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« Un véritable tour de force » – Elizabeth A.

Fenn

La destruction
des Indiens
des Plaines
Maladies, famines organisées,
disparition du mode de vie autochtone

James Daschuk
LA DESTRUCTION DES
INDIENS DES PLAINES
JAMES DASCHUK

LA DESTRUCTION
MALADIES, FAMINES ORGANISÉES ET DISPARITION DU MODE DE VIE AUTOCHTONE

DES INDIENS DES PLAINES


Tr a d u i t de l’ angl ai s par C athe rin e E go
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Cet ouvrage a été publié en 2013 par University of Regina Press, sous le titre Clearing the
Plains : disease, politics of starvation , and the loss of Aborigenal life.

Copyright © University of Regina Press, 2013


Copyright © Les Presses de l’Université Laval pour la traduction française, 2015
Cartes : Diane Perrick, University of Regina Press

Mise en pages : Diane Trottier


Maquette de couverture : Laurie Patry

ISBN : 978-2-7637-2100-2
PDF : 9782763721019

© Presses de l’Université Laval pour la traduction française. Tous droits réservés.


Dépôt légal 3e trimestre 2015

www.pulaval.com

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que ce soit est interdite sans l’autorisation écrite des Presses de l’Université Laval.
Table des matières

Remerciements . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7

Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9

Chapitre 1
La santé des Autochtones et l’environnement
avant l’arrivée des Européens . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33
Chapitre 2
L’émergence de la traite des fourrures : contagion et dislocation
territoriale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49
Chapitre 3
L’intensification de la concurrence : essor du commerce et propagation
des maladies, 1740-1782 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 73
Chapitre 4
La guerre des fourrures : désespérance et carnage, 1783-1821 . . . . . . . . . 95
Chapitre 5
Le monopole de la CBH : expansion des colonies et mortalité autochtone,
1821-1869 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 123
Chapitre 6
Le Canada, le Nord-Ouest et les traités, 1869-1876 . . . . . . . . . . . . . . . 153
Chapitre 7
Traités, famines et nouvelles épidémies, 1877-1882 . . . . . . . . . . . . . . . . 183
Chapitre 8
Les politiques d’assistance du Dominion, 1883-1885 . . . . . . . . . . . . . . 225
Chapitre 9
L’effondrement démographique des collectivités autochtones,
1886-1891 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 273
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 307
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 315
Index . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 359
Remerciements

C et ouvrage est né des recherches que j’ai entreprises il y a 20 ans pour


la rédaction de ma thèse de doctorat à la University of Manitoba
(U of M). Au fil des années, de nombreuses personnes et institutions m’ont
été d’une aide inestimable. Quand j’étais encore jeune étudiant, Mary
Black Rogers (Ph.  D.) m’a généreusement ouvert sa maison ainsi que
l’immense collection anthropologique de son époux, E. S. Rogers (Ph. D.).
Jack Bumsted (Ph. D.) m’a mis le pied à l’étrier en me trouvant un poste
d’assistant de recherche auprès de Kue Young (Ph. D.), qui travaillait alors
à la Faculté de médecine de la U of M. Le Conseil de recherches en sciences
humaines du Canada m’a octroyé une bourse doctorale au début de mes
travaux. Nombreux sont également les amis et les collègues qui m’ont
soutenu tout au long de cette entreprise ; je pense particulièrement à Renée
Fossett (Ph.  D.) et Scott MacNeil. Joy Flynn et Grant Taylor ont eu la
gentillesse de me prêter leur chalet dans le territoire de la Première Nation
White Bear ; j’y ai écrit l’essentiel de ma thèse. Pendant cette rédaction,
mon collègue et ami Paul Hackett (Ph. D.) a retenu mes services d’associé
de recherche à la Faculté de médecine de la U of M, me permettant ainsi de
m’immerger pendant presque deux ans dans les passionnantes Archives de
la Compagnie de la Baie d’Hudson (ACDH).
J’ai concrétisé la deuxième étape de ce projet au fil des années que j’ai
passées au Saskatchewan Indian Federated College (aujourd’hui, First
Nations University of Canada [FNUC]) et à la University of Regina (U of R).
David Reed Miller (Ph. D.), professeur émérite de la FNUC, m’a beaucoup
appuyé dans ce travail. Ses connaissances encyclopédiques et sa gentillesse
m’ont aidé de mille et une façons au fil des ans. Sa fréquentation constitue
pour moi un véritable privilège. Je tiens également à remercier Greg
Marchildon (Ph. D.), titulaire de la chaire de recherche du Canada en poli-
tique publique et histoire économique à la Johnson-Shoyama Graduate
8 L a destruction des I ndiens des P laines

School of Public Policy, de m’avoir permis de consacrer une année entière à


l’étude de l’histoire des changements climatiques et de leurs répercussions sur
les collectivités autochtones de la région. Je lui suis également très reconnais-
sant d’avoir imaginé que cet ouvrage puisse être publié par le Canadian Plains
Research Center Press (aujourd’hui, University of Regina Press).
Ralph Nilson (Ph.  D.), ancien directeur de l’Indigenous People’s
Health Research Centre de Regina, m’a accueilli sur le campus pendant
l’élaboration de mon manuscrit. Craig Chamberlin (Ph.  D.), doyen de la
Faculté de kinésiologie et d’études sur la santé de la U of R, et Bonnie Jeffery
(Ph. D.), directrice de la Saskatchewan Population Health Evaluation and
Research Unit (SPHERU), m’ont procuré un généreux soutien dans la mise
en forme du manuscrit final. Par un judicieux élagage, Dallas Harrison a su
lui donner une longueur acceptable. Je tiens également à remercier Brian
Mlazgar, du Canadian Plains Research Center, aujourd’hui retraité, de son
extraordinaire patience tout au long de ce projet.
Jamais je n’aurais pu mener ces travaux à terme sans l’appui efficace et
compétent de nombreux bibliothécaires et archivistes, en particulier ceux et
celles de Bibliothèque et Archives Canada (BAC), des Archives de la Compa-
gnie de la Baie d’Hudson, du Saskatchewan Archives Board (SAB), des
Glenbow Archives, de la bibliothèque John Archer de la University of Regina,
et de la salle Histoire des Prairies de la Bibliothèque publique de Regina, en
particulier feu Ken Aitkin et son équipe. Grâce à la présence d’amis très chers
à la bibliothèque de la First Nations University, en particulier Belle Young et
Rob Nestor, mes innombrables séjours dans cet établissement se sont avérés
aussi agréables que fructueux. Mes amis et collègues de la Nouvelle initiative
canadienne en histoire de l’environnement (NICHE) m’ont appuyé de
plusieurs manières dans l’accomplissement de ce projet. Je remercie égale-
ment de ses sages conseils mon ami Doran Degenstein, directeur du lieu
historique national du Fort-Whoop-Up à Lethbridge.
J’aimerais également exprimer ma reconnaissance au Humanities
Research Institute de la University of Regina pour son soutien financier ainsi
qu’à Christina Winter, responsable des droits de reproduction de la
bibliothèque John Archer de la U of R, qui m’a aidé à obtenir les autorisations
nécessaires à l’insertion des images dans le présent ouvrage.
Enfin, et surtout, je tiens ici à remercier de tout cœur mon épouse,
Giselle Marcotte, et mes filles, Dominique, Sophie et Marie-Ève. Elles ont
fait preuve d’une solidarité et d’une patience incomparables tout au long des
années qu’il m’a fallu pour mener ce projet à bien. Ce livre leur est dédié.
Introduction

D epuis plusieurs décennies, Canadiens et Canadiennes s’enor­


gueillissent annuellement de voir leur pays caracoler dans les hautes
sphères du classement mondial établi selon l’Indice de développement
humain. Dans le rapport 2007-2008 des Nations unies, seules l’Islande, la
Norvège et l’Australie le surpassent1. Mais le gouffre entre les conditions
de vie des Autochtones et celles des Allochtones [les non Autochtones] du
Canada se maintient avec une égale obstination. L’écart est abyssal : selon
l’Assemblée des Premières Nations, l’association autochtone la plus
importante du pays, ce même palmarès de l’ONU classerait la population
autochtone canadienne au 63e rang, à égalité ou presque avec le Panama,
la Malaisie ou le Belarus2. Toujours au Canada, l’espérance de vie moyenne
des Autochtones est inférieure de cinq à huit ans à celle de leurs compatriotes
allochtones. Canadiens et Canadiennes considèrent l’accès à d’excellents
soins médicaux comme un droit national acquis. Pourtant, la pauvreté, la
violence, la maladie et la mort prématurée ravagent le quotidien de la
plupart des communautés autochtones. Leur situation sanitaire se révèle
même si catastrophique qu’une publication récente sur les déterminants
sociaux de la santé au Canada classe l’appartenance à une collectivité
autochtone au nombre des variables prédictives essentielles3. D’aussi loin
que remonte la mémoire humaine, ce gouffre a toujours existé ; il s’est

1. Voir : http://www.macleans.ca/news/canada/why-fixing-first-nations-education-remains-so-far-out-of-reach/
2. Voir :  http://www.afn.ca/index.php/en/national-chief/highlights-from-the-national-chief/achie­ving-shared-
success-the-path-from-poverty-to-prosperity.
3. Dennis Raphael, « Introduction to the Social Determinants of Health », dans : Dennis Raphael
(dir.), Social Determinants of Health : Canadian Perspectives, Toronto : Scholar’s Press, 2004, p. 6.
10 L a destruction des I ndiens des P laines

incorporé au fil des ans à la trame même de notre pays, de notre société.
L’objectif premier de la présente étude consiste à discerner les causes de
l’écart sanitaire actuel entre les Autochtones et les Allochtones dans l’ouest
du Canada. Indicateur clé des conditions de vie, la santé ne peut pas se
concevoir indépendamment des forces économiques et sociales qui la
déterminent. La marginalisation des Premières Nations constitue ainsi le
principal obstacle à l’amélioration des paramètres sanitaires dans la
population canadienne.
Si la minorité autochtone et la majorité allochtone du Canada ne sont
pas logées à la même enseigne en matière de santé, le seuil minimal des
conditions de vie acceptables n’est pas non plus le même dans les deux
groupes. Dans les deux cas, c’est essentiellement le racisme des décideurs
politiques et de la société dominante qui explique l’émergence de ce gouffre
et sa persistance. Ces dernières années, deux études d’importance ont analysé
le racisme dans la population allochtone majoritaire comme cause de la
détérioration de l’état de santé des collectivités autochtones de l’Ouest
canadien. Dans Medicine that Walks : Disease, Medicine, and Canadian Plains
Native People, 1880–1940, Maureen Lux estime que le racisme et les poli-
tiques gouvernementales mises en œuvre dans ce contexte ont été les princi-
paux facteurs du déclin vertigineux de la condition sanitaire dans les réserves
des Prairies4. Dans Colonizing Bodies : Aboriginal Health and Healing in
British Columbia, Mary-Ellen Kelm soutient que l’attitude colonialiste de
l’opinion publique et des instances dirigeantes de la Colombie-Britannique à
l’égard des Autochtones a provoqué précisément le désastre qu’elles disaient
combattre : les mesures mises en œuvre par le gouvernement pour secourir
des Premières Nations qu’il jugeait menacées d’extinction ont empiré leur
sort5. L’idée d’une faiblesse physique « inhérente » aux Autochtones ayant été
implantée dans les esprits, elle a incontestablement contribué au déclin de
leurs collectivités : tout naturellement, les effets délétères des politiques
draconiennes du gouvernement canadien s’expliquaient par la faiblesse
« intrinsèque » des hommes et des femmes qui les subissaient. Le présent
ouvrage constate l’importance de l’idéologie raciste dans les relations entre les
Premières Nations et l’État canadien. Cependant, il ne s’intéresse pas
essentiellement aux idées qui ont favorisé la marginalisation des populations
des réserves ; il ne présente pas non plus la vision du monde des Autochtones

4. Maureen Lux, Medicine that Walks : Disease, Medicine, and Canadian Plains Native People, 1880–
1940, Toronto : University of Toronto Press, 2001, p. 5-19.
5. Mary-Ellen Kelm, Colonizing Bodies : Aboriginal Health and Healing in British Columbia, 1900–50,
Vancouver : UBC Press, 1998, p. xvi-xix.
I ntroduction 11

graduellement réduits en sujétion. Cet ouvrage analyse plutôt les conditions


matérielles qui, déterminées par des forces économiques et environnementales
inscrites dans le long terme, ont induit une disparité considérable dans l’état
de santé des différentes populations de l’Ouest canadien.
Cet ouvrage n’est pas un livre d’ethnohistoire. Il ne décrit pas de
manière exhaustive chacune des cultures autochtones de l’ouest du Canada.
Il tente plutôt de répondre à l’exhortation de Theodore Binnema dans
Common and Contested Ground : A Human and Environmental History of the
Northwestern Plains : observant que les recherches récentes portaient beau-
coup sur des Premières Nations particulières au lieu de les appréhender dans
leur ensemble, il invitait les chercheurs à dépasser ce qu’il appelait leur « parti
pris culturaliste6 ». C’est dans cet esprit que la présente étude considère le
Nord-Ouest canadien comme un tout, et examine ainsi les flux et reflux,
expansions et déclins des Autochtones de cette région du début du 18e siècle
à la fin du 19e. Nous verrons notamment que les épidémies et les forces du
marché ont anéanti certains groupes tandis qu’elles permettaient à d’autres
d’accroître leur territoire. Cet ouvrage ne propose pas une vision « émique »,
c’est-à-dire le point de vue des Autochtones sur le rôle grandissant de l’éco-
nomie mondiale dans leur état de santé. Fondamentalement, il porte en défi-
nitive sur ce que les Autochtones ont fait, sur les lieux qu’ils ont habités et les
aliments qu’ils ont consommés pendant environ 160 ans, à l’époque où s’im-
plantait dans les Plaines canadiennes l’économie mondiale ou, pour reprendre
le terme d’Immanuel Wallerstein, le « système-monde moderne7 ». S’ap-
puyant sur ce concept wallersteinien, le géographe américain Jason W. Moore
postule l’indissociabilité des mutations économiques et environnementales :
« L’avènement d’une économie-monde capitaliste et celui d’une écologie-
monde capitaliste ont marqué deux moments d’un seul et même processus
historique mondial8. » Ces « moments » constituent les deux grands jalons du
cataclysme sanitaire qui frappe les Autochtones de l’Ouest canadien. La
montée en puissance d’un nouveau paradigme économique, à savoir l’agri-
culture et le capitalisme industriel, au détriment de la traite des fourrures, a
peu à peu expulsé les Autochtones de la niche lucrative qu’ils occupaient aux
marges de l’économie mondiale. Cette éviction d’une activité économique
viable dans le système-monde et l’implantation forcée d’une contrainte

6. Theodore Binnema, Common and Contested Ground : A Human and Environmental History of the
Northwestern Plains, Norman : University of Oklahoma Press, 2001, p. xiii.
7. Immanuel Wallerstein, The Modern World-System : Capitalist Agriculture and the Origins of European
World-Economy in the Sixteenth Century, New York : Academic Press, 1974.
8. Jason W. Moore, « The Modern World-System as Environmental History ? Ecology and the Rise of
Capitalism », Theory and Society, 32, 2003, p. 323.
12 L a destruction des I ndiens des P laines

environnementale très forte –  en l’occurrence, le système des réserves


indiennes – ont joué un rôle de premier plan dans l’effondrement de leur état
de santé à la fin du 19e siècle.
Avant l’émergence de l’économie agricole dans les Plaines canadiennes,
un système dont ils allaient être radicalement écartés, les Autochtones de
l’ouest du Canada ont joué pendant au moins 200 ans un rôle incontour-
nable dans le système-monde moderne9. À mesure que le commerce des
pelleteries se déployait dans la région, ils ont adapté leurs habitudes de vie
aux exigences des forces du marché ainsi qu’aux possibilités d’action qu’elles
leur offraient. Mais la main invisible du marché avait la paume chargée de
microbes qui, tout aussi imperceptibles qu’elle à l’œil nu, allaient néanmoins
déchaîner sur les Plaines des maladies nouvelles ainsi qu’une hécatombe sans
précédent.
De par son extrême singularité, cette rencontre entre l’écosystème de
l’Ancien Monde et celui du Nouveau reste, depuis 500  ans, difficile à
appréhender. Jamais l’humanité n’avait connu, ni n’a connu depuis, de telles
convulsions environnementales et humaines. Aujourd’hui, seul un échange
de formes de vie entre planètes pourrait se comparer à ce gigantesque brassage
de marchandises, de plantes, d’animaux, de pathogènes et de gens10. Alfred
Crosby estime que l’exposition des Autochtones d’Amérique aux microbes
venus de l’Ancien Monde a constitué le principal déterminant de leur
évolution démographique pendant 150  ans11 ; les épidémies qui ravagent
l’Ouest canadien jusqu’aux années 1870 le confirment. Paul Hackett propose
d’ailleurs dans “A Very Remarkable Sickness” : Epidemics in the Petit Nord,
1670 to 1846 une excellente description des conséquences de ces maladies
infectieuses introduites pour les populations des forêts boréales à l’est des
Prairies12.
Les pathogènes de l’Ancien Monde ont ainsi joué un rôle décisif dans
l’histoire de l’Amérique autochtone. Ainsi, entre les années 1730 et 1870,
plusieurs épidémies dévastent le Nord-Ouest canadien. Il faudra attendre les
premières campagnes de vaccination pour enrayer leur transmission de

9. Arthur J. Ray, « At the Cutting Edge : Indians and the Expansion of the Land-Based Fur Trade in
Northern North America, 1550–1750 », dans : Hans-Jürgen Nitz (dir.), The Early-Modern World-
System in Geographical Perspective, Stuttgart : Franz Steiner Verlag, 1993, p. 317-326.
10. Alfred W. Crosby, The Columbian Exchange : Biological and Cultural Consequences of 1492, Westport
(Connecticut) : Greenwood Publishing Company, 1972, p. 113, 202.
11. Alfred W. Crosby, « Virgin Soil Epidemics as a Factor in the Aboriginal Depopulation of America »,
dans : Germs, Seeds, and Animals : Studies in Ecological History, Londres : M. E. Sharpe, 1994, p. 99.
12. Paul Hackett, “A Very Remarkable Sickness” : Epidemics in the Petit Nord, 1670 to 1846, Winnipeg :
University of Manitoba Press, 2002.
I ntroduction 13

génération en génération et atténuer leur impact. Jusqu’à leur éradication,


Variola major (le virus de la variole) et d’autres microbes continueront de
peser d’un poids considérable dans l’histoire de la région.
Le présent ouvrage s’efforce également de circonscrire l’impact de la
maladie sur l’occupation des terres entre le fleuve Missouri et la forêt boréale
dans les années qui précèdent l’acquisition de l’Ouest par le Canada. Les taux
de mortalité et de survie aux épidémies n’étant pas les mêmes dans toutes les
collectivités, ils redéfinissent la répartition territoriale des groupes humains et
favorisent l’émergence de nouvelles identités ethniques par ethnogenèse13.
La maladie et la mort s’imposent alors comme des déterminants non
intentionnels, mais pourtant inexorables, des échanges qui se tissent entre
des écosystèmes jusque-là séparés. Les épidémies qui se succèdent dans le
sillage de l’« unification biologique » de la planète14 contraignent leurs
survivants à se réorganiser. L’expansion de l’économie mondiale, l’avènement
des réseaux commerciaux planétaires et la propagation des maladies dont ils
s’accompagnent dictent les modalités de l’adaptation aux nouvelles réalités
économiques des Plaines. Cette reconfiguration sème la mort dans certaines
collectivités ; d’autres y trouvent au contraire des occasions de développement
économique inattendues.
Dès le début du 18e siècle, le commerce, la mortalité épidémique et la
réorganisation des groupes survivants enclenchent une immense turbulence
territoriale dans les Premières Nations. Le présent ouvrage réexamine
notamment la question de la migration des Cris vers l’ouest à la lumière du
concept de « dynamisme spatial15 » d’Arthur Ray aux confins orientaux des
Plaines.
La datation de l’arrivée des Cris dans l’est des Plaines n’est pas anodine.
Après la publication de The Plains Cree : An Ethnographic, Historical, and
Comparative Study par David Mandelbaum en 194016, les chercheurs se sont
généralement accordés à considérer qu’ils avaient progressé vers l’ouest en
même temps que la traite des fourrures. L’auteur fondait ses conclusions sur

13. Patricia Albers, « Changing Patterns of Ethnicity in the Northeastern Plains, 1780–1870 », dans :
Jonathan Hill (dir.), History, Power, and Identity : Ethnogenesis in the Americas, 1492–1992, Iowa
City : University of Iowa Press, 1996, p. 100.
14. Emmanuel Le Roy Ladurie, « Un concept : l’unification microbienne du monde (XIVe-XVIIe siècle) »,
dans : Le territoire de l’historien (tome 2), Paris : Gallimard, 1978 [1973], p. 37-97.
15. Arthur J. Ray, « Some Thoughts about the Reasons for Spatial Dynamism in the Early Fur Trade,
1500–1800 », dans : Henry Epp (dir.), Three Hundred Prairie Years : Henry Kelsey’s “Inland Country
of Good Report”, Regina : Canadian Plains Research Center, 1993, p. 113-123.
16. David Mandelbaum, The Plains Cree : An Ethnographic, Historical, and Comparative Study, Regina :
Canadian Plains Research Center, 1979 [1940 ; réimpression].
14 L a destruction des I ndiens des P laines

des entrevues réalisées dans des collectivités cries des Plaines et sur des sources
secondaires se rapportant à l’époque du commerce des pelleteries. Une géné-
ration plus tard, des recherches dans les Archives de la Compagnie de la Baie
d’Hudson confirmaient que les Cris et les Ojibwés avaient effectivement
migré vers l’ouest dans le contexte de leur participation à l’économie mondiale.
Arthur Ray (Indians in the Fur Trade : Their Role as Trappers, Hunters,
and Middlemen in the Lands Southwest of Hudson Bay, 1660–187017) et
Charles Bishop (The Northern Ojibwa and the Fur Trade : An Historical and
Ecological Study18) ont soutenu avec éloquence que les groupes qui avaient eu
accès aux marchandises d’échange européennes, en particulier les armes à feu,
s’étaient installés dans des régions habitées par d’autres collectivités, et
provoqué ainsi la dislocation territoriale et culturelle de nombreuses sociétés
autochtones. Indians in the Fur Trade a aussi été l’un des premiers ouvrages à
établir le rôle crucial des maladies dans l’évolution historique de l’Ouest cana-
dien. Constatant la spécialisation économique de certaines communautés, par
exemple les Cris et les Ojibwés (Anichinabés), certains chercheurs en ont
conclu que les marchandises d’échange européennes, et donc, le système capi-
taliste mondial, leur étaient devenus indispensables au fil des ans. Vivant à la
périphérie de l’économie planétaire, bientôt indigentes et marginalisées, les
Premières Nations du Canada étaient alors considérées comme comparables
aux populations du tiers-monde. Peu à peu, les recherches historiques sur les
mutations économiques et la dépossession se sont arrimées à la théorie de la
dépendance : cette approche interprétative marxiste allait connaître un essor
considérable avec la publication de Capitalisme et sous-développement en
Amérique latine, d’André Gunder Frank, en 1968 [1967 pour la version origi-
nale anglaise]19. Pour les penseurs de la dépendance, ce sont les interactions
entre le centre du système-monde (les puissances coloniales qui ont accédé au
développement) et sa périphérie (le tiers-monde colonisé et appauvri) qui
creusent inlassablement l’écart de pouvoir et de richesse entre eux.
Les interprétations matérialistes de l’histoire des Premières Nations
situaient l’évolution de ces collectivités, et leur assujettissement, dans un
contexte mondial. Dans les années 1980, des chercheurs et des communautés
autochtones commencent toutefois à exprimer un point de vue différent :

17. Arthur J. Ray, Indians in the Fur Trade : Their Role as Trappers, Hunters, and Middlemen in the Lands
Southwest of Hudson Bay, 1660–1870, Toronto : University of Toronto Press, 1974.
18. Charles Bishop, The Northern Ojibwa and the Fur Trade : An Historical and Ecological Study,
Toronto : Holt, Rinehart and Winston, 1974.
19. André Gunder Frank, Capitalisme et sous-développement en Amérique latine (traduit de l’anglais par
Guillaume Carle et Christos Passadéos), Paris : François Maspero, 1979 [1968].
I ntroduction 15

pour eux, les théoriciens de la dépendance exagèrent la fragilité des traditions


autochtones et leur décrépitude. Par leurs travaux sur la vigueur et la résilience
des cultures des Premières Nations depuis le début de la période historique, ils
retournent comme un gant le concept de dépendance en montrant que
c’étaient au contraire les Européens qui dépendaient des Autochtones, et
qu’ils n’auraient d’ailleurs même pas survécu sans eux. Indian–European Trade
Relations in the Lower Saskatchewan River Region to 184020, de Paul Thistle,
constitue ainsi l’une des premières monographies qui s’intéresse à la dépen-
dance des nouveaux arrivants à l’égard des populations indigènes pour leur
survie quotidienne. Dans « Dependency : Charles Bishop and the Northern
Ojibwa », un article publié en 199121, Eleanor M. Blain étudie les stratégies
déployées par les Ojibwés pour empêcher la Compagnie de la Baie d’Hudson
(CBH) de régenter le commerce. D’autres publications, par exemple The
Ojibwa of Western Canada, 1780–187022, de Laura Peers, soulignent aussi la
persistance de l’autonomie culturelle des Ojibwés alors même qu’ils ont
commencé de migrer vers l’ouest pour répondre aux mutations induites par le
monopole des fourrures dans leur environnement. Tandis que les recherches
sur l’intégrité culturelle des Premières Nations gagnent en influence, d’autres
chercheurs se mettent à dénoncer les travaux de Ray, Bishop et d’autres en
leur reprochant notamment d’avoir surestimé les remous territoriaux causés
par l’arrivée des Européens. En réaffirmant les droits des Autochtones, la Loi
constitutionnelle de 1982 ravive la pertinence de la question de l’occupation
territoriale au fil des siècles. De l’avis général qui domine à l’époque, c’est la
durée de l’occupation d’un territoire par une Première Nation qui détermine
la crédibilité de ses revendications relativement à ces terres.
Peu après cette réforme constitutionnelle, les Cris du lac Lubicon, dans
le nord de l’Alberta, mènent un combat décisif en matière de droits des
Autochtones sur le sol et les ressources : ils réclament la reconnaissance de
leur titre de propriété inhérent relativement à leur territoire, qu’ils estiment
menacé par le développement gazier et pétrolier. Dans un article intitulé
« The Western Woods Cree : Anthropological Myth and Historical Reality23 »,

20. Paul Thistle, Indian–European Trade Relations in the Lower Saskatchewan River Region to 1840,
Winnipeg : University of Manitoba Press, 1986.
21. Eleanor M. Blain, « Dependency : Charles Bishop and the Northern Ojibwa », dans : Kerry Abel et
Jean Friesen (dir.), Aboriginal Resource Use in Canada : Historical and Legal Aspects, Winnipeg :
University of Manitoba Press, 1991, p. 93-106.
22. Laura Peers, The Ojibwa of Western Canada, 1780–1870, Winnipeg : University of Manitoba Press,
1994.
23. James G. E. Smith, « The Western Woods Cree : Anthropological Myth and Historical Reality »,
American Ethnologist, 14, 1987, p. 434-448.
16 L a destruction des I ndiens des P laines

James G. E. Smith, un sympathisant de leur cause, formule cette analyse :


constatant l’irrésistible avancée vers l’ouest des traiteurs (les Européens
engagés dans la traite des fourrures), les historiens en ont erronément conclu
que les Cris avaient, eux aussi, migré dans cette direction. Or, ajoute Smith,
les ancêtres de la nation crie du lac Lubicon étaient déjà établis dans la région
en litige plusieurs siècles auparavant. Pour conclure, il signale l’importance
de ses recherches dans le contexte des revendications juridiques cries : « Aussi
“purs et désintéressés” nos travaux soient-ils, ils n’en pourraient pas moins
avoir certaines conséquences pratiques. »
À partir du début des années 1990, il devient de plus en plus
communément admis que les Cris vivent dans l’Ouest depuis des temps
immémoriaux ou presque. Dans Eighteenth-Century Western Cree and Their
Neighbours24, Dale Russell soutient que les Cris n’ont pas migré vers l’ouest,
mais qu’ils vivent dans les basses-terres de la rivière Saskatchewan depuis
plusieurs centaines d’années. Dénonçant par ailleurs l’interprétation qui a été
faite des registres de la traite, il affirme que les descriptions de l’Ouest à cette
époque ne témoignent pas de la migration des populations autochtones, mais
rend simplement compte des déplacements des Européens qui ont laissé ces
traces écrites. Son livre est l’un des premiers à s’intéresser à l’occupation de la
prairie-parc (le parkland : l’écotone, ou espace transitoire, entre la prairie et la
forêt boréale, également dit « tremblaie canadienne ») de l’est des Plaines par
des groupes précis de Cris (par exemple Pegogamaws, Cowanitows et
Basquias) avant l’arrivée des traiteurs européens. Dans la communauté des
historiens, l’ouvrage de Dale Russell ne passe pas inaperçu : au moins deux
recensions de l’époque estiment qu’il « démolit » les recherches antérieures
privilégiant l’hypothèse de flux migratoires massifs25.
À peine les travaux de Russell publiés, les critiques entreprennent
d’éreinter désormais les auteurs qui défendent la thèse de l’avancée territoriale
des Cris. Ainsi, dans la recension d’un ouvrage de John Milloy intitulé The
Plains Cree : Trade, Diplomacy, and War, 1790 to 187026, David Smyth écrit
que les recherches ethnohistoriques établissant la présence des Cris dans
l’Ouest depuis des temps très anciens « disqualifient complètement » les

24. Dale Russell, Eighteenth-Century Western Cree and Their Neighbours, Ottawa : Canadian Museum of
Civilization, 1991.
25. Michael Payne, « Review : Dale R. Russell, Eighteenth-Century Western Cree and Their Neighbours »,
Manitoba History, 24, 1992 : http://www.mhs.mb.ca/docs/mb_history/24/westerncree.shtml ; Paul
Thistle, « Review : Russell, Dale R., Eighteenth-Century Western Cree and Their Neighbours », Cana-
dian Journal of Native Studies, 11, 1991, p. 181-183.
26. John Milloy, The Plains Cree : Trade, Diplomacy, and War, 1790 to 1870, Winnipeg : University of
Manitoba Press, 1988.
I ntroduction 17

études proclamant leur arrivée tardive dans la région ; le débat sur les migra-
tions et la dépendance économique des Autochtones n’a plus « aucune perti-
nence historiographique », tranche-t-il27.
Dès le milieu des années 1990, les recherches sur l’histoire économique
des Premières Nations ont déjà perdu beaucoup de leur lustre. « L’ethnohistoire
a éclipsé les travaux sur l’économie politique dans la région subarctique »,
constate Frank Tough, spécialiste de l’histoire économique, dans “As Their
Natural Resources Fail” : Native Peoples and the Economic History of Northern
Manitoba, 1870–193028. Très vite, pourtant, les chercheurs postcoloniaux
reprochent à l’ethnohistoire d’exalter de manière outrancière la latitude d’ac-
tion des Premières Nations en sous-estimant au passage leur assujettissement
au moment de la montée en puissance de l’hégémonie canadienne29. À l’instar
d’autres ethnohistoriens, Toby Morantz rétorque que le discours colonialiste
fondé sur « les concepts de “pouvoir ”, “appropriation”, “territorialisation” et
“coercition” accapare à l’excès l’analyse des premiers temps historiques et laisse
trop peu de place aux représentations de contacts moins violents, moins
brutaux, moins compétitifs30 ». Tout en reconnaissant l’extraordinaire attracti-
vité de l’angle colonial, Morantz observe qu’il « noie » les situations particu-
lières des peuples autochtones dans « une rhétorique plus universelle ». D’une
certaine façon, la force de frappe du discours colonial émousse son efficacité en
tant qu’outil d’analyse. Plus les recherches postcoloniales se raffinent, cepen-
dant, plus leur méthodologie gagne en influence dans un champ d’études
jusqu’à tout récemment réservé à l’ethnohistoire. Entre autres ouvrages, The
White Man’s Gonna Getcha : The Colonial Challenge to the Crees in Quebec, de
Toby Morantz31, et The Plains Sioux and U.S. Colonialism from Lewis and
Clark to Wounded Knee32, de Jeffrey Ostler, consacrent la convergence des
discours ethnohistorique et postcolonialiste.
Dans l’introduction de la deuxième édition de son Indians in the Fur
Trade, Ray s’efforce de trouver un terrain d’entente avec les détracteurs de son
approche : les relations entre les pourvoyeurs autochtones (trappeurs et

27. David Smyth, « Missed Opportunity : John Milloy’s The Plains Cree », Prairie Forum, 17, 1992,
p. 338.
28. Frank Tough, « As Their Natural Resources Fail » : Native Peoples and the Economic History of Northern
Manitoba, 1870–1930, Vancouver : UBC Press, 1996, p. 300.
29. Robin Brownlie et Mary-Ellen Kelm, « Desperately Seeking Absolution : Native Agency as
Colonialist Alibi ? », Canadian Historical Review, 75, 1994, p. 543-556.
30. Toby Morantz, « The Past and Future of Ethnohistory », Acta Borealia, 1, 1998, p. 72.
31. Toby Morantz, The White Man’s Gonna Getcha : The Colonial Challenge to the Crees in Quebec,
Montréal : McGill-Queen’s University Press, 2002.
32. Jeffrey Ostler, The Plains Sioux and U.S. Colonialism from Lewis and Clark to Wounded Knee,
Cambridge (Royaume-Uni) : Cambridge University Press, 2004.
18 L a destruction des I ndiens des P laines

chasseurs) et les autres acteurs de la traite des fourrures, concède-t-il, étaient


surtout placées sous le signe de l’« interdépendance ». En ce qui concerne les
migrations, par contre, Ray reste inébranlable : « Les sources documentaires
prouvent hors de tout doute la justesse de mes conclusions, à savoir que de
grands mouvements de population se sont produits avant le début du
19e  siècle. » Il ajoute que de « nouvelles approches conceptuelles » et des
recherches plus poussées devront être mises en œuvre pour dépasser cette
« notion simpliste selon laquelle les populations se seraient déplacées par
vagues33 ». Le présent ouvrage propose une interprétation des réorganisations
territoriales à la lumière des épidémies qui ont parcouru le 18e siècle. Ces
maladies ont joué un rôle crucial dans l’histoire de l’occupation de l’Ouest
canadien, un rôle si déterminant que la réflexion entourant le titre foncier
autochtone dans cette région doit nécessairement prendre les épidémies et
leurs conséquences en considération.
La première moitié de cet ouvrage porte sur l’évolution économique,
démographique et territoriale des Premières Nations de l’Ouest avant son
acquisition par le Canada, en  1870. Nous verrons que le déferlement des
maladies introduites dans ces populations, vulnérables face à ces microbes
inconnus d’elles, a marqué dans leur parcours un virage inattendu,
certes tragique, mais essentiellement biologique. Les discours qui placent les
agissements humains et la cupidité ainsi que l’expansionnisme des puissances
coloniales au cœur du déclin des nations autochtones d’Amérique font par
conséquent l’impasse sur des déterminants incontournables de leur histoire :
les pathogènes. Ils ont constitué l’un des principes fondamentaux de
l’évolution historique de l’Amérique autochtone.
Le chapitre 1 décrit rapidement les sociétés autochtones et leur état de
santé dans les siècles qui précèdent l’arrivée des Européens en Amérique. Un
long épisode de détérioration climatique amorcé au 13e siècle impose alors un
lourd tribut aux collectivités de la moitié orientale du continent ; nombreux
sont les Autochtones qui quittent les forêts de l’Est, devenues invivables, pour
trouver refuge dans le nord des Plaines. À l’instar des groupes établis dans
cette région de plus longue date, ces nouveaux arrivants sont constitués en
grandes sociétés tribales très développées. Tous ces peuples des Plaines
connaissent bien les habitudes et les déplacements des hardes de bisons et
peuvent maintenir un mode de vie semi-sédentaire alternant entre les
vallées  l’hiver et les grandes étendues planes l’été. Pour protéger leurs

33. Arthur J. Ray, Indians in the Fur Trade : Their Role as Trappers, Hunters, and Middlemen in the Lands
Southwest of Hudson Bay, 1660–1870 – 2nd edition, Toronto : University of Toronto Press, 1998,
p. xxi.
I ntroduction 19

approvisionnements en eau, ressource critique dans ces plaines arides, ils


s’abstiennent par ailleurs d’exploiter le castor, dont les barrages atténuent
l’effet dévastateur des sécheresses. Ayant accès à des sources sûres d’aliments
de qualité, les habitants des Plaines de l’époque sont probablement en très
bonne santé, surtout par rapport aux sociétés de l’Est, durement éprouvées au
fil des siècles précédant le contact avec les Européens. Certes, l’Amérique du
Nord d’avant le commencement de la période historique n’est pas un paradis
épargné par les pathogènes. La maladie y fait toutefois bien peu de morts en
regard de l’offensive biologique extraordinairement destructrice qui va bientôt
déferler sur le continent. Les traces que la tuberculose imprime dans les tissus
osseux nous apprennent que cette infection n’était pas inconnue des Plaines
canadiennes avant l’arrivée des Européens, mais sans doute assez rare.
Le chapitre 2 explique le maelström démographique et territorial qui
emporte les Autochtones de l’ouest du Canada dans la première moitié du
18e siècle. La variole et d’autres maladies ont déjà transformé radicalement le
cadre de vie des Premières Nations à l’ouest des Grands Lacs. Dès les années
1730, des infections venues d’Europe se propagent jusqu’au Manitoba et aux
villages arikaras des basses-terres du fleuve Missouri. Déferlant en « terrain
vierge », c’est-à-dire sur des terres qui n’ont jamais été exposées à leurs
pathogènes, ces épidémies infligent un taux de mortalité sans précédent aux
Sioux, Assiniboines, Anichinabés, Cris et autres installés dans la région des
eaux frontalières (entre l’Ontario et le Minnesota actuels), le long de la rivière
Winnipeg, dans l’interlac manitobain et autour de La Fourche (à la confluence
des rivières Assiniboine et Rouge). Dans l’est des Plaines, la maladie emprunte
les voies de transport des Européens et les réseaux commerciaux autochtones
qui communiquent avec elles. Mais la variole s’abat aussi le long des
montagnes Rocheuses et, vers le nord, jusqu’en Alberta, décimant alors des
populations qui n’ont pourtant jamais rencontré d’Européen. Les
énigmatiques Gens-du-Serpent (Snakes) acheminent des chevaux depuis le
Nouveau-Mexique jusque dans le nord des Plaines avec une rapidité telle que
la maladie conquiert la zone de guerre de la rivière Red Deer (La Biche) aux
alentours de 1740. Alors qu’aucun Européen n’a encore mis le pied en
Alberta, sa population autochtone subit déjà de plein fouet le plus grand
cataclysme démographique de son histoire.
Le chapitre 3 décrit les mutations qui marquent les années 1770. Les
acteurs européens de la traite des fourrures sont de plus en plus nombreux
dans l’Ouest et supplantent les intermédiaires commerciaux autochtones. La
plupart des Premières Nations des Prairies maîtrisent maintenant le cheval. Si
l’afflux de centaines de nouveaux venus évince les intermédiaires, il suscite
également un extraordinaire essor de la demande de viande et enclenche ainsi
20 L a destruction des I ndiens des P laines

une économie commerciale qui restera prépondérante dans la région pendant


presque un siècle. La chasse à cheval devenant une niche économique
attrayante, de nombreux groupes originaires des confins de la forêt boréale
viennent s’installer dans la prairie-parc et les Plaines. Mais une pandémie
continentale de variole s’abat alors sur la forêt boréale et fait des milliers de
morts. En Saskatchewan, à la lisière des Plaines, plusieurs collectivités cries
sont si décimées qu’elles disparaissent en tant que groupes distincts.
Le chapitre 4 s’intéresse aux impacts de la « guerre des fourrures » sur les
sociétés autochtones. De 1780 à  1820, les entreprises engagées dans le
commerce des pelleteries s’affrontent en un conflit commercial de plus en
plus violent. Les épidémies mortelles contribuent alors à l’ethnogenèse de
plusieurs collectivités : les Autochtones qui leur survivent et ceux qui viennent
d’arriver dans la région s’allient pour répondre à la demande générée par
l’économie commerciale, fournissant aux traiteurs peaux de castors et
provisions de bouche. Des régions s’ouvrent au commerce à grande échelle,
notamment dans le Nord. La mainmise des traiteurs canadiens sur la rivière
Athabasca et le fleuve Mackenzie écrit à cette époque l’un des chapitres les
plus abjects de l’histoire des relations entre Autochtones et Allochtones au
Canada. Pour obtenir les marchandises qu’ils convoitent, les traiteurs venus
de Montréal recourent à l’alcool, la violence, le meurtre et le trafic de femmes.
La raréfaction du gibier et les dégâts environnementaux menacent la stabilité
des collectivités autochtones dans toute cette région ; poussées à bout, elles
s’opposent de plus en plus à leurs bourreaux. Le bison reste abondant, mais
les chasseurs des Plaines dépendent maintenant du cheval pour capturer leurs
proies. Dans les années les plus froides de ce « petit âge glaciaire », leurs
communautés souffrent des privations et du manque de nourriture. À la fin
du 18e siècle se succèdent en effet plusieurs décennies de climat particulière-
ment rigoureux. Les chasseurs ayant de plus en plus de difficultés à préserver
leurs troupeaux équins, les raids se multiplient, exacerbant les hostilités inter-
tribales. Dans les années 1790, la violence et les conflits incessants pour l’ap-
propriation des chevaux ont raison des Gros-Ventres : ils doivent s’exiler
définitivement au sud du 49e parallèle. Le 19e siècle s’ouvre sur un sinistre
bilan : ces 40 années de concurrence effrénée dans le commerce des fourrures
ont complètement dévasté l’environnement et les populations du Nord-
Ouest. Différents fléaux sociaux ravagent par ailleurs la plupart des collecti-
vités, notamment l’alcoolisme et la violence. La raréfaction du gibier
condamne plusieurs groupes à la disette, la famine ou la mort. Dans l’ex-
trême Nord-Ouest, la perturbation des cycles saisonniers qui réglaient leur
existence contraint de nombreuses communautés athapascanes à des straté-
gies de survie draconiennes. L’extinction des animaux à fourrure et du gros
I ntroduction 21

gibier perturbe l’écologie de plusieurs régions pendant des dizaines d’années,


parfois même de manière définitive. Alors que la guerre pour l’accaparement
du commerce des pelleteries atteint son paroxysme, une épidémie de rougeole
et de coqueluche s’abat sur la région, y déchaînant une morbidité et une
mortalité inégalées depuis les grandes flambées de variole des années 1780.
Le chapitre 5 porte sur les interactions entre l’économie et la santé des
Premières Nations dans les 50 ans de règne sans partage de la Compagnie de la
Baie d’Hudson sur la Terre de Rupert. Tout au long de cette période monopo-
listique, la CBH administre tant bien que mal l’environnement et les popula-
tions de son gigantesque domaine. Face au déclin du gibier causé par les excès
de la chasse et du piégeage, face aussi au dérèglement des mœurs provoqué par
le flot ininterrompu d’alcool qui abreuve la région, l’entreprise ferme des
postes de traite, réduit sa main-d’œuvre, limite ses achats de pelleteries ; dans
certaines régions, elle décrète également la prohibition de l’alcool. Toutes les
communautés autochtones ne réagissent pas de la même façon à ces nouveautés :
certaines sombrent dans la violence ; d’autres abandonnent les terres à four-
rures au profit d’activités économiques qui émergent alors aux confins des
Plaines. Craignant que l’arrière-pays ne se vide de ses habitants, la Compagnie
autorise des missionnaires à venir prêter assistance aux communautés des
régions improductives ou ravagées par la surexploitation. Mais cette ouverture
aux églises n’a rien d’altruiste : la CBH cherche plutôt un moyen économique
de porter secours à ses pourvoyeurs de pelleteries. Les collectivités autochtones
des régions les plus saccagées par la chasse excessive, par exemple les abords de
la rivière Rouge, se convertissent à l’agriculture dès les années 1820. La bande
ojibwée du chef Peguis est ainsi l’une des premières à adopter ce nouveau mode
de vie à la lisière de la colonie européenne. Présageant le sort qui sera celui de
tous les Autochtones de l’Ouest ou presque quelques décennies plus tard, elle
est aussi l’une des premières que la tuberculose dévaste.
Constatant la détérioration vertigineuse de l’état de santé des collecti-
vités autochtones, la CBH implante un programme de prévention ambitieux
et efficace. En modulant l’impact des flambées varioliques des années 1830 sur
les différentes collectivités selon qu’elles ont été immunisées ou pas, la vaccina-
tion redessine l’occupation territoriale dans la région du Traité no 4. Mais si la
médecine permet maintenant d’enrayer la variole, l’évolution démographique
de la Terre de Rupert et, plus particulièrement, l’avancée des colons, favorisent
au contraire la propagation d’autres maladies contagieuses. Au milieu du siècle,
la chasse épuise les hardes et intensifie les tensions entre les collectivités. La
remise en question de la charte royale de la CBH achève d’exacerber l’incerti-
tude quant à l’avenir de l’Ouest, d’autant plus que l’Est commence à convoiter
ces terres pour l’expansion agricole du Canada.
22 L a destruction des I ndiens des P laines

L’acquisition du Nord-Ouest par le Dominion du Canada en 1870


redéfinit pour toujours le parcours politique, économique et sanitaire de la
région. En 10 ans, son paysage épidémique se métamorphose. Les campagnes
de vaccination à grande échelle jugulent la variole, jusqu’alors la principale
cause de morbidité et de mortalité. Mais une autre calamité la remplace
presque aussitôt : la tuberculose. Dans une région déjà très affaiblie par la
famine, elle impose aux Autochtones un lourd tribut. Cette épidémie sans
précédent gagne l’intégralité du système des réserves qui vient d’être imposé
aux Premières Nations. Contrairement à la variole et à d’autres maladies
infectieuses qui se sont répandues spontanément comme feux de broussailles
au fil des ans, la tuberculose se propage selon des paramètres biologiques,
certes, mais aussi, et surtout, au gré de décisions et d’interventions humaines.
En particulier, au mépris complet des obligations qui lui incombent en vertu
des traités, le gouvernement canadien utilise la nourriture, non comme outil
pour résorber la crise humanitaire, mais comme arme pour mater la
population indienne et laisser le champ libre à ses propres projets de
développement et d’expansion.
La deuxième partie de cet ouvrage porte sur l’évolution sanitaire des
populations de l’Ouest dans le contexte des nouvelles réalités économiques et
politiques de la fin du 19e siècle. Nous y verrons que le Dominion aurait pu
atténuer considérablement la crise tuberculeuse s’il avait agi de bonne foi
envers ses partenaires autochtones des traités. En un mot, cette partie rend
compte d’une véritable politique de la famine. Elle se fonde notamment sur
les travaux d’Amartya Sen : dans son Poverty and Famines : An Essay on Entit-
lement and Deprivation, ce lauréat du prix Nobel a montré que les disettes
sud-asiatiques n’étaient pas tant causées par l’insuffisance de nourriture, que
par les politiques de répartition des produits alimentaires34. La deuxième
partie de cet ouvrage s’appuie également sur des recherches établissant que,
contrairement à ce que certains analystes ont pu avancer, les crises environ-
nementales ne sont pas les seules responsables de la faim et des problèmes
sanitaires qui en découlent. Dans The Political Ecology of Disease in Tanzania,
Meredeth Turshen indique que la pauvreté en Afrique n’est pas « un problème
intrinsèque ou inhérent, mais le produit de l’histoire coloniale, de la dépen-
dance actuelle, et du bouleversement des relations de production dans la

34. Amartya Sen, Poverty and Famines : An Essay on Entitlement and Deprivation, Oxford : Oxford
University Press, 1981 ; voir aussi : Amartya Sen, « Food, Economics, and Entitlements », dans : Jean
Drèze, Amartya Sen et Athar Hussain (dir.), The Political Economy of Hunger : Selected Essays,
Oxford : Oxford University Press, 1998, p. 50-68.
I ntroduction 23

société35 ». Dans sa critique du modèle médical colonial, l’auteure propose le


concept d’« histoire non naturelle de la maladie » : elle souligne les causes
socio-économiques et politiques des problèmes de santé. Randall Packard
arrive à des conclusions similaires dans White Plague, Black Labor : Tubercu-
losis and the Political Economy of Health and Disease in South Africa : la tuber-
culose est la conséquence d’une dynamique pathologique entre des forces
biologiques, économiques et politiques36.
Aux États-Unis, Gregory Campbell reprend le concept d’histoire non
naturelle de la maladie de Turshen dans un article intitulé « The Changing
Dimension of Native American Health : A Critical Understanding of
Contemporary Native American Health Issues37 ». Il y décrit l’émergence de
maladies telles que le sida, la toxicomanie et le diabète de type  2 (non
insulinodépendant) dans le sillage des changements sociaux imposés aux
réserves après  1945. Dans un autre article intitulé « Health Patterns and
Underdevelopment on the Northern Cheyenne Reservation », Campbell
constate à nouveau que le déclin physique de la communauté qu’il étudie
constitue « le résultat direct de la mainmise politique et économique du
Bureau des Indiens », qui a privé les Cheyennes d’assises économiques viables
et des ressources indispensables au maintien d’un bon état de santé38. Au
Canada, la deuxième édition de l’ouvrage de James Waldram, Ann Herring
et Kue Young intitulé Aboriginal Health in Canada réaffirme que l’économie
politique constitue un outil d’interprétation « tout à fait pertinent » pour
appréhender les facteurs biologiques, culturels, historiques et politiques dans
le contexte de la société et de l’État canadiens39. C’est dans cette optique que
le présent ouvrage inscrit son analyse de la santé des populations autochtones
de l’ouest du Canada à la fin du 19e siècle.
Le chapitre 6 s’intéresse à l’époque de l’acquisition de la Terre de Rupert
par le Canada, juste après la dernière grande épidémie variolique qui a frappé

35. Meredeth Turshen, The Political Ecology of Disease in Tanzania, New Brunswick (New Jersey) :
Rutgers University Press, 1984, p. xii.
36. Randall Packard, White Plague, Black Labor : Tuberculosis and the Political Economy of Health and
Disease in South Africa, Berkeley : University of California Press, 1989, p. 19.
37. Gregory Campbell, «  The Changing Dimension of Native American Health  : A Critical
Understanding of Contemporary Native American Health Issues », dans Robert N. Wells (dir.),
Native American Resurgence and Renewal : A Reader and Bibliography, Metuchen (New Jersey) :
Scarecrow Press, 1994, p. 97-104.
38. Gregory Campbell, « Health Patterns and Underdevelopment on the Northern Cheyenne
Reservation », dans : John H. Moore (dir.), The Political Economy of North American Indians,
Norman : University of Oklahoma Press, 1993, p. 63.
39. James B. Waldram, D. Ann Herring et T. Kue Young, Aboriginal Health in Canada : Historical,
Cultural and Epidemiological Perspectives – Second Edition, Toronto : University of Toronto Press,
2006, p. 295.
24 L a destruction des I ndiens des P laines

l’Ouest en 1869-1870. Cette année-là, la variole fait 3 500 morts et plonge


ses survivants dans une misère effroyable. Ces souffrances sont exacerbées par
le déclin des populations de bisons et le Whoop-Up, cet épisode bref, mais
extraordinairement dévastateur, de la contrebande d’alcool en Alberta. Les
chefs autochtones réclament à maintes reprises des traités qui encadreraient
leurs relations avec la Couronne. Mais le Dominion leur fait la sourde oreille
et se contente de signer des ententes dans les régions dont le développement
est imminent. Or, les Premières Nations considèrent les traités comme des
points de passage, des ponts entre leur mode de vie traditionnel fondé sur le
bison, désormais en voie d’extinction, et l’agriculture, alors en plein essor.
Après la dernière flambée de variole, les négociateurs cris demandent
l’incorporation de l’aide médicale au Traité  n°  6. En plus de prévoir du
soutien pour leur conversion à l’agriculture et la mise à leur disposition d’un
« coffre à médicaments », le Traité n° 6 comprend une clause par laquelle le
Dominion s’engage à intervenir en cas de « disette générale40 ». Cependant,
ainsi que nous le verrons au chapitre 7, l’effondrement soudain des hardes de
bisons et la famine qu’il déclenche aussitôt prennent le Dominion par
surprise : son gouvernement n’était pas préparé à un tel cataclysme. De
surcroît, la tuberculose ravage tout l’Ouest et accentue les effets délétères de
la famine. Ainsi que nous le verrons, son essor fulgurant s’explique
probablement par le fait que la population a été préalablement infectée par
un pathogène non identifié jusqu’alors, Mycobacterium bovis. Dès avant la
grande épidémie des années  1880, la tuberculose bovine se serait ainsi
transmise à l’humain par l’ingestion de viande infectée de bison ou de bétail
d’introduction plus récente. La faim favorise ensuite le déferlement de la
maladie dans tout l’Ouest. À l’automne 1878, la réélection du Parti conser-
vateur accélère le développement de la région. Très vite, le gouvernement se
sert de la crise alimentaire qui frappe les populations autochtones pour
étouffer leurs velléités de protestation, construire au plus vite le chemin de fer
et ouvrir l’Ouest aux agriculteurs. Cependant, toutes les Premières Nations
ne sont pas décimées par les privations et la maladie. Ainsi, les Dakotas, qui
ne vivent pas du bison et n’ont pas signé de traité, conservent un état de santé
relativement satisfaisant. Ce constat montre bien que ce ne sont pas des
phénomènes biologiques qui ont déchaîné cette vaste épidémie tuberculeuse,

40. Cette clause se lit ainsi : « Que dans le cas où par la suite les Indiens compris dans ce traité seraient
visités par la peste ou par une disette générale, la Reine, lorsqu’elle aura reçu un certificat en bonne
et due forme de Son agent ou de Ses agents pour les Affaires indiennes accordera tous et tels
secours que Son surintendant en chef des Affaires indiennes croira nécessaires et suffisants pour
les soulager du fléau qui aura [fondu] sur eux  » Source : http://www.aadnc-aandc.gc.ca/
fra/1100100028710/1100100028783
I ntroduction 25

mais plutôt la malnutrition persistante et l’incapacité du Dominion, ou son


refus, de s’acquitter des obligations qui étaient les siennes en vertu des traités.
Le chapitre  8 porte sur les deux années qui précèdent la Rébellion
de 1885. L’achèvement imminent du chemin de fer du Canadien Pacifique
(CP ; Canadian Pacific Railway, CPR) exacerbe l’urgence de conclure des
ententes avec les Premières Nations qui n’ont pas encore signé de traité.
En  1883, seules quelques centaines d’Autochtones continuent de vivre en
dehors des réserves administrées par le gouvernement. Les habitants de ces
« terres réservées » survivent grâce aux rations alimentaires que le Dominion
leur procure. Ces contrats d’approvisionnements gouvernementaux attisent
évidemment la convoitise de bien des fournisseurs. Dans les années qui
précèdent l’achèvement du chemin de fer, l’entreprise I. G. Baker acquiert la
mainmise presque complète sur l’économie commerciale de l’Ouest. Pour
continuer de régner sans partage sur ce très lucratif commerce avec le
Dominion, évincer ses concurrentes et acheter des faveurs politiques, la
Baker ne s’embarrasse pas de scrupules. Elle abuse aussi de sa position
privilégiée sur les marchés pour fournir aux réserves des aliments de piètre
qualité, et ce, avec la complicité probable de représentants gouvernementaux.
En 1883, de nombreux témoignages et rapports signalent des aliments avariés
et des morts suspectes dans les réserves. Par ailleurs, la réglementation
gouvernementale limite au strict minimum vital les livraisons de produits
alimentaires aux réserves. Elle exacerbe ainsi l’incidence de la tuberculose et
engendre d’horribles aberrations : tandis que la malnutrition sévit dans les
réserves, les vivres pourrissent dans les entrepôts. Les autorités publiques
exercent alors sur les Premières Nations une emprise si totale que les
fonctionnaires les plus modestes du ministère des Affaires indiennes ont
souvent pouvoir de vie et de mort sur les hommes, les femmes et les enfants
dont le sort leur est confié. Les abus d’autorité restent généralement impunis ;
dans les communautés autochtones, les dénonciations d’agressions sexuelles
et autres formes d’exploitation se multiplient. Les tensions s’accentuent de
mois en mois et culminent en explosions de violence à l’hiver 1885.
Le chapitre 9 s’intéresse aux suites de ce soulèvement. Dans plusieurs
régions de l’Ouest canadien, la population autochtone atteint alors son
niveau démographique le plus bas. Les derniers rails du chemin de fer du
Canadien Pacifique sont posés et témoignent de l’assujettissement désormais
absolu des collectivités signataires d’un traité. Les infrastructures permettant
maintenant la colonisation de l’Ouest à grande échelle ainsi que l’implantation
du capitalisme agricole, les Autochtones n’intéressent plus ni les autorités ni
l’opinion publique. Le châtiment s’abat par ailleurs sur les bandes que le
gouvernement a jugées les plus hostiles pendant l’insurrection : suppression
26 L a destruction des I ndiens des P laines

de leurs rations alimentaires ; confiscation de leurs armes et de leurs chevaux.


Imposé pour contrôler les déplacements des populations signataires, l’infâme
système des laissez-passer transforme les réserves en centres d’incarcération à
ciel ouvert. Pour échapper aux représailles, des centaines d’Autochtones
s’enfuient vers les États-Unis. Des milliers d’autres acceptent la formule
inventée par le gouvernement pour alléger le budget de son ministère des
Affaires indiennes : ils renoncent à leur statut d’Indien en échange d’un
certificat de Métis. Cet exode et ces changements de statut juridique font
baisser considérablement la population des réserves. Les problèmes de santé
qui s’étaient déjà développés dans la région, la faim et la propagation
foudroyante de certaines infections par le chemin de fer flambant neuf (par
exemple, la rougeole) alourdissent encore la mortalité dans les réserves déjà
durement éprouvées par la maladie. Enfin, la pandémie mondiale de grippe
gagne l’Ouest canadien en 1889-1890. En Saskatchewan, l’augmentation
soudaine de la mortalité dans les réserves affaiblies par de longues années de
maladie et de privations précipite ces collectivités jusqu’à leur minimum
démographique. Ce creux se produira 10 ans plus tard en Alberta ; il y sera
causé en grande partie par une campagne des éleveurs pour l’obtention de
contrats gouvernementaux d’approvisionnements en animaux de boucherie.
Dans les années 1890, les instances gouvernementales considèrent de
plus en plus la tuberculose comme une maladie héréditaire. Attribuant ses
ravages aux habitudes de vie des Autochtones, et estimant que la nature doit
suivre son cours, le gouvernement et l’opinion publique envisagent avec
fatalisme la maladie et la mortalité qui dévastent les réserves. Avec le système
des pensionnats, maintenant largement reconnu comme une honte nationale,
la tuberculose, la malnutrition, la maltraitance et les agressions s’enracinent
et prolifèrent dans un cadre institutionnel qui perdurera presque jusqu’à la
fin du 20e siècle. Il incombe aujourd’hui aux Canadiens et Canadiennes de
notre 21e siècle de prendre la pleine mesure du très lourd tribut que l’État du
Canada a imposé à sa population autochtone au moment même où il ouvrait
toutes grandes les portes du pays à nos ancêtres immigrants pour modeler le
territoire aux exigences de l’économie mondiale de la fin du 19e siècle.
Les cartes des pages suivantes représentent les aspects géographiques,
les postes de traite, missions, territoires et réserves ainsi que les grandes voies
de communication dont il est question dans cet ouvrage.
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Grand lac ASPECTS GÉOGRAPHIQUES

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de l’Ours
I ntroduction

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Grand lac

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des Esclaves

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PREMIERS ÉTABLISSEMENTS AUTOCHTONES ET COLONIAUX 28

Blackfoot
Crossing-Cluny

Rassemblement
Hidatsas commercial dakota
Mandans Chequamegon )
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Crow Creek Neutres ee
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Cahokia

San Juan
Santa Fe Pecos
Albuquerque

El Paso
San Antonio

Mission espagnole
Réseau de commerce équin numique
Camino Real
L a destruction des I ndiens des P laines

Mexico
POSTES DE TRAITE ET MISSIONS CHRÉTIENNES
Fort Resolution
I ntroduction

Fort Prince de Galles (Churchill)


Fort Chipewan
Fort Wedderburn

York Factory
Fort St. John

Portage-la-Loche
Portage La Loche

Ile-a-la-Crosse
Lac La Biche Lac La Ronge
Fort Albany
Whitefish Lake
Mission Victoria
Norway House II
Sainte-Anne Lac à la Grenouille Cumberland House Le Pas
Saint-Albert Fort Edmonton Norway House I Moose Factory
Fort Pitt
Manchester House Prince Albert
Fort Carlton Fort La Corne
Rocky Mountain House South Branch House
Hudson House

Morley Mission Mission Saint-Pierre

Chesterfield House Fort Maurepas


Fort Qu’Appelle
Last Mountain House Colonie de la
Fort Ellice Rivière Rouge
Fort La Reine Fort Rouge
Montagne à la Basse Brandon House
Fort William
Poste Pembina Lac à la Pluie
Fort Saint-Pierre Grand Portage

Fort Union
Fort Benton

0 200 km
29

0 100 mi

POSTES DE TRAITE ET MISSIONS CHRÉTIENNES


30

PEUPLEMENTS ET VOIES DE TRANSPORT DE LA COLONISATION

Bateaux à vapeur
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Independence St. Louis


L a destruction des I ndiens des P laines

PEUPLEMENTS ET VOIES DE TRANSPORT DE LA COLONISATION


RÉSERVES INDIENNES ET RÉGIONS SOUS TRAITÉ JUSQU’EN 1900
I ntroduction

Traité n° 10
Traité n° 8 1906
1899
Traité n° 6 Traité n° 5
1899 Traité n° 5
DISTRICT DE 1875 1908

Treaty 6
1876 DISTRICT DE LA
Ahtahkakoop Red Earth
Traité n° 6 Little Pine
1876 & Lucky Man
Beardy & Okimasis
One Arrow
Grizzly Bear’s Head Réserves de Carlton
& Lean Man Réserves de Battleford
L’ALBERTA SASKATCHEWAN
Stoneys
Traité n° 7
1877 Peguis
Tsuu T’inas (Sarcis) DISTRICT Réserves des Touchwood Hills

Siksikas (Pieds-Noirs) Réserves des File Hills


Traité n° 2
1871 Fort Alexander
Piapot Standing Buffalo
Sakimay (Yellow Calf)
Traité n° 3
Réserves de la vallée de la Qu’Appelle 1873
Piapot MANITOBA
Traité n° 4
Piikanis (Péigans) 1874 Traité n° 1
Kainahs (Gens-du-Sang) CYPRESS HILLS
White Bear 1871
Fort Walsh D’ASSINIBOIA
31

RÉSERVES INDIENNES ET RÉGIONS SOUS TRAITÉ JUSQU’EN 1900


Chapitre 1

La santé des Autochtones


et l’environnement avant l’arrivée
des Européens

I l y a près de 50 ans, Henry Dobyns suscitait un véritable tollé dans le


monde universitaire : à l’arrivée des Européens, avançait ce chercheur
des États-Unis, l’Amérique du Nord aurait compté 90 millions
d’habitants1. Depuis, une armée de scientifiques s’attache à mieux
déterminer l’impact exact de la présence européenne sur la trajectoire
historique de l’Amérique autochtone. D’un côté, les partisans des théories
de Dobyns, les « high counters » aux estimations généreuses, affirment que
les populations indigènes, nombreuses mais vulnérables, ont été décimées
au moment du contact par des microbes jusqu’alors inconnus d’elles, et
pourraient au total avoir régressé de 95 pour cent. De l’autre, les tenants de
chiffres plus prudents fustigent Dobyns et ses adeptes, les accusant parfois
de lancer des chiffres à la volée comme un prestidigitateur sortirait des
lapins de son chapeau2. La communauté scientifique dans son ensemble
s’accorde au moins sur ce point : l’effondrement démographique et les
souffrances infligées aux Autochtones des Amériques n’ont pas de précédent
dans l’histoire. Pour autant, l’estimation du nombre des regroupements

1. Henry Dobyns, « Estimating Aboriginal American Population : An Appraisal of Techniques with a


New Hemisphere Estimate », Current Anthropology, 7, 1966, p. 416.
2. David Henige s’impose comme l’un des détracteurs les plus virulents de Dobyns. Voir son « On the
Current Devaluation of the Notion of Evidence : A Rejoinder to Dobyns », Ethnohistory, 36, 1989,
p.  304-307, et son Numbers from Nowhere : The American Indian Contact Population Debate,
Norman : University of Oklahoma Press, 1998.
34 L a destruction des I ndiens des P laines

humains de l’époque et de leurs populations respectives nous permet diffi-


cilement de quantifier avec exactitude ce que certains appellent le « génocide
amérindien ». Combien de gens habitaient le continent nord-américain à
l’arrivée des Européens ? Combien sont morts à cause de ces nouveaux
arrivants et de leurs microbes ? Les limites de l’archéologie et le passage du
temps nous condamnent, sans doute définitivement, à nous contenter de
spéculations, fussent-elles éclairées.
Même si ces débats houleux sur l’ampleur des calamités déchaînées par
l’arrivée des Européens ont souvent éclipsé leurs travaux, d’autres chercheurs
ont fait considérablement progresser nos connaissances sur la santé et les
maladies en Amérique du Nord pré-historique (c’est-à-dire antérieure à
l’arrivée des Européens et de l’écriture). Établi sous la direction de Jane
Buikstra, l’ouvrage Prehistoric Tuberculosis in the Americas montrait il y a plus
de 30 ans déjà que la tuberculose sévissait de manière endémique dans le
Nouveau Monde bien avant le contact avec les « Blancs3 ». Les populations
autochtones souffraient par ailleurs de nombreux autres maux : hépatite,
poliomyélite, parasites intestinaux, encéphalite, arthrite, pinta, maladie de
Chagas, leishmaniose (une maladie de la peau et des muqueuses provoquée
par des parasites)4… En d’autres termes, l’Amérique du Nord n’était pas un
jardin des délices épargné par la maladie avant l’arrivée des Européens. Bous-
culant de vieilles certitudes, les recherches sur l’évolution du climat ainsi que
l’archéologie lèvent le voile sur des mutations qui ont redessiné le continent
au fil des siècles ayant précédé le débarquement de Christophe Colomb, bien
avant le contact.
Au Dakota du Sud, la petite collectivité de Crow Creek nous offre un
excellent exemple de l’évolution démographique des communautés autoch­
tones précolombiennes. Peu après le début du 14e siècle, 500 personnes (qui
souffraient par ailleurs de malnutrition) sont tuées et mutilées, leurs posses­
sions incendiées, leurs cadavres abandonnés aux charognards5. Très vite, les

3. Jane E. Buikstra (dir.), Prehistoric Tuberculosis in the Americas, Evanston (Illinois) : Northwestern
University Archaeological Program, 1981.
4. Kenneth F. Kiple et Stephen V. Beck, « Introduction », dans : Kenneth F. Kiple et Stephen V. Beck
(dir.), Biological Consequences of European Expansion, 1450–1800, vol.  26 de Variorum, an
Expanding World : The European Impact on World History, 1450–1800, Burlington (Vermont) :
Ashgate Publishing, 1997, p. xx.
5. John B. Gregg et Larry Zimmerman, « Malnutrition in Fourteenth-Century South Dakota : Osteo-
pathological Manifestations », North American Archaeologist, 7, 1986, p.  191-214 ; Douglas B.
Bamforth, « Climate, Chronology, and the Course of War in the Middle Missouri Region of the
North American Plains », dans : Elizabeth N. Arkush et Mark W. Allen (dir.), The Archaeology of
Warfare : Prehistories of Raiding and Conquest, Gainesville : University Press of Florida, 2006,
p. 90-91.
1  L a santé des A utochtones et l ’ environnement avant l ’ arrivée des E uropéens 35

Gisement d’ossements de Crow Creek. Avec l’aimable autorisation du Laboratoire d’archéologie,


University of South Dakota.

envahisseurs érigent un autre village sur les lieux mêmes du massacre6.


Comme nombre d’événements similaires, le carnage de Crow Creek témoigne
des ravages déchaînés dans tout l’hémisphère par les perturbations clima-
tiques amorcées au milieu du 13e siècle7. Dans la moitié orientale du conti-
nent, depuis l’Arctique jusqu’au delta du Mississippi, ces bouleversements
déstabilisent en profondeur les sociétés autochtones et leur imposent un
lourd tribut démographique : dans les conditions climatiques extrêmement
rigoureuses qui sont désormais les leurs, leur mode de vie traditionnel devient
intenable. Ces calamités naturelles et les perturbations sociales qu’elles
provoquent sont brutales, destructrices et persistantes ; au total, nombre de
sociétés ont pu atteindre leur apogée démographique plusieurs siècles avant

6. Douglas Bamforth et Curtis Nepstad-Thornberry, « Reconsidering the Occupational History of the


Crow Creek Site (39BF 11) », Plains Anthropologist, 52, 2007, p. 157.
7. La chute soudaine des températures mondiales a été amplement étudiée. Voir : Thomas J. Crowley,
« Causes of Climate Change over the Past 1000 Years », Science, 14 juillet 2000, p. 270-277 ; Brian
Fagan, The Little Ice Age : How Climate Made History, 1300–1850, New York : Basic Books, 2000,
p. 29-31 ; Thomas J. Crowley et al., « Volcanism and the Little Ice Age », Pages News, 16, 2008,
p. 22-23. En ce qui concerne plus particulièrement ses conséquences en Amérique du Nord, voir :
Reid A.  Bryson et Thomas J. Murray, Climates of Hunger : Mankind and the World’s Changing
Weather, Madison : University of Wisconsin Press, 1977, p. 25-49 ; James Daschuk, « A Dry Oasis :
The Canadian Plains in Late Prehistory », Prairie Forum, 34, 2009, p. 1-29.
36 L a destruction des I ndiens des P laines

le débarquement des nouveaux arrivants, et non pas juste avant le déferle-


ment des épidémies qu’ils ont introduites en Amérique.
Au moment où les grands cataclysmes du 13e siècle s’abattent sur elles,
les populations de part et d’autre de l’Atlantique viennent de connaître
environ 400  années de croissance et de développement soutenus par des
conditions climatiques favorables, comparables en fait à celles des années 1960.
Selon le contexte, différentes appellations désignent cette période faste :
optimum climatique médiéval ; réchauffement climatique de l’an  1000 ;
anomalie climatique médiévale ; épisode climatique néo-atlantique8 ; etc. En
Amérique du Nord, ces quatre siècles de températures douces redéfinissent les
paysages naturels et humains. À l’extrême Nord, elles permettent aux peuples
de la culture de Thulé, les ancêtres des Inuits actuels, de gagner le Groenland
depuis l’Alaska, de lancer leurs grands bateaux sur les eaux libres de l’océan
Arctique pour y chasser la baleine, et de s’établir dans des villages de maisons
de pierres pendant que les colons scandinaves sèment des céréales en terre
groenlandaise9. Ainsi que le résument sobrement les archéologues David
Meyer et Scott Hamilton, le nord des Plaines et les forêts adjacentes bénéficient
à l’époque de conditions climatiques « clémentes10 ».
Des années 800 à 1200  apr. J.-C., cet éden climatique permet aux
sociétés vivant entre la côte Atlantique et les deux Dakota de révolutionner
leur alimentation en y intégrant les « trois sœurs » : le maïs, le haricot et la
courge11. Dans le jargon des archéologues, les groupes qui ont propagé les

8. Reid Bryson et Wayne Wendland désignent la période qui s’étend de l’an 900 à l’an 1200 apr. J.-C.
sous le nom de « Néo-Atlantique » ; voir leur « Tentative Climatic Patterns for Some Late Glacial and
Post-Glacial Episodes in Central North America », dans : William J. Mayer-Oakes (dir.), Life, Land,
and Water : Proceedings of the 1966 Conference on Environmental Studies of the Glacial Lake Agassiz
Region, Winnipeg : University of Manitoba Press, 1967, p. 271-298. On trouvera par ailleurs ici une
analyse de cette même période en Europe : Rudolph Brázdil et al., « Historical Climatology in
Europe : The State of the Art », Climatic Change, 70, 2005, p. 388-396.
9. Renée Fossett, In Order to Live Untroubled : Inuit of the Central Arctic, 1550–1940, Winnipeg :
University of Manitoba Press, 2001, p. 15-19.
10. David Meyer et Scott Hamilton, « Neighbors to the North : Peoples of the Boreal Forest », dans :
Karl H. Schlesier (dir.), Plains Indians : A.D. 500–1500 : The Archaeological Past of Historic Groups,
Norman : University of Oklahoma Press, 1994, p. 112 ; Bryson et Wendland, « Tentative Climatic
Patterns for Some Late Glacial and Post-Glacial Episodes in Central North America ». Durement
éprouvé par la sécheresse et les fléaux qui en résultent, le Sud-Ouest américain constitue une
exception d’importance à cet environnement climatique favorable de l’épisode néo-atlantique. Terry
L. Jones et al., « Environmental Imperatives Reconsidered : Demographic Crises in Western North
America during the Medieval Climatic Anomaly [and Comments and Reply]  », Current
Anthropology, 40, 1999, p. 137-170.
11. James E. Fitting, « Regional Cultural Development, 300 B.C. to A.D. 1000 », dans : Bruce Trigger
(dir.), Northeast, vol. 15 du Handbook of North American Indians, Washington (DC) : Smithsonian
Institution Press, 1978, p. 44 ; Guy E. Gibbon, « Cultural Dynamics of the Development of the
Oneota Lifeway in Wisconsin », American Antiquity, 37, 1972, p. 168.
1  L a santé des A utochtones et l ’ environnement avant l ’ arrivée des E uropéens 37

techniques agricoles et l’appétence pour le maïs et ses plantes associées


forment le « Sylvicole supérieur12 ». Riche d’une imposante population de
20 000 personnes en l’an 1100, la métropole de Cahokia s’impose comme le
cœur de l’immense réseau économique et culturel qui parcourt alors toute la
moitié orientale du continent13. Son poids démographique (qui sera surpassé
seulement à la fin du 18e siècle, en l’occurrence par Philadelphie) et ses gigan-
tesques tertres marquent l’apogée de l’organisation et de la stratification
sociales en Amérique du Nord pré-historique14.
Depuis Cahokia et d’autres centres urbains voisins de la confluence des
rivières Ohio et Missouri et du fleuve Mississippi, l’agriculture gagne
rapidement l’Iowa, le Wisconsin et le Minnesota, où les Onéotas de langue
siouane (sioux) l’adoptent15. Plus au nord, le « groupe culturel Blackduck »,
ainsi que l’appellent les archéologues, vivait jusque-là de la chasse et de la
récolte du riz sauvage ; l’adoption de la culture du maïs propulse leur avancée
depuis le réseau hydrographique frontalier de l’Ontario et du Minnesota
actuels jusqu’à l’interlac du Manitoba et jusqu’aux rives du lac Supérieur, où
ils cohabitent avec la culture Laurel établie dans le Bouclier canadien16. Vers
l’an 1000, cette proximité des Laurels et des Blackducks donne naissance au
« Rainy Lake Composite », un groupe hybride du lac à la Pluie ; ses membres
pourraient être les ancêtres des Anichinabés, ou Ojibwés, que les Européens
ont rencontrés à leur arrivée17. Dans l’Ouest, les ancêtres des Hidatsas (Gros-
Ventres) et des Mandans, du groupe linguistique sioux, érigeaient à l’époque
des « villages semi-sédentaires » le long du Missouri, dans les deux Dakota

12. Le développement du maïs corné dans le nord du continent aux environs de l’an 800 apr. J.-C. a
marqué un tournant majeur pour la culture du maïs et l’expansion géographique de l’agriculture.
Thomas J. Riley et al., « Cultigens in Prehistoric Eastern North America : Changing Paradigms »,
Current Anthropology, 31, 1990, p. 529.
13. Biloine Whiting Young et Melvin L. Fowler, Cahokia : The Great American Metropolis, Urbana :
University of Illinois Press, 2000, p. 316.
14. Thomas E. Emerson, Cahokia and the Archaeology of Power, Tuscaloosa : University of Alabama
Press, 1997. Certains chercheurs considèrent même Cahokia comme la capitale d’un « État ».
George R. Milner, « The Late Prehistoric Cahokia Cultural System of the Mississippi River Valley :
Foundations, Florescence, and Fragmentation », Journal of World Prehistory, 4, 1990, p. 2.
15. James W. Springer et Stanley R. Witkowski, « Siouan Historical Linguistics and Oneota
Archaeology », dans : Guy Gibbon (dir.), Oneota Studies (Publications in Anthropology  1),
Minneapolis : University of Minnesota Press, 1995, p. 69-83.
16. Bryan J. Lenius et Dave M. Olinyk, « The Rainy River Composite : Revisions to Late Woodland
Taxonomy », dans : Guy Gibbon (dir.), The Woodland Tradition in the Western Great Lakes : Papers
Presented to Elden Johnson (Publications in Anthropology 4), Minneapolis : University of Minnesota
Press, 1990, p. 80, figure 8.3 ; Meyer et Hamilton, « Neighbors to the North », p. 112.
17. Lenius et Olinyk, « The Rainy River Composite », p. 101 ; Ian Dyck et Richard E. Morlan, « Hunting
and Gathering Tradition : Canadian Plains », dans : Raymond J. DeMallie (dir.), Plains, vol. 13 du
Handbook of North American Indians, Washington (DC) : Smithsonian Institution Press, 2001,
p. 128-129.
38 L a destruction des I ndiens des P laines

actuels ; ils ajoutaient par ailleurs les produits du jardinage à leur ordinaire de
chasse et de cueillette18. Leurs villages les plus septentrionaux se dressaient à
seulement 200 kilomètres au sud du 49e parallèle.
La vague agricole qui conquiert la moitié orientale du continent
pendant l’optimum climatique néo-atlantique s’arrête net aux villages du
Missouri ; grâce aux réseaux commerciaux, le maïs arrive cependant très loin
dans le nord, jusqu’à la rivière Carotte (Carrot River), dans les basses-terres
de la Saskatchewan et dans plusieurs autres régions de la forêt boréale du
centre du Canada19. Les travaux de l’archéologue Dale Walde montrent que
ce ne sont pas les conditions climatiques qui ont entravé la progression de
l’agriculture vers l’ouest : si ces collectivités ont continué de privilégier la
chasse au bison, c’est simplement parce qu’elle comblait amplement leurs
besoins20. Les populations qui habitaient les Plaines canadiennes avant
l’arrivée des Européens, ajoute Walde, ne constituaient pas des petites bandes
nomades, mais de grandes communautés bien organisées et structurées selon
des liens « tribaux » ; elles comptaient parfois jusqu’à 1 000 personnes travail-
lant collectivement et pouvaient ainsi atteindre « un niveau quasi industriel
d’exploitation des ressources21 ». Forts de leur nombre, ces groupes menaient
les hardes sur des distances considérables pour ensuite les abattre et les
dépecer à leur guise ; ils produisaient ainsi d’importants surplus alimentaires
qu’ils pouvaient conserver pour utilisation ultérieure ou échanger, très
souvent contre du maïs ou d’autres produits agricoles. Ces surplus leur
permettaient par ailleurs de s’investir dans des activités non alimentaires,
notamment l’implantation d’institutions officielles organisées selon l’âge, le
genre ou le savoir-faire. N’étant pas contraintes de parcourir inlassablement
les Plaines en quête de nourriture, ces collectivités vivaient de manière semi-
sédentaire : elles pouvaient s’établir en un même lieu six mois durant, alter-
nant entre le creux des vallées et les vastes étendues planes balayées par les
vents22. Cependant, puisqu’elles se déplaçaient à pied et n’utilisaient que des
chiens en guise de bêtes de trait, leurs résidences d’hiver et d’été n’étaient
probablement pas distantes de plus de quelques jours de marche.

18. R. Peter Winham et Edward J. Lueck, « Cultures of the Middle Missouri », dans : Karl H. Schlesier
(dir.), Plains Indians, A.D. 500–1500 : The Archaeological Past of Historic Groups, Norman :
University of Oklahoma Press, 1994, p. 159.
19. M. Boyd et C. Surette, « Northernmost Precontact Maize in North America », American Antiquity,
75, 2010, p. 130.
20. Dale Walde, « Sedentism and Precontact Tribal Social Organization on the Northern Plains :
Colonial Imposition or Indigenous Development ? », World Archaeology, 38, 2006, p. 298.
21. Ibid., p. 305.
22. Ibid., p. 302-303.
1  L a santé des A utochtones et l ’ environnement avant l ’ arrivée des E uropéens 39

La clémence climatique de l’optimum néo-atlantique a également


favorisé l’accroissement durable de la biomasse dans la région, améliorant
ainsi les conditions de vie des chasseurs de bisons des Plaines septentrionales
et favorisant la stabilité de leurs collectivités. Jusqu’à l’an 1000  apr. J.-C.,
seulement deux traditions technologiques se développent dans les Plaines
canadiennes ; ce sont, dans la terminologie des archéologues, les phases
Besant et Avonlea23. Les sites Besant font leur apparition dans l’est des Plaines,
au Minnesota, 200 ans environ av. J.-C. La technologie Avonlea émerge trois
siècles plus tard, dans le sud aride de l’Alberta et de la Saskatchewan. Les sites
caractéristiques de cette période étant très disséminés, l’archéologue Walde
conclut que ces fabricants d’outils ne formaient pas un seul peuple ou groupe
ethnique : ils auraient appartenu plutôt à des ethnies différentes qui auraient
mis en commun leurs techniques en signe de « soutien mutuel », en particu-
lier l’arc et la flèche, peut-être pour affronter les Besants venus de l’est24. Au
début du deuxième millénaire, une nouvelle tradition, la culture Old Women,
émerge dans le sud de l’Alberta. Ses membres sont les ancêtres des Niitsitapis
(ou Pieds-Noirs) que les premiers Européens ont connus. Ils ont graduelle-
ment supplanté les Avonleas dans la région25.
Ces siècles de croissance, de stabilité et d’essor se terminent très
abruptement. Le bouleversement des conditions climatiques dans
l’hémisphère Nord survient même de manière si rapide et violente que des
scientifiques l’attribuent à un seul et même cataclysme : une gigantesque
éruption volcanique survenue en l’an 1259 apr.  J.-C.26. Des recherches
récentes établissent en effet que l’activité des volcans peut provoquer des
changements climatiques majeurs et soudains, et que « les froids estivaux et
l’avancée des glaces caractéristiques du petit âge glaciaire adviennent

23. La phase est « une unité archéologique possédant des traits suffisamment caractéristiques pour la
distinguer de toutes les autres unités de même niveau, qu’elles appartiennent ou non à la même
culture ou civilisation, restreinte dans l’espace à la taille d’une localité ou d’une région, et circons-
crite dans le temps à une période relativement courte ». Gordon R. Wiley et Philip Philips, Method
and Theory in American Archaeology, Chicago : University of Chicago Press, 1963, p. 23.
24. Dale Walde, « Avonlea and Athapaskan Migrations : A Reconsideration », Plains Anthropologist, 51,
2006, p. 193.
25. J. Roderick Vickers, « Cultures of the Northwestern Plains from the Boreal Forest Edge to the Milk
River », dans : Karl H. Schlesier (dir.), Plains Indians, A.D. 500–1500 : The Archaeological Past of
Historic Groups, Norman : University of Oklahoma Press, 1994, p. 28 ; Trevor Peck et Caroline R.
Hudecek-Cuffe, « Archaeology on the Plains : The Last Two Thousand Years », dans : Jack Brink et
John F.  Dormaar, Archaeology in Alberta : A View from the New Millennium, Medicine Hat :
Archaeological Society of Alberta, 2003, p. 90 ; Walde, « Sedentism and Precontact Tribal Social
Organization on the Northern Plains », p. 301.
26. Crowley, « Causes of Climate Change over the Past 1000 Years », p. 271.
40 L a destruction des I ndiens des P laines

subitement entre 1275 et 1300 apr. J.-C.27 ». Jared Diamond montre cepen-


dant que, bien plus que les turbulences en tant que telles, c’est en définitive
la manière dont les collectivités réagissent à une nouvelle donne environne-
mentale, par exemple la détérioration du climat à la fin du 13e siècle, qui
détermine leur survie ou leur extinction. Au Groenland, le maintien obstiné
de pratiques agricoles européennes mal adaptées au contexte a sonné le glas
pour les Scandinaves ; pendant ce temps, leurs voisins autochtones modi-
fiaient leurs stratégies de subsistance dans tout l’Arctique et assuraient leur
survie à long terme en s’adaptant aux rigueurs climatiques28. Beaucoup plus
au sud, le refroidissement frappe de plein fouet les sociétés qui ont prospéré
avec la culture du maïs et de ses plantes associées. Après plusieurs générations
de privations et de conflits, des villages agricoles de l’État de New York et du
sud du Québec actuels finissent par s’allier pour former la Ligue des Iroquois,
un système gouvernemental et diplomatique très élaboré qui subsiste de nos
jours29.
Nombreuses sont les communautés qui ne survivront pas au
refroidissement climatique ; Cahokia en constitue évidemment l’exemple le
plus spectaculaire. Au début du 14e siècle, cette grande agglomération perd
d’abord le contrôle de son très vaste arrière-pays30. Elle-même tombe ensuite
à l’abandon. Dans la plaine alluviale du fleuve Mississippi, la région des
American Bottoms a longtemps constitué le cœur d’un réseau quasi
continental d’échanges de marchandises et de brassage d’idées ; dès les années
1450, elle est si dépeuplée que des archéologues la rebaptisent le « terrain
vacant31 ». Les villes s’effondrent dans la violence et le chaos : leurs habitants,
y compris ceux qui ont construit de leurs propres mains les immenses tertres
caractéristiques de Cahokia, perdent confiance en l’élite religieuse, incapable
d’endiguer le mécontentement populaire suscité par une interminable série
de récoltes désastreuses. Autour de la métropole déchue, des villages autrefois
florissants se trouvent astreints à des conditions de vie insoutenables. L’exode
massif des villageois du Sylvicole provoque un vaste flux migratoire depuis le
Texas jusqu’au Minnesota : des sociétés entières partent vers l’Ouest pour y

27. Ryan C. Bay, Nathan Bramall et P. Buford Price, « Bipolar Correlation of Volcanism with Millennial
Climate Change », Proceedings of the National Academy of Sciences, 101, 2004, p.  6341-6345 ;
(citation) Gifford H. Miller et al., « Abrupt Onset of the Little Ice Age Triggered by Volcanism and
Sustained by Sea-Ice/Ocean Feedbacks », Geophysical Research Letters, 39, 2012, LO 2808.
28. Jared Diamond, Effondrement – Comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie
(traduit de l’anglais par Agnès Botz et Jean-Luc Fidel), Paris : Gallimard, 2009 [2006], p. 318-320.
29. Dean R. Snow, The Iroquois, Oxford : Blackwell, 1994, p. 31-76.
30. Milner, « The Late Prehistoric Cahokia Cultural System of the Mississippi River Valley », p. 31-33.
31. Charles R. Cobb et Brian Butler, « The Vacant Quarter Revisited : Late Mississippian Abandonment
of the Lower Ohio Valley », American Antiquity, 67, 2002, p. 625-641.
1  L a santé des A utochtones et l ’ environnement avant l ’ arrivée des E uropéens 41

trouver refuge. Comme plusieurs centaines d’autres tragédies, le massacre de


Crow Creek témoigne des ravages causés par ces groupes nombreux, bien
organisés, et complètement désespérés qui déferlent dans tout le Midwest et
s’abattent sur des campements moins populeux et moins puissants qu’eux.
Les Onéotas de langue siouane quittent massivement leurs terres du
Wisconsin, de l’Illinois et de l’Iowa pour aller triompher de populations des
Plaines centrales, dans l’ouest de l’Iowa et au Nebraska ; certains chercheurs
n’hésitent pas à qualifier ce flux migratoire de véritable « expansion colo-
niale32 ». D’autres groupes sioux abandonnent la vallée de l’Ohio ; ils seraient
les ancêtres de plusieurs nations de l’ouest du Mississippi, notamment les
Poncas, les Quapaws, les Osages et les Omahas33. Dans le Minnesota, aux
confins septentrionaux de la région touchée par la révolution agricole, les
Mortlachiens, ancêtres sioux des Nakotas, ou Assiniboines, délaissent les
forêts pour la sécurité des hardes de l’Ouest. Très vite, ils s’établissent de part
et d’autre du 49e parallèle, depuis le Manitoba et le Dakota du Nord jusqu’à
la Saskatchewan et l’est du Montana, en délogeant les populations Old
Women34. Même établis dans les Plaines, ils continuent toutefois de
consommer du maïs grâce aux échanges commerciaux qu’ils entretiennent
avec les villages du Missouri ; cette tradition perdurera jusqu’au 19e siècle35.
En cette période particulièrement troublée, la migration des
Mortlachiens représente l’afflux humain le plus important dans les Plaines
canadiennes. Il est cependant presque sûr que d’autres groupes, moins
populeux, ont également fait cap sur le nord et le Canada pour échapper aux
conflits qui ensanglantaient les rives du Missouri au début du 15e siècle ; ce
serait le cas, par exemple, des communautés déplacées du complexe
archéologique Scattered Village36. Désignés au Manitoba sous le nom de
« Focus Vickers », ces exilés possédaient manifestement une excellente maîtrise
des techniques agricoles ; ils se sont d’ailleurs établis dans les secteurs les plus
propices à la culture intensive du maïs, le long de la rivière Rouge et dans les

32. Lauren W. Ritterbush, « Drawn by the Bison : Late Prehistoric Native Migration into the Central
Plains », Great Plains Quarterly, 22, 2002, p. 259-270.
33. Beth R. Ritter, « Piecing Together the Ponca Past : Reconstructing Degiha Migrations to the Great
Plains », Great Plains Quarterly, 22, 2002, p. 271-284.
34. Walde, « Sedentism and Precontact Tribal Social Organization on the Northern Plains », p. 301 ;
Dale Walde, David Meyer et Wendy Umfreed, « The Late Period on the Canadian and Adjacent
Plains », Revista de Arqueología Americana, 9, 1995, p. 32.
35. Douglas B. Bamforth, « An Empirical Perspective on the Little Ice Age Climatic Change on the
Great Plains », Plains Anthropologist, 35, 1990, p. 364.
36. Beverley (Bev) Alistair Nicholson et Scott Hamilton, « Cultural Continuity and Changing
Subsistence Strategies during the Late Precontact Period in Southwestern Manitoba », Canadian
Journal of Archaeology, 25, 2001, p. 69.
42 L a destruction des I ndiens des P laines

Tiger Hills, au sud de Brandon37. Ils ont ainsi vécu dans l’ouest du Manitoba
pendant plusieurs dizaines d’années, jusqu’à ce qu’ils en soient chassés par
une « vague de froid intense et soudaine du petit âge glaciaire » probablement
provoquée par l’éruption cataclysmique du Kuwae, en 1453-145438. Des
céramiques Focus Vickers plus tardives ont été retrouvées dans le sud-est de
la Saskatchewan, entremêlées à « des quantités considérables d’os de bisons,
dénotant ainsi d’une adaptation complète aux techniques d’abattage en
nombre39 ». En s’établissant en Saskatchewan, les Focus Vickers se sont
complètement détournés de l’agriculture au profit de la chasse au gros gibier,
adoptant ainsi la même stratégie de survie que les autres sociétés autochtones
des Plaines canadiennes juste avant l’arrivée des Européens.
À l’exception des One Guns protohistoriques (nous y reviendrons au
chapitre suivant), les groupes Besant, Avonlea, Old Women, Mortlach et
Focus Vickers des Plaines canadiennes formaient tous des populations
importantes avant le contact. Organisés en tribus, ils ont immigré depuis les
forêts de l’Est ou, à tout le moins, subissaient nettement l’influence des
peuples de ces régions40. Plusieurs traits distinctifs de ces grandes collectivités
se sont maintenus bien après l’arrivée des Européens. Avant l’épidémie
dévastatrice de variole des années 1780, le traiteur Alexander Henry indiquait
ainsi qu’un village nakota-assiniboine de la prairie-parc (parkland) regroupait
« environ 200 tentes abritant chacune deux à quatre familles » ; la communauté
était si vaste que le chef devait employer un « crieur public » pour transmettre
ses ordres à la population, et des « soldats » pour en assurer la mise en œuvre41.
Pour tirer pleinement parti des ressources des prairies, ces populations
recourent à des stratégies complexes. Le feu constitue un outil très efficace de
régulation des approvisionnements alimentaires : les flammes attirent les
animaux vers les zones de repousse au printemps et au début de l’été, ou les
dirigent vers des précipices ou des enclos où ils seront mis à mort. Dans la
chasse au bison qui se pratique à pied, les chasseurs doivent séparer leurs
proies de la harde et les mener à l’abattage sans trop perturber les déplacements

37. Catherine Flynn et E. Leigh Syms, « Manitoba’s First Farmers », Manitoba History, 31, 1996,
p. 4-11.
38. Beverley (Bev) Alistair Nicholson et al., « Climatic Challenges and Changes : A Little Ice Age
Response to Adversity –  the Vickers Focus Forager/Horticulturalists Move On  », Plains
Anthropologist, 51, 2006, p.  325 ; Keith R. Briffa et al., « Influence of Volcanic Eruptions on
Northern Hemisphere Summer Temperature over the Past 600 Years », Nature, 393, 1998, p. 453.
39. Nicholson et al., « Climatic Challenges and Changes », p. 329.
40. Walde, « Sedentism and Precontact Tribal Social Organization on the Northern Plains », p. 292.
41. Alexander Henry, Travels and Adventures in Canada and the Indian Territories between the Years 1760
and 1776 (sous la direction de James Bain), Rutland (Vermont) : C. E. Tuttle Company, 1969,
p. 295-298.
1  L a santé des A utochtones et l ’ environnement avant l ’ arrivée des E uropéens 43

du groupe42. Ils peuvent ainsi prévoir le retour des animaux et réutiliser


indéfiniment les mêmes lieux de chasse, ce qui garantit à la collectivité des
approvisionnements alimentaires sûrs sans pour autant les contraindre à
déménager constamment.
Cependant, si tous les habitants des Plaines ont alors accès à une
nourriture abondante, ils partagent aussi une même vulnérabilité qui,
aujourd’hui encore, entrave l’occupation humaine de ces terres : l’accès à l’eau.
Dans cette région aux sécheresses fréquentes, il constitue sans nul doute un
enjeu majeur pour les collectivités pré-historiques, populeuses et relativement
peu mobiles. Pour se protéger des ravages des sécheresses les plus longues, elles
se dotent d’une stratégie ciblée de gestion de l’eau : les études écologiques
montrent que les peuples autochtones de la culture Avonlea et ceux de la
tradition Old Women à laquelle elle a donné naissance s’abstenaient
délibérément de chasser le castor. « Le bison, c’était le pain quotidien », résume
l’archéologue Grace Morgan. Le castor, par contre, « constituait le pivot d’un
cadre idéologique profondément enracinée valorisant tout particulièrement le
rôle [de cet animal] dans la stabilisation des ressources hydriques43 ». Jusqu’en
notre 21e  siècle, le lien qui unit cette espèce aux peuples des Plaines reste
puissant ; ainsi, les pratiques religieuses recourant aux « sacs-médecine de
castor » conservent une grande signification pour les Niitsitapis actuels44.
Grâce à leurs techniques de chasse au bison qui préservent les routes
des hardes et à leurs stratégies de protection du castor, les chasseurs des
Plaines assurent la pérennité de leurs approvisionnements en nourriture et en
eau ; ils s’épargnent ainsi les difficultés auxquelles se heurtent leurs voisins des
forêts de l’Est, et auraient même prospéré au fil des siècles précédant le
contact avec les Européens. L’abondance et la persistance du bison leur
garantissent une alimentation d’excellente qualité. Des spécialistes de
l’anthropobiologie (anthropologie physique) affirment que les chasseurs de
bisons du 19e siècle étaient les hommes « les plus grands du monde45 ». De
fait, ils devaient être extraordinairement vigoureux pour entretenir les réseaux

42. R. Grace Morgan, An Ecological Study of the Northern Plains as Seen through the Garratt Site
(Occasional Papers in Anthropology 7), Regina : University of Regina, 1979, p. 111-113, 193.
43. R. Grace Morgan, Beaver Ecology/Beaver Mythology (thèse de doctorat), University of Alberta, 1991,
p. 5, 27.
44. James Daschuk, « Who Killed the Prairie Beaver ? An Environmental Case for Eighteenth-Century
Migration in Western Canada », Prairie Forum, 37, 2012, p. 151-172.
45. Richard H. Steckel et Joseph M. Prince, Tallest in the World : Native Americans of the Great Plains in
the Nineteenth Century, document presenté à la Commission internationale de démographie
historique/International Commission on Historical Demography, Oslo, 1999 ; Joseph M. Prince et
Richard H. Steckel, « Nutritional Success on the Great Plains : Nineteenth-Century Equestrian
Nomads », Journal of Interdisciplinary History, 33, 2003, p. 353-384.
44 L a destruction des I ndiens des P laines

de communication et de commerce qui parcouraient le continent : ne possé-


dant pas de chevaux, ils devaient probablement s’en remettre à la course à
pied pour leurs déplacements46. Ces sociétés comptaient par ailleurs dans
leurs rangs des « pourchasseurs de bisons », des coureurs d’élite chargés d’ob-
server les déplacements des hardes. Elles recouraient aussi à différentes straté-
gies pour les autres animaux, par exemple la chasse d’endurance. Largement
tombée dans l’oubli au 20e siècle, cette technique consiste à courir derrière la
proie jusqu’à ce qu’elle s’arrête, vaincue par l’épuisement et l’hyperthermie.
Communément pratiquée par les chasseurs-cueilleurs de l’Afrique, de
­l’Australie et de l’ouest de l’Amérique du Nord, la chasse d’endurance aurait
contribué à l’évolution de notre espèce47. En Saskatchewan, Samuel Acoose,
père d’un coureur de renommée mondiale, a ainsi poursuivi un cerf depuis la
Moose Mountain (la montagne de l’Orignal) jusqu’à la vallée de la rivière
Qu’Appelle au début du 20e siècle.
Si les peuples pré-historiques des Plaines canadiennes ne connaissaient
pas la plupart des épreuves qui frappaient si durement leurs voisins des forêts,
ils n’échappaient cependant pas complètement à la maladie. La tuberculose
altérant parfois le squelette, les chercheurs ont pu établir un cas unique de
cette maladie en Saskatchewan il y a environ 1000 ans48. Les peuples qui
disposaient de hardes d’animaux sauvages pour leur alimentation étaient
évidemment moins exposés à cette maladie de la pauvreté et de la malnutrition
que ceux des secteurs forestiers, souvent soumis à d’atroces privations.
En 2003, une étude sur la tuberculose en Amérique du Nord pré-historique
fait état de seulement deux squelettes portant des marques tuberculeuses
dans le nord des Plaines ; dans les forêts du sud-ouest et de l’est, les fouilles
ont par contre révélé d’innombrables restes humains touchés par la maladie49.
Les recherches archéologiques ne permettent pas l’analyse statistique des taux
d’infection ; le classement chronologique des cas relevés en Amérique du
Nord montre cependant que la tuberculose était bien plus répandue entre
1200 et 1399 apr. J.-C. que dans les siècles qui ont précédé ou suivi50.

46. Peter Nabokov, Indian Running, Santa Fe : Ancient City Press, 1987, p. 14-24.
47. Louis Liebenberg, « Persistence Hunting by Modern Hunter-Gatherers », Current Anthropology, 47,
2006, p. 1017 ; Dennis Bramble et Daniel Lieberman, « Endurance Running and the Evolution of
Homo », Nature, 432, 2004, p. 345-352.
48. Ernest G. Walker, « The Woodlawn Site : A Case for Interregional Disease Transmission in the Late
Prehistoric Period », Canadian Journal of Archaeology, 7, 1983, p. 49-59.
49. Charlotte A. Roberts et Jane E. Buikstra, The Bioarchaeology of Tuberculosis : A Global View on a
Reemerging Disease, Gainesville : University Press of Florida, 2003, p. 191, figure 4.1.
50. Sur un total de 255 squelettes pré-historiques montrant des signes tuberculeux retrouvés en
Amérique du Nord, 9 provenaient de la période 1000-1199, 234 de 1200-1399, et seulement 12 de
1400-1599. Ibid., p. 194, figure 4.2.
1  L a santé des A utochtones et l ’ environnement avant l ’ arrivée des E uropéens 45

La tuberculose est causée par une famille de microbes, le « complexe


Mycobacterium tuberculosis », dont les deux plus importants, M. tuberculosis et
M.  bovis, sont indiscernables chez l’humain par les signes cliniques,
radiologiques ou pathologiques51. Alors que M. tuberculosis cause la forme
humaine de la maladie, M.  bovis a notamment les bisons et les bovins
d’élevage pour hôtes primaires52. L’infection à M. bovis se distingue tout
particulièrement de la « tuberculose humaine » en ce qu’elle est 10 fois plus
susceptible de produire des symptômes extrapulmonaires touchant par
exemple les os, les nœuds lymphoïdes et d’autres organes53. Dès les
années  1950, des chercheurs ont analysé des céramiques représentant des
individus malades (trouvées dans l’État de New York, du Tennessee, de
l’Arkansas et du Missouri) à la lumière des signes pathologiques du mal de
Pott (une infection tuberculeuse touchant la colonne vertébrale). Ils en ont
conclu qu’elles pouvaient illustrer une maladie d’origine animale, peut-être
« transmise par un bison infecté54 ».
Dans leur enquête sur la tuberculose dans le monde, Roberts et Buikstra
indiquent que « la forme bovine de la tuberculose était peut-être aussi
commune que sa forme humaine [dans l’Amérique précolombienne] » ;
d’autres recherches affirment que la pauvreté et les infections d’origine
animale «  expliquaient sans doute autrefois l’essentiel des cas [de
tuberculose]55 ». Les études vétérinaires du 20e siècle montrent que les bisons
en situation de stress présentent une susceptibilité à la tuberculose très élevée,

51. D.  A.  Ashford et al., «  Bovine Tuberculosis  : Environmental Public Health Preparedness
Considerations for the Future », dans : Charles O. Thoen, James H. Steele et Michael J. Gilsdorf
(dir.), Mycobacterium Bovis Infection in Animals and Humans, Second Edition, Ames : Blackwell
Publishing, 2006, p. 305. Le complexe M. tuberculosis comprend aussi M. africanum, M. nicrotti et
M. canetti. Roberts et Buikstra, The Bioarchaeology of Tuberculosis, p. 75, 310, expliquent pourquoi
les deux grandes sources d’infection sont difficiles à distinguer l’une de l’autre.
52. Stacy V. Tessaro, « Bovine Tuberculosis and Brucellosis in Animals, Including Man », dans : John
Foster, Dick Harrison et I.  S. MacLaren (dir.), Buffalo, Edmonton : University of Alberta Press,
1992, p. 208-209.
53. Matthew Levison, « Mycobacterium bovis : An Underappreciated Pathogen », Current Infectious
Disease Reports, 10, 2008, p.  445 ; Charlotte Roberts et Keith Manchester, The Archaeology of
Disease, Third Edition, Ithaca (New York) : Cornell University Press, 2005, p. 187.
54. La difformité de la colonne vertébrale familièrement désignée sous le nom de « bosse » représente
l’un des indicateurs majeurs du mal de Pott. Joseph Lichtor et Alexander Lichtor, « Paleopathological
Evidence Suggesting Pre-Columbian Tuberculosis of the Spine », Journal of Bone and Joint Surgery,
39, 1957, p. 1399 ; William A. Ritchie, « Paleopathological Evidence Suggesting Pre-Columbian
Tuberculosis in New York State », American Journal of Physical Anthropology, 10, 1952, p. 305-318.
55. Roberts et Buikstra, The Bioarchaeology of Tuberculosis, p.  189 ; Roberts et Manchester, The
Archaeology of Disease, p. 183.
46 L a destruction des I ndiens des P laines

et que la consommation de viande séchée d’animaux infectés peut facilement


transmettre la maladie à l’humain56.
La plupart des infections ne laissant aucune trace sur les restes humains
qui survivent au passage des siècles, nous ne saurons jamais exactement de
quelles maladies souffraient les peuples d’Amérique du Nord avant l’arrivée
des Européens. Les lésions osseuses causées par la tuberculose nous renseignent
néanmoins sur l’évolution de cette maladie dans les communautés
précolombiennes. Grâce à leur alimentation à base de bison, les peuples
pré-historiques du nord des Plaines ont largement échappé à la tuberculose,
et probablement aussi à bien d’autres maladies provoquées ou favorisées par
la malnutrition. À mesure que cette région s’ouvrait au monde moderne, les
maladies introduites ont toutefois commencé à frapper indistinctement les
mal nourris et les bien portants –  et surtout la plus virulente et mortelle
d’entre elles : la variole. Toutes les collectivités autochtones se sont ainsi
trouvées également démunies face aux infections et à la mort qui déferlaient
sur l’Ouest canadien depuis l’Ancien Monde, y compris celles qui n’avaient
pourtant jamais rencontré d’Européen. Jusqu’à ce que la médecine réussisse à
endiguer les épidémies varioliques, à la fin du 19e siècle, les ravages causés par
les maladies venues d’Europe devaient ainsi surpasser ceux de la tuberculose
dans les prairies canadiennes57.

56. Seymour Hawden, « Tuberculosis in the Buffalo », Journal of the American Veterinary Medical
Association, 100, 1942, p. 19-22 ; Roberts et Manchester, The Archaeology of Disease, p. 185.
57. James W. Daschuk, Paul Hackett et Scott D. MacNeil, « Treaties and Tuberculosis : First Nations
People in Late 19th Century Western Canada, a Political and Economic Transformation », Cana-
dian Bulletin of the History of Medicine, 23, 2006, p. 307-330.
1  L a santé des A utochtones et l ’ environnement avant l ’ arrivée des E uropéens 47

Carte de l’Amérique indiquant tous les sites dans lesquels les fouilles ont révélé des squelettes
humains présentant des lésions probablement tuberculeuses. Source : Charlotte A. Roberts et
Jane E. Buikstra, The Bioarchaeology of Tuberculosis : A Global View on a Reemerging Disease,
2003, fig. 4.1, p. 191. Reproduction autorisée par University Press of Florida.
48 L a destruction des I ndiens des P laines

250
Amérique du Sud 234
Est de l’Amérique du Nord
Sud-ouest des États-Unis et Méso-Amérique
NOMBRE DES CAS DIAGNOSTIQUÉS

200

150

100

50 38
30
9 8 12 17
3 2
0
200-399 400-599 600-799 800-999 1000-1199 1200-1399 1400-1599

DATE (APR. J.-C.)

