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1905

NOTES
HISTORIQUES
SUR LA
GRANDE KABYLIE
DE 1838 A 1851
PAR
LE COLONEL ROBIN

ALGER
TYPOGRAPHIE ADOLPHE JOURDAN IMPRIMEUR-LIBRAIRE- ÉDITEUR
4, PLACE DU GOUVERNEMENT, 4
Objet de cette étude. — Traité de la Tafna. — Note sur Ben-Salem. —
Organisation donnée par Abd-el-Kader à la Grande Kabylie. — Camps retranchés du
Fondouk et de Kara-Moustafa, poste du Boudouaou. — Abd-el-Kader parcourt la
Kabylie pour se faire reconnaître comme sultan. — Sac des Ahl-el-Ksar par Ben-Salem
en 1839. — Rupture du traité de la Tafna, dévastation de la Milidja. — Le maréchal
Valée dissipe les rassemblements kabyles du Bou-Zegza. — Les Kabyles attaquent la
Rassauta et s’avancent jusque près d'Alger. — Engagement à la Maison-Carrée. —
Evacuation du camp de Kara-Moustafa. — Ben-Salem attaque le blockhaus resté
occupé, surprise de son camp par le général Changarnier et combat du Boudouaou le
19 septembre 1840. — Abandon du camp du Fondouk. — Echec de Ben-Salem à la
Rassauta le 12 avril 1841. — Les hostilités reprennent entre les Oulad-ou-Kassi et les
Oulad Mahi-ed-Din. — Razzia de Ben-Salem sur les Beni-Slyim. — Guerre entre les
Maatka et les Flissat- oum-el-Lil. — Ben-Salem rétablit la paix entre les tribus. —
Affaire des Beni-Méred le 11 avril 1842. — Ben-Salem se porte sur Bou-Saâda. —
Soumission de l’agha Si Mohamed-ben-Mahi ed-Din. — Convocation de contingents
dans les Nezlioua.

Cette étude fait suite à celle qui a été publiée dans la Revue africaine de 1876 sous le
titre : « Notes historiques sur la Grande Kabylie de 1830 à 1838 ». Elle formera, avec les
autres notices que nous avons déjà publiées dans cette revue à diverses époques (1), un
ensemble qui donnera l’histoire complète de la Kabylie du Djurdjura depuis l’époque de la
prise d’Alger, jusqu’à la soumission définitive de cette région, en 1857.
Dans le travail publié par la Revue africaine en 1876, nous avons raconté la participation
delà Grande Kabylie à la défense d’Alger en 1830, les efforts faits par El-Hadj-Mohamed-
ben-Zamoum, des Flissat-oum-el-Lil, pour combattre nos établissements dans la Mitidja, les
luttes soutenues par les Oulad-ou-Kassi de Tamda contre les Oulad-Mahi-ed-Din de Taourga
pour s’assurer la suprématie dans la vallée du Sébaou, la première apparition de nos troupes
dans la plaine de l’Isser en 1837, enfin l’arrivée aux abords de la Kabylie de l’Émir El-Hadj-
Abd-el-Kader-ben-Mahi-ed-Din et l’organisation qu’il a donnée au pays avec Si Ahmed-
Taïeb-ben-Salem comme Khalifa, El-Hadj-Mohamed-ben-Zamoum comme Agha des Flissa
et Bel-Kassem-ou-Kassi comme Agha du Sébaou.
Pour bien comprendre l’importance de l’apparition d’Abd-el-Kader en Kabylie, il est
nécessaire de nous reporter an traité de la Tafna qui a réglé nos relations avec lui.
Ce traité, daté du 30 mai 1837, établissait une sorte de protectorat: Abd-el-Kader
reconnaissait la souveraineté de la France en Afrique, et nous laissions sous son autorité
absolue les provinces d’Oran, de Titeri et d’Alger en nous réservant, dans ces deux dernières
provinces, des territoires dont les limites étaient indiquées. La province de Constantine était
laissée en dehors et l’émir n’avait rien à y prétendre.
Abd-el-Kader s’engageait à ne concéder aucun point du littoral à une puissance
quelconque sans l'autorisation de la France. Nous lui fournissions la poudre, le soufre et les
armes dont il aurait besoin, et il nous payait un tribut annuel en bœufs et en grains.
Le territoire que nous lui abandonnions était beaucoup plus vaste que celui sur lequel il
avait jamais étendu son autorité, mais, avec les idées d’occupation restreinte qui étaient à
l’ordre du jour à cette époque, nous avions voulu le faire puissant pour nous décharger sur lui
du soin de maintenir l’ordre dans les tribus et de les empêcher de faire des incursions de
1
Voici, dans l’ordre de leur publication, les articles auxquels nous faisons allusion: 1870, Histoire d'un
chérif de la Grande Kabylie. — 1874, les Imessebelen. — 1875, les Oulad-ben-Zamoum. — 1881 à
1884, Histoire du chérif Bou Bar'la. — 1885, Expédition du général Blangini en Kabylie, — 1898.
Soumission des Beni-Yala. — 1898 à 1902, Notes et documents sur l’insurrection de la Grande Kabylie
de 1856-1857.
pillage sur le territoire réservé. Il devait, en quelque sorte, entourer nos possessions d’une
zone protectrice.
La rédaction défectueuse des articles 2 et 3 de ce traité, fixant les limites du territoire
réservé à la France, donna lieu tout de suite à des difficultés. Voici des extraits de ces
articles :
« Art. 2. — La France se réserve:
…………………………………………………………………………………………………
Dans la province d’Alger:
Alger, le Sahel, la plaine de la Mitidja, bornée à l’est jusqu’à l’oued Khedera et au-delà ;
au sud, par la première arête de la première chaîne du petit Atlas jusqu’à la Chiffa, en y
comprenant Blida et son territoire ; à l’ouest, par la Chiffa jusqu’au coude du Mazafran, et de
là, par une ligne droite jusqu’à la mer, renfermant Coléa et son territoire; de manière à ce que
tout le terrain compris dans ce périmètre soit territoire français.
Art. 3. — L’Émir administrera la province d’Oran, celle de Titeri et la partie de celle
d’Alger qui n’est pas comprise à l’ouest dans la limite indiquée par l’art 2. Il ne pourra
pénétrer dans aucune autre partie de la Régence ».
Abd-el-Kader prétendait que notre limite à l’est était l’oued Khedera et que les mots et au-
delà étaient une superfétation et ne signifiaient rien, tandis que nous soutenions que ces mots
signifiaient que nous avions le territoire au-delà sans aucune limite. Il est certain que la
délimitation manquait absolument de clarté ; les apparences étaient plutôt en faveur de
l’interprétation de l’Émir.
Quoi qu’il en soit, l’apparition de l’Émir en Kabylie en décembre 1837 devait être
regardée par nous comme une violation du traité de la Tafna. Il est vrai que ce n’était pas la
première fois que le fait se produisait, puisqu’un mois d’octobre précédent Abd-el-Kader avait
jeté les bases de sa domination dans la province de Constantine en prenant comme Khalifa de
la Medjana Abd es-Slam-el-Mokrani dit et Toubal (le boiteux).
Abd-el-Kader, après avoir soumis à son autorité la ville de Bou-Saâda ( 2), était arrivé à
Chellata le 16 décembre 1837 et s'était ensuite porté à Hammam-Ksenna dans l’Ouennour’a.
C’est là que Si Ahmed-Taïeb-ben-Salem, qui va désormais jouer un rôle important dans
l’histoire de la Grande Kabylie, était allé au-devant de lui pour lui offrir ses services ; Abd-el-
Kader le nomma Khalifa du Sébaou. C'est sous ce titre que le désigne Léon Boches, qui se
trouvait au camp de l’Emir, dans une lettre datée du camp de l’Ouennour’a 19 décembre
1837.
C’est le même jour qu’arriva au camp M. Garavini, consul d’Amérique à Alger, qu’Abd-
el-Kader avait mandé près de lui pour affaires commerciales ( 3). D'après un article figurant au
Moniteur du 9 janvier 1838, M. Garavini a trouvé à ce camp 450 tentes, 1 800 fantassins, 600
cavaliers et 4 canons formant l’armée régulière. Avec les irréguliers il y avait en tout 5 000
hommes.
Le nouveau Khalifa, Si Ahmed-Taïeb-ben-Mohamed-ben Salem, que nous appellerons
simplement Ben Salem, appartenait à une famille de Cheurfa dont le berceau était au Sous
Marocain. Cette famille, ayant alors pour chef Si Salem-ben-Makhelouf, était venue s’établir
en Kabylie au commencement du XVIe siècle, quelque temps avant l’occupation d’Alger par
les Turcs. Si Salem- ben-Makhelouf avait fondé dans les Beni-Djad, confédération kabyle qui
comptait 21 petites tribus (4), une zaouïa qui prit le nom de Sidi Salem, nom qui passa à la
tribu dans laquelle elle avait été construite. Les nouveau-venus ne tardèrent pas à prendre une

2
Annales algériennes de Pélissier de Raynaud, p. 251.
3
Abd-el-Kader avait voulu le prendre comme son consul à Alger, mais le gouvernement lui avait
refusé l’exequatur.
4
Par suite de groupements qui ont été faits plus tard, il ne restait plus dans les Béni-Djad que huit
tribus au moment de leur passage en territoire civil.
grande influence, et la famille devint l’objet d’une grande vénération de la part des Kabyles.
Le gouvernement turc, qui eut souvent besoin de recourir à l’influence des chefs de la
zaouïa, leur accorda divers privilèges ; ils furent même autorisés à commander sans contrôle
les deux fractions des Zoui et des Béni Chafa qui composaient la tribu des Oulad’ Sidi-Salem
et une partie de celle des Metennan, et à y percevoir les impôts à leur profit.
Au moment de notre conquête d’Alger, le chef de la famille était Si Mohamed-ben-
Salem ; ce marabout fut blessé mortellement dans les guerres intestines qui eurent lieu dans la
période d’anarchie qui suivit la chute du gouvernement Turc, et son fils aîné Si Ahmed-
Taïeb, dont nous nous occupons, prit en main les affaires de la zaouïa. Grace à son caractère
énergique et à l’ascendant religieux qu’il exerçait sur les Kabyles, il réussit bientôt à mettre
fin aux désordres et à rétablir la paix entre les tribus.
