitation de l'habitat de certains colons à la
campagne, qui ont vécu dans des baraques recouvertes de
taule". L'habitat a donc posé des problèmes
d'assainissement et de santé d'une autre dimension. Le
problème sanitaire s'associa au problème social.
La population française, et non marocaine en général,
résulta d'une pure "immigration", de l'expression même de
Lyautey.
Les conditions de développement, associant sécurité,
activité économique et facilité administrative l'attiraient.
Au lendemain de la deuxième guerre mondiale, une
expansion économique sans précédent augmenta
considérablement la poussée d'immigration au point que la
population européenne a atteint presque 400 000 à la veille
de l'indépendance. Les dernières vagues ont fui la France
appauvrie et devenue triste après l'occupation allemande.
Certains immigrés s'étaient compromis pendant
l'occupation. D'autres, disait-on, ont fui le communisme et
le socialisme dont ils étaient persuadés de l'installation. La
sécurité sociale(!) en était la preuve, à leurs yeux.
La population médicale suivit cette immigration.
Les premiers médecins sont venus à l'appel de Lyautey, les
derniers ont été stimulés et attirés par la politique de
réforme d'Eric Labonne qui prônait "la multiplication des
écoles et des hôpitaux".

LES HOMMES ET L'ACTION

Un initiateur, un promoteur: Lyautey! "Envoyez-moi


quatre médecins, je vous renverrai quatre compagnies",
"un médecin vaut un bataillon!", disait-il.
"L'expansion coloniale a ses rudesses, elle n'est pas sans
reproche, ni sans tare, mais si quelque chose l'ennoblit et
la justifie, c'est l'action des médecins comprise comme
moyen de pénétration et d'attirance ... ".
Confiant la première organisation des services de santé
aux médecins militaires, il a fait appel au personnel de
santé, médecins, infirmiers et assistantes sociales dès le
début. Des hommes et des femmes médecins ont répondu
à son appel. Dès le départ, Lyautey pouvait clamer sa
satisfaction d'obtenir le nombre nécessaire pour mener à
bien la mission médicale, et la collaboration des meilleurs,
En effet, Il exigea de Millerand, Ministre de la Guerre,
soixante médecins qu'il a obtenu. Il invita avec insistance
certains qu'il appréciait pour leur compétence (Ses lettres
au Dr Henry Folley qui s'était distingué par la lutte contre
les épidémies en Algértel."
Les médecins femmes avaient un rôle à jouer, face aux
traditions marocaines particulières, à l'égard de la femme
en général et le côté sacré à protéger de la famille.
Le Docteur Jules Colombani, médecin militaire, ami
personnel de Lyautey, fut appelé par lui, en 1918, d'Oran,
sa ville natale, où il résidait, Son charme personnel attira
au Maroc un grand nombre de jeunes médecins épris de
non conformisme. Colombani adorait l'action. Atteint par
la retraite, ce disciple inconditionnel de Lyautey, essaya de
se convertir à la vie parisienne mais, après une expérience
décevante, il regagna Meknés où il mourut en 1955, dans
des circonstances matérielles difficiles.
Le Docteur J.Mauran fut chargé d'organiser, au départ, le
service de santé destiné aux autochtones.
Après Colombani, Gaud puis Bonjean et Sicault ont
présidé à la direction de la santé jusqu'à l'indépendance.
Ce dernier avait mis au point un plan de 10000 lits à
réaliser en sept ans.
A côté de la médecine publique totalement gratuite, dans
tout ce qu'elle offrait, (consultations, soins, médicaments,
hospitalisations, vaccinations), s'étaient organisées des
actions médico-sociales autour de la Maréchale Lyautey,
pour ouvrir des maternités, des "gouttes de lait", des
orphelinats, des asiles pour miséreux, et des initiatives
privées gràce aux Pères Franciscains et aux bienfaiteurs
marocains, musulmans et israélites.
La médecine privée triomphait aisément dans les grandes
villes.
Des professionnels de santé, médecins, dentistes,
pharmaciens, oculistes, hommes et femmes installèrent,
dès 1917, des consultations privées et multiplièrent des
offres que la population appréciait et qui correspondaient à
sa demande, dès qu'elle en avait les moyens. La plupart
des médecins du secteur privé partageaient leur journée
entre les centres de consultations des dispensaires, les
hôpitaux, et leur consultation privée et cliniques. Cette
double fonction était à la base du prestige et de la notoriété
acquis par eux. Certains, parmi les plus anciens, veillaient
sur des œuvres, telles les "gouttes de lait", ou participaient
à l'organisation de services sur le plan national comme
conseillers.
Emile Speder, médecin venu au Maroc en 1917, fut
nommé par le ministre de la Guerre, médecin-chef du
service central d'électroradiologie et de physiothérapie du
Maroc. Sous sa direction, l'organisation des laboratoires de
radiologie à Rabat, Meknès, Fès, Marrakech, Taza et
Oujda fut réalisée.
Après la guerre, il fut maintenu par le ministre dans cette
fonction pour le compte de la médecine militaire. Il devint
par la suite conseiller technique pour l'électroradiologie de
la Direction de la Santé et de l'Hygiène Publiques. Il
assuma cette fonction avec autorité jusqu'à sa mort en
décembre 1948.
C'est lui qui décida le Résident Général à doter l'hôpital
militaire de Casablanca d'une installation radiologique.
L'avantage de cette installation, à l'époque, n'était pas
évident.
Ce prestigieux médecin installa un cabinet de radiologie
privé, rue Ben Dahan dont le bâtiment existe à ce jour. Il
créa au sein de l'Union Médicale de Casablanca à laquelle
il participait le journal "le Maroc Médical" (1920) qu'il a
repris en main en 1921. Il fut l'initiateur au Maroc, des
premières réunions scientifiques sur la pathologie
marocaine (1924), qui devancèrent de peu la création, avec
Eugène Lepinay, de la Société de Médecine et d'Hygiène
du Maroc (1924).
En dehors des villes, érigées en municipalités, opérait très
tôt et depuis 1926, une autre catégorie de médecins
appelés "médecins du Bled". Efficaces et braves, ils se
déplaçaient dans les villages, douars, et ksours à dos de
mulets, d'ânes ou de chevaux. Ils ont éradiqué les maladies
endémiques les plus redoutables, et ont rempli en plus de
la mission médicale, le rôle de l'hygiéniste et du
vétérinaire, Mobilisables d'un lieu à un autre, tous les trois
ou quatre ans, ils sillonnaient le pays dans l'anonymat, au
milieu des risques multiples, des maladies, et des dangers
que comportait le terrain ou que provoquait le climat.
Leur vertu résidait dans leur tempérament et leur volonté
de "missionnaires". Ils savaient qu'ils devaient accepter de
travailler dans des conditions précaires et provisoires. La
population les vénérait, les adulait, et les invitait. Ces
médecins ont développé des amitiés sûres autour d'eux,
amitiés qu'ils ont souvent regretté d'abandonner après leurs
fréquents départs et mutations. Souvent célibataires ou
jeunes mariés, ils se sont laissés envoûter par leur travail.
Le confort et le luxe auxquels ils auraient pu accéder par
un autre choix, n'étaient pas dans leur souci. La chance de
la campagne marocaine, la chance de l'administration
sanitaire de l'époque, était d'avoir trouvé ce genre de
médecins qui, il faut le dire, sont difficiles à trouver
aujourd'hui. Les médecins sans frontières de notre époque
offrent une certaine similitude avec eux, mais, ceux-ci
mènent leur action dans un autre esprit. Ils n'étaient pas
des Schweitzer. Ils n'étaient pas des médecins qui
cherchaient le prestige, ni la singularité. Ils étaient des
médecins au sens le plus simple, aimant ce qu'ils faisaient
d'amour tout court et non par nécessité de profession
comme c'était le cas des médecins de campagne en
Europe. Marianne Langlats, la "toubiba", médecin chef de
l'hôpital Moulay Youssef, à Rabat, a parcouru à dos de
mulet le bled plusieurs années, à la fin des années trente.
Leur action, complétait, et intervenait sans gêner ni
critiquer l'action de la médecine populaire. Ces médecins
tiraient satisfaction des résultats qu'ils obtenaient par une
médecine qui avait peu de moyens et qui se pratiquait dans
des conditions que toute faculté jugerait sévèrement et qui
choquerait les promoteurs de la médecine réglée, et
exigeante. Seuls, ils contrôlaient de larges territoires, et
savaient que leur savoir-faire ne pouvait profiter qu'à des
privilégiés et ne pouvait s'étendre à tous.
Ils ont eu la chance de trouver sur le terrain des aides qui
appartenaient à des "races" d'hommes rares, et souvent
formés sur le tas. Ne sachant parfois ni lire ni écrire, ils
ont organisé des consultations nombreuses, avec un flair
hors du commun, pour "trier", mené de main de maitre des
campagnes de vaccinations, Ils connaissaient le terrain, les
régions et les habitants. Ils se souvenaient de tout et de
tous.
Les médecins du "Bled" ont fait l'objet d'un livre, écrit par
le Dr Charbonneau.
"Eh bien, mon cher, dit le Docteur Bonjean, directeur de la
Santé au Docteur Dupuch qu'il a recruté en 1942, vous ne
regretterez pas d'être venu vous joindre à nous, car nous
faisons un métier passionnant, mais pas toujours facile.
Dans un bled vous serez à la fois, médecin, accoucheur,
pédiatre, psychiatre, ophtalmo, oto-rhino, dermatologue,
que sais-je, médecin thermal…"
"Nous vous ferons faire un stage à l'hôpital Moulay
Youssef pour compléter vos connaissances chirurgicales et
vous familiariser avec des affections particulières à ce
pays".
"Il vous faudra mettre la main à la pâte".
" ... Le Docteur Boryean, a tenu à me vacciner lui-même
contre le typhus, la peste, la variole, la typhoïde puis le
tétanos et la diphtérie".
La jeune recrue faisait pendant quinze jours des
consultations le matin à l'hôpital Moulay Youssef et
passait l'après-midi à l'Institut d'Hygiène à Rabat pour
s'initier à certains examens biologiques de dépistage, des
travaux de microscope et lire des cartes de géographie.
Le médecin allait là où on l'envoyait. Il s'adaptait à son
poste, ses particularités, ses difficultés et ses avantages. Il
emportait sous le bras un traité succinct de techniques
chirurgicales !
"La médecine de masse, les grandes mesures
prophylactiques ou curatives destinées à enrayer les
épidémies et les endémies étaient une occupation
essentielle. "
"Par chance, à l'époque, on disposait de médicaments
remarquablement actifs pour les maladies les plus
répandues, le paludisme, la dysenterie, la syphilis, les
affections vénériennes".
Bénéficiant d'une confiance illimitée, le toubib était "à
moitié marabout et quelque peu sorcier".
Certains écrits affirment que les Marocains n'avaient
aucune confiance en la médecine européenne. La
médecine, à l'époque, était d'abord rare, un luxe. Son accès
était difficile, surtout sur le plan géographique. Elle était,
certes, simple et parfois peu onéreuse. Elle pouvait être
gratuite dans certaines conditions, surtout rurales. Elle
faisait appel, dans la majorité des cas, au savoir d'un
homme, à son savoir-faire, à son flair et à une médication
simple et simplifiée. "Nous ne nous faisions aucune
illusion sur l'efficacité réelle de cette médecine
sporadique, qui exigeait surtout un art particulier dans
l'emploi des succédanés"(Cristiani J.)
Ce problème de confiance résidait dans le caractère
exceptionnel de la médecine et le peu de moyens dont elle
disposait et que permettait le progrès médical de l'époque.
Son triomphe résultait de la "médecine de masse", qui se
basait sur des mesures prophylactiques et des mesures
d'hygiène appliquées au milieu et au corps.
La pathologie faite de lésions individuelles, posait des
problèmes parfois insurmontables à une population qui
devait se déplacer pour se faire soigner. Les moyens dont
disposait le système sanitaire n'étaient pas à la portée de
tout le monde.
C'est cet aspect de la médecine qui faisait dire aux gens de
l'époque que le Marocain ne faisait pas confiance à la
médecine, alors que tous les médecins étaient l'objet d'une
confiance et d'une admiration respectueuse. Cette opinion
s'est beaucoup transformée. La population a plus confiance
aujourd'hui dans la médecine, mais n'accorde plus une
confiance aveugle aux médecins.
Donc, face au caractère rare, carentiel de la médecine de
l'époque, la population avait continué à croire à sa pratique
maraboutique et ancestrale qui s'exerçait dans les" souks
des miracles".
Jusqu'à la fin de la deuxième guerre mondiale, la médecine
soignait mieux les lésions chirurgicales, même si
l'anesthésie faisaient peur. "il est monté sur la table
d'opération et il est mort", disait la population. Certes, les
accidents d'anesthésie entretenaient la peur devant les
actes chirurgicaux. Cette peur existe de nos jours et
partout. Les accidents sont moins fréquents mais ils
existent. Ces conditions motivaient les interventions
fréquentes des rebouteux, des fkihs et des herboristes. Et
l'on se souvient des malades qui se laissaient mourir
d'occlusion, de hernie étranglée, de perforation typhique
ou ulcéreuse voire de dystocie, craignant d'aller voir le
médecin ou d'aller à l'hôpital.

DOCTEUR CRISTIANI

Où se trouve Derb Cristiani ?, demande un passant dans


les nouveaux quartiers qui se sont installés au-delà de la
"ville-nouvelle" de Fès. Nonchalamment, les habitants de
la ville millénaire de Moulay Idriss, prononcent ce nom
sans parfois savoir ce qu'il représente. Un quartier entier
s'est construit dans la zone rurale où avait élu domicile "Si
Critiani", il y a une soixantaine d'années.
Ce quartier s'enfonce dans le corps de la cité chaque année
un peu plus, avec son nom qui évoque un homme de
légende, comportant une sonorité chrétienne, "Cristiani".
Toute légende se base sur une histoire. Celle-ci est souvent
déformée par la légende et la transmission populaire.
Demandons à quelques habitants de ce quartier, "que fut et
que veut dire Cristiani"? Les uns répondent: "il fut un
toubib". D'autres disent: "un très bon toubib" et d'autres:
"un toubib chrétien devenu musulman !"... Ainsi Cristiani
est devenu une légende et pourtant, ce médecin prodiguait
encore ses soins à la population fassie, il y a à peine
quarante ans.
Est-ce la valeur, est-ce la science, est-ce le comportement
humain et fidèle qu'il a eu a l'égard de la population
nombreuse qui a bénéficié de son savoir, ou est-ce encore
la longue période de pratique qui dura presque cinquante
ans, qui ont fait que ce médecin soit devenu une propriété
de la ville de Fès qui accumule les souvenirs des saints et
les incorpore dans son patrimoine depuis plus de mille
ans? Tout cela s'associe pour construire, dans l'imaginaire
de la population fassie, le souvenir et la légende de ce
grand médecin.
Jeune militaire, on le trouve au sud du constantinois, aux
confins de l'Aurès où il fait son apprentissage, et se
familiarise avec la pathologie nord africaine. Il le fait dans
cette contrée qui a connu tant de troubles à travers
l'Histoire depuis l'époque romaine et continue à en
connaître de nos jours.
Remarqué par son comportement particulier, ses relations
avec les malades et la population, l'Intérêt que sa personne
suscitait dans les milieux où il évoluait, ses supérieurs
l'avaient mis sur la liste de l'élite médicale destinée à
l'action du n médecin missionnaire" "qui vaut un
bataillon", que Lyautey recherchait et incluait dans la
stratégie d'ensemble de la pénétration au Maroc. Le
médecin-lieutenant Cristiani, fut affecté en 1907, dans les
premières colonnes de pénétration dans la Chaouia. Il y
organisa les premières infirmeries. Ses qualités l'avaient
désigné pour une mission auprès du sultan Moulay Hafid,
en 1910 à Fès. Cette cité l'avait conquis définitivement.
Elle devint son "chez-lui", sa ville d'adoption, sa nouvelle
patrie pour cinquante ans.
L'année d'après. en 1911, il Y contracta le typhus.
Sa solide constitution, sa jeunesse, et surtout les soins
attentifs et affectueux d'une famille marocaine, avaient eu
raison de cette affection grave dont il avait guéri. II sortit
de cet épisode un autre homme. Célibataire, Fès l'avait
adopté. Elle lui donna une famille, et l'entoura. II épousa
une marocaine musulmane qui lui donna plus Lard un fils.
A ces premiers moments du protectorat, de sensibilité
particulière, quel chrétien pouvait prétendre épouser une
musulmane et quelle musulmane surtout, pouvait épouser
un non musulman, sans être mal vue, reniée et
abandonnée? Mais Cristiani n'était pas n'importe quel non
musulman. Il était aimé, respecté et déjà vénéré. Tous les
tabous ne comptèrent pas et furent brisés. Tous les
interdits traditionnels furent transcendés. Cristiani eut un
fils qui porta un nom musulman. Il fut élevé comme un
marocain musulman, comme sa mère. Lui, Cristiani garda
sa religion et se consacrera dans l'harmonie à ses deux
"épouses", sa femme et la médecine.
Au milieu des événements graves qui s'étaient déroulés à
Fès, en avril 1912, il était là, attaché à son idéal
professionnel. Rien en dehors de celui-ci ne le
préoccupait. La population fit la guerre à l'occupation, et
avait failli faire capoter celle-ci, mais ne fit pas la guerre
contre lui,
Lyautey écoutait ses conseils en matière de santé tout en
respectant son désir permanent de ne pas l'associer au faste
des réceptions officielles et administratives.
En dehors de Bab El Mahrouk, furent installés depuis
1911 des baraquements au milieu de la tribu des Chrarda.
Cristiani y allait donner des soins. C'est au milieu de cette
tribu et sur son instigation qu'il conseilla à Lyautey
d'installer le grand hôpital musulman, dont il posa Iut-
même les premières pierres. Il lui donna le nom de Cocard
en souvenir du sergent-infirmier, mort à Fès en service,
pendant les événements d'Avril. La population continua à
appeler cet hôpital indifféremment, Hôpital Chrarda ou
Hôpital Cocard.
En 1916, la première guerre mondiale s'immobilisa en
France dans les tranchées. Les mauvaises conditions
d'hygiène y avaient développé des épidémies multiples
dont celles du typhus et de la typhoïde. Il fut mobilisé et
envoyé en Champagne pour y apporter son expérience et
son savoir-faire. De là, il fut envoyé en mission en Russie,
où il assista en 1917 aux événements de la Révolution
d'Octobre et à la genèse d'un nouveau monde et d'une
nouvelle organisation politique et économique qui domina
dans ces régions pendant plus de soixante ans.
A la fin de la guerre, il revint à Fès et pourtant, il avait fait
ses preuves en France et sur le plan international.
Rejoindre ses amis, son milieu, sa ville et son œuvre
commencée, avait plus d'importance pour lui que tous les
honneurs qu'il pouvait tirer de sa nouvelle situation.
Son intuition fut juste, la ville lui fit un accueil triomphal."
Quant à l'action du Docteur Cristiani, écrivait Lyautey, il
suffit d'avoir assisté à son retour à Fès où je me trouvais,
pour en apprécier la valeur. Ce fut de la part de la
population marocaine, depuis les plus hauts notables et les
corps constitués jusqu'aux derniers des miséreux, une
ovation indescriptible et touchante ... "
Il était alors chez lui, dans son hôpital flambant neuf. Il y
avait sa demeure, ses services, ses malades. Il était pour
ceux-ci, le médecin à tout faire. Il était le généraliste, le
spécialiste, le chirurgien, l'ophtalmologue, l'accoucheur.
Ils voulaient tous être soignés par lui, "il avait, disait-on, la
main heureuse, la baraka, la chance, et guérissait tout ceux
qu'il touchait". La demande nombreuse des soins
l'obligeait à mener une vie sans repos. Levé très tôt le
matin, ses consultations commençaient à sept heures. Il
tenait à faire lui-même le "tri", pendant quelques heures,
parmi les centaines de patients venus à pied de toutes
parts, de la "Médina" et des environs. Ils ont traversé la
piste qui menait vers l'hôpital caché derrière les remparts
et qui coupait dans un cimetière où sont enterrés des
générations de fassis, beaucoup de saints et marabouts et
où se trouverait la tombe d'un philosophe médecin, du XIIe
siècle. Il considérait l'Hôpital Cocard comme une propriété
privée. Il y avait planté lui-même des arbres, et des
oliviers et semé le gazon. En 1937, il prit sa retraite. Il
avait vécu au delà de cette limite vingt ans encore, dans
une petite propriété rurale qui devint par la suite le
"quartier Cristiani ''. Dans sa nouvelle demeure, il continua
à dispenser des soins à de nombreux patients.
Tout son personnel, ses assistants lui obéissaient et
exécutaient les tâches imparties sans attendre ni remarques
ni injonctions. Son fidèle aide, Lhachmi, qui a vécu aussi
longtemps que lui, partageait ses repas. Ses consultations
étaient suivies par tous les médecins, radiologues et
laborantins, et finissaient à quatorze ou quinze heures. Ses
séances opératoires commençaient à dix-huit heures, pour
se terminer à onze heures de la nuit. Elles étaient suivies
d'un dîner qui réunissait tout le monde. Cristiani fut le
médecin de la médecine globale. Les problèmes difficiles
de l'obstétrique, la chirurgie générale et les opérations
d'ophtalmologie étaient de son ressort. Cette activité ne
changea pas de rythme, et c'était dans une grande
désolation et de résignation qu'il l'abandonna à l'âge de la
retraite. ( J'aurais voulu conserver ma jeunesse et mes
forces pour continuer un effort que l'expérience aurait
rendu plus fécond. (Cristiani). .
Beaucoup de famille sollicitaient de lui des visites
médicales à domicile. Il allait les voir au fond de la
"médina", au Mellah, à pied.
Avec l'âge et la vieillesse, la maladie ne l'épargna pas à
son tour. Mais au milieu de la douleur (sciatalgies) et
pendant les accalmies, il donnait encore des consultations.
Beaucoup de choses avaient changé autour de lui, la
médecine, la pratique médicale, la pathologie. Le Maroc
s'était beaucoup transformé aussi. Il ne le quitta pas
jusqu'à sa mort. Il a vécu toute la période du protectorat du
début à la fin.
Les honneurs administratifs vinrent un peu tard.
La vénération de ses malades et de ses collaborateurs lui
suffisait. Il ne fréquenta jamais, pendant son activité de
médecin, les fêtes mondaines auxquelles il fut convié.
Lyautey et les grands de l'administration venaient le voir
dans "son" hôpital, pour prendre son avis sur un problème
de santé publique. En 1955, il demanda à ce que les
insignes de grand officier de la Légion d'Honneur lui
soient remis dans son "hôpital" à côté de son ami le
Docteur Colombani, qui vivait encore à Meknès, et au
milieu de ses amis et de ses anciens patients de toutes
confessions, venus lui témoigner leur reconnaissance. Une
grande fête fut organisée en son honneur à la foire de Fès,
pour faire place aux milliers de personnes qui voulaient
s'associer à l'hommage rendu à un homme, apôtre de la
charité, et à un grand médecin de ce siècle. Cristiani fut
toute sa vie, l'homme dégagé de toute passion politique,
insoucieux d'honneurs et d'une farouche indépendance. Il a
appartenu à cette race d'hommes qui furent, une plaque
sensible à la souffrance d'autrui, insensible aux faiblesses
de leur prochain, comme aux honneurs, indépendant
seulement vis à vis des puissants, (Médecin Général
Epaulard}."

LA MÉDECINE PRIVÉE

T a médecine privée est une des pratiques la 4lus ancienne


dans la dispense des soins au Maroc. Précédée par celle
des praticiens attachés aux cours royales des Saâdiens
(G.Bérard 1577 â 1588) et de la dynastie Alaouite
(Linarès, au temps du Roi Hassan 1er), elle a toujours
existé sous forme traditionnelle. La pratique moderne
commença au siècle dernier. Aussi, retrouve-t-on bien
avant le protectorat, des médecins anglais installés â
Tanger, des médecins français installés â Marrakech, â
Oujda et â Casablanca depuis la fin du XIXe siècle.
"C'est la nuit de Noël 1895 que s'était dessinée ma
vocation nord-africaine ... et j'avais pris la résolution de
venir me fixer à Casablanca, la seule autre ville du Maroc
dont la colonie européenne me semblait suffisante pour
assurer l'existence matérielle d'un praticien sans autres
ressources que son art et assez peu nombreuse pour
l'obliger à entrer en contact intime avec la population
indigène d'un pays encore si peu connu ... le 15 janvier
1896, avec un mobilier de fortune, j'emménageais dans
une petite maison de quatre pièces entourant un patio
comme enclos attenant à un petit hangar à l'usage d'écurie,
le tout pour un loyer de 8 douros (3 francs environ)",
(anciens!). Ainsi s'exprimait le Docteur Weisgerber (1868-
1946) le premier médecin français installé à titre privé à
Casablanca.
Les consultations l'occupaient quelques mois, temps
nécessaire pour faire les économies suffisantes pour
satisfaire son autre ambition de topographe, dressant des
cartes destinées à "la pénétration pacifique". II eut à
soigner l'entourage du Sultan Moulay Abdelaziz et son
chambellan Ba Hmad atteint de néphrite chronique, et qui
en décéda en 1900.
" .. Mon goût pour la topographie fit naître en moi le désir
de parcourir ce pays, ma qualité de médecin en facilitait la
réalisation, et les économies faites au cours des six mois
que je venais de passer au service du Sultan m'en
fournissaient les moyens, et me dispensaient de la
nécessité de perdre mon temps à solliciter des concours
illusoires" (Weisgerber).
Dès l'installation du protectorat le 30 mars 1912, l'appel de
Lyautey aux médecins éveilla l'intérêt de ceux-ci pour le
Maroc.
La première guerre mondiale fut un obstacle important à
l'immigration médicale. A la fin de ce conflit, le nombre
de médecins était à peine une trentaine. C'est après que des
professionnels de santé, médecins, pharmaciens,
infirmiers, vinrent avec la première vague d'immigration
de quatre mille personnes. Les premières autorisations
d'exercer à titre privé, au "Maroc français", furent données
à six médecins (à Casablanca, El Jadida, Rabat et Fès.)
entre mars et mai 1917, Cinquante autres médecins se sont
installés dans le privé dans les années vingt, quatre vingt
dans les années trente, soixante pendant la période de la
guerre et quatre cent cinquante dans les dix années qui
l'ont suivie. A la veille de l'indépendance (1955), le
nombre des médecins privés était près de 500 dont 35
Marocains.
Que fut n la médecine libre" pendant la période du
protectorat?
Ecoutons ce qu'en dit le Docteur Ponsan, président du
Conseil Supérieur de l'Ordre, dans la conférence faite
devant les médecins stagiaires de l'école de la Santé
Publique, à l'Institut d'Hygiène de Rabat, le 16 mai 1955.
" On doit voir dans ce qualificatif, un mode de
différenciation nécessaire entre les deux modalités
d'exercice de notre profession en ce pays. Abstraction faite
de la médecine militaire, il existe d'une part, la médecine
d'état et l'ensemble des médecins qui n'appartiennent pas
aux cadres de la santé publique, qui exercent la médecine
privée, et qui sont communément désignés "médecins
libres".
Je dirai, en passant, que cette dénomination spéciale,
choque un peu l'esprit: existe t-il en effet, une médecine
vraiment libre, dans le sens qu'on attribue au mot
"liberté"? Ne constatons-nous pas, au contraire, que
l'exercice de la médecine est de plus en plus l'objet de
mesures et de dispositions légales et administratives qui
démontrent combien cette expression de médecin libre
contient une part d'euphémisme ... ?
"Le médecin libre" s'est toujours installé dans les villes ou
grosses agglomérations urbaines. Dès le départ, l'exercice
de la profession médicale, au Maroc, est réglementé par
des textes (le Dahir du 12 avril 1916 modifié par le Dahir
du 7 juillet 1938 portant réglementation de l'exercice du
médecin, pharmacien, chirurgien dentiste, sage femme. il a
été suivi, dans la suite, par l'élaboration du Dahir du 1er
juillet 1941, portant création d'un ordre des médecins, puis
du Dahir du 7 mai 1949, abrogeant le précédent et
réorganisant l'ordre des médecins suivi de l'Arrêté Viziriel
du 9 mai 1949 pour l'application de ce Dahir, et l'Arrêté
Résidentiel du 8juin 1953, promulguant le code de
déontologie préparé par le Conseil Supérieur de l'ordre des
médecins.
L'autorisation d'exercer la profession de médecin est
donnée par le secrétaire général du protectorat (Art.2 du
Dahir du 7.7.1938). L'autorisation d'exercer est elle-même
subordonnée aux dispositions de l'Article 3 du Dahir du 13
novembre 1934 réglementant l'immigration. Il faut savoir
que le Dahir du 7 mai 1949 abrogeant celui du 1 er juillet
1941, permet la reconstitution des syndicats médicaux.
Ajoutons e'1fin que l'Article 2 de l'arrêté viziriel du 9 mai
1949 spécifie que le conseil supérieur de l'ordre examine
les candidatures à l'exercice de la médecine dans la zone
française, sur lesquelles il est obligatoirement consulté par
le gouvernement.
De cette énumération de textes, il résulte que l'ordre des
médecins ainsi que les groupements corporatifs ou
syndicats de chaque région ou ville, ou spécialement
groupés eux mêmes en confédération de syndicats
médicaux du Maroc, formaient à la fm du protectorat
l'ossature de l'organisation de la médecine libre.
La période qui a suivi la deuxième guerre mondiale était
celle en effet, sur le plan économique, la période où le
Maroc fut perçu comme l'Eldorado.
L'augmentation croissante de la population, et partant le
développement des "villes nouvelles" et des centres
urbains, ont accru comme dans tous les domaines
l'importance des besoins, à un point tel, que le nombre des
médecins a fortement augmenté. "Les années succédant
aux années, la période de paix succédant à la période de
pacification, le médecin militaire a cédé la place au
"médecin de la colonisation" puis au "médecin praticien,
entité qui rappelait son homologue de l'autre côté de la
Méditerranée. Citoyen comme un autre, il était soumis à
des exigences administratives, fiscales et autres. La
pléthore était déjà décriée à cette époque. La concentration
dans les grandes villes n'était pas vue d'un bon œil.
La pathologie devint moins grossière et moins
impressionnante et a fait écrire au Docteur CalIandry,
Président du Conseil Régional sud de l'Ordre, le 17
novembre 1954, relatant la situation de l'heure:
"La disparition ou diminution de certains fléaux sociaux,
de certaines endémies, de la morbidité générale, certaines
spécialités médicales tendent à disparaître: vénérologie,
dermatologie, (!) Certaines sont très diminuées dans leur
activité: phtisiologie, pédiatrie. (!) Ceci n'est pas spécial au
Maroc". Si chacun doit s'en réjouir, au premier chef le
corps médical auquel on est redevable, c'est malgré tout un
fait dont il faut tenir compte lorsqu'on envisage la
situation …
Loin déjà derrière eux l'époque de la "conquête pacifique"
du Maroc dont le Pr Cruchet fit le panégyrique dans un
livre, publié en 1930, Il y a glorifié l'œuvre médicale
française initiale. Cette période du début du siècle, que
d'aucuns évoquaient avec nostalgie, a certes, vu se créer
un noyau de médecins pionniers. "Leur nombre ne
suffisait guère aux besoins d'une population européenne,
d'ailleurs peu nombreuse, pour satisfaire ceux d'une
population autochtone qui avait encore toutes les raisons
de ne pas trop croire à l'offre qu'on lui faisait".
L'immigration fait déferler sur le Maroc, par vagues, des
médecins venus de tous bords. Les derniers arrivés ont eu
à peine le temps de débarquer, que le sol sur lequel ils ont
posé les pieds, trembla. Les troubles de l'émancipation ont
coïncidé avec une époque, où la médecine et les médecins,
devaient faire face aux plus grands changements qui
allaient affecter leur profession, leur pratique et leur
carrière.
Les médecins qui ont exercé au Maroc entre les deux
guerres mondiales constituaient une entité à part. Dans le
domaine médico-sanitaire, on peut dire, sans se tromper,
qu'ils ont fait le maximum qu'ils pouvaient. Le matin, ils
allaient dans les dispensaires, l'après-midi à leurs
consultations privées. Ils participaient avec leurs épouses à
l'action sociale, conseillaient l'administration, créaient des
sociétés savantes, participaient à la recherche clinique,
organisaient des journées et des congrès auxquels
participaient des sommités médicales venues de France et
d'ailleurs. Grâce à eux, à leurs travaux et à leurs
publications, nous pouvons connaître, aujourd'hui, la
morbidité, et la pathologie de la première moitié du siècle,
celle des fléaux et celle des lésions routinières. Ils ont
laissé le souvenir d'hommes hors série, doués pour
certains, de la personnalité la plus originale et la plus
dynamique qu'on pût imaginer. Certains parmi eux ont
précisé très tôt leur volonté de faire connaître le Maroc,
surtout l'œuvre qu'ils ont installée et l'ambiance
scientifique qu'ils ont créée. "Il faut faire savoir en France,
disait Speder, qu'au Maroc, il est un corps de médecins qui
observent et qui étudient, dont un grand nombre dans le
bled, la belle mais rude tâche des médecins de l'assistance
indigène. Trop souvent en effet, nous apprenons avec
agacement, que nombre de confrères de France paraissent
croire qu'ici rien n'existe, ni au point de vue médical ni au
point de vue chirurgical. Les uns s'inquiètent de savoir, s'il
existe dans ce pays des médecins capables de faire des
injections intraveineuses, les autres s'étonnent que tel
diagnostic délicat, reconnu exact, ait pu être précisé ... "
Les médecins de la période entre les deux guerres
constituent le corps des médecins qu'on qualifia "de
médecins de la colonisation" (Docteur Ponsan).
Les médecins installés dans le secteur privé, à cette
époque, se rendaient à leur travail sans se soucier, outre
mesure, des troubles et des guerres d'occupations. La
population semblait les avoir considérés comme une entité
à part. Elle les a respectés.
Au moment où se liguaient, l'armée française et espagnole
dans la guerre du Rif contre Mohamed Ben Abdelkrim El
Khattabi, se réunissait en 1924, la Société de Médecine et
d'Hygiène du Maroc, autour de J.L.Faure, pour traiter du
cancer et de l'amibiase.
Qu'avaient ils de commun avec les autres citoyens venus
de France ou d'ailleurs?
L'âme de pionniers, d'entrepreneurs. S'ils avaient pour eux
en plus la science médicale, ils ressemblaient à "ceux qui
ont fait la prospection minière, ou lancé en 1919 le réseau
de la C.T.M (Compagnie Marocaine de Transports), ou
qui ont réalisé d'autres projets spectaculaires dans le
Maroc de cette époque où tout était à faire. Le Maroc ne
connaissait pas encore l'embarras des lois, et des
paperasses exigés par une administration plus ou moins
tatillonne. Ces réussites ont fasciné les écrivains comme
Claude Farrère qui publia en 1923 un roman intitulé "des
hommes nouveaux" d'où fut tiré un film à succès (avec
Harvey Baur comme protagoniste)?'
Le Maroc nouveau, en plein changement, donnait déjà
l'image de l'Eldorado. Ce fut aussi l'époque du film
"Casablanca" avec H.Bogart et de la chanson de Georges
Ulmer: "Casablanca, ville étrange et troublante".
Puis, survint la deuxième guerre mondiale, avec ses
restrictions, ses pénuries, ses mobilisations, les départs
pour le front, la défaite française de 40, le retour de bon
nombre d'hommes dans leurs foyers après cette défaite,
puis la remobilisation de 1943 après le débarquement
américain, puis la fin de la guerre.
Entre 1942 et 1945, le tableau de l'Ordre révèle que les
médecins qui se sont installés étaient surtout de confession
juive. La majorité parmi ceux-ci ont quitté le Maroc en
1967, après la Guerre des six jours.
Au lendemain du deuxième conflit mondial, l'immigration
s'accentua et amena par vagues de plus en plus
importantes, et pendant dix ans, les médecins qui allaient
constituer la troisième génération des médecins, dont le
profil était purement professionnel. Le Maroc, devenu
terre d'asile pour beaucoup, allait connaître un second
essor exceptionnel. Il leur offrait la possibilité d'exercer
leur métier dans la tranquillité.
A l'image de ce qui se profilait en France, l'organisation de
la profession allait connaître l'encadrement du corps
médical par la création de l'Ordre des médecins, par le
Gouvernement de Vichy (1941) en France, et par le Dahir
du 1er juillet 1941 au Maroc, repris par le Dahir du 7 Mai
1949. Les médecins devenus nombreux, et avec le
nombre, quelques errements s'étaient manifestés. La
profession médicale, ainsi qu'il arrive à travers les âges,
avait à souffrir des agissements d'une minorité dépourvue
de probité. Un code de déontologie, règlement intérieur de
la profession dicta par Arrêté Résidentiel, le 8 juin 1953,
les règles de l'exercice de la profession, s'appliquant à tout
un chacun, et qu'il fallait respecter sous peine de sanction.
Ce code, runique, survit à ce jour. Cette ère correspond à
la période des médecins professionnels qu'on qualifia aussi
de "praticiens ", (Docteur Ponsan). Les soucis de leur
pratique quotidienne mobilisèrent toute leur énergie.
L'Ordre était réservé exclusivement aux praticiens privés.
Les autres médecins, ceux de la Santé publique et ceux du
"bled", ne dépendaient que de l'administration. Ces
médecins ont eu le mérite de défendre âprement la
déontologie médicale, d'organiser la profession.
La société prit déjà à cette époque une autre allure. Elle
tendait à une organisation plus stricte. La fonction
publique s'était étoffée. L'Etat employait 24 000
fonctionnaires en 1953. Le pays s'industrialisant, allait
poser aussi le problème sur le plan social, celui de
'l'organisation de la médecine du travail et de la mutualité.