Histogramme illustrant la prévalence de la tuberculose à travers le temps. Source : Charlotte


A. Roberts et Jane E. Buikstra, The Bioarchaeology of Tuberculosis : A Global View on a
Reemerging Disease, 2003, fig. 4.2, p. 194. Reproduction autorisée par University Press of Florida.
Chapitre 2

L’émergence de la traite des fourrures :


contagion et dislocation territoriale

D es documents écrits comptant parmi les plus anciens de l’Ouest


canadien font déjà état de la raréfaction du gibier et des ravages
épidémiques dans les collectivités humaines. Si les fouilles archéologiques
n’ont révélé aucune maladie ou autre fléau naturel mortel pour le gibier,
des employés de la Compagnie de la Baie d’Hudson (CBH ; Hudson’s Bay
Company, HBC) signalent néanmoins des pénuries le long de la rivière
Saskatchewan Nord dès les années  17601. La chasse et le trappage
(piégeage) commerciaux expliquent sans doute ce déclin des animaux à
fourrure : les archéologues constatent l’incidence de la traite dans le nord
des Plaines à partir des années 16702.
Bien que les chercheurs soient maintenant plus nombreux à s’intéresser
à l’évolution des populations humaines dans les Plaines septentrionales, notre
connaissance du parcours épidémiologique de cette région et des secteurs
adjacents reste très fragmentaire. Or, on ne saurait comprendre l’histoire des
Autochtones sans circonscrire les répercussions des épidémies introduites
dans ces populations. Pour mesurer la gravité des premières éclosions
pathologiques post-contact, le concept d’épidémie en terrain vierge (ÉTV)
s’avère incontournable. Considérée par certains chercheurs comme

1. Paul Thistle, Indian–European Trade Relations in the Lower Saskatchewan River Region to
1840  (Manitoba Studies in Native History), Winnipeg : University of Manitoba Press, 1986,
p. 63-64.
2. J. Richtmeier, Precipitation, Temperature, and Maize Agriculture : Implications for Prehistoric
Populations in the Middle Missouri Subarea, 900–1675 (mémoire de maîtrise), University of
Nebraska, 1980, p. 56.
50 L a destruction des I ndiens des P laines

l’événement le plus déterminant de l’évolution démographique des


collectivités, l’ÉTV s’enclenche au moment de la toute première infection
d’une population donnée par un pathogène, ou de sa réinfection par ce
pathogène si l’infection précédente remonte tellement loin que même les
personnes les plus âgées de la collectivité ne l’ont pas vécue. Dans un cas
comme dans l’autre, aucun membre de cette communauté n’est immunisé
par suite d’une exposition directe à la maladie ; la population tout entière est
donc susceptible d’être infectée3.  La primo-infection variolique peut ainsi
tuer 70 pourcent d’une collectivité, parfois plus, et les survivants restent
souvent malades ou affaiblis pendant très longtemps. Aucun des membres du
groupe ne possédant plus la capacité physique de chasser ou d’assurer la
cueillette alimentaire, la disette le menace. Ceux et celles qui ont eu le
douteux privilège de survivre à la première vague infectieuse risquent alors de
mourir très lentement de faim.
Des ÉTV ont probablement dévasté de grandes régions de l’Amérique
avant même que les Européens n’y aient posé le pied. Puisqu’ils n’étaient pas
là pour consigner leurs observations par écrit, nous ne pourrons jamais
mesurer l’étendue exacte des dégâts causés par ces éventuels massacres viraux
et bactériens. Nous savons cependant qu’ils provoquaient des carnages et
imposaient aux collectivités touchées des séquelles définitives. Avançant que
les taux de mortalité ont pu atteindre 90, voire 95 pour cent, l’archéologue
Karl Schlesier souligne qu’ils ont alors nécessairement réduit les communautés
survivantes à « des cultures de l’indigence, en comparaison de la prospérité
qui avait été la leur4 ». Jeunes, guerriers, chasseurs, cueilleurs, hommes et
femmes en âge de procréer, chefs politiques et religieux, gardiens du savoir
tribal transmis par la tradition orale… le groupe tout entier s’affaisse en
quelques semaines ou quelques mois, le temps d’un soupir au regard de
l’Histoire. De telles hécatombes ont évidemment eu des répercussions
majeures sur les liens sociaux, les institutions et la mémoire collective de
plusieurs Premières Nations.
Parmi les différents envahisseurs qui ont pris part au processus
environnemental de « conquête écologique du Nouveau Monde », ainsi que
le désignait Alfred Crosby, les microbes sont incontestablement les plus
rapides et les plus puissants. Quand les Européens établissaient des têtes de

3. Alfred W. Crosby, « Virgin Soil Epidemics as a Factor in the Aboriginal Depopulation of America »,
dans : Germs, Seeds, and Animals : Studies in Ecological History, Armonk (New York) : M. E. Sharpe,
1993, p. 97.
4. « Introduction », dans : Karl. H. Schlesier, (dir.), Plains Indians, A.D. 500–1500 : The Archaeological
Past of Historic Groups, Norman : University of Oklahoma Press, 1994, p. xxi.
2  L’ émergence de la traite des fourrures  : contagion et dislocation territoriale 51

pont sur les côtes orientales de l’Amérique du Nord, la maladie marchait


dans leurs pas. Pour le psychiatre et historien David S.  Jones et d’autres
chercheurs, les flambées microbiennes et d’impact du contact colonial sur
l’environnement social, culturel et physique des collectivités autochtones ont
joué un rôle plus décisif que la susceptibilité génétique dans l’évolution des
épidémies et leurs conséquences5. Comme pour les passagers du Mayflower,
dont les États-Unis célèbrent chaque mois de novembre l’arrivée à bon port,
la maladie a parfois précédé les colons et « déblayé le terrain » pour ces
nouveaux arrivants, ravis de trouver à leur débarquement cette providentielle
abondance de terres à cultiver6. Certes, la présence des colons a infligé des
torts considérables aux populations autochtones ; néanmoins, la durée de la
traversée transatlantique a limité quelque peu la propagation de leurs maladies
dans le Nouveau Monde : le voyage en mer prenant généralement plus de six
semaines, une bonne partie des infections dont les passagers étaient porteurs
avaient le temps de s’éteindre avant que leur bateau ne jette l’ancre à
destination.
Par ailleurs, les jeunes colonies n’étant pas très densément peuplées, et
le cycle de vie des pathogènes étant très court (en particulier le plus redoutable
de tous, le virus de la variole), la plupart des infections venues de l’Ancien
Monde ne sont devenues endémiques, ou n’ont commencé à s’auto-entretenir,
qu’à la fin du 18e  siècle, au moins 150  ans après leur arrivée en terre
d’Amérique7.
Au Canada, comme les colons français s’établissent très graduellement
le long du Saint-Laurent, les épidémies se propagent une génération
seulement après leurs premières éclosions dans les colonies anglaises et
hollandaises de la côte Atlantique. Mis à part quelques missionnaires et
traiteurs (acheteurs de fourrures pendant la période de la traite), rares sont
alors les audacieux qui s’éloignent des établissements français et de leur
relative sécurité. Aux balbutiements de l’économie commerciale, ce sont
plutôt les Hurons et leurs alliés qui prennent les devants pour aller troquer
leurs fourrures contre des marchandises européennes. Depuis longtemps
déjà, les Hurons cultivent par ailleurs le maïs, le haricot, la courge et le tabac,
qu’ils vendent aux colons et aux trappeurs et chasseurs de l’intérieur des

5. David S. Jones, « Virgin Soils Revisited », William and Mary Quarterly, 60, 2003, p. 742.
6. Conrad Heidenreich, « Le bassin des Grands Lacs, 1600-1653 », dans : R. Cole Harris (dir.), Des
origines à 1800, volume I  de l’Atlas historique du Canada, Montréal, Presses de l’Université de
Montréal, 1994, planche 35.
7. Paul Hackett, “A Very Remarkable Sickness” : Epidemics in the Petit Nord, 1670 to 1846, Winnipeg :
University of Manitoba Press, 2002, p. 10, p. 60-61.
52 L a destruction des I ndiens des P laines

terres. Leur quasi-mainmise sur les débuts du commerce avec les Français
causera toutefois leur perte. Avec l’intensification des contacts entre les
collectivités, les routes huronnes se transforment en formidables voies de
propagation des maladies. Dès les années 1630, des souches importées de
rougeole, de grippe et de variole s’abattent sur les voisins autochtones de la
colonie française et tuent la moitié d’entre eux8.
Les épidémies déchaînent des hécatombes sans précédent. Cependant,
à mesure que les secteurs les plus proches des foyers d’infection se dépeuplent,
elles élargissent aussi le territoire des échanges commerciaux aux populations
plus lointaines9. Dès les années 1650, la maladie et la guerre ont déjà
contraint un certain nombre d’alliés autochtones des Français à la défaite ou
à la dispersion : Hurons, Neutres, Pétuns, Népissingues… Leurs rivaux
économiques et adversaires militaires, les membres de la Ligue iroquoise
(Haudenosaunee), se rendent alors maîtres du commerce  ; presque
immédiatement, ils propagent alors les infections très loin vers le nord,
jusqu’aux rives de la baie James10. Privés de leurs alliés autochtones, les
Français font eux-mêmes cap sur l’Ouest : les premiers « voyageurs » quittent
la colonie en 165311. En moins d’un an, traiteurs et missionnaires ont déjà
atteint l’ouest du lac Michigan. Les Français étendent graduellement leur
influence jusqu’au centre du continent ; les « coureurs des bois » commencent
à hiverner dans l’arrière-pays et à se procurer les fourrures directement auprès
des pourvoyeurs (chasseurs et trappeurs). Les Haudenosaunees cherchent
évidemment à empêcher cette expansion ; défaits par les Français en 1666, ils
doivent cependant s’incliner devant leur irrépressible essor commercial12.
En 1672, 400 traiteurs sans permis seraient ainsi à l’œuvre à l’extérieur de la
colonie : un chiffre considérable, puisque les colons ne sont alors que quelques

8. Heidenreich, « Le bassin des Grands Lacs », planche 35 ; Bruce Trigger, Les Enfants d’Aataentsic :
L’histoire du peuple huron (traduit par Jean-Paul Sainte-Marie et Brigitte Chabert Hacikyan),
Montréal : Libre expression, 1991, p. 568.
9. Arthur J. Ray, « Some Thoughts about the Reasons for Spatial Dynamism in the Early Fur Trade,
1500–1800 », dans : Henry Epp (dir.), Three Hundred Prairie Years : Henry Kelsey’s “Inland Country
of Good Report”, Regina : Canadian Plains Research Center, 1993, p. 118.
10. Hackett, “A Very Remarkable Sickness”, p. 69-70.
11. Marcel Trudel, Histoire de la Nouvelle-France, vol.  3 : « La seigneurie des Cent-Associés, 1627-
1663 », tome 1 : Les événements, Montréal : Fides, 1979, p. 222-223.
12. Conrad Heidenreich, « Offensive iroquoise, 1660-1666 », dans : R. Cole Harris (dir.), Des origines à
1800, volume I  de l’Atlas historique du Canada, Montréal, Presses de l’Université de Montréal,
1994, planche 37. Pour plus de précisions sur les termes du traité, voir : Cornelius Jaenen (dir.), The
French Regime in the Upper Country of Canada during the Seventeenth Century, Toronto : Champlain
Society, 1996, p. 59-65.
2  L’ émergence de la traite des fourrures  : contagion et dislocation territoriale 53

milliers13. Comme dans les années précédentes, les microbes accompagnent


les échanges commerciaux. En 1670, la variole contamine Sault-Sainte-
Marie, à plusieurs centaines de kilomètres à l’ouest des agglomérations villa-
geoises de la Nouvelle-France14.
Ayant déjà été exposées à la maladie, plusieurs collectivités ont
maintenant acquis une certaine immunité ; l’épidémie de 1670 cause par
conséquent moins de ravages que les flambées antérieures qui ont dévasté les
berges du Saint-Laurent. L’arrivée des Anglais dans le Nord ralentit aussi la
propagation épidémique. Quand le Nonsuch hiverne à l’embouchure de la
rivière Rupert, en 1668-1669, de nombreux pourvoyeurs de pelleteries
partent vers le nord pour gagner la baie James ; désertant leurs lieux habituels
de rendez-vous dans la colonie, ils échappent à une contamination presque
certaine15.
La réussite de l’expédition commerciale du capitaine Gillam marque
un jalon important vers la fondation de la Compagnie de la Baie d’Hudson,
en 1670. En un peu plus de 10 ans, l’entreprise possède déjà plusieurs postes
de traite le long de la côte et construit un vaste réseau d’échanges avec les
populations de l’intérieur des terres. Pendant presque un siècle, sa principale
stratégie commerciale consistera à ériger des postes de traite à l’embouchure
des cours d’eau les plus importants (ils représentent alors le seul moyen de
parcourir de vastes distances dans les régions subarctiques), et d’attendre
dans ces établissements que les pourvoyeurs de fourrures viennent à elle. Le
poids économique de ces avant-postes disséminés se fait bientôt sentir à
plusieurs milliers de kilomètres. Du point de vue épidémiologique, par
contre, ces petites enclaves habitées par des Européens (et leurs microbes)
n’ont guère d’incidence sur l’état de santé des populations de l’arrière-pays.
Les quelques hommes qui vivent aux postes de traite sont arrivés d’Angleterre
au terme d’un très long voyage : au 18e siècle, il fallait parfois sept semaines
pour arriver à destination. Par ailleurs, leurs contacts avec les populations
autochtones se limitent pour l’essentiel aux échanges commerciaux. En
somme, leur isolement fait office de quarantaine fortuite, et les infections
dont ils peuvent être porteurs se propagent très peu. Ayant généralement été

13. Helen Hornbeck Tanner, « The Career of Joseph La France, Coureur de Bois in the Great Lakes »,
dans : J. S. H. Brown, W. J. Eccles et D. P. Feldman (dir.), The Fur Trade Revisited : Selected Papers of
the Sixth North American Fur Trade Conference, Mackinac Island, Michigan, 1991, East Lansing :
Michigan State University Press, 1994, p. 182.
14. Hackett, “A Very Remarkable Sickness”, p. 93, fait remonter l’origine de l’épidémie à l’arrivée d’un
bateau porteur de l’infection à l’automne 1669.
15. Ibid., p. 48-49, 78-83 ; E. E. Rich, The History of the Hudson’s Bay Company, 1670–1870, (vol. 1),
Londres : Hudson’s Bay Record Society, 1959, p. 62.
54 L a destruction des I ndiens des P laines

exposés à différentes maladies dans leurs jeunes années, notamment la variole,


les traiteurs sont par ailleurs relativement bien immunisés contre elles.
S’ils ne constituent pas vraiment une menace biologique pour les
habitants des terres septentrionales de l’intérieur, les employés de la CBH
doivent en revanche affronter de terribles maux dans les premières années de
la traite. Le scorbut les guette en permanence ou presque, surtout au poste de
York Factory, où le poisson frais se fait rare. La tuberculose contractée en
Angleterre peut aussi frapper durement les postes de traite, que la promiscuité
transforme en véritables bouillons de culture. Les relations sexuelles entre
employés de la CBH et femmes autochtones sont officiellement interdites ;
les registres de l’entreprise font pourtant état d’infections transmises
sexuellement. Les rencontres avec des femmes des Premières Nations restant
toutefois très rares, la plupart de ces maladies se propagent relativement peu
jusqu’au milieu du 18e siècle16.
Les avant-postes disséminés le long de la côte subarctique et les quelques
hommes qui les occupent ont donc un impact biologique très limité sur les
populations autochtones de l’ouest du Canada. Par contre, ils bouleversent
rapidement la vie économique de nombreuses collectivités. Dans les
100 premières années du commerce de la fourrure dans l’Ouest canadien, à
l’époque dite « des intermédiaires », des groupes autochtones font office de
courtiers entre les chasseurs et trappeurs de l’arrière-pays, à plusieurs milliers
de kilomètres de la côte, et les Européens cantonnés dans leurs postes côtiers.
Avec le temps, certains en viennent à parcourir régulièrement près de
4 000 kilomètres pour échanger les fourrures contre des biens importés. Les
Cris, puis les Dénés Chipewyans, sont les premiers à jouer ce rôle
d’intermédiaires entre les pourvoyeurs de pelleteries autochtones et les
acheteurs européens, introduisant au passage le système moderne d’échanges
dans les terres de l’intérieur de l’Ouest canadien. Très vite, ils élargiront leur
sphère d’influence et donneront l’impulsion des premières grandes vagues
migratoires dans cette région.
Éminent spécialiste de l’histoire récente du commerce des pelleteries,
Arthur Ray explique cette réorganisation territoriale des premières années
du  contact par la dynamique très particulière qui s’enclenche entre ces
facteurs : « … la demande en castor gras des premiers temps de la traite ;
l’organisation socio-économique des Autochtones des régions subarctiques ;

16. Le gouverneur John Dickson relève la présence de maladies vénériennes à la baie dès l’année 1682.
Hackett, “A Very Remarkable Sickness”, p. 78.
2  L’ émergence de la traite des fourrures  : contagion et dislocation territoriale 55

leurs comportements économiques ; et l’incidence de la guerre et de la maladie


sur leurs populations17. » L’expression « castor gras » désigne des peaux de
castor qui ont été cousues, assemblées en vêtements et portées, parfois pendant
plusieurs années ; avec le temps, les « jarres » (les poils raides entremêlés aux
poils fins de la fourrure) tombent, ne laissant que le duvet doux et soyeux. Un
seul castor gras se compose de cinq à huit peaux. Ce type de fourrure est alors
le plus prisé des Européens car, jusqu’au début du 18e siècle, leurs pelletiers et
fourreurs ne possèdent pas la technique nécessaire pour enlever les jarres et
rendre ainsi les peaux utilisables en chapellerie. Ray souligne que cette
prédilection européenne à l’égard de fourrures déjà portées représente pour les
Autochtones « une véritable manne qui, en leur permettant d’utiliser leurs
peaux de castor puis de les vendre, leur procure à la fois la valeur d’usage et la
valeur d’échange des pelleteries18 ». Constatant que les acheteurs sont prêts à
payer plus cher des peaux déjà portées, les intermédiaires dépassent rapidement
les frontières de leurs territoires initiaux pour aller se procurer plus loin ces
vêtements « d’occasion » dont les Européens se montrent si friands… En
particulier, de nombreux intermédiaires cris et anichinabés (ojibwés) partent
à la recherche de nouveaux approvisionnements avant même que le castor ne
commence à se raréfier notablement dans leurs propres terres.
Dans ses premiers temps, la traite des fourrures reste par ailleurs
tributaire des modalités d’organisation des sociétés autochtones subarctiques.
Ainsi, la faiblesse des densités démographiques dans l’intérieur des terres
ralentit considérablement son essor. Les chasseurs et trappeurs, intermédiaires
et transporteurs autochtones sont à l’époque si peu nombreux que cette
« pénurie de main-d’œuvre » a probablement joué un rôle plus important que
le nombre des castors dans l’évolution du commerce des pelleteries. La forêt
boréale impose également des contraintes environnementales très sévères aux
habitants de la région. Un traiteur des années 1760 note ainsi :
Les terres qu’ils parcourent sont tellement inhospitalières que les familles
doivent s’isoler les unes des autres pour y survivre l’hiver, car un même
territoire ne saurait en faire vivre plusieurs, et elles cherchent parfois leur
pitance en vain dans des régions couvrant 500  milles carrés [environ
1 300 kilomètres carrés]. Ils peuvent ainsi rester en un même lieu jusqu’à ce
qu’ils en aient éliminé tous les lièvres, et quand ceux-ci ont disparu, ils n’ont
d’autre recours que les feuilles et les pousses des arbres pour se nourrir ou,
quand celles-ci viennent à manquer, le cannibalisme19.

17. Ray, « Some Thoughts about the Reasons for Spatial Dynamism in the Early Fur Trade », p. 122.
18. Ibid., p. 116.
19. Alexander Henry, Travels and Adventures in Canada and the Indian Territory between the Years 1760
and 1776 (sous la direction de James Bain), Rutland (Vermont) : C. E. Tuttle, 1969, p. 208-209.
56 L a destruction des I ndiens des P laines

Or, même si elles souffrent souvent de la faim, les collectivités des forêts
boréales sont alors si peu populeuses et si dispersées que les microbes
peinent à se propager entre elles.
Cette protection joue particulièrement en leur faveur à l’hiver, quand
les groupes unifamiliaux parcourent les bois à la recherche d’animaux de
gibier solitaires tels que les orignaux. À l’été, l’abondance de nourriture incite
les gens à se regrouper par centaines et favorise ainsi la contagion. En 1670,
la flambée variolique qui dévaste Sault-Sainte-Marie éclate à la faveur du
rassemblement annuel pour la pêche20.
Les comportements économiques des populations autochtones
déterminent également la réorganisation territoriale dans les premières
années de la traite. Pour accroître leurs profits, les intermédiaires se dotent
rapidement de stratégies économiques lucratives, mais risquées. Leurs voyages
de commerce sont longs et périlleux : ils peuvent être partis cinq mois durant.
Nombreux sont ceux qui meurent de noyade ou de froid ; presque tous
souffrent un jour ou l’autre d’une famine qui menace de les emporter21. Seuls
les hommes et les femmes les plus vaillants entreprennent cet exténuant
périple qui doit les conduire jusqu’à la côte, puis les ramener dans leurs
collectivités respectives. Les enfants, les vieillards et les infirmes restent dans
les communautés pour s’y nourrir des ressources estivales sûres, par exemple
le poisson.
Les traiteurs autochtones font aussi régulièrement les frais de la précarité
des liens entre l’Europe et la baie d’Hudson. Entre 1680 et 1713, les Français,
qui contrôlent la baie à cette époque, ne peuvent apporter de marchandises
d’échange dans la région pendant quatre années consécutives. Or, l’occupation
française des postes de traite de la baie coïncide avec un long épisode de
froids extrêmes ; les températures chutent d’ailleurs dans tout l’hémisphère
Nord22. À leur arrivée sur la côte, les intermédiaires cris trouvent parfois les
entrepôts vides et les traiteurs des postes affamés ; ils doivent alors repartir
chez eux les mains vides. Le retour des Anglais dans la baie ne rend pas les
approvisionnements beaucoup plus sûrs. Au printemps 1716, le bateau de la
Compagnie n’ayant pas réussi à se rendre jusqu’à York Factory, 50 canots de

20. Hackett, “A Very Remarkable Sickness”, p. 100.


21. Dale Russell, Eighteenth-Century Western Cree and Their Neighbours, Ottawa : Canadian Museum of
Civilization, 1991, p. 127 ; Arthur J. Ray et Donald Freeman, “Give Us Good Measure” : An Economic
Analysis of Relations between the Indians and the Hudson’s Bay Company before 1763, Toronto :
University of Toronto Press, 1978, p. 45-49.
22. Brian Fagan, The Little Ice Age : How Climate Made History, 1300–1850, New York : Basic Books,
2000, p. 113.
2  L’ émergence de la traite des fourrures  : contagion et dislocation territoriale 57

« Cris des Montagnes et d’Aski » doivent rebrousser chemin sans avoir pris
livraison de la moindre marchandise23. Pendant leur séjour sur la côte, ils
attrapent de surcroît une maladie qui fera de nombreux morts dans leurs
communautés ; à leur retour l’année suivante, la Compagnie leur offre des
présents pour leur témoigner sa compassion et son appui24. Les expéditions
commerciales dont les Autochtones reviennent bredouilles ont aussi des
conséquences néfastes sur ceux et celles qui sont restés dans les communautés
en attendant leur retour. Chaque été, le départ des hommes et des femmes les
plus vigoureux les prive de leurs chasseurs et protecteurs plusieurs mois de
suite ; ceux-ci peuvent aussi mourir en chemin de maladie, de faim ou de
noyade, ce qui déstabilise considérablement la collectivité. Au total, les
communautés d’intermédiaires prennent de grands risques ; elles ne s’y expo-
seraient évidemment pas si le jeu n’en valait pas la chandelle.
Les conflits militaires qui éclatent entre les Premières Nations pour
l’accès aux marchandises européennes précipitent également la dislocation
du territoire. Au milieu du 17e siècle, la guerre contribue pour une bonne
part au déclin des activités d’intermédiaires des Hurons et de leurs alliés. À
l’ouest de la baie d’Hudson, les Cris ont l’avantage de vivre à proximité des
traiteurs anglais et d’être bien intégrés au réseau des échanges commerciaux.
Avec le temps, ils empiètent sur les terres des Dénés Chipewyans pour se
procurer des fourrures ; plusieurs décennies d’affrontements s’ensuivent.
En 1717, quand la CBH fait construire le fort Prince de Galles (Prince of
Wales) à l’embouchure de la rivière Churchill, les Dénés (les « Indiens du
Nord », comme les appelaient les traiteurs) peuvent enfin acquérir des armes
en nombre suffisant pour mettre un terme à la mainmise des Cris sur le
commerce dans l’intérieur des terres25.
Dans ces turbulences territoriales induites par l’expansion commerciale,
les maladies jouent incontestablement un rôle de premier plan. Fréquentant

23. Marshall Hurlich, « Historical and Recent Demography of the Algonkians of Northern Ontario »,
dans : A. T. Steegmann (dir.), Boreal Forest Adaptations : The Northern Algonkians, New York :
Plenum Press, 1983, p. 133, 148.
24. Russell, Eighteenth-Century Western Cree and Their Neighbours, p. 127 ; Ray et Freeman,“Give Us
Good Measure”, p. 45-49, 133-136. Voir également : Irma Eckert, « The Early Fur Trade at York and
Churchill : Implications for the Native People of the North Central Subarctic », dans : B. Trigger,
T. Morantz et L. Dechêne (dir.), Le Castor Fait Tout : Selected Papers of the Fifth North American Fur
Trade Conference, 1985, Montréal : Lake St. Louis Historical Society, 1987, p. 232.
25. Rupert’s Land Research Centre, An Historical Overview of Aboriginal Lifestyles : The Churchill–Nelson
River Drainage Basin, Winnipeg : Rupert’s Land Research Centre,, 1992, p. 91 ; E. E. Rich, « Trade
Habits and Economic Motivation among Indians of North America », dans : J.  R.  Miller (dir.),
Sweet Promises : A Reader on Indian–White Relations in Canada, Toronto : University of Toronto
Press, 1991, p. 160-164.
58 L a destruction des I ndiens des P laines

les foyers d’infection, les intermédiaires sont souvent exposés aux pathogènes
européens bien avant les communautés plus isolées de l’arrière-pays. Si la
contagion dévaste les groupes d’intermédiaires dans un premier temps, elle
peut représenter à plus long terme un avantage biologique non négligeable
pour eux : désormais immunisés, les survivants affrontent plus facilement les
flambées ultérieures. Les épidémies frapperont moins durement les Cris et les
Dénés de la forêt boréale du Nord-Ouest que les Hurons des premières
années du commerce avec les Français. Voisins de la Nouvelle-France,
les Hurons subissent plusieurs vagues d’infection entre 1630 et 1650. Très
éprouvée par la maladie et les assauts militaires de ses rivaux haudenosaunees,
la société huronne périclite. Aucun groupe autochtone de l’Ouest canadien
n’a été soumis à des offensives infectieuses aussi régulières et répétées.
Dans la deuxième décennie du 18e siècle, les événements politiques qui
agitent l’Ancien Monde donnent un nouvel élan à la présence européenne
dans l’Ouest canadien. En 1713, le traité d’Utrecht met un point final à un
quart de siècle de guerre entre Français et Anglais. Aux mains des Français
depuis une génération, les comptoirs commerciaux du pourtour de la baie
d’Hudson ainsi que l’accès à l’intérieur des terres de l’ouest du continent
retournent dans le giron de la CBH. La situation internationale s’étant apaisée,
les Français rouvrent les Grands Lacs et la vallée de l’Ohio aux échanges
commerciaux légaux. Très vite, le rétablissement de leurs réseaux dans l’arrière-
pays menace les approvisionnements des traiteurs anglais, qui dépendent
complètement des longs et périlleux périples des intermédiaires pour se
procurer les fourrures tant convoitées. Le regain français dans le Midwest
oblige ainsi la CBH à se tourner vers des fournisseurs plus nordiques. Le
gouverneur James Knight reçoit le mandat d’établir des liens commerciaux
directs avec les Dénés des confins septentrionaux de la forêt boréale. Pour ce
faire, il doit toutefois normaliser les relations entre les Cris, les Chipewyans et
d’autres locuteurs de langue dénée qui sont établis très loin dans l’intérieur des
terres, jusqu’au lac Athabasca, et qui se font la guerre depuis plusieurs
décennies26. En 1715, il confie à William Stuart, accompagné d’une
Chipewyane nommée Thanadelthur et d’environ 150 hommes, femmes et
enfants cris, le mandat d’aller trouver les Chipewyans dans l’arrière-pays, et de
faire la paix avec eux. Un an après avoir quitté York Factory, la délégation
revient : elle a conclu une trêve27. Mais cette cessation des hostilités a un coût :

26. Conrad Heidenreich et Françoise Noël, « Commerce et rivalités impériales, 1697-1739 », dans :
R.  Cole Harris (dir.), Des origines à 1800, volume I  de l’Atlas historique du Canada, Montréal,
Presses de l’Université de Montréal, 1994, planche 39.
27. Russell, Eighteenth-Century Western Cree and Their Neighbours, p. 63-78.
2  L’ émergence de la traite des fourrures  : contagion et dislocation territoriale 59

la maladie, la faim et la violence ont ravagé le groupe. L’expédition se révélera


par ailleurs fatale à son chef, William Stuart, qui en revient broyé et mourra
« dément » en 1719. À l’instar des émissaires envoyés dans le sud-ouest des
Plaines en 1716, plusieurs délégations dépêchées dans l’intérieur des terres
disparaissent sans laisser de traces, probablement décimées par la faim28.
En 1720, tandis que l’entreprise britannique s’efforce d’accroître son
réseau commercial encore fragile, une petite flambée de variole touche York
Factory. Bien qu’elle ne gagne pas l’arrière-pays, elle frappe les Cris installés à
demeure autour du poste et marque ainsi la toute première occurrence vario-
lique dans cette population autochtone29. Dès le milieu des années 1720, les
relations commerciales avec les Chipewyans, déjà très précaires, se trouvent
menacées plus encore par la reprise des hostilités qui les opposent aux Cris30.
L’arrière-pays de la Churchill étant riche en fourrures, la CBH maintient
toutefois son activité commerciale difficultueuse, mais potentiellement très
lucrative, dans le Nord.
En 1727, la nomination de Pierre Gaultier, sieur de La Vérendrye, à la
tête des postes français de l’intérieur des terres de l’Ouest donne le coup
d’envoi d’une expansion européenne sans précédent. Jusque-là, l’occupation
directe des Français s’arrêtait à la rive nord du lac Supérieur31. La piste de
Grand Portage est tracée sous le commandement de Pierre Gaultier de La
Vérendrye : longue de 14 kilomètres, elle contourne les rapides de la rivière
Pigeon, près du lac Supérieur. Elle constituera pendant plusieurs décennies
l’épine dorsale du commerce canadien des fourrures. Mais Grand Portage
ouvre aussi la porte aux microbes, qui peuvent maintenant se propager sans
difficulté bien au-delà des Grands Lacs. Dès 1731, les traiteurs français
érigent le fort Saint-Pierre dans l’extrême ouest de l’Ontario, tout près de
l’actuelle ville de Fort Frances32. L’année suivante, ils établissent un poste
plus à l’ouest encore, au lac des Bois (Lake of the Woods). De là, ils pourront
facilement gagner la rivière Winnipeg et les vastes Plaines qui s’étendent
derrière elle. L’expansion des Français jusqu’aux confins du Bouclier canadien

28. Ibid., p. 211. Il est possible aussi que le groupe ait succombé à l’épidémie qui sévissait parmi les
Indiens venus commercer à York Factory cet été-là.
29. Hackett, “A Very Remarkable Sickness”, p. 118 ; Eckert, « The Early Fur Trade at York and Churchill »,
p. 232. Très souvent, des collectivités autochtones dites « Homeguard » vivaient tout près des postes
de traite, fournissant marchandises et main-d’œuvre aux Européens.
30. Eckert, « The Early Fur Trade at York and Churchill », p. 232.
31. G. Hubert Smith, The Explorations of the La Vérendryes in the Northern Plains, 1738–43 (sous la
direction de W. Raymond Wood), Lincoln : University of Nebraska Press, 1980, p. 15.
32. Antoine Champagne, Les La Vérendrye et le poste de l’Ouest, Québec : Les Presses de l’Université
Laval, 1968, p. 123.
60 L a destruction des I ndiens des P laines

accentue la menace qu’ils font peser sur le commerce des Anglais à la baie.
Constatant que seulement 16 canots venus du lac Winnipeg se présentent au
poste en 1732, contre une soixantaine habituellement, le gouverneur Maclish
écrit : « Les autres sont allés aux Français au tout début de l’été, non parce
qu’ils les traitent de manière plus amène, mais seulement par peur. » Des
coureurs des bois « indubitablement du fort Saint-Pierre » se sont rendus
jusqu’au territoire des Indiens Esturgeons, dans les basses-terres de la
Saskatchewan, et ont réussi à détourner presque tous les approvisionnements
autrefois destinés à York Factory33.
L’arrivée des Français dans la région des eaux frontalières ébranle
l’équilibre des pouvoirs. En procurant des fusils à leurs partenaires commer-
ciaux cris, anichinabés monsonis et assiniboines, ils leur assurent un avan-
tage majeur sur leurs ennemis dakotas et leurs compagnons d’armes. Les
chefs du lac Winnipeg ayant sollicité une alliance officielle, les traiteurs
français accèdent à leur demande en érigeant le fort Rouge (sur la rivière
Rouge) et le fort Maurepas (près de la rive sud du lac Winnipeg)34. Ces
nouveaux associés commerciaux et militaires forment une population
nombreuse : leur nation regroupe pas moins de sept villages comptant entre
100 et 900 familles. Le fort La Reine est construit peu après sur la rivière
Assiniboine, près de la ville actuelle de Portage la Prairie, au Manitoba.
La présence des Français dans la région, les voies de transport qui la
relient désormais à l’Est et à la Nouvelle-France, ainsi que la multiplication
des contacts coopératifs ou guerriers, établissent le contexte écologique de
l’épidémie variolique en terrain vierge qui déferlera bientôt le long des eaux
frontalières et dans l’interlac manitobain. Moins de 10 ans plus tard, la
maladie aura redéfini pour toujours les lignes de force qui parcourent la
région. Spécialiste de la géographie historique, Paul Hackett établit l’origine
de l’épidémie à un bateau ayant apporté le pathogène à Boston en 1729. De
là, il se répand dans les colonies anglaises puis gagne Montréal, où il fait
900 morts35. Pour que la variole conquière ainsi la moitié du continent, il
lui faut toutefois des conditions favorables. Or, l’intérieur des terres ne
comporte aucun centre urbain d’importance et les populations vulnérables
y sont dispersées dans les gigantesques forêts de l’Est et du Centre. Pour se
propager avant de s’éteindre au terme de son évolution naturelle, le virus
doit voyager très vite : ses hôtes humains, porteurs de la maladie sans le

33. A. S. Morton, A History of the Canadian West to 1870–71, Toronto : University of Toronto Press,
1973, p. 178.
34. Irene Moore, Valiant La Vérendrye, Québec : L. A. Proulx, 1927, p. 154-164.
35. Hackett, “A Very Remarkable Sickness”, p. 137-138.
2  L’ émergence de la traite des fourrures  : contagion et dislocation territoriale 61

savoir, parcourent donc probablement de longues distances en très peu de


temps. La période d’incubation, ou phase prodromique, de la maladie dure
9 à 16 jours après l’infection. Les porteurs deviennent contagieux entre 13 et
20 jours après avoir inhalé le virus, qui se propage alors par leurs exhalations.
« La période totale d’infectiosité peut durer un peu plus de trois semaines
(26,75 jours en moyenne) et prend fin avec la guérison du malade ou sa
mort », précise l’historien Steadman Upham. « On sait toutefois depuis long-
temps que les cadavres des morts de la variole restent de puissants réservoirs
d’infection36. »
Pendant des années, l’épidémie ravage les populations de l’arrière-pays.
En 1735, elle atteint les Anichinabés de Chequamegon, sur la rive ouest du
lac Supérieur37. La maladie et la mort poursuivent ensuite leur inexorable
avancée vers l’ouest. Au printemps 1737, La Vérendrye note que 60 Cris de
La Barrière, au sud du lac Winnipeg, ont succombé à la variole. Un an plus
tard, plus de 1 000 guerriers cris, monsonis et assiniboines se rassemblent
pour attaquer les Sioux ; l’épidémie éclate dans leurs rangs et les tue en si
grand nombre que leur expédition avorte38. Dans les années 1730, les vastes
offensives militaires de ce type ensanglantent la région de plus en plus
souvent. La propagation des pathogènes aux combattants ou aux grands
villages densément peuplés s’avère un véritable fléau. Privilégiant la vie en
agglomérations, les Assiniboines y sont particulièrement exposés. La Véren-
drye note qu’ils sont nombreux et toujours errants, « ne demeurant point
dans un lieu arrêté, mais portant sans cesse leurs cabanes d’un lieu à un autre,
et se campant toujours en village39 ». Leur tradition d’organisation en
communautés villageoises et les modalités de la propagation de la variole se
conjuguent de manière funeste et réduisent comme peau de chagrin le vaste
territoire que les Assiniboines occupaient depuis plusieurs siècles le long de la
rivière Rouge et dans son arrière-pays40. Avant les maladies introduites, cette
Première Nation était la plus populeuse et celle, aussi, qui occupait le plus
vaste territoire dans l’Ouest canadien. Les traiteurs anglais ont pris conscience
de l’étendue du domaine assiniboine dès le début de leur implantation
commerciale dans l’intérieur des terres ; ils ont alors commencé à distinguer
les Assiniboines des Plaines des Assiniboines des Bois. Plus à l’ouest, des

36. « Smallpox and Climate in the American Southwest », American Anthropologist, 88, 1986, p. 117.
37. Steadman Upham, Reuben Gold Thwaites (dir.), The French Regime in Wisconsin Part II—1727–
1748, vol. XVII de Collections of the Wisconsin State Historical Society, Madison : Wisconsin Histo-
rical Society, 1906, p. 181-186.
38. Moore, Valiant La Vérendrye, p. 36, 154-177, 251-252.
39. Smith, The Explorations of the La Vérendryes in the Northern Plains, p. 18.
40. Dale Walde, The Mortlach Phase (thèse de doctorat), University of Calgary, 1994, p. 136.
62 L a destruction des I ndiens des P laines

guides assiniboines ont accompagné l’Anglais Henry Kelsey dans sa traversée


du centre-sud de la Saskatchewan en 169141. Des décennies plus tard, des
Assiniboines établis plus à l’est emmèneront les Français jusqu’à l’ouest du lac
des Bois42. En 1741, La Vérendrye décrit leur territoire en ces termes pendant
son séjour au fort La Reine :
La rive sud de la rivière [Assiniboine] est aux Assiniboines, ainsi que la
rivière Rouge. Ils habiteraient 14 ou 15 villages, le plus petit d’entre eux
regroupant entre 20 et 30 habitations, mais plusieurs en comptant 100, 200
ou 300. Ils parlent tous la même langue assiniboine. Ils occupent environ
300 à 400 lieues de terre toute en prairie43.
Les ravages de la variole dans leurs rangs obligent les Assiniboines à
abandonner l’est de la rivière Rouge. La maladie affaiblit également les
positions de leurs alliés, les Monsonis, de langue anichinabée44. Maîtres des
terres comprises entre le lac à la Pluie (Rainy Lake) et le lac des Bois, les
Monsonis participent depuis longtemps aux échanges commerciaux. En tant
qu’intermédiaires, ils sont allés jusqu’à Montréal ; ils ont aussi assisté aux
cérémonies marquant l’annexion de toute leur région par les Français en
167145. Dans les années 1730, 1 000 Monsonis meurent de la variole en
laissant derrière eux entre 500 et 600 survivants pour poursuivre les combats
contre les Sioux46. Les Monsonis entendent remplacer leurs compagnons
morts de maladie par des prisonniers de guerre. Après un raid réussi contre
les Sioux, leurs captifs sont si nombreux qu’ils forment une colonne de plus
de 200 mètres de long47. En dépit de cet exploit, les Monsonis ne retrouve-
ront jamais la puissance qui était la leur avant l’épidémie. La variole marque
le début de leur extinction en tant que population distincte. Les survivants
sont incorporés à différents groupes ; les récits postérieurs à l’épidémie les

41. Arthur J. Ray, Indians in the Fur Trade : Their Role as Trappers, Hunters, and Middlemen in the Lands
Southwest of Hudson Bay, 1660–1870, Toronto : University of Toronto Press, 1974, p. 39.
42. Russell, Eighteenth-Century Western Cree and Their Neighbours, p.  49-50 ; Moore, Valiant La
Vérendrye, p. 127-128.
43. Russell, Eighteenth-Century Western Cree and Their Neighbours, p. 57.
44. Paul Hackett, « The Monsoni and the Smallpox Epidemic of 1737–39 », dans : Jill Oakes et al. (dir.),
Pushing the Margins : Native and Northern Studies, Winnipeg : Departments of Native Studies and
Zoology, University of Manitoba, 2001, p. 246.
45. Morton, A History of the Canadian West to 1870–71, p. 74 ; Adolph Greenberg et James Morrison,
« Group Identities in the Boreal Forest : The Origin of the Northern Ojibwa », Ethnohistory, 29,
1982, p. 77.
46. Hackett, “A Very Remarkable Sickness”, p. 130-134. L’estimation se fonde sur un ratio de quatre
non-combattants par guerrier.
47. Champagne, Les La Vérendrye et le poste de l’Ouest, p. 277.
2  L’ émergence de la traite des fourrures  : contagion et dislocation territoriale 63

présentent généralement en association avec d’autres populations48. Dès la


fin du 18e siècle, les documents historiques ne les mentionnent plus du tout.
Cette intégration des Monsonis survivants à divers groupes s’inscrit
dans le cadre d’un vaste métissage ethnique qui touche l’ensemble de la
région. En 1805, un habitant du Nord-Ouest décrit le phénomène au nord
du lac Supérieur : « Tous les hommes âgés avec lesquels je me suis entretenu
et auprès desquels je me suis informé m’ont raconté que leur père ou leur
grand-père venait de l’un de ces deux lieux [le lac Supérieur pour les Ojibwés
ou la baie d’Hudson pour les Cris]. [… Les gens] ont commencé à se
rencontrer dans l’arrière-pays et à se marier, de sorte qu’à la longue, ils en
sont venus à former un seul peuple49. »
Alors que les populations assiniboines et monsonies s’effondrent et
que leurs territoires rétrécissent, des groupes immunisés pour avoir été
exposés au virus dans l’Est prennent rapidement leur place, en particulier
d’autres Anichinabés. Les Français s’étant eux-mêmes déplacés vers l’ouest
des Grands Lacs, ils se retrouvent toutefois privés de leur rôle d’intermédiaires
et investissent alors une nouvelle niche : le commerce avec les Sioux, au sud
des eaux frontalières50. Avant le déferlement épidémique des années 1730,
les Anichinabés lançaient parfois des offensives contre les intermédiaires
cris en partance pour la baie James. La plupart d’entre eux ne vivaient
cependant pas toute l’année dans le nord du lac Supérieur, préférant
retourner au Sault l’été pour la pêche et le commerce51. L’épidémie leur
permet d’accroître considérablement leur territoire, en particulier au nord
du lac Supérieur. Dès le début des années 1740, les registres de la CBH font
état d’un nouveau groupe ethnique partenaire commercial des Anglais : les
Ojibwés du Nord, ou Bungis ; ils deviendront par la suite des clients fidèles
et très appréciés des traiteurs. Depuis l’Ontario jusqu’à la rivière
Saskatchewan, la mortalité crie ouvre la forêt boréale à l’expansion
anichinabée. Les recherches en génétique confirment cette explication de
l’essor ojibwé : « Cette limitation du gène aux Ojibwés témoigne d’une
mutation récente ; sa répartition géographique montre que les descendants
du groupe originellement porteur de la mutation se sont déplacés. Cette
hypothèse concorde avec le modèle ethnohistorique affirmant que les

48. Russell, Eighteenth-Century Western Cree and Their Neighbours, p. 56.


49. Greenberg et Morrison, « Group Identities in the Boreal Forest », p. 97-98n24.
50. Ray et Freeman,“Give Us Good Measure”, p. 42.
51. Charles Bishop, « The Emergence of the Northern Ojibwa : Social and Economic Consequences »,
American Ethnologist, 3, 1976, p. 44.
64 L a destruction des I ndiens des P laines

Ojibwés ont vécu dans le nord du lac Huron et l’est du lac Supérieur avant
d’entreprendre leur expansion vers l’ouest, il y a 300 ans52. »
La maladie cause donc un tort considérable aux Premières Nations
alliées des Français, mais elle n’épargne pas non plus les Sioux. Depuis la
rupture de leur alliance avec les Français, dans les années 1670, ils luttent
d’arrache-pied pour assurer leur domination sur la région des eaux fronta-
lières53. Adversaires des traiteurs français, les Sioux portent leurs offen-
sives militaires très loin dans l’est, jusqu’au lac Supérieur ; dès avant les
années 1730, ils acquièrent ainsi la mainmise sur le corridor stratégique
reliant le lac à la Pluie au lac des Bois54. Avant l’épidémie, leur armée de
quelque 2 000 guerriers surpassait en nombre celle de l’alliance des Cris,
Assiniboines, Monsonis et Anichinabés55. La maladie et la réorganisation
politique des tribus qu’elle entraîne confinent les Sioux à une part très
restreinte de leur territoire traditionnel. Une fois leur peuple disloqué, le
nord-ouest du Minnesota restera désert ou presque pendant au moins
30 ans56.
La propagation des pathogènes depuis les lointaines colonies de l’Est
jusqu’à la région très âprement disputée du sud et de l’est du lac Winnipeg
ne constitue pas un épisode isolé : elle s’inscrit dans la vaste déferlante
épidémique qui balaye toute l’Amérique du Nord dans les années 1730. Près
du fleuve Missouri, d’autres collectivités dakotas sont frappées, peut-être à la
faveur du grand rassemblement commercial qui se tient chaque année dans
la région57. Les « chroniques d’hiver », ces grands récits pictographiques des
Dakotas, témoignent de la contamination variolique de cette population
en 1734-173558.

52. Emöke Szathmary et Franklin Auger, « Biological Distances and Genetic Relationships within
Algonkians », dans : Theodore Steegmann (dir.), Boreal Forest Adaptations : The Northern Algonkians,
New York : Plenum Press, 1983, p. 311-312.
53. Russell, Eighteenth-Century Western Cree and Their Neighbours, p. 232.
54. Ray, Indians in the Fur Trade, p. 14.
55. Morton, A History of the Canadian West to 1870–71, p. 11.
56. Harold Hickerson, The Chippewa and Their Neighbours : A Study in Ethnohistory (Studies in
Anthropological Method), Prospect Heights (Illinois) : Holt, Rinehart and Winston, 1988,
p. 71-72.
57. Hackett, “A Very Remarkable Sickness”, p. 65.
58. Les chroniques d’hiver sont des comptes rendus en images des événements marquants de l’année. Le
Battiste Good Winter Count procure ainsi un témoignage annuel de la vie des Dakotas à partir
de  1700. Garrick Mallery, Picture-Writing of the American Indians (vol. 1), New York : Dover
Publications, 1972, p. 300. Linea Sundstrom décrit l’intérêt des chroniques d’hiver pour l’étude des
maladies après l’arrivée des Européens en Amérique du Nord dans : « Smallpox Used Them Up :
References to Epidemic Disease in Northern Plains Winter Counts, 1714–1920 », Ethnohistory, 44,
1997, p. 305-329.
2  L’ émergence de la traite des fourrures  : contagion et dislocation territoriale 65

Plus au sud s’amorce à la même époque le vertigineux déclin


démographique des Arikaras, des agriculteurs établis en villages le long du
fleuve Missouri. Le traiteur J.‑B. Trudeau (parfois dit « Truteau ») écrira
quelques décennies plus tard : « La nation des Ricaras était très nombreuse
dans l’ancien temps. Elle compte 32 gros villages presque entièrement
dépeuplés par la petite vérole [la variole] qui s’est répandue chez eux par
trois fois différentes. Il n’a réchappé que quelques familles de chacun de
ces différents villages qui, s’étant réunies, ont formé les deux villages qui
habitent ici […]59. » Au 18e siècle, à l’instar des Arikaras, de nombreux
peuples agriculteurs des Plaines sont durement éprouvés par les épidé-
mies, les offensives guerrières des groupes de langue dakota (eux-mêmes
déplacés par les conflits et la maladie) et, en définitive, par l’effondrement
démographique60. À la confluence du Missouri et du Mississippi, la
variole s’abat ainsi sur les Lower Loups et les Pawnees du Nebraska et les
oblige à abandonner leurs terres61. Vers les années  1730, des flambées
varioliques déciment la population des Cherokees, des Kansas et d’autres
nations, les réduisant de moitié dans certains cas62.
Dans la première moitié du 18e siècle, la variole ravage aussi de plus en
plus le sud-ouest du continent nord-américain. Les villes du Mexique
exercent alors une influence économique, mais aussi biologique, considérable
sur cette région frontalière du monde espagnol. Au Texas, dans les
années  1730, les épidémies et la dispersion des survivants vident de leur
population les missions espagnoles de San Antonio63. En 1737, à la mission
de Santa Fe, les registres signalent 67 morts en à peine deux mois64. Un an
plus tard, le virus déferle sur la mission de Pecos et emporte 26 nourrissons
et enfants en bas âge, mais un seul adulte65. Signe qu’ils la fréquentent de
longue date, alors qu’elle décimait autrefois des collectivités entières, la

59. Jean-Baptiste Trudeau, Voyage sur le Haut-Missouri, 1794-1796 (texte établi par Fernand Grenier et
Nilma Saint-Gelais), Québec (Sillery) : Septentrion, 2006, p. 100.
60. Michael K. Trimble, « Chronology of Epidemics among Plains Village Horticulturalists, 1738–
1838 », Southwestern Lore, 54, 1988, p. 26.
61. Hornbeck Tanner, « The Career of Joseph La France », p. 175.
62. Paul Kelton, « Avoiding the Smallpox Spirits : Colonial Epidemics and Southwestern Indian
Survival », Ethnohistory, 15, 2004, p.  45-71 ; William E. Unrau, « The Depopulation of the
Dheghia–Siouan Kansa Prior to Removal », New Mexico Historical Review, 48, 1973, p. 316.
63. David J. Weber, The Spanish Frontier in America, New Haven (Connecticut) : Yale University Press,
1992, p. 192.
64. Ann L. Stodder et Debra L. Martin, « Health and Disease in the Southwest before and after Spanish
Contact », dans : John W. Verano et Douglas H. Ubelaker (dir.), Disease and Demography in the
Americas, Washington (DC) : Smithsonian Institution Press, 1992, p. 67.
65. Frances Lavine et Anna La Bauve, « Examining the Complexity of Historic Population Decline : A
Case Study from Pecos Pueblo, New Mexico », Ethnohistory, 44, 1997, p. 92.
66 L a destruction des I ndiens des P laines

variole n’est maintenant plus chez les Pueblos qu’une maladie infantile. Cette
évolution montre la durabilité et la stabilité des collectivités espagnoles
établies à la lisière du territoire de propagation de la maladie, mais elle révèle
aussi la rapidité des déplacements par le Camino Real, cette grande route qui
part de Mexico vers le nord.
Les missions du Sud-Ouest marquent véritablement la limite de la
sphère de contrôle des Européens. Au-delà s’étend le territoire en émergence
de la «  Comancheria  », l’empire comanche, un regroupement hybride
de forces économiques et politiques autochtones qui doit son émergence à la
force de travail d’une espèce venue de l’Ancien Monde : le cheval66. Depuis
les années 1680 au moins, la contestation du pouvoir colonial au Nouveau-
Mexique et la maîtrise du cheval alimentent une expansion autochtone sans
précédent sur d’immenses terres de l’ouest des États-Unis. Pour s’approprier
cette précieuse ressource équine, les Comanches et leurs alliés de langue
numique multiplient les raids. En une génération, le cheval s’impose ainsi
comme une marchandise commerciale de premier plan dans « les groupes de
langues shoshones-comanches qui occupent un territoire ininterrompu
longeant les Rocheuses par l’est, depuis le sud de l’Alberta jusqu’au sud du
Colorado67 ». Au début du siècle dernier, l’anthropologue Clark Wissler écri-
vait que la maîtrise du cheval par les peuples numiques « relie directement la
source du Rio Grande à la Saskatchewan68 ». Depuis le cœur de la culture
équestre, dans le Sud-Ouest, les chevaux sont acheminés de manière
remarquablement efficace et rapide jusque dans le Nord-Ouest Pacifique, le
Plateau et les Plaines du Nord-Ouest, sous domination shoshone69. Dès les
années 1730, les Gens-du-Serpent (Snakes), qui regroupaient peut-être les
Shoshones et d’autres locuteurs numiques, font le commerce des chevaux
avec les Crows (Gens-de-la-Corneille ou Gens-du-Corbeau), les Nez-Percés,

66. Pekka Hämäläinen, L’empire comanche (traduit de l’anglais par Frédéric Cotton), Toulouse :
Anacharsis, 2012.
67. Les Utes et les Kiowas participent également au commerce des chevaux le long de la ligne
continentale de partage des eaux, qui suit le tracé des Rocheuses. Colin C.  Calloway, « Snake
Frontiers : The Eastern Shoshones in the Eighteenth Century », Annals of Wyoming, 63, 1991,
p. 84-86.
68. Clark Wissler, « The Influence of the Horse in the Development of Plains Culture », American
Anthropologist, 16, 1914, p. 24.
69. Calloway, « Snake Frontiers », p. 86 ; Francis Haines, « The Northward Spread of Horses among the
Plains Indians », American Anthropologist, n.s., 40, 1938, p.  429-437. Les convois de chevaux
partaient des sources des fleuves Colorado et des rivières Grand et Green jusqu’à la rivière Snake,
dans le sud de l’Idaho, où les animaux étaient vendus notamment aux Cayuses, Walla-Wallas,
Yakimas, Palouses, Nez-Percés, Cœur-d’Alènes et Têtes-Plates.
2  L’ émergence de la traite des fourrures  : contagion et dislocation territoriale 67

les Têtes-Plates et les Kutenais70. Incontestablement, le cheval révolutionne


le mode de vie autochtone. Ainsi que l’écrit l’historien John Fahey : « Les
déplacements qui exigeaient autrefois plusieurs semaines ne prennent plus
maintenant que quelques jours ; ceux qui duraient des jours se font mainte-
nant en quelques heures. […] Les caravanes de chevaux peuvent parcourir
30 milles (une cinquantaine de kilomètres) en un seul jour ; en chevauchant
sans répit, un cavalier peut couvrir plus d’une centaine de milles (plus de
150 kilomètres) en une journée71. »
Dès les années 1720, la vitesse de déplacement apportée par le cheval
permet aussi au virus de la variole de se répandre comme une traînée de
poudre dans tout le réseau numique de commerce équin de l’ouest des Plaines
canadiennes. Les Européens n’étant pas présents à l’époque dans ce territoire
sous contrôle autochtone (Comanches, Utes, Shoshones et leurs alliés), nous
ne saurons sans doute jamais de façon sûre comment vivaient ces peuples, ni
quelles ont été les répercussions exactes de l’épidémie en terrain vierge (ÉTV)
qui a déferlé alors sur la moitié ouest du continent. Dans plusieurs Premières
Nations qui étaient parties prenantes du commerce équin dans le Plateau, des
récits oraux évoquent une épidémie grave ayant provoqué une importante
réorganisation territoriale. Les traditions des Kutenais affirment par exemple
que la variole les a contraints à quitter la périphérie occidentale des Plaines
pour gagner les montagnes dans les années 173072. Devant cette persistance,
sur plus de 200  ans, de récits relatant une épidémie, l’historien Claude
Schaeffer conclut : « Dans ce contexte d’incertitude, il semble néanmoins
bien établi que des Kutenais survivants ont réussi à quitter les campements
de la région du bison décimés par la variole pour gagner l’Ouest dans les
premières décennies du 18e siècle73. » Les récits des Pend-d’Oreilles et des
Têtes-Plates évoquent également une flambée variolique dès le début de l’ère
des grandes épidémies. De nombreuses nations du Plateau ont par ailleurs
longtemps lancé des expéditions de chasse au bison très loin dans l’est, à

70. Theodore Binnema, Common and Contested Ground : A Human and Environmental History of the
Northwestern American Plains, Norman : University of Oklahoma Press, 2001, p.  91 ; Calloway,
« Snake Frontiers », p. 86. Frances L. Swadesh décrit la fréquence des raids dans les années 1730 dans
Los Primeros Pobladores : Hispanic Americans of the Ute Frontier, Notre Dame : University of Notre
Dame Press, 1974, p. 128.
71. John Fahey, The Kalispel Indians, Norman : University of Oklahoma Press, 1986, p. 37-39.
72. Bill B. Brunton, « Kootenai » dans : Deward E. Walker (dir.), Plateau, vol. 12 du Handbook of North
American Indians, Washington (DC) : Smithsonian Institution Press, 1998, p. 225. Voir également :
Harry Holbert Turney-High, Ethnography of the Kutenai (Memoirs of the American Anthropological
Association 56), Menasha (Wisconsin) : American Anthropological Association, 1941, p.  11,
18-20.
73. Claude Schaeffer, « Plains Kutenai : An Ethnological Evaluation », Alberta History 30, 1982, p. 5.
68 L a destruction des I ndiens des P laines

l’extrême limite des Plaines et jusque dans le territoire de leurs ennemis tradi-
tionnels, les Niitsitapis. Elles semblent ainsi donner raison à Schaeffer. À
l’exception possible des Shoshones Lemhis (Mangeurs-de-Saumon), ces
groupes entreprennent des périples annuels ardus et risqués apparemment
sans nécessité. Ainsi que l’écrit un traiteur du 19e siècle : « Le bison est cause
de toutes leurs infortunes […] même si leurs terres abondent en d’autres
espèces ; leur attachement atavique au bison s’avère si puissant qu’il les
ramène chaque année jusqu’aux Plaines, où ils rencontrent les Pieds-Noirs74. »
Grâce à cet aliment emblématique des Plaines, ils conservent leurs liens avec
leur territoire traditionnel dont la maladie et peut-être d’autres facteurs les
ont dépouillés.
La même épidémie atteint la rivière Red Deer (rivière La Biche), qui
marque la frontière septentrionale du territoire des Serpents. Une « méga-
sécheresse », selon le terme consacré par le jargon scientifique, les a chassés de
leurs terres ancestrales 200 ans plus tôt pour les pousser vers le nord75. Au
18e  siècle, les Gens-du-Serpent réussissent grâce au cheval une incursion
majeure dans les terres des Niitsitapis (l’Alliance des Pieds-Noirs), qu’ils
contraignent à se réfugier très loin dans le nord, jusqu’à la rivière Saskatchewan
Nord76. Dans les années 1730, montés sur des chevaux d’origine ibérique, les
Serpents se battent le long de la rivière Red Deer contre les Cris et les
Niitsitapis, eux-mêmes équipés de mousquets venus d’Angleterre. Les gens
du Nord n’ont jamais vu de chevaux, et peut-être ceux du Sud n’ont-ils jamais
vu de fusils77. Les uns et les autres devront bientôt affronter la variole pour la
toute première fois.

74. William E. Farr, « Going to Buffalo : Indian Hunting Migrations across the Rocky Mountains.
Part 1, Making Meat and Taking Robes », Montana : The Magazine of (Western) History, 53, 2003,
p. 8.
75. Karl H. Schlesier, « Commentary : A History of Ethnic Groups in the Great Plains, A.D. 500–1550 »,
dans : Karl H. Schlesier (dir.), Plains Indians, A.D. 500–1500 : The Archaeological Past of Historic
Groups, Norman : University of Oklahoma Press, 1994, p. 315 ; Calloway, « Snake Frontiers », p. 84.
D. W. Stahle et al. proposent une description de cette sécheresse dans « Tree Ring Data Document
16th Century Megadrought over North America », Eos : Transactions of the American Geophysical
Union, 81, 2000, p. 121-123.
76. J. Roderick Vickers, « Cultures of the Northwestern Plains from the Boreal Forest Edge to Milk
River », dans : Karl H. Schlesier (dir.), Plains Indians, A.D. 500–1500 : The Archaeological Past of
Historic Groups, Norman : University of Oklahoma Press, 1994, p. 28.
77. Décrivant ses ennemis, Saukamappee indique que les mis-stu-tim (les « grands chiens ») « nous ont
fait peur, car nous ne connaissions pas les chevaux et n’arrivions pas à déterminer ce qu’ils étaient ».
David Thompson, David Thompson : Travels in Western North America, 1784–1812 (sous la direction
de Victor G. Hopwood), Toronto : Macmillan of Canada, 1971, p. 193.
2  L’ émergence de la traite des fourrures  : contagion et dislocation territoriale 69

David Thompson rapporte les souvenirs que Saukamappee a conservés


de l’épidémie :
La mort s’est abattue sur nous tous ; elle a emporté la moitié d’entre nous
par la variole, dont nous ne savions rien jusqu’à ce qu’elle sème la mort
parmi nous. Nous l’avons attrapée des Indiens Serpents. […] Nous avons
attaqué leurs tentes […] mais nos cris de guerre se sont vite étouffés dans
nos gorges. Nos yeux étaient emplis de terreur ; il ne restait personne à
combattre, que des morts et des mourants, tous affreusement rongés dans
leur chair.
Nous ne les avons pas touchés ; nous avons quitté les tentes et tenu conseil
sur ce qu’il fallait faire. Nous avons tous pensé que le mauvais esprit s’était
rendu maître du campement et les avait détruits. Nous avons décidé de
prendre les meilleures tentes et ce qui était propre et en bon état ; c’est ce que
nous avons fait ; nous avons également pris les quelques chevaux qu’ils
possédaient et sommes retournés à notre campement. Cette terrible maladie
y a éclaté deux jours plus tard et s’est répandue d’une tente à l’autre, comme
portée par le mauvais esprit. Nous ne savions pas qu’un homme pouvait la
donner à un autre comme un blessé transmettrait sa blessure à son voisin.
Nous n’avons pas autant souffert que ceux qui étaient près de la rivière ; ils
s’y sont jetés et ils sont morts. Nous n’avions qu’un petit ruisseau, et
seulement un tiers d’entre nous sont morts ; mais dans d’autres campements,
il y a eu des tentes dans lesquelles tout le monde est mort. […] Nos cœurs
étaient tristes et découragés, et nous ne serons plus jamais les mêmes. Notre
seule occupation consistait à chasser pour nos familles et à tuer des castors,
des loups et des renards pour les échanger contre ce dont nous avions besoin ;
nous ne pensions plus à la guerre, et peut-être aurions-nous fait la paix avec
eux [les ennemis], car ils avaient atrocement souffert et nous aussi, et ils nous
avaient laissé tout ce très beau pays de la rivière à l’Arc (rivière Bow)78.
Bien qu’il soit souvent considéré comme un jalon historique majeur
pour la région, le récit de Saukamappee, ou plutôt, les nombreuses versions
que les éditeurs ont proposées de sa parole, elle-même rapportée par
Thompson, se prêtent à de multiples interprétations. Certains auteurs, par

78. Ibid., p.  199. Ce passage a semé une confusion considérable parmi les chercheurs de l’époque.
Hopwood affirme présenter le récit de la flambée variolique « dans toute la mesure du possible tel
qu’il a été écrit par Thompson, et ce, essentiellement pour donner au lecteur un aperçu de l’écriture
non remaniée de Thompson, mais aussi en raison des erreurs que comporte la transcription de ce
chapitre dans la deuxième édition de la Champlain Society [celle de Glover] » ; ibid., p.  82.
L’imbroglio proviendrait en fait d’une erreur éditoriale commise par J.  B.  Tyrrell en 1916 : il a
fusionné sans le savoir les descriptions de deux épisodes pathologiques distants en réalité de 45 ans.
Voir : David Thompson, David Thompson’s Narrative 1784–1812 (sous la direction de Richard
Glover), Toronto : Champlain Society, 1962, p. 252n1. Dans « New Light on David Thompson »,
The Beaver, 288, 1957, p. 239-245, Victor C. Hopwood analyse les 30 pages du récit de Thompson
qui manquent à la version de Tyrrell.
70 L a destruction des I ndiens des P laines

exemple Theodore Binnema et David Smyth, ne mentionnent aucune


épidémie dans la première moitié du 18e siècle ; d’autres, notamment Dale
Russell, estiment que l’ÉTV a frappé la région « apparemment dans les
années 173079 ». Indépendamment de cet imbroglio éditorial, l’épidémie a
bel et bien contribué à l’éviction des Kutenais de l’ouest des Plaines et à leur
repli vers les régions montagneuses face à l’expansion niitsitapie. Pour les
Gens-du-Serpent, même si les recherches montrent que les hostilités ont
perduré jusqu’à la fin du 18e siècle, l’épidémie a incontestablement enclenché
leur lent retrait des Plaines canadiennes. Enfin, ainsi que Saukamappee l’a
expliqué à Thompson, la flambée épidémique a tué de nombreux Piikanis80.
À ce moment-là, aucun Européen n’a encore mis le pied sous ces
latitudes. Le premier, Anthony Henday, arrivera une génération plus tard. De
ce fait, nous ne disposons d’aucun document d’époque sur la bataille de la
rivière Red Deer ni sur la propagation de la maladie dans la région ; dans ces
matières comme dans bien d’autres, nous sommes par conséquent réduits
aux conjectures. En particulier, le mystère le plus épais plane sur le village
fortifié de Cluny, au bord de la rivière Bow. (Ce site fait maintenant partie de
la réserve des Siksikas.) Cette agglomération constitue une véritable énigme
de l’Ouest canadien ; aujourd’hui encore, les archéologues qui ont procédé
aux fouilles soulignent que l’identification des gens qui l’ont construite, et
très vite abandonnée, reste « strictement conjecturale81 ». Désigné en archéo-
logie sous le nom de « One Gun », le groupe qui a érigé ce village en a égale-
ment occupé plusieurs autres dans le sud de l’Alberta, entre les rivières
Oldman et Bow. Certains chercheurs affirment qu’il s’agissait de villageois
originaires du Missouri déplacés par la guerre et la maladie à des centaines de
kilomètres à l’ouest de leur territoire traditionnel ; d’autres estiment plutôt
qu’ils venaient du sud82. Se dressant en un point de passage important de la
rivière Bow, qui forme elle-même le principal obstacle entre le Missouri et la

79. Russell, Eighteenth-Century Western Cree and Their Neighbours, p. 195.


80. Il n’existe aucune estimation du nombre des Piikanis (Péigans) que l’épidémie a emportés. Les
recherches archéologiques montrent que « l’époque la plus difficile de la phase Old Women [Pieds-
Noirs] s’inscrit dans la période protohistorique, de 1700 à 1750 apr.  J.-C. environ ». Vickers,
« Cultures of the Northwestern Plains from the Boreal Forest Edge to Milk River », p. 24.
81. Richard G. Forbis, Cluny : An Ancient Fortified Village in Alberta (Occasional Papers in
Archaeology 4), Calgary : University of Calgary Press, 1977, p. 72-74 ; Dale Walde, « Mortlach and
One Gun : Phase to Phase », dans : Brian Kooyman et Jane H. Kelley (dir.), Archaeology on the Edge :
New Perspectives from the Northern Plains (Canadian Archaeological Association Occasional
Paper 4), Calgary : University of Calgary Press, 2004, p. 42-50.
82. James Deetz, The Dynamics of Stylistic Change in Arikara Ceramics, Urbana : University of Illinois
Press, 1965, p. 101 ; Craig Johnson, « The Coalescent Tradition », dans : W. Raymond Wood (dir.),
Archaeology on the Great Plains, Lawrence : University of Kansas Press, 1998, p.  327 ; Walde,
« Mortlach and One Gun », p. 42-50.
2  L’ émergence de la traite des fourrures  : contagion et dislocation territoriale 71

Saskatchewan Nord, le village occupait un emplacement stratégique. Protégé


par des palissades, des tranchées et de nombreuses fosses, il a manifestement
nécessité la mise en œuvre d’un chantier considérable. Ses constructeurs
avaient donc probablement l’intention d’y rester un certain temps ; or, il a été
abandonné quelques mois à peine après son achèvement. Les fouilles ont
établi la présence de chevaux sur le site ; elles ont toutefois révélé très peu de
marchandises d’échange d’origine européenne. L’archéologue Richard Forbis
en conclut que le village a été construit peu après 1730. Cette époque, ajoute-
t-il, « pourrait coïncider avec le déferlement des épidémies de variole dans le
nord des Plaines83 ». Érigé près d’un gué de la rivière Bow, Cluny se situait
probablement à une journée à cheval au sud du champ de bataille que Sauka-
mappee a décrit à Thompson. Si l’identité de ses habitants reste incertaine, il
paraît néanmoins fort plausible que la perte de Cluny ait été causée par son
rôle de pivot dans les échanges commerciaux : le village était en effet situé à
l’extrémité nord d’un gigantesque réseau d’acheminement et de vente de
chevaux s’étendant sur plus de 1 000 kilomètres vers le sud.
En 1740, la maladie s’impose incontestablement comme le principal
facteur de la réorganisation territoriale des populations autochtones dans
l’Ouest canadien. À l’est, le commerce des fourrures déchaîne de mortelles
épidémies sur les Monsonis, les Assiniboines et les Dakotas, ouvrant la voie
aux Anichinabés dans leur expansion migratoire vers les Plaines. Le long du
Missouri, l’arrivée de la maladie chez les Arikaras et dans d’autres populations
enclenche l’effondrement des villages agricoles sédentaires de l’est des Plaines.
Plusieurs décennies avant l’arrivée des Européens dans la région, des microbes
venus de la lointaine Méso-Amérique gagnent les confins nord-ouest des
Plaines sans rencontrer d’obstacle ou presque. Dans le sud de l’Alberta,
l’avantage que représente la maîtrise du cheval pour les Gens-du-Serpent se
révèle bien vite dérisoire face à l’hécatombe infectieuse, désastreuse à plus
long terme, qui se propage à la faveur du commerce équin. Mais tandis que
la variole chasse les Serpents du sud de l’Alberta, elle permet aux Niitsitapis
de reconquérir leur ancien territoire. Dès la première moitié du 18e siècle, la
variole redessine complètement la carte démographique des Premières
Nations dans l’Ouest canadien.

83. Forbis, Cluny, p. 6-17.


Chapitre 3

L’intensification de la concurrence :
essor du commerce et propagation
des maladies, 1740-1782

L es conséquences biologiques de la maîtrise du cheval et de l’ouverture


au commerce mondial commencent à se manifester dans l’est et
l’ouest des prairies canadiennes dès avant le milieu du 18e siècle. Le centre
des Plaines (la Saskatchewan actuelle) est toutefois épargné, car il n’a
jusqu’ici joué qu’un rôle secondaire dans la traite des fourrures qui progresse
depuis l’est et ne fait pas encore partie des régions conquises par le cheval
à partir du sud-ouest. Ces deux grands vecteurs de l’épidémie vont très
bientôt le rattraper. En même temps que le basculement du Québec dans
le giron anglais ouvre la porte à une expansion soudaine du commerce des
pelleteries dans l’Ouest, la plupart des collectivités du nord des Plaines
adoptent le cheval. L’afflux soudain des traiteurs fait bondir la demande
alimentaire et enclenche la marchandisation du bison à grande échelle. Le
déploiement de cette nouvelle économie coïncide par ailleurs avec le déclin
des intermédiaires de la traite. Tous ces changements établissent les
conditions idéales pour le déferlement de la pandémie variolique dans
l’ensemble de l’Amérique du Nord au début des années 17801.
Au lendemain des grandes épidémies des années 1730, et en dépit des
bouleversements qu’elles ont provoqués dans les sociétés autochtones qui
leur sont alliées, les puissances européennes continuent de se livrer une âpre

1. Elizabeth Fenn, Pox Americana : The Great Smallpox Epidemic of 1775-82, New York : Hill and
Wang, 2001.
74 L a destruction des I ndiens des P laines

concurrence pour le contrôle du commerce des pelleteries dans l’intérieur des


terres. Fidèle à sa longue tradition en la matière, la Compagnie de la Baie
d’Hudson (CBH) persiste à ne rien faire ou presque, se contentant d’attendre
les livraisons de fourrures dans ses quartiers de la côte. À l’inverse, les Fran-
çais poursuivent leur irrésistible avancée vers l’ouest. En 1738, La Vérendrye
accompagne plusieurs centaines d’Assiniboines dans leur marche à destination
des villages agricoles mandans, sur les rives du fleuve Missouri. Ces impres-
sionnantes agglomérations ont été fondées plus de 700 ans plus tôt, quand
les techniques de culture du maïs, du haricot et de la courge se sont implan-
tées dans la région2. Bien qu’ils soient considérés comme « le point culminant
de l’organisation sociale dans les Plaines », ces villages déçoivent sans aucun
doute les Français : ils en attendaient en effet beaucoup, ayant entendu dire
que les Mandans contrôlaient un point de passage vers l’océan de l’Ouest,
objet de toutes les convoitises des explorateurs européens3. Comme les
Apaches restreignent d’une main de fer la dissémination géographique du
cheval, cet animal n’est pas encore arrivé dans la région et reste inconnu dans
la majeure partie des Plaines4. Plus pour longtemps… Au retour des Fran-
çais, cinq ans plus tard, les Mandans possèdent assez de chevaux pour leur en
vendre quelques-uns et les aider ainsi à rentrer plus rapidement chez eux. Ce
voyage a permis aux Français de pousser leurs explorations très loin vers
l’ouest, jusqu’aux Black Hills du Dakota du Sud. En dépit de ses extraordi-
naires périples, La Vérendrye se voit retirer sa commission en 1744 sous le
motif qu’il privilégie l’exploration au détriment du commerce. Or, l’intérieur
du continent intéresse les autorités françaises uniquement pour les fourrures
qu’il recèle5. Les Français ont établi au milieu du siècle deux postes de traite
sur la rivière Saskatchewan, l’un au Pas (au Manitoba), l’autre à la fourche de
la Saskatchewan, à l’est de Prince Albert (en Saskatchewan)6. La guerre entre
la France et l’Angleterre porte un coup d’arrêt brutal à l’expansion française.

2. Donald J. Lehmer, « Climate and Culture History in the Middle Missouri Valley », dans : W. Dort
et J.  K.  Jones (dir.), Pleistocene and Recent Environments of the Central Great Plains, Lawrence :
University of Kansas Press, 1970 ; texte reproduit dans Selected Writings of Donald J.  Lehmer
(Reprints in Anthropology 8), Lincoln (Nebraska) : J and L Reprint Company, 1977, p. 59-72.
3. John Milloy, The Plains Cree : Trade, Diplomacy and War, 1790 to 1870 (Manitoba Studies in Native
History), Winnipeg : University of Manitoba Press, 1988, p. 41 ; G. Hubert Smith, The Explorations
of the La Vérendryes in the Northern Plains, 1738–43 (sous la direction de W. Raymond Wood),
Lincoln : University of Nebraska Press, 1980, p. 19.
4. Dennis Rinn, The Acquisition, Diffusion, and Distribution of the European Horse among Blackfoot
Tribes in Western Canada (mémoire de maîtrise), University of Manitoba, 1975, p. 22-24.
5. Dale Miquelon, New France, 1701–1744 : A Supplement to Europe, Toronto : McClelland and
Stewart, 1987, p. 185.
6. Dale Russell, Eighteenth-Century Western Cree and Their Neighbours, Ottawa : Canadian Museum of
Civilization, 1991, p. 61, 91-92.
3  L’intensification de la concurrence : essor du commerce et propagation des maladies, 1740-1782 75

Dans ce contexte difficile, les quelques traiteurs qui subsistent de peine et de


misère dans l’intérieur des terres conservent néanmoins la mainmise sur l’es-
sentiel des pelleteries de la région. Pour contrer l’avancée française, la CBH
renonce finalement à espérer passivement les livraisons sur la côte ainsi qu’elle
le faisait depuis toujours. À partir de 1754, sur une période de 20 ans, la
Compagnie envoie ses employés en mission dans l’arrière-pays à 50 reprises
pour y conclure des accords commerciaux. Après  1760, les Français ayant
perdu le Québec, la CBH règne sans partage sur la région pendant quelques
années. Ce répit ne sera que de courte durée. Très vite, la classe émergente des
marchands anglophones de Montréal lance ses canots à l’assaut des lointaines
terres à fourrures. Cette offensive amorce une nouvelle ère de l’expansion
européenne et intensifie d’un cran la concurrence commerciale dans l’Ouest.
Fournissant nourriture et fourrures aux nouveaux arrivants, les
intermédiaires cris et assiniboines s’avèrent essentiels au succès de cette
expansion commerciale. Les plus importants d’entre eux sont les Cris
Pegogamaws, maîtres de la fourche de la Saskatchewan. Plusieurs groupes
assiniboines de la prairie-parc se rendent également très souvent aux postes.
Ils sont implantés dans la région de longue date, depuis bien avant l’arrivée
des marchandises européennes. À l’inverse, les Pegogamaws, intermédiaires
de la première heure, ont quitté leur territoire ancestral des basses-terres de la
Saskatchewan pour s’établir plus à l’ouest après l’arrivée des Européens7. À
l’ouest de la fourche, par-delà cette ligne qui relie aujourd’hui Saskatoon à la
rivière Saskatchewan Nord, s’étend alors le territoire des Archithinues, terme
générique désignant tous les Autochtones de la région qui ne sont ni cris ni
assiniboines8. Il regroupe ainsi les Indiens des Chutes (Indiens des Rapides,
Gros-Ventres ou A’aninins, ainsi qu’ils s’appellent eux-mêmes aujourd’hui),
les membres de l’alliance pied-noir ou niitsitapie (Siksikas, Piikanis, Kainahs
et Tsuu T’inas, de langue athapaskane) ainsi que leurs adversaires du Sud,
entre autres les Gens-du-Serpent. Ayant peu participé au commerce des
pelleteries, les Indiens des prairies arides nous restent mal connus.
Contrairement à ceux de la prairie-parc, les Assiniboines des Plaines ne
s’intéressent guère à l’économie qui est en train de se structurer autour d’eux.

7. David Meyer et Dale Russell, « ‘So Fine and Pleasant, beyond Description’ : The Lands and Lives of
the Pegogamaw Crees », Plains Anthropologist, 49, 2004, p. 219 ; David Meyer et Scott Hamilton,
« Neighbors to the North : Peoples of the Boreal Forest », dans : Karl H.  Schlesier (dir.), Plains
Indians, A.D. 500–1500 : The Archaeological Past of Historic Groups, Norman : University of
Oklahoma Press, 1994, p. 124.
8. Anthony Hendry, « York Factory to the Blackfeet Country : The Journal of Anthony Hendry, 1754–
1755 » (sous la direction de Lawrence J. Burpee), Proceedings and Transactions of the Royal Society of
Canada (Series 1), 1907, p. 328-330.
76 L a destruction des I ndiens des P laines

Ils répugnent à chasser le castor, peut-être parce que cette espèce s’avère
déterminante pour la conservation des eaux dans les prairies stériles. Lors du
voyage qui l’emmène jusqu’au Missouri en 1738, La Vérendrye entend dire
que les Assiniboines des plaines « ne savent point tuer le castor », et que les
Français devraient les instruire dans cette matière9. Dès les années 1750, les
animaux à fourrure se faisant plus rares dans la prairie-parc, les trappeurs et
chasseurs se tournent vers les Plaines. Un registre de la CBH souligne ainsi
que « les castors sont peu nombreux, à moins que les Indiens ne se rendent
jusqu’au pays des Assinipoets ou des Archithinues [dans les Plaines]10 ». Un
peu plus d’une dizaine d’années plus tard, William Pink écrit que les guides,
des Cris Castors, se dirigent vers l’ouest pour se battre avec « d’autres Indiens,
que l’on appelle les Ye,artch,a,thyne,a, et tuer autant qu’il leur sera possible ».
La raréfaction du gibier dans la prairie-parc pousse les Cris à l’affrontement :
« Il y a quelques années de cela, il y avait beaucoup de castors dans cette
rivière [la Saskatchewan]. Maintenant, il en reste très peu, ayant été
trop chassés11. » Cette offensive visait probablement les Dunnezas (Gens-
du-Castor) de langue athapaskane du nord de l’Alberta12. Leurs voisins, les
Tsuu T’inas, sont chassés de leur territoire par les Cris et s’établissent ensuite
dans les Plaines en tant que membres adoptifs de l’alliance niitsitapie13. L’in-
vasion crie dans les régions septentrionales de l’Alberta s’inscrit dans le
contexte d’un conflit plus vaste opposant des groupes cris et dénés pour le
contrôle du commerce des intermédiaires dans tout le Nord14.
Depuis le transfert officiel du Québec et de vastes régions de l’intérieur
des terres aux autorités britanniques, en 1763, les Canadiens sont de plus en
plus nombreux à partir vers l’ouest. Dès la fin de la décennie, ils canalisent
déjà l’intégralité ou presque des pelleteries de l’Ouest canadien vers Montréal,

9. Smith, The Explorations of the La Vérendryes in the Northern Plains, p. 44, 94. Voir également : Dale
Walde, The Mortlach Phase (thèse de doctorat), University of Calgary, 1994, p.  118-119 ; Dale
Walde, David Meyer et Wendy Umfreed, « The Late Period on the Canadian and Adjacent Plains »,
Revista de Arqueología Americana, 9, 1995, p. 44-45.
10. David Smyth, The Niitsitapi Trade : Euroamericans and the Blackfoot Speaking Peoples to the Mid
1830s (thèse de doctorat), Carleton University, 2001, p. 109.
11. Russell, Eighteenth-Century Western Cree and Their Neighbours, p. 197. Voir également : Paul Thistle,
Indian–European Trade Relations in the Lower Saskatchewan River Region to 1840, Winnipeg :
University of Manitoba Press, 1986, p. 63-64.
12. Alexander Mackenzie, Voyages d’Alexandre Mackenzie, dans l’intérieur de l’Amérique septentrionale,
faits en 1789, 1792 et 1793 (traduit de l’anglais par J. Castéra), Paris : Dentu, imprimeur-libraire,
1802, tome II, p. 185-188.
13. Hugh Dempsey, « Sarcee », dans : Raymond J. DeMallie (dir.), Plains, vol. 13, partie 1 du Handbook
of North American Indians, Washington (DC) : Smithsonian Institution Press, 2001, p. 629.
14. Russell, Eighteenth-Century Western Cree and Their Neighbours, p. 163.
3  L’intensification de la concurrence : essor du commerce et propagation des maladies, 1740-1782 77

au détriment de la CBH15. Dans l’espoir d’accroître la production dans son


arrière-pays septentrional, auquel les Canadiens n’ont pas encore accès, la
Compagnie envoie Samuel Hearne parcourir la toundra afin d’évaluer le
potentiel de la région. Son périple prendra des allures d’épopée… Malgré
quelques faux départs, d’immenses souffrances, la faim, la violence et la mort
qui s’abattent sur son expédition, Hearne revient à la baie d’Hudson porteur
d’une prodigieuse nouvelle : très loin dans l’intérieur des terres s’étend le pays
d’Athapuscow, qui regorge d’animaux à fourrure16 ! La CBH avait également
confié à Samuel Hearne le mandat d’établir des liens commerciaux directs
avec des pourvoyeurs de pelleteries afin d’éliminer le recours aux intermédiaires
et d’abaisser d’autant le coût des approvisionnements. De fait, la CBH réussit
à intensifier ses échanges commerciaux, du moins à court terme : à l’été 1772,
des centaines de Cris et de Dénés apportent à Churchill la plus grande quan-
tité de peaux que le poste de traite ait vue en 30 ans17. Mais tandis qu’on
s’affaire encore à les préparer pour les expédier vers l’Angleterre, la proliféra-
tion des traiteurs « français » au sud-ouest de la baie d’Hudson contraint
l’entreprise à dépêcher un autre de ses employés, Matthew Cocking, dans la
région de la Saskatchewan18. En plus de consolider les alliances commer-
ciales, l’émissaire doit déterminer si les intermédiaires n’auraient pas tendance
à prélever des profits excessifs sur le négoce, au détriment de la CBH19.
Le journal que tient Matthew Cocking pendant son séjour chez les Cris
Pegogamaws à l’hiver  1772-1773 constitue une source inestimable
d’information sur la vie autochtone dans la prairie-parc et dans le nord des
Plaines en cette période tumultueuse. Son expédition vient à peine de quitter
York Factory que la contagion s’abat sur ses guides. Partis pour une tournée
commerciale de trois semaines, ils traversent un véritable calvaire qui en
durera presque sept20. L’augmentation du nombre des traiteurs européens et
euro-américains dans l’intérieur des terres accélère la propagation des
pathogènes ; les belles heures de la « quarantaine fortuite » qui avait protégé ce

15. Ibid., p. 114.


16. Samuel Hearne, Voyage de Samuel Hearne du Fort du Prince de Galles dans la Baie de Hudson, à
l’Océan nord, Paris : Patris, 1799. 
17. J. C. Yerbury, The Subarctic Indians and the Fur Trade, 1680–1860, Vancouver : UBC Press, 1986,
p. 48-49, 55. Les livraisons de l’été 1772 totalisent plus de 20 000 « plues » (un plue est une belle
peau de castor adulte et constitue l’étalon monétaire des échanges).
18. A. S. Morton, A History of the Canadian West to 1870–71, Toronto : University of Toronto Press,
1973, p. 284-287.
19. Russell, Eighteenth-Century Western Cree and Their Neighbours, p. 105.
20. Matthew Cocking, « An Adventurer from Hudson Bay : The Journal of Matthew Cocking from
York Factory to the Blackfoot Country » (sous la direction de J.  L.  Burpee), Proceedings and
Transactions of the Royal Society of Canada (Section 2), 1908, p. 96-113.
78 L a destruction des I ndiens des P laines

territoire avant le grand essor de la traite, au début des années 1760, sont bel
et bien révolues21. Cocking observe que les groupes autochtones délaissent
leur rôle d’intermédiaires commerciaux pour se faire pourvoyeurs et apporter
directement leurs pelleteries aux postes de l’intérieur, au grand dam de la
CBH. Il décrit notamment sa rencontre avec un ancien intermédiaire, un
chef de Fort York qui « nie avoir commercé avec les trafiquants qui écument
la région ; mais les produits canadiens en leur possession le contredisent22 ».
Cocking rapporte également que les Pegogamaws entretiennent de bonnes
relations avec leurs voisins. À l’automne 1772, tandis qu’il se trouve près de
Battleford, dans les Eagle Hills (Buttes-de-l’Aigle), en Saskatchewan, le jeune
Anglais et ses guides voient arriver des visiteurs de marque : ce sont des
cavaliers Archithinues qu’ils appellent les « Indiens des Chutes », en référence
à leur territoire ancestral de Nipawin, dans la région de la basse Saskatchewan.
Les A’aninins, ainsi qu’on les nomme aujourd’hui, enseignent aux Cris la
technique du piégeage des bisons en enclos : « Ils me semblent bien plus
européens qu’américains », conclut Cocking, manifestement très impres­
sionné. Après qu’ils aient chassé tous ensemble pendant une semaine, les
étrangers déclarent la saison terminée et partent guerroyer contre les Gens-
du-Serpent. Le cheval est alors connu des Pegogamaws et d’autres Autoch-
tones de la prairie-parc. Chargés de bagages, plusieurs chevaux de somme
accompagnent ainsi Cocking et les membres de son expédition. Certains
d’entre eux mourront toutefois pendant l’hiver « faute de nourriture ; ils
disent que c’est habituel en cette saison de l’année ».
Tandis qu’il visite les postes canadiens de la basse Saskatchewan,
Cocking ne peut faire autrement que de constater l’inutilité de sa mission de
démarchage au profit de la CBH. Fort Finlay, qui fournit les pourvoyeurs de
fourrures en rhum « frelaté », bourdonne d’une telle activité que Finlay doit
fermer boutique parce que « ses rayons sont vides23 ». Pour ajouter l’injure à
l’insulte, Louis Primo, le collègue de Cocking à la CBH, fait défection pour
se joindre aux Canadiens plutôt que de s’astreindre au fastidieux voyage de
retour jusqu’à York Factory24. Dans le cadre de la « grande invasion des
marchands itinérants » de l’été  1773, un poste est érigé au lac Pelé (lac
Playgreen), non loin de l’emplacement du futur poste de Norway House : il
intercepte les pelleteries en partance pour la baie d’Hudson. Plus tard, les

21. Paul Hackett, “A Very Remarkable Sickness” : Epidemics in the Petit Nord, 1670 to 1846, Winnipeg :
University of Manitoba Press, 2002, p. 83-90.
22. Ibid., p. 100.
23. Morton, A History of the Canadian West to 1870–71, p. 286.
24. Cocking, « An Adventurer from Hudson Bay », p. 118, 119.
3  L’intensification de la concurrence : essor du commerce et propagation des maladies, 1740-1782 79

Canadiens construisent un autre poste entre les rivières Saskatchewan et


Churchill, détournant à leur profit les marchandises des intermédiaires de
l’Athabasca en route vers Churchill. Forts de leurs positions stratégiques, les
traiteurs canadiens empilent sur leurs canots autant de pelleteries qu’ils
peuvent en emporter25. Constatant que ses échanges commerciaux avec
l’intérieur des terres sont en train de s’envoler en fumée, la CBH renvoie
Hearne en mission, cette fois pour établir un poste permanent dans l’arrière-
pays de York Factory, dans le but de s’implanter plus fermement sur des terres
dont les Canadiens sont en train de se rendre maîtres.
Ce nouvel établissement, Cumberland House, n’a rien de grandiose.
Situé à plusieurs centaines de kilomètres de la côte, non loin des stratégiques
basses-terres de la rivière Saskatchewan, il marque néanmoins le début d’une
ère nouvelle dans l’Ouest. L’inexpérience de la Compagnie dans l’intérieur
des terres se fait rapidement sentir. Ne possédant pas de canots, et ne sachant
pas en construire, Hearne et ses hommes doivent demander aux intermédiaires
de les emmener à destination dans leurs embarcations26… Quand la
construction de Cumberland House s’achève, les Canadiens travaillent dans
la prairie-parc depuis une dizaine d’années déjà. Traiteurs itinérants, ils ne
prennent pas la peine de noter ce qu’ils vivent et ce qu’ils font au fil de leurs
pérégrinations. À l’inverse, la CBH est une grande multinationale placée sous
une direction centralisée à l’autre bout du monde. L’information en
provenance du terrain s’avérant vitale pour la gestion de la Compagnie, les
traiteurs de la CBH consignent chaque jour dans leurs registres les petits et
grands événements qui rythment leur activité dans l’arrière-pays. Aujourd’hui,
ces documents nous procurent un compte rendu détaillé du quotidien dans
la région, notamment son évolution économique.
En s’installant directement sur les terres de chasse et de piégeage, les
nouveaux venus rendent caduc le rôle d’intermédiaires commerciaux qui
était celui de certains groupes autochtones depuis un siècle. Devant
l’effondrement de leur niche économique et le nombre croissant des traiteurs
qui piègent eux-mêmes le castor, les Cris retirent à leurs anciens partenaires
les connaissances, les compétences et la main-d’œuvre qu’ils mettaient à leur
disposition jusque-là, allument des incendies qui font fuir le gibier et
harcèlent de mille et une façons ces nouveaux concurrents pour lesquels ils

25. Morton, A History of the Canadian West to 1870–71, p. 286-290 ; Harry Duckworth (dir.), The
English River Book : A Northwest Company Journal and Account Book of 1786, Montréal : McGill-
Queen’s University Press, 1990, p. xiii-xiv.
26. Smyth, The Niitsitapi Trade, p. 155.
80 L a destruction des I ndiens des P laines

couvraient autrefois d’immenses distances27. Ces manifestations de mécon­


tentement seront toutefois de courte durée. Dans l’économie qui naît de
l’explosion du nombre des traiteurs et de l’instabilité des approvisionnements
alimentaires dans la prairie-parc, les Cris s’imposent très vite comme des
fournisseurs incontournables. Pierre angulaire de la survie dans les Plaines, le
bison procure l’essentiel de la nourriture des nouveaux venus. En quelques
années, la viande devient ainsi la principale marchandise d’échange le long de
la Saskatchewan.
Aux premiers temps de cette rivalité émergente, les Canadiens conservent
la main haute sur le commerce. Bientôt, toutefois, la multiplication des postes
de traite dans l’Ouest rend les approvisionnements alimentaires beaucoup
plus aléatoires. À elle seule, la région de Cumberland House ne peut pas
nourrir tous les traiteurs ; ils doivent se contenter de « deux maigres repas par
jour » pendant tout leur premier hiver ou presque28. Un peu au nord de là, les
Canadiens qui hivernent au portage de Traite (Frog Portage), sur la rivière
Churchill, n’auront même pas cette chance. Au moins l’un d’entre eux meurt
de faim ; un autre sera exécuté pour cannibalisme. Plusieurs sont envoyés dans
des postes plus proches des Plaines et de leur manne de bisons. Dès qu’ils le
peuvent, les Canadiens quittent leurs funestes positions pour établir leur
poste plus au sud, près du lac Amisk (Beaver Lake ; lac aux Castors), qui leur
assure une meilleure stabilité alimentaire29. La disette contraint par ailleurs de
nombreuses collectivités autochtones de la région du rat musqué, à la lisière
de la prairie-parc et de la forêt boréale, à partir vers l’ouest en quête de viande
à échanger. Originaires du Pas, les Cris Basquias déplacent rapidement leur
territoire de chasse dans les environs d’Hudson House, près de la rivière
Saskatchewan Nord, pour approvisionner les gens de Cumberland30.
L’avancée des Canadiens dans les terres fertiles en castors de l’Athabasca
accroît considérablement la demande en viande des Plaines. En  1776,
Thomas Frobisher établit la collectivité d’Île-à-la-Crosse sur le cours supérieur

27. E. E. Rich (dir.), « Cumberland House Journal », dans : Cumberland House Journals and Inland Jour-
nals, 1775–82, First Series, Londres : Hudson’s Bay Record Society, 1951, p. 217 ; Rupert’s Land
Research Centre, An Historical Overview of Aboriginal Lifestyles : The Churchill–Nelson River Drai-
nage Basin,Winnipeg : Rupert’s Land Research Centre, 1992, p. 99-101.
28. Theodore Binnema, Common and Contested Ground : A Human and Environmental History of the
Northwestern Plains, Norman : University of Oklahoma Press, 2001, p.  119 ; Archives de la
Compagnie de la Baie d’Hudson (ci-après : ACBH), Cumberland House Post Journals, B.49/a/1 :17b
(8 février 1775).
29. Duckworth (dir.), The English River Book, p.  xiv ; ACBH, Cumberland House Post Journals,
B.49/a/1 :24 (30 avril 1775).
30. ACBH, Cumberland House Post Journals, B.49/a/3 (19  juin  1776) ; Hudson House Post Journals,
B.87/a/2 :22 (19 décembre 1779).
3  L’intensification de la concurrence : essor du commerce et propagation des maladies, 1740-1782 81

de la rivière Churchill, à la frontière de l’Athabasca31. Au fil de leur progression


vers l’intérieur des terres nordiques, les Canadiens consolident leur emprise
sur le commerce de la viande dans la prairie-parc. En janvier 1776, Alexander
Henry visite un campement d’environ 200 tentes d’Assiniboines dressées sur
l’escarpement manitobain32. Sa description du mode de vie assiniboine
annonce la stratégie économique qui dominera les Plaines tout un siècle
durant. De ceux qu’il appelle les « Osinipoilles », il écrit : « Le bœuf sauvage
leur fournit à lui seul l’essentiel auquel ils sont accoutumés. » Henry compare
également l’économie assiniboine à celle des trappeurs cris de la rivière Castor
(rivière Beaver), qui achètent « surtout des biens de première nécessité33 ».
Dans les années 1770, les Assiniboines cessent de se rendre jusqu’à la côte ; le
bison devient alors de plus en plus crucial pour eux. Très vite, ils acquièrent
le monopole du commerce du bison le long des deux branches de la rivière
Saskatchewan et peuvent ainsi répondre à la demande croissante des trai-
teurs. Le poste d’Hudson House ouvre ses portes en 1778 pour stimuler le
commerce de la CBH dans le nord. Il rend ainsi aux Assiniboines des basses-
terres de la Saskatchewan Nord une partie de l’influence dont les Européens
les avaient dépossédés en les évinçant de leur rôle d’intermédiaires34.
Loin de former un groupe homogène soudé par des intérêts communs,
les Canadiens de la rivière Saskatchewan se livrent entre eux une compéti-
tion féroce s’ajoutant à celle qui les oppose tous à la CBH. La recherche
effrénée de profits rapides et juteux ainsi que le caractère chaotique du
commerce à l’époque contribuent très vite à la saturation du marché ; avec la
prolifération des postes de traite, l’explosion de la demande de pelleteries
excède largement la capacité de production de la région35. Dans ce contexte,
l’alcool s’impose comme l’incontournable monnaie d’échange : il coule à
flots, et de plus en plus. Dès la mise en place de ce système, les traiteurs de
Cumberland se plaignent de ne pas pouvoir concurrencer les Canadiens et

31. Duckworth (dir.), The English River Book, p. xiv-xv ; Russell, Eighteenth-Century Western Cree and
Their Neighbours, p. 119.
32. Morton, A History of the Canadian West to 1870–71, p. 315. Les Assiniboines étaient probablement
établis sur les bords de la rivière Carotte (Carrot River).
33. Alexander Henry, Travels and Adventures in Canada and the Indian Territories between the Years 1760
and 1776 (sous la direction de James Bain), Rutland (Vermont) : C. E. Tuttle Company, 1969,
p. 317.
34. Arthur J. Ray, Indians in the Fur Trade : Their Role as Trappers, Hunters, and Middlemen in the Lands
Southwest of Hudson Bay, 1660–1870, Toronto : University of Toronto Press, 1974, p. 125-133 ;
Arthur J. Ray, « The Northern Great Plains : Pantry of the Northwestern Fur Trade, 1774–1885 »,
Prairie Forum, 9, 1984, p. 265 ; George Colpitts, « ‘Victuals into Their Mouths’ : Environmental
Perspectives on Fur Trade Provisioning Activities at Cumberland House, 1775–1782 », Prairie
Forum, 22, 1997, p. 17.
35. Duckworth (dir.), The English River Book, p. xv.
82 L a destruction des I ndiens des P laines

leur alcool. Bien qu’ils pratiquent des prix deux fois plus élevés que la CBH,
constate Hearne avec amertume, les Canadiens emportent la mise « en raison
seulement du brandy, ou du moins du rhum, qui leur permet de trouver
preneurs pour leurs marchandises à si fort coût36 ». Ce flot croissant d’alcool
s’accompagne d’une augmentation marquée du nombre des infections trans-
mises sexuellement. Dès les années 1680, les registres faisaient état de mala-
dies vénériennes dans le personnel de la CBH37. Dans les années 1770, un
décret de l’entreprise interdit encore les relations sexuelles entre les employés
de la Compagnie et les femmes autochtones ; l’agent principal Andrew
Graham note cependant que les autorités « ferment les yeux38 ». En 1777,
trois employés souffrent d’une maladie vénérienne à Cumberland House :
Robert Davey, Magnus Sclater et John Draver. Évacué à York, Draver est
considéré comme inapte au travail, « et ce, depuis un certain temps déjà39 ».
Les documents qui nous sont parvenus ne disent rien des incidences de la
maladie chez leurs partenaires sexuelles et chez les traiteurs canadiens, qui ne
tenaient aucun registre de leurs activités, commerciales ou autres. Les Cana-
diens étaient toutefois au moins aussi susceptibles que leurs concurrents
anglais de propager les infections transmises sexuellement. En 1778, la CBH
fournit des médicaments au capitaine Tuite, responsable canadien du « lac
aux Castors  » (Beaver Lake), qui est «  incommodé par le problème
vénérien40 ».
Face à la concurrence débridée que se livrent les traiteurs et à la raréfac-
tion des animaux à fourrure le long de la Saskatchewan, certains Canadiens
commencent à envisager de mettre leurs ressources en commun pour aller
commercer jusque dans l’Athabasca, terres encore largement inexploitées41.
Peter Pond, qui sera plus tard impliqué dans le meurtre d’au moins deux
associés, est le premier à passer par le portage La Loche (Methy Portage), un
sentier d’une vingtaine de kilomètres reliant les rivières Churchill et
Clearwater. Il passe par Cumberland House en mai 1778, « comptant péné-
trer dans le pays d’A tho pus cow aussi loin qu’il le pourra et y passer le
prochain hiver ». Il revient un an plus tard, presque mort de faim, la moitié

36. ACBH, Cumberland House Post Journals, B.49/a/1 :32 (23 juin 1775).


37. Hackett, “A Very Remarkable Sickness”, p. 255n1.
38. Heather Rollason Driscoll, « ‘A Most Important Chain of Connection’ : Marriage in the Hudson’s
Bay Company », dans : Theodore Binnema, Gerhard J. Ens et R. C. Macleod (dir.), From Rupert’s
Land to Canada, Edmonton : University of Alberta Press, 2001, p. 91-92.
39. Rich (dir.), Cumberland House Journals and Inland Journals, First Series, p.  143-144, 176, 184,
196-197.
40. ACBH, Cumberland House Post Journals, B.49/a/6 :41b (17 février 1778).
41. Alexander Mackenzie, Voyages d’Alexandre Mackenzie, dans l’intérieur de l’Amérique septentrionale,
tome I, p. 28-31.
3  L’intensification de la concurrence : essor du commerce et propagation des maladies, 1740-1782 83

de ses canots détruits en cours de route. De cette éprouvante expédition, il


rapporte toutefois la preuve que les terres d’Athabasca regorgent de fourrures.
Faute d’espace suffisant dans ses canots restants, Pond a dû laisser l’essentiel
de ses six tonnes de pelleteries sur place42. Avec cette traversée réussie depuis
le bassin versant de la baie d’Hudson jusqu’à celui du fleuve Mackenzie, Pond
révolutionne le commerce dans la région pour plusieurs décennies. À la fin de
leur portage de huit jours, les Canadiens ont largement dépassé la frontière
définie par la charte de la CBH : l’immense territoire dans lequel ils
s’aventurent s’ouvre à quiconque se propose de l’exploiter. Leur incursion
dans l’Athabasca met aussi en péril l’activité des intermédiaires qui se
rendaient jusque-là à Churchill, et place ainsi les Dénés autant que leurs
partenaires commerciaux de la baie dans une position extrêmement précaire43.
Pour tirer pleinement parti de l’avantage dont ils disposent désormais sur les
Anglais, les Canadiens en partance pour ces terres inviolées doivent toutefois
surmonter un obstacle de taille : l’Athabasca constitue certes l’un des
territoires les plus riches en fourrures du continent, elle ne peut pas nourrir
suffisamment de traiteurs pour permettre l’implantation de vastes réseaux.
Pour que le commerce s’organise, il faudra importer dans la forêt boréale
l’aliment de base d’une région bien plus méridionale : la viande de bison.
Devenant très vite indispensable aux voyageurs qui parcourent le Nord, le
pemmican occupera pendant un siècle une place centrale dans les échanges
commerciaux des Plaines. Les collectivités autochtones de tout l’Ouest
s’élancent à la poursuite des hardes pour leur propre alimentation, mais aussi
pour le profit ; cette généreuse ressource semble alors n’avoir pas de fin.
L’identité ethnique de ceux que l’on appelle les « Cris des Plaines » émerge
ainsi de l’abandon de leur mode de vie sylvestre au profit des prairies44.
Quelques années à peine après l’arrivée des premiers traiteurs, le
commerce débridé des pelleteries le long de la Saskatchewan commence à
susciter violences et problèmes de toutes sortes dans plusieurs collectivités
autochtones. Les escroqueries et duperies des Canadiens à l’égard des
pourvoyeurs de fourrures se terminent souvent en représailles et bains de

42. ACBH, Cumberland House Post Journals, B.49/a/6 :62 (26 mai 1778), B.49/a/9 :4b (2 juillet 1779).
William Tomison relève que Pond s’est enfoncé si loin dans les terres qu’il « a commercé avec les
Indiens du Nord que M.  Samuel Hearne a rencontrés avec Mette na ’pew [Matonabbee ?] et les
siens ».
43. W. A. Sloan, « The Native Response to the Extension of the European Traders into the Athabasca
and Mackenzie Basin, 1770–1816 », Canadian Historical Review, 60, 1979, p. 281.
44. Milloy, The Plains Cree, p. 29.
84 L a destruction des I ndiens des P laines

sang45. En 1778, quelques mois après l’achèvement d’Hudson House, Robert


Longmore écrit : « [Les Canadiens ont] des fusils et des coutelas, du tabac et
des barils de 10 gallons de rhum à donner aux Indiens pour les détourner de
moi ou, à défaut, les arracher de force. » Le traiteur décrit en ces termes les
tactiques de ses rivaux canadiens : « Quand les Indiens sont arrivés en vue des
gardes français, ils les ont fait boire, ont saisi tous leurs chevaux et leurs
marchandises, et les ont tenus enfermés à l’intérieur de leurs palissades46. »
Les trappeurs trahis par les traiteurs prennent évidemment leur revanche à la
première occasion. En 1776, quatre Canadiens sont tués le long de la rivière
Assiniboine, et des cargaisons sont pillées sur la rivière Swan47. Un an plus
tard, trois Canadiens sont tués sur la Saskatchewan Nord48. À la fin de cette
décennie, la concurrence que les Canadiens se livrent entre eux et le cycle
infernal de violence qu’elle enclenche dans la région atteignent une brutalité
inouïe et durcissent considérablement les tensions dans tout le Nord-Ouest.
En mars 1779, dans le calme relatif de Cumberland House, Tomison écrit :
« Les agissements actuels des traiteurs canadiens se livrant une âpre lutte
mèneront les Indiens à la débauche et à l’indolence, et les y mènent d’ailleurs
déjà, et c’est grande pitié de les voir ainsi détruits par une poignée d’aventuriers
sans foi ni loi49. » Les employés de la CBH qui arrivent d’Hudson House un
peu plus tard ce printemps-là annoncent qu’une guerre ouverte « a éclaté
entre les Indiens et les Canadiens en haut », obligeant les hommes de la CBH
et les Canadiens à se replier prudemment vers le bas de la rivière. Au moins
deux Canadiens et deux Autochtones sont tués. En 1779, en raison de ces
hostilités, la CBH déplace Hudson House vers l’aval. Cependant, le carnage
se poursuit. En novembre, le capitaine Tuite et ses hommes quittent leur
poste toutes affaires cessantes après qu’un pourvoyeur de fourrures autochtone
y a trouvé la mort dans une beuverie50. Tandis que les conflits les opposant
aux populations autochtones s’exacerbent de jour en jour, les traiteurs
canadiens pratiquent par ailleurs la désinformation pour faire lâcher prise
aux quelques hommes que la CBH a déployés dans l’Ouest. En décembre 1779,
Tomison entend dire ainsi que le poste de Cumberland House a été détruit.
Il balaye ces propos d’un revers de la main : « Ils ont raconté quantité de

45. J. G. MacGregor, Peter Fidler : Canada’s Forgotten Surveyor, 1769–1822, Toronto : McClelland and
Stewart, 1966, p. 8.
46. ACBH, Hudson House Post Journals, B.87/a/1 :6b (18 décembre 1778).
47. Morton, A History of the Canadian West to 1870–71, p. 324.
48. MacGregor, Peter Fidler, p. 8 ; Morton, A History of the Canadian West to 1870–71, p. 331.
49. ACBH, Hudson House Post Journals, B.87/a/1 :13b (15 mars 1779) ; Cumberland House Post Journals,
B.49/a/7 :52b–53 (9 mai 1779) ; Hudson House Post Journals, B.87/a/1 :15b (25 avril 1779).
50. Smyth, The Niitsitapi Trade, p.  158-159 ; ACBH, Hudson House Post Journals, B.87/a/2 :18
(20 novembre 1779).
3  L’intensification de la concurrence : essor du commerce et propagation des maladies, 1740-1782 85

faussetés aux Indiens nous concernant. Tantôt, ils leur disent que Votre
Honneur n’a plus d’embarcations ; tantôt, que nous sommes tous en train de
mourir de la petite vérole51. » Dès la fin de l’année, les Plaines sont devenues
trop périlleuses pour s’y risquer. Même les employés de la CBH, qui ont
toujours entretenu de meilleures relations que leurs rivaux canadiens avec les
Autochtones de ces régions, n’osent plus s’y aventurer. Ceux qui hivernent
habituellement dans les Plaines sont rappelés à Hudson House pour leur
propre sécurité. Tomison, qui en a la charge, indique qu’il est « maintenant
trop dangereux d’envoyer nos hommes auprès des Indiens, plusieurs d’entre
eux étant d’une nature très féroce ». Conscients du risque, les traiteurs cana-
diens commencent à expédier leurs pelleteries de nuit « pour que les Indiens
ne les voient pas52 ».
La faim qui tenaille les estomacs attise la peur et l’agressivité. À
l’automne 1780, des chasseurs et trappeurs allument des feux dans les prairies
pour éloigner les hardes des secteurs de l’amont et préserver leur source
de  revenus. Cette année-là, la destruction des pâturages et l’arrivée
particulièrement tardive des premières neiges répandent la famine dans tout
le nord des Plaines. Nombreux sont ceux qui en sont réduits à manger leurs
chiens et des peaux de castor pour survivre aux périples qui les mènent
jusqu’aux traiteurs. À la disette s’ajoute une épidémie de diarrhée qui, indique
Robert Longmore, touche « tous les Indiens53 ». À la mi-décembre, la pénurie
s’avère si terrible à Hudson House qu’une douzaine d’employés sont envoyés
passer l’hiver dans les Plaines avec des familles indiennes. Ceux qui restent au
poste viennent en aide aux pourvoyeurs autochtones qui sont « ravagés par la
faim, incapables de marcher jusqu’au bâtiment », écrit le traiteur. À l’instar de
ces deux trappeurs émaciés qui arrivent à Hudson House en plein milieu de
l’hiver pour échanger des fourrures contre de la nourriture, certains sont
« dans un état si pitoyable qu’ils hésitent à s’allonger le soir de crainte d’être
tués et dévorés avant le matin ». Très vite, la faim oblige même les hommes
envoyés au loin à revenir au poste. Des pénuries sont également signalées
dans l’est, à Cumberland House, où des provisions sont distribuées aux
Indiens affamés. À des centaines de kilomètres à l’ouest, les Cris de la rivière
Castor mangent leurs chevaux et leurs chiens, « et certains meurent néan-
moins de faim après cela ». Les A’aninins, qui vivent entre les deux branches

51. ACBH, Hudson House Post Journals, B.87/a/2 :20 (5 décembre 1779).


52. ACBH, Hudson House Post Journals, B.87/a/2  :21 (10  décembre  1779), B.87/a/2 
:30
(12 février 1780), B.87/a/3 :6–7b (31 octobre, 17 et 21 novembre 1780).
53. ACBH, Hudson House Post Journals, B.87/a/3 :6 (31  octobre  1780), B.87/a/3 :7–7b (17 et
21 novembre 1780).
86 L a destruction des I ndiens des P laines

de la Saskatchewan, se plaignent également d’une grande famine54. À la fin


de l’hiver, poussés à bout par la frustration et la faim, des hommes en armes
s’en prennent au poste pour s’emparer des maigres provisions qu’il possède
encore ; l’affrontement se réglera toutefois sans effusion de sang. Le retour des
animaux, au printemps, met enfin un terme à la pénurie de viande ; tous
peuvent maintenant manger à leur faim. Ces longs mois de malnutrition ont
néanmoins laissé d’importantes séquelles. Longmore « souffre affreusement
de diarrhée sanguinolente ». Par ailleurs, le retour de l’abondance alimentaire
ne se fait pas partout au même rythme ; à la fin du mois d’avril 1781, de
nombreuses collectivités autochtones ne mangent toujours pas à leur faim55.
À l’automne 1781, observant de nombreux incendies sur le chemin qui
les ramène à Hudson House, les employés de la CBH comprennent qu’ils
doivent se préparer à un très rude hiver56. Cependant, ils ne se doutent
certainement pas de l’ampleur des dévastations qui s’abattront bientôt, non
seulement sur la Saskatchewan Nord, mais sur tout l’ouest du continent. Une
terrible nouvelle arrive du sud le 20 octobre : la variole qui dévastait les Gens-
du-Serpent a gagné les tribus qui commercent le long de la rivière57. Comme
ce fut le cas des dizaines d’années plus tôt, la maladie se propage par le réseau
commercial autochtone qui apporte des chevaux jusque dans le nord des
Plaines58. Si les recherches font remonter la source première de l’infection à

54. ACBH, Hudson House Post Journals, B.87/a/3 :6 (31  octobre  1780), B.87/a/3 :7–7b (17 et
21 novembre 1780). En empêchant les chasseurs de repérer les traces des animaux, l’absence de
neige accentue l’effet dévastateur des incendies. B.87/a/3 :10–13 (17  décembre  1780, 9 et
17 janvier 1781). Des rapports provenant de la rivière Castor évoquent deux semaines plus tard des
« indiens affamés ; ils ont mangé leurs chiens et ne peuvent venir, faute de provisions ». B.87/a/26 :7b
(26 novembre 1780), B.87/a/3 :9b–10 (18 et 22 décembre 1780), B.87/a/3 :13 (18 janvier 1781),
B.87/a/3 :13 (22 et 25 janvier 1781), B.87/a/3 :14 (7 février 1781), B.87/a/3 :15b (4 février 1871),
B.87/a/3 :16 (27 février 1781), B.87/a/3 :16b–17 (2 et 11 mars 1781).
55. ACBH, Hudson House Post Journals, B.87/a/3 :16b (4  mars  1781), B.87/a/3 :17 (6  mars  1781),
B.87/a/3 :17b (13  mars  1781), B.87/a/3 :18 (18  mars  1781). Le poste ne disposant d’aucun
médicament pour le traiter, sa maladie s’est rapidement transmise aux employés ; B.87/a/3 :18b
(24-26 mars 1781). La diarrhée sanguinolente est l’une des formes de la dysenterie, une maladie
bactérienne potentiellement mortelle ; Hackett, “A Very Remarkable Sickness”, p.  209-210 ;
B.87/a/3 :21b (27 avril 1781).
56. Dans un article récent, Adam R. Hodge affirme que l’instabilité climatique de l’époque a compromis
les approvisionnements alimentaires dans tout le nord des Plaines, aggravant au passage la variole
dans les populations de la région affaiblies par la malnutrition. « “In Want of Nourishment for to
Keep Them Alive” : Climate Fluctuations, Bison Scarcity, and the Smallpox Epidemic of 1780-82
on the Northern Great Plains », Environmental History, 17, 2012, p. 365-403.
57. ACBH, Hudson House Post Journals, B.87/a/4  :5–5b (17  octobre  1781), B.87/a/4  :5b–6
(22 octobre 1781).
58. John F. Taylor, « Sociocultural Effects of Epidemics on the Northern Plains : 1734–1850 », Western
Canadian Journal of Anthropology, 7, 1977, p. 59 ; Michael Trimble, « Chronology of Epidemics
among Plains Village Horticulturalists : 1738–1838 », Southwestern Lore, 54, 1988, p.  7 ; Linea
3  L’intensification de la concurrence : essor du commerce et propagation des maladies, 1740-1782 87

Mexico, cette flambée s’inscrit en fait dans une gigantesque épidémie qui
déferle sur le continent tout entier et déterminera même en partie l’issue de
la guerre d’Indépendance des États-Unis59.
La maladie joue un rôle tout aussi décisif dans le devenir des nations
autochtones de l’ouest de l’Amérique du Nord. La mort qu’elle sème dans
son sillage enclenche un bouleversement territorial et démographique sans
précédent. Au Canada, l’épidémie compromet l’occupation plusieurs fois
séculaire du sud-ouest de l’Alberta par les Gens-du-Serpent60. Saukamappee
rapportera à David Thompson que leur population en fut si réduite qu’ils se
trouvèrent refoulés jusqu’au fleuve Missouri, et même au-delà61. En quelques
années, les Serpents si redoutés doivent se replier dans les montagnes où leurs
ennemis du Nord ont tout le loisir de les attaquer quand bon leur semble62.
Alors que l’épidémie accroît le territoire des Niitsitapis, elle tue le tiers
de la collectivité piikanie de Saukamappee ; d’autres groupes subiront des
pertes plus lourdes encore63. Les documents d’époque signalent en mars 1782,
14 hommes niitsitapis, « tous remis de la variole », en route pour aller
commercer avec les Canadiens. Bien qu’il reste important, le taux de mortalité
variolique est moins élevé chez les Piikanis que dans d’autres collectivités, ce
qui pourrait révéler une exposition antérieure à la maladie. Les communautés
du nord et de l’est qui n’avaient jamais été en contact avec le virus subissent
par contre d’effroyables pertes.
En particulier, les Assiniboines établis le long de la Saskatchewan Nord
sont très durement touchés. Ainsi que le rapporte un traiteur de la CBH,
« très peu d’entre eux ont survécu, peut-être aucun […] les Indiens gisant sur
la terre dénudée, morts, comme des moutons putréfiés, leurs tentes encore
debout, leurs corps dévorés par les bêtes sauvages ». Les Assiniboines des
Touchwood Hills (buttes de Tondre) ne sont pas mieux lotis. Sur un campe-
ment de 20 tentes, seulement cinq hommes et « quelques femmes et enfants »
auraient survécu à la maladie. « Il ne me semble pas qu’il en reste un seul en
vie », écrit William Walker, de la  CBH. « La plupart de ceux qui auraient

Sundstrom, « Smallpox Used Them Up : References to Epidemic Disease in the Northern Plains
Winter Counts, 1714–1920 », Ethnohistory, 44, 1995, p. 309.
59. Le même mois, des flambées varioliques éclatent sur la rivière Saskatchewan, en Californie et à
Yorktown, sur la côte Est. Fenn, Pox Americana : The Great Smallpox Epidemic of 1775-82, p. 175.
60. Binnema, Common and Contested Ground, p. 86-106.
61. David Thompson, David Thompson : Travels in Western North America, 1784–1812 (sous la direction
de Victor G. Hopwood), Toronto : Macmillan of Canada, 1971, p. 191.
62. Colin C. Calloway, « Snake Frontiers : The Eastern Shoshones in the Eighteenth Century », Annals
of Wyoming, 63, 1991, p. 89-90.
63. Thompson, David Thompson : Travels in Western North America, p. 199.
88 L a destruction des I ndiens des P laines