C’était un homme intelligent, instruit, ne manquant pas de droiture et de sagesse et qui
cherchait à entraîner plutôt par la persuasion que par la violence. Sans être précisément un
homme de guerre il était très actif et savait bien tenir sa place à la tête d’un goum. C’était un
musulman intransigeant qui regardait comme un devoir de religion de combattre le chrétien
sans trêve ni merci.
Voici le portrait qu’a fait de lui le Général Daumas (La Grande Kabylie, p. 143): « C’est
un homme de taille moyenne ; il a la barbe et les yeux noirs, la peau blanche, les dents belles;
son âge doit être aujourd’hui (en 1847) quarante à quarante-cinq ans. On le dit sage et très bon
musulman ; il a prouvé longtemps par des sacrifices de tout genre son attachement à ses
principes religieux. Les tolbas le citent comme un homme instruit, laborieux et plein de
dignité dans ses manières ; les guerriers vantent sa prudence au conseil, sa bravoure dans le
combat, et les Arabes mêmes son habileté à manier un cheval ».
Abd-el-Kader alla campera Bordj-Bouïra, puis il porta ses troupes en territoire contesté, à
Bou-Derbala, dans la tribu de Koulour’lis des Zouatna, qui nous était soumise, mais qui,
incapable de résister, s’était mise à sa discrétion. Comme pour ses projets ultérieurs l’Emir
croyait utile défaire un exemple retentissant, il choisit à cet effet cette tribu, composée de
descendants de Turcs, qui n’avaient aucune attache dans le pays. Il la frappa d’une énorme
contribution et, sans lui donner le temps de la réunir, il lança sur les villages ses cavaliers qui
les mirent à sac de la manière la plus complète ; 52 Zouatna, 10 femmes et 2 enfants y
périrent et les malheureux habitants se virent tout enlever, même leurs vêtements.
On lira dans l’ouvrage du général Daumas déjà cité (p. 169) le récit de ce sanglant épisode
et de la mise à mort du caïd Birem, qui avait reçu l’investiture du maréchal Clauzel. C’était
une véritable bravade. Le maréchal Valée (5) envoya immédiatement des troupes au
Fondouck, et l’Emir, ne voulant pas en arriver encore à une rupture complète, se décida à
reprendre, le 26 décembre, la route de Médéa (6). La razzia des Zouatna avait eu lieu le 24
décembre 1837.
Pendant le court séjour qu’il fit à Bou-Derbala, Abd- el-Kader donna un commencement
d’organisation à la Kabylie ; il présenta aux notables rassemblés le khalifa qu’il leur avait
donné en remplacement du piteux Si El Hadj-Ali-ben-Sidi-Saadi et fit choix comme agha d’El
Hadj-Mohamed-ben-Zamoum pour les Plissa et de Bel Kassem-ou-Kaci comme agha du
Sébaou.
Nous avons raconté longuement dans la Revue africaine de 1876 les antécédents de ces
deux hommes qui étaient on ne peut mieux choisis pour ces hauts commandements (7).
5
Le maréchal Valée avait été nommé gouverneur général en remplacement du général Damrémont,
tué au siège de Constantine le 12 octobre 1837.
6
Voir dans les Annales algériennes de Pelissier de Raynaud p. 257, 2e vol., les motifs du brusque
départ d’Abd el Kader.
7
Il y avait un homme qui aurait pu aspirer au commandement du Sébaou, c’était Ali-Mançour, des
Oulad-bou-Khalfa, guerrier renommé qui avait une grande influence sur les tribus kabyles de son
voisinage, mais il avait été tenu à l’écart, il mourut subitement en 1839 lorsque l’Emir alla visiter les
El-Hadj-Mohamed-ben-Zamoum devait avoir sous son autorité, en outre des tribus des
Flissat-oum-el-Lil, les Guechtoula, Abid, Harchaoua, Nezlioua, Beni-Khalfoun, Zouatna,
Ammalet Khachna. Bel-Kassern-ou-Kassi avait les Ameraoua et toutes les tribus de la vallée
principale du Sébaou où il réussirait à se faire obéir. On avait aussi fait entrer dans son
aghalik les tribus des Issers, mais par suite de guerres intestines qui ne tardèrent pas à éclater,
il ne put jamais y asseoir son autorité.
Quant à l’ancien rival de Bel-Kassem-ou-Kassi, (El- Hadj) Aomar-ou-Mahi-ed-Din, il ne
reçut d'abord aucun commandement, Abd-el-Kader ayant été avisé des illations qu’il avait
entretenues avec les Français; mais, un peu plus tard, il fut nommé agha pour les Ameraoua-
Tahta, les Beni-Ouaguennoun et les tribus des environs de Dellys.
Le khalifa Ben-Salem s’était réservé le commandement direct des Beni-Djad et des tribus
du haut de la vallée de l’Oued-Sahel. Les Beni-Sliman relevaient du khalifa de Titeri,
Mohamed-ben-Aïssa-el-Berkani ; leur agha était Si Mohamed-ben-Mahi-ed-Din, chef delà
zaouïa de Bou-Mali. Ce marabout n’ayant pu s’entendre avec El-Berkani, Abd-el-Kader le fit
passer peu après dans le commandement du khalifa Ben-Salem.
La venue d’Abd-el-Kader avait désorganisé le commandement indigène que nous avions
établi dans les tribus limitrophes de la Mitidja, et les maraudeurs kabyles avaient repris une
nouvelle audace. Leurs déprédations devinrent si intolérables que le maréchal Valée se décida
à faire établir deux camps retranchés, l’un auprès du Fondouk, l’autre à sept kilomètres plus
loin, à Kara- Moustafa. A l’Oued-Boudouaou il existait déjà une redoute : on la fit compléter
par un blokhaus servant de réduit et on confia la garde de ce poste à des Koulour’lis des
Zouatna, qui avaient quitté leur pays à la suite de la razzia d’Abd-el-Kader. Les camps
retranchés furent occupés le 25 mars 1838.
Dans les premiers temps de son commandement, Ben- Salem habita Bordj-Sebaou après
avoir fait restaurer à son usage, par les Ameraoua, l’ancien bordj turc qui était resté
abandonné depuis 1830. Il y demeura environ un an, mais il n’y amena jamais sa famille qui
était demeurée dans les Beni-Djad.
Afin de lui donner les forces nécessaires pour se faire obéir, Abd-el-Kader lui constitua un
bataillon de réguliers ; il lui envoya un agha des troupes, six siafs et un matériel de 122 tentes,
600 habillements complets avec armement et équipement, et Ben-Salem n’eut plus qu’à
recruter les hommes, ce qui était une tâche facile en Kabylie.
Ben-Salem commença par faire payer aux tribus des Issers l’achour et le zekkat et il leur
donna des caïds. Moustafa-ben-Aomar, à qui nous avions donné le commandement de tous les
Issers en 1837 (voir la Revue africaine de 1876, p. 209) fut obligé d’aller se réfugier à Alger.
On l’y accueillit très bien et on lui promit de le rétablir bientôt dans son commandement;
mais, ne voyant rien venir et se trouvant à bout de ressources, il finit par se résigner à faire sa
soumission à Ben- Salem.
Le khalifa alla aussi à Dellys et il y nomma comme caïd el mersa (caïd du port), Mouloud-
ben-el-Hadj-Allal, qui occupait déjà cet emploi (8). La famille de cet indigène était adonnée
depuis longtemps au commerce et elle y avait acquis une fortune considérable ; lui-même
avait quelques barques de cabotage pour son trafic avec Alger et avec les tribus kabyles du
littoral. C’était un homme d’un caractère bon et généreux, très aimé de tous ceux qui avaient
affaire à lui et qui jouissait d’une grande influence locale. Il avait été emmené en otage, en
mai 1837, lorsqu’un vapeur et une gabare avaient été envoyés à Dellys pour exiger la
soumission de la ville et le payement d’une amende infligée par le gouverneur général, en
Issers, et le bruit courut que Bel-Kassem, redoutant sa rivalité, l’avait fait empoisonner ; mais rien
n’autorise à y croire.
8
Sa lettre de nomination, datée d’oual doul haïdja 1253(26 lévrier 1838) portail ceci : Si Ahmed-
Taïeb-ben-Mohamed-Salem, khalifa du sultan, nomme capitaine el mersa de Dellys Mouloud- ben-el-
Hadj Allal.
Le cachet portait : Mohamed-ben-Salem 1237 (1821-1822).
punition d’une razzia exécutée par les Kabyles, le 9 de ce mois, sur la Reghaïa.
Le khalifa avait fait payer assez facilement les impôts aux tribus de la plaine, mais à
l'égard de celles de la montagne il ne pouvait guère compter que sur leur bon vouloir ; or,
comme les Kabyles sont, de leur nature, peu généreux, ce bon vouloir rapportait peu. Comme
il lui fallait faire vivre ses réguliers et les gens du makhezen, il dut faire argent de tout et il se
mit à vendre les emplois de caïd. Ces ventes se renouvelèrent si souvent que, dans les Isser-
Drœu, par exemple, il n’y eut pas moins de neuf caïds nommés dans l’espace de cinq ans. Ces
pratiques déconsidéraient son autorité. Ses agents, qui n’avaient pas de solde bien régulière,
commettaient des exactions qui indisposaient les populations ; d’un autre côté, les Ameraoua
se plaignaient amèrement de la préférence aveugle qu’il montrait en faveur des gens de son
pays qui l’avaient suivi et à qui il donnait tous les emplois. Pour faire cesser ces plaintes il
confia aux Ameraoua la perception de la maouna (subside pour la guerre sainte), sachant bien
qu’ils sauraient se faire leur part. Cet impôt produisit 45.000 francs.
Ben-Salem alla porter à l’émir tout l’argent qu'il avait pu recueillir, en février 1839; il le
trouva à son camp de Bou-Khorchefa près de Miliana,où il était venu à son retour de son
expédition d’Aïn-Madi (9).Ben-Salem s’était fait accompagner par l’agha (El-Hadj) Aomar-
ben-Mahieddine de Taourga ; comme ils n’avaient apporté que 60.000 francs, ils furent assez
mal accueillis par l’émir, et l’agha reçut une remontrance à cause de la richesse de ses
vêtements et de ses armes qui contrastait avec la pauvreté du don.