DAR EL ASKRI (institution coloniale)

"Aucune tribu n'est venue à nous dans un mouvement


spontané. Aucune ne s'est soumise sans combattre et
certaines sans avoir épuisé jusqu'au dernier, leurs moyens
de résistance ... Nous avions en face de nous des
populations acharnées à défendre leur indépendance
jusqu'à la dernière extrémité .... " (Général Guillaume
1946)
L'occupation progressive avait mis toute une jeunesse
marocaine au chômage. Celle-ci avait, certes, "l'amour
pour les armes et le courage nécessaire pour constituer une
armée de rnétier. Non astreinte au service militaire, cette
jeunesse donna à la France l'idée et la possibilité de créer
des unités militaires marocaines. Les jeunes sont alors
enrôlés pour quinze ou vingt ans. Leur statut de soldats
leur a permis de bénéficier de certains avantages, de
nourriture, d'habit et de soins.
On créa pour eux, les maisons du soldat" Dar El askri',
institution, où le soldat et sa famille, étaient pris en charge
pour être surveillés médicalement avec un livret militaire.
"Dar El Askri " était le dispensaire par excellence des
militaires marocains. Elle devint par la suite un foyer
d'accueil muni de douches et de classes d'adultes pour
ceux qui voulaient apprendre à lire et à écrire.
Les soldats marocains qui ont participé à la seconde guerre
mondiale, et dont beaucoup d'écrits ont clamé la bravoure,
ont été dotés de pensions qui ne leur suffisaient à rien.
Quelques années après l'indépendance. Ces institutions où
ils trouvaient une médecine gratuite ont disparu. Elles ont
été remplacées par des carnets de soins et une convention
avec les cabinets privés. Cette convention. Contractée
avec l'Ambassade de France et ses services sociaux, a
disparu en 1965 en raison des difficultés dans les prises en
charge et les remboursements.

LA PATHOLOGIE MAROCAINE, SON ASPECT


HISTORIQUE.

L'évocation de la pathologie dans cette Histoire a pour but


de montrer son caractère saillant et périodique, la
spécificité de l'action menée face à elle, le degré de
priorité qu'elle imposa, son évolution avec le temps, le
système de santé et le progrès médical.
Faut-il dire d'emblée que le progrès médical influa
beaucoup sur l'action et l'évolution?
Naguère, l'action médicale était humanitaire, plus
générale, parce qu'elle s'adressait à l'ensemble de la
population par l'hygiène et la prophylaxie. Aujourd'hui,
l'action se complique, parce qu'elle se dirige vers l'individu
dont les besoins sont plus nombreux et plus difficiles à
maîtriser.
L'héritage colonial, légué à la médecine du Maroc
souverain, était fait de structures et d'un système qui ne
pouvait être que conservé, développé et "complété". "Il.
faut conserver la maison debout", disait le Docteur Faraj,
premier Ministre de la Santé du Maroc indépendant, pour
résumer l'essentiel de sa politique sanitaire. Il a ainsi
soufflé l'adage, et peut-être, le mot d'ordre à tous les
ministres qui lui ont succédé. Il aura fallu attendre
quarante ans plus tard, pour que le Professeur Harouchi,
balbutiât, dans ses déclarations, la nécessité d'associer les
multiples actions à mener, pour engager le dialogue sur
une "politique globale et intégrée de la santé".
Les grands fléaux infectieux ont connu la fin de leur
invasion après la deuxième guerre mondiale. La morbidité
a pris son allure spécifiquement autochtone dans les
années cinquante et soixante, grâce un peu au dépistage
imposé par la politique d'embauche, la médecine du travail
organisée dans les entreprises, le nombre important des
médecins et l'information. Sur le plan de la prévention, Il
faut remarquer, si besoin est, qu'il n'existe, de nos jours,
aucune obligation dans le domaine des vaccinations.
Celles-ci se sont faites â la demande par une population
consciente, ou par une offre gratuite, suite à l'action de
masse, reprise à la fin des années quatre vingt, et engagée
par le Ministre Taieb Bencheikh, aidé en cela par
l'UNICEF.
On a enregistré depuis quelques années la disparition de la
peste, du typhus, de la variole, puis de la diphtérie et bien
d'autres maladies. Mais le paludisme, la poliomyélite et les
maladies diarrhéiques de' l'enfant, non encore vaincus,
sévissaient de temps en temps.
On se souvient encore des années soixante quand, toute la
nuit, arrivaient aux hôpitaux, par dizaines, des bébés
diphtériques et suffoquants qu'il fallait trachéotomiser
toute la nuit, et plusieurs rougeoleux brûlant de fièvre et
dyspnéiques. A cette époque, à la campagne comme en
ville, les femmes faisaient en moyenne dix enfants, dont
trois ou quatre, à peine survivaient.
Vers les années cinquante, la morbidité au Maroc
provenait de certaines affections devenues prioritaires. Les
soins prenaient face à elles des actions qui empruntaient
des termes de guerre. C'était la lutte anti-tuberculeuse, la
lutte contre les maladies oculaires, la lutte anti-
syphilitique, la lutte contre le cancer, la lutte anti-
paludique. Cette lutte faisait appel à des armements, des
campagnes, des services de protection et d'assistance.
On découvrit que "la tuberculose marocaine était
différente de la tuberculose européenne dans son éclosion,
son évolution, ses formes cliniques."Elle amenait aux
consultations "une foule grouillante, pittoresque, bigarrée,
laissant à l'observateur une sensation de contraste entre un
état général relativement conservé et les images
découvertes par l'écran de radioscopie. Le médecin le plus
pessimiste ne saurait imaginer en matière de tuberculose
pulmonaire pareille découverte: des images d'atteinte
absolue, bilatérale, des images broncho-pneumoniques
disséminées, des cavités énormes avec un niveau liquidien
chez des enfants de huit à dix ans, des tuberculoses
fibreuses et rétractiles lobaires ou hémi-thoraciques chez
des enfants de quelques mois, des perforations pleuro-
pulmonaires avec ou sans réaction liquidienne, et tout ceci
chez des sujets qui viennent consulter pour la première
fois, à pied, de loin.
Les atteintes extra-pulmonaires et les atteintes multiples
n'étaient pas rares, et laissaient perplexe. Les gibbeux à la
Quasimodo, nombreux, se rencontraient partout."La
population leur attribuait un degré de sainteté". Ils ont
guéri leur mal de Pott et l'ont stabilisé, parfois au prix
d'une insuffisance respiratoire ou d'une paraplégie
spastique, devenue flasque et définitive. Dans ce domaine,
l'action médicale héroïque, fut longtemps "la science des
dégâts". La vaccination est devenue obligatoire dans les
grandes villes, par voie buccale, abandonnée, et par
scarification. Le traitement spécifique par protocoles
améliorés et de plus en plus courts, mis au point par
l'expérience acquise et le nombre important de cas
accumulés, est accompagné, depuis toujours d'un accès
amélioré et maintenu au profit de tous les tuberculeux. Ces
mesures ont été et le sont encore les moyens de maîtriser
la situation dans le domaine de la tuberculose. Les beaux
sanatoriums (Bon jean et Ben Smim) ont cessé leur
activité à partir des années soixante.
A-t-on jugulé ce mal qui revient au galop dans les pays
développés? La mortalité est passée de 19 pour 100000
habitants en1966 à 2,17 pourl00000 habitants en 1992.
Mais on continue à enregistrer, de nos jours, une incidence
de 30 000 cas par an."
"Le Maroc est une des terres à trachome". Cette affection
s'associait à des affections conjonctivales. Le rapport du
Docteur Pagés, en 1951, en a montré le rôle joué dans le
problème des cécités des jeunes et des moins jeunes. Le
Sud marocain, et la région du Tafilalet, en étaient la zone
d'élection. Le climat. Les vents de sable, l'habitat de pisé,
la culture des dattes et les nuées de mouches, favorisaient
son endémie. Deux campagnes ont marqué leur effet sur
cette maladie. Menées de concert avec l'OMS et
l'UNICEF, en 1953 et 1954, elles avaient pour but de
résorber l'épidémie de conjonctivite, de réduire le
trachome, et de permettre à la population de se traiter elle
même. La pommade ophtalmique antibiotique mise à la
disposition de la population dans les épiceries et chez les
"bakkals" a rendu possible la diminution de ce fléau.
Tandis que la syphilis et la lutte contre les affections
vénériennes ont connu un parcours particulier dès 1913.
Des "quartiers réservés", étaient organisés dans les
villages et surtout les villes. Ils furent surveillés de près.
Le Bousbir de Casablanca, dénomination déformant le
nom du promoteur hôtelier, Prosper Ferrieu (Tajer
Bousbir), qui louait les chambres aux prostituées
professionnelles, le quartier Moulay Abdellah à Fès et
d'autres ont résisté jusqu'en 1953 avant de disparaître. Le
débat au sujet de leur existence fut long et cocasse. Les
médecins disaient qu'il fallait continuer à ficher, "carter"
les professionnelles et maintenir les quartiers pour
continuer à contrôler la maladie. L'administration,
traduisant l'opinion publique, disait que cette pratique
aussi salutaire qu'elle fût, n'empêchait pas l'extension de la
"profession la plus ancienne du monde", au-delà des
limites des quartiers, et qu'elle équivalait à la
reconnaissance de la prostitution. Les quartiers réservés,
organisés d'abord à l'intention des troupes, étaient
fréquentés par tous et surtout les jeunes. La syphilis
commença à cette époque à s'éteindre grâce à l'usage de la
pénicilline à laquelle la population avait accès et l'usage de
"libra" et du PAM après. Tous ceux qui "pissaient chaud",
pouvaient sans avis médical s'injecter "libra" derrière le
comptoir du pharmacien ou chez l'infirmier "habituel"
La syphilis eut au Maroc ses éminents syphiligraphes:
Lacapère, Salles, Decrops, Lepiney et Rollier.
Lacapère publia en1923 un mémoire sur "la syphilis
arabe". Elle se manifestait par des chancres, dans soixante
pour cent des cas, chez les moins de quinze ans, siégeant
en dehors de la région génitale. Elle était considérée, de ce
fait, comme une maladie non vénérienne. Son enquête
montra qu'elle se répandait en fonction des conditions
économiques et sociales défavorables, que le premier
symptôme se révélait par des lésions buccales ("le baiser
mortel": titre d'un court métrage diffusé après le Pathé-
journal, dans les cinémas au Maroc et diffusé en France
dans les supermarchés, 1950), et que les facteurs de
contamination étaient le barbier, la circoncision, le
tatouage, les tasses, les pipes de kif et le contact entre la
mère et l'enfant. La syphilis prit l'allure d'une affection par
stades, primaire, secondaire, tertiaire et syphilis
sérologique sans signes cliniques, à partir des années
quarante. Les cliniciens recherchaient le B.W. (Bordet
Wasserman) systématiquement, et les services
d'émigration exigeaient le résultat de cet examen, avant de
délivrer les autorisations de départ à l'étranger. C'est aussi
dans les années quarante que cette affection épargna les
enfants pour apparaître comme une maladie des adultes et
devenir une maladie étiquetée comme une affection
sexuellement transmissible.
Le traitement était d'abord (1916-1951) à base de mercure,
d'iode, suivis des produits à base d'arsenic. La pénicilline
fut mise à la disposition des formations sanitaires en 1951.
Evoquer ces trois affections ne veut pas dire qu'elles
étaient seules à exister. Bien d'autres auraient pu retenir
l'attention.
Beaucoup de publications laissaient croire, qu'à une
époque, la pathologie marocaine n'avait que quelques
manifestations, et que celles-ci dominaient et avaient
polarisé l'intérêt général. Mais la pathologie individuelle,
les maladies non contagieuses étaient étudiées, traitées et
publiées dans la mesure du possible. Certes, les enquêtes
les concernant n'étaient pas nombreuses et rapportaient
peu de cas.
Néanmoins, évoquons trois situations pour montrer l'effort
non moins important mené dans le domaine de la chirurgie
triomphante des années cinquante et dans le domaine de la
lutte contre le cancer et la lèpre.
Les premières journées médicales se tinrent au Maroc en
1924 sur le "Cancer et l'Amibiase". Elles ont conclu que le
"cancer avait une extension et une fréquence tout à fait
comparable à celle de la population en Europe?", Le
Professeur Montpellier publia, en 1950, un ouvrage sur le
cancer en Afrique du Nord. Il y associa Speder, Arnault,
Becmeur, Bienvenue, Decrops, Blanc, Comte, Lepinay,
Bouveret, Delanoê, Fournier, Gorsse, Gaud, Jobart,
Laforêt, Martin, Ninard, Pérard, Remlinger, Sicault, Spick
et Vandeuve. Beaucoup de ces noms sont encore dans la
mémoire de la population.
Le Dr Ardoin fut le premier chef du service central de la
lutte anti-cancéreuse, domicilié dans le service Bergognié,
aujourd'hui centre d'Oncologie du CHU de Casablanca.
Les statistiques importantes de ce centre rapportent les
nombreux cas de cancer de peau, du tube digestif, de la
langue, de l'appareil respiratoire, des organes génitaux
féminins (utérins, vulvaires, vaginaux), du sein, des
organes génitaux masculins, de l'appareil urinaire, du
squelette, du système nerveux, de l'appareil oculaire et des
organes hématopoïétiques.
La Ligue contre le Cancer, créée en 1934, bénéficia de
l'aide de la Ligue anti-tuberculeuse .
Certes, le cancer à cette époque, offrait aux praticiens le
champ d'action le plus vaste, développant leur hardiesse et
leur savoir- faire dans les indications les plus poussées,
telles que les exentérations pelviennes. Ces interventions
longues et difficiles entraînaient peu de phlébite. Cette
affection a toujours été rare au Maroc, alors qu'elle fut la
terreur des suites opératoires et de la période du post
partum, en Europe pendant les années cinquante. Le Dr
H.Comte fut un des chefs de me de cette génération de
chirurgiens de 1927 à 1972. Il cristallisa autour de lui
l'action de la lutte contre le cancer en dirigeant le service
de chirurgie et le Centre anti-cancéreux du Maroc. Il
publia ses travaux dans plusieurs revues et à l'Académie
Française de Chirurgie dont il fut membre.
En matière de pathologie chirurgicale, on invoqua aussi
une certaine particularité des lésions rencontrées, par leur
volume, leur ancienneté, leur extension, problèmes oubliés
en Europe ! On a longtemps imputé les raisons des aspects
décrits sur le compte de l'ignorance, de la négligence, de la
mentalité de la population et de sa particulière résistance,
en oubliant le problème de l'accès géographique et
économique qui y était pour beaucoup.
De nos jours encore, le même problème d'accès aux soins
organise la même situation, à un degré moindre, certes, et
fait, que des lésions historiques viennent encore
surprendre le chirurgien. C'est le cas des rétrécissements
totaux des urètres, des kystes hydatiques géants, des
lésions tuberculeuses avancées de l'enfant (Pr Harouchi)",
des sténoses ulcéreuses historiques de l'estomac, des
fistules vésico-vaginales... et d'autres encore.
Beaucoup de jeunes médecins, arrivés au Maroc ont appris
avec le Docteur Cristiani à Fès, le Docteur Martin et puis
le Docteur Comte, à Casablanca les éléments de base de
cette chirurgie "héroïque".
Vers 1925, le Dr J.Colombani, Directeur de la Santé et de
l'Hygiène Publiques, s'était penché avec intérêt sur le
problème de la lèpre. Mais en l'absence de traitement
curatif, d'autres problèmes majeurs de la santé
l'emportèrent sur cette affection qui fut quelque peu
oubliée. Il a fallu attendre 1952, pour que le Dr Rollier,
récemment venu au Maroc, s'intéressât à cette maladie
invalidante et entraînant l'exclusion sociale. Il organisa
pour les lépreux une consultation particulière et une
hospitalisation (Aïn Chock). En 1952, le Dr Sicault
accepta, sur l'insistance du Dr Rollier, d'intégrer la lèpre
dans le programme de la santé publique et de créer le
service central de léprologie à Casablanca avec deux cents
lits. D'autres léproseries furent créées après à Rabat,
Marrakech, Fès et Tétouan grâce à l'action du Dr Chraibi,
dermatologue, devenu Ministre de la Santé. Aujourd'hui,
la lèpre est intégrée dans le cadre des maladies
transmissibles. Le service central a son siège à Rabat et
relève de la direction de l'Epidémiologie du Ministère de
la Santé Publique.
Avant de quitter ce chapitre, faisons état pour satisfaire à
l'anecdote, l'intérêt porté dans les années trente à "la
maladie causale". Il y a cent ans, les médecins donnaient
une place importante, dans la pathologie, aux désordres
causés chez l'homme par les vers intestinaux, phénomène
oublié en Europe. L'étude de la pathologie, avant la
deuxième guerre mondiale, tenait peu compte de ces
troubles. Les médecins, exerçant au Maroc, furent frappés
par le nombre de parasites et ont décrit leurs méfaits chez
l'homme."Les troubles du parasitisme s'installent sous
l'influence du "colmatage de l'intestin grêle(!)" et
provoquent une symptomatologie associant retard de
transit, douleur du creux épigastrique, appendicites,
grincements nocturnes des dents, broncho-pneumonies,
crises d'asthme, eczémas, psoriasis, migraines, troubles
nerveux et psychiques et anémies ... "

Chapitre III
LA CHIRURGIE, LA MÉDECINE

On dit que ce siècle fut le grand siècle de la Chirurgie. Des


lésions, traitées par des actes opératoires, sont rassemblées
peu à peu dans la pathologie chirurgicale et font l'objet de
manuels à part. La chirurgie bénéficia de l'asepsie que
Pasteur découvrit par ses travaux à la fin du siècle dernier,
puis de l'antisepsie, mise en pratique par Lister. De
quelques actes héroïques, elle devint la chirurgie du
possible. Ce n'est qu'à partir de la fin de la deuxième
guerre mondiale, avec l'avènement de l'anesthésie, de la
réanimation, des sulfamides et des antibiotiques, que la
chirurgie réalisa le passage de l'anatomique au
physiologique. Progressant par la recherche systématique
elle disputa sa place à la médecine thérapeutique. Chaque
jour, elle perdit une place pour en gagner une autre.
Son histoire ne nous retiendra pas longtemps.
C'est l'effort de l'entreprise au Maroc, dans son domaine,
que nous développerons.
La chirurgie commença dans les premiers baraquements
installés par l'armée française, avant de s'établir dans des
hôpitaux fixes et des maisons bourgeoises transformées en
hôpitaux, comme ce fut le cas de l'hôpital Murat de la
"Médina" de Fès, de Maisonnave à Marrakech, ou de la
polyclinique Poulain à Meknès.
C'est entre 1915 et 1955, que se manifesteront les étoiles
de première grandeur de la chirurgie marocaine: Cristiani
à Fès, Bienvenue, Pèrard, Martin, Comte, Chevret,
Linthillac et Acquaviva à Casablanca, Cornette de Saint-
Cyr à Meknès et Dubois Roquebert à Rabat. Ces princes
de la chirurgie furent respectés, aimés, entourés par les
grands et les bourgeois, auxquels ils offraient les soins
dans les cliniques privées, qu'ils installèrent dès 1933, et le
peuple qu'ils recevaient dans les hôpitaux. Ils installèrent
des services hospitaliers et veillèrent à leur bonne marche
pendent des décennies. La marque de leur gloire s'exprima
par l'indépendance de leur art par rapport à la France. Leur
chirurgie inspira la confiance à leurs contemporains.
Ceux-ci ne cherchaient pas ailleurs la solution à leurs
problèmes pathologiques. Au contraire, quelques
médecins et chirurgiens parmi les plus réputés (Santy),
vinrent au Maroc, opérer dans les blocs opératoires
marocains pendant la deuxième guerre mondiale. Ils l'ont
fait avec confiance. La chirurgie mature qu'ils installèrent
était encore la chirurgie générale qui allait après la guerre
céder peu à peu la place à des spécialités. Franquet à Rabat
et Bottou à Casablanca ont donné à l'urologie sa première
autonomie. La chirurgie thoracique et partant, celle de
l'œsophage, ainsi que celle du cœur fermé,
s'individualisèrent avec R.Chevret, dans les années
cinquante. Le rhumatisme articulaire aigu (RAA) devint
un problème de santé publique au Maroc, au moment où il
disparaissait en Europe. Les rétrécissements mitraux
étaient nombreux et opérés avec succès dans les années
cinquante. R.Chevret avait mis au point un matériel de
circulation extra-corporelle pour commencer la chirurgie à
cœur ouvert, mais il fut limité par les difficultés
d'anesthésie et de réanimation. La France et les pays
francophones connaissaient les travaux de H.Comte sur la
chirurgie du pelvis et le cancer de l'utérus. Linthillac
pratiquait, avec un talent de maître la chirurgie réparatrice
et esthétique, dont il fut le pionnier. 11 dispensait ses soins
à de nombreux patients qui le consultaient du Maroc et du
sud de la France, où il a fini par s'installer.
La chirurgie générale limita peu à peu son champ d'action
à la chirurgie abdominale. La chirurgie de l'estomac du
duodénum (les vagotomies), celle du colon et du rectum,
celle de la rate et du Banti (Haffner et Tounsi), celle de la
chirurgie biliaire avec son temps radio manométrique
systématique et la visualisation obligatoire de la voie
biliaire principale (H.Comte), celle du pancréas, celle de la
sphère gynécologique, dont le chef de file aurait pu être
Abdelkrim el Khatib, si la politique ne l'avait pas ravi à la
mission médicale, ont constitué longtemps le domaine de
cette chirurgie.
Qu'allait être le devenir de ces chirurgiens et de cette
chirurgie, arrivée à ce stade de maturité, avec les grandes
transformations de l'indépendance? Les disciples
marocains, formés sur le principe de la sélection et de la
rigueur, ont œuvré avec quelques coopérants, dont
quelques uns furent des militaires, pendant un long
intermède de quinze ans.
Barbier, Chaillol, Galindau, Coiquaud, Ouradou, Aulong,
furent parmi ces chirurgiens.
S'il faut jeter un coup d'œil à la période de la genèse de la
chirurgie nationale, et chercher à mesurer prudemment son
rôle dans notre patrimoine, nous pouvons dire que, des
médecins marocains ont repris la relève et brillé par
l'œuvre accomplie. Un courant de sympathie était né entre
eux et leurs prédécesseurs et maîtres. Beaucoup parmi
ceux-ci restèrent au Maroc qui les a adoptés, honorés
décorés et aimés, jusqu'à la fin de leurs jours.
Temps plein, temps partiel, enseignement médical, salaires
insuffisants, temps plein aménagé faute de mieux, puis
choix des formes d'exercice, organisèrent une situation
changeante qui a influé sur l'avenir et le devenir de la
chirurgie marocaine. Tounsi et plus tard Benchekroun à
Rabat, dans le cadre du plein temps, Tazi Hassan à temps
partiel, Tazi Aziz et M.Chami à Fès, H.Lahbabi,
M.Boujibar, M. Ghoti, M. Benkirane, M. Laabi,
M.Aguezenai, à temps partiel à Casablanca, ont mené avec
responsabilité et efficacité la chirurgie de l'époque de
transition. Les chirurgiens plein-temps, ouvrirent la voie à
la génération suivante, et ceux à temps partiels,
s'installèrent définitivement dans le secteur libéral, en
1975, à l'époque de l'installation de la Faculté de médecine
à Casablanca.
Les hommes, la politique, l'euphorie du plein-temps
responsable, orientèrent sur le choix de l'heure, qui fut
pour les uns un déchirement, et pour les autres, le début
d'une nouvelle expérience, et le départ d'une nouvelle
génération. Là s'arréte l'histoire de la première génération
des chirurgiens marocains et de leur contribution dans les
hôpitaux.
Sur le plan des disciplines médicales, des médecins
assurèrent la qualité et le niveau requis à la médecine qui
ont caractérisé cette époque de transition. Ce fut le cas des
professeurs Abdellatif Berbich, Azeddine Laraki, Hadi
Messouak à Rabat, des docteurs Abdellatif Berrada, Driss
Kabbage, Armand Benaceraf, Tahar Markuch, Baby
Berrada, Mamoun El Fasst, Hamid Rifai et bien d'autres à
Casablanca qui avaient oeuvré à côté des médecins
français, restés au Maroc, tels les docteurs Faure, Mlle
Delon, Lebasque, Kircher, Delanoe, Sergent Costa, et
Levy Lebbar.
L'année 1975, mit brutalement fin à la période de
domination du temps partiel en médecine et chirurgie. Le
secteur libéral, se prête mal à la recherche clinique. Les
médecins à temps partiel abandonnèrent, en 1977,
l'activité scientifique, qu'ils ont entretenue pendant dix
ans, au sein des sociétés savantes. Les enseignants ont
repris la direction de ces sociétés, et trouvé le terrain
propice à leurs travaux de recherche."L'ancienne équipe
laissa dans les hôpitaux le souvenir de nostalgie et de
regret d'une période d'un certain équilibre perdu".
On peut dire, sans se tromper, que la période de la
génération des médecins et des chirurgiens des facultés
commença à cette époque.
Un certain coup d'arrêt fut donné au progrès de la
médecine et de la chirurgie à Casablanca, dont il fallait
perfectionner les nouveaux cadres, et renflouer par l'apport
de quelques enseignants de la faculté de Rabat.
En ce temps commença, aussi, la période de vaches
maigres à la santé publique. Celle-ci a fini par ajouter 10
000 lits à son héritage de 16 000 reçus du protectorat, et
entra dans la phase de la gestion difficile des petits
budgets de fonctionnement. Peu à peu et par toutes les
voies arrivèrent au Maroc, les idées de médecine
performantes, (la série télévisée du Docteur Ganon a
influé sur l'opinion et la revendication à sa façon). La
politique de la prévention tout court", n'emportait plus la
conviction. La politique de "la santé pour tous en l'an
2.000 "fut perçue comme un gadget politique. La politique
de "l'accès aux soins", s'enlisa dans la recherche d'une
assurance-maladie obligatoire et des modes de
financement hypothétiques. Les budgets de la Santé
restaient faibles face à la tâche à entreprendre.
La philanthropie, en 1982, commença à jouer un certain
rôle, comme source de financement dans le secteur
sanitaire. Sans pouvoir estimer son apport à sa juste
valeur, certains l'imaginent négligeable, et d'autres le
considèrent important. Initié par les médecins et les ligues,
son apport encouragea des services hospitaliers, surtout à
Casablanca, à organiser, depuis 1986, des associations de
bienfaiteurs pour l'aide aux malades hospitalisés. Les
bienfaiteurs offraient les fonds nécessaires à l'achat du
matériel ou à l'aménagement des locaux. La philanthropie
joua un rôle durant quelques années et apporta aussi une
aide à certains malades en difficulté, Ceux-ci ont lancé
souvent des appels d'aide dans les journaux.
Par ailleurs, les quelques réformes demandées tardèrent à
voir le jour. Le débat sur l'éthique, la déontologie, les
rapports d'une certaine pratique avec les dogmes religieux
et les traditions, commença à passionner les cercles des
médecins, les média et l'opinion. Le fait social générait
une certaine demande. La médecine fut perçue comme un
service qui devait garantir ses moyens. Le souffle de
certains procès frappa quelques médecins et ébranla la foi
des praticiens.
Au sein de cette désolation des hommes nouveaux, nés
d'une nouvelle génération tels que A Maaouni,
M.T.Alaoui, T.Chkili, Alami H.T, A Diouri, ABelmahi,
M.Benomar, Ouarzazi, AKhamlichi , A Harouchi, W.
Maazouzi, M.Barial, Bouzekri, F.Sebti, A Bennis , B.
Lazrak, D. Moussaoui, N.Zerouali, M.A Iraqi, N.Chraïbi,
J.El Jaï A.Cherkaoui, Y.Boutaleb, Mme H.Himmich,
H.Ouazani et bien d'autres encore, donnèrent une
expression nouvelle et peut-être plus forte, à la mission
médico-chirurgicale, arrivée à sa phase naturelle et
tranquille. La vertu de leur action aura été de se battre,
malgré de nombreuses difficultés, pour l'installation à
Rabat et à Casablanca de multiples services de spécialités
médico-chirurgtcales , pépinières de nouvelles générations
qui se forment.
Certains, bénéficiant de l'aide précieuse de S.M. le Roi
Hassan II, ont pu, à travers des ligues, la Ligue des
maladies cardio-vasculaires: Mohamed Benomar, Ligue
des maladies neurologiques: Abdeslam Khamlichi, donner
à certaines disciplines médico-chirurgicales, une
dimension d'efficacité et de sécurité porteuse de promesse.
Progrès et réaction, à la fin de ce siècle se disputent le
terrain pour l'installation d'une médecine, ennoblissant
patiemment l'ère de paix, que S.M. le Roi Hassan II
promoteur du progrès et du progrès médical, assure à ces
deux générations.
" ... Vous ne pouvez imaginer Notre joie et Notre fierté de
vous rencontrer aujourd'hui, une joie qui s'explique par le
fait que vous représentez une importante partie de Notre
peuple réputée par son prestige et son sérieux. " (S.M.le
Roi Hassan II le 14 Janvier 1992.)