échappé à la maladie seraient des femmes et des enfants64. » Un an plus tard,


à leur grand étonnement, les traiteurs d’Hudson House voient arriver au
poste « 17 hommes vigoureux » : des survivants des Touchwood Hills !
Tomison écrit qu’ils ont « erré très loin dans les Terres stériles, et on ne les a
vus dans nul poste depuis 12 mois ; à la vérité, William Walker m’avait
rapporté qu’ils étaient tous morts ». L’épidémie accélère la dépopulation et la
dépossession territoriale des Assiniboines amorcées quatre décennies plus tôt.
Jamais ils ne se relèveront complètement de ces terribles pertes. L’anthropo-
logue Dale Russell observe que les documents postérieurs aux années 1780
ne font plus mention ou presque des Assiniboines, qui formaient pourtant
« la collectivité la plus populeuse de la prairie-parc et du nord-est des Plaines
au 18e siècle65 ».
À Cumberland House, la maladie est signalée pour la première fois le
8 décembre 1781. Dès le mois de février suivant, elle a déjà tué « plus de 30
personnes et pour cela, seulement deux ont survécu et ce ne sont que des
enfants ». Tomison ajoute que « les Indiens U’Basqui’aus sont tous morts et
10 tentes d’Indiens Pegogamys et Cowinetows qui venaient ici sont tous
morts ; quant à ceux qui ont remonté la rivière à l’Esturgeon, je ne les ai pas
revus ni n’ai entendu parler d’eux depuis leur dette de l’automne dernier66 ».
L’épidémie dépeuple presque entièrement la vallée du cours inférieur de la
Saskatchewan. Longtemps maîtres incontestés de la région, les Cris Basquias
disparaissent en tant qu’entité culturelle distincte avant le 19e siècle67. Leur
infortune ouvre la basse-Saskatchewan à des immigrants très engagés dans la
traite des fourrures, en particulier les Cris Moskégons et les Anichinabés68.
Ces derniers occupent par ailleurs les hautes-terres de la rivière Assiniboine
depuis que la maladie a ravagé les collectivités assiniboines. Au Manitoba, le
long de la rivière Rouge, les pertes assiniboines dans le secteur ultérieurement
désigné sous le nom de « rivière aux Morts » (Dead River) ouvrent la voie aux

64. ACBH, Hudson House Post Journals, B.87/a/4  :12b–13 (4  décembre  1781), B.87/a/4  :24
(7 mars 1782), B.87/a/6 :22 (4 janvier 1783), B.87/a/4 :13b (10 décembre 1781), B.87/a/4 :21b
(25 février 1782).
65. Russell, Eighteenth-Century Western Cree and Their Neighbours, p. 172.
66. ACBH, Cumberland House Post Journals, B.49/a/11 : 32 (8 décembre 1781) ; Hudson House Post
Journals, B.87/a/4 :22b (19 février 1782).
67. Thistle, Indian–European Trade Relations on the Lower Saskatchewan River Region to 1840, p. 62-64 ;
David Meyer et Paul Thistle, « Saskatchewan River Rendezvous Centers and Trading Posts :
Continuity in a Cree Social Geography », Ethnohistory, 42, 1995, p. 421.
68. Thistle, Indian–European Trade Relations on the Lower Saskatchewan River Region to 1840, p. 65, 69.
3  L’intensification de la concurrence : essor du commerce et propagation des maladies, 1740-1782 89

Anichinabés, qui s’installent au nord de La Fourche (à la confluence de la


rivière Assiniboine et de la Rouge)69.
La maladie frappe les Cris Pegogamaws à l’embranchement de la rivière
Saskatchewan. Ils souffrent si affreusement de cette flambée que Tomison en
conclut qu’entre les Pegogamaws et les Assiniboines de la rivière Saskat-
chewan, « pas 1 sur 50 n’a survécu70 ». Comme les Basquias de l’Est qui leur
sont apparentés, les Pegogamaws disparaissent des registres historiques, peu
après 1782.
Le cheval propage la maladie comme une traînée de poudre à travers les
Plaines et la prairie-parc ; dans la forêt boréale, cependant, la contagion
progresse moins vite et atteint plus tardivement les collectivités humaines,
parfois deux ans après celles des grands espaces dégagés71. Depuis les
nouveaux foyers d’infection que constituent les postes de l’arrière-pays, les
pathogènes gagnent l’est et le nord par les routes de la fourrure des régions
subarctiques. Depuis York Factory, Matthew Cocking note que, dans toutes
les tribus, « ils sont presque tous morts pendant leur voyage de retour ;
quelques-uns, fort rares, ont pu rentrer chez eux et ont alors transmis la
maladie aux leurs ; elle s’est ainsi répandue dans tout le pays ». L’épidémie
arrive à York Factory par un groupe de trappeurs bungis en juillet 1782. Les
documents historiques relèvent un taux de mortalité de presque 100 pour
cent dans certaines collectivités bungies72. Cocking fait de son mieux pour
maintenir une quarantaine, mais une offensive de la marine française nuit à
ses mesures d’endiguement de la contagion. La maladie déferle sur tout le
nord de l’Ontario ou presque, dépeuple en grande partie les terres bordant la
rivière à la Pluie (Rainy River), et atteint la baie James par la rivière Albany73.
Depuis les Plaines, la maladie et la mort se répandent également vers le
nord-ouest, jusqu’en Athabasca. Au total, elles semblent n’avoir épargné

69. Hackett, “A Very Remarkable Sickness”, p. 93-118. Voir également : Jody Decker, « Tracing Historical
Diffusion Patterns : The Case of the 1780–82 Smallpox Epidemic among the Indians of Western
Canada », Native Studies Review, 4, 1988, p. 1-24 ; Elliot Coues (dir.), New Light on the Early History
of the Greater Northwest : The Manuscript Journals of Alexander Henry and David Thompson, 1799–
1814 (vol. 1), Minneapolis : Ross and Haines, 1965, p. 46.
70. Rich (dir.), Cumberland House Journals and Inland Journals, Second Series, p. 298.
71. Hackett, “A Very Remarkable Sickness”, p.  93-118. Voir également : Decker, « Tracing Historical
Diffusion Patterns ».
72. Laura Peers, The Ojibwa of Western Canada,1780–1870, Winnipeg : University of Manitoba Press,
1994, p. 19n66.
73. Roderick Mackenzie, « Introduction », dans : Mackenzie, Voyages d’Alexandre Mackenzie, dans
l’intérieur de l’Amérique septentrionale, tome I, p. 144-145 ; Victor Lytwyn, « ‘God Was Angry with
Their Country’ : The Smallpox Epidemic of 1782–83 among the Hudson Bay Lowland Cree »,
dans : David H. Pentland (dir.), Papers of the Thirtieth Algonkian Conference, Winnipeg : University
of Manitoba Press, 1999, p. 157-162.
90 L a destruction des I ndiens des P laines

qu’un seul groupe : les Cris Castors établis entre la rivière Saskatchewan Nord
et la Churchill. Leur relatif isolement ainsi que leur détermination à
n’entretenir que des contacts brefs et très sporadiques avec les traiteurs de la
Churchill les ont probablement sauvés de l’extinction culturelle74. Si l’épi-
démie ne les frappe pas aussi durement que les autres populations de la
région, elle leur confisque néanmoins une partie de leur territoire. Dans les
années  1790, Peter Fidler rapporte que les trappeurs anichinabés règnent
désormais sur la rivière Castor75.
L’épidémie a peut-être anéanti aussi les Cris Athapuscows, qui vivaient
au nord des Cris Castors et dominaient le commerce intermédiaire sur le
cours supérieur de la rivière Churchill et, vers le nord, jusqu’au lac Athabasca.
Quelle qu’en soit la cause, leur disparition met un terme aux conflits qui
ensanglantaient les terres des Castors de langue athapascane autour du Petit
lac des Esclaves (Lesser Slave Lake)76. À la fin de la décennie, Alexander
Mackenzie ne trouve plus qu’une quarantaine de familles cries dans les
basses-terres des rivières Castor et Athabasca et les hautes-terres de la
Churchill. Cette population a été tellement décimée que leur nom
d’Athabascas désignera désormais leurs anciens vassaux, les Castors de langue
chipewyane77.
L’épidémie pourrait avoir causé plus de ravages encore dans la collectivité
voisine des Dénés Chipewyans. La maladie se répand vers le nord et atteint les
Chipewyans par le poste de Peter Pond, au lac La Ronge. David Thompson
affirme que le nombre des Cris Missinippis, qui ont probablement infecté les
Chipewyans au lac La Ronge, a diminué de moitié. Leur effondrement
démographique les oblige à quitter la limite septentrionale de leur territoire,
au lac Reindeer (également dit « lac du Caribou » ou « lac des Rennes »)78.
En 1795, Samuel Hearne écrit que « les Indiens du Nord, dans leurs commu-
nications annuelles avec ceux du Sud et d’Athapuscow, ont contracté la petite

74. « William Walker, Hudson House Journal, 9 April 1782 », dans : Rich (dir.), Cumberland House
Journals and Inland Journals, Second Series, p. 285 ; Russell, Eighteenth-Century Western Cree and
Their Neighbours, p. 150-151.
75. MacGregor, Peter Fidler, p. 111-117.
76. G. Nicks, « Native Responses to the Early Fur Trade at Lesser Slave Lake », dans : B. Trigger,
T. Morantz et L. Dechêne (dir.), Le Castor Fait Tout : Selected Papers of the Fifth North American Fur
Trade Conference, 1985, Montréal : Lake St.  Louis Historical Society, 1987, p.  285-286 ; Sloan,
« The Native Response to the Extension of the European Traders into the Athabasca and Mackenzie
Basin », p. 288.
77. Russell, Eighteenth-Century Western Cree and Their Neighbours, p. 161, 167.
78. Beryl C. Gillespie, « An Ethnohistory of the Yellowknives : A Northern Athapaskan Tribe », dans :
David B. Carlisle (dir.), Contributions to Canadian Ethnology, 1975 (Mercury Series, Canadian
Ethnology Service Paper 31), Ottawa : National Museum of Man, 1975, p. 207 ; Thompson, David
Thompson, p. 122 ; Russell, Eighteenth-Century Western Cree and Their Neighbours, p. 217.
3  L’intensification de la concurrence : essor du commerce et propagation des maladies, 1740-1782 91

vérole, qui en a emporté [les neuf dixièmes], et principalement parmi ceux qui
commerçaient directement avec la factorerie de Churchill. Le peu qui a
survécu suit l’exemple de ses voisins du Sud, et commerce avec les Canadiens
qui sont établis dans le cœur du pays d’Athapuscow79 ». Indépendamment de
cette tragédie humaine, Hearne déplore la baisse des échanges avec les Cris
Athapuscows et les Chipewyans qui, « depuis plus de 10 ans, [représentent] au
moins les sept huitièmes du commerce ». Il faudra attendre 1787 pour que les
affaires reprennent entre la CBH et les Chipewyans de l’Athabasca ; encore les
incursions des Canadiens rendront-elles ces échanges très précaires80. En
dépit de sa virulence, l’épidémie ne descend pas tout le long du fleuve
Mackenzie : la faible densité démographique de ces régions et leur éloignement
relatif des postes de traite ralentissent sa progression. Par ailleurs, de petits
groupes de Dénés du Nord avaient commencé d’éviter les intermédiaires dès
avant la flambée parce qu’ils se comportaient trop durement envers eux81. À
la fin de la décennie, Alexander Mackenzie ne trouve nulle trace de l’épidémie
dans les groupes athapaskans qu’il rencontre en descendant le fleuve qui
portera un jour son nom82.
La mortalité dans les populations autochtones est si élevée que les
malades doivent souvent être abandonnés pour protéger ceux et celles que
l’épidémie n’a pas encore touchés. Cette pratique choque profondément
certains traiteurs : « Ces Sauvages sont gens d’une telle ignominie, écrit ainsi
William Walker, que lorsque l’un des leurs tombe malade, ils ne pensent point
à espérer guérison ou chercher remède, mais se contentent de le chasser, de
sorte que ce pauvre hère meurt ; jamais ils ne faisaient cela auparavant83 ». On
pourra peut-être pardonner à Walker ce jugement à l’emporte-pièce devant ce
qu’il considère comme un manque de compassion ; le fait est toutefois que
l’abandon des malades constituait sans doute, dans les circonstances, la réponse
la plus rationnelle pour assurer la survie du groupe. Les documents de la CBH
indiquent que ses employés, même s’ils ne peuvent pas grand-chose devant ce
cataclysme, tentent néanmoins d’offrir un peu de réconfort aux malades et aux

79. Yerbury, The Subarctic Indians and the Fur Trade, p. 147-148. Ce taux de mortalité de 90 pour cent
constitue probablement une exagération, puisqu’ils ont pu étendre leur territoire après l’épidémie.
James G. E. Smith, « Local Band Organization of the Caribou Eater Chipewyan in the Eighteenth
and Early Nineteenth Centuries », Western Canadian Journal of Anthropology, 6, 1976, p. 77.
80. Sloan, « The Native Response to the Extension of the European Traders into the Athabasca and
Mackenzie Basin », p. 282-283.
81. Gillespie, « An Ethnohistory of the Yellowknives », p. 208.
82. Mackenzie, Voyages d’Alexandre Mackenzie, dans l’intérieur de l’Amérique septentrionale, tome  I,
p. 133-134.
83. ACBH, Cumberland House Post Journals, B.87/a/4  :7 (29  octobre  1781), B.87/a/4  :10b
(27 novembre 1781).
92 L a destruction des I ndiens des P laines

mourants dans leurs postes. Cependant, ainsi que l’écrit Walker à Hudson
House : « Il n’est pas en notre pouvoir de les secourir84. »
Les Anglais ainsi que la plupart des Canadiens de l’Ouest ayant été
exposés à la variole, la varicelle ou la vaccine (la variole des vaches) dans leur
enfance, ils n’ont généralement rien à craindre du virus qui décime leurs
fournisseurs autochtones85. S’ils sont généralement conscients de la bonne
fortune qui leur échoit en cette époque funeste, la plupart des traiteurs ne
comprennent vraiment pas pourquoi ils survivent à la maladie pendant que
leurs voisins et partenaires y succombent en si grand nombre. Cerné par la
maladie et la mort, Tomison constate : « Il y a là quelque chose de fort nocif qui
échappe à notre entendement, soit dans la constitution du Sauvage, soit dans
la maladie elle-même ; ceux qui meurent au tout début de la maladie souffrent
d’atroces tourments, et la plupart trépassent dans les 48 heures86. »
Même au paroxysme de l’épidémie, les traiteurs persistent à se procurer
les fourrures nécessaires à leur commerce. Tout au long de l’hiver, des hommes
de la CBH quittent Cumberland House pour aller dans les campements y
recouvrer les dettes à l’égard de l’entreprise87. Les fourrures dont les morts
sont vêtus sont remplacées par des couvertures de la Compagnie. Plutôt que
le caractère férocement vénal des échanges, ces incursions dans les tentes des
morts et des mourants témoignent de l’extraordinaire valeur que les
Européens accordent aux pelleteries. Même s’ils peuvent côtoyer les virus
sans trop de risques, les traiteurs vivent dangereusement, surtout dans
l’intérieur des terres. La famine et même le meurtre rôdent en permanence
dans ces régions. Le nombre effarant des morts rend d’ailleurs les traiteurs
assez fatalistes. À Cumberland House, le jour de Noël 1781, William Tomison
signale la visite d’un groupe d’Indiens du Sud (Cris) malades : « Le soir, avons
traité avec les Indiens et leur avons remis des présents comme à l’accoutumée,
mais ne pensons pas les revoir. » En mars 1782, le traiteur de Hudson House
constate que ces chasseurs sont infectés : « L’un d’eux envisage de lancer une

84. Rich (dir.), Cumberland House Journals and Inland Journals, Second Series, p.  226, 18  décembre
1781.
85. Tous les Européens n’étaient cependant pas immunisés. Elle tue notamment l’agent canadien Bruce
et le capitaine Tuite dans les basses-terres de l’Assiniboine ; elle frappe également plusieurs traiteurs
qui seraient ensuite morts de faim. Jody Decker, ‘We Should Never Be Again the Same People’ : The
Diffusion and Cumulative Impact of Acute Infectious Diseases Affecting the Natives on the Northern
Plains of the Western Interior of Canada (thèse de doctorat), York University, 1989, p. 60.
86. Ibid., p. 73.
87. Voir : Rich (dir.), Cumberland House Journals and Inland Journals, Second Series, 16 janvier 1782
(p.  231) ; 22  janvier  1782 (p.  232) ; 31  janvier  1782 (p.  234) ; 5  février  1782 (p.  234-235) ;
7  février  1782 (p.  235) ; 14  février  1782 (p.  236) ; 20 février  1782 (p.  239) ; 25  février  1782
(p. 240) ; 11 mars 1782 (p. 240) ; 27 mars 1782 (p. 244) ; « Walker to Tomison, mai 1782 » (p. 254).
3  L’intensification de la concurrence : essor du commerce et propagation des maladies, 1740-1782 93

expédition demain ; quand ils vont mourir, je n’aurai plus personne qui
puisse chasser pour nous. » Un mois plus tard, les 14 chasseurs du poste ont
effectivement péri88. Matthew Cocking résume bien le point de vue de la
Compagnie dans le rapport qu’il rédige à York Factory en août 1782 :
Je crois que jamais lettre de baie d’Hudson n’a rapporté nouvelles si
douloureuses que celle-ci. La plupart des Indiens dont les fourrures ont été
jusqu’à ce jour apportées ici ne sont plus, ayant été emportés par cette
cruelle maladie de petite vérole. Les quantités à cet établissement s’élèvent à
6761 3/10 plues, dont 154 ½ après mise en ballots de l’an dernier. Cette
chute importante s’explique par la perte de nos Indiens et, qui pis est,
plusieurs des Indiens qui nous ont apporté le peu que nous avons maintenant
sont morts depuis89.
Dès la fin des années 1780, la propagation de la variole a profondément
remodelé l’occupation territoriale autochtone de l’ouest du Canada. Des
entités culturelles entières ont disparu, par exemple les Cris Pegogamaws et
Basquias. Par « ethnogenèse », les survivants se rassemblent pour constituer
de nouvelles collectivités. Dans le sillage de l’épidémie, des nouveaux arrivants
autochtones, par exemple les Cris Moskégons et les Anichinabés ainsi que les
Outaouais et les Iroquois, s’établissent en grand nombre dans l’Ouest pour
participer à la traite des fourrures : en dépit des turbulences causées par la
disparition d’une part importante de la main-d’œuvre autochtone, ce
commerce maintient sa fulgurante expansion.

88. ACBH, Cumberland House Post Journals, B.49/a/11 :36 (25  décembre  1781), B.87/a/4 :25
(18 mars 1782), B.87/a/4 :27b (16 avril 1782).
89. Rich (dir.), Cumberland House Journals and Inland Journals, Second Series, p. 297.
Chapitre 4

La guerre des fourrures :


désespérance et carnage, 1783-1821

L ’épidémie de variole du début des années 1780 déchaîne sur l’ouest du


Canada une succession d’événements qui y provoque une mortalité
sans précédent et redessine définitivement son paysage ethnique. Les Cris
Basquias, Pegogamaws et Cowanitows disparaissent en tant que groupes
distincts. La mort ne frappant pas également toutes les populations, elle
redéfinit aussi le rapport de forces entre rivaux et enclenche toute une série
de réorganisations territoriales. Dans le Nord, parce qu’ils entretiennent
des relations très étroites avec les traiteurs, les Cris sont particulièrement
décimés et doivent abandonner des terres sur lesquelles leur rôle
d’intermédiaires du commerce de la fourrure leur assurait la main haute
depuis très longtemps. En Athabasca, les Dunnezas (Gens-du-Castor)
regagnent leurs positions ; les Dénés Chipewyans repoussent les Cris au
sud de la Churchill. À l’instar de plusieurs bandes des secteurs boisés des
Grands Lacs, par exemple les Anichinabés, les Outaouais et les Iroquois, les
trappeurs cris moskégons des forêts boréales du centre du Canada partent
vers l’Ouest pour en exploiter les fourrures1. Après l’épidémie, le brassage
des populations, survivantes et nouvellement arrivées, donne naissance à

1. Dale Russell, Eighteenth-Century Western Cree and Their Neighbours, Ottawa : Canadian Museum of
Civilization, 1991, p. 216. Voir également : Chris Hanks, « The Swampy Cree and the Hudson’s Bay
Company at Oxford House », Ethnohistory, 29, 1982, p. 103-115, 216 ; Laura Peers, The Ojibwa of
Western Canada, 1780–1870, Winnipeg : University of Manitoba Press, 1994, p.  14-21 ; Jack
Frisch, « Some Ethnological and Ethnohistoric Notes on the Iroquois in Alberta », Man in the
Northeast, 7, 1976, p.  51-64 ; Gertrude Nicks, « The Iroquois and the Fur Trade in Western
Canada », dans : C. M. Judd et A. J. Ray (dir.), Old Trails and New Directions : Papers of the Third
North American Fur Trade Conference, Toronto : University of Toronto Press, 1980, p. 85-101.
96 L a destruction des I ndiens des P laines

de nouvelles identités collectives par ethnogenèse : Cris des Plaines ;


Ojibwés de l’Ouest, ou Saulteaux ; elle stimule l’émergence de la culture
des Métis des Plaines2.
Cette nouvelle cartographie autochtone résulte aussi de plusieurs
décennies de concurrence souvent effrénée entre la Compagnie de la Baie
d’Hudson (CBH) et les Canadiens qui défilent dans la région pour en acca-
parer le potentiel commercial. Dans les années qui suivent l’épidémie, les
Canadiens conservent une mainmise presque complète sur les échanges :
jusqu’en 1810, la CBH représente tout au plus un septième du commerce
des peaux. Violence, alcoolisme et autres fléaux : la compétition féroce qui
oppose aussi entre eux les traiteurs canadiens donne lieu à quelques-uns des
chapitres les moins reluisants de l’histoire des relations entre Autochtones et
nouveaux arrivants dans cette région. Dans de nombreuses collectivités, la
guerre des fourrures cause des pathologies sociales qui provoquent autant de
souffrances et de morts que les pathogènes biologiques.
Cette compétition brutale et cette soif inextinguible de rendements
immédiats qui anime la nuée des traiteurs ambulants définissent au fil des
décennies le principe de base de l’exploitation des fourrures dans la région :
s’emparer au plus vite de toutes les peaux accessibles, sans considération
aucune pour la durabilité des approvisionnements. Très vite, les nouveaux
arrivants auxquelles échoient les terres désertées du nord des Plaines, ou qui
les conquièrent par la force, les vident de leur gibier. À peine une génération
après l’établissement de premiers traiteurs le long de la rivière Saskatchewan,
le castor a disparu. Son extinction ainsi que la domestication du cheval
sonnent le glas d’une dynamique écosystémique qui unissait les humains et
leur environnement depuis plusieurs milliers d’années. Devant la frénésie
grandissante du commerce, un traiteur des bords de la Saskatchewan écrit au
début du 19e siècle : « Le pays est entièrement ruiné3. » Les soubresauts de la
nature ajoutent à la misère des populations. De 1780 à 1820, l’extraordinaire
instabilité du climat et les intempéries extrêmes amenuisent encore les stocks

2. Patricia Albers, « Changing Patterns of Ethnicity in the Northeastern Plains, 1780–1870 », dans :
Jonathan Hill (dir.), History, Power, and Identity : Ethnogenesis in the Americas, 1492–1992, Iowa
City : University of Iowa Press, 1996, p. 100 ; John Milloy, The Plains Cree : Trade, Diplomacy, and
War, 1790 to 1870 (Manitoba Studies in Native History), Winnipeg : University of Manitoba Press,
1988 ; Peers, The Ojibwa of Western Canada ; Jacqueline Peterson et J. S. H. Brown (dir.), The New
Peoples : Being and Becoming Métis in North America (Manitoba Studies in Native History),
Winnipeg : University of Manitoba Press, 1985.
3. A. S. Morton, The Journal of Duncan M’Gillivray of the North West Company at Fort George on the
Saskatchewan, 1794–5, Toronto : Macmillan of Canada, 1927, p. 166.
4  L a guerre des fourrures  : désespérance et carnage , 1783-1821 97

de gibier et compromettent la survie des humains qui s’en nourrissent4. Les


cavaliers voient l’hiver décimer leurs troupeaux. Or, le cheval s’impose déjà
comme un outil indispensable pour la chasse et pour la protection des bandes.
La reconstitution des troupeaux enclenche un cycle infernal de raids de
rapine et de violences intertribales qui se poursuit jusque dans les années
1870. Dans la dernière décennie du siècle s’abat par ailleurs sur l’ouest des
Plaines la sécheresse la plus intense et la plus longue depuis 500  ans.
L’abaissement des réserves d’eau favorise la propagation des maladies
hydriques (transmises par l’eau contaminée), qui frappent indifféremment
les hommes et le gibier. De plus, deux épidémies mortelles introduites par les
nouveaux arrivants déferlent depuis la rivière Rouge jusque dans le delta du
Mackenzie. La conjonction de tous ces facteurs pousse de nombreux groupes
au bord de l’extinction.
L’épidémie de  1781-1782 a des conséquences immédiates sur le
déploiement des Euro-Américains dans la région. À court terme, elle réduit à
néant les velléités autochtones de résistance armée contre eux5. En 1782, la
marine française occupe brièvement les forts de la CBH le long de la côte, et
accorde ainsi un sursis additionnel aux traiteurs canadiens qui parcourent la
région6. Les Canadiens saisissent rapidement cette chance inespérée. Dès que
l’épidémie s’apaise, plusieurs entreprises montréalaises s’allient entre elles
sous les auspices de la Compagnie du Nord-Ouest (CNO ; North West
Company, NWC)7. La concurrence acharnée et la violence continuent

4. T.  F.  Ball, « Historical and Instrumental Evidence of Climate : Western Hudson’s Bay, Canada,
1714–1850 », dans : Raymond S. Bradley et Philip D. Jones (dir.), Climate since A.D. 1500,
Londres : Routledge, 1995, p.  40-73. Pour plus de précisions sur la sécheresse qui a frappé les
Plaines de 1792 à  1804, voir : David Sauchyn et Walter Skinner, « A Proxy Record of Drought
Severity for the Southwestern Canadian Plains », Canadian Water Resources Journal, 26, 2001,
p. 253-272.
5. Elliot Coues (dir.), New Light on the Early History of the Greater Northwest : The Manuscript Journals
of Alexander Henry and David Thompson, 1799–1814 (2 vol.), Minneapolis : Ross and Haines,
1965, 1, p.  292-293 ; Alexander Mackenzie, Voyages d’Alexandre Mackenzie, dans l’intérieur de
l’Amérique septentrionale, faits en 1789, 1792 et 1793 (traduit de l’anglais par J. Castéra), Paris :
Dentu, imprimeur-libraire, 1802, tome I, p. 32-34 ; A. S. Morton, A History of the Canadian West
to 1870–71, Toronto : University of Toronto Press, 1973, p. 329 ; John McDonnell, « The Red River
by John McDonnell of the North West Company (about 1797) », dans : L. R. Masson (dir.), Les
Bourgeois de la Compagnie du Nord-Ouest, New York : Antiquarian Press, 1960, vol. 1, p. 270-271 ;
Alice M. Johnson (dir.), Saskatchewan Journals and Correspondence : Edmonton House, 1795–1800,
Chesterfield House, 1800–1802, Londres : Hudson’s Bay Record Society, 1967, p. xviin1.
6. E. E. Rich, The History of the Hudson’s Bay Company, 1670–1870 (3 vol.), Londres : Hudson’s Bay
Record Society, 1959, 2, p. 83-89.
7. Harry Duckworth (dir.), The English River Book : A Northwest Company Journal and Account Book of
1786, Montréal : McGill-Queen’s University Press, 1990, p. xvi. Voir également : Morton, A History
of the Canadian West to 1870–71, p. 335 ; J. M. Bumsted, Fur Trade Wars : The Founding of Western
Canada, Winnipeg : Great Plains Publications, 1999, p. 24.
98 L a destruction des I ndiens des P laines

d’opposer la CNO et sa principale rivale, un regroupement d’hommes d’af-


faires surnommé le « New Concern » ; elles finissent toutefois par fusionner et
monopolisent alors le commerce dans l’Athabasca jusqu’à la fin du siècle8.
Construit sur les bords du lac Athabasca en 1788, le poste de traite de Fort
Chipewyan procure aux Canadiens l’accès à la rivière de la Paix (Peace River)
à l’ouest, au fleuve Mackenzie au nord, et à la toundra au nord-est. Ce réseau
commercial qui relie le lac Athabasca, les réserves de pelleteries de son arrière-
pays et les acheteurs de Montréal ne saurait toutefois se maintenir sans
­approvisionnements alimentaires stables. Nécessairement, l’expansion des
transports s’accompagne aussi d’une augmentation de la consommation de
viande de bison ; les chasseurs doivent s’enfoncer de plus en plus loin vers le
sud pour y trouver les hardes qui répondront à cette demande croissante.
Pour approvisionner les brigades de canots en pemmican, trois grands centres
se constituent : la rivière Rouge, Cumberland House et l’Île-à-la-Crosse. La
vente de nourriture aux traiteurs du Nord s’avère lucrative et jouera un rôle
déterminant dans l’ethnogenèse des Cris des Plaines et dans la consolidation
de leur mode de vie9.
Les collectivités cries ont commencé de migrer vers l’amont de la
Saskatchewan depuis le retour des traiteurs montréalais, dans les années 1760.
Avant l’épidémie, les Cris Basquias ont convergé si massivement vers Hudson
House pour y chasser que la CBH n’arrivait plus à en recruter un seul près de
leurs territoires traditionnels entourant Cumberland House, à plusieurs
centaines de kilomètres à l’est10. Après 1782, de nouveaux arrivants de langue
crie affluent en nombre vers l’ouest et intègrent les survivants cris établis de
plus longue date dans la région11. S’ils possèdent la même langue et plusieurs
traits culturels communs, les Cris des Plaines qui émergent de ce brassage de
populations constituent un groupe bien distinct de ceux qui habitaient ces
terres avant l’épidémie. Ainsi que le souligne l’ethnohistorien Charles Bishop,
l’emploi de termes génériques tels que « Cris » ou « Ojibwés » ont donné, à

8. Duckworth (dir.), The English River Book, p. xxiii ; Gerald Friesen, The Canadian Prairies : A History,
Toronto : University of Toronto Press, 1984, p. 59.
9. Milloy, The Plains Cree, p. 29.
10. ACBH, Cumberland House Post Journal, B.49/a/7 :32b (7  janvier  1779) ; Theodore Binnema,
Common and Contested Ground : A Human and Environmental History of the Northwestern Plains,
Norman : University of Oklahoma Press, 2001, p. 109.
11. David G. Mandelbaum, The Plains Cree : An Ethnographic, Historical, and Comparative Study,
Regina : Canadian Plains Research Center, 1979 ; Arthur J. Ray, Indians in the Fur Trade : Their Role
as Trappers, Hunters, and Middlemen in the Lands Southwest of Hudson Bay, 1660-1870, Toronto :
University of Toronto Press, 1974 ; Russell, Eighteenth-Century Western Cree and Their Neighbours.
4  L a guerre des fourrures  : désespérance et carnage , 1783-1821 99

tort, « l’impression d’une homogénéité culturelle qui ne tient aucun compte


des disparités écologiques régionales12 ».
Avant l’arrivée des Européens, les ancêtres des Cris (les  « Indiens de
Selkirk » pour les archéologues) ont occupé la vallée de la Saskatchewan
inférieure pendant plusieurs centaines d’années. Dès le début du 18e siècle,
des groupes cris, par exemple les Pegogamaws, étaient solidement établis aux
confins des Plaines et participaient au commerce des fourrures à titre
d’intermédiaires13. Avant la construction de Cumberland House, ils ont
guidé les employés de la CBH dans leurs expéditions de reconnaissance vers
l’ouest : Anthony Henday et Matthew Cocking pour ne citer que ceux-là.
Pour certains historiens, la cordialité des relations entre les Cris et leurs
voisins Archithinues à l’ouest, les membres de la confédération niitsitapie et
les A’aninins (Gros-Ventres), prouve que les nations autochtones des Plaines
du Canada auraient conclu une alliance officielle14.
La désintégration des liens unissant les Cris et les A’aninins témoigne
avec éloquence des transformations qui agiteront la région dans la foulée de
l’épidémie. Avant ce déferlement de pathogènes, les guides pegogamaws de
Cocking tenaient en haute estime les A’aninins, qui leur avaient d’ailleurs
enseigné la chasse à l’enclos. D’autres, par exemple les Cris de la rivière à
l’Esturgeon, ne connaissaient pas non plus cette technique, pourtant
essentielle dans les Plaines ; cela indique qu’ils étaient arrivés récemment dans
la région15. Quand l’épidémie régresse, à l’automne  1782, un groupe
constitué d’A’aninins et de Cris se présente à Hudson House16. Les ravages
causés par la maladie chez les Pegogamaws et dans d’autres groupes cris du

12. David Meyer et Dale Russell, « ‘So Fine and Pleasant, beyond Description’ : The Lands and Lives of
the Pegogamaw Crees », Plains Anthropologist, 49, 2004, p. 240-242 ; Charles Bishop, « Northern
Ojibwa Emergence : The Migration », dans : H.  C.  Wolfart (dir.), Papers of the 33rd Algonquian
Conference, Winnipeg : University of Manitoba Press, 2002, p. 14-15.
13. David Meyer et Dale Russell, « The Selkirk Composite of Central Canada : A Reconsideration »,
Arctic Anthropology, 24, 1987, p. 17 ; Meyer et Russell, « ‘So Fine and Pleasant, beyond Description’ »,
p. 219-235.
14. Cette alliance du Nord s’oppose à l’alliance du Sud, qui est dirigée par les Shoshones et a élargi sa
sphère d’influence au nord du 49e parallèle. Milloy, The Plains Cree, p. xv. David Smyth conteste
cette interprétation ; niant l’existence d’une quelconque alliance des Pieds-Noirs et des Cris au
18e siècle, il concède toutefois qu’ils trouvaient une cause commune en leur opposition aux Gens-
du-Serpent ; voir : The Niitsitapi Trade : Euroamericans and the Blackfoot Speaking Peoples to the Mid
1830s (thèse de doctorat), Carleton University, 2001, p.  127. Adoptant un point de vue
intermédiaire entre Milloy et Smyth, Binnema, Common and Contested Ground, p. 15, considère
que les Cris et les Pieds-Noirs de l’époque formaient une « coalition ».
15. Matthew Cocking, « An Adventurer from Hudson Bay : The Journal of Matthew Cocking from
York Factory to the Blackfoot Country » (sous la direction de J.  L.  Burpee), Proceedings and
Transactions of the Royal Society of Canada (Series 3, Section 2), 1908, p. 111.
16. ACBH, Hudson House Post Journal, B.87/a/6 :16 (26 octobre 1782).
100 L a destruction des I ndiens des P laines

front pionnier (le secteur à l’extrême ouest des terres colonisées) donnent le
coup d’envoi des « années les plus tragiques » de l’histoire a’aninine17. Les
A’aninins et autres « Yachathinues » résistent bien mieux à l’épidémie que la
plupart de leurs voisins. En maintenant l’un de leurs campements à 150 kilo-
mètres de Hudson House, ils s’attirent peut-être les sarcasmes du traiteur
William Tomison, mais ils maintiennent fort sagement une distance salva-
trice entre eux et un foyer d’infection avéré18.
Les A’aninins n’ont jamais joué un rôle central dans le commerce avec
les Européens. La première trace d’une visite a’aninine à un poste de traite
remonte à l’automne 1779 seulement19. Lors de leurs premières incursions
dans les enclaves européennes disséminées le long de la Saskatchewan Nord,
alors même que leurs terres abondent en castor, ils se contentent d’apporter
des peaux de loup et autres fourrures sans grande valeur. La plupart des
historiens attribuent leurs discordes avec les traiteurs, qui culmineront en
bains de sang dans les années 1790, à la dévaluation des peaux de loup, leur
principal bien d’échange20. Toutefois, même si ce fait est moins connu,
il importe de se rappeler que les A’aninins se refusaient à exploiter commer-
cialement le castor, la marchandise pourtant la plus convoitée aux postes de
traite : un principe plusieurs fois séculaire leur interdit de tuer une espèce qui
leur permet de survivre dans leurs arides prairies.
Dans les années  1780, les nouveaux arrivants cris qui remontent
graduellement le cours de la Saskatchewan tirent avantage des armes à feu
qu’ils ont acquises auprès des traiteurs pour s’emparer du territoire a’aninin,
à la frontière entre les Niitsitapis et les terres cries et assiniboines21. Cette
expansion territoriale s’explique aussi par la disparité des troupeaux équins :
les A’aninins possèdent beaucoup de chevaux ; les Cris en sont moins bien
pourvus. Or, dans les années 1780, le cheval s’impose déjà comme un bien
indispensable à la vie dans les Plaines. Presque tous les chasseurs de cette vaste
région maîtrisent le cheval depuis les années 1770, et il leur est d’une aide
précieuse pour répondre à la demande croissante de viande de bison à
destination des traiteurs. Dans les dernières décennies du 18e siècle, toutefois,
le refroidissement du climat tue de nombreux chevaux dans l’ensemble des
Plaines, mais surtout dans l’est, terres des Cris et des Assiniboines. Le cheval

17. Binnema, Common and Contested Ground, p. 145.


18. ACBH, B.87/a/5 ; B.87/a/6 :13b–14 (19 octobre 1782).
19. Il s’agit de la toute première transaction directe avec un membre de l’alliance niitsitapie qui soit
inscrite aux registres ; il est toutefois probable que des échanges antérieurs ont eu lieu avec des
Français ou des Canadiens. Smyth, The Niitsitapi Trade, p. 159.
20. Binnema, Common and Contested Ground, p. 140.
21. Ibid., p. 108-109, 145.
4  L a guerre des fourrures  : désespérance et carnage , 1783-1821 101

constituant tout à la fois une arme guerrière et un outil de survie, les groupes
dont le froid décime les troupeaux s’efforcent de les reconstituer par le vol.
Au nord du fleuve Missouri, ces pillages s’avèrent vite indispensables pour
éviter la pénurie équine. Au printemps 1788, les Cris passent du raid à l’inva-
sion pure et simple : des guerriers venus de la Saskatchewan Sud attaquent un
campement a’aninin près de la rivière Battle (parfois dite « rivière de la
Bataille »), les dépouillent et dépècent le corps de leur chef. Après l’incident,
les assaillants retournent vers l’est, qu’ils jugent plus sûr ; pour préserver ses
relations commerciales avec eux, Montour, traiteur canadien, doit les suivre
jusqu’à Nipawin, dans les basses-terres de la Saskatchewan. Alors que leurs
agresseurs redoutaient leur vengeance, les A’aninins se dirigent plutôt vers le
sud et disparaissent deux années durant22.
À l’été 1793, cinq ans plus tard, des Cris de la Saskatchewan Sud et de
la rivière Swan accompagnés d’un certain nombre d’Assiniboines attaquent
une autre collectivité a’aninine ; à l’exception de quelques enfants qu’ils
emmènent en captivité, ils les massacrent tous. Cette fois encore, les
attaquants se replient vers l’est et hivernent au lac Red Deer, au Manitoba23.
Considérablement moins bien armés, les A’aninins renoncent une fois de
plus à se venger. Avec leurs alliés siksikas, ils reportent plutôt leur colère sur
les traiteurs qui ont armé leurs assaillants à leurs postes de la Saskatchewan
Nord. Leur offensive sur Manchester House constitue de toute évidence un
acte de protestation contre l’irruption du commerce dans leur territoire :
après avoir contraint les traiteurs à s’enfuir, ils disséminent de la viande et de
la farine autour du bâtiment ; pour exprimer le mépris que leur inspire le
recours à l’alcool dans les relations commerciales, ils « répandent l’eau-de-vie
près du portail24 ». L’incident ébranle fortement Tomison et les autres
traiteurs. Au poste de South Branch House, les hommes voient désormais
d’un tout autre œil les A’aninins, considérés jusque-là comme « les plus
rationnels et les plus inoffensifs en ce coin de pays » : « Nous nous tenons
prêts à les recevoir, si jamais ils reviennent, et nous espérons être en mesure
de les repousser25. » Leurs préparatifs s’avèrent toutefois moins efficaces qu’ils

22. John Nicks, The Pine Island Posts, 1786–1794 : A Study of Competition in the Fur Trade (mémoire de
maîtrise), University of Alberta, 1975, p.  152 ; ACBH, B.121/a/2 :35 (1er  mai 1788). Voir
également : Binnema, Common and Contested Ground, p.  149, 153 ; ACBH, B.205/a/3 :10–10b
(12 septembre 1788).
23. Loretta Fowler, Shared Symbols, Contested Meanings : Gros Ventre Culture and History, 1778–1984,
Ithaca (New York) : Cornell University Press, 1987, p. 42 ; ACBH, B.205/a/7 :21b (14 mars 1794) ;
Gary Doige, Warfare Patterns of the Assiniboine to 1809 (mémoire de maîtrise), University of
Manitoba, 1987, p. 141.
24. ACBH, B.205/a/8 :31 (25 octobre 1793).
25. ACBH, 205/a/8 :32 (8 novembre 1793).
102 L a destruction des I ndiens des P laines

ne l’espéraient sans doute : à l’été suivant, 150 A’aninins et Siksikas attaquent


leur poste et tuent 3 employés de la CBH. Avec le renfort de Cris, les hommes
d’un poste canadien tout proche éloignent les assaillants26. Pour s’épargner
d’autres bains de sang, les traiteurs abandonnent rapidement leurs établisse-
ments et partent vers l’aval de la rivière. Les Cris maintiennent leurs offen-
sives tout au long de l’hiver 1794-1795, assiègent les A’aninins sans relâche et
les forcent à battre en retraite vers le fleuve Missouri, où les Mandans leur
offrent le refuge27.
L’alcool cause de plus en plus de problèmes dans les Premières Nations.
Sur le grand échiquier du commerce dans l’Ouest, le flot ininterrompu
d’alcool en provenance de Montréal constitue le grand avantage des
Canadiens sur leurs concurrents. Si la consommation cérémonielle de
spiritueux fait partie intégrante du protocole commercial, ce déferlement
inextinguible déchaîne alcoolisme et violence dans le Nord-Ouest28. Traiteur
des rives de la Saskatchewan Nord dans les années 1780, Edward Umfreville
observe l’action délétère de l’alcool dans la région : « l’ivresse, presque jusqu’à
la folie, pendant deux ou trois jours » ; « 50 contre 1, mais le jour ne se lève
pas sans qu’il y ait au moins un mort29 ». Les administrateurs de la CBH
supplient Londres de tarir à la source les approvisionnements d’alcool cana-
dien30. Mais l’altruisme n’est pas l’unique moteur de leur indignation… En
réalité, la Compagnie s’insurge surtout contre le statut de colonie dont béné-
ficie Montréal, et qui lui permet de distribuer de l’alcool de double distilla-
tion, c’est-à-dire deux fois plus fort que celui qui est importé d’Angleterre.
L’essor commercial de la CBH souffre de son incapacité à fournir à ses clients
de l’intérieur le produit qu’ils réclament. En  1791, la construction d’une
distillerie à York Factory abolit ce désavantage. Sans alcool, les traiteurs ne

26. Smyth, The Niitsitapi Trade, p. 225.


27. Binnema, Common and Contested Ground, p. 160 ; University of Toronto, Thomas Fisher Rare Book
Room, David Thompson Papers, Thompson Narrative MSS III, bobine 1264, p. 167.
28. Nicks, The Pine Island Posts, p.  124ns124–125. Les recherches établissent amplement le rôle
cérémoniel de l’alcool dans l’instauration et le maintien des relations commerciales. Voir : Jack
O. Waddell, « Malhiot’s Journal : An Ethnohistoric Assessment of Chippewa Alcohol Behaviour in
the Early Nineteenth Century », Ethnohistory, 32, 1985, p. 246-268 ; Bruce M. White, « A Skilled
Game of Exchange : Ojibwa Fur Trade Protocol », Minnesota History, 50, 1987, p.  235-236 ;
Morton, A History of the Canadian West to 1870–71, p. 306-307 ; Marshall Hurlich, « Historical and
Recent Demography of the Algonkians of Northern Ontario », dans : A. T. Steegmann (dir.), Boreal
Forest Adaptations : The Northern Algonkians, New York : Plenum Press, 1983, p. 176-178.
29. Edward Umfreville, The Present State of Hudson’s Bay (sous la direction de W. S. Wallace), Toronto :
Ryerson Press, 1954, p. 30. Umfreville était un adversaire déclaré de la CBH. Rich, The History of
the Hudson’s Bay Company, 2, p. 124, présente la réfutation de la Compagnie.
30. Nicks, The Pine Island Posts, p.  122-123 ; Rich, The History of the Hudson’s Bay Company, 2,
p. 227-228.
4  L a guerre des fourrures  : désespérance et carnage , 1783-1821 103

peuvent tout simplement pas commercer… Les acteurs de l’économie du


bison, alors en pleine expansion, considèrent peut-être l’alcool comme un
luxe, un témoignage de leur prospérité toute neuve. Toutefois, ayant acquis
une place centrale dans les relations commerciales, il provoque rapidement
une pléthore de fléaux sociaux. Pour bien des hommes de l’époque, l’alcool
constitue même l’unique motif de leur participation aux échanges
commerciaux.
En 1795, l’échec des négociations engagées par la principale entreprise
canadienne de traite des fourrures pour le renouvellement de sa charte
débouche sur la création de la Nouvelle Compagnie du Nord-Ouest (New
North West Company), dite « XY ». Dans l’Ouest, la concurrence déjà féroce
s’intensifie encore d’un cran. Depuis une décennie déjà, la rivalité effrénée
que se livrent les entreprises canadiennes porte les fléaux sociaux à leur
comble, notamment l’alcoolisme et la violence. Au printemps 1796, Tomison
se plaint du fait que la XY a réduit son commerce à néant « en envoyant des
hommes chargés de rhum chez les Indiens pour les corrompre et les convaincre
de ne pas me payer ce qu’ils me doivent31 ». À Pembina, le rhum joue un rôle
incontournable dans toutes les transactions, voire toutes les rencontres, avec
les pourvoyeurs autochtones32. Alexander Henry constate aussi que la
concurrence débridée induit une désorganisation sociale considérable chez
les Saulteaux et déplore les ravages de l’alcool33. Les guerres interethniques,
la rivalité sans merci entre les traiteurs ainsi que l’alcool pèsent sans aucun
doute d’un poids trop lourd sur certaines épaules : John Tanner signale des
taux élevés de suicide34.
Assoiffés de rhum, certains délaissent la vente des fourrures pour se
convertir en simples acheteurs d’eau-de-vie35. Avant même que la distillerie
de York Factory n’ouvre ses portes, au début des années  1790, le prix du
rhum en équivalent pelleteries a déjà quadruplé. Une dizaine d’années plus
tard, à l’apogée de la compétition entre la XY et la Compagnie du Nord-
Ouest, la quantité de rhum de double distillation importée du Canada atteint
un chiffre astronomique : 20 000 gallons (près de 100 000 litres) par an. Les

31. Johnson (dir.), Saskatchewan Journals and Correspondence, « William Tomison to James Swain,
26 April 1796 », p. 57.
32. Harold Hickerson, « Journal of Charles Jean Baptiste Chaboillez, 1797–1798 », Ethnohistory, 6,
1959, p. 276-293.
33. Coues (dir.), New Light on the Early History of the Greater Northwest, 2, p. 452.
34. John Tanner, Trente ans de captivité chez les indiens Ojibwa, récit de John Tanner recueilli par le
docteur Edwin James (présentation, traduction, bibliographie et analyse ethnohistorique de
Pierrette Désy), Paris : Payot, 1983, p. 106.
35. Rich, The History of the Hudson’s Bay Company, 2, p. 228-229.
104 L a destruction des I ndiens des P laines

traiteurs apprennent très vite à l’utiliser à leur avantage. Après la fusion des
compagnies canadiennes rivales, en 1804, Henry rapporte que les spiritueux
canadiens de double distillation sont dilués de manière à optimiser les profits
des traiteurs sans toutefois éveiller les soupçons des buveurs. Pour les
Niitsitapis, écrit-il le 15 septembre 1809…
… [nous] fournissons des mélanges moins forts qu’aux tribus plus
accoutumées aux boissons alcoolisées. Pour un baril de neuf gallons [environ
40 litres], nous utilisons généralement quatre ou cinq pintes [environ quatre
ou cinq litres] de vin spiritueux que nous complétons avec de l’eau. Pour
les Cris et les Assiniboines, nous utilisons six pintes de spiritueux ; pour les
Saulteux, huit ou neuf36.
Au lendemain de l’épidémie, de nouveaux groupes de chasseurs et
trappeurs affluent vers l’Ouest pour répondre à la demande grandissante de
pelleteries ; ce sont notamment des Anichinabés. Puisqu’ils commercent avec
les traiteurs depuis de longues années déjà et que les animaux à fourrure se
sont considérablement raréfiés dans leur territoire d’origine de l’Est, ils
saisissent très vite les nouvelles possibilités que l’Ouest leur offre. Dès les
années 1790, les nouveaux arrivants anichinabés forment un groupe distinct :
les Ojibwés de l’Ouest (ou Saulteaux)37. Avec leurs pièges d’acier
ultramodernes et leurs appâts de castoréum, ils s’imposent rapidement dans
tout l’Ouest comme des trappeurs commerciaux de premier plan38. À l’instar
des traiteurs canadiens, ils tirent parti de leur position stratégique dans les
réseaux commerciaux pour maximiser leurs rendements ; en particulier, ils
savent exploiter à leur avantage la rivalité entre les acheteurs. Ce faisant, ils
s’attirent sur les berges de la rivière Assiniboine une solide réputation de
vauriens…
En élargissant leur territoire de piégeage, les Anichinabés contraignent
à l’exil les collectivités qui y sont installées de plus longue date, souvent par
l’intimidation physique et psychologique. Même leurs alliés n’échappent pas
à leurs méthodes vigoureuses39. Le long de la rivière Castor, dans l’ouest de
la Saskatchewan, Peter Fidler n’obtient bientôt plus la collaboration des
populations locales, car « tous les Indiens de la région ont peur des Bungis [les
Anichinabés]40 ». Depuis l’Est, les Anichinabés ont également apporté avec

36. Coues (dir.), New Light on the Early History of the Greater Northwest, 2, p. 542.
37. Peers, The Ojibwa of Western Canada, p.  17 ; Hickerson, « Journal of Charles Jean Baptiste
Chaboillez », p. 270.
38. Le castoréum est une sécrétion des glandes inguinales du castor. Les trappeurs en frottaient leurs
pièges pour attirer les castors.
39. Coues (dir.), New Light on the Early History of the Greater Northwest, 2, p. 477.
40. Johnson (dir.), Saskatchewan Journals and Correspondence, « 8 September 1799 », p. 213.
4  L a guerre des fourrures  : désespérance et carnage , 1783-1821 105

eux leurs saisissantes coutumes religieuses, laissant au passage des traces bien
visibles de leur pouvoir dans leur nouvelle région. Au portage séparant la
rivière Castor du lac La Biche, « [les envahisseurs…] ont disposé une idole
dans la rivière Castor pour s’attirer sa protection41 ». À l’occasion, comme ils
le font aussi à la rivière de la Paix, les traiteurs canadiens attisent par ailleurs
l’expansion territoriale violente des Anichinabés pour augmenter leurs
approvisionnements en pelleteries42.
Ces conquêtes de territoires suscitent évidemment des collisions entre
les Anichinabés et les autres Autochtones de l’est des Plaines. Leur arrivée
dans le sud du Manitoba ravive leurs conflits avec les Dakotas, contre lesquels
ils se battent par intermittence depuis les années  173043. Dans les
années  1790, les berges de la rivière Rouge sont largement inhabitées et
servent presque exclusivement de champs de bataille. Les traiteurs considèrent
même La Fourche, à la confluence de la rivière Assiniboine et de la Rouge,
comme un secteur périlleux44. Les Assiniboines, qui ont autrefois vécu le
long de la Rouge, « réclament […] que quelqu’un passe l’été avec eux, car ils
n’aiment pas aller au Fort Saulteur [Pembina]45 ». En signant le traité de
Selkirk en 1817, les Cris cèdent volontiers aux Saulteaux les terres situées à
l’est de Portage la Prairie46.
Tandis que les Anichinabés raffermissent leur mainmise sur la rivière
Rouge, l’accroissement de la population européenne dans l’intérieur des
terres stimule le commerce des denrées alimentaires. La plupart des vivres
destinés aux traiteurs canadiens convergent jusqu’à l’embouchure de la rivière
Winnipeg ; elles viennent parfois de très loin, par exemple de la vallée de la
Qu’Appelle, par la rivière Assiniboine. Plusieurs facteurs contribuent à
l’intensification de la concurrence à l’ouest de la rivière Rouge au milieu des
années  1790. L’essor de la CBH nuit considérablement aux stratégies
commerciales de la CNO, qui reposent en grande partie sur les approvision-
nements des traiteurs en pemmican47. Surnommés les « hommes du Sud » en
raison de leurs exploits dans des terres qui appartiendront plus tard aux

41. Ibid., « 17 October 1799 », p. 216 ; James G. MacGregor, Peter Fidler : Canada’s Forgotten Surveyor,
1769–1822, Toronto : McClelland and Stewart, 1966, p. 116, 121-122.
42. Kerry Abel, Drum Songs : Glimpses of Dene History, Montréal : McGill-Queen’s University Press,
1993, p. 79-80.
43. Coues (dir.), New Light on the Early History of the Greater Northwest, 1, p. 144-145.
44. Morton, A History of the Canadian West to 1870–71, p. 431.
45. Coues (dir.), New Light on the Early History of the Greater Northwest, « Alexander Henry,
1 March 1804 », 1, p. 239.
46. Archives provinciales du Manitoba (ci-après : APM), MG 2 A 1, Selkirk Papers, Coltman to Selkirk,
Red River, 17 July 1817, p. 3814.
47. Rich, The History of the Hudson’s Bay Company, 1670–1870, 2, p. 180.
106 L a destruction des I ndiens des P laines

États-Unis, Peter et David Grant ajoutent à la confusion le long de l’Assini-


boine en orchestrant une « invasion » de traiteurs indépendants. Les tensions
s’exacerbent encore à la signature du traité de Londres de 1794 (traité de Jay),
qui cède Grand Portage aux Américains48 ; il ampute le territoire commercial
de la CNO et coupe ses voies de transport. Le nombre des postes de traite
explose alors le long de l’Assiniboine, passant de 9 à 29 de 1793 à 179549.
Moins nombreux que les Saulteaux, les Iroquois (Haudenosaunees)
deviennent néanmoins d’importants fournisseurs de pelleteries dans les
années suivant l’épidémie de variole. En 1801, plus de 300 chasseurs iroquois
s’établissent dans l’Ouest pour se mettre au service des entreprises
canadiennes50. Ils formeront ainsi la majeure partie de la main-d’œuvre de la
CNO au nord du portage La Loche (Methy Portage)51. Les populations
accueillent avec réticence les nouveaux arrivants ; la détermination des
trappeurs iroquois leur acquiert néanmoins une solide notoriété. Pour se
procurer les peaux destinées au commerce, ils font preuve d’une extraordinaire
mobilité, investissent les lieux les plus improbables pour piéger le castor et
lèvent le camp dès que la ressource s’épuise52. « Où qu’ils aillent, ils ne laissent
rien derrière eux53 », résume Tomison. Bien plus que l’ignorance des impacts
catastrophiques de ces méthodes sur les populations de castors, c’est la
cupidité extrême des traiteurs qui alimente ce trappage effréné.
Le ressentiment que suscitent les prélèvements excessifs des Iroquois
s’exprime parfois de manière violente. En  1802, des A’aninins tuent une
douzaine de trappeurs iroquois dans les Cypress Hills (Collines de cyprès)
pour défendre leur dernier bastion en sol canadien. L’année suivante, une
flambée localisée de variole oblige toutefois les A’aninins à battre en retraite
en territoire américain, où ils vivent encore de nos jours54. Les Iroquois se

48. Marjorie Wilkins Campbell, The North-West Company, Toronto : Macmillan, 1955, p. 108-111.
49. Ray, Indians in the Fur Trade, p. 130.
50. Johnson (dir.), Saskatchewan Journals and Correspondence, p.  xc ; MacGregor, Peter Fidler,
p. 238-239.
51. MacGregor, Peter Fidler, p. 156.
52. Gertrude Nicks, Demographic Anthropology of Native Populations in Western Canada, 1800–1975
(thèse de doctorat), University of Alberta, 1980, p. 56.
53. Johnson (dir.), Saskatchewan Journals and Correspondence, p.  xcii. Voir également : Paul Thistle,
Indian–European Trade Relations in the Lower Saskatchewan River Region to 1840 (Manitoba Studies
in Native History), Winnipeg : University of Manitoba Press, 1986, p. 73.
54. John Foster, « Wintering, the Outsider Adult Male, and the Ethnogenesis of the Western Plains
Métis », Prairie Forum, 19, 1994, p. 7 ; Johnson (dir.), Saskatchewan Journals and Correspondence,
p. 311-316 ; MacGregor, Peter Fidler, p. 140-141 ; Michael K. Trimble, « Chronology of Epidemics
among Plains Village Horticulturalists, 1738–1838 », Southwestern Lore, 54, 1988, p. 13 ; Garrick
Mallery, Picture-Writing of the American Indians (vol.  1), New York : Dover Publications, 1972,
p. 273, 313. Voir également : Fowler, Shared Symbols, Contested Meanings, p. 43-46 ; Jody Decker,
4  L a guerre des fourrures  : désespérance et carnage , 1783-1821 107

font aussi des ennemis de l’autre côté des Rocheuses. Le traiteur Daniel
Harmon signale ainsi le massacre d’une famille iroquoise par des membres de
la nation Carrier en Oregon55.
La CBH méprise profondément les Iroquois, presque tous à l’emploi
d’entreprises canadiennes. Le traiteur Angus Shaw les compare aux sauterelles
d’Égypte, qui n’apportent que la misère et la dévastation dans leurs terres d’hi-
vernage56. Mais le point de vue des Anglais changera du tout au tout en 1818 :
cette année-là, les Iroquois passent massivement à la CBH, et contribuent
largement à l’effondrement de la Compagnie du Nord-Ouest57.
Dans plusieurs régions, les animaux à fourrure, déjà mis en péril par la
chasse intensive, subissent en outre des assauts pathogéniques qui les poussent
au bord de l’extinction. À Edmonton House, George Sutherland note
en  1796 qu’une « grande fièvre touchant les castors » fait baisser les
approvisionnements58. Quelques années plus tard, John Tanner décrit une
flambée similaire au Manitoba59. La baisse des populations de castors est si
soudaine et massive qu’un pourvoyeur de la rivière Swan en conclut que c’est
le Créateur qui a déchaîné cette calamité pour punir les chasseurs-trappeurs
de leur convoitise60. Les notes de Peter Fidler laissent à penser que cette
maladie aurait continué de faire des ravages jusqu’en 1820, au moins dans
certains secteurs61.
Ce fléau est de toute évidence une zoonose : il frappe les humains autant
que les animaux. Il fait de nombreux morts dans la collectivité anichinabée de
Tanner, et la douleur pousse Tanner lui-même à la folie, presque au suicide62.
Certains chercheurs ont avancé qu’il pourrait s’agir d’une forme typhoïdique

‘We Should Never Be Again the Same People’ : The Diffusion and Cumulative Impact of Acute Infectious
Diseases Affecting the Natives on the Northern Plains of the Western Interior of Canada (thèse de
doctorat), York University, 1989, p. 86-89 ; Frisch, « Some Ethnological and Ethnohistoric Notes on
the Iroquois of Alberta », p. 53.
55. Daniel Harmon, Sixteen Years in the Indian Country : The Journal of Daniel Williams Harmon, 1800–
1816 (sous la direction de W. Kaye Lamb), Toronto : Macmillan, 1957, entrée du 13 octobre 1818,
p. 193 ; MacGregor, Peter Fidler, p. 105 ; Coues (dir.), New Light on the Early History of the Greater
Northwest, p. 647.
56. Johnson (dir.), Saskatchewan Journals and Correspondence, « Angus Shaw to Joseph Colen, Fort
Augustus, 10 May 1797 », p. xxxii-xxxiii.
57. Theodore J. Karamanski, « The Iroquois and the Fur Trade of the Far West », The Beaver, 312, 1982,
p. 7.
58. Johnson (dir.), Saskatchewan Journals and Correspondence, « 3 May 1797 », p. 92.
59. Tanner, Trente ans de captivité chez les indiens Ojibwa, p. 99.
60. Robert Brightman, « Conservation and Resource Depletion : The Case of the Boreal Forest
Algonkians », dans : Bonnie McCay et James Acheson (dir.), The Question of the Commons : The
Culture and Ecology of Communal Resources, Tucson : University of Arizona Press, 1987, p. 133.
61. Ray, Indians in the Fur Trade, p. 119.
62. Tanner, Trente ans de captivité chez les indiens Ojibwa, p. 105-106.
108 L a destruction des I ndiens des P laines

de la tularémie63 : cette maladie causée par Francisella tularensis, une bactérie


bien adaptée aux environnements boueux et aux eaux stagnantes, s’attaque à
l’homme ainsi qu’aux animaux à fourrure64. De fait, la sécheresse qui s’est
abattue sur les Plaines de 1792 à 1804 a considérablement abaissé le niveau
des cours et des plans d’eau, instaurant des conditions idéales pour la
propagation tularémique. Tanner observe à l’époque que les animaux « des
étangs et des eaux stagnantes » meurent en grand nombre, alors que ceux « des
grandes rivières et des eaux courantes » sont moins durement frappés, ce qui
semble confirmer l’hypothèse d’une prolifération de la bactérie tularémique
dans les eaux peu profondes des zones asséchées.
À l’automne et à l’hiver 1800-1801, Henry signale par ailleurs que « la
plupart des gens » souffrent de symptômes similaires, notamment une « très
mauvaise toux », des douleurs dans les membres et des convulsions survenant
« deux ou trois fois par jour ». Son guide, Charlo, succombe à la maladie en
janvier. En moins de cinq mois, l’épouse de Charlo et quatre de ses enfants
(deux filles et deux garçons) meurent à leur tour de la même cause65. La
« consomption pulmonaire » comptant parmi « les maladies mortelles les plus
courantes » dans cette collectivité66, il est possible que Charlo et sa famille
aient succombé à cette tuberculose.
Sur les berges de la rivière Albany, « une mortalité inhabituelle et très
grande »  touche les Cris au printemps  1795 ; le chirurgien d’Albany n’en
connaît pas la cause67. Dans l’Ouest, une autre maladie sévit dans les postes de
la CBH à l’hiver 1795-1796. Se caractérisant par des « douleurs rhumatismales »
et des accès de plus en plus fréquents, elle frappe également les traiteurs et les
Indiens. Elle révèle aussi les failles des réseaux d’approvisionnement de la
CBH, car les fournitures médicales font cruellement défaut68.
Dès avant le début du 19e siècle, les maladies transmises sexuellement
déferlent également sur les Plaines ; Edward Umfreville souligne qu’elles sont

63. Calvin Martin, Keepers of the Game : Indian–Animal Relationships and the Fur Trade, Berkeley :
University of California Press, 1978, p. 140-141.
64. Ibid., p. 138-139. F. tularensis se transmet à l’humain « par la morsure d’une tique ou autre insecte
suceur de sang qui est porteur de l’infection ; par le contact direct avec un animal infecté ; par l’in-
gestion de viande mal apprêtée ou d’eau contenant le microorganisme ». Clayton L. Thomas (dir.),
Taber’s Cyclopedic Medical Dictionary (16e éd.), Philadelphie : F. A. Davis, 1989, p. 1921.
65. Coues (dir.), New Light on the Early History of the Greater Northwest, 1, p. 135, 153, 161.
66. Ibid., p. 203.
67. Paul Hackett, “A Very Remarkable Sickness” : Epidemics in the Petit Nord, 1670 to 1846, Winnipeg :
University of Manitoba Press, 2002, p. 257.
68. Johnson (dir.), Saskatchewan Journals and Correspondence, « William Tomison, 12 January 1796 »,
p. 24-25, 128, 161-167.
4  L a guerre des fourrures  : désespérance et carnage , 1783-1821 109

« très courantes » chez les Autochtones de la baie d’Hudson69. Alexander


Mackenzie indique que la « gonorrhée » (la syphilis) est « une maladie
commune » pouvant se guérir par « l’application de simples70 ». Les infections
vénériennes semblent constituer la principale cause de mortalité chez les Cris
de Fort Vermilion71. Les Assiniboines souffrent également de ces maux, pour
lesquels ils ne possèdent apparemment aucun remède. À la lisière occidentale
des Plaines, Daniel Harmon signale que « même si les Indiens sont sujets à
très peu de maladies, les affections vénériennes touchent toutes les tribus du
Nord72. » Ainsi que le relèvent Lewis et Clark, elles font également des ravages
le long du Missouri73. Pratique commerciale consistant à dépêcher des
employés des compagnies de traite dans les collectivités autochtones pour y
échanger des marchandises, la dérouine a très certainement contribué à la
propagation des maladies transmises sexuellement. À l’inverse, l’intégration
d’employés aux collectivités autochtones pendant tout l’hiver (dans le but de
limiter la consommation des provisions de bouche aux postes de traite) a sans
aucun doute ralenti la contamination74.
En plus de les abreuver d’alcools forts, les traiteurs canadiens agressent
physiquement leurs clients et employés autochtones75. Cet engrenage de la
violence s’enclenche dans les premières années de l’arrivée des Montréalais
dans la région. En 1786, un traiteur canadien rapporte qu’un Chipewyan est
battu du plat d’une épée : « M.  Pond lui dit que le pays et les Indiens lui
appartenaient, qu’il ferait comme bon lui semble et que personne ne devait
se mêler de cela76. » Certains groupes, par exemple les Dénés Chipewyans, ne
manifestent guère d’intérêt envers l’alcool ; quand la bouteille ne leur permet
pas d’arriver à leurs fins, les traiteurs canadiens recourent à l’agression, au
meurtre et à l’enlèvement. En réalité, les Chipewyans hésitent à s’engager
pleinement dans le commerce de la fourrure par crainte de mettre en péril
leurs moyens de subsistance traditionnels dans un environnement déjà

69. Umfreville, The Present State of Hudson’s Bay, p. 19.


70. Les « simples » sont des plantes médicinales généralement utilisées seules, sous forme de tisanes ou
lotions ; Alexander Mackenzie, Voyages d’Alexandre Mackenzie, dans l’intérieur de l’Amérique septen-
trionale, tome I, p. 236.
71. Coues (dir.), New Light on the Early History of the Greater Northwest, 2, p. 516.
72. Harmon, Sixteen Years in the Indian Country, p. 200.
73. Saskatchewan Archives Board (Conseil des archives de la Saskatchewan, ci-après : SAB), R.  G.
Ferguson Papers, microfilm 2.391.
74. James Parker, Emporium of the North : Fort Chipewyan and the Fur Trade to 1835, Regina : Canadian
Plains Research Center, 1987, p. 47. Voir également : Johnson (dir.), Saskatchewan Journals and
Correspondence, p. xxvii.
75. Rich, The History of the Hudson’s Bay Company, 2, p. 196.
76. Cité dans : W. A. Sloan, « The Native Response to the Extension of the European Traders into the
Athabasca and Mackenzie Basin, 1770–1816 », Canadian Historical Review, 60, 1979, p. 291.
110 L a destruction des I ndiens des P laines

précaire. Ainsi que le résume l’historienne Kerry Abel : « Le coût d’une telle
entreprise s’avérait tout simplement trop élevé77. »
Mais les traiteurs canadiens trouvent très vite le moyen de surmonter
les réticences des Chipewyans à l’égard du piégeage commercial. À partir du
début des années 1790, ils enlèvent régulièrement des femmes à leur famille
pour garantir le paiement de leurs dettes ; ils les vendent ensuite à des
employés des entreprises pour un prix oscillant entre 500 et 2 000 livres. « Si
le père ou le mari oppose une résistance, il n’obtient pour toute satisfaction
qu’une bonne volée de coups, et ils ne se contentent pas d’emporter la
femme ; très souvent, ils prennent aussi le fusil et la tente », écrit, scandalisé,
Philip Turnor, un arpenteur de la CBH78. N’étant pas entravés par les
restrictions légales ni les scrupules moraux, les traiteurs canadiens engrangent
d’abord d’impressionnants succès. En 1795, ils établissent des postes sur le
Mackenzie. Duncan Livingstone, le Canadien le plus influent de la traite le
long de ce fleuve, jouit d’une enviable réputation parmi ses homologues :
« Sous sa gouverne, ces gens ont été comme façonnés de neuf et amenés à une
obéissance implicite à l’autorité blanche », écrit Willard Wentzel, agent
principal de la CNO, à Roderick Mackenzie79. Dans l’Athabasca, cette
« autorité » se manifeste aussi par le trafic des femmes réduites en esclavage80.
Le commerce dégénère en une « extravagante » concurrence quand la
compagnie XY s’établit dans la région en 1799, puis la CBH en 180281. La
production de fourrures du Nord s’effondre entre 1800 et 1806, à l’époque
de la fusion des rivales canadiennes. Les importations de spiritueux,
par contre, explosent : elles passent d’une moyenne de 9 600 gallons (environ
45 000  litres) dans les années  1790 à plus de 21 000  gallons (environ
100 000 litres) en 180382. Wentzel en conclut que le déclin commercial est
causé par la concurrence entre les deux entreprises canadiennes et aussi « dans

77. Abel, Drum Songs, p. 78.


78. Sloan, « The Native Response to the Extension of the European Traders into the Athabasca and
Mackenzie Basin », p. 291.
79. « Letter to Roderick Mackenzie, 27 March 1807 », dans : Masson (dir.), Les Bourgeois de la Compagnie
du Nord-Ouest, New York : Antiquarian Press, 1960, 1, p. 95.
80. James Parker, « Fort Chipewyan and the Early Fur Trade », dans : P. McCormack et R. G. Ironside
(dir.), Proceedings of the Fort Chipewyan and Fort Vermilion Bicentennial Conference, Edmonton :
Boreal Institute for Northern Studies, 1990, p. 42.
81. Les approvisionnements de la CNO en fourrures de l’Athabasca passent de 648 ballots en 1799 à
seulement 182 ballots en 1803. Sloan, « The Native Response to the Extension of the European
Traders into the Athabasca and Mackenzie Basin », p. 293.
82. Le deuxième chiffre représente la somme des 16 299 gallons de la CNO et des 5 000 gallons de la
XY. Après la fusion des concurrentes, leur total annuel tombe à 9 700 gallons par an. J. C. Yerbury,
The Subarctic Indians and the Fur Trade, 1680–1860, Vancouver : UBC Press, 1986, p.  69 ;
MacGregor, Peter Fidler, p. 148.
4  L a guerre des fourrures  : désespérance et carnage , 1783-1821 111

une certaine mesure, par la mort de nombreux Indiens. » Dès 1807, ajoute-t-


il, le commerce « a presque entièrement éradiqué tout sentiment humain des
cœurs chrétiens et indiens83 ».
Les populations autochtones réagissent de leur mieux à cette
compétition et cette violence débridées. Entre 1799 et 1806, les Chipewyans
se détournent massivement du commerce et se consacrent désormais au
piégeage et à la chasse pour leur propre alimentation, au détriment de la
vente des fourrures. Les Dunnezas de la rivière de la Paix s’élèvent contre le
caractère de plus en plus coercitif des échanges commerciaux et bannissent de
leur territoire les traiteurs de la XY pendant trois ans. La concurrence allume
aussi plusieurs guerres tribales. Les Dunnezas attaquent des trappeurs
Saulteaux de la rivière de la Paix ; ils poursuivent même leur offensive vers le
nord, en direction de l’embouchure du fleuve Mackenzie, jusque dans le
territoire de nations de langue athapaskane moins populeuses. Quand la
frénésie des pelleteries gagne les régions les plus septentrionales, pourtant
d’une importance secondaire dans les approvisionnements, leurs populations
se retrouvent soudainement menacées d’agression par les Européens et par les
Autochtones de la traite ; leurs cycles saisonniers de subsistance étant
bouleversés, elles souffrent d’une malnutrition grave et succombent aux
microbes que les routes commerciales apportent jusqu’à elles84.
La CBH ouvre des postes dans cette région en 1802. Cette année-là,
10 Dunnezas meurent de maladie près du lac Athabasca. Les survivants s’en-
fuient vers le sud et trouvent refuge à l’Île-à-la-Crosse. L’hiver suivant s’avère
particulièrement rude et le gibier se fait rare. La maladie ayant causé l’épuise-
ment rapide de ses maigres réserves alimentaires, la CBH abandonne son
poste avancé de la rivière de la Paix85. Ajoutant à la désorganisation de la
région, les Iroquois continuent à pratiquer le piégeage intensif le long de
la rivière et finissent par chasser les Dunnezas, les obligeant à s’exiler vers le
nord pour s’établir sur les terres de groupes moins puissants qu’eux86.
La rivalité commerciale « vigoureuse, et même meurtrière87 », les
pénuries alimentaires et les maladies infectieuses ne se limitent pas aux abords
de la rivière de la Paix. En 1803, 37  Chipewyans du lac Athabasca y

83. « Letter to Roderick Mackenzie, 27 March 1807 », dans : Masson (dir.), Les Bourgeois de la Compagnie
du Nord-Ouest, 1, p. 95-96.
84. Sloan, « The Native Response to the Extension of the European Traders into the Athabasca and
Mackenzie Basin », p. 292-293.
85. Yerbury, The Subarctic Indians and the Fur Trade, p. 138.
86. Sloan, « The Native Response to the Extension of the European Traders into the Athabasca and
Mackenzie Basin », p. 292.
87. Yerbury, The Subarctic Indians and the Fur Trade, p. 71.
112 L a destruction des I ndiens des P laines

succombent. Fidler craint que les survivants n’abandonnent le commerce88.


La densification démographique autour de Fort Chipewyan pourrait expli-
quer en partie l’incidence croissante de la maladie. Dans les premières années
du siècle, James Macdonnell dénombre plus de 400 personnes au poste89.
Dans le Grand Nord, les employés de la Compagnie du Nord-Ouest
(surnommés les « Nor’westers ») menacent de mort les pourvoyeurs locaux
qui pourraient être tentés de faire affaire avec la CBH. Du fait de ces tactiques,
les employés de la Compagnie à Chiswick House, au Grand lac des Esclaves,
en sont réduits à manger quelques peaux parcheminées qu’il leur reste à
l’hiver 1803-180490.
Plus les pratiques commerciales se font violentes et désespérées, plus les
traiteurs rivaux s’agressent aussi les uns les autres. Les textes de l’époque
rapportent que « James King, fier-à-bras de la Nord-Ouest » a été assassiné en
tentant de s’emparer de fourrures appartenant à un jeune commis de la XY91.
Ce meurtre contraint les autorités coloniales à réagir : elles adoptent le
Canada Jurisdiction Act. Bien qu’elle présente de nombreuses lacunes, cette
loi n’en constitue pas moins la toute première tentative d’implantation d’un
cadre législatif dans l’extrême Nord-Ouest92. Elle montre en outre que les
autorités britanniques prennent la pleine mesure du chaos dans lequel le
commerce a sombré dans cette région. Les Autochtones de l’intérieur le
constatent aussi. À l’été 1804, les Chipewyans, pourtant réputés dociles et
accommodants dans leurs échanges avec les traiteurs, tuent au moins
10  Canadiens en deux incidents distincts près de Fort Chipewyan ; ils
rompent ensuite tout contact avec les réseaux commerciaux canadiens
pendant deux ans. La promulgation de la loi impériale et les représailles
indiennes amènent finalement les rivaux canadiens à s’entendre entre eux.
Leur fusion entre en vigueur en novembre 180493.

88. Sloan, « The Native Response to the Extension of the European Traders into the Athabasca and
Mackenzie Basin », p. 295.
89. Beryl C. Gillespie, « An Ethnohistory of the Yellowknives : A Northern Athapaskan Tribe », dans :
David B. Carlisle (dir.), Contributions to Canadian Ethnology, 1975 (Mercury Series, Canadian
Ethnology Service Paper 31), Ottawa : National Museum of Man, 1975, p. 209.
90. Yerbury, The Subarctic Indians and the Fur Trade, p. 73-74.
91. Rich, The History of the Hudson’s Bay Company, 2, p. 229.
92. Ibid., p. 230.
93. Sloan, « The Native Response to the Extension of the European Traders into the Athabasca and
Mackenzie Basin », p. 295-296 ; Yerbury, The Subarctic Indians and the Fur Trade, p. 74 ; MacGregor,
Peter Fidler, p. 157 ; Rich, The History of the Hudson’s Bay Company, 2, p. 230 ; Heather Devine,
« Ambition versus Loyalty : Miles Macdonnell and the Decline of the Northwest Company », dans :
J. Fiske, Susan Sleeper-Smith et William Wicken (dir.), New Faces of the Fur Trade : Selected Papers
of the Seventh North American Fur Trade Conference, East Lansing : Michigan State University Press,
1998, p. 255.
4  L a guerre des fourrures  : désespérance et carnage , 1783-1821 113

En 1805, le commerce de la fourrure est en crise dans tout l’Ouest.


D’un bout à l’autre du territoire, l’hostilité des Autochtones à l’égard des
traiteurs éclate en une myriade de conflits. En plus des échauffourées avec les
Assiniboines, Daniel Harmon rapporte que le poste de Montagne à la Basse
a fermé ses barrières quand il s’est trouvé cerné par « environ 80 habitations
de Cris et d’Assiniboines […] qui menaçaient de tuer tous les Blancs se trou-
vant à l’intérieur94 ».
La présence des traiteurs canadiens dans le Nord-Ouest ne laisse à ses
populations que de très brefs répits. Tant qu’ils se livraient entre eux une
concurrence sanglante, les Canadiens considéraient les postes de la CBH
comme des sources de contrariété sans grande importance ; mais à peine
ont-ils fusionné qu’ils se liguent contre la Compagnie de manière extrême-
ment musclée. En 1806, la CBH se retrouve ainsi expulsée de la région de la
rivière de la Paix. La même année, les Canadiens détruisent son poste du lac
Vert (Green Lake), entre les rivières Saskatchewan et Churchill95. Cette
intimi­dation, qui se poursuit pendant 10 ans au moins après la fusion, nuit
considérablement aux approvisionnements des Anglais en fourrures de l’Atha-
basca96. Si le regroupement des intérêts canadiens bouleverse les rapports de
force dans la région, il n’a cependant aucune incidence sur la propagation de
la maladie : elle poursuit implacablement son œuvre. De 1804 à 1807, elle
frappe chaque année dans le Grand Nord, et fait de nombreuses victimes97.
Une pratique macabre fait par ailleurs son apparition dans les petites
nations athapaskanes disloquées par le commerce et la désorganisation qu’il a
induite dans les collectivités : l’infanticide féminin. Dans les journaux des
Européens, la première mention remonte à 1807. Constatant que les femmes
sont beaucoup moins nombreuses que les hommes chez les Dénés Tha’
(Esclaves) du Mackenzie, Willard Wentzel invoque « cette coutume qu’ils ont
de tuer très souvent les petites filles à leur naissance98 ». Cette pratique se
maintiendra très avant dans le 19e siècle et creusera un écart important entre
les populations masculines et féminines du Grand Nord99.

94. Harmon, Sixteen Years in the Indian Country, entrée du 10 avril 1805, p. 87.
95. MacGregor, Peter Fidler, p. 149, 172.
96. Rich, The History of the Hudson’s Bay Company, 2, p.  274 ; Sloan, « The Native Response to the
Extension of the European Traders into the Athabasca and Mackenzie Basin », p. 297.
97. Yerbury, The Subarctic Indians and the Fur Trade, p. 107.
98. « Letter to Roderick Mackenzie, 27 March 1807 », dans : Masson (dir.), Les Bourgeois de la Compagnie
du Nord-Ouest, 1, p. 86, 92. Voir également : June Helm, « Female Infanticide, European Diseases,
and Population Levels among Mackenzie Dene », American Ethnologist, 7, 1980, p.  259-285 ;
Shepard Krech III, « The Influence of Disease and the Fur Trade on Arctic Drainage Lowlands
Dene, 1800–1850 », Journal of Anthropological Research, 39, 1983, p. 123-146.
99. Yerbury, The Subarctic Indians and the Fur Trade, p. 102, 150.
114 L a destruction des I ndiens des P laines

Les Dénés Tha’ vivent à cette époque sous le joug de contraintes extrê-
mement lourdes. La maladie décime sans relâche les humains et n’épargne
pas les animaux. L’irruption des Chipewyans dans leur territoire de piégeage
du castor déstabilise profondément leur collectivité100. Évincés de la rivière
de la Paix par les agents iroquois et cris de la Compagnie du Nord-Ouest, les
Dunnezas ont déplacé leur territoire en expulsant au passage les Nahannis
des rives de la haute rivière Liard101. Dans l’un de leurs affrontements, les
Dunnezas tuent 22 Nahannis. Les combats intertribaux favorisent aussi la
propagation des microbes102. La maladie qui sévit dans le Nord en 1806-
1807 pourrait constituer un avatar septentrional de l’épidémie de coque-
luche qui a déferlé depuis la rivière Rouge jusqu’au fleuve Columbia.
La faim constitue également un péril constant pour toutes les
populations du Grand Nord. Au printemps 1809, Daniel Harmon rapporte
que plusieurs Canadiens sont morts de faim au Grand lac de l’Ours (Great
Bear Lake), et que certains des survivants de ce calvaire « ont mangé leurs
compagnons emportés par la mort103 ». L’effondrement des populations de
lièvres lors d’un hiver particulièrement rigoureux déclenche deux ans plus
tard une famine majeure dans la région104. Signe éloquent de la précarité des
moyens de subsistance dans le Nord, les creux démographiques cycliques des
lièvres provoquent régulièrement des disettes.
L’hiver 1810-1811 se révèle particulièrement atroce. Au poste du fleuve
Mackenzie, « [trois] chrétiens sur quatre » meurent de faim.  Pour éviter ce
triste sort, les survivants doivent se résoudre au pire. Des cas de cannibalisme
sont signalés dans toutes les régions nordiques ; neuf sont confirmés
entre  1811 et  1815 dans le secteur du fleuve Nelson, dans le nord du
Manitoba105. La pénurie persistante de lièvres et de poissons amenuise aussi
la production des fourrures, car les traiteurs « ont fort à faire pour assembler
suffisamment de provisions pour l’hiver106 ». La guerre qui éclate entre les

100. Shepard Krech III, « The Trade of the Slavey and Dogrib at Fort Simpson in the Early Nineteenth
Century », dans : Shepard Krech III (dir.), The Subarctic Fur Trade : Native Social and Economic
Adaptations, Vancouver : UBC Press, 1984, p. 107.
101. « George Keith to Roderick Mackenzie, 7 January 1807 », dans : Masson (dir.), Les Bourgeois de la
Compagnie du Nord-Ouest, 2, p. 68.
102. « George Keith to Roderick Mackenzie, 1 December 1808 », ibid., 2, p. 79.
103. Harmon, Sixteen Years in the Indian Country, p. 120.
104. « Willard Wentzel to Roderick Mackenzie, 30 April 1811 », dans : Masson (dir.), Les Bourgeois de la
Compagnie du Nord-Ouest, 1, p. 106-107.
105. SAB, R. G. Ferguson Papers, microfilm 2.391 ; Brightman, « Conservation and Resource
Depletion », p. 124-125.
106. « George Keith to Roderick Mackenzie, 5 January 1812 », dans : Masson (dir.), Les Bourgeois de la
Compagnie du Nord-Ouest, 2, p. 97.
4  L a guerre des fourrures  : désespérance et carnage , 1783-1821 115

États-Unis et l’Angleterre restreint plus encore les approvisionnements, déjà


précaires, des Canadiens en marchandises d’échange, et les place alors « en
une situation presque insupportable107 ».
À l’hiver 1812, les Autochtones qui chassent et piègent le long de la
rivière Liard s’en prennent soudainement aux traiteurs ; ils tuent cinq d’entre
eux, avec leurs familles108. En janvier  1814, le traiteur canadien George
Keith indique que « l’Athabasca est déjà presque réduite à néant109 ». Sous
l’impulsion des Canadiens, les trappeurs iroquois ont vidé toute cette zone de
ses animaux à fourrure, et les populations autochtones de la région sont à
bout. Des rumeurs d’offensives contre tous les Européens des environs
circulent ; les traiteurs canadiens se préparent à l’affrontement110. Au
printemps 1815, les Canadiens quittent le secteur « à l’extrême péril de nos
vies [… car les Indiens]  ont forgé le dessein de nous anéantir dans notre
fuite111 ». En quelques décennies à peine, les excès de la chasse et la violence
ont dévasté ces terres encore inviolées quelques décennies plus tôt.
Très loin de là, dans le sud des Plaines, les Canadiens ont longtemps
régné en maîtres incontestés ; mais là aussi, le vent commence à tourner. Un
décret ordonne la réquisition du pemmican au profit des habitants de la
colonie de la rivière Rouge (colonie Selkirk), qui vient d’être fondée ; or, cette
viande séchée constitue un aliment vital pour les traiteurs qui partent en
expédition dans leurs brigades de canots112. La mise sur pied de cette colonie
s’inscrit dans le cadre d’un plan établi par la CBH pour développer l’agriculture
afin de revitaliser son commerce, devenu languissant, et de garantir le renou-
vellement de la charte royale qui lui a été accordée un siècle et demi plus tôt.
À long terme, la réorganisation du commerce anglais portera ses fruits ; à

107. Yerbury, The Subarctic Indians and the Fur Trade, p. 81 ; « George Keith to Roderick Mackenzie,
8 November 1812 », dans : Masson (dir.), Les Bourgeois de la Compagnie du Nord-Ouest, 2, p. 98 ;
« John McDonald of Garth, Autobiographical Notes », ibid., p. 42.
108. Krech, « The Influence of Disease and the Fur Trade on Arctic Drainage Lowlands Dene », p. 134 ;
« George Keith to Roderick Mackenzie, 15 January 1814 », dans : Masson (dir.), Les Bourgeois de la
Compagnie du Nord-Ouest, 2, p. 125-126.
109. « George Keith to Roderick Mackenzie, Mackenzie River Forks, 15 January 1814 », dans : Masson
(dir.), Les Bourgeois de la Compagnie du Nord-Ouest, 2, p. 125-126.
110. « Willard Wentzel to Roderick Mackenzie, 28 February 1814 », dans : Masson (dir.), Les Bourgeois de
la Compagnie du Nord-Ouest, 1, p. 109-110. Voir aussi : Yerbury, The Subarctic Indians and the Fur
Trade, p. 81. Au lac Reindeer, la rumeur affirme que les Chipewyans complotent pour détruire les
postes des Canadiens et ceux de la CBH. Abel, Drum Songs, p. 81.
111. Theodore J. Karamanski, Fur Trade and Exploration : Opening the Far Northwest, 1821–1852,
Norman : University of Oklahoma Press, 1983, p. 19.
112. Miles Macdonnell, de la CBH, émet cette « Proclamation du pemmican » de sinistre mémoire le
8 janvier 1814. Bumsted, Fur Trade Wars, p. 93-257 ; Ann M. Carlos et Elizabeth Hoffman, « The
North American Fur Trade : Bargaining to a Joint Profit Maximum under Incomplete Information,
1804–1821 », Journal of Economic History, 46, 1986, p. 980-981.
116 L a destruction des I ndiens des P laines

court terme, par contre, la réorientation économique et les mesures d’effica-


cité provoquent une crise de l’emploi temporaire, mais dévastatrice. À
Brandon House, les employés se mutinent113. La CBH tire par ailleurs avan-
tage de la défection de plusieurs responsables de la CNO, qui donne un
nouveau tour à la rivalité commerciale des entreprises dans la région114.
En 1814, la CBH a toutes les cartes en main pour affronter les Canadiens.
La direction de l’entreprise, le « comité de Londres », autorise le recours à la
force et s’engage à envahir l’Athabasca, le « point névralgique » de cette guerre
commerciale115. En 1815, la CBH envoie plus de 100 hommes répartis dans
14 grands canots à l’assaut des Canadiens de Fort Chipewyan ; l’expédition
constitue un véritable exploit pour la compagnie anglaise116.
Mais une autre calamité frappera bientôt les traiteurs et les Autochtones.
De l’autre côté du monde, la gigantesque éruption volcanique du Tambora
d’avril  1815 emplit l’atmosphère terrestre d’une quantité de cendres telle
qu’elle obscurcit notablement le rayonnement solaire. Le climat de la Terre
tout entière en est bouleversé. Surnommée « l’année sans été », 1816 s’imposera
dans les registres historiques comme une période particulièrement sombre et
froide, absolument désastreuse du point de vue climatique117. L’éruption du
Tambora entraîne à sa suite la famine et la mort jusque dans le Subarctique.
En  Athabasca, presque un cinquième du contingent de la CBH qui avait
« envahi » la région meurt de faim à l’hiver 1815-1816118. Pour échapper à la
famine, les survivants sont contraints d’abandonner leur nouvel établissement,
Fort Wedderburn, et plusieurs autres postes avancés. Daniel Harmon estime
que l’éruption du volcan indonésien a fait perdre 68  hommes à la CBH
« dans les combats et par la faim119 ». Ce chiffre tient compte de ceux qui sont

113. Edith Burley, Servants of the Honourable Company : Work, Discipline, and Conflict in the Hudson’s Bay
Company, 1770–1879, Don Mills (Ontario) : Oxford University Press, 1997, p. 225-232.
114. Shirley Ann Smith, « Crossed Swords : Colin Robertson and the Athabasca Campaign », dans :
Patricia McCormack et R.  Geoffrey Ironside (dir.), Proceedings of the Fort Chipewyan and Fort
Vermilion Bicentennial Conference, Edmonton : Boreal Institute for Northern Studies, 1990,
p. 69-74 ; MacGregor, Peter Fidler, p. 173.
115. Rich, The History of the Hudson’s Bay Company, 2, p. 316 ; Carlos et Hoffman, « The North American
Fur Trade », p. 981-982 ; Ann M. Carlos, « The Birth and Death of Predatory Competition in the
North American Fur Trade : 1810–1821 », Explorations in Economic History, 19, 1982, p. 164n25.
116. « Willard Wentzel to George Keith, 28 May 1816 », dans : Masson (dir.), Les Bourgeois de la
Compagnie du Nord-Ouest, 1, p. 117.
117. T.  F.  Ball, « The Year without a Summer : Its Impact on the Fur Trade and History of Western
Canada », dans : C.  R.  Harington (dir.), The Year without a Summer ? World Climate in 1816,
Ottawa : Canadian Museum of Nature, 1992, p.  196-202 ; Roger Stuffling et Ron Fritz, « The
Ecology of a Famine : Northwestern Ontario in 1815–17 », dans : Ibid., p. 203-217.
118. « Willard Wentzel to George Keith, 28 May 1816 », dans : Masson (dir.), Les Bourgeois de la
Compagnie du Nord-Ouest, 1, p. 117.
119. Harmon, Sixteen Years in the Indian Country, entrée du 23 novembre 1816, p. 65, 189.
4  L a guerre des fourrures  : désespérance et carnage , 1783-1821 117

tombés dans la bataille de la Grenouillère (dite aussi « bataille des Sept-


Chênes » ou « bataille de Seven Oaks »). Si tous les chercheurs n’établissent
pas encore clairement le lien entre l’éruption du Tambora et les violences qui
ensanglantent la rivière Rouge au printemps 1816, d’autres, par exemple Tim
Ball, affirment que la crise climatique pourrait fort bien avoir provoqué cet
affrontement à l’autre bout du monde.
Instable depuis la fin des années 1780, le climat reste extrêmement vola-
tile jusqu’en 1820 au moins. Dans les Plaines, une sécheresse de trois années
ainsi que des records de froid altèrent les habitudes migratoires des bisons et
autres gros gibiers. Ils compromettent ainsi les approvisionnements en nour-
riture et en fourrure, condamnant de nombreux chasseurs à la faim120. Les
ressources venant cruellement à manquer, la concurrence que les Premières
Nations se livrent entre elles pour leur ravitaillement dégénère à plusieurs
reprises en accès de violence. En 1813, des guerriers sioux attaquent un groupe
de Bungis (Anichinabés) et de Canadiens français. En décembre 1815, alors
que les conséquences de l’éruption du Tambora commencent à se faire sentir,
les Sioux s’en prennent à 34  Bungis au sud de la rivière Rouge ; ils tuent
31 d’entre eux. Au printemps suivant, ils attaquent un groupe d’Assiniboines
près de Brandon121.
Les Cris des Plaines lancent aussi plusieurs campagnes militaires
pendant cette crise climatique. En 1817, ils entrent en guerre contre leurs
anciens alliés, les Mandans. À Carlton, les affrontements entre Cris et
Niitsitapis durent depuis 1811 ; en  1819, une flambée de rougeole et de
coqueluche s’abattra sur les combattants et mettra un terme brusque aux
hostilités122.
Tandis que la guerre et la maladie embrasent les Plaines, la disette
multiplie les affrontements dans le Nord. En  1815, des Flancs-de-Chien
(Côtes-de-Chien ; Plats-Côtés-de-Chien ; Dogribs) tuent une douzaine de
Gens-du-Lièvre (Peaux-de-Lièvre ; Hares) au nord du Grand lac des Esclaves.
À la rivière de la Paix et au Petit lac des Esclaves, les escarmouches entre les
Dunnezas et les Cris se font de plus en plus violentes. En septembre 1817,
Daniel Harmon signale qu’une centaine de Chipewyans se sont battus à

120. Peers, The Ojibwa of Western Canada, p. 65, 72.


121. MacGregor, Peter Fidler, p. 208 ; Krech, « The Influence of Disease and the Fur Trade on Arctic
Drainage Lowlands Dene », p. 133.
122. Milloy, The Plains Cree, p. 62 ; Jody Decker, « Depopulation of the Northern Plains Natives », Social
Science Medicine, 33, 1991, p. 386.
118 L a destruction des I ndiens des P laines

Fort Chipewyan, sans toutefois qu’il ait été possible de discerner le vainqueur


de cet affrontement123.
Malgré les rigueurs climatiques, les pénuries et la faim, la CBH lance en
1817 une offensive contre le poste Athabasca de la CNO, avec le renfort de
guerriers Chipewyans124. La Compagnie du Nord-Ouest réplique en réim-
plantant des postes le long du Mackenzie ; mais cette fois, le coup a porté. Les
chasseurs-trappeurs autochtones du Grand Nord abandonnent massivement
leurs persécuteurs canadiens au profit de la CBH, « moins tyrannique » envers
ses partenaires commerciaux125. Ce ralliement des collectivités de l’Athabasca
aux Anglais déterminera largement l’issue de la guerre des fourrures. Jusqu’à la
fusion des entreprises rivales en 1821, toute la région du Nord-Ouest subira de
nouveaux assauts dévastateurs de la maladie.
En 1818-1819, des flambées simultanées de coqueluche et de rougeole
prélèvent dans le Nord-Ouest un tribut comparable à celui de la variole des
années  1780126. La rougeole s’avère particulièrement destructrice pour les
populations autochtones. Aucun cas n’ayant été constaté dans les terres de
l’intérieur depuis 70 ans, la maladie déferle avec la puissance d’une épidémie
en terrain vierge, tuant indistinctement enfants, jeunes et vieux. Dans les
populations éprouvées par la faim, la malnutrition exacerbe ses ravages.
Encore aggravés par la pollution atmosphérique causée par l’éruption du
Tambora, les affrontements militaires et les perturbations environnementales
qui ébranlent la région au début du 19e  siècle portent la morbidité et la
mortalité à leur paroxysme.
Les épidémies de 1819-1820 frappent durement les chasseurs-trappeurs
de la forêt boréale. Wentzel écrit ainsi : « Un cinquième de la population du
pays aurait disparu depuis le lac à la Pluie jusqu’à l’Athabasca127. » La rougeole
et la coqueluche font également des ravages dans le sud. Selon certaines
estimations, elles auraient emporté près d’un tiers des Niitsitapis qui
commerçaient à Fort Edmonton et environ un cinquième des Cris des
Plaines. À leur apogée, elles contraignent les Niitsitapis et leurs ennemis, les

123. Krech, « The Influence of Disease and the Fur Trade on Arctic Drainage Lowlands Dene », p. 133 ;
Yerbury, The Subarctic Indians and the Fur Trade, p. 89 ; Harmon, Sixteen Years in the Indian Country,
entrée du 1er septembre 1817, p. 191.
124. « Willard Wentzel to Roderick Mackenzie, 5 April 1819 », dans : Masson (dir.), Les Bourgeois de la
Compagnie du Nord-Ouest, 1, p. 122.
125. Sloan, « The Native Response to the Extension of the European Traders into the Athabasca and
Mackenzie Basin », p. 299.
126. Hackett, “A Very Remarkable Sickness”, p. 274-275.
127. « Letter to Roderick Mackenzie, 23 May 1820 », dans : Masson (dir.), Les Bourgeois de la Compagnie
du Nord-Ouest, vol. 1, p. 130.
4  L a guerre des fourrures  : désespérance et carnage , 1783-1821 119

Cris et les Assiniboines, à conclure une trêve128. Chez les peuples des Plaines,
le taux de mortalité oscille aussi entre 40 à 65 pour cent. Dans la seule région
de Brandon, 2 400 Assiniboines perdent la vie129. Un quart de la population
assiniboine dans son ensemble pourrait ainsi avoir succombé à la maladie130.
Remontant vers le nord par le Missouri, la variole revient également
hanter les Plaines131. Après s’être d’abord manifestée à l’été 1818, elle pourrait
ensuite avoir emprunté deux « véhicules » pour gagner le Nord-Ouest132. Au
19e siècle, il n’était pas rare de voir un ou deux malades dans les équipages des
brigades de canots canadiens qui s’élançaient vers l’Ouest, traversaient le lac
Supérieur, puis gagnaient la rivière Rouge et les Plaines en apportant leurs
microbes avec eux. Avec ses nombreuses collectivités encore sous le coup
d’une petite épidémie de variole survenue en  1816, le fleuve Missouri
constituait également une voie de propagation importante pour la maladie.
La variole atteint probablement les Mandans du Missouri au début de
l’année  1819. Au printemps, elle arrive à Brandon House ; poursuivant sa
course vers l’aval, elle s’abat au mois de juin sur la colonie de la rivière Rouge,
déjà très fragile133.
À l’automne, l’épidémie déferle sur l’Athabasca. Wentzel en conclut
qu’elle a été apportée par les nouveaux colons allemands de la rivière Rouge.
De son côté, Fidler, employé de la  CBH, en rend les Nor’westers
responsables134. En ces derniers soubresauts acrimonieux de la guerre des
fourrures, les traiteurs canadiens, fidèles en cela à l’air du temps, lancent une
rumeur selon laquelle la CBH aurait délibérément infecté les populations du
lac La Biche et du Petit lac des Esclaves, y tuant 40 personnes135.
La faim accroît les ravages des pathogènes. La maladie rend certains
groupes, par exemple les Cris Moskégons de Cumberland House, « complè-
tement inaptes à la chasse136 ». À l’Île-à-la-Crosse, les chasseurs étant trop
affaiblis pour rapporter du gibier, la famine décime les survivants de

128. Milloy, The Plains Cree, p. 87.


129. Ray, Indians in the Fur Trade, p. 108 ; Hackett, “A Very Remarkable Sickness”, p. 275-276.
130. Decker, « Depopulation of the Northern Plains Natives », p. 385-386 ; Ray, Indians in the Fur Trade,
p. 108.
131. Abel Watetch, Payepot and His People, Regina : Saskatchewan History and Folklore Society, 1959,
p. 10-12.
132. Hackett, “A Very Remarkable Sickness”, p. 276-285.
133. Ibid., p. 277, 286-287 ; Trimble, « Chronology of Epidemics among Plains Village Horticulturalists »,
p. 18.
134. Hackett, “A Very Remarkable Sickness”, p. 277.
135. Nicks, Demographic Anthropology of Native Populations in Western Canada, p. 50.
136. SAB, R. G. Ferguson Papers, microfilm 2.391.
120 L a destruction des I ndiens des P laines

l’épidémie137. À la rivière de la Paix, William Todd, chirurgien de la CBH,


souligne que la maladie peut anéantir le travail des chasseurs même quand
elle leur laisse assez de forces pour partir à la recherche de leurs proies : « Un
simple accès de toux peut faire échouer leurs manœuvres d’approche en
effarouchant l’animal138. » D’autres doivent renoncer au gibier parce que
leurs lois coutumières leur interdisent de chasser pendant le deuil. À
Fort Resolution, la pêche s’avère désastreuse en décembre 1819 : la médiocrité
des prises aggrave les conséquences de la rougeole et réduit à néant ou presque
les provisions restantes. Certains réussissent à survivre en se nourrissant « de
lambeaux de peau et d’abats », mais tous n’ont pas cette « chance ». Membre
de la première expédition terrestre de Franklin, périple malheureux qui devait
emmener les explorateurs jusqu’à l’océan Arctique, le Dr John Richardson
rapporte qu’une femme, pour ne pas mourir de faim, a dû « manger les
cadavres de ses proches » ; une autre « a indubitablement constitué la principale
cause de la disparition de plusieurs personnes, dont son mari et plusieurs
proches139 ».
Chez les Chipewyans d’Athabasca, signale George Simpson, les
maladies « ont emporté des bandes entières, et ils se disséminent maintenant
dans toutes les directions, espérant arrêter la contagion en allant vivre
ailleurs140 ». Plus à l’est, les groupes Dénés doivent aussi se disperser. Respon-
sable du poste de la CBH au lac Reindeer, Hugh Leslie observe la stratégie
d’évitement d’un groupe chassant près du territoire cri, plus au sud141.
Pendant deux années consécutives, une « mortalité considérable » sévit chez
les Dunnezas de la rivière de la Paix142. Dans son rapport sur le Grand lac des
Esclaves du printemps 1820, Wentzel décrit le désastre à la lumière de ses
propres priorités : « Le commerce de la fourrure est anéanti pour plusieurs
années143 ».

137. ACBH, B.89/a/4 :13 (21 novembre 1819), 16b (25 janvier 1820).


138. Yerbury, The Subarctic Indians and the Fur Trade, p. 87-89.
139. SAB, R. G. Ferguson Papers, microfilm 2.391.
140. E. E. Rich (dir.), Journal of Occurrences in the Athabasca Department by George Simpson, 1820 and
1821, and Report, Toronto : Champlain Society, 1938, entrée du 13  octobre  1820, p.  81. Rich
attribue erronément ces morts à la variole.
141. La dispersion des Chipewyans pour éviter la contagion a pu contribuer à l’émergence d’un nouveau
groupe, désigné à partir de 1821 sous le nom de « Chipewyans Mangeurs-de-Caribou ». James G. E.
Smith, « Local Band Organization of the Caribou Eater Chipewyan in the Eighteenth and Early
Nineteenth Centuries », Western Canadian Journal of Anthropology, 6, 1976, p. 80.
142. Yerbury, The Subarctic Indians and the Fur Trade, p. 150.
143. « Letter to Roderick Mackenzie, 23 May 1820 », dans : Masson (dir.), Les Bourgeois de la Compagnie
du Nord-Ouest, 1, p. 127.
4  L a guerre des fourrures  : désespérance et carnage , 1783-1821 121

En 1821, le Nord-Ouest canadien traverse une crise sociale, démogra-


phique et environnementale majeure. Les rigueurs extrêmes du climat, encore
aggravées par l’éruption du volcan Tambora et le déferlement calamiteux des
maladies placent les populations du Nord-Ouest ainsi que son milieu
physique dans une situation quasi insupportable. Cependant, alors que la
maladie, la faim, la rivalité entre les compagnies de traite et les conflits inter­
ethniques dévastent la région, des négociations entreprises à Londres visent à
éradiquer au moins l’un de ces fléaux : la concurrence dévastatrice que les
traiteurs se livrent entre eux144. En 1821, à la fusion des deux entreprises, la
« nouvelle » CBH se restructure et ferme plusieurs postes. Cette réorientation
stratégique vise certes à augmenter la rentabilité du monopole naissant. L’en-
treprise et le British Colonial Office (le « ministère des Colonies » de la
Grande-Bretagne) ont aussi compris qu’il est grand temps d’agir pour éviter
la désintégration complète des populations de l’intérieur et de leur
environnement.

144. Carlos, « The Birth and Death of Predatory Competition in the North American Fur Trade »,
p. 181.
Chapitre 5

Le monopole de la CBH : expansion


des colonies et mortalité autochtone,
1821-1869

E n 1821, la fin de la guerre des fourrures donne le coup d’envoi d’une


nouvelle ère pour les populations du Nord-Ouest canadien. Pendant
une cinquantaine d’années, la Compagnie de la Baie d’Hudson (CBH)
assurera de facto le gouvernement de la Terre de Rupert et s’efforcera, avec
plus ou moins de succès selon le cas, de conserver la main haute sur les
habitants et l’économie de la région. D’abord commis à Londres, George
Simpson occupera le poste de gouverneur de la CBH sur presque toute la
durée du monopole et sera surnommé « le petit empereur ». Le principe de
base de son administration est fort simple : investissements minimums ;
rendements maximums1. Simpson ferme une bonne partie des postes qui
ont proliféré dans les décennies de la chasse et du piégeage à outrance2.
Avant la fusion, 68 établissements de la CBH et 57 postes canadiens se
dressaient sur la ligne d’horizon ; après élagage, la nouvelle entreprise n’en
compte plus qu’une cinquantaine3. La suppression de ces comptoirs
déclenche une crise de l’emploi dans toute la région ; du jour au lendemain,

1. J. C. Yerbury, The Subarctic Indians and the Fur Trade, 1680–1860, Vancouver : UBC Press, 1986,
p.  92 ; James R. Gibson, Farming the Frontier : The Agricultural Opening of the Oregon Country,
1786–1846, Seattle : University of Washington Press, 1985, p. 9-27.
2. Arthur J. Ray, « Some Conservation Schemes of the Hudson’s Bay Company, 1821–50 : An
Examination of the Problems of Resource Management in the Fur Trade », Journal of Historical
Geography, 1, 1975, p. 53.
3. Edith Burley, Servants of the Honourable Company : Work, Discipline, and Conflict in the Hudson’s Bay
Company, 1770–1879, Don Mills (Ontario) : Oxford University Press, 1997, p. 6 ; D. B. Freeman
124 L a destruction des I ndiens des P laines

la plupart des acteurs du commerce des pelleteries se retrouvent sans


travail4. Dans d’immenses secteurs de l’intérieur, l’entreprise restreint les
livraisons d’alcool, puis finit par les interdire5. La CBH distribue également
de nombreux vaccins pour endiguer la propagation des maladies, particu-
lièrement la variole. Pour la première fois de leur histoire, une seule et
même entité commerciale préside aux destinées des habitants et des terres
du Nord-Ouest. Même si toutes les politiques de l’entreprise n’atteignent
pas leurs objectifs avec une égale efficacité, elles déterminent dans une
large mesure le sort et l’évolution des Premières Nations dans le Nord-
Ouest.
Sur toute la période monopolistique, l’essor de la collectivité agricole
de la rivière Rouge et, de manière plus générale, l’expansion vers l’Ouest des
colonies européennes, modifient en profondeur la démographie et l’économie
du Nord-Ouest. Chez les colons, la consommation de viande augmente de
manière exponentielle, au point qu’elle en vient à menacer la survie même
des hardes de bisons, une ressource réputée, naguère encore, inépuisable ou
presque. L’augmentation de la demande et le déclin de la ressource favorisent
l’éclosion de conflits. L’accroissement de la population humaine multiplie
d’autant les foyers potentiels d’infection et alourdit le risque de transmission
aux collectivités autochtones. L’amélioration des réseaux de transport amène
aussi plus rapidement les pathogènes jusqu’aux populations vulnérables. Dès
le milieu du 19e siècle, cette intensification de la charge pathogène bouleverse
la dynamique de la région : « Alors que l’infection se limitait jusque-là à la
périphérie des bassins épidémiques urbains, elle est maintenant propulsée
dans l’arrière-pays6. » Soumises à d’incessantes offensives microbiennes,
plusieurs collectivités autochtones frôlent l’extinction. D’autres doivent leur
salut à leurs relations commerciales avec les Britanniques, ou plutôt, aux
médicaments que les traiteurs apportent. Les épidémies qui déferlent sur les
Plaines pendant les années du monopole de la CBH n’ont pas les mêmes

et F. L. Dungey, « A Spatial Duopoly : Competition in Western Canadian Fur Trade, 1770–1835 »,
Journal of Historical Geography, 7, 1981, p. 268-270.
4. Carol Judd, « Native Labour and Social Stratification in the Hudson’s Bay Company’s Northern
Department, 1770–1870 », Canadian Review of Sociology and Anthropology, 17, 1980, p. 307. Voir
également : Glen Makahonuk, « Wage-Labour in the Northwest Fur Trade Economy, 1760–1849 »,
Saskatchewan History, 41, 1988, p.  7-8 ; Ron Bourgeault, « The Indian, the Métis, and the Fur
Trade : Class, Sexism, and Racism in the Transition from ‘Communism’ to Capitalism », Studies in
Political Economy, 12, 1983, p. 64.
5. Minutes of Council, Northern Department of Rupert Land, 1821–1831 (sous la direction de R. Harvey
Fleming), Toronto : Champlain Society, 1940, p. 229.
6. Paul Hackett, “A Very Remarkable Sickness” : Epidemics in the Petit Nord, 1670 to 1846, Winnipeg :
University of Manitoba Press, 2002, p. 156.
5  L e monopole de la CBH : expansion des colonies et mortalité autochtone , 1821-1869 125

conséquences démographiques sur toutes les populations. Elles induiront


ainsi une réorganisation de l’occupation territoriale, qui s’est d’ailleurs main-
tenue en grande partie jusqu’à nos jours. L’irrépressible avancée des colons
vers l’ouest, particulièrement aux États-Unis, contraint aussi le gibier jusqu’à
sa quasi-extinction. Au milieu du 19e siècle, l’instabilité climatique exacerbe
la concurrence alimentaire7. Les Plaines passent constamment de la séche-
resse à l’inondation ; les déplacements des hardes de bisons deviennent
imprévisibles. Dès les années 1820, l’essor de la chasse à cheval au détriment
de méthodes moins destructrices, par exemple la chasse à l’enclos, contribue
aussi à l’irrégularité des prises8.
Alors que les populations des Plaines peinent encore à se relever de la
rougeole et de la coqueluche qui se sont abattues sur elles, une rumeur venue
du sud affirme que la variole fait rage le long du Missouri, et que nombre
d’Assiniboines ont succombé à cette maladie si redoutée. Sur le territoire des
États-Unis, les Sioux, les A’aninins et les Têtes-Plates du Plateau des Rocheuses
ainsi que d’autres groupes plus méridionaux subissent de terribles pertes dans
les années  1820. À l’ouest des Rocheuses, la maladie aurait tué les quatre
cinquièmes des populations établies le long du fleuve Columbia9. Cependant,
la variole ne se propage pas massivement sur le territoire britannique. À la
rivière Rouge, la CBH organise une vaste campagne de vaccination qui
endigue la contagion10 et assure aux populations une certaine immunité
contre la flambée variolique de 1837, plus virulente encore que la précédente.
Pendant que les habitants des Plaines affrontent les épidémies et les
nouveaux conflits guerriers des années 1820, la colonie agricole de la rivière
Rouge prend de l’expansion. Elle connaîtra finalement un essor remarquable,
mais au prix d’efforts titanesques et d’innombrables déceptions. Durant la
première décennie du monopole de la CBH, les fléaux environnementaux
s’abattent sur les colons : pénuries de viande de bison ; incendies dans les
prairies ; récoltes médiocres ; une inondation majeure ; enfin, en 1827, une

7. Renée Fossett, In Order to Live Untroubled : Inuit of the Central Arctic, 1550–1940 (Manitoba
Studies in Native History), Winnipeg : University of Manitoba Press, 2001, p. 115, 140.
8. R. Grace Morgan, Beaver Ecology/Beaver Mythology (thèse de doctorat), University of Alberta, 1991,
p. 156-157.
9. John MacLean, McDougall of Alberta : A Life of Rev. John McDougall D.D., Pathfinder of Empire and
Prophet of the Plains, Toronto : F. C. Stephenson, 1927, p. 38 ; John West, The Substance of a Journal
during a Residence at the Red River Colony, British North America in the Years 1820–1823, Vancouver :
Alcuin Society, 1967, p. 37 ; Alfred W. Crosby, « Virgin Soil Epidemics as a Factor in the Aboriginal
Depopulation in America », William and Mary Quarterly, 33, 1976, p. 290-291.
10. Paul Hackett, « Averting Disaster : The Hudson’s Bay Company and Smallpox in Western Canada
during the Eighteenth and Early Nineteenth Centuries », Bulletin of the History of Medicine, 78,
2004, p. 594-595.
126 L a destruction des I ndiens des P laines

autre épidémie de coqueluche11. De ces calamités, l’inondation de 1826 est


incontestablement la plus dévastatrice ; de nombreux Européens aban-
donnent alors la colonie durement éprouvée12.
Si les colons ont commencé de s’établir moins de 10 ans plus tôt à la
rivière Rouge, une chasse très intensive s’y pratiquait déjà depuis plusieurs
décennies. Le commerce montréalais ayant repris dans les années 1760, les
terres comprises entre la confluence des rivières Rouge et Assiniboine et le lac
Winnipeg servent depuis cette époque de terrains de chasse, non seulement
aux Autochtones qui y vivent, mais aussi aux traiteurs, aussi bien les
Canadiens que les Anglais.
Dès avant la fondation de la colonie, la raréfaction du gibier a imposé
de lourdes contraintes aux Anichinabés établis aux abords de la rivière Rouge
dans les dernières décennies du 18e siècle. Quand les colons s’installent dans
la région, ils la trouvent considérablement appauvrie, déjà ravagée par la
chasse excessive. En plus de la mortalité épidémique et des affrontements
guerriers, l’épuisement du grand gibier a contribué au dépeuplement de ces
terres et à leur ouverture aux Anichinabés. Miles Macdonnell, qui orchestre
la mise sur pied de la colonie, affirme qu’ils attendent les colons avec beau-
coup d’impatience. Comme ils commercent depuis très longtemps avec les
Européens, ils en sont devenus « tout à fait dépendants, leurs terres étant
maintenant vidées de leurs meilleures fourrures ». Il précise ensuite : « Les
Saulteaux redoutent maintenant que les traiteurs ne les abandonnent et ils
sont très heureux de voir des gens de bonne vie s’établir ici de manière
permanente, les traiter avec honnêteté et justice, et pourvoir à leurs besoins13. »
En 1820, alors qu’il parcourt sa paroisse, le missionnaire anglican John West
observe les épreuves que traversent les Autochtones qui vivent aux abords de
la colonie. À l’hiver  1822-1823, les intempéries et le manque de gibier
forcent les Saulteaux du chef Peguis à manger leurs chiens ainsi que la carcasse
d’un cheval mort de froid14. Bien qu’ils soient d’habiles agriculteurs, ils
doivent s’avouer vaincus devant les calamités environnementales qui
s’abattent sur eux au début du 19e siècle.
Le triste sort des Saulteaux annonce l’épidémie de tuberculose qui
frappera toute la région un demi-siècle plus tard, dans la foulée de
­

11. Laura Peers, The Ojibwa of Western Canada, 1780–1870, Winnipeg : University of Manitoba Press,
1994, p. 130.
12. Burley, Servants of the Honourable Company, p. 127.
13. Donna G. Sutherland, Peguis : A Noble Friend, St. Andrews (Manitoba) : Chief Peguis Heritage
Park, 2003, p. 38.
14. West, The Substance of a Journal during a Residence at the Red River Colony, p. 117-119.
5  L e monopole de la CBH : expansion des colonies et mortalité autochtone , 1821-1869 127

l’extermination du bison et des ratés de l’agriculture. Établie sur la route qui


mène du Canada au Nord-Ouest, la colonie de la rivière Rouge s’impose
comme un pôle important de la contagion tuberculeuse : les brigades de
canots des Canadiens passent nécessairement par ce carrefour stratégique ; en
traversant les collectivités qui jalonnent la rivière, ils y apportent les patho-
gènes dont certains de leurs hommes sont porteurs15. Selon une étude scien-
tifique récente, la lignée des souches tuberculeuses originaires du Québec
aurait été propagée par les Canadiens français pendant la période du
commerce de la fourrure et persiste jusqu’en ce 21e  siècle dans certaines
collectivités autochtones isolées16.
En dépit des épreuves, la population de la colonie de la rivière Rouge
s’accroît tout au long des années 1820. Cette augmentation de sa population
s’explique en partie par la fermeture de certains postes après la fusion des
deux entreprises autrefois rivales. Ayant perdu leur emploi, certains hommes
se dirigent vers la colonie et viennent grossir le nombre des agriculteurs
immigrants qui arrivent de l’Est et de l’Europe. Des missions agricoles sont
mises sur pied pour aider les travailleurs autochtones déplacés à conquérir
leur autonomie économique ; c’est par exemple le cas de la mission Saint-
Pierre (St. Peter), établie sous la houlette de West au début des années 1820.
Pour les élites qui souhaitent créer des enclaves strictement européennes le
long de la rivière Rouge, l’afflux de ces natifs du pays pose problème. Au
milieu des années 1820, la CBH cesse d’accorder des terres dans les colonies
à ses ex-employés afin d’endiguer le nombre des « indésirables » qui ont besoin
de l’aide de l’entreprise pour survivre ou qui ne peuvent pas ou ne veulent pas
s’engager pleinement dans l’agriculture. En 1834, la CBH exige ainsi de ses
anciens employés qu’ils achètent au moins 50  acres (environ 20  hectares)
pour s’installer dans la colonie. Une dizaine d’années plus tard, elle leur
interdit purement et simplement l’accès à ces collectivités17.
Avec sa position monopolistique, la CBH gouverne de facto le Nord-
Ouest ; la moindre réorientation de ses stratégies commerciales enclenche
nécessairement des répercussions majeures pour les populations de la région.
La libre circulation de l’alcool ayant causé de graves problèmes sociaux dans
les décennies de la concurrence effrénée, la Compagnie impose un régime
prohibitionniste sur une partie de son territoire. En  1822, le conseil du

15. Laura Peers et Theresa Schenk (dir.), George Nelson : My First Years in the Fur Trade – The Journals of
1802–1804, Montréal : McGill-Queen’s University Press, 2002, p. 80-81.
16. Caitlin Pepperell et al., « Dispersal of Mycobacterium tuberculosis via the Canadian Fur Trade »,
Proceedings of the National Academy of Sciences, 108, 2011, p. 6526-6531.
17. Burley, Servants of the Honourable Company, p. 55-56.
128 L a destruction des I ndiens des P laines

Département du Nord ordonne une réduction de 50 pour cent de la quantité


d’alcool acheminée dans l’intérieur des terres. Dans les secteurs isolés, il
décrète une prohibition complète. En  1826, il interdit le commerce de
l’alcool dans les régions de l’Athabasca, du Mackenzie et de la rivière English
(anciennement, rivière aux Anglais), tarissant ainsi le flot d’alcool qui
abreuvait en toute légalité les pourvoyeurs de fourrures et les employés
au-delà de Cumberland House18. Trappeurs et chasseurs n’apprécient que très
médiocrement cette nouvelle politique : en 1824-1825, James Leith, agent
principal de Cumberland House, attribue la baisse de ses approvisionne-
ments aux restrictions qui viennent d’être imposées à la vente de l’alcool19.
Le long des frontières sud et ouest du territoire de la CBH, la présence des
traiteurs indépendants et autres commerçants rend sa charte plus difficile-
ment applicable, et le commerce officiel de l’alcool est maintenu. Aux confins
méridionaux du pays, la vente illégale d’alcool par des marchands américains
incite nombre de trappeurs et chasseurs à se détourner de la CBH et de son
monopole, devenu en réalité inopérant20.
L’entreprise se préoccupe aussi de préservation du gibier. Elle limite, ou
même interdit, le piégeage et la chasse de certaines espèces dans les régions
ravagées par les prises excessives. En Athabasca, les trappeurs iroquois de la
Compagnie du Nord-Ouest ont amené le castor au bord de l’extinction ; dès
les années  1820, certains gros animaux comme l’orignal, le caribou et le
bison ont également presque disparu21. Lors de sa tournée d’inspection
de 1823, George Simpson est « atterré » de constater l’état des terres entourant
le Nelson et la basse Churchill : « Il ne vit nulle trace de castor et ne trouva
d’autre remède que d’interdire complètement la chasse à cet animal dans
cette région pour une durée de cinq ans. » Ses toutes premières directives
prohibent le commerce du castor d’été (dit aussi « castor veule ») ainsi que
l’utilisation des pièges de métal et du castoréum ; elles établissent également
des stratégies pour réhabiliter l’Athabasca en la convertissant en région
productrice de rats musqués, une peau de peu de prix22.

