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THESE DE DOCTORAT DE GÉOGRAPHIE

L'UNIVERSITÉ DE NANTES
COMUE UNIVERSITÉ BRETAGNE LOIRE

ECOLE DOCTORALE N°598


Sciences de la Mer et du littoral
Spécialité : « Géographie »

Pierre Dit Jorès MÉRAT

« Le littoral, le cœur de la pauvreté en Haïti »

« Quand les politiques publiques appauvrissent les territoires»


Thèse présentée et soutenue à l’Institut de Géographie et d’Aménagement
Régional de l’Université de Nantes, le 10 décembre 2018
Unité de recherche : UMR 6554 CNRS. Littoral, Environnement, Géomatique, Télédétection

Composition du Jury :
Béatrice CHAUDET, Maître de Conférences. Université de Nantes. Examinatrice

Michelet CLERVEAU, Maître de Conférences. Université d’Etat d’Haïti. Examinateur

Thierry GUINEBERTEAU, Maître de conférences, Université de Nantes. Examinateur

Fréderic LÉONE, Professeur des Universités, Université Paul Valéry, Montpellier. Rapporteur

Bezunesh TAMRU, Professeure des Universités, Université de Paris 8. Rapporteur, Présidente du Jury

Directeur de thèse

Michel DESSE Professeur des Universités, Université de Nantes.


Le littoral, le cœur de la pauvreté en Haïti: quand les
politiques publiques appauvrissent les territoires
Le littoral, le cœur de la pauvreté en Haïti: quand les
politiques publiques appauvrissent les territoires

Lè yon nonm san senk sa pa di li malere pou sa


Sa ki gen lajan, ki paka manje, ki paka dòmi Se yo’k
malere.
(Le bonheur est accessible sans argent)
Extrait de la chanson “Malere” du groupe Frères
Déjean de Pétion-Ville
A ma mère Jeanne Virginia Victor D’Orléans MERAT
qui, trop souvent, a accepté que son fils unique ne soit
pas disponible pour elle. Ses appels téléphoniques
répétés, pour s’enquérir de mes nouvelles, n’étaient tout
simplement que des piqures de rappel sur la solitude
d’une vieille dame de plus de 80 ans dans sa maison de
retraite sur le littoral du sud du pays.

1
Remerciements

Une thèse, évidemment, c'est un travail de longue haleine, un challenge que l'on se donne à soi-
même. Mais c'est surtout une formidable histoire de relations, de rencontres, d'amitié,
d’affrontements et de confrontations (d’idées). La pratique de la recherche scientifique vous
place souvent face à des questionnements intellectuels et des obstacles techniques. Les solutions,
rarement simples et linéaires, ne se sont jamais trouvées au premier coup. Elles se sont imposées
par le fruit des nombreux contacts que j'ai eu l'occasion de nouer avec de nombreuses personnes
passionnées, dans leur fonction et dans leurs spécialités. A cet effet, j'aimerais remercier tous
ceux et toutes celles qui, d'une manière ou d'une autre, ont contribué à la réalisation de rendre
cette thèse.

Mes remerciements s’adressent d’abord à mon directeur de thèse, le professeur Michel DESSE,
pour sa grande patience à mon égard et surtout pour m’avoir appris à être « plus concis » ce qui
est un outil indispensable dans un travail de recherche. Je le remercie vivement pour la confiance
qu’il m’a témoignée en acceptant la direction scientifique de ma thèse. Je lui suis reconnaissant
de m’avoir fait bénéficier tout au long de ce travail de sa grande compétence, de sa rigueur
intellectuelle, de son dynamisme, et de son efficacité que je n’oublierai jamais. Nos premiers
contacts et mise au point à Nantes ont été décisifs pour l’orientation de ma recherche. J’ai
bénéficié de sa haute compréhension du contexte haïtien. Sa relecture méticuleuse de chacun des
chapitres et ses annotations judicieuses m'ont sans aucun doute permis de préciser mon propos et
de l’achever. Ses remarques et conseils m’ont permis d’ajuster adéquatement les contours de mes
premières préoccupations à ceux d’un travail de recherche pertinent et utile, je lui témoigne toute
ma gratitude.

Je remercie également tous mes collègues de l’Observatoire National de la Pauvreté et de


l’Exclusion Sociale du Ministère de la Planification et de la Coopération Externe (MPCE) pour
leur aide. Je cite principalement Jean Malherbe Fritz Berg Jeannot pour le temps consacré à la
relecture de mon texte. J’adresse aussi mes remerciements aux institutions que je nomme «
ressources » dans ma thèse et qui m’ont permis de mieux comprendre les contours de la pauvreté
dans le contexte haïtien : la Commission Nationale de la Sécurité Alimentaire (CNSA), la
Direction de la Planification Economique et Sociale (DPES), la Commission Economique Pour
l’Amérique Latine (CEPAL), le Programme des Nations –Unies pour le Développement (PNUD-

2
Haïti), la Banque Mondiale, le Centre National de l’Information Géo-Spatiale (CNIGS) et
l’Institut Haïtien de la Statistique et de l’Informatique (IHSI) dans le cadre de plusieurs dizaines
d’ateliers de travail, de conférence et de tables rondes sur les phénomènes de la pauvreté et de
l’exclusion sociale.

Mes remerciements vont aussi à Ruthnie AUXCEANT du Centre d’Etudes et de Recherches


Haïtiano-Caribéenne (CERHCA). Elle a coordonné le travail d’une petite équipe d’étudiants sur
l’appropriation du littoral dans le Nord, le Sud, la Grande-Anse, l’Ouest et l’Artibonite. Les
rapports de mission ont apporté des réponses à certaines de mes interrogations sur le rapport
qu’entretient le citoyen haïtien avec le littoral selon son lieu de résidence. Comment oublier
notre regretté Claude Grand-Pierre, un fonctionnaire de carrière et fier de l’être mais disparu trop
tôt, à qui j'aurais tant aimé faire lire cette thèse. Son travail resté inédit sur les Organisations
Non Gouvernementales a aiguisé ma lecture sur ces entités comme acteur de facto dans
l’aménagement du territoire et le développement économique national.

La famille, en Haïti et ailleurs, est un rempart contre la pauvreté et dans le cadre d’un travail de
recherche elle pèse de tout son poids. Mes garçons Hans McJorès et Kris-Ruud ont pu jouer
valablement le rôle de chef de ménage en guise de compensation de mes absences répétées liées
à ce travail de recherche. Ils méritent un grand merci et je leur dédie ce travail.

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TABLE DES MATIÈRES
Introduction générale ........................................................................................................................... 22
Les partis pris méthodologiques ........................................................................................................... 26
Objectifs de ce travail de recherche ..................................................................................................... 26
A- La théorie de la pauvreté spatiale .................................................................................................... 26
B- La théorie de la construction nationale ............................................................................................ 30
C- La théorie institutionnaliste à travers les politiques publiques ........................................................ 32
Hypothèses de recherche ..................................................................................................................... 34
Les méthodes et les outils de recherche .............................................................................................. 35
Conclusion ......................................................................................................................................... 42
Organisation du travail ......................................................................................................................... 44
Première partie ..................................................................................................................................... 46
Chapitre I .............................................................................................................................................. 49
Considérations générales sur la Républiques d’Haïti et sa pauvreté .................................................... 49
1- Contours de la pauvreté dans le pays ............................................................................................ 50
a- Une sévère pauvreté des biens.................................................................................................. 51
b- Une pauvreté économique handicapant ................................................................................... 56
c- Une pauvreté sociale intolérable ............................................................................................... 59
2- Visages et typologie de cette pauvreté ............................................................................................ 61
a- Une pauvreté qui élit domicile à la campagne .......................................................................... 62
b- Une pauvreté qui affecte les travailleurs ................................................................................... 64
c- Une pauvreté qui décapitalise ................................................................................................... 71
3- Les incidences de cette pauvreté ..................................................................................................... 80
a- Une vulnérabilité conséquente.................................................................................................. 80
b- Une pauvreté génératrice de famille nombreuse et de violence urbaine ................................. 82
c- Une pauvreté accélératrice de la migration .............................................................................. 84
d- Une pauvreté qui redessine le tissu urbain ............................................................................... 87
e- Une pauvreté nourricière de l’informalité ................................................................................. 92
Conclusion ......................................................................................................................................... 95
Chapitre II ............................................................................................................................................. 97
L’inscription d’Haïti dans la dynamique de la pauvreté ........................................................................ 97

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1- Un cadre théorique national axé sur les référents mondiaux ................................................... 97
a- L’adoption de l’approche monétaire pour satisfaire la Banque mondiale ................................ 99
b- Le pays succombe aux sirènes des OMD ................................................................................. 104
Conclusion ....................................................................................................................................... 108
2- Les dynamiques régionales dans le domaine de la pauvreté ...................................................... 109
a- Un Indice de Pauvreté Humaine en constante amélioration dans les Amériques (1990-2015)
111
b- Une pauvreté accélératrice des flux migratoires dans le cadre du pull and push régional ..... 112
Conclusion ....................................................................................................................................... 116
3- Les particularités haïtiennes au regard la pauvreté................................................................. 117
a- Pauvreté : une notion très peu acceptée (pòv ou malere) ...................................................... 118
b- Des outils de lutte contre la pauvreté consacrant la primauté du territoire ........................... 119
Conclusion ....................................................................................................................................... 130
Chapitre III .......................................................................................................................................... 132
Où sont les pauvres dans le pays ? ..................................................................................................... 132
1- Les pauvres des champs .......................................................................................................... 133
a- Le taudis, son royaume qui manque de tout ........................................................................... 134
- Un mobilier domestique sommaire ......................................................................................... 134
b- Le pauvre rural achète plus cher que le non pauvre et les autres pauvres ............................. 135
c- Le marchandage grignote le capital temps du pauvre des champs ......................................... 136
d- Le pauvre des champs paie pour une quantité souvent faussée ............................................. 137
e- Le pauvre des champs est un exclus ........................................................................................ 138
- Son milieu de vie et de production est sévèrement sous-équipé ............................................ 138
f- Un pauvre sous le coup récurrent des chocs de tout ordre .................................................... 140
Conclusion ....................................................................................................................................... 142
2- Les pauvres des villes ................................................................................................................... 142
Le pauvre des villes n’accède pas aux produits de qualité .............................................................. 144
Les médicaments consommés par le pauvre l’appauvrissent et le tuent ........................................ 145
3- Les pauvres des frontières ........................................................................................................... 152
a- Une pauvreté sous les effets du pull and push ........................................................................ 154
b- Une pauvreté des frontières qui se féminise par le commerce informel ................................ 156
Conclusion ....................................................................................................................................... 159
4- Les pauvres des Iles adjacentes ................................................................................................... 159

5
a- Des espaces totalement en décalage avec le reste du territoire. ............................................ 160
b- Les iles, un espace de vie et de production prisonnier de la pauvreté. ................................... 161
- La Gonâve, le condensé du naufrage des îles dans l’espace haïtien........................................ 162
Conclusion ....................................................................................................................................... 165
Conclusion du chapitre .................................................................................................................... 166
Chapitre IV .......................................................................................................................................... 168
Une construction nationale et territoriale tournant le dos à la mer et génératrice de pauvreté ...... 168
1- L’intérieur, le pays utile en construction depuis 1804 ............................................................. 170
a- Le remplacement de la canne à sucre par le café .................................................................... 171
b- Des infrastructures de défense dessinent le pays utile ........................................................... 172
Conclusion ....................................................................................................................................... 175
2- Le triomphe de la centralisation desséchant depuis l’occupation américaine de 1915 débouche
sur la macrocéphalie de Port-au-Prince.............................................................................................. 176
a- Les forces de nuisances des régions sont anéanties ................................................................ 176
b- Les capitales régionales sont satellisées .................................................................................. 178
Conclusion ....................................................................................................................................... 185
3- L’Impact du séisme du 12 janvier 2010 ....................................................................................... 186
a- Donner plus de place aux régions, une idée ancienne renouvelée ......................................... 186
b- Une nouvelle logique institutionnelle locale pour répondre aux besoins fondamentaux ....... 189
b- Le choc du séisme de 2010 comme prétexte pour la refondation territoriale ........................... 191
Conclusion du chapitre .................................................................................................................... 198
Conclusion de la partie .................................................................................................................... 200
Deuxième partie ................................................................................................................................. 203
Le littoral comme réceptacle de la pauvreté ...................................................................................... 203
Chapitre V ........................................................................................................................................... 205
Les vagues d’arrivées sur le littoral ..................................................................................................... 205
1- Les premiers mouvements vers les littoraux ........................................................................... 205
a- Fuir le caporalisme agraire dans les campagnes...................................................................... 206
b- Contourner le dirigisme étatique : l’économie familiale contre l’économie nationale ........... 208
b- La contrebande comme source traditionnelle de revenus .......................................................... 210
c- L’autoconsommation contre l’appauvrissement ..................................................................... 212
Conclusion ....................................................................................................................................... 214
2- L’attrait du tourisme et des industries d’assemblages entre 1950 et 1970 ................................ 214

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a- Le littoral est mis en valeur dans la capitale en 1949 : le Bicentenaire et l’Exposition universelle
215
b- Un exode rural au profit du littoral sur fond de dictature ....................................................... 217
c- Une appropriation littorale au service des factories ............................................................... 218
Conclusion ....................................................................................................................................... 221
3- Dans les sillons de l’anarchie créée à la chute des Duvalier en 1986 .......................................... 221
a- L’occupation de l’embouchure de la rivière Bois-de-chêne à Port-au-Prince ......................... 222
b- De l’habitat insalubre contre des installations hôtelières : le cas du Domaine Idéal à Carrefour
223
c- De l’habitat précaire contre les installations militaires : le cas de la Marine haïtienne à
Carrefour ......................................................................................................................................... 224
Conclusion ....................................................................................................................................... 225
Conclusion du chapitre .................................................................................................................... 225
Chapitre VI .......................................................................................................................................... 227
Le littoral comme support de survie ................................................................................................... 227
1- Une occupation littorale en contravention avec la loi ............................................................. 228
a- Une absence de cadastre qui arrange tout le monde.............................................................. 231
b- Des autorités locales complices de l’abus de biens publics ..................................................... 232
c- Des statistiques en symbiose avec les réalités d’appropriation .............................................. 234
2- Les activités des populations traditionnelles ........................................................................... 237
a- Une pêche littorale de survie ................................................................................................... 238
- Une pêche dans le confinement spatial................................................................................... 239
- Des outils de pêche inefficaces mais nocifs pour la ressource ................................................ 240
- Des moyens de production à la dimension des outils utilisés ................................................. 243
- Des prises de plus en plus rares et de plus en plus constituées d’espèces juvéniles .............. 244
- Une image sociale du pêcheur peu valorisante ....................................................................... 245
- Une inscription spatiale liée à l’auto marginalisation .............................................................. 245
b- Une agriculture littorale de subsistance .................................................................................. 246
- Un contenu simplifié mais représentatif de l’agriculture nationale ........................................ 247
- Un arbre fruitier roi : le cocotier .............................................................................................. 248
- Une agriculture destructrice malgré tout ................................................................................ 250
c- Une exploitation appauvrissante des marais salants .............................................................. 251
d- Un cabotage important mais peu structuré ............................................................................ 254
- Un trafic hasardeux.................................................................................................................. 255

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- Un équipement rudimentaire et peu fiable ............................................................................. 256
e- Une exploitation anarchique des matériaux de construction ................................................. 261
Conclusion. ...................................................................................................................................... 263
3- Les nouvelles activités et nouveaux venus .................................................................................. 264
a- Une hôtellerie à deux vitesses ................................................................................................. 265
- Les structures hôtelières formelles du littoral ......................................................................... 266
- Des structures hôtelières informelles du littoral ..................................................................... 267
b- Une restauration singulièrement déconnectée de la mer ....................................................... 269
c- Une gamme de loisirs ponctuels investit le littoral.................................................................. 271
- La récurrence de plus en plus grande des festivals sur le littoral ............................................ 272
d- Des nouveaux occupants nageant à contre-courant de la légalité .......................................... 278
- Un petit commerce littoral axé sur la débrouille et l’informalité ............................................ 278
- Des aires littorales de contrebande et de trafic illicites .......................................................... 281
- Un littoral dopé par le trafic des stupéfiants ........................................................................... 284
Conclusion ....................................................................................................................................... 290
Conclusion du chapitre .................................................................................................................... 291
Chapitre VII ......................................................................................................................................... 293
Des formes spatiales de cette occupation littorale ............................................................................ 293
1- Habitat précaire isolé ............................................................................................................... 293
a- Un habitat précaire isolé au faciès homogène ........................................................................ 294
b- Un habitat qui colonise tout espace vacant du littoral ............................................................ 295
c- Un habitat sous-équipé mais qui s’adapte .............................................................................. 296
d- Un habitat peu soucieux de la mer .......................................................................................... 299
Conclusion ....................................................................................................................................... 300
2- Le bidonville majeur : le cas de Canaan ....................................................................................... 300
a- Un ensemble d’habitats prisonnier de l’informalité et de la vulnérabilité .............................. 301
b- Un quartier sous-équipé où la débrouillardise triomphe ............................................................ 303
c- Un quartier peu porté sur la mer et très éloigné du développement durable ........................ 303
Conclusion ....................................................................................................................................... 306
3- L’entreprise touristique ............................................................................................................... 306
a- Une entreprise dévoreuse d’espace ........................................................................................ 307
b- Un aménageur ravageur .......................................................................................................... 308
c- Un pollueur non payeur ........................................................................................................... 309

8
d- Un outil de reproduction de la pauvreté ................................................................................. 311
4- L’entreprise industrielle et les espaces vierges du littoral comme forme d’occupation ............. 312
a- Les forêts résiduelles de mangroves ........................................................................................ 313
b- Cimenteries et terminaux pétroliers ........................................................................................ 314
Conclusion ....................................................................................................................................... 316
5- La fermeture du littoral ............................................................................................................... 317
a- Un accès au littoral entravé par l’entreprise touristique ......................................................... 317
b- La concurrence comme témoignage de la faiblesse de l’État .................................................. 318
c- Le bidonville comme instrument d’ouverture ......................................................................... 319
Conclusion ....................................................................................................................................... 320
Chapitre VIII ........................................................................................................................................ 322
Pauvres et non pauvres sur le littoral : un mariage insoupçonné ...................................................... 322
1- Le poids de la juxtaposition ......................................................................................................... 322
a- Les ressources convoitées sont différentes ............................................................................. 323
b- Les contraintes et les risques encourus ne sont pas de même nature .................................... 324
c- Un littoral pour deux cadres de vie .............................................................................................. 326
2- Une complicité entre occupants riches et pauvres dans la dégradation du littoral .................... 327
3- Une cohabitation houleuse.......................................................................................................... 329
a- Le pêcheur-restaurateur est dénoncé par l’entreprise touristique ......................................... 329
b- Le petit marchand ambulant est chassé et l’intrusion du voisin-riverain est diabolisée ......... 332
Conclusion ....................................................................................................................................... 333
Chapitre IX .......................................................................................................................................... 334
Une dégradation littorale généralisée liée à la pauvreté : le cas de la baie de Port-au-Prince .......... 334
1-Une baie importante, riche et fragile .............................................................................................. 335
a- Les îles et îlets .......................................................................................................................... 335
b- La faune et la flore ................................................................................................................... 336
2- Des mauvaises pratiques de la pêche dans un contexte d’insécurité alimentaire ......................... 338
3- L’incapacité de gérer les déchets par un État pauvre ..................................................................... 340
4- Une pollution généralisée qui pose un grave problème de santé publique ................................ 341
a- Une pollution bactériologique dangereuse ............................................................................. 342
b- Une pollution chimique et industrielle insoupçonnée............................................................. 343
5- Un aménagement qui défigure et appauvrit le littoral ................................................................... 346
Conclusion du chapitre .................................................................................................................... 348

9
Conclusion de la partie .................................................................................................................... 349
Troisième partie .................................................................................................................................. 352
Pauvreté, aménagement et politiques publiques ............................................................................... 352
Chapitre X ........................................................................................................................................... 354
Des politiques publiques arrimées aux postures macroéconomiques mondiales .............................. 354
A- Considérations Générales .............................................................................................................. 354
1- Un État providence au service : de la dictature à la démocratie ............................................. 354
2- Une approche néolibérale voilée ................................................................................................. 356
Conclusion ....................................................................................................................................... 358
B- La logique des grands plans nationaux ........................................................................................ 358
1- La planification fait ses débuts avec la CONADEP........................................................................ 360
a- Un système national de planification peu efficace pour les pauvres ...................................... 361
b- Un chef d’orchestre avec des scores mitigés ........................................................................... 364
- Le Conseil National des Coopératives (CNC), un rempart contre la pauvreté ......................... 365
- Le Centre National de l’Information Géographique et Spatiale (CNIGS) pour cartographier
l’inscription spatiale des conditions de vie ...................................................................................... 367
- L’Observatoire National de la pauvreté et de l’Exclusion Sociale (ONPES) pour la vulgarisation
des savoirs sur la pauvreté .............................................................................................................. 368
Conclusion ....................................................................................................................................... 371
2- Les velléités de décentralisation de la constitution de 1987 ....................................................... 371
a- Une constitution promotrice du pouvoir local appauvri ............................................................. 372
b- Une vision maximaliste de la prise en charge sociale par l’État qui échoue ............................ 377
3- Le Document de Stratégie Nationale pour la Croissance et la Réduction de la Pauvreté ou la
réussite économique au-delà de la décentralisation .......................................................................... 384
a- Un plan national de développement dans une conjoncture difficile ....................................... 385
b- Pourquoi Haïti formule une stratégie de réduction de la pauvreté ? ...................................... 386
c- Un plan axé sur trois piliers ..................................................................................................... 387
- Le pilier des vecteurs de croissance ......................................................................................... 388
- Le pilier du développement humain ........................................................................................ 392
- Le pilier de la gouvernance démocratique .............................................................................. 396
Conclusion ....................................................................................................................................... 400
4- Le Plan Stratégique de Développement d’Haïti dans l’impossible décentralisation ...................... 403
a- Des plans nationaux en cascade .............................................................................................. 403
b- Le PSDH en quête d’une refondation territoriale .................................................................... 404

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c- La refondation économique proposée par le PSDH ................................................................. 407
d- La refondation sociale promise par le PSDH ............................................................................ 412
e- Une refondation institutionnelle qui redéfinit l’État ............................................................... 415
Conclusion ....................................................................................................................................... 417
Conclusion du chapitre .................................................................................................................... 418
Chapitre XI .......................................................................................................................................... 420
Les différents niveaux des politiques publiques ................................................................................. 420
1- La prédominance de l’échelle nationale ...................................................................................... 420
2- Une échelle locale timide et timorée........................................................................................... 423
a- Des acteurs nouveaux dans un contexte rivé sur le passé....................................................... 424
b- Des collectivités peu ingénieuses. ........................................................................................... 427
- La patente et la contribution foncière des propriétés bâties (CFPB) sont sous exploitées ..... 428
- Les ressources liées à l’identification ne sont pas mobilisées. ................................................ 428
c- Une lutte contre la pauvreté inconnue des collectivités locales. ............................................ 431
Conclusion ....................................................................................................................................... 433
3- Une échelle internationale agissante .......................................................................................... 434
a- Des acteurs étrangers sont déterminants dans les équipements collectifs ruraux et urbains 435
b- Des acteurs étrangers assurant aussi le management technique du corpus de l’aménagement
du territoire ..................................................................................................................................... 436
- Le projet de la réforme du foncier ........................................................................................... 437
- Le forum urbain national : construire la ville ........................................................................... 437
- Projet de sécurisation foncière : cadastre communal ............................................................. 438
- Les Aires Marines Protégées du Grand Sud via l’ANAP ........................................................... 438
- Pêche artisanale et projet de village des pécheurs ................................................................. 439
- Enquête nationale d’Estimation de la Production Agricole ..................................................... 439
- Recensement général de l’Agriculture..................................................................................... 439
c- Des acteurs étrangers sont parties prenantes majeures du suivi des objectifs nationaux ...... 440
d- Les acteurs étrangers organisent la demande sociale ............................................................ 441
- Des groupements et Associations communautaires sont encouragés .................................... 442
- Des tables de concertation locales assistées et aidées ............................................................ 443
Conclusion ....................................................................................................................................... 448
Conclusion du chapitre .................................................................................................................... 448
Chapitre XII ......................................................................................................................................... 450

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Un champ d’acteurs sans synergie ..................................................................................................... 450
A- Considérations théoriques ........................................................................................................... 450
B- Un État chef d’orchestre passif et failli ........................................................................................ 453
1- Un État non fonctionnel............................................................................................................... 453
2- Un État qui appauvrit sa population pour masquer sa faillite ..................................................... 455
a- L’élimination des porcs indigènes ou l’accélérateur de la pauvreté dans les années 80 ........ 456
Conclusion ....................................................................................................................................... 461
b- La politique de modernisation économique génératrice de régression sociale dans les années
90 461
Conclusion ....................................................................................................................................... 464
c- Une politique de reconstruction nationale post sismique accélératrice de pauvreté ............. 464
Conclusion ....................................................................................................................................... 468
3- Les entreprises, un aménageur qui ne ménage pas .................................................................... 469
a- Le cas du Parc Industriel de Caracol : un investissement important et prometteur ............... 470
- Des engagements fermes de l’entrepreneur pour un site fragile. ........................................... 470
- Des résultats peu convaincants. .............................................................................................. 472
Conclusion ....................................................................................................................................... 472
b- Des entreprises jouissant d'impunité en matière de pollution................................................ 473
Conclusion ....................................................................................................................................... 475
4- Les citoyens, un acteur qui impose ses normes........................................................................... 476
a- Le citoyen redessine à sa guise les traits de côtes ................................................................... 476
b- Les citoyens organisent l’espace par les marchés ................................................................... 478
Conclusion ....................................................................................................................................... 481
Conclusion du chapitre .................................................................................................................... 481
Chapitre XIII ........................................................................................................................................ 484
Les tentatives de prise en charge de la pauvreté par l’État ................................................................ 484
A- Le règne des Petits Projets de la Présidence (PPP) ...................................................................... 484
1- Une solution politico-administrative ........................................................................................... 485
2- Un exercice décrié et un bilan mitigé .......................................................................................... 486
Conclusion .......................................................................................................................................... 487
B- Le Programme d’Apaisement Social (PAS) de la décennie 2000 ................................................. 488
1- Une prise en charge axée sur l’aide externe ............................................................................ 488
2- Un contenu diversifié ............................................................................................................... 489

12
Conclusion ....................................................................................................................................... 492
C- L’EDEPEP pour la prise en charge de la période post-sismique ................................................... 492
1- Un programme ambitieux........................................................................................................ 493
2- Une mise en œuvre tapageuse, morcelée et douteuse ........................................................... 494
3- Un bilan gratifiant mais réversible ........................................................................................... 497
Conclusion ....................................................................................................................................... 499
D- La prise en charge de la pauvreté à l’ile-à-Vaches par le développement touristique ............... 500
1- Une ile au trésor dans un mauvais sort ................................................................................... 500
2- Une prise en charge par l’équipement en services sociaux de base ....................................... 502
Conclusion ....................................................................................................................................... 504
E- La prise en charge de la pauvreté par le village des pêcheurs..................................................... 505
1- Une politique sous l’effet de l’urgence .................................................................................... 505
2- Une action partagée par les ONG ............................................................................................ 507
3- Un contenu convaincant pour les pêcheurs ............................................................................ 507
4- Un bilan peu radieux ................................................................................................................ 508
Conclusion ....................................................................................................................................... 510
Conclusion de la partie .................................................................................................................... 511
Conclusion Générale ........................................................................................................................... 513
Annexe I .............................................................................................................................................. 518
MANDATS DES COMMUNES DANS LA CONSTITUTION HAÏTIENNE DE 1987 ...................................... 519
Annexe II ............................................................................................................................................. 521
TAXES FONCIÈRES EN HAÏTI - LA « CONTRIBUTION FONCIÈRE DES PROPRIÉTÉS BÂTIES » (CFPB) ..... 522
Annexe III ............................................................................................................................................ 524
Répartition des programmes du pilier Développement du Capital Humain suivant l’objectif, la cible et
le subside dans l’EDEPEP .................................................................................................................... 525
Annexe IV ............................................................................................................................................ 526
Répartition des programmes du pilier inclusion économique suivant l’objectif, la cible et le subside de
l’EDEPEP .............................................................................................................................................. 527
Annexe V ............................................................................................................................................. 528
Décret délimitant les eaux nationales d’Haïti ..................................................................................... 529
Annexe VI ............................................................................................................................................ 533
Questionnaire d’enquête .................................................................................................................... 534
Annexe VII ........................................................................................................................................... 539
Réflexions sur la paysannerie et la pauvreté en Haïti ......................................................................... 540

13
GLOSSAIRE .......................................................................................................................................... 546
Références bibliographiques .............................................................................................................. 551
LISTE DES DOCUMENTS ...................................................................................................................... 563
Tableaux .......................................................................................................................................... 563
Liste des figures ............................................................................................................................... 564
Liste des photos ............................................................................................................................... 565
Encadré ............................................................................................................................................ 566
LA RÉPUBLIQUE D’HAÏTI...................................................................................................................... 567
LA RÉGION MÉTROPOLITAINE DE PORT-AU-PRINCE .......................................................................... 568

14
LISTE DES SIGLES ET ABREVIATIONS

ADM Arme de Destruction Massive

AECID Agence Espagnole de Coopération Internationale

AM Assemblées Municipales

ANAP Agence Nationale des Aires Protégées

APN Autorité Portuaire Nationale

ARI Infections Respiratoires Aigues

ASEC Assemblée de la Section Communale

ASF Architectes Sans Frontières

AT Assistance Technique

BDS Bureaux de District Scolaire

BFI Besoins Fondamentaux Insatisfaits

BID Banque Interaméricaine du Développement

BIT Bureau International du Travail

BLTS Brigade de Lutte contre le Trafic des Stupéfiants

BM Banque Mondiale

BME Bureau des Mines et de l’Energie

BNC Banque Nationale de Crédit

BPH Banque Populaire Haïtienne

BRH Banque de la République d'Haïti

CAED Cadre de Coordination de l’Aide Externe au Développement d’Haïti

CAMEP Centrale Autonome Métropolitaine Eau Potable

CARE Cooperative for Assistance and Relief Everywhere,

CARICOM Marché Commun de la Caraïbe

CAS Caisse d’Assistance Sociale

CASEC Conseil d’Administration de la Section Communale

CCI Cadre de Coopération Intérimaire

CDMT Cadre de Dépenses à Moyen Terme

CELADE Centro Latino-Américain y Caribéen de Démographie

15
CEPAL Centre Economique pour l’Amérique Latine

CERHCA Centre d'Étude et de Recherche Haïtiano-Caribéennes

CFCM Centre de Formation Continu des Maitres

CFEF Centre de Formation des Enseignants du Fondamental

CFPB Contribution Foncière sur les Propriétés Bâties

CIAT Centre Interministériel de l’Aménagement du Territoire

CIOS Comité Interministériel d'Orientation et de Suivi

CIRH Commission Internationale pour la Reconstruction d’Haïti

CNC Conseil National des Coopératives

CNIGS Centre National de l’Information Géo-Spatiale

CNMP Commission Nationale des Marches Publics

CNP Commission Nationale de Pilotage

CNSA Commission Nationale de la Sécurité Alimentaire

CONADE Conseil National de L’Eau

CONADEP Conseil National de Planification et de Développement

CONASA Conserverie Nationale S.A

CPPH Carte de Pauvreté et de Potentialité d’Haïti

CSCCA Cours Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif

CSM Conseil Supérieur de la Magistrature

CT Collectivités Territoriales

CTD Commissions Thématiques Départementales

CTS: Commissions Thématiques Sectorielles

DCP Dispositifs de Concentration de Poissons

DDT Dichloro-diphényl-trichloréthane

DEA Drug Enforcement Administration

DGI Direction Générale des Impôts

DINEPA Direction Nationale de l’Eau Potable

DSNCRP Document Stratégique National pour la Croissance et la Réduction de la Pauvreté

16
DSRP Document de stratégie pour la Réduction de la Pauvreté

EBCM Enquête Budget Consommation des Ménages

ECBM Enquête Budget Consommation des Ménages

ECVH Enquête sur les Conditions de Vie en Haïti

ECVMAS Enquête sur les Conditions de vie des Ménages Apres le Séisme du 12 Janvier

EDH Electricité d'Haïti

EFACAP Ecole Fondamentale d’Application et Centre d’Appui pédagogique

EFIS Etablissement de Formation Initiale Spécialisée

EMMUS Enquête Mortalité Morbidité et Utilisation des Services

ENAOL Société Spécialisée dans la Location de terrain et d’autres biens immobiliers

ENI Ecole National d’Instituteurs

ENMP Enquête sur les Nouvelles Manifestations de la Pauvreté

EPPLS Entreprise Publique de Planification des Logements Sociaux

FAD'H Forces Armées d’Haïti

FAES Fond Assistance Economique et Sociale

FAFO Office allemand de coopération technique :

FAO Fond des Nations Unis pour L’Agriculture

FED Fédération Environnement durable

FENAMH Fédération Nationale des Maires d’Haïti

FGDCT Fond de Gestion des Collectivités Territoriales

FIA Formation Initiale Accélérée

FMI Fond Monétaire International

FNUAP Organisation des Nations Unies pour la Population

FRH Fonds de Reconstruction d'Haïti

GAC Groupe d’Action Communautaire

GCRDH Grand Chantier pour le relèvement et le développement d'Haïti

GCTRNDE Grand Conseil Technique des Ressources Naturelles et du Développement Economique

GO Dénomination d’une station essence

HAMPCO Haitian. American Meat Production Company

17
HASCO Haitian American Sugar Company

HIEQ Haute Intensité d’Équipement

HIFQ Holiday Inn French Quarter

HIMO Haute Intensité de Main-d’œuvre

IDASH Institut des Assurances Sociales d’Haïti

IDE Investissement Direct et Etranger

IDH Indice de Développement Humain

IFAD Fonds international de développement agricole

IHSI Institut Haïtien de Statistique et d’Informatique

IICA Inter-American Institute for Cooperation on Agriculture. :

IPC Indice de Perception de la Corruption

IPH Indicateurs de Pauvreté Humaine

MARNDR Ministère de l’Agriculture des Ressources Naturelles et du développement Rural

MAST Ministère des Affaires Sociales et du Travail

MCFDF Ministère de la Condition Féminine et aux Droits des Femmes

MCI Ministère du Commerce et de l'Industrie

MD Ministère de la Défense

ME Ministère de l'Environnement

MEF Ministère de l’Economie et des Finances

MENFP Ministère de l'Education Nationale et de la Formation Professionnelle

MICT Ministère de l'Intérieur et des Collectivités Territoriales

MJSAC Ministère de la Jeunesse des Sports et de l'Action Civique

MJSP Ministère de la Justice et de la Sécurité Publique

MPCE Ministère de la Planification et de la Coopération Externe

MSPP Ministère de la Sante Publique et de la Population

MTPTC Ministère des Travaux Publics du Transport et des Communications

NABATEC S.A Société de construction composée de la NABASA et de la TECINA

NATCOM National Télécommunication

NATIONAL Dénomination d’un distributeur de produits pétroliers

18
OCB Organisation Communautaire de Base

OCDE Organisation de Coopération et de Développement Économiques

ODD Objectifs du Développement Durable

OEA Organisation des États Américains

OECD Organisation de Coopération et de Développement

OFATMA Office d'Assurance Accidents du Travail, Maladie et Maternité :

OIT Organisation Internationale du Travail

OMD Objectifs Millénaires du Développement

OMRH Office Management des Ressources Humaines

OMS Organisation Mondiale de la Sante

ONA Office National d’Assurance Vieillesse

ONG Organisation Non Gouvernementale

ONPES Observatoire National de la Pauvreté et de L’Exclusion Sociale

ONPSS Office National de Protection et de Sécurité Sociale

ONU Organisation des Nations Unies

OP Organisations Populaires

OREPA Office Régional Ouest de

OSC Organisation de la Société Civile

PAARP Plan d'Action pour l’Accélération de la Réduction de la Pauvreté

PAM Programme Alimentaire Mondial

PARDH Plan d'Action pour le Relèvement et le Développement d'Haïti

PAS Politique d’Apaisement Social

PASA Participation Agency Service Agreement

PATH Haïti Christian Développement Fund

PCD Plans Communaux de Développement

PDNA Poste Disaster Needs Assesments

PEPADEP Projet d'Elimination de la Peste Porcing Africaine et du Developpement de l'Industrie


Porcine

PGA Action Mondiale des Parlementaires

19
PIB Produit Intérieur Brut

PIG Projets d’Intérêt General

PIP Programme d’Investissements Publics

PME Petite et Moyen Entreprises

PNB Produit National Brut

PNCS Programme Nationale de Cantines Scolaires

PNH Police Nationale d’Haïti

PNUD Programme des Nations Unies pour le Développement

PNUE Programme des Nations Unies pour l’Environnement

POCHEP Postes Communaux d’Hygiène et Eau Potable

PPA Parité du Pouvoir d’Achat

PPP Petits Projets de la Présidence

PROSCH Programme de Renforcement des Organisations de la Société Civile

PSDH Plan Stratégique de Développement d'Haïti

PSM Programme de Statistique Minimum

PSUGO Programme de Scolarisation Universelle Gratuite et Obligatoire

PTI Programme Triennal d'Investissement

PUDES Plan d’Urgence de Démarrage Economique et Social

RMP Région Métropolitaine de Port-au-Prince

RN1 Route Nationale #1

SAU Surface Agricole Utile

SEMANAH Service Maritime de Navigation d’Haïti

SEP Secrétariat Exécutif Permanent de Coordination et de Suivi

SHADA Société Haitiano-Américaine de Développement Agricole

SIG Système d'Information Géographique

SLDAT Schémas Locaux de Développement et d'Aménagement du Territoire

SMCRS Service Métropolitain pour la Collecte des Résidus Solides

SNAT Schéma National d'Aménagement du Territoire

SNP Système National de Planification

20
SNPH Système National de Planification Haïtien

SOL Dénomination d’un distributeur de produits pétroliers

SONAPI Société Nationale des Parcs Industriels

SSB Services Sociaux de Base

STI Sciences et Techniques Industrielles.:

TCC Tables Communales de Concertation

TDC Tables Départementales de Concertation

TELECO Compagnie de Télécommunication

TPE Très Petite Entreprise

UCS Unités Communales de Santé

UE Union Européenne

UNFPA Fonds des Nations-Unies pour la Population

UNICEF Fond des Nations Unies pour l’Enfance

UOPES Unité d’Observation de la Pauvreté et de l’Exclusion Sociale

USAID Agence Internationale de Développement des États-Unis d'Amérique

ZEI Zones Economiques Intégrées

ZTP Zones Touristiques Prioritaires

21
« Homme libre, toujours tu chériras la mer ! »
Charles Baudelaire dans les fleurs du mal

Introduction générale

L’histoire produit la géographie et dans cette logique la pauvreté spatiale peut être considérée
comme la fille héritière de l’histoire. Les littoraux haïtiens sont le produit de plusieurs décennies
d’histoire. Leur aménagement et leur organisation portent les empreintes de nombreuses
mutations qui, malgré tout, n’arrivent pas à rompre les permanences qui les caractérisent. Ces
permanences font des littoraux un espace particulier qui s’oppose au reste du pays en amplifiant
les disparités territoriales. Cette logique d’opposition constitue l’un des marqueurs fondamentaux
du territoire haïtien. L’opposition entre les villes et les campagnes, entre la capitale Port-au-
Prince et la province est très marquée. Ce constat établi depuis des lustres explique les
désignations courantes au regard de l’aménagement d’Haïti : le pays en dehors (Marcel D’ans
1979)1, la République de Port-au-Prince etc. Le géographe haïtien Georges ANGLADE (1979)
explique l’implacable asservissement de l’ensemble du territoire haïtien par la capitale2. Sa
démarche assimile, de façon imagée, ce constat à un grand cœur qui pompe gloutonnement le
sang d’un corps squelettique. Il s’agit en fait du modèle centre-périphérie qui représente
l'interprétation la plus achevée des inégalités territoriales. Il est aisé de dire aussi que l'espace
haïtien ne se réduit pas à un centre qui serait homogène et à une périphérie qui le serait aussi. En
réalité, le binôme centre-périphérie3 se décline à toutes les échelles géographiques, du local au
national. Le département de l’Ouest est le mieux loti d’entre les dix qui forment le pays. Mais
son cœur reste la Région Métropolitaine de Port-au-Prince (RMP). Et le centre d’impulsion de
cette dernière demeure la ville de Port-au-Prince avec des périphéries internes connues pour leur
isolement et leur précarité parce qu’elles sont les hauts lieux de la pauvreté : Cité Soleil, Cité
Letènèl, Cité de Dieu et La Saline.

1
Cette expression traduit l’isolement des campagnes du reste du pays
2
L’ouvrage titré “L’Espace Haïtien “ a révolutionné la géographie en Haïti
3
Il comporte une multiplicité de centres hiérarchisés et des périphéries de plusieurs types, comme l'a bien montré
Alain Reynaud (1981) dans «Société, espace et justice”

22
Le couple centre-périphérie met en évidence l'inscription spatiale du lien socioéconomique à
travers l'asymétrie des flux qui parcourent le territoire haïtien. La disparité spatiale ainsi créée
constitue bien une inégalité. Les villes, le département de l’Ouest, la capitale attirent les flux
migratoires internes, les productions locales et importées ainsi que les capitaux nationaux et
étrangers. Les trois entités mentionnées sont érigées en centres parce qu'ils concentrent les
pouvoirs décisionnels et parce que les populations qui y résident, par un effet de lieu (Bourdieu),
jouissent de conditions de vie plus favorables qu'ailleurs en termes de niveaux de revenu, de
marché du travail, d'accès aux services publics et privés. Néanmoins, les milieux ruraux, la
province et les quartiers défavorisés qui se définissent par antithèse assurent en moyenne à leurs
populations des perspectives de vie moins favorables : ce sont les périphéries, dans la
dépendance complète des centres énumérés plus haut.
Les oppositions Port-au-Prince/Province, le Nord-Ouest/ reste du pays, Ville/Campagne,
l’Ouest/les autres départements sont connues et étudiées depuis fort longtemps. Cependant il
fallait attendre les années 2000, à travers de nombreuses enquêtes, pour voir émerger un
ensemble de données qui informent, structurent, et surtout mettent en observation une opposition
territoriale longtemps ignorée : celle des littoraux/reste du pays. Et une interrogation s’impose à
nous : existe-t-il une relation causale entre les héritages historiques, les structures socio-
politiques et la genèse d'une configuration géographique du type littoraux pauvres/le reste du
pays. Il est aisé de dire que, si l'histoire s’élabore à l’échelle humaine, elle doit bien exister aussi
entre les lieux.

Haïti dispose de 1785 kilomètres de côtes et c’est assez conséquent pour un territoire de 27 750
km2. Le contenu du littoral haïtien, dans cette étude, rassemble les côtes, les ilots, la mer
intérieure. Autrement dit le littoral correspond à la zone d’influence de la mer sur la terre mais
également à celle de la terre sur la mer. Evidemment notre approche renvoie à la nature comme aux
pratiques sociales (Bouquet ,1990). Il y a le littoral de nature , zone de balancement des marées qui peut
s’étendre à l’espace touché par une houle cyclonique, un tsunamis, des vents salés, et même un
microclimat , donc c’est une interface parfois et aussi un espace plus large. Il y a le littoral juridique
marqué par les lois, les 50 pas géométriques mais aussi les eaux côtières, ou les limites en mer d’une
limite de parc marin (baie de Caracol), et le littoral fonctionnel, c’est à dire celui des hommes et des
activités qui ont un lien avec la mer pour un pêcheur la plage et le canot, l’endroit où il répare les filets,
vend le poisson, le bar où il va et sa maison et parfois un quartier de pêcheur ( Grand-Boucan ou Lully) .

23
Le territoire étudié est estimé à 12 000 km2 en intégrant la mer intérieure et les piémonts
associés. L’occupation est discontinue et quasi nulle pour près d’un tiers. L’implantation de neuf
des dix plus grandes villes haïtiennes sur la côte, avec de très fortes densités, renseigne peu sur la
présence littorale effective. En effet la ville haïtienne peut avoir les pieds dans l’eau (de mer)
mais son orientation tourne le dos à la mer. La ville n’intègre pas la mer. Car la ville utile et
perçue comme telle s’éloigne du rivage. Comme pour se protéger, elle permet, à l’autre ville,
celle des pauvres et des marginaux, de prospérer en toute liberté. En laissant le soin aux marées
hautes et celles générées par les récurrents cyclones de réaliser leur travail de destruction et de
paupérisation de ces quartiers.

La présence littorale se fait et se réalise fondamentalement dans la logique de connexion avec la


grande route qui mène vers Port-au-Prince4. La population se concentre plutôt sur les deux rives
de cette voie de communication qui charrie les flux de marchandises, de services et de biens.
Dans ce contexte-là, la mer est perçue comme une frontière et ne permet pas de s’ouvrir sur le
reste du territoire et sur le monde sinon dans les cas où le désespoir pousse plus d’un à
d’aventurisme de se faire « boat people »5. La pauvreté qui préoccupe demeure, évidemment, la
pauvreté humaine qui transforme les littoraux haïtiens en des poches de pauvreté liées à un accès
entravé aux services sociaux de base pour les populations6. Cette situation va générer le
développement de nombreuses activités de survie (pêche artisanale, agriculture de subsistance,
etc). Le contexte de survie devient un terrain propice à l’éclosion d’activités illicites et illégales
(contrebande, trafic de drogue etc). Cependant l’essence de la pauvreté du littoral haïtien, dans ce
travail, est liée principalement à la pauvreté de l’aménagement et les équipements qui lui sont
associés, à l’inefficacité économique et sociale des activités qui y sont menées, à la dégradation
et l’appauvrissement de ce milieu naturel.

Ailleurs dans la région et dans le reste du monde, les littoraux sont des interfaces ouvertes sur le
monde. Ils constituent de véritables zones de contact entre les espaces terrestres et les océans, à
travers lesquelles circulent des flux de personnes, de biens et de marchandises. Leur attractivité a
logiquement augmenté avec l’amplification de l’espace mondialisé. Les plus grandes zones

4
Georges Anglade le signale à travers le réseau des marchés qui draine tout vers la capitale haitienne dans “Atlas
critique d’Haiti” (1984)
5
Bateau de fortune qui, illégallement, transporte des haitiens sur les cotes floridiennes des États-Unis ou des
Bahamas.
6
Les résultats de toutes les enquêtes réalisées depuis les années 2000 (Ex ECVMAS) témoignent de ce constat.

24
portuaires et les métropoles importantes se regroupent sur les façades maritimes (la baie de
Tokyo; le Northern Range en Europe). Elles sont des zones d'échanges entre l’Amérique du
Nord, l’Europe de l'Ouest et l’Asie de l'Est et le reste du monde. Elles constituent le cœur de la
richesse mondiale. La naissance de la société des loisirs et le développement du tourisme
balnéaire ont également eu un impact considérable sur l’élévation du niveau de vie et le
développement de certaines zones côtières. Or le littoral haïtien semble tourner le dos à cette
dynamique mondiale porteuse d’un certain “bien-être” pour s’enfoncer dans la pauvreté créant
du même coup les conditions objectives à la fragilisation sévère des richesses biologiques de ce
milieu.
Il s’agira, à travers cette étude, de répondre à un certain nombre de questions sur l’inscription
spatiale de la pauvreté et l’appauvrissement des littoraux haïtiens. La question fondamentale est
alors de comprendre dans quelle mesure et comment une construction nationale et territoriale
peut être génératrice de pauvreté, quelles sont les manifestations de cette pauvreté spatiale, en
quoi l’occupation littorale se réalise sans maritimisation ? De quelle manière s’opère la prise en
charge de l’inégalité spatiale et surtout comment les politiques publiques appauvrissent ces
territoires et les populations qu’elles laissent s’y établir?

25
Les partis pris méthodologiques

Un ensemble de choix méthodologiques guide le travail. Ces choix orientent le cheminement de


la collecte de données indispensables à l’analyse appliquée au couple « pauvreté et littoral » en
Haïti. Les substrats conceptuels qui sous-tendent la démarche de recherche ont besoin d’être
explicités afin de mieux suivre les objectifs et les hypothèses de départ. Une mise en point
s’impose donc sur les contours théoriques de l’étude.

Objectifs de ce travail de recherche

La démarche propose une intégration des politiques publiques (à travers l’État et la société)
comme un instigateur et un accélérateur de pauvreté spatiale dans le contexte haïtien. Le travail
souhaite répondre, entre autres, à quatre objectifs principaux qui se déclinent comme suit:

1- Proposer des éléments théoriques relatifs à l’appauvrissement des littoraux en Haïti


2- Analyser les corrélations existant entre les legs historiques, culturels et socio-politiques et
les contours de l’aménagement du littoral haïtien
3- Déterminer les facteurs qui expliquent la littoralisation sans maritimisation en Haïti
4- Expliquer pourquoi la prise en compte récente de l’inégalité spatiale et de
l’appauvrissement des littoraux en Haïti est vouée à l’échec dans le contexte politique et
économique actuel.
Le cadre conceptuel du travail est fondamentalement axé sur un corpus théorique à trois volets:
la théorie de la « pauvreté spatiale », la théorie de la « construction nationale » et la théorie
« institutionnaliste » via les politiques publiques

A- La théorie de la pauvreté spatiale

La pauvreté devient, depuis les années 1980, un élément majeur de la nouvelle question sociale.
Rappelons que selon les époques, la question de la pauvreté n’apparaît pas de même nature, ne

26
relève pas de mêmes visions, ne soulève pas les mêmes préoccupations. Durant les années 1960-
1970, en pleine apogée de l’État-providence, la pauvreté est davantage perçue comme une
pauvreté léguée de génération en génération. La période 1980-1990 est plutôt marquée par de
nouvelles formes de pauvreté provoquées par la crise économique et de l’emploi. Des catégories
sociales entières sont happées par les effets néfastes d’une conjoncture économique difficile et
qui s’éternise: la crise de l’emploi. Avec elle se précarise le marché du travail, les statuts se
vulnérabilisent, les protections sociales se fragilisent, le tissu social se fragmente et les espaces
traditionnels de socialisation se décomposent (R. Castel, 1995). Ces dernières années, la question
de la pauvreté se présente comme une réalité de plus en plus complexe (Destremau B. et Salama
P. 2003, Fusco A, 2007) et le phénomène se décline en de multiples appréciations et
acceptations: marginalité, exclusion et inégalité etc.

Généralement on parle de la pauvreté monétaire. C’est l'approche monétaire, dans laquelle la


pauvreté est appréhendée à partir d'un seuil de pauvreté qui varie d'une région à l'autre, d'un pays
à l'autre [Banque Mondiale (1990, 2000) Sen, 1980]. La pauvreté humaine est utilisée aussi. C’est
“l'approche par les manques” elle caractérise la pauvreté humaine, laquelle pauvreté se
préoccupe des conditions des pauvres dans leur milieu. La pauvreté absolue instituée par le
Programme des Nations-Unies pour le Développement se réfère à un état où il y a impossibilité
de faire face aux besoins fondamentaux minimaux pour une vie acceptable. C'est « l'impossibilité
d'un ménage ou d'un individu de satisfaire à la fois tous les besoins au minimum qui permettent
une vie décente ». Cette forme de pauvreté se constate en établissant un chiffre de revenus en
deçà duquel les besoins ne sont pas satisfaits. Comme l’a souligné Sen [1992], le revenu n’est
qu’un moyen permettant aux ménages de construire leur portefeuille de « capabilités ». La notion
de pauvreté extrême, utilisée couramment aussi, traduit un état de dénuement, de gêne,
d'indigence, de besoin et de privation. Dans ce cas, les victimes risquent leur vie à court terme si
elles ne sont pas traitées comme des personnes en danger. Ces contours de la pauvreté
concernent l’individu ou le ménage et varient énormément avec le temps et les conjonctures. Le
tableau suivant en est un témoignage édifiant. Néanmoins l’aspect de ce phénomène auquel
s’intéresse notre travail est tout autre. Il s’agit de la pauvreté des lieux comme substrats de
pauvreté.

27
Tableau 1.- Évolution du discours dominant sur la pauvreté depuis la seconde guerre mondiale
Décennie Définition du bien-être Mesure du bien-être
1950 Bien-être économique Croissance du P.I.B.
1960 Bien-être économique Croissance du P.I.B. par tête
1970 Besoins essentiels + emploi Croissance du P.I.B par tête + biens essentiels
1980 Bien-être économique P.I.B par tête avec montée de facteurs non monétaires
1990 Développement humain /capabilités Développement humain et soutenabilité
2000 Droits universels, conditions de vie, liberté OMD empowerment et risque, ODD
2010 Droits universels, conditions de vie OMD, empowerment et risque, ODD

Sources : P J Mérat (2017) à partir du substrat de Sumner (2003)

Le critère spatial est donc le cœur de cet exercice. Car la pauvreté s'exprime aussi en fonction du
milieu ou de la zone où elle sévit. Ainsi parle-t-on de la pauvreté rurale et de la pauvreté
urbaine. L’étude de l’inscription spatiale de la pauvreté s’insère dans le champ de la géographie
et repose sur le postulat de la consubstantialité du social et du spatial (Selimanovski. 2008). La
dimension spatiale aide à comprendre la pauvreté dans sa totalité. La répartition spatiale des
exclus sociaux semble donc directement fonction de leur position dans le système économique.
« L’espace habité fonctionne comme une sorte de symbolisation spontanée de l’espace social »,
révèle Bourdieu. « Il n’y a pas d’espace, dans une société hiérarchisée, qui ne soit pas
hiérarchisé et qui n’exprime les hiérarchies et les distances sociales ” explique P. Bourdieu (dans
La misère du monde, Paris, Le Seuil ).

La pauvreté spatiale est au cœur de la géographie sociale. Cette dernière cherche à comprendre et
étudier la dimension spatiale des sociétés. Elle s’inscrit dans l’organisation politique, idéologique
et économique des territoires, établit l’unité du vécu spatial de chaque individu, entre ses
représentations et ses pratiques. Elle permet ainsi d’investir de nouvelles questions (événements,
conflits, crises, postures et pratiques sociales, etc.) et d’aborder les thèmes de la justice socio
spatiale, de la mixité, du genre et du corps, du vivre-ensemble, de la ségrégation et de l’exclusion
(Di Meo 2014) L’approche dimensionnelle permet d’interroger la place de l’espace dans la
réflexion géographique. L’occurrence de l’expression « dimension spatiale » est conséquente.
Elle a pris forme dans des textes d’Yves Lacoste en 1976, ou encore dans ceux de C. Grataloup
et J. Levy qui affirment que « la seule géographie possible, c’est la science de l’espace social, de

28
la dimension spatiale de la société ». Elle est aussi présente chez A. Reynaud en 1979, au
Colloque de Lyon en 1982, dans l’ouvrage Sens et non-sens de l’espace en 1984 ou encore chez
A. Vant en1986. Les années 2000 (en France) vont être marquées par deux auteurs (F. Ripoll et
V. Veschambre). Fabrice Ripoll développe les grandes lignes de sa réflexion sur le rôle de
l’espace et les théories de l’acteur (2006) : « Du « rôle de l’espace » aux théories de « l’acteur ».
V. Veschambre présente lui son article (2006) : « Penser l’espace comme dimension de la
société. Pour une géographie sociale de plain-pied avec les sciences sociales » Comme l'écrit V.
Veschambre: « Raisonner en terme de « dimension spatiale » permet de dépasser la fausse
symétrie espace / société, éviter le piège de la réification de l’espace et d’affirmer clairement sa
nature sociale ». Il est aisé de dire que la géographie sociale aujourd'hui se trouve enrichie avec
l’apport de l’approche dimensionnelle. Il faut souligner néanmoins qu’elle est aussi traversée par
des hésitations : « Par cette réduction de la géographie sociale à la géographie sociologique on
risque de déséquilibrer, parce que l’on privilégie les faits sociaux, la problématique de la
géographie sociale en la limitant à l’analyse des dimensions spatiales des faits sociaux. Il nous
faut parallèlement, en tant que géographes, développer les dimensions sociales des faits
spatiaux, plaçant l’espace comme objet primitif de nos recherches » (Hérin, 1983). Dans cette
dynamique l’espace devient une dimension du social. Et ce faisant, la société demeure spatiale de
part en part. Il est donc possible d’affirmer que toutes les questions sociales présentent
nécessairement une dimension spatiale (V. Veschambre 2006). Le spatial dans le cas du littoral
d’Haïti est le résultat d’une architecture échafaudée depuis de nombreuses décennies à travers
des décisions politiques et sociales qu’impose la construction nationale dans un contexte
international marqué par l’ostracisme et la diplomatie canonnière (Gusti Gaillard, 1989)

29
B- La théorie de la construction nationale

« La construction nationale est l’intégration de diverses communautés et de divers territoires dans le


cadre institutionnel d’un État unique et le transfert concomitant d’une identification et d’une allégeance
politiques collectives sur la communauté symbolique définie par l’idéologie fondatrice de cet État
(Gagiano, 1990, p. 32). »

La construction nationale se réalise dans le cadre du cheminement de l’État qui lui sert donc de
préalable7. L’État vient donner son assise territoriale à la nation. Les approches classiques de
l’État, en philosophie politique ou en sociologie, ont insisté sur la territorialité de l’État. Très tôt
Machiavel avait émis l’idée de l’État comme un pouvoir donnant légitimité pour l’usage de la
force sur un peuple dans un territoire délimité. En janvier 1804 l’État haïtien émerge dans un
contexte défavorable à son épanouissement : l’esclavage est un mode économique consacré, le
colonialisme est une valeur partagée et l’humanité du nègre est contestée et proscrite. En général,
les artisans de la construction nationale se sont essentiellement appuyés dans le passé sur
l’élaboration d’une culture commune, en essayant d’instituer des symboles collectifs, une langue
officielle, un drapeau et des armoiries nationales (McCall, G. 2007). En 1804 le schéma est
tout autre, se faire accepter et se protéger constituent le socle vital. La victoire des nègres
d’Haïti sur la grande armée coloniale est donc contre-nature et va à contre-courant de la règle
établie. Cette incongruité historique nuit à la puissance, au prestige et aux intérêts des
bénéficiaires de l’ordre colonial et esclavagiste. Il faut à tout prix entraver ou faire couler ce
projet national : il faut abattre Haïti.

Le nègre s’est fait homme le 1er janvier 1804 et c’est une anomalie. Ce contexte hostile et la
pression psychologique qu’il génère sur l’esprit du nouvel État conduit la nation à être sur le qui-
vive, autrement dit l’œil aux aguets et le doigt sur la gâchette. Les projets de reconquête du pays
par les armées colonialistes font grand bruit. La résistance devient alors l’essence de la
dynamique de vie nationale pour les haïtiens. Les citoyens, en reconnaissant la légitimité de leur

7
R. POURTIER dans “ Imagerie, Imaginaire et stratégies territoriales” que “ L’État et son territoire étant co-
extensifs, celui-là, dans sa réalité concrète, se confond avec celui-ci. L’apparition de cette forme d’organisation des
sociétés qu’est l’État, et de son fonctionnement, hier comme aujourd’hui vont de pair avec un contrôle territorial. Il
existe un parallélisme frappant entre l’affirmation d’un pouvoir d’État et la géométrisation de la terre”. In l’État et
les stratégies du territoire (1991)

30
nouvel État, le reconnait du même coup comme le « leur » par rapport aux autres États, séparés
par les frontières hostiles. Cette reconnaissance traduit et induit une représentation de la
répartition des individus à un moment et à un lieu donnés. C’est ce que Marcel Mauss appelle
« la notion de totalité »8. Dans cette perspective le nouvel État, légitimé par le peuple, prend le
leadership dans la dynamique de fortification du pays. La nation se barricade et se transforme en
une véritable forteresse vis-à-vis de la mer, la frontière dangereuse par laquelle passent
inévitablement les agressions, les ennemis de la nation et tous les dangers en général. Cette
vision du danger qui passe par la mer va donc guider l’orientation de l’aménagement du pays.

La construction nationale haïtienne se fait sur au moins un facteur intangible9 : la peur du retour
à l’esclavage. La peur de l’autre perçu comme source de mal-être et de déconstruction. Il fallait
donc ériger un mur entre la nation à sauvegarder et l’agresseur à travers sa porte d’entrée qu’est
la mer. L’interface entre la partie terrestre et maritime du nouvel État devient stratégiquement un
« glacis10». Le littoral est sous la surveillance constante des fortifications placées au-delà. La
logique est cohérente dans le monde « hobbesien » anarchique de l’époque où prévaut l’usage de
la force dans laquelle s’exerce une politique de puissance résolument unilatérale. Et cela très loin
du monde « kantien » d’une possible paix perpétuelle.

L’aménagement du territoire haïtien, au regard de ses littoraux, est le résultat d’un


constructivisme11 qui introduit la dimension sociale ou sociologique, c’est-à-dire le rôle de la
dynamique interne des entités intervenantes dans la définition des identités, des intérêts, des
objets de référence, et donc dans l’évolution des relations de sécurité vis-à-vis de l’ailleurs
(monde). Le caractère essentiellement "défensif", de cette construction nationale consistait à
utiliser la mer et les littoraux associés comme « cordon sanitaire » autour de la nation retranchée

8
Mauss fait remarquer que cela s’exprime par la sensation de former une communauté. Pour lui, la sensation
d’attachement au sol (il prend l’exemple de l’expression « mal du pays ») ne peut se comprendre que par
l’attachement à la communauté dont l’individu fait partie
9
L’essence de la nation est une question de perception de soi ou conscience de soi. C’est la thèse principale de W.
Connor dans “Ethnonationalism: the quest for understanding”. Princeton University Press (1994)
10
Le glacis renforce l’avantage du temps dont dispose la défense : il retarde, il permet de "voir venir". Un glacis
géostratégique est tout le contraire d’un vide où l’on attend de voir paraître l’ennemi à l’horizon : c’est un système
d’information échelonné où la détermination de l’adversaire rencontre des obstacles de plus en plus puissants.
11
En matière de théorie des relations internationales, l’approche des questions de sécurité n’est pas limitée à
l’approche classique idéaliste ou rationaliste-réaliste. Le constructivisme veut introduire une voie nouvelle de
compréhension, en ne postulant plus nécessairement le rôle unique de l’État dans le système des acteurs, mais en lui
retenant simplement un rôle central, à côté des institutions internationales, des ONG et des individus, qui ont aussi
leur rôle.

31
parce que rejetée et marginalisée. Le présent des littoraux haïtiens est donc grandement
tributaire de leur passé associé à l’histoire particulière d’Haïti du début du 19eme siècle jusqu’à
aujourd’hui.

C- La théorie institutionnaliste à travers les politiques publiques

La théorie institutionnaliste a été initiée par un groupe d‘économistes américains (dont le courant
est qualifié d‘«Old institutional Economics »), puis révisée et prolongée par les développements
théoriques d‘économistes contemporains. Parmi ceux-ci, nous sommes particulièrement
redevables à Elinor Ostrom (1986, 2008), Douglass Cecil North (1990, 1991, 2005), mais aussi à
Geoffrey Hodgson (1998, 2002, 2004). D‘Adam Smith (La main invisible) à Ronald Coase (Les
coûts de transaction) en passant par les institutionnalistes américains (Veblen, Commons, Ayres,
etc.) pour arriver à Douglass C. North, l‘idée de l‘existence et du rôle des « incitations » dans la
performance économique des nations a fait un chemin théorique remarquable au cours du
XXème avant de retrouver un regain d‘intérêts dans les programmes de recherches des années
1980 avec le renouveau de la sociologie économique en Europe et en Amérique du Nord . André
Lecours (2002) les présente ainsi: “la première concerne l‘influence des institutions sur l‘action.
Elle pousse à l‘exploration de l‘impact des institutions sur le comportement des acteurs, leurs
stratégies, leurs préférences, leurs identités, leur nature et même leur existence”.

D‘une façon générale, Douglass Cecil North (1991) définit les « institutions » d‘une société
comme l’ensemble des règles du jeu. Cette définition dans sa généralité laisse la place à des
spécificités de situation et une évolution dans la dynamique des institutions. Dans leur caractère
situé, les institutions portent l‘empreinte de la société qui les élabore. Elles correspondent à la
société pour laquelle elles ont été créées. Les institutions qui intéressent la géographie ont des
conséquences sur l’aménagement social et territorial. Elles sont partagées et opératoires à travers
les politiques publiques. Et c’est sous cet angle qu’on les utilise ici. Il s’agit d’un concept Anglo-
saxon (« Public Policy ») qui s'est développé depuis plusieurs décennies aux États-Unis. Une
politique publique est "un programme d’action propre à une ou plusieurs autorités publiques ou
gouvernementales".12 Les politiques publiques sont donc des outils et des moyens mis en œuvre
par les pouvoirs publics en vue atteindre des objectifs dans un domaine particulier de la société.

12
Jean-Claude Thoenig,"L’analyse des politiques publiques" in Traité de science politique sous la direction de
Leca et Grawitz, 1985

32
La politique publique peut chercher à modifier des comportements individuels ou bien des
comportements collectifs. Et la contrainte qui va avec peut être soit directe, soit indirecte13.

Le référentiel de politique publique s’inscrit dans une perspective d’analyse cognitive de l’action
publique. Selon cette approche, les politiques publiques apparaissent comme la construction d’un
rapport au monde propre à une société. Les politiques publiques sont définies à partir d’une
certaine représentation d’un problème et de ses solutions envisageables. Comme le souligne
Pierre Muller (dans le Que sais-je intitulé Les politiques publiques, 9e édition, 2011) principal
tenant de cette approche, "élaborer une politique publique consiste d’abord à construire une
représentation, une image de la réalité sur laquelle on veut intervenir. C’est en référence à cette
image cognitive que les acteurs organisent leur perception du problème, confrontent leurs
solutions et définissent leurs propositions d’action : cette vision du monde est le référentiel d’une
politique".

L’État s’est historiquement construit à travers la production de politiques publiques: il a


progressivement étoffé ses domaines d’action en prenant ainsi divers visages au fil des
siècles. Patrick Hassenteufel dans son œuvre “Sociologie politique: l’action publique (2011),
distingue plusieurs étapes auxquelles correspondent des figures particulières de l’État: Pour lui
jusqu’au XVIIIe siècle l’État conduit principalement trois types de politiques publiques qui sont
ceux de l’État régalien, à savoir les politiques de maintien de l’ordre, les politiques militaires et
les politiques fiscales. Au XIXe siècle les politiques d’intervention directe sont à leur apogée et
forment le socle de l’État-nation.
D’autres politiques s’affirment alors dans le domaine des transports (chemin de fer) et de la
communication (poste, télégraphe), dans le domaine de l’éducation. A la fin du XIXe siècle les
politiques redistributives font leur apparition, elles forment le socle de l’État-providence. La
responsabilité est perçue comme collective et non plus seulement individuelle. Après la seconde
guerre mondiale l’État devient un État producteur, il accroît son intervention dans le domaine
économique afin d’accélérer la reconstruction, étend la couverture des systèmes de protection
sociale. Et depuis les années 1970 l’interventionnisme de l’État est fortement remis en cause, ce
qui conduit à mettre un accent plus important sur les politiques procédurales. L’État devient un

13
Théodore Lowi dans "Four Systems of Policy Politics and Choice" (1972)

33
État régulateur qui intervient désormais indirectement, en interaction avec d’autres acteurs, et ne
fait plus tout lui-même.

L’analyse à faire passera par la première (l’État régalien) et la dernière figure (l’État régulateur).
Une politique publique se présente sous la forme d’un programme d’action propre à une ou
plusieurs autorités publiques. C’est un ensemble de mesures prises dans un cadre donné. La
décision en est une dimension structurelle. Elle suppose un projet stratégique. Et d’un point de
vue plus opérationnel nous reprendrons à notre compte la définition de Y. Meny et J.C. Thoenig
à savoir qu’« une politique publique se présente sous la forme d’un programme gouvernemental
dans un secteur de la société ou un espace géographique». Dans le cas de cette étude une
attention particulière est accordée aux grandes décisions (lois, constitutions, et plans nationaux
de développement) ayant effet ou pas sur l’appropriation, l’exploitation et l’aménagement du
territoire national et le littoral associé.

Hypothèses de recherche

La démarche est sous-tendue par une problématique : la pauvreté des littoraux haïtiens est
inscrite dans le processus de construction nationale à travers les politiques publiques engagées
depuis 1804 (date d’accession d’Haïti à l’indépendance). Autrement dit la situation
d’appauvrissement accéléré qui s’installe dans les zones littorales du pays sont le résultat de la
mise en œuvre des pratiques socio-politiques animées par la volonté consciente ou inconsciente
de se protéger de l’autre (étranger ennemi, voisin disqualifié socialement et intempérie non
maitrisée). Cette approche générale est guidée par quatre hypothèses majeures de base :
§ La politique sécuritaire et de défense adoptée à la naissance du pays structure la
vision et les décisions de l’Haïtien vis-à-vis de la mer et des littoraux.
§ Le développement national, une fois la nation constituée et l’État construit,
demeure incapable jusqu’ici d’intégrer le couple mer/ littoral dans la dynamique
de modernisation liée à la littoralisation et la maritimisation.
§ Le cadre institutionnel et étatique défaillant est un facteur explicatif et
accélérateur de l’occupation inconsidérée du littoral qui se fait au détriment du
bien-être de la population (paupérisation) et du respect de la biodiversité
(appauvrissement).

34
§ La prise en charge tardive et molle de l’inégalité spatiale établie entre les littoraux
et le pays utile, est fragilisée par la forte demande sociale d’accès facilité au
foncier.

Les méthodes et les outils de recherche

Cette thèse intègre dans sa dynamique de nombreux aspects du savoir. Elle aborde l’évolution
historique à travers la construction nationale d’Haïti. Le champ social est questionné par le
truchement de la pauvreté. Les disparités spatiales discutées sont fondamentalement une question
géographique. Les politiques publiques signalées se rattachent à la question des orientations
stratégiques de l’État au regard de l’aménagement territorial et social. Au-delà de l’institutionnel
la question de l’individuel et du comportemental fait intervenir la sociologie. Ces différents
aspects qui animent l’étude exigent grandement une vision globale comme clé de lecture et
d’analyse. De ce fait, l’utilisation de la méthode systémique nous parait opportune et adéquate.

La pauvreté littorale est un condensé de la situation socio-économique et politique d’Haïti. En


effet, la pauvreté spatiale dans le pays doit se faire dans la dynamique d’interdépendance qui
relie les aspects économique, historique, anthropologique, sociologique et politique. Les
questions sur le lien entre la pauvreté et le littoral sont complexes. Difficiles de trouver des
réponses univoques et définitives. Au contraire dans la complexité du cas haïtien, elles
nécessitent de prendre en compte un « tissu » de facteurs, de multiples interactions, mais aussi le
contexte, en particulier culturel, et le positionnement des acteurs publics, privés et associatifs, y
compris en termes de valeurs . Elles exigent le croisement des points de vue. Il importe d’avoir
toujours à l’esprit que tous les problèmes relatifs au couple littoral et pauvreté dans le pays sont
extrêmement liés : développement économique, passé historique, nature du pouvoir, dynamique
des contre-pouvoirs, contenu du vivre ensemble et traits culturels.

Il faut donc appréhender le sujet en question dans sa complexité. L’exode rural (phénomène
économique et de population) nourrit la bidonvilisation littorale urbaine (question
d’aménagement du territoire) et la densification de ces bidonvilles crée l’insécurité et les troubles
(le social et la politique) l’insalubrité (renvoie à la santé) qui y règne explique en partie la
présence des ONG (humanitaire et de l’assistanat) et de la coopération internationale (Aide
Publique au Développement). C’est un peu l’exemple du lien qui existe entre les différentes

35
facettes de l’objet traité et qu’il ne faut pas négliger au risque de passer à côté de la juste réalité.
La méthode globale nous permet d’analyser les phénomènes de pauvreté et d’inégalité spatiale
du point de vue des multiples interactions qui les caractérisent, autrement dit le couple
pauvreté/littoral est en relation avec son environnement et le substrat sur lequel il évolue
(BERTALANFFY, 1980)

La recherche menée utilise un corpus d’outils axé sur la collecte des données qualitatives et
quantitatives. Les outils choisis permettent de rassembler la matière première nécessaire à la
construction et l’élaboration de ce travail de recherche. Ils se déclinent comme suit :
§ Une recherche documentaire sur la pauvreté spatiale, l’inégalité spatiale, les
politiques publiques, les littoraux et l’organisation du territoire. Elle a permis
d’établir une revue de la littérature traitant notre sujet de recherche. A cet effet les
bibliothèques des onze facultés qui forment l’Université d’État d’Haïti (UEH) ont
été ciblées. Néanmoins l’accès aux documents a été considérablement limité. Les
entités en question ne sont pas encore totalement remises des dommages causés
par le séisme de 2010, les bibliothèques universitaires fonctionnement au ralenti
faute d’espace approprié14. En dehors de ce handicap lié aux disfonctionnements
des équipements il faut mentionner les troubles de fonctionnement engendrés par
de nombreux épisodes de grèves et de manifestations estudiantines. Mes
nombreuses tentatives pour accéder aux fonds documentaires ont été vaines pour
de nombreuses facultés à l’instar de la faculté d’ethnologie et des sciences du
développement. L’année université 2017-2018 s’est soldée pour cet établissement,
par l’arrêt total des activités universitaires. En fait, sur la dizaine de bibliothèques
répertoriées je n’ai pu accéder, régulièrement qu’à cinq d’entre elles. Les réseaux
d’amis et de collègues m’ont fourni une aide appréciable. Des ouvrages que je
croyais impossible à consulter parce que indisponibles dans les centres de
documentation nationaux, m’ont été donnés par des amis qui n’hésitaient pas, très
souvent, à me préparer des copies. Une collègue de Paris se chargeait de me faire
parvenir toutes les versions électroniques possibles des ouvrages que je ne
pouvais pas trouver sur place. La recherche documentaire prévue s’est réalisée en
14
Il faut rappeler que la grande majorité des facultés qui composent l’UEH ont été soient détruites ou endommagées
gravement par le tremblement de terre du 12 janvier 2010. Jusqu’en juillet 2018 certaines d’entre elles fonctionnent
avec des structurent d’urgence inadaptées.

36
dépit des difficultés mentionnées. Elle a été fructueuse en me permettant d’établir
correctement les contours théoriques de ce travail de recherche dans un contexte
local de déficit de documentation relative à mon sujet de recherche.
§ Une collecte de données administratives auprès de l’Institut Haïtien de la
Statistique et de l’Informatique (IHSI), de la Commission Nationale de la Sécurité
Alimentaire (CNSA), de l’Observatoire National de la Pauvreté et de l’Exclusion
Sociale (ONPES) et des ministères et organismes sectoriels (Ministère des
Travaux Publics et des Communications (MTPTC), Ministère de la Planification
et de la Coopération Externe (MPCE) , Service Maritime National d’Haïti
(SEMANAH) , Commission Interministérielle de l’Aménagement du Territoire
(CIAT), etc). Ces organismes publics détiennent les archives de l’administration
centrale. Je croyais pouvoir y accéder sans grande difficulté mais très vite j’ai été
poussé vers le désenchantement. Le clientélisme, la méfiance et l’irresponsabilité
affichés par certains fonctionnaires constituent de vrais freins aux travaux de
recherche dans le pays. L’accès aux documents n’est pas règlementé ou ne l’est
qu’en apparence. Car dans la plupart des cas il est plutôt contingencé par des
postures personnelles et intéressées. Les six premières visites que j’ai effectuées
au SEMANAH qui est l’autorité nationale en matière de gestion de la navigation
maritime sont restées sans succès. Les réponses sont toujours les mêmes : « il y a
eu un incendie, nous vivons dans les décombres, il faut revenir une autre fois ».
Dans une semaine je reviens et la réponse tombe comme un couperet : « la
personne responsable des archives est en congé maladie elle ne revient pas avant
deux semaines ». Je suis reparti découragé et deux semaines plus tard je suis au
rendez-vous. Le responsable des archives est là, il n’est plus malade mais je ne
peux pas avoir accès aux documents demandés. La réponse est cinglante :
« Mesye fòk ou genyen otorizasyon direktè a wi, fòk ou ekril anvan » (vous devez
avoir l’autorisation écrite du Directeur Général). Furieux de cette réponse
inattendue et suspecte, je commence à crier mon désarroi. Deux agents de sécurité
viennent me parler discrètement et l’un d’eux lâche le mot : « direktè mounn yo
pa touche yo fistre siw jere yo wap jwen sèvis wi » (Monsieur ces employés sont
frustrés de leurs conditions salariales si vous leur donnez un peu d’argent ils vont

37
vous servir). L’accès aux informations (publiques), dans cette logique, est payant.
Un petit groupe de fonctionnaires truandise l’administration. Je n’ai pas payé car
je ne voulais pas encourager cette pratique néfaste. Cependant j’ai pu accéder aux
informations par le truchement d’un ami. Cet accès payant est une forfaiture qui
handicape la recherche et constitue une entrave aux droits du citoyen à
l’information publique.
Les données liées à la pauvreté ont été mises à notre disposition, sans grande
contrainte, par le MPCE via l’UOPES / ONPES. Ma fonction de Coordonnateur
de cet observatoire public de recherche sur la pauvreté et l’exclusion sociale a
facilité cet accès. Les données de l’IHSI ont été mobilisées abondamment, nos
relations de travail ont été évidemment des accélérateurs dans cet accès facilité.
Néanmoins on déplore que le nouveau recensement national conduit par l’IHSI
soit encore en chantier après cinq ans de retard.
La collecte de données auprès de la CNSA s’est réalisée dans des conditions
correctes. Evidemment là encore les relations personnelles ont joué grandement.
La situation va se révéler plus compliquée dans le cas du MTPTC. Les données
qu’on nous livre sont vieillies et sont en distorsion avec la réalité. Dans bon
nombre de cas, les informations régulières et fiables sont disponibles, mais elles
ne sont pas accessibles aux chercheurs. L’accès aux données du CIAT n’a pas
posé de problème particulier. En dépit de tout, la collecte des données
administratives a permis d’appréhender les contours des politiques publiques et le
contenu de la prise en compte de l’inégalité spatiale à travers les plans nationaux
de développement.
§ Une exploitation aux fins de triangulation des bases de données des enquêtes
ECVMAS 1 et 2 (2012 et 2013). Les bases de données générées par les deux
ECVMAS ont été mises à contribution pour me permettre d’avoir un nouvel
éclairage sur les données générées en 2011 par l’Enquête sur les Nouvelles
Manifestations de la Pauvreté (ENMP) après le séisme. J’ai coordonné cette
enquête réalisée sur un échantillon de deux milles ménages dans les trois
départements (Nippes, Ouest et Sud-est) touchés par le séisme et le Centre comme
un département témoin. L’ECVMAS1 réalisée en 2012 par l’IHSI, le DIAL et la

38
Banque Mondiale concernait 4 500 ménages. L’ECVMAS 2 réalisée en 2013
avait pour objectif de prendre en compte les effets de saison de la première
enquête susceptibles d’altérer les résultats obtenus. L’opération a été menée
conjointement par la Banque Mondiale, et l’ONPES. J’assurais le rôle de
Coordonnateur Adjoint. En dehors de la coordination de l’exercice j’étais
impliqué dans la redéfinition de la note conceptuelle, de la géographie de
l’opération et les outils associés à l’enquête (questionnaire, et grille d’entretiens).
Cette enquête de confirmation s’est réalisée en se basant sur un échantillon de 2
500 ménages. L’opération a duré plus de six mois entre les discussions sur la note
méthodologique (outils et échantillon et géographie) et les résultats préliminaires
entre l’équipe de la Banque Mondiale et celle que je dirigeais pour le compte de
l’ONPES. Les résultats obtenus ont confirmé les données de la première phase
(ECVMAS1). Les grandes tendances ont montré et confirmé des taux de pauvreté
très élevés, une chute relative de 10 points de ces taux entre 2001 et 2012 et
surtout un confinement de ce phénomène sur les littoraux. Pour les besoins de la
présente thèse il fallait comparer au moins ces trois dernières sources de données
(ENMP 2011, ECVMAS 2012 et ECVMAS 2013). Cet exercice de triangulation
nous a permis de confirmer la géographie de la pauvreté dans le pays.
§ La conduite de missions de reconnaissance et d’identification des équipements,
des besoins et des activités dans les zones littorales. Trois missions de ce type ont
été réalisées entre 2016 et 2017. Elles ont ciblé les principaux acteurs des
littoraux (ménages, acteurs économiques, élus et fonctionnaires publics). La tâche
était immense il fallait visiter près d’une centaine de communes sur les trois
façades maritimes du pays (atlantique, golfe de la Gonâve et caraïbe). Je me suis
fait aider par un groupe de huit étudiants afin de raccourcir efficacement le temps
consacré aux missions d’observation. Ces dernières ont touché 15 communes de
la façade du golfe de la Gonâve, 12 communes sur la façade caraïbe et 8
communes de la façade atlantique. Une dizaine de quartiers précaires littoraux des
grandes villes associés sont aussi explorés. Ces missions m’ont permis de mettre
en lumière le sous équipement qui caractérise les littoraux du pays.

39
§ La collecte de données qualitatives à travers des Focus Group. La démarche
permettait de prendre l’avis de ceux qui s’approprient l’espace littoral à titre
personnel et ceux qui le font dans le cadre de leurs attributions [le service de
contrôle des narcotiques (BLTS), le service de contrôle de la contrebande
(DGD)]. A cet effet nous avions organisé dix focus group : trois sur la façade
atlantique, trois sur la façade caraïbe et quatre sur le littoral du golfe de la
Gonâve. L’opération a été lourde dans la mesure où il fallait se servir
d’intermédiaires d’accès15 qui sélectionnent les personnes/participants et surtout
les persuadent de venir. L’organisation de ces entretiens semis-dirigés coûte car
il a fallu assumer un ensemble de dépenses telles la location d’une salle de
réunion, la restauration pour une quinzaine de personnes, sans oublier la prime
obligatoire qu’il faut donner à l’intermédiaire d’accès, personnage clé de
l’opération. Dans les bidonvilles littoraux des grandes villes il existe même un
surcout : la protection ou la sécurité assurée par un chef de quartier qui n’est autre
qu’un chef de gang qui s’arrange pour prélever une taxe sur toutes les activités
que réalisent un résident du quartier ou une personne extérieure. Le tableau
suivant synthétise les contours du coût moyen que la collecte de données
qualitatives impose.

Tableau 2.- Des dépenses pour l’organisation d’un focus group en 2017 en Haïti
Composantes Facilitateur Restauration salle de réunion Frais de déplacement Sécurité
Coût forfaitaire 5 000 4 500 5 000 3 000 2 500
Coût total 20 000 Gourdes [285 euros]
Sources : Calculs de l’auteur
NB Le salaire mensuel moyen est de 2500 gourdes soit l’équivalent de 36 Euros

15
L’intermédiaire d’accès est une personne disposant de la capacité de mobiliser rapidement les acteurs dans une
commune donnée. Il joue le rôle de facilitateur entre l’organisateur de l’entretien semi dirigé et les participants
potentiels. Depuis plus d’une dizaine d’années ce rôle est devenu une activité lucrative dans les régions et les
quartiers avec l’explosion des activités d’enquêtes qualitatives opérées par les ONG, les Universités et le monde
associatif.

40
Les dépenses sont conséquentes certes mais les informations tirées de l’exercice sont d’une
importance capitale pour la compréhension des liens établis entre le littoral haïtien et la pauvreté.
Une fois la problématique est posée et la confiance établie les langues se délient. Quatre propos
majeurs tenus par des participants ont retenu notre attention parce qu’ils résument parfaitement
la réalité vécue et perçue par les populations littorales les plus démunies. Un participant, que
nous appelons Tiphène ici, explique sa présence à Nan Savann , un bidonville littoral de la ville
des Cayes en ces termes : « mwen pa moun Okay se moun andeyò mwen ye , se Chato mwen soti
, latè pa bay ankò ou pa jwen anyen pouw fè nan mòn, mwen vini laa pou de bagay : mwen
metem pre si genyen bato kap pran moun poum pati al chache lavi lòtbò dlo , oubyen si gen
lamann ki tonbe poum ka jwen moso ladanl poum ka brase poum viv tankou moun. Men mwen
pap vin rete laa se bèt ki ta dwe viv laa se pa kretyen vivan. Kondisyon yo pa bon menm ». Ces
propos sont éclairants sur la trajectoire de l’occupant du littoral, ses motivations et surtout son
appréciation de ces conditions de vie et ils se déclinent comme suit : « Je ne suis pas des Cayes,
j’ai quitté la campagne parce qu’elle ne peut plus me fournir ce dont j’ai besoin. Je ne conçois
pas mon avenir ici car les conditions sont inhumaines. J’attends deux choses, à proximité de la
mer, la chance de prendre un bateau et partir à l’étranger et mettre la main sur quelques kilos
de cocaïne pour refaire ma vie ». La littoralisation qui se réalise est alimentée par le
dépeuplement de la campagne via l’exode rural. Le littoral est un lieu de transit et abrite de
nombreux trafics illégaux.

A la question posée dans un focus group au Cap-Haïtien : Que pensez-vous de la qualité des
eaux du littoral ? La réponse d’une participante que je nomme Nozalia intrigue énormément :
« lanmè pa sere kras ». Cette expression charrie tout un mythe populaire dans lequel l’eau de mer
est perçue comme un élément incorruptible. Elle a surtout le pouvoir de nettoyer et de purifier.
Elle affirme donc « que l’eau de mer ne peut pas être polluée ». Cette vision des choses favorise
et entretient la dynamique du « tout à la mer », un processus calamiteux et destructeur pour le
pays. Tout est jeté à la mer qui devient l’exutoire national pour tous les déchets produits.
Un des focus group de la façade du golfe de la Gonâve s’est réalisé à Martissant dans la
commune de Carrefour. L’une des questions débattues portait sur le statut des propriétés
occupées et les relations que les occupants entretiennent avec les autorités. La réponse d’un
participant que nous désignons Volmar résume bien l’esprit des interventions des autorités face
l’appropriation prédatrice du littoral. Il affirme sans ambages que « otorite bò isit se souse yap

41
souse nou. Chak fwa yo bezwen lajan yo vin ekri sou kay nou di yap krase men se pa vre se
toupizi yap toupizi nou pou yo rich yo menm ». « Les autorités locales et centrales laissent faire
mais maintiennent les occupants dans l’insécurité afin de leur soutirer de l’argent
régulièrement ». Il est donc clair que la vulnérabilité créée par l’insécurité de l’occupation dont
parle Volmar appauvrit potentiellement l’occupant. L’autre information capitale pour la
compréhension du rapport entre la pauvreté et le littoral tirée de ces entretiens semis dirigés vient
de la réflexion faite par un entrepreneur établi sur la Côtes des Arcadins. A la question êtes-vous
inquiet au regard de la dégradation sévère des ressources littorales de votre zone d’exploitation ?
Monsieur Desruisseaux avec calme répond en ces termes « On s’inquiète trop, à la limite c’est
du catastrophisme pour rien, car nos eaux (de mer) sont de bonne qualité car le pays n’a pas
d’industries nos charges polluantes sont faibles. Nos vrais problèmes sont plutôt sociaux et non
environnementaux au regard des eaux marines ». Il est vrai que nos charges polluantes sont
faibles du fait de l’absence des industries génératrices de rejets chimiques mais la dégradation
arrive par d’autres voies. Quand on sait qu’aucune ville haïtienne ne dispose de stations
d’épuration des eaux usées la position de cet entrepreneur représentatif de l’entreprenariat
national demeure inquiétante. Et cela pousse à réfléchir sur les conséquences de cette
exploitation littorale ancrée dans une vision du « tout va bien » alors que les nuisances imposées
à cet écosystème fragile qu’est la mer sont légions et récurrentes.

Conclusion

La recherche exige de plus en plus de contact avec les contours de l’objet étudié. Cette relation
devenue obligatoire se réalise dans un cadre général que l’on nomme souvent « terrain ». On
conçoit le terrain comme un concept englobant tous les aspects de l'observation et de la collecte
des données. Partout ailleurs, le chercheur fait face à des défis sous différents aspects
(épistémologiques, théoriques et techniques). Ces derniers sont souvent liés à la réaction
comportementale, le jugement intuitif, la coexistence de techniques différentes dans une même
enquête, les dimensions individuelle et sociale, la fiabilité et la distorsion des données.
Néanmoins, la tache demeure plus ardue en Haïti pour le chercheur. Notre processus de
recherche s’est réalisé dans un contexte national de déficit de données fiables et régulières. Le
dernier recensement national de la population date de 2003 alors que la récurrence adoptée de cet
outil indispensable est de dix ans. Les données quand elles existent portent la marque du doute

42
tant les sources sont nombreuses et plurielles. L’indicateur mortalité maternelle est noté 239/
100.000 par l’OMS alors que la Ministère de la santé (MSPP) le note à 157. Les résultats du
nouvel EMMUS (le VIème) viennent de contredire les sources mentionnées plus haut en
affichant 529 comme taux de mortalité maternelle dans le pays en 2018.

L’autorité nationale consacrée par la loi en matière de statistique, en l’occurrence l’IHSI,


n’arrive point à s’imposer dans la coordination du système statistique national. A ces difficultés
théoriques je faisais face aussi aux déficiences de l’administration publique haïtienne et la
mauvaise gouvernance qui l’anime. La transparence et le droit d’accès aux données sont mis en
déroute par la corruption et la prévarication. Je me trouvais en situation de « payer » des données
pour lesquelles le citoyen et le chercheur disposent du droit d’accès. Et bon nombre de données
auxquelles j’ai accédées ne l’ont été que par l’entremise de relations de collègues ou d’amis. Il
est donc aisé de dire que le terrain impose aux chercheurs ses conditions (Schinz, 2002). Le
traitement de l’idée de départ au résultat final que nous présentons ici a été grandement influencé
par le contexte de recherche particulier qui prévaut dans le pays.

43
Organisation du travail

Ce travail est divisé en trois parties qui se partagent treize chapitres. A l’entrée du présent
rapport sont exposés nos partis pris méthodologiques et l’orientation générale de ce travail de
recherche. L’objectif est de fixer les choix méthodologiques qui animent ce corpus. Dans la
première partie est construit l’objet d’étude géographique qu’est devenue la pauvreté dans le
pays. Elle a pour but de rendre visible les aspects invisibles ou particuliers de la pauvreté
dans le pays en tant qu'objet d’étude à travers son inscription spatiale littorale. Les
contours de la pauvreté sont expliqués et analysés. Cette partie explique comment la construction
nationale a constitué un facteur majeur dans l’inscription spatiale de la pauvreté en Haïti.

La deuxième partie du travail explique le littoral en tant que réceptacle de la pauvreté ambiante.
L’objectif est de montrer que l’occupation multiforme du littoral haïtien participe
grandement à sa dégradation. La dynamique de l’occupation littorale est traitée à travers les
activités traditionnelles de la pêche, du cabotage, du charbonnage, de l’extraction du sel ou des
matériaux de construction et du tourisme. De nouvelles activités apparaissent et s’imposent.
Cette dynamique pose le problème de l’appropriation effective du domaine maritime par les
pouvoirs publics. Cette partie aborde la question de la maritimisation par le truchement du type
et de la qualité des équipements qui lui sont dédiés. L’implantation humaine est abordée pour
qualifier la littoralisation qu’elle exprime. Dans cette partie est analysé aussi le télescopage qui
se produit entre les activités de survie des populations littorales et les activités illicites et
illégales. Cette occupation littorale met en lumière les différents aspects de la pauvreté que
subissent les populations et le domaine littoral (substrat) sur lequel elles s’installent.
L’appauvrissement des littoraux est abordé à travers la dégradation, l’épuisement des stocks et le
saccage de la biodiversité. Autrement dit la politique et la pratique du “tout à la mer” est
examinée. Les poches de pauvreté littorale sont traitées dans leur spécificité (départements
maritimes, quartiers défavorisés, ilets et ilots adjacents). En dehors des questions d’insularité, de
marginalisation, d’exclusion, d’enclavement par le sous-équipement, cette partie du travail tente
de cerner la posture sociale généralisée qui est associée à la logique consistant à tourner le dos à
la mer (si proche et porteuse d’espoir).

44
La troisième partie met à l’observation le système national de prise en charge de la pauvreté et
de l’inégalité spatiale. Le but est de comprendre l’impact de la prise en charge de la
pauvreté littorale par les pouvoirs publics dans le cadre de la lutte contre la pauvreté à
travers les politiques publiques associées. Dans ce cadre-là, le contenu des prescrits de la
constitution de 1987 au sujet du territoire est évoqué. Les contours de la vision décentralisée du
pays par les acteurs politiques et des décisions administratives liées à l’organisation de l’espace
haïtiens sont traités. Le poids des incitations externes au regard de la justice spatiale est analysé
par l’intermédiaire des Objectifs du Millénaire de Développement, du Cadre de Coopération
Intérimaire, du Document de Stratégie Nationale pour la Croissance et la Réduction de la
Pauvreté et du Plan Stratégique de Développement d’Haïti. Cette partie fait le point également
sur la dynamique d’enracinement de la logique de prise en compte de l’inégalité spatiale avec
l’élaboration des cartes de pauvreté (2004, 2009 et 2015).

45
Première partie

La pauvreté du littoral en Haïti, construire un objet d’étude

Il n'est pas de description qui soit vierge de théorie. Que vous vous efforciez de reconstituer des scènes historiques,
d'enquêter sur le terrain auprès d'une tribu sauvage ou d'une communauté civilisée, d'analyser des statistiques,
d'opérer des déductions à partir d'un monument archéologique ou d'une découverte préhistorique – chaque énoncé
et chaque raisonnement doivent passer par les mots, c'est-à-dire par les concepts. Chaque concept à son tour est le
fruit d'une théorie, qui décide que certains faits sont pertinents et d'autres accessoires, que certains facteurs
orientent le cours des événements, et que d'autres sont des intermèdes fortuits... “
B. Malinowski, Une théorie scientifique de la culture, Points, Seuil,

46
Le but de cette partie est de rendre observables les aspects particuliers de la pauvreté dans le
pays en tant qu'objet d’étude à travers son inscription spatiale littorale. Rendre visibles ces
aspects invisibles permet de circonscrire le sujet dans son contexte. Le couple littoral/pauvreté
demeure un objet de recherche universel mais le contexte national haïtien ajoute des spécificités
qui le rendent particulier. Ce particularisme est forgé par l’histoire, la construction socio-
politique et l’aménagement du territoire. Cette partie répond aux questions suivantes : Quel est le
contenu de la pauvreté dans le pays ? Qui est pauvre ? Où se trouvent-t-ils, les pauvres ? Quelle
vision de la construction nationale pousse l’Haïtien à tourner le dos à la mer (littoral) ? Les
lignes suivantes font le point sur ces interrogations afin de mettre en lumière les différents
aspects de la pauvreté qui seront pour certains développés et utiliser dans le reste de la thèse.

La porte d’entrée de toute présentation ou de tout reportage sur Haïti depuis les années 80 reste
invariablement la pauvreté. Elle devient une clé qui oriente les lecteurs et les téléspectateurs, qui
analyse ce pays et qui le définit en soi. Ce prisme par lequel l’étranger observe et comprend ce
territoire n’est pas univoque. Nous pouvons questionner cette vision sous divers angles de vue :
Est-ce l’appropriation par l’extérieur de l’image renvoyée du dénuement du pays ? Est-ce le
besoin de donner un sens concret à la pauvreté, un concept aux contours encore flous ou
indéterminés ? Ces deux interrogations motivent notre démarche de faire le point ou plutôt de
préciser le sens du vocable de pauvreté en Haïti tel que celui-ci est généralement traité dans la
vie courante. Qu’est-ce qui fait de la pauvreté un sujet dont on parle, qui questionne, qui
intéresse ? Dans cette partie du travail est évoqué ce qui est familier au regard du sujet et ce qui
est en rupture avec le sens commun, autrement dit le construit16 , lequel ne peut plus se
confondre avec le sens premier des questions dites d’actualité ou de société évoquées plus haut.
Ce n’est pas le dénuement de l’haïtien qui est analysé mais la pauvreté d’une partie essentielle du
territoire. Evidemment les politiques qui ont conduit à cet appauvrissement spatial est sans doute

16
Face au réel, ce qu'on croit savoir offusque ce qu'on devrait savoir. Quand il se présente à la culture scientifique,
l'esprit n'est jamais jeune. Il est même très vieux, car il a l'âge de ses préjugés. Accéder à la science c'est
spirituellement rajeunir, c'est accepter une mutation brusque qui doit contredire un passé. [...] L'esprit scientifique
nous interdit d'avoir une opinion sur des questions que nous ne comprenons pas, sur des questions que nous ne
savons pas formuler clairement. Avant tout, il faut savoir poser des problèmes. Et quoi qu'on dise dans la vie
scientifique, les problèmes ne se posent pas d'eux-mêmes. C'est précisément ce sens du problème qui donne la
marge du véritable esprit scientifique. Pour un esprit scientifique, toute connaissance est une réponse à une question.
S'il n'y a pas eu de questions il ne peut y avoir de connaissances scientifique. Rien ne va de soi. Rien n'est donné.
Tout est construit. Gaston Bachelard, La formation de l'esprit scientifique, Vrin, Paris, 1938

47
une clé pour comprendre celui des habitants. Cette partie vise à expliquer les visages de la
pauvreté dans le pays appréhendée fondamentalement sous l’angle du sous-équipement.

48
Chapitre I
Considérations générales sur la Républiques d’Haïti et sa pauvreté

“La richesse produite dans le pays est loin d’être suffisante pour répondre aux besoins de la population :
aujourd’hui, Haïti présente un des plus faibles produit intérieur brut par habitant (PIB) d’Amérique Latine et du
monde (1,575$ en 2013, en parité de pouvoir d’achat [PPA] de 2011) et occupe la 161ème place sur 186 pays dans
le classement de l’Indice de développement humain du Programme des Nations Unies(BM et ONPES, 2014 in
Investir dans l’humain ).

Ce chapitre fait le point sur le contenu de la pauvreté dans le pays. Les questions débattues se
déclinent comme suit : le phénomène de pauvreté se manifeste sous quelles formes ? Ses visages
sont animés par quels accélérateurs ? Et cette pauvreté génère quelles incidences sur la vie
sociale et économique ? Haïti partage l’Ile d’Hispaniola avec la République Dominicaine. Elle
fait partie de ce que l’on nomme souvent les grandes Antilles. Elle a une superficie de 27 750
km2. En 2016 sa population est estimée à 10 780 330 hab. (figure I). L’économie haïtienne reste
marquée par une triple dépendance : budgétaire (50 % du budget et 80 % des investissements
proviennent de l’aide extérieure), énergétique (importation de la totalité des hydrocarbures) et
alimentaire (importation de 60 % des biens alimentaires en dépit d’un fort potentiel agricole)

Figure 1.- Haïti dans la Caraïbe

Sources : Geomap.HT.Consulting

49
1- Contours de la pauvreté dans le pays

L’état actuel du pays en matière de pauvreté permet de mieux comprendre les enjeux liés aux
partis pris méthodologiques qui guident ce travail de recherche. Ce chapitre fait le point sur les
données relatives à la pauvreté qui prévaut dans le pays depuis les quinze dernières années.
L’Enquête sur les Conditions de Vie en Haïti (ECVH) en 2001 sert de point de départ. Il s’agit
de la première opération d’envergure nationale de collecte de données sur la pauvreté. La
deuxième source principale de données est constituée par les « Enquête sur les Conditions de vie
Après le Séisme (ECVMAS) I et II. Ces deux dernières enquêtes sont réalisées entre 2012 et
2013. L’ECVH permet de cerner les conditions de vie des ménages, c’est-à-dire les conditions
dans lesquelles les individus et les ménages produisent, façonnent leur vie. La vision de cette
démarche est axée sur l’aspect multidimensionnel du phénomène de la pauvreté.
L’enquête en question prend en compte le logement, l’accès aux services sociaux de base
(assainissement, santé et eau potable), la population, l’éducation et les revenus des ménages, la
force de travail et l’emploi, l’économie des ménages et l’agriculture. L’ECVH permet
d’appréhender la complexité des stratégies de survie des ménages haïtiens, des perceptions de
ceux-ci à l’égard de leur propre situation socio-économique, des représentations des rôles
sociaux et des choix de vie. A ce titre, elle devient un instrument utile à la définition des
politiques publiques. Les résultats de cette opération de collecte ont eu une conséquence
heureuse sur les décisions des pouvoirs publics, en particulier l’élaboration en 2004 de la
première carte de pauvreté pour le pays.

Ce nouvel instrument cartographie les lieux de la pauvreté du pays sur la base de la commune
qui est la seconde unité territoriale et administrative d’Haïti. La carte obtenue guide, directement
ou indirectement, l’ensemble des actions des acteurs du développement dans le cadre de la prise
en charge17 de la pauvreté. L’autre incidence de cette enquête sur la prise en compte nationale de
la pauvreté est l’élaboration du premier seuil national de pauvreté. L’opération a été réalisée par
le FAFO18 en 2009 à partir des données de l’Enquête Budget Consommation des Ménages
(EBCM) et du référent international de 1 et 2 dollars (entre 2001 et 2006). Le séisme du 12
janvier 2010, en causant des dommages et pertes évalués à plus de 120% du PNB, crée les

17
Programme d’Apaisement Social (PAS), Aba Grangou (programme contre la faim), Ede Pep (programme de
transferts monétaires conditionnés et non conditionnés)
18
FAFO est le centre norvégien d’études internationales appliquées.

50
conditions nécessaires pour l’obtention de nouvelles données sur la situation nationale en matière
de pauvreté liée à la décapitalisation des ménages. L’Enquête sur les Conditions de Vie des
Ménages Après le Séisme (ECVMAS) réalisée en 2012 (revisée en 2013) va servir, d’une part, à
l’élaboration d’un nouveau seuil national de pauvreté et d’autre part à caractériser les contours de
la pauvreté dans le pays.

a- Une sévère pauvreté des biens

Les biens sont pris dans le sens de besoins essentiels ou fondamentaux de la pyramide de
Maslow. Selon cette théorie, les besoins d’un individu peuvent être classés par ordre
d’importance et en cinq niveaux ; l’individu devant combler les besoins de la base avant de
passer au niveau supérieur. Au bas de la pyramide se retrouvent donc les besoins qui sont
fondamentaux. Le schéma suivant en montre l’agencement. Une personne doit chercher à
combler ses besoins physiologiques (manger, respirer, dormir, etc.) afin d’assurer sa survie. Bien
entendu cette approche induit l’idée qu’il faut satisfaire des besoins matériels avant des besoins
non quantifiables comme les besoins de spiritualité, besoins psychologiques…Or dans les faits
nous nous apercevons que ceux qui vivent dans la grande « pauvreté », ont un ensemble
complexe de besoins qui se manifestent conjointement.

Figure 2.- La pyramide de Maslow dans le contexte haïtien

51
L’Enquête sur les Conditions de Vie en Haïti (ECVH) fait observer des conditions matérielles de
vie considérablement dégradées. Le premier indicateur mis en observation est le logement. Les
résultats font état d’un contexte national de précarité sévère. Le tableau suivant témoigne de
l’ampleur de ce phénomène. Les taudis représentent près de 20 % de l’habitat et en milieu rural
ils sont plus de 81%. Les maisons à un niveau sont de l’ordre de 63,5% tandis que celles qui
disposent d’un étage ne sont que 9,4%. Les logements comptent en moyenne 2.7 pièces. La
densité pour l’ensemble des logements est de 2.1 personnes par chambre.
Un logement sur cinq a accès à un fournisseur d’eau courante mais les différenciations sont
importantes selon le milieu de résidence, le type de logement, le niveau de revenu. Ainsi, un tiers
seulement des logements de l’Aire Métropolitaine de Port-au-Prince, environ 42% des maisons
avec étage(s) et 34.2% des logements du dernier quintile ont accès à un fournisseur d’eau
courante.

52
Tableau 3.- Caractéristiques sociodémographiques et socioéconomiques fondamentales des
ménages pauvres, non pauvres et extrêmement pauvres
Échelle nationale Urbain Rural

pauvreté

pauvreté

pauvreté
Extrême

Extrême

Extrême
Caractéristique

Pauvres

Pauvres

Pauvres
pauvres

pauvres

pauvres
Non

Non

Non
Taille du ménage, personnes 3.9 5.3 6.2 4.1 5.7 6.4 3.6 5.1 6.2
Age du chef de famille, années 44.7 46.7 48.9 43.1 44.1 43.8 48.2 48.9 50.0
Enfants de moins de 5 ans, % 0.3 0.7 1.0 0.4 0.7 1.0 0.3 0.7 1.0
Taux de dépendance 53.8 88.4 114.0 53.6 79.0 115.2 54.2 95.2 113.7
Chef de famille, homme, % 56.8 56.0 59.6 53.5 49.6 48.1 63.9 61.1 62.0
Niveau d’instruction, chef de famille, années 6.3 3.5 1.7 7.5 5.0 3.2 4.1 2.5 1.4
Alphabétisation, Chefs de famille qui ont >5
65.8 38.5 19.6 74.2 54.1 34.5 47.6 26.1 16.5
années d’études, %
Chef de famille employé, % 73.2 67.8 72.9 68.7 59.8 53.2 82.8 74.2 77.1
Chef de famille chômeur, % 15.8 18.3 11.9 20.1 28.7 32.1 6.4 10.1 7.7
Chef de famille inactif, % 11.0 13.9 15.2 11.2 11.5 14.7 10.7 15.7 15.3
Membres du ménage employés, nombre 1.4 1.5 1.6 1.3 1.3 1.2 1.6 1.6 1.7
Chef de famille employé dans l’agriculture, % 25.5 49.1 77.5 6.1 16.3 41.1 60.7 70.2 82.7
Chef de famille employé dans le secteur formel,
17.5 6.1 1.6 24.6 9.5 2.2 4.7 4.0 1.6
%
Chef de famille employé dans le secteur
57.0 44.7 20.9 69.3 74.3 56.7 34.5 25.8 15.7
informel, %
Ménages recevant des transferts privés (hors 64.1
58.58 60.56 58.23 57.56 64.81 60.5 58.84 56.91
envois de fonds), % 4

25.7
Ménages recevant des transferts privés, % 37.76 18.21 13.83 40.72 14.87 32.13 14.59 13.62
2

58.37 22.33 23.3 11.32 21.52 10.08


Consommation moyenne par habitant, HTG 10.300 60.989 52.657
2 5 60 2 0 6

Part moyenne de la nourriture dans la


46.7 57.5 62.4 42.4 48.9 47.2 56.0 64.3 65.5
consommation totale, %
Accès à un assainissement amélioré, % 49.6 23.2 11.1 57.9 35.4 24.9 31.3 13.4 8.2
Accès à l’eau courante 15.3 10.6 5.4 18.4 18.1 17.8 8.6 4.6 2.8
Accès à une source d’énergie durable, % 58.3 28.2 7.9 73.0 51.3 32.4 26.1 9.8 2.8
Habitations faites avec des matériaux non
80.7 57.1 28.6 88.2 75.8 53.6 64.3 42.2 23.4
dangereux, %
Taux de sécurité alimentaire, % 88.2 72.2 43.4 88.0 71.9 33.7 88.6 72.5 45.5

Source : BM/ONPES. 2014. Haïti : investir dans l’humain pour combattre la pauvreté

53
A l’échelle nationale, 44.1% des logements n’ont aucun lieu d’aisance. Les lieux
d’aisance à l’extérieur sont bien plus fréquents (50.5%) que ceux localisés à l’intérieur du
logement (5.4%). On les trouve dans les maisons ordinaires, avec ou sans étages, et dans les
appartements, ou dans les autres types de logement. La part des logements équipés d’un lieu
d’aisance – quelle que soit la localisation de celui-ci – augmente avec le niveau de revenu du
ménage. Parmi les logements disposant d’un lieu d’aisance, 32% possèdent des latrines dont
l’usage est réservé aux occupants du logement et 27.5% ont une latrine utilisée également par le
voisinage. L’usage «collectif» des latrines est plus répandu dans l’Aire Métropolitaine de Port-
au-Prince (42.2%) que dans les autres milieux de résidence (respectivement 20% et 18.1% dans
les villes de province et en milieu rural). Les lieux d’aisance à usage collectif se retrouvent, dans
des proportions similaires, dans toutes les catégories de revenu des ménages occupants. Par
ailleurs, la majorité des ménages occupant des «kay tè» (54.7%) font usage d’un trou dans la
cour ou dans la parcelle.

Plus de 88 % des logements ne disposent ni d’une douche, ni d’une baignoire dans


l’ensemble du pays. Les logements de l’Aire Métropolitaine de Port-au-Prince sont plus
fréquemment équipés d’une douche ou d’une baignoire individuelle (20.3%) que ceux des autres
villes (7.9%) ou du milieu rural (2.5%). En outre, les maisons avec étage(s) et les appartements
équipés d’une douche ou d’une baignoire individuelle ou d’une douche collective représentent
41.7% des logements de ce type alors que l’immense majorité (plus de 90%) des maisons
ordinaires à un niveau, des «kay tè» et des taudis/ajoupas est dépourvue de ce type
d’équipement. Enfin, l’existence de la douche ou de la baignoire dans le logement est associée au
revenu: près d’un tiers (32.6%) des logements occupés par les ménages les plus riches (du
dernier quintile) en sont pourvus contre 3.1% des logements occupés par les ménages les plus
pauvres (du premier quintile).
Plus de 31.6%ºdes ménages ont accès à l’électricité à l’échelle nationale. Mais les ménages de
l’Aire Métropolitaine sont bien mieux lotis (92.2%) que ceux des villes de province (23.2%) et
du milieu rural (10.5%). Les ménages n’ayant aucun accès à l’électricité font principalement
usage des lampes à kérosène et des lampes dites «tèt gridap» (67.6%). Les génératrices, les
batteries de stockage et les dispositifs d’énergie solaire occupent une place marginale (1.7%), et
se retrouvent plus fréquemment chez les ménages du dernier quintile (4.9%).

54
Trois quarts des ménages stockent les ordures ménagères avant leur évacuation.
S’agissant de l’évacuation des ordures ménagères, les services de ramassage privés sont
quasiment inexistants (0.8%). Le service de ramassage public intervient pour 8.8% seulement
des ménages à l’échelle nationale, et pour respectivement 15.5% et 24.2% des ménages du
département de l’Ouest et de l’Aire Métropolitaine de Port-au-Prince. Le niveau de revenu joue
pour beaucoup dans l’accès aux services de ramassage publics. Ce sont les ménages du
cinquième quintile (22.3%) – résidant pour une bonne part dans l’Aire Métropolitaine de Port-
au-Prince – qui bénéficient des services de ramassage publics contre moins de 8% pour les
ménages appartenant aux autres quintiles. Dans la majorité des cas, les ordures sont transportées
ailleurs, loin du domicile tant dans l’ensemble du pays (61.2%) que dans chacun des milieux de
résidence. En second lieu, les ordures ménagères sont brûlées (23.8%). Il est à noter que 11.3%
des ménages de l’Aire Métropolitaine jettent leurs ordures dans la rue, contre moins de 4% dans
les villes de province ou en milieu rural.

Les deux sources d’énergie pour la cuisson les plus fréquemment citées sont le bois (63.3%)
et le charbon de bois (57.2%). Le gaz propane et le kérosène, plus fréquemment utilisés
(respectivement 17.9% et 27.1%) dans l’Aire Métropolitaine que dans les autres milieux de
résidence, n’ont pas permis d’y renverser la suprématie du charbon de bois (88.7%). Alors que le
bois est massivement utilisé chez les ménages les plus pauvres (80.6% dans le premier quintile)
et voit son importance décroître à mesure que le revenu du ménage augmente, c’est le charbon de
bois qui l’emporte dans les ménages les plus riches (78.4% contre 39.1% chez les ménages du
premier quintile). Ces manques et ses déficits atteignent une majorité écrasante de la population.
Ces chiffres indiquent que près de 6.3 millions d’Haïtiens ne sont pas en mesure de satisfaire
leurs besoins de consommation de base et parmi eux, environ 2.5 millions de personnes ne
peuvent pas se nourrir correctement. L’insécurité alimentaire touche 56,6 % de ceux qui sont en
situation d’extrême pauvreté. Seulement 10,6% des pauvres ont accès à l’eau courante. De ce
fait, il est aisé de dire que le pays fait face à une sévère pauvreté des biens dans le sens des
besoins primaires systématisés dans la pyramide de Maslow.

55
b- Une pauvreté économique handicapant

L’ECVMAS en 2012 confirme et précise les constats de l’ECVH en 2001 révélant des niveaux
de pauvreté monétaire très lourds. Le séisme de janvier 2010, étant entendu, a été un puissant
accélérateur. Néanmoins, l’enquête en question va coïncider avec l’amorce d’un relèvement
économique national quand on tient compte du taux de croissance de 5.5% généré pour
l’exercice fiscal 2010/2011 au regard de celui de 2008/2009 pour lequel la performance n’a été
que de 2, 9%. Cette nouvelle enquête a été nécessaire car il fallait fournir des données récentes
aux parties prenantes du développement afin d’orienter les investissements. Les résultats de cette
enquête (renouvelée en 2013) ont mis en évidence au moins deux dynamiques : les permanences
et les ruptures dans les contours de la pauvreté dans le pays. De l’ECVH à l’ECVMAS plus de
dix ans se sont écoulés. Cette période a été troublée par un ensemble d’événements
déstabilisateurs aussi bien pour l’économie nationale que pour les conditions de vie générales de
la population. Nous qualifions ces chocs de véritables accélérateurs de la pauvreté19dans la
mesure où ils ont favorisé la décapitalisation des populations et surtout les plus démunies d’entre
elles20. Les résultats restent dans la confirmation certes mais certains sont assez surprenants.

Le pays affiche, en effet, un taux de pauvreté de 58.5% et d’extrême pauvreté de 23.8% au


niveau national en 2012. L’indicateur d’écart de pauvreté, ou déficit de la pauvreté, qui
représente la distance moyenne par rapport au seuil de pauvreté, est également considérable, soit
24.4% au niveau national. Ceci signifie qu’en moyenne, les pauvres vivent avec moins de 60%
du montant du seuil de pauvreté, soit moins de 48 G (0, 66 Euros) par habitant et par jour.
L’incidence de la pauvreté est beaucoup plus élevée dans les zones rurales et en particulier dans
la région du Nord. Plus de 80% des personnes se trouvant en situation d’extrême pauvreté
résident dans les zones rurales, où 38% de la population totale n’est pas en mesure de satisfaire
ses besoins nutritionnels, comparativement à 12% dans les zones urbaines et à 5% dans l’Aire
Métropolitaine

19
Cet ensemble de chocs regroupe les troubles sociaux (ingouvernabilité et instabilité politiques) et les
catastrophes naturelles (cyclones majeurs, séisme, inondations d’envergure et sécheresses sévères)
20
PJ Mérat “Les catastrophes naturelles en Haïti, un accélérateur de la pauvreté. in Vertigo (2011).

56
Ces données viennent de la nouvelle méthodologie de calcul mise au point par l’État haïtien à
travers le Ministère de la Planification et de la Coopération Externe (MPCE). Elle prend en
compte certaines pratiques Internationales. La consommation est prise et considérée comme une
meilleure approche de mesure du bien-être car elle reflète de façon plus précise les conditions de
vie, contrairement au revenu21. En 2012, l’agrégat de la consommation est fondé sur un panier
alimentaire de 26 articles reflétant 85% de la valeur de la nourriture des aliments consommés
dans la population de référence dans toutes les régions d’Haïti (déciles 2-6). En outre, cet agrégat
intègre les loyers imputés. Le nouveau seuil a permis, contre toute attente, d’observer une baisse
relative de l’extrême pauvreté. Au niveau national notamment, le taux d’extrême pauvreté a
reculé de 31 à 24% entre 2000 et 2012. Les améliorations dans les zones urbaines ont fortement
contribué à cette baisse. En effet, le taux d’extrême pauvreté a chuté de 21 à 12% dans les zones
urbaines et de 20 à 5% dans l’Aire Métropolitaine, alors qu’il a stagné à 38% dans les zones
rurales. Bien que les données de 2000 ne permettent pas de faire la comparaison en ce qui
concerne la pauvreté modérée liée à la consommation, on estime qu’elle a légèrement reculé
aussi au cours de la dernière décennie (Banque Mondiale et ONPES).

La pauvreté dans le pays se nourrit aussi du contexte économique national marqué par une
production annuelle insuffisante de richesse (Tableau 4) De ce fait, la dynamique de création
d’emplois par les entreprises se retrouve reléguée au second plan. Un cycle infernal s’établit : le
pouvoir d’achat est trop faible pour garantir un niveau de consommation qui incite les entreprises
à embaucher et prendre des risques d’investissements. Dans cette posture économique le marché
est incapable d’absorber les 210 000 demandeurs d’emplois qui arrivent chaque année sur le
marché du travail. En effet, le taux d’emploi mesuré sur le segment de population de 10 ans et
plus est particulièrement faible : 37% seulement des individus de 10 ans et plus sont des actifs
occupés dans l’ensemble du pays. En outre, les taux d’emploi enregistrés en milieu urbain sont
inférieurs au taux national (32% dans l’Aire Métropolitaine et 31.5% dans les autres villes).

21
Les taux de pauvreté officiels calculés en 2001 par IHSI et FAFO (76% et 56%) se basaient sur les seuils
internationaux de 1 et 2 dollars par jour (PPA) et sur les données de revenu des ménages.

57
Tableau 4.- Croissance réelle et croissance par habitant du PIB de 2001 à 2013

Sources : IHSI et calcul de la Banque Mondiale, 2014


N.B Les creux observés sont liés aux troubles politiques induites par le départ de Jean-Bertrand Aristide (2004) et
l’ampleur des dégâts générés par le séisme de 2010. A cela il faut ajouter l’impact du passage des cyclones en 2008.

Tableau 5.- Indicateurs du marché du travail ventilé par zones géographiques (en %)

Localité Taux Taux Taux de Emploi Sous-emploi Ratio de la


d’activité d’emploi chômage- informel invisible population
définition au (salaire urbaine/rurale
sens large min.)

National 64.7 44.5 31.2 49.6 70.0 0.9


Urbain 66.0 39.8 39.6 68.6 57.3 n.a.
Rural 63.3 49.2 22.3 34.1 80.3 n.a.
Régions
Nord 63.7 42.6 33.2 46.8 76.4 0.6
Sud 66.0 50.5 23.5 37.2 78.6 0.2
Transversale 63.0 47.4 24.8 40.4 76.0 0.5
Ouest 64.3 44.4 31.0 53.7 68.3 0.6
Aire Métropolitaine 66.4 39.9 39.9 68.0 52.5 Total urbain

Sources : ECVMAS, 2012

58
Le taux de chômage des personnes de 10 ans22 et plus est particulièrement élevé à l’échelle
nationale: 27.4% de la population active sont privés d’emploi, à la recherche d’un emploi et
disponibles pour un emploi. Mais c’est surtout dans les milieux urbains que le chômage prend
une ampleur considérable : avec des taux de chômage de 45.5% dans l’Aire Métropolitaine et de
28.2% dans les villes de province. Les indicateurs du marché du travail ventilés par zone
géographique sont éclairants (Tableau suivant) Par ailleurs, les femmes sont relativement moins
bien loties par rapport aux hommes, avec un taux de chômage de 32.1% contre 23.4% chez les
hommes; et ceci quel que soit le milieu de résidence. Enfin, le chômage affecte particulièrement
les jeunes de 15-19 ans23 (61.9%) et de 20-24 ans (50%).

La branche d’activité de l’emploi principal demeure peut gratifiant car les revenus générés sont
extrêmement faibles et ne sont pas en mesure de suivre le rythme de l’indice des prix à la
consommation. En effet, 44.6% des actifs occupés sont insérés dans l’agriculture et 27.7%
travaillent dans la branche dite «commerce et réparations». Les villes de province occupent une
position intermédiaire entre le milieu rural avec ses 62.6% d’actifs occupés dans l’agriculture et
l’Aire Métropolitaine de Port-au-Prince où la branche agriculture est quasiment inexistante
(0.5%). En effet, 20.6% «seulement» des actifs occupés des autres villes sont insérés dans
l’agriculture. Par ailleurs, les services dominent dans l’Aire Métropolitaine où les activités de
fabrication (artisanats et industries légères) ne représentent que 15.3% des actifs tandis que le
commerce y emploie à lui seul 38.4% des actifs occupés.

c- Une pauvreté sociale intolérable

L’accès à la sécurité sociale est hors de portée pour la plupart des Haïtiens, en particulier pour les
pauvres. Parmi les travailleurs salariés seuls 3,5 % ont accès à la sécurité sociale alors que
l'écrasante majorité n’y a pas accès, mais les deux tiers des employés qui ont la sécurité sociale
appartiennent au quintile supérieur contre seulement 5% qui appartiennent au deuxième quintile
le plus pauvre. Et pratiquement personne du quintile le plus bas n’y a accès. Le système de
protection sociale rencontre des difficultés pour répondre aux besoins de la population. Les
pauvres et les plus vulnérables ont un accès limité aux aides publiques, compte tenu des faibles

22
L’âge minimum légal de travail est de 10ans selon le code du travail du pays.
23
15 ans est la limite inférieure de la tranche d’âge prise comme la jeunesse dans l’ensemble de la population par
l’IHSI

59
capacités de l’État. De plus, ces catégories sont les victimes directes et indirectes des chocs
sociaux et des catastrophes naturelles qui, de manière récurrente, frappent le pays.

L’essentiel de l’assistance continue de parvenir sous la forme de transferts de fonds ou d’aide des
églises, d’autres institutions non gouvernementales et des donateurs. Selon les données
ECVMAS, en 2012, 11% seulement des personnes extrêmement pauvres ont reçu une aide
sociale de l’État, telles que des bourses, de l’aide alimentaire, ou d’autres transferts monétaires.
Malgré les dernières initiatives prises pour élargir les prestations d’aide sociale, dans le cadre du
programme EDE PEP ( 2013-2016), la majorité des pauvres n’a toujours pas accès à des
systèmes formels de protection sociale qui leur permettraient de réguler leur consommation dans
le temps et ainsi d’éviter de vivre dans la misère qui peut causer des pertes irréversibles en
capital humain. Ainsi les populations les plus vulnérables font face à des conditions de vie
pénibles sans amortisseur social.

La pauvreté est aussi alimentée par des inégalités sociales criantes. Les 20% les plus riches
détiennent plus de 64% du revenu total du pays, alors que les 20% les plus pauvres en détiennent
à peine 1%. Néanmoins, ce constat général a tendance à occulter des tendances contrastées entre
zones urbaines et rurales ; en effet si l’inégalité a reculé (de 0.64 à 0.59) en milieu urbain elle a,
au contraire augmenté en milieu rural (de 0.49 à 0.56). Ces niveaux d’inégalité de revenu classe
Haïti parmi les pays les plus inégalitaires d’Amérique latine et du monde. Le coefficient de
Gini24 s’établi à 0.61. Les pauvres sont confrontés à de grands obstacles pour accéder au
minimum des services sociaux de base. En 2012, 87% des enfants de 6 à 14 ans issus de ménages
pauvres étaient inscrits à l’école, contre 96% des enfants de ménages non pauvres. Au cours de la
même année, la mortalité infantile était de 62 pour 1000 naissances vivantes dans le quintile de
bien-être le plus élevé, alors qu’il était de 104 dans le quintile de revenu le plus bas. De même, le
nombre d’enfants souffrant de retard de croissance était quatre fois plus élevé dans le quintile
inférieur que dans le quintile supérieur. Moins d’une femme sur 10 bénéficiait d’un
accouchement assisté dans le quintile le plus bas, contre 7 femmes sur 10 dans les couches de la
population les mieux loties, ce qui indique que les femmes les plus démunies avaient un accès

24
Ce coefficient de Gini a été calculé à partir de l’agrégat de revenu pour 2001 et 2012, incluant les revenus du
travail des ménages par habitant (y compris la production destinée à l’auto consommation), les revenus non
salariaux et les loyers imputés. Cet agrégat a été élaboré en utilisant la méthodologie de la Base de données
socioéconomique pour l’Amérique latine et les Caraïbes, comme illustré par le CEDLAS et la Banque mondiale

60
limité aux services de santé maternelle et étaient plus susceptibles de décéder pendant
l’accouchement. En 2012, la couverture des accouchements en établissement était 8,4 fois plus
élevée dans le quintile supérieur de bien-être (76%) que dans le quintile inférieur de bien-être
(9%).

L’accès au marché du travail n’est pas égal pour tous. Les barrières spatiales et
sociodémographiques créent et alimentent les inégalités. Les possibilités de génération de
revenus dans les zones urbaines sont limitées par un double problème : la rareté des emplois et la
prévalence d’emplois mal rémunérés. Le chômage touche 40% de la main-d’œuvre urbaine et
près de 50% de la main-d’œuvre féminine. Le taux de chômage des jeunes dépasse les 60%, ce
qui suscite des préoccupations non seulement d’ordre économique, mais aussi social. Trouver un
emploi constitue un véritable défi et un exercice très décourageant pour beaucoup. Haïti affiche
un faible taux d’activité économique comparativement à la région : 60% seulement des
personnes en âge de travailler (15-64) sont sur le marché du travail, par rapport, par exemple, à
70% dans la République dominicaine voisine. Parmi ceux qui trouvent un emploi, 60% ont des
revenus inférieurs au salaire minimum, et les femmes gagnent, en moyenne, 32% moins que les
hommes. La non satisfaction des besoins fondamentaux (insécurité alimentaire, insalubrité, mal
logement), la participation incomplète au marché du travail (faible revenu, chômage et sous-
emploi) et la débilité du système de solidarité nationale et du vivre ensemble (inégalités et
assurance sociale contributive) sont les contours majeurs de la pauvreté dans le pays.

2- Visages et typologie de cette pauvreté

Comme on vient de le signaler plus haut, la pauvreté, qu’elle soit appréciée par l’approche
monétaire ou l’approche multidimensionnelle, est un phénomène massif dans le pays. Pourtant
l’ampleur de sa généralisation peut nous faire perdre de vue un ensemble de facettes grandement
utiles à la compréhension et à l’appropriation de ce phénomène. La pauvreté ici est complexe et
diverse. Sous un même libellé de « pauvre » coexistent des réalités très différentes et parfois les
nommer ou les assimiler à la pauvreté peut paraitre difficile voire incongrue. Le travailleur, le
petit fonctionnaire et le retraité sont difficilement assimilables à un pauvre. Alors qu’ils sont bien
des catégories qui forment la grande famille des pauvres en Haïti. Il importe donc pour nous de
faire le point sur ces nombreux faciès. La typologie est construite à partir des résultats de trois

61
grandes enquêtes nationales à savoir l’Enquête sur les Conditions de Vie des Ménages après le
Séisme (ECVMAS 1 et 2), l’Enquête sur les Nouvelles Manifestations (ENMP). Il est nécessaire
de rappeler que le séisme de 2010 et les épisodes cycloniques25 de Gordon à Matthew (2008 à
2016) qui ont meurtri le pays ont été les accélérateurs de la pauvreté mais aussi des marqueurs
fondamentaux dans les mutations qui dessinent les faciès de la pauvreté. Ces mutations se
manifestent à travers une pauvreté de plus en plus rurale, une pauvreté qui affecte davantage le
travailleur et le petit fonctionnaire, une pauvreté qui décapitalise les plus pauvres.

a- Une pauvreté qui élit domicile à la campagne

Plus de 5,3 millions d’Haïtiens vivent en dessous du seuil de la pauvreté et 66% d’entre eux
habitent à la campagne. Le taux de pauvreté est deux fois plus élevé en milieu rural qu'en milieu
urbain. La pauvreté est essentiellement rurale en Haïti. En l'espace de onze ans, la dimension
rurale de ce phénomène s'est davantage accentuée. Les deux enquêtes nationales sur le niveau de
vie des ménages menées par l’IHSI en 2001 et en 2012 le montrent clairement. La pauvreté «se
ruralise« donc en Haïti. Le phénomène est presque contradictoire. Alors que le pays connaît une
urbanisation significative, alimentée par un exode rural conséquent, la campagne regroupe 66%
des pauvres. Théoriquement, la pauvreté devrait suivre la mobilité des populations qui en
souffrent. L'installation des migrants dans les villes ne signifie pas nécessairement une
amélioration de leur niveau de vie. Parfois, c'est même le contraire qui se produit. Mais, la réalité
statistique ne semble pas obéir à cette logique. Les mouvements migratoires orientés vers les
villes, notamment celles des littoraux, ne se traduisent pas automatiquement par une
recrudescence de la pauvreté dans ces régions d'accueil. L'exemple le plus éloquent est celui de
la région métropolitaine de Port-au-Prince. Le taux de pauvreté dans la capitale économique ne
dépasse pas 5% (il est à la fois largement inférieur au taux national urbain qui est de 12% et à la
moyenne nationale qui est de 19%). Les taux de pauvreté urbaine demeurent cependant inférieurs
à ceux de la pauvreté rurale dans la plupart des régions.

25
De 1994 à 2016 Haïti a été touchée par près d’une dizaine de cyclones majeurs (Gordon, Georges, Jeanne, Fay,
Ike, Ivan,Gustav, sandy, Isaac et Matthew)

62
Tableau 6.- Évolution de la pauvreté extrême en Haïti par milieu de résidence, 2000-2012

Haïti Rural Urbain Aire Métropolitaine


Sources: ECVMAS 2012 et seuils de pauvreté officiels ; calculs BM / ONPES

La population pauvre est géographiquement concentrée dans le Nord où les départements du


Nord-Est et du Nord-Ouest enregistrent un taux de pauvreté extrême supérieur à 40% (ce qui
représente 20% de la totalité des personnes vivant dans la pauvreté extrême), comparativement à
4.6% dans l’Aire Métropolitaine de Port-au-Prince (qui ne représente que 5% de la pauvreté
extrême).

Le revenu per capita à l’échelle nationale s’élève à 5462 gourdes l’an (l’équivalent de 120
euros). Les disparités sont importantes entre les milieux de résidence. Le revenu per capita de
l’Aire Métropolitaine (12701 gourdes l’an / 282 euros), est bien supérieur à la moyenne
nationale. Il représente un peu plus du double de celui des villes de province (5616 gourdes l’an)
et plus de 4 fois celui du milieu rural (2871 gourdes l’an). Un ménage perçoit en moyenne un
revenu monétaire annuel de 22260 gourdes, ou un revenu annuel total (incluant
l’autoconsommation et le troc) équivalant à 24784 gourdes. C’est en milieu rural et dans les
villes de province que l’autoconsommation et le troc jouent un rôle non négligeable dans la
formation du revenu des ménages. Ils représentent respectivement 24.7% et 13.3% du revenu
total des ménages. Les disparités entre les milieux de résidence ou entre les départements
géographiques sont importantes. Le revenu annuel moyen par ménage dans l’Aire Métropolitaine
(56337 gourdes) vaut 2.8 et 4 fois le revenu annuel moyen des autres villes et du milieu rural.
Parallèlement, le département de l’Ouest affiche le revenu annuel moyen par ménage le plus

63
élevé (40914 gourdes) tandis que les départements du Nord-Ouest (10693 gourdes) et du Nord-
Est (9250 gourdes) se situent au bas de l’échelle, en deçà de la moyenne nationale.

Alphabétisation et la scolarisation opposent aussi le milieu rural et le milieu urbain à l’échelle du


pays. Si 54.1% de la population de 15 ans et plus déclarent savoir lire et écrire, le milieu rural
reste à la traine (38.6%), de même que certains départements géographiques (Sud-Est et la
Grande-Anse). Au niveau national 31.5% de la population de 6 ans et plus ne sont jamais allés à
l’école. Les individus jamais scolarisés comptent pour 42.6% des 6 ans et plus en milieu rural
contre respectivement 11.0% et 17.6% dans l’Aire Métropolitaine et les autres villes. Les mêmes
disparités sont observées pour le taux net de scolarisation au cycle primaire. En effet 60% des
enfants de 6-11 ans sont scolarisés au primaire sur l’ensemble du territoire. Le retard du milieu
rural est patent : un peu plus d’un enfant de 6-11 ans sur deux va à l’école primaire contre plus
de sept enfants sur dix dans l’Aire Métropolitaine (72%) et dans les villes de province (75%).

Le taux net de scolarisation au cycle secondaire affiche la même opposition : calculé en


référence à la population de 12-18 ans, le taux pour le pays est de 22%. Le retard du milieu rural
est particulièrement important: le taux net de scolarisation au cycle secondaire dans l’Aire
Métropolitaine de Port-au-Prince (42%) vaut 3.8 fois le taux net de scolarisation au secondaire
en milieu rural (11%). Certains départements géographiques sont particulièrement mal lotis : le
Nord-Ouest (8%), le Centre (10%), la Grande-Anse (12%) et le Sud-Est (13%). Il faut noter dans
ce même ordre d’idée que 42.2% de la population de 6 ans et plus n’ont aucun niveau d’étude
alors que 54.7% de cette population en milieu rural n’ont aucun niveau contre 17.7% dans l’Aire
Métropolitaine de Port-au-Prince où plus de la moitié des individus de 6 ans et plus ont un
niveau d’étude primaire ou secondaire.

b- Une pauvreté qui affecte les travailleurs

Le travail a toujours été considéré comme un rempart contre la pauvreté. Cependant depuis ces
dernières années on constate que travail et pauvreté cohabitent. Cette coexistence se réalise dans
la longue dynamique de dégradation du marché du travail et la proportion croissante de bas
salaires initié par les travaux à Haute Intensité de Main-d’œuvre (Himo) et le food for work. Ce
dernier mis en place après le séisme du 12 janvier 2010 permettait de déblayer les gravats,
d’ouvrir les accès aux routes afin de rétablir la circulation. La question théorique demeure s’agit-

64
il d’identifier les travailleurs qui sont pauvres, ou les pauvres qui travaillent. Le premier enjeu de
cette démarche d’identification de la catégorie est d’évaluer l’ampleur de la population
concernée. Cette dernière est constituée par le personnel domestique, les petits fonctionnaires, le
personnel de soutien (contractuel) dans l’administration centrale et des collectivités territoriales
et la grande majorité des forces productives du secteur informel.
Les travailleurs pauvres ont été analysés à partir des données de l’ECVMAS I et 2 (2012-2013)
et celles de l’ENMP, collectées en 2011. Ces enquêtes ont été menées dans le sillage du séisme
de 2010. Le premier élément observé est constitué par les travaux à haute intensité de main
d’œuvre. En effet, les années 1990 et 2000 dans le pays sont marquées par une sévère récurrence
des catastrophes naturelles (Mérat, P J, 2011). Les plaies encore béantes d’un choc doivent
souvent subir les affres d’une nouvelle catastrophe. Cet état de fait alimente une situation de
crise permanente dans le pays (Jean-Philippe P, 2011 et Clerveau M., 2016)26 L’urgence
demeure invariablement la préoccupation des pouvoirs publics et les autres parties prenantes du
développement. Et cela laisse très peu de place à la planification de long terme. Il y a toujours
des sinistrés par milliers à prendre en charge et des infrastructures à réhabiliter. Un besoin
considérable s’impose celui de donner du travail aux populations et d’assurer la continuité des
services publics et des rouages de l’économie. Les travaux à Haute Intensité de Main-d’œuvre27
(HIMO) vont être l’outil indiqué.

Le discours est bien rodé sur les avantages de cette approche. Le financement d’ailleurs est
généralement assuré par un organisme international. Et l’effet visuel est immédiat : les chantiers
grouillent de travailleurs portant des combinés fluorescents donc visibles à des kilomètres. La
Banque Mondiale (BM) recommande particulièrement l'utilisation des techniques HIMO aux
pays à faibles revenus et dont le salaire minimum journalier est de 4 dollars américains. Le BIT

26
Pour ces deux auteurs, à travers leurs thèses de doctorat, la crise haïtienne s’explique aussi par la récurrence des
catastrophes naturelles. Jean Philippe Pierre dans sa thèse - Crises violentes et catastrophes majeures, le cycle de la
crise. Adapter les méthodes d’analyse et les outils de résolution aux temps de la crise – qualifie aborde la crise
haïtienne de crise de l’extrême pauvreté.

27
Le terme HIMO (« haute intensité de main d’œuvre ») utilisé par l’Organisation Internationale du Travail (OIT),
décrit l’utilisation optimale de la main d’œuvre pour réduire au maximum la pauvreté, tout en considérant
attentivement les questions de coûts et de qualité. De manière générale, il s’agit de trouver un équilibre d'utilisation
adéquat entre la main d’œuvre, les matériaux et équipements (matériels) afin d’obtenir un produit rentable et de
qualité satisfaisante.

65
cautionne la démarche et l’utilise pour lutter contre le chômage et le sous-emploi
particulièrement en Afrique. Les emplois dit-on qui sont créés directement lors de la réalisation
des projets HIMO génèrent des revenus qui sont dépensés en grande partie localement. Ce qui
induit un effet multiplicateur sur la production locale. Ainsi, dit-on, pour chaque emploi créé
directement par l'utilisation des techniques HIMO, 1, 88 emplois sont créés indirectement.

L’adoption de l’HIMO permet donc de mieux lutter contre le chômage car la démarche privilégie
le plus de bras possible contrairement aux travaux à Haute Intensité d’Equipement (HIEQ) qui
mise sur la performance des équipements (Yemene et al, 2009). Il faut bien admettre certaines
réussites de l’approche HIMO. Ces travaux créent de façon significative un plus grand nombre
d’emplois non-qualifiés ou peu qualifiés. Car ces emplois sont facilement accessibles à des
personnes avec un bas niveau de formation ou d’apprentissage, y compris les femmes et les
handicapés. Cependant les enquêtes menées (Mérat : 2016, CERHCA: 2014 et ONPES: 2011)
auprès des bénéficiaires et des opérateurs/exécutants montrent que les HIMO ne protègent pas
les travailleurs contre la pauvreté.

Les bénéficiaires ne sont pas le résultat de ciblage exhaustif en faveur des plus défavorisés mais
plutôt d’un clientélisme irritant. Ce qui fait perdre aux plus démunis le bénéfice de l'obtention de
revenus associés à la démarche. Les travaux à HIMO ne facilitent pas le transfert de compétences
aux communautés locales et des connaissances utiles à la prise en charge ultérieure de l'entretien.
Car les tâches accomplies par les travailleurs bénéficiaires ne sont nullement formatrices et
professionnalisantes. A Canapé- Vert (sud-est de Port-au-Prince) l’Agence Américaine de
développement (l’USAID) a financé durant trois mois les travaux de curage des canaux de
drainage de la zone. Une ONG haïtienne a bénéficié du contrat en devenant du même coup
l’exécutant. Cent soixante-seize (176) emplois temporaires ont été créés. Les contrats n’incluent
pas des conditions de travail et d’emploi décentes. Le travailleur, dans plus de 98% des cas ne
dispose que d’un accord verbal.
Le fait d’être embauché face à des milliers d’autres qui attendent est déjà en soi une aubaine. Ce
qui ne pousse pas le travailleur à exiger un contrat en bonne et due forme. Les managers et les
administrateurs se frottent donc les mains et se livrent à des actions déplorables et sans

66
scrupules28. Dans un projet similaire à Lalue (centre de Port-au-Prince) 46 des 72 travailleurs
reversaient au manager une partie de leurs payes afin qu’ils soient reconduits. Le forfait a été
dénoncé par certains d’entre eux, mais aucun jugement n’a été instruit, aucune sanction n’a été
prononcée voire appliquée. L’abus de pouvoir, la corruption et l’impunité deviennent eux aussi
des accélérateurs de la pauvreté dans le pays. Il est à déplorer aussi que ces approches HIMO ne
fassent pas partie d’un programme continu de construction/réhabilitation d’infrastructures basé
sur la main d’œuvre durant une période s’étendant à plusieurs années. Cela signifie que ce type
de création d’emploi à court terme n’aboutit pas à la création de sources de revenus durables. Le
bénéficiaire continue de faire face à la rigueur du marché pour se procurer les incompressibles de
sa vie de producteur et de consommateur (semences, engrais, formation, alimentation etc).

Le système « nourriture contre travail » (Food for work29 ) est un autre outil employé dans le
cadre de l’urgence et dans la période de relèvement économique lié aux chocs naturels subis par
le pays. Il est vu, à l’instar des travaux HIMO, comme un élément de la dynamique des transferts
sociaux. Les organisations internationales (FAO, PAM) et les ONG humanitaires (CARE)
détiennent des stocks stratégiques de biens alimentaires entreposés dans la région métropolitaine
de Port-au-Prince et certaines fois dans les départements du Nord et du Sud. En cas d’urgence
générée par un choc naturel de type sécheresse, inondation ou cyclone, ces biens sont donnés à
l’État haïtien directement ou indirectement (via les associations de la société civile ou
communautaires). La finalité demeure simple : aider les populations et faciliter la continuité des
services publics collectifs (écoles, centres de santé etc) et des rouages de l’économie (routes,
réseaux de drainage ou d’irrigation etc). La nourriture est donnée à la population et cette dernière
apporte sa contribution en journées de travail aux fins de réhabilitation des biens collectifs. La
mise en œuvre du food for work ne règle pas le problème des travailleurs. Le salaire reçu en
biens alimentaires perd de sa valeur. La concentration en une journée d’un stock de biens sur un
petit marché fait baisser rapidement les prix.

28
Le montant des salaires émargés dans les documents administratifs est supérieur à celui reçu par le travailleur.
Et certains travailleurs doivent rendre en sous-main une partie de la paye aux managers comme gages pour le
renouvellement du contrat. Ces gestionnaires sont donc les vrais bénéficiaires de HIMO au détriment des vrais
travailleurs
29
On parle en général de « Food for work » lorsque l'aide alimentaire, au lieu d'être distribuée gratuitement, est
utilisée comme paiement de travaux destinés à stimuler la création ou l'entretien d'infrastructures collectives
(réseaux d'irrigation, réparation de route, etc.), ou dans le cadre de politiques de prévention des désastres naturels
(curage des canaux de drainage, travaux de terrassement ou de reboisement, etc.)

67
Les bénéficiaires des programmes sont rémunérés en aliments ; les rations sont distribuées en
général tous les quinze jours, et comportent du blé ou de la farine de blé, de l'huile et une source
protéique: haricots ou poissons conditionnés. Evaluées en apports nutritionnels, les rations
distribuées correspondent en moyenne à des apports de 30 grammes de protéines et 1 000
calories par jour et par individu30, soit la couverture de la moitié des besoins standards. Evaluées
en termes monétaires, aux prix observés sur les marchés locaux, les rations distribuées
correspondent à des rémunérations journalières de 13 gourdes par jour à 23 gourdes par jour pour
un ouvrier. Ce qui est inférieur au salaire habituel.

Les programmes « nourriture contre travail » ne favorisent pas le cumul de savoirs faire car ils
cherchent généralement à intervenir rapidement, bien avant que les conditions de l'entretien d'une
infrastructure collective soient définitivement arrêtées avec les bénéficiaires (formation d'un
comité d'usagers, établissement des règles pour le travail d'entretien, etc.). Dans leur
désespérance les bénéficiaires n’ont en général pas intérêt à ce que l’ouvrage à réaliser soit
durable, dans la mesure où lorsqu'il sera dégradé, ils compteront sur un nouveau programme
« nourriture contre travail » distributeur de revenus pour le réhabiliter. Il s'agit là d'un véritable
effet pervers de l'approche food for work. L’idée d’attendre la dégradation rapide de
l’infrastructure entretenue pour bénéficier d’un nouveau contrat est pernicieuse. La population
essaie donc de corriger par l’absurde les imperfections de ce « travail contre nourriture » qui ne
garantit aucunement la permanence des emplois et des revenus associés.

Les bénéficiaires des programmes "nourriture contre travail" ont également fait ressortir lors des
entretiens le fait qu'une rémunération en nature entraine souvent des retards dans les paiements,
du fait de la lourdeur de la gestion du circuit, depuis l'importation jusqu'à la distribution au
bénéficiaire ultime. De ce fait, pour survivre ils contractent des dettes et prennent surtout des
ponya31. Cette pratique traditionnelle consiste à emprunter de l’argent auprès d’un particulier,
autre que la banque. L’opération comporte deux éléments fondamentaux : un taux d’intérêt très
élevé et un temps de remboursement relativement court (30 jours au maximum). Cette opération
diminue drastiquement le revenu des plus modestes car ils sont très enclins à contracter ce type

30
Ces données viennent du rapport d’étude du CERHCA sur les Food for Work en 2014. Elles confirment dans ses
grandes lignes les conclusions générales du rapport de la CNSA en 1999 sur la même thématique.
31
Le Ponya est une pratique de prêt usuraire sur un temps très court sur la base de taux d’intérêts assassins. Ce mot
haïtien signifie poignard ou grand couteau. Prendre un ponya signifie se faire poignarder.

68
de prêt. Nous insistons aussi sur l'effet négatif des rations distribuées en termes d'habitudes
alimentaires.

En effet, l'essentiel des produits distribués sont des biens alimentaires importés et ne sont pas des
produits habituellement consommés en milieu rural (lieu de prédilection des opérations de food
for work). Les blés renforcés au soja et les poissons en conserve s’installent dans les habitudes et
diminuent in fine la part de l’autoconsommation dans l’assiette du pauvre. Ce qui va encore
grignoter sur son revenu en voulant accéder, via le marché, à ces nouveaux produits.
L’introduction des céréales et des légumes secs dans les habitudes alimentaires accélère la
décapitalisation des pauvres en Haïti (Tableau suivant). Le temps de cuisson de la nourriture
s’allonge et nécessite davantage d’énergie qui est tirée du bois (Mérat 2011)32. Et cela se fait au
détriment du maintien de la couverture végétale du pays. Toute cette dynamique entretient un
sévère processus d’érosion qui appauvrit le milieu de vie et de production des travailleurs.

Offrir une rémunération en aliments permet aux opérateurs de rétribuer les travailleurs à un taux
généralement inférieur au prix de la main d'œuvre sur le marché. Il est par ailleurs considéré
comme "déshonorant" de travailler pour de la nourriture plutôt que pour de l'argent. Les
entretiens qualitatifs réalisés ont clairement mis en évidence une tendance à la revente locale des
aliments distribués. En milieu urbain notamment, la part revendue peut atteindre plus de la
moitié des quantités reçues en paiement, les aliments les plus revendus étant les haricots et le blé.
Pour assurer leur sécurité alimentaire, les bénéficiaires des programmes de "nourriture contre
travail" ont donc visiblement besoin d'autre chose que des aliments distribués. Dans le cas d’un
programme de ce type exécuté à Pilate par l’ONG Agri-Koumbit, les travailleurs bénéficiaires
ont d’eux-mêmes transformés le programme "nourriture contre travail" en un programme
rémunérant les participants en espèces. Il s’agissait d’un projet de construction de mur sec sur les
flancs des montagnes afin de réduire l’érosion dont elles font l’objet. Une entente tripartite est
trouvée entre les bénéficiaires, l’ONG et un groupe de commerçants qui achètent comptant le
stock de nourriture. L’argent généré est ensuite reparti sous forme de salaire associé au travail
fourni par chacun.

32
Pierre Jorès Merat, « Forêts, évangélismes et aides humanitaires post-sismique en Haïti: des liaisons
dangereuses », VertigO - la revue électronique en sciences de l'environnement [En ligne], Hors-série 14 | septembre
2012, mis en ligne le 15 septembre 2012

69
Tableau 7.- Récurrence céréalière dans le repas journalier après le séisme de 2010

Source: Mérat P Jorès in Vertigo (sept 2012)

Toutes ces modalités n’ont aucune prise durable sur les conditions de vie des travailleurs qui
constatent que leur situation ne s’améliore pas. Le niveau de salaire génère les mêmes distorsions
entre une minorité de cadres supérieurs et la majorité des employés du secteur privé ou entre de
hauts fonctionnaires et une majorité de petits fonctionnaires publics. Le salaire minimum et le
taux d’activité demeurent la porte d’entrée pour analyser cette situation. En effet l’ECVMAS a
montré que le taux d’activité sur l’ensemble du pays est passé de 47.7% en 2007 à 56.9% en
2012, soit une augmentation de 9 points33. Elle a mis en évidence comme les études antérieures
que les deux principaux pourvoyeurs d’emplois du pays demeurent respectivement le secteur
informel (45%) et l’agriculture (47%). Ces derniers sont des secteurs à bas revenus offrant des
conditions de travail souvent médiocres et des emplois non sécurisés et peu rémunérés. Si
l’emploi reste la première source de revenu des ménages, il ne constitue pas la condition
suffisante pour sortir les personnes de la pauvreté. Ainsi en 2012, 44.9% de la population
occupée disposent de moins d’un dollar américain et 25 centimes par jour. Selon ces données, le

33
La variation du taux est relativement élevée pour une période de cinq ans. L’interprétation la plus plausible de ce
phénomène est à mettre à l’appauvrissement de la population (PNUD, 2014). Pour tenter de la compenser la
dégradation de leurs conditions de vie, les familles se voient contraintes de mettre au travail les membres
secondaires des ménages dans l’espoir d’obtenir des compléments de revenus. Cette stratégie touche
particulièrement les jeunes hommes (10-24 ans), dont le taux d’activité a augmenté de 19,9 points durant la période.

70
sous-emploi global est passé de 54,8% en 2007 à 63,1% en 2012, et 57% des actifs en situation
de sous-emploi en 2012 ont une rémunération inférieure au salaire minimum34.

c- Une pauvreté qui décapitalise

De janvier 2012 à janvier 2017 l’épargne des ménages haïtiens a perdu 42 % de sa valeur. La
monnaie nationale est passée de 43,5 gourdes pour un dollar américain à 69 gourdes. Depuis plus
de cinq ans, la dégradation des conditions de vie s’accélère en s’amplifiant. Le coût humain de
cette situation a été révélé dans un rapport publié en 2015 par CERHCA, révélant que 59 % des
ménages en Haïti n'ont pas assez d'argent pour satisfaire leurs besoins de base. Autrement dit ces
ménages ne pouvaient pas payer leur loyer, la scolarité de leurs enfants, leur nourriture, leurs
besoins de transports ou des soins de santé. Le pouvoir d’achat des plus faibles s’amenuise ce
qui les empêche d’accéder facilement aux biens de consommation et aux services. Le premier
canal de la décapitalisation demeure la consommation.

Le pauvre achète plus cher que le non pauvre dans le pays. Les magasins et les opérateurs de
la distribution des produits de consommation dans le pays offrent la possibilité aux
consommateurs de se procurer leurs produits selon deux modalités : celle d’acheter en gros
directement ou d’acheter indirectement au détail via les petits commerçants. Acheter en gros
permet de diminuer sur le prix global, or, seul le non pauvre dispose suffisamment de revenus
pour se payer plus que le strict nécessaire. Faute de moyens, le pauvre doit se rabattre sur le
commerce de détail. C’est le maillon final de la chaîne de distribution. Or, acheter dans le détail
c’est payer in fine les ponctions de nombreux intermédiaires qui jalonnent la trajectoire du
produit entre le producteur et le consommateur. A l’arrivée le consommateur final qu’est le
pauvre, débourse plus d’argent que le non pauvre. L’achat en petites quantités pénalise aussi le
pauvre. Le tableau suivant, établi avec des prix de références sur le riz et l’huile de cuisine,
montre comment les plus pauvres déboursent parfois plus de 35% de plus que le non-pauvre pour
accéder au même produit. Le pauvre, souvent, n’a pas d’argent ni la possibilité de conserver la
nourriture, à la fois par la vétusté de l’habitat, le manque d’équipement (réfrigérateur) et
l’absence d’électricité.

34
Le salaire minimum à oscillé entre 70 et 200 gourdes de 2003 à 2016. Le 4 mai 2016 un arrêté présidentiel portant
la signature de Jocelerme Privert fixe ce salaire minimum à 350gourdes

71
Tableau 8.- Comparaison entre l’achat de gros et celui de détail (région de P-au-P)
Produit Quantité Achat de gros Achat au détail GAP Ecart en %
Huile de cuisine 1 gallon 330 gdes 12gdes X 43 glòs (516 gdes) 186 gdes 56%

Riz 1 sac 1075 gdes 30gdes X 5,50 tm X 8 marmites 245 gdes 22,79%
8 marmites 1320gdes

Sources : UOPES, septembre 2016

Le marchandage grignote le capital temps du pauvre. Le marchandage sur fond de suspicion


mutuelle reste la base du commerce au détail. Ainsi chacun a eu l'habitude d'entendre, lors d'un
achat, la question inévitable du prix payé se doubler de commentaires sur la remise accordée, et
la qualité du produit. Le principe du marchandage est si fort que les commerçants de quartier se
trouvent encore obligés, comme ils le reconnaissent eux-mêmes, de majorer leurs prix afin de
répondre aux vœux du client, d'obtenir ce qu'il considère comme le juste prix, après une
discussion qui satisfait rarement les partenaires. Il faut fréquemment devoir négocier les prix. On
peut se retrouver à payer un objet pour trois fois son prix. Et c’est un gaspillage de temps.
L’expérience montre que quelques minutes de négociation permettent en général d’avoir un bon
prix et si cela échoue il est toujours possible d’essayer un autre marchand. Marchander requiert
un certain talent. C’est nettement plus facile de parcourir les magasins que de négocier un prix.
Courir les magasins prend plus de temps mais ne demande pas de talent, il suffit simplement de
savoir où aller. Le marchandage, au contraire, demande une connaissance psychologique.

L’affichage du prix des biens est l’exception dans les marchés publics, alors que le marchandage
est la règle. Au marché les étalages sont disposés de manière bigarrée sur toute l’étendue
occupée (marché et zone intégrée). De toutes parts, les commerçants présentent énergiquement
leur marchandise aux clients. Alors que tout achat sera le fruit d’un âpre compromis au sujet du
prix à payer. En effet, le marchandage fait partie de la culture des marchés publics, hauts lieux du
commerce ambulant, de l’artisanat et autres acteurs de l’économie informelle. « Marchander,
c’est un avantage », affirme Inès, commerçante installée au marché Seradòt de Pétion-Ville. « Si
un client très riche passe par là, on en profite pour faire monter le prix! » Si la tradition semble
bien ancrée dans les mœurs, pourrait-elle être, en fait, une entrave au commerce et à
l’amélioration des conditions de vie des plus pauvres ? En effet, marchander est associé à un coût
de transaction élevé : tout acheteur intéressé par un bien se verra forcé d’estimer sa valeur, puis

72
devra investir un temps précieux dans la discussion afin de l’acquérir. Au final, le consommateur
qui connaît peu la valeur réelle du produit risque de payer trop cher son bien, voire d’être
simplement dissuadé d’acheter. Les gens discutent longuement avant de convenir d’un prix juste
pour les deux parties. Les tarifs sont souvent gonflés afin d’avoir une marge de manœuvre
intéressante et faire des bénéfices. Les vendeurs se doivent de négocier avec leurs clients car la
concurrence est rude et plutôt que de rester avec leurs marchandises sur les bras, ils vont jusqu’à
diviser les prix par deux. Nous avions suivi au marché Salomon (sud-est de Port-au-Prince) à
trois reprises trois mères/chef de ménages tirées du Registre Universel des Bénéficiaires (RUB)
du Fond d’Assistance Economique et Sociale (FAES) dans l’achat de quatre produits de base (
haricot vert, banane verte, oignon et carotte). Et l’exercice nous a permis de voir la conséquente
distorsion qui prévaut entre le prix du produit marchandé et celui non marchandé (tableau
suivant). A cela il faut ajouter le coût élevé en termes de temps que le marchandage du produit
souhaité impose à ces chefs de ménages.

Tableau 9.- Effet du marchandage sur l’accès aux produits au marché Salomon

Produits / Kg Non Marchandés Temps mis Marchandés Temps investi Temps perdu/mn

Haricot vert 70 Gdes 7 minutes 55 Gdes 25 mn 18

Oignon 100 Gdes 5 minutes 75 Gdes 20 mn 15

Carotte 50 Gdes 7 minutes 30 Gdes 15 mn 8

Banane verte 100 Gdes 5 minutes 60 Gdes 20 mn 15

Total 320 Gdes 24 minutes 220 Gdes 80 minutes 56 minutes

Sources : l’auteur (données établies en mars 2017)

On voit bien la différence entre la transaction par le marchandage et celle qui s’opère sans le
marchandage traditionnel. Le va et vient entre les détaillants pour trouver le bon prix fait perdre
au consommateur pauvre beaucoup de temps qu’il aurait pu investir dans d’autres activités
rentables telles la formation ou la recherche d’un meilleur emploi. La société bouge vite et, avec
elle, les emplois et le niveau de compétences que les employeurs exigent de leurs salariés, de
leurs stagiaires ou de leurs futurs embauchés. A cet effet, le pauvre qu’il soit chômeur, petit
fonctionnaire, agriculteur ou actif dans l’informel doit miser sur la formation pour espérer
accéder à un emploi rémunérateur. Faire une formation et chercher du travail exigent qu’on y

73
consacre du temps et en accédant aux biens de consommation, par le marchandage, le pauvre
compromet sa chance de trouver un meilleur emploi, de sortir du chômage ou d’améliorer son
revenu.

Le pauvre en Haïti paie pour une quantité faussée. Lors d'une transaction commerciale, la
quantité délivrée doit être au moins égale à la quantité annoncée, ce qui signifie, pour les
produits en vrac vendus au poids, que la quantité pesée doit correspondre à la quantité affichée.
Le commerçant doit utiliser des instruments et des méthodes de mesure conformes aux normes
imposées pour la protection du consommateur et la loyauté des échanges commerciaux.
L'utilisation d'unités de mesure autres que les unités légales (kilogramme, litre, centimètre, etc.)
est la règle. Or dans nos marchés, la marmite, le gallon, le « bokit », le sac et le drum demeurent
les mesures courantes et acceptées par tous.