APERCU SUR L'HISTOIRE D'UN SERVICE DE


CHIRURGIE SPÉCIALISÉE
Le service de neurochirurgie de Casablanca

Les témoins de la création à Casablanca du premier


service de neurochirurgie individualisé et indépendant,
sont encore là pour se souvenir de ce matin ensoleillé,
(1970) quand SAR le Prince Héritier Sidi Mohammed,
inaugura les locaux de la réanimation neurochirurgicale
qui devaient, avec l'aile VI de l'hôpital M.Gaud, donner au
service de neurochirurgie, son ensemble et son unité
complète.
Les médecins et particulièrement les chirurgiens les plus
anciens qui avaient en charge, dans les années soixante,
l'activité chirurgicale, ont encore en mémoire le souvenir
de l'enthousiasme et de la volonté de donner une fonction
et une rentabilité à chaque mètre carré de cet hôpital pour
créer des services, qui ont fini par investir l'ensemble
"Maurice Gaud", et installer la chirurgie avec plusieurs
spécialités.
L'histoire du premier service de Neurochirurgie
marocaine, n'est pas celle d'un lieu, mais d'un homme,
c'est celle du Docteur Raphaël Acquaviva, un chirurgien
entreprenant qui alliait science, connaissance, dynamisme
et surtout disponibilité. On disait à l'époque qu'on le
rencontrait partout, dans les grands couloirs de l'hôpital,
dans les locaux de la "Réanimation" attenants aux bloc
opératoires, seul ou accompagné de ses assistants,
auxquels il avait insufflé la manie de la présence
permanente à l'hôpital, ou de quelques médecins des
services voisins, qui avaient vite compris qu'il devenait
éprouvant de le rencontrer, car ils avaient droit à une
présentation d'un cas exceptionnel de pathologie rare du
crâne ou du rachis.
Si les couloirs de l'Hôpital pouvaient parler, ils
raconteraient les longues heures où ils étaient hantés par la
physionomie de ce chirurgien, arborant un nœud papillon,
et drapé d'un tablier à poche kangourou, qu'il portait au-
dessus de sa blouse, et tenant sous le bras un ou deux
dossiers de quelques cas, qu'il allait résumer en rentrant
chez lui, pour faire un article ou une thèse.
Cette époque que certains évoquent avec nostalgie
appartient à l'Histoire. Elle était celle des hommes qui la
vivaient sans crispation et avec peu de moyens.
La médecine depuis 1965 a fait des progrès sur un mode
exponentiel, et la mutation explosive qui s'est opérée a
changé profondément les hommes et le paysage. Le peu
suffisait à n'importe quelle entreprise. Les sociétés
savantes étaient la Société de Médecine et d'Hygiène du
Maroc à laquelle est venue s'ajouter la Société Marocaine
de Chirurgie. Ces sociétés, au début très actives, se
réunissaient n'importe où, dans un bureau, dans un hall
aménagé. Les séances, souvent squelettiques, qu'elles
réunissaient, étaient fréquentées par les mêmes personnes.
Ce n'est qu'en 1971, que ces deux sociétés ont fusionné
pour donner naissance à la Société Marocaine des
Sciences Médicales.
La première équipe marocaine qui tarda à se constituer
autour du Docteur Acquaviva, faisait dire à quelques
observateurs que ce service était impénétrable, et était
devenu une affaire privée.
Pendant une dizaine d'années les seuls assistants étaient
P.Thévenaud et P.Tamic. Mais H.A. Kerdoudi,
D.Bouchareb et M.Sami ont appris après, auprès de ce
maître les notions nécessaires à cette chirurgie pour
constituer aujourd'hui, l'équipe neurochirurgicale en
fonction, la plus en vue dans le secteur privé de la ville de
Casablanca.
Le Docteur Acquaviva et ses assistants marocains vont les
uns après les autres quitter l'hôpital, pour s'installer dans le
secteur libéral, au début de la décennie soixante-dix, et
surtout après 1975, date à laquelle s'était installée la
faculté de médecine, venue avec un esprit nouveau de
plein-temps hospitalier, imitant en cela la France qui
installa le plein-temps, depuis la réforme de Robert Debré
(1960 l, et surtout depuis la Révolution de 1968.
Cette période a vu quelque peu la déstabilisation du
service de neurochirurgie, et de tous les autres services par
le départ massif des responsables des services vers le
secteur libéral. Ce démantèlement s'opéra sous la direction
du ministre de la Santé Publique de l'époque, le Docteur
Ahmed Rarnzi.
L'arrivée de quelque étranger (Neagu), auquel ont succédé
quelques praticiens marocains venus du CHU de Rabat ou
des facultés françaises (A.Yacoubi), a permis de reprendre
le service en main, de le restructurer et de l'inclure dans un
ensemble, (le feu Pr Fidouzi, victime d'agression en pleine
consultation à l'hôpital, et le Pr Boucetta), le département
de chirurgie du CHU Ibn Rochd (Averroès).
Il s'avère ainsi, que la première époque du service de
neurochirurgie est dominée par l'idée et le concept de se
donner des locaux, une individualité, une mission. Certes,
les malades, des traumatisés crâniens, des traumatisés du
rachis ou atteints de lésions infectieuses ou parasitaires,
étaient installés dans plusieurs services, soit des services
de chirurgie générale, soit le service des urgences, soit "la
réanimation", un lit par-ci par-là. Ces malades étaient vus
d'un mauvais œil, parce qu'ils occupaient trop longtemps
les lits, dérangeaient, et surtout mourraient à n'importe
quel moment, et dans de mauvaises conditions de nursing.
A l'époque, les moyens d'investigation se limitaient à la
radiologie conventionnelle, l'encéphalographie gazeuse
partielle ou totale, l'électroencéphalographie et
l'artériographie carotidienne couplée à la sériographie. Au
niveau du rachis, la visualisation se faisait à l'aide du
lipiodol, puis le méthiodal. La scintigraphie cérébrale au
technitium 99M a été tentée (P.Tournoux, J.Hermo,
B.Hamersak, R.Granier). La stéréotaxie, encore au stade
artisanal, avait fait son apparition entre les mains
d'Acquaviva en 1965. Les quelques parkinsoniens opérés
par cette technique, n'en ont tiré aucun bénéfice.
Les interventions les plus pratiquées avec sécurité, étaient
encore les trous de trépans, faits pour évacuer les
hématomes extra-duraux, que seuls les signes cliniques et
la surveillance attentive révélaient à temps.

DOCTEUR RAPHAEL ACQUAVIVA.

Venu au Maroc, en 1950, il exerça depuis au Centre


Hospitalier de Casablanca. Il a fait ses études médicales à
Beyrouth (Liban) et eut son diplôme à Paris. En 1966, il
fut reçu au concours d'agrégation en neurochirurgie. Ses
travaux scientifiques furent nombreux, (127 publications
et 33 thèses).
Acquaviva! Un homme simple, mais un homme hors série.
Une remarquable intelligence, un travailleur acharné
disent tous ceux qui l'ont connu. Il ne vivait que pour son
service et ses malades. Il a habité une petite maison en
préfabriqué située au fond du jardin de l'Hôpital Maurice
Gaud. Les murs de sa demeure étaient tapissés de livres et
de revues reliées. Après sa mort, cette précieuse
bibliothèque fut léguée en partie à la faculté de médecine
de Casablanca. Son foyer, sans enfants, s'articulait autour
de sa seconde épouse, discrète et peu encombrante.
Il a commencé sa formation chirurgicale au Liban, dans un
service de chirurgie thoracique. Il s'orienta définitivement
vers la neurochirurgie en devenant l'assistant du Docteur
Masseboeuf, neurochirurgien des hôpitaux qui partageait
son temps, comme le faisaient ses collègues de l'époque,
entre l'hôpital et la clientèle privée qu'il recevait dans une
clinique. Après le départ du Dr Masseboeuf en 1960, le
Docteur Acquaviva devint le principal neuro- chirurgien
chargé des malades relevant de la neurochirurgie. Les
conditions précaires et astreignantes ne provoquaient chez
le Docteur Acquaviva aucune réclamation intempestive ni
revendication insistante. Il avait vite compris qu'il ne
fallait plus rien demander après qu'il ait eu (1957), une
fois, le courage de solliciter l'aide du médecin-chef de
l'époque, le Docteur Youssef Belabbès, pour installer une
unité de neurochirurgie. La réponse à sa requête était un
refus catégorique, assorti de la remarque que "la
neurochirurgie n'existait pas au Maroc!". Il continua
pendant une dizaine d'années à faire la navette à l'intérieur
de l'hôpital pour visiter ses malades et à opérer dans
l'unique salle d'intervention, qu'il partageait avec les
chirurgiens de garde et le principal chirurgien des
urgences, le Docteur Ceccaldi, un autre corse comme lui,
qui fut un chirurgien infatigable qui opérait jour et nuit.
Son esprit d'adaptation, son intelligence accommodante,
quand il le voulait, ont permis au Docteur Acquaviva de
faire sans trop de heurt sa place parmi -ses collègues
marocains qui avaient le légitime désir de prendre, à bras
le corps, les nouvelles et inéluctables orientations, la
structuration et l'administration des services hospitaliers.
Il présida la Société Marocaine de Chirurgie (1965),
succédant aux prestigieux académiciens, les docteurs
H.Comte et R.Chevret, avant de céder la place au
chirurgien marocain, qui devait présider pour la première
fois la Société Marocaine de Chirurgie, le Docteur H.
Lahbabi. Il fut aussi l'unique médecin français à faire
partie du comité de direction du Journal de Médecine du
Maroc (1964¬1977), 39 dont il a rédigé plusieurs articles
et surtout deux numéros importants, où il a colligé les
principaux travaux de son service (Avril 1966 et Avril
1969). Depuis 1964, le Docteur Acquaviva s'était entouré
peu à peu de quelques jeunes médecins marocains après le
départ de ses assistants français (1968). L'admission de
nouveaux médecins dans son service ne s'était pas faite
sans réticence et sans résistance. Ceux qui voulaient s'y
infiltrer, étaient soumis à une période de six mois de
probation, avant d'être admis définitivement ou refusés. Ce
fut le cas de tous, marocains (Dr Touhami), ou étrangers
(Dr Neagu). Celui-ci est reparti en France refaire ses
études médicales. Son diplôme roumain n'était pas
reconnu. Cette attitude, qui se comprend mal d'un
chirurgien généreux, qui donna tout de sa personne à ses
malades, lui a valu des inimitiés tenaces, qui ont eu une
répercussion sur sa carrière. L'avancement dans la
hiérarchie et l'échelle lui a été longtemps refusé, et ses
émoluments sont restés figés. 11 arrondissait ses fins de
mois en faisant des expertises médico-légales au profit des
tribunaux et par quelques escapades dans le secteur privé.
Cette attitude fut aussi à l'origine des difficultés qui ont
fini par l'obliger à s'installer définitivement dans le secteur
libéral. 11 y a exercé une dizaine d'années, jusqu'à sa mort
(1982), en donnant des soins à une population nombreuse
qui venait le consulter de toutes les régions du Maroc.
Les médecins marocains, à savoir les Drs H.Kerdoudi,
D.Bouchareb et puis M. Sami lui ont voué l'admiration qui
sied à un maître modeste, amical mais exigeant, et qui
communiquait le savoir à ceux qu'il avait sélectionnés.

DOCTEUR HENRI COMTE

Il est midi. Les cloches sonnent à la porte de l'Hôpital'


Colombani, rue Jenner. Le gardien averti, tirait sur les
chaînes des cloches, quand "le Patron" franchit le portail
de l'hôpital dans sa voiture Citroën, et plus tard dans sa
voiture Desoto décapotable, une des grandes voitures
américaines, devenues à la mode depuis la fin de la
deuxième guerre mondiale. Sous l'œil curieux des malades
assis sur les bords des allées ombragées des jardins de
l'hôpital, il roule à petite allure, stoppe sa voiture à l'entrée
du service, et laisse le moteur en marche. Le gardien,
préposé à l'entrée du service, la range dans l'allée de
stationnement. Le personnel infirmier, encadré des
"sœurs" religieuses, l'attend dans le couloir du service, en
double rangées. Sans regarder personne, il s'engouffre
dans son bureau et s'y enferme quelques minutes, avec la
sœur-major qui l'aide à changer de tenue, en écoutant le
rapport sur la marche du service, et en parcourant le
dossier du malade, marqué à son programme. Ce rite fut
observé tous les jours, quand le Docteur Comte arrivait à
l'hôpital pour opérer ou faire ses consultations. Il fut
respecté un quart de siècle durant. 11 ne changea que le
jour où les services de chirurgie ont été transférés à
l'hôpital M. Gaud après l'indépendance.
Natif de Grenoble, prosecteur d'anatomie à la Faculté de
Médecine de Lyon, il quitta la France pour venir s'installer
au Maroc en 1927. Depuis cette date, recruté comme
chirurgien à l'hôpital, titre qu'il a conservé jusqu'à sa
retraite en 1972, confirmé par le titre définitif de
"chirurgien des hôpitaux " en 1950. Son service à l'hôpital
M. Gaud fut qualifié par le personnel de service du 16ème
Arrondissement, par similitude avec le quartier huppé de
Paris. En effet, quand son service fut transféré de
Colombani, toute son équipe, chirurgiens, assistants,
internes, infirmières étaient français. Ses patients à
Colombani étaient européens, ou étaient issus de la
bourgeoisie marocaine, originaire de Fès, venue peupler la
ville de Casablanca. Son service occupa l'aile 4 réservée
aux femmes et les enfants et l'aile 3 réservée aux hommes.
Au lendemain de l'indépendance, l'administration décida
de réunir la chirurgie à M.Gaud, dont l'architecture se
prêtait mieux à cette fonction. Cet hôpital est disposé en
ailes qui se détachent en rayons autour d'un large couloir
de circulation qui circonscrit deux ensembles, le bloc
opératoire et le bloc de radiologie. L'hôpital Colombani,
multi pavillonnaire, devint l'ensemble des spécialités
médicales, offrant la place au service de chirurgie
thoracique et celui des urgences, le "Suc Porte". Celui-ci
fut installé dans l'ancien service de chirurgie, restructuré et
rénové par le Dr Plessier, chirurgien recruté par le Dr
Faraj. Le Dr Plessier avait quitté Ismailia où il avait
travaillé plusieurs années. Il vint au Maroc avec son
équipe, Le Suc porte fut doté d'un matériel abondant et
neuf, et surtout d'une aile hautement protégée pour brûlés.
La réunion des deux hôpitaux en un seul, fut réalisée en
1957, pour donner naissance à l'Hôpital Averroès dont la
direction fut assurée au départ par le Dr. Youssef
Belabbes, qui devint Ministre de la Santé Publique, dans le
Gouvernement présidé par Mr A.Ibrahim.
Les hôpitaux recevaient à l'époque le tout venant, des
malades issus de couches socio-économiques diverses. La
clinique, et le savoir-faire humain associés à des examens
de laboratoire simples, suffisaient à toutes les
interventions. Il y a trente ans encore, "les garçons de
salles", braves et compétents, achetaient pour le service
des fils de pêche de plusieurs calibres, qu'ils tournaient
autour des bobines de couturières et stérilisaient avec le
linge à l'autoclave. Le progrès dans les commodités en fils
de suture non résorbables, n'était venu que plus tard dans
les années soixante. En matière d'anesthésie, le
chloroforme et les masques d'Ombrédanne ont régné
jusqu'en 1960. A cette date faisaient leur apparition le
nesdonal et le gamma OH, mais les anesthésies à l'ether,
aspergé sur compresse et au chloréthylène se faisaient
encore. Les accidents et les agitations d'induction étaient
fréquents et organisaient la mauvaise réputation de la
chirurgie et de l'obstétrique. Le "chloroforme à la reine",
ou la suture d'une épisiotomie, sous anesthésie, se
terminaient parfois dans le drame et le massage cardiaque.
Toutes les anesthésies étaient pratiquées par un personnel
infirmier, et se faisaient sous l'œil inquiet du chirurgien
qui devait apprendre à devenir adroit et surtout rapide pour
mériter la réputation de "grand et de bon chirurgien". Les
affections, les plus fréquentes et les plus communément
traitées, à cette époque, concernaient souvent des
affections osseuses, articulaires et abdominales d'origine
tuberculeuse, staphylococcique ou parasitaires.
L'effroyable échinococcose osseuse, avec ses images en
nid d'abeille et ses collections purée de pois, très fréquente
à l'époque, commence à être oubliée. Le service du Dr
Comte s'était signalé à la population pour être le service de
la chirurgie lourde du cancer de la sphère pelvienne,
intéressant la vessie, le rectum et surtout l'utérus. Dans les
anciens traités des techniques chirurgicales, les "Qénu", on
trouvait décrite la technique de l'adéno-colpo-
hystérectornie de Comte et Bottou appliquée dans le
traitement chirurgical du cancer du col utérin. La théorie
virale à l'origine du cancer, passionnait le milieu médical à
l'époque. Les pièces opératoires des lésions cancéreuses,
étaient adressées à l'Institut Pasteur, qui avait organisé un
service de recherche dans ce domaine. Les fistules vésico-
vaginales, d'origine obstétricale, se donnaient rendez-vous
dans son service. Il les a toujours accueillies avec intérêt,
et une certaine fierté, car il fut longtemps, le maître
incontesté dans le domaine de cette effroyable pathologie
invalidante, revers de la fécondité de la femme "du bled",
et de la très jeune épouse. La relève dans ce domaine fut
assurée par le Pr Benchekroun à Rabat (vessie caecale
continente). Le protocole mis 'au point avec Bottou, pour
préciser l'indication thérapeutique chirurgicale, retenait
l'attention de toute son équipe, le samedi, jour de la visite.
Les vessies iléales, les vessies rectales à la Gersuny, la
bipartition vésicale et bien d'autres méthodes étaient
appliquées. Rien ne pouvait l'obliger à se presser dans ses
consultations, ses visites, ou ses interventions. Tout durait
des heures, et très tard, et faisait bougonner les uns et les
autres. Les dossiers concernant les cas les plus simples
retenaient son attention. On pouvait déterminer à l'avance
le cas qui allait bénéficier de son intervention, quand, au
cours de la visite, il s'asseyait sur le lit du malade, posait
son front sur celui du patient et lui disait, "Sidi, Lalla,
grande opération, petite ouverture". A ce contact, aucune
résistance ne se produisait. Il a fait état de sa riche et
longue expérience dans les multiples communications à
l'Académie Française dont il était membre, et dans les
longs rapports qu'il fit dans le Maroc Médical.

DOCTEUR RENÉ ROLLIER

Né en 1917, il obtint son diplôme de doctorat en


.médecine à Strasbourg, en 1945. Venu au
Maroc en 1946, il fut nommé sur épreuves en Mai 1948,
médecin des Hôpitaux.
Tous les matins, c'est la cohue à la porte du service
Jeanselme, dénommé aujourd'hui service de dermatologie
du CHU Averroès de Casablanca.
Le Docteur René Rollier, médecin chef, y avait assuré tous
les jours sa consultation depuis 1948.
La pathologie cutanée, riche de manifestations multiples,
était traitée, étudiée patiemment, intelligemment, et avec
un esprit de recherche scientifique hors du commun.
Rollier le faisait à une époque, où aucun enseignement
médical ne se faisait au Maroc, et où le temps suffisait à
peine à une consultation nombreuse et à la direction d'un
service hospitalier de 85 lits et un service de lépreux de
plus de deux cents hospitalisés.
Les lésions faisaient l'objet de biopsies qui rejoignaient
une collection de lames soigneusement classées. Les
statistiques des cas furent dressées. Elles avaient servi au
Docteur Rollier pour entreprendre un travail de
publications qui n'avait pas cessé d'augmenter, de se
préciser pour constituer un savoir encyclopédique d'une
valeur inestimable. Les médecins, puis les étudiants plus
tard, et ceux qui se destinaient à la spécialité de dermato-
vénérologie y trouvèrent l'enseignement que seuls une
longue expérience et un esprit préparé à saisir
systématiquement tous les cas, et ceux les plus rares, que
les "occasions fugitives", pouvaient offrir.
R. Rollier publia au Maroc Médical, au Journal de
Médecine du Maroc et dans plusieurs revues françaises et
internationales de 1948 à 1975 près de deux cents articles
et inspira plus de quarante thèses.
Toutes les maladies de la peau, inflammatoires,
microbiennes, mycosiques, allergiques, cancéreuses et
bien d'autres étiologies, étaient répertoriées, analysées et
étudiées. Ces travaux peuvent constituer s'ils sont réunis,
un excellent manuel de dermatologie.
La lèpre et la syphilis ont été étudiées par Rollier dans
leurs manifestations les plus insoupçonnables, leur
évolution et les étapes de leurs traitements.
Les lépreux bénéficièrent de ses soins et surtout de sa
générosité d'esprit et de comportement. Stabilisés par les
traitements, dont il fut précurseur et adaptateur, il porta
son intérêt sur les séquelles qu'ils présentaient. Il avait fait
appel aux plus prestigieux chirurgiens français qui étaient
venus à Casablanca, les opérer. Merle d'Aubigné consacra
plusieurs journées et même au-delà de sa retraite, à
mobiliser quelques pouces et quelques moignons de
doigts, pour donner une fonction à des mains invalides.
Le Dr Rollier créa avec le Pr Merle d'Aubigné un centre
de chirurgie réparatrice pour tous les handicapés moteurs,
les lépreux et les poliomyélitiques, comportant un service
de physiothérapie, (financé par Emmaus Suisse).
Dépassant son rôle strictement médical, il avait entrepris,
un travail considérable de réhabilitation social au bénéfice
des enfants lépreux, souvent abandonnés par leurs
familles. Une école stable et une ferme-école d'agriculture
furent créées pour eux (1964). De généreux donateurs,
marocains et étrangers, et l'aide du Pr Sekkat, ont permis
de maintenir cette action, et créer une association
reconnue d'utilité publique (L'AM.AAF.)
Le centre des lépreux d'Ain Chock, celui d'Azrou
continuent à fonctionner, après sa mort, grâce à l'aide, au
travail et à la persistante volonté de son épouse et de son
fils, tous deux médecins.
Tard et presque à la fin de sa vie, la Faculté de médecine
de Casablanca l'avait appelé à l'enseignement, rendant
ainsi justice à ce grand médecin dont la vie fut un symbole
de dévouement à la médecine et aux malades.
L’effort fourni par le Docteur René Baquet, dans
'organisation du traitement de la maladie diabétique,
mérite d'être signalé dans cette Histoire, à plusieurs titres.
René Baquet est un homme d'une douceur extraordinaire.
Il avait le ton à employer en présence des diabétiques.
Venu au Maroc en 1950, il s'installa, pour exercer la
médecine générale à Casablanca, et fut frappé par la
fréquence du diabète et ses complications en milieu
marocain. L'histoire de l'effort qu'il a fourni, nous permet
de parler de la mise au point de la prise en charge des
diabétiques, des difficultés multiples qu'il rencontra à
initier le traitement, la surveillance des malades et aussi de
la diffusion du traitement par l'insuline.
Quand il arriva au Casablanca, en 1950, le traitement à
base d'insuline était peu connu au Maroc, et les médecins
étaient fort réticents. Les hésitations étaient dues, d'une
part, à des craintes mythiques sur les dangers de l'insuline
et d'autre part à des doutes sur les possibilités d'un
traitement de longue durée régulièrement suivi par les
Marocains.
René Baquet arriva avec la certitude des immenses
bienfaits de l'insuline. Sa volonté fut le motif suffisant
pour proposer à la Direction de la Santé de créer un
service du Diabète. N'ayant pas été écouté, Il commença
son œuvre seul et rédigea ses fiches en pratique privée.
En 1950, l'insuline était disponible au Maroc: les insulines
Roussel et Choay-qui n'existent plus-, les endopancrines:
IPZ-10 et les insulines NOVO: 10-di-insuline et IPZ. (Les
insulines lentes n'apparaissent qu'en 1952). Jusqu'en 1956,
il n'y avait pas d'autres traitements pour les diabétiques.
René Baquet entreprit de réformer les opinions courantes
sur l'acceptation du traitement par les diabétiques
Marocains, jusque là considérés comme indifférents et
fatalistes. Il fut surpris d'être débordé par les exigences et
l'assiduité des malades. Il s'engagea alors à ne recevoir
régulièrement que les diabétiques, et eut une notoriété
nationale dans le traitement du diabète. Il a du faire face
aux urgences que la maladie diabétique provoquait:
l'hypoglycémie et l'acidocétose qu'il traita dans les
cliniques.
Rappelons ici que l'insuline était importée, et qu'elle avait
manqué pendant la deuxième guerre mondiale en raison
des restrictions imposées en France occupée. En 1942, un
biochimiste Français qui se trouvait à Casablanca, Michel
Comar, se mit en devoir d'instaurer une fabrication locale
d'insuline au Maroc. On organisa la récolte des pancréas
'dans les abattoirs de Casablanca et de Fès. On les traita à
l'alcool acide à Casablanca, et on obtint un produit
hypoglycémiant qui fut délivré aux hôpitaux. Avec les
difficultés pour se procurer de la verrerie, de l'alcool, des
filtres et des frigidaires, cette aventure tenait du prodige.
Elle fut racontée par M. Cornar, dans le Numéro 323 du
Maroc Médical. Cette fabrication fut arrêtée après
l'importation de l'Insuline Américaine.
Collaborant au Comité d'organisation du "Maroc
Médical", René Baquet organisa à partir de 1955 plusieurs
séances de formation et des journées sur le diabète (Avril
1955). Le Pr Loubatière annonça, dans un article (Avril
1952), l'activité hypoglycémiante de certains produits
sulfamidés.
Après les expérimentations des auteurs Allemands,
R.Baquet fut parmi les premiers à Casablanca, à connaitre
la révolution thérapeutique apportée par les biguanides et
les sulfamides hypoglycémiants. En 1956, il reçut des
Laboratoires Servier, un produit anonyme qui serait plus
tard le Glucidoral. Il fut expérimenté à l'hôpital de
Casablanca dans le Service du Dr Sterne. Celui-ci était
reparti en France et y fit une nouvelle carrière consacrée
au diabète.
En 1957, il réunit plusieurs séances scientifique, publia
plusieurs articles au Maroc Médical et présida la Société
de Médecine et d'Hygiène du Maroc. Bénéficiant de
l'encouragement du Dr Faraj, Ministre de la Santé
Publique et de l'aide du Gouverneur Hadj Ahmed Bargach,
Il organisa la première consultation publique des
diabétiques à Casablanca. Domiciliée dans les bureaux
municipaux d'hygiène, elle précéda de deux ans la création
d'un service de réanimation et d'un service hospitalier pour
diabétique. L'enthousiasme populaire, l'apparition des
traitements hypoglycémiants oraux, transformée par
l'opinion publique comme une promesse de guérison du
Diabète, furent à l'origine d'un débordement difficile à
contenir. Toute l'organisation reposa sur une
réglementation fragile, un personnel volontaire et dévoué,
une aide financière qui n'était jamais sûre.
Ayant enseigné en France la physiologie et donné des
cours à l'école d'application médicale de Casablanca et aux
écoles d'infirmières, R.Baquet n'eut aucune difficulté à
entreprendre un enseignement simple auprès de ses
patients, dans le domaine des régimes alimentaires. Les
tabous alimentaires de la population, le jeûne du Ramadan
attiraient son attention. 11 disait autour de lui, qu'il fallait
éviter l'erreur de juger les consultants comme dénués de
tout souci alimentaire, de toute intelligence à comprendre
leur maladie, et de baser les recommandations sur les
seules notions scientifiques sans tenir compte des réalités
vécues. Il s'entoura d'infirmiers Marocains pour
transmettre oralement et enseigner à ses consultants le
régime.
Face aux malades venus du bled, qui venaient le consulter,
il fut longtemps désarmé." Que dire à une mère de famille
nombreuse, arrivant de toutes les régions du Maroc, avec
un diabète insulinodépendant, en quête de secours?
Comment renvoyer dans ses champs un enfant diabétique
muni de quelques conseils, d'une seringue et de tubes
d'insuline? Situations qu'on n'évoque pas sans
appréhensions, même lorsqu'on est assis confortablement
dans un bureau!
On a voulu faire croire longtemps que le diabète était une
maladie de la civilisation. Si c'était vrai, Il faut considérer
que la civilisation est bien installée dans le monde rural
marocain". (Disait-il, sans malice.)
Nos consultations, disait-il, modestement, ont fourni de
l'insuline aux diabétiques. Il nous faut cependant regretter
les moments des pénuries et des ruptures des stocks qui se
produisent dans le commerce fragile de l'insuline"
En 1972, la période de la solitude qui dura quinze ans pour
R.Baquet, allait se terminer. Les Facultés de Médecine, et
l'ouverture des services de Diabétologie allaient lui donner
la solution. Sa consultation dans le Laboratoire d'Hygiène
Municipal disparut. Il collabora avec les docteurs Malika
Naciri et Hsein qui prirent sa relève. Des Services
Universitaires, avec les Pr Radi à Casablanca et Bensouda
à Rabat, furent ouverts. Les Diabétologues et endocriniens
se multiplièrent au Maroc et donnèrent l'occasion de
fonder une "Société Marocaine des maladies métaboliques
et endocriniennes" dont les statuts furent approuvés le 14
Décembre 1977.
René Baquet prit sa retraite en 1988, heureux d'avoir
assisté au développement d'une diabétologie marocaine
qu'il avait longtemps appelée de ses vœux. Il publia le
récit de sa contribution à l'œuvre sanitaire dans le domaine
du Diabète dans un recueil, auquel nous devons en grande
partie de la rédaction de ce chapitre.
Chapitre IV
LES INSTITUTIONS PROFESSIONNELLES LE
CORPORATISME MÉDICAL.