18. A. S. Morton, A History of the Canadian West to 1870–71, Toronto : University of Toronto Press,
1973, p. 640 ; E. E. Rich, The History of the Hudson’s Bay Company, 1670–1870 (3 vol.), Londres :
Hudson’s Bay Record Society, 1959, 2, p. 477-478.
19. Peers, The Ojibwa of Western Canada, p. 102 ; Paul Thistle, Indian–European Trade Relations in the
Lower Saskatchewan River Region to 1840, Winnipeg : University of Manitoba Press, 1986, p. 91-92.
20. Peers, The Ojibwa of Western Canada, p. 101-102.
21. Shepard Krech III, « The Influence of Disease and the Fur Trade on Arctic Drainage Lowlands
Dene, 1800–1850 », Journal of Anthropological Research, 39, 1983, p. 132-133 ; Gertrude Nicks,
Demographic Anthropology of Native Populations in Western Canada, 1800–1975 (thèse de doctorat),
University of Alberta, 1980, p. 51.
22. Rich, The History of the Hudson’s Bay Company, 2, p. 471-472.
5  L e monopole de la CBH : expansion des colonies et mortalité autochtone , 1821-1869 129

Toutefois, ces mesures de préservation de la ressource s’appliquent


uniquement aux régions dans lesquelles il est possible et réaliste d’abaisser la
production de fourrures et de faire respecter les prérogatives monopolistiques
de l’entreprise23. Dans les territoires également très éprouvés par les prises
excessives, mais plus isolés, par exemple autour du Grand lac des Esclaves, les
trappeurs et chasseurs sont contraints à l’exil : les traiteurs « expulsent les
[Indiens] Castors venus leur rendre visite sans même avoir envers eux la
décence élémentaire de leur offrir un peu de tabac24 ». Si elle visait à favoriser
la reconstitution des stocks de gibier, la fermeture d’un certain nombre de
postes de traite impose aussi de nouvelles difficultés aux populations
autochtones locales. Simpson lui-même reconnaît que la fermeture de Fort
St. John (Saint-Jean) « réduit toute la population de la haute rivière de la Paix
à la plus grande indigence » ; elle condamnera même de nombreuses personnes
à mourir de faim25.
Dans les régions dans lesquelles elle ne peut faire respecter ses privilèges
monopolistiques, par exemple dans les Plaines ou la prairie-parc, la CBH
doit affronter la concurrence des traiteurs libres et des Américains. Ils incitent
vivement les trappeurs autochtones à piéger le gibier sans retenue, laissant
ainsi aux confins du territoire de la CBH une grande bande de terres vidées
de leurs animaux à fourrure26. En 1826, un système de quotas de castors est
implanté sur l’ensemble du territoire ; les zones frontalières en sont toutefois
exclues, par exemple, les régions de la rivière à la Pluie, de la Rouge et de la
Saskatchewan27. Au sud-ouest du domaine de la CBH, les membres de
l’expédition de Peter Skene Ogden à destination de la rivière Snake reçoivent
l’ordre de « chasser autant d’animaux qu’il leur sera possible sur toutes les
terres au sud du Columbia et à l’ouest des Montagnes28 ».
Les chasseurs et trappeurs autochtones réagissent de diverses manières
aux restrictions qui leur sont maintenant imposées. Certains, par exemple les
Dunnezas de la rivière de la Paix, s’en prennent aux traiteurs pour manifester

23. Arthur J. Ray, « Periodic Shortages, Native Welfare, and the Hudson’s Bay Company, 1670–1930 »,
dans : Shepard Krech III (dir.), The Subarctic Fur Trade : Native Social and Economic Adaptations,
Vancouver : UBC Press, 1984, p. 6.
24. Nicks, Demographic Anthropology of Native Populations in Western Canada, p. 31.
25. Robin Ridington, « Changes of Mind : Dunne-za Resistance to Empire », B.C. Studies, 43, 1979,
p. 68 ; Nicks, Demographic Anthropology of Native Populations in Western Canada, p. 51.
26. Peers, The Ojibwa of Western Canada, p. 103.
27. Ray, « Some Conservation Schemes of the Hudson’s Bay Company », p. 55-57.
28. Barry Cooper, Alexander Kennedy Isbister : A Respectable Critic of the Honourable Company, Ottawa :
Carleton University Press, 1988, p.  72 ; Glyndwr Williams, « Introduction », dans : Peter Skene
Ogden’s Snake Country Journals 1827–28 and 1828–29, Londres :  Hudson’s Bay Record Society,
1971, p. xiv.
130 L a destruction des I ndiens des P laines

leur mécontentement après la fermeture de leur fort. À l’automne 1823, leurs


offensives font cinq morts29. Toujours en Athabasca, les trappeurs
commerciaux anichinabés qui avaient investi le territoire une génération
auparavant abandonnent le Petit lac des Esclaves pour se convertir à
l’économie mixte de la prairie-parc, plus au sud. Face à l’imprévisibilité du
commerce du rat musqué, d’autres groupes anichinabés, par exemple ceux de
Cumberland House, abandonnent la région et se font chasseurs de bisons30.
En se détournant de la traite des fourrures pour s’enraciner dans les Plaines,
les Anichinabés s’engagent aux côtés des Cris dans les conflits armés qui les
opposent régulièrement aux Niitsitapis et aux Mandans du Missouri ; ils
deviennent ainsi des acteurs incontournables de la dynamique guerrière dans
la région31.
Les Cris des Plaines rétablissent leur niveau démographique dans les
années 1820, essentiellement parce qu’ils quittent les régions forestières au
profit des prairies et du bison32. En allant vers l’Ouest, les Cris, à l’instar des
Anichinabés, confirment un vaste mouvement migratoire amorcé 500 ans
plus tôt. La traite monopolistique de la fourrure n’offrant plus les mêmes
possibilités qu’avant, plusieurs groupes s’en retirent, à tout le moins
temporairement, et préservent ainsi leur indépendance durant les années
« despotiques » de la CBH33. Cependant, loin de rompre toute relation
économique avec les Européens, les Autochtones qui émigrent des secteurs
forestiers cherchent ainsi à répondre aux nouvelles demandes du marché
générées par le libre commerce et la chasse au bison.
Les pourvoyeurs de fourrures isolés des confins du territoire de la CBH
ne connaîtront pas un sort aussi prospère, en particulier ceux qui vivent dans
la forêt boréale ou les régions limitrophes de la toundra. L’entreprise adopte
une nouvelle politique qui les oblige à commercer avec un poste de traite en

29. Knut Fladmark, « Early Fur-Trade Forts of the Peace River Area of British Columbia », B.C. Studies,
65, 1985, p. 51-52 ; David V. Burley, J. Scott Hamilton et Knut Fladmark, Prophecy of the Swan :
The Upper Peace River Fur Trade of 1794–1823, Vancouver : UBC Press, 1996, p. 126, 129 ; Shepard
Krech III, « The Banditte of St. John’s », The Beaver, 313, 1982, p. 36-41 ; Shepard Krech III, « The
Beaver Indians and the Hostilities at Fort St. John’s », Arctic Anthropology, 20, 1983, p. 35-45.
30. Ray, « Some Conservation Schemes of the Hudson’s Bay Company », p. 54-55.
31. Milloy, The Plains Cree : Trade, Diplomacy, and War, 1790 to 1870, p. 65 ; Hugh Dempsey, Big Bear :
The End of Freedom, Vancouver : Douglas and McIntyre, 1984, p. 12-15 ; Susan Sharrock, « Crees,
Cree–Assiniboines, and Assiniboines : Interethnic Social Organization on the Far Northern Plains »,
Ethnohistory, 21, 1974, p. 111-115.
32. Jody Decker, « Depopulation of the Northern Plains Natives », Social Science Medicine, 33, 1991,
p. 388-390.
33. Laura Peers, « Changing Resource-Use Patterns of Saulteaux Trading at Fort Pelly, 1821–1870 »,
dans : Kerry Abel et Jean Friesen (dir.), Aboriginal Resource Use in Canada : Historical and Legal
Aspects, Winnipeg : University of Manitoba Press, 1991, p. 107-118.
5  L e monopole de la CBH : expansion des colonies et mortalité autochtone , 1821-1869 131

particulier, et à obtenir l’approbation de ses représentants s’ils veulent investir


une autre région34. Pour fixer des quotas proportionnels au poids
démographique des postes, la CBH réalise des recensements35. La direction
de l’entreprise s’oppose fortement à ce que les pourvoyeurs autochtones
déplacés quittent les régions touchées par les restrictions commerciales pour
aller s’établir dans d’autres secteurs, par exemple la colonie de la rivière
Rouge. Dans les années 1820, le déclin du gros gibier contraint les chasseurs
du Nord à réorganiser en profondeur leur mode de subsistance. Pour nombre
d’entre eux, le poisson et le lièvre, ressources pourtant précaires, s’imposent
maintenant comme des aliments de base. La CBH implante plusieurs
mesures pour maintenir les populations autochtones dans les secteurs de
l’arrière-pays dévastés par la disparition du gibier, par exemple la distribution
de primes et l’octroi de crédit36. Au nord de Norway House, l’emploi
saisonnier dans les brigades de bateaux d’York contribue à améliorer
l’ordinaire de ceux qui choisissent de rester dans les terres à fourrures saccagées
par l’exploitation intensive pour continuer d’y pratiquer la chasse ou le
piégeage d’hiver37. Dans le secteur York, des primes sont versées aux trappeurs
qui s’abstiennent de chasser les espèces menacées d’extinction38.
Même quand elles sont bien acceptées par les populations locales, les
mesures de préservation du gibier imposées par l’entreprise ne mettent pas les
animaux à l’abri des chasseurs-trappeurs de l’extérieur de la région, qui
enfreignent les nouveaux règlements sans aucun scrupule39. Pour contourner
le différentiel des prix décrétés par l’entreprise et maximiser leurs profits, des
groupes chipewyans et inuits échangent leurs fourrures avant d’aller
commercer avec les Européens à Churchill40. Dans le secteur de Cumberland
House, les Cris ne tiennent simplement aucun compte des plaidoyers en

34. E.  S.  Rogers, « Cultural Adaptations : The Northern Ojibwa of the Boreal Forest 1670–1980 »,
dans : A.  T.  Steegmann (dir.), Boreal Forest Adaptations : The Northern Algonkians, New York :
Plenum Press, 1983, p. 108.
35. Marshall Hurlich, « Historical and Recent Demography of the Algonkians of Northern Ontario »,
dans : A.  T.  Steegmann (dir.), Boreal Forest Adaptations : The Northern Algonkians, New York :
Plenum Press, 1983, p. 170.
36. Ray, « Periodic Shortages, Native Welfare, and the Hudson’s Bay Company », p. 10.
37. Judd, « Native Labour and Social Stratification in the Hudson’s Bay Company’s Northern
Department », p. 307.
38. Morton, A History of the Canadian West to 1870–71, p. 698 ; Robert Brightman, « Conservation and
Resource Depletion : The Case of the Boreal Forest Algonkians », dans : Bonnie McCay et James
Acheson (dir.), The Question of the Commons : The Culture and Ecology of Communal Resources,
Tucson : University of Arizona Press, 1987, p. 137.
39. Brightman, « Conservation and Resource Depletion », p. 135.
40. Katherine L.  Reedy-Maschner et Herbert D.  G.  Maschner, « Marauding Middlemen : Western
Expansion and Violent Conflict in the Subarctic », Ethnohistory, 46, 1999, p. 712.
132 L a destruction des I ndiens des P laines

faveur de la préservation des stocks41. Leur insoumission s’explique sans


doute par la présence des traiteurs indépendants le long de la basse
Saskatchewan depuis la fusion. Pour protéger son monopole, la CBH tentera
par divers moyens d’expulser les hommes libres de l’arrière-pays42.
L’essor de la colonie de la rivière Rouge bouleverse le paysage
économique, mais aussi épidémiologique, de la Terre de Rupert. En
particulier, elle sert de réservoir de main-d’œuvre saisonnière pour le
gigantesque réseau de transport qui approvisionne le monopole. Disposant
d’un surplus de travailleurs natifs de la région à ses entrepôts de l’intérieur
des terres comme en d’autres points de son territoire, la CBH n’est plus
obligée de recruter dans les îles britanniques. Avec le temps, sa main-d’œuvre
se métisse. En 1830, elle se compose à 20 pour cent de natifs de la région ;
30 ans plus tard, la moitié des employés de la CBH sont nés dans le Nord-
Ouest. Les cadres, encore des Britanniques pour la plupart, les trouvent
« ingérables43 ».
Selon les estimations, la colonie regroupe environ 8 000 personnes au
milieu des années 185044. Sa demande de viande ne cesse d’augmenter ; elle
stimule fortement l’économie de la chasse qui s’est développée à l’époque de
la concurrence effrénée pour approvisionner les brigades de la Compagnie du
Nord-Ouest, et qui est maintenant pour l’essentiel entre les mains des Métis.
D’autres sociétés autochtones s’intéressant également aux hardes, les conflits
interethniques se multiplient. Les Anichinabés s’en prennent aux chasseurs
métis ; plus tard, la compétition s’élargissant à de nouveaux acteurs, les deux
groupes finiront toutefois par coopérer. Par contre, les attaques des Sioux
contre les chasseurs de la rivière Rouge s’enveniment ; dans les années 1840,
c’est une véritable guerre qui les oppose45. Le déclin des hardes accentue les
tensions entre les Cris des Plaines et les chasseurs qui approvisionnent la
colonie en viande ; dans les années 1850, leurs accrochages font place à un

41. Shepard Krech III, The Ecological Indian : Myth and History, New York : W.  W.  Norton and
Company, 1999, p. 194 ; Thistle, Indian–European Trade Relations in the Lower Saskatchewan River
Region to 1840, p. 88.
42. Martha McCarthy, To Evangelize the Nations : Roman Catholic Missions in Manitoba, 1818–1870,
Winnipeg : Manitoba Culture, Heritage and Recreation, Historic Resources, 1990, p. 51.
43. Burley, Servants of the Honourable Company, p. 102, 107-108.
44. Aborigines’ Protection Society, Canada West and the Hudson’s Bay Company : A Political and Humane
Question of Vital Importance to the Honour of Great Britain, to the Prosperity of Canada, and to the
Existence of the Native Tribes ; Being an Address to the Right Honourable Henry Labouchere, Her
Majesty’s Principal Secretary of State for the Colonies, Londres : William Tweedie, 1856, p. 3.
45. McCarthy, To Evangelize the Nations, p. 16. Voir aussi : David McCrady, Living with Strangers : The
Nineteenth-Century Sioux and the Canadian–American Borderlands (thèse de doctorat), University of
Manitoba, 1998, p. 20-27 ; Milloy, The Plains Cree, p. 111 ; Ron Rivard et Catherine Littlejohn, The
History of the Métis of Willow Bunch, Saskatoon : Apex Graphics, 2003, p. 58-68.
5  L e monopole de la CBH : expansion des colonies et mortalité autochtone , 1821-1869 133

conflit violent ouvertement déclaré46. « [Les bisons] sont maintenant comme


une balle que se disputeraient deux joueurs », constate Alexander Ross au
milieu du 19e siècle47.
La demande mondiale de peaux déstabilise le marché de la viande,
certes croissant, mais local. En 1865, 200 000 peaux sont acheminées chaque
année jusqu’à St.  Louis. Elles entrent dans la fabrication de produits très
divers : « Les ceinturons des soldats britanniques en Inde, les courroies
­d’entraînement des machines industrielles de Liverpool et les meubles de luxe
dans les hôtels particuliers de Manhattan48. » L’explosion de la demande
mondiale détruit l’offre alimentaire locale et cause une pénurie de viande dans
la colonie de la rivière Rouge. Dès les années 1850, la chasse a réduit à néant
les hardes de la lisière orientale des Plaines, et les parcours d’approvisionne-
ment des Métis sont devenus trop longs pour que les chasseurs puissent
retourner à la colonie à la fin de leurs expéditions. Ils établissent des campe-
ments hivernaux de plus en plus loin vers l’Ouest et se font « hivernants »49.
L’extinction des hardes à l’est oblige également la CBH à déplacer vers l’ouest
ses postes d’approvisionnement en pemmican. En 1829, le fort Pitt est ainsi
construit entre les forts de Carlton et d’Edmonton pour acheter la viande
indispensable au commerce50. En  1830, le fort Ellice supplante Brandon
House comme principal poste d’approvisionnement. Moins de 20 ans plus
tard, ce nouvel établissement lui-même se trouve trop à l’est pour bien jouer
son rôle, et l’entreprise doit ouvrir d’autres postes, plus à l’ouest, pour se
rapprocher des hardes déclinantes51.
Après la fusion, l’augmentation de la part des employés autochtones
dans la main-d’œuvre, jusqu’alors essentiellement européenne, redéfinit aussi
l’écologie des pathogènes dans le Nord-Ouest. La plupart des Européens
établis dans la région sont immunisés contre les maladies endémiques dans
leur pays d’origine ; faute d’y avoir été exposés, les natifs du Nord-Ouest y
succombent en grand nombre. Les maladies contagieuses se propagent de
plus en plus par les réseaux de transport qui parcourent l’intérieur des terres.

46. Milloy, The Plains Cree, p. 99 ; Ray, « Periodic Shortages, Native Welfare, and the Hudson’s Bay
Company », p. 5.
47. Frank G. Roe, The North American Buffalo : A Critical Study of the Species in Its Wild State, Toronto :
University of Toronto Press, 1970, p. 396.
48. Jeffrey Ostler, The Plains Sioux and U.S. Colonialism from Lewis and Clark to Wounded Knee,
Cambridge (R.-U.) : Cambridge University Press, 2004, p. 57-58.
49. John Foster, « Wintering, the Outsider Adult Male, and the Ethnogenesis of the Western Plains
Métis », Prairie Forum, 19, 1994, p. 1-15.
50. J. G. MacGregor, John Rowand : Czar of the Prairies, Saskatoon : Western Producer Prairie Books,
1978, p. 88-89.
51. Milloy, The Plains Cree, p. 105.
134 L a destruction des I ndiens des P laines

La population en plein essor de la colonie de la rivière Rouge entretient par


ailleurs les bassins infectieux sur de très longues périodes, et permet ainsi aux
pathogènes de prendre la route avec les brigades qui s’élancent vers l’arrière-
pays chaque printemps52.
En Amérique du Nord, l’emprise économique et microbienne de l’Est
sur l’Ouest s’intensifie irrépressiblement. Au milieu des années  1820,
l’ouverture du canal Érié ouvre toutes grandes les vannes de l’immigration à
destination du Midwest. En 1826, 1 200 personnes en partance vers l’ouest
traversent ainsi chaque jour la ville de Buffalo53. Comme ce sera le cas dans
le Nord-Ouest quelques décennies plus tard, le développement économique
tous azimuts apporte son lot de fléaux ; en particulier, il déchaîne la
tuberculose sur les populations autochtones du nord de l’État de New York54.
Les bateaux à vapeur amènent de plus en plus rapidement vers l’ouest des
voyageurs de plus en plus nombreux, et leurs microbes avec eux55.
Le long du Missouri, l’accroissement des échanges commerciaux
américains et, par conséquent, celle des charges infectieuses en circulation,
contribuent à la destruction des sociétés sédentaires agricoles établies au sud
du 49e parallèle. En 1830, la American Fur Company possède déjà plusieurs
forts sur le fleuve. Ce dynamisme commercial bénéficie également de l’arrivée
des Premières Nations qui ont migré vers le sud après la restructuration de la
CBH dans la Terre de Rupert. Les nouveaux établissements américains
attirent ainsi une part importante des peaux de castors provenant du territoire
de la Compagnie. Le long du Missouri, les Américains supplantent très vite
les Mandans, qui contrôlaient depuis de longues années déjà le commerce
autochtone dans les Plaines du nord des États-Unis. N’ayant plus désormais
pour alliés que les Hidatsas et les Crows, soumis aux attaques constantes des
Cris, des Saulteaux et des Assiniboines du Nord et des Sioux de l’Est, les
Mandans se retrouvent complètement isolés56. Dès le milieu des années 1830,
en raison notamment des pressions économiques et militaires qui s’ajoutent
à plusieurs décennies d’imprévisibilité des récoltes et d’instabilité climatique,
la tuberculose éclate dans leurs villages assiégés du Missouri57. Au début de
cette décennie, des flambées de coqueluche et de choléra les avaient déjà

52. Hackett, “A Very Remarkable Sickness”, p. 172. Voir également : Arthur J. Ray, « Diffusion of Diseases
in the Western Interior of Canada, 1830–1850 », Geographical Review, 66, 1976, p. 139-157.
53. Hackett, “A Very Remarkable Sickness”, p. 161.
54. Samuel G. Morton, Illustrations of Pulmonary Consumption : Its Anatomical Characters, Causes,
Symptoms, and Treatment, Philadelphie : E. C. Biddle, 1837, p. 312-313.
55. Hackett, “A Very Remarkable Sickness”, p. 162-163.
56. Milloy, The Plains Cree, p. 65.
57. Fossett, In Order to Live Untroubled, p. 140.
5  L e monopole de la CBH : expansion des colonies et mortalité autochtone , 1821-1869 135

considérablement fragilisés58. Dans une étude sur la tuberculose publiée


en 1837, Samuel Morton indique que la maladie « est responsable d’une part
importante de la mortalité qui frappe annuellement les Mandans du haut
Missouri59 ».
En 1831, la variole déferle sur les Plaines centrales américaines et tue la
moitié de la nation pawnee60. En réponse aux instances pressantes du
révérend  John McCoy, le gouvernement des États-Unis implante un
programme de prévention qui permet d’immuniser plus de 3 000 personnes
dans la région du cours inférieur du Missouri. Malheureusement pour les
collectivités du haut du fleuve, les médecins n’arrivent pas à mener leur
campagne de vaccination à terme à l’été  1832. Dès l’année suivante, ils
demandent à être envoyés dans la région qu’ils n’ont pu visiter ; leur requête
est rejetée. Les Mandans, les Hidatsas, les Arikaras, les Assiniboines, les
Cris  et les Niitsitapis établis sur le territoire des États-Unis ne seront pas
vaccinés.
La flambée de variole qui se propage le long du Missouri en  1837
provoque des ravages considérables dans ces nations. La campagne de vaccina-
tion partielle déployée précédemment détermine l’impact de l’épidémie dans
les différentes populations, et décide en grande partie de l’évolution des
Plaines américaines dans les décennies qui suivent. Contrairement à leurs
voisins, la plupart des Sioux sont épargnés par la maladie, soit parce qu’ils ont
été vaccinés, soit parce qu’ils évitent soigneusement tout contact avec les
porteurs du pathogène ; dans un cas comme dans l’autre, cette bonne fortune
favorisera considérablement leur expansion territoriale dans les années
futures61.
Selon les estimations, l’épidémie de  1837-1838 tue environ
17 000 personnes et transforme la région en « un gigantesque cimetière62 ».

58. Michael K. Trimble, « Chronology of Epidemics among Plains Village Horticulturalists, 1738–
1838 », Southwestern Lore, 54, 1988, p. 23.
59. Morton, Illustrations of Pulmonary Consumption, p. 312-313. Ce constat témoigne de l’émergence
de la maladie dans le nord du territoire britannique.
60. Michael K. Trimble, « The 1832 Inoculation Program on the Missouri River », dans : John W. Verano
et Douglas Ubelaker (dir.), Disease and Demography in the Americas, Washington (DC) : Smithsonian
Institution Press, 1992, p. 260-263.
61. Ostler, The Plains Sioux and U.S. Colonialism from Lewis and Clark to Wounded Knee, p. 31.
62. Trimble, « The 1832 Inoculation Program on the Missouri River », p. 257. De toutes les épidémies
qui ont touché les Plaines au 19e siècle, celle de 1837 est sans doute la plus abondamment décrite
dans les documents de l’époque. En ce qui concerne la situation au sud de la frontière, voir : Milo
M. Quaife (dir.), « The Smallpox Epidemic on the Upper Missouri », Mississippi Valley Historical
Review, 17, 1930-1931, p. 278-299 ; Clyde D. Dollar, « The High Plains Smallpox Epidemic of
1837–38 », Western Historical Quarterly, 8, 1977, p. 15-38 ; Michael K. Trimble, « The 1837–1838
Smallpox Epidemic on the Upper Missouri », dans : Douglas Owsley et Richard Jantz (dir.), Skeletal
136 L a destruction des I ndiens des P laines

Bataille entre Pieds-Noirs, Cris et Assiniboines, Fort McKenzie, Montana, 1833. Glenbow
Archives, NA-2347-1.

Apportée par l’équipage infecté d’un bateau à vapeur, le St. Peters, la maladie


remonte le Missouri sur toute sa longueur. Moins de deux ans plus tard, elle
abat son emprise mortelle sur les Mandans. Affaiblis par un taux de mortalité
que certains chercheurs établissent à 90 pour cent63, leurs villages sont écrasés
par les Sioux en janvier 1839.
La maladie dévaste aussi les collectivités assiniboines et niitsitapies dont
les territoires chevauchent le 49e parallèle. Les Assiniboines ont fait la sourde
oreille aux Américains qui leur recommandaient de ne pas s’approcher de
Fort Union64. À Edmonton, John Rowand estime que le taux de mortalité a
pu atteindre les 75 pour cent dans les deux groupes65. Une dizaine d’années
plus tard, les traces de l’hécatombe restent bien visibles. Paul Kane écrit

Biology in the Great Plains : Migration, Warfare, Health, and Subsistence, Washington  (DC) :
Smithsonian Institution Press, 1994, p. 81-89 ; K. C. Tessendorf, « Red Death on the Missouri »,
American West, 14, 1977, p.  48-53 ; R.  G.  Robertson, Rotting Face : Smallpox and the American
Indian, Caldwell (Idaho) : Claxton Press, 2001.
63. Ostler, The Plains Sioux and U.S. Colonialism from Lewis and Clark to Wounded Knee, p. 31.
64. Ray, « Diffusion of Diseases in the Western Interior of Canada », p. 155-156.
65. Arthur J. Ray, Indians in the Fur Trade : Their Role as Trappers, Hunters, and Middlemen in the Lands
Southwest of Hudson Bay, Toronto : University of Toronto Press, 1974, p. 193n11.
5  L e monopole de la CBH : expansion des colonies et mortalité autochtone , 1821-1869 137

en 1848 : « La plaine était semée des ossements de tout un camp indien, qui
avait été détruit par le fléau habituel à cette race, la petite vérole [la variole]66. »
La CBH procurant une assistance, médicale et autre, à ses pourvoyeurs
des régions viables, l’épidémie cause moins de ravages sur son territoire. Le
gouverneur Simpson décrit en ces termes les postes de la CBH : « [Ce sont
des] hôpitaux pour les Indiens qui nourrissent, habillent et voient à la
subsistance de tous ceux qui ne peuvent pas chasser dans les mois d’hiver67. »
L’entreprise n’est pas motivée uniquement par l’altruisme ; ses employés
viennent en aide aux femmes, aux malades et aux personnes âgées de sorte
que les hommes en bonne santé puissent continuer de se consacrer à la chasse
commerciale.
Dans le secteur de la rivière Swan, le Dr  William Todd, surnommé
« Picote » parce qu’il a lui-même été défiguré par la variole, implante une
grande campagne de vaccination qui contribue largement à enrayer la progres-
sion de la maladie68. Son travail aura des conséquences décisives sur l’évolu-
tion démographique des populations autochtones des Plaines canadiennes.
Après l’épidémie, les survivants cris, saulteaux et assiniboines se regroupent,
abolissant au passage les lignes de démarcation ethniques entre eux69. La
maladie ne frappant pas également tous les groupes, elle en affaiblit certains
tandis qu’elle en favorise d’autres, par exemple les Anichinabés, ou Saulteaux,
dans le territoire qu’ils partagent avec les Cris et les Assiniboines, particulière-
ment au sud de la rivière Assiniboine70. La plupart des Autochtones qui le
peuvent se font vacciner par la CBH ; nombreux sont ainsi les groupes qui se
rendent jusqu’au poste de Todd pour réclamer l’immunisation. Quelques-
uns, par exemple une bande de Cris de la Qu’Appelle, acceptent de se faire
vacciner, mais seulement après qu’ils en ont discuté avec Todd71.

66. Paul Kane, Les Indiens de la Baie d’Hudson : Promenades d’un artiste parmi les Indiens de l’Amérique
du Nord, depuis le Canada jusqu’à l’île de Vancouver et l’Orégon à travers le territoire de la Compagnie
de la Baie d’Hudson (« imité de l’anglais » par Edouard Delessert), Paris : Amyot, 1861, p. 71-72.
67. Hackett, “A Very Remarkable Sickness”, p. 447-448 ; Ray, « Periodic Shortages, Native Welfare, and
the Hudson’s Bay Company », p. 1-20.
68. Bibliothèque et Archives Canada (ci-après : BAC), MG 29 B 15, Robert Bell Papers, vol. 61, f. 34,
Anonyme, « Reminiscences of One of the Last Descendants of a Bourgeois of the Northwest
Company », n.d., p. 29 ; Arthur J. Ray, « Smallpox : The Epidemic of 1837–38 », The Beaver, 306,
1975, p. 9-11.
69. Peers, The Ojibwa of Western Canada, p. 142.
70. Patricia Albers, « Changing Patterns of Ethnicity in the Northeastern Plains, 1780–1870 », dans :
Jonathan Hill (dir.), History, Power, and Identity : Ethnogenesis in the Americas, 1492–1992, Iowa
City : University of Iowa Press, 1996, p. 104.
71. ACBH, B.159/a/17, Dr. Todd’s Journal, 22-23  octobre  1837, p.  5 ; 15  novembre  1837, p.  8 ;
8 décembre 1837, p. 9b.
138 L a destruction des I ndiens des P laines

Après chaque flambée, les communautés protégées par l’immunisation


accroissent leurs territoires. Ayant été vaccinés en grand nombre, les Saulteaux
et les Cris des Plaines gagnent du terrain dans la foulée de l’épidémie de
1837-183872. À l’inverse, les Assiniboines et les Niitsitapis, qui n’ont pas
bénéficié des programmes d’immunisation, sont décimés par la maladie73.
Elle aurait fait 6 000 morts chez les Niitsitapis, et contraint des groupes
entiers à l’exil : quittant leurs terres les plus septentrionales des bords de la
rivière Battle, les Siksikas partent s’établir sur un territoire qui deviendra leur
réserve de Blackfoot Crossing, sur la rivière Bow74. En 1841, Simpson signale
que les Siksikas « ont perdu ces dernières années la moitié de leur population
en raison de la variole et d’autres causes ». Les Tsuu T’inas (Sarcis) sont très
durement frappés. Simpson estime que leur population est passée de
1 800 personnes à 250 à peine75.
Des spécialistes se sont intéressés au rôle de l’épidémie dans le déclin
des Assiniboines, présents à une certaine époque dans tout le Nord-Ouest ou
presque. Le chef Dan Kennedy indique que le groupe a été « littéralement
effacé de la carte76 ». Même les premiers chroniqueurs de l’histoire de l’Ouest
signalent que les Assiniboines, généralement regroupés en bandes plus
populeuses que leurs voisins, s’avèrent particulièrement vulnérables face à la
variole. En 1860, le Dr James Hector écrit ainsi que la maladie « semble s’en
prendre à eux avec plus de virulence qu’aux autres tribus, à tel point qu’elle
les a exterminés ou presque, et que la partie Nord de leur territoire est occupée
par les Cris, moins hostiles77 ».
Selon le chef Kennedy, les survivants assiniboines se seraient enfuis vers
l’ouest jusqu’aux Rocheuses, en traversant un territoire ennemi ; leurs
descendants actuels vivraient dans la réserve de Morley, en Alberta78. S’il est

72. Decker, « Depopulation of the Northern Plains Natives », p. 388.


73. Dan Kennedy, Recollections of an Assiniboine Chief/Dan Kennedy (Ochankugahe) (sous la direction de
James Stevens), Toronto : McClelland and Stewart, 1972, p. 72-73 ; Ray, Indians in the Fur Trade,
p. 187-188.
74. Hugh A. Dempsey, « Smallpox : Scourge of the Plains », dans : Anthony Rasporich et Max Foran, In
Harm’s Way : Disasters in Western Canada, Calgary : University of Calgary Press, 2004, p.  26 ;
William Barr, « Lieutenant Aemilius Simpson’s Survey : York Factory to Fort Vancouver, 1826 »,
dans : Selected Papers of Rupert’s Land Colloquium 2000, documents compilés par David G. Malaher,
Winnipeg : Centre for Rupert’s Land Studies, University of Winnipeg, 2000, p. 7.
75. Hugh A. Dempsey (dir.), « Simpson’s Essay on the Blackfoot », Alberta History, 38, 1990, p. 3.
76. Kennedy affirme que les Assiniboines n’étaient plus que 3 000 en 1947, un dixième de leur popula-
tion estimée au début du 19e siècle. SAB, Mary Weekes Papers, R-100, vol. 3, f. 40, Dan Kennedy
to Mary Weekes, 9 December 1947.
77. James Hector et W. S. W. Vaux, « Notice of the Indians Seen by the Exploring Expedition under the
Command of Captain Palliser », Transactions of the Ethnological Society of London, 1, 1860, p. 251.
78. Kennedy, Recollections of an Assiniboine Chief, p. 72-73.
5  L e monopole de la CBH : expansion des colonies et mortalité autochtone , 1821-1869 139

plausible qu’ils se soient réfugiés parmi les Stoneys, cela n’est toutefois guère
probable : les recherches linguistiques établissent que les deux groupes ont
vécu séparément si longtemps que le Stoney serait « sur le point de devenir
une langue distincte » des autres dialectes Sioux, y compris l’Assiniboine79.
La maladie et la mort ont certainement joué un rôle dans la migration des
Stoneys vers les contreforts des Rocheuses ; cependant, ils occupaient cette
région depuis la fin du 18e siècle au moins, et commerçaient d’ailleurs avec la
CBH aux postes d’Edmonton et de Rocky Mountain House80. Quelle que
soit la mortalité exacte que la flambée de 1837 a infligée aux Assiniboines, la
variole a de toute évidence contribué à leur déclin rapide au 19e siècle. Ils ont
également pâti de ne pas avoir su maintenir des troupeaux équins suffisants
pour rester compétitifs dans l’économie de la chasse au bison. Dès le milieu
du 19e  siècle, les documents les décrivent sous les traits d’une population
« appauvrie » ne possédant presque pas de chevaux81. Les quelques réserves
qu’ils occupent à l’heure actuelle ne constituent qu’un très pâle écho de la
puissance qui était jadis la leur dans tout l’Ouest.
En plus de se faire vacciner, nombreux sont les groupes qui recourent à
une stratégie dûment éprouvée pour éviter la contagion : prendre le large
pour aller se réfugier dans les secteurs les plus sûrs de la forêt ou des Plaines.
À Pelly, rapporte le Dr Todd, au moins deux bandes refusent de se rendre au
poste de traite par crainte de l’infection ; l’une vit le long de la rivière Red
Deer (au Manitoba), l’autre dans les monts Beaver. Ces deux groupes
préfèrent subsister de peine et de misère en se nourrissant de lièvres plutôt
que de courir le risque d’attraper la terrible maladie en gagnant les terres des
Plaines fertiles en bisons82.
La CBH procure aux groupes autochtones différents types d’assistance
médicale pendant ses années de monopole, notamment des vaccins
administrés par le Dr  Todd, d’autres employés de la CBH, ou même des
membres des Premières Nations formés à cette fin. Todd envoie en effet un
groupe de pourvoyeurs autochtones dans les « Strong Woods » munis de
produits pharmaceutiques et d’une  lancette (une lame effilée pour la
vaccination) ; le médecin prend aussi « beaucoup de peine à leur expliquer

79. Douglas R.  Parks et Raymond J.  DeMallie, « Sioux, Assiniboine, and Stoney Dialects : A
Classification », Anthropological Linguistics, 34, 1992, p. 248.
80. Ian A. L. Getty et Erik Gooding, « Stoney », dans : Raymond J. DeMallie, Plains, vol. 13, partie 1
du Handbook of North American Indians, Washington (DC) : Smithsonian Institution Press, 2001,
p. 596.
81. Gary Doige, Warfare Patterns of the Assiniboine to 1809 (mémoire de maîtrise), University of
Manitoba, 1987, p. 172.
82. ACBH, B.159/a/17 :9b (8 décembre 1837), 16b (5 mars 1838).
140 L a destruction des I ndiens des P laines

comment s’en servir pour vacciner les gens83 ». De tous les pathogènes qui
menacent à l’époque les humains, la variole s’avère incontestablement le plus
virulent ; elle est cependant relativement simple à prévenir grâce à l’inoculation
d’une préparation contenant le virus de la vaccine (la variole des vaches).
Lewis et Clark emportent même des doses de vaccin dans leur célèbre
expédition84. L’importance de l’immunisation est très tôt reconnue en Terre
de Rupert. En  1811, dès avant l’arrivée des premiers colons, lord  Selkirk
propose la mise sur pied d’une campagne de vaccination pour les populations
autochtones de la rivière Rouge. Une autre campagne est implantée à York
Factory deux ans plus tard, avec des sérums fournis par la CBH. Pendant les
flambées de rougeole et de coqueluche de 1820, comme la rumeur affirme
que ces deux maladies sont en train de monter vers le Nord, l’entreprise fait
également vacciner la population de la rivière Rouge. Au milieu des
années 1820, une campagne d’immunisation est implantée à Cumberland
House, à Norway House et le long de la rivière Albany. L’entreprise ne
déploiera toutefois son premier programme exhaustif de vaccination qu’au
lendemain de la flambée variolique de 183785.
Six mois avant la flambée qui se propagera le long du Missouri, les
postes de la CBH reçoivent des instructions pour déployer une campagne de
vaccination ; elles ne seront toutefois pas mises en œuvre86. Après l’épidémie,
l’entreprise implante un programme d’immunisation sur l’ensemble de son
territoire ; il constitue la toute première campagne de santé publique à grande
échelle de l’histoire du Nord-Ouest87. Des vaccins sont distribués jusqu’au
fleuve Mackenzie, aux confins occidentaux et septentrionaux des terres de la
Compagnie. Grinçante ironie du sort : en cherchant à enrayer la progression
de la maladie la plus virulente de l’époque, non sans un certain succès
d’ailleurs, les employés de la CBH apportent dans les collectivités qu’ils
visitent le virus de la grippe et d’autres fléaux ; au total, les taux de mortalité
dans ces communautés restent ainsi extrêmement élevés.
La CBH prend aussi d’autres mesures de prévention. Peu après la
fusion, le comité de Londres exhorte George Simpson à imposer des règles
d’hygiène très strictes à York Factory pour lutter contre les problèmes de

83. ACBH, B.159.a/17 :3 (25 septembre 1837), 3b (5 octobre 1837).


84. E. Wagner Stearn et Allen E. Stearn, The Effect of Smallpox on the Destiny of the Amerindian, Boston :
Bruce Humphries Publishers, 1945, p. 56-57 ; Hackett, « Averting Disaster », p. 591.
85. Hackett, « Averting Disaster », p. 593-606.
86. Arthur J. Ray, « William Todd : Doctor and Trader for the Hudson’s Bay Company, 1816–51 »,
Prairie Forum, 9, 1984, p. 23.
87. Hackett, « Averting Disaster », p. 602-606.
5  L e monopole de la CBH : expansion des colonies et mortalité autochtone , 1821-1869 141

santé chronique88. L’entreprise envoie des chirurgiens dans plusieurs


établissements ; en  1830, au moins deux médecins exercent à la rivière
Rouge89. Des quarantaines sont également implantées pour contenir la
propagation des pathogènes. En 1844, l’isolement contribue à empêcher la
scarlatine qui frappe la rivière Rouge de gagner le nord du lac Winnipeg90.
Évoluant dans un environnement de plus en plus complexe, marqué
notamment par un enchevêtrement croissant de la maladie et du commerce,
l’entreprise s’intéresse à la santé publique par souci humanitaire, certes, mais
aussi économique91.
En dépit des épidémies, ou peut-être à cause d’elles, un premier
établissement missionnaire d’envergure s’établit à proximité de la colonie de
la rivière Rouge dans les années 1840. Simpson ne porte pas particulièrement
les missionnaires dans son cœur, mais la détérioration vertigineuse des
conditions de vie de la population locale dans les années 1830 l’amène à
tolérer leur présence. Plusieurs facteurs sont en cause : l’épuisement des terres
à fourrures ; les migrations imprévisibles et incontrôlables des Indiens
déplacés ou sans emploi ; l’effondrement de la demande de castor causé par
un revirement de la mode européenne au profit du chapeau de soie92. Ce
déclin commercial inflige de nouvelles difficultés aux pourvoyeurs autochtones
de fourrure et intensifie leur dépendance à l’égard des magasins de l’entreprise.
De quelque confession qu’ils soient, les missionnaires procurent à la CBH un
moyen économique de porter secours aux nécessiteux. Les missions
contribuent aussi à l’enracinement de collectivités qui, sans elles, auraient
peut-être déserté le territoire. Au début des années 1830, les Cris Moskégons
affluent en si grand nombre à la rivière Rouge que la mission Saint-Pierre
craint de manquer de provisions.
La mission catholique romaine qui s’ouvre à l’Île-à-la-Crosse en 1846
poursuit le même but : convaincre les pourvoyeurs de rester sur le territoire
de la CBH. Le père Thibault est invité à s’établir dans la région pour endiguer
la migration des Cris vers le sud des Plaines et la chasse au bison. La mission
du lac Caribou (lac Reindeer) est construite pour détourner les Dénésulines

88. Michael Payne, L’endroit le plus respectable du territoire : la vie quotidienne au service de la Baie
d’Hudson à York Factory, 1788 à 1870, Ottawa : Lieux et parcs historiques nationaux, Service
canadien des parcs, Environnement Canada, 1989, p. 103-115.
89. Ibid., p. 114.
90. Hackett, “A Very Remarkable Sickness”, p. 189.
91. Ray, Indians in the Fur Trade, p. 189.
92. Fritz Pannekoek, « The Reverend James Evans and the Social Antagonisms of Fur Trade Society,
1840–1846 », dans : Richard Allen (dir.), Religion and Society in the Prairie West, Regina : Canadian
Plains Research Center, 1974, p. 2-3.
142 L a destruction des I ndiens des P laines

(Chipewyans Mangeurs-de-Caribou) de leur vie en toute liberté dans la


toundra septentrionale, et pour les attirer vers le sud93. Si les missions
améliorent souvent les conditions de vie des collectivités locales, tout
particulièrement les colonies agricoles des protestants, l’arrivée des chrétiens
dans le Nord n’apporte pas que des bienfaits.
En partance vers leur mission de l’intérieur des terres à l’été 1846, le
père Taché et le père Laflèche célèbrent une messe au portage de Traite (Frog
Portage), à la croisée des routes qui mènent vers le nord jusqu’au lac Caribou,
et vers l’ouest jusqu’à l’Île-à-la-Crosse. Cet arrêt aura des conséquences
funestes : la rougeole se propage aux fidèles et tuera 18 personnes94. Plus tard,
29  convertis de la toute nouvelle mission anglicane du lac La Ronge
succombent également à cette maladie95. Les collectivités des forêts soup-
çonnent souvent les missionnaires de répandre la souffrance et la mort. En
juin 1844, le missionnaire catholique romain et son assistant sont assassinés
au Pas en guise de représailles pour l’épidémie de scarlatine qui a ravagé la
région à l’hiver précédent, et dont la population locale les rend responsables.
Contrairement aux gens des Plaines, qui se montrent extrêmement réticents à
l’égard des chrétiens établis parmi eux, les populations durement éprouvées
des régions nordiques isolées acceptent très rapidement la présence des
missionnaires catholiques96.
Stimulée par l’intensification de ses échanges avec le territoire du
Minnesota, la colonie agricole de la rivière Rouge connaît un essor fulgurant
qui intensifie la complexification des dynamiques régionales. Dans les
années  1840, des marchands américains, par exemple Norman Kittson,
entretiennent des liens commerciaux extrêmement lucratifs, quoique illé-
gaux, avec la colonie97. Dès le milieu des années  1840, les traiteurs métis
indépendants réclament la libéralisation des échanges et resserrent les
relations entre la rivière Rouge et la frontière américaine. En Angleterre, les

93. McCarthy, To Evangelize the Nations, p. 133-140.


94. Ibid., p. 113.
95. SAB, R-E2033, Edward Ahenakew Papers, Stanley Mission, p. 2.
96. Robert Jarvenpa, « The Hudson’s Bay Company, the Roman Catholic Church, and the Chipewyan
in the Late Fur Trade Period », dans : B. Trigger, T. Morantz et L. Dechêne (dir.), Le Castor Fait Tout :
Selected Papers of the Fifth North American Fur Trade Conference, 1985, Montréal : Lake St. Louis
Historical Society, 1987, p. 491-492 ; Ray, « Periodic Shortages, Native Welfare, and the Hudson’s
Bay Company », p. 10.
97. J. M. Bumsted, Trials and Tribulations : The Red River Settlement and the Emergence of Manitoba,
1811–1870, Winnipeg : Great Plains Publications, 2003, p. 97-99.
5  L e monopole de la CBH : expansion des colonies et mortalité autochtone , 1821-1869 143

opposants à la mainmise de la CBH s’emparent rapidement d’une pétition


contre le monopole signée par presque 1 000 habitants de la colonie98.
Le plus déterminé des détracteurs anglais de la Compagnie est en fait
originaire du Nord-Ouest et connaît bien le commerce des fourrures : en
février 1847, Alexander Kennedy Isbister présente à la Chambre des communes
britannique un rapport extrêmement critique sur le monopole de la CBH99.
Il dénonce la charte monopolistique sur plusieurs points. Premièrement,
indique-t-il, le monopole accordé à la Compagnie de la Baie d’Hudson lui a
permis d’engranger des recettes « princières », mais au prix d’un « appauvrisse-
ment extrême, sinon la ruine, des indigènes ». Deuxièmement, l’entreprise a
fortement corrodé le tissu social de ces collectivités par le commerce de l’al-
cool, « poison mortel pour le corps et l’esprit ». Troisièmement, la traite des
fourrures a causé la famine pour « la plupart » des pourvoyeurs, chasseurs ou
trappeurs. Le rapport s’insurge également contre le commerce monopolis-
tique imposé par la CBH, qu’il qualifie d’« offensive majeure à l’égard des
droits et libertés des indigènes100 ». Isbister dénonce surtout l’incidence du
commerce de la fourrure sur la sécurité alimentaire. L’imprévisibilité clima-
tique des années 1840 cause un tort considérable aux sociétés athapascanes
des régions subarctiques de l’Ouest101. Au milieu de cette décennie, l’Erebus
et le Terror, les deux bateaux de la funeste expédition de Franklin, se retrouvent
prisonniers des glaces ; leurs équipages succombent à la faim et au froid. En
décrivant la famine qui sévit chez les Dénés, l’explorateur anglais Henry
Lefroy déclenche une importante controverse sur le rôle de la CBH dans
le  Grand Nord102. Bien qu’elles soient éloquentes, et probablement justes,
les  critiques d’Isbister n’arrivent pas à convaincre le Parlement de révoquer
sur-le-champ la charte de la Compagnie. Il faudra attendre la fin des
années 1850 pour que le document soit abrogé : à cette époque, l’intégration
du Nord-Ouest à l’économie mondiale sera déjà trop engagée pour que la
Grande-Bretagne puisse continuer de faire la sourde oreille.

98. John S.  Galbraith, « The Hudson’s Bay Company under Fire, 1847–62 », Canadian Historical
Review, 30, 1949, p.  322-325 ; voir particulièrement : Cooper, Alexander Kennedy Isbister. Voir
aussi : A. A. den Otter, « The 1857 Parliamentary Inquiry, the Hudson’s Bay Company, and Rupert’s
Land’s Aboriginal People », Prairie Forum, 24, 1999, p. 143-169.
99. Cooper, Alexander Kennedy Isbister, p. 107.
100. Ibid., p. 36, 108-110.
101. Fossett, In Order to Live Untroubled, p. 149, propose une analyse détaillée des perturbations
climatiques dans l’Arctique.
102. « J. H. Lefroy to Anna (Lefroy), Fort Simpson, 29 March 1844 », dans : John Henry Lefroy, in Search
of the Magnetic North : A Soldier–Surveyor’s Letters from the North-West 1843–1844 (sous la direction
de G. F. G. Stanley), Toronto : Macmillan, 1955, p. 110-111 ; Morton, A History of the Canadian
West to 1870–71, p. 821.
144 L a destruction des I ndiens des P laines

Dans les années 1840, les pathogènes qui se propagent par voie de terre
à la faveur du recul constant du front pionner des États-Unis menacent de
plus en plus les populations de la Terre de Rupert. L’ouverture du territoire
de l’Oregon aux colons en  1846 a des conséquences sanitaires très graves
pour cette région, y compris pour des populations très éloignées, par exemple
celle de York Factory. Face à l’exacerbation du litige entourant le territoire de
l’Oregon, un régiment anglais complet de presque 400 hommes103 se rend
cette année-là de York Factory à la colonie de la rivière Rouge pour la protéger
d’une éventuelle offensive américaine104. La CBH ne pouvant pas prendre en
charge les soldats à la baie d’Hudson, elle déroge à son protocole habituel de
quarantaine. Sans attendre, elle envoie les soldats vers la colonie pour qu’ils
puissent y trouver le gîte et le couvert. Ce transfert de troupes trop hâtif
répand la maladie comme une traînée de poudre. La rougeole gagne les
équipages des bateaux d’York dépêchés depuis la rivière Rouge pour prêter
main-forte aux troupes en déplacement et aggrave considérablement les
épidémies de grippe, de rougeole et de dysenterie qui ravagent déjà la région.
L’année 1846 s’impose ainsi comme l’une des plus calamiteuses de l’histoire
de la colonie de la rivière Rouge105. Les Autochtones du nord du Manitoba
sont si durement frappés par la mortalité qu’ils abandonnent leurs rites
traditionnels de deuil106.
Quoique relativement peu empruntée, la route reliant la tête des
Grands Lacs à la rivière Rouge s’avère également une voie importante de
propagation de l’infection. En particulier, la grippe déferle depuis le nord
de l’Ontario. Le traiteur Charles McKenzie relève qu’une bonne centaine de
personnes ont convergé vers le poste du lac Seul, devenu « plus hôpital que
cuisine107 ». La maladie se répand jusqu’au Yukon, à l’extrême nord-ouest108.
Tandis que la grippe sévit dans le pays tout entier, la rougeole conquiert
l’Ouest depuis la côte Est, empruntant peut-être au passage la piste de

103. Bumsted, Trials and Tribulations, p. 103.


104. John S. Galbraith, The Hudson’s Bay Company as an Imperial Factor, 1821–1869, Toronto : University
of Toronto Press, 1957, p.  313-316 ; voir plus particulièrement :  Frederick Merk, The Oregon
Question : Essays in Anglo-American Diplomacy and Politics, Cambridge (Massachusetts) : Harvard
University Press, 1967.
105. Hackett, “A Very Remarkable Sickness”, p. 154, 199-236.
106. Paul Hackett, « Historical Mourning Practices Observed among the Cree and Ojibway Indians of
the Central Subarctic », Ethnohistory, 52, 2005, p. 522.
107. Hackett, “A Very Remarkable Sickness”, p. 193.
108. Shepard Krech III, « The Early Fur Trade in the Northwestern Subarctic : The Kutchin and the Trade
in Beads », dans : B. Trigger, T. Morantz et L. Dechêne (dir.), Le Castor Fait Tout : Selected Papers of
the Fifth North American Fur Trade Conference, 1985, Montréal : Lake St. Louis Historical Society,
1987, p. 264-265.
5  L e monopole de la CBH : expansion des colonies et mortalité autochtone , 1821-1869 145

l’Oregon, puis monte vers le nord jusqu’au territoire de la CBH109. La dysen-


terie fait son apparition à l’été 1846. À la rivière Rouge, George Simpson
estime qu’elle tue 300 personnes sur une population totale de 5 000 habi-
tants, en seulement quatre semaines ; il compare ce fléau à la pandémie dévas-
tatrice de choléra qui a frappé l’Europe et l’est de l’Amérique du Nord au
début des années 1830. Simpson, qui a pourtant constaté de ses propres yeux
les ravages causés par les différentes épidémies de 1819-1820, souligne que la
flambée de 1846 « a fait plus de morts qu’en quelque autre époque dont j’aie
gardé le souvenir110 ». Alexander Ross, le premier historien de la colonie de la
rivière Rouge, qualifie la maladie de « peste » qui répand la « terreur » dans la
colonie : « Du 18 juin au 2 août, elle a fait en moyenne 7 morts par jour, soit
321 au total, 1 personne sur 16. D’entre ses victimes, un sixième sont des
Indiens, les deux tiers des Sang-Mêlés, les autres des Blancs. Une fois, treize
personnes ont dû être enterrées en même temps111. »
À la fin des années  1840, l’évolution politique et économique de la
région accentue la menace qui pèse sur le monopole de la CBH et sur le
relatif isolement des habitants de la Terre de Rupert. Le règlement du litige
entourant l’Oregon et le partage de la côte Ouest entre intérêts américains et
britanniques qui en résulte, provoquent dans le Nord-Ouest Pacifique le
premier afflux massif d’immigrants agriculteurs arrivés par la route. Chaque
année ou presque, l’intensification des relations entre les populations
européennes et autochtones de l’Ouest américain provoque une ou plusieurs
épidémies112. En  1848, le verdict rendu dans le procès Sayer ouvre le
commerce avec le Minnesota ; par la voix du tribunal, il établit également le
caractère symbolique du monopole accordé à la CBH. Avant la fin de cette
décennie, des parcelles d’or étincellent en Californie… En 1849, au plus fort
de la ruée, 25 000 émigrants  font cap sur le sud, traversent les Plaines, et
transmettent aux Sioux la variole, la rougeole et le choléra113. Pour éviter la
désertion en masse de sa main-d’œuvre séduite par le métal précieux, la CBH
se voit contrainte d’accorder des congés à une bonne partie de son effectif,
parfois pendant six mois114.

109. Hackett, “A Very Remarkable Sickness”, p. 199-211.


110. Ibid., p. 199.
111. Alexander Ross, The Red River Settlement : Its Rise, Progress, and Present State. With Some Account of
the Native Races and Its General History, to the Present Day, Edmonton : Hurtig, 1972, p. 362-363.
112. John F. Taylor, « Sociocultural Effects of Epidemics on the Northern Plains : 1734–1850 », Western
Canadian Journal of Anthropology, 7, 1977, p. 56.
113. Ostler, The Plains Sioux and U.S. Colonialism from Lewis and Clark to Wounded Knee, p. 32-33. Sur
une population de 3 500 personnes avant l’épidémie, 500 Lakotas Brûlés succombent à la maladie
en 1849.
114. Burley, Servants of the Honourable Company, p. 155.
146 L a destruction des I ndiens des P laines

Dès 1850, l’emprise de la Compagnie sur le pays s’érode rapidement. À


l’intérieur même de sa structure, les conflits de travail ébranlent son réseau de
transport complexe, mais fragile ; en particulier, les bateliers autochtones
« commencent à montrer les dents115 ». Les colons agriculteurs, « surtout des
Sang-Mêlés d’Orkney », quittent la rivière Rouge pour se diriger vers l’Ouest,
accroissant d’autant l’économie mixte de la vallée de la Qu’Appelle,
essentiellement contrebandière, qui s’est amorcée une génération plus tôt116.
Dès le milieu du 19e siècle, une restructuration organisationnelle d’importance
accompagne cette migration des « Sang-Mêlés » vers l’Ouest : plusieurs postes
d’approvisionnement sont déplacés vers les régions plus lointaines des Plaines
afin de permettre le maintien de l’exploitation des hardes de bisons117. Au
sud du 49e parallèle, le gouvernement américain et les Ojibwés négocient
en 1851 le traité de Turtle Mountain (Montagne-à-la-Tortue), qui ne sera
toutefois jamais ratifié. L’échec du processus se solde par un afflux massif de
colons le long de la frontière et dépossède les Ojibwés de Turtle Mountain de
leur territoire.
D’un bout à l’autre des Plaines, l’effondrement des hardes de bisons et
l’émergence massive des colonies européennes exacerbent les tensions. Paral-
lèlement à l’intensification des violences interethniques, les Autochtones
commencent à résister de plus en plus vigoureusement aux empiètements des
intrus venus d’Europe. En 1857, les Anichinabés du lac des Bois refusent leur
collaboration à Hind et aux membres de son expédition118. Pendant que
Hind arpente l’est des Plaines pour en mesurer le potentiel agricole, le chef
Peguis sollicite l’aide de la Aborigines Protection Society de Londres en vue de
la conclusion d’un traité : son peuple redoute les épreuves que l’invasion euro-
péenne imminente risque de lui infliger119. Hind s’entretient avec un conseil
de Cris des Plaines placé sous l’autorité de Mis-tick-oos, un chef particulière-

115. Judd, « Native Labour and Social Stratification in the Hudson’s Bay Company’s Northern
Department », p. 311.
116. Galbraith, The Hudson’s Bay Company as an Imperial Factor, p. 61-62 ; William S. Gladstone, The
Gladstone Diary : Travels in the Early West (sous la direction de Bruce Haig), Lethbridge : Historic
Trails Society of Alberta, 1985, p. 43 ; Peers, The Ojibwa of Western Canada, p. 176‑179.
117. John Milloy, « Our Country : The Significance of the Buffalo Resource for a Plains Cree Sense of
Territory », dans : Kerry Abel et Jean Friesen (dir.), Aboriginal Resource Use in Canada : Historical and
Legal Aspects, Winnipeg : University of Manitoba Press, 1991, p.  64 ; Roe, The North American
Buffalo, p. 410.
118. Voir : Henry Youle Hind, Narrative of the Canadian Red River Exploring Expedition of 1857 and of
the Assiniboine and Saskatchewan Expedition of 1858, (2 vol.), Edmonton : Hurtig, 1971, 1,
p. 99-100.
119. Rupert’s Land Research Centre, An Historical Overview of Aboriginal Lifestyles : The Churchill–Nelson
River Drainage Basin, Winnipeg : Rupert’s Land Research Centre, 1992, p. 133 ; Peers, The Ojibwa
of Western Canada, p. 198 ; Sutherland, Peguis, p. 139-143.
5  L e monopole de la CBH : expansion des colonies et mortalité autochtone , 1821-1869 147

ment estimé. Ses interlocuteurs se montrent fermement résolus à résister aux


empiètements des Européens et des Métis chasseurs de bisons120. Ils expliquent
notamment à l’explorateur que des chefs cris des Plaines, constatant que de
nombreuses promesses n’ont pas été tenues par le passé, souhaitent mainte-
nant « établir une sorte de droit de passage en tabac et en thé pour traverser
leur territoire [et menacent], s’ils n’obtiennent pas ce qu’ils veulent […] de
nous arrêter par la force121 ». Le Conseil reproche aux Européens et à leurs
armes d’avoir causé le déclin des hardes et accuse les microbes apportés par les
traiteurs et les colons d’avoir tué trop de gens. Il ne considère plus les Euro-
péens comme des alliés ou des voisins, mais comme des « autres », des « étran-
gers » qui, à l’instar des Métis, représentent un danger pour les Cris. James
Hector, médecin de l’expédition Palliser, estime la population des Cris des
Plaines à 12 500 personnes : « Elle décroît cependant très vite, car la variole et
d’autres maladies les emportent en grand nombre chaque année122. »
Les maladies continuent de décimer les populations des Plaines tout au
long des années  1850. Au début de cette décennie, la sixième flambée de
grippe en 20 ans gagne l’intérieur des terres depuis York Factory123. Bien que
l’hiver endigue quelque peu sa propagation, la maladie se rend très loin dans
l’ouest, jusqu’à Fort Vermilion ; elle y aurait tué « une bonne cinquantaine de
personnes, dont 24 de nos meilleurs chasseurs ». En 1856-1857, une fois de
plus, la variole déchaîne la mort dans les terres bordant le Missouri124 et vers
le nord, où elle s’abat sur les Cris de la rivière Qu’Appelle : « S’ajoutant à leurs
guerres incessantes contre les Pieds-Noirs pour l’accaparement des chevaux
ou des terres de chasse au bison, elle a presque entièrement détruit leur
tribu125. » Selon les documents de l’époque, « plusieurs centaines » de
personnes meurent de la scarlatine deux ans plus tard dans la vallée de la
Qu’Appelle126. Comme lors des flambées précédentes, une campagne de

120. Hind, Narrative of the Canadian Red River Exploring Expedition of 1857 and of the Assiniboine and
Saskatchewan Expedition of 1858, 1, p. 361.
121. Irene Spry, « The Great Transformation : The Disappearance of the Commons in Western Canada »,
dans : Richard Allen (dir.), Man and Nature on the Prairies (Canadian Plains Studies 6), Regina :
Canadian Plains Research Center, 1976, p. 27 ; Milloy, The Plains Cree, p. 107.
122. Hector et Vaux, « Notice of the Indians Seen by the Exploring Expedition under the Command of
Captain Palliser », p. 251.
123. Ray, « Diffusion of Diseases in the Western Interior of Canada », p. 150.
124. Hurlich, « Historical and Recent Demography of the Algonkians of Northern Ontario », p. 161.
125. John MacLean, McDougall of Alberta, p. 38.
126. Winona Stevenson, « The Journals and Voices of a Church of England Native Catechist : Askenootow
(Charles Pratt), 1851–1884 », dans : Jennifer S.  H.  Brown et Elizabeth Vibert, Reading beyond
Words : Contexts for Native History, Peterborough : Broadview Press, 1996, p. 309.
148 L a destruction des I ndiens des P laines

vaccination mise en œuvre à la rivière Rouge empêche la maladie de se


répandre dans la colonie127.
La scarlatine traverse le no man’s land autochtone du coude de la Saskat-
chewan Sud pour s’abattre sur les Niitsitapis128. Pendant la semaine que le
Dr  Hector passe au campement des Kainahs (Gens-du-Sang), entre 20 et
30 personnes succombent à la maladie ; le médecin y voit le signe de leur
inéluctable extinction129. Causée par une bactérie, plus précisément un
streptocoque, la scarlatine a pu se propager par contacts personnels, peut-être
à la faveur de l’expédition de Hind. La longue sécheresse qui a frappé le sud-
ouest des Plaines du milieu des années 1850 à la fin des années 1860 a pu par
ailleurs aggraver les symptômes typhoïdiques provoqués par la salmonelle,
une autre bactérie transmise par l’eau et les aliments contaminés130. Chez les
Niitsitapis, l’abandon récent d’une pratique séculaire consistant à préserver
les populations de castors sur leur territoire afin de préserver leurs approvi-
sionnements en eau a sans doute aussi exacerbé la contamination causée par
la sécheresse131.
À l’été  1858, la découverte de paillettes d’or dans le fleuve Fraser
provoque un afflux soudain d’Américains et de Canadiens de l’Est qui, pour
gagner l’Ouest, doivent nécessairement traverser la Terre de Rupert ; dans les
Plaines, les tensions déjà très vives s’accentuent encore d’un cran132. En plus
de faire main basse sur une bonne partie des aliments à vendre à Edmonton,
les mineurs traitent par le plus grand mépris l’autorité que la CBH a coutume
d’exercer dans la région depuis de longues années. Dès la fin de cette décennie,
la Compagnie a perdu jusqu’au monopole symbolique dont elle pouvait
encore s’enorgueillir133.
De l’autre côté des Rocheuses, l’afflux des chercheurs d’or sur l’île
de  Vancouver et sur le continent provoque évidemment d’innombrables

127. Le Dr William Cowan entreprend ainsi une campagne de vaccination en 1852. BAC, MG 29 E 8,
Robert Bell Papers, Diary of William Cowan, Surgeon to Enrolled Army Pensioners at Fort Garry,
p. 22.
128. Katherine Hughes, Father Lacombe : The Blackrobe Voyageur, New York : Moffat, Yard and Company,
1911, p. 71-72.
129. Hector et Vaux, « Notice of the Indians Seen by the Exploring Expedition under the Command of
Captain Palliser », p. 258-259.
130. David Sauchyn et Walter Skinner, « A Proxy Record of Drought Severity for the Southwestern
Canadian Plains », Canadian Water Resources Journal, 26, 2001, p. 266.
131. David Smyth, The Niitsitapi Trade : Euroamericans and the Blackfoot Speaking Peoples to the Mid
1830s (thèse de doctorat), Carleton University, 2001, p. 529.
132. Richard T. Wright, Overlanders : The Epic Cross-Canada Treks for Gold, Williams Lake (Colombie-
Britannique) : Winter Quarters Press, 2000.
133. Galbraith, « The Hudson’s Bay Company under Fire », p. 333-335.
5  L e monopole de la CBH : expansion des colonies et mortalité autochtone , 1821-1869 149

problèmes ; face à cette marée de 30 000  nouveaux arrivants, les autorités


impériales octroient à la région le statut de colonie134. Pour la plupart des
populations autochtones de la Colombie-Britannique, cette invasion d’aven-
turiers, que le gouverneur James Douglas n’hésite pas à qualifier de « voyous »,
s’avère une véritable catastrophe. Entre autres calamités, la ruée vers l’or cause
le massacre d’une bande non armée par des mineurs près du lac Okanagan ;
plusieurs autres « tueries aveugles » ensanglantent la région ; la destruction
d’habitats de poissons provoque des famines. En 1862-1863, une flambée
variolique emporte une partie importante de la population autochtone. Elle
tue notamment « pas moins de 500 » Tsimshians à Fort Simpson135. L’explo-
rateur britannique Walter Cheadle note la mort de 300  personnes dans la
région de Caribou136.
Dans l’est des Plaines, l’abandon du commerce des fourrures au profit
de l’agriculture est désormais inéluctable137. Le Minnesota devient un
État en 1858 ; ce changement de statut s’accompagne d’une explosion démo-
graphique, d’un développement sans précédent du rail et, comme souvent au
sud du 49e parallèle, d’une « guerre indienne ». Les affrontements qui ensan-
glantent l’État naissant causent la mort de 500  colons, l’assujettissement
complet de la nation dakota, et l’arrivée de 450  réfugiés sioux à la rivière
Rouge en 1862138. En raison des conflits incessants qui les opposent aux
Anichinabés et, plus tard, aux Métis, les Dakotas sont réputés violents.
Au 1863, la présence de 2 000 d’entre eux soulève un vent de panique dans
la colonie.
Les combats qui agitent le Minnesota ralentissent pour un temps la
colonisation et les changements qu’elle induit à la rivière Rouge. Le premier
bateau à vapeur arrive à la colonie dès avant 1860 ; il cause une commotion
considérable chez les colons, et plus encore chez les employés de la CBH. Il
faudra aux uns et aux autres une dizaine d’années encore pour constater

134. Margaret A.  Ormsby, British Columbia : A History, Vancouver : Macmillan of Canada, 1958,
p. 134-163 ; Robin Fisher, Contact and Conflict : Indian–European Relations in British Columbia,
1774–1890, Vancouver : UBC Press, 1977, p. 95-118.
135. Robert T. Boyd, « Demographic History, 1774–1874 », dans : Wayne Suttles (dir.), Northwest Coast,
vol. 7 du Handbook of North American Indians, Washington (DC) : Smithsonian Institution Press,
1990, p. 142 ; Edward S. Hewlett, « The Chilcotin Uprising of 1864 », B.C. Studies, 19, 1973, p. 63.
136. W.  A.  Cheadle, Cheadle’s Journal of a Trip across Canada, 1862–63, Edmonton : Hurtig, 1971,
p. 222.
137. Galbraith, « The Hudson’s Bay Company under Fire », p. 335 ; Doug Owram, Promise of Eden : The
Canadian Expansionist Movement and the Idea of the West, 1856–1900, Toronto : University of
Toronto Press, 1980, p. 38-58.
138. Peers, The Ojibwa of Western Canada, p. 199. Voir aussi : Cheadle, Cheadle’s Journal of a Trip across
Canada, p. 121.
150 L a destruction des I ndiens des P laines

l’incidence réelle de ce nouveau lien fluvial sur l’économie et sur l’écologie


épidémique en terre canadienne. Le flot ininterrompu d’alcool de contre-
bande qui inonde les Indiens de la colonie constitue un problème majeur, et
les autorités sont régulièrement interpellées pour y trouver remède139.
En  1862, les hardes de bisons n’étant déjà plus qu’un souvenir à la rivière
Rouge, les chasseurs doivent maintenant aller bien plus loin vers l’ouest pour
débusquer leurs proies140. Certaines hardes subsistent près du coude de la
Saskatchewan Sud, mais toute expédition de chasse dans cette région risque
fort de dégénérer en affrontement armé. Après avoir fait du pemmican le
produit phare de son réseau d’approvisionnement pendant des décennies, la
CBH envisage « l’établissement immédiat de fermes extensives dans le District
de la Saskatchewan141 ». Certains groupes autochtones entreprennent de
cultiver le sol par eux-mêmes pour compléter les prises des chasseurs142.
Même dans l’ouest des Plaines, le bison commence à se faire rare et les
quelques récoltes produites par le territoire trouvent rapidement preneur. La
disette frappe souvent tout au long de cette décennie, tant dans la colonie que
dans les Plaines143. En  1863, l’acquisition de la Compagnie de la Baie
d’Hudson par l’International Financial Society scelle le destin du Nord-
Ouest : ce bastion de la traite des fourrures n’est plus144. Un an plus tard, le
gouvernement canadien annonce que les Plaines peuvent accueillir de
nombreux agriculteurs145.
Au début des années 1860, la découverte de gisements d’or près de Fort
Edmonton achève de déstabiliser le commerce des pelleteries. Même si les
filons se révéleront en définitive bien médiocres, la rumeur attire des
prospecteurs, peut-être une centaine ; elle fait ainsi doubler la population

139. Voir par exemple : « The Liquor Nuisance », The Nor’ Wester, 14 août 1860 ; BAC, MG 19 A 48, Fort
Garry Correspondence, Letter to Lawrence Clarke, 9 November 1867, Letter 4, p. 2.
140. Milloy, The Plains Cree, p. 105.
141. James G. MacGregor, Senator Hardisty’s Prairies, 1849–1889, Saskatoon : Western Producer Prairie
Books, 1978, p. 68-69. La CBH établit la première « ferme d’approvisionnement » à la rivière Rouge
en 1857. Carolyn Podruchny, Farming the Frontier : Agriculture in the Fur Trade, a Case Study of the
Provisional Farm at Lower Fort Garry, 1857–1870 (mémoire de maîtrise), McGill University, 1990.
142. D. W. Moodie et Barry Kaye, « The Northern Limit of Indian Agriculture in North America »,
Geographical Review, 59, 1969, p. 521 ; Sarah Carter, Lost Harvests : Prairie Indian Reserve Farmers
and Government Policy, Montréal : McGill-Queen’s University Press, 1990, p.  42-43 ; Hector et
Vaux, « Notice of the Indians Seen by the Exploring Expedition under the Command of Captain
Palliser », p. 248.
143. McCarthy, To Evangelize the Nations, p. 222 ; T. R. Allsopp, Agricultural Weather in the Red River
Basin of Southern Manitoba over the period 1800 to 1975 (Atmospheric Environment Report
CLI–3–77), Downsview (Ontario) : Fisheries and Environment Canada, 1977, p. 11-12 ; Sauchyn
et Skinner, « A Proxy Record of Drought Severity for the Southwestern Canadian Plains », p. 266.
144. Galbraith, The Hudson’s Bay Company as an Imperial Factor, p. 387-390.
145. Owram, Promise of Eden, p. 69-80.
5  L e monopole de la CBH : expansion des colonies et mortalité autochtone , 1821-1869 151

européenne de ce territoire qui deviendra la province de l’Alberta. William


Gladstone, employé itinérant de la CBH, relève que le gouverneur McTavish
et les Autochtones des Plaines s’opposent à l’exploitation des gisements
aurifères146. Les Américains du Montana sont de plus en plus nombreux à
faire cap sur le territoire britannique au nord de la frontière pour travailler
dans les mines d’or. Ce sont parfois d’anciens traiteurs que l’effondrement du
commerce de la fourrure a privés de travail ; Gladstone précise qu’au moins
75 hommes expulsés de Fort Benton se trouvent également parmi eux. Alors
que la guerre de Sécession fait encore rage, la découverte de filons d’or au
Montana contribue à l’accession de cette région au statut de territoire à
l’automne 1864. À la cessation des hostilités, Fort Benton compte 1 500 habi-
tants, dont les tristement célèbres frères James. « C’est l’enfer sur terre »,
résume Gladstone147. Ajoutant aux turbulences de l’époque, la guerre éclate
entre les Niitsitapis et l’alliance des Cris et des Assiniboines148. Les vols de
chevaux et les pénuries alimentaires exacerbent les conflits intertribaux.
« L’année où ils mangèrent du chien [faute de gibier] » : c’est ainsi que les
Piikanis (Péigans) désignent l’année 1861 dans leurs chroniques d’hiver149.
Comme toujours ou presque, une synergie dévastatrice s’établit entre la
maladie et la disette. La scarlatine tue 1100 membres de la Confédération
niitsitapie à l’hiver et au printemps 1864-1865150. L’épidémie monte très
loin vers le nord, jusqu’au Mackenzie : en 1865, 800 personnes succomberaient
à la scarlatine et à la rougeole en moins d’un mois151. La propagation de la
maladie accentue les tensions entre les groupes. Le traiteur de Rocky
­Mountain House réclame « des renforts en hommes et en armes » pour
affronter les Indiens, qui accusent les Blancs de leur avoir transmis leurs
maux et menacent de les tuer. Le long du Missouri, les Niitsitapis massacrent

146. Gladstone, The Gladstone Diary, p. 68-72.


147. Ibid., p. 75-81 ; John S. Collins, Across the Plains in ’64 : Incidents of Early Days West of the Missouri
River – Two Thousand Miles in an Open Boat from Fort Benton to Omaha – Reminiscences of the
Pioneer Period of Galena, General Grant’s Old Home, Omaha : National Printing Company, 1904,
p. 21-23 ; James Fisk, Expedition from Fort Abercrombie to Fort Benton, US House of Representatives,
37th Congress, 1863, p. 22, 29.
148. Milloy, The Plains Cree, p. 114 ; Abel Watetch, « History of Piapot Reserve », SAB, microfilm 2.75,
School Histories of 35 Indian Reserves, 1955 ; Paul M.  Raczka, Winter Count : A History of the
Blackfoot People, Brocket (Alberta) : Oldman River Cultural Centre, 1979, p. 57.
149. Raczka, Winter Count, p. 55, 60.
150. Hugh A. Dempsey, A Blackfoot Winter Count (Occasional Paper 1), Calgary : Glenbow Museum,
1965, p. 14 ; Raczka, Winter Count, p. 56.
151. Martha McCarthy, From the Great River to the Ends of the Earth : Oblate Missions to the Dene,
1847–1921, Edmonton : University of Alberta Press, 1995, p. 197.
152 L a destruction des I ndiens des P laines

11 mineurs américains. En juin 1865, ils tuent presque 30 Cris ou Assini-


boines, « principalement des femmes et des enfants152 ».
Pendant que la violence et la maladie prélèvent un tribut de plus en
plus lourd dans tout le Nord-Ouest, une autre épreuve s’abat sur les habitants
de la rivière Rouge à l’été  1868. Durant quatre années consécutives, les
insectes ravagent leurs récoltes153. La sécheresse et les sauterelles transforment
les champs en « une véritable dévastation ; même les semences doivent main-
tenant être importées154 ». La famine rôde : le gouverneur McTavish estime
que 2 346 personnes ont besoin d’une aide immédiate155. Au milieu de l’été,
le Conseil d’Assiniboia consacre aux secours tous les fonds dont il dispose.
Une campagne internationale d’aide aux sinistrés est mise en œuvre156. Le
gouvernement canadien promet un soutien financier à la colonie ; pas un sou
ne sera cependant envoyé à la rivière Rouge. En fait d’assistance, le Domi-
nion construit une route reliant la collectivité au lac Supérieur. Sous couvert
de réponse à la crise agricole, le Canada fait main basse sur la Terre de Rupert.
En cette fin de règne monopolistique, les collectivités des Plaines sont
sur le point d’être précipitées dans un tout nouvel ordre économique et social.
George Simpson, le « petit empereur » qui a régi en despote tout le Nord-
Ouest, est mort en 1860. Le chef Peguis, l’une des personnalités autochtones
les plus influentes du début du 19e siècle, également signataire du traité de
Selkirk, s’éteint quatre  ans plus tard. Dans l’est des Plaines, l’économie du
bison a vécu. Le tout nouveau Dominion du Canada s’apprête à annexer
l’Ouest et à transformer les Plaines en une gigantesque exploitation agricole
qui deviendra son grenier. La mainmise du Canada sur l’Ouest induit un
changement de paradigme économique qui provoquera des bouleversements
sans précédent pour les populations autochtones des Plaines.

152. Milloy, The Plains Cree, p. 114.


153. G.  Herman Sprenger, « The Métis Nation : Buffalo Hunting vs. Agriculture in the Red River
Settlement (circa 1810–1870) », Western Canadian Journal of Anthropology, 3, 1972, p.  167 ;
Allsopp, Agricultural Weather in the Red River Basin of Southern Manitoba over the Period 1800 to
1975, p. 12-13.
154. Allsopp, Agricultural Weather in the Red River Basin of Southern Manitoba over the Period 1800 to
1975, p. 12 ; Bumsted, Trials and Tribulations, p. 178.
155. McCarthy, To Evangelize the Nations, p. 204.
156. Des fonds été recueillis au Minnesota, en Angleterre, et par souscription au Canada. Bumsted, Trials
and Tribulations, p. 180-183.
Chapitre 6

Le Canada, le Nord-Ouest
et les traités, 1869-1876

E n décembre 1869, l’acquisition de l’Ouest par le Dominion du


Canada enclenche une formidable onde de choc dans les Plaines. En
une décennie, le bison disparaît ; tous ceux et celles qui dépendaient de lui
pour leur survie sont alors rejetés en périphérie du système dessiné par les
nouvelles réalités économiques et politiques. Le déclin des hardes ainsi que
la colonisation imminente des Plaines par les immigrants européens
acculent leurs premiers habitants à la misère et au désespoir. Les traités
numérotés conclus par les Premières Nations de l’Ouest et la Couronne
entre 1871  et 1877 constituent autant de tentatives de conciliation de
deux systèmes économiques complètement incompatibles entre eux. Ces
ententes ne sont pas monolithiques ; chacune d’elles s’inscrit dans un
contexte social et géographique bien précis, mais aussi dans le cadre des
objectifs de développement à court terme du Dominion. Du point de vue
des autorités canadiennes, ces traités constituent le moyen de favoriser le
développement économique et politique de la région ; ce sont des
contraintes légales, des obstacles à déblayer pour ouvrir la voie à la
colonisation massive. De leur côté, les collectivités des Plaines constatent
l’effondrement de l’économie du bison qui a assuré leur subsistance
pendant tant d’années, et jugent l’afflux des colons agriculteurs inévitable
désormais. Pour ces Premières Nations, les traités constituent par
conséquent le moyen de garantir leur survie dans un monde devenu très
incertain.
Avant les premiers traités postconfédérationnels, l’expansion cana­
dienne dans la région de la traite des fourrures se structure autour de la
154 L a destruction des I ndiens des P laines

colonie de la rivière Rouge et provoque souvent des affrontements armés


entre les deux populations. L’insurrection du Manitoba n’est pas un cas isolé ;
elle marque simplement le début d’une longue série d’expressions de la
discorde entre la société qui afflue de l’Est et la société autochtone qui s’est
développée dans l’Ouest. Plus d’un siècle plus tard, bon nombre des litiges
qui ont provoqué le soulèvement manitobain de l’hiver 1869-1870 n’auront
toujours pas été résolus.
La fin de la domination de la Compagnie de la Baie d’Hudson (CBH)
sur la Terre de Rupert crée par ailleurs un grand vide juridictionnel dans les
Plaines. Il sera très vite comblé par l’irruption soudaine des marchands de
peaux de bison et de loup sans loi ni scrupule de Fort Benton, sur le fleuve
Missouri. Leur présence déclenche le Whoop-Up (« fête à tout casser ;
beuverie »), épisode terrible, mais heureusement très court, de violence
extrême et de consommation effrénée d’alcool. Il est possible que ce soient
eux qui aient également apporté dans leurs bagages la dernière grande flambée
variolique de l’histoire des Plaines. L’épidémie tue plus de 3 500 personnes,
essentiellement des Niitsitapis, des Cris et des Métis1. En raison de cette
hécatombe, les Cris des Plaines vivant le long de la Saskatchewan Nord
exigent l’intégration au Traité n° 6 d’une clause qui oblige le gouvernement
du Dominion à fournir un « coffre (ou “buffet”) à médicaments » à la popu-
lation de la réserve. Aujourd’hui encore, le sens exact à donner à cet amende-
ment ne fait pas consensus.
Comme toutes les grandes flambées de variole qui ont ravagé la région
dans les 150 dernières années, la maladie fait cap sur le nord à partir de la
voie de transport la plus importante du Nord-Ouest américain, le fleuve
Missouri. L’augmentation de la flotte des bateaux à vapeur ainsi que la
construction du chemin de fer Union Pacific en 1869 accentue les tensions
dans le territoire du Montana. Dès 1863, des Niitsitapis lancent des opéra-
tions sporadiques de guérilla contre la population américaine du « pays du
Whoop-Up ». À la fin des années 1860, les terres situées au nord du Missouri
constituent « l’une des régions les plus barbares du front pionnier, haut lieu
de rendez-vous des crapules et durs à cuire de toute l’Amérique du Nord et
de l’Europe2 ».

1. « Report of the Board of Health, 27 Apr. 1871 », dans : James Ernest Nix, Mission among the Buffalo :
The Labours of the Reverend George M. and John C. McDougall in the Canadian Northwest, 1860–
1876, Toronto : Ryerson Press, 1960, p. 67.
2. Paul Sharp, Whoop-Up Country : The Canadian–American West, 1865–1885, Norman : University of
Oklahoma Press, 1973, p. 39, 104, 145.
6  L e C anada , le N ord -O uest et les traités , 1869-1876 155

Les Niitsitapis ripostent avec une dureté croissante aux incursions de


plus en plus fréquentes et désordonnées des marchands de whisky. En 1869,
56 Européens auraient ainsi été tués par des Indiens, et plus de 1 000 chevaux
auraient été volés. Éleveur de la région d’Helena, Malcolm Clark est tué
en 1869. En janvier de l’année suivante, l’armée américaine sous le comman-
dement du colonel Eugene Baker attaque en guise de représailles des Piikanis,
pourtant alliés et affaiblis par la variole, au bord de la rivière Marias, juste au
sud de la frontière internationale3. Alors qu’il visait le chef Mountain, soup-
çonné d’avoir assassiné Clark, le raid s’abat finalement sur une bande paci-
fique dirigée par Heavy Runner ; l’offensive fera 173 morts, dont un nombre
important de femmes et d’enfants4. Ce massacre ainsi que les mesures prises
pour camoufler cette « bavure » provoquent un tollé de protestations dans la
presse de l’Est et compromettent fortement la « politique de paix » avec les
Indiens du président Grant. La tuerie a également pour effet de pacifier
immédiatement les Niitsitapis vivant en territoire américain5.
Au printemps 1869 est rapporté le premier cas de variole chez les
Niitsitapis6. Leur méfiance à l’égard des nouveaux arrivants est si forte qu’ils
attribuent l’épidémie à…
… l’esprit mauvais d’un marchand américain qui a juré de venger le vol de
ses chevaux lors d’un raid. Il aurait acheté plusieurs ballots de couvertures
contaminées à Saint-Louis et les aurait ensuite déposées sur les berges du
Missouri, où d’innocents Indiens s’en seraient emparés. À chaque résurgence
de la maladie, les Indiens affirment qu’elle constitue un acte délibéré de la
part de Blancs malveillants7.
William Butler, qui a étudié les répercussions de l’épidémie au Canada,
accepte l’hypothèse selon laquelle la maladie aurait été propagée par des
marchands du Missouri « dans le but de se procurer des peaux en plus
grand nombre8 ». Au début de la colonisation, il était assez communément
admis que la maladie était propagée de manière intentionnelle. Les

3. John C. Ewers, The Blackfeet : Raiders on the Northwestern Plains, Norman : University of Oklahoma
Press, 1958, p. 246-253.
4. Robert M.  Utley, Bluecoats and Redskins : The United States Army and the Indian, 1866–1891,
Londres : Cassell, 1973, p. 191.
5. Ewers, The Blackfeet, p. 246-253. Voir aussi : Utley, Bluecoats and Redskins, p. 188-218 ; J. P. Dunn,
Massacres of the Mountains : A History of the Indian Wars of the Far West, 1815–1875, Londres : Eyer
and Spottiswoode, 1963, p. 448-455.
6. John MacLean, McDougall of Alberta : A Life of Rev. John McDougall D.D., Pathfinder of Empire and
Prophet of the Plains, Toronto : F. C. Stephenson, 1927, p. 37.
7. Sharp, Whoop-Up Country, p. 27.
8. William F. Butler, The Great Lone Land : A Narrative of Travel and Adventure in the Northwest of
America, Edmonton : Hurtig, 1968, p. 360.
156 L a destruction des I ndiens des P laines

soupçons se portaient notamment sur l’Américain John H. Evans, célèbre


marchand de whisky et bras droit de l’ignoble Thomas Hardwick. Tous
deux étaient membres de la « Spitzee Cavalry », un regroupement de
chasseurs de loups qui s’est rendu coupable, non seulement du massacre
des Cypress Hills de 1873, mais aussi de celui, moins connu, des Sweet
Grass Hills en 1872. Même des travaux récents sur le commerce du whisky
attribuent l’épidémie, au moins en partie, à un marchand assoiffé de
vengeance. Margaret Kennedy conclut ainsi : « Une bande de Pieds-Noirs
aurait attrapé la variole d’un homme qui aurait voulu se venger d’un tort
qu’ils lui auraient causé. Lui-même infecté, il aurait recueilli toutes les
croûtes recouvrant son corps, en aurait frotté sa chemise puis l’aurait laissée
sur une piste empruntée par les Péigans (Piikanis) près de la rivière
Highwood Creek9. » Hugh Dempsey a démontré la fausseté de la légende
des couvertures contaminées à la variole : « de la pure fiction », tranche-t-il.
Il constate néanmoins que le mythe de la propagation intentionnelle de la
maladie comme arme génocidaire « se suffit maintenant à lui-même et sera
certainement encore maintes et maintes fois invoqué comme vérité histo-
rique10 ».
La flambée du Montana s’inscrivait probablement dans une épidémie
plus vaste déferlant sur l’ensemble des Plaines américaines11 ; Kennedy
attribue néanmoins la source de l’infection qui frappe les berges du Missouri
à un bateau à vapeur dont l’équipage ou les passagers auraient développé la
maladie, le Utah12. En un an, 750 A’aninins y succombent, sur une popula-
tion d’environ 1 900 personnes. L’infection cause également des ravages chez
les Niitsitapis et d’autres Premières Nations des Plaines canadiennes. Un

9. Margaret A. Kennedy, The Whiskey Trade of the Northwestern Plains : A Multidisciplinary Study, New
York : P. Lang, 1997, p. 32.
10. Hugh Dempsey, « Smallpox : Scourge of the Plains », dans : Anthony Rasporich et Max Foran (dir.),
Harm’s Way : Disasters in Western Canada, Calgary : University of Calgary Press, 2004, p. 37. Même
si la légende des couvertures infectées a la peau dure et continue de circuler abondamment, les
documents historiques ne révèlent en réalité qu’un seul cas de transmission intentionnelle aux
Autochtones par des Européens en Amérique du Nord : il implique les troupes britanniques placées
sous le commandement du général Amherst pendant le soulèvement de Pontiac, en 1763. Pour en
savoir plus sur cet épisode historique et sur la croyance persistante en l’utilisation de la variole
comme arme de guerre pendant la Révolution, voir : Elizabeth Fenn, « Biological Warfare in
Eighteenth-Century North America : Beyond Jeffrey Amherst », Journal of American History, 86,
2000, p.  1552-1580. On trouvera par ailleurs ici une analyse de la légende des couvertures
contaminées : Adrienne Mayor, « The Nessus Shirt in the New World : Smallpox Blankets in History
and Legend », Journal of American Folklore, 108, 1995, p. 54-77.
11. E. Wagner Stearn et Allen E. Stearn, The Effect of Smallpox on the Destiny of the Amerindian, Boston :
Bruce Humphries Publishers, 1945, p. 101-103, attribuent l’épidémie à la construction du chemin
de fer du Pacifique.
12. Kennedy, The Whiskey Trade of the Northwestern Plains, p. 32.
6  L e C anada , le N ord -O uest et les traités , 1869-1876 157

rapport du Conseil de la santé, une instance que le Dominion a chargée


d’élaborer une stratégie de lutte contre l’épidémie dans son nouveau terri-
toire, fait état d’une mortalité horrifiante (voir tableau ci-dessous).

GROUPE NOMBRE DES MORTS


Pieds-Noirs 675
Gens-du-Sang 630
Péigans 1 080
Sarcis 200
Cris Fort Pitt 100
Edmonton 30
Victoria 55
Lac Whitefish 15
Saint-Paul 150
Carlton 78
Métis Saint-Albert 335
Sainte-Anne 40
Stoneys des Montagnes 123
Total 3 512

Mortalité attribuable à l’épidémie de variole de 1869-1870, par groupe ethnique. Source : Nix,
Mission among the Buffalo, p. 67.

L’épidémie cause une hécatombe chez les Niitsitapis. Plus particulière-


ment, la maladie et la famine qu’elle provoque tuent nombre de chefs et
d’aînés (les sages) et déstabilisent ainsi l’alliance. Elle emporte deux chefs chez
les Mangeurs-de-Poisson, une bande kainah qui passera ultérieurement sous
le commandement de Red Crow (Corbeau-Rouge ; plus rarement, Corneille-
Rouge)13. Bien d’autres aînés et dirigeants y succombent également14. Chez
les Tsuu T’inas, la maladie a probablement frappé beaucoup plus durement
que le rapport officiel ne l’indique ; sur une population de plusieurs milliers
de personnes, seules 300 à 400 ont survécu15.
La maladie prélève un très lourd tribut chez les Niitsitapis : environ
2 500 morts. Cependant, ce n’est pas la seule calamité qui s’abat sur eux au
début des années  1870. Après le massacre de la rivière Marias, l’armée

13. Hugh Dempsey, Red Crow : Warrior Chief, Saskatoon : Western Producer Prairie Books, 1980, p. 69.
14. Dempsey, « Smallpox », p.  29 ; Treaty 7 Elders and Tribal Council (Aînés et Conseil tribal du
Traité n° 7), avec la collaboration de Walter Hildebrandt, Sarah Carter et Dorothy First Rider, The
True Spirit and Original Intent of Treaty 7, Montréal : McGill-Queen’s University Press, 1996, p. 30.
15. Frank G. Roe, The North American Buffalo : A Critical Study of the Species in Its Wild State – 2nd ed.,
Toronto : University of Toronto Press, 1970, p. 757n159.
158 L a destruction des I ndiens des P laines

américaine anéantit leur capacité militaire. Le flux incessant d’alcool en prove-


nance de Fort Benton précipite leur collectivité au bord du chaos. Quelques
mois après leur victoire sur l’alliance dirigée par les Cris à la rivière Belly, les
Pieds-Noirs subissent un véritable supplice aux mains des marchands améri-
cains. Ayant passé deux mois dans la région à Noël 1870, un « observateur très
proche », écrit d’une plume anonyme : « Nuls mots ne peuvent rendre compte
de ces beuveries orgiaques ; plus de 60 Pieds-Noirs ont été assassinés. S’il
existe un enfer sur terre, c’est ici qu’il se trouve16. » En 1872, le colonel Patrick
Robertson-Ross, de la milice canadienne, est chargé d’établir un bilan de la
situation dans le sud des Plaines. Sur les 221 Niitsitapis qui sont morts l’année
précédente, rapporte-t-il, seulement 133 ont succombé à la maladie17. Les
autres, ajoute-t-il, ont été tués par le commerce de l’alcool en provenance du
Montana18. Enhardis par leur négoce peu scrupuleux, mais très rentable, six
marchands de whisky montent jusqu’à Edmonton. Richard Hardisty, repré-
sentant de la CBH, leur signale qu’ils enfreignent la loi : « Ils lui répondirent
froidement qu’ils le savaient fort bien, mais qu’il ne possédait aucun moyen de
les en empêcher, et qu’ils feraient par conséquent comme bon leur semble-
rait19. » À l’hiver 1873-1874, John McDougall, missionnaire méthodiste,
rapporte que plus de 40 hommes pieds-noirs parfaitement vigoureux et en
bonne santé sont morts, « tous tués dans des bagarres d’ivrognes. Le campe-
ment a sombré dans le désordre et l’agitation, comme c’est souvent le cas :
coups de feu, coups de poignard, meurtres, morts de froid ; des scènes absolu-
ment terribles. Cette abominable débauche s’est poursuivie pendant tout
l’hiver, non loin de nous. Des mères ont perdu leurs enfants, morts gelés ou
dévorés par la multitude des chiens qui parcourent le campement20 ». De fait,
les conditions de vie dans le sud de l’Alberta sont atroces à cette époque. Les
documents historiques établissent clairement le nombre et la gravité des agres-
sions contre les Premières Nations avant l’implantation de la loi canadienne

16. John McDougall, George Millward McDougall : The Pioneer, Patriot, and Missionary, Toronto :
William Briggs, 1888, « George McDougall, 1 April 1871 », p. 175.
17. BAC, MG 29 E 39, Robertson-Ross Papers, f. 1, Field Notebook, 14 September 1872, p. 28-29. La
mortalité attribuable à l’alcool varie d’une nation de l’alliance à l’autre. Chez les Piikanis, la maladie
tue 34  personnes, et l’alcool  27 ; chez les Omak-sikimitapix, les Piikanis du Nord, 12 et 13,
respectivement ; chez les Tsuu T’inas (désignés dans le document sous le nom de « Indiens Castors
des Plaines »), 7 personnes meurent de maladie mais l’alcool ne fait aucune victime.
18. Patrick Robertson-Ross, Report of Colonel Robertson-Ross Adjutant General of Militia of the North-
West Provinces and Territories of the Dominion, Ottawa : Queen’s Printer, 1872, p. 28-29.
19. Robertson-Ross, Field Notebook, 15 September 1872, p. 35.
20. John McDougall, On Western Trails in the Early Seventies : Frontier Pioneer Life in the Canadian
North-West, Toronto : William Briggs, 1911, p. 129 ; Hugh Dempsey, Firewater : The Impact of the
Whiskey Trade on the Blackfoot Nation, Calgary : Fifth House, 2002, p. 66.
6  L e C anada , le N ord -O uest et les traités , 1869-1876 159

Cadavres de Crows tués par des Pieds-Noirs près des Sweet Grass Hills, 1874. Glenbow
Archives, NA-249-75.

dans l’Ouest, en 1874. Le meurtre sordide de Calf Shirt, chef kainah21, et les
massacres d’Assiniboines des Sweet Grass Hills et des Cypress Hills en consti-
tuent des illustrations particulièrement sanglantes. Dans cet environnement
de plus en plus violent et sinistre, il arrive à l’occasion que les Premières
Nations s’en prennent également à leurs voisins.

21. Hugh Dempsey, The Amazing Death of Calf Shirt and Other Blackfoot Stories : Three Hundred Years
of Blackfoot History, Saskatoon : Fifth House, 1994, p. 47-59 ; Ewers, The Blackfeet, p. 259-260.
160 L a destruction des I ndiens des P laines

Les marchands de whisky provoquent rapidement la chute des


­ iitsitapis. Ceux-ci remportent cependant une victoire importante, mais
N
unique, dans le conflit permanent et de plus en plus désespéré qui les oppose
à l’alliance dirigée par les Cris. À l’automne 1870, à leur campement de la
rivière Belly (Oldman), près de la ville actuelle de Lethbridge, ils repoussent
une attaque de 600 à 800 guerriers cris, saulteaux et assiniboines : certains
historiens considéreront cet affrontement comme la dernière grande bataille
indienne des Plaines canadiennes22. L’alliance crie a lancé cette offensive
parce qu’elle savait ses ennemis décimés par l’épidémie23. Les assaillants sont
repoussés, mais les deux camps s’entendent au moins sur ce point : les guerres
tribales sont désormais choses du passé. Les rivaux de toujours concluront
d’ailleurs un traité de paix en 187224.
Pour l’alliance du Nord, la perte de 200 à 300 guerriers à la rivière Belly
constitue certes une défaite militaire importante. Elle n’est cependant rien en
comparaison d’une conséquence inattendue de cet épisode qui clôt l’intermi-
nable conflit l’opposant aux Niitsitapis : la variole se propage aux Cris à la
faveur de l’un des nombreux raids qu’ils lancent sur les campements pieds-
noirs au printemps 187025. Dans les quelques mois qui suivent, plus de 1 000
d’entre eux succombent à la maladie. Conjuguée à la crise politique qui agite
la rivière Rouge, cette flambée déborde les capacités de prévention de la CBH.
Le principal responsable de la région infectée, W.  J.  Christie, réclame la
livraison immédiate de vaccins en août  186926. Les premiers arriveront en
avril 187027. Les communications dans les prairies sont si difficiles que les
turbulences à la rivière Rouge, événements pourtant majeurs, restent à l’état

22. Carlton R. Stewart (dir.), The Last Great (Inter-Tribal) Indian Battle, Lethbridge : Lethbridge
Historical Society, 1997.
23. L’alliance crie ne savait toutefois pas que les survivants de l’offensive de l’armée américaine à la
rivière Maria ainsi que plusieurs Pieds-Noirs du Nord s’étaient joints au campement pied-noir avant
leur attaque du 25 octobre. Alex Johnston, « The Last Great Indian Battle », dans : Ibid., p. 8. Les
Pieds-Noirs ont également remporté la victoire grâce à la supériorité de leurs armes, fournies par des
commerçants du Montana. Dans la bataille de la rivière Belly, leurs carabines à répétition se sont
révélées incomparablement plus efficaces que les arcs, les flèches et les fusils à silex de l’alliance du
Nord, cliente de la CBH. Adolf Hungry Wolf, The Blood People : A Division of the Blackfoot
Confederacy, New York : Harper and Row, 1977, p.  255. Voir également : Ewers, The Blackfeet,
p. 260-261.
24. Treaty 7 Elders et al., The True Spirit and Original Intent of Treaty 7, p. 9.
25. Butler, The Great Lone Land, p. 368.
26. Hugh Dempsey (dir.), « Smallpox Epidemic of 1869–70 », Alberta History, 11, 1963, p. 17.
27. On trouvera dans E. R. Young, By Canoe and Dog Train : Among the Cree and Salteaux Indians,
Toronto : William Briggs, 1890, p. 197-205, une analyse des mesures d’aide mises en place après la
flambée pathologique du printemps.
6  L e C anada , le N ord -O uest et les traités , 1869-1876 161

de rumeur jusqu’à ce que la fonte printanière des neiges et des glaces


permettent la reprise des déplacements à plus grande échelle28.
En dépit des difficultés qui entravent, au moins huit mois durant, les
mesures déployées par la Compagnie pour enrayer la propagation du virus,
certains groupes bénéficient d’une campagne efficace de vaccination. Ces
succès isolés contribueront de manière déterminante à ralentir l’avancée de
l’épidémie vers l’est. Les écrits d’Isaac Cowie signalent la « visite providen-
tielle » du chef métis Pascal Breland à Fort Qu’Appelle pendant l’automne
1869, accompagné d’un enfant récemment vacciné29. Cowie, dont le père
était médecin en Écosse, explique qu’il a…
… collecté sur un morceau de verre assez de vaccin pour protéger tous les
habitants du fort qui en avaient besoin ; à partir de là, une quantité suffisante
de vaccin a pu être obtenue pour immuniser toutes les personnes vivant
autour des lacs ainsi que les Indiens s’étant présentés dans la région à
l’automne. […] les gens qui avaient été vaccinés au fort ont pu propager
leur immunisation dans les Plaines avec une telle efficacité que pas un seul
cas de variole n’a par la suite été rapporté parmi les Indiens de la Qu’Appelle
et des Touchwood Hills30.
Son intervention a probablement empêché l’épidémie de gagner la
population urbanisée de la rivière Rouge.
Au nord des collectivités vaccinées grâce à Cowie le long de la
Qu’Appelle, certains habitants des basses-terres de la Saskatchewan Nord se
font également immuniser. À la mission de Prince Albert, le révérend James
Nisbet vaccine plus de 150 personnes avec son propre sérum31. Ce programme
d’immunisation ainsi que l’abandon de la mission et la dispersion de sa
population en petits groupes jugulent l’épidémie à l’est de la fourche de la
rivière Saskatchewan32. À l’hiver 1870-1871, le Dr McKay, du Département
du fleuve Mackenzie de la CBH, déploie une campagne de vaccination avec

28. John McDougall, In the Days of the Red River Rebellion (sous la direction de Susan Jaeckel),
Edmonton : University of Alberta Press, 1983, p.  117 ; Peter Erasmus, Buffalo Days and Nights,
Calgary : Fifth House, 1999, p. 200.
29. Isaac Cowie, The Company of Adventurers : A Narrative of Seven Years in the Service of the Hudson’s Bay
Company during 1867–1874, Lincoln : University of Nebraska Press, 1993, p. 382.
30. Ibid. Même si l’agent principal Campbell affirme que lui-même et son épouse y ont vacciné plus de
1 000 personnes, l’épidémie semble avoir touché la haute Assiniboine. Clifford Wilson, Campbell of
the Yukon, Toronto : Macmillan of Canada, 1970, p.  169-170. Butler, The Great Lone Land,
p. 227-228, indique que la flambée a tué plus de la moitié de la population de Fort Pelly.
31. W. D. Smiley, « ‘The Most Good to the Indians’ : The Reverend James Nisbet and the Prince Albert
Mission », Saskatchewan History, 46, 1994, p. 42.
32. Ibid. ; Katherine Pettipas, « Introduction », dans : Katherine Pettipas (dir.), The Diary of the Reverend
Henry Budd, 1870–1875, Winnipeg : Hignell Printing, 1974, p. xxxviii.
162 L a destruction des I ndiens des P laines

l’aide de pasteurs anglicans et met ainsi les populations des bords de la


­Churchill à l’abri de la terrible maladie33.
L’épidémie frappe par contre de plein fouet les collectivités des terri-
toires en litige à l’ouest de l’embranchement de la Saskatchewan. À cause des
conflits qui déchirent l’ouest des Plaines et de la rupture des communications
entre cette région et la rivière Rouge pendant plusieurs mois, les vaccins n’ar-
rivent pas34. Le long de la Saskatchewan Nord, la famine, la maladie et les
violences interethniques accentuent une crise qui va grandissant35.
Ainsi que nous l’avons indiqué, l’infection arrive dans le nord-ouest des
Plaines à la faveur d’un raid de vol de chevaux que les Cris ont lancé en
avril  1870 contre un campement de Pieds-Noirs contaminés. Le virus se
propage alors aux 17 membres de cette expédition ; seulement deux d’entre
eux y survivront. À partir de là, la maladie gagne un campement cri « rassem-
blant des gens venus de directions différentes en grand nombre ». À l’été, elle
a conquis tout le territoire qui s’étend de Rocky Mountain House à Fort
Carlton36.
Quand l’épidémie éclate, l’incertitude entourant le futur de l’Ouest,
désormais sous contrôle canadien, tourne très vite à l’hostilité à l’égard des
Européens, parfois même à la violence. À Victoria, sur les bords de la Saskat-
chewan Nord, 11  Niitsitapis malades et désespérés attaquent la mission
méthodiste ; 10 d’entre eux en mourront37. Les relations ne sont guère meil-
leures entre les Européens et les Cris auxquels la mission prête assistance : « Ils
sont parfois très effrontés », indique John, le fils du révérend McDougall. « Ils
se promènent armés jusqu’aux dents, cherchant n’importe quel prétexte pour
passer à l’offensive. C’est une maladie de Blancs, et ils haïssent les Blancs38. »
À Edmonton, l’agent principal Christie confirme le point de vue de McDou-
gall sur l’agressivité des Autochtones à l’égard des Européens, qu’ils accusent
d’avoir déchaîné la maladie. Il indique ainsi qu’un groupe d’Indiens s’est

33. SAB, Campbell Innes Papers, A-113, John McKay Papers, f. 1, Diary 1870–84, 8 février 1871 ;
ACBH, dossier de recherche : Smallpox Epidemic, 1869–1870, extrait 25, « D. A. Smith to W. Armit,
Fort Garry, 5 March 1871 ».
34. Voir : W.  J.  Christie, « Smallpox Report », The Manitoban, 16  septembre  1871, dans : Dempsey
(dir.), « Smallpox Epidemic of 1869–70 », p. 17.
35. Smiley, « ‘The Most Good to the Indians’ », p.  40-41 ; The Manitoban, 21 janvier  1871, dans :
Dempsey (dir.), « Smallpox Epidemic of 1869–70 », p. 14.
36. Butler, The Great Lone Land, p. 368-369.
37. James G. MacGregor, Senator Hardisty’s Prairies, 1849–1889, Saskatoon : Western Producer Prairie
Books, 1978, p. 75-76 ; Young, By Canoe and Dog Train, p. 198.
38. McDougall, In the Days of the Red River Rebellion, p. 127 ; MacGregor, Senator Hardisty’s Prairies,
p. 76.
6  L e C anada , le N ord -O uest et les traités , 1869-1876 163

rendu jusqu’à Fort Pitt dans l’intention de tuer les traiteurs Watt et Traill en
guise de représailles, leur reprochant d’avoir contaminé leur collectivité39.
Plus la variole gagne du terrain, plus l’hostilité des Autochtones à l’égard
des traiteurs, pour la plupart immunisés contre la maladie40, s’exprime avec
brutalité. Touché par l’épidémie au début de l’été, Fort Pitt sombre dans le
chaos. Des vaccins sont acheminés par la rivière Saskatchewan en avril 187041 ;
James Sinclair, traiteur du poste, constate toutefois très vite que ces envois ne
suffiront pas pour les deux campements de Cris infectés qui viennent lui
demander de l’aide42. Les Cris sont convaincus que les Européens sont les
seuls à pouvoir guérir cette maladie qu’ils ont apportée dans leurs bagages, et
que leurs propres hommes-médecine ne peuvent rien contre ce fléau. Butler
explique qu’ils peuvent alors commettre des gestes complètement désespérés.
Ils semblent résolus à faire pénétrer la maladie dans le fort. […] Ils laissent
les cadavres près des palissades sans les enterrer ; il n’est pas rare que des
Indiens aux derniers stades de la maladie tentent par tous les moyens
d’entrer dans les maisons ou frottent les poignées des portes et les cadres des
fenêtres des habitations avec des matières infectées prélevées sur leur propre
personne43.
Les Cris suspendent leurs « macabres tactiques de harcèlement » quelques
semaines seulement avant l’arrivée de Butler à Fort Pitt, à la mi-novembre.
Butler rapporte que plus de 100 personnes sont mortes près des palis-
sades44. Même à bonne distance, la scène est cauchemardesque : « Les corps
sont restés plusieurs jours à l’air libre au bord de la route, jusqu’à ce que les

39. ACBH, dossier de recherche : Smallpox Epidemic, 1869–1870, extrait  6, « W.  J.  Christie to
D. A. Smith, Carlton House, 6 September 1870 ».
40. Un certain nombre d’Européens ont été infectés, mais seulement quatre ont succombé à la maladie.
Voir : MacGregor, Senator Hardisty’s Prairies, p. 78-79. Si la plupart des Autochtones présentaient
une susceptibilité à la maladie, ceux qui avaient été infectés lors d’une flambée antérieure
étaient désormais immunisés. Pendant l’épidémie, le catéchiste métis Peter Erasmus avait un assis-
tant stoney, Pan-eza Sa-win, un aîné qui « ne craignait pas la maladie, l’ayant contractée et s’en
étant remis plusieurs années plus tôt ». Erasmus, Buffalo Days and Nights, p. 211-212.
41. Young, By Canoe and Dog Train, p. 202-205.
42. MacGregor, Senator Hardisty’s Prairies, p. 74. Sinclair aurait apparemment tenté de fabriquer du
sérum pour Fort Pitt avec de la lymphe prélevée sur un Saulteaux qui avait été vacciné à la mission
de Prince Albert. Malheureusement pour les Cris de la région, cette technique n’a pas fonctionné.
SAB, W. Traill Papers, A-104, p. 4.
43. Butler, The Great Lone Land, p. 250-251, 369. Sinclair a injecté aux habitants du fort un vaccin
fabriqué à partir de matières prélevées sur des Saulteaux vaccinés par Nisbet à Prince Albert.
Christie, « Smallpox Report », dans : Dempsey (dir.), « Smallpox Epidemic of 1869–70 », p. 16-17 ;
ACBH, dossier de recherche : Smallpox Epidemic, 1869–1870, extrait  6, « W.  J.  Christie to
D. A. Smith, Carlton House, 6 September 1870 ».
44. ACBH, dossier de recherche : Smallpox Epidemic, 1869–1870, extrait  6, « W.  J.  Christie to
D. A. Smith, Carlton House, 6 September 1870 ».
164 L a destruction des I ndiens des P laines

loups […] s’en approchent pour se disputer les cadavres en décomposi-


tion45. » En plein cœur de cet inconcevable chaos, l’agent principal
d’Edmonton réclame 80 hommes en armes pour prêter main-forte aux
postes de la Compagnie établis le long de la Saskatchewan Nord, particu-
lièrement menacés.
Fort Carlton est aussi durement frappé. L’épidémie contamine deux
membres du personnel de la Compagnie : Donald McDonald, commis,
meurt en août ; Peter Ballandine, agent principal de sang mêlé, ne se rétablira
qu’au terme d’une longue convalescence46. Quand la maladie se propage à
l’ensemble du personnel du poste, William Traill, qui vient d’être transféré à
Carlton, se voit contraint de « faire office de fonctionnaire, commis, inter-
prète, médecin, infirmier et sacristain47 ». En dépit de ses efforts héroïques,
32 des 70 habitants du poste sont contaminés, et 28 en meurent48. Carlton
occupant un emplacement stratégique dans le commerce terrestre, l’établisse-
ment devient rapidement un foyer d’infection majeur pour les postes plus
modestes de l’intérieur. Un convoi de charrettes comptant 14 conducteurs
part du lac La Biche pour se rendre au poste ; huit d’entre eux succombent à
la maladie pendant le trajet qui les ramène dans la petite communauté
nordique, ou peu après leur retour49.
Traill n’est toutefois pas complètement seul pour affronter l’épidémie.
Pendant quelque temps, Vital Grandin, évêque catholique du lac La Biche,
l’aide à prendre soin des malades et des mourants. À Fort Carlton, il circule
de tente en tente pour…
… tenter d’apporter un peu de réconfort aux malades. Il n’avait en sa
possession aucun médicament pour combattre le fléau, qui devait
simplement suivre son cours terrible et souvent mortel. Il entendait les
mourants en confession, plaçant sa tête tout près de la leur pour tendre
l’oreille à leurs murmures exténués de douleur et de repentance. Nombreux
sont ceux qui lui ont demandé le baptême avant de mourir50.