La tromperie du consommateur sur la quantité des marchandises vendues n’est jamais


condamnée. En dépit du fait que le problème est connu et intégré, si l’on tient compte de la
fameuse expression : « mwen pap pran nan fomamit ». En effet, bon nombre de marchands
possède deux types de « mamit » un avec le fond enfoncé vers l’extérieur pour se procurer des
marchandises et un deuxième avec le fond enfoncé vers l’intérieur pour approvisionner les
clients/acheteurs. Dans les grands marchés urbains le “mamit “ reste le même, il suffit d’appuyer
au bon endroit pour qu’il joue les deux rôles à la perfection. L’arnaque est connue de tout le
monde. Les marchands utilisent cette parade aussi pour jouer sur les prix. Vous pouvez acheter à
meilleur prix un produit, sans soupçonner que la quantité reçue est en dessous de la norme. La
politique des bas prix n’est pas étrangère à la falsification des quantités.

Le pauvre n’accède pas aux produits de qualité. Le très faible pouvoir d’achat du pauvre ne
lui permet pas d’assurer et surtout de suivre l’augmentation continue des prix. De ce fait il
s’approvisionne en produit bon marché pour lequel les normes de qualité ne sont pas assurées et
établies. En 2012-2013, le scandale des salamis en provenance de la République Dominicaine en
est une bonne illustration. Le cas du jus frutsi est symptomatique du problème. Ce jus en poudre
très prisé par les plus pauvres parce que accessible à un prix dérisoire est en fait un poison lent
du fait du taux extrêmement élevé de sucre qui le compose. Ce produit acheté à un prix modique
est source de graves conséquences potentielles sur la santé de ce consommateur démuni en quête

74
de produit bon marché. La grande distribution approvisionne le commerce de détail en produits
avariés sur des biens alimentaires de première nécessité (lait, farine, viande etc.) Les prix cassés
ne le sont que virtuellement car l’exercice demeure fondamentalement une arnaque. Les ménages
à revenus modestes ou démunis sont délibérément trompés. En dehors de la date d’expiration les
produits vendus en « likidasyon » sont des poisons à long terme pour la santé. Le prix payé
immédiatement par le pauvre est en adéquation avec son pouvoir d’achat mais il paiera plus tard
le coût réel au regard des dépenses de santé liées à la nocivité des produits incriminés.

Les médicaments consommés par le pauvre l’appauvrissent et le tuent. Les ménages sont le
grand contributeur dans le financement des soins de santé dans le pays (EMMUS V). Les
ménages pauvres, conséquemment se décapitalisent pour faire face aux maladies qui deviennent
de véritables chocs. Les dépenses associées à l’hospitalisation, aux honoraires du médecin et aux
médicaments représentent une charge grandement supérieure au revenu du ménage pauvre. Face
au coût dissuasif des soins classiques de santé les pauvres simplifient par des parades de survie:
l’automédication et surtout l’achat de médicament au détail dans le commerce ambulant qui
deviennent la norme. La consommation de ces produits, vendus dans la rue ou sur les trottoirs,
est source de nuisances pour les pauvres qui, dans cette dynamique, font face à la contrefaçon,
aux faux médicaments et à l’empoisonnement. Le pauvre paie le prix fort pour un produit
dangereux et inefficace. En dehors de cet accès aux médicaments douteux, le pauvre, faute
d’argent, se décapitalise aussi en confiant sa santé aux médicastres et aux charlatans. En 2015,
selon une enquête du Centre d’Etudes et de Recherches Haïtiano-Caribéennes (CERHCA) en
2015 plus de 73% des catégories sociales dites pauvres avouent consulter un « medsen fèy »35
régulièrement.

Les risques pour la santé sont nombreux. L’ingestion de ces produits peut provoquer des
pathologies, des handicaps, voire la mort mais également "de fortes résistances puisqu’ il y a un
faible dosage en principe actif. Et pendant ce temps, les malades ne prennent pas le traitement
dont ils ont besoin et la maladie poursuit son cours". Le seul cas documenté et connu
d’intoxication via les médicaments dans le pays est celui de la consommation de sirop contre la

35
Le « medsen fèy » est un guérisseur ou un praticien de la médecine traditionnelle haïtienne. Cette dernière est
axée sur des pratiques magicoreligieuses et surtout sur les vertus curatives des plantes.

75
toux contenant du paracétamol préparé avec du diéthylène glycol (un produit chimique toxique
utilisé comme antigel) a provoqué 89 décès en Haïti en 1995.

Dans les villes haïtiennes et surtout dans la capitale, des pharmacies à ciel ouvert prospèrent avec
un mélange explosif de médicaments douteux et de faux médicaments. Assis devant de
minuscules échoppes, des commerçants hèlent les passants venus se procurer des médicaments
sans ordonnance. Des cartons de consommables médicaux conservés dans des conditions peu
réglementaires, à la merci de la poussière et de la chaleur circulent dans toutes les rues. La
pratique est connue et acceptée. Alfred, chauffeur d’une quarantaine d’années, est venu prendre
de l’amoxicilline n’est pas inquiet et déclare dans un calme déroutant« Je viens toujours
m’approvisionner en médicaments ici. Même quand le médecin me fait une ordonnance. C’est le
même qu’en pharmacie et c’est moins cher », dit-t-il sans ciller. Comme Alfred, ils sont des
milliers de citoyens à venir s’approvisionner sur ce marché de vente de médicaments, non
contrôlés issus de circuits illicites. Le problème n’est pas simple si l’on reste attaché à la
définition acceptée : un faux médicament est défini comme « tout médicament comportant une
fausse présentation de son identité, ne contenant aucun principe actif ou des principes actifs à un
mauvais dosage ». Or d’autres paramètres s’installent dans le circuit: médicament avariés,
placebos, et usages détournés36.

Il est difficile d’authentifier les produits à l’œil nu. Ils sont souvent très proches de leur date de
péremption. A cause des mauvaises conditions de stockage et de conservation, ces produits ont
pu se dénaturer et devenir nocif. Des produits fabriqués en Asie (Chine ou Inde), mais aussi dans
le pays dans des entreprises clandestines. En 2011, sur demande de la direction départementale
Sud du ministère du commerce et de l’industrie (MCI), la justice des Cayes a apposé des scellés,
le lundi 19 septembre 2011, sur une maison privée, où fonctionnait vraisemblablement un atelier
de fabrication et de transformation de faux médicaments dans le chef-lieu du département
géographique du Sud. « Ce commerce, se pratique même dans des hôpitaux », a constaté un ex
ministre de la Santé publique, Robert Auguste « Des médicaments antituberculeux volés au Cap-
Haïtien et d'autres produits pharmaceutiques, soit expirés soit contrefaits, dit-il, ont été
confisqués à l'Hôpital de La Vie ». Ces médicaments, ont causé la mort d'au moins quatre

36
Certains marchands vendent des “Geritout”, un médicament généralement non identifié capable de guérir au
moins 101 maladies

76
personnes dans la région de l'Artibonite et dans la zone métropolitaine. La dernière victime
s'appelle Ansy Georges, une jeune mariée qui se faisait soigner pour un fibrome. Elle a
succombé sept minutes après que le médecin soignant lui eut administré une piqûre. Le ministre
déplore que le produit coupable du décès soit une contrefaçon achetée dans le même centre
hospitalier. Un sérum antitétanique avait provoqué plusieurs décès aux Gonaïves.

Ces contrefaçons, moins chères que les médicaments conventionnels, sont surconsommées par
une population ignorante des vrais dangers. C'est ce que déplore un jeune médecin de l’hôpital
Justinien du Cap-Haïtien: « Il faut faire très attention parce qu’on a retrouvé dans les produits
érectiles, vendus dans les marchés notamment, cinq fois la dose prévue. Donc ce n’est pas une
petite érection que vous allez avoir, ça peut être extrêmement dangereux. Le trafic est d’autant
plus dangereux qu’il cible plus particulièrement des médicaments vitaux. "Des médicaments
essentiels sont concernés : les antibiotiques

Des malades se retrouvent ainsi à consommer des produits falsifiés – à savoir, des médicaments
sans principe actif ou sous-dosés, ou qui contiennent des substances toxiques. Des poussières de
peinture, de l’antigel, de la mort au rat ou du mercure ont ainsi été retrouvés dans des
médicaments de contrefaçon. Non contents d’avoir à faire face à une extrême pauvreté et à une
situation sanitaire critique depuis de nombreuses années, le ménage pauvre est maintenant
confronté aux effets nocifs de faux médicaments.

La micro-finance une solution qui décapitalise les plus pauvres. Dans la lutte contre la
pauvreté depuis près de quarante ans le microcrédit est, sans aucun doute, l'innovation qui a fait
le plus parler d'elle. Il a été présenté comme le remède à une pauvreté entretenue par les usuriers.
L’économiste Bangladeshi Mohammad Yunus en a fait son cheval de bataille à travers le
Grammen Bank. Les Nations –Unies en octobre 1999, à travers la deuxième Commission
économique et financière vont s’y mettre aussi et prennent position en des termes clairs : « La
pertinence des microcrédits réside dans l'octroi de prêts sans intérêt ou à de très faibles taux
d'intérêt à des groupes de population qui n'auraient pas eu accès aux services bancaires
traditionnels. Jusqu'à présent, les microcrédits se sont avérés être le mécanisme d'assistance au
développement qui donne le meilleur retour sur l'investissement, ont souligné les délégations, qui
ont souhaité une amélioration du système pour qu'il touche davantage les plus pauvres des

77
pauvres ». Si la démarche va au-delà des besoins essentiels en tenant compte d’un ensemble
d’opportunités ou de libertés réelles des individus elle rejoint donc la logique des
« capabilités »de Sen (1985, 2000). Cependant le bilan de l’application de ce modèle n’est pas
totalement positif. Ailleurs et en Haïti le miracle ne s’est pas produit.

La grande majorité des actifs dans le pays se mettent à leur compte. Néanmoins leurs entreprises,
en grande partie dans l’informalité, ne se développent pas. Ces entreprises trop limitées par les
déficits de tout ordre ne permettent qu’une simple reproduction de la force de travail. Le crédit
bancaire classique est une denrée rare pour ceux qui ne disposent pas de solides garanties37. De
ce fait, la micro finance ou le micro crédit devient une voie de secours pour des milliers de
citoyens désireux de trouver de l’argent frais pour financer leurs très petites entreprises
(commerces et artisanats). Cependant les taux pratiqués par les opérateurs de ce type de crédit
sont considérables et sont susceptibles de garder l’emprunteur dans une sévère dépendance38. En
juin 2015 sur les 175 059 790.900 milliards de gourdes de dépôt total dans le système, environ
39 % ont été utilisés comme crédit dans l’économie. La plus grande partie du crédit bancaire, soit
près de 60 %, est alloué au secteur commercial. Alors que des secteurs porteurs de croissance et
à fort potentiel de compétitivité tels l’agriculture, l’artisanat et le tourisme reçoivent très peu ou
pas du tout de crédit bancaire.

Les études d’impact de la micro finance sur les conditions de vie ont quelquefois des résultats
contradictoires (Ehlers et Main,1998; Hulme,1997; Mac Gregor et al. 2000) Les tenants du
microcrédit proclament haut et fort les vertus de cette approche. Néanmoins les enquêtes menées
auprès des bénéficiaires dans la région métropolitaine de Port-au-Prince ont montré clairement
que les entreprises n’ont pas fait de saut qualitatif (meilleurs équipements, création d’emplois, et
meilleurs profits). Et les réponses des enquêtés sont évocatrices d’une réalité bien moins
glorieuse: « On (l’organisme de Micro finance) nous donne de très bonnes notes parce que nous

37
Plusieurs raisons sont à la base de ces défaillances du système financier haïtien estime l’économiste Fritz Jean.
Celles-ci sont de nature structurelle et d’ordre opérationnel. La structure du système financier favorise une
concentration démesurée et une profonde exclusion à l’encontre de potentiels entrepreneurs. « À titre d’exemple, un
jeune entrepreneur désirant faire un prêt pour lancer une activité dans le pays, est confronté à pas mal de barrières
(Collatéral, des dépôts de garantie) et des exigences qui ne lui permettront pas d’accéder au système financier
38
Ces taux exorbitants s’expliquent d’après Jean-Marie BOISSON l’un des majors de la finance en Haïti, par les
coûts d’opération qui sont importants….que les emprunteurs ont besoin de l’argent immédiatement. Tandis qu’on
n’a pas assez de temps pour analyser leurs plans d’affaire. Autrement dit le taux élevé est là pour compenser les
risques pris par le prestataire du microcrédit.

78
remboursons vite et régulièrement mais en fait nous ne sommes que leurs esclaves. Nous ne
pouvons pas évoluer car nous rendons nos profits à la banque par l’intermédiaire des intérêts
dus et souvent nous les rendons en mettant en gages le patrimoine familial ou du ménage (bétail,
bijoux et équipements domestiques ».

Il est facile de comprendre pourquoi les conditions de vie des ménages emprunteurs ne
s’améliorent pas. En fait, les opérations de micro finance dans le pays ne font que permettre à la
population de survivre. Elles ne sont pas aussi orientées vers les jeunes diplômés de l’université
qui ont des idées de projet. Selon les chiffres publiés par l’Association des économistes 70% des
start-ups meurent. Au-delà de la réticence des élites économiques haïtiennes de démocratiser le
crédit il existe d’autres contingences socioéconomiques qui empêchent les ménages de tirer le
meilleur parti de la dynamique de micro finance. En effet, l'approche d'économie de marché du
programme de microcrédit aux plus pauvres n'est pas compatible au système d'économie de
subsistance de la société traditionnelle et rurale du pays. L'économie de marché se fonde en effet
sur des principes de croissance de richesse matérielle comme la recherche effrénée du profit et
du gain dans toute activité de production et de circulation des biens et des services. Par contre,
l'économie de substance qui caractérise le pays (dans son volet rural) ne vise pas la croissance et
l'accumulation de richesse matérielle mais plutôt la satisfaction des besoins élémentaires et
vitaux de l'homme comme se nourrir (J P Mérat, cuisine de rue)39.

Il est aisé de conclure que la conceptualisation du microcrédit comme outil de lutte contre la
pauvreté revient à se concentrer sur le crédit uniquement et relève d’une conception simpliste qui
suggère qu’il suffit de mettre à la disposition des individus des ressources financières pour
améliorer leur bien-être. L’accent doit être mis sur ce que le crédit permettrait de réaliser dans un
contexte bien déterminé et par rapport aux caractéristiques de l’individu ou du ménage. Dans ce
sens, le microcrédit reste un élément complémentaire d’un processus profond qui peut permettre
de mobiliser d’autres variables utiles pour les populations vulnérables et fragiles. Car la pauvreté
n’est pas seulement un problème de revenus. Cette conclusion justifie l’intérêt que les ménages

39
Dans cette étude les bénéficiaires des focus-group associés soulignent la motivation minimaliste de leurs
commerces “ sa pèmèt nou moute chodyè chak jou paske timoun yo ap jwen graten an yo pap mouri grangou” (faire
à manger pour la vente permet de nourrir les enfants tous les jours avec la lie de la nourriture et les invendus)

79
haïtiens les plus pauvres accordent aux efforts (programmes sociaux) des autorités politiques en
vue atténuer les chocs qu’ils subissent et améliorer l’accès aux services sociaux de base.

3- Les incidences de cette pauvreté

La pauvreté engendre dans le pays un ensemble de répercussions sur l’individu, le ménage et la


totalité du cadre de vie et de production. Ses impacts touchent à la fois le comportemental, le
structurel et le spatial. La pauvreté massive dont souffre le pays est la source de nombreux
handicaps socioéconomiques : insécurité alimentaire, famine, fuite de cerveaux etc. Les
incidences majeures de la pauvreté en Haïti se manifestent fondamentalement à travers un
ensemble de phénomènes: la vulnérabilité, la migration, la famille nombreuse, la bidonvilisation
et la violence urbaine. En quoi ces incidences deviennent à leur tour des accélérateurs de la
pauvreté ?

a- Une vulnérabilité conséquente

La pauvreté, les risques et la vulnérabilité sont des phénomènes souvent associés, parfois
confondus dans les analyses. La vulnérabilité affecte une grande part de la population haïtienne.
Un million de personnes vivent légèrement au-dessus du seuil de pauvreté et peuvent tomber en-
-deçà de ce seuil à la suite d’un choc: près de 7% de la population est pauvre ou exposée au
risque de tomber dans la pauvreté. Seulement 2% de la population consomme l’équivalent d’au
moins 10$ par jour, ce qui représente le seuil de revenu identifiant la classe moyenne dans la
région Caraïbe/Amérique Latine. Le ménage haïtien typique est confronté à de multiples chocs
chaque année et près de 75% des ménages ont été économiquement touchés par au moins un
choc en 2012.
Le choc est pris dans le sens de l’interruption (parfois brutale) d’un certain ordre établi ou la
rupture d’une permanence ayant une incidence négative sur le fonctionnement d’un groupe, d’un
individu ou d’une communauté. Les chocs sont de nature très diverse (démographique,
économique, sanitaire, agricole, environnementale, politique, etc.), On oppose habituellement les
chocs covariants (la probabilité qu’un agent soit touché par le choc est corrélée à la probabilité
qu’un autre agent soit touché par le même choc) aux chocs idiosyncratiques (indépendances des
probabilités). Il peut être assimilé, dans le cas d’Haïti, à une sur crise dans la mesure ou la crise

80
environnementale observée n’est qu’un élément car le pays est aussi en crise économique,
sociale et politique (Michelet. C, 2016)

Les personnes en situation d’extrême pauvreté sont encore plus vulnérables aux chocs et à leurs
conséquences : 95% d’entre eux ont subi au moins un choc qui leur a causé un préjudice
économique en 2012. La pauvreté accroît la vulnérabilité des populations face aux risques et les
catastrophes aggravent cette pauvreté. Le sous-développement est donc un des facteurs
principaux de la vulnérabilité des populations qui sont souvent contraintes de s’installer sur les
terres les moins sûres, qui ont l’avantage d’être gratuites ou dont le loyer est modique. Il peut
s’agir soit de zones inondables, soit de sites menacés par des glissements de terrains en cas de
séisme ou de pluies diluviennes (versant de montagnes déboisées...). Les catastrophes naturelles
représentent un danger particulier, par le fait qu’elles frappent de plein fouet le secteur de
l’agriculture, principale source de revenu d’une large partie de la population, surtout en milieu
rural. En effet, les données factuelles40 montrent que les chocs co-variés les plus courants sont
liés aux conditions climatiques tandis que les chocs idiosyncratiques les plus importants sont liés
à la santé (Banque Mondiale/ONPES, 2014).

Les données les plus récentes montrent qu’un million d’Haïtiens pourraient tomber dans la
pauvreté suite à un choc, et qu’environ 2 millions pourraient subir le même sort en basculant
dans l’extrême pauvreté. Les femmes et les filles sont particulièrement vulnérables car elles se
heurtent à d’importants obstacles dans l’accumulation et l’utilisation de leurs actifs, en
particulier de leur capital humain. Malgré les progrès appréciables réalisés dans les domaines de
l’éducation41 et de la santé, les femmes sont toujours moins instruites que les hommes, elles ont
plus de probabilité d’être analphabètes, et leurs résultats et niveau d’utilisation des services de
santé est très faible. Outre les différences en termes de dotation en ressources au départ, les
femmes dans le pays sont également confrontées à des obstacles supplémentaires sur le marché
du travail où elles sont moins susceptibles d’être employées et gagnent significativement moins
que les hommes. Enfin, la faible participation des femmes à la vie publique et la violence basée
sur le genre sont courantes.

Haïti, investir dans l’humain pour combattre la pauvreté de l’ONPES/Banque Mondiale (2014)
40

La parité jeune fille et jeune homme dans le cycle fondamental et secondaire est acquise selon les statistiques du
41

Ministère de l’Education Nationale et de la Formation Professionnelle (MENFP)

81
Les catastrophes naturelles survenues dans le pays depuis 1980 ont fait plus de 230 000 morts et
provoqué des dégâts chiffrés à près de 9 milliards de dollars. En raison des niveaux très élevés de
pauvreté et de vulnérabilité, le système de protection sociale rencontre des difficultés pour
répondre aux besoins de la population. Face à la forte incidence des chocs idiosyncratiques ou
covariés et leur vulnérabilité à ces derniers, les pauvres et les plus vulnérables ont un accès limité
aux aides publiques, compte tenu des faibles capacités de l’État. La résilience socio-économique
prend tout son sens ici puisque le pauvre ne dispose pas de la capacité nécessaire en vue de faire
face aux conséquences négatives des risques et des chocs sur ses conditions de vie (Courade et
Suremain, 2001). L’essentiel de l’assistance continue de parvenir sous la forme de transferts de
fonds ou d’aide des églises, d’autres institutions non gouvernementales et des donateurs.
Selon les données de l’ECVMAS de 2012, 11% seulement des personnes extrêmement pauvres
ont reçu une aide sociale de l’État, telles que des bourses, de l’aide alimentaire, ou d’autres
transferts monétaires. Malgré les dernières initiatives entreprises en faveur de l’élargissement des
prestations d’aide sociale, dans le cadre du programme EDE PEP, la majorité des pauvres n’a
toujours pas accès à des systèmes formels de protection sociale qui leur permettraient de réguler
leur consommation dans le temps et ainsi d’éviter de vivre dans la misère, source de pertes
irréversibles en capital humain. Les coûts des catastrophes naturelles, avec une moyenne
annuelle de plus de 284 millions de dollars, représentent un lourd fardeau et un handicap majeur
au décollage économique d’Haïti qui dispose d’un budget annuel de deux milliards de dollars
américains.

b- Une pauvreté génératrice de famille nombreuse et de violence urbaine

Les pauvres vivent dans des familles nombreuses caractérisées par une plus grande dépendance
économique et un moindre niveau d’études. Alors que la taille moyenne des ménages non
pauvres est de 4.0 personnes par famille, les ménages pauvres comptent 5.3 personnes par
famille, et 80% d’entre eux comptent au minimum cinq membres et plus. Le ratio de dépendance
des ménages non pauvres est de 54% contre 88% pour les ménages pauvres. Ce qui indique que
la population productive subit une plus grande pression dans ces ménages. Les pauvres vivent
dans des ménages où le chef de famille a en moyenne trois fois moins d’années d’études ;
jusqu’à 61% des chefs de famille pauvres sont analphabètes, contre 34% dans les ménages non
pauvres. Ces caractéristiques sont encore plus prononcées au sein de la population en situation

82
d’extrême pauvreté et dans les zones rurales où la pauvreté est plus étendue et plus enracinée, ce
qui est en accord avec les constats des études précédentes sur cette problématique (voir par
exemple Fafo 2004; Banque mondiale, 2006; ONPES, 2014).

Ce trop-plein de population agite les quartiers défavorisés des grandes villes à l’instar de Cité
Soleil, de Martissant et de Grand-Ravine à Port-au-Prince. Un climat de violence s’installe dans
ces quartiers qui deviennent des zones réputées de non-droit. Deux dynamiques sont observées :
la première qui concerne les actes de violence imposés aux résidents de ces quartiers comme le
viol et le racket : la seconde prend en compte la pression que ces zones mettent sur l’ensemble de
la ville à travers les actes de banditisme tel le kidnapping, les braquages et les émeutes. Le
contenu de la première dynamique retient en permanence l’attention de la presse (voir le
Nouvelliste du 4 avril 2018 et du 21 juin2018). C’est la guerre entre bandes rivales dans ces
zones et les victimes se comptent par dizaines. La population reste prisonnière de ce jeu-là. Elle
sert de bouclier humain contre les interventions de la police. Elle est prise dans une logique
infernale : si elle quitte son logement, elle le perd immédiatement : il sera réquisitionné et vendu
par les bandes. Le Nouvelliste du 21 juin 2018 fait parler un habitant du quartier de Cité de Dieu
(sud de la capitale). Myrtil, écrit le journal, dénonce « la pratique des bandits lourdement armés
de réclamer une somme de 30 mille gourdes à un locataire ou un propriétaire qui veut
abandonner la zone….Si quelqu’un n’a pas cette somme d’argent, il n’a qu’à laisser son mobilier
dans la maison et s’y échapper les mains vides …Certaines familles ont quitté leurs logis
familiaux pour se réfugier chez des amis ».

83
Encadré 1.- Propos de Mario Andrésol, ex-Directeur Général de la Police Nationale d’Haïti
(PNH) recueillis et publiés par le Nouvelliste du 4 avril 2018
« Je pense que la police n’est pas entraînée à faire des interventions dans ces zones vu leur
position géographique difficile…Il faut connaitre la zone et avoir une stratégie pour arrêter
les vrais bandits. Sinon, toute opération d’envergure tournera au carnage…On ne peut pas
donc exposer les agents des forces de l’ordre dans une opération vouée à l’échec….Une
opération qui dure plus d’une heure dans une zone réputée fragile risque de faire des
dommages collatéraux… On devrait lancer une opération coup de poing afin que les bandits
n’aient pas eu le temps de se regrouper… Le fait que les agents de police ne soient pas
présents dans ces zones, explique pourquoi les bandits prennent le relais… Il n’y a pas une
politique d’urbanisation et d’aménagement, ces zones sont inaccessibles à des opérations de
la police….Les agents rentrent dans un labyrinthe…Il faut un travail socioéconomique dans
ces zones pour endiguer ce phénomène qui est désormais récurent …Le problème de la relève
des bandits formant les gangs armés dans les quartiers populaires est dû au fait que l’État
n’ait pas pris ses responsabilités pour éviter que ces gens ne moisissent dans la misère….Les
autorités politiques (élus) doivent collaborer à pacifier les zones de « non-droit »….Les élus
doivent être interpellés pour éviter que la situation ne s’envenime davantage….La police est
un maillon de la chaîne les gangs armés impliqués dans des actes odieux étaient présents dans
les environnements immédiats des élus locaux.. Je considère cela comme la criminalisation de
la politique. Ces gangs jouissent de l’immunité des élus locaux, circulent dans les voitures
officielles. Parfois, l’élu ne connait pas l’identité de ceux qu’il fréquente… Les élus doivent
contacter la DCPJ avant de recruter un civil comme un agent de sécurité rapproché. « La
réalité politique met la police dans l’embarras ».

DCPJ : Direction Centrale de la Police Judiciaire

Quatre types de problème sont soulevés par cet ancien Directeur Général de la PNH : l’absence
des services publics dans les zones marginalisées, les conditions de vie exécrables qui règnent
dans ces quartiers et la complicité des élus locaux. Autrement dit la violence qui s’installe dans
les bidonvilles est en grande partie liée à l’extrême pauvreté dans laquelle vit la majorité des
habitants dans un contexte national d’Etat non fonctionnel.

c- Une pauvreté accélératrice de la migration

La dynamique migratoire est ancienne dans le pays (C. Souffrant, 1974,). Ce phénomène est l’un
des marqueurs de l’histoire d’Haïti. François Gayot fait remarquer que le mouvement migratoire
haïtien a véritablement démarré au lendemain de la crise de 1929 (Gayot, 2006). Les premières
vagues concernent les plantations sucrières cubaines. Cependant à partir de 1950, la destination
des flux migratoires haïtiens s’est élargie vers l’Europe, l’Amérique du nord et même vers la
lointaine Afrique (l’ex-Zaïre). Puis, la dictature des années 1960 à 1987 a donné une autre
impulsion au phénomène. Celui-ci ne connaîtra aucun réel ralentissement car depuis 2010
84
l’Amérique Latine à travers le Brésil, le Chili et dans une moindre mesure l’Argentine, devient le
réceptacle des flux. Le phénomène migratoire haïtien s’analyse dans ses deux composantes
(interne et externe). Elles sont toutes les deux motivées par des raisons économiques. Car le non-
respect des droits socio-économiques élémentaires de la population toujours en forte croissance a
contribué largement à l’accélération de ce phénomène42.

La récession économique, la crise politique et les inégalités spatiales créent une situation
intenable pour la grande majorité de la population haïtienne. La migration est alors apparue
comme une bouée de sauvetage personnel. Sa forme interne peut être observée dans
l’accroissement des populations urbaines et sa composante internationale est visible à travers les
épisodes récurrents d’expulsions, de rapatriements massifs et de l’ampleur des flux financiers
transférés par la diaspora. L’exode rural a en amont des conséquences notables sur l’agriculture
et en aval, il a entraîné une nouvelle configuration des villes. La situation de Port-au-Prince, la
capitale du pays, est révélatrice de cette mobilité. En effet depuis le milieu des années 1970 des
études ont monté que plus de 70% des Port-au-Princiens sont des migrants (PNUD-Haïti, 2004).
La bidonvilisation des principaux centres urbains du pays demeure aussi un autre constat
saisissant. Ces néo-urbains, ne disposant généralement ni de ressources financières ni ressources
professionnelles, se retrouvent souvent piégés par une précarité urbaine pire que celle qu’ils
essayent de fuir à la campagne. Ce désenchantement les pousse à poursuivre leur exode vers une
destination extra-nationale.

Les migrations du département d’origine au département de résidence actuel constatées par les
enquêtes nationales sont éloquentes. 12.1% de la population ne résident pas, dans leur
département d’origine, c’est-à- dire le département de naissance de l’individu ou de résidence de
la mère au moment de la naissance de l’individu. La proportion de migrants est particulièrement
élevée dans le Département de l’Ouest (27.4%) qui contient l’Aire Métropolitaine, point
d’attraction des migrants. 13.4% des femmes ont migré, de leur département d’origine au

42
Kofi Annan, ex-secrétaire général de l’ONU déclare que « la migration est un fait de la vie ». « Aussi longtemps
qu’il y a des nations, il y aura des migrants » ajoute-t-il .Galbraith, dans The Nature of Mass Poverty (1979),
encouragea la migration des pays pauvres vers les pays riches. Il déclare que: « la migration est la plus ancienne
action contre la pauvreté, elle sélectionne ceux qui ont le plus besoin d’aide. Elle est bonne pour le pays d’accueil ;
elle aide à briser l’équilibre de la pauvreté dans les pays d’origine » (Galbraith, cité par Peach, 2008).

85
département de résidence, lors de l’enquête, contre 10.7% des hommes. Et 24.6% des individus
issus des ménages les plus riches ont quitté leur département d’origine contre 5.3% de ceux issus
des ménages les plus pauvres. Les migrants installés dans le département de l’Ouest viennent de
tous les autres départements. Mais trois départements se distinguent nettement : le Sud-Est
(21.6%), le Sud (21.6%) et la Grande-Anse (21.1%). A l’exception des migrants originaires du
Nord-Est et du Nord-Ouest, les migrants se sont établis massivement (80% et plus) dans le
département de l’Ouest.
Les mêmes enquêtes notent aussi que 30.5% des ménages du pays ont au moins un parent
émigré, établi à l’étranger. Mais des contrastes importants se font jour entre les milieux de
résidence comme entre les départements géographiques. 44% des ménages de l’Aire
Métropolitaine ont un parent à l’étranger contre 25.2% des ménages ruraux. Trois départements
affichent d’assez fortes proportions de ménages ayant de la famille à l’étranger : le Sud-Est
(43.1%), l’Ouest (36.7%) et le Nord-Ouest (32.9%). Un tiers des ménages dont le chef est une
femme ont de la famille vivant à l’étranger. Surtout, dans l’ensemble des ménages riches, un peu
plus d’un ménage sur deux a un parent émigré contre 15.8% chez les ménages du premier
quintile. En fait, la proportion de ménages pour lesquels il existe un parent à l’étranger croît avec
le niveau de revenu du ménage. A l’échelle des ménages, les destinations des parents émigrés
sont diverses. Mais les États-Unis demeurent au premier rang. 69.4% des ménages ayant au
moins un parent émigré déclarent qu’ils ont un ou deux parents établis aux États-Unis, voire
plus. C’est notamment le cas de 82.3% des ménages (ayant déclaré au moins un parent émigré)
du département de l’Ouest, de 81% des ménages de l’Artibonite, de 83.1% des ménages de la
Grande-Anse. Il faut ajouter que 65% des parents émigrés déclarés par les ménages résident aux
États-Unis.
La République Dominicaine est une destination majeure pour certains départements.
Respectivement 75.3%, 63.2% et 42.5% des ménages des départements du Sud-Est, du Centre et
du Nord-Est ont déclaré des parents émigrés installés dans la république voisine. Et 15.3% des
parents émigrés déclarés vivent en République Dominicaine. 7 parents émigrés sur dix restent à
l’étranger parce qu’ils y travaillent. Plus de quatre parents émigrés sur cinq (83.5%) effectuent
des transferts au bénéfice de la famille restée en Haïti, qu’il s’agisse de transferts d’argent
(59.2%), de cadeaux (15.3%) ou du paiement de provisions alimentaires (9%). Cette migration si
elle génère un certain bénéfice (2milliards de dollars) ne résout pas pour autant le problème de

86
pauvreté. Nous sommes très loin des démarches positivistes de l’ODCE43 et de Galbraith (déjà
cité).

d- Une pauvreté qui redessine le tissu urbain

L’habitat inadapté est aussi une autre incidence de la pauvreté. Ce type d’habitat concerne
presque essentiellement les populations défavorisées44. Lors du séisme du 12 janvier 2010 plus
de 97,000 habitations ont été détruites, et quelque 188,000 autres ont été endommagées. Plus de
600,000 personnes ont fui vers les régions épargnées (Échevin 2011). La catastrophe la plus
meurtrière en Haïti a toujours été l’activité sismique, dont les déclencheurs font encore l’objet de
recherches. Cependant, les conséquences de l’activité sismique sont significativement liées aux
décisions humaines concernant les méthodes et les lieux de construction. Les codes du bâtiment,
quand ils existent, ne sont pas appliqués. Il en résulte une urbanisation déficiente. D’autres
faiblesses institutionnelles viennent amplifier ces conséquences telles l’absence de cadastre, la
corruption et le morcellement des responsabilités. Les constructions anarchiques mettent à mal le
drainage urbain (Photo suivante) et mettent en place les conditions génératrices de crues
urbaines.

43
Une étude du Centre de développement de l’OCDE sur «Migrations et pays en développement» conclut que “Des
politiques migratoires plus efficaces et plus cohérentes sont un moyen de combattre la pauvreté dans le monde”
Avec des politiques publiques adéquates, les migrations peuvent contribuer au développement des pays pauvres de
trois manières: En renforçant les qualifications des migrants (la «circulation des cerveaux»); A travers les transferts
de fonds envoyés par les migrants au pays d’origine; En apaisant les tensions sur le marché du travail des pays
d’origine.
44
La réalité est plus complexe que cela parait car les enquêtes menées dans les quartiers précaires de la région
métropolitaine de Port-au-Prince montrent que plus de 64% des logements sont occupés par des locataires,
autrement dit seulement quatre propriétaires sur 10 y habitent.

87
Photo 1.- Constructions anarchiques dans le centre-est de Port-au-Prince

Crédit photo de P J Mérat.

Les constructions anarchiques représentent aujourd’hui plus de la moitié de l’habitat dans les villes haïtiennes. Ici à
Nazon, les maisons sont érigées sur les canaux de drainage. Cette situation amplifie les inondations et l’insalubrité.

De même, l’aménagement urbain et les codes du bâtiment représentent aussi des facteurs
d’amplification des conséquences des inondations. Les lois haïtiennes imposent des restrictions
sur la construction dans les zones de drainage naturel, il est possible que, comme avec les risques
anthropiques, l’irrespect de la réglementation aggrave les conséquences des catastrophes (CIAT
2013). L’objectif est double : comprendre la pression qu’exerce la pauvreté sur l’armature
urbaine (bidonvilisation, étalement urbain, densification) et comment la ville s’adapte à la
pauvreté de ceux qui s’y installent (insalubrité, ruralisation, marginalisation).

Le taux annuel moyen d’accroissement de la population urbaine a été de 7.6% pour 1982-2015
(comparé à 2.2% pour le taux d’accroissement général), ce qui démontre la croissante
urbanisation de la population. Cette dynamique redessine la ville à travers un sévère processus de
bidonvilisation. Nous considérons comme « bidonvilles » le résultat de l'urbanisation sauvage,
spontanée ou informelle, qui ne prends pas en compte une occupation adéquate du sol ni un bon
lotissement du terrain, mais aussi le résultat de la progressive détérioration des quartiers
conventionnels en termes de logement, d’équipements sociaux et de l’accès aux services urbains.
Ces deux dynamiques sont aggravées par la situation de pauvreté et de manque d’opportunités
d’emploi décent et de génération de revenus auxquelles font face les populations résidentes.

88
Ce phénomène s’explique par l’attrait des villes qui offraient une belle opportunité aux ruraux
frappés par la fin du cycle du café. Il fallait trouver une alternative au dépérissement des
campagnes. En effet, la fin des années 70 est marquée par le phénomène de l'exode rural massif
encouragé45. Ce dernier va continuer à s'aggraver tout au cours de la première moitié de la
décennie 1980. Les ruraux s’agglutinent dans la capitale, le seul pôle d'attraction du pays, dans le
but de trouver un emploi leur garantissant un mieux-être économique et social. C'est ainsi
qu'annuellement entre quarante et soixante mille personnes laissent les campagnes pour
s'installer à Port-au-Prince. L'exode rural se fait parfois en deux grandes étapes. D'abord, les
gens transitent dans les grandes villes telles les Cayes, Jacmel, Cap-Haïtien et Gonaïves, ensuite
débarquent à Port-au-Prince. Les gens qui déferlent sur la capitale se dirigent vers des parents ou
des proches en attendant leur installation définitive dans l'un des bidonvilles de la capitale. Les
nouveaux migrants se font accompagner également de certains membres de leur famille venant
encore de la province pour constituer des ménages de très grande taille. Les centres-villes se
densifient au même titre que les périphéries prises dans la dynamique de relégation des plus
pauvres (Odile J. E, 2018). La carte suivante tirée de la thèse de Jean-Odile Etienne fait le point
sur l’extension et la densification des périphéries sud de la capitale (Gressier, Merger et Mariani)

Figure 4 : Densification et extension post-catastrophes des périphéries Sud de l’agglomération de Port-au-Prince

Sources : Jean Odille Etienne, 2018

45
Les usines de sous-traitance installées dans le nord de la capitale avaient besoin d’une main-d’œuvre abondante.
Le pouvoir politique d’alors a œuvré dans ce sens. Cette démarche est expliquée dans la deuxième partie de la
thèse.

89
L'aire Métropolitaine de Port-au-Prince voit son taux d'urbanisation passé de 52.3% en 1971 à
64.2% en l'an 2000. Les gens qui s'acheminent vers la ville primatiale proviennent des différents
départements géographiques du pays. Les départements de la Grand' Anse et du Sud fourni
respectivement : 22,81% et 19,02% des migrants à la population de Port-au-Prince. De nombreux
éléments accentuent le phénomène de l'exode rural vers la ville primatiale.

On assiste, dans le pays à une inadéquation entre l'offre et la demande de logement qui peut être
due à la flambée des prix sur les marchés des matériaux de construction, et du foncier, ainsi que
sur le marché financier. Cette situation fait qu'à tous les niveaux, les structures d'accueil des
grandes villes haïtiennes et celles de la capitale paraissent largement inadaptées à la satisfaction
de la demande produite par l'arrivée d'un grand nombre de migrants presque dépourvus de tout.
Le stock de logement disponible est de bien loin insuffisant pour répondre à la demande produite
par les habitants de l'aire métropolitaine de Port-au-Prince et ceux des autres grandes
agglomérations.

L'offre de terrain étant très limitée, il résulte un mode déréglé d'occupation du sol dans l'aire
métropolitaine de Port-au-Prince. L’accroissement de l’offre de terrain pour le logement est un
véritable défi dans le cadre de toute politique d’urbanisation (CIAT, 2015). L’absence de
cadastre ne permet pas d’avoir des chiffres fiables. Même le domaine de l’État n’est pas bien
défini. La situation s’aggrave en milieu urbain à l’instar du centre-ville de Port-au-Prince. En
effet, la construction d’une cité administrative dans le centre dévasté par le séisme du 12 janvier
pousse l’État haïtien par expropriation à en nationaliser une bonne partie. A noter que la plupart
du stock de terrain disponible est constitué de dimensions allant de 500 mètres carrés et 1000
mètres carrés. Mais, ces terrains lotis sont accessibles seulement aux groupes de gens à revenu
élevé et aux gens à moyen revenu. Pour ce qui concerne les gens à revenu modeste, les
dimensions de terrain qui leur sont accessibles sont de l'ordre de 21 à 42 mètres carrés. Les
procédures d’usage par lesquelles on accède à ces terrains sont diverses : légales (achats et
fermages) et illégales (spoliations). La configuration des villes haïtiennes se modifie au fur et à
mesure que s'accentue le processus de bidonvilisation des espaces urbains. Les habitats
nouvellement érigés posent problème, à cause de leur bas standing. Et les ménages qui les
habitent sont confrontés à toutes sortes de problèmes. La ville devient de plus en plus insalubre
par l'absence de ramassage d'ordures et d’immondices (Mérat P J insalubrité et pauvreté, 2013).

90
Les équipements sociaux deviennent de plus en plus inadéquats par rapport à l'extension de la
population. (Photo de Turgeau paupérisé). C’est le cas du quartier de Turgeau (centre-est de
Port-au-Prince) qui initialement était un quartier de haut standing jusque dans les années 1990.
Alors que depuis près d’une trentaine d’années, il se paupérise par l’inclusion d’habitat insalubre
dans les zones interstitielles (ravines, et flancs abrupts des montagnes). In fine une augmentation
de la population est observée. A cela il faut ajouter la densification et la saturation de l’ensemble
des réseaux.

Photo 2.- L’habitat de Turgeau et la dynamique de densification

Crédit photo : C. Dubois et vue de Google Earth


Le quartier de Turgeau jusque dans les années 1990 hébergeait une population aisée. Le type d’habitat en témoigne (photo de gauche).
Néanmoins depuis ces dernières décennies des populations très modestes s’installent dans les espaces marginaux (ravines et piémonts)
participant ainsi à la densification de ce quartier (photo de droite).

L'absence des travaux de curage au niveau du système de canalisation rend l'évacuation des eaux
usées impossible et entraîne l'inondation à chaque pluie, même modérée. Les eaux pluviales et
usées non évacuées constituent des flasques d'eaux considérés comme très dangereux pour la
santé de la population. Donc, les grandes villes du pays présentent les attributs de ville attractive
en termes d'activités économiques comparativement aux espaces ruraux, mais elles demeurent
également très insalubres, à part quelques quartiers retirés dans les zones périphériques habités
par les gens aisés. La plupart des quartiers résidentiels des villes haïtiennes sont entourées par
des bidonvilles. Les zones d'habitats précaires suivent le déplacement des quartiers des gens
aisés. Une véritable compétition spatiale s’engage entre les habitats aisés et ceux des plus

91
pauvres. L’exemple du quartier de Debussy à Port-au-Prince est édifiant (Photo suivante). Tout
ceci engendre la dégradation de l'environnement physique du tissu urbain.

Photo 3.- L’occupation des flancs du morne l’Hôpital

Crédit photo de Pierre Jorès Mérat


A gauche, les populations modestes s’installent contre la couverture végétale et les pentes raides du morne l’Hôpital
Et sur la droite les plus nanties animent le même mouvement d’appropriation.

e- Une pauvreté nourricière de l’informalité

L’informalité prise en compte dans cette mise au point est axée sur la définition du Bureau
International du Travail (BIT). Il s'agit d'un secteur où il n’existe aucune barrière à l'entrée, et se
reposant sur les ressources locales et personnelles, les entreprises sont de propriété familiale,
elles font des transactions à petite échelle, intensive en main d'œuvre, technologie adaptée,
compétences tirées sur le tas, évoluant souvent dans des marchés non régulés et compétitifs. La
réalité socioéconomique haïtienne permet de rester dans la ligne de cette définition46 mais en

46
L'économiste haïtienne Nathalie Lamaute-Brisson (2002) identifie quatre grandes représentations découlant de la
littérature existante. L'informel peut être considéré comme « une strate socio-économique de la population sociale »
i.e. constitué par cet excédent de la main-d’œuvre exclu du secteur capitaliste formel. Il peut être analysé aussi
comme un ensemble d'unités économiques de production de petite taille, cette conception renvoie plus aux modes de
production dans ce secteur. La troisième représentation de l'informel met l'accent sur la segmentation du marché du
travail découlant de l'hétérogénéité des systèmes de production. Autrement dit, les deux systèmes étant différents
requièrent des types et des niveaux de qualifications différentes. Et enfin, l'informel peut être étudié aussi dans le

92
même temps de mettre en lumière certaines spécificités nationales qui contrastent grandement
avec les référents admis. L’informel constitue le plus grand générateur d'emplois dans le pays.
L'emploi informel, en particulier l'emploi créé par les établissements privés informels constituant
le secteur informel, l'emporte sur les autres types d'emploi dans l'ensemble du pays. De 2007 à
2016 toutes les enquêtes ont montré et confirmé le poids dominant du secteur informel dans
l'économie haïtienne. Cet état de fait est l'aboutissement d'un processus d'informalisation massive
où toutes les classes d'âges sont engagées, qu'il s'agisse des nouveaux entrants dans le système
d'emploi ou des anciens travailleurs plus âgés. Une dynamique qui concerne tous les niveaux
d'études, au point que la majorité des actifs ayant un niveau d'études secondaire ou universitaire
exerce aujourd'hui des activités informelles

Les données montrent que 57,1% des emplois sont informels. Que ces emplois relèvent
principalement des établissements informels qui absorbent à eux seuls 54,8% des actifs occupés
du pays. Le second pôle d'emplois étant celui des établissements du secteur primaire, agriculture,
sylviculture et pêche, (38, 1% des actifs occupés). Les enquêtes réalisées sur la période
susmentionnée ont révélé également une prédominance écrasante de l'emploi des établissements
privés informels en milieu urbain notamment dans l'aire métropolitaine de Port-au-Prince où ils
représentent 81%. En milieu rural, ces emplois comptent pour 42% du total et relèvent pour la
plupart du commerce de gros et de détail. Les résultats des enquêtes font état d'un écart
considérable entre patrons et travailleurs indépendants du secteur informel. En effet, les patrons -
qui ont sous leur direction des travailleurs salariés permanents, - perçoivent un revenu moyen de
9 352 goures. Suivent les salariés, les travailleurs indépendants et enfin les stagiaires, apprentis
et aides familiaux. Bref, le revenu des patrons vaut trois fois celui des travailleurs indépendants
(l’IHSI 2013). Les établissements privés formels sont ainsi dans l’incapacité de créer des emplois
en regard de la démographie. Au-delà des différences entre les villes et le milieu rural, les études
révèlent que l'emploi informel relève de la survie. Il y a une forte concentration sur le commerce
de produits alimentaires, avec d'ailleurs des comportements d'autoconsommation comme dans le
cas des services de restauration de rues. « L'exercice de l'emploi, en l'absence de local, à
domicile ou sur la voie publique renvoie à une stratégie de réduction de coûts. Les revenus sont

sens des relations de la firme avec les travailleurs en d'autres termes la manière d'utiliser et de traiter avec la main-
d’œuvre.

93
faibles compte tenu du volume important d'heures travaillées. A la lumière de ces constats il est
aisé de dire que le phénomène de l'informalisation dans l'économie haïtienne se nourrit de la
pauvreté massive qui s’installe dans le pays.

L’ampleur croissante du secteur informel en Haïti est le fait d’une inadéquation entre l’offre
insuffisante et la demande pléthorique d’emploi. Trois millions d’Haïtiens ont un emploi dont 2
millions dans l’économie informelle soit 66,5% de la population active, 1,2 millions auto-
employés. Le secteur informel est caractérisé par une faible sophistication technologique, une
faible capitalisation, une haute intensité en main-d’œuvre faiblement qualifiée car plus de 45 %
de la population adulte et 60% des chefs de ménage n’ont pas reçu d’éducation primaire.
Pourtant, l’informalité n’est pas assimilable automatiquement à la pauvreté: si dans sa grande
majorité les activités informelles sont dans le registre de la subsistance ou de survie, dans
beaucoup de cas elles sont très lucratives. Les Madan Sara47 et le Ponya48, pour ne citer que
ceux-là, sont des activités qui se réalisent souvent avec des centaines de milliers de milliers de
dollars.

Il demeure néanmoins un secteur hautement concurrentiel à faible valeur ajoutée disposant d’une
faible capacité d’accumulation et de réinvestissement. Pourtant le secteur informel joue un rôle
important dans le pays. Le commerce informel sert de secteur refuge pouvant permettre
d’atténuer la montée du chômage urbain. Car, il existe aucune barrière à l’entrée :
l’investissement est dérisoire et la compétence professionnelle n’est pas exigible. L’entreprise du
secteur informel n’est astreinte ni aux charges sociales ni à celles de la fiscalité. En raison de sa
flexibilité ce type d’entreprise affiche une grande résilience49 aux chocs. Ce secteur très

47
Madan Sara est le nom donné aux commerçantes traditionnelles qui organisent le marché du commerce de gros
des produits agricoles des campagnes vers les villes. Il en existe deux types : celles qui se cantonnent dans les
produits agricoles et celles, plus récentes, qui s’ouvrent sur l’international en important des biens industriels
(vêtements, chaussures, produits de beauté et électroniques). Elles sont nommées ainsi par assimilation avec un
oiseau crieur de la savane haïtienne pour les bruits qu’elles génèrent dans le cadre des marchandages et de leurs
commérages.
48
Le ponya est un prêt usuraire sévère sur un temps très court. Sa violence est telle qu’il est assimilé à un coup de
poignard. Etant entendu que le mot ponya signifie en haïtien épée ou grand couteau.
49
La résilience est la capacité d'un système, d'une communauté ou d'une société susceptible d'être exposé à des aléas
à s'adapter, en résistant ou en changeant, afin d'atteindre et de maintenir un niveau acceptable de fonctionnement et
de structure. Elle est déterminée par le degré avec lequel le système social est capable de s'organiser pour accroître
sa capacité d'apprentissage des catastrophes passées afin d'être mieux protégé dans le futur et d'améliorer les
mesures de réduction de risque

94
important dans l’économie nationale par le nombre d’emplois qu’il abrite est aussi une source
d’appauvrissement pour les caisses de l’État en termes de manque à gagner fiscal.

En Haïti l’informalité constitue la norme. Elle est une réalité socio-économique dominante. Elle
n’est pas une réalité souterraine ou clandestine. Elle est acceptée et intégrée comme l’atteste la
visibilité de la cuisine de rue, les Madan Sara, le petit commerce de détail, les laveurs d’autos et
les bouquinistes etc. Certaines fois elle se déploie même au sein des organismes publics ceux-là
mêmes qui sont en charge de la réguler. Des fonctionnaires se donnent des concessions à
l’intérieur des bâtiments publics en s’installant comme restaurateur ou comme marchands de
biens de première nécessité ou de produits de beauté. L’État, par cette démarche devient le client
indirect de ces prestataires de services qui contournent le fisc. Ces agents publics alternant
laissez-faire, tolérance, arrangements (moyennant rétribution) sont de véritables alliés de
l’informel pour contourner les intérêts de l’État au profit d’intérêts particuliers50. Plutôt qu’une
opposition, c’est donc un continuum51 qui existe entre formalité (lois et agents publics) et
informalité (prestataires de services et fraudeurs).

Conclusion

Les visages de la pauvreté dans le pays sont multiples. La pauvreté des biens condamne une
grande partie de la population à vivre dans des conditions matérielles exécrables : promiscuité
dans les logements, assainissement défaillant, indisponibilité de l’énergie électrique,
indisponibilité de l’eau courante dans les maisons etc. La pauvreté économique qui s’y installe se
manifeste à travers un taux calamiteux de pauvreté extrême (24%). Les actifs sont peu mobilisés
par les entreprises et le sous-emploi atteint une forte proportion des travailleurs. Le pouvoir
d’achat des ménages les plus pauvres s’amenuise et ne répond plus aux exigences du marché de

50
Là-dessus il y a même dans le pays un courant pro informel, prétextant l’absence de l’État et surtout son côté
prédateur pour chanter les mérites de l’informel à travers l’entreprenariat militant. Cette démarche rejoint un peu la
thèse de l’économiste péruvien Hernando de Soto, qui vante “ la capacité d’inventivité, la flexibilité et la résistance
des acteurs de l’informel, oubliés ou abandonnés par l’État”
51
Dans « Les paradoxes de l’économie informelle : à qui profitent les règles ? » Paru chez Karthala en 2011,
Fontaine, L. et Weber, F. résument bien la situation « l’informalité se développe dans un continuum qui va
d’irrégularités plus ou moins grandes jusqu’à la radicale illégalité, mais les deux registres sont toujours intimement
liés, et l’économie formelle contient toujours des poches d’informalité, ne serait-ce que dans les multiples formes de
la corruption »

95
consommation. L’insécurité alimentaire bat son plein et un Haïtien sur deux n’arrive point à se
nourrir correctement. Cette pauvreté économique pousse les ménages aux revenus modestes
(donc la majorité) à utiliser le bois et le charbon de bois comme énergie fondamentale et
incontournable dans la cuisson des aliments et dans certaines productions artisanales (cassaverie,
blanchisserie etc.). La pauvreté sociale débouche sur des inégalités criantes à travers un
coefficient de Gini de 0,61. Les premières victimes sont les enfants et les femmes par
l’intermédiaire de la mortalité infantile et maternelle. Les ruraux, les femmes et les jeunes sont
des défavorisés du marché de travail. Ce phénomène de pauvreté est appréhendé sous de
nombreux visages dans le pays : il s’exprime davantage en milieu rural, il n’épargne pas les
travailleurs (pauvreté laborieuse), il décapitalise le pauvre dans le cadre de l’accès au marché par
la consommation et la micro finance.

La pauvreté monétaire et multidimensionnelle à laquelle font face les ménages les plus modestes
favorise ou crée les conditions d’éclosion de nombreuses incidences pour le pays. Elle influence
négativement l’économie par l’informalité qu’elle engendre. Dans cette dynamique, le travailleur
n’est pas protégé, il est livré à lui-même avec des salaires dérisoires et sans couverture sociale.
La masse de richesse créée reste, en partie, en dehors de la fiscalité donc incapable d’être
mobilisée pour le bien-être collectif. Etant entendu que le secteur informel dépasse largement le
cadre des activités marginales et peu gratifiantes car il concerne aussi des segments et des
activités économiques hautement lucratives (immobilier, transport, commerce de gros, prêts
usuraires etc.). La pauvreté fragilise les ménages en les rendant sévèrement vulnérables aux
chocs naturels et sociaux. Cette fragilité s’exprime aussi dans la taille des ménages pauvres qui
augmente le nombre de personnes à charge et les candidats à la migration. Elle redessine le tissu
urbain par l’intermédiaire de l’exode rural qui devient un accélérateur de la bidonvilisation
alimentant la violence urbaine. Cette dernière est en fait le témoignage d’une société troublée par
la pauvreté et son corollaire que sont l’inégalité et l’exclusion.

96
Chapitre II
L’inscription d’Haïti dans la dynamique de la pauvreté

Ce chapitre fait le point sur le corpus théorique qui encadre l’appropriation du concept de
pauvreté par les pouvoirs publics et toutes les parties prenantes du développement
socioéconomique d’Haïti. Le phénomène est appréhendé autrement qu’il est perçu. Il y a un
décalage entre la vision de la pauvreté dans le discours quotidien et celle promue et utilisée par
les instances gouvernementales. La documentation liée aux recherches et aux enquêtes reprend à
son compte les modalités imposées par les grandes agences internationales et régionales. Il y a
donc lieu d’analyser les partis pris méthodologiques nationaux au regard des référents mondiaux.
La singularité du pays dans la grande aventure de la lutte contre la pauvreté dans le monde est
mise aussi en évidence. La question est de savoir si les concepts liés à la pauvreté construits et
véhiculés ailleurs sont les plus appropriés pour rendre compte de la pauvreté dans le pays ? Une
autre question s’impose en quoi des solutions trouvées et suggérées par cette conceptualisation,
liée à l’adoption, puisse être efficace dans la lutte contre ce phénomène en Haïti ?

1- Un cadre théorique national axé sur les référents mondiaux

La prise en compte de la pauvreté dans le pays n’est pas datée. Néanmoins la dynamique de la
prise en charge sociale en Haïti remonte à très longtemps. Le nom de Claire-Heureuse, l’épouse
de Jean Jacques Dessalines52 retient l'attention pour des motifs n'ayant que maigrement trait à la
politique. Car ses œuvres dans le domaine ingrat du secours, on le voit, en feront une figure
pionnière nationale dans ce domaine. Il faudra attendre les années 1860 pour que soit donné, et
de manière décisive, le coup d'envoi à l'Assistance Sociale. L'arrivée dans le pays de
congrégations religieuses53 diverses donne naissance à une véritable floraison d'œuvres sociales
d'une présence relativement continue, tant à la Capitale que dans les principales villes de
province. Leur champ d’action touche la santé, l'éducation et dans une plus large mesure l'aide
morale et matérielle. Une particularité notable est observée, ces entreprises, pour la plupart
religieuses, généralement reconnues d'utilité publique après quelques années de fonctionnement,

52
Jean Jacques DESSALINES, héros de l’indépendance, est le père de la nation haïtienne. Il a géré le pays de 1804 à
1806 dates à laquelle il a été assassiné par des généraux rivaux.
53
Cette dynamique a été rendu possible sous l'impulsion du Concordat dont le but premier est la régularisation et
l'organisation du culte en Haïti.

97
verront, jusqu'à la tentative de leur organisation par les pouvoirs publics en 1939, leur création,
leur direction et leur développement, assurés quasi exclusivement par des femmes.

La notion de prise en charge sociale apparaît dans un texte de loi pour la première fois dans le
pays à partir de la Constitution de 1950. Elle sera reprise dans les Constitutions de 1957, 1964,
1971, 1983. Cette démarche au début visait les travailleurs. Il s’agit d’une prise en compte
nationale de la misère ouvrière. La constitution de 1987 consacrera le principe de
l’universalisation et son extension à toute la population. Un ensemble de lois consacrant
l’assistance publique, la médecine préventive, l’assistance sociale et les assurances sociales
marque cette législation de prise en charge sociale. Loi du 13 septembre 1906 déclarant d’utilité
publique la « ligue maternité de Port-au-Prince » (Moniteur #79 du 3 octobre 1906) est un
signe de la prise en compte de la santé maternelle. Le président Nord Alexis, par cette loi,
reconnait donc la nécessité pour l’État haïtien de jeter un œil attentif sur la santé maternelle
(Mérat 2011). Elle est nécessaire pour servir de base à l’harmonie sociale et à la productivité
économique. La santé maternelle renforce les systèmes de la santé dans leur ensemble. Investir
dans la santé maternelle est responsable et c’est aussi profondément productif au regard de la
croissance et au développement national.

La loi du 16 septembre 1906 établissant une maison destinée à recevoir et soigner les lépreux
(Moniteur #99 du 12 déc 1906) constitue une autre avancée dans la prise en charge sociale. Cette
loi montre la volonté des pouvoirs publics de l’époque à prendre en charge la santé publique à
travers des maladies prioritaires. Une maladie contagieuse comme la Lèpre a des conséquences
désastreuses en termes de santé publique. L’Arrêté du 28 juillet 1943 reconnaissant d’utilité
publique la Ligue Nationale Antituberculeuse (Moniteur #60 du 29 juillet 1943) initie la logique
de la disponibilité ; autrement dit garantir le droit à la santé par l’effectivité d’équipements et de
programmes de santé.

L’assistance et l’assurance sociale vont s’installer dans la durée en Haïti. Les lois du 13
décembre 1938 instituant la Caisse d’Assistance Sociale ( CAS) (Moniteur #100 du 15 déc1938)
,l’ Arrêté du 10 janvier 1939 créant le Département de l’Assistance sociale (Moniteur # 4 du 12
janvier 1939), le Décret du 28 avril 1939 modifiant les dispositions relatives aux moyens de
financement de la Caisse d’Assistance Sociale( Moniteur #36 du 4 mai 1939) et le Décret du 30
novembre 1944 portant sur une nouvelle modification de la législation relative à la Caisse
98
d’Assistance Sociale (Moniteur #100 du 7 décembre 1944) constituent la manifestation du
respect de cette obligation légale axée sur la solidarité nationale. Par la CAS, l’État haïtien
impose la solidarité aux citoyens car une taxe d’1% est prélevée sur les salaires. Le volet
« assurance sociale » dans la prise en charge est initié au même titre. Un ensemble de lois et
décrets dynamisent ce domaine en Haïti. La loi du 10 octobre 1949, créant l’Institut des
Assurances Sociales d’Haïti (IDASH) met en selle cette dynamique. Le Décret du 8 novembre
1965, crée l’Office National d’Assurance Vieillesse pour la prise en charge spécifique des
travailleurs. La loi du 28 août 1967 crée et organise le département des Affaires Sociales,
établissant le mode de fonctionnement de l’ONA et met en place l’OFATMA.

Le Décret du 26 septembre 1974, institue une carte de santé obligatoire (OFATMA). Le décret
du 18 février 1975, préconise une nouvelle législation sur l’assurance maladie-maternité. Le
décret du 10 mars 1976, quand à lui, définit l’incapacité de travail et complète les attributions de
la commission d’invalidité de l’ONA. La loi du 12 novembre 1982, accorde de nouvelles
facilités à l’EPPLS dans le cadre de la construction des logements sociaux. Et enfin le décret du
28 décembre 1989 crée, sous la tutelle du Ministère des Affaires Sociales et du Travail, un
établissement public dénommé Office National de Protection et de Sécurité Sociale (ONPSS). Ce
bref rappel permet de constater que la prise en compte du phénomène de pauvreté est une
préoccupation nationale ancienne. Et que la société civile et les pouvoirs publics haïtiens sont
engagés à le rendre moins insupportable pour de nombreuses catégories sociales. Cette volonté
affichée d’adresser la question de la pauvreté se fait à travers des modèles adoptés et imposés.

a- L’adoption de l’approche monétaire pour satisfaire la Banque mondiale

Cette adoption, nourrie par un exercice plus ancien54, se réalise en deux étapes initiales (enquête
budget-consommation des ménages ECBM 1999-2000 et Enquête sur les Conditions de Vie
des Ménages ECVH). Elle a abouti à l’élaboration des premiers seuils nationaux de pauvreté
monétaire en 2001. Néanmoins la confrontation de ces deux mesures procédant, il est vrai, de

54
La première “Enquête sur la consommation des familles à bas revenus” a été réalisée en 1948 et avait pour objectif
l’élaboration d’un indice des prix à la consommation (IPC). La deuxième “Enquête Budget Familial" a été menée en 1976
et avait permis entre autre l’établissement d’un nouveau panier de la ménagère et le calcul de nouvelles pondérations
pour l’IPC. La troisième "Enquête Budget Consommation des Ménages" exécutée au cours de l’année 86-87 a couvert tout
le territoire national. Outre les pondérations pour le calcul d’un nouvel indice, elle devait permettre la mise à jour des
statistiques économiques pour l’élaboration des comptes nationaux. La quatrième est l'enquête Budget Consommation
des Ménages - EBCM 1999-2000

99
méthodologies différentes, aboutit à des résultats grandement discutables. Les seuils de pauvreté
construits à partir de l’Enquête Budget-Consommation (EBCM 1999-2000) Pedersen et
Lockwood (2001) proposent une mesure de la pauvreté monétaire à partir des données sur la
consommation des ménages tirées de l’EBCM 1999-2000. Dans cet exercice est construit un
panier alimentaire dont le coût est estimé à 4 243 gourdes per capita pour le seuil d’indigence, le
seuil de pauvreté s’élevant à 5 638 gourdes per capita en prenant en considération la
consommation non-alimentaire.

La comparaison avec l’EBCM de 1986-1987, permet d’affirmer que l’incidence de la pauvreté a


diminué en Haïti entre 1986-1987 et 2000 (Pedersen, Lockwood 2001) alors que cette période est
marquée par une croissance négative du PIB per capita, avec en arrière-plan l’enlisement de
l’agriculture haïtienne dans la crise (baisse de la productivité, libéralisation brutale du marché
des produits alimentaires). Montas (2002, 2005) critique la construction des lignes de pauvreté
de FAFO. Entre autres, il n’y a pas eu d’ajustement des seuils de 1999-2000 par rapport à
l’inflation. Le coefficient budgétaire retenu pour l’alimentation pour la même année (75%) est
trop élevé dans la mesure où les prix des biens essentiels hors alimentation ont crû plus vite que
ceux des biens alimentaires sur la période couverte (1986-2000). Cette faille est visible à travers
les deux tableaux présentés ci-dessous (Tableau 4a et 4b) Il est également curieux de voir que le
coefficient budgétaire du poste alimentation a progressé de 70% à 75% alors que la pauvreté a
régressé.

Tableau 10.- Indice de la pauvreté monétaire en Haïti selon les seuils de fafo (ebcm, 1999-2000)

Seuil de pauvreté Milieu de résidence Ensemble


Aire métropolitaine Autre urbain Rural
Extrême pauvreté des ménages (4243 gourdes
15,9 15,3 28,5 24,0
per capita)
Pauvreté des ménages (5638 gourdes per
28,4 26,1 43,7 38,1
capita)

Nombre de ménages estimés 296 448 202 533 930 044 1429 065

Echantillon 791 1 188 2 772 4 751

Source: Pedersen Jon, Lockwood Kathyn (2001), Determination of poverty line for Haiti, Fafo Institute of Applied
International Studies. http://www.fafo.no./ais/other/haiti/ProvertyLineForHaiti.pdf.

100
Tableau 11.- Indice de pauvreté monétaire selon les seuils banque mondiale – ecvh 2001

Seuil de pauvreté Milieu de résidence Ensemble


Aire métropolitaine Autre urbain Rural
Extrême pauvreté des ménages (1$ per
24,1 60,5 64,6 55,6
capita/jour en parité des pouvoirs d’achat (PPA))
Pauvreté des ménages (2$ per capita/jour en
43,2 78,8 85,2 75,6
parité des pouvoirs d’achat (PPA))

Nombre de ménages estimés 371 597 227 503 1 181 709 1 780 809

Echantillon 1 002 1 541 4 643 7 186

Source: Egset Willy, Sletten Pal (2004), Poverty in Haiti, FAFO. http://www.fafo.no/pub/rapp/755/755.pdf.

Ce tableau est radicalement différent de celui reconstitué avec l’EBCM 1999-2000. Les taux de
pauvreté absolue calculés en appliquant les seuils de pauvreté de la Banque Mondiale aux
revenus des ménages de l’EBCM 1999-2000 sont en effet bien plus faibles, soit respectivement
26% pour la pauvreté extrême et 47% pour la pauvreté. C’est que le revenu moyen des ménages
dans l’ECVH 2001 représente 53.5% seulement du revenu moyen des ménages dans l’EBCM
1999-2000. Un écart entre les revenus moyens issus de deux enquêtes distinctes tant du point de
vue des bases de sondage et de l’échantillonnage que par les méthodes employées (période de
référence et formulation des questions) n’est pas surprenant.

Les revenus déclarés dans l’ECVH le sont une seule fois pour les 12 mois précédant le passage
de l’enquêteur, d’où des problèmes de mémoire non négligeables et une possible sous-
déclaration liée à un effet de fatigue des enquêtés, le questionnaire de l’ECVH étant
particulièrement lourd. L’EBCM 1999-2000 capte les revenus sur les 6 mois précédant l’enquête
– on suppose que les effets de mémoire sont moindres – et intègre la saisonnalité puisque
l’enquête porte sur des échantillons tournants de ménage (les ménages sont interrogés par vagues
de 15 jours sur 12 mois). En outre, l’EBCM 1999-2000 prend en compte les revenus perçus par
les anciens membres, c’est-à- dire ceux qui ont quitté le ménage au cours des 12 derniers mois,
durant les six mois précédant le passage de l’enquêteur. Les anciens membres ne représentent, de
fait, que 2.7% de la population totale des ménages en 1999-2000. Mais leur présence doit être
signalée d’autant que la notion même d’anciens membres est absente de l’ECVH 2001.

101
La formulation de la question sur les revenus perçus diffère de l’EBCM 1999-2000 à l’ECVH
2001. Dans la première enquête, le chef de ménage est nécessairement interrogé sur ses revenus.
Ensuite, on demande, pour chaque source de revenu figurant sur la liste, lequel des membres du
ménage a perçu des revenus correspondants. Dans l’ECVH, seule la seconde étape inscrite dans
l’EBCM est appliquée: elle vaut pour l’ensemble des membres du ménage. Ce, avec une liste de
revenus de référence bien plus longue, parce que plus détaillée, que celle de l’EBCM. Il est
probable, ici, que la recherche du détail soit contre-productive dans la mesure où elle est
susceptible d’induire un effet de fatigue (pour les deux interlocuteurs), effet d’autant plus
important que l’ECVH compte un jeu particulièrement lourd de trois questionnaires. En principe,
les questions sur les revenus sont posées uniquement au principal répondant du ménage, le chef
de ménage lorsque c’est possible. En tout cas, c’est la consigne énoncée dans le manuel
d’instructions aux enquêteurs de l’ECVH 2001. Il y a là un vrai risque de sous-déclaration des
revenus.

Le ménage n’est pas, par nature, une unité de mise en commun des revenus perçus par chaque
individu (« income pooling ») compte tenu des relations de pouvoir et des différenciations de
statut qui le structurent. Il est dès lors probable que le principal répondant ne connaisse pas les
sources de revenus de tous les membres du ménage ou s’il connaît les sources, il n’en connaît pas
le montant. Toutes ces différences de méthode peuvent expliquer un écart entre les deux
enquêtes mais pas nécessairement l’amplitude de l’écart observé. Une telle divergence entre
deux enquêtes réalisées par surcroît à un an d’intervalle pose problème en sus des limites propres
aux méthodologies employées pour la mesure de la pauvreté à partir de l’une et l’autre enquête.
A supposer – et c’est une hypothèse forte – que les seuils de la Banque Mondiale sont
acceptables et que les informations sur les revenus de l’EBCM 1999- 2000 sont meilleures,
l’incidence de la pauvreté extrême et de la pauvreté calculées sur l’ECVH 2001 sont en réalité
surestimées.

On est en pleine période de l’application des programmes d’ajustement structurel il ne faut


surtout pas montrer qu’aucun des objectifs poursuivis par les PAS n’a été atteint. Ces politiques
ont largement contribué à fragiliser les groupes sociaux les plus vulnérables et accroître la
pauvreté. Les politiques de libéralisation commerciale et financière ont systématiquement

102
affaibli la capacité productive du pays et ont accru son incapacité à engendrer de l’emploi. La
pauvreté s’est amplifiée à cause des taux prohibitifs des services essentiels.

Les politiques de libéralisation, la diminution des aides publiques et l’affaiblissement de la


demande de biens et de services locaux, ont dévasté les industries du pays, particulièrement les
petites et moyennes entreprises qui fournissent la majeure partie de l’emploi. Elles ne peuvent
concurrencer le flot des importations, souvent subsidiées, ni se permettre d’accéder au crédit,
devenu trop élevé, ce qui favorise la spéculation aux dépens de la production. Les importations
augmentèrent de 15 %. Les ventes des produits industriels locaux chutèrent de 40 % en 1985 à
31 % en 1998. La production industrielle locale a diminué de 20 % entre 1991 et 2000. Tout cela
illustre le fait que l’ouverture indiscriminée des marchés détruit la possibilité d’un
développement réel des entreprises nationales.

Les réformes structurelles et sectorielles imposées par le PAS dans le secteur agricole, ont
gravement altéré la viabilité des petits paysans, diminué la sécurité alimentaire et endommagé
l’environnement. L’importation d’aliments à bon marché, la suppression des subsides à la
production agricole, le retrait de l’État des activités de support technique, financier et
commercial et l’accent mis sur l’exportation, ont accentué la marginalisation des petits fermiers
et ont forcé ces derniers à surexploiter les ressources naturelles. La concentration des terres pour
les cultures d’exportation à grande échelle eut pour effet l’abandon de la production d’aliments
pour la consommation locale, ce qui amena les petits agriculteurs à surexploiter les terres de
qualité marginale.

Les réformes du marché du travail, les licenciements, fruits des privatisations, de la réduction du
secteur public et de l’écroulement des secteurs à haut niveau d’emploi, ont sérieusement affaibli
la position des travailleurs. Le niveau de l’emploi a diminué et ce dernier est devenu encore plus
précaire. Les salaires réels se sont détériorés. Le caractère inéquitable de la répartition des
revenus s’est accru. La privatisation des services publics et la diminution des budgets sociaux,
ont considérablement réduit l’accès des pauvres aux services collectifs.

L’appauvrissement, fruit des politiques d’ajustement structurel, a surtout touché les femmes.
Leur faible qualification en a fait les premières victimes des licenciements. La réduction de
l’accès aux services publics à cause de leur coût, a signifié une charge accrue pour leur rôle de
mère ou de chef de ménage. De plus, les nombreux avantages attendus dans les domaines de

103
l’efficacité et de la compétitivité, par le biais des privatisations, et de la flexibilité du travail,
n’ont pas vu le jour. L’Haïti des années 2000 est un pays affaibli par des crises politiques aiguës
et par une situation socioéconomique désastreuse (croissance économique faible et richesse
nationale insuffisante). Dans ce contexte, l’alignement sur les standards et les référents
internationaux s’impose de facto car les autorités nationales ne disposent pas de grandes marges
de manœuvre. S’ouvrir aux propositions externes permettra d’attirer les bonnes grâces des
bailleurs de fonds par l’intermédiaire de la coopération multilatérale.

b- Le pays succombe aux sirènes des OMD

En septembre 2000 l’Assemblée générale des Nations-Unies adopte les Objectifs du Millénaire
de développement (OMD). Elle jure, dans la déclaration du millénaire par ces mots “Nous
réaffirmons solennellement, en cette occasion historique, que l’Organisation des Nations Unies
est le lieu de rassemblement indispensable de l’humanité tout entière où nous nous efforçons de
concrétiser nos aspirations universelles à la paix, à la coopération et au développement. Nous
nous engageons donc à accorder un soutien indéfectible à la réalisation de ces objectifs
communs et nous nous déclarons résolus à les atteindre”. C’est un acte fort qui il consacre dans
les relations internationales un ensemble de valeurs comme :

§ La liberté. Les hommes et les femmes ont le droit de vivre et d’élever leurs enfants dans
la dignité, à l’abri de la faim et sans craindre la violence, l’oppression ou l’injustice. C’est
un mode de gouvernance démocratique des affaires publiques, fondé sur la volonté et la
participation des populations, qui permet le mieux de garantir ces droits.

§ L’égalité. Aucune personne, aucune nation ne doit être privée des bienfaits du
développement. L’égalité des droits et des chances des femmes et des hommes doit être
assurée.

§ La solidarité. Les problèmes mondiaux doivent être gérés multilatéralement et de telle


façon que les coûts et les charges soient justement répartis conformément aux principes
fondamentaux de l’équité et de la justice sociale. Ceux qui souffrent ou qui sont
particulièrement défavorisés méritent une aide de la part des privilégiés.

104
§ La tolérance. Les êtres humains doivent se respecter mutuellement dans toute la
diversité de leurs croyances, de leurs cultures et de leurs langues. Les différences qui
existent au sein des sociétés et entre les sociétés ne devraient pas être redoutées ni
réprimées, mais vénérées en tant que bien précieux de l’humanité. Il faudrait promouvoir
activement une culture de paix et le dialogue entre toutes les civilisations.

§ Le respect de la nature. Il convient de faire preuve de prudence dans la gestion de toutes


les espèces vivantes et de toutes les ressources naturelles, conformément aux préceptes
du développement durable. C’est à cette condition que les richesses incommensurables
que la nature nous offre pourront être préservées et léguées à nos descendants. Les modes
de production et de consommation qui ne sont pas viables à l’heure actuelle doivent être
modifiés, dans l’intérêt de notre bien-être futur et dans celui de nos descendants.

§ Le partage des responsabilités. La responsabilité de la gestion, à l’échelle mondiale, du


développement économique et social, ainsi que des menaces qui pèsent sur la paix et la
sécurité internationales, doit être partagée entre toutes les nations du monde et devrait
être exercée dans un cadre multilatéral

C’est un appel à la solidarité et à la responsabilité mutuelle. La République d’Haïti répond


favorablement à l’initiative en ratifiant cette déclaration. L’appropriation nationale des OMD va
se concrétiser par la publication de trois rapports nationaux (2008, 2011 et 2014). Nous avons eu
le privilège, en tant que membre de l’équipe technique, de participer à la rédaction du dernier
rapport 2014 intitulé « Rapport OMD, Haïti un nouveau regard ». Ce dernier rapport demeure
une référence en termes de données sur les conditions de vie dans le pays. L’adoption par Haïti
de ce référent mondial que sont les OMD lui impose un certain nombre de responsabilités :
réduire de moitié l’extrême pauvreté et la faim, assurer l’éducation primaire pour tous, éliminer
les disparités entre les sexes, réduire la mortalité infantile et améliorer la santé maternelle,
stopper la propagation du VIH/sida et commencer à inverser la tendance actuelle, promouvoir un
développement durable et mettre en place un partenariat mondial pour le développement. Ces
engagements deviennent de véritables paris pour un pays comme Haïti qui cumule des retards
sévères en matière de développement humain.

105
En optant pour l’atteinte des OMD le pays glisse vers une approche multidimensionnelle de la
pauvreté en intégrant ses différentes dimensions. Haïti s’inscrit ainsi dans l’approche par les
« capabilités » préconisée par A. Sen. Cet économiste indien renverse la vision traditionnelle de
la pauvreté envisagée comme un manque de revenu, Sen la considère comme un manque de
capabilités. Il propose de voir le développement comme une extension des libertés substantielles
(ou capabilités), autrement dit une extension des possibilités que l’individu a de choisir la vie
qu’il souhaite mener. L’approche de Sen change radicalement la manière de voir le
développement: les indicateurs traditionnels (croissance, industrialisation, etc.) se trouvent
rejetés au profit d’autres, plus adéquats pour mesurer le bien-être55.

En dehors du revenu monétaire d’autres privations, comme le manque d’accès aux


infrastructures de base, aux soins de santé, à l’éducation ou à la décision publique sont pris en
compte. Et ces éléments ne sont pas parfaitement corrélés aux revenus56 (F. Bourguillon, 2011).
C’est une vision optimiste qui anime cette démarche. Il devient donc possible pour le pays de
promouvoir le développement humain en renforçant directement les capacités humaines, en
assurant une vie longue et en bonne condition physique et un niveau de vie adéquat, et en
renforçant les dimensions contextuelles, comme la participation et la durabilité de
l'environnement. Mais il faut bien avouer que ces aspects sont interdépendants : si les dimensions
contextuelles présentent des insuffisances, il sera difficile de renforcer directement les capacités
humaines, ce qui entraînera des privations: l'insécurité, par exemple, fait obstacle à la possibilité
d'aspirer à un niveau de vie adéquat.

En 2004 est publié un premier rapport national sur l’atteinte des OMD. Les résultats ne seront
pas à la hauteur des attentes. Des contraintes d’ordre structurel et conjoncturel n’ont pas permis
d’atteindre ces objectifs au cours des années passées. Le taux de prévalence de la malnutrition et
de la faim est resté trop élevé, le faible accès aux soins de santé, le taux élevé de la mortalité
infanto-juvénile et de la mortalité maternelle, le taux relativement élevé de séropositivité au VIH,

55
Les « capabilités » ne se réfèrent pas à des réalisations effectives, mais aux possibilités (ou libertés) de choisir la
vie que l’on souhaite mener. Par exemple, il existe une différence entre un moine qui jeûne et un pauvre qui a faim:
aucun des deux ne se nourrit (donc on observe un fonctionnement identique mesurable par le manque de calories),
mais pour l’un il s’agit d’un choix et pas pour l’autre. Pour l’un il y a un manque de capabilité mais pas pour l’autre.
Fonctionnement et capabilités sont donc différents. Si l’on ne regarde que le fonctionnement, il est identique pour
les deux personnages, mais leurs capabilités sont différentes. Le fonctionnement dépend des capabilités
56
Pour F Bourguillon cette approche prend notamment en compte les chevauchements possibles des différentes
dimensions dans l’appréciation que l’on peut porter sur la sévérité de la pauvreté.

106
et autres montrent que les conditions de vie de la population sont encore fondamentalement
précaires. À titre d’illustration, l’espérance de vie à la naissance va demeurer faible (54 ans) et la
ration calorifique moyenne qui était estimée à 1788 calories/jour par personne en 1987 soit 80%
de la ration journalière recommandée par la FAO, a régressé pour se situer autour de 1750
calories. En ce qui concerne l’extrême pauvreté, la majorité de la population vit en dessous du
seuil de la pauvreté absolue et, à ce propos, la Banque Mondiale va estimer que 80% des 2/3 de
la population qui vivent en zone rurale sont des pauvres.

A la fin de l’année 2012, l’Observatoire National de la Pauvreté et de l’Exclusion Sociale


(ONPES), à travers un rapport, établit la situation du pays sur la trajectoire menant vers l’atteinte
des OMD. Les lieux de progrès ont été observés pour les OMD2, OMD3 et OMD7 (accès à
l’eau potable). Evidemment, l’ampleur des retards où les cibles sont quasiment hors de portée
dans les quelques mois qui séparaient le pays de 2015 est énorme. Il s’agit des OMD4 et OMD6.
Les promesses qui ne sont pas tenues sont les OMD pour lesquels les cibles sont difficilement
voire impossibles d’être atteintes. C’est le cas des OMD1, OMD5 et OMD7 (accès à un système
d’assainissement amélioré). Ce rapport identifie aussi les perspectives au regard du score
national pour 2015 et fait des considérations sur les possibilités de rattrapage pour le pays.

L’échéance des OMD en 2015 a poussé les autorités nationales à produire un dernier rapport sur
l’état des OMD. En 2014 les Nations Unies, via le PNUD, et l’État haïtien par le biais de
l’ONPES élaborent en coresponsabilité ce document. Ce dernier rapport met en lumière une
situation nationale faite de réussites et d’échecs. Le pays a réalisé d’importants progrès sur la
majorité des indicateurs OMD, et a atteint ou pratiquement atteint plusieurs cibles. Ainsi, le pays
a atteint trois ans avant l’échéance la cible visant à réduire de moitié l’insuffisance pondérale
chez les enfants de moins de cinq ans (OMD 1), et la pauvreté extrême a diminué, s’élevant à 24
% en 2012 contre 34% en 2001. Les progrès les plus significatifs enregistrés ont trait à
l’éducation (OMD 2), avec un taux net de scolarisation de 88 % en 2011. De même, la parité
entre garçons et filles a été atteinte depuis 2000 sur les bancs des cycles primaire et secondaire
(OMD 3). Des progrès sensibles ont également été réalisés dans le domaine de la santé. La
mortalité infantile a baissé de 44 % depuis 1990, plus vite que la tendance mondiale (OMD 4).
En 2010, 90 % des femmes ont fait au moins une visite prénatale pendant leur grossesse,
contribuant sensiblement à réduire la mortalité maternelle, établie à 157 pour 100 000 par le

107
ministère de la Santé publique et de la population (OMD 5). L’épidémie sur VIH/sida a été
stabilisée, avec un maintien de la prévalence à 0,9 % chez la population âgée de 15-24 ans, qui
dans plus de 60 % des cas utilise un préservatif lors des rapports sexuels à haut risque (OMD 6).
Le pays a pratiquement atteint la cible visant à garantir un accès à l’eau, avec 64,8 % des
ménages ayant accès à une source d’eau potable améliorée (OMD 7). Et au regard de l’OMD 8,
Haïti demeure un des pays au monde recevant le plus d’attention de la communauté
internationale, avec une augmentation fulgurante de l’aide publique au développement après le
séisme de 2010.

Conclusion

Le pays affiche sans ambages son alignement sur les standards internationaux en matière de prise
en compte de la pauvreté. L’approche monétaire a été utilisée dans les années 1980 et 1990 à
travers un ensemble d’enquêtes (ECVH et ECBM). L’idée de « pauvreté » est donc
naturellement associée à la dimension économique. La démarche a mis l’accent sur
les ressources, notamment en biens et services, que l’Haïtien possède ou dont il dispose, pour
caractériser le niveau de pauvreté. On a ainsi considéré le niveau de revenu, ou de
consommation, qui conduit à une analyse monétaire de la pauvreté. Les enquêtes réalisées à
partir de 2010 telles que l’Enquête sur les Nouvelles Manifestations de la Pauvreté (ENMP) et
l’Enquête sur les Conditions de Vie des Ménages après le Séisme (ECVMAS 1 et 2) vont
prendre en compte les manques ou privations qui marquent les conditions de vie des Haïtiens, les
actifs possédés, la qualité de vie, les relations sociales, les droits, etc. On débouche alors sur une
analyse multidimensionnelle de la pauvreté. Dans la foulée une deuxième manière d’aborder la
pauvreté s’installe. Elle mise plutôt sur ce que les individus sont capables de faire et d’être, en
utilisant les ressources dont ils disposent. Elle insiste sur l’accès à ces ressources, mais considère
surtout la manière dont ces ressources sont utilisées pour fonctionner quotidiennement et
accroître les capacités de faire, d’être ou de devenir des individus, individuellement ou
collectivement. Cette vision tire ses fondements de l’approche par les « capabilités » du
professeur Amartya Sen. Cet engagement, consistant à s’aligner sur des référents mondiaux, a
incontestablement porté des fruits dans certains domaines (alphabétisation, scolarisation, parité
du genre, mortalité infantile etc) certes, mais le pari de 2015 avec les OMD n’a pas été gagné. Il
reste énormément de retards à combler en matière de prise en charge de la santé maternelle, de
l’assainissement, et de la sécurité sociale. S’aligner dans une course pour laquelle la ligne

108
d’arrivée est la même pour tous est normale mais si la ligne de départ est différente le risque pour
Haïti de ne pas atteindre l’arrivée à temps est considérable.

2- Les dynamiques régionales dans le domaine de la pauvreté

L'Amérique latine et les Caraïbes constituent la région du monde où les inégalités sont les plus
marquées, avec dix pays sur quinze pays présentant les niveaux de vie les plus élevés de la
planète, selon le premier rapport régional sur le développement humain pour cette région publié
par le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) en 2010.

Ce rapport intitulé « Agir sur l'avenir : interrompre la transmission intergénérationnelle de


l'inégalité » fait remarquer en ces termes : Fortes et persistantes, ces inégalités constituent un
obstacle aux progrès en matière de développement humain ». Les auteurs de ce document
recommandent « des politiques publiques spécifiques, intégrales et efficaces » pour changer la
donne. Ils proposent en particulier de concevoir et de mettre en œuvre des mesures qui se
concentrent sur trois points essentiels. Les politiques publiques doivent d'une part atteindre ceux
qu'elles visent, et d’autre part, prendre en considération, l'ensemble des restrictions engendrées
par la pauvreté et l'inégalité, et enfin, faire en sorte que les gens se perçoivent comme étant les
acteurs de leur propre développement. Insidieusement les mécanismes de prise en charge et
l’assistanat sont critiqués.

Néanmoins, les progrès réalisés au Brésil avec le programme Bolsa Familia et celui de
l’Opportunidas au Mexique donnent à penser que la région s’achemine vers une réduction
substantielle de la pauvreté et des inégalités. En dépit des progrès récents, plus du quart de la
population d’Amérique latine et des Caraïbes vit dans la pauvreté. Les inégalités sociales et
économiques, la dégradation des écosystèmes côtiers, les maladies et les catastrophes naturelles
font aussi partie du lot de cette région. Il importe donc de faire le point sur deux aspects :
premièrement, resituer le pays dans son contexte régional puisque ce contexte influence
grandement les conditions de vie de l’Haïtien à travers la migration, et les transferts de fonds
associés à cette dynamique ; et deuxièmement, mettre en lumière sa singularité. Haïti appartient
à une région qui présente, au regard de la pauvreté et de la richesse, une hétérogénéité
importante. Le niveau de richesse créée n’est pas le même depuis près de quarante ans. Le taux
de croissance d’Haïti, souvent, prend l’allure opposée de ceux de ses voisins de la sous-région

109
(tableau suivant). Cette situation influence considérablement le niveau de prise en charge dans ce
pays à travers le système de protection nationale et toute la batterie des filets sociaux
expérimentés.

Tableau 12 .- Taux de croissance du PIB en Haiti et en Amérique Latine entre 1980 et 2013

Source: WEO (Base de données des Perspectives économiques), Fonds monétaire international, Washington, DC, Avril 2014,

Le G7 est là à travers les USA et le Canada, les Pays les Moins avancés y sont avec le Nicaragua,
Haïti et la Bolivie, et les Pays émergents sont présents avec le Brésil. A cela il faut ajouter
l’inclassable Cuba. Les contours de la pauvreté dans cette région s’établissent et s’analysent
selon trois angles de vue. Le premier est constitué par les Indicateurs de Pauvreté Humaine
(IPH), outil de mesure développé par le Programme des Nations Unies pour le Développement
(PNUD)57. Le deuxième angle de vue est lié à l’importance du nombre de personnes dans la
région qui vivent depuis les années 2000, avec moins de 2$ par jour (données de la Banque
Mondiale)58. Le troisième angle de vue passe par l’approche de la Commission économique pour
l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPAL) des Nations Unies qui prennent en compte le

57
L’indicateur de la pauvreté humaine pour les pays en développement (IPH) se concentre sur trois aspects
essentiels de la vie humaine qui sont déjà envisagés dans le cadre de l’IDH la longévité, l’instruction et les
conditions de vie, mais envisage ces aspects sous l’angle des manques. La première forme de manque se mesure
ainsi en termes de longévité c’est la probabilité de décéder à un âge relativement précoce. La deuxième, qui a trait
à l’instruction, consiste à se trouver exclu du monde de la lecture et de la communication. La troisième concerne
l’absence d’accès à des conditions de vie décentes, et s’attache en particulier à ce que procure l’économie dans
son ensemble.
58
Cet indicateur de la pauvreté est « le pourcentage de personnes vivant avec moins de 2 $ par jour» publié pour
la première fois en 1990 par la Banque Mondiale. Cet indicateur est unidimensionnel et présente l’évolution de la
pauvreté en terme purement économique, selon le revenu quotidien. Pour la Banque Mondiale, les seuils de 1$ et
de 2 $ constituent une « ligne internationale de la pauvreté » qui permet de comparer les situations nationales
entre elles.

110
pourcentage de la population en situation de pauvreté et le pourcentage de la population en
situation d’extrême pauvreté59

a- Un Indice de Pauvreté Humaine en constante amélioration dans les Amériques


(1990-2015)

Les mesures de l’IPH publiées périodiquement pour l’ensemble des Amériques, permettent de
constater qu’entre 1990 et 2015, la tendance générale de l’évolution de l’IPH, dans chacun des
pays, va dans le sens d’une amélioration de la situation, à l’exception du Belize, de Trinidad-et-
Tobago, de la Guyane. Dans la sous-région Amérique centrale, en dehors du Belize déjà cité, les
pays connaissent une nette progression de leur situation. En Amérique du sud la dynamique est
forte : l’IPH a diminué de façon importante au cours de la période pour le Pérou, le Paraguay et
l’Équateur. On notera aussi que la tendance est à l’amélioration en Haïti même si le pays dispose
d’un indice IPH s’élevant, encore aujourd’hui, au-delà des 40 %.

La généralisation de l’évolution à la baisse de l’indice IPH durant les années 1990 et 2000 fait de
la région un modèle de réussite capable de stimuler d’autres régions en difficulté comme
l’Afrique subsaharienne. Néanmoins un autre angle de vue invite à être moins triomphaliste. En
effet selon les données de la CEPAL, la moyenne régionale du pourcentage de personnes en
situation de pauvreté, c’est-à-dire dont le revenu est inférieur au double du coût du panier
alimentaire de base est encore aujourd’hui de plus de 44 % de la population (48.3 % en 1990). Et
dans le même temps la proportion de personnes se situant en situation « d’extrême pauvreté »,
dont les revenus sont inférieurs au coût d’un panier alimentaire de base et donc insuffisant pour
combler les besoins calorifiques des membres d’un ménage, s’établit à 19,4 % de la population,
soit près d’une personne sur cinq (22.5 % en 1990).

Il est à noter que la pauvreté est plus sévère en milieu rural car plus de 37,9 % de la population
gagnent un revenu insuffisant pour s’alimenter convenablement. La situation régionale est moins
reluisante au regard de l’indice strict du revenu quand on constate que le pourcentage de
59
La CEPAL publie périodiquement, dans son Statistical Yearbook for Latin America and the Caribbean, des
statistiques sur la situation de la pauvreté en Amérique latine. La CEPAL calcule deux indicateurs de pauvreté. Le «
pourcentage de personnes en situation de pauvreté » et le « pourcentage de personnes en situation d’indigence
(extrême pauvreté) ». Les estimations du pourcentage de personnes en situation de pauvreté et d’indigence sont
mesurées à partir des revenus (income method), basée sur le calcul préalable d’une « ligne de pauvreté » et d’une «
ligne d’indigence ». Les seuils de pauvreté, pour chaque pays et pour chaque zone géographique, sont calculés selon
le coût estimé d’un panier alimentaire – en prenant compte des habitudes alimentaires, de la disponibilité réelle des
produits et de leur prix », auquel s’ajoute une estimation des besoins non alimentaires.

111
personne vivant avec moins de 2 $ par jour est considérable dans un bon nombre de pays,
notamment au Nicaragua (80 % de la population), au Salvador (58 %), au Honduras (44.4 %), en
Équateur (40.8 %), mais aussi au Pérou (37.7 %), au Guatemala (37.4 %), en Bolivie (34.3 %),
au Venezuela (32 %) et au Paraguay (30.3 %).

La dynamique des indicateurs de pauvreté de la CEPAL vient donc tempérer l’idée de la


diminution constante de la pauvreté affichée dans la région. Au Chili, le taux de pauvreté s’est
réduit de moitié entre 1990 et 2003 passant de 38.6 à 18.8 % de la population, ce qui va dans le
même sens que l’évolution de l’IPH. Au Panama toutefois, le taux de pauvreté a évolué à la
baisse jusqu’en 2001, mais la situation s’est ensuite inversée. La proportion de personnes en
situation de pauvreté est remontée à 34 % en 2002. En République dominicaine, le taux de
pauvreté a, quant à lui, évolué dans le sens inverse que l’IPH, grimpant de 37.2 à 44.9 %. La
proportion de personnes en situation de pauvreté extrême, toujours selon les données de la
CEPAL, s’établit à 20,3 % en République Dominicaine (2002), à 17.4 % au Panama (2002) et à
4.7 % au Chili (2003). Enfin, 17.6 % de la population vit avec moins de 2 $ par jour au Panama.
Au Chili, c’est 9.6 % de la population qui se retrouve dans cette situation.

b- Une pauvreté accélératrice des flux migratoires dans le cadre du pull and push
régional

Trois facteurs fondamentaux vont animer les flux migratoires internes à la région. Le premier est
d’ordre politique. A la fin des années 2000, on voit émerger dans cette région des gouvernements
de « gauche ». Une majorité de gouvernements latino-américains – surtout sud-américains (les
12 pays qui constituent le cône sud) s’inscrit dans cette dynamique « progressiste ». Ils
partageaient des affinités tout à fait inédites parce qu’à la fois d’ordre idéologique et
économique. On distingue une ligne de convergence entre eux : la centralité de la question de la
dette sociale. Tous ces gouvernements sont nés sur les ruines du cycle précédent, celui de la
« décennie perdue », du néolibéralisme qui avait laissé toutes ces sociétés latino-américaines
disloquées, écrasées sous le poids du consensus de Washington60. Tous avaient en commun

60
Le « Consensus de Washington » est un accord tacite visant à conditionner les aides financières aux pays en
développement à des pratiques de bonne gouvernance telles que définies par le Fonds Monétaire International et la
Banque mondiale. Ces « bonnes pratiques », d’inspiration fortement néo-libérale, ont été formalisées en 1989 par
John Williamson. Elles visent notamment à la dérégulation de l'économie. Elles ont ensuite été vivement

112
l’urgente nécessité de payer la dette des États envers les populations. Tous les gouvernements
ont œuvré à cet objectif, avec des moyens, des types de politique différents.

On a pu voir se développer des programmes sociaux directement financés par l’État, par
exemple, sous forme de programmes d’allocations et d’interventions en matière de santé,
d’alimentation, d’éducation, d’infrastructures, etc., comme au Venezuela avec les misiones
bolivariennes. On a vu des « transferts monétaires conditionnés », le modèle emblématique, déjà
mentionné plus haut, étant la bolsa familia brésilienne qui a sorti 40 millions de Brésiliens de la
pauvreté. Dans ces programmes, les pouvoirs publics donnent à un individu (en général la mère
de famille) une allocation qui permet au ménage de sortir de la pauvreté et de s’insérer dans la
consommation nationale. En échange de cette allocation, les familles s’engagent sur un certain
nombre de principes, en particulier l’éducation et les questions sanitaires pour les enfants. C’est
donc une forme d’investissement sur la génération d’après. On tente de sortir la famille de sa
pauvreté concrète, au présent, et on essaie de mettre en place un investissement sur la nouvelle
génération, de sorte qu’elle puisse s’insérer avec un autre capital (la société, le marché du travail,
etc).

Le deuxième facteur est lié à la Coopération Sud-Sud dans le cadre de l’intégration régionale :
l’idée que le destin d’émancipation de chaque nation latino-américaine était lié à la capacité de
toutes à travailler dans une dynamique d’intégration et de coopération interétatiques. Il s’agit,
dans la région d’une autre tradition, intergouvernementale qui a permis d’aller vers des
approfondissements de coopérations économiques, commerciales, géopolitiques, en matière
d’infrastructures, d’échanges de savoir-faire, qui ne s’inscrivaient pas toujours, et même pas
souvent, dans des logiques de rentabilité marchande. La coopération médicale entre Cuba et
Haïti en est un témoignage éclairant. Par ce biais le système de santé haïtien reçoit des centaines
de médecins et des centaines de jeunes Haïtiens sont reçues dans l’école de médecine au pays de
Fidel Castro. Ce sont des coopérations politiques de très haut niveau où les pays vont s’impliquer
pour poursuivre conjointement des objectifs de développement « inclusif » à l’instar du

critiquées pour les conséquences dramatiques qu'elles ont pu avoir dans les pays ont ces politiques ont été
appliquées avec le plus de rigueur.

113
Consensus de Montevideo signé en 2013. Cette intégration régionale a engendré un certain
nombre de nouvelles institutions : l’Alliance bolivarienne pour les peuples de notre Amérique
(ALBA), en 2004, qui est en fait une réponse géopolitique à l’ALCA (Zone de libre-échange des
Amériques) promue à l’époque par les États-Unis. Ensuite l’Union des nations sud-américaines
(UNASUR) qui est le premier forum politique sous-continental, un mécanisme de dialogue
politique à l’échelle sud-américaine, sans les États-Unis. A cela il faut ajouter la Communauté
des États latino-américains et caribéens (CELAC) qui, en 2011 s’inscrit dans la même logique au
niveau continental.

Le troisième facteur est tributaire des chocs économiques et environnementaux qui ont touché la
région. En effet pendant plus d’une dizaine d’années les gouvernements de gauche ont bénéficié
d’une vraie embellie économique. Cette dernière était alimentée en partie par la demande
chinoise. Et en dépit des effets de la crise de 2008, l’économie latino-américaine dans son
ensemble a connu une croissance soutenue et a pu, en particulier pour les pays exportateurs de
pétrole, de gaz et de minerais stratégiques, disposer d’importantes ressources dont les
gouvernements de gauche ont pu se servir pour financer des programmes sociaux (Equateur,
Brésil ) et des infrastructures publiques. Depuis quelques temps la donne a sensiblement évolué
en tenant compte du nouveau contexte économique international beaucoup moins favorable que
par le passé et qui, à travers la chute brutale des cours du pétrole et des matières premières, a
handicapé la plupart des économies latino-américaines, les entraînant dans des cycles récessifs,
avec leur lot de conséquences néfastes : remontée du chômage, de l’endettement, de l’inflation,
des taux de pauvreté, etc. L’une des réponses à ces chocs sociaux va être la sensibilité aux
déplacements des populations les plus touchées. Dans ce cadre, le séisme du 12 janvier 2010
survenu en Haïti, devient aussi un accélérateur des flux migratoires dans la région qui se
solidarise avec le pays sinistré.

La situation régionale en matière de pauvreté va déterminer en partie la géographie des flux


migratoires haïtiens. Les pays qui affichent les meilleurs scores en matière de création de
richesse vont être la destination finale ou de transit de plusieurs milliers d’Haïtiens en quête d’un
mieux-être. En effet depuis le tremblement de terre de 2010 les migrants haïtiens s’orientent vers

114
de nouvelles terres d’accueil que sont le Brésil61, le Chili et l’Equateur. La trajectoire de cette
nouvelle vague de migration est très surprenante. Elle conduit le migrant à Santo Domingo en
République Dominicaine d’où il part pour le Panama, l’Equateur, le Chili et l’Argentine. Et dans
chacun de ces pays s’installe une petite communauté haïtienne. Certains des pays cités ne sont
que des lieux de transit. Les passeurs utilisent aussi les facilités administratives pour opérer.
C’est le cas du Pérou où une disposition émise en juin 2008, par le président de l’Equateur, M.
Rafael Correra, permet à tout voyageur de n’importe quelle nationalité d’entrer dans le pays et
d’y rester jusqu’à 90 jours. De l’Equateur, le Pérou offre un accès terrestre plus facile au Brésil.
C’est ce qui explique la présence remarquée des migrants Haïtiens au Pérou. Le migrant n’est
plus perçu comme un délinquant il est devenu socialement acceptable (photo suivante).

Photo 4.- Fresque murale dénonçant le rejet des migrants à Tonatico (Mexique)

Crédit photo : AFP. L’artiste mexicain Luis Sotelo a réalisé une fresque murale à Tonatico, dans l’État de Mexico,
pour protester contre le projet du candidat D. Trump d’élever un nouveau mur entre le Mexique et les États-Unis.

61
Selon les chiffres du Conseil National de Migration brésilien, on comptait au Brésil 200 ressortissants haïtiens en
2010, 4.000 en 2011, 20.000 en 2013 et 50.000 en 2014.

115
La situation économique hétérogène qui prévaut dans la région fait jouer pleinement la relation
d’attractivité/ répulsion entre les espaces nationaux. Les Cubains, les Vénézuéliens et les
Haïtiens sont les plus nombreux à partir du fait du « push » de leurs territoires (quoique
différents) et du « pull » du Brésil, des Bahamas, des Iles Vierges et du Chili qui attirent en
raison de leur bonne santé économique. Cependant l’Amérique Latine et la Caraïbe demeurent
une région émettrice nette en matière d’immigration. Les Jamaïcains, les Portoricains, les Saint-
Luciens, les Guatémaltèques aussi bien que les Mexicains quittent en masse leurs pays à la
recherche d’un meilleur avenir économique et social.

Conclusion

La pauvreté dans la région Caraïbe et Amérique Latine demeure préoccupante. Des efforts
considérables sont consentis dans la prise en charge par les États. Entre 1990 et 2014 l’Indice de
Pauvreté Humaine (IPH) a connu une constante amélioration dans la région. Et certains
programmes nationaux de prise en charge sociale sont désormais cités comme modèle de
réussite. L’Opportunidas au Mexique et le Bolsa familia au Brésil sont applaudis par la
communauté internationale pour leur efficacité éprouvée. Néanmoins les inégalités sociales et
économiques qui caractérisent la région amplifient la tâche à accomplir et surtout relativisent les
progrès en matière de réduction de la pauvreté parce qu’ils restent réversibles. En 2015 près de
3 millions de Latino-Américains et Caribéens sont retombés dans la pauvreté selon les données
publiées en 2016 par le Programme des Nations-Unies pour le Développement (PNUD). Un tiers
d’entre eux, soit 20 millions, pourraient retomber dans la pauvreté dans les prochaines années a
averti l’organisme onusien. Après les espoirs suscités par une décennie de croissance et de
mobilité sociale, c'est toute une région qui risque d'être à nouveau saisie par les vieux démons de
la pauvreté et des inégalités. La crise économique générée par la baisse du marché des matières
premières a mis à nu les insuffisances dans la gouvernance des États : l’embellie économique n'a
pas été suffisamment mise à profit, la manne pétrolière a même été dilapidée dans certains pays
et le progrès social n'a pas été consolidé. Les conséquences sont sévères pour les populations:
une bonne partie de la « nouvelle classe moyenne ", qui avait émergé lors des années fastes, est
demeurée vulnérable. La crise a eu des effets violents sur le marché du travail (le chômage a
augmenté de 42 % en un an au Brésil, par exemple) et la main-d’œuvre la moins qualifiée a été la
plus touchée. Les gouvernements de la région ont également dû resserrer les cordons de la bourse

116
en raison des contraintes budgétaires. Et les inégalités vont s’amplifier au détriment des
minorités et des populations les plus modestes. Cette situation crée les conditions favorables à la
migration. La pauvreté et la « richesse » qui se côtoient jouent pleinement l’effet du « Pull et du
Push » dans la région d’Amérique Latine et des Caraïbes. De ce fait, il se forme trois groupes :
les pays de départ (Cuba, Haïti et la Jamaïque), les pays d’arrivée (Bahamas, Iles Vierges, Chili)
et les pays de transit (Equateur, Pérou, Brésil et Mexique). Les catastrophes naturelles ont
grandement accéléré cette dynamique migratoire liée à la pauvreté dans le cas d’Haïti après le
séisme de 2010.

3- Les particularités haïtiennes au regard la pauvreté

La pauvreté ne prend pas les mêmes formes partout. Elle prend, sans doute, la forme du milieu
dans lequel elle sévit. Les contours de ce phénomène se diffèrent de la Scandinavie à l’Afrique
subsaharienne en passant par l’Amérique Latine et la Caraïbe. Il convient ici de mettre en
lumière comment la pauvreté est perçue en Haïti, les difficultés de sa mise en évidence et les
outils de sa prise en charge. En 2012 Haïti comptait près de 9 millions de pauvres selon
l’ECVMAS. Ce chiffre ne tient plus aujourd’hui, car le seuil de pauvreté fixé à 82 gourdes
équivaut maintenant à 114 gourdes. Le panier de la ménagère ne peut point être rempli avec le
seuil de 2012. De plus en plus de personnes sont donc concernées par la pauvreté avec une nette
accélération dans le sillage de la dépréciation historique de la monnaie nationale. Le petit recul
de la pauvreté constaté entre 2001 et 2012 n’était pas irréversible. La non-recapitalisation des
ménages après le séisme, la faiblesse de la croissance économique nationale et les effets pervers
du cyclone Matthew en 2016 ont renversé la dynamique de la baisse de la pauvreté dans le pays.
Bien entendu, il y a une composante non-négligeable, celle de la démographie, qu’il ne faut pas
occulter. Car la population haïtienne a augmenté de 2,5% en rythme annuel durant cette période.

Une question importante se pose: qui sont les pauvres en Haïti? Les jeunes sont évidemment les
plus touchés car ils sont la composante fondamentale de l’architecture démographique nationale.
Les moins de 30 ans représentent plus de 60% des pauvres alors que leur poids dans la
population totale est de 78%. Pour une partie des plus jeunes (les enfants), leur pauvreté est celle
de leurs parents. Ce qui renvoie mécaniquement à une deuxième caractéristique: la pauvreté se
vit en famille. Selon les données de l’ONPES (2014) par l’intermédiaire de l’ECVMAS, trois-

117
quarts des pauvres vivent en famille avec ou sans enfants. Mais les disparités sont fortes au sein
de cette catégorie: le taux de pauvreté baisse chez les couples avec un enfant, augmente pour les
familles monoparentales et se multiplie par trois pour la famille nombreuse (ONPES, 2013).

La pauvreté des lieux est l’aspect fondamental pris en observation. Une fracture très nette
apparait entre la Région Métropolitaine de Port-au-Prince (RMP) et le reste du pays. Il s’agit de
la région la mieux équipée en infrastructures économiques, de transport et de communication, en
énergie électrique, de production et d’équipements collectifs. Le milieu urbain reste mieux loti
que le rural. Et en milieu urbain les quartiers précaires jouent les poches de pauvreté urbaine.
Néanmoins la concentration de la pauvreté sur les littoraux semble être un phénomène majeur
quoique ignoré ou absent des débats nationaux sur l’organisation du territoire. Une partie de la
façade atlantique et la façade sud du golfe de la Gonâve concentrent les poches de pauvreté les
plus sévères du pays. La réalité du phénomène de pauvreté en Haïti est donc complexe et
particulière.

a- Pauvreté : une notion très peu acceptée (pòv ou malere)

L’une des premières particularités du pays en matière de pauvreté demeure sa massivité.


Ailleurs, dans les pays nantis, la pauvreté concerne une minorité, Cette dernière peut être
gommée et noyée sous les éclats de l’opulence et de l’abondance. Par contre en Haïti c’est la
majorité qui subit les affres de ce phénomène qui s’étale partout. Elle est visible, elle saute aux
yeux. Elle provoque et scandalise certaine fois. Néanmoins il existe dans la société haïtienne une
barrière considérable à surmonter celle de demander à quelqu’un de se faire accepter comme
pauvre. En effet le haïtien se dit “malere” (pas très heureux) et refuse le qualificatif de pauvre.
Le vocable pauvre (pòv) est assimilé à l’indigence. Dans la sociologie haïtienne une personne
indigente est celle qui est dépourvue de tout. Elle est incapable d’assurer aucun de ses besoins
vitaux. Elle vit grâce à l’aumône des autres. Elle recycle les déchets de consommation des autres.
Sa nourriture et ses vêtements viennent des poubelles qui constituent son monde. Sa propension
à aller fouiller et surtout s’approvisionner dans les rébus et les déchets lui vaut le surnom de
“Kokorat”. Ce dernier en Haïti est une personne extrêmement pauvre qui passe sa journée à
fouiller les poubelles de la ville en quête de nourriture ou de biens recyclables. Dans la région
métropolitaine de Port-au-Prince leur nombre est estimé à 35 000. Les enfants sont majoritaires

118
mais toutes les catégories démographiques y sont (Femmes, hommes et vieux). Cette catégorie
est assimilable aux chiffonniers du Caire. Etre pauvre est assimilé à un individu qui perd toute sa
dignité et tout son honneur. Or, perdre tout cela prive la personne en question de l’essentiel de sa
vie sociale. Dans ce corsetage mental le Haïtien ne se perçoit pas comme pauvre et se sent gêné
d’être traité comme tel. Les conséquences sont majeures sur deux volets. Le premier volet reste
la fiabilité des données statistiques. En effet, les questionnaires d’enquêtes intégrants les items
sur la pauvreté ont du mal à trouver la donnée fiable: très peu de gens admet leur pauvreté. Et
lorsqu’on remplace le mot pauvreté par l’équivalent haïtien de “malere” tout le monde se dit
malere. Une façon de ne pas avouer son patrimoine ou tout simplement de se mettre en situation
pour être la cible des programmes de transferts sociaux. Le second volet est l’affaiblissement du
ciblage dans le cadre de la prise en charge sociale par les pouvoirs publics: certaines personnes,
qualifiées parce que démunies se retrouvent en dehors des programmes parce qu’elles refusent de
se considérer comme pauvre. Ce qui a pour effet de rendre plus difficile la lutte contre la
pauvreté amorcée systématiquement par l’État haïtien depuis les années 2000.

b- Des outils de lutte contre la pauvreté consacrant la primauté du territoire

Les outils de lutte contre la pauvreté utilisés par l’État haïtien organisent le parti pris théorique
qui motive ce travail sur le phénomène de pauvreté dans le pays. En effet, au-delà de la prise en
charge du pauvre, ce qui intéresse les pouvoirs publics haïtiens c’est réduire drastiquement la
pauvreté du territoire. Les poches de pauvreté sont la cible des investissements publics et non
publics. Ce qui est concerné au premier chef, par cette démarche, c’est la géographie de la
pauvreté. Il s’agit donc de l’inscription spatiale de la pauvreté à travers le sous-équipement, la
desserte, l’enclavement et la non-fonctionnalité. A cet effet, il importe de préciser les contours de
la pauvreté qui nous préoccupe. Notre postulat se décline comme suit: la pauvreté du lieu étudié
se définit par rapport à la nature et à la qualité des infrastructures dont il dispose et ses relations
avec la production dans un contexte national de pauvreté généralisée.

Le premier outil voit le jour en 2004. Il s’agit de la carte de pauvreté du pays. L’avant-propos du
document stipule que “Dans le contexte national haïtien, la carte de pauvreté s’harmonise avec
l’option centrale de l’État axée sur la lutte contre la pauvreté, avec un accent sur la
décentralisation des services sociaux de base dans les communautés locales. L’intérêt croissant

119
des autorités nationales et des bailleurs de fonds pour la déconcentration administrative et le
renforcement des collectivités locales, explique la nécessité de développer les capacités de
description générale de la pauvreté, en tenant compte de tous les facteurs pertinents”. L’option
est claire l’individu n’est pas la cible directe de la réponse des pouvoirs publics à la pauvreté. Ce
qui est en marche est tout simplement la dotation des territoires en SSB. Les équipements
collectifs sont donc le cœur de la dynamique de lutte contre la pauvreté.
Cet outil est le résultat de 4 années de discussions62 durant lesquelles deux cartes de pauvreté ont
été produites, d’abord, en 2000 une première version (préliminaire) et en 2002 une version
intérimaire. La Carte de Pauvreté de 2004 vise à fournir des informations permettant d’avoir une
vue de la distribution spatiale de la pauvreté en mettant en exergue les communes les plus
directement concernées par un accès déficient aux services sociaux de base. Elle se veut donc
être un outil stratégique d’aide à la prise de décision en matière de planification et
d’aménagement régional. Cet outil cartographique, basé principalement sur la commune comme
unité territoriale communale, fournit des éléments permettant de réaliser:
§ Un diagnostic rapide sur le bien-fondé d’un projet, notamment en matière de services
sociaux de base;
§ Une allocation efficiente des ressources à consacrer aux actions et programmes de
développement local ;
§ Une orientation dans la programmation des secteurs en matière d’équipements et de
service de base à offrir à la population ;
§ La mise en œuvre de politiques et de programmes efficaces pour les actions entrant dans
le cadre de la gestion décentralisée et d'une stratégie de lutte contre la pauvreté.
L’option qui privilégie le territoire au lieu de l’individu dans les questions de pauvreté est bien
posée. Elle est mentionnée sans ambages “L’une des finalités majeures d’un tel exercice serait
d’assurer la crédibilité et la transparence dans la distribution des ressources ou programmes
destinés à redresser la situation des plus défavorisés en termes d’accès aux services de base”.
(Carte de pauvreté, MPCE, 2004). L’équipement collectif est donc l’outil choisi.
62
La version 2004 de la Carte de Pauvreté d’Haïti a été réalisée avec l’appui financier de la Banque Inter-
Américaine de Développement (BID). Au niveau technique, la coordination de l’étude a été assurée par l’Unité de
Télédétection et de Systèmes d’Information Géographique (UTSIG) du Ministère de la Planification et de la
Coopération Externe (MPCE) avec la contribution de plusieurs consultants nationaux.

120
La méthode choisie par le Ministère de la Planification et de la Coopération Externe (MPCE) est
celle des Besoins Fondamentaux Insatisfaits (BFI). Elle se concentre sur la disponibilité de
ressources capitales publiques et privées au niveau du ménage territorialisé (conditions de
logement, services en réseau, points de service). La liste des variables spécifiques peut inclure:
accès à l’éducation, accès à l’eau potable, accès à l’assainissement, accès aux soins primaires de
santé, conditions de logement (surpopulation, qualité de la construction), accès à l’électricité, etc.
Le MPCE a jugé opportun de réaliser cette « carte de pauvreté » dans le cadre de l’élaboration
des stratégies de réduction de la pauvreté (DSNCRP63), car les représentations cartographiques
permettent d’avoir une vue spatialisée de l’expansion et de l’intensité du problème et donc de
mieux appréhender la pauvreté en facilitant l’accès rapide et l’analyse efficace des données à
référence spatiale.
De façon générale et en fonction de son contenu, une cartographie de la pauvreté doit notamment
aider à: Identifier les populations les plus pauvres afin de fixer des objectifs viables de réduction
durable de la pauvreté; Fournir des informations sur l’accès aux services sociaux de base au
niveau de l’unité géographique considérée; Constituer une base de données de référence pour le
suivi et l’évaluation de la pauvreté; Accéder à une information fiable, pertinente et à jour en vue
de la prise de décision en matière de planification et de mise en œuvre d’actions visant à réduire
la pauvreté et à mieux allouer les ressources. Ainsi, pour répondre notamment aux objectifs de
justice sociale qui tiennent compte d’une répartition spatiale équilibrée, la carte de pauvreté est
utilisée au niveau du diagnostic, de la prise de décision et du suivi afin de mieux orienter les
investissements dans la fourniture de services de base au niveau local. Ces démarches entrent
dans une logique de décentralisation de services sociaux de base et d'aménagement du
territoire64.
Cette carte prend la commune comme unité territoriale d’analyse. Le MPCE justifie son choix
par les raisons suivantes: La commune est une unité administrative qui dispose
constitutionnellement d’une autonomie financière. Ainsi, contrairement aux deux autres
collectivités territoriales que sont la section communale et le département, la commune a le droit
63
Le Document de Stratégie Nationale pour la Croissance et la Réduction de la Pauvreté (DSNCRP) va être élaboré
en 2008, quatre ans après la Carte de Pauvreté. Il est l’aboutissement des discussions entamées avec toutes les
parties prenantes du développement national (volet participatif). Deux versions préliminaires ont été proposées dans
le sillage du Cadre de Coopération Intérimaire (CCI)
64
La même option a été adoptée avec plus ou moins de succès dans plusieurs pays en voie de développement tels
Pérou, Panama, Honduras, Bolivie, Venezuela, sans oublier certains pays d’Afrique comme la Mauritanie, le
Cameroun, le Niger et le Sénégal.

121
de percevoir des recettes propres, de recevoir des subventions de l’État ainsi que d’autres fonds,
ce qui aiderait significativement dans le cadre d’une politique d’affectation et d’allocation de
ressources ; Elle intègre une composante urbaine (la ville, chef-lieu) et des composantes rurales
en plus forte proportion, organisées en sections communales comme subdivisions territoriales de
base;
§ L’analyse par commune favorise une vue de la couverture en services sociaux de base
plus adaptée à l’état d’avancement de la réalité nationale des politiques de distribution
des services sociaux de base qui sont souvent concentrées au niveau des villes. Ces
dernières jouent généralement le rôle de «centres d’accès» aux services collectifs de base
dont certains sont localisés au niveau des chefs-lieux d’arrondissement et d’autres au
niveau des chefs-lieux départementaux;
§ Un focus spécial est fait sur les bidonvilles qui sont des poches de pauvreté dans les
grandes villes haïtiennes.
Les principales conclusions de la carte de la pauvreté sont les suivantes :

i/ Haïti est un pays pauvre avec des poches d’extrême pauvreté : 77% des communes ont un
déficit préoccupant en services de base ; d’où « l’évidence non seulement d’une importante
misère de masse mais également et surtout d’une pauvreté structurelle » ;

ii/ l’accès aux différents services sociaux de base n’est pas uniforme au sein des départements et
les départements les plus défavorisés sont ceux qui ont un relief montagneux alors que ceux qui
sont les mieux dotés sont généralement des zones de plaines et aussi les chefs-lieux et villes
principales ;

iii/ certaines communes accusent des handicaps liés à la pauvreté urbaine souvent liée à
l’insuffisance et la mauvaise qualité des infrastructures de base face aux mouvements migratoires
; iv/ les disparités de revenus entre les milieux de résidence et entre les départements
géographiques sont importantes et la faiblesse relative des revenus en milieu rural par rapport
aux milieux urbains peut s’expliquer par le fait que l’absence d’infrastructures et de services
publics dans le milieu rural entraîne une réduction des rendements des capitaux physiques et
humains ;

122
v/ les sources les plus importantes de revenus des ménages sont le revenu du travail
indépendant, le revenu de transfert, le revenu du travail salarié avec la part des revenus de
transfert plus élevée en milieu urbain

La démarche permet de disposer d’un outil utile à la prise de décision en matière de planification
du développement du pays en ce qui concerne principalement l’accès aux services sociaux de
base. Elle est construite pour favoriser une distribution plus équitable desdits services aux
communes et départements les plus nécessiteux. Il est clair que la cible est le territoire donc le
milieu de vie et de production est prioritaire. Néanmoins la Carte de pauvreté à l’échelle de la
commune a le désavantage de masquer les disparités spatiales à l’intérieur d’une commune en
termes d’accès aux services sociaux de base. L’Observatoire National de la Pauvreté et de
l’Exclusion Sociale (ONPES) pour répondre à ce défi entame depuis 2015 pour le compte du
MPCE l’élaboration d’une nouvelle carte de pauvreté axée sur la section communale comme
base territoriale.

La nouvelle carte s’intitule “Carte de Pauvreté et de Potentialités d’Haïti (CPPH). Elle a


l’ambition de fournir un document diagnostic sur l’ensemble des infrastructures de base, en
prenant en compte leur effectivité, leur accessibilité aux populations, et surtout leur
fonctionnalité. Elle permet de disposer d’un ensemble de données sur les sections communales
susceptibles d'alimenter les travaux de programmation des secteurs en matière d’équipements et
de services sociaux de base. L’État haïtien aura une vue actualisée de la distribution spatiale de
la pauvreté en terme d'accès aux services de base. Cette carte facilitera la prise de décision dans
la lutte contre la pauvreté et les disparités spatiales. Elle permet aussi de disposer d’un ensemble
de données sur les potentialités au niveau des sections communales. Les aspects considérés sont
la dotation en services de base au niveau de la section communale (existence physique de
l’infrastructure), l’accessibilité (coûts et distance) et la fonctionnalité pour les services (au regard
du plateau de service). La CPPH innove en intégrant deux aspects nouveaux: les potentialités et
les vulnérabilités du lieu de vie et de production qu’est la section communale. Le second outil
demeure la commune-phare. En 2009, l’Observatoire National de la Pauvreté et de l’Exclusion Sociale
(ONPES) chargé d’assurer le suivi d’impacts des investissements liés au Document de Stratégie Nationale
de Croissance et de Réduction de la Pauvreté élabore deux outils nommés Commune-Phare et Projet-
phare. L’expression Commune Phare traduit pour une commune la situation particulière dans laquelle
évolue sa population par rapport aux programmes et projets inscrits dans la dynamique nationale de

123
développement. Dans ce contexte, cette commune devient une référence pour l’ensemble de sa région,
d’une part, et pour l’ensemble du pays d’autre part. La commune phare se transforme, par là même, en un
point de repère qui peut mettre en lumière l’évolution des conditions de vie des populations dans cet
espace spécifique qu’est la commune. Elle renseigne sur la qualité et le niveau des impacts possibles des
projets et des actions réalisés dans le cadre de politiques publiques de développement ou de politique de
réduction de la pauvreté. Cette démarche permet d’avoir une idée juste (à partir de comparaisons) sur
l’impact réel des investissements, en termes de changements sur le niveau de vie, dans cette entité spatiale
qu’est la commune. Cette information servira de modèle ou plutôt de guide pour intervenir dans d’autres
régions ou d’autres communes du pays.

Cet outil prend en compte les performances d’une commune dans la carte de pauvreté (2004) au
regard de son niveau d’accès au SSB (Services Sociaux de Base) et de sa place dans le
classement régional (départemental) et national. Toutefois la définition d’une Commune Phare
s’établit à partir de deux critères fondamentaux: le gradient de population (les bénéficiaires) et la
concentration de projets ou d’actions en cours de réalisation. La concentration de population est
un élément important dans la mesure où elle facilite la présence de toutes les composantes
sociales (pauvres, riches, urbains, ruraux, marginaux et exclus). Si le gradient de population est
trop faible dans une commune elle ne peut pas être une référence. La concentration des projets
est une approche systémique et intersectorielle. Elle permet de regarder au-delà des résultats
directs d’un projet dans un secteur particulier pour embrasser un éventail d’impacts sur les
moyens d’existence des bénéficiaires. Car seule la synergie dégagée entre plusieurs projets est
susceptible de générer des changements conséquents sur les conditions d’existence des habitants.

La Commune Phare permet d’expliquer, sur la base d’une unité spatiale simple (la commune) la
portée des projets sur le cadre et le niveau de vie d’une population donnée. Elle rend intelligible
les résultats et permet de mieux conduire les programmes et projets de développement sur
l’ensemble du territoire. Par ce concept l’ONPES permet aux pouvoirs publics haïtiens de passer
de l’échelle spatiale communale à l’échelle territoriale nationale. On voit bien le positionnement
de l’État haïtien par rapport à la lutte contre la pauvreté: investir dans les territoires autrement dit
dans le milieu de vie et de production pour changer les conditions de vie. Il est donc aisé de tirer
la conclusion que dans cette dynamique de prise en charge de la pauvreté par l’État haïtien,
l’individu n’est pas la cible première et directe mais plutôt le collectif.

124
La commune-phare a un pendant: le Projet Phare. Il traduit, pour un projet, sa cohérence avec la
stratégie et l’orientation des politiques publiques de développement humain dans un espace
donné. Les retombées de ce projet sont susceptibles de mener les bénéficiaires vers l’atteinte ou
l’accomplissement des performances quantitatives et qualitatives en matière d’accès aux services
sociaux de base (SSB). Il doit, à côté, des SSB permettre aussi un alignement aux objectifs des
OMD et ceux aussi du DSNCRP. Le projet phare devient une référence pour sa région, d’une
part, ou pour l’ensemble du pays d’autre part. Cette démarche permet d’avoir une idée juste (à
partir de comparaisons) sur le poids réel des investissements, en termes de changements sur le
niveau de vie, dans des communautés spécifiques ou sur l’ensemble du pays. Le bilan (impacts)
d’un Projet Phare au regard de ses résultats serviront de modèle ou plutôt de guide pour
intervenir dans d’autres régions.

Le Projet Phare permet au Programme d’Investissements Publics (PIP)65 d’avoir un sens car trop
souvent il n’arrive pas à prendre en compte les dimensions socio-économiques telles le
développement social et humain. L’ensemble des projets phares est donc le substrat sur lequel le
PIP doit s’asseoir pour lutter efficacement contre la pauvreté et l’exclusion sociale d’une part, et
garantir le cadre d’investissements efficaces et productifs pour asseoir les bases nécessaires à la
croissance d’autre part. Les critères majeurs qui conditionnent le Projet Phare sont les suivants:
Etre porteur d’opportunités susceptibles d’avoir des impacts positifs sur l’atteinte du
développement humain- Etre capable de créer les conditions d’une généralisation de l’accès aux
Services Sociaux de Base (SSB)- Ce projet doit être en mesure de favoriser l’atteinte des
résultats des objectifs Nationaux. Le tableau suivant renseigne sur les résultats escomptés et les
engagements pris par les pouvoirs publics.

65
Le Programme d’Investissement Publics (PIP) est l’ensemble des investissements programmés dans le budget
pour un exercice fiscal en Haïti. Les projets sont sériés par couches sectorielles. Néanmoins, très souvent ces
projets ne sont pas financés parce que les ressources financières qui leurs étaient destinées ont servi à financer
une kyrielle d’autres projets inconséquents introduits par la pression des mains politiques et intéressées alors
qu’ils n’auront aucun impact sur les conditions de vie de la population haïtienne.

125
Tableau 13.- Les objectifs nationaux dans la période 2008-2015
Objectifs quantitatifs [2008-2015] Domaines associés
Diminuer de 50% les revenus inférieurs à 40 gourdes par jour Revenu
Diminuer de 50% les personnes qui n’ont pas accès à l’eau
Eau et Assainissement
potable et à l’assainissement
Faire baisser de 75 % la mortalité infantile Santé Infantile

Faire baisser de 75 % la mortalité maternelle Santé Maternelle

Faire accéder 100% des citoyens à l’existence juridique et légale Gouvernance

Doter d’une école primaire 100% des sections communales Education de base

Diminuer de 50% les citoyens qui souffrent de la faim Sécurité alimentaire

Désenclaver à 100% les petites et moyennes localités Infrastructures

Déploiement de la PNH sur 100% du pays Décentralisation/Gouvernance

Faire baisser l’ISF à 2.9 Démographie

Atteindre 3.7 d’indice de perception de la corruption (IPC) Gouvernance

Restaurer 100% des bassins versants Environnement

Augmenter le taux d’alphabétisation [de 58 à 77 %] Alphabétisation

Atteindre une intégration féminine minimale de 30% Genre

Accès généralisé au système juridique [100 %] Gouvernance/Décentralisation

Atteindre [à 100 %] une agriculture moderne et durable Agriculture

Source : MPCE/DSNCRP, 2010

Il existe une certaine complémentarité entre la commune Phare et le projet Phare. Le schéma ci-
après décrit cette proximité qui s’établit sur l’angle de l’efficacité. Cette dernière se décline en
efficacité des ressources et de résultats. En termes de géo spatialité le projet-phare est orienté
vers deux destinations. La première est celle d’une commune qui se retrouve dans la catégorie la
plus déficitaire dans le classement national des communes tiré de la carte de pauvreté de 2004.
La deuxième destination du projet-phare doit être les espaces urbains marginalisés: les

126
bidonvilles. Ces derniers forment l’autre poche de pauvreté du pays. Le projet phare: une
stratégie locale de développement .La mise en chantier du projet phare suppose que les acteurs
locaux, représentatifs de l’unité spatiale en question (Commune ou Section communale), aient
mené une analyse partagée des objectifs de développement à atteindre sur leur territoire sur la
base d’une analyse des contraintes et des forces de ce milieu. Cette analyse préalable permet
d’identifier des enjeux et de définir une stratégie. Cette stratégie est locale et intégrée dans la
mesure où elle s’adresse à un territoire de petite taille et tient compte des préoccupations croisées
d’un ensemble d’acteurs du territoire (entrepreneurs, associatifs, et entités publiques etc.) issus
de différents secteurs d’activités

Les Projets et Communes Phares sont un levier d’attractivité. Ils permettent à un espace
communal ou un quartier d’accéder à un niveau supérieur de SSB. Cet accès ne peut se mesurer
et apprécier comme tel que sur la durabilité. Le progrès constaté ne doit pas être passager,
autrement dit il doit être irréversible donc cumulatif, le retour en arrière doit être évité. La
meilleure façon d’assurer la durabilité des progrès dans les SSB est de créer les conditions
nécessaires pour que l’espace en question soit un territoire viable. La viabilité de ce dernier ne
peut venir que de son attractivité. On doit avoir une évaluation de ses points forts et de ses points
faibles susceptibles d’attirer les individus, les initiatives, les entreprises etc. Sans attractivité le
territoire ou l’espace bénéficiaire reste fragile. Les projets associés sont peut-être la passerelle
qui permet d’arriver au partenariat public/privé. L’attractivité économique d’un espace donné
peut se définir comme étant sa capacité à retenir et à attirer les composantes majeures de la
croissance économique et sociale (emplois, habitants, services, initiatives) créant ainsi un
véritable bassin de vie. Cependant cette attraction résulte de la conjonction d’un certain nombre
de facteurs qu’ils soient démographiques, infrastructurels, de politiques économiques et
environnementaux. Pour attirer les acteurs et les facteurs économiques nécessaires à la création
de richesses dans un milieu il faut créer des conditions qu’on ne trouve pas ailleurs: offre
foncière et immobilière, défiscalisation, marché/débouché, Coût de production allégé, Excellence
de l’environnement administratif etc. Aujourd’hui l’espace rural haïtien en est pleine
désertification66, il se vide de son substrat : les sols sont en train de devenir stériles, la couverture
végétale est en situation de stress, les forces productives sont vieillies et ne se renouvellent plus

66
Ce qui est noté ici traduit la situation de l’intérieur du pays. L’érosion des sols liés en partie à la déforestation et
à des pratiques agricoles sur les fortes pentes conduisent à des phénomènes de désertification

127
car les jeunes partent massivement vers les lumières et les klaxons de la ville (Bright light city).
Ceux qui y restent n’attendent plus rien sinon la mort. Ils sont démotivés, découragés et vivent
sous l’emprise du fatalisme et de la résignation. C’est de « l’apathie » dans le sens du modèle
exit-voice and loyalty d’Albert Otto Hirschman67.
Les pauvres ruraux (des champs) sont fondamentalement dans le « loyalty », ils sont les moins
revendicatifs depuis la chute de la dictature des Duvalier. Les jeunes ruraux cependant n’hésitent
pas à recourir à l’« exit » par le biais de l’exode rural et de la migration. Cet « exit » concerne
aussi les pauvres des Iles adjacentes et ceux des frontières qui migrent plus facilement. Seuls les
pauvres des villes tentent de modifier l’état de fait (Voice). Les émeutes urbaines de 2008 et
celles de juillet 201868 témoignent de la volonté des pauvres des villes de manifester leur colère
contre la rigueur économique (austérité et inflation) qui se traduit dans leur quotidien par la
cherté de la vie et surtout l’accès entravé aux biens de consommation primaires. Les bidonvilles
comme Cité Soleil (nord de Port-au-Prince), Cité L’éternel et Martissant (sud de la Capitale)
expriment leurs revendications généralement de façon violente. Evidemment cette forme de
« voice » est dénaturée car son leadership est souvent assuré par des gangs de rue et du grand
banditisme. Néanmoins, dans ces quartiers, au gré du contexte politique, on transite du
« loyalty » au « voice » en passant par l’« exit », autrement dit , dans le cas d’Haïti, l’approche
théorique d'Hirschman s’applique encore et permet toutes les hybridations possibles entre les
différentes catégorisations (Michel Desse, Jean-Philippe Pierre et Georges Eddy Lucien, 2012).
Le chapitre suivant éclairera la discussion par l’intermédiaire de l’inscription spatiale des
pauvres.

67
En 1970, dans “Exit, Voice and Loyalty”, du Cambridge Harvard University Press, Hirschman, A expose la
relation suivante : Face à une injustice, à la dégradation d’une prestation d’un service public ou à un produit de
marché insatisfaisant, les individus et/ou les groupes peuvent en effet adopter trois stratégies : rester fidèle envers et
contre tout (loyalty) ; abandonner la relation et changer de fournisseur et/ou de lieu de vie, d’engagement… (exit) ;
ou la prise de parole (voice), tentative qui vise à modifier l’état de fait, par action individuelle ou collective adressée
à l’entreprise, à l’association ou au service public.
68
Du vendredi 6 au samedi 7 juillet 2018, la capitale haïtienne, Port-au-Prince, a subi des scènes de pillage et
d’incendie inouïes. Des barricades enflammées sont érigées dans toutes les rues. Des centaines d’entreprises ont été
pillées et incendiées. Il s’agissait d’une réaction de mécontentement populaire orchestrée contre la hausse du prix du
carburant annoncé par le Gouvernement. Cette hausse de 85 gourdes (1,11 euro) de plus sur la gazoline et de 89
gourdes (1,16 euro) sur le kérosène vient d’un protocole d’accord signé avec le Fonds Monétaire International
(FMI). Ces émeutes ont conduit à la démission du Premier Ministre Haïtien, Jack Guy Lafontant,

128
Dans le cadre de l’« exit » d’une partie de la population rurale le capital humain est absent en
raison de l’exode rural et du dépeuplement des campagnes haïtiennes. Et la question se pose :
pour qui et avec qui il va falloir mener les projets? D’où l’obligation d’une politique
d’attractivité pour ces espaces, à travers les projets phares. Cela permet de créer des “Zones
Géographiques d’Investissements Prioritaires”. L’État haïtien, par le truchement du MPCE,
réaffirme en 2015 son parti pris en matière de gestion de la pauvreté. Le spatial comme outil de
mesure revient avec la nouvelle carte de pauvreté intitulée “Carte de pauvreté et de potentialités
d’Haïti” (CPPH). La carte de 2004 ne tient plus la route après plus de dix ans de loyaux services
elle est en distorsion avec la réalité sociale, économique et territoriale. L’objectif de la Carte de
Pauvreté et de Potentialités d’Haïti (CPPH) pour le ministère de la planification est de disposer
d’un document cartographique et d’analyse permettant d’avoir une meilleure appréciation de la
géographie de la pauvreté et des potentialités du pays à travers la section communale. Cet outil
cartographique et d’analyse, basé principalement sur la section communale, fournira des
éléments, selon le MPCE, permettant de:
• Disposer d’un ensemble de données sur les sections communales susceptibles d'orienter
les investissements en matière d’équipements et de services sociaux de base ;
• Avoir une vue actualisée de la distribution spatiale de la pauvreté en termes d'accès aux
services de base ;
• Faciliter la prise de décision dans la lutte contre la pauvreté et les disparités spatiales ;
• Établir le changement dans l’accès aux SSB en référence à la carte de pauvreté de 2004 ;
• Fournir aux Conseil d’Administration de la Section Communale (CASEC) un outil de
référence pour l’orientation des investissements au niveau des sections communales
• Disposer d’un ensemble de données sur les potentialités au niveau des sections
communales.

Les équipements liés aux services sociaux de base sont donc la priorité des pouvoirs publics
haïtiens. Une mauvaise répartition des services, notamment dans les domaines de l’éducation, de
la santé, du transport, de l’assainissement entre autres, est constatée sur l’ensemble des dix
départements. Ce déficit constitue un véritable obstacle à l’émergence de pôles de
développement et contribue à maintenir les populations des territoires sévèrement mal desservis
dans une situation de dépendance et de vulnérabilité. Ainsi, la démarche de cartographie

129
nationale des services sociaux de base, portée par le ministère de la Planification, est en fait un
outil d’analyse des disparités spatiales dans l’allocation des ressources et de l’inscription spatiale
des équipements collectifs. L’objectif de cette stratégie est de contribuer à la réduction de la
pauvreté à travers un meilleur accès des populations aux services sociaux de base,
particulièrement dans les zones défavorisées (les zones rurales et les bidonvilles). Il importe de
doter les décideurs publics (administration centrale, organismes déconcentrés, entités techniques
collectivités locales) et non publics (ONG, partenaires de développement, acteurs associatifs etc.)
d’outils géo spatiaux, et d’outils de mesure et d’analyse des disparités en matière d’accès des
populations aux services sociaux de base. Les objectifs poursuivis sont explicites: identifier les
zones déficitaires en services sociaux de base et indiquer les niveaux de disparité, éclairer les
décisions ultérieures des décideurs en matière de dotation en infrastructures et services et surtout
élaborer des plans d’actions prioritaires d’équipement en services sociaux de base.

Conclusion

La prise en charge de la pauvreté dans le pays est ancienne si l’on doit tenir compte du corpus
des lois et des décisions prises depuis 1860. Elle se réalise sur deux volets : l’assurance et
l’assistance. Néanmoins la question de la pauvreté va se faire par l’intermédiaire de modèles
adoptés ou imposés. L’approche monétaire de la pauvreté a été utilisée dans le cadre de deux
grandes enquêtes nationales (ECVH et ECBM). L’approche multidimensionnelle a été
expérimentée aussi à travers les « Enquête sur les nouvelles Manifestations de la pauvreté
(ENMP) » et « l’Enquête sur les Conditions de Vie des Ménages Après le Séisme (ECVMAS). Il
fallait s’adapter aux contours théoriques de la Banque Mondiale et du Programme des Nations-
Unies pour le Développement (PNUD). En 2000 le gouvernement haïtien adopte les OMD
comme référent mondial dans sa lutte contre la pauvreté. Cette démarche confirme l’ancrage
définitif des pouvoirs publics haïtiens à l’approche multidimensionnelle. Le suivi de la pauvreté
va se faire jusqu’à l’échéance des OMD en 2015. Cet engagement ou plutôt cet alignement sur
les standards internationaux va porter fruits. Les scores nationaux en matière de scolarisation, de
parité du genre, d’alphabétisation, de mortalité infantile se sont grandement
améliorés.Evidemment de grands défis restent à relever au regard du chômage, de
l’assainissement, de la sécurité alimentaire et de la mortalité maternelle. Néanmoins, les progrès
sont spectaculaires dans le voisinage d’Haïti. La région Amérique Latine et des Caraïbes connait

130
une amélioration constante de l’Indice de Pauvreté Humaine (IPH). Des programmes de prise en
charge sociale se positionnent comme de véritables « succes stories » (Bolsa Familia et
Opportunidas). Cette réussite affichée par la région est compromise par la crise économique liée
à la baisse du prix des matières premières. La morosité des économies régionales amplifie le
chômage et diminue les dépenses sociales. Cette situation va accélérer les flux migratoires liés
aux effets du pull and Push dans la région. Trois grandes catégories se dessinent : les pays
émetteurs (Haïti, Cuba, Jamaïque), les pays receveurs (Bahamas, Chili) et les pays de transit
(Brésil, Equateur). L’appropriation du concept de pauvreté se heurte contre les connotations
traditionnelles du milieu haïtien. Etre traité de pauvre est humiliant, même le pauvre hésite à
s’accepter comme tel. Cette particularité fragilise le ciblage en créant des biais dans les données
statistiques recueillies par la voie des enquêtes ou des entretiens semis dirigés. Les programmes
de prise en charge tiennent compte de ces subtilités sociologiques pour être acceptés et compris.
Les outils de lutte contre la pauvreté utilisés par les pouvoirs publics ne sont pas étrangers à cette
donnée culturelle. En effet, dans la prise en charge du phénomène, l’individu n’est pris en
compte que dans le cadre collectif à travers la dotation des communautés en équipements et en
services publics liés aux SSB. Deux types outils, dans ce cadre, sont utilisés : la carte de pauvreté
qui permet de cartographier les zones de pauvreté sur la base du niveau de dotation en
équipements collectifs et le couple Projet-phare/Commune-Phare qui joue sur la concentration
des investissements publics ou non-publics dans un espace donné. Ce chapitre prend en compte
aussi, à travers des concepts d’exit, voice, loyalty et apathie, l’attitude de la population face à la
prise en charge ou pas des lieux dits pauvres. A cet effet, ce qu’il faut noter c’est la
prédominance de l’apathie et une forme de « voice » destructeur et violent dans certains
bidonvilles de Port-au-Prince. Il est aisé de dire qu’Haïti s’adapte aux référents internationaux
sur les savoirs et la prise en charge en matière de pauvreté. Cette adaptation ne se fait pas sans
contrainte au regard du vécu et des appréciations sociales du phénomène et que les pouvoirs
publics haïtiens choisissent les solutions liées au milieu de vie et de production des plus pauvres
et non celles de l’individu isolé dans son combat contre la pauvreté.

131
Chapitre III
Où sont les pauvres dans le pays ?

Dans ce chapitre est posé le problème de l’inscription spatiale de la pauvreté dans le pays. La
pauvreté est massive et généralisée certes mais elle se territorialise aussi. On ne la vit pas de la
même manière partout, qu’on soit à Tiburon dans le Sud d’Haïti, à Capotille dans le Nord-est ou
à Anse-à-Galets dans l’Ouest. Elle épouse, conditionne et singularise les milieux de vie et de
production. Le pauvre des champs ne peut point être confondu avec celui des îles adjacentes
d’Haïti. Ce dernier ne ressemble pas non plus au pauvre des villes. Les pauvres qui vivent à la
marge de la ligne de frontière avec la République Dominicaine partagent très peu de similitudes
avec ceux qui évoluent sur les littoraux. Chaque facette du territoire développe une spécificité au
regard de la pauvreté générale. Comment distinguer le pauvre dans son milieu de vie et de
production ? Comment le pauvre perçoit-il son espace et comment le vit-il ? Ce sont autant de
questions abordées afin d’avoir une meilleure compréhension du phénomène.

Nous parlons d’inscription spatiale dans le sens de l’espace « conçu » par l’histoire et les
pouvoirs publics haïtiens à travers les aménagements et les lois. Cet espace conçu est donc celui
que l’administration traite et qualifie comme tel. Il s’agit de montrer la manière dont l’espace est
physiquement occupé par le pauvre haïtien. L’espace perçu et vécu n’est pas évacué pour autant
car les réalités quotidiennes à travers les parcours et réseaux reliant les lieux de travail, de la vie
privée et des loisirs des pauvres sont explorées. L’espace perçu diffère de l’espace vécu. Il ne
s’agit plus d’un espace parcouru par un individu, mais plutôt d’un espace ressenti par ce dernier.
Ici, le pauvre est au centre de cet espace. C’est l’imaginaire qui le construit, en s’appuyant sur
différents facteurs (culturels, sociaux, politiques, économiques). Ainsi, l’espace perçu va résulter
de l’association de l’imaginaire du pauvre et des phénomènes sociaux qui l’influencent.

Le milieu de vie et de production des pauvres dans le pays demeure compliqué. Il est en proie à
des difficultés énormes qui entravent le bien-être de ceux qui l’habitent. Et face à ces difficultés
les pauvres s’adaptent pour créer et vivre un espace alternatif celui qui est vécu. En milieu rural
le pauvre subi l’enclavement le plus sévère : il n’est pas connecté aux réseaux routiers, il est en
dehors du réseau électrique, il se déplace difficilement et sa production n’arrive pas à atteindre le
marché dans de bonnes conditions. Contre ces maux il crée un monde parallèle de substitution. Il
se dit libre de contraintes : il vit au rythme du soleil et des saisons. Il ne paie pas d’impôt direct.

132
Il se régale dans l’entraide au travail via le « Coumbite », il entretient sa santé par les
« medsenfèy ». Il vante la sécurité de son milieu au regard de la violence urbaine. En milieu
urbain le pauvre peut se targuer d’être « dans » ou « à proximité » du centre qu’est la ville. Il ne
connait pas l’enclavement mais son espace va subir la disqualification et la marginalisation. Il est
embauché que très rarement puisqu’il vient d’un quartier stigmatisé. Malgré tout il se crée un
monde dans lequel il croit partager les mêmes attributs que ceux du reste de la ville (électricité,
la télévision etc.). La proximité dont jouit son espace de vie avec la ville lui donne l’impression
qu’il est supérieur au pauvre des champs. Le pauvre des iles adjacentes subit fortement le poids
de l’enclavement et vit pratiquement dans l’isolement. Il vit dans un microcosme à la marge de la
République. Il transforme cette marginalité en espace de liberté. Le pauvre des frontières est
marginalisé. Il est rejeté d’un côté (La république Dominicaine) et ignoré de l’autre, il subit une
double pénalité. Néanmoins il garde l’espoir de pouvoir quitter son espace (migrer de l’autre côté
de la frontière) qu’il considère comme grand parce qu’il dispose de deux façades. Ces
considérations de tendance permettent de mieux comprendre la particularité de la pauvreté en
lien avec le milieu de vie et de production qui l’héberge.

1- Les pauvres des champs

L’image de l’homme ou de la femme des champs dans le pays se résume à l’archaïsme, le


dénuement, l’ignorance et à la pauvreté. Paul Moral69, Gérard Barthelemy70 et François
Blancpain71 ont suffisamment décris la situation de ceux qui habitent la campagne. Cette dernière
cumule tous les attributs de retard ou de non-progrès du pays. Seulement 11% des gens de la
campagne haïtienne ont accès à l'énergie contre 63% dans les villes. 16% dans les zones rurales
ont accès à un assainissement amélioré, contre 48% dans les villes. Mais la plus grande inégalité
reste géographique - entre les villes et la campagne. L'écart au regard des conditions de vie entre
la population urbaine et rurale en Haïti est saisissant: près de 70% des ménages ruraux sont
considérés chroniquement pauvres contre un peu plus de 20% dans les villes. Cela signifie qu'ils

69
Moral Paul (1961). Le paysan haïtien: étude sur la vie rurale en Haïti. Maisonneuve & Larose, 1961 - 375 pages.
70
Barthélémy Gérard (2003). « Aux origines d’Haïti: Africains et paysans » in Outre-mer. Revue d’histoire Vol 90
No. 340 PP 103-120
71
Blancpain François (2005): La condition des paysans haïtiens. Du Code noir aux codes ruraux. In: Outre-mer,
tome 92, n°346-347. La santé et ses pratiques en Afrique. pp. 348-350;

133
vivent en dessous du seuil de pauvreté national avec moins de deux dollars par jour et n'ont pas
d’accès facilité aux biens et aux services de base.

a- Le taudis, son royaume qui manque de tout

Le logement du pauvre des champs est sommaire. Il ne fait pas de doute que la majorité des
maisons en milieu rural et à la campagne est sans électricité. Néanmoins celle des pauvres ne
dispose pas d’éclairage sinon de fagot ou de “foye” qui gardent le feu en permanence pour les
besoins du ménage. Ce type de logement n’est desservi par aucun réseau d’eau ou de drainage.
En milieu rural, le taux de précarité des logements est plus élevé qu’en ville. Et le score de
précarité est très élevé. La cuisine n’est pas un équipement intégré à l’ensemble mais se fait à
l’extérieur du logement et n’est pas toujours recouvert. Le tableau qui suit nous permet d’avoir
une idée des types d’habitat et du score de précarité dans le milieu rural.

Tableau 14.-Type d’habitat et score de précarité selon la région de résidence en 2012


Type d’habitat en pourcentage (0/0)
2012 Habitat ajoupas Maison appartement Maison Score
précaire basse /villa précarité
Aire métropolitaine 6.6 1.1 68,5 5.2 18.7 0.70
Autre urbain 4.2 2.6 81.8 2.5 9.0 0.98
Rural 2.9 15.5 80.6 0.5 0.7 2.00
Ensemble 4.0 9.1 78.4 2.0 6.6 1.46

Source : ECVMAS (2012)

- Un mobilier domestique sommaire

La maison du pauvre des champs ne fonctionne qu’avec l’essentiel. Le mobilier est spartiate les
chaises sont rares et rudimentaires. L’absence de chaise est compensée par des troncs d’arbres
sectionnés à cet effet. Le lit “kouri kite”72 est de confection artisanale et est fixé dans le sol. La
chambre du pauvre rural, dans la majorité des cas est équipée tout simplement d’une natte faite
de feuilles de bananier ou de latanier. Dans un coin de sa chambre trône un petit tabernacle qui
héberge les loas73 protecteurs de sa famille. La table existe rarement. Cependant, elle est très

72
Le kouri kite est un lit fait avec des planches de fortunes. Les quatre supports sont enfouis solidement dans le
sol. Ce qui lui confère un caractère particulier traduit en haïtien comme un lit non transportable et fixé.
73
Les Loas sont les dieux dans le panthéon vodou

134
souvent remplacée par une “bankèt”74. Les murs en torchis ou en terre ne portent aucune
décoration. Ils sont percés de deux ou trois coins pour supporter des objets utilitaires tels le
“grèg”75, le djola76 et les vêtements précieux. Ce pauvre conserve son eau de boisson dans un
seau de cinq gallons appelé bokit. Deux chaudières et trois assiettes complètent ce mobilier
domestique. La valeur totale des biens répertoriés dans la maison s’élève à 1605 gourdes. C’est
l’équivalent de 24, 69 $ US. Le tableau suivant prend en compte l’essentiel de ce que la maison
possède.

Tableau 15.- Estimation du patrimoine de la maison d’un pauvre des champs


Composantes Lit table chaise chaudière Assiette Tabernacle Seau Filtre Total

Coût 300 125 100 2x250 3x 60 345 100 15 1 605 gdes


Sources: calcul de l’auteur (2017).

b- Le pauvre rural achète plus cher que le non pauvre et les autres pauvres

Les magasins et les opérateurs de la distribution des produits de consommation dans le pays
offrent la possibilité aux consommateurs de se procurer leurs produits selon deux modalités:
celle d’acheter en gros directement ou d’en d’acheter indirectement au détail via les petits
commerçants. Acheter en gros permet de diminuer sur le prix global or seul le non pauvre
dispose suffisamment de revenus pour se payer plus que le strict nécessaire. Faute de moyen le
pauvre des champs doit se rabattre sur le commerce de détail. C’est le maillon final de la chaîne
de distribution .Or acheter dans le détail c’est payer in fine les ponctions de nombreux
intermédiaires qui jalonnent la trajectoire du produit entre le producteur77 et le consommateur. A
l’arrivée le consommateur final qu’est le pauvre des champs, débourse plus d’argent que le non
pauvre. Le tableau suivant établi avec des prix de références sur le riz et l’huile de cuisine
montre comment les pauvres des champs déboursent parfois plus de 35% de plus que le non-
pauvre pour accéder au même produit.

74
La bankèt est conçue sur le même principe que le kouri kite, seuls l’usage et la dimension changent
75
Le grèg est un filtre à café traditionnel et permanent utilisé en milieu rural et urbain par les classes populaires
76
Le diola est un sac traditionnel porté par les hommes. Il permet à l’utilisateur de ramener au ménage les menus
frottins récupérés au jardin, dans le voisinage ou d’une rencontre fortuite. Le nom diffère d’une région à l’autre
(alfò dans le sud et makout dans le plateau central)
77
Dans le contexte national fort souvent il s’agit non pas du producteur mais du distributeur ou de l’importateur.

135
Tableau 16.- De comparaison entre l’achat de gros et celui de détail
Produit Quantité Achat de gros Achat au détail GAP Ecart en %
Huile de
1 gallon 330gdes 12gdes X 43 glòs (516 gdes) 186 gdes 56%
cuisine
1 sac 8 30gdes X 5,50 tm X 8 marmites
Riz 1075 gdes 245 gdes 22,79%
marmites 1320gdes
Sources: calcul de l’auteur, septembre 2016 [à partir des données du marché rural de Rozier (sud d’Haïti)]

c- Le marchandage grignote le capital temps du pauvre des champs

Le marchandage sur fond de suspicion mutuelle reste la base du commerce ici. Ainsi chacun a eu
l'habitude d'entendre, lors d'un achat, la question inévitable du prix payé se doubler de
commentaires sur la remise accordée, et la qualité du produit. Le principe du marchandage est si
fort que les commerçants de quartier se trouvent encore obligés, comme ils le reconnaissent eux-
mêmes, de majorer leurs prix afin de répondre aux vœux du client, d'obtenir ce qu'il considère
comme le juste prix, après une discussion qui satisfait rarement les deux partenaires. Il faut
fréquemment devoir négocier les prix. On peut se retrouver à payer un objet pour trois fois son
prix. La démarche constitue un gaspillage de temps. L’expérience montre que quelques minutes
de négociation permettent en général d’avoir un bon prix et si cela échoue il est toujours possible
d’essayer un autre marchand.

Marchander requiert un certain talent. C’est nettement plus facile de parcourir les magasins que
de négocier un prix. Courir les magasins prend plus de temps mais ne demande pas de talent, il
suffit simplement de savoir où aller. Le marchandage, au contraire, demande une connaissance
psychologique du vis-à-vis. L’affichage du prix des biens est l’exception dans les marchés
publics, alors que le marchandage est la règle. Au marché les étalages sont disposés de manière
bigarrée sur toute l’étendue occupée (marché et zone intégrée). De toutes parts, les commerçants
présentent énergiquement leur marchandise aux clients. Alors que d’aucun prétend que la
marchandise est la moins chère, l’affirmation reste bien théorique: tout achat sera le fruit d’un
âpre compromis au sujet du prix à payer. En effet, le marchandage fait partie de la culture des
marchés publics, hauts lieux du commerce ambulant, l’artisanat et d’autres acteurs de l’économie
informelle. « Marchander, c’est un avantage », affirme Inès, commerçante installée au marché
Tèt Nikolas à Roche-a-Bateau. « Si un client très riche passe par là, on en profite pour augmenter
le prix! »

136
Si la tradition semble bien ancrée dans les mœurs, pourrait-elle être, en fait, une entrave au
commerce? En effet, marchander est associé à un coût de transaction élevé : tout acheteur
intéressé par un bien se verra forcé d’estimer sa valeur, puis devra investir un temps précieux
dans la discussion afin de l’acquérir. Au final, le consommateur qui connaît peu la valeur réelle
du produit risque de payer trop cher son bien, voire d’être simplement dissuadé d’acheter. Les
gens discutent longuement avant de convenir d’un prix juste pour les deux parties. Les tarifs sont
souvent gonflés afin d’avoir une marge de manœuvre intéressante et faire des bénéfices. Les
vendeurs se doivent de négocier avec leurs clients car la concurrence est rude et plutôt que de
rester avec leurs marchandises sur les bras, ils vont jusqu’à diviser les prix par deux. Le va et
vient entre les détaillants pour trouver le bon prix fait perdre au consommateur pauvre beaucoup
de temps qu’il aurait pu investir dans d’autres activités rentables.

d- Le pauvre des champs paie pour une quantité souvent faussée

Lors d'une transaction commerciale, la quantité délivrée doit être au moins égale à la quantité
annoncée, ce qui signifie, pour les produits en vrac vendus au poids, que la quantité livrée doit
correspondre à la quantité réputée. Le commerçant doit utiliser des instruments et des méthodes
de mesure conformes aux normes imposées pour la protection du consommateur et la loyauté des
échanges commerciaux. L'utilisation d'unités de mesure autres que les unités légales
(kilogramme, litre, centimètre, etc.) est la règle. Or dans nos marchés, la marmite, le gallon, le «
bokit », le glòs, le timamit, le sac et le drum demeurent les mesures courantes et acceptées par
tous.

La tromperie du consommateur sur la quantité des marchandises vendues n’est jamais


condamnée. En dépit du fait que le problème est connu et intégré, si l’on tient compte de la
fameuse expression : « mwen pap pran nan fomamit ». En effet, bon nombre de marchands
possède deux types de « mamit » un avec le fond enfoncé vers l’extérieur pour se procurer des
marchandises et un deuxième avec le fond enfoncé vers l’intérieur pour approvisionner les
clients/acheteurs. Dans les grands marchés urbains le “mamit “ reste le même, il suffit d’appuyer
au bon endroit pour qu’il joue les deux rôles à la perfection. L’arnaque est connue de tout le
monde. Les marchands utilisent cette parade aussi pour jouer sur les prix. Vous pouvez acheter à
meilleur prix un produit, sans soupçonner que la quantité reçue est en dessous de la norme. La
politique des bas prix n’est pas étrangère à la falsification des quantités.