Après la deuxième guerre mondiale, le Maroc a connu une


grande vague d'immigration de médecins. Celle-ci avait
charrié quelques illégaux et clandestins, qui avaient obligé
les institutions médicales et le service d'immigration à une
attention soutenue. Le nombre des médecins a atteint en
1954,1066 praticiens dans tous les secteurs, et dont la
moitié, soit 536 travaillaient dans le secteur libéral. Les
soucis de ce dernier secteur, en raison du nombre,
devinrent importants. Ils l'obligèrent à une organisation
vigilante pour défendre sa place dans la société, et à créer
un esprit de corporatisme sourcilleux.
Entre 1941 et 1949, période troublée par la deuxième
guerre mondiale, l'Ordre avait une mission et une action
ralenties. 11 fut présidé à Casablanca par les Drs Thierry
et Grévin.
A partir de 1950, 11 trouva en la personne de quatre
médecins qui ont présidé à sa destinée, les meilleurs
défenseurs qui avaient bénéficié de l'appui et de l'estime
de tous: Ponsan installé à Kénitra, appelée anciennement
Port Lyautey, Callandry, gastro-entérologue installé à
Casablanca, respectivement présidents des Ordres,
Cornette de Saint Cyr, chirurgien à Meknès et Testot Ferry
installé à Casablanca, présidents des Syndicats.
Tous les problèmes, qu'on imagine pouvoir se poser à un
corps médical ont été discutés. Toutes les solutions ont été
envisagées. Ces problèmes ont concerné l'incidence des
dispositions du code de déontologie sur l'organisation des
services médico-sociaux des grandes administrations et
particulièrement l'Office Chérifien des Phosphates, la
Banque du Maroc, les chemins de fer, le corps de la police
et bien d'autres; l'opposition du corps médical libéral à la
volonté de la Direction de la Santé Publique d'organiser la
médecine du travail au profit des médecins du secteur
public; la négociation de la place de la médecine privée
dans le fonctionnement des nouveaux grands hôpitaux; les
rapports des médecins avec les mutuelles et
particulièrement avec la confédération des mutuelles des
fonctionnaires; le souhait des médecins de voir s'étendre le
bénéfice des mutuelles à l'ensemble des actifs de la
population (déjà à cette époque!); les rapports entre le
corps libéral' et l'administration sanitaire publique; la
médecine d'entreprise, celle des réseaux de soins créés
par-ci par-là au bénéfice de quelques médecins salariés ou
conventionnés individuellement, la médecine de soins
organisée au mépris du code de déontologie. Ces
problèmes avaient nécessité la création au sein de l'Ordre
d'un "comité d'études sociales", qui préparait les dossiers,
les éléments de réponse et fixait l'attitude de l'Ordre, et
d'un "comité de Santé des hôpitaux", pour maintenir les
rapports entre Direction de la Santé et les médecins privés.
Tout ces problèmes ont laissé des traces sur la médecine
ultérieure, et n'ont jamais reçu de solutions. Ils n'ont pas
cessé d'exister, de se renouveler, d'inciter aux protestations
des générations de médecins successives, avant et après
l'indépendance, au point de croire, qu'une même volonté
préside à les créer et à les entretenir. "Beaucoup de choses
restent à faire écrivait Callandry en 1954. Dans notre
esprit, le comité de santé n'est que le premier pas vers un
comité permanent de la santé au Maroc, véritable
organisme de représentation collective auprès du
gouvernement et appelé à donner son avis et à prendre une
large part de responsabilité sur tous les problèmes
intéressant la médecine au Maroc: hôpitaux, assistance,
mutualité, assurances sociales, médecine du travail, etc ...
Notre profession aurait donné un exemple d'un système
corporatif efficace au moment où des solutions hardies et
nouvelles sont recherchées pour faire participer tous les
éléments non fonctionnaires de ce pays à sa gestion .. "
Qu'est devenu ce corporatisme dans la période de
transition qui suivit l'indépendance? Il demeura tel quel
sans changement dans son organe et dans sa fonction.
Mais il a souffert de son identité et de sa nationalité. Les
institutions constituées en très grande majorité de français,
donc du jour au lendemain devenus étrangers, avaient à
faire face à des responsables marocains qui écoutaient
leurs représentants avec indulgence et bienveillance, mais
avec réserve. "Au cours de l'entretien, Mr le Dr Faraj nous
fit part de l'intérêt qu'il porte à l'organisation de la
médecine rurale ... " Une telle déclaration faite par le
premier ministre de la Santé du Maroc indépendant ne
pouvait que refroidir les médecins français, en grande
majorité installés en ville, venus lui présenter des
revendications qui ne pouvaient avoir qu'un intérêt relatif.
La conséquence immédiate fut la dissolution par les Drs
Pagès et Testot Ferry, des syndicats qu'ils présidaient. Les
Ordres ont reconduit leurs membres pour "expédier les
affaires courantes", jusqu'en 1959, à la demande du
secrétaire général du Gouvernement en la personne de
Monsieur Bahnini. A cette date, un décret-loi institua un
ordre, dont les membres étaient élus, et dont les comités
étaient désignés: moitié de marocains et moitié de
français. Les présidents étaient marocains. Cette situation
dura jusqu'en 1964, date à laquelle, un autre Dahir institua
un Ordre Marocain pour lequel seuls les nationaux étaient
électeurs et éligibles.
C'est dans ce climat qu'apparurent les prémices de la
"tension" entre la médecine des soins de ville et la
médecine d'Etat. Celui-ci annonça sa volonté de se
consacrer à la gestion de son réseau et à la prévention.
Cette "tension" s'exprima par une cohabitation à peine
respectueuse, et évolua dans une coexistence un peu
conflictuelle. Les institutions ordinale et scientifique ont
conservé les mêmes représentants, la même activité, donc
avaient les mêmes données et aussi les mêmes problèmes.
Les trente cinq médecins marocains en fonction, en
majorité dans le secteur privé, ne pouvaient faire le poids.
Les médecins marocains se sont groupés (1964) dans une
union présidée au départ par le Dr Boutaleb,
ophtalmologue. et les médecins français en une amicale.
Les uns et les autres, entendaient par là, et à défaut de
syndicats, exprimer la spécificité de leurs revendications.
Il a fallu attendre dix ans pour marocaniser, les institutions
dans un climat de dépit, de découragement pour les uns et
d'enthousiasme pour les autres. A côté de l'Ordre des
Médecins du Maroc, s'est créé le Syndicat National des
Médecins du Secteur Privé, qui allait être présidé
longtemps (15 ans) par le Dr Abderrahmane Tazi Tassi,
ophtalmologue. Les médecins avaient retrouvé ainsi leurs
institutions comme avant l'indépendance.
L'année 1964 a connu une autre crise: le retrait en masse
des Marocains du comité scientifique du Maroc Médical,
dont les dirigeants avaient annoncé leur volonté de se
saborder, plutôt que de marocaniser. Les Sociétés de
Médecine et de Chirurgie ont marocanisé leurs cadres et le
Journal de Médecine du Maroc, nouvellement créé, prit
une large place dans l'activité des publications
scientifiques. La confusion née dans les esprits à cette
époque de transition du début de l'indépendance, se basait
sur des "rumeurs selon lesquelles, nombre de médecins
américains ou originaires de divers pays d'Europe auraient
demandé l'autorisation de s'installer au Maroc", "et qu'une
cinquantaine de médecins allemands auraient offert leurs
services au pays... Ces rumeurs qui n'étaient jamais
démenties, minaient le moral de beaucoup, opéraient
l'effet de test, et, ont fait partir beaucoup du jour au
lendemain, parfois subrepticement. Des Amériques et de
l'Allemagne, personne n'est venu, mais peu à peu des
groupes de médecins, venus des pays de l'Est de l'Europe
et de la Chine communiste, et dont la médecine s'est
révélée au départ à la population de valeur "douteuse", ont
été recrutés dans les hôpitaux "ruraux" et des petites villes.
Les problèmes quotidiens des médecins étrangers de cette
époque de transition, n'étaient plus les grands dossiers
concernant la mutualité généralisée, la retraite ..., mais la
fiscalité, l'exode, les récentes installations qui pouvaient se
faire sans examen minutieux des dossiers, et l'aide aux
médecins.
Ces "petits problèmes" ne faisaient pas l'essentiel du souci
des hauts responsables de l'Etat. Ils trouvaient ou ne
trouvaient pas leur solution auprès des conseillers français
du ministère, encore responsables, qui acceptaient
"d'intervenir". Le Dr Noget fut de ceux-là. Il était resté
conseiller du Ministre de la Santé jusqu'en 1987.
Nous sommes entrés dans l'ère de l'Ordre marocanisé. La
génération des médecins à administrer avait un profil
particulier. Ceux qui sont installés en ville relevaient de lui
et de sa discipline. Le Syndicat s'asseyait à côté de lui en
permanence, et prenait le fauteuil du vice-président du
conseil supérieur par consensus. On évita ainsi des
oppositions futiles.
Il y avait deux ordres. L'un à Casablanca et le Sud, l'autre
à Rabat et le Nord. Ils furent coiffés par un Conseil
Supérieur de l'Ordre, dont la moitié était élue en assemblée
générale et l'autre moitié issue des conseils régionaux. Les
membres des conseils régionaux étaient élus en assemblée
générale. Les conseils votaient en leur sein pour les
présidents et les autres membres du comité. Le Conseil
Supérieur votait aussi pour son président et les membres
de son comité. A cette époque, beaucoup de médecins du
secteur privé exerçaient à temps partiel dans les hôpitaux.
Les problèmes qui se présentaient à cette période et
surtout au début, étaient relativement simples. Ils
concernaient les installations, les relations avec les
mutuelles, les qualifications, la fiscalité, la contribution de
la médecine privée à l'œuvre de la Santé publique, les
incontournables difficultés, demeurées semblables de nos
jours, de trouver une formule d'assurance-maladie et de
retraite pour le médecin et le rappel à l'ordre pour des cas
rares d'infraction à la déontologie. Le bulletin de l'ordre
fut régulièrement publié pour informer les médecins.
Les trois problèmes qui ont retenu l'attention du
corporatisme de l'époque furent d'abord, celui du temps
plein-aménagé (1960-1967), consenti par décision du
ministre de la Santé Publique aux médecins marocains
plein-temps. L'Ordre l'a admis en exprimant ses réserves.
Puis la tarification des actes décidée par le Gouvernement
(1971-1975), qui ne fut pas acceptée par les médecins et
refusée dans son application. Enfin, la création des réseaux
de soins des caisses (CNSS) à Casablanca (1979), puis
dans d'autres villes du Maroc. Cette création fut jugée
illégale. Elle souleva des protestations aussi violentes que
celles de leurs prédécesseurs de la dernière décennie du
protectorat, face aux réseaux de soins installés par l'Office
Chérifien des Phosphates, les chemins de fer et les
services sociaux de la police (1952).
Le temps calma leur colère. Les problèmes ont été
esquivés. Ce qui était une façon de les solutionner! Les
médecins de l'époque avaient fini par admettre la situation
de fait et les transformations imposées par l'évolution. Le
flou juridique qui entoure ces établissements de soins
persiste à ce jour.
Les médecins organisèrent le forum de Mohammadia
(1980) pour réfléchir sur les textes de lois qui géraient leur
profession. Ils demandèrent des réformes sur le texte de
1960, celui du code de déontologie, celui qui porte
structure de l'Ordre et celui des qualifications. Les débats
avaient abouti à la nécessité d'unir le corps médical et de
le soumettre à la même déontologie et à la même
discipline. Ces idées nouvelles avaient fait leur chemin, et
avaient opéré leur effet sur les étapes à franchir pour y
parvenir.
En 1982, fut réunie une commission, associant médecins,
responsables du Ministère de la Santé et Mr.A.Rabiah,
pour la conseiller sur le plan juridique. La commission mit
au point un texte modifiant les structures de l'Ordre,
unifiant tous les secteurs médicaux. Mis face à face et
ensemble, les médecins discuteraient des problèmes de la
déontologie, de l'assainissement de la profession, et
secondairement du texte de 1960.
Les deux principales nouveautés du texte, portant structure
de l'Ordre, paru en 1984, fut la création de sept régions, et
la désignation des présidents sur des listes établies par le
Ministre de la Santé et le Secrétaire Général du
Gouvernement, puis leur nomination par Dahir de S.M. le
Roi. Cette deuxième nouveauté, aurait été acceptée par les
membres de la commission, en raison de directives venues
d'en Haut ... La vérité sur cette affaire émana du discours
de S.M. le Roi Hassan II (5 Septembre 1985) " ... Vous
avez demandé à ce que les nominations des Présidents des
Conseils soient cautionnées après leur élection par Dahir.
Lorsque Nous Nous sommes enquis sur les raisons de cette
demande, il Nous a été dit que cela vous conférera une
autorité morale. Nous avions alors accédé à votre
demande et cautionné les élections que vous avez
organisées et avions apposé Notre Sceau sur les Dahirs ...
"
Ont présidé l'Ordre des Médecins du Maroc,
successivement René Ponsan, (1949-1959), M.A. Djebli
Elaydouni Idrissi (1959-1960), Omar Boucetta (1960-
1961), Djebli Elaydouni Idrissi (1961-1963), Mohamed
Lahlou (1963-1972), Aziz Kabbaj (1972-1976), Mohamed
Lahlou (1976-1978), Mohamed Ghoti (1978-1982), My
Ahmed Alami (1983-1985).
Nous entrons dans l'ère de l'Ordre National.
Une revendication s'installa silencieusement pour
exprimer en 1994, l'opinion des médecins qui
souhaiteraient que la désignation des présidents se fasse
sur la liste des élus. Ce qui réduirait le processus des
élections à deux étapes, et supprimerait celle des listes à
établir.
L'Ordre unifié créa, dès le départ des commissions, dont la
principale fut celle de l'éthique et de la déontologie. Les
commissions ont par ailleurs produit des textes auxquels le
conseiller juridique, Mr.A.Rabiah, donna avec efficacité la
forme requise. Le fond, qui fut l'objet de longues
discussions, après plusieurs navettes, entre le Conseil
national et les Conseils régionaux, résulta de la mise au
point d'un texte qui fut soumis au Gouvernement qui l'a
renvoyé sur la commission parlementaire. Les textes
présentés à cette commission contenaient certaines
modifications, notamment sur les attributions du président,
sur la de discipline et l'exercice dans le secteur privé. Le
corps médical privé manifesta sa désapprobation en
médiatisant son point de vue.
Parallèlement à l'Ordre, le Syndicat des médecins se
réorganisa, se régionalisa et créa, en 1984 une
confédération de quinze puis de dix-sept syndicats
régionaux. La confédération s'empara des problèmes
spécifiques du secteur libéral. Son rôle au sein du
corporatisme médical, face à l'Ordre n'est pas clairement
défini. Historiquement, les problèmes les plus ardus,
faisaient l'objet d'''arrangements amiable" entre personnes
appartenant à une génération, qu'on qualifia "d'anciens". A
l'heure actuelle, avec le nombre important des médecins
qui ne se connaissent plus entre eux, et les difficultés que
les uns et les autres trouvent dans le secteur de leur
pratique, se placent sur le terrain des personnalités qui
représentent leur génération, celle du Maroc profond, celle
qu'on qualifie de majorité "silencieuse" et qui prend la
parole.

LA PRESSE MÉDICALE CORPORATISTE.

La presse médicale était de deux catégories. La première


et la plus ancienne fut purement scientifique. Elle
commença en 1920. La deuxième fut corporatiste. Elle
débuta en 1954.
Depuis le premier Janvier 1954, l'Ordre des médecins du
Maroc publiait un bulletin. Créé par les praticiens de
l'époque de la fin du protectorat, il fut maintenu par les
médecins marocains et paraissait dix fois par an jusqu'en
1982.
Il véhiculait aux médecins les nouvelles, les débats sur les
problèmes de la profession, les correspondances, et le
résultat des rencontres avec les responsables des différents
ministères.
L'Ordre unifié publie aussi un bulletin avec un rythme
espacé. Les débats qui ne sont plus publiés se passent au
sein du Conseil national, devenu un cénacle enfermé sur
lui-même.
L'Ordre unifié organisa un séminaire en Mai 1988 sur
l'accès aux soins, en bénéficiant des hautes directives de
S.M. le Roi Hassan II.
Deux conventions fiscales furent signées par le Président
National de L'Ordre. La deuxième régla un contentieux
avec l'administration fiscale, vieux de presque un demi-
siècle.
En deçà et au-delà de cette action, Il subsiste le problème
que les médecins ont toujours présenté à travers toutes les
formes de leur corporatisme: celui de la TVA que paie le
malade et qui s'impose dans tous les actes et consultations.
A la fin des années cinquante, ce fut la TCA de 12%, qui
devint à l'ère de la TVA 19%, puis 12%, puis 7%. En
1992, le Gouvernement proposa sa suppression, mais elle
fut remise par décision du Parlement.
A côté du bulletin de l'Ordre, des journaux syndicaux ont
vu le jour depuis 1985 (Al Hakim, puis l'Expansion Santé:
Dr M.Ghoti)
Les Conseils régionaux et les syndicats publièrent
quelques bulletins.
Depuis trente ans en dehors du bulletin de l'Ordre, des
revues, des bulletins, des journaux naissent et
disparaissent dans une situation d'étouffement financier et
surtout en raison d'un volontariat découragé.
L'Ordre National unifié est présidé depuis son installation
en 1985 par le Médecin Général, le Professeur Moulay
ldriss Archane.

Chapitre V
L'HÉRITAGE COLONIAL

Vouloir en quelques pages décrire l'héritage colonial dans


le domaine de la santé serait s'exposer à des oublis. Aussi
notre désir, est-il, d'en dire l'essentiel et l'utile à la
connaissance de la situation médico-sociale du pays en
1955, date à laquelle l'administration du protectorat prit
fin.
Pouvons-nous dire d'emblée, que cette situation résulta de
l'effort humain, social et de l'avancement du progrès
médical appliqué au Maroc?
Disons aussi que la première moitié du XXe siècle
correspondait à l'ère de l'hygiène et secondairement à celui
de la prophylaxie. Ces deux actions définissaient
l'essentiel des idées de politique sanitaire. L'intensité de
leur effet, plus ou moins importante, a conditionné
amplement le résultat sur les critères du bien être et de
l'état sanitaire des hommes, du milieu et de la population
en général.
Ces idées étaient valables à l'époque pour tous les pays du
monde qu'ils soient avancés sur le plan industriel ou non.
Ce siècle connut deux guerres généralisées qui avaient
entraîné dans les pays d'Europe des conditions précaires
faites de pénuries, d'un état sanitaire de sous-alimentation,
de mauvaise hygiène corporelle et d'habitat, propices au
développement des épidémies et des maladies. En dehors
des périodes des épidémies, qui balayaient des régions
importantes de la planète et des troubles politiques, le
Maroc connaissait l'équilibre et même une certaine aisance
dont résultait une tranquillité "enviable"
"... Qu'Allah conserve au Sultan ses territoires insoumis et
ses solitudes tapissées de fleurs, ses déserts d'asphodèles et
d'iris pour y exercer dans l'espace libre l'agilité de ses
cavaliers et les jarrets de ses chevaux" ... (Tanger le 4 mai
1889 Pierre Loti).
"... je ne me lasse pas d'admirer cette merveilleuse qualité
d'eau courante qu'on rencontre le long de la route: si ce
n'est dans les hautes vallées de la Suisse, je n'ai vu nulle
part un aussi grand nombre de sources, de ruisseaux
grands et petits, tous pleins d'eau douce et limpide. La
population sait tirer parti de leurs bienfaits, aucun plan
cultivable qui ne soit ensemencé: on voit des champs
suspendus en des points qui paraissent presque
inaccessibles" (Charles de Foucauld 1883-1884).
Les idées modernes apportées par les Européens et surtout
les Français, dans le domaine médico-sanitaire,
s'inscrivaient dans ce climat changeant en fonction des
périodes de troubles et de paix.
Certes, l'action du protectorat, s'inscrit dans le point zéro,
le big bang de l'organisation des services de santé.
"... Après qu'un être humain ait été conçu, puis mis au
monde, le nouveau-né peut encore mourir avant même de
s'être éveillé à la conscience. Jusqu'au XXe siècle, un
pourcentage terriblement élevé de bébés mouraient
effectivement au stade préconscient de leur existence la
mortalité infantile était monstrueusement courante, même
dans les communautés humaines qui jouissait d'une
sécurité et d'une prospérité relatives et qui étaient aussi
relativement bien informées et bien équipées sur le plan
médical. Pour l'humanité pré moderne, le taux de mortalité
infantile était du même ordre de grandeur que celui des
lapins. De plus, si un enfant vit assez longtemps pour
sentir poindre l'aube de sa conscience, sa vie peut encore
être abrégée à tout moment, soit par une maladie, soit par
une lésion que ne pouvait guérir ni l'habileté ni
l'équipement médical et chirurgical accessibles en un lieu
et temps donnés. (Arnold Toynbee: La grande aventure de
l'Humanité)
Au début du XXe siècle, au Maroc et ailleurs, la santé de
la population relevait de la résistance des personnes aux
maladies. Les soins rares, coexistaient avec une médecine
traditionnelle qui tirait ses effets d'un mélange de produits
végétaux et minéraux et qui faisait aussi appel à des
formules magiques, des incantations, des prières à adresser
à Dieu et à ses saints. L'art médical avait peu de moyens
d'investigation et de thérapeutique et l'accès à cet art était
difficile.
Les maladies les plus redoutables sévissaient par vagues
épidémiques. D'autres maladies se fixaient sous forme
d'endémies liées aux conditions du milieu et prenaient
épisodiquement des proportions importantes à l'occasion
des modifications intempestives du climat que personne ne
pouvait prévoir. Une saison pluvieuse était suivie de plus
de paludisme ou de gastro-entérite et une saison sèche de
famine et de typhus. On retrouve dans les écrits existants,
depuis le temps des Romains, que la sécheresse sévissait
au Maroc, sur des périodes de trois à quatre ans, trois à
quatre fois par siècle. Les causes de la recrudescence des
maux étaient attribuées à des vengeances occultes, ou à
des punitions divines, pour lesquelles il fallait implorer le
pardon de Dieu et purifier les mœurs.
L'ère pasteurienne avait mis à bas le dogme de la
génération spontanée dans le domaine bactériologique et
parasitologique, multiplié les recherches, découvert
quelques germes et donné l'essor à l'asepsie.
Sur un autre plan, l'opinion des hommes et de la société a
pris, à peine au début du siècle, le virage nécessaire, pour
donner naissance à la médecine sociale, opérant par
"l'action de masse", afin de faire comprendre que la santé
n'était pas seulement une affaire individuelle, mais une
affaire de société. Une pédagogie lente et laborieuse fut
nécessaire pour faire admettre, que l'action devait agir sur
l'homme sain, et préventivement plutôt, que sur l'homme
malade. L'assurance maladie et la protection sociale ont
commencé à peine dans l'Allemagne de Bismarck en 1895.
Les idées dans ce domaine n'avaient atteint la France que
trente ans après et l'Espagne cinquante ans plus tard.
L'installation d'une médecine sociale, efficace et
triomphante, est synonyme de croissance économique et
de développement d'un secteur salarial formel et
responsable.
Dans le domaine de la santé au Maroc, tout était neuf: les
idées, la mission, l'organisation, les hommes, les structures
mobiles et fixes pour la réalisation. La hiérarchie des
urgences s'est établie selon les nécessités de l'heure en
créant un armement prophylactique, puis un armement
sanitaire perfectionné d'année en année. Ce n'est que plus
tard, et pour servir d'abord les troupes, que l'équipement
sanitaire fut installé pour une médecine préventive et
d'assistance aux populations. Sicault écrivait en 1954 que:
"dès l'instauration du protectorat, la pénétration médicale
des tribus fut confiée aux groupes sanitaires mobiles dont
la tâche était triple: lutter contre les épidémies, traiter les
malades, et faire naître le prestige médical.
La politique hospitalière a été orientée vers la création de
grands ensembles hospitaliers et l'équipement d'un grand
nombre de petites formations en contact des populations."
Parallèlement, on incita les dirigeants marocains à prendre
le maximum d'initiatives dans l'assistance et la
bienfaisance et surtout depuis 1947.
Très tôt, des conséquences nombreuses ont découlé de
l'évolution rapide du pays, de l'industrialisation, de la
multiplication des moyens de transport. L'exode de la
population rurale vers les villes posa les problèmes les
plus importants aussi bien sur le plan économique, que
politique mais surtout celui de l'habitat. Sur le plan social,
les conséquences furent aussi nombreuses, Elles ont
nécessité la création des ligues dont la ligue
antituberculeuse, les centres de protection maternelle et
infantile, et enfin les Mutuelles.
Le Maroc comptait déjà sept régions divisées en
territoires, en cercles, en circonscriptions. La
circonscription, groupant une population de 5 à 50 000
personnes, comportait une ou plusieurs formations
sanitaires avec un médecin d'Etat chargé de
l'assainissement, la lutte contre les maladies
transmissibles, la prévention et la protection de la mère et
de l'enfant. Les circonscriptions étaient groupées en
territoires et les territoires en régions avec un médecin-
chef représentant le Directeur de la Santé publique. La
Direction de la Santé Publique comportait plusieurs
départements spécialisés qui avaient des tâches
déterminées. Elle exerçait sur l'ensemble des formations
sanitaires du protectorat une direction à la fois technique,
administrative et financière. Une seule exception fut faite
en ce qui concernait les hôpitaux autonomes érigés en
établissements publics.
Dans les villes, l'hygiène, la prophylaxie ont été confiées
aux directeurs de bureaux d'hygiène, tandis que les
services de lutte contre les maladies transmissibles sont
centralisés à l'Institut d'Hygiène du Maroc à Rabat.
Ainsi, à la fin du protectorat, le Maroc disposait de
formations sanitaires totalisant près de 16 000 lits. Le
concepteur de l'époque, centralisa sur le plan urbanistique
des ensembles associant, proche l'un de l'autre, au cœur
des quartiers, le centre de santé, le centre de puériculture
avec bloc d'assistance obstétricale, une garderie d'enfants,
le bureau d'enregistrement des naissances, le centre de
vaccination, l'école, enfin et parfois un centre de médecine
de travail.
Le programme sanitaire allait à la fin du protectorat
commencer à penser au problème de l'habitat qui
conditionnait en partie l'œuvre sanitaire par la création en
dehors des villes des zones d'habitat équipées.
L'ensemble de ces structures constitue incontestablement
l'aspect positif de l'œuvre sanitaire du protectorat.
Néanmoins l'offre sanitaire, aussi considérable fut-elle,
n'avait pas accompagné très tôt une œuvre sociale visant
au mieux-être de l'homme. Les facteurs qui
conditionnaient celui-ci étaient davantage liés à l'évolution
intellectuelle, et à la connaissance "... Au Maroc, les
études faites dans nos services sociaux ont montré que
l'homme s'ouvrait rapidement à la vie occidentale, à la
suite de ses contacts humains et surtout après avoir
fréquenté nos écoles..."
Le protectorat amena, certes, l'occidentalisation,
l'industrialisation, l'urbanisation intensive, mais il a laissé
s'implanter des zones colonisées par des ouvriers peu
différenciés, manœuvres pour une large part, venus
récemment de la campagne. Ces zones d'habitat ont créé
d'autres problèmes sanitaires bien plus difficiles à
résoudre, aussi bien sur le plan individuel que le plan
général. L'aspect qu'offrait cette nouvelle condition de la
population, montra pour la première fois l'ampleur du sous
développement.
La pauvreté concentrée dans les bidonvilles et les "taudis
modernes", prit un aspect visible et hideux. On imputa ce
phénomène à la seule ignorance des habitants. L'habitat
nouveau, la pathologie conséquente et les phénomènes
sociaux qui en ont découlé, ont représenté un cercle
vicieux, et constitué les trois fléaux de l'héritage malgré
l'effort considérable fait dans les installations qui ont
dominé dans" le Maroc utile ". Cet aspect de l'œuvre
constitue son côté négatif.
"... En 1950, j'avais fait avec mes collaborateurs l'étude de
l'extension de la ville de Casablanca compte tenu de son
développement industriel et de l'extension des bidonvilles.
J'imaginais le développement de la ville jusqu'à Fédala
(Mohammadia), ceci en suivant l'extension logique du port
vers le Nord-est et la voie ferrée qui longeait la côte. Mes
prévisions considérées à l'époque comme abusives ..." En
1980, soit 27 ans après, le gouvernement me demanda
mon point de vue sur les problèmes actuels de l'urbanisme.
Plusieurs solutions plus mauvaises que bonnes sont
proposées, entre autres celles des experts de la Banque
Mondiale (Maisons en dur de 35 m 2 sur trois niveaux, dit
Michel Ecochard).
En ce qui concerne le réseau hospitalier, l'Histoire trouve
que le premier jalon de l'assistance médicale proprement
dite, fut posé au milieu du siècle dernier. Pour l'anecdote,
citons que le gouvernement français a décidé de consacrer
à la construction d'un hôpital à Tanger, l'indemnité versée
par le Makhzen à la suite d'un attentat contre ses
ressortissants. Sa direction fut longtemps assurée par le
Docteur Fumey. Ce n'est qu'à partir de 1906, après la
signature de l'Acte d'Algésiras et certainement après 1908
qu'on installa, d'une façon précaire les premiers
dispensaires et infirmeries.
De 1912 à 1915, 38 formations avaient pris place pour
atteindre 550 à la fin du protectorat. Le rythme
d'installation de ce réseau s'est beaucoup accentué dans la
dernière décennie de ce régime. Ainsi l'on peut compter en
1955, 15.432 lits avec un personnel de 650 médecins dont
408 à temps plein et plus de 2000 infirmiers. A côté de ce
réseau, citons l'action des groupes sanitaires mobiles
commencée en 1912, celle des sections de prophylaxie
régionales organisées en 1929, celle de l'hygiène rurale et
urbaine mise sur pied depuis 1913. Vers le début des
années 50, la médecine sociale, à l'image de ce qui se fit
après la seconde guerre mondiale en France, figura, dans
les projets de textes, l'esquisse de l'organisation de la
mutualité et de la médecine de travail.
Cette œuvre, par ses structures, ses velléités de
perfectionnement, constitua le système de santé légué par
le protectorat français et qui composa l'héritage colonial
dans le domaine sanitaire.
Quelle fut à la fin du protectorat la densité médicale au
Maroc? Mille soixante six médecins, 365 pharmaciens,
155 chirurgiens dentistes et 243 sages-femmes. Le secteur
privé occupait la moitié de l'effectif des médecins.
Résultant d'une immigration intensive, les professionnels
de santé étaient à 95 % étrangers.
A peine 35 médecins étaient marocains. Ce nombre faible,
résulta de la politique de l'enseignement du protectorat qui
a occulté l'enseignement supérieur à l'intention des
marocains.
Dans quelle mesure cet héritage va-t-il influer sur la
politique de la puissance publique au début de
l'indépendance?
Explique-t-il l'orientation, jugée abusive, de la jeunesse
des années cinquante vers la carrière médicale? La
conquête du marché des soins par les cadres médicaux
opérait probablement son influence sur cette orientation.
"Nous n'allons avoir que des médecins et des avocats chez
nous", disait la population à l'aube de l'indépendance.
Fut-il aussi la raison qui poussa, à cette époque, à la
'formation accélérée" dans le domaine technique et
militaire? .
A cette période, que nous appelons période de transition,
l'instabilité du personnel avait affecté sérieusement la
fonction publique. Les cadres, petits et grands,
changeaient d'affectation et de département administratif
au gré des émoluments des fins de mois. Les instituteurs
voulaient être policiers pour être mieux payés. Les
médecins de la santé publique estimaient leur mandat
dérisoire, surtout quand ils le comparaient à celui de leurs
collègues étrangers. On leur donna, à partir de 1960 la
possibilité de faire de la clientèle privée, "en dehors des
heures du travail", dans le cadre du temps plein aménagé
(TPA). Cette décision eut beaucoup de conséquences sur
la médecine publique et affecta les relations entre les
médecins du secteur publique et privé. Cette expérience
dura jusqu'en 1967, date à laquelle le Docteur Mohamed
Benhima devenu Premier ministre et le Docteur Larbi
Chraibi, Ministre de la Santé décidèrent d'autorité de sa
suppression. Elle provoqua le départ de plusieurs cadres
médecins vers le secteur privé. Le TPA devient la solution
"miracle", chaque fois que des revendications salariales
apparaissent dans le secteur médical. Trente ans après, on
proposa la même solution aux enseignants des Facultés de
Médecine.
Cette période de transition connut d'autres difficultés
incombant "à la dispersion des activités et des efforts".
Dès le début de l'indépendance, en effet, l'Etat marocain
décida le partage de l'action sanitaire entre plusieurs
administrations. Le Ministère de la Santé Publique eut
pour sa part la gestion des formations hospitalières, la
prévention, la Pharmacie Centrale et l'assistance sociale.
Le Ministère de l'Intérieur prit en charge les bureaux
municipaux d'hygiène. Le Secrétariat Général du
Gouvernement garda la main mise sur le secteur des
professions de santé privées. Le Ministère de l'Agriculture
se chargea du service des fraudes alimentaires. Le
Ministère du Travail et des Affaires Sociales se chargea de
la médecine du travail, tandis que se mit en place un
service sanitaire de l'armée, déféré au Ministère de la
Défense.
La revendication politique, ainsi que la population, ont
accentué leur demande des soins et des soins de qualité, au
moment où le corps des infirmières et infirmiers français
diminuait à vue d'œil et son remplacement fut difficile. La
formation du personnel commençait à peine à l'école des
infirmières d'Etat, à l'école Lalla Aicha pour infirmières
brevetées, à l'école des aides sanitaires, des manipulateurs-
radio, des sous-économes et des anesthésistes, L'ensemble
de ces problèmes baignait dans un climat de dépit et de
dépression face aux insuffisances des crédits alloués à la
santé, et le souci minimal évident que montra dès cette
période précoce, la puissance publique à l'égard du secteur
sanitaire. Cette situation se perpétua, engagea une
polémique sur la gratuité des soins et sur la mission du
secteur sanitaire qui ne pouvait continuer à fonctionner
dans les conditions défavorables de sécurité. Les solutions
ne furent jamais prises. Les critiques animèrent à leur sujet
les discussions des salons. Les candidats des premières
élections en ont fait l'objet de revendications et de
programmes électoraux. Ils ont tous réclamé plus de
médecins, d'infirmiers, d'hôpitaux, de dispensaires et de
crédits. Avec le temps certains services furent abandonnés
ou négligés, surtout dans le domaine de la prévention.
Cette situation obligea à envisager une réorganisation afin
de centraliser l'action de certains services et de mieux
répartir les tâches considérées "essentielles". Des textes
nouveaux mais rares furent promulgués dans le domaine
de la médecine du travail.
En schématisant, on peut dire que l'administration
marocaine assura le contrôle de la situation dans le "Maroc
utile". L'autre Maroc, le Sud et le Nord que l'Espagne
laissa dans un état moins fourni, ont souffert dans ces
premiers temps.

L'HÉRITAGE MÉDICO-SANITAIRE ESPAGNOL

L'Espagne n'a pu prendre pied et engager une œuvre


sanitaire, dans la zone nord du Maroc, qu'à partir de 1926
et après la guerre du Rif d'Abdelkrim, et de 1937 dans la
région d'Ifni. Le bilan de cette œuvre fut jugé modeste en
dehors de quelques hôpitaux, dignes de ce nom à Tétouan,
Nador, El Houceïma et quelques petites formations dans
les petits centres. A Tanger, l'Espagne et l'Italie gardent à
ce jour leurs "hôpitaux", comme des propriétés privées
destinées au début de l'indépendance à leurs ressortissants
et, aujourd'hui, à une pratique rémunérée décriée par les
médecins de la ville.
Certes, on retrouvait durant le protectorat espagnol, une
organisation similaire à celle qui existait dans la zone sous
influence française sur le plan de la couverture sanitaire.
Des infirmiers diplômés, des "pratiquantes", des
religieuses, jouaient le rôle le plus important dans l'action
sanitaire aussi bien dans les villes que dans les zones
rurales.
L'enseignement technique et médical fut insignifiant,
même si les relations entre Espagnols et Marocains avaient
un aspect plus rapproché.
Au lendemain de l'indépendance, l'Espagne cessa l'action
sanitaire d'un seul coup et totalement, en laissant les lieux
comme après un déménagement. La population de la
région du Rif, estimée à l'époque à plus d'un million
d'habitants, se trouva démunie. Dans cette zone, il n'exista
pas de phase de transition. Ce fut le même cas dans les
zones sud (Ifni, Tarfaya, Le Sahara Marocain.) du pays,
l'Etat marocain a étendu l'organisation sanitaire à ces
contrées qui retrouvent peu à peu l'expansion dans leur
médicalisation. Celle-ci commença, dans le Sahara
marocain, par l'intervention de la médecine militaire des
Forces Armées Royales, qui assura la relève avant
l'installation des services de la santé publique et la
médecine privée.
En schématisant, on peut dire que l'héritage colonial dans
le domaine médico-sanitaire comporte trois aspects: un
aspect positif par l'offre, un aspect négatif dans le domaine
de l'habitat et un aspect douteux et très insuffisant sur le
plan de la formation.

LE SYSTEME SANITAIRE

Issu de l'héritage colonial, il est libéral et de ce fait, il est


complexe.