Abd-el-Kader sentait bien que le traité de la Tafna ne pourrait avoir une longue durée;
aussi, pour se préparer aux éventualités, provoqua-t-il une réunion de tous les khalifas, aghas,
caïds et notables pour y débattre cette question. La réunion eut lieu à Miliana le jour de l’Aïd-
el-Kebir (21 février 1839) ; la guerre sainte y fut proclamée en principe, sauf à attendre pour
l’entreprendre une occasion favorable.
Dans le même ordre d’idées, Abd-el-Kader entreprit, dans le courant de l’été 1839, une
tournée dans la Grande Kabylie pour s’y faire reconnaître comme sultan, étudier les
ressources de ce pays qui approvisionnait les marchés d’Alger et juger du parti qu’il pourrait
tirer de ses populations nombreuses et guerrières.
Il arriva subitement à Bordj-Bouïra, suivi seulement d’une centaine de cavaliers de
l’ouest. Il y fut reçu par son khalifa Ben-Salem, qui le conduisit à son habitation de Bordj-bel-
Kherroub et de là à Bordj-Bor’ni. La présence d’un tel homme dans leurs montagnes produisit
une vive impression sur les Kabyles, qui accoururent en foule pour le visiter.
A Bor’ni, il installa comme caïd des Guechtoula, sous les ordres d’El-Hadj-Mohamed-
ben-Zamoum, Si Ahmed-ou-bel-Kassem des Mzala (Flissat-oum-el-Lil) chef de la zaouïa de
Sidi Ali-ben-Yahia au village de Taka et parent par alliance de Ben-Salem. Il lui assigna
comme résidence l’ancien bordj turc et lui fit donner une garde de 10 askars par le khalifa. Si
Ahmed-ou-bel- Kassem ne sut pas asseoir son autorité sur les Guechtoula., et au bout de
quelques mois il rentra dans sa tribu (10).
Abd-el-Kader parcourut dans tons les sens la partie la plus facilement accessible de la
grande Kabylie ; ses principales stations ( 11) furent: le Khemis des Maatka, la zaouïa des
Ouled-Sidi-Ali-ou-Afoussa, Tizi-Ouzou, Dellys, la zaouïa de Sidi-Amar-Chérif près du Bou-
Berak dans les Isser, Haouch-Nkhal dans les Isser-ouled-Smir, la zaouïa de Bou-Merdès, les
Béni Aïcha, le Timzrit point culminant des Flissat-oum-el-Lil, Tiguenatin, village habité par
El-Hadj-Mohamed-ben-Zamoum, Sidi-Namen et Tamda dans les Ameraoua.
Se faisant alors accompagner par les chefs des Flissa et des Ameraoua, il se rendit à

9
Abd-el-Kader mit le siège devant le Ksar d’Aïn-Madi le 5 juin 1838 et l’occupa le 12 janvier 1839.
10
Les Kabyles lui avaient donné le nom de caïd El-Berouag parce qu’il s’était fait apporter par corvées,
pour servir de litière, des charges de feuilles d’asphodèle.
11
Voir dans la Grande Kabylie du général Daumas (p. 191) l’itinéraire suivi par Abd-el-Kader et les
incidents de son voyage.
Akbou dans l’oued Sahel, chez les Béni R’obri, les Béni Ourlis, à Toudja, à Tamzalt, patrie de
la famille des Ouled-ou-Rabah et chez les Aït-bou-Messaoud près de Bougie. Là il reçut un
message du commandant supérieur de cette place, qui était le lieutenant-colonel Bedeau, et les
Kabyles toujours soupçonneux, se figurèrent qu’il entretenait des correspondances avec les
Français dans le but de les trahir. Des menaces violentes éclatèrent, et l’émir dut se sauver
précipitamment en remontant l’oued Sahel. Près de l’oued Amazir, le cheikh Ben-Daoud
voulut lui barrer le passage avec des forces considérables, et il ne dut son salut qu’à
l’intervention d’El-Hadj-Mohamed-ben- Zamoum et principalement du cheikh Amzian-Oulid-
ou-Rabah. Ben-Salem et les aghas rentrèrent alors chez eux et Abd-el-Kader continua à
remonter l’oued Sahel.
Dans celte tournée, sauf dans la dernière partie de son voyage, Abd-el-Kader avait reçu un
très bon accueil des populations kabyles et elles n’avaient fait aucune difficulté pour le
reconnaître comme sultan, mais à la condition qu’elles conserveraient toute leur indépen-
dance. Quand il leur avait parlé d’achour et de zekkat, il s’était heurté à un refus absolu ; les
Kabyles voulaient bien concourir à la guerre sainte par des dons volontaires, mais ils ne
voulaient pas être imposés arbitrairement Pour ce qui concernait la guerre contre les chrétiens,
ils s’étaient dits prêts à défendre énergiquement leur territoire s’il était attaqué, mais ils
avaient montré peu d’empressement à le suivre en dehors de leur pays.
Dans son trajet de retour, Abd-el-Kader campa à Tibahirine, en face des Beni-Mançour.
Les Mecheddala, les Cheurfa el les Beni-Mançour lui apportèrent la diffa, et Si El-Djoudi,
marabout des Beni-bou-Drar, personnage très influent dans les tribus du Djurdjura, arriva à sa
rencontre avec des contingents de Zouaoua qui saluèrent le sultan par des décharges de leurs
armes.
Le lendemain Abd-el-Kader alla camper à El-Gaadans les Beni-Aïssi, et celle petite tribu
reçut l’ordre de fournir la diffa ; elle apporta simplement un kouskous de farine d’orge avec
une sauce de fèves cuites à l’eau pour l’arroser ; les Béni Aïssi n’avaient pas jugé à propos de
tuer des moutons pour fêter le passage du sultan. On n’osa pas présenter une pareille diffa à
Abd-el-Kader, qui se passa de souper; les Zouaoua la mangèrent seuls. L’émir fit des
observations à Si El- Djoudi sur la manière dont il avait été traité par une tribu qu’il avait dit
tenir à sa discrétion, et le marabout kabyle, quand Abd-el-Kader l’invita à continuel’ à
l’accompagner, eut peine à s’y décider, car il craignait que ce dernier ne fît éclater son
ressentiment lorsqu’il aurait autour de lui les goums des Hamza. 11 se décida néanmoins à le
suivre et, quand on arriva à Bouïra, Abd-el-Kader lui donna l’investiture comme agha du
Djurdjura, en mettant sous ses ordres toutes les populations de la montagne à partir des Béni
Meddour vers Bougie, aussi loin qu’il pourrait étendre son autorité.
A partir de Bouïra, l’émir reprit le chemin de l’ouest. Le nouvel agha Si El-Djoudi frappa
les Beni-Aïssi d’une amende de 1,500 boudjoux.
Au mois d'octobre 1839, Ben-Salem mit à sac la petite tribu des Ahl-el Ksar, dans la
vallée de l’oued Sahel. Cette tribu, qui comptait une population de 2.000 urnes, habite trois
villages : Oulad-Rached, Oulad-Abd-Allah et Zeriba, groupés en tête d’un petit affluent de
l’oued Zaiane appelé Ir’zer-bou-Roumi, qui limite à l’ouest une vaste étendue boisée et
sauvage connue sous le nom de blad Hanif (12) ; le village des Sebkha comptant 750 habitants,
12
La foret de Hanif, repaire de hôtes féroces, autrefois repaire de brigands, s’étend parallèlement à
l’oued Sahel sur une longueur de 25 kilomètres, de l’oued Marir’ à l’Irzer-bou-Roumi, qui prend dans
sa partie inférieure, le nom d’oued Becheloul, et sur une largeur moyenne de 6 kilomètres. C’est un
pays d’un aspect morne et désolé qui est complètement inhabité. Le sol schisteux, dépourvu de terre
végétale, n’est pas propre à la culture, sauf sur quelques points un peu plus favorisés ; on n’y trouve
que des pins d’Alep et de maigres broussailles, le pays est presque complètement dépourvu d’eau.
Si l’on en croit la tradition, Hanif était autrefois très peuplé ; on y comptait 40 villages dont les ruines
existent encore et dont les noms ont été presque tous conservés. On a pu nous citer 22 de ces
villages dont les principaux étaient Bordj-Taksebt, résidence du chef du pays, et Tar’rout-Gouizoulan
situé à 8 kilomètres à l’est, obéissait au même chef, qui était Abd-Allah-ben-Hammal. Les
Ahl-el-Ksar appartenaient à l’Ouennour’a du sof de Biod-Oudenou e faisaient partie du
commandement du khalifa d’Abd-el- el-Kader, Si Ahmed-ben-Amar. Ce personnage, qui était
un simple marabout de la tribu des Oulad-Sidi-Aïssa, avait été investi par l’émir du
commandement de tout le pays qui s’étend d’Aumale à Bou-Saâda, en même temps que Si
Hassen-ben-Azzouz, marabout de Tolga, l’avait été pour la région de Biskra et Si Mohamed-
ben-Ahmed-ben-Abd-es-Slam EI-Mokrani dit Toubal (boiteux) l’avait été pour la Medjana,
c’est-à-dire en octobre 1837 (13).
Abd-el-Kader n’avait pas assigné à ses khalifas des limites territoriales bien définies,
chacun d’eux étendait son autorité aussi loin qu’il pouvait ; or Si-Ahmed-Taïeb-ben-Salem
n’avait pas pu admettre que les Ahl-el-Ksar, qui étaient à portée de sa main, à 25 kilomètres
de Bouïra, un des centres de son commandement, ne fussent pas sous sa dépendance.
Ben-Salem leur écrivit successivement trois lettres pour leur réclamer l’achour et le
zekkat, en ajoutant qu’ils seraient astreints à fournir des hommes pour le service militaire :
l’achour et le zekkat, les Ahl-el-Ksar les auraient bien payés, mais c’était le service militaire
qu’ils ne pouvaient se décider à accepter. Ils refusèrent donc de se soumettre, bien qu’ils
n’eussent à opposer à Ben-Salem que 300 fantassins et une soixantaine de cavaliers.
Le Khalifa, trouvant l’occasion bonne pour faire un exemple retentissant qui contribuerait
à asseoir son autorité, marcha contre les Ahl-el-Ksar avec ses réguliers renforcés par 600
hommes que lui avait envoyés son collègue Ben-Allal et avec les goums de la région- Il
s’arrêta deux jours sur l’Oued Zaïane d’où il leur envoya encore, sans plus de succès, des
émissaires pour les amener à se soumettre. Il alla alors établir son camp à Bou-Menazel (la
carte au 50,000° porte Mechta- bou-M’nazem), et il incendia les azibs que la tribu possédait
de ce côté, ainsi que les meules de paille. Le lendemain, qui était le 10 octobre 1839, de grand
matin, il marcha sur les villages rebelles qui n’étaient plus qu’à 9 kilomètres.