137
e- Le pauvre des champs est un exclus

Le pauvre des champs est journalier il n’est pas propriétaire. Afin de nourrir un peu sa famille, il
travaille pour le compte des propriétaires en partageant souvent la récolte à égalité. Il est
rarement fermier car il n’a pas les moyens de payer. Donc il est exclu du foncier qui demeure la
source de richesse majeure dans son milieu de vie et de production. Pour Paul Moral, les paysans
haïtiens se trouvent dans une condition « d’anonymat légal ». Ils sont victimes d’une exclusion
institutionnalisée. Le pauvre des champs vit en marge des registres nationaux. Il ne possède pas
les documents usuels d’identité. Il est le moins alphabétisé de la nation. (Tableau suivant) Il est
donc ipso facto exclu du système bancaire, des élections pour renouveler le personnel politique
national et local et surtout des bénéfices du système national de protection sociale (Kore fanmi,
kore peyizan, OFATMA, ONA, CAS).

Tableau 17.- Niveau d’études de la population adulte selon le milieu de résidence en 2012

Niveau scolaire en pourcentage d’individus


Primaire
Aucun Secondaire 1 Secondaire 2
Primaire incomplet
2012 niveau complet/secondaire 2 incomplet / Ensemble
incomplet /secondaire 1
primaire incomplet supérieur
incomplet

Aire
15.5 21,2 26.6 24.8 21.9 100
métropolitaine

Autre urbain 23,9 22,8 18.9 24.0 10.5 100


Rural 51.5 25.3 10.7 9.1 3.4 100
Ensemble 35.9 23.7 14.2 16.7 9.6 100

Source : UOPES à partir des données de l’ECVMAS (2012)

- Son milieu de vie et de production est sévèrement sous-équipé

Le pauvre des champs évolue dans un milieu qui se place en deçà des scores nationaux.
Evidemment la pauvreté y est plus importante : 54% de la population rurale contre 12% dans la
zone métropolitaine et 18% dans les autres zones urbaines » Les pauvres des champs ont un
accès déficitaire aux services sociaux de base car seulement moins d’un tiers de la population
rurale en bénéficie (ECVMAS, 2012). Il n’y a pas d’hôpitaux dans les campagnes. Les médecins
de famille, les dentistes, les gynécologues ne s’établissent qu’en ville. L’accès à des services tels
que l’électricité, l’eau traitée destinée à la boisson, les lieux d’aisance amélioré, la collecte des

138
déchets, l’assainissement accuse un niveau extrêmement bas en milieu rural. Le tableau suivant
renseigne sur cette situation intolérable.

Tableau 18.- L’accès aux services de base selon la région de résidence en 2014
Accès aux services de base

Éclairage Accès à
Lieu
domestique l’eau Collecte
2012 d’aisance Assainissement
Par réseau traitée des déchets
améliorée
publique (boisson)

Aire métropolitaine 75.8 27.6 65.8 34,3 60.8


Autre urbain 45.7 36.0 67,2 16,3 36.3
Rural 9,9 26.9 40,7 0,4 2,5
ensemble 34,6 29.4 53.4 12.4 24.9

Sources: Rapport National des OMD, 2014

Le sous équipement signalé concerne aussi ses instruments aratoires. Une houe et une machette
lui permettent de défricher, de labourer, de planter et de récolter. Cet équipement sommaire dans
beaucoup de cas est utilisé depuis au moins deux générations. L’espérance de vie de la machette
est particulièrement longue et peut atteindre facilement quarante ans (CERCHA, 2016). En
focus-group à Condé, section communale de Roche-à –Bateau, dans le sud d‘Haïti Dieunord était
fier de raconter l’histoire de sa machette qu’il baptise « Tanpase78 ». En plus des taches
agricoles, sa machette est un véritable outil de compagnie dont il se sépare que la nuit. A la
question pourquoi vous vous servez de cette vieille machette après toutes ses années ? Il répond
en ces termes « sim lagel yon kote nan yon kwen se derespektem derespekte granpèm paske se ak
manchèt sa li te travay poul achte tè kotem ye a. Lèl mouri li kitel pou papam kite van vyan
pandan preske 18 tan avèl. E lè papam pral mouri li bann li epi li dim Dieunord men chimen
manjew se avèl pou batay ak lavia. Ou konpran poukisa sim jetel mwen trayi papam ». Il
explique qu’il l’a reçue en héritage de son grand père via son père qui était boucher avec un
message fort : prends et gardes cet instrument car il garantira ton pain quotidien ». La

78
Tanpase, dans la langue haïtienne, équivaut à «le temps qui passe ». C’est un élément de tradition dans le milieu
paysan haïtien de donner un nom précis à un outil ou un équipement domestique pour exprimer son utilité et
surtout le lien sentimental qui existe entre le lui et le propriétaire. Dans le cas précis de Dieunor il veut tout
simplement montrer que sa machette défie de temps

139
transmission de ces outils traditionnels accompagne aussi la transmission de la pauvreté rurale
entre les générations.

f- Un pauvre sous le coup récurrent des chocs de tout ordre

La vulnérabilité est un amplificateur de la pauvreté dans le milieu rural haïtien. Le pauvre des
champs est malmené par toutes les calamités de la vie. Il est au bout de la chaine d’un système
socio-économique national qui lui est totalement défavorable. Son milieu de vie et de production
est régulièrement affecté, sa vie personnelle et sa famille ne sont pas épargnées, son maigre
patrimoine est atteint par des processus récurrents de décapitalisation (épizootie, sècheresse,
maladies, décès de contributeurs de son ménage, cyclones etc). L’odyssée de Souffrant, habitant
de Boco (section communale des Anglais dans le Sud du pays) résume parfaitement la rigueur de
la vie dans le milieu rural haïtien. Il explique lui-même l’aventure de sa vie en marge d’un focus
group que nous venions de réaliser avec quelques occupants du littoral de la commune des
Anglais le 25 aout 2017. Il a été informé par l’un de ses amis participants au focus group.

Il expose son histoire en ces termes : « Lavi peyizan isit pa dous menm. An 2012 mwen te genyen
28 lane lè papam mouri li kite map viv sou yon pòsyon tè li tap travay depi digdantan kòm
demwatye. 6 mwa apre mèt tèa te dim fòk li vann tèa mwen bal 2 mil dola mwen te rete rès 3 mil
pouli. Manmanm vin mouri apre dezan malad kouche tout lajanm pase nan maladil. Lan lane
2014 mèt tèa mouri pitit li yo dim fòm peye rès kòb la oubyen lòt mounn ap achtel. Lèm wè sa
mwen pran yon ponya nan men yon moun mwen peye 3 mil dolaa. Depi lè sa devenn tonbe sou
mwen. Madanm mwen fè 2 marasa li fè 2 tifi. Mwen te gentan genyen yon tifi alòske madanm
mwen te genyen 2 gason anvan nou te rete ansanm, Mwen pèdi tout jadenm an 2015 paske lapli
pate janm tonbe mwen pèdi ni pwa ni mayi. Mwen te blije vann yon nan 2 bèf kem genyen poum
peye dèt tèa. Mwen pa jwen okenn moun ki sipòtem. Se yon peyi ki di anpil. Lajan al ka lajan
malere toujou pa jwen anyen ». Souffrant raconte donc qu’« en 2012 il a hérité d’une portion de
terre sur laquelle travaillait son père décédé comme « demwatye79 ». Le propriétaire du terrain,
six mois plus tard me propose de me vendre le terrain. J’ai pu faire une avance de 5 000

79
L’expression demwatye est un mode d’exploitation de la terre dans les campagnes haïtiennes. Le principe est
simple un cultivateur met en valeur une propriété foncière et s’engage à restituer au propriétaire la moitié de la
récolte réalisée. Elle est considérée comme un des facteurs de l’appauvrissement de la population rurale du pays.
Toutes les études réalisées depuis les années 1950 sur la paysannerie haïtienne présentent le système de
demwatye comme nocif pour la durabilité de la surface agricole utile (SAU) et le bien-être du paysan.

140
gourdes. En 2014, le propriétaire est mort et ses enfants me pressent de payer la totalité de la
transaction, j’ai dû faire un prêt usuraire pour payer 10 000 gourdes. Entre temps mes déboires
s’amplifient considérablement. Ma mère, alitée depuis deux ans meurt, sa prise en charge a été
couteuse pour mes faibles moyens. Ma femme a accouché de deux jumelles, je dois désormais
prendre soins d’une famille de sept personnes. Et j’ai dû vendre un de mes deux bœufs pour
rembourser le prêt contracté. J’ai perdu toutes mes récoltes en 2015 car la sècheresse a tout
brulé. Et je n’ai reçu aucune aide. Le pays permet aux riches de s’enrichir mais n’accorde rien
aux pauvres. C’est injuste ».

Il continue avec conviction son récit, comme s’il voulait se débarrasser de son fardeau en parlant
de ce qui lui est arrivé : « mizèm kontinye en 2016 siklòn Matye kraze kay mwen, bèf mwen te
genyen an mouri anba bwa, tout jadenm ale nan dlo. Sak pimal la madanm mwen ak 2 nan
timoun yo tombe malad paske yo pran kolera. Jodia se nan yon ti kalòj ke nou rete. Mwen lage
debrabalanse sanm pap fè anyen.. Mwen te vle ale Pòtoprens men madanm mwen maladif
timoun yo ap gen pwoblèm sim pa bò kote yo. Se seyè mwen geneyen se li ki voye je sou mwen se
sak fèm poko mouri. Leta pa konsim egziste. ONG baw ti diri pouw mete nan chodyè men saa yo
paka sove malere. Sitiyasyon saa chaje tèt mwen se pousa mwen pate konn bwè men mwen oblije
pran kèk kou poum pase traka. Lèm gen ti kòb mwen jwe ti bòlèt tou, ou pa janm konnen kote
chans malere ap soti » Souffrant indique que « le cyclone Matthew, en 2016, lui a porté le coup
fatal car il perd sa maison, son jardin et le bétail qui lui restait. Une partie de son ménage a été
frappé par le choléra et depuis sa femme tombe régulièrement malade. Il pensait partir pour
trouver du travail dans la capitale mais la vulnérabilité de sa famille l’empêche de quitter sa
maison qui n’est qu’un ajoupa aujourd’hui. Il se remet à Dieu et déplore que l’État haïtien ne soit
pas à ses côtés pour l’aider car le travail des ONG sont incapables de résoudre le problème de la
pauvreté. Cette situation me trouble. Certaines fois je bois du clairin pour noyer ma peine et je
mise sur les jeux de hasard comme solution à mes problèmes ». Le récit de cet homme montre à
quel point le pauvre des champs est vulnérable : les chocs sociaux et environnementaux tels
l’insécurité foncière, la maladie, les catastrophes naturelles80 ne l’épargnent pas en mettant en
place les conditions de son appauvrissement continue.

80
L’expérience de la sécheresse qui sévit à Fonds-Rouge dans Gouverneurs de la rosée de Jacques Roumain confère
à l’analyse un exemple particulièrement illustratif. Naturellement, dans ce roman, du fait même de la sécheresse
évoquée, il n’y a pas lieu de parler des conditions du travail agricole proprement dit, puisqu’il n’y avait pas moyen

141
Conclusion

Le pauvre des champs est le plus mal loti de tous les pauvres. Il est dans le dénuement complet.
Il est au bout de la chaine de vie nationale. Il paie plus cher les biens de consommation courante.
Il est souvent trompé sur la qualité et la quantité des biens achetés car il ne maitrise pas les poids
et mesures et les rouages du marché. Il habite un milieu de production et de vie sous-équipée qui
lui fait subir l’isolement et l’exclusion. Sa pauvreté est amplifiée par la grande vulnérabilité qui
conditionne sa vie familiale et sociale (famille nombreuse, décès, maladies) et économique
(pertes de récoltes, insécurité foncière, perte d’actifs et de patrimoine). Son attitude consistant à
se remettre à Dieu, se plonger dans l’alcool, miser sur les jeux de hasard participe à sa loyauté
(loyalty) vis-à-vis de ce système qui le traite comme citoyen de seconde zone. Son attachement à
sa famille, autrement dit son conservatisme l’empêche, très souvent, d’aller vers la rupture
(l’exit). Il est seul face à ces problèmes, les institutions et la solidarité nationale l’ignorent car il
vit sans protection sociale et sans accès facilité au crédit.

2- Les pauvres des villes

Le pauvre des villes se distingue des autres pauvres dans le pays par effet de positionnement
comme le dit Bourdieu. Il est pauvre mais vit dans un milieu qui capte l’essentiel des
opportunités nationales, la ville. Le réseau urbain haïtien est dual : d’un côté, il y a la Région
métropolitaine de Port-au- Prince (RMP) qui héberge la capitale du pays ; de l’autre côté un
ensemble de villes chefs-lieux d’arrondissement et de départements incapable de faire jeu égal
avec le centre de décisions qu’est Port-au-Prince. Elles sont au nombre d’une trentaine. Cet
ensemble se porte mieux que le reste du pays. Néanmoins il reste en-dessous des scores de la
RMP. Cette dernière demeure le centre d’impulsion du pays et exerce une attraction fulgurante
sur le reste du pays. La RMP héberge 90% des entreprises commerciales et industrielles du pays.
Le pauvre de cette région est le symbole parfait du pauvre des villes. Les conditions de vie du
pauvre dans la capitale sont le condensé de celles vécues par le pauvre dans les autres villes
haïtiennes. L’exode rural qui alimente la RMP vient de deux sources : la migration des villes
secondaires et celle des campagnes.

de s’y adonner : l’eau manquait cruellement et la terre devenue ainsi inusable. Dès lors, on doit considérer les
activités de substitution que faute de mieux les habitants ont dû entreprendre afin d’assurer leur survie. À défaut de
la culture, l’abattage des arbres pour faire du charbon, la vente de bétail, les combats de coq et le refuge dans
l’alcool sont devenus les principaux recours des paysans dans un tel contexte.

142
En quête d’un emploi avec des salaires plus élevés et d’une meilleure condition de vie en
général, un nombre élevé de ruraux quittent leur zone de résidence pour s’installer dans les
villes. La vie urbaine exerce un attrait considérable sur les ruraux. Les nouvelles générations sont
tentées par l’expérience urbaine parce que la ville semble mieux répondre aux aspirations
sociales et culturelles. L’environnement social est plus ouvert, plus libre que dans le cadre rural
traditionnel, l’accès aux services sociaux est facilité. Alors que le monde urbain offre un certain
nombre d’avantages à ces ruraux, l’espace rural présente des inconvénients liés à la dégradation
des terres dans les zones arides, semi-arides et subhumides sèches à cause de facteurs variés tels
que les changements climatiques et les activités humaines. Confrontée à ses problèmes et attirée
par la qualité de la vie urbaine ainsi que les opportunités qu’elle offre, la population rurale est
encline à venir s’installer dans les villes. La concentration des activités économiques explique
l’attrait que l’aire métropolitaine de Port-au-Prince exerce sur les ruraux.

Plus de 61% des personnes pauvres dans l’aire métropolitaine de Port-au-Prince déclarent être
propriétaires de leur logement. N’ayant pas les moyens de se payer les services des
professionnels de la construction (ingénieur, architectes, etc.), ils assurent eux-mêmes la
construction de leur abri à partir des matériaux de récupération. Ces constructions s’échelonnent
sur des larges périodes de temps avant qu’elles soient terminées. Ce sont des constructions qui se
font de manière graduelle, mais, dans la logique de ces individus, il vaut mieux vivre dans un
logement en construction dont on est le propriétaire que de vivre dans un logement loué ou
affermé qu’on a pas les moyens de payer. Ce sont aussi des constructions anarchiques, faisant fi
des normes existantes en la matière et sur lesquelles les autorités publiques n’ont aucune prise.
Les terrains sont occupés dans la majorité des cas de manière illégale, ils appartiennent soit à
l’État soit à des propriétaires absents. La faiblesse de l’État aidant, même les zones déclarées
inconstructibles ou protégées par la loi sont soumises à ce processus de bidonvilisation comme le
morne L’hôpital au sud de Port-au-Prince.

Il est possible à partir des données de l’ECVMAS de savoir combien de salle à manger ou salon
(car les deux peuvent être confondus dans certains cas) qu’il y a dans le logement de notre
population cible, à savoir les personnes pauvres des villes à l’instar de l’Aire Métropolitaine de
Port-au-Prince. Cet élément, une fois établi, nous permettra de jauger le niveau de bien-être de
personnes concernées, car, avoir une salle à manger est élémentaire, en avoir plusieurs est un

143
plus et ne pas en avoir du tout est un manque qui témoigne d’une absence de confort dans
l’habitat. Selon le tableau qui suit, 41 % des ménages n’ont pas de salle à manger dans leur
logement, seulement 48 % ont une salle à manger ou un salon.

Les lieux d’aisance sont un indicateur de bien-être au sein du ménage et un miroir du confort ou
de l’inconfort. Selon l’OMS et l’UNICEF, les lieux d’aisances sont un élément de base de
l’accès à l’assainissement. Le ménage qui n’a pas de lieu d’aisance ne souffre pas seulement
d’une privation, il s’expose et expose les individus dans son environnement à des graves
problèmes de santé comme les maladies diarrhéiques. L’absence de lieu d’aisance est un vecteur
de maladies par contamination des eaux et de l’air. La situation de l’hygiène et de
l’assainissement en général des personnes pauvres dans les bidonvilles notamment est très
préoccupante. Seulement 2.6 % disent avoir une chasse d’eau (WC). 14 % des ménages déclarent
ne pas avoir de lieu d’aisance. Cela signifie que pour les individus de ces ménages la défécation
se fait dans la nature, parfois à même le sol. Dans certains cas, sur les terrains vagues ou dans les
tas d’immondices sur les trottoirs se retrouvent des sachets contenant des matières fécales jetés
par ces personnes qui n’ont pas un endroit aménagé pour la défécation. 3.2% des ménages dans
les zones concernées pratiquent l’enfouissement. C’est une parade qui consiste à creuser le sol et
l’individu défèque dans le trou. La majorité des ménages, soit 35 %, disent posséder une « latrine
individuelle/privée non améliorée ». Il s’agit d’une toilette sèche construite à l’extérieure de la
maison souvent mal entretenue. Cette situation génère des conditions d’insalubrité grave. Un
ensemble de question s’impose : le pauvre des villes est-il vraiment un citoyen de la ville ? Y est-
il un consommateur normal ou de seconde zone ? Comment la pauvreté urbaine peut-elle être
génératrice de l’insécurité et vice versa ?

Le pauvre des villes n’accède pas aux produits de qualité

Le très faible pouvoir d’achat du pauvre ne lui permet pas d’assurer et surtout de suivre
l’augmentation continue des prix. De ce fait il s’approvisionne en produit bon marché pour
lequel les normes de qualité ne sont pas assurées et établies. Le scandale des salamis81 en
provenance de la République Dominicaine en est une bonne illustration. Le cas du jus frutsi est
symptomatique du problème. Ce jus en poudre très prisé par les plus pauvres parce que

81
En 2014, à la télévision, on découvre avec stupéfaction des images montrant les conditions d’hygiène déplorables
dans lesquelles sont fabriqués les produits de la charcuterie expédiés en Haïti par la contrebande.

144
accessible à un prix dérisoire est en fait un poison lent du fait du taux extrêmement élevé de
sucre qui le compose. Ce produit acheté à un prix modique est source de graves conséquences
potentielles sur la santé de ce consommateur démuni en quête de produit bon marché. La grande
distribution approvisionne le commerce de détail en produits avariés sur des biens alimentaires
de première nécessité (lait, farine, viande etc.) Les prix cassés ne le sont que virtuellement car
l’exercice demeure fondamentalement une arnaque. Les ménages à revenus modestes ou
démunis sont délibérément trompés. En dehors de la date d’expiration les produits vendus en
« likidasyon 82» sont généralement des poisons à long terme pour la santé. Le prix payé
immédiatement par le pauvre est en adéquation avec son pouvoir d’achat mais il paiera plus tard
le coût réel au regard des dépenses de santé liées à la nocivité des produits incriminés.

Les médicaments consommés par le pauvre l’appauvrissent et le tuent

Les ménages sont le grand contributeur dans le financement des soins de santé dans le pays
(EMMUS V). Les ménages pauvres, conséquemment se décapitalisent pour faire face aux
maladies qui deviennent de véritables chocs. Les dépenses associées à l’hospitalisation, aux
honoraires du médecin et aux médicaments représentent une charge grandement supérieure au
revenu du ménage pauvre. Face au coût dissuasif des soins classiques de santé les pauvres
simplifient par des parades de survie: l’automédication et surtout l’achat de médicament au détail
dans le commerce ambulant qui devient la norme (voir la photo plus bas). La consommation de
ces produits, vendus dans la rue ou sur les trottoirs, est source de nuisances pour les pauvres qui,
dans cette dynamique, font face à la contrefaçon, aux faux médicaments et à l’empoisonnement.
Le pauvre paie le prix fort pour un produit dangereux et inefficace.

82
Likidasyon est la vente de produits à prix cassés. La démarche est proche des soldes pratiquées par les
supermarchés. Dans le pays cette pratique se fait des magasins vers le consommateur final par l’intermédiaire des
marchands au détail ambulants.

145
Photo 5.- Le commerce ambulant de médicaments dans les rues de Port-au-Prince

Crédit photo de PJ Mérat


Sous un soleil de plomb, des milliers de médicaments sont étalés sur les trottoirs des villes haïtiennes. Port-au-Prince, la
capitale est le centre de ce commerce dangereux, illégal mais toléré.

Les risques pour la santé sont nombreux. L’ingestion de ces produits peut provoquer des
pathologies, des handicaps, voire la mort mais également "de fortes résistances puisqu’il y a un
faible dosage en principe actif. Et pendant ce temps, les malades ne prennent pas le traitement
dont ils ont besoin et la maladie poursuit son cours". Le seul cas documenté et connu
d’intoxication via les médicaments dans le pays est celui de la consommation de sirop contre la
toux contenant du paracétamol préparé avec du diéthylène glycol (un produit chimique toxique
utilisé comme antigel) a provoqué 89 décès en Haïti en 1995. Dans les villes haïtiennes et surtout
à la capitale, des pharmacies à ciel ouvert prospèrent avec un mélange explosif de médicaments
douteux et de faux médicaments. Assis devant de minuscules échoppes, des commerçants hèlent
les passants venus se procurer des médicaments sans ordonnance. Des cartons de consommables
médicaux conservés dans des conditions peu réglementaires, à la merci de la poussière et de la
chaleur circulent dans toutes les rues. La pratique est connue, visible et acceptée malgré son
caractère illégal.

146
Alfred, chauffeur d’une quarantaine d’années, est venu prendre de l’amoxicilline n’est pas
inquiet et déclare dans un calme déroutant « Je viens toujours m’approvisionner en médicaments
ici. Même quand le médecin me fait une ordonnance. C’est le même qu’en pharmacie et c’est
moins cher », dit-t-il sans ciller. Comme Afred, ils sont des milliers de citoyens à venir
s’approvisionner sur ce marché de vente de médicaments, non contrôlés issus de circuits illicites.
Le problème n’est pas simple si l’on reste attaché à la définition acceptée: un faux médicament
est défini comme « tout médicament comportant une fausse présentation de son identité, ne
contenant aucun principe actif ou des principes actifs à un mauvais dosage ». Or d’autres
paramètres s’installent dans le circuit: médicament avariés, placebos, et usages détournés83.

Il est difficile d’authentifier les produits à l’œil nu. Ils sont souvent très proches de leur date de
péremption. A cause des mauvaises conditions de stockage et de conservation, ces produits ont
pu se dénaturer et devenir nocif. Des produits fabriqués en Asie (Chine ou Inde), mais aussi dans
le pays dans des entreprises clandestines. En 2011, sur demande de la direction départementale
Sud du ministère du commerce et de l’industrie (MCI), la justice des Cayes a apposé des scellés,
le lundi 19 septembre 2011, sur une maison privée, où fonctionnait vraisemblablement un atelier
de fabrication et de transformation de faux médicaments dans le chef-lieu du département du
Sud.

Ce commerce, se pratique même dans des hôpitaux, a constaté un ex ministre de la Santé


publique, Robert Auguste « des médicaments antituberculeux volés au Cap-Haïtien et d'autres
produits pharmaceutiques, soient expirés soient contrefaits, dit-il, ont été confisqués à l'Hôpital
de La Vie (sud). Ces médicaments, ont causé la mort d'au moins quatre personnes dans la région
de l'Artibonite et dans la zone métropolitaine. La dernière victime s'appelle Ansy Georges, une
jeune mariée qui se faisait soigner pour un fibrome. Elle a succombé sept minutes après que le
médecin soignant lui eut administré une piqûre. Le ministre déplore que le produit coupable du
décès soit une contrefaçon achetée dans le même centre hospitalier. Un sérum antitétanique avait
provoqué plusieurs décès aux Gonaïves.

83
Certains marchands vendent des “Geritout”, un médicament généralement non identifié capable de guérir au
moins 101 maladies selon le prestataire.

147
Ces contrefaçons, moins chères que les médicaments conventionnels, sont surconsommées par
une population ignorante des vrais dangers. C'est ce que déplore un jeune médecin de
l’hôpital Justinien du Cap-Haïtien: « Il faut faire très attention parce qu’on a retrouvé dans les
produits érectiles, vendus dans les marchés notamment, cinq fois la dose prévue. Donc ce n’est
pas une petite érection que vous allez avoir, ça peut être extrêmement dangereux. Le trafic est
d’autant plus dangereux qu’il cible plus particulièrement des médicaments vitaux. "Des
médicaments essentiels sont concernés : les antibiotiques

Des malades se retrouvent ainsi à consommer des produits falsifiés – à savoir, des médicaments
sans principe actif ou sous-dosés, ou qui contiennent des substances toxiques. Des poussières de
peinture, de l’antigel, de la mort au rat ou du mercure ont ainsi été retrouvés dans des
médicaments de contrefaçon. Désabusé d’avoir à faire face à une extrême pauvreté et à une
situation sanitaire critique depuis de nombreuses années, le ménage pauvre est maintenant
confronté aux effets nocifs de faux médicaments

L’examen de la structure des dépenses suivant les principales fonctions de consommation montre
que l’essentiel du revenu des ménages est affecté à l’alimentation, aux dépenses d’habillement,
aux frais liés au logement, eau et électricité et aux dépenses de transport. Ces conclusions
justifient l’intérêt que les ménages accordent aux efforts que les autorités politiques
entreprendront pour maîtriser les variations des produits de première nécessité, améliorer l’accès
au logement et à l’électricité ainsi que les coûts de déplacements. Le pauvre paie le prix fort pour
accéder aux médicaments essentiels. Cette démarche le décapitalise, le trompe et surtout met sa
vie et son bien-être en danger.

a- Une pauvreté urbaine transmissible et génératrice d’insécurité

Nous abordons ici la voie de la reproduction sociale et de la transmission intergénérationnelle de


la pauvreté. La littérature sur cette question, abondante dans les pays anglo-saxons, a permis de
mettre au jour le constat selon lequel les enfants pauvres ont plus de risques que les autres de
connaître par la suite des situations plus défavorables. Ils auraient ainsi plus de problèmes
scolaires, d'insertion sur le marché du travail, et dans le cas d’une fille, un risque plus élevé de
connaître une maternité précoce. Autrement dit, la pauvreté des enfants serait non seulement un
problème au moment où ces enfants la vivent, mais elle serait également un problème majeur du

148
fait de ses conséquences sur leur avenir84. De telles analyses sur la transmission
intergénérationnelle de la pauvreté n'ont encore jamais été menées en Haïti, essentiellement par
manque de données adéquates disponibles. Néanmoins en 2014, l’UOPES a abordé la question
sous l’angle de la décapitalisation des ménages par le biais de la forte demande scolaires des
ménages pauvres dans la Région Métropolitaine de Port-au-Prince.

Les résultats ont été surprenants : depuis près d’une trentaine d’années, les ménages pauvres se
sacrifient pour scolariser et payer la formation de leurs enfants mais le retour sur l’investissement
n’est plus assuré. Le niveau d’échec est très élevé pour les enfants des pauvres lors des examens
de fin d’études. Ce taux est de 38% pour le cycle fondamental et 43% pour le secondaire). Les
examens du baccalauréat de 2015 ont été catastrophiques pour les établissements fréquentés par
les enfants des ménages les plus pauvres : 843 établissements scolaires n’ont eu aucun élève
admis. Ce score désastreux pour les ménages en termes d’investissement perdus participe à leur
décapitalisation. Le constat demeure identique au regard de la formation professionnelle. Les
diplômes obtenus dans les centres de formation de seconde classe (écoles borlettes85) ne sont
point appréciés par les entreprises et les recruteurs. Huit jeunes formés issus de ménages pauvres
sur 10 ne trouvent pas un emploi trois ou quatre ans après leur formation. Le logement est un
autre clignotant pour comprendre cette situation. En effet, plus de deux jeunes sur trois sont
amenés à se loger chez leurs parents ou chez des proches, parce qu’ils sont dans l’incapacité
d’accéder à un logement alors que beaucoup d’entre eux dépassent l’âge de 25 ans.

La question de la transmission de la pauvreté d'une génération à l'autre se pose grandement en


Haïti chez les ménages urbains les plus pauvres. Au-delà de la question de l'ampleur de la
transmission de la pauvreté, celle qui se pose habituellement est celle des mécanismes qui y
conduisent. Les faibles et aléatoires revenus des parents ont en eux-mêmes un effet sur le devenir
de leurs enfants. Le pouvoir d’achat trop faible du ménage pauvre ne permet pas de scolariser ses

84
Le secrétaire général de l’ONU Ban Ki Moon en 2016 va se prononcer sur ce phénomène en ces termes « Pour
des centaines de millions d’êtres humains dont le sort reste trop étroitement lié à celui des générations précédentes,
les chances d’exprimer leur potentiel sont extrêmement réduites. Nous devons investir dans les jeunes enfants de
manière à inscrire la réussite dans leur ADN et satisfaire les attentes des jeunes en agissant à tous les niveaux, en
particulier local, pour veiller à ce que les générations de demain puissent prospérer, quel que soit leur pays ou leur
milieu d’origine. »
85
Les écoles borlettes sont des établissements scolaires, tolérés et mêmes reconnus dans bon nombre de cas par les
autorités publiques en raison de l’étroitesse de l’offre scolaire public. Ces établissements ne se soucient guère de la
qualité de l’enseignement qui y est dispensé mais tout simplement de l’argent que les parents des écoliers versent en
termes de frais de scolarité. Elles sont assimilées au jeu de hasard au regard des examens officiels.

149
enfants dans les « bonnes écoles » et les meilleurs centres de formation. Le ménage pauvre,
frappé par l’insécurité alimentaire arrive difficilement à garantir une alimentation équilibrée et de
qualité aux enfants. Ces derniers vont développer évidemment des carences qui sont
handicapantes pour leur apprentissage. Une autre caractéristique qui joue dans cette transmission
demeure celle du niveau de formation des parents. L’ECVMAS a montré que plus le niveau
d’étude et de formation du chef de ménage haïtien est élevé moins ce ménage est touché par la
pauvreté. On devient pauvre dans le milieu urbain haïtien par de nombreuses autres voies tel le
handicap, le vieillissement et l’insécurité.

Il existe un lien étroit entre la pauvreté et l'insécurité. Les études réalisées dans les quartiers
précaires des villes haïtiennes sur les mobiles de la conflictualité, l'insécurité et la fragilité des
populations en général et la jeunesse en particulier, figurent en bonne place la pauvreté, le
chômage et l'analphabétisme (Rousseau : 2013, Mathon : 2001, Ilionor : 2015). Le poids des
déséquilibres spatiaux86 et inégalités sociales aigües peuvent remettre en cause la paix. Dans une
certaine mesure l'insécurité renvoie en partie à des intérêts socioéconomiques à travers la
demande sociale (solidarité nationale ou partage de la richesse créée). Elle renvoie à la logique
du gain facile aussi car dans les quartiers de Martissant (sud de la capitale) et de Cité Soleil (nord
de Port-au-Prince) la possibilité d'adhésion des jeunes aux groupes de banditisme est très grande
compte tenu du désespoir dans lequel ils vivent. Le mal-être social, le besoin d’être pris en
charge et tout simplement le besoin de se faire respecter conditionne l’adhésion du jeune au
cycle infernal de la violence dans les quartiers précaires urbains.

Cette insécurité est aussi un facteur de décapitalisation pour les pauvres des villes. En effet, dans
les bidonvilles les gangs prélèvent un impôt sur toutes les activités réalisées par un résident. Les
activités de débrouillardise tel le commerce de détail sur les trottoirs et boutiques du quartier sont
contraintes de donner régulièrement des sommes d’argent aux chefs de bandes pour assurer leur
protection et assurer la continuité de leurs entreprises. Ce faisant les pauvres artisans et petits
commerçants deviennent esclaves de cette pratique. Ces prélèvements illégaux et mafieux ne
font qu’enfoncer ces petits marchands dans la pauvreté dans la mesure où ils ne peuvent pas

86
Dans les « Pertes capitales » de Louis Ilionor, Mark Schuller fait remarquer au regard de la violence dans les
bidonvilles d’Haïti qu’ « Il faut garder en vue la discrimination et le racisme de classe dans la violence qui sévit
dans les quartiers populaires qui sont des territoires abandonnés par l’État et alimentés par le déséquilibre entre
l’offre et la demande de service de base »

150
bénéficier librement et totalement des revenus tirés de leurs activités de survie. En plus de cette
taxation imposée par la peur les membres des gangs, pour la plupart des seconds couteaux,
viennent s’approvisionner gratuitement dans les petits commerces des ménages pauvres.

En focus group, le 14 mai 2017 à Cité L’éternel, une participante que nous appelons Rita
témoigne de cet aspect de l’insécurité dans les quartiers précaires. Elle le décrit en ces termes :
« Mwen fè lesiv pou moun 3 fwa pa semèn nan zòn Dèlma ak Lali. Men de lindi jiska jedi mwen
gen yon komès pate bò lakay mwen nan sitea. Le maten gen 4 ou 5 nèg baz ki toujou vinn pran
pate san peye mwen paka mande yo peye se yo ki mèt katyea. Yo dim yo banm sekirite. Sa fèm
mal men mwen reziyenm. Sim fè rèd map pèdi tout epi map pèdi 2 chanm kay mwen yo. E mwen
ka mouri tou. Se sèl sa mwen posede ». Rita explique « qu’elle tient un petit commerce de
nourriture trois jours par semaine, à côté de son boulot de lessiveuse. Tous les jours quatre ou
cinq membres du gang qui tient le quartier, viennent manger gratuitement sous le prétexte qu’ils
me protègent. Je ne réagis pas car je risque de tout perdre : mon commerce, ma petite maison et
même ma vie. Ils sont les seuls biens que je possède ». Le pauvre des villes est véritablement
« coincé » entre les rigueurs de son lieu de vie et de production qu’est le bidonville et
l’incapacité de la ville haïtienne de l’intégrer comme il faut.

Conclusion

Le pauvre des villes, contrairement au pauvre des champs, est théoriquement intégré aux circuits
de consommation parce qu’il bénéficie de l’effet de lieu. Il habite la ville qui est le haut lieu de la
consommation dans le pays. Quelques fois certaines opportunités s’offrent à lui au regard du
marché du travail urbain haïtien très ouvert aux travailleurs non qualifiés et de l’emploi à haute
intensité de main-d’œuvre (HIMO) pour la maintenance des infrastructures collectives
(nettoyage, curage, etc.). Les investissements publics et des ONG se réalisent davantage dans les
milieux urbains. Cela garantit un maximum de visibilité à ces acteurs très friands d’étaler au
public leurs réalisations. Les médias, par facilité et paresse, s’appliquent à leur donner le
maximum de publicité. Le pauvre des villes bénéficie des soldes (likidasyon) qui mettent à sa
portée de nombreux produits de première nécessité. Néanmoins il est contraint d’être dans une
dynamique de consommation dangereuse pour sa santé et nocive pour son portefeuille. En dehors
de l’accès douteux à un marché de consommation, le pauvre des villes vit dans l’insécurité

151
permanente. Son milieu de vie et de production est sous la coupe réglée de la violence urbaine
qui le décapitalise. Il perd souvent de nombreux jours de travail dans l’attente d’une accalmie,
son quartier étant régulièrement à feu et à sang. Certains quartiers comme Martissant et Cité
L’éternel ont passé plus d’un mois sans vie sociale et économique à cause des affrontements
armés entre bandes rivales d’un côté ; et de l’autre, entre groupes de bandits armés et la police
qui tente de ramener un peu d’ordre. Les revenus et les patrimoines de ce pauvre sont gravement
atteints. Car le pauvre vit au jour le jour et son revenu est donc lié au jour travaillé. C’est
pourquoi tomber dans la pauvreté en ville est une question très complexe. Elle peut être liée à la
transmission intergénérationnelle, à l’insécurité et au marché du travail, comme on vient de le
voir mais elle peut venir aussi des fractures familiales, de la pauvreté du ménage, du
vieillissement et du genre87

3- Les pauvres des frontières

Haïti partage avec la République Dominicaine, sa voisine, plus de 380 kilomètres de frontière.
La zone de contact créée est une entité à part. Certains parlent d’un troisième pays tant les
conditions de vie sont dégradées. Du côté de la République Dominicaine les provinces les plus
pauvres sont majoritairement celles qui se trouvent sur la frontière avec Haïti (carte suivante).
Les relations tumultueuses entretenues entre les deux voisins de 1805 à 1844 expliquent en
grande partie cette situation. En effet, les Dominicains ont pris la précaution de ne pas installer
leurs meilleurs atouts économique sur cette partie de leur territoire de peur qu’ils soient
rapidement conquis par d’hypothétiques invasions militaires venues d’Haïti. Et au regard de la
carte de pauvreté de 2004, les parties du territoire haïtien qui forment la frontière sont celles qui
sont les moins bien pourvues en services sociaux de base. Cette zone frontalière concerne les
parties Est des départements du Centre, du Nord-est, de l’Ouest et du Sud-est.

Il s’agit de mettre en lumière les conditions de vie des populations les plus démunies qui utilisent
la bande frontalière comme milieu de vie et de production. Les flux migratoires sont le premier
élément pris en compte. Ils concernent les flux pendulaires via le commerce et les flux des
travailleurs saisonniers. Cette dynamique donne lieu à toute une kyrielle de protagonistes qu’il

87
Dans le cadre de l’exode rural, les femmes réussissent mieux en ville que les hommes. En focus group à la
question « pourquoi elles réussissent mieux ? Les réponses sont catégoriques : « yo jwen nèg ranmase yo, yo fè
bouzen epi yo brase tou nan fè komès ». Propos d’une jeune étudiante en agronomie qui se nomme Reyna. Elles
trouvent facilement des hommes qui les prennent en charge, elles se prostituent et sont des touches à tout.

152
faut mettre en évidence en tant qu’acteurs dans ces relations transfrontalières. La démarche
accorde de l’importance aussi aux populations refoulées et aux travailleurs rapatriés qui
s’installent dans des camps de fortune. Dans ce cadre de là c’est la double exclusion qui frappe
cette population déjà en situation de grande vulnérabilité. D’un côté, elle est tenaillée par la faim
et le chômage et de l’autre côté elle est exploitée et ses droits sont ignorés et bafoués. C’est
l’endroit où le pauvre croise le commerçant, le contrebandier, le policier, le militaire, les agents
douaniers. Il est un maillon d’une grande chaine qui organise les échanges de biens, de
marchandises et des personnes. Ces dernières soulèvent la question des dispositions des citoyens
Dominicains à céder certaines de leurs prérogatives, déjà limitées, aux nouveaux arrivants
Haïtiens, en l’occurrence l’accès aux biens et services sociaux de base. L’hostilité à l’encontre de
l’immigré Haïtien s’observe au travers de la multitude de heurts recensés depuis 1986.

Figure 5.- La distribution spatiale de la pauvreté de part et d’autre de l’ile (Rep Dom et Haïti)

La pauvreté s’installe des deux côtés de la frontière. Trois des quatre provinces dominicaines les plus pauvres
sont situées sur la zone frontalière avec Haïti. Et trois des six régions les plus pauvres d’Haïti partagent cette
même ligne frontalière.

153
a- Une pauvreté sous les effets du pull and push

La situation des pauvres de la zone frontalière est fondamentalement liée aux flux migratoires
permanents qui charrient les haïtiens vers les plantations sucrières dominicaines en quête de
main d’œuvre bon marché. Le boom touristique que connait la République Dominicaine génère
des besoins conséquents dans le secteur agricole et du bâtiment. Ce besoin de main-d’œuvre, bon
marché et corvéable à souhait, est avantageusement comblé par les travailleurs Haïtiens dans la
logique du pull. Néanmoins, les autorités dominicaines, pour des raisons de politiques internes88 ,
expulsent régulièrement le « trop plein » d’Haïtiens. Poussés par la nécessité (chômage,
insécurité alimentaire et sous-emplois), les immigrés haïtiens, incapables d’obtenir un visa, se
mirent tout simplement à pénétrer sur le territoire de la République Dominicaine en tant que
sans-papiers pour y chercher du travail que leur pays n’arrive point à leur fournir. Leur nombre
et leur présence sur le marché du travail font d’eux, évidemment, une minorité trop visible. Les
déportations, les expulsions massives et arbitraires89 orchestrées par les autorités policières et des
groupuscules nationalistes et xénophobes tentent de diminuer significativement cette présence (la
planche suivante). Selon la Direction Générale des Migrations (DGM) de la République
Dominicaine pour le seul mois de janvier 2018 près de 16 000 haïtiens ont été expulsés du pays.

88
En République Dominicaine la question des migrants haïtiens est un épouvantail politique. Elle permet
d’expliquer ou de justifier les problèmes économiques aux citoyens Dominicains déjà éduqués dans un anti-
haitianisme primaire. Le migrant est perçu comme un soldat d’une invasion silencieuse dans le sillage des invasions
militaires haïtiennes du début du XIXème siècle.
89
Les organisations de défense des droits des migrants dénoncent ces pratiques à l’instar d’Amnesty International
par la voix de sa directrice régionale (Amériques) Erika Guevara-Rosas « Depuis qu’ils ont arbitrairement privé de
leur nationalité des milliers de Dominicains d’origine haïtienne, les pouvoirs publics dominicains ont provoqué une
crise des droits humains, des dizaines de milliers de personnes se retrouvant dans une situation de vide juridique ».

154
Photo 6.- Manifestations anti haïtiennes en République Dominicaine

Crédit photo de Rubis Diaz (libre Hoy.com)


Les groupuscules nationalistes et xénophobes manifestent leur anti haitianisme bruyamment dans les rues de Santiago. Ces exercices
dégénèrent souvent en poussées de violence contre les Haïtiens qui vivent légalement ou illégalement en République Dominicaine.

Il est bien de rappeler qu’en République Dominicaine les Haïtiens jouent le rôle de migrants de
remplacement. En effet, bien que le pays ait connu, au cours de la dernière décennie, une
croissance soutenue et une grande stabilité politique, l’émigration n’a pas diminué. Les
recensements des années 2000 permettent d’estimer que 716 586 Dominicains vivent à l’étranger
(13 % de la population), dont 633 000 aux États-Unis. Une estimation plus récente (2008) de
l’Enquête de la Communauté Américaine évoque un chiffre supérieur à 1.3 million (en incluant
les Dominicains nés aux États-Unis). D’importantes communautés de Dominicains se sont ainsi
établies en Espagne, en Italie et à Porto Rico (OCDE, 2009). L’effet pull and push demeure
valable aussi pour ce pays voisin.

Les camps de rapatriés se multiplient le long de la frontière entre Haïti et la République


Dominicaine. Ils sont au nombre de onze. Quatre d’entre eux sont dénombrés dans le
département du Sud-Est par les autorités locales (Tête-à-l’Eau, Cadot, Fond-Jeanette et de
Savane-Galata). Les milliers d’Haïtiens revenus volontairement ou de force de la république
voisine vivent leur quotidien dans des conditions infrahumaines, incapables de satisfaire leurs
besoins de base, avec la tentation de repasser de l’autre côté. 136 familles, constituant 627
personnes, vivent dans le camp de Tête-à-l’Eau. Ces personnes, expulsées pour la plupart, de la
ville dominicaine de Pedernales, ont abandonné leurs biens pour échapper aux menaces de
massacre proférées par les voisins et des radicaux à travers la radio. Ces camps constitués de
tentes multicolores et des centaines de maisonnettes construites en carton, en morceaux de tissus
et des morceaux de bois, placées dans des zones désertiques affichent un spectacle désolant. Ces

155
lieux abandonnés des autorités publiques sont invivables. La chaleur et la poussière y rendent la
vie peu supportable.

En dehors des camps, la zone frontalière se démarque du reste du territoire national. Sa


population est plus jeune que la moyenne nationale (50,4 % de personnes en dessous de 18 ans
contre 46,4 % au niveau national). La taille des ménages est plus importante, ils comptent en
général 5,5 personnes, alors que la moyenne nationale est de 4. Cette situation confirme la
pauvreté qui s’installe dans cette partie du pays. L’agriculture de subsistance est l’activité
économique prépondérante dans les communes frontalières. L’élevage à petite échelle est
pratiqué par les plus pauvres. Sur cette activité générale est greffée la production de charbon de
bois. Elle constitue l’une des principales sources des maigres revenus des pauvres qui vivent
dans les zones rurales proches de la frontière. Le commerce transfrontalier du charbon de bois se
fait tout le long de la frontière, la plupart du temps à petite échelle : des individus ou de petits
groupes traversent la frontière pour couper des arbres en territoire dominicain afin d’alimenter
les meules traditionnelles à carboniser se trouvant en Haïti. Certaines fois la production de ce
charbon de bois se réalise directement en République dominicaine avant d’être transporté de
l’autre côté de la frontière ou vendu sur les marchés binationaux.

b- Une pauvreté des frontières qui se féminise par le commerce informel

Le marché transfrontalier est un lieu incontournable pour le pauvre. On dénombre quatorze


marchés binationaux de part et d’autre de la frontière haïtiano-dominicaine mais la plupart des
vendeurs sont des Haïtiens, qui vivent en République dominicaine ou qui passent la frontière les
jours de marché». Ces rencontres entre les vendeurs et acheteurs binationaux permettent aux
pauvres de vendre sa force de travail. Le pauvre des frontières est dans la restauration de rue, le
commerce ambulant et le transport de marchandises (porte-faix). Il est manutentionnaire pour la
charge et la décharge des camions et certaines fois il est dans la pratique du taxi-moto pour le
compte d’un propriétaire. Les femmes en particulier jouent un rôle important dans le volet
commerce, car elles constituent la majorité des commerçants (GARR, 2015) et cette activité
représente leur principal moyen de subsistance. Elles vendent surtout des produits alimentaires
de faible valeur marchande, tandis que les commerçants hommes vendent une plus grande variété
de produits de valeur supérieure. Les revenus du commerce sont principalement utilisés dans les

156
ménages pour couvrir des besoins primaires, comme l’alimentation ou la scolarisation des
enfants.

Les femmes commerçantes sont confrontées à des difficultés spécifiques : elles ont le plus petit
capital de départ, elles font généralement du commerce des biens qui génèrent le moins de
profits, et elles sont confrontées au harcèlement à la frontière (douaniers, policiers, militaires,
passeurs). En plus, leurs activités commerciales ne les libèrent pas de leurs responsabilités
familiales : leur commerce les oblige à revenir à la maison tard le soir, pour assurer ensuite les
besoins du ménage. Pour ces petits commerçants pauvres, l’accès au capital est limité et provient
en grande partie des ressources du ménage. La femme pauvre (ou le pauvre) des frontières est
confrontée à un problème spécifique : celui des taxes informelles et de la multitude d’acteurs
présents aux frontières. Cela entraîne souvent pour elle de mauvais traitements de la part des
fonctionnaires. Les entretiens avec ces petit(e)s commerçant(e)s ont révélé qu’ils (elles) préfèrent
les taxes informelles parce qu’elles sont « négociables ». Ces acteurs s’adaptent au système de
corruption et lui restent fidèles dans la logique du « loyalty ». Cette fidélité, in fine, ne fait que
les maintenir dans le statu quo donc leur pauvreté.

Photo 7.- Marchands haïtiens attendant l’ouverture d’un point de passage officiel de la frontière.

Crédit photo de P J Mérat


Les points de passage sur la frontière sont nombreux et de différents statuts. Ici à Belladère (Est d’Haïti) un
point de passage officiel, des dizaines d’Haïtiens, fondamentalement, de petits marchands attendent
l’ouverture des grilles de côté dominicain afin de traverser la frontière.

157
Le pauvre des frontières cherche par tous les moyens à saisir sa part d’opportunités économiques
offertes par ce milieu de vie et de production. Il est « passeur » dans les trafics de tout genre. Il
est impliqué dans l’organisation des voyages clandestins. Ces activités illégales lui rapportent
quelques gourdes. Il est un passeur et est couramment appelé « bucon ». Il passe une bonne
partie de sa journée (et de sa nuit) en quête de voyageurs sans papiers. A Ouanaminthe, sur la
frontière du nord-est le bucon prend le surnom de « casque bleu »90 et dans le sud il est nommé
« viejo ». Il aborde à l’entrée chaque haïtien ou dominicain qui rentre en Haïti. Il développe des
astuces pour leur soutirer de l’argent. Bon nombre de jeunes dans le chômage ont recours
quotidiennement à cette pratique locale pour survivre. Ce phénomène représente l’un des visages
de la pauvreté au niveau de la frontière haïtiano-dominicaine. Le pauvre de la zone frontalière vit
dans une précarité et une vulnérabilité sévères (habitats insalubres et insécurité pour sa vie et ses
maigres biens) (photo suivante).

Photo 8.- Habitat des pauvres à Ouanaminthe

Crédit photo de A. André

Le pauvre des frontières est mal loti. Son habitat est insalubre. Et la matérialisation de l’espace autour de sa case est
significative par la présence de barbelés.

90
Le mot casque bleu donné à ce type de passeur vient de l’activité de contrôle opéré sur la frontière par les soldats
de la mission de paix onusienne (MINUSTAH). Les principales cibles des « casque bleu » sont les dominicains et
les haïtiens qui méconnaissent la réalité frontalière qu’on appelle «kongo ». Le « casque bleu » se met également à
la disposition du migrant irrégulier en lui proposant son aide, pourvu que ce dernier le paie. La plupart du temps, il
trompe son client en lui faisant des promesses qu’il ne pourra pas tenir.

158
Conclusion

Le pauvre de la frontière se bat contre une double exclusion. Il est rejeté d’un côté par son pays
(Haïti) qui ne lui offre pas les opportunités dont il espère et de l’autre côté (en République
Dominicaine) il est refoulé par une société qui le perçoit comme une menace. Il est l’homme des
lisières, pas tout à fait ici pas tout à fait ailleurs non plus. Il vit dans des conditions précaires soit
chez lui (habitat insalubre), soit dans les camps de refoulés (conditions infrahumaines), soit dans
les plantations agricoles dominicaines (corvéable, taillable et méprisé). Ce contexte spatial lui
permet d’évoluer certaines fois entre la légalité et l’illégalité pour survivre. On notera aussi que
cette pauvreté de la frontière se féminise car les femmes constituent une partie prenante majeure
dans les activités commerciales qui se réalisent entre les deux pays. La frontière n’est pas un
obstacle pour lui car il l’enjambe quotidiennement et la transforme en outil de travail ou de
débrouille. Néanmoins sa vulnérabilité face aux policiers haïtiens, aux soldats dominicains, aux
douaniers haïtiens et dominicains, le condamne à faire aucun saut qualitatif sinon reproduire à
l’infini ses conditions de vie déplorables. Sa pauvreté devient une borne frontalière presque
immuable.

4- Les pauvres des Iles adjacentes

Le territoire haïtien s’étend sur une superficie de 27 750 km2. Il intègre aussi un ensemble d’iles
sur six départements (le Sud, les Nippes, la Grande-Anse, l’Ouest, le nord et le nord-ouest). Ces
iles au nombre de douze sont, pour certaines d’être elles, méconnues et font l’objet d’aucune
attention de la part des pouvoirs publics. Elles subissent une triple pénalité: le sous-équipement,
l’exclusion et la mauvaise exploitation. La surinsularité qui s’établit entraine une rupture de
charge des biens et des personnes engendrant un surcoût et une durée supplémentaire (Desse. M,
2013) Ce désintérêt pour ces morceaux dispersés du territoire national a couté au pays la perte
de souveraineté sur l’ile de la Navase91au profit des États-Unis. Cette douzaine d’iles ne se prête

91
Le Congrès américain a déclaré en 1856 en vertu du Guano Act que toute île inhabitée contenant du guano
(déjections d’oiseaux) était placé sous leur souveraineté bien que toutes les constitutions haïtiennes, depuis 1801,
mentionnent les îles adjacentes comme parties intégrantes du territoire national. 0r, selon la constitution haïtienne,
un territoire haïtien, est réputé l’être, même s’il est inhabité. La constitution de 1874 est plus précise sur ce point, car
le second paragraphe de l’article 2 mentionne nommément la Navase. Le contentieux commença en 1858par une
communication en date du 10 mars des consuls anglais et français précisant que des citoyens américains avaient mis
pied sur la Navase et l’ont déclarée territoire étatsunien en y plantant leur drapeau. L’empereur Faustin Soulouque
répondit à la menace étasunienne en envoyant en avril 1858 deux vaisseaux de guerre avec instruction d’expulser les

159
pas pour le moment à l’analyse car les données font défaut pour certaines et pour d’autres les
données qui existent sont liées à une unité de collecte beaucoup plus large que l’ile en soi. La
Grosse Caye, la Petite Gonâve, la Petite Cayimite, Ile aux rats, les Cayes à l’eau, les Iles
Arcades, seront très peu prises en compte. L’observation et l’analyse se feront fondamentalement
sur les trois plus grandes iles qui sont aussi les plus connues92 . Il s’agit de l’ile de la Gonâve, de
la Tortue et de l’ile à Vaches.

a- Des espaces totalement en décalage avec le reste du territoire.

Dans les iles mentionnées plus haut, la pauvreté est plus importante que la moyenne nationale.
La moyenne étant de 76.3% pour les iles adjacentes contre 58.5% à l’échelle nationale (pauvreté
modérée). Et, pris séparément, les taux de pauvreté de chacune des iles dépassent le taux moyen
d’Haïti. Le Taux de pauvreté de l’Ile de la Gonâve est de 58.7% contre 85.3% et 91.3%
respectivement à l’Ile-à-vache et à l’Ile de la Tortue. La situation est sans nul doute pire dans le
reste des iles composées en grande partie de villages de pêcheurs pour lesquels les pouvoirs
publics depuis deux siècles n’ont consenti aucun investissement. Les populations sont livrées à
elles-mêmes pour l’accès au moindre petit service et équipement. Ces espaces vivent en dehors
du temps national. Les propos de Anne Meistersheim (1998) dans « Insularité, insularisme,
iléité, quelques concepts opératoires » sont en harmonie avec la situation des iles haïtiennes en
question : « L’île est profondément paradoxale, ambivalente. Tout se change en son contraire.
De là vient qu’il est si difficile d’en saisir l’essence, de la définir, de la fixer. On oscille
constamment entre la “banalité de base” et l’indicible. Quand on croit l’avoir bien cernée on la
voit qui s’éloigne : certaines îles sont mal amarrées ; ce sont des bateaux qui dérivent et vous
échappent »

colonisateurs par la force. Son intervention n’eut pas de suites, car il fut renversé par Geffrard. En 1917, les USA y
installèrent des gardes côtes. En 1989, le gouvernement militaire haïtien dépêcha sur place une équipe de
radioamateurs. Ceux-ci plantèrent le drapeau haïtien dans le sol et une inscription mentionnant la souveraineté
haïtienne. Pendant quelques heures, ils émirent des messages radio depuis “Radio Navase Libre”. Le conflit ressurgi
avec force en 1998 et il demeure un point de contentieux entre Haïti et les États-Unis.

92
Les données sont présentées pour l’Ile de la Gonâve, l’Ile-à-vache et l’Ile de La Tortue. Les données pour les Iles
Cayemites, 6e section communale de Pestel ne sont pas disponibles. Autrement dit, elles sont noyées dans celles de
la commune de Pestel puisque les données de l’ECVMAS ne peuvent pas être désagrégées au niveau de la section
communale.

160
A l’intérieur des espaces insulaires analysés il existe une minorité de non pauvres certes mais
elle subit les mêmes rigueurs de l’enclavement, de l’isolement et de l’absence sévère
d’équipements. Ces composantes de l’espace national n’ont jamais été ciblés par d’importants
investissements publics ou privés, ou de politiques rationnelles, capables d’augmenter le revenu
des populations insulaires, favoriser l’accès aux Services Sociaux de Base (SSB) et améliorer les
conditions d’existence. En général dans les iles adjacentes, trois habitants sur 4 sont pauvres. Le
tableau suivant montre le rapport pauvre et non pauvre dans la population pour les trois iles
majeures.

Tableau 19.- Répartition de la population pauvre et non-pauvre dans les iles adjacentes
Iles adjacentes enquêtées Non-Pauvre Pauvre Total
Ile de La Gonâve 41.3 % 58.7 % 100 %
Ile de La Tortue 8.7 % 91.3 % 100 %
Ile-à-vache 14.7 % 85.3 % 100 %
Total 23.7 % 76.3 % 100 %

Source : ECVMAS 2012

b- Les iles, un espace de vie et de production prisonnier de la pauvreté.

Les habitants des iles adjacentes sont les oubliés de la République, la majorité des services
publics ne sont pas disponibles et la présence de l’État est très peu visible. La plus mal lotie
serait les Iles Cayimites qui ne sont qu’une des six sections communales de la commune de
Pestel, dans l’Arrondissement de Corail. L’accès à l’eau et à l’eau potable demeure la grande
préoccupation des iliens. Dans beaucoup de cas l’eau est ramenée par la voie de cabotage de la
grande terre. Seulement 3,5 % des ménages non-pauvres ont déclaré avoir acheté de l’eau traitée
comme principal mode d’approvisionnement en eau de boisson et près de 4 ménages sur 10, soit
37%, ont déclaré avoir recours à une source d’eau non protégée. On comprend la forte récurrence
des maladies hydriques dans les registres de la prise en charge des centres de santé de ces
milieux.

L’ECVMAS de 2013 a montré que seulement 1.6% de la population pauvre des iles adjacentes
utilise le gaz propane comme principale source d’énergie pour la cuisson. 23.4% utilisent le
charbon de bois contre 75% utilisant le bois de feu et assimilé. Donc, 98.4% de la population de
ces espaces ne consomment que des ressources ligneuses comme source d’énergie pour la
161
cuisson. Le tableau suivant exprime cette primauté du bois. Cette situation constitue le facteur
majeur du déboisement de ces iles. Cette dynamique accélère la dégradation du cadre de vie local
et hypothèque la constitution et le renouvellement des ressources hydriques vitales pour la survie
de l’implantation humaine.

Tableau 20.- La place des ressources ligneuses dans l’énergie de cuisson dans les iles

Origine de l'énergie pour la cuissson


80,00%
70,00%
60,00%
50,00%
40,00%
30,00%
20,00%
10,00%
0,00%
Gaz propane Charbon de bois Bois/Paille

ECVMAS 2013

L’épuisement des ressources ligneuses est une préoccupation majeure car elle compromet la
production locale. Ces iles fonctionnent essentiellement sur l’exploitation minière des ressources
naturelles (faune et flore). Dans cette dynamique l’élevage comme activité jadis importante est
menacé. Car le manque de fourrage constitue à côté des problèmes de santé animale, l’un des
freins majeurs au développement de l’élevage. C’est un cycle vicieux dans la mesure ou les
arbres sont très prisés par le charbonnage. Les ponctions sont faites fondamentalement sur les
mangroves qui bordent ces iles. Ce qui fragilise dangereusement l’autre activité majeure de ces
iles, la pêche. Ces dernières vivent aussi sous la coupe réglée de certains narcotrafiquants qui
utilisent ces espaces isolés et enclavés comme lieux de réception et de transit.

- La Gonâve, le condensé du naufrage des îles dans l’espace haïtien

Le cas de l’Ile de la Gonâve est symptomatique du problème de l’exploitation durable des


ressources ligneuses dans ces petits espaces insulaires. Il faut noter que la situation de cette ile
s’explique de façon chronologique sur quatre périodes. La première période (1600-1804) marque
le début de son déboisement par le biais de la prédation coloniale. La deuxième période va
s’étendre de 1805 à 1914, l’État national haïtien va prendre le relai de l’exploitation coloniale

162
outrancière. Les deux dernières périodes sont celles qui manifestement marquent le plus
profondément les structures économiques et environnementales de l’ile. Leurs empreintes sont
encore vivaces et palpables en tenant compte de l’appauvrissement qui s’y installe dans leur
sillage.

Une mise à sac accélérée par l’occupation américaine de l’ile (1915 à 1934). Le Journal
L’Essor93, numéros 19 et 20, Octobre et Novembre 1913 relate que jusque vers les années 1910,
« Les 3/5 des sections de Grand- Vide, de Gros-Mangle et de Trou-Louis étaient encore en forêts
vierges et les 2/6 des 8 autres : La Source, Grand-Lagon, Pointe-à-Raquette, Grande Source,
Petite-Source, Palma, Piquiny (actuelle Picmy) et Petite-Anse étaient couvertes de grands bois.
L’on y rencontrait toutes les variétés de bois durs ou de construction. Les arbres les plus connus
furent : le candelon, l’acoma, le bois blanc (les deux variétés grandes feuilles et petites feuilles),
le bois de fer, le goyavier sauvage, le sapotillier sauvage, le dame-marie, le caïmitier sauvage,
l’amandier, le bois-pini, le marbrier, le quinquina, le palétuvier, le manglier (rouge, noir ou
blanc), le bois rose, le gommier, le bayahonde, etc…»

En matière de bois précieux, le journal cite, entre autres, l’acajou à fleur ou sans fleur, le gaïac
franc ou bâtard, l’ébène, (variétés : noire et verte), le cèdre rouge. De nos jours, rares sont les
variétés de ces arbres, que l’on puisse retrouver sur le sol gonâvien. La forêt à La Gonâve est un
bien étrange mot. Le processus de déboisement que les concessionnaires de l’État (nationaux et
étrangers) avaient orchestré durant des décennies a été poursuivi par les cultivateurs avec la
méthode du brûlis. La décapitalisation de l’économie rurale, le faible rendement de l’agriculture
allaient pousser les paysans à fabriquer davantage du charbon de bois, en réponse, bien sûr à la
demande urbaine en énergie.

Les paysans ne disposant d’aucune ressource financière avant et après la courte période de
récolte de maïs, de petit-mil et de l’arachide, etc. se rabattent sur ce qui reste de bois dans l’île,
les bayahondes, utilisés dans la fabrication du charbon destiné au service des ménages d’Anse-à-
Galets, la principale ville de La Gonâve. Cette source d’énergie est grandement utilisée aussi par
les ménages des villes côtières de la grande terre : Arcahaie, Saint-Marc, Léogâne, Petit-Goâve,
les centres urbains de la région métropolitaine de Port-au-Prince.

93
Sous la plume de Luc DORSINVILLE dans un article intitulé L’Impavide Gonâve
163
L’année 1915 marque au fer rouge le destin de l’ile : En juillet l’occupant américain s’installe et
introduit le sisal comme culture industrielle et le cyclone dévastateur du 12 aout ramène
massivement les sinistrés de la presqu’ile du sud en quête de terres libres et non occupées. Les
plantations liées à l’industrie étaient faites au détriment des petits producteurs qui ont été
expropriés de leurs terres. Une autre raison pour ces derniers de partir à la quête de nouvelle terre
libre pour se loger, mais aussi pour produire de la matière première demandée par ces usines. A
cette époque aussi, l’ile de La Gonâve était le principal lieu d’attraction à cause de ses espaces
vides mais aussi pour de sa couverture végétale très dense qui pouvait être exploitée à des fins
économiques.

Un espace dans la tourmente et l’abandon (1934-2016). De 1940 à 1960 l’ile va connaitre le


développement et le déclin des cultures industrielles. Le sisal n’a pas fait long feu car l’usage du
nylon au début des années 80 a fait chuter la demande sur le marché international, cela a eu des
répercussions sur l’offre et l’abandon progressive de cette culture. Les conséquences du choix de
cette culture industrielle furent catastrophiques pour la paysannerie haïtienne : Le revers de la
médaille» de cette production de sisal, fut l’aggravation de l`insécurité alimentaire des masses
paysannes, qui n’avaient plus les moyens de cultiver leurs petits lopins de terre (cultures
vivrières de subsistance), du fait qu’ils avaient été dépossédés par les grandes compagnies
exploitant le sisal. Les habitants, comme recours, commençaient à expérimenter la production du
charbon de bois, à la satisfaction des besoins en énergie des jeunes agglomérations de villes
formées sous la pression de l’industrie de sous-traitance en gestation dans les années 1970 et
1980. Il est bon de noter aussi qu’à cette époque, l’Ile avait une production conséquente de café,
de «tabac», destinée à la grande terre pour être acheminée à l’étranger via les
exportateurs/spéculateurs. Durant cette période, sur l’ile on pratiquait l’élevage à la corde car il y
avait une agriculture faite de cultures maraichères, de la polyculture d’igname associée au café, à
la banane et aux citrus, ou du pois congo associé à la patate douce, au maïs et au manioc. La
production végétale allait perdre graduellement son poids dans l’Ile à la faveur de l’élevage libre
et la production de charbon de 1970 aux années 1990. Ainsi, une bonne partie de la population
de l’ile s’est reconvertie en pécheurs.

164
Les années 90, 2000 et 2010 sont marquées par la récurrence des catastrophes naturelles. L’ile a
subi de nombreux épisodes de sécheresses, de cyclones et de famines. La réaction des habitants
est plurielle : migrer vers la grande terre (les rizières de l’Artibonite ou les parcs industriels de la
région métropolitaine de Port-au-Prince), se faire boat people ou immigrants vers les Bahamas,
les États-Unis, Les Antilles françaises et la République Dominicaine. En 2012, le cyclone Isaac
frappa de plein fouet l’ile. Et la prolongation de la sécheresse en 2012 (soit 8 mois au lieu de 6,
de février à septembre) est venue aggraver le sort d’une population déjà vulnérable, minée depuis
une vingtaine d’année par des évènements divers affectant la production agricole et
l’environnement. En 2016 le cyclone Matthew a été dévastateur pour l’ile. Cette situation
continue de contribuer au renforcement du phénomène de la coupe des arbres et à la
désertification de l’ile.

Conclusion

La pauvreté des iles est une couche supplémentaire ajoutée à celle qui se généralise et se massifie
dans tout le pays. Cette nouvelle couche se manifeste par le dénuement, caractérisé par l’absence
ou le manque d’équipement collectifs tels les hôpitaux et les établissements scolaires,
l’enclavement qui se matérialise par l’absence ou la faiblesse des infrastructures assurant la
continuité territoriale. Ces espaces sont en décalage avec le reste du territoire en matière de
services sociaux de base. L’isolement qui les caractérise les pousse, souvent, vers une certaine
autosuffisance énergétique qui épuise leurs ressources ligneuses. Le pauvre des iles se sert de
cette ressource comme monnaie d’échanges avec le reste du pays. Le commerce de charbon et la
pêche prédatrice permettent à ces iles d’accéder moyennement au marché national. En résumé les
pauvres des iles sont des abandonnés de la République. Ces espaces abandonnés par les pouvoirs
publics sont aujourd’hui récupérés par d’autres acteurs (trafiquants et contrebandiers) comme le
signale F. Taglioni94 (2006) : « les petits espaces semblent plus permissifs que de vastes
ensembles continentaux. On peut aisément les ranger dans la catégorie des « anti-monde » de la
finance, de la drogue, du sexe, du carcéral et d’expérimentations en tout genre à l’abri des

94
Taglioni. F (2006) « Les petits espaces insulaires face à la variabilité de leur insularité et de
leur statut politique ». Annales de Géographie (n° 652). A. Colin. Pages 664 - 687

165
regards. Partant, il apparaît plus facile de se les « approprier », c’est toujours l’effet garanti du
« small is beautiful ». Dans le cas des petites iles haïtiennes il faudrait plutôt parler de « small is
poverty » dans la mesure où ces petites iles cumulent des taux de pauvreté supérieurs au taux
moyen national.

Conclusion du chapitre

Ce chapitre montre les visages de la pauvreté en Haïti sous l’angle spatial. Les territoires sont de
véritables réceptacles qui influencent les contours de la pauvreté. La pauvreté devient un liquide
prenant la forme du vase qui le contient. Le pauvre des champs est totalement démuni parce qu’il
est trop éloigné des centres d’impulsion régionaux et nationaux. Son milieu de vie et de
production est appauvri par le sous équipement. Il est au bout de la chaine économique nationale
ce qui lui fait payer plus cher l’accès aux biens de consommation et aux services. Le pauvre des
champs est exclus de tous les registres nationaux (bancaire, d’identité, de protection sociale). Le
pauvre des villes est réputé mieux loti que son cousin rural car il bénéficie de l’effet de proximité
avec les hauts lieux de la consommation et de la disponibilité des services que sont les villes. De
ce fait, il en tire profit car il accède à un minimum de consommation. Cette dernière, dans
beaucoup de cas, s’avère dangereuse pour lui : les produits auxquels il a accès sont généralement
nocifs pour sa santé. Le pauvre des villes fait face à l’insécurité dans son milieu de vie et de
production que sont les bidonvilles. Il devient prisonnier dans son propre quartier du fait de la
pression des gangs sur ses activités (commerce).

Si le pauvre des frontières utilise ce point de contact comme milieu de vie et de production il
n’en est pas moins tributaire du rejet qu’il subit des deux côtés, il est donc pris dans l’effet de la
logique du pull and push. La pauvreté des frontières se féminise dans le cadre du commerce car
les femmes représentent plus de 80% de ceux qui opèrent sur la bande frontalière en quête de
leur pain quotidien. Et le pauvre des frontières vit au quotidien le harcèlement des fonctionnaires
(militaires, policiers, douaniers) et des acteurs économiques (contrebandiers et passeurs) et des
acteurs du militantisme socio-politique (xénophobes, racistes, ultra-nationalistes). Ce contexte
contraint le pauvre à s’adapter à ce milieu qui lui est hostile par l’informel, l’illégalité et la
corruption. L’effet de lieu est sévère pour le pauvre des iles adjacentes qui doit subir l’isolement
dans un contexte de surinsularité.

166
La pauvreté du bidonville, des iles adjacentes, des campagnes et de la zone frontalière est le
résultat de la construction sociale haïtienne. L’espace social se retraduit dans l’espace physique
(Bourdieu, 1993). La position du pauvre dans l’espace social haïtien s’exprime dans le lieu de
l’espace physique où il est situé. La structure sociale doit être saisie à partir des données sur les
contextes géographiques. Il est donc aisé de dire que l’exclusion sociale dans le pays se double
d’une véritable ségrégation spatiale. Ou plutôt, la ségrégation spatiale s’érige comme une
structuration sociale en soi. Les rapports sociaux, abstractions concrètes, n’ont d’existence réelle
que dans et par l’espace (Henri Lefèbvre, 2000). L’inscription spatiale de la pauvreté met en
lumière un certain nombre de réalités fondamentales pour l’analyse des questions sociales et
dans l’orientation des politiques publiques de prise en charge du phénomène de pauvreté dans le
pays. A cet effet, il y a lieu de noter que la marginalisation sociale et la ségrégation spatiale vont
de pair et se renforcent mutuellement. La pauvreté géographiquement concentrée redoublerait les
effets de la pauvreté individuelle. Ainsi, en privant les bidonvilles et les iles adjacentes des
services sociaux de base on les rend invivables (et vulnérables).

L’espace stigmatisé dégrade symboliquement ceux qui l’habitent, et qui, en retour, le dégradent
symboliquement. Le rassemblement en un même lieu d’une population homogène dans la
dépossession a pour effet de redoubler la dépossession (Bourdieu op. cité). Cette dynamique
entraine des conséquences dramatiques sur le plan du vivre ensemble dans le pays. Car, dans les
bidonvilles, zones communément qualifiées de non-droit, tout espoir de promotion sociale est
brisé. Ce qui fait tomber insidieusement les jeunes dans les rouages de la violence et du
banditisme. Autrement dit ces lieux vulnérables deviennent un terreau fertile pour l’émergence
de gangs et de défiance vis-à-vis des pouvoirs publics. La structuration géographique fonctionne
alors comme l’agent principal de reproduction des rapports sociaux. Ce qui peut porter à croire
au caractère déterministe et irréversible de la pauvreté spatiale. Cette dernière en Haïti n’est
cependant que l’aboutissement d’un long processus qui plonge ses racines dans l’histoire
nationale et la construction politique qui lui est associée.

167
Chapitre IV
Une construction nationale et territoriale tournant le dos à la mer et génératrice de
pauvreté

Cette pauvreté dans son rapport avec l’espace vient d’un enracinement historique, qui constitue
une tendance lourde dans l’évolution d’Haïti. En effet, cette ile, peuplée d’Arawak, découverte
par Christophe Colomb en 1492 fut d’abord une colonie espagnole d’extraction de l’or sous le
nom d’Hispaniola. Au terme de l’exploitation minière l’Espagne cède officiellement à la France
le tiers occidental de l’Ile (traité de Rijswijk en 1697), une présence française déjà initiée dans le
nord-ouest par la flibusterie via l’ile de la Tortue. Près d’un siècle plus tard l’Espagne abandonne
l’ile à la France (traité de Bâle en 1795). Entre-temps l’économie sucrière installée par la
Métropole transforme l’ile, devenue Saint-Domingue, en la plus riche des colonies françaises.
Cependant les soubresauts de la révolution française de 1789 ajoutés aux rigueurs du système
colonial et esclavagiste transforment cette colonie prospère, dénommée alors « Perles des
Antilles », en un véritable brasier. L’irruption des esclaves sur la scène politique va chambarder
tout le système en donnant naissance à une révolution anticolonialiste et antiesclavagiste
aboutissant à la création de l’État haïtien, le deuxième sur le continent américain après les États-
Unis d’Amérique. Ce chapitre veut replacer l’inscription spatiale de la pauvreté en Haïti dans son
contexte historique. Les disparités spatiales et surtout la pauvreté qui frappe les campagnes, les
iles adjacentes, les quartiers marginaux des villes et le littoral sont l’aboutissement, d’une part,
d’un processus de construction nationale et d’autre part les fruits d’un contrat social inégalitaire.
Dans ce contexte trois facteurs prédominèrent et méritent d’être expliqués : pourquoi l’intérieur
du pays a été vu et perçu comme le pays « utile » ? En quoi l’occupation américaine a-t-elle
privilégié l’option centralisatrice du pays ? Et dans quel sens le séisme de 12 janvier 2010 a
constitué un puissant accélérateur dans la réorientation de l’aménagement vers les régions ?

L’accession à l’indépendance en 1804 du pays est l’aboutissement d’une guerre totale entre les
forces napoléoniennes et l’armée de libération nationale. La stratégie de la terre brulée
représentait l’arme absolue. Les incendies ont eu des effets dévastateurs sur l’aménagement
économique. Les esclaves révoltés brulaient tout pour décourager les colons, il fallait rendre la
colonie invivable pour ceux qui y règnent en maitres absolus. Tout est incendié habitations,
plantations et équipements de production. La stratégie a fonctionné les colons ont dû abandonner

168
la partie. Et l’armée expéditionnaire a capitulé. La colonie de Saint-Domingue meut et donne
naissance à Haïti. Sans ressources (le sucre est parti en fumée), sans capitaux (les colons ont
préféré cacher l’or) et sans une masse critique de ressources humaines, le nouvel État fait son
entrée dans le concert des nations dans le dénuement complet.

Cette pauvreté de départ va être amplifiée avec la nature même de l’acte posé par les Haïtiens en
1804. Le nouvel État dérange il est en contravention avec l’ordre international esclavagiste et
colonialiste. Haïti très tôt va vivre une situation spéciale: elle fait peur et elle a peur. Ceux qui
ont peur organisent le blocus contre le pays95. Ils ne le reconnaissent pas et mettent la nouvelle
nation en quarantaine. Haïti a peur et développe des stratégies pour contrer cette menace. Cette
dernière est multiforme mais les haïtiens appréhendaient déjà la voie (le substrat) par laquelle le
danger passerait: la mer. L’éventualité du retour de l’armée française est perçue et vécue
collectivement. Le nouvel État adopte un slogan témoignant de la charge de peur et de stress qui
pèse sur la nation: l’œil aux aguets et le doigt sur la gâchette.

Les mesures prises sont à la dimension du défi que représentent le maintien et la survie du pays.
L’esclave accédant à la liberté et à la citoyenneté par lui-même et à l’aide de son fusil ne veut
point renoncer à ces acquis précieux. Les stratégies appliquées par les dirigeants sont d’ordre
social, économique et militaire. Les cadres de l’administration coloniale et certains éléments de
l’ancienne classe possédante qui ont pris le risque de rester dans l’ile vont être éliminé
physiquement par les nouvelles autorités constituées96. La canne - à-sucre qui a fait le bonheur de
la colonie va être remplacée par le café. Le pays propose une compensation aux anciens
propriétaires. Et la nation se met en état de guerre permanent.

Ces choix imposés par la conjoncture vont se révéler des choix toxiques pour l’avenir du pays.
L’aménagement agricole centré sur le café va ouvrir la vanne de l’érosion massive. Le paiement
de la dette d'indemnisation à l’ancienne métropole a hypothéqué l’avenir économique de la jeune
nation. Car les Cent cinquante millions de franc or versés représentaient une somme colossale,
environ quatre fois le budget de la France à l’époque (Jean-Raspail, 1966). La transformation de
l’intérieur du pays en zone sûr (pays utile) a eu pour effet de laisser à la paupérisation une large
95
La nouvelle nation n’est reconnue par aucune autre nation. Les États-Unis font du commerce avec le nouvel État
mais ne le reconnaissent pas officiellement. Et le Royaume-Uni fait de même.
96
L’élimination a été sélective car les Allemands, les Espagnols et les Polonais intégrés dans l’armée
napoléonienne et qui l’ont désertée au profit de l’armée de libération nationale n’ont pas été inquiété. Ils ont reçu la
nationalité haïtienne.

169
portion du territoire (les littoraux). La construction de ce pays utile tournant dos à la mer,
l’établissement d’un centralisme politico-économique, et le coup de boutoir que représente le
séisme du 12 janvier 2010 sont les axes majeurs d’analyse qui expliqueraient une construction
nationale génératrice de pauvreté. Il faut bien le souligner que ces trois facteurs ne sont que des
partis pris d’ordre analytique. Ils n’ont pas la vocation de clore le débat sur les causes de la
pauvreté en Haïti. Les guerres civiles, les dictatures, l’instabilité politique chronique et le peu de
prise des grandes mouvances internationales (mondialisation, industrialisation etc.) sur le
cheminement politique d’Haïti constituent autant de facteurs à prendre en compte dans ce
contexte.

1- L’intérieur, le pays utile en construction depuis 1804

Au lendemain de l’indépendance, face aux menaces qui pèsent sur le nouvel État, les pouvoirs
publics vont consacrer “l’intérieur” comme le pays sûr. Celui qui n’est pas à la portée immédiate
de l’envahisseur et capable d’opposer une résistance conséquente afin de sauvegarder la nation.
La mer est devenue une arme à double tranchant, elle charrie la liberté et en même temps elle
mondialise le colonialisme et l’esclavagisme. L’historien haïtien Vertus Saint-Louis met,
magistralement, en évidence cette distorsion dans son ouvrage intitulé « Mer et liberté-Haïti
1492-1794 » : la mer a apporté les ingrédients qui ont servi à produire la liberté pour les esclaves
d’Haïti. Mais c’est de la mer que sont venus les codes de vie pour estomper les rêves de liberté
du peuple haïtien97. Un ensemble de décisions politiques et économiques vont être prises par les
nouveaux dirigeants pour la mettre en place.

97
En décembre 2009, l’économiste haïtien Lesly Péan, opinant sur cette thèse de Vertus, dira « qu’il projette un
éclairage particulier pour aider à comprendre l’affranchissement en Haïti. À la faveur d’une conjonction de
facteurs, la mer et la liberté se rejoignent pour sauver la plus riche des colonies par la libération de ses travailleurs
de leur condition servile. Contradiction fondamentale quand on sait que des villes telles que Bordeaux, le port
sucrier de la France, et Nantes, son port négrier, dès 1680, avec plus d’une centaine de bateaux destinés au
commerce interlope avec Haïti, dépendaient de l’esclavage moderne basé sur la supériorité raciale des Blancs pour
assurer la rentabilité de leurs entreprises. Pour ces villes portuaires françaises et d’autres qui bénéficient de la
traite dont La Rochelle, Rouen, le Havre, Marseille ainsi que pour maintes villes anglaises et allemandes, la liberté
c’est l’esclavage. Alors que les Haïtiens disent qu’il faut la liberté sans esclavage. Vertus Saint Louis a le mérite de
forcer la pensée en faisant une réflexion stratégique sur les thèmes de la mer et des libertés, de la contrainte
extérieure et des lois liberticides qui ont ouvert la voie à la violence révolutionnaire de la guerre de l’indépendance
aboutissant à 1804 »

170
a- Le remplacement de la canne à sucre par le café

Le remplacement de la canne à sucre par le café a des conséquences sur l’aménagement de


l’espace national. Elles se manifestent où et comment ? De 1791 à 1803 la colonie de Saint-
Domingue a vécu au rythme des soulèvements des esclaves. La déportation de Toussaint
Louverture par l’armée expéditionnaire a précipité la guerre totale pour la libération nationale.
Cette lutte armée n’a pas épargné la structure économique axée fondamentalement sur la canne-
à-sucre. Cette culture dominante faisait des plaines littorales (plaine du nord, plaine du Cul de
sac, plaine de Léogane, plaine des Cayes) le cœur de l’aménagement économique. La production
du sucre a sévèrement chuté après 1791. Le tableau suivant permet d’apprécier ce recul. Les
incendies ont tout rasé: canneraies, ateliers de transformation et équipements associés. Il devient
impossible pour la nouvelle nation de se procurer l’argent (des capitaux) nécessaire pour se
prendre en charge et assurer son avenir. Le retour au sucre aurait pris plusieurs années. Cette
démarche exigerait des investissements onéreux que le nouvel État ne dispose pas pour
reconstituer les installations. La solution va être le café qui devient très rapidement le billet
d’échange avec l’extérieur. L’exploitation de ce produit n’impose pas d’investissement sinon le
défrichement.

Tableau 21.- Baisse de la production globale du pays durant la période révolutionnaire et nationale
Produits (en livres) 1789 1801 1820
Sucre raffiné 47 576 531 16 540 787
Sucre brut 93 500 500 18 500 000 2 500 000

Sources: Nadine Baggioni-Lopez in Saint-Domingue/Haïti de 1492 à nos jours: mise au point scientifique

Le café dans l’ancienne colonie prospère dans les hauteurs et loin du littoral. Il s’épanouit
vigoureusement à partir de 400 mètres d’altitude. Dans ce cadre-là ce choix redessine les
contours de l’aménagement économique car il va y avoir un repli sur les zones montagneuses
autrement dit l’intérieur du pays. Les plaines littorales qui hébergeaient les grandes plantations
sucrières ne sont pas abandonnées certes mais elles n’ont plus le même intérêt stratégique parce
qu’elles sont trop vulnérables. Elles sont vues comme des proies faciles pour les agressions qui
ne peuvent venir que de la mer. Le café devient la culture dominante et le centre de gravité
économique se déplace vers l’intérieur. Cette nouvelle denrée est plus en harmonie avec la

171
disposition mentale de l’ancien esclave devenu citoyen qui perçoit dans la culture de la canne le
prolongement de ses misères.

Malgré la réticence des forces productives vis à vis du travail, l’ancienne colonie française
exportait au moins 40% de la consommation mondiale du café (Rolando Álvarez Estévez). On
doit signaler aussi que ce café haïtien n’a pas disparu des tasses des français98après la rupture
politique imposée par l’indépendance et l’embargo économique appliquée par l’État français. Ce
café aboutit en France soit par la contrebande ou par la réexportation américaine. En dehors du
café qui tire le pays utile vers l’intérieur il y a lieu de mentionner aussi le processus
d’amplification de l’exploitation des bois précieux. L’indigotier, le bois de campêche, l’acajou,
le chêne sont très prisés par les marchés américains et anglais. Ce nouvel aménagement
économique se réalise au détriment des générations futures. Il appauvrit le substrat (eau, sols,
forêts) sur lequel il est appliqué. Autrement dit il met en place les conditions favorables à
l’appauvrissement du territoire.

b- Des infrastructures de défense dessinent le pays utile

De 1804 à 1825 un réseau de fortifications est mis en place dans le pays dans l’éventualité d’une
agression étrangère. Ce système défensif va s’appuyer sur quelles composantes du territoire ? Et
quelle en est la finalité ? L’une des premières décisions des nouvelles autorités haïtiennes au
lendemain de l’indépendance est de transférer la capitale à Marchand. C’est un acte significatif le
Cap-Français rebaptisé le Cap-Haitien après 1804 est supplanté par une petite ville de
l’Artibonite pour qui rien ne prédestinait à un tel avenir. Néanmoins le site choisi présente un
avantage qui sied avec la logique de défense nationale, Marchand est à des dizaines de
kilomètres de la côte ce qui le met à l’abri des attaques surprises des forces étrangères hostiles à
l’indépendance du pays. Il fallait rapprocher la capitale de l’État des montagnes des Cahos
réputées pour leur café mais aussi pour leur connexion avec les montagnes du nord. Le croquis
suivant indique ce pays utile qui tourne dos à la mer.

98
J.-B. Baillière et Fils (1862) dans “Du café: son historique, son usage, son utilité, ses altérations, ses
succédanés et ses falsifications” mentionne que l’importation du café en France s’est élevée : 1° de 1827 à 1836, à
17 327 684 kilogrammes ; 2° de 1837 à 1846, à 24 400 119 kilogrammes ; 3° de 1846 à 1856, à 32 633 022
kilogrammes ; 4° de 1856 à 1859, à 86 543 000 kilogrammes.

172
Figure 6.- Le pays utile dans le sillage des fortifications défensives de 1804 à 1825

D’ailleurs les généraux haïtiens Dessalines et Christophe avaient déjà mis à mal l’armée
expéditionnaire dans ces lieux99Il s’agit donc d’un choix réfléchi et non le fruit du hasard.

Une ordonnance signée par Jean-Jacques DESSALINES le 9 avril 1804, stipule que: “Les
généraux divisionnaires, commandant les départements, ordonneront aux généraux de brigade
d’élever des fortifications au sommet des plus hautes montagnes de l’intérieur, et les généraux de
brigade feront, de temps en temps, des rapports sur les progrès de leurs travaux”. Le pays utile

99
Durant la rébellion de Toussaint Louverture les troupes de Rochambeau ont été laminées à la Ravine-à Couleuvres
et à la Crête-à-Pierrot

173
prend sa forme physique et son inscription spatiale ne fait pas de doute. Dessalines lui-même
donna l’exemple en entourant la capitale d’un réseau de fortifications encore debout aujourd’hui.
Il dirigea la construction de six ouvrages de guerre autour de Marchand, la nouvelle capitale: le
fort Décidé, le fort Innocent, le fort Madame, le fort Doko et le fort Fin-du-Monde. Il compléta la
défense de sa capitale par la construction du fort Culbuté au pied des mornes afin de contrôler et,
surtout, protéger les sources d’eau alimentant la ville. La planche photographique qui suit éclaire
sur les ambitions de ce général-président.

Photo 9.- Les forts Fin du monde et Culbuté à Marchand

Crédit photo de l’Institut de Sauvegarde du Patrimoine National (ISPAN)

Dans les hauteurs de Marchand s’installe tout un système de fortifications. Ce dernier est visible sur la partie droite de la 3e photo (celle
du bas). Il fallait protéger la nouvelle capitale contre les agressions étrangères venues de la mer.

174
L’ordonnance de Dessalines est exécutée partout dans le nouvel État. Dans la façade atlantique,
le général François Capois acheva dans la même année le fort Trois-Pavillons près de Port-de-
Paix et construisit le fort du Ralliement dans les mornes au-dessus du Môle-Saint-Nicolas. Le
général Henry Christophe, Commandant du département militaire du Nord, entreprit la
construction du fort Rivière et du fort Neuf, au-dessus du bourg de la Grande Rivière, du fort
Dahomey au-dessus de Camp-Coq, près du Limbé, sur le pic de la Soufrière et le Fort des
Bayonnais au-dessus d’Ennery et contrôlant la Passe-Reine, du fort Sans-Quartier, du fort Brave,
du fort Jalousière (dit le Redoutable). Et le système de fortifications le plus réussi va être réalisé
dans les mornes de Marmelade: la citadelle La Ferrière est érigée et associée à quatre redoutes
sur le morne des Ramiers.

Les façades caraïbes et golfe de la Gonâve reçoivent aussi leur lot de fortifications. Dans les
hauteurs de Saint-Marc fut construit le fort Béké. Dans les montagnes des Mattheux,
surplombant la plaine de l’Arcahaie, on plaça les forts Delpèche et Drouet. Dans l’Ouest, le
général Alexandre Pétion fit exécuter les forts Jacques et Alexandre sur les hauteurs du Grand-
Fond près de Port-au-Prince. Les généraux Cangé et Yayou placèrent le fort Campan au-dessus
de la ville de Léogane. Les militaires haïtiens placèrent également le fort Garit au-dessus de
Petit-Goâve, le fort Desbois au-dessus de l’Anse-à-Veau et le fort Marfranc dans les hauteurs de
Jérémie. En arrière de la plaine des Cayes, sur les contreforts du massif de la Hotte, le général
Fabre-Nicolas Geffrard fit élever la forteresse des Platons. Le général Magloire Ambroise fit
construire le fort Ogé au morne Cap-Rouge dominant la rade et la ville de Jacmel. Cette
succession de structures de défense consacre l’intérieur du pays comme l’espace à protéger,
autrement dit le pays « utile ». Le pays “sur” est construit loin du littoral autrement dit loin du
danger potentiel. Il est érigé en altitude sur la ceinture montagneuse du pays.

Conclusion

La culture du café qui remplace celle de la canne-à-sucre met en valeur les parties montagneuses
du pays. Le centre de gravité économique n’est plus les plaines littorales. Cette volonté de
s’éloigner de la mer est traduite dans l’aménagement de territoire décidé par les autorités de la
jeune nation. Le Cap-Français, devenu Cap-Haitien perd son rang de capitale au profit de
Marchand, une petite ville de l’intérieur de l’Artibonite que protègent les Montagnes des Cahos
dans ses versants nord-ouest. L’édification de plusieurs réseaux de fortifications dans tout le

175
pays, axés sur les parties montagneuses du pays va créer de facto un pays utile qui épouse
totalement les contours du glacis défensif que représente le littoral. Ces ouvrages militaires, dans
leur grande majorité n’ont jamais été utilisés. Leur utilité n’a pas été démontrée, ils ont exigé des
débours considérables qui auraient pu être affectées à des infrastructures essentielles au
développement national. A ce titre ils constituent à eux seuls les premiers facteurs du rejet de la
mer et du littoral associé dans la construction nationale et conséquemment les premiers germes
du processus d’appauvrissement du nouvel État.

2- Le triomphe de la centralisation desséchant depuis l’occupation américaine de 1915


débouche sur la macrocéphalie de Port-au-Prince

Les régions ont toujours été présentes dans la vie politique de la nation haïtienne. Les pouvoirs
illimités des chefs d’État sont généralement inquiétés par des pouvoirs régionaux sous le prétexte
(à tort ou à raison) de réparation face aux inégalités spatiales. Pendant longtemps le régionalisme
était perçu comme source d’instabilité et d’anarchie dans le pays. Il est accusé d’être le facteur
explicatif majeur de l’occupation américaine du pays. Ce dernier événement marque un tournant
dans la gouvernance d’Haïti. Les occupants américains100 vont remodeler les relations de
pouvoirs entre la capitale et les régions. Ces dernières ont été vidées de toutes leurs énergies
(militaires, économiques et infrastructurelles). Le résultat de cette opération est la consécration
de Port-au-Prince comme centre d’impulsion national en cumulant toutes les fonctions de
commandement, qu’elles soient économique, financière, politique, administrative et culturelle.

a- Les forces de nuisances des régions sont anéanties

Haïti a hérité du système d’organisation territorial lié à l’armature institutionnelle en vigueur en


France au début du 19ème siècle (Département, Arrondissement, Paroisses, etc.) Ainsi, dès les
premiers moments les Communes ont constitué une circonscription administrative en se
substituant aux anciennes « paroisses » coloniales. Mais, placées dans un cadre institutionnel

100
Georges Eddy Lucien a mis en évidence un fondement économique inédit de l’occupation américaine d’Haïti,
celui de la crise des capitaux improductifs en Occident. Sa thèse, intitulée « Port-au Prince (1915-1956) :
modernisation manquée : centralisation et dysfonctionnements », révèle que l’occupation a assigné la fonction de
pourvoyeuse de main-d’œuvre bon marché à la République d’Haïti et, par le fait même, a non seulement désorganisé
l’économie haïtienne, mais a aussi voué des générations d’hommes et de femmes, d’abord du milieu rural, ensuite de
la classe moyenne et de l’élite intellectuelle du pays, à l’émigration régionale, puis intercontinentale.

176
basé sur l’ultracentralisation – symbolisée par un pouvoir exécutif très fort contrôlé par les
militaires – des entités locales n’ont pas pu émerger. La Collectivité Communale ou la «
Commune Autonome » avec l’élection de ses membres dirigeants va s’inscrire comme
perspective stratégique dans le processus d’institutionnalisation du pays.

Les instruments juridiques les plus importants matérialisant cette nouvelle orientation sont
particulièrement: la Constitution de 1843 et l’arrêté présidentiel du 6 juillet 1844; la loi du 24
juin 1872; la loi de septembre 1876. Ces lois et d’autres qui ont suivi organisent une
Administration communale à part entière en prévoyant: - d’une part, des compétences clairement
déterminées couvrant: les services de proximité (voirie, génie municipal, etc.); les services socio-
culturels (écoles primaires communales gratuites, établissement de secours et de bienfaisance,
etc.), et les services administratifs (état civil, police communale, recensement de la population,
etc.) - d’autre part, des modalités de financement des dépenses administratives et de services
engagées comme: les revenus des biens communaux; la patente et l’impôt locatif; un grand
nombre de taxes indirectes. Il faut ajouter que la perception de tous ces revenus est assurée à
travers le Receveur Communal.

Toutefois, la « culture de commandement » qui domine la conception politique traditionnelle


haïtienne va limiter la portée de ces avancées sur le plan légal. C’est le militarisme régional qui
va organiser la concurrence politique. L’homme fort d’une région a toujours un destin
présidentiel. Accéder à la magistrature suprême se fait au terminus d’une campagne armée qui
aboutit généralement au palais national. Et dès le lendemain ce nouvel homme fort doit aller
éteindre des foyers de rébellion agités par d’autres hommes forts impatients d’arriver dans la
capitale aux cris de vive le nouveau président. Certaines fois l’autorité du chef de l’État ne
dépasse pas le territoire de son fief101. Deux grandes forces régionales sont à considérer les
Cacos et les Piquets. L’Occupation américaine va sonner le glas de ces deux mouvements

101
Le 19 septembre 1868, Nissage Saget fonda l'État Septentrional. Il s'étendait jusqu'à Arcahaie au Sud et incluait tout le Nord,
sauf Cap-Haitien, la totalité du Nord-Ouest, sauf Port-de-Paix et Môle St. Nicolas, et l'ensemble de l'Artibonite, sauf Gonaïves.
Le 21 septembre 1868, Michel Domingue organisa l'État Méridional, dont les limites géographiques incluaient toutes les villes du
Sud, sauf les montagnes dont les habitants soutenaient Salnave. La ville de Jacmel rejoignit l'État Méridional, dont la capitale
était Les Cayes.. Avec sa marine, l'État Septentrional avait pris le Nord, le Nord-Ouest et l'Artibonite. Ses leaders, parmi lesquels
le général Brice et Boisrond Canal, se réunirent à St. Marc pour mettre au point la stratégie finale. La capitale fut attaquée une
seconde fois, mais avec un résultat différent. Les rebelles de l'État Septentrional réquisitionnèrent une puissante canonnière, "La
Terreur", la nuit du 17 décembre 1869. Cela leur permit d'avoir le dessus et la chute de Salnave fut consommée. Atteint par les
canons de la Terreur, le palais national explosa.

177
populaires. Les Piquets ont longtemps inquiété les pouvoirs constitués à Port-au-Prince. Jean-
Jacques Accau, leur leader charismatique n’a jamais pu atteindre la Capitale. Traqué par les
troupes gouvernementales de Jean-Pierre Boyer, il s’est suicidé. Cette fin tragique n’a pas
découragé ceux qui ont cru dans l’idéologie Accauiste: aller vers un partage équitable des
richesses du pays au-delà des clivages raciaux et épidermiques102. Sylvain Salnave devenu
président a été le passage ultime d’un leader Piquet au pouvoir et sa chute a été brutal.

En 1915, le président Jean Vilbrun Guillaume Sam, au pouvoir depuis quelques mois, est perçu
comme pro-américain et il est soupçonné de vouloir signer un traité sacrifiant aux américains
toute autonomie, notamment les fameux droits de douane. Il doit faire face à une révolution
populaire menée par Rosalvo Bobo, leader politique clairement anti-impérialiste, à la tête d’une
armée de paysans révolutionnaires armés, les cacos. Une sévère répression provoque la colère du
peuple de Port-au-Prince et accélère sa chute. Il sera traqué et exécuté le 27 Juillet 1915. Ce sera
donc le fameux chaos (le prétexte de l’anarchie) qui entraînera l’invasion américaine dès le
lendemain, le 28 juillet. Le leader caco Rosalvo Bobo est écarté définitivement de la présidence
du pays. Une fois installée l’armée d’occupation va traquer les Cacos pour les anéantir et les
effacer de la scène politique haïtienne. Les chefs rebelles cacos dans le plateau central
Charlemagne Péralte et Benoit Batraville de l’Artibonite vont être arrêtés et fusillés. Les
revendications régionalistes, mêlées de nationalismes du plateau central et de l’Artibonite,
s’estompent et laissent libre cours au centralisme au profit de la capitale mis en œuvre par
l’occupant américain.

b- Les capitales régionales sont satellisées

Port-au-Prince avec le concours de l’armée américaine d’occupation va s’imposer sur le reste du


pays. Les élites locales vont déserter les régions pour s’établir définitivement dans la capitale.
Les communautés rurales et provinciales perdent leurs élites. Elles sont dépouillées de leurs
cadres et de leurs entreprises. Tout est recentré sur la région métropolitaine. Désormais il n’y
aura qu’une élite, une bourgeoisie celle de Port-au-Prince. Les capitales régionales qui tenaient la
dragée haute face à capitale nationale, sont devenues des villes mortes ou creuses. Elles sont
vidées de leurs populations par l’intermédiaire de l’exode rural et de l’attrait de la capitale. Les

102
On attribue à Accau cette déclaration: nèg nwè ki rich se milat, e milat ki pòv se nèg nwè. Cela peut se traduire en français par
“ Quelqu’un est riche par rapport à ce qu’il possède et non par sa nuance épidermique”

178
investissements sont majoritairement réalisés dans cette région. Elle va représenter une grosse
tête qui aspire toute l’énergie du corps national. Henry Godart, à la fin des années 80, parle d’une
domination de style parasitaire sur l'espace national. L’auteur parle même d’une organisation
spatiale tournée vers l'extérieur103pour montrer le déséquilibre ou le peu de lien organique qui
existe entre les composantes de cet espace national. Toutes les capitales régionales devenues chef
lieux de département ne vont être que des satellites de la capitale. Elles mobilisent pour elle les
taxes et les impôts. Elles l’approvisionnent en matières premières et en main-d’œuvre. Elles lui
servent de débouchés pour les biens manufacturés localement ou ceux mis à sa disposition par la
voie de l’importation. Le retard considérable de Port-de-Paix, de Jacmel, des Cayes et de Cap-
Haitien au regard de la Région Métropolitaine témoigne de leur rôle périphérique au service la
macrocéphalie de Port-au-Prince. Opinant sur cette primauté de la capitale haïtienne, l’historien
haïtien Georges Eddy Lucien dira que : « les années de l'occupation américaine d'Haïti (1915-
34), puis les années qui précèdent la dictature des Duvalier (1957-1986) jouent un rôle
déterminant dans la structuration du développement de Port-au-Prince ». Il faut souligner
cependant que malgré la désoccupation les régions n’ont jamais pu retrouver leur poids initial
(politico-économique) sur l’échiquier national.

Jacmel n’est plus la porte de sortie d’antan vers l’Europe

De 1848 à 1930 Jacmel est la grande ville haïtienne sur la façade caraïbe ouverte sur l’Europe.
Elle prospère essentiellement sur sa production du café, un des meilleurs arabicas d’Haïti,
cultivé à l’ombre dans le massif de la Selle et ses piémonts. Son port, l’un des plus grands ports
exportateurs de café et d’huiles essentielles de la Caraïbe, et son commerce vont favoriser sa
prospérité durant toute cette période. Du fait de l’absence de voies intérieures, la ville est
alimentée et dessert un vaste hinterland via une flottille de cabotage, et fait ainsi partie des sept
ports haïtiens ouverts au commerce international. Son marché devient assez considérable ; il
103
H. Godart explique dans “ Port-au-Prince , la mutations récentes de l’organisation spatiale que “ les
investissements étrangers sont prioritairement affectés à la capitale qui bénéficie d'une main-d’œuvre abondante et
bon marché, de la centralisation politique et administrative, des services supérieurs nécessaires aux industries et au
grand commerce, de la proximité du marché des États-Unis et des grands travaux permettant d'intégrer plus
étroitement l'espace national et la capitale haïtienne à la sphère d'influence nord-américaine. Si ces conditions ont
renforcé le rôle dominant de la capitale, la dynamique de l’urbain débouche sur l'idée de déséquilibre. Les mutations
de l'espace urbain ont été en partie dictées par des intérêts supranationaux; si les fonctions traditionnelles de la
capitale subsistent, le développement de nouveaux secteurs économiques, symbolisé par le développement des
factories entre 1973 et 1978, confortent une domination de style parasitaire sur l'espace national. Par ailleurs, ce
modèle importé entraîne un accroissement de la dépendance de Port-au-Prince par rapport aux métropoles
financières extérieures au pays”.

179
offre un important débouché aux articles d’Europe, acheminés notamment par le paquebot postal
anglais, qui s’y arrête plusieurs fois par mois, en allant ou en revenant de la Jamaïque. La France
y trouve un débouché pour ses vins. La planche photographique suivante témoigne du passé
convainquant de cette ville haïtienne.

Photo 10.- photographique de de l’évolution de la ville de Jacmel (1904-2017)

Crédit photographique de l’ISPAN

La ville de Jacmel a eu son temps de gloire. En 1896, déjà cataloguée grande ville, elle est anéantie par un incendie. Elle a amorcé sa
renaissance dans les années 1900 mais cet élan a été cassé par la centralisation du pays autour de Port-au-Prince dans le sillage de
l’occupation américaine d’Haïti. Les anciennes maisons du centre de la ville, datées du 19eme siècle, témoignent aujourd’hui de ce passé
de Jacmel.

Les échanges sont assurés par des lignes régulières, uniquement avec l’Europe jusqu’en 1880
puis également avec les États-Unis. La ville devient le premier port caféier du pays, représentant
environ 20 % des exportations nationales, devant les deux ports les plus importants: Port-au-
Prince et Cap-Haïtien. À la fin du XIXe siècle, cette ville représente même le troisième port
haïtien en droits de douane à l’importation et à l’exportation. Jacmel commerce aussi le coton, du

180
bois de Campêche (pour la teinture) et d’écorces d’orange (pour la fabrication française du
Cointreau), fournissant la totalité des exportations de ce produit. C’est à Jacmel que tout
voyageur doit se rendre afin d’embarquer pour l’Europe, tout comme le courrier qui y est
regroupé, expédié à dos de mule de l’ensemble du pays. La centralisation outrancière du pays
amorcée dans les années 30 a eu raison de Jacmel. Son insignifiance ne sera amortie que par
l’aura de sa vie culturelle et artistique (littérature, peinture et artisanat), en témoigne cet éloge du
journal La Croix du 23 février 2012 :

« Jacmel, une ville de peintres et d’écrivains. Fondée en 1698 par la Compagnie de Saint-
Domingue qui avait été créée la même année par Louis XIV afin de développer la culture du
sucre sur toute l’île, Jacmel a prospéré grâce au commerce maritime. Après la révolution de
1804 qui marque l’Indépendance d’Haïti, les Jacméliens seront impliqués dans la lutte
d’émancipation de toute l’Amérique latine. En 1816, la ville accueille le libérateur vénézuélien
Simon Bolivar, qui repartira chargé d’armes et accompagné de volontaires prêts à en découdre
avec les colons. Jacmel doit sa notoriété et sa prospérité d’antan à sa production locale :
d’abord son fameux café, un arabica de la meilleure qualité, mais aussi ses écorces d’orange
amère pour la fabrication du curaçao ou triple-sec, et son coton. Elle est aussi réputée pour son
carnaval et c’est la ville d’origine de nombreux écrivains tels que René Depestre et
Jean Métellus, et de peintre comme Célestin Faustin ou Préfète Duffaut. Jeanne Duval,
compagne de Charles Baudelaire, en était originaire »

Les Cayes et Jérémie cessent d’être des pôles régionaux actifs

De 1810 à 1812, Les Cayes devient la capitale de l’État du Sud administré par André Rigaud. En
1816 la ville reçoit le rebelle Simon Bolivar. Sur les instructions de Pétion, il y reçoit des armes,
des hommes, des munitions et de l’argent pour la libération de l’Amérique espagnole. Le port
des Cayes est durant le XIXe siècle parmi les principaux ports d'Haïti. La ville avait atteint un
développement économique remarquable et jouissait d’une grande prospérité, quand elle fut tour
à tour frappée en 1885 et en 1911 par deux grands incendies qui provoquèrent d’énormes
destructions. L'activité portuaire et d'import-export aux Cayes s'effondre à partir des années
1920 au profit de Port-au-Prince, puis disparaît dans les années 1950. Les exportations du bois de
campêche sont considérables. C’est la composante majeure de l’exportation totale. La ville des

181
Cayes est aussi le premier port d’expédition pour le gayac et le bois jaune, à partir des coupes
effectuées dans les plaines sèches d’Aquin et tout le piedmont du massif de la Hotte.

La ville de Jérémie est un port ouvert depuis 1807 au commerce étranger, La centralisation vers
Port-au-Prince qui commença à partir de cette période modifia profondément le fonctionnement
de la ville de Jérémie. La fermeture des ports de province au commerce extérieur va brutalement
enlever à Jérémie son rôle d’entrepôt des denrées destinées à l’exportation. Ses activités
économiques se cantonneront dès lors au commerce par cabotage vers Port-au-Prince, la capitale,
de qui elle recevait en retour des produits de consommation courante, fabriqués au pays ou
importés de l’étranger. Avec l’ascension au pouvoir de François Duvalier en 1957 dans
l’antagonisme racial, la ville de Jérémie perd définitivement son rôle de port de transit pour les
denrées agricoles d’exportations. A l’instar de Jacmel, la ville des Cayes et celle de Jérémie
n’arrivent plus à concurrencer la capitale malgré leurs atouts (Planche photographique suivante).

Photo 11.- Les faibles atouts de Jérémie et des Cayes face à Port-au-Prince

Sources : ISPAN

Les villes de Jérémie (à gauche) et des Cayes (à droite) ne rivalisent point Port-au-Prince malgré leur vaste hinterland et leur riche patrimoine
architectural. Les façades des maisons anciennes, comme ici à Jérémie (partie basse de la planche), sont dotées d’un balcon filant métallique dès
la fin XIXe siècle. Elles intègrent le béton armé pendant l’occupation américaine. Ce type d’ossature préfabriquée à remplissages de maçonnerie
de briquettes a connu un essor dans la Caraïbe à la fin du XIXe siècle, car elle avait la réputation de résister aux tremblements de terre et aux
incendies.

182
Le Cap-Haitien, de la prospère capitale coloniale à la ville de second rang

Le Cap-Haïtien fut la capitale de la colonie de Saint-Domingue. L’indépendance nationale en


1804 a enlevé à cette ville un peu de son prestige d’antan. Elle est passée du rang de capitale de
la riche colonie française au statut de ville de seconde classe. Elle a perdu le siège du
gouvernement au profit de Marchand et de Port-au-Prince. La ville, nommé à l’époque le “Paris
des Caraïbes” a subi les affres de la période révolutionnaire. Elle a été incendiée par Henri
Christophe sous les ordres du général Toussaint Louverture dans le cadre de la résistance face
aux troupes expéditionnaires de Napoléon Bonaparte. En plus des incendies elle a été victime
d’un terrible tremblement de terre en 1842. Ce séisme détruisit la quasi-totalité de la ville et
entraîna la mort des deux tiers de ses habitants. Le café et le sucre ont fait les beaux jours de la
ville. Néanmoins l’occupation américaine est venue contrarier le destin prometteur de ce qu’on
nomme souvent, avec raison d’ailleurs, la deuxième ville d’Haïti104. En dépit de ses nombreux
atouts touristiques et des infrastructures majeures dont ils bénéficient depuis quelques temps
(aéroport international, port ouvert au commerce extérieur), le Cap-Haitien n’arrive pas à
s’imposer comme une métropole d’équilibre face à la primatie de Port-au-Prince. La
bidonvilisation exerce une forte pression sur le développement de la ville en témoigne son
étalement et l’occupation de ses zones littorales (photo suivante)

104
La ville du Cap-Haïtien qui fut désignée, par le président Louis Pierrot, capitale du pays le 1er novembre 1845,
perdit sa place quelques années plus tard au profit de Port-au-Prince qui redevint capitale d’Haïti.

183
Photo 12.- Le Cap-Haitien dans son extension vers l’est

Crédit photo de R. Clesca

La ville initiale, au bas de la photo, ne peut plus héberger les nouveaux venus drainés par l’exode rural régional. Cette pression
démographique engendre de nouveaux quartiers insalubres qui s’installent contre les mangroves (haut de la photo)

C’est la grande ville de la façade atlantique du pays. Elle dispose d’un hinterland conséquent et
influence deux départements. A ce titre son aire d’influence s’étend sur plus d’une vingtaine de
communes parmi lesquelles la Grande –Rivière du Nord, Limbé, Ouanaminthe, Trou-du-Nord,
de Pignon et de la Plaine du Nord. Plus d’une vingtaine d’espèces de denrées agricoles sont
cultivées dans la zone d’influence. Ce sont : les céréales (riz, maïs), les légumineuses (haricot,
pois inconnu, pois d’angole, arachide), tubercules et vivres (patate, manioc, taro, igname,
banane), les cultures maraîchères (oignon, carotte, poireau, betterave, piment), des cultures
d’exportation (cacao, café) et des cultures fruitières. Ces espèces sont insérées dans des
associations plus ou moins denses, mais certaines peuvent être cultivées en monoculture. Les
principaux systèmes de culture retrouvés sont: le riz à Grison-Garde, Saint-Raphaël, Ferrier et
Ouanaminthe; l’agroforesterie à base de cacao à Borgne, l’agroforesterie à base de café à Carice
et Mont-Organisé, les cultures maraîchères à Saint-Raphaël. Les systèmes vivriers se retrouvent
partout avec des variantes reflétant les caractéristiques de la zone. Cette potentialité se vérifie
aussi par les rendements agricoles (tableau suivant).

184
Tableau 22.- Potentialités agricoles de l’hinterland de la ville du Cap-Haitien en 2015
Zone Système de culture Rendements kg/ha
Igname 2,550
Chou 15,000
Mont-Organisé, Maribaroux
Banane (Plantain) 11,046
Bahon, Saint-Raphaël, Borgne,
Banane 6,640
Grison-Garde
Riz 3,360

Sources : Agroconsult, 2016

Le Cap-Haitien, malgré ses atouts, n’arrive pas à combler son retard par rapport à la Région
métropolitaine de Port-au-Prince. L’exode rural qui frappe son hinterland se fait au profit de la
capitale. Il ne sert que de lieu de transit pour les flux migratoires de tout le grand nord (façade
atlantique) du pays. D’ailleurs sa population (260 000 hab) n’atteint même pas la 10 eme partie
de celle de Port-au-Prince (3 000 000 hab). La ville n’héberge aucun siège social des grandes
entreprises nationales. Toutes les fonctions de commande se retrouvent dans la capitale. Les flux
financiers sont régis par les banques dont les sièges centraux sont installés dans la capitale. La
gestion de son port est sous la supervision directe de Port-au-Prince.

Conclusion

Les capitales régionales que sont le Cap-Haitien, Jacmel, Jérémie et les Cayes ne sont que des
leviers de domination territoriale entre les mains du pouvoir central de Port-au-Prince. Elles ne
servent de relais à la toute-puissance de la capitale. Elles redistribuent sur leur hinterland
respectif les biens de consommation produits par les entreprises de la Région Métropolitaine.
Elles ne disposent d’aucuns leviers politiques capables de faciliter leur émancipation dans le
cadre d’un développement régional propre. Les Conseils départementaux, prévus par la
constitution de 1987, qui auraient dû leur apporter un peu de pouvoir de décision, n’ont jamais
vu le jour. Les leaderships régionaux très vivaces dans le pays avant 1915 ont été liquidés pour
laisser la place à un centralisme promu par l’occupant américain. Le régime des Duvalier va
s’atteler à consolider ce processus de centralisation au profit de la capitale afin de mieux
contrôler le territoire. La totalité des tâches administratives est réunie sous la compétence des
organes centraux de l’État hébergés à Port-au-Prince. La dictature se méfie toujours de la
concurrence en refusant de laisser s’épanouir les particularismes locaux qu’elle considère
comme une atteinte à l’ordre établi. A partir des années 90 les villes en question ont bénéficié de

185
nombreux grands équipements (portuaires et aéroportuaires) cependant elles restent et
demeurent des capitales régionales satellisées qui ne disposent d’aucun pouvoir. Et le
déséquilibre spatial devient un terreau fertile pour la pauvreté. Le constat est là: le centralisme
politique et économique continue et semble vouloir perdurer dans le pays.

3- L’Impact du séisme du 12 janvier 2010

Le 12 janvier 2010 à 16 h 53, le pays subissait la catastrophe naturelle la plus dommageable de


son histoire : un séisme de magnitude 7 à 7,3 sur l’échelle de Richter qui fit selon le
gouvernement haïtien 316 000 morts, 350 000 blessés et 1,5 million de sans-abri . Les dégâts les
plus importants eurent lieu dans la Région Métropolitaine de Port-au-Prince et dans la ville de
Léogâne (département de l’ouest). En quelques minutes plus de 120 % du PIB d’Haïti sont partis
en fumée (dégâts et pertes). Le pays découvre sa grande faiblesse et se pose une question
essentielle: comment une catastrophe naturelle qui frappe à peine 1/5 du territoire peut infliger
autant de pertes? La réponse est donnée sous une forme presque proverbiale: “il ne fallait pas
mettre tous les œufs dans le même panier”. Ce panier n’est autre que la région métropolitaine qui
concentre 85% des entreprises nationales, 76% des recettes fiscales, 67% des fonctionnaires
publics, 100 % des banques et 48 % des urbains. L’écart est énorme entre cette grosse tête qu’est
la Région Métropolitaine de Port-au-Prince (RMP) et le corps squelettique qu’est le reste du
pays. Les débats désormais se portent sur une nouvelle organisation de l’espace national axée sur
l’équité spatiale et l’équilibre régional. Nous voulons montrer en quoi ce choc pouvait servir
d’accélérateur à une dynamique d’équilibre territorial.

a- Donner plus de place aux régions, une idée ancienne renouvelée

La stratégie de décentralisation qui doit intégrer l’équité spatiale et l’équilibre régional prend sa
légitimité dans la Constitution de 1987. Cette dernière exige une réforme institutionnelle
profonde en confortant le système de représentation démocratique et l’État de droit. En plus elle
droit permettre le développement d’un modèle original de participation et d’une administration
réellement de services. La décentralisation doit progresser simultanément sur les trois plans:
politique, administratif et financier mais les approches à promouvoir doivent se différencier
nettement de celles utilisées jusqu’à présent. Tout d’abord, l’articulation de ces trois vecteurs de

186
la décentralisation doit être pleinement pensée pour être prise en compte lors de la mise en œuvre
de cette politique publique.
Très concrètement, une hiérarchie est à établir entre ces vecteurs pour consacrer celui qui doit
jouer le rôle déterminant. Dans le contexte politique haïtien tributaire de l’absence d’une culture
du droit, où donc le rapport de force brut est directement un facteur politique, l’autonomie
politique formelle des Collectivités Territoriales n’est pas suffisante pour faire avancer le
processus global de décentralisation. La recherche de l’efficacité dans l’effort entrepris
commande dans ce cas de construire une alliance solide entre les élus locaux et les populations
locales à travers des mécanismes institutionnels appropriés: plus précisément une alliance entre
les élus locaux et les secteurs organisés de la société civile.

En clair, l’axe stratégique prioritaire est le développement de mécanismes institutionnels pouvant


faciliter le regroupement de toutes les forces politiques, sociales et économiques favorables à la
démocratie et à la décentralisation. Cette approche cherche à promouvoir une conception de la
démocratie locale qui reconnaît le rôle primordial de la société civile dans la construction de la
démocratie en Haïti. En même temps, elle développe de nouveaux rapports entre ces groupes et
la classe politique (au pouvoir ou non) de manière qu’au contrôle périodique du système de
représentation démocratique on associe le contrôle continu du système de participation. Ce qui
garantit une meilleure prise en compte des préoccupations de la population dans la prise de
décision par les dirigeants politiques locaux.

La liberté politique renforcée de ces derniers ne doit pas être cependant gênée par des rapports de
tutelle, donc de dépendance forte, vis à vis de l’Exécutif. C’est la situation paradoxale des années
1996/2001 qui maintient en ce sens l’approche traditionnelle. Pour en sortir, il doit être clair que
les Collectivités locales jouissent du privilège de la libre administration c’est-à-dire constituent
des personnes morales à part entière tout en bénéficiant de l’autonomie financière. Cette
orientation claire élimine par la même occasion les flous constitutionnels, souvent mis en
évidence, concernant le statut de certaines des collectivités: la section communale par exemple.
Les hésitations des populations haïtiennes vis-à-vis de l’État comme par rapport aux Collectivités
Territoriales ont pour cause fondamentale la carence des services publics. En effet, la loi fixe des
compétences à l’une et à l’autre des groups d’Administrations sans se préoccuper de savoir: s’il y

187
a duplication, si elles répondent aux besoins prioritaires des populations, si le secteur public peut
seul développer des capacités d’action ou s’il doit mobiliser d’autres partenaires et si, enfin, les
services mis en place sont accessibles ou non.

Cet ensemble de questions montrent que la politique de transfert des compétences doit être
replacée dans un contexte plus global de la desserte générale des services publics. On rompt ainsi
avec l’approche normative de fixation des compétences générales qu’on retrouve dans un certain
nombre de textes. Plus sérieusement, cette conception nouvelle veut mettre l’accent sur le fait
que la politique de transfert ne soit pas – à l’égal de la politique industrielle – une politique
purement sectorielle. Elle suppose effectivement un certain nombre d’actions complémentaires
dans d’autres domaines. Particulièrement: le mode de gestion directe ou déléguée au sein des
Administrations nationales et locales, la politique d’aménagement du territoire et la politique de
développement. Les questions financières ont une allure plus complexe à l’époque
contemporaine à cause de l’augmentation du nombre de Collectivités Territoriales par la
Constitution de 1987 alors que la crise structurelle de l’économie haïtienne tend à raréfier les
ressources. La différenciation formelle des Collectivités selon leur potentiel économique et fiscal
n’est pas une solution puisque de toute façon la nécessité de financer celles qui sont déficitaires
demeure. Il faut donc mettre en place un système qui garantit l’autonomie financière de toutes les
Collectivités tout en s’assurant de l’équilibre de leur budget et en minimisant les risques de
pertes, de gaspillage et de développement de la corruption.

Les conditions dans lesquelles l’aspiration à la décentralisation a resurgi montrent très clairement
que cette demande de réforme s’inscrit d’emblée dans une dynamique globale pour changer
l’État et assurer pleinement le rêve démocratique. En même temps, elle est comprise comme un
mécanisme fondamental pouvant enrayer le processus de déclin régional. Telles sont donc les
perspectives qui ont motivé les populations de toutes les couches sociales qui de 1986 à nos
jours se sont mobilisées dans le double cadre de la société civile et du corpus étatique. La période
qui s’ouvre avec la Constitution de 1987 constitue théoriquement une rupture dans l’évolution
institutionnelle et politique d’Haïti dans le sens de l’équité spatiale.

188
b- Une nouvelle logique institutionnelle locale pour répondre aux besoins
fondamentaux

Nous voulons montrer la pertinence des acteurs locaux dans le cadre d’un nouvel aménagement
institutionnel accordant des responsabilités aux collectivités territoriales dans les domaines
économiques et sociaux. L’originalité constitutionnelle s’affirme aussi au travers de la nouvelle
vision de la logique institutionnelle de la base. Par opposition aux périodes antérieures, le
pouvoir local comporte trois paliers dont la lourdeur et le coût élevé de fonctionnement sont
dénoncés par un grand nombre d’analystes. Pourtant, cette nouvelle architecture
organisationnelle peut se comprendre si l’on admet ces trois raisons:
- la volonté de saisir, par le Département, la dynamique de développement régional
- la prise en compte, par la Commune, d’une réalité institutionnelle historique
- et la volonté, par la Section Rurale devenue Section Communale, d’intégrer politiquement et
socialement les paysans : groupe social majoritaire mais toujours marginalisé ou frappé
d’exclusion. Enraciné ainsi dans le réel haïtien, ce modèle de décentralisation tend à répondre
aux préoccupations fondamentales suivantes: Ce modèle doit garantir une forme opérationnelle
du système de représentation et de démocratie participative. C’est là la raison première de la
structuration bicéphale des organes de pouvoir avec le Conseil Exécutif et l’Assemblée
délibérative. Mais, alors que la composition du premier organe a été déterminée, la Constitution
est restée muette sur celle du second organe. Ce qui laisse un vide qu’il y a à combler en regard
de deux questions majeures: le pluralisme politique et la participation de la société civile. Une
bonne décentralisation repose toujours sur la reconnaissance par l’État d’institutions territoriales
ayant leur personnalité propre et pouvant s’organiser librement dans le respect des lois établies.
Sur cette base, toutes les collectivités territoriales instituées par la Constitution de 1987 devraient
jouir du privilège de la libre administration. Le fait d’admettre explicitement le statut
d’autonomie pour le Département et la Commune et de faire le silence sur le statut de la Section
Communale a porté certains analystes à mettre en doute la volonté constitutionnelle de favoriser
une véritable décentralisation à ce niveau. La Constitution laisse ici un vide que les textes légaux
n’ont pas encore comblé. L’objet de l’autonomie et de la libre administration est la gestion des
affaires locales que la Constitution a cherché à circonscrire en précisant des champs de
compétences pour les Collectivités. En considérant l’ensemble des dispositions constitutionnelles

189
y relatives et en prenant comme boussole la sphère d’intervention, il se dégage quatre grandes
catégories de compétences:
Les compétences administratives regroupant celles clairement définies par la Constitution et
celles découlant du statut d’autonomie des Collectivités Territoriales (la fonction de la Commune
en tant que gestionnaire privilégié des biens fonciers du domaine privé de l’État, la préparation et
l’exécution de leur budget par toutes les Collectivités Territoriales et la gestion autonome de leur
personnel. L’accès au foncier peut est une demande récurrente des plus pauvres autrement dit
cette compétence administrative permet aux autorités locales d’agir sur la pauvreté.
Les compétences politiques entendues comme le rôle politique global des Collectivités
Territoriales qui sont généralement partagées avec l’État. Elles sont strictement circonscrites par
la Constitution. Comme exemple il peut être rappelé: le rôle du Département et de la Commune
dans la nomination des juges des cours d’Appel, des Tribunaux de Première Instance et des juges
de paix. Cette disposition permet à l’acteur communal d’alléger le coût de la justice pour les plus
pauvres. Les juges de paix malgré leur mission en tant que juge de proximité réclame souvent de
l’argent dans la rubrique « frais de déplacement ». Ce qui pénalise les populations les plus
démunies.
Les compétences dites techniques sont celles qui concernent en fait les domaines de service et
champs d’intervention attribués aux collectivités. La Constitution a retenu explicitement les
champs suivants: - le social particulièrement l’éducation - le développement socio-économique.
Cette compétence permet aux autorités locales d’assurer le minimum de prise en charge aux
populations les plus vulnérables. La proximité des autorités doit permettre une meilleure réponse
aux questions d’accès des plus pauvres aux soins de santé, à l’éducation et au marché du travail.
Les compétences fiscales entendues comme le pouvoir de collecter et de gérer les taxes et les
impôts locaux. La Constitution est explicite à ce niveau sur deux points: - d’une part, l’Exécutif
doit être assisté du Conseil Interdépartemental lors de l’élaboration de la loi qui fixe la portion et
la nature des revenus publics attribués aux Collectivités Territoriales (CT). - d’autre part, toutes
les C.T. doivent être partie prenante de l’établissement de la fiscalité locale. Ces compétences
fiscales donnent aux pouvoirs locaux la possibilité de de soutenir les populations les plus
démunies dans le cadre d’une fiscalité « pro-pauvre ». Cet outil vaut aussi pour la dynamique de
défiscalisation qui permet aux régions d’être attractive au regard des entreprises et des
investissements qui sont, potentiellement, générateurs d’emplois. Ces derniers sont un rempart

190
contre la pauvreté. Les compétences attribuées aux pouvoirs locaux sont de nature à les rendre
aptes à garantir un accès facilité aux services sociaux de base aux citoyens en général et aux
populations les plus démunies en particulier. Néanmoins, modèle constitutionnel de
décentralisation en question n’est pas tout à fait en rupture avec la tradition centraliste. En effet,
la constitution de 1987 en vigueur admet le contrôle du pouvoir central sur les instances
décentralisées. Selon les dispositions en cause, deux formes de contrôle sont prévues: le contrôle
de régularité de l’Administration Centrale quand l’Assemblée Départementale lui fait rapport
(Art. 83) et le contrôle juridictionnel de la Cour supérieure des Comptes et du Contentieux
Administratif (Art. 200, 200-1). On peut s’étonner qu’après avoir admis implicitement la libre
administration des collectivités territoriales par l’élection de leurs organes dirigeants et l’octroi
de l’autonomie, la Constitution de 1987 arrive à maintenir une forme de contrôle indirect (Art.
83) qui rappelle la tutelle (le centralisme). En effet, un lien de dépendance subsiste par rapport au
pouvoir exécutif, pouvoir traditionnellement plus dominateur que générateur d’efficacité.

b- Le choc du séisme de 2010 comme prétexte pour la refondation territoriale

Au lendemain du séisme du 12 janvier 2010 les pouvoirs publics haïtiens décident un « Plan
Stratégique de Développement d’Haïti (PSDH) ». Ce plan, dit de reconstruction, vise entre autres
la refondation territoriale. En quoi cette dernière est dictée par l’ampleur des dégâts et dommages
causés par la catastrophe ? Et quel est le contenu de cette refondation ? Le séisme a dévasté trois
départements géographiques du pays (les Nippes, le sud-est et l’Ouest). Ce choc semblait donner
l’occasion aux pouvoirs publics haïtiens de mettre le pays sur les rails d’une organisation spatiale
ordonnée, planifiée, en adéquation avec son contexte multirisque. Les dégâts sont considérables:
plus de 220 000 morts recensés, environ 300 000 blessés et 1, 5 million de sans-abri. Deux faits
retiennent l’attention: 660 000 personnes vont fuir la capitale et 120 % du PIB du pays sont
anéantis en moins de deux minutes. La question qui anime les débats post-sismiques est simple:
qu’est ce qui explique ces pertes énormes alors que la catastrophe a touché moins que le 1/5 eme
du territoire national. La réponse est simple: la Région Métropolitaine de Port-au-Prince (RMP)
concentre l’essentiel de la richesse créée dans le pays et héberge plus du tiers de la population
totale du pays. La macrocéphalie qui s’y installe attribue à Port-au-Prince toutes les fonctions de
commandement (économique, politique, culturelle etc)

191
L’ampleur des dégâts et surtout le nombre considérable de victimes effrayaient les gens. La
capitale devient ipso facto un lieu répulsif et des centaines de milliers d’habitants rejoignent leurs
régions d’origine. Cependant moins de quatre mois plus tard tous ceux qui ont quitté la ville sont
revenus. Ils sont repoussés par le peu d’opportunités que leur offrent les régions et surtout par
l’attractivité qu’exerce la Région Métropolitaine de Port-au-Prince en captant toute l’attention
des parties prenantes105 de la prise en charge des victimes. La grande pauvreté des sinistrés
s’affiche avec arrogance sur les places publiques et les lieux de prestige à travers un fort
essaimage de camps. Elle agace certains qui découvrent pour la première fois leurs voisins
pauvres. La place Boyer106 est le condensé des problèmes générés par le séisme sur
l’organisation de l’espace haïtien.

Le sujet divise l’opinion car le surgissement en ce lieu d’individus issus de milieux populaires,
dans un dénuement total, fut dans un premier temps plutôt bien reçu par les résidents et habitués
de la place. Mais à mesure que passent les mois, la cohabitation se fait plus difficile. La fixation
des nouveaux venus est perçue de plus en plus comme une nuisance. Un riverain s’exprime sans
complexe “C’est une honte pour nous autres Haïtiens” en jetant un regard sur les tentes couvrant
cette place publique qui, avant le séisme, représentait l’un des endroits les plus prisés pour une
promenade. Dans ce quartier où l’on retrouve les ambassades du Brésil et des Bahamas, des
consulats de Suède et de Roumanie, il continue “la puanteur des eaux stagnantes et des toilettes
mobiles mal entretenues – placées à l’entrée même des établissements diplomatiques – empeste

105
Les acteurs humanitaires annoncent qu’ils ne prendront en charge que les sinistrés hébergés dans les camps. Cette
déclaration aura l’effet d’une bombe: les camps vont pousser dans la zone métropolitaine comme des champignons
pour capter l’aide promise. De plus le bruit court que chaque sinistré va recevoir une maison. Malgré le démenti
formel les gens qui ont fui la capitale vont revenir certaines fois avec un cousin, une nièce ou un proche pour
multiplier les chances d’avoir une maison.
106
La place Boyer, du nom d’un ancien président d’Haïti, est située au sommet de la colline constituant le centre
commerçant de la commune de Pétion-Ville, lequel fut, pour l’essentiel, épargné par le séisme. Le quartier autour de
cette place est, avec celui de la place Saint-Pierre toute proche, l’espace le plus prospère des environs et
vraisemblablement du pays. Cette vitrine urbaine, succession d’habitations cossues, de représentations
diplomatiques et consulaires, de boutiques de luxe et de restaurants huppés, accueille depuis le 12 janvier 2010, sur
des hectares jusqu’alors dévolus à l’agrément de la bourgeoisie pétionvilloise, un camp spontané de tentes
agglutinées entre les arbres, abritant quatre à cinq mille déplacés. L’endroit offre désormais une perspective
paradoxale: un entour florissant enserrant une aire de toiles grises, sales, dégradées

192
l’atmosphère et dégage du même coup une mauvaise image du pays”. Il faut trouver une
solution, une nouvelle organisation du territoire s’impose et se discute107.

Le Programme d'évaluation conjointe des besoins post-séisme (PDNA) expose les lignes
directrices du développement du pays. Elle permet l’élaboration du Plan Stratégique de
Développement d’Haïti (PSDH). La grande motivation des pouvoirs publics haïtiens est inscrite
dans la logique qui sous-tend ce plan : la “Vision à long terme du développement d’Haïti” est la
refondation de la nation haïtienne transformant la catastrophe du 12 janvier 2010 en une
opportunité “pour qu’Haïti devienne un pays émergent d’ici 2030”. L’ambition est grande car le
pays se donne vingt ans pour sortir du marasme économique et réduire drastiquement sa
pauvreté. La grande idée ou plutôt l’expression consacrée prend le nom de “refondation”. Le
contenu du document propose quatre refondations: institutionnelle, sociale, économique et
territoriale. Ce plan voulu et orienté par les partenaires d’Haïti (États et organisations
multilatérales) a suscité l’espoir mais ce dernier est vite remplacer par le doute, la méfiance et le
désespoir. Le séisme avait anéanti le peu de force de levier que détenait le gouvernement haïtien
face à ses commanditaires étrangers, et les donateurs ont tout bonnement profité de la situation
(Jean-Odile Etienne, 2017). Le Grand Chantier de la refondation territoriale prévoit des travaux
au chapitre de l’aménagement du territoire, de l’urbanisme, du développement local, de la
protection de l’environnement, de la correction des bassins versants et de la rénovation urbaine,
la mise en place d’un réseau de transport national, l’électrification du pays, l’expansion des
communications et le maillage numérique du territoire, ainsi que l’accroissement des capacités
d’alimentation en eau potable et d’assainissement, incluant la gestion des déchets solides. Cette
refondation se décline en huit axes majeurs:

107

« Nous voulons faire de Port-au-Prince une ville durable, qui répond aux “Objectifs du millénaire pour le
développement” définis par les Nations unies, qui délivre à ses habitants les services et les ressources économiques
nécessaires », affirmait le maire de la capitale en février 2010, Jean-Yves Jason Ce discours sur la capitale faisait
largement écho à ceux de la communauté internationale sur l’ensemble du pays : l’ancien président des États-Unis,
Bill Clinton, qui co-présidait la Commission intérimaire pour la reconstruction d’Haïti (CIRH), relançait en 2010
l’expression « Build back better », ensuite reprise par les nombreux intervenants de l’aide . Il s’agissait de saisir
l’occurrence de cette catastrophe pour « reconstruire en mieux » l’agglomération de Port-au-Prince. Au-delà, le
Secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, déclarait en mars 2010 : « Notre ambition aujourd’hui, c’est de
rebâtir le pays de fond en comble »

193
Aménager et développer les territoires

L’utilisation rationnelle des sols et la localisation équilibrée des activités nécessitent des outils de
planification et de gestion qui soient adaptés aux différents contextes territoriaux. Outre le Plan
stratégique de développement d’Haïti, une stratégie insulaire d’intervention, un schéma
national d’aménagement du territoire, des stratégies régionales de développement, des schémas
locaux de développement et d’aménagement du territoire, des plans d’urbanisme, des plans
d’aménagement rural et une meilleure connaissance du territoire et des risques naturels et
anthropiques devront guider l’action et faciliter la détermination des priorités. La refondation
sociale, axée sur deux piliers ( diminution drastiques de la pauvreté et croissance forte et
soutenue) se décline dans la forme suivante : une société équitable, juste, solidaire et conviviale,
vivant en harmonie avec son environnement, sa culture, une société moderne où l’État de droit,
la liberté d’association et d’expression et l’aménagement du territoire sont établis et une société
où l’ensemble des besoins de base de la population sont satisfaits en termes quantitatif et
qualitatif. Le Programme des Investissements Publics fait l’écho de cette refondation car pour
l’exercice fiscal 2016-2917, la refondation sociale a été la mieux financée (64.3%) (Voir la
planche). Le tableau suivant
Tableau 23.- Financement du PSDH
Refondation Décaissements Taux de fin
TOTAL 18 630 434 752.26 43.7%
Refondation Territoriale 6 974 711 661.34 37.1%
Refondation Economique 2 518 297 613.19 29.3%
Refondation Sociale 7 974 529 050.16 64.3%
Refondation Institutionnelle 1 162 896 427.57 40.7%
Sources : DIP/MPCE

Gérer l’environnement
La forte dégradation environnementale du pays nuit à l’agriculture, à l’élevage et à la pêche,
compromet le développement économique, limite le potentiel touristique, affecte directement la
santé, l’habitat et les conditions de vie de la population. Les actions retenues ciblent la protection
de l’environnement et la sécurité du milieu (contrôle des pollutions), la mise en place d’un réseau
d’aires protégées, la restauration de milieux naturels et la gestion des usages du bois.

194
Gérer les bassins versants
Le pays compte une trentaine de zones hydrographiques où l’écoulement des eaux, la gestion de
la forêt et l’exploitation des sols sont interdépendants. La mauvaise gestion de l’une de ces
ressources entraîne la dégradation des autres, avec des conséquences dramatiques sur les
populations, les infrastructures et l’économie en cas de catastrophe naturelle. Les priorités
identifiées sont la protection des bassins versants, la construction d’ouvrages de régulation des
crues, le dragage des rivières et des canaux de drainage et la préparation aux saisons pluvieuses
et cycloniques.

Rénover l’urbain
Le défi est double: reconstruire les villes sinistrées et améliorer les conditions de vie avec un
souci de rééquilibrage démographique visant à réduire la pression sur la capitale. Il s’agit donc
de rénover les pôles régionaux et locaux de développement, les villes tampons pour l’accueil
des flux migratoires, certains secteurs patrimoniaux et les villes frontalières. Six ans après le
séisme le processus de rénovation urbaine peine à montrer son effectivité. Les villes sinistrées ne
sont pas reconstruites. Seul le centre-ville de Port-au-Prince a pu bénéficier de la reconstruction
d’une vingtaine de bâtiments publics. Les projets grandioses tel celui de la fondation Prince
Charles n’ont pas encore été réalisés. Les quartiers précaires détruits par le séisme sont réinvestis
par les plus modestes. Seule la cité administrative commence à prendre forme avec une dizaine
de bâtiments publics en reconstruction autour du Champs de Mars. La planche photographique
suivante donne une idée de la mise en œuvre de la rénovation urbaine promise.

195
Photos 13.- Les bâtiments publics en reconstruction au centre de Port-au-Prince

Crédit photo de PJ Mérat


La reconstruction du centre de Port-au-Prince dévasté par le séisme se réalise timidement. Ici (au haut de la planche) au nord-est
du Camps de Mars les bâtiments en construction du Palais des Finances et de celui de la Justice. En bas les bâtiments en
reconstruction.

Mettre en place le réseau de transport national


Les faiblesses des réseaux routiers et des infrastructures portuaires et aéroportuaires (maillage,
qualité, entretien) sont un frein à la circulation des biens et des personnes et aux échanges
économiques, tant internes qu’externes. Il faut finaliser le maillage routier national, y intégrer le
réseau routier local, améliorer la circulation urbaine et interurbaine, établir des liaisons fiables
avec les principales îles du pays et réhabiliter ou construire des infrastructures aéroportuaires et
portuaires. Cette démarche vise à désenclaver et assurer la continuité du territoire. Se faisant on
permet aux populations les plus pauvres de se connecter aux réseaux et aux flux d’échanges donc
de mieux s’insérer dans la vie économique nationale.

Accroître l’électrification du pays


Le manque d’accès à l’électricité constitue une contrainte majeure pour le développement
économique et la vie des citoyens. Avant le séisme, l’offre d’énergie électrique était déjà

196
largement insuffisante par rapport à la demande et concentrée dans quelques zones du pays. À la
suite du dernier tremblement de terre, les capacités ont été fortement diminuées dans les zones
sinistrées. Les actions retenues permettront d’augmenter la capacité de production, de transport
et de distribution d’énergie électrique, ainsi que d’améliorer la commercialisation. Des actions
favoriseront la mise en valeur des potentiels d’énergies renouvelables. La multiplication de
petites centrales communautaires change la donne car de nombreuses communes disposent
désormais de l’électricité d’au moins 12 heures par jour. L’accès à l’énergie électrique est
couteux pour les plus démunis. L’installation des panneaux solaires facilite l’accès et diminue les
dépenses des ménages les plus pauvres

Poursuivre l’expansion des communications et le maillage numérique du territoire


La téléphonie mobile et les services Internet offrent des opportunités énormes pour le
développement économique et social du pays (inclusion sociale et territoriale, gestion des
risques, connaissances des marchés en temps réel, conditions climatiques et de transport,
commerce électronique, accès aux services publics, formation à distance, démocratie, etc.). Il
s’agit d’accroître la connectivité du territoire, de développer l’internet dans les services publics et
communautaires, de créer un réseau de centres multimédia et d’appuyer la production et la
diffusion de contenus nationaux. Ces équipements offrent de nombreuses opportunités dont
peuvent bénéficier directement les plus pauvres ou indirectement par les meilleurs perspectives
d’embauche.

Étendre les services d’alimentation en eau potable et d’assainissement


La situation des secteurs de l’eau potable, de l’assainissement et de la gestion des déchets solides
en Haïti était déjà alarmante avant le tremblement de terre. L’explosion démographique des vingt
dernières années a créé une demande importante, particulièrement en milieu urbain où
l’urbanisation spontanée et anarchique est la règle. Le plan en question prévoit, à cet effet, la
construction et la réhabilitation de réseaux d’eau potable et d’assainissement (drainage et eaux
usées) et le renforcement ou la mise en place de système de gestion des déchets solides. Les
dépenses liées à l’accès à l’eau sont grandes pour les ménages les plus pauvres. La construction
des réseaux communautaires d’adduction d’eau va faciliter l’accès à cet élément précieux et du
coup alléger les dépenses qui lui sont associées pour les plus démunis. Cette dynamique de
refondation, souhaitée par la majorité des citoyens ne change pas la donne. Son suivi met en

197
lumière les inégalités socio-spatiales, le processus de relégation et de marginalisation qui ont
tendance à se creuser tout au long des opérations de reconstruction post-catastrophe (Jean-Odile
Etienne op cité) Les maitres mots sont là : stratégie insulaire, stratégies régionales de
développement, inclusion territoriale, liaisons fiables avec les principales îles du pays, pôles
régionaux et locaux de développement. La prise de position est nette et tranchée. La pauvreté
du pays va être combattue par le réaménagement de l’espace sur la base de fourniture
d’équipements et de services. Ce ne sera pas une prise en charge individuelle ou par ménage
mais collective. Autrement dit prendre en compte et équiper le milieu de vie et de production. La
mer ou plutôt le littoral est pris en compte car onze (11) des 24 aires protégées (PSDH tome 2
page 31) concernent le littorales. L’aménagement des plages, la rationalisation de la pêche
marine, les équipements de conservation et de commercialisation des produits de la mer sont
actés comme projets dans le PSDH (volet refondation économique page 46 à 51 les tableaux 50
et 53). Il est donc aisé de dire qu’équiper le territoire semble être le choix majeur de l’État
haïtien dans sa lutte contre la pauvreté. Le choc que représente le séisme du 12 janvier a semblé
beaucoup jouer dans l’adoption de cette nouvelle façon de gérer le territoire national.

Conclusion du chapitre

Les circonstances particulières qui ont entouré le processus de construction nationale et


territoriale d’Haïti expliquent en grande partie pourquoi l’aménagement du pays tourne le dos à
la mer et se faisant crée les conditions de son appauvrissement. L’accession à l’indépendance en
1804 de cette ancienne colonie française va se faire dans un environnement hostile. En effet, au
début du 19eme siècle la colonisation et l’esclavage sont des systèmes acceptés et promus dans
le monde. Une colonie d’esclaves noirs qui se défait de ces deux phénomènes, pour devenir une
nation indépendante, ne peut être acceptée dans le concert des nations par les puissances de
l’époque. Une véritable mise en quarantaine s’organise autour d’Haïti considérée comme une
pestiférée (éviter la contamination des autres colonies). Et les menaces de reconquête pèsent
sévèrement sur la nouvelle nation. En réaction à cette hostilité les autorités haïtiennes organisent
le territoire en fonction de la menace perçue et appréhendée. Tout le littoral haïtien est, de fait,
déclaré porte d’entrée de l’agression extérieure. L’idée qui anime cette décision est que la
menace ne peut venir que par la mer. Cette dernière suscite la peur et fait l’objet d’une
surveillance ardue. Le littoral associé devient un glacis protecteur pour le pays naissant. Cette

198
dynamique donne naissance à la création d’un pays utile qui tourne le dos à la mer. Ce pays utile
et susceptible d’être protégé contre l’éventuel envahisseur épouse les contreforts montagneux du
territoire. Il est doté de nombreuses infrastructures de défense afin qu’il puisse jouer son rôle de
dernier rempart pour la sauvegarde de l’indépendance. L’aménagement économique suit la
même logique : l’exploitation de la canne-à-sucre des plaines anéantie par la guerre de libération
nationale, est remplacée par celle du café des régions montagneuses. Le cœur administratif du
pays est transféré de la grande ville littorale qu’est le Cap-Haitien vers Marchand une ville
intérieure dans le piémont des montagnes du Cahos. Le coût de cet aménagement qui se réalise
en et autour des montagnes est considérable. Il met en place la grande déforestation et l’érosion
qui s’en suit. Le pays utile va s’appauvrir car il est vidé de ses ressources que sont les sols et les
forêts. La tardive reconnaissance de l’indépendance d’Haïti par la « communauté internationale »
ne change pas foncièrement l’approche spatiale appliquée au pays. Les plaines littorales sont
intégrées dans le pays utile qui s’élargit. Cependant cette intégration va se faire de façon
incontrôlée et l’exploitation réalisée demeure prédatrice. L’occupation américaine d’Haïti en
1915 participe grandement à l’appauvrissement du pays par la centralisation économique et
politique qu’elle impose. Les régions sont vidées de leurs élites, de leurs atouts de production et
de leurs ressources financières au profit de la ville capitale qu’est Port-au-Prince. Ce dernier va
devenir le cœur du pays à travers sa fonction macrocéphale. Un nouveau pays utile s’établit
autour de la capitale qui détient toutes les fonctions de commandement (politique, économique,
culturelle, financière, administrative, universitaire etc.). Le reste du pays travaille en se
paupérisant pour satisfaire les besoins de ce centre (Port-au-Prince) en matière de ressources
commerciales, de main-d’œuvre et de ressources fiscales. Les capitales régionales sont
satellisées et leurs velléités de se transformer en pôles régionaux d’équilibre sont anéanties Il
s’agit donc d’un processus de centralisation desséchant. Les dégâts causés dans le pays par le
séisme du 12 janvier 2010 a permis une certaine prise de conscience nationale de cet handicap
qu’est la disparité spatiale mais la tradition centraliste dans le pays et les intérêts politiques
particuliers empêchent tout développement harmonieux du territoire. Un nouveau plan de
développement national, le PSDH prévoit la refondation du pays sur quatre axes : sociale,
institutionnelle, territoriale et économique. Sa mise en œuvre débute en 2014 par le Programme
d’Investissements Publics (PIP) 2014-2016. L’ambition était forte : aller vers une croissance
forte et durable et diminuer significativement la pauvreté. Le constat est parlant la croissance est

199
très faible depuis plus de 4 ans et les promesses ne sont point tenues. Adapter et développer les
régions, réhabiliter les bassins versants, accroitre l’électrification du pays, rénover les centres
urbains, accélérer le maillage routier et numérique et étendre les services sociaux de base sont
restés lettre morte. La construction territoriale, tributaire de l’histoire et de la tradition
centralisatrice, ne favorise que les disparités spatiales génératrices de pauvreté.

Conclusion de la partie

Les chapitres qui viennent d’être traités ont permis de voir l’ampleur du phénomène de pauvreté
dans le pays. Haïti connaît une très forte incidence de la pauvreté extrême et elle est également
massive. La profondeur de la pauvreté extrême est de 0.31 (FAFO, 2003), le pays se rapproche
ainsi de certains pays africains comme le Niger, le Burkina-Faso, la Gambie, qui combinent des
taux de pauvreté extrême élevés, au-delà de 50% et des profondeurs de la pauvreté élevés (entre
0.29 et 0.34). L’incapacité de près de 22% des chefs de ménage de subvenir aux besoins
essentiels conduit à vivre de la charité désignée par le vocable « pòv » (indigence). Moins de
50% des chefs de ménage ont déclaré avoir pu satisfaire comme il se doit l’un ou l’autre des
besoins, de l’alimentation à l’éducation, en passant par le logement, l’habillement et la santé.

La distribution des revenus est très fortement inégalitaire: les ménages les plus riches (dernier
décile de revenu) possèdent 80% du revenu total national. Haïti se retrouve parmi les pays les
plus inégalitaires de l’Amérique Latine et des Caraïbes. La géographie de la pauvreté est
appréhendée en fonction du milieu de résidence (urbain/rural) et des départements géographiques
relevant en fait du découpage administratif du territoire. Le milieu rural cumule la plus forte
incidence et la plus forte contribution à la pauvreté. Neuf pauvres sur dix vivent en dehors de la
capitale, avec une très forte concentration en milieu rural. En dehors du découpage administratif
la pauvreté affecte le territoire sous d’autres aspects à l’instar des iles adjacentes, des quartiers
précaires urbains et les zones frontalières. En matière de pauvreté le pays adopte les référents
internationaux (seuil national, carte de pauvreté, OMD et ODD). Les approches monétaire et
multidimensionnelle vont contribuer à l’élaboration de tous les savoirs sur la pauvreté par
l’intermédiaire des enquêtes sur les conditions de vie (ENMP, ECVMAS). Le littoral est aussi
frappé par le phénomène de pauvreté. Mais, c’est une thématique orpheline parce qu’elle est très
peu abordée dans les savoirs sur la pauvreté dans le pays. Or à travers le cheminement de la
construction d’Haïti comme nation, de 1804 à aujourd’hui le littoral a reçu un traitement spécial

200
qui fait de lui un espace particulier. En tant que tel il a, soit servi de glacis protecteur pour la
défense du pays, soit exploité outrageusement par les exclus de la République dans leur quête de
survie. La pauvreté comme objet d’étude est aussi tributaire de l’aménagement politico-
administratif qui s’est imposé au pays. En effet, le centralisme qui a été appliqué appauvrit les
régions au profit de la capitale. Ce processus s’est réalisé en deux temps : sa mise en œuvre par
l’occupant américain et sa consécration sous la dictature des Duvalier. La constitution de 1987,
en rupture avec cette tradition, consacre la décentralisation du pays. Néanmoins il va falloir
attendre 2010, sous le choc du séisme, pour voir enregistrer l’adoption d’un plan national de
développement axé sur la refondation du pays dans le cadre de la décentralisation prévue par la
constitution. Un autre constat attire l’attention, les pouvoirs publics haïtiens depuis près d’une
vingtaine d’années privilégient l’équipement en Services Sociaux de Base des zones touchées par
la pauvreté. Cette formule s’écarte un peu des référents internationaux qui misent sur l’individu.
En effet cette partie du travail ainsi traitée éclaire la problématique : « la pauvreté des littoraux
haïtiens est inscrite dans le processus de construction nationale à travers les politiques publiques
engagées depuis 1804 » Autrement dit la situation d’appauvrissement accéléré qui s’installe dans
les zones littorales du pays sont le résultat de la mise en œuvre des pratiques socio-politiques
animées par la volonté consciente ou inconsciente de se protéger de l’autre (étranger ennemi,
voisin disqualifié socialement et intempérie non maitrisée ). Elle conforte aussi les hypothèses
majeures de base :

§ La politique sécuritaire et de défense adoptée à la naissance du pays structure la


vision et les décisions de l’haïtien vis-à-vis de la mer et des littoraux.

§ Le développement national, une fois la nation constituée et l’État construit,


demeure incapable jusqu’ici d’intégrer le couple mer/ littoral dans la dynamique
de modernisation liée à la littoralisation et la maritimisation.

§ Le cadre institutionnel et étatique défaillant est un facteur explicatif et


accélérateur de l’occupation inconsidérée du littoral effectuée au détriment du
bien-être de la population (paupérisation) et du respect de la biodiversité
(appauvrissement).

201
§ La prise en charge tardive et molle de l’inégalité spatiale qui s’établit entre les
littoraux et le reste du pays, est fragilisée par la forte demande sociale d’accès
facilité au foncier.

Les contours de l’objet d’étude s’expliquent donc dans le positionnement d’Haïti au regard des
référents mondiaux liés à la pauvreté, les aspects particuliers que prend le phénomène de
pauvreté dans le pays, et le cheminement historique qui explique l’inscription spatiale de la
pauvreté dans le cadre des politiques publiques liées à l’organisation et à la gestion de ce
territoire.

202
Deuxième partie
Le littoral comme réceptacle de la pauvreté

L’objet d’étude auquel on a abouti précise le sens et surtout le contenu de la pauvreté du littoral
en Haïti. Il permet d’appréhender les axes sur lesquels se construit la problématique générale du
travail. On a pu observer un glissement qui s’opère entre la pauvreté de l’individu organisée
autour du revenu et des conditions de vie et celle des lieux prise au regard de l’équipement. Cette
deuxième partie éclaire sur le littoral haïtien comme support et comme le terminus de la grande
dynamique d’appauvrissement de ce pays. Il faut souligner que par le biais du phénomène de
littoralisation dans de nombreux endroits du monde le littoral attire les plus riches. Cette pratique
est visible dans la région des Caraïbes à travers la Floride, les Iles Vierges, Antigua, St Martin
pour ne citer que ceux-là. Mais qu’ici en Haïti finalement, la plupart du temps ce sont les plus
pauvres qui occupent cet espace. On note cependant deux initiatives qui ne rentrent pas dans ce
schéma général : le cas de la Côte-des-Arcadins (nord de la capitale) qui hébergent sur plus
d’une trentaine de kilomètres les résidences secondaires de la bourgeoise de Port-au-Prince et
l’ancien quartier du Bicentenaire (sud de la capitale) dans les années 60 jusqu’aux années 90 qui
logeait de nombreuses ambassades étrangères (USA, Italie, Colombie etc). Dans le premier cas
l’organisation de l’espace à travers des villas cossues, surveillées, et complétement autonomes
fait penser à de véritables « banlieues bleues » (Jean Pierre Corlay, 1995). Le littoral haïtien est
le lieu où se trouvent entassées les populations les plus pauvres. Un processus inachevé qui
débute après la reconnaissance de l’indépendance nationale par la France. La dynamique se
poursuit jusqu’à aujourd’hui et prend la forme d’une véritable colonisation orchestrée par les
plus pauvres dans leur quête d’accès facilité à la propriété foncière. Le littoral devient presque
naturellement le réceptacle de tout ce que la société haïtienne ne veut pas voir ou incapable
d’intégrer. Il héberge un ensemble d’activités par lesquelles les populations les plus pauvres
organisent leur survie. Cette dernière se réalise en marge des prescrits légaux, en concurrence
avec d’autres catégories sociales. La seconde partie du travail, réalisée sur cinq chapitres, met en
lumière les contours de l’inscription spatiale de la pauvreté sur cette partie du territoire. Elle
explique les premiers pas vers le littoral, son appropriation par les plus démunis, la concurrence
sociale qu’y joue et surtout son niveau d’appauvrissement lié à l’aménagement et à l’exploitation
réalisés. Les contours de la pauvreté établis dans la première partie sont remis ici dans la logique

203
d’inscription spatiale de ce phénomène socio-économique. Le littoral haïtien est analysé comme
lieu de la grande pauvreté émanant de la gestion du territoire en lien avec la construction
nationale. Cette gestion caractérise déjà le contenu de la prise en charge nationale traité dans la
dernière partie. Les composantes majeures de la partie se déclinent comme suit : quelles sont les
étapes majeures de l’appropriation de ce littoral ? Et elle se fait sous quelles formes ? Quels
types d’activités s’y réalisent ? Comment les pauvres et les non pauvres s’approprient ce milieu ?
Et en quoi la pauvreté sert de cadre à la dégradation du littoral haïtien.

204
Chapitre V
Les vagues d’arrivées sur le littoral

Le phénomène de la littoralisation des activités et des hommes depuis la fin de l’esclavage


touche l’ensemble des îles de la Caraïbe. On passe d’un littoral domaine de l’État (50 pas du roi,
comme dans les autres colonies françaises) donc appartenant à tous et finalement les États
laissent faire. Se faisant le littoral devient le réceptacle du trop-plein des campagnes. Les vingt
ans qui ont suivi l’indépendance d’Haïti jusqu’à sa reconnaissance internationale ont eu un
impact conséquent sur l’organisation de l’espace national. En effet, la politique sécuritaire
appliquée en réaction à la non-acceptation d’Haïti comme pays souverain par la « communauté
internationale » de l’époque a créé un véritable « glacis sécuritaire » constitué de toutes les
parties littorales du nouvel État. Ce lieu laissé à l’abandon parce qu’il sert de cordon de sécurité
contre les éventuelles agressions extérieures va constituer une réserve foncière considérable une
fois son importance stratégique relativisée par l’établissement de liens diplomatiques avec la
communauté des États de l’époque en général et en particulier avec l’ancienne métropole. Le
coût financier est énorme (Cent cinquante millions de franc or) mais la jeune nation cesse de
vivre sur le qui-vive. Ce chapitre analyse les vagues d’appropriation des littoraux haïtiens de
1820 à nos jours et les accélérateurs de cette appropriation.

1- Les premiers mouvements vers les littoraux

L’ordonnance de Charles X108 libère le littoral haïtien de la menace qu’il faisait peser sur la
communauté en constituant la porte d’entrée des ennemis potentiels du nouvel État. La mer était
perçue comme la seule voie par laquelle l’Europe esclavagiste pourrait porter un coup fatal à la
construction nationale. L’acceptation par Haïti des clauses de l’ordonnance en question change la
perception vis-à-vis du littoral. Ce dernier va désormais attirer la convoitise des classes
populaires fraichement libérées de l’esclavage mais non encore élevées au rang de classe pour
laquelle l’accès à la propriété est garanti. Les pouvoirs qui se sont succédé à la tête de l’État ont

108
Par cette ordonnance (17 avril 1825), la France «concédait» à la république d’Haïti son indépendance moyennant
le versement à la Caisse des Dépôts et Consignations d’une indemnité de 150 millions de franc-or pour dédommager
les anciens colons et l’assurance d’échanges commerciaux privilégiés en faveur de la France. Cette « dette de
l’indépendance » due à la France réduite à 90 millions de franc-or sera acquittée jusqu'en 1883 par Haïti. Pour
amener les Haïtiens à accepter «le pacte le plus généreux dont l’époque actuelle offre l’exemple», Charles X a des
arguments de poids. Il fait escorter l’ordonnance par une armada de 14 bâtiments de guerre armés de 528 canons. En
cas de refus, toujours selon le ministre de la Marine, Haïti sera «traité en ennemi par la France», dont l’escadre «est
prête à établir le blocus le plus rigoureux devant les ports de l’île»

205
voulu conserver la grande propriété qui faisait le succès économique de l’ancienne colonie
française. Ce qui ne laisse pas trop de possibilités aux classes populaires qui veulent accéder à la
terre. La seule option viable demeure l’appropriation de la bande littorale restée marginalisée.
Les premières vagues d’occupation du littoral débutent en 1825. Après l’acceptation de
l’indépendance par la France le besoin d’avoir un lopin de terre pour assurer sa survie pousse de
nombreux haïtiens à se servir dans les terres marginales que sont les littoraux. Car les élites
locales s’étaient déjà partagé les grandes habitations. L’attractivité du littoral doit être expliquée
aussi par la conjugaison d’au moins deux autres facteurs accélérateurs.

a- Fuir le caporalisme agraire dans les campagnes

La dette induite par l’Ordonnance de Charles X est lourde pour les maigres finances du jeune
État (Blancpain, 2003). Ce dernier se voit obligé d’appliquer toutes les mesures susceptibles de
générer des revenus nécessaires au paiement de la dette. Des dispositions légales ont été prises
afin de réglementer la production agricole. Le code rural de 1826 en est un témoignage éloquent.
Ce code établit des règlements de culture très sévères qui rappellent l’époque coloniale. Les
cultivateurs devaient rester attachés à la plantation où ils travaillaient. Ils ne pouvaient pas aller
en ville sans autorisation. Tout citoyen qui ne travaillait pas était envoyé aux champs. La
surveillance des cultures et la police rurale sont assurées par des commandants militaires. Ce
système de contrôle devenait étouffant pour les citoyens qui ne comprenaient point le bien-fondé
de cette politique économique axée essentiellement sur la création de revenus strictement
destinés au paiement de la dette l’indépendance.