L'Etat domine dans l'offre, Il partage avec le secteur privé


l'effectif des médecins, et contrôle 80% des lits.
Depuis 1975, le secteur privé se développe
laborieusement. On fait appel à lui avec l'avènement de
l'ère de la privatisation (1989). Depuis cette date, il est
devenu évident que l'état n'avait plus l'intention de
continuer seul à prendre en charge le programme de
développement de l'action sanitaire. Cette volonté
s'exprime par faire payer progressivement ceux qui
désirent avoir accès aux soins du secteur public. Quelques
tarifications des actes y sont appliquées. 'Les médicaments
et les consommables sont prescrits à l'achat par les
patients. La pharmacie et l'industrie pharmaceutique sont
en très grande partie entre les mains du secteur libéral.
L'assurance maladie-maternité fait l'objet de projet de loi
pour financer en partie les soins, afin d'étendre le bénéfice
de la protection médicale à l'ensemble des salariés. Le
capital n'a pas encore pénétré dans le domaine du
"marché" des soins, mais on lui fait appel indirectement et
il y viendra, peut-être, s'il trouve les moyens légaux
d'assurer son bénéfice. L'urgence trouve son organisation,
avant son cadre législatif, dans les "S.O.S" médecins.
L'hospitalisation privée s'intéresse à la médecine lourde à
Casablanca et à Rabat et règle ses prix. Depuis 1970, elle
eut la réputation d'être à but lucratif. Elle a pendant
longtemps manifesté son action sur un terrain limité par le
paiement des frais et des honoraires. Son poids reste
relativement faible et atteint à l'échelon national, à peine
8,7% des lits. S'assignant une mission devenue
traditionnelle, l'hospitalisation privée pratique encore dans
sa grande majorité, la sélection des malades "intéressants"
sur le plan économique, c'est à dire, ceux au séjour court,
pour des interventions chirurgicales moyennes, ou pour
une activité obstétricale. La chirurgie lourde, la
réanimation médicale ne l'intéressent que peu, quoique,
depuis quelques années, une nouvelle génération de
cliniques, groupant plusieurs spécialistes, installent un
équipement performant et arborent à leur entrée des
panneaux colorés, "24 h sur 24". L'hospitalisation privée
se développe au gré des producteurs et connaît un essor
jugé parfois démesuré depuis ces deux dernières années.
Un système de mutuelles, de caisses et d'assurances
participe à l'organisation de la demande des soins au profit
de quinze pour cent de la population, intéressant surtout
les salariés du secteur public et privé. Le reste de la
population est obligé d'aller, quand la maladie se déclare,
dans les hôpitaux publics et payer peu ou s'adresser à la
médecine privée dont les prix et les factures ne sont plus
contrôlés.
Offres multiples, demande organisée par un système de
couverture, demande non organisée majoritaire,
financement hétérogène des soins, conventions de soins
diverses, médecine d'Etat, médecine libre, médecine des
caisses, et médecine traditionnelle font la grande
complexité du système sanitaire.

Chapitre VI
LA MÉDECINE MAROCAINE AU LENDEMAIN DU
PROTECTORAT.

Ta fête était partout, dans tous les quartiers et toutes les


rues. Des banderoles aux couleurs nationales, vert et
rouge, pendaient des balcons et flottaient sur les mâts
dressés au bord des trottoirs. S.M. Le Roi Mohammed V,
et son peuple amassé dans les rues, étaient heureux à
l'unisson pour fêter et voir défiler à Rabat, le 14 Mai 1956,
les Forces Armées Royales, expression de la souveraineté
retrouvée. Conduite par le Prince Héritier, elles défilaient
pour la première fois, en associant l'Armée de Libération
et les anciens militaires marocains qui ont acquis prestige
et hauts grades dans les armées françaises et espagnoles.
Quelques médecins furent enrôlés provisoirement pour
encadrer cette armée. Ce fut le départ de la médecine
militaire marocaine qui allait peu à peu occuper quelques
hôpitaux militaires, s'étoffer, prendre la valeur, le volume
et l'autonomie pour constituer un secteur indépendant et
efficace.
Le Maroc, ne comptait en 1955 pas plus de 35 médecins
nationaux, mais à cette époque, étudiaient la médecine en
France 450 jeunes qui allaient bientôt grossir les rangs de
la population médicale.
Les trente cinq médecins étaient installés en majorité dans
le secteur privé. Très peu travaillaient à plein temps dans
les hôpitaux ou y participaient à temps partiel. Cette
situation allait se perpétuer si l'Etat marocain n'avait pas
institué le service civil obligatoire de deux ans ou le
service militaire de dix huit mois dans l'armée. Cette
décision, qui est en vigueur à ce jour, a permis de résoudre
le problème du personnel médical et servir à une certaine
répartition dans le territoire.
Dés le début des années soixante, beaucoup de médecins
français avaient quitté le Maroc. L'arrivée des médecins
marocains ne compensait pas les départs. En 1972,
l'effectif des médecins atteignait à peine le millier toutes
nationalités confondues. (Une mosaïque de nationalité,
disait le Dr Benhima), chiffre égal à celui atteint en 1953.
La situation déséquilibrée entre secteur public et privé
faisait dire aux décideurs et responsables de l'époque, et
sur un ton de reproche, que les médecins allaient dans le
secteur privé et surtout à Casablanca et à Rabat. La
première génération des médecins nationaux était malgré
tout entourée de respect et de considération. La relève
difficile de la médecine coloniale fut assurée et quelques
uns ont acquis une réputation telle, que leur adresse dans
l'action a servi de thème à des chansons populaires.
La première faculté de médecine ouverte en 1962 a
permis, sept ans après, de former régulièrement, chaque
année, des promotions de près de quatre cents médecins
auxquelles s'ajoutèrent à partir de 1982, celles des
praticiens qui se formaient à Casablanca, qui fut dotée en
1975 d'une faculté.
Il est facile d'imaginer la hantise des premiers
responsables de la santé, recrutés parmi les rares fidèles du
plein temps du secteur public, devant l'exode amorcée des
médecins français, et le vide qui pouvait se créer. Ils ont
multiplié les opérations de charme pour engager et
maintenir la confiance des uns et des autres, et pour
recruter des médecins de réputation, pour des
responsabilités régionales et centrales.
Le Dr Rousselle raconte que "L'accueil chaleureux par le
Dr Faraj m'a foi: oublier la froideur pour ne pas dire la
hargne métropolitaine, 'je suis content que vous soyez
revenu", me dit-il. Nous avons encore besoin de vous et
j'espère que vous resterez longtemps, n'est-ce pas ?
Voulez-vous un poste à l'hôpital de Safi ?"
Le même charme fut nécessaire pour calmer l'ardeur des
jeunes médecins marocains qui voulaient s'emparer des
chefferies de services. On organisa, par ailleurs, des
circuits d'information pour les étudiants à travers le
Maroc, afin de leur montrer les structures sanitaires et de
les engager à venir œuvrer dans le cadre public.
"Les Français qui étaient fonctionnaires de la santé
publique auraient pu se faire affecter en France. Mais le
service de santé avait si bonne réputation que beaucoup
ont pu rester et la passation des pouvoirs s'est faite presque
partout sans problème. Cette heureuse transition fut
assurée notamment par un Médecin Général, conseiller
technique auprès du ministre marocain de la santé, qui
séjourna au Maroc de 1956 à 1987, n n'a trouvé aucune
animosité contre les médecins français, bien au contraire.
A partir de 1958, il a vu arriver les coopérants, notamment
des médecins des pays de l'Est, ils fuyaient un régime qui
leur déplaisait, mais tout en restant inféodés et surveillés
par leur ambassade, ils étaient prêts à tout pour de l'argent,
ils ne s'occupaient pas bien de la population. Pour amener
une population à un meilleur état de santé, il faut le
vouloir, et les Français l'avaient voulu".
" Cet aller et retour en France aura gommé d'un coup
toutes les tragédies passées, et fait apprécier la chaleur
humaine du peuple marocain. Ceux qui retournaient au
Maroc y retrouvaient ceux qui n'en étaient pas partis. Dans
le corps médical, ils étaient nombreux. Les professionnels
de la santé en pratique libérale sont restés pour la plupart
(plus ou moins longtemps). Car si la clientèle européenne
regagnait la France, les Marocains aisés prenaient
l'habitude de consulter "en ville". Or au moment de
l'indépendance les médecins marocains n'étaient guère
plus d'une trentaine"?
Tels furent les quelques témoignages qui caractérisent
cette époque de transition
Par ailleurs la première tournée pour les étudiants fut
organisée l'été de l'année 1957. Elle a été initiée par le Dr
Faraj et fut pilotée par le Dr Larbi Chraïbi, Le Dr Faraj eut
déjà ridée d'inviter des étudiants en médecine algériens et
tunisiens à ce circuit. Il donna ainsi la preuve la plus
ancienne de l'esprit maghrébin, qui allait se perpétuer dans
le monde médical qui créa, dès 1965, la tradition des
journées, des congrès et des associations médicales
maghrébines, qui ont résisté à toutes les vicissitudes et les
"brouilles" politiques.
Les commissions, les séminaires, les colloques, réunissant
les médecins marocains ont eu lieu. Réunis presque par
tous les premiers ministres de la santé ou sous la pression
de quelques groupes de médecins, afin de dégager un
consensus autour de quelques décisions ou quelques
orientations, ils ont servi à baisser quelques tensions et à
contenter tout le monde. Ils ont aussi permis de préparer
quelques rapports et de proposer quelques
recommandations qu'on ne pouvait pas prendre. Tel fut le
cas du colloque de l'Institut d'Hygiène organisé par
Youssef Bel Abbès (1958), le séminaire organisé dans les
locaux du Ministère de la Santé Publique par Larbi
Chraibi et le colloque de la Mamora organisé par
Abdelmjid Belmahi (10 et 11 Janvier 1970).
La jeune santé publique allait connaître, dès le départ et
pendant la première décennie, les premières difficultés qui
ont mis ses réflexes à l'épreuve: la pathologie des huiles
frelatées et ses séquelles, partie de Meknès en 1959,
l'épidémie de méningite de la région de Meknès, le
tremblement de terre d'Agadir de 1960, la guerre des
frontières, ou guerre des sables de 1963.
Dans quelle mesure ces catastrophes inattendues, ont-elles
éprouvé les responsables, la médecine marocaine et les
médecins de l'époque et ont-elles montré le caractère exact
et adapté des solutions prises?
L'Histoire a montré qu'elle ne s'encombre pas de
l'évaluation du résultat de l'action entreprise.
Certains de ces événements obligèrent pour des raisons
évidentes de ne compter que sur les médecins nationaux
qui se mobilisèrent spontanément ou ont répondu à l'appel
par réquisition pour accomplir des missions. Les années
succédèrent aux années, les choix forts dans le domaine de
la santé se sont faits selon les difficultés ou la prospérité
des périodes. Celles-ci ont vu se succéder des ministres.
Ils ont opté presque tous pour une "politique de
prévention", feignant d'ignorer la médecine des soins.
Certains ont montré, surtout les derniers, la volonté de
rechercher les moyens de financer les soins, sans pouvoir
les trouver. La gestion des structures sanitaires, héritées de
la période du protectorat, enrichies de quelque dix mille
lits, occupa l'administration, tandis que peu à peu,
s'organisaient avec beaucoup de difficulté, une médecine
semi-publique et une médecine privée.
Ces deux secteurs ont installé chacun deux mille lits.
L'effort de l'entreprise libérale résulta d'une initiative
individuelle au départ, de quelques groupes ensuite, mais
ne procéda ni d'un programme, ni d'une politique
concertée. Une politique libérale laissa la place à une
certaine entreprise médicale, abandonnée à elle-même et à
sa propre logique. Son développement lent et tardif, a
témoigné du rejet inavoué des représentants des pouvoirs
publics à son égard, alors même qu'elle a bénéficié de la
bénédiction royale."... Nous avons toujours eu une
véritable passion pour la médecine..." (S.M. le Roi Hassan
II) "... vous devez être à la fois le Ministre de la Santé
Publique et des médecins du secteur privé; vous devez
veiller sur les intérêts des médecins quelle que soit la
sphère de leur action..." (Directives données par S.M. le
Roi Hassan II, au Dr Belmahi, Ministre de la Santé de
l'époque, dans le discours prononcé lors de la séance de
clôture du colloque des médecins de la Mamora le 11
Jan.1970.)
Les médecins, leur Ordre, les installations dans le privé
eurent à souffrir quelques temps de l'existence de relations
"tendues" avec l'administration qui se posa en concurrent
sur le terrain.
Tous les médecins de l'époque, pensaient avec nostalgie et
une certaine amertume, au temps déjà loin, où leurs
prédécesseurs français, jouissaient de l'estime de leurs
gouvernants qui les associaient à la gestion de tout et à
toutes les décisions.
En février 1972, l'Ordre des Médecins adressa au directeur
du cabinet royal le mémorandum dont-il publia le texte
dans son 54ème bulletin:
Mémorandum présenté à sa Majesté le Roi en vue de
l'audience accordée au Conseil Supérieur le 9 février 1972
A Monsieur le Directeur du Cabinet Royal
Excellence,
Représentants des intérêts moraux de tous les médecins
qui exercent dans le Secteur privé ou à titre de
conventionnés, en tant que marocains soucieux des intérêts
de la profession médicale et de la santé de la population,
en tant que garants du maintien des principes de probité et
du respect du code de Déontologie, conformément à la loi,
nous avons l'honneur de solliciter par votre intermédiaire
une audience auprès de Sa Majesté le Roi.
Nous avons l'intention,
-de renouveler au Souverain nos sentiments de respect et
notre détermination commune, ainsi que nous l'avons fait
lors du colloque de la Mamora, d'œuvrer dans l'intérêt du
pays en général et au profit des classes les plus pauvres en
particulier.
-de l'entretenir de certains obstacles que nous rencontrons
dans l'accomplissement de nos devoirs à titre de Conseil
de l'Ordre.
En effet, nous nous heurtons à des difficultés dans nos
relations avec les organismes de l'administration publique
A titre indicatif, nous citons quelques exemples de ces
difficultés:
1) Avec le Secrétariat Général du Gouvernement:
a) Nous avons voulu proposer des mesures concrètes pour
limiter les tarifs excessifs que pratiquent certains de nos
confrères au détriment de la population, mais nous n'avons
pas été suivis dans ce sens.
b) Pour mieux asseoir l'autorité de l'ordre des médecins,
nous avons proposé l'inscription de tout candidat au
tableau de l'Ordre, avant qu'il ne soit autorisé ou non à
s'installer, ceci par une disposition légale simple sans rien
changer aux anciens textes.
Nous avons essuyé un refus nous rappelant que l'Ordre ne
fait que dresser "pour son ressort le tableau des médecins
qui ont été régulièrement autorisés à exercer".
Nous demandons aussi à ce qu'une "grille" soit établie,
avec l'accord des autorités compétentes, pour favoriser
dans l'avenir, et dans le domaine de l'immigration, les
régions géographiques, les plus démunies en médecins
généralistes ou spécialistes.
2) Avec le Ministère de la Santé Publique.
Nous nous efforçons depuis notre élection de faire jouer
au secteur privé le rôle qui lui incombe dans l'organisation
et le fonctionnement de la médecine privée au Maroc
laissant au Ministère de la Santé Publique le soin de veiller
à la bonne marche de son département.
Bien avant le colloque de la Mamora, et au cours de ce
dernier, comme après, les médecins libres n'ont cessé de se
proposer pour apporter leur contribution au
fonctionnement des hôpitaux ou des dispensaires publics.
Or, de notoriété publique, la situation n'y a jamais connu
un tel degré de dégradation.
En outre, au lieu de voir une collaboration étroite
S'installer entre secteur public et le secteur privé, le
Ministère de la Santé Publique ne cesse de créer un climat
de tension en particulier par les mesures suivantes:
a. Son hostilité à la pratique de la vaccination anti-
cholérique même à titre gratuit par les médecins
privés, empêchant ces derniers de remplir le plus
élémentaire de leurs devoirs: ( prévenir d'abord,
guérir si nécessaire).
b. Son envoi de la circulaire interdisant dans certaines
conditions aux infirmiers, en particulier de la
campagne, d'exécuter les prescriptions de médecins
libres, cette lettre ne confirme pas seulement une
méfiance sans fondement, mais constitue en fait
une accusation d'incompétence que nous ne
saurions accepter.
c. Son refus d'autoriser les médecins fonctionnaires et
les étudiants en dernière armée de scolarité à
remplacer les médecins du secteur privé, comme le
fait le Ministère de la Défense Nationale pour les
médecins qui sont de son ressort.
d. La mise en veilleuse de la commission mixte
chargée de l'agrément des nouveaux produits
pharmaceutiques.
e. Nous attendons toujours la constitution du conseil
Supérieur de la Santé, conformément aux
instructions données par S.M. le Roi dans son
discours de clôture du colloque de la Mamora.
Monsieur le Directeur,
Nous sommes tout à fait disposés à contribuer pour notre
part, dans le domaine de notre profession, au redressement
de la situation de notre pays et à l'amélioration des
conditions de vie de notre peuple.
Nous serions très heureux de le confirmer à Sa Majesté,
persuadés que nous sommes, de l'aide que son autorité
nous apportera à mieux et plus rapidement atteindre notre
but.

Les facultés de médecine ont commencé à donner leur


plein rendement dans les années soixante dix et quatre
vingt. Les nouvelles générations qu'elles produisent ne
s'encombrent d'aucun complexe. Leur jeunesse et leur
adolescence s'étaient développé dans l'indépendance. Elles
n'ont pas connu l'éducation que l'ambiance de la lutte
inculque spontanément. Analysant, légitimement peut-
être, leur situation et leurs problèmes à leur façon, ils
imprimèrent une allure différente à la pratique médicale.
Les errements de quelques uns ont toujours, dans la
société marocaine entraînés des jugements sévères
condamnant tout le corps professionnel. L'installation
progressive de quatre secteurs de pratique médicale:
secteur des enseignants, secteur public, secteur militaire et
secteur privé dessina la séparation, la division, la
confusion, l'incohérence et profila l'âpreté d'une
opposition, d'une lutte contre le débordement et de
quelques errements déontologiques. L'opinion publique se
forgea une idée de dénigrement contre la nouvelle
génération des médecins et transféra peu à peu son crédit
sur l'autre produit des facultés, le médecin professeur
occultant son titre de docteur.
L'Ordre primitivement réservé au corps médical privé, prit
l'allure d'un syndicat professionnel. Les associations des
médecins d'Etat s'organisèrent et précisèrent la défense des
intérêts de leurs mandants. Les médecins enseignants des
facultés organisèrent aussi leurs associations autour de
leurs problèmes spécifiques. Les revendications des uns et
des autres devinrent nombreuses et souvent
contradictoires. La pratique médicale s'émancipa dans les
réseaux de soins mutualistes, des entreprises et des caisses.
L'Ordre National unifié des médecins groupant tous les
secteurs, même celui des médecins militaires, fut créé en
1984. Il a mis fin aux interventions sectorielles
tracassières.
La médecine préventive et la médecine rurale furent
pendant trente ans le leitmotiv de la politique exprimée
des ministres. "La politique de la santé pour tous en l'an
2000" s'imposa par déclaration depuis le manifeste d'Alma
Ata, et "la politique de l'accès aux soins" cherche à
mobiliser à l'ère de la privatisation le secteur privé.

Chapitre VII
L'ENSEIGNEMENT MÉDICAL.

Il serait exagéré de dire qu'au cours du protectorat, la


France se soit donné beaucoup de peine pour former des
cadres marocains dans le domaine technique et médical.
Dès le départ, le protectorat, basant sa théorie sur la
tendance de la population d'aller largement vers les
sciences alpha, a orienté "délibérément", la formation sur
l'enseignement marocain classique. La conséquence fut
que la relève au moment de l'indépendance n'a pu trouver
le nombre suffisant pour pourvoir aux postes disponibles.
"Trente cinq médecins n'auraient suffi à rien si le
Protectorat avait fini sa carrière dans un climat plus
violent "s. Le problème se posa au niveau de toutes les
professions de santé.
Le souci que créa cette situation de carence , explique le
recours, avons-nous dit, à "la formation accélérée" dans
certaines branches techniques, administratives et militaires
pour produire les premières générations des ingénieurs des
ponts et chaussées, celles des "énarques" complétant la
formation reçue à l'école marocaine d'administration, et la
première génération des militaires.
Faut-il rappeler qu'à peine 530 marocains musulmans
avaient accédé au baccalauréat pendant toute la période du
protectorat? Et que 625 marocains de confession juive ont
eu ce diplôme et sont restés en France en grande majorité
après les études supérieures?
Au lendemain de l'indépendance, le nombre des étudiants
à Rabat était de 2.500, répartis sur la faculté de droit
(1.500), de lettres (800), et sciences (200). Il a fallu
attendre 1962 et 1965 pour créer la première faculté de
médecine à Rabat et l'école de formation d'ingénieurs
civils. La faculté de médecine fut, certes, la solution
nécessaire. Sa Majesté le Roi Mohammed V annonça la
décision de son ouverture lors de la Conférence Nationale
de la Santé qui s'est tenue le 18 Avril 1959.
Elle a fait suite à l'Ecole de Médecine de Casablanca,
ouverte en 1959, et dirigée par le Dr Mohamed Boutaleb,
ophtalmologue, qui fut à l'époque, directeur du Centre
Hospitalier Ibn Rochd. L'école d'application fut domiciliée
dans la petite bibliothèque de l'hôpital Colombani,
(démolie avec d'autres services pour faire place à la
construction de l'hôpital des enfants malades), elle avait
pour mission de dispenser les cours de cinquième année de
médecine et de solutionner en partie le problème des
internes, pour lesquels fut institué le premier concours de
l'internat. Y ont professé de prestigieux maîtres tels
J.F.Tressac, titulaire de la chaire de thérapeutique de
Bordeaux, et Huguenot. Cette école d'application cessa
son activité en 1966.
Dans le domaine médical, il n'a jamais été question de
formation accélérée. La formation médicale bénéficia de la
rigueur. Des professeurs attitrés des facultés de Paris, de
Bordeaux, de Nancy et de Montpellier étaient venus
enseigner d'abord les sciences fondamentales puis la
pathologie. Les enseignants marocains en médecine ont eu
leur titre d'agrégation à la fin des années soixante et les
premiers furent les professeurs A.Tounsi, H.Messouak,
A.Berbich et A.Laraki.
La Faculté de Médecine de Casablanca bénéficia de
l'expérience de celle de Rabat qui lui a fourni, à son
ouverture en 1975, son premier doyen, le Pr Ali Diouri, et
ses premiers enseignants.
La formation médicale et paramédicale semble avoir
atteint son but vingt ans après. Très tôt, on institua le
numerus clausus à quatre cents admissions, par promotion
et par faculté (1982-1983). Un changement de régime
obligea à sept années d'études au lieu de six (1983). Souci
de répartition des étudiants, souci de préserver la qualité
de l'enseignement médical, ou génie de prévision contre la
pléthore?
A l'issue des études, les médecins devaient porter leur
choix sur le type d'exercice à adopter: la carrière
hospitalo-universitaire, la santé publique sur contrat de
plein temps de huit ans, ou la médecine libérale après un
service civil de deux ans, ou un service militaire de dix
huit mois.
Les facultés marocaines et étrangères, françaises,
espagnoles et des pays de l'Est de L'Europe ont produit au
fur et à mesure des effectifs qui ont atteint près de cinq
mille médecins marocains en 1987, et presque dix mille en
1994, avec trente pour cent de médecins femmes.
La majorité des médecins issus de ces facultés ont
complété leur formation par la spécialisation poussée, que
quelques uns ont reçue sur place et d'autres en France, où
beaucoup sont restés, retenus par des avantages salariaux
et des facilités professionnelles. Le pourcentage des
spécialistes égala, presque, celui des généralistes.
Depuis un quart de siècle, on parle de répartition des
médecins et depuis quelques années de pléthore! Ces
jugements trouvent leurs arguments dans la sous-
consommation des soins, dans l'entassement des
installations dans l'axe Casablanca-Rabat-Tanger, et aussi
dans le retard de l'installation de la protection médico-
sociale, capable d'apporter une solution à l'accès aux soins
de la population. Certes, et à défaut de protection, les
ménages ont freiné leur consommation médicale. Avec le
nombre des médecins, l'offre se multiplia. Celle-ci,
rapportée aux normes internationales exigibles, n'a pas
atteint les chiffres requis, mais elle a semblé à tous, avoir
dépassé les besoins. On parla aussi du chômage médical et
du chômage actif. il n'existait pas assez de travail pour tout
le monde. Cette situation montra que la productivité devait
gérer la formation et le nombre des professionnels et des
structures et non les normes internationales à atteindre.
Se sont succédés à la tête de la Faculté de Médecine de
Rabat depuis son ouverture en 1962, les doyens
Abdelmalek Faraj, Abdellatif Berbich, Bachir Lazrak,
Taieb Chkili et M.T. Alaoui.
La Faculté de Médecine de Casablanca eut les doyens
A.Diouri, A.Srairi, A. Harouchi et N.O.Zerouali.

Chapitre VII
LA MUTUALITÉ AU MAROC.

Il faut aller chercher la conception de la mutualité au


Maroc dans la naissance en France de la charte médicale,
qui est liée à la difficile genèse de la législation française
sur les assurances sociales.
En 1919, au lendemain de la première guerre mondiale, le
Bas-Rhin. le Haut-Rhin et la Moselle redevenaient
français. Ces trois départements bénéficiaient du régime
des assurances sociales allemandes institué par Bismarck
(1883). Le ministre du Travail, un député alsacien,
constitua en 1920, une commission d'études pour
l'élaboration d'un projet sur les assurances sociales. Ce
n'est qu'en 1924 que ce projet fut adopté à l'unanimité par
des députés qui se sont présentés devant les suffrages des
électeurs, faisant dans leur programme la promesse
d'installer un régime des assurances. La loi sur les
assurances sociales a été modifiée et complétée le 30 avril
1930, après plusieurs navettes des projets entre le Sénat et
la Chambre des députés, soumis à l'insistante pression des
médecins. Les premières mesures incomplètes furent
prises en 1933 et une ordonnance étendant la sécurité
sociale à la plus grande partie de la population fut
promulguée en France en 1945.
Ainsi, la France hérita de l'idée d'un système d'assurances
sociales à la suite d'une occupation et le Maroc hérita, 25
ans après, de la même idée qu'il a imitée et suivie dans son
évolution. 11 a fallu vingt cinq ans pour généraliser en
France le système d'assurances sociales.
11 faut attendre 1952, pour que l'administration du
protectorat, ayant près de 30 000 agents, dont 7 000
marocains, créât la Confédération des Mutuelles des
Fonctionnaires, avec à sa tête M.Davat. Après
l'indépendance s'est mise en place la CNOPS, (Caisse
Nationale des Organismes de Prévoyance Sociale), qui eut
depuis comme président, Mr Mustapha Chafik, secondé
par l'efficace et l'incontournable Abdellatif Zouak.
Depuis le temps du protectorat, les rapports étaient tendus,
opposant les opinions des représentants des mutuelles à
celles des médecins. Les conventions de soins, les
avenants tarifaires, les applications des termes des
conventions, le respect des délais des remboursements, la
création des réseaux de soins par les caisses, les
conventions individuelles, l'application de la déontologie,
la garantie des remboursements effectifs des prestations
aux producteurs et aux assurés, les abus de cotation,
d'indication, l'utilisation abusive des cartes d'affiliation ont
toujours été les raisons historiques de ces rapports
difficiles. Plusieurs conventions ont été signées, et ont
duré plus ou moins longtemps: provisoire en 1968,
officielle en 1978 et 1995.
Le Dahir de la mutualité promulgué en 1963 et modifié en
1977 autorisa, nonobstant les dispositions du code de
déontologie, la négociation et l'établissement de
conventions collectives de soins avec les organismes
représentatifs professionnels médicaux. 11 autorisa aussi
les caisses mutualistes à ouvrir et à administrer des œuvres
sociales et des établissements de soins. Les conventions de
soins sont en règle permises dans le cadre du Dahir de la
mutualité. Seuls les groupements constitués en mutuelles,
ont la possibilité qu'offre le texte. Au Maroc existent
plusieurs mutuelles reconnues. En dehors des dix
mutuelles que groupe la CNOPS existent des mutuelles
d'offices, au nombre de six, des mutuelles internes
d'entreprises (21 identifiées), et des mutuelles d'employés
du secteur privé, groupées dans la caisse des mutuelles
interprofessionnelles marocaines, (CMIM), anciennement
la CIPC. Face à ces mutuelles et caisses s'est installé,
depuis les vingt dernières années, un système d'assurances
libres et privées sur contrats négociés, consentis
individuellement ou par groupe. Al Watanya, assurance
privée, négocia en dehors des textes de lois, une
convention de soins avec l'hospitalisation privée au profit
de ses adhérents. L'ensemble de ce système couvre une
population de quatre millions d'habitants environ, pour un
million et demi d'adhérents, soit 15% de la population.
Cette couverture s'est organisée sans obligation.
Depuis dix ans, la discussion s'anime autour de la
généralisation et l'obligation du régime des assurances
maladies. En Tunisie, la même expérience fut tentée. Elle
fut commencée il y a dix ans, et le système couvre dans ce
pays plus de cinquante pour cent de la population.
En 1985, le corps médical s'est réuni à Laayoune, dans le
cadre du Congrès National de médecine, organisé par la
Société Marocaine des Sciences Médicales, et présidé par
le Pr Maaouni, pour traiter du thème: "Quelle médecine
demain pour le Maroc"? Les médecins ont montré dans
leurs rapports, pour la première fois, le souci économique
et financier, pour proposer quelques solutions réalistes aux
problèmes dans le domaine médical dont ils ont en partie
la charge. Les propositions de financement, basées sur
l'étude de la gestion de certaines caisses (CNOPS et
CMIM), ont conclu à la nécessité de s'acheminer vers la
généralisation de l'assurance maladie-maternité (A.M.M.).
A la question "Quelle médecine demain pour le Maroc?",
la réponse du médecin fut "celle des moyens financiers".
En 1987, le corps médical réuni à Tanger dans le cadre du
Congrès National de médecine, présidé par le Pr A.Bennis,
traita du coût de la santé. Là aussi les recommandations
ont mis en relief la nécessité d'une A.M.M., comme
moyen incontournable du financement des soins.
En mai 1988, a été organisé à Casablanca le séminaire sur
l'accès aux soins, présidé par le Pr M.I.Archane et organisé
par le Conseil National de l’Ordre des Médecins. Dans ce
séminaire, les rapports ont donné des précisions sur le flux
des moyens financiers existants et ont préconisé les
moyens à promouvoir pour financer les soins. Le rapport
sur le financement montra plusieurs options et insista sur
la nécessité d'étendre l'A.M.M. à l'ensemble de l'appareil
actif de la nation. L'idée de l'A.M.M. sans cesse ressassée
dans les écrits et les déclarations à l'occasion des
inaugurations des congrès médicaux, a fait son chemin.
Elle anima un deuxième séminaire tenu à Mohammadia
(1991), sous la présidence de Mr Taieb Bencheikh, à
l'époque ministre de la Santé Publique. Dans ce séminaire,
les partenaires conviés à savoir les représentants des
caisses des mutuelles, des médecins, de l'administration et
des syndicats ont évoqué les détails concernant les
cotisations, les prestations, la production, la
consommation, et leur impact sur un régime d'A.M.M.
généralisée et obligatoire.
En Mars 1992 Sa Majesté le Roi Hassan II annonça, dans
le discours du Trône, l'organisation de l'A.M.M., comme
mesure sociale à mettre au point en faveur de la population
salariale. A partir de cet instant, l'A.M.M. a reçu son acte
de naissance. Les idées se sont précisées à son sujet,
durant l'année 1993 à travers les réunions ministérielles,
présidées par le Pr Harouchi et celles de plusieurs
commissions associant des experts étrangers.
En 1994, le dossier de l'A.M.M., affiné, donna naissance à
un projet qui fut soumis au gouvernement de Sa Majesté et
au parlement 37. Ce projet tarde à voir le jour.
Dix ans auront été nécessaires à la pédagogie de l'opinion,
pour établir l'opportunité d'une A.M.M. comme un des
moyens de financement des soins.

Chapitre VIII
LE MALADE MAROCAIN À TRAVERS LE SIÈCLE.