45. Butler, The Great Lone Land, p. 250. MacLean, McDougall of Alberta, p. 44, rapporte un incident
similaire.
46. ACBH, dossier de recherche : Smallpox Epidemic, 1869–1870, extrait  6, « W.  J.  Christie to
D. A. Smith, Carlton House, 6 September 1870 ». Au total, trois femmes et « de nombreux enfants »
sont morts à Carlton House.
47. SAB, W. Traill Papers, A-104, p. 5.
48. Butler, The Great Lone Land, p. 369.
49. Christie, « Smallpox Report », dans : Dempsey (dir.), « Smallpox Epidemic of 1869–70 », p. 16.
50. Frank J. Dolphin, Indian Bishop of the West : Vital Justin Grandin, 1829–1902, Ottawa : Novalis,
1986, p. 121-124. Le journal de la mission de Saint-Paul, en Alberta, fait état de 2 000 baptêmes
dans les Plaines pour ce terrible été. Katherine Hughes, Father Lacombe : The Blackrobe Voyageur,
New York : Moffat, Yard and Company, 1911, p. 187.
6  L e C anada , le N ord -O uest et les traités , 1869-1876 165

L’évêque accompagne aussi l’un des employés malades, pourtant protestant,


car « son pasteur [n’était] pas venu51 ». James Nisbet, le pasteur tant attendu,
a préféré ne pas se rendre au fort de crainte de contaminer sa petite collec-
tivité de Prince Albert à son retour. Il aurait été « très affligé de ne pouvoir
rendre visite à ses amis de Fort Carlton alors qu’ils étaient en danger52 ».
Les interventions de Grandin à Fort Carlton et le refus de Nisbet de se
rendre en ce même lieu illustrent bien les stratégies respectives des mission­
naires catholiques et protestants face à l’épidémie. La disparité de leurs
approches explique en grande partie l’extrême variabilité des taux d’infection
et de mortalité dans leurs collectivités. Une terrible hécatombe s’abat sur les
Cris, pour la plupart en relation avec des missions méthodistes ou angli-
canes ; cette flambée se révèle toutefois plus effroyable encore dans les régions
rattachées à des établissements catholiques. Dans les missions protestantes,
l’ordre de dispersion est souvent donné dès les premières rumeurs de conta-
gion, avant même que l’épidémie ne soit arrivée dans la région53. Henry
Steinhauer, missionnaire du lac Whitefish, mène ainsi sa petite collectivité
dans les secteurs forestiers du Nord : « Ils étaient si isolés que personne n’en a
plus eu de nouvelles pendant très longtemps54. » Pour éviter la maladie,
nombreux sont les Cris qui remontent très loin vers le nord, parfois jusqu’à
la rivière de la Paix. Certains territoires ont même probablement été aban-
donnés pour un temps par crainte de la contagion. Traversant les Touchwood
Hills, Butler rapporte que « tout est désert et silencieux ; les Indiens et les
bisons sont partis55 ». Les récits oraux indiquent que 100 Saulteaux auraient
succombé à l’épidémie au lac Ponass, non loin des Touchwood Hills56.
À l’inverse, les catholiques serrent les rangs face à l’épreuve. Les
collectivités métisses qui se sont développées autour des missions catholiques
de l’Alberta connaissent ainsi des taux de mortalité extrêmement élevés à
l’été 187057. Grâce à l’intervention efficace et rapide de la CBH, la maladie fait

51. Dolphin, Indian Bishop of the West, p. 121.


52. Smiley, « ‘The Most Good to the Indians’ », p. 42 ; Erasmus, Buffalo Days and Nights, p. 210-211.
53. Nix, Mission among the Buffalo, p. 64 ; Young, By Canoe and Dog Train, p. 198 ; MacLean, McDougall
of Alberta, p. 44 ; Erasmus, Buffalo Days and Nights, p. 209 ; Henry Budd, « Entry of 6 Sep. 1870 »,
dans : Katherine Pettipas (dir.), The Diary of the Reverend Henry Budd, 1870–1875, p. 39.
54. MacLean, McDougall of Alberta, p. 44.
55. Edward McCourt, Remember Butler : The Story of Sir William Butler, Toronto : McClelland and
Stewart, 1967, p. 60-64 ; David Meyer et Robert Hutton, « Pasquatinow and the Red Earth Crees »,
Prairie Forum, 23, 1998, p. 103.
56. SAB, microfilm 2.75, « Nut Lake Indians, 1905–1955 », School Histories of 35 Indian Reserves,
1955 ; Butler, The Great Lone Land, p.  227-228. Les Archives de la CBH ne possèdent
malheureusement pas de registre de Fort Pelly pour l’année 1870.
57. St. Albert Historical Society, The Black Robe’s Vision : A History of the St. Albert District, St. Albert
(Alberta) : St. Albert Historical Society, 1985, p. 58.
166 L a destruction des I ndiens des P laines

très peu de ravages à Fort Edmonton58. Un peu plus loin des palissades, la
situation est tout autre. À une dizaine de kilomètres seulement d’Edmonton,
la collectivité métisse de Saint-Albert compte environ 900  habitants ; la
maladie se propage aux deux tiers de la population et fera 320 morts59. À la
mission Victoria dirigée par McDougall, plus de 50 personnes succombent à
la maladie et les survivants reçoivent l’ordre de se disperser ; McDougall
dénonce avec virulence le comportement des catholiques pendant l’épi-
démie60. Son fils John, lui-même frappé par la maladie61, compare les straté-
gies des uns et des autres : les catholiques, précise-t-il, trouvent les protestants
lâches parce qu’ils choisissent l’isolement. Il rend compte ensuite des résultats
de cette approche : « Beaucoup d’Indiens et de Sang-Mêlés se sont regroupés
et sont morts comme en carnage62. » Mais les réticences des catholiques à
l’égard de la dispersion des populations n’expliquent peut-être pas entière-
ment le taux élevé de mortalité dans les collectivités dont ils s’occupent.
Certaines missions catholiques vaccinaient leur population ; cependant,
indique Butler, les sérums achetés à Fort Benton et utilisés à Saint-Albert au
plus fort de l’épidémie « n’étaient pas ce qu’ils prétendaient être63 ».
La maladie déchaîne aussi la souffrance et la mort à l’ouest des
contreforts des Rocheuses. Le père Leduc rend visite à une quinzaine de
familles contaminées de Jasper pour « leur donner les consolations de la reli-
gion64 ». Un Stoney ayant observé la situation à Banff rapporte que la collec-
tivité est devenue « un cimetière65 ». Au nord-est d’Edmonton et des missions
catholiques infectées, la maladie décime aussi la petite collectivité du poste de
traite du lac de l’Orignal (lac Moose), à l’embouchure de la rivière Castor
(rivière Beaver). L’historien cri Joseph Dion indique que « toute la commu-
nauté a été emportée ; la maladie n’a laissé qu’un seul survivant parmi les
morts sans sépulture, un petit garçon qui s’est enfui dans la forêt et n’a pu être
rattrapé et sauvé qu’à grand-peine66 ». En 1878, le Dr A. E. Porter accom-
pagne les négociateurs qui traversent les « forêts hantées » pour aller à la

58. ACBH, dossier de recherche : Smallpox Epidemic, 1869–1870, extrait 4, Edmonton House Journal.
59. James G. MacGregor, Edmonton : A History, Edmonton : Hurtig, 1975, p. 79.
60. McDougall, George Millward McDougall, « George McDougall, 21 October 1871 », p. 159.
61. Nix, Mission among the Buffalo, p. 65 ; MacLean, McDougall of Alberta, p. 40-41.
62. McDougall, George Millward McDougall, p. 155.
63. Butler, The Great Lone Land, p. 369-370.
64. A.G. Morice, Histoire de l’Église catholique dans l’Ouest canadien du lac Supérieur au Pacifique (1659-
1905), vol. 2, Saint-Boniface : à compte d’auteur, 1912 ; Montréal : Granger frères, 1915, p. 224.
65. MacLean, McDougall of Alberta, p. 41 ; McDougall, George Millward McDougall, p. 176.
66. MacLean, McDougall of Alberta, p. 41. Cet enfant était Antoine Gibeault, 9 ans. J. E. Dion, « A
Short History of Moose Lake in 1907 », dans : Real Girard (dir.), Echoes of the Past : History of Bonny-
ville and District, Bonnyville (Alberta) : Bonnyville and District Historical Society, 1984, p. 13-14.
6  L e C anada , le N ord -O uest et les traités , 1869-1876 167

rencontre de Big Bear (Gros-Ours) dans l’optique de conclure un traité avec


lui ; près du lac Sounding, il observe que « la plupart des mâts des tentes sont
encore debout et les os de nombreuses victimes gisent au sol, blanchis par le
soleil67 ». Les autorités du Dominion apportent à l’épidémie une réponse
bien différente de celle de la CBH une génération plus tôt, et leur stratégie
provoquera de nombreuses morts. Le gouvernement mesure très mal l’am-
pleur du fléau et ignore encore tout des techniques de déploiement de l’aide
médicale sur d’aussi vastes étendues. Dans les 50 années qui ont précédé, à
l’époque où elle assurait de facto le gouvernement de la région, la CBH
mettait à profit ses propres réseaux de transport et d’approvisionnement pour
surveiller l’évolution des épidémies dans ses établissements68. Quand il prend
la relève, le Dominion n’est pas du tout prêt à affronter un cataclysme d’une
telle envergure. Il faudra attendre le mois d’octobre 1870 pour qu’un Conseil
de la santé soit enfin constitué dans le but de résorber la crise ; à ce moment-
là, l’épidémie s’est déjà presque éteinte d’elle-même69. Les Plaines flottent
alors dans un vide juridictionnel complet ; un chercheur considère même
comme « extrajudiciaire » la Loi concernant le gouvernement provisoire qui
instaure le Conseil en 187070. Sans attendre les papiers qui, acheminés depuis
l’Est, vont lui conférer les pouvoirs nécessaires pour gouverner les Plaines, le
lieutenant-gouverneur Archibald riposte à la flambée épidémique en
nommant un Conseil. Presque une semaine plus tard, à l’arrivée des docu-
ments à la rivière Rouge, il constate avec effarement que cette nomination
n’est pas dans ses prérogatives. Pour justifier sa décision, il affirme que « la
validité de cette action ne fait pas le moindre doute71 ».
Deux semaines plus tôt, Archibald a ordonné à William Butler, un jeune
officier britannique du corps expéditionnaire de la rivière Rouge, de partir en
reconnaissance dans les Plaines pour évaluer l’étendue de l’épidémie72. Comme

67. SAB, R. A. Mayson Papers 4, A-M455, Dr. Andrew Everett Porter, p. 2.
68. Alexander Morris affirme que l’intervention rapide de la Compagnie « a sauvé les Indiens de la
destruction complète ». Stephen Sliwa, Standing the Test of Time : A History of the Beardy’s/Okemasis
Reserve, 1876–1951 (mémoire de maîtrise), Trent University, 1993, p. 52.
69. Le Conseil se compose de W. J. Christie (président) ; Richard Hardisty et John Bunn (représentants
de la CBH) ; George McDougall, son fils John, Peter Campbell et Henry Steinhauer (pasteurs
protestants) ; et les pères Leduc, Lacombe, André et Furmond (prêtres catholiques). Dempsey (dir.),
« Smallpox Epidemic of 1869–70 », p. 18.
70. James Mochoruk, The Political Economy of Northern Development : Governments and Capital along
Manitoba’s Resource Frontier, 1870–1930 (thèse de doctorat), University of Manitoba, 1992,
p. 19-20.
71. SAB, John A. Macdonald Papers, A-70, Adams Archibald to John A. Macdonald, 6 December 1870.
72. On trouvera une description plus complète des ordres donnés à Butler dans : The Great Lone Land,
p. 353-355, et Canada, Documents de la session, 1871, n° 20, « George Hill à William Butler, Fort
Garry, 10 octobre 1870 », p. 62-63.
168 L a destruction des I ndiens des P laines

il s’avère impossible de lui adjoindre un médecin dans son périple vers


l’ouest73, Butler emporte des remèdes pour soulager les malades qu’il trouvera
sur sa route. Malheureusement pour eux, ses bagages n’ont pas été suffisam-
ment protégés contre le froid, et l’hiver naissant détruit la plupart de ses médi-
caments. À Fort Carlton, Butler récupère ce qu’il peut : assez de remèdes,
estime le jeune officier, «  pour empoisonner une vaste partie de ce
territoire74 ».
Les autorités du Dominion établissent également un cordon sanitaire
pour protéger la colonie de la rivière Rouge. « Pas une charrette, pas un
voyageur ne pouvait emprunter la piste », rapporte le révérend E. R. Young.
« Tout ceci n’a pas été sans occasionner de grandes souffrances et d’importantes
privations pour les traiteurs et les missionnaires isolés75. » La flambée
épidémique interrompt aussi les approvisionnements alimentaires locaux
généralement assurés par les Métis, maintenant ravagés par la maladie. À
Edmonton, l’agent principal souligne que, sans vivres ni livraisons, « l’hiver
qui s’approche s’annonce extrêmement sombre. […] nous ne pourrons
compter que sur notre pêche et nos récoltes76 ». Si la moisson s’avérera géné-
reuse, les intempéries ainsi qu’une quarantaine de décès à Sainte-Anne rédui-
ront les prises de poissons des deux tiers, « condamnant ainsi de nombreuses
personnes à la disette77 ». À Victoria, la famine succède à l’épidémie : « Beau-
coup de gens ayant survécu à la maladie ont très vite succombé à la misère et
à la faim », écrit George McDougall78. La situation n’est pas meilleure dans
l’est des Plaines. Près de la fourche de la rivière Saskatchewan, indique Isaac
Cowie, l’épidémie perturbe considérablement l’acheminement des produits
alimentaires, causant « des pertes considérables dont nous ressentirons les
effets dans tout le District (de la Saskatchewan)79 ». C’est dans ce chaos

73. ACBH, dossier de recherche : Smallpox Epidemic, 1869–1870, extrait 12, « D.  A.  Smith to
G. G. Smith, Fort Garry, 19 October 1870 » ; R. M. Gorsline, « The Medical Services of the Red
River Expeditions, 1870–71 », Medical Services Journal, Canada, 23, 1967, p.  169 ; Canada,
Documents de la session, 1871, n° 20, Adams Archibald à Joseph Howe, Fort Garry, 13 octobre 1870,
p. 58-59, et Adams Archibald à Joseph Howe, Fort Garry, 24 octobre 1870, p. 66-67.
74. Butler, The Great Lone Land, p. 239.
75. Young, By Canoe and Dog Train, p. 200.
76. ACBH, dossier de recherche : Smallpox Epidemic, 1869–1870, extrait  10, « W.  J.  Christie to
W. G. Smith, Edmonton House, 11 October 1870 ».
77. Christie, « Smallpox Report », dans : Dempsey (dir.), « Smallpox Epidemic of 1869–70 », p.  15 ;
ACBH, dossier de recherche : Smallpox Epidemic, 1869–1870, extrait 20, « W. J. Christie to the
Chief Factors and Chief Traders, Northern Department, Edmonton House, 5 January 1871 ».
78. McDougall, George Millward McDougall, « George McDougall, 21 October 1870 », p. 165.
79. ACBH, dossier de recherche : Smallpox Epidemic, 1869–1870, extrait 19, « Horace Bélanger, Clerk
in Charge of Cumberland House, to the Governor, Chief Factors, and Chief Traders, Cumberland
House, 5 January 1870 » ; Cowie, The Company of Adventurers, p. 425.
6  L e C anada , le N ord -O uest et les traités , 1869-1876 169

marqué par la maladie et la faim que s’inscrit la funeste offensive de la rivière


Belly.
Alors que l’année 1870 s’achève, les autorités en poste à Winnipeg
réussissent finalement à s’assurer les services professionnels d’un médecin
pour compléter les interventions rudimentaires de Butler. Le capitaine
McDonald, volontaire ontarien possédant « une grande expérience dans le
traitement de la variole », arrive à Edmonton le 29 décembre80. Mais il déçoit,
étant manifestement plus porté sur la boisson que sur les soins médicaux81.
Pendant que McDonald dérive de beuverie en beuverie à travers les
Plaines et que Butler distribue des documents d’information, un médecin de
la CBH, le Dr McKay, met en œuvre une vaste et fructueuse campagne de
vaccination qui l’amène depuis le Mackenzie jusqu’en Athabasca, à la rivière
English et dans différents secteurs de la Saskatchewan82. Un autre programme
d’immunisation déployé par deux missionnaires catholiques, Petitot et
Séguin, met également 1 700 personnes à l’abri de la contagion dans le bassin
versant du Mackenzie83.
La réponse des autorités à la crise consiste principalement en l’interdic-
tion des exportations de fourrures provenant du Nord-Ouest. Même les
pelleteries du Grand Nord à destination de la rivière Rouge sont placées en
quarantaine quand elles passent par le dépôt infecté de Fort Carlton84. Ordre
est donné aux traiteurs qui commercent dans les Plaines « de ne rien vendre
ni acheter » qui puisse contaminer les populations isolées du Nord85. À
Edmonton, l’agent principal W.  J.  Christie indique aux représentants du

80. ACBH, dossier de recherche : Smallpox Epidemic, 1869–1870, extrait 20, « W. J. Christie to the
Chief Factors and Chief Traders, Northern Department, Edmonton House, 5 January 1871 ».
McDonald était attendu à Edmonton entre le 1er et le 10 décembre. « D. A. Smith to W. G. Smith,
Fort Garry, 28 December 1870 ».
81. ACBH, dossier de recherche : Smallpox Epidemic, 1869–1870, extrait  21, « D.  A.  Smith to
W. G. Smith, Fort Garry, 22 January 1871 ».
82. SAB, Campbell Innes Papers, A-113, vol.  5, Archdeacon MacKay Papers, Diary 1870–84,
8 février 1871.
83. Martha McCarthy, From the Great River to the Ends of the Earth : Oblate Missions to the Dene,
1847–1921, Edmonton : University of Alberta Press, 1995, p. 126n39 ; BAC, Church Missionary
Society (ci-après : CMS), microfilm A-80, Reverend Day to the Secretaries, Fort Simpson, November
1870 ; Clifford Wilson, « Private Letters from the Fur Trade » (« William Hardisty to William
McMurray, Fort Chipewyan, 12 January 1870 »), dans : W. L. Morton et J. A. Jackson (dir.), Papers
Read before the Historical and Scientific Society of Manitoba – Series 3, Winnipeg : Historical and
Scientific Society of Manitoba, 1950, p. 45.
84. ACBH, dossier de recherche : Smallpox Epidemic, 1869–1870, extrait  9, « D.  A.  Smith to
W. G. Smith, Fort Garry, 10 October 1870 ».
85. ACBH, dossier de recherche : Smallpox Epidemic, 1869–1870, extrait 19, « Horace Bélanger, Clerk
in Charge of Cumberland House, to the Governor, Chief Factors, and Chief Traders, Cumberland
House, 5 January 1870 ».
170 L a destruction des I ndiens des P laines

département du Nord qu’il est « inutile de dire qu’il n’y aura pas d’approvi-
sionnements en provenance de la Saskatchewan cette année, et il n’est pas
certain qu’il serait très judicieux d’acheminer les quelques fourrures que nous
avons en notre possession86 ».
Jusqu’au printemps 1871, tous les grands intervenants de la traite des
fourrures s’interrogent sur le sort à réserver aux pelleteries provenant des
régions infectées, et souvent fournies par des pourvoyeurs réduits à la
misère87. Le 24 avril, le Conseil de la santé réuni à Edmonton House adopte
une résolution interdisant l’exportation des fourrures du District de la
Saskatchewan jusqu’à la fin de la saison en cours88. Christie souligne que le
Conseil a beaucoup de mal à implanter la quarantaine89. Il est en effet bien
difficile de contrôler les déplacements des Autochtones, d’autant plus que la
Compagnie persiste à vouloir acheminer ses fourrures à la rivière Rouge, au
mépris de la quarantaine. Dans les écrits qu’il nous a laissés, Cowie n’en fait
pas mystère. Ses pelleteries ayant été confisquées et placées en entreposage
par un agent de la police de la province, il se rend à Winnipeg pour « dissiper
les calomnies contre notre marchandise ». En remontant l’Assiniboine vers
Fort Ellice pour y recueillir les déclarations sous serment qui corroboreront
ses dires, Cowie apprend que les fourrures confisquées ont failli provoquer
une émeute : « Les gens étaient si inquiets qu’ils sont passés bien près
d’incendier le bâtiment dans lequel les peaux étaient entreposées90. » Sa
marchandise finira néanmoins par sortir de quarantaine sans plus d’en-
combre. Dans son rapport, Butler souligne que le cordon sanitaire passe par
le ruisseau Rat Creek, près de Portage la Prairie, trop près des zones habitées
pour former un rempart efficace contre la propagation de la maladie91.
Quand Butler soumet son rapport, en mars  1871, la crainte de voir
l’épidémie gagner le Manitoba reste très vive. Butler recommande
l’implantation d’un nouveau poste de quarantaine à Fort Ellice, la seule
colonie de peuplements entre Fort Carlton et Portage la Prairie ; il préconise
également la vaccination obligatoire pour tous les « Sang-Mêlés ».

86. ACBH, dossier de recherche : Smallpox Epidemic, 1869–1870, extrait 20, « W. J. Christie to the
Chief Factors and Chief Traders, Northern Department, Edmonton House, 5 January 1871 ».
87. McDougall, George Millward McDougall, « George McDougall to Dr.  Wood, Victoria Mission,
1 March 1871 », p. 168.
88. The Manitoban, 16  septembre  1871, dans : Dempsey (dir.), « Smallpox Epidemic of 1869–70 »,
p. 18-19.
89. Christie, « Smallpox Report », dans : ibid., p. 17.
90. Cowie, The Company of Adventurers, p. 428-430.
91. Butler, The Great Lone Land, p. 205.
6  L e C anada , le N ord -O uest et les traités , 1869-1876 171

Les inquiétudes qu’il exprime de voir déferler une nouvelle flambée


épidémique au printemps ne se concrétisent pas. En juin 1871, les rapports
indiquent que la maladie a « complètement disparu » du District de la
Saskatchewan. En un mois, les affaires reprennent : plusieurs centaines de
sacs de pemmican sont vendus à Fort Carlton. En août, les convois de peaux
de bison recommencent à affluer à Montréal via Saint-Paul92.
Cependant, les collectivités autochtones des Plaines continuent
d’éprouver un ressentiment considérable à l’égard des Européens, auxquels
elles reprochent de leur avoir apporté la maladie et tous les bouleversements
qui ont ébranlé leurs communautés depuis que la Terre de Rupert est passée
sous contrôle canadien. Selon John McDougall, les Indiens auraient même
discuté entre eux de l’éventualité d’une « guerre d’extermination des Blancs.
Ils les accusent de toutes les calamités qui se sont abattues sur eux93 ». Ainsi
que l’histoire nous l’a appris depuis, cette guerre raciale n’aura jamais lieu ; les
autorités de l’époque prennent néanmoins acte de la méfiance et de l’hostilité
des Indiens et des Métis94.
Les populations autochtones s’inquiètent de plus en plus de ce qui
adviendra de leurs territoires en cette nouvelle ère de souveraineté canadienne.
En 1869, dès avant le transfert de la Terre de Rupert au Canada, McDougall
s’adresse aux autorités du Dominion au nom des Premières Nations, les
exhortant à conclure rapidement des traités pour encadrer les relations entre
la Couronne et les populations de l’Ouest95. La plupart des groupes qui
signent des traités avec la Couronne dans les années 1870 connaissent très
bien les ententes de ce type déjà conclues aux États-Unis ; plusieurs ont même
participé à certaines de ces négociations96. Par son urgence, la crise épidé-
mique éclipse pour un temps les projets de traité ; le rapport de Butler insiste
néanmoins sur la nécessité de résoudre cette question97. En janvier 1871, les
Cris envoient une requête exigeant l’intervention du gouvernement pour
résorber l’incertitude qui règne dans l’Ouest. Chef cri converti au catholi-
cisme pendant la flambée pathologique, Sweet Grass (Herbe-Odoriférante,

92. ACBH, dossier de recherche : Smallpox Epidemic, 1869–1870, extrait  26, « J.  H.  McTavish to
W.  Armit, Fort Garry, 14 June 1871 » ; extrait  27, « J.  H.  McTavish to W.  Armit, Fort Garry,
29 July 1871 » ; extrait 28, « J. H. McTavish to W. Armit, Fort Garry, 7 August 1871 ».
93. McDougall, George Millward McDougall, p. 172.
94. ACBH, dossier de recherche : Smallpox Epidemic, 1869–1870, extrait 20, « W. J. Christie to the
Chief Factors and Chief Traders, Northern Department, Edmonton House, 5 January 1871 ».
95. McDougall, George Millward McDougall, p. 150-152.
96. David McCrady, Beyond Boundaries : Aboriginal Peoples and the Prairie West, 1850–1885 (mémoire
de maîtrise), University of Victoria, 1992, p. 70-77. Sur les 43 chefs signataires du Traité n° 7, sept
avaient déjà signé le Traité des Pieds-Noirs (Blackfoot) des États-Unis en 1855.
97. Butler, The Great Lone Land, p. 380-386.
172 L a destruction des I ndiens des P laines

Foin-d’Odeur ou Herbe-Tendre) réclame la conclusion d’un traité en avril98.


Par l’intermédiaire de William Christie, il souligne que le territoire visé appar-
tient aux Cris99. Le compte rendu de Christie relativement à sa rencontre
avec Sweet Grass et d’autres chefs cris ne comporte aucune ambiguïté à cet
égard.
Leur visite avait pour objet de vérifier si leurs terres avaient été ou non
vendues, et de s’enquérir sur les intentions du gouvernement canadien dans
cette matière. Ils ont rappelé l’épidémie qui a fait rage tout l’été, ainsi que la
famine qui s’en est suivie, la pauvreté de leur pays, le recul manifeste du
bison, qui constitue leur seul soutien ; finalement, ils ont exigé que certains
présents leur soient remis immédiatement, et que je présente leurs arguments
aux représentants de Sa Majesté au fort Garry100.
La plupart des publications récentes sur le début de la période des
traités soulignent que les Premières Nations de l’époque affirmaient avec
beaucoup de force et de détermination leur droit de propriété sur leurs
territoires101. Dès avant la signature du premier traité numéroté, elles exigent
d’être reconnues comme propriétaires de ces terres ; de leur côté, les
représentants du Dominion conviennent de la nécessité absolue de conclure
des traités dans les prairies. Le commissaire aux Affaires indiennes, Wemyss
Simpson, écrit à Joseph Howe, secrétaire d’État aux provinces, le
3 novembre 1871. Dans cette lettre, il indique que la négociation d’un traité
dans le District de la Saskatchewan, à tout le moins la promesse d’une telle
entente, s’avère « essentielle à la paix, si ce n’est à la conservation du pays102 ».
Les inquiétudes des collectivités autochtones sont fondées. Au
printemps 1871, les autorités provinciales du Manitoba sont complètement
débordées par l’afflux massif d’immigrants en provenance de l’Ontario : « À sa
grande contrariété, le gouvernement provincial n’avait pas d’hébergement à
offrir aux nouveaux arrivants, pas de commissaire chargé de la répartition des

98. James G. MacGregor, Father Lacombe, Edmonton : Hurtig, 1975, p. 210. La demande de traité de
Sweet Grass est datée du 13 avril 1871. Christie l’a ensuite transmise à Archibald. Alexander Morris,
The Treaties of Canada with the Indians of Manitoba and the North-West Territories, Saskatoon : Fifth
House, 1991, p. 169-171.
99. Morris, The Treaties of Canada with the Indians of Manitoba and the North-West Territories, p. 170.
100. Ibid.
101. Jean Friesen, « Magnificent Gifts : The Treaties of Canada with the Indians of the Northwest
1869–76 », Transactions of the Royal Society of Canada (Series 5), 1986, p. 43, 46. Voir également :
Frank Tough, “As Their Natural Resources Fail” : Native Peoples and the Economic History of Northern
Manitoba, 1870–1930, Vancouver : UBC Press, 1996, p. 79-81 ; Frank Tough, « Aboriginal Rights
versus the Deed of Surrender : The Legal Rights of Native Peoples and Canada’s Acquisition of the
Hudson’s Bay Company Territory », Prairie Forum, 17, 1992, p. 230.
102. Morris, The Treaties of Canada with the Indians of Manitoba and the North-West Territories, « Wemyss
Simpson to the Secretary of State for the Provinces, 3 November 1871 », p. 68.
6  L e C anada , le N ord -O uest et les traités , 1869-1876 173

Sweet Grass, grand chef des Cris, à Saint-Boniface, au Manitoba, 1872. Glenbow Archives,
NA-1677-10.
174 L a destruction des I ndiens des P laines

terres, pas de terres cédées sur lesquelles les émigrants pussent s’établir103. »
Cet afflux de population précipite la conclusion du Traité n° 1 au Manitoba.
Le gouvernement négocie en définitive au gré de ses propres échéances,
dictées par des besoins externes et souvent immédiats bien plus que par le
souci de la qualité de vie des Indiens à long terme104.
Puisque son propre calendrier de développement territorial ne l’oblige
pas encore à conclure des ententes avec les Autochtones à l’ouest de la rivière
Rouge, le Dominion ne se préoccupe tout simplement pas de ce territoire ni
de sa population. En mars 1872, Adams Archibald, lieutenant-gouverneur
du Manitoba, indique ainsi à Joseph Howe : « Ils seront honnêtement traités
en temps et lieu105. » En juin, le premier ministre apprend que les tensions se
font de plus en plus vives entre les colons et les Cris dans les Plaines, résultat
de l’inaction gouvernementale à l’égard des traités106.
Si les Premières Nations réclament des ententes avec insistance, ce n’est
pas seulement parce qu’elles redoutent l’immigration massive des Européens.
Au début des années 1870, l’économie de la traite des fourrures est en pleine
mutation. Après avoir exercé une mainmise complète sur les pelleteries
pendant plusieurs dizaines d’années, la CBH a vendu sa charte et ne s’estime
plus le moins du monde responsable des conditions de vie matérielles de ses
anciens fournisseurs. En 1872, à la faveur d’une réorganisation de ses activités
visant à réduire ses coûts d’exploitation, l’entreprise décide de ne plus faire
crédit aux pourvoyeurs indiens107. Ce revirement marque une réorientation
majeure des relations entre la CBH et les chasseurs et trappeurs autochtones :
depuis deux siècles, l’entreprise procurait à ses fournisseurs un filet social
caractérisé notamment par « un crédit libéralement octroyé aux partenaires
en bonne santé ainsi qu’un soutien pour les personnes âgées, les malades et
les indigents108 ». L’arrivée des bateaux à vapeur sur le lac Winnipeg et sur la
rivière Saskatchewan restreint considérablement l’emploi rémunéré pour les

103. Allen Ronaghan, « Charles Mair and the North-West Emigration Aid Society », Manitoba History,
14, 1987, p. 14.
104. Frank Tough, « Economic Aspects of Aboriginal Title in Northern Manitoba : Treaty 5 Adhesions
and Métis Scrip », Manitoba History, 15, 1988, p. 7.
105. Peter Naylor, Index to Aboriginal Issues Found in the Records of the North-West Mounted Police RG 18,
National Archives of Canada (tapuscrit), Saskatoon : Office of the Treaty Commissioner, 1994,
extrait 590, « Adams Archibald to Joseph Howe, Fort Garry, 6 March 1872 », p. 215.
106. BAC, John A. Macdonald Papers, microfilm C-1670, 110702, Gilbert McMicken to John A.
Macdonald, Winnipeg, 22 June 1872.
107. Cowie, The Company of Adventurers, p.  441, 445 ; Frank Tough, « Indian Economic Behaviour,
Exchange, and Profits in Northern Manitoba during the Decline of Monopoly, 1870–1930 »,
Journal of Historical Geography, 16, 1990, p. 390.
108. Arthur J. Ray, J. R. Miller et Frank Tough, Bounty and Benevolence : A History of Saskatchewan
Treaties, Montréal : McGill-Queen’s University Press, 2000, p. 139, 146.
6  L e C anada , le N ord -O uest et les traités , 1869-1876 175

pourvoyeurs saisonniers de fourrures dont le trappage (piégeage) ne peut à


lui seul assurer la subsistance. À l’hiver 1872-1873, la raréfaction du bison et
les fluctuations erratiques du climat rendent également la vie des populations
beaucoup plus difficile. En janvier, la pluie interdit tout déplacement.
Nombreux sont ceux et celles qui succombent à la maladie et à la faim109.
À l’été 1872, l’arrivée dans l’Ouest de l’expédition dirigée par sir
Sandford Fleming en vue de la mise en fonction d’un lien ferroviaire signe la
fin d’une époque. Pour George M. Grant, chroniqueur de ce périple, cette
mission marque « l’aube d’une nouvelle économie industrielle » dans les
Plaines110. Elle présentera toutefois un inconvénient, ajoute-t-il  : les
populations autochtones seront délogées de la région111. Leur éviction sera
causée non seulement par « la scrofule et les épidémies », mais aussi par l’inva-
sion des commerçants du Sud dont la principale marchandise « porte le nom
de rhum, mais se compose en réalité de tabac, de vitriol bleu (sulfate de
cuivre) et d’eau112 ». Ces sinistres conjectures se fondent sur l’observation du
déclin de la société niitsitapie aux mains des marchands américains. Sans
l’arrivée de la Police à cheval du Nord-Ouest (PCN-O) dans le sud-ouest du
Canada à l’automne 1874, elles auraient fort bien pu se concrétiser113.
Alors que les populations s’interrogent sur leur avenir dans les Plaines,
certains représentants des autorités minimisent leurs difficultés. Gilbert
McMicken, agent du Bureau des terres du Dominion au Manitoba, écrit
ainsi au premier ministre en avril 1873 : « L’on a considérablement exagéré le
problème indien. [Je] suis tout à fait convaincu que la conclusion d’un traité
avec les Cris cet été ainsi que l’octroi de petits lopins de terre aux Sioux
permettront de parer toute difficulté114. » Fleming balaye également du
revers de la main les inquiétudes des chefs mennonites concernant la sécurité
dans les Plaines : lors de sa traversée de l’Ouest, explique-t-il aux aînés de

109. BAC, MG 29 A 6, Robert Bell Papers, Hudson’s Bay Company, Northern Department, Journal of
a Voyage from Fort Garry to Fort Simpson, Mackenzie River, by Land and Water, and of Its Return by
Dog Train to Carlton Performed on a Tour of Inspection of Posts from 22nd August, 1872, to 28th
January, 1873 by Hon. William Joseph Christie, Inspecting Chief Factor of the Hudson’s Bay Company,
26 janvier 1873.
110. Ray, Miller et Tough, Bounty and Benevolence, p. 130.
111. George M. Grant, Ocean to Ocean : Sandford Fleming’s Expedition through Canada in 1872, Toronto :
Coles Publishing Company, 1970, p. 96.
112. Ibid., p. 190.
113. Ibid., p.  97-99, 133 ; John Webster Grant, Moon of Wintertime : Missionaries and the Indians of
Canada in Encounter since 1534, Toronto : University of Toronto Press, 1984, p. 155.
114. BAC, John A. Macdonald Papers, microfilm C-1670, 110809, Gilbert McMicken to John
A. Macdonald, Fort Garry, 18 April 1873.
176 L a destruction des I ndiens des P laines

cette collectivité immigrante, il ne portait sur lui pour toute arme qu’un tire-
bouchon, dont il n’a du reste guère eu l’occasion de se servir115.
Les traités tant espérés n’étant pas signés, les tensions entre les
collectivités blanches et les Indiens de l’Ouest s’accentuent. Quand la
Commission de la frontière internationale amorce ses travaux de tracé le long
du 49e  parallèle, en  1872, Alexander Morris constate que les Premières
Nations s’alarment de voir Canadiens et Américains en uniforme arpenter
leurs territoires côte à côte. En octobre 1873, Robert Bell, de la Commission
géologique du Canada, indique au lieutenant-gouverneur Morris que les
Autochtones du sud de la Saskatchewan se questionnent sur « les intentions
des “Anglais” et des Canadiens à leur égard. […] En plusieurs occasions, ces
Indiens [ont menacé] de voler nos chevaux et notre équipement, et même de
nous tuer jusqu’au dernier ; ils nous ont finalement enjoint de rebrousser
chemin, ajoutant d’un même souffle que nous devrions sans doute rendre
grâce à Dieu si par bonheur nous rentrions sains et saufs chez nous116 ». Bell
signale aussi que les Autochtones de la région se méfient tellement des
« Anglais » qu’ils attribuent le massacre ayant ensanglanté les Cypress Hills
quelques mois plus tôt à « des gens du camp anglais », et que les Assiniboines
« sont très disposés à s’en venger sur tout Anglais » se trouvant dans le pays117.
À l’est de Fort Qu’Appelle, les Saulteaux de Fort Ellice réclament à Morris la
suspension des travaux d’arpentage entrepris par A. H. Whitcher jusqu’à ce
que les questions territoriales les concernant soient réglées118. Morris
demande à ses supérieurs d’envisager de nouveau la conclusion d’un traité
pour faciliter l’immigration dans l’Ouest119. La situation se dénoue à la fin
de l’été 1874 avec l’arrivée de la police et la signature du traité Qu’Appelle en
septembre120. Lors de la cérémonie, les représentants du Dominion se font
vertement tancer pour avoir autorisé la mise en œuvre des relevés
topographiques avant la cession du titre aborigène121. Le chef Pasqua résume
avec concision les racines de la frustration indienne. Pointant du doigt
McDonald, de la CBH, il lui aurait lancé : « Vous m’avez dit que vous aviez

115. Sharp, Whoop-Up Country, p. 79.


116. BAC, MG 29 B 15, Robert Bell Papers, vol. 27, f. 103, Confidential Report to Alexander Morris from
Robert Bell, Fort Garry, 14 October 1873.
117. Ibid.
118. Ibid., « Enclosure No. 2 ».
119. Ibid., Alexander Morris to Minister of the Interior, Fort Garry, 23 October 1873.
120. Margaret Complin, « Calling Valley of the Crees and the Buffalo », The Beaver, 265, 1935, p. 23 ;
Sarah Carter, Lost Harvests : Prairie Indian Reserve Farmers and Government Policy, Montréal :
McGill-Queen’s University Press, 1990, p.  56 ; Ray, Miller et Tough, Bounty and Benevolence,
p. 107-111.
121. Ray, Miller et Tough, Bounty and Benevolence, p. 156.
6  L e C anada , le N ord -O uest et les traités , 1869-1876 177

vendu la terre pour une certaine somme –  300 000  £. Nous voulons cet
argent122. » Signe manifeste de l’acrimonie entourant la conclusion du traité,
la rencontre de Fort Qu’Appelle se termine sans que les participants aient
fumé le calumet cérémoniel symbolisant le respect mutuel.
Les 3 000 personnes qui ont convergé à Fort Qu’Appelle pour l’événe-
ment savent que la faim a joué un rôle non négligeable dans la signature du
Traité n° 4123. Arrivé dans les Touchwood Hills l’année précédente, le mission-
naire anglican Joseph Reader indique que des gens affamés ont dévoré l’un de
ses chiens124. Les autorités du Dominion préconisent leur conversion à l’agri-
culture, la considérant comme « le meilleur moyen de rompre leurs habitudes
nomades, d’élever et d’assurer leur position125 ». Néanmoins, même les
communautés qui ont amorcé cette transition vivent des moments très diffi-
ciles. Au Manitoba, la bande de Saint-Pierre (St. Peter) cultive environ
2 000  acres (800  hectares), mais les récoltes de l’été 1875 s’avèrent désas-
treuses126. Le déclin de la pêche automnale exacerbe la précarité pour toute la
population du Traité n°  1. Commissaire aux Affaires indiennes, J. A. N.
Provencher précise que « l’aide du gouvernement a seule empêché de grandes
souffrances à Saint-Pierre, au Portage et à la rivière au Roseau127 ».
En  1875, la disette qui frappe les Saulteaux accentue la flambée de
rougeole « répandue parmi toute la population » de Fort Alexander128. La
maladie touche d’abord les enfants ; mais ensuite, « un plus grand nombre de
cas furent constatés parmi les adultes ». L’épidémie prend de court le
commissaire aux Affaires indiennes tout autant que les médecins dépêchés
sur les lieux. Quelques semaines plus tard, elle s’est toutefois éteinte, « en
grande partie le résultat de l’adoption par les Sauvages de quelques pratiques
concernant leur manière de vivre [en particulier, leur alimentation] et de

122. Morris, The Treaties of Canada with the Indians of Manitoba and the North-West Territories, p. 106.
123. Abel Watetch, Payepot and His People, Regina : Saskatchewan History and Folklore Society, 1959,
p. 16.
124. Ibid., p. 48 ; CMS, microfilm A-81, 275, J. A. Mackay to Secretaries, 20 August 1873.
125. D.  Aidan McQuillan, « Creation of Indian Reserves on the Canadian Prairies, 1870–1885 »,
Geographical Review, 70, 1980, p. 389n29.
126. SAB, R. G. Ferguson Papers, microfilm R-2.391, p. 39.
127. Ibid., p. 36, Acting Indian Superintendent Provencher’s Annual Report, Department of Indian Affairs,
1877 (extr.).
128. Ibid., p.  38, J.  A.  N.  Provencher, Report of the Manitoba Indian Commissioner’s Office, Winnipeg,
30 October 1875 (extr.). Pour en savoir plus sur les liens entre la gravité de la rougeole et la malnu-
trition, voir : David C. Morley, « Nutrition and Infectious Disease », dans : E. J. Clegg et J. P. Garlick
(dir.), Disease and Urbanization : Symposia for the Study of Human Biology (vol. 20), Londres : Taylor
and Francis, 1980, p. 37.
178 L a destruction des I ndiens des P laines

soigner les malades129 ». Le recours aux améliorations du régime alimentaire


pour lutter contre les flambées pathologiques et le fait que la maladie a frappé
uniquement les collectivités du Traité n° 1 souffrant de malnutrition confir-
ment l’indissociabilité des disettes et des épidémies.
Les populations du Manitoba et de l’est de la prairie-parc ne sont pas
les seules à souffrir. La faim tenaille toutes les communautés des Plaines d’un
bout à l’autre de l’année 1874. En février, le personnel du poste de la CBH à
la rivière Battle constate le déclin des échanges commerciaux attribuable à la
raréfaction du bison130. À Fort Carlton, les approvisionnements en viande
ont tant baissé que la CBH délaisse ses fournisseurs cris pour favoriser les
Métis. Dans une lettre qu’il adresse à David Laird, ministre libéral de
l’Intérieur, Charles Napier Bell annonce une famine imminente.
Les Cris de Carleton, Pitt, Victoria et Edmonton sont dans une grande
gêne, ces temps-ci. Au printemps dernier, j’en ai vu à Victoria qui, affamés,
étaient venus des Plaines pour demander des provisions aux colons et à la
Cie. de la B. H. Le bison n’a pas reparu dans les Plaines de tout l’hiver, et ils
souffrent affreusement. Ils nous ont dit que de nombreux Indiens ont
mangé leurs chevaux, leurs chiens, de la peau de bison, et même parfois
leurs mocassins et le laçage de leurs raquettes, et qu’ils sont morts ensuite. À
quelle aggravation faut-il encore s’attendre d’ici un an131 ?
Bell est formel : pour éviter l’affrontement à l’été suivant, il faudra à tout le
moins une promesse de traité. Même les Allochtones plaident en faveur
d’une résolution rapide de la question des traités dans l’Ouest. La popu­
lation de Prince Albert, « principalement des Sang-Mêlés anglais », réclame
le déploiement d’une solution, « faute de quoi, le pire reste à craindre132 ».
En 1874, les policiers fraîchement débarqués à Fort Carlton distribuent
des cadeaux pour faire accepter l’implantation de la ligne de télégraphe.
L’année suivante, les Cris dénoncent l’arrivée de travailleurs sur leur terri-
toire sans qu’ils aient été consultés et forcent l’arrêt des travaux. D’autres
présents sont alors offerts à qui veut bien les accepter133. En octobre 1875,

129. SAB, R. G. Ferguson Papers, microfilm R-2.391, 37, J. A. N. Provencher, Report of the Manitoba
Indian Commissioner’s Office, Winnipeg, 30 October 1875 (extr.).
130. ACBH, dossier de recherche : Battleford, « Lawrence Clarke to James Graham, Carlton House,
24 June 1874 » ; Arlean McPherson, The Battlefords : A History, Saskatoon : Modern Press, 1967,
p. 66.
131. BAC, MG 27 ID 10, David Laird Papers, Indian Affairs, NWT, David Laird Letterbook, 1874–75,
p. 18, copie d’une lettre de C. N. Bell, Winnipeg, 23 mars 1874.
132. BAC, John A. Macdonald Papers, microfilm C-1523, p.  41896, David Laird to Minister of the
Interior, Fort Garry, 9 June 1874.
133. Jim Wallace, A Double Duty : The Decisive First Decade of the North-West Mounted Police, Winnipeg :
Bunker to Bunker Books, 1997, p. 123-124.
6  L e C anada , le N ord -O uest et les traités , 1869-1876 179

les mesures temporaires mises en place les deux étés précédents pour
faciliter le développement en Saskatchewan ne suffisent plus.
Si la plupart des chefs réclament la signature d’un traité, indique
George McDougall, certains font entendre des voix discordantes. En
particulier, Big Bear s’y oppose farouchement : « Nous ne voulons pas des
cadeaux de la Reine ; […] que vos chefs viennent à nous en hommes pour
nous parler134. » Même les bandes qui envisagent d’un œil plutôt favorable la
conclusion d’ententes avec la Couronne s’interrogent sur leurs conséquences
possibles. Peter Erasmus rapporte les inquiétudes de la bande crie du chef
Seenum, au lac Whitefish135. Le chef cri Mistawasis, qui s’imposera pourtant
par la suite comme l’un des plus ardents promoteurs du Traité n° 6, exprime
alors des réticences quant au processus136.
À l’été 1876, les pourparlers entre le Dominion et les Premières Nations
du nord des Plaines s’engagent dans un climat de plus en plus marqué par les
privations, la peur et la résignation. Les Cris de la rivière Saskatchewan Nord
sont déjà bien conscients du fait que l’économie du bison a vécu ; ils savent
aussi qu’il leur sera extrêmement difficile de s’intégrer à l’économie agricole
qui s’implante dans la région137. La puissance relative des Cris des Plaines
en  1876 influe également sur le déroulement et l’issue des négociations.
Butler relevait cinq ans plus tôt qu’ils jouissaient d’une situation tout à fait
exceptionnelle, étant « peut-être la seule tribu d’Indiens de la prairie qui n’ait
encore subi aucune injustice aux mains des Blancs138 ». Pour les Européens
qui s’aventurent loin dans l’ouest, les Cris des Plaines continuent de repré-
senter une force militaire incontournable. Selon une analyse récente du
Traité n° 6, ce sont essentiellement la menace d’un conflit armé et l’urgence
du développement économique qui ont dicté les positions des négociateurs
gouvernementaux139. À peine deux mois avant le début des discussions de
Fort Carlton, les Sioux de Sitting Bull (Bœuf-Assis ; Taureau-Assis) ont écrasé
l’armée américaine dans la bataille de Little Big Horn. Devant cette éclatante
victoire militaire indienne, le Dominion craint de plus en plus de voir que les
débordements de violence ne traversent la frontière.

134. Morris, The Treaties of Canada with the Indians of Manitoba and the North-West Territories, « John
McDougall to A. Morris, 23 October 1875 », p. 174.
135. Erasmus, Buffalo Days and Nights, p. 228.
136. Noel E. Dyck, The Administration of Federal Indian Aid in the Northwest Territories, 1879–1885
(mémoire de maîtrise), University of Saskatchewan, 1970, p. 85n33.
137. Ray, Miller et Tough, Bounty and Benevolence, p. 130.
138. Butler, The Great Lone Land, p. 242.
139. Ray, Miller et Tough, Bounty and Benevolence, p. 146.
180 L a destruction des I ndiens des P laines

Si le risque d’un bain de sang ne peut effectivement pas être écarté, la


plupart des Cris qui assistent aux négociations savent pertinemment qu’il
serait futile de résister au Dominion par les armes. Ainsi que l’explique
Mistawasis à Poundmaker (Faiseur-d’Étangs, ou plutôt, Faiseur-d’Enclos) et
The Badger (Le Blaireau), qui s’opposent au traité : « Les guerres et la variole
ont tué bon nombre d’entre nous, et nous sommes beaucoup moins
nombreux qu’autrefois. […] Même s’il nous était possible de rassembler
toutes les tribus en une seule, de refuser la main qui nous offre son aide, nous
resterions encore trop faibles pour obtenir ce que nous voulons140. » Le chef
Ahtahkakoop exprime une opinion similaire : « Nous sommes faibles, et je
crois que mon frère Mista-wa-sis a raison de dire que le bison aura disparu
pour toujours avant que de nombreux hivers aient passé. Que nous restera-
t-il alors pour négocier141 ? »
Pour la plupart des chefs cris, la conclusion d’un traité convenable
représente le moyen le plus prometteur et l’espoir le plus plausible de survivre
dans le nouvel ordre économique qui commence à régner sur les Plaines142.
La faim rend plus urgente encore la signature de telles ententes. Plus que
tout, Sweet Grass veut épargner la famine à son peuple143. Mais Morris
considère qu’il serait « extravagant » de garantir une aide alimentaire pendant
la période de transition, et qu’une telle disposition précipiterait immanqua-
blement les populations signataires dans l’oisiveté144. L’entente ne couvrira
donc pas les difficultés découlant « des hivers rudes ou des conditions adverses
vécues par telle ou telle bande145 ». Néanmoins, Morris déclare au chef Beardy
(Barbu), réfractaire de Fort Carlton : « En cas de maladie générale ou de
disette nationale, non pas dans l’adversité quotidienne, mais advenant qu’une
épreuve exceptionnelle frappe les Indiens, ils ne seront pas abandonnés à eux-
mêmes au risque de mourir comme des chiens146. » Les Cris soulignent qu’ils
ne cherchent pas à obtenir du Dominion de la nourriture gratuite et régu-
lière, mais un soutien ponctuel dans les moments difficiles. Morris évoque la
bonne volonté dont le Dominion a fait preuve pour aider les bandes du
Manitoba dans les périodes de piètres récoltes et d’épidémies de rougeole,

140. Erasmus, Buffalo Days and Nights, p. 248-249.


141. Ibid., p. 249.
142. Une autre interprétation est possible : les chefs favorables au traité auraient « trahi » ceux qui s’y
opposaient, par exemple Big Bear. Neil McLeod, Exploring Cree Narrative Memory (thèse de
doctorat), University of Regina, 2005, p. 98-101.
143. Ray, Miller et Tough, Bounty and Benevolence, p. 136, 146.
144. Chief John Snow, These Mountains Are Our Sacred Places : The Story of the Stoney Indians, Toronto :
Samuel Stevens, 1977, p. 30.
145. Morris, The Treaties of Canada with the Indians of Manitoba and the North-West Territories, p. 241.
146. Ibid., « A. G. Jackes, Narrative of Proceedings, 27 August 1876 », p. 228.
6  L e C anada , le N ord -O uest et les traités , 1869-1876 181

Négociations du Traité n°  6 avec les Cris de la Saskatchewan, 1876. Glenbow Archives,
NA-1315-19.

« même si cette assistance n’avait pas été promise dans le traité ». Le quatrième
jour des négociations, Tee-Tee-Quay-Say demande que « des médicaments
soient fournis gratuitement [aux Indiens] ». Un peu plus tard, Morris lui
répond qu’un « coffre à médicaments sera conservé au domicile de chacun des
agents des Indiens pour le cas où l’un d’entre vous tomberait malade147 ».
Avec la signature du Traité n°  6, les Cris obtiennent trois nouvelles
clauses avantageuses pour les Autochtones : une aide additionnelle pour leur
conversion à l’agriculture ; une protection contre la « peste » (grande maladie)
et la disette générale ; et la mise à leur disposition d’un « coffre à médica-
ments148 ». Ces dispositions visent à maintenir « la tradition bicentenaire de
bonnes relations entre Indiens et Blancs établie par la CBH. Ayant obtenu ces
concessions majeures, les chefs signent le traité149 ». Constatant le déclin de
l’économie du bison, les Cris acceptent de se tourner vers l’agriculture ; ils
négocient donc l’obtention d’un soutien pendant les années que durera cette
transition. N’ayant pas oublié les flambées varioliques qui ont ravagé leurs
collectivités quelques années plus tôt, et sachant que l’afflux massif d’Euro-
péens qui s’annonce de manière imminente augmentera le risque de maladie

147. Erasmus, Buffalo Days and Nights, p. 215, 251.


148. Walter Hildebrandt, Views from Fort Battleford : Constructed Visions of an Anglo-Canadian West,
Regina : Canadian Plains Research Center, 1994, p. 16-17.
149. Ray, Miller et Tough, Bounty and Benevolence, p. 143.
182 L a destruction des I ndiens des P laines

dans leurs groupes, ils insistent pour qu’une aide médicale leur soit promise.
Les chefs cris signataires du Traité n° 6 ne pouvaient cependant pas prévoir la
mesquinerie des interprétations qui seraient faites du traité dans les années
suivant l’extinction du bison et l’éviction des Autochtones hors de la nouvelle
économie agricole des Plaines.
Chapitre 7

Traités, famines et nouvelles


épidémies, 1877-1882

M aintenant que les traités numérotés sont tous signés, plus rien ne
peut faire obstacle à la conversion agricole des populations autoch-
tones et à l’établissement des fermiers européens dans les prairies. À
quelques exceptions près, la Couronne et les Premières Nations se trou-
vaient en position de force au moment de la conclusion de ces ententes.
Dès avant la fin de la décennie, l’équilibre des pouvoirs entre Autochtones
et nouveaux arrivants sera pourtant irrévocablement détruit. Ce boulever-
sement de la dynamique entre les deux groupes s’explique principalement
par la catastrophe environnementale la plus destructrice qui ait frappé les
habitants des Plaines : la disparition du bison sauvage. Privées de ces hardes,
les collectivités autochtones doivent renoncer à leur liberté. L’inscription
dans les ententes de clauses prévoyant un appui additionnel du Dominion
aux Premières Nations pour leur sédentarisation, en particulier celles du
Traité n° 6, montre que les négociateurs cris avaient envisagé cette éventua-
lité1. Ainsi que le déclarait le chef Ahtahkakoop pendant les négociations :
le bison « aura disparu pour toujours avant que de nombreux hivers aient
passé2 ». Bien qu’il ne soit pas disposé à promettre un soutien alimentaire
régulier, une revendication qu’il juge « extravagante », le lieutenant-gouver-
neur Alexander Morris accepte que le gouvernement du Dominion procure

1. Jill St. Germain, Indian Treaty-Making in the United States and Canada, 1867–1877, Toronto :
University of Toronto Press, 2001, p. 124.
2. Peter Erasmus, Buffalo Days and Nights, Calgary : Fifth House, 1999, p. 249.
184 L a destruction des I ndiens des P laines

du secours aux signataires en cas de « disette nationale3 ». Ni l’un ni l’autre


camp ne peut cependant imaginer à l’époque la soudaineté de l’effondre-
ment des hardes de bisons à la fin des années 1870. La famine qui déferle
alors sur toute la région ainsi que l’incapacité des autorités canadiennes à
déployer une aide alimentaire efficace déclenchent une vaste flambée de
tuberculose dans les collectivités insuffisamment immunisées. Au début
des années 1880, le Dominion apporte à cette crise de la faim une réponse
taillée sur mesure pour favoriser ses propres projets de développement dans
l’Ouest en achevant d’assujettir des populations autochtones mal nourries
et de plus en plus ravagées par la maladie.
La tuberculose frappait assez rarement les Plaines avant les traités. Dès
le début des années 1880, elle s’impose toutefois comme la principale cause
de mortalité dans les réserves4. Certes, l’Amérique connaissait cette maladie
bien avant l’arrivée de Christophe Colomb5. Les chercheurs s’accordent
toutefois à considérer que c’est l’avènement du système des réserves qui la
hisse au premier rang des infections les plus dévastatrices pour les Premières
Nations6. La présence de la bactérie constitue une condition nécessaire, mais
non suffisante, pour que la maladie se déclare7. À l’époque du commerce de
la fourrure, les Euro-Américains porteurs de la tuberculose pouvaient en
manifester peu de signes tout en restant extrêmement contagieux ; ils
transmettaient alors le pathogène aux populations de l’Ouest par la toux, le
partage des calumets cérémoniels et autres types de contacts8. Au total, la

3. Alexander Morris, The Treaties of Canada with the Indians of Manitoba and the North-West Territories,
Saskatoon : Fifth House, 1991, p. 178, 185, 212, 215, 216, 218, 228.
4. Laurie Meijer Drees, « Reserve Hospitals in Southern Alberta, 1890 to 1930 », Native Studies
Review, 9, 1993-1994, p. 93.
5. Jane E. Buikstra (dir.), Prehistoric Tuberculosis in the Americas, Evanston (Illinois) : Northwestern
University Archaeological Program, 1981 ; P. H. Bryce, « The History of the American Indians in
Relation to Health », Ontario Historical Society Papers and Records, 12, 1914 : p. 137-139.
6. George A. Clark, Marc Kelley, J. M. Grange et Cassandra Hill, « The Evolution of Mycobacterial
Disease in Human Populations : A Reevaluation », Current Anthropology, 28, 1987, p. 45, 46, 48,
51.
7. William D. Johnston, « Tuberculosis », dans : Kenneth F. Kiple (dir.), The Cambridge World History
of Human Disease, Cambridge (R.-U.) : Cambridge University Press, 1993, p.  1059 ; Nevin
Scrimshaw, Carl Taylor et John Gordon, Interactions of Nutrition and Infection, Genève : World
Health Organization, 1968, p. 16.
8. Charlotte A. Roberts et Jane E. Buikstra, The Bioarchaeology of Tuberculosis : A Global View on a
Reemerging Disease, p. 20. Quand ils présentaient des symptômes de la maladie, les employés de la
CBH étaient souvent renvoyés chez eux en convalescence ; ainsi, William Tomison a pris un congé
de maladie à l’hiver 1788-1789 pour éviter que son mal ne dégénère en une « situation très grave ».
John Nicks, The Pine Island Posts, 1786–1794 : A Study of Competition in the Fur Trade (mémoire de
maîtrise), University of Alberta, 1975, p. 78. Une étude récente établit le lien entre les « voyageurs »
canadiens-français et les souches tuberculeuses qui subsistent à ce jour dans les populations
autochtones isolées de l’Ouest. Caitlin Pepperell et al., « Dispersal of Mycobacterium tuberculosis via
7  T raités , famines et nouvelles épidémies , 1877-1882 185

tuberculose a probablement été réintroduite dans la plus grande partie du


Nord-Ouest à la faveur de la multiplication des échanges commerciaux et
autres interactions entre porteurs contagieux et populations vulnérables.
Cependant, la plupart des personnes infectées ne tombaient pas malades. La
qualité de l’alimentation fournie par le bison a ainsi continué de retarder
l’éclosion massive des signes de la maladie jusqu’aux dernières décennies du
19e siècle. L’analyse de squelettes a permis de démontrer que les hommes et
les femmes qui vivaient dans les Plaines au milieu du 19e siècle comptaient
parmi les plus grands et les mieux nourris du monde9. Dès le début des
années 1880, cet avantage nutritionnel que les hardes de bisons assuraient
aux humains a définitivement disparu.
La surpopulation et la malnutrition constituant des facteurs environ-
nementaux déterminants des flambées tuberculeuses, cette maladie « ne
devient la principale cause de mortalité qu’à partir du regroupement [des
habitants des Plaines] en réserves, dans les années 188010 ». Pionnier de la
lutte antituberculeuse au Canada, le Dr R. G. Ferguson décrit en ces termes
l’apparition soudaine de la maladie dans ces populations :
À quelques rares exceptions près, tous ces Indiens des Plaines ont vécu au
moins jusqu’en 1882 à l’abri des épidémies, fussent-elles mineures. Pour
une raison ou une autre, la fréquence de la maladie a considérablement
augmenté entre 1882  et 1885 ; plus tard, elle a pris des proportions
épidémiques dans presque toutes les réserves des Plaines11.
Provoqués par l’extermination du bison et le regroupement des commu­
nautés autochtones en réserves, exacerbés par l’insuffisance de l’aide
alimentaire gouvernementale, le désespoir et la famine instaurent en
quelques années seulement le contexte écologique propice à la déflagration
tuberculeuse12. La tiédeur des mesures mises en œuvre pour atténuer la

the Canadian Fur Trade », Proceedings of the National Academy of Sciences, 108, 2011, www.pnas.org/
cgi/doi/10.1073/pnas.1016708108, p. 1.
9. Joseph M. Prince et Richard H. Steckel, « Nutritional Success on the Great Plains : Nineteenth-
Century Equestrian Nomads », Journal of Interdisciplinary History, 33, 2003, p. 367-375. Voir aussi :
Joseph M. Prince, « Intersection of Economics, History, and Human Biology : Secular Trends in
Stature in Nineteenth-Century Sioux Indians », Human Biology, 67, 1995, p. 387-406 ; Richard H.
Steckel et Joseph M. Prince, « Tallest in the World : Native Americans of the Great Plains in the
Nineteenth Century », travaux présentés à la Commission Internationale de Démographie
Historique/International Commission on Historical Demography, Oslo (Norvège), 1999.
10. Johnston, « Tuberculosis », p. 1061 ; R. G. Ferguson, Studies in Tuberculosis, Toronto : University of
Toronto Press, 1955, p. 6.
11. SAB, R. G. Ferguson Papers, microfilm R-2.391, p. vi–vii.
12. James W. Daschuk, Paul Hackett et Scott McNeil, « Treaties and Tuberculosis : First Nations People
in Late 19th Century Western Canada, a Political and Economic Transformation », Canadian
Bulletin of the History of Medicine, 23, 2, 2006, p. 307-330.
186 L a destruction des I ndiens des P laines

famine de 1878-1880 et des années ultérieures maintient les habitants des


Plaines dans un état permanent de privations. Elle sape le projet
gouvernemental, maladroit par ailleurs, d’autosuffisance autochtone et
illustre la désinvolture du Dominion à l’égard de l’obligation morale et
juridique d’assistance en cas de famine généralisée qui incombe à la
Couronne en vertu des traités.
Le déclin vertigineux de la chasse au bison en 1878 semble surprendre
les observateurs13. La fin de cette économie s’annonçait pourtant depuis des
années, sinon des décennies. Dès les années 1870, les hardes déclinantes étaient
encore abondamment traquées pour leur viande et leurs peaux destinées aux
industries de l’Est urbanisé, et les disettes étaient par conséquent fréquentes14.
À l’hiver 1873-1874, les Cris de la mission Victoria, non loin de la
frontière qui sépare actuellement l’Alberta de la Saskatchewan, en sont
réduits à manger « leurs chevaux, leurs chiens, de la peau de bison, et même
parfois leurs mocassins et le laçage de leurs raquettes, et [ils] sont morts
ensuite15 ». La situation s’avère tout aussi désastreuse dans la prairie-parc des
Touchwood Hills16. Dès le début des années 1870, les observateurs constatent
un lien très clair entre les privations et les maladies qui ravagent les populations
autochtones des Plaines. En 1874, tandis que la Police à cheval du Nord-
Ouest (PCN-O) progresse en direction du Pacifique, le Dr  John Kittson
établit cette causalité après avoir rencontré un petit groupe de Tetons Dakotas
près du lac Old Wives (anciennement lac La Vieille), dans le centre-sud de la
Saskatchewan17. Même s’il n’a guère rencontré d’Autochtones dans son expé-
dition de reconnaissance pour la piste de Yellowhead en  1872, George

13. Noel E. Dyck, The Administration of Federal Indian Aid in the Northwest Territories, 1879–1885
(mémoire de maîtrise), University of Saskatchewan, 1970, p. 27.
14. Au début des années 1870, les progrès de la tannerie permettent d’utiliser les peaux de bison pour
fabriquer les nombreuses courroies industrielles indispensables à l’essor de l’économie de l’est des
États-Unis. Ce « spasme d’expansion industrielle a constitué la principale cause de la quasi-extinc-
tion du bison ». Andrew C. Isenberg, The Destruction of the Bison : An Environmental History, 1750–
1920, Cambridge (R.-U.) : Cambridge University Press, 2000, p. 130-131 ; Arthur J. Ray, « The
Northern Great Plains : Pantry of the Northwestern Fur Trade, 1774–1885 », Prairie Forum, 9,
1984, p. 277-278 ; Frank G. Roe, The North American Buffalo : A Critical Study of the Species in Its
Wild State – 2nd ed., Toronto : University of Toronto Press, 1970, p. 473.
15. D. Aidan McQuillan, « Creation of Indian Reserves on the Canadian Prairies, 1870–1885 »,
Geographical Review, 70, 1980, p. 383n11.
16. CMS, microfilm A-80, Joseph Reader to Reverend Fenn, 29 July 1874, p.  221. Voir aussi : Nan
Shipley, « Printing Press at Oonikup », The Beaver, 290, 1960, p. 48-49.
17. Surgeon John Kittson, « Report, Swan River, 19 December 1875 », dans : S. W. Horral (dir.), A
Chronicle of the West : North-West Mounted Police Reports for 1875, Calgary : Historical Society of
Alberta, 1975, p.  23 ; Hugh Dempsey (dir.), R.  B.  Nevitt : A Winter at Fort Macleod, Calgary :
Alberta–Glenbow Institute, McClelland and Stewart West, 1974, p. 47-48 ; Jody Decker, « Country
Distempers : Deciphering Disease and Illness in Rupert’s Land before 1870 », dans : J. S. H. Brown
7  T raités , famines et nouvelles épidémies , 1877-1882 187

Aquarelle de C. M. Russell représentant les effets des hivers rigoureux sur le bétail. Cette
image témoigne du déclin des cheptels à l’hiver  1886. Utilisation autorisée par la Montana
Stockgrowers Association, Helena (Montana).

M. Grant assure que « presque tous les Indiens du Nord-Ouest sont scrofu-
leux18 ». The People’s Common Sense Medical Adviser, un ouvrage de médecine
très en vogue à l’époque, décrit en ces termes la « scrofule » (tuberculose
ganglionnaire) : « La conséquence d’une alimentation insuffisante ; le sujet
s’en remet à des aliments pauvres ou aux végétaux pour subsister, consom-
mant peu ou pas de produits animaux19. »
Dès avant la signature des traités de l’Ouest, les autorités gouverne­
mentales prennent acte du déclin du bison et des conséquences qu’il risque
d’avoir pour les populations. Au printemps 1874, le ministre adjoint de l’In-
térieur souligne ainsi : « Depuis quelques années, le nombre des buffles

et Elizabeth Vibert (dir.), Reading beyond Words : Contexts for Native History, Peterborough : Broad-
view Press, 1996, p. 158.
18. George M. Grant, Ocean to Ocean : Sandford Fleming’s Expedition through Canada in 1872, Toronto :
Coles Publishing Company, 1970, p. 96.
19. R. V. Pierce, The People’s Common Sense Medical Adviser – 61st ed., Buffalo : World’s Dispensary
Medical Association, 1895, p. 447.
188 L a destruction des I ndiens des P laines

[bisons] diminue rapidement, et tout semble indiquer […] qu’ils seront


complètement exterminés d’ici une décennie. Pour les Indiens, la disparition
du [bison] se traduira inévitablement par la famine et la mort20. » J. A. N.
Provencher, commissaire des Indiens, est également au fait de cette situation21.
Ministre de l’Intérieur, David Mills a toujours envisagé avec optimisme l’iné-
luctable conversion des populations des Plaines à l’agriculture. Dans son
rapport de 1875-1876, il se fait toutefois l’écho des inquiétudes grandissantes
suscitées par le recul des hardes et préconise la mise en œuvre de « mesures
[immédiates] pour en prévenir la destruction22 ». Au printemps 1876, le père
Lacombe aurait également plaidé pour l’adoption d’une loi de protection du
bison auprès de représentants du Dominion23.
Pendant que les fonctionnaires s’interrogent sur les prérogatives qui
sont les leurs en matière de préservation des hardes, celles qui subsistent en
territoire canadien semblent chaque jour plus menacées. En 1876, l’arrivée
de la compagnie ferroviaire Northern Pacific Railroad à Bismarck, dans le
Dakota du Nord, enclenche l’extermination de l’espèce dans les régions
septentrionales des États-Unis24. Au nord de la frontière, l’afflux de 6 000 à
8 000 réfugiés sioux au printemps 1877 intensifie la chasse et accélère la
décroissance du bison25.
L’expansion de l’élevage précipite également la fin des grandes hardes
sauvages des Plaines : en plus de transmettre des maladies nouvelles aux bisons
déjà menacés d’extinction, le bétail accapare une part grandissante des terres à
fourrage26. L’introduction du bétail dans les Plaines a des répercussions écolo-
giques d’une ampleur cataclysmique. Entre la fin de la guerre de Sécession et
le début du 20e siècle, de 6 à 10 millions de bestiaux et 1 million de chevaux
sont acheminés vers le nord depuis le Texas, constituant ainsi « la migration
rapide de bétail la plus massive du monde27 ». Ces animaux apportent

20. Dyck, The Administration of Federal Indian Aid in the Northwest Territories, p. 21.
21. Canada, Documents de la session (ci-après : CDS), 1876, n° 9, Bureau du commissaire des Sauvages,
Winnipeg, 30 octobre 1875, p. 33.
22. CDS, 1877, n° 11, David Mills, Rapport annuel du département de l’Intérieur pour l’année expirée
le 30 juin 1876, p. xiv.
23. McQuillan, « Creation of Indian Reserves on the Canadian Prairies », p. 383.
24. William T. Hornaday, The Extermination of the American Bison with a Sketch of Its Discovery and Life
History, Washington (DC) : Government Printing Bureau, 1889, p. 505-506.
25. Dyck, The Administration of Federal Indian Aid in the Northwest Territories, p. 22 ; Anthony J. Looy,
« Saskatchewan’s First Indian Agent : M.G. Dickieson », Saskatchewan History, 32, 1979, p. 111.
26. Isenberg, The Destruction of the Bison, p. 140-143.
27. B. Byron Price, « Introduction », dans : J. Marvin Hunter (dir.), The Trail Drivers of Texas, Austin :
University of Texas Press, 1985, p.  v ; Terry Jordan, North American Cattle-Ranching Frontiers :
Origins, Diffusion, and Differentiation, Albuquerque : University of New Mexico Press, 1993,
p. 222.
7  T raités , famines et nouvelles épidémies , 1877-1882 189

plusieurs maladies dans leur sillage, notamment le charbon (infection causée


par un bacille), la fièvre à tique du Texas, la brucellose, mais surtout, la tuber-
culose bovine. « La maladie ne s’était pas manifestée chez le bison avant l’ar-
rivée du bétail infecté », précise une étude sur le sujet28.  Si la tuberculose
bovine n’était pas complètement inconnue des régions septentrionales avant
l’immigration européenne, le déferlement d’immenses troupeaux domes-
tiques dans l’environnement très rude du nord des Plaines se traduit inévita-
blement par une intensification de sa charge pathogène.
Les vaches « Texas Longhorn » véhiculent des maladies qui menacent
d’abord les bisons puis, après sa disparition, les êtres humains qui se nour­
riront de ces bovins à longues cornes. M.  bovis s’avère particulièrement
redoutable pour les populations des Plaines. La bactérie se transmet notam-
ment par l’ingestion de viande infectée29. Or, les habitudes alimentaires des
Autochtones, en particulier la consommation des entrailles, des organes et de
certains morceaux crus ainsi que le séchage au soleil, offrent des terrains très
favorables à la propagation de la maladie30. Sans le savoir, les autorités
publiques qui distribuent des rations de bœuf en guise de secours alimentaire
exposent les habitants des réserves à un nouveau risque sanitaire : la tubercu-
lose bovine. Quittant un climat de type ibérique pour un périple qui les
amènera à des centaines de kilomètres plus au nord, les Texas Longhorns
soudainement exposées aux rigueurs des Plaines septentrionales deviennent
des proies faciles pour la bactérie tuberculeuse et d’autres maladies31. Dans
les premières années de l’élevage en territoire canadien, une part importante
des troupeaux de bétail périt ainsi chaque hiver. Loin de constituer une
panacée pour les affamés, ces bestiaux domestiques leur transmettent la
tuberculose bovine ; elle se répand comme une traînée de poudre dans ces
populations déjà très affaiblies32. Bien que les animaux porteurs de tubercu-

28. Le bétail et le bison sont des « hôtes primaires » de la tuberculose bovine. Non seulement ils sont
susceptibles d’attraper la maladie, mais ils la transmettent en circonstances naturelles. Stacy V.
Tessaro, « Bovine Tuberculosis and Brucellosis in Animals, Including Man », dans : John Foster, Dick
Harrison et I. S. MacLaren (dir.), Buffalo, Edmonton : University of Alberta Press, 1992, p. 209.
29. Ibid., p. 210.
30. Thomas E. Mails, The Mystic Warriors of the Plains, New York : Mallard Press, 1991, p. 536.
31. Comme pour la tuberculose humaine, il faut distinguer les sujets simplement porteurs de la bactérie
M. bovis des malades avérés. La persistance de la tuberculose à l’état latent constitue « l’un des
principaux obstacles au recul puis à l’éradication de la maladie dans les populations d’hôtes
primaires ». Tessaro, « Bovine Tuberculosis and Brucellosis in Animals, Including Man », p.  212.
Pour en savoir plus sur l’échec de l’implantation des vaches à longues cornes Texas Longhorn et du
système d’élevage texan dans le nord des Plaines, voir : Jordan, North American Cattle-Ranching
Frontiers, 1993, p. 236-240.
32. Bien qu’elle suscite généralement moins de crainte que la bactérie M. tuberculosis, M. bovis constitue
une cause importante de morbidité et de mortalité dans les pays en développement, particulièrement
190 L a destruction des I ndiens des P laines

lose latente ne présentent aucun symptôme, leur viande s’avère toxique pour
ceux et celles qui la consomment. Le Dr Fred Treon constate ainsi les ravages
de la maladie chez ses patients sioux : « À supposer qu’une seule bête sur
chaque millier de têtes qui arrivent dans nos régions soit atteinte de tubercu-
lose ou d’actinomycose, il est possible, et même probable, que cet unique
animal contamine une centaine de personnes, de par la manière dont sa
viande est découpée puis répartie33. » Plus le bétail domestique supplante le
bison dans l’Ouest, plus les Autochtones de la région sont exposés à cette
source de contamination tuberculeuse qui est entièrement nouvelle et n’est
pas encore distinctement repérée34. L’essor fulgurant de la consommation de
bestiaux domestiques pourrait expliquer l’explosion soudaine du nombre des
cas de tuberculose clinique à la fin des années 1870.
Alors que le bison sauvage périclite déjà, les intempéries semblent brus-
quement se liguer contre lui. En 1877 et 1878, El Niño se déchaîne35 et
déclenche des hivers anormalement chauds qui rapprochent encore de
l’extinction ce qu’il reste des hardes. Se caractérisant par une absence
d’accumulation de neige, la saison froide 1877-1878 passera à l’histoire sous
le nom d’« hiver noir36 ». La sécheresse hivernale provoque dans les prairies de
gigantesques incendies qui gagnent la majeure partie de l’ouest des Plaines
(l’Alberta et la Saskatchewan actuelles) et détruisent d’immenses pâturages. À
l’instar des populations humaines des réserves, les animaux domestiques et
sauvages affaiblis par la faim succombent plus facilement à la maladie. Dans
ce contexte extrêmement difficile, la tuberculose se propage aisément aux
hôtes secondaires, par exemple les chevaux37. La gale s’abat aussi sur les
chevaux des Indiens et sur les bisons sauvages. À l’hiver 1877-1878, elle tue
les 10 chevaux du frère du chef Star Blanket. Le révérend John Hines rapporte

dans les populations infectées par le VIH. W. Y. Ayele et al., « Bovine Tuberculosis : An Old Disease
but a New Threat to Africa », International Journal of Tuberculosis and Lung Disease, 8, 2004, p. 927.
33. Lors des grands périples acheminant les troupeaux d’une région à l’autre, les animaux infectés à
l’actinomycose étaient très souvent offerts aux Indiens pour les « apaiser », car ils ne possédaient
aucune valeur commerciale. A. B. Holder, « Papers on Diseases among Indians », Medical Record : A
Weekly Journal of Medicine and Surgery, 13 août 1892, p. 181-182.
34. La bactérie qui cause la tuberculose n’a été identifiée qu’en  1882. Le danger que représente la
tuberculose bovine pour les populations humaines ne sera par ailleurs universellement reconnu
qu’en 1895. Keir Waddington, « ‘Unfit for Human Consumption’ : Tuberculosis and the Problem of
Infected Meat in Late Victorian Britain », Bulletin of the History of Medicine, 77, 2003, p. 650.
35. William H. Quinn, Victor T. Neal et Santiago E. Antúnez de Mayolo, « El Niño Occurrences over
the Past Four and a Half Centuries », Journal of Geophysical Research, 92, 1987, p. 14451 ; Cesar N.
Caviedes, El Niño in History : Storming through the Ages, Gainesville : University Press of Florida,
2001, tableau 1.1, p. 10.
36. SAB, Campbell Innes Papers, A-113, vol. 3, Canadian Northwest Historical Society Papers, Subject
File 12, Ruth Matheson notes, n.d.
37. Tessaro, « Bovine Tuberculosis and Brucellosis in Animals, Including Man », p. 209.
7  T raités , famines et nouvelles épidémies , 1877-1882 191

que « les Indiens ont pris leurs poneys qui se mouraient de la gale, les ont
tués, puis ont fait bouillir leurs os pour se procurer un peu de graisse, avec
laquelle ils font ensuite rôtir leur blé pour le rendre plus digestible38. » Par la
consommation d’animaux malades ou morts de maladie, les zoonoses se
transmettent aux populations des réserves fragilisées par la malnutrition.
Les incendies de l’hiver noir obligent les bisons survivants à hiverner
entre les branches de la rivière Saskatchewan, où ils subissent les offensives
des chasseurs pieds-noirs, cris et assiniboines, mais aussi des Sioux arrivés
plus récemment dans la région. Au printemps 1878, les hardes échappent à
cet étau qui menace de se refermer sur elles en s’enfuyant vers le Montana, au
sud-ouest39. Soumis à l’inlassable traque de l’armée américaine40, des Indiens
des États-Unis et des Autochtones du Canada, eux-mêmes acculés aux
stratégies de survie les plus désespérées, les quelques bisons qui subsistent des
gigantesques hardes des Plaines courent vers leur extermination au sud de la
frontière. Au début des années 1880, l’extinction de leur espèce est achevée.
Tandis que la disette se métamorphose en une véritable crise alimentaire,
une autre conséquence de la colonisation européenne à grande échelle frappe
de plein fouet les Premières Nations du nord de la province du Manitoba. En
1876, un millier d’immigrants venus d’Islande s’installent sur les berges du
lac Winnipeg41. Ils s’établissent ainsi sur des terres revendiquées ou déjà
occupées par les Indiens du Traité n° 542. Peu après leur arrivée, une flambée
de variole dévaste leur collectivité. L’épidémie qui se déchaîne durant tout
l’automne et jusqu’au début de l’hiver tue entre 100 et 200 colons43. Elle fait
aussi des centaines de victimes chez les Saulteaux et les Cris44.

38. John Hines, The Red Indians of the Plains : Thirty Years Missionary Experience in the Saskatchewan,
Londres : Society for Promoting Christian Knowledge, 1915, p. 146.
39. Dyck, The Administration of Federal Indian Aid in the Northwest Territories, p. 26.
40. Roe, The North American Buffalo, p.  477-479 ; David D. Smits, « The Frontier Army and the
Destruction of the Buffalo : 1865–1883 », Western Historical Quarterly, 25, 1994, p.  334-338 ;
William A. Dobak, « The Army and the Buffalo : A Demur », Western Historical Quarterly, 26, 1995,
p.  202. La correspondance du premier ministre montre que l’armée américaine a contribué à
l’extinction des hardes. BAC, Documents de John A. Macdonald, microfilm C-1673, p. 114313,
Morris to Macdonald, Toronto, 6 July 1879 ; microfilm C-1590, p. 81299, Campbell to Macdonald,
Ottawa, 10 August 1879.
41. Gudjon Arngrimsson, Nyja Island : Saga of the Journey to New Iceland, Winnipeg : Turnstone Press,
1997, p. 152-153.
42. Morris, The Treaties of Canada with the Indians of Manitoba and the North-West Territories, p. 144,
148, 153 ; Winona Stevenson, Icelanders and Indians in the Interlake : John Ramsay and the White
Mud River, tapuscrit, Winnipeg : University of Winnipeg, 1986 ; BAC, RG 10, vol. 3646,
dossier 8064, Report of Dr. Lynch on Indians of Lake Winnipeg, 12 April 1877.
43. Nelson Gerrard, Icelandic River Saga, Arborg (Manitoba) : Saga Publications, 1985, p. 37.
44. Une source estime que 200 Indiens sont morts dans la seule collectivité de la Sandy River. E. L. M.
Thorpe, The social histories of smallpox and tuberculosis in Canada – Culture, evolution and disease
192 L a destruction des I ndiens des P laines

Aux abords du lac Winnipeg, la flambée variolique est contenue et s’est


déjà presque épuisée au printemps 1877. Dans le District de Keewatin
(Kéwatin), un territoire encore peu structuré, la réponse officielle à l’urgence
médicale s’enlise dans une controverse quant à la responsabilité financière des
secours45. Alors que la maladie se propage le long des rives du lac Winnipeg,
le Dominion refuse à Morris les fonds nécessaires pour établir une quarantaine
qui placerait la population de la rivière Rouge à l’abri de l’épidémie. Le
Bureau du premier ministre envoie des instructions laconiques à Morris :
« Les gens eux-mêmes doivent éviter la contagion ; dépenses pour cette
quarantaine : refusées46. » Pour l’historien Jim Mochoruk, le Dominion
« cherche ainsi à se décharger du fardeau financier de la quarantaine sur un
gouvernement qu’il sait au bord de la débâcle économique47 ». Morris étant
lieutenant-gouverneur du territoire de Keewatin, c’est lui qui est en dernier
recours responsable du déploiement de l’aide médicale en cas de crise. Pour
enrayer la flambée épidémique, il intervient sans autorisation. Il paiera chère-
ment cette insubordination : n’étant plus dans les bonnes grâces du gouver-
nement libéral, il devra repartir dans l’Est. Sa chute sera causée par le fait
qu’il a « laissé sa conscience, plutôt que les considérations financières, lui
dicter sa conduite pendant l’épidémie48 ».
La fin abrupte de la carrière de Morris dans l’Ouest s’inscrit dans le
cadre d’une vaste saignée politique post-épidémique. La purge orchestrée par
les libéraux dans la fonction publique du front pionnier aura cependant au
moins une conséquence heureuse. Quand la variole commence à menacer,
David Mills, ministre de l’Intérieur, appelle en renfort son vieil ami de
Londres, le Dr Daniel Hagarty, et lui confie la surintendance médicale des
Territoires du Nord-Ouest. Au printemps 1880, le nouveau gouvernement
conservateur jugera toutefois que les services du Dr Hagarty ne sont « plus
nécessaires » et le relèvera de ses fonctions. De 1877 à son licenciement, le
surintendant médical et les médecins de la PCN-O déployée dans le sud-ouest

(Anthropology Department Papers 30), Winnipeg : University of Manitoba, 1989, p. 49. Selon les
estimations, au moins 300 Autochtones étaient déjà morts sur la rive ouest du lac Winnipeg à la fin
du mois de janvier 1877. Jim Mochoruk, Formidable Heritage : Manitoba’s North and the Cost of
Development, 1870 to 1930, Winnipeg : University of Manitoba Press, 2004, p. 40.
45. APM, fonds Alexander Morris, collection Ketcheson, MG 12, registre de télégrammes 3, n° 23,
« R. W. Scott to Alexander Morris, 29 November 1876 ».
46. APM, fonds Alexander Morris, collection Ketcheson, MG 12, registre de télégrammes 3, n° 10,
« Attachment of a message from Morris to Mackenzie, 24 November 1876 ».
47. Mochoruk, Formidable Heritage, p. 40.
48. James Mochoruk, The Political Economy of Northern Development : Governments and Capital along
Manitoba’s Resource Frontier, 1870–1930 (thèse de doctorat), University of Manitoba, 1992, p. 55.
7  T raités , famines et nouvelles épidémies , 1877-1882 193

des prairies49 feront néanmoins reculer la variole au point qu’elle cessera de


constituer une cause majeure de mortalité chez les Premières Nations. Cette
éclatante victoire restera hélas un cas isolé. Le renvoi du Dr Hagarty illustre
bien le cynisme qui règne dans l’administration des questions autochtones
sous la houlette de Macdonald, alors à la fois premier ministre et ministre des
Affaires indiennes. Ayant répudié son propre responsable de la santé publique,
le ministère des Affaires indiennes confie les services médicaux aux médecins
de la police et aux praticiens locaux en soutenant que cette formule est « la
meilleure pour les Indiens et la plus économique pour le gouvernement50 ».
L’abandon d’une politique médicale à l’efficacité éprouvée, alors même que la
famine ravage les populations autochtones de l’Ouest et accentue leurs
besoins en soins de santé, témoigne bien de l’indifférence complète du
Dominion à leur égard. Moins d’un an après la signature du Traité n° 6 à Fort
Carlton, les graines d’une famine de grande envergure commencent à germer.
En 1877, la pénurie de bison atteint un seuil si critique que presque
3 600 Indiens signataires gagnent les Cypress Hills, dernier refuge de l’espèce
en territoire canadien51. Nombreux sont par ailleurs ceux qui n’ont pas
encore signé de traité, mais qui s’acheminent également dans cette direc-
tion52. Au printemps 1877, Sitting Bull et 5 000 des siens traversent la fron-
tière pour les rejoindre dans l’espoir de trouver dans ces collines non
seulement leur subsistance, mais aussi la paix53.
À l’été 1877, le Traité n° 7 est négocié dans le sud de l’Alberta en toute
hâte afin d’atténuer les tensions grandissantes causées par le conflit qui fait
rage de l’autre côté de la frontière54. Cependant, la confusion persiste quant à
la signification exacte de cette entente. En particulier, un témoin de l’époque
affirme que cette mystérieuse promesse de David Laird aux Niitsitapis en fait
partie intégrante : « La Reine souhaite vous offrir ce que les Cris ont accepté.
Je ne parle pas ici de conditions exactement semblables, mais de conditions

49. BAC, RG 10, microfilm C-10113, vol. 3648, dossier 8138, David Mills, Department of the Interior
Memorandum, 14 May 1877 ; S. D. Cote to J.A. Macdonald, 14 June 1880 ; BAC, RG 10, vol. 3643,
dossier 7708, Report of Surgeon B. Nevitt, Fort Macleod, 2 January 1877 (extr.).
50. BAC, RG 10, microfilm C-10113, vol. 3648, dossier  8138, s.d. Cote to J.A. Macdonald,
14 June 1880.
51. John L. Tobias, « Canada’s Subjugation of the Plains Cree, 1879–1885 », dans : J. R. Miller (dir.),
Sweet Promises : A Reader on Indian–White Relations in Canada, Toronto : University of Toronto
Press, 1991, p. 215.
52. SAB, R-E1883, Frederick Tarr et Larry Peterson, « The Coming of the Queen », dans : Little Pine/
Lucky Man Band #116 (tapuscrit, n.d.).
53. Grant MacEwan, Sitting Bull : The Years in Canada, Edmonton : Hurtig, 1973, p. 90-91.
54. Treaty 7 Elders and Tribal Council (Aînés et Conseil tribal du Traité n° 7), avec la collaboration de
Walter Hildebrandt, Sarah Carter et Dorothy First Rider, The True Spirit and Original Intent of
Treaty 7, Montréal : McGill-Queen’s University Press, 1996, p. viii.
194 L a destruction des I ndiens des P laines

Le traité des Pieds-Noirs (Traité n° 7), 1877, allocution de Crowfoot. Glenbow Archives,
NA-40-1.

équivalentes, qui coûteront la même somme à la Reine55. » Se classant certai-


nement parmi les plus creuses de toute la période des traités, cette « garantie »
gouvernementale assure aussi aux Pieds-Noirs que le bison survivra encore au
moins 10 ans56. L’officialisation hâtive des relations entre le Dominion et les
habitants du sud de l’Alberta répond à un impératif de premier plan : l’armée
des États-Unis a engagé ce printemps-là sa campagne contre les Nez-Percés.
Des rumeurs avancent que le chef Joseph pourrait unir ses forces à celles de
Sitting Bull dans les Cypress Hills57. La crainte d’affrontements raciaux se
répand rapidement dans l’intérieur des terres de la Colombie-Britannique.
Jusqu’en 1879 au moins, la Police à cheval assure l’administration quotidienne
des affaires indiennes dans la région du Traité n° 7, témoignant avec éclat du
caractère militaire de la présence canadienne dans le sud-ouest des Plaines58.

55. David Chalmers, Laird of the West, Calgary : Detselig Enterprises, 1981, p. 99.
56. Hugh Dempsey, Crowfoot : Chief of the Blackfeet, Norman : University of Oklahoma Press, 1972,
p. 110.
57. John Snow, These Mountains Are Our Sacred Places : The Story of the Stoney Indians, Toronto : Samuel
Stevens, 1977, p. 31.
58. Anthony J. Looy, The Indian Agent and His Role in the Administration of the Northwest Superin-
tendency, 1876–1893 (thèse de doctorat), Queen’s University, 1977, p. 61.
7  T raités , famines et nouvelles épidémies , 1877-1882 195

Famille nécessiteuse crie, Cypress Hills, 1878. Glenbow Archives, NA-1101-1.

En 1877, la perspective d’un bain de sang en territoire canadien suscite


de vives inquiétudes. Les Niitsitapis ne sont pourtant pas au bout de leurs
peines. Le déclin des hardes de bisons induira bientôt une détérioration
marquée de leur condition sanitaire. Au début de l’année, R.  B.  Nevitt,
chirurgien de la police, signale depuis Fort Macleod que la tuberculose n’est
pas encore très répandue parmi les Indiens qu’il a rencontrés59. En 1876, le
père Constantine Scollen rapporte à Morris que, bien qu’ils « redoutent consi-
dérablement l’avenir », les Niitsitapis ont surmonté les jours sombres du
Whoop-Up et de ses échanges commerciaux dévastateurs60. La faim n’inter-
vient donc pas dans les négociations de Blackfoot Crossing (la traverse des
Pieds-Noirs). Crowfoot (Pied-de-Corbeau ou Patte-de-Corbeau) refuse même

59. BAC, RG 10, vol. 3643, dossier 7708, Report of Surgeon B. Nevitt of the North-West Mounted Police,
Fort Macleod, 2 January 1877.
60. « Father Scollen to the Lieutenant Governor, Fort Pitt, 8 September 1876 », dans : Morris, The
Treaties of Canada with the Indians of Manitoba and the North-West Territories, p. 248-249.
196 L a destruction des I ndiens des P laines

les rations alimentaires du gouvernement tant que ses revendications relatives


au traité n’auront pas été satisfaites61.
Les températures clémentes de l’hiver noir de 1877-1878 perturbent
toutefois considérablement les conditions de vie dans le Sud-Ouest. La
sécheresse transforme les prairies en champ de paille ; les incendies qui les
ravagent exacerbent la crise alimentaire chez les chasseurs des Plaines. La
chasse hivernale dans les contreforts des Rocheuses est désastreuse. Certaines
bandes doivent parcourir 150  kilomètres pour trouver du gibier dans les
Plaines. La disette s’abat sur les groupes qui restent dans leurs territoires de
chasse hivernale traditionnels. En avril  1878, M. G. Dickieson, agent des
Indiens, indique qu’ils ont « beaucoup souffert [pendant l’hiver] ; en fait, ils
ont eu très faim ». Il estime la population indienne et métisse du Nord-Ouest
à environ 26 500 personnes, puis calcule qu’il faudrait, « pour nourrir un tel
nombre de gens, au moins 132 500 livres de viande, soit environ 350 animaux
par jour, contre 10 000 annuellement62 ».
En mai 1878, le lieutenant-gouverneur Laird met en garde le ministre
de l’Intérieur Mills. Devant la famine, explique-t-il, le gouvernement a trois
possibilités d’action : aider les Indiens à adopter l’agriculture et l’élevage ; les
nourrir ; les combattre63. La parcimonie d’Ottawa exaspère Laird64. Les
cordons de la bourse se sont pourtant légèrement déliés. Un mois plus tôt,
en avril, Dickieson a été dépêché au Montana pour se procurer du bétail
destiné à la population affamée ; cette mission constitue la première d’une
longue série65.
Au printemps 1878, le bison se fait rare jusque dans les Cypress Hills.
Norbert Welsh, un commerçant métis qui vient de parcourir la région,
rapporte qu’il n’a rencontré « ni bison, ni Indien, ni rien du tout. Tout est
désert66 ». Les Niitsitapis et leurs anciens adversaires dakotas dirigés par

61. Dempsey, Crowfoot, p. 96 ; Morris, The Treaties of Canada with the Indians of Manitoba and the
North-West Territories, p. 256 ; L.V. Kelly, The Range Men : The Story of the Ranchers and Indians of
Alberta, Toronto : Coles, 1980, p. 119.
62. Looy, « Saskatchewan’s First Indian Agent », p. 112-113.
63. Maureen Lux, Medicine that Walks : Disease, Medicine, and Canadian Plains Native People, 1880–
1940, Toronto : University of Toronto Press, 2001, p. 33. Grand éleveur de la première heure et
inspecteur vétérinaire en chef au début des années 1880, le Dr Duncan McEachran était également
d’avis qu’il serait moins coûteux « de nourrir [les Indiens] que de les combattre ». David Breen, The
Canadian Prairie West and the Ranching Frontier, 1874–1924, Toronto : University of Toronto Press,
1983, p. 15.
64. SAB, microfilm 2.563, Alphonse Little Poplar, Miscellaneous Documents Relating to the Sweet Grass
Reserve (tapuscrit, 1974).
65. Looy, « Saskatchewan’s First Indian Agent », p. 111.
66. Mary Weekes, The Last Buffalo Hunter, Toronto : Macmillan of Canada, 1945, p. 173-187.
7  T raités , famines et nouvelles épidémies , 1877-1882 197

Sitting Bull sont en fait rassemblés dans les immenses étendues sablonneuses
des Great Sand Hills, au nord des Cypress Hills67. Big Bear et d’autres chefs
cris mènent leurs groupes respectifs vers le nord pour faire le point sur la crise
et s’entretenir avec les représentants du Dominion. Cette rencontre pourrait
constituer le rassemblement estival le plus important de l’histoire des Cris. À
l’époque, ils sont encore autosuffisants pour leur alimentation. Les signataires
de traités reçoivent leurs versements annuels, et Big Bear reprend les discus-
sions en vue d’une éventuelle adhésion au Traité n° 6. Il négocie avec diffé-
rents représentants du Canada, dont le Dr Hagarty : « Je pense le plus grand
bien de Big Bear, écrira le médecin. J’aimerais que tous les chefs pensent et
agissent comme lui68. »
Pendant que Big Bear s’efforce en vain d’améliorer les termes du traité,
les groupes que la faim tenaille convergent vers les villages européens dans
l’espoir d’y trouver un peu de nourriture. La chasse s’étant révélée décevante
à Carlton et dans plusieurs autres postes d’approvisionnement, les Sioux
arrivés de fraîche date poursuivent leur route jusqu’à Prince Albert ; en
novembre, ils y ont dressé 89 tentes et, indique un compte rendu de l’époque,
« mendient leur pitance de porte en porte69 ». À Battleford, les affamés solli-
citent quotidiennement le Bureau des Indiens ; certains d’entre eux « ont été
contraints de manger leurs chiens pour ne pas mourir de faim70 ». Face à
l’augmentation de la demande d’aide alimentaire dans la capitale territoriale,
les autorités n’augmentent pas les rations : elles resserrent plutôt les mesures
de sécurité. Une palissade est érigée « de crainte que des Indiens torturés par
la faim n’attaquent le fort où sont entreposées les provisions71 ». Grinçante
ironie des temps, les travailleurs qui construisent les fortifications pour éloi-
gner les affamés des entrepôts du Dominion sont eux-mêmes payés en nour-
riture72… Dès la fin de l’année, la désespérance et la misère sont tellement
généralisées à Battleford qu’elles en deviennent banales. Le 16 décembre 1878,
la rubrique « Objets perdus et trouvés » du Saskatchewan Herald annonce
ainsi : « TROUVÉ : Une jument blanche, là où les Indiens sont morts de
faim, vers le 1er octobre. Le propriétaire récupérera sous réserve d’établir son

67. Dempsey, Crowfoot, p. 108-109.


68. BAC, RG 10, microfilm C-10119, vol. 3678, dossier  11683, Report of Dr. Hagarty, Battleford,
20 February 1879.
69. ACBH, dossier de recherche : Prince Albert, « Lawrence Clarke to Commissioner James Graham,
Carlton House, 26 November 1878 », p. 32.
70. Looy, « Saskatchewan’s First Indian Agent », p. 113.
71. Walter Hildebrandt, Views from Fort Battleford : Constructed Visions of an Anglo-Canadian West,
Regina : Canadian Plains Research Center, 1994, p. 42.
72. James Walker, « Incidents of Indian Events », dans : Ross Innes (dir.), The Sands of Time, North
Battleford : Turner-Warwick Publications, 1986, p. 124.
198 L a destruction des I ndiens des P laines

titre de propriété et de payer les frais. S’adresser à Antoine Morin, à


Battleford73. »
Comme si la famine ainsi qu’une flambée de scarlatine74 n’avaient
pas suffisamment éprouvé les populations autochtones des Plaines, les conser-
vateurs de John A. Macdonald reprennent le pouvoir en promettant d’im-
planter leur Politique nationale, qui redéfinit les relations du gouver­nement
avec les Indiens. Dans la gestion des affaires indiennes en général, et dans
celle de la crise alimentaire en particulier, l’hostilité pleinement assumée du
régime Macdonald succède maintenant à la « relative ignorance » des libé-
raux75. Sans nécessairement constituer un objectif toujours explicite des
conservateurs, la « pacification » des Indiens des Plaines fait partie intégrante
de leur programme de développement76. Pour s’assurer que l’Ouest s’ouvrira
sans complication au chemin de fer Canadien Pacifique et à la colonisation,
Macdonald se fait aussi surintendant général des Affaires indiennes77. Avec le
recul, à la lumière de l’incurie qui régnera dans la gestion des affaires indiennes
pendant des décennies, voire des générations, la lettre adressée par l’agent
Dickieson à ses nouveaux supérieurs politiques un mois après l’arrivée au
pouvoir des conservateurs fait figure de prophétie : « Quand le gouvernement
devra dépenser 1 000 dollars pour accomplir ce que 10 suffiraient à réaliser
aujourd’hui, il comprendra qu’il a dormi sur un volcan78. »
L’hiver 1878-1879 se révèle particulièrement difficile. Laird rencontre
le chef des Cris des Eagle Hills dans la première semaine de février. Le
Saskatchewan Herald écrit alors que les Indiens « disent qu’ils n’ont jamais été
aussi près de mourir de faim. Ils sont pacifiques, mais déterminés79 ». Au

73. Saskatchewan Herald, 16 décembre 1878, p. 3.


74. Ibid., 21 octobre 1878, 10 février 1879, 24 février 1879 ; SAB, R. A. Mayson Papers, A.M – 455,
4, 3.
75. Looy, « Saskatchewan’s First Indian Agent », p. 110 ; Tobias, « Canada’s Subjugation of the Plains
Cree », p. 212-239.
76. D. N. Sprague souligne le lien entre l’achèvement du réseau ferroviaire du CP, pièce maîtresse de la
Politique nationale, et l’assujettissement des Métis ; voir : Canada and the Métis, 1869–1885,
Waterloo : Wilfrid Laurier University Press, 1988, p. 157-177. Joyce Green indique que l’assujettis-
sement des Premières Nations constitue le quatrième pilier (implicite) de la Politique nationale, les
trois autres objectifs en étant : l’achèvement du réseau ferroviaire du CP, la mise en place de tarifs
douaniers protectionnistes et la colonisation agricole de l’Ouest ; voir : « Towards a Detente with
History : Confronting Canada’s Colonial Legacy », International Journal of Canadian Studies, 12,
1995, p. 91-92.
77. Canada, Bureau du Conseil privé, Répertoire des ministères canadiens depuis la Confédération,
1er juillet 1867 – 1er février 1982, Ottawa : Gouvernement du Canada, Bureau du Conseil privé,
Archives publiques Canada, 1982, p. 13.
78. Sarah Carter, Lost Harvests : Prairie Indian Reserve Farmers and Government Policy, Montréal :
McGill-Queen’s University Press, 1990, p. 78, 80.
79. Saskatchewan Herald, 24 mars 1879, p. 2.
7  T raités , famines et nouvelles épidémies , 1877-1882 199

printemps, cette situation plus que préoccupante a déjà pris les proportions
d’une véritable crise. Le 2 avril, le père Scollen indique au major Irvine, de la
police, que certains Indiens en ont été réduits à manger des carcasses de loup
empoisonnées80. « Un autre hiver comme celui qui vient de finir, ajoute le
prêtre, et c’en serait terminé de nous81. »
À Calgary, une délégation de chefs niitsitapis sollicite l’aide de Cecil
Denny, de la PCN-O82. En arrivant dans l’Ouest, Edgar Dewdney, qui vient
d’être nommé commissaire des Indiens, procure aux Niitsitapis affamés suffi-
samment de vivres pour leur permettre de se rendre jusqu’au sud de la fron-
tière : il fait ainsi économiser au Dominion 100 000 $ au moins pour les
années 1879 et 188083. Les dépenses des Affaires indiennes vont néanmoins
plus que doubler entre 1879 et  1881, et la part des approvisionnements
alimentaires dans le budget de ce ministère ne cessera de s’alourdir84. La
plupart des Indiens partent vers le sud pour tenter désespérément d’y trouver
ce qu’il reste des hardes. Des Cris prennent toutefois la route du nord ;
certains se rendent jusqu’à la rivière de la Paix. Les expéditions de chasse des
nouveaux arrivants s’ajoutent alors à celles des Dunnezas établis de plus
longue date dans ces terres ; les populations de gibier s’épuisent, et la rivalité
entre les deux groupes dégénère presque en guerre85.
Au début du mois de mai 1879, 200 Cris faméliques ont convergé vers
la capitale territoriale, Battleford. À peine trois semaines plus tard, ils sont
presque 750, « tous affamés86 ». Entre janvier et juin, environ 35 tonnes de
farine sont envoyées au campement87. Le 19 mai, le Saskatchewan Herald
signale : « [Ils n’ont] ni lard, ni bœuf, ni pemmican, ni poisson, ni gibier, ni
pommes de terre et, jusqu’au lundi 12  [mai], même pas de farine88. »

80. McQuillan, « Creation of Indian Reserves on the Canadian Prairies », p. 384.


81. Looy, The Indian Agent and His Role in the Administration of the Northwest Superintendency, p. 51.
82. Saskatchewan Herald, 7 mai 1879, p. 2.
83. Dyck, The Administration of Federal Indian Aid in the Northwest Territories, p. 45.
84. À partir de 1882, les produits alimentaires représentent au moins 50 pour cent des dépenses totales
des Affaires indiennes dans le Nord-Ouest. Carl Beal, Money, Markets, and Economic Development
in Saskatchewan Indian Reserve Communities, 1870–1930s (thèse de doctorat), University of
Manitoba, 1994, p. 139-140.
85. Hugh Shewell, “Enough to Keep Them Alive” : Indian Welfare in Canada, 1873-1965, Toronto :
University of Toronto Press, 2004, p. 73-75.
86. SAB, A. E. Forget Papers, R-39, vol. 6, dossier  7, Henriette A. Forget, Reminiscences of Fort
Battleford, p.  2 ; Saskatchewan Herald, 2  juin  1879, p.  2 ; Arlean McPherson, The Battlefords : A
History, Saskatoon : Modern Press, 1967, p. 67.
87. Saskatchewan Herald, 30 juin 1879, p. 1.
88. McPherson, The Battlefords, p. 60.
200 L a destruction des I ndiens des P laines

Dickieson réclame au moins 10 tonnes de lard, 150 de farine et 50 de bœuf


pour apaiser la famine89.
En juillet, Laird rapporte que pas un seul animal susceptible d’être
chassé n’a été aperçu dans les environs depuis deux mois. Puisque les
provisions seront bientôt épuisées, ajoute-t-il, des renforts devraient être
déployés au poste de police de Battleford dans l’éventualité d’une émeute90.
James McKay, homme d’église anglican et interprète des négociations du
Traité n° 6, témoigne de la détérioration des conditions de vie à Battleford.
« Évidemment, nous recevons constamment des demandes d’aide alimen­
taire », écrit-il le 31 mai. En août, alors que les Cris et les Assiniboines restent
autour de la ville « en attendant le secours du gouvernement », la plupart des
Niitsitapis font route vers le sud et les États-Unis91.
Les Niitsitapis s’étaient rendus à Battleford pour y solliciter de
l’assistance, car « la plupart d’entre eux étaient mourants, ne pouvant survivre
en s’alimentant uniquement de racines92 ». Dickieson, surintendant des
Indiens par intérim, leur avait alors donné de la nourriture en leur faisant
promettre qu’ils repartiraient bientôt dans leur territoire et recommence-
raient à traquer d’insaisissables hardes dans le Sud. Le triste sort des affamés
boule­verse même le rédacteur en chef du Saskatchewan Herald, P. G. Laurie,
pourtant peu enclin à la compassion à l’égard des Autochtones : « Ces Indiens
sont dans un état effroyablement déplorable. Pour ces gens accoutumés toute
leur vie durant à se nourrir essentiellement d’animaux, les rations de farine et
de thé qu’ils reçoivent ici ne leur évitent que d’extrême justesse la mort par
inanition93. » Laurie écrit également que Dickieson, qui remplace Laird pour
un temps, « doit s’occuper à lui seul d’un millier d’Indiens faméliques », sans
viande à leur offrir et sans possibilité d’en exiger auprès de ses supérieurs94.
Dickieson, qui a été nommé par les libéraux, quitte la fonction publique du
Nord-Ouest en septembre. À son départ, Bobtail, porte-parole des Cris,
exprime sa tristesse en soulignant qu’il a toujours fait « de son mieux pour
[nous] éviter de mourir de faim95 ».
En plus de la détresse qui sévit à Battleford, bien d’autres calamités
s’abattent sur les Plaines à l’été  1879. Le Saskatchewan Herald rapporte le