Le nouvel État mobilise les citoyens sur les travaux collectifs à travers le système de corvée qui
impose un bénévolat mal appréhendé. Le travail de la terre est fortement encadré par l’armée.
Les anciens esclaves devenus tour à tour rebelles, libres et citoyens ne comprenaient pas le sens
du retour au travail de la terre dans les mêmes plantations qui hébergeaient leurs maitres. Le
traumatisme est grand mais l’obligation d’assurer le paiement de la reconnaissance de
l’indépendance empêchait aux dirigeants de cette période de traiter autrement ce dilemme. Les
règlements de culture élaborés par les propriétaires esclavagistes saint-dominguois sont réactivés
et mis au gout du jour. Le code rural interdisait au paysan, sous peine d’emprisonnement, en cas
de récidive, sous peine de travaux forces, de voyager à l’intérieur du pays sans avoir un permis
du fermier, du propriétaire ou du gérant du domaine sur lequel on l’employait, il supprimait le

206
droit du cultivateur de quitter la campagne pour aller habiter les villes et les bourgs. Il déclarait
qu’aucune réunion ou association de laboureurs fixes sur la même plantation ne pourrait se
rendre fermière de la totalité de la population pour l’exploiter ; il commandait au paysans d’être
soumis et respectueux envers le propriétaire, le gérant, sous peine d’emprisonnement. Les
campagnes deviennent un véritable enfer pour les citoyens-paysans109. Ces derniers protestent et
manifestent leurs mécontentements à travers des jacqueries qui sont sévèrement réprimées. La
révolte du leader paysan Acaau est le point culminant du raidissement de la population contre les
conséquences directes de l’acceptation de l’Ordonnance de Charles X par le gouvernement de
Jean-Pierre Boyer.

Le 27 mars 1844, Jean-Jacques Acaau s’établit avec plus de 2 000 partisans dans les montagnes
du sud, d’où ils lancent des assauts meurtriers contre les forces gouvernementales. L’objectif
principal est alors la conquête de la terre par ceux qui la travaillent car l’essentiel de la richesse
terrienne foncière est concentrée entre les mains d’un nombre limité de propriétaires et de
privilégiés. Un prix plus juste pour les denrées paysannes, et plus bas pour les marchandises
importées, est exigé. C’est une lutte pour la nation entière, et un appel à tous ceux qui souhaitent
améliorer leurs conditions de vie. En somme, Acaau et sa bande sont déterminés à faire la
révolution agraire110. La dynamique inquiète la classe politique et la classe possédante.

Le Sénat légifère et met hors la loi ce mouvement. La loi du 16 avril 1846 exhorte le pays à en
finir une bonne fois pour toutes avec ces bandes féroces qui ensanglantent le sol du sud. Les
troupes gouvernementales vont mater le mouvement. Son chef Jean-Jacques Accau se suicide
pour ne pas être pris. Une répression féroce s’ensuit et, le 1er septembre 1846, le sénateur
Céligny Ardouin rend hommage aux troupes qui venaient « d’accomplir la plus noble mission en
faisant prévaloir l’ordre sur l’anarchie, en rétablissant la société sur ses véritables bases dont la
première est le respect des personnes et des propriétés. La répression contre les partisans du
mouvement fut impitoyable, ce fut des massacres sans précédent dans les campagnes du sud et
109
Hormis le fouet c’est l’esclavage disait Louis joseph janvier
110
En 1884, Janvier fait paraître Le Vieux Piquet où il rend compte de la situation paysanne par la fiction. Dans ce
court roman, il rassemble l’état de servitude d’avant l’Indépendance et la condition des paysans au moment des
guerres civiles. Il pose comme un fait accompli la séparation des Haïtiens entre, d’une part, le pays en dehors et,
d’autre part, les villes de la côte. Entre les deux, les rancœurs se sont accumulées et les tensions ont culminé dans
des guerres civiles fréquentes

207
de la Grand-Anse qui furent nettoyées des derniers résistants de cette jacquerie paysanne. Des
mois encore après la mort d’Acaau la répression fut telle qu’un journal de l’époque ‘’le
manifeste’’ écrivit « le nombre de mort laissé par les insurgés a été considérable ». Les paysans
vaincus et traqués quittent les campagnes et s’approprient les terres marginales littorales pour
s’adonner aux cultures vivrières liées fondamentalement à l’autoconsommation (Hector M,
2002). La marge littorale devient à la fois un lieu de refuge et un lieu de vie et de production
pour les plus pauvres et les plus démunis. Ce mouvement est actionné par deux intentions : leur
volonté d’accéder à la terre et celle d’échapper aux rigueurs du travail agricole encadré. Ces
premières installations concernent les départements du sud, de la Grande-Anse, du Sud-est, de
l’Ouest et des Nippes.

b- Contourner le dirigisme étatique : l’économie familiale contre l’économie nationale

Au lendemain de l’indépendance les autorités haïtiennes vont faire face à un dilemme majeur : -
persuader les esclaves devenus citoyens de continuer à travailler la terre et assurer la survie de la
nouvelle nation sur une base économique agricole – maintenir la grande propriété capable de
générer des devises nécessaires à la construction nationale. La défense du nouvel État dans un
environnement mondial hostile force les autorités à se focaliser presqu’exclusivement sur des
taches militaires. Il faut donc se procurer les armes et les équipements nécessaires. L’accès à tout
cela n’est possible qu’avec de l’argent généré par les ressources du pays111. Les pouvoirs publics
dans le but de faire rentrer au plus vite le maximum de devises vont miser sur deux produits le
sucre et le café.

Les nations qui acceptent de commercer avec Haïti ne s’intéressent point au sucre produit. Elles
dénoncent la mauvaise qualité de ce produit. Ce qui est tout à fait juste car les colons sont partis
avec le savoir-faire. Ils n’ont jamais transmis aux esclaves les rudiments de la filière. Ces
derniers étaient cantonnés exclusivement dans les tâches ingrates et pénibles de l’industrie
sucrière. Les autorités voyaient très mal tous ceux qui cherchaient à contourner la production du
sucre par d’autres activités incapables de générer des devises pour le pays. L’agriculture vouée à

111
Haïti est né dans des conditions particulières. Au lendemain de 1804 le seul capital dont disposait le nouvel État
était la liberté acquise. La grande majorité des colons avant même la dernière bataille (à Verrières) avaient déjà
laissé la colonie prise dans la fièvre révolutionnaire par principe de précaution. Ils sont partis avec tous les biens
meubles (argent et or) pour s’établir soit à Cuba ou aux États-Unis d’Amérique. Autrement dit dès ses premiers jours
le pays faisait face à un manque cruel de moyens d’existence.

208
l’exportation devient stratégique pour l’État qui l’impose aux citoyens. Ces derniers préfèrent
s’adonner à des activités parallèles génératrices de revenus ou de satisfaction personnelle sans
l’intermédiation des pouvoirs publics. Les cultivateurs vont s’éloigner de plus en plus des
canneraies pour évoluer en indépendants sur les marges littorales laissées vacantes pour les
raisons expliquées dans les pages précédentes.

Le café est l’autre produit dont dépendent les recettes fiscales et le paiement de la rançon de
l’indépendance. Sa production est encadrée par l’État or là encore les difficultés sont grandes car
les forces productives ne trouvent satisfaites. Les cultivateurs comprennent très vite qu’ils sont
en train de travailler en permanence strictement au profit de l’État à travers une taxation de plus
en plus lourde. En 1850, un impôt de 1/5 sur le café est instauré par la loi du 10 janvier. En 1859,
une réforme le remplace par un droit fixe, puis par une taxe de 10%. Les travailleurs ont du mal à
comprendre le dirigisme économique car rien ne s’arrange dans leurs conditions de vie malgré
une hausse du prix de vente du café dans le port français du Havre. Les révoltes paysannes se
multiplièrent et le paiement de la dette est devenu de plus en plus difficile. Deux camps
s’opposent les élites naissantes partagent une certaine vision globale de l'État à savoir, le
maintien de la grande propriété et la défense du territoire national, les masses paysannes elles-
mêmes se mettent en rébellion en vue d'obtenir satisfaction relativement à leurs revendications
pour la reconnaissance de leur droit à la terre (C. Moïse, 1997, p. 33) et surtout leur droit à
nourrir leurs familles sans passer par les biens importés sur lesquels pèsent des taxes assez
lourdes.

Les paysans jouent la carte de l’autonomie familiale pour se soustraire à l’économie nationale
trop lourde à supporter parce que trop rigide. L’Armée qui est le dépositaire de l'indépendance
se retrouve au cœur du débat car elle devient juge partie. Les dirigeants du nouvel État n'ont
évidemment pas procédé à une redistribution des terres cultivables. Les paysans cultivateurs
doivent travailler sur les terres ayant appartenu aux grands propriétaires fonciers. Ces dernières
sont maintenant aux mains des généraux de l'armée ou des hauts fonctionnaires de la nouvelle
administration. Cet accaparement a nourri les troubles et les crises liés à la grande détérioration
de la situation économique des couches populaires. A la vérité, ces périodes d’importantes
commotions politiques concordent tout d’abord, et dans la plupart des cas, avec des années de
baisse sensible, soit dans le volume de la production, soit dans les prix des principales denrées

209
d’exportation. La contestation paysanne, quoique conséquente, n’a pas été victorieuse. Ses
leaders, comme on l’a vu précédemment, sont rapidement éliminés par l’armée nationale toute
puissante et ses alliés. L’économie nationale, au service de la dette de l’indépendance, axée sur le
sucre, le café et le coton a demeuré. Néanmoins la quête pour la liberté économique par
l’intermédiaire de l’initiative individuelle est restée vivace chez les paysans en général et chez
les plus pauvres en particulier. Le domaine montagnard lié à la production obligatoire du café
n’attire point et les grands domaines sucriers des plaines ne sont pas aimés non plus. La bande
côtière, ipso facto, devient attractive pour au moins deux raisons : elle n’est pas occupée et elle
se prête à des initiatives susceptibles de satisfaire rapidement les appétits individuels bridés par
le dirigisme économique rendu nécessaire dans le cadre du paiement de la dette de
l’indépendance. Le littoral va donc recevoir et héberger les acteurs de la contestation nationale
contre l’encadrement étatique du travail agricole.

Le littoral va permettre aux nouveaux installés de satisfaire tant soit peu leurs revendications. Ils
accèdent à la propriété de la terre, ils se soustraient au caporalisme agraire et ils se détournent de
l’ordre économique officiel. Dans la perception de la population le littoral et la mer changent de
nature ils ne sont plus la porte d’entrée de l’agression étrangère mais deviennent un espace de
liberté contre l’oppression économique et la puissance absolue de l’État. Cette liberté va
s’exprimer à travers deux activités fondamentales qui souvent se complètent :

b- La contrebande comme source traditionnelle de revenus

Les populations des littoraux sont en contact avec des contrebandiers. Ces derniers sont
alimentés en bois de Campêche, en Gaïac, écaille et en tout ce que les autorités nationales
interdisent pour mieux asseoir l’emprise de l’État sur les échanges commerciaux. L’interlope est
présent sur tout le littoral de la péninsule du sud. Les douanes régulières accusent le coup à
travers les fonctionnaires corrompus et rompus à l’exercice. L’historien Thomas Madiou dans
son « Histoire d’Haïti » explique avec précision en 1876 les contours de ce trafic en ces termes :

« Nous avons à remarquer que malgré la pêche considérable de tortues qui se fait tant du côté
de Jacmel que dans la baie de Port-au-Prince, il ne parait pas une seule livre d’écaille ait payé
des droits. Cependant il en a été à notre connaissance considérablement exporté ». Il est donc
aisé de comprendre que la pêche pour ceux qui s’installent sur les littoraux soit une source
importante de revenus. Evidemment la logique de cueillette qui anime ce type d’exploitation va

210
avoir de grave conséquence sur l’avenir de la ressource. Au cours de la même année 1976,
Madiou continue « Nous avons remarqué entre autres bâtiments que la goélette Trois Sœurs de
70 tonneaux parait être venue d’Amérique à Jacmel avec une cargaison de $ 934 et s’est
expédiée pour le même lieu avec 4 759 livres de café et 2000 livres de campêche. Cela est
difficile à croire parce que la totalité de cette cargaison ne suffirait pas pour couvrir les frais de
voyage de ce bâtiment ». Il est difficile de croire exclame l’historien, que « le cutter anglais
Jane de 113 tonneaux, venu de Gibraltar avec une cargaison, ne soit expédié pour Guernessey
qu’avec 23 167 livre de café dans un temps ou cette denrée se vendait avec bénéfice en
Angleterre ». La démarche est plus curieuse quand Madiou évoque le cas de « la goélette
Curious entrée à Jacmel à la consignation de M Thebaud ( employé d’administration ) a déclaré
avoir à bord 99 caisses de genièvre ; par un supplément de déclaration signé de l’interprète
seulement qui dit que 49 caisses ont été vendues en mer, leurs droits montant à $ 196 ont été
déduits et perdus pour l’État »

Le jeu est clair, le bateau arrive dans un port officiel pour décharger ses marchandises très
prisées du fait de l’embargo imposé au nouvel État. Néanmoins, ce même bateau en partant,
profite pour faire le plein de produits qui l’intéresse via un circuit parallèle de ravitaillement par
l’intermédiaire des ports sauvages établis le long des côtes. Ces structures de fortune sont
destinées à contourner les règlements établis. En dehors des fonctionnaires impliqués les
populations littorales qui approvisionnent ce type d’échanges sont les grands bénéficiaires. Un
pêcheur qui prend la mer avec sa barque n’a rien d’illégal sauf que sa cargaison de gaïac, de
campêche ou d’écaille de tortue dissimulée relève de la contrebande car il alimente illégalement
un armateur/commerçant étranger qui a floué les douanes nationales.

Ces armateurs sont fondamentalement Anglais et Américains. Ils opèrent sur trois fronts :
combler le vide laissé par le commerce français, assurer leurs représentations nationales en
l’absence d’une diplomatie officielle et réaliser un maximum de profit aux dépens de la jeune
nation affaiblie par les circonstances qui entourent son émergence contestée. A l’intérieur d’Haïti
ils trouvent un allié de fortune dans la constitution par les populations littorales d’une
contestation significative de l’ordre économique établi. Cet ordre est perçu par les citoyens
comme une capitulation concédée aux contradicteurs de la nation et il est surtout vu comme une
sévère entrave à la liberté chèrement acquise dans le cadre de la guerre de libération nationale.

211
La logique parait simple pour cette population : si l’État se prostitue avec l’étranger en acceptant
l’Ordonnance de Charles X il est tout à fait concevable pour le citoyen d’entretenir des échanges
avec des non nationaux fussent-ils en marge de la loi. Une véritable manne circule sur les côtes
haïtiennes, l’État haïtien capte une infirme partie, les armateurs étrangers se frottent les mains,
les fonctionnaires publics s’enrichissent et la population littorale se joigne à la dynamique pour
récupérer les miettes qu’on veut bien lui laisser.

c- L’autoconsommation contre l’appauvrissement

Les revenus tirés de la contrebande ne sont pas les seuls bénéfices tirés dans cette première
vague d’appropriation du littoral par les déçus du système économique postcolonial. Les citoyens
protestaient sans relâche contre l’augmentation continue des prix des produits importés. Ces
produits sont généralement des biens de consommation de première nécessité (farine, viandes,
huiles). Le niveau de taxation qui les frappe est perçu comme exorbitant et surtout destiné, dit-
on, à gruger les maigres épargnes des classes populaires donc les plus pauvres. Georges Anglade
l’explique dans son ouvrage « l’espace haïtien » : le système de marchés connecté à la capitale
Port-au-Prince permet à l’État haïtien de forcer mêmes les plus couches les plus pauvres de la
population et les villages les plus reculés à contribuer à l’assiette fiscale. Le paysan a compris
très vite le rapport défavorable qui s’établit entre l’achat du produit étranger et la vente du bien
provenant de ses champs. Très souvent il assiste impuissant à une inflation qui érode son
patrimoine au profit de ceux avec qui il entretient des échanges économiques : il mobilise
toujours plus de denrées de son jardin pour acquérir le même volume de bien importé. Le
cultivateur paysan va mettre à profit son inscription spatiale (sur le littoral) pour diminuer cette
pression économique toujours grandissante.

La viande importée demeure des salaisons et les populations littorales la remplacent habilement
par le produit de la pêche qu’elles pratiquent. Elles ne payent plus pour accéder à certains biens
alimentaires par la substitution. Les poissons séchés alimentent les marchés locaux et jouent une
sérieuse concurrence à la viande de bœuf, le hareng et les morues importés. Les populations du
littoral pêchent et cultivent dans le cadre d’une logique stricte : assurer la survie de la famille ou
du ménage. L’huile de noix de coco se substitue aux huiles de cuisine importées. Cette denrée est
immédiatement prélevée sur le littoral qui abrite 80% des cocoteraies du pays. Le littoral dans
cette première vague d’appropriation fait office de lieu de contournement des barrières

212
économiques et le lieu d’expression des libertés individuelles brimées par les grandes certitudes
de l’État112. L’appropriation du littoral haïtien, dans la logique exposée dans les lignes
précédentes, va s’inscrire dans le temps et la longue durée. Les pouvoirs publics laissent faire et
dans certains cas participent aussi à la consolidation de ce mouvement à travers l’établissement
de certains équipements collectifs qui viennent « solidifier » les initiatives individuelles au
départ très peu viables. Cette première vague d’appropriation du littoral a connu un bref
fléchissement durant les dix-neuf ans de l’occupation américaine. La corvée, réactivée par
l’occupant afin d’utiliser les masses populaires dans les travaux publics collectifs (percée et
entretien des routes) n’a pas rencontré l’adhésion de tous113. Les citoyens préféraient l’anonymat
des zones rurales et montagneuses de manière à contourner le travail non rémunéré induit par la
pratique de la corvée.

112
Les dettes, la taxation, la défense nationale, les politiques macroéconomiques et la gestion des frontières font
partie des grandes certitudes de l’État. Ce dernier n’hésite pas à sanctionner ceux qui vont à contre-courant de ces
logiques.

113
En 1919, l’occupant américain a rétabli une vielle loi appelée ‘’ corvée’’ qui obligeait les paysans à fournir six
jours de travail gratuits pour la construction et l’entretien des routes. Le témoignage de l’économiste haïtien Leslie
Péan en 2015 est éclairant : « En imposant la Constitution de 1918 aux Haïtiens dans laquelle l’inamovibilité des
juges est abolie, les Américains font une triple entorse à l‘établissement d’une société et d’un État de droit. D’une
part, la loi -mère du pays, la Constitution, est écrite par Franklin Roosevelt, ancien Sous- Secrétaire de la Navy et
« enfoncé- suivant les mots du président américain Warren Harding- dans la gorge des Haïtiens à la pointe d’une
baïonnette ». Il continue en ces termes : « Pour la première fois, dans toutes nos multiples constitutions même si
elles ont été toujours conçues sur la mesure du président établi, est aboli un article qui interdisait aux étrangers de
posséder des biens immeubles dans le pays. Grâce à ce changement, ils se sont permis de s’attribuer une quantité
énorme de terres qui en 1929 s’élevait d’après Mme Castor à 15.000 hectares. Conséquemment à ces expulsions
parfois très brutales, la misère s’est installée sur un autre palier dans les pays et nous en payons les frais jusqu’à nos
jours ». L’économiste ajoute : « Criblé de dettes, mal alimenté, privé de son lopin de terre le paysan connaissait une
situation encore plus critique qu’avant l’occupation. D’après les rapports de la gendarmerie, le vagabondage
augmentait à la campagne. L’émigration prit des proportions considérables et tragiques, démontrant avec évidence le
mécontentement du paysan qui s’en allait parfois pour toujours, vers Cuba ou la République Dominicaine à la
recherche d’un avenir moins sombre. ». Une source administrative confirme cette saignée démographique. En effet
d’après M. Séjournée, Inspecteur Général des Douanes en 1938, plus de 300.000 Haïtiens abandonnèrent le pays
pendant 19 ans de l’occupation et aucun de revint à sa terre natale.

213
Conclusion

Les premiers pas vers le littoral coïncidaient avec la reconnaissance de l’indépendance du pays
par l’ancienne Métropole qu’est la France. Cet événement libérait les littoraux de la méfiance
dont ils étaient l’objet : le danger qui menaçait le pays était écarté au prix d’une dette colossale.
Évidemment pour payer cette dette il fallait exploiter à l’outrance les parties montagneuses du
pays car la monnaie d‘échange était le café. Très vite le littoral est transformé en zone de refuge
pour éviter le caporalisme agraire imposé par les gouvernements successifs condamnés à honorer
les annuités de la dette contractée auprès de Paris. L’occupation américaine de 1915 renforçait
l’idée de liberté que procurait le littoral face à la rigueur de la Corvée imposée par l’occupant
pour la percée et l’entretien des routes. Cette liberté perçue était aussi vécue dans la dynamique
d’augmentation des revenus à travers la contrebande qu’on pouvait y pratiquer. A cela il faut
ajouter le besoins des plus pauvres de contourner les rigueurs du marché des biens de première
nécessité par lesquels passent les impôts indirects. L’appropriation du littoral dans ses débuts a
été donc une parade de l’économie familiale des plus pauvres contre le dirigisme de
l’économique nationale (Claude P G, 2003)

2- L’attrait du tourisme et des industries d’assemblages entre 1950 et 1970

La réussite économique de certains pays suscite de grandes motivations chez les dirigeants des
pays en développement dans les années 60. Ces derniers voyaient dans les industries
d’assemblages la porte d’entrée ou plutôt les premiers pas vers l’industrialisation. Les exemples
de réussite sont fondamentalement asiatiques (Corée du sud, Taiwan et le Japon des années 50)
néanmoins dans les Amériques le Mexique apparait lui aussi comme un cas d’étude. Cette parade
économique est simple : importation d’industries à faible valeur ajoutée reposant sur la
mobilisation extensive des ressources humaines. En dehors de l’objectif à long terme
d’industrialiser le pays ce qui prévaut c’est donner un emploi à l’abondante main d’œuvre dont
bénéficient les pays en développement. Cette logique est en harmonie avec les besoins d’Haïti
dans les années 60. Il importe donc de montrer le rôle que jouaient les industries d’assemblages
dans la dynamique d’appropriation du littoral. Deux éléments sont à prendre en compte : la mise
en valeur du front de mer de Port-au-Prince et la bidonvilisation du nord de la capitale.

214
a- Le littoral est mis en valeur dans la capitale en 1949 : le Bicentenaire et l’Exposition
universelle

L’État haïtien donne le ton au regard de la mise en valeur du littoral en aménageant le front de
mer de Port-au-Prince et en y organisant une Exposition universelle. Mil neuf cent Quarante-
neuf, c’est l’année du bicentenaire de la fondation de la capitale haïtienne et c’est aussi l’année
de l’Exposition internationale organisée pour commémorer ce grand événement. Une étendue de
30 hectares en bordure du rivage a accueilli une exposition culturelle, artisanale, artistique,
folklorique, commerciale et industrielle (Covington, G 2007). De nombreuses constructions
organisent cet espace aménagé : édifices publics, pavillons étrangers, pavillons de l’industrie, un
spacieux théâtre, un village lacustre et un parc d’attractions. Un grand boulevard, baptisé Harry
Truman, est érigé et sur son épine axiale sont plantés 1 130 cocotiers. Une grande place, nommée
place des Nations-Unies, fut ajoutée à l’ensemble. Cette place a été décorée d’une monumentale
fontaine lumineuse, une des plus grandes du monde, ornées de naïades dessinées par l’architecte
français Pierre Bourdelle. Les 30 hectares du site ont été gagnés sur la mer. Six millions de
mètres cubes de sable ont été tirés de la mer afin de couvrir l’espace préposé à l’exposition. A cet
effet, une drague suceuse a été installée par la compagnie américaine des industries maritimes
afin de déplacer toutes les 24 heures 250 000 mètres cubes de sable (G. Covington op cité). La
commémoration du bicentenaire de la ville a été une réussite autant que l’exposition
internationale. La planche photographique suivante rend bien compte de cette appropriation du
front de mer de Port-au-Prince par les pouvoirs publics.

215
Photo 14.- L’inscription spatiale du Bicentenaire

Sources : G. Covington 2007

L’aménagement du front de mer à Port-au-Prince au Bicentenaire dans sa partie nord (haut) et sa partie sud
(bas). Il représente la première intervention des pouvoirs publics haïtiens dans la mise en valeur efficace du
littoral.

Le front de mer de Port-au-Prince est transformé en un véritable lieu d’attraction et consacra


ainsi cette ville comme destination touristique incontournable dans la région dans les années 50,
60 et 70. Le littoral prend de la valeur ce qui accélère son processus d’appropriation par la
bourgeoisie port-au-princienne qui s’établit un peu plus loin sur le littoral de la Côte des
Arcadins en y installant ses maisons secondaires. Se faisant les pouvoirs publics et les nantis

216
haïtiens rompent pour la première fois avec la tradition qui consiste à tourner le dos à la mer et le
littoral associé.

b- Un exode rural au profit du littoral sur fond de dictature

Le début des années 50 est une période d’embellie économique pour le pays. Le gouvernement
de Dumarsais Estimé multiplie les actions porteuses de bien-être collectif. Il essaie d’élargir la
base de la classe moyenne en multipliant par trois le salaire des enseignants. Il organise
l’Exposition universelle de 1949-1950 comme témoignage de sa volonté d’inscrire le pays dans
la modernité. Le tourisme battait son plein. Et une certaine vitalité économique s’amorce. Les
interventions des pouvoirs publics par l’intermédiaire des campagnes de vaccination entre autres
ont eu pour conséquence un accroissement de la population. Les campagnes ne peuvent plus
contenir leur excédent de bras. Les grandes villes qui bénéficient d’une certaine modernisation
attirent les ruraux. Ces derniers veulent goûter, eux aussi, aux fruits de la croissance économique.
Il est entendu que le bien-être collectif perçu au pays durant cette époque n’atteigne que les
centres urbains. La campagne est tenue à l’écart pour de multiples raisons liées à l’organisation
spatiale d’Haïti.

A partir de la fin des années 50 les ruraux trouvent l’occasion et l’opportunité de s’insérer dans
le tissu urbain. En effet, au terme de son mandat présidentiel François Duvalier installe sa
dictature personnelle. Cette dernière est assise sur deux piliers fondamentaux : la milice
populaire et l’armée. Le régime politique mis en place se veut être l’émanation de la volonté
populaire. A cet effet il mobilise régulièrement des milliers de paysans pour venir scander dans
les villes des slogans favorables au régime. Il s’agit d’une véritable démonstration de force pour
effrayer et calmer l’ardeur des opposants. Dans toutes les grandes villes sont organisées des
parades à l’occasion des dates commémoratives liées au pouvoir duvalierien. La capitale reçoit
des délégations venues de toutes les provinces, amenées dans des camions affrétés par les
supporters. Cependant tous ceux qui viennent dans les villes ne retournent pas chez eux. Certains
sont frappés par le bright light city et décident de s’installer et d’entamer leur aventure urbaine.
D’autres se retrouvent pris au piège car ils ne disposent pas d’argent pour payer le voyage retour.
Ils s’installent dans les zones marginales et interstitielles114 de Port-au-Prince et de certaines

114
Ces zones laissées vacantes sont vite colonisées par les nouveaux venus incapables de s’insérer dans la ville
initiale au regard du coût du loyer mais aussi et surtout par le besoin d’être propriétaire comme témoignage de leur

217
autres villes majeures comme le Cap-Haitien et les Cayes. Les grands bidonvilles du pays
naissent à l’ombre des grandes villes (Tableau suivant)

Tableau 24.- Les grands bidonvilles d’Haïti

Nom Ville Date de création Département


Cité Soleil Port-au-Prince 1965 Ouest
Sainte Philomène Cap-Haitien 1967 Nord
La Saline Port-au-Prince 1938 Ouest
Jalousie Pétion-ville 1972 Ouest
Raboteau Gonaïves 1968 Artibonite
La Savane Les Cayes 1969 Sud
Sainte Hélène Jérémie 1966 Grande Anse
Cité Leternel Port-au-Prince 1988 Ouest
Sources : Covington, Rouzier et Saint-Dic

c- Une appropriation littorale au service des factories

Le bassin Caraïbe se caractérise par des paradis fiscaux, des entreprises offshores et des zones
franches. Ces dernières se réalisent sur un espace commercial ou industriel strictement délimité
et doté de privilèges de franchise ou sur une simple activité extraterritoriale (Desse et Hartog,
2003). Haïti est aussi touchée par ce phénomène et les entreprises installées ont joué un rôle
déterminant dans la dynamique d’appropriation du littoral. En effet, les ruraux drainés vers les
villes, par et pour la propagande duvaliériste, y trouvent un marché du travail favorable à leur
situation de déracinés, de peu formés et de fragilisés. La ville bouillonne parce qu’elle reçoit des
investissements dans le cadre de sa modernisation et à des fins touristiques. Le besoin d’une
main d’œuvre non qualifié se fait sentir. Car mille et une fonctions sont demandées par les
activités liées au tourisme, à l’intendance, au gardiennage, et au BTP. Et les besoins de bras peu
qualifiés s’élargissent à un autre secteur : la sous-traitance. Cette filière préindustrielle intéresse
beaucoup l’État haïtien qui a fait le choix d’une économie extravertie. La finalité est triple :
exporter pour ramener le maximum de devises étrangères, s’intégrer dans l’économie mondiale
et surtout occuper la population urbaine active trop attentive aux sirènes des réformateurs, des

présence effective dans la ville. La démarche permet de se soustraire au refus de la ville de les considérer comme
citadins à part entière. Ils sont qualifiés de Nèg andeyò (celui qui n’est pas de la ville). La propriété dans la ville
devient donc une solide carte d’identité face à l’exclusion. Les berges des rivières et ravins, les flancs abrupts des
collines et surtout le littoral constituent cet espace d’accueil parce que ouverts et disponibles.

218
opposants et aux révolutionnaires. Le gouvernement haïtien opte pour les parcs industriels. Au
début des années 60, dans le nord de la capitale va s’installer le tout premier et le plus grand parc
industriel du pays : la Société Nationale des Parcs Industriels (SONAPI). C’est la première
manifestation sérieuse de l’implantation de la sous-traitance.

Cette démarche a permis le développement de l'industrie de confection à partir de l’importation


de produits semi finis qui aboutissent à des produits exportables. L’État haïtien a joué la carte de
l’attractivité. De nombreuses mesures ont été adoptées pour faciliter expansion de cet outil
économique dans le pays: exemptions des droits de douane, abaissement de ces droits sur les
matières importées et à l'exportation des produits finis. C'est ainsi qu'on a enregistré à la fin de
l'année 1968 l'implantation à Port-au-Prince des industries d'assemblage dans d’autres secteurs
tels : ballon de Base ball et électronique etc.).

Les entrepreneurs locaux et les commanditaires étrangers jouissent pleinement de cette


conjoncture favorable. Le gouvernement de François Duvalier veut rassurer un autre acteur et
partie prenante majeure de la dynamique : la main-d’œuvre. Les bras appropriés pour le travail
exigent aussi un minimum : être à proximité du lieu de production. Cet élément fait l’affaire
aussi de la SONAPI qui peut ainsi mobiliser en permanence ces cohortes de travailleurs
immédiatement disponibles. A cet effet, une cité ouvrière est initiée sur le littoral nord de la
capitale. Elle prend le nom de cité Simone (l’épouse du chef de l’État).La bande littorale
inoccupée est mobilisée pour cette opération. Il faut souligner que, dans les faits, aucune
structure d’accueil n’a été érigé sinon quelque petites maisons données aux travailleurs115. Le
signal est donné et ce qu’il faut retenir c’est l’implication des pouvoirs publics dans
l’appropriation du littoral. A Cité Simone devenu Cité soleil les conditions de vie demeurent
inchangées (Planche photographique). Seuls le statut administratif et la démographie ont évolué.
La Cité Soleil est devenue commune en 1997 et sa population évaluée à 17 000 habitants en
1982 atteint aujourd’hui le chiffre de 400 000 âmes.

115
L'idée du dictateur était d'avoir un village modèle pour accueillir les travailleurs des usines de sous-traitance qui
venaient s'installer à Port-au-Prince. Mais l'afflux non maîtrisé de population venue des campagnes a rapidement
transformé la zone du bord de mer en un immense bidonville.

219
Photo 15.- Cité Simone des années 80 et Cité Soleil aujourd’hui

Sources : Rob Chamberlin (1985) et K. Conrad (2017)

A cité Soleil les conditions de vie demeurent infrahumaines. Elles sont les mêmes après 32 ans, la Cité Simone
en 1985 (en haut) vit la même insalubrité que Cité Soleil en 2017.

Le Cap-Haitien, la deuxième ville du pays, est touché lui aussi par cette appropriation du littoral
sous l’impulsion des besoins de main-d’œuvre liés à la volonté de l’État haïtien d’insérer le pays
dans la dynamique d’industrialisation. Les quartiers de SHADA, et de CONASA, mis en
connexion avec le reste de la ville par la construction du pont Neuf, ont toujours été des bassins
de main-œuvre bon marché pour les usines de Fougerolles et de la Conserverie Nationale S.A.
Dans les autres villes le scenario demeure à peu près le même.

220
Conclusion

La période 1950-1970 est marquée par deux gouvernements l’un pour sa volonté de moderniser
le pays et l’autre pour la sévère dictature qu’il avait imposée au pays. Le premier est celui de
Dumarsais Estimé qui avait initié pour la première fois dans le pays les grands travaux
d’aménagement du littoral. Ce chantier réalisé sur le front de mer de la capitale plaçait Haïti
solidement sur la carte touristique mondiale. Le Bicentenaire devient la vitrine de Port-au-Prince
et de tout le pays. Le littoral devient un outil de promotion au lieu d’être un glacis sécuritaire
pour le pays. Par la mer, désormais, arrivent les touristes qui font tourner l’économie nationale
et non l’envahisseur susceptible de ravir l’indépendance. Une nouvelle perception de la mer était
observée. Le second gouvernement est celui de François Duvalier. Ce dernier fut ministre dans
l’équipe gouvernementale de Dumarsais. Face à l’opposition qui montait contre lui et surtout
face à sa volonté de garder le pouvoir François Duvalier sombre dans une dictature. Il faut
justifier cette dictature face à l’opinion publique. La parade trouvée par le régime consistait à
faire venir les masses paysannes dans les grandes villes et surtout la capitale lors de grandes
manifestations orchestrées par les services de propagande. Tous les paysans ne retournaient pas à
la campagne faute de moyens mais surtout en raison de l’attractivité des villes. Ils s’installent
dans les zones marginales de ces villes en créant des nombreux bidonvilles. A Port-au-Prince et
au Cap-Haitien ils s’installent sur le littoral pour servir de bassins de main-d’œuvre pour les
usines et surtout pour les industries d’assemblages promues par le régime afin de gagner des
devises nécessaires à sa survie besoin et à la gestion minimum de l’État. Le tourisme, la
propagande duvaliériste et l’industrie d’assemblage, via l’exode rural, ont été des moteurs de
l’occupation du littoral.

3- Dans les sillons de l’anarchie créée à la chute des Duvalier en 1986

L’occupation de l’embouchure de la rivière Bois de chêne, l’appropriation de l’ancienne base


militaire de la Marine Haïtienne par des populations modestes et l’appropriation des installations
hôtelières du Domaine Idéal sont les trois éléments d’analyse qui permettent de mettre en
lumière la période d’accélération de l’occupation du littoral. La dictature des Duvalier s’estompe
le 7 février 1986 après 28 ans d’oppression et de pratiques totalitaires. L’événement est perçu par
les classes populaires comme la rupture de l’ordre politique mais surtout de l’ordre juridico-
administratif. En effet, les interdits sont automatiquement renversés ou violés.

221
L’anarchie trouve ses lettres de noblesse dans le contexte des gouvernements éphémères qui ont
succédé la dictature. Tout abus contre le patrimoine national, les biens domaniaux et mêmes les
biens privés est perçu comme une revanche sur la dictature et surtout comme l’expression de la
liberté retrouvée. Les actions des opprimés et des classes défavorisées sont légitimées dans le
cadre de la logique de réparation sociale. C’est dans cette ambiance d’accès sans contrainte aux
domaines municipaux et nationaux que se réalise l’enracinement de la dynamique
d’appropriation sauvage des littoraux. La bidonvilisation et la dégradation du littoral de la façade
sud de la baie de Port-au-Prince est le condensé de l’appauvrissement de cette composante du
territoire haïtien.

a- L’occupation de l’embouchure de la rivière Bois-de-chêne à Port-au-Prince

La rivière Bois de chêne est le cœur d’un système de drainage naturel qui récupère toutes les
eaux de Port-au-Prince par l’intermédiaire d’une centaine de ravines. A travers ses ramifications
elle traverse tout le sud de la capitale. Au contact de la mer elle forme une large embouchure.
Cette dernière est régulièrement inondée par les débris de toutes sortes (déchets urbains et
alluvions) charriés par les eaux. La végétation qui s’y installe ne résiste pas aux assauts des feux
d’incinération sauvage que lui imposent les populations riveraines. En effet, cette partie du
littoral est transformée en dépotoir géant. Néanmoins, sur toute la période de la dictature, cette
partie du littoral est restée libre de toute présence humaine116. Les autorités communales de
l’époque chassaient systématiquement toute intrusion illégale et non-autorisée par les services
compétents.

Au lendemain de la chute de Jean-Claude Duvalier la situation change. La bataille pour le


pouvoir entre les militaires fait rage. La concurrence politique entre les partisans du régime
déchu et l’opposition dite démocratique occupe toute l’attention et devient la principale
préoccupation. Cette situation fragilise les institutions publiques qui tombent dans l’incapacité
d’exercer le moindre contrôle sur le territoire en termes de régulation des usages. Le trop plein
des quartiers précaires tels Fort Sinclair, Caridad, Bel-Air et La Saline est déversé sur
l’embouchure de Bois-de-Chêne pour installer quatre nouveaux bidonvilles : Cité de Dieu, Cité
Liberté, Cité Plus et cité Letènèl. En avril 1997 une foule bigarrée envahit les lieux et en prend
116
La première intrusion dans cette zone date de l’implantation en 1988 de deux émetteurs de radio pour le compte
de deux stations de la capitale (Radio Plus et Radio Liberté). D’ailleurs deux des bidonvilles portent le nom de ces
medias.

222
possession. Des lopins de terre de 40 à 100 mètres carrés sont vite dessinés. Et dans l’espace
d’une journée tout le périmètre a été occupé. Cette appropriation s’est réalisée dans un cadre de
revendication sociale. Car elle s’est accompagnée de slogans tels : « la terre aux pauvres » et
« vive la démocratie ». Le littoral, sur plus d’une centaine d’hectares, est illégalement occupé par
des populations pauvres117. Des maisons ont remplacé la ceinture de mangroves et les vases qui
occupaient le front de mer sur plus de 6 kilomètres. La logique continue vers le sud et rattrape
une deuxième commune celle de Carrefour. Elle va au-delà des terres marginales pour s’attaquer
à des espaces déjà exploités par le secteur privé.

b- De l’habitat insalubre contre des installations hôtelières : le cas du Domaine Idéal à


Carrefour

Dans les années 70 la commune de Carrefour (sud de Port-au-Prince) était le réceptacle d’une
bonne partie des activités liées au tourisme de la capitale haïtienne. Dancing, plages et hôtels
s’installaient à proximité du littoral. Le Domaine Idéal qui mariait dancing, plage et hôtel était
une enseigne connue et très prisée. Elle occupait une superficie de plus de trois hectares sur le
littoral dans le quartier de Côte-Plage. Frappé de plein fouet par le déclin du tourisme dans la
capitale la structure périclitait et a cessé ses activités. Cependant en 1998 elle reçoit un coup de
grâce, le site est spolié par des centaines de ménages en quête d’accès facile au foncier et au
logement. En effet les anciens quartiers de la commune de Carrefour vont faire face à la
saturation. Ils arrivent à peine à héberger les flux de ruraux venus des départements du sud, du
sud-est et de la Grande-Anse. Le Domaine Idéal qui était un haut lieu du tourisme de la Région
métropolitaine de Port-au-Prince devient un nouveau quartier d’habitat insalubre. Cette
implantation participe à l’appauvrissement du littoral de la commune car toute tentative de
reprise des activités a été anéantie par l’inconfort et l’insécurité qui se sont installés avec la
présence de ce nouveau bidonville. Cette occupation illégale mais tolérée, a ciblé aussi des
infrastructures publiques dans la même commune de Carrefour.

117
Les enquêtes menées dans les années 90 par le CERHCA ont montré que les habitants de ces lieux ne sont pas
les principaux propriétaires. Ils le sont entre 26 et 35 %. Autrement dit la majorité des propriétaires de ces
logements habite en dehors de ces quartiers.

223
c- De l’habitat précaire contre les installations militaires : le cas de la Marine haïtienne
à Carrefour

L’appropriation du littoral, liée à la pauvreté, n’épargne aucune structure dans le pays. Elle
remplace ou balaye tout : réserves naturelles, entreprises ou équipements collectifs. L’utilisation
première reste motivée par la recherche d’un toit ou d’un logement à peu de frais. Les forces
armées d’Haïti (FAD’H) disposaient d’une base navale qui abritait les Gardes Côtes sur le littoral
de la commune de Carrefour. En dehors des équipements militaires toute la zone était dédiée aux
opérations de l’armée (exercices et entrainements). En 1994 le gouvernement de Jean Bertrand
Aristide, pour éviter dit-on un coup nouveau d’État des militaires, prend un décret de
démobilisation contre l’armée. Les casernes sont vidées et leur environnement immédiat tel les
camps d’entrainement et les aires attenantes à leurs équipements sont rapidement occupés par
des lotissements sauvages. La population qui investit ces lieux croit être dans ses bons droits.
Elle entend manifester son désir d’accéder à la propriété longtemps ignoré par le régime
politique au pouvoir depuis des lustres.

Un nouveau quartier précaire s’installe dans les parages et sur les terres appartenant à
l’équipement militaire. L’aménagement est le même : petites ruelles tortueuses sans voirie,
logements sans assainissement ni eau courante. Ce décret de démobilisation de l’armée, par ces
conséquences, devient donc, insidieusement, un instrument de réforme foncière et
d’aménagement du territoire : la population urbaine revendicatrice n’est pas inquiétée dans cet
exercice d’accès illégal au foncier, ceci pour des motifs électoralistes. La posture de laisser faire
affichée par les autorités d’alors ne laissent pas de doute : les revendications sociales des masses
urbaines désœuvrées sont désamorcées, le retour de l’armée revendiqué par une certaine opinion
est entravé et une base électorale est confortée dans ces types de quartiers surpolitisés à travers
des associations très impliquées dans les questions de renouvellement du personnel politique.
Aucun décret et aucune disposition légale n’a été pris pour corriger cette appropriation sauvage
du littoral. Les élus nationaux et locaux se servent donc des institutions publiques pour asseoir la
pérennisation de leurs mandats sans la moindre considération pour les intérêts environnementaux
majeurs du pays.

224
Conclusion

L’effritement de l’autorité de l’État au départ du dictateur Jean Claude Duvalier a facilité


l’occupation illégale du littoral. La démarche a toujours été plus ou moins tolérée par les
pouvoirs publics. Ces derniers ne se sont jamais opposés à cet accaparement anarchique de cette
partie du domaine national. Dans de nombreux cas les autorités locales l’utilisent comme arme
électorale : le laisser faire permet de bénéficier les votes de ceux qui s’approprient le littoral. La
bidonvilisation qui accompagne cette occupation a détruit les mangroves et a créé les conditions
favorables à l’appauvrissement du milieu. Cette occupation est multiforme car elle a été réalisée
contre des équipements publics (la base militaire de la Marine), contre le domaine privé (l’hôtel
Domaine Idéal) et contre des réserves (l’embouchure de la rivière Bois-de-Chêne). Dans ce
dernier cas, la vulnérabilité est grande et permanente (raz de marrées et crues urbaines) pour
ceux qui s’approprient cette portion du littoral.

Conclusion du chapitre

Le littoral, domaine de l’État, devient le réceptacle du trop-plein des campagnes haïtiennes. En


dehors des flux venus du milieu rural le littoral se prête à une forme de jeu de répartition sociale
via l’accès au patrimoine foncier : permettre à des urbains sans terre d’accéder à des terres sans
hommes. La législation et l’administration s’adaptent à l’instar de la disposition légale autorisant
les concessions et surtout l’affermage des terres du domaine public. Le littoral reste,
évidemment, propriété de l’État comme aux Antilles françaises (loi du littoral de 1986). Mais
afin de préserver la paix sociale on laisse faire : les quartiers de Cité de Dieu et de Cité Leternel
sont tolérés en Haïti au même titre que Texaco ou Volga plage en Martinique. Le faciès du
littoral haïtien d’aujourd’hui est le résultat d’une longue dynamique socio-politique. Il est lié au
processus de construction nationale dans ses travers tels le caporalisme agraire et la dépendance
économique associée à la dette externe. Trois vagues d’appropriation significative ont marqué
cette partie du territoire haïtien. La première en 1825 avec la reconnaissance de l’indépendance
par la France de Charles X moyennant une forte indemnité. L’occupation du littoral était
enclenchée et cette partie du territoire était perçue comme un lieu de liberté commerciale par
l’intermédiaire de la contrebande. Cette première période était marquée aussi par l’occupation
militaire américaine du pays qui libérait la main d’œuvre rurale afin de satisfaire la demande des
usines naissantes et surtout les grandes plantations littorales que sont la plantation Dauphin dans

225
le Nord-est pour le sisal et celle de l’Anse d’Hainault pour l’hévéa dans la grande –Anse. La
deuxième vague se réalise dans les années 60 en pleine dictature de F. Duvalier qui voulait
profiter de la manne de devises générée par les industries d’assemblages par le biais et la logique
des zones franches. Pour les besoins de la propagande du régime des paysans étaient ramenés
dans les villes et la capitale en particulier afin de manifester leur soutien au régime. Une fois la
cérémonie réalisée ces paysans se sont retrouvés abandonnés à leur sort et certains d’entre eux
s’installèrent dans les zones restées vacantes des villes, les fronts de mer. Ces derniers sont
transformés en bidonvilles garantissant ainsi aux industries naissantes et surtout aux industries
d’assemblages de Port-au-Prince, une main d’œuvre abondante et bon marché. Et la dernière
vague d’arrivées sur le littoral s’inscrit dans la dynamique de délitement des institutions
publiques haïtiennes après la chute des Duvalier en 1986 En effet, la démocratie initiée met en
place un certain nombre de contingences qui ne favorise pas la gestion raisonnée du territoire et
de ses ressources.

Le respect des règles d’urbanisme, des biens collectifs, des domaines publics et des patrimoines
communaux se retrouve bafoué et relégué au second rang au profit des intérêts électoralistes. Les
dispositions de lois, les décrets pris par les pouvoirs publics ainsi que leur silence au regard de
l’exploitation prédatrice qui se réalise contre les littoraux et les ressources associées participent à
la dynamique d’appauvrissement ces lieux vulnérables en les transformant un véritable espace de
survie118 pour les plus pauvres.

118
Cet espace de survie est aussi le lieu où s’affairent contrebandiers, trafiquants et délinquants.

226
Chapitre VI
Le littoral comme support de survie

Haïti est une société dans laquelle les différences socio-économiques sont nombreuses, que ce
soit entre le milieu urbain et le milieu rural ou entre les classes sociales elles-mêmes. Les effets
structurels de la pauvreté se font ressentir et il est possible de qualifier la majeure partie de la
société haïtienne de « société de survivance ». En effet, la grande majorité de la population une
du pays « survit » à cause d’une conjoncture économique qui ne s’améliore pas depuis les années
80. Les autorités politiques sont en panne d’idées pour relancer l’économie nationale. Elles sont
mêmes confortables au regard de l’assistance internationale qui promeut le développement par le
truchement des paquets d’aides qu’elle promet à chaque épisode douloureux (catastrophes
naturelles, chocs économiques ou ruptures de l’ordre démocratique).

Dans ce contexte, les citoyens et surtout les plus pauvres s’adaptent en essayant de se donner une
marge de manœuvre dans les lisières de la légalité. Pour cela, et face à la nécessité de « survivre
» dans une conjoncture socio-économique difficile, ils mettent en œuvre des stratégies plus ou
moins élaborées et différenciées. Le constat est criant et est signalé par de nombreux
observateurs, depuis une vingtaine d’années, les processus de littoralisation s’intensifient le long
des côtes, qui apparaissent comme un espace de survie pour les paysans haïtiens qui quittent les
campagnes surpeuplées et surexploitées ( Desse M, 2003) ». Pour lui, l’appropriation du littoral
répond à deux préoccupations fondamentales : « se nourrir et se loger ». Quatorze ans plus tard
un troisième besoin est observé, celle de se soustraire (ou de contourner les) aux règles établies
du vivre ensemble. Les flux continuent à arriver des campagnes certes mais aujourd’hui c’est
aussi le trop plein des villes, via leurs bidonvilles119, qui déborde sur le littoral.

Les populations démunies sont dans la nécessité de gérer le présent dans l’urgence. A cet effet,
s’installent l’économie de survie, la débrouille, l’économie parallèle et les trafics de tout genre
sur le littoral qui n’est qu’un condensé de ce qui se passe sur l’ensemble du territoire. Artisans,
pêcheurs ou agriculteurs non déclarés, marchands ambulants de biens et de services improvisés,
laveurs de voitures, restauration populaire, marchands de produits de contrebande ou de
contrefaçon, ateliers clandestins règnent en maitre. Le littoral devient donc le support d’un

119
L’ISF de Cité Soleil, de Cité Letènèl et de Jalousie est supérieur à celui de la région métropolitaine de Port-au-
Prince

227
ensemble d’activités où s’entremêlent illégalité, informalité et débrouille au service de la survie.
Cette stratégie est fondamentalement inscrite dans la problématique de gestion de la pauvreté et
de la satisfaction des besoins primaires dans un espace appauvri et qui appauvrit. Ce chapitre
analyse le contenu, l’ancrage institutionnel, et les mutations des activités des acteurs exploitant le
littoral haïtien. Le statut de l’occupant du littoral au regard de la loi, les caractéristiques des
activités traditionnelles et les contours des nouvelles activités qui y sont pratiquées sont
analysées afin d’expliquer le rôle de support à la survie que jouent les littoraux dans le pays

1- Une occupation littorale en contravention avec la loi

Les vagues successives d’appropriation du littoral (1825, 1960, 1986) ont entre elles un point de
similitude, celle de se réaliser en dehors du cadre prévu par la loi haïtienne. Le corpus juridique
de l’Haïti indépendante fait apparaître clairement la primauté de la propriété foncière de l’État.
Au lendemain de 1804 toutes les propriétés foncières occupées par les anciens colons sont
devenues des biens appartenant au domaine de l’État120. Il s’agit des 2/3 des propriétés. Cette
démarche consacre la prééminence de la propriété publique, fondement de justice et d’égalité
sociale. Mêmes les propriétaires indigènes sont inquiétés car ils devaient présenter leur titre de
propriété par devant les autorités compétentes. Le décret du 24 juillet 1805 sur la vérification
générale des titres de propriété ordonné par Jean Jacques Dessalines a marqué les débuts de
l’administration haïtienne. Dans cette dynamique l’État haïtien devient donc le plus grand
propriétaire foncier du pays. Il est évident qu’accéder au foncier passe obligatoirement par
l’affermage.

Les textes de lois de loi qui ont cheminé la vie de la République d’Haïti n’ont pas renversé le
mode d’accès. Celui qui est en usage date de plus de cinquante-trois ans. Le 24 septembre 1964,
le Moniteur, journal officiel de l’État haïtien décrète :

120
Le 2 janvier 1804, l’Empereur prendra un décret annulant les actes notariés passés entre 1802 et 1803. La
prétention des Nouveaux Libres est également écartée. Les terres des colons n’appartiennent à personne, mais sont
confisquées au profit de l’État. Elles seront seulement affermées aux privilégiés. Pour Dessalines, cette solution doit
être un élément dans la défense de l’indépendance du pays. Elle doit permettre au pays d’avoir une production
abondante et commerciale afin de lui permettre d’assurer son ravitaillement en armes et munitions. Cette solution
doit également permettre la participation de tous au bénéfice des terres. Dessalines décide de nationaliser les terres
et de faire aussi de l’État le seul propriétaire.

228
« Article 1er.- Le Domaine National se divise en Domaine Public et Domaine Privé de l’État

Article 2.- Le Domaine Public est inaliénable et imprescriptible. Il consiste dans toutes les choses qui, sans
appartenir à personne, sont, par une jouissance en commun, affectées au service de la société en général

Il consiste en des chemins, routes, rues, marchés et places publiques, des fleuves, rivières, lacs et étangs, des
rivages, des ports et rades, îles ou îlots, des portes, murs, fossés, remparts de places de guerre et de forteresses, des
ports, canaux, des monuments et souvenirs historiques et de toutes les portions du territoire qui ne sont pas
susceptibles d’appropriation privée ni de prescription.

La manière de jouir du Domaine Privé est soumise à des lois spéciales et aux règlements particuliers de police.

Les changements de destination susceptibles de transformer des parties du Domaine Public doivent être autorisés
par une loi.

Article 3.- Le Domaine Privé de l’État est imprescriptible. Il se compose notamment :

1o) Des Édifices et autres Biens meubles ou immeubles affectés ou réservés au service du Gouvernement et des
différentes Administrations Publiques.

2o) de tous les Biens vacants ou sans maitre ;

3o) Des Biens meubles ou immeubles qui reviennent à l’État a défaut d’héritiers au degré successible, ou de
légataires institués ou d’époux suivants ;

4o) Des lais et relais de la mer ;

Article 4.- L’Administration des Biens du Domaine Privé de l’État relève de l’Administration Générale des
Contributions.

Article 5.- Dès la promulgation du présent décret, le loyer ou fermage annuel à payer par les fermiers ou occupants
de toute propriété du Domaine Privé de l’État sera fixé à 6 % de la valeur marchande réelle et actuelle de la
propriété affermée ou occupée, telle que cette valeur sera équitablement déterminée par le service des Contributions
du lieu dans lequel la propriété est située, sous réserve d’appréciation de cette estimation par le Directeur Général
des Contributions ».

Le coté inaliénable et imprescriptible du Domaine National a été violé et est continuellement


violé. Il n’est aujourd’hui qu’une pure fiction légale et le citoyen, comme acteur de
l’aménagement, ne se prive pas de cette aubaine. Les iles, les ilots, les rivages, les lais et les
relais de la mer sont sous le coup d’une appropriation lourde, totale et irréversible. Il est vrai que
ces espaces demeurent les derniers recours face à la demande massive d’accès au foncier dans un

229
contexte de dégradation systématique, par l’érosion, de l’intérieur du pays constitué à plus de
75% de montagnes. Ceux qui s’approprient les littoraux sont très peu conscients de l’enjeu
environnemental et surtout de la vulnérabilité de ces espaces. Les enquêtes menées depuis une
vingtaine d’années ont montré clairement le caractère sauvage de l’appropriation des littoraux
dans le pays. Les populations démunies y accèdent sans bruits par petites vagues successives.
Elles profitent, généralement, de la faiblesse et surtout l’absence des institutions publiques dans
les périodes de soubresauts politiques121pour s’installer ou exploiter sur les parties encore
vacantes du littoral. L’évolution est rapide dans la capitale (planche photographiques suivante)

Figure 7.- Évolution de l’occupation du littoral de Port-au-Prince

Sources : P. Claude, 2018.


Ici à Port-au-Prince dans le quartier du bicentenaire l’extension des bidonvilles est palpable. De 1965 à 2018 plus de 600 hectares ont été
gagnés sur la mer. La vulnérabilité est grande car les maisons sont construites sur des alluvions et des détritus qui présentent des
caractéristiques très faibles en termes de portance, d’effets de sites et de liquéfaction dus à la nature des terrains.

Les populations les plus pauvres ne sont pas les seuls usagers du littoral certaines couches
sociales aisées s’installent par d’autres moyens plus subtiles tels que la corruption ou la
prévarication122. Elles y sont pour trois raisons fondamentales : capter les flux de touristes ou de

121
La vie politique en Haïti depuis plus de trente ans est marquée par des épisodes politiques (coups d’État
militaires, rébellion armée, rupture de l’ordre constitutionnel, manifestations violentes et émeutes) conséquents qui à
chaque fois mettent à mal l’autorité des institutions publiques. Ces dernières sont affaiblies et sont incapables de
faire respecter la loi et les normes admises. La corruption et le délitement qui les caractérisent font d’elles de
véritables coquilles vides. Dans cette dynamique les intérêts personnels triomphent et renversent tout.
122
Les fonctionnaires sont soudoyés et embarqués dans la violation systématique des normes établies. Les pots de
vin deviennent la grande norme soit pour réclamer le respect de ses droits ou contourner les lois.

230
vacanciers par l’intermédiaire de leurs hôtels, profiter de la disponibilité du foncier pour
implanter leurs entreprises et installer leurs maisons de villégiature (photo suivante). Aux
problèmes sociologiques s’ajoutent des problèmes techniques.

Photo 16.- Les structures hôtelières de la Cotes des Arcadins

Sources : Carlyle James, 2012

L’hôtel le Xaragua, ici à gauche, sur la photo est installé sur la Côte-des arcadins depuis 1984. Moulins sur mer, à droite, fondé dans la
même période reçoit une clientèle davantage locale qu’étrangère. Ces deux structures sont le témoignage d’une occupation littorale
impliquant aussi les non pauvres.

a- Une absence de cadastre qui arrange tout le monde

L’occupation des terres domaniales de l’État ne se fait pas toujours selon les conditions fixées
par la loi. En effet, l’absence d’un cadastre bien constitué ne permet pas à l’État d’identifier tous
ses domaines. Normalement, la Direction générale des Impôts, en application des dispositions
légales régissant la gestion des biens du domaine privé de l’État, devrait élaborer et mettre en
pratique tout un ensemble de procédures lui permettant d’identifier les biens pouvant relever du
domaine privé de l’État, de les cadastrer, de les faire entrer dans le patrimoine étatique.
Cependant, la Direction du domaine, direction technique chargée de la gestion des biens du
domaine privé de l’État à la DGI, n’est pas en mesure de faire ce processus d’identification, faute
d’informations sures. Selon Jocelerme Pivert, après avoir été Directeur de la DGI, admet que «
certaines propriétés identifiées et sur lesquelles l’État dit détenir des droits et prétentions, ne sont
pas inscrites dans le cadastre tenu à cet effet ». Ce déficit d’informations rend sinon difficile du
moins impossible la constitution d’un véritable cadastre qui aurait permis l’établissement des
biens de l’État. De ce fait, l’État dispose des biens domaniaux qu’il ignore. Ceux-ci sont occupés
par des individus qui les réclament comme leur bien personnel, arguant qu’il s’agit d’un héritage
laissé par leurs parents ou leurs grands-parents. Etant donné que ces biens ne sont jamais
231
réclamés par l’État, leurs occupants passent pour leurs vrais propriétaires au fil des temps. Ces
biens, dépendamment de leur importance, sont morcelés et vendus par des procédés en marge de
la légalité. Ainsi, se perpétue leur occupation illégale mais de fait. Dans cette même logique
d’occupation de fait, des individus viennent s’installer sans titre de propriété, sans contrat
d’affermage sur des terrains non occupés. Cela se produit généralement dans les excroissances
des villes.

Une deuxième modalité d’occupation des biens domaniaux de l’État est à souligner.
L’occupation de fait est souvent une occupation discutée et disputée. Les personnes qui savent
qu’il s’agit des terres de l’État que celui-ci ne revendique pas cherchent à trouver une parcelle
laissée vacante ou même déjà occupée. Il est question de profiter des biens qui appartiennent à
l’État et donc qui n’appartiennent à personne. Cette situation conduit à des conflits entre
particuliers qui revendiquent chacun de leur côté le titre de propriété sur ces biens avec pour seul
recours l’usage de la force généralement armée. Ces conflits se soldent par la triomphe du plus
fort ou celui qui peut faire montre de son accointance avec des individus haut placés dans
l’Administration publique. Avec la complicité des agents de la DGI ou des éléments influents de
l’État, ils trouvent des procédés qui les permettent de donner un statut légal à leur occupation.

b- Des autorités locales complices de l’abus de biens publics

Les Collectivités Territoriales infra-étatiques telles que les communes et les sections
communales bénéficient au même titre que l’État central la jouissance des biens domaniaux et
patrimoniaux sous l’assujettissement des lois en vigueur. La Constitution de 1987 prévoit dans
l’article 39 que « les habitants des sections communales ont un droit de préemption pour
l’exploitation des terres du domaine privé de l’État situées dans leur localité. ». Cette disposition
légale sert de prétexte aux élus des Conseil d’Administration des Sections Communales
(CASEC) pour mener des opérations foncières injustifiées. Ces dernières sont empreintes de
légitimité car elles sont le fait de l’autorité cependant elles sont totalement illégales. L’article 74
de cette même constitution ouvre une autre brèche qui facilite une vraie saignée en stipulant que :
« le Conseil municipal est gestionnaire privilégié des biens du domaine privé de l’État, situés
dans les limites de sa commune. Ils ne peuvent être l’objet d’aucune transaction sans l’avis
préalable de l’Assemblée municipale ».

232
Les Assemblées municipales exigées par la constitution ne se réunissent point depuis plus de 25
ans. Seuls les trois maires principaux décident pour l’ensemble de la commune. Et dans
beaucoup de cas ( Les Cayes, Les Coteaux et Port-au-Prince) le maire titulaire s’approprie tout le
pouvoir de décider en cantonnant les deux autres élus dans des fonctions peu stratégiques ou très
éloignés de ceux pour lesquels les citoyens les ont élus. Ce gestionnaire privilégié des biens du
domaine privé de l’État dans les communes devient dans la réalité le meilleur allié de
l’appropriation sauvage du patrimoine foncier public vacant tels les littoraux. Le maire distribue
à volonté ces terres à ses partisans. Ces derniers sont généralement des chefs de groupements
d’actions communautaires (GAC). Ils jouent le rôle de « grands électeurs » dans le milieu au
regard de leur influence sur une bonne partie de l’électorat local. L’accès facilité à ces terres du
littoral par le maire est un maillon supérieur dans sa stratégie de renouvellement de son mandat.
L’accès est aussi facilité aux plus offrants, un véritable commerce de ces biens du patrimoine
publique se réalise.

L’absence de cadastre aiguise l’appétit de l’élu local en le poussant à inquiéter les citoyens déjà
installés, sous prétexte de faire respecter la loi et les normes. L’enjeu ou l’intérêt est tout autre,
faute de pouvoir récupérer l’espace occupé au profit d’un autre bénéficiaire, l’occupant est
sommé de payer des droits que le maire fixe à sa guise et en raison de la réputation financière de
la personne ciblée. Le fameux « chantier fermé » tagué à l’encre rouge sur la façade des
constructions témoigne de cette volonté perverse de percevoir de l’argent sur une situation
initialement illégale. Une fois la somme négociée et payée, l’occupant acquiert une certaine
légitimité administrative qui le blanchit et surtout le transforme en occupant reconnu.
L’appropriation illégale du littoral est assurée par l’élu local qui veut être réélu d’une part et
s’enrichir d’autre part. Le citoyen se réjouit de son accès au foncier mais la densification qui est
associée à cette démarche ne conduit qu’à la paupérisation du milieu littoral. Cette complicité
entre les occupants et les autorités locales est l’accélérateur majeur qui anime le contexte
d’exploitation des littoraux dans le pays.

233
c- Des statistiques en symbiose avec les réalités d’appropriation

Les données statistiques liées à l’occupation du littorale sont affolantes dans la région à l’instar
des Antilles françaises (Guadeloupe et Martinique). Ces dernières affichent une occupation
littorale massive du domaine public. D’après la Direction Départementale de l’Equipement de la
Martinique, près de 62 000 personnes seraient concernées et occuperaient le Domaine Public
Maritime.

Au Prêcheur, 70 % de la population communale habitent dans la zone des « 50 pas géométriques


». Cette situation est l’aboutissement d’une dérive (Desse M, 2004). Et tout cela en dépit de la
création de la Commission de validation des titres. Les occupants, qu’ils soient nantis ou
démunis, attendent d’être bénéficiaires d’un titre de propriété ou d’un droit de jouissance pleine
et entière. En Haïti, les collectivités territoriales telles les communes ne disposent que d’un
registre dans lequel sont inscrits uniquement ceux qui payent ce que la Mairie ou le CASEC
exige. Ces autorités administratives arrivent à enregistrer à peine 5% des occupants du littoral.
Cet enregistrement permet de vérifier deux volets : les occupants qui versent une contribution
pour la place exploitée et l’échafaudage d’une liste qui sert de cadastre pour la commune au
regard du domaine public. Le cas de la commune des Coteaux123 traduit l’informalité et surtout le
vide institutionnel qui caractérisent l’exploitation du littoral dans le pays. En effet, sur les 624
occupants qui s’approprient les 12 kilomètres de littoral que possède cette commune aucun
d’entre eux ne dispose d’un document émis ou validé par les services compétents de la Direction
Générales des Impôts (DGI) depuis les dix dernières années124. Par contre pour la seule année
2015, cette partie du littoral a donné lieu à 32 transactions liées aux ventes de maisons et de
parcelles. Les ventes signalées n’ont impliqué aucun service communal ni ceux de la DGI,

123
Les Coteaux est un chef-lieu d’arrondissement qui porte le même nom. La population de cette commune, selon
les résultats du dernier recensement est de 54 000 âmes. La Commune, sur sa façade sud, s’étend le long du
littoral sur 12, 8 kilomètres.
124
Les résultats de l’ECVMAS en 2013 ont montré que 84 % des ménages haïtiens se sont déclarés propriétaires de
leurs logements. Cette donnée statistique intriguait énormément compte tenu de la réalité foncière inégalitaire
connue de tous. Le centre d’études et de recherche haitianoCaribeennes (CERHCA), en octobre 2017, a mené une
enquête légère dans une commune du sud du pays afin de mieux apprécier les données rendues par l’ECVMAS.
L’exercice portait sur deux aspects : le statut de l’occupation et les mouvements des occupants. Les questions
simples étaient posées aux 624 occupants sur l’année de leur arrivée, leur statut et les transactions éventuelles
qu’ils ont réalisées depuis 2015. Il s’agit d’une enquête exhaustive car tous les occupants concernés ont été pris en
compte.

234
Néanmoins, 9 d’entre elles ont été porté par devant deux notaires dûment assermentés de
l’arrondissement. La démarche permettait à ces nouveaux occupants, selon leur propre
témoignage, de ne pas être inquiétés dans le futur par les « héritiers ». La transmission du droit
de propriété est déjà acquise dans les pratiques, autrement dit les institutions régulatrices
(nationales et locales) sont mises sur la touche et seuls les intérêts individuels dominent. On
comprend aisément l’état d’esprit qui prévaut chez les citoyens qui s’installent sur ces terres au
regard de l’autorité de l’État. Cette dernière devient donc les wagons au lieu d’être la locomotive
du train de la République.

Les propos que nous avions recueillis lors des interviews réalisées avec les occupants ne laissent
pas de doute sur les motivations de leur mode d’appropriation du littoral comme composante du
domaine public. Nos enquêteurs et nous ont été confondus et perçus par les enquêtés comme des
personnes pouvant transmettre rapidement et surement leurs revendications aux organes de
décisions125. A cet effet, ils dénoncent, avec vigueur l’absence de l’État comme pourvoyeur de
biens et de services collectifs. L’inefficacité des pouvoirs publics est critiquée sévèrement. La
corruption des autorités locales est perçue comme le déterminant majeur de leurs mauvaises
conditions de vie. Les organisations non-gouvernementales qui interviennent dans les quartiers
sont vues, au-delà de leurs bienfaits, comme des entreprises qui tirent profit de leur situation de
populations pauvres et en grande difficulté. A la question posée : qui vous autorise à vous
s’installer sur le littoral ? Les réponses sont significatives et tranchées.

Mr Lévilnord du quartier de Shada au Cap-Haitien répond, sans ambages : « Leta pa wè nou, nou
menm nou pa wè leta tou. Nou pa mande anyen. Nou te bezwen yon kote pou nou dòmi nou jwen
li. Nou pranl janl liye a. Nou pa anmède pèsonn. Okenn moun gwozouzoun pap vinn rete laa. Sa
lòt moun pa vle nou pranl nou menm. Nou pa bezwen otorizasyon pou nou pran sa lòt moun pa
bezwen.Se malere nou ye plas nou pa lòt kote». Cet occupant du littoral explique l’abandon dont
est victime leur milieu de vie, ses relations avec les pouvoirs publics et la raison qui explique sa
présence. « Les autorités ne nous voient pas, nous les ignorons aussi. Nous n’exigeons rien
d’elles. Nous avions besoin d’un toit, nous l’avons et c’est bon. Nous causons du tort à personne.

125
Nous avions insisté pour leur dire que nous appartenons à un centre de recherche et que nous n’avions pas la
vocation et la mission de transmettre directement leurs revendications aux autorités. Certains d’entre eux ont
compris le contexte de notre enquête néanmoins la grande majorité restait persuadée que nous disposons d’une
certaine prise sur les décisions des autorités publiques.

235
Seuls les pauvres comme nous accepteraient de vivre ici. Nous avons besoin d’autorisation de
personne pour habiter un endroit pareil. La pauvreté est notre seule autorisation ».
L’informalité s’assume et s’explique.

A Jérémie, sur la façade sud du golfe de la Gonâve, Wilbert répond à la même question en ces
termes : « Nou vini laa san pèmisyon men depi plizyè ane nèg meri yo ap chache fè nou peye.
Nou tout di nou paka peye paske nou pa genyen posiblite. Moun DGI fè mannèv tou men okenn
moun bò isit la pa pran nan presyon. Lè nou peye kisa nou pral jwen. Otorite sa yo se plen pòch
yo epi kouri bèl machinn ak lajan pèp la. Epi anyen ankò. Tout bagay yo voye pou pèp la pa
janm rive bò isit la. Gade zòn nan pouw wè, nou pa gen dlo, nou pa gen kouran, nou pa gen
dispansè. Nèg sa yo pou yo baw otorizasyon fòk ou bay kòb. E nou menm nou pa menm gen lajan
pou nou pran swen madanm nou ak pipit nou » Il condamne la corruption des fonctionnaires et
dénonce l’exclusion et l’absence d’équipements collectifs que subit sa communauté « Nous
sommes arrivés sur le littoral sans l’autorisation de la Mairie et de la DGI. Ces dernières
veulent nous soutirer de l’argent mais nous ne sommes pas dupes. Cet argent va, comme
d’habitude, remplir les poches des fonctionnaires malhonnêtes et il y aura aucun retour pour
notre quartier. On nous laisse sans électricité, sans eau et sans un dispensaire. Nous ne sommes
même pas capables de prendre soin de nos familles »

A la question posée : Avez-vous un titre de propriété ou disposez-vous d’un document


d’affermage ? (Dans un focus group, à Port-au-Prince, dans le quartier littoral de Martissant). Mr
Alouidor s’exprime en ces termes « se nou ki fè tè nou, pate genyen tè bò isit la. Se nou ki
ranbleye zòn nan. Nou pran tè ak debri nou pouse lanmèa. Nou pa jwen okenn moun ban nou
koutmen. Nou mete ansanm nou achte kamyon sab pou nou fè zon nan. Se nou ki met tè saa. Nou
pa bezwen papye fèm nan men peson. Se fòs travay nou ki bay sa wap gade laa ». Cet occupant
explique la façon dont il a aménagé lui-même le littoral par le remblayage avec des déchets qu’il
trouve sous la main. Pour lui la parcelle occupée est un bien qu’il a acquis à la sueur de son front.
De ce fait, il nie toute redevance envers une quelconque autorité fusse-t-elle locale ou étatique.
Aujourd’hui, forts de cette légitimité, les habitants exigent des pouvoirs publics n’ont pas des
documents administratifs pour légaliser l’occupation et l’exploitation du littoral comme domaine
de l’État, mais plutôt des équipements collectifs liés aux Services Sociaux de Base (santé,
éducation, assainissement etc.) en vue d’améliorer leurs conditions de vie. L’accès à la terre,

236
pour eux, est déjà un droit acquis par le simple fait qu’ils occupent les lieux126. Les
revendications des occupants du littoral dans la région sont plurielles mais ne se ressemblent pas
du Prêcheur (en Martinique) à Martissant (en Haïti). Le tableau suivant témoigne de
l’hétérogénéité des préoccupations.

Tableau 25.- Comparaison dans les revendications des occupants du littoral (Haïti /Antilles françaises)

Territoire Revendications des occupants du littoral


Etablissements de
Haïti Eau potable Assainissement Etablissements scolaires
santé
Antilles (Fr) Validation des titres Sécurisation foncière
Sources : P J Mérat (2018)

Il convient ici de rappeler les traits majeurs qui expliqueraient cette différence entre l’occupant
du littoral aux Antilles et celui d’Haïti. D’un côté c’est un régime d’État de droit formel,
appliqué dans un contexte de pays développé dans lequel les besoins fondamentaux sont
« garantis » (Antilles françaises) et de l’autre côté (Haïti) un pays sous-développé dans un
contexte national d’état de droit formel non encore réalisé mais surtout dans le cadre de
l’effritement de l’autorité de l’État. L’occupation ici vaut le titre de propriété tant les pouvoirs
publics sont incapables de faire respecter les prescrits légaux. Ce que l’occupant réclame c’est
tout simplement l’accès aux services sociaux de base.

2- Les activités des populations traditionnelles

La littoralisation est marquée par l’arrivée de population et l’accroissement démographique sur le


littoral. Cette démarche s’accompagne aussi de l’essor d’activités plus ou moins en lien avec le
littoral et la mer. Haïti s’accorde à ce constat général dans ses grandes lignes. Les populations
traditionnelles sont ici assimilées à celles issues des premières vagues d’appropriation du littoral
(1825-1975). Elles se différencient de celles qui sont arrivées dans le sillage de la chute des
Duvalier après 1986. Ces premiers occupants, quoique sous pression des nouveaux venus, restent
ancrées dans la tradition au regard du contenu de leurs activités d’exploitation de leur milieu de
vie et de production. Elles s’adonnent à la pêche, au cabotage, à l’agriculture, au charbonnage et
à la production de sel. Les éléments pris en compte par l’analyse sont la qualité des revenus, la

126
Cette posture de l’occupation illégale peut paraitre osée et irrationnelle mais au fond cela demeure conforme à
une tradition haïtienne toute à fait légale. Le code civil stipule « si quelqu’un occupe un terrain et que pendant 20
ans consécutifs il n’a jamais été dénoncé et contesté il devient ipso facto le propriétaire du bien »

237
géographie des activités associées, leur acceptation sociale et l’état des équipements liés à ces
types d’exploitation. Les activités traditionnelles (tableau suivant) génèrent de moins en moins
de revenus. Et dans ce contexte l’occupant du littoral diversifie ses activités, autrement dit la
pratique de la mono-activité se raréfie. Elle représente moins de 3% des occupants du littoral
(Cerhca, 2016).

Tableau 26.- Les activités traditionnelles supportées par les littoraux en Haïti
Milieux Mer Bordure terrestre
Extraction Extraction de
Activités Pêche cabotage Agriculture Extraction de sel
de coraux sables et granulats
Revenus faible Moyen faible faible moyen moyen

Artibonite/Nord/S
Ouest et
Territoire National National National Ouest/Artibonite ud/Nord-est/Nord-
Nippes
ouest

Sources : P J Mérat, 2018

a- Une pêche littorale de survie

Les données fournies par le Ministère de l’Agriculture des Ressources Naturelles et du


Développement Rural (MARNDR) présentent la pêche comme un secteur mineur qui contribue
très peu à la croissance du PIB. Mais sa contribution est loin d'être négligeable en particulier en
zones côtières où il contribue de manière considérable au maintien d'emplois dans des zones où
les opportunités économiques sont de plus en plus rares.

Dans les comptes nationaux elle associée à l’agriculture, la sylviculture et l’élevage. Néanmoins,
les enquêtes effectuées ces dernières années ont montré que l'activité de pêche en Haïti, fait vivre
directement plus de 60,000 familles réparties dans près de 436 villages de pêcheurs. A cela, il
faut ajouter les 22 000 marchands qui travaillent dans ce secteur. Le pays parvient à exporter
annuellement sur le marché international près de 800 tonnes des produits de sa pêche
(principalement des langoustes, chair de lambi et pieuvres) pour une valeur de 10 millions. La
production nationale est estimée à 15,000 tonnes de produits par an. C’est l’équivalent de moins
de 50% de la demande locale127. Car les douanes haïtiennes établissent un volume d’importation
de 16,000 tonnes de poissons par année. Le cadre général qui vient d’être exposé ne permet pas

L’haïtien, statistiquement, n’est pas un gros consommateur des produits de la mer. Cette consommation n’est
127

que de 4,8 kg/ an. Et c’est la plus faible dans la sous-région Caraïbe.

238
d’expliquer la réalité quotidienne de ceux qui exploitent la bande côtière par le biais de cette
pêche artisanale. D’autres éléments plus spécifiques sont à mettre en évidence. Le croquis
suivant donne une idée de cette activité qui demeure artisanale

Figure 8.- La pêche littorale en Haïti

- Une pêche dans le confinement spatial

Cette activité est pratiquée sur la totalité des côtes du pays. Elle concerne neuf des dix
départements géographiques. Cependant elle reste dans un confinement sévère qui agit sur sa
qualité, sur les captures et sur sa dangerosité. L’espace de pêche se situe strictement sur les
premières dizaines de mètres du rivage. Etant entendu que le plateau continental est très peu
étendu autour du territoire national. Depuis une dizaine d’années, face à la raréfaction des
ressources ciblées, certains pêcheurs de la façade Caraïbe et du Golfe de la Gonâve s’aventurent
un peu plus loin. La distance reste malgré tout limitée entre 2 et 3 kilomètres de la côte. Cet
agrandissement de l’espace d’exploitation n’est effectif que pour une partie de la journée, entre

239
4hr du matin et 12hr pm. Les pêcheurs rentrent pour deux raisons : la mer s’agite davantage à
partir de 12hr pm ce qui rend la tâche difficile et ardue avec des canots et pirogues de fortune,
faute d’équipements de conservation les prises ne peuvent être vendues qu’entre 12hr et 14 hr
pm. Dans ce confinement spatial se joue aussi une certaine mobilité. Car les pêcheurs de Saint-
Jean du sud (du village de pêcheurs Abacou) vont travailler sur les côtes des communes de
Roche-a-Bateau, des Coteaux, de Tiburon et des Irois en faisant respectivement 50, 55, 112 et
130 kilomètres. Certains d’entre eux, habitants de l’Ile-à-Vaches de l’arrondissement des Cayes,
font mieux en allant pêcher dans la baie des Baradères à 234 kilomètres de chez eux. L’initiative
est collective, car les équipements mobilisés dépassent les moyens individuels. Un chef
d’équipage (nommé « amatè », expérimenté et respecté de tous) disposant d’un voilier de 45
pieds au minimum, d’un trémail128 de 200 pieds et de provisions de bouche, embarque 5 ou 6
pêcheurs professionnels pour une durée de six à 8 mois. Il arrive même que l’amatè ramène avec
lui femme et enfants. En quête d’efficacité l’équipage est mis en situation de polyvalence autour
de trois activités : la pêche à la ligne, la pêche au filet et la pêche en plongée.

- Des outils de pêche inefficaces mais nocifs pour la ressource

Les enquêtes récentes (CERHCA, 2017, FAO, 2003 et MARNDR, 2014) ont montré que plus de
95 % de ceux qui pratiquent la pêche sont équipés d’outils traditionnels. Il en existe une dizaine
en dehors de ceux qui sont pris en compte ici. Les plus utilisés et les plus répandus se déclinent
comme suit :

§ Les filets maillants fixes : Engins habituellement callés le soir et relevés chaque matin,
§ Les filets en monofilaments : d’usage relativement récent, les filets sont calés soit à
l’aveuglette, soit lors des passages de poissons saisonniers ; les filets sont parfois posés
en barrage ou en épis le long de la côte en cercle,
§ Les Filets maillants battants : Ce genre de filet est utilisé sur des canots de 6 mètres de
long environ ou embarquent 7 à 8 pêcheurs; le filet est placé en demi-cercle et les
pêcheurs, en plongeant, guident les bancs de poissons dans le filet,

128
Couramment appelé « Twanap », il est introduit dans le pays depuis une quarantaine d’années environ, cet
engin de pêche permet de capturer principalement les espèces benthiques (langoustes, lambi, crevettes et autres
poissons démersaux) ; les contraintes à son utilisation intensive se trouvent dans son relevage plus fréquent
(toutes les six heures environ) en raison de la température élevée de l’eau qui détériore rapidement un poisson
capturé.

240
§ Les filets trémails (dits twanap) : cet engin de pêche permet de capturer principalement
les espèces benthiques (langoustes, lambi, crevettes et autres poissons démersaux) La
longueur d’un trémail varie entre 100 et 400 mètres. Les grandes mailles peuvent
atteindre 450 mm de mailles étirées tandis que celles de la nappe centrale 95 mm,
§ Filet tortue ou filet à caret (nommé fòl) : Ce filet est surtout utilisé sur la façade
Caraïbe du pays (de Jacmel à Tiburon), particulièrement durant les mois de mai à juillet
lorsque les tortues viennent pondre sur la côte. Ce type de filet est calé sur des fonds de
10 à 20 mètres, la ralingue supérieure flottant en surface.
§ Lignes petites flottantes : Munies d’un flotteur, ces lignes ont une ligne mère de
monofilament de 20 à 50 mètres de long sur laquelle sont fixés de 1 à 14 avançons.
§ Bouées zorphies : similaires aux lignes petites flottes, ces lignes sont plus courtes (un
avançon de 50 cm supporte un seul hameçon soutenue par un petit flotteur) ; elles sont
disposées de 3 m en 3 m par un seul pêcheur qui, après en avoir largué une trentaine,
surveille ses flotteurs.
§ Lignes grands fonds (ou filador) : elles comportent entre 10 et 18 hameçons espacés
d’un mètre environ pour une longueur de 200 mètres ; elles sont lestées par une pierre (la
technique dite roche tombée permet de faire couler rapidement la ligne lestée d’une pierre
d’environ 1 kilo qui se libère dès qu’elle touche le fond) et appâtées de seiches, lambis ou
poulpes
§ Lignes verticales : Elles sont utilisées pour les espèces de fond aux accores et par
courant faible, elles ciblent les espèces à forte valeur marchande (sardes, vivaneaux, etc.).
§ Lignes de traine : généralement composées d’un hameçon unique et d’un fil de nylon
attaché à un flotteur, elles sont utilisées pour la pêche au gros.
§ Palangre de fond :Elle est constituée par une ligne mère en nylon torsadé contenant des
avançons de 30 à 50 cm séparés d’environ 1,80 m, une palangre peut avoir entre 200 et
800 hameçons par panier ; une bouée pavillon est fixée à chaque extrémité de l’engin
ainsi qu’au milieu pour éviter les croches sur les petits coraux isolés ; l’appât est
constitué de petits poissons, crevettes, et autres morceaux de poissons : une à deux poses
par jour/nuit est pratiquée selon l’abondance des captures observées dès la première
levée.

241
§ Sennes de plage : celles-ci ont généralement une longueur de 90 à 150 m bien que
certaines puissent atteindre plus de 600 m ; le maillage dégressif passe de 50 mm étiré
niveau des ailes, et jusqu'à de 15 à 9 mm au niveau de la poche; la manœuvre s'effectue
par 6-8 hommes environ ; les sennes peuvent être utilisées pour la capture de pélagiques
côtiers (balaous, sardines, harengs, anchois argentés, coulourous) passant près des rives et
aussi pour la capture des appâts (les petites mailles retiennent les alevins et de
nombreuses espèces côtières ainsi que les post-larves de crevettes); les grandes sennes
peuvent capturer: diverses bonites lorsque celles-ci quittent les accores après les fortes
pluies pour pénétrer sur le rebord du talus continental; les sennes de plage sont surtout
utilisées dans les zones de production en situation d'extrême précarité où les opportunités
d’emplois sont particulièrement rares.
§ Sennes à balaou : l’usage est très peu répandu, il s'agit d'une senne tournante primitive
sans coulisse à mailles très fines (30mm) ; sa longueur varie de 300 à 700 m ; l'équipage
de manœuvre est composé de 6 à 8 pêcheurs sur un canot de 6 à 8 m de long; les captures
peuvent atteindre jusqu'à 150 kg/jour en bonne période (saison de Pâques).
§ Epervier: (dit privye) manœuvré par un seul homme, cet outil est surtout utilisé pour la
capture des petits poissons (sardines, anchois etc.) destinés à l'appât pour la pêche à la
ligne de fond, à la palangre ou à la traîne.
§ Nasses : elles sont en forme de Z à deux entrées opposées, et fabriquées en bambou
refendu tressé (les mailles hexagonales mesurent le plus souvent 5-6 cm dans leur
diagonale) ; elles sont utilisées soit flottantes (flotteur bambou ou polystyrène, bidon de
plastic de 1 gallon) et non appâtées pour la capture de poissons pélagiques (carangues),
soit placées au fond et appâtées pour la langouste et les espèces démersales; l'appât utilisé
est généralement végétal (fruit de l'arbre à pain, mangues, oranges mures). Des broyats
d'oursins et de crustacés sont parfois utilisés pour imprégner les nasses d'essences
attractives ; la dimension des nasses est très variable selon, l'espèce recherchée, les plus
grandes atteignant 3,50 m de long sur 0,60 m de haut. Ces nasses sont immergées pour
une période indéterminée mais sont visitées chaque jour.
§ Pêche en plongée : celle-ci s'effectue généralement en apnée, avec un fusil sous-marin,
Ce dernier est souvent de fabrication artisanale. Il est dépourvu de système de sécurité au
déclenchement de la flèche, ce qui rend sa manipulation extrêmement dangereuse.

242
§ Pêche à la lumière : il s'agit d'un mode d'attraction pour la capture de petits poissons.
Elle se fait au moyen d'une ampoule de 25-30 watts immergée et branchée à une batterie
électrique de quelque 100 ampères-heures). Cette pêche s'effectue durant les nuits sans
lune et commence au crépuscule par fonds de 20-30 m.
§ Pêche aux jorfilles: L’usage se cantonne sur la façade atlantique entre le Cap-Haitien et
Bombardopolis. Ce type de pêche correspond en fait à une petite palangre dérivante
supportée par un flotteur, contenant un seul hameçon appâté.

Il est aisé de dire que la totalité de ces outils de pêche dispose d’une portée limitée. En effet, ils
sont utilisables strictement sur la partie marine immédiate du littoral et dans un tirant d’eau très
faible. S’ils sont incapables de ramener des volumes importants de captures par contre leur
pression quotidienne non encadrée entraine des conséquences lourdes sur la qualité et la
durabilité des ressources halieutiques littorales du pays.

- Des moyens de production à la dimension des outils utilisés

Les outils qui viennent d’être énumérés sont embarqués sur des équipements de fortune dans leur
grande majorité. Ils sont seulement adaptés aux conditions économiques de leurs utilisateurs.
Néanmoins, ils ne garantissent aucune sécurité aux pêcheurs par rapport aux dangers de la mer.
Ils sont incapables d’assurer non plus le bien-être matériel des exploitants car les revenus générés
sont très en dessous du seuil de pauvreté national. Ces moyens de production se limitent aux
équipements suivants :

§ Les canots à quille. Ils nécessitent un débours plus important. Leur dimension varie de
10 à 18 pieds de long. Seulement 3 % d’entre eux sont propulsés par des moteurs,
§ Les barques à fond plat (appelés koralen). Elles font entre 10 à 15 pieds,
§ Les pirogues monoxyles (surnommés bwa fouye129). Elles sont généralement de petite
taille et font entre 10 à 12 pieds en moyenne. Elles sont propulsées par la force humaine à
l’aide de pagaies et sont dirigées par un seul homme, rarement deux. Ce type
d’équipement demeure le principal moyen de pêche. Les pirogues représentent 90 % des
9 000 embarcations de ce type recensées en 2015 par le Service Maritime National
(SEMANA). Les données sont sensiblement différentes seulement pour les deux façades

129
Les pirogues sont de très petite taille. Elles font rarement 15 pieds. Il s’agit d’un simple tronc creusé qui n’est pas
rehaussé de bordés.

243
du golfe de la Gonâve. Dans cette partie du littoral haïtien les pirogues deviennent
minoritaires (moins de 30%). Cela est dû, sans nul doute, à la proximité de la capitale
dont les besoins exigent une propulsion plus rapide.

Dans les lignes qui précèdent la pauvreté des moyens de production est évidente. Une autre
contrainte freine l’amélioration du revenu des pêcheurs côtiers. Elle est liée aux rouages de la
commercialisation. En effet, l’absence d’équipement de conservation ne permet pas de négocier
le meilleur prix pour ces prises. Très souvent le pêcheur brade pratiquement le fruit de 12 heures
de travail pour éviter que ces biens périssables ne soient carrément perdus parce qu’invendables.
Seuls les distributeurs sont équipés pour le stockage et la (re)vente en différé. Cette situation fait
de lui le véritable gagnant de cette branche de la production littorale. L’inefficacité, l’archaïsme
et le sous-équipement ne le permettent pas de cumuler plus que 120 jours travaillés sur l’année.
Cette compression du temps de travail n’est pas du tout compensée par la qualité et surtout le
volume des prises.

- Des prises de plus en plus rares et de plus en plus constituées d’espèces juvéniles

Quand on met de côté les prises opérées par l’intermédiaire des Dispositif de Concentration de
Poissons (DCP)130, les captures sont généralement insignifiantes. Une journée de pêche à
Gardois, dans la commune des Coteaux (sud d’Haïti) a été suivie. Trois pêcheurs armés d’un filet
de 75 pieds ont débuté leur odyssée à 6hr 45 am. L’exercice s’est prolongé jusqu’à 13hr 23 sur
une distance de 8 kilomètres. La pose et la levée du filet consomment en moyenne 65 minutes.
Tout ce qui a été pris est confiné dans un seau. A 13 hr pm, une dame se présente et on lui remet
le seau, il s’agit de Tessile, la femme du propriétaire du filet. Elle commence d’abord à délester
le contenu du seau des bouts de corail, des déchets en plastiques et des algues marines.
L’opération de nettoyage une fois terminée aboutit à un triste constat : 13 crabes, une petite
anguille, 6 petites crevettes, 5 petits poissons de 12 à 17 cm et une trentaine d’alevins.

Tessille est contrariée du score de son mari et de son équipe. Elle propose, accuse et se résigne
en ces termes : « lanmè pa bay anyen kounyea, lanati ap pini nou paske nou pa bon twòp. Men si

130
La production halieutique nationale peut être raisonnablement estimée à environ 15.000 tonnes/an. Elle se
décline comme suit : Poissons démersaux et des accores : 6.000 tonnes. Pélagiques côtiers : 2.200 tonnes.
Pélagiques océaniques : 2.500 tonnes. Crustacés (crevettes, langoustes, crabes) : 4.000 tonnes. Lambi : 300 tonnes.
L’exploitation des DCP requiert l’utilisation d’embarcations et de moteurs de qualité. Ce qui limite l’accès pour le
pêcheur individuel. Or l’individualisme est la caractéristique fondamentale de la pêche littorale.

244
nou te pati pi bonè bagay la tap miyò. Se mwen ki leve Dikerès maten. Konbyen yo pral banm
pou ti piskèt sa yo. Bwa a mare ». Elle dit comprendre la nature qui n’est plus généreuse comme
avant et qui réagit face aux bêtises des citoyens. Elle critique l’inefficacité des pêcheurs qui
travaillent dans un mauvais créneau horaire pour la garantie de meilleures captures. Et enfin elle
juge l’insignifiance du revenu attaché à cette journée de travail.

Effectivement elle a raison, au regard du revenu la situation est pénible et révélatrice du niveau
de pauvreté qui s’installe dans le monde des pêcheurs du littoral dans le pays. En effet, une partie
de la prise en question sera vendue pour la somme de 175 gourdes. Le propriétaire du filet
récupère 75 Gdes et donne 50 Gdes à chacun des deux compagnons de fortune. Le partage est
inégal car il garde, via sa femme, la trentaine d’alevins récupérés pour les besoins alimentaires
de sa famille. Il est aisé donc de constater le télescopage dans le pays entre un espace de survie et
une pratique/production de survie. Et tout se fait dans une ignorance complète de la
réglementation

- Une image sociale du pêcheur peu valorisante

La pêche a toujours été perçue dans le pays comme une activité de pauvres. A l’école primaire
et même au niveau du cycle secondaire les avertissements sont clairs : « (timoun) lèw pa vle
apran lekòl lèw granmounn se chany oubyen pechè pwason wap ye ». Cela correspond à :
« Enfants si vous refusez d’apprendre à l’école, dans la vie vous ne serez qu’un cireur de bottes
ou un pêcheur ». Cette image du pêcheur n’est pas très gratifiante. Le pêcheur est vu comme un
raté, un vagabond et un naufragé. De ce fait, il serait condamné à rester dans des conditions de
vie misérables. Ils sont conscients de l’image que la communauté se fait d’eux car plus de 90 %
d’entre eux ne souhaitent pas que leurs enfants deviennent pêcheurs (Cerhca, 2016).

- Une inscription spatiale liée à l’auto marginalisation

Les pêcheurs ont toujours essayé de contourner les préjugés dont ils subissent de la part de la
société haïtienne. Ils s’insèrent par la voie du marché : les produits de leurs activités quotidiennes
sont échangés sans grande difficulté. Ils rythment, certaines fois, la vie dans les villes : on les
attend aux bords du rivage entre 10hr du matin et 12hr pm pour ajuster le repas de la journée. Ils
sont utiles mais ils vivent à part dans des communautés spécifiques. Ces dernières sont nommées
villages de pêcheurs. On dénombre près de 420 entre Anse-à-Pitre et Fort-Liberté. Ces villages

245
sont constitués fondamentalement de pêcheurs et leurs familles et d’autres catégories sociales
marginalisées telles les prostitués. Ils vivent entre eux dans un cadre de vie inapproprié sans
accès aux services sociaux de base.

Le village de pêcheurs Débauché131 est le condensé des conditions de vie qui prévalent dans ces
communautés de pêcheurs dans le pays. Il existe aucune école pour les enfants et les jeunes. Ces
derniers sont rarement scolarisés. En septembre 2016 sur les 72 enfants scolarisables seulement 6
partent le matin pour aller en classe dans le centre-ville ou dans une école d’un quartier voisin
appelé Anse-à-Louis. Autrement dit 92 % des enfants sont en dehors des liens de la scolarisation.
Ils accompagnent leurs parents pêcheurs comme plonjè132 ou kenbèdpanye133. Certains tiennent
les petits commerces des parents et d’autres vagabondent entre la rivière et le littoral. Le village
ne dispose d’aucune structure d’accueil en matière de soins de santé. Les femmes enceintes
accouchent chez elles et seuls les cas spéciaux sont redirigés sur le dispensaire de la ville. Les
logements sont des taudis et seulement 5 % d’entre eux disposent d’un lieu d’aisance formel. La
grande majorité de la population se soulage à même le rivage. Il n’existe pas d’embarcadère, la
dizaine de canots/pirogues recensée est garée sur le littoral. Les produits de la pêche sont vendus
à la crié par les revendèz (détaillante) ou les femmes des pêcheurs car le village ne dispose pas
d’équipements de conservation.

b- Une agriculture littorale de subsistance

L’agriculture est la deuxième activité des occupants du littoral. Il s’agit d’une activité
complémentaire à la pêche. Les enquêtes quantitatives et qualitatives menées en 2016 auprès des
populations de ce type ont montré que 73% des pêcheurs pratiquent en même temps
l’agriculture. Cette dernière est destinée à l’autoconsommation. En effet, dans la majorité des
cas, plus de 75% de la récolte sont destinés à l’alimentation du ménage et assurent la semence
pour les prochaines semailles. Seulement 25 % des produits sont échangés sur les marchés. Cette

131
Débauché est le nom d’un village de pêcheurs de la commune des Coteaux (sud du pays). En 2015, il hébergeait
62 ménages. Il est séparé de la ville des Coteaux, au nord et à l’est par une petite rivière du nom de l’Empereur, au
sud par la mer et à l’ouest par la rivière Colas. Il abritait les pêcheurs initialement mais au fil du temps tous ceux
que la société cotelaise regardait d’un mauvais œil vont se retrouver dans le village : prostitués, malfèktè
(guérisseurs et eskanmòtè (petits truands de province)
132
A partir de 7 ans l’enfant est utilisé comme plongeur (plonjè) pour rabattre les poissons vers le milieu du filet
afin que ces derniers ne s’échappent pas avec la présence des récifs.
133
Le kenbèdpanye joue le rôle d’accompagnateur et d’assistant. Il gère le seau ou le panier dans lequel sont
déposées les espèces capturées.

246
démarche assure aux familles des revenus supplémentaires. Le contenu et la géographie de cette
agriculture mérite d’être posés pour mieux comprendre la place que cette activité dans
l’exploitation de la bande littorale.

- Un contenu simplifié mais représentatif de l’agriculture nationale

Les activités agricoles littorales sont les mêmes, à quelques exceptions près134, de celles
pratiquées dans le reste du pays. Le contenu est foncièrement céréalier, vivrier et fruitier. C’est le
système de compagnonnage qui prévaut. Il permet d’assurer les périodes de soudures en toute
quiétude : la récolte d’une denrée précède ou succède une autre dans un cycle annuel. Cette
association est le cœur même de l’agriculture paysanne haïtienne : « les petits paysans exploitent
en général moins de cinq hectares et cultivent des jardins créoles en mélangeant les espèces au
sol (ignames, dachines, haricots et manioc), les arbustes (bananiers, pois d’angole) et les arbres
(manguiers, arbres à pain, agrumes). De petites surfaces plantées en canne à sucre et en
cocotiers complètent ces jardins » (Michel DESSE, 2003). Cette observation est juste.
Néanmoins, il faut préciser que les haricots et l’arbre à pain ne réussissent point sur le littoral à
l’instar de l’arbre véritable.

Dans les comptes nationaux l’agriculture est toujours associée au petit élevage. C’est un trait
caractéristique de l’agriculture nationale que celle pratiquée sur le littoral conserve et applique.
Les données récentes (Enquête du CERHCA, novembre 2015) ont montré 88 % des occupants
du littoral disposent d’au moins deux têtes de bétail dans leurs parcelles. Les animaux de
prédilection dans le cadre de cet élevage domestique sont les porcs et les poules. La démarche est
liée à une rationalité déconcertante car ces animaux seront alimentés gracieusement et surtout
gratuitement par les déchets de toutes sortes qui arrivent sur le littoral transformé en exutoire. En
dehors de cet élevage qui se réalise sur la base du recyclage des ordures, les occupants des
littoraux s’adonnent à la production de caprins et d’ovins. Cependant, la dimension du troupeau
demeure limitée à moins d’une dizaine de têtes.

134
Cette altitude ne permet pas cependant de cultiver le cacao et le café. Ces derniers exigent un niveau
d’humidité que la proximité de la mer ne peut aucunement garantir dans un milieu tropical.

247
- Un arbre fruitier roi : le cocotier

L’arbre fruitier qui s’adapte le mieux sur le littoral est le cocotier (cocos nucifera). C’est le plus
visible car il assure une unité et un modelage du paysage par sa taille. Il est présent sur la totalité
des littoraux haïtiens. Néanmoins la façade caraïbe, comprise entre Anse-à- Pitres et Tiburon,
reste son domaine de prédilection. C’est l’arbre aux multiples usages. Il est présent dans la
nourriture comme liant (huile de coco) et comme légume (choukokoye135). La noix de coco
permet de fabriquer le caviar haïtien, il s’agit du fameux Kakakòk136. La transformation
alimentaire artisanale locale utilise la noix de coco comme matière première dans la sucrerie137.
Elle entre dans la construction de l’habitat traditionnel comme composante de la toiture et des
murs. Cet arbre est employé aussi par les occupants du littoral comme abri contre le soleil
implacable. Dans tous les villages de pêcheurs il sert d’infrastructure pour la réparation des filets
et l’amarrage des pirogues. Il sert aussi de point de fixation pour le petit élevage (porcin, caprin
et ovin)

Le cocotier est très prisé par les occupants des littoraux pour de multiples raisons, en grande
partie expliquées dans le paragraphe précédent. Néanmoins certaines autres fonctions méritent
d’être précisées. C’est une espèce colonisatrice de milieux défavorables tels les côtes avec leurs
caractéristiques salines. Plante rustique, seule capable de se développer dans certaines conditions
adverses, le cocotier est parfois la seule culture envisageable. Il est peu sensible au phénomène
de « fatigue des sols », ce qui traduit à la fois une susceptibilité aux parasites et maladies
telluriques plus faible que la moyenne et une bonne aptitude à explorer le sol pour son
approvisionnement en eau et en éléments minéraux. Il est peu gourmand en terme d’espace
mêmes les plus petites parcelles (moins de 50 m2) occupées hébergent au moins 2 cocotiers.

C’est un des poumons de l’économie familiale littorale. Les cocotiers, souvent combinés à
d'autres activités agricoles et de pêche, assurent tout à la fois un lissage des pics de travail et des

135
Le choukokoye (Le chou de coco) est le bourgeon terminal du cocotier; il se trouve donc tout en haut de l’arbre.
Il est constitué de jeunes feuilles tendres qui devront être retirées successivement par couches afin d’atteindre le
cœur (le chou) qui est relativement petit. Une fois recueilli, ce dernier sera émincé pour être mangé sous la forme
de pot au feu.
136
Dans la langue haïtienne le mot kakakòk signifie douceur. Dans la partie méridionale du pays c’est un
met/condiment préparé avec le lait de la noix de coco chauffé jusqu’à la l’obtention d’une pâte de couleur noirâtre
à laquelle sont ajoutés des morceaux de poissons grillés.
137
La noix de coco est transformée en trois types de sucreries : le kòkrape (servie en fines lanières grillées),
douskòk (servie sous la forme caramélisée) et le tablètkokoye (servie sous forme de grosses lanières caramélisées)

248
besoins de trésorerie. Contrairement à d'autres graines oléagineuses, la noix de coco mûre peut
supporter un délai d'attente de plusieurs semaines, voire de quelques mois, avant d'être exploitée,
permettant aux ménages de faire face aux urgences des autres activités. Cela permet également
de disposer de revenu monétaire mobilisable au moment où les dépenses (maladie, écolage etc.)
se présentent. La noix de coco contribue à la diversification de l'alimentation des ménages car
une grande partie est fréquemment consommée en vert. Elle est aussi vendue à proximité à même
le littoral ou dans les marchés, ce qui permet d’accéder à un petit revenu additionnel immédiat.
Sachant qu’un cocotier donne en moyenne entre 80 et 120 noix de coco par an. Et que la noix se
négocie entre 20 et 30 gourdes sur le marché.

Le cocotier joue le rôle de marqueur foncier sur les littoraux. En effet, les raz-de-marée liés
fondamentalement aux épisodes cycloniques effacent régulièrement toute ligne de démarcation
entre les voisins. Cet arbre résiste très bien à ces agressions ce qui permet d’avoir un marqueur
permanent. De plus, le droit d'exploitation (de facto) accordé aux occupants des domaines
publics, est lié à la présence permanente sur la parcelle en question. Dans ces conditions la
plantation de cocotiers confère un droit d'usage du sol greffé sur la longue espérance de vie de
cet arbre. Autrement dit le cocotier participe à une certaine sécurisation dans un contexte littoral
d’insécurité foncière. Un autre atout non moins négligeable est à mentionner, il s’agit de son
usage comme combustible. Dans un contexte de rareté de ressources ligneuses, les ponctions
faites sur cet arbre en termes de feuilles, de grappes et copeaux représentent un volume important
que la cuisson domestique et le chauffage les boulangeries absorbent volontiers.

Il est donc aisé de dire que le cocotier est un rempart contre la misère pour les populations de
conditions modestes qui s’approprient les littoraux. Néanmoins, de nombreuses cocoteraies du
pays ont une productivité réduite du fait de leur âge, de la faible valeur génétique des arbres, de
leur manque d'entretien et de l'appauvrissement des sols. Le problème est ancien si l’on se réfère
à la législation haïtienne (Arrêté du 25 Août 1944 relatif à la protection des Cocoteraies contre la
maladie connue sous le nom Pourriture du bourgeon terminal). Tout un train de mesures a été
mis en branle pour éviter sa propagation de la région nord vers le reste du pays. Les derniers
cyclones qui ont frappé les régions côtières tels Sandy, Gustav et Isaac ont sévèrement diminué
ce patrimoine. En octobre 2016 l’ouragan Matthew a décimé 85% des cocoteraies sur la façade

249
caraïbe du pays. Les populations du littoral ne pourront plus compter comme avant sur cette
ressource facile d’accès et qui exige aucun investissement.

- Une agriculture destructrice malgré tout

L’agriculture pratiquée sur les littoraux par sa nature (subsistance) n’utilise pas d’engrais
chimiques. Elle est très éloignée de l’usage de fongicides et d’insecticides qui caractérisent
l’agriculture intensive. De ce fait, tout porte à croire qu’il s’agit d’une activité sans conséquences
graves sur l’environnement. Or, la réalité est plus compliquée que cela car cette activité met en
péril tout un écosystème. En effet, l’agriculture littorale s’installe, dans beaucoup de cas, contre
les domaines des mangroves. Ces derniers se retrouvent dans le Nord et sur la côte du Nord-Est
(Baie de Fort Liberté, Baie de Caracol et Baie de l’Acul), dans l’estuaire de l’Artibonite, aux
Cayes, à l’Ile à Vache, à La Gonâve et aux Grandes Cayimites. Les populations locales les
appellent mangles. En fait, la mangrove est composée de Rhisophora mangles. Elles font l’objet
d’une exploitation multiple : elles servent de gaules et de poteaux pour la construction, pour la
fabrication du charbon de bois. Ce front pionnier satisfait deux besoins fondamentaux : accéder à
des revenus et disposer d’un accès facilité au logement. La dynamique est analysée depuis
longtemps ; « Ailleurs le long de la côte des Arcadins et à l’Ouest de Port-au-Prince, les
nouveaux occupants tentent d’exonder les petites mangroves accrétionnaires pour y développer
l’agriculture ou l’élevage et pour y construire des maisons ou des hôtels (M. Desse, 2003). Les
conséquences sont néfastes. Les forêts de mangroves couvraient une superficie de 180 km2 en
1983 aujourd’hui (2018) le pays n’a pu conserver qu’une cinquantaine. La prise de conscience
n’entraine pas pour autant un fléchissement de l’abattage effréné des mangroves. La quête
permanente d’un revenu minimum handicap toute velléité d’exploitation durable.

Dans ce contexte là l’agriculture littorale ne peut que nocive pour l’écosystème côtier sans
trouver le bon équilibre. En vue de maintenir un niveau satisfaisant des captures, une
réglementation de la pêche, basée sur la biologie des espèces, devrait être envisagée, par exemple
en créant des réserves de pêche ou en définissant des tailles minimales de capture. Les
mangroves sont surexploitées par les populations côtières. Etant donné la faible extension de ces
mangroves et leur très grande importance pour le développement des espèces marines littorales,
la protection des zones à palétuviers devrait être assurée le plus vite et le plus rationnellement

250
possible afin de préserver et de favoriser le développement des espèces traditionnellement
pêchées et de celles qui pourraient l’être à l’avenir.

c- Une exploitation appauvrissante des marais salants

Les trois façades maritimes du pays sont concernées par l’exploitation du sel. Néanmoins son
extraction se concentre dans quatre départements : Artibonite, Nord-Est, Nord-Ouest et le Sud.
Le Haut Artibonite reste la zone principale avec les marais salants d’Anse-Rouge, de Coridon, de
Grande Saline et ceux des Gonaïves. Cette région représente à elle seule 70% de la production
nationale). Cette dernière connait une baisse sensible depuis 2004. Cette situation est liée aux
dégâts causés par les cyclones Jeanne, Hannah, Fay, Isaac et Sandy dans plus de trois mille
quatre cent bassins aménagés pour la production de sel dans la région de l’Artibonite. La
production en 2013 est estimée à 90 000 tonnes alors qu’elle était de 140 000 en 2003. Le
processus de réhabilitation des bassins a pris du temps car l’investissement était hors de portée
des petits producteurs. Les occupants des littoraux qui s’adonnent à l’exploitation des marais
salants ne disposent pas de moyens économiques adéquats pour nettoyer leurs bassins, certains
d’entre eux ont dû abandonner la filière. Il faut en moyenne 750 dollars américains pour
réhabiliter un bassin. Or la majorité vit avec moins de 2 dollars par jour. Le croquis suivant
présente une esquisse de la géographie de la production de sel dans le pays.

251
Figure 9.- La géographie des marais salants en Haïti

La production du sel se réalise pour satisfaire un ensemble de besoins. En dehors de l’usage


alimentaire le sel est encore employé dans le pays pour la conservation des peaux qui servent à la
fabrication des cuirs. Le salage du poisson et aussi de la viande demeure très important. C'est un
excellent moyen de conservation dans un contexte national de sous-équipement des ménages. En
effet, en 2015 seulement 17% des foyers disposaient d’un réfrigérateur ou d’un congélateur. Il
s’agit donc d’un moyen de conservation très adapté au pays, car peu demandeur en énergie).
Malheureusement ces producteurs artisanaux alimentent très peu la grande demande en sel des
entreprises productrices de boissons, de beurre et de margarines en raison des conditions
d’hygiène douteuses qui entourent la production de ce sel. Mêmes les consommateurs ordinaires
le critiquent parce qu’il contient selon eux trop d’impuretés.

La technique de production du sel utilisée par les occupants du littoral est simple : dans les
marais salants, on fait creuser un bassin de forme carrée de cinq à six pieds de profondeur dans
lequel on fait pénétrer l’eau de la mer à l’aide d’une pompe électrique.

252
L’eau étant chauffée grâce à l’énergie émise par le soleil, au bout d’une vingtaine de jours, elle
commence à s’évaporer et se cristalliser. Généralement, les producteurs y ajoutent des branches
d’arbre qui favorisent une cristallisation plus rapide. Les producteurs attendent jusqu’à cinq à six
mois pour récolter le sel. Les conditions de travail sont pénibles pour les ramasseuses de sel qui
opèrent la nuit et tôt le matin. Elles n’ont aucun équipement de protection. Et le salaire associé
est en dessous du seuil national de pauvreté. L’insalubrité est sévère dans les marais salants. Et
dans le sel produit les analyses révélèrent un niveau intolérable d’impuretés de toutes sortes. La
présence de coliformes est confirmée dans plus de 60 % des sites de production. Ceci explique la
réticence des brasseries à s’alimenter en sel provenant de ces marais salants.

En dépit du caractère informel de l’exploitation des marais salants, l’avenir de cette filière n’est
pas menacé à court terme compte tenu, d’une part, de l’implication du sel dans la conservation de
la viande et du poisson et d’autre part de son importance croissante comme matière première
dans la fabrication des boissons gazeuses. Cet engouement est dû à l’implantation récente d’une
usine de raffinement de sel à Port-au-Prince, utilisant les produits provenant des marais salant de
l’Artibonite. Et l’exportation a connu une croissance de 25% en dix ans, passant de 15 tonnes en
2003 à plus de 20 tonnes en aujourd’hui. La production de sel sur le littoral donne lieu à un
véritable circuit économique qui assure des revenus à plus de 3 000 producteurs directs. A cela il
faut ajouter les emplois indirects induits dans le cabotage, le commerce de détail, le transport par
camion, l’empaquetage etc.

L’exploitation des marais salants est une activité destructrice de l’environnement littoral. La
pression exercée sur l’écosystème côtier est trop forte. Car l’extension des bassins de
récupération de l’eau de mer se réalise à travers la destruction de la mangrove. Ce même
processus favorise l’érosion du littoral, facilite l’intrusion de l’eau de mer dans les nappes
phréatiques proches du littoral et compromet sérieusement la reproduction de certaines
ressources halieutiques dépendantes de la présence des mangroves138. Cette activité traditionnelle
ne permet pas aux acteurs directs d’améliorer leurs conditions de vie. Les revenus dégagés ne
permettent pas de sortir de la pauvreté, ils participent strictement à la reproduction des forces

138
Elles jouent un important rôle dans le cycle de reproduction de nombreuses espèces de poissons côtiers et
pélagiques importantes d’un point de vue économique vu qu’elles sont au centre de la productivité de la pêche en
Haïti. Ces espèces incluent le brochet (Centropomus undecimakis), et les espèces de crustacées comme la crevette
et le homard (Penaeus spp and Panulirus argus) ou des mollusques (Strombus giga).

253
productives et surtout à l’appauvrissement inexorable du milieu de vie et de production qu’est le
littoral. Au moins, 13 espèces considérées comme menacées ou sérieusement en danger
d’extinction ont été identifiées comme vivant dans les forêts de mangroves et des lagunes dans le
pays. Parmi elles, on trouve le Lamantin des Antilles (Trichelus manatus), le Crocodile
Américain (Crocodylus acutus), la Tortue de l’océan Atlantique (Eretmochelys imbricata) et le
Flamand Rose (Phaenicophilus palmarum).

d- Un cabotage important mais peu structuré

Les occupants des littoraux sont les parties prenantes majeures d’une autre activité économique
marquée elle aussi par la précarité et la vulnérabilité. Il s’agit du cabotage pour le transport des
marchandises et des hommes. Cette activité permet de connecter les villes entre elles et surtout
d’assurer la continuité territoriale entre le pays utile et les déserts que sont les iles. Les villes
haïtiennes sont majoritairement littorales. Dix des douze grandes capitales régionales se trouvent
sur la côte. En dehors de la grande terre, la population haïtienne est disséminée sur une dizaine
d’iles adjacentes. Le réseau routier national est généralement en mauvais état. En tenant compte
de ces contingences le cabotage national devrait constituer une alternative pertinente au transport
routier de marchandises et de personnes. Or il ne joue que très partiellement son rôle. Les
données les plus récentes affichent un fret annuel de 150 000 tonnes dans les 17 ports de
cabotage officiel. Mais la réalité est toute autre car un certain nombre d'infrastructures portuaires
s’est développé spontanément, notamment sur la côte sud du pays, sans l'aval préalable des
autorités portuaires, ce qui favorise le développement de trafics en marges de l’illégalité. Les
conditions d’organisation de la flotte de caboteurs, constituée presqu’essentiellement
d'embarcations obsolètes ne respectant pas les normes minimales de sécurité, ne permettent
actuellement d'aller vers un développement durable de l'activité de cabotage. Les procédures de
certifications des navires de transport de biens et de personnes ne sont pas appliquées.

Le cabotage dont on parle ici se définit par la petite voire très petite échelle des bateaux qui le
pratiquent et la faiblesse des échanges qu’il permet. Mais la référence aux côtes demeure l’aspect
le plus marquant comme le disent certains auteurs : « on peut comprendre le cabotage
différemment et le voir comme un mode de navigation indépendant du tonnage des bâtiments et
du trafic auquel ils se livrent. Il s’agit seulement d’y voir une navigation restant proche des côtes
» et est ajouté «Tous ces bâtiments semblent s’efforcer de garder un contact avec les terres, de

254
les avoir en vue ou à peu près » (Pratiques et succès du cabotage en Méditerranée nord-
occidentale au XIVe siècle Josée Valérie Murat). Les activités de cabotage se réalisent avec des
équipements traditionnels et de fortune.

- Un trafic hasardeux

Le métier de marin pour le cabotage est une activité qui s’apprend au fil des expériences en mer
et par imitation. Les acteurs impliqués sont en contact avec la mer depuis leur enfance. En
voyageant, ils découvrent et mémorisent les parcours, les techniques de navigation, et surtout le
savoir-faire des anciens capitaines. Cette pratique se transmet donc de manière informelle depuis
plusieurs générations. Le trafic se réalise en général deux ou trois jours par semaine. Ces jours de
services choisis s’alignent sur les jours de marchés des communautés ou villes desservies.
L’équipage est constitué de deux capitaines pour le gouvernail, de quatre marins pour
l’embarquement et le débarquement des personnes et marchandises et d’un amateur pour la
coordination des activités liées à l’opération. Dans la grande majorité des cas l’embarcadère
n’existe pas. Ainsi avant de démarrer le voilier, on embarque une partie des marchandises. Les
marins le poussent ensuite du sable du rivage vers les eaux de la mer. La quantité de
marchandises transportées varie en fonction de la taille du caboteur. Un caboteur de 40 pieds, par
exemple, peut transporter 300 sacs de riz et 35 passagers environ. Le voyage dure une éternité :
entre la ville de Jérémie et la capitale le temps de navigation peut dépasser 12 heures.
Evidemment entre les passagers et les membres de l’équipage se développe un climat de
convivialité, de confiance et surtout de complicité139. Car les deux implorent le même dieu (Mèt
Agwe ou sainte Thérèse) pour les épargner du danger. Ce dernier est bien présent et se
matérialise à travers la longue liste des accidents qui jonchent l’histoire du transport maritime
haïtien. Les naufrages sont légions et les plus meurtriers ont été la Fierté Gonavienne (1234
morts) et le Neptune (1993, 800 morts)

139
Cette complicité est sources de menaces graves sur la vie des passagers. En effet les gestionnaires du voyage se
contentent d’un prix forfaitaire sur les bagages pour maintenir la clientèle. Se faisant tous les voyageurs se
retrouvent avec au moins trois fois plus de bagages. Dans cette dynamique personne ne contrôle le volume
embarqué. La clientèle accepte volontiers aussi de ne pas exiger le minimum vital en matière de sécurité en mer
(canot de sauvetage, gilets et radio) En 1993 le caboteur Neptune sombra avec plus de 800 personnes à son bord
alors qu’il ne possédait ni gilets de sauvetage, ni canots de sauvetage, ni radio. Aucun contrôle n'était effectué par
les autorités sur ce bateau.

255
- Un équipement rudimentaire et peu fiable

Le cabotage haïtien est animé par deux catégories de bateaux. La première concerne le circuit
Jérémie/ Port-au-Prince et celui la Gonâve/Port-au-Prince. Les flux de marchandises et de
passagers exigent des bateaux de plus gros calibre que ceux organisant le cabotage traditionnel.
Ce besoin va être comblé par des entrepreneurs peu scrupuleux. Ces derniers vont faire
l’acquisition pour une bouchée de pain sur le marché américain, panaméen ou bahamien de vieux
navires en fin de vie. Une nouvelle couche de peinture flanquée de slogans religieux et de
sagesse haïtienne va être le seul aménagement réalisé sur ces vieux rafiots. Ils sont évidemment
impliqués dans les naufrages les plus meurtriers enregistrés dans le trafic maritime dans le pays
sur les trois dernières décennies.

La seconde catégorie est constituée de voiliers construits dans le cadre du savoir-faire local. Ces
voiliers sont le cœur du cabotage national car ils assurent plus de 80% du fret et près de 75% du
transport des passagers. Ils utilisent les voiles et les rames. Leur construction s’adapte aussi au
contexte de modernité car un bon nombre d’entre eux sont équipés désormais de moteurs.
Evidemment ce dernier élément vient tout simplement se greffer sur l’ancien : les voilures sont
maintenues et sont utilisées sur une bonne partie du trajet. Leur dimension varie en fonction de la
commande et de l’usage escompté. La construction de ces voiliers exige des bois précieux tels le
bois de chêne et de cèdre. Ils sont coupés suivant la hauteur et la dimension de l’engin à
construire.

256
Photo 17.- Construction de voilier à Petite-Anse (près du Cap-Haitien)

Crédit photo Pierre Jorès Mérat


La construction de ce type de voilier se réalise à coup de poignet et de débrouillardise.

L’opération de construction débute avec la pose d’abord de la quille, une longue pièce de bois
que l’on place au fond et qui traverse tout le milieu du bateau. Cette pièce est installée sur deux
supports afin d’éviter tout contact avec le sol. A l’extrémité de celle-ci, on fixe l’étrave qui
constitue la partie avant du bateau ; placée de façon oblique, sa disposition joue sur la
performance du bateau. Puis le tableau, soit la partie arrière du bateau, est posé. L’ossature est
alors soutenue par des chèvres, des petits poteaux en bois qui servent d’appui et assurent
l’équilibre. La varangue ainsi que les pièces maîtresses en forme de V, attachées à la quille et
dont les deux bouts sont joints par les préceintes (ou bordage), donnent au voilier sa forme. Les
varangues peuvent être posées de deux façons, cela dépend de l’usage et la rapidité souhaités.
Les voiliers plus rapides ont une varangue à angle plus fermé et leurs dessous apparaissent plus

257
élevés, tandis que ceux à angles plus ouverts sont moins rapides. Par contre ils peuvent
transporter beaucoup plus de marchandises.

On place ensuite deux règles, ce sont des structures préparées à l’aide de planches sciées de deux
pouces de largeur. Ces composantes sont installées des deux côtés du bateau, depuis la pointe et
la hauteur de l’étrave jusqu’au tableau. On en ajoute une autre à la ceinture de la courbe du
voilier. Puis, on renforce le tout avec le bois pour supporter la charpente. On procède ensuite à
l’installation des planches de bordure et des préceintes réalisées avec un bois de 4 à 5 pouces. On
lie chaque préceinte, sans la clouer totalement à l’ensemble, afin de vérifier si elle est bien
disposée. Quand elles sont toutes bien ajustées et solidement attachées par des clous galvanisés
de 2 à 6 pouces, le voilier est alors prêt pour être calfeutré. Au cours de cette opération, on utilise
des morceaux de tissu et la résine pour assurer l’étanchéité de l’ensemble. Le dernier mouvement
consiste à peindre et décorer le voilier généralement avec des motifs religieux140. Les outils
utilisés disent long sur la qualité de l’équipement construit. Aucun dispositif de sécurité n’est
intégré dans l’ensemble. Ce qui importe c’est le nombre de places et le volume embarqué.

Les points de débarquement aussi bien que ceux d’embarquement sont de véritables pièges pour
les usagers du cabotage national. Tout se fait sur des embarcadères de fortune. Le passager est en
contact direct avec les éléments : il est embarqué le pied dans l’eau ou porté à dos d’homme.
Installé dans le bateau il n’est pas efficacement protégé contre la pluie et le soleil qui le fouettent
à loisir. Les sièges sont dérisoires, ils permettent au passager de s’agripper au voir plutôt que
s’assurer son confort. Depuis près de cinq ans face à la pression des autorités maritimes une
bonne partie des voiliers assurant le cabotage sont munis de gilets de sauvetage. Néanmoins, la
démarche reste symbolique car le nombre de gilets disponible est toujours inférieur au nombre de
passagers embarqués. En juin 2017, le caboteur baptisé « Mèsi Granmèt » en partance pour l’ile
de la Tortue avait embarqué 19 passagers et 3 membres d’équipage et un assistant. Et le bateau
ne disposait alors que de 6 gilets de sauvetage. Le rapport statistique est ahurissant, en cas de
problème, les 23 personnes sont dans l’obligation de se partager cet accessoire à raison d’1 gilet
pour 4 éventuels naufragés.

140
Une fois la construction achevée, le propriétaire invite ses amis et le constructeur à participer au baptême du
voilier. Au cours de ce rituel, le voilier est mis à la mer pour la première fois. A bord, boissons et nourriture sont
distribuées. L’exercice dure une heure ou deux, il est agrémenté d’une animation musicale à l’aide de tambours,
de chansons traditionnelles et de prières destinées à la protection durant les voyages à venir.

258
Photo 18.- Les outils classiques dans la construction de voiliers pour le cabotage

Sources : Crédit photo de Pharel Joseph


Ces outils rudimentaires observés aujourd’hui sur les littoraux traduisent la pauvreté qui caractérise le cabotage. Ce qui laisse très peu
de place pour les innovations dans le secteur.

La question a été posée à Faustin, propriétaire et membre de l’équipage en ces termes ; « nou 23
moun epi se 6 jilè batoa genyen saw panse kapitèn» (Vous avez 23 personnes à bord et le bateau
n’a que six gilets, Qu’en pensez-vous capitaine ?) La réponse est cinglante et cynique : « jilè yo
se pou pasaje yo, nou men amatè nou kon dlo, epi si gen yon pwoblèm nou chak ka sove 2 moun
pou pi piti ».

Et la complicité qui s’établit entre le passager et l’équipage se manifeste avec foi, une
passagère crie « men bondye pap kite sa rive »...et…« les gilets sont strictement réservés aux
passagers, les nageurs expérimentés que nous sommes n’en ont pas besoin. En cas de problème
chacun de nous peut sauver au moins deux autres personnes ». « Et Dieu nous protège toujours ».
Dans ce contexte de résignation il reste très peu de place pour les normes de sécurité. Ce qui
amplifie grandement la dangerosité de ce cabotage utile et important pour l’économie des
régions concernées. Ce trafic est caractérisé aussi par sa grande vulnérabilité. (Photo suivante)

259
Photo 19.- Usage de morceaux de tissus dans l’étanchéité des coques des voiliers

Crédit photo de Joseph Pharel


La réparation des coques des voiliers à l’aide de morceaux de tissus usagés témoigne de la vulnérabilité des équipements qui organisent le
cabotage.

Le cabotage arrive tant bien que mal à pourvoir aux iles adjacentes un minimum de connexion
avec le reste du pays duquel elles sont totalement dépendantes pour satisfaire leurs besoins en
services et en biens manufacturés. Il reste cependant nocif pour l’environnement côtier par le
volume impressionnant de déchets en matières plastiques qu’il génère.

Les embarcadères réguliers ou sauvages sont des lieux de grande concentration humaine pour
lesquels aucun aménagement n’a été effectué pour traiter, trier ou tout simplement récupérer les
déchets. Les usagers et les voyageurs ne font que les laisser sur place, autrement dit sur le rivage
et dans la mer. Cette source de pollution est dangereuse pour les ressources halieutiques
littorales. La mobilisation des grands arbres tels le manguier, le taverneau, le bois de chêne et le
cèdre pour la construction de voiliers ou de bateaux accélère la déforestation et l’érosion, libérant
ainsi chaque année des milliers de tonnes de terres arables qui active l’hyper sédimentation les
eaux littorales. Se faisant les occupants du littoral mettent en place eux-mêmes les accélérateurs
de la dégradation de leurs conditions de vie.

260
Photo 20.- Une pirogue taillée directement dans un arbre abattu

Crédit de P J Mérat
Ici à Chevalier quartier de la commune des Coteaux (sud du Pays) les canots sont taillés directement dans les troncs d’arbre. Certaines
fois ces arbres sont abattus à plus de vingt kilomètres du littoral. L’équipement est très sommaire mais le temps investi pour l’acquérir
est considérable.

e- Une exploitation anarchique des matériaux de construction

Le littoral du pays est fait l’objet traditionnellement d’une exploitation très visible mais peu
appréhendée par les analyses et les appréciations des autorités publiques. Il s’agit de l’extraction
des matériaux de construction à même des embouchures des rivières, des plages et surtout des
flancs des coteaux qui surplombent le littoral. L’exercice constitue un secteur important des
économies littorales (M. Desse, 2003). Les matériaux prélevés conduisent à des prélèvements
massifs depuis au moins une dizaine d’années. Le nombre d’interdictions d’exploitations des
carrières de sables produits par le Bureau des Mines et de l’Energie (BME) expliquent
l’amplification du phénomène. La dynamique concerne deux acteurs : l’exploitation villageoise
et l’exploitation industrielle des carrières dans les falaises mortes des anciens récifs soulevés.

L’exploitation villageoise se pratique avec des moyens du bord : des pelles, des pioches, des
seaux, des brouettes et mes des camionnettes. Les carrières artisanales sont à faible production
(20 à 150m3/j) exploitées en sous-cavage. Les matériaux sont ramassés ou subissent une
transformation artisanale pour la construction des maisons (photo). Dans le cadre de
261
l’exploitation industrielle l’extraction de matériaux se fait dans des carrières de grandes
dimensions. Ces dernières concernent fondamentalement les régions de l’Ouest et de
l’Artibonite. Le tiers des exploitations de carrières à Port-au-Prince se fait par voie mécanisée
(chargeur, bulldozer). Elles accusent une production supérieure à 150 m3/j et fournissent près de
70% de la production de la région. Le décret du 2 mars 1984, publié dans le Moniteur. # 26 du 2
avril 1984, réglemente les exploitations de carrières141 sur toute l'étendue du territoire national.

Cependant, il est aisé de constater qu’aucune disposition légale n’est respectée par les acteurs. La
loi interdit la pratique d’exploitation des carrières de part et d'autre de voies de communication,
barrages, conduites d'eau, lignes de transport de force, ponts, berges de rivières, de tous travaux
d'utilité publique et de tous ouvrages d'art. Or, cette activité est visible car elle se réalise sur une
grande échelle. La plus grande région productrice de roches est celle des Sources Puantes qui
fournit près de 46% de la production totale142. Ces roches proviennent de l'écaillage du versant
Sud des Matheux sur une distance de 20 km de route en longeant la route nationale no 1, entre
les Sources Puantes et Sources Matelas. Un exploitant de matériaux de construction, selon le
texte de loi mentionné plus haut, est tenu de se conformer à un ensemble de normes qui se
déclinent comme suit :

• Utiliser les méthodes les plus modernes permettant de réduire le niveau des bruits. La
disposition d'un concasseur doit être telle que des écrans isolent la machine dans toutes
les directions de transit d'une route ou d'une habitation,
• Prendre toutes dispositions pour réduire les nuisances dues aux poussières en particulier
dans la direction des vents dominants,
• Dresser, si possible, des écrans de végétaux dans les directions où les angles de vision
sont les plus accentués,
• Procéder à la réhabilitation des sols au fur et à mesure de l'avancement de l'exploitation,

141
Selon le décret du 2 mars 1984, les carrières font partie du domaine public de l'État et leurs exploitations sont
considérées comme un acte commercial. Sont alors considérés comme carrières, tous sites d'extraction des
substances non-métalliques, que l'exploitation ait lieu à ciel ouvert ou par galeries souterraines.
142
Il a été dénombré dans le Département de l'Ouest près d'une cinquantaine de carrières en activité. Elles
produisent annuellement environ 1.7 millions de m3 de matériaux dont 12% de roches, 15% de remblai et 73% de
sable. Cette production représente 80% de la production nationale estimée à plus de 2 millions de m3/an, soit une
consommation de 0.30 m3/hab./an (dans les pays industrialisés elle est estimée à environ 4 m3/hab./an).

262
• Stocker les couches de terre végétale déplacées en vue du réaménagement et de la
réhabilitation des terres conformément aux règles édictées lors de la demande de Permis
ou de son renouvellement.

Aucun de ces prescrits légaux n’est mis en œuvre. Sur toute l’étendue du littoral haïtien
l’exploitation se fait de manière informelle et anarchique. Les flancs des coteaux sont grignotés
par des trous béants qui libèrent des alluvions. Ces derniers encombrent les routes riveraines et
participent grandement à l’augmentation de la turbidité des eaux littorales. Le commerce du
sable est une activité lucrative car l’exploitant d’une carrière artisanale ne supporte aucun coût
d’exploitation, il partage les revenus de la vente avec les piocheurs et ne paie aucune taxe à l'État
haïtien. Dans un pays où le taux de chômage est supérieur à 70% l’ouverture d’une carrière est
devenue une source d’emplois, où il est possible d’embaucher directement 5 à 20 personnes par
carrière. Et généralement le commerce informel de nourriture vient se greffer sur cet
investissement. Dans le Département de l’Ouest, entre 14.000 et 16.000 individus vivent
directement de l’exploitation des carrières. Ils sont utilisés à titre de piocheurs, pelleteurs,
contrôleurs et conducteurs d'engins. L’impact sur l’environnement est particulièrement néfaste:
défiguration des paysages de mornes entourant le littoral, accélération de l’érosion en zone
côtière vulnérable. A cela il faut ajouter la grande difficulté future de remise en état des carrières
après une exploitation anarchique.

Conclusion.

La pêche artisanale et l’agriculture de subsistance sont des activités traditionnelles majeures des
occupants du littoral. Néanmoins les revenus qu’elles génèrent sont faibles et ne permettent pas à
ceux qui les pratiquent d’améliorer leurs conditions de vie. Ces activités font face certaines fois à
des contraintes sociales sévères : le pêcheur est vu et perçu comme un être inferieur et extérieur à
la cité, la pêche se réalise rarement au-delà de deux kilomètres du rivage faute d’équipement
adéquats, le pêcheur doit brader régulièrement ses maigres production car il ne dispose pas de
dispositif de conservation, les marais salants procurent un meilleur revenu mais seulement au
propriétaire du site : les travailleurs fondamentalement des femmes n’en tirent que des revenus
inférieurs au seuil de pauvreté, le cabotage permet d’accéder à un meilleur revenu mais il est
tenu que par une petite minorité car cette activité exige un capital de départ assez conséquent. Si
les activités traditionnelles ne sont pas toutes pourvoyeuses de revenus suffisants à ceux qui les

263
pratiquent, elles demeurent pour autant de grandes sources de nuisances pour l’équilibre de
l’écosystème littoral et marin : les mangroves sont éliminées au profit de l’extraction du sel et
des activités agricoles et les ressources halieutiques s’épuisent du fait de la trop grande pression
de la pêche de subsistance prédatrice.

3- Les nouvelles activités et nouveaux venus

Les activités agricoles, de pêche, de cabotage et d’exploitation des marais salants ne sont pas les
seules filières auxquelles s’adonnent les populations du littoral haïtien. Elles peuvent être tout
simplement mises dans la catégorie d’activités traditionnelles. Depuis près d’une vingtaine
d’années d’autres acteurs initient de nouvelles pratiques sur le littoral. Ce processus est le
résultat de deux dynamiques. La première c’est le constat d’une appropriation de la mer de plus
en plus grande de l’haïtien. Les plages sont de plus en plus sollicitées par les familles, les écoles
et les vacanciers. La réalité d’une population haïtienne qui tourne le dos complétement à la mer
doit-être reconsidérée. L’Antillais est longtemps resté un homme de la terre, un paysan qui
regardait la mer avec méfiance (DESSE M ,2004). L’haïtien aujourd’hui, du fait de la
paupérisation économique grandissante, est contraint de lui faire face. La crainte et la peur que
suscite la mer restent évidemment très vivaces dans la tranche d’âge 40 mais les jeunes
commencent à faire le grand saut. Ils sont de plus en plus nombreux à s’approprier la mer par
l’intermédiaire des plages et des loisirs associés. La seconde dynamique qui génère de nouvelles
activités sur le littoral se réalise dans le cadre de la nouvelle configuration économique143 qui
s’installe dans le pays. (Tableau suivant sur les apports sectoriels du PIB).

143
On assiste actuellement à une certaine tertiarisation de l’économie haïtienne. Les secteurs primaire et
secondaire représentent moins 50%.du PIB. En 2016 le secteur tertiaire alimentait plus de 58 % du produit
intérieur brut (PIB)

264
Tableau 27.- Produit intérieur brut par secteur (2009 – 2014)
En millions de gourdes courantes

Branches d'activités 2009-10 2010-11* 2011-12** 2012-13*** 2013-14***

Agric., Sylvic., Elev et Pêche 3298 3262 3220 3360 3311


Industries Extractives 17 20 17 18 19
Industries Manufacturières 912 1074 1150 1175 1201
Électricité et Eau 70 91 69 69 70
Bâtiments et Travaux Publics 1169 1275 1345 1470 1586
Com., Restaurants et Hôtels 3601 3765 3954 4147 4322
Transports et Communications 963 1092 1078 1117 1158
Autres Services Marchands 1536 1577 1638 1692 1779
Services non Marchands 1540 1584 1629 1671 1705
Branches fictives -839 -810 -854 -909 -967
Valeur ajoutée brute totale 12267 12930 13246 13810 14184
Impôts moins subventions
1003 1073 1161 1209 1248
sur les produits
Produit Intérieur Brut 13270 14003 14407 15019 15432
Taux de croissance en % -5,5 5,5 2,9 4,2 2,8
Source : Institut Haïtien de Statistique et d’Informatique (IHSI)
Notes : * Semi-définitifs - ** Provisoires - *** Estimations

Les services et assimilés prennent de plus en plus d’importance et de place dans la production de
richesse. L’économie en dépit de sa faible performance se tertiaire selon toute évidence. Le
commerce et la restauration prennent de plus en plus d’importance comme branche d’activités.

a- Une hôtellerie à deux vitesses

La demande en hébergement au bord de la mer est devenue importante depuis ces deux dernières
décennies. Elle est dynamisée par les expatriés des ONG, les membres des ONG qui viennent en
mission courte et les Haïtiens de la diaspora, fondamentalement ceux de Miami ou de New York.
C’est ce besoin que certains prestataires de services tentent de satisfaire certaines fois avec les
moyens du bord sur le littoral. De grandes structures hôtelières tenues par la bourgeoisie locale
ou d’expatriés nord-américains et européens côtoient les plus improbables structures gérées par
les petites bourses composées fondamentalement de nouveaux venus. Cette présence draine, avec
elle, des centaines et des milliers d’usagers qui viennent déstructurer les pratiques traditionnelles
d’exploitation du littoral. Il faut bien avouer qu’elles ne s’opposent pas diamétralement. Car les

265
unes supportent indirectement ou directement les autres. Il faut rappeler ici que singulièrement
seulement 1 dans le top ten des meilleur hôtels du pays se retrouve sur le littoral. Il s’agit de
l’hôtel Decameroon, sur l’ancien site occupé par le Club Med. Le tableau suivant indique
l’inscription spatiale des structures hôtelières les mieux cotées du pays. En dehors de ce monde
fermé qui reçoit les touristes étrangers et une minorité de la diaspora haïtienne en séjour familial
ou d’affaire il existe une kyrielle d’opérateurs hôteliers sur le littoral. Les structures ne se
ressemblent pas et cela donne lieu à un monde dual dans lequel se côtoient deux types de
clientèle.

Tableau 28.- Inscription spatiale des hôtels de renom en Haïti

Nom Lieu Proximité littorale Classification hibiscus144

El Rancho P-au-Prince Aucune 5


Mariott P-au-Prince Aucune 5
Best Western P-au-Prince Aucune 5
Oasis P-au-Prince Aucune 5
Montana P-au-Prince Aucune 4
Karibe. C. Center P-au-Prince Aucune 5
Royal Decameron Montrouis oui 5
Servotel P-au-Prince Aucune 4
MonJoli Cap-Haitien Aucune 4
The Inn Villa Bambou P-au-Prince Aucune 4
Sources : Calcul de l’auteur avec les données du Ministère du Tourisme et des Industries Créatives

- Les structures hôtelières formelles du littoral

La structure hôtelière est dite formelle lorsqu’elle cumule trois atouts par rapports aux autres
réputées informelles : elle dispose d’un bâtiment en dur avec toutes les commodités liées à
l’hébergement, elle est homologuée et classifiée par le ministère du Tourisme et elle organise des
manifestations extra hôtelières dans ses propres locaux (festivals, conférences et journées
récréatives). Ces activités exigent des installations spécifiques (autonomie en énergie électrique,
gardiennage armé) et témoignent de l’envergure de l’équipement en question et de
l’investissement associé. Ces structures élisent domicile sur les deux façades du golfe de la
Gonâve. Elles sont présentes aussi sur la façade atlantique aux environs de la ville du Cap-
Haitien et moyennement autour de Jacmel. Ces investissements importants individuels et

La classification nationale se base sur le nombre d’hibiscus (1à 5). Elle est graduée sur l’équivalent mondial du
144

nombre d’étoiles.

266
familiaux ne forment qu’une minorité. La grande majorité des structures hôtelières du littorales
sont de petites dimension.

Le Xaragua Hôtel est le condensé de ces types de structures hôtelières littorales. Le bâtiment est
imposant, il est implanté le pied dans l’eau sur la façade nord-est du golfe de la Gonâve. Cet
hôtel de 54 chambres, situé à Montrouis (80 km au Nord de Port-au-Prince) reçoit, entre autre,
une clientèle un peu spéciale : ONG, Associations, chercheurs et fonctionnaires. Car il se
spécialise dans l'organisation de séminaires et de rencontres professionnelles. La structure
dispose d’un ensemble d’équipements qui lui permet de se positionner efficacement. Un terrain
de tennis, une grande piscine et surtout une longue plage à accès privé complètent son arsenal.
Les prix affichés145 ne permettent pas d’avoir un fort taux de remplissage (entre 20 et 60 %) sur
toute l’année. Evidemment l’organisation d’autres prestations en dehors de l’hôtellerie compense
le déficit enregistré dans le volet hébergement.

On assiste depuis une dizaine d’années à une multiplication de ces structures sur le littoral. De la
commune de Fort-Liberté à celle de Port-de-Paix, soit 200 kilomètres on a dénombré 37. Entre
les Gonaïves et Port-au-Prince, soit 192 kilomètres, s’installent 49 de ces structures hôtelières.
La façade sur du golfe de la Gonâve entre Dame-Marie et Carrefour, soit 296 kilomètres, reçoit
32 établissements de ce type. La façade méridionale du pays, entre Anse-à-Pitres et Anse-d
’Hainault, soit 317 kilomètres, on dénombre 42. Ce type d’hôtel, installé directement ou dans le
voisinage immédiat du littoral, assure une fonction de prestige dans l’exploitation de cette partie
du territoire haïtien. En effet, par leur visibilité, assurée à grand coup de publicité à travers les
médias, elles constituent une vitrine de l’appropriation nationale réussie du littoral.

- Des structures hôtelières informelles du littoral

La publicité organisée par les structures formelles fait des remous dans l’opinion publique. Une
certaine image positive de la mer est ainsi véhiculée. Certains acteurs vont découvrir que la mer
représente une manne à exploiter. Autrement dit il est possible d’utiliser la bande littorale en
dehors de la pêche, de l’agriculture, de l’exploitation du sel ou du cabotage afin d’augmenter ses
revenus. Cette potentialité affichée est saisie rapidement par des centaines de petits prestataires.
145
Les prix se déclinent comme suit : Chambre simple à 80 US$ avec petit déjeuner, 95 US$ en demi-pension, 110
US$ en complète. Chambre double à 100 US$ avec petit déjeuner, 130 US$ en demi-pension, 160 US$ en pension
complète. C’est un registre de prix incompatible avec le niveau de vie de la grande majorité des haïtiens. En effet
plus de 75% de la population vivent avec moins de deux dollars par jour.

267
Les investissements sont légers et les équipements sont dérisoires. Néanmoins, la politique de
prix imbattable qu’ils affichent draine une importante clientèle. Cette dernière, constituée
fondamentalement de jeunes, veut profiter des délices de la mer mais n’a pas les moyens pour
dépenser beaucoup. Ce qui l’intéresse c’est le prix adapté à sa situation.

Ces structures sont dites informelles parce qu’elles ne sont pas en règles avec le fisc, ne sont pas
homologuées par le ministère du tourisme et ne sont pas immatriculées au ministère du
commerce. De ce fait, elles assurent un hébergement informel. Ces structures deviennent une
pieuvre aux multiples tentacules qui irriguent tout le littoral. Le phénomène prend de plus en plus
d’ampleur. L’informel évolue dans un marché noir en échappant aux impôts. Tout se réalise dans
une indifférence totale des autorités locales. Dans certaines régions du pays telles que le sud, le
phénomène fait mieux en chiffre d’affaires que les hôtels classique et formels surtout en période
de pointe et de haute saison (Juin à Septembre). Certaines de ces structures, avec une croissance
exponentielle, ont développé des canaux de distribution qui vont au-delà de la clientèle locale.
Elles arrivent à gérer des dizaines de chambres à partir du Net et les sites de réservation on ligne
(Booking; Tripadvsor, Expédia...)

On met dans la rubrique informelle les appartements, les villas louées à la journée, les maisons
d’hôtes non recensées par les services compétents, mais aussi les auberges du littoral. Les
opérateurs classiques et formels crient au scandale et dénoncent ces structures que l’on compte
par centaines, et qui sont louées en toute illégalité. Elles portent, font observer les hôteliers, un
double risque: celui de faire une concurrence déloyale à l’offre touristique formelle, mais aussi
un risque sécuritaire. Ces structures opèrent avec des locataires volants, sans aucune trace et où
le contrôle est quasiment inexistant. Le ministère du Tourisme et celui du commerce ne sévissent
pas contre cet état de fait, ils lâchent du lest et laissent le phénomène s’amplifier sous prétexte
qu’elles sont des bassins d’emplois pour la main d’œuvre non qualifiée. Enfin, ce type de
logement échappe à toute taxe nationale et ce sont autant de recettes fiscales perdues pour les
impôts et pour les collectivités locales (via les taxes communales).

268
b- Une restauration singulièrement déconnectée de la mer

L’hôtellerie littorale informelle marche de pair avec la restauration. Cette dernière est un volet
essentiel de l’exercice d’appropriation de la mer amorcé depuis un certain temps. Les entretiens
réalisés avec les clients à la sortie d’une dizaine de petits restaurants-plages sur la côte sud et sur
la Cotes des Arcadins font ressortir un élément assez révélateur.

A la question posée : « vous sortez de la plage, classez par ordre décroissant les activités
majeures de la journée passée ». Consommer de la nourriture et boire arrivent en tête et totalisent
plus de 85% des réponses. D’ailleurs plus de 25% de ceux qui viennent sur les plages ne se
baignent pas dans la mer. Les concernés expliquent leur attitude par la peur de la mer, le doute
sur la qualité de l’eau et le respect de la promesse qu’ils ont faite aux parents de ne pas
s’aventurer dans les eaux.

Il est donc clair le citoyen vient au bord de la mer mais cette dernière n’est pas sa stricte
préoccupation. Se rapprocher de la mer devient, sans doute, un prétexte pour accéder à autre
chose. Les tenanciers de ces petits restaurants affirment que les plats « griyo146 » et « fritay147 »
sont les plus vendus et les plus consommés. Ces mets locaux traditionnels sont à base de viande
de porc et de fritures. Les fruits de mer viennent très loin derrière. La démarche peut paraitre
bizarre mais elle reste logique car le poisson, les langoustes, le lambi se vendent plus chers que
la charcuterie ou le poulet sur les plages. Le consommateur peu fortuné oriente donc
stratégiquement sa consommation vers les plats les plus accessibles. Cette option est renversée
dans un autre cas de figure. En effet, les usagers des plages/restaurants consomment davantage
de bière que de noix de coco quoique cette dernière se vende moins cher (entre 40 et 50%). Il
s’agit d’un choix de prestige. S’afficher avec une « Prestige » en main est bien plus fashion que
de le faire avec une noix de coco à la bouche.

Les équipements associés à cette restauration sont dérisoires. L’établissement, généralement, est
en chaume ou en tôles ondulées. Les murs sont rarement en béton, ils sont plutôt faits de

146
Le griyo est fait de viande de porc frite accompagnée de rondelles de bananes frites. Le tout servi avec une
salade faite de tomates, d’oignons et de l’incontournable pikliz (mélange de piments et de laitues coupés en fines
lanières)
147
Le fritay est l’ensemble des aliments vendus en portions frites (viande, banane, patate, pomme de terre, arbre
véritable etc) accompagné obligatoirement du pikliz. Pendant longtemps il était vendu et servi le soir. Cependant
depuis près d’une vingtaine d’années il est vendu du matin au soir.

269
branchages dans la grande majorité des cas. Evidemment ce constat vaut pour les structures qui
se localisent en dehors des grands centres urbains. Le tronc et les tiges des cocotiers sont les
matériaux de prédilection. La précarité est immédiatement perceptible dans l’ameublement. Les
très petites structures alignent entre 4 et 6 chaises en paille, une ou deux tables, entre 6 et 10
couverts, une dizaine de verre et un congélateur. Ce dernier est rarement fonctionnel, il s’agit de
vieux appareils récupérés juste pour le stockage des boissons sur lesquelles on étale des
morceaux de glaçons achetés à l’usine. La cuisine, très souvent, détachée du reste de la structure
est axée sur deux ou trois foyers traditionnels.

Les établissements de taille moyenne témoignent d’un investissement plus important sur le
littoral. L’équipement s’organise sur au moins sur 50 mètres carrés. Il est généralement en
maçonnerie. Une vingtaine au minimum ou une cinquantaine de chaises au maximum sont
installées soit à l’intérieur ou à proximité. Une douzaine de tables, voire plus, est mise à la
disposition de la clientèle. Le bar est équipé de colonnes sonores pour rameuter par la musique
en vogue les clients jeunes et branchés. La cuisine se fait sur des gazinières et le congélateur est
branché sur le réseau électrique installé ce qui assure une continuité dans la chaine de froid pour
la conservation des produits alimentaires. L’établissement fait travailler directement deux
serveuses, deux cuisinières et une femme de ménage. A cela il faut ajouter le propriétaire qui
supervise le travail et organise la comptabilité. Les restaurants de ce type se comptent par
centaines sur le littoral. Ils fonctionnent dans un cycle temporel en lien avec la demande. Dans la
semaine le temps d’ouverture demeure l’après-midi jusqu’au soir. Et en fin de semaine jusqu’à
très tard le soir. C’est la période de vente maximale et conséquemment de la réalisation de la
meilleure recette.

Les restaurants installés comme nouvelles pratiques sont en partie des lieux de consommation
des produits d’origine étrangère au littoral. Ils viennent de l’importation générale du pays. Se
faisant ils ne mobilisent pas suffisamment les ressources littorales. Dans cette dynamique ils
drainent dans leur sillage une masse importante de déchets (canettes, bouteilles et assiettes en
plastiques) qui n’est jamais traitée. Et qui représente une menace lourde de conséquence sur
l’équilibre naturel du milieu. Une autre incidence non moins grave, de ces restaurants, est à
mettre en évidence. En effet, la grande proportion de produits exogènes dans la consommation
enregistrée, ne doit pas faire oublier que la demande en produits assimilés au littoral existe et

270
n’est pas négligeable. La présence de ces structures fait pression sur les ressources halieutiques
littorales car les pêcheurs vivent au jour le jour des commandes de ces restaurants. Incapables, du
fait de leur sous-équipement, d’aller pêcher au-delà des eaux littorales, ces pêcheurs ne font que
s’inscrire dans la surpêche incessante. Ils pêchent au même endroit toute l’année. Ce qui laisse
très peu de chance à la ressource de se renouveler normalement.

c- Une gamme de loisirs ponctuels investit le littoral

Les prestataires de loisirs (dans le sens de divertissement) sont une nouvelle catégorie
d’occupants du littoral. Ils réalisent leurs activités de façon ponctuelle. La gamme de loisirs,
qu’ils offrent, comprend les festivals, les courses de voiliers, le jet-ski et les promenades en
voiliers. Ces nouveaux acteurs exploitent l’engouement récent de certaines catégories sociales
pour la mer. Il s’agit des gens issues de la petite bourgeoisie urbaine, des étudiants et des
écoliers. Le temps libre des gens est mis à profit. Certaines manifestations drainent énormément
de spectateurs qui se retrouvent au bord de la mer pour suivre leur idole ou être témoin d’une
performance musicale. D’autres y vont, sous l’effet du régionalisme pour honorer un rendez
annuel dans sa commune de naissance ou d’adoption. Une minorité vient pour se soulager de la
fatigue du travail ou de la vie urbaine. Elle se procure une compensation significative aux
difficultés du travail. La démarche permet de redonner vigueur à des urbains fatigués, à nouveau
en mesure de se soumettre aux cadences de la tâche exécutée au cours de la semaine148.

148
Horkheimer et Adorno le signalent : « Dans le capitalisme avancé, l’amusement est le prolongement du travail.
Il est recherché par celui qui veut échapper au processus du travail automatisé pour être de nouveau en mesure de
l’affronter. ». Non seulement l’amusement légitime le travail hautement parcellisé, mais encore il rend possible
une acceptation des activités à venir en sauvegardant la santé psychique du travailleur.

271
Tableau 29.- Niveau de fréquentations des festivals de la mer en Haïti
Nom du festival Lieux/département Nombre de Provenance des festivaliers Année de
festivaliers création
Pestel Pestel/ Les Nippes 17 000 Port-au-Prince, les Cayes, 1987
Diaspora

Gelée Les Cayes/ Sud 45 000 Port-au-Prince 1989


Diasporas, reste du pays
Corail Corail/ Grande-Anse 7 000 Port-au-Prince, Diaspora 2012
Saint-Louis du Saint-Louis/Sud 11 000 Cayes, Port-au-Prince, 2011
sud
Aquin Aquin/Sud 12 000 Port-au-Prince 2013
Diaspora de Miami et de
Guyane
Labadie Cap-Haitien/ Nord 32 000 Diaspora, Port-au-Prince 2012

Sources : P J Mérat, 2018 (les chiffres sont fourmis par les mairies et les organisateurs)

- La récurrence de plus en plus grande des festivals sur le littoral

La mer donne lieu à de nombreux festivals depuis un certain temps dans le pays. L’expérience
est initiée depuis 1987 avec la fête de la mer à Pestel. C’est une petite ville du département des
Nippes évoluant les pieds dans l’eau entre la montagne et la mer. Au fil du temps, l’état
lamentable de la route qui même vers la commune, son enclavement en général et la perte de ces
deux plus grands sponsors149 ont eu raison de cette manifestation qui a périclité à la fin des
années 90. Le site continue à faire l’objet de visite et de promotion par les initiés et les amateurs
de rallye venus essentiellement de Port-au-Prince. Entre temps d’autres villes vont prendre la
relève en se positionnant comme un rendez-vous annuel incontournable. Entre 2012 et 2017,
cinq villes vont se partager cette affiche : Cap-Haitien sur la façade atlantique, Corail une ville
des Nippes sur la face sud du Golfe de la Gonâve et trois villes de la façade caraïbe : les Cayes
(Gelée), Saint-Louis du Sud et Aquin. La mer ou du moins la problématique de la mer est utilisée
à des fins de vulgarisation des politiques publiques décidées par les instances étatiques ou des

149
Cette initiative de la ville de Pestel fut le projet du navigateur français Alain Baussman, qui en 1987 a inauguré
la Fête de la Mer pour la première fois. Cet évènement a été supporté financièrement depuis son inauguration par
un autre passionné de la mer et de Pestel, le directeur de la pétrolière Shell de l’époque, un français du nom
Bernard Lefèvre. Après plusieurs années et plusieurs Fêtes, Bernard Lefèvre est parti et la Fête de la Mer de Pestel
a perdu son plus grand sponsor et supporteur. Evidemment Shell n’a plus sponsorisé l’évènement.

272
collectivités territoriales. La protection de l’environnement et les opportunités économiques
demeurent la finalité de cette démarche d’appropriation de la mer. Les slogans que portent ces
manifestations en disent long sur la réalité et les intentions exprimées. Au Cap-Haitien, la 1ère
édition du festival de la mer s'était tenue les 13, 14 et 15 juillet 2012 à Labadie et sur le littoral
de la ville autour du thème « Mettons le Cap sur la mer ». Les pouvoirs locaux de concert avec le
Ministère du tourisme engageaient la région dans la promotion de la mer. La 2ème édition de ce
festival avait, du 9 au 11 aout 2013, accueilli la grande foule sur le Boulevard du Cap-Haïtien et
sur la Plage de Camp-Louise autour du thème : « Gardons nos plages propres ! ».

Il s’agit pour les autorités de signifier aux usagers et à tous les citoyens l’obligation de protéger
cette ressource qu’est la mer en s’assurant de la propreté de son environnement immédiat. Le
Bas-Limbé et le Cap-Haitien ont hébergé, du 1er au 3 Août 2014, la 3e édition du Festival de la
Mer autour du thème : "Protégeons notre environnement"(voir l’affiche suivante). La mer sert
donc de prétexte ou de cadre de référence pour adresser un problème beaucoup plus vaste celui
de la protection de l’environnement haïtien. En tenant compte que ce dernier vit déjà un niveau
de dégradation avancé. Cette manifestation annuelle, indique le Bureau Régional Nord du
Ministère du Tourisme, se veut un puissant instrument de promotion du Nord du pays comme
destination touristique. Son principal objectif est d'offrir des opportunités d'affaires pour les
petites et moyennes entreprises intervenant dans l'industrie touristique. Les plus pauvres sont
insérés dans cette mouvance par l’intermédiaire des petits métiers de vente à la sauvette sur la
plage, de porte-faix et de prostitution pour les filles qui sont finalement doublement victimes. Ils
sont sur le littoral, ils sont dans les festivals mais seulement dans les marges car ils sont relégués
dans les endroits les moins appréciés et les plus insalubres. Ils sont ceux dont on se protège par le
truchement des grillages métalliques et surtout des vigiles armés de fusil à pompe.