Il semblerait singulier de parler du malade dans cette


Histoire.
A-t-il une particularité? A-t-il une mentalité spécifique?
A-t-il changé devant l'offre médicale et l'évolution de son
progrès?
Certes au cours de ce siècle, il fut le premier témoin et le
premier utilisateur de la thérapeutique qu'offrait la
médecine et sûrement le premier bénéficiaire. Ses
réactions et ses jugements à son égard ont évolué avec le
temps et influé profondément sur le comportement du
médecin Iut-même. Les médecins 'des multiples époques,
qui ont pratiqué durant ce siècle, ont parlé de lui, de sa
particularité, de sa résistance, de sa méfiance, de sa
comparaison avec les malades européens, parfois de sa
négligence, de son ignorance, et aussi de sa confiance, de
son respect du médecin et de son intelligence à accepter le
progrès tout en l'alliant à ses croyances et ses superstitions.
Dans quelle mesure la langue, la religion, les traditions,
peut-être aussi l'hérédité, le climat, le mode de
l'alimentation et le mode d'habitation ont-t-ils joué un
rôle?
De tous temps, et peut-être jusqu'à ces dernières années, le
malade avait à converser avec un médecin étranger, qui
employait quelques mots pour son interrogatoire. Un aide,
lui a toujours servi d'interprète. Ce problème se posa
pendant une soixantaine d'années et fut une difficulté
insurmontable avec les coopérants médecins venus des
pays de l'Est européen. Par ailleurs les malades venus de la
montagne et des régions berbères ont posé le même
problème de dialogue avec le médecin.
La religion musulmane, avec ses rites et ses obligations,
posèrent des problèmes d'observance, qui
s'accommodaient parfois mal avec les indications
médicales. Le médecin devait les connaître pour adapter
ses ordonnances.
L'habitat, l'alimentation, évoluant et changeant en fonction
du temps et de la classe sociale, organisaient des
conditions de milieu qui ont déterminé les particularités
dont il fallait tenir compte.
Le malade venu de la campagne, du "bled", n'est pas le
même que celui de la ville.
Au début beaucoup de médecins européens s'étonnaient de
voir leur malade au moment de l'auscultation, ou de la
prise de tension, réciter à haute voix, des prières ou des
versets de Coran (O.Boucetta). La médecine moderne ne
pouvait selon le malade arriver à bout d'un mal.
L'invocation de Dieu en ce moment pouvait aider. Le
pouvoir du médecin ne pouvait se passer de l'intervention
du surnaturel et du magique, "car Dieu créa le mal et le
remède".
Le malade marocain présente plusieurs aspects: Il y a
toujours eu le prolixe qui explique tout, qui comprend tout
et pourtant il consulte et celui qui ne répond à aucune
question." Au médecin de trouver. L'interrogatoire était
souvent laborieux, difficile et parfois déroutant. Il devait
être bref, juste ce qu'il fallait pour savoir s'il fallait insister
ou s'arrêter."Il ne faut pas perdre son temps avec les
malades" disait H.Comte, ce grand chirurgien. La notion
du temps a toujours été difficile à préciser auprès de lui.
Six mois, un an, deux ans, peuvent se confondre.
L'occasion de venir chez le médecin est une raison pour lui
rapporter tous les maux ressentis depuis deux ans et plus,
même s'ils n'évoluent plus. Un accompagnant avisé est
souvent là, c'est quelqu'un de la famille, c'est le voisin, ou
un ancien malade qui va prendre la parole pour faire
l'exposé sur révolution de la maladie. L'examen se fait
toujours en présence d'un accompagnant, parce que le
malade est un invalide provisoire qui ne peut rien faire et
qui ne peut pas bouger et qu'il faut aider. De tous temps,
les consultations ont été rarement les premières. Les
couffins et les sacs vont montrer les ordonnances vieillies,
les médicaments utilisés en partie et quelques
radiographies enroulées, qu'il faut voir pour retrouver
l'histoire de la maladie. Les cas aigus motivent des
consultations rapprochées parfois d'un jour, soit pour dire
que le produit, donné la veille, a fait plus de mal que de
bien, ou parce que l'ordonnance du confrère n'a pas eu
d'effet. La bonne dose et le moment de la prise, surtout en
rapport avec les repas, ont toujours demandé une grande
précision.
L'apparition des thérapeutiques au long cours exigea de la
médecine des années soixante, la présentation des malades
dans les dispensaires antituberculeux (DAT), tous les jours
pour recevoir directement dans la bouche les comprimés.
La médication par voie orale n'a pu être acceptée que dans
les années soixante dix. La voie rectale n'a jamais été
acceptée, sauf pour les hémorroïdes, tandis que la forme
injectable eut toutes les faveurs, "Efficace", elle a
convaincu la population par son action sur la syphilis dont
elle fut longtemps la forme de médication.
L'automédication qui commença avec l'apparition de la
pénicilline dans les armées cinquante fut la grande
utilisatrice de la forme injectable. Jusqu'à ces dernières
années, une ordonnance qui ne comportait pas une
injection avait toutes les chances d'être abandonnée. C'est
l'usage de la médication du diabète qui a réhabilité la
forme orale du médicament. L'efficacité circonstancielle
de cette forme, la longue durée du traitement, l'injection,
parfois répétée de l'insuline, dont tout le monde perçoit le
danger, ont suffi à changer la mentalité.
La radioscopie fut depuis 1930 et jusqu'en 1985,
l'équipement nécessaire à tout examen médical convenable
et crédible. Passer "la radio" fut la raison des
consultations. Celles-ci, non accompagnées d'une scopie,
pouvaient aux yeux du malade ne pas motiver des
honoraires. Par contre, les bilans radiologiques, "la grande
radio", ont toujours coûté cher, nécessité des déplacements
à faire tôt le matin, à jeun, et ont obligé à l'absorption de
produits "désagréables".
L'échographie, "La télévision", dit la population, qui a
dévié le malade de la nécessaire scopie, "voit mieux dans
le ventre", lieu privilégié de la pathologie des consultants.
Le scanner, introduit au Maroc en 1980 offre aujourd'hui
une investigation réclamée directement par le malade.
Les analyses de laboratoires n'ont commencé à être
acceptées que depuis une dizaine d'années. A l'hôpital et
ailleurs, elles ont été, à ses yeux, une occasion de "se faire
vider de son sang". Celui-ci demeure, pour le malade, un
élément précieux, à ne pas spolier et encore moins à offrir
à la "banque" de sang.
Le développement de la formation et de l'information, ont
changé depuis deux décennies le dialogue des malades
avec le médecin. La médecine n'est plus une sorcellerie, et
de moins en moins un domaine ésotérique. Le malade veut
comprendre, et naturellement, quand ce n'est pas lui, c'est
l'accompagnant qui veut avoir un pronostic. Le "régime
avant ou après le repas" a eu son temps. Les explications à
son sujet devaient et doivent toujours être précises,
longues, et à propos de chaque denrée.
Face à l'argent, le malade marocain a toujours eu sa propre
opinion. Celle-ci a changé avec le temps. La médecine
officielle du temps du protectorat fut gratuite. Elle pouvait
l'être, parce qu'elle était simple et au départ, il n'existait
pas partout le commerce des médicaments. C'est le
médecin qui fournissait, enroulés dans un papier les
comprimés de quinine, d'aspirine ou le bicarbonate. La
prophylaxie de masse fournissait le vaccin. La notion de
gratuité est née de cette pratique. Elle continua à l'hôpital,
où le médicament était rare. Il faut attendre l'année 1953,
pour voir apparaître la notion du paiement à l'hôpital, qui
provoqua avec les médecins, et surtout ceux de la ville,
des discussions. Les nouveaux hôpitaux qu'on qualifiait de
"palais", M.Gaud en 1948 et Avicenne en 1953, se
proposaient de dispenser les soins à la clientèle riche,
"chasse gardée" de la médecine privée. "Les hôpitaux
devaient se consacrer aux indigents plus nombreux. ",
arguaient les opposants.
Le malade marocain a toujours payé et honoré ses
médecins. Depuis qu'existe une médecine payante et qu'il
en a les moyens, il a toujours préféré l'acte payé. La
médecine chère, jusqu'à une certaine limite, a toujours eu
plus de valeur. Dans sa mentalité et ses habitudes, il n'a
jamais rechigné à payer le médecin, le maître, et tous ceux
qui lui ont rendu service en général. Un médicament
gratuit n'a pas la vertu de celui qui est acheté en
pharmacie. Cette caractéristique déterminerait l'afflux des
seuls indigents dans les hôpitaux publiques.
Certes, le malade marocain n'aime pas attendre. Il ne va
pas à l'hôpital pour cette raison aussi, et il veut passer le
premier dans les consultations privées.
Certaines de ces raisons font dire à quelques économistes
que l'assurance-maladie, prépaiement, aurait une certaine
chance de réussir. A défaut d'assurance, l'argent a
tendance depuis quelques années à engendrer des conflits.
La médecine chère, l'hospitalisation sans absolue
nécessité, sont évitées par lui. Le marchandage fait partie
des coutumes, les réductions, même les plus minimes, sont
demandées. Elles ne sont pas demandées au préposé de
l'administration, mais au médecin lui-même. Celui-ci est
toujours considéré comme un bienfaiteur et qu’il n'y a
aucune honte à apparaître nécessiteux devant lui. Les
Marocains sont généralement fatalistes, dit-on; ils ne le
sont plus tous. Ils le sont moins devant une grosse facture.
Ils vont moins devant un tribunal ou devant l'Ordre pour
porter plainte, si une facture est réduite. Ils n'ont pas peur
de la mort!, arguent-ils, pour obtenir un certain pronostic.
Le secret professionnel est une notion relative. Celle-ci
reste encore "comprise" par le seul médecin. Toutes ses
limites sont traversées. Le dialogue à son sujet n'est pas
fini, il n'est peut-être pas sérieusement commencé. Il est
partagé avec beaucoup de personnes. Il figure sur les
feuilles de maladie de toutes les assurances et doit être
toujours livré, même s'il faut le faire "sous pli
confidentiel". Maquillées par une écriture du médecin
traditionnellement illisible, ou par une annotation d'ordre
général, les rubriques le concernant sont toujours remplies
pour éviter le risque de voir le malade revenir, ou perdre
l'avantage d'un remboursement. Cette pratique illégale a la
vie dure. Le seul cas arrivé devant la justice au Maroc le
concernant, porta sur la projection de l'image d'une
patiente dans une salle de conférence, lors d'un congrès
tenu dans un hôtel de la ville de Casablanca. Le médecin
n'a pas pris la précaution d'utiliser les moyens requis pour
rendre méconnaissable la personne figurant sur la
photographie. Reconnue par quelqu'un de l'assistance,
l'incident arriva à la personne concernée qui obtint
dédommagement devant le juge.
Démuni, le malade marocain utilise la mutuelle d'un autre,
mais il le dit et met le médecin devant un mauvais cas de
conscience.
Le malade marocain n'a jamais aimé l'hospitalisation.
Celle-ci atteint à peine 3,2 pour cent des consultations (5%
en Algérie et en Tunisie, 12% en France et 20% aux
USA). Considérée comme une séquestration et synonyme
de gravité extrême, elle est toujours accompagnée dans le
privé. L'hospitalisation de la femme et surtout de la jeune
fille a toujours posé des problèmes aux familles, même si
des services femmes et des services hommes ou des
compartiments ont toujours existé.
Face à la chirurgie, sa répulsion persiste. Cette répulsion
fut longtemps à l'origine des retards apportés au traitement
des lésions. La solution médico-chirurgicale en
traumatologie, surtout appliquée à l'enfant, n'a pas encore
convaincu la population. La "jbira" conserve encore sa
réputation.
Les traits que nous rapportons du malade marocain, se
retrouvent dans tous les écrits et les discours des
médecins. Certains les ont irrité et provoqué des réactions
intempestives de leur part, d'autres furent acceptés.
Aujourd'hui, les familles des malades peuvent se présenter
chez le médecin comme les membres de la horde. On voit
souvent sept à dix personnes alliées, faire irruption dans la
salle d'attente d'un médecin, simplement parce que l'une
d'elle fait une crise d'hystérie. Les accompagnants
décideurs mènent le jeu. Ils viennent les uns après les
autres interroger le médecin, parce qu'ils se considèrent
plus aptes à comprendre, plus proches du malade pour
décider à sa place de son avenir, de la conduite à tenir et
des dépenses à consentir. Ils lui poseront peut-être les
questions vexantes: "êtes-vous sûr, ou avez-vous eu des
cas comme ça"?

Chapitre IX
LE MÉDECIN AU MAROC À TRAVERS LE SIÈCLE
Le médecin à travers ce siècle, eut des caractéristiques
différentes en raison de sa pratique, de sa mission et aussi
du progrès de la science médicale et du développement
social. Sa profession s'adapta aux changements, aux
difficultés des lieux et des périodes.
Le médecin missionnaire (1896-1912).
Depuis 1896, nous trouvons au Maroc des médecins
missionnaires. Venus comme volontaires, et de leur propre
chef, ils s'installaient pour dispenser des soins à la
population européenne qui avait élu domicile autour des
consulats ou légations à Casablanca, dans la région de
Marrakech, à Oujda ou à Tanger. Leur deuxième fonction
parfois, était de tracer des cartes, faire des relevés de
terrain, et des rapports sur la population et ses coutumes
guerrières. Ils adressaient les comptes-rendus de leur
prospection aux affaires étrangères. (Rapport de Jean
Jaurès à la Chambre le 28 Janvier 1908).
Le Dr Weisgerber avait suivi pendant six mois la mehalla
du Sultan Moulay Abdelaziz, "ses déplacements lui ont
permis de faire la connaissance du pays. Il devint un agent
d'information de tout premier ordre."
Cette mission coûta la vie à Mauchamp qui fut assassiné à
Marrakech par la population, le 19 Mars 1907. Guichard,
fut emprisonné par El Hiba avec six autres membres de la
délégation française.
Le médecin militaire. (1912-1926)
Les premiers étaient des amis de Lyautey. Appelés par lui,
de l'Algérie ou de la France, ils ne furent pas nombreux.
C'est à partir de 1918, qu'ils ont répondu à son appel pour
installer les infirmeries et travailler dans les premiers
hôpitaux militaires. C'était des fonctionnaires à plein
temps, des organisateurs avertis, et des multidisciplinaires.
Tel fut le cas de Cristiani qui faisait des consultations de
médecine générale, pratiquait la chirurgie, la chirurgie
oculaire et l'obstétrique. Certains ont donné en plus des
consultations en ville ou même ouvert des cabinets.
Ils ont continué leur mission dans les hôpitaux militaires
exclusivement à partir de 1930, ou ont accompagné les
troupes d'occupation.
Le médecin colonial. (1926-1945).
Il a remplacé le médecin militaire à partir de 1926, date à
laquelle la Direction de la Santé fut installée. Jeune,
souvent célibataire, c'est à lui que fut confiée la tâche de
l'action médicale dans la campagne, "le bled". La
prophylaxie, la médecine de masse et l'assistance à la
population constituaient sa principale occupation. Il est
reçu par le Directeur de la Santé, il est vacciné contre
plusieurs maladies, initié à sa fonction par un stage à
l'hôpital Moulay Youssef à Rabat, apprend à lire des cartes
et des lames à l'Institut d'Hygiène, assiste à quelques
interventions chirurgicales et il est envoyé dans le poste
inoccupé. La règle fut que son affectation à un poste ne
dépassait pas trois ou quatre ans.
Sa vie dans le bled était agréable et simple. Il passait son
temps vide avec les autres fonctionnaires. Il pratiquait la
chasse, et faisait des randonnées à cheval, à dos de mulet
ou en voiture, accompagné souvent des collaborateurs du
caïd ou de ses aides infirmiers. Le travail se faisait souvent
dans les souks. Il n'a jamais refusé d'aller dans les plus
humbles douars pour donner des soins. Il adorait le tapis
de la région, équipait sa demeure de fonction de mobilier
d'artisanat, de bibelots et de poteries qui avaient constitué
les objets de souvenirs qu'il a emportés à son retour.
Tous les médecins qui ont fait ce métier ont décrit leur
séjour dans la campagne marocaine, comme le plus
heureux moment de leur vie. Certains ont écrit des
mémoires (Dupuch). D'autres ont développé leur talent de
peintre ou de poète. Certains sont revenus après leur retour
en France, et furent émerveillés du souvenir qu'ils ont
laissé et de l'amitié qu'ils ont suscitée.
Le médecin" praticien". (1945-1956 J.
Au lendemain de la deuxième guerre mondiale, une autre
génération de médecins a pris place, avec l'afflux des
immigrants. Eric Labonne annonça sa volonté de
construire plus d'écoles et d'hôpitaux. Le Maroc allait
connaître la plus formidable reprise économique. L'emploi
se développa, la fonction publique s'étoffa. Le nombre de
médecins augmenta chaque année jusqu'à dépasser le
millier. Le secteur public et le secteur privé se partageaient
également leurs effectifs. Les médecins étaient partout les
bienvenus. Ces nouvelles donnes engendraient une
situation nouvelle. Les nouveaux venus voulaient "gagner
leur vie". "Ils ont "pratiqué".
Les médecins de la génération précédente étaient encore
là. Ils veillaient au grain. Ils ont accueilli quelques uns
dans leur cercle et ont tenu les autres à une certaine
distance. Le Dahir de 1934, réglementant l'immigration,
s'appliqua avec plus de rigueur dans le domaine médical.
Le Dahir de 1949, révisa celui de 1941, pour restructurer
l'Ordre des médecins, dont les élus allaient être longtemps
les mêmes (Ponsan, Callandry), ceux-là qui ont défendu
d'une façon assidue et acharnée les idées d'un
corporatisme vigilant. Le Résident Général signa l'Arrêté
du code de déontologie, qu'ils ont élaboré (1953). Le
"Maroc Médical", journal de la vieille garde, produit des
numéros sur l'histoire de l'œuvre médicale accomplie et
d'initiation à la pathologie médicale du Maroc, à l'intention
des nouveaux qu'on ne pouvait plus former et initier
individuellement comme on le faisait auparavant. Le
médecin qui était une "nécessité", participant à toutes les
actions, devait négocier sa place et celle de ses groupes
avec les responsables. Les dossiers sur le devenir de la
médecine du travail, de la médecine d'entreprise, celle des
offices et des mutuelles, montrent leur souci constant
décrit, en détail dans les bulletins de l'Ordre.

LE MEDECIN MAROCAIN (1956-1975).


Cette génération de médecins marocains allait prendre en
charge la transition et participer à l'ensemble des
transformations pour la relève au lendemain de
l'indépendance.
Très peu nombreux au début de cette période, trente, peut-
être un peu plus, mais, ceux qui ont commencé leur
carrière dans le service public se comptaient sur les doigts
de la main. Le premier parmi eux, le Docteur Faraj,
diplômé de 1934, a occupé à ce titre le poste de ministre
de la Santé publique. Abdelmalek Faraj, cité par la
population avec fierté comme le premier médecin
marocain, resta fidèle à la médecine publique. Il fut
l'auteur d'une thèse remarquée sur Abou Marouan Ibn
Zohr, Ibn Rochd, et les relations médicales Hispano-
maghrébines au XII' siècle. Le Dr Faraj participa à la
mission héroïque du bled des années trente et quarante, fut
médecin du groupe sanitaire mobile de Taza et il dirigea
plusieurs campagnes de prophylaxie dans la région du
Gharb (1942), avant d'être affecté dans un hôpital à
Marrakech puis à Rabat. Les autres, presque tous les
autres, étaient installés dans le privé et dans les quartiers
populaires.
Quatre cent cinquante étudiants en médecine faisaient
leurs études en France et en Espagne. Ils ont rejoint leur
pays durant les cinq premières années de l'indépendance.
Cette génération, enrôlée à la Santé publique, continua sa
formation, s'éparpilla dans les hôpitaux du Maroc et
fournit la pépinière des premiers internes, des assistants et
un peu plus tard, des premiers agrégés de la Faculté de
Médecine de Rabat et les chefs des services hospitaliers.
Dans cette génération se trouvaient les premiers médecins
qui ont rejoint l'école militaire de Lyon, au lendemain de
l'indépendance pour constituer les premiers praticiens des
Forces Armées Royales. De la première génération
(My.Idriss Archane, Idriss Moulay, A.Benbouchta. A.
Sekkat, D.Draoui) et de la deuxième (M.Ben Boumahdi,
Ghnimi, .Chbarit, Bouamama) avait émergé vers 1965, au
lendemain de la guerre des frontières, l'élite qui allait
accéder à l'agrégation, prendre en main la structuration de
la santé militaire nationale, créer et orienter l'enseignement
médical militaire.
D'autres médecins, qui se trouvaient en dehors de la
capitale, ont pris peu à peu les chefferies des services
hospitaliers (1970), qu'ils ont dirigés jusqu'en 1975.
Beaucoup parmi eux se sont installés dans le secteur privé,
et ont succédé les uns aux autres dans l'organisation de ce
secteur.
Le prestige qu'offrait les hautes responsabilités de l'Etat et
de l'administration, la nécessité et les remous politiques
avaient propulsé pour un temps ou définitivement certains
médecins de la génération précédente et de cette
génération à la téte des ministères, des cabinets
ministériels et des ambassades. (Abdelmalek Faraj,
Youssef Belabbes, Abdellatif Benjelloun, My Ahmed
Laraki, Léon Benzaquen, Mohamed Benhima, Azeddine
Laraki, Omar Boucetta, Bensalem El Kouhen, A.Zniber,
Abdelkrim El Khatib, Larbi Chraibi, A. Belmahi, A.
Touhami, Ahmed Ramzi, Rahhal Rahhali, Taieb Chkili,
A.Harouchi.).
Le médecin des facultés. (1975-1994)
Nous sommes au présent. "Le présent fait aussi partie de
l'Histoire" (Arnold Toynbee -1963).
La Faculté de Médecine de Rabat a déjà produit les
premières promotions. Elle a atteint l'âge de la maturité.
Elle a produit selon sa propre filière son personnel
enseignant, réglé le contentieux de ceux qui l'ont rejoint
plus tard avec des titres universitaires étrangers, stabilisé
ses cadres et pris son indépendance presque totale par
rapport à l'étranger. La Faculté de Médecine de
Casablanca, nouvellement construite, s'est ouverte, et a
produit à son tour plusieurs promotions. Le nombre des
médecins formés augmenta chaque année, entraîna des
problèmes de relations. L'assainissement s'imposa et
devint un ordre de mission urgent, dicté par S.M. le Roi
Hassan II.
L'Ordre unifié fut créé en 1984, pour répondre à cette
mission. Il groupa tous les secteurs de pratique: le public,
le privé, l'enseignement médical et celui des militaires.
Le médecin Enseignant.
L'enseignement médical, devenu "la voie royale", pour
certains médecins arrivés à la fin de leurs études, créa un
ensemble particulier à Rabat et à Casablanca, dans les
deux grands hôpitaux, Ibn Sina (Avicenne) et Ibn Rochd
(Averroès) qui ont pris après l'installation des facultés de
médecine, la dénomination de centres hospitalo-
universitaires (CHU). Avec la double appartenance, les
médecins relèvent du Ministère de l'Education, et du
Ministère de la Santé Publique.
L'entité qu'ils formèrent évolua avec le temps et le nombre
et posa quelques problèmes de générations. C'est au début'
des années quatre vingt, que les difficultés salariales et les
conditions de travail exprimèrent la crise qui s'installa
dans le secteur. Elles furent l'occasion de créer et
d'affirmer l'action des associations des enseignants à Rabat
et à Casablanca. Celles-ci manifestèrent leurs
revendications par la première grève qu'on retrouve dans
le domaine médical (1981). Les conditions du travail ont
reçu quelques améliorations ponctuelles et beaucoup de
promesses, tandis que le temps plein aménagé (TPA)
s'imposa comme la solution à la deuxième revendication.
Défendu au sein de l'Ordre unifié par les représentants des
enseignants, (A. Maaouni, il posa des difficultés dans son
application. La décision de sa création fut communément
admise après le discours royal (1989), sans déboucher
immédiatement sur une réglementation.
Les professeurs et les professeurs agrégés devaient en
bénéficier, deux demi-journées par semaine et recevoir
une "clientèle" privée. Déjà depuis quelques années, celle-
ci avait commencé à apprécier la compétence acquise par
certains et les avait attirés dans les cliniques de la ville, les
cliniques des mutuelles et des caisses. La décision
officielle proposa l'organisation de cet exercice dans deux
cliniques de la caisse nationale de la sécurité sociale. A
Rabat, il n'en existait pas, celle désignée à cet effet à
Casablanca, refusa de l'admettre. En attendant de trouver
un lieu d'exercice, quelques enseignants se répartirent,
sans réglementation aucune, dans des cliniques privées,
soucieuses de rentabiliser des installations neuves et des
équipements performants, phénomène nouveau de l'offre
médicale dans le domaine de l'hospitalisation privée. Il a
fallu attendre janvier 1994, soit cinq ans après des
discussions, des réunions de commissions et d'élaboration
de projets de réglementation qui ont fait la navette entre
l'Ordre et les ministres de la Santé (Pr Harouchi J, et de
l'Enseignement (Pr Chkili), pour aboutir à la diffusion
d'une circulaire, établissant une réglementation de
consensus qui se révéla difficile à contrôler. Les
enseignants, finalement pouvaient pratiquer dans les
cliniques de leur choix.
La crise dans le domaine du secteur des médecins
enseignants provoqua le démembrement des médecins de
ce secteur, en trois catégories. Les uns ont quitté
définitivement le secteur pour s'installer dans le privé,
d'autres bénéficient des dispositions du TPA, et d'autres se
consacrent à leur mission de plein temps.
Aujourd'hui, dans ce domaine le désenchantement semble
unanime. Selon certains, l'avenir des facultés est aléatoire
malgré la volonté des convaincus.
"Si les quelques vingt personnes" répète-t-on, qui sont
encore dans nos deux facultés faisaient comme le gros des
troupes des enseignants et partaient, il vaut mieux fermer
les facultés.
La nation marocaine commence à envoyer avec
parcimonie ses enfants dans la profession médicale.
La sagesse de la nation pousse à comprendre qu'elle prend
elle-même les décisions logiques, avant toute politique.
"L'avenir des médecins dans la profession n'est pas assuré
face au système actuel".

LE MEDECIN DU SECTEUR PUBLIC.


Le secteur public occupa peu à peu la moitié des effectifs
des médecins formés par les facultés. La vocation dans ce
secteur s'affirmait difficilement dans les années soixante
dix. Ceux qui ont accédé à des postes administratifs ou de
chefferie des services y sont restés plus longtemps. Les
autres, la grande masse, y sont allés par nécessité de début
de carrière et montrèrent une grande instabilité. Les
départs vers la formation spécialisée, ou le secteur libéral,
modifiaient en permanence son nombre. Les 25%, puis les
30% des effectifs atteints par la féminisation du corps
médical, à la fin des années quatre vingt, posèrent des
problèmes d'affectation et obligèrent (1986) Taieb
Bencheikh, Ministre de la Santé Publique, à encourager le
départ des médecins femmes, vers le secteur privé.
Le service civil ou militaire a aidé quelque peu à la
répartition géographique des médecins dont certains se
fixèrent définitivement dans les régions d'affectation.
L'institution des concours (1986) pour accéder aux postes
de médecin de santé publique ajouta une complexité de
plus à la fin des années quatre vingt. Le nombre limité des
postes budgétaire en fut la principale raison.
Le médecin du secteur public s'avéra à cette époque le
moins nanti des praticiens. On décrivait les conditions de
sa vie et de son travail sur un certain ton de tragédie. "Son
mandat ne suffit plus à rien, disait-on, et on a oublié de
l'augmenter depuis plusieurs années". Beaucoup
organisèrent, malgré les reproches, des consultations
payantes au sein de l'hôpital, ou ailleurs. Ils demandèrent
timidement l'organisation d'un temps plein aménagé, ou
sont partis vers le secteur libéral. Certains ont "regretté" de
l'avoir fait. La crise, sévissant dans le secteur privé, faisait
aussi regretter le faible et sûr mandat qui arrivait à la fin
du mois. Ceux qui ont voulu retourner au secteur public
n'ont pu le faire.
Le secteur des médecins des communes a offert à certains
une solution nouvelle, mais limitée.

LE MEDECIN DU SECTEUR PRIVE.


Il dispense ses soins dans les cabinets privés, au milieu de
la population, souvent dans le cadre de son habitat. Depuis
vingt cinq ans, il a créé des unités d'hospitalisation, dont le
volume et le nombre ont augmenté (2200 lits). Les
cliniques se sont associées, en 1980, en une chambre
syndicale et depuis 1991, en une association pour mieux
appréhender les problèmes de la production des soins
qu'elles dispensent à la population. Unités artisanales au
départ, leur équipement changea avec le temps, en
fonction de la pression de l'opinion et celle de l'Ordre qui
désire faire la classification des cliniques. Ayant l'accès
facile aux crédits bancaires, ces unités de soins
devancèrent tous les autres secteurs dans l'installation de la
médecine que l'on qualifia de "High tech".
Le cadre juridique de son exercice est défini depuis 1960
par le Dahir qui date de cette époque.
C'est un exercice solitaire basé sur le dialogue singulier, de
la médecine payée à l'acte. Il est géré par un code de
déontologie.
Le nombre de praticiens, le progrès médical et la crise ont
créé autour de ce secteur un flot de critiques qui ont animé
des débats infinis. La médiatisation aidant, l'opinion
semble se polariser sur sa pratique, ses prix, mettant en
doute sa moralité, "la confiance et la conscience" qui
gèrent ses rapports avec les malades.
Depuis 1975, un Arrêté ministériel (Touhami) imposa,
suite aux lois de 1971 et de 1972, une tarification de ses
actes, qui n'a pas été acceptée et fut refusée par lui. Cette
tarification ne fut modifiée qu'une fois en vingt cinq ans
(1984).
Le médecin libéral est souvent appelé à recevoir une
certaine demande des patients et de leurs familles, que le
fait social engendre. Les réponses, apportées par lui selon
sa propre "moralité", furent jugées arbitraires, et non
conformes à l'opinion de la société, surtout dans le
domaine de la régulation des naissances.
"La liberté du médecin libre" est discutée, et surtout dans
les cas "d'abus et de dégâts" devant les conseils de
discipline de l'Ordre et parfois les tribunaux.
La crise existentielle, économique générale et particulière
au secteur médical, favorisa une pratique en contradiction
avec le cadre légal immuable.
"Fini le temps où le médecin était une figure de premier
plan dans la société. Il n'est pas encore marginalisé mais il
a tendance à le devenir. Il devient dépendant de tout et de
tous. "
Les autorisations d'installation demandent longtemps pour
être obtenues. Ensuite pour exercer, il faut opter pour être
généraliste, compétent ou spécialiste. Le généraliste est
taxé par la population de "petit médecin" ou médecin de
"drouba", Ceci convient mal à la personnalité du médecin
qui, chaque fois qu'il le peut, fait, soit d'emblée "sa
spécialité", ou la fait au cours de sa carrière pour aller dans
la grande ville et dans son centre particulièrement.
S'installer individuellement, est encore la règle, S'Intégrer
dans un groupe, n'est pas encore entré dans les mœurs
(1991).
Le capital qu'il faut investir au départ devient lourd,
surtout quand l'activité n'est pas importante les premières
années, et surtout quand il faut subvenir à ses besoins de
base, payer des impôts et taxes en fonction du matériel
installé. Les lendemains des installations ne sont pas
toujours des jours heureux. Beaucoup de praticiens qui
n'arrivent pas à joindre les deux bouts, se considèrent mal
adaptés à l'installation, changent de quartier, de ville,
repassent la main à un autre confrère, ou bradent leur
mobilier et leur équipement et se réfugient ailleurs.
D'autres, plus résignés, attendent les jours meilleurs, qui
"vont venir", après les rentrées des classes, les fêtes
multiples, les mois creux, les périodes de vaches maigres
et les années de sécheresse.
Cette situation obscure, met sous tension les rapports
confraternels. Les bonnes relations se relâchent et
deviennent rares. La solidarité et la confraternité prennent
un coup. Les malades sont gardés parfois longtemps, Ils
désirent presque tous éviter, quelque temps, une
thérapeutique nécessaire, plus chère ou plus invasive.
Cette situation fait aussi, que la médecine d'aujourd'hui,
s'installe dans un laxisme d'artisans, tolérant la
dichotomie, acceptant le jeu des ambulanciers "pirates " et
des convoyeurs conseillers, et livrant parfois une oreille
complice aux médisants.
"Finalement, c'est la troisième puissance" la société qui se
révèle la plus déterminante pour l'exercice de la profession
médicale. C'est la forme qu'elle revêt à chaque période qui,
au-dessus du patient et du médecin peut influer de mille
façons sur les rapports entre eux".
Les conventions individuelles des soins, les soins
d'entreprises, la médecine salariale, les rétentions
d'honoraires par les assurances et caisses, le dirigisme
devenu incontournable, la concentration des installations,
ont organisé une situation de marasme particulier à cette
fin du siècle. Sur ce fond, se sont installés les réseaux de
soins des caisses qui ont triomphé en 1980, par une
politique de prix, de recrutement de personnel, et
d'équipement nouveau, que le temps a mis aussi en
difficulté.
Depuis une dizaine d'années, la profession médicale dit-
on, subit une érosion. Au début, on invoquait toutes ces
raisons plus au moins valables, mais personne n'arrivait à
percevoir la vraie cause. L'ensemble des incriminations se
sont probablement conjuguées pour organiser une situation
de crise qui s'est installée, qui a pris des proportions
importantes en 1994 et livra l'aspect particulier du
médecin de la nouvelle génération.
Que peut-on dire alors des nouvelles générations des
médecins, de leur rôle et de leur place dans la société? Est-
il aisé de répondre à cette question?
Il y a 10 ou 15 ans, au moment de commencer leurs
études, ils avaient certainement des motifs avant
d'embrasser la carrière médicale. Les difficultés multiples
qu'ils rencontrent au début de l'exercice sont une surprise
pour eux. Ils ont peu d'armes pour se défendre. Ils sentent,
dès le départ, les affres de l'échec et du désespoir alors que
leurs prédécesseurs prenaient le départ avec un certain
espoir.
Dès l'installation, le savoir théorique s'avère insuffisant. Il
leur faut se brancher dans des amicales pour apprendre
l'usage de quelques machines, ou avoir des diplômes que
la faculté ne leur a pas délivrés et que l'usage social exige
pour répondre à la demande solvable, tel le domaine de la
médecine du travail.
On dit aussi que le médecin, dès le départ, n'est pas
"branché", et qu'il est coupé de la société. Son effort
d'adaptation relève de l'héroïsme, que certains peuvent
avoir et dont beaucoup en sont dépourvus.
Les livres sont chers et on ne les achète pas.
Le médecin d'aujourd'hui vit isolé dans son angoisse. Tout
ce qui est en dehors de son domaine ne l'intéresse pas. Au-
delà de son cercle, tout est "carbonisé" pour lui. Il accuse
tout le monde de ne pas être sensible à ses problèmes.
Beaucoup perçoivent la dévaluation de leur profession et
cherchent à faire autre chose. Ils se posent la question sur
la différence existante entre eux et un simple ouvrier, mis
à part le savoir acquis, quand ils sont condamnés au
chômage ou au sous-emploi. Ils se sentent, en somme,
sacrifiés dans un monde qui change. Dans une assemblée
générale professionnelle, ils viennent peu nombreux,
partent avant la fin et votent peu. Pourquoi le feraient-ils?
Demandent-ils. Les règles du jeu ne sont pas les leurs.
Elles datent de trente ou quarante ans, c'est-à-dire avant
leur naissance.
A chaque période, le médecin eut un profil.
L'esquisse que nous avons faite de lui, ne nous détourne
pas des événements naturels de l'évolution. Chaque
génération, chercha à assimiler les résultats obtenus par le
progrès médical et à s'adapter. Déceler des césures et une
discontinuité nous a forcé à mettre en lumière les
tendances cachées et déterminantes.
Toutes les périodes ou presque ont montré l'enthousiasme
et les quelques facilités du départ qui se sont estompés
avec le temps. Chaque génération regretta de ne pouvoir
bénéficier des possibilités qu'eut la précédente et justifia
pour maîtriser les siennes de prendre sa place, d'imposer la
personnalité de ses représentants qui ont parfois agi avec
un certain despotisme. Chacune, enfin, a eu ses écrits et
tint à avoir ses publications. Le "Maroc Médical" fut celui
de la première, le "Journal de Médecine" et les "Annales
d'Avicenne, ceux de la suivante, "Médecine et Santé "et le
"Bulletin de la Société des Sciences Médicales "ceux de la
dernière. Elles furent accompagnées de diverses
publications plus ou moins éphémères que quelques
événements ont obligé à créer pour quelque temps.