qui était un lieu de refuge pour les gens de la région quand ils étaient menacés d’un danger. Chacun
des 40 villages avait à sa tête un chef qu’on appelait Djouad, et au-dessus d’eux tous, était un chef
unique qu’on appelait Azenkat (c’était peut-être un nom de famille). Le pays dépendait du sultan d’El-
Kelaa des Beni-Abbès.
Comment toute celte population pouvait-elle vivre dans un pays dépourvu d’eau? On ne peut se
l’expliquer, mais les ruines qui sont là témoignent de l’exactitude du fait.
Toujours d’après la tradition, l’Azenkat quitta son bordj de Taksebt 7 ans avant la construction d’Alger,
c’est-à-dire au Xe siècle de notre ère, pour aller s’établir sur l’emplacement d’Imellahen, où est
aujourd’hui le village des Sebkha, afin d’y exploiter les sources salées qui avaient été découvertes par
un berger et dont il voulait garder pour lui seul le produit. On ajoute que l’Azenkat, a lin de s’assurer
sans contestation la propriété de ces sources, égorgea le berger qui lui en avait révélé l’existence.
A cette époque trois frères descendant d’Hasscn de Séguiat-el-Hamra (Maroc) vinrent s’établir dans le
pays ; l’un d’eux, nommé Zid se fixa auprès de l’Azenkat dont il épousa la tille ; le second, Bouzid,
s’établit aux Oulad-Trif de Bordj-bou-Arréridj et le troisième, Kanem, alla habiter à Mokenin dans les
Oulad-Salem d’Aumale. La famille de l’Azenkat et celle de Zid furent l’origine des Sebkha, dont une
fraction porte encore le nom d’Izenkaten, Les terres de celte petite tribu sont encore partagées en
deux grandes portions, dont l’une appartient collectivement aux descendants de l’Azenkat et l’autre
aux descendants de Zid ; les portions cultivées sont devenues des propriétés individuelles. Les salines
ont été partagées primitivement de la même manière ; leur production annuelle peut être évaluée à
7.000 quintaux métriques de sel.
Pour expliquer le dépeuplement de Hanif, les indigènes disent qu’à une époque qu’ils ne peuvent
préciser, le pays a été dévasté par des nuées d’oiseaux qui mangeaient les récoltes et qu'après
plusieurs années de disette, la famine avait forcé les habitants à émigrer pour aller chercher ailleurs
des moyens d’existence ; il n’était resté que les gens vivant du produit des salines.
13
Le commandement du khalifa Si Alimed-ben-Amar comprenait tout l’Ouennour’a, les Oulad-Aïssa,
Oulad-Ali-ben-Daoud, Oulad-Abd-Allah, Oulad-Sidi-Hadjerès, Sellamat, Oulad-Sidi- Brahim, Ahl-ben-
Saâda, Oulad-Madi, Oulad-si-Hamla, Souama et Hodna. Si Ahmed-ben-Amar a fait sa soumission peu
après la reddition de 1’émir et il a été d’abord interné à Médéa ; nous le retrouverons plus tard.
Les Ahl-el-Ksar, et les Sebkha qui étaient venus les rejoindre, s’étaient rassemblés en
armes, mais ils n’avaient fait aucun préparatif de défense comme barricades ou tranchées (14) ;
ils n’avaient rien fait pour empêcher le passage du ravin profond à berges escarpées couvrant
deux de leurs villages, ceux des Oulad-Rached et des Oulad-Abd-Allah. Ils n’avaient pas
même songé à mettre en sûreté leurs femmes et leurs troupeaux, comme les indigènes ne
manquent pas de le faire en pareille circonstance.
Le chikh Abd-Allah-ben-Hammal s’était porté avec tout son monde, cavaliers et
fantassins à la rencontre des assaillants. Ben-Salem, avant d’attaquer, voulut essayer une
dernière fois l’emploi de la persuasion, et il envoya en avant un parlementaire nommé
Kouider-ben-Abbès des Beni-Amar avec quelques cavaliers. Celui-ci n’eut pas le loisir de
remplir sa mission, car un nommé Mhamed-ben-Ali-ben-Hammich, sans tenir compte de
l’anaïa qui couvre les parlementaires, fit feu sur le groupe et atteignit dans ses vêtements
Salah-ben Sahnoun des Metennan, chaouch des Ben-Salem. Les Ahl-el-Ksar voulaient faire
un mauvais parti à l’homme qui venait de commettre celle violation du droit des gens, mais il
était trop tard pour éviter les conséquences de cette action irréfléchie. Kouïder-ben-Abbès
avait fait demi-tour avec ses cavaliers et était parti au galop pour rejoindre le khalifa
poursuivis par les rebelles qui continuèrent à s’avancer vers Bou-Menazel.
Bientôt on aperçut les troupes de Ben-Salem qui marchaient aux sons de leur musique, les
réguliers sur le chemin de Zeriba et les cavaliers sur celui conduisant aux Oulad-Rached. Les
Ahl-el-Ksar voyant leurs principaux villages menacés par les goums, se débandèrent aussitôt
et coururent à la défense de ceux-ci. Les femmes et les enfants fuyaient déjà en désordre vers
les bois ; les cavaliers de Ben-Salem, contournant les villages, coururent leur couper la retraite
et les rabattirent vers les Oulad-Abd-Allah en faisant beaucoup de prisonniers; l’infanterie
après avoir enlevé Zeriba rejoignit les goums au village des Oulad-Abd-Allah. Dans cette
affaire, vingt hommes et une femme des Ahl-el-Ksar trouvèrent la mort, les uns tués dans le
combat, les autres décapités après avoir été faits prisonniers. Le chikh Abd-Allah-ben-
Hammal était parmi les morts. Les cadavres, que Ben-Salem ne voulut pas laisser enlever,
restèrent sans sépulture livrés à la dent des chacals.
Le combat terminé, le Khalifa fit installer son camp près de la fontaine des Oulad-
Rached ; une soixantaine de femmes qui avaient été faites prisonnières y furent amenées et
elles y demeurèrent trois jours ; elles ne furent mises en liberté que lorsque les Ahl-el-Ksar
eurent fair leur soumission, promettant de payer une contribution de guerre.
Pendant 19 jours, Ben-Salem resta campé aux Oulad- Rached vidant les silos et livrant
tout au pillage et à l’incendie; il exigea des Ahl-el-Ksar une amende de 2,000 douros el des
Sebkha une amende de 1 050 douros ; ces sommes furent payées.
Le dix-neuvième jour du sac des Ahl-el-Ksar, Ben- Salem apprit le passage aux Portes de
fer de la colonne conduite par le maréchal Valée et le Duc d’Orléans (28 octobre 1839), et il
se mit précipitamment en retraite. Les Ahl-el-Ksar s’étaient réfugiés dans les tribus
environnantes, laissant des éclaireurs dans les bois entourant leurs villages pour observer les
mouvements de Ben-Salem ; en voyant la retraite précipitée des envahisseurs, les éclaireurs
appelèrent les gens de leurs tribus qui s’attachèrent à l’arrière-garde du Khalifa, cherchant à
reprendre le plus qu’ils pourraient du butin emmené ; ils y réussirent en partie.
La tribu envoya, le 29, une députation au camp français qui était établi aux Beni-Mançour
pour demander du secours contre Ben-Salem, mais les députés ne trouvèrent pas d’interprète
pour se faire comprendre, et voyant les officiers causer avec animation et faire des gestes dont
ils ne discernaient pas la signification, ils eurent peur et ils s’éclipsèrent en tapinois ; dès
qu’ils furent hors de vue ils se sauvèrent à toute vitesse.
14
Les villages des Ahl-el-Ksar, bâtis en pierre à la manière kabyle, n’ont en rien l'aspect de villes ; ils
n’avaient ni ksar ni redoutes pour les protéger, comme l’a dit le général Daumas (La Grande Kabylie,
p. 209).
Ben-Salem en se retirant avait emmené avec lui une vingtaine de prisonniers ; plusieurs
s’enfuirent en chemin, les autres furent conduits au bordj de Bel-Kherroub et ils ne furent mis
en liberté qu’en payant rançon.
Le maréchal Valée ne fit qu’une grand’halte aux Beni- Mançour ; les gens de cette tribu et
les Cheurfa lui portèrent, moyennant payement, l’orge nécessaire aux besoins de la colonne ;
le bivouac fut établi à Kaf-Radjela, où les Beni-Aïssi fournirent également de l’orge.
Le 30 octobre, la colonne française occupa l’ancien fort turc de Bouïra, qui ne fut pas
défendu ; sur le rempart gisaient 15 canons sans affûts. Le 31, nos troupes campèrent au pont
de Beni-Hini sur l’Isser, le 1er novembre au Fondouk et, le 2, elles firent leur entrée à Alger ;
elles n’avaient eu à essuyer que quelques coups de fusil à l’arrière-garde en passant à hauteur
des Beni-Djad.
Si El-Djoudi, le nouvel agha des Zouaoua, montra une grande colère aux tribus qui
avaient fourni des denrées aux Français ; il mit en prison el à l'amende les notables des Beni-
Mançour et des Cheurfa ; quant aux Beni-Aïssi, contre lesquels il avait déjà eu à sévir, comme
nous l’avons vu, après le passage de l’Emir, il leur réserva un châtiment exemplaire. Il
convoqua les contingents des tribus des deux versants du Djurdjura et il les porta à l’attaque
des coupables. Les Beni-Aïssi, qui ne comptaient qu’une population de 650 âmes, ne
pouvaient songer à défendre les cinq villages qu’ils possédaient, et ils concentrèrent tous leurs
moyens de défense dans celui d’Ir’il-Tizerouïn, le mieux en état de résister. Les Zouaoua et
les Mecheddala attaquèrent ce village par l’est et les Beni-Yala par l’ouest; les Beni-Ouassif
(tribu des Zouaoua) construisirent une sorte de blockhaus en madriers sur un gros olivier situé
au-dessous du village assiégé et, de cette position, ils empêchaient les Beni-Aïssi de sortir de
chez eux ; les Beni-Yala établirent également, de leur côté, une sorte d’affût sur un olivier
fermant l’autre issue.