89. Lux, Medicine that Walks, p. 34.


90. SAB, R-E1883, « Laird to Macdonald, 30 June 1879 », dans : Tarr et Peterson, Little Pine/Lucky Man
Band #116.
91. SAB, Campbell Innes Papers, A-113, vol. 5, McKay Papers, f. 1, Diary 1870–84.
92. Looy, « Saskatchewan’s First Indian Agent », p. 109.
93. Saskatchewan Herald, 30 June 1879, p. 2.
94. Ibid. ; Looy, « Saskatchewan’s First Indian Agent », p. 108-109.
95. Saskatchewan Herald, 25 août 1879, p. 2.
7  T raités , famines et nouvelles épidémies , 1877-1882 201

calvaire de Koo-qua-a-witt, qui s’est présenté à la mission Victoria accompagné


de ses enfants gravement dénutris. L’un de ses fils, inconscient, s’éteint cinq
jours plus tard. Un autre saigne du nez sans qu’on puisse arrêter l’hémorragie ;
il meurt neuf jours après son petit frère. Le pauvre père, qui « n’a plus que la
peau sur les os de s’être occupé de ses enfants malades », part ensuite pour les
Plaines, où il serait également mort de faim96.
À Edmonton, James Stewart, agent des Indiens, dresse un très sombre
bilan de la crise.
[…] je n’ai jamais rien vu de semblable depuis les longues années que j’ai
passées dans ce pays. Ce n’était pas seulement le manque de buffles, mais
tous les autres animaux semblaient aussi avoir fui le pays ; le poisson même
était rare. […] Les pauvres gens étaient nus et le froid intense, et la
température est restée la même durant tout l’hiver, dans ces circonstances ils
se sont bien conduits, et rien n’a été dérobé ici. Ils ont mangé plusieurs de
leurs chevaux, et tué tous les chiens pour s’en nourrir […]97.
Plus au sud, à Blackfoot Crossing, Dewdney trouve «  environ
1 300 Sauvages dans un état d’indigence pitoyable, et plusieurs étaient sur le
point de mourir de faim98 ». Dans son journal, il décrit « de jeunes hommes
vigoureux […] aujourd’hui si faibles que certains avaient peine à marcher99 ».
Si la plupart s’en remettent à la charité pour survivre, de nombreux Niitsitapis
plus prospères doivent se résoudre à échanger leurs chevaux contre quelques
tasses de farine. À Calgary, où les Pieds-Noirs, les Stoneys et les Métis « étaient
si tenaillés par la faim qu’ils devaient même se résoudre à manger de l’herbe,
l’inspecteur Denny a pris sur lui d’acheter du bœuf pour distribution à raison
de 2 000 livres [450 kg] par jour100 ». John Macoun, botaniste du Dominion,
rapporte qu’il a rencontré des femmes niitsitapies près des Hand Hills et
qu’elles lui ont proposé de laver la vaisselle des membres de l’équipe. À sa plus
grande surprise, le scientifique a observé qu’avant de nettoyer les assiettes,
« elles les léchaient de manière à ce qu’il n’y restât pas la moindre particule
d’aliment ». Le père Scollen admoneste vivement Macoun, qui semble tout

96. Ibid., 14 juillet 1879, p. 2.


97. CDS, 1881, Rapport  à l’honorable surintendant général des affaires des Sauvages, Edmonton,
21 août 1880, p. 102-103 ; Jean Larmour, Edgar Dewdney, Commissioner of Indian Affairs and Lieu-
tenant Governor of the North-West Territories, 1879–1888 (mémoire de maîtrise), University of
Saskatchewan, campus de Regina, 1969, p. 43 ; Looy, The Indian Agent and His Role in the Adminis-
tration of the Northwest Superintendency, p. 63.
98. CDS, 1880, Rapport du commissaire des Sauvages, Ottawa, 2 janvier 1880, p. 78.
99. Hugh Dempsey (dir.), « The Starvation Year : Edgar Dewdney’s Diary for 1879, Part 1 », Alberta
History, 31-1, 1983, p. 9, entrées des 17 et 19 juillet 1879.
100. Jim Wallace, A Double Duty : The Decisive First Decade of the North-West Mounted Police, Winnipeg :
Bunker to Bunker Books, 1997, p. 210.
202 L a destruction des I ndiens des P laines

Rattler, guérisseur niitsitapi, traite un jeune homme atteint de tuberculose mortelle. Son inter-
vention a pu procurer un réconfort spirituel au malade dans les derniers moments de son
agonie. Source : The Walter McClintock Papers, Yale Collection of Western Americana, Beinecke
Rare Book and Manuscript Library. Reproduction autorisée.

ignorer des souffrances atroces dont il est environné : « Ne savez-vous donc
pas que les gens d’ici meurent de faim ? […] Il y en a deux qui sont déjà morts
dans leur tente ; ils sont morts de faim101. »
En dépit de toute cette misère, le commissaire des Indiens Dewdney
maintient le cap de l’austérité budgétaire. Au terme d’une discussion longue
et houleuse avec le colonel Macleod, Dewdney conclut : « J’ai convenu avec
le colonel qu’il continuerait d’appliquer les procédures qui ont été mises en
œuvre jusqu’ici ; les rations alimentaires seront distribuées s’il est avéré que les
Indiens souffrent réellement de la faim, à ceux qui travailleront ainsi qu’aux
malades et aux infirmes qui n’ont pas d’amis [susceptibles de leur venir en
aide] et qui ne peuvent pas travailler102. »

101. John Macoun, Autobiography of John Macoun, M.A. : Canadian Explorer and Naturalist, 1831–1920,
Ottawa : Ottawa Field-Naturalists Club, 1922, p. 149-150.
102. Dempsey (dir.), « The Starvation Year, Part 1 », p. 11, entrée du 24 juillet 1879.
7  T raités , famines et nouvelles épidémies , 1877-1882 203

En décembre 1879, le Saskatchewan Herald rapporte que plus de


25 Pieds-Noirs sont « purement et simplement morts de faim103 ». Dès avant
la fin de l’année, des signes de la tuberculose clinique commencent à se
manifester dans les groupes affaiblis par la malnutrition. Le rapport médical
du chirurgien George F. Kennedy pour Fort Macleod souligne que la maladie
touche particulièrement les femmes : « J’ai trouvé la phtisie et les affections de
poitrine spécialement communes parmi les femmes, et il est rare d’en trouver
une, dépassant l’âge de 30 ans qui ait de bons poumons104. » En dépit de
leurs efforts, les praticiens de la médecine traditionnelle restent souvent
impuissants devant cette maladie nouvelle, et doivent se contenter d’apporter
un peu de réconfort à leurs patients105.
Dans le sud-ouest, une autre maladie vient empirer une situation déjà
désespérée : la fièvre pourprée des Rocheuses106. Elle s’abat sur toutes les
populations de la région, y compris la police. À l’hiver 1878-1879, neuf Métis
et « quelques Sioux » y succombent dans le secteur de Wood Mountain. Bien
que les rapports attribuent la flambée à des carcasses en décomposition d’ani-
maux de bétail ou de bisons ayant contaminé des rivières d’eau potable, la
maladie est en réalité causée par la morsure d’une tique infectée107.
La crise alimentaire s’avère tout aussi cauchemardesque dans l’est des
Plaines. En avril 1879, Archibald McDonald écrit depuis Fort Ellice que la
plupart des animaux fournis aux réserves comme bétail de trait ont été
mangés pendant l’hiver. Il prédit par ailleurs l’échec de la politique indienne
du nouveau gouvernement : « Mais puisque les sages d’Ottawa connaissent
mieux les Indiens et les questions indiennes que ceux qui ont passé toute leur

103. Saskatchewan Herald, 1er décembre 1879, p. 1.


104. CDS, 1880, Partie III, Police à cheval du Nord-Ouest, Rapport du commissaire, 1879, Rapport du
chirurgien Kennedy, Fort Macleod, 30 novembre 1879, p. 34. La mortalité frappe souvent plus
durement les femmes que les hommes « dans les tout premiers stades des épidémies tuberculeuses »,
Johnston, « Tuberculosis », p. 1060.
105. Adolph Hungry Wolf, Pikunni Biographies (The Blackfoot Papers, vol. 4), Skookumchuk (Colombie-
Britannique) : The Good Medicine Cultural Foundation, 2006, p. 1260-1261.
106. La fièvre pourprée des montagnes Rocheuses se propage par la piqûre d’une tique porteuse de la
bactérie Rickittsia. Une étude récente indique qu’en l’absence de traitement, l’infection tue 20 à
25  pour cent des porteurs ; les flambées pourraient toutefois atteindre un taux de mortalité de
75 pour cent. Victoria A. Harden, « Rocky Mountain Spotted Fever and the Spotted Fever Group
Diseases », dans : Kenneth Kiple (dir.), Cambridge World History of Human Disease, Cambridge
(R.-U.) : Cambridge University Press, 1993, p. 982, 984.
107. Ibid., p. 982 ; Kelly, The Range Men, p. 125 ; CDS, 1880, Partie III, Police à cheval du Nord-Ouest,
Rapport du commissaire, 1879, Rapport du chirurgien Kittson, Fort Macleod, 30 janvier 1880,
p. 30.
204 L a destruction des I ndiens des P laines

vie parmi eux, il est bien inutile d’avancer quoi que ce soit sur le sujet.
Monsieur l’Indien coûtera un tantinet plus qu’ils ne l’auraient voulu108. »
Des rapports signalant des famines affluent également depuis Fort
Qu’Appelle, les buttes de Tondre (Touchwood Hills), Fort Ellice et la
montagne de l’Orignal (Moose Mountain)109. Dickieson signale qu’à Moose
Mountain, « les Sauvages [se trouvent] dans une position des plus déplorables,
et l’on dit que plusieurs sont morts de misère et de faim ». Dans le secteur de
Fort Qu’Appelle : « On a distribué bien peu de provisions dans le Traité n° 4.
Comme conséquence, les Sauvages demandèrent des secours, en accom­
pagnant leur demande de démonstrations de violence contre la Compagnie
de la Baie d’Hudson (CBH) à Qu’Appelle110. » En août 1879, le Dr Hagarty
attribue le déclin de la bande de White Bear (Ours-Blanc) à l’insuffisance de
nourriture : « Les Indiens d’ici sont très émaciés. La faim manifeste ses
terribles effets sur eux, et la scrofule ainsi que d’autres maladies apparentées
deviennent extrêmement communes. » Il observe « une situation très simi-
laire [dans les Touchwood Hills…] la maladie, la faim et la lassitude111 ». À
la réserve de Yellow Quill (Plume-Jaune), deux bœufs ainsi qu’une petite
quantité de farine sont dérobés trois jours avant la date prévue de la livraison
des rations alimentaires. Hagarty remet un surcroît de provisions au chef, qui
a refusé de participer au pillage : « Je l’ai félicité de sa dévotion à l’égard des
lois de la Grande Mère Blanche, précise le médecin, et il m’en a remercié ; il
a exprimé son attachement à la Reine et il était très fier de sa conduite112. »
Près de Fort Qu’Appelle, où la bande de Poorman (Pauvre-Homme) était
entrée par effraction dans l’entrepôt au mois de juin113, le médecin découvre
avec horreur une autre conséquence de la détérioration des conditions de vie
dans les Plaines : les épidémies de maladies vénériennes. À son retour à
Portage la Prairie, il constate également l’émergence de ces infections dans ce
secteur géographique114.
Dans son rapport, le Dr Hagarty décrit aussi les tensions croissantes
entre les affamés des réserves et les représentants du ministère des Affaires

108. BAC, MG 29 B 15, Robert Bell Papers, vol. 24, f. 88, McDonald to Bell, 16 April 1879.
109. CDS, 1880, Rapport de Lawrence Vankoughnet, sous-surintendant général des affaires des
Sauvages, Ottawa, 31 décembre 1879, p. 12.
110. CDS, 1880, Rapport du surintendant intérimaire, Battleford, 21 juillet 1879, p. 106.
111. BAC, RG 10, vol. 3678, dossier 11683, Report on the Indians of White Bear’s Band, 5-6 August 1879.
112. BAC, RG 10, vol. 3678, dossier 11683, Report on the Indians of Day Star’s Band and Yellow Quill’s
Band, 15 August 1879.
113. Lux, Medicine that Walks, p. 34.
114. BAC, RG 10, vol. 3678, dossier 11683, Report on the Indians of Loud Voice’s Band, 29 August 1879 ;
Report on the Indians of Chicock’s Band, 30 August 1879.
7  T raités , famines et nouvelles épidémies , 1877-1882 205

indiennes. Comme plusieurs autres incidents du même type, celui de la


réserve de Yellow Quill montre bien que les autorités publiques freinent la
livraison des vivres dont elles disposent alors même que les Indiens souffrent
de la faim, souvent jusqu’à en mourir. La famine qui dévaste les Plaines ne
répond pas à la logique de la simplissime équation malthusienne : trop de
gens pour trop peu de bisons115. Les analysant dans un contexte mondial, le
lauréat du prix Nobel Amartya Sen a bien montré que les épisodes de famine
ne résultent pas seulement d’une insuffisance des approvisionnements
alimentaires : « La famine ne se définit pas par l’insuffisance des aliments dispo-
nibles, mais par le fait que certaines personnes n’ont pas assez à manger. Certes,
la disette résulte dans certains cas d’un manque de produits alimentaires,
mais elle a aussi bien d’autres causes116. »
Dans les derniers mois de l’année 1879, le gouvernement du Dominion
redéfinit la « dynamique des droits » des uns et des autres dans le contexte de
la famine qui sévit dans la région. Tandis que les Premières Nations n’ont pas
assez à manger et qu’elles en meurent, l’industrie de l’élevage s’établit dans des
terres qui, jusqu’à tout récemment encore, servaient de pâturages aux bisons.
Les documents historiques témoignent abondamment des tensions causées
par la rapine autochtone dans les cheptels émergents de l’ouest des Plaines,
voire par de simples rumeurs en ce sens117. « L’affrontement entre les éleveurs
et les Indiens peut éclater à tout moment », écrit le Saskatchewan Herald après
avoir décrit cette prétendue augmentation des vols de bétail par des Indiens
affamés dans le sud-ouest118. S’il est vrai que certains animaux ont pu être
subtilisés ici ou là, le colonel Macleod constate néanmoins : « Dans les circons-
tances, il m’apparaît parfaitement louable que les Indiens de tout le pays se
comportent aussi bien119. » Les recherches révèlent une corrélation entre la
famine de 1879-1880 et le nombre des Autochtones arrêtés120. Mais les vols

115. Thomas R. Malthus, Essai sur le principe de population (préface et traduction de Pierre Theil), Paris :
Gonthier, 1963.
116. Amartya Sen, Poverty and Famines : An Essay on Entitlement and Deprivation, Oxford : Clarendon
Press, 1981, p. 1. Sen précisera ultérieurement la notion de « dynamique des droits » [entitlement
relations] dans un article intitulé « Food, Economics, and Entitlements », dans : Jean Drèze, Amartya
Sen et Athar Hussain (dir.), The Political Economy of Hunger : Selected Essays, Oxford : Clarendon
Press, 1995, p. 50-68. Voir également : Louise A. Titley, « Food Entitlement, Famine, and Conflict »,
Journal of Interdisciplinary History, 14, 1983, p. 333-349.
117. Voir : Breen, The Canadian Prairie West and the Ranching Frontier, p. 10-15 ; Paul Sharp, Whoop-Up
Country : The Canadian–American West, 1865–1885, Norman : University of Oklahoma Press,
1973, p. 96-97.
118. Saskatchewan Herald, 1er décembre 1879, p. 1.
119. Commissioners of the Royal North-West Mounted Police, Opening Up the West : Being the Official
Reports of the Royal North-West Mounted Police Force from 1874 to 1881, Toronto : Coles, 1973, p. 3.
120. Hildebrandt, Views from Fort Battleford, p. 98.
206 L a destruction des I ndiens des P laines

de bétail restent néanmoins très limités. Les rapports officiels du Ministère


reconnaissent que la plupart des Indiens affamés ou mal nourris n’enfreignent
pas la loi. Ils s’efforcent en général de s’alimenter sans recourir à la rapine et
sont reconnaissants de toute l’aide qui leur est apportée.
Certains sollicitent un soutien gouvernemental en vertu des traités qui
leur garantissent de l’assistance en cas de crise. Le chef Beardy de la bande crie
du Saule (Cris « Willow ») exige du gouvernement qu’il tienne la promesse
d’appui qu’il leur a faite lors des négociations de Carlton, en 1876. Moins
d’un an après la signature du traité, Beardy organise ce que la police appelle
une « réunion de protestation au lac aux Canards (aujourd’hui, Duck Lake)
[…] pour dénoncer la manière dont le gouvernement traite les Indiens et les
Sang-Mêlés du pays121 ». En 1878, le chef refuse son annuité pour exprimer
son mécontentement à l’égard du Dominion122. À l’hiver 1879, affirmant que
les marchandises entreposées appartiennent à la population en vertu des obli-
gations contractuelles du Dominion, il menace de piller l’entrepôt local123.
Tandis que Beardy s’insurge contre l’indifférence gouvernementale, des
Dakotas des États-Unis arrivent à Prince Albert et ajoutent à l’inquiétude de
la population. Une milice est formée pour parer à toute éventualité124.
En 1880, le chef Beardy est temporairement destitué après avoir fait l’objet
d’allégations douteuses de vol de bétail125. Pour Stephen Sliwa, les épreuves
que la bande a traversées dans les années qui ont suivi la signature du traité
ont « galvanisé les membres de la collectivité, les ont soudés entre eux et mobi-
lisés autour d’un objectif commun126 ». Dans l’ensemble, les habitants de
longue date de l’Ouest se montrent plutôt en accord avec les revendications
des Cris de Carlton. Au début de l’année 1880, Lawrence Clarke, qui a long-
temps été à l’emploi de la CBH, décrit en ces termes leurs conditions de vie
de plus en plus pénibles : « Ces Indiens des réserves se trouvent dans une
misère effroyable ; le ministère leur envoie juste assez de nourriture pour éviter
que leur âme ne quitte leur corps, mais ils vont nus ou presque, et la plupart

121. Stephen Sliwa, Standing the Test of Time : A History of the Beardy’s/Okemasis Reserve, 1876–1951
(mémoire de maîtrise), Trent University, 1993, p. 54-57.
122. SAB, RCE-1120, Indians of North America, Clippings File, Yesteryears, No. 22, « Disquieting News
from Duck Lake », 2 mai 1938 (reproduction d’un article du Saskatchewan Herald, 14 janvier 1879).
123. Sliwa, Standing the Test of Time, p. 58-59 ; James Walker, « Report, Battleford, 19 December 1879 »,
dans : Commissioners of the Royal North-West Mounted Police, Opening Up the West, p.  21 ;
Saskatchewan Herald, 27 janvier 1879, p. 1.
124. Gary Abrams, Prince Albert : The First Century, 1866–1966, Saskatoon : Modern Press, 1966,
p. 26-27.
125. Saskatchewan Herald, 16 août 1880, p. 1. Beardy et ses coaccusés ont ensuite été complètement
disculpés.
126. Sliwa, Standing the Test of Time, p. 61-62.
7  T raités , famines et nouvelles épidémies , 1877-1882 207

n’ont pas de chaussures. […] Si la maladie devait s’abattre sur eux, dans l’état
d’extrême faiblesse qui est le leur, beaucoup n’y survivraient pas127. »
À partir de 1880, les protestations des Autochtones s’amplifient128.
Considérant que les sommes versées à la CBH au moment du transfert
territorial appartiennent en réalité aux Indiens, le chef Thunderchild (Enfant-
du-Tonnerre) menace d’engager « un avocat de haut vol » pour les récupérer.
Dans un article qui gardera toute sa pertinence pendant plus d’un siècle, le
Saskatchewan Herald écrit : « Ils [les avocats] en tireront le plus grand profit,
car il devra remettre la moitié du montant obtenu à qui lui aura permis de le
récupérer ; il serait même fort singulier qu’ils ne réussissent pas aussi à mettre
la main sur l’autre moitié. De nombreux frais accompagnent les actions juri-
diques, dont les Indiens n’ont pas connaissance129. »
Au lieu d’être distribuées aux populations pour les soulager de la
« disette nationale », ainsi que Morris l’avait promis, les rations alimentaires
servent d’outils de coercition pour contraindre les Indiens à se soumettre aux
traités130. Le député libéral Malcolm D. Cameron accuse le ministère des
Affaires indiennes d’appliquer « une politique d’assujettissement dont la poli-
tique de la famine constitue le bras armé131 ». En  1879, plusieurs bandes
troquent ainsi leur indépendance contre de la nourriture. Dans « l’agence » de
Battleford, Mosquito (Moustique ou Maringouin), Moosomin, Thunderchild
et Little Pine (Petit-Pin) acceptent de signer des traités en échange d’un
soutien alimentaire132. Une fois confinées dans les réserves, les Premières
Nations tombent à la merci de fonctionnaires qui jugent leurs revendications
absolument intolérables. Strike-Him-on-the-Back (Frappe-le-dans-le-dos)
ayant refusé l’accès de sa réserve aux arpenteurs, Dewdney « lui prend son
bétail au profit des Sioux133 ». Il décline également l’offre des éleveurs qui,
craignant de voir les Indiens affamés s’en prendre à leurs troupeaux, se
montrent disposés à « vendre leurs propres animaux au prix coûtant et

127. ACBH, dossier de recherche : Prince Albert, « Lawrence Clarke to James Graham, 3 March 1880 ».
128. Saskatchewan Herald, 19 juillet 1880. Plusieurs bandes ont exprimé leur insatisfaction à l’égard du
Dominion, notamment celles de Poundmaker, Strike-Him-on-the-Back, Samson, Ermine Skin
(Peau-d’Hermine) et Bobtail ; ibid., 5 juillet 1880, p. 2-3.
129. Ibid., 16 août 1880, p. 2.
130. Dyck, The Administration of Federal Indian Aid in the Northwest Territories ; Tobias, « Canada’s
Subjugation of the Plains Cree ». 
131. Looy, The Indian Agent and His Role in the Administration of the Northwest Superintendency, p. 112.
132. Tobias, « Canada’s Subjugation of the Plains Cree », p. 235n30.
133. Dempsey (dir.), « The Starvation Year, Part 2 », p. 8. Moins de deux ans plus tard, l’arpenteur du
Dominion lui-même refusera de fixer les limites des terres mises en réserve pour Strike-Him-on-the-
Back en raison de la piètre qualité des sols. Saskatchewan Herald, 5 juin 1881, p. 1.
208 L a destruction des I ndiens des P laines

Campement cri, Cypress Hills, 1879. Glenbow Archives, NA-98-35.

attendre des conditions plus favorables134 ». Mais ce refus s’explique peut-


être aussi par les relations financières que Dewdney entretient avec I. G. Baker
and Company : cette entreprise établie au Montana s’impose, de très loin,
comme le principal fournisseur de viande du gouvernement du Dominion.
Moyennant certaines contreparties, Dewdney lui procure des contrats cana-
diens et différents privilèges135.
Le 1er mai 1879, les conservateurs reconnaissent devant la Chambre
des communes qu’ils ont été « abasourdis » d’apprendre qu’une importante
disette ravageait l’Ouest. En août, le premier ministre établit un conseil
chargé de mesurer l’ampleur de la crise alimentaire, mais aussi la menace que
les milliers d’Autochtones de la région pourraient représenter pour la petite
population de Battleford136. Macdonald donne des instructions au comité :
« d’une part, procurer de la nourriture aux Indiens ; d’autre part, accroître les

134. Kelly, The Range Men, p. 128.


135. Sharp, Whoop-Up Country, p. 221.
136. BAC, Documents de John A. Macdonald, microfilm C-1590, p. 81299, Campbell to Macdonald,
Ottawa, 10 August 1879.
7  T raités , famines et nouvelles épidémies , 1877-1882 209

moyens de défense des colons137 ». Deux semaines avant que le conseil ne se


réunisse, le premier ministre apprend qu’une immense harde de bisons « est
allée vers le Nord, débordant même le général Miles et son armée. Voilà qui
apportera un grand soulagement à un nombre considérable d’Indiens138 ». La
crise qui frappe la région étant écartée dans l’immédiat, Macdonald se fait
conseiller d’envoyer rapidement des soldats « dans les établissements éloignés
tels que Prince Albert139 ».
Pendant que le Dominion arme ses colons en prévision d’un éventuel
soulèvement autochtone, des milliers d’hommes et de femmes torturés par la
faim abandonnent le pays. Selon les estimations, 3533 personnes auraient
déjà gagné les États-Unis à l’époque ; 2770 autres parcourent les Cypress
Hills et 700 se trouvent dans les environs de Fort Walsh, cherchant
inlassablement les dernières hardes140. Crowfoot et d’autres chefs niitsitapis
emmènent leurs peuples jusqu’au Montana, et accordent au passage un répit
temporaire aux autorités canadiennes141. Big Bear fait également cap sur le
sud pour y chasser ; quand les Cris entendent dire que seuls les Indiens signa-
taires d’un traité ont droit à l’aide gouvernementale, la moitié de son groupe
se rallie toutefois à Lucky Man (Homme-Chanceux) et Thunderchild. Même
parmi ceux qui ont signé des traités en échange de rations alimentaires,
certains cherchent néanmoins à préserver un peu de leur autonomie. Piapot
(Pie-à-Pot) et Little Pine entretiennent ainsi, avec Big Bear, l’espoir d’établir
une concentration de réserves dans les Cypress Hills en 1880-1881142.
Le gouvernement ne tente pas grand-chose pour favoriser la réorienta-
tion économique des réserves ; tout au plus adopte-t-il le programme des
« fermes modèles », au forceps et en toute hâte, à l’automne et l’hiver 1878-
1879143. Considéré par certains chercheurs comme « un fiasco retentissant144 »,
ce plan est élaboré alors même que 5 000 personnes, probablement 20 pour
cent de la population autochtone des Plaines à l’époque, se trouvent à l’étranger,
s’étant exilées en territoire américain pour y chercher leur subsistance. Dès le
départ, ce programme est voué à l’échec145. Par sa conception douteuse autant

137. Ibid.
138. Ibid., p. 81309-81310, « Campbell to Macdonald, Ottawa, 12 August 1879 ».
139. Ibid., p.  81312 ; George Duck, « Letters from the West », The Beaver, 282, 1951, p.  24 ; SAB,
Campbell Innes Papers, A-113, vol. 2, f. 3, « Lives of the Early Pioneers », 15 avril 1920, p. 31.
140. McQuillan, « Creation of Indian Reserves on the Canadian Prairies », p. 385.
141. Dempsey, Crowfoot, p. 112-114.
142. Tobias, « Canada’s Subjugation of the Plains Cree », p. 216-221.
143. Carter, Lost Harvests, p. 79.
144. Hildebrandt, Views from Fort Battleford, p. 40.
145. SAB, Tarr et Peterson, Little Pine/Lucky Man Band #116 ; Looy, « Saskatchewan’s First Indian
Agent », p. 112.
210 L a destruction des I ndiens des P laines

que sa mise en œuvre erratique, il ne pourra ni résorber la famine d’envergure


qui sévit dans la région ni prévenir les disettes ultérieures146. Quand les instruc-
teurs agricoles finissent par être déployés, en août 1879, la plupart d’entre eux
se révèlent incompétents ou impuissants face à la tâche monumentale qui leur
est confiée147. Le premier ministre lui-même entretenait d’ailleurs certains
doutes quant à la faisabilité de cette réorientation agricole des réserves ; n’entre-
voyant pas d’autre solution, il a néanmoins jugé « opportun d’appuyer la mise
en œuvre du plan devant le Parlement148 ».
Après les discussions sur la crise alimentaire qui se tiennent à B
­ attleford,
les conservateurs suspendent, à tout le moins temporairement, la politique de
« travail contre nourriture » qui avait été mise en œuvre par le gouvernement
libéral. Toutefois, ainsi que l’indique le rapport du sous-surintendant général
des affaires des Sauvages Lawrence Vankoughnet, les autorités ne renoncent
pas complètement à cette formule.
De strictes instructions ont été données aux agents, pour exiger de la part
des Sauvages en état de le faire, du travail en retour de ces provisions. On a
adopté ce principe en vue de l’effet moral qu’il aurait sur les Sauvages en leur
démontrant qu’ils doivent donner quelque chose en retour de ce qu’ils
reçoivent, et aussi dans le but de les empêcher de compter par la suite sur
l’assistance gratuite du gouvernement149.
Tout en appliquant la politique, Dewdney doit convenir que « tant que les
Indiens ne seraient pas installés dans les réserves, nul travail ne serait à leur
portée ; jusque-là, la faim empêcherait la mise en œuvre de cette contrainte ».
Sir Leonard Tilley, ministre des Finances, propose de faire travailler les
Autochtones pour compenser le coût extraordinairement élevé de l’assis­
tance déployée dans le Nord-Ouest ; étonnamment, à l’exception de la
coupe de bois de chauffage, les autorités n’implantent cependant aucune
initiative concertée pour procurer des emplois rémunérateurs aux Indiens
des Plaines150. Le commissaire des Indiens souligne pourtant qu’ils « étaient
bien disposés à faire n’importe quel ouvrage que l’on avait à leur donner à

146. Carter, Lost Harvests, p. 81-82.


147. Ibid., p.  85-86 ; Looy, The Indian Agent and His Role in the Administration of the Northwest
Superintendency, p. 87-132 ; Brian Titley, The Frontier World of Edgar Dewdney, Vancouver : UBC
Press, 1999, p. 45.
148. Dyck, The Administration of Federal Indian Aid in the Northwest Territories, p. 34-37.
149. CDS, 1880, Rapport du sous-surintendant général des affaires des Sauvages, Ottawa,
31 décembre 1879, p. 12.
150. Dyck, The Administration of Federal Indian Aid in the Northwest Territories, p.  34, 41 ; Hugh
Dempsey, « The Fearsome Fire Wagons », dans : Hugh Dempsey (dir.), The CPR West : The Iron Road
and the Making of a Nation, Vancouver : Douglas and McIntyre, 1984, p.  55-70 ; Carter, Lost
Harvests, p. 99-102.
7  T raités , famines et nouvelles épidémies , 1877-1882 211

Conseil assiniboine près de Fort Walsh, n.d. Glenbow Archives, NA-936-34.

faire151 ». Au début de l’année 1880, Dewdney s’alarme même que les


Indiens puissent être si nombreux à demander du travail en contrepartie
des vivres « qu’il nous sera impossible de leur en procurer à tous152 ».
Si les rations gouvernementales évitent à de nombreux Autochtones de
mourir de faim, les autorités ne se sentent guère d’autre obligation d’assistance
à leur égard. Ainsi, rien n’est fait pour leur procurer des vêtements, devenus
pourtant aussi rares que la nourriture depuis que les animaux ont déserté les

151. CDS, 1881, Rapport au surintendant général des affaires des Sauvages, Ottawa, 31 décembre 1880,
p. 93.
152. Lux, Medicine that Walks, p. 36. (Également : CDS, 1880, Rapport du commissaire des Sauvages,
Ottawa, 2 janvier 1880, p. 99.)
212 L a destruction des I ndiens des P laines

Plaines153. Dewdney constate que le manque de vêtements et les rigueurs de


l’hiver, « le plus froid que nous ayons eu depuis plusieurs années », empêchent
les populations établies le long de la rivière Saskatchewan de pratiquer la
chasse hivernale154. Peut-être pour faire plaisir à Dewdney, Vankoughnet
concède que l’on « ne peut s’attendre à ce qu’ils se mettent au travail à moins
qu’ils ne soient vêtus convenablement155 ».
Dans les Touchwood Hills, un instructeur agricole doit procurer à ses
travailleurs « quelques couvertures et peaux d’orignaux » sans y avoir été auto-
risé par le Ministère156. À l’hiver 1879-1880, les Cris du Saule (Willow) « vont
nus ou presque, et la plupart n’ont pas de chaussures157 ». À Fort Walsh, l’agent
des Indiens rapporte que les 2 500  Niitsitapis qui sont venus chercher des
vivres n’ont « presque pas d’habillement d’aucune sorte158 ». En janvier 1881,
à des centaines de kilomètres à l’est de là, le chef White Bear demande « [des
vêtements] pour leurs femmes et leurs enfants ». L’agent lui répond que le
nécessaire sera fourni aux familles très miséreuses, mais « que ceux qui [ont] des
couvertures et des vêtements [doivent] s’attendre à ne rien recevoir159 ». L’ins-
pecteur Denny demande à ce que des vêtements et des balles de coton ordi-
naire soient remis aux femmes du Traité n° 7 afin qu’elles puissent « se faire des
robes, [elles] ont grandement besoin, car elles sont littéralement en haillons.
Elles se disputent le vieux coton des sacs de farine pour se faire des robes160 ».
Pendant ce temps, les grands fournisseurs de viande conservent précieusement
les peaux, les têtes et les entrailles du bétail « gouvernemental » pour les vendre
à ceux qui ont les moyens de s’offrir ces marchandises161.
Selon les rapports officiels, « la misère n’a pas été aussi grande » pour les
populations qui vivent près de Fort Qu’Appelle que pour « leurs frères du

153. SAB, R. G. Ferguson Papers, microfilm R-2.391, Annexe : « Housing », p. 1.


154. CDS, 1881, James Stewart, Rapport au surintendant général des affaires des Sauvages, Edmonton,
21 août 1880, p. 102 ; Brian Titley, « The Fate of the Sharphead Stonies », Alberta History, 39, 1991,
p. 2 ; H. B. MacDonald, « The Killing of the Buffalo », The Beaver, 266, 1935, p. 22.
155. CDS, 1880, Rapport du sous-surintendant général des affaires des Sauvages, Ottawa,
31 décembre 1879, p. 13.
156. Carter, Lost Harvests, p. 89.
157. ACBH, dossier de recherche : Prince Albert, « Clarke to Graham, 3 March 1880 », p. 3.
158. CDS, 1881, Rapport au surintendant général des affaires des Sauvages, Fort Walsh,
30 septembre 1880, p. 106.
159. CDS, 1882, Rapport du surintendant général des affaires des Sauvages, extrait du rapport de Fort
Ellice, 25 janvier 1881, p. xxxiv.
160. CDS, 1883, Rapport de C. E. Denny, agent des Sauvages, Fort Macleod, 10  novembre  1882,
p. 177.
161. Hugh Dempsey, « The Bull Elk Affair », Alberta History, 40, 1992, p. 2-9.
7  T raités , famines et nouvelles épidémies , 1877-1882 213

Pieds-Noirs déchargeant du bœuf à un poste de distribution de vivres, vers 1883-1884.


Glenbow Archives, NA-1033-4.

sud-ouest162 ». En 1879, néanmoins, la période de Noël s’avère extrêmement


froide ; 20 membres de la bande d’Okanese meurent de faim163. Au prin-
temps 1880, accablés par la famine, de nombreux Dakotas de Wood Moun-
tain se voient contraints de manger des chevaux qui ont succombé au
« scorbut » à l’automne ou à l’hiver précédent. Le triste sort des affamés boule-
verse le major Walsh :
En raison de ce manque de nourriture, et parce qu’ils ont mangé des chevaux
malades, une épidémie s’est développée, dont témoignent les nombreuses
sépultures que l’on voit maintenant à Wood Mountain. La conduite de ces
pauvres gens affamés, leur patiente endurance, leur compassion et l’assistance
qu’ils se portent les uns aux autres ainsi que leur observance stricte des lois

162. CDS, 1880, Lawrence Vankoughnet, Rapport du sous-surintendant général des affaires des
Sauvages, Ottawa, 31 décembre 1879, p. 13.
163. Lux, Medicine that Walks, p. 36. Les puissants blizzards de la prairie-parc toute proche de l’est aurait
achevé d’exterminer une harde de bisons qui subsistait dans la région de Kamsack, dans l’est de la
Saskatchewan. MacDonald, « The Killing of the Buffalo », p. 22.
214 L a destruction des I ndiens des P laines

pourraient constituer une grande source d’inspiration pour les peuples les
plus civilisés164.
Au prix d’efforts considérables, la police réussit à livrer des vivres aux
affamés des Cypress Hills. Le surintendant Crozier souligne l’importance de
ces approvisionnements, « sinon des centaines de gens seraient certainement
morts de faim165 ». En septembre, le Dr Kennedy signale que de nombreux
Assiniboines établis près de Fort Walsh sont « prostrés » par la maladie. La
diarrhée et la dysenterie ravagent un campement « tout entier » de 1 500 Cris,
« et un nombre très important d’entre eux en sont morts, surtout des enfants.
Pour montrer à quel point ces maux sont fréquents, je mentionne que j’ai
visité et traité 150 personnes en une seule journée166 ». À l’ouest de là, à Fort
Macleod, le Dr Kittson indique à son supérieur qu’il n’y a plus assez de gibier
à l’est des Rocheuses ; il souligne aussi que les populations qu’il soigne
reçoivent des rations ne représentant même pas la moitié de celles des
prisonniers politiques en Sibérie167.
Dewdney reconnaît que les provisions fournies par le Dominion sont
insuffisantes168. Mais leur qualité pose également problème. En janvier 1880,
l’instructeur agricole Scott décrit en ces termes des morceaux de porc qu’il a
distribués dans les Touchwood Hills de la part du Ministère : « moisis et piqués
de rouille et totalement impropres à la consommation, et cependant nous les
donnons aux Indiens, n’ayant rien de mieux à proposer, mais nous ne pour-
rions pas les consommer nous-mêmes169 ». Le Saskatchewan Herald évoque les
« soupes populaires » mises sur pied par M. Loucks pour les Sioux de Prince
Albert : « On prétend qu’il a trouvé le secret pour nourrir 50 Indiens avec
2  livres de porc par jour170. » Même les provisions de bonne qualité ont
parfois des effets délétères sur la population ravagée par la malnutrition. Au
printemps 1880, la bande de Mosquito s’installe sur les terres qui lui ont été

164. « Report of Major Walsh, Brockville, 31 December 1880 », dans : Commissioners of the Royal
North-West Mounted Police, Opening Up the West, p. 26.
165. « Report of Superintendent L. N. F. Crozier, Wood Mountain, December 1880 », dans : Ibid.,
p. 30-31.
166. « Report of Surgeon George A. Kennedy, Fort Walsh, 23 December 1880 », dans : Ibid., p.  47.
Kennedy signale une épidémie de scarlatine en octobre.
167. BAC, RG 10, bobine C-10126, vol. 3726, dossier 24811, “Report from Dr. Kittson of the North-West
Mounted Police Stationed at Fort Macleod, Concerning the Insufficiency of Rations Issued to the Indians
of the Northwest Territories, 1880–1915”, Kittson to Macleod, 1 July 1880, p. 2.
168. CDS, 1881, Rapport au surintendant général des affaires des Sauvages, Ottawa, 31 décembre 1880,
p. 91-93.
169. Carter, Lost Harvests, p. 89, 99.
170. Saskatchewan Herald, 12  janvier  1880, p.  1 ; CDS, 1882, W. Anderson, Edmonton,
13 décembre 1881, p. 84.
7  T raités , famines et nouvelles épidémies , 1877-1882 215

réservées dans les Eagle Hills : « Ils avaient survécu jusque-là en se nourrissant


de joncs, de racines et d’herbe ; quand le porc [salé] et la farine leur ont été
distribués, bon nombre de ceux qui en ont mangé étaient si faibles qu’ils sont
tombés très malades par suite de ce changement soudain dans leur
alimentation171. »
À l’été 1880, les pénuries déclenchent plusieurs incidents violents. À
Fort Walsh, les autorités ayant tenté d’empêcher des Cris malades et affamés
assemblés au poste d’accéder aux provisions, une émeute éclate. Cet acte
d’insurrection incite plusieurs bandes à sortir des terres dans lesquelles elles
avaient trouvé refuge dans les Cypress Hills172. Pour échapper à la misère,
certains groupes renouent avec leurs méthodes anciennes173. Dewdney
rapporte ainsi que « presque toutes les tribus ont eu ce que les Sauvages
appellent des partis de guerre, […] ce qui signifie expéditions pour le vol de
chevaux174 ». Des vivres lui ayant été refusés, le chef Pasqua organise une
razzia175. Après cette rapine de quelques chevaux en territoire américain, des
Indiens des États-Unis lancent une offensive de représailles contre la bande
assiniboine d’Ocean Man (Homme-de-l’Océan)176. Ses chevaux lui ayant été
dérobés, le groupe d’Ocean Man doit abandonner ses possessions sur place et
marcher pendant trois semaines pour trouver asile à Fort Ellice. Au moins
quatre personnes meurent de froid et de faim pendant ce terrible périple177.
Les conditions de vie dans le sud-est se font si âpres que l’orignal disparaît de
la montagne qui porte son nom178.
La faim conquiert l’ensemble des Plaines ; la maladie n’est pas en reste.
En mars 1880, Lawrence Clarke signale que l’état physique déplorable des
Cris du Saule les rend particulièrement vulnérables face aux pathogènes179.
La situation déjà précaire des populations de l’est des Plaines devient plus

171. Saskatchewan Herald, 5  juillet  1880, p.  1 ; CDS, 1880, Rapport de l’Agence de Battleford,
21 juillet 1879, p. 105.
172. Tobias, « Canada’s Subjugation of the Plains Cree », p. 528.
173. Brian Hubner, « Horse Stealing and the Borderline : The NWMP and the Control of Indian
Movement », Prairie Forum, 20, 1995, p. 296.
174. CDS, 1881, Rapport au surintendant général des affaires des Sauvages, Ottawa, 31 décembre 1880,
p. 92.
175. Bruce Peel, « The Last Battle », The Beaver, 297, 1966, p. 12 ; Robert Stewart, Sam Steele : Lion of the
Frontier, Regina : Centax Books, 1999, p. 92-93 ; Carter, Lost Harvests, p. 76-77.
176. Peel, « The Last Battle », p. 12-14.
177. CDS, 1881, Edgar Dewdney, Rapport du commissaire aux Sauvages, 31 décembre 1880, p. 93.
178. Nettie McLennan, « Starting Out with the Indians », dans : Meredith B. Banting (dir.), Early History
of Saskatchewan Churches, Regina : Banting Publishers, 1975, p. 176.
179. ACBH, dossier de recherche : Prince Albert, « Clarke to James Graham, Fort Carlton, 3 March 1880 »,
p. 3.
216 L a destruction des I ndiens des P laines

incertaine encore quand le Dr Hagarty perd son poste au printemps180. Tant


qu’il était à l’emploi du ministère des Affaires indiennes, ses campagnes de
vaccination en Saskatchewan et dans l’ouest du Manitoba protégeaient les
Indiens des infections « qui arriveront avec l’afflux des immigrants dans la
région au printemps et à l’été prochains ». Tous les vaccinés, affirme le
médecin, « pourraient maintenant dormir en toute impunité auprès du corps
d’un mort de la variole ». Son renvoi au moment même où la famine atteint
son paroxysme témoigne avec éloquence de l’indifférence absolue du
­Dominion à l’égard de ses partenaires des traités181.
Tandis que les Autochtones survivent tant bien que mal avec leurs
maigres rations, la rougeole et d’autres maladies déferlent sur le sud-ouest. La
malnutrition exacerbe considérablement l’effet délétère des virus. Une forme
de scarlatine « d’un caractère très aigu » s’abat sur les 2 500 miséreux qui se
sont rassemblés à Fort Walsh ; elle tue 30 personnes en septembre 1880182.
En octobre, des flambées simultanées de scarlatine et de rougeole frappent un
nombre important de Siksikas, Piikanis et Cris au sud de la frontière interna-
tionale. Elles font plus de 100 morts dans un même campement183. La
maladie continue ainsi de frapper jusqu’au printemps  1881 ; aiguillonnées
par le désespoir, des bandes de Niitsitapis affamées et porteuses des patho-
gènes retournent à pied vers le Canada184. La rougeole se répand très loin
vers le nord-est : jusqu’à Fort La Corne, où elle tue au moins neuf membres
de la bande de James Smith185.
Tout au long de l’année 1881, l’interminable retour des affamés jusqu’à
leurs réserves du sud de l’Alberta exacerbe la crise alimentaire et sanitaire.
Dewdney indique que plus de 5 000 signataires du Traité n° 7 viennent d’être
inscrits sur la liste de distribution des rations alimentaires ; sinon, ajoute-t-il,

180. Hagarty est officiellement démis de ses fonctions le 14 juin 1880. BAC, RG 10, vol. 3648,
dossier 8138, J. Cote, Report of a Committee of the Privy Council, 14 June 1880.
181. McPherson, The Battlefords, p. 60 ; BAC, RG 10, vol. 3678, dossier 11683, Robert Sinclair (Accoun-
tant) to Lawrence Vankoughnet, 7 August 1879.
182. CDS, 1881, Rapport d’Edwin Allen, agent des Sauvages, Fort Walsh, 30 septembre 1880, p. 106.
Lux, Medicine that Walks, p.  37, observe que la surpopulation, les carences alimentaires et les
déplacements constants motivés par la recherche de nourriture « enclenchent une dynamique syner-
gique incontrôlable entre l’infection et la faim ».
183. CDS, 1881, Edgar Dewdney, Rapport du commissaire aux Sauvages, Ottawa, 31 décembre 1880,
p. 92. Pour plus de précisions sur la flambée au Montana et l’épidémie d’oreillons qui l’a suivie,
voir : Lux, Medicine that Walks, p. 37. Les flambées ont causé une mortalité plus importante chez les
enfants. CDS, 1882, John A. Macdonald, Surintendant général des affaires des Sauvages, Fort
Macleod, 30 mai 1881, p. xxv.
184. Dempsey, Crowfoot, p. 131-138 ; Dyck, The Administration of Federal Indian Aid in the Northwest
Territories, p. 45.
185. CDS, 1882, Rapport du département des Affaires des Sauvages, Fort Carlton, 23 mars 1881, p. x.
7  T raités , famines et nouvelles épidémies , 1877-1882 217

« ils mourront de faim, car il n’y a plus de gibier dans les Plaines186 ». L’assis-
tance procurée par le Dominion reste cependant limitée. À leur retour au
Canada, les gens de Crowfoot reçoivent une livre (environ 500 g) de bœuf et
une demi-livre de farine par jour, d’une qualité douteuse dans les deux cas.
Les entrailles sont vendues à ceux qui ont encore les moyens de les acheter
pour agrémenter leur maigre ordinaire. Généralement consommées crues,
elles accélèrent inévitablement la propagation des maladies.
À l’automne  1881, Crowfoot demande un soutien additionnel pour
son peuple. L’agent MacLeod le classe immédiatement au rang des fauteurs
de troubles et l’admoneste sans ménagement. La rumeur affirme que le
gouvernement affame délibérément les Niitsitapis pour les exterminer. Le
2 janvier 1882, une tractation au marché noir portant sur une tête de bœuf
et quelques abats tourne mal et déclenche un affrontement armé. Cette
« affaire Bull Elk » marque la fin de presque 10 ans de bonnes relations entre
les Niitsitapis et la police187.
Dans les autres régions aussi, la faim et la maladie semblent engagées
dans une spirale infernale. La variole frappe Fort Qu’Appelle en
janvier 1881188. Le Conseil de la santé prend rapidement des mesures qui
permettent de l’endiguer. Dès cette époque, les observateurs des conditions de
vie dans les réserves constatent les rapports entre l’alimentation et l’infection.
Dans un article sur la flambée de variole qui dévaste les environs, le Saskat-
chewan Herald écrit : « La scrofule ravage de nombreuses bandes d’Indiens des
Plaines. Dans les groupes qui ont été touchés cette fois, la maladie a frappé
ceux qui avaient mangé de la viande de chevaux morts d’escarres ou de gale,
et il est presque impossible qu’ils aient pu se nourrir ainsi sans faire entrer en
eux les germes de la maladie189. » Même si cette équation n’a pas encore été
confirmée par la science à l’époque, P.  G.  Laurie observe un lien entre la
consommation de la viande d’animaux malades et l’émergence de la scrofule
(tuberculose ganglionnaire ; lymphadénite cervicale), l’un des principaux
indicateurs de l’infection à la tuberculose bovine190.
La misère contraint les habitants des Plaines à une alimentation
« impure ». À Fort Ellice, les rations quotidiennes de 12 onces (environ 340 g)

186. Lux, Medicine that Walks, p. 59.


187. Dempsey, « The Bull Elk Affair », p. 4-5, 8. Des améliorations minimes ont été apportées au système
des rations ; par exemple, les têtes et les abats du bétail ont été remis aux Autochtones sans
contrepartie financière ; des approvisionnements satisfaisants de bœuf et de farine ont été par
ailleurs maintenus pour apaiser la crainte d’une famine imposée.
188. Stewart, Sam Steele, p. 96 ; Lux, Medicine that Walks, p. 40.
189. Saskatchewan Herald, 11 avril 1881, p. 1.
190. Tessaro, « Bovine Tuberculosis and Brucellosis in Animals, Including Man », p. 213.
218 L a destruction des I ndiens des P laines

de farine et 4  onces (environ 115  g) de lard sont loin de suffire : en


janvier 1881, trois personnes meurent de faim191. En avril, le Saskatchewan
Herald rapporte quatre décès à la réserve de Strike-Him-on-the-Back : « Le
Peau-Rouge disparaît donc inéluctablement192. » Un mois plus tard, les
Dakotas de Moose Woods (Bois du Caribou) « [manquent] de vêtements et
de provisions ; trois ou quatre sont morts à l’état de squelettes193 ». En juillet,
un cheval mort dans les rues de Battleford est dévoré en toute hâte. La
manière dont Laurie rapporte l’événement témoigne avec une cruelle
éloquence de l’insensibilité complète des colons à la misère des populations
autochtones :
Les Indiens de cette région n’ont rien à envier aux vautours du Sud. Rares
sont les carcasses d’animaux qui échappent à leurs serres rapaces. Il y a
quelques soirs de cela, un cheval est mort dans la rue juste en face de notre
bureau ; à l’aube, nous vîmes une petite troupe d’Indiens splendides qui
découpaient l’animal façon « bison mode » à l’ancienne et l’emportaient au
campement, où un grand festin fut organisé194.
Plus tard, le journal rapporte qu’une maladie ayant décimé les chevaux s’est
propagée à la population fragilisée de la réserve195.
Malgré l’aggravation de la crise, le Dominion ne débloque pas un sou
de plus pour y remédier. Au contraire, face à l’opposition libérale qui conteste
l’assistance offerte aux Indiens, la qualifiant de « dilapidation de fonds
publics », le gouvernement restreint plus encore les sommes consacrées au
soutien des régions affamées196. Sir Leonard Tilley, ministre des Finances,
résume en quelques mots la nouvelle politique : « Soit ils travaillent, soit ils
auront faim197. » À l’hiver 1881, Dewdney, qui ne s’est jamais réellement
intéressé à l’administration des populations autochtones198, transfère la
gestion des Affaires indiennes dans l’Ouest à Hayter Reed, major de brigade
et adjudant des forces armées canadiennes. Reed reçoit ses instructions : il

191. Lux, Medicine that Walks, p. 36.


192. Saskatchewan Herald, 25 avril 1881, p. 1.
193. CDS, 1882, Rapport du département des Affaires des Sauvages, extrait du rapport de Humboldt,
18 novembre 1881, p. xiii.
194. Saskatchewan Herald, 4 juillet 1881, p. 1.
195. Ibid., 31 décembre 1881, p. 1. La gale humaine est une maladie transmise par un acarien. Clayton
L. Thomas (dir.), Taber’s Cyclopedic Medical Dictionary – 16th ed., Philadelphie : F.  A.  Davis
Company, 1989, p. 1079. L’épidémie de gale animale qui frappe les quelques chevaux restant aux
Indiens persiste au moins jusqu’à l’été 1882 ; le chef cri Mistawasis supplie alors le gouverneur
général de venir en aide à ses gens, car leurs chevaux ont été échangés contre de la nourriture ou sont
morts de maladie. McPherson, The Battlefords, p. 68.
196. Larmour, Edgar Dewdney, p. 35-37.
197. Dyck, The Administration of Federal Indian Aid in the Northwest Territories, p. 42.
198. Titley, The Frontier World of Edgar Dewdney, p. 47-49 ; Larmour, Edgar Dewdney, p. 31-32.
7  T raités , famines et nouvelles épidémies , 1877-1882 219

doit « user de sa discrétion à l’égard de la distribution de vivres » tout en


« faisant preuve de la plus grande économie199 ». Il privilégiera manifeste-
ment ce deuxième objectif200.
Pour saper la résistance grandissante des populations signataires de
traités, les provisions sont distribuées uniquement aux groupes installés dans
leurs réserves. L’instructeur agricole D. L. Clink, qui applique « avec un zèle
incomparable201 » la politique du travail contre nourriture, se fait menacer
d’un couteau lors d’une dispute qui l’oppose aux bandes de Thunderchild et
de Moosomin202. Constatant l’intensification des tensions, Dewdney adoucit
temporairement les règles encadrant l’assistance gouvernementale203. En
juin 1881, le ministère des Affaires indiennes impose une nouvelle mesure :
il est maintenant interdit aux habitants des réserves de « vendre, troquer,
échanger ou donner à aucune personne ou personnes quelconques, des grains
ou plantes-racines ou autres produits récoltés sur une réserve de Sauvages
dans les Territoires du Nord-Ouest204 ». Si l’objectif premier de cette décision
est de garantir que les collectivités conservent les produits alimentaires
qu’elles cultivent pour leur propre consommation, elle a aussi pour effet
d’empêcher les agriculteurs des réserves de s’intégrer à l’économie commer-
ciale de la région.
À l’été 1881, le Dominion lui ayant refusé son assistance, Sitting Bull
repart aux États-Unis. Des deux côtés de la frontière, les autorités peuvent
maintenant ordonner aux bandes de s’installer sur les terres qui leur sont assi-
gnées, et administrer ainsi plus facilement ces populations assujetties. Le plus
important de ces déplacements forcés se produit dans la foulée du projet
ferroviaire du Canadien Pacifique dans le sud des prairies : les collectivités qui
avaient choisi d’établir leurs réserves dans les Cypress Hills en sont expulsées
pour faire place aux rails. Le 1er janvier 1882, le chef cri Poundmaker constate
que la voie ferrée scellera le sort de son peuple : « L’été prochain, au plus tard
à l’automne, le chemin de fer arrivera ici ; les Blancs peupleront notre pays et
nous dicteront leurs conditions205. » En quelques mois, la prédiction de

199. Robert Nestor, Hayter Reed, Severalty, and the Subdivision of Indian Reserves on the Canadian Prairies
(mémoire de maîtrise), University of Regina, 1998, p. 33.
200. CDS, 1882, Hayter Reed, Rapport du surintendant général des affaires des Sauvages, Battleford,
9 juillet 1881, p. xviii.
201. Looy, The Indian Agent and His Role in the Administration of the Northwest Superintendency, p. 94.
202. McPherson, The Battlefords, p. 71.
203. Tobias, « Canada’s Subjugation of the Plains Cree », p. 528-529.
204. Beal, Money, Markets, and Economic Development in Saskatchewan Indian Reserve Communities,
1870–1930s, p. 145 (également dans : Actes du Parlement de la puissance du Canada, 1891, vol. 1,
« Actes publics généraux », p. lxxxvi).
205. McPherson, The Battlefords, p. 69.
220 L a destruction des I ndiens des P laines

Poundmaker se concrétise sous la forme d’une politique gouvernementale. Le


24 mars 1882, le premier ministre annonce au Parlement que tous les Indiens
devront quitter le territoire d’Assiniboia au sud du tracé ferroviaire prévu, de
force s’il le faut206. En un an, 5 000 personnes sont évincées des Cypress Hills.
En vidant ces terres de leurs populations autochtones, le gouvernement cana-
dien procède à rien de moins que le nettoyage ethnique du sud-ouest de la
Saskatchewan207. Du ton cynique qui lui est coutumier, le Saskatchewan
Herald assimile cette expulsion à une « grande marche vers le banquet gouver-
nemental du Nord208 ». Dès qu’il est convenu de faire passer les rails du CP
par le sud, les autorités resserrent encore la distribution des vivres de manière
à soumettre les Premières Nations à ce projet gouvernemental. « Nous ne
pouvons les laisser mourir de faim, résume le premier ministre. [Les agents]
font tout leur possible, pour réduire les dépenses, en refusant aux Sauvages des
provisions jusqu’à ce qu’ils soient sur le bord de la détresse209. »
L’éviction des bandes hors des réserves qu’elles ont choisies dans les
collines boisées des Cypress Hills répond à deux objectifs gouvernementaux
connexes : ouvrir les terres longeant la voie ferrée à la colonisation européenne,
mais aussi éviter que la présence d’une importante population autochtone
dans la région n’entrave l’économie agricole que le gouvernement souhaite
implanter. Big Bear s’est toujours imposé comme le plus déterminé des
réfractaires cris ; à la fin de l’année 1882, il finit par adhérer au Traité n° 6 en
échange de vivres pour sa bande dévastée par la faim. Revenu des États-Unis
en 1881, le groupe survit de peine et de misère dans les Cypress Hills depuis
un an. À l’automne 1882, Augustus Jukes, médecin de la police, écrit à
Dewdney : « Ils vivent dans une indigence et une misère effroyables, difficiles
à imaginer. » Les approvisionnements alimentaires sont délibérément retardés
jusqu’à ce que le chef capitule, le 8 décembre 1882210.
Big Bear constituait l’un des tout derniers obstacles à l’expansion. À
l’exception de la petite bande de Foremost Man (Homme-Éminent), tous les
Cris vivent maintenant dans des réserves. En janvier 1883, les travailleurs du
CP arrivent en vue des Cypress Hills. La même année, les rails atteignent

206. McQuillan, « Creation of Indian Reserves on the Canadian Prairies », p. 385.


207. À l’exception des Dakotas de Wood Mountain, qui vivent près de la frontière internationale, la
réserve de Nekaneet, près de Maple Creek, est la seule qui soit établie dans le sud-ouest de la
Saskatchewan. La petite collectivité crie a obtenu le statut de réserve en 1913. David Lee, « Foremost
Man and His Band », Saskatchewan History, 36, 1983, p. 100.
208. Saskatchewan Herald, 27 mai 1882, p. 2 ; 24 juin 1882, p. 1.
209. Lux, Medicine that Walks, p. 69-70.
210. Hugh Dempsey, Big Bear : The End of Freedom, Vancouver : Douglas and McIntyre, 1984,
p. 109-111.
7  T raités , famines et nouvelles épidémies , 1877-1882 221

Medicine Hat et ouvrent les marchés de l’Est aux éleveurs de l’Ouest. Pour
stabiliser la nouvelle configuration du peuplement dans la région, Fort Walsh
est fermé : jusqu’à la construction du chemin de fer, il constituait le siège des
autorités canadiennes, mais aussi le principal centre de distribution de
provisions pendant la famine dans le sud-ouest. Hormis un bref épisode de
résistance armée au printemps 1885, les Premières Nations des Plaines sont
complètement « pacifiées » au début de l’année  1883. Reed continue de
freiner l’acheminement de l’aide, alimentaire et autre, aux populations des
réserves des Plaines.
Au début des années 1880, la tuberculose représente la principale cause
de morbidité et de mortalité chez les Autochtones des Plaines. Depuis des
années, ces populations sont ravagées par la malnutrition ou la famine avérée.
Leurs défenses immunitaires étant affaissées, l’infection latente à M. tubercu-
losis, la zoonose à M. bovis, et probablement les deux à la fois, explosent en
épidémies foudroyantes. Aux négociations de Carlton, les Cris savaient déjà
que la disparition du bison aurait des répercussions majeures sur leur condi-
tion sanitaire. Leurs négociateurs ont alors réussi à faire intégrer les clauses de
secours en cas de famine au texte du Traité n° 6. Ayant pourtant accepté cette
obligation de nourrir les affamés en période de crise, le Canada renie cet
engagement par la suite ou utilise les secours alimentaires pour écarter de son
chemin des peuples qui, moins de 10 ans plus tôt, régnaient encore sur les
Plaines. La politique de la famine du Dominion ne provoque pas seulement
leur assujettissement ; elle les jette aussi dans les griffes de la tuberculose,
exténués par des années de privations et de souffrances.
Il convient toutefois de relever une exception, unique mais tout à fait
remarquable, à ce cycle infernal de pauvreté, de famine et d’épidémie tuber-
culeuse. Elle montre que, contrairement aux flambées varioliques qui ont
décimé les générations précédentes, les maladies qui dévastent maintenant
les Plaines ne s’expliquent pas uniquement par des phénomènes biologiques.
Alors que les maladies contagieuses aiguës frappent souvent sans discerne-
ment et déferlent alors en vagues, la tuberculose émerge à la faveur de condi-
tions environnementales bien précises et reste alors très localisée211. Au
début des années 1880, tandis que la dislocation économique, la famine et
la tuberculose causaient des ravages terribles chez les Indiens signataires de

211. Cette observation illustre bien l’impact localisé de la tuberculose : dans les années 1920, le taux de
mortalité tuberculeuse dans la vallée de la Qu’Appelle était 20 fois plus élevé chez les Indiens signa-
taires de traités que dans la population euro-canadienne. R. G. Ferguson, Tuberculosis among the
Indians of the Great Canadians Plains : Preliminary Report of an Investigation Being Carried Out by the
National Research Council of Canada, Londres : Adlard and Son, 1929, p. 45.
222 L a destruction des I ndiens des P laines

traités, les Dakotas du Canada restent relativement épargnés. Aujourd’hui,


les Dakotas sont à juste titre considérés comme un peuple frontalier riche
d’une longue histoire au nord du 49e parallèle212. Au 19e siècle, ils étaient
toutefois tenus pour des immigrants ou des réfugiés en provenance des
États-Unis. À ce titre, ils n’étaient pas soumis à la même réglementation que
les groupes engagés dans la négociation d’un traité. Les groupes dakotas
établis au Manitoba et dans l’est de la Saskatchewan ont obtenu le statut de
réserve. Cependant, « puisque la colonisation cesse de progresser au début
des années 1870, le gouvernement [les] oublie très vite213 ». Avant de fuir les
États-Unis au début des années 1860, la plupart des exilés en provenance du
Minnesota, par exemple les Sissetons du chef Standing Buffalo (Bison-
Debout), ont connu la misère, la faim et la tuberculose214. Les Dakotas qui
s’établissent au Canada pratiquent l’agriculture depuis le début du 19e siècle.
Ils sont donc très indépendants du point de vue économique et n’ont guère
besoin de l’aide du Dominion215.
En 1879, alors que la faim torture les populations signataires des Plaines,
r
le D  Hagarty constate avec agacement que les Dakotas installés entre Portage
la Prairie et Fort Qu’Appelle n’ont jamais le temps de se faire vacciner, étant
constamment retenus par leur travail ou par la chasse216. La plupart des
adultes de la réserve d’Ewack (Enoch) sont à l’emploi des colons et entre-
tiennent de florissantes plantations217. Dans son étude des groupes dakotas de
l’ouest du Manitoba, Elias souligne : « Ceux du front pionnier étaient proba-
blement aussi prospères que leurs voisins blancs218. » Certes, les Dakotas du
Canada ont connu l’adversité et n’étaient pas à l’abri des maladies contagieuses
aiguës. Néanmoins, leur histoire économique et médicale ne se compare en

212. David McCrady, Living with Strangers : The Nineteenth-Century Sioux and the Canadian–American
Borderlands (thèse de doctorat), University of Manitoba, 1998, p. 1.
213. Peter Douglas Elias, The Dakota of the Canadian Northwest : Lessons for Survival, Winnipeg : Univer-
sity of Manitoba Press, 1988, p. 57.
214. Mark Diedrich, The Odyssey of Chief Standing Buffalo and the Northern Sisseton Sioux, Minneapolis :
Coyote Books, 1988, p. 37. Dans son étude sur la tuberculose chez les Indiens signataires de la
vallée de la Qu’Appelle, R. G. Ferguson avance que la bande a peut-être introduit la maladie dans la
région. Voir : « A Study of the Epidemiology in a Primitive People », Edinburgh Medical Journal, 36,
1929, p. 204-205. Ferguson fonde ses conclusions sur des données démographiques recueillies dans
les registres des versements des annuités du ministère des Affaires indiennes. Puisque les Dakotas
n’avaient pas signé de traité, ils ne recevaient pas d’annuités et n’ont par conséquent pas été pris en
considération dans cette étude.
215. Elias, The Dakota of the Canadian Northwest, p. 57.
216. BAC, RG 10, bobine C-10119, vol. 3678, dossier 11683. Le 7 janvier 1879, le médecin rapporte
que les hommes étaient engagés pour couper du bois tandis que les femmes « prenaient en charge
une grande besogne dans les maisons des colons ».
217. Ibid., 8 septembre 1879.
218. Elias, The Dakota of the Canadian Northwest, p. 56-57.
7  T raités , famines et nouvelles épidémies , 1877-1882 223

rien à la détérioration soudaine et brutale des conditions de vie de la plupart


des signataires de traités dans les années 1880. Alors que la faim et l’humilia-
tion accablent leurs voisins signataires, les Dakotas Sissetons de Standing
Buffalo sont à la fin des années 1880 « complètement indépendants de l’aide
gouvernementale et ont pu maintenir cette situation pendant presque une
génération219 ». Plusieurs raisons expliquent la « déviance positive220 » des
Dakotas par rapport au déclin rapide des populations signataires.
Les Sissetons pratiquent l’agriculture au Minnesota dès le début du
e
19  siècle. Par rapport aux groupes qui ont vécu du bison jusqu’à l’extinction
des hardes, à la fin des années 1870, leurs connaissances agricoles leur
procurent un avantage indéniable. Le bison ne constituant pas la base de
son alimentation, la collectivité de Standing Buffalo n’a pas besoin de rations
alimentaires gouvernementales quand les hardes disparaissent. Agriculteurs
chevronnés, les Dakotas n’ont par ailleurs aucune difficulté à trouver de l’em-
ploi dans les communautés émergentes des Territoires du Nord-Ouest. Mais
surtout, ils peuvent évoluer de manière autonome et déployer des stratégies
économiques hors des contraintes systémiques qui pèsent sur les groupes
ayant conclu des ententes avec la Couronne. Les communautés autochtones
signataires étaient convaincues que l’État les protégerait de la famine et du
désastre socio-économique. En moins de 10 ans, pourtant, cette « protec-
tion » que les traités leur garantissent s’est transformée en une arme avec
laquelle l’État les réduit en soumission. L’explosion de la tuberculose procure
une mesure exacte de l’oppression exercée par le Dominion sur la population
autochtone des prairies. Si les Dakotas ne succombent pas à l’épidémie du
début des années 1880, c’est qu’ils conservent une très grande indépendance
par rapport à l’administration dévastatrice du ministère des Affaires indiennes
et qu’ils peuvent participer librement à l’économie commerciale de la région ;
en d’autres termes, ils ne sont pas assujettis aux traités.

219. Ibid., p. 155.


220. Élaboré dans le domaine de la nutrition, le concept de « déviance positive » explique les
comportements efficaces des individus sains vivant au milieu de populations affaiblies et démunies.
Daschuk, Hackett et MacNeil, « Treaties and Tuberculosis », p. 307-330.
Chapitre 8

Les politiques d’assistance


du Dominion, 1883-1885

E n 1883, les nouvelles réalités économiques et politiques qui se consti-


tuent dans l’Ouest redéfinissent en profondeur l’état de santé des
populations autochtones signataires de traités. À l’exception de quelques
réfractaires, « tous les Autochtones ou presque » vivent maintenant dans
des réserves1. Le gouvernement assume sans complexes son recours à la
famine pour achever leur processus de confinement dans les terres réservées.
Les conservateurs resserrent aussi leur emprise sur la police : craignant que
la fermeture de Fort Walsh n’aggrave la famine, elle s’y est vivement
opposée à l’automne 1882. Lawrence Vankoughnet, le plus haut fonction-
naire du ministère des Affaires indiennes (MAI) d’Ottawa, glissait alors à
l’oreille du premier ministre que les policiers ne pensaient qu’à leurs
propres intérêts2. De son côté, la police soutenait que le fort s’avérait indis-
pensable pour assurer la protection des travailleurs ferroviaires et parer à
toute éventualité en cas de soulèvement, mais elle insistait également sur
« l’importance de tenir nos engagements envers les Indiens3 ». En

1. En 1883, 91 pour cent des Indiens signataires du Traité n° 4 vivent dans des réserves. La bande de
Foremost Man représente les trois quarts des absents de cette statistiques. Dans les districts de
Battleford et Carlton, plus de 98 pour cent des signataires sont établis dans les réserves qui leur ont
été assignées. Bien qu’elle figure sur la liste des groupes sédentarisés, la bande de Big Bear restera
nomade jusqu’en  1885. Carl Beal, Money, Markets, and Economic Development in Saskatchewan
Indian Reserve Communities, 1870–1930s (thèse de doctorat), University of Manitoba, 1994,
p. 126-27.
2. BAC, MG 26, Documents de John A. Macdonald, Vankoughnet to Macdonald, 2 November 1882.
3. Glenbow Archives, M 320, Dewdney Papers, série 10, Fred White to Edgar Dewdney, 29 August 1882,
p. 737-741.
226 L a destruction des I ndiens des P laines

octobre  1884, l’administration du corps de police est confiée au MAI4.


Cette réorientation administrative ouvre une nouvelle ère dans les relations
entre la Police à cheval du Nord-Ouest (PCN-O) et les populations
autochtones de la région. Autrefois considérés comme les sauveurs des
Indiens de l’Ouest, les policiers doivent maintenant endosser un rôle plus
ambigu en se faisant aussi les agents de leur assujettissement.
La stratégie mise en œuvre par Macdonald pour affamer les Indiens
réfractaires et les contraindre à la soumission et aux réserves était sans doute
cruelle ; elle ne s’en révèle pas moins remarquablement efficace. Quelques
escarmouches mises à part, la construction du réseau ferroviaire du Canadien
Pacifique à l’ouest de Swift Current se poursuit sans encombre. Le premier
train arrive à Calgary en  août  1883, reliant l’ouest des Plaines à l’est du
Canada et au reste du monde. Il faudra encore deux ans pour compléter le
chemin de fer qui traversera le Canada, mais déjà, les voyageurs peuvent
quitter l’Atlantique et apercevoir les Rocheuses sans jamais renoncer au
confort d’un compartiment ferroviaire. L’arrivée du rail à Calgary signe
l’achèvement des infrastructures indispensables à la colonisation pleine et
entière des prairies. Elle constitue aussi le point d’orgue d’une série
d’innovations techniques qui révolutionnent les transports dans la région
depuis 1870.
Peu après la cession de la Terre de Rupert au Canada en 1870, la
Compagnie de la Baie d’Hudson (CBH) lance des bateaux à vapeur sur les
voies navigables les plus importantes de l’Ouest. Ces navires permettent
d’importer une quantité de marchandises sans précédent dans la région ; très
vite, ils condamnent à l’obsolescence les routes commerciales plusieurs fois
séculaires de la baie d’Hudson. Cependant, aussi imposante soit-elle, la flotte
de la CBH ne se compare en rien au réseau commercial américain qui
conquiert peu à peu les Plaines canadiennes. Au sud du 49e  parallèle, les
marchands relient leur réseau de navires à vapeur du Missouri, déjà bien
rodé, aux voies ferroviaires qui parcourent l’est du continent. Propulsée par
sa position stratégique de port fluvial le plus occidental du réseau, la ville de
Fort Benton, dans le Montana, n’est plus la bourgade turbulente, mais
modeste, qui a fleuri à l’époque du Whoop-Up. L’extermination du bison
ouvre aux marchands de Fort Benton des possibilités commerciales très

4. John Peter Turner, The North-West Mounted Police, Ottawa : King’s Printer, 1950, vol. 2, p. 31 ; Jim
Wallace, A Double Duty : The Decisive First Decade of the North West Mounted Police, Winnipeg :
Bunker to Bunker Books, 1997, p. 244.
8  L es politiques d ’ assistance du D ominion , 1883-1885 227

Le magasin de l’entreprise I. G. Baker and Company, Fort Macleod (Alberta), 1879. Glenbow
Archives, NA-98-24.

supérieures à la vente de whisky d’antan5. Des deux côtés de la frontière


internationale, les livraisons de produits alimentaires et autres aux popula-
tions des réserves et aux fonctionnaires qui en sont « responsables » explosent.
À elle seule, l’aide alimentaire fournie aux bandes signataires du Canada
passe de 157 572 $ en 1880 à 607 235 $ deux ans plus tard6. De 1882 à 1885,
les dépenses du MAI au Manitoba et dans les Territoires du Nord-Ouest
s’élèvent à plus d’un million de dollars par an. Jusqu’à l’essor du capitalisme
agricole, ce sont les contrats d’approvisionnements du Dominion qui consti-
tuent le véritable moteur de l’économie commerciale de l’Ouest. Des millions
de dollars s’engouffrent ainsi dans les poches des fournisseurs ; des tonnes de
vivres et autres marchandises s’entassent dans les entrepôts du gouvernement.
La souffrance continue pourtant de ravager les populations des réserves,
toujours aussi mal nourries et de plus en plus malades.

5. Paul Sharp, « Merchant Princes of the Plains », Montana : The Magazine of (Western) History,  5,
1955, p. 6.
6. Beal, Money, Markets, and Economic Development in Saskatchewan Indian Reserve Communities,
p. 130-140.
228 L a destruction des I ndiens des P laines

Dans la décennie qui sépare l’arrivée de la PCN-O dans la région et


l’achèvement des voies ferroviaires du CP, une seule entreprise accapare
l’essentiel des approvisionnements gouvernementaux dans l’Ouest canadien :
la I.  G. Baker and Company, de Fort Benton7. Quand l’effervescence
commerciale du Whoop-Up s’évanouit, elle s’adapte très vite aux nouvelles
réalités de l’Ouest. En 1874, les frères William et Charles Conrad achètent
l’entreprise à son fondateur, Isaac Baker. En moins de 10 ans, leur sens aigu
des affaires transforme Fort Benton : autrefois débit de boissons, et plus
particu­lièrement de whisky, à ciel ouvert, la ville devient une véritable
« métropole commerciale », le cœur d’un réseau qui s’étend depuis le Grand
lac des Esclaves jusqu’à la Nouvelle-Orléans, New York, Londres et Saint-
Pétersbourg. Étonnamment, ce n’est pas la demande croissante des nouveaux
arrivants établis à la frontière de la colonisation qui alimente cet extraordinaire
essor. La métamorphose de cette modeste entreprise en une transnationale
d’envergure dominant tout le commerce dans l’Ouest canadien se produit
avant que l’immigration n’ait réellement pris son envol dans cette région. La
Baker était déjà un fournisseur majeur du gouvernement des États-Unis,
mais ce sont les contrats du Dominion qui rendront les frères Conrad vrai­
ment richissimes.
La Baker commence à tisser des liens avec le gouvernement du Domi-
nion au moment où le commerce du whisky s’étiole. À l’été 1874, quand les
policiers parcourent les Plaines pour mettre un terme aux ventes illégales
d’alcool, ce sont ses employés qui leur procurent le matériel dont ils ont
besoin pour faire respecter la loi. L’entreprise ouvre des magasins à proximité
des postes de police et fournit très souvent les matériaux de leur construction.
Au total, un tiers des dépenses du Dominion consacrées aux forces policières
finit dans les poches de la Baker8. La signature du Traité  n°  7 rapporte à
l’entreprise 40 000 $ en contrats d’approvisionnements9. Jusqu’en 1882, les
annuités remises aux Autochtones dans le sud de l’Alberta leur sont versées
en devises des États-Unis10. La disparition du bison constitue pour l’entre-
prise une formidable occasion d’accroître ses activités ainsi que son chiffre

7. Sharp, « Merchant Princes of the Plains », p. 5-7. Son siège social a été transféré à St. Louis en 1874.
8. Paul Sharp, Whoop-Up Country : The Canadian–American West, 1865–1885, Norman : University of
Oklahoma Press, 1973, p. 222.
9. Alan Wilson, « Introduction », dans : Hartwell Bowsfield (dir.), The Letters of Charles John Brydges,
1879–1882, Hudson’s Bay Company Land Commissioner, Winnipeg : Hudson’s Bay Record Society,
1977, p. xxxiv.
10. Cecil Denny, The Law Marches West, Toronto : J. M. Dent and Sons, 1972, p.  190-191. À
l’achèvement du chemin de fer, les agents des Indiens recevaient des planches non découpées de
billets de un dollar pour le versement au comptant des sommes prévues en vertu des traités.
8  L es politiques d ’ assistance du D ominion , 1883-1885 229

d’affaires. En 1878, la première année de famine généralisée, la Baker expédie


pour 2,5  millions de dollars de marchandises depuis Fort Benton. Pour
affermir sa mainmise dans la région, l’entreprise « exerce une influence poli-
tique qui s’étend d’Helena jusqu’à Washington et de Regina jusqu’à
Ottawa11 ».
L’arrivée de la Baker au Canada relègue vite au rang d’anachronisme la
Compagnie de la Baie d’Hudson dans le territoire où elle a pourtant régné
sans partage. La CBH n’a tout simplement pas les moyens de concurrencer la
Baker pour l’obtention des contrats gouvernementaux. À partir de  1880,
la Baker affronte ouvertement la CBH sur son propre terrain en ouvrant des
magasins aux quatre coins des Plaines canadiennes. La vénérable Compagnie,
désormais réduite à l’humilité, est même très souvent contrainte de s’appro-
visionner auprès du titan qui causera sa perte12. Le succès de l’entreprise
américaine s’explique par la mise en œuvre de pratiques de gestion particuliè-
rement astucieuses. Structurée en transnationale, la Baker évite de payer les
lourds droits de douane qui grèvent les importations en achetant la plupart
de ses marchandises à Montréal et en les expédiant dans le Nord-Ouest via
Duluth et Bismarck, puis par ses propres navires à vapeur jusqu’à Fort
Benton13. Dès l’imposition de droits sur les biens importés, en 1876, l’entre-
prise a adopté la stratégie des cargaisons « sous douane » : elle permet aux
marchands de Fort Benton de vendre dans tout l’ouest du Canada moins
cher que la CBH14. Dans les années qui suivent la conclusion des traités, la
Baker exerce une emprise absolument stupéfiante sur l’économie commerciale
de l’Ouest. En plus des contrats gouvernementaux, les Conrad fournissent
aux éleveurs de l’Alberta une bonne partie des marchandises dont ils ont
besoin15. Même si les démarches personnelles se multiplient à Ottawa, que
des copies des soumissions retenues de la Baker circulent abondamment et
que le premier ministre lui-même affirme régulièrement vouloir « contraindre

11. Sharp, « Merchant Princes of the Plains », p. 8.


12. « C. J. Brydges to William Armit, 28 September 1882 », dans : Bowsfield (dir.), The Letters of Charles
John Brydges, p.  202. Au moins une fois, Brydges doit lui-même acheter sa nourriture dans un
magasin Baker de Fort Ellice « parce que nous n’avons plus rien ». « C.J. Brydges to Eden Colville,
29 August 1881 », dans : Ibid., p. 264.
13. « Brydges to Armit, 28 September 1882 », dans : Ibid., p. 267. L’extraordinaire ascension de la Baker
s’explique en grande partie par sa capacité à comprimer ses coûts de transport. L’acheminement de
ses marchandises depuis Montréal jusqu’à Calgary lui revenait à cinq cents et demi la livre, alors que
la CBH payait trois cents la livre de transport entre Edmonton et Calgary, une distance de seulement
300 kilomètres.
14. Sharp, « Merchant Princes of the Plains », p. 12.
15. L. V. Kelly, The Range Men : The Story of the Ranchers and Indians of Alberta, Toronto : Coles, 1980,
p. 142.
230 L a destruction des I ndiens des P laines

Convoi de bœufs de l’entreprise I. G. Baker and Company devant le magasin Murphy, Neel
and Company, Fort Benton (Montana), vers les années 1870. Glenbow Archives, NA-98-23.

la Baker à fermer boutique », la vénérable Compagnie ne réussira jamais à


obtenir quelque contrat d’importance que ce soit dans l’Ouest avant l’achè-
vement des voies ferroviaires du CP16.
Plusieurs facteurs empêchent la CBH de s’imposer face au capitalisme
pionnier de la Baker. Le gouverneur et le comité qui administrent la Compa-
gnie ne montrent aucun empressement à risquer les capitaux nécessaires pour
honorer les contrats d’approvisionnements du Dominion17. S’il répond bien
aux exigences de l’économie de la traite des fourrures depuis deux cents ans,
le réseau d’approvisionnement de la CBH s’avère incapable d’acheminer les
quantités de marchandises dont le Dominion a besoin dans l’Ouest.18
L’expansion commerciale et l’imprévisibilité de la rivière Saskatchewan
­

16. « Brydges to Colville, 6 May 1881 », dans : Bowsfield (dir.), The Letters of Charles John Brydges,
p. 157.
17. « Brydges to Armit, 8 January 1880 », ibid., p.  46n3. Voir également : « Brydges to Armit,
12 May 1881 », ibid., p. 162.
18. « Brydges to Armit, 28 September 1882 », ibid., p. 265.
8  L es politiques d ’ assistance du D ominion , 1883-1885 231

débordent rapidement les capacités de sa flotte de navires à vapeur. La CBH


a besoin d’eaux libres pour acheminer ses marchandises ; or, la rivière est
souvent trop peu profonde ou trop tumultueuse pour que les bateaux puissent
y circuler, même avec un faible tirant d’eau. Pour lever les obstacles à la circu-
lation des grands navires, il faudrait investir des sommes gigantesques19. À
l’ouest de Cumberland House, les changements hydrographiques qui
marquent le début des années 1880 creusent un nouveau lit dans les basses-
terres de la Saskatchewan et contraignent les vapeurs à frayer leur chemin
dans des eaux encore mal cartographiées. À l’hiver 1882-1883, 500 tonnes de
fret destinées aux colonies de l’Ouest et au ministère des Affaires indiennes
restent ainsi bloquées à Cumberland House. Or, il s’agissait pour l’essentiel
de produits périssables. En mai 1883, le Northcote livre aux représentants du
MAI à Battleford et à Fort Pitt 3 600 sacs de farine qui sont restés entreposés
tout l’hiver à Cumberland House20. Dans les saisons de navigation 1883 et
1884, les températures particulièrement froides ralentissent la fonte des
neiges dans les montagnes et empêchent le niveau de l’eau de remonter dans
les rivières. Le 29 août 1883, le vapeur Lily s’échoue dans un mètre d’eau en
aval de Medicine Hat21. Il transportait notamment 50 tonnes de lard desti-
nées à la Saskatchewan Nord. Les registres officiels indiquent que 40 sacs de
lard ont été endommagés par l’eau dans cet accident. Mais surtout, les provi-
sions de porc qui ont pu être récupérées arrivent très tardivement à destina-
tion22. À la mi-octobre, près de deux mois après l’échouement du Lily, le
Saskatchewan Herald signale l’arrivée à Battleford de 200 charrettes destinées
au ministère des Affaires indiennes et « transportant des marchandises qui
auraient dû être acheminées par vapeur23 ». L’insuffisance du niveau d’eau
entrave encore l’activité commerciale de la CBH. À l’automne 1883, la
rivière Saskatchewan s’assèche sur 75 kilomètres24. Au printemps suivant, le
froid perturbe encore l’écoulement des eaux de fonte depuis les régions
montagneuses. À Cumberland House, le capitaine d’un navire à vapeur
souligne qu’il n’a jamais vu la rivière si basse. À la mi-juillet 1884, quand le

19. L’amélioration de la navigation incombait au ministère des Travaux publics du Dominion. Bruce
Peel, Steamboats on the Saskatchewan, Saskatoon : Western Producer Prairie Books, 1972,
p. 111-123.
20. Ibid., p. 124-134. En 1883, le Northcote s’est échoué plusieurs fois et a dû laisser à Pitt 77 tonnes de
marchandises en partance pour Edmonton.
21. Theodore Barris, Fire Canoe : Prairie Steamboat Days Revisited, Toronto : McClelland and Stewart,
1977, p. 70-71. Le navire à vapeur a embarqué sa cargaison à Medicine Hat, au point d’intersection
de la voie ferroviaire et de la rivière Saskatchewan Sud.
22. Peel, Steamboats on the Saskatchewan, p. 140.
23. Saskatchewan Herald, 13 octobre 1883, p. 1.
24. Peel, Steamboats on the Saskatchewan, p. 105-109.
232 L a destruction des I ndiens des P laines

North West jette l’ancre à Edmonton, le Edmonton Bulletin précise que


certaines des marchandises à son bord sont parties de Winnipeg trois ans plus
tôt25. De toute évidence, la CBH ne peut pas compter sur les navires à vapeur
pour livrer dans les délais voulus. Particulièrement dommageables pour les
produits alimentaires, ces retards incessants causent un tort immense à la
réputation de l’entreprise tout au long des années 1880. Mais en les contrai-
gnant à consommer des aliments complètement périmés, à tout le moins très
défraîchis, les ratés du transport peuvent aussi avoir des conséquences
mortelles pour les populations affamées des réserves.
Contrairement à la CBH, la Baker achemine ses marchandises par voie
de terre depuis Fort Benton jusqu’en Alberta. Lents, mais sûrs, ses convois de
bœufs transportent des quantités considérables à des coûts relativement
modestes. Dans les premiers temps de la famine, même Baker peine à
répondre à l’explosion de la demande alimentaire. Dès avant la célèbre affaire
Bull Elk dans la réserve des Pieds-Noirs (Siksikas), les approvisionnements de
la Baker sont déjà arrivés à épuisement deux fois en novembre 188126. Face
aux rumeurs affirmant que le gouvernement affame volontairement les
Autochtones, Cecil Denny, agent des Indiens, promet qu’il maintiendra des
« approvisionnements suffisants » de bœuf et de farine. Cependant, alors
même que le Dominion achète à la Baker d’importantes quantités de
marchandises qui n’étaient pas prévues dans les contrats d’origine, la faim
continue de sévir dans les réserves27. Faisant l’objet d’une majoration de
prix pour livraison urgente, ces commandes additionnelles s’avèrent particu-
lièrement lucratives pour le fournisseur.
La malnutrition, la maladie et la mort persistent dans les réserves.
Dès 1882, pourtant, la pénurie alimentaire n’est plus en cause. Au contraire,
les vivres s’accumulent dans les entrepôts de l’Ouest, mais elles restent
inaccessibles aux affamés. Leur mécontentement à l’égard des autorités du
Dominion s’accroît de jour en jour. Plusieurs facteurs expliquent la persistance
de la malnutrition à grande échelle alors que les aliments stagnent dans les

25. Peel, Steamboats on the Saskatchewan, p. 105-109.


26. Hugh Dempsey, Crowfoot : Chief of the Blackfeet, Norman : University of Oklahoma Press, 1972,
p. 140. Pendant le bras de fer qui oppose la police et les Pieds-Noirs, l’avoine et la farine de l’entrepôt
des vivres sont empilées contre les murs en guise de fortifications. Hugh Dempsey, « The Bull Elk
Affair », Alberta History, 40, 1992, p. 7-8.
27. L’incapacité de la CBH à fournir des marchandises en surcroît de celles qui étaient prévues dans les
appels d’offres annuels initiaux lui a considérablement nui dans l’obtention de contrats
gouvernementaux. À l’inverse, l’entreprise américaine Baker pouvait livrer rapidement des vivres
additionnelles en cas de famine, ce qui lui a valu d’être choisie par les autorités du Dominion.
Wilson, « Introduction », p. lxvi.
8  L es politiques d ’ assistance du D ominion , 1883-1885 233

entrepôts du Dominion jusqu’à devenir impropres à la consommation.


En 1880, le gouvernement Macdonald prend acte du « manque absolu de la
nourriture ordinaire des Sauvages du Nord-Ouest » et réaffirme la « nécessité
de dépenses considérables afin d’empêcher les Sauvages de mourir de faim28. »
Cependant, pour contrer les critiques des libéraux, les conservateurs imposent
des règles très strictes à la distribution des vivres, par exemple la politique de
travail contre nourriture. Le gouvernement Macdonald s’épargne ainsi le
ressac politique d’une famine qui infligerait une mortalité effroyable à la
population autochtone de toute une région. Il se contente toutefois du strict
minimum dans les approvisionnements : les rations permettent à peine aux
Indiens de survivre. Soit qu’ils en ignorent l’existence, soit qu’ils choisissent
de ne pas s’en préoccuper, les responsables de la politique alimentaire ne
tentent rien pour éviter les conséquences désastreuses de la malnutrition
durable et généralisée sur la santé des populations. Pour les électeurs de l’Est,
le lien de cause à effet entre la malnutrition et l’affaissement des défenses
immunitaires, la maladie et la mort était peut-être trop abstrait pour
s’exprimer dans les urnes. Les programmes et politiques d’autosuffisance
alimentaire des Indiens par le développement agricole ont probablement été
conçus, au moins en partie, pour apaiser l’électorat de l’Est.
Ainsi que le soulignent les rapports gouvernementaux du début des
années 1880, l’agriculture dans les réserves commence à produire des résul-
tats29. En 1882, les autorités estiment que la production agricole des terri-
toires réservés aux Indiens a maintenant atteint un niveau suffisant pour
justifier une refonte du programme de fermes modèles. Puisque les
exploitations des réserves répondent aux besoins alimentaires immédiats de la
population, les budgets consacrés aux fermes modèles sont fortement
réduits30. Dès 1884, la vente des surplus agricoles des réserves est devenue

28. Noel E. Dyck, The Administration of Federal Indian Aid in the North-West Territories, 1879–1885
(mémoire de maîtrise), University of Saskatchewan, 1970, p. 39-43.
29. Dans la région du Traité n° 4, la superficie des terres des réserves consacrées à l’agriculture quintuple
entre 1880 et 1884 ; la production de céréales et celle des légumes-racines se multiplient par huit et
trois, respectivement. La population fait plus que tripler sur cette même période. Dans la région du
Traité n° 6, la production céréalière des réserves de Battleford augmente de plus de 600 pour cent et
celle des légumes-racines double dans ces quatre années ; la population des terres réservées augmente
aussi, mais moins que dans la région du Traité n° 4. Beal, Money, Markets, and Economic Develop-
ment in Saskatchewan Indian Reserve Communities, p. 154-155.
30. Les mesures de soutien sont supprimées pour les fermes modèles, mais aussi pour les exploitations
agricoles à main-d’œuvre européenne ; la présence des instructeurs dans les réserves est néanmoins
maintenue. Brian Titley, The Frontier World of Edgar Dewdney, Vancouver : UBC Press, 1999, p. 53 ;
Beal, Money, Markets, and Economic Development in Saskatchewan Indian Reserve Communities,
p. 151.
234 L a destruction des I ndiens des P laines

« habituelle31 ». Devant les avancées constatées dans certaines de ces terres


réservées, le Dominion diminue très rapidement ses mesures d’aide.
Cependant, même les bandes qui ont réalisé des progrès n’ont toujours pas
atteint l’autosuffisance pour autant. En particulier, la production excède
systématiquement les capacités des moulins qui transforment les simples
céréales en aliments consommables. En novembre  1883, le Saskatchewan
Herald décrit les difficultés des agriculteurs des réserves qui ne peuvent pas
consommer leurs récoltes, faute de moulins : « Tant que les Indiens seront
confinés à la production de céréales secondaires, ils resteront à la charge du
Ministère pour la farine. […] Certes, la culture de l’orge et de l’avoine les
préservent peut-être de l’oisiveté, mais elle ne les rapproche nullement de
l’autosuffisance alimentaire32. » Par ailleurs, le ministère des Affaires indiennes
mesure les progrès réalisés au nombre d’acres en culture ; or, ce chiffre ne
témoigne pas forcément des quantités comestibles produites. Dewdney
reconnaît auprès de Macdonald que les terres cultivées, quoique très vastes,
n’ont pas fourni les résultats espérés à l’automne : « Correctement cultivée, la
moitié de cette superficie donnerait probablement de meilleures récoltes »,
conclut-il33. Dans certaines réserves, la chasse et la pêche complètent l’ordi-
naire. Le MAI les encourage, même si elles supposent nécessairement un
délaissement temporaire de l’agriculture, qui reste la priorité du Dominion.
Pour les autorités canadiennes, le confinement des Autochtones en
réserves représente un autre avantage majeur : il lui permet de maintenir son
emprise sur les populations signataires. Dans les premières années de
la  famine, la distribution de produits alimentaires répondait à deux
motifs : l’obligation et la peur34. Une fois les Indiens établis dans les réserves
et devenus dépendants des approvisionnements gouvernementaux, les
autorités peuvent très facilement leur « couper les vivres », au sens littéral du
terme, pour étouffer leurs velléités de protestation35. La correspondance

31. Beal, Money, Markets, and Economic Development in Saskatchewan Indian Reserve Communities,
p. 158.
32. Saskatchewan Herald, 10 novembre 1883, p. 2. Les documents historiques de 1882 indiquent que
des habitants de la réserve souffraient de la faim en dépit d’approvisionnements céréaliers abondants :
la population ne disposait pas de moulin pour transformer le blé en farine. Sarah Carter, Lost
Harvests : Prairie Indian Reserve Farmers and Government Policy, Montréal : McGill-Queen’s
University Press, 1990, p. 99.
33. SAB, John A. Macdonald Papers, bobine  C  1524, Dewdney to Macdonald, 4 February 1885,
p. 193-194.
34. Dyck, The Administration of Federal Indian Aid in the Northwest Territories, p. 32.
35. À l’automne 1882, la bande de Poundmaker est privée de vivres pendant plus de 40 jours. Canada,
Chambre des communes, Débats, 15 avril 1886, p. 738. Les employés du MAI constituent « une
source importante d’information sur les Cris et leurs intentions ». John L. Tobias, « Canada’s Subju-
gation of the Plains Cree, 1879–1885 », Canadian Historical Review, 64, 1983, p. 533.
8  L es politiques d ’ assistance du D ominion , 1883-1885 235

officielle de l’époque et les recherches sur l’histoire des Premières Nations se


sont beaucoup intéressées aux quelques bandes qui ont résisté à la volonté du
Dominion en refusant d’être confinées aux réserves. Dès la fin de l’année
1883, pourtant, quelques centaines de personnes à peine vivent encore en
dehors des terres réservées. Ces réfractaires ne sont en réalité qu’une poignée
en regard de l’écrasante majorité des Autochtones de l’Ouest qui sont
maintenant établis dans les réserves gouvernementales, et souffrent de
manière chronique de la malnutrition et des maladies de la faim.
Les critiques de l’opposition libérale expliquent en bonne partie la
com­pression des dépenses publiques relatives aux Indiens : « Avant la Rébel-
lion de 1885, le gouvernement se faisait surtout reprocher l’extravagance des
sommes dépensées pour nourrir les Autochtones. » En 1880, quand il
annonce les fonds qui seront consacrés aux mesures d’aide, le premier
ministre désamorce d’emblée les attaques de ses adversaires en promettant
d’un côté qu’il évitera la mort aux affamés et en assurant du même souffle à
la Chambre que ses fonctionnaires se montreront « rigides, avares même »
dans la distribution des vivres. Plus tard, pour montrer que son gouvernement
ne dilapide pas inconsidérément les deniers publics en rations alimentaires
pour les Indiens, Macdonald affirmera que les agents « font tout leur possible
pour réduire les dépenses, en refusant aux Sauvages des provisions jusqu’à ce
qu’ils soient sur le bord de la détresse36 ». De fait, tel est bien le quotidien de
milliers d’habitants des réserves. À la fin de l’année 1882, le commissaire aux
Affaires indiennes doit encore comprimer le coût de l’aide. Pendant plusieurs
décennies, les historiens ont attribué ces réductions des dotations du MAI
aux difficultés économiques de l’Est et à la crise budgétaire causée par la
construction du réseau ferroviaire du CP en 1883. En réalité, les réductions
de dépenses avaient commencé presque un an plus tôt. Les budgets
alimentaires gouvernementaux atteignent leur sommet de 607  235 $ en
188237. Dès l’année suivante, les dépenses du Dominion en vivres sont
réduites de plus de 76 000 $ pour descendre à 530 982 $.

36. Jean Larmour, Edgar Dewdney, Commissioner of Indian Affairs and Lieutenant Governor of the North-
West Territories, 1879–1888 (mémoire de maîtrise), University of Saskatchewan, Regina Campus,
1969, p. 35.
37. George F. G. Stanley, The Birth of Western Canada : A History of the Riel Rebellions, Toronto :
University of Toronto Press, 1960, p. 269-270 ; Dyck, The Administration of Federal Indian Aid in
the Northwest Territories, p. 57, 69, 81 ; Maureen Lux, Medicine that Walks : Disease, Medicine, and
Canadian Plains Native People, 1880–1940, Toronto : University of Toronto Press, 2001, p. 42 ;
Beal, Money, Markets, and Economic Development in Saskatchewan Indian Reserve Communities,
p. 140.
236 L a destruction des I ndiens des P laines

Au MAI, le grand orfèvre des compressions budgétaires s’appelle


Lawrence Vankoughnet. Apparenté au premier ministre, il a gravi les échelons
du Ministère jusqu’à en devenir le fonctionnaire le plus haut placé38.
Vankoughnet n’a jamais manœuvré très habilement dans les jeux de pouvoir
qui agitent les coulisses de la bureaucratie à Ottawa. La presse libérale et
certains de ses supérieurs le considèrent même comme un « sot ». Son
acharnement à réduire les dépenses de son ministère constituera néanmoins
l’un des facteurs principaux de la détérioration grandissante des conditions
de vie dans les réserves de l’Ouest39. S’il fait preuve d’un zèle maniaque dans
la tenue de la comptabilité du MAI, Vankoughnet ne sait rien ou presque des
réalités du Nord-Ouest. Son expérience du terrain se résume à une très courte
visite effectuée plusieurs semaines après l’entrée en service du lien ferroviaire
à Calgary. Il refuse d’aller dans les réserves du Traité n° 7 et ne rencontre les
chefs qu’à contrecœur, juste avant de quitter la région, dans les locaux de
l’agence de Fort Macleod40. À Battleford, Vankoughnet annonce une réorien­
tation radicale de la politique du Dominion : désormais, l’assistance sera
réservée aux Indiens « s’ils montrent des dispositions pour se tirer eux-mêmes
d’affaire ». Pratique déjà fort ancienne symbolisant le respect mutuel entre les
parties, la remise de cadeaux est abolie. Différentes mesures sont par ailleurs
implantées pour dissuader les bandes de réclamer des vivres. Tant que les
populations signataires de traités estimeront naturel d’être nourries, « elles
resteront désemparées et démunies et continueront d’être un fardeau finan-
cier pour le pays ainsi qu’une gêne pour leurs voisins ». Le sous-surintendant
Vankoughnet a l’œil sur tout et gère son ministère jusque dans les moindres
détails ; en son absence, rien ne se fait ou presque. Son extrême empresse-
ment à réduire les dépenses s’explique peut-être par ce congé de trois mois et
demi qu’il a pris en début d’année en raison d’un problème de santé ; les
médecins ont diagnostiqué une « perturbation du système nerveux41 ».
Récemment nommé commissaire des Indiens pour le Nord-Ouest,
Hayter Reed est chargé de la mise en application des dispositions budgétaires

38. Douglas Leighton, « A Victorian Civil Servant at Work : Lawrence Vankoughnet and the Canadian
Indian Department, 1873–1893 », dans : Ian A. L. Getty et Antoine Lussier (dir.), As Long as the Sun
Shines and Water Flows : A Reader in Canadian Native Studies, Vancouver : UBC Press, 1983,
p. 104-119.
39. Sandra Gwyn, “A Private Capital” : Love and Ambition in the Age of Macdonald and Laurier, Toronto :
McClelland and Stewart, 1984, p. 128.
40. Denny, The Law Marches West, p. 204 ; Saskatchewan Herald, 29 septembre 1883, p. 2.
41. Leighton, « A Victorian Civil Servant at Work », p. 106-107.
8  L es politiques d ’ assistance du D ominion , 1883-1885 237

conçues par Vankoughnet42. Un observateur de son époque décrit son


approche systématique des attributions qui viennent de lui être confiées :
[Reed] avait calculé avec une admirable précision la quantité de travail qui
pouvait être accomplie avec un attelage de deux bœufs et une charrue en un
temps donné, mais l’Indien s’avérait fort éloigné de tels résultats. Il avait
calculé aussi la quantité minimale de nourriture nécessaire pour survivre,
mais l’Indien restait constamment affamé. L’Indien étant paresseux, il fallait
ne lui octroyer que de maigres vivres ; et s’il tombait malade, le médecin
pouvait bien lui donner des médicaments, mais pas de nourriture43.
Comme d’autres fonctionnaires du temps, Vankoughnet et Reed adoptent
une approche qu’ils jugent rationnelle ; néanmoins, même les rapports qui
leur sont plutôt favorables soulignent que les rations alimentaires sont
maintenant restreintes à l’extrême44. À l’automne et à l’hiver 1883-1884,
la réduction des quantités de vivres distribuées, déjà trop maigres, impose
ainsi un très lourd tribut aux collectivités des terres réservées.
Si les rations calculées par le Dominion permettent à peine de survivre
en temps normal, elles se révèlent nettement insuffisantes en cas d’urgence.
La catastrophe qui frappe la jeune économie agricole de l’Ouest à l’au-
tomne 1883 le prouve. Le 27 août, un volcan entre en éruption dans une île
indonésienne : le réveil du Krakatoa est si violent qu’il fait instantanément
baisser les températures d’environ 0,5 °C sur l’ensemble de la planète45. Le
nuage de cendres et de gaz propulsé par l’éruption bloque la lumière solaire
pendant si longtemps qu’il perturbera le climat planétaire pendant plusieurs
années46. Au Canada, les températures s’effondrent quelques semaines après
l’événement. Début septembre, le gel saccage les cultures en pleine maturation
depuis les prairies jusqu’aux Maritimes47. Au Manitoba, la destruction des
récoltes attise le mécontentement des colons et contribue à la chute du

42. En 1883, Reed accède au deuxième rang hiérarchique du MAI dans le Nord-Ouest avec seulement
deux années d’expérience au Ministère. Robert Nestor, Hayter Reed, Severalty, and the Subdivision of
Indian Reserves on the Canadian Prairies (mémoire de maîtrise), Saskatchewan Indian Federated
College, University of Regina, 1998, p. 33-34.
43. Robert Jefferson, Fifty Years on the Saskatchewan, Battleford : Canadian North-West Historical
Society, 1929, p. 126.
44. Leighton, « A Victorian Civil Servant at Work », p.  107 ; Stanley, The Birth of Western Canada,
p. 270-271.
45. Simon Winchester, Krakatoa : The Day the Earth Exploded : Aug. 27, 1883, New York : HarperCollins,
2003, p. 291.
46. L’éruption du Krakatoa présentait un indice d’explosivité volcanique de 6. K. R. Briffa et al.,
« Influence of Volcanic Eruptions on Northern Hemisphere Summer Temperature over the Past
600 Years », Nature, 393, 1998, p. 451, 453.
47. Gerald Friesen, « Imports and Exports in the Manitoba Economy 1870–1890 », Manitoba History,
16, 1988, p. 39 ; Donald Creighton, John A. Macdonald : le 1er premier ministre du Canada (traduit
238 L a destruction des I ndiens des P laines

marché immobilier de Winnipeg. Le rapport annuel de la ferme Bell, une


grande exploitation agricole industrielle d’Indian Head, en Saskatchewan,
précise : « Le 7 septembre, le gel s’est abattu sur une vaste région qui s’étend
de l’océan Atlantique aux montagnes Rocheuses, et depuis le 40e parallèle
jusqu’aux terres désolées de l’Arctique. Il a tué sur pied tous les légumes déli-
cats ainsi que les céréales et les fruits48. » La gigantesque ferme Bell d’Indian
Head ne s’en relèvera pas. La destruction des cultures pousse également
d’autres collectivités au bord du gouffre. À Saskatoon, l’hiver 1883-1884
s’avère si désastreux que plusieurs personnes entreprennent un périple déses-
péré jusqu’à Batoche pour s’y procurer de la farine et tenter d’échapper à
l’effroyable disette49. Les pénuries alimentaires, et même la famine, frappent
les collectivités établies dans les régions forestières depuis le lac Athabasca
jusqu’à la baie James50. Sur les bords de la rivière Carotte, entre 1883 et 1885,
la CBH fournit des vivres, essentiellement des pommes de terre, aux nécessi-
teux de la montagne du Pas (Pas Mountain) et d’autres collectivités51. Depuis
Le Pas, le missionnaire anglican James Settee constate : « Les temps sont de
plus en plus durs ; les gens chassent leur pitance en toutes directions52. » La
faim, affirme-t-il, constitue la principale cause de l’augmentation du nombre
des cas de maladie dans la région. Déjà durement éprouvées par la malnutri-
tion, et depuis très longtemps, les populations des réserves souffrent sans
doute encore plus effroyablement que les communautés des secteurs boisés.
Le froid déstabilise l’agriculture commerciale dans les prairies et
contribue à la crise financière qui ébranle l’Est. Pourtant, même si
de  nombreuses fermes du Traité n°  4 se trouvent à seulement quelques

de l’anglais par Ivan Steenhout), Montréal : Éditions de l’Homme, 1981, vol. 2 : La naissance d’un
pays incertain, p. 316.
48. Qu’Appelle Valley Farming Company, Annual Meeting of the Qu’Appelle Valley Farming Company,
Limited (president’s report), Winnipeg, 9 janvier 1884, p. 2.
49. B. E. Anderson, « Relief Problem Existed Here in 1883 When William Hunter Drove to Duck Lake
for Flour Supply », Saskatoon Daily Star (coupure de presse, 1932 ?), SAB, Campbell Innes Papers,
A-113, vol. 2, f. 18.
50. Au lac Athabasca, la faim torture si atrocement les populations que des cas de cannibalisme sont
rapportés. Les documents de l’époque indiquent également que la famine touche Rupert’s House
en  1884. SAB, R. G. Ferguson Papers, bobine  R.2.391, Annexe : Scarcity of Food of Northern
Indians, p. 4. À Moose Factory, à cause des étés frais et humides de 1883 et 1884, « toutes les opéra-
tions de jardinage sont anéanties ou presque ». L’épaisseur des glaces retarde par ailleurs l’achemine-
ment des marchandises dans la baie d’Hudson. A.  J.  W.  Catchpole et Irene Hanuta, « Severe
Summer Ice in Hudson Strait and Hudson Bay Following Major Volcanic Eruptions, 1751 to
1889 A.D. », Climatic Change, 14, 1989, p. 72.
51. David Meyer, The Red Earth Crees, 1860–1960 (Mercury Series, Canadian Ethnology Service
Paper 100), Ottawa : National Museum of Man, 1985, p. 169.
52. BAC, MG 17, Records of the Church Missionary Society, microfilm A-112, James Settee, The Pas
(Devon) Journal, 20 February 1884.
8  L es politiques d ’ assistance du D ominion , 1883-1885 239

kilomètres de la grande exploitation Bell, les rapports officiels du MAI ne


mentionnent aucun recul notable de leur production. Il n’est pas exclu que
les bilans agricoles des réserves présentés dans les Documents de la session aient
été falsifiés pour embellir la réalité. Une dizaine de jours seulement après le
gel qui a détruit les récoltes, Macdonald écrit à Dewdney pour lui ordonner
de produire « un rapport exhaustif et favorable sur les progrès réalisés dans les
réserves indiennes : augmentation du volume des cultures et perspectives de
réduction des dépenses ». Le premier ministre s’inquiète de la manière dont
le compte rendu des activités du MAI sera reçu lors de la prochaine session
parlementaire, qui doit s’ouvrir en janvier 1884. Macdonald souligne que le
rapport représente « la question la plus pressante » de la nouvelle session53.
Pour Dewdney, l’avenir politique de son mentor et des conservateurs à
Ottawa passe avant tout. Puisque son patron et son parti exigent un rapport
dithyrambique sur l’évolution du Nord-Ouest, Dewdney le leur procurera ;
et qu’importe que la maladie et la malnutrition déchaînent une mortalité
effroyable dans la plupart des réserves54. Le rapport annuel du MAI daté du
1er  janvier 1884 est en tout point fidèle à la lettre que Macdonald a fait
parvenir à Dewdney :  « [Les] progrès des Sauvages sont en général très
satisfaisants [et] il a été possible au Département de réduire considérablement
dans plusieurs réserves les rations de farine qui étaient distribuées55. »
Dewdney sert avec compétence et loyauté son maître politique en poste
à Ottawa ; néanmoins, parce qu’il connaît les souffrances des populations des
réserves, il oppose une certaine résistance aux dimensions les plus rigoureuses
de la nouvelle politique. Bientôt, le conflit éclate. Dewdney dénonce le plan
de Vankoughnet dans une lettre qu’il adresse au premier ministre : « […] tout
à fait irréaliste et mal avisé, si nous voulons correctement nous acquitter de
notre charge56. » En tant que représentant principal du Dominion dans le
Nord-Ouest, Dewdney obéit avec diligence aux ordres de réduction des
dépenses. Le 17 novembre 1883, Macdonald l’en félicite57. Deux jours plus
tard à peine, Vankoughnet indique toutefois à Dewdney que « le pays » attend
une diminution des coûts ; sinon, « le Ministère et ses représentants seront

53. Glenbow Archives, M 320, Dewdney Papers, série 8, Macdonald to Dewdney, 17 September 1883,
p. 443-444.
54. Lux, Medicine that Walks, p. 40.
55. CDS, John A. Macdonald, Rapport du département des Affaires des Sauvages, 1er janvier 1884, p. x.
56. Stanley, The Birth of Western Canada, p. 272.
57. Glenbow Archives, M 320, Dewdney Papers, série 8, Macdonald to Dewdney, 17 November 1883,
p. 471-472.
240 L a destruction des I ndiens des P laines

l’objet de sérieux reproches58 ». Le fait que Vankoughnet a ordonné la mise


en œuvre de compressions sans le consulter ulcère Dewdney59. Le gouverne-
ment sait qu’il a peu de latitude : d’un côté, il veut continuer d’affamer les
réfractaires pour les contraindre à s’établir dans les réserves ; de l’autre, il veut
éviter que la faim généralisée et la terrible mortalité qu’elle entraîne ne
finissent par provoquer un retentissant scandale dont il paierait le prix au
prochain scrutin. Avant la fermeture définitive de Fort Walsh, Vankoughnet
résume en ces termes la situation politique très périlleuse qui est celle du
gouvernement : « Par souci d’humanité, je crois que nous devrions prendre
toutes les précautions nécessaires pour éviter les conséquences désastreuses
d’une insuffisance des refuges pour ces pauvres créatures ; si nous ne le faisons
pas, nous nous exposons très certainement à ce que l’opinion publique nous
accable d’opprobre60. »
Si le Parlement détermine le budget global des Affaires indiennes, la
manière dont ces sommes doivent être dépensées suscite des remous dans la
structure du Ministère. À la fois lieutenant-gouverneur et commissaire des
Indiens, Dewdney exerce une influence considérable sur l’administration du
Dominion dans la région. Sa capacité d’intervention se trouve toutefois
limitée par Vankoughnet, qui a la main haute sur la comptabilité ministé-
rielle, et dont la réduction des dépenses constitue la priorité absolue. La
concentration des pouvoirs décisionnaires à Ottawa déclenche bientôt une
guerre de pouvoir entre Vankoughnet et Dewdney. À son retour de l’Ouest à
l’automne  1883, Vankoughnet supprime unilatéralement des allocations
budgétaires de 140 000 $ destinées à cette région61. Pour justifier sa décision,
il affirme que le personnel de terrain dépense trop, mais aussi que la corrup-
tion gangrène l’administration des Affaires indiennes dans l’Ouest ; enfin, il
recommande le renvoi de plusieurs employés62. La centralisation des déci-
sions à Ottawa restreint considérablement les pouvoirs discrétionnaires des
fonctionnaires du MAI, y compris ceux du commissaire Dewdney63. Troublé
par les irrégularités que Vankoughnet dénonce dans son rapport, mais aussi
par la piètre qualité des marchandises livrées par I.  G.  Baker, le premier
ministre écrit à Dewdney : « Si l’un de nos agents s’est rendu coupable de

58. Isabel Andrews, The Crooked Lakes Reserves : A Study in Indian Policy in Practice from the Qu’Appelle
Treaty to 1900 (mémoire de maîtrise), University of Regina, 1972, p. 63.
59. Glenbow Archives, M 320, Dewdney Papers, série 8, Macdonald to Dewdney, 8 December 1883,
p. 475-476.
60. Andrews, The Crooked Lakes Reserves, p. 64.
61. Hugh Dempsey, Big Bear : The End of Freedom, Vancouver : Douglas and McIntyre, 1984, p. 121.
62. Titley, The Frontier World of Edgar Dewdney, p. 53-54.
63. Dempsey, Big Bear, p. 121.
8  L es politiques d ’ assistance du D ominion , 1883-1885 241

connivence, ou de négligence dans l’acceptation de marchandises de qualité


inférieure, il doit être relevé de ses fonctions sans autre considération64. »
Bien qu’il soit furieux que des changements aient été apportés au fonc-
tionnement des Affaires indiennes sans qu’il ait été consulté, Dewdney obéit
aux ordres. Il met toutefois les autorités en garde : certaines compressions
budgétaires infligeront des difficultés importantes aux populations des
réserves et aux employés du MAI65. S’il adopte un ton modéré pour répondre
à Macdonald, il lui écrit néanmoins que Vankoughnet a tiré « des conclusions
hâtives66 ». Vankoughnet a rédigé son rapport sans solliciter le point de vue
de Dewdney, et il se montre très réceptif à « l’hypothèse de manipulations et
d’une connivence entre les agents des Indiens et I. G. Baker Co67 ».
L’entreprise du Montana s’impose, de loin, comme le fournisseur le
plus important du Dominion dans le Nord-Ouest ; pour la seule année 1883,
elle facture au gouvernement plus de 327 000 $ en marchandises destinées
aux populations nécessiteuses du Traité n° 768. Dès 1881, Macdonald prend
connaissance des pratiques déloyales de la Baker : l’entreprise verse des
milliers de dollars à ses concurrentes pour les convaincre de retirer les
soumissions plus avantageuses qu’elles ont proposées au gouvernement69. De
hauts dirigeants de la CBH reçoivent l’assurance que le Dominion ne veut
plus que la Baker soit son principal fournisseur dans l’Ouest et qu’il entend
prendre des mesures concrètes en ce sens. Mais en dépit de ces nombreuses
promesses, le gouvernement reconduit les contrats qui le lient à l’entreprise
du Montana : « Je crains fort qu’il y ait dans certains cercles une volonté très
affirmée de maintenir les relations commerciales avec eux, pour des raisons
que l’on peut imaginer », conclut C. J. Brydges70. Le commissaire des Terres
de la CBH laisse entendre que Dewdney, le représentant des autorités
canadiennes le plus puissant du Nord-Ouest, entretiendrait des liens d’intérêt

64. SAB, John A. Macdonald Papers, R-70, Macdonald to Dewdney, 28 November 1883, p. 51.
65. Titley, The Frontier World of Edgar Dewdney, p. 54.
66. Larmour, Edgar Dewdney, Commissioner of Indian Affairs and Lieutenant Governor of the North-West
Territories, p. 60-61.
67. Anthony J. Looy, The Indian Agent and His Role in the Administration of the Northwest Superintendency,
1876–1893 (thèse de doctorat), Queen’s University, 1977, p. 104.
68. Le total des dépenses consacrées au soutien des Indiens indigents du Manitoba et des Territoires du
Nord-Ouest s’élève alors à environ 500 000 $. Canada, Comptes publics du Canada pour l’exercice
terminé le 30 juin 1883, Ottawa : Imprimeur de la Reine, partie III, p. 62.
69. En 1881, un certain « M. Smith » propose de retirer sa soumission moyennant un « dédommage-
ment » de 5 000 $ qui serait remis par la CBH ; la Baker obtient son retrait pour seulement 1 000 $.
La CBH signale alors que les pots-de-vin versés par la Baker à Smith et à une autre entreprise dési-
gnée sous le nom de « Kavanaugh » lui ont permis d’engranger d’importants profits. « Brydges to
Colville, 6 May 1881 », dans : Bowsfield (dir.), The Letters of Charles John Brydges, p. 155-157.
70. « C. J. Brydges to Eden Colville, 2 May 1881 », ibid., p. 153.
242 L a destruction des I ndiens des P laines

Des Pieds-Noirs recevant leurs rations, vers 1883-1884. Glenbow Archives, NA-1033-3.

financier avec la Baker. Il n’est certes pas très étonnant que la CBH accuse sa
principale rivale de malhonnêteté, mais elle n’est pas la seule à s’insurger
contre son hégémonie. Irvine, commissaire adjoint de la PCN-O, souligne
aussi que « des dépenses importantes ont été consenties sans qu’il soit possible
d’en discerner le résultat concret, et notre argent ne contribue qu’à l’essor de
la ville de Benton, aux États-Unis71 ».
Il y a une cinquantaine d’années, dans une étude qu’il consacrait aux
fronts pionniers de l’Alberta et du Montana, l’historien Paul Sharp décrivait
le poids politique des entreprises de Benton à Washington et à Ottawa. Aux
États-Unis, le plus ardent promoteur de leurs intérêts au Congrès est à
l’époque le major Martin Maginnis. En contrepartie du soutien politique et
financier des entreprises qu’il représente, Maginnis leur obtient l’appui du
gouvernement des États-Unis, « qui va même souvent jusqu’à déployer des
soldats de l’armée ou redessiner les limites de réserves indiennes pour
répondre aux désidératas des Princes marchands du nord des Plaines72 ». Au
Canada, la Baker affermit son emprise économique par ses relations

71. Sharp, « Merchant Princes of the Plains », p. 15.


72. Sharp, Whoop-Up Country, p. 221.
8  L es politiques d ’ assistance du D ominion , 1883-1885 243

privilégiées avec Dewdney ; pour rétribution de ses bons services, il se voit


remettre des actions d’une banque de Benton qui engrange des centaines de
milliers de dollars dans des comptes gouvernementaux canadiens. Les
documents historiques montrent clairement que Dewdney a établi des
relations financières en marge de ses attributions professionnelles afin de
s’enrichir. Même si les règles encadrant les conflits d’intérêts restent rares à
son époque, son « opportunisme intéressé » suscite « une indignation crois-
sante face à une corruption manifeste73 ». Dewdney manœuvre par ailleurs
très activement pour que la future capitale de la Saskatchewan soit établie sur
ses propres terres, ouvrant ainsi l’un des chapitres les plus rocambolesques de
l’histoire de Regina. Dewdney avait préalablement tenté d’implanter la capi-
tale près de la ferme Bell, à Indian Head. Actionnaire de l’entreprise, il avait
fait appel à un prête-nom pour acheter des terres autour de l’exploitation
agricole sans éveiller les soupçons du CP74. Hugh, le fils du premier ministre,
comptait au nombre des investisseurs de ce projet, aux côtés de Dewdney et
du dénommé « Eden » ; Macdonald était donc probablement au courant de
l’affaire. En 1879, tandis qu’il s’apprêtait à prendre ses fonctions de commis-
saire des Indiens, Dewdney a passé une semaine à Fort Benton pour y rencon-
trer des représentants de la Baker ; il est tout à fait plausible que ses liens
financiers avec l’entreprise remontent à ce séjour75. Dans ce contexte, la
préservation de ses intérêts financiers constituera peut-être le véritable motif
de la réfutation très vigoureuse qu’il opposera au rapport de Vankoughnet
quatre ans plus tard76.
Très vite, les doutes entourant l’attribution des contrats ou la qualité du
matériel fourni par la Baker sont toutefois éclipsés par des allégations
beaucoup plus graves. Le 6 novembre 1883, le Dr F.‑X. Girard, médecin du
gouvernement dans la région du Traité n° 7, signale que la farine vendue
par  l’entreprise est impropre à la consommation et qu’elle a causé de
nombreux décès. La situation s’avère particulièrement critique à la réserve des
Gens-du-Sang (Kainahs) : en septembre et octobre, sur une période de six

73. Titley, The Frontier World of Edgar Dewdney, p. 143.


74. BAC, MG 26, Documents de John A. Macdonald, microfilm C-1596, Dewdney to Macdonald,
9 August 1882, p. 89718-89719. Dewdney aurait reçu 10 000 $ en actions de la compagnie agricole
Bell. Canada, Chambre des communes, Débats, M. C. Cameron, 15 avril 1886, p. 784.
75. Jean Larmour, « Edgar Dewdney, Indian Commissioner in the Transition Period of Indian
Settlement, 1897–1885 », Saskatchewan History, 33, 1980, p. 14.
76. « M. Dewdney est arrivé dans l’Ouest pauvre comme Job […]. Il a maintenant la réputation de
posséder un demi-million. En tout état de cause, c’est un homme très prospère. Il n’a certes pas
épargné cette somme à même son salaire. D’où la tient-il ? » se demande le Stratford Beacon, un
journal libéral. Cité dans : Dempsey, Big Bear, p. 117.
244 L a destruction des I ndiens des P laines

semaines, au moins 20 personnes y sont mortes77. Ainsi qu’en témoignent les


récits oraux de la région, une grande partie de la population croyait alors
fermement que la farine avait été frelatée, voire délibérément empoisonnée78.
Considérant les tensions et le taux stupéfiant de mortalité dans les réserves, la
méfiance et les soupçons des proches et des descendants des personnes qui
ont succombé aux vivres gouvernementaux n’ont certes rien d’étonnant. En
l’occurrence, toutefois, la farine que le Dr Girard a analysée dans son rapport
n’était probablement ni frelatée ni empoisonnée. Le scandale prenant de
l’ampleur, le gouvernement se voit néanmoins contraint de commander une
enquête scientifique. La farine fournie par I. G. Baker aux réserves du Traité
n° 7 est envoyée à Ottawa. Cette analyse indépendante est probablement la
seule dont les vivres du Dominion aient fait l’objet à l’époque. Ses résultats
embarrassent la Baker ainsi que le gouvernement79. Les documents soumis
au Parlement indiquent que l’entreprise a été payée pour livrer de la « farine
égale en qualité à la superfine n° 1 » dans tout le Nord-Ouest, y compris les
réserves d’où provenaient les échantillons de piètre qualité. Fournisseur de la
Baker, la meunerie A.  W.  Ogilvy et Cie inspecte la farine dans plusieurs
réserves et la juge excellente, mais signale que certains sacs ont été endommagés
par un mauvais entreposage80. En fin de compte, les instances chargées d’étu-
dier les allégations recommandent de retrancher 7 800 $ sur la somme due à
la Baker ; dans le règlement final, l’entreprise obtiendra cependant une réduc-
tion de sa pénalité, qui ne s’établira plus qu’à 2 500 $.
Le Dominion n’est pas au bout de ses peines. Des soupçons de corrup-
tion pèsent également sur la fonction publique du front pionner, aux confins
occidentaux du pays. Les libéraux accusent William Pocklington, l’agent des
Indiens qui a accepté la livraison de farine, d’être soit corrompu, soit incom-
pétent. Le Dr Girard, qui a tiré la sonnette d’alarme, est en définitive le seul
employé du Dominion qui dénonce haut et fort la piètre qualité de la farine.
Jusqu’à la fin de son mandat au MAI, il subira les critiques incessantes du
commissaire Dewdney, qui le houspillera sans relâche en lui reprochant son
« inefficacité81 ». La Baker et le personnel de terrain du MAI sont très souvent
accusés de collusion. En  1881, Edwin Allen, l’agent des Indiens de Fort
Walsh, est renvoyé pour avoir commis des irrégularités dans la gestion des
approvisionnements dans les Cypress Hills. Allen ayant « émis des certificats

77. Canada, Chambre des communes, Débats, M. Paterson, 15 avril 1886, p. 749.


78. Lux, Medicine that Walks, p. 59-60.
79. Canada, Chambre des communes, Débats, 15 avril 1886, p. 749.
80. Ibid., Lettre de A. W. Ogilvy et Cie à I. G. Baker et Cie, 17 mai 1884, p. 751.
81. Lux, Medicine that Walks, p. 143-144.
8  L es politiques d ’ assistance du D ominion , 1883-1885 245

représentant presque le double des quantités de bœuf effectivement livrées »,


Dewdney reçoit l’ordre d’enquêter sur les liens entre la Baker et « les amis
d’Allen82 ». L’investigation établissant qu’il a facturé le Dominion en double,
Allen est congédié ; cette pratique se maintiendra pourtant pendant plusieurs
années, au moins de manière sporadique. Plus tard, « Allen-le-menteur », ainsi
qu’on le surnomme, se joindra au « Gang de Calgary », regroupement inter-
lope s’adonnant à toutes sortes d’affaires véreuses, entre autres les événements
sportifs arrangés83. Les bons de livraison qui sont présentés à la Chambre des
communes montrent que la Baker a facturé deux fois en une même journée
des milliers de livres de viande destinées à la population de la traverse des
Pieds-Noirs (Blackfoot Crossing), en 1883 et 188484. Dans les cinq derniers
mois de 1883, le Dominion se voit facturer 48 744 $ pour du bœuf réputé
avoir été livré à la réserve des Gens-du-Sang, qui compte tout au plus
2200 personnes. Les libéraux reprochent vigoureusement au gouvernement
de ne pas avoir implanté de système de vérification des factures majeures : en
dépit de l’importance de leur montant, elles étaient souvent approuvées par
des employés du bas de la hiérarchie, par exemple des instructeurs agricoles.
M. C. Cameron, le détracteur le plus virulent de la politique indienne conser-
vatrice, dénonce ces pratiques en ces termes : « Si les Sauvages reçoivent des
approvisionnements de qualité inférieure, de la farine ou du lard fumé d’une
qualité plus mauvaise que celle stipulée dans le contrat, il y a fraude au préju-
dice des Sauvages et du gouvernement, et les agents qui ont fourni les appro-
visionnements ont dû se rendre coupables des écarts les plus graves depuis
[trois ou quatre] ans. » Le premier ministre reconnaît que les fournisseurs ont
pu commettre « de temps à autre des fraudes ». Cependant, ajoute-t-il, « on ne
peut pas considérer que ce soit là une fraude au détriment des Sauvages, car ils
[…] vivent simplement de la bienveillance et de la charité du [Dominion], et,
comme le dit un vieil adage, les mendiants ne doivent pas choisir ». ­Macdonald
accuse ensuite les populations des réserves de se procurer des vivres en excé-
dent des quantités que le Dominion a fixées pour elles. Il cite un rapport selon
lequel le nombre des rations distribuées dépasserait le nombre officiel des
habitants de la réserve85. Député conservateur et spéculateur foncier, le Dr C.