Chapitre X
LA PRATIQUE MÉDICALE AU MAROC A TRAVERS
LE SIECLE
La pratique a une histoire, parce qu'elle s'est adaptée. Elle
a évolué. Elle a transformé les mœurs des médecins qui
ont exercé et quelque peu, celles de la population qui en a
bénéficié. Elle a évolué surtout en raison du progrès, de
ses rapports avec les mythes, les traditions, la religion
musulmane, l'éthique, et le fait social.
C'est à la fin du XVIIIe siècle, que la notion de santé
publique, s'imposa en Europe. Johann Peter Frank (1779-
1819), le lausannois, créateur de l'hygiène publique,
aborda tous les problèmes de la santé, et depuis, des
médecins se sont employés à la diffuser dans le peuple. A
cette époque aussi, la prophylaxie commença par
l'apparition de la vaccination de Jenner (1796).
Le XIXe siècle, fut en Europe l'ère du développement de
ces notions. Il enregistra le résultat de leurs effets sur la
santé des hommes et de la population.
La France s'installa au Maroc avec la notion de santé
publique et de la médecine occidentale, pour lesquelles
elle recruta les hommes et installa les moyens. Il lui a fallu
une quarantaine d'années pour développer une œuvre
"complète" dans le domaine sanitaire, en multipliant ses
aspects les plus divers. Le progrès médical toucha en
valeur tous les aspects de la pratique, et parfois dépassa en
audace la pratique en Europe. L'entreprise sanitaire neuve,
bénéficia des récentes nouveautés.
Ce siècle aura donc vu deux pratiques médicales.
La pratique des médecins pionniers européens. Elle était
indépendante, et avait un aspect devenu classique en
Europe, et un aspect novateur appliqué à une population et
à une société qui ignoraient son organisation et ses effets.
La pratique héritée par le Maroc indépendant, qui fut
adaptée peu à peu aux exigences politiques, sociales,
économiques, éthiques et religieuses. Sans affirmer que la
pratique médicale ait eu une césure derrière elle, on peut
dire que l'indépendance s'exprima d'une façon nuancée,
envers l'héritage colonial. ''L'élite bourgeoise", qui a agi
sur le plan administratif, sur le plan de la pratique
médicale, au sein des structures étatiques ou du privé fut
profondément libérale. "Ce qui avait de la valeur pouvait
s'imposer et continuer à exister".
Est-il absurde de se demander :"qu'aurait été la situation
sanitaire si l'expérience du début du siècle n'eut pas lieu?".
Au début du protectorat, la population vivait à la
campagne dans les proportions de 90%. Elle le faisait
surtout dans des villages, appelés douars, habitat simple
fait de noualas et de pisé. Les médecins n'apparurent, sous
leur vrai jour, qu'à partir de 1920. Ils commencèrent à se
donner les moyens de leur pratique dans des conditions de
pénurie à bien des égards. La médecine avait ce caractère
pratique, et ne prétendait pas faire une recherche clinique,
malgré les velléités "scientifiques" de certains, très tôt
exprimées. Devant la maladie et les épidémies, il n'y avait
pas beaucoup de différence entre eux et leurs malades,
certains sont morts, dans la bataille qu'ils ont livrée aux
maux, qu'ils combattaient (le typhus). La gratuité des soins
dispensés réalisait des rapports particuliers entre eux et
leurs patients, aussi bien à la campagne que dans les villes.
Les médecins du secteur libéral offraient l'exemple type de
médecin de famille apprécié pour ses qualités
professionnelles et ses conseils dans toutes les
circonstances de la vie. A la campagne et en ville, ils se
déplaçaient pour aider à un accouchement dystocique, ou
visiter aussi bien les humbles que les notables, avec qui ils
avaient des relations appréciées de part et d'autre. Les
malades en étaient honorés et fiers et les médecins étaient
sensibles et reconnaissants dans leur modestie. En ville,
les médecins femmes avaient leurs familles bourgeoises,
dont elles dirigeaient les accouchements, et soignaient à
domicile les enfants. Tous les médecins faisaient des
visites à domicile. Les "diffas" auxquelles ils étaient
conviés, après le succès d'une intervention ou une
guérison, scellaient des rapports amicaux et de
reconnaissance, même si les honoraires avaient été payés.
Ont-ils pour autant connu la prospérité par l'addition de la
petite monnaie rassemblée durant une longue carrière de
médecins ou chirurgiens en renom? Ils n'ont pas été riches,
et beaucoup ont connu des difficultés après leur retraite.
L'action de la prophylaxie de masse avait besoin de l'aide
de l'autorité. Elle se pratiquait, régulièrement à la
campagne le jour des souks, intensément dans les périodes
d'épidémies, et en ville, quartier par quartier. Hier et
aujourd'hui, les actions de masse, même acceptées, étaient
soupçonnées d'avoir une mauvaise intention, les récentes
campagnes de vaccinations furent accusées d'avoir été
faite pour "stériliser nos femmes".
La médecine moderne, "européenne", était considérée
comme un don particulier de "l'eurobbi". Elle fut celle des
"yeux bleus", jusqu'aux années soixante.
La société marocaine laissa faire les médecins sans
intervenir. Un accoucheur, réputé et adroit à Casablanca
(le Dr Burou), faisait au su et au vu de tout le monde, des
interruptions de grossesses, à une période où ces
opérations étaient interdites en France. Aucune autorité,
aucun Ordre, personne ne porta plainte contre lui. Le
même accoucheur avait mis au point une intervention pour
transsexuels qui faisait courir des candidats de par le
monde entier. Cette pratique fut l'objet d'un roman de Guy
des Cars. Il y a décrit ses rapports avec "sa clientèle",
l'itinéraire qu'elle devait prendre, et toute l'organisation à
respecter.
Le texte de loi organisant la pratique médicale, paru après
l'indépendance, assimile l'herboriste aux professionnels de
santé. Il a soumis à la même réglementation tout
producteur de soins. La tâche du médecin ne sera plus
désormais la médecine mais l'exercice de la profession
médicale, peu à peu menacée dans son indépendance. Le
praticien ne sera plus son maître dans son exercice.
L'évolution et le progrès imposent de nouveaux outils,
qu'on appelle l'équipement lourd. Celui-ci devient
nécessaire presque à toute investigation, et on ne peut pas
le déplacer."Est-ce que l'accès aux soins veut dire que le
médecin doit aller vers le malade, ou c'est le malade qui
doit aller vers le médecin?" demande un journaliste,
en1988. Les visites à domicile devenaient rares, et la
population se plaignait de ne pas trouver de médecin la
nuit et les jours fériés.
On évalue l'action du médecin dans tous ses lieux de
pratique. A l'hôpital, au dispensaire, au cabinet, dans les
cliniques. Sans connaître réellement le service médical
rendu, on veut savoir et savoir plus. Les connaissances des
patients ne sont pas toujours nulles. Le nomadisme
médical s'organise. On vient de loin quêter les bons soins,
et on se déplace facilement à l'étranger. L'âge de la
thérapeutique, auquel on est arrivé, fait réclamer le "bon
médicament", sinon le "meilleur", comme un bien auquel
on peut concéder tous les sacrifices. Les soins font l'objet
de tarification, de conventions, de prise en charge, de tiers
payant, de contestations, de comparaisons et de médecine
à "deux vitesses".
On fiscalise les plaques, on paie des patentes, on paie des
TVA. "La médecine ne peut être pratiquée comme un
commerce!", disent encore les textes. La publicité prend
dans le domaine de la pratique médicale les allures
déguisées "de l'information".
De nos jours, le consommateur, le politique, la société, le
producteur et l'administration ont à l'égard des soins une
stratégie propre et un angle de vue différent.
Du point de vue du consommateur, la médecine et les
soins sont chers et le deviennent de plus en plus en raison
de leur qualité qui augmente par la compétence et l'outil.
La médecine artisanale, qui s'offre encore à lui
aujourd'hui, n'est pas suffisante. La médecine mécanisée,
technicienne, sophistiquée et disponible, est au-dessus de
ses moyens. Elle déclenche chez lui le réflexe du refus de
son prix. Il s'en plaint auprès de tous. Il se soigne quand la
maladie se déclare et évolue vers les complications.
Beaucoup de malades laisseront cette évolution se faire
pendant les périodes de crises.
Du point de vue du politique, les soins sont abandonnés à
la logique du marché et tendent à évoluer dans leur qualité
et leur prix à la tête du consommateur. L'opinion pense
qu'il existe déjà une distorsion entre l'offre jugée
disproportionnée et la demande solvable qui baisse.
Depuis quelques années, quelques établissements de soins,
plus grands, plus équipés, répondant à l'urgence, ont vu le
jour. Avec eux, apparaissent des notes de frais importantes
qui étonnent tout le monde.
Du point de vue de la société, le problème des soins est
urgent à résoudre. Selon elle, tout le monde est
responsable des difficultés qu'il engendre. Elle exprime sa
colère, en mettant tout le monde dans le même sac: le
politique, l'administration, le système sanitaire, le
médecin, les mutuelles et les assurances. Aller à l'hôpital,
c'est attendre avant d'y accéder et attendre à l'intérieur.
C'est payer directement, ou souvent indirectement. L'Etat
providence et la gratuité des soins, divinité gémellaire qui
a.la vie dure, ressemblent à des légendes qu'il faut oublier.
Du point de vue du tiers médiateur, à savoir les mutuelles,
les assurances, les entreprises, les honoraires et les prix
des soins doivent s'aligner sur des conventions au rabais et
au forfait.
Du point de vue des producteurs, les soins sont entrés dans
une phase de crise jamais vue. Ils ne savent que faire. La
recherche des solutions ne les mobilise pas au delà de
l'effort de casser les prix que font certains ou d'augmenter
les leurs que font les autres. Pris entre le coût de la
médecine et la faiblesse du pouvoir d'achat de la
population, leurs revenus baissent et certaines de leurs
entreprises périclitent.
Le nombre entraîne l'hétérogénéité. La société a offert aux
médecins de nouveaux postes de pratique.
A côté des praticiens indépendants qui sont des
généralistes et des spécialistes, il y a des médecins dans
les hôpitaux, des chercheurs, des enseignants, des
fonctionnaires dans les administrations, les communes, les
entreprises, les cliniques des mutuelles et des caisses
(CNSS), les assurances, l'Ordre, Il y a aussi les médecins
du travail, les coopérants, les médecins attachés aux
laboratoires pharmaceutiques, les médecins conseils, les
contrôleurs et depuis peu les médecins journalistes.

Chapitre XI
BREVE HISTOIRE DU MÉDICAMENT.
Nous ne parlerons que du médicament relevant de la
thérapeutique moderne. Les produits de la médecine
populaire, que d'aucuns cherchent à réhabiliter, ceux des
herboristes, même soumis à la réglementation du Dahir de
1960, nous sont inconnus. Certes, ils ont existé avant le
protectorat et continuent à exister. Les plantes aromatiques
et médicinales du Maroc ont fait l'objet d'un colloque
international qui s'est tenu à Rabat le 15-16-17 Mai 1984.
De ce colloque nous apprenons que le nombre de plantes
médicinales et aromatiques, disponibles au Maroc et
économiquement exploitables, à plusieurs centaines
d'espèces, 600 environ, parmi lesquelles quelques dizaines
seulement sont effectivement exploitées, dans des
conditions souvent artisanales et ignorant tout des
modalités modernes de production, de commercialisation
et de valorisation.
La médecine homéopathique a eu un regain d'intérêt
auprès de certains médecins, depuis 1987, et avait dans les
années trente, ses médecins adeptes.
C'est Samuel Hahnemann qui la créa à la fin du XVIIIe
siècle. La méthode thérapeutique, qu'elle propose, offre
des produits à dose infinitésimale qui "obtiendrait le
maximum d'effet".
Jusqu'en 1960, les médicaments, destinés à la
thérapeutique moderne, étaient importés et distribués par
des pharmacies de première classe, seules habilitées à
vendre le médicament.
L'installation d'une pharmacie par un pharmacien diplômé
se faisait sur autorisation spéciale de la Résidence
Générale. On retrouve déjà, à la fin des années trente, des
refus d'autorisation à l'intérieur de la ville de Casablanca.
L'autorisation ne fut octroyée que pour les nouveaux
quartiers.
A la faveur de la liberté à l'importation, des avantages
fiscaux et d'une main d'œuvre bon marché, des comptoirs
pharmaceutiques se sont multipliés, surtout pendant et
après la deuxième guerre mondiale. Les velléités des
promoteurs de l'époque, étaient de couvrir à partir du
Maroc, l'ensemble de l'Afrique et de l'Asie.
Dix mille spécialités se vendaient au Maroc. A Tanger,
zone internationale, on en trouvait quatre vingt mille.
A la fin du protectorat, on comptait 362 pharmacies avec
133 à Casablanca, dont 45 étaient tenues par des
marocains."
Après l'indépendance, et surtout depuis 1965, commença
l'ère de l'industrie pharmaceutique, avec la fabrication des
pommades, des suppositoires, des comprimés, des sirops
et des solutés. Les formes injectables ne sont devenues
obligatoires, qu'à partir de 1976. A cette date, une
réglementation stricte fut établie pour l'autorisation du
débit d'une spécialité.
La distribution connut des difficultés dans la phase de
transition au lendemain de l'indépendance. L'enseignement
de la pharmacie apporta partiellement la solution à la
diffusion du médicament, mais n'empêcha pas les
nécessaires dépôts pharmaceutiques qui sont encore au
nombre de 350 actuellement.
L'Institut Pasteur, fut doté d'une nouvelle personnalité
civile et une autonomie financière depuis le Décret Royal
du 23 Juin 1967. La décision par Décret Royal (W 175-66)
de changer son nom, en Centre des Sérums et Vaccins fut
abrogée par un autre décret. Aujourd'hui, la fabrication des
vaccins est limitée aux vaccins cholérique et tétanique, et
aux sérums thérapeutiques anti scorpionique et
antitétanique. Son activité est axée depuis 1990 sur la
recherche dans le domaine du Sida, la rage, l'hépatite et les
examens de biologie pour tout venant.
La fabrication des médicaments au Maroc, sous
l'impulsion de l'activité privée, satisfait depuis quatre
années 80% des besoins de la population. Elle a toujours
été tributaire des matières premières importées. C'est une
industrie de transformation qui couvre toutes les formes de
présentations.
La consommation du médicament a atteint peu à peu les
45, voire les 52% du total des dépenses de santé. Le
médicament destiné aux maladies infectieuses a été, au
cours de ce siècle, le plus consommé. L'automédication, le
conseil pharmaceutique, le renouvellement de certaines
prescriptions, sans avis médical, ont atteint selon certaines
enquêtes (séminaire sur l'accès aux soins 1988), près de
cinquante milliards de centimes. Néanmoins, si la
consommation du médicament est en constante
augmentation au Maroc, elle demeure en volume une des
plus réduites du monde.
Le discours politique et social incrimine, depuis quatre
années, la cherté du médicament. Des congrès, des
séminaires ont examiné les problèmes qu'il pose et ont
proposé des recommandations afin de dégager une
nouvelle politique le concernant. Des essais de baisser son
prix (Pr Harouchi), de favoriser le commerce des
génériques, et de faire admettre l'idée des produits
"essentiels '', à l'ère de la politique de l'accès aux soins,
portent à croire qu'une éthique et une déontologie
s'imposent, afin d'enrayer "l'orgie des médicaments ''.
Néanmoins, la recherche de la réalité du prix du
médicament, face à l'accès aux soins, et le développement
recherché de l'industrie pharmaceutique montre que les
marges de manœuvre sont très limitées. Le dilemme se
situe dans la réduction de son prix et la mise en péril de
cette industrie.

Chapitre XII
LES SOCIÉTÉS SAVANTES.
Ce sont des groupements de médecins, qui ont été créés
pour l'échange de l'expérience acquise, la recherche
clinique, la mise en valeur de la pathologie spécifique
d'une période, et la formation médicale continue. Très tôt,
en 1924, fut créée la Société de Médecine et d’Hygiène du
Maroc sous l'impulsion d'Emile Speder et d'Eugène
Lepinay. Elle réunissait des médecins, des vétérinaires,
des pharmaciens et des chimistes,"
Cette création fut suivie de l'organisation des Premières
Journées Médicales Marocaines, sous le patronage du
Maréchal Lyautey (1924), et des Deuxièmes Journées
Médicales et Vétérinaires en 1928.
C'est en 1936, que fut organisé le Congrès sur l'amibiase,
présidé par Chirey. Ce congrès marqua une date dans
l'histoire de cette parasitose par le bilan fait.
Le bilan de ces journées et congrès a poussé Speder à
envisager une formule d'enseignement postuniversitaire
autour de son journal, le Maroc Médical. Celui-ci organisa
plus fréquemment, et surtout après la deuxième guerre
mondiale, des rencontres et des colloques. Y ont siégé et
collaboré de grandes figures, Georges Blanc de l'Institut
Pasteur de Casablanca et Remlinger de l'Institut Pasteur de
Tanger.
En 1955, furent organisées les Troisièmes Journées
Médicales du Maroc avec le Professeur Santy. Les
Quatrièmes Journées Médicales marocaines ont été
placées sous le Haut Patronage de S.M. Mohammed V et
la présidence du professeur Jean Lépinay. Les Entretiens
de Bichat furent organisés à Casablanca, deux années de
suite, en 1959 et 1960. Sous la présidence du Pr Besançon
puis du Pr Brouet, Doyen de la Faculté de Médecine de
Paris.
A cette période. la Société de Médecine s'activait peu. Les
présidents élus à sa tète furent les collaborateurs du
journal le Maroc Médical. Celui-ci se substitua à elle en
concentrant l'action autour de lui jusqu'en 1960, date à
laquelle les docteurs Driss Kabbage et Hassan Lahbabi
relancèrent la Société de Médecine et créèrent la Société
Marocaine de Chirurgie dont ils assurèrent le secrétariat
général.
Le Maroc Médical, dirigé par le Dr J. Chenebault, depuis
1956, monopolisait l'activité scientifique et publiait en
plus le Maroc Chirurgical, avec une couverture rouge. Il
refusa de marocaniser sa direction et accepta le retrait des
Marocains du comité scientifique.
En 1965, après un colloque de chirurgie tenu avec Goinard
d'Alger à l'Hôtel d'Anfa, (aujourd'hui disparu), furent
organisées les premières journées Médicales Maghrébines
à Casablanca. Depuis cette date, l'activité scientifique se
concentra sur les réunions maghrébines, qui se tinrent
régulièrement chaque année, à tour de rôle dans chaque
pays de l'Afrique du Nord, sous l'égide des Sociétés de
Médecine et de Chirurgie du Maroc, l'Union des Médecins
Algériens et la Société des Sciences Médicales de la
Tunisie.
En 1971, de la fusion des deux sociétés marocaines est
née, à l'instar des deux autres pays du Maghreb, qui
n'avaient qu'une société, la Société Marocaine des
Sciences Médicales, (SMSM). Celle-ci présidée par le
Dr.Driss Kabbage, organisa le premier Congrès Médical
Maghrébin à Casablanca. Les premiers initiateurs de ces
rencontres, en Algérie, furent Mme Benallague, Jilali
Larbaoui et Bachir Mantouri, et en Tunisie, Mahmoud
Bennaceur, Said Ben Ayed, Najib Morali et Said Mestiri.
En 1973, les statuts de la Société Marocaine des Sciences
Médicales furent modifiés pour créer deux sections, une à
Casablanca et l'autre à Rabat. La présidence de la société
fut assurée, à partir de cette date et jusqu'en 1977, par le
Dr Ghoti, tandis que la présidence du congrès maghrébin
fut assurée successivement, quand le tour du Maroc
revenait, par la section de Rabat (le Pr A.Diouri en 1974),
puis par la section de Casablanca (le Dr Ghoti en 1977)
De 1978 à 1980, la S.M.S.M. fut dirigée par le Pr
Benchekroun qui organisa le Congrès de médecine arabe,
et collabora à la création du premier dictionnaire médical,
français, anglais, arabe en 1983. Une autre modification
des statuts eut lieu en 1980, instituant l'élection du
président national de la société en assemblée générale.
Cette dernière modification mit fin aux sections. Furent
élus présidents, depuis, les Prs Ali Maaouni (1980-1986),
Abdelkrim Bennis (1986-1992) et Moulay Ahmed Iraqi
(depuis 1992).
Des sociétés de spécialités se sont créées depuis 1980.
Elles se multiplièrent, comme filiales de la SMSM. Elles
ont tenu, les premières années, des congrès et multiplié les
manifestations scientifiques.
En 1994, on dénombrait 97 groupements médicaux pour la
formation médicale continue au Maroc.
La SMSM, organisa en plus avec le Pr. Maaouni qui en fut
l'initiateur, le Congrès national de médecine. Celui-ci se
tient, depuis 1981, chaque année dans une ville différente
du royaume, et traite depuis 1985 d'un thème général
socio-économique. (Quelle Médecine demain pour le
Maroc? Le Coût de la Santé. Hospitalisation et
Humanisation. Le Médicament. L'Economie de Santé...)
Toutes ces manifestations se sont tenues sous le Haut
Patronage de S.M. le Roi Hassan II.
Les congrès médicaux maghrébins et les congrès
nationaux sont devenus une tradition qui dure depuis un
quart de siècle.
Depuis deux décennies, le Maroc a accueilli plusieurs
congrès médicaux internationaux, associant plusieurs pays
d'Europe, d'Amérique et du pourtour de la Méditerranée
(Dr Occelli). Il a accueilli l'Académie Française de
Chirurgie et établi des relations cultuelles et scientifiques
médicales avec les sociétés savantes d'Espagne.
Comment ne pas évoquer le ministre d'Etat, Moulay
Ahmed Alaoui? Il a assisté à tous les congrès médicaux
sans exception depuis 1965. Il a fait écho à toutes les
revendications des médecins. Les réunions scientifiques
ont pris en charge la formation médicale continue. (1980),
devenue à la mode depuis le débat qui s'est engagé autour
de la médecine, face à son progrès projeté à toute vitesse
vers l'avenir, et autour des médecins, appelés à véhiculer
dans la société ce progrès. La formation médicale continue
relève de tous, dit-on, maintenant: des sociétés, des
associations, des syndicats, surtout dans les villes,
enlevant ainsi le monopole à Casablanca et à Rabat qui le
tenaient depuis longtemps, des amicales, des collèges de
spécialistes, des services, des médecins en renom et même
de personnes sans rapport avec la profession.
LA PRESSE MEDICALE SCIENTIFIQUE AU MAROC.
La presse médicale a été l'expression fidèle des activités
du corps médical depuis le début du siècle. Sur le plan
scientifique, elle débuta en 1920 avec l'Union Médicale de
Casablanca qui créa le journal, le Maroc Médical. Les
difficultés de la naissance n'ont pas empêché, après des
hésitations qui ont duré un an, de reprendre en 1921 et
continuer de nos jours. Elle s'appuya pendant un demi-
siècle sur le même organe, le "Maroc Médical", qui publia
cinquante ans durant, plus de 500 numéros. La durée de ce
journal, le rythme régulier de sa parution, légèrement
ralenti par l'époque trouble de la deuxième guerre
mondiale, témoignent de la volonté tenace de celui qui l'a
pris en main à sa première année, et de ses comités
organisateurs et scientifiques. Emile Speder, que nous
avons cité plusieurs fois, fut le maitre d'œuvre de ce
journal, à la destinée duquel, il a présidé vingt sept ans,
depuis 1921. Il ra fait d'abord seul, puis fut aidé par le
dermatologue Eugène Lepinay. Celui-ci en continua la
direction après la mort de Speder en 1948. En 1950, le
Maroc Médical continua à paraitre sous la direction de
Mlle Faivre qui fut son administrateur-gérant, depuis
1932. En 1956, sa direction fut assurée par J.Chenebault,
qui lui donna un second souffle de vitalité. Ce journal
accompagna fidèlement l'activité des médecins et de la
Société de Médecine et d'Hygiène du Maroc. Il fut l'écho
de travaux nombreux et devint le centre de la formation
postuniversitaire par l'organisation des colloques et des
conférences. Il institua en 1953, un prix de thèse annuel,
pour récompenser la meilleure thèse faite par un interne
des hôpitaux du Maroc, sur un sujet de pathologie
marocaine. Les locaux de ce journal, devinrent un foyer
fréquenté par les médecins. Ceux-ci y trouvaient de
nombreux ouvrages et plusieurs revues spécialisées
françaises et étrangères. Le journal" Maroc Médical" fut
repris, après le départ à la retraite du Dr Chenebault, par le
Pr Abdelkader Tounsi. Celui-ci continue à le maintenir en
vie, mais il n'a plus la vitalité d'antan.
11 fut peut-être victime de sa direction d'origine, qui
refusa de marocaniser ses cadres en 1964. Le devenir de
ce prestigieux journal fut le même que celui d'autres
journaux médicaux qui lui ont succédé. Leurs promoteurs
les considéraient comme leur propriété privée. Ils sont
parti à vau-l'eau avec le changement. Les médecins
marocains ont créé le Journal de Médecine du Maroc
(Acquaviva, Benacerraf, Bennani, Ghoti, Kabbage). Ce
journal parut quinze ans, publia régulièrement les travaux
des sociétés de médecine et de chirurgie, ceux des
journées médicales maghrébines et ceux des premiers
congrès médicaux maghrébins. 11 a disparu en 1979, après
le départ des médecins à temps partiel qui en assuraient la
publication. Sur l'initiative des enseignants de Rabat fut
créé le journal "les Annales Médico-chirurgicales
d'Avicenne" (Alami Taya, Alaoui Belghiti), qui dura
quelques années, et sur l'initiative des enseignants de
Casablanca fut créée la revue Marocaine de Médecine et
Santé en 1978. (El Jaï, Benchemchi, Bennani Smirès,
Harouchi, Nactrt), Cette revue tient la route depuis sa
naissance et maintient sa qualité. Elle a augmenté son
tirage. D'autres revues d'apparition récente, naissent
depuis 1990: le bulletin de la SMSM (l989), l'Espérance
Médicale, le bulletin de l'Institut Pasteur, la Revue de
Epidémiologique (Akalay), l'Objectif Médical et la Revue
Maghrébine de Psychiatrie.

Chapitre XIII
LES RESPONSABLES DE LA SANTÉ AU MAROC.
La création des services de santé et de la médecine
moderne au Maroc fut, comme nous l'avons dit, l'œuvre du
protectorat français et subsidiairement du protectorat
espagnol dans le nord et le Sud du pays. Après
l'indépendance, l'Etat marocain a maintenu l'organisation
héritée du protectorat français et l'a étendue peu à peu aux
régions récupérées sous domination espagnole et à la
région internationale de Tanger.
Au temps du protectorat existait une co-administration
centrale. Celle du Résident Général et celle du Makhzen
Chérifien, avec à sa tête le Sultan et quelques vizirs, dont
le nombre était réduit au départ, au grand Vizir qui
disposait par délégation du Sultan d'une compétence
administrative et réglementaire générale, au vizir du
Habous et au vizir de la Justice. En 1947, deux autres
vizirs sont venus s'ajouter aux trois autres: le vizir de la
Maison impériale et le naib viziriel de l'Enseignement. En
1953, on a vu apparaître deux autres vizirs, rattachés au
grand Vizir, pour les questions administratives et pour les
questions économiques. A côté des viziriats, le protectorat
avait créé des directions qui correspondaient à des secteurs
ignorés de l'administration traditionnelle, dont la direction
de la Santé. A la fin du protectorat, Celle-ci eut un vizir
délégué en la personne du Dr Terrab.
La technocratie régna dans le domaine sanitaire au temps
du protectorat.
Rappelons que la première organisation fut décidée à
l'initiative du Maréchal Lyautey qui appela, installa les
premiers responsables et dicta les premiers règlements. A
la première organisation militaire, qui dura quatorze ans,
succéda une direction civile, mise en place en 1926, dans
la capitale de l'Empire Chérifien du Maroc, Rabat. L'ère de
la Direction de la Santé dura trente ans jusqu'en 1956.
Quatre directeurs ont fait l'essentiel dans cette
administration. Ils y sont restés jusqu'à leur retraite. Ce fut
le cas des trois premiers: Jules Colombani, Maurice Gaud,
et Maurice Boujean. Après leur retraite, ils ont continué
leur vie au Maroc jusqu'à leur mort, survenue parfois vingt
ans après (J.Colombani). Le Docteur Sicault passa la main
au premier ministre de la Santé, le Docteur Faraj et quitta
le Maroc pour diriger l'UNICEF. Ces quatre responsables
furent des commis avertis des affaires sanitaires. Ils ont
passé le plus clair de leur temps dans l'administration.
En quarante ans, l'Etat marocain nomma successivement
jusqu'en 1994, onze ministres. Ceux-ci furent tous
médecins, sauf Taieb Bencheikh qui est économiste. Les
nécessités de la politique, le critère de l'ancienneté, la
brièveté des premières formations gouvernementales,
parfois les dosages politiques furent les raisons du nombre
important des ministres depuis l'indépendance.
Les ministres ont appartenu à des secteurs de pratique
différents: le secteur public, le secteur de l'enseignement
médical ou le secteur privé.
Personnalités en vue, quand elles furent appelées à leur
mission, elles ont obéi à une idée directrice: améliorer
l'état de santé du pays et de ses habitants. L'Histoire
montre que les premiers avaient le souci de préserver
l'héritage et de conserver la "maison debout". Les
problèmes du personnel, ceux de la gestion des structures
ainsi que ceux de la prévention furent l'essentiel de la
politique qu'ils ont menée. Ils ont eu aussi les velléités
d'avoir une vision globale de la situation sanitaire. Très
tôt, l'action sanitaire fut divisée et répartie entre six
ministères, pour laisser au département de la santé, la
gestion des structures, la prévention, la Pharmacie
Centrale et l'assistance sociale. Par ailleurs la santé
publique sembla au fil du temps occuper un rang modeste
dans la hiérarchie des soucis de l'Etat. Son budget fut de
7% en 1970 et tomba à moins de 5% Après 1975. Après
1980, l'annonce de la politique de la santé pour tous, avait
laissé croire (R.Rahhali) à un nouveau programme et à une
nouvelle orientation; puis la politique de l'accès aux soins,
soutenue par Mr Taieb Bencheikh et le Pr Harouchi,
proposa, par la recherche dans le développement des
assurances maladies, une solution financière aux soins.
Ces grandes idées ne furent pas simples, ni faciles à faire
admettre par tous.
Finalement, tous les ministres ont laissé l'impression
d'avoir essayé de gérer les structures et ont ajouté dix mille
lits aux structures héritées. La gestion des structures
sanitaires, certes, est encore préoccupante, et ne semble
pas avoir trouvé sa meilleure formule.
Le 26 juin 1994, fut organisée (Pr Harouchi) une journée
nationale autour du thème: politique de santé et gestion.
Devant les réalités pugnaces, les questions furent simples,
mais les réponses ne le furent pas.
L'Histoire montre que certains ministres ont multiplié les
rencontres de réflexions en associant les partenaires
intéressés et les professionnels de santé, et d'autres se sont
réfugiés dans le silence.
A côté des ministres, il y a une administration faite de
chefs de services centraux et d'inspecteurs. Cette
administration est sensée appliquer l'action qui fut toujours
centralisée. L'Histoire montre aussi qu'avec l'arrivée de
chaque ministre beaucoup de responsables administratifs
sont changés. D'autres regagnent de l'intérêt ou le perdent.
Le renouvellement au niveau des cadres préfectoraux et
des grandes formations hospitalières, s'opère aussi avec
chaque ministre.
Les rapports avec le secteur privé ont été de pure forme.
Ce secteur ne fait pas partie de la sphère d'influence du
Ministère de la Santé, malgré le désir qu'il a toujours
manifesté d'apporter, sans le pouvoir, sa contribution à
l'œuvre de celui-ci.
Ont été ministres de la Santé Publique et successivement
de 1956 à 1994, Abdelmalek Faraj, Youssef Belabbès,
Abdelkrim El Khatib, Larbi Chraibi, Abdelmjid Belmahi,
Abderrahmane Touhami, Ahmed Rarnzi, A.Touhami
(deuxième fois), Rahhal Rahhali, Taieb Bencheikh,
Abderrahim Harouchi.