Les Beni-Aïssi, comprenant qu’ils ne pourraient résister à leurs adversaires, négocièrent
secrètement avec les Beni-Yala qui les firent sortir par l’issue qu’ils gardaient et les
emmenèrent à leur grand village d’Açameur dans le Djurdjura ; leurs maisons restées sans
défenseurs furent livrées au pillage et à l’incendie. Les Zouaoua avaient été très mécontents
de voir leur proie leur échapper, aussi y eut-il entre les tribus des deux versants du Djurdjura,
des guerres qui durèrent plusieurs années et pendant lesquelles les Beni-Aïssi durent continuer
à habiter au milieu des Beni-Yala.
Abd-el-Kader, qui n’attendait qu’un prétexte pour rompre avec nous, le trouva dans cette
marche par les Portes-de-Fer, qu’il considéra comme une violation du territoire qui lui
appartenait ; il adressa des protestations au Gouvernement, des négociations eurent lieu et,
finalement, il envoya le 18 novembre au maréchal Valée une déclaration de guerre. L’Emir,
qui se montrait si chatouilleux pour un simple passage de troupes à travers le territoire
contesté, ne s’était d’ailleurs pas fait faute de violer lui-même le traité de la Tafna en s’empa-
rant de la partie sud-ouest de la province de Constantine, province sur laquelle l’article 3 du
traité énonçait formellement qu’il n’avait rien à prétendre.
Les trois Khalifas d’Abd-el-Kader, Ben-Allal à Miliana, Berkani à Médéa et Ben-Salem
en Kabylie, avaient l’ordre de commencer en même temps leur mouvement agressif sur la
Mitidja et de ne pas agir isolément. Ben- Salem avait rassemblé tous ses contingents dans le
Bou-Zegza, en tête de l’Oued-Khedera, attendant le signal, et le 20 novembre ( 15), quand il
distingua dans l’ouest la fumée des incendies allumés par ses collègues, il lâcha la bride aux
bandes kabyles qui attendaient avec impatience l’heure de la curée et qui se précipitèrent
comme un torrent, au nombre de plus de 2000 cavaliers el fantassins, sur la Mitidja, en

15
Il y avait déjà eu auparavant des actes d'hostilité, mais ils avaient été isolés ; ainsi, le 10 novembre,
le commandant Raphel avait été attiré dans une embuscade par les Hadjoutes et il avait été tué avec
le lieutenant Wittenstein ; le 15 et le 16, les tribus des environs de Blida avaient tiraillé sur le camp
sans aucun résultat.
passant entre les postes français sans s’en occuper. Toutes les fermes européennes furent
saccagées par le fer et le feu, de même que les haouchs occupés par les indigènes ; les colons
qui purent échapper au massacre durent se réfugier précipitamment sur Alger, el les Arabes,
dépouillés de tout ce qu’ils possédaient, n’eurent d’autre parti à prendre que de passer à
l’ennemi. La riche plaine de la Mitidja fut transformée en un désert.
Nos troupes, disséminées dans une foule de postes, avaient été dans l’impossibilité de
s’opposera cette invasion et elles avaient même éprouvé des échecs. Ainsi, le 20 novembre,
les Hadjoutes s’étaient emparés d’un petit convoi se rendant de Boufarik à l’Oued-el-Aleug et
avaient massacré en entier l’escorte composée d’une trentaine d’hommes ; le 21,1 500
cavaliers débouchant de la Chiffa avaient attaqué un détachement près de l’Oued-el-Aleug et
avaient tué 106 hommes et 2 officiers.
L’Émir Abd-el-Kader songeait à aller attaquer Alger, et il comptait beaucoup pour une
opération de cette importance sur les nombreux guerriers de la Kabylie qui avaient une grande
réputation de bravoure; il arriva subitement au camp de Ben-Salem et il lui prescrivit de
convoquer immédiatement pour la guerre sainte le ban et l’arrière-ban de toutes les tribus
qu’il avait placées sous son autorité. Les Kabyles accoururent en masse à cet appel et ils
formèrent un rassemblement de fusils véritablement remarquable, dont le campement fut
établi sur le Boudouaou. Abd-el-Kader, dans une harangue chaleureuse, leur proposa
démarcher sans hésiter sur Alger pour en chasser les chrétiens; mais, contre son attente, il
éprouva un refus formel; les Kabyles ne demandaient pas mieux que de piller nos
établissements, mais ils ne voulaient pas s’engager dans une entreprise aussi lointaine qui les
retiendrait longtemps hors de chez eux. Il les conduisit alors à l'attaque de la redoute du
Boudouaou, espérant que le succès dont il se croyait certain les encouragerait à aller plus loin,
mais cette épreuve n’aboutit qu’à une déception, par suite de l’héroïque résistance de la petite
garnison qui occupait ce poste. Après une journée entière de combat, les montagnards n'ayant
pu entamer nos lignes sur aucun point furent pris de découragement et, le soir même, ils se
dispersèrent, ne laissant au camp que les chefs qui les avaient amenés.
L’Émir, atterré au spectacle de cette désertion, comprit qu’il ne pourrait rien tirer des
Kabyles hors de leurs montagnes et renonça à ses espérances ; il quitta le camp de Ben-Salem
en lui enlevant toute son infanterie régulière, qu’il employa à renforcer les troupes des beyliks
de Médéa et de Miliana.
Avec les contingents dont il disposait, Ben-Salem se borna, jusqu’à nouvel ordre, à
empêcher les relations commerciales qui s’étaient établies entre Alger et la Kabylie.
Au mois d’avril 1840, le Khalife avait formé de nouveau des rassemblements
considérables vers le Bou-Zegza. Le maréchal Valée, qui préparait en ce moment son
expédition sur Médéa, ne voulut pas laisser derrière lui ces forces menaçant nos
établissements de la Mitidja, et il organisa, au camp du Fondouck, une colonne de 4.000
hommes dont il alla prendre le commandement. Il partit de cette position le 19 avril au matin
et marcha sur le camp de Ben-Salem ; celui-ci ne crut pas devoir accepter le combat, et il se
retira dans la direction du Hamza en s’arrêtant avec ordre de mamelon en mamelon. Le
Maréchal le poursuivit ainsi sur un trajet de 20 kilomètres jusqu’à l’oued Zitoun, où il établit
son bivouac; l’ennemi s’établit en face de lui.
Le lendemain, au jour, quand le maréchal voulut reprendre sa poursuite, les Kabyles
avaient disparu, et il n’eut plus qu’à reprendre le chemin du Fondouk.
Le 25 avril, deux à trois cents cavaliers de Ben-Salem attaquaient, à la Rassauta, un
groupe d’Arabes qui nous étaient restés fidèles et ils leur tuèrent quelques hommes.
Le Maréchal ayant franchi la Chiffa, le 27 avril, pour marcher sur Médéa, Ben-Salem
profita du départ de nos troupes pour faire de nouvelles incursions jusqu’aux portes d’Alger.
Le 28 avril, il s’avança jusqu’à Birkadem. Le 15 mai, les maraudeurs kabyles arrivèrent
jusqu’au café des Platanes, à 3 kilomètres d’Alger, ravageant quelques habitations et tuant
quelques hommes. Un cavalier arabe avait même enlevé une jeune femme d’une grande
beauté, l’avait jetée sur le devant de sa selle et fuyait avec sa proie, lorsque le mari, qui était
un maraîcher, lui tira un coup de fusil au risque d’atteindre sa femme ; le ravisseur tomba
mort et la femme fut sauvée.
Le même jour, ces maraudeurs eurent encore un engagement avec la garnison du fort de la
Maison-Carrée dans lequel un des filsd’El-Hadj-Mohamed-ben-Zamoum, nommé Hamdan,
fut tué d’un coup de canon ; une dizaine de Kabyles avaient également trouvé la mort dans
cette affaire.
Dans le courant de septembre 1810, le Maréchal fit évacuer le camp retranché de Kara-
Mustapha, sur la rive gauche du Boudouaou, à 1.500 mètres de cette rivière ; mais, pour
garder la ligne de l’oued Khedera, il y fit conserver une petite garnison dans un blockhaus en
pierre construit avec soin, qui servait de réduit. Dès que Ben-Salem eut appris la rentrée au
Fondouk des troupes de Kara-Mustapha, il se porta sur ce point avec quelques contingents et
soumit à un blocus étroit la garnison du blockhaus, qui, ne pouvant plus sortir pour aller à
l’eau, se trouva bientôt dans une position critique; le Khalifa appela en même temps des
contingents considérables pour s’opposer aux efforts que nous pourrions tenter pour dégager
la garnison. Les troupes du Fondouk étant trop peu nombreuses pour risquer une sortie à 7
kilomètres de distance, il fallut en faire marcher d’Alger.
Une colonne mobile de 1.200 hommes d’infanterie et 400 chasseurs à cheval fut formée à
la Maison-Carrée sous les ordres du général Changarnier. Le général mit ses troupes en
marche le 17 septembre, à 8 heures du soir, et, après un trajet de 28 kilomètres, il tombait le
lendemain à la pointe du jour sur le camp de Ben-Salem, qui s’attendait si peu à cette brusque
agression qu’il ne s’était pas gardé. La surprise fut complète, le Khalifa, à peine vêtu et
abandonnant tout, n’eut que le temps de sauter sur un cheval non sellé et non bridé et qui
n’était pas même désentravé. Les Kabyles, rejetés en désordre sur la rive droite du
Boudouaou, cherchèrent à prendre position sur le plateau où se trouve la koubba de Sidi-
Salem, mais le général Changarnier, qui les suivait l’épée dans les reins, ne leur donna pas le
temps de se reformer et il les fit attaquer de front et par la gauche. L’infanterie du Khalifa fut
mise en pleine déroute ; ses goums, qui avaient accepté le combat, furent abordés par les
chasseurs d’Afrique avec une telle vigueur qu’ils furent bientôt dispersés. Le lieutenant-
colonel Tartas, du 1er Chasseurs d’Afrique, dont c’était le début en Algérie, tua d’un coup de
sabre l’ancien caïd des Issers, Mustafa- ben-Omar qui, abandonné par nous, avait été obligé,
comme nous l’avons vu, de faire sa soumission à Ben- Salem. « C'était un fort honnête
homme, dit Pelissier de Reynaud dans les Annales Algériennes (l. II, p. 105) et un vaillant
guerrier ; il mourut bravement de la main d'un brave ennemi au moment où il cherchait à
rallier ses cavaliers. Tous les Français qui l’ont connu, le général Changarnier entre autres,
l’estimaient et le regrettèrent. »
Dans cette affaire, 129 cadavres sont restés sur le terrain; 17 prisonniers, 40 chevaux, 200
fusils, quelques mulets sont tombés entre les mains de nos soldats; un tambour de la nouba de
Ben-Salem, le tapis, les éperons et le cachet même de ce chef furent les trophées de la
victoire. Nos pertes n’ont été que de 1 tué et 6 blessés.