82. Larmour, Edgar Dewdney, Commissioner of Indian Affairs and Lieutenant Governor of the North-West
Territories, p. 52-53.
83. Hugh Dempsey, The Amazing Death of Calf Shirt and other Blackfoot Stories : Three Hundred Years of
Blackfoot History, Saskatoon : Fifth House, 1994, p. 162.
84. En une même journée, plus de 43 000 livres de bœuf ont été achetées à la Baker pour les 2 100 habi-
tants d’une même réserve. Canada, Chambre des communes, Débats, 13 juillet 1885, p. 3424.
85. Canada, Chambre des communes, Débats, M. C. Cameron, 13 juillet 1885, p. 3423 ; BAC, MG 26,
Documents de John A. Macdonald, microfilm C-1523, p. 42237.
246 L a destruction des I ndiens des P laines

F. Ferguson a lui-même constaté l’hécatombe dans la réserve des Gens-du-


Sang ; cependant, déclare-t-il, ce ne sont pas les rations qui en sont la cause,
mais plutôt les habitudes de vie malsaines des Kainahs, qui les rendent plus
susceptibles de contracter « la fièvre d’automne ou des montagnes86 ». Quant
aux problèmes d’estomac, chroniques dans la collectivité, Ferguson les
explique par cette fâcheuse habitude qu’auraient les Indiens « [d’]avoir trop
mangé et n’avoir pas pris d’exercice87 ».
Fin 1883, plusieurs problèmes commencent à se manifester dans
le  système de distribution alimentaire du Dominion. La «  manière
Vankoughnet » semble faire des adeptes au Ministère… T. P. Wadsworth,
inspecteur des agences indiennes, signale à Dewdney que d’importantes
quantités de lard sont en train de se détériorer à la ferme n° 17, près d’Ed-
monton88. L’agent des Indiens Anderson s’attire toutefois des éloges pour
avoir pris l’initiative de résoudre le problème du porc salé avarié : il l’a salé de
nouveau et livré tel quel avec de la farine « légèrement moisie89 ».
La gamme des vivres fournis aux réserves suscite également des ques-
tionnements. Le gouvernement persiste à considérer le lard comme un
aliment de base et à s’en procurer des quantités considérables. Or, plusieurs
observateurs soulignent régulièrement que ce produit coûte trop cher et qu’il
est difficile à digérer, même quand il est de bonne qualité90. Avarié, le lard
peut même causer la mort. Le cas le plus grave d’intoxication au porc salé
ranci touche les bandes assiniboines des environs d’Indian Head à l’au-
tomne 1883. Le chef cri Piapot négocie avec les autorités du Dominion au
nom des victimes de la tragédie. Ses démarches s’embourbent dans les diffi-
cultés, contrariétés et frustrations. En 1882, Piapot et les siens ont été
expulsés des Cypress Hills pour être emmenés de force vers la réserve qui leur
avait été attribuée, à l’est de Regina. Pour s’y rendre, ils doivent parcourir à
pied presque 600 kilomètres en se contentant chacun d’une maigre ration

86. En  1883, de nombreux Niitsitapis succombent à une flambée de fièvre typhoïde. CDS, 1884,
John A. Macdonald, Rapport du département des Affaires des Sauvages, 1er janvier 1884, p. lv.
87. Canada, Chambre des communes, Débats, C. F. Ferguson, 15 avril 1886, p. 754-755.
88. Les contrats accordés à la Baker représentent presque la moitié du total des dépenses engagées pour
la ferme n° 17. La CBH n’a vendu aucuns produits alimentaires à la ferme n° 17 dans la période
définie par le rapport Wadsworth. Canada, Comptes publics du Canada pour l’exercice terminé le
30 juin 1883, Ottawa : Imprimeur de la Reine, partie III, p. 84-85.
89. BAC, MG 26, Documents de John A. Macdonald, microfilm C-1523, p. 42228.
90. En 1883, la livre de bœuf frais se vend huit cents dans le Nord-Ouest ; le lard coûte trois fois plus
cher. Dans la région du Traité n° 4, le Dominion dépense 15 290,92 $ en lard salé, mais seulement
1288,45 $ en bœuf frais. « Il y a eu récemment parmi eux beaucoup de maladies causées par le
manque de viande fraîche », souligne l’agent des Indiens Herchmer. « […  Il est] reconnu que le
bœuf, c’est la vie pour le Sauvage, tandis que le lard salé est la maladie et la mort pour lui. » Canada,
Chambre des communes, Débats, 15 avril 1886, p. 737.
8  L es politiques d ’ assistance du D ominion , 1883-1885 247

Piapot, chef cri, vers les années 1880. Glenbow Archives, NA-532-1.


248 L a destruction des I ndiens des P laines

journalière : « une demi-livre de farine et un peu de pemmican91 ». L’agent


d’Indian Head prend acte de « leur mécontentement et leur réticence à s’éta-
blir dans leur réserve », mais leur assure que les conditions du traité ainsi que
les autres promesses faites à Fort Walsh seront honorées92. À son arrivée à
l’agence, le chef laisse libre cours à sa colère en constatant la faim qui règne
dans les réserves près de Qu’Appelle. En quelques mois, Piapot, Long Lodge
(Longue-Loge), les chefs cris Lucky Man, Big Bear et Little Pine ainsi que
plus de 2 000 des leurs abandonnent leurs réserves et reprennent le chemin
des Cypress Hills dans l’espoir d’une meilleure vie dans les hautes terres
voisines de Fort Walsh93. Puisqu’elles n’ont pas autorisé ce déplacement, les
autorités du Dominion ne procurent aucune aide aux réfractaires94. Une fois
de retour dans les collines, ils reçoivent des vivres en quantité à peine suffi-
sante pour ne pas mourir de faim. Ils « ne reçoivent pas autant de farine qu’il
leur en faut, mais il ne me déplaît pas de les punir un peu », explique l’agent
MacDonald à Dewdney95.
Au printemps 1883, quand le Fort Walsh est finalement fermé sur
ordre direct d’Ottawa, Piapot et les autres réfractaires retournent dans les
réserves de l’Est et du Nord96. Ces déplacements s’avèrent extrêmement
pénibles et périlleux. La bande de Little Pine en est réduite à échanger ses
chevaux contre de la nourriture. Piapot reçoit des bons de transport pour se
rendre dans l’est, mais plusieurs membres de sa bande sont blessés dans le
déraillement de leur train97. En août, Piapot tente d’organiser un conseil des
chefs du Traité n° 4 pour discuter d’une possible révision de ses clauses ; le
ministère des Affaires indiennes refuse de fournir des vivres à leur assemblée
et nuit ainsi au processus98. La bande de Piapot s’établit ensuite dans sa

91. Lux, Medicine that Walks, p. 38.


92. BAC, RG 10, vol. 3744, dossier 29507-2, Report of A. MacDonald, Qu’Appelle, 20 June 1882.
93. Lux, Medicine that Walks, p. 39 ; David Lee, « Piapot : Man and Myth », Prairie Forum, 17, 1992,
p. 257. Tobias, « Canada’s Subjugation of the Plains Cree »), p. 219-220, propose un point de vue
plus régional sur les retours dans les Cypress Hills.
94. CDS, 1884, Rapport du département des Affaires des Sauvages pour l’année expirée le
31 décembre 1883 ; Rapport de T. P. Wadsworth, inspecteur des agences des Sauvages, Edmonton,
9 octobre 1883, p. 123.
95. Lux, Medicine that Walks, p. 40. L’agent MacDonald continuera de restreindre les approvisionne-
ments pour resserrer son emprise sur les populations dont il est responsable : « un peu de privation
leur ferait du bien », déclarera-t-il. Canada, Chambre des communes, Débats, M.  C.  Cameron,
15 avril 1886, p. 744.
96. Piapot ayant accepté une réserve adjacente à celle des Assiniboines, plus de 2 000  Indiens se
retrouvent concentrés sur les mêmes terres. Le chef entendait se servir de cette masse démogra-
phique pour négocier des aménagements au Traité n° 4 et obtenir ainsi de meilleures conditions.
Tobias, « Canada’s Subjugation of the Plains Cree », p. 220.
97. Lee, « Piapot », p. 256.
98. Regina Leader, 16 août 1883, p. 2.
8  L es politiques d ’ assistance du D ominion , 1883-1885 249

Caricature politique sur la famine publiée dans Grip en 1888. Source : Grip, vol. 30, n° 775,
14 avril 1888.
250 L a destruction des I ndiens des P laines

réserve voisine d’Indian Head. Le Regina Leader assure à ses lecteurs que leur
installation dans ces terres ainsi que les rations qui leur seront distribuées
régleront tous les problèmes : « Le gouvernement est tenu de nourrir les
Indiens ; étant nourries, ces pauvres créatures ne feront pas plus de difficultés
que n’en causerait un chenil de chiens régulièrement alimentés99. » À
l’approche de l’hiver, le journal rapporte que tout est tranquille dans les
réserves à l’est de Regina100. La réalité des réserves d’Indian Head à l’automne
et à l’hiver 1883-1884 est pourtant fort éloignée de l’image bucolique de
sérénité que le Regina Leader décrit dans ses pages : la politique éditoriale du
journal lui commande explicitement d’enjoliver les faits et de dissimuler
toute nouvelle susceptible d’entraver la colonisation du pays101.
L’historien assiniboine Abel Watetch indique que des membres de la
bande de Piapot qui avaient coupé du bois de chauffage n’ont reçu pour tout
salaire que du lard ranci102. W. W. Gibson, un colon dont les terres jouxtaient
la réserve de Piapot, affirmait que 130 personnes étaient mortes103. Piapot
impute l’entière responsabilité de cette tragédie aux représentants du
­Dominion qui l’ont convaincu d’accepter cette réserve en lui promettant de
la viande fraîche pour les siens. Dès avant ces morts, Long Lodge s’était plaint
du lard, soulignant que son peuple ne pouvait pas s’en nourrir ; ce à quoi
Dewdney avait répliqué que « les Sauvages devaient manger du lard fumé, ou
mourir, ou “aller chez le diable”104 ». Au Parlement, M. C. Cameron accuse
Dewdney de s’obstiner à procurer du lard aux Indiens parce que « son ami,
l’agent des vivres, [se trouve], avec lui, dans un syndicat qui [a] à disposer de
90 000 livres de lard fumé ». Watson, un autre libéral, va plus loin : il affirme
qu’on a donné à Long Lodge du lard avarié qui aurait été « payé à Chicago
1 ½ cent la livre, et vendu à ce gouvernement 19 cents, et que le gouverneur

99. Ibid., 23 août 1883, p. 2.


100. Ibid., 22 novembre 1883, p. 4.
101. Déclaration concernant l’émeute de la fin dans la réserve de Sakimay, ibid., 28 février 1884, p. 4.
102. SAB, microfilm 2.75, School Histories of Thirty-Five Indian Reserves, Abel Watetch, « History of
Piapot Reserve », p. 5 ; Abel Watetch, Payepot and His People, Regina : Saskatchewan History and
Folklore Society, 1959, p. 17.
103. W. W. Gibson, Silver Cloud : Condensed from “The Last Buffalo” (n. p. ; autopublication, 1940 ?),
p. 2-3. Les rapports officiels font état d’une mortalité moins importante, mais qui reste effarante. Le
Dr O. C. Edwards signalait la mort de 42 Cris et de 33 Assiniboines ; BAC, RG 10, vol. 3745,
dossier 29506-4, partie 1, O.C. Edwards to A. MacDonald, 13 May 1884. M. C. Cameron affirme
qu’à l’hiver 1883-1884, 10 pour cent des Indiens des réserves d’Indian Head sont morts en l’espace
de six mois ; Canada, Chambre des communes, Débats, M. C. Cameron, 15 avril 1886, p. 739.
Katherine Pettipas, Severing the Ties that Bind : Government Repression of Indigenous Religious
Ceremonies on the Prairies (Manitoba Studies in Native History), Winnipeg : University of Manitoba
Press, 1994, p. 13, estime le taux de mortalité à 30 pour cent.
104. Canada, Chambre des communes, Débats, 15 avril 1886, p. 734.
8  L es politiques d ’ assistance du D ominion , 1883-1885 251

[aurait touché] une part des profits du contrat105 ». Évidemment, le premier


ministre nie qu’il y ait quelque rapport que ce soit entre les décisions de
Dewdney, la consommation de lard avarié, et l’augmentation soudaine du
nombre des morts dans les réserves d’Indian Head106. Néanmoins, la présence
de Dewdney au conseil d’administration de la ferme Bell, les liens qui
l’unissent au groupe I. G. Baker, fournisseur de la viande de porc mortelle,
ainsi que sa vive propension à l’enrichissement personnel, ne plaident certai-
nement pas en sa faveur.
Peu après les décès, en février 1884, Dewdney obtient un congé de
deux mois107. Son départ rend la situation dans les réserves encore plus
difficile, car les Affaires indiennes dans l’Ouest sont confiées à Vankoughnet.
Très vite, ses compressions budgétaires suscitent des conflits et exacerbent les
tensions. Les survivants de la tragédie d’Indian Head souffrent encore de
malnutrition et d’une forte contagion tuberculeuse ; cependant, l’aide n’arrive
pas. Le 7 février 1884, le Dr O. C. Edwards rapporte que « la mortalité a été
très élevée chez ces Indiens et […] l’insuffisance des approvisionnements
alimentaires a précipité nombre de décès, quand elle ne les a pas directement
causés108 ». Des « mesures d’intervention rapides » doivent être mises en
œuvre… En raison de l’absence de Dewdney, cet appel pressant reste toutefois
lettre morte pendant six semaines. Le MAI indique ensuite que des « quan-
tités modérées de bœuf pourraient à l’occasion être livrées aux réserves
­d’Indian Head pour les malades, ainsi que du thé et du sucre109 ». Alors que
le Regina Leader, journal conservateur, ne souffle pas mot de l’événement, le
Moose Jaws News écrit que les morts d’Indian Head « constituent une honte
cuisante pour nous [et] un discrédit durable pour notre gouvernement110 ».
Fin mai, la situation de Piapot et de Long Lodge est devenue intenable.
La viande fraîche et les vêtements promis des mois plus tôt n’ont toujours pas
été livrés. Hayter Reed et le commissaire A.  G.  Irvine, de la PCN-O,

105. Ibid., p. 745. La comptabilité détaillée du ministère des Affaires indiennes pour 1883-1884 n’est pas
publiée.
106. Canada, Chambre des communes, Débats, 11 juillet 1885, p. 3424.
107. Glenbow Archives, M 320, Dewdney Papers, série 8, CPR Telegraph, 8 February 1884, p. 485.
108. BAC, MG 26, Documents de John A. Macdonald, microfilm C-1523, dossier 11175, p. 42224,
note manuscrite, 19  mars  1884, Action Taken by Department on Matters Complained Of. Au
Parlement, Dewdney est accusé d’avoir escamoté le rapport d’Edwards pendant presque deux ans
parce qu’il dénonçait des faits « si scandaleux et si odieux ». Canada, Chambre des communes,
Débats, 15 avril 1886, p. 740.
109. BAC, RG 10, vol. 3745, dossier 29506-4, partie 1, Commissioner A.G. Irvine to Fred White, Regina,
27 May 1884.
110. BAC, MG 26, Documents de John A. Macdonald, microfilm C-1523, p. 42224, Re : Sickness of
Piapot Reserve.
252 L a destruction des I ndiens des P laines

rencontrent les chefs à bout de patience pour les convaincre de rester dans
leurs réserves. Long Lodge explique à ses interlocuteurs qu’il n’y a ni gibier ni
eau potable dans sa réserve, et que « son peuple est en train de mourir, et s’il
reste ici, aucun d’eux n’y survivra ». Entre autres doléances, Piapot souligne
qu’il ne peut plus « supporter la puanteur qui s’exhale des cadavres des Indiens
qui gisent sur le sol sans avoir été enterrés111 ».
Une semaine avant que les chefs ne rencontrent Reed et Irvine, le
Dr Edwards a décrit la détérioration des conditions de vie dans les réserves
assiniboines. Dans « le peuple de Jack […] la plupart des gens ont maintenant
au cou des ganglions enflés et suppurants […] tant les hommes que les
femmes et les enfants. En février, je n’ai constaté aucun cas de cette maladie
chez ceux de Piapot, et je la vois maintenant généralisée. […] Les affections
bronchiques sont nombreuses et se terminent comme la plupart des maux de
cette sorte par des crachats sanguinolents, une consomption rapide et la
mort112 ». Le médecin propose des médicaments à Long Lodge. Il les refuse
en désignant la véritable cause de leurs malheurs : « Je ne veux pas de la méde-
cine du gouvernement. Je veux la médecine qui marche : envoyez trois bœufs
à tuer et donnez de la viande fraîche aux gens de mon peuple. Ils iront
mieux113. » Ni Long Lodge ni personne d’autre dans le Nord-Ouest ne sait
alors que la viande fraîche de bœuf aggrave l’épidémie grandissante de tuber-
culose. Les autorités gouvernementales considèrent l’abandon des
réserves comme une menace pour la sécurité. Pour intercepter la bande de
Piapot, le commissaire Irvine mobilise plus de la moitié des effectifs policiers
de la caserne de Regina ainsi qu’un canon114. L’arrivée de ses hommes
déclenche une panique dans la bande indienne, qui se croit attaquée115. Le
commissaire réussit à éviter le bain de sang en négociant un retour tempo-
raire du groupe à Indian Head. Dès avant l’automne, la bande s’est établie sur
ses nouvelles terres de la vallée de la Qu’Appelle, qui lui procurent de l’eau

111. BAC, RG 10, vol. 3745, dossier 29506-4, partie 1, Commissioner A. G. Irvine to Fred White, Regina,
18 May 1884. Les corps avaient été attachés dans les arbres, conformément à la tradition. Irvine
rapporte qu’un incendie « a fait tomber les cadavres sur le sol, où ils sont restés ».
112. BAC, RG 10, vol. 3745, dossier  29506-4, partie  1, Edwards to MacDonald, Indian Head,
13 May 1884. Lux, Medicine that Walks, p. 44, relève qu’Edwards se trompe sans doute en attribuant
les maux des Indiens au « scorbut terrestre » ; ils souffraient plus probablement de scrofule (tubercu-
lose ganglionnaire).
113. BAC, RG 10, vol. 3745, dossier  29506-4, partie  1, Edwards to MacDonald, Indian Head,
13 May 1884. Voir aussi : Lux, Medicine that Walks, p. 4.
114. BAC, RG 10, vol. 3745, dossier 29506-4, partie 1, Irvine to White, 18 May 1884 ; W. A. Waiser, La
Police à cheval du Nord-Ouest, de 1874 à 1889 : Étude statistique (Bulletin de recherche 117),
Ottawa : Parcs Canada, 1979, p. 13.
115. BAC, RG 10, vol. 3745, dossier 29506-4, partie 1, Irvine to White, 18 May 1884.
8  L es politiques d ’ assistance du D ominion , 1883-1885 253

douce et du gibier. Long Lodge amène sa bande vers le sud, jusqu’aux États-
Unis ; il mourra avant la fin de l’année.
Le litige qui a opposé Piapot aux autorités du Dominion se termine
ainsi sans éclats de violence. Néanmoins, plus les compressions budgétaires
de Vankoughnet pèsent sur le quotidien des réserves, plus le ressentiment des
populations s’intensifie. Dans le réserve de One Arrow (Une-Flèche), près de
Fort Carlton, le taux de mortalité atteint le chiffre effarant de 141  pour
1 000  à l’hiver 1883-1884116. Dans les File Hills (butte de la Lime),
sept enfants d’une même famille meurent de faim en seulement deux mois.
Des malades de cette région auraient été abandonnés à leur sort et seraient
morts sans secours117.
Le conflit le plus important du court mandat de Vankoughnet à la tête
du MAI l’oppose à la réserve de Sakimay (également dit « Yellow Calf », ou
« Veau-Jaune »), dans la vallée de la Qu’Appelle. Vankoughnet estimant qu’il
est inutilement coûteux de garder les petits employés du Dominion tout
l’hiver durant, son plan d’austérité prévoit leur renvoi dès le début de la
saison froide118. Dans la région du Traité n°  4, en dépit des tentatives
déployées par Vankoughnet pour le congédier au motif qu’il multiplierait les
dépenses excessives, l’agent des Indiens MacDonald réussit à garder son
poste119. Son instructeur agricole au lac Croche (Crooked Lake), James
Setter, n’a pas cette chance. Son emploi est supprimé pour réduire les coûts,
mais aussi pour le punir du « laxisme » dont il aurait fait preuve dans la distri-
bution des vivres120. Son poste est ensuite confié à Hilton Keith, qui ne
possède aucune expérience ou presque. Ce licenciement et ce remplacement
provoquent un affrontement armé, l’affaire Yellow Calf. Le nouvel homme
de Vankoughnet dans la région suit à la lettre les ordres de son supérieur ; son
zèle à l’égard de la nouvelle politique ministérielle causera presque un bain de
sang.
Le 6 janvier 1884, MacDonald rapporte que les entrepôts de la réserve
contiennent 12 400  livres de lard et 5 100  de farine. Keith arrive dans la
réserve six jours plus tard. Après avoir personnellement inspecté la collectivité,

116. Lux, Medicine that Walks, p. 51.


117. Canada, Chambre des communes, Débats, M. C. Cameron, 15 avril 1886, p. 739.
118. BAC, MG 26, Documents de John A. Macdonald, microfilm C-1690, p. 132745, Vankoughnet to
Macdonald, 10 December 1883.
119. Andrews, The Crooked Lakes Reserves, p. 58-59.
120. Avant son congédiement, Setter a distribué des vivres à 567 habitants de la réserve appartenant à la
bande du chef Sakimay. Établie dans la même réserve, la bande de She-Sheep comptait alors
355 personnes et n’avait pas besoin de rations pour survivre, car la chasse et la pêche dans la prairie-
parc assuraient son autosuffisance alimentaire. Ibid., p. 48-76.
254 L a destruction des I ndiens des P laines

le commissaire adjoint Reed donne à Keith des instructions très strictes pour
la distribution des rations : « à deux ou trois exceptions près », plus aucun
membre de la bande de Sakimay n’en recevra. L’émeute éclate cinq semaines
plus tard. Le 18 février, poussés à bout par la colère et la faim, le chef Sakimay
et plusieurs hommes en armes entrent par effraction dans l’entrepôt de
l’agence. Ils prennent 60 sacs de farine et 12 de lard. Reed reconnaîtra plus
tard que la faim tenaillait au moins certains d’entre eux et que Keith,
appliquant scrupuleusement les nouveaux règlements, leur avait refusé
l’octroi de vivres ; de plus, ajoutera-t-il, les émeutiers étaient fermement
convaincus que les aliments de l’entrepôt leur appartenaient : « Si […] ces
provisions n’étaient pas destinées aux Indiens, pourquoi seraient-elles
entreposées dans leurs réserves121 ? »
Sakimay et trois autres membres du groupe sont traduits devant les
tribunaux et inculpés pour vol simple. Les actes d’accusation qui pèsent
contre lui seront finalement abandonnés ; les autres inculpés retrouveront la
liberté après avoir plaidé coupables. Reed souligne que « la justice fut adoucie
par la miséricorde » car Sakimay « avait agi dans toute cette affaire par pure
humanité122 ». Des incidents similaires éclatent dans les réserves voisines des
File Hills ; dans tout l’Ouest, la nouvelle réglementation du MAI, que le
Saskatchewan Herald qualifie de « lois implacables », exacerbe considérable-
ment les tensions123. À Ottawa, Vankoughnet s’attend à des soulèvements et
avertit la police : près d’Indian Head, Broadview et Battleford « les entrepôts
qui ne seront pas surveillés risquent d’être pris d’assaut124 ».
Quand Dewdney reprend ses fonctions, en avril 1884, il doit affronter
le mécontentement et l’exaspération causés par les nouvelles directives de
Vankoughnet. Il entreprend rapidement une tournée d’inspection des
réserves ; dans celle de Sakimay, il ordonne l’achat immédiat de nouveaux
équipements agricoles pour apaiser les esprits125. Dewdney concède que les
salaisons augmentent l’incidence des maladies et que les quantités sont
insuffisantes. À l’été, le premier ministre reconnaît de son côté que
Vankoughnet a manqué de discernement en centralisant les Affaires

121. Isabel Andrews, « Indian Protest against Starvation : The Yellow Calf Incident of 1884 », Saskatchewan
History, 28, 1975, p. 41-51.
122. Ibid., p. 46-47.
123. Lux, Medicine that Walks, p. 43 ; Saskatchewan Herald, 28 juin 1884, p. 2.
124. Peter Naylor, Index to Aboriginal Issues Found in the Records of the North West Mounted Police RG 18,
National Archives of Canada  (tapuscript), Saskatoon : Office of the Treaty Commissioner, 1994,
p. 189, document 497, « Lawrence Vankoughnet to Fred White, 2 May 1884 ».
125. Andrews, The Crooked Lakes Reserves, p. 92.
8  L es politiques d ’ assistance du D ominion , 1883-1885 255

« Indien cri, Maple Creek, Saskatchewan, 1884 ». Reproduction autorisée par Ressources natu-
relles Canada 2012, avec l’aimable permission de la Commission géologique du Canada (Photo
615 de T. C. Weston).
256 L a destruction des I ndiens des P laines

indiennes à Ottawa ; il autorise Dewdney à réparer les dégâts causés dans les
derniers mois126.
L’été 1884 mettra à contribution tout le tact et les capacités d’adminis-
trateur de Dewdney. Les Niitsitapis du Traité n° 7 exigent de la viande fraîche
en lieu et place du lard fumé gouvernemental qui a provoqué tant de morts
l’année précédente127. Le commissaire adjoint Reed sait que les vivres qui ont
été distribués aux réserves laissaient grandement à désirer ; il reconnaît même
auprès du premier ministre qu’elles ne convenaient pas aux Indiens, et qu’elles
étaient probablement indigestes128. De 1883 à 1887, alors qu’elles ne tota-
lisent pas plus de 35 pour cent de la population indienne du Nord-Ouest, les
bandes du Traité n°  7 représentent entre 50  et 70  pour cent des dépenses
ministérielles en fournitures et vivres. Les conséquences les plus dévastatrices
des restrictions budgétaires sont épargnées aux Niitsitapis pour éviter qu’ils
ne protestent trop d’ici l’achèvement du chemin de fer et l’implantation irré-
vocable de l’élevage. Même avec ce « traitement de faveur », leurs rations à
l’été 1884 restent limitées à moins de 150 g de farine par jour129.
Chez les Cris du Traité n° 6, les tensions sont si vives qu’une étincelle
suffirait à provoquer l’embrasement. À Battleford, où se concentrent la
plupart des réserves septentrionales des Plaines, l’instructeur agricole Craig
met le feu aux poudres en refusant des vivres aux Indiens au prin-
temps 1884 : un important contingent de policiers et de volontaires de la
région affronte plus de 2 000 Cris de la réserve de Poundmaker. Comme
cela s’était fait dans la réserve de Sakimay, les sacs de céréales qui sont
refusés aux affamés servent de fortifications aux forces policières retran-
chées130. Avant l’éclatement du conflit, le Saskatchewan Herald s’était fait
l’écho d’un désaccord croissant entre le MAI et les autorités judiciaires car,
écrivait-il, les Cris « pensent qu’il leur suffit de se présenter devant le juge
pour obtenir à bon compte une augmentation de leurs rations131 ». Le

126. Glenbow Archives, M 320, Dewdney Papers, série  8, Macdonald to Dewdney, 11  August  1884,
p. 509-510.
127. BAC, MG 26, Documents de John A. Macdonald, microfilm C-1523, dossier  4624, p.  4225.
Crowfoot dénonce également l’insuffisance des rations de farine ; voir dossier  15040, p.  41873,
14 août 1884. Les chercheurs estiment que 600 Pieds-Noirs sont morts entre 1883 et 1886 ; Tom
McHugh, The Time of the Buffalo, New York : Knopf, 1972, p. 286.
128. BAC, RG 10, vol. 3745, dossier 29506-4, partie 1, Reed to Macdonald, 20 May 1884.
129. Lux, Medicine that Walks, p. 65 ; Dyck, The Administration of Federal Indian Aid in the Northwest
Territories, p. 74.
130. Saskatchewan Herald, 28 juin 1884, p. 1.
131. Ibid., 19 avril 1884, p. 1. Le juge C. B. Rouleau exhortait Dewdney à fournir de la nourriture et des
vêtements aux Indiens pour le bien « du gouvernement et du pays ». Blair Stonechild et Bill Waiser,
Loyal till Death : Indians and the North-West Rebellion, Calgary : Fifth House, 1997, p. 61.
8  L es politiques d ’ assistance du D ominion , 1883-1885 257

journal assure à ses lecteurs que « l’Indien majestueux peut bien tenter
d’intimider ici ou là quelque employé d’entrepôt, voire, en cas d’urgence,
s’emparer d’un sac de farine ou d’un morceau de lard ; toutefois, quant à
envisager un soulèvement d’importance, il a toutes les raisons du monde
de ne pas s’y aventurer132 ». L’affrontement, que certains appelleront la
« rébellion des Cris de 1884133 » se conclut finalement sans effusion de
sang. Il n’en reste pas moins que les conditions de vie dans les réserves de
Battleford se sont détériorées à l’extrême depuis quelques années, et le
point de rupture est atteint. À l’hiver 1883-1884, le père Cochin décrit en
ces termes l’état de santé des enfants qui fréquentent l’école de sa mission :
Le « bacon » et la galette faite avec de la mauvaise farine, après la disparition
du buffalo [le bison] ne satisfaisaient pas l’appétit des Indiens qui n’y étaient
guère accoutumés. Je voyais les enfants arriver chez moi pour se faire
instruire, nus, décharnés, […] mourant de faim. Ces pauvres petits venaient
au Catéchisme et à l’école, malgré un froid de 30 à 40 degrés au-dessous de
zéro, le corps à peine couvert de quelques haillons troués. C’était pitié de les
voir. L’espoir d’avoir un petit morceau de bonne galette sèche134, plus sans
doute que le désir de s’instruire, était le mobile du cruel Sacrifice qu’ils
s’imposaient chaque jour. La privation en fit périr plusieurs135.
Robert Jefferson, qui enseigne dans l’une des réserves de Battleford,
s’interroge sur les véritables buts des politiques agricoles du Dominion
dans les terres réservées. Les Autochtones des réserves, écrit-il, se consacrent
avec entrain et sérieux aux cultures : « Ils ont supporté la faim, la maladie et
les privations pendant de longues années, et ils ne sont pas plus proches
aujourd’hui de leur but. Tout porte à croire qu’ils pourraient mourir avant
de l’avoir atteint, à supposer même qu’il existât. » Jefferson évoque
également le cynisme qui règne dans la hiérarchie du MAI : « Pour Craig,
l’objectif des autorités n’était pas de permettre à l’Indien de devenir
autonome. Il fallait seulement trouver le moyen qu’il se tienne tranquille
jusqu’à ce que le pays soit entièrement peuplé, et son dissentiment n’aurait
plus alors à être pris en considération le moins du monde136. »

132. Saskatchewan Herald, 3 mai 1884, p. 1.


133. Ross Innes, The Sands of Time, North-Battleford : Turner-Warwick Publications, 1986, p. 31-43.
134. En 1884, le Dominion commence à fournir aux enfants des écoles missionnaires « un biscuit chacun
pour leur dîner ». CMS, microfilm A-112, John Hines Journal, 9 June 1884.
135. Louis Cochin, « Missionnaire et Indiens pendant la guerre des Métis en 1885 », dans : Louis Cochin,
Reminiscences : A Veteran Missionary of Cree Indians and a Prisoner in Poundmaker’s Camp, Battleford :
Battleford Historical Society, 1927, p. 8-9.
136. Jefferson, Fifty Years on the Saskatchewan, p. 125.
258 L a destruction des I ndiens des P laines

Jusqu’en 1885, la politique agricole du Dominion reste un retentissant


fiasco. Dans tout le Nord-Ouest, seulement six bandes signataires d’un traité
sont autosuffisantes137. « Dans les Territoires, sur 20 230 Indiens, seulement
770  n’ont pas besoin de l’aide du gouvernement : voilà l’exploit le plus
marquant de l’année 1884 pour le ministère des Affaires indiennes », constate
Aidan McQuillan138. Le Ministère nuit également à l’essor d’une agriculture
commerciale en entravant le recours au matériel agricole139. Dans la réserve
des Stoneys (Nakotas), à l’ouest de Calgary, les progrès réalisés sous la houlette
du révérend John McDougall provoquent en 1884 une baisse importante et
soudaine de l’aide offerte à la collectivité. À cause de ces compressions à courte
vue, la collectivité ne possède plus aucune marge de manœuvre quand les
temps se font plus durs. Une étude historique publiée peu après ces événe-
ments précise : « Cette décision eut pour résultat que l’on vit à l’hiver 1885 des
hordes de Stonies affamés qui erraient dans les collines depuis les secteurs au
sud de Pincher Creek jusqu’à la voie ferroviaire principale du CP, mendiant
leur pitance aux éleveurs, arrachant la chair aux os des chevaux et des bestiaux
morts, mangeant même des coyotes quand ils pouvaient en attraper140. »
Même les bandes dont les récoltes sont abondantes souffrent de la faim
sous la tutelle du MAI. En mars 1884, John Hines, le missionnaire
d’Assissippi, écrit à ses supérieurs : « Je suis convaincu que nos Indiens seraient
bien mieux lotis à l’heure qu’il est si le gouvernement ne les avait pas pris sous
sa responsabilité141. » Alors même qu’ils ont battu 2 000 boisseaux de céréales,
« nombre d’entre eux sont malades en ce moment, et nous croyons que la
faim en est la principale cause ». Les fermiers de la collectivité doivent
parcourir plus de 300 kilomètres aller-retour pour faire moudre leurs céréales
à Prince Albert, « ne laissant à leurs familles restées sur place que du blé en
grains142 ». Les autorités savent pertinemment que le manque d’équipement
ralentit le travail des agriculteurs des réserves :  « Rien n’empêche tous nos

137. D. Aidan McQuillan, « Creation of Indian Reserves on the Canadian Prairies, 1870–1885 »,
Geographical Review, 70, 1980, p. 392. Les réserves qui ont le mieux tiré leur épingle du jeu étaient
probablement celles de la prairie-parc, cet écosystème permettant le maintien d’une économie
mixte. Aux confins septentrionaux de la région du Traité n° 4, la bande de Yellow Quill a pu acheter
des couvertures, des vêtements et de la farine grâce aux nombreuses fourrures dont elle disposait,
fruit du trappage et de la chasse. CDS, 1884, A.  MacDonald, Rapport de l’agence de Fort
Qu’Appelle, Traité n° 4, 6 juillet 1883, p. 76.
138. McQuillan, « Creation of Indian Reserves on the Canadian Prairies », p. 392.
139. Saskatchewan Herald, 31 mai 1884, p. 3.
140. Kelly, The Range Men, p. 175-176.
141. CMS, microfilm A-112, John Hines, Assissippi Journal, 9 March 1884.
142. Ibid.
8  L es politiques d ’ assistance du D ominion , 1883-1885 259

Sauvages de s’établir sur leurs réserves, si nous pouvons leur fournir assez
d’instruments aratoires143. »
Le mauvais temps qui persiste d’un bout à l’autre de l’année 1884
amène tout le Nord-Ouest au bord de la famine. « Nous avons eu du gel au
début de l’été en Saskatchewan ; toutes les fermes sont perdues, et c’est là une
très rude épreuve pour les immigrants comme pour les Indiens144 », signale
James Settee. Il propose de déplacer « les Indiens des Plaines qui vont mourir
de faim » pour les établir sur les bords du lac Winnipeg, encore très riche en
poissons145. Le gouvernement, qui procure alors un généreux soutien aux
pêcheries commerciales du Manitoba, rejette sa recommandation146.
Si Settee n’obtient pas gain de cause, c’est essentiellement parce qu’une
conversion massive des Autochtones à une alimentation à base de poisson
aurait nui à la pêche commerciale pratiquée par les nouveaux arrivants. Les
ressources halieutiques de l’ouest du Canada sont déjà exploitées de manière
intensive à l’époque, tant pour la subsistance que pour le négoce. Dans
l’agence de Carlton, Macrae constate « l’énorme destruction qui se fait
pendant la saison du frai. On suggère deux remèdes : fixer une saison de
prohibition, ou réserver certaines eaux pour l’usage exclusif des Sauvages147 ».
Au nord de Fort Pitt, les poissons « s’épuisent rapidement parce que les
étrangers font la pêche sur une très grande échelle, et chaque poisson qu’ils
prennent est un vol au détriment des Sauvages148 ». L’agent Anderson
souligne que la pêche excessive dans le lac Sainte-Anne et d’autres plans d’eau
de l’Alberta risque de faire disparaître complètement le poisson, ce qui consti-
tuerait « une grande perte pour les populations indigènes comme pour les
Blancs, qui colonisent si rapidement le pays149 ». Le lac au Brochet (Jackfish

143. CDS, 1885, J.  A.  Macrae, Rapport de l’agence de Carlton, 11  août  1884, p.  81. En  1884, les
flammes détruisent deux moulins à Prince Albert, aggravant ainsi la pénurie d’équipement.
Saskatchewan Herald, 6 avril 1884, p. 1 ; 14 juin 1884, p. 3.
144. CMS, microfilm A-112, James Settee to Reverend Fenn, 22 November 1884.
145. CMS, microfilm A-112, James Settee to Reverend Fenn, 8 December 1884.
146. Frank Tough, « The Establishment of a Commercial Fishing Industry and the Demise of Native
Fisheries in Northern Manitoba », Canadian Journal of Native Studies, 4, 1984, p. 303-319.
147. CDS, 1885, J. A. Macrae, Rapport de l’agence de Carlton, 11 août 1884, p. 86.
148. CDS, 1885, Thomas Quinn, sous-agent intérimaire des Sauvages, Rapport de Fort Pitt,
21 juillet 1884, p. 87.
149. Anderson signale que les prises dans le lac Sainte-Anne se sont effondrées depuis l’époque de la
CBH : de 40 000 à 50 000 poissons par hiver, elles seraient passées à 8 000 à peine ; CDS, 1885,
W. Anderson, agent des Sauvages, Rapport d’Edmonton, 26 août 1884, p. 139. En 1887, le Nord-
Ouest en exporte 1,5  million aux États-Unis ; SAB, R.  G.  Ferguson Papers, microfilm R.391,
Annexe 3 : Food, p. 53. Un an plus tard, les prises dans le lac Winnipeg sont estimées à 2 millions ;
un observateur de l’époque évoque un « abattage de poissons à grande échelle » ; James Mochoruk,
The Political Economy of Northern Development : Governments and Capital along Manitoba’s Resource
Frontier, 1870–1930 (thèse de doctorat), University of Manitoba, 1992, p. 135-136.
260 L a destruction des I ndiens des P laines

Lake), près de Battleford, conserve un bon potentiel alimentaire. L’inspecteur


Wadsworth rapporte qu’un certain nombre d’Indiens réfractaires des traités
vivent sur ses rives dans une relative prospérité : « Si Gros-Ours (Big Bear) et
ses compagnons ne veulent pas travailler, ils peuvent pourvoir à leur subsis-
tance en consacrant tout leur temps à la chasse et à la pêche150. » Plus tard, la
responsabilité de la raréfaction du poisson sera imputée aux pêcheurs autoch-
tones ; en juin 1887, le Saskatchewan Herald écrit : « Si la justice ne les arrête
pas très bientôt de la manière la plus vigoureuse, ils finiront par rendre nos
lacs aussi déserts et moribonds que les prairies151. »
L’été 1884 marque une crise d’ampleur pour les bandes autochtones
signataires. Face aux conditions climatiques défavorables, à l’épuisement des
stocks de poissons et de petit gibier et à l’indifférence complète du Ministère
à l’égard de la misère qui sévit dans les réserves, les chefs cris revendiquent de
nouveau un meilleur traitement pour leurs peuples. Ils rencontrent les
représentants du gouvernement au lac aux Canards (Duck Lake) et à Carlton.
Dewdney et Reed « expriment leur préoccupation devant la manière forte de
Vankoughnet dans la distribution de vivres aux Indiens ».  Cependant, ils
n’accèdent pas aux revendications des chefs. Le commissaire des Indiens
maintient plutôt une politique de stricte coercition pour casser la résistance
des Cris à l’autorité du Dominion152. Dans une lettre adressée au premier
ministre, Dewdney balaye d’un revers de la main les doléances cries :
« Toujours la même chose… Il leur faut plus de bétail, plus d’outils, plus à
manger, plus de vêtements, en fait… plus de tout. » Il réfute par ailleurs les
rapports faisant état d’enfants ravagés par la famine153. La malnutrition à
laquelle ils ont été durablement exposés a néanmoins bel et bien contribué à
leur décès.
Si Dewdney traite d’une main de fer l’agitation politique dans les
réserves, il prend par ailleurs des mesures concrètes pour atténuer la crise
provoquée par les compressions budgétaires de Vankoughnet, procurant ainsi
un peu de répit aux populations affamées. En 1884, les sommes consacrées
aux approvisionnements alimentaires augmentent de presque 17 000 $ par

150. CDS, 1885, T. P. Wadsworth, Battleford, 25 octobre 1884, p. 152. Au début du 20e siècle, le lac au
Brochet contenait déjà si peu de poissons que les habitants de ses rives l’ont quitté pour se diriger
vers le lac Meadow (lac La Prairie) ou la Grande Rivière (Big River) dans l’espoir que la pêche y soit
meilleure. Meota History Book Committee, Footsteps in Time, Meota (Saskatchewan) : Meota
History Book Committee, 1980, p. 95.
151. Saskatchewan Herald, 4 juin 1887, p. 2.
152. Tobias, « Canada’s Subjugation of the Plains Cree », p. 222.
153. SAB, John A. Macdonald Papers, R-70, Dewdney to Macdonald, 5 September 1884.
8  L es politiques d ’ assistance du D ominion , 1883-1885 261

rapport à l’année précédente154. L’essentiel de ces dépenses additionnelles


servant à acheter des marchandises à I. G. Baker, Fred White, contrôleur de
la PCN-O, avertit Dewdney qu’il sera bientôt la cible de critiques et d’at-
taques implacables au Parlement. White trouve particulièrement troublant le
fait que Dewdney paraît avoir « des intérêts financiers dans tout […] ce dont
vous avez la charge155 ».
Début 1885, toutes les réserves semblent paisibles. Mais sous la surface,
la colère gronde. Quelques jours avant la flambée de violence du
printemps  1885, le Saskatchewan Herald fustige le gouvernement et sa
politique d’aide alimentaire, qu’il accuse de rendre les populations autochtones
malades : « Tout le monde ici sait que presque tous les Indiens du district
souffrent de scrofule et de dyspepsie. […] Leur politique semble tout entière
résumée dans ces quelques mots : les nourrir un jour et les affamer le
lendemain156. » Le journal critique également le MAI, lui reprochant de ne
pas accorder aux agents des Indiens, pourtant responsables de la gestion
quotidienne des réserves, le pouvoir discrétionnaire de distribuer les vivres.
Ce ne sont pas non plus les agents qui engagent ou renvoient les instructeurs
agricoles qui leur sont subordonnés. Dans ce contexte de nominations
éminemment politiques dans la fonction publique et d’indifférence complète
du Dominion à l’égard de son propre programme agricole, les postes d’ins­
tructeur attirent évidemment les pires candidats. Par ailleurs, comme le MAI
exerce une mainmise complète ou presque sur les moindres détails de la vie
quotidienne dans les réserves, même les employés des plus bas échelons
jouissent d’un pouvoir considérable ; nombreux sont ceux qui n’hésitent pas
à en abuser. Lawrence Clarke rapporte que des instructeurs agricoles sont
« connus de tous pour de misérables brutes157 ».
Pour les historiens Stonechild et Waiser, les actes de violence perpétrés
par les Cris au printemps 1885 ne constituaient pas une rébellion, mais une
série d’événements « isolés et sporadiques158 ». Leur colère visait des instruc-
teurs et des agents ayant manifesté un zèle excessif dans la mise en œuvre des
consignes de parcimonie de leurs supérieurs. Les employés du MAI qui ont
été tués avaient outrepassé les limites de leur autorité reçue du Dominion.

154. Les dépenses en aide alimentaire dans le Nord-Ouest s’élevaient à 530 982 $ en 1883 ; elles étaient
de 547 595 $ l’année suivante. Beal, Money, Markets, and Economic Development in Saskatchewan
Indian Reserve Communities, p. 140.
155. Glenbow Archives, M 320, Dewdney Papers, série  10, Fred White to Edgar Dewdney,
22 November 1884, p. 799-802.
156. Saskatchewan Herald, 20 mars 1885, p. 2.
157. Canada, Chambre des communes, Débats, M. C. Cameron, 15 avril 1886, p. 735.
158. Stonechild et Waiser, Loyal till Death, p. 4.
262 L a destruction des I ndiens des P laines

L’impunité des abus de pouvoir des agents du Ministère explique en grande


partie la mort de 10 Européens au lac à la Grenouille (ou lac aux Grenouilles,
Frog Lake) le 2 avril  1885159. Il n’est pas rare à l’époque que des conflits
opposent les populations affamées et révoltées des réserves aux représentants
du Dominion qui leur refusent l’accès aux vivres. Les événements du lac à la
Grenouille marquent toutefois un tournant : d’une part, les Métis ont
commencé de se rebeller dans l’Est ; d’autre part, l’exaspération de la popula-
tion s’exprime ici contre la cruauté d’un sous-agent des Indiens, Thomas
Quinn, un « Sang-Mêlé de Dakota ». Quinn ayant refusé de donner à manger
aux Cris tenaillés par la faim, la violence finit par éclater. La fille de l’un des
auteurs de ce meurtre observera ultérieurement qu’il aurait suffi que Quinn
« accepte de partir jusqu’au campement principal et laisse les gens de mon
peuple se servir dans l’entrepôt160 » pour éviter le bain de sang. Stone­child et
Waiser décrivent Quinn comme un homme « mauvais, mesquin, totalement
dépourvu de compassion161 ». À l’automne  1884, Little Poplar (Petit-
Peuplier) lui déclare même que sa réputation d’intransigeance ne connaît pas
de frontières : « J’ai entendu parler de vous de l’autre côté du Missouri. Puis,
j’ai entrepris de venir par ici, et plus je m’approchais, plus j’entendais parler
de vous. Vous êtes l’homme que le gouvernement a envoyé ici pour refuser
aux Indiens tout ce qu’ils vous demandent162. » Quinn ne s’attire pas tout ce
ressentiment uniquement parce qu’il applique les directives du Ministère à la
lettre… De nombreux incidents le révèlent aussi brutal que pingre. Ainsi, les
documents historiques établissent qu’il a convoqué un jour la population de
la réserve à l’entrepôt, sachant fort bien qu’il déclencherait ainsi une ruée
désespérée parmi les affamés ; quand ils arrivèrent devant les portes, il leur
annonça que c’était un poisson d’avril et qu’ils n’auraient pas une miette163.
Avec une extraordinaire retenue, la mère de l’historien cri Joseph Dion
évoque cette époque en ces termes : « Les Blancs riaient de nous, mais nous ne
comprenions pas ce qu’il y avait de drôle là-dedans164. » Si le sadisme de

159. Si la plupart des documents font état de 9 morts, Allen Ronaghan affirme qu’il y en a eu 10. Voir
son article intitulé « Who Was the ‘Fine Young Man’ ? The Frog Lake ‘Massacre’ Revisited », Saskat-
chewan History, 43, 1995, p. 18.
160. Stonechild et Waiser, Loyal till Death, p. 117.
161. Ibid., p. 108. Quinn, qui a été formé par Reed, avait la réputation d’être « le plus obstiné et le plus
détestable des employés du ministère des Affaires indiennes ». Bob Beal et Rod Macleod, Prairie
Fire : The 1885 North-West Rebellion, Edmonton : Hurtig Publishers, 1984, p. 79.
162. William B. Cameron, The War Trail of Big Bear, Londres : Duckworth, 1927, p. 19.
163. Jean Goodwill et Norma Sluman, John Tootoosis, Winnipeg : Pemmican Publications, 1984,
p. 54-55. Voir également : Joseph Dion, My Tribe, the Crees, Calgary : Glenbow Museum, 1979,
p. 92.
164. À propos d’humour, voir l’évocation du « jour du grand mensonge » dans : Dempsey, Big Bear,
p. 152-153.
8  L es politiques d ’ assistance du D ominion , 1883-1885 263

Quinn a très certainement attisé les tensions dans la réserve, d’autres facteurs
pourraient être à l’origine de son meurtre et de ceux qui l’ont suivi165.
Ancien traiteur devenu missionnaire, Jack Matheson révélera 26 ans
plus tard un motif bien plus sordide : « Une jeune Indienne de plus ou de
moins, cela n’avait pas d’importance », déclarera-t-il au Saturday Night de
Toronto. « J’ai vu cette brute de Sioux priver les gens de vivres pendant six
mois jusqu’à ce que des filles de 13 ans lui soient données pour épouses166. »
L’un des tueurs du lac à la Grenouille, Wandering Spirit (Esprit-Errant) a
déjà passé 18 mois en prison pour avoir agressé un autre employé du MAI,
John Delaney. Pendant cette incarcération, Delaney « lui a pris sa jeune
épouse. Doit-on s’étonner que cet Indien se rebelle ? Et quand les digues du
mécontentement ont cédé pour se transformer en révolte, doit-on s’étonner
que ce soit Wandering Spirit qui ait troué la peau de cette canaille167 ? »
Maureen Lux décrit Delaney en des termes bien peu flatteurs : « Parce qu’il
entretenait des relations avec de très jeunes femmes de la réserve et qu’il
humiliait les affamés avec désinvolture, il était copieusement haï de tous168. »
Survivant de l’affrontement, William Cameron considère également les
agressions sexuelles comme l’une des causes des meurtres169.  Cette incon-
duite sexuelle des employés du MAI au lac à la Grenouille pourrait aussi
expliquer la réaction ambiguë de la veuve de Quinn. Une dizaine d’années
après la mort de son mari, Owl Sitting n’a pas voulu dire si Imases et Lucky
Man avaient pris part au meurtre. Le commissaire des Indiens A. E. Forget,
qui assistait à l’entrevue, n’a pu s’empêcher d’exprimer son étonnement :
« Seigneur Dieu ! […] J’aurais dû m’en douter ! Ces gens-là sont de son
peuple, mais l’homme qu’ils ont tué n’était que son mari170. »
Les allégations persistantes d’agressions sexuelles pesant sur les deux
employés du MAI au lac à la Grenouille semblent indiquer qu’il s’agit pour
eux d’une pratique courante. L’archevêque Taché déclare ainsi que les
protégés du Dominion ont été « abandonnés à la séduction d’hommes d’une
immoralité révoltante171 ». Au Parlement, M. C. Cameron s’insurge contre

165. Stonechild et Waiser, Loyal till Death, p. 117.


166. Agnes C. Laut, « Reverend ‘Jack’ Matheson : The Sky Pilot of the Crees », Saturday Night, Toronto,
Noël 1911, p. 29.
167. Ibid. Delaney avait été impliqué dans une affaire similaire quatre ans plus tôt, dans la réserve de
Makaoo. Stonechild et Waiser, Loyal till Death, p. 108.
168. Lux, Medicine that Walks, p. 54.
169. Goodwill et Sluman, John Tootoosis, p. 54.
170. Verne Dusenbury, The Montana Cree : A Study in Religious Persistence, Norman : University of
Oklahoma Press, 1999, p. 39.
171. Canada, Chambre des communes, Débats, M. C. Cameron, 15 avril 1886, p. 744.
264 L a destruction des I ndiens des P laines

l’exploitation sexuelle des Indiennes, si répandue que 45  pour cent des
hommes « parmi une certaine classe de ces fonctionnaires » du Nord-Ouest
sont porteurs de maladies sexuellement transmissibles, « un bien triste état
de choses pour des hommes payés à même l’argent du peuple pour conduire
et diriger les affaires des Sauvages des territoires du Nord-Ouest et leur
donner l’exemple172 ». Cameron dénonce le fait que des jeunes filles, parfois
âgées de seulement 13 ans, sont vendues à des hommes blancs dans l’Ouest,
dans certains cas 10 $ à peine. Le ministre Hector Langevin refusant toute-
fois de considérer cette pratique comme du trafic de femmes : « D’après les
idées sauvages, le mariage n’est qu’un marché et une vente, et […] les parents
d’une jeune femme sont toujours en alerte pour lui trouver un acheteur173. »
À supposer même qu’il y eût quelque part de vérité dans cette affirmation,
les conditions de vie particulièrement atroces dans les réserves ont évidem-
ment dû peser d’un poids considérable sur les pratiques traditionnelles de
la dot.
Dès le début des années 1880, l’insuffisance des vivres fournis par le
MAI contraint sans doute de nombreuses femmes à se prostituer pour nourrir
leur famille. En  1883, la prostitution représente déjà un problème
d’importance dans les réserves des environs de Calgary174. Cette année-là, les
chefs cris d’Edmonton s’adressent au premier ministre pour se plaindre du
fait que la faim réduit maintenant leurs jeunes femmes à se prostituer, une
pratique inconnue de leurs peuples jusqu’ici. Le missionnaire Samuel Trivett
ayant révélé que des Gens-du-Sang avaient vendu leurs filles à des colons de
Fort Macleod, la Macleod Gazette s’empresse de défendre ses lecteurs : « Dans
cette réserve où il est missionnaire, un nombre incalculable d’Indiens se
livrent au commerce criminel, contre nature et révoltant de leurs propres
femmes dans les villes et les colonies175. »
Contrairement à ce qu’affirme S. W. Horrall, à savoir que les prostituées
seraient arrivées dans l’Ouest par le chemin de fer176, le commerce du corps
s’impose bel et bien, pour les femmes autochtones de l’époque, comme une

172. Ibid., p. 735.


173. Ibid., p. 746.
174. CDS, 1884, W. Pocklington, Traverse des Pieds-Noirs (Blackfoot Crossing), 20 juillet 1883, p. 91 ;
John Gray, Red Lights on the Prairies, Toronto : Macmillan of Canada, 1971, « Appendix »,
p. 193-194, extrait de la Macleod Gazette, 16 mars 1886.
175. Gray, Red Lights on the Prairies, « Appendix », p.  193-194, extrait de la Macleod Gazette,
16 mars 1886.
176. S. W. Horrall, « The (Royal) North-West Mounted Police and Prostitution on the Canadian
Prairies », dans : William M. Baker (dir.), The Mounted Police and Prairie Society, 1873–1919,
Regina : Canadian Plains Research Center, 1998, p. 173.
8  L es politiques d ’ assistance du D ominion , 1883-1885 265

stratégie de survie. La pauvreté qui ravage les réserves depuis l’extinction du


bison les y contraint. L’augmentation du nombre des relations sexuelles entre
les populations des terres réservées et les nouveaux arrivants provoque très
vite une explosion des infections sexuellement transmises. Devant l’ampleur
de la tâche, le chirurgien de la police à Fort Walsh, Augustus Jukes, réclame
en 1882 la nomination d’un aide-chirurgien177. Les policiers sont eux-mêmes
de plus en plus touchés : 22 d’entre eux font l’objet d’un diagnostic de
maladie vénérienne en 1882 ; le chiffre passe à 132 en 1884, pour un effectif
total de 557 hommes178. Comme d’autres officiers supérieurs, l’inspecteur
Deane considère cette contagion galopante comme le résultat d’un manque
de discipline. En  1883, il propose de facturer aux policiers contaminés le
coût de leurs soins médicaux et de leur confinement en baraquements à leur
sortie de l’hôpital179.
En 1886, un amendement de la Loi sur les Indiens expose les prostituées
des Premières Nations à des poursuites judiciaires, même si « depuis longtemps
déjà, plusieurs représentants du Ministère savent qu’elles ne pratiquent pas
volontairement cette activité180 ». La nouvelle réglementation s’applique en
réponse à « un scandale national » concernant un trafic d’Indiennes, et qui
implique des employés du MAI181. Instructeur agricole de la réserve des
Pieds-Noirs, John Norrish est congédié pour avoir troqué de la nourriture
contre des faveurs sexuelles en 1882182. Il remettait à la fille de Calf-Woman
de fausses cartes de rationnement lui permettant d’obtenir un surcroît de
trois rations pour sa famille de quatre personnes. Tandis que Norrish achète
des relations sexuelles avec de la farine, l’instructeur agricole de la réserve des
Stoneys de Morley aurait apparemment deux « épouses » dans la collecti-
vité183. Les contacts sexuels entre le personnel du Ministère et les femmes des
Premières Nations ne se limitent certainement pas aux employés des bas
échelons. Le commissaire adjoint Reed propose à l’automne 1886 un arrêté
au Conseil territorial « pour contraindre les hommes à subvenir aux besoins

177. CDS, 1883, Rapport de la Police à cheval du Nord-Ouest, Annexe A, rapport du chirurgien Jukes,
Fort Walsh, 29 novembre 1882, p. 25-26.
178. Waiser, La police à cheval du Nord-Ouest, p. 11, 20-21.
179. BAC, MG 29 E 48, Diary of Inspector Deane, 1883, n. pag.
180. Pamela M. White, Restructuring the Domestic Sphere – Prairie Indian Women on Reserves : Image,
Ideology, and State Policy, 1880–1930 (thèse de doctorat), McGill University, 1987, p. 119.
181. Gray, Red Lights on the Prairies, p. 12.
182. Titley, The Frontier World of Edgar Dewdney, p. 50 ; Sarah Carter, « First Nations Women of Prairie
Canada in the Early Reserve Years, the 1870s to the 1920s : A Preliminary Inquiry », dans : Christine
Miller et al. (dir.), Women of the First Nations : Power, Wisdom, and Strength (Manitoba Studies in
Native History), Winnipeg : University of Manitoba Press, 1996, p. 70.
183. L’instructeur de Morley était à l’époque J. W. Molson ; CDS, 1883, p. 179.
266 L a destruction des I ndiens des P laines

de leurs enfants illégitimes » ; il sera toutefois lui-même accusé d’inconduite


sexuelle184. William Donovan, un colon de Prince Albert, affirme que Reed
a « une femme […] originaire des Touchwood Hills, elle est sa maîtresse à
Regina et elle a un enfant dont elle dit qu’il est de lui185 ». Donovan ajoute
que Reed « a débauché madame Quinn (une autre indigène). […] C’est un
libertin qui n’a pas de respect pour la vertu des femmes186 ». En dépit de
toutes ces allégations, Reed ne sera évidemment jamais poursuivi. En 1888,
Dewdney est élu député et devient ministre de l’Intérieur et surintendant
général des Affaires indiennes ; Reed est alors promu commissaire des Indiens.
La plupart des meurtres de 1885 constituent en réalité des règlements
de comptes personnels. Plusieurs Européens sont épargnés pour avoir fait
preuve d’humanité envers les Indiens ; William Cameron, le traiteur de la
CBH au lac à la Grenouille, et certains policiers de Fort Pitt auront ainsi la
vie sauve187. Les instructeurs agricoles qui se contentaient d’appliquer les
ordres, par exemple Craig et McKay, peuvent traverser sans encombre les
groupes rebelles en s’enfuyant vers Battleford188. Des Nakotas aident même
McKay à traverser la rivière de la Bataille (rivière Battle). À l’inverse, Barney
Tremont, de Battleford, qui mourra aux mains de Man without Blood
(Homme-sans-Sang), a vigoureusement combattu les Indiens aux États-
Unis189. Beal et Macleod soulignent que Tremont « haïssait les Indiens et les
menaçait s’ils s’approchaient de son élevage190 ». Walter Hildebrandt affirme

184. BAC, RG 10, microfilm C-10136, vol. 3772, dossier  34938, William Donovan to Lawrence
Vankoughnet, 30 October 1886.
185. Cette femme serait la sœur d’Henry Pratt, le domestique et interprète de Reed. Pratt a déclaré que
ces accusations contre son maître étaient « pures inventions ». BAC, RG 10, microfilm C-10136,
vol. 3772, dossier 34938, Statement of Henry Pratt, Regina, 28 December 1886.
186. BAC, RG 10, microfilm C-10136, vol. 3772, dossier  34938, Donovan to Vankoughnet,
30 October 1886.
187. Le 14 avril, avant la prise de Fort Pitt, Big Bear fait envoyer un message au sergent Martin : « Depuis
que nous nous connaissons, cela fait déjà longtemps, nous avons toujours été bons amis […] Je vous
en prie, tentez de quitter Pitt dès que vous le pourrez. Et dites à votre capitaine que je lui conserve
mon affection car, depuis que le gouvernement canadien me laisse à mourir de faim dans ces terres ;
il m’apporte parfois de la nourriture, et je n’oublie pas les couvertures qu’il m’a données, et c’est
pourquoi je veux que vous partiez tous sans effusion de sang. » Cité dans W. L. Clink (dir.), Battleford
Beleaguered : 1885, The Story of the Riel Uprising from the Columns of the Saskatchewan Herald,
Willowdale (Ontario) : publication à compte d’auteur, 1984, p.  29. Jefferson, Fifty Years on the
Saskatchewan, p. 155, observe qu’au lac à la Grenouille, « les employés de la Compagnie de la Baie
d’Hudson furent les seuls hommes qu’ils épargnèrent, ce qui est très révélateur ».
188. Walter Hildebrandt, Views from Fort Battleford : Constructed Visions of an Anglo-Canadian West,
Regina : Canadian Plains Research Center, 1994, p. 85.
189. Saskatchewan Herald, 23 avril 1885, p. 1.
190. Beal et Macleod, Prairie Fire, p. 183.
8  L es politiques d ’ assistance du D ominion , 1883-1885 267

qu’il a été tué pour avoir refusé de secourir un garçon cri pendant une tempête
de blizzard191.
L’instructeur agricole James Payne, qui a aussi été tué à Battleford, avait
la réputation d’être un homme particulièrement cruel. Plusieurs motifs ont
été avancés pour expliquer son meurtre. Selon les recherches de Stonechild et
Waiser, Itka l’aurait tué en guise de représailles parce qu’il avait battu à mort
sa fille tuberculeuse192. À son procès, l’accusé déclare qu’il a tué Payne au
cours d’une dispute parce que les rations qui auraient dû être distribuées
10 jours plus tôt ne l’avaient toujours pas été193. Hildebrandt propose une
autre explication :
[Payne] avait une concubine et plusieurs enfants. Une nuit, revenant de
Battleford en état d’ébriété, il jette sa femme et ses enfants dehors en pleine
tempête de neige. Le temps qu’ils arrivent à trouver refuge auprès d’Indiens,
la pauvre femme, qui avait retiré ses propres vêtements pour protéger ses
enfants du froid mordant, avait les deux seins gelés, et elle ne s’est jamais
complètement remise de cette nuit d’horreur. Quand la rébellion a éclaté,
les Indiens de sa famille ont abattu l’inspecteur agricole pour se venger194.
Dans sa notice nécrologique, le Saskatchewan Herald indique que Payne
avait épousé la fille du chef Grizzly Bear’s Head (Tête-d’Ours-Gris) l’été
précédent et que sa veuve a donné naissance à un fils le lendemain de son
décès195. Le journal écrit deux semaines plus tard que Payne n’était pas seul
au moment de sa mort : « Le corps d’une femme apparemment dans la
vingtaine ayant reçu une balle dans la joue, et celui d’un enfant d’un an, le
crâne fracturé, […] ont été trouvés près du corps de Monsieur Payne196. » Le
Saskatchewan Herald n’évoquera plus jamais la mère et l’enfant anonymes ; il
n’expliquera pas non plus ce qu’il est advenu de leurs dépouilles.
La presse du temps s’est abondamment faite l’écho des meurtres
­d’Européens ; les historiens qui se sont intéressés au soulèvement de 1885 en

191. Hildebrandt, Views from Fort Battleford, p. 85.


192. Stonechild et Waiser, Loyal till Death, p. 98. Voir également : Kenneth J. Tyler, Interim Report : The
History of the Mosquito, Grizzly Bear’s Head, and Lean Man Bands, 1878–1920 (tapuscrit), Regina :
Indian Studies Resource Centre, Saskatchewan Indian Federated College, University of Regina,
1974, p. 4. Dans son analyse des procès de Battleford, Sandra Bingaman indique qu’un conflit
important a opposé Itka à Payne « au sujet d’un sac de farine supplémentaire » : The North-West
Rebellion Trials, 1885 (mémoire de maîtrise), University of Regina, 1971, p. 123.
193. Saskatchewan Herald, 5 octobre 1885, p. 2.
194. Hildebrandt, Views from Fort Battleford, p. 84.
195. Saskatchewan Herald, 23 avril 1885, p. 2.
196. Ibid., 4 mai 1885, p. 2.
268 L a destruction des I ndiens des P laines

ont également beaucoup parlé197. Les meurtres d’Autochtones perpétrés


pendant ce conflit sont par contre restés dans l’ombre. En juin, le Saskat-
chewan Herald écrivait : « Un tipi mortuaire découvert dans les Eagle Hills
contenait les corps de neuf Stonies ; un autre avait été placé dans un arbre
tout près. Tous sont morts par balle, mais il est impossible de déterminer s’ils
ont succombé sur le champ de bataille ou dans la réserve ; non pas, du reste,
que cela ait grande importance198. »
Le fait que le journal ne mentionne qu’une seule fois le meurtre de la
compagne de Payne et de l’enfant et qu’il relègue au rang des faits divers la
mort par balle de neuf personnes dénote un climat d’indifférence extrême. Il
donne par conséquent à penser que bien d’autres meurtres d’Autochtones
ont pu tomber dans l’oubli pendant le soulèvement. De nombreux Indiens
ont par ailleurs pu fuir le pays par crainte des représailles ; ainsi, les réserves
des Stoneys se sont considérablement dépeuplées juste avant l’exécution de
masse de Battleford. Le chef Grizzly Bear’s Head, 60 des siens et « 40 dissi-
dents d’autres bandes », partent aux États-Unis ; ils y vivent des années très
difficiles, mais réussissent de peine et de misère à « échapper aux autorités
américaines, qui voulaient les renvoyer au Canada199 ». Les Stoneys et les
autres bandes qui ont quitté leurs réserves n’ont certainement pas pris cette
décision sur un coup de tête : s’il faudra attendre quelque temps encore pour
que les représailles officielles s’abattent sur les nombreuses bandes jugées
rebelles, la crainte d’agressions personnelles était déjà bien présente à l’époque.
Pendant le conflit, certains des Autochtones traqués par les autorités du
Dominion ont préféré se suicider plutôt que d’être faits prisonniers. Membre
d’une expédition lancée à la poursuite de Big Bear, le soldat de cavalerie
Lewis Redman Ord découvre près du lac aux Huards (Loon Lake), le corps
d’une femme qui vient de se pendre : « Elle n’avait pu suivre son groupe et,
nous entendant approcher, avait préféré se donner la mort plutôt que de

197. Quelques exemples récents : Sarah Carter, « Introduction », dans : Theresa Gowanlock et Theresa
Delaney, Two Months in the Camp of Big Bear : The Life and Adventures of Theresa Gowanlock and
Theresa Delaney, Regina : Canadian Plains Research Center, 1999 ; Allen Ronaghan, « Father Fafard
and the Fort Pitt Mission », Alberta History, 46, 1998, p. 13-18 ; et Ronaghan, « Who Was the ‘Fine
Young Man’ ? » Dans Views from Fort Battleford, p. 79, Hildebrandt relève que les historiographes de
la rébellion « évoquent rarement ces événements et, quand ils le font, s’intéressent essentiellement
aux batailles et aux meurtres, jamais ou presque aux facteurs à plus long terme tels que la faim, le
mécontentement et la frustration des Cris ».
198. Saskatchewan Herald, 15 juin 1885, p. 2.
199. La bande n’est jamais retournée dans sa réserve ; Tyler, Interim Report, p. 5-6.
8  L es politiques d ’ assistance du D ominion , 1883-1885 269

Poundmaker en compagnie d’hommes qui seront bientôt pendus, Battleford, 1885. Glenbow
Archives, NA-363-62.

tomber entre nos mains200. » Si cette femme était si terrifiée, c’est peut-être
qu’elle s’est souvenue que, quelque temps plus tôt, près de la Butte au Fran-
çais (Frenchman’s Butte), un combattant cri avait été mis en pièces alors qu’il
tentait de se rendre en agitant le drapeau blanc201.
Les bandes cries, dont un soldat rapporte qu’elles étaient « traquées
jusqu’à la mort et tenaillées par la faim202 », seront très sévèrement punies à
leur reddition. C. B. Rouleau, le juge des procès de Battleford, avait exprimé
une certaine compassion envers les souffrances des Cris en 1884 ; mais sa
sympathie à leur égard s’est tarie après que sa résidence eut été détruite

200. Lewis Redman Ord, « Reminiscences of a Bungle by One of the Bunglers », dans : R. C. Macleod
(dir.), Reminiscences of a Bungle by One of the Bunglers and Two Other Stories of the Rebellion,
Edmonton : University of Alberta Press, 1983, p. 76. Ord appartenait à la troupe des éclaireurs de
Sam Steele. La femme qui a préféré se donner la mort plutôt que de risquer d’être capturée s’appelait
Sits-by-the Door ; Wayne F. Brown, Steele’s Scouts : Samuel Benfield Steele and the North-West
Rebellion, Surrey (Colombie-Britannique) : Heritage House, 2001, p. 145.
201. Ord, « Reminiscences of a Bungle by One of the Bunglers », p. 65.
202. Harold Panryn Rusden, « Suppression of the Northwest Insurrection », dans : R. C. Macleod (dir.),
Reminiscences of a Bungle by One of the Bunglers and Two Other Stories of the Rebellion, p. 308.
270 L a destruction des I ndiens des P laines

pendant l’insurrection203. Les procès de Battleford ne s’embarrassent pas de


règles de procédure ; les accusés n’ont aucun accès ou presque à des avocats ou
des conseils juridiques. L’exécution, la plus massive de l’histoire canadienne,
vise clairement à châtier ceux qui ont tué des Européens, et réduire au silence
les populations des réserves.
Dewdney tient à faire des pendaisons « un spectacle public204 ». Reed
recommande d’obliger les Indiens de la région à regarder les pendaisons et
« leur donner ainsi à réfléchir un certain temps » à la « bonne raclée » que le
Dominion inflige aux rebelles205. Le premier ministre mesure pleinement
l’importance politique des exécutions, qui doivent « enseigner au Peau-Rouge
que c’est le Blanc qui commande206 ». Afin que personne ne l’ignore, une
bonne partie de la population des réserves environnantes est amenée sur
place pour assister aux pendaisons, y compris des élèves de l’école technique
de Battleford207. Face à un tel « spectacle », nul doute qu’ils ont fort bien
compris ce que le Dominion voulait leur faire comprendre. Les corps des
exécutés restent suspendus à leur potence une quinzaine de minutes. Robert
Jefferson écrit que les cordes ont ensuite été coupées ; les corps sont tombés
dans leurs « cercueils », puis ont été traînés jusqu’aux berges de la rivière et
enterrés dans le sable208.
Ces exécutions marquent la fin de la résistance crie aux contraintes de
plus en plus rigoureuses qui leur sont imposées par le gouvernement du
Dominion. Privés de leurs chefs et de leur liberté, les Cris sont maintenant
complètement assujettis209. Dès avant le soulèvement, les représentants du
MAI contrôlaient déjà tous les aspects de leur vie ou presque. Les nombreux
abus et agressions des employés du Dominion à leur égard témoignent de
leur pouvoir absolu sur les populations des réserves. Devant les aberrations
de la mise en œuvre des politiques officielles et l’impunité totale des abus de
pouvoir des fonctionnaires, certains n’hésitent pas à accuser le gouvernement
du Dominion de « négligence coupable » dans le traitement des Autochtones

203. Bingaman, The North-West Rebellion Trials, p. 113-114, rappelle les critiques adressées à Rouleau
pendant la rébellion. Stonechild et Waiser, Loyal till Death, p. 90, indiquent que le juge « s’est enfui
pour sauver sa peau ».
204. Stonechild et Waiser, Loyal till Death, p. 221.
205. Brian Titley, « Hayter Reed and Indian Administration in the West », dans : R. C. Macleod (dir.),
Swords and Ploughshares : War and Agriculture in Western Canada, Edmonton : University of Alberta
Press, 1993, p. 117.
206. Stonechild et Waiser, Loyal till Death, p. 221.
207. Saskatchewan Herald, 30 novembre 1885, p. 2.
208. Jefferson, Fifty Years on the Saskatchewan, p. 153.
209. Tobias, « Canada’s Subjugation of the Plains Cree », p. 232.
8  L es politiques d ’ assistance du D ominion , 1883-1885 271

signataires de l’Ouest210. Le sujet soulève au Parlement des débats


acrimonieux ; ils n’empêcheront toutefois pas les conservateurs de rester au
pouvoir encore une dizaine d’années. L’achèvement du chemin de fer trans-
continental marque l’entrée des prairies dans un nouveau paradigme écono-
mique dont l’écrasante majorité des bandes signataires sont exclues. Ces
changements précipitent aussi les populations autochtones à leur plus bas
niveau démographique.

210. Canada, Chambre des communes, Débats, M. C. Cameron, 15 avril 1886, p. 760.
Chapitre 9

L’effondrement démographique des


collectivités autochtones, 1886-1891

L es représailles du Dominion contre les populations signataires récalci-


trantes ne s’arrêtent pas aux exécutions de Battleford de l’automne 1885.
Les Indiens sont en réalité bien plus nombreux que les Métis à être accusés
puis incarcérés. Sur les 81 Indiens de collectivités signataires mis en accu-
sation, 44  seront emprisonnés. Chez les Métis, 46  personnes seront
accusées, et seulement 7 prendront le chemin des geôles. Même si toutes
les Premières Nations n’ont pas participé au soulèvement, ces événements
permettent au ministère des Affaires indiennes (MAI) de raffermir son
emprise sur l’ensemble des réserves1. Dans son rapport pour l’année 1886,
Edgar Dewdney décrit les mesures prises par le Dominion sous la rubrique
« Récompenses et châtiments ». La politique du gouvernement consiste à
fournir aux bandes « fidèles » du bétail et d’autres formes d’aide pour les
récompenser de leur bonne conduite. Des bestiaux sont ainsi acheminés
jusqu’à leurs réserves pour reconstituer les troupeaux décimés par les
troubles de l’année précédente. À l’inverse, les annuités des bandes
« rebelles » leur sont retirées pour les punir ; leurs chevaux et leurs armes à
feu leur sont confisqués. Prenant acte du fait que la privation délibérée de
nourriture a exacerbé les tensions dans les collectivités des réserves avant la
rébellion, les autorités leur font envoyer quelques vivres et vêtements, y
compris à celles qu’elles jugent rebelles2. Elles implantent par ailleurs le

1. Carl Beal, Money, Markets, and Economic Development in Saskatchewan Indian Reserve Communities,
1870–1930s (thèse de doctorat), University of Manitoba, 1994, p. 179.
2. CSP, 1886, Edgar Dewdney, Rapport du commissaire des Sauvages, 17 novembre 1886, p. 108. Ce
faisant, elles reconnaissent implicitement que c’est « la politique de la famine mise en œuvre par le
274 L a destruction des I ndiens des P laines

système de laissez-passer dans toute la région et transforment ainsi les


réserves en centres de détention à ciel ouvert. Considérée comme la plus
rebelle des populations signataires, la bande de Big Bear est démembrée3.
À partir de 1885, le gouvernement s’attaque avec détermination à ce
qu’il appelle « le système tribal », c’est-à-dire les formes traditionnelles de
gouvernance des populations signataires ; sa fonction publique lui servira de
bras armé. Cette offensive bureaucratique déployée au lendemain du soulève-
ment consiste notamment à subdiviser les réserves4. Les terres réservées seront
maintenant exploitées individuellement par des « particuliers », et non plus
collectivement par la bande dans son ensemble. Tous les échanges entre les
réserves et le monde extérieur sont assujettis à des permis délivrés par le MAI.
Notamment, les réserves n’ont pas le droit de vendre leurs récoltes sans l’auto-
risation d’un représentant du Ministère. Si cette mesure vise à stimuler la
consommation d’aliments locaux, elle empêche aussi les agriculteurs des
réserves de s’intégrer à l’économie commerciale, alors en plein essor. Puisque
le Dominion restreint son soutien à l’ensemble des Premières Nations, l’auto-
suffisance s’impose. Les réserves pratiquent donc une agriculture « paysanne »
de subsistance qui ne risque pas de nuire aux exploitations des nouveaux
arrivants5. Quelques agriculteurs des terres réservées, par exemple les Dakotas
non signataires, vivent relativement bien de leurs lopins de 40 acres (environ
16 hectares). Mais d’une manière générale, le démantèlement des réserves en
terres particulières débouche rapidement sur une agriculture de stricte survi-
vance qui maintient les petits exploitants dans la pauvreté et les tient à l’écart
de l’économie dominante6. Avec le temps, les Dakotas eux-mêmes n’échap-
peront pas au resserrement de l’emprise du MAI sur leur labeur7. À son
accession au poste de commissaire des Indiens, en 1888, Hayter Reed

gouvernement à proximité d’entrepôts regorgeant de vivres et de vêtements » qui a suscité « la tenta-
tion […] de se mal conduire ». Beal, Money, Markets, and Economic Development in Saskatchewan
Indian Reserve Communities, p. 179.
3. Brian Titley, « Hayter Reed and Indian Administration in the West », dans : R. C. Macleod (dir.),
Swords and Ploughshares : War and Agriculture in Western Canada, Edmonton : University of Alberta
Press, 1993, p. 117-118.
4. Robert Nestor, Hayter Reed, Severalty, and the Subdivision of Indian Reserves on the Canadian
Prairies  (mémoire de maîtrise), Saskatchewan Indian Federated College, University of Regina,
1998, p. 34-40.
5. On trouvera une analyse de cette politique ici : Sarah Carter, « Two Acres and a Cow : ‘Peasant’
Farming for the Indians of the Northwest, 1889–1897 », dans : J. R. Miller (dir.), Sweet Promises : A
Reader in Indian–White Relations in Canada, Toronto : University of Toronto Press, 1991,
p. 353-377.
6. Ibid., p. 83-97.
7. Peter Douglas Elias, The Dakota of the Canadian Northwest : Lessons for Survival (Manitoba Studies
in Native History), Winnipeg : University of Manitoba Press, 1988, p. 83.
9  L’ effondrement démographique des collectivités autochtones , 1886-1891 275

Des prisonniers de la Rébellion du Nord-Ouest au pénitencier Stony Mountain (Manitoba),


1886. Glenbow Archives, NA-20-2.

multiplie les obstacles bureaucratiques qui aggravent la marginalisation des


populations des réserves ; ils expliquent en partie l’échec du virage agricole
comme solution de remplacement à la chasse au bison.
À partir de 1885, parallèlement à cette offensive de l’État contre le
système tribal, d’autres périls menacent les collectivités. Les chefs autochtones
ne sont guère mieux lotis que les centaines d’hommes et de femmes de leurs
propres bandes qui meurent à petit feu de malnutrition et de maladies
connexes. Or, en cette période critique d’épreuves et de bouleversements
imposés aux communautés, l’éclatement des structures politiques et morales
exacerbe la misère des populations. Long Lodge, dont la bande a été décimée
en même temps que celle de Piapot dans les réserves d’Indian Head, s’éteint
aux États-Unis la veille de Noël 18848. Little Pine a vécu plusieurs épisodes
de cécité avant le début des hostilités ; au printemps 1885, il succombe à la
maladie. Red Pheasant (Faisan-Rouge), un autre chef cri de Battleford, est

8. Zachary M. Hamilton et Marie Albina Hamilton, These Are the Prairies, Regina : School Aids and
Textbook Publishers, 1955, p. 3.
276 L a destruction des I ndiens des P laines

également mort9. Eagle Tail (Queue-d’Aigle), grand chef des Piikanis,


s’éteint au terme d’une longue maladie début 188610. Bon nombre des chefs
incarcérés au Stony Mountain Penitentiary (pénitencier de la montagne de
Pierre) sont relâchés pour raisons de santé avant la fin de leur sentence. L’éta-
blissement laisse ainsi sortir quatre chefs malades en 1886.
À sa sortie de prison, One Arrow est si affaibli qu’il faut le porter pour
l’installer dans le chariot qui l’éloignera de la prison. Il s’éteindra quelques
jours plus tard au domicile de l’archevêque Taché, à Winnipeg11. La
disparition de tant de chefs et d’aînés au lendemain des événements de 1885
plonge la population des bandes signataires dans un profond désarroi. Big
Bear et Poundmaker, qui ont toujours plaidé la modération pendant les
affrontements, sont emprisonnés et mourront bientôt. Poundmaker
succombera à la tuberculose en juillet  188612. Le Saskatchewan Herald
avance que « son décès règle à vrai dire la question indienne dans le Nord,
désormais pacifié, car il n’y a là personne d’assez habile ou influent pour
reprendre le flambeau qu’il vient de laisser13 ». Cette pénurie de chefs d’expé-
rience est encore aggravée par le fait que le MAI dépose tous ceux qu’il juge
rebelles ou inaptes à gouverner dans le nouveau régime qu’il impose aux
populations signataires. Certaines bandes se retrouvent ainsi sans chef
pendant plusieurs années.
Pour sanctionner les groupes insurgés, le gouvernement fait preuve
d’une rapidité et d’une efficacité redoutables. Il confisque les chevaux et les
armes pour tuer dans l’œuf toute velléité de rébellion ; il rend ainsi la chasse
au gibier sauvage impossible ou presque pour les Autochtones14. Pour limiter
les Indiens signataires dans leurs déplacements, les confiner dans leurs réserves
et ériger un mur hermétique entre eux et les Européens, elles implantent par
ailleurs le système de laissez-passer : « parmi toutes les obligations faites à
­l’Autochtone au lendemain de la Rébellion, [elle était sans doute] la plus

9. Blair Stonechild et Bill Waiser, Loyal till Death : Indians and the North-West Rebellion, Calgary : Fifth
House, 1997, p. 132.
10. CDS, 1887, William Pocklington, Rapport annuel, agence des Gens-du-Sang, 1er juillet  1886,
p. 139.
11. Saskatchewan Herald, 17 mai 1886, p. 1-3. Sa dépouille a été ramenée en août 2007 dans la réserve
qui porte son nom.
12. Ibid., 12 juillet 1886, p. 2.
13. Ibid. Tandis qu’il rend visite à son père adoptif, Crowfoot, Poundmaker s’étrangle soudain : « Le sang
se mit à couler de sa bouche […] en quelques instants, il était mort. » Hugh Dempsey, Crowfoot :
Chief of the Blackfeet, Norman : University of Oklahoma Press, 1972, p. 200.
14. Joyce Sowby, Macdonald the Administrator : Department of the Interior and Indian Affairs, 1878–
1887 (mémoire de maîtrise), Queen’s University, 1984, p. 185.
9  L’ effondrement démographique des collectivités autochtones , 1886-1891 277

Big Bear et Poundmaker, chefs cris, 1886. Glenbow Archives, NA-1315-18.

pénible15 ». À son tour, ce système restreint l’accès au gibier et limite plus


encore les perspectives économiques des collectivités des réserves16. Dewdney
sait très bien que le système des laissez-passer repose sur des assises juridiques
fragiles : « Pour contraindre les Indiens à vivre constamment dans leurs
réserves, il faudrait modifier notre traité », indique-t-il au premier ministre17.
La police dénonce également cette nouvelle réglementation qui, affirme-t-elle,
compromet les liens de confiance qui l’unissent aux Autochtones18 ; elle obéit

15. William Beahen et Stan Horral, Les Tuniques rouges dans la Prairie : Le maintien de l’ordre dans
l’Ouest pionnier, 1886-1900 (traduit de l’anglais par Daniel Poliquin), Regina (Saskatchewan) :
Centax Books/PrintWest, 1998, p. 65.
16. Les conséquences néfastes du système de laissez-passer sont amplement établies. Voir notamment :
Laurie F. Barron, « The Indian Pass System in the Canadian West, 1882–1935 », Prairie Forum, 13,
1988, p.  25-42 ; et Sarah Carter, « Controlling Indian Movement : The Pass System », NeWest
Review, 10, 1985, p. 8-9. À l’inverse, les Dakotas non signataires ont réussi à préserver leur position
dans l’économie monétaire des Plaines. À la fin des années 1880, comme les populations des
réserves étaient très limitées dans leurs déplacements comme dans leurs possibilités d’emploi, les
Dakotas de Standing Buffalo ont pu travailler à la construction du chemin de fer Qu’Appelle–Long
Lake (lac Long), la première grande ligne secondaire du CP en Saskatchewan. Elias, The Dakota of
the Canadian Northwest, p. 153.
17. SAB, John A. Macdonald Papers, R-70, Dewdney to Macdonald, 9 September 1885, p. 376. Brian
Hubner affirme que les autorités canadiennes, à tous leurs échelons, savaient que la réglementation
sur les laissez-passer était illégale et contraire à l’esprit du Traité n° 7. Voir son « Horse Stealing and
the Borderline : The NWMP and the Control of Indian Movement », Prairie Forum, 20, 1995,
p. 295.
18. Les forces policières étaient si vivement opposées à cette loi que le commissaire Herchmer, de la
PCN-O, a demandé un avis juridique sur le sujet en 1882 ; il a aussi interdit à son personnel
278 L a destruction des I ndiens des P laines

néanmoins aux ordres. Dès  1886, les policiers interrogent tous les Indiens
qu’ils rencontrent en dehors des terres réservées19. Le père André, de la mission
de Calgary, conteste ces nouvelles dispositions : « Leur renvoi dans la réserve
ne sera d’aucun secours à ces pauvres Indiens car, là-bas, les agents leur refu-
seront la nourriture ainsi qu’ils l’ont déjà fait20. »
Le durcissement des politiques du Dominion à l’égard des Indiens a
des conséquences calamiteuses dans les collectivités autochtones de l’Ouest.
Encore rare dans les années 1870, la tuberculose fait maintenant des ravages
dans les groupes signataires. La population des réserves atteint son apogée
en 1884 ; dans les 10 années qui suivent, elle s’effondre sous l’effet conjugué
de plusieurs facteurs : malnutrition ; surpopulation ; froid ; insuffisance des
systèmes sanitaires ; politiques gouvernementales oppressives21. En une
décennie, la population baisse de 41 pour cent au lac Croche (Crooked Lake)
et de 46 pour cent dans les File Hills. Entre 1885 et 1889, un tiers des habi-
tants des réserves d’Edmonton partent, renoncent à leur statut d’Indien ou
meurent. En  1889, la population des réserves de Battleford ne représente
même plus la moitié de ce qu’elle était avant la rébellion.
La maladie n’est pas la seule responsable de cette dépopulation.
Plusieurs centaines de gens s’enfuient vers les États-Unis, dont une centaine
de membres  des bandes Stoneys de Battleford22 et le groupe du chef cri
Little Bear (Petit-Ours)23. Little Poplar cherche également refuge au sud de
la frontière. Sa bande y survit dans des conditions effroyables jusqu’à ce que
les autorités américaines acceptent de lui venir en aide, en 188724. Son chef

d’engager des poursuites contre les Indiens sans justification légale. Barron, « The Indian Pass
System in the Canadian West », p. 36.
19. John Peter Turner, The North-West Mounted Police, Ottawa : King’s Printer, 1950, 2, p. 284.
20. « Father André to Colonel Herchmer, Assistant Commissioner, 5 November 1888 », dans : Peter
Naylor, Index to Aboriginal Issues Found in the Records of the North West Mounted Police RG 18,
National Archives of Canada (tapuscrit), Saskatoon : Office of the Treaty Commissioner, 1994,
entrée 000.
21. Maureen Lux, Medicine that Walks : Disease, Medicine, and Canadian Plains Native People, 1880–
1940, Toronto : University of Toronto Press, 2001, p. 45-56.
22. Grizzly Bear’s Head quitte le Canada avec plus de 100 personnes. Kenneth J. Tyler, Interim Report :
The History of the Mosquito, Grizzly Bear’s Head, and Lean Man Bands, 1878–1920, (tapuscrit),
Regina : Indian Studies Resource Centre, Saskatchewan Indian Federated College, University of
Regina, 1974, p. 5.
23. Le 30 décembre 1885, le Benton River Press rapporte que 137 Cris placés sous l’autorité de Little
Bear (Petit-Ours ; Imases) ont été appréhendés et amenés jusqu’à Fort Assiniboine. James Dempsey,
« Little Bear’s Band : Canadian or American Indians ? », Alberta History, 41, 1993, p.  3 ; Verne
Dusenbury, The Montana Cree : A Study in Religious Persistence, Norman : University of Oklahoma
Press, 1999, p. 32, 37.
24. Saskatchewan Herald, 5 février 1887, p. 1. Quelques mois plus tard, le journal rapporte que des
Indiens ayant fui le Canada se sont réfugiés dans les montagnes pour se soustraire à une directive de
9  L’ effondrement démographique des collectivités autochtones , 1886-1891 279

n’est déjà plus25. Une dizaine d’années plus tard, le Dominion propose l’am-
nistie aux insurgés ; cinq cents personnes reviennent alors du Montana26.
Cependant, la plupart de ceux et celles qui ont fui le Canada sont morts en
exil. Cette période s’avère particulièrement difficile pour les Ojibwés de
Turtle Mountain, dont la réserve s’étend juste au sud de la frontière. De
nombreux réfugiés de l’insurrection sont venus grossir les rangs de cette
bande. Le gouvernement américain les a aidés dans un premier temps ;
en 1887, il ne leur offre toutefois aucun soutien. Cette année-là, 151 personnes
meurent de faim27.
L’abandon des réserves induit une chute brutale du nombre des Indiens
inscrits dans les statistiques du Dominion. Plusieurs autres facteurs y contri­
buent également. À l’été 1886, une nouvelle réglementation autorise les
Indiens des bandes signataires ayant des ascendants blancs à demander le
certificat de Métis. Nombreux sont ceux qui optent pour cette formule, ne
serait-ce que pour se soustraire aux dispositions oppressives de la Loi sur les
Indiens. Cette politique fait baisser la population des réserves et allège le
fardeau financier qu’elles représentent28. Si l’intention des autorités gouver­
nementales était de réduire le nombre des Autochtones couverts par un traité,
sa stratégie s’avère extraordinairement efficace. La plupart des personnes
admissibles renoncent à leur statut légal d’Indien pour le remplacer par un
certificat de Métis. En 1886, les membres de bandes signataires représentent
ainsi plus de la moitié des 1159 certificats octroyés dans l’ouest de la
­Saskatchewan et en Alberta29. Dans l’agence d’Edmonton, 150  Indiens
optent pour le certificat de Métis, de sorte que la population indienne ne

l’armée américaine leur enjoignant de retourner au nord de la frontière. Ibid., 12 novembre 1887,


p. 3.
25. Little Poplar a été tué au Montana en 1886. Ibid., 16 août 1886, p. 1.
26. Ce nombre ne comprend pas la bande de Grizzly Bear’s Head, qui n’est « apparemment jamais
retournée dans sa réserve ». Tyler, Interim Report, p. 5. Selon Titley, « Hayter Reed et l’administration
des Indiens dans l’Ouest », 120 personnes, entre 10 et 15 pour cent des rebelles, « ont retrouvé les
faveurs du Département » en 1888. La plupart des Indiens qui sont retournés en Alberta se sont
établis sur les terres réservées du chef Bobtail et ont alors été désignés sous le nom de « bande du
Montana ». David Lupul, « The Bobtail Land Surrender », Alberta History, 26, 1978, p. 29.
27. Charlie White Weasel, Pembina and Turtle Mountain Ojibway (Chippewa) History from the Personal
Collection and Writings of Charlie White Weasel, Belcourt (Dakota du Nord) : publication à compte
d’auteur, 1994, p. 150.
28. Saskatchewan Herald, 26 juillet 1886, p. 2. Au mois d’août, le journal indique que les Indiens sont
si nombreux à s’inscrire sur la liste des Métis que « la population indienne de la Saskatchewan sera
bientôt réduite à néant ou presque dans les documents officiels ». Ibid., 16 août 1886, p. 1.
29. Ken Hatt, « The North-West Rebellion Scrip Commissions, 1885–1889 », dans : F.  L.  Barron et
James Waldram (dir.), 1885 and After : Native Society in Transition, Regina : Canadian Plains
Research Center, 1985, p. 197 ; CDS, 1887, John A. Macdonald, Rapport du surintendant général
des affaires des Sauvages, 1er janvier 1887, p. lii.
280 L a destruction des I ndiens des P laines

s’élève plus désormais qu’à 843 personnes. En  1886, au lac La Biche,
470  personnes se retirent du traité dont elles sont signataires30. Au prin-
temps 1888, le Saskatchewan Herald rapporte que les trois quarts des habi-
tants de la région du lac des Esclaves sont maintenant des « Sang-Mêlés31 ».
Dans la région du cours inférieur de la Saskatchewan, la population indienne
diminue d’un tiers en  188632. Dans la toute nouvelle agence du lac aux
Oignons (ou lac à l’Oignon, Onion Lake), elle baisse de plus de la moitié du
jour au lendemain ou presque33. Dans l’agence de Battleford, plus de 10 pour
cent de la population des réserves renoncent à leur traité en 188734. Dans
l’agence des File Hills, 117 personnes prennent part à cet « exode volontaire »,
pour reprendre le terme de l’économiste Carl Beal ; les réserves de la région
perdent ainsi 15  pour cent de leurs habitants35. Ceux et celles qui aban-
donnent leur statut d’Indien au profit du certificat de Métis échappent aux
limitations institutionnelles imposées par les traités ; mais ils deviennent
pour la plupart des travailleurs agricoles itinérants et doivent souvent s’en
remettre à la charité de leurs voisins ou de la police pour survivre. C’est par
exemple le cas des « Cumberlands » de la région de Prince Albert. Après
plusieurs années d’un climat défavorable et de récoltes désastreuses, « ils ne
possèdent plus aucun moyen de subsistance si ce n’est la force de leurs bras »,
écrit le surintendant-inspecteur de la police John Cotton. « Ils n’ont pas
d’animaux, ou très peu, qu’il s’agisse de chevaux ou de bétail, et se trouvent
par conséquent dans une situation très misérable36. »
Il n’est pas étonnant que les Indiens soient si nombreux à fuir le pays
ou à renoncer à leur statut : les autorités du Dominion réduisent régulièrement
les rations alimentaires, surtout celles des bandes qu’elles estiment déloyales.
En 1885, alors même que le conflit perturbe l’agriculture dans les réserves, le

30. La population des Pecaysees passe de 992 à  521. CDS, 1887, John A. Macdonald, Rapport du
surintendant général des affaires des Sauvages, 1er janvier 1887, p. li. Les Indiens de la bande de
Passpasschase sont si nombreux à opter pour les certificats de Métis que ses membres restants sont
intégrés à celle d’Enoch en  1887. CDS, 1888, Edgar Dewdney, Rapport du commissaire des
Sauvages, 23 décembre 1887, p. 194.
31. Saskatchewan Herald, 5 mars 1888, p. 4.
32. Environ 500 personnes se retirent des traités. CDS, 1887, John A. Macdonald, Rapport du surin-
tendant général des affaires des Sauvages, 1er janvier 1887, p. xlvii.
33. La population de l’agence passe de 814 à 386. Ibid., p. l.
34. CDS, 1888, Thomas White, Rapport du surintendant général des affaires des Sauvages,
3 janvier 1888, p. lii.
35. Beal, Money, Markets, and Economic Development in Saskatchewan Indian Reserve Communities,
p. 197.
36. Les documents font état d’une misère tout aussi grande le long de la rivière Carotte, à la fourche de
la rivière Saskatchewan, à Fort La Corne et dans les Birch Hills (Buttes-de-Bouleau). BAC, RG 18,
vol. 32, f. 262, Relief of Destitute Halfbreeds at Prince Albert, John Cotton, Memorandum to the
Commissioner, 10 February 1890, p. 238.
9  L’ effondrement démographique des collectivités autochtones , 1886-1891 281

Dominion abaisse ses dépenses alimentaires de plus de 40 000 $37. Au lende-


main des affrontements, le MAI restreint encore la distribution des vivres et
en prive même complètement les bandes rebelles. Le premier ministre recon-
naît que ces compressions causeront « d’indéniables souffrances », mais ajoute
du même souffle qu’elles « éviteront d’alourdir à l’excès le fardeau financier
du Trésor public38 ».
Dans les deux années qui suivent les affrontements de 1885, les bandes
désignées comme rebelles affichent des taux de mortalité effarants. Maureen
Lux l’estime à 233,5 pour 1 000 chez les Cris de Thunderchild, et à 185 pour
1 000 dans la bande de Sweet Grass39. Les observateurs dénombrent dans
l’agence de Battleford quatre fois plus de décès que de naissances. La mort
frappe si durement les Stoneys de Sharphead (Tête-Pointue) du centre de
l’Alberta qu’ils disparaissent en tant que groupe distinct40. Si la tuberculose
reste la principale cause de mortalité chez les Indiens dans les années 1880,
deux autres épidémies graves de maladies infectieuses aiguës déciment aussi
les populations autochtones à la fin de cette décennie.
Même les bandes épargnées par le courroux du Dominion et ses repré-
sailles vivent des années terribles. Dans la biographie que Hugh Dempsey
consacre à Crowfoot, une photographie le montrant avec ses enfants en 1884
illustre bien l’ampleur des souffrances qui peuvent affliger une même famille :
deux ans plus tard, les huit enfants de la photo étaient morts41.
Crowfoot lui-même succombe à une « congestion pulmonaire » au
printemps 189042. Alors que les bandes qui sont restées fidèles aux autorités
ne doivent en principe pas être punies, la plupart subissent néanmoins
d’énormes privations après le soulèvement. Depuis Assissippi, le révérend
John Hines rapporte à l’été  1885 que les gens « meurent littéralement de
faim » parce que tous les représentants du MAI sont « partis à Regina pour le
procès et semblent avoir tout oublié des vivres destinés aux Indiens restés

37. Les dépenses alimentaires s’élèvent à 547 595 $ en 1884 ; elles ne sont plus que de 504 255 $ l’année
suivante. Beal, Money, Markets, and Economic Development in Saskatchewan Indian Reserve
Communities, p. 140.
38. SAB, John A. Macdonald Papers, R-70, Macdonald to Dewdney, 5 July 1885, n. pag.
39. Lux, Medicine that Walks, p. 58. Pour illustrer l’ampleur de l’hécatombe dans la région, l’auteure
rappelle que le taux de mortalité s’élève alors à 31,6 pour 1 000 à Québec, et 20 pour 1 000 à Paris
et Londres.
40. Les survivants de cette bande ont été intégrés à celle d’Ironhead (Tête-de-Fer) en 1895. Brian Titley,
« The Fate of the Sharphead Stonies », Alberta History, 39, 1991, p. 8.
41. Dempsey, Crowfoot, p. 181.
42. Turner, The North-West Mounted Police, 2, p. 483.
282 L a destruction des I ndiens des P laines

Le chef Crowfoot et sa famille, 1884. Glenbow Archives, NA-1104-1.

loyaux43 ». Pendant que la famine ravage les populations des réserves, les
vivres importés pour la milice « s’empilent et pourrissent44 ».
Les Autochtones des terres réservées s’enfoncent de plus en plus dans
une misère horrifiante encore accentuée par leur vulnérabilité face à l’offensive
tuberculeuse. Or, une autre calamité va bientôt s’abattre sur eux. L’achèvement
récent du chemin de fer du Canadien Pacifique marque le début de la
colonisation agricole à grande échelle ; il apporte également de nouvelles
maladies infectieuses dans le Nord-Ouest. Pour bon nombre des habitants
des réserves, la mort arrive par le train. Très vite, les effets cumulés de la
tuberculose chronique et des autres maladies infectieuses, en particulier la
rougeole et la grippe, amènent la population autochtone des Plaines
canadiennes à son niveau démographique le plus bas.
En 1886, la rougeole et la coqueluche sont acheminées par les voies de
transport jusqu’aux populations autochtones fragilisées par la malnutrition et
l’affaissement de leurs défenses immunitaires. Les premiers cas de rougeole

43. BAC, CMS, microfilm A-113, Assissippi Journal, 3 August and 23 August 1885, p. 2-3.
44. SAB, John A. Macdonald Papers, R-70, télégramme Macdonald to Dewdney, 24  August  1884,
p. 363 ; télégramme déchiffré Dewdney to Macdonald, 25 août 1885, p. 365.
9  L’ effondrement démographique des collectivités autochtones , 1886-1891 283

sont rapportés en août dans l’est de l’Alberta ; en septembre, toute la région


d’Edmonton est touchée45. Évidemment, les réserves sont les plus durement
frappées. L’agent des Indiens Anderson écrit ainsi : « Il y a eu beaucoup de
décès cette année », causés par « [une rougeole] des plus malignes. Presque
tous les cas ont commencé par un gros rhume qui s’attachait aux poumons.
J’ai vu qu’ils ont eu de bons soins médicaux qui en ont sauvé un grand
nombre46. » Au sud de là, les Niitsitapis subissent également de nombreuses
pertes, notamment parmi les plus jeunes47. Le lien de cause à effet entre la
faim et la gravité de l’épidémie de rougeole se manifeste de plus en plus
clairement dans les réserves. De nombreux représentants des autorités
persistent pourtant à le nier : la diminution des quantités de vivres fournis
« n’a rien à voir avec la rougeole des enfants », affirme ainsi Magnus Begg,
« mais les Indiens ne voient pas les choses de cette façon48 ». Les recherches
établissent toutefois sans aucun doute possible la corrélation entre la malnu-
trition et les ravages de l’infection : la rougeole peut tuer quatre fois plus de
gens dans une population qui ne mange pas à sa faim que dans une popula-
tion bien nourrie49.
La Compagnie de la Baie d’Hudson améliore notablement son réseau
de transports dans le nord de l’Alberta ; la maladie y progresse également de
manière fulgurante. La disparition du gibier et la famine exacerbent la crise
sanitaire50. La migration de nombreux Cris vers le Nord, jusque dans le
territoire des Dunnezas, contribue aussi à cette détérioration de l’état de
santé des populations autochtones. Les Indiens souffrent de « la consomp-
tion, le rhumatisme et la scrofule, mais aussi du manque de nourriture » ;
cependant, l’évolution démographique de la région de la rivière de la Paix
s’explique avant tout par le fait que les Dunnezas « meurent en grand nombre,

45. Saskatchewan Herald, 20 septembre 1886, p. 1.


46. CDS, 1888, W. Anderson, Rapport de l’agence d’Edmonton, n.d., p. 104.
47. Hartwell Bowsfield (dir.), The Letters of Charles John Brydges, 1883–1889, Hudson’s Bay Company
Land Commissioner, Winnipeg : Hudson’s Bay Record Society, 1981, « C. J. Brydges to William
Armit, 19 September 1887 », p. 293.
48. Lux, Medicine that Walks, p. 65.
49. David C. Morley, « Nutrition and Infectious Disease », dans : E.  J.  Clegg et J.  P.  Garlick (dir.),
Disease and Urbanization : Symposia for the Study of Human Biology (vol. 20), Londres : Taylor and
Francis, 1980, p. 37. Voir également : David C. Morley, « Severe Measles », dans : N. F. Stanley et
R. A. Joske (dir.), Changing Disease Patterns and Human Behaviour, Londres : Academic Press, 1980,
p. 124-125. L’épidémie de rougeole s’est maintenue jusqu’en 1889 et aurait fait de très nombreux
morts au Canada et aux États-Unis. Voir : E. Wagner Stearn et Allen E. Stearn, The Effect of Smallpox
on the Destiny of the Amerindian, Boston : Bruce Humphries Publishers, 1945, p. 107.
50. William T. Hornaday, The Extermination of the American Bison with a Sketch of Its Discovery and Life
History, Washington (DC)  : Smithsonian Institution, Government Printing Bureau 1889,
p. 526-527.
284 L a destruction des I ndiens des P laines

tandis que les Cris arrivent de plus en plus nombreux depuis le Petit lac des
Esclaves et Edmonton51 ». Au lac La Biche, 27 personnes succombent à la
flambée infectieuse en octobre 1886. Dès le printemps suivant, elle aura fait
160  morts52. La rougeole et la coqueluche ravagent très longtemps
l’Athabasca ; 150 personnes en meurent au lac des Esclaves53. À la mission
d’Assissippi, Hines écrit : l’épidémie « a attaqué mes Indiens de Stony Lake
(lac Pierreux ; lac des Roches), tuant presque le quart d’entre eux, essentiel­
lement des hommes54 ». La mission elle-même est relativement épargnée ;
néanmoins, son taux de mortalité augmente considérablement en 1886 et
188755. S’ils ne précisent pas la cause des décès constatés, les documents
historiques révèlent à la mission anglicane du lac La Ronge un taux de morta-
lité cinq fois plus élevé en 1887 qu’en temps normal56. L’épidémie de
rougeole, par l’ampleur même des ravages qu’elle cause dans le nord de la
Saskatchewan, témoigne du fait que ces collectivités connaissaient peu la
maladie avant ce déferlement de pathogènes. Hormis cet épisode rougeoleux,
l’état de santé des populations septentrionales reste relativement stable dans
la deuxième moitié du 19e siècle. Parce qu’elles subviennent à leurs propres
besoins alimentaires, qu’elles ont préservé leurs économies traditionnelles et
qu’elles ne sont pas entravées par le très strict système des réserves, les collec-
tivités du nord de la Saskatchewan ne sont pas décimées par la tuberculose
comme celles du sud l’ont été57. Dans les 10 ans qui suivent la signature des
traités, un écart considérable se creuse ainsi entre les Autochtones septentrio-
naux, relativement peu malades, et les Méridionaux, sur lesquels s’abattent
d’innombrables maux. Au total, une tendance très nette se dessine : moins les
Autochtones sont en relation avec le ministère des Affaires indiennes, mieux
ils se portent58.
Dans le sud de l’Alberta, la rougeole tue 10  pour cent des Stoneys
(Nakotas) à l’hiver 1886-188759. L’agent des Indiens William de Balinhard

51. Saskatchewan Herald, 25 septembre 1889, p. 4.


52. Ibid., 1er novembre 1886, p. 4 ; 6 août 1887, p. 3 ; 20 mars 1889, p. 2.
53. Ibid., 5 mars 1888, p. 4.
54. John Hines, The Red Indians of the Plains : Thirty Years Missionary Experience in the Saskatchewan,
Londres : Society for Promoting Christian Knowledge, 1915, p. 216-217. Voir aussi : Saskatchewan
Herald, 12 février 1887, p. 1.
55. SAB, Anglican Diocese of Saskatchewan, Parish Register of Burials, Assissippi Mission. Les registres
font état de 13 enterrements pour l’année 1887 seulement.
56. SAB, Anglican Diocese of Saskatchewan, Parish Register of Burials, Stanley Mission. Les registres
signalent 25 enterrements pour l’année 1887.
57. Helen Buckley, From Wooden Ploughs to Welfare : Why Indian Policy Failed in the Prairie Provinces,
Montréal : McGill-Queen’s University Press, 1992, p. 37.
58. Lux, Medicine that Walks, p. 147-148.
59. Ibid., p. 64.
9  L’ effondrement démographique des collectivités autochtones , 1886-1891 285

affirme que « les [Stoneys] ont toujours paru avoir moins de vigueur […]
pour résister aux attaques d’une maladie quelconque, quoi qu’on n’ait pu
découvrir une explication satisfaisante de cette singularité malheureuse ».
Dans la bande de Chapoustiquhan, presque toutes les familles perdent au
moins l’un des leurs60. En octobre  1886, la maladie emporte le tiers des
Stoneys de Sharphead en moins d’un an61. Cette communauté ne s’en
relèvera jamais ; ses survivants s’intégreront à la bande dirigée par Ironhead
(Tête-de-Fer). À la fin de cette décennie, la maladie a déjà fait 29 morts au lac
aux Oignons62.
En 1889-1890, une flambée infectieuse aiguë plus dévastatrice encore
éclipse les nombreuses morts de l’épidémie de rougeole. La grippe s’abat sur
les groupes affaiblis par la faim et sur les populations des réserves ravagées par
la tuberculose ; elle amènera les Autochtones à un creux démographique sans
précédent. Ce nouveau fléau ne touche pas que le Nord-Ouest canadien : il
s’inscrit dans le contexte de la toute première pandémie véritablement
mondiale dont les documents historiques aient conservé la trace. Surnommée
la « grippe russe » parce qu’elle a émergé à l’est des montagnes du Caucase en
1889, elle conquiert le monde en moins d’un an63. Cette maladie, « la
première à se propager aussi rapidement que les trains et les bateaux à vapeur »,
fera un million de victimes sur toute la planète64. Dewdney en décrit les effets
dans la population autochtone du Dominion :
L’épidémie d’influenza connue vulgairement sous le nom de la grippe a sévi
presque généralement parmi les Sauvages l’hiver et le printemps derniers.
Presque chaque bande de l’Atlantique au Pacifique, et au nord aussi loin
qu’il a été reçu des rapports, a été attaquée […], et bon nombre de vieilles
personnes et d’autres atteintes de maladies pulmonaires ou chroniques, ou
dont la constitution était délicate, ont succombé à la suite des complications
résultant de cette affection catarrhale.