273
Photo 21.- Affiche du festival de la mer

Sources : Ministère du Tourisme et des Industries Créatives (MTIC), aout 2014

Les ressources allouées à ces manifestations par les pouvoirs publics sont une vraie manne
financière pour les communes bénéficiaires en termes de retombées économiques (emplois,
débouchés pour les produits locaux, prestations de services etc). Les choix n’ont jamais fait
l’unanimité. Ce qui, généralement, suscite la polémique sur fond de régionalisme. La ministre du
Tourisme d’alors (2012) a essuyé de nombreuses critiques l’accusant de favoriser la région du
nord au détriment de celle des Nippes qui a été la première à initier le festival de la mer à Pestel
en 1987. Une compensation pour cette commune a été exigée pour le préjudice causé. La société
civile de la ville a publié un long manifeste en juin 2012 sur les réseaux sociaux pour dénoncer
ce qu’elle croit être un abus générateur de disparité spatiale. Voici trois extraits du texte publié :

« Mme Balmir (ministre du tourisme) a tout simplement puisé son idée de Festival de la mer à
Pestel. Elle en a modifié le nom pour le transporter dans le nord sous les ailes de 40 millions de
dollars! Pestel mérite au moins quelques centaines de milliers de dollars pour sa "Fête de la
Mer"! Dans cette valse de millions dédiés au tourisme! Pestel mérite de garder sa Fête de la Mer
en Juillet! Ce n'est que justice! De ce fait, nous ne pouvons accepter, sans rien dire que la
ministre du tourisme s'assoie avec des Pestelois pour se faire instruire au concept de la "Fête de

274
la Mer" et se sauver en toute vitesse pour apporter cette idée vers d'autres horizons » Les
pouvoirs publics sont accusés de favoritisme régional et du non-respect de la propriété
intellectuelle. Le texte continue son accusation en ces termes :

« Pestel n'a pas besoin de 40 millions comme Jacmel, Ni de 40 millions comme le Cap-Haitien,
Mais de grace, ne lui prenez pas tout! Laissez à cette pauvre petite ville sa "Fête de la Mer"
intact!Que le ministre Balmir ait choisi de changer le mot "Fête" en "Festival" Est comme
remplacer le mot "bal" par "carnaval" Et cela nous est égal! C'est tout simplement une
imposture.A Pestel, la mer est une passion. La première image d'un enfant qui grandit dans la
ville de Pestel est le vacillement des mats des voiliers dans le port! Est-ce pourquoi tout pestelois
est un marin de par la naissance! Le premier voyage d'un pestelois est sur la mer Voilà pourquoi
la mystique de la mer fait partie de Pestel et porte les Pestelois à célébrer leurs traditions! »
L’argument de l’antériorité et des traditions locales sont les pièces maitresses de ce réquisitoire.
Et le texte dénonce le caractère prédateur de l’État tout en exigeant un partage équitable des
ressources du trésor public. Cette revendication se fait sans ambages et elle se décline comme
suit : « Pendant des années, la Ville de Pestel organisait régulièrement sa "Fête de la Mer" qui
donnait lieu à des régates, des exhibitions maritimes, des concours de pêche, des festivités au
son de la musique et des célébrations. Ne serait-il pas leur rendre un peu de justice que de les
allouer un peu de ces 40 millions ici, Les gens de Pestel méritent mieux que de voir l'état leur
voler "Fête de la Mer" Holà Stéphanie Villedrouin, Holà Michel Martelly, Holà Laurent
Lamothe! Pestel fait partie de la famille haïtienne aussi! Il est de bonne justice que leur Fête
leur soit rendue et patronnée par le budget petro-caribe aussi! Car eux seuls on l'expertise ».

La mer et le littoral deviennent le réceptacle d’un ensemble d’activités initialement très éloignées
d’eux au regard des mœurs et des traditions locales. Ils sont transformés mêmes en vitrine des
opérateurs économiques et des acteurs politiques. La photo suivante témoigne d’une opération de
charme bien orchestrée Le leader du transport aérien local Tortug’air s’affiche au côté de
l’Ambassade américaine en Haïti et bien d’autres compagnies du secteur privé pour supporter
financièrement le festival. Cette même ambassade a joué de tout son poids pour empêcher la
création d’une école sur les métiers de la mer dans le pays. Le motif invoqué, officieusement,
demeure la lutte contre l’immigration illégale. La maitrise de la navigation aurait été pour le
citoyen haïtien une Arme de Destruction Massive (ADM) pour les frontières américaines. La

275
peur que l’étranger utilise le littoral pour compromettre l’évolution du pays s’estompe certes
mais il faut bien le reconnaitre aujourd’hui cette mer se sert de cordon de sécurité contre la
migration des haïtiens.

Photo 22.- Affiche du festival présentant son contenu et le sponsoring associé

Sources : Ministère du Tourisme et des Industries Créatives (MTIC), aout 2014

Les festivals de la mer deviennent des rendez-vous annuels très prisés certes mais la mer n’est qu’un prétexte. Car le contenu des affiches
ne laissent qu’une part incongrue aux messages liés à l’environnement marin. L’attention est plutôt focalisée sur les performances
musicales et artistiques en général.

Le contenu de ces festivals d’une région à l’autre ne varie pas énormément. C’est la même
ambiance qui prévaut du bord de mer du Cap-Haitien à la plage de Gelée en passant par Corail et
Pestel. Des milliers de festivaliers font le déplacement. Le rendez-vous attire même au-delà des
frontières nationales : la diaspora est présente et des étrangers150 se prêtent au jeu. Presque la
totalité des loisirs locaux sont inscrits dans les programmes : expositions d’œuvres artisanales ,

150
Solar Punch est un groupe musical de style rock en provenance de Hastings-on-Hudson, à New York. Le groupe
utilise la musique pour interpréter des chansons qui parlent de science et d'environnement et organise des ateliers
pour aider à expliquer les concepts solaires simples et donner des exemples de cas où des solutions sont en cours
d'utilisation à travers le monde. Le groupe musical américain a montré les avantages pour un pays comme Haïti qui
dispose en moyenne de 12 heures d’ensoleillement, d’exploiter cette énergie propre. Team Sandtastic est une
équipe de sculpteurs basée à Sarasota en Floride, qui travaillent à partir du sable de mer. Ils transforment des piles
ordinaires de sable en œuvres d'art vivantes.

276
concours de peinture/ exhibition de peinture sur les murs , défilé de majorettes, shows des rollers,
théâtre, défilé de voiliers , défilé de bikini, course de kayak, course de natation, séminaire de
natation pour les enfants, conférences sur la préservation des fonds marins, concours de Cerf-
Volant, excursions vers les îles adjacentes, concerts de groupes musicaux (l’Orchestre
philarmonique Ste-Trinité, Tabou Combo, Magnum Band). Des invités de marque ont payé leur
présence : le pianiste italien Roberto Esposito, Crescent City jazz Band de la Nouvelle Orléans et
Dobet Gnahoré, musicienne et danseuse ivoirienne, le Ballet Brio (Porto Rico), le North West
Laventille Cultural Movement (Trinidad and Tobago). Ces festivals disposent d’un volet sportif :
volley-ball, tournoi de football, course de bois-fouillé, course à pied. Du côté de la littérature et
du théâtre des auteurs connus participent à ces manifestations : la romancière haïtienne Yanick
Lahens, l’auteur Syto Cavé et le marionnettiste E. Murat.

Des millions de gourdes sont dépensés pour chacun des festivals. L’argent public assure
généralement entre 70 et 80 % du financement. Néanmoins les retombées peinent à s’inscrire
dans l’amélioration des conditions de vie des populations littorales les plus modestes. Le littoral
en tire très peu de bénéfices en termes d’équipements. On installe des stands, un réseau
d’assainissement, un réseau d’électricité strictement pour les besoins des festivaliers. Ces
structures sont démontées une fois les manifestations clôturées par le maire de la commune en
question ou les organisateurs. Les grands bénéficiaires demeurent les prestataires de services
(ingénieurs de sonorisation, musiciens, artistes, troupes de danses, agences de publicité, tours
opérateurs, brasseries) venus d’ailleurs. Car ces acteurs captent l’essentiel des ressources
investies. Et aucun retour n’est réalisé sur le littoral, les rares équipements qui s’y trouvent sont
dans un état de délabrement avancé ou tout simplement misérabiliste. Les petits prestataires
locaux, occupants le littoral, n’accèdent qu’à des miettes à travers le commerce de détail, la
vente des produits de la pêche, la vente de noix de coco et la cuisine akoupimchajew151. Le
littoral n’est pas le grand bénéficiaire mais il est le grand perdant car des tonnes de déchets sont
lâchées en vrac par les festivaliers. Ces déchets qui ne feront l’objet d’aucun traitement adéquat
finissent leur course dans le fond marin et dans l’estomac de nombreuses espèces halieutiques.
Ce qui met en place les conditions de sa dégradation et de son appauvrissement.

151
Le akoupichajew est une cuisine populaire axée sur le bas prix. Il est très peu regardant sur la qualité et
l’hygiène. Cette cuisine répond à un besoin d’accéder aux repas avec très peu d’argent. Il est assimilé à la cuisine
de rue et au fast food des pauvres.

277
d- Des nouveaux occupants nageant à contre-courant de la légalité

Les 1700 kilomètres de côtes qui bordent le pays constituent un espace de liberté, un véritable
free land. À la fin de 2014, la Police Nationale d’Haïti (PNH) avait un effectif total de 12 000
agents pour une population de 10,5 millions de personnes. Haïti avait ainsi un taux d’un peu plus
d’un agent de police pour 1 000 habitants, soit moins de la moitié du nombre minimum de 2,22
agents recommandé par les Nations Unies. La situation réelle est plus compliquée. En effet, les
deux tiers des effectifs de la PNH sont postés dans la capitale ou mis au service de la sécurité des
hauts fonctionnaire et des parlementaires. De ce fait, le nombre de policiers par rapport à la
population est de 0,5 agent pour 1 000 habitants dans le reste du pays, ce qui signifie que la
présence policière est faible à l’extérieur des agglomérations secondaires et des grandes villes.
Des portions de 50 à 80 km de côtes se retrouvent en permanence en dehors du contrôle
d’aucune force publique reconnue et légalement constituée. Cet état de fait prédispose donc le
littoral à être le théâtre de nombreuses activités illicites. Une véritable zone de non droit
s’installe dans la logique d’espace souterrain reposant sur la dissimulation, généralement animé par des
trafics en marge de la légalité autrement dit l’antimonde (Roger Brunet, 1992). Dans sa thèse de doctorat,
en 2009, consacrée à l’antimonde caribéen, Romain Cruse, le définit comme « l’ensemble des
espaces informels (bidonvilles, espaces de l’économie informelle, etc.), illégaux (espaces des
drogues illicites, de la prostitution, des migrations clandestines, etc.) et dérogatoires (zones
franches, paradis fiscaux, prisons, etc.) ». Cette définition, plus proche de la réalité haïtienne,
nous permet d’analyser deux aspects qui caractérisent le littoral du pays: l’illégalité et
l’informalité.

- Un petit commerce littoral axé sur la débrouille et l’informalité

L’économie haïtienne n’échappe pas au processus de tertiairisation qui touche l’espace


mondialisé. Depuis l’année 2012, ce secteur représente environ 52% du PIB. Le secteur agricole
est de moins en moins important aujourd’hui, avec une contribution au PIB d’environ 22% en
2012 contre 27% en 1990. Les activités agricoles sont de plus en plus négligées par une très
grande partie de la population, presque tout le monde se concentre vers le commerce. La
tertiarisation se caractérise par la montée de l’offre de service et explique qu'une fraction
croissante du travail humain s'effectue dans des activités tertiaires, particulièrement le
commerce. Les services sont dominés par le commerce au gros et au détail qui n’exigent pas

278
toujours un niveau élevé de qualification académique, encore moins de haute technologie. Donc,
la tertiairisation contribue très faiblement en termes de qualité à l’augmentation de la valeur
ajoutée nationale. Etant entendu que la technologie est très faiblement impliquée dans les
activités du secteur informel. La contribution de ce secteur à l’économie nationale est grande par
le fait qu’elle crée des emplois à des milliers de gens. Il héberge actuellement plus de 70% de la
population active haïtienne, soit environ un million cinq cent mille (1 500 000) emplois.

À noter que ces emplois ne sont ni de qualité ni décents et ne génèrent qu’un revenu de
subsistance. De ce fait, il faut comprendre que ce poids élevé du tertiaire dans l’économie n’est
donc pas une condition suffisante de création de richesse et de développement du pays et ne
permet pas aux agents économiques de sortir de la pauvreté. La tertiairisation haïtienne évolue
sous une forme semi-formelle dans les zones urbaines avec des services très diversifiés (de la
restauration de rue à l’impression de documents). C’est une tertiairisation qui utilise peu de
technologie et, par conséquent, elle ne génère pas une contribution significative dans la
croissance économique du pays. Dans l’ensemble, sa contribution reste très limitée, puisqu’elle
est incapable de générer des économies de volume et ensuite des économies d’échelles.

C’est dans ce contexte qu’il faut situer ce commerce de détail sur le littoral. Ce dernier, espace
habité, exploité et visité, constitue un marché porteur pour des travailleurs indépendants, Les
milliers de personnes qui habitent ou fréquentent cette partie du territoire sont des
consommateurs potentiels à qui il faut proposer et vendre des choses. Ce micro commerce,
désigné ici par commerce de détail allie deux caractéristiques : l’informalité et activité de
subsistance. En effet, les données publiées par l’Institut Haïtien de la Statistique et de
l’Informatique (IHSI) ont montré une amplification du secteur informel dans l’économie.
Seulement 23 % des entreprises sont considérées comme formelles. Et sur le littoral le commerce
de détail est presqu’entièrement informel, 92% des prestataires ne sont pas immatriculés par la
DGI (CERHCA, 2016). Une petite poignée, parce que fixés par des équipements, n’échappe pas
à l’obligation de patente. Car elle a été fichée par les services municipaux et sériée par les
enquêteurs de la Direction Générale des Impôts. Dans cette dynamique on ne peut pas inclure
cette minorité d’acteurs du commerce de détail dans l’axe d’activité de subsistance, car le fond
de roulement, l’équipement associé et les revenus tirés sont conséquents.

279
Les 98 % de ces micros entreprises commerciales sont animées par une seule personne. Cette
dernière tient lieu de patron et d’employé en même temps. Il arrive que cet acteur soit aidé par
une tierce personne mais dans tous les cas il s’agit d’un membre de la famille ou du ménage qui
n’inscrit pas sa demarche dans le cadre d’un travail. La formule consacrée demeure : « map ede
papam, map bay matant mwen yon kout men, map voye je pou sem » Tout est donc pris dans le
sens de : « je ne fais qu’aider et je ne fais que du bénévolat » Malgré tout les acteurs prestataires
sont nombreux.

Il y a les pacotilleurs qui proposent des costumes de bains tirés du grand commerce urbain de
vêtements usagers (pèpè). Un certain nombre de ces marchands offrent de petits objets de
l’artisanat local. Une autre catégorie vend des sucreries. Des aphrodisiaques de fabrication locale
et artisanale sont offerts par des prestataires masculins. A ces commerçants, il faut bien ajouter
l’émergence de deux prestations de services tenues strictement par des femmes : le massage
relaxant et la compagnie féminine payante.

Les revenus tirés sont en dessous du seuil national de pauvreté. En fin de journée les rentrées
d’argent déclarées en entretiens dirigés se situent entre 200 et 300 gourdes. Et ce n’est pas le
revenu net car il faut enlever le prix du transport, le coût des matières premières utilisées. La
partie de revenu qui leur appartient effectivement oscille entre 75 et 80 gourdes. Et dans
certaines zones littorales une taxe sauvage est payée officieusement aux gestionnaires des lieux.
En effet ces petits commerçants sont systématiquement rackettés par des individus qui se font
passer pour des agents municipaux qui leur exigent quotidiennement de l’argent. A côté de cela
ceux qui tiennent ce type de commerce dans les parages des grandes villes sont aussi inquiétés
par des gangs urbains qui prélèvent un impôt forcé au bout du canon de leur arme à feu. Dans
bon nombre de cas les autorités sont informées mais ces actes restent impunis car leurs auteurs
tiennent en otage aussi un bassin d’électeurs que les élus locaux ne veulent pas décevoir dans le
cadre de la concurrence politique.

Ce petit commerce ne permet pas de sortir de la pauvreté au regard du revenu généré. Néanmoins
il arrive tant bien que mal à occuper une partie importante de la main d’œuvre active non
qualifiée du littoral. Il constitue un puissant bassin d’emplois précaires pour les non qualifiés.
Les petits marchés qui jalonnent le littoral entre Port-au-Prince et Petit-Goave sont au nombre de

280
trente-sept. La moyenne de vendeuses par marché se situe entre 300 pour les plus petits et 900
pour les plus grands d’entre eux. De ce fait, sur cette portion du littoral, sur à peu près 65
kilomètres, évoluent près de 34 000 vendeuses. Les données de l’ECVMAS permettent de voir
que ceux qui tiennent ce micro commerce, fondamentalement les femmes, cumulent deux
handicaps : ils sont les moins scolarisés (12%) et ils sont parmi ceux qui n’ont aucun diplôme
(87%).

- Des aires littorales de contrebande et de trafic illicites

« Le rivage se composait, d’abord, d’une large grève très unie (…), ensuite, le littoral, devenu fort irrégulier, projetait des
pointes aiguës en mer… Le marin, entendant la mer mugir, secoua la tête ! C'était dans le nord de la côte, et environ à un demi-
mille de l'endroit où les naufragés venaient d'atterrir, que l'ingénieur avait disparu. S'il avait pu atteindre le point le plus
rapproché du littoral, c'était donc à un demi-mille au plus que devait être situé ce point…. Le littoral était peu découpé, et
n'offrait d'autre barrière à l'Océan qu'une chaîne assez irrégulière de monticules. Cà et là, un ou deux arbres grimaçaient,
couchés vers l'ouest, les branches projetées dans cette direction.» Jules Verne, L'île mystérieuse. 1875

Nous parlons ici d’aire littorale dans le sens de la zone de rencontre et d’échanges entre la mer,
l’atmosphère et la terre. Ce milieu regroupe des systèmes écologiques variés, complexes et très
productifs largement utilisés par l'homme tels que marais, estuaires, lagunes, mangroves, salins,
lagons. Son extension géographique varie selon les spécificités hydrologiques, océanographiques
et géomorphologiques locales. Cette aire s’élargit avec l’essor du tourisme et des industries152
qui lui sont liées : hôtellerie, thalassothérapie, industries nautique et portuaires, mais aussi
aquaculture et pêche. (Michel Houdart, 2003). Autrement dit, elle intègre la mer, la bande
côtière et l’arrière-pays littoral. La description du littoral de Jules Verne, dans l’Ile mystérieuse
posait déjà les contours d’une définition élargie du littoral.

Les rapports de la Police Nationale, les bulletins judiciaires, les colonnes des journaux et les
médias en général, depuis les vingt dernières années, renseignent abondamment sur les scandales
liés aux activités illicites qui sont pratiquées dans les aires littorales du pays. Cinq points chauds
majeurs sont recensés sur le littoral en matière d’activités parallèles et de trafics en tout genre : la
région de Miragoane, l’axe Ile de la Tortue/ Port-de-Paix, la région de Anse-à –Pitres et la façade

152
Cette évolution apparait dans les nouvelles définitions du littoral à l’instar de celle de Michel Houtart en 2003
dans « Entre terre et mer, les 250 ans du littoral ». Pour lui « le littoral est l’écotone, l’espace de transition entre la
mer et la terre. Dans cette bande côtière, les formes, les réalités naturelles physiques ou biologiques, l’économie
et jusqu’aux mentalités des habitants sont modelés par la proximité de l’océan, par le jeu des relations entre la
mer, l’atmosphère et la terre sans oublier ses apports en eaux continentales. Les délimitations du littoral varient
selon que l’on s’intéresse aux formes, aux écosystèmes, ou à la littoralité des activités économiques et des
hommes ».

281
caraïbe du pays (de Tiburon à Jacmel). La contrebande en question touche l’Ile de la Tortue, la
zone de Miragoâne et celle d’Anse-à-Pitres. Elle concerne trois destinations : les États-Unis, les
Bahamas et la République Dominicaine. Ce phénomène n’est pas nouveau en Haïti, déjà en
1818, moins de 15 ans après la proclamation de l’indépendance, l’historien T. Madiou écrit avec
conviction « des citoyens, emprisonnés pour fait de contrebande, étaient souvent mis en liberté
avant tout jugement, par les autorités militaires ». La phrase établit très tôt aussi la connivence
qui s’établit jusqu’à aujourd’hui entre les contrevenants et les autorités publiques chargées de
combattre cet acte illégal. En mars 2016, le président haïtien Jocelerme Privert fait le constat qui
suit : « vingt containers de produits cosmétiques traversent la douane du port du Cap-Haïtien en
payant uniquement 50 000 gourdes à la douane alors que chacun devrait payer 1 500 000
gourdes de droits de douane ». La collusion est bien évidente entre les contrebandiers et les
acteurs préposés à la défense des intérêts publics.

Le port de cabotage de Miragoâne reçoit, en fraude, des centaines de tonnes de marchandises


constituées en produits de première nécessité (farine, huile de cuisine, pâtes alimentaires, viande,
cosmétiques etc.) et des biens d’équipements (outils, matériaux de construction, automobiles,
meubles, vêtements usagers, etc.). A Port-de-Paix, le bateau qui arrive de Miami ou des Bahamas
est délesté bien avant d’arriver à quai par de nombreux pirogues et canots. Ces derniers sont le
fer de lance de la contrebande orchestrée par des grands commerçants et distributeurs connus de
la place. Le contenu de cette contrebande, pour une bonne part, peut être assimilé au recyclage.
En effet, si les pèpè153 concernent fondamentalement les rebus de New-York et de Miami, les
Bahamas livrent surtout les invendus et les rebus de l’industrie hôtelière et de la restauration :
viande, huile de cuisine et surgelés en phase de péremption.

Le port de cabotage d’Anse-à-Pitres joue l’interface entre le littoral sud, via Marigot, et la
république Dominicaine. La commune est peuplée de 30 000 habitants avec un ratio de 1 policier
pour 3 300 habitants. Dans ces conditions le contrôle du territoire communal se révèle plus que
compliqué. C’est la porte d’entrée des produits dominicains, acquis en contrebande, pour toute la
région du sud-est. Les produits alimentaires constituent le cœur de cette dynamique. Et toute la
population semble être sympathique vis-à-vis de ce trafic. Une posture politique locale juge la
contrebande qui s’y pratique comme une revanche contre l’État central. En effet, cette commune
153
Le mot pèpè désigne en haïtien les produits usagers en provenance des États-Unis et vendus sur le marché.
L’expression couvre les vêtements, les chaussures, la literie, les meubles, les outils et les véhicules.

282
vit un enclavement sévère car elle est coupée du reste du pays. On ne peut en sortir que par la
mer ou par la république voisine154. En octobre 2015, des marchandises et des produits achetés à
Pedernales (ville dominicaine jumelle d’Anse-à-Pitres), ramenés dans la commune, ont été
saisies par les autorités locales qui tentent d'appliquer la mesure de restriction imposée par le
gouvernement sur 23 produits dominicains. Une manifestation spontanée s’est formée et la
population a mis le feu à des pneus et incendié le bâtiment de la douane pour protester contre
cette décision du gouvernement. Les contrebandiers n’hésitent pas à utiliser cette caution sociale
comme bouclier contre les mesures de coercition de l’autorité douanière.

Photo 23.- Structure douanière incendiée par la population d’Anse-à-Pitres

Sources : AGD
Les agents douaniers sont la cible permanente de certains groupes d’individus impliqués dans la contrebande et le trafic de tout genre.
Ils financent des troubles et des manifestations contre les contrôles systématiques de la police et de la douane. Ici, dans la ville d’Anse-a-
Pitres la foule a incendié le bâtiment du seul poste douanier établi entre la République Dominicaine et Haïti dans cette partie du
territoire.

154
Il faut au moins cinq (5) heures de voyage en transport public contre trois (3) environ en privé, de Port-au-
Prince à Thiotte. De là, il vous faut prendre un taxi-moto au prix de 1 000 gourdes par personne pour atteindre
cette ville frontalière dans deux heures environ.

283
- Un littoral dopé par le trafic des stupéfiants

La PNH ne constituer pas vraiment une force de sécurité nationale suffisante pour protéger les
frontières du pays et relever les défis que représentent la contrebande, le trafic illicite des
stupéfiants et le crime organisé international. Le littoral devient un simple terrain de jeu pour les
trafiquants de tout poil. Un listing des cas notoires de trafic de drogue établit de 2004 à 2014
témoigne de l’utilisation des côtes haïtiennes comme piste de transbordement de la drogue vers
l’Amérique du nord. Le tableau suivant fait montre la récurrence des saisies qui ne sont que la
partie visible de cet iceberg de poudre blanche. Les États-Unis et le Canada sont les destinations
privilégiées directes. Mais l’Europe est au bout de la ligne aussi indirectement via la république
Dominicaine qui partage avec Haïti plus de 3 60 kilomètres de frontières. L’affaire de l’air
cocaïne en est un bon témoignage155. Les zones littorales sont frappées par la pauvreté et
l’enclavement et cette situation facilite le forfait des narcotrafiquants qui achètent la complicité
des populations par l’intermédiaire de nombreux bénéfices collectifs et individuels tels
l’électrification et les dons de matériels de travail (Desse 2003).

Tableau 30.- Liste de bateaux transportant de la drogue saisis (en Haïti et aux USA entre
2004-2016) en provenance ou en transit d’Haïti
Nom du Pays
Date Autorité de saisi Stock transporté Provenance
navire d’immatriculation

Mars 2004 nd Bolivie Police de Miami 220 livre de cocaïne Gonaïves

Avril 2004 nd Panama Police de Miami 130 livres Cap Haïtien

Century
Juin 2016 Panama BLTS 234 kilos La Gonâve
Dream
Port de
Juin 2016 Lisanne Haïti Police de Miami 900 kilos de cocaïne
Paix
800 livres de
Fév 2015 nd nd Police de Miami Cap Haïtien
cocaïne

Sept 2015 Ana Cecilia USA Police de Miami 136 kilos de cocaïne Cap Haïtien

Avril 2015 Manzanares Panama PNH 672klos Cité soleil

Sources : Tableau de l’auteur avec les données de BLTS et de CONADE

155
Quatre Français avaient été arrêtés à bord d'un Falcon 50 intercepté dans la nuit du 19 au 20 mars 2013, sur
l'aéroport de Punta Cana en République Dominicaine, avec 680 kg de cocaïne à bord.

284
Le navire Lisanne a été une prise énorme par le volume de cocaïne transporté. Dans le sud du
pays sur le littoral des bateaux rapides en provenance de la Colombie ou du Venezuela viennent
déposer d’énormes quantités de cocaïne. La démarche est simple et rodée : une fois larguée la
cargaison est récupérée par des complices déjà sur place ou tout simplement ramassée par la
population qui la revendra aux mêmes dealers ou leurs acolytes pour une bouchée de pain.
Evidemment les revenus tirés sont sans commune mesure avec ceux tirés de la pêche, du
cabotage ou des marais salants. Se faisant la population se fait complice du trafic ce qui a pour
conséquence l’affaiblissement de la répression contre ce trafic illicite mais surtout
l’enracinement de ce fléau dans les quartiers déjà malades de la misère.

L’histoire de Flamand la 4e section communale d'Aquin (sud) est révélatrice de la complicité


tacite qui s’installe entre la population locale et le trafic de drogue. En effet, dans la nuit du 15 au
16 décembre 2007, une grande quantité de cocaïne, soit environ une tonne, a été déchargée dans
la localité selon les déclarations du colonel Antoine Atouriste, directeur du Centre d'Information
et de la Répression du Trafic des Stupéfiants. Une nouvelle piste d’atterrissage clandestine a été
découverte sur le littoral flamantais. Ce qui porte à 30 le nombre de pistes clandestines déjà
répertoriées à travers le pays.

Le colonel insiste sur le fait que « que les trafiquants développent de nouvelles techniques pour
faire entrer de plus grandes quantités de drogue dans le pays. Ils utilisent des avions de plus
grande capacité et les font exploser quand ils ont fini de récupérer leur cargaison.. Ces avions
sont munis de dispositif devant les faire exploser après la récupération de la cargaison et des
membres de l'équipage. A Flamand, une flotte de véhicules tout-terrain, montés par des individus
lourdement armés, les attendait aux fins de récupérer la sale marchandise et les membres
d'équipage. Ils se sont ensuite dirigés vers Fonds-des-Blancs, suivant les informations
recueillies. Ils ont soigneusement dissimulé certaines pièces de l'aéronef, rendant difficile la
poursuite d'une enquête pouvant déterminer la provenance de l'appareil ».

Le directeur révèle que des membres de la population étaient de mèche avec les narcotrafiquants,
ce qui a rendu difficile le travail des enquêteurs : «Les riverains rencontrés ne voulaient pas
coopérer avec nos agents informateurs, certains ont déclaré que tout le monde ici, dans cette
localité, bénéficie des retombées positives de la drogue. » Il a précisé que les agents de la
Brigade de Lutte contre le Trafic des Stupéfiants (BLTS), de la DEA et le Commissaire du

285
Gouvernement d'Aquin qui participaient à cette opération ont dû frayer un passage à travers des
barricades pour sortir de la localité. Il confie sans ambages et avec un air de découragement que
« A notre sortie de la piste située à un demi-kilomètre de la route principale de cette section
communale, des associés locaux des narcotrafiquants ont érigés des barricades à chaque
carrefour ».

Le problème est connu de tout le monde mais la pratique semble bénéficier à des intérêts
tellement puissants qu’il risque de perdurer156. Les signes extérieurs de ce trafic sont visibles à
travers la présence de nombreux étrangers qui circulent dans les régions côtières du sud sans être
en mesure d’expliquer avec cohérence les raisons de leur passage. Ils sont missionnaires,
humanitaires, touristes, plaisanciers, aventuriers et navigateurs le jour. Mais la nuit, comme dit le
proverbe haitien « anfannkè la jounen baka aswè157 », tout ce beau monde laisse tomber les
costumes affichés pour des tenues plus adaptées aux mangroves, à la mer et au sauve-qui-peut.
La police et la justice locale arrivent tant bien que mal à donner l’impression qu’elles sont
présentes. Car des étrangers sont incarcérés sous l’accusation de trafic de stupéfiants et
association de malfaiteurs (PNH émission allo la police). Cependant, l’absence de moyens
adéquats et surtout le poids du dopage ambiant les rendent inefficaces voire complices passives
des forfaits.

Une affaire a retenu notre attention celle d’un groupe d’étrangers mis aux arrêts et incarcérés aux
Cayes, le chef-lieu du département du sud. Elle est significative car elle témoigne de la faiblesse
ou tout simplement la capitulation des autorités locales et des pouvoirs publics en général face
aux trafics illicites. En effet, les jamaïcains Mark Reid, Fenton Johnson et Mark Pitt et les
cubains Juan Rafael Hidalgo et Alexis Leyva Moreno ont été arrêtés et détenus parce qu'ils
étaient soupçonnés d'avoir été impliqués dans des activités de trafic de drogue dans la zone de
l'Ile- un -Vache, au large de la ville des Cayes. Les suspects ont nié toute implication dans le
trafic de drogue et a affirmé que les autorités haïtiennes se sont trompées à leur sujet, en pensant
qu'ils étaient membres des réseaux de trafiquants de drogue Colombiens. Alexis Leyva Moreno

156
Ce n'est pas la première fois que les narcotrafiquants utilisent le littoral aquinois pour faire entrer de la drogue
dans le pays. Deux pistes clandestines ont été détruites en février 2006 à Lozandier et Kamide par les forces
spécialisées de la PNH. Et quelques mois plus tard deux cargaisons de cocaïne ont été introduites dans la zone en
provenance de l’Amérique du sud (une à Anse-à-Pitre et une autre à Flamand).
157
Cette expression de la langue haïtienne est l’équivalent de « la nuit les chats sont gris ». Baka est le diable ou le
démon dans le panthéon vodou

286
se défend en ces termes : "Ils nous ont arrêtés parce qu'ils pensaient que nous étions
Colombiens, étant donné que nous parlons l'Espagnol, mais nous n'étions en possession
d'aucune drogue". Les arguments de défense sont exposés, les Jamaïcains détenus, Mark Reid et
Fenton Johnson, ont dit qu'ils étaient payés uniquement pour assurer le transport des Cubains qui
voulaient se rendre en Haïti, tandis que le troisième Jamaïcain, Mark Pitt, qui parle couramment
le haïtien, a affirmé qu'il vit dans le pays depuis de longues années.

Ils seront libérés quelque temps après faute de preuves pour étayer l’acte d’accusation. Le juge,
statuant sur cette affaire, est formel :"quand ils ont été arrêtés, ils n'étaient pas en possession de
stupéfiants et nous ne disposons pas de preuves suffisantes pour les maintenir en détention sur
de telles accusations". Et le magistrat de conclure : "Etant donné qu'ils sont entrés illégalement
dans le pays, je crois que c'est la seule accusation qui peut être débattue et je crois qu'ils seront
libérés. Après leur libération, ils auraient à quitter le pays ou à régulariser leur situation avec
les autorités compétentes ». L’affaire a été facile ou rendue facile pour l’avocat de la défense car
les dossiers dans la majorité des cas sont volontairement déficients ce qui facilite la relax158. La
pratique est simple et bien rodée, l’autorité policière procède à des arrestations avec fracas,
souvent sous le feu des caméras et des micros de la presse, mais par devant les tribunaux le
dossier se révèle souvent vide et vicié. Les accusés rejoignent leur patelin en attendant un
nouveau transbordement ou une nouvelle expédition à vingt ou trente kilomètres du lieu
initialement incriminé.

Le constat est clair, le littoral est investi par un acteur puissant et fortuné : les narcotrafiquants.
Ces derniers y font transiter par année des millions de dollars mais les conditions générales de
vie des populations riveraines restent inchangées. Leur présence est un poison violent pour
l’avenir des communautés locales. Les jeunes se détournent de l’école et de la profession en
général pour vivre dans une espérance folle d’être au bon moment et à la bonne place lors d’une
opération de largage de cocaïne venue de la Colombie ou du Venezuela. Beaucoup de jeunes ont
compris le lien presqu’organique qui s’établit entre la justice, la police et les élus locaux dans les

158
Les associations de défense des droits humains telles le Réseau national de Défense des droits Humains
dénoncent régulièrement cette pratique qui consiste à affaiblir la lutte contre les narcotrafiquants par
l’incompétence simulée dans le montage des dossiers, une façon détournée pour certains agents publics de
s’enrichir avec l’argent tiré de la drogue. Les rapports annuels de ces organisations accusent sans détour des juges,
des avocats et des autorités policières qui se font complices et bénéficiaires de cet état de fait.

287
trafics illicites. Mais malheureusement ces jeunes par le biais des gangs et de l’attrait de l’argent
facile, tombent sous le contrôle des narcotrafiquants.

Les bidonvilles littoraux tels Cité Soleil, La Saline, et Cité de Dieu, avec leurs conditions socio‑
économiques intolérables, sont des viviers récurrents de la criminalité et de la violence liée aux
gangs. Stigmatisé, exclus socialement et confrontés à un avenir sans issu, des centaines de jeunes
hommes vivant dans ces quartiers ont été entraînés vers les gangs armés au cours des dernières
années pour des raisons aussi bien de survie que de solidarité (Willman, A et Marcelin, L.H,
2010). Pour une majorité de ces jeunes hommes, l’appartenance à un gang « donne accès à un
réseau de distribution potentiellement profitable et permet à ceux dont les possibilités
d’ascension sociale sont limitées d’améliorer leur statut social » (Erickson, A, 2014). Ils sont
sous le coup d’influences externes via des trafiquants étrangers, installés ou de passage dans le
pays, rompus à l’exercice (colombiens, jamaïcains, dominicains et vénézuéliens) et aussi des
déportés haïtiano-américains et canado-haïtiens expulsés, nourris dans la violence des villes
américaines gangrenées par le trafic de drogues.

Cette délinquance a eu trois accélérateurs depuis ces dernières années. Le premier était le
renversement du gouvernement de Jean-Bertrand Aristide en 2004 par une rébellion armée, ce
qui a débouché sur une guérilla urbaine sanglante (opération Bagdad) donnant libre cours aux
trafics dans les quartiers littoraux comme Cité Soleil et Martissant. Le deuxième venait de le
l’amplification de la déportation des haïtiens- américains. Ces derniers reconstituaient leur mode
de vie dans les villes américaines dans les bidonvilles de Port-au-Prince à travers les gangs. Le
dernier a été constitué par le passage du séisme du 12 janvier 2010. En effet, l’aide massive
déversée sur le pays était accompagnée d’un nombre considérable de techniciens, de cadres ou
de personnel administratifs constituant, sur place, un marché de consommation de drogue
consistant car disposant d’un haut pouvoir d’achat. Les trafiquants voulaient à tout prix satisfaire
cette demande ponctuelle mais réelle en raison. Ainsi, les plus pauvres des littoraux trouvaient
une opportunité d’avoir des revenus dans le transport et la surveillance des stupéfiants pour le
compte des consommateurs et des trafiquants. Le schéma suivant explique la trajectoire
qu’emprunte le pauvre littoral dans cette dynamique d’activités illicites.

288
Figure 10.- Parcours du pauvre dans les dynamiques souterraines du littoral en Haïti

Prison
Gang Deporta•on HAITI
USA Miami / NY / Montreal
Canada

- Bidonville
- Li€oral

Ville
- Bidonville
- Li€oral Ac•vités illicites
Migra•on externe Kidnapping
Trafic de drogues

Pauvre Rural

Sources : P J Mérat, 2018


En Haïti l’exode rural draine vers les villes le trop plein de population. Ces migrants s’établissent dans les bidonvilles en attendant un
voyage illégal vers les USA ou le Canada. Pris dans la violence urbaine des villes nord-américaines. Ils sont déportés, après avoir purgé
leur peine de prison, vers Port-au-Prince. Sur place ils se réinstallent dans les bidonvilles en se transformant en membres ou chefs de
gangs. Ils organisent, ainsi, toutes les activités criminelles ou illicites apprises ailleurs (Kidnapping, trafic de drogues et grand
banditisme). Il est à noter que cette trajectoire n’est pas cyclique car ils ne reviennent pas au point de départ qu’est le milieu rural.

Ces déportés, pétris dans le communautarisme ethnique aux États-Unis, possèdent de


nombreuses caractéristiques en commun avec les jeunes marginalisés vivant dans les quartiers
précaires et sont par conséquent susceptibles d’être attirés par le sentiment d’appartenance à une
communauté et les possibilités économiques qu’offrent les gangs. En l’absence de mécanismes
de rechange permettant d’assurer la cohésion sociale, les gangs associés aux narcotrafiquants se
sont positionnés dans la prise en charge sociale, acquérant ainsi une légitimité au niveau local en
redistribuant une partie de l’argent acquis, et en fournissant des services sociaux tels que le
paiement de frais de scolarité ou la distribution d’aliments (Lunde. H, 2012). Cette démarche
permet aux trafiquants de disposer d’un système de renseignement très efficace pour se protéger
contre les bandes rivales et surtout des opérations de police. Ces structures mafieuses financent
aussi les activités récréatives et sportives. Le petit commerce n’est pas épargné car il se fait

289
financer à l’aide de ponya159, de sol 160et de sabotay 161dont les tenanciers sont généralement les
petites mains au service du banditisme local.

Les conséquences de ce trafic sont aussi environnementales. Les pistes d’atterrissage sauvages
sont réalisées par l’élimination de plusieurs hectares de mangroves. Les débris des aéronefs et les
bateaux utilisés et détruits pour brouiller les pistes sont constitués d’éléments nocifs tels les
huiles lourdes qui contamineront à coup sur les eaux littorales puisqu’elles ne seront ni traitées ni
conditionnées par services compétents absents sur le littoral. La surveillance policière contre ce
trafic est toute aussi mangeuse de couvertures végétales. Dans la pratique policière traditionnelle
mieux contrôler est associé à une dynamique consistant à abattre les forêts littorales susceptibles
de servir de lieu de refuge aux trafiquants. Cette dynamique compromet l’équilibre côtier et met
en péril la biodiversité. Les activités traditionnelles sont fragilisées et se paupérisent du fait de
cette présence exogène toxique.

Conclusion

Les activités illégales et illicites développées dans les aires littorales ont acquis depuis un certain
temps une certaine notoriété tant elles sont banalisées. L’occupation illégale est inscrite dans la
normalité car elle bénéficie, de facto, du laisser-faire des autorités locales et centrales. Selon les
registres communaux, de janvier 1978 à Juillet 2018 la mairie des Coteaux, commune du sud de
plus de 70 000 habitants, n’a dressé et imposé aucune contravention pour violation du domaine
public à un occupant alors que le nombre de maisons implantées sur le littoral est passé pour la
période précitée de 37 à 849. La contrebande profite aussi du même contexte de délitement de
l’autorité. Cette dernière, dans de nombreuses occasions, se révèle être de connivence avec les
contrebandiers. Le contrôle douanier est mal perçu par les petits marchands car tout un pan entier
du commerce informel est alimenté par des produits issus de la contrebande. Il existe donc une
véritable banalisation de la contrebande dans le pays. Les trafiquants des produits illicites sont
très peu inquiétés. Cette posture s’explique en partie par l’idée qui veut que la drogue ne fait que

159
Le ponya en haïtien désigne un prêt à des taux usuraires. Le mot est calqué sur le mot poignard. Prendre un ponya
c’est se faire poignardé.
160
Le sòl est une forme de tontine dans un cycle mensuel. Un groupe de personnes met en commun un capital qui se
partage à tour de rôle. Il est utilisé comme un système d’épargne ou de crédit mutualisé pour éviter le ponya et
combler le non accès au crédit bancaire
161
Le sabotay est un sòl avec un cycle extrêmement court. L’opération est créditée sur une heure ou un jour, et
dépasse rarement une semaine.

290
passer et qu’Haïti n’est pas un espace de consommation. Néanmoins, le contexte est en train de
changer sous l’influence de la résidence de longue durée des milliers d’expatriés installés dans le
pays dans le sillage de l’aide liée au séisme du 12 janvier 2010 et de l’assistance en général. Il est
à noter que les activités illégales ou illicites réalisées dans les aires littorales n’améliorent pas les
conditions de vie. La richesse illégale créée n’est pas investie dans le milieu. Et les timides
tentatives des autorités de réprimer ces activités (abattage de forêts et répression des pistes
sauvages d’atterrissage d’aéronefs) participent au dérèglement de l’écosystème littoral.

Conclusion du chapitre

Les acteurs du littoral qu’ils soient anciens ou nouveaux exploitent ce milieu sans ménagement.
Les activités traditionnelles animées par la production de sel, l’agriculture, le cabotage, la pêche,
l’extraction des matériaux ont le mérite de donner un emploi à des milliers de citoyens très peu
formés ou qualifiés. Le travail en tant que rempart contre la pauvreté prend donc tout son sens.
Dans ce contexte, il est aisé de dire que : s’installer et occuper la zone littorale devient un outil
individuel de lutte contre la pauvreté. Néanmoins, la faiblesse des revenus tirés de ces activités
ne permet point de faire le saut qualitatif qu’il faut, à savoir sortir de la pauvreté. Les
équipements, liés à la pêche, au cabotage, à l’agriculture et à la production de sel ne peuvent
générer que des revenus de subsistance. Le littoral devient donc un support de survie pour des
milliers de citoyens haïtiens dans un contexte national de grande pauvreté. Les acteurs nouveaux
que sont les restaurateurs, les hôteliers, les festivaliers, les commerçants au détail, les
contrebandiers et les trafiquants transforment le milieu à leur manière. Leurs activités sont plus
visibles (en dehors des trafiquants) en raison de la grande dimension des infrastructures et des
équipements qu’ils installent. Ils tirent de meilleurs profits de l’exploitation du littoral. Si pour
les anciens occupants le littoral est à la fois utilisé comme milieu de vie et de production, pour
les nouveaux venus il constitue seulement un lieu de production. Car les acteurs en question ne
font que passer contrairement aux acteurs anciens qui habitent et exploitent le milieu. Les
nouveaux venus font des investissements conséquents et les ressources financières qui sont en
jeu (légalement ou illégalement) sont souvent très significatives. Cependant, la richesse produite
ne reste pas au service du littoral car elle est rapatriée et investie ailleurs. A cet effet, le littoral
demeure un lieu de transit : certains acteurs s’inscrivent dans la mobilité, ils ne viennent que
pour travailler (commercer, vendre des services : héberger, restaurer, dealer et pratiquer la

291
contrebande). A l’analyse cette occupation littorale est nocive pour le milieu, car l’ensemble des
acteurs (nouveaux ou anciens) tombe dans l’exploitation minière sans se soucier de la durabilité
des ressources. A cela il faut ajouter le problème des rejets, l’inconvénient majeur qui est induit
par ces activités (nouvelles ou traditionnelles). Le volume de déchets produits et abandonnés
dépasse de très loin la capacité de gestion des autorités locales et conséquemment la capacité
d’absorption de la bande côtière. Les littoraux haïtiens sont le réceptacle d’une kyrielle activités
de survie réalisées par les occupants les plus démunis. Les occupants non pauvres les
transforment en antimonde autrement dit en zone de dissimulation et d’activités souterraines.
L’informel, l’illégalité, et l’illicite qui animent ces espaces bénéficient de la complaisance des
autorités. L’occupation illégale des littoraux, comme domaine public, n’est jamais réprimée. La
contrebande alimente le commerce informel. Ce dernier dénonce souvent avec violence les
contrôles douaniers. Il les juge nocifs pour le micro commerce. Les autorités jouent sur plusieurs
tableaux : pour éviter les troubles elles n’inquiètent pas les petits commerçants impliqués dans la
contrebande, elles laissent faire les grands commerçants mais profitent de la situation pour leur
soutirer de l’argent. Aux activités illicites sont appliqués le même principe à savoir le laisser
faire. Les trafiquants sont traités par le système judiciaire avec d’énormes possibilités
d’acquittement pour les accusés. Certains observateurs parlent même de connivence entre
policiers, dealers et juges. Les autorités donnent certaines fois l’impression de réprimer ces
activités par l’abattage de forêts littorales et répression des pistes sauvages d’atterrissage
d’aéronefs. Néanmoins ces pratiquent participent au dérèglement de l’écosystème littoral. Il est à
noter que quel que soit la nature des activités (informelles, illégales ou illicites_) réalisées dans
les aires littorales, aucune amélioration n’est constatée dans les conditions de vie des plus
pauvres. Ces aires littorales sont bien le support de la grande dynamique de survie qui s’impose
aux plus démunis.

292
Chapitre VII
Des formes spatiales de cette occupation littorale

Les occupants du littoral comme on vient de le constater dans le chapitre précédent sont
nombreux et ne constituent pas un groupe homogène. Les intérêts divergent et ils déterminent en
grande partie le contenu de l’exploitation plurielle qui anime la zone. Certains occupants
transforment le littoral en milieu de vie et de production. Ils y vivent, se nourrissent, y travaillent
et y organisent leur patrimoine. D’autres s’inscrivent dans une dynamique de mobilité à travers
laquelle ils utilisent la bande côtière comme milieu de production strict. Ils viennent juste pour
vendre leurs services, leurs marchandises et se soustraire aux prescrits légaux dans le cadre de la
contrebande et du trafic des stupéfiants. Le présent chapitre fait l’écho de la manière dont chacun
des occupants organise son inscription spatiale et son appropriation du littoral. L’analyse se porte
sur quatre éléments majeurs en termes de formes spatiales qui organisent l’occupation littorale.
Un premier volet cherche à mettre en lumière les visages de l’appropriation individualisée à
travers deux cas : celui de l’habitat précaire isolé et celui de l’entreprise touristique. Le second
volet expose l’appropriation collective du milieu par l’intermédiaire du bidonville et de la
fermeture du littoral dans une logique de privatisation du domaine public.

1- Habitat précaire isolé

L’objet, analysé ici, représente plus de 75 % de la totalité de l’habitat du littoral du pays. Ce type
de logement se massifie pour des raisons diverses. Le manque d’action publique est l’un des
principaux facteurs permettant à l’offre d’habitat précaire de se développer. Au-delà des
difficultés d’accès au marché du logement, l’habitat précaire tend à se développer et à se
structurer en raison du potentiel d’offre disponible, à des conditions peu exigeantes (occupation
illégale, spoliation). Tous les observateurs s’accordent sur le fait que l’offre de logements
sociaux dans le pays est exigüe et sévèrement insuffisante. Il est admis aussi que les difficultés
d’accès au marché du logement sont en premier lieu d’ordre financier. Les personnes pauvres ou
au revenu modeste se voient exclues du marché classique parce qu’elles ont des ressources
limitées au regard des prix affiché dans ce secteur. Pour la plupart, cette exclusion monétaire
touche ceux qui sont amenés par la dynamique de l’exode rural et celle du trop-plein des
quartiers précaires urbains.

293
Dans ce dernier cas il s’agit de ménages ou de personnes qui voient leurs revenus diminuer. La
situation se révèle donc contraignant pour l’accès au logement. C’est ainsi que des milliers de
personnes se tournent vers les terres accessibles du littoral pour se loger.

L’habitat traditionnel dans le pays est caractérisé par le dispersement. Les programmes sociaux
de logement initiés depuis les années 50 n’ont pas renversé la dynamique. Néanmoins, la
pression sociale liée à la démographie a transformé la qualité de ce type d’habitat qui évolue de
plus en plus dans un cycle pervers d’insalubrité. Cette dernière se généralise au regard de
l’assainissement qui fait défaut. Cette déficience se traduit par des équipements sommaires et
inefficaces. Ce logement est mal éclairé, il n’est pas connecté aux réseaux des services sociaux
de base, les matériaux sont de très mauvaise qualité et l’environnement général (cadre de vie)
est dégradé. Tout cela vient en grande partie de trois éléments structurants : le contexte
d’urgence dans lequel l’habitat est construit (il faut faire vite pour éviter d’être délogé par les
services municipaux), le contexte de l’informalité généralisée et surtout la pauvreté monétaire.

a- Un habitat précaire isolé au faciès homogène

L’habitat précaire isolé garde le même visage sur le littoral haïtien. De l’embouchure de
Mancenille à l’Anse-à-Pitres, soit sur plus de 1770 kilomètres, le faciès de ce type de maison
diffère très peu. Si les matériaux utilisés sur la façade atlantique sont constitués de planches et
de chaume ceux de la façade caraïbe sont principalement de la chaux et de tôle ondulée. Qu’ils
soient des planches ou des tôles ondulées ces éléments sont des objets récupérés ou achetés sur
des marchés parallèles. Ces derniers facilitent l’accès aux matériaux de construction aux plus
pauvres. Depuis une dizaine d’années cet habitat précaire intègre un nouveau matériau, le bloc de
ciment. La rareté des troncs d’arbres rend difficile et couteux la fabrication de chaux. La
tendance, désormais, est le recours au ciment du fait de son accès démocratisé. Le logement est
réalisé par l’intermédiaire de l’auto-construction et l’entraide. Car le propriétaire est rarement en
mesure de se payer les services d’un contremaitre ou d’un professionnel du bâtiment. Ce type
d’habitat se réalise dans la précipitation et l’urgence ce qui donne libre cours à l’imprécision
dans l’accomplissement des tâches. Le logement associé reste toujours inachevé même après une
dizaine d’années d’occupation.

294
Deux raisons fondamentales expliquent cela : les maigres revenus acquis ne sont pas suffisants
pour investir dans l’achèvement du logement et la loi haïtienne rend non imposable une maison
non achevée. La précarité peut devenir donc une arme entre les mains du pauvre pour contourner
la fiscalité.

b- Un habitat qui colonise tout espace vacant du littoral

L’habitat précaire isolé s’implante dans le moindre interstice du milieu littoral. Les endroits les
plus improbables sont colonisés : falaise, embouchures, ilots, mangroves, marécages etc. En
milieu urbain ce type de logement occupe un espace exigu, entre 20 et 30 mètres carrés.
Cependant en dehors du tissu urbain la superficie sur laquelle il s’installe peut atteindre jusqu’à
50 m2. Cette dimension n’est pas définitive car ses limites peuvent bouger au gré de l’érosion du
littoral et surtout de la décision des autorités locales de partager cette parcelle au profit d’un
nouvel occupant. Dans le nord du pays au Cap-Haitien et dans l’Ouest principalement à Petit-
Goave et à Port-au-Prince, ces parcelles sont acquises contre la mer par l’intermédiaire d’une
poldérisation archaïque et misérabiliste (voir photo associée). La démarche est simple parce que
les moyens matériels mobilisés sont dérisoires et nécessitent très peu de ressources financières.

Photo 24.- Gain d’espace contre la mer et fermeture du littoral en Haïti

Crédit de P J Mérat
Le remblayage du littoral avec des moyens du bord permet aux occupants de gagner de l’espace contre la mer. A Martissant (photos de
gauche) les plus démunis s’entraident pour remblayer avec des déchets et des mottes de terre prélevées ailleurs. A Roche-à-Bateau dans
le sud (photo de droite) l’occupation entrave la circulation et organise la fermeture du littoral.

L’opération débute avec un marquage de la parcelle convoitée avec des piquets et des filets. Puis
on y jette des ordures quotidiennement. Au bout d’un certain temps l’eau de mer s’évapore, les
détritus sont décomposés, minéralisés et se transforment en substrat solide en apparence.

295
Après quoi l’initiateur repend du gravier, de la terre et finalement il obtient un terrain.
L’emplacement, une fois constitué, est automatiquement utilisé. Dans bon nombre de cas il
donne lieu à des transactions de vente ou d’affermage selon la capacité économique de la
personne intéressée. Ce type d’opération foncière représente une source de revenu pour certains
mais il est à la base aussi de nombreux conflits. Dans le cas de parcelle obtenue par le
remblayage les bénéficiaires contestent la compétence des autorités locales au regard du
prélèvement des taxe et droits.

En entretiens dirigés organisés dans le quartier de Cité Letènèl, madame Cassandra Vildrouin
occupante d’une parcelle remblayée de 50 pieds par 50, déclare avec une assurance
déconcertante que « kote nou ye a se lanmè ki te la pate genyen sòl. Se nou ki konble lanmèa ak
fatra e ki fè teren saa. Leta paka mande nou pou nou peye okenn lajan paske li pa konn kisa nou
te fè pou nou genyen tè saa ». L’autorité de l’État est mise en question « Nous n’acceptons pas
de payer des taxes à l’État car cette parcelle est le fruit de notre débrouillardise ». Cette posture
de défiance rencontre le cynisme des pouvoirs publics qui abandonnent ces ménages pauvres
sous le fallacieux prétexte qu’ils sont des illégaux. Et qu’ils ne peuvent pas cautionner leur
forfait en fournissant les services et les équipements en matière de SSB. Le cadre de vie pour
ces occupants du littoral a très peu de chances d’être modifié dans le sens d’une amélioration du
niveau de la vulnérabilité et de l’insalubrité.

c- Un habitat sous-équipé mais qui s’adapte

Le sous-équipement dont il est question ici se ramène à l’aménagement intérieur et extérieur de


l’habitat précaire isolé. Cette maisonnette bâtie à la hâte en bordure de mer, sur des terrains plats,
marécageux et non drainés est dépourvue de système d’eau potable. L’eau courante est puisée
soit dans une source proche du voisinage ou soit dans un puits foré sur place. En effet l’eau se
situe généralement à moins de deux mètres sous la maison car le remblaiement a été réalisé avec
de minces couches de débris et de terre. Cette eau est souvent de qualité médiocre pour la
consommation humaine. Néanmoins, la caractéristique saumâtre ne décourage pas trop car elle
représente une source d’approvisionnement libre et gratuite. Etant entendu que l’eau représente
un poste important dans les dépenses des ménages les plus pauvres.

296
Tableau 31.- Prix de l’eau dans certains quartiers de la Région Métropolitaine de Port-au-Prince

Quartiers / Dépenses Cité de


Cité Plus Descayettes Jalousie Ravine Pintade
pour l’eau / Gourdes l’Éternel

Dép. par semaine


50 50 60 50 50
pour eau potable
Dép. par semaine
pour eau non 21 84 84 84 42
potable
Dép. totales par
semaine pour eau
71 134 144 134 92
potable et eau non
potable

Sources : Rapport annuel 2016 de l’UOPES/MPCE

Un ménage de six personnes doit dépenser, en moyenne 576 gourdes par mois pour la
consommation de l’eau ce qui donne un montant de 6912 gourdes par an alors que le revenu
annuel se situe entre 9500 et 12500 gourdes . De ce fait, la consommation de l’eau comme
service de base ne peut que contribuer à la décapitalisation des ménages les plus pauvres.
L’assainissement est sommaire et se limite à un lieu d’aisance (latrines sèches) à l’extérieur de la
maison quand il n’est pas tout simplement le rivage. Ce dernier fait aussi office de déchèterie
dans la grande majorité de cas. La maison est très rarement connectée à un réseau public
d’électricité. La desserte de ce type est estimée à moins de 3,5 % (CERHCA, 2016). Tandis que
le taux de couverture nationale pour l’année 2015 est de 27 % selon les données fournies par le
Bureau des Mines et de l’Energie (BME). Les ménages sont donc contraints de produire leur
propre énergie. Se faisant, ils s’appauvrissent davantage en faisant des ponctions sur des postes
de dépenses importantes telle la santé et l’alimentation.

L’habitat précaire isolé du littoral est sous-équipé en matière d’assainissement et des services de
base tels l’eau potable, l’électricité. L’insalubrité règne en maitre car l’environnement n’est pas
assaini, les eaux de ruissellement croupissent. La maison partage le même lieu avec l’exutoire
des ravins et des décharges publiques sauvages. Cette situation explique la récurrence des
maladies d’origines hydriques et l’ampleur des Infections Respiratoires Aiguës (ARI)162. Ces

162
Le MSPP estime qu’en 2017, 20 % des décès d’enfants de moins de cinq ans recensés dans le pays étaient dus à
une pneumonie. Les enfants de faible poids de naissance, malnutris et qui ne sont pas nourris au sein et ceux qui

297
dernières englobent toutes les infections des voies respiratoires supérieures ou inférieures. Les
infections aiguës des voies respiratoires inférieures (pneumonie, bronchiolite et bronchite) sont
particulièrement préoccupantes chez les enfants de moins de cinq ans. Les sources hospitalières
consultées en 2017 précisent que les zones de prédilection des ARI sont les quartiers précaires à
cause de l’insalubrité qui y règne.

Au-delà de ces handicaps, l’habitat précaire isolé se révèle être un vivier au regard de l’ensemble
des ressources qu’il mobilise pour survivre. Dans cette logique, il met en place une certaine
autonomie pour surmonter son isolement, assurer son approvisionnement et résister aux
agressions externes. Il dispose d’une petite cour dans laquelle se trouvent un petit jardin vivrier
de trois à une dizaine de bananiers, auxquels sont associés des patates douces, des maniocs et des
haricots. Un jardin fruitier est aussi présent avec deux ou trois amandiers, deux ou trois
papaillers, un ou deux manguiers et au moins trois de l’incontournable cocotier (voir la planche
photographique suivante). Un arbre véritable et un petit potager composé d’épinards complètent
le dispositif. Il faut préciser que sous les manguiers ou les cocotiers le ménage de l’habitat
précaire isolé fait paitre au moins un porc ou un cabri et plusieurs poules picorent. Ce petit
élevage constitue une police d’assurance contre les coups durs (décès, maladies).

Photos 24.- Habitat précaire isolé et son environnement

Crédit photo de P J Mérat


L’habitat isolé vit dans une certaine autonomie pour ses besoins primaires. Il dispose d’un potager et d’une aire agricole et d’élevage
pour l’autoconsommation. Un puits creusé de façon artisanale constitue un équipement vital pour l’occupant du littoral.

vivent dans des conditions de surpeuplement ont plus de risques de contracter la pneumonie. Les nourrissons de
moins de six mois qui ne sont pas nourris au sein risquent cinq fois plus de mourir de pneumonie que les enfants
exclusivement nourris au sein pendant les six premiers mois.

298
Cet habitat s’adapte contre l’insalubrité car les déchets produits sont en partie consommés par
l’élevage du porc et le gain d’espace contre la mer par le remblayage. Il produit son propre eau
d’alimentation par le biais du puits dont il dispose.

L’énergie de cuisson est produite en grande partie par l’utilisation des branchages du petit jardin
associé. La source principale de cette énergie domestique demeure le cocotier qui alimente cette
pratique en tige, en feuilles, en grappes et en écorce des noix de coco. Cet habitat, tant bien que
mal, s’adapte et compense son isolement par une certaine autonomie qui lui est imposée par sa
précarité.

d- Un habitat peu soucieux de la mer

Ce type d’habitat développe une relation de méfiance au regard de la mer. Il lui tourne le dos car
dans 98% des cas l’entrée principale de la maison ne donne pas sur la mer. On préfère l’orienter
vers la façade par où passe la route. La mer est le garde-manger de la maison, elle procure des
revenus et du travail aux occupants de ce logement cependant elle est peu mise en valeur dans le
sens de l’appropriation. Les relations de ce type d’habitat avec la mer sont dictées par l’urgence
et la précarité. L’habitat s’implante non pas parce qu’on est un amoureux ou un connaisseur de
la mer mais juste par nécessité. Le besoin de s’installer gratuitement et d’accéder à la propriété
transcende tout le reste. La brise de mer n’est pas exploitée pour aérer ce logement. Les trois
portes traditionnelles sont percées sur les endroits de la maison qui s’opposent à la mer.

Dans un bon nombre de cas cet habitat est fait, en partie, de chaux réalisée avec les calcaires
arrachés à la mer mais on continue à remblayer la zone de contact entre elle et la mer par des
débris de toutes sortes pour gagner de l’espace au dépend d’elle. Aucun ponton, même dérisoire,
ne rattache cet habitat à la mer malgré la succession, certaines fois, de plusieurs générations
d’occupants. La mer, pour ces derniers, est un substrat très éloigné de leur vision car ils ne se
considèrent pas comme des éléments appartenant à une société littorale. Néanmoins, il existe un
lien structurel entre eux car la mer joue le rôle de réseau de drainage et d’élimination de déchets.
En effet une bonne partie de la production de déchets (domestiques et liés aux activités
économiques) de cet habitat est tout simplement jetée à la mer. La démarche reflète sans aucun
doute la vision traditionnelle de la population vis -à- vis de la mer. Cette dernière demeure un
lieu de cueillette mais on fait tout pour ne pas l’intégrer structurellement dans le corpus de vie.

299
On n’y accorde qu’une attention parcimonieuse contrairement à ce qu’une société littorale
aurait pu faire (E. Charpentier, 2009).

Conclusion

L’habitat précaire isolé est un premier mode appropriation de l’espace littoral. Il est motivé par le
besoin d’accéder à la propriété et l’incapacité de s’insérer, faute de revenus suffisants, dans les
rouages du marché de logement classique dans le pays. Cette inscription spatiale se réalise dans
l’urgence et la survie. Ces contingences déterminent certaines caractéristiques fondamentales de
ce type d’habitat en lien avec l’aménagement, l’équipement et ses relations avec la mer. Ce type
d’habitat présente un faciès homogène sur tout le littoral haïtien, il s’incruste dans tout espace
interstitiel du littoral laissé inoccupé par les autres acteurs et il s’adapte à son isolement en
adoptant des parades de contournement assimilable de l’autonomie (énergétique, alimentaire et
d’assainissement). Néanmoins, il fait face à un sous-équipement sévère qui ne le permet pas de
fournir à ses occupants un cadre de vie décent. Il fait ajouter que cet habitat n’intègre pas la mer
comme élément structurant le milieu de vie et de production mais comme un corps étranger
auquel il tourne le dos.

2- Le bidonville majeur : le cas de Canaan

Un deuxième aspect de l’appropriation du littoral dans le pays est observé à travers le


phénomène de bidonville. Se loger dans un contexte de pauvreté généralisée est une véritable
gageure. Quand on fait partie des 66 % de la population qui disposent de moins de deux dollars
par jour, trouver à l’avance, trente ou cinquante mille gourdes pour payer l’année de loyer relève
de l’exploit. Un petit appartement de 18 m2, doté d’un équipement minimal (coin cuisine,
douche et WC) se négocie à 100 000 gourdes. Ce type de logement est pourtant inaccessible à la
plus grande partie des 3,3 millions de résidents des grands centres urbains du pays. Ces derniers
connaissent depuis ces dernières décennies un processus accéléré de densification et d’étalement
du bâti. Sans investissements ni aménagement urbain, ces densifications et étalements ont
produit principalement des bidonvilles. La majorité de la population, constituée de pauvres, n’a
d’autre choix que de s’entasser dans des quartiers insalubres. Dans ces derniers le loyer de la
même surface (18 m2) est payé trois fois moins cher. L’attractivité est grande et constitue une
aubaine pour les petites bourses. Elles arrivent à faire coup double : contourner le coût exorbitant

300
du loyer et accéder à la propriété foncière. Ces constructions se réalisent sur des terrains squattés
ou spoliés. Le littoral n’échappe pas à cette dynamique. Le bidonville majeur littoral prend en
compte la dimension de ce quartier informel, son fonctionnement, ses équipements et surtout ses
relations avec la mer. Le bidonville littoral de Corail est le condensé de l’appropriation du littoral
par cette concentration d’habitats précaires.

a- Un ensemble d’habitats prisonnier de l’informalité et de la vulnérabilité

Au lendemain du séisme du 12 janvier 2010, le gouvernement de René Préval prend un arrêté


déclarant d’utilité publique (en mars 2010), près de 5 000 hectares de terre dans la sortie nord de
la capitale. La mesure s’explique par la pression qu’exercent les 600 000 sinistrés du séisme,
installé dans des camps un peu partout dans la Région Métropolitaine de Port-au-Prince.
L’équipe gouvernementale espérait, dit-on, reloger des populations affectées163. C’est dans ce
contexte que des dizaines de milliers de citoyens de de la région métropolitaine, notamment ceux
vivant dans des camps de déplacés et dans les quartiers précaires (cité Soleil et La Saline etc.),
se sont rués sur le site en question en y érigeant le plus grand bidonville du pays en dehors des
règles les plus élémentaires en matière d’urbanisme. Certaines voix s’élèvent contre l’initiative
du gouvernement qu’on accuse d’hypothéquer l’avenir de la capitale sur le site de son extension
naturelle. Ces mêmes voix dénoncent l’immobilisme et le cynisme de l’administration qui se met
au service du parti du président Préval pour garder le pouvoir à l’approche de la présidentielle de
2011164.

Ce nouveau bidonville ne s’écarte pas de la logique traditionnelle de la naissance d’un quartier


ex-nihilo. On profite d’un évènement politique ou d’un contexte de trouble social pour s’installer
durablement sur un espace laissé vacant ou en jachère. Avant le séisme, cette terre aride et
rocailleuse était en grande partie déserte. La firme NABATEC S.A. possédait plus de 60 %, elle
y développait depuis 1999, une zone économique intégrée (ZEI) appelée « Habitat Haïti 2020 ».
Le projet en question allait abriter des parcs industriels, des lotissements, des écoles, des espaces
verts et un centre commercial. Deux partenaires étrangers avaient déjà fait l’acquisition de lots

163
Son lancement réalisé en grande pompe par le président René Préval, accompagné de l’acteur américain Sean
Penn et d’autres dignitaires haïtiens et étrangers, ont crédibilisé cette initiative.
164
Aucun organe des pouvoirs publics n’a réagi pour prévenir l’invasion. La terre, dit-on, a été offerte aux
partisans du parti politique « INITE », de M. Préval, à raison de 10 $US le mètre carré. Et les spoliateurs devenus
nouveaux « propriétaires » ont obtenu de faux « titres » contre de l’argent et des votes à la présidentielle
annoncée.

301
importants (une compagnie sud-coréenne et un organisme américain). D’autres firmes étrangères
avaient déjà manifestées leurs intérêts selon les informations de la direction de NABATEC. Ce
dernier fustige le comportement de l’État haïtien qui ne réagit pas contre les occupations illégales
du domaine. A cet effet, la compagnie réclame des pouvoirs publics la somme de 64 millions de
dollars de dédommagement pour les préjudices subis. L’appropriation du littoral se fait donc de
facon informelle car la majorité des occupants s’y installent par la voie de la spoliation. Ce
nouveau quartier vit en dehors des réseaux publics de SSB ce qui met en place les conditions
matérielles pour l’émergence des maladies liées au déficit de santé et d’assainissement. La
vulnérabilité est patente et est dénoncée par la population résidente elle-même. Une mère de
famille l’explique en ces termes : « Nou menm kap viv bò isit la leta pa egziste epi gouvènman
an pa wè nou. Se nou menm ki dbouye nou pou nou fè tout bagay » (pour nous qui vivons ici, il
n’y a ni ‘gouvernement’ ni ‘État’. Il faut tout faire par soi-même). Le décret déclarant le site la
zone d’utilité publique a conféré aux occupants un statut d’occupation très précaire ou les a mis
dans un état de précarité de droits où ils n’ont sur l’espace occupé aucun droit de propriété sinon
une certaine forme de possession de fait alliée à une situation d’insécurité foncière permanente.
Aucune institution étatique ne contrôle les modes de construction qui se font à Canaan. Chacun
construit selon ses moyens et son goût (voir la photo suivante).

Photo 25.- Canaan, le nouveau bidonville du Nord-est de Port-au-Prince

Sources : Photo aérienne de Snap-LN, 2017


Ce nouveau quartier défavorisé est sorti de terre à la sauvette après le séisme en 2010. En moins de 10 ans il est en passe de devenir le
plus grand bidonville de la capitale haïtienne, loin devant Cité Soleil.

302
b- Un quartier sous-équipé où la débrouillardise triomphe

Le quartier vit dans un sous-équipement sévère, tout fait défaut. L’accès aux services sociaux de
base est limité. La population se débrouille comme elle peut pour se procurer l’eau potable. Les
plus fortunés achètent de l’eau par camion pour la revendre à 5 gourdes par «bokit» (cinq
gallons) au reste de la population. Ceux qui n’ont pas les moyens de l’acheter sont condamnés à
parcourir des kilomètres. L’eau potable est une lourde charge pour un ménage. L’accès à l’eau
est le problème senti et exprimé de Canaan. Les résidents de ce bidonville essayent tant bien que
mal de contourner ces handicaps. Ils mutualisent leur force pour ramener l’énergie électrique.
Certaines familles réunissent ensemble la somme d’argent nécessaire pour se procurer un
transformateur. Certains occupants éclairent leurs maisons à l’aide de petits panneaux solaires
offerts par des ONG, d’autres le font à l’aide de bougies ou de lampes à kérosène.

La scolarisation dans la zone est assurée par quelques rares écoles primaires non publiques. De
plus, il n’y a aucun contrôle des services compétents du Ministère de l’Education Nationale sur
la formation qu’elles dispensent. Les jeunes qui veulent continuer leurs études après le cycle
fondamental sont contraints de le faire dans un établissement scolaire placé en moyenne à 5 ou 7
kilomètres (reste de la Plaine ou à la Croix-des-Bouquets). L’accès aux soins de santé n’est pas
trop différent. Un citoyen dans le besoin doit se rendre dans les zones avoisinantes quand il veut
consulter un médecin. En termes d’infrastructure de loisir, la situation reste préoccupante. Les
nombreux jeunes qui habitent ce bidonville n’ont pas accès à un terrain de jeu. Aucun centre
culturel n’a vu le jour pour les aider à développer leur talent. Bref, la population n’a aucun
moyen pour s’épanouir. Des milliers d’habitants se retrouvent parqués dans un environnement
privé de toutes conditions susceptibles de leur permettre de mener une vie décente en tant
qu’individu. Le commerce de détail est la première activité économique de la zone. Il faut ajouter
à ce bassin d’activités il faut ajouter la fabrication du charbon et la pêche. Certaines personnes
interviewées disent continuer de mener des activités économiques dans leurs quartiers d’origine.
De nombreux jeunes sont des journaliers de l’extraction des matériaux de construction.

c- Un quartier peu porté sur la mer et très éloigné du développement durable

Le commerce de détail informel intramuros est l’activité fondamentale du quartier. Il concerne


fondamentalement les femmes. Ces dernières font le colportage des produits d’hygiène, de petits

303
équipements domestiques et surtout des produits de première nécessité. Elles sont aussi les
prestataires de la cuisine de rue. La deuxième activité majeure observée est la construction. En
effet, l’occupation du site continue de se faire par l’intermédiaire de la densification.

Les hommes sont donc des travailleurs journaliers sur le chantier des centaines de petites
maisons précaires qui continuent à s’approprier le site. La vie, dans ce bidonville littoral, ne
tourne pas grandement autour de la mer. On comprend cette hésitation car les occupants viennent
pour l’écrasante majorité du monde rural, autrement dit sans tradition littorale, ils étaient plutôt
motivés par le bruit qui courrait à l’époque que l’État haïtien allait doter chacune des victimes du
séisme du 12 janvier d’une maison. Les données du FNUAP de 2010 montrent que la population
de la région métropolitaine de Port-au-Prince va faire un gain de plus de 300 000 âmes en moins
de 18 mois après le séisme qui a fait plus de 150 000 victimes.

La mer, associée au littoral, n’est pas totalement mise de côté pour autant car elle est sollicitée de
deux manières : la pêche artisanale de certains occupants du bidonville et l’exploitation de la
mangrove pour la fabrication du charbon de bois. Canaan respecte le schéma classique du
bidonville haïtien très dépendant du tissu urbain auquel il appartient. En effet, 7 occupants sur 10
laissent le quartier tous les matins pour aller à l’école, rejoindre leur lieu de travail ou tout
simplement solliciter un petit boulot dans la région métropolitaine (PGA165, avril 2016). Cette
dépendance est partagée aussi car les familles ou les ménages non pauvres de la capitale
dépendent de cette main-œuvre bon marché venue du bidonville. Les jeunes femmes sont
embauchées fondamentalement pour les activités domestiques indispensables telles la lessive, la
cuisine et les hommes sont concernés pour le gardiennage. Ce type de quartier est la traduction
spatiale des inégalités sociales inscrites durablement dans les mœurs.

Les activités traditionnellement liées au littoral et à la mer prennent très peu de place dans la vie
du bidonville majeur littoral. Les origines rurales des occupants et la dépendance structurelle qui
lie ce type de quartier avec la ville dont il est issu expliquent leur faible appropriation de la mer
comme on vient de le voir plus haut. Cependant, la force de nuisance de cette forme
d’occupation littorale est grande et conséquente. En effet, moins de 20% des ménages disposent
d’un lieu d’aisance normé. La mer devient le réceptacle direct et indirect des excréta de plus de
165
Le Partnership Global Action (PGA) est une Organisation Non Gouvernementale tenue par des haitiano-
americains de Floride. Impliquée depuis 2012 dans la lutte contre la marginalisation sociale, cette organisation a
publié en 2016 un rapport sur « l’employabilité dans les quartiers précaires de Port-au-Prince nés après le séisme »

304
80% des populations résidentes. Les déchets domestiques ne sont pas collectés par les services
municipaux. Ils sont laissés à l’initiative des ménages pour le stockage et le traitement. Les voies
de circulation sont jonchées de détritus et ils sont brulés à même les rues au moins une fois par
semaine. Les conséquences sont désastreuses pour la santé publique. Une bonne partie des
déchets solides produits est tout bonnement déposée dans les mangroves qui bordent la façade
ouest du bidonville en attendant de rejoindre la mer. Une autre partie atteint la mer par
l’intermédiaire du ruissellement des eaux de pluie.

Ces pratiques qui transforment le littoral et la mer associée en outil d’assainissement mettent en
danger l’intégrité de cet écosystème. La reproduction des espèces est compromise sévèrement
par la pollution générée. Cet usage abusif et inconsidéré hypothèque la possibilité d’exploiter les
potentialités touristiques comme levier du développement économique susceptible d’améliorer le
bien-être et les conditions de vie de la population. L’économie littorale166 n’est donc pas à l’ordre
du jour car ce qui se joue ici sur cette partie de territoire est le résultat de l’impossible maîtrise de
la croissance démographique et urbaine. Le système côtier est menacé par l’appropriation brutale
que lui impose le bidonville littoral. En revanche la population qui s’y installe est sous le coup
d’une insalubrité intolérable qui la rend vulnérable aux nombreuses maladies d’origines
hydriques. Ces dernières appauvrissent les occupants au regard des dépenses de santé qu’ils
doivent consentir au dépend de leurs faibles revenus.

Quoique utile pour le reste de la ville ce type de quartier vit en marge car et subi la
disqualification spatiale. Car leurs sites sont généralement des lieux de décharges publiques
communales. Canaan jouxte la seule station d’épuration du pays (Titanyen), Cité Soleil abrite
deux décharges et le bidonville de Truitier héberge une des plus étendues de la région
métropolitaine de Port-au-Prince. Le bidonville littoral menace les ressources du milieu mais il
aussi menacé par les conditions de vie qui y règnent.

166
L’économie maritime comprend tous les secteurs d’activité liés à la mer comme le tourisme, les produits de la
mer, la construction navale ou le transport maritime. Les activités économiques du littoral peuvent être liées à la
présence de la mer mais comprennent aussi des activités que l'on retrouve sur l'ensemble du territoire

305
Conclusion

Cette forme d’appropriation collective du littoral n’est que le prolongement de l’habitat précaire
isolé car elle n’a pas d’âme et n’arrive pas à se transformer en véritable communautés littorales.
La volonté des ménages pauvres d’accéder à la propriété reste vive. Elle s’amplifie même avec le
contexte national de paupérisation économique. Les pauvres sont prêts à accepter de vivre dans
des conditions infrahumaines pour trouver un foncier moins cher et la maison de leur
préoccupation. En dehors de cela, le culte de la maison individuelle, bien ancré dans notre
société haïtienne et la faiblesse de l’offre d’habitat collectif à prix modéré, ne font qu’encourager
l’extension désordonnée des surfaces urbanisées littorales vulnérables dans le pays et amplifier
du même coup les poches de pauvreté. Il faut bien le souligner que la vie dans ce nouveau
bidonville littoral se diffère de celle qui se déroule dans un bidonville littoral ancien comme celui
de La Savane dans la ville des Cayes. Il fonctionne comme un organisme autonome avec un
cœur ancien formé d’une centaine de maisons autour d’une petite place centrale. Les moins
pauvres disposent de boutiques, de salons de coiffure, de kiosques de loterie, de petits restaurants
et de petites auberges. Cette petite minorité ancienne et vieillie reste charnellement attachée à
son quartier. Evidemment la mobilité est grande pour les plus jeunes et surtout ceux qui arrivent
à accumuler les ressources financières nécessaires pour quitter le quartier et s’installer ailleurs.
La population est plus hétérogène qu’on le pense généralement : femmes seules, personnes
âgées, sans domiciles fixes, alcooliques, prostituées, repris de justice etc. En dehors, du petit
centre ancien mentionné plus haut il existe un certain nombre de subdivisions liées à leurs
spécialités (prostituées, vidangeurs, pêcheurs, etc.). On observe donc sur le littoral de sévères
fractures sans gradient spatial. Mais, globalement, on passe d’un bidonville comme cela à
l’entreprise touristique ou la résidence secondaire bourgeoise qui se côtoient sur une très faible
distance.

3- L’entreprise touristique

L’entreprise touristique est sans doute la forme la mieux réussie dans la dynamique
d’appropriation du littoral dans le pays. Elle est aujourd’hui un outil qui continue d’œuvrer pour
attirer encore quelques touristes après le coup de boutoir des années 80 suite à l’apparition du

306
Sida167. Ses gestionnaires sont plus ou moins conscients de la diversification des produits qu’ils
doivent proposer pour ne pas rester dans le cercle des programmes et des circuits dépassés.
Certaines entreprises de ce genre abordent, avec un certain succès, les nouvelles formes de
tourisme, un tourisme responsable, alternatif et durable qui se traduit par une analyse des
marchés émetteurs, une segmentation spécialisée comme dans l’écotourisme, du tourisme
culturel, du tourisme d’aventure, et une intégration dans les circuits régionaux (ex croisière).
L’exemple de Labadie dans le nord du pays résume bien la tendance. De l’autre côté du tableau il
existe une kyrielle d’entreprises qui n’arrivent pas encore à prendre le train de la modernité.
Dans beaucoup de cas la gestion de ces entreprises touristiques se réalise par des personnes qui
n’ont aucune connaissance des métiers de l’hôtellerie et du tourisme. L’incompétence, souvent,
transforme des joyaux d’architecture et des sites merveilleux en de vulgaire endroits mal famés,
des transformations néfastes qui chassent le bien être tant recherché par les visiteurs. L’entreprise
touristique rompt la monotonie de l’option résidentielle stricte des populations pauvres pour
s’ouvrir sur de nombreuses facettes liées à la littoralisation.

a- Une entreprise dévoreuse d’espace

L’entreprise touristique mobilise une surface appréciable. Le Moulin sur Mer168 est un exemple
parlant. Il occupe sur plusieurs hectares l’emplacement d’une ancienne sucrerie coloniale. La
gamme de services offerts exige un domaine conséquent. Un musée dédié à l’histoire de la
canne-à-sucre dans la région y est installé, 5 salles de réunions et une salle de conférence de plus
de 200 personnes assises sont mises à la disposition de la clientèle, deux piscines de plus de 80
mètres carrés ornent l’espace, un terrain de sports (volley ball, tennis, football) agrémente la
structure, trois restaurants desservent les touristes, la plage attenante s’étend sur plus de 800
mètres de longueur, des entrepôts accueillent les activités liées à la plongée sous-marine, à la
voile et aux excursions.

167
Les journaux américains et certains chercheurs ont pu faire courir la fausse information que le patient Zéro vient
d’Haïti. Ce qui a pour effet de pousser le pays hors de la carte touristique du monde. Et les premières protestations
majeures contre la dictature de Baby Doc n’ont pas arrangé les choses.
168
Cette entreprise est située dans le département de l’Ouest. Elle est hébergée dans la commune de Montrouis.
La structure est en exploitation depuis les années 80.

307
Photo 26.- Les installations de l’entreprise touristique Moulin sur Mer

Crédit photo : courtoisie de Moulin sur mer

A cela il faut ajouter un stand aménagé pour le Karaoké et les animations de toutes sortes. Au
total l’entreprise s’installe sur plusieurs hectares dans une zone initialement vouée à
l’agriculture. Le choix est fait, ces terres sont immobilisées au profit du tourisme et des loisirs. Il
existe des centaines de cas comme celui-là sur le littoral ce qui pousse à penser que leur présence
fait négativement pression sur la SAU alors que le contexte national est marqué par une
persistante insécurité alimentaire. La Commission Nationale de la Sécurité Alimentaire (CNSA)
a estimé que pour l’année 2017 que plus de 2 millions d’haïtiens ont vécu dans l’insécurité
alimentaire aigue. Il est à noter que les importations de biens alimentaires continuent
d’augmenter à un rythme soutenu. En 2016, Haïti a importé des produits agricoles pour près d’un
milliard de dollars US, alors que, le pays, pour la même période, a exporté seulement pour
environ 60 millions de dollars US.

b- Un aménageur ravageur

L’entreprise touristique veut absolument attirer le client. Et l’un des moyens utilisés est la
diversité des équipements dont elle dispose. La concurrence à laquelle elle doit faire face
amplifie grandement ce besoin. Ce dernier s’exprime à travers des aménagements farfelus
toujours plus spectaculaires pour épater et appâter le client. La structure s’implante directement
dans la mer en éliminant la plage qui devient prisonnière des blocs de béton et entrave la
dynamique naturelle. C’est le cas de l’hôtel Brise Marina à Port-de-Paix sur la façade atlantique.

308
Cette construction massive réalisée à la fin des années 90 tentait avec imprudence de dompter les
vagues qui s’abattent sur le littoral en s’implantant directement dans la première zone de contact
avec la mer. Aujourd’hui le bâtiment a subi des dommages importants, une partie de la façade
nord se détache et risque d’entrainer avec elle le reste de l’équipement.

Le cas de l’Auberge sur le Rocher à Carpentier (sud du pays) est un autre exemple édifiant. En
effet, pour donner l’impression au client du cachet particulier dont dispose son hôtel, le
propriétaire creuse directement dans une falaise récifale pour installer une partie des chambres.
Un volume considérable de coraux a été sacrifié dans cette opération. Les conséquences sont
grandes car l’instabilité du lieu créée par la récurrence des vagues à accélérer le processus
d’érosion du lieu. L’ouragan Matthew qui a balayé la région a permis à la nature de reprendre ses
droits mais le mal est déjà fait et semble devenir incontrôlable car la zone connait des
déplacements de masse importants. L’implantation de cette entreprise touristique met donc en
place les conditions de l’érosion massive de cette partie du littoral qui devient très vulnérable.

Le long de la RN1 au sud de Port-au-Prince, ces entreprises touristiques s’installent contre les
mangroves qui ont pu résister tant soit peu aux agressions de toutes sortes. Les autorités locales,
peu scrupuleuses de la protection de ces espaces naturels vitaux pour la faune et la flore
régionales, livrent à tour de bras des permis de construire. Les promesses faites par les
investisseurs locaux en termes de création d’emplois pour la population locale et de retombées
économiques sont restées lettres mortes. En effet, les emplois promis, une fois les constructions
projetées et installées, sont jetées aux oubliettes. Et entre temps de nouvelles autorités arrivent.
Ces dernières assoiffées et couvertes de dettes induites par leurs campagnes électorales ne se font
pas prier pour délivrer de nouveaux permis de massacrer la mangrove. Chaque nouvelle
installation est le fruit de remblayage de 600 à 1 200 mètres carrés de mangliers. C’est une forme
d’occupation du littorale tolérée mais aussi nocive que l’habitat isolé ou le grand bidonville.

c- Un pollueur non payeur

L’option pollueur payeur n’est pas le principe qui régit et encadre les relations entre
l’environnement et l’entreprise dans le pays. Les pouvoirs publics attendent et imposent une
seule redevance aux entrepreneurs : s’acquitter des devoirs fiscaux. Et depuis une bonne dizaine
d’années les entreprises se donnent un autre devoir, celui de prendre en compte la vie sociale
dans leur milieu de production. Cette nouvelle posture va de la création d’écoles au sponsoring

309
des activités culturelles et sportives en passant par la prise en charge directe des populations
pauvres et vulnérables (distribution de kit alimentaires ou transferts monétaires). Les redevances
fiscales et sociales ne sont point à la hauteur des conditions de pollution ou de dégradation de
l’environnement que les entreprises touristiques mettent en place dans le cadre des services de
loisirs qu’elles proposent.

L’entreprise touristique pollue les littoraux par sa grande production de déchets. Ces derniers
sont liés à la restauration par l’intermédiaire de l’emballage de la nourriture. A cet effet, des
milliers d’assiettes et de bouteilles en plastique sont utilisées tous les jours. L’observation directe
effectuée en mars 2017 par la CERHCA a montré que les entreprises touristiques du littoral
récupèrent en général moins de 70 % des déchets en résidus solides qu’elles produisent. Dans
cette dynamique c’est plus de 300 kilos de matière plastique par an qui s’insèrent dans
l’écosystème côtier du pays avec les conséquences qu’on connait en termes de nocivité. La partie
des déchets récupérés est traitée par l’intermédiaire d’un service privé de ramassage d’ordures
qui décide seul et en toute quiétude du lieu et des conditions du stockage. Dans tous les cas il
s’agit d’une décharge sauvage ou d’une structure communale libre d’accès et libérée des normes
minimales en la matière. Certaines entreprises trop éloignées des prestataires privés de
ramassage de déchets s’organisent-elles mêmes en procédant à l’incinération libre de ces
éléments. Cette pratique soulève des doutes liés à la pollution atmosphériques car l’opération se
fait à l’air libre et non en milieu confiné.

La préoccupation s’amplifie au regard des polluants atmosphériques dans le cas de l’entreprise


Labadee dans le nord du pays dans un site majestueux mais très vulnérable. Cette entreprise
depuis une quarantaine d’années mise exclusivement sur le tourisme croisiériste. En effet, elle
capte une partie de cette activité des flux de la diagonale Floride /Amérique du sud et les
Antilles. Labadee reçoit entre deux et trois passages par semaine de grands paquebots associés.
C’est une manne économique pour l’entreprise, pour la communauté et pour le trésor public
certes mais la pratique n’est pas sans risque. Même à l'escale, les navires de croisière n’arrêtent
jamais leurs énormes moteurs. On a mesuré qu'un paquebot à l'arrêt polluait autant qu'un million
de voitures, en termes d'émission de particules fines et de dioxyde d'azote. Les machines
tournent en permanence pour satisfaire les besoins des touristes à bord et faire fonctionner de
nombreux restaurants, plusieurs piscines, et d’autres équipements.

310
Le fioul lourd utilisé, peu cher, très chargé en soufre, à 3,5 %, est , dit-on, jusqu'à 3 500 fois plus
polluant que les voitures . Et les moteurs ne sont pas forcément équipés de filtres à particules. La
compagnie Princess Lines, basée en Californie, a été sévèrement condamnée après qu'un de ses
navires, le Caribbean Princess a rejeté dans la mer des eaux de fond de cale, polluées par le fioul
utilisé en carburant. Dans un autre registre, il faut noter que les rejets d’eaux usées se réalisent
dans une anarchie totale : il n’a pas de tri en aval ou en amont. Les déchets organiques (70% des
détritus) ne sont pas récupérés ou compostés. Les lixiviats, ces liquides qui résultent des déchets,
ne sont pas traités et s’échappent dans l’environnement. Dès qu’il pleut, les matières organiques
se mélangent avec les métaux lourds et cela contamine les nappes, explique l’ingénieur Guyto
Edouard de la Direction Nationale de l’Eau Potable et de l’Assainissement (DINEPA)

d- Un outil de reproduction de la pauvreté

La pauvreté qui frappe les littoraux et les populations qui les occupent ne trouve pas de solution
auprès de l’entreprise touristique. Cette dernière génère certes des emplois qui sont
théoriquement un rempart contre la pauvreté mais les revenus associés sont en dessous du seuil
de pauvreté. Les rapports de paiement de ces entreprises immatriculées à l’Office National de
l’Assurance montrent que 31% des employés des hôtels/plages et restaurants des littoraux
gagnent moins que le salaire minimum légal. Ces travailleurs pauvres sont serveurs, jardiniers et
ménagères. Les patrons précarisent les emplois pour maximiser leur profit. La paupérisation du
travail se réalise dans un cadre légal par la stagiairisation de toutes les fonctions.

Elle permet aux managers et aux patrons de payer des salaires illégaux aux jeunes employés. Ces
derniers font tourner l’entreprise mais ils sont toujours considérés dans la comptabilité comme
des stagiaires. Ils ont rarement des contrats et quand ils signent des contrats ils ne reçoivent
jamais un exemplaire de ce dit contrat. Les droits des travailleurs ne sont pas toujours respectés,
la liberté syndicale est sournoisement évacuée. De mars à Juillet 2017, nous avons inventorié sur
la façade méridionale du pays 113 structures que nous regroupons dans le vocable « entreprise
touristique », embauchant au moins 2 personnes. Il s’agit d’hôtels, d’auberge et de restaurants
installés sur le littoral et qui offrent des services au moins pendant deux jours par semaine.
Aucune des 113 entreprises répertoriées n’héberge un syndicat au moment de l’inventaire. Cette
situation traduit le climat de méfiance qui règne dans ces lieux de travail au regard des droits et
liberté. Ces structures qui sont les partenaires privilégiés des pêcheurs appauvrissent ces derniers.

311
En effet, les pêcheurs sont contraints de liquider très rapidement leurs prises faute de pouvoir les
conserver. Et c’est là qu’intervient l’entreprise touristique en achetant à vil prix les produits de la
mer en les stockant de façon à garantir la permanence de la chaine de froid.

Personne ne met en doute l’importance économique de ce type d’entreprise dans le pays. Leur
côté formel permet à la Direction Générales des Impôts de faire des prélèvements sur leurs
chiffres d’affaires déclarés pour alimenter le trésor public. Elles donnent du travail à des milliers
de citoyens. Néanmoins, la qualité des revenus tirés de ces emplois ne permettent pas aux
bénéficiaires de se soustraire aux affres de la pauvreté. Le chômeur une fois embauché par
l’entreprise touristique tombe automatiquement dans la catégorie de travailleurs pauvres. Il sera
à coup sûr difficile pour ce dernier d’assurer la prise en charge de sa famille. Il faut bien noter
que les propriétaires, les gérants/managers et les cadres administratifs en général se partagent
entre eux l’essentiel des revenus générés. En juin 2017 le manager d’une de ces entreprises sur la
Côte des Arcadins (Nord de la Capitale) recevait un salaire mensuel de 92 000 gourdes tandis
que le serveur (débutant) était payé 3 500 gourdes. L’inégalité de revenu est sévère et s’établit
dans un rapport de 1 à 26. Alors que l’accès au marché pour les services et les biens de
consommation est le même pour tous. Cet écart indécent devient donc un accélérateur de la
pauvreté sur le littoral haïtien.

Il est à noter aussi que ce type d’occupation, en voulant assurer à sa clientèle un maximum de
sécurité, entrave la circulation de façon illégale mais tolérée par les usagers et les autorités
locales qui s’accommodent à la situation au lieu de les dénoncer ou les réprimer comme le
prévoit la législation haïtienne.

4- L’entreprise industrielle et les espaces vierges du littoral comme forme d’occupation

Il existe de nombreuses autres formes d’occupation du littorale dans le pays en dehors de


l’habitat isolé, du bidonville majeur et de l’entreprise touristique. Il s’agit des ports de commerce
ou de cabotage et les villages de pêcheurs (effleurés dans la partie précédente), les espaces
vierges et les aménagements industriels. Nous traitons ici les deux dernières formes dans un
même corpus pour une raison fondamentale : leur inscription spatiale est limitée pour ne pas dire
résiduelle. En effet, les espaces littoraux vierges constitués de mangroves ou de savanes arborées
sont limités. Ils sont sous une forte pression aux voisinages des villes pour la fabrication de

312
charbon de bois et de gaules pour l’échafaudage des constructions. Ils subissent le poids sévère
de l’expansion urbaine par l’intermédiaire de l’étalement urbain. Ces espaces littoraux vierges
via les mangroves sont observables dans une dizaine de régions. Et les sites industriels traités
sont implantés sur les façades nord et sud de la baie de Port-au-Prince.

a- Les forêts résiduelles de mangroves

Les mangroves haïtiennes se situent généralement à proximité des grands estuaires (Koohafkan.
A. P et Lilin. C 1989). Les principaux sites de mangroves se situent dans les régions de Fort
Liberté, de la Baie de Caracol, de Cap-Haïtien, de Limbé et de Port-de-Paix. Sur les côtes nord-
est du golfe de la Gonâve, il y a des mangroves dans les régions d'Anse rouge, de l’Estère, des
Gonaives et des Grandes Salines et de Port-Au-Prince, tandis que sur la péninsule sud, elles se
trouvent à Petit-Goave, Miragôane, Baradères, St-Jean du sud, Aquin, Tiburon et la région des
Cayes. Il y a également des mangroves suro l'île de la Tortue, l'île de la Gonave, l'île de Grande
Cayimite et l'ile à Vache. Les mangroves d'Haïti sont principalement constituées de quatre
espèces : le manglier rouge, le manglier noir, le manglier blanc et le manglier (Pierre-Louis
1986, Koohafkan et Lilin 1989). Les mangroves sont très exploitées par la population. Leur bois
possède de bonnes qualités mécaniques, dont une haute densité et des fibres longues et flexibles,
et une bonne durabilité (Pierre-Louis 1986, Koohafkan et Lilin 1989).

Son bois est très en forte demande de la part des boulangeries et des blanchisseries, car il dégage
une chaleur intense et soutenue qui sert au chauffage initial des fours (Pierre-Louis 1986). Il
constitue un excellent bois de feu et est apprécié pour la fabrication de charbon de bois. II est
aussi apprécié comme bois de construction ou pour faire des poteaux, en particulier pour les
échafaudages (Koohafkan et Lilin 1989).

Les mangroves appartiennent au domaine de l'état haïtien (Lucien 1994). Elles sont protégées par
l'Article 97 de la Loi sur la pêche du 27 novembre 1978, qui interdit leur coupe en raison de leur
valeur en tant qu'habitat pour plusieurs espèces aquatiques, particulièrement les huîtres.
Cependant, cette loi n'est pas appliquée. En 1975, il restait environ 20 000 ha de mangroves en
Haïti. Les estimations faites en 2015 s’élèvent à 7 000 ha. Il faut rappeler que ces estimations
sont très approximatives, car il n'existe aucune donnée d'inventaire des ressources forestières qui
soit fondée sur des travaux de terrain. Sur les quelques 300 espèces de poissons qui se trouvent
dans les eaux haïtiennes, une quarantaine fréquentent les mangroves ou les estuaires saumâtres

313
pendant au moins une partie de leur développement. Aujourd’hui les réserves sont localisées
dans le nord et le sud du pays (croquis suivant). La présence de ce type de forêt participe à
l’équilibre de l’écosystème littoral autant que leur absence, par l’exploitation déraisonnée, met en
danger les ressources halieutiques associées.

Figure 11.- Localisation des mangroves résiduelles en Haïti

b- Cimenteries et terminaux pétroliers

Deux cimenteries et deux terminaux pétroliers sont installés des deux côtés de la baie de Port-au-
Prince. Au sud à Thorland, dans la commune de Carrefour, est installée une cimenterie et au nord
à Varreux, dans la commune de Cité Soleil fonctionne la première cimenterie du pays nommée la
cimenterie nationale (CINA). La fabrication du ciment causes d’énormes nuisances sur le plan
environnemental. En termes de quantités, pour 1000 kg de ciment produit, Il y’a une émission de
900 kg de CO2. Elle génère des émissions de poussières métalliques dans l’air. Il peut arriver
que le processus de calcination à haute température de calcaire et de minéraux argileux, entraîne
l’émission de poussière riche en métaux lourds et volatiles, en fonction de l’origine et de la
composition des matières premières utilisées. Parmi ceux-ci, les plus nocifs et dangereux sont le
thallium, le cadmium et le mercure. Ces métaux lourds volatils se trouvent souvent, comme

314
oligoéléments, dans des sulfures métalliques communs tels que la pyrite, le zinc blende ou la
galène, ou encore comme des minéraux secondaires dans la plupart des matières premières. La
présence de lourds métaux dans le mâchefer surgit tant des matières premières naturelles que de
l’utilisation de sous-produits recyclés ou des carburants alternatifs. La baie de Port-au-Prince se
retrouve donc en situation de grande vulnérabilité par rapport à cette source vive de pollution
chimique (figure suivante). Il s’agit d’un vrai écosystème menacé (Desse M, 2003). Les sites
sont hautement sécurisé ce qui entrave l’accès aux installations et à leur environnement immédiat
pour tout observateur étranger.

Figure 12.- L’anthropisation du littoral de Port-au-Prince

Sources : Extrait de « Les difficultés de gestion d’un littoral de survie à Haïti : L’exemple du golfe de la Gonâve » de
Michel Desse.

Les terminaux pétroliers indiqués précédemment partage, à peu près, les mêmes sites que les
cimenteries. Le plus ancien est celui de Thorland dans la commune de Carrefour et le dernier à
Fond-Mombun dans la commune de Cabaret (Ex Duvalier-Ville). Ils fonctionnent sur le même
principe que les cimenteries, à savoir, dans une quasi autarcie qui empêche la transparence sur
les rejets de ces installations industrielles sur le littoral. Ils s’établissent contre les aires de
mangroves mettant ainsi en danger la pérennisation des ressources halieutiques et la sauvegarde

315
de la biodiversité (planche photographique suivante). Cette forme d’occupation du littoral, en
dehors des pollutions et des contaminations des ressources dont elle génère, participe à la
dynamique de fermeture du littoral.

Photo 27.- Le terminal pétrolier sur le littoral de Port-au-Prince

Crédit photo de Carl. Bergson et de Dinasa


Le terminal de Thorland dans la commune de Carrefour est le siège d’un incessant va et vient de camions-ravitailleurs qui assurent
l’approvisionnement des centaines de stations d’essence disséminées sur l’ensemble du territoire. Ce terminal s’installe contre la
mangrove attenante à une partie de la baie qui abritait des lamentins (aujourd’hui quasi introuvables)

Conclusion

Les espaces vierges des littoraux haïtiens, que sont les savanes arborées ou les mangroves,
constituent une forme d’occupation du littoral. Ils sont visibles sur les façades atlantique et
caraïbe, dans les iles adjacentes et sur les façades du golfe de la Gonâve. A travers les
mangroves, ces espaces, deviennent un lieu de prélèvement de ressources pour de nombreux
occupants du littoral : certains viennent prélever des crustacés, d’autres y exploitent le bois pour
les constructions ou pour la fabrication du charbon. Ce type d’occupation participe à la
dynamique d’attractivité du littoral pour des milliers d’individus pauvres en quête d’accès facile
aux revenus par des activités de subsistance. Les industries telles les cimenteries et les
terminaux pétroliers installés autour de la baie de Port-au-Prince sont des marqueurs de cette
partie du littoral. Ce dernier devient le support d’une activité économique importante. Ces
structures contrairement à l’habitat précaire, l’entreprise touristique et le reste des formes
d’occupation littorale, jouent pleinement la littoralisation/maritimisation. En effet, la mer est
utilisée pour l’importation des matières premières et les infrastructures installées sur le littoral

316
sont le terminus (ou le départ) de voies de communications terrestres qui acheminent la
production vers le reste du pays. Néanmoins, leurs impacts environnementaux, pour l’instant non
établis, sont susceptibles d’être conséquents sur la biodiversité à travers les rejets de métaux
lourds. Et sur un autre plan, cette forme d’occupation, en raison de l’envergure des installations,
participe à la fermeture du littoral proscrite par la loi haïtienne.

5- La fermeture du littoral

L’accès libre au littoral du pays est juridiquement établi car il est consacré par la loi (décret du 9
avril1964) qui fait de cette partie du territoire national un domaine collectif au service de tous.
Or de plus en plus d’occupants érigent des murs et des péages à l’entrée des portions du littoral
qu’ils exploitent. On s’interroge sur la politique de laisser faire des autorités locales qui à termes
rendra inopérationnelle une gouvernance basée sur un « droit pour tous au littoral ». L'hypothèse
que la puissance publique est déterminante pour garantir l'ouverture de l'interface littorale ne se
vérifie pas dans le pays. L'accès au littoral est régulé par d'autres acteurs que la puissance
publique. Cette situation de fermeture de facto ne mène vers aucun mode de régulation équitable
pour garantir l'accès au bord de mer pour le plus grand nombre. Néanmoins, à l’analyse, il existe
dans le quotidien, un jeu de mécanismes de fermeture tenu par certains occupants et un jeu
d'ouverture dans lequel sont impliqués d’autres acteurs. Trois éléments fondamentaux sont pris
en compte : l’entreprise touristique comme fervent promoteur/usager de la fermeture, la stratégie
de l’offre publique d’accès au littoral des pouvoirs publics et l’ouverture garantie par le
bidonville majeur.

a- Un accès au littoral entravé par l’entreprise touristique

L’entreprise touristique littorale met tout en œuvre pour isoler le citoyen non client du front de
mer qu’elle occupe. La Cote des Arcadins, par son aménagement, est le constat le plus frappant
de la dynamique de fermeture (illégale) du littoral. Sur plus d’une trentaine de kilomètres, une
douzaine d’entreprises touristiques établit et impose un véritable péage pour accéder à la plage et
à la mer. Deux prétextes sont généralement avancés : « nous protégeons nos investissements
contre des intrusions malveillantes et nous assurons la sécurité et le calme qu’exigent les
clients ». Or le système de péage installé à l’entrée de ces structures représente entre 55 et 65 %
des recettes journalières. Cette pratique est très lucrative pour les prestataires de services en

317
question (CERHCA, 2016). L’accès payant imposé écarte ipso facto certaines catégories sociales
qui n’ont pas les moyens suffisants du fait de leur faible revenu. En effet l’admittance à ces
installations, fixée à 20 et 30 $US, devient un outil d’exclusion des plus pauvres. En 2017, ce
droit d’accès représentait l’équivalent de 50% du salaire moyen. Il est donc impossible pour un
chef de ménage de gouter aux loisirs générés par la mer sans mettre en danger la satisfaction de
ses besoins essentiels. La fermeture du littoral avec des barbelés et des murailles dignes de
fortifications militaires enlaidis le front de mer dans le pays et devient un outil d’exclusion
sociale. La démarche est constante dans la filière, elle concerne la grande entreprise connue aussi
bien que la très petite structure informelle. (Planche photographique suivante).

Photo 28.- La fermeture du littorale dans le sud du pays

Crédit photo de P J Mérat


La fermeture du littoral devient un réflexe chez les occupants du type entreprise touristique. Ici à Bonn, un village du sud du pays, la
petite auberge place un grillage métallique en continuum afin d’entraver la circulation sur cette partie du littoral. Cette volonté
manifeste de limiter la libre circulation est animée par le besoin de marquer son territoire et celui de garantir, dit-on, aux clients de la
structure la sécurité et la tranquillité.

b- La concurrence comme témoignage de la faiblesse de l’État

La privatisation du littoral, quoique proscrite par la loi, est une dynamique qui s’installe dans le
quotidien. Les pouvoirs publics sont dans l’incapacité de corriger cette entorse au vivre ensemble
dans le pays. Quelques particuliers s’accaparent de larges portions du littoral, les exploitent
comme bon leur semble, sans la moindre considération pour la communauté. Cette dernière est
contrainte de payer des redevances pour l’accès à un bien réputé collectif. Ces acteurs privés ne
sont pas inquiétés par les autorités qui préfèrent jouer la carte de la concurrence. En effet,
l’administration du président René Préval a créé ce que l’on surnomme la « plage publique » au
nord de la capitale pour concurrence les installations dites privées. Cette initiative espérait casser

318
l’exclusion de départ pour ouvrir au plus grand nombre l’accès à cette espèce de riviera haïtien
qu’est la Côte des Arcadins. On applaudi l’initiative mais la question reste posée : pourquoi les
pouvoirs publics n’arrivent pas à faire respecter les dispositions légales liées au littoral par les
occupants du littoral qui organisent sa fermeture à leur propre profit ?

Cette démarche ne fait que mettre à nu la faiblesse de l’État haïtien face aux intérêts privés et
surtout son incapacité à faire régner l’ordre à travers le respect strict de la loi. La puissance
publique qui devrait être déterminante pour garantir l'ouverture de l'interface littorale à tous les
citoyens, a failli à sa mission. La fermeture du littoral devient de plus en plus lourde et
l’initiative de plage publique initiée par le gouvernement de Préval ne résout pas le problème.
Car les gestionnaires de ces entités que sont les mairies imposent un droit d’accès conséquent
aux utilisateurs de ces « plage publique ». Le péage introduit par l’entreprise touristique revient
sous une autre forme. La somme exigée à l’entrée est de 150 gourdes. Elle représente trois fois le
seuil national de l’extrême pauvreté fixé en 2014 à 46 gourdes. Il est donc clair que la formule
employée par l’autorité publique ne fait qu’entériner la fermeture du littorale en conservant
l’accès payant. Evidemment, cette dynamique permet aussi de garder intacte l’exclusion sociale
induite.

c- Le bidonville comme instrument d’ouverture

A l’opposé de l’entreprise touristique, le bidonville participe à l’ouverture du littoral dans le


pays. Quoique construit dans l’anarchie totale, il laisse passer les flux vers le littoral. La
dimension réduite des parcelles oblige les occupants à renoncer à la construction de mur comme
le font les entreprises touristiques et les gens disposant de revenus conséquents. Les espaces
laissés entre les maisons servent de voies de circulation. Il est important de souligner que les
matériaux dont on se sert pour ériger les logements des bidonvilles sont de moins bonne qualité
que ceux des entreprises touristiques. Ce qui explique en partie pourquoi le bidonville hésite à se
mettre directement dans la mer. Cette dernière grignote facilement certains matériaux. Ces
dernières assurent trois fonctions : elles mettent en contact les logements et la voie principale par
laquelle le quartier s’insère dans la ville associée, elles organisent la mobilité interne au quartier
et elles assurent la liaison entre le front de mer et la route principale. Néanmoins, si l’accès à la
mer reste ouvert pour tous dans ces quartiers précaires la qualité de l’eau de baignade est

319
généralement très mauvaise. L’insalubrité y règne dans des proportions inquiétantes ce qui limite
a priori l’attractivité de ces lieux. L’habitat précaire isolé, malgré sa vulnérabilité n’entrave point
l’accès au littoral et à la mer, l’entreprise entrave l’accès. Le bidonville est toujours stigmatisé
comme un territoire indigne de la ville (L.Zaki, 2010) mais ici en Haïti-il entretient une libre
circulation sur le littorale que certains type d’occupations ne favorisent pas.

Conclusion

L’occupation littorale dans le pays se caractérise par l’anarchie quelle que soit la forme que cela
revêt. La première forme d’occupation peut être classée d’individuelle, elle regroupe alors
l’habitat précaire isolé insalubre et l’entreprise touristique littorale. L’habitat précaire isolé est
partout sur le littoral. Il s’insère dans tous les espaces laissés vacants ou inoccupés. Il s’adapte,
quoique sous-équipé, à son environnement en organisant une certaine autonomie (jardin potager,
petit élevage etc). Cependant, il se soucie très peu de l’équilibre fonctionnel du littoral. Les
déchets domestiques sont expulsés vers la mer ou entreposés sur le littoral afin de le remblayer
pour gagner de l’espace. Malgré sa proximité, ce type d’occupation tourne le dos à la mer :
façades et ouverture orientées vers la route qui le relie avec la communauté rurale ou urbaine
associée. Si l’habitat isolé malgré sa vulnérabilité n’entrave point l’accès au littoral et à la mer
l’entreprise touristique (hôtels et restaurants) et industrielle (cimenteries et terminaux pétroliers)
littorale demeure un véritable instrument de fermeture du littoral haïtien. Car elles sont
dévoreuses d’espaces et nécessitent, dit-on un minimum de sécurité pour leurs équipements.
Cette dernière préoccupation les pousse à entraver la circulation sur la portion occupée par des
murs et certaines fois par de véritables blockhaus.

L’entreprise touristique par les salaires non décents qu’elle offre à la majorité de ses employés
participe grandement à l’amplification de la pauvreté laborieuse dans le pays. Il est utile de
souligner qu’il existe une grande différence entre les deux formes d’appropriation individuelle du
littoral mentionnées. Cela n’élimine pas pour autant leur point commun : la charge de pollution
produite par l’une ou l’autre. En effet, l’habitat précaire isolé transforme la mer en dépotoir
l’entreprise industrielle ou touristique libère ses rejets à la mer en l’absence de station
d’épuration. La seconde forme d’occupation peut être décrite comme collective dans la mesure
ou elle concerne toute une communauté. Il s’agit du bidonville majeur qui s’approprie le littoral
de manière lourde : reconfiguration du trait de côte, accentuation de l’érosion et amplification de

320
la pollution. Il s’agit d’un ensemble d’habitats prisonnier de l’informalité et de la vulnérabilité.
Le sous-équipement dont ils souffrent les éloigne du développement durable du milieu. Dans la
majorité des cas c’est un quartier peu porté sur la mer en dehors des activités traditionnelles de
pêche et de coupe du bois dans les zones de mangroves. Néanmoins, ces activités non encadrées,
facilitent la circulation, pour tous, sur le littoral. L’insalubrité et l’insécurité qui y règnent
peuvent être les seuls obstacles à l’ouverture souhaitée du littoral. Les formes spatiales
d’occupation littorale du pays aboutissent à deux phénomènes. Le premier est la fermeture
relative de cette composante du territoire national par les entreprises touristiques et industrielles.
Et dans ce cas de figure, la puissance publique est dans l’incapacité de garantir l’accès au littoral
à tous. Les intérêts privés défient les lois de la République en se dérobant de leurs
responsabilités. Cette situation s’explique par la privatisation de facto d’une partie conséquente
du littoral par ses agents économiques liés au tourisme et à l’industrie. Le second est
l’appauvrissement des populations les plus modestes et la dégradation du milieu. L’appropriation
du littoral, in fine, conduit aussi à l’exclusion sociale des plus modestes. Ceux qui n’ont pas les
moyens de payer sont exclus des loisirs que procure la mer. Les salaires offerts par les
prestataires de services touristiques (ou de loisirs en général) ne sont pas décents car 31% de ce
type de travailleurs reçoivent un salaire inférieur au salaire minimum (ONPES, 2014). Et
l’ensemble des formes d’occupations appauvrit le littoral par l’intermédiaire de la pression
qu’elles exercent sur les ressources et par les pollutions de toutes sortes qu’elles génèrent.

321
Chapitre VIII
Pauvres et non pauvres sur le littoral : un mariage insoupçonné

Ce chapitre expose les liens qui existent entre deux acteurs de l’occupation du littoral: ceux qui
ont les moyens économiques suffisants pour s’y installer et ceux qui s’approprient le milieu par
la débrouille. En effet, le littoral suscite la convoitise des pauvres parce qu’il permet à ces
derniers d’accéder à la propriété en dehors du marché. Les non pauvres portent un intérêt
particulier aux zones littorales pour deux raisons : établir leur maison secondaire ou de
villégiature et installer leur entreprise touristique pour capter les ressources financières générées
par l’engouement national pour la mer comme lieu de loisirs. L’expression non pauvre traduit
deux réalités distinctes : le non pauvre légal et le non pauvre illégal. La première réalité désigne
le riche bourgeois des villes, l’entrepreneur et le migrant169 (propriétaire absentéiste). La seconde
réalité caractérise le commerçant/contrebandier et le narcotrafiquant. Les intérêts de ces deux
groupes sont antagoniques car ils sont en compétition pour l’accès et le maintien du droit de
jouissance de cette partie du domaine national que sont les littoraux. Cependant face aux
pouvoirs publics ils se solidarisent et deviennent souvent complices. Cette cohabitation parfois
houleuse imprime sa marque sur le littoral en termes de socio-spatialité. D’un côté les pauvres
dans leurs bidonvilles et leur habitat isolé insalubre et de l’autre côté les non pauvres dans leurs
résidences secondaires ou dans leurs entreprises touristiques. Il faut bien le mentionner aussi, ce
contexte littoral quoique imprégné de dualité pauvres et non pauvres, donne lieu à des relations
de complémentarité et de complicité. Ces relations épousent souvent la dynamique ses marrées
dans la logique de flux et de reflux. Les relations sont bonnes entre les deux acteurs le matin car
la présence des pauvres est nécessaire pour le nettoyage et le jardinage, elles sont dégradées
durant la journée pour la quiétude et la sécurité des clients et elles redeviennent normalisées pour
le gardiennage et le nettoyage.

1- Le poids de la juxtaposition

Le premier élément qui saute aux yeux dans l’observation de la dynamique d’appropriation du
littoral dans le pays est le contraste qui s’établit entre l’exploitation du milieu organisée par les
pauvres et celle activée par les non pauvres. Le spectacle est saisissant car une véritable

169
Le migrant détenteur de propriété littorale qui vit en dehors du pays confie à un pauvre la garde de son bien. Se
faisant, il favorise l’arrivée et l’émergence de petits ilots de pauvres dans les espaces interstitiels qu’il connait bien.

322
juxtaposition s’installe en y déposant un trait caractéristique majeur. La notion de juxtaposition
est prise dans le sens d’un mélange entre deux formes d’appropriation du littoral haïtien.
L’analyse appliquée ici s'appuie sur des logiques d'acteurs parfois conflictuelles. Et elle prend en
compte les choix effectués en matière de ressources, de risques, de contraintes, de qualité du
cadre de vie, par chacun des acteurs pour répondre à ses besoins et à ses exigences propres. Les
deux groupes se côtoient et aménagent dans des finalités différentes : d’un côté ceux qui veulent
accéder à un logement comme propriétaires et d’un autre coté ceux qui veulent profiter des
retombées économiques liées au processus de littoralisation amorcé dans le pays depuis quelques
années (voir la photo suivante).

Photo 29.- La cohabitation entre pauvres et non pauvres sur le littoral du Cap-Haitien

Crédit photo de la CERHCA, 2016


Au Haut-du-Cap (à l’ouest de la ville du Cap-Haitien les deux acteurs sont visibles. A gauche de la photo des bâtisses à trois niveaux
témoignent du caractère non pauvre du propriétaire. Au centre et à droite s’installent des petites maisons dont la dimension renseigne
sur la pauvreté de l’occupant. Les deux occupants, pauvre et non pauvre, évoluent côte à côte.

a- Les ressources convoitées sont différentes

Dans la dynamique d’appropriation du littoral la ressource première pour le citoyen pauvre


demeure l’accès gratuit au foncier. Trouver une place ou un emplacement pour installer son
logement est un rêve qui hante l’esprit du pauvre en permanence. Car l’accès au loyer coûte très
cher dans le pays. Le ménage pauvre considère l’hébergement comme l’un de ces trois éléments

323
de vie prioritaires170. Construire sa maison revêt un caractère de prestige et de réussite. Les
expressions comme pa lakay pa granmoun (le charbonnier est maitre de chez lui) et « rete nan
kay tè pi bon pase fè desant ka moun » (un chez soi même modeste vaut mieux qu’être hébergé
dans la maison d’autrui). Cette préoccupation est légitime si l’on doit tenir compte du contexte
national. En effet, la demande de logement des ménages pauvres est une donnée mal connue.
Néanmoins, elle peut être appréciée à partir de la seule multiplication fulgurante de nouveaux
quartiers précaires dans les villes haïtiennes.

Le bidonville est devenu la principale destination finale des ménages pauvres [CERHCA, 2014],
alors qu’on observe un décalage croissant, à la fois quantitatif et qualitatif, entre l’offre et la
demande : le logement pris et accepté répond généralement à moins de 50% des performances
attendues. En effet, le rôle joué par le bidonville dans l’hébergement des ménages pauvres s’est
fortement accru : en 2016, 76% des ménages pauvres y résident, contre moins de 30 % en 1990.
La terre (son accès) devient la ressource ciblée par les pauvres. Les non pauvres ciblent une autre
ressource dans l’appropriation du littoral. Ce n’est pas la terre qui les intéresse mais plutôt la
mer, celle qui anime leurs entreprises prestataires de services de loisirs liés à la mer. Cette
dernière sert de substrat à de nombreuses activités souvent lucratives telles la voile, la plongée, la
pêche au gros, jet ski et sortie en bateau et sans oublier la généreuse manne du droit d’accès
payant. Cette logique impose une exploitation spécifique qui elle-même exige des équipements
adaptés : embarcadères et flottilles de toutes sortes etc. Les deux acteurs s’installent, exploitent,
se côtoient mais la motivation n’est pas la même.

b- Les contraintes et les risques encourus ne sont pas de même nature

A travers le bidonville ou l’habitat précaire isolé, le pauvre s’installe sur le littoral par la
débrouille. Cette façon d’opérer le met dans une situation de grande vulnérabilité. L’incertitude
est la première contrainte à laquelle fait face le pauvre. Son occupation du littoral reste et
demeure, dans le temps, illégale. Le logement construit peut être démoli à tout moment par les
services municipaux pour non-respect de la loi. La menace de déguerpissement le met dans une
insécurité permanente. Il devient la proie facile des agents publics et territoriaux sans scrupules
qui ne font que lui soutirer de l’argent indéfiniment. Il est sollicité au moins deux fois l’an par
des agents en « mission privées », autrement dit dans une dynamique d’abus de biens publics et

170
“ Le logement est un indicateur majeur de la pauvreté dans les conditions de vie en Haïti

324
de corruption. Et régulièrement il reçoit la visite de gens s’identifiant comme mandatés par la
mairie ou les services de la fiscalité afin de lui proposer de petits arrangements qui lui
permettraient de conserver sa petite parcelle.

L’occupant non pauvre ne subit pas ces abus. Le risque de perdre son bien acquis est
relativement peu élevé. Il dispose généralement d’un document administratif qu’il peut exhiber à
tout moment. Ce document le transforme en fermier de l’État avec des droits que ces avocats
arrivent toujours à faire respecter. Evidemment, son meilleur défenseur demeure le poids de sa
fortune et de ses relations avec les autorités locales et centrales. Il est mêlé lui aussi aux
spoliations du domaine de l’État mais sa richesse lui permet de se conformer au règlement
minimal une fois le forfait abouti et consommé. Ce que le pauvre ne peut pas faire compte tenu
de la pauvreté de son portefeuille et de ses relations de pouvoir. Le risque est ailleurs pour
l’occupant non pauvre : sa seule crainte demeure la qualité du voisinage. La proximité avec un
bidonville, pour lui, réduit à néant les potentialités de la parcelle sur laquelle il comptait capter
les ressources financières générées par l’intérêt de plus en plus grand des classes moyennes et
populaires (entre autres) pour les loisirs liés à la mer. Alors que le pauvre attend beaucoup de
cette proximité pour trouver du travail et profiter, par effet de lieu, d’un minimum de services
collectifs (eau, électricité etc.) que seule la présence d’un équipement économique peut garantir
dans ce lieu.

Dans un contexte national de grande récurrence des catastrophes naturelles les littoraux haïtiens
sont souvent frappés par les cyclones. Ces derniers entrainent dans leur sillage des destructions
d’infrastructures, des plantations et des habitats. Les équipements des pauvres, tels les habitats,
résistent très mal aux intempéries. Cette situation est due à la mauvaise qualité des matériaux
utilisés pour les toitures et les murs des logements. L’évaluation des dégâts dans la presqu’ile du
sud après le passage du cyclone Matthew en 2016 confirme cette faiblesse indexée
(MPCE/PDNA, 2016). Les cocoteraies, les bananeraies et toutes les plantations de survie du
littorales ont été systématiquement balayées par les rafales de vents du cyclone. Les pertes sont
conséquentes pour les plus modestes qui se sont décapitalisés. Seuls les non pauvres peuvent
assurer le relèvement de leurs entreprises car leurs actifs et patrimoines sont couverts par des
polices d’assurance.

325
c- Un littoral pour deux cadres de vie

Les pauvres et les non pauvres se partagent le littoral, pour des raisons différentes, on l’a
expliqué dans les lignes précédentes. Néanmoins ces deux groupes évoluent dans des cadres de
vie différents tout en tout partageant le même milieu. En effet, les pauvres vivent dans de
l’habitat précaire isolé ou dans un bidonville. Ces deux formes d’appropriation du littoral
s’inscrivent dans une dynamique de survie et de débrouillardise. L’insalubrité qui y règne est
génératrice de maladies. L’assainissement fait sévèrement défaut dans un contexte marqué par le
sous-équipement. Le pauvre trouve une solution à tous ses problèmes dans la débrouille : accès à
l’eau, à l’électricité et aux produits de première nécessité. Cependant son cadre de vie demeure
foncièrement dépendant de la fragilité du milieu et surtout de sa vulnérabilité économique et
sociale. Le non pauvre, grâce à ses revenus, améliore sensiblement son lieu d’implantation par
des aménagements qu’il réalise dans le cadre de l’occupation littorale. Il assaini sa parcelle
contre les eaux stagnantes. Un système de drainage évacue les eaux de surface. Il assure
régulièrement la fumigation du lieu. Ces actions procurent à l’occupant non pauvre une certaine
aisance dans le cadre de sa résidence secondaire ou dans l’exploitation de son entreprise
touristique. La plupart du temps le contact avec la plage se prolonge en mer par l’intermédiaire
de constructions sur pilotis (estrades, terrasse, et aires de loisirs). Ces travaux nécessitent des
moyens financiers conséquents qui sont hors de portée du pauvre pour l’habitat précaire isolé et
le bidonville littoral. L’exploitation du littoral à des fins résidentielles ou économiques pour le
non pauvre se réalise dans une dynamique d’autonomie. L’eau, l’énergie électrique et certains
biens de consommation sont produits à l’intérieur de la zone d’implantation. La démarche est
onéreuse en termes d’achats et de la maintenance de groupes électrogènes et d’installations
solaires. La résidence secondaire ou l’entreprise touristique installée se transforme en véritable
isolat. Les occupants qu’ils soient clients ou propriétaires vivent dans une oasis en décalage
complet avec le voisinage.

Les pauvres et les non pauvres s’installent sur le littoral, très souvent, côte à côte mais cette
proximité spatiale ne détruit point pour autant les inégalités socioéconomiques qui les séparent et
les différencient. Ce milieu de vie et de production qu’est devenu le littoral n’est autre que le
condensé des rapports sociaux qui s’établissent dans le pays.

326
2- Une complicité entre occupants riches et pauvres dans la dégradation du littoral

Les relations entre les exploitants ou occupants du littoral sont complexes et diversifiées. Elles
sont marquées souvent par la complémentarité. Les pauvres fournissent aux non pauvres la main
d’œuvre indispensable pour les emplois de service de jardinage et de gardiennage. Les femmes
pauvres occupent les fonctions de servante et assurent l’entretien des installations comme
femmes de chambre. Entre la villa ou l’entreprise touristique et les pauvres se crée une véritable
dépendance qui matérialise la complémentarité. En effet, ces structures forcent le pauvre à
s’implanter sur le littoral pour être proche de son lieu de travail. Cela permet au pauvre de
diminuer ou d’éliminer le coût du transport qui pèse sur son budget. Et l’accès à une main
d’œuvre bon marché et immédiatement exploitable est une aubaine dans le cadre de l’efficacité
économique pour les non pauvres à travers l’entretien de la résidence secondaire ou
l’exploitation de l’entreprise touristique. La complicité entre ces deux acteurs de l’occupation
littorale se réalise de façon insidieuse. La juxtaposition sociale observée sur le littoral est en
cohérence logique avec le contexte politique et administratif qui prévaut dans le pays depuis la
chute de la dictature des Duvalier en 1986. La puissance publique s’effrite et se retrouve dans
l’incapacité de faire régner l’ordre. Les institutions véhicules de la puissance publique sont-elles
mêmes dans la délinquance vis-à-vis de la loi et du respect des normes. Les citoyens, riches ou
pauvres, ont compris le processus de délitement des pouvoirs publics (centraux et locaux) et
n’hésitent point à en profiter et en abuser. L’appropriation du littoral est un élément parmi
d’autres sur lequel se manifestent les déficiences graves de la gouvernance publique.
L’occupation illégale du littoral n’est jamais réprimée dans les faits car les occupants sont des
catégories sociales diamétralement opposées. D’un côté les pauvres qui pèsent lourd dans
l’électorat et de l’autre côté les riches qui assurent le financement des campagnes électorales des
élus, tant sur le plan local que national (maires, délégués de ville et de conseils de sections
communales et députés).

Dans cette dynamique toute décision de la puissance publique visant à durcir les conditions
d’accès au littoral est vue et interprétée comme une mesure restrictive d’accès au foncier. Les
couches populaires sont extrêmement sensibles à ces arguments. Ce type de mesure culminerait à
un électorat mécontent donc capable de renverser les équilibres politiques. Cet intérêt
électoraliste empêche aux élus locaux d’appliquer les lois en vigueur. C’est le même état d’esprit

327
chez les parlementaires qui préfèrent ne pas légiférer sur le problème afin de préserver leur
réélection. La réticence des pouvoirs publics à sévir de façon drastique contre l’appropriation
désordonnée du littoral par les populations les plus pauvres devient un gage de sécurité pour les
occupants non pauvres. Ces derniers voient leur installation perdurer dans le temps aussi
longtemps que le problème de logements sociaux pour les plus modestes ne soit pas résolu.

L’État haïtien se retrouve, dans ce contexte, prisonnier de ses propres politiques et orientations
stratégiques. En effet, les plans nationaux de développement tels le DSNCRP et le PSDH, les
engagements internationaux pris par le pays (ex OMD) préconisent des logements décents pour
les plus pauvres. Or, les unités de logements créées et livrées par l’Entreprise Publique de
Planification des Logements Sociaux (EPPLS), ne correspondent qu’à 1,6% de la demande
totale.

L’auto construction par les populations pauvres de leurs logements devient un précieux appui
pour l’État dans sa responsabilité de prise en charge sociale. La sauvegarde du littoral tient de
moins en moins face à l’urgence de loger des milliers d’habitants générés par l’exode rural
vivace et la croissance naturelle des populations urbaines.

Dans un autre registre les plans nationaux mentionnés plus haut facilitent l’implantation des non
pauvres sur le littoral car la promotion du tourisme est faite comme bassin potentiel de création
d’emplois. Les propriétaires d’entreprise touristique peuvent se targuer d’être dans le sillage des
décisions de l’État car ils apportent des emplois, ils augmentent les ressources fiscales et par-
dessus tout ils garantissent une certaine protection du littoral en y imposant une exploitation plus
ou moins raisonnée. Les prestataires de services rencontrés ajoutent aussi à leur actif les actions
de restauration et de réhabilitation des sites fragilisés. Il devient donc difficile pour les pouvoirs
publics de ne pas tomber sous le charme de ces sirènes dans un contexte de marasme
économique. Les recettes fiscales insinuées, faibles soient elles, et les emplois évoqués (non
décents qu’ils puissent être) ne peuvent pas être ignorées au profit d’un littoral préservé certes
mais qui ne nourrit pas son homme (qui ne nourrit pas la République dirait-on). C’est ce
pragmatisme cynique qui anime les relations entre les gouvernés et les gouvernants dans le cadre
de l’exploitation et l’occupation du littoral dans le pays.

328
3- Une cohabitation houleuse

La complicité entre les occupants pauvres ou non pauvres du littoral pour contourner la loi et
exploiter les déficiences des autorités publiques en matière de gouvernance n’est qu’un aspect
des relations qui s’établissent entre ces deux acteurs. La juxtaposition qu’ils vivent n’est pas un
rempart mais plutôt une façade sous laquelle s’expriment de nombreuses querelles de voisinage :
nuisances sonores, construction gênante, circulation ouverte, sécurité des biens, commerce
informel, exploitation libre des ressources du littoral. En fait, face à ces troubles de voisinage, les
acteurs sont seuls car les mairies qui ont en effet l'obligation d'assurer la tranquillité publique des
habitants de leurs communes ne sont jamais présentes. Quelques fois la tache de conciliation et
de médiation est assurée par les associations et très souvent par la force de troupes de choc
payées par l’une ou l’autre des parties. La tension qui s’installe entre ces deux opérateurs est liée
au télescopage qui se produit entre les intérêts du prestataire de services touristiques et ceux des
pêcheurs en quête de meilleurs revenus.

Le pêcheur haïtien est dans un confinement littoral sévère car il n’est pas équipé pour avoir une
extension de sa zone de pêche. La solution viendrait, entre autres, des aides publiques à la
motorisation et à l’amélioration des embarcations de façon à transformer les modes traditionnels
de pêche qui n’affichent aucune efficacité. Ailleurs, dans la Caraïbe, face aux mêmes
contingences et surtout devant la diminution des prises dans les eaux infralittorales, l’effort de
pêche se déplace vers la haute mer avec des navires hauturiers et par l’installation de Dispositifs
de Concentration de Poisson (DCP) qui permettent les captures de gros poissons pélagiques
(Desse et al, 2009). Cette dynamique commence à peine à prendre corps dans le pays. A termes,
elle devrait atténuer le cycle de tension qui existe sur la marge littorale entre les prestataires de
services touristiques et les pêcheurs.

a- Le pêcheur-restaurateur est dénoncé par l’entreprise touristique

Le pêcheur certaines fois est un allié de l’entreprise touristique qu’il alimente en produits de la
pêche. Cependant dans bon nombre de cas ces types d’entreprise s’approvisionnent uniquement
sur le marché de gros pour baisser le coût et surtout pour éviter la rupture de stock compte tenu
de la faible capacité de production du petit pêcheur. Ce dernier s’adapte à cette nouvelle donne
en se transformant en pêcheur-restaurateur pour les clients des structures touristiques. Il propose,

329
à des prix défiant toute concurrence des plats, à même la plage. Les usagers apprécient
grandement cette offre car ils constatent un décalage énorme entre le prix affiché à l’intérieur de
l’entreprise touristique et celui pratiqué par ces petits pêcheurs restaurateurs. C’est un véritable
manque à gagner pour les grands prestataires qui mettent en place tout un cordon sanitaire autour
de leurs installations pour contrecarrer cette concurrence perçue comme déloyale.

A cet effet des gardiens armés sont déployés pour les tenir à distance. Néanmoins le contrôle
reste limité face au trésor d’ingéniosités du petit pêcheur. Ce dernier contourne les passages
terrestres en arrivant par la mer dans leurs canots ou leurs pirogues pour proposer des ballades
mais surtout la restauration à prix cassé. La clientèle par voie d’affichage est avertie contre ses
offres sauvages dénoncées comme dangereuses : sécurité et hygiène douteuses. Les clients,
surtout les nationaux, ne sont pas dupes et ne se laissent pas prier pour profiter de cette aubaine.
Un climat de tension s’installe donc dans le quotidien entre ces deux acteurs du littoral.

Ce qui est disputé c’est le marché potentiel des consommateurs que les prestataires formels ne
veulent pas partager. Cette double fonction permet potentiellement au pêcheur pauvre de devenir
un pêcheur moins pauvre. Le pêcheur/restaurateur arrive souvent à faire l’acquisition d’un
moteur lui ouvrant la voie à un espace de pêche beaucoup plus grand. Sur la Côtes des Arcadins
ce type de « pêcheur augmenté » élargit ses marges de profit en installant un restaurant, gardé par
sa femme, sur la plage dite publique tout en conservant l’offre initiale proposée aux clients des
entreprises touristiques.

Le pêcheur est aussi dénoncé pour sa présence intempestive sur le lieu des installations des
entreprises touristiques. En effet pour pêcher et surtout pour réparer ses outils de travail (canot et
filets) il s'installe sur la plage sous une tente faite de branchages ou de vieux tissus usagés. Ce
qui n'est pas du goût des propriétaires et occupants aisés qui dénoncent l'enlaidissement de la
plage. Ils considèrent la présence remarquée du pêcheur comme une pollution visuelle qui fait
fuir les touristes et la clientèle en général. Le pêcheur est accusé de salir les lieux avec les débris
que ses filets ramènent après chaque largage. Le filet racle de fond des eaux en quête de prises de
plus en plus rares néanmoins beaucoup d'algues et de déchets domestiques et industriels
introduits par les eaux de ruissellement restent prisonniers dans le filet et sont tout simplement
lâchés sur la plage.

330
Le pêcheur dénonce le rétrécissement continu de sa zone de travail. La fermeture du littoral et
l'accès contrôlé à la mer crée un malaise chez les occupants pauvres tels les pêcheurs qui voient
leur territoire de pêche diminuer au fur et à mesure que l'occupation littorale s'amplifie dans le
pays. Les formes d'occupation qui limitent leur champ d'action demeurent l'entreprise touristique
littorale et les résidences secondaires ou de villégiature des non pauvres. Ces dernières sont
équipées d'installations associées aux loisirs de grande envergure qui réduisent sensiblement les
marges de manœuvre des acteurs et occupants traditionnels. Les embarcadères érigés par les
nouveaux venus entravent le tirage des filets des pêcheurs. Les transats disséminés sur la plage
entre la mer et le sable pour les besoins des vacanciers et touristes ne permettent plus aux
pêcheurs de travailler dans les conditions traditionnelles habituelles à savoir se servir de la plage
comme zone de tirage de leurs filets et de la vente des espèces marines capturées. Ce
rétrécissement de la marge et de la rentabilité des eaux infralittorales trouvent des solutions dans
les Antilles françaises171. Les politiques publiques tirées du PSDH doivent pouvoir s’inspirer de
ces modèles afin de proposer à ces acteurs littoraux un meilleur avenir pour casser le cercle
vicieux de la pauvreté. Dans certains cas des pans entiers de mangroves se retrouvent intégrés
dans des portions privatisées du littoral par les entreprises touristiques. Ce qui les soustrait à
l'exploitation prédatrice journalière du pêcheur. Ce dernier n'apprécie pas cette restriction qu'il
assimile a de l'abus. La majorité d'entre eux perçoit cette nouvelle situation comme une tentative
171
Dans un article intitulé « Le redéploiement de la pêche antillaise vers les grands poissons pélagiques » dans « La
pêche aux Antilles (Martinique et Guadeloupe) de IRD, L. REYNAL, M. TAQUET, en 2002, expliquent la situation
en Martinique et en Guadeloupe en ces termes : Les grands poissons pélagiques du large n'étaient autrefois exploités
que par des pêcheurs dont le courage et l'habileté étaient reconnus de tous, car cette pêche nécessitait de s'éloigner
beaucoup des côtes l’embarcation à voile. utilisée il y a encore quelques décennies, devait être constamment
équilibrée par l'équipage pour ne pas chavirer L'introduction du moteur hors-bord a permis aux professionnels de
s'affranchir des contraintes de la navigation à voile. L'insubmersibilité des embarcations a limité les risques liés à
cette pêche qui se pratique pendant la saison où les alizés sont les plus forts (de décembre à juin). Progressivement
les chantiers navals locaux ont proposé des embarcations mieux adaptées. Les pêcheurs ont pu les acquérir d'autant
plus facilement que des aides publiques leur sont accordées. Aujourd'hui, l'embarcation, souvent en matériau de
synthèse et fortement motorisée, permet des sorties de jour; à des distances de plus en plus importantes. La
navigation à l'aide de GPS a remplacé la navigation basée sur l'orientation par rapport aux éléments naturels
(direction du vent ou de la houle, . . .) et le calcul de la distance parcourue qui, depuis la motorisation des
embarcations, se mesurait à la fraction de bac d'essence consommée. Des balises Argos équipent les embarcations de
pêche qui peuvent en toute sécurité s'éloigner de la côte. Les feux de navigation sont de plus en plus fréquents sur
les embarcations de pêche et le balisage nocturne à l'approche des côtes permet maintenant aux pêcheurs qui le
souhaitent de naviguer de nuit. Tous ces progrès techniques ont permis aux artisans pêcheurs antillais de développer
progressivement la pêche des grands poissons pélagiques du large par une extension de leur zone de pêche, mais en
conservant le même engin (la ligne à main) et en ciblant les mêmes espèces.

331
orchestrée par les classes aisées de diminuer leurs revenus en tant qu’actifs indépendants
(Coquillot, 2016). En dehors de ces considérations, ces petits pêcheurs contournent en partie des
difficultés en organisant des prises la nuit loin des regards et de la surveillance des agents de
sécurité. Les mangroves sont les premières et principales victimes de cette stratégie de survie car
la surveillance nocturne est plus hasardeuse et globalement plus compliquée.

b- Le petit marchand ambulant est chassé et l’intrusion du voisin-riverain est


diabolisée

La concentration en un lieu de nombreuses personnes venues gouter aux loisirs de la mer donne
lieu immédiatement à un marché potentiel que de nombreux petits marchands ambulants tentent
de satisfaire avec des offres alternatives à celles proposées par les structures formelles. Les
prestataires informels en question mettent à la disposition de la clientèle des sucreries et des
produits artisanaux. La démarche ne plait pas aux propriétaires des entreprises touristiques qui
s'organisent pour éloigner le plus possible ces petits acteurs informels. Il est reproché à ces
derniers de troubler la tranquillité des clients installés et de salir le site avec les sacs d'emballages
des produits vendus. Ils sont persona non grata et sont chassés systématiquement par les agents
de sécurité. Ils s'adaptent en se cantonnant à l'entrée et aux extrémités des infrastructures
touristiques. Le malaise persiste car ces petits marchands deviennent de plus en plus nombreux
du fait de la dégradation continue des conditions de vie. Et les clients, de plus en plus intéressés
aux offres alternatives de ces petits prestataires n'hésitent pas à aller vers eux pour bénéficier des
prix cassés sur leur consommation.

La question de sécurité est une préoccupation majeure des occupants non pauvres du littoral. Ils
investissent considérablement dans des ouvrages et des outils associés à la protection des
bâtiments et propriétés. A cet effet, ils construisent des murs et des clôtures métalliques, ils
installent des barbelés pour s'isoler du voisinage. La maison secondaire ou de villégiature aussi
bien que les installations de l'entreprise touristique tenues par les non riches sont sous la
surveillance des agents de sécurité. La menace perçue est associée à la présence des pauvres qui
sont susceptibles de mettre en danger les biens et les équipements. L'intrusion est appréhendée
par les riches comme une agression contre la propriété privée. Dans le cas d'entreprise touristique
elle est perçue comme un élément perturbateur. Dans cette logique elle va être traitée sous l'angle

332
de la mendicité agressive, du viol de domicile, du vol ou du vandalisme. Ces cas sont réprimés
par la justice donc susceptibles de faire l'objet de plainte contre les auteurs. Mais la logique
demeure classique au regard du pauvre, c’est celle de la relégation. Il doit être confiné dans
certains espaces pour qu’il ne soit pas vu. Il faut l’éloigner le plus possible de la vue des
touristes.

Conclusion

La cohabitation entre les occupants du littoral qu’ils soient nouveaux et anciens, qu’ils soient
pauvres ou non pauvres se réalise dans un climat de compétition liée aux intérêts économiques
(accès aux ressources halieutiques, partage du marché des vacanciers et touristes et libre
circulation sur le littoral). Les rapports qu’entretiennent ces acteurs sont animés grandement par
la méfiance et la peur sur fond de socio spatialité. Cette problématique, dans son contenu, est
connue et diagnostiquée dans les littoraux tropicaux à l’instar de ceux de la Caraïbe. En Haïti, les
dynamiques de prédation sont renforcées par la pauvreté des hommes comme de l’État, et par
des pratiques et une approche prédatrice qui remonte à la période coloniale, quand Espagnols et
français ensuite, ne désiraient que faire fortune rapidement, quitte à épuiser les sols, les eaux
côtières et les écosystèmes associés. Ce dernier n’est pas Ces facteurs concourent à la mise en
place d’une exploitation littorale déraisonnée. Se faisant c’est tout l’écosystème côtier qui se
fragilise en s’appauvrissant. Chacun des acteurs s’enferme dans ses activités propres sans se
soucier de celles des autres. Or une meilleure intégration de tous aurait donné plus de chance à
une exploitation durable de réussir. Tout ceci aboutit à une dégradation généralisée liée
fondamentalement à la pauvreté. Les mauvaises pratiques de pêche et la recherche de capture
dans un contexte d’insécurité alimentaire et parfois de famines (Nord-ouest) mettent en danger la
pérennité des ressources. La pauvreté et la mauvaise gouvernance empêchent l’État d’améliorer
les conditions d’existence des acteurs traditionnels des littoraux. Cet État pauvre est dans
l’incapacité de gérer les déchets ce qui, finalement, génère une pollution généralisée et pose un
problème de santé publique génératrice de pauvreté.

333
Chapitre IX
Une dégradation littorale généralisée liée à la pauvreté : le cas de la baie de Port-au-Prince

Dans ce chapitre, est réalisée une analyse sur l’incapacité des pouvoirs publics à gérer les déchets
et la pollution généralisée sur les littoraux haïtiens. La situation de la baie de Port-au-Prince est
symptomatique de la mauvaise gouvernance qui prévaut dans le pays en matière de gestion
environnementale en général et du littoral en particulier. La dernière vague d’occupation du
littoral qui date de la fin des années 80 a transformé cette partie du territoire national en un
véritable milieu de vie et de production où se croisent les plus pauvres et les plus nantis. Cette
appropriation tardive mais accélérée génère de nombreuses conséquences sur l’écosystème
côtier. Ce dernier devient le substrat sur lequel s’organisent les activités traditionnelles telles la
pêche, l’agriculture, le charbonnage, les marais salants. D’autres activités dites nouvelles
(tourisme, exploitation de matériaux de construction et poldérisation) amplifient la pression sur
les ressources littorales au point de menacer gravement leur durabilité. L’exploitation prédatrice
et inconsidérée, la mauvaise gouvernance et l’incapacité des pouvoirs publics à faire respecter les
normes établies ont contribué à la dégradation et à l’appauvrissement du littoral. Ces derniers
sont appréhendés à travers la politique de tout à la mer qui anime le drainage et l’assainissement
dans le pays d’une part et la logique minière qui domine l’exploitation des ressources d’autre
part. La baie de Port-au-Prince est le condensé de la situation de dégradation et
d’appauvrissement qui frappe le littoral haïtien.

Dans les pays en développement, où la population est trop impliquée dans les activités de survie,
on s’occupe très peu ou presque pas des problèmes de pollution. On a l’impression que tout va
très bien. Mais en réalité y règne une situation, très souvent, proche de la catastrophe, car la
pollution marine dans ces pays atteint actuellement des proportions inquiétantes. Contrairement à
ce que l’on pensait, les pays en développement ne sont plus synonymes de mer propre. La mer en
Haïti n’échappe pas à cette logique. La logique du tout à la mer règne en maitre, et aucune
politique de protection n’est appliquée sur une étendue assez conséquente liée à plus de 1 500
kilomètres de côtes. La mauvaise, pour ne pas dire l’absence de gestion des eaux va créer une
situation de pollution évidente de la baie de Port-au-Prince.

334
1-Une baie importante, riche et fragile

La baie de Port-au-Prince est le prolongement du golfe de la Gonâve. Elle est limitée à l’Est par
la plaine du Cul-de-Sac, à l’Ouest par l’île de la Gonâve, au Nord-Ouest par le canal de St Marc,
au sud-ouest par le canal de la Gonâve.

Elle a une direction WNW-ESE. Sa plus grande longueur, de la pointe Fantasque de l’île de la
Gonâve aux installations portuaires de Port-au-Prince, est d’environ 57 Km. Sa plus grande
largeur, du Trou Forban à la pointe de Léogâne, mesure 35 Km. Sa forme rectangulaire nous
permet d’évaluer approximativement sa superficie à plus de 1900 Km2.

Cette baie est caractérisée par sa faible profondeur. Sa hauteur maximale atteint 155 m et
correspond à son centre. Elle présente des lignes bathymétriques concentriques (carte). Ses eaux
sont peu agitées autrement dit très calmes. Les vents dominants suivent la direction Est-Ouest le
matin et le soir, Ouest-Est à midi et l’après-midi. Trois des six communes qui forment
l’agglomération de Port-au-Prince sont en contact direct avec la baie parce qu’elles sont côtières
: Cité Soleil, Carrefour, et Port-au-Prince. Cette situation fait de la baie un élément intégré dans
l’ensemble des activités de la Région Métropolitaine de Port-au-Prince (RMP). La richesse de
cette baie est constituée par la présence d’îles et d’îlets, de récifs coralliens, d’herbiers et de
mangroves, de la faune et de la flore.

a- Les îles et îlets

L’île de la Gonâve- c’est la plus grande des îles de la république d’Haïti. Elle a une longueur de
57 Km sur une largeur de 15 Km. L’île est constituée presqu’entièrement de calcaires massifs et
cristallins. Ce relief karstique mûr, est marqué par un drainage superficiel nul, sauf en saisons de
pluies. Les côtes sont de deux types : basses et lagunaires quand elles sont formées d’alluvions,
élevées quand elles sont constituées de calcaires. L’île constitue une barrière naturelle de
protection pour la baie de Port-au-Prince. A l’est de l’ile se trouve la Petite Gonâve, très peu
connue quoique habitée.

335
Les îlets Arcadins- Ce groupe d’îlets, situé au nord-ouest de la baie, sert de frontière entre le
canal de St-Marc et la baie de Port-au-Prince. Ils font les délices des plages de cette région,
qu’on nomme « la côte des Arcadins ». Cette dernière concentre près de 90% des activités
touristiques liées à la mer.

Les îlets Carénage.- Souvent appelés Cayes Carénage, ils longent la côte Nord de la baie depuis
l’embouchure de la rivière Grise jusqu’à la pointe du boucanier. Ils servent souvent d’habitat
provisoire et définitif à plusieurs espèces d’oiseaux qui vivent dans la région

L’îlot Islet- Situé en face des installations portuaires de la ville, est aujourd’hui intégré par ces
dernières. Longtemps utilisé comme dispositif de défense, il est actuellement le siège de
l’organisme chargé de la gestion des activités portuaires. (APN)

b- La faune et la flore

La flore de la baie est constituée par la mangrove et les herbiers. Les mangroves sont des
communautés biotiques de végétaux (d’animaux aussi) d’aspect très particulier, caractéristique
de vases littorales marines soumises aux flux et aux reflux des marées. Elles n’existent que dans
les régions tropicales et subtropicales. L’extension d’une mangrove lisérée au bord de la mer ou
forêt amphibie, couvrant de vastes marécages littoraux, dépend de l’étendue de la zone
alternativement inondée et exondée. Ce type de forêt est essentiellement constitué d’arbres plus
ou moins haut, offrant un aspect extraordinaire car certaines parties de leurs appareils racinaires,
non dissimulées dans le vase, forment des dispositifs étranges très visibles à marée basse.

La mangrove de la baie de Port-au-Prince est constituée de deux variétés. Premièrement la


Rhizophora (Rhizophoracées, famille de l’ordre des Mystales) communément appelée palétuvier.
Cette variété se trouve dans la partie nord de la baie. Deuxièmement l’Avicennia (Verbénacées,
de l’ordre des solenales) plus abondante sur le site, ce type est fondamentalement plus présent
dans la partie Sud de la baie. Nous estimons à plus de 200 hectares la superficie couverte par la
mangrove. C’est un capital grandement menacé au regard de sa proximité avec deux grandes
poches de pauvreté : Cité Soleil et Canaan. Ce dernier, installé récemment à la faveur du séisme
de 12 janvier 2010, est le témoignage vivant des conséquences désastreuses que peut avoir une
politique publique mal orchestrée au regard de l’aménagement et de l’organisation du territoire.

336
Tous les hauts fonds de la baie sont occupés par les herbiers. Deux types ont été identifiés : les
herbiers côtiers envasés et ceux qui vivent en eau plus claire sur les hauts fonds. La baie est
habitée par une faune très diversifiée. Les palétuviers, qui grâce à l’enchevêtrement de leurs
racines échasses et aériennes, constituent des abris pour une faune complexe. Ainsi, on n’y
rencontre des invertébrés fixés comme les huîtres, dans la zone du balancement des marées ou
d’autres invertébrés, toujours immergés comme les éponges. On rencontre également une faune
vagile, comme les poissons, en particulier des juvéniles, qui s’abritent et se nourrissent entre les
racines.

L’absence de travaux spécifiques sur cette baie empêche d’avoir une idée juste et exhaustive du
nombre d’espèces qui peuplent ce milieu marin. Cependant les observations effectuées sur les
prises des pêcheurs sur le littoral permettent de faire plusieurs constatations : - toutes les espèces
capturées sont représentatives de celles prises sur toutes les côtes haïtiennes- que le quart des
poissons pris représente plus de 90% des effectifs. Parmi ces espèces on peut citer
fondamentalement la sardine (Anchoa suranamérisis), la carangue gros yeux (caranx latus), le
coco (beurdulla ronchus), sans oublier les Blanches (diaptérus rhonbeus, gerres cinereus et
Eucinostomus. En dehors des poissons, d’autres espèces sont concernées par les captures. Il
s’agit de Lambi, péché principalement au sud de la baie, de congres, de pieuvres, de 4 espèces de
crabes et de crevettes (les crevettes capturées sont essentiellement des Penaeus brasilieusis, des
P. substilis, des P. notialis, des P. shmitti et des Trachypenaeus Similis).

L’ensemble formé par la baie, le littoral et la mangrove est le lieu de séjour de plusieurs espèces
d’oiseaux telles : le pélican, le merle (quiscalus lugubris), le Héron (Butorides striatus), les
Chevaliers et Bécasseaux. Il faut souligner aussi l’importance de certains oiseaux migrateurs
dans la population totale : le cas le plus intéressant est celui des canards (les Anatidés) .La baie
de Port-au-Prince forme donc un véritable écosystème car les ensembles de population existant
dans ce milieu et présentant entre elles des interactions multiples telles que relations de
cohabitation, de compétition et de prédation, constituent avec le milieu en question un système
biologique spécifique. Elle constitue une entité relativement autonome par rapport aux
écosystèmes voisins (le continuum lac Azueï et Trou Caïman). La gestion rationnelle de cette
baie exige une bonne connaissance de son fonctionnement. La pression de l’urbanisation en

337
général et de l’occupation anarchique du littoral en particulier rendent vulnérable ces milieux et
l’écosystème installé est mis potentiellement en en péril au regard de la biodiversité.

2- Des mauvaises pratiques de la pêche dans un contexte d’insécurité alimentaire

Les eaux de la baie de Port-au-Prince sont sous le coup de mauvaises pratiques de la part des
pêcheurs. La taille des espèces pêchées diminuent sévèrement et les captures des juvéniles
augmentent grandement. Ces pratiques se réalisent dans un contexte de pollution générée par
l’ensemble des acteurs du littoral. Il faut souligner que cette baie reçoit les rejets urbains des
quatre plus grandes villes d’Haïti en termes d’agglomération de population : Carrefour, Cité
Soleil, Port-au-Prince et Delmas.

Cette dynamique de rejet non encadré expose les ressources halieutiques à de graves dommages.
Car les eaux usées et les rejets urbains de toutes sortes atteignent directement la baie sans passer
par un système d’épuration. Ces rejets redessinent aussi, la géographie de la pêche dans la baie.
La ressource se raréfie dans la baie et les captures sont insignifiantes et potentiellement
contaminées. Tout ceci dans un contexte régional d’insécurité alimentaire chronique. L’analyse
se porte sur trois aspects qui, évidemment, entretiennent des relations d’interdépendances très
fortes : l‘aspect prédateur, l’adaptation au dérèglement de l’environnement et les incidences
sociales liées à la précarité.

Les ressources halieutiques de la Région Métropolitaine de Port-au-Prince sont générées par trois
plans d’eaux. Les deux premiers sont situés à l’Est de la plaine du Cul-de-Sac : le Trou Caïman
et le lac Azuei. Et le troisième plan d’eau est constitué par la baie de Port-au-Prince. Les
pêcheurs se comptent par centaines et pratiquent une pêche de subsistance en surexploitant, avec
des filets à mailles serrées, une fange d’eau étroite incluant la mangrove comme zone de pêche
de prédilection. La reproduction des ressources est donc compromise par ses pratiques. De plus
l’envasement du plateau continental de la baie par d’abondants apports terrigènes ne fait
qu’amplifier la menace. Les ressources locales, déjà limitées s’amenuisent inexorablement et le
peu qui reste se trouve sous de forte menace de contaminations, conséquemment la population de
l’agglomération, toujours en croissance continue doit désormais faire appel aux importations
pour son approvisionnement en poissons.

338
La pollution de la baie force les pêcheurs à s’adapter aux nouvelles conditions. Parce que les
ressources halieutiques sont de plus en plus rares dans les eaux de cette baie. Ils concentrent
leurs activités sur un certain nombre de points bien précis de la baie, à savoir l’embouchure des
ravines/égouts. Alors que ces endroits constituent les zones les plus polluées du littoral. Ce
nouveau positionnement des pêcheurs n’est pas illogique car elle suit la géographie des lieux de
prise. Le contact de l’eau douce et de la mer crée un sous-système qui attire certaines espèces
malgré son degré de pollution. De ce fait les individus capturés et livrés à la consommation sont
des éléments hautement contaminés. Les pêcheurs rencontrés ne répètent qu’une chose : « il est
plus facile d’attraper du poisson ici qu’ailleurs ». Cette logique déconcertante attire l’attention
sur le circuit des poissons pêchés. En effet presque la totalité de la prise est vendue pour gagner
un peu d’argent nécessaire à l’entretien de la famille du pêcheur, généralement nombreuse.
Seules les espèces non connues et appréciées des consommateurs sont ramenées dans le ménage.
Les cas d’intoxications sont très fréquents chez la population des riverains qui s’approvisionnent
en poissons directement des pêcheurs sur le littoral. Pour le quartier de Fontamara, pour le seul
mois d’octobre 2015 on a recensé plus de treize cas de contamination due au poisson. La
cartographie des cas de contaminations pour les zones de Cité l’Éternel, d’Arcachon et de
Martissant renseigne largement sur la distribution annuelle de la contamination qui coïncide avec
les périodes de pluie intense sur la région de Port-au-Prince ou les rivières et les ravines charrient
le plus de matériaux et de déchets vers la baie.

Ces nombreux cas d’intoxication n’attirent pas, malheureusement la responsabilité des autorités
sanitaires régionales qui continuent à relativiser cette menace. Ce qui est surprenant aussi c’est
l’attitude passive et complice des communautés littorales en question qui ne changent pas pour
autant ses habitudes alimentaires vis à vis des produits prélevés dans la baie. Ils continuent à voir
dans ces cas l’expression d’une fatalité sur laquelle ils n’ont pas de prise. Chaque cas est perçu
comme un acte de malveillance perpétré par un voisin jaloux ou méchant. Les cas de
contaminations les plus lourds survenus sont vus comme des tentatives de sacrifices offerts aux «
Loa » . Les adeptes du vodou sont suspectés et sont souvent victimes de représailles injustifiées
alors que les vrais coupables autrement dit, les pollueurs responsables de la contamination des
produits de la baie, ne sont jamais pointés du doigt.

339
3- L’incapacité de gérer les déchets par un État pauvre

La pratique du « tout à l’égout » utilisée par la population et la mauvaise gestion des eaux
(drainage et rejets) génèrent des conséquences considérables sur la baie. Cette dernière est
transformée en véritable réceptacle pour tous les déchets produits par la population. Le volume
total des déchets solides produits annuellement s’élève à 750.000 tonnes : 70% de la production
locale proviennent des ménages, 20% des marchés publics et 10 % des entreprises commerciales
et industrielles. Ces déchets, malheureusement, atteignent la baie de Port-au-Prince de deux
façons différentes. Premièrement, les 30% récupérés par les services des collectes sont
entreposés sur le littoral dans des décharges légales ou sauvages (Tuitier et Drouillard). Ces
dernières ne respectent que très partiellement les normes prescrites en la matière. Deuxièmement,
et c’est le plus dangereux pour les eaux de la baie, les 70% restant sont évacués par les eaux
usées ou de précipitations qui dévalent les rues généralement.