Cette rude leçon découragea complètement Ben-Salem qui fut longtemps à reparaître dans
la Mitidja.
Au mois de mars 1841 le camp du Fondouk ayant été abandonné à son tour par ordre du
général Bugeaud, qui était arrivé à Alger comme gouverneur général le 22 février, le Khalifa
y fit prendre des matériaux abandonnés, pour les travaux de son bordj de Bel-Kharroub, qu’il
faisait fortifier. Les Kabyles avaient presque cessé leurs courses de pillage dans la Mitidja;
pourtant, un parti de maraudeurs fut encore taillé en pièces, dans ce même mois de mars, sur
l’Harrach, par la gendarmerie de Kouba et on lisait dans un ordre général du 12 avril 1841 le
fait suivant : « Aujourd’hui, 400 chevaux de l’est commandés par Ben-Salem sont venus
attaquer des indigènes amis établis à la Rassauta. M. le lieutenant Pellé est parti de la Maison-
Carrée avec 300 tirailleurs indigènes, a marché sur les Arabes, les a mis en fuite, en a tué
plusieurs et les a poussés jusqu’à Sidi-Khaled ; il a eu 7 hommes blessés. Cet officier montre
en toutes circonstances beaucoup de résolution…»
Ce fut la dernière incursion (16) de Ben-Salem dans la Mitidja, où il n’y avait d’ailleurs
plus rien à prendre. Les Kabyles songeaient à rétablir leurs relations commerciales avec
Alger, qui leur étaient aussi profitables qu'à nous ; à cet effet, El-Hadj-Mohamed-ben-
Zamoum et les Flissat-oum-el-Lil autorisèrent par écrit les tribus des Isser à faire leur
soumission aux Français afin qu'ils pussent servir d’intermédiaires pour le commerce. Les
démarches de soumission qui s’ensuivirent ayant été acceptées, on donna pour caïd aux Isser
le nommé Saïd- ben-Guennan, d’El-Guenanna, tribu des Isser-Drœu, mais l’autorité de ce
chef indigène fut encore, pendant longtemps, plutôt nominale que réelle.
La guerre contre les chrétiens n’avait pas absorbé les Kabyles au point d’amener les sofs à
faire trêve à leurs rivalités ; ainsi, pendant que les contingents de Ben- Salem étaient
rassemblés au Bou-Zegza, Bel Kassem-ou-Kassi et (El-hadj) Aomar-ben-Mahi-ed-Din ne
manquaient pas une occasion de continuer leurs anciennes querelles. Ben-Salem, appelé par
sa situation à mettre l’accord entre les deux rivaux, donnait le plus souvent tort à (El-hadj)
Aomar-ben-Mahi-ed-Din, qu’il n’appréciait pas au même degré que son rival. (El-hadj)
Aomar, mécontent de cette préférence, avait, par ressentiment, chargé son frère Mhamed-ben-
Mahi-ed-Din, qui était resté à Taourga, de travailler à détacher des Oulad-ou-Kassi les Zmoul
des Ameraoua-fouaga. Mohamed-ou-Kassi, frère de Bel-Kassem, qui était resté de son côté à
Tamda, eut connaissance des intrigues qui avaient lieu à ce sujet dans les Abid-Chemlal ; il
tomba un jour sur cette zmala et lui infligea une razzia complète. Mhamed-ben- Mahi-ed-Din,
aidé par Allal-ben-Mohamed-Sr’ir de Dra-ben Khedda et par Ali ou Dachen de Bordj-Sebaou,
riposta en traitant de même la fraction des Oulad-ben-Saïd de Dra-ben-Khedda qui tenait pour
les Oulad-ou-Kassi. La querelle s’étendit aux tribus voisines, les Beni-Zmenzer tenant pour
les Oulad-Mahi-ed-Din et les Beni-Khalifa, Beni-Aïssi et Beni-Ouaguennoun ayant un sof en
faveur de chacun des adversaires.
Le bruit de ces dissensions arriva au camp de Bou- Zegza ; les deux rivaux se querellèrent
devant Ben- Salem, chacun d’eux rejetant sur l’autre la provocation, (El-hadj) Aomar
s’esquiva du camp pour regagner sa tribu et Bel-Kassem eu fit autant. Ce dernier se trouvait
en de mauvais termes avec les Isser, et il dut traverser le territoire des Flissat-oum-el-Lil avec
l’aide d’El-hadj-Mohamed-ben-Zamoum, qui le conduisit jusqu’au tnin des Betrouna. Une
première rencontre eut lieu à Sebt-el- Kedim, et les hostilités durèrent environ deux ans ; mais
ce ne fut qu’une guerre d’escarmouches et de razzias avec des périodes de paix ; Bel-Kassem-
ou-Kassi n’y eut pas le dessus, il ne pouvait plus dépasser les Oulad-bou-Khalfa.
Au printemps de 1841, Ben-Salem exécuta une razzia sur les Beni-Slyim qui refusaient de
payer l’impôt ; il avait à cette époque, son camp à Cherak-Teboul dans les Beni-Mekla
(Flissat-oum-el-Lil) entre l’Oued-Djemaa et son affluent de droite l’Oued-Chcraga. Il avait
avec lui les cavaliers des Beni-Djad, des Khachna et des Isser ; Bel-Kassem-ou-Kassi et (El-
hadj) Aomar-ben-Mahi-ed- Din prirent part à cette opération, mais chacun d’eux n’amena que
quelques cavaliers. Les Beni-Slyim n’essayèrent même pas de se défendre, on leur prit leurs
troupeaux et on leur fit payer une forte amende.
C’est dans ces circonstances que les notables de Taourga et des Ameraoua s’entendirent
pour porter plainte à Ben-Salem, un jour qu’il assistait au marché du tnin de Bar’lia, contre
Bel-Kassem et contre (El-hadj) Aomar, qui, pour satisfaire leur ambition, leur faisaient
supporter les maux de la guerre ; ils lui déclarèrent qu’ils ne voulaient plus ni de l’un ni de
l’autre et lui demandèrent de leur retirer leurs commandements. Le Khalifa, qui appréciait la
valeur de ces deux hommes, ne voulut pas y consentir, mais il s’employa à amener ceux-ci à
16
Nous parlons d’incursions qu’il ait dirigées en personne.
faire la paix ; il n’y réussit qu’un peu plus tard, au moment de commencer les labours de
l’hiver. Cette paix durait à peine depuis un mois lorsque les Maatka en vinrent aux prises avec
les Flissa.
Ce n’était pas la première fois que ces tribus étaient en guerre; en 1835, pendant que les
Flissa se battaient contre les Isser ( 17), ils s’étaient encore trouvés engagés dans de sanglants
démêlés où avaient pris parti, non seulement les Maatka ( 18), mais encore toutes les tribus des
Beni-Sedka et des Guechtoula et toutes celles comprises entre l’Oued-Aïssi et leTimezrit.
Le nouveau différend dont nous nous occupons avait pris naissance dans les Beni-Arif,
fraction des Flissa enclavée entre les Beni-Khalifa et les Maatka. Les Maatka, poussés par Bel
Kassem-ou-Kassi qui leur avait promis son appui, voulaient s’annexer cette fraction qu’ils
croyaient devoir leur revenir, d’après la topographie du pays, l’Oued-el-Kseub paraissant
devoir être la limite naturelle entre eux et les Flissa. Ils avaient mis dans leurs intérêts deux
hommes influents des Beni-Arif, qui leur avaient créé un sof assez important particulièrement
dans le village d’El-Menacera. Une nuit, les gens de ce sof introduisirent secrètement dans ce
village une troupe nombreuse de Maatka ; puis, tous ensemble, ils attaquèrent les gens de
l’autre sof dans les villages d’Iberkanen et d’Izanouten des Beni-Arif qui tenaient pour les
Flissa ; ils les chassèrent devant eux et les poursuivirent jusque dans les oliviers qui sont au
bas des pentes vers l’Oued-el-Kseub. Les gens des Oulad-Yahia-Moussa, grande fraction des
Flissat-oum- el-Lil, qui habite en face des Beni-Arif, de l’autre côté de la rivière, entendant la
fusillade, se portèrent la nuit même au secours des expulsés ; ceux des fractions voisines
accoururent également, un violent combat eut lieu et les Maatka finirent par être chassés des
Beni- Arif ; leur entreprise avait échoué.
Les Flissa firent la paix avec le sof dissident des Beni- Arif, et, pour éviter toute nouvelle
tentative de rupture, ils se firent livrer comme otages Ali-ou-Chaban et Amar-ou-Bouzzou, et
ils les confièrent à la garde de Si Ahmed- Agoujil des Haïdouça ; de plus ils démolirent leurs
maisons et mirent dans les villages des Beni-Arif, une garde de 50 hommes de la fraction des
Oultaïa et de 50 hommes de celle des Oulad-Yahia-Moussa ; ces hommes s’installèrent dans
les propriétés des expulsés qu’ils furent autorisés à cultiver à leur profit. Les choses restèrent
en l’état pendant un certain temps.
La fin de 1841 et- le commencement de 1842 furent signalés par de petite coups de main
opérés sur les tribus limitrophes delà Mitidja.
Dans les premiers jours de décembre le lieutenant Pellé avec 150 gendarmes maures fit
une razzia de 200 bœufs et 800 moutons et chèvres, près de l’Oued-Corso, contre les Beni-
Mestina (fraction des Khachna) qui avaient commis des actes répréhensibles.
Le 29 janvier 1842, dans une reconnaissance faite dans les montagnes au-delà des Beni-
Zerouala, et Beni- Saada, sur la route du Hamza, une dizaine d’indigènes, parmi lesquels était
le caïd Aomar, des Beni-Guemidi, furent tués et une razzia de 300 bœufs, chèvres et moutons
fut opérée.
