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« Le maréchal Lyautey n'a pas fini de servir la France ». C'est en ces mots
que le général de Gaulle en 1961 rendit hommage au maréchal de France et
académicien à l'occasion d'une cérémonie posthume. En effet, le général de
Gaulle avait vu en Hubert Lyautey un visionnaire, celui qui avait compris que
l'officier, en dehors de ses missions de premier ordre, possédait un rôle
particulier; le cadre militaire devait accomplir un rôle social. Lorsque le
capitaine Lyautey écrivit le « rôle social de l'officier » à la fin du XIXe siècle,
celui-ci s'était aperçu que l'on prenait bien plus soin des chevaux dans son
régiment de cavalerie que des soldats. Et lors de la parution de cet essai, il
provoqua de vives réactions, souvent hostiles à ces nouvelles idées sociales, au
sein des états-majors français. Mais quand est-il aujourd'hui du rôle social de
l'officier ?
Pour répondre à cette question, il convient en premier lieu de définir ce que
signifie « rôle social » au sens strict des termes. D'autre part, pourquoi il est
nécessaire de se pencher sur la question du rôle social de l'officier dans les
armées ?
1- Le rôle social
Comme il l'a été évoqué ci-dessus, être militaire c'est être capable de
faire preuve de sacrifice. Et lorsque l'on parle de sacrifice dans les armées, on
est tout de suite tenté de penser au sacrifice ultime, à la mort. Effectivement,
quand le militaire s'engage il est prêt à donner sa vie pour son pays. Et si l'on
pense aux militaires américains, anglais ou canadiens lors du débarquement en
Normandie le 6 juin 1944, qui sont tombés sur les plages françaises, être
militaire s'est aussi accepté de donner sa vie pour un pays qui n'est pas le sien.
Où alors servir des idéologies politiques auxquelles le militaire n'adhère pas.
On peut songer aux plus de 3000 soldats américains qui ont laissé leur vie en
Irak. Il n'est pas sûr que ceux-ci cautionnaient véritablement l'intervention
américaine dans ce pays. Mais le sacrifice peut tout aussi bien se traduire par
une blessure ou un handicap qui aura pour conséquence de bouleverser la vie
d'un militaire. Mais en dehors du sacrifice physique, il y a le sacrifice moral. En
effet, s'engager dans l'Armée s'est mettre entre parenthèses sa vie personnelle
et familiale, avec de longues absences pour des missions opérationnelles,
parfois répétitives qui peuvent avoir raison d'un couple ou d'une famille. La vie
de nomade que connaît le militaire ainsi que sa famille, par des affectations
multiples qui amènent constamment ceux-ci à bouger, ne prête pas à la
sédentarisation et au confort. D'autant que dans notre société où l'immédiateté
prime sur la patience et le bien-être sur le renoncement, il est de plus en plus
difficile de supporter ce type de situation. Aussi, depuis la professionnalisation
des armées et la suspension du service militaire, le lien Armée-nation qui
pouvait exister est rompu. Déjà l'impopularité des différentes guerres de
décolonisations, Indochine et Algérie, avait déjà commencé à l'entamer. Le
militaire peut donc se trouver isolé face à des valeurs qu'il souhaite défendre
ou du moins auxquelles il adhère. Enfin, l'Armée est constituée d'une
population d'hommes et de femmes d'une moyenne d'âge de vingt-six ans,
donc jeune, pouvant adopter des conduites à risque. On pense notamment à
l'alcoolémie grandissante chez les jeunes que l'actualité nous révèle et qui
peut-être le signe d'un abandon de certaines institutions telles que la famille,
l'école ou l'état, mais qui assurément est le signe d'un malaise. Après cette
liste d'idées non exhaustive l'on s'aperçoit qu'il incombe à l'officier une
dimension supplémentaire à son métier que celui du seul cadre. Mais quel est-il
réellement ?
« Il faut tout leur donner pour pouvoir tout leur demander ». Voilà la
définition que se faisait le général Rollet, officier de la Légion étrangère
surnommé « Père Légion », contemporain du maréchal Lyautey, sur ce que
devait être l'attitude que l'officier devait tenir face à ses hommes. Il est juste
de penser qu'un investissement sans bornes de l'officier pour ses subordonnés
entraînera une adhésion totale de ceux-ci dans les différentes tâches qu'ils
auront à accomplir. Et cette idée est toujours d'actualité. Il n'est pas exagéré
de dire que cette relation peut se traduire par l'amour du chef pour son soldat.
Il est à noter, si l'on se rapporte à la tradition de la légion étrangère, que
l'officier passera la fête de Noël avec ses hommes plutôt qu'en compagnie de
sa famille. Aussi, le geste du lieutenant-colonel de Gaulle arborant un brassard
noir pour marquer le deuil d'un de ses hommes orphelin fait partie des gestes
forts qu'un officier peut pratiquer et qui sont le reflet de la relation vraiment
particulière qu'entretient l'officier avec son subordonné. Et celui-ci n'hésitera
pas à sacrifier sa vie pour son chef. Mais en dehors de tout champ de bataille,
l'officier a différents moyens de montrer de l'égard, de la considération pour
ceux qu'il commande, de se donner pour reprendre le terme du général Rollet.
Il peut par exemple accompagner un militaire dans son développement et son
accomplissement l'aidant à s'élever sur le plan professionnel. Sur le plan social,
entretenir un esprit de cohésion au sein d'une unité aura pour conséquence
d'améliorer les rapports humains et donc la qualité des services rendus. Le rôle
social de l'officier qui fait toute la spécificité du métier de militaire donne un
peu plus de noblesse à la mission du cadre dans les armées.