Les six communes qui forment l’agglomération de Port-au-Prince produisent plus de 2000 tonnes
de déchets ménagers journellement. Cependant l’inefficience du service chargé de la collecte des
déchets (SMCRS) ne permet pas de traiter plus que 30 % de la production totale. Pour combler
ce déficit considérable et intolérable, les habitants s’organisent à qui mieux mieux en déposant
leurs déchets sur la chaussée, en attendant que le vent, les voitures ou les rongeurs et surtout la
pluie les emportent dans le système de canalisation des eaux qui à son tour les évacue vers la
baie. Le problème de l’accumulation des ordures à même la chaussée est critique dans la partie
nord de l’agglomération ou est situé le marché de la Croix des Bossales autant que dans sa partie
sud avec le marché Salomon. De plus la population se débarrasse de ses déchets dans les
nombreuses ravines qui sillonnent le site (plaine du Cul de sac). Ces ravines sont constamment
remplies de détritus en attente de la prochaine pluie qui les conduira dans la baie, leur destination
finale.

Les ravines transformées en égouts, forment tout un réseau autour de trois grands chenaux
d’écoulement vers la mer. Premièrement la ravine de Delmas qui se jette dans la baie sur sa
façade Est, au niveau du quartier de la Saline, après avoir drainé toute la commune.
Deuxièmement, la ravine Brear qui se jette dans la baie du côté sud, à pour bassin versant les
quartiers de Bolosse, des Avenues et de Martissant. Troisièmement l’ensemble formé par la
ravine du Bois de Chêne. Cette dernière ravine constitue le grand égout de la capitale. Elle reçoit

340
les eaux, les matériaux et les détritus en provenance de tout le Haut Port-au-Prince autrement dit
des quartiers de Carrefour Feuilles, de Deprez, de Turgeau, de Bois-verna, de Bois patate, de
Bourdon, et d’une grande partie du versant sud de Morne l’hôpital. Toutes les ravines du site
sont transformées en canaux qui alimentent en permanence la baie de la ville en matériaux
arrachés aux flancs des collines, du fait de l’urbanisation sauvage. Les ordures ménagères
représentent un fort pourcentage de la production régionale de déchets. On estime à 750.000
tonnes le volume de déchets qui sont déversés annuellement dans la baie par l’intermédiaire de
ce réseau de ravines. Les collectivités territoriales autant que le pouvoir central ne disposent de
ressources suffisantes pour gérer ces déchets. La mauvaise gouvernance, et la corruption
entravent toute politique de prise en charge de ce grave problème de santé publique. Les sables
des plages sont remplacés par des décharges sauvages résultant des mouvements de retour des
déchets et débris. La mer, par le jeu des marées et surtout par les effets des vents et des courants
marins, redistribue les éléments évacués sur tout le littoral. Le quai Colomb et surtout la zone du
Bicentenaire, longtemps réputés pour la promenade qu’ils offraient, accueillaient des milliers de
promeneurs en quête d’air frais et pur généré par les brises venues de la mer, sont désormais des
zones répulsives. Les émanations nauséabondes des déchets rejetés en putréfaction par la mer,
atteignent déjà les quartiers d’affaire de la ville.

4- Une pollution généralisée qui pose un grave problème de santé publique

La capitale haïtienne, forte de près de trois millions d’habitants, ne dispose pas de dispositif de
traitement d’eaux usées. En 2012, la tentative d’installer une station d’épuration dans le nord de
l’agglomération, est restée sans suite malgré l’installation effective des ouvrages associés. La
politique du « tout à la mer » pratiquée par l’ensemble des acteurs de la vie économique et
sociale de la capitale met en place les conditions objectives d’une baie sévèrement polluée.
Deux des trois rivières qui drainent la région se jettent dans la baie après avoir, d’une part,
traversé des centaines d’hectares de terres agricoles et d’autre part en traversant tout le réseau
urbain de la ville par le biais d’une soixantaine de ravines transformées en égouts à ciel ouvert.
De ce fait, la baie se transforme inexorablement en un vaste dépotoir. Le site fait face à plusieurs
types de pollutions : la pollution bactériologique et la pollution industrielle.

341
a- Une pollution bactériologique dangereuse

Ce type de pollution est moins visible mais plus dangereux pour la baie et la population installée
sur le littoral de la Région Métropolitaine de Port-au-Prince (RMP). Cette pollution se fait
fondamentalement par le biais de boues fécales. L’agglomération en produit 1200 tonnes environ
par jour. En 2016, plus de 58 % de la population ne disposent d’aucune installation adaptée en
matière de lieu d’aisance, cette majorité utilise des latrines rudimentaires. Moins de 4 % de cette
population est équipé de fosses septiques réglementaires. On a recensé une latrine en moyenne
pour 12 habitants. Cependant dans certains quartiers du centre de l’agglomération comme Fort
St-Clair, La Saline et Bas Bel-Air, il y a une latrine pour 37 habitants. Les catégories sociales les
plus démunies ne disposent, en effet, d’aucun équipement (zone nord-ouest de l’agglomération,
secteurs situés au sud et à l’est des quartiers du centre). La population vivant dans ces secteurs,
généralement marécageux, est dans l’impossibilité de creuser des latrines, en raison de la nappe
phréatique qui affleure et aussi des inondations périodiques liées au drainage défaillant ou
inexistant. Les habitants de Cité soleil, de Cité Liberté, de Cité Plus etc., utilisent les canaux de
drainage comme lieux d’aisance. Et la baie constitue l’exutoire naturel de ces canaux qui
véhiculent des charges considérables d’effluents contaminés.

Dans les quartiers ou les densités excèdent 1000 habitants par hectare, les latrines sont
inopérantes en raison du coût élevé du curage et de la forte densité qui empêchent le
recouvrement des boues fécales et le creusement de nouvelles fosses. Leur nettoyage autrement
dit leurs vidanges (superficielles) se fait pendant la saison des pluies, lorsque la pression des
eaux souterraines chasse la fange supérieure dans les rues, conséquemment dans les réseaux de
canalisation qui aboutissent à la mer. Les incidences de cette situation déplorable sont évidentes :
les éléments apportés par les canalisations aux eaux de la baie sont constitués à 30 % par des
matières fécales, le pourcentage est beaucoup plus élevé quand on sait que les populations des
bidonvilles riverains de la baie se servent très souvent du littoral comme lieu d’aisance. Cette
pollution fécale de la baie passe aussi par le même réseau formé par les affluents de la ravine
Bois de chêne (mentionné plus haut). Quand on sait le volume de bactéries coliformes que
peuvent contenir les boues fécales déversées dans ces eaux, il n’y a pas de doute sur le niveau
élevé de la pollution biologique des eaux de la baie de Port-au-Prince.

342
b- Une pollution chimique et industrielle insoupçonnée

Une autre forme de pollution plus insidieuse s’attaque à la bonne santé de la baie. C’est la
pollution chimique. Elle se fait par l’agriculture, l’activité principale de la plaine du Cul-de-Sac
et de tous les bassins versants de la Région Métropolitaine de Port-au-Prince (Kenscoff et les
hauteurs de Carrefour). Depuis une vingtaine d’années une véritable transformation s’opère dans
le domaine agricole de la plaine : c’est la substitution de la culture dominante, la canne-à-sucre,
par des cultures nouvelles telles le haricot, la tomate, l’aubergine, la banane, et le tabac. Près de
20,000 hectares sont concernés par ces activités. Cette superficie cultivée reçoit l’eau de deux
systèmes d’irrigations (rivière grise, rivière blanche). Cependant, on note que les eaux restituées
par les parcelles, chargées de fertilisants et de pesticides sont retombent automatiquement dans la
rivière Grise pour aboutir dans la baie. Ainsi des quantités non-négligeables de nitrates et de
potasses sont évacuées vers la mer car les nouvelles denrées agricoles, mentionnées plus haut
pour être rentables et compétitives, exigent une plus grande production et surtout une plus grande
productivité que seuls les engrais chimiques peuvent garantir. La multiplication des poulaillers et
des porcheries dans la plaine et surtout sur les rives immédiates de la rivière Grise, amplifie
considérablement le niveau de contamination : les propriétaires de ces installations expulsent
leurs eaux et leurs boues usées vers la rivière. Une enquête menée en 2016 par le CERHCA
auprès de 150 habitants-agriculteurs-éleveurs de la plaine, riverains de la rivière, seulement 30
d’entre eux ont conscience des impacts négatifs des activités agricoles et d’élevages sur la rivière
et sur la baie de Port-au-Prince. La situation est donc inquiétante quand les pollueurs
n’appréhendent aucunement les conséquences de leur forfait et agissent en toute ignorance et en
toute impunité.

La baie connaît aussi une pollution chimique par le biais des industries. Ces dernières constituées
essentiellement d’usines agroalimentaires, de distilleries, de brasseries, d’huileries ne sont
équipées d’aucune infrastructure d’épuration et de traitement des déchets. Elles déversent,
comme tout le monde d’ailleurs, leurs effluents dans les réseaux de canalisation qui n’ont que la
mer comme débouché ou exutoire naturel. Cependant la plus grave menace vient premièrement
des laboratoires pharmaceutiques installés en plein cœur de la ville, qui manipulent des produits
toxiques sous le contrôle effectif d’aucun organisme d’État.

343
Les industriels sont donc libres de manipuler, de stocker ou d’utiliser les produits de leur choix.
Leurs eaux usées et déchets passent par les égouts de la ville comme n’importe quelle eau
ménagère. Deuxièmement, cette pollution vient aussi des deux terminaux pétroliers installés l’un
au nord de la baie (La Saline) l’autre au sud à Bizoton. Troisièmement, le danger vient des
stations d’essence et des garages qui déversent une grande quantité d’huile non-traitée dans les
canalisations qui aboutissent dans la baie. Plus des industriels que nous avons interrogés ne
savent pas exactement où vont les eaux et déchets de leurs installations. Ils ne se sentent
responsables d’aucune pollution, dans la mesure où ils n’ont jamais reçu de visite d’inspection
d’aucune autorité. L’ignorance semble être le meilleur atout pour se déresponsabiliser. La
pollution touche tous les éléments de la baie. Le premier élément est constitué par l’eau de mer
proprement dit, elle sera analysée sous l’angle de la salubrité. En effet les ordures, déposées la
plupart du temps n’importe où, particulièrement le long des ravines, dévalent les pentes, inondent
les quartiers et aboutissent dans la baie. La dynamique naturelle de la baie n’arrange pas les
choses. En effet, les courants marins accomplissent un circuit rotatif autour de l’île de la Gonâve,
suivant la direction des vents dominants (Est/Ouest le matin et le soir, Ouest/Est l’après-midi).
De ce fait, les ordures ne sont pas emportées au loin au contraire elles ont tendance à être
refoulées par la dynamique des marées. Sur plus d’une cinquantaine de mètres du littoral vers le
fond de la baie, l’eau est boueuse et par certains endroits, comme le quai Colomb et la zone de
l’Institut Français, elle est noirâtre et nauséabonde.

Les coraux sont le deuxième élément affecté par l’altération de la qualité des eaux. Ils sont le
siège d’une intense activité bio microscopique et ichtyologique, tout cela est conditionné par la
présence de l’eau claire et peu profonde, pour faciliter la photosynthèse. Avec des apports
terrigènes aussi importants décrits plus haut, les eaux de la baie deviennent troubles et ne laissent
plus passer la lumière. Cette situation condamne les coraux et toutes les vies qu’ils abritent à une
inexorable disparition. Ce dysfonctionnement de la circulation de l’eau interstitielle récifale est
représenté par le phénomène massif de blanchissement des coraux ou mort blanche. Ce processus
résulte de l’expulsion des microalgues (zooxanthelles) qui tapissent, avec une densité de
plusieurs millions d’individus par centimètre carré, les parois des polypes coralliens. L’activité
autotrophe des zooxanthelles qui vivent en symbiose avec les coraux, contrôle le développement
et la calcification des coraux tropicaux hermatypiques (constructeurs de récifs). La perte massive
des microalgues est donc l’expression d’un « stress majeur » subit par l’écosystème corallien.

344
Cette réaction est sans doute due à une augmentation sensible de la température des eaux
générées par les effluents urbains et industriels des huit communes qui forment le bassin versant
de la baie de Port-au-Prince.

Un troisième élément affecté par la pollution marine est la faune. Les poissons de la baie sont
contaminés par toutes sortes de métaux lourds comme le zinc le plomb, le cuivre et d’autres
composés tels le biphenyl poly chlorés, le DDT et les hydrocarbures (Carel, 2015). Les zones les
plus polluées se trouvent au Sud-Est (du Bicentenaire à la base navale Hamilton Killick) et au
nord-Est de la baie (des quartiers de la Saline à la décharge de Truitier). Chez les poissons les
teneurs élevées en zinc (300-600 micro grammes/g poids humide) correspondent à des niveaux
de toxicité aiguë et constitue un danger pour leur santé, particulièrement celles des plus jeunes.
La très faible biomasse de la baie pourrait en partie s’expliquer par la présence de ce métal.

Les poissons sont aussi contaminés par les biphényl poly chlorés. Ces derniers proviennent des
liquides diélectriques, des fluides thermostatiques, des bases pour lubrifiants et additifs des
huiles et graisses et des caoutchoucs composés de vinyl et de chlore. Ces éléments représentent
près de 10% du total des déchets produits par la RMP. Les vidanges des moteurs qui se font
anarchiquement dans toute la région amplifient la charge polluante. Les teneurs trouvées
correspondent au seuil de la toxicité aiguë pour les poissons (700 micro grammes/g poids). Les
teneurs en DDT retrouvées dans les poissons dépassent 3 microgrammes par gramme de poids
humide (Carel, 2015). La contamination par les hydrocarbures n’est pas négligeable d’autant
plus qu’elle est aggravée par le nettoyage des soutes des portes conteneurs dans la baie. Les
zones les plus contaminées par les rejets de dérivés d’hydrocarbures se situent à proximité du
terminal pétrolier de Bizoton, et de Cité Soleil dans le voisinage immédiat des mangroves. Les
espèces qui utilisent cette partie de la mangrove comme lieu de reproduction se trouvent donc
piégées et leur progéniture se retrouve très tôt contaminée.

La population de l’agglomération, acteur de la dégradation de la baie se retrouve elle-même face


à une menace grave celle de la contamination par l’intermédiaire de
la chaine alimentaire. Les pouvoirs publics ne prennent pas leur responsabilité pour éviter des
contaminations massives. La puissance publique est appelée à contrôler finement les teneurs en
métaux lourds dans les poissons et autres produits prélevés dans la baie et qui sont
commercialisés et vendus aux habitants par les pêcheurs. Ces derniers, non- informés, ignorent

345
tout sur la menace que représentent la pollution et la contamination pour l’ensemble des
consommateurs de la RMP.

5- Un aménagement qui défigure et appauvrit le littoral

Le littoral de la baie est modelé en permanence par les activités des nombreux acteurs qui
l’exploitent. Tout se fait en dehors de toute logique de responsabilité, c’est l’anarchie qui prévaut
dans l’exploitation de cette partie du territoire national. L’aménagement qui résulte de cette
appropriation ne fait que défigurer le littoral qui perd peu à peu son attractivité naturelle pour
devenir en lieu répulsif. La façade nord de la baie, réputée pour ses baignades, fait face à une
agression systématique liée à la bidonvilisation, l’exploitation des carrières de sables, l’abattage
des mangroves et l’implantation des installations industrielles. Les façades Est et Sud restent les
plus affectées par cette anthropisation destructrice. L’axe Gressier/Carrefour/Port-au-Prince et
Cité Soleil est quasiment une mer morte car les premières dizaines de mètres sont désertiques
puisqu’elles n’abritent qu’une activité ichtyologique dérisoire. L’appauvrissement de la baie et
du littoral associé est donc en marche accéléré.

L’extraction des matériaux de construction laisse des trous béants sur les façades nord et sud du
littoral. La réhabilitation des sites abandonnés prévue par la loi n’est jamais réalisée. Un lieu
d’extraction abandonné est vite remplacé par un autre. Les opérateurs de ce trafic s’intéressent
strictement au rendement et à l’accessibilité. Les industriels ne sont pas mieux conscientisés sur
la fragilité de la baie et du littoral associé car ils installent des cimenteries et des terminaux
pétroliers. Ces activités polluantes ne sont point contrôlées par la puissance publique qui laisse à
l’entrepreneur le soin de juger lui-même l’impact de ses installations sur la qualité des eaux et de
l’environnement général de la baie. La façade sud du littoral de la baie abrite, sur plus de 18
kilomètres (entre Gressier et La Saline), plus d’une centaine de garages formels et informels. Ces
derniers représentent plus de 95% des prestataires. Ils s’établissent sur le littoral en raison de son
accessibilité. La totalité de ces garages organise le vidange des moteurs à même le sol. Les
huiles, les batteries et les pièces des véhicules en fin de vie sont stockées sur le rivage et les
canaux menant à la mer. Les eaux de ruissellement se chargent d’introduire le lexiviat qui en
résulte dans la baie.

346
L’habitat précaire est aussi l’un des aspects hideux qui défigurent le littoral de la baie de Port-au-
Prince. En effet la multiplication des bidonvilles depuis la chute des Duvalier le long de la côte
met à mal tout espoir de sauver ce milieu fragile. Dans les années 70 on comptait trois
bidonvilles sur l’axe Carrefour/Montrouis aujourd’hui ces habitats précaires collectifs sont au
nombre de 16. L’ossature a changé ce n’est plus des maisons en matériaux de récupération
traditionnels mais de construction en blocs de ciment. L’uniformité a disparu aussi car certaines
maisons ne répondent plus aux critères de bidonville car elles sont construites sur plusieurs
niveaux et sont dotées d’éléments qui trahissent la pauvreté des propriétaires ou des occupants
(fer forgé, antenne réceptrices de TV etc.). Néanmoins, l’anarchie et l’incongruité qui
caractérisent ces logements ne permettent pas de les intégrer dans un ensemble cohérent souhaité
pour le littoral. L’aspect le plus inquiétant est la participation active des acteurs publics dans ce
processus d’appauvrissement de la baie de Port-au-Prince et du littoral associé. En effet, les
milliers de tonnes de déchets collectés par cinq des six mairies de la Région Métropolitaine de
Port-au-Prince sont abandonnés ou stockés sur le littoral dans une dizaine de sites non
conditionnés et inaptes à jouer ce rôle. Les deux sites majeurs officiels de stockage, Truitier (Cité
Soleil) et Route des Rails (Carrefour), ne sont que deux abcès malodorants qui répandent leurs
émanations et leurs pollutions. Ces décharges ne prennent pas en compte la contamination ni des
nappes phréatiques ni celle des eaux de la baie. L’organisme métropolitain chargé de la gestion
des déchets le SMCRS est lui-même en situation d’incapacité opérationnelle172. La dotation de
240 millions de gourdes qu’il reçoit du Trésor public ne permet en aucune façon d’assainir la
zone métropolitaine. En ce qui a trait aux équipements et matériels, le service ne peut compter
que sur une flotte de 40 camions à benne et de 376 poubelles. Des montagnes de déchets solides
collectés vont continuer à défigurer le littoral.

Le remodelage pernicieux de la baie se fait aussi dans ses profondeurs car une conséquente hyper
sédimentation est constatée (C. Beliard, 2014). Elle est due à la diminution du couvert forestier
de la région et des travaux d’aménagement (logements, équipements urbains et infrastructures)
qui facilitent le lessivage des sols par les eaux de ruissellement et leur rejet dans la baie. Ce

172
Le SMCRS n’est pas toujours capable d’honorer ses engagements salariaux auprès de son personnel. Les arriérés
de paiement, affectant les cadres, les travailleurs et les contractuels, sont à l’origine de récurrents arrêts de travail.
En 2016, le personnel a observé un arrêt de 4 mois. Un membre de l’administration du SMCRS s’explique : « On
manquait de fonds. Ce qui explique pourquoi on ne pouvait honorer nos engagements envers nos employés pendant
ces quatre derniers mois. Finalement, on a pu trouver les ressources qui nous ont permis de payer trois mois
d’arriérés de salaire. Maintenant, il s’agit pour le SMCRS de se mettre à jour avec le personnel ».

347
phénomène présente un grave danger, celui d’une dégradation lente mais irréversible des
écosystèmes marins côtiers et principalement les herbiers et les récifs coralliens. Le rôle des
herbiers dans les écosystèmes marins côtiers est crucial et admis par tous. Ils sont responsables
d’une production de matière organique végétale considérable. Leur intense activité de
photosynthèse contribue grandement au maintien d’une bonne oxygénation des eaux côtières. Ils
servent d’abri, de support et de sources de nourriture à une faune riche et abondante. De
nombreuses espèces animales, dont la vie adulte se passe hors de ces plantes, s’y établissent au
stade juvénile et y demeurent une bonne partie de leur vie. De plus ces herbiers constituent un
facteur de stabilisation des sédiments côtiers. Leur élimination va entraîner un appauvrissement
des eaux avoisinantes en espèces commercialement intéressantes.

La dégradation des milieux naturels de la baie (coraux, îlets, mangroves, herbiers etc.…) conduit
à la disparition progressive d’un patrimoine écologique et paysager original .Ce phénomène
n’est pas sans incidences sur l’économie de l’agglomération puisqu’il entraîne une diminution
des ressources halieutiques, provoque l’augmentation des coûts de production (éloignement des
lieux de pêche, recalibrage des installations portuaires et de loisirs), freine le développement de
toutes les activités touristiques et récréatives générées par la mer et surtout appauvrisse les
catégories les plus vulnérables

Conclusion du chapitre

Le mode de gestion des ressources en eau de la région métropolitaine de Port-au-Prince a un


impact négatif sur la zone côtière et sur la baie. En effet les sédiments provenant des activités
anthropiques remplissent le plateau continental sur une distance de plusieurs centaines de mètres.
Celui-ci perd ainsi une bonne partie de sa valeur économique puisque de nombreuses espèces
marines n’arrivent pas à s’adapter aux nouvelles conditions de vie. Ces apports terrigènes nuisent
aussi au développement de l’écosystème corallien dont la croissance est compromise par la forte
turbidité des eaux. La destruction des mangroves sur la côte fait disparaître un filtre qui aurait pu
diminuer les apports de sédiments vers la mer et servir de gîte à certaines espèces marines
(crevettes, crabes, etc.). Les prises observées lors des opérations de pêche dans la baie, sont
devenues peu importantes et sont constituées fondamentalement de juvéniles. Les pêcheurs
acculés par la quête de revenus, invariablement faibles, s’adonnent, en permanence, à des
pratiques prédatrices. Les infrastructures portuaires de la capitale (les plus importantes du pays)

348
sont endommagées régulièrement par les débris apportés par les eaux qui y arrivent. Or
l’ensablement de ces installations exige des démarches très onéreuses pour le dragage des
bassins et le recalibrage des ouvrages. La réhabilitation récurrente des installations portuaires
décapitalisent la région. Et la pauvreté de l’État haïtien ne lui permet pas d’assumer ces coûts
récurrents. Le risque de contamination de la chaîne alimentaire dans les eaux de la baie est élevé.
Et la population de l’agglomération vit sous la menace permanente d’intoxication et
d’empoisonnement, car elle consomme des animaux se nourrissant dans ces biotopes.
L’amplification et surtout la généralisation de la pollution sur toute l’étendue de la baie, risque à
terme de compromettre l’avenir des activités touristiques sur la côte des Arcadins (nord de la
baie) l’une des plus importantes du pays, en matière d’infrastructures touristiques (Decameron ex
Club méditerranée , Moulin sur mer etc.…) Déjà, certains signes inquiétants laissent présager le
pire, car certaines plages, celles qui sont les plus proches de Port-au-Prince, sont déconseillées à
certaines périodes de l’année : ces plages sont infestées de puces marines qui sont redoutées par
les baigneurs, à cause de leurs piqûres et les démangeaisons qu’elles occasionnent. Autrefois,
naturellement, ces puces étaient éliminées par les tortues. Aujourd’hui, à cause de la pollution
des eaux et de la pêche prédatrice, ces animaux sont de plus en plus rares dans les eaux de la
baie. Un éventuel arrêt des activités touristiques liées à la mer sur la cote des Arcadins rendrait la
région beaucoup plus pauvre car ces activités sont pourvoyeuses d’emplois donc précieuses dans
la lutte contre la pauvreté. La RMP serait de moins en moins capable de mener à bien un
programme rationnel de gestion de la baie.

Conclusion de la partie

Cette deuxième partie a fait le point sur la dynamique d’occupation du littoral haïtien du début
du XIXème à aujourd’hui. Elle a montré aussi que ce processus d’appropriation qui continue
s’est déroulé sur fond de pauvreté et de paupérisation. Le littoral devient le substrat sur lequel
s’activent les nombreuses facettes de la pauvreté dans le pays (monétaire et
multidimensionnelle). Cette pauvreté se retrouve certaine fois en juxtaposition, sur le littoral,
avec une certaine richesse. En effet, les premières vagues d’occupation du territoire s’amorcent
en 1825, date à laquelle l’indépendance d’Haïti a été reconnue par la France. Néanmoins, les
années 1960 marquent le véritable début de la dynamique d’occupation du littoral. Elle s’est
réalisée dans le contexte de la grande mouvance des industries d’assemblages adoptées par le

349
gouvernement haïtien. Une démarche qui s’accélère depuis la chute des Duvalier et cette
accélération semble transformer radicalement le littoral en un réceptacle de pauvreté à travers le
sous-équipement, les mauvaises conditions de vie et l’insalubrité. Les populations rurales,
abimées par le désespoir et l’incapacité du système agricole à fournir le minimum vital, se ruent
vers la ville et indirectement vers le littoral par l’intermédiaire de l’habitat isolé insalubre ou du
bidonville. L’amorce de l’intérêt de la population urbaine pour les loisirs liés à la mer crée une
deuxième force agissante que des entrepreneurs tentent de satisfaire par le biais d’entreprises
touristiques (hôtels, restaurants et activités culturelles et sportives). L’appropriation de ce littoral
se réalise selon des modalités liées aux conditions économiques que vivent les occupants. Les
plus pauvres s’adonnent aux activités traditionnelles telles la pêche, l’extraction de sel, le
cabotage, le charbonnage, l’agriculture et le commerce détail. L’inscription spatiale de cette
catégorie est observée dans l’habitat précaire isolé et dans l’habitat précaire collectif qu’est le
bidonville. Les occupants non pauvres, classés en deux groupes bien distincts (entrepreneurs
d’un côté et de l’autre contrebandiers et trafiquants) marquent le littoral à travers leurs
entreprises touristiques, leurs résidences secondaires etc.

A côté de ces acteurs, il existe au moins une autre forme d’occupation du littoral haïtien :
l’industrie. Elle se manifeste à travers les cimenteries et les terminaux pétroliers. Les deux
catégories d’acteurs (pauvres et non pauvres) participent à une même dynamique celle de
s’approprier le domaine public dans le seul but de satisfaire leurs intérêts propres sans
considération pour la durabilité et l’équilibre environnemental. En dehors des plus pauvres, les
occupants du littoral sont les fossoyeurs des lois de la république en les contournant. Il faut
souligner que dans ce contexte littoral, les plus pauvres prennent un peu ce que l’État haïtien est
incapable de leur donner. Il est difficile de les incriminer, autant que les autres acteurs, quand la
préoccupation première est de trouver à manger et d’assurer le minimum vital. La question se
pose donc, comment demander à un chef de ménage pauvre de suivre les lois d’un État qui ne le
respecte pas et qui abandonne, en partie, sa nation dans le naufrage ? La cohabitation entre
pauvres et non pauvres sur le littoral ne se réalise pas sans heurts (concurrence. Aucun des deux
occupants n’est satisfait de la présence de l’autre. Mais il faut bien admettre que c’est un couple
qui joue autant la complémentarité que la complicité. Les pauvres tirent des emplois des activités
des non pauvres et ces derniers dépendent des pauvres pour les tâches ingrates (jardinage,
gardiennage, nettoyage etc). L’empreinte du non-pauvre est aussi conséquente que celle du

350
pauvre sur le littoral haïtien. La baie de Port-au-Prince est le condensé de l’appropriation
nationale du littoral qui aboutit inexorablement à la dégradation et à l’appauvrissement de cette
partie du territoire. La pêche prédatrice, les aménagements inappropriés, et la gestion
déraisonnée des pouvoirs publics ont eu raison de cet écosystème qu’est la baie. La faune et la
flore sont sous le coup d’un stress majeur. Les herbiers et les coraux dépérissent. Les mangroves
sont mises en pièces. L’hyper sédimentation met en place les conditions d’un appauvrissement
systématique des eaux en espèces commercialement viables. Le littoral reçoit les plus pauvres
tout en subissant l’exploitation outrancière de tout le monde. Et conséquemment il s’appauvri car
ses composantes sont outrageusement dilapidées en tant que ressources et substrat de vie et de
production. Dans le contexte économique national actuel il est très peu probable que des
ressources suffisantes soient dégagées pour réhabiliter les littoraux affectés. On est peut être face
à une situation entamant déjà le seuil d’irréversibilité. Ici les problèmes environnementaux
peuvent devenir catastrophiques, non seulement en raison du retard économique et technologique
du mais aussi par a massivité de la pauvreté. D’où la nécessité de la création d’organismes
spécialisés dynamiques capables de poser les problèmes de fond. Car les solutions doivent passer
nécessairement par le sommet de la pyramide sociale (spécialistes, autorité compétentes,
organismes spécialisés) avant de toucher la base de la population. Cette dernière est trop occupée
à résoudre ses problèmes de survie qu’elle n’est pas en mesure de donner la priorité aux activités
de préservation de la qualité des ressources de son environnement. L’insalubrité, la dégradation
de l’environnent côtier et l’exploitation prédatrice des ressources du littoral et les inégalités sont
les éléments pourvoyeurs de pauvreté. Le rôle des pouvoirs publics devient indispensable pour
réguler ou encadrer la pauvreté par l’intermédiaire des politiques publiques. Ces dernières ne
sont pas forcément une fin en soi mais représentent très souvent des moyens car la pauvreté peut
être utilisée comme force électorale en témoigne le cas d’Aimé Césaire à Fort de France en
Martinique.

351
Troisième partie
Pauvreté, aménagement et politiques publiques

L’idée maitresse de cette partie du travail repose strictement sur le postulat de départ : les
pouvoirs publics haïtiens à travers ses politiques publiques ont grandement dessiné les contours
de cette géographie de la pauvreté. L’État haïtien dès les années 50 s’engouffre dans la logique
de développement diffusée par la réussite du monde occidental et surtout dans le cadre beaucoup
plus contraignant des négociations avec les grandes instances internationales. Cette logique
touche fondamentalement l’économique. Et cette dernière conditionne presque tout : choix de
production, type de consommation, mobilité de la population, orientation du marché du travail et
organisation de l’espace. A cet effet, les autorités nationales prennent des décisions pour assurer
l’alignement du pays sur des mécanismes standardisés ou tout simplement sur des schémas
imposés.

Les premières tentatives d’alignement sont analysées à travers les plans nationaux de
développement. Au de-là de ces plans, est aussi analysé le corpus constitutionnel sous l’égide
duquel vit le pays depuis plus de trente ans. L’organisation traditionnelle du territoire est mise en
doute autrement dit le centralisme est dénoncé comme avatar du sous-développement. La
décentralisation devient l’outil par excellence. Elle est traduite dans la constitution de 1987 et
réaffirmée dans le Document de Stratégie Nationale pour la Croissance et la Réduction de la
Pauvreté (DSNCRP). Le séisme du 12 janvier 2010 a amplifié la nécessité de décentraliser mais
l’outil de planification qui en résulte ajoute une nouvelle dimension : la refondation. En effet le
Plan Stratégique de Développement National (PSDH) s’aligne sur quatre piliers (4 refondations :
sociale, économique, institutionnelle et territoriale).

La nouvelle dynamique est animée par un certain nombre d’acteurs qui se superposent dans
l’action : échelle centrale, locale, régionale et même internationale par le biais de la coopération
et du partenariat mondial. Néanmoins ces différents niveaux de compétences n’aboutissent pas à
la synergie espérée. Les actions de l’État, de la collectivité territoriale, de l’individu, de
l’entreprise et de l’ONG sont prises en compte dans le cheminement et la mise en application des
politiques publiques. Cette partie questionne aussi l’importance et le contenu de la prise en
charge de la pauvreté devenue préoccupation nationale. Il est donc important de mettre en
lumière l’articulation entre des engagements nationaux, traduits dans les Petits Projets de la

352
Présidence (PPP), le Programme d’Apaisement Social (PAS), l’Aide aux plus pauvres
(EDEPEP), et les référents internationaux auxquels le pays souscrit [Programme d’Ajustement
Structurel (PAS), OMD], Consensus de Montevideo et Objectifs de Développement Durable
(ODD). Dans cette démarche, quatre éléments sont introduits : la logique des grands plans
nationaux, les différents niveaux de mise en œuvre des politiques publiques, la diversité des
acteurs impliqués et les tentatives de prise en charge de la pauvreté par les pouvoirs publics. Ces
aspects analysés sont soutenus ou traversés par deux grandes dynamiques : l’État providence
ante et post-dictature et le néolibéralisme des années 90.

353
Chapitre X
Des politiques publiques arrimées aux postures macroéconomiques mondiales

A- Considérations Générales

L’ensemble de ce qui a été proposé, discuté et réalisé en termes de politiques publiques liées aux
conditions de vie en général et à la pauvreté en particulier dans le pays était animé par deux
systèmes de valeur. Ces derniers tournaient autour du rôle effectif de l’État haïtien dans les
orientations économiques du pays et dans les questions de redistribution ou d’affectation de la
richesse produite. Les contours théoriques des réponses apportées depuis les années 60 n’étaient
pas tranchés et fixés avec conviction par les autorités. Néanmoins, les décisions prises et
maintenues pouvaient être facilement associées à un positionnement idéologique. L’ensemble
des interventions économiques et sociales réalisées ou non entreprises par les pouvoirs publics
haïtiens s’accorde aux grandes tendances de la gouvernance économique qui animaient le
contexte mondial. Il est important, pour comprendre les décisions et surtout leur finalité, de faire
le point sur les partis pris idéologiques qui les entourent ou les construisent.

1- Un État providence au service : de la dictature à la démocratie

Nous entendons par État providence l’ensemble des interventions de l’État dans le domaine
social qui visent à garantir un niveau minimum de bien-être à l’ensemble de la population, en
particulier à travers un système étendu de protection sociale. Dans cette logique, il est bon de
rappeler ici que les États-providence (occidentaux seulement sans l’étendre davantage) reposent
sur une longue tradition anthropocentrique, durant laquelle le concept de bien-être a été en
grande partie interprété en termes de ressources monétaires ou sociales et considéré comme
identique à la prospérité. Les politiques sociales avaient un objectif intégré de solidarité, de
protection des individus contre les risques sociaux et d’élévation de leur niveau de vie.
(Vandenbroucke et Rinaldi 2015). La question se pose en quoi les décisions de l’État haïtien
dans les années 60 correspondent aux objectifs de solidarité et de protection des citoyens contre
les risques sociaux ? Et en quoi elles s’attelaient à élever leur niveau de vie ?

354
Deux des trois piliers du système de protection sociale du pays voient le jour sous la dictature de
François Duvalier173. Il s’agit de l’Office National de l’Assurance Vieillesse (ONA) et l’Office
d’Assurance du travail et de la Maladie (OFATMA). L’initiative cadre bien avec l’esprit de
l’État providence il faut bien l’admettre mais en réalité il s’agit d’une prise en charge ciblée non
pas sur le citoyen membre de la cité auquel la République apporte protection et solidarité mais
sur le travailleur/cotisant. Ce dernier est donc l’artisan de sa propre sécurité sociale en cédant 6%
et 2% de son salaire comme cotisation, respectivement à l’ONA et à l’OFATMA. L’État
duvalierien s’est arrêté uniquement au travailleur salarié en entreprise et n’a pas élargi la prise en
charge à la totalité des citoyens. Cette formule parait être un choix politicien. Ceci s’explique par
l’usage que le régime en faisait de la date du 1er mai qui consacre la fête des travailleurs. En
effet, cette date a été utilisée par la dictature comme rouages de propagande. Les parades des
travailleurs organisées dans les grandes villes avaient pour vocation d’afficher, seulement, la
bonne santé économique du régime car les institutions créées n’étaient pas au service d’un État
providence au service du haïtien.

L’État providence au service de la dictature avait pris un autre aspect celui de constituer un parc
d’entreprises publiques. Ces dernières, quoique inefficaces et en faillite, continuaient de
bénéficier de subventions publiques considérables afin qu’elles puissent fonctionner. Il s’agissait
d’entreprises de transformation (ENAOL, HASCO, Darbonne) et de services (TELECO, EDH).
Ces entreprises, financées avec l’argent du trésor public, étaient utilisées par le pouvoir pour
donner du travail aux partisans du régime. La fin de la dictature n’avait pas mis fin à cette
pratique. Les gouvernements qui ont succédé à celui de Jean Claude Duvalier n’ont pas hésité à
placer leurs partisans dans ces entreprises publiques qui fonctionnaient avec un personnel
pléthorique, dépassant souvent plus de 10 fois le nombre d’employés nécessaires. Ces entreprises
publiques étaient ramenées à jouer uniquement un rôle social. Cet État providence au service du
pouvoir politique, comme on vient de le voir, ne s’arrête pas au régime autoritaire. Un an après la
chute de la dictature, une nouvelle constitution a été élaborée. Elle se voulait démocratique et
réparatrice des torts de la dictature envers le peuple. A cet effet, elle consacra, pour tous les
Haïtiens, un État providence maximaliste (Mérat, 2011). La prise en charge accordée par cette

173
Le troisième pilier est représenté par la Caisse d’Assistance Sociale (CAS). Cette caisse a été créée à la fin des
années 40. Elle a pour mission de prendre en charge, par voie assistantielle, tous les démunis de la nation, des
vieux aux indigents en passant par les handicapés.

355
constitution se fait du berceau au cercueil174. Les pouvoirs publics et les Collectivités doivent
fournir au citoyen l’éducation fondamentale et supérieure, ils doivent lui garantir la santé, le
travail et les loisirs. En un mot, l’État assure les meilleures conditions de vie à l’individu.
Néanmoins, la volonté manifestée de procurer une protection sociale à tous les citoyens n’était
pas accompagnée d’institutions nouvelles capables de traduire en actes cette prise en charge
universelle. Jusqu’à aujourd’hui, trente ans après l’adoption de la constitution en vigueur, la
protection sociale demeure limitée seulement aux travailleurs du secteur formel. Il est donc
évident que l’État providence n’a été jusqu’ici qu’une arme de promotion de la démocratie autant
qu’une arme de propagande de la dictature passée.

2- Une approche néolibérale voilée

L’État providence reste la voie consacrée par la constitution du pays mais les actions des
gouvernements qui ont succédé à celui de Jean-Claude Duvalier sont continuellement traversées
par une approche libérale. Le libéralisme impose des limites à l’emprise de l’État et de la
tradition afin de protéger l’individu. Il met en avant la liberté individuelle et son corollaire, la
neutralité du pouvoir politique. L’état ne doit rien imposer et cette approche conduit à défendre
une société sécularisée dans laquelle chacun pourrait vivre selon ses principes, sous réserve de ne
pas nuire à autrui (la liberté d’entreprendre et le libre-échange sont l’application de ce principe
général à la sphère économique). Ces dernières années, le libéralisme a pris une forme différente
que l’on nomme néolibéralisme. Ce dernier prône une réduction du rôle de l’État et le
développement du marché dans tous les domaines. Ce discours tout puissant prétend régir non
seulement l’économie, mais aussi la société. (Bourdieu P, 2015). C’est une idéologie
individualiste et hédoniste qui vise l’augmentation des droits individuels. Elle valorise l’intérêt
égoïste au détriment du devoir collectif et des valeurs communes175. Elle tend à refuser presque

174
La constitution de 1987 stipule que : L'éducation est une charge de l'État et des collectivités territoriales. Ils
doivent mettre l'école gratuitement à la portée de tous, veiller au niveau de formation des enseignants des secteurs
public et non public (Article 32-1). La première charge de l’État et des collectivités territoriales est la scolarisation
massive, seule capable de permettre le développement du pays (Article 32-2).

175
L’un des promoteurs de ce courant de pensée, Milton Friedman, déclara sans ambages que « La responsabilité
sociale de l’entreprise est d’augmenter ses profits » (The New York Times Magazine, 13 septembre 1970).

356
tout rôle à l’autorité publique, non seulement dans l’économie proprement dite, mais encore dans
l’éducation, la santé et même dans les infrastructures collectives.

Ce corpus idéologique a eu des répercussions sur les orientations des politiques publiques en
matière de gouvernance économique et sociale. En effet, malgré les prescrits constitutionnels qui
attribuent à l’État un rôle prépondérant dans la vie économique et sociale, le libéralisme s’est
imposé en Haïti sous l’impulsion des institutions financières internationales telles la BID, la
Banque mondiale et le FMI. Les premières mesures prises sous l’étiquette de l’efficacité
économique, étaient socialement sévères. La fermeture de l’ENAOL, de la Centrale Dessalines,
de l’usine Welsh et la privatisation de la HASCO ont jeté des milliers de travailleurs Haïtiens
dans le chômage de longue durée. L’ouverture du marché national dans le cadre du libre-échange
a favorisé la destruction de centaines de milliers d’emplois. En effet, les entreprises locales
étaient incapables de résister à la concurrence et au dumping imposé par les produits étrangers
issus du modèle industriel productiviste.

Les programmes d’ajustement structurel imposés au pays par le FMI depuis les années 80 ont été
appliqués tantôt par des gouvernements de droite comme celui du général Henry Namphy et
tantôt par des gouvernements de gauche à l’instar de celui de Jean-Bertrand Aristide. Le
successeur de ce dernier, Monsieur René Préval a parachevé l’œuvre en privatisant l’entreprise
publique de télécommunication (Téléco). Nous rappelons ici que les politiques néolibérales
reposent sur deux éléments : l’intensification de la concurrence, en poursuivant des réformes
visant à la déréglementation de l’activité et à l’ouverture des marchés domestiques à la
concurrence étrangère, et la limitation de l’intervention étatique, en multipliant les privatisations
et en cherchant à réduire les déficits budgétaires et la dette publique. Cette ambiance néolibérale
pèse lourd sur les dépenses publiques en général et sur les dépenses sociales en particulier. Les
dépenses sociales ont diminué entre 2002 et 2011, passant de 2,7% à 1,5% du PIB. Il faut bien le
rappeler que les données sur les dépenses sociales dans le pays sont éparses. Sont comptabilisées
séparément les dépenses des Ministères Sociaux (Affaires Sociales et Travail, Education, Santé
et Condition Féminine) financées par le Trésor Public, celles des organismes publics de sécurité
sociale (ONA, OFATMA), et la contribution des bailleurs bilatéraux et multilatéraux à
l’investissement public dans les secteurs économiques, sociaux et politiques.

357
Conclusion

Les référents internationaux alimentent, encadrent et orientent les décisions des autorités
haïtiennes. Deux dynamiques se télescopent. La première se veut l’expression de la solidarité
nationale envers les plus démunis de la nation, la démarche permet de mettre l’individu à l’abri
des risques sociaux « classiques » comme la maladie ou le chômage. Cela suppose de prévenir,
de soutenir et d’équiper les individus, en investissant de façon précoce et de façon continue dans
l’éducation, la formation et la santé. La seconde vise l’effectivité économique. C’est le laisser-
faire dans le domaine socio-économique. Elle suggère d'élargir la liberté de l’individu et des
entreprises, tout en diminuant l’action collective et les règles communes. Elle a tendance à
refuser presque tout rôle à l’autorité publique, non seulement dans l’économie proprement dite,
mais encore dans l’éducation, la santé et même dans les infrastructures collectives. C’est dans
cette atmosphère hybride où le libéralisme est appliqué sur un fond constitutionnel axé sur l’État-
providence que sont réalisées les politiques publiques associées à l’amélioration des conditions
de vie et de la lutte contre la pauvreté. La constitution haïtienne de 1987 consacre la primauté de
l’État-providence mais les politiques macroéconomiques appliquées dans le pays sont animées
par les vulgates néolibérales.

B- La logique des grands plans nationaux

Haïti n’a pas échappé aux courants de pensée qui animaient les débats dans le monde à la sortie
de la deuxième guerre mondiale. L’idée de progrès et de modernité est devenue une finalité à
travers la réussite affichée de certains pays mais aussi le retard accumulé par d’autres. Le Tiers
monde avait besoin de suivre les bons modèles pour se développer. Le pays devait donc essayer
de se développer en suivant des schémas suggérés ou imposés. Dès les années 50 Haïti s’engage
dans un exercice de développement : les pouvoirs publics édifient des écoles et des dispensaires,
encouragent les exportations, construisent des routes, rédigent des rapports, planifient des
investissements, engagent des experts, mobilisent la communauté internationale, etc. Le
développement est donc l’ensemble des activités humaines modernes qui peuvent être entreprises
au nom de la modernité et du progrès176. La démarche est présentée comme une solution au
retard pris par le pays sur les nations qui ont réussi.

176
L’idéologie développementiste est à la fois technique et instrument d’action. Elle s’est construite à la fin des
années quarante/début des années cinquante sur deux idées majeures : toutes les anciennes colonies nouvellement

358
La réussite passe par la planification et c’est dans cette optique qu’est né le Conseil National de
Développement et de la Planification (CONADEP). L’État haïtien voulait afficher sa volonté
d’inscrire le pays dans l’ère du progrès et de la modernité. La démarche va donner naissance au
Ministère de la Planification qu’on connait aujourd’hui. A la sortie de la dictature des Duvalier
en 1987 le pays s’est doté d’une nouvelle constitution. Ce nouveau contrat social érige la
décentralisation en outil de développement en consacrant significativement le pouvoir des
collectivités territoriales (pouvoirs locaux et régionaux). Le centralisme va être considéré comme
un leg et un avatar de la dictature déchue177. La nouvelle constitution donne la responsabilité à
l’État de prendre en charge le citoyen haïtien du berceau au cercueil. Les pouvoirs publics
centraux et décentralisés deviennent le chef d’orchestre du développement national.

La voie maximaliste dans la prise en charge sociale a eu peu d’effet sur une conjoncture
économique nationale marquée par la stagnation, la pauvreté va se généraliser en prenant des
formes inédites. Le phénomène semble toucher l’essentiel des pays dits en développement ce qui
inquiètent les grandes instances financières internationales. Ces dernières suggèrent et imposent
aux pays en question un nouvel outil de planification et de développement le « Document de
Stratégie de Réduction de la Pauvreté (DSRP). Par cette voie les pays les moins avancés
s’alignent pour bénéficier des avantages miroités178. Haïti ne rate pas l’occasion en élaborant en
2007, à cet effet, le Document de Stratégie Nationale pour la Croissance et la Réduction de la
Pauvreté (DSNCRP). La démarche renouvelle la priorité accordée au processus de
décentralisation à côté de la reconnaissance de la pauvreté comme préoccupation nationale.

En 2010, trois ans après la mise en œuvre du DSNCRP, le pays est frappé par un séisme qui a
dévasté son cœur économique : la région métropolitaine de Port-au-Prince. L’État haïtien, aidé et
encouragé par la « bienveillante » communauté internationale, décide d’un nouveau cadre de
développement et d’investissements. De ce contexte post catastrophe est né le « Plan Stratégique
de Développement d’Haïti (PSDH). L’option de la décentralisation est maintenue à l’intérieur
d’une nouvelle parade dite de refondation. C’est sur cette base que ce plan fixe pour le pays un

États indépendants souhaitent se moderniser suivant le modèle capitaliste occidental ; toutes les sociétés du monde
sont mues par un gène naturel qui les tracte au point de les pousser inexorablement à aller de l’organisation
traditionnelle à l’organisation moderne dont l’Occident est l’idéaltype historique
177
La démocratie promue est assimilée à la décentralisation qui permettra de corriger la longue domination de la
capitale sur le reste du pays. Il faut rééquilibrer pour aller vers la justice spatiale au même titre que la justice sociale.
178
En dehors des aides proposées, le pays « dsrpiste » pouvait bénéficier d’une annulation partielle ou totale de sa
dette dans le cadre du PPTE

359
objectif ambitieux celui d’atteindre l’émergence économique à l’horizon 2030. Deux axes
fondamentaux soutiennent la dynamique enclenchée dans le pays depuis 2014 : disposer d’une
croissance forte et soutenue et éliminer drastiquement la pauvreté.

Les plans nationaux esquissés sont traversés par un ensemble de logiques. Ils font la promotion
du développement par les modèles réussis ailleurs ou promus par les instances financières
internationales. Cette démarche s’inscrit dans une vision linéaire du développement qui n’intègre
pas le coté inédit. La décentralisation, pour ces plans nationaux, dispose d’un pouvoir de
transformation sociale et économique démesuré. Elle est appréhendée et perçue non pas comme
un outil strict qui dépend du contexte et des acteurs mais comme une solution absolue. Les plans
en question sont aussi animés par la logique de l’atteinte du développement humain dans le cadre
de la prise en charge de la pauvreté. Ces trois logiques majeures sont analysées par
l’intermédiaire de quatre éléments conséquents : introduction de la planification dans le corpus
de l’État haïtien dans les années 50, l’adoption d’une constitution fondamentalement sociale, la
mise en œuvre d’une politique publique de réduction de la pauvreté et l’engagement du pays
dans l’atteinte rapide de l’émergence économique.

1- La planification fait ses débuts avec la CONADEP

Les premiers pas de la généralisation de la planification comme instrument de rationalisation de


l'utilisation des ressources disponibles s'étendent de 1946 au premier Plan Quinquennal 1971-
1976. Avec la création du Conseil National de Développement et de Planification CONADEP
qui deviendra le Ministère du Plan, Haïti sort de la routine et de l'improvisation pour s'installer
une fois pour toutes dans l'ère de la planification et des plans quinquennaux. Cette structure avait
pour rôle d'orienter et de superviser les travaux de planification économique et sociale, en liaison
avec les Départements Ministériels et les Organismes Autonomes, de contrôler l'exécution du
Plan et de préparer le Budget de Développement pour la mise en œuvre du Plan d'Urgence de
Démarrage Economique et Social (PUDES). Tout est mis en place, en termes de structures
étatiques pour signifier la voie à prendre par la nation : le développement économique et social
devient le crédo.

360
La loi mère du pays (Constitution de 1957) a consacré l'usage de la planification dans le pays.
Le Grand Conseil Technique des Ressources Naturelles et du Développement Economique
(GCTRNDE), mis en place en 1958, se donne pour mission d'élaborer des plans visant à
développer, diversifier et augmenter la production nationale. La préoccupation majeure est
clairement exprimée : prendre impérativement le train du développement. En 1965 le Conseil
Permanent d'Action de Libération Economique (CPALE) voit le jour. Les pouvoirs publics lui
attribuent la mission d'entreprendre des études, d'orienter et d'administrer les recettes et dépenses
de l'État. Cette démarche va être déterminante, car en dehors de la réalisation de certains projets
ponctuels de développement, sont jetées les bases de la Comptabilité Nationale et du même coup
sont posés les fondements du développement économique et social d’Haïti.

Le CONADEP subit une modification pour être transformé en Commissariat National de


Développement et de Planification. Cette transformation est expliquée par trois considérations.
La première veut que les prémisses de l’effort de développement justifient une accélération du
processus de planification économique dans le pays. La deuxième considération souligne la
nécessité pour le gouvernement d’orienter les démarches des pouvoirs publics vers une
croissance mieux articulée de l’économie nationale. Et la dernière est exprimée dans la nécessité
de susciter un dynamisme nouveau au sein de l’organisme chargé d’exécuter le programme de
développement décidé par le pays.

a- Un système national de planification peu efficace pour les pauvres

Le système national de planification qui est appliqué est conçu pour être la base à partir de
laquelle les pouvoirs publics répondent aux besoins de développement économique, social et
environnemental du pays, dans le court, moyen et le long terme, aussi bien au niveau national,
que départemental et local. De plus, il doit permettre au secteur privé de participer très
étroitement à la définition des objectifs, de politiques et des programmes et projets, dans la
mesure où l’État a décidé de se désengager des questions de production et de faire en sorte que le
secteur privé occupe une place de plus en plus importante dans le système productif national.
L’objectif général du Système National de Planification Haïtien (SNPH) est de conduire le
développement de l’économie nationale et l’amélioration des conditions de vie des populations
pauvres. Et, la planification, instrument de cette stratégie, est étroitement associée à l'idée de
développement rapide et autocentré.

361
Au-delà des promesses énumérées plus haut ce système est porteur de grandes faiblesses. Sa
vision est insuffisamment exprimée et définie, spécifiquement en ce qui a trait à son rôle dans la
mise en œuvre des politiques publiques en faveur du développement du secteur privé des
affaires. Cette logique laisse supposer que l’investissement public constitue le seul mécanisme de
l’intervention publique, alors que l’État entreprend des actions aptes à soutenir l’investissement
privé. Ce système ne tient pas assez compte des caractéristiques de l’environnement national et
international. L’idée de base est que le secteur privé est encore trop faible pour pouvoir être le
vecteur du développement, car il n’a pas les capacités d'investir à long terme dans des industries
qui ne dégagent pas de forts taux de profit dans l’immédiat. Seul l’État a la capacité d'investir de
façon cohérente, planifiée, pour accélérer la croissance et construire une économie intégrée et
indépendante.

Le système de planification national ne rassemble pas toutes les parties prenantes de la vie
économique. Le secteur privé et la puissance publique n’ont pas la même vision du rôle de ce
système dans le développement du pays. Il n’est pas considéré par tous les acteurs privés comme
le Système de Gestion du développement économique, social et environnemental du pays. Pour
certains, il est un cadre administratif créé pour assurer la planification, la programmation, le
financement, la mise en œuvre, l’évaluation et le suivi des activités de développement. Pour
l’État, il planifie et gère le développement, ce qui inclut les prises de décision en matière de
politique économique. Les plans et les investissements décidés ne traduisent pas nécessairement
les préoccupations des acteurs du développement. En effet, dans les différents processus
(exploration, arbitrage, budgétisation, exécution et suivi), le débat s’organise entre décideurs
politiques et experts. La participation publique, très faible d’ailleurs, n’intervient qu’en fin de
démarche pour valider les propositions et vérifier leur acceptabilité sociale.

Le Système National de Planification est confronté à un déficit de crédibilité. Les décisions de


produire, d'échanger et d'allouer des biens et services rares sont déterminées majoritairement à
l'aide d'informations résultant de la confrontation de l'offre et de la demande. Le système est
incapable de définir des politiques économiques adéquates et de répartir convenablement les
moyens mis à la disposition des opérateurs du système pour résoudre les problèmes identifiés,
parce que les études réalisées sont insuffisamment détaillées. L’incongruité des moyens octroyés
par l’État limite ses interventions et diminuent les chances du système d’être efficace. Mais, la

362
complexité et l’inefficacité des mécanismes du marché justifient la mise en œuvre et l’intégration
de la planification dans le système de gestion de l’économie nationale. Et la planification locale
n’est pas vraiment prise en considération. L’appropriation des termes techniques en matière de
Planification du Développement est éparse et insuffisamment diffusée.

En général l’efficacité d’un système de planification du développement dépend en partie de la


qualité de la méthodologie utilisée. Or pour le système en question, il n’existe pas une
méthodologie propre, mais diverses méthodologies complémentaires, ayant chacune leurs
objectifs propres, leur propre domaine, leurs propres mécanismes et leurs propres outils,
correspondant aux diverses situations du processus de planification. Ils jouent tous un rôle
important dans l'élaboration des plans de développement économique et social. L’examen des
différentes méthodologies utilisées au cours de l'élaboration, de l’exécution, du suivi et de
l’évaluation des plans en question et des investissements associés renseignent sur ses contours
inefficaces de ce système de planification.

L’État n’est pas suffisamment rigoureux en ce qui a trait à l’exécution des projets, au point qu’il
lui est très difficile de s’engager dans la voie d'une transformation qualitative. Les
investissements ne sont pas nécessairement orientés vers la recherche de la rentabilité. Le
système de planification ne peut pas déboucher sur des véritables choix stratégiques de moyen et
de long terme, car les techniques de prévisions sont fondés sur une hypothèse de stabilité des
structures techniques de l’économie et reposent sur des extrapolations des tendances du passé. Il
tend trop souvent à promouvoir exclusivement des stratégies extrapolées du passé, ou imitées
d’autres pays, et qui laissant peu de place à la créativité. D’autres faiblesses sont à prendre en
compte comme la a non-systématisation de la planification du développement au sein des
structures privées participant au processus de planification, la faiblesse du système
d’informations quantitatives et qualitatives (les données sont dans certains cas irrégulières et trop
globales) et la fréquence des mutations institutionnelles mesurée au travers des changements qui
affectent en moyenne tous les deux (2) ou trois (3) ans l’une et/ou l’autre de ces fonctions
majeures : changement de rattachement ministériel et/ou d’intitulé et/ou de contenu, et souvent,
consécutivement, de responsable. Ce système de planification fait face à des difficultés sévères
de coordination, étant donné que chaque institution publique ou privé participant au processus de
planification est un centre de décision qui veut garder toute son autonomie. Il est donc très peu

363
capable de changer les conditions de vie car l’amélioration de la situation des populations
pauvres et leur accès aux marchés passe normalement par la résolution de la question de la
gestion du risque, de l’instabilité des prix et de la régulation de certains marchés. Cependant, il
n’existe pas de disposition systématique visant à mettre en place des mesures de maitrise des
risques, de stabilisation des prix et de régulation des marchés face à la montée inquiétante des
importations, alors qu’il est apparu que les politiques libérales sont des accélérateurs de la
pauvreté.

b- Un chef d’orchestre avec des scores mitigés

Le Ministère de la Planification et de la Coopération Externe (MPCE) est le chef d’orchestre du


système national de planification. Par délégation du Conseil des Ministres, il joue un rôle central
au sein du système national de planification (SNP). En effet, le SNP est organisé autour d’une
autorité centrale, le MPCE, dont les principales missions sont d’assurer le pilotage de la mise en
œuvre du processus de planification globale, en même temps que la gouvernance du système. Il
est, de par ses missions, le pilier du Système National de Planification.

Néanmoins, il remplit ces dernières avec difficulté, en raison de la diversité des institutions
impliquées, et du fait que chaque entité du SNP est un centre de décision qui a ses propres
responsabilités.

En tant que pilote du processus de planification globale, ce ministère demeure un « organisme


de conception, de synthèse, de conseil et d'alerte auprès du Gouvernement de la République ».
Afin de remplir les missions qui lui sont confiées, cette structure joue aujourd’hui six (6)
fonctions, à savoir : l’aménagement du territoire ; la planification économique et sociale ; la
coordination du Budget d’Investissement et de l’exécution de Plan ; le suivi de l’exécution des
Plans ; l’évaluation de l’exécution des Plans ; la coordination de l’Aide Externe. En réalité, il
perd souvent une bonne partie de son champ de compétence au profit d’autres entités. Le
pouvoir d’arbitrage financier179 en est un témoignage éloquent. Le MPCE perd ce pouvoir

179
Cela signifie qu’il dispose du droit de trancher en ce qui a trait aux projets à inscrire dans le plan, à l’affectation
des ressources humaines et financières, à l’octroi de l’assistance technique, et même aux conflits d'intérêts entre
groupes et à l'intérieur des administrations, pour ce qui est des activités de planification. Ce qui lui permettrait de
trancher les conflits d’intérêts entre groupes et même à l’intérieur des administrations ; associer étroitement à
l’élaboration du plan les forces vives de la Nation, dans le cadre des groupes de travail ou d’une représentation
locale. La décision qu’il rend est contraignante pour l’entité qui en a été l’objet. La décision issue de l’arbitrage est
définitive et doit être exécutée sans délai

364
d’arbitrage financier au profit du Ministre de l’Economie et des Finances (MEF). En dépit des
contraintes signalées plus haut, le MPCE met en œuvre des initiatives qui tiennent compte des
conditions de vie en générale et de la pauvreté en particulier :

- Le Conseil National des Coopératives (CNC), un rempart contre la pauvreté

Le système coopératif est une organisation économique et sociale originale. Il a pris naissance et
s’est développé dans la première moitié du XIXe siècle, période de grande misère ouvrière
causée en grande partie par le capitalisme. Il s’est constitué sous la pression du socialisme
associationniste et, quelquefois, sous l’impulsion d’un christianisme découvrant ses
responsabilités sociales. Mais la coopérative s’enracine dans une tradition utopiste importante.
En Bretagne les coopératives agricoles se développent dans les années 1950. Au Tchad, la
dynamique est observée aussi avec les coopératives de transporteurs. Au Mali, la démarche a pris
une autre voie180. On assiste à une généralisation du modèle d’action coopérative à l’échelle
mondiale. La période de la décolonisation suscite de nouveaux espoirs. Les pays nouvellement
indépendants expérimentent le modèle coopératif plutôt que le capitalisme ou le socialisme
scientifique érigés en modèle de développement par les États-Unis d'un côté et l'URSS de l'autre.
En Haïti, le décret portant création du Conseil National des Coopératives (CNC) stipule en son
article 2 que le CNC a pour mission de formuler la politique nationale dans le domaine de
l’organisation et du développement des coopératives en accord avec le Ministère de la
Planification et de la Coopération Externe (MPCE). La coopérative est prise comme une barrière
contre la pauvreté. La démarche s’appuie sur le principe de solidarité des coopératives pour
promouvoir le développement socioéconomique. La mission de ces structures est, entre autres,
de garantir des emplois durables, assurer la prospérité collective et contribuer à un avenir plus
viable et équitable. La majorité de ceux qui souffrent de pauvreté et de la famine dans le pays
180
En Afrique, au moment de la décolonisation, les coopératives ont suscité beaucoup d’espoirs. Au départ, elles
étaient perçues comme un instrument privilégié du socialisme africain, un moyen de réconcilier les solidarités
traditionnelles et la modernisation technique. A cette époque, il fallait faciliter le passage d’une société coloniale à
une nouvelle société indépendante, ce qui signifiait faire accepter à l’ensemble de la population et
particulièrement aux paysans les objectifs et les contraintes du développement. Au Mali, l’option socialiste est
proclamée dès octobre 1960. L’influence marxiste est importante. L’agriculture a pour but de dégager un surplus
pour permettre des investissements dans l’industrie et les infrastructures. Elle a aussi comme rôle
d’approvisionner à bas prix les villes où se trouvent les fonctionnaires et les salariés des sociétés d’États, principaux
piliers du régime qui pourront accepter des salaires faibles si le coût de la nourriture est maintenu à un bas niveau.
Il s’agit de réaliser l’organisation socialiste du monde rural en créant à la base des groupements ruraux de
production et de secours mutuel (GRPSM).

365
vivent dans les zones rurales. Pour cette catégorie la principale activité et l’unique source de
revenus vient du secteur agricole.

Les coopératives se sont avérées comme un moyen efficace d’assurer l’inclusion économique de
nombreuses communautés, majoritairement féminine, notamment des personnes issues des zones
rurales et des zones urbaines défavorisées. Basés sur des principes de solidarité,
d’épanouissement personnel et de durabilité, les projets de coopératives constituent un excellent
moyen d’intégrer les exclus dans le développement économique de leur localité et contribuent
ainsi à l’amélioration de leur statut et de leurs conditions sociales181. Les autorités haïtiennes
sont confiantes à l’instar du directeur général du CNC qui « entend travailler pour faire du
secteur coopératif une alternative crédible pour le développement socio-économique des
populations et des communautés locales ». Il poursuit en faisant remarquer que « le mouvement
coopératif est le meilleur moyen de développer le pays avec les Haïtiens eux-mêmes ».

L’appui des pouvoirs publics au coopératisme a eu une un effet d’entrainement conséquent sur
les esprits. En effet, le gouvernement de Jean Bertrand Aristide a encouragé les citoyens à
intégrer les structures coopératives. De 2001 à 2003 des centaines de milliers d’haïtiens sont
devenus membres d’une coopérative. Cependant la situation vire au cauchemar pour plus de 400
000 adhérents quand une centaine de coopératives, celles les plus en vue, se déclarent en faillite
et incapables de rembourser l’argent qu’elles ont reçu des sociétaires. Cet outil qui devait être un
rempart contre la pauvreté182 devient un accélérateur de la misère en décapitalisant les ménages
les plus pauvres. Le préjudice est estimé à plus de 17 milliards de gourdes [1 dollar américain =
environ 40.00 gourdes]. L’État haïtien n’a pu dépenser que 120 millions de gourdes dans le cadre
d’un processus de remboursement des sociétaires victimes de cette vaste opération d’escroquerie.
Cette politique publique qui misait sur les coopératives pour changer les conditions de vie des
plus faibles a échoué en entrainant avec elle des milliers de ménages pauvres incapables
d’assurer le relèvement. La pauvreté qui se massifie avait besoin d’être cartographiée pour mieux
orienter les investissements publics susceptibles d’améliorer les conditions de vie.

181
«Les coopératives agissent comme des catalyseurs, non seulement pour la croissance économique mais aussi pour
la croissance sociale,» selon Cynthia Giagnocavo, Chercheur, Professeur d’Economie et de Commerce à
l’Université d’Almeria
182
L’usage n’est pas le même partout car dans certains pays africains le mouvement coopératif a permis à l’État de
se désengager de filières vitales et stratégiques après l’indépendance comme le transport. Et dans la période
marxiste la coopérative se rapprochait du kolkhoze.

366
- Le Centre National de l’Information Géographique et Spatiale (CNIGS) pour
cartographier l’inscription spatiale des conditions de vie

Les ressources nationales sont soumises à une pression croissante du fait de l’augmentation de la
population, de l’urbanisation et de ses besoins en produits et en services de toutes natures :
alimentaires, énergétiques, éducatifs, sanitaires, emploi, etc. Tous ces usages ont un impact direct
sur l’environnement et l’écosystème. Il en résulte un besoin urgent d’optimiser l’utilisation de
ces ressources, ce qui relève de la responsabilité des hommes politiques, à tous les niveaux,
section communale, communal, départemental et national. Une telle démarche ne peut se
concevoir sans une bonne connaissance du territoire. Et c’est le sens même de l’information
géographique : apprendre à mieux connaître le milieu, du point de vue physique, de son
utilisation, de la propriété qui lui est attachée, de son sous-sol, de son état environnemental, etc.
Tout ceci nécessite observation et cartographie.

C’est dans cette optique que le gouvernement haïtien avec l’appui financier de l’Union
Européenne, met en place le Centre National de l'Information Géo Spatiale183 (CNIGS) en vue de
mettre en œuvre la réforme des institutions chargées de la production et de la vulgarisation
d'informations spatiales du pays. La mission est clairement définie dans les propos du ministre de
la planification de l’époque Monsieur Jean Max Bellerive «…produire et diffuser l'information
géographique actualisée et fiable sur tout le territoire national par l'utilisation de technologies
modernes appropriées, garantissant la mise à disposition de méthodes, d'outils, de produits et de
formation devant supporter la planification des actions de développement durable du pays ».

Les pouvoirs publics haïtiens prennent le train du triomphe du « data » dans la gouvernance
comme le précise Jeffrey. D. Sachs184 « l'avènement des data offre des armes inédites pour le
développement. Il faut les ouvrir au plus grand nombre. La révolution de données transforme
rapidement nos sociétés. Les élections sont gérées grâce à la biométrie, les forêts sont

183
Cette structure publique est née de la mise en commun des missions, mandats et patrimoine du Service de la
Géodésie et de la Cartographie (SGC) jusqu'ici sous la tutelle du MTPTC et de l'Unité de télédétection et de système
d'information géographique (UTSIG) sous la tutelle du ministère de la Planification et de la Coopération Externe
(MPCE). Cette dernière créée en 1998 détient à son actif trois grandes réalisations dans le domaine de l'information
géo-spatial en Haïti avec l'appui financier de la Commission Européenne et de l'État haïtien: l'utilisation de l'image
satellitaire pour l'aménagement du territoire, la couverture photographique aérienne d'Haïti, la réalisation et la
diffusion d'orthophotoplans.
184
Jeffrey D. Sachs est directeur de l'Institut de la Terre à l'université de Columbia aux États-Unis. Cette citation est
tirée d’un article publié en collaboration avec Project Syndicate en 2015.

367
surveillées avec de l'imagerie par satellite, la banque fait migrer ses succursales vers les
smartphones et les examens à rayons X sont consultables à l'autre bout du monde. Avec de
faibles investissements, cette massification des données pourrait également conduire à une
révolution du développement durable. Et accélérer les progrès vers l'éradication de la pauvreté,
en favorisant l'intégration sociale et la protection de l'environnement ». L'exploitation des
données devient donc une nouvelle arme contre la pauvreté. Bien entendu les données tirées de la
plateforme en soit ne règlent pas le problème car elles ne donnent pas à manger de manière
concrète. Néanmoins elles ont la capacité d’orienter les investissements.

L’amélioration de l'information sur les investissements publics, les statistiques en temps quasi
réel sur la mise en œuvre des projets inscrits dans le Plan d’Investissements Publics (PIP), la
possibilité de vérifier que les objectifs fixés sont atteints n’étaient point des réalités nationales.
La création du CNIGS devrait potentiellement changer la donne. Les rapports nationaux (OMD,
DSNCRP, PSDH etc.) ne peuvent pas être élaborés convenablement avec des données fiables et
régulières. Néanmoins, cette structure a permis à Haïti de disposer de sa première carte de
pauvreté, d’une cartographie scolaire, d’un atlas agricole et une carte d’occupation des sols.
L’outil existe mais son usage comme support d’orientation des politiques publiques tarde à venir.
Alors que des millions de dollars sont déjà investis dans l’acquisition des équipements et surtout
dans le paiement des salaires du personnel administratif et des cadres techniques

- L’Observatoire National de la pauvreté et de l’Exclusion Sociale (ONPES) pour la


vulgarisation des savoirs sur la pauvreté

En 2008, pour assurer le suivi de la mise en œuvre du DSNCRP, l’État haïtien crée
l’Observatoire National de la Pauvreté et de l’Exclusion Sociale (ONPES). A cet organe public
est confié la mission de suivre l’évolution des phénomènes de pauvreté et d’exclusion sociale. Il
devait déposer, chaque année, un rapport sur l’état des conditions de vie dans le pays et faire des
propositions de politiques publiques dans le cadre de la réduction de la pauvreté qui devient une
préoccupation nationale. Cet organisme placé sous la tutelle du Ministère de la Planification et
de la Coopération Externe a montré significativement son importance par l’intermédiaire d’une
quarantaine de publications en moins de dix ans d’existence. La vulgarisation des savoirs sur la
pauvreté demeure son point fort.

368
L’Observatoire a pour mission de collecter, traiter et analyser l’information disponible en
matière de pauvreté et d’exclusion sociale, de concevoir et de suggérer toute politique (et
indicateur) susceptible de rendre plus efficace la stratégie de réduction de la pauvreté mise en
place par les pouvoirs publics. Les taches qu’on lui assigne témoignent de la volonté des
autorités nationales par le biais du MPCE de prendre en compte la pauvreté et l’exclusion sociale
dans le champ des conditions de vie dans le pays. Il a pour attributions de :

Organiser un réseau de recherche et de prospective dédié à l’anticipation, au suivi et à


l’évaluation des résultats, des effets et de l’impact des politiques de réduction de la
pauvreté, et d’inclusion sociale, dans le but de proposer aux pouvoirs publics et acteurs
de la société civile, les éléments d’analyse pour leur amélioration ;
Favoriser les échanges entre les intervenants publics et privés, nationaux et
internationaux ;
Collecter, analyser et faire connaître les bonnes pratiques nationales et internationales
susceptibles à contribuer à l’éradication du phénomène de la pauvreté et de l’exclusion
sociale en Haïti ;
Mener à bien les enquêtes qualitatives nécessaires à une compréhension fine, dynamique
et itérative du phénomène de la pauvreté en Haïti ;
Suivre les performances des actions prises dans le cadre de la Stratégie Nationale pour la
Croissance et pour la Réduction de la Pauvreté (DSNCRP) ;
Améliorer de manière continue les connaissances socio-économiques sur la pauvreté et
l’exclusion sociale dans le pays et les divulguer ;
Constituer au sein de l’administration publique nationale l’instrument analytique des
collectes de données socio-économiques ;
Former le personnel de l’administration publique nationale et des Collectivité
Territoriales, préposés au suivi des politiques publiques, aux pratiques et analyses
statistiques, à la nature des politiques publiques et à leurs effets sur les conditions de vie
et le bien-être, au suivi et aux mesures des OMD, de la pauvreté, de l’exclusion, à la
conception et au suivi des projets par les résultats.

369
Ses rapports annuels, liés à une thématique, et ses monographies font des propositions de
politiques publiques pertinentes sur les conditions de vie en générales et de la pauvreté en
particulier. Des diagnostics sont réalisés sur la pauvreté et le spatial, les catastrophes naturelles et
la pauvreté, la consommation et la pauvreté, la protection sociale nationale, l’exclusion sociale,
les nouveaux visages de la pauvreté après le séisme, le profil de la pauvreté dans les écrits
haïtiens, l’usage des statistiques dans le développement national, la jeunesse et la pauvreté,
l’insalubrité et la pauvreté, la cuisine des rues et l’emploi, la famille nombreuse et la pauvreté, la
carte de pauvreté départementale, pauvreté et croissance économique. A cela il faut ajouter
l’élaboration d’un cahier des indicateurs pour le suivi de la lutte contre la pauvreté et un colloque
international sur la pauvreté extrême. Le bilan des travaux réalisés par l’Observatoire sur la
pauvreté et l’exclusion sociale est conséquent. Ces travaux sont très appréciés par les parties
prenantes du développement en Haïti.

Néanmoins les recommandations associées à ces travaux ne sont pas pris en considération par les
décideurs politiques. Les politiques publiques mises en œuvre ne tiennent pas compte des
propositions de l’Observatoire sinon comme « attendu que » dans les rapports à adresser aux
institutions financières et agences internationales très sensibles aux questions de lutte contre la
pauvreté et l’exclusion sociale. L’augmentation des dépenses sociales, la prise en charge des
ménages les plus pauvres, l’équipement en services sociaux de base des communautés rurales et
enclavées, l’aide à la consommation pour les ménages les plus pauvres, l’accès au crédit pour les
petits métiers, l’institutionnalisation du financement des programmes sociaux ne sont jamais
intégrés dans le menu parlementaire depuis 2008. L’arbitrage budgétaire se fait dans le secret et
est animé surtout par la volonté de satisfaire des intérêts politiciens au détriment de ceux de la
République et des plus démunis. En matière de lutte contre la pauvreté les pouvoirs publics
haïtiens sont aveugles car ils ne conçoivent point ce combat à travers leur œil analytique qu’est
l’ONPES devenu depuis 2016 l’Unité d’Observation de la Pauvreté et de l’Exclusion Sociale
(UOPES).

370
Conclusion

La dynamique de la planification du développement et de la prise en compte de la pauvreté dans


le pays s’installe et s’enracine peu à peu dans les discours. Cependant son empreinte est très peu
perceptible dans les actions et les décisions prises par les acteurs majeurs haïtiens. Le chef
d’orchestre du système national de planification (le MPCE), soutenu par l’assistance technique
internationale (PNUD, Banque Mondiale, Délégation de l’UE et FNUAP) et régionale (CEPAL)
s’est donné quelques outils potentiellement efficaces (Observatoire de la pauvreté et information
spatiale et géographique, mutualisation citoyenne des avoirs). On misait sur les effets
intrinsèques de ces instruments. Or face à la réalité ils ne jouent pas efficacement leur rôle. Ils
sont donc réduits à de simples paravents pour se donner bonne conscience ou tout simplement
tromper la rhétorique de standardisation imposée ou suggérée par les agences internationales.
L’ONPES produit des données et fait des recommandations sur la pauvreté et l’exclusion mais
les décisions et les investissements sont animés et orientés vers d’autres objectifs (se faire réélire,
apaiser le mécontentement des supporters ou tout simplement abuser des biens publics).
L’information cartographique est préparée par le CNIGS mais elle ne sera pas utilisée car les
investissements ne sont pas réalisés dans un cadre cohérent. Le CNC aide à mutualiser l’épargne
des populations les plus modestes sans jamais trouver la bonne formule pour faire le saut
qualitatif nécessaire à l’amélioration des conditions de vie. La coopérative qui est un prescrit
constitutionnel est en panne de résultat tangible et de qualité. Cet échec incite à essayer d’autres
voies pour assurer un minimum de changement dans les conditions de vie. Un autre prescrit de la
constitution de 1987, la décentralisation, est constamment mis au-devant de la scène. Mais ce
pari est tout aussi difficile que ceux mentionnés plus haut.

2- Les velléités de décentralisation de la constitution de 1987

Les dernières enquêtes sur la pauvreté dans le pays montrent clairement que ce phénomène est
fondamentalement rural. Et que la Région Métropolitaine de Port-au-Prince accumule les
meilleurs scores en matière de conditions de vie. Ce constat rejoint la plupart des analyses et
diagnostics effectués dans le cadre des plans nationaux de développement. Tous les rapports
dénoncent le déséquilibre qui existe entre la capitale et le reste du pays (Ans A-M. D’, 1987, G,
BARTHELEMY, 1990).

371
A cet effet tous les débats sur l’économique et la politique depuis au moins les trente dernières
années dans le pays sont animés par le besoin de rééquilibrer le territoire. La décentralisation
devient le maitre mot et la solution aux maux que représente la macrocéphalie de Port-au-Prince.
La constitution de 1987 devient l’aboutissement politique de cette demande exprimée et
renouvelée sans cesse par les acteurs locaux et nationaux.

a- Une constitution promotrice du pouvoir local appauvri

En mars de 1987 par une majorité nette les citoyens haïtiens se prononcent favorablement par
voie référendaire pour une nouvelle constitution. Cette dernière porte en son sein l’expression
d’un nouveau contrat social basé sur l’équilibre territorial. Elle met un accent particulier sur le
concept de collectivités territoriales. Ces dernières sont perçues comme une institution nationale
par excellence, démocratiquement élues et proches des populations défavorisées et comme
institution nationale par excellence pour la démocratie et le développement (M. Oriol, 1994). La
Constitution de 1987institue trois catégories de collectivités territoriales qui sont, dans l'ordre
croissant, la section communale, la commune et le département. Chacune de ces entités est
dirigée par un Conseil.

soit élu au suffrage direct (CASEC et maires des communes)


soit élu au suffrage indirect (Conseil Départemental élu par l'Assemblée Départementale)
soit choisi au sein des différents conseils (Conseil interdépartemental formé d'un
représentant de chacune des Assemblées départementales)

Le Conseil est assisté d'une Assemblée. L'institution d'assemblées à chaque niveau de collectivité
est la particularité de cette nouvelle constitution. Ces assemblées se déclinent dans l’ordre
hiérarchique suivant: les Assemblées des Sections Communales (ASEC), élues au suffrage
direct, les Assemblées Municipales (AM) et les Assemblées départementales. Le processus est
complexe et le système attribue un rôle spécifique à chaque composante : le Conseil de section
communale a un rôle exécutif, l'Assemblée de la section (ASEC) discute les propositions,
l'assiste dans la planification des projets, prend les décisions nécessaires et contrôle toutes ses
actions. L'Assemblée est pensée comme une sorte de parlement local et est censée constituer la
passerelle entre l'État et la société civile (Castor. S, 1997).

372
Les assemblées dans le système ont la mission d'exercer une autorité de surveillance sur les
mairies (assemblée municipale), CASEC (assemblée de la section communale) etc. Le volet
participatif est incorporé au dispositif, autrement dit les citoyens surveillent la gestion des
administrateurs et dictent leurs avis dans les décisions engageant les collectivités. Ces entités
matérialisent la présence citoyenne au sein des différents niveaux de l'Administration Publique.
Elles garantissent une bonne utilisation des biens publics. Cette dynamique permet à la
population de participer à la planification nationale.

Cette participation citoyenne au niveau local bute contre la réalité du milieu de vie et de
production. En effet la section communale est concurrencée par « l’habitation ». En effet la
section communale qui est une dimension du découpage territorial est perçue. Son existence est
ancienne et témoigne d'un quadrillage très réel du monde rural, néanmoins ceux qui s’opposent à
son usage administratif la présentent généralement comme typique d'une vision technocratique et
arbitraire du monde rural. A l’opposé une "habitation n'ayant aucune existence reconnue
administrativement, est perçue actuellement, comme la cellule de base du territoire national dans
sa composante désignée comme la "communauté locale" ou de base. Il faut rappeler ici que cette
habitation est, dans bon nombre de cas, le vestige de l’habitation coloniale. Il existe
effectivement une grande différence entre ces unités de base administrativement reconnues et les
collectivités réelles dans lesquelles vivent les ruraux haïtiens185.

La commune est sujette à de nombreux débats aussi. Cette entité qui est antérieure à la
constitution de 1987 à certaines fois, fonctionné comme des unités de pouvoir décentralisées. Ce
type de pouvoir local a eu donc sa période de gloire bien avant les prescrits constitutionnels de
1987 (C. Cadet 1994) Ce constat prend en compte les instruments juridiques les plus
importants : la Constitution de 1843, l’arrêté présidentiel du 6 juillet 1844; la loi du 24 juin 1872
et la loi de septembre 1876. Ces lois organisent une Administration communale à part entière en
prévoyant: d’une part, des compétences clairement déterminées couvrant: les services de
proximité (voirie, génie municipal, etc); les services socio-culturels (écoles primaires
communales gratuites, établissement de secours et de bienfaisance, etc), et les services

185

Murray (1977) résume bien l’état de la situation en ces termes : « la section rurale n'est absolument pas une
communauté ou un village, dans quelque sens que ce soit. C'est plutôt un regroupement administratif
relativement arbitraire de nombreuses "communautés" (que les gens désignent par le terme "abitasyon") pour des
objectifs de gouvernance ».

373
administratifs (état civil, police communale, recensement de la population, etc.) et d’autre part,
des modalités de financement des dépenses administratives et de services engagées comme: les
revenus des biens communaux; la patente et l’impôt locatif; un grand nombre de taxes indirectes.
Cette tradition186 n’a pas survécu et les velléités de décentralisation de la constitution de 1987
n’a pas fait trop évoluer la réalité de la commune.

La constitution de 1987, dans sa section concernant la section communale, prévoit, à l'article 64,
que : "L'État a pour obligation d'établir au niveau de chaque Section Communale les structures
propres à la Formation sociale, économique, civique et culturelle de la population". Or en 2017
plus d’une cinquantaine de sections communales ne dispose même pas d’un établissement
scolaire. Et les membres des conseils communaux dans beaucoup de cas sont émargés sur le
budget national qui lui est nourri par les contributions venues de tout le pays. La commune en
tant que collectivité est incapable de se prendre en charge.

Le processus de « décentralisation » suppose qu'on décentralise des structures qui existent et


fonctionnent au niveau central ou encore qu'on rende autonomes des composantes déconcentrées
d'une administration centrale. Or ce n'est pas le cas dans le pays depuis 1987 après trente ans de
mise en application de la nouvelle constitution. Le président René Préval a tout compris en 1994
en adoptant comme slogan de campagne et comme promesse électorale de « Rétablir l’autorité
de l’État ». Le renforcement de l'autorité de l’État, accepté par tous compte tenu de l’anarchie qui
va s’installer à la sortie de la dictature des Duvalier, devient une autre embuche à la volonté
d’aller vers la décentralisation. Cette dernière est repensée dans sa mise en œuvre. Dans une
nouvelle vision de l'État les collectivités territoriales sont admises comme partie prenante
majeure.

Néanmoins, il faut bien l’admettre la première étape n'est donc pas de décentraliser au sens
propre du terme. C'est d'abord, dans le cadre de la restauration de l’autorité de l’État, un

186
Charles Cadet, en 2004, fait le point en ces termes la « culture de commandement » qui domine la conception
politique traditionnelle haïtienne va limiter la portée de ces avancées sur le plan légal. Ultérieurement, d’ailleurs,
des reculs importants seront observés et conduiront à distinguer les “ communes s’administrant elles-mêmes” des “
communes s’administrant sous le contrôle de l’autorité supérieure”. Mais, plus fondamentalement l’autonomie des
Communes ne sera jamais une réalité en raison de l’emprise permanente d’un pouvoir exécutif à tendance fortement
dominatrice. Cette situation d’une Collectivité Territoriale dont l’existence formelle est admise mais qui est en
même temps niée par un ensemble d’autres mécanismes institutionnels et politiques ne traduit pas la volonté de
décentraliser effectivement. C’est pourquoi certains auteurs l’ont caractérisé comme étant une “modernisation de la
centralisation”.

374
réaménagement des pouvoirs entre le niveau local et le niveau central de l'État. De ce fait, il
s'agira de mettre en place une dynamique par laquelle l'État central cédera graduellement, sur une
période relativement longue, certaines de ses fonctions au profit des institutions relais de l'État à
travers le territoire. L’enjeu semble être, la structuration d’un État qualifié de "faible" ou « failli
» tout en renforçant la base des collectivités et en donnant à celles-ci une structure et des moyens
qui les rendent crédibles. Dans ce contexte la construction de collectivités territoriales dans le
cadre de la politique de décentralisation fait corps paradoxalement au renforcement de l'État
central qu’on demande de léguer ou de déléguer.

La volonté affichée par la constitution de 1987 de se défaire du pouvoir centralisateur établi dans
le pays depuis des décennies n’atteint pas encore les espérances et les objectifs fixés. Ceux qui
devaient être en première ligne pour soutenir la démarche ne connaissent pas le système. Leur
niveau d’appropriation du dispositif de décentralisation est sommaire ou nul. Il est question des
élus qu’ils soient maires, délégués, Casec et Asec. Evidemment la flamme ne s’éteint pas car un
certain nombre de structures se mettent en place, telle la Fédération Nationale des Maires d'Haïti
(FENAMH) et des mouvements de regroupements des CASEC. La continuité est assurée par les
débats qui se déroulent sur les thématiques spécifiques telles : la participation, l’autonomie, le
cadre juridique régissant les rapports entre le pouvoir central et les collectivités territoriales, la
fiscalité locale, la question agraire, la police de proximité.

La présence des collectivités territoriales n’est pas un témoignage éloquent de l’enracinement de


la décentralisation sur le territoire. La section communale qui est le premier échelon des
compétences locales est abandonnée à elle-même. La Police Nationale Haïtienne n'est présente
actuellement que dans les villes et les bourgs (sièges des communes). Les délégations (assimilées
à des préfectures), qui sont les antennes régionales du pouvoir exécutif central, ne laissent
aucune chance aux pouvoirs locaux de s’épanouir. Elles disposent d’un pouvoir discrétionnaire
sur les collectivités locales à travers le mouvement du personnel de la fonction publique
décentralisée. Beaucoup d’observateurs l’assimilent à une tentative de contrôle de ces entités par
l’exécutif central (Castor S, 1997).

L’autonomie financière recherchée et revendiquée par les collectivités territoriales n’est jamais
effective. La loi du 2 septembre 1996 créant un fond pour elles à partir d'un pourcentage de
certaines taxes et redevances perçues par l'État ne change pas la donne. Dans les faits, ces fonds

375
gérés par le Ministère de l'Intérieur via le MPCE, atterrissent plutôt dans les escarcelles des
députés. Généralement ils sont en principe débloqués au nom des mairies qui ne font que les voir
passer. Jusqu’à aujourd’hui aucune dotation financière n’est mise à la disposition des différentes
autres assemblées (ASEC et Assemblées Départementales). La question foncière reste ouverte
alors que l'article 39 de la Constitution de 1987 prévoit en effet « que les sections communales
aient un droit de préemption pour l'exploitation des terres du domaine privé de l'État » et fait des
communes les gestionnaires privilégiés des biens fonciers du domaine privé de l'État situés dans
leur territoire, lesquels ne peuvent faire l'objet d'aucune transaction sans avis préalable de
l'Assemblée municipale (délégués des ASEC plus délégués des villes).

La volonté affichée de la constitution de 1987 de déléguer une part de pouvoir aux collectivités
territoriales dans des domaines aussi cruciaux que la fiscalité, le foncier, le budget semble
s’arrêter à la logique des grandes intentions. Les ministères centraux se dotent de directions
techniques qui captent les compétences qui auraient dû être décentralisées donc allouées aux
collectivités. C’est le cas du ministère de l’agriculture qui récupère tous les projets agricoles afin
d’empêcher aux ressources dédiées à ces actions d’aboutir dans le champ de gestion des
communes. La parade est la même quand le MPCE crée la CAED pour centraliser l’aide et ses
projets associés alors que ces derniers vont être réalisés dans les sections communales ou dans
les communes. Les plans communaux et départementaux187 inscrits dans le système national de
planification restent lettre morte alors qu’on mise sur ces dispositifs pour revitaliser « l’arrière-
pays » celle qui exige qu’elle soit intégrée dans la prise de décision économique et politique
engageant son présent et son avenir. Le pouvoir local, voulu agissant et intégré par la
constitution, est réduit à une gouvernance appauvrie dans ses compétences et dans les moyens
qui ne lui sont pas accordés.

187
D’une façon générale, les plans spatiaux, à savoir les plans départementaux, communaux et locaux doivent
englober tous les secteurs et les intégrer dans un cadre global cohérent. Les décisions quant aux priorités et à
l’allocation des ressources doivent être prises dans ce cadre global et sectoriel. La planification spatiale qui en
découle intègre les considérations territoriales dans les décisions politiques et administratives. Elle harmonise les
orientations de la planification globale, les programmes sectoriels et les particularités de l’occupation du territoire,
incluant ses potentialités et contraintes. Elle fournit donc un cadre pour la localisation et la répartition des activités et
efforts de développement.

376
b- Une vision maximaliste de la prise en charge sociale par l’État qui échoue

Cette crise économique du début des années 80 est sévère. Les populations rurales accélèrent
l’exode rural. Le phénomène de départ massif du boat-people principalement vers la Floride fait
grand bruit. Une certaine agitation sociale et politique prend corps ce qui inquiète le régime en
place. Ce dernier va se raidir en faisant abattre une répression sauvage sur ceux qui osent le
critiquer ou le défier. C’est dans cette atmosphère que les citoyens haïtiens obtiennent le départ
de Jean-Claude Duvalier en février 1986. Toutefois ce départ ne règle que le problème politique
et cela que très partiellement. Les enjeux sociaux (inégalités, exclusion, déni de droits) et
économiques demeurent intacts. De ce fait, en 1987 se crée l’opportunité, par l’élaboration d’une
nouvelle constitution, de donner une réponse aux maux qui rongent la société haïtienne.

Un an après la chute du régime des Duvalier le pays se dote d’une nouvelle constitution. L’enjeu
est de taille dans la mesure ou cette charte fondamentale devrait satisfaire toutes les attentes post-
dictature. Son préambule en dit long : Instaurer un régime basé sur la paix sociale et l’équité
économique ; la reconnaissance du droit au travail, à la santé, à l’éducation et au loisir ;
Constituer une nation socialement juste. Il est aisé d’en tirer les velléités d’un vrai programme
social. Les idéaux de partage et de solidarité du préambule prennent corps dans les articles. Et
ces derniers se déclinent, au regard de la prise en charge sociale, comme suit :

L’État s’impose l’obligation de garantir la santé au citoyen (Art 19). Les implications
sont simples mais couteuses : création de dispensaires dans les sections communales,
création d’hôpitaux et formation du personnel de santé qualifié
L’État reconnait le droit du citoyen à un logement décent, à l’éducation, à l’alimentation
et à la sécurité sociale. (Art 22). Les pouvoirs publics se donnent pour tâche de rendre
l’école obligatoire et gratuite, de faciliter l’accès au logement pour tous, l’accès à la
nourriture. La démarche implique la création de nouveaux établissements scolaires et la
production de biens alimentaires.
L’État est astreint à garantir la protection, le maintien et le rétablissement de la santé du
citoyen (Art 23)
Le droit du citoyen à l’éducation, à la formation professionnelle est garanti par l’État (Art
32)

377
L’éducation est une charge de l’État et des collectivités territoriales. Ils doivent mettre
l’école gratuitement à la portée de tous. (Art 32-1). Les collectivités territoriales sont
établies comme acteur majeur.
La première charge de l’État et des collectivités territoriales est la scolarisation massive.
(Art 32-2)
L’enseignement primaire est obligatoire sous peine de sanctions à déterminer par la loi.
Les fournitures classiques et le matériel didactique seront mis gratuitement par l’État à la
disposition des élèves. (Art 32-3).
L’enseignement agricole, professionnel, coopératif et technique est une responsabilité
primordiale de l’État et des communes. (Art 32-4)
La formation préscolaire et maternelle ainsi que l’enseignement non formel est à
encourager. (art 32-5)
L’État garantit aux handicapés et aux surdoués des moyens pour assurer leur autonomie,
leur éducation, leur indépendance. Art 32-8)
L’État et les collectivités territoriales ont pour devoir de prendre toutes les dispositions
nécessaires en vue d’intensifier la campagne d’alphabétisation des masses. (Art 32-9)

Il est donc aisé de dire que la demande sociale est grandement traitée à travers les articles de la
constitution de 1987. L’État assure des responsabilités sociales considérables pour veiller au
bien-être de la population et à l’intégration de tous. Le Haïtien est pris en charge du « berceau au
cercueil » par les pouvoirs publics. Néanmoins le passage à l’acte, autrement dit la traduction de
ces idéaux dans la réalité tarde à venir. En prenant en compte la famille, la santé, l’éducation, le
handicap, l’enfance, l’hébergement, les loisirs et la formation professionnelle du citoyen la
constitution crée les conditions d’une prise en charge universelle dans la protection sociale. Une
telle avancée constitue la base d’un système social juste. Tous les Haïtiens, sans discrimination,
doivent bénéficier de prestations sociales. Par cette démarche l’État haïtien prend la
responsabilité d’organiser la solidarité nationale par rapport aux solidarités professionnelles
traditionnelles. En effet, le développement économique et l’évolution des rapports sociaux
conduisent alors l’État à remplir une fonction de régulateur social de plus en plus importante.

La constitution de 1987 est en rupture avec le système de protection sociale existant qui était
basé sur l’assistance et la solidarité professionnelles dans la logique de l’Office National de

378
l’Assurance Vieillesse (ONA). En introduisant l’idée d’une protection universelle, la constitution
(ce nouveau contrat social) rejette le système d’assurances sociales réservées aux seuls
travailleurs ainsi que le principe d’une assistance limitée aux plus démunis. Le nouveau système
imposé (théoriquement) est généralisé : chacun, par sa seule appartenance à la société, doit avoir
le droit de voir ses besoins minimaux garantis par la solidarité nationale ; il est aussi uniforme :
les prestations sociales sont les mêmes pour tous. Cependant la logique de la constitution au
regard de la prise en charge collective pousse vers un débat de fond.

Avec un système de protection sociale universelle, dit-on, les ménages réaliseront des économies
dans les domaines de la santé, de l’éducation et de la garde des enfants. Leur pouvoir d’achat
sera donc plus élevé. Ce qui stimulera la demande et la croissance économique dans son
ensemble. Le fonctionnement de ce système sera ainsi financé via un « cercle vertueux. La
question se pose avec insistance : la démarche, dans ses conséquences, est –elle vraiment
vertueuse ? Les critiques peuvent être à l’opposé de tout cela : c’est une forme de populisme
irresponsable, qui conduira à une augmentation conséquente des taxes qui est une situation très
peu recommandable pour attirer les investissements seuls capables d’augmenter la richesse
nationale indispensable au financement du système de protection sociale.

Un système de protection sociale identique pour les riches et pour les pauvres constitue une
forme d’aberration. Il faut un budget astronomique pour garantir la gratuité des crèches, de
l’éducation et des services médicaux. Des fonds peuvent être obtenus maintenant mais le
problème repose sur le fait que le coût de ce système devra être payé par les générations futures.
Ces critiques, pessimistes qu’elles soient, doivent amener toutes les parties prenantes à
reconnaitre les effets pervers de la logique maximaliste qui anime la constitution de 1987. On
comprend pourquoi, même trente ans plus tard, la machine de la protection sociale universelle
dans le pays n’est pas réellement mise en marche. Les velléités de donner une réponse rapide à la
fracture sociale, héritage de plusieurs décennies de gouvernance conservatrice et exclusiviste au
détriment de la majorité des haïtiens n’ont abouti à aucune solution concrète et pragmatique.

Les derniers gouvernements du pays ont su garder en état cette vision de la politique sociale dans
le pays. Le Premier ministre Jacques Édouard ALEXIS, le 7 juin 2006, introduit le Programme
d’Apaisement Social (PAS). Il s’agissait d’apaiser la misère des plus démunis qui se retrouvent

379
principalement dans les zones urbaines marginalisées et les zones rurales. L’enveloppe est
différente mais le contenu reste le même : accès aux SSB, restaurants communautaires et
subvention de manuels scolaires. En aout 2008 Mme Michelle PIERRE-LOUIS, Premier
Ministre, reprend la logique de subvention scolaire pour les ouvrages, les dons d’uniformes et
des matériels scolaires. Cependant structurellement rien n’a bougé, l’existant demeure.

En 2010 le gouvernement du Premier Ministre Max BELLERIVE déclare poursuivre la


dynamique déjà en place : améliorer les structures communales de santé, intensifier la prise en
charge des maladies endémiques, garantir à la population l’accès aux médicaments essentiels et
réduire le taux de mortalité materno-infantile. Et le chef du gouvernement de conclure « Aussi,
faudra-t-il améliorer sans délai l’efficacité opérationnelle des régimes et des institutions existants
et étendre la couverture à la population non protégée. ». En 2012, le gouvernement de Michel
Martelly met en œuvre le programme EDEPEP. Il s’agit d’un programme de prise en charge axé
sur l’enfance scolarisée, le paysan, le 3eme âge, l’étudiant. Ces démarches restent épisodiques
car ils n’ont aucun ancrage institutionnel. Or ce dernier est le contenu obligatoire pour les rendre
pérennes et irréversibles. La constitution de 1987 demeure donc une étape décisive dans le long
débat sur la prise en charge nationale des citoyens haïtiens188.

Le contenu de la constitution de 1987 est le témoin d’une demande sociale forte et déterminée de
solidarité. Cette chartre exige d’aller vers une nation socialement juste, elle impose à l’État
l’obligation de garantir le droit à la vie et à la santé …a tous les citoyens sans distinction (art 19).
Aucun État ne peut garantir un véritable droit à être en bonne santé. Mais, les différences
extrêmement importantes qui existent entre citoyens riches et citoyens pauvres montrent bien
que, si la santé dépend des prédispositions individuelles, les mesures étatiques exercent une
influence considérable. Le droit à la santé, garanti par l'art. 19, oblige l’État haïtien, pour
188
La notion de sécurité sociale apparaît dans un texte de loi pour la première fois en Haïti à partir de la
Constitution de 1950, depuis le concept sera repris dans les Constitutions de 1957, 1964, 1971, 1983. Cette
démarche visait les travailleurs. Celle de 1987 consacrera le principe de l’universalisation et son extension à toute
la population. La législation de sécurité sociale est marquée aussi par un ensemble de lois consacrant l’assistance
publique, la médecine préventive, l’assistance sociale et les assurances sociales. Les lois du 13 décembre 1938
instituant la Caisse d’Assistance Sociale (Moniteur #100 du 15 déc1938) ,l’ Arrêté du 10 janvier 1939 créant le
Département de l’Assistance sociale (Moniteur # 4 du 12 janvier 1939), le Décret du 28 avril 1939 modifiant les
dispositions relatives aux moyens de financement de la Caisse d’Assistance Sociale( Moniteur #36 du 4 mai 1939)
et le Décret du 30 novembre 1944 portant sur une nouvelle modification de la législation relative à la Caisse
d’Assistance Sociale (Moniteur #100 du 7 décembre 1944) sont la manifestation du respect de cette obligation
légale par la collectivité haïtienne. Par la CAS l’État haïtien impose la solidarité aux citoyens car une taxe d’1% est
prélevée sur les salaires.

380
compléter les mesures d'hygiène individuelles, à faire en sorte que toutes les personnes qui
vivent sur le territoire national jouissent de l'état de santé le meilleur possible.

La garantie est satisfaite lorsque toutes les personnes, sans discrimination aucune, ont accès à des
soins médicaux publics satisfaisants sur les plans qualitatif et quantitatif. Les établissements
sanitaires existants, tels que les hôpitaux doivent être dotés du personnel et du matériel
nécessaires pour assurer un traitement préventif, curatif et palliatif culturellement acceptable
ainsi qu'un approvisionnement suffisant en médicaments et autres produits. Le droit à la santé
s'étend aussi aux mesures visant à instaurer de saines conditions de travail ainsi qu'à l'hygiène de
l'environnement et du travail. En dehors de cette obligation majeure de garantir l’accès, il est aisé
d’ajouter deux autres devoirs : le devoir de protection. Il astreint les États à intervenir, par des
moyens légaux et des mesures de police, contre les atteintes portées par des particuliers au droit à
la santé. Cela signifie, par exemple, qu'un État doit s'attaquer aux pratiques traditionnelles qui
empêchent l'accès aux établissements gynécologiques ou bafouent le droit des femmes à la santé,
comme les mutilations génitales féminines. Mais il appartient aussi à l'État d'assurer, par
exemple, aux travailleurs occupés dans le secteur privé des conditions de travail saines en fixant
des prescriptions minimales concernant, notamment, les émissions nuisibles.

L’autre est le devoir de prestation qui découle du droit à la santé. L'État se doit de tout mettre
en œuvre pour garantir au moins le contenu essentiel de ce droit – soit, par exemple, mettre à
disposition de la nourriture, de l'eau et un abri dans la mesure nécessaire pour empêcher des
dommages à la santé, distribuer les principaux médicaments et procéder à des vaccinations
contre les maladies infectieuses les plus dangereuses. L’État haïtien viole ses obligations lorsqu'il
n'assume pas ces tâches, à moins qu'il puisse prouver qu'en dépit de l'engagement prioritaire de
ses ressources et du recours à l'aide internationale, il ne peut atteindre ce standard minimal.

La constitution de 1987 reconnait « le droit à l’alimentation à tous les citoyens » Cela implique
une grande responsabilité de la société haïtienne envers l’individu. Le droit à l'alimentation,
protégé par l'art 22, garantit essentiellement le droit de ne pas souffrir de la faim et, d'une
manière générale, le droit à une nourriture et à un approvisionnement en eau potable suffisants.
Le droit à l'alimentation est satisfait uniquement lorsque la nourriture est disponible et accessible
durablement. La nourriture doit être suffisante, sur le plan tant quantitatif que qualitatif, exempte
de substances nocives et culturellement acceptables afin de combler les besoins alimentaires des

381
citoyens. L'accès à une telle nourriture doit être durable, ce qui signifie que l'État haïtien doit
prendre les mesures nécessaires pour garantir la sécurité alimentaire. Cela se fait à travers
l’obligation de protection et le devoir de garantie.

Si l’État haïtien néglige de prendre des mesures législatives ou concrètes pour protéger des
personnes contre les agissements de tiers qui entravent l'accès à la nourriture, il viole ses
obligations de protection. En période de pénurie alimentaire, par exemple, l'État doit empêcher
que la nourriture soit stockée et, par la suite, vendue à des prix si élevés que les couches les plus
pauvres de la population ne peuvent plus se nourrir correctement. Mais l'État doit également
veiller à ce que les patients des résidences pour personnes âgées et des établissements médico-
sociaux soient suffisamment nourris. L’État enfreint les devoirs de garantie qui découlent du
droit à l'alimentation lorsqu'en cas de disette, il ne distribue pas ou ne laisse pas distribuer de la
nourriture alors que ses capacités financières lui permettent de le faire ou qu'il aurait la
possibilité de solliciter une aide internationale à cet effet. La constitution élève l’éducation au
rang de droit humain fondamental. Plus d’une dizaine d’articles lui sont consacrée (de l’art 32 à
l’art 34). L’éducation est donc prise comme une condition nécessaire pour mener une vie
décente, sur le même plan que l'eau, la nourriture ou un logement. Cette demande d’éducation est
intimement liée aussi à une autre demande, celle du développement et du progrès. L’éducation
est un élément clé du développement d'un pays : elle permet de réduire la mortalité infantile,
d'améliorer la santé et la nutrition, elle a une influence très sensible sur la baisse de la croissance
démographique, etc. Elle permet à chacun, d’être à même d’exercer son rôle de citoyen. Refuser
le droit à l'éducation, c'est compromettre la capacité des gens de réaliser un travail productif, de
pourvoir à leurs besoins et à ceux de leur famille, de se protéger et de protéger les leurs. La
productivité économique et la stabilité financière et sociale s'en trouvent également renforcées.
Au regard de la société haïtienne, dénier le droit à l'éducation c'est hypothéquer le progrès
démocratique et social - et par conséquent, s’éloigner davantage une société apaisée. En
empêchant les enfants de se développer pleinement, cela risque de semer beaucoup d'embûches
sur leur chemin vers l'âge adulte et rend encore plus difficile leur compréhension du monde dans
sa diversité aussi bien que des valeurs de paix et d'égalité entre les sexes. Le droit à l’éducation
prôné par la demande sociale, matérialisée dans la constitution de 1987, ne s’arrête pas aux
portes de l’âge adulte. Les articles 32 et 32.4 donnent les mêmes garanties pour l’enseignement
professionnel, agricole et technique. Il s’agit d’une volonté de réparer du même coup les

382
héritages inégalitaires du passé et de préparer l’avenir pour les citoyens. C’est dans cette optique
qu’elle impose la formation professionnelle. Cette dernière permet d’apprendre un métier, de
développer certaines compétences professionnelles, de s’adapter aux mutations du marché de
l'emploi ou de la profession, de rester compétitif sur un marché du travail difficile et
concurrentiel, ou encore d’effectuer une reconversion professionnelle. Cette formation permet à
chacun de bénéficier d’une formation soit au titre des formations initiales scolaires ou
universitaires pour les élèves et étudiants, soit au titre de la formation professionnelle continue
pour toute personne, jeune ou adulte, déjà engagée dans la vie active. Cette dynamique de
formation professionnelle continue mobilise l’État, les collectivités territoriales

La formation professionnelle continue garantie par la constitution a pour objet de : favoriser


l’insertion ou la réinsertion professionnelle des travailleurs ; de permettre leur maintien dans
l’emploi ; de favoriser le développement de leurs compétences et l’accès aux différents niveaux
de la qualification professionnelle ; de contribuer au développement économique et culturel et à
leur promotion sociale. Elle contribue, aussi, au développement humain : elle permet à un
demandeur d’emploi ou à un salarié de s'insérer dans le marché du travail, d'acquérir une
qualification professionnelle, un diplôme reconnu, et d’accroître son employabilité.

Cette demande sociale de prise en charge touche aussi la formation agricole. Compte tenu du
niveau de sa participation au PIB et du nombre d'emplois créés, l'agriculture s'est révélé le pilier
de l'économie. En moyenne, elle a annuellement contribué à 35% à la constitution du PIB et
fourni 75% des emplois. L'agriculture a cru à un taux moyen annuel de 0,7% durant la période
1971-1986. Son évolution a été à peu près identique à celle du PIB. De 1971 à 1980, elle a connu
une croissance maintenue à un taux moyen annuel de 1,5%. À partir de 1980 jusqu'à 1983, elle a
changé de trajectoire; le taux moyen annuel de son évolution a été de -3%. À la fin de 1983, elle
a recommencé à croître décisivement à un rythme moyen annuel de 2,15% pour rechuter après
(IFAD & IICA, 1991). Bien que la valeur des biens et services agricoles de 1986 ait été plus
élevée que celle de 1971, l'agriculture a perdu en importance durant cette période. D'une part, sa
participation au PIB est passée de 43% à 33%. D'autre part, le secteur agricole a, en 1980,
employé 70% de la force de travail contre 77% avant 1971 (B.M, 1988). On comprend l’esprit de
l’article 32,4 de la constitution qui stipule que « l’enseignement agricole est une responsabilité
primordiale de l’État haïtien »

383
Le système de protection sociale appliqué ne traduit point la demande sociale manifestée dans la
constitution de 1987. Près de trente ans après sa mise en application, les inégalités sociales sont
plus aigües, le chômage est plus massif, l’accès aux services sociaux de base a considérablement
dégradé. La société haïtienne demeure l’une des plus inégalitaires de la région189. La gratuité de
l’éducation reste un vain mot car actuellement plus de 600 000 enfants haïtiens sont en marge du
système scolaire. Le Programme de Scolarisation Universelle Gratuite et Obligatoire (PSUGO)
mise en œuvre depuis plus d’une quinzaine d’années n’a pas résolu pas le problème. Et que le
secteur privé de l’éducation dans le pays détient plus de 80 % des établissements scolaires. Tout
cela pour dire que dans les faits le système de protection sociale reste inchangé malgré la rupture
souhaitée par la constitution de 1987. Le sous-développement demeure, la pauvreté se massifie,
l’économie nationale est à bout de souffle on cherche la solution dans la solution en espérant un
avenir plus convaincant. Une stratégie de lutte contre la pauvreté faisait office de réponse à la
question récurrente face à la massification: que faire ?

3- Le Document de Stratégie Nationale pour la Croissance et la Réduction de la


Pauvreté ou la réussite économique au-delà de la décentralisation

En 2007, deux thématiques sont au centre des préoccupations de l’État haïtien : la trop faible
croissance économique enregistrée depuis des années et la massification accélérée de la pauvreté.
La démarche rejoint le processus de DSRP imposé aux pays pauvres par certaines autorités
financières mondiales comme cahier de charges des progrès à accomplir pour espérer assurer
leur démarrage économique et surtout se mettre en situation pour bénéficier de nouveaux prêts
En Haïti le développement humain et économique demeure l’enjeu fondamental. Les propos du
premier ministre de l’époque Monsieur Jacques Édouard Alexis traduisent cette préoccupation
nationale « la Stratégie Nationale de Croissance et de Réduction de la Pauvreté (DSNCRP) que
nous présentons dans ce document, se veut la version la plus achevée de l’exposé de la vision et
des moyens à mettre en œuvre pour sortir le pays de la spirale de la pauvreté et de la misère. Les
défis sont considérables : impulser une dynamique forte de rattrapage des Objectifs du
Millénaire pour le développement, doter le pays d’une économie moderne, moderniser l’État
dans toutes ses composantes institutionnelles et mettre notre créativité et notre patrimoine

189
Les pays les plus inégalitaires étant la Bolivie, le Cameroun et Madagascar avec un indice de 0,60, suivis de
l’Afrique du Sud, Haïti et la Thaïlande avec 0,59.

384
culturel au service du développement du pays ». Les objectifs nationaux sont donc fixés et
exprimés.

Le référent international que sont les Objectifs du Millénaire pour le développement devient une
composante des objectifs nationaux. L’influence externe est palpable et est transpirée à grosses
gouttes dans les discours. Le premier ministre termine le discours de présentation du DSNCRP
en ces termes : « ce document fournit le cadre qui doit permettre à nos partenaires internationaux
d’ajuster leurs programmations pour répondre adéquatement aux besoins du pays ». Une grande
part de responsabilité est confiée aux acteurs de la coopération multilatérale et bilatérale. Le
centralisme politique et administratif n’est plus appréhendé comme le mal absolu du pays. Les
pouvoirs publics s’évertuent vers l’accomplissement d’autres taches souligne le ministre de la
Planification et de la Coopération Externe : « la gestion rigoureuse de l’économie, la lutte
incessante contre la corruption, les efforts de dynamisation de notre fonction publique
concourent à la mise en place des conditions nécessaires pour le rattrapage obligé que notre
pays doit effectuer ». La priorité au développement économique semble éclipser pour le moment
le déséquilibre territorial engendré par la centralisation. Le DSNCRP est instauré donc dans un
contexte ou le pays fait face à des défis majeurs comme la flambée des prix des biens de
première nécessité et son corollaire les émeutes de la faim.

a- Un plan national de développement dans une conjoncture difficile

Un bref survol de la pauvreté et des conditions de vie dans le pays expliquerait globalement les
contours de l’adoption de ce plan de développement. Entre 2000 et 2006 les données sur la
pauvreté et des inégalités révèlent que 56% de la population haïtienne, soit 4,4 millions
d’habitants sur un total de 8.1 millions vivaient en dessous de la ligne de pauvreté extrême de 1$
US PPA par personne et par jour. Sur 10 personnes, on estimait qu’environ 7,6 étaient
considérées pauvres, c’est-à-dire ne disposant pas de 2 US $ PPA par personne et par jour, 40%
de la population les plus pauvres n’ont accès qu’à seulement 5.9% du revenu total, tandis que les
20% les plus nantis captent 68%. Ainsi 80% de la population ne disposent que de 32% des
revenus et que les 2% les plus riches seraient en possession de 26% du revenu total.

En 2005 Haïti a régressé dans l’échelle du développement passant du 146ème rang en 2000 au
153ème rang. L’IHSI, conjointement avec le Centre Latino-Américain de Démographie
(CELADE) et l’UNFPA, estimait l’espérance de vie à la naissance à 58,1 (2000-2005), sur la

385
base des données du Recensement de 2003. D’autres indices, comme la diminution progressive
de la couverture forestière, la malnutrition des enfants, la baisse moyenne annuelle du produit
réel per capita et de la consommation moyenne, sont révélateurs d’une dégradation sévère des
conditions de vie. Devant la gravité des conséquences de la pauvreté et des inégalités sociales
répertoriées, la République d’Haïti s’est engagée à relever le défi de rechercher la meilleure
stratégie nationale pour une croissance durable et pour une réduction substantielle de la pauvreté.
Il est important de souligner aussi l’impact de la conjoncture économique des États-Unis d’
Amérique à l’époque sur les conditions de vie en Haïti. La crise des « subprime » diminue le
volume des transferts de la diaspora vers le pays. Le dumping des USA sur le riz haïtien a
aggravé l’insécurité alimentaire qui allait déboucher sur les émeutes de 2007.

b- Pourquoi Haïti formule une stratégie de réduction de la pauvreté ?

Un ensemble de raisons explique le choix d’Haïti d’aller vers un plan de réduction de la


pauvreté. Selon les autorités, il fallait veiller à ce que les besoins des pauvres aient la priorité
dans le cadre du débat sur les politiques poursuivies. Le pays devient maître de son propre
développement, doté d’une vision clairement formulée de son avenir et d’un plan systématique
de réalisation de ses objectifs. Mieux servir les pauvres exige que l’accent soit mis sur la
recherche de résultats concrets. Et que le pays arrive à cerner la nature de la pauvreté et à
déterminer les interventions qui auront le plus grand impact sur les pauvres.

La stratégie se veut globale et elle inclut des plans prévoyant une croissance économique rapide,
des politiques macroéconomiques judicieuses, des réformes structurelles et des améliorations de
la société. Les facteurs économiques, sociaux, culturels et historiques spécifiques au pays
contribueront à la définition des objectifs de réduction de la pauvreté en tenant compte des
objectifs de développement international comme repères ( ex OMD). Les résultats devront
prendre la forme de progrès vérifiables dans la participation des pauvres aux bienfaits de la
croissance, l’amélioration de leur bien-être et la réduction de leur vulnérabilité aux risques. La
stratégie en question prévoit de changer certaines institutions afin qu’elles soient responsables
devant tous, y compris les pauvres, et renforcer les capacités d’Haïti à subvenir aux besoins de
ses citoyens. Le pays, par le DSNCRP assume la responsabilité mais ne se retrouve pas seul dans
la lutte contre la pauvreté. L’engagement dans l’atteinte des OMD est déjà le grand signe de
confiance au partenariat mondial. Mais le rôle des donateurs et des organismes multilatéraux est

386
plus significatif. Car la stratégie tient lieu de cadre commun aux partenaires du développement
pour leurs programmes d’assistance. Tous les donateurs et toutes les institutions multilatérales de
développement apporteront leur contribution à l’élaboration du DSNCRP en précisant les
modalités spécifiques de leur participation. Le processus permettra aux donateurs de planifier
leurs engagements au titre de l’aide et de mettre leur compétence technique au service du
gouvernement et de la société civile du pays. L’exercice devrait donc réduire les cas de
multiplicité de conditions, de double emploi et d’utilisation intempestive du peu de ressources
administratives nationales. Et enfin, une participation plus forte et mieux coordonnée de la
communauté des donateurs tout entière permettra de mieux suivre les progrès accomplis dans la
réalisation des objectifs de développement.

c- Un plan axé sur trois piliers

La stratégie Nationale s’articule autour de trois piliers fondamentaux : les vecteurs de la


croissance, le développement humain et la gouvernance démocratique. La vision stratégique du
DSNCRP force le pays à relever avec succès quatre défis majeurs. Le premier défi c’est
d’impulser une dynamique forte de rattrapage des Objectifs du Millénaire pour le
Développement (OMD). Il propose donc un développement social plus consistant autrement dit
qui ne s’arrête pas à une intervention d’aide sociale, mais d’un processus dynamique d’action
sociale, que l’on peut nommer "développement. Le deuxième défi c’est de doter le pays d’une
économie moderne à large base territoriale et compétitive. L’enjeu est de permettre à Haïti de
faire face à la modernisation accélérée et la compétitivité des économies de la Caraïbe. Le
troisième défi consiste à moderniser l’État pour le mettre, une fois pour toute, au service de tous
les citoyens. La démarche permet au système de gestion public de s’adapter aux contours de la
bonne gouvernance réclamée partout et par tous. Le dernier défi demeure la valorisation
obligatoire des atouts du pays sur lesquels il dispose des avantages comparatifs. Il mise sur la
créativité culturelle. Entendons par là les éléments qui nourrissent et renouvellent les expressions
culturelles et renforcent le rôle de ceux qui œuvrent au développement de la culture pour le
progrès de la société dans son ensemble. Le patrimoine historique est mobilisé et en Haïti, il est
symbolisé par des monuments ou bâtiments qui présentent un intérêt public au regard de
l’histoire, de l’art, de l’architecture ou de la science.

387
La démarche mise aussi sur la valorisation de la diaspora. Cette dernière est la dispersion d’un
peuple à travers le monde. Pour former une diaspora, les communautés émigrées d'un peuple
hors de ses frontières doivent conserver des attaches avec le pays d'origine, des pratiques ou des
habitudes propres à ce pays. Les liens peuvent être de nature culturelle, religieuse, économique
ou politique. Le démarrage du processus de développement doit s’appuyer sur les potentialités en
matière de création et de production culturelles. Car le capital culturel est un atout majeur pour
Haïti afin qu’elle puisse tirer parti de la mondialisation. Ce capital, concrètement, est constitué
par l’artisanat, la peinture, la cuisine et la littérature.

- Le pilier des vecteurs de croissance

Le premier socle de cette stratégie s’appuie sur quatre domaines clés, ou vecteurs de la
croissance : l’agriculture et le développement rural ; le tourisme ; la modernisation des
infrastructures ; la science, la technologie et l’innovation. La stratégie relative au secteur agricole
exige un ensemble d’actions, dont le réaménagement du milieu rural avec un zonage garantissant
la protection de l’environnement, la diversification des activités génératrices de revenus, et des
mesures légales pour la pérennisation des acquis en matière de développement et pour une
meilleure répartition des richesses générées. Les lignes d’actions sont précisées dans le document
et prennent la forme : amélioration de la gestion des terres et protection des bassins versants ;
sécurisation foncière, lutte contre l’absentéisme et recherche d’un type d’exploitation
garantissant le développement durable.

Tous les paliers de la filière agricole sont promus à travers : la relance de la production, la
modernisation, la modernisation des infrastructures rurales, promotion de la pêche et de
l’aquaculture, la relance de l’agro transformation, promotion d’une nouvelle stratégie de
commercialisation, le renforcement des structures d’appui et de financement à la production
agricole. Et sur la question du financement des actions prioritaires sont décidées : octroi de
crédits, priorisation des activités entrant dans le cadre de la politique adoptée par les pouvoirs
publics, priorisation des petits paysans et des petits producteurs dans le but d’une amélioration de
leur situation économique et de leur mode de vie, prise en charge par l’État du financement des
expérimentations à conduire dans les centres de recherche. La promotion de la pêche consistait à
fournir aux pêcheurs traditionnels l’équipement adéquat (outils et canots), la formation
nécessaire, l’insertion dans un marché formel (lieux de stockage, chaine de froid), l’accès au

388
crédit et l’élargissement de leurs zones de pêche (installation de DCP). Dans le cadre du tourisme
il s’agit pour le pays de profiter de l’opportunité que représente ce phénomène en expansion dans
le mode et dans la région caraïbe. Le nouveau visage du tourisme haïtien se développe dans
quatre départements : l’Ouest, le Nord, le Sud-est et le Sud, qui serviront de rampe de lancement
de l’activité touristique nationale. Ces départements prioritaires présentent des atouts communs
et doivent jouer, du même coup, les avantages comparatifs, compte tenu de certaines de leurs
spécificités (carte suivante). Des aménagements sectoriels de sites touristiques jugés prioritaires
et porteurs sont engagés, tels : Le Parc National Historique du Nord, autour du patrimoine
mondial de la Citadelle, Sans-Souci et les Ramiers ; La Côte des Arcadins au nord-ouest de Port-
au-Prince; Le Centre Ancien de Jacmel ; Port-Salut et la plage Pointe-Sable.

Figure 13.- Sites touristiques porteurs établis par le DSNCCRP

389
L’offre touristique nationale à mettre en œuvre portait sur : une promotion touristique orientée
vers les destinations locales ; une promotion touristique ciblée sur nos diasporas ; une promotion
touristique graduée en fonction de l’offre régionale caribéenne, américaine, européenne et
asiatique ; un partenariat constitué du secteur public et d’investisseurs nationaux et
internationaux. Une dynamique touristique décentralisée mais s’inscrivant dans une logique de
cohésion nationale. Un aménagement associé est envisagé avec la création des Zones
Touristiques Prioritaires (ZTP) qui seront classées en Projets d’Intérêt Général (PIG).

En matière d’infrastructure, le DSNCRP veut parvenir, à travers le maillage routier national, à


une réelle maîtrise des réseaux de transport. Les grandes orientations pour les transports
terrestres régionaux se déclinent comme suit: favoriser le développement des potentialités
régionales et renforcer la compétitivité de l’économie haïtienne, rééquilibrer le territoire national
par l’éclosion de grandes métropoles régionales, garantir la continuité du territoire, protéger les
infrastructures existantes et protéger l’environnement. Les lignes d’actions sont ambitieuses :
rendre les services essentiels accessibles aux usagers menacés d’exclusion et créer des emplois
structurants à haute intensité de main- d’œuvre, exigeant un certain niveau de participation des
femmes, Garantir des liaisons fiables entre les petites et moyennes localités enclavées et la
desserte des quartiers urbains défavorisés dans des conditions satisfaisantes d’accessibilité et de
sécurité, agir sur l’offre par une politique d’aménagement équilibré du territoire et par le
développement des réseaux d’infrastructure des transports adaptés et intégrés, priorisés à partir
d’une planification stratégique, favoriser le développement des potentialités régionales et
renforcer la compétitivité de l’économie haïtienne, rééquilibrer le territoire national par
l’éclosion de grandes métropoles régionales en garantissant la continuité du territoire, en
protégeant les infrastructures existantes et l’environnement. La démarche s’étend aussi à
l’exploitation des potentialités prouvées du pays en énergies hydroélectrique, éolienne, solaire et
thermique.

La science, la technologie et les innovations sont prises comme vecteurs de croissance. A cet
effet les objectifs poursuivis dans ce secteur est de conduire et d’entretenir un véritable agenda
national de l’innovation scientifique et technologique. Il s’agit de mettre l’accent sur la
gouvernance du secteur STI, la consolidation et la constitution d’un capital de savoir et de
savoir-faire. Les lignes d’actions découlant de ces objectifs consistent à : mettre en place une

390
structure systématique et adaptée de coordination des activités de Science et Technologie, mettre
en place une infrastructure de soutien à la production. Les principales lignes d’intervention
prennent en compte les éléments suivants : développement de l’industrie et la promotion
d’initiatives de recherche-action ou de programmes d’investissement privé portant sur des
domaines stratégiques, développement d’un cadre légal de développement scientifique,
promotion du développement scientifique et technologique et renforcement des capacités des
institutions d’enseignement supérieur et de recherche.

Le développement prévu de l’industrie prend deux aspects. Le premier est axé sur l’agro-
transformation. Cet exercice permettra de diminuer drastiquement les pertes de production (plus
de 27%) qui n’atteignent le marché en raison de leur non transformation. L’agro-alimentaire
servirait à assurer une meilleure sécurité alimentaire aux populations les plus vulnérables et du
même coup faire des économies sur les importations de biens alimentaires. Le second aspect
misait sur le textile dans les zones franches afin de satisfaire les besoins du grand marché
américain. La démarche permettrait d’assouplir le poids massif du chômage dans le pays en
captant des milliers d’emplois et du même coup récupérer des devises nécessaires au
développement de l’agro-transformation dont il est question dans les lignes précédentes.

Ce pilier dit « vecteurs de croissance » mise sur les potentialités du pays pour alimenter une très
forte création de richesse susceptible de garantir une politique de réduction de la pauvreté. Le
taux élevé de croissance économique prévu par le DSNCRP ne pourra être atteint qu'à condition
d'augmenter considérablement la production agricole. Des rendements agricoles plus importants
contribueraient à faire reculer la faim et baisser le coût des importations alimentaires. Cela aurait
aussi des avantages économiques plus généraux, de la hausse des revenus agricoles à la
fourniture de matières premières au secteur industriel du pays. "Investir dans la réduction de la
faim et de la pauvreté est une obligation morale, mais aussi une décision économique
judicieuse”. La démarche vise à utiliser la synergie dégagée en s'appuyer sur les succès locaux,
l’augmentation des rendements et l’amélioration des routes et marchés.

Ainsi pour inciter les agriculteurs à produire davantage, la stratégie nationale conçoit la
construction suffisamment de routes praticables pour acheminer leurs récoltes au marché. Ce
dernier demeure le marché de Port-au-Prince et c’est la grande limite de cette dynamique : la
logique de la centralisation continuait à primer. Le marché local n’est pas envisagé comme

391
finalité donc incapable de créer de la richesse et de se prendre en charge ce qui a pour
conséquence l’exode rural et la paupérisation des campagnes. Les pouvoirs publics ont compris
que le soutien à l’économie du pays passait par la mise en place d’actions et de dispositifs d’aide
à la recherche et à l’innovation au profit des entreprises nationales qu’elles soient les TPE ou les
PME. Pour être couronnés de succès, les efforts d’Haïti pour accroître sa production agricole
devront également s'appuyer sur une plus grande utilisation de la science et de la technologie. On
souligne dans les contours de ce pilier des velléités d’aménagement liées à la décentralisation qui
trahissent ou plutôt qui traduisent l’horizon indépassable qu’est devenu le rééquilibrage
territorial dans la vision des autorités haïtiennes. Les allusions à la décentralisation sont
nombreuses dans les énoncés de ce premier pilier dédié aux vecteurs de croissance :
réaménagement du milieu rural, l’éclosion de grandes métropoles régionales, dynamique
touristique décentralisée et aménagements touristiques.

- Le pilier du développement humain

Le développement humain dans le DSNCRP repose sur l’amélioration significative de la


disponibilité des services sociaux de base. Ces derniers sont offerts aux citoyens afin qu’ils
puissent développer au mieux leurs capacités190. La démarche passe par la requalification des
enseignants et des directeurs d’école et l’encadrement adéquat des écoles. Elle s’évertue aussi
encourager le partenariat entre le secteur public et les acteurs non publics de l’éducation. Le trait
majeur de ce plan c’est la réorganisation de l’offre scolaire en faveur des élèves les plus pauvres.
Ainsi dans le sillage du DSNCRP dix – sept lycées ont été construits dans les régions. De plus en
plus de jeunes en cours de scolarisation demandent à avoir accès à une formation
professionnelle. Cependant l’offre restait majoritairement privée, limitée et urbaine. L’accès
restait entravé donc pour les plus pauvres.

190
En relation avec les engagements pris par l’État haïtien dans le cadre du Club de Paris, un mécanisme de suivi
automatique des dépenses publiques spécifiquement liées à la réduction de la pauvreté a été institué à travers le
budget général. Le choix des axes d’intervention a été décidé en fonction de la classification fonctionnelle des
dépenses du budget. Des crédits budgétaires du Trésor Public ont été affectés à différents postes en considération
des grands objectifs tels que l’emploi, la sécurité alimentaire, la fourniture d’énergie, le transport,
l’assainissement, l’eau potable, la santé, l’éducation et la protection sociale. En 2006-2007, 31% des dépenses
budgétaires hors financement externe des programmes et projets étaient destinées à mettre sur pied des activités
devant contribuer à la réduction de la pauvreté. Il en découle que 8,868 milliards de gourdes de crédits
budgétaires ont été décaissées cette année sur un total de 9, 860 milliards. Ces montants provenaient du budget
de fonctionnement à hauteur de 5,781 milliards de gourdes, et à 3,088 milliards du budget d’investissement.

392
Les objectifs poursuivis étaient nombreux et se sont exprimés de la façon suivante : réduire les
disparités qui existent entre les départements géographiques ainsi qu’entre les milieux urbain et
rural dans la distribution de l’offre scolaire aux niveaux préscolaire et fondamental, faire en sorte
que d’ici à 2010, toutes les 565 sections communales soient dotées chacune d’une école publique
à 6 classes, mettre en place une école fondamentale (1e et 2e cycles) répondant mieux aux
besoins des apprenants, notamment des élèves sur-âgés, rendre la formation professionnelle plus
accessible à un plus grand nombre de jeunes, et baisser les coûts moyens de scolarité pour ces
niveaux d’enseignement. Trois actions sont priorisées : création et équipement de nouvelles
places assises au préscolaire, création et équipement de nouvelles places assises au primaire et
programme de bourses en faveur des enfants pauvres dans toutes les sections communale.

Des actions concrètes ont été réalisées : la mise en place d’un dispositif de formation initiale
accélérée (FIA) d’une année pour former 2 625 élèves maîtres et 450 directeurs d’école, le
renforcement du dispositif existant de formation initiale des maîtres en créant trois nouveaux
CFEF dans les départements de l’Artibonite, le Nord et le Sud, transformation des 51 ENI en
EFIS (Établissement de Formation Initiale Spécialisée) et en CFCM (Centre de Formation
Continue des Maîtres). A ces actions il faut ajouter d’autres telles : poursuite du processus
d’implantation des EFACAP en portant à 116 le nombre d’EFACAP en 2010, soit 35 en 2008,
41 en 2009 et 40 en 2010, formation continue de 14 000 enseignants et 2 500 directeurs d’écoles
de 2008 à 2010, soit 4 000 enseignants et 700 directeurs d’école en 2008-2009 et l’ensemble des
14 000 enseignants et 2 500 directeurs d’école en 2009-2010, transformation des Bureau du
District Scolaire (BDS) en structure de coordination et de gestion de l’éducation et de la
formation à l’échelle du district scolaire, fixation du salaire minimum de l’enseignant et du
directeur d’école en fonction de leur niveau de formation, mise en place d’un dispositif de
formation initiale et continue pour les formateurs du secteur de l’enseignement et de la formation
technique et professionnelle, porter de 93 à 50 les ratios élèves par maître, offrir aux élèves plus
d’options de cheminement scolaire au fondamental, renforcer les structures de participation des
parents dans la gestion des écoles et relever le niveau d’alphabétisme des parents, retrouver, dès
la deuxième année du DSNCRP, le poids budgétaire le plus élevé atteint dans le passé par le
Secteur éducatif, maintenir les dépenses publiques d’éducation au-dessus de 20% pour la durée
du quinquennat de la mise en œuvre et augmenter significativement le niveau de financement
public de l’enseignement fondamental afin d’atteindre les Objectifs du Millénaire de

393
Développement (OMD) . Les objectifs nationaux en matière de formation sont conséquents et
ambitieux. En matière de santé ce pilier fait la promotion d’un système de santé moderne
largement accessible aux groupes les plus pauvres. Les OMD constituent pour la stratégie
nationale un enjeu majeur. De ce fait, les politiques publiques ont pour finalité l’atteinte des
OMD concernés, à savoir les OMD 4, 5 et 6 qui ciblent respectivement la santé infantile, la santé
maternelle et les grandes pandémies (VIH/SIDA, paludisme, tuberculose). L’amélioration
globale du système de santé s’impose comme une exigence fondamentale dans le cadre de
l’accomplissement des Objectifs du Millénaire de Développement. Les maladies dites prioritaires
ont un impact majeur sur l’état de santé de la population et ont des conséquences économiques
considérables. Les objectifs poursuivis par le DSNCRP via ce pilier sont donc de : renforcer les
deux volets de prévention/information, d’améliorer la prise en charge et de développer la
collaboration intersectorielle.

Les actions retenues pour l’atteinte de ces objectifs sont : l’élaboration d’une politique nationale
de santé et l’actualisation de toutes les lois nécessaires à sa régulation ; la mise en place d’une
inspection et d’une évaluation de l’action sanitaire à tous les niveaux ; l’élaboration d’une Charte
de partenariat avec les autres acteurs étatiques et les acteurs non étatiques ; la modernisation du
système d’information sanitaire, réduire d’au moins de 50% le taux de mortalité maternelle ;
réduire de 50% les taux de mortalité infantile et infanto juvénile191 ; réduire de 30% l’incidence
de l’infection au VIH/SIDA ; réduire de 30% la mortalité liée au VIH/SIDA ; réduire de 10% la
transmission de l’infection de la mère à l’enfant ; réduire de 30% l’incidence de la tuberculose et
réduire de 50% la mortalité liée à la malaria.

Le DSNCRP innove avec les Unités Communales de Santé (UCS). Ces structures sont la pierre
angulaire de la stratégie de transformation du système de santé haïtien. Une « Unité Communale
de Santé » (UCS) est une organisation en réseau qui couvre un territoire de 150 à 250000
personnes où évoluent des acteurs et institutions de santé et des organisations de participation
communautaire. La population participe activement, non seulement aux activités de santé
préventives et promotionnelles, mais également aux décisions concernant la politique de santé de

191
La mortalité infanto-juvénile est une statistique correspondant à la mortalité des enfants de moins de cinq ans.
Elle ne doit pas être confondue avec la mortalité infantile (mortalité avant l'âge d'un an) ou avec la mortalité juvénile
(mortalité entre 1 et 5 ans).La mortalité infanto-juvénile fait partie des indicateurs démographiques utilisés pour
estimer la qualité des soins pédiatriques et donc le niveau de développement d'un pays

394
l’UCS, son fonctionnement et son développement. A ce processus il faut ajouter la prise en
charge des maladies prioritaires et l’accès facilité aux médicaments essentiels. En matière d’eau
potable et d’assainissement le DSNCRP vise à remplacer les entités actuellement en charge au
niveau national (SNEP, CAMEP, POCHEP) par des offices régionaux (OREPA) dont la gestion
pourrait faire l’objet de contrats avec le secteur privé. La vision optimiste de la stratégie
nationale opte pour d’une société plus juste et solidaire en fournissant des services élémentaires
d’approvisionnement en eau et d’assainissement aux habitants des bidonvilles et aux populations
à bas revenus du milieu rural en appliquant les principes de neutralité et transparence.

Le deuxième pilier prend en compte un certain nombre de thématiques spécifiques qu’il convient
de signaler. Environ 10% de sa population totale du pays sont frappés par un handicap. Ces
personnes sont intégrées par le DSNCRP. Ce dernier a adressé le problème à travers les lignes
stratégiques d’actions suivantes : augmentation de la prévention de l’incapacité, à travers la
vaccination, la nutrition, la détection précoce et l’intervention au moment opportun de façon à
minimiser les risques d’incapacité ; création de services de réhabilitation médicale dans les
principaux hôpitaux du pays et favoriser des subventions pour l’acquisition de prothèses et de
médicaments et autres supports spécifiques ; création d’une Maison des Handicapés dans chacun
des chefs-lieux de département.

Au regard de l’égalité des sexes la stratégie nationale retient les actions suivantes: introduire
l’éducation sexuelle comme moyen de prévention de la grossesse précoce et de la violence dans
les nouveaux programmes de formation, dans l’éducation de base ou encore dans les classes
fondamentales ; promotion de lois générales sur l’éducation dans tous ses aspects avec la
perspective de genre : promotion de l’établissement d’un plan national pour diminuer le niveau
de mortalité maternelle et porter le MSPP à offrir aux femmes des services de santé reproductive
de qualité ; développement d’une stratégie d’information, d’éducation et de communication et de
services en partenariat avec les institutions étatiques et non étatiques pour la santé sexuelle
reproductive spécialement pour les jeunes adolescents des deux sexes et les femmes en âge de
procréer ; adoption d’une politique de services médicaux et paramédicaux gratuits dans tous les
hôpitaux et les centres de santé publics pour la prévention du cancer du sein, du col de l’utérus et
d’autres parties du corps des femmes notamment celles de conditions modestes. D’autres
thématiques orphelines sont traitées telles : les enfants et la jeunesse.

395
On vient de le voir, avec ce bref rappel que ce pilier du DSNCRP organisait la promotion d’un
système de santé moderne largement accessible aux groupes les plus pauvres. Il proposait la
prise en charge des maladies prioritaires. Il prévoyait la réorganisation de l’offre scolaire en
faveur des élèves les plus pauvres. Ce pilier était aussi axé sur la prise en compte du handicap,
de la question du genre et de l’équipement en services sociaux de base des communes.

Tout ceci ne peut aboutir, potentiellement qu’à une amélioration significative de la disponibilité
des opportunités offertes aux citoyens afin que ces derniers puissent développer au mieux leurs
capacités. L’atteinte de ces objectifs exige une manière de gouverner qui soit efficiente et
respectueuse de la loi.

- Le pilier de la gouvernance démocratique

Le dernier pilier du DSNCRP est l’investissement de l’État haïtien dans la gouvernance


démocratique. Ce choix donne la priorité à la modernisation de l’État et à l’établissement d’un
État de droit. Deux volets sont visés particulièrement : la justice et la sécurité. La décision est
prise de mettre en place un ordre juridique équitable, un système judiciaire fonctionnel et d’un
climat général de sécurité. Ces éléments sont des conditions essentielles pour la croissance et la
réduction de la pauvreté clament les autorités haïtiennes. L’objectif avoué table sur la
restauration de la confiance des justiciables dans la justice, l’évaluation de tous les juges et
officiers du ministère public travaillant dans le système et la consolidation des mécanismes de
surveillance et de contrôle des tribunaux.

Les lignes d’actions retenues étaient claires : restructuration et modernisation du ministère de la


justice et de la sécurité publique (MJSP) par l’élaboration d’une nouvelle loi organique et par la
mise en place du Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM). Elles concernaient l’amélioration
de l’accès aux tribunaux et leur efficacité. La démarche misait aussi sur la réhabilitation et le
développement cohérent du système carcéral et la modernisation de la législation. En matière de
sécurité les choix étaient précis : l’amélioration des statuts, des conditions de vie et de travail du
personnel de la PNH, le renforcement des structures de la chaîne de commandement de
l’institution policière. Elles prévoyaient le déploiement de la PNH sur toute l’étendue du
territoire et l’assainissement de l’institution contre la corruption interne et la prévarication.

396
Le plan prévoyait la modernisation de l’État haïtien pour rétablir sa capacité d’action. A l’État
est confié le rôle de premier acteur au développement et à la valorisation des ressources
humaines. La démarche passait par la réforme managériale pour dynamiser le fonctionnement de
tous les services publics essentiels au niveau central et local.

La modernisation de la technologie administrative et l’amélioration du cadre physique de travail


des agents publics étaient aussi programmées. Cette stratégie voulait se matérialiser à travers six
grands programmes de réforme : mise en place du nouveau système de fonction publique,
modernisation accélérée des systèmes de gestion de l’Administration Centrale, réforme en
profondeur de la déconcentration des services publics et lancement effectif du processus de
décentralisation.

La modernisation qui avait été annoncée passait aussi par la mise en place d’un nouveau cadre
stratégique de gestion. A cet effet, l’Office de Management et de Ressources Humaines (OMRH)
être créé afin de disposer d’un instrument d’intervention. De cette dynamique viendront les
composantes suivantes : élaboration de la politique de recrutement des nouveaux agents publics,
dynamisation de la politique de formation et de perfectionnement des agents publics,
l’institutionnalisation de la gestion de la carrière des fonctionnaires, modernisation du cadre
réglementaire de la fonction publique, application d’une politique d’égalité des chances au sein
de la fonction publique et la normalisation de la situation du personnel contractuel.

Ce pilier du DSNCRP prenait en compte la stabilité macroéconomique du pays. Il en faisait


même un préalable essentiel à sa réussite comme stratégie de croissance et de réduction de la
pauvreté. La stratégie voulait garder une faible inflation pour limiter l’érosion de la valeur réelle
des salaires et des actifs détenus par les agents économiques et notamment par les pauvres. Les
lignes d’action prévoyaient de faire passer la pression fiscale de 10% à 14% entre 2008 et 2011,
et de rechercher une augmentation des recettes fiscales par un renforcement des capacités
institutionnelles des administrations concernées et par une lutte contre la contrebande. Dans le
même temps, l’État haïtien veillera à une meilleure allocation des dépenses publiques en
améliorant le ciblage en vue de dynamiser la croissance. En vue d’atteindre un niveau
satisfaisant d’efficacité et de qualité dans les dépenses publiques un Cadre de Dépenses à Moyen
Terme (CDMT) a été adopté. Il permettait la mise en cohérence des politiques sectorielles et

397
macroéconomiques, des dépenses publiques programmées et des dépenses effectivement
réalisées. L’organigramme du DSNCRP explique l’ambition des pouvoirs publics.

Figure 14.- Organigramme d’application du DSNCRP

ORGANIGRAMME D’APPLICATION DU DSNCRP


DSNCRP
Piliers Piliers Piliers
Vecteur de connaissance Développement humain Gouvernement démocratique

AXE AXE
AXE
Agriculture, Tourisme, Éducation, Santé, Genre,
Justice, Sécurité.
Industrie, Énergie, Transport. Enfance, Jeunesse.

ACTIONS MAJEURES ACTIONS MAJEURES ACTIONS MAJEURES

- Production d’énergie solaire, - Création d’écoles - Mouvement du système


thermique. fondamentales. carcéral.

- Accès au crédit PME / TPE. - Implémentation des EFACAP. - Tribunaux de paix.

- Métropole d’équilibre. - Formation des maitres. - Évaluation des juges.

- Zones Touristiques Porteurs. - Unités communales de santé. - Restructuration du MJSP.

- Maillage routier. - Éducation sexuelle et santé - Mise en place du Cours


Supérieur de la Magistrature.

- Lutte contre la corruption.

- Déploiement de la PNH.

Sources : Selon des données du DSNCRP

Le document de stratégie nationale s’intéresse au territoire et l’aménagement de ce dernier a été


perçu comme la réponse intelligente au problème de la croissance économique. Dans cette
logique, la décentralisation politique et économique devra se conjuguer afin que l’aménagement
du territoire génère une bonne répartition spatiale des activités et garantisse une politique
cohérente de rénovation des espaces ruraux. En effet, il s’agira de reconstruire à terme le

398
territoire national sur la base de l’intégration, de la solidarité entre les zones rurales et urbaines et
de la compétitivité entre les diverses composantes de l’espace national.

Le document dicte les objectifs fondamentaux poursuivis : éclairer l’avenir et présenter une
vision globale claire et cohérente d’Haïti pour les vingt-cinq (25) prochaines années, soit
l’horizon 2032, fournir un cadre de cohérence à l’ensemble des politiques et actions publiques en
matière d’aménagement et de développement du territoire, donc, garantir à l’État Haïtien des
actions efficaces.

Et la question récurrente revient, celle de la décentralisation. Le DSNCRP se voulait être le


point d’ancrage à la mise en œuvre de la décentralisation. Il veut orienter et faciliter
l’organisation spatiale des investissements en vue d’arriver à un équilibre au niveau des régions.
Il espérait réduire les inégalités territoriales et les distorsions majeures en matière économique. Il
voulait produire un éventail d’actions intégrées dont leur articulation devrait concourir à la
structuration du territoire national par l’utilisation, l’exploitation et la valorisation optimale de
l’espace et des ressources naturelles d’une part, et la mise en place des grands équipements
structurants sur une base régionale d’autre part. Il s’inscrivait dans la structuration et l’usage
optimal de l’espace national.

Le DSNCRP promettait beaucoup, or le financement était hasardeux car il provenait en grande


partie des promesses, pas toujours tenues, de la communauté internationale. Cette dernière, elle-
même empêtrée dans une crise financière n’a pu honorer que moins de 38% du total de l’aide
financière promise. Les maigres ressources nationales n’étaient pas à même de compenser ce
déficit de financement. La croissance forte et soutenue n’a pas eu lieu certes mais l’ECVMAS de
2012 a montré que sur la période 2001- 2012 la pauvreté a chuté de 10 points. Cependant, il est
fort difficile de prétendre que cette baisse relative soit le résultat strict des actions menées dans le
cadre de la mise en œuvre du DSNCRP. Néanmoins, il faut bien le reconnaitre qu’il en a été,
sans nul doute, un des facteurs de ce processus de réduction de la pauvreté.

399
Conclusion

Le Document de Stratégie Nationale pour la Croissance et la Réduction de la Pauvreté


(DSNCRP) a été potentiellement un cadre fédérateur de l’action de développement du pays. Il a
servi de guide pour l’élaboration des plans sectoriels prioritaires de développement et des
programmes d’investissement public. Il avait la vocation d’être un outil de coordination et de
cohérence de l’action gouvernementale pour impulser le partenariat entre les différents acteurs.

Il était un instrument de mobilisation des ressources et de priorisation des actions de


développement national autour d’objectifs clairement définis, assortis d’indicateurs de
performance et d’impact. Et surtout il avait la prétention d’être un levier de promotion du
développement des Collectivités Territoriales à travers une gouvernance de proximité. Les
autorités misaient sur « un saut qualitatif » dans la marche du pays vers le développement
humain. Ce miracle n’a pas eu lieu.

La réussite du DSNCRP n’était pas assurée d’avance car sa mise en œuvre devait faire face à
des handicaps majeurs. La stratégie avait hérité d’un lourd héritage économique qui ne lui
laissait aucune chance de favoriser une croissance forte et soutenue susceptible de favoriser la
réduction drastique de la pauvreté. Deux aspects sont à considérer pour mieux appréhender le
contexte de l’époque : Le premier est lié aux conséquences entrainées par la crise des
« Subprime », en effet, la diaspora haïtienne aux États-Unis avait été rudement touchée par la
crise immobilière. Et la répercussion est immédiate sur les conditions de vie en Haïti car les flux
de transferts vont diminuer. Il faut signaler que l’enjeu est grand car les deux milliards de dollars
envoyés sont l’équivalent du budget national. C’est donc un manque à gagner énorme pour
l’équilibre des comptes pour Haïti. Et les ménages les plus pauvres en sont les premières
victimes. La pression sur la gourde, la monnaie nationale, dans un contexte de rareté de dollar,
amplifie le niveau d’inflation. Se faisant, le pouvoir d’achat baisse face à la montée inexorable
des prix. Le second aspect, est lié à l’ouverture du pays au libre-échange que lui imposent les
grandes institutions financières internationales et surtout les États-Unis. Cette libération du
marché n’a profité qu’aux producteurs américains. Le marché du riz est l’exemple parfait de la
déstructuration de la production agricole haïtienne et de la grande dépendance que cela va créer
pour le pays en matière de sécurité alimentaire dans le cadre de la mondialisation des échanges.
En effet, dans les années 70 jusqu’au début des années 80, le pays était autosuffisant en riz, il en

400
exportait même une partie. Mais avec la libéralisation du marché Haïti devient un importateur
net du riz provenant des USA. Les importations du riz américain estimées à 7 000 tonnes en
1984 représentent en 2017 près de 700 000 tonnes. Cette pression externe n’est pas étrangère aux
émeutes de la faim en 2008 et créait aussi les conditions matérielles de l’échec du DSNCRP.

La période de mise en œuvre (2008-2010) s‘est déroulée dans un environnement moins favorable
que prévu. Des évènements inattendus ont hypothéqué ses objectifs et les résultats souhaités. Des
catastrophes naturelles, principalement les ouragans de 2008 et le tremblement de terre du 12
janvier 2010, ont grandement torpillé les résultats escomptés. Les dégâts causés par le passage
des ouragans Fay, Gustave, Hannah et Ike ont provoqué des dommages au niveau du secteur
agricole, des infrastructures et de la production en général sont estimés à environ 15% du Produit
Intérieur Brut (PIB). Le séisme du 12 janvier a inversé toutes les attentes, causant des dommages
et pertes évalués à environ 120% du PIB. Et l’une des conséquences majeures a été
l’appauvrissement car le pays a connu une chute de la croissance de -5.1 % pour 2009-2010
(IHSI, 2011).

Les résultats prévus dans le développement des activités de lutte contre la pauvreté n’ont pas été
atteints en dépit d’une augmentation de 16% des recettes budgétaires et d’une hausse de 11% des
recettes fiscales. Les autorités monétaires ont durant cette période mené une politique monétaire
prudente en vue non seulement de préserver mais aussi de renforcer la stabilité du système
financier, la transparence et l’efficacité de la politique monétaire. Des politiques et mesures ont
été adoptées en vue de maintenir la stabilité monétaire interne et externe en assurant la baisse du
taux d’inflation, le contrôle du financement monétaire et un taux de change stable. Ainsi, une
relative stabilité de la gourde a été notée. Tout cela assurait une stabilité macroéconomique,
réputée par le FMI et la Banque Mondiale « économiquement correcte » mais en fait il s’agit
d’une politique d’austérité qui bridait les dépenses publiques dans les grandes fonctions liées à la
réduction de la pauvreté comme l’emploi, la sécurité alimentaire, la fourniture d’énergie, le
transport, l’assainissement, l’eau potable, la santé, l’éducation et la protection sociale liées à la
réduction de la pauvreté. Les performances macroéconomiques attendues durant la période
considérée n’ont pas été au rendez-vous. Les résultats visés en termes de croissance n’ont pas été
atteints. Les perspectives de relèvement étaient de 4,5% du PIB pour l’exercice fiscal 2008/2009
elles n’ont à peine 2 %. Mais le grand handicap demeure le financement qui dépendait trop

401
fortement de l’extérieur192. Les crédits alloués aux projets associés aux piliers du DSNCRP
proviennent respectivement à 15% et 85 % de ressources nationales et de ressources externes
pour l’exercice 2007-2008, à 14% et 86% pour l’exercice 2008-2009, à 19% et 81% pour 2009-
2010. La part nationale du financement traduit l’incapacité du pays à se prendre en charge
d’autant que l’aide externe promise suite aux catastrophes qui ont touché le pays a tardé à se
manifester. Et les populations dites bénéficiaires des investissements promis ont exprimé
vivement leur insatisfaction193.

Les analyses réalisées ont montré clairement que le gouvernement de l’époque misait sur le
maillage routier et que pour se faire, l’accent a été mis sur les indicateurs produits « physiques »
et fonctionnels comme la construction et la réhabilitation de routes194. Et ces axes routiers qui
suivaient le tracé des littoraux vont devenir des lieux attractifs pour les populations rurales en
quête de mieux être. La raison est simple et évidente ces routes mènent vers les villes qui captent
les flux des biens importés, la richesse produite et surtout l’essentiel des investissements réalisés
dans le cadre de la stratégie de croissance. Par ces routes, les littoraux deviennent une oasis
autour de laquelle viennent s’agglutiner les populations pauvres. Dans cette dynamique,
l’exercice du DSNCRP demeure plutôt un exercice de séduction destiné aux grandes agences
internationales de financement et de développement.
192
Le DSNCRP a été réalisé sur la mise en œuvre des principes de la Déclaration de Paris, du Programme d’Action
de Bruxelles sur les PMA et des provisions relatives aux principes de l’Engagement International sur la Coopération
dans les Pays Fragiles.
193
Une enquête de perception réalisée sur la mise en œuvre du DSNCRP montre une insatisfaction très aiguisée
de la population au regard du revenu et du pouvoir d’achat : près de 96% des appréciations estiment que
l’inactivité, le chômage et surtout la hausse fulgurante des prix n’ont pas permis une amélioration des conditions
de vie.
194
Un plan beaucoup plus politique se réalisait dit-on : construire des routes pour marquer les esprits et les
électeurs garantissant ainsi la réélection du parti au pouvoir. A cet effet, le dispositif de suivi de la mise en œuvre
du DSNCRP qui comprend des organes suivants : la Commission Nationale de Pilotage (CNP) ; le Comité
Interministériel d’Orientation et de Suivi (CIOS); le Secrétariat Exécutif Permanent de coordination et de suivi (SEP)
; les Commissions Thématiques Sectorielles (CTS); les Commissions Thématiques Départementales (CTD) et des
instances : Assises nationales du DSNCRP et Cadre de Concertation Gouvernement- Partenaires au développement
n’a jamais fonctionné comme tel. Ce cadre opérationnel de coordination et de suivi du DSNCRP n’a jamais pu
apprécier les directives en matière de croissance durable et de réduction de la pauvreté aux niveaux national,
sectoriel et régional ou par domaine d’activité. Le calendrier de formulation et d’ajustement de la stratégie
nationale de croissance durable et de réduction de la pauvreté n’a fait l’objet d’aucune décision. Les résultats des
travaux d’élaboration et de réajustement de la stratégie nationale de croissance durable et de réduction de la
pauvreté n’ont jamais été validés et examinés. Il en est de même pour les bilans périodiques de mise en œuvre.
Des contrats d’objectifs avec le secteur privé et la société civile n’ont pas été proposés. Ce dispositif n’a
recommandé aucune étude à caractère général ou spécifiques nécessaire à l’approfondissement des éléments de
politique. Et il n’a jamais examiné et validé le système de monitoring et d’évaluation de la stratégie nationale de
croissance durable et de réduction de la pauvreté.

402
4- Le Plan Stratégique de Développement d’Haïti dans l’impossible décentralisation

Le 12 janvier 2010 Haïti est frappée par un séisme qui a détruit une bonne partie de la Région
Métropolitaine de Port-au-Prince. Trois départements du pays sont touchés : l’Ouest, les Nippes
et le Sud-est. Le bilan humain est énorme, les rapports officiels font état de plus de 220 000
morts et au moins 300 000 blessés. La majorité des bâtiments publics se sont effondrés (Palais
présidentiel, Parlement, Palais de Justice, différents ministères, etc.). Le Post Disaster Needs
Assessment (PDNA) estime « la valeur totale des dommages et des pertes » occasionnés par le
séisme à près de 7 863 millions de dollars (120 % du Pib d’Haïti en 2009). Le séisme a donné
aux autorités haïtiennes l’occasion de raffermir l’énoncé d’une vision de développement à long
terme visant à faire d’Haïti un pays émergent à l’horizon 2030.

a- Des plans nationaux en cascade

Au-delà donc de la gestion de l’urgence engendrée par le séisme, l’État haïtien allait, du moins
en théorie, amorcer son action de structuration du développement en adoptant le Plan d’Action
pour le Relèvement et le Développement d’Haïti (PARDH). Il a été lancé en mars 2010 et devant
porter sur une période de 18 mois à 10 ans et en travaillant à aller vers une deuxième génération
de DSNCRP. On doit noter ici que le PARDH s’articule autour de quatre grands axes : la
Refondation territoriale, la Refondation économique, la Refondation sociale et la Refondation
institutionnelle. Les intentions du PARDH sont claires : « Nous devons agir maintenant, mais
avec une vision claire de l’avenir. Il nous faut nous mettre d’accord sur un programme à court
terme tout en créant les mécanismes qui rendront possible l’instruction et l’implantation
détaillées des programmes et des projets qui permettront de concrétiser les actions sur un horizon
de dix ans ». (PARDH, Avant-propos, p.3).

Le processus se décline en deux temps : le premier, soit l’immédiat qui porte sur une période de
dix-huit mois qui comprend la fin de la période d’urgence et la préparation des projets
déclencheurs du véritable renouveau. Le second temps s’ouvre sur une perspective temporelle de
neuf (9) ans, permettant ainsi de tenir compte de trois cycles de programmation du DSNCRP II
». (PARDH, p.5). La marche vers un DSNCRP II n’a pas abouti et le Plan d’Action pour le
Relèvement et le Développement d’Haïti (PARDH) adopté va être transformé en Plan

403
Stratégique de Développement d’Haïti195 (PSDH). Ce plan s’impose comme un nouveau cadre
de planification, de programmation et de gestion du développement. Il est très ambitieux car sa
vision à long terme parle de faire d’Haïti un pays émergent à l’horizon 2030. Le PSDH s’était
fixé quatre grands objectifs. Ces derniers étaient axés sur le territoire, l’institutionnel, le social et
l’économique. Trois questions analyseront ce plan de développement : Pourquoi ces axes ?
Comment atteindre les objectifs ? Peuvent-ils changer les conditions de vie des Haïtiens les plus
pauvres ?

b- Le PSDH en quête d’une refondation territoriale

L’évaluation des dégâts causés par le séisme du 12 janvier 2010 a montré l’ampleur de la
désorganisation du pays. Le réseau urbain macrocéphale axé sur Port-au-Prince, la capitale, n’est
pas viable et constitue un frein au développement et à l’épanouissement de l’ensemble du
territoire. En dehors de la région métropolitaine de Port-au-Prince, la majeure partie du pays vit
dans un sévère enclavement. Le pays est sous-équipé en infrastructures de santé, scolaire, de
transport, d’électricité, de communication et de gestion des déchets. Le pays fait face à un
niveau de dégradation environnementale catastrophique : plus de 90 % des bassins versants sont
complètement dégradés et le débit des rivières du pays a diminué de 72% (SNE/MARNDR,
2015). Il faut bien admettre que rétablir l’équilibre dans tout cela ne peut être que bénéfique pour
les citoyens.

A cet effet, le PSDH, à travers cette Refondation, se donne comme objectif de « concilier les
impératifs du développement économique avec la protection et la mise en valeur du patrimoine
naturel et historique du pays et avec la gestion des risques » (PASDH, p41). La démarche passera
par l’aménagement du territoire, de l’urbanisme, développement local, de la protection de
l’environnement, de la correction des bassins versants et de la rénovation urbaine, d’un réseau de
transport national, l’électrification du pays, l’expansion des communications et le maillage
numérique du territoire, ainsi que l’accroissement des capacités d’alimentation en eau potable et
d’assainissement, incluant la gestion des déchets solides. Il s’agit de mettre en place des

195
Ce dernier plan reprend à son compte le contenu du PARDH : les quatre grands chantiers (la Refondation
territoriale, la Refondation économique, la Refondation sociale et la Refondation institutionnelle. Il est important
de souligner l’existence de nombreux plans intermédiaires comme la Commission Intérimaire pour le
Reconstruction d’Haïti (CIRH), le Fonds pour la Reconstruction d’Haïti (FRH) et les Grands Chantiers pour le
Relèvement et le Développement d’Haïti (GCRDH).