Au printemps de 1842, la guerre s’alluma de nouveau dans la vallée de l'Oued-Bor’ni,
voici dans quelles circonstances. Les Mechtras étaient divisés en deux sofs, ayant pour chefs,
l’un Salem-Ir’ersaten, l’autre Sliman-naït-Sliman, qui se disputaient la suprématie ; Salem
avait mis dans ses intérêts les Maatka, les Beni-Khalifa, les Betrouna, les Beni-Douala, les
Beni-Aïssi, les Aït-Abd-el-Moumen, les Ouadia, les Beni-Koufi et les Beni-bou-R’erdane,
tandis que Sliman avait pour lui les Beni-Zmenzer, les Beni-Mahmoud, les Beni-Mendès, les
Beni-Smaïl, les Abid d’Aïn-Zaouïa et de Bor’ni et les Flissat-Oum-el-Lil.
Chacun des deux sofs avait convoqué ses partisans dans les tribus alliées dans le but de
leur faire occuper les villages où il avait la majorité afin d’en chasser l’autre sof ou de le
17
Voir la Revue Africaine de 1876, p. 201.
18
Le Moniteur du 18 septembre 1835 porte ce fait divers : « Les Maatka et les Beni-lssa
(probablement Beni-Aïssi) sont en guerre avec Ben Zamoum », qui fixe la date de ces évènements.
réduire à merci ; les Maatka et les tribus marchant avec eux se réunirent au-dessous des Aït-
Imr’our dans l’Oued-Mechtras, tandis que les Flissa et les tribus du même sof se
rassemblaient dans la plaine des Mechtras du côté d’Aïn-Soultane ; la bataille devait s'engager
le lendemain.
Dans la nuit, les deux chefs de sofs des Mechtras réfléchissant à ce qui allait arriver se
dirent que s’ils introduisaient des étrangers chez eux, ils seraient mangés sûrement par les
deux partis ; ils firent donc la paix et ils firent connaître à leurs alliés qu’ils n’avaient plus
besoin d’eux et qu’ils n’avaient qu’à rentrer dans leurs tribus.
Pour ne s’être pas dérangés inutilement, les Flissa proposèrent à leurs alliés de profiter de
leur réunion pour vider une querelle qu’ils avaient avec les Maatka. Ces derniers cultivaient
au quartier de Tizi-Ameur, entre l’Oued-Bor’ni et l’Oued-el-Hammam, des terrains qu’ils
avaient conquis sur la forêt de Bou-Mahni par des défrichements successifs en employant
l’incendie comme auxiliaire ; les Flissa, retournant contre eux l’argument que l’Oued-Bor’ni
(qui prend plus en aval le nom d’Oued-el-Kseub, puis d’Oued-Bougdoura) était la limite entre
leurs territoires respectifs, prétendaient que ces terrains devaient être à eux.
Le vieil El-hadj-Mohamed-ben-Zamoum était depuis quelque temps gravement malade et
il était hors d’état de s’occuper des affaires de la confédération ; il se faisait remplacer par son
khalifa Mohamed-Amzian-ou-Khelif des Beni-Mekla. Ce dernier commandait donc les
contingents, et il avait avec lui le petit-fils du vieux chef, Ali- ou-el-Haoussine-ben-Zamoum
(19), alors âgé de IG ans qui faisait sous ses ordres ses premières armes. Mohamed-Amzian
conseilla aux contingents alliés d’aller dévaster les récoltes en herbe des Maatka à Tizi-Ameur
et brûler les azibs qu’ils y avaient construits. Cette invitation ayant été acceptée, on se mit en
route par le chemin qui passe près du bordj turc de Bor’ni.
Les assaillants montèrent à l’attaque par trois routes : les Beni-Mendès et Beni-Smaïl
prirent celle d’Azib-Chikh, les Abid, qui étaient à cheval, suivirent le meilleur chemin allant
d’Aïne-Zaouïa à Bou-Korraï (la carte porte Tir’ilt Natebach) et les Flissa passèrent par la
route d’Ir’arbien et par celle d’El-Khaloua qui conduisent à Bou-Aokal (la carte porte Bel-
Kharroub).
Les Maatka, qui avaient vent de ce projet, s’était portés avec leurs alliés sur les terrains en
litige par un chemin beaucoup plus court; les Aït-Zaïm et Aït-Ahmed (fraction des Maatka),
avec Taguemount-ou-Kerrouch, les Aït-Mesbah, les Aït-Abd el-Moumen et les Beni-Douala
se postèrent à Bou-Korraï ; tous les autres contingents firent face aux Flissa à Bou-Aokal.
Les Beni-Mendès et les Beni-Smaïl, en faisant leur ascension, eurent trois hommes tués;
ils n’en demandèrent pas davantage et reprirent le chemin de leurs montagnes. Les Abid
étaient conduits par Driouch, cavalier fameux d’un courage éprouvé qui avait juré de faire
boire son cheval à Tizi Ameur ; Driouch fut tout d’abord tué et les Abid, le voyant tomber,
s’enfuirent dans la plaine. Les Flissa de leur côté avaient commencé vigoureusement leur
attaque et ils faisaient des progrès ; mais lorsque les défenseurs de Bou-Korraï se trouvèrent
libres, ils arrivèrent à la rescousse, et les Flissa durent céder après avoir subi des pertes
considérables. Ils avaient eu 72 tués et blessés et avaient laissé huit des leurs entre les mains
des Maatka, qui leur coupèrent la tête avec des faucilles. Le combat avait duré depuis environ
2 heures après-midi jusqu’à la nuit. Le parti des Maatka n’avait qu’une dizaine de tués et il
avait fait un butin considérable en fusils et en burnous.
Quand le combat fut terminé, les vainqueurs se réunirent à Tizi-Ameur ; Mohamed-ou-
Kassi chef des Beni- Khalifa (20) fit un discours retraçant les succès de la journée et on fit le

19
Ce jeune homme est devenu un peu plus tard notre agha des Flissa. Son père El-Haoussine-ben-
Zamoum, fils aîné d’El-hadj-Mohamed, avait été tué aux Oulad-Moussa en 1835 (voir la Revue
Africaine de 1876, p. 203).
20
Cet indigène, qui était très habile et très influent, a été plus tard caïd, puis amin el Oumena de sa
tribu ; en 1871, malgré son grand âge, il a montré un acharnement très grand à nous combattre.
miiz avec un tel entrain qu’on mit le feu aux broussailles.
Les Maatka enivrés par ce succès voulurent avoir leur revanche de leur échec de l’hiver
précédent dans les Beni-Arif. Ils s’arrangèrent pour faire évader Ali-ou- Chaban et Amar-ou-
Bouzzou, qui étaient comme otages chez les Flissa, et quand ils furent, au milieu d’eux ils
envahirent de nouveau les villages des Beni-Arif. Les Flissa, traversant l’Oued-el-Kseub,
montèrent encore une fois à l’assaut et réussirent à chasser les Maatka grâce à l’aide d’un sof
des Beni-Khalifa ayant à sa tête El- Haoussin-ou-Ali (c’était le sof opposé à celui de
Mohamed- ou-Kassi) qui intervint tout-à-coup au moment où on ne s’y attendait pas et décida
la victoire des Flissa. Les Maatka eurent 14 tués.
On se battit encore pendant plusieurs jours. Les Flissa voulant reconnaître l’aide que leur
avait prêté le sof d’El-Haoussine ou-Ali, ne pouvaient pas moins faire que de l’aider à écraser
celui de Mohamed-ou-Kassi; à cet effet ils réunirent leurs contingents à Tadjouïmal au pied
des villages des Beni Khalifa. Ils attaquèrent le village de Taddert-Tamokrant, mais les
Maatka étaient venus au secours de Mohamed-ou-Kassi, ils furent repoussés et poursuivis
jusqu’à l’Oued-el-Kseub.
La guerre prit alors une nouvelle extension, les Ameraoua se mirent de la partie, Bel-
Kassem-ou-Kassi avec les Oulad-Aïssa-Mimoun et les Hassénaoua tenant pour les Maatka et
(El-Hadj) Aomar-ben-Mahi-ed-Din avec les Ameraoua tahta pour les Flissa. Bel-Kassem-ou-
Kassi, avec son goum et les contingents à pied, alla attaquer Aïn-Faci dans les Flissa, sur la
rive gauche de l’Oued- Bougdoura, et le combat s’étendit de ce point jusqu’à Aïne-el-IIad sur
la rive droite du Sebaou.
Bel-Kassem-ou-Kassi échoua dans son attaque et fut rejeté au-delà de Dra-ben-Khedda.
Ali-ou-Saïd, chef de la fraction des Taourga dans ce dernier village, fut tué dans le combat;
Si-Arnar-ou-Hamitouch, beau-fils de Bel- Kassem et El-Hadj-Ahmed-Nali-Hammou de
Tamda (21) y perdirent leurs montures.
Peu après, au commencement de l’été de 1842, Bel- Kassem revenait encore à Dra-ben-
Khedda pour détruire les récoltes de cette zmala. En définitive, après s’être beaucoup battu
pendant deux ans, chacun gardait ses positions et personne n’avait obtenu un avantage
durable.
Dans le courant de l’été mourut le vénérable chef des Flissa El-Hadj-Mohamed-ben-
Zamoum.
Laissons maintenant tous ces conflits entre tribus et revenons aux faits qui intéressent plus
directement l’histoire de la conquête.
Par suite des luttes intérieures qui avaient occupé les tribus kabyles, la guerre sainte avait
été fort négligée et la Mitidja avait joui d’une certaine tranquillité; pourtant, le 11 avril 1842,
le khalifa Ben-Salem put y faire opérer une rapide incursion par un parti de 300 cavaliers. Ce
parti attaqua, chez les Beni-Mred, un petit détachement de 22 hommes du 26 e de ligne qui
faisait la correspondance entre Boufariket Blida et le massacra en entier, sauf 5 hommes
qu’on put secourir à temps. Cette affaire est restée célèbre par l’héroïque défense du sergent
Blandan qui commandait le détachement.
Dans les premiers jours de mai 1842, le colonel Comman, du 33e de ligne, remplaçait à
Médéa, comme commandant supérieur, le général Mocquerey ; il se trouva que c’était
précisément l’homme qui convenait à la province de Titery ( 22). Par sa fermeté, son caractère
conciliant, sa justice et l’empressement qu’il mettait à protéger les tribus soumises, il sut
attirer à lui les populations de la province, qui étaient d'ailleurs extrêmement foulées par le
khalifa El-Berkani et qui aspiraient à se soulager des charges qui leur étaient imposées, en se
rattachant à nous. La manière d’agir du colonel Comman leur ayant inspiré confiance, les
tribus se liguèrent contre le khalifa d’Abd-el-Kader, le chassèrent de leur territoire en lui
21
Cet homme a été, en janvier 1856, un des promoteurs de l’insurrection des Ameraoua.