60. CDS, 1888, T. P. Wadsworth, inspecteur des réserves des Sauvages, Battleford, 20 octobre 1887,
p. 145.
61. Titley, « The Fate of the Sharphead Stonies », p. 6-7, indique que 47 de ces morts étaient des garçons
et des filles de moins de 15 ans.
62. Laurel Schenstead-Smith, « Disease Pattern and Factors Relating to the Transmission of Disease
among the Residents of the Onion Lake Agency », Na Pao : A Saskatchewan Anthropological Journal,
12, 1982, p. 3-4.
63. Richard Gallagher, Diseases that Plague Modern Man : A History of Ten Communicable Diseases, New
York : Oceana Publications, 1969, p. 46. Il se peut aussi que la maladie soit venue de Chine, d’où
son autre surnom de « grippe asiatique ».
64. Voir : http://www.globalsecurity.org/security/ops/hsc-scen-3_pandemic-influenza.htm.
286 L a destruction des I ndiens des P laines

La diminution de la population de plusieurs bandes dans les anciennes


provinces mêmes provient de la mortalité qui, dans un si grand nombre de
cas, a suivi les attaques de la maladie65.
Dans son rapport, Reed souligne que la « prédisposition [des Indiens] aux
affections pulmonaires » rend la grippe beaucoup plus dévastatrice pour
eux que pour les Blancs66. Les rapports annuels du MAI signalent à
maintes reprises les conséquences mortelles de la grippe en tant que telle
ainsi que ses effets délétères sur les tuberculeux. Dans les Touchwood Hills,
l’agent des Indiens Keith indique qu’elle a « enlevé plusieurs des poitri-
naires (malades de tuberculose pulmonaire) ». À Muscowpetung, J. B. Lash
observe qu’elle a emporté « un certain nombre de ceux qui souffraient de
maladies de poumons ». À Birtle, au Manitoba, J. A. Markle écrit : « Un
certain nombre souffrent de scrofules, et [… ] ils ont été attaqués de l’épi-
démie courante “la grippe”. Plusieurs sont morts de ces deux maladies et
d’autres en ressentent encore les effets. » À Clandeboye, au Manitoba,
l’agent précise : « Je suis sûr qu’à un moment donné nous avons eu 500
malades, dont un grand nombre ne sont pas encore tout à fait rétablis, et
je remarque qu’il en est résulté plus de consomption et de scrofules67. »
Une coqueluche très grave précède parfois la grippe. En janvier 1889,
la toux coquelucheuse contamine « presque tous les foyers de la ville » à Batt-
leford68. Effaré par les multiples flambées pathologiques qui frappent simul-
tanément la région, le Saskatchewan Herald s’exclame : « Qu’il s’agisse de la
scarlatine, de la variole ou quelque autre maladie contagieuse, ce fléau est
suffisamment sévère pour exiger l’intervention rapide des autorités ! » En
février, la maladie gagne la collectivité dénée de Cold Lake (lac Froid) et tue
30 personnes. Constatant les ravages que l’infection cause chez les Dénésu-
linés (Chipewyans) relativement prospères, le Saskatchewan Herald prévoit
qu’elle sera plus dévastatrice encore pour les populations des réserves des
Plaines, miséreuses et affamées : « La maladie ne manquera pas de provoquer
un très grand nombre de morts. » Le journal en décrit les symptômes : « Tous
les muscles du cou enflent ; ces parties du corps qui ont gonflé deviennent

65. CDS, 1891, Edgar Dewdney, Rapport du surintendant général des affaires des Sauvages,
13 janvier 1891, p. xi. Les « affections catarrhales » sont des infections des muqueuses accompagnées
d’hypersécrétions dans la bouche ou la gorge.
66. CDS, 1891, Rapport du commissaire des Sauvages, Regina, octobre 1890, p. 136.
67. CDS, 1891, 30 août 1890, p. 39 ; 1er septembre 1890, p. 41 ; 18 août 1890, p. 43 ; A. M. Muckle,
Clandeboye (Manitoba), 30  août  1890, p.  32. Lux, Medicine that Walks, p.  87, souligne que la
pneumonie bactérienne constitue la principale cause de mortalité associée à cette épidémie.
68. Saskatchewan Herald, 23 janvier 1889, p. 1.
9  L’ effondrement démographique des collectivités autochtones , 1886-1891 287

affreusement douloureuses et le mal de gorge se fait bientôt sentir ; le tout


[…] s’accompagne d’un sentiment généralisé de faiblesse et d’indisposition.
Le malade ne peut prendre que du riz bouilli et autres aliments mous69. »
Les maigres rations du MAI aggravent incontestablement la mortalité
dans les réserves. Ayant vu la grippe emporter 26  personnes de sa bande,
Piapot réclame à Dewdney « du bœuf pour mes malades ». En janvier 1890,
près d’Edmonton, l’instructeur agricole O’Donnell fournit des vivres en
surcroît des malingres portions quotidiennes réglementaires pour soulager les
souffrances de la collectivité ravagée par la maladie ; il doit essuyer d’acerbes
critiques. En mars, les habitants des réserves de Thunderchild et de Sweet
Grass refusent d’envoyer leurs enfants à l’école ; les autorités les privent de
rations en guise de représailles70. En dépit de la maladie qui dévaste la région,
le MAI persiste à imposer des restrictions draconiennes à son programme
alimentaire71.
Plusieurs autres mesures du ministère des Affaires indiennes aggravent
la crise pendant l’épidémie, par exemple sa « politique agricole paysanne » de
sinistre mémoire. Elle limite les capacités de commercialisation des agricul­
teurs des réserves afin qu’ils ne livrent pas une concurrence trop impor­tante
aux fermiers blancs ; elle vise aussi à comprimer les dépenses consacrées aux
populations signataires72. Ce « programme insensé » accule les fermiers
indiens à « la marginalisation, à l’isolement complet par rapport à la société
de l’Ouest canadien73 ». De 1887 à 1896, un interminable cycle de séche-
resses freine la progression de l’agriculture dans toutes les Plaines74. Cons­
ternés par leurs piètres récoltes, les colons redoutent de plus en plus la
concurrence des agriculteurs indiens ; ils réclament (et obtiennent) la mise en
place de nouvelles restrictions à la mise en marché des produits cultivés dans
les réserves75. Au Dakota, les intempéries auraient poussé 20 000 familles de

69. « The Indian Epidemic », ibid., 6 février 1889, p. 2.


70. Lux, Medicine that Walks, p. 87.
71. CDS, 1891, Edgar Dewdney, Rapport du surintendant général des affaires des Sauvages,
13 janvier 1891, p. xxvii-xxviii.
72. Sarah Carter, Lost Harvests : Prairie Indian Reserve Farmers and Government Policy, Montréal :
McGill-Queen’s University Press, 1990, p. 193-236 ; Sarah Carter, « Two Acres and a Cow : ‘Peasant’
Farming for the Indians of the Northwest, 1889–1897 », dans : J. R. Miller (dir.), Sweet Promises : A
Reader in Indian–White Relations in Canada, Toronto : University of Toronto Press, 1991,
p.  353-377. Robert Nestor affirme que ce programme a été mis en œuvre pour des raisons
budgétaires ; Hayter Reed, Severalty, and the Subdivision of Indian Reserves on the Canadian Prairies,
p. 121.
73. Buckley, From Wooden Ploughs to Welfare, p. 52-53.
74. David Sauchyn et Walter Skinner, « A Proxy Record of Drought Severity for the Southwestern
Canadian Plains », Canadian Water Resources Journal, 26, 2001, p. 266.
75. Carter, Lost Harvests, p. 181-190.
288 L a destruction des I ndiens des P laines

Danse de la soif crie, Edmonton (Alberta), vers 1883-1884. Glenbow Archives, NA-4489-4.

colons au bord de la famine76. La sécheresse frappe si durement que les


colons brûlent les mauvaises herbes en guise de carburant. Plus tard, les auto-
rités leur permettront de récolter du bois dans les terres des réserves. Dans le
nord de l’Alberta, la baisse du niveau de l’eau tue des milliers de castors et
porte un coup supplémentaire à l’économie déjà précaire de la région77. Les
animaux seraient morts d’une « maladie du cœur » causée par la contamina-
tion hydrique, et comparable à l’épidémie tularémique qui les a décimés dans
les années 1790.
La conjonction des intempéries, de la tuberculose et de la grippe prive
de nombreuses réserves de leurs dirigeants. Ainsi, le chef Beardy s’éteint
avec plusieurs autres membres de sa collectivité pendant l’épidémie78. Le
chef stoney Mosquito meurt en février 189079. Crowfoot, grand chef des
Niitsitapis, succombe également : « Pendant l’hiver  1887-1888, [il] était

76. Saskatchewan Herald, 13 novembre 1889, p. 1. Les estimations dénombrent 4 000 agriculteurs indi-
gents dans le nord du Dakota pour l’année qui commence. Ibid., 5 février 1890, p. 3.
77. Ibid., 18 août 1888, p. 3-4 ; 8 septembre 1888, p. 2. L’extermination de la dernière harde de bisons
septentrionale a considérablement déstabilisé l’économie de subsistance du nord de l’Alberta. Ibid.,
20 mars 1889, p. 4.
78. Stephen Sliwa, Standing the Test of Time : A History of the Beardy’s/Okemasis Reserve, 1876–1951
(mémoire de maîtrise), Trent University, 1993, p. 93. La bande n’a pas eu de chef jusqu’en 1936,
plus de 40 ans plus tard. SAB, bobine  2.75, School Histories of 35 Indian Reserves, « Beardy’s
Reserve », p. 20.
79. Saskatchewan Herald, 12 février 1890, p. 1.
9  L’ effondrement démographique des collectivités autochtones , 1886-1891 289

presque tout le temps malade, et même s’il continuait de lutter pour les
droits de son peuple, il savait qu’il était en train de perdre son propre
combat contre la mort. » Crowfoot doit garder le lit pendant presque un an ;
sa vue décline considérablement. Peu avant sa mort, il sombre dans le coma.
À sa disparition, ses responsabilités incombent successivement à plusieurs
de ses proches, « mais aucun d’eux n’a pu se montrer chef aussi remarquable
qu’il l’avait été80 ».
Les communautés affrontent de leur mieux les flambées pathologiques
de plus en plus brutales qui s’abattent sur elles et les hécatombes qu’elles
sèment dans leur sillage81. Nombreux sont ceux et celles qui se tournent vers
la religion. La spiritualité ojibwée reprend de la vigueur dans la région du lac
Winnipeg, et de grandes cérémonies de médecine (les midewiwins) sont
organisées jusque très loin dans l’ouest, au lac aux Oignons82. D’autres rituels
religieux gagnent également du terrain à la fin des années 1880. Dans la
réserve d’Ahtahkakoop ont lieu plusieurs cérémonies, notamment la Danse
du soleil et la Danse du don (matahitowin), « une danse sacrée en l’honneur
de Pahkahkos, esprit de la famine83 ». Les Indiens tiennent aussi une Danse
du soleil à Fort Macleod en 1889 : « Cela les trouble et les incite à reproduire
les exploits de leurs ancêtres », observe un représentant des autorités84. L’objectif
premier de la Danse du soleil est d’apporter la guérison, à tout le moins le
soulagement des maux. Cette cérémonie persiste « parce qu’elle repose sur
une croyance en une renaissance et une régénération possibles du monde et
de l’humain, et que cette croyance conserve alors toute sa pertinence85 ».
Le mouvement de regain autochtone le plus important de cette époque
marquée par l’épidémie de grippe reste toutefois la Danse des esprits. Prenant
naissance chez les Païutes du Nevada, il déferle ensuite dans tout l’ouest des

80. Dempsey, Crowfoot, p. 208-216.


81. Lux, Medicine that Walks, p. 83-84.
82. CDS, 1889, Rapport de la surintendance du Manitoba, E. McColl, Winnipeg, 14 novembre 1888,
p. 160. Les cérémonies de midewiwin n’ont probablement jamais complètement disparu dans le
nord de la prairie-parc de la Saskatchewan. En 1884, John Hines rapporte que « les Indiens païens
se rassemblent au lac Pélican pour leur “Metahawin” annuel ; c’est dans cette manifestation qu’ils
pratiquent toutes leurs cérémonies superstitieuses ». BAC, CMS, microfilm A-112, Assissippi
Journal, 6 June 1884, n. pag.
83. Pahkahkos, « le fantôme-squelette » qui se serait sacrifié pour que les autres continuent de vivre, est
associé à la famine. Katherine Pettipas, Severing the Ties that Bind : Government Repression of
Indigenous Religious Ceremonies on the Prairies (Manitoba Studies in Native History), Winnipeg :
University of Manitoba Press, 1994, p. 55.
84. Hubner, « Horse Stealing and the Borderline », p. 285 ; Pettipas, Severing the Ties that Bind, p. 99.
85. Pour en savoir plus sur les aspects thérapeutiques de la cérémonie et sur son élimination par les
autorités canadiennes, voir : Pettipas, Severing the Ties that Bind, p. 183-185.
290 L a destruction des I ndiens des P laines

États-Unis86. Son fondateur, Wovoka, reçoit sa vision le jour d’une éclipse


solaire, alors qu’il est « très malade de la fièvre87 ». Il insiste sur la nécessité de
vivre dans la paix et de mener une existence juste ; il souligne que « les rituels
de la Danse des esprits ramèneront les Indiens morts à la vie et à l’abon-
dance88 ». La cérémonie doit permettre aux participants de « se libérer pour
toujours de la mort, de la maladie et de la misère ». Si le mouvement prend
des formes très diverses, James Mooney note qu’elles reposent toutes sur une
même certitude : « La ferveur et l’assiduité aux danses éloignent les maux et
rendent la santé aux malades89. »
La manifestation la plus tragique de la Danse des esprits se produit en
1890, chez les Lakotas de l’agence de Standing Rock. Mooney décrit le
contexte qui a mené à la propagation du mouvement chez les Lakotas :
En 1888, la maladie a décimé leurs bestiaux. En 1889, les champs ne leur
ont donné que de maigres récoltes. […] Ensuite se sont succédé très
rapidement les épidémies de rougeole, de grippe et de coqueluche, qui ont
causé des ravages terribles. […] Les gens disaient que leurs enfants mouraient
tous les uns après les autres, et qu’il vaudrait sans doute mieux pour eux
qu’ils soient tous tués tous d’un coup. […] En 1890, les récoltes ont encore
été désastreuses, les rations de vivres soudainement réduites, et les Indiens
ont alors été précipités dans la famine90.
Entre 1886 et 1888, les vivres destinés aux 10 000 Lakotas Sioux des
réserves de Pine Ridge et de Standing Rock sont diminués de plus de la moitié.
À l’été 1890, les autorités donnent l’ordre de les restreindre plus encore. Les
Indiens « expriment alors concrètement leur mécontentement pour la première
fois : ils s’insurgent contre ces nouvelles dispositions et menacent l’agent ».
Incapable de régler la situation, l’agent Gallagher démissionne91.
La Danse des esprits des Lakotas s’apparente en réalité à une prière
pour l’extermination du Blanc et le retour à la suprématie indienne. L’aspect
guerrier du rituel lakota constitue peut-être une hérésie par rapport à
l’intention pacifiste de cette danse à l’origine. À l’époque, les politiques très

86. Alice B. Kehoe, The Ghost Dance : Ethnohistory and Revitalization, Fort Worth : Holt, Rinehart and
Winston, 1989, p. 4-5. Voir également : Ronald Niezen, Spirit Wars : Native North American Religion
in the Age of Nation Building, Berkeley : University of California Press, 2000, p. 130-136.
87. Kehoe, The Ghost Dance, p. 5. Une éclipse solaire complète a eu lieu 1er janvier 1889.
88. Henry Dobyns et Robert Euler, The Ghost Dance of 1889 among the Pai Indians of Northwestern
Arizona, Prescott (Arizona) : Prescott College Press, 1967, p. 1-2.
89. James Mooney, The Ghost Dance Religion and the Sioux Outbreak of 1890, Lincoln : University of
Nebraska Press, 1991, p. 786.
90. Ibid., p. 826-827.
91. Ibid., p. 845-846.
9  L’ effondrement démographique des collectivités autochtones , 1886-1891 291

contraignantes mises en œuvre par les États-Unis, la sécheresse, la grippe et la


pléthore des autres maladies causées ou aggravées par la malnutrition
favorisent toutefois l’émergence d’une réinterprétation apocalyptique des
enseignements de Wovoka. Les Lakotas suscitent alors des craintes si
considérables que Sitting Bull, le chef de Standing Rock, est tué lors d’une
tentative bâclée d’arrestation, le 15 décembre  189092. Une quinzaine de
jours plus tard, les soldats tentent de désarmer un groupe nombreux de
Lakotas à Wounded Knee ; leur intervention fera 200 victimes, hommes,
femmes et enfants93. Bien qu’il se montre généralement favorable à l’armée
dans son interprétation des événements qui ont mené à cette tuerie, Mooney
ne laisse pas dans l’ombre les atrocités commises : « L’opération a tourné au
massacre pur et simple. Les soldats ont abattu des femmes qui se sauvaient
avec des bébés dans les bras, alors même que les Indiens ne leur opposaient
plus aucune résistance et que tous les guerriers gisaient sur le sol, morts ou
mourants94. » La tuerie de Wounded Knee est aujourd’hui largement consi-
dérée comme le moment le plus sombre de la condition amérindienne aux
États-Unis. Analysant les aspects démographiques du mouvement de la
Danse des esprits, Russell Thornton souligne qu’il « s’est développé presque
au moment exact où la population indienne des États-Unis atteignait son
niveau le plus bas95 ».
Pendant les troubles de 1890, les autorités renforcent les patrouilles
frontalières au nord du 49e parallèle et instaurent une surveillance plus stricte
des achats de munitions par les Indiens96. Les policiers reçoivent l’ordre de
« désarmer tous les Indiens des États-Unis qui chercheraient à traverser la
frontière et de leur imposer une taxe sur leurs chevaux, faute de quoi ils
devront être refoulés97 ». En novembre, le surintendant Antrobus écrit que les
réserves de Battleford sont maintenant hermétiquement closes : les habitants

92. Ibid., p. 857. Dee Brown propose une autre version de la mort de Sitting Bull dans Enterre mon cœur
à Wounded Knee : une histoire américaine, 1860-1890 (traduit de l’américain par Nathalie
Cunnington), Paris : Albin Michel, 2009, p. 445-446.
93. Mooney, The Ghost Dance Religion and the Sioux Outbreak of 1890, p. 869. Voir également : Brown,
Enterre mon cœur à Wounded Knee, p. 424-425. Avec une mobilisation de 6 000 à 7 000 soldats, cette
opération était la plus vaste que l’armée des États-Unis ait déployée depuis la fin de la guerre de
Sécession. Jeffrey Ostler décrit les raisons de cette démonstration de force du gouvernement améri-
cain dans : The Plains Sioux and U.S. Colonialism from Lewis and Clark to Wounded Knee, Cambridge
(R.-U.) : Cambridge University Press, 2004, p. 288.
94. Mooney, The Ghost Dance Religion and the Sioux Outbreak of 1890, p. 869-870.
95. Russell Thornton, We Shall Live Again : The 1870 and 1890 Ghost Dance Movements as Demographic
Revitalization, Cambridge (R.-U.) : Cambridge University Press, 1986, p. 45-46.
96. Beahen et Horral, Les Tuniques rouges dans la Prairie, p. 68-69.
97. « L. W. Herchmer to Superintendent Steele, telegram, 7 December 1890 », dans : Naylor, Index to
Aboriginal Issues Found in the Records of the North West Mounted Police, entrée 152.
292 L a destruction des I ndiens des P laines

« sortent très rarement de leurs réserves, à moins que ce ne soit avec permis-
sion. Leur succès [agricole] est en grande partie sinon tout à fait dû à l’habileté
et à l’énergie des agents du département des Affaires indiennes et des préposés
à l’agriculture, qui font de louables efforts pour les encourager98 ». Quelques
jours à peine avant que les violences n’éclatent à Standing Rock, l’inspecteur
G. E. Sander relève que plus de 20 000 personnes se trouvent « dans la grande
réserve des Sioux du sud du Montana, là où les troubles sont les plus
probables » ; il met également les autorités en garde contre le risque de propa-
gation des turbulences vers le nord99. Une semaine avant le bain de sang, « des
Indiens en armes se dirigeant vers les réserves à l’ouest de Qu’Appelle ont été
appréhendés et amenés sous escorte jusqu’à Indian Head100 ». En janvier 1891,
les autorités canadiennes apprennent que des danses de guerre ont eu lieu
dans la région de Turtle Mountain, dans le Dakota du Nord ; des policiers
sont déployés à la frontière pour empêcher que la Danse des esprits et d’autres
manifestations et désordres de même nature n’entrent en territoire cana-
dien101. Plus à l’ouest, des rumeurs affirment que des émissaires indiens ont
rencontré les Kainahs en prévision d’un soulèvement au sud de la frontière :
elles fournissent au Dominion « un excellent prétexte de panique102 ».
Les violences de Standing Rock retentissent dans l’ensemble du conti-
nent. Dans l’introduction de son rapport de surintendant général des Affaires
indiennes de 1891, Dewdney mesure l’importance de ce qu’il appelle « l’en-
gouement du Messie » et signale qu’il possède « suffisamment de raisons de
croire que des émissaires ou messagers furent envoyés par les Sauvages mécon-
tents des États-Unis à quelques-uns de nos Sauvages, dans l’espoir de les
engager à prêter leur appui au mouvement, mais ils ont rejeté leurs ouver-
tures et n’ont pas répondu103 ». Même si les manifestations radicales de la
Danse des esprits ne franchiront jamais la frontière vers le nord104, la grogne

98. SAB, bobine R-2.563, Alphonse Little Poplar, Miscellaneous Indian Policy Documents Relating to the
Sweet Grass Reserve, p. 4. Barron, « The Indian Pass System in the Canadian West », p. 31, analyse les
mesures de confinement mises en place pour endiguer la propagation de la Danse des esprits et
autres mouvements religieux venus de l’extérieur.
99. BAC, RG 18, vol. 46, dossier 15, « Report of G. E. Sander, Inspector, to E. W. Jarvis, Superintendent,
19 December 1890 », dans : Naylor, Index to Aboriginal Issues Found in the Records of the North West
Mounted Police, entrée 151.
100. « Letter from L. W. Herchmer, Commissioner, to unknown, 22 December 1890 », dans : Ibid.,
entrée 155.
101. Beahen et Horral, Les Tuniques rouges dans la Prairie, p. 60.
102. Barron, « The Indian Pass System in the Canadian West », p. 33-34.
103. CDS, 1892, Edgar Dewdney, Rapport du surintendant général des affaires des Sauvages,
janvier 1892, p. ix.
104. Des membres de la bande de Sitting Bull vivant à Wood Mountain auraient pratiqué cette danse
jusqu’en 1895. Les Dakotas de la Saskatchewan ont renoncé à la danse en tant que telle à la fin des
9  L’ effondrement démographique des collectivités autochtones , 1886-1891 293

qui s’exprime de plus en plus ouvertement dans les réserves inquiète les auto-
rités canadiennes au point qu’elles finissent par interdire plusieurs autres
pratiques religieuses autochtones105. Depuis 1885, l’opinion publique
exprime une hostilité croissante à l’égard des Premières Nations. Dès les
années  1890, les Amérindiens, jadis regardés comme de simples sources
d’agacement, des vagabonds relativement inoffensifs ou les derniers représen­
tants d’une race en voie d’extinction, sont de plus en plus considérés comme
« une véritable menace pour les biens et la vie des colons blancs106 ». Jusqu’en
1895, l’application rigoureuse du système des laissez-passer restreint la parti-
cipation aux cérémonies religieuses autochtones. En 1895, le Dominion
lance de surcroît une offensive frontale contre les pratiques spirituelles en
élargissant l’article  14 de la Loi sur les Indiens pour interdire désormais la
plupart des cérémonies religieuses107. La mise en œuvre très stricte du
système de laissez-passer vise en fait un double objectif, car elle doit aussi
apaiser les revendications des éleveurs, qui accusent les Indiens de tuer leurs
bestiaux. Un journal de Calgary reproche au MAI de distribuer avec trop de
libéralité des laissez-passer aux Indiens qui veulent aller chasser, ajoutant que
« le seul gibier qui reste dans ces terres, c’est le bétail108 ! » Les éleveurs ont
une autre excellente raison d’exhorter les autorités à maintenir, voire resserrer,
le système des laissez-passer : le renouvellement des contrats gouvernemen-
taux d’achat de bœuf, qui ont considérablement baissé dans les années précé-
dentes109. Dès 1892, la police exprime pourtant de sérieux doutes quant à la
légalité du système110. Loin de se laisser émouvoir, le Dominion impose de
nouvelles restrictions à la population indienne et adopte des textes législatifs
qui interdisent les échanges commerciaux entre les réserves et les collectivités
blanches, sauf autorisation des représentants du Ministère.

années 1890, mais ils ont alors incorporé son système de croyances aux pratiques religieuses
existantes, donnant ainsi naissance au mouvement New Tidings. Il s’est maintenu dans la réserve de
Wahpeton, près de Prince Albert, jusque dans les années 1960. Kehoe, The Ghost Dance, p. 44-46,
129-134.
105. Pettipas, Severing the Ties that Bind, p. 101-102 ; Ronald Niezen, Spirit Wars, p. 136-140.
106. Pettipas, Severing the Ties that Bind, p. 102.
107. Deanna Christensen, Ahtahkakoop : The Epic Account of a Plains Cree Head Chief, His People, and
Their Struggle for Survival, 1816–1896, Shell Lake (Saskatchewan) : Ahtahkakoop Publishing, 2000,
p. 650.
108. Barron, « The Indian Pass System in the Canadian West », p. 33.
109. Nestor, Hayter Reed, Severalty, and the Subdivision of Indian Reserves on the Canadian Prairies,
p. 102.
110. SAB, bobine R-2.563, Alphonse Little Poplar, Miscellaneous Indian Policy Documents Relating to the
Sweet Grass Reserve, p.  4-5. Voir également : Barron, « The Indian Pass System in the Canadian
West », p. 36.
294 L a destruction des I ndiens des P laines

En dépit des mesures répressives mises en œuvre par le Dominion, les


réserves du Canada, contrairement à celles des États-Unis, ne se révoltent
pas. Au nord de la frontière, en raison des différences culturelles qui séparent
les Indiens du Canada de ceux des États-Unis, la Danse des esprits reste
confinée à quelques collectivités dakotas apparentées à des groupes établis au
sud de la ligne de démarcation internationale. Les Indiens du Canada puisent
leurs forces dans leurs propres pratiques spirituelles, par exemple la Danse du
soleil. Même si la tuberculose et la grippe amènent les populations autochtones
des deux pays à leur plus bas niveau démographique à peu près en même
temps, les Indiens du Canada ne se rebelleront jamais aussi radicalement que
ceux des États-Unis l’ont fait dans les années 1890111.
Les chiffres des registres officiels étant faussés par les départs volontaires,
les exils forcés et les renoncements au statut d’Indien, nous ne pourrons
jamais déterminer avec exactitude le nombre des Indiens des Plaines qui ont
succombé à la maladie après 1885. L’horreur des conditions de vie dans les
réserves des années 1880 et 1890 ne fait cependant aucun doute. Ainsi que
l’observe Beal : « L’irrépressible poussée civilisatrice justifiait la destruction
foudroyante d’une population : un tiers en six ans. Voilà un épisode particu­
lièrement honteux de l’histoire canadienne112. » Aujourd’hui encore, l’état de
santé des Premières Nations de l’ouest du Canada reste infiniment moins
enviable que celui du reste de la population canadienne. C’est dans ces années
d’assujettissement, de famines, de maladies et d’hécatombes qu’il faut cher-
cher l’origine de ce gouffre persistant.
La population de nombreuses réserves de l’Ouest commence à se
stabiliser vers le milieu des années 1890113. Toutefois, l’immigration massive
est déjà bien engagée dans la région. Très vite, les 15 000 personnes qui vivent
encore sur les terres réservées des prairies se retrouvent submergées par une
vague d’immigrants bien résolus à transformer la région en un bastion agri-
cole de l’Empire britannique. La santé des habitants des réserves n’est plus du
tout à l’ordre du jour : dans la conscience populaire de cette nouvelle société
qui prend racine dans l’Ouest, il n’occupe aucune place ou presque. Rares
sont les nouveaux arrivants qui comprennent la nature du problème ; quant
à leurs gouvernements, tant au niveau local que fédéral, ils ne réagissent pas,

111. Thornton, We Shall Live Again, p. 46 ; R. G. Ferguson, Tuberculosis among the Indians of the Great
Canadian Plains, Londres : Adlard and Son, 1929, p. 10.
112. Beal, Money, Markets, and Economic Development in Saskatchewan Indian Reserve Communities,
p. 200.
113. CDS, 1896, Hayter Reed, Rapport du sous-surintendant général des Affaires indiennes,
2 décembre 1895, p. xvii-xviii.
9  L’ effondrement démographique des collectivités autochtones , 1886-1891 295

ou très lentement, à la crise qui ravage les réserves. L’abjecte indigence de


leurs populations et leurs taux de mortalité effarants ne font que renforcer
cette conviction croissante : les réserves constituent de terrifiants bassins de
pathogènes qui pourraient déferler à tout moment sur les collectivités
voisines. Rares sont les observateurs qui discernent le véritable enjeu de cette
situation : l’absolue nécessité de réorganiser la répartition des ressources pour
soulager les souffrances indicibles des populations autochtones.
En 1895, Hayter Reed demande aux médecins du MAI un bilan de la
condition sanitaire des réserves sur les cinq dernières années114. Leurs rapports
révèlent une certaine amélioration dans les réserves de l’est des Plaines, celles
qui ont le plus souffert de la réduction des rations gouvernementales dans les
années 1880115. Ils recommandent cependant de procurer une aide addition­
nelle aux réserves du sud de l’Alberta afin de parer la menace que les affamés
représenteraient pour les élevages privés de la région. Edgar Dewdney avait
déjà proposé une analyse similaire : « Si l’on persistait dans la suspension des
rations de ces Sauvages, il est plus que probable qu’ils commettraient des
déprédations dans les ranchs116. » Un autre argument apparaît toutefois beau-
coup plus plausible : si les éleveurs insistent tant auprès des autorités pour
qu’elles continuent de fournir des vivres aux populations des réserves, c’est
qu’ils profitent directement de ces approvisionnements gouvernementaux, car
le Dominion leur achète du bétail pour les rations117. Leurs démarches auprès
des autorités reposent donc plus probablement sur leur intérêt commer­çant et
leur détermination à rester les fournisseurs des marchés captifs des réserves.
Indépendamment de la provenance des vivres, la réduction constante des
rations alimentaires prive les Niitsitapis de l’Alberta de leur bouclier nutri-
tionnel contre les pathogènes. À la fin des années 1890, l’état de santé décline
dans toutes les populations du Traité n°  7. Le Dr  F.‑X.  Girard, médecin de
longue date des Kainahs et des Piikanis, indique que la consomption (tubercu-
lose pulmonaire), « qui leur était presque inconnue autrefois, est maintenant
très répandue parmi eux. La consomption et la scrofule […] sont à l’heure
actuelle les deux pires ennemis de la santé des Indiens ; d’abord, la scrofule
mine lentement mais sûrement leur constitution, puis la consomption se

114. BAC, RG 10, bobine  10, 166, vol. 3949, dossier  126345, Hayter Reed to A. E. Forget,
14 February 1895.
115. Ibid., Dr. John Hutchinson to Hayter Reed, 28 May 1895.
116. CDS, 1887, Edgar Dewdney, Rapport du commissaire des Sauvages, 17 novembre 1886, p. 110.
117. Nestor, Hayter Reed, Severalty, and the Subdivision of Indian Reserves on the Canadian Prairies,
p. 100-102.
296 L a destruction des I ndiens des P laines

manifeste dans les derniers temps de leur maladie pour les achever118 ». La
scrofule, ajoute le Dr Girard, est une maladie environnementale causée par la
piètre alimentation, le manque de ventilation et de lumière et l’insuffisance des
mesures d’hygiène chez les malades. La science ne l’avait pas encore démontré
à l’époque, mais nous savons aujourd’hui qu’elle est aussi le symptôme d’une
infection à la tuberculose bovine.
Dans le sud de l’Alberta, une importante épidémie de rougeole et la
tuberculose endémique se conjuguent pour porter le taux de mortalité à son
apogée. Les Niitsitapis n’atteignent leur point démographique le plus bas
qu’au début du 20e  siècle, une bonne décennie après les réserves de la
Saskatchewan119. En  1902, l’agent des Indiens J.  A.  Markle décrit en ces
termes l’augmentation de la mortalité dans le sud de l’Alberta :
La rougeole en a bien été la cause directe [de nombreux décès], mais il
existe, suivant moi, différentes causes secondaires. Comme la plupart des
parents souffrent de diathèse scrofuleuse, il est naturel de conclure que les
enfants sont affaiblis et plus mal disposés à résister aux diverses maladies
auxquelles ils sont exposés120.
Si l’état de santé des populations du Traité n°  7 se détériore dans les
années 1890, certaines améliorations des conditions de vie, parfois très
simples, se traduisent immanquablement par une embellie du bilan sanitaire.
Ainsi, la ventilation des habitations limite la propagation aérienne des mala-
dies, en particulier la tuberculose. Les observations de l’époque permettent
aussi de déterminer que les poêles à bois adoptés par les Autochtones quand
ils ont renoncé à leurs tentes au profit des maisons de bois favorisent en réalité
la contamination. Au Manitoba, Ebenezer McColl souligne que l’air des
maisons est « étouffant, et engendre probablement plus de maladies pulmo-
naires et autres affections mortelles que toutes les autres causes réunies121 ».
Tout au long des années 1890, le Dr George Orton travaille inlassablement à
l’amélioration de la situation sanitaire dans les réserves ; il se fait notamment
le plus ardent promoteur de l’amélioration de la ventilation des habitations et
du remplacement des poêles à bois par de simples foyers122. Autre « innova-
tion » ministérielle : les autorités publiques du Dominion déplorent le fait que

118. BAC, RG 10, bobine  10, 166, vol. 3949, f. 126345, Dr. F. X. Girard to Indian Commissioner,
1 April 1895.
119. Ferguson, Tuberculosis among the Indians of the Great Canadian Plains, p. 12.
120. CDS, 1903, Agence des Pieds-Noirs, Gleichen (Alberta), 7 août 1902, p. 125.
121. CDS, 1894, E. McColl, inspecteur, Surintendance du Manitoba, 18 octobre 1893, p. 46.
122. BAC, RG 10, bobine 10151, vol. 3855, dossier 79963, Manitoba – Dr. G. Orton’s Report on the
Deleterious Effects of Civilization and Subsequent Effort to Ventilate Schools as a Protection against
Tuberculosis, 1891–1897.
9  L’ effondrement démographique des collectivités autochtones , 1886-1891 297

Une salle du premier hôpital indien, Gleichen (Alberta), avant  1900. Glenbow Archives,
NA-1773-14.

la vie sous la tente contrevient à leur « politique de progrès » consistant à


sédentariser les populations autochtones dans des maisons de bois, mais
concèdent qu’elle est en réalité plus saine. J. J. Campbell, l’agent des Indiens
à Moose Mountain (montagne de l’Orignal), écrit ainsi : « Pendant l’été ces
Sauvages vivent tous sous des tentes, et bien que cette vie les empêche d’ac-
quérir aussi rapidement les coutumes de la vie civilisée à l’intérieur des
maisons, ce qu’ils gagnent en santé fait plus que compenser l’inconvénient de
la vie sous la tente123. » Avant les antibiotiques, l’air frais constituait en effet
l’un des piliers du traitement de la tuberculose.
Dans les années 1890, la construction d’établissements hospitaliers à
proximité des réserves pour le traitement des Indiens contribue également à
l’amélioration de leur état de santé124. Les avancées chirurgicales peuvent

123. CDS, 1896, J. J. Campbell, agence de la montagne de l’Orignal, 30 juin 1895, p. 56.


124. Laurie Meijer Drees, « Reserve Hospitals in Southern Alberta, 1890 to 1930 », Native Studies
Review, 9, 1993-1994, p. 93-112 ; Laurie Meijer Drees, « Reserve Hospitals and Medical Officers :
Health Care and Indian Peoples in Southern Alberta, 1890s–1930 », Prairie Forum, 21, 1996,
p. 149-176.
298 L a destruction des I ndiens des P laines

aussi améliorer le taux de survie des patients atteints de tuberculose ganglion-


naire (scrofule) ou osseuse. Ainsi, le Dr Orton réalise plusieurs percées dans
le domaine des soins chirurgicaux et postopératoires. En 1895, il rapporte
son intervention auprès d’un malade dans un état critique.
J’ai moi-même fait avec succès à l’hôpital de Saint-Boniface une opération
rare et très difficile – l’excision d’une articulation entière et l’enlèvement des
parties malades des os pelviens à Peter Smith, un jeune homme de Saint-
Pierre, que l’on avait renvoyé chez lui de l’école d’Elkhorn dans l’état le plus
déplorable, souffrant de partout par ses os malades. Le lit et l’éclisse, de mon
invention, que j’ai demandé au département de payer, m’ont été d’une
grande aide pour soigner le malade ainsi que pour diminuer ses douleurs
après l’opération, car il lui a fallu plusieurs mois de repos dans la même
position. À moins que le mauvais rhume qu’il a pris ne tourne en pulmonie
ou qu’il ne survienne quelque autre maladie, son rétablissement définitif est
maintenant certain, car quatre mois se sont écoulés depuis l’opération125.
Il manque toutefois un élément d’information important dans ce rapport
du Dr Orton : l’infection osseuse dont souffre son patient montre qu’il est
probablement atteint de la tuberculose bovine, maladie qu’il a peut-être
contractée en buvant le lait cru d’une vache infectée à l’école d’Elkhorn.
Au début du 20e siècle, la pasteurisation éradiquera ce risque de transmis-
sion tuberculeuse pour les laiteries commerciales dans tout l’ouest du
Canada ; pendant plusieurs décennies, les enfants continueront toutefois
de la contracter par le lait servi dans les écoles.
En dépit des améliorations de l’état physique et sanitaire des réserves
qui sont décrites dans la circulaire ministérielle, Hayter Reed confie au
commissaire adjoint aux Indiens A.  E.  Forget que « la consomption et les
autres affections tuberculeuses sont à la hausse126 ». À cette époque déjà, la
pauvreté et la maladie, surtout la tuberculose, constituent des données
incontournables des réserves de l’Ouest canadien. « La tuberculose est prati­
que­ ment la seule maladie constitutive qui touche les Indiens de cette
agence127 », écrit ainsi le Dr Patrick depuis Yorkton en 1895.
Tandis que des conditions de vie déplorables continuent de sévir dans
les réserves, le système des pensionnats indiens, alors en plein essor, compromet

125. CDS, 1896, Dr George Orton, surintendant médical, surintendance du Manitoba, 28 août 1895,
p. 143-144.
126. BAC, RG 10, bobine 10151, vol. 3855, dossier 79963, Hayter Reed to A. E. Forget, 10 April 1895.
127. BAC, RG 10, bobine 10166, vol. 3949, dossier 126345, Dr. T. A. Patrick to Assistant Commissioner,
10 June 1985, p. 2.
9  L’ effondrement démographique des collectivités autochtones , 1886-1891 299

de plus en plus la santé à long terme des populations autochtones128. Pendant


plusieurs décennies, la surpopulation de ces établissements, la piètre nourri-
ture qu’on y sert aux enfants ainsi que la négligence du personnel à leur égard
favorisent l’infection tuberculeuse systématique des petits pensionnaires. Une
fois qu’ils ont contracté la maladie, ils y succombent en outre beaucoup plus
rapidement que les adultes129. Les réponses des médecins à la circulaire
envoyée par Reed en 1895 montrent qu’ils sont tout à fait conscients du fait
que la surpopulation des pensionnats contribue à la propagation de la tuber-
culose dans ces établissements. Le rapport du Dr Seymour se révèle particuliè-
rement clair à ce sujet : « Pour faire reculer la tuberculose, il faut d’abord
remédier à la surpopulation dans l’école. Il faudrait immédiatement des salles
de classe et des dortoirs additionnels130. » La mortalité atteint des taux
­effroyables dans les établissements scolaires. Principal de l’école technique de
Qu’Appelle, un établissement de moins de 170  élèves, le père Hugonnard
notait trois ans avant le rapport du Dr Seymour : « La santé des enfants a été
généralement bonne […]. Nous avons à enregistrer cinq décès131. » Il intègre
à son rapport une liste de 52 enfants morts depuis la fondation de l’établisse-
ment, en 1884.
Hugonnard considère qu’il s’acquitte bien de sa mission ; pourtant,
presque 20  pour cent des enfants qui lui sont confiés meurent tandis qu’il
dirige l’école, de 1884 à 1905132. Faisant état de 12 décès en 1893, le principal
indique que la consomption est « héréditaire dans la famille des défunts [et
qu’ils] ont apporté le germe de chez eux133 ». Hugonnard n’est pas le premier
représentant des autorités à considérer la tuberculose comme une maladie
« inhérente » des Indiens. En 1886, Dewdney affirmait ainsi que la plupart des

128. John Milloy, “A National Crime” : The Canadian Government and the Residential School System, 1879
to 1986, Winnipeg : University of Manitoba Press, 1999, p. 77-108, analyse en détail les conditions
sanitaires dans les écoles.
129. Plus le patient est jeune, plus le risque est élevé que l’infection primaire évolue en maladie déclarée
et mène à la mort. William D. Johnston, « Tuberculosis », dans : Kenneth Kiple (dir.), The Cambridge
World History of Human Disease, Cambridge (R.-U.) : Cambridge University Press, 1993, p. 1060.
130. BAC, RG 10, bobine 10166, vol. 3949, dossier 126345, M. M. Seymour to Indian Commissioner,
Fort Qu’Appelle, 28 May 1895, p. 3.
131. De ces cinq enfants, quatre ont succombé à la consomption, le cinquième à la pleurésie. CDS, 1893,
J. Hugonnard, principal, école d’industrie de Qu’Appelle, 1er octobre 1892, p. 204.
132. Sur les 795 enfants inscrits, 153 sont morts pendant leur scolarisation. Milloy, “A National Crime”,
p. 92.
133. CDS, 1894, J. Hugonnard, école industrielle de Qu’Appelle, 22 août 1893, p. 89. L’année suivante,
il écrit dans son rapport que la plupart des morts observées dans l’établissement ont été causées par
la consomption, « bien que dans la plupart des cas il ait été prouvé que la maladie était héréditaire ».
De plus, ajoute-t-il, « les enfants sauvages pur-sang paraissent être plus exposés à cette maladie que
ceux qui ont un peu du sang de blanc, et ces derniers reviennent plus facilement de ses suites ». CDS,
1897, J. Hugonnard, école industrielle de Qu’Appelle, 4 août 1896, p. 359.
300 L a destruction des I ndiens des P laines

Charcoal, également dit « Bad Young Man ». Un Stetson de la Police à cheval cache ses mains
menottées. Ce portrait mis en scène camoufle aussi l’état de santé pitoyable du prisonnier.
Saskatchewan Archives Board, R-23918.

maladies et des décès constatés dans les réserves étaient « directement dus à des
causes héréditaires qui datent d’une époque antérieure à celle où a commencé
notre responsabilité » ; l’augmentation de leur nombre, ajoutait-il, s’explique
par un suivi plus efficace de l’incidence des maladies et par la collecte de
« données qu’on n’aurait pas pu obtenir à une époque antérieure134 ».

134. CDS, 1887, Edgar Dewdney, Rapport du commissaire des Sauvages, 17 novembre 1886, p. 111.
9  L’ effondrement démographique des collectivités autochtones , 1886-1891 301

Pouvant à peine se tenir debout, Charcoal avance péniblement sous escorte, les fers aux pieds ;
Fort Macleod (Alberta), 1896. Glenbow Archives, NA-4035-70.

À partir de la fin des années 1890, la tuberculose est de plus en plus


communément attribuée à l’hérédité135. Puisqu’elle touche de nombreux
enfants indiens, les autorités en concluent que cette infection est une carac-
téristique intrinsèque de leur lignée. Observant l’état calamiteux des écoles
indiennes, le Dr Martin Benson écrit : « Sans nul moyen de faire circuler l’air
frais dans ces bâtiments […] il n’est pas étonnant que nos élèves indiens aient
une tendance héréditaire à la phtisie (tuberculose pulmonaire) [… et]
présentent d’alarmants symptômes dès qu’ils ont résidé quelque temps dans
nos écoles136. » En 1900, les bandes autochtones en bonne santé, par exemple

135. Voir par exemple : CDS, 1898, Thomas Carruthers, agence des buttes de Tondre (Touchwood
Hills), 20 juillet 1897, p. 180.
136. Milloy, “A National Crime”, p. 86.
302 L a destruction des I ndiens des P laines

les Cris Red Earth (Terre-Rouge), dans la montagne du Pas, sont ainsi décrites
comme étant « presque entièrement exemptes de maladies héréditaires137 ».
Au début de la Première Guerre mondiale, seule une minorité de
médecins conteste l’origine héréditaire de la tuberculose. En 1914, le
Dr P. H. Bryce rédige un vibrant plaidoyer contre cette hypothèse138. En dépit
de leur force, ses arguments ne réussissent pas à convaincre. En  1922, un
rapport de la Commission antituberculeuse adressé au gouvernement de la
Saskatchewan stipule dans son tout premier principe : « La tuberculose doit
maintenant être considérée comme héréditaire139. »
L’un des auteurs du rapport, le Dr R. G. Ferguson devient rapidement
le grand spécialiste du traitement de la tuberculose chez les Indiens du
Canada140. À partir du nombre des décès indiqué dans les registres des
annuités141, il estime que le taux de mortalité dans les réserves de la
­Qu’Appelle est passé de 40 pour 1 000 en 1881 à 127 pour 1 000 en 1886,
un accroissement de 87  pour 1 000 en seulement cinq  ans142. Il attribue
l’augmentation du nombre total des décès « presque entièrement à l’élévation
du taux de mortalité tuberculeuse ». Le Dr Ferguson signale également que la
maladie était relativement absente avant l’implantation du système des
réserves. Cependant, n’ayant pas trouvé de taux de mortalité comparables
dans les populations européennes143, il conclut : « Cette étude de l’épidémie
prolongée de tuberculose chez les Indiens de la vallée de la Qu’Appelle

137. David Meyer, The Red Earth Crees, 1860–1960 (Mercury Series, Canadian Ethnology Service Paper,
100), Ottawa : National Museum of Man, 1985, p. 89.
138. P.  H.  Bryce, « The History of the American Indians in Relation to Health », Ontario Historical
Society Papers and Records, 12, 1914, p. 141.
139. A. B. Cook, R. G. Ferguson et J. F. Cairns, Report to the Government of Saskatchewan by the Anti-
Tuberculosis Commission, Regina : Saskatchewan Anti-Tuberculosis Commission, 1922, p. 15. Pour
plus de détails sur la croyance en une susceptibilité raciale des Premières Nations à l’égard de la
tuberculose, voir : Maureen Lux, « Perfect Subjects : Race, Tuberculosis, and the Qu’Appelle BCG
Vaccine Trial », Canadian Bulletin of Medical History, 15, 1998, p. 277-295 ; et Lux, Medicine that
Walks, p. 5-9.
140. Ferguson, Tuberculosis among the Indians of the Great Canadian Plains ; R. G. Ferguson, Studies in
Tuberculosis, Toronto : University of Toronto Press, 1955. On trouvera ici une description détaillée
de son travail : Lux, « Perfect Subjects », p. 277-295 ; et C. Stuart Houston, R. G. Ferguson : Crusader
against Tuberculosis, Toronto : Hannah Institute and Dundurn Press, 1991, p. 91-100.
141. Les Autochtones qui se sont retirés des traités ne figurent pas dans les registres des annuités. Or, ainsi
que l’indique Beal, 15 pour cent de la population des File Hills ont opté pour cette formule en 1886 ;
Beal, Money, Markets, and Economic Development in Saskatchewan Indian Reserve Communities, p. 197.
Si Ferguson n’a pas tenu compte de cet élément d’information dans ses calculs, il surestime sans aucun
doute le taux de mortalité pour certaines années ; la tendance qu’il décrit reste cependant juste.
142. Ferguson, Studies in Tuberculosis, p. 4-8.
143. De 1893 à 1904, le taux maximal de mortalité tuberculeuse dans les prisons européennes s’établit
à 1910 pour 100 000 ; en 1887, le maximum dans les asiles est de 2 300 pour 100 000. « Même le
taux de mortalité tuberculeuse de 1400 pour 100 000 observé pendant la Première Guerre mondiale
9  L’ effondrement démographique des collectivités autochtones , 1886-1891 303

de 1874 à 1926 montre une différence de susceptibilité entre les primitifs,


qui ont été récemment exposés à la maladie, et la race blanche, qui l’a côtoyée
pendant des siècles144. » Cette conclusion fautive aurait sans doute été très
différente si le médecin avait disposé de données plus tardives. En effet, si ses
estimations des plus hauts taux de mortalité dans les réserves de la Qu’Ap-
pelle sont justes, cela signifie que la population européenne atteindra un
niveau comparable de mortalité en 1942 seulement, chez les juifs du ghetto
de Varsovie145. En 1929, Ferguson indique que les Indiens de la Qu’Appelle
ont « tous la tuberculose » et que le taux de mortalité attribuable à cette
maladie est chez eux 20 fois plus élevé que chez leurs voisins blancs146. Face
à l’ampleur ahurissante de l’infection, il conclut erronément à une suscepti-
bilité inhérente des Autochtones à la maladie.
Une fois cette conviction construite et solidement enracinée dans les
esprits, elle achève de marginaliser les Indiens à l’extrême périphérie de la
société canadienne. En 1920, Arthur Meighen, qui deviendra bientôt premier
ministre, souligne que la santé des Autochtones doit être exclue de la sphère
de responsabilité du tout jeune ministère fédéral de la Santé, créé dans la
foulée de l’épidémie de grippe de 1919147. Le gouvernement canadien accor-
dant plus d’importance aux considérations raciales qu’aux besoins médicaux
des Autochtones, c’est le ministère des Mines et des Ressources qui assumera
la responsabilité de la santé des Premières Nations jusqu’en 1945. En défini-
tive, l’épidémie tuberculeuse chez les Indiens ne reculera pas à la faveur d’une
amélioration de leur situation économique, mais plutôt grâce aux antibio-
tiques qui arrivent sur le marché après la Deuxième Guerre mondiale.

[…] ne se compare en rien aux ravages de l’épidémie de tuberculose chez les Indiens », ajoute le
Dr Ferguson ; ibid., p. 7-8.
144. Ibid., p.  6-9. Ferguson admet la notion de susceptibilité raciale. Voir à ce sujet : Lux, « Perfect
Subjects » ; et Michael Worboys, « Tuberculosis and Race in Britain and Its Empire, 1900–50 »,
dans : Waltraud Ernst et Bernard Harris (dir.), Race, Science, and Medicine, 1700–1960, Londres :
Routledge, 1999, p. 144-167. Certaines voix exprimaient néanmoins une opinion divergente dès les
années  1920 ; voir : United States, Senate Committee on Indian Affairs, Tuberculosis among the
North American Indians : Report of a Committee of the National Tuberculosis Association Appointed on
Oct. 28, 1921, Washington (DC) : Government Printing Bureau, 1923, p. 16.
145. Les estimations situent à 11 pour 1 000 le taux de mortalité dans le ghetto de Varsovie en avril 1942 ;
rapporté à une année, il s’élèverait à 143,2 pour 1 000. Charles Roland, « Mortality among Warsaw
Jewry : Selected Months », dans : Courage under Siege : Starvation, Disease, and Death in the Warsaw
Ghetto, New York : Oxford University Press, 1992, p. 225.
146. Ferguson, Tuberculosis among the Indians of the Great Canadian Plains, p. 45.
147. James B.  Waldram, D.  Ann Herring et T.  Kue Young, Aboriginal Health in Canada : Historical,
Cultural and Epidemiological Perspectives – Second Edition, Toronto : University of Toronto Press,
2006, p. 190.
304 L a destruction des I ndiens des P laines

Des recherches récentes montrent que le déferlement tuberculeux dans


les populations autochtones n’était pas attribuable à une vulnérabilité
génétique : il constituait bien « le résultat de changements imposés dans la
configuration écologique plutôt que l’exposition à une nouvelle maladie
infectieuse introduite148 ». Une autre étude d’importance sur la santé des
Autochtones conclut que la croyance en une résistance innée de certains
peuples aux maladies a éclipsé « les facteurs écologiques et environnementaux
qui déterminent en grande partie la transmission et l’immunité149 ». Il ne fait
aucun doute que la fin de la chasse au bison a enclenché des bouleversements
écologiques sans précédent et qu’ils ont infligé des torts considérables à tous
les Autochtones des Plaines de l’Amérique du Nord. Conjuguée aux autres
maladies infectieuses aiguës, l’explosion tuberculeuse a ensuite précipité ces
populations jusqu’à leur niveau démographique le plus bas. Elle témoigne
ainsi de l’ampleur du cataclysme écologique vécu par les Autochtones. Or,
l’écart qui sépare l’état de santé des Autochtones du Canada et celui des
autres Canadiens et Canadiennes perdure à ce jour.
L’histoire de Charcoal, un Kainah devenu « l’homme le plus recherché
du front pionnier de l’Ouest canadien » pour avoir tué l’amant de sa femme,
puis un policier qui tentait de l’arrêter, constitue une bonne métaphore du
terrible sort des Indiens des Plaines150. Bien que tuberculeux, Charcoal réussit
à échapper aux autorités pendant toute une année. Finalement capturé, il est
condamné à mort. Mais c’est un homme déjà mourant, rongé par la maladie,
que l’on envoie à la potence. Hugh Dempsey décrit ses derniers instants :
« Ne pouvant plus marcher, l’Indien  est placé dans une charrette que l’on
conduit jusqu’au gibet, puis porté en haut des quelques marches qui le
mèneront à l’éternité. Son corps exténué ne tenant plus debout, on place une
chaise sur la trappe ; on lui dissimule la tête sous un linge blanc, puis on lui
passe le nœud coulant autour du cou151. » Avec la pendaison de cet homme
si malade qu’il faut le porter jusqu’à la potence, justice canadienne est faite.
Les chercheurs s’accordent aujourd’hui à considérer que les populations
signataires de traités ont effroyablement souffert des mesures de plus en plus

148. T. K. Young, The Health of Native Americans : Toward a Biocultural Epidemiology, New York : Oxford
University Press, 1994, p. 59.
149. George A.  Clark et al., « The Evolution of Mycobacterial Disease in Human Populations : A
Reevaluation », Current Anthropology, 28, 1987, p.  51. Cette étude se fonde en partie sur les
recherches du Dr Ferguson sur les populations des réserves de la vallée de la Qu’Appelle.
150. Charcoal a été condamné pour la mort du sergent Wilde, mais pas en vertu des accusations initiales,
faute de preuves. Adolph Hungry Wolf, The Blood People : A Division of the Blackfoot Confederacy,
New York : Harper and Row, 1977, p. 281.
151. Hugh Dempsey, Charcoal’s World, Saskatoon : Western Producer Prairie Books, 1978, p. 155.
9  L’ effondrement démographique des collectivités autochtones , 1886-1891 305

rigoureuses imposées par le gouvernement canadien après la Rébellion de


1885. Ravagées par la tuberculose au terme d’une décennie de malnutrition,
ces populations subissent en outre de plein fouet l’offensive de maladies
infectieuses. Elles sombrent dans leur abîme démographique juste après
l’épidémie de grippe de 1889-1890. Les politiques coercitives du Dominion
ont favorisé la virulence des flambées pathologiques et sévèrement puni les
Indiens au lendemain de la Rébellion, souvent même puni de mort.
Conclusion

C et ouvrage s’est efforcé de faire le point sur les forces écologiques,


économiques et politiques qui ont façonné l’histoire médicale des
Premières Nations de l’ouest du Canada. En particulier, il constate l’écart
béant entre l’état de santé de la population autochtone et celui des autres
Canadiens et Canadiennes ; il explique aussi les causes de ce gouffre qui,
marqué du sceau de l’injustice, perdure obstinément jusqu’en notre
21e  siècle. Cette analyse de l’évolution sanitaire des Premières Nations
révèle deux grandes périodes.
La première se caractérise par les maladies contagieuses aiguës. Une fois
introduites sur le territoire, elles ravagent des populations en bonne santé par
ailleurs et déchaînent sur elles une mortalité sans précédent. Ces épidémies
extraordinairement destructives sont le fruit de l’élargissement du système
économique mondial à l’Ouest canadien. Relations commerciales et
pathogènes marchent main dans la main. On ne saurait donc appréhender
avec exactitude l’expansion du commerce depuis l’Ancien Monde jusqu’au
Nouveau sans tenir compte de l’impact des maladies sur sa progression. Avec
le temps, les microbes ont fini par gagner toutes les communautés de l’Ouest.
Cependant, les premières flambées pathologiques ne se sont pas toutes
développées de la même façon. Différents facteurs ont déterminé leur
évolution ainsi que leurs conséquences, notamment la densité démographique,
le secteur géographique, la mobilité des populations, la fréquence de leurs
contacts avec les nouveaux arrivants, et leur accès aux marchandises importées.
Les conditions écologiques définies par ces variables ont dicté l’étendue et la
gravité des épidémies dans chacune des collectivités touchées. En définitive,
308 L a destruction des I ndiens des P laines

les maladies infectieuses aiguës ont profondément façonné le devenir de


toutes les Premières Nations de l’Ouest.
D’une manière générale, les groupes originaires de l’Est ont moins
souffert des grandes offensives microbiennes : exposés depuis plus longtemps
aux pathogènes, ils ont développé au fil des ans une meilleure immunité.
Les Anichinabés, qui ont été parmi les premiers à s’engager dans le
commerce mondial en émergence, ont aussi subi très tôt les déferlements
épidémiques. En 1670, la variole atteint Sault-Sainte-Marie, le cœur de leur
territoire ancestral. Au fil des 100 années qui suivent, leurs relations avec les
traiteurs et la raréfaction du gibier les poussent à migrer vers les Plaines pour
tirer parti des forces du marché à la faveur des dynamiques biologiques à
l’œuvre dans la région. En effet, leur fréquentation des pathogènes dès le tout
début de la présence européenne en terre d’Amérique du Nord leur procure
un avantage indéniable lors des flambées pathologiques ultérieures ; elle leur
permet même d’étendre leur territoire à la fin du 18e siècle. Sous domination
assiniboine pendant 500 ans, la plus grande partie du sud du Manitoba leur
échoit ainsi grâce aux épidémies. À l’arrivée des traiteurs européens, les Assi-
niboines occupaient un gigantesque territoire et formaient l’une des Premières
Nations les plus populeuses de l’est des Plaines. Signe de leur formidable
essor, la taille et la complexité de leurs collectivités causeront aussi leur perte
dans la nouvelle écologie épidémiologique instaurée par l’ouverture au
commerce. Quand la maladie frappe, la densité de population des commu-
nautés assiniboines décrites par La Vérendrye dans les années 1730 leur
impose un lourd tribut. Décimés, les Assiniboines abandonnent la vallée de
la rivière Rouge pour migrer vers la prairie-parc du Manitoba et de l’est de la
Saskatchewan. Au 19e  siècle, vivant ainsi entre les territoires des traiteurs
anglais et des marchands américains, ils subiront de plein fouet l’épidémie de
variole des années 1830 ; plus au nord, les interventions médicales de la
Compagnie de la Baie d’Hudson (CBH) permettront à leurs voisins cris et
anichinabés (désignés dans l’Ouest sous le nom de « Saulteaux ») d’y échapper
en grande partie. Les Assiniboines, qui dominaient autrefois toute cette
région, sont aujourd’hui relégués à une poignée de réserves disséminées dans
les Plaines. Sur les berges du fleuve Missouri, le déclin des villages agricoles
des Arikaras et des Mandans résulte également de la contamination de ces
collectivités densément peuplées par des maladies mortelles.
L’épidémie de variole en terrain vierge qui frappe les Niitsitapis du sud
de l’Alberta dès avant 1750 illustre bien les dynamiques complexes qui relient
l’économie mondiale et la propagation des pathogènes. Déferlant dans la
région plusieurs décennies avant l’arrivée des Européens, le virus Variola
C onclusion 309

arrive par le réseau de vente de chevaux qui s’étend des villages des Pueblos,
dans le sud-ouest des États-Unis, jusqu’en Alberta. Espèce animale arrivée de
fraîche date sur le continent, le cheval, par sa rapidité, bouleverse l’écologie
pathologique des collectivités qu’il conquiert.
L’épidémie variolique en terrain vierge touche les Cris de la prairie-parc
de la Saskatchewan plus tardivement, dans les années 1780. Mais elle cause
alors une telle hécatombe qu’elle induit une restructuration complète de la
région. Les survivants des bandes dévastées s’intègrent à d’autres groupes de
langue crie venus s’établir dans l’Ouest pour répondre à la demande post-
épidémique de main-d’œuvre ; ayant probablement déjà été exposés aux
pathogènes, ils sont relativement immunisés contre la maladie. Certains
d’entre eux migrent vers l’ouest à la demande expresse des traiteurs. La
reconstitution de la population et son adaptation aux conditions du marché
après la régression de l’épidémie contribuent à l’ethnogenèse des Cris des
Plaines, qui domineront l’est de ce vaste secteur géographique pendant tout
un siècle. Leur essor évince les A’aninins du territoire qu’ils ont occupé entre
les deux branches de la rivière Saskatchewan pendant plusieurs centaines
d’années, avant l’émergence du commerce des fourrures dans la région.
Quand le Canada acquiert ce territoire, les populations autochtones de
l’Ouest ont déjà subi d’importantes turbulences économiques et territoriales.
Dans bon nombre de cas, les Premières Nations qui ont conclu des traités
avec la Couronne n’occupaient pas les terres couvertes par ces ententes avant
l’arrivée des Européens en Amérique du Nord ; elles s’y étaient établies au gré
d’un remodelage territorial plus récent. Les relations qui s’instaurent à cette
époque entre les Premières Nations et le Dominion du Canada marquent le
début de la deuxième phase de l’évolution sanitaire de la région étudiée dans
cet ouvrage.
Les traités numérotés déterminent la mise en place d’un nouveau
paradigme économique et social dans l’Ouest. Pour le gouvernement
canadien, la conclusion de ces ententes constitue une condition juridique
indispensable au développement de la région. Pour les chefs des Premières
Nations, ces mêmes traités représentent un pont vers un avenir dont le bison
a définitivement disparu. En contrepartie de l’abandon de leurs revendications
territoriales sur l’essentiel des terres de cette immense région, les Premières
Nations espèrent obtenir le renouvellement du filet social qui les a protégées
à l’époque du commerce de la fourrure, ainsi qu’un soutien pour leur
conversion à l’agriculture. En plus d’obtenir une aide agricole plus impor-
tante que les signataires de traités précédents, les négociateurs cris du
Traité n° 6 font très habilement inscrire dans cette entente une clause d’aide
310 L a destruction des I ndiens des P laines

médicale et de secours en cas de famine. Au terme de plusieurs jours de négo-


ciations, Alexander Morris, représentant de la Reine à Fort Carlton, accepte
les nouveaux termes du traité au nom du Dominion du Canada et assure aux
Cris « [qu’]ils ne seront pas abandonnés à eux-mêmes au risque de mourir
comme des chiens1 ».
Moins de deux ans après cette promesse, le bison a disparu. Son extinc-
tion met un terme définitif à un mode de vie ancien de 10 000 ans. L’exter-
mination des hardes constitue la plus grande catastrophe environnementale
qui ait jamais frappé les Prairies ; elle provoque aussi une redéfinition fonda-
mentale de l’équilibre des pouvoirs entre les Premières Nations et l’État cana-
dien. En perdant le bison, les Autochtones perdent aussi leur pouvoir et leur
indépendance. Les Cris de Fort Carlton savaient que l’époque de la chasse au
bison était terminée et que leur conversion agricole serait si ardue qu’ils ne
pouvaient pas s’estimer à l’abri de la famine. Hélas, ils avaient raison. En
donnant son accord à la clause de soutien alimentaire en cas de disette géné-
rale, le Canada avait accepté la responsabilité juridique de la crise alimentaire
qui ravagerait bientôt l’Ouest. De toute évidence, personne n’avait imaginé
la soudaineté et l’ampleur de la famine qui déferle dans toute cette région au
printemps 1878. Or, à l’exception de la Police à cheval du Nord-Ouest, le
Canada est encore absent ou presque de ce territoire. Quand la nourriture
vient à manquer, il ne possède ni les effectifs ni les infrastructures nécessaires
pour acheminer les vivres. La police fait ce qu’elle peut. Ses médecins
travaillent d’arrache-pied pour porter secours à tous ces gens torturés par la
faim, et de plus en plus malades, qui affluent vers les postes de police dans
l’espoir d’y trouver un peu de nourriture. Les rapports médicaux qu’ils
rédigent dans leurs dispensaires assiégés constituent les tout premiers docu-
ments relatant l’émergence de la tuberculose dans l’Ouest.
En quelques mois, des quantités considérables de vivres partent vers le
nord depuis Fort Benton, dans le Montana, le port d’arrivée des grands
bateaux qui remontent le Missouri : en toute hâte, le Dominion improvise
une aide alimentaire pour les milliers d’affamés de son territoire. Le coût de
ces achats gouvernementaux explose. Saisissant l’occasion au vol, l’entreprise
I. G. Baker and Company s’empare bientôt de la majeure partie de ces contrats
très lucratifs. La gestion de la famine prend un tour plus sinistre à l’élection
du parti conservateur, à l’automne 1878. La construction rapide d’un lien
ferroviaire jusqu’à l’océan Pacifique constitue la pierre angulaire du programme

1. Alexander Morris, The Treaties of Canada with the Indians of Manitoba and the North-West Territories,
Saskatoon : Fifth House, 1991, « 26 August 1876 », p. 228.
C onclusion 311

électoral du parti, la Politique nationale. Déterminé à concrétiser au plus vite


ses objectifs de développement, mais empêtré dans ses responsabilités à l’égard
de ces milliers d’hommes, de femmes et d’enfants qui souffrent de la faim
d’un bout à l’autre des prairies, le gouvernement se sert de la nourriture pour
soumettre les populations autochtones. Bien que cruelle, cette stratégie atteint
son but. En 1883, seules quelques centaines de réfractaires complètement
désespérés refusent toujours d’être confinés dans des réserves et assujettis à
l’autorité du ministère des Affaires indiennes (MAI).
Entre 15 000 et 20 000 personnes vivent déjà dans des réserves, et la
plupart d’entre elles dépendent entièrement du gouvernement pour leur
subsistance. Principal fournisseur des vivres destinés à cette région, I. G. Baker
abuse de cette situation privilégiée en livrant des produits alimentaires
médiocres ou avariés pour maximiser ses profits, souvent avec la complicité
de représentants des autorités canadiennes. En effet, il est aujourd’hui presque
certain que l’entreprise rétribuait alors le fonctionnaire le plus haut placé du
Canada dans l’Ouest, Edgar Dewdney. Puisque la plupart des Autochtones
sont désormais sous la coupe du MAI et astreints à rester dans leurs réserves,
le gouvernement prend des mesures draconiennes à l’égard des approvision­
nements alimentaires. En plus de mettre en œuvre sa politique de travail
contre nourriture, il freine la distribution des vivres entreposés dans les
réserves afin de réduire ses propres dépenses. Les aliments pourrissent ainsi
dans les entrepôts pendant qu’à quelques pas de là, les affamés meurent de
tuberculose et d’autres maladies. La plupart des Autochtones des réserves ne
disposant d’aucune autre source de nourriture, ils dépendent entièrement des
rations gouvernementales. Ils sont ainsi livrés pieds et poings liés aux fonc-
tionnaires, qui ont alors toute latitude pour abuser de leur autorité. Les
femmes sont particulièrement exposées aux agressions sexuelles des hommes
qui détiennent les clés des entrepôts. D’autres doivent se résoudre à se
prostituer pour faire subsister leur famille. Le nombre ahurissant de fonc­
tionnaires du Dominion qui contractent des maladies sexuellement trans­
missibles au début des années 1880 témoigne avec éloquence de la
multipli­cation de ces pratiques. La plupart des hommes qui seront tués
pendant l’insurrection du printemps 1885 s’étaient livrés personnellement à
des sévices physiques et sexuels contre les populations autochtones signataires
de traités.
La rigueur de la réaction canadienne au soulèvement de 1885 aggrave
la situation déjà désespérée des Autochtones des réserves. La mise en place du
système de laissez-passer et l’imposition de nouvelles compressions budgé­
taires au MAI accentuent la misère de leurs habitants, assignés à résidence
dans ces enclaves hermétiquement closes. L’achèvement du chemin de fer du
312 L a destruction des I ndiens des P laines

Canadien Pacifique déchaîne une nouvelle vague de maladies infectieuses


dans ces populations confinées, affaiblies par la malnutrition et, très souvent
aussi, par la tuberculose. Au début des années 1890, des épidémies mortelles
de rougeole, de coqueluche et de grippe précipitent la population des réserves
de la Saskatchewan jusqu’à son plus bas niveau démographique. De plus en
plus, les autorités expliquent les problèmes de santé chroniques des
­Autochtones par une faiblesse qui serait « inhérente à leur race », affirmant
notamment que la tuberculose est héréditaire. Dès le début du 20e siècle, la
commu­nauté médicale et l’opinion publique tout entière sont ainsi convain-
cues que les Autochtones seraient biologiquement, « naturellement », plus
vulnérables que les autres face à la maladie.
Une fois cette croyance en une faiblesse intrinsèque des Autochtones
solidement enracinée dans les esprits, leur marginalisation est achevée.
Convaincus que les Indiens, de par leur constitution, ne résistent simplement
pas aux maladies, Canadiens et Canadiennes acceptent sans sourciller de voir
les réserves ravagées par des taux de tuberculose 20 fois plus élevés que ceux
des collectivités de colons qui les jouxtent. Au total, l’épidémie tuber­culeuse
qui dévaste les réserves de l’ouest du Canada ne sera pas jugulée par une
amélioration de leurs conditions de vie déplorables, qui en constituent pour-
tant l’une des causes majeures, mais par l’avènement des antibiotiques après
la Deuxième Guerre mondiale. Depuis quelques années, la résurgence de
tuberculoses résistantes aux antibiotiques semble indiquer que cette victoire
pharmaceutique sur la maladie n’aura peut-être été que temporaire. En l’ab-
sence d’une réelle amélioration des conditions de vie physiques et sociales
dans les réserves, de nouvelles pathologies n’ayant rien de « naturel » ont
également émergé : sida, diabète, suicide2…
Dans la conclusion de la deuxième édition de leur Aboriginal Health in
Canada, Waldram, Herring et Young soulignent : « Mais il faut surtout que la
situation socio-économique des Canadiens autochtones s’améliore notable­
ment3. » Ainsi que l’a montré cette étude, le déclin de l’état de santé des
Premières Nations résulte directement de leur appauvrissement économique
et culturel. Les conséquences délétères des offensives gouvernementales
contre les collectivités autochtones qui sont mises en place depuis les années

2. Gregory Campbell, «  The Changing Dimension of Native American Health  : A Critical


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2006, p. 297.
C onclusion 313

1880 continuent de nous hanter collectivement. Les négociateurs cris du


Traité  n°  6 avaient compris que leur peuple devrait s’adapter au nouveau
paradigme économique qui était en train de s’implanter dans l’Ouest. Ils
savaient aussi qu’il ne leur serait pas facile d’adopter un nouveau mode de vie.
Ils n’avaient pas prévu, par contre, que le gouvernement canadien les entra-
verait très activement dans cette conversion. La tuberculose et les autres
maladies qui ont durement éprouvé les collectivités autochtones au fil des
décennies récentes constituent la manifestation physique de leur indigence et
de leur marginalisation par rapport au reste de la société canadienne.
L’écart entre les membres des Premières Nations et les autres Canadiens
et Canadiennes du point de vue de leur santé, de leurs conditions de vie et
autres déterminants sociaux ne s’est pas résorbé depuis la fin du 19e siècle.
Alors que le Canada se présente comme un phare de la solidarité sociale, des
soins de santé et du développement économique à l’échelle mondiale, la
plupart de ses réserves autochtones restent des zones économiquement
sinistrées offrant peu ou pas de futur à leurs habitants, et plus proches du
tiers-monde que du reste du pays. Plusieurs collectivités sont encore privées
de services de base tels que l’accès à l’eau potable. L’analyse des forces qui ont
empêché les communautés autochtones de progresser au même rythme que
les autres collectivités canadiennes contribuera peut-être à l’élaboration de
solutions pour combler l’écart qui subsiste entre elles.
Bibliographie

ARCHIVES

Glenbow Archives
M320, Edgar Dewdney Papers

Archives de la Compagnie de la Baie d’Hudson (ACBH)

Dossiers biographiques
(Dossier de recherche) Battleford
(Dossier de recherche) Prince Albert
(Dossier de recherche) Smallpox Epidemic, 1869–1870
Brandon House Post Journals
B.22/a/1, 1793–94
Chesterfield House Post Journals
B.34/a/2, 1800–01
B.34/a/3, 1801–02
Cumberland House Post Journals
B.49/a/1, 1774–75
B.49/a/3, 1775–76
B.49/a/4, 1776–77
B.49/a/6, 1777–78
B.49/a/7, 1778–79
B.49/a/9, 1779–80
316 L a destruction des I ndiens des P laines

B.49/a/11, 1781–82
B.49/a/31, 1801–02
Hudson House Post Journals
B.87/a/1, 1778–79
B.87/a/2, 1779–80
B.87/a/3, 1780–81
B.87/a/4, 1781–82
B.87/a/5, 1782
B.87/a/6, 1782–83
Fort Pelly Post Journals
B.159/a/17, 1837–38
Ile-à-la-Crosse Post Journals
B.89/a/4, 1819–20
Manchester House Post Journal
B.121/a/1, 1786–87
B.121/a/2, 1787–88
B.121/a/3, 1788–89
B.121/a/4, 1789–90
South Branch House
B.205/a/3, 1788–89
B.205/a/7, 1792–93
B.205/a/8, 1793–94

Bibliothèque et Archives Canada (BAC)


MG 17, Registres de la Church Missionary Society
MG 19 A 48, Correspondance de Fort Garry
MG 26, Documents de John A. Macdonald
MG 27, Documents de David Laird
MG 29, Documents de Robert Bell
RG 10, Registres du ministère des Affaires indiennes
RG 18, Registres de la Police à cheval du Nord-Ouest

Archives provinciales du Manitoba (APM)


MG 2 A 1, Selkirk Papers
MG 12, Alexander Morris Papers

University of Toronto, Thomas Fisher Rare Book Room


MS 21, David Thompson Papers
B ibliographie 317

MS 26, J. B. Tyrrell Papers


Bobine 1264, David Thompson Narrative

Saskatchewan Archives Board (SAB)


A-104, W. Traill Papers
A-113, Campbell Innes Papers
R.2.75, School Histories of Thirty-Five Indian Reserves
R.2.391, R. G. Ferguson Papers
R.2.563, Sweet Grass Reserve Papers
R-39, A. E. Forget Papers
R-70, John A. Macdonald Papers
R-100, Mary Weekes Papers
RE-1120, Indians of North America
RE-2033, Edward Ahenakew Papers
RE-1888, Little Pine/Lucky Man Band
R-1.124, Anglican Diocese of Saskatchewan—Parish Records of the Church Missionary
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26, 172, 177, 193, 198, 199, 207, 230, 232, 240, 241, 242, 243, 244,
218, 219, 223, 225, 231, 234, 235, 245, 246, 251, 261, 310, 311
240, 241, 248, 251, 256, 258, 261, Baker, Eugene, 155
264, 266, 273, 274, 276, 281, 284, Baker, Isaac, 228
287, 292, 311 Ball, Tim, 97, 116, 117
agriculture, 11, 21, 24, 37, 38, 42, 115, Banff, 166
127, 149, 177, 181, 188, 196, 222, Batoche, 238
223, 233, 234, 238, 258, 274, 280, Battleford, 78, 197, 198, 199, 200, 207,
287, 292, 309 208, 210, 218, 225, 231, 233, 236,
Ahtahkakoop (chef ), 180, 183, 289, 293 254, 256, 257, 260, 266, 267, 268,
aide alimentaire, 180, 184, 185, 197, 269, 270, 273, 275, 278, 280, 281,
227, 261, 310 286, 291
alcool, 20, 21, 24, 81, 82, 101, 102, Beal, Carl, 199, 219, 225
103, 109, 124, 127, 128, 143, 150, Beardy (chef ), 167, 180, 206, 288
154, 158, 228 Besant, technologie, 39, 42
Allen, Edwin, 216, 244 bétail, 24, 188, 189, 190, 196, 203, 205,
American Fur Company, 134 206, 207, 212, 217, 260, 273, 280,
Anichinabés (Ojibwés), 14, 19, 37, 55, 293, 295
60, 61, 63, 64, 71, 88, 89, 90, 93, Big Bear, 167, 179, 197, 209, 220, 225,
95, 104, 105, 117, 126, 130, 132, 248, 260, 268, 274, 276
137, 146, 149, 308 Binnema, Theodore, 11, 70
Archibald, Adams, 167, 168, 172, 174 Birtle, 286
Archithinues, 75, 76, 78, 99 Bishop, Charles, 14, 15, 98
Arikaras, 19, 65, 71, 135, 308 Black Hills, 74
arthrite, 34 Blackduck, 37
Assiniboines, 19, 41, 60, 61, 62, 63, 64, Blackfoot Crossing, 138, 195, 201, 245,
71, 74, 75, 76, 81, 87, 88, 89, 100, 264
101, 104, 105, 109, 113, 117, 119, Blain, Eleanor M., 15
125, 130, 134, 135, 136, 137, 138, Bobtail (chef ), 200, 207, 279
139, 151, 152, 159, 176, 200, 211, Brandon House, 116, 119, 133
214, 215, 246, 248, 250, 262, 308 Buikstra, Jane, 34, 45
Assissippi, 258, 281, 282, 284, 289 Bull Elk (affaire), 212, 217, 232
Athabasca, 20, 79, 80, 81, 82, 83, 89, Bungis (Ojibwés du Nord), 63, 104, 117
90, 91, 95, 98, 109, 110, 111, 112, Butler, William, 155, 163, 165-171, 179
113, 115, 116, 118, 119, 120, 128,
130, 169, 284
Athabascas, 90 Cahokia, 37, 40
Avonlea, technologie, 39, 42, 43 Calf Shirt (chef ), 159, 245
360 L a destruction des I ndiens des P laines

Calgary, 199, 201, 226, 236, 245, 258, Compagnie du Nord-Ouest (CNO), 97,
264, 278, 293 98, 103, 105-107, 110, 112, 114,
Cameron, William, 263, 266 115, 116, 118, 120, 128, 132
Campbell, Gregory, 23 coqueluche, 21, 114, 117, 118, 125,
Canada Jurisdiction Act, 112 126, 134, 140, 282, 284, 286, 290,
Canadien Pacifique (CP) CP, 25, 198, 312
219, 220, 226, 228, 230, 235, 243, Cowie, Isaac, 161, 168, 170
258, 277, 282, 312 Cowinetows, 88
cannibalisme, 55, 80, 114, 238 Cris du Saule, 212, 215
Carlton, 117, 133, 157, 197, 206, 216, Cris Moskégons, 88, 93, 119, 141
221, 259, 260 Cris Pegogamaws, 75, 77, 89, 93
castors, 19, 43, 54, 55, 69, 76, 79, 80, Cris, 13-19, 54, 57- 61, 63, 64, 68, 75-
85, 96, 100, 104, 106, 107, 114, 80, 83, 85, 88-105, 108, 109, 113,
128, 129, 134, 141, 148, 288 117-119, 130-138, 141, 146, 147,
catholiques, 142, 165, 166, 167, 169 151, 152, 154, 157-165, 171-175,
Charcoal, 300-304 178-181, 186, 191, 193, 197-200,
chasse au bison, 38, 42, 43, 67, 130, 206, 209, 212, 214-216, 220, 221,
139, 141, 147, 186, 275, 304, 310 234, 250, 256, 260-262, 268-270,
chemin de fer, 24, 25, 26, 154, 156, 198, 278, 281-284, 302, 309, 310
219, 221, 226, 228, 256, 264, 271, Crow Creek, 34, 35, 41
277, 282, 311 Crowfoot (chef ), 194, 195, 196, 197,
Chequamegon, 61 209, 216, 217, 232, 256, 276, 281,
Chesterfield House, 97 288, 289
cheval, 19, 20, 66, 67, 68, 71, 73, 74, Crows (Gens-de-la-Corneille; Gens-du-
78, 89, 96, 97, 100, 125, 126, 194, Corbeau), 66, 134
218, 265, 309 Cumberland House, 79, 80, 81, 82, 83,
Chipewyans, 54, 57, 58, 59, 90, 91, 95, 84, 85, 88, 89, 90, 91, 92, 93, 98,
109, 110, 111, 112, 114, 115, 117, 99, 119, 128, 130, 131, 140, 168,
118, 120, 142, 286 169, 231
Chiswick House, 112 Cypress Hills, 106, 156, 159, 176, 193,
choléra, 134, 145 194, 196, 197, 209, 214, 215, 219,
Christie, William J., 160, 162, 169, 170, 220, 244, 246, 248
172
Clandeboye, 286
Clarke, Lawrence, 206, 215, 261 Dakotas Sissetons, 223
climat, 20, 34, 40, 96, 100, 116, 117, Dakotas, 24, 64, 71, 105, 149, 186, 206,
121, 175, 179, 189, 237, 268, 280 213, 218, 220, 222, 223, 274, 277,
Cluny (site de), 70, 71 292
Cocking, Matthew, 77, 78, 89, 93, 99 Danse des esprits, 289, 290, 291, 292,
Cold Lake, 286 294
colonie de la rivière Rouge, 115, 119, Danse du don, 289
127, 131, 132, 133, 134, 141, 144, Danse du soleil, 289, 294
145, 154, 168 Dénés Chipewyans, 54, 57, 90, 95, 109
Comancheria (empire comanche), 66 Dénés, 54, 57, 58, 77, 83, 90, 91, 95,
Commission de la frontière internatio- 109, 113, 114, 120, 143
nale, 176 Denny, Cecil, 199, 201, 212, 228, 232,
Compagnie de la Baie d’Hudson (CBH), 236
14, 15, 21, 49, 54, 57, 58, 59, 63, Dewdney, Edgar, 199-202, 207, 208,
74-79, 81-87, 91, 92, 96-99, 102, 210-220, 234, 239-251, 254, 256,
105, 107, 108, 110, 111-121, 123- 260, 261, 265, 266, 270, 273, 277,
152, 154, 204, 226, 229, 266, 283, 280, 285, 287, 292, 295, 299, 300,
308 311
Diamond, Jared, 40
I ndex 361

diarrhée, 85, 86, 214 Foremost Man (Homme-Éminent), 220,


Dickieson, M. G., 196, 200, 204 225
Dion, Joseph, 166, 262 Fort Assiniboine, 278
disette, 20, 24, 50, 80, 85, 117, 150, Fort Benton, 151, 154, 158, 166, 226,
151, 168, 177, 180, 181, 184, 191, 228, 229, 232, 243, 310
196, 205, 207, 208, 238, 310 Fort Carlton, 162, 164, 165, 168, 169,
Dobyns, Henry, 33, 290 170, 171, 178, 179, 180, 193, 253,
Dunnezas (Gens-du-Castor), 76, 95, 310
111, 114, 117, 120, 129, 199, 283 Fort Edmonton, 118
dysenterie, 86, 144, 145, 214 fort Ellice, 133
fort La Reine, 60, 62
Fort Macleod, 195, 203, 214, 227, 236,
Eagle Tail (chef ), 276 264, 289, 301
eau, 19, 43, 53, 97, 104, 108, 148, 175, fort Maurepas, 60
203, 231, 252, 259, 288, 313 fort Pitt, 133
Edmonton, 107, 133, 136, 139, 148, fort Prince de Galles, 57
150, 157, 158, 162, 164, 166, 168, fort Rouge, 60
169, 170, 178, 201, 232, 246, 264, Frobisher, Thomas, 80
278, 279, 283, 284, 287, 288 gale, 190, 191, 217, 218
Edwards, O.C., 250, 251, 252
Elkhorn, 298
encéphalite, 34 Gens-du-Sang, 148, 157, 243, 245, 246,
épidémies, 11-13, 18-24, 36, 42, 46, 49, 264, 276
51, 52, 53, 58-71, 73, 85, 87-93, 95- Gens-du-Serpent, 19, 66, 68, 70, 71, 75,
100, 106, 118, 119, 120, 124-126, 78, 86, 87, 99
135, 137, 138, 140-142, 144, 145, Girard, F.-X., 243, 244, 295, 296
151, 154-157, 160-168, 170, 172, Gladstone, 151
175, 177, 178, 180, 183, 185, 187, Gleichen, 296
191, 192, 203, 204, 213, 216, 218, gonorrhée, 109
221, 223, 252, 281-290, 296, 302, Grand lac de l’Ours, 114
303, 305, 307-309, 312 Grand lac des Esclaves, 112, 117, 120,
États-Unis, 23, 26, 33, 51, 66, 87, 106, 129, 228
115, 125, 134, 135, 144, 171, 186, Grand Portage, 59, 106
188, 191, 194, 200, 206, 209, 215, Grandin, Vital, 164, 165
219, 220, 222, 228, 242, 253, 259, grippe, 26, 52, 140, 144, 147, 282, 285,
266, 268, 275, 278, 283, 290, 291, 286, 287, 288, 289, 290, 291, 294,
292, 294, 309 303, 305, 312
ethnogenèse, 13, 20, 93, 96, 98, 309 Grizzly Bear’s Head, 267, 268, 278, 279
expéditions, 57, 67, 99, 133, 199, 215 Gros-Ventres, 20, 37, 75, 99

Fidler, Peter, 84, 90, 104, 105, 106, 107, Hackett, Paul, 12, 60
110, 112, 113, 116, 117, 119 Hagarty, Daniel, 192, 193, 197, 204,
fièvre pourprée, 203 216, 222
fièvre typhoïde, 246 Hamilton, Scott, 36
File Hills, 253, 254, 278, 280, 302 Harmon, Daniel, 107, 109, 113, 114,
Flancs-de-Chien, 117 116, 117
fleuve Mackenzie, 20, 83, 91, 98, 111, Haudenosaunee, 52
114, 140, 161 Hearne, Samuel, 77, 79, 82, 90, 91
fleuve Missouri, 13, 19, 64, 65, 74, 87, Heavy Runner, 155
101, 102, 119, 154, 308 Hector, James, 138, 147, 148
fleuve Nelson, 114 Henday, Anthony, 70, 99
362 L a destruction des I ndiens des P laines

hépatite, 34 lac Croche, 253, 278


Hidatsas, 37, 134, 135 lac des Bois, 59, 62, 64, 146
Hind, H.Y. 146-148 lac des Esclaves, 90, 117, 119, 130, 280,
Hines, John, 190, 191, 257, 258, 281, 284
284, 289 lac Lubicon, 15, 16
Horrall, S.W., 264 lac Moose, 166
Hudson House, 80, 81, 84, 85, 86, 88, lac Ponass, 165
90, 92, 98, 99, 100 lac Reindeer, 90, 115, 120, 141
Hurons, 51, 52, 57, 58 lac Seul, 144
lac Vert, 113
lac Whitefish, 165, 179
Île-à-la-Crosse, 80, 98, 111, 119, 141, lac Winnipeg, 60, 61, 64, 126, 141, 174,
142 191, 192, 259, 289
immigrants européens, 153 Laird, David, 178, 193, 196, 198, 200
incendies, 79, 86, 125, 190, 191, 196 Lakotas, 145, 290, 291
Indian Head, 238, 243, 246, 248, 250, Lean Man, 267, 278
251, 252, 254, 275, 292 Leduc (père), 166, 167
Indiens des Rapides, 75 leishmaniose, 34
infanticide, 113 Lethbridge,160
Inuits, 36 lièvres, 55, 114, 139
Iroquois, 40, 93, 95, 106, 107, 111 Little Bear (chef ), 278
Isbister, A.K., 143 Little Pine (chef ), 193, 200, 207, 209,
248, 275
James Waldram, 23 Little Poplar (Petit-Peuplier), 262, 278
Jasper, 166 Livingstone, Duncan, 110
Loi sur les Indiens, 265, 279, 293
Long Lodge, 248, 250, 251, 252, 253,
Kainahs (Gens-du-Sang), 75, 148, 243, 275
246, 292, 295 Longmore, Robert, 84-86
Kelm, Mary-Ellen, 10 Lucky Man, 193, 200, 209, 248, 263
Kennedy, Dan (chef ), 138
Kennedy, George-F., 129, 203, 214
Kennedy, Margaret, 156 Macdonald, John A., 193, 198, 208,
Kittson, John, 186, 214 209, 226, 233, 234, 235, 239, 241,
Krakatoa, 237 243, 245, 248, 253
Kutenais, 67, 70 Macdonnell, James, 112, 115, 126
Kuwae, 42 Mackenzie, Alexander, 76, 82, 90, 91,
97, 109
Macleod (colonel), 202, 205
La Loche, 82, 106 maladies infectieuses, 12, 22, 111, 281,
La Vérendrye (Pierre Gaultier, sieur de), 282, 304, 305, 308, 312
59, 60, 61, 62, 74, 76, 308 maladies sexuellement transmissibles,
lac à la Grenouille, 262, 263, 266 264, 311
lac à la Pluie, 37, 62, 64, 118 Manchester House, 101
lac Amisk, 80 Mandans, 37, 74, 102, 117, 119, 130,
lac Athabasca, 58, 90, 98, 111, 238 134, 135, 136, 308
lac au Brochet, 259, 260 Mandelbaum, David, 13, 98
lac aux Canards, 206, 260 Mangeurs-de-Poisson, 157
lac aux Castors, 80, 82 Marias (massacre de la rivière), 155, 157
lac aux Huards, 268 Markle J. A., 286, 296
lac aux Oignons, 280, 285, 289 McDougall, George, 168, 179,
lac Caribou (lac Reinder), 141, 142, 190 McDougall, John, 158, 171, 258
I ndex 363

McKay, James, 161, 162, 169, 200, 266 Norway House, 78, 131, 140
McQuillan, Aidan, 177, 186, 188, 199, Nouveau-Mexique, 19, 66
209, 220, 258 Nouvelle-France, 52, 53, 58, 60
McTavish (gouverneur), 151, 152, 171
Medicine Hat, 39, 221, 231
Meighen, Arthur, 303 Ocean Man, 215
Métis, 26, 96, 106, 124, 132, 133, 142, Ojibwés de Turtle Mountain, 146, 279
147, 149, 152, 154, 157, 161, 163, Ojibwés du Nord, 63
168, 171, 174, 178, 196, 198, 201, Ojibwés, 14, 15, 37, 63, 64, 96, 98, 104,
203, 257, 262, 273, 279, 280 146, 279
Mexique, 65 Okanese, 213
Meyer, David, 36, 37, 41, 75, 76, 88, 99, Old Women (culture), 39, 41, 42, 43, 70
165, 238, 302 One Arrow (chef ), 253, 276
Mis-tick-oos, 146 One Gun (Cluny), 42, 70
mission Victoria, 166, 186, 201 Onéotas, 37, 41
missionnaires, 21, 51, 52, 141, 142, 165, Oregon, 107, 123, 144, 145
168, 169, 257 oreillons, 216
missions catholiques, 165, 166 orignal, 128, 215
Mistawasis, 179, 180, 218
Mochoruk, 167, 191, 192, 259 Packard, Randall, 23
Monsonis, 62, 63, 64, 71 parasites intestinaux, 34
Montagne à la Basse, 113 Pasqua (chef ), 176, 215
Montana, 41, 68, 151, 154, 156, 158, Pawnees, 65
160, 191, 196, 208, 209, 216, 226, Peaux-de-Lièvre, 117
227, 241, 242, 263, 278, 279, 292, pêche, 56, 63, 120, 168, 177, 234, 253,
310 259, 260
Mooney, 290, 291 Peguis (chef ), 21, 126, 146, 152
Moose Factory, 238 Pembina, 103, 105, 279
Moose Mountain, 44, 204, 297 pemmican (commerce), 83, 98, 105,
Moosomin, 207, 219 115, 133, 150, 171, 199, 248
Morgan, Grace, 43, 125 Pend-d’Oreilles, 67
Morley, 138, 265 pensionnats, 26, 298, 299
Morris, Alexander, 167, 172, 176, 183, Piapot (chef ), 151, 209, 246, 248, 250,
184, 192, 310 251, 252, 253, 275, 287
Mortlach, 42, 61, 70, 76 Pieds-Noirs, 39, 68, 70, 99, 147, 156,
Morton, Samuel, 135 157, 158, 160, 162, 171, 194, 195,
Mosquito (chef ), 207, 214, 267, 278, 201, 203, 232, 245, 256, 264, 265,
288 296
Muscowpetung, 286 Piikanis (Péigans), 70, 75, 87, 151, 155,
156, 157, 158, 216, 276, 295
Nahannis, 114 Pincher Creek, 258
Nakotas, 41, 258, 266, 284 Pine Ridge, 290
Nekaneet, 220 Police à cheval du Nord-Ouest, 175,
Nez-Percés, 66, 194 186, 203, 226, 252, 265, 310
Niitsitapis, 39, 43, 68, 71, 87, 100, 104, poliomyélite, 34
117, 118, 130, 135, 138, 148, 151, Pond, Peter, 82, 83, 90, 109
154-158, 160, 162, 193, 195, 196, Porter, A.E., 166
199, 200, 201, 209, 212, 216, 217, Poundmaker (chef ), 180, 207, 219, 220,
246, 256, 283, 288, 295, 296, 308 234, 256, 257, 276
Nisbet, James, 161, 165 Prince Albert, 74, 161, 163, 165, 178,
Northern Pacific, 188 197, 206, 207, 209, 212, 214, 215,
258, 259, 266, 280, 292
364 L a destruction des I ndiens des P laines

protestants, 142, 165, 166, 167 Sainte-Anne, 157, 168, 259


Provencher, J. A. N., 177, 178, 188 Sakimay, 250, 253, 254, 256
Pueblos, 66, 309 Sarcis, 138, 157
Saskatoon, 75, 132, 133, 150, 157, 159,
Québec, 40, 73, 75, 76, 127 162, 172, 174, 178, 184, 199, 206,
Quinn, Thomas, 262, 263 231, 238, 245, 254, 278, 304, 310
Saukamappee, 68, 69, 70, 71, 87
Sault-Sainte-Marie, 53, 56, 308
Rainy Lake Composite, 37 Saulteaux, 96, 103, 104, 105, 106, 111,
rats musqués, 128 126, 130, 134, 137, 138, 163, 165,
rébellion des Cris, 257 176, 177, 191, 308
Red Crow, 157 scarlatine, 141, 142, 147, 148, 151, 198,
Red Earth, 165, 238, 302 214, 216, 286
Red Pheasant, 275 Schaeffer, Claude, 67, 68
Reed, Hayter, 218, 236, 237, 251, 252, Scollen, Constantine, 195, 199, 201
254, 256, 260, 262, 265, 266, 270, scorbut, 54, 213, 252
274, 279, 286, 287, 293, 294, 295, scrofule, 175, 187, 204, 217, 252, 261,
298, 299 283, 295, 296, 298
rivière à l’Esturgeon, 88, 99 sécheresse, 36, 68, 97, 108, 117, 125,
rivière Albany, 89, 108, 140 148, 152, 190, 196, 288, 291
rivière Assiniboine, 19, 60, 62, 84, 88, Selkirk, lord, 140
89, 104, 105, 106, 126, 137, 170 Settee, James, 238, 259
rivière Athabasca, 20, 90 Sharphead Stoneys, 212, 281, 285
rivière Battle, 101, 138, 160, 178, 215, Siksikas, 70, 75, 102, 138, 216, 232
266 Simpson, George, 120, 123, 128, 140,
rivière Belly, 158, 160, 169 145, 152
rivière Bow (rivière à l’Arc), 69, 70, 71, Sinclair, James, 163
138 Sioux, 17, 19, 61, 62, 63, 64, 117, 125,
rivière Carotte, 38, 81, 238, 280 132, 133, 134, 135, 136, 139, 145,
rivière Castor, 81, 85, 86, 90, 104, 105, 175, 179, 185, 191, 197, 203, 207,
166 214, 222, 263, 290, 291, 292
rivière Churchill, 57, 59, 77, 79, 80, 81, Sitting Bull, 179, 193, 194, 197, 219,
82, 83, 90, 91, 95, 113, 128, 131, 291, 292
162 Sliwa, Stephen, 167, 206, 288
rivière Clearwater, 82 Smith, 15, 16, 59, 61, 74, 76, 91, 116,
rivière de la Paix, 98, 105, 111, 113, 120, 162, 163, 164, 168, 169, 241,
114, 117, 120, 129, 165, 199, 283 298
rivière Liard, 114, 115 Smith, James, 216
rivière Red Deer, 19, 68, 70, 139 Standing Buffalo, 222, 223, 277
rivière Snake, 66, 129 Standing Rock, 290, 291, 292
rivière Swan, 84, 101, 107, 137 Star Blanket (chef ), 190
Rocky Mountain House, 139, 162 Stonechild, Blair, 256, 276
Ross, Alexander, 133, 145 Stoney, 139, 166, 180, 194
rougeole, 21, 26, 52, 117, 118, 120, Stoneys, 139, 157, 201, 258, 265, 268,
125, 140, 142, 144, 145, 151, 177, 278, 281, 284, 285
180, 216, 282, 283, 284, 285, 290, Strike-Him-on-the-Back, 207, 218
296, 312 Stuart, William, 58, 59
ruée vers l’or, 149 suicide, 103, 107, 312
Sweet Grass (chef ), 171, 172, 180, 196,
Saint-Albert, 157, 166 281, 287, 292, 293
Saint-Paul, 157, 164, 171 Sweet Grass Hills, 156, 159
Saint-Pierre, 59, 60, 127, 141, 177, 298 Sylvicole supérieur, 37
I ndex 365

syphilis, 109 Umfreville, Edward, 102, 108, 109


système des réserves, 12, 22, 184, 284,
302
vaccination, 12, 21, 22, 125, 135, 137,
Tanner, John, 103, 107, 108 139, 140, 148, 161, 169, 170, 216
Tee-Tee-Quay-Say, 181 Vankoughnet, Lawrence, 204, 210, 212,
télégraphe, 178 213, 216, 225, 236, 237, 239, 240,
Têtes-Plates, 66, 67, 125 241, 243, 246, 251, 253, 254, 260,
The Badger, 180 266
Thistle, 15, 16, 49, 76, 88, 106, 128, varicelle, 92
132 variole, 13, 19, 20, 21, 22, 24, 42, 46,
Thompson, David, 68, 69, 87, 89, 90, 51, 52, 53, 54, 59, 60, 61, 62, 65,
97, 102 66, 67, 68, 69, 71, 86, 87, 92, 93,
Thornton, 291, 294 95, 106, 118, 119, 120, 124, 125,
Thunderchild, 207, 209, 219, 281, 287 135, 137, 138, 139, 140, 145, 147,
Tiger Hills, 42 154, 155, 156, 157, 160, 161, 163,
Tilley, Leonard, 210, 218 169, 180, 191, 192, 193, 216, 217,
Todd, William, 120, 137, 140 286, 308
Tomison, William, 83, 92, 100, 103, Vickers, Focus, 41, 42
108, 184
Touchwood Hills, 87, 88, 161, 165, 177, Waiser, Bill, 256, 276
186, 204, 212, 214, 266, 286, 301 Walker, William, 87, 88, 90, 91
Tough, Frank, 17, 172, 174, 259 Wallerstein, Immanuel, 11
traité de Selkirk, 105, 152 Wandering Spirit, 263
traite des fourrures, 11, 13, 16, 17, 19, Watetch, Abel, 119, 151, 177, 250
49, 55, 73, 88, 93, 103, 130, 143, Wentzel, Willard, 110, 113, 114, 115,
150, 153, 170, 174, 230 116, 118
Traité n° 1, 174, 177, 178 West, John, 125, 126
Traité n° 4, 177, 204, 225, 233, 238, White Bear (chef ), 204, 212
246, 248, 253, 258 Whoop-Up, 24, 154, 155, 176, 195, 205,
Traité n° 5, 191 208, 226, 228, 242
Traité n° 6, 24, 154, 179, 181, 182, 183, Wood Mountain, 203, 213, 214, 220,
193, 197, 200, 220, 221, 233, 256, 292
309, 313 Wounded Knee, 17, 133, 135, 136, 145,
Traité n° 7, 157, 171, 193, 194, 212, 291
216, 228, 236, 241, 243, 244, 256,
277, 295, 296
Tsimshians, 149 XY (Nouvelle Compagnie du Nord-
Tsuu T’inas (Sarcis), 75, 76, 138, 157, Ouest), 103, 110, 111, 112
158
tuberculose bovine, 24, 189, 190, 217,
296, 298 Yellow Calf, 253, 254
tuberculose humaine, 45, 189 Yellow Quill, 204, 205, 258
tuberculose, 19, 21, 22, 23, 24, 25, 26, York Factory, 54, 56, 58, 59, 60, 75, 77,
34, 44, 45, 46, 48, 54, 108, 126, 134, 78, 79, 89, 93, 99, 102, 103, 138,
135, 184, 185, 187, 189, 190, 195, 140, 141, 144, 147
203, 217, 221, 222, 223, 252, 276,
278, 281, 282, 284, 285, 286, 288,
294, 295, 296, 297, 298, 299, 301,
302, 303, 305, 310, 311, 312, 313
tularémie, 108
Traduit de l’anglais par Catherine Ego

« Une lecture indispensable pour tous les Canadiens »


– Candace Savage, auteure de A Geography of Blood

La conquête des Plaines constitue l’un des chapitres mythiques de l’his-


toire du Canada. Mais le mythe a son versant sombre. En quelques années
seulement, des milliers d’Autochtones sont morts; les survivants ont été
réduits en sujétion. Dans cet ouvrage passionnant et bouleversant, James
Daschuk analyse les causes de cet effroyable massacre : les maladies
venues de l’Ancien Monde; les rigueurs du climat; mais surtout, la politique
ethnocidaire du gouvernement canadien.

Pour les premiers habitants des Plaines, le « rêve national » de sir John


A. Macdonald a tourné au cauchemar. Le Canada actuel continue d’en
payer le très lourd tribut : en matière de richesse et de santé, un gouffre
sépare Autochtones et Allochtones; le racisme, les différends et les malen-
tendus continuent par ailleurs de les opposer.

« Ce livre est un véritable tour de force. En particulier, l’ouvrage pulvérise


ce cliché tenace selon lequel le Canada aurait toujours traité les popula-
tions autochtones avec bienveillance. James Daschuk montre au contraire
que les maladies infectieuses et les famines orchestrées par le gouverne-
ment ont enclenché une mécanique implacable de destruction qui poursuit
son œuvre dévastatrice aujourd’hui encore. Écrite de main de maître, cette
analyse percutante et captivante oblige le lecteur à revoir toutes ses idées
préconçues. Plusieurs jours après avoir refermé ce livre, je restais habitée
d’un profond désarroi. S’appuyant sur une recherche rigoureuse, La dispari-
tion des Indiens des Plaines s’impose comme un ouvrage historique incon-
tournable et courageux. » – Elizabeth A. Fenn, auteure de Pox Americana.

« Une écriture limpide, une recherche irréprochable, des faits historiques


impeccablement contextualisés… Une lecture essentielle pour quiconque
s’intéresse à l’Amérique du Nord autochtone. » – J. R. McNeill, auteur de
Mosquito Empires.

Titulaire d’un Ph. D. en histoire de l’Université du


Manitoba, JAMES DASCHUK est professeur adjoint
à la Faculté de kinésiologie et d’études en santé de
l’Université de Régina et chercheur de la Saskat-
chewan Population Health and Evaluation Research
Unit.

ISBN 978-2-7637-2100-2
Photographie de la couverture : Mistahimaskwa (Big Bear),
chef cree 1885. Photo by O.B. Buell,
Bibliothèque et Archives Canada image nlc-4314 9 782763 721002
Photographie de l’auteur : Dominique Daschuk Histoire

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