404
infrastructures économiques nécessaires à la croissance et à la création d’emplois ainsi qu’à
l’accès aux services sociaux. Un ensemble de programmes et sous-programmes sont prévus.

- Aménager et développer les territoires. Cette démarche est déclinée dans les activités
suivantes : choix des Chefs-lieux d’Arrondissement comme pôles locaux de
développement, reconstruction des trois grandes zones dévastées par le séisme (zone
métropolitaine de Port-au-Prince, axe Léogâne/Petit-Goâve et axe Jacmel/Marigot),
construction de véritables pôles régionaux de développement. Planifier le développement
national et régional donne lieu à une Stratégie régionale de développement pour la
péninsule Sud. Elle intègre les Départements des Nippes, de la Grande-Anse et du Sud.
Les autres régions ciblées sont : le Grand Nord, notamment sa façade Atlantique, incluant
les Département du Nord- Ouest, du Nord et du Nord-Est, et la région Artibonite-Centre.
Deux grandes infrastructures sont dédiées à la région nord du pays : un parc industriel à
Caracol et une université à Limonade.
- Elaborer et mettre en œuvre des schémas locaux de développement et
d’aménagement du territoire. Cette élaboration est traduite par la mise en œuvre
progressive de Schémas Locaux de Développement et d’Aménagement du Territoire
(SLDAT) pour chacun des Arrondissements du pays. Un Fonds Local de Développement
et d’Aménagement du Territoire est prévu. Un Contrat Local de Développement et
d’Aménagement du Territoire (CLDAT) est établi et il liera chaque année le
gouvernement et le collectif de Collectivités Territoriales de chaque Arrondissement dans
la mise en œuvre des interventions.
- Élaborer et mettre en œuvre des plans d’urbanisme. Les plans d’urbanisme prévus
seront réalisés afin d’orienter plus finement l’occupation du sol.

- Une urgence sera accordée aux pôles de développement, aux autres villes pouvant
accueillir des flux migratoires, ainsi qu’aux milieux à réhabiliter parce que participant
davantage aux projets de développement économique projetés. Ici, il faudra ajuster les
limites des Collectivités Territoriales de Communes et de Sections Communales en
fonction des espaces urbanisés ou à urbaniser, des zones homogènes de développement
rural et des ensembles naturels.

405
Le bilan est mitigé en termes de refondation territoriale promise par le PSDH. Plus de 5 ans après
l’énoncé des grandes orientations et des grandes intentions seules quelques rares réussites sont
notées. Le tableau suivant exprime le décalage flagrant qui s’établit entre les promesses des
pouvoirs publics et la réalité qui prévaut.

Tableau 32.- Évolution de la mise en œuvre de la refondation territoriale du PSDH


Refondation territoriale

Objectifs Actions prévues Actions réalisées Situation en 2018

1- Aménager et 1- Reconstruction de 1- Le Parc industriel 1- Les objectifs sont


développer le territoire trois zones de Caracol est maintenus
2- Elaborer et mettre en dévastées par le construit 2- Les actions prévues
œuvre les schémas séisme 2- L’Université de non réalisées sont
locaux de Léogâne - Petit- Limonade est maintenues
développement et Goâve construite
d’aménagement Port-au-Prince
3- Elaborer et mettre en Jacmel - Marigot
œuvre les plans 2- Construction du
d’urbanisme parc industriel de
Caracol
3- Construction d’une
université à
Limonade
4- Construction de
pôles régionaux
5- Un SLDAT par
arrondissement
6- Un CLDAT par
arrondissement
7- Un plan
d’urbanisation
dans 145 villes
majeures
8- Correction de tous
les bassins versants
du pays
9- Maillage
numérique du
territoire

Sources : P J Mérat, 2018

406
La grande majorité des activités prévues est systématiquement reprogrammée depuis plus de 5
ans. Elle n’a pas eu la chance d’être exécutée. Les résultats en matière de refondation territoriale
ne sont pas à la hauteur des promesses. Seulement deux activités prévues ont été réalisées. Deux
facteurs fondamentaux expliqueraient, sans doute, ce retard. Le premier est lié au déficit de
ressources financières qu’on constate depuis ces cinq dernières années. En effet, le budget oscille
entre 1.9 et 2 milliards ce qui laisse très peu de marge pour les projets d’investissement. Les
recettes fiscales quoique en augmentation, reste limitées. Ces dernières ne participent qu’à
hauteur de 40 % du budget national. Le second facteur vient du décalage qui s’installe entre les
projets inscrits dans les Programmes d’Investissements Publics (PIP) et ceux réellement financés
et exécutés (DIP, 2017). Les gouvernements successifs de Martelly et Jovenel se sont intéressés à
faire exécuter des projets spéciaux non-inscrits dans le PIP mais promis dans leurs campagnes
électorales. Ces handicaps sont-ils les mêmes pour la refondation économique ?

c- La refondation économique proposée par le PSDH

Le plan estimait que les potentiels de développement économique d’Haïti sont nombreux et que
plusieurs d’entre eux ont la possibilité de créer un très grand nombre d’emplois et un volume de
richesse significatif pour le pays. Il prévoit d’agir sur plusieurs fronts dans la perspective d’un
développement économique durable, d’une intégration large et équitable de la population au
marché de l’emploi et d’une répartition équilibrée des opportunités de travail sur le territoire. Ce
qui est primordial c’est la mise en valeur des potentiels du pays. Des investissements majeurs
diversifiés sont prévus pour appuyer cette démarche. La faiblesse de l’épargne nationale est
prise en compte et la compensation viendra de la mise en place d’un contexte d’investissement
favorable pour le capital étranger et l’expertise internationale. De plus, le plan exige des acteurs
économiques de consentir tous les efforts susceptibles de moderniser et de dynamiser toutes les
filières porteuses. Il prévoyait, pour générer des emplois, l’extension des services publics et
privés sur tout le territoire. La refondation économique est déclinée dans la mise en œuvre de
huit programmes portant sur :

v la mise en place d’une gouvernance active pour une croissance économique accélérée et
équilibrée ;
v la modernisation et la dynamisation de l’agriculture et de l’élevage ;
v la modernisation et la dynamisation de la pêche ;

407
v le développement des industries agroalimentaire, manufacturière et de la construction ;
v la modernisation et la dynamisation du secteur des services ;
v le développement du tourisme ;
v la mise en valeur des ressources minérales et énergétiques ;
v le développement de l’emploi.

Au regard de la thématique pauvreté et littoral, nous avions procédé à l’analyse de ce que ce plan
de développement national accorde au secteur de la pêche. Ce dernier est un véritable bassin
d’emploi car il exige dans la réalité aucun diplôme et aucun investissement onéreux. Il est donc
ouvert aux plus pauvres. Notre démarche prend en compte les objectifs et les actions déclinées en
faveur de cette filière sous la rubrique : Moderniser et dynamiser la pêche. Cette modernisation
et dynamisation de la pêche voulait assurer le soutien et l’extension de la production.
Globalement, elle a ciblé une augmentation de l’offre nationale de produits de la pêche, un
accroissement des revenus des producteurs, la diminution des pertes des produits qui ne peuvent
être vendus directement et la généralisation de pratiques durables du point de vue de
l’environnement.

La distorsion entre les besoins alimentaires croissants et les ressources marines fragiles et
limitées était prise en compte par le PSDH qui prévoyait de favoriser le développement de la
pisciculture sous toutes ses formes. Il a cherché à couvrir les besoins des pêcheurs au regard du
désenclavement routier et de la réhabilitation d’infrastructures portuaires requises. Il voulait
favoriser une recapitalisation des producteurs en leur donnant accès au crédit, à des conditions et
des taux acceptables. Le plan mettait en avant le développement de petites et moyennes
entreprises de façon à accroître la valeur ajoutée sur la production. Le chantier engagé prévoyait
donc la mise en œuvre de sept sous-programmes portant sur :

v le développement durable de la pêche


v l’accès au matériel et aux intrants de pêche
v l’implantation de dispositifs de concentration de poissons
v l’aménagement de lacs collinaires
v l’implantation de fermes piscicoles
v l’implantation de fermes aquacoles
v la mise en place de chaînes de froid pour les produits de la pêche

408
La refondation économique voulait assurer la durabilité et le maintien du potentiel de
développement du secteur de la pêche. Elle exhortait l’ensemble des acteurs du secteur à prendre
en considération les limitations et la fragilité actuelle des ressources disponibles afin d’aller vers
une utilisation rationnelle. Pour ce faire, elle s’est donné comme objectif d’acquérir une
meilleure connaissance sur l’état des ressources, sur les pêcheurs et sur les potentiels de
développement de l’ensemble des filières de la pêche, incluant les secteurs non traditionnels de
la pêche en haute mer, de la pisciculture et de l’aquaculture. Les données acquises permettront
d’identifier les principaux enjeux et opportunités relatifs à la ressource et à l’activité, de dresser
des plans de développement sectoriel, de définir le cadre réglementaire pour les différentes zones
maritimes et côtières et de mettre en place les balises et les outils qui permettront de bien gérer et
d’en assurer le suivi.

Elle a défini les 16 principales zones de pêche du pays sont : deux pour le Nord-Ouest ( Môle-
Saint-Nicolas et Port-de-Paix/Île-de-la-Tortue ), une pour le Nord (Cap-Haïtien), une pour le
Nord-Est ( Fort-Liberté/baie de Mancenille), deux pour l’Artibonite (Anse-Rouge/Gonaïves et
Côte-des-Arcadins), deux pour l’Ouest ( Île-de-la-Gonâve et Léogâne) , trois pour les Nippes (
Miragoâne/Petit-Goâve, Baradères/Petite-Rivière-de-Nippes et Pestel/Corail/Cayémite), une
pour la Grande-Anse (Les Abricots/Dame-Marie/Les Irois), deux pour le Sud ( Saint-Jean-du-
Sud/Cayes/Île-à-Vache et Aquin/Côtes-de-Fer), deux pour le sud-Est ( Jacmel et Belle-
Anse/Anse-à-Pitre). Par contre, le plan donnait la priorité à cinq zones qui subissent de fortes
pressions de pêche : Côte-des-Arcadins, Abricots/Dame-Marie/Les Irois, Baradères/Petite-
Rivière-de-Nippes, Saint-Jean-du-Sud/Cayes/Île-à-Vache et Belle-Anse/Anse-à-Pitre. Le croquis
suivant témoigne de cet aménagement souhaité et promis.

409
Figure 15.- Zones de pêche à développer prévues par le PSDH

Zones de pêche à développer prévues par le PSDH

Cette catégorisation épouse les lieux de pêche traditionnels. Une centaine de DCP est prévue
autour de ces axes de pêche afin de diminuer la pression des pêcheurs sur des ressources déjà
agonisantes.

La refondation économique proposait la mise en valeur de toutes les potentialités du pays afin de
créer un maximum de richesse. Cette dernière devait être utilisée dans une répartition sociale
juste et dans le cadre d’un équilibre spatial adéquat. L’emploi, considéré comme le rempart
contre la pauvreté faisait office de cible. Cinq ans plus tard, les objectifs ne sont pas atteints : la
pauvreté s’amplifie, l’inégalité sociale se renforce, les disparités spatiales s’accentuent, le
chômage prend de nouvelles formes. Quand on compare les objectifs de départ et les actions
réussies l’écart est considérable. Le tableau suivant aide à avoir une idée de l’impact de cette
réforme économique.

410
Tableau 33.- Évolution de la mise en œuvre de la refondation économique du PSDH

Réforme économique
Objectifs Ressources ciblées Actions prévues Actions réalisées Évolution
1- Créer plus de 1- Modernisation 1- Construction de Les actions
1- Les ressources
richesses de l’agriculture trois embarcadères prévues sont
énergétiques
2- Mobiliser les 2- Modernisation 2- Installations de 3 reprogrammées
2- Les ressources
ressources du de la pêche DCP chaque année
minières
pays 3- Développement 3- Distribution de dans les PIP.
3- La main d’œuvre
3- Créer plus de la pêche matériels de pêche
d’emplois 4- Développement 4- Distributions Le suivi et
4- Etendre les du tourisme d’intrants agricoles l’évaluation du
services publics 5- Développement 5- Octroi de six permis PSDH n’est pas
sur le territoire des ressources de prospection systématiquem
minérales et minière ent assuré
énergétiques 6- Agrandissement du
6- développement parc Industriel de Moins de 10 %
des industries Port-au-Prince. des actions
manufacturières prévues sont
réalisées
(Rapport de
mise en œuvre
MPCE, 2014-
2016)

Sources : Pierre Jorès Mérat d’après les données du PSDH

Cette réforme économique mise en œuvre depuis 2013 ne change pas la donne. Depuis près de
cinq ans le chômage a pris des proportions alarmantes. Les entreprises n’arrivent point à
absorber la demande des 235 000 jeunes qui arrivent chaque année sur le marché du travail. Le
départ des jeunes vers l’Amérique Latine, principalement le Brésil et le chili depuis ces dernières
années, est la conséquence de cette distorsion entre la demande et l’offre de travail. Les

411
potentialités du pays tardent à être mises à contribution. Les 20 milliards de dollars estimés par
les sociétés minières spécialisés canadiennes dans le cadre de l’exploitation de l’or dans la région
frontalière du nord d’Haïti ne sont point mis à profit196. Les atouts touristiques ne sont pas
exploités. Le projet de l’Ile-à-Vaches promu par le gouvernement de Martelly / Lamaute est resté
lettre morte. La modernisation de la pêche reste un slogan en dépit des promesses. Les
distributions de matériels de pêche traditionnels ne peuvent pas transformer le secteur. La
refondation économique n’a pas encore porté ses fruits. A quoi les chômeurs et les ménages les
plus pauvres peuvent s’attendre dans un contexte ou les conditions de vie se dégradent de plus en
plus. Seule une prise en charge sociale de qualité liée à la refondation sociale peut fournir une
réponse appropriée.

d- La refondation sociale promise par le PSDH

Un an avant le séisme du 12 janvier 2012 le système de protection sociale ne touchait que 3,5%
des haïtiens. L’évaluation dommages causés par le tremblement de terre susmentionné suscite de
nombreuses questions sur le contenu et la qualité du système national de prise en charge. En
dépit des contours théoriques d’un autre système voulu par la constitution que nous qualifions de
« New deal haïtien », la prise en charge en application demeure obsolète et sévèrement
déficiente. Le défi de la refondation sociale dans le cadre de l’élaboration du PSDH est de savoir
si les pouvoirs publics seront capables de construire le modèle social de l’Haïti post sismique. Le
concept même de refondation sociale utilisé par le PSDH recouvre une visée globale. Il laisse, en
effet, d’emblée sous-entendre que tout le pacte social mis en place depuis les années 50 serait à
reconstruire, et ce, sur des bases entièrement nouvelles. Cela concerne l’organisation de la

196
L’exploitation minière malgré les dividendes promis, n’a pas reçu un accueil favorable unanime. La réticence
manifestée par les citoyens et certains hommes politiques viendrait de l’expérience désastreuse de la bauxite de
Miragoane avec la compagnie anglaise du Reynols mining Corporation et celle du cuivre des Gonaïves avec le
Sedren. Des manifestations de rue ont été organisées pour demander l’arrêt des opérations de prospections. Près de 3
885 kilomètres carrés du territoire haïtien, soit 15 pour cent de tout le pays, sont déjà sous une licence de recherche,
d’exploration ou d’exploitation, ou sont soumises à une convention contrôlée par des firmes américaines et
canadiennes. À elle seule, l’Eurasian Minerals, une des firmes en question, a prélevé 44 000 échantillons.La
Newmont Mining, deuxième producteur d’or au monde et qui exploite la plus grande mine en Amérique, a
largement investi auprès d’Eurasian et envisage la possibilité d’exploiter au moins cinq sites miniers. La corruption
est patente dans ce dossier car un ancien ministre haïtien de l’économie et des finances travaille aujourd’hui comme
consultant pour la minière Newmont. Deux ministres haïtiens ont récemment signé avec Newmont et Eurasian un
« protocole d’entente » selon lequel – et en violation de la loi haïtienne – les compagnies peuvent commencer le
forage dans un des sites en exploration. Or, la loi haïtienne stipule qu’aucun forage ne peut être entrepris sans une
convention minière. Le bureau des mines et de l’énergie (BME), le bras technique de l’État haïtien en la matière
n’est équipée que d’une poignée de véhicules et de quelques de géologues. Il n’a pas les moyens de superviser les
opérations de forage et de recherche en cours dans le nord et le reste du pays.

412
solidarité sociale, la question du genre, l’assurance santé, le logement, la valorisation des biens
culturels, la formation professionnelle, l’éducation, et l’action civique. Il s’agit donc de la
protection sociale sous tous ses aspects. Se faisant, le pays s’acheminait enfin vers la mise en
application des prescrits constitutionnels.

La cohésion sociale demeure au centre de ce plan par l’extension des services sociaux de base et
le développement de l’employabilité des personnes. A cet effet, quatre autres secteurs sont
ciblés pour leur contribution à l’intégration et à l’identité des populations : valorisation de la
protection des biens culturels et la création culturelle, l’amélioration de l’accès à de meilleures
conditions de logement, le développement de l’action civique, du sport et des loisirs, et
l’accroissement qualitatif de l’égalité des sexes. La politique culturelle doit permettre de
protéger et de mettre en valeur durablement le patrimoine collectif, tant matériel qu’immatériel.
À ces fins, la refondation sociale vise à accroître l’offre de produits touristiques, récréatifs et
éducationnels dans toutes les régions du pays. L’accès au logement est compris dans
l’augmentation de l’offre de terrains urbains viabilisés et la diminution des coûts et des délais des
procédures administratives et fiscales préalables à la mise en œuvre de projets de construction.
Un meilleur accès au logement est appréhendé par le PSDH dans la mise en place d’un dispositif
financier performant et équitable pour l’accès à la propriété ou à la copropriété. La majorité de la
population qui ne peut accéder à la propriété attire l’attention du plan qui envisage
l’accroissement substantiel du nombre et de la qualité de logements sociaux.

Les volets action civique, sport et les loisirs sont pris en compte dans la refondation sociale parce
qu’ils sont des canaux d’intégration et d’inclusion sociale. A cela il faut ajouter une dernière
préoccupation celle de l’intégration féminine. Pour assurer l’égalité de genre, le plan prévoit des
actions ciblées contre toutes les formes de discrimination faites aux femmes. Ces actions doivent
favoriser l’autonomisation des femmes afin qu’elles soient à même d’exercer pleinement leurs
droits fondamentaux, notamment au regard de la sécurité et de la justice. Il s’agira d’assurer
l’intégration du genre dans les décisions gouvernementales.

413
Tableau 34.- Évolution de la refondation sociale du PSDH

Refondation sociale
Objectifs Évolution
Actions prévues Actions réalisées
1-Organiser la 1-Création de logements - Construction de 326 1-Les objectifs et
solidarité sociaux logements dans le les activités
nationale à 2-Développement de pays associées sont
travers le système l’employabilité des - Mise en place d’un reprogrammés
de protection personnes programme dans les PIP
sociale 3-Mise en place d’un d’assistance sociale consécutifs
2-Mettre en place programme d’assistance - Vote d’une loi 2-Le programme
un système de sociale établissant un quota d’assistance
santé accessible à 4-Développement de de 30% pour les sociale institué
tous l’égalité du genre femmes dans les est suspendu
3-Mettre en place 5-Amélioration de fonctions publiques faute de
un système l’accessibilité des SSB - Mise en place d’un financement
d’éducation 6-Valorisation des biens programme de
accessible à tous culturels scolarisation
7-Développement des universelle et
loisirs et du sport obligatoire

Sources : Pierre Jorès Mérat d’après le PSDH

Le bilan de la refondation sociale est mitigé. D’un côté, on a constaté des avancées significatives
dans le domaine de la parité du genre. Le quota obligatoire de 30% de femmes dans la fonction
publique est largement partagé dans l’opinion publique. Cette disposition légale permet aux
femmes d’occuper des postes de responsabilité pour lesquels elles ont été trop souvent ignorées.
Le PSUGO a permis à des dizaines de milliers d’enfants haïtiens de rejoindre les bancs de l’école
gratuitement. L’amélioration de l’accessibilité aux SSB recherchée par la refondation sociale se
retrouvait donc sur la bonne voie. Un programme d’aide dénommé Kore etidyan a pu fournir de
l’équipement informatique à plus de 7 mille étudiants. Des dizaines de milliers de mères et chefs
de ménages femmes ont reçu des transferts monétaires du programme EDE PEP. En 2013,

414
l’ensemble des prestations dudit programme touchait 11% des Haïtiens alors que ce taux n’était
que de 3,5% en 2009. Néanmoins, les progrès constatés ne s’inscrivaient pas dans la durée car ils
étaient strictement financés par des ressources tirées de l’accord Petro-Caribe. Ce financement
s’est arrêté en 2017 altérant ainsi le progrès de la prise en charge sociale dans le pays. Pour que
les progrès de ce type soient irréversibles il faut miser sur leur institutionnalisation. La
refondation institutionnelle pourra-t-elle remédier à cette situation ?

e- Une refondation institutionnelle qui redéfinit l’État

Le volet refondation institutionnelle du PSDH plaide pour le renforcement et la modernisation


des cinq piliers constitutionnels de l’État haïtien que sont les Pouvoirs Exécutif, Législatif et
Judiciaire, les Institutions Indépendantes et les Collectivités Territoriales. Le plan veut également
mettre en place un autre type d’État avec les caractéristiques suivantes : un État régulateur qui
définit les règles de jeu, qui les respecte et qui les fait respecter , un État guide et soutien qui
formule, propose et gère un projet pour la nation et pour le pays , un État entrepreneur qui
connaît ses limites et qui intervient à bon escient , un État gestionnaire qui utilise les ressources
mises à sa disposition avec rigueur, efficacité et efficience, et qui rend compte régulièrement à la
nation des résultats de son action.

Deux aspects de la refondation institutionnelle peuvent être dégagés pour l’analyse dans le
contexte de la pauvreté en particulier et des conditions de vie en générale. Il s’agit de la
dynamique de déconcentration et celle de la décentralisation. La déconcentration des activités en
région, la création de pôles régionaux et locaux de développement, la stimulation du
développement local, l’accroissement de l’offre de services de base à la population,
l’aménagement du territoire, le contrôle de l’urbanisation, la gestion des bassins versants, la
gestion des risques et l’appui à donner aux collectivités de base, sont au nombre des éléments
forts du PSDH. Ce dernier prévoit une augmentation significative des effectifs publics sur tout le
territoire. La démarche permet de rejoindre les citoyens là où ils se trouvent sur le territoire de
façon à assurer la quotidienneté des services publics à rendre par l’administration
gouvernementale à la population. La notion de service de proximité prend tout son sens. Cette
refondation entame sa sixième année mais sa mise en œuvre se heurte à de nombreuses
difficultés liées au contexte politique national effervescent qui prévaut depuis la chute de la
dictature. Le tableau suivant permet d’apprécier l’évolution de son application.

415
Tableau 35.- Évolution de la mise en œuvre de la refondation institutionnelle du PSDH
Refondation sociale
Objectifs Évolution
Actions prévues Actions réalisées

1-Transformer -Equiper les chefs-lieux 4 complexes Les actions prévues sont


toujours inscrites dans les PIP
l’État en locaux administratifs sont
2-Renforcer les administratifs. construits. Le consensus sur la
transformation de l’État et la
collectivités -Renforcement Augmentation de 24 %
mise en place des
territoriales institutionnel des des effectifs de Collectivités Territoriales
n’est pas acquis
3-Mettre en Collectivités fonctionnaires locaux.
œuvre la Territoriales.
déconcentration -Accroitre les
4-Imposer la ressources
reddition des Locales.
comptes -Augmenter l’effectif
des fonctionnaires
publics locaux.
-Modernisation de
l’administration
-Financer la
gouvernance de
proximité.

Sources ; P J Mérat d’après les données du PTI/PSDH (2016-2017)

La refondation institutionnelle esquissée dans le Plan Stratégique de Développement d’Haïti est


dans l’impasse. Les 42 chefs-lieux d’arrondissements ne sont pas encore équipés en locaux
administratifs. Le coût associé à l’opération est difficilement mobilisable, d’un coup, dans le
budget national. Le renforcement institutionnel des Collectivités Territoriales est handicapé faute
de moyens financiers et surtout du fait de l’absence de compromis politique sur la question. La
gouvernance de proximité promise n’est pas encore une réalité malgré une sensible augmentation
de l’effectif des fonctionnaires locaux dans le cadre de la déconcentration des services publics.

416
La gouvernance politique souhaité à travers un État efficace, entrepreneur et qui rend des
comptes à la nation tarde à s’implanter dans le pays. L’inefficacité, la corruption, le gaspillage et
l’abus de biens publics continuent à être le seul mode de gestion et cela dans une totale impunité.
Le scandale de Petro Caribe197 en est un témoignage éloquent.

Conclusion

La mise en œuvre du Plan Stratégique de développement d’Haïti entame sa cinquième année. Et


les résultats promis se font encore attendre : l’accès aux services sociaux de base ne s’améliore
pas, la prise en charge sociale garde le même niveau de pénétration depuis 15 ans dans le pays,
les contours monétaires et multidimensionnels de la pauvreté demeurent sévères, les
communications et le transport sont toujours dans la défaillance, les services publics ne touchent
que les centres urbains, la macrocéphalie de Port-au-Prince gagne en importance, la croissance
économique rachitique s’installe et s’enracine, les inégalités se renforcent, l’exclusion sociale et
économique ne s’affaiblit point. Autrement dit, le Plan Stratégique de Développement d’Haïti
n’a pas encore contribué à la refondation sociale du pays car les besoins fondamentaux de la
population ne sont satisfaits. La refondation institutionnelle devant aboutir à un État gestionnaire
qui utilise les ressources mises à sa disposition avec rigueur, efficacité et efficience, et qui rend
compte régulièrement à la nation des résultats de son action, n’est que souhait et promesse non
tenue. Les potentialités du pays ne sont pas encore mises en valeur, la création de richesse sur la
base de l’équité territoriale n’est pas encore à l’ordre du jour. Ce qui relativise la refondation
économique promise. La refondation territoriale, qui a promis de « concilier les impératifs du
développement économique avec la protection et la mise en valeur du patrimoine naturel et
historique du pays et avec la gestion des risques » est restée lettre morte. Les catastrophes
naturelles (Matthew en 2016), les scores nationaux en matière de développement humain (IDH)
et les performances économiques (IDE, compétitivité) ont montré suffisamment l’incapacité de
ce plan stratégique à relever le défi du développement national.

197
Près de 4 milliards de dollars ont été dépensés en dehors des règles administratives élémentaires par trois
gouvernements (Préval, Martelly et Privert). Ces fonds venaient d’un accord signé avec le Venezuela qui accordait
à Haïti des crédits d’achats de produits pétroliers à des taux bonifiés et un remboursement sur 25 ans. Et aucun
procès n’a eu lieu depuis malgré la demande citoyenne depuis l’éclatement de ce scandale politico-financier.

417
Conclusion du chapitre

Les cadres nationaux de développement qu’ils soient la constitution de 1987, le DSNCRP ou le


PSDH charrient deux logiques : la quête du développement économique et l’atteinte d’un
système socialement juste par le biais de la réduction de la pauvreté. Les voies majeures
empruntées pour y parvenir sont la décentralisation, l’aide au développement et l’assistance
internationale. Ces outils vont se révéler peu efficaces au regard du bilan lié aux résultats
escomptés. La décentralisation prônée par ces cadres échoue lamentablement parce qu’elle ne
prend pas en compte la réalité sociologique, administrative et historique du pays. L’option a
toujours été décidée dans les hauts lieux du pouvoir politique établi à Port-au-Prince sans la
participation effective de ceux pour lesquels on veut décentraliser (les territoires ruraux et
provinciaux). Le projet politique pour la décentralisation ne s’accompagne jamais de moyens
adéquats pour mettre en œuvre le processus et le conduire dans les conditions optimales. Les
institutions qui l’animent ne sont pas établies à l’instar des Conseils Départementaux qui ne pas
encore institués alors qu’ils sont prévus par la constitution depuis plus de trente ans.

L’atteinte d’un système socialement juste est le crédo du DSNCRP, du PSDH et surtout de la
constitution en vigueur. Cette dernière exprime la prise en charge sociale dans une version
maximaliste « l’État et les collectivités territoriales prennent en charge le citoyen haïtien dans
tous les compartiments de la vie ». Or il n’est nullement mentionné dans le texte où les
ressources financières nécessaires à l’exercice prescrit vont être puisées. Aucune institution
porteuse du projet n’est prévue. Les institutions qui animent la prise en charge sociale datent des
années 1960 et sont donc incapables de mettre en œuvre la vision de la constitution. Il en est de
même pour le PSDH, l’atteinte de l’émergence économique à l’horizon 2030 n’est pas assurée
car depuis plus de quatre ans le budget national ne finance que des projets non-inscrits dans le
Programme d’Investissements Publics (PIP). Les plans spéciaux des gouvernements qui se
succèdent au pouvoir ne laissent aucune chance aux investissements productifs de se réaliser. Il
s’agit pour eux de satisfaire le plus rapidement possible les sponsors de leur campagne électorale
et les folles promesses électorales sans lien avec le PSDH voire l’émergence économique. Le
financement des plans nationaux demeure un vrai nœud gordien pour les pouvoirs publics
haïtiens. En effet, les promesses d’aide à la mise en œuvre de ces plans ne sont jamais
concrétisées ou respectées. Le DSNCRP n’a reçu que 20 % du financement promis par la

418
communauté internationale. Les grands bailleurs qui exigeaient presque du pays l’élaboration de
ce document ont vite trouvé des raisons ou de faux prétextes pour ne pas honorer les montants
promis. Les ressources nationales ne peuvent point supporter, à elles seules, les coûts de ces
stratégies. L’État haïtien se retrouve souvent en difficulté pour financer l’intégralité du processus
de mise en œuvre des plans. Et conséquemment la mise en œuvre s’interrompt alors qu’elle a
déjà consommée des ressources nationales conséquentes. Le suivi du processus est donc
compromis et les objectifs du plan vont être passés à la trappe. Il est aisé de dire que l’aide au
développement ainsi que l’assistance internationale ne sont pas des sources de financement
fiables pour mener à bien une entreprise d’envergure nationale. Ces plans nationaux n’ont pas eu
des incidences positives sur les conditions de vie en général et sur la pauvreté en particulier. Le
contexte libéral qui les entoure ne laisse aucun doute sur leur finalité : ouvrir davantage le pays
au libre-échange alors qu’il ne dispose pas d’armes adéquates pour jouer la parité avec les autres.

419
Chapitre XI
Les différents niveaux des politiques publiques

L’entreprise nationale, mentionnée plus haut, prend la forme du processus de développement


économique, de la dynamique d’organisation du territoire et de la politique de lutte contre la
pauvreté opérée par toutes les parties prenantes impliquées. Ce chapitre aborde la question du
management du territoire qui se réalise depuis 1804 par l’intermédiaire des niveaux de décision.
Si pendant un certain temps les régions ont pu concentrer et exercer un minimum de pouvoir
depuis 1915 cette dynamique s’estompe pour laisser la place à une gestion totalement centralisée.
Depuis plus de trente ans, malgré les prescrits constitutionnels, les départements, les communes
et les sections communales ne font que subir ce que le pouvoir de Port-au-Prince décide. En
dehors de l’État central, les ONG et les grandes agences internationales jouent un rôle décisif
dans l’organisation du territoire. Elles se partagent le pays en zones d’interventions réservées.
Dans cette dynamique s’installe la distorsion, le télescopage et l’incompatibilité des interventions
réalisées dans le cadre du développement des territoires en général et de la lutte contre la
pauvreté en particulier. Il s’en suit une incohérence sévère entre ce que les pouvoirs publics
prétendent faire sur le plan national et ce qui se réalise vraiment dans les régions par les acteurs
locaux. Les ressources financières dont disposent les agences internationales et les ONG les
transforment en acteurs majeurs dans la définition et la mise en œuvre de politiques publiques
liées à la prise en charge des populations surtout celles qui sont les plus pauvres dans le pays.

1- La prédominance de l’échelle nationale

L’arsenal des politiques publiques dans le pays, depuis au moins une trentaine d’années, est
constitué par des documents traitant de l’ensemble du territoire dans sa globalité. L’échelle
nationale devient la cible du contenu de toutes les opérations menées par les pouvoirs publics.
Elle est matérialisée dans le budget national198. Cet instrument administratif est utilisé par État
pour financer l’action publique. Les budgets des trois derniers exercices fiscaux (2015-2016,
2016-2017 et 2017-2018) permettent de comprendre suffisamment l’orientation et surtout la
vision des décideurs politiques sur l’organisation du territoire. Le contenu opérationnel, les

198
Dans le système politico-administratif haïtien le budget est défini comme l’ensemble des documents, votés par
le Pouvoir législatif, qui prévoient et autorisent les ressources et les dépenses de l’État pour chaque année. Il s’agit
donc d’un acte de prévision et d’autorisation annuelle de perception des impôts et de dépense des deniers publics.

420
entités responsables de la rédaction et les phases du cycle budgétaire expliquent la prédominance
de l’échelle nationale dans la planification dans le pays.

Un budget pour la consommation des fonctionnaires centraux. La dotation financière pour le


fonctionnement des institutions publiques centrales et décentralisées constitue la part importante
du budget. Les articles 25, 26 et 27 du budget national 2017-2018 rendent compte de cette
dynamique. Les crédits budgétaires de l’exercice 2017-2018 pour les dépenses de
fonctionnement, incluant les dépenses courantes des institutions de l’Administration d'État, les
dépenses d'immobilisation et l'amortissement de la dette publique, sont fixés à quatre-vingt-cinq
milliards trois cent vingt millions et 00/100 de gourdes (85,3 milliards de gourdes). Tandis que
Les crédits budgétaires pour les dépenses de programmes et projets sont fixés à cinquante-huit
milliards huit cent quatre-vingt millions et 00/100 de gourdes (58,8 milliards de gourdes) pour le
même exercice.

Un budget national réparti par secteur. Ce budget, mais tous ceux qui ont été élaboré avant
lui, est axé sur quatre secteurs : le secteur économique, le secteur politique, le secteur social et le
secteur culturel. Chaque secteur regroupe un ensemble de ministères et institutions. Ces
composantes se déclinent comme suit : Secteur économique représenté par le Ministre du plan
(MPCE) , le ministre des finances (MEF) , le ministère de l’agriculture( MARNDR), le ministère
des travaux publics (MPTPTC), le ministère du commerce (MCI), le ministère de
l’environnement (ME), MT) , Secteur politique (Présidence, Primature, MJSP, MICT, MD) ; -
Secteur social (MENFP, MAST, MSPP, MCFDF, MJSAC) - Secteur culturel (M cultes, M
Culture, M Communication. Cette répartition se base sur calcul sur un contexte
macroéconomique où interviennent quatre éléments fondamentaux, à savoir la situation à
l’échelle internationale199, les chiffres sur les recettes fiscales, l’accroissement prévisionnel du
produit intérieur brut (PIB) et les effets des nouvelles législations fiscales. Outre le PIB, d’autres
indicateurs considérés dans le cadrage macro- économique sont, par exemple, l’inflation, le taux
de change, le prix du baril de pétrole et le déficit budgétaire. Les régions, les départements, les
communes et les sections communales sont donc absents des contours de ces types de budgets.

199
A l’élaboration du budget, le gouvernement haïtien se réfère souvent aux prévisions de croissance du PIB d’Haïti
réalisées par le Fonds monétaire international (FMI). Néanmoins l’Institut haïtien de statistique et d’informatique
(IHSI) demeure la source fondamentale de données dans le pays en lien avec les phases du cycle budgétaire.

421
Un budget préparé par des entités liées au centralisme. Le cadre institutionnel entourant le
processus de préparation du budget est fondamentalement national et ne laisse pas de place pour
les entités régionales. Un ensemble d’acteurs intervient dans le processus et chacun a des
responsabilités bien définies en lien avec les phases du cycle budgétaire200:

§ Primature. Elle prépare la lettre de cadrage, autrement dit fixe l’action du gouvernement.
§ Ministère de l’Économie et des Finances. Il intervient dans la phase de cadrage du
budget, s’occupe du volet fonctionnement du budget, prend en charge la consolidation du
budget, assure le contrôle a priori des dépenses à effectuer et rend en charge la
mobilisation des ressources internes.
§ Ministère de la Planification et de la Coopération externe. Il participe au cadrage
macroéconomique, élabore le Programme d’investissement public (PIP), assure le suivi et
l’évaluation du PIP, coordonne la mobilisation de l’aide publique au développement.
§ Les Ministères et Autres Institutions. Ils prennent en charge l’élaboration du PIP au
niveau sectoriel et mettent en œuvre le PIP sectoriel.
§ Parlement. Il assure le vote du budget et assure le contrôle de l’exécution du budget.
§ Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif (CSCCA) -. Elle assure le
contrôle a posteriori de l’exécution du budget.
§ La Présidence. Elle assure la promulgation du budget dans le journal official Le
Moniteur.
§ La Commission nationale des marchés publics (CNMP). Elle coordonne la passation des
marchés publics.

Les huit acteurs majeurs impliqués dans la conception, l’institutionnalisation, la mise en œuvre et
le suivi des budgets nationaux sont des accélérateurs de la centralisation. La Constitution
haïtienne traite des finances publiques au niveau du titre VII, à travers les articles 217 à 233.
Dans une optique de décentralisation, elle distingue deux niveaux de finances, national et local.
Néanmoins depuis 1987 tout se fait et se décide dans la logique nationale. Les collectivités
territoriales et les pouvoirs locaux ne font que subir les décisions. De plus ces budgets ne font

200
Le cycle budgétaire comprend quatre phases : a. La planification stratégique qui présente la vision du
développement à moyen et à long terme ; b. L’élaboration du budget, l’allocation des ressources qui conduit au
Projet de Loi de Finances déposé au Parlement pour vote ; c. L’exécution et le contrôle du budget par rapport aux
prestations de services et au suivi des dépenses ; d. La reddition de comptes qui est une étape de vérification par la
Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif (CSCCA).

422
qu’entériner la diminution des dépenses d’investissement et l’amplification des dépenses de
fonctionnement. La lutte contre la pauvreté n’est pas donc la priorité dans une ambiance marquée
par des dépenses somptuaires et le remboursement de la dette externe. Cette primauté du niveau
national a des conséquences graves sur l’organisation du pays. Elle met à mal l’échelle locale qui
n’arrive plus à se faire entendre et à s’exprimer.

2- Une échelle locale timide et timorée

L’échelle nationale écrase de tout son poids les velléités des collectivités territoriales de pouvoir
participer à l’œuvre de développement de leurs communautés. La décentralisation est sans aucun
doute l’un des enjeux de gouvernance politique et administrative les plus marquants de l’histoire
contemporaine du pays. Elle donne lieu à un projet de réforme politique car son implication
essentielle est de faire émerger auprès de l’État un autre type d’acteur public en charge du
développement : les collectivités locales. Initialement engagée à l’origine dans un contexte de
scepticisme généralisé vis-à-vis d’un État qualifié de prédateur, la décentralisation tend de plus
en plus aujourd’hui à devenir une attente et dans certains cas même une revendication des
populations rurales haïtiennes. Néanmoins, l’engouement provoqué au départ par le lancement
du processus de décentralisation, affirmé comme axe fondamental du développement dans la
constitution de 1987, semble actuellement céder le pas au scepticisme et à la déception. Après
plus de trois décennies d’expériences de mise en œuvre de la dynamique nationale de
décentralisation, les résultats atteints sont jugés grandement trop faibles.

Quel est le profil des instances locales appelées à partager le pouvoir de décision avec l’État,
dans le contexte spécifique d’une société haïtienne dominée par une ruralité où la survivance de
référents socio-politiques et culturels traditionnels, ainsi que les modalités traditionnelles
d’organisation de l’espace, continuent à déterminer les comportements individuels et collectifs ?
Quelles sont les conditions et les modalités d’un partage du pouvoir entre le niveau central et le
niveau local, dans des conditions où les capacités comme les ressources nécessaires pour les
mettre en œuvre ne sont pas évidentes ? Il n’est pas étonnant que les gouvernements successifs
depuis 1987, tout en étant chargés de promouvoir la décentralisation, s’en méfient fortement et
montrent régulièrement des signes de résistance. Il est alors nécessaire de réfléchir aux
contraintes économiques, institutionnelles, mais aussi sociales et politiques, qui limitent la pleine
efficacité de la décentralisation, particulièrement en milieu rural.

423
a- Des acteurs nouveaux dans un contexte rivé sur le passé.

Le processus de décentralisation va propulser aux commandes des collectivités territoriales


nouvellement créées de nouveaux acteurs locaux. Il se crée donc une nouvelle élite. Et comme
dans tout processus d’ordre social, elle est appelée à jouer un rôle décisif dans la gestion des
affaires locales. Ce nouvel acteur se décline en responsables de groupement et d’associations, de
fonctionnaires locaux, de notables et des élus. Ces parties prenantes du développement local
peuvent se présenter soit comme des facteurs de changement social, soit, au contraire, se révéler
de puissants facteurs de freinage, voire de blocage des changements attendus. L’élite
traditionnelle, trop impliquée dans les forfaits du régime des Duvalier s’efface totalement. Un
vide s’installe car les nouveaux acteurs arrivent aux timons des affaires locales sans expertise
d’usage. De ce fait, les pratiques traditionnelles vont continuer d’exercer une influence forte sur
le cours de la vie politique, économique et sociale locale. Cet amateurisme ne va pas permettre à
ces nouvelles autorités locales de s’imposer de fait comme des interlocuteurs incontournables de
l’État. Au fil des années elles sont mêmes perçues comme la réplique du pouvoir central. Elles
sont tombées dans les mêmes travers car elles sont inefficaces, corrompues et conservatrices.

Une prise très faible sur le processus de développement local. La faiblesse majeure des
pouvoirs locaux dans le pays réside dans leur incapacité à influencer l’avenir et les conditions de
vie dans les territoires pour lesquels ils disposent de prérogatives reconnues. Il faut bien admettre
aussi qu’un processus de développement est décentralisé si les options de développement (ou du
moins une part non négligeable d’entre elles) peuvent être déterminées par des instances locales
autonomes distinctes de l’État, et que ces instances locales, les collectivités locales, sont
responsables elles-mêmes de la mise en œuvre des options choisies. Dans ce sens, G. Burdeau
(1967 Traité de science politique) affirme qu’à l’origine de l’idée de décentralisation, il y a celle
de liberté de l’organisme qui en bénéficie. Il précise qu’une activité peut être qualifiée de
décentralisée lorsque "les règles qui la commandent sont édictées par des autorités émanant du
groupe qu’elle concerne".

424
Un pouvoir local qui s’adapte à la déconcentration201. Les acteurs politiques locaux et
nationaux souvent entretiennent, consciemment ou non, une confusion entre la dynamique de
déconcentration et celle de décentralisation, en qualifiant abusivement des pratiques de
déconcentration comme étant de la décentralisation. Les autorités locales ne remettent
aucunement en question la concentration du pouvoir de décision à l’État, même dans les cas où
le pouvoir central délègue effectivement une partie de ses pouvoirs à l’administration locale. Les
vices-Délégations communales ne sont en fait que des antennes locales du pouvoir central mais
elles demeurent la grande autorité locale parce qu’elles sont directement liées au pouvoir
exécutif donc susceptible de décider des financements nécessaires à la réalisation des projets
souhaités par les locaux. Dans un tel cas, en effet, les compétences déconcentrées demeurent des
compétences de l’État central et non des compétences propres de l’entité locale délégataire. A cet
effet, les collectivités territoriales bénéficiaires de la délégation restent assujetties à l’État qui, en
tant qu’autorité hiérarchiquement supérieure, peut remettre en cause leurs décisions. La notion de
liberté, mentionnée plus haut par Burdeau comme étant l’essence de la décentralisation, est
absente dans un tel dispositif. En définitive, il est aisé de conclure que tout ce qui se fait depuis
1987 dans le cadre de la décentralisation n’est qu’une amélioration fonctionnelle de la répartition
des tâches entre un niveau central de décision et un niveau local d’exécution. Face à un État
absentéiste de fait dans le milieu rural, le centralisme pèse moins lourd sur les autorités locales.
Ces dernières se servent même de leur situation en monnayant leurs capacités de contrôle
politique (élections) et économique (participation aux projets de développement) des populations
rurales.

Un pouvoir local alternatif pour concurrencer l’État. En Haïti la notion de pouvoirs locaux
peut aussi s’appliquer à des acteurs émergeants tels le monde associatif et les regroupements
économiques locaux. C’est un peu le pendant informel de ceux établis par la constitution en
vigueur. De véritables leaders locaux ont, en effet, progressivement émergé au cours des deux à
trois dernières décennies dans le milieu rural. Cette dynamique est liée à la tentation de la société
civile en général de suppléer aux déficiences du pouvoir central dans la gestion et la prise en

201
La déconcentration constitue une réforme administrative positive en ce sens qu’elle atténue les excès du
centralisme. Au plan pratique, la déconcentration rapproche l’administration de l’administré, améliore la
fourniture des services publics au niveau local et permet aussi à l’État, à travers ses représentants locaux, de mieux
adapter ses prises de décision aux réalités du terrain et aux besoins des populations. Mais au plan politique, la
déconcentration ne constitue qu’une réforme mineure

425
charge des espaces locaux (ruraux). Les responsables de groupements associatifs et
communautaires (GAC), ceux des caisses d’épargne et de crédit, mais des organisations
paysannes rivalisent de manière insidieuse les autorités publiques locales. Ce nouveau type de
pouvoir alternatif local a l’avantage de disposer d’un pouvoir économique significatif généré par
leurs activités de production ou par leurs connexions avec les institutions de financement du
développement liées aux ONG, aux agences humanitaires et des institutions internationales de
financement.

Des coquilles vides comme pouvoirs locaux. Les collectivités territoriales demeurent des
coquilles vides au regard de leur disfonctionnement. Le pouvoir exécutif, donc le pouvoir
central, nomme les juges au niveau des Tribunaux de Paix, des Tribunaux de Première Instance
et des Cours d’Appel du pays. Cette dynamique montre clairement la violation du principe de la
séparation des pouvoirs et l’influence néfaste du pouvoir exécutif sur la bonne gouvernance du
pouvoir judiciaire. Les Assemblées communales et départementales chargées de nommer les
magistrats des tribunaux susmentionnés ne sont jamais constitués depuis l’adoption de la
Constitution de 1987. Cet affaiblissement des structures locales renforce et perpétue la
dépendance et la pauvreté des collectivités territoriales202. Les choix des projets ne sont pas
ratifiés au niveau des organes de délibération des collectivités locales. Pour s’assurer de
l’efficacité des interventions et la participation des communautés dans les prises de décision,
l’article 61 de la Constitution de 1987, consacre le pouvoir des entités territoriales suivantes : le
département, la commune et la section communale. Ces dernières sont constituées d’organes
délibérants – les assemblées – et de structures exécutives. Elles permettent aux communautés
d’avoir une autonomie de décision et de gestion à un certain niveau. Puisqu’elles maîtrisent
mieux les besoins des populations, elles sont les mieux placées pour décider de l’orientation des
projets pour la fourniture des services de proximité.

Une loi créant le Fonds de gestion des collectivités territoriales (FGDCT) a été voté le 28 mai
1996 et publiée dans le journal officiel Le Moniteur, le 2 septembre de la même année. Le
FGDCT est créé pour faciliter aux collectivités territoriales l’accès à des ressources financières
pouvant permettre leur développement. Le constat est parlant car depuis plus de vingt ans cet

202
« La mairie d’une ville moyenne comme Aquin par exemple, que le CRESFED soutient dans son processus
d’élaboration de plan communal de développement, n’avait pas 5 chaises pour faire leur réunion tous assis » Suzy
Castor

426
argent est géré été dépensé par l’administration centrale. Et les enjeux sont souvent liés aux
dynamiques électorales203.

Les collectivités territoriales comme les mairies n’arrivent même pas à assurer leur budget de
fonctionnement. En 2016 plusieurs maires de la Région Métropolitaine de Port-au-Prince ont dû
mettre plusieurs employés en disponibilité sans solde en raison de la faillite financière constatée.
En 2017, le maire de Port-au-Prince, Youri Chevry fait état de 80 millions de gourdes de dettes
accumulées. Tous les employés de la mairie de Delmas sont mis en disponibilité pour une durée
indéterminée, selon le maire Wilson Jeudy. A Pétion-Ville, ce sont 1 080 employés qui sont mis
en disponibilité en septembre 2016. Les nouveaux maires élus (comme tous les anciens
d’ailleurs) ont fait appel à l’État central pour éponger les dettes de leurs municipalités
respectives. En 2014 c’est plus de 85 % des communes qui dépendaient des allocations de l’État
central (Ministère de l’Intérieur et des Collectivités Territoriales) alors que dans le même temps
seulement 5% de leur potentiel fiscal est exploité.

b- Des collectivités peu ingénieuses.

Les collectivités territoriales du pays sont évoluent dans une léthargie considérable. Depuis
quelques années elles font certaines fois la une des medias nationaux en exposant leur dénuement
et leur manque de moyens. Néanmoins le rituel est le même : l’État central doit nous donner plus
de moyens. Ces entités n’arrivent point à vivre et à animer ce que la constitution de la
République leur concède comme instrument d’émancipation204 : l’autonomie et la responsabilité
de prendre en charge leur territoire et les populations résidentes. Ces pouvoirs locaux s’installent
donc dans la tradition du centralisme desséchant établi depuis des lustres. On comprend aisément
les propos du géographe haïtien Tony Cantave (2010) « Le maire haïtien attend tout du pouvoir
central et n’a pas le réflexe d’aller chercher par lui-même ». De grandes potentialités sont
constatées mais les autorités locales les ignorent ou ne veulent pas les exploiter205. Ces
ressources potentielles se déclinent en :

203
Le député Jean Tholbert Alexis, se réjouit en ces termes « l’exécution de ces projets permet aux députés et
sénateurs de s’acquitter de certaines promesses de campagne ».
204
Les taxes sont le fondement de l’autonomie administrative et financière de la Commune prévue par la
constitution. Si elles sont collectées effectivement et régulièrement, elles pourraient permettre aux responsables des
collectivités territoriales de répondre aux besoins de leur administration et de leur localité
205
De nombreuses raisons expliquent ce comportement irresponsable : la peur de casser la tradition locale axée sur
une faible (ou une absence) contribution fiscale et surtout la peur de perdre les prochaines élections

427
- La patente et la contribution foncière des propriétés bâties (CFPB) sont sous
exploitées

Elles sont collectées par la Direction Générale des Impôts (DGI). Elles représentent 96% des
recettes perçues pour les communes. L’administration centrale redistribue 80% de ces recettes
aux communes. Ces ressources sont faibles car elles constituent entre 3 et 6% des recettes
perçues. Les communes de la région métropolitaine pèsent à elles seules 82 %. La CFPB atteint
rarement les 30 % des contribuables. Les collectivités perdent donc l’essentiel de ces revenus liés
à cette composante. Les services compétents ne font qu’augmenter le prix de la contribution au
lieu de récupérer les 70 % et plus des recettes perdues parce que non collectées. Les services
municipaux ne maitrisent que sommairement le territoire pour lequel ils sont créés. Le bâti
échappe totalement aux autorités locales dans les bidonvilles qui sont souvent des quartiers de
non droits. Dans ces derniers les agents d’immatriculation et de recouvrement ne sont pas les
bienvenus. Les pouvoirs locaux ne font pas appel aux nouveaux instruments comme le SIG pour
mieux appréhender et gérer l’espace qu’ils gouvernent. Cela constitue un frein majeur au
développement et à l’épanouissement des territoires.

- Les ressources liées à l’identification ne sont pas mobilisées.

Ces taxes sont rarement perçues par la Direction générale des impôts. Elles apportent seulement
4% aux recettes communales : ce sont les taxes de numérotage des maisons, droit d’affichage, les
droits d’abattage d’animaux, la taxe de ramassage d’ordures, les taxes sur les places au marché,
les permis de construire et les taxes liées aux rouages des cimetières206. La tertiarisation de
l’économie nationale aurait pu transformer ces recettes des collectivités territoriales en source de
financement conséquent. Cependant, les structures préposées à la collecte des redevances n’ont
pas encore saisi cette opportunité. Elles restent figées sur le secteur formel alors que trois actifs
sur quatre produisent dans l’informel. Les autorités locales n’appréhendent pas les nouveaux
contours de l’économie nationale et les mutations associées. Elles n’arrivent point à valoriser et à
maximiser ces ressources du fait de leur manque d’ingéniosité voire d’un excès de paresse
souvent ajustée à de l’ignorance.

206
La question se pose sur l’incompatibilité de ces impôts avec la grande pauvreté. Il est évident que les plus
pauvres sont dans l’incapacité de payer certes mais une autre question se pose faut-il exonérer tous les pauvres
d’une contribution, faible qu’elle soit, pour garantir un cadre de vie salubre.

428
Ces pouvoirs locaux quand ils ne sollicitent pas l’aide de l’État central, préfèrent, sans vergogne,
s’adresser aux nombreuses ONG207 qui investissent le pays, pour accéder certaines fois à des
équipements de base (matériels de bureau, moyens de transport et fournitures en énergie
électrique etc.). Ainsi, depuis des années ces aides externes inscrites dans une rubrique
dénommée « renforcement institutionnel » quoique utiles ne font que renforcer la dépendance et
surtout la pauvreté des collectivités territoriales incapables de décider par et pour elles-mêmes. Il
n’y a donc pas de participation locale dans ces initiatives. Le territoire et la population ne font
que subir ou recevoir des activités pour lesquelles il y a aucune appropriation dans le sens
d’Emmanuel Matteudi (2012) à savoir un renforcement de la "capabilité" des agents
économiques sur leur territoire208. La question se pose faut-il aider l’autre jusqu’à tuer chez lui
la capacité d’organiser, de créer ou tout bonnement de lutter ?

Une gouvernance locale pauvre en statistiques. La constitution haïtienne en vigueur depuis


1987, a donné aux collectivités locales un rôle moteur dans le développement économique et
social de leurs territoires. Le constat est flagrant, malgré les politiques mises en œuvre ces
dernières années, les disparités entre la région Métropolitaine de Port-au-Prince et le reste du
pays restent très marquées, comme l’attestent plusieurs indicateurs clés tels que, entre autres,
l’emploi, l’éducation, les résultats scolaires ou encore la qualité et l’accès aux infrastructures et
aux services. Le Plan Stratégique de Développement d‘Haïti envisage de mieux identifier les
opportunités et les besoins des différents territoires et de concevoir des politiques de
développement régional permettant une croissance nationale inclusive. Néanmoins la conception
et la mise en œuvre de politiques de développement local demeurent compliquées car les données
pour identifier les priorités locales, suivre les résultats des politiques ne sont pas disponibles. La
décentralisation transfère aux collectivités locales de nouvelles responsabilités, et donc de
nouvelles charges. En effet pour mettre en œuvre ces nouvelles compétences elles doivent
207
L’aide apportée par ces acteurs extérieurs est donnée sous plusieurs aspects (financier, matériel et de
formation). Elle peut être très utile dans un contexte de dénuement des collectivités territoriales abandonnées à
leur sort par le système économique et politique. Néanmoins, très souvent elle n’aboutit pas aux effets
escomptés : enracinement de l’assistanat local et effet de résignation dans la lutte sociale et politique. Dans
beaucoup de projets, si les intentions sont louables, les méthodologies sont souvent en inadéquation avec les
réalités locales. Il est à déplorer aussi les logiques d’infrastructures et d’équipement, combinées à une
juxtaposition de projets sectoriels qui priment sur de vrais projets de territoire capables de générer l’autonomie
nécessaire à la création véritable de richesse.
208
Dans son ouvrage "Les enjeux du développement local en Afrique" Emmanuel MATTEUDI précise que "la
capabilité se distingue de la capacité, de par la différence qu’elle fait entre droits ou libertés formels et droits ou
libertés réels."

429
disposer des informations solides sur les flux financiers en termes de dépenses et de recettes et de
dette mais aussi de disposer des outils permettant d’asseoir de manière solide et régulièrement
mises à jour, les ressources financières locales, par exemple les indicateurs de démographie, de
richesse, de cadastre ou encore de dynamisme économique. Or les collectivités territoriales du
pays n’entretiennent aucune base de données. Presque la totalité des 144 mairies ne dispose pas
mêmes de registres communaux. Il n’y a donc aucune donnée statistique qui soutient les
politiques de développement local. Autrement dit ces pouvoirs locaux sont incapables de
répondre aux attentes des citoyens. Les statistiques sociales209 locales ne sont pas établies et
n’orientent pas les décisions.

Les collectivités territoriales accueillent des investissements ou des actions en matière de


développement et de promotion sociale. Ces activités sont rarement multisectorielles et ne
tiennent pas compte des incidences de toute une gamme de politiques. Sur le secteur ciblé les
données ne sont pas recueillies sur toute une série de dimensions économiques et sociales afin de
formuler des politiques. Le milieu humain, l'alimentation, la santé, le développement physique et
mental, l'éducation et l'emploi sont des facteurs interdépendants. Le régime alimentaire, par
exemple, a une influence déterminante sur la santé, la croissance, l'éducation et la productivité.
L'utilité des statistiques sociales coordonnées devrait être notamment de relier entre elles les
données provenant de différents secteurs. Or dans l’urgence des opérations menées par des
acteurs étrangers au milieu de vie et de production les enquêtes effectuées dans un secteur donné
ne comportent pas de questions sur les intrants et les extrants d'autres secteurs, de façon à ce que
les renseignements recueillis puissent être reliés aux macro données normalement rassemblées
pour l'ensemble de ce secteur. Il est donc aisé de dire que ces approches sectorielles sont
insuffisantes isolément et qu'il faut, à partir d'un certain point, assurer la complémentarité et
l'interaction des diverses approches sectorielles pour obtenir des résultats tangibles dans les

209
Les statistiques sociales sont des statistiques relatives aux conditions de vie de l'homme. Il s'agit là d'un
domaine très vaste qui englobe nécessairement certains des éléments que l'on considère généralement comme lié
au domaine économique, tels que les statistiques sur la répartition du revenu, le logement et le coût des services
sociaux. Les principales composantes se déclinent comme suit : alimentation et nutrition, logement et
approvisionnement en eau, santé et soins médicaux, travail, enseignement et formation, protection sociale et les
principales caractéristiques démographiques. Les statistiques sociales ont servi non seulement à des fins de
comptabilité interne mais aussi à dresser un tableau des conditions sociales et à déterminer les domaines
critiques. C'est ainsi que la description de la situation en matière de santé peut avoir pour but de fournir quelques
séries indicatives utiles à la planification et à la politique sociales. Cela se fait habituellement dans le cadre d'un
plan national d'ensemble influant sur la répartition des ressources.

430
territoires locaux. Une opération intégrée, une enquête sur les ménages locaux, par exemple,
pourrait montrer comment les différents aspects des conditions sociales influent sur la vie des
habitants et dans quelle mesure les inégalités existant dans un domaine sont liées aux inégalités
qui existent dans d'autres.

Les collectivités territoriales ne sont pas en mesure de localiser ou de cartographier la


vulnérabilité physique des milieux de vie et de production. Les inondations meurtrières de
Mapou, de Fonds Verettes et des Gonaïves sont la confirmation des déficiences graves dont
souffrent les pouvoirs locaux (Etienne J O, 2018, Michelet, C. 2016). Elles n’arrivent pas à
ajouter les données géo spatiales aux autres données socio-économiques et démographiques afin
de faciliter la prise de décisions éclairées par les parties prenantes du développement local. On
connait la valeur d’une couche de liaison de données sur l’utilisation des sols comme intrant
primordial dans le cas de la représentation graphique des variables socioéconomiques210. Par
ailleurs, d’autres indices économiques comme le revenu par habitant, le taux de chômage, le
pourcentage de résidents qui possèdent une propriété personnelle et une assurance commerciale,
constituent des indicateurs importants de l’habileté de récupération d’une population après une
catastrophe. Or la récurrence élevée des cyclones et des inondations dans le pays commande aux
pouvoirs locaux d’être à même d’assurer avec cohérence et efficacité la prévention, l’urgence et
le relèvement.

c- Une lutte contre la pauvreté inconnue des collectivités locales.

En Haïti les collectivités territoriales n’ont jamais été associées à l’élaboration des cadres
stratégiques de Lutte contre la pauvreté (DSNCRP, PAS). Et le PSDH se conforme à cette
tradition, il leur octroie aucune responsabilité. Le PTI (2017-2021) qui met en œuvre le PSDH
malgré ses objectifs de permettre au pays d’aller vers une croissance forte et l’élimination
drastique de la pauvreté n’accorde point une vraie place aux collectivités. Ces dernières sont en
dehors de la grande préoccupation nationale qu’est la pauvreté. Elles ne réalisent pas le ciblage
des populations pauvres et la mise en œuvre à leur profit des mesures et actions de réduction de
la pauvreté décidées au niveau local comme niveau au national. Elles ne rendent pas compte de
la mise en œuvre de la stratégie de réduction de la pauvreté dans leurs localités. Elles ne
210
Une étude de l’INGC sur les Infrastructures des données spatiales indique que « Les zones à risques peuvent
être sous-divisées suivant les activités économiques, comme l’agriculture, la foresterie, l’industrie minière, les
loisirs, le transport, ainsi que les secteurs industriel, commercial et résidentiel ».

431
proposent pas, à la lumière des PTI, les mesures d’accompagnement et les actions à leur niveau
permettant d’améliorer l’exécution de la stratégie nationale d’aller vers une création conséquente
de richesse dans une logique de développement durable et une réduction significative de la
pauvreté. De ce fait, elles ne représentent pas les populations et ne constituent pas une force de
proposition dans le processus de réactualisation, de mise en œuvre et de suivi de la stratégie.

Dans les domaines de l’agriculture, la pêche et l’élevage, activités principales des populations les
plus pauvres, les Collectivités territoriales ne reçoivent aucun transfert de compétences depuis
1987. Par ailleurs, les financements accordés aux pouvoirs locaux dans le cadre de la prétendue
dotation territoriale liée à la décentralisation, sont principalement orientés vers la réalisation des
projets sociaux ayant une faible incidence sur le rendement économique donc incapable de créer
des emplois qui sont le rempart contre la pauvreté. Les territoires ruraux se vident et se
dépeuplent au profit d’espaces urbains marginalisés. Cette situation s’explique du fait que la
décentralisation en tant que processus s’élabore et se construit par le haut et à Port-au-Prince. Il
n’existe pas de cadres de concertation formels entre l’État haïtien et les pouvoirs locaux pour
définir et déterminer les stratégies opérationnelles à mettre en œuvre en tenant compte des
disparités entre les départements et les communes voire les sections communales. L’État
demeure à la fois le chef d’orchestre et musicien211. Les collectivités ne sont que l’auditoire
passif.

En 2017, trente ans après l’adoption de la constitution les collectivités territoriales peinent à
élaborer des stratégies de développement pertinentes. Elles se révèlent être des documents creux
sans lien avec les potentialités et les capacités du milieu de vie et de production. Les orientations
dans lesquelles elles se déploient, à travers les Plans Communaux de Développement (PCD),
sont définies et construites par l’État ou par des organismes de financement étrangers.
Evidemment, il faut bien souligner que pendant longtemps l’État a conçu les collectivités
territoriales non comme des pouvoirs politiques locaux, mais principalement comme des
administrations destinées à servir les intérêts nationaux à l’échelle locale. Il s’ensuit que ces

211
L’État en fait définit une politique globale, mais les collectivités territoriales doivent être partie prenante de
l’exercice au niveau des milieux de vie et de production. L’OECD le souligne aussi en ces termes : « si les grandes
orientations politiques doivent certes être définies à l’échelon central, de nombreuses politiques qui influent sur le
climat de l’investissement (coûts d’activité, infrastructure, etc.) et politiques sociales (santé, éducation, protection
et cohésion sociales, etc.) seraient vraisemblablement plus pertinentes et plus favorables aux pauvres si leur
élaboration était décentralisée »

432
entités sont tenues de l’application stricte des décisions de l’État à l’échelle locale. Dans cette
dynamique la gestion à l’échelle locale n’est pas porteuse d’opportunités pour améliorer les
résultats de la lutte contre la pauvreté. Car les acteurs locaux (élus et autres) n’ont pas à leur
disposition des profils adéquats et le savoir-faire nécessaire pour gérer rationnellement et
efficacement, dans le respect des normes, leurs responsabilités et leurs attributions.

La massification et l’accélération du phénomène de la pauvreté malgré l’engagement du pays à


mettre en œuvre une série de programmes formels de lutte contre la pauvreté (DSNCRP, PAS,
PAARP et PSDH), poussent à identifier les problèmes dans l’optique de concevoir et de mettre
en œuvre des stratégies capables de mieux les adresser. A l’analyse, il est aisé de dire que les
stratégies élaborées ne constituent pas en soi un problème. Le hic réside dans leur mise en œuvre.
Si elles sont si peu opérationnelles, c’est d’une part que les principaux bénéficiaires que sont les
pauvres participent très peu à leur élaboration et à leur mise en œuvre et d’autre part, que les
acteurs locaux disposent de marges de manœuvre assez limitée pour initier des stratégies de
développement adaptées aux réalités économiques du territoire. Fort de tout cela, si les pouvoirs
locaux veulent parvenir à une réduction significative de la pauvreté, il conviendrait d’œuvrer à
une insertion efficace et efficiente des pauvres en amont des processus de croissance et de
renforcer l’autonomie administrative et financière des collectivités territoriales pour espérer de
meilleures performances dans la mise en œuvre des stratégies locales pro-pauvres.

Conclusion

Les collectivités territoriales n’arrivent pas à jouer leur rôle dans les orientations des politiques
publiques en raison de leurs faiblesses structurelles. Le poids énorme du centralisme laisse peu
de marge aux élus locaux. Ces derniers préfèrent le confort de l’assistanat aux rudes batailles
pour l’octroi de compétences accrues ou de meilleures dotations financières. Mais les possibilités
sont grandes pour les pouvoirs locaux en termes de ressources financières et autres par
l’intermédiaire de la fiscalité et des taxes. Leur absence dans la lutte contre la pauvreté pénalise
le processus. Elles ne servent pas de courroie de transmission entre le citoyen et les politiques
publiques décidées à Port-au-Prince. L’échelle locale dans les politiques publiques n’arrive pas
encore à s’imposer. Elle est trop assistée pour revendiquer sa place et son rôle véritable. D’autres
acteurs sont en train de s’installer durablement en raison de leur poids financier et politique.

433
Sont-ils une menace pour l’avenir des Collectivités ? Seraient-ils des alliés face à la toute-
puissance du centralisme et de la primauté de la région métropolitaine de Port-au-Prince.

3- Une échelle internationale agissante

Les acteurs locaux et l’État central se disputent les compétences en matière de gestion du
territoire. Ils s’affrontent dans le cadre de la décentralisation et les dotations financières qui
l’accompagnent. Néanmoins ces deux acteurs depuis quelques années s’accordent, en s’effaçant,
pour mieux capter les ressources externes offertes par les Organisations Non Gouvernementales
(ONG), humanitaires ou tout simplement par les agences internationales œuvrant dans le
développement ou le financement. Il y a donc un besoin de simplification pour nommer ces
acteurs. Qu’ils soient ONG, organisations Internationales et États étrangers, nous les désignons
par « acteurs étrangers » Conscientes de cet atout ces entités s’engouffrent dans la brèche pour
s’imposer comme de véritable acteur. Elles s’affairent dans la formation, le financement,
l’expertise technique à tous les niveaux. Cette présence, fait des heureux, mais elle est critiquée
par de nombreux observateurs. Déjà en 1996 le politologue Sauveur Pierre-Etienne, dans un
ouvrage au titre évocateur , Haïti: Invasion des ONG, affirme que: « les ONG , en distribuant de
la nourriture, des médicaments, des livres, des outils, etc., contribuent à la survie des secteurs
défavorisés de la population, mais en même temps, en agissant de la sorte, elles posent des actes
anti-développement car le développement ne se fait pas au coup par coup, en improvisant ».
Elles ne sont pas pour autant une force unifiée avec une même visée et une même stratégie212 . Il
faut bien avouer qu’elles disposent d’un atout majeur car une bonne partie de l’aide au
développement passe par leurs structures administratives. Depuis la fin des années 90 certains
bailleurs de fonds ne versent plus leur aide directement au gouvernement haïtien, ils la font
transiter par les ONG qui disposeraient, dit-on, d’un meilleur management.

212
Les "cultures" et les pratiques au sein du mouvement humanitaire sont différentes selon les organisations. Elles
ont ainsi historiquement des positionnements vis-à-vis de leurs gouvernements qui sont schématiquement sur
trois registres : la collaboration (modèle dit "scandinave"), la mise en tension (modèle dit "méditerranéen") ou la
complémentarité sur un mode privé (libéral) avec les pouvoirs publics de leurs pays d'origine (c'est le modèle dit
"anglo saxon")

434
L’État haïtien se retrouve donc décrédibilisé comme interlocuteur et exerce ainsi très peu de
contrôle sur ces entités213. Ces structures non gouvernementales par lesquelles passe l’essentiel
de l’aide publique au développement consacrent entre 48 et 54 % de leur budget au
développement communautaire. Il s’agit d’une véritable manne pour les acteurs locaux. Les
avantages qu’on concède aux ONG sont considérables. Elles les reçoivent sous forme
d'exonération de taxes ou de franchise douanière sur les matériels et équipements strictement
nécessaires à la réalisation des travaux et sur les effets personnels des étrangers travaillant dans
l'organisation214. Elles disposent d’une marge de liberté et de manœuvre phénoménale les
poussant à être présentes partout : dans les unités territoriales les plus fines comme les sections
communales et les quartiers, dans les ministères et les organismes publics autonomes, et dans les
hautes sphères du pouvoir telles la Primature et la Présidence. Cette présence agissante est
remarquée dans toute la production administrative, technique et politique donnant lieu aux
politiques publiques. Elle se décline comme suit :

a- Des acteurs étrangers sont déterminants dans les équipements collectifs ruraux et
urbains

On entend par équipements collectifs l’ensemble des infrastructures qui assure les services
publics. Dans le cas précis d’Haïti il s’agit fondamentalement des établissements scolaires, des
hôpitaux ou centres de santé, des systèmes d’adduction d’eau potable, des systèmes
d’assainissement, de construction de marchés publics, de parcs de logements sociaux et de
construction de mobiliers urbains (et ruraux). De 2012 à 2017 la présence des acteurs étrangers
sous couvert d’aide au développement ou humanitaire comme partie prenante décisive a été
massive. Sur un total de 172 équipements recensés pour la période par le CERHCA seulement 9
n’ont pas été financés par les ressources externes via les ONG ou les agences de financement
internationales. Le tableau suivant dresse la silhouette de cette présence dans le cadre de vie des

213
Les obligations auxquelles les ONG doivent souscrire sont clairement définies dans le décret du 14 septembre
1989. Cependant, elles sont rarement respectées. L'une d'entre-elles consiste en la transmission du rapport annuel
au MPCE. En moyenne, 30% des ONG œuvrant sur le terrain acheminent leur rapport d'activités et leur
programmation annuelle au MPCE. Les ONG accusent l'État de ne s'intéresser qu'à leur budget. Elles estiment que
les autorités de l'État généralement ne font pas de commentaires sur les informations transmises et ne proposent
aucune orientation précise dans le cadre de leurs actions.
214
Il est important de souligner que les ONG ne sont pas un monde homogène. Il y a une grande différence entre
celles qui profitent de l’aide et celles qui sont honnêtes parce que approvisionnées par des adhérents de base et
animées par l’esprit humanitaire (altruisme).

435
communautés rurales et urbaines. La décision de financer a déterminé l’existence de ces
équipements et surtout leur localisation. De ce fait, les acteurs étrangers (l’international) jouent
pleinement dans l’aménagement du territoire. Le tableau suivant montre cette implication
massive dans la fourniture d’équipements collectifs aux populations.

Tableau 36.- Implications des ONG dans la fourniture d’équipements collectifs (2011-2016)
Financement
Équipement Cumul Département / Lieux Financeur
public intégral
USAID, Esp,
Écoles 37 Nord, Art, Sud-Est Wallonie, 0
B Mondiale
Fonds
Hôpitaux 3 Centre, Ouest, Art 0
Clinton/Bush

Centres de santé 16 Sud, Nippes, Nord ’O Usaid, Coop Can, 0


Adduction d’eau 28 Art, Sud-Est, Sud, Nippes Espagne/ Care 0
Oxfam/ Fonds
Marchés publics 11 Sud, Grande-Anse, Ouest 6
publics
Ouest, Art, Grande-Anse, Nord,
Sys /d’Assainissement 42 Care, 0
Centre
Petro Caribe,
Logements sociaux 7 Sud, Nord, Ouest 0
Fonds C/B

Pavage/mobiliers Nippes, Grande-Anse, sud- Fonds publics,


28 3
urbains est, Art, Nord Usaid,

Sources : CERHCA, janvier 2018

b- Des acteurs étrangers assurant aussi le management technique du corpus de


l’aménagement du territoire

L’aménagement du territoire national, dans les faits, est assuré et mis en œuvre par six grands
acteurs. Ils sont le Ministère des Travaux Publics du Transport et des Communications
(MTPTC), Le Ministère de l’Agriculture des Ressources Naturelles et du Développement Rural
(MARNDR), le Ministère de l’Environnement (ME), le Ministère de la Planification et de la
Coopération Externe (MPCE). A ceux-là il faut ajouter la Comité interministériel de
l’Aménagement du Territoire (CIAT) et le Centre National de l’Information Géographique et
Spatiale (CNIGS). Ces entités publiques réalisent des études, organisent des collectes de

436
données, élaborent des cartes, rédigent des plans directeurs, font l’acquisition de matériels
spécialisés, mettent en œuvre des programmes et réalisent des séances de formation en faveur de
leurs cadres ou des collectivités territoriales avec l’aide, le financement et l’accompagnement
technique des acteurs étrangers. Les derniers travaux des organismes publics en question
témoignent de leur forte dépendance vis-à-vis de l’international qui devient donc un acteur
agissant et déterminant. Il est bon de noter quelques projets majeurs liés à cette vision :

- Le projet de la réforme du foncier

On note, dans ce projet, la présence de deux partenaires étrangers la Banque Interaméricaine de


Développement (BID) et l’ambassade de France en Haïti. Ils conseillent et financent l’État
haïtien dans la mise en œuvre de cette réforme. Au lendemain du tremblement de terre du 12
janvier 2010, la France, avait montré un grand intérêt à aider Haïti à reformer son système
cadastral. Plusieurs spécialistes français ont formé leurs homologues haïtiens dans la préparation
de la réforme cadastrale. « Cette volonté de l’État haïtien de réformer le foncier, de réaliser un
cadastre a semblé à la France fondamentale, car elle marquait le désir des autorités haïtiennes de
créer une relation nouvelle entre le particulier, la terre et l’État haïtien», a déclaré Patrick
Nicoloso, l’ambassadeur de France en Haïti à l’ouverture de l’atelier.

- Le forum urbain national : construire la ville

Le partenaire principal est l’UE Le forum a été une occasion privilégiée pour « recueillir les
idées, critiques, propositions, exemples et recommandations de chacun, afin, collectivement, de
construire la ville », explique le secrétariat technique du CIAT. La secrétaire exécutive de cette
structure publique rattachée à la Primature, Michèle Oriol215, a mis en relief les grands
changements survenus dans le pays au cours des dernières décennies et « la nécessité d’agencer
notre espace vital et nos priorités ». Et elle rappelle que « Le pays a changé... il y a trente ans on
pouvait dire qu’on est un pays essentiellement agricole. Aujourd’hui on ne peut pas le dire. On a
passé le cap des 50% de la population urbaine. Environ 64% de la population haïtienne vivent

215
Au cours de la même cérémonie cette sociologue rappelle aussi que « Ces mutations subies par la société
doivent être observées, questionnées et analysées, en vue d’y trouver les solutions appropriées. C’est cette
mission que se propose le CIAT » en invitant au débat et à la réflexion les acteurs concernés. Car, dit-elle, « depuis
le XIXe siècle, certaines questions relatives au développement démographique de la ville de Port-au-Prince ont été
agitées par plusieurs observateurs. Les gens qui décident de venir habiter la ville reçoivent quel encadrement de
l’État, quelles sont les infrastructures mises à leur disposition afin que l’espace ne s’explose ? Aujourd’hui plus que
jamais, ces questions doivent être posées et des solutions doivent y être envisagées.

437
dans des espaces considérés comme étant urbains. Les gens des villes vivent dans des espaces
privés et dépourvus d'infrastructures adéquates. Ces problèmes très souvent posés par les
citoyens doivent être pris en compte par les institutions publiques ». Le partenaire principal est
l’UE par son financement et le coaching technique qu’elle a assuré.

- Projet de sécurisation foncière : cadastre communal

Dans ce dossier sont impliqués la BID et la Suisse. On comprend aisément l’intérêt manifesté par
ces deux partenaires car la sécurisation foncière permet de s’installer sur le marché du crédit
dans ce domaine. Gilles Damais, représentant de la BID a estimé qu’un pas est fait dans la
bonne direction. Il reste beaucoup d’autres à faire pour cadastrer les 145 communes d’Haïti. Il
renchérit « Nous avons commencé, nous n’avons pas encore terminé. Dèyè mòn gen mòn216 ». Il
promet la poursuite de l’accompagnement de la BID. Pour sa part Jean-Luc Virchaux,
ambassadeur de la Suisse, avec sa casquette de président de la concertation technique des
partenaires au développement et financier, a souligné l’importance du cadastre dans le
développement de l’agriculture, dans le développement économique du pays. « Par ma présence,
je veux marquer mon soutien par rapport à un travail déterminant, un enjeu central pour le
développement du pays », a dit le diplomate, engagé à faire auprès des partenaires étrangers un
plaidoyer sur l’utilité du cadastre pour Haïti. Il poursuit en ces termes « Il y a des gens qui
travaillent dans la micro finance qui sont extrêmement intéressés par ce plan foncier. C’est là que
nous pouvons travailler sur les risques, sur l’assurance agricole et toute une série d’outils liés au
plan foncier de base ». Ces représentants étrangers ont tout dit.

- Les Aires Marines Protégées du Grand Sud via l’ANAP

L’Agence Nationale des Aires Protégées (ANAP) a procédé à la création des Aires Marines
Protégées du Grand Sud. Elle veut ainsi élaborer les plans d'aménagement des aires protégées
des catégories relevant de sa juridiction et suivre leur implantation, étudier les espèces animales
et végétales des catégories d’aires protégées relevant de sa juridiction et réaliser des inventaires
de flore et de faune, réserver les aires protégées sous son administration ainsi que celles sous
cogestion, élaborer des règlements d'accès aux aires protégées sous sa juridiction et aux
ressources biogénétiques et en autoriser l’accès et surtout intégrer, de manière responsable, les

216
Cette expression de la langue haïtienne équivaut à « les difficultés appellent toujours d’autres difficultés »

438
populations et les collectivités territoriales dans la gestion des aires protégées sous sa juridiction.
La démarche et l’opération sont financées par le PNUD, le PNUE, la Norvège, la BID et les
Coopérations Canadienne et Suisse.

- Pêche artisanale et projet de village des pécheurs

Le projet vise à améliorer la productivité et augmenter les revenus des pêcheurs dans les
départements de la Grand 'Anse, du Sud et du Sud-Est à travers de meilleurs services publics
destinés au secteur. En 2015 la BID approuve 15 millions de dollars US pour soutenir la pêche
artisanale en Haïti. Cette somme complète d'autres sources de financement pour le projet, y
compris un don de 2,7 millions de dollars de l'Agence espagnole de coopération internationale
(AECID) et une maigre contribution de l’État haïtien (1,5 millions de dollars US).

- Enquête nationale d’Estimation de la Production Agricole

Cette enquête effectuée à partir d’un échantillon extrait de la base des données du Recensement
Général de l’Agriculture, permettra au Ministère de collecter des données fiables et pertinentes
sur la production des principales cultures et l’élevage des principales espèces exploitées en Haïti.
Le support financier vient du Programme Participating Agency Service Agreement (PASA) de
l’Agence Internationale de Développement des États-Unis d’Amérique (USAID).

- Recensement général de l’Agriculture

Le Ministère de l’Agriculture, des Ressources Naturelles et du Développement Rural


(MARNDR) met en œuvre le recensement agricole. Le but du projet est le renforcement du
système de statistiques agricoles et l’amélioration des données agricoles et alimentaires pour
répondre aux besoins en données pour la conception et le pilotage de la politique de
développement agricole et rural, tant au niveau national que local. L’exercice a été réalisé avec
une contribution de l’Union Européenne et avec l’encadrement technique de l’Organisation des
Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO).

Nous venons de le voir, l’acteur étranger, à travers les ONG, les Organisations internationales et
les États étrangers, a grandement investi les rouages de l’aménagement du pays. Il le fait dans un
cadre d’un État assisté et se reposant sur l’aide étrangère. Des États comme la France sont
impliqués dans la réforme foncière. La Suisse le fait dans le cadre de la sécurisation frontière.

439
Les organisations internationales telles la BID, l’AECID et l’USAID sont impliquées dans
l’aménagement du territoire. Ces organisations financent la construction d’équipements
collectifs, la réhabilitation des bassins versants, l’établissement des zones protégées et même la
production de données. L’État haïtien se fragilise davantage et perd peu à peu son rôle de chef
d’orchestre en matière d’aménagement du territoire.

c- Des acteurs étrangers sont parties prenantes majeures du suivi des objectifs
nationaux

Dans la période comprise entre 2000 et 2017 les pouvoirs publics haïtiens se sont donné des
objectifs à atteindre. Cette dynamique s’est réalisée à travers un ensemble de référents nationaux
et internationaux. En 2010 il fallait établir un rapport de suivi du DSNCRP mis en application
depuis 2008. Ce rapport mettait en lumière les changements constatés, d’abord dans les
conditions de vie axées sur la réduction de la pauvreté et ensuite dans la situation
macroéconomique au regard de la création de richesse. Il a été élaboré par l’Observatoire
National de la Pauvreté et de l’Exclusion Sociale (ONPES) avec un financement du PATH,
organe financier de la Coopération Canadienne en Haïti. Le PATH a financé aussi l’ « Enquête
sur les Nouvelles Manifestations de la Pauvreté » après le séisme. Il fallait mettre en lumière les
nouveaux contours de la pauvreté dans le pays au lendemain de la catastrophe naturelle du 12
janvier 2010.

En 2014, un an avant l’échéance des OMD, le pays devait faire le point sur ses engagements
dans les huit indicateurs adoptés. Il fallait au moins établir les avancées en matière de réduction
de la pauvreté et de la faim. La démarche concernait aussi l’accès facilité aux services sociaux de
base aux populations les plus vulnérables. Le rapport a été rédigé en coresponsabilité entre le
Programme des Nations-Unies pour le Développement (PNUD) et l’ONPES pour le compte du
Ministère de la Planification et de la Coopération Externe (MPCE). Dans cette même veine un
cahier de suivi des indicateurs du PSDH a été élaboré avec le financement de l’Union
Européenne.

Le suivi des plans stratégiques nationaux ou des référents internationaux engageant le pays
s’avère toujours compliqué faute de données régulières et fiables. Les rapports nationaux et
sectoriels souffrent énormément de cette déficience. De ce fait, il devient très difficile et même
hasardeux de les prendre comme des référents fiables pour orienter les décisions. Certaines fois

440
les données sont aux normes certes mais il est impossible de constater le changement escompté
car la ligne de base est inconnue parce que non établie. Il fallait trouver une solution et cette
dernière est portée par le projet intitulé « Programme de Statistique Minimum (PSM) ». Ce projet
va associer l’ONPES, l’Institut Haïtien de la Statistique et de l’Informatique (IHSI) et trois
ministères majeurs : Ministère de l’Education Nationale et de la Formation Professionnelle
(MENFP), Ministère de la Santé Publique et de la Population (MSPP) et le Ministère de la
Justice et de la Sécurité Publique (MJSP). Ce projet initié en 2008, a été mis en œuvre en 2013
avec l’appui financier de l’Union Européenne pour un montant de trois millions d’euros.

Ces actions d’assistance qu’elles soient techniques ou financières traduisent la volonté des
bailleurs étrangers de s’impliquer au plus haut niveau dans l’exercice du suivi et d’évaluation des
engagements pris par le pays et des objectifs fixés par les pouvoirs publics.

d- Les acteurs étrangers organisent la demande sociale

Les scores nationaux en matière de développement humain, de la création de richesse et du bien


collectif mettent en évidence les déficiences de la gestion des pouvoirs publics haïtiens depuis
près d’une quarantaine d’années. Le constat est sévère car il met en évidence un décalage, sinon
un fossé, entre les priorités des institutions publiques et les besoins exprimés par la population
surtout celle la plus pauvre qui voit se dégrader ses conditions de vie à un rythme accéléré. Après
que le fossé en question ait été maintes fois décrié, acté, s'est posée la question de la construction
des passerelles entre les deux acteurs : l’État haïtien et la population, comment faire
communiquer les institutions publiques et les groupes de la société ? Comment faire en sorte que
cette communication ne soit pas à sens unique ? A quelles conditions la communication peut-elle
devenir interaction ? Ces questions pertinentes tiennent lieu de préoccupations vives pour les
ONG présentes en Haïti. Elles les expriment dans l’exercice de leurs missions à travers la mise
en place d’une société civile locale et nationale.

Les acteurs étrangers par le truchement des ONG travaillent à faire la promotion d’une
reconnaissance explicite du rôle de la société dans la conception, la réalisation et le suivi des
programmes et des investissements réalisés dans le cadre du développement économique et
social. La demande sociale prend corps dans la demande de participation aux choses publiques
nationales et locales, un besoin d'expression de la société civile, du pilotage par l'amont au
pilotage par l'aval et surtout un besoin de transparence. Cette demande est handicapée dans le

441
pays par les conditions de vie exécrables dans lesquelles vit la population. Cette dernière est
d’abord préoccupée à gagner le primum vivere. Exiger une quelconque participation active dans
les rouages des affaires publiques n’est pas sa préoccupation première. Les ONG vont se servir
de cet état de fait pour chercher à créer cette masse critique susceptible de changer la donne afin
que les investissements soient plus rentables socialement. L’aide internationale finance les
outils suivants :

- Des groupements et Associations communautaires sont encouragés

La réponse à un problème collectif devra être collective elle aussi. Ce qui suppose que toutes les
personnes concernées par ce problème doivent agir ensemble, à toutes les étapes du processus.
La population d’abord en tant que première concernée par ce problème mais aussi les autres
partenaires de tous ordres (associatifs, institutionnels, politiques, économiques…). Ces derniers
vont penser et agir ensemble. La population ne doit pas être considérée comme consommatrice
de services mis à sa disposition, mais comme un ensemble de citoyens, d’acteurs, de producteurs
de leurs propres réponses collectives. On ne fait donc pas pour la population mais avec elle.
C’est pourtant ce qui manque dans les communautés qu’elles soient locales ou autres. Le citoyen
s’accroche davantage aux démarches personnelles en oubliant les bienfaits du collectif. Les
citoyens attendent la solution qui vient du dehors. La population s’installe dans une posture de
bénéficiaire éternel sans chercher à être l’artisan de son propre avenir. Contrairement à ce qui a
été observé dans un grand nombre de pays africains (Patrick Gonin, Nathalie Kotlok 2009), il
n’existe pas, en quantité des associations de développement des migrants dans le pays. Ce type
d’associations, quand elles existent, s’occupe fondamentalement des œuvres humanitaires
d’urgence. Mettre les citoyens en associations, les regrouper parait être la bonne voie et c’est ce
qu’encouragent les acteurs étrangers en finançant les associations paysannes, les groupements
de femmes et toutes autres initiatives susceptibles de mettre ensemble les citoyens les plus
démunis. Afin qu’ils puissent faire entendre leurs voix et peser sur l’échiquier local et national.
Sur les 38 associations de l’arrondissement des Coteaux dans le sud du pays 33 ont reçu des
aides des ONG en 2016-2017.

442
Tableau 37.- Groupements communautaires aidés par l’aide externe dans un arrondissement du sud
Communes Nbre de GAC GAC aidé ONG /Agence Nature de l’aide GAC non aidé
Cash for work
Echo, Concern, But
Coteaux 9 9 Formation 0
Equipement
Equipement
Roche-à-Bateau 13 10 Formation 3
Bureautique
Cash for work
Port-à-Piment 16 14 2
Formation

Sources : Fondation Sacré-Cœur, juin 2017 NB. GAC (Groupement et Association Communautaire)

Effectivement la démarche va se révéler payante car on constate depuis les dernières décennies
une floraison d’associations. Néanmoins leur émiettement et leur gouvernance entravent leur
portée. Elles ne forment point une masse critique capable de porter la demande sociale auprès
des institutions publiques et autres parties prenantes du développement national, trop habitués à
la prise de décision unilatérale. Elles deviennent très rapidement de petits groupes de pression
vulnérables que des politiciens et des groupes d’intérêts manipulent à leur guise. La demande
sociale cède la place à l’attentisme et la résignation. On n’exige pas sa reconnaissance comme
acteur à part entière mais juste un bénéficiaire potentiel de l’aide promise par la communauté
internationale via les ONG.

- Des tables de concertation locales assistées et aidées

La demande sociale passe aussi par la société civile dans sa globalité. Les partenaires étrangers
en général et les ONG en particulier investissent considérablement dans cet acteur émergeant
qu’est la société civile. Cette dernière réclame une participation et une implication dans la chose
publique nationale et locale qui lui revient de droit217 depuis 1987. Le diagnostic de la

217
La Constitution de 1987 fait de la participation citoyenne et communautaire un élément central et essentiel de
la bonne gouvernance. Les prescrits constitutionnels sont complétées par des lois spécifiques visant différentes
catégories de la société civile, tel que: (i) la loi du 23 Juillet 1934 sur les Fondations, modifiée par celle du 19
Septembre 1953 ; (ii) la loi du 12 Septembre 1961 sur le code du travail , modifié par le Décret du 14 Février 1984
réglementant le fonctionnement des syndicat ; (iii) le Décret du 2 Avril 1981 réglementant l'organisation des
coopératives et les différentes formes d'associations ayant la société coopérative pour base; (iv) le Décret du 14
Septembre 1989 modifiant le Décret du 13 Décembre 1982 réglementant l'implantation et le fonctionnement des

443
Commission européenne dans le cadre du 11eme FED est révélateur de la vision de la
communauté internationale vis-à-vis de la demande sociale et le besoins de concertation entre les
acteurs nationaux. Les termes sont clairs : « En Haïti, la relation entre l’État et les organisations
de la société civile (OSC) est peu structurée. Le dialogue entre les deux parties est
traditionnellement très limité. L’étroitesse de l’espace laissé aux OSC- ajoutée au manque de
capacités de celles-ci - entrave l'établissement des relations constructives entre l’État et la
société civile. Le Programme de Renforcement des Organisations de la Société Civile en Haïti
(PROSCH) vise à promouvoir l’enracinement de la démocratie en Haïti à travers une
participation croissante, égalitaire et effective de la société civile dans le processus de la vie
politique, économique et sociale du pays. Plus particulièrement, il contribuera à améliorer: (i)
l'environnement propice à la société civile haïtienne (entre autres, le cadre légal portant le statut
et le fonctionnement des OSC), (ii) les mécanismes de dialogue entre les OSC et les structures
centralisées, déconcentrées et décentralisées de l’État, (iii) le dialogue entre OSC, Union
européenne (UE) et États Membres (EM), et (iv) les capacités organisationnelle et
institutionnelle des OSC et leur mise en réseaux ».

L’opération est conçue sur une durée de 48 mois de mise en œuvre et est dotée d'un budget de 5
millions d'euros, le programme sera exécuté à travers deux subventions en gestion directe
confiées à la société civile et un devis-programme en gestion indirecte en appui au Ministère de
la Planification et de la Coopération Externe (MPCE). Le dispositif sera complété par une
Assistance Technique (AT) en gestion directe qui assurera non seulement l'appui technique au
MPCE pour l'amélioration du cadre légal et réglementaire, mais aussi l'appui au comité de
pilotage et à la coordination globale du programme. Le PROSCH est mis en œuvre au niveau
national et au niveau local dans trois départements (Nord, Nord-Est, Centre). Ces derniers
avaient déjà bénéficié d’un programme d'appui à la société civile du 10ème FED.

Et les cibles de ce programme sont aussi des clés pour comprendre l’implication de
l’international dans l’aménagement des politiques publiques dans le pays.

Organisations Non Gouvernementales (ONG) d'Aide au Développement ; (v) la loi du 10 Juin 1985 et le Décret du
30 Juillet 1986 réglementant le fonctionnement des partis politiques.

444
Pour la période 2017- 2021, Haïti doit compter au plus 3 remaniements
gouvernementaux.
Vers 2021, les élections sont régulières au niveau local, législatif et présidentiel.
Promulgation de la loi-cadre sur les associations et d’une loi sur les ONG (2021)
Consensus entre le gouvernement et les OSC sur le projet de loi d'accès aux
informations et données publiques à soumettre au parlement (2019) ;
Adoption par les autorités (MICT, MPCE, etc.) d'une stratégie d'élaboration de
''budgets citoyens sensibles au genre'' au niveau communal (2019).
Consolidation exhaustive (100%) des documents de procédures des OSC
standardisés dans un Guide officiel unique (2018);
Au moins une (1) rencontre mensuelle de travail commun entre les acteurs
étatiques sur la Société civile (à partir de 2017);
Au moins 300 visiteurs individuels par mois du site web de la société civile
détenant une base de données publique fonctionnelle, actualisée et riche sur la
société civile;
Au moins 3 forum par chaque département couvert par les activités du
programme, et 1 forum national pour diffuser et débattre les propositions de loi-
cadre inventoriées et consolidées (2018);
Au moins une (1) rencontre mensuelle pour la proposition par la société civile
d'un avant-projet de loi d'accès aux informations et données publiques (50% des
politiques publiques au centre du dialogue comprennent des objectifs liés à
l'égalité hommes/femmes
Au moins deux réseaux nationaux et une dizaine d'OSC par secteur ont participé
au dialogue
Au moins 3 mécanismes de concertation (sectorielle) sont techniquement
renforcés;
Au moins 25 réseaux d'OSC, et 2500 OSC au niveau communal sont
techniquement renforcés (2021);
Environs 60% des Communes des Départements du programme pays sont dotées
d’un mécanisme de participation et de concertation fonctionnel (2021);

445
Au moins une (1) rencontre trimestrielle pour la discussion participative du
budget communal (2018);
Au moins 30% des participants au cadre de concertation des OCS sont des
femmes (2018);
Environs 1000 OSC et 50 réseaux d’OCB sont renforcés en termes de leurs
capacités techniques (archivage, gestion de projet, comptabilité, etc.) (2021);
Environs 1000 OCB et 50 réseaux d’OCB sont renforcés en termes de leurs
capacités organisationnelles (2021);
Environs 50 (y compris organisations de femmes) sont techniquement appuyés
dans leur mise en place et/ou structuration au niveau communal (2021)

Du 31 mai au 2 juin 2017, à Montrouis, avec l’appui des Nations Unies 180 organisations
provenant des dix départements d´Haïti ont participé au premier Symposium National
d´Organisations Communautaires de Base. Olivier Hidalgo spécialiste en Gouvernance locale au
Programme des Nations Unies pour le Développement va déclarer «d’un côté, ce processus est
extrêmement intéressant pour les organisations, pour se connaitre, partager les bonnes
expériences, et les mauvaises aussi. Pour le PNUD c’est extrêmement important aussi de mieux
connaitre ces organisations communautaires de base pour pouvoir les accompagner, puisque ces
organisations ont un rôle crucial pour le développement et sont les acteurs les mieux connectés
avec la population. C’est indispensable que ces organisations puissent intervenir au niveau local
et national pour avancer leur propre développement avec un rapprochement avec les autorités
haïtiennes». La forte présence des structures onusiennes et humanitaires explique leur intérêt
pour cet exercice. La liste suivante (mise en tableau) rend compte cet engouement.

446
Figure 16.- Listing des organisations onusiennes et humanitaires présentes au symposium

Sources : SNU, juin 2017

Dans la même lignée plus d’une centaine de séances de Tables Communales de Concertation
(TCC) et de Tables Départementales de Concertation (TDC) ont été réalisées à travers le pays
pour l’année 2012-2013. Les Organisations non gouvernementales, les agences internationales de
développement et les acteurs humanitaires internationaux ont été les parties prenantes majeures
de ces exercices. Le financement, le management technique, et l’hébergement étaient toujours
assurés par l’international. Les TCC et les TDC aboutissent aussi à des ateliers de validation sur
un ensemble de propositions de politiques publiques (assainissement, sécurité alimentaire, petite
enfance, eau potable, identification, justice, sécurité, équité de genre etc.) Cette volonté d’aider
touche des domaines sensibles liés à la souveraineté nationale car elle concerne les politiques
publiques en matière de genre, de planification locale, de démocratie, de management associatif
et politique. La démarche vise, en dehors des autres considérations, à aller vers un autre exercice
du pouvoir, autrement dit « du pilotage par l'amont au pilotage par l'aval ». L’exercice butte
contre la tradition et le peu de confiance des acteurs locaux et nationaux, qui au détour d’une
réunion, critiquent la démarche sans pour autant la rejeter formellement car elle apporte un
semblant de vie communautaire et surtout un financement que les pouvoirs publics et territoriaux
n’arrivent pas encore à fournir.

447
Conclusion

La faiblesse du pouvoir central et des pouvoirs locaux favorise l’émergence d’un nouvel acteur
dans la gestion du territoire et les contours des politiques publiques. Il s’agit de l’acteur étranger,
c’est une combinaison d’organisations non gouvernementales, d’États, et d’organisations
internationales. Cet acteur s’installe grâce à son pouvoir d’argent et certaines fois à son expertise.
Les pouvoirs locaux sans moyens et les organismes publics qui ne disposent que d’un budget de
fonctionnement succombent facilement aux financements gracieux de telles ou telles
composantes de l’acteur étranger. Ce dernier participe à l’aménagement du territoire par
l’intermédiaire des équipements collectifs urbains et ruraux. L’acteur étranger intervient aussi
dans le corpus de l’aménagement à travers la réforme foncière, le cadastre, les zones protégées,
le développement urbain, la pêche ect. Cette présence se manifeste aussi dans le cadre du suivi
des engagements de l’État haïtien (OMD, DSNCRP, PSDH), l’acteur étranger est partie prenante
des rapports sur les OMD (PNUD) et du PSDH (UE). Cet acteur devient donc de plus en plus
une force présente et agissante dans des activités qui sont les prérogatives strictes de l’État ou
des Collectivités territoriales.

Conclusion du chapitre

La gestion des politiques publiques se fait à plusieurs échelons dans le pays. Le régionalisme qui
a marqué la vie nationale après l’indépendance s’est estompé en 1915 ouvrant la voie au
triomphe du centralisme orchestré par la macrocéphalie de Port-au-Prince. De ce fait, il existe
une prédominance de l’échelle centrale nationale au regard des politiques publiques, elle est
constatée à travers le budget. Ce dernier est reparti par secteur et non par niveau local et national
comme exigé par la constitution en vigueur. Et il est élaboré, mis en œuvre, évalué par des
organes centraux que sont le ministère de la planification, le ministère des finances, la Primature,
la Présidence, la Cours des comptes, le Parlement et le Conseil National des Marchés Publics.
Cette démarche réduit presque à néant le rôle des pouvoirs locaux. Les collectivités territoriales
n’ont pas de prise sur le développement local. Elles s’adaptent à la déconcentration des services
publics décidée par le pouvoir central. Ces pouvoirs locaux se révèlent peu ingénieux car ils
s’installent dans un attentisme et un assistanat désastreux alors qu’ils disposent de ressources
potentielles qui ne sont pas exploitées ou mises en valeur. Ces entités sont, in fine, des coquilles
vides ne disposant ni de données statistiques pour orienter leurs activités ni de ressources pour

448
les financer convenablement. C’est ce qui explique leur absence et leur non implication dans la
mise en œuvre des engagements pris par l’État haïtien tels les OMD passés, les ODD, le PSDH
et plus spécifiquement la lutte contre la pauvreté. Ce vide est comblé par la présence dans les
questions de planification et de mise en œuvre des politiques publiques d’un nouvel acteur
multiforme (ONG, certains États partenaires et des Organisations Internationales). Cet acteur
étranger se révèle très actif et utilise tous ses atouts (financiers et d’expertise) afin d’influencer
les contours des politiques publiques liées à l’aménagement social, économique et institutionnel.
Car il participe directement à la conception, à l’élaboration et au suivi des politiques publiques.
L’acteur étranger organise même la demande citoyenne à travers les associations et groupements
communautaires et les tables de concertation qu’il finance. Ces tables de concertation,
communales ou départementales, rassemblent toutes les parties prenantes du développement du
territoire ciblé afin d’établir, à travers les débats et discussions, le cahier de charge ou les
aspirations des citoyens. Ce télescopage entre l’acteur local, national et étranger ne résout pas les
problèmes (mauvaises conditions de vie, disparités spatiales graves etc.) car les objectifs
(inavoués) et les intérêts sont différents. L’élu local est en campagne électorale en permanence,
seule sa réélection compte. Le fonctionnaire central ne pense qu’à conserver ses privilèges et
l’acteur étranger est plus soucieux de l’image de sauveur qu’il veut afficher que l’impact positif
sur les conditions de vie de la population de l’action qu’il finance. Il existe donc une vraie
cacophonie entre les divers échelons gestionnaires des politiques publiques dans le pays. Cela
contribue à handicaper la marche vers le progrès dans l’amélioration des conditions de vie pour
la grande majorité des Haïtiens. Seule la synergie entre tous les acteurs pourrait faire la
différence. Est-elle de mise parmi les nombreux acteurs qui interviennent dans le champ social,
institutionnel et économique ?

449
Chapitre XII
Un champ d’acteurs sans synergie

L’acteur étranger, directement ou indirectement par le biais des ONG, des États et des
Organisations internationales, aide et encourage la société civile haïtienne à s’impliquer dans les
affaires de la communauté nationale et les communautés locales. Ces dernières participent, par
le truchement des tables de concertation et des ateliers de validation, à la formulation de
propositions de politiques publiques qui sont adressées aux pouvoirs publics. Cependant, dans les
faits, les conditions de vie de la population sont tributaires d’une organisation territoriale et des
investissements orchestrés par des acteurs trop peu enclins à l’exercice de complémentarité que
la situation commande. L’État haïtien joue la carte de la myopie pour mieux laisser faire. Les
entreprises aménagent comme bon leur semble en ignorant totalement l’éthique sociale et
spatiale. Et le citoyen se défait de toutes les normes établies. La synergie souhaitée n’est pas au
rendez-vous ce qui accélère l’appauvrissement des populations et des territoires. Dans cette
logique, une mise au point théorique sur les façons dont l’État est perçu et vécu.

A- Considérations théoriques

Des considérations théoriques s’imposent sur les contenus notionnels de ce chapitre. Les
concepts utilisés et ciblés ici sont au nombre de trois. Le premier tient de du vocable « État
failli » L’État failli représente un État dans lequel rien ne fonctionne correctement. Il ne
parvient pas à assurer ses missions essentielles, particulièrement le respect de l’état de droit. Et
cela renvoi donc à la notion d'échec. Cette faillite étatique se manifeste par l’absence d’un
contrôle minimal de l’espace politique et économique, c'est à dire une incapacité relative à
préserver l’ordre, à garantir la sécurité de la population, à canaliser les demandes et normaliser
les relations sociales. Les anglophones, à l’origine de ce concept, diversifient le champ
contextuel. Ils parlent de « failed states, ou de « failing states » (ceux qui étaient en train de le
devenir). La tâche devient compliquée pour le francophone car parler de failed state revient
depuis les années 1990 à évoquer une situation où rien ne fonctionne correctement dans les
services publics, et où la vie quotidienne tourne à la survie. La comparaison implicite du
fonctionnement de l’État avec celui d’une mécanique conduisit à l’idée que l’on pourrait
« réparer » un État failli. Et dans les cas extrêmes, la perception est un constat d’ « échec »

450
(failure en anglais), qui s’apparente pour certains à un véritable « effondrement » (collapse)
(Jared M. Diamond, 2006).

La situation haïtienne rejoint les deux axes pris en compte à savoir : disfonctionnement des
services publics et l’approche généralisée de survie. La littérature anglophone élargit la
discussion avec le « weak states ». L’État failli est équivalent en français. Cette expression
représente une réalité difficile à cerner précisément et qui varie selon les points de vue. Toutefois
on peut commencer par dire qu'un État fragile est un État qui présente moins de risque qu'un »
État failli. En effet, les États qualifiés de « fragiles » peuvent présenter des profils très différents
: certains sortent de conflits ; d’autres traversent une profonde crise multiforme (politique,
sociale et économique). Il semble donc plus opportun de dire qu’il n’existe pas un État fragile
type, ce qui rend ce qualificatif d’autant plus complexe à définir. Pour l'OCDE, "un État est
fragile lorsque le gouvernement et les instances étatiques n’ont pas les moyens et/ou la volonté
politique d’assurer la sécurité et la protection des citoyens, de gérer efficacement les affaires
publiques et de lutter contre la pauvreté au sein de la population ». Haïti se prête au jeu car le
pays cumule, à la fois : la défaillance de l’État de droit, l’impuissance de l’État, l’État est très
peu illégitime, l’économie est défaillante et la société est fragilisée. À ces catégories à dimension
nationale s’ajoutent un certain nombre de facteurs d’ordre supranational, dont il faudrait
également tenir compte et notamment un environnement régional voire international défavorable
(Chomsky N ,2006).

Le deuxième concept est « l’État fonctionnel ». Il a pour fonction d’offrir des services aux
secteurs économique et social. Il prône la transparence et considère qu’il est de son devoir
d’informer les citoyens des décisions qu’il va prendre. Dans ce type d’État, les fonctionnaires
doivent d’être capables d’expliquer et d’anticiper les problèmes et de présenter des solutions
techniques parmi lesquels le pouvoir politique pourra choisir. On attend donc du fonctionnaire
qu’il réagisse et soit à l’écoute des besoins réels de la société. C’est la logique de l’État post
moderne que l’on peut définir à partir d’un dépassement de l’État wébérien classique (J.
Chevalier, 2003). L’État haïtien, comme mentionné dans les pages précédentes, subit désormais
des contraintes et doit composer avec de nouveaux acteurs, la logique pluraliste nécessitant la
recherche de compromis. L’État se trouve aussi concurrencé par des acteurs économiques
comme les firmes multinationales, mais également par les ONG, ou encore par des réseaux

451
transnationaux de tous ordres. Des entités nouvelles se développent et concurrencent l’État dans
le processus décisionnel international218.

Le troisième concept est l’État prédateur. Il se caractérise par une relation déséquilibrée entre lui
et la société. En Haïti, l’État n’est qu’une simple structure bureaucratique d’exploitation. Il se
constitue contre sa société. Le pays se caractérise par le développement d’un État officieux.
Celui-ci lie effectivement autorités administratives et activités sociales à travers un réseau
parallèle d’autogestion, de commerce clandestin transfrontalier, d’ajustements perpétuels des
actions des populations pour échapper à la connaissance de l’État formel. Bref, l‘État se constitue
mais ni à l’endroit, ni selon les modalités qui ont été arrêtées pour lui formellement par les
appareils bureaucratiques (Darbon D, 1990). Ce type d’État est perçu comme un obstacle majeur
à l’épanouissement de la nation. La chute de la dictature des Duvalier a amené une longue
transition qui n’a pas encore mis fin à l’abus généralisé des biens publics et au système
d’impunité qui protège les fortunes personnelles constituées par l’intermédiaire de la dilapidation
des ressources de l’État.

L’État prédateur des contribuables. Par le biais des prélèvements obligatoires, les hommes de
l’État prennent le contrôle de ressources produites par d’autres, ce qui est la définition d’un
comportement de prédation. En augmentant la fiscalité, l’État diminue l’incitation à entreprendre
et produire, et donc limite la création de richesse. Apparition d’un cercle vicieux : hausse des
impôts mène vers une baisse de la croissance et conduit à la hausse des taux d’imposition pour
compenser une base fiscale rétrécie générant ainsi la baisse de la croissance.

L’État prédateur de l’intérêt général. Les hommes de ce type d’État, soucieux de leur
réélection, tentent de satisfaire les intérêts de petits groupes de soutien. L’homme politique
voulant être réélu met en place des politiques qui aboutissent à disperser les coûts et concentrer
les bénéfices. Ceci aboutit à la mise en place de politiques qui éloignent de la promotion de
l’intérêt général. On a l’exemple du monopole (qui nuit à tous les consommateurs via la hausse
des prix), de l’aide aux entreprises en faillite (qui nuit à tous les autres secteurs via la hausse des

218
La mondialisation entraîne inévitablement une diminution de la marge de liberté des États face à la montée en
puissance de nouveaux acteurs et à la constitution d’entités plus vastes. L’État est désormais encadré dans un
ordre transnational qui se construit progressivement autour d’un socle de valeurs mais aussi autour d’une
structure institutionnelle puisque des organisations internationales surplombent désormais les États : si cet ordre
transnational demeure fragile, sa consolidation progressive joue comme principe réducteur de la souveraineté des
États.

452
impôts), de la réglementation (limitation de la concurrence dans les professions fermées qui nuit
à tous les usagers). Pour Marx, l’État est un instrument au service de la classe dominante :
l’exemple des puissances d’argent dans le monde ou triomphe le libéralisme actuellement. En
tant qu’acteur majeur l’État haïtien est donc analysé par rapport à l’État fonctionnel dont il
s’écarte et surtout au regard de la faillite et de la prédation qui le caractérisent.

B- Un État219 chef d’orchestre passif et failli

L’autorité de l’État est mise à mal au pays par l’incivisme grandissant, l’impunité et des formes
d’injustice dont se disent victimes certains citoyens. Les conditions qui garantissent l’autorité de
l’État sont l’existence d’un dispositif institutionnel efficace, une justice crédible et impartiale et
d’une administration civile républicaine. L’autorité de l’État requiert de la part des citoyens une
reconnaissance et une obéissance aux règles établies mais aussi aux personnes investies de la
charge de l’autorité (du policier au juge en passant par les hauts fonctionnaires). L’État lui-même
entretient la crise à travers souvent le non-respect de certaines dispositions constitutionnelles
(liberté d’association, liberté d’expression etc.). L’impunité, les abus de pouvoirs, la
prévarication, et la corruption décrédibilisent l’autorité établie. Cette situation explique en partie
les actes de défiance et de remise en cause des citoyens. Le rôle passif de l’État haïtien s’analyse
à travers ses déficiences en tant qu’État de droit véritable et son incapacité d’être un État de
justice sociale.

1- Un État non fonctionnel

Un État est dit fonctionnel si les institutions de cet État fonctionnent de façon satisfaisante. On
attend donc de lui qu’il réagisse et soit à l’écoute des besoins réels de la société. Néanmoins,
qu’il n’existe pratiquement pas de dialogue entre les institutions qui composent l’État haïtien et
les citoyens. Le mauvais fonctionnement des institutions du pays conduit à la perte de l'autorité
de l'État haïtien. L'inefficacité et le gaspillage sont le témoignage de sa mauvaise fonctionnalité.
Un État ne peut bien fonctionner sans implication effective des citoyens dans le débat public.

219
L’État dont il est question ici est l’entité suprême détenteur de la force légitime et dont la finalité est de
répondre aux aspirations et au bienêtre de sa population pour laquelle elle est constituée. Il n’est pas superflu de
rappeler la définition d’Olivier DUHAMEL, Droit constitutionnel et institutions politiques, Éditions du Seuil, 2009,
page 20 « pouvoir institutionnalisé s’exerçant sur une population dans le cadre d’un territoire ». Le concept de
l’État donne lieu à une kyrielle de définitions.

453
Dans le pays, l’État fonctionne et repose sur un régime démocratique de façade. En effet, il est
incarné par des institutions qui ne jouent pas encore leurs rôles. Il est à noter que l’institution
judiciaire est celle qui est la plus décriée. Et c’est à l’aune de son mauvais fonctionnement que
beaucoup de citoyens jugent la fonctionnalité de l’État. La justice est affublée de tous les maux :
corruption, favoritisme, injustice, impunité etc.

Un État aux capacités limitées. Les capacités institutionnelles de l’État ne sont pas en tous les
cas adaptées aux changements politiques, sociaux et économiques en cours dans le pays
(démographie, urbanisation, tertiarisation. Les textes et les principes de fonctionnement des
institutions sont certaines fois calqués sur les réalités éloignées des réalités socioculturelles des
citoyens220. Le manque de vision et de projet commun, les mauvais choix de priorité dans les
dépenses publiques, le clientélisme, la corruption et le favoritisme clanique, ou encore la faible
valorisation des compétences et des ressources en tous genres handicapent l’État haïtien dans sa
capacité. Cette dernière est aujourd’hui caractérisée par des insuffisances chroniques et des
déséquilibres sociaux et territoriaux sans cesse grandissants. la capacité des pouvoirs publics à
offrir aux populations – à toutes les populations – des services publics de base (éducation, santé,
justice etc.), en quantité et en qualité satisfaisantes est de plus en plus érodée et limitée.

Un État peu crédible. La crédibilité d'un État dépend du bon fonctionnement des institutions.
Elle est tributaire aussi des choix politiques de cet État. L’accessibilité des citoyens aux services
publics est faible Car elle n’est pas perçue comme une mission essentielle de l’État qui seul, est
en mesure de garantir l’équité et la justice dans l’accès des populations au bienêtre social. C’est
donc à l’aune de la capacité de l’État haïtien à prendre en charge les besoins incompressibles des
citoyens, à travers le service public, que se mesurent sa crédibilité et sa viabilité. Il faut bien
avouer aussi que l’accès facilité des populations aux services socio-économiques de base comme
l’éducation, la santé ou le transport est une exigence morale, un droit et une nécessité. Etant
entendu que le vivre ensemble repose largement sur les avantages qui y sont attachés pour toute
la communauté, et pour chaque citoyen. Assurer la satisfaction des besoins sociaux participe à la
cohésion et de la stabilité de la nation, à l’épanouissement individuel et à la prospérité collective.

Samir Amin a fait remarquer que : « La démocratie ne peut être ni exportée (par l’Europe) ni imposée (par les
220

USA). Elle ne peut être que le produit de la conquête des peuples du Sud à travers leurs luttes pour le progrès
social, comme cela fut (et est) le cas en occident. » Néanmoins cela n’exclut en rien l’adaptation pour ne pas
tomber dans le piège de l’éternel recommencement. Autrement dit ne pas réinventer la roue.

454
De ce fait, le service public est un élément fondamental de l’État de droit, et de régulation
sociopolitique, surtout dans un contexte de grande pauvreté.

Le laisser aller au sein de l’administration publique haïtienne et le laxisme des autorités en


charge du management du pays sont dommageables pour les citoyens/usagers qui se sentent
démunis, et sont obligés de se soumettre à leur bon vouloir (pots de vins, prélèvements indus
etc.), même pour des choses auxquels ils ont droit. Tout cela décrédibilise la fonction publique et
alimente la rupture de confiance entre les pouvoirs publics et les citoyens. L’État fonctionne mal
par l’intermédiaire des institutions mises en place car les personnes qui incarnent ces institutions
ne font pas toujours preuve de respect des règles et procédures de gestion de ces institutions.
Cette dynamique intolérable ne fait que porter atteinte à la crédibilité des institutions et par
ricochet à l’État. Ce dernier, évidemment, tente toujours de réaffirmer ses pouvoirs régaliens par
le truchement de décisions arbitraires et inefficaces.

2- Un État qui appauvrit sa population pour masquer sa faillite

La crédibilité d'un État dépend aussi de ses choix économiques. Evidemment ces derniers sont
ceux qui peuvent hypothéquer gravement les possibilités d’améliorer les conditions de vie ou
engendrer un avenir radieux pour les citoyens. L’État haïtien depuis les trois dernières décennies
habitue sa population avec des décisions peu efficaces, injustifiées voire appauvrissantes pour le
pays. Ces décisions qui tiennent lieu de politiques publiques n’ont jamais été débattues. Dans le
meilleur des cas, les plans de développement sont élaborés par des « experts » et des séances de
restitution sont organisées pour quelques groupes afin de justifier le caractère participatif du dit
plan. En général, les autorités ne tiennent pas compte dès le départ de la motivation, de
l’adhésion et de la conscience citoyenne face aux engagements pris et aux responsabilités
dévolues. Sous couvert de transparence c’est de l’arbitraire qui prévaut. Et Pierre Mendès France
le dit clairement « « La démocratie ne consiste pas à mettre épisodiquement un bulletin dans
l’urne et à déléguer les pouvoirs à un élu puis à se taire pendant cinq ou sept ans. Elle est action
continuelle du citoyen, non seulement sur les affaires de l’État, mais sur celles de la commune,
de l’association, de la coopérative […] Si cette présence vigilante n’est pas assurée, les
gouvernements, les corps organisés, les fonctionnaires, en butte aux pressions de toute sorte,
sont abandonnés à leur propre faiblesse et cèdent aux tentations de l’arbitraire » (cité par Jean-
Pierre Gaudin, 2007, p.35). Cet État prométhéen qui s’arroge tous les droits n’a pas associé

455
adéquatement les différentes couches socio professionnelles et la société civile dans son
ensemble dans l’élaboration des politiques publiques. Mais tout ceci dans une forme de
consentement mutuel. Car il se perpétue dans le pays un rapport quasi filial à l'État. Les Haïtiens,
comme l'ont montré plusieurs études (CERHCA, 2011) et SQP, 2009), sont l'un des peuples les
moins enclins à demander des comptes à leurs gouvernants, car l'État est auréolé d'un caractère
sacré. L'autorité et le prestige dont ce dernier jouit, quoi qu'il fasse, justifient cette forme
d'acceptation. La population paie le prix fort et voit ses conditions de vie se dégrader
inexorablement d’années en années en raison de l’application d’un ensemble de politiques
désastreuses pour lesquelles elle n’a pas été consultée. Il est bon d’analyser quelques-unes de ces
décisions pour mieux comprendre cet État qui appauvrit sa population (volontairement ou
pas221). Elles se déclinent comme suit :

a- L’élimination des porcs indigènes ou l’accélérateur de la pauvreté dans les années


80

La possession d’un ou de quelques porcs a pendant longtemps constitué un capital économique


pour les familles les plus modestes donc les plus pauvres. Pour ces derniers il s’agit d’un
véritable compte d’épargne autrement dit une véritable assurance vie dans un milieu ou le crédit
et la protection sociale sont presque totalement absents. En fait, selon les chiffres du Ministère
de l’Agriculture et des Ressources Naturelles et du Développement Rural (MARNDR), les porcs
représentaient 30 pour cent du revenu de la paysannerie. Cette partie du revenu garantissait la
scolarité de ses enfants. À la fin de 1978, l'épidémie de peste porcine africaine (PPA) s'est
propagée dans le pays, la paysannerie a reçu un choc économique sévère. Au cours des quatre
années qui suivent, le gouvernement haïtien, stimulé par les gouvernements des États-Unis et du
Canada, a abattu tous les porcs du territoire national afin de stopper la propagation de la fièvre en
question. Il faut bien le rappeler que à l’époque il existait, contre la maladie, aucun vaccin ni de
traitement médical. Néanmoins, la maladie, qui décimait les populations porcines, ne mettait en
danger ni les humains ni les autres animaux. Et même la viande contaminée demeurait
parfaitement comestible, évidemment si les animaux ont été abattus dans des conditions

221
Dans beaucoup de cas, et surtout après que les décisions prises se soient transformées en scandales, les
autorités jouent la carte de l’ignorance avec une ligne de défense très peu crédible : « on nous a trompé aussi car
nous étions de bonne foi et seul l’intérêt collectif nous motivait». Aucun procès n’a eu lieu jusqu’à aujourd’hui ce
qui rend difficile l’établissement ou non de la culpabilité ce ceux qui étaient aux commandes des institutions
nationales qui donnent corps à l’État.

456
appropriées. La peste porcine africaine est partie d'Europe ou d'Afrique vers la République
dominicaine et s'est ensuite propagée en Haïti.

Lorsque cette fièvre a fait son apparition en République dominicaine, le gouvernement haïtien,
comme mesure de protection, a ordonné l'extermination de tous les porcs haïtiens à la frontière
dans un rayon de 15 kilomètres. Plus de 100 000 porcs ont été abattus. Les paysans propriétaires
n'ont reçu aucune compensation pour les pertes qu'ils ont subies. Cette mesure préventive n'a pas
empêché la propagation de la maladie. Les puissants voisins d'Haïti, notamment le Canada et les
États-Unis, ont observé la propagation avec appréhension. Car l’arrivée de cette maladie
provoquerait des dommages estimés à plus de 5 milliards de dollars dans le cheptel porcin
américain222. Les autorités américaines et canadiennes, de concert avec le gouvernement
mexicain, par l'intermédiaire de l'Institut Interaméricano de Ciencias Agricola (IICA), ont
rapidement imposé un plan d'éradication de la peste porcine au gouvernement haïtien. Ce plan
était extrêmement simpliste: tuer tous les porcs du pays et réapprovisionner le cheptel haïtien
avec des porcs étrangers venant des États-Unis, du Canada, ou du Mexique.

L’État haïtien fixe les objectifs : « éliminer les effets nocifs de la PPA en Haïti et de commencer
le développement d'une industrie porcine productive ». Le projet d'éradication de la peste porcine
africaine et du développement de l'élevage porcin (PEPPADEP) a été lancé en 1981 par de
nombreuses entités dont l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture,
l’IICA Institute for International Coopération (une branche de l'Organisation des États
américains), la Banque Internationale de Développement, les gouvernements du Mexique, du
Canada et des États-Unis et enfin, le gouvernement d'Haïti.

La première partie du plan, l'éradication du porc, a fait l'objet d'un accord (soutenu par un budget
de $23 millions) entre le gouvernement haïtien et l’IICA. Le gouvernement américain a dépensé
$15 millions. Le Canada et le Mexique ont tous deux envoyé de la main-d'œuvre et de l'argent
sous les auspices de l'Institute for International Coopération pour aider à l'éradication. Plus d’un
million de porcs ont été abattus. L’IICA a déclaré qu'il éliminerait les «effets débilitants de la
peste porcine africaine en Haïti» et «le développement de la production rentable de porcs». Il
s’agit donc d'éradiquer une fois pour toutes le modèle haïtien de l'élevage de porcs, dont les

222
Cette évaluation vient des calculs effectués en 1984 par l'Université du Minnesota des États-Unis..

457
conditions «primitive» peuvent à tout moment constituer une source de nuisance pour l'industrie
porcine moderne de l'Amérique du Nord.

Le document de projet signé par Phyllis Dichter, directeur de la mission, est catégorique et sans
ambiguïté : « l'éradication de la peste porcine africaine (PPA) présentée à la communauté
agricole internationale est une excellente occasion d'améliorer la productivité de l'industrie
porcine haïtienne. L’introduction de ces races [américaines] permettra au secteur agricole
national de faire un nouveau départ vers une industrie porcine moderne. Ce serait une base
suffisante pour entreprendre un projet porcin en Haïti même si l'éradication de la population
porcine n'avait pas eu lieu ». Ce projet porcin s'inscrit bien dans les plans à long terme des États-
Unis pour Haïti. En termes plus pratiques, le projet porcin pousse l'économie haïtienne vers un
modèle de développement qui concentre les entreprises agricoles, déplace la population de la
campagne et oblige les agriculteurs à accumuler des dettes.

Haïti sera en mesure de se concentrer davantage sur les cultures d'exportation comme le café, et
le reste de sa main-d'œuvre sera libre d'activités agricoles non productives afin qu'il puisse servir
de main-d'œuvre pour les industries d'assemblage orientées vers l'exportation appartenant à des
transnationales.

Le projet va renforcer la dépendance du pays envers les États-Unis et surtout décapitalise la


population paysanne et rurale en augmentant sa pauvreté. Les paysans sont doublement victimes
car immédiatement après l'annonce du programme, certains responsables gouvernementaux sans
scrupules ont forcé les producteurs porcins effrayés de vendre leurs porcs à des prix de
liquidation. Dans certains cas, les porcs évalués à $200 ou plus ont été vendus au prix de deux
pour $30. Alors que l'aide publique pour les porcs sacrifiés s'élevait à $40,00 (US) pour les porcs
adultes, à $20,00 pour les porcs juniors et à $5,00 pour les porcelets. Donc, en réalité, aucune
compensation adéquate n'a été accordée aux paysans. Et dans les faits, l’opération a duré plus de
six ans malgré un communiqué suspect du gouvernement haïtien223 . L'accord conclu entre
l’IICA et le gouvernement haïtien stipule que les propriétaires de porcs abattus dans la campagne
1978 devaient être indemnisés «avant l'étape de dépeuplement du projet. » mais aucune
compensation n'a été accordée aux paysans dont les porcs ont été battus sur la zone frontalière

En janvier 1982, quatre ans après la première apparition de la fièvre porcine africaine dans le pays, il a été
223

annoncé par les pouvoirs publics que la fièvre avait perdu sa virulence d'épizootie. Le message fait douter, la
maladie mais l’abattage systématique allait continuer.

458
avec la République Dominicaine. C’est un véritable désastre économique pour la paysannerie. Et
le rapport de suivi de l’opération de l’IICA l’admet clairement en ces termes :

Les dommages, sans réparation, infligés aux paysans sont presque irréparables, et le rapport de
l’IICA l'admet insidieusement mais clairement: « le repeuplement du troupeau de porcs haïtiens
à sa situation de pré-abattage d'environ 1,2 million porcs est clairement en dehors de la portée
de tout effort unique, et ne sera possible que le temps donné et des conditions favorables. Le
programme de repeuplement à long terme au niveau national exigera un engagement financier
substantiel du [Gouvernement haïtien], impliquant la formation de techniciens et d'agriculteurs,
des interventions dans la nutrition et la santé des porcs, ainsi que des efforts concertés par des
organismes bénévoles privés et le secteur privé » Les grands perdants dans ce projet ne sont que
les paysans, pour qui seulement $7 millions de compensation ont été déboursés dans un projet de
$23 millions224. La destruction des porcs signifie la perte de leur capital et de leurs outils de
travail.

Le repeuplement promis par Américains et Canadiens paraissait hypothétique et peu crédible La


nouvelle race de porc ne sera pas aussi forte et aussi bien adaptée que le porc indigène appelé
cochon Planche qui se nourrissait des déchets domestiques et agricoles. Le porc de substitution
ne profitera qu’aux industries de transformation de la viande à l’instar de la HAMPCO, une
filiale de l’entreprise américaine Servbest Food. Les calculs postérieurs ont montré que la
société haïtiano-américaine des produits de la viande (HAMPCO) et les producteurs de porcs
américains ont gagné près d’1 milliard de dollars du projet. Alors que ce dernier soutenu par les
États-Unis exigeait plus des paysans haïtiens que ce qui est financièrement possible. Les paysans
seront obligés de dépenser beaucoup pour prendre soin des porcs, laissant la famille avec encore
moins d'argent à dépenser pour la nourriture et la scolarisation des enfants.

Le coût de la production et de l’entretien de ce porc importé dépassait les capacités du paysan ou


du petit fermier. Selon le contrat, "il est interdit de nourrir les animaux avec les déchets ou autres
ingrédients qui ne font pas partie de la formule approuvée par l’IICA." Le porc américain a été
choisi pour sa capacité à produire de plus grandes litières, et, selon l'aide américaine, le porc en

224
Les seuls bénéficiaires réels de ce "projet de développement, sont d’abord les nord-américains qui ont non
seulement protégé leur industrie, mais qui sera en mesure de réorganiser un secteur dépendant de l'industrie
agroalimentaire et ensuite certains riches haïtiens qui saisissent l’opportunité de bâtir une industrie d'élevage de
bétail.

459
question donne 9,5 porcelets deux fois par an. Les premiers porcs ont été apportés en avril 1984,
avec la première distribution de porcelets fin octobre et début novembre. Ces porcelets ont
ensuite été distribués dans des centres secondaires, parrainés par 88 organisations locales à
travers tout le pays. Bien que ces organisations locales, ne reçoivent pas de fonds, elles
fournissent des aliments pour animaux, le drainage et les soins vétérinaires pour les porcs. Elles
dressent aussi les listes des agriculteurs bénéficiaires des porcelets.

Chaque paysan ou groupe de paysans doit également construire un « parc de porc » fait avec des
matériaux appropriés, garantir que les porcs n'auront pas accès à des déchets humains et de
retourner un cochon de deuxième génération au centre de distribution. La corruption s’est mêlée
de la partie L'équipement a disparu et les porcs sont inexistants. Les fournitures vétérinaires ont
été vendues pour la consommation humaine. Le porc importé n’aura pas le même effet sur
l’environnement que l’espèce indigène traditionnelle. Cette dernière faisait partie intégrante du
système écologique d'Haïti.

Photo 30.- Le porc indigène haïtien dit cochon créole

Crédit photo de M. Beltrans.

En creusant pour chercher les tubercules, les graines, les racines laissées dans le sol, les insectes
souterrains, les vers et les larves, le porc indigène détruit une grande quantité d'insectes nuisibles
à la croissance et à la productivité des plantes. Les porcs traditionnels sont aussi l'une des
principales sources d'engrais pour les petits agriculteurs ruraux. Leur fumier est utilisé pour la
production de denrées les plus prisées telles le café, la banane plantain, les légumes et les fruits.
De plus ces porcs rustiques avaient un rôle utile dans l’assainissement du milieu de vie et de
production car en absorbant les déchets domestiques ils empêchèrent leur décomposition en plein
air et la prolifération des insectes et des bactéries. L’impact de cette extermination et le

460
repeuplement porcin promis a impacté aussi environnement social, économique et culturel. En
effet, les races améliorées introduites dans le pays nécessitent des investissements lourds (eau
propre, porcheries de porcs, etc.), des coûts d'entretien élevés (aliments pour animaux, vaccins,
médicaments) et des soins vétérinaires qualifiés. Ces intrants sont incompatibles avec les rouges
simples de l'économie paysanne. Le projet, in fine, a permis de substituer dans la filière porcine
l’acteur petit paysan par l’acteur entrepreneur / industriel.

Conclusion

Des centaines de milliers de paysans haïtiens ont perdu l’un des piliers de leur fragile économie
sans possibilité de reconversion car ils sont trop pauvres. Ils sont devenus les victimes
infortunées d'un projet qui leur a été imposé par des agences étrangères en collaboration avec
leur propre gouvernement. L’élimination systématique n’était pas nécessaire et les
préoccupations sanitaires comptaient pour peu. Il s’agissait d’une opération économique et
commerciale afin de garantir la prédominance de la production américaine. Il fallait contrôler
totalement le marché haïtien, l’épizootie n’est que le prétexte et l’occasion recherchée. La
modernisation promise de l’élevage porcin en Haïti n’était qu’un subterfuge pour se débarrasser
d’un concurrent, le petit éleveur familial, trop autonome. Car il ne dépendait de personne pour
l’alimentation et l’entretien de son animal. Les milliers de sinistrés de cette politique publique
néfaste ont amplifié l’exode rural. Ce trop-plein, incapable d’être absorbé par des campagnes
appauvries, vient grossir les hordes de pauvres qui s’approprient le littoral à travers les
bidonvilles et les quartiers précaires. La modernisation imposée s’étendait aussi aux autres
filières.

b- La politique de modernisation économique génératrice de régression sociale dans les


années 90

L’une des solutions à archaïsme, dit-on, de l’économie haïtienne est la modernisation dont la
privatisation en sera le vecteur majeur. Cette solution conçue par les bailleurs de fonds
internationaux était validée par certains acteurs nationaux. Dès 1980, les agences internationales
de financement comme le FMI et la BID ont prescrits au gouvernement haïtien des mesures
significatives pour assainir les finances publiques. Au début les autorités du pays hésitaient et
repoussaient les échéances. Néanmoins, la stagnation économique et surtout le besoin de
nouveaux financements pour la relance des activités ont fini par convaincre les acteurs politiques

461
nationaux de la nécessité de reformer la gouvernance économique trop encline aux dérapages
donnant ainsi lieu à des critiques sévères mais documentées ( corruption, dilapidation, abus de
biens publics etc.). La mise en œuvre de ses reformes reçoit un accueil mitigé. Les organisations
syndicales et politiques crient au scandale et dénoncent les ingérences étrangères. Elles
brandissent la défense des travailleurs, la protection de la production nationale et la promotion de
la souveraineté nationale. Malgré tout cela, à partir des années 90, les autorités vont engager le
pays dans les voies sinueuses de la réforme en question sous le label de la modernisation
économique.

Cette modernisation prend la forme de la privatisation des entreprises appartenant au secteur


public. En 1996 ce secteur comptait 33 entités. L’État haïtien par l’intermédiaire de ces
structures intervenait dans plusieurs domaines économiques. Il est présent dans les services à
travers la distribution d'eau (CAMEP), d'électricité (EDH), télécommunications (TELECO). Sa
présence est forte dans les infrastructures par les ports (APN) et aéroports (AAN). Il est actif
dans le secteur bancaire par la BNH et BHP et la BNC. Il opère dans la production agricole et la
construction par la production d'huile (ENAOL), de ciment (Ciment d’Haïti), la production de
farine (la Minoterie, moulins d’Haïti). Afin de mieux organiser le processus de réforme, un
Conseil de modernisation des entreprises publiques (CMEP) est créé suite au programme signé
avec le FMI en 1995. Ce qui va donner lieu à une première vague de privatisation.

Les arrangements établis entre l’État haïtien et le Fond Monétaire International aboutissent à un
diagnostic sévère : Neuf entreprises publiques sont déclarées inefficaces et coupables de
mauvaise gestion. Elles sont la cible d'un processus de privatisation : la compagnie d’électricité
(EDH), la compagnie de télécommunications (Téléco), la Banque nationale de crédit (BNC), la
Banque populaire haïtienne (BPH), la Minoterie (usine de transformation du blé en farine),
l’Autorité portuaire nationale (APN), l’huilerie ENAOL, Ciment d’Haïti et les aéroports. En
1998, le gouvernement haïtien a présenté au FMI une lettre d’intention stipulant que : « Les
préparatifs techniques se poursuivront en vue de la modernisation des principales entreprises
publiques (aéroport, port, compagnies de téléphone et d’électricité). Avec l’assistance de la
Banque mondiale, de la Banque interaméricaine de développement (BID) et de l’agence des
États-Unis pour le développement international (USAID) des actions spécifiques seront prises,
notamment la préparation d’un plan de réduction des effectifs, le transfert de certaines dettes de

462
ces entreprises au Gouvernement, la mise en place de cadres régulateurs et le début du
processus d’appel d’offre pour la privatisation de ces entreprises sous diverses modalités, ainsi
que la sélection des adjudicataires ».

La décision détone car elle émane d’un gouvernement de gauche225 (celui de René Préval) censé
protéger les travailleurs et les emplois. Le processus de privatisation de la TELECO, une des
grandes entreprises publiques tenues par l’État, va se faire dans la douleur pour de nombreux
travailleurs qui vont se retrouver du jour au lendemain dans le chômage. En 2007, le
gouvernement Préval-Alexis prend de nouvelles mesures de licenciements. Sur 4,000 employés,
1,900 seront révoqués. Par cette mesure, les avantages seront doubles pour les acquéreurs
potentiels : on prépare la passation de l'entreprise au secteur privé tout en réduisant les
possibilités de réaction de la part des travailleurs (mouvements sociaux). En avril 2010, sous les
conseils de la Banque mondiale, la TELECO devient la NATCOM et Viettel, une entreprise
vietnamienne acquiert 60% du capital. L'État haïtien, à travers la BRH, ne conserve que 40% du
capital. Se faisant, le pays devient de plus en plus dépendant des financements et des financiers
étrangers qui ne jouissent pas forcément une bonne presse226. Et cela oblige les pouvoirs publics
haïtiens à la rigueur budgétaire. Cela signifie, dans la pratique, un gel ou une baisse des
dépenses publiques, afin de rembourser les dettes contractées.

225
René Préval a succédé au pouvoir Jean Bertrand Aristide. Les deux sortaient des matrices du mouvement
ecclésial haïtien populaire pétris dans la logique de la théologie de libération Le 22 août 1994, le gouvernement de
Jean-Bertrand Aristide, alors en exil, connu pour ses prises de positions anti capitalistes publie un document
intitulé « Stratégie de Reconstruction Sociale et Économique. Le document stipule « que le contrôle de l'État sur
les entreprises publiques de production et de biens et services importants pour l'économie s'avère une
catastrophe aux niveaux économique et social. La consolidation d'un ordre social réellement démocratique exige
que le gouvernement se débarrasse de ses biens ». La politique de privatisation du président Préval lui vaut une
vive contestation des membres de son propre parti. « Qualifié de traître et ses Ministres, de vendeurs de Patrie)/,
le Président Préval est contraint de mettre le processus de privatisation en suspens, ce qui provoque le gel de
l'aide promis à l'État haïtien par les bailleurs de fonds. La mise en application des politiques de privatisation est,
rappelons-le, en effet une condition incontournable de tout déblocage de fonds d'aide économique. Cette
situation perdure jusqu'à la fin du mandat du Président Préval et tout au long du deuxième mandat d'Aristide
(1997-2004).

226
Il suffit de lire John Perkins qui fait remarquer que « Les assassins financiers sont des professionnels grassement
payés qui escroquent des milliards de dollars à divers pays du globe. Ils dirigent l’argent de la Banque Mondiale, de
l’Agence américaine du développement international (U.S. Agency for International Development- USAID) et
d’autres organisations « humanitaires » vers les coffres de grandes compagnies et vers les poches de quelques
familles richissimes qui contrôlent les ressources naturelles de la planète. Leurs armes principales : les rapports
financiers frauduleux, les élections truquées, les pots-de-vin, l’extorsion, le sexe et le meurtre. Ils jouent un jeu vieux
comme le monde, mais qui a atteint des proportions terrifiantes en cette époque de la mondialisation. .. Je sais très
bien de quoi je parle… car j’ai été moi-même un assassin financier »

463
Conclusion

Cet exercice de modernisation qui passe par la privatisation a eu des conséquences sociales
considérables. Les entreprises comme ENAOL, la HASCO ont été purement et simplement
fermées détruisant ainsi des milliers d’emplois directs et indirects. Ainsi de nombreux petits
producteurs et salariés ont perdu leurs emplois et les revenus associés. Et dans le cadre de ce
programme de modernisation, un objectif avait été fixé pour le départ d’au moins 5.000 agents
de la fonction publique (soit environ 10 pour cent des employés de l’État). A la fin octobre
1998, quelques 5.200 agents ont quitté effectivement la fonction publique. Ces personnes
fragilisées allaient grossir les rangs des populations démunies qui s’installent et s’approprient les
littoraux. Ces derniers sont le lieu d’accueil de tous les naufragés économiques et sociaux du
pays en raison de son accès facilité. La modernisation allait se faire en laissant sur les bords de la
route de nombreuses familles. Cette modernisation n’était pas au service du bien-être du citoyen
haïtien mais plutôt celui de l’investisseur donc celui de l’argent. Malheureusement, l’État haïtien
n’a jamais procédé à une vraie étude comparative des situations d’avant-privatisation et d’après-
privatisation pour en tirer les conséquences qui soient en mesure de lui permettre de faire des
rectifications en cas de besoin

c- Une politique de reconstruction nationale post sismique accélératrice de pauvreté

« Avant, on voyait la mer d'ici, alors qu'on est à deux kilomètres, car tout était rasé, détruit. Maintenant, on ne la voit plus parce
que la reconstruction est terminée. Il y a de beaucoup de grands bâtiments, souvent de deux étages, beaucoup de circulation
automobile, des embouteillages... L'économie va beaucoup mieux qu'avant 2004. C 'est mieux, c'est beaucoup plus coloré »
Paulan, un habitant de Banda Aceh en Indonésie.

Deux mois après le tremblement de terre du 12 janvier 2010, les autorités haïtiennes ont mis sur
pied une structure chargée de la reconstruction du pays : la commission Intérimaire pour la
reconstruction d’Haïti (CIRH). Sa mission consistait à rechercher la planification et la mise en
œuvre coordonnées, efficaces et efficientes de priorités, de plans et de projets à l’appui de la
reconstruction et du développement d’Haïti. La structure était appelée à optimiser les
investissements et les contributions de ces entités et sera responsable de manière continuelle, de
l’élaboration et de la mise au point de plans de développement pour le pays, de l’évaluation des
besoins et des carences et de l’établissement des priorités des investissements. Cette entité avait
un pouvoir étendu : assurer la mise en œuvre des projets et des priorités de développement, y

464
compris la facilitation de l’octroi de permis, licences, titres de propriété et autres approbations
nécessaires aux projets de développement économique, y compris la construction d’hôpitaux, de
systèmes de production d’électricité, de ports et d’autres infrastructures. La CIRH aura l’autorité
d’approuver ou de rejeter certains projets financés par des bailleurs de fonds bilatéraux et
multilatéraux, des organisations non gouvernementales et le monde des affaires.

La CIRH va être co-présidée par l’ex président américain Bill Clinton et le premier ministre
haïtien de l’époque, Jean-Max Bellerive. Le pays, avec 7 représentants, ne disposera pas de la
majorité au sein de cette instance, mais le président, René Préval, sans en être membre, aurait un
droit de veto sur toutes les décisions prises. La représentation haïtienne se décline comme suit : 3
représentants nommés respectivement par le pouvoir exécutif, le judiciaire et les autorités
locales. 1 représentant de la chambre des députés, 1 représentant du Sénat 2 représentants, l'un
désigné par les syndicats et l'autre nommé par la communauté des affaires. Et la communauté
internationale va disposer de 9 représentants. Ces derniers sont issus des principaux bailleurs de
fonds. Pour siéger, les pays ou institutions donateurs doivent avoir fait des dons d'au moins 100
millions de dollars sur une période de 2 ans ou effacé des dettes pour au moins 200 millions de
dollars. On va retrouver dans cette liste les États-Unis, l'Union Européenne, la France, le
Canada, le Brésil, le Vénézuela, la BID, les Nations Unies et la Banque mondiale. A cela il faut
ajouter 1 représentant du CARICOM, 1 représentant de l'Organisation des États Américains
(OEA), 1 représentant pour tous les autres donateurs ne siégeant pas, 1 représentant de la société
civile et 1 représentant de la diaspora haïtienne. Cette politique de reconstruction ratifiée par le
Parlement haïtien a été critiquée pour la trop grande place accordée aux étrangers dans la
conduite des affaires du pays. La publication du caricaturiste Bousiko peint la perception de
l’opinion nationale sur cette structure hybride et inconvenante.

465
Photo 31.- Caricature dénonçant la primauté de la communauté internationale au sein de la CIRH

Le président Préval sceptique au regard de son premier ministre Bellerive octroyant la préséance à Clinton.

L’aide promise à Haïti pour la reconstruction post sismique par la communauté internationale
dans toutes ses composantes s’élevait à 10 milliards de dollars. Apres 18 mois le niveau de
décaissement n’a même pas atteint les 30 %. Les donateurs n’ont pas pu honorer leurs
promesses. Les projets validés par la CIRH ne sont pas financés comme prévu. Ce qui a suscité
de nombreuses grognes au sein du monde associatif. Le suivi des rapports rédigés par les parties
prenantes ont montré clairement que la reconstruction du pays n’a pas été le grand bénéficiaire
des aides collectées. L’impensable a été bel et bien atteint : le receveur individuel le plus

466
important des aides américaines fut le gouvernement américain lui-même227. Cela s’applique
aussi pour les donations des autres pays. Juste après le séisme, les États-Unis ont alloué 379
millions de dollars d’aide et ont envoyé 5000 militaires.

L’agence de presse américaine Associated Press (AP) a découvert que sur les 379 millions
initialement promis à Haïti, la plupart n’était pas réellement destinée directement, voir même
dans certains cas indirectement, à Haïti. Cette même agence de presse a relaté en janvier 2010
que pour chaque dollar US offert, 33 cents revenaient en fait directement aux États-Unis pour
rembourser l’envoi de forces armées. 42 cents allaient à des organisations privées et non
gouvernementales comme “Save the children”, le programme mondial d’alimentation des
Nations unies (FAO) et l’association “Pan American Health Organization”. Presque rien n’est
directement allé aux Haïtiens ou à leur gouvernement. Ce dernier ne s’en plaint pas au contraire
il défend du bec et des ongles cette structure en des termes élogieux. Les déclarations du Premier
Ministre Bellerive en est la parfaite illustration228.

La majeure partie des 1,6 milliards de dollars d’aide alloués par les USA fut dépensée
exactement comme suit selon un report de l’Office de recherche du Congrès américain datant d’
aout 2010 : 655 millions de dollars furent remboursés au département de la Défense; 220
millions de dollars au département de la Santé et des Services humains afin de fournir des
subventions à chaque État US pour couvrir les services aux évacués haïtiens; 350 millions pour
l’assistance aux désastres de l’USAID; 150 millions au département de l’Agriculture pour l’aide
alimentaire d’urgence ; 15 millions au département de la Sécurité nationale pour les frais
d’immigration, etc. C’est la même logique qui animait et anime l’aide internationale qu’elle soit
multilatérale ou bilatérale. L’envoyé spécial des Nations unies pour Haïti rapporta que sur les 2,4
milliards de dollars du fonds humanitaire, 34% retourna aux organes militaires et civils de

227
L’analyse de 1490 contrats accordés par le gouvernement américain depuis le séisme de janvier 2010 jusqu’en
avril 2011, a fait état seulement de 23 destinés à des compagnies haïtiennes. Sur les 194 millions de dollars
attribués par les États-Unis aux entrepreneurs, 4,8 millions ont été versés à 23 compagnies haïtiennes, soit environ
2,5% du total.
228
Jean Max Bellerive en 2011, répondant à une question d’un journaliste affirmait que « La CIRH est un
instrument extrêmement utile pour la refondation d’Haïti. Il convient de déterminer la mission de la CIRH
aujourd’hui et de statuer sur l’alternative qui va être proposée au gouvernement qui arrive. » Il a aussi exprimé ses
inquiétudes quant à l’avenir de la CIRH en ces termes « Je ne suis pas inquiet pour la CIRH, je suis inquiet sur le
fait que nous avons un super instrument qui est mal compris et qui, éventuellement disparaîtra avant qu’il
n’achève sa mission, c’est mon inquiétude. » . Cependant moins de deux ans plus tard, dans le film « Assistance
mortelle » de Raoul Peck, il dit tout le contraire.

467
réponse aux désastres des pays donateurs ; 28% fut donné à des agences des Nations unies et à
des ONG pour des projets spéciaux émanant des Nations unies ; 26% alla à des entrepreneurs
privés et d’autres ONG ; 6% fut fourni en tant qu’avantages en nature aux bénéficiaires; 5% pour
les sociétés nationales et internationales de la Croix-Rouge ; 1% au gouvernement d’Haïti et
seulement 0,4% du fonds alla à des ONG haïtiennes. Les abus229 et le business de la prise en
charge va fonctionner à plein régime ce qui va laisser peu de place pour que la reconstruction du
pays soit réalisée dans de bonnes conditions et surtout favorable aux plus démunis.

Le relèvement économique du pays n’a pas eu lieu. Les séquelles du séisme sont encore vives.
Le chômage demeure important, la croissance économique ne crée pas suffisamment de richesse
pour améliorer les conditions générales de vie dans le pays. Il y eu une multitude de projets mal
assortis, dont certains sont certes intéressants, pris individuellement, mais qui, collectivement, ne
peuvent en aucun établir les fondations pour la réhabilitation et encore moins le développement
d’Haïti. La vision de la reconstruction était celle d’une économie ouverte, néo-libérale, orientée
vers l’exportation, caractérisée par des usines d’assemblage avec des salaires misérables, la
privatisation, la dérégulation, des tarifs d’importation très bas, et un secteur public minimal. Les
priorités de la population étaient donc tout autres que celles des donateurs.

Conclusion

La reconstruction post sismique promue n’était qu’une promesse ou tout simplement une
aventure sans conséquence sur les conditions de vie des Haïtiens les plus pauvres. Le gaspillage
des fonds alloués à cette reconstruction du pays était considérable en questionnant l’attribution
des contrats, les frais administratifs et l’allocation de 15 à 20% des frais au transport et à la
location de voitures. De l’argent est allé à des sociétés à but lucratif, dont les catastrophes sont
leur fonds de commerce. Les projets approuvés par la CIRH touchaient l’agriculture, la santé, le
ramassage des débris, l’énergie, l’éducation, la prévention des désastres et les infrastructures.
Néanmoins la logique de charité qui guidait les décisions ne permettait pas d’aller vers un
229
Une partie de l’argent a été versée à des entreprises qui profitent des catastrophes naturelles. Lewis Lucke, un
coordinateur haut placé d’Usaid, a rencontré le Premier ministre haïtien deux fois à la suite du tremblement de
terre. Il a ensuite démissionné et a été embauché – pour un salaire mensuel de 30 000 dollars - par la société
Ashbritt, installée en Floride (déjà célèbre pour avoir obtenu des subventions considérables sans appel d’offres
après l’ouragan Katrina) et par un partenaire haïtien prospère, afin de faire du lobbying pour obtenir des contrats.
Lewis Lucke a déclaré qu’il était “devenu évident que si la situation était gérée correctement le séisme pouvait
apparaître comme une opportunité autant que comme une calamité”. Ashbritt et son partenaire haïtien se sont
rapidement vu attribuer un contrat de 10 millions de dollars sans appel d’offres.

468
relèvement économique conséquent. L’expert indépendant des Nations-Unies pour les droits de
l’homme Michel Frost va reconnaitre cette distorsion dans le processus en mettant l’accent sur
l’approche par les droits qui rejette «la notion de charité » et se concentre plutôt sur une
meilleure manière d’aider l’État à « garantir l’effectivité de tous les droits » à savoir les droits
civils et politiques ainsi que l’accès de tous aux droits économiques, sociaux et culturels,
notamment dans le cadre de la reconstruction (Jean-Odile. E, 2018). La reconstruction post
catastrophe, quoique animée par un même acteur, la communauté internationale et les ONG, n’a
pas eu d’effets similaires en Haïti et à Banda Aceh.

3- Les entreprises, un aménageur qui ne ménage pas

Dans le pays, en raison de l’ampleur du chômage, les entreprises pourvoyeuses d’emplois,


qu’elles soient formelles ou informelles, se fixent leurs propres règles au regard de
l’aménagement et des politiques publiques230. Elles contournent les dispositifs légaux qui
encadrent leur implantation, leurs rejets, et leurs aménagements associés. Ces entreprises
consacrent la primauté de l’obligation fiscale sur le respect de l’environnement. De nombreux
investissements importants sont réalisés avec de maigres incidences sur les conditions de vie des
plus pauvres. Il en résulte, depuis une quinzaine d'années, un développement sans cohérence. On
observe une véritable superposition de projets sélectionnés au regard des critères de rentabilité
financière, d'amélioration des conditions de vie et l’opportunité d’un financement étranger (UE,
BID, USAID etc). Cependant, ils ne sont pas dans une dynamique d'articulation avec d'autres
investissements déjà existants (route Cap-Haitien/Ouanaminthe). Si chacun de ces projets, pris
individuellement, peut paraître fondé, leur agrégation ne répond à aucun moment à une stratégie
d'ensemble véritablement réfléchie et intégrée. L’un de ces investissements mérite l’attention car
il symbolise à lui seul la vision de l’entreprise au regard des politiques publiques et de
l’aménagement du territoire.

230
La participation des acteurs privés à la gestion des territoires n’est pas nouvelle. Cela s’est d’autant plus vérifié
en Haïti, là où l’État est faible et pauvre. Evidemment il faut comprendre que La nature publique ou privée d’un
acteur ne permet pas de déduire un type de comportement. Des acteurs privés peuvent se rallier à des actions
d’intérêt général alors que des acteurs publics peuvent utiliser les méthodes de gestion du secteur privé

469
a- Le cas du Parc Industriel de Caracol : un investissement important et prometteur

En janvier 2011 le groupe Sud-coréen SAE-A, avec l’accord du gouvernement haïtien, installe
un parc industriel dans la région nord du pays. Le site du Parc occupe 243 hectares dans la
commune de Caracol (dans le département du Nord-est). Le projet a été conçu pour faciliter les
investissements d’entreprises de fabrication de vêtements, nationales et internationales, ainsi que
ceux d’autres entreprises d’industrie légère. Ces entreprises étaient attirées non seulement par les
préférences tarifaires généreuses et l’accès aux marchés accordés par les États-Unis dans le cadre
de la loi Hope, mais aussi par la main-d’œuvre bon marché et la proximité du marché américain.
Les avantages escomptés étaient conséquents. Ils comprenaient : la création d’environ 2.800
emplois dans le secteur du bâtiment ; la création, à long terme, d’environ 40.000 emplois. La
création, au minimum, d’un nombre équivalent d’emplois indirects (c.- à-d. les emplois dans les
entreprises fournissant des biens et services au parc et à ses locataires) et induits (c.-à-d. les
emplois dans les entreprises fournissant des biens et des services aux personnes employées
directement ou indirectement par le parc), soit un total de 80.000 emplois additionnels,
directement attribuables au parc .L’un des objectifs était la fourniture de moyens de subsistance à
environ 500.000 personnes, soit 5 % de la population d’Haïti. Le projet tablait sur environ 360
millions de dollars de revenus annuels additionnels, directement attribuables au parc, pour les
citoyens haïtiens (représentant environ 5 % du PIB). Des recettes fiscales supplémentaires
estimées à plus de 60 millions de dollars par an, provenant des impôts sur les revenus de la
direction et du personnel technique du parc et de la TVA sur les achats des employés directs et
indirects étaient prévues. A cela il faut ajouter trois autres initiatives : le gouvernement
américain s’était engagé à financer et à construire une centrale électrique, d’une capacité initiale
de 9 MW (qui sera portée à 25 MW), la construction de 5.000 nouvelles maisons dans la région
et élargissement des installations de manutention du port de Cap-Haïtien. L’enjeu économique et
social était grand compte tenu de la massivité du chômage et de l’ampleur des besoins.

- Des engagements fermes de l’entrepreneur pour un site fragile.

Le plus grand risque environnemental identifié est celui de la fragilité de la Baie de Caracol en
raison de la biodiversité qu’elle héberge. Cette dernière est un écosystème côtier unique,
productif et précieux. Son importance a été reconnue par des organisations nationales et
internationales et de nombreuses études scientifiques. Toutes les eaux de drainage du parc

470
industriel et des zones de développement prévues autour du parc finiront par se déverser dans la
baie. Même si les eaux usées du parc sont traitées, diverses autres menaces, liées au
développement du parc industriel sur ce site, mettent en péril cet écosystème. Deux autres
sources de nuisances sont soulevées : l’impact potentiel du parc industriel sur la rivière Trou-du-
Nord en période d’étiage et les incidences nocives sur les ressources aquifères. Les entrepreneurs
ont donné des garanties pour obtenir le feu vert des pouvoirs publics. Ils proposent des mesures
d’atténuation et de gestion de ces risques qui se déclinent dans le tableau suivant.

Tableau 38.- Les mesures d’atténuation et de gestion du risque promises par SAE

Rivière Baie Cadre général Situation en 2018


Cartographie des Formation pour les Construction d’une Pas d’étude sur la santé
zones inondables pêcheurs centrale électrique de la baie

Les riverains se
Déterminer les
Évaluation de Plan d’intervention plaignent de maladies de
capacités limites de
l’aquifère d’urgence la peau inconnues avant
l’écosystème
l’implantation du parc

Construction d’une Obligation


Contrôle de qualité Usine de traitement de
usine de traitement d’information face
des eaux déchets installée
des effluents aux autorités locales

Protection des
Respect de la Lutte contre la Centrale électrique en
ressources de la
norme IFC pollution marche
baie

Sensibilisation de Acceptation de suivi


Contrôle de qualité Les autorités locales ne
la communauté au par le Ministère de
des eaux de la baie sont plus informées
risque de l’eau l’environnement

Tables de Tables de
Appuyer un Le site du parc est une
discussion avec concertation avec
programme d’aire forteresse inaccessible
l’ensemble des l’ensemble des
marine protégée pour les chercheurs
intervenants intervenants

Sources : Pierre Jorès Mérat, selon le document de projet du groupe SAE

471
- Des résultats peu convaincants.

La situation en 2018 permet de voir que les objectifs fixés ne sont pas atteints. Le parc industriel
entame sa septième année d’existence. Or, seule une partie infirme de ces engagements a été
respectée. L’État haïtien a classé la baie de Caracol en aire marine protégée (CIAT, 20014). Mais
le site demeure sous l’influence des effluents du parc industriel. Aucune usine de traitement des
effluents du Parc n’a été construite. La capacité de l’aquifère n’a pas été évaluée. Les
collectivités territoriales n’ont jamais reçu de rapport d’analyse sur l’état des eaux de la rivière et
de la baie attenante au Parc. Le contrôle de la qualité des eaux n’est pas encore réalisé. Les
pécheurs n’ont bénéficié d’aucune formation liée à la valorisation et l’exploitation durable des
ressources sur lesquelles ils travaillent. Dans les 40 000 emplois promis seuls 14 600 ont été
effectivement créés. Par contre par effet d’entrainement la population riveraine a été multipliée
par 3 en l’espace de 7 ans. Le front de mer est déjà entamé par une bidonvilisation qui risque
d’amplifier la dégradation de ce milieu fragile.