Chapitre XIII
LA MÉDECINE MODERNE FACE À L'ÉTHIQUE ET
LA DÉONTOLOGIE.
Voilà une médecine qui a pris une forme classique. Elle a
pris aussi une forme personnalisée, rejoignant son ancêtre
la médecine arabe, nourrie de la science d'Hippocrate et de
Galien, en adaptant lentement à une société islamique
l'éthique et la déontologie hellénistique reçues de l'héritage
colonial européen.
Elle a ses responsables, son personnel, ses producteurs et
ses problèmes du présent et de l'avenir.
"La science 'nécessite de la création et de l'invention, mais
la religion rappelle d'une façon répétitive la discipline
requise par ses normes fondamentales". (M. Chebel)
La médecine marocaine, élevée par une nourrice
étrangère, fut indépendante et libérale. Elle ne se soucia
pas dans sa jeunesse des notions de contraintes. Le
médecin marocain s'éduqua à son école, et prit cet aspect
"bifide", moitié respectueux des dogmes et règles, moitié
irrévérencieux, curieux, et scientifique". Il appliqua les
possibilités de son art. Il a recréé dans son domaine le
contraste, avec les handicaps qu'il provoque, entre la
science et la religion, comme l'ont fait aussi ses ancêtres
médecins arabes, il y a plus de huit siècles. Avicenne n'a
peut-être pas fait des avortements, mais il a décrit les
multiples procédés pour empêcher les grossesses.
Si nous parlons de l'éthique et de la déontologie dans cette
Histoire, c'est qu'elles ont animé un débat médical en leur
nom au Maroc, pour aider à trouver des solutions à
l'adaptation nécessaire aussi bien à la crise née de
l'incontournable respect des valeurs, qu'à la crise des
moyens.
"Nous sommes convaincu que vous détenez une grande
part de sagesse et que par l'exercice de vos responsabilités
humaines et professionnelles, vous vous attacherez
davantage aux préceptes de l'Islam, aux valeurs humaines
et à l'égalité qui doivent prévaloir dans ce domaine plus
que dans d'autres" (S.M le Roi Hassan II, 5 septembre
1985).
L'éthique et la déontologie sont deux domaines différents
que beaucoup ont confondus, juxtaposés, ou rapprochés.
Les américains parlent des éthiques.
Limitons nous à dire que, jusqu'en 1990, le débat avait
porté au Maroc, mais de loin, sur les grands problèmes nés
des grands progrès scientifiques et techniques, sur les
risques d'eugénisme et de déviationnisme et sur le
détournement du progrès technique destiné au bien pour
faire le non admis. Parfois, à leur sujet, religion, morale,
droit ont été interrogés, (Conférence sur l'Islam et la
planification familiale de Rabat, Décembre 1971). Les
réponses n'ont pas été univoques et ont montré deux
difficultés: la difficulté d'interprétation et la discordance.
A défaut d'une réponse claire on évoqua la nécessité de
mettre en place "une autorité de sages", habilitée à éclairer
et aider à prendre des positions. La Faculté, puis l'Ordre,
se posèrent comme candidats à cette mission sans jamais
pouvoir en être investis. Les connaissances acquises par
les hommes entraînent en évoluant l'évolution des mœurs.
Les lois évoluent aussi mais lentement, car le droit ne
prend en compte qu'avec retard le capital culturel et
sociologique. C'est seulement lorsque la nouveauté s'est
revêtue d'une certaine permanence que sa traduction dans
les textes peut être utilement envisageable. (Jean Bernard,
Académie Royale du Maroc).
Au Maroc, pays de tradition musulmane et de rite
malékite, les textes religieux gouvernent la morale et le
droit, ce qui laisse peu de place au débat "ouvert" sur
l'éthique. Si la commission d'éthique et de la déontologie
de l'Ordre National siégea six mois pour en débattre, elle
n'a pas discuté des grands problèmes. Elle apporta
quelques retouches au code de déontologie et proposa pour
celui-ci un texte, neuf ans après, au conseil du
Gouvernement (1994). Face à l'évolution des mœurs en
général et des mœurs médicales en particulier, l'éthique se
révèle être un sujet de simple discours, destiné à rappeler
des règles immuables, qui veillent sur elle. L'éthique doit
être respectée, même si personne ne peut et ne veut dire
quand et comment elle agira. Tout le monde sait que
devant le caractère inéluctable de l'évolution scientifique,
les nouvelles techniques triomphent, même s'il leur faut
passer par la clandestinité pour traverser les barrières
dressées.
En ce qui concerne le Maroc, quelles raisons ont-elles
emballé un peu la société des élites, pour débattre des
problèmes éthiques? Où se sont situés ces problèmes dans
les pays en voie de développement (PVD), en général, et
le Maroc en particulier, Ce pays doit faire face surtout à
une crise de moyens pour répondre à des besoins
élémentaires de santé. Si les PVD semblaient peu
intéressés par le débat, malgré les directives de Manille
(1981), leur silence et leur réserve se justifiaient par
l'inutilité du débat autour d'actes ou techniques inexistants
chez eux, même s'ils se développent dans quelques
"temples ésotériques". Mais l'absence de débat ne signifie
pas l'absence des problèmes!
Rappelons que la crise tourna autour de l'acharnement
thérapeutique, de l'euthanasie, d'une contraception en pré
et post-conception, pour réglementer la croissance
démographique, et d'une lutte contre la stérilité frustrante
par la conception in-vitro. Toute l'histoire tourna autour
d'un certain nombre d'actes devenus du domaine du
possible et qui montrent que l'homme s'approche de la
maîtrise des deux moments les plus mystérieux: sa
naissance et sa mort.
Les passions baissèrent peu à peu. Les prouesses
techniques gagnèrent insidieusement la sympathie. L'effet
premier du progrès fut de partager les médecins eux-
mêmes. Les uns se retranchaient derrière ce qu'ils
considéraient comme des valeurs fondamentales
intangibles, et ce fut l'attitude de l'Ordre, les autres, mus
par le souci de faire progresser l'application des
connaissances médicales, considéraient qu'une certaine
recherche ne devait pas connaître de limites. Dans la
société, circula la question restée sans réponse nette sur la
mission du médecin. Celui-ci ne sut jamais à qui la poser.
Quelques uns se hasardèrent à interroger l'Ordre, seule
autorité investie par les textes pour défendre la moralité et
la probité de la profession. La réponse fut nette et
tranchante. A l'urologue qui voulait organiser la
procréation médicalement assistée, et la congélation du
sperme, l'Ordre lui a répondu de faire de l'urologie, c'est-à-
dire que le médecin doit se limiter à soigner et éviter la
maladie.
Au-delà de ces considérations générales, disons quelques
mots sur l'aspect qu'ils ont eu chez nous.
La crise des valeurs fut plus atténuée que la crise des
moyens. Faute de débats réels, s'organisa un consensus
silencieux sur des postulats moraux et religieux faits de
règles immuables et sévères, pour satisfaire la "logique
sociale" de certaines demandes et que seul le médecin
recevait. Il en résulta qu'un code de déontologie moderne
devint impossible d'abord à écrire, à faire correspondre à
une certaine réalité, et à faire admettre après plus de
quarante ans de survie de l'ancien, jugé en gros, encore
suffisant.
En ce qui concerne les problèmes de naissance, l'opinion
s'est faite. Les recommandations filtrèrent à travers les
plans de développement quinquennaux de 1968-1972,
1973-1977 et 1978-1982, et une loi promulguée le l er
juillet 1967, autorisant l'usage de la pilule (le Lyndiol et le
Prévision), fournie sur ordonnance et puis sans
ordonnance, et la création des centres de planning familial.
Mais aucune politique globale n'a été adoptée. La
limitation volontaire des grossesses prit alors le vague
nom de régulation des naissances, qui devint un objectif de
santé publique, insufflé par le rapport de la Banque
Mondiale, le débat national de 1966 et la conférence de
Rabat de 1971. 25
La stérilisation des femmes par ligature des trompes,
rejetée par la conférence de 1971 sans montrer l'existence
de textes coraniques la concernant, fut largement
demandée, cotée par consensus à la nomenclature et même
remboursée par quelques systèmes de couverture existants.
En ce qui concerne le problème des greffes d'organes, une
certaine organisation sociale solidaire et familiale, à défaut
de réglementation, apporta quelques solutions de
circonstance (Benchekroun 1978, Hssissen 1986,
S.Benjelloun 1992-1993). On a fait quelques
transplantations rénales, (une quinzaine à Casablanca),
mais pas la transplantation qui reste un domaine à
organiser. A défaut de texte, l'action dans le domaine des
transplantations posera toujours des questions.
En ce qui concerne l'acharnement thérapeutique,
l'indigence des moyens en limita l'effet. Quand ce n'est pas
le médecin qui a baissé les bras, ce sont les familles qui
l'ont fait. Quand cet acharnement s'est produit, il n'a pas
été celui qui dépassa l'imagination. Sa modestie laisse
place parfois à une certaine demande de médicalisation de
l'agonie par une hospitalisation prolongée ou une
thérapeutique non convaincante.
La déontologie, écrite dans un Arrêté Résidentiel du 19
juin 1953, née d'une éthique helléno-chrétienne, semble
encore convenir à une pratique qui évolue et qui la
bouscule un peu. Si l'union "éthique" des secteurs de
pratique dans un ordre unifié comporte la promesse de
maintenir l'équilibre, le silence et l'attente des médecins
prouvent qu'une réforme dans ce domaine n'apporterait pas
la solution.
Chapitre XIV
LES MYTHES ET LES RITES QUI ONT INFLUÉ SUR
LA PRATIQUE MEDICALE.
L’Intérêt d'évoquer les mythes et les rites dans cette
Histoire, montre que les dogmes religieux, ne furent pas
les seuls à influer positivement ou négativement sur
l'action de la pratique médicale.
La mentalité. "L’imaginaire arabo-musulman" (Malek
Chebel, 1993), ont agi profondément sur la perception de
la pratique et l'avancée du progrès médical.
Ceux qui se sont imposés impérativement, et ont joué
positivement ou négativement, dans l'évolution, le furent
dans le domaine de la sexualité et de ses conséquences: le
planning familial et ses méthodes, la virginité, la fertilité,
la stérilité, l'impuissance, l'approche des organes sexuelles,
la nudité et la circoncision.
Le planning familial.
La société marocaine est nataliste.
En parcourant l'Histoire, on constate en général que les
hommes ont toujours éprouvé le désir d'avoir beaucoup
d'enfants.
La maternité est toujours sacrée et entourée de beaucoup
de précautions. L'enfant est conçu comme un
investissement pour les vieux jours et pour le travail. Le
monde rural mesure la terre arable par les unités de
"travailleurs". "Un khaddam" est la surface qu'un homme
peut cultiver et rentabiliser par son effort. Les femmes qui
connaissent les difficultés qu'elles ont d'en faire, se sont
secrètement rebellées contre leur mission et ont trouvé
seules les moyens pour alléger le poids de la maternité.
Quand les conditions de la vie sont normales, les enfants
sont utiles, et l'on regrette seulement qu'ils ne soient pas en
majorité de sexe masculin.
Ainsi, c'est la femme qui a inventé l'avortement,
l'infanticide et les mesures anti-conceptionnelles" (Wil
Durant), et c'est elle qui a poussé à les développer et à les
défendre jusqu'à nos jours. (L'usage de l'apiol, des
teintures de "kosbor" coriandre fut connu dans
l'avortement avant les procédés médicaux. Les nouveaux
nés mis sous les auges de lingère, parce qu' "ils sont des
monstres", sont des infanticides connus). De tous temps,
les motifs invoqués sont ceux des femmes: échapper aux
charges de l'éducation, garder une ligne et un ventre
jeunes, esquiver les risques d'une maternité
extraconjugale, éviter aussi les complications, la douleur
et la mort. Ce n'est que depuis quelques décennies que le
souci des besoins, de l'emploi, de la production ont rendu
le problème de la régulation des naissances un sujet de
débat général que partage l'homme et la femme de certains
milieux. Ce débat, associant l'homme et la femme à
égalité, met en évidence la recherche de la liberté, de
l'égalité des sexes et aussi l'individualisme et le luxe. La
révision de la Moudouana fut devenue nécessaire avec sa
particulière nouveauté: le certificat prénuptial (1993), pour
apporter quelques solutions à la condition de la femme. On
y eut, bien sûr, le souci de prémunir les membres du
couple contre les maladies sexuellement transmissibles et
surtout le Sida.
Dans le domaine de l'avortement: les juridictions
"modernes" se soumettent très généralement au diktat de
la chariâ, où règne un consensus abâtardi et hybride. C'est
notamment le cas de l'école Chafiîte qui, par la voix d'un
de ses éminents juristes, Ibn Hajâr, considère que
l'avortement est plutôt déconseillé, sans être totalement
interdit, pour peu qu'il survienne avant la période
d"'animation" du fœtus fixée à cent vingt jours après la
date supposée de sa conception. Mais de nombreux
jurisconsultes estiment qu'en Islam, la vie est donnée avec
l'acte intentionnel, et non pas après coup; la "niya" prime
sur le résultat. L'école malékite dans son ensemble
s'oppose à toute pratique abortive, indépendamment du
stade embryonnaire auquel est arrivé le fœtus. Les moins
rigoristes (tels les Hanâfites) mettent l'accent sur les
conditions "objectives" externes: environnement familial,
état de santé de la mère, conditions matérielles d'existence,
multiplicité de la progéniture, etc. Pour eux, certains
avortements -pris très tôt- sont salutaires à condition qu'ils
soient pratiqués dans les cent vingt jours (quatre mois) à
partir de la conception.
Dans leur extrême majorité, les théologiens musulmans
des quatre écoles du sunnisme réprouvent l'avortement et
condamnent encore plus fermement les avortements de
complaisance. Point d'avortements en Islam donc, sinon
ceux que le corps médical, en son âme et conscience, juge
nécessaires en raison de l'état physique réel de la patiente.
Ces avortements médicaux requièrent d'ailleurs l'accord
explicite du mari et de son épouse (Malek Chebel).
Le planning familial devient le Leitmotiv de tous ceux qui
s'intéressent de près ou de loin, au développement, à
l'économie, et à la croissance. Ils disent tous, et sans
détours que, s'il n'est pas entrepris, si le problème qu'il
pose n'est pas réglé, rien n'est envisageable à l'avenir, et
tous les efforts ne produiront pas l'effet attendu, Ainsi et
en raison de la poussée démographique, tout ce qui sera
installé aujourd'hui ne suffira pas demain ...
Les méthodes de la limitation de naissance, terme employé
pour éliminer les méthodes interdites, sont nombreuses.
Elles furent employées en fonction du temps.
- Les méthodes anciennes (ogino, toilettes...)
- Prolongement de l'allaitement le plus tard possible, il est
de plus en plus abandonné (dans l'enquête de 1987, utilisé
30% en ville et 70% en milieu rural).
- La pilule, à efficacité certaine, n'a pas été à la portée de
tout le monde aussi bien sur le plan financier que le plan
psychologique et cela malgré la formule proposée
récemment avec diminution du prix et du risque (nous
savons que 2,5 millions à 3 millions d'unités sont vendues
par année sur le marché et le compte montre que 6% de
femmes en âge de procréer l'utilisent).
Le norplant, usage à l'essai, n'a pas pu se généraliser.
-Le stérilet, opération chirurgicale, ne peut se faire partout.
-L'interruption de grossesse est interdite et ne peut se faire
que pour sauver une mère en danger. Elle requiert l'accord
du médecin administratif.
-La stérilisation de la femme par chirurgie ou
coeliochirurgie, ne peut ni se généraliser ni s'imposer ...
- Le programme d'éducation sanitaire, incitations, ciblant
surtout les filles et les jeunes femmes.
- L'instruction, la scolarisation qui sont certainement les
solutions d'avenir, ne peuvent pas se décider du jour au
lendemain. L'analphabétisme est encore important, (68%
chez les femmes et plus de 55% chez les hommes).
L'ensemble de ces méthodes peuvent constituer un
programme d'action dont il faut évaluer constamment la
portée.
Le Ministère de la Santé Publique (le Pr Harouchi) a
lancé, en septembre 1993, une campagne de planning
familial afin de sensibiliser la population aux problèmes
que représente la croissance démographique.
Le dernier recensement (1994) affirma l'existence d'une
population de 26.700.000 ha. et que l'indice de fécondité
est tombé à 3,6%.
Ce dernier chiffre confirme la tendance observée depuis
1990 dans les pays en développement, comme le Maroc,
vers le revirement jusqu'ici mal perçu, largement ignoré
des estimations et des projections démographiques. Cette
diminutions inattendue de l'indice de fécondité traduit des
changements profonds dans la société, trop souvent
considérée comme immobile dans ce domaine. Elle laisse
prévoir à terme un ralentissement de la croissance de la
population. Ce résultat relèverait du meilleur degré de
l'instruction observé dans les villes qui, prolongée, a eu
pour effet le retard des mariages, la recherche de l'emploi,
la recherche du confort, l'embourgeoisement et partant la
limitation des naissances.
Le modèle européen édifie sur le problème que pose la
régulation des naissances. Ayant du travail, jouissant de la
protection sociale pour la maladie et la retraite, l'Européen
se marie tard ou reste célibataire, (27% de la population
jeune) et produit peu d'enfants. On n'a pas besoin de lui
enseigner sur le plan du planning familial ce qu'il faut
faire. Au contraire, il a acquis une mentalité antinataliste,
que la nation cherche à limiter par des mesures sociales
d'encouragement à la naissance.
Aujourd'hui, en Europe la dénatalité, le vieillissement de
la population, posent des problèmes beaucoup plus
ennuyeux
La virginité
Elle a toujours posé un problème à la médecine et fait
partie des multiples difficultés qui n'engendrent jamais de
solution. Elle conditionne très souvent, dès le départ du
mariage, l'équilibre du couple.
En milieu marocain une des principales taches de la
morale se situe dans la réglementation des rapports
sexuels, répondant au souci permanent de préserver l'ordre
social.
"…La virginité, la chasteté, deux notions qui vont
ensemble sans signifier la même chose vont s'imposer
dans la morale humaine par l'institution de la propriété".
Dans l'Histoire, ces deux notions sont récentes, car la fille
primitive les redoutait. Pour celle-ci, la réputation d'être
stérile était plus redoutée que la perte de la virginité. Son
avenir se basait sur sa fécondité et la promesse de
maternité profitable. (Wil Durant).
La virginité prit encore plus de valeur sous le régime de
mariage par achat. La femme, fille vierge obtenait un prix
plus élevé. Son passé irréprochable devenait en quelque
sorte une garantie précieuse à des hommes, préoccupés par
la crainte de laisser leur fortune à des enfants qui ne sont
pas les leurs. Les prématurés nés des premiers mariages
ont toujours inquiété les maris!
La morale humaine n'a appliqué la notion de virginité qu'à
la femme. L'homme n'obéit pas à la même règle de
conduite et il n'existe pas dans l'histoire une société qui ait
exigé la chasteté de l'homme avant le mariage, comme, il
n'existe dans aucune langue de mot pour désigner l'homme
vierge?".
Comme elle n'est exigée que pour les jeunes filles, les
règles pour la maintenir se sont multipliées et vont des
méthodes barbares à la simple éducation de la fille par sa
mère.
L'enfermement, l'infibulation, méthode qui consiste à
munir la jeune fille d'un anneau ou d'un verrou empêchant
la copulation, la menace de mort, sont encore vivaces.
Depuis toujours, les mères ont amené à la consultation
leurs jeunes filles suspectes ou suspectées et ont imploré le
médecin de maintenir le secret sur la situation découverte
sur la réalité de l'hymen car "le père ou les frères tueraient
la fille s'ils apprenaient la vérité!".
Les consultations pour délivrance de certificat de virginité
ont toujours été demandées.
Certains praticiens délivrent un certificat de virginité à
toute demande, par crainte de provoquer des drames.
D'autres refusent de donner un document attestant d'une
situation fausse. D'autres enfin, refusent de donner tout
document répondant à cette situation.
Refaire les hymens, pratique chirurgicale qui provoque
l'hilarité des académiciens européens, se fait, car elle est
encore demandée.
La virginité reste l'un des mythes les plus rigides de
l'histoire sexuelle de la femme arabe. Elle signe encore
dans la conception populaire la dignité, l'honorabilité de la
fille et de toute sa famille.
L'homme du peuple, arabo-musulman, attache une grande
importance à l'intégrité de l'hymen et surtout celui de la
première épouse. Il répudierait le lendemain si les
premiers rapports n'ont pas rougi le linge.
Mais, quelle qu'en soit la condition de l'émigré,
intellectuel ou ouvrier, il présente la faculté d'accepter,
comme normal, d'épouser une étrangère non vierge,
comme il semble, aujourd'hui, que les jeunes générations
accordent moins d'importance à la virginité.
Il n'en demeure pas moins qu'un procès retentissant et
récent, condamna un gynécologue qui fut acteur de
réfection des hymens jugée comme une tromperie de la
société.

LA FERTILITE ET LA STERILITE.
Elles ont toujours fait l'objet de consultations auprès du
médecin et surtout quand la visite aux "Marabouts les plus
spécialisés", n'est pas suivie d'effet.
La demande de prise en charge de la stérilité du couple a
été toujours exprimée par l'homme et surtout par la
femme. Celle-ci est considérée, en milieu marocain,
comme la première responsable de la stérilité du couple."
Les remariages des mâles, restés sans progéniture et la
polygamie, ont toujours trouvé, un peu, leur justification
dans la stérilité du couple. Dans une consultation pour
stérilité, l'interrogatoire a longtemps suffi pour trouver à
travers l'histoire des conjoints et de la polygamie, le vrai
responsable de la stérilité. Les hommes qui se trouvent
dans cette situation, choisissent en effet la seconde épouse
ou une des épouses parmi les divorcées ou les veuves qui
ont fait des enfants.
Les médecins se sont toujours équipés pour répondre aux
problèmes de la stérilité par les hystérographies, les
spermogrammes, puis la microchirurgie, le guidage
échographique (1992) et la procréation médicalement
assistée, (Il existe trois laboratoires de fécondation in-vitro
au Maroc, depuis 1993).
Le problème que pose la procréation médicalement
assistée (P.M.A), dont quelques équipes ont d'ores et déjà
exposé leurs résultats et leur expérience, a été abordé par
plusieurs auteurs, aussi bien sur le plan des procédés que
des difficultés financières et éthiques.
Le débat qui agite un peu partout dans le monde les
médecins et chercheurs dans la bioéthique et l'accès à
l'embryon humain, concentre beaucoup de contradictions
et de dilemmes. Les dérives qui peuvent résulter de cette
avancée scientifique sont examinées par les médecins,
leurs institutions, tandis que le législateur tarde à prendre
les décisions.
Au Maroc et dans quelques autres pays arabo-musulmans,
le médecin équipé, porté par le progrès et le désir de
répondre à une demande réelle, qui augmente devant le
succès de la méthode, a ouvert des laboratoires et s'adonne
à cette pratique. Certes, le médecin s'encadre dans les
limites convenables et évite par lui-même le dérapage qui
inquiète ici et ailleurs.
La P.M.A. méthode de fécondation, est sur le plan éthique
à l'opposé de la contraception et de la limitation des
naissances. Le débat à son sujet peut différer selon les
pays. Certains peuvent être sévères à l'égard de la
contraception et l'être moins devant la P.M.A. et vice
versa. Aujourd'hui, on peut se demander si le débat et les
attitudes peuvent changer d'un pays musulman à l'autre
selon les rites suivis. Cette méthode a une première
finalité, c'est donner des enfants à des couples stables qui
ne peuvent en avoir pour raison anatomo-physiologique.
Cette finalité est "acceptable et ne pose aucun problème.
Celui-ci ne se pose que lorsque les embryons produits sont
l'objet de diagnostic préimplantatoire pour sélection d'un
embryon sain, (3000 maladies dues à des défauts portés
par un gène précis), ou modification du patrimoine
génétique. La conservation des embryons, la portée par
des femmes ménopausées et la multiplication des
embryons, à des fins de recherches, posent aussi et
poseront toujours des problèmes sous tous les cieux et
dans tous les cadres religieux. La bigamie offrirait une
solution à "la portée" et éviterait toute ambiguïté devant la
notion de la paternité requise, "semble proposer la dernière
fetwa des oulémas égyptiens".

LA CIRCONCISION
Traditionnellement ce rite s'applique à sept ans pour le
premier garçon. Il est appliqué à tous les mâles. Il n'est pas
médicalisé. Est-il possible de le faire? Considérée comme
une hygiène complémentaire, l'ablation du prépuce se fait
encore par le barbier réputé, aujourd'hui acquis à quelques
notions d'hygiène, La circoncision doit se faire selon une
technique bien précise, pour ne pas obliger à la
recommencer , Les enfants sont "kidnappés" par quelques
proches ou quelques voisins, et sont, remis à leurs mères,
qui ne participent pas au service, pour les consoler. La
notion toujours respectée de pratiquer cette opération sur
l'aîné des garçons, tard, à sept ans, retrouverait son origine
dans une précaution, prouvant par l'intervalle long que
l'enfant ne présenterait pas de défaut d'hémostase par les
blessures qu'il aurait eues avant. Les mariages consanguins
n'étaient pas rares. L'hémophilie existait et existe toujours
(Fondation Hassan II des Hémophiles, 1992). Le progrès
n'a éliminé qu'en partie cette notion qui ne s'applique pas
aux frères cadets.

LA NUDITE ET L'APPROCHE DES ORGANES


SEXUELS.
Elles ont posé et posent encore certaines difficultés, que le
temps aide à vaincre à peine. Aucun médecin n'a encore
vu un malade complètement nu et encore moins un malade
qui s'est déshabillé entièrement et spontanément
aujourd'hui. Le toucher vaginal et le toucher rectal sont
abhorrés, considérés encore honteux et parfois humiliants.
Le toucher vaginal est moins bien accepté pendant les
périodes des menstruations que pendant les métrorragies.
Il oblige les femmes à un jour de jeûne, s'il est fait pendant
le Ramadan.
Un rite positif s'installe depuis l'usage de la pilule: son
utilisation est parfois décidée par la femme pour supprimer
les règles considérées comme une souillure, afin de faire,
sans interruption, le jeûne du mois du Ramadan, ou
accomplir "tranquillement" le pèlerinage à la Mecque.

LE RAMADAN.
Depuis des siècles, règnent au sujet des problèmes de
l'observance du jeûne par les malades, les vagues des
discussions et le vague des discours.
Il y a déjà plus de dix siècles, les ancêtres de la sharia ont
indiqué aux malades de "manger si le mal est moyen". Ils
n'avaient certes que cette raison subjective pour dicter
cette attitude.
On aborde, depuis quelques années, ce problème pour
essayer de ne pas laisser le vague de l'opinion gérer la
situation. Aujourd'hui, les raisons médicales objectives de
ne pas observer le jeûne, paraissent nombreuses et
évidentes. Un opéré, un post-opéré récent, un
gastrectomisé, un diabétique, un insuffisant respiratoire ou
cardiaque et bien d'autres, offrent l'exemple précis des cas
équilibrés, qui ne souffrent pas, et qui relèveraient de
l'abstention du jeûne.
A la veille du ramadan, beaucoup de patients consultent
pour la seule raison de savoir si le jeûne est possible dans
leur cas. Ils viennent interroger la médecine pour avoir une
conduite face à leurs obligations religieuses. La réponse
du médecin, rarement tranchante, ne comporte qu'une
explication éclairant sur l'état de leur santé, mais ne
comporte aucune indication précise sur l'attitude à prendre
face au jeûne. Le médecin ne peut intervenir dans la
chaîne des arguments juridiques en matière d'Islam, pour
dicter une règle de conduite.
Un congrès international sur "la santé et ramadan" s'est
tenu à Casablanca le 20 Janvier 1994, présidé par SAR le
prince Héritier Sidi Mohammed. Vingt cinq pays y ont
assisté pour apporter leur soutien à la recherche dans le
domaine du ramadan et ses implications sur l'état de santé
des malades. Il a été démontré, dans ce congrès, que la
recherche dans ce domaine, doit s'orienter vers
l'organisation des rencontres entre chercheurs spécialistes,
médecins et oulémas, afin d'échanger leurs expériences et
leur savoir et de trouver des réponses aux questions que se
pose la population.
Néanmoins, il faut savoir, qu'au delà des concertations et
des congrès, certains malades ne suivront, en ce qui
concerne le jeûne, ni l'avis du médecin ni celui de tout
autre." Leur sens religieux se mêle à la "honte" de
s'adonner à l'alimentation, pendant que les autres membres
de la famille et de la société, observent le rite du carême.
L'esprit de communauté, de solidarité et d'appartenance à
une même culture, est très fort et intervient dans la règle
de conduite.
La Fondation Hassan II, pour la recherche sur "Ramadan
et santé", présidée par le professeur Farid Hakkou
pharmacologue, se réunit régulièrement depuis Janvier
1994.
Il est particulièrement difficile de conclure 'ce chapitre.
Des rites et des mythes nombreux existent. Les psychiatres
les connaissent bien plus. Ils interfèrent dans la pathologie
riche des névroses qui font courir les patients, qui en sont
atteints de consultation en consultation, d'un marabout à
l'autre. Ces malades deviennent parfois les victimes d'une
iatrogénèse thérapeutique médicale ou chirurgicale avant
de trouver leur remède auprès de la psychiatrie moderne…

CONCLUSION

Cette Histoire ne fut pas celle des hommes qui l'ont vécue
ou qui ont été au centre de l'action, mais bien celle des
faits qui ont engendré les hommes et provoqué leurs
actions. La démarche "déterministe" et le choix
"arbitraire", avons-nous dit, dès le départ s'imposa à nous.
Les générations de médecins se sont succédées aux
générations pour répondre à des exigences. Elles se sont
"retirées peu à peu", du devant de la scène pour laisser
place aux suivantes. Chacune a acquis avec le temps sa
propre force d'expansion et produit son effet jusqu'au
moment où, la tâche accomplie, sa nécessité n'étant plus
ressentie, elle fut remplacée.
Guerre de colonisation, guerres mondiales, résistance de
l'émancipation ont à peine ralenti l'action et influé sur
l'évolution.
Les générations ne se mêlent pas entre elles. Certes, les
périodes qui apparaissent tranchées se sont suivies dans la
continuité. Chaque génération a remplacé l'autre en
continuant son œuvre avec un esprit de "changement', et
l'a fait souvent au nom du changement.
Aujourd'hui encore, une nouvelle génération de médecins
prépare son arrivée à la veille de l'an 2000. Elle recrute
dans tous les secteurs ses représentants, parmi les
enseignants, les médecins privés, ceux du secteur public et
ceux qui reviennent de France après une longue absence.
Ils travaillent en équipe, partagent la tâche, en s'aidant de
l'anesthésie et de la réanimation modernes, et en installant
dans le domaine médico-chirurgical les moyens
sophistiqués. Ils se retrouvent dans les assemblées de leur
"corporatisme", pour élire leurs représentants. Ils veulent
créer leur "monde''.
Ils militent pour l'expansion de l'action médicale, la remise
à jour des textes législatifs. Ils verront, peut-être le
commencement de l'ère d'un meilleur accès aux soins, par
la généralisation du système d'assurances maladie à une
plus grande proportion de la population active. Ils se
soucient de plus en plus de la dimension "économique" de
leur profession (Congrès national de Médecine d'Agadir
1994).
La consommation médicale relancée, amoindrirait les
difficultés de leur endettement et leur permettrait l'usage
de leurs outils chers, mais de plus en plus réclamés par la
population. Celle-ci, aura, grâce à l'action médico-sanitaire
de ce siècle, bénéficié d'une meilleure qualité de santé et
gagné dans l'espérance de vie, estimée à 45 ans en 1920,
elle serait aujourd'hui de 66 ans.
Le progrès médical enjambe tous les obstacles et fait sa
place malgré toutes les difficultés. Partout et dans toutes
les périodes ont existé comme il existe de nos jours des
riches et des pauvres. Les soins sont exigés par tous, et
sont exigibles pour tous. L'accès aux soins de qualité,
demeure à la fin de ce siècle le progrès le plus important à
rechercher."... Il est impératif que nous rapprochions le
plus possible la médecine et les soins optimaux de chaque
marocain, où qu'il soit et quel que soit son niveau
social…" S.M. le Roi Hassan II, (25 Octobre 1989).
Ce siècle n'aura pas posé dans le domaine sanitaire un
véritable problème de société, de la dimension de celui
que pose déjà l'éducation et l'avenir de ceux qu'elle
produit. La santé, au-delà d'une certaine "revendication",
n'est pas encore ressentie comme un droit.
Dans tous les secteurs et dans toutes les générations, ont
existé des esprits vigoureux dans la défense des intérêts et
dans les oppositions de circonstances. Nourris du legs de
la science médicale, ils ont perçu les problèmes selon leur
sensibilité particulière, et ont fini par oublier dans une
forme de pardon renouvelé aux générations qui ont
précédé ou qui ont succédé. Ils ont défendu ensemble le
progrès médical et sanitaire, sans tenir compte de leur
tendance politique, Ils l'ont fait aussi, souvent autour de la
même table, face à tous les responsables politiques, sans
exception.
L'Histoire de ce siècle aurait pu être celle des hommes qui
l'ont marquée et répondu à ses exigences. (Hasard et
nécessité), cette Histoire reste à faire. Elle aurait, certes,
permis à travers le détail de leur vie, de montrer leur
action particulière, leurs ambitions et leur influence. Elle
aurait aussi permis de les citer, par dizaines, par centaines,
pour satisfaire à la justice requise par l'œuvre de
l'ensemble.
Lorsque nous avions jugé nécessaire d'entreprendre le
travail de la synthèse intelligible des faits ayant une
signification dans l'Histoire de l'action médico-sanitaire de
ce siècle au Maroc, il nous a fallu rassembler plusieurs
écrits, articles, et mémoires épars et surtout faire appel à
l'aide de ceux qui ont participé en partie à cette action et
en furent les témoins.
Notons qu'il existe peu d'écrits qui tracent l'Histoire de
l'action sanitaire se rapportant à ce siècle au Maroc. Notre
principale intention était d'apporter notre contribution dans
ce domaine.
Notre but aussi était de montrer les conditions nécessaires
à la compréhension des données des époques et des
périodes, par l'analyse phénoménologique d'une œuvre
sanitaire basée sur l'apport d'une science nouvelle, et d'une
organisation nouvelle que des hommes de ce pays, ou
venus d'ailleurs, ont entreprise durant toute leur vie active.
Certes, l'histoire de la santé et de la médecine que nous
qualifions de moderne, commença avec celle de la
colonisation et se développa avec l'avènement de
l'indépendance, mais le résultat devient autonome des
hommes qui l'ont jalonnée.

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