Conclusion

Développement économique et protection de l’environnement ne sont pas immédiatement


compatibles. Le parc industriel, implanté dans la baie de Caracol, au nord du pays, un endroit qui
aurait dû être protégé pour ses mangroves et ses coraux, a hypothéqué l’équilibre de ce précieux
écosystème. La catastrophe n’est pas uniquement environnemental elle concerne aussi les 366
fermiers qui ont été expulsés de leurs terres agricoles pour laisser la place à un immense parc
industriel de 300 hectares. On a fait le choix de satisfaire les grandes chaines de distribution
étrangères comme Walmart ou Gap au détriment des petits agriculteurs locaux car tout ce qui y
est fabriqué (meubles, vêtements etc.) partira à l’extérieur. D’un autre coté comment empêcher à
2800 chefs de ménages qui vivent dans des conditions difficiles de trouver un emploi susceptible
de soulager leurs maux en privilégiant le respect strict de l’environnement. Le gouvernement a
fermé les yeux sur les problèmes d'environnement d'une baie très fragile dans la perspective de
l’idée que l’emploi est un rempart contre la pauvreté. Evidemment, l’entreprise gestionnaire se
met en situation de délinquance en bafouant les mesures d’atténuation du risque qu’elle a
promises.

472
b- Des entreprises jouissant d'impunité en matière de pollution

L’entreprise haïtienne pense d’abord à sa réussite. Le monde de l’entreprise dans le pays


considère l’environnement comme un paramètre secondaire, sur lequel sa responsabilité
n’apparaissait guère engagée. Les ponctions opérées sur l’environnement local, les rejets
polluants dans le milieu naturel, ou encore les atteintes aux paysages ne suscitent guère le débat.
Dans cette vision court-termiste, l’environnement est simplement pensé comme une somme de
ressources naturelles, renouvelables et quasi inépuisables, si bien que les questions de leur rareté
et de leur pérennité ne se posent pas. De plus, les incidences de l’activité des entreprises sur la
vie, le quotidien et la santé des populations environnantes n’intéressent pas encore l’opinion
publique231. Tout au plus ces conséquences apparaissaient-elles comme une fatalité à laquelle il
fallait se résoudre, en contrepartie de l’emploi et des ressources fiscales injectées dans le trésor
public. Lorsque des atteintes criantes à l’environnement étaient effectivement révélées, elles
étaient le plus souvent banalisées, relativisées, voire étouffées.

En octobre 2017 une soixantaine de stations d’essence (Total, Sol, National, GO) se retrouvent
implantées à même le littoral. Elles ne disposent d’aucun dispositif spécial par rapport à la
vulnérabilité du site. Les rejets, constitués par les éléments de vidanges et de la manipulation de
vente des carburants, sont déversés directement dans la mer ou transportés par les eaux de
drainage. Aucune autorité n’inspecte ces installations et ces entreprises ne jurent que par le
nombre d’emplois qu’elles apportent à la population et les services de proximité qu’elles offrent
aux riverains. Alors que la loi haïtienne les oblige à maitriser convenablement leurs eaux usées.
Les stations d’essence sont une source importante de pollution urbaine.

Le phénomène de pollution des sols et sous-sols provenant des stations d’essence se décline en
deux catégories: d’un côté, une pollution chronique se produisant sur une longue période et étant
due le plus souvent à la corrosion des cuves232 et des canalisations enterrées. De l’autre côté la

231
Une étude réalisée en 2014 par l’institut de sondage Nielsen indique que, dans 60 pays, la majorité des
consommateurs sont prêts à payer plus cher pour des produits ou des services commercialisés par des entreprises
respectueuses du bien commun et de l’environnement. Or ici en Haïti la population est trop occupée (et
préoccupée) par la survie pour prendre en compte l’aspect environnemental et exiger des entreprises un
comportement raisonnable dans leur exploitation du milieu de vie et de production.
232
Le caractère corrosif des sols est dépendant de: leur perméabilité à l’air et à l’eau, qui dépend de leur porosité,
leur granulométrie, leur taux d’humidité, leur teneur en sels, leur pH et leur conductivité électrique ou leur
résistivité. Ainsi dans un sol acide, humide, peu aéré et dont la conductibilité est bonne la corrosion est très
agressif. Ces propriétés naturelles de corrosion mettent en place des phénomènes bien précis et sont supplées par

473
pollution accidentelle due au déversement d’hydrocarbure lors du remplissage des stockages de
la station ou de la distribution de carburant.

La présence de polluants n’est pas le seul facteur relevant dans la problématique de la pollution
des sols, il faut qu’ils puissent être mobiles et avoir un effet sur quelqu’un ou quelque chose
(homme, eaux souterraines, écosystèmes, …). En outre, la migration des polluants induit
également une extension des zones polluées. Dans le cas des stations d’essence, l’origine de la
pollution provient, soit des mauvaises habitudes telles que le déversement d’hydrocarbure lors du
remplissage des réservoirs de la station ou de la distribution de carburant, soit des corrosions des
cuves enterrées ou des fuites des canalisations. Ensuite, les ruissellements vont provoquer le
déplacement des polluants, qui peuvent contaminer ainsi la couche supérieure ou inférieure du
sol et atteindre dans certains cas les nappes souterraines, ou les entraîner dans les rivières. Dans
le cas des fuites des carburants des cuves et canalisations, les polluants vont rejoindre plus
facilement les nappes souterraines étant donné que ces installations se trouvent déjà enterrées
dans les sols. Les autorités publiques ne s’intéressent pas encore à ces dommages potentiels.

Le Ministère du Commerce et de l’Industrie (MCI), par le biais de sa Direction de Contrôle de


la Qualité et de la Protection du Consommateur, réalise certaines fois des opérations de
vérification de l’exactitude de la quantité d’essence débitée à la pompe, dans certaines stations-
services de la zone métropolitaine de Port-au-Prince. Les inspecteurs du MCI vérifient à
plusieurs reprises les distributeurs des stations d’essence dans le but de s’assurer de l’exactitude
des quantités vendues. Une fois terminée la lecture du distributeur, les techniciens apposent un
autocollant titré « accepté » sur chaque distributeur ainsi homologué (voir la photo suivante).
Mais les autorités haïtiennes n’ont jamais vérifié l’état du système de traitement des effluents de
cet équipement commercial partout présent sur l’ensemble du territoire national. C’est le signe

des effets mécaniques qui contribuent à la détérioration des structures enterrées dans des sols. Il s’agit de la
corrosion électrochimique (oxydoréduction) qui peut provoquer une perforation des réservoirs et de la corrosion
par électrolyse due à des courants vagabonds dont l’origine est extérieure à la structure. De plus il existe des
interactions « carburants-réservoir/conduite » qui peuvent induire une corrosion à l’intérieur de la structure. Dans
ce cas, la corrosion est provoquée par l’effet électrochimique aussi et par « l’aération différentielle ».
L’accumulation des dépôts divers (sédiments et biofilms) dans certaines parties des réservoirs contribue
localement à la disparition de l’oxygène dissous. De même, aux points hauts, nous assistons à la formation de
poches d’air. La présence de ces hétérogénéités permet d’expliquer les phénomènes de corrosion par aération
différentielle. Les parties faiblement oxygénées sous les dépôts jouent un rôle d’anode et se corrodent, tandis que
les zones mieux oxygénées serviront de cathodes et seront donc protégées. Ce mécanisme peut être aussi dû aux
micro-organismes.

474
évident d’un vrai laissé aller qui sacrifie sur l’autel de l’efficacité économique la santé de la
population liée à l’équilibre fonctionnel de l’écosystème côtier.

Photo 32.- Opération d’inspection de la fiabilité des stations d’essence

Crédit photo du MCI, 2014.


Ici, au centre de Port-au-Prince, deux inspecteurs du ministère du commerce et de l’industrie vérifient le
calibrage et la justesse de l’équipement de vente afin de rassurer les consommateurs.

Conclusion

Les stations d’essence et les garages sont une énorme source de pollution dans le pays. Mais le
phénomène est passé sous silence. Or, les polluants qu’elles manipulent arrivent à migrer vers les
nappes phréatiques et dans une large mesure vers la mer car plus de 27 % des stations d’essence
et 34 % des garages majeurs sont implantées à moins d’un kilomètre du rivage. Et leurs
structures de stockage et de manipulations des produits pétroliers ne sont que partiellement aux
normes. Ce type d’entreprise n’est astreint à aucun contrôle. Les charges polluantes sont libérées
de façon abusive dans la nature. Les lois haïtienne fait obligation aux entreprises de maitriser
leurs rejets or dans la pratique les pouvoirs publics laissent faire, les citoyens n’exigent pas n’ont
plus le respect des normes prescrites. Il règne donc une véritable impunité en matière de

475
pollution. L’État haïtien n’est pas trop regardant sur les écarts de conduite de ces entreprises pour
essayer le plus possible de capter les emplois générés au profit des plus pauvres.

4- Les citoyens, un acteur qui impose ses normes

Les citoyens sont de plus en plus présents dans l’aménagement des territoires à travers leur
participation à des associations, à des conseils de quartiers et à des débats publics. C’est ce que
l’on appelle la démocratie locale233. La population a donc la possibilité de réagir pour la défense
ou l’amélioration de son cadre de vie. Autrement dit les citoyens participent aussi aux projets
d’aménagement par des propositions, des critiques, des oppositions. En Haïti, cette dynamique
prend une autre tournure : le citoyen, surtout le plus pauvre, intervient directement dans
l’aménagement du territoire. Il délègue ses pouvoirs à ses représentants à travers les élections
(locales et nationales). Néanmoins il n’attend point que les élus tiennent leurs promesses pour
qu’il dispose d’un accès facilité à un minimum de biens ou de services. Il s’engage dans l’action
et marque le territoire local et national de ses empreintes quitte à violer la loi ou à mettre en péril
l’équilibre des écosystèmes.

a- Le citoyen redessine à sa guise les traits de côtes

Le littoral haïtien est le lieu d’une intense activité menée par les plus démunis pour gagner des
espaces au dépend de la mer par l’intermédiaire d’une poldérisation artisanale. L’opération
consiste à remblayer avec les déchets domestiques les parties du littoral qui subissent
l’envahissement des eaux de mer. Lors d’une première étape les occupants bornent l’espace
avec des piquets et des filets. Puis quotidiennement ils y jettent des ordures biodégradables. Au
bout d’un certain temps l’eau de mer s’évapore, les détritus étalés sont décomposés, minéralisés
et se transforment apparemment en sol. En dernière étape ils épandent du gravier, puis de la
terre et finalement ils obtiennent un terrain. Ce dernier dans certains quartiers de cité Soleil
donne lieu à de âpres négociations entre deux protagonistes : les chefs de quartiers (généralement
233
La démocratie locale, encore appelée démocratie participative, serait un remède à la démocratie représentative
qui souffre d'un terrible déficit de citoyenneté. La démocratie locale aurait l'avantage d'être fondée sur la
participation active des citoyens alors que la démocratie représentative se contente de fonctionner sur la base de
la représentation politique confinant le citoyen dans un rôle passif, en fait celui de simple électeur. On doit noter
que si la démocratie participative fait l'objet d'un certain consensus auprès des décideurs politiques, il s'agit
souvent d'un consensus de façade. En Haïti, la décentralisation qui devait pousser les citoyens à s'impliquer dans
les affaires publiques n'a pas permis dans les faits le développement véritable de la démocratie locale car les élus
locaux se préoccupent plus de leur réélection et du marchandage de leur adhésion aux décisions venues de Port-
au-Prince que d'intégrer les opinions des habitants dans l'élaboration de l'action publique

476
de petits truands) et la personne qui a réussi le remblayage. Cette dernière ne pourra vendre ou
habiter l’espace gagné que seulement si elle paye un forfait aux chefs mentionnés plus haut. La
dynamique prend de l’ampleur avec la densification des bidonvilles littoraux. Les trois
communes littorales de la Région Métropolitaine de Port-au-Prince que sont Carrefour, Cité
Soleil et Port-au-Prince sont davantage touchées par ce phénomène. Les photos suivantes le
témoignent. Cependant cette forme d’appropriation du littoral est constatée dans toutes les
grandes villes littorales du pays.

Photo 33.- Poldérisation artisanale sur le littoral de Martissant (Sud de Port-au-Prince)

Crédit photo de Pierre Jorès Mérat


Dans les quartiers de Martissant (sud de Port-au-Prince) les habitants des bidonvilles poldérisent de façon
artisanale le littoral afin de gagner aux dépens de la mer, un espace propice à installer leur logement.

Cette démarche remodèle sans cesse le tracé du littoral. Elle rend troubles les eaux littorales ce
qui met à mal l’équilibre environnemental côtier. En cherchant à satisfaire un minimum de
besoins par la débrouillardise et le contournement des prescrits légaux le pauvre accélère la
vulnérabilité du milieu par les apports terrigènes et amplifie du même coup les conditions
matérielles de sa propre pauvreté.

477
b- Les citoyens organisent l’espace par les marchés

Le citoyen haïtien s’installe et approprie l’espace au gré des disponibilités et de ses besoins. Les
plus pauvres utilisent les marchés comme instrument d’accès aux circuits économiques pour
écouler ses maigres productions et surtout pour s’approvisionner en produits de première
nécessité. La dynamique prend une ampleur considérable depuis près de deux décennies et les
marchés deviennent un marqueur fondamental dans l’organisation de l’espace haïtien. Les
littoraux sont grandement touchés par ce phénomène. En effet près de 3 marchés sur 5 en milieu
urbain sont organisés directement sur le littoral ou indirectement par l’intermédiaire d’un ravin
ou d’une rivière. Ces structures tantôt éphémères tantôt permanentes empiètent sur le domaine
public et y créent un système parallèle en télescopage avec l’aménagement initial décidé par les
autorités ou la tradition.

Un marqueur territorial. En Haïti, l’expression commune de « marché » recouvre deux entités


spatiales distinctes, l’équipement seul ou la zone d’activité qui lui est associée. Les emprises
effectives de cette zone associée sont d’ailleurs difficiles à déterminer, dans la mesure où le
processus d’extension s’effectue souvent de façon permanente, par l’occupation continue du
domaine public, la multiplication des marchands et la transformation des marchands ambulants
en opérateurs fixes. Lieux ou équipements du simple village rural isolé ou des quartiers des
centres urbains majeurs, les marchés sont caractérisés par leurs dimensions variables et surtout la
diversité des fonctions qu’ils assurent ; à ce titre, ils constituent un élément essentiel de
structuration de l’espace national. L’aggravation de la situation économique du pays dans les
années 1980 a gonflé les effectifs du secteur informel, et singulièrement ceux des vendeurs et
artisans sur les marchés. Ces derniers se caractérisent donc par leur empreinte dans l’organisation
spatiale du pays, leur inscription dans la vie économique, mais aussi leur imbrication dans les
relations sociales et politiques.

Une composante du fait urbain. Les marchés jouent un rôle important dans la structuration des
espaces urbains en Haïti : ce sont des lieux très animés, avec une puissance d’appel considérable,
malgré le contexte de modernité (grandes surfaces, centres commerciaux) qui commencent à les
entourer. Mais dans la grande majorité des cas, le marché apparaît comme le premier équipement
collectivement décidé, après occupation de l’espace par un habitat autogéré, les autorités
municipales n’avalisant qu’un fait accompli.

478
Il est donc le produit des relations qu’entretiennent les urbains avec leur milieu citadin, leur
région nourricière et leur environnement socioculturel. Dans tous les cas, il joue un rôle
fondamental sur la vie de quartier, l’animation de rue et le sentiment d’appartenance à un espace
urbain, cette relation socio-spatiale entre les citadins, le quartier et le marché se renforçant
mutuellement. Les marchés profitent souvent des places publiques et des carrefours, lieux de
convergence de voies, ou bien des grands boulevards et des larges avenues, lieux de passage et
de chalandise.

Suivant de très près les implantations de l’habitat, généralement spontané et souvent précaire,
les marchés s’établissent pratiquement toujours en des lieux de contact, plus particulièrement à
l’articulation des quartiers de fonction et de fréquentation différentes, ou aux entrées de ville,
endroits favorables aux relations entre producteurs vivriers venus des villages environnants,
transporteurs qui parcourent la province et citadins consommateurs, sans compter les fabricants
d’objets manufacturés (industrie ou artisanat), revendeurs ou prestataires de services. Les gares
routières sont d’ailleurs généralement proches. Ce choix d’implantation, établi de longue date, se
perpétue en s’adaptant à l’évolution des modes de vie de la société haïtienne. Les marchés sont
également des témoins de la croissance urbaine. En dehors des « grands marchés », existent, le
long des axes de trafic ou au centre des quartiers, des marchés secondaires ou spécialisés, ne
fonctionnant qu’à certains moments de la journée ou de la semaine, ou ne vendant qu’un type de
produits (marché du bois ou marché de légumes de première main, fraîchement débarqués de la
campagne). Autour de ceux-ci, gravitent également des petits groupements de quelques étals, qui
se dispersent davantage dans les quartiers où ils fonctionnent le soir à la lueur de « lanp tètgridap
» (lampe à pétrole).

On saisit alors parfaitement que, si les marchés peuvent spontanément apparaître et se


développer, ce n’est jamais le fait du hasard, mais la marque d’une opportunité qui commande
leur distribution, leur hiérarchie, leurs interrelations. Les marchés apparaissent et prospèrent en
dehors des décisions des autorités municipales ; ils sont alors tolérés, maintenus, puis reconnus.
En effet, la vente en plein air sur des espaces réservés et aménagés, en des points stratégiques
pour des vendeurs, constitue la forme la plus usuelle d’activité marchande manifestée dans les
quartiers occupés par des populations à revenus limités et à genre de vie qui procède de leur
culture traditionnelle. Il y a donc là une totale adéquation entre l’équipement et le besoin : le

479
nombre de points de vente, leur hiérarchie, leur distribution et leur rythme d’activité sont
étroitement ajustés à la demande des utilisateurs. Si un point de vente nouveau apparaît ou
disparaît, en un lieu précis de la ville, c’est que la demande a augmenté ou s’est réduite à
proportion. Un tel équilibre est structurel, et ne peut être modifié que par un changement de
consommation, une densification du quartier, un accroissement de la consommation, l’apparition
d’un autre type de vente, etc. Cet équilibre impose donc l’implantation, légale ou non, de points
de vente, qui ont leur « légitimité ». Les graduations de cette légitimité relèvent de la
reconnaissance, officielle ou pas, du droit de vendre dans la rue ; elles se fondent sur une fiscalité
(patente, droits) nécessaire, pour que la municipalité puisse assurer sa part de fonctionnement de
la ville (maintenance du mobilier urbain, entretien des infrastructures, police, propreté, etc.).

Un espace sous-équipé et appauvri. Les marchés souffrent d’un manque d’équipements


flagrant : pénurie d’eau courante et d’assainissement, absence d’électricité pour la chaîne du
froid, problèmes de ramassage et de traitement des ordures ; beaucoup de marchés sont non ou
partiellement couverts (toitures en feuilles de tôle ou en paille). Ce manque de moyens pousse les
marchands aux solutions les plus précaires. Les équipements associés, coûteux, peinent à suivre
la croissance urbaine : sitôt réalisés, ils sont sous-dimensionnés et généralement saturés. Les
marchés secondaires se caractérisent souvent par l’absence pure et simple de tout équipement. Il
arrive alors que l’on rentre dans un cercle vicieux : peu attractifs, certains marchés urbains voient
leurs usagers, clients comme commerçants, les délaisser au profit d’endroits moins engorgés.

L’activité des marchés ne favorise pas l’enrichissement de tous les acteurs, d’où un certain
appauvrissement du lieu. Seule une petite minorité arrive à capter l’essentiel des revenus
générés par les échanges ; elle comprend les fournisseurs ou des acteurs extérieurs (distributeurs
de produits manufacturés, contrebandiers et l’État haïtien par l’intermédiaire des taxes
indirectes). Seules des miettes sont laissées aux nombreux opérateurs des marchés, d’autant plus
que les activités sont éclatées pour fournir des ressources au plus grand nombre. On distingue, en
réalité, trois catégories d’opérateurs dans les marchés. Dans la première, on trouve les petits
intermédiaires, les marchands ambulants, les revendeuses et les détaillants occasionnels qui font
des bénéfices moyens de l’ordre de 2 à 5 % et sur de petites quantités. Vient ensuite la catégorie
des Madan Sara et des marchands de gros, dont les marges bénéficiaires montent jusqu’à 10 % et
sur des quantités supérieures, tandis que celles des transporteurs peuvent aller jusqu’à 12 %. Le

480
dernier groupe, représenté par les distributeurs, réalise des marges de 50 à 60 %, et ce sont eux
qui sont les vrais bénéficiaires du commerce qui se pratique dans les marchés.
L’appauvrissement des marchés est lié à l’éclatement ou plutôt à l’émiettement de la structure
qui devient tentaculaire, donc insaisissable. Les marchés sont de plus en plus prolongés par de
nombreux petits marchés qui, eux-mêmes, sont relayés par une dispersion de minuscules
marchés qui n’assurent que la distribution des produits de première nécessité. Certains ne durent
que le temps du retour des travailleurs, aux arrêts des tap-tap par exemple, ou à la sortie d’un
quartier administratif ou commercial. Les micromarchés jouent de leur flexibilité, leur
accessibilité et leurs prix cassés, l’émiettement répondant aussi au besoin de nombreux
consommateurs de se soustraire à la pression étouffante du vrai marché. On observe, par ailleurs,
une paupérisation du voisinage immédiat des marchés, alors qu’ils étaient, par le passé, un
espace générateur d’une rente de situation : rues adjacentes bordées d’échoppes et de boutiques,
ou envahis la journée par des étals de fortune (doc 23, la restauration de rue et doc 24, cuisine sur
le trottoir). Mais le développement de l’insalubrité et de l’insécurité mêlé à une réelle saturation
spatiale ont souvent découragé les initiatives de ces commerçants.

Conclusion

Les marchés exercent une double fonction complémentaire ; certes, ils sont par nature et par
définition des lieux d’échanges commerciaux, mais aussi et en même temps, ils représentent des
lieux de sociabilité extrême, où le quotidien de l’individu s’oppose aux intérêts et aux pouvoirs
de la collectivité. Si les marchés favorisent l’intégration sociale et citadine des ruraux
nouvellement arrivés en milieu urbain, ils permettent aussi la survie économique d’une grande
partie de la population. Au-delà de son rôle fondamental dans la structuration du territoire, le
marché constitue une scène démultipliée, où s’écrivent des histoires individuelles au quotidien et
des histoires collectives à travers des enjeux territoriaux. À plus d’un titre, ils renvoient donc à
une image en construction de la société haïtienne, tiraillée entre individu et État, traditions et
modernité, villes et campagnes.

Conclusion du chapitre

De nombreux acteurs interviennent dans le champ social et territorial du pays. La diversité des
acteurs s’explique en grande partie par la faiblesse de l’État haïtien. Ce dernier demeure un chef
d’orchestre de façade donc passif. Cet État n’est pas au service des citoyens car il est non

481
fonctionnel et couve la corruption, le favoritisme, l’injustice et l’impunité. La capacité de l’État
haïtien est limitée en raison de ses mauvais choix.

Les institutions qui le composent connaissent des insuffisances chroniques générant elles-mêmes
des déséquilibres sociaux et territoriaux sévères. L’administration centrale, les services publics
décentralisés et les pouvoirs locaux sont traversés par le laxisme en imposant aux
citoyens/usagers des services parallèles accessibles par l’intermédiaire de pot de vins et de
prélèvements indus. Se faisant, l’État se décrédibilise aux yeux des citoyens qui à leur tour se
conforment très peu aux règles et normes dictées par les lois de la République. L’État haïtien est
perçu par les citoyens comme un état prédateur qui les appauvrit de façon systématique à travers
des décisions inefficaces et irréfléchies. L’élimination des porcs indigènes (appelés cochons
créoles), dans les années 80, sous la pression des intérêts américains et canadiens a privé les
paysans et les populations les plus modestes du pays d’une source de revenu stable et gratifiant.
Cette décision a accéléré l’exode rural, amplifié les bidonvilles et massifie l’appropriation
désordonnée des littoraux. La privatisation des entreprises publiques, imposée par le Fonds
Monétaire International (FMI) dans les années 90, est un autre exemple de décision inefficace de
l’État haïtien qui a sacrifié et jeté dans le chômage des milliers de chefs de ménages au profit du
respect strict des injonctions de la Banque Mondiale et du FMI. L’État haïtien n’affiche pas
seulement sa faiblesse seulement face aux grandes organisations internationales, il le fait aussi
vis-à-vis des Organisations non gouvernementales. En effet, la reconstruction nationale post-
sismique voulue par l’État haïtien mais orchestrée par les ONG, n’a été qu’un vaste montage
financier, savamment échafaudé par certains intérêts étrangers pour faire des affaires et cela sans
se soucier des millions d’Haïtiens sinistrés qui attendaient la reprise économique pour espérer de
meilleures conditions de vie. Une fois de plus, l’État haïtien a été dupé par sa faiblesse et devient
donc irresponsabilité face à la nation qu’il n’a pas su protéger contre les intérêts marchands et
financiers de la classe d’affaire internationale. Les entreprises sont aussi des acteurs face à qui
l’État haïtien s’impose jamais ou mollement. Le parc industriel de Caracol en est un témoignage
édifiant. En effet, le groupe Sud-coréen SA-E, contre 20 000 emplois promis, a reçu de l’État
haïtien 300 hectares de terre au fond d’une baie magnifique. Dans cette opération 366 petits
fermiers ont été expropriés. Six ans plus tard à peine 5 000 emplois ont été et le site est sous la
menace d’une pollution massive. L’entreprise a respecté très peu ses obligations en matière
environnementale. Il en est de même pour des centaines de stations d’essence placées à moins de

482
qui ne respectent pas les normes pour les rejets. Les pouvoirs publics n’engagent aucun procès
contre ses fautifs qui deviennent de plus en plus nombreux.

A côté de l’État, des États étrangers, des Organisations internationales, des ONG et des
entreprises il existe un dernier acteur qui profite de la faiblesse de l’État pour aménager l’espace
à sa guise : le citoyen. Ce dernier, dans sa quête de survie, redessine le littoral par le biais d’une
artificialisation artisanale pour gagner de l’espace aux dépens de la mer et du même coup
accéder à la propriété foncière. L’inscription spatiale de cet acteur est exprimée aussi par les
marchés qu’il installe partout sur le réseau routier et dans le milieu urbain afin de capter un
minimum de biens dans l’informalité et à la mesure de sa débrouillardise. L’État haïtien laisse
faire, les ONG opèrent dans l’urgence et dans la cacophonie (Jean-Odile. E, 2018), les États
étrangers agissent via leurs entreprises nationales, les Organisations internationales imposent
leurs points de vue, les entreprises nationales et étrangères ne s’accrochent qu’à leurs profits et
les citoyens n’agissent que pour assurer leur survie. Le constat est sans appel, aucune synergie
n’est dégagée entre tous ces acteurs pour espérer une amélioration significative dans les
conditions de vie de la population haïtienne en général et celles des plus pauvres en particulier.

483
Chapitre XIII
Les tentatives de prise en charge de la pauvreté par l’État

Les acteurs et les facteurs de l’aménagement du territoire qu’on vient de présenter dans les pages
précédentes participent à la littoralisation inappropriée mais surtout à la mise en place des
conditions matérielles de l’appauvrissement de cette composante de l’espace national. Les
observations directes (CERHCA, 2015) et les enquêtes (ECVMAS, 2013, ONPES, 2011) ont
montré que les conditions de vie y sont extrêmement mauvaises. Le logement est rarement
salubre, l’assainissement est en dessous du minimum acceptable, l’accès à l’eau potable est
difficile, les infrastructures de santé et d’éducation manquent cruellement et accéder à l’emploi
demeure un exercice compliqué à moins de passer par l’économie informelle et la
débrouillardise. La constitution de véritables poches de pauvreté d’aspects irrémédiables sur tout
le territoire a permis une prise de conscience des pouvoirs publics de l’ampleur du phénomène
qui devient de plus en plus un marqueur spatial. A cet effet, depuis plus de vingt ans l’État
haïtien tente de prendre en charge cette pauvreté à travers un ensemble d’initiatives publiques qui
touchent à la fois l’ensemble du pays et des milieux de vie et de production spécifiques tels les
littoraux. Quelle est leur portée en termes de résultats ? Sont-elles des outils efficaces et surtout
sont-elles durables ? Deux catégories de mesures sont prises en considération : une première
concerne ce qui est mis en œuvre sur l’ensemble du territoire et qui a des incidences sur
l’occupation et l’appropriation du littoral, une seconde catégorie prend en compte celles qui
visent directement le littoral à travers une partie prenante ou un acteur majeur.

A- Le règne des Petits Projets de la Présidence (PPP)

Au lendemain de la chute du dictateur Jean-Claude Duvalier en 1986, l’installation de la


démocratie dans le pays, celle voulue par les anciens exilés et la communauté internationale, se
fait dans le chaos. De l’espoir d’une population taraudée par la pauvreté et la crise économique, à
l’exaspération des foules (violences, grèves générales etc.), en passant par les crises politiques
(coups d’État), et les interventions internationales sporadiques (1993 ou 2004), le pays n’est pas
parvenu à achever la transition démocratique que tout le monde attendait. Ce retard ou cette
incapacité n’a fait qu’augmenter les rigueurs de l’échec économique entamé dès 1979 : le
chômage se massifie et s’installe dans la longue durée, les villes captent l’essentiel des flux des
ruraux que les campagnes ne peuvent plus satisfaire et les inégalités sociales s’alourdissent

484
sévèrement. Pour garantir un minimum de paix sociale le gouvernement de Jean-Bertrand
Aristide se lance dans une opération de séduction inédite : transformer la présidence en un super
ministère par le biais d’un programme de prise en charge sociale dénommé Petits Projets de la
Présidence (PPP).

1- Une solution politico-administrative

En 1995 le président Jean-Bertrand Aristide initie un programme de prise en charge des


communautés et des catégories les plus démunies dénommé « Petits Projets de la Présidence
(PPP) ». Ce programme va être financé sur la base de crédit budgétaire alloué à la Présidence.
Cette dernière allait devenir un poste important dans le budget national. La démarche a soulevé
de nombreuses interrogations à l’époque. En fait, l’exécutif voulait tout simplement agir
directement sur l’exécution des investissements publics limitant ainsi la lourdeur administrative
alors que le peuple attend depuis longtemps un minimum d’actions en sa faveur au regard de
l’amélioration de ses conditions de vie. La population dans sa grande majorité devient impatiente
et le chef de l’État le sent. L’exercice paraissait osé sur le plan administratif mais elle pouvait
être justifié sur le plan politique : contourner la raideur et la lenteur administrative peut être
politiquement correct pour une autorité engagée à satisfaire les désidératas de son peuple.

Les financements tirés de ce programme sont donnés à de nombreuses organisations dites


populaires (OP). Ces organisations, toutes puissantes, étaient en fait le socle populaire sur lequel
le président et son gouvernement pouvaient compter face à l’hostilité des classes dominantes et
les secteurs conservateurs de la société haïtienne. Les crédits sont accordés sous la houlette
exclusive du chef de l’État. Les bénéficiaires sont ou deviennent donc les soutiens du régime
face à l’opposition politique qui commence à prendre forme contre le prêtre-président. La prise
en charge a concerné le logement, le dédommagement des activistes politiques proches du
régime victimes de la brutalité des militaires après le coup d’état de 1991. Il y eu des projets
d’équipements urbains avec le pavage des rues de nombreuses villes secondaires. Les quartiers
littoraux tels La saline, Cité Soleil et Fort Dimanche (Port-au-Prince), Raboteau (aux Gonaïves)
et Sainte-Philomène (au Cap-Haitien) ont été les premiers bénéficiaires du PPP.

485
2- Un exercice décrié et un bilan mitigé

Ce projet spécial a été financé aussi avec des fonds provenant de la Banque Mondiale à hauteur
de 15 millions de dollars. En visite en Haïti, le président de cette banque, James Wolfensohn234
a accompagné le président haïtien Jean Bertrand Aristide dans une tournée à Lasaline, l’un des
quartiers littoraux bénéficiaires du PPP. Il s’agit d’un soutien conséquent pour le prêtre-
président. Néanmoins les critiques demeurent fortes, elles dénoncent les PPP comme un
instrument de corruption et de gaspillage de fonds publics. Un sénateur, Irvelt Chery, de
l’opposition accuse et porte plainte car disait-il « plus de Huit cent millions de gourdes des
Petits Projets de la Présidence ont été détournés pour la construction de la Fondation Aristide
pour la Démocratie en Haïti et le réaménagement de la maison privée du Président à Tabarre ».
Les accusations sont graves certes mais aucune enquête n’a été diligentée. Cependant la
crédibilité du programme a été entamée sérieusement. Le président est tombé de son piédestal, il
n’est plus vu comme celui qui a fait le vœu de pauvreté. La caricature suivante témoigne de ce
basculement dans l’opinion

Photo 34.- Le président Aristide est présenté comme un brasseur d’affaires

Sources : Caricature de CorpWatch, 2003


Le président J.B Aristide est au centre des négociations officieuses (mafieuses) pour la vente des entreprises
publiques dans le cadre de leur privatisation exigée par le FMI et les acteurs de son retour au pouvoir après
le coup d’État de 1991.

234
Sous la présidence de James Wolfensohn (1995-2005) la diversification des champs de financement de la
Banque mondiale entamée depuis l’ère de Robert McNamara (1968-1981) a été poursuivie. Aujourd’hui rares sont
les secteurs qui ne font pas l’objet d’appui de cette agence de financement. Conformément à son mandat,
l’institution s’est vue confier dans les années 2000 la coordination de la reconstruction des pays ayant subi des
guerres ou des cataclysmes naturels (Irak, Afghanistan, Haïti).

486
A l’analyse l’expérience des PPP a ouvert la voie à la prise en charge de la pauvreté à travers
l’accès facilité aux Services Sociaux de Base (SSB).Le programme annonce toute la panoplie des
mesures et politiques que les pouvoirs publics haïtiens vont prendre pour lutter contre la
dégradation des conditions de vie en général et contre la pauvreté en particulier. Cette première
expérience n’est pas concluante car elle a seulement permis à des autorités publiques de faire
leur capital politique afin qu’elles puissent se maintenir au pouvoir. Elle a permis à des
responsables d’organisations communautaires et politiques de monnayer leur adhésion contre des
poignées de dollars dans une atmosphère de corruption et de prévarication. Les vrais
bénéficiaires ne sont pas les pauvres. Le pavage des ruelles tortueuses de La saline, de Cité Soleil
ou de Raboteau crée une certaine attractivité de ces bidonvilles littoraux. Ces derniers vont être
le terminus des flux de ruraux qui déferlent sur les grands centres urbains du pays.

Conclusion

Le programme intitulé les « Petits Projets de la Présidence » permet de mettre en lumière deux
dynamiques. La première est celle de la méfiance de l’élu vis-à-vis de l’administration haïtienne.
Cette dernière est perçue comme un élément de blocage. Cette administration est, dit-on,
incapable de porter le progrès et les changements espérés. Ce constat, très souvent, force l’élu à
trouver de nouvelles parades pour contourner l’immobilisme et le conservatisme de
l’administration. La seconde est le refus systématique du pouvoir exécutif haïtien
d’institutionnaliser ses actions. Il existe des institutions en charge de la protection sociale. Mais
le gouvernement préfère les contourner en instituant des projets qui vont disparaitre le temps
d’une nouvelle équipe gouvernementale, sans bilan et surtout sans la moindre trace de reddition
des comptes. Or la confiance entre le pouvoir politique et l’administration semble indispensable
à la bonne marche de l’appareil étatique. L’exigence accrue d’efficacité des services publics pose
en particulier la question de la compatibilité entre la réalisation des objectifs politiques et le
souci de la bonne gestion. Entre compétence technique et loyauté politique se situe la question de
la politisation (De Visscher, C. et Le Bussy. G 2001). Et c’est là le hic au regard des PPP de
l’administration de Jean-Bertrand Aristide. Il est onc aisé de dire que les PPP n’ont pas
amélioré les conditions de vie des plus pauvres mais ils ont surtout permis à quelques groupes et
à quelques individus de s’enrichir et d’abuser des ressources publiques.

487
B- Le Programme d’Apaisement Social235 (PAS) de la décennie 2000

Le début des années 2000 est une période critique pour le pays du fait des troubles politiques. Le
président Aristide est réinstallé au pouvoir sur les basses d’élections contestées par les partis
politiques d’opposition. Le secteur privé des affaires est stigmatisé par le chef de l’État en raison
de sa participation active ou passive présumée dans le coup d’État de 1991. La communauté
internationale qui finance le budget national à près de 50% est frileuse compte tenu des dérives
démocratiques du régime en place. La crise politique s’amplifie et tourne à la rébellion armée
proche de la guerre civile. Et en février 2004 le président Jean Bertrand Aristide est contraint de
démissionner. Ce geste ne résoudra pas la crise économique et l’insécurité qui lui sert de
pendant. Le gouvernement intérimaire arrive difficilement à contenir l’inflation et la dégradation
des conditions de vie. La communauté internationale vole au secours de la transition dite
démocratique en appui à travers un « Cadre de Coopération Intérimaire (CCI) » qui aboutirait à
la stabilité politique et économique.

1- Une prise en charge axée sur l’aide externe

Le CCI exposait le programme du Gouvernement d’Haïti en réponse à la situation difficile que


traversait le pays. Il exprimait la nécessité de redéfinir l’appui de la communauté internationale à
travers l’identification conjointe des besoins et la mise à disposition de financements pour la
période de transition (2004-2006). La 1ère phase d’identification des besoins a été dirigée par le
Gouvernement avec l’appui de la communauté internationale permettant ainsi de mettre à
contribution l’expertise technique, tant haïtienne, qu’internationale. Cette phase d’identification a
permis la tenue de la Conférence internationale des donateurs à Washington les 19 et 20 juillet
2004, au cours de laquelle les bailleurs de fonds ont répondu à l’appel du Gouvernement d’Haïti
et se sont engagés à mobiliser des ressources financières et humaines pour la mise en œuvre du

235
Le Plan d’Apaisement Social mis en place dans les années 2000 en Haïti pour soulager les plus démunis face à la
rigueur de l’inflation et la cherté de la vie, ne doit pas être confondu avec le Plan d’Ajustement Structurel (PAS) de
la Banque Mondiale et du FMI. On appelle "politique d'ajustement structurel" un ensemble de dispositions
résultant d'une négociation entre un pays endetté et le FMI (Fonds monétaire international). Ce dernier
conditionne son aide à la mise en place de réformes pérennes pour améliorer le fonctionnement économique du
pays. La Banque mondiale aide les ajustements structurels par des prêts en prônant la libéralisation des échanges
pour améliorer la compétitivité économique du pays. Les politiques d'ajustement structurel, d'inspiration libérale,
ont été mises en œuvre dans de nombreux pays à partir des années 1980. Elles sont souvent critiquées quant à
leur efficacité et surtout à cause des efforts extrêmes de rigueur demandés à certaines populations et de leurs
conséquences dramatiques sur le plan social.

488
CCI. La démarche a permis de recueillir des contributions de l'ordre de $1.085.000. C’est un
dépassement d'environ 20% les besoins financiers initialement identifié. Néanmoins l'euphorie
de départ a rapidement fait place au défi de passer d'un cadre et des promesses à une conception
et à une mise en œuvre concrète des projets. La mise en œuvre du CCI a pris du temps et le lent
décaissement des fonds a conduit les autorités du gouvernement haïtien à faire pression pour
l'accélération des décaissements et l'assouplissement des procédures.

La transition politique va aboutir à l’élection de René Préval comme président (pour un second
mandat). La situation économique et surtout les conditions de vie de la majorité des haïtiens
n’ont enregistré aucune amélioration significative. Les promesses du CCI n’aboutissent pas et les
plus pauvres en paient le prix fort (inflation et cherté de la vie). L’échec de ce cadre de
coopération est du à de nombreux facteurs : les désaccords concernant l'architecture finale du
CCI entre les acteurs ; le fardeau du paiement des arriérés de salaire, la capacité administrative
limitée de l’État haïtien, la lenteur des décaissements (ce qui a provoqué des tensions et des
accusations mutuelles entre le gouvernement haïtien et les bailleurs/donateurs). Face à ces défis
et à la grogne citoyenne qui montait le nouveau gouvernement joue la carte sociale par un nouvel
instrument de prise en charge : le Programme d’Apaisement Social (PAS).

2- Un contenu diversifié

À la Conférence de Brasilia tenue sur Haïti le 23 mai 2006 dans la capitale fédérale du Brésil, le
représentant du nouveau président haïtien a présenté à la communauté des bailleurs un
programme dénommé Programme d’Apaisement Social (PAS). Il visait à atténuer les multiples
problèmes confrontés actuellement par les groupes les plus vulnérables de la société haïtienne.
Ce représentant, M. Daniel Dorsainvil avait précisé que ce programme devrait cibler plus de 540
sections communales dans les 144 communes composant l’ensemble du territoire national. Les
pourparlers entre la communauté internationale (bailleurs de fonds et pays amis) et le
gouvernement haïtien ont abouti à des promesses de financement de deux milliards de dollars.

Dans le cadre de ce programme de prise en charge des plus démunis de nombreux projets sont
sériés et annoncés236. Un plan de réponse à la vie chère est coordonné par la Commission

236
Le premier ministre d’alors Jacques Édouard Alexis le Programme d'Apaisement Social mise en œuvre par son
gouvernement « qui vise à répondre à très court terme à diverses demandes sociales, à apaiser la misère des plus
démunis et à constituer des amorces aux initiatives plus structurantes de la programmation à moyen terme ». La

489
Nationale de Sécurité Alimentaire (CNSA). Il est conçu pour une période de six mois pour un
montant global d’environ 6 milliards de gourdes. Il s’adresse au plus défavorisés (2 500 000
personnes) et vise la création d’emplois, l’assistance alimentaire et la relance de la production
agricole. Un plan de relance de la production agricole en termes de fourniture d’intrants à des
prix subventionnés (engrais, semences, pesticides), de crédit, de mise à disposition de tracteurs
agricoles a été présenté par le ministre de l’agriculture Mr J. Gué. Le Programme d’Apaisement
Social (PAS) met en place le projet « Dlo pou tout moun nan Site Solèy’’ (De l’eau pour tous à
Cité Soleil). Cette action vise à augmenter la quantité et améliorer la qualité de l’eau à Cité
Soleil. Un montant de 16 millions de gourdes est crédité à ce projet.

Le PAS met en œuvre un processus de dédommagement des employés publics révoqués


illégalement, dit-on par le gouvernement intérimaire. Il devait coûter 25 millions de dollars. Des
projets communaux liés aux travaux de haute intensité de main d’œuvre sont prévus pour un
montant de 50 millions de dollars. Dans le but de soulager les populations vulnérables, et par le
truchement du ministère des Affaires sociales et du Travail (MAST) le PAS a mis en place 50
cantines populaires répartis dans plusieurs quartiers défavorisés de Port-au-Prince et de certaines
villes de province. Pour un prix symbolique de 10 gourdes par plat, quelque 1.300 000 repas
chauds ont été servis. Les populations des quartiers défavorisés tels Cité Soleil, Solino, Bel-Air,
et la Savane (Cayes) entre autres, ont accès à un plat chaud, du lundi au vendredi. A cela il faut
ajouter le volet de la distribution de kits scolaires à l’occasion de la rentrée scolaire pris en
charge dans le cadre du même programme. Le tableau suivant explique la trajectoire de la mise
en œuvre du PAS.

BID par l’intermédiaire de son président de l’époque, Luis Alberto Moreno endosse le PAS en se disant confiant
dans la réussite de nouveaux projets avec Haïti, dont des prêts pour l’expansion des services d’eau potable et
d’assainissement de base dans les zones rurales ; des chaînes de production rurale ; la réhabilitation des services
d’électricité et du réseau routier ; la gestion des ressources naturelles dans les bassins-versants prioritaires, et un
programme nutritionnel, sanitaire et pédagogique précoce pour les bébés et jeunes enfants. Il a du même coup
salué l’appel lancé par Préval aux partis politiques, au secteur privé et à la société civile en vue d’établir un pacte
de gouvernance et de développement devant aider Haïti à acquérir une stabilité politique, économique et sociale,
et à répondre aux besoins pressants de sa population

490
Tableau 39.- Trajectoire de la mise en œuvre du PAS (2004-2008)
Cadre de
Catégories ciblées Bailleurs de fonds Actions réalisées
développement
Paysans Cantines scolaires
§ BID 247 000 élèves
§ CCI Enfants § Brésil Eau potable à Cité
§ Gvt. de Boniface § USA Soleil
§ Gvt. de Préval Elèves 2 milliards de dollars 50 restaurants
promis populaires

Chômeurs 189 000 kits scolaires


Ruraux 468 tonnes d’intrants
Habitants des 267 millions décaissés
bidonvilles (13,35%)

Sources : P J Mérat selon les données du CCI

Le bilan est mitigé, les résultats escomptés ne se sont pas concrétisés car les promesses de
financement des bailleurs et des partenaires bilatéraux n’ont pas été tenues. Seulement 13, 35 %
des fonds promis ont été décaissés. L’inflation et l’augmentation brutale des prix des produits de
première nécessité va déboucher sur des émeutes de la faim quelques mois plus tard. En avril
2007, des manifestations violentes ont été enregistrées à Port-au-Prince et dans certaines villes de
province. Il s’agit d’un mouvement de protestation contre la cherté de la vie qui frappe toutes les
couches de la population depuis octobre 2007.

Il y eu 1 mort, 4 blessés par balles (dont 2 aux Cayes, ainsi qu’un étudiant et un policier à Port-
au-Prince), plusieurs centaines de pare-brise de véhicules ont été brisés et un nombre indéterminé
de véhicules incendiés. La résidence de la famille d’un des sénateurs du sud, Jean Gabriel
Fortuné a été saccagée aux Cayes, troisième ville du pays. De nombreux édifices publics ont été
l’objet de jets de pierres par les manifestants en colère. Ces derniers ne sont pas satisfaits de
l’absence de réponses concrètes du gouvernement à leurs difficultés quotidiennes, notamment la
hausse accélérée du coût de la vie. Le premier ministre a été renvoyé et du même coup le PAS
(première génération) est mis de côté.

491
Conclusion

Le niveau de réussite du PAS était connu d’avance car ce genre de programme encourage
généralement la mise en place de « petits projets » visant à créer des emplois à haute intensité de
main-d’œuvre. Ces emplois à faibles revenus sont souvent temporaires et ne provoquent pas la
croissance économique soutenue pour résoudre les problèmes des familles pauvres. En outre, il
faut souligner que l’on retrouve assez souvent des cas de corruption au niveau de la gestion de
ces «petits projets», ce qui constitue un sérieux frein à l’amélioration des conditions de vie des
catégories les plus démunies. En effet, pour satisfaire les besoins de la population sur le long
terme, le gouvernement aurait dû, de concert avec le Parlement, élaborer des politiques publiques
visant à éliminer les multiples contraintes structurelles qui entravent une croissance économique
forte et soutenue. Celle qui est nécessaire à toute lutte efficace contre la pauvreté. Une fois de
plus les déçus du Programme d’Apaisement Social vont grossir les rangs des populations
vulnérables des bidonvilles et des littoraux.

C- L’EDEPEP237 pour la prise en charge de la période post-sismique

Au lendemain du séisme du 12 janvier 2010 les enquêtes (ENMP et ECVMAS) ont montré que
les conditions de vie dans le pays se sont terriblement détériorées. Cette catastrophe naturelle a
été un vrai choc économique en raison des pertes considérables qu’elle a générées. Les
dommages sont évalués à plus de 120% du PIB du pays. Les pouvoirs publics se retrouvent donc
face à leurs responsabilités républicaines : reconstruire le pays et permettre à la population de
bénéficier de la solidarité nationale de manière inclusive. Conscient de l’importance du droit à la
protection sociale pour atténuer l’exclusion, afin de réduire les conditions de pauvreté extrême
qui touchent 56% de la population haïtienne qui vit avec moins d’un dollar par jour, le
Gouvernement d’Haïti a développé une stratégie globale de protection sociale dénommée “EDE
PEP”. Mise en place depuis octobre 2012 cette stratégie a été conçue comme un ensemble
d’interventions publiques qui fournissent une assistance sociale à la population vulnérable vivant
dans la pauvreté extrême.

237
L’EDE PEP est le nom d’un programme de prise en charge sociale mis en place par le président Michel Martelly.
Littéralement, ce mot haïtien prend le sens de « aide au peuple ». Il a été conçu sur le modèle du Bolsa familia du
Brésil.

492
1- Un programme ambitieux

L’objectif d’EDEPEP est de protéger à court et à moyen terme, la population vulnérable vivant
en pauvreté extrême, afin d’assurer, à long terme, l’investissement dans son capital humain et lui
offrir des opportunités pour sortir de la condition de pauvreté extrême. Au cours de la période
2012-2015, quelque 3 972 786 personnes ont été touchées (directement et indirectement) par le
programme. Un budget de plus de 8 milliards de gourdes a été mis à la disposition du
programme, selon le responsable du Fonds d’Assistance Economique et Sociale (FAES) le co-
gestionnaire du programme. La stratégie était basée sur trois piliers complémentaires ayant
chacun des objectifs généraux et spécifiques.

Un volet d’assistance sociale. Son objectif était de donner aux ménages les plus pauvres des
transferts conditionnés ou non conditionnés, des ressources en espèce ou en nature, assurant
ainsi un niveau minimal de revenu, prenant en compte les vulnérabilités des conditions de vie de
leurs membres.

Un volet de développement du capital humain. L’objectif de ce pilier était d’assurer la


croissance du capital humain des membres des ménages pauvres à travers des programmes de
promotion de la fréquentation scolaire et de la formation professionnelle.

Un volet d’inclusion économique. Il visait, en général, la création d’emploi, l’appui aux


activités génératrices de revenu, l’accès au crédit, et l’appui à la commercialisation des biens.
L’EDEPEP est décliné en sous-programmes.

493
Figure 17.- Les différents piliers de la stratégie EDEPEP avec leurs-programmes et
axes d’intervention

Structurant
• Kore Andikape
• Kore Ti Gran Moun
Développement
• Bon Solidarite Capital Humain
Urgence • Kredi Fanm
• PSUGO
• Panye Solidarite • Kore Paysan
• Ti Manman Cheri
• Kantin Mobil • Distribution Cabrit
• Kore Etidyan!
• Kantin Fix
• Cantine Scolaire
• Bon Dijans Inclusion
Economique
Assistance
Sociale

Cette stratégie adopte une approche intégrée à travers un comité de pilotage interministériel
constitué de représentants des Ministères sectoriels évoluant dans le domaine de la protection
sociale et présidé par la Primature. Dans cette architecture il faut ajouter les agences d’exécution
telles le FAES et le Programme National de Cantines Scolaires (PNCS).

2- Une mise en œuvre tapageuse, morcelée et douteuse

Le ménage, pour toutes les composantes de la stratégie d’EDEPEP, est conçu comme l’unité de
base réceptrice des interventions publiques de façon à ce que leur impact, même si dirigé sur un
membre spécifique du ménage, ait des effets synergiques sur l’ensemble du noyau familial. Les
piliers assistance sociale, développement du capital humain238 et inclusion économique

238
Il faut noter que la théorie du capital humain insiste sur les rôles économiques instrumentaux de l’éducation.
Cette approche affirme que l’investissement en éducation mène à la formation du capital humain en tant que
facteur-clé dans la croissance économique. L’un des éléments essentiels de la théorie du capital humain est la

494
interviennent de façon transversale sur les populations et viennent directement renforcer l’offre
de services sociaux de base. La vulgarisation du programme fait l’objet d’une attention spéciale
du gouvernement. Tous les medias du pays assurent sa promotion pour le compte du
gouvernement. La démarche est tapageuse et s’attire de nombreuses critiques dénonçant la part
de dépenses trop grande de communication aux dépens de bénéfices effectivement promis. Les
contours du volet « assistance sociale », exposés dans le tableau suivant, témoignent de
l’ambition de cette opération de prise en charge post-sismique

promotion de l’éducation comme un investissement dans la productivité du travail. Pour le programme EDEPEP
quatre indicateurs ont été retenus : la régularité à l’école, le rendement, la fréquence des allocations et l’utilisation
faite des allocations

495
Tableau 40.- Répartition des volets du pilier Assistance sociale suivant l’objectif, la cible
et le subside
Programme Objectif Cible Subside
Les ménages vivant dans
Fournir une aide financière aux
Bon Solidarite l’extrême pauvreté et nécessitant
gens qui ont du mal à satisfaire
une intervention immédiate suite 500 Gdes/ménage
(Bon de solidarité) leurs besoins primaires suite à
à une catastrophe naturelle ou un
une catastrophe naturelle
autre choc externe.

Les ménages vivant dans


Fournir une aide financière aux
Bon Dijans l’extrême pauvreté et nécessitant
gens qui ont du mal à satisfaire
une intervention immédiate suite 1000 Gdes/ménage
(Bon d’urgence) leurs besoins primaires suite à
à une catastrophe naturelle ou un
une catastrophe naturelle
autre choc externe.

panier de produits
alimentaires locaux
Panye Solidarite Les ménages vivant dans
Soutien à la sécurité alimentaire contenant : 4lb de riz, 3lb
l’extrême pauvreté en zone
(panier de solidarité) des familles défavorisées de haricots, 2lb de maïs,
rurale
8oz de pate de tomate,
6oz spaghetti, du sel iodé

appuyer directement la lutte


Kantin Mobil contre la faim à travers la
distribution de plats chauds aux Les personnes vivant en extrême
(cantines mobiles) plats chauds
populations pauvreté en zone urbaine

appuyer directement la lutte


Kantin Fix contre la faim à travers la Les personnes vivant en extrême
plats chauds
(cantines fixes) distribution de plats chauds aux pauvreté en zone urbaine
populations

ménages en extrême pauvreté


Améliorer les conditions de vie contenant une personne de plus
Kore ti Granmoun un montant de 800
des bénéficiaires qui n’ont aucune de plus de 65 ans ne travaillant
gourdes chaque deux
(Aide aux seniors) autre source d’assistance dans une institution de prise en
mois
financière institutionnelle. charge, ne percevant aucune
pension.

ménages en extrême pauvreté


améliorer les conditions de vie
contenant une personne âgés
des bénéficiaires et de soutenir
Kore Andikape entre 18 et 65 ans vivant avec au un montant de 800
l’autonomisation des personnes
moins un handicap grave ne gourdes chaque deux
(aide aux handicapés) handicapées qui n’ont aucune
travaillant dans une institution de mois
autre source d’assistance
prise en charge, ne percevant
financière institutionnelle
aucune pension.

Sources : ONPES, 2014

496
La mise en œuvre d’EDEPEP, malgré l’accueil favorable des plus pauvres, génère des doutes.
Ces derniers sont conséquents dans au moins deux volets : le ciblage des bénéficiaires et le
management de l’exercice. En effet, le problème de ciblage s’est posé pour la définition des
critères de familles ou ménages pauvres et surtout de leur identification. On soupçonne les
autorités gouvernementales de favoriser leurs partisans ou les potentiels soutiens électoraux dans
les milieux populaires et défavorisés. La capacité de Suivi des conditionnalités n’étaient pas
démontrées. Et dans ce créneau on notait principalement l’incapacité administrative des organes
chargés du contrôle et de l’évaluation des résultats escomptés. Le financement, axé sur un prêt
du Venezuela dans le cadre de l’accord Petro-caribe, présageait d’un déficit de durabilité
budgétaire du programme. Ce dernier souffrait aussi du cadre temporel au regard des
bénéficiaires : le citoyen pris en charge n’est pas inscrit dans la dynamique d’entrée et de sortie.
Enfin, on observe un déficit grave dans la gouvernance des informations collectées et évaluées
va demeurer.

3- Un bilan gratifiant mais réversible

La mise en œuvre du programme EDEPEP s’est réalisée de 2012 à 2015. Les bénéficiaires se
comptent par milliers entre étudiants, ménages, paysans, vieillards etc. Les composantes du
programme sont connues et s’installent dans les débats citoyens et politiques. Les images sont
fortes : poster géants et longues caravanes de camions distribuant de la nourriture un peu partout
même sporadiquement. La photo suivante prise dans la ville des Coteaux (sud) à 254 kilomètres
de la capitale témoigne de cette présence. En dehors des effets d’annonce et du matraquage
médiatique le programme a abouti à des résultats conséquents. Il est difficile de les ignorer en
dépit des déficits criants qu’on a pu observer tant dans la conception que dans la mise en œuvre.

497
Photo 35.- Convoi de EDEPEP en tournée dans la région sud du pays

Crédit photo de Pierre Jorès Mérat


L’équipe de EDEPEP se prépare à offrir aux plus démunis de la villes des Coteaux des centaines de plats
chauds pour un prix modique de 10 gourdes ( à peine 0,15 centimes d’euros).

EDE PÈP a permis aux bénéficiaires de passer d’un repas à deux repas et par jour. Il tend à faire
augmenter le taux de scolarisation. Il favorise l’accumulation de savoirs chez les étudiants
bénéficiaires. Il contribue à l’augmentation de la production agricole. Il participe à
l’augmentation du revenu des bénéficiaires et à l’augmentation du patrimoine des bénéficiaires.
Néanmoins le plus gros succès du programme réside dans le taux de pénétration de la protection
sociale. En effet, la majorité des haïtiens reste en dehors du champ d’application des régimes
d’assurance sociale. Moins de 3 haïtiens sur 100 bénéficient d’une protection sociale minimale à
travers les assureurs privés, la pension civile et surtout par le biais de l’OFATMA et de l’ONA.
Une véritable fracture sociale s’installe entre une infime minorité capable de faire face aux
accidents sociaux et une écrasante majorité à la merci de moindre choc (social ou associé aux
catastrophes naturelles). Or depuis 2012 le score national du pays en matière de protection
sociale a été multiplié par trois. Il est passé de 3,5% en 2009 à 11 % en 2012. Néanmoins il reste
en deçà de la moyenne régionale qui est de 23%. Deux handicaps majeurs sont à déplorer : les
bénéficiaires des prestations ne sont pas forcément les plus pauvres (le schéma suivant établît
498
cette distorsion) et le financement n’est pas garanti ce qui rend les progrès réversibles. La
question du financement des transferts sociaux est essentielle. Le point de départ devrait être la
disponibilité des ressources nationales.

Tableau 41.- Les catégories touchées par les prestations de EDE PEP (2011/2013)

ECVMAS, 2013

Conclusion

Les progrès enregistrés dans la prise en charge sociale dans le pays de 2012 à 2015 sont
conséquents. Des milliers d’enfants ont pu être scolarisés, des centaines d’étudiants sont aidés
dans leur accès aux nouvelles technologies de l’information, des milliers de mères de familles
ont pu accéder à un revenu supplémentaire et des milliers de citoyens nécessiteux ont pu accéder
à la nourriture grâce aux repas distribués dans le cadre de ce programme. Toutefois il faut le
souligner le programme s’est arrêté en 2015 avec l’épuisement des fonds de l’accord Petro
caribe. L’État haïtien ne pouvait pas continuer à assurer le financement faute de ressources. Les
scores nationaux atteints en matière de services sociaux de base sont ramenés à leur niveau
d’avant la mise en œuvre du programme. Les 11% de bénéficiaires des prestations sociales
constatés en 2013 par l’ECVMAS sont redescendus, en 2017, à 3,5% le score national de 2009.
Il importe aussi de signaler un autre aspect significatif de la mise en œuvre de EDEPEP : les
bénéficiaires étaient majoritairement des urbains autrement dit la ville était perçue comme le lieu
dans lequel l’État pourvoit a un minimum de prise en charge. Ce qui poussait les populations

499
rurales vers les centres urbains et conséquemment vers les littoraux qui continuent à être des
lieux de vie et de production pour lesquels l’accès au plus pauvres demeure aisé et immédiat
compte tenu de leur statut de zone marginale dans la perception générale. Dans ce contexte,
l’échec ou la réussite de cette prise en charge de la pauvreté par les pouvoirs publics ne pouvait
qu’accélérer la littoralisation appauvrissante. En réalité, ce nouveau contour de la prise en charge
sociale qu’est EDE PÈP, s’il était réalisé dans le cadre d’un financement institutionnalisé,
pouvait jouer le rôle de stabilisateur automatique sur la situation économique et sociale de
certaines communautés fragilisées par la rigueur du libre marché, l’inconsistance de la croissance
économique nationale et le poids sévère des chocs liés aux catastrophes naturelles à l’instar du
séisme du 12 janvier 2010.

D- La prise en charge de la pauvreté à l’ile-à-Vaches par le développement touristique

L’Ile-à-Vaches fait partie d’une dizaine d’iles adjacentes au territoire national et qui sont
exploitées toute l’année par les pêcheurs ou habitées en permanence par des populations
diversifiées comme milieu de vie et de production. Cependant ces iles jointes aux littoraux
constituent de véritables poches de pauvreté. Elles sont enclavées, marginalisées et abandonnées
à leur sort. Elles connaissent un sous-équipement sévère : peu d’établissements scolaires, de
rares centres de santé, pas de système d’électrification, peu de système d’adduction d’eau
potable, une connexion faible avec le marché national car la continuité territoriale se fait à
travers des équipements (embarcadères etc.) d’un autre âge. Mais au-delà de tout cela elles
disposent de nombreux atouts qui auraient pu les aider à réduire la pauvreté de leurs populations.
Ces atouts vont être pris en compte dans la perspective de lutte contre la pauvreté par le
gouvernement haïtien en 2012 à travers un programme baptisé « développement intégral de l’ile-
à-Vaches ».

1- Une ile au trésor dans un mauvais sort

L’Île-à-Vache, se situe au large de la côte sud-ouest d’Haïti à une vingtaine de km de la ville des
Cayes. Elle s’étend sur 3,2 km de largeur et 15 km de longueur. Elle a une superficie de 51km2.
Le recensement de 2003 lui accorde une population de 14 000 habitants. On y trouve plus de 20
plages, c’est un espace de collines. Elle possède sur plus de 12 kilomètres des lagunes

500
constituées des plus grandes forêts de mangrove du pays, et les eaux du rivage sont jalonnées
d’épaves, de récifs coralliens et de rumeurs de trésors engloutis.

L’ile a un passé sulfureux en étant la base de repli des expéditions audacieuses d’un célèbre
pirate, le capitaine Henry Morgan. Aujourd’hui, elle a reconstitué une partie de cet héritage haut
en couleur avec la présence de nombreux Colombiens et Jamaïcains qui ne peuvent pas toujours
justifier leur présence. Le trafic de la cocaïne colombienne et de la marijuana jamaïcaine sont les
activités lucratives majeures de ce morceau du territoire en partie abandonné par l’État haïtien.
L’économie de l’ile est basée sur la pêche artisanale, l’agriculture et l’élevage. Le transit de la
drogue venue de l’Amérique du sud et de la Jamaïque ne profite qu’aux réseaux nationaux de
trafiquants et non aux populations locales qui sont étrangères à ce type d’économie parallèle.

Photo 36.- Les images de rêves de l’ile vendues par le projet

Sources : MTIC. Plan de développement touristique de l’Ile à vaches

Les images presque idylliques de l’ile semblent gommer le dénuement que vit la population
locale. L’Ile est dépourvue de tout en termes d’équipements et de services sociaux de base. L’eau
courante n’est pas effective et l’électricité est absente. Une seule clinique de santé prodigue des
soins de santé à qui mieux mieux à toute la population. Pour des soins hospitaliers, il faut
traverser la mer pour atteindre l’hôpital universitaire des Cayes ou rejoindre un centre privé à
prix fort. Une exigence que plus de 90% de la population ne peuvent pas honorer. La production
agricole ne peut pas atteindre correctement le marché régional et national au regard du coût
exorbitant que le transport exige. Les produits de la pêche sont mieux écoulés en raison de
l’implantation de deux opérateurs touristiques : Port Morgan et Aka bay. Néanmoins
l’obsolescence et le caractère sommaire des outils de pêche (voir la photo suivante) ne
permettent pas aux revenus associés d’être gratifiants.

501
Photo 37.- Le piroguier / pêcheur traditionnel de l’ile

Crédit photo de Pierre Condé


Les filets et les pirogues creusés à même un tronc d’arbre sont les instruments de base pour les pêcheurs de
l’ile.

2- Une prise en charge par l’équipement en services sociaux de base

Le 10 mai 2013, le gouvernement du président Martelly a pris un arrêté présidentiel pour


déclarer la commune de l’Ile à Vache ainsi que toute l’étendue du territoire maritime comprise
dans ses limites, zone réservée et zone de développement touristique. L’espace, déclarée zone
d’utilité publique239, était dédiée à l’implantation de nombreuses infrastructures touristique
susceptible de tirer l’ile vers le développement et la création de richesse afin d’atténuer et de
diminuer drastiquement la pauvreté locale. Les déclarations des responsables politiques sont

239
Cette décision a soulevé la colère de certaines organisations de la société civile et des droits humains. Un
rapport de ces derniers dénonce la démarche en ces termes « La population n’a été informée de cet arrêté
présidentiel que par le biais de la presse ou sur ouï-dire. Ainsi, différentes rumeurs et spéculations faisaient état de
délocalisation de la population, d’expropriation des propriétaires, d’où la naissance d’un climat de peur. En effet,
les habitants de l'île ne souhaitent ni être dépouillés de leurs terres, ni se retrouver dans une situation telle qu'ils
seraient obligés d'abandonner l’île » Les signataires de ce rapport sont : Défenseurs Sans Frontières de Droits
Humains DESAFRODH Défenseurs des Opprimés DOP Fòs Refleksyon ak Aksyon sou Koze Kay FRAKKA Groupe
d’Appui aux Réfugiés et Rapatriés GARR Commission Episcopale Nationale Justice et Paix JILAP Plateforme
Haïtienne de Plaidoyer pour un Développement Alternatif PAPDA Plateforme des Organisations Haïtiennes de
Droits Humains POHDH Réseau National de Défense des Droits Humains RNDDH

502
optimistes et celle de la Ministre du tourisme de l’époque Stephanie Villdrouin Balmir en est un
bon témoignage : «La vision de l’administration Martelly-Lamothe était de créer de nouvelles
destinations touristiques, avec les infrastructures adéquates : débarcadère, route, aéroport,
organisation de l’accueil des touristes, la formation pour les jeunes, les projets agricoles, les
projets sociaux pour accompagner toute une population à mieux s’impliquer dans son propre
développement; le projet de l’île regroupait toutes ces composantes ». Cette logique donne lieu à
de nombreux projets sur l’ile.

Tableau 42.- Les projets promis à l’Ile à Vaches dans le plan touristique
Axe d’intervention Actions prévues État des lieux en 2018
- Cantine communautaire
- Centre communautaire
- Lampadaires solaires
Equipements sociaux
Equipements sociaux et urbains - Eau potable
non installés
- Radio communautaire
- Village touristique
- Centre de santé d’urgence

- Réhabilitation des
mangroves Aucun équipement
Equipements économiques - Agrotourisme prévu n’est installé
- Aquaculture
- Infrastructures agricoles
- Aéroport international
- Route panoramique Seul le tracée de la route
Continuité territoriale - Musée subaquatique a été réalisé
- Embarcadère

Continuité administrative - L’ensemble des ministères Aucun n’est présent

Sources : Pierre Jorès Mérat selon les données du MTIC

Certaines de ces actions ont pu voir le jour malgré la réticence de certains habitants. Ces derniers
s’agitent contre les déplacements, les dédommagements inconséquents et leur avenir sur l’ile au
regard des grands groupes qui vont s’installer. Les témoignages et déclarations de ces habitants

503
sceptiques mettent en lumière leur peur. Un agriculteur fait remarquer que « mes doutes et
critiquent ne visent pas le tourisme ou le développement en soi - seulement la manière dont
l’envisage le gouvernement ». Le même son de cloche du côté de Robert Dietrich, propriétaire et
prestataire d’une entreprise touristique installée sur l’ile depuis plus d’une dizaine d’années
(Abaka Bay), il explique : «J’avais envisagé le projet d’Ile-à-Vache comme une manière de
rendre à Haïti ce qu’un lui doit, pas de le spolier encore une fois». Et dans une lettre ouverte au
gouvernement, il enfonce le clou : «Je vous exhorte à reculer, à respecter les souhaits des
habitants d’Ile-à-Vache, et à ne pas tenter de leur faire avaler de force votre vision du
“développement.”», Le projet s’implante et cela à coups de publicité mais n’arrive pas à termes.

En 2015, autrement dit deux ans après le début de la mise en œuvre du projet, tous les travaux
en cours d’exécution sont mis à l’arrêt. Et les engagements ne vont plus être respectés. Les
dédommagements promis aux petits exploitants agricoles expropriés dans le cadre du projet ne
sont pas honorés. Seulement 1000 mètres en terre battue ont été engagés pour la piste
d’atterrissage de l’aéroport projeté. La compagnie en charge de cette construction affirme n’avoir
empoché que 5 des 19 millions de dollars que lui doit l’État haïtien. Le quai prévu à Kay Kock
n’a pas dépassé le stade d’une armature d’acier informe que la rouille commence à dépecer. La
construction de plusieurs hôtels ressorts à travers 2 500 villas n’a pas eu lieu. En juillet 2015, le
président Michel Martelly et son premier ministre Evans Paul prirent une résolution pour
désaffecter des fonds dédiés au projet de l’Ile-à-Vache.

Conclusion

Les pouvoirs publics encore une fois n’ont pas tenu leur promesse. Mais de l’argent a été
dépensé, plus de 9 millions de dollars ont été décaissés. La population de l’ile quoique sceptique
sur les retombées, attendait la réussite du projet pour espérer de meilleures conditions de vie. La
rénovation urbaine et les équipements sociaux qu’on lui a promis ne sont pas réalisés :
l’alimentation en eau de l’ile demeure chaotique et l’accès aux soins de santé est critique. Les
infrastructures publiques prévues dans le projet ne sont pas effectives. La présence de l’État sur
l’ile à travers les institutions publiques (ministères) n’a pas pu se concrétiser. Les projets
économiques n’ont pas abouti : agriculture demeure une activité de subsistance et les
infrastructures associées ne peuvent pas garantir des revenus décents. La pêche ne reçoit aucun

504
équipement susceptible d’amplifier la productivité. Les promesses ne sont pas tenues et on parle
de corruption ou de gaspillage dans le meilleur des cas.

« C’est de l’argent utilisé dans le mauvais sens », a déclaré le maire de l’Ile-à-Vache, Jean Yves
Amazan, dans une interview accordée au journal le Nouvelliste (déc. 2017). L’Ile n’est plus la
priorité du gouvernement, sa prise en charge est laissée aux souvenirs de la flibusterie passée et
au trafic de stupéfiants. La population de l’ile et les plus pauvres en particulier continuent à vivre
dans l’enclavement et la relégation.

E- La prise en charge de la pauvreté par le village des pêcheurs

Les pêcheurs sont parmi les catégories sociales les plus pauvres du pays. Ils sont sollicités tous
les jours pour remplir les assiettes mais le pêcheur basique est traditionnellement perçu comme
un pauvre et un marginal. Cette image peu valorisante va le contraindre à vivre souvent sur les
marges littorales dans des villages particuliers avec leurs familles. Ces lieux d’implantation sont
de véritables isolats de pauvreté. Ils sont dépourvus de tout et les conditions de vie à l’intérieur
sont calamiteuses. Ces villages sont des milieux de vie et de production que les pouvoirs publics
ont souvent oubliés dans leurs plans de développement et les investissements sociaux. Depuis
quelques années le gouvernement haïtien tente de corriger cette situation injustifiée par des outils
conçus dans le sillage des catastrophes naturelles : le séisme de 2010 et l’ouragan dévastateur
Matthew en 2016. Quelle est l’orientation de cette prise en charge ? Quels acteurs sont
impliqués ? Et quel est le bilan, à moyen terme, de cette initiative ?

1- Une politique sous l’effet de l’urgence

Le Plan Stratégique de Développement d’Haïti (PSDH) a prévu de prendre en charge les zones
de pêche (et les pêcheurs) dans un programme axé sur la modernisation et la dynamisation. La
démarche intègre sept volets : Appuyer le développement durable de la pêche, Faciliter l’accès
au matériel et aux intrants, Implanter des dispositifs de concentration de poissons (DCP),
Aménager des lacs collinaires, Implanter des fermes piscicoles, Implanter des fermes aquacoles
et Mettre en place un réseau de chaine de froid pour les produits de la pêche. Entre 2012 et 2016
rien n’a été engagé du côté des pouvoirs publics pour mettre en œuvre les actions préconisées par
le plan national de développement. En octobre 2016, la péninsule du sud a été sévèrement
frappée par l’ouragan Matthew. Et la pêche a été l’un des secteurs d’activités les plus touchés.

505
L’évaluation des dégâts ont révélé que 8 pêcheurs sur 10 avaient totalement perdu leurs matériels
de pêche et étaient dans l’incapacité de reprendre immédiatement leur activité. Sous la pression
de l’urgence, quelques mois plus tard, le gouvernement haïtien avait mis en place un programme
de prise en charge dénommé « réseau de villages pêcheurs ». Il prend en compte prioritairement
les pêcheurs des côtes Nord et ceux de la péninsule du Sud. L’idée majeure est de prendre en
charge les sinistrés du cyclone Matthew pour aborder la question sur le plan national. Le MPCE,
par l’entremise du Directeur du service national de l’aménagement du territoire (SNAT), avait
précisé que « les professionnels de la mer ont besoin d’être recapitalisés pour sortir de leur
situation d’assistés conjoncturels sous le risque de devenir permanents à terme ». Les objectifs
du « réseau de villages pêcheurs » se déclinaient comme suit :

création de villages pêcheurs fonctionnels et modernes à travers le pays mais de façon


prioritaire dans la Péninsule Sud et sur les côtes nord ;

appuyer le processus de relance des activités de pêche dans la Péninsule Sud;

appuyer les activités d’ingénierie sociale visant à fédérer les professionnels de pêche

créer des conditions favorables à la rationalisation de l’utilisation des équipements mis à


disposition dans les villages

concevoir et élaborer des modules de formation à l’attention des pêcheurs

appuyer la modernisation du système de vente des produits de mer

institutionnalisation d’un système de crédit solidaire en vue du financement des couts


récurrents des équipements

Au bout de l’exercice deux livrables étaient attendus et promis par le gouvernement : Dix
villages de pêcheurs implantés et fonctionnels dans au moins cinq zones et des villages de
pêcheurs dotés d’équipements modernes. Nous notons que les autorités ont pris le soin de ne
proposer aucun calendrier/échéancier. Ce qui en dit long sur le processus de suivi et
d’évaluation.

506
2- Une action partagée par les ONG

Le gouvernement haïtien associe à l’initiative des Organisations Non Gouvernementales et


certaines agences d’aides ou humanitaires. Ce partenariat est constaté par la présence de Food
For the Poor et de la Coopération Espagnole-AECID dans le Comité de pilotage du projet de
prise en charge des pêcheurs par le biais du « Villages des Pêcheurs ». Le Food For the Poor a
mené une opération de ce type dans de nombreuses communes côtières du pays. Il a initié
jusqu’à 2014 un programme d’aide aux villages de pêcheurs. D’autres acteurs sont impliqués
dans la démarche. C’est le cas de World Concern, du Feed The Future, de la FAO et de la BID.
Et dans la plupart des cas le vis-à-vis demeure l’organisation communautaire des pêcheurs
associée à des mutuelles ou des coopératives.

Photo 38.- Matériels et équipements de pêche donnés aux villages de pêcheurs

Crédit photo de Food for the Poor


Quatre canots de pêche et une structure de conservation donnés aux pêcheurs des Abricots par l'ONG Food for the Poor. Des canots en
fibre de verre et une structure de conservation alimentée par l’énergie solaire. Les équipements sont utilisés de manière collective afin
d’assurer leur renouvellement.

3- Un contenu convaincant pour les pêcheurs

L’objectif poursuivi est d’améliorer le revenu des pêcheurs dans les zones d’intervention par le
biais du développement durable de la pêche. Pour y arriver, tout un ensemble d’activités est
prévu. La première partie du programme concerne en grande partie des interventions définies
dans le cadre du Plan de relance post-Matthew. Le programme projette de mettre à la disposition
des associations partenaires, moyennant une contrepartie minimale, 180 embarcations en fibre de
verre, 140 moteurs de 15 HP, 30 congélateurs solaires et matériels connexes, 1 500 glacières et 1
000 gilets de sauvetage 9 bateaux, des GPS et des matériels pour le montage et la pose de 25

507
Dispositifs de Concentration de Poissons (DCP240). Les associations et leurs membres reçoivent
des formations afin qu'elles soient à même d’utiliser les matériels. Ils ont exprimé grandement
leur espoir dans l’opération et ont manifesté leur satisfaction lors d’un focus group organisé (le 7
mars 2018) pour nous par les enquêteurs du CERHCA à Abacou (sud du pays).

L’emphase est mise également sur l’entrepreneuriat et le volet de cofinancement. Cet exercice
permet de renforcer la capacité organisationnelle de ces communautés de pêcheurs bénéficiaires
du programme. Cette formation s’adresse à 45 associations du Sud et de la Grand’Anse et elle
vise tous les aspects de l’activité de la pêche c'est-à-dire de la planification de la prise jusqu’à la
commercialisation. Le volet infrastructurel est également pris en compte. Le programme prévoit
la construction de cinq marchés de poissons, équipés de tout le matériel nécessaire, dont trois
dans le département du Sud-Est et deux dans la Grand’Anse. Il est aussi prévu la construction de
trois quais de débarquement à Dame-Marie, à Belle-Anse et à Marigot.

4- Un bilan peu radieux

Deux ans après leur mise en œuvre les ambitions et les objectifs du programme ne sont pas
encore réalisés. La création de villages de pêcheurs fonctionnels et modernes à travers le pays
n’est pas effective. En 2018, ces villages traditionnels qui sont au nombre de 420, n’ont pas
connu le saut qualitatif. Les conditions de vie restent en dessous du seuil de pauvreté national.
Aucun des dix villages ciblés n’a atteint le stade prévu. Le ministère de l’Agriculture
(MARNDR) en charge du processus de relance des activités de pêche dans la péninsule du Sud
n’a pas encore présenté de bilan sur les opérations engagées. Les activités d’ingénierie sociale
visant à fédérer les professionnels de pêche ont eu une certaine prise sur la vie des communautés
car on constate une multiplication des organisations de pêcheurs. Elles sont au nombre de 437
aujourd’hui contre une cinquantaine avant 2016. On doit souligner que les donateurs (pouvoirs
publics et bailleurs de fonds étrangers) privilégient les organisations comme vis-à-vis dans les
communautés. Autrement dit les pêcheurs /bénéficiaires étaient donc contraints de se mettre
240
Un DCP ou dispositif de concentration de poisson peut être une épave autour de laquelle se forme un
écosystème qui regorge de nourriture : algues, zooplanctons, huitres dont se raffolent les petits poissons .Ce lieu
de rassemblement des petits poissons attire les poissons prédateurs de tout calibre. La pèche autour de point
permet aux pêcheurs d’accéder aux thons, aux bonites etc. Le dispositif peut être artisanal, amélioré ou moderne.
Quelle que soit sa nature, il se compose de trois parties : Un flotteur à la surface, un attracteur, une ancre. Qu’il
soit artisanal, amélioré ou moderne, un DCP coute entre 600 à 2000 dollars américains l’unité. Ce coût demeure
élevé pour les communautés de pêcheurs et donc entrave leur multiplication.

508
ensemble pour recevoir les prestations. Une question se pose: la mutualisation insufflée dans la
population des pêcheurs survivra-t-elle au-delà de la période de mise en œuvre du programme de
prise en charge ? Les réponses obtenues dans le focus group d’Abacou sont dans l’affirmatif
mais d’autres expériences ont montré que la mutualisation n’a jamais tenu au-delà de l’espérance
de vie du projet. Une autre ambition qu’on peut considérer comme moyennement réalisée c’est la
conception et élaboration des modules de formation à l’attention des pêcheurs. Cette partie du
programme est fondamentalement animée par les ONG. De nombreuses formations sont données
par le Food For the Poor, le Concern, le Veterimed, le FAO etc. Les pouvoirs publics, par
l’intermédiaire du MARNDR restent aussi présents. Se faisant, la démarche permet aussi de
créer des conditions favorables à la rationalisation de l’utilisation des équipements mis à
disposition des bénéficiaires dans les villages. Cependant pour deux autres objectifs le
changement ne s’est pas réalisé. Le premier est que la modernisation du système de vente des
produits de mer n’est pas installée car les revenus des pêcheurs ne s’améliorent pas
considérablement car ils sont liés aux conditions générales du marché local. Or les ménages,
pour faire des économies et surtout pour contourner la cherté de la vie, se tournent davantage
vers les volailles plus facilement accessibles pour les bourses modestes que les produits de la
mer241.

Le second vient de l’institutionnalisation d’un système de crédit. Si volet crédit solidaire par la
mutualisation commence à s’installer dans les mœurs celui du crédit bancaire fait défaut. Le
pêcheur basique n’est pas une priorité pour les banques commerciales locales. Le financement
des couts récurrents des équipements n’est pas garanti. Une fois les outils reçus dans le cadre du
programme sont abimés ou perdus le bénéficiaire se retrouve donc dans l’incapacité de les
renouvelés faute de ressources financières suffisantes. L’exercice a permis de mettre les villages
de pêcheurs sous le feu de l’actualité car le gouvernement et les ONG avaient besoin de montré
leur intérêt et surtout le travail qu’ils accomplissent dans la prise en charge sociale des plus
démunis. Cette publicité va transformer ces lieux en réceptacle de l’aide publique et autre. Ce qui
a pour effet de les transformer en zones attractives pour les plus pauvres en quête d’opportunités.
La population de ces lieux va augmenter sensiblement sur la base de la même ressource. La

241
Le poisson est cité comme produit inaccessible par les ménages les plus pauvres. Le prix élevé contraint ces
ménages à se rabattre sur les morceaux de poulets importés des États-Unis. Ils arrivent tant bien que mal à
accéder au poisson par le biais du poisson Tilapia élevé dans les lacs collinaires ou les étangs du pays. Une
démarche très éloignée de la vie quotidienne des villages de pêcheurs.

509
pression sur le littoral et les ressources associées va augmenter significativement comme cela
s’est produit au village de Rosier dans le sud qui a vu le nombre de ses pêcheurs professionnels
passer de 16 à 35 entre mars 2017 et janvier 2018 (CERHCA, 2018). Les occupants augmentent,
la ressource n’a pas augmentée et les revenus n’ont pas connus de changements significatifs.
Ceci ne peut que conduire à l’appauvrissement du substrat qu’est le littoral et ceux qui l’habitent
et l’exploitent

Conclusion

La prise en charge des pêcheurs par les pouvoirs publics est une initiative très louable.
Néanmoins les résultats obtenus demeurent extrêmement limités. Car l’environnement des
villages de pêcheurs n’a pas été pris en compte. Augmenter la production de poissons ou le
volume de prises des pêcheurs doit être en concordance avec le marché. Ceux qui achètent n’ont
pas vu leur pouvoir d’achat s’améliorer de façon à ce qu’ils puissent consommer davantage.
Toute prise en charge spécifique doit être mise en relation avec ce qui se réalise sur le plan
global. En dehors de l’environnement économique comme composante déterminante dans
l’efficacité des politiques publiques il faut prendre en compte aussi le volet environnemental. En
effet, les mangroves qui participent à la reproduction et la pérennité des ressources pêchées ne
sont pas protégées. Elles restent sous le coup d’une exploitation prédatrice pour de nombreux
besoins. Ces derniers sont d’ordre énergétique (pour la cuisson des aliments) et de construction
(composantes et matières pour les échafaudages). Les pêcheurs subissent aussi la négligence ou
l’incapacité des pouvoirs publics à résoudre le problème de la dégradation des bassins versants.
L’urbanisation, la bidonvilisation excessive et l’agriculture, par le biais de l’érosion, engendrent
une forte sédimentation des zones basses et par voie de conséquence contamine les eaux du
littoral. Tout l'écosystème côtier est gravement menacé. Selon le Ministère de l’Agriculture, 85%
des bassins versants sont considérablement dégradées. Ceci a des répercussions négatives sur le
secteur de la pêche notamment en période pluie. Autrement dit le traitement des bassins versants
est indispensable dans le cadre de la mise en place de toute politique liée à la mer ou à ceux qui
s’approprient les littoraux dans le pays. Le bon état des bassins versants est une condition
nécessaire à la durabilité des ressources et à l’amélioration des conditions de vie des pêcheurs.
La bonne gouvernance doit donc chercher à concilier la protection de l’environnement, la lutte
contre la pauvreté et le développement local.

510
Conclusion de la partie

L’aménagement du littoral haïtien se réalise dans un cadre assez particulier à savoir le


télescopage entre les intérêts particuliers et ceux liés au patrimoine collectif. Les plus démunis
veulent accéder à la propriété et surtout au logement. Les entrepreneurs qui souhaitent capter les
bénéfices générés par l’émergence dans le pays des loisirs liés à la mer. Les Organisations non
Gouvernementales soucieuses d’aider et d’accompagner les plus pauvres se positionnent en
acteurs presque incontournables. Et les pouvoirs publics, pris dans la logique des grands plans
nationaux, qui s’intéressent au développement par l’intermédiaire de la décentralisation, se
révèlent être un acteur passif et même failli. La dynamique observée s’inscrit dans le sillage
d’une volonté politique de changer la gouvernance depuis la chute de la dictature des Duvalier en
1986. Or, la transition démocratique reste inachevée et donne lieu à de fréquents soubresauts.
Ces derniers affaiblissent l’État au profit d’acteurs nouveaux qui exploitent avec audace cette
faille. Néanmoins la multiplicité des acteurs n’empêche pas la prédominance de l’échelle
nationale. Tout est décidé à Port-au-Prince par les autorités centrales. L’échelle locale n’arrive
pas encore à s’affirmer dans les choix des politiques à mettre en œuvre et le type
d’investissement à faire pour une région spécifique. La décentralisation voulue par les citoyens et
décidée par la constitution depuis plus de trente ans est restée lettre morte. Et très souvent elle
sert d’instrument de marchandage entre les autorités centrales qui veulent garder coute que coute
leur suprématie et les pouvoirs locaux affaiblis et vulnérables qui négocient les miettes
(subventions, projets fantaisistes et peu gratifiants etc). La dynamique de domestication des
autorités locales se poursuit aussi dans leurs relations avec les ONG. Ces dernières, grâce aux
ressources financières dont elles disposent, se positionnent en véritable acteurs dans
l’aménagement, dans l’élaboration et dans la mise en œuvre les politiques publiques. D’autres
acteurs profitent malheureusement du laisser-aller affiché par les pouvoirs publics pour imprimer
leur marque sur l’aménagement par le biais de leurs intérêts propres sans se soucier de l’équilibre
de l’écosystème qui les entoure. Les entreprises n’honorent pas les engagements pris en matière
de protection de l’environnement. Leur implantation, leur développement et leur expansion ne
respectent point les règles et les normes fixées par la loi. Les cas du Parc Industriel de Caracol et
des stations d’essence installées dans le pays est symptomatique de ce problème, leurs charges
polluantes sont libérées dans l’environnement en dehors du contrôle des organismes publics
préposés à cela. Le citoyen, pris dans sa quête de survie, redessine, organise et aménage le

511
territoire par l’intermédiaire des marchés qui lui permettent de se connecter moyennement aux
flux et aux échanges nationaux. Il met en place, face à l’inertie de l’État, les conditions de son
accès à la propriété foncière par la poldérisation des traits de côtes. Cependant, le constat est
clair il existe aucune synergie dans l’aménagement des territoires (national, départemental,
communal, urbain et littoral) entre l’impuissance administrative de l’État, la puissance
économique dissuasive de l’entreprise, l’arrogance financière des ONG et la puissance politico-
électorale du citoyen. La multiplication des acteurs, animés seulement par la volonté de satisfaire
ses besoins propres, ne fait qu’amplifier les inégalités entre les non pauvres et les pauvres et
surtout hypothéquer la possibilité pour le pays d’aller vers un développement durable. Les
tentatives de prises en charge de la pauvreté initiées depuis les années 90 n’ont pas abouti à de
francs succès. Les Petits Projets de la Présidence (PPP) qui ont initié le processus de prise en
charge de la pauvreté a sombré dans le clientélisme politique, la démagogie et la corruption. Le
Programme d’Apaisement Social (PAS) qui avait pour mérite l’élargissement du cadre de la
prise en charge, a succombé sous le poids de la trop grande dépendance du pays vis à vis de
l’aide internationale. Le programme social d’EDE PEP, quoique utile et adéquat en générant des
résultats dans un court laps de temps, n’a pas pu s’inscrire dans la durée. Car le dit programme
était financé strictement par une ligne de crédit alimentée par des fonds octroyés par le
Venezuela dans le cadre de l’Accord Petro-Caribe. En plus du financement de la prise en charge
de la pauvreté qu’il faut assurer dans la durée, le gouvernement haïtien doit travailler à son
institutionnalisation afin de permettre au pays de conserver les gains et de les rendre
irréversibles. Le problème de la prise en charge et de ses parties prenantes majeurs est posé, la
réponse est esquissée certes mais les littoraux continuent à recevoir des occupants rejetés par les
villes haïtiennes ou libérés par les campagnes, économiquement, à bout de souffle. La
littoralisation continue à se faire inexorablement dans les conditions inappropriées et donc
génératrices de pauvreté pour les populations et pour les ressources qui atteignent déjà, sans nul
doute, le seuil tolérable d’exploitation.

512
Conclusion Générale

Les littoraux demeurent un haut lieu de l’inscription spatiale de la pauvreté en Haïti, puisqu’ils
deviennent, depuis bientôt 215 ans, le terreau d’accueil de tous les naufragés du système
économique et social inégalitaire qui s’établit dans le pays. Cependant, il y a lieu de constater
deux choses dans cette inscription spatiale de la pauvreté. La première est que le littoral
n’appauvrit pas forcément ceux qui s’y installent, car les occupants ne sont pas homogènes
(démunis et nantis) et le font pour des motivations différentes. La seconde est que les activités
des occupants, que ces derniers soient pauvres ou non, appauvrissent les littoraux par
l’exploitation prédatrice et inconsidérée des ressources au regard de leur qualité et de leur
durabilité. L’occupation du littoral dans le pays est l’aboutissement d’une dynamique très
ancienne dans ses contours généraux. Haïti s’est construite comme nation en tournant le dos à
mer, donc loin du littoral. La nation a vécu longtemps dans la peur d’être dépouillée de sa
souveraineté.

La rupture, en 1804, avec l’ordre international qui prévalait était inacceptable pour les grands
bénéficiaires du système colonial esclavagiste. Troubler les certitudes des grandes nations de
l’époque sur la race, l’économie et la stratégie militaire ne pouvait générer que l’hostilité et la
menace permanente d’un rappel à l’ordre contre la nouvelle nation. Une naissance non acceptée
par les autres nations parce qu’elle n’est pas conforme aux règles établies par les puissances de
l’époque. Haïti au XIXe siècle est un Ovni qui suscite la peur. Endiguer cette peur consistait à
mettre le nouvel Etat sous pression. Les Haïtiens ont très vite compris la menace qui pèse sur eux
et intègrent, eux aussi la peur que cette méfiance réciproque installe. Le danger ne pouvait venir
que de la mer et Haïti va organiser sa défense autour d’un principe : l’intérieur, la partie moins
exposée aux agressions extérieures est le pays utile et le littoral n’est qu’un glacis protecteur, car
la mer est perçue comme la porte d’entrée de l’agresseur.

Un système de défense sur un littoral de 1700 kilomètres nécessite beaucoup de ressources. On


ne peut plus compter sur le sucre car la lutte de libération nationale n’a pas épargné les grandes
plantations qui ont été réduites en cendres. Il a fallu transformer le café en monnaie d’échanges.
Ce faisant, les montagnes deviennent le cœur du pays et les plaines côtières sont transformées en

513
zone tampon entre le vecteur de danger qu’est la mer et le pays utile que représente l’intérieur
montagneux et pourvoyeur de la nouvelle ressource, le café. La reconnaissance de
l’indépendance par l’ancienne puissance tutrice en 1825 au prix d’une dette colossale va jouer
sur l’avenir du littoral. Ce domaine public, désormais démilitarisé, fait l’objet de convoitises. En
effet, au lendemain de l’indépendance les élites noires et mulâtres qui ont orchestré et encadré la
lutte contre les colons se sont partagé le patrimoine foncier laissé par les ex-propriétaires
expulsés ou exterminés. Et les masses noires ont été exclues de ce partage et ne voulaient plus
travailler sur la terre des autres. Elles ont été les premières à s’installer et à s’approprier le littoral
et accéder du même coup à la propriété.

Ce premier pas vers la littoralisation va se réaliser selon un rythme lent, car elle s’étale sur une
période très longue (1825-1960). Un deuxième pas dans la dynamique d’appropriation du littoral
va être franchi dans les années 1960. En effet, la dictature des Duvalier persuadée de la réussite
des premières étapes de l’industrialisation dans le pays s’engouffre dans la dynamique des
industries d’assemblage. Ces dernières exigent une main d’œuvre urbaine et bon marché. Les
emplois créés vont drainer vers les villes le surplus de bras que les campagnes haïtiennes
n’arrivaient plus à occuper. Les villes n’offraient à ces nouveaux venus que les terres marginales
et non occupées autrement dit les littoraux (mangroves, zones inondables, et embouchures des
ravines). Cette deuxième phase de l’occupation littorale sera très courte mais décisive, car elle
imprime définitivement sa marque sur le paysage, à travers des bidonvilles littoraux que sont
Cité soleil et la Saline à Port-au-Prince ainsi que la Fossette au Cap-Haïtien.

L’année 1986 constitue la phase ultime de l’occupation des littoraux dans le pays. En effet, la
chute de la dictature a renversé tous les interdits. Et les populations démunies des villes, dans
l’euphorie de la démocratie, vont profiter de l’affaiblissement des instituions pour s’approprier
systématiquement les littoraux. Cette appropriation semble s’accorder, dit-on, à une
revendication sociale : celle d’accéder à la terre perçue comme un précieux capital. Ainsi, une
grande majorité de la population exclue va chercher à s’insérer et à survivre aux dépens des
zones littorales marginalisées. Le couple pauvreté et littoral se forge donc dans une logique de
terres marginales pour des populations marginalisées. Le littoral devient le réceptacle de la
pauvreté qui se massifie dans le pays. Néanmoins, il existe d’autres poches de pauvreté sur le
territoire. Le pauvre des champs celui qui cumule tous les attributs de retard ou de non progrès

514
du pays. Le pauvre des frontières est celui qui se bat contre une double exclusion, car il est rejeté
des deux côtés de la frontière. Le pauvre des îles adjacentes vit une véritable surinsularité, il est
invisible et fait face à l’isolement et à la relégation. Les formes spatiales d’occupation du littoral
sont nombreuses, elles passent de l’habitat insalubre à l’entreprise touristique en passant par le
bidonville et la résidence secondaire des nantis.

Cette occupation multiforme donne lieu à de nombreuses modalités de vivre ensemble sur le
littoral entre les pauvres et les non pauvres. Ils vivent dans une certaine complémentarité pour
certaines activités, en complicité pour d’autres. Néanmoins, la cohabitation, de fait, qui s’établit
entre les différentes catégories sociales concernées débouche quelques fois sur des querelles de
voisinage. En effet, si les pauvres trouvent leurs comptes dans la libre circulation, les non-
pauvres au contraire pratiquent, illégalement, la fermeture du littoral. Cette dernière est à la fois
un outil sécuritaire afin de protéger les équipements contre la délinquance et le vol ; mais aussi
un dispositif pour reléguer les pauvres dans des endroits bien précis afin qu’ils ne soient pas vus,
assurant ainsi le confort du touriste, du client ou des occupants des hôtels ou des villas des
riches. En dehors des non pauvres qui s’adonnent à des activités hautement lucratives (hôtellerie,
restauration, contrebande, trafic de drogue) les zones littorales se transforment de plus en plus en
support des activités de survie.

Cette appropriation, effectuée par le pauvre ou le non pauvre, se réalise généralement en


contournant la loi. Une première catégorie d’occupants est observée par l’intermédiaire de
nombreuses pratiques telles la pêche, l’agriculture, l’extraction de sel, le charbonnage et le petit
commerce. Ces activités traditionnelles sont concurrencées par une seconde catégorie associée à
la dynamique de littoralisation (maison secondaire, entreprise touristique et activités illégales et
illicites). Les activités de survie, d’un côté, l’appât du gain facile et la course au profit, de l’autre,
rendent difficile la protection d’un milieu aussi fragile qu’est le littoral. En effet, l’appropriation
du littoral haïtien se fait dans une anarchie totale mettant en danger tout l’environnement côtier
du pays. Elle conduit vers un appauvrissement sévère du milieu et comme l’a si bien dit F. Léone
« la pauvreté est la cause profonde de la vulnérabilité ».

Les espaces littoraux haïtiens subissent une dégradation inouïe : les aménagements industriels les
défigurent, les habitats précaires qui les investissent les transforment en milieux nocifs pour la
faune et la flore. La pêche artisanale qui s’y pratique ne laisse pas de place à la reproduction des

515
espèces, car les habitats de ces dernières sont systématiquement saccagés ou rendus à leur plus
simple expression. Cette situation est associée, aussi à une vision beaucoup plus grande, axée
sur le « tout à la mer ». Il n’existe aucune station d’épuration sur les 1700 kilomètres de côtes
dont dispose le pays. Tous les rejets des activités économiques et autres sont expulsés vers la
mer. Le système de drainage urbain, quand il existe, et l’écoulement naturel via l’hydrographie
transportent toutes les charges de pollutions vers les littoraux qui sont considérés comme
l’exutoire national. Se faisant, cet écosystème fragile et vulnérable, se dégrade et s’appauvrit
durablement.

Cet appauvrissement est relégué au second plan. Car, la pauvreté humaine est plus visible et plus
criante. Aucun plan de réhabilitation du littoral n’est recensé, aucun organisme et aucune autorité
publique n’interviennent afin d’assurer la survie de cette composante du territoire. Les grands
plans nationaux de développement, comme le DSNCRP et le PSDH, traitent de la question de la
mer et du littoral comme champs d’intervention dans la dynamique de création de richesse et de
la lutte contre la pauvreté. Le DSNCRP proposait le tourisme comme vecteur de croissance par
l’intermédiaire du développement et de l’aménagement des littoraux de Port Salut et de la Côte
des Arcadins. Les investissements réalisés dans le cadre de la mise en œuvre de cette priorité
n’étaient pas à la hauteur. Et conséquemment, ils n’avaient pas produit les effets escomptés, à
savoir améliorer les conditions de vie des populations riveraines et alimenter la croissance
économique de manière soutenue. Le déficit de financement et les catastrophes naturelles
(cyclones et séisme) n’ont pas permis de juger convenablement la performance de ce plan de
lutte contre la pauvreté.

Le plan stratégique de développement d’Haïti, comme réponse aux dommages causés par le
séisme du 12 janvier 2019, a été beaucoup plus loin dans la prise en compte de la mer et du
littoral associé. La refondation économique qu’il a proposée pour le pays a intégré le
développement durable de la pêche, l’assistance technique et de formation aux pêcheurs, la mise
en place d’infrastructures de stockage des produits de la pêche et l’élargissement des territoires
de de pêche par l’installation de dispositifs de concentration de poissons (DCP). Le PSDH avait
même défini la géographie de la pêche dans le pays par l’intermédiaire de seize principales zones
d’activités identifiées. A ces priorités était associé le développement du tourisme balnéaire, axé
sur les potentialités de la péninsule du sud et de la Côte des Arcadins. Plus de cinq ans après sa

516
mise en œuvre les résultats ne sont pas encore tangibles et les conditions de vie restent et
demeurent médiocres. La croissance forte et soutenue attendue ne s’est pas concrétisée et
l’inflation non maitrisée mine le pouvoir d’achat des plus pauvres.

Par contre, les intolérables conditions de vie des plus pauvres, affichées au cœur même des villes
à travers de hideux quartiers précaires littoraux, attirent les pouvoirs publics depuis quelques
années. En effet, de nombreux programmes de prises en charge de la pauvreté ont été décidés et
expérimentés par les autorités haïtiennes, à l’instar du programme des Petits Projets de la
Présidence (PPP) qui a initié la dynamique, mais a échoué en raison du clientélisme politique ;
du Programme d’Apaisement Social (PAS) qui a raté ses objectifs du fait d’une dépendance trop
forte du financement externe ; de l’EDEPEP, quoique pertinent, mais souffrait autant que le PAS
de la non institutionnalisation de son financement ; du programme de l’Ile-à-Vaches et celui du
Villages des Pêcheurs. Néanmoins, tous ces investissements n’ont rien changé dans les
conditions de vie des plus pauvres et qui se réfugient sur le littoral. Ce qui a pour conséquence
immédiate une amplification de la pression des populations sur les ressources littorales qui
atteignent déjà le seuil critique de renouvellement.

Les politiques qui y sont appliquées et les investissements associés ne peuvent pas amener vers
une littoralisation acceptable et durable. L’État haïtien n’est pas maitre du jeu, il est trop faible
ou tout simplement failli. Les individus, les acteurs économiques et les ONG sont déterminants
dans l’avenir du littoral, en prenant en considération strictement les questions sociales et en
laissant de côté les questions environnementales. Les politiques de prise en charge ne font que
reproduire la littoralisation appauvrissante entamée depuis des décennies. En ce sens, la réflexion
du Professeur Michel DESSE sur la pression anthropique et la dégradation des littoraux haïtiens
est juste et pertinent : « dans le cas de Haïti, on ne peut pas imaginer d'essor économique sans
un effort préalable de restauration des milieux naturels et tout particulièrement des littoraux »
(Cahiers d’Outre-Mer, juillet-Septembre 2002 p. 325-344). En d’autres termes, la question du
littoral, et de la pauvreté qui s’y installe, ne peut être traitée qu’en partie sur le littoral même. Il
faut donc aller ailleurs, car la réponse tient fondamentalement de la construction ou de
l’émergence d’un nouvel ordre social et surtout d’une nouvelle gouvernance dans le pays.

517
Annexe I

518
MANDATS DES COMMUNES DANS LA CONSTITUTION HAÏTIENNE DE 1987

Nous avons résumé ci-dessous les mandats clés des gouvernements locaux ancrés dans la
constitution de 1987 selon leurs principales fonctions.

Gestion territoriale: construction routière ; développement et mise en œuvre de plans de


lotissements, après approbation des autorités de supervision ; émission des permis de construire ;
émission des certificats de conformité ; réglementation de la circulation urbaine ; désignation,
construction et entretient des sites des gares de chemin de fer et des parkings ; numérotation des
maisons, panneaux routiers, et dénomination des rues ; construction des espaces publics ;
construction des aires de loisirs ; construction des infrastructures d’assainissement. Gestion
foncière et enregistrement : affectation des parcelles et émission des droits opérationnels relatifs
au secteur de propriété communale des parties de foncier national qui ont transféré la gestion à
leur profit ; collecte d’impôts, taxes, contraventions, droits et royalties découlant de l’immobilier
et de la propriété foncière. Gestion de l’environnement et des ressources nationales :
assainissement et traitement des polluants liquides ; lutte contre la misère et la pollution ;
évacuation des déchets solides. Santé et hygiène : construction et participation à la gestion de
structures de santé primaire ; mise en œuvre d’un service d’hygiène et d’une police sanitaire ;
inspection de la qualité des denrées alimentaires ; inspection des dates de péremption des
médicaments ; réglementations et actions dans le domaine de l’hygiène, de la prévention de la
misère et des maladies ; contrôle de la qualité de l’eau. Éducation et formation professionnelles :
promotion de la scolarisation pour tous ; localisation, construction et implication dans la gestion
d’écoles publiques secondaires ou de lycées; promotion d’écoles professionnelles et techniques.
Culture et sports: construction et gestion d’infrastructures culturelles, sportives et destinées aux
jeunes ; valorisation du potentiel historique, naturel, archéologique et artistique ; promotion
d’activités culturelles, sportives et destinées aux jeunes; construction et gestion de musées et de
bibliothèques, création d’espaces verts. Protection civile, assistance et secours: contribution à
l’organisation et à la gestion des secours au profit des groupes vulnérables et des victimes ;
gestion d’asiles; gestion d’orphelinats publics et de centres de réhabilitation des jeunes,
participation à l’organisation de la protection civile et de la lutte contre les incendies. Entreprises
funéraires et cimetières : développement des cimetières ; émission des permis d’exhumer;
contrôle de la conformité aux réglementations dans le domaine des opérations funéraires et du

519
transfert des dépouilles mortelles; construction, entretien et gestion des entreprises funéraires.
Eau et électricité: production et distribution d’eau potable; forage et gestion de puits, forage et
installation de bornes fontaines; développement et mise en oeuvre de systèmes
d’approvisionnement en eau; gestion des infrastructures énergétiques ; installation et gestion du
système d’éclairage public. Marchés et abattoirs: construction et réglementation des marchés, des
abattoirs et des espaces d’abattage ; organisation de foires ; gestion de marchés municipaux.
Sécurité publique: participation au conseil de sécurité municipal.

520
Annexe II

521
TAXES FONCIÈRES EN HAÏTI - LA « CONTRIBUTION FONCIÈRE DES
PROPRIÉTÉS BÂTIES » (CFPB)

La CFPB est la principale source de ressources propres des municipalités recouvrées par la
direction générale des impôts (DGI). Il est donc important de comprendre quelles sont les
principales caractéristiques et limites de cet impôt municipal. Selon l’Article 1 du décret de 1979
sur la taxe foncière13, la Contribution Foncière des Propriétés Bâties “est un véritable impôt
municipal calculé sur la valeur locative d’un bâtiment. La valeur locative est le prix auquel le
bien immobilier est loué ou celui auquel il peut être loué “. Dans la plupart des pays, cet impôt
est calculé à partir de la valeur de marché estimée des propriétés bâties et n’est pas basé sur leur
valeur locative. Le prélèvement sur la valeur locative est similaire à un impôt sur le revenu
dérivé de la location du bien plutôt qu’un impôt sur le capital. Une autre restriction de la CFPB
est qu’elle est limitée aux propriétés bâties et ne couvre pas toutes les propriétés, qu’elles soient
bâties ou non. Cette taxe ne porte donc pas sur les propriétés non-bâties qui sont une source
importante de recettes municipales dans d’autres pays. D’autre part, l’Article n’est pas clair
lorsqu’il s’agit de calculer la valeur locative, ce qui provoque de nombreuses ambiguïtés. Le
décret de 1979 propose de calculer la valeur locative dans les cas où le bien n’est pas en location
à 3 % de la valeur du bien (environ .25% par mois). Par rapport aux pratiques internationales où
les valeurs locatives varient de 4 à 6 %, ce pourcentage demeure faible dans un pays où le stock
de logements est limité. L’Article 1 stipule également que la CFPB est un impôt communal
même si elle est fixée au niveau national par le gouvernement central. Dans la pratique, ceci veut
dire que les recettes recouvrées sont transférées à la municipalité. Le décret définit également
une série de déductions relatives à la politique de promotion de logements urbains et autres qui
ne sont pas claires. Dans tous les cas de figure, les déductions sont élevées et en général ce type
de déduction crée des risques de corruption et d’accumulation d’arriérés fiscaux. Les articles 5, 6
et 9 sont des exemples pertinents: - Article 5: toute nouvelle construction de bâtiments dans des
villes autres que Port-au-Prince et Pétion-Ville bénéficiera d’une déduction fiscale de la CFPB
sur une période de quatre ans avant que le paiement total de l’impôt ne soit requis - Article 6: les
immeubles d’appartements meublés bénéficieront d’une déduction de la CFPB
proportionnellement à la valeur des meubles, la déduction ne dépassant pas le tiers du montant
annuel total de l’impôt dû. - Article 9: exceptionnellement, tout bâtiment comportant plusieurs
appartements (logements) bénéficiera d’une réduction de la CFPB d’un montant de 50 % si ces

522
appartements sont loués meublés et de 30 % s’ils sont loués vides. Selon les termes de ce décret,
le mot « appartement » s’entend comme une unité comprenant au moins une chambre à coucher,
une salle à manger et une salle de bains. - Les bâtiments construits dans des parcs industriels et
conçus pour servir d’emplacements à des opérations artisanales ou industrielles, bénéficieront
d’une exemption totale de la CFPB pendant la première année d’exploitation et d’une exemption
graduelle les années suivantes basée sur le site industriel avec différentes exemptions pour les
industries à l’intérieur et à l’extérieur des zones métropolitaines (jusqu’à 21 ans d’exemption et
de déductions) - Article 10: les immeubles appartenant à des entités qui sont exemptées du
paiement de la CFPC: l’État et les communes, les institutions religieuses et les associations à but
caritatif, l’église catholique et les autres groupes religieux reconnus par l’État et ne générant pas
de revenus, les congrégations ne générant pas de revenus, les syndicats ou les associations
culturelles

523
Annexe III

524
Répartition des programmes du pilier Développement du Capital Humain suivant
l’objectif, la cible et le subside dans l’EDEPEP

Programme Objectif Cible Subside


Subventionner les écoles pour
Tous les enfants de 6 90 USD par an et par
PSUGO offrir un service d’éducation
à 12 ans enfant
gratuite
Réduire la charge financière de
Un ménage
l’éducation-composée de frais de
vulnérable contenant
scolarité, d’autres coûts liés à
Ti Manman Cheri une mère dont 1 400 à 800 HTG
l’éducation tels que les
enfant au moins est
fournitures scolaires, l’uniforme,
scolarisé
le transport
Supporter les étudiants dans leurs
2000 Gdes par mois
premières années d’études
un ménage vulnérable durant 9 mois au
Kore Etidyan universitaires et les encourager à
contenant un étudiant cours de l’annee
poursuivre leurs études après le
academique
secondaire
donner un plat chaud par enfant 1.2 million d’enfants
Cantine scolaire 40 HTG par plat
par jour scolarisés

525
Annexe IV

526
Répartition des programmes du pilier inclusion économique suivant l’objectif, la cible et le
subside de l’EDEPEP

Programme Objectif Cible Subside


Kredi Fanm Lakay Développer l’accès au Les ménages vulnérables entre 5,000.00 à
microcrédit pour les ayant une femme comme 17,500.00 gourdes
femmes des zones chef de famille, sans
défavorisées en milieu emploi, vivant dans les
rural. zones vulnérables, désirant
lancer une activité
économique

Kore paysan Contribuer à Les ménages extrêmement kit d’intrants agricoles


l’amélioration des vulnérables dont le chef de (semence, engrais,
conditions de vie des famille a une activité insecticides, fongicides
familles vulnérables agricole et pesticides) de 1,500
aussi bien par Gdes et de kit aux
l’augmentation de la pêcheurs (nasse, zinc,
production que par ligne).
l’accroissement des
revenus des paysans
(agriculteurs, pêcheurs,
etc..).
Distribution de
caprins

527
Annexe V

528
Décret délimitant les eaux nationales d’Haïti

DÉCRET
JEAN-CLAUDE DUVALIER
Président à vie de la République

Vu les articles 90 et 93 de la constitution ;


Vu les Conventions sur la Mer Territoriale et la zone contigüe sur le plateau Continental, signés
à Genève le 29 Avril 1958 par la République d’Haïti et ratifiée le 26 Octobre 1959 par le
président de la République ;

Vu le Décret de la chambre Législative , en date du 11 Septembre 1971 suspendant les garanties


prévues aux articles 17,18,19,20,25,31,34,43,70,71,72,91 ( dernier alinéa), 95 112,113,122,
(2ème alinéa), 125 ( 2ème alinéa), 150,151,155,191 et 196 de la constitution et accordant pleins
pouvoirs au chef du pouvoir Exécutif, pour lui permettre de prendre jusqu’au deuxième lundi
d’avril 1972, par décret ayant force de lois toutes les mesures qu’il jugera nécessaire à la
sauvegarde de l’intégrité du territoire national et de la souveraineté de l’État, a la consolidation
de l’ordre et de la paix au maintien de la stabilité politique, économique et financière de la
nation, à l’approfondissement du bien-être des populations rurales et urbaines, à la défense des
intérêts généraux de la république ;
Considérant qu’il convient d’établir la limite des eaux territoriales haïtiennes
Considérant que dans l’intérêt commun des Nations du monde libre, il est préférable d’adopter
une étendue sur laquelle chaque nation a est moyen d’effectuer un contrôle efficace, surtout dans
la zone sous-marine ;
Considérant que l’exploitation des ressources Maritimes peut contribuer à assurer le
développement économique de l’État Riverain et qu’en conséquence, il convient de réglementer
l’exploitation des ressources biologique et autres de la mer et des fonds marins relevant de la
juridiction Nationale haïtienne ;
Considérant que les intérêts vitaux de la République d’ Haïti exigent que la pêche soit
réglementée dans la mer territoriale et dans une zone contigüe à celle-ci ;
Sur le rapport des Secrétaires d’État de l’intérieur et de la défense nationale, des affaires
Etrangères et des Cultes, de la justice de l’Agriculture, des Ressources naturelles et du
Développement Rural, du Commerce et de l’Industrie des Finances et des Affaires Économiques,
de la Sante Publique et de la Population ;

529
Et après délibération en Conseil des Secrétaires d’État :
DÉCRÈTE
Article 1er.- La limite des eaux territoriale haïtienne est fixée à 12 milles marins, à compter à
partir de la laisse de basse mer.

Article 2.- Les eaux situées des cotes de la ligne de base de la mer territoriale qui fait face à la
terre font partie des eaux intérieures de la république d’Haïti.

Article 3.- Les Installations permanentes formant le système portuaires et qui s’avancent le plus
vers le large sont considérées comme faisant partie de la cote de la République d’Haïti.

Article 4.- L’État Haïtien exerce la pleine souveraineté sur le sol et le sous-sol marins
correspondant à la limite des eaux territoriales ainsi que sur l’espace aérien qui les couvre.

Article 5.- Il est établi une zone de trois (3) milles marins contigüe à la mer territoriale où l’État
Haïtien étend sa Juridiction exclusive aux fins de la pêche.

Article 6.- L’État haïtien réglementera la pêche dans la mer territoriale et dans la zone contigüe
en tenant compte de la jouissance rationnelle et de la conservation des Ressources vivantes.

Article 7.- L’État haïtien exerce dans la zone contigüe tout contrôle qu’il juge nécessaire pour :
a) Assurer la sécurité de la navigation et prévenir les infractions contre les lois sanitaire,
fiscales, douanières et d’immigration ;
b) Prévenir la pollution, la contamination et les autres risques pouvant mettre en danger
l’équilibre écologique du milieu marin.

Article 8 ;
a) L’État Haïtien exerce des droits souverains sur le plateau continental aux fins de son
exploration et de l’exploitation de ses ressources naturelles ;
b) Les droits visés au paragraphe (a) du présent article sont exclusif nul ne peut entreprendre
d’explorer ou d’exploiter le plateau continental sans le consentement exprès et par écrit
du Gouvernement Haïtien ;
530
c) Les droits de l’état Haïtien sur le plateau continental sont indépendants de l’occupation
effective ou fictive.

Article 9.- L’État haïtien se réserve le droit de construire, d’entretenir et de faire fonctionner sur
le plateau continental , les installations et autres dispositif nécessaires pour l’exploration de
celui-ci et l’exploitation de ses ressources naturelles , d’établir des zones de sécurité autour de
ces installations ou dispositifs et de prendre dans ces zones les mesures nécessaires a leur
protection.
Article 10.- la loi déterminera les conditions et les termes dans lesquels l’état Haïtien pourra
concéder ses droits sur le plateau continental soit à un autre état, soit à une compagnie nationale
ou étrangère soit à toute autre Personne Morale.
Article 11.- les limites fixées par la présente loi sont des limites minima appelées à s’adapter à
toute nouvelle tendance du droit International Public Positif.
Article 12.- Le présent Décret abroge toutes Lois ou Dispositions de Lois ou Dispositions de lois
, tous décret ou dispositions de Décret , tous décrets –Lois ou dispositions de décrets Lois qui lui
sont contraires et sera publié et exécuté à la diligence des Secrétaires d’État de l’Intérieur et de la
Défense Nationale, des Affaires Étrangères et des cultes de la Justice , de l’Agriculture , des
Ressources Naturelles et du Développement Rural , du Commerce et de l’Industrie , des Finances
et des Affaires Économiques , chacun en ce qui le concerne.

Donné au Palais National à Port-au-Prince, le 6 Avril 1972, An 169ème.de l’Indépendance

JEAN .CLAUDE DUVALIER

Par le Président :
Le Secrétaire d’État de l’Intérieur et de la Défense Nationale :
LUCKNER J.CAMBRONNE
Le Secrétaire d’État des Affaires Etrangères et des Cultes :
Dr. ADRIEN RAYMOND
Le Secrétaire d’État de la justice : André ROUSSEAU
Le Secrétaire d’État de l’Agriculture des Ressources Naturelles
et du Développement Rural : Agronome JAURES LEVEQUE
Le Secrétaire d’État du Commerce et de l’Industrie
Dr. LEBERT JEAN -PIERRE

531
Le Secrétaire d’État des Finances et des Affaires Economiques
Dr. EDOUARD FRANCISQUE
Le Secrétaire d’État de la Coordination et de l’Information :
Dr. FRITZ CINEAS
Le Secrétaire d’État de la Sante Publique et de la Population
Dr. ALIX THEARD
Le Secrétaire d’État des Affaires Sociales : MAX A. ANTOINE
Le Secrétaire d’État des Travaux publics des Transports
et Communication : ingénieur MAX BONHOMME
Le Secrétaire d’État de l’Education Nationale : Edner BRUTRUS

532
Annexe VI

533
Questionnaire d’enquête

Ce questionnaire vise à recueillir votre avis. Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise réponse. Vos
réponses sont anonymes et confidentielles.
1. vous… ? Habitez ici aller à la partie 2

PARTIE 1 / SI VOUS NE RESIDEZ PAS ICI


2. Quelle est la durée de votre séjour ?

3. quel est votre budget total pour votre séjour ?

Merci de tenir compte de toutes vos dépenses c’est- à- dire du logement, des repas, loisirs, etc
mais de ne pas compter le trajet pour venir
a) Moins de 6 000 gourdes b) De 6000 à 12000 gourdes
c) De 12 000 à 18 000 gourdes d) De 18000 à 25 000 gourdes
e) De 25 000a 35000 gourdes f) De 35 000 à 50 000 gourdes
g) Plus de 50000 gourdes

4. pouvez-vous nous indiquer combien de nuits vous avez dormi ?

Chez de la famille ou des amis Nuits

Dans votre résidence secondaire Nuits

Dans une location Nuits

A l’hôtel Nuits

534
Dans un autre type d’hébergement (préciser) Nuits

5. Quel est le coût de votre hébergement ? ………….. Gourdes par nuit / ou ……………..au
total pour le séjour.

Partie 2 / VOUS ET A LA PLAGE

6) Combien de fois venez-vous en moyenne par mois ?


Période Nombre de Période Nombre de Période Nombre de
fois fois fois

En juillet et En avril, mai, Fois Le reste de


Aout juin et l’année
septembre

7) Combien de temps consacrez-vous en moyenne à chacune des activités suivantes durant


l’été ?
ACTIVITE NOMBRE D’HEURES J/S

La baignade ……….… Hrs par jr …………par semaine

Le repos, la lecture…sur la plage ……….… Hrs par jr …………par semaine

Les jeux de plage ……….… Hrs par jr …………par semaine

La promenade ou le footing sur la plage ……….… Hrs par jr …………par semaine

Activité nautique bateau, pêche de loisir ……….… Hrs par jr …………par semaine

La découverte de la nature, l’observation ……….… Hrs par jr …………par semaine

Autre activité préciser ……….… Hrs par jr …………par semaine

535
8- A quelle fréquence pratiquez-vous les activités Suivantes sur le littoral ?
Tous les 1 fois par 1fois tous 1 fois par Plusieurs Moins jamais
jours ou semaine les 15 mois fois par souvent
presque jours an

Nage

Sport

PARTIE 3 / VOUS ET LES RISQUES LITTORAUX


9-Quels sont les 3 évènements ou phénomènes suivants qui vous inquiètent le plus ou vos
proches
a) une perte d’emploi b) Une pollution de l’eau
c) Une inondation d) Autre préciser e) Aucun
10- Quels sont les 3 risques environnementaux qui vous inquiètent le plus pour le littoral ?
Ordonnez au maximum 3 réponses.
a) Une inondation par la mer b) Un tsunami c) Une augmentation du niveau de la mer
d) Une tempête e) Aucun

11- Selon vous, quelle serait l’efficacité de cette politique pour lutter contre une pollution de la
plage ?
a) Très efficace b) plutôt efficace c) Plutôt inefficace d) Très inefficace

12 -Pensez-vous qu’une telle pollution puisse se produire dans les 5 prochaines années.
a) Oui, je suis certain que cela arrivera
b) Non, il est peu probable que cela arrive
c) Oui, il est très probable que cela arrive
d) Non, je suis certain que cela n’arrivera pas
13- Selon vous, quelle serait l’efficacité de cette politique pour lutter contre une pollution de la
plage et de l’environnement littoral ?
a) Très efficace b) Plutôt efficace c) Plutôt inefficace d) Très inefficace

536
PARTIE 4 QUELQUES QUESTIONS SUR VOUS …
14- Etes-vous ? Un homme Une femme
15- En quelle année êtes-vous né (e) ?...............
16- Dans quelle commune habitez-vous ?
17- Etes –vous :
a) Marie (e) b) En situation de concubinage c) Divorcé (e) , veuf (ve) d) Célibataire
18- De combien de personnes se compose votre foyer, y compris vous – même ?
19-Dont enfants de moins de 16 ans (à charge) ;….. Enfants
20-Quel est votre niveau d’études le plus élevé ?
a) Aucun b) CAP c) BAC d) BAC+2 e) BAC+3OU 4 f) BAC+5 et plus

21-Quelle est votre catégorie socio-professionnelle ?


a)Agriculteur b) Cadre supérieur, profession libérale
c)Employé (e) d) Etudiant (e) e)Demandeur d’emploi f) Artisan, commerçant,
chef d’entreprise g) Profession intermédiaire h) Ouvrier i) Retraite (e)
j) Autre sans activité professionnelle
Si vous ne savez pas merci de nous indiquer votre profession ………….
22- Est-ce que votre activité professionnelle est ou était liée/ Est-ce que vos études sont liées….
Vous pouvez cocher plusieurs cases.
a) Tourisme b) A la mer, au littoral c)A l’environnement d) Au social
e) A la gestion des risques f) A aucun de ces domaines
23-Etes-vous membres d’une ou plusieurs associations ? Oui ou non
Si oui, quels sont les thèmes d’action de cette ou ces associations ?
Vous pouvez cocher plusieurs cases
a) Association de loisir, sport, voyage… b) Association politique
c) Association intervenant dans le domaine social d) Association de riverains ou de quartier
e) Association environnementale f) Autre (préciser)
24-Quelles sont les ressources mensuelles moyennes de votre ménage
a) Moins de 1000 gourdes b) De 1000 à 2000 gourdes c) De 2000 à 4000 gourdes
d) 4000 à 6000 gourdes e) 6000 à 9000 gourdes f) 9000 à 15000 gourdes

537
a) Plus de 15 000 gourdes
Merci pour vos réponses !
PARTIE 5 /PARTIE A REMPLIR PAR L’ENQUETEUR
Nom de l’enquêteur ………………………………………………………………
Site d’enquête :……………………………..Date d’enquête :………………………
Heure d’enquête
a) Avant 10h b). entre 10h et 12h c. entre 12het 14h d) entre 14h et 16h
b) Entre 16 h et 18h F) après 18h
Problèmes particuliers à signaler :
………………………………………………………………………………………………
……………………………………………………………………………............................
......................................................................................................................................

538
Annexe VII

539
Réflexions sur la paysannerie et la pauvreté en Haïti

Vertus Saint-Louis, le 2 3 n o v e m b r e 2 0 1 7
Historien haïtien

De quelle manière as-tu connu la campagne ?

J’ai connu la campagne haïtienne dès mon enfance avant de venir à l’école à Port-au-Prince. J’ai
appris à la connaître chaque fois que j’allais en vacances. J’ai vu l’organisation du travail
agricole, les pertes subies par les planteurs pour diverses raisons : trop de pluies ou pas de pluies
au moment où c’était le plus nécessaire. Une fois j’ai entendu mon père dire (c’était au début des
années 1950) qu’il a perdu l’équivalent de 260 dollars d’investissement parce qu’au moment où
le riz sort les grappes, il n’a pas plu. A cette époque on cultivait encore le riz dans le Plateau
Central sur des terres non irriguées. Aujourd’hui même le millet pousse difficilement sur ces
terres. J’ai vu les travailleurs venir à pied, déchaussés, de maintes régions du Nord : Pignon,
Bahon, Saint Raphaël, Mont-Organisé, pour une pitance. En saison de travail le salaire était de 2
gourdes par jour. Certains obtenaient parfois de sarcler un morceau de terre pour 75 ou 100
gourdes. Durant la période d’exécution du contrat, ils vivaient de manioc que mon père leur
accordait parfois la faveur de fouiller et qu’ils faisaient bouillir. Cela leur permettait une fois le
contrat terminé de revenir chez eux avec le fruit de leur travail jalousement enveloppé dans un
mouchoir. Les profits du propriétaire étaient maigres. Toutes les plantes annuelles étaient
exposées aux vicissitudes du temps. La canne résistait. C’était la denrée qui rapportait quelque
argent. Le salaire du travailleur dans la canne était de 3.5 gourdes par semaine. Ma mère se
demandait souvent comment ces gens-là faisaient pour vivre. Un soir je l’ai entendu dire à mon
père : comment se fait-il que le salaire journalier dans les champs soit de 2 gourdes par jour, de 8
heures du matin à quatre heures, et que celui de la canne qui est de jour et de nuit soit de 3.5
gourdes par semaine. Alors mon père de répondre : Dieu sait ce qu’il fait. Les choses les plus
nécessaires à la vie telle l’eau, le feu et le sel sont celles qui sont à meilleur marché. S’il n’en
était pas ainsi, les hommes ne pourraient pas vivre. Lorsque j’ai étudié davantage je me suis
rendu compte que ce modèle de justification fait penser à Aristote qui disait : Si les carottes
pouvaient pousser d’elles-mêmes et les navettes tisser d’elles-mêmes on n’aurait pas besoin
d’esclavage. J’ai compris aussi qu’il s’agit d’une question d’offre et de demande. A la saison des
pluies où il faut sarcler et planter, la demande de travail est grande. Une fois passé ce moment,

540
pas de travail. Des travailleurs préfèrent s’attacher à quelqu’un qui leur garantit, d’une façon ou
d’une autre, de gagner une pitance.

Pauvreté et misère ?
J’ai connu la pauvreté du point de vue de la production agricole. Donc je ne suis pas indulgent
avec les textes. Les gens passent à côté totalement. Nos hommes sont des littéraires. Ils parlent
littérature, mais la réalité de la production, ils l’ignorent tout-à-fait. J’apprécie un côté de Price
Mars [xiii]. Price-Mars a eu le courage à son époque de soutenir que le vaudou est une religion.
Ensuite Price-Mars n’a pas fait appel à la question de couleur comme arme politique. Mais quand
celui qui a connu la vie réelle lit Ainsi parla l’oncle, il se dit que son livre est une idylle. Parce
que pour moi, la vie du paysan, c’est un enfer. Certains textes d’Emmanuel C. Paul sur
l’organisation du travail agricole me paraissent des fables. Il assimile la coumbite à l’entraide
paysanne sans faire de distinction. L’entraide existe au niveau de paysans de condition moyenne.
L’un va travailler dans le champ de l’autre. C’est un échange. Cela s’appelle boukante jounen
dans le Plateau Central. Ailleurs, il existe d’autres noms. Dans la coumbite un gros propriétaire
obtient du travail qu’il rémunère en aliments, tafia et de plus en plus en argent. Mais lui il ne va
pas travailler dans le champ d’un autre même de condition sociale égale. Le gros lot des
travailleurs ce sont les paysans pauvres, les journaliers. Leurs conditions d’existence sont
vraiment misérables.
Lorsque je suis revenu au pays, j’ai vu qu’il y existe des régions encore bien plus misérables que
le Plateau Central. Cela explique la migration intérieure. Les gens des mornes de Bainet, de
Jacmel vont travailler dans la Plaine du Cul-de-Sac sur les plantations de la HASCO, au Plateau
Central, à Mirebalais, Thomonde et dans les rizières de l’Artibonite. Ces rizières constituent un
déversoir pour les populations défavorisées du Nord. Les travailleurs sont méprisés de la part de
la population locale. Ceux de Bainet sont désignés sous le nom de Ti Konma du nom d’un morne
de Bainet qui s’appelle Konma. Les travailleurs sont qualifiés de kakòn, bounda kabrit, cela veut
dire gens qui ne possèdent rien du tout. A l’Estère, les travailleurs venus de Gros-Morne sont
dénommés Congos. On croit communément que les portefaix de l’Estère qui soulèvent des sacs
de riz de plus de 100 livres possèdent des zombis. On répète qu’il ne faut pas plaindre leur sort.
Cela les dérangerait. Dans toute la région de l’Artibonite, les femmes portent des sacs qui sont
parfois de vrais fardeaux. J’ai vu un homme rassembler dans un grand drap du riz coupé en une

541
journée par plusieurs personnes et le mettre sur la tête de sa femme qui devait le transporter à la
maison. J’en ai parlé un jour à un prêtre. Il m’a répondu qu’une femme de Desdunes peut porter
sur la tête de cette localité aux Gonaïves un baril de riz de quarante marmites. Il m’a confié
qu’au confessionnal, il lui est arrivé de demander à des femmes qui se fatiguent toute la journée
comment elles font le soir pour répondre aux demandes de leurs maris. Elles répondent que c’est
leur travail elles doivent l’accomplir.

Dans l’Ouest, des femmes descendent des hauteurs de Pays Pourri, de Belle Fontaine, portant sur
la tête de lourds paniers. Aux époques de pluie, elles doivent savoir éviter les chutes sur la terre
glissante. Comme la route est longue, elles doivent partir tôt vers une heure du matin. Elles
avancent en colonne, l’une d’elles éclairant les autres avec une chandelle de bois pin allumé.

Ce monde constitue le gros de la population qui enrichit une toute petite minorité.

Comment se fait-il que tous nos intellectuels passent à côté de cette question ? Il y a peut-être
Edriss Saint-Amant [xiv]…
Il y a une vision angélique, que récuse Paul Moral [xv].
Paul Moral a critiqué le paysan de nos ethnologues. Lakay mwen, manman m toujou di m : yo
rayi moun pou pise, yo rayi w pou chofe dife [xvi]… cette hargne entre les gens, les conflits :
c’est la misère. La misère est dans le discours jusque dans les salutations. Je me rappelle :
lorsque j’étais gosse, les gens se rendant au marché avaient l’habitude de saluer en passant
devant les maisons. A l’occasion de ces salutations, ils égrenaient tout un chapelet de misères.
Untel ne peut se déplacer depuis des mois parce qu’il a reçu en travaillant un coup de hache. Il en
est sorti une plaie qui ne guérit pas et qui le cloue à la maison. Tel autre souffre d’une rage de
dents. Tel autre est cloué au lit, grelottant de fièvre… Je me rappelle que c’est au début des
années 1950 que les gens, passant pour éclairés, ont commencé du moins chez moi, à saluer en
disant « pas plus mal ». Une vieille tante de mon père ridiculisait cette pratique qui a fini par
s’imposer. Ce négatif pour se saluer est sans doute indicatif d’une situation qui n’est pas
agréable.

542
Dans la préface que tu as écrite pour le livre de McClellan [xvii], j’ai lu que tu parles d’un
constat que tu avais fait dans la cour de chez toi à Thomonde sur la régression
technologique…
Il y avait un moulin en fer qui gisait sur le sol, très ancien. Rouy ap manje l. Epi m mande
manman m : « Moulen sa a, kote li soti ? Elle m’a répondu que ce moulin appartenait à feu Noé.
Je lui ai dit : « Il y avait donc des moulins en fer ». « Oui m’a-t-elle répondu » men li bay pann,
jou w bezwen repare l se Potoprens pou w al chache yon boss ». Enben, moun desann fè a, nou
mete bwa ! [xviii]
M ta byen renmen ou esplike entèpretasyon ou bay bagay sa a [xix].
Lè nou fè endepandans lan nou fe yon rekil teknolojik nan kann lan [xx]. Parce qu’on ne peut
plus produire du sucre. Quand j’ai commencé à étudier l’histoire, j’ai vu l’immensité de
notre recul technologique.

À Saint-Domingue, c’est du sucre qu’on fabriquait. Le kleren produit à partir de la mélasse, était
un sous-produit de la fabrication du sucre. Or, lorsque nous prenons l’indépendance, le sucre
disparaît, c’est le kleren qui reste. La dualité kleren/sucre est un aspect du problème
technologique qui a joué un rôle immense dans les événements qui ont conduit à l’assassinat de
Dessalines le 17 octobre 1806. Je crois revenir sur ce point que nos historiens n’ont pas souligné
alors que c’est évident à la lecture des textes. Dessalines s’oppose à la construction de nouvelles
guildives qui produisent du kleren, article consommé dans le pays. Il recommande instamment la
production de sucre qui se vend à l’étranger et rapporte de l’argent au pays. Mais le sucre haïtien
est de mauvaise qualité. Dessalines ordonne que les capitaines de navires composent leur
cargaison de sucre, café et coton. Un capitaine déverse dans la mer le sucre qu’il vient d’acheter.
Dessalines se trouve en face d’un problème de technologie dont il ne soupçonne pas la
complexité. Il croit pouvoir disposer des baïonnettes. Il ordonne la destruction dans le Sud des
guildives construites sans son autorisation personnelle. Il fait détruire les tas de bois destinés à
l’exportation. Il suscite la haine de ses adversaires qui, eux, s’inclinent devant le fait accompli.
Haïti deviendra un pays qui vit de l’exportation d’un café mal préparé et de la coupe de bois
(industrie des paresseux). Je dis aux étudiants que Dessalines et ses adversaires ont tous été
emportés par une même force : la main invisible d’Adam Smith, le marché. En fait Haïti est un
pays désarmé face au marché international. La science et la technologie sont deux des armes

543
indispensables si l’on veut affronter avec un minimum de chance de succès les forces qui
dominent le marché international. La question reviendra en force sous le gouvernement de
Pétion. Cuba ravitaille en tafia les forces de Pétion, qui aux ordres du colonel Lamarre guerroient
dans le Nord-ouest contre celles de Christophe. Ardouin relate qu’à Port-au-Prince, les chefs
consomment du tafia de Cuba. Ils disent qu’ils se réunissent pour prendre un coup de « Cube ».
Ces mêmes chefs votent une loi interdisant le tafia de Cuba qu’ils continuent de consommer.
Maintenant ils disent qu’ils vont prendre un coup de « chenuc ». Ces mêmes chefs, prêts à
exterminer les compatriotes qu’ils estiment menaçants pour leur pouvoir, laissent le tafia de
Cuba venir ruiner le leur alors qu’ils sont les propriétaires de guildives produisant du tafia encore
dénommé kleren. L’importance de la technologie n’est pas une composante de la culture
politique de ces chefs. Rappelons que Saint-Domingue produisait avant 1789, 40% du sucre
consommé dans le monde. La révolution haïtienne en faisant disparaître la production de sucre
de Saint-Domingue, a joué un rôle essentiel pour porter l’Europe à renouveler la technologie du
sucre. Nous, en Haïti, nous avons été incapables de récupérer l’ancienne technologie.

Nous sommes tombés dans le rapadou et le kleren. La production haïtienne de kleren reposait
encore au XXe siècle sur des méthodes artisanales, anciennes. Chez moi on fabriquait le kleren
avec du jus de canne (vesou) que l’on faisait fermenter. Ce kleren avait une saveur agréable mais
son alcool se volatilisait et il ne durait pas. Une autre méthode consistait à chauffer le vesou pour
en faire un sirop que l’on faisait fermenter. Ce kleren pouvait durer. A un moment donné, on a
commencé à ajouter du sulfate d’ammoniac pour activer la fermentation. Je ne peux rien dire des
grandes entreprises des plaines de l’Arcahaie et du Cul-de-Sac. Mais toutes ont disparu.

Il n’y a pas une maîtrise de ces savoir-faire-là.


C’est un premier recul technologique. Et au début du 20e siècle, nous en sommes à d’autres
formes de recul technologique. On passe du fer au bois ! Mais comment se fait-il que des choses
de ce genre ne retiennent pas l’attention de nos intellectuels ?

[xiii] Jean Price Mars (1876 – 1969), diplomate, écrivain, professeur, médecin et ethnologue
Haïtien.

544
[xiv] Edriss Saint-Amant (1918 – 2004), écrivain, diplomate et syndicaliste Haïtien, auteur
de Bon dieu rit.
[xv] Paul Moral, professeur d’université à Paris dans les années 1980, auteur de nombreux
ouvrages sur le monde rural haïtien et ses modes de production, dont Le paysan haïtien.
[xvi] “Chez moi, ma mère me disait toujours : les gens te détestent si tu pisses, ils te détestent si
tu allumes ton fourneau…”
[xvii] James E. McClellan III, Colonialism and science, Saint Domingue in the Old Regime, The
University of Chicago Press, 1992, 2010.
[xviii] “Ce moulin était rongé par la rouille. J’ai dit à ma mère : “ce moulin, le jour où il faudra
le réparer, il faudra aller à Port-au-Prince pour trouver un artisan”… Du coup on a enlevé le fer,
on l’a remplacé par du bois”.
[xix] “J’aimerais que tu m’expliques ton interprétation de la chose”.
[xx] “Au moment de l’indépendance, nous avons connu un recul technologique dans le secteur
de la canne à sucre”.

545
GLOSSAIRE
Vocables haïtiens Equivalent en français
Aba Grangou Programme contre la faim sous l’administration de Martelly-Lamothe.
Aka bay Nom d’un des ports touristiques se trouvant à Îles-à –Vache.
Cuisine de rue axée sur le bas prix. Il est très peu regardant sur la qualité
Akoupimchajew et l’hygiène. Cette cuisine répond à un besoin d’accéder aux repas avec
très peu d’argent. Il est assimilé à la cuisine de rue.
Chef d’équipage expérimenté et respecté de tous. Disposant d’un voilier
Amatè de 45 pieds au minimum, d’un trémail de 200 pieds et de provisions de
bouche, embarque 5 ou 6 pêcheurs professionnels pour une durée de 6
ou 8 mois.
baka Représentant le diable ou le démon dans le panthéon vodou
Conçue sur le même principe que le kouri kite, seuls l’usage et la
Bankèt
dimension changent.
Tiré de l’anglais bucket, seau. Récipient en fer-blanc pour transporter de
Bokit
l’eau
Programme social réalisé dans les zones touchées par l'insécurité alimentaire.
Bon solidarite
Le bénéficiaire reçoit un bon de 1 000 gourdes pendant 2 mois.
Pirogues de petite taille qui font rarement 15 pieds. Il s’agit d’un simple
bwa fouye
tronc creusé qui n’est pas rehaussé de bordés.
Le chou de coco, c’est le bourgeon terminal du cocotier. Il se trouve donc
tout en haut de l’arbre. Il est constitué de jeunes feuilles tendres qui
Choukokoye devront être retirées successivement par couches afin d’atteindre le cœur
(le chou) qui est relativement petit. Une fois recueilli, ce dernier sera
émincé pour être mangé sous la forme de pot au feu.
Expression de la langue haïtienne équivaut à « les difficultés appellent toujours
Dèyèmòngenmòn
d’autres difficultés ».
sac traditionnellement porté par les hommes. Il permet à l’utilisateur de
Diola ramener au ménage les menus frotins récupérés au jardin, dans le
voisinage ou d’une rencontre fortuite. Le nom diffère d’une région à
l’autre. (alfò dans le Sud et makout dans le plateau central)

546
douskòk Sucrerie en noix de coco servies sous la forme caramélisée.
Ede Pep Programme de transfert monétaire conditionnes et non conditionnes
Faisceau de petit bois, de branchages qui gardent le feu en permanence
Foye pour les besoins d’un ménage. Il est utilisé par les plus pauvres en milieu
rural.
Ensemble des aliments vendus en portion frites (viandes, banane, pomme
de terre, arbre véritable, etc….) accompagné de obligatoirement du pikliz.
Fritay
Pendant longtemps, il était vendu et servi le soir. Cependant depuis une
vingtaine d’années, il est vendu le matin au soir.
Médicalement généralement non identifié considérés dans l’imaginaire
Geritout
haïtien, capable de guérir au moins 101 maladies.
Bouteille servant de mesure utilisée par les marchandes pour vendre de
Glòs
l’huile.
Filtre à café traditionnel et permanent utilisé en milieu rural et urbain par
Grèg
les classes populaires.
Plat fait de viande de porc frite accompagnée de rondelle de banane frite.
Le tout est servi avec une salade faite de tomate, d’oignons et de
Griyo
l’incontournable pikliz (mélange de piments et de laitues coupées en fines
lanières)
Quelqu’un ou un groupe de personnes dotées d’une certaine puissance
Gwozouzoun dans une société. Cette puissance peut être politique, économique et
culturelle.
Dans la langue haïtienne, elle signifie douceur. Dans la partie
méridionale du pays, c’est un met/condiment préparé avec le lait de la
Kakakok
noix de coco chauffé jusqu’à l’obtention d’une pâte de couleur noirâtre à
laquelle sont ajoutés des poissons de grillés.
< Kantin mobil >> est un programme destiné à produire 48 000 plats chauds
Kantin mobil
chaque jour à travers 12 postes, à raison de 4 000 chacun
Programme qui vise àrépondre à une pénurie d’aliments et de clôturer la
Kantin scolaire couverture des cantines sur l’année scolaire 2015/2016 tout en réduisant les
carences en vitamines des bénéficiaires du programme.

547
Kay te maison construite en terre battue
Personnage jouant le rôle d’assistant et d’accompagnateur. Il gère le seau
Kenbèdpanye ou le panier dans lequel sont déposées les espèces capturées.
Le Kokorat en Haïti est une personne extrêmement pauvre qui passe sa
journée à fouiller les poubelles de la ville en quête de nourriture ou de
Kokorat
biens recyclables. Dans la région métropolitaine de Port-au-Prince, leur
nombre est estimé à 35.000. Les enfants sont majoritaires mais toutes les
catégories y sont (Femmes, hommes et vieux)
Type de sucreries en noix de coco transformée servie en fines lanières
Kòkrape
grillées.
Koralen Barque à fond plat qui fait entre 10 à 15 pieds
Programmes sociaux sous le gouvernement de Martelly-Lamothe afin d’alléger
Kore andikape
la souffrance économique des personnes handicapées.
Programme social du Gouvernement Martelly-Lamothe qui consiste à verser
Kore etidyan une allocation de 2.000 gourdes par mois aux étudiants des universités
publiques.
Programme social qui apporte un appui substantiel aux agriculteurs et leur
Kore paysan
permet de bénéficier de subvention en semences ou pour l'acquisition d'outils.
Programmes sociaux mis en place sous le gouvernement de Martelly-Lamothe
KoreTi Granmoun
adressées aux personnes âgés de plus de 65 ans qui recevront une allocation de
1000 gourdes pendant trois mois.
C’est un lit fait avec des planches de fortune. Les quatre supports sont
kouri kite enfouis solidement dans le sol. Ce qui lui confère un caractère particulier
traduit en haïtien comme en lit non transportable et fixé.
Programme baptisé « KREDI Wòz POU Fanm Lakay» dédiéaux femmes
Kredi fanm
entrepreneures évoluant en milieu rural.
La vente de produits à prix cassés. La démarche est proche des soldes
pratiquées par les supermarchés. Dans le pays, cette pratique se fait des
Likidasyon
magasins vers le consommateur final par l’intermédiaire des marchands
au détail ambulants
Loas Les dieux dans le panthéon vodou

548
Nom donné aux commerçantes traditionnelles qui organisent le marché
du commerce de gros des produits agricoles des campagnes vers les
villes. Il en existe deux (2) types : celles qui se cantonnent dans les
produits agricoles et celles, plus récentes, qui s’ouvrent sur l’international
Madan Sara
en important des biens industriels (vêtements, chaussures, produits de
beauté et électroniques). Elles sont nommées ainsi par assimilation avec
un oiseau crieur de la savane haïtienne pour les bruits qu’elles génèrent
dans le cadre des marchandages et de leurs commérages.
Mèsi Granmèt Expressions utilisée en Haïti pour remercier Dieu.
Agoué (Agoueh ou Agwé), dieu dans le Vaudou Haitien est le maître des
Mèt Agwe flots de la mer; il est le protecteur des gens de mer, des marins ou des
pêcheurs et des bateaux mais aussi bien des animaux et des végétaux qui
y vivent.
Panye solidarite » est conçu spécialement pour combattre le problème de
l'insécurité alimentaire dans le pays. Le gouvernement trouve bon de distribuer
Panye solidarite
environ 733 400 paniers alimentaires aux familles vivant dans les zones les plus
touchées par l'insécurité alimentaire. Les bénéficiaires n'auront droit qu'à un
panier composé uniquement de produits locaux.
Ce mot désigne en Haïti les produits usagers en provenance des États-
Pèpè Unis et vendus sur le marché. L’expression couvre les vêtements, les
chaussures, la literie, les meubles, les outils et les véhicules.
Jeune enfant qui rabat les poissons vers le milieu du filet afin que ces
Plonjè
derniers ne s’échappent pas avec la présence des récifs.
Est un prêt usuraire sévère sur un temps très court sur la base de taux
Ponya d’intérêt. Sa violence est telle qu’il est assimilé à un coup de poignard.
Etant donné que le mot ponya signifie en haïtien épée ou grand couteau
Pòv Personne sans ressource, qui ne possède rien.
Revendèz Femmes des pêcheurs détaillantes qui revend les produits de pêche.
Un sòl avec un cycle extrêmement court. L’opération est créditée sur une
Sabotay
heure ou un jour, et dépasse rarement une semaine.
Sòl C’est une forme de tontine dans un cycle menstruel. Un groupe de

549
personnes met en commun un capital qui se partage à tour de rôle, il est
utilisé comme un système d’épargne ou de crédit mutualisé pour éviter le
ponya et combler le non accès au crédit.
Type de sucreries en noix de coco transformée servie sous forme de
Tablèt kokoye
grosses lanières caramélisées.
Tét gridap Lampe à mèche utilisant du kérosène
Ustensile servant de mesure utilisé par les marchands dans la vente des
Ti mamit
féculents et charbons.
Timanman cheri Programme social qui apporte une assistante financière entre 400 et 800 gourdes
chaque mois à certaines mères.
Introduit dans le pays depuis une quarantaine d’années environ, cet engin
de pêche permet de capturer principalement les espèces benthiques
(langoustes, lambi, crevettes et autres poissons démersaux) ; les
Twanap
contraintes à son utilisation intensive se trouvent dans son relevage plus
fréquent (toutes les six heures environ) en raison de la température élevée
de l’eau qui détériore rapidement un poisson capturé.

550
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562
LISTE DES DOCUMENTS

Tableaux

Tableau 1 Évolution du discours dominant sur la pauvreté depuis la seconde guerre mondiale
Tableau 2 Des dépenses pour l’organisation d’un focus group en 2017 en Haïti
Tableau 3 Caractéristiques sociodémographiques et socioéconomiques fondamentales des ménages
pauvres, non pauvres et extrêmement pauvres

Tableau 4 Croissance réelle et croissance par habitant du PIB de 2001 à 2013

Tableau 5 Indicateurs du marché des travaux ventilés par zones géographiques (en %)

Tableau 6 Évolution de la pauvreté extrême en Haïti par milieu de résidence, 2000- 2012

Tableau 7 Récurrence céréalière dans le repas journalier après le séisme de 2010


Tableau 8 Comparaison entre l’achat de gros et celui de détail (région de P-au-P)

Tableau 9 Effet du marchandage sur l’accès aux produits au marché Salomon

Tableau 10 Indice de la pauvreté monétaire en Haïti selon les seuils de fafo (ebcm, 1999-2000)
Tableau 11 Indice de pauvreté monétaire selon les seuils banque mondiale – ecvh 2001

Tableau 12 Taux de croissance du PIB en Haïti et en Amérique Latine entre 1980 et 2013

Tableau 13 Les objectifs nationaux dans la période 2008-2015


Tableau 14 Type d’habitat et score de précarité selon la région de résidence en 2012

Tableau 15 Estimation du patrimoine de la maison d’un pauvre des champs

Tableau 16 De comparaison entre l’achat de gros et celui de détail


Tableau 17 Niveau d’études de la population adulte selon le milieu de résidence en 2012
Tableau 18 L’accès aux services de base selon la région de résidence en 2014

Tableau 19 Répartition de la population pauvre et non-pauvre dans les iles adjacentes

Tableau 20 La place des ressources ligneuses dans l’énergie de cuisson dans les iles

Tableau 21 Baisse de la production globale du pays durant la période révolutionnaire et nationale

Tableau 22 Potentialités agricoles de l’hinterland de la ville du Cap-Haitien en 2015


Tableau 23 Financement du PSDH

Tableau 24 Les grands bidonvilles d’Haïti

Tableau 25 Comparaison dans les revendications des occupants du littoral (Haïti /Antilles françaises)

Tableau 26 Les activités traditionnelles supportées par les littoraux en Haïti

563
Tableau 27 Produit intérieur brut par secteur (2009-2014)

Tableau 28 Inscription spatiale des hôtels de renom en Haïti

Tableau 29 Niveau de fréquentations des festivals de la mer en Haïti

Tableau 30 Liste de bateaux transportant de la drogue saisis (en Haïti et aux USA entre 2004-2016)
en provenance ou en transit d’Haïti

Tableau 31 Prix de l’eau dans certains quartiers de la Région Métropolitaine de Port-au-Prince


Tableau 32 Evolution de la mise en œuvre de la refondation territoriale du PSDH

Tableau 33 Évolution de la mise en œuvre de la refondation économique du PSDH

Tableau 34 Évolution de la refondation sociale du PSDH

Tableau 35 Évolution de la mise en œuvre de la refondation institutionnelle du PSDH

Tableau 36 Implications des ONG dans la fourniture d’équipements collectifs (2011-2016)

Tableau 37 Groupements communautaires aidés par l’aide externe dans un arrondissement du sud

Tableau 38 Les mesures d’atténuation et de gestion du risque promises par SAE


Tableau 39 Trajectoire de la mise en œuvre du PAS (2004-2008)

Tableau 40 Répartition des volets du pilier Assistance sociale suivant l’objectif,


la cible et le subside

Tableau 41 Les catégories touchées par les prestations de EDE PEP (2011/2013)
Tableau 42 Les projets promis à l’Ile à Vaches dans le plan touristique

Liste des figures

Figure 1 Haïti dans la Caraïbe


Figure 2 La pyramide de Maslow dans le contexte haïtien
Figure 3 Densification et extension post-catastrophes des périphéries Sud de l’agglomération de
Port-au-Prince

Figure 4 La distribution spatiale de la pauvreté de part et d’autre de l’ile (Rep Dom et Haïti)
Figure 5 Le pays utile dans le sillage des fortifications défensives de 1804 à 1825

Figure 6 Évolution de l’occupation du littoral de Port-au-Prince

Figure 7 La pêche littorale en Haïti

Figure 8 La géographie des marais salants en Haïti

Figure 9 Parcours du pauvre dans les dynamiques souterraines du littoral en Haïti

564
Figure 10 Localisation des mangroves résiduelles en Haïti

Figure 11 L’anthropisation du littoral de Port-au-Prince

Figure 12 Sites touristiques porteurs établis par le DSNCRP

Figure 13 Organigramme d’application du DSNCRP

Figure 14 Zones de pêche à développer prévues par le PSDH

Figure 15 Listing des organisations onusiennes et humanitaires présentes au symposium

Figure 16 Les différents piliers de la stratégie EDEPEP avec leurs-programmes et


axes d’intervention

Liste des photos

Photo 1 Constructions anarchiques dans le centre-est de Port-au-Prince

Photo 2 L’habitat de Turgeau et la dynamique de densification

Photo 3 L’occupation des flancs du morne l’Hôpital


Photo 4 Fresque murale dénonçant le rejet des migrants à Tonatico (Mexique

Photo 5 Le commerce ambulant de médicaments dans les rues de Port-au-Prince


Photo 6 Manifestations anti haïtiennes en République Dominicaine

Photo 7 Marchands haïtiens attendant l’ouverture d’un point de passage officiel de la frontière.

Photo 8 Habitat des pauvres à Ouanaminthe


Photo 9 Les forts Fin du monde et Culbuté à Marchand

Photo 10 Photographique de de l’évolution de la ville de Jacmel (1904-2017


Photo 11 Les faibles atouts de Jérémie et des Cayes face à Port-au-Prince

Photo 12 Le Cap-Haitien dans son extension vers l’est

Photo 13 Les bâtiments publics en reconstruction au centre de Port-au-Prince

Photo 14 L’inscription spatiale du Bicentenaire

Photo15 Cité Simone des années 80 et Cité Soleil aujourd’hui


Photo 16 Les structures hôtelières de la Cotes des Arcadins

Photo 17 Construction de voilier à Petite-Anse (près du Cap-Haitien)

Photo 18 Les outils classiques dans la construction de voiliers pour le cabotage

Photo 19 Usage de morceaux de tissus dans l’étanchéité des coques des voiliers

565
Photo 20 Une pirogue taillée directement dans un arbre abattu

Photo 21 Affiche du festival de la mer

Photo 22 Affiche du festival présentant son contenu et le sponsoring associé

Photo 23 Structure douanière incendiée par la population d’Anse-à-Pitres

Photo 24 Gain d’espace contre la mer et fermeture du littoral en Haïti

Photos 25 Habitat précaire isolé et son environnement

Photo 26 Canaan, le nouveau bidonville du Nord-est de Port-au-Prince


Photo 27 Les installations de l’entreprise touristique Moulin sur Mer

Photo 28 Le terminal pétrolier sur le littoral de Port-au-Prince

Photo 29 La fermeture du littoral dans le sud du pays


Photo 30 La cohabitation entre pauvres et non pauvres sur le littoral du Cap-Haitien
Photo 31 Le porc indigène haïtien dit cochon créole

Photo 32 Caricature dénonçant la primauté de la communauté internationale au sein de la CIRH


Photo 33 Opération d’inspection de la fiabilité des stations d’essence

Photo 34 Poldérisation artisanale sur le littoral de Martissant (Sud de Port-au-Prince)

Photo 35 Le président Aristide est présenté comme un brasseur d’affaires


Photo 36 Convoi de EDEPEP en tournée dans la région sud du pays

Photo 37 Les images de rêves de l’ile vendues par le projet

Photo 38 Le piroguier / pêcheur traditionnel de l’ile


Photo 39 Matériels et équipements de pêche donnés aux villages de pêcheurs

Encadré

Encadré Propos de Mario Andrésol, ex patron de la Police Nationale d’Haïti (PNH) recueillis et
publiés par le Nouvelliste du 4 avril 2018

566
LA RÉPUBLIQUE D’HAÏTI

567
LA RÉGION MÉTROPOLITAINE DE PORT-AU-PRINCE

568
Titre : Le littoral, le cœur de la pauvreté en Haïti
Mots clés : Pauvreté, politiques publiques, littoralisation, marginalisation, organisation de l’espace,
inégalité spatiale.

Résumé : Le littoral haïtien apparaît aujourd’hui l’inscription spatiale des formes d’activités illégales
comme un observatoire des rapports entre les et illicites. Pourtant, ces espaces littoraux sont aussi
habitants de cet espace et les politiques publiques animés par une pluriactivité permettant aux plus
adoptées par l’Etat depuis l’accession à démunis de survivre ou d’obtenir un revenu
l’indépendance en 1804. Toutes les enquêtes complémentaire (cabotage, pêche etc.). L’ambition
nationales (ENMP et ECVMAS I et 2,) ont montré de la présente étude s’articule autour d’un ensemble
que les poches de pauvreté extrême se retrouvent d’interrogations qui se décline comme suit: comment
concentrer dans les zones littorales et les iles une construction nationale et territoriale peut être
adjacentes. Même à l’intérieur des villes, réputées génératrice de pauvreté, quelles sont les
pour être mieux loties que le reste du pays, les manifestations de cette pauvreté spatiale, en quoi
façades littorales sont le haut lieu de la pauvreté l’occupation littorale se réalise sans maritimisation?,
urbaine. Le “vide juridique” qui s’installe, de fait, de quelle manière s’opère la prise en charge de
dans les mœurs, transforme les zones littorales en l’inégalité spatiale et surtout comment les politiques
espace particulièrement attractif mais incontrôlable et publiques appauvrissent ces territoires et les
ingérable. Cette attractivité pernicieuse permet de populations qui les occupent?
capter une population qualifiée de marginale. La
marginalité créée, liée au sous-équipement et à la
mauvaise gouvernance, va faciliter l’éclosion et

Title : The coastline, the heart of poverty in Haiti, When public policies impoverish the
territories

Keywords: Poverty, public policies, coastal occupation, marginalization, organization of space, spatial
inequality.

Abstract: The Haitian coastline today appears as an poor governance, will facilitate the emergence and
observatory of the relations between the inhabitants spatial inscription of illegal and illicit forms of
of this area and the public policies adopted by the activity. However, these littoral spaces are also
State since the accession to independence in 1804. animated by a pluriactivity allowing the poorest to
All the national surveys (ENMP and ECVMAS I and survive or to obtain a complementary income
2) have shown that the concentration of extreme (cabotage, fishing etc.). The ambition of the present
poverty is in coastal areas and adjacent islands. Even study is articulated around a set of questions that is as
within the cities, known for being better off than the follows: how a national and territorial construction
rest of the country, the coastal facades are the center can be a generator of poverty, what are the
of urban poverty. The "legal void" that is set in fact, manifestations of this spatial poverty, how does the
transforms coastal areas into a particularly attractive coastal occupation is carried out without
but uncontrollable and unmanageable space. This maritimization?, in what way takes care of spatial
pernicious attractiveness makes it possible to capture inequality and especially how public policies
a population qualified as marginal. The created impoverish these territories and the populations that
marginality, related to under-equipment and occupy them?

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