22
Annales Algériennes de Pellissier de Reynaud, t. III, p. 38.
enlevant ses bagages et le contraignirent à s’enfoncer dans le Sahara. Vingt tribus firent leur
soumission au colonel Comman dans une réunion générale qui eut lieu à Berrouaguia le 23
juin ; les chefs de ces tribus furent envoyés à Alger, où ils furent reçus le 2 juillet avec
beaucoup de solennité. On forma, des tribus soumises du Titery, trois grands commandements
qui furent donnés ; l’aghalik du sud à Mohamed-ben- Lakhedar, l’aghalik de l’est à Lakhedar-
bel-Hadj el le bach-aghalik du sud-ouest à Ahmed-Moul-el-Oued.
Le khalifa El-Berkani n’avait pu réussir à entraîner dans sa fuite ses fantassins réguliers;
ceux-ci, avec l’assentiment de l’émir, rejoignirent Ben-Salem et lui fournirent un solide noyau
pour ses opérations futures. L’ancien agha de l’est du Titery sous Abd-el-Kader, si Mohamed-
bou-Chareub, qui était l’ancien khodja d’El- Berkani, vint aussi s’attacher à la fortune de Ben-
Salem, et il lui apporta l’ascendant qu’il avait conservé sur les tribus de son ancien
commandement.
C’est avec ces nouvelles forces et avec les cavaliers du Titery restés fidèles à Bou-
Chareub, que Ben-Salem put, au mois d'août suivant, entreprendre une pointe heureuse du
côté de Bou-Saâda dans les circonstances que nous allons raconter.
Comme nous l’avons vu précédemment, l’émir Abd-el-Kader avait pris pour khalifa dans
le Hodna et l’Ouennour’a un marabout des Oulad-Sidi-Aïssa, Si-Ahmed- ben-Amar.qui avait
en sa possession Msila et Bou-Saûda. Au mois de mai 1841, le général Négrier, commandant
la division de Constantine, s’était avancé dans le Hodna, forçant à la retraite Si-Ahmed-ben-
Amar et le frère de l’émir, Si-El-Hadj-Moustafa, qui s’était joint à lui, et ils avaient dû gagner
les montagnes d’Ed-Dis. Le général avait installé à Msila le khalifa Mokrani en lui donnant le
commandement, du territoire. Plus tard, au mois de septembre de la même année, Bou-Diaf,
encore insoumis mais qui était sur le point de se rallier à nous, favorisé par une marche du
général Guesviller, commandant la subdivision de Sétif, qui s’était avancé par l’Ouennour’a
jusque près de Msila, marcha contre les troupes de Si-Ahmed-ben-Amar, les chassa de la
région et occupa Bou-Saâda. Les choses en étaient restées là jusqu’au mois d’aoùt 1842, où
Si-Ahmed-ben-Amar, ayant trouvé une occasion favorable pour reconquérir son ancien
commandement, appela à son aide son collègue Ben- Salem.
Celui-ci se mit en campagne avec les réguliers d’El- Berkani, les goums de son
commandement et ceux que Bouchareb put réunir en appelant à lui les cavaliers de son ancien
aghalik qui lui étaient restés fidèles. 11 marcha sur Bou-Saâda et en chassa Bou-Diaf, mais il
ne put le forcer dans les montagnes difficiles où il s’était réfugié. « Une retraite simulée, dit le
général Daumas dans son ouvrage La Grande Kabylie, p. 226, décida l’imprudent Bou-Diaf à
en sortir et le combat fut engagé. Ben-Salem vainqueur ne perdit que deux officiers et douze
cavaliers; il enleva toute la zmala de son ennemi, ses richesses, son matériel, ses tentes, ses
chiens de chasse, ses faucons, ses chameaux, ses troupeaux et quatre lions magnifiques qu’il
élevait dans son douar; enfin, il profita de l’effet moral produit par sa victoire pour lever une
forte contribution sur les gens de Msila et de Bou-Saâda. »
Le khalifa Si Ahmed-ben-Amar ne profita pas longtemps de ce retour de fortune ; s’étant
vu, quelque temps après, dans l’impossibilité de se maintenir dans son commandement, il
envoya les réguliers qui lui restaient à Ben-Salem, et il alla rejoindre l’émir Abd-el-Kader
dans l’ouest»
Pendant l’absence du khalifa, l’édifice qu’avait élevé l’émir Abd-el-Kader avait reçu une
nouvelle atteinte. Déjà, à la fin de juillet, les Khachna avaient été porté leur soumission à
Alger (23) et avaient reçu de nos mains des chefs indigènes ; cette fois c’était l’agha des Beni-
Sliman, Si Mohamed-ben-Mahi-ed-Din qui avait fait défection pour faire sa soumission à la
France.
23
On lit dans le Moniteur du 5 août 1842 : « La grande tribu des Khachna s’est soumise depuis
quelques jours ; les chefs sont venus à Alger amener des chevaux de gada et recevoir l’investiture.
Déjà le commerce se rétablit, les gens de Lisser et au-delà viennent sur nos marchés. »
On lit dans une lettre du gouverneur général au ministre, datée du 3 septembre 1842 : « La
colonne de Médéa que j’avais envoyée dans l’est du Titery sous les ordres du colonel
Comman est rentrée ramenant seulement trente malades. Elle a pénétré sur le territoire des
Béni- Sliman dont une partie seulement s’était soumise peu de temps après que nous fûmes en
possession de la province du Titery. Ben-Salem, avec 13 compagnies d’infanterie régulière
très réduites, restes de celle des Berkani et de la sienne, menaçait les tribus soumises. Il avait
en outre 150 cavaliers réguliers.
« A l’approche de la colonne du colonel Commun, il s’est enfui vers le désert ( 24) ; alors
Mahi-ed-Din, son agha nommé par Abd el Kader, homme très influent, est venu faire sa
soumission à la tête de 600 cavaliers des Béni Sliman, qui en fournissaient, avant la guerre, de
11 à 1 200 à l’émir. Mahi-ed-Dine a prêté serment de fidélité, il a envoyé ses enfants en otage
à Médéa et s’est engagé à porter dans cette place, sous huit jours, les grains de 42 silos d’Abd
el Kader, qui produiront au-delà de 2,000 quintaux… »
Si Mohamed ben Mahi ed Din, était comme nous l’avons dit, le chef de la zaouïa de Bou-
Mali, plus connue sous le nom de zaouïa Mahi-ed-Din, qui a été fondée au XIV e siècle par Si
Ali-ben Mahmed. La zaouïa de Bou- Mali était en rivalité d’influence avec sa voisine des
Beni- Djad, la zaouïa des Oulad-Sidi-Salem.
Si Mohamed-ben-Mahi-ed-Din était doué d’une intelligence supérieure et il jouissait dans
toute la région d’une influence très grande, c’était pour nous une recrue d’une importance
considérable, il s’était trouvé humilié d’avoir été placé par l’émir dans une situation
d’infériorité par rapport à son rival Ben-Salem, et c’est, au fond, ce qui l’a décidé à venir à
nous.
Ben-Salem, pour punir cette défection, fit une razzia dans les Beni-Sliman dans la nuit du
10 au 11 septembre. Le colonel Comman en ayant été informé se mit en marche le 14
septembre avec une petite colonne de 600 hommes d’infanterie et de spahis, à laquelle
s’étaient joints les goums des Beni-Sliman, pour se porter au secours de nos tribus. Ben-
Salem avait disparu.
Pour occuper sa cavalerie, le colonel Comman l’envoya le 19 septembre faire une razzia
sur les Beni-Djad, pays de Ben-Salem. Ce coup de main réussit et l’agha Si Allal, le cadi et
les principaux notables apportèrent leur soumission et des chevaux de gada.
Ayant organisé les tribus des Beni-Sliman, le colonel convoqua tous les caïds, le 20
septembre, à son camp des Beni-Atman sur Pisser, et il leur fit reconnaître pour agha
provisoire Si Mohamed-ben-Mahi-ed-Din, qui devait devenir un de nos chefs indigènes les
plus éminents.
Tous les lieutenants d’Abd-el-Kader étaient successivement tombés, il ne restait plus que
Ben-Salem ; le général Bugeaud avait reconnu la nécessité de le réduire à son tour, ne fut-ce
que pour assurer la sécurité de la Mitidja troublée par les incursions de ses cavaliers et des
maraudeurs kabyles, et il se préparait à diriger une expédition sur la Kabylie.
Ce projet avait transpiré, et il jetait un grand émoi dans les tribus qui se sentaient
menacées. Ben-Salem avait commencé par envoyer dans le plus grand mystère ses richesses
dans les Mkira, chez son parent par alliance Si-Ahmed-ou-bel-Kassem, dont l’émir avait fait
sans succès, en 1839, un caïd de Bor’ni. Cette mesure de précaution ne tarda pas à être
ébruitée, et de nombreuses défections en résultèrent; son makhezen, son porte- drapeau et
jusqu’à ses musiciens, tout disparut. Alors, n’ayant plus à dissimuler, il envoya sa famille
entière rejoindre ses bagages et il conseilla aux Beni-Djad et aux Aribs d’émigrer pareillement
dans la montagne.
Un de ses premiers soins fut de s’occuper de rétablir la paix entre les tribus kabyles que
nous avons vues en lutte perpétuelle. 11 convoqua des marabouts vénérés, comme Chikh El-
Mobarek des Beni-Mahmoud, Chikh El-Mahdi des Beni-Raten ; une réunion à laquelle il
24
Il était sans doute allé faire son expédition de Bou-Saâda
amena Bou-Chareub eut lieu à la djama de Sidi-Amar près de Dra-ben-Khedda et une
réconciliation générale eut lieu entre tous les anciens adversaires qui jurèrent l’oubli de leurs
griefs réciproques.
Ben Salem convoqua alors tous les contingents kabyles, leur demandant d’accourir à la
défense du pays ; mais son appel n’eut pas grand écho dans la montagne, et c :est à peine si
quelques milliers de fusils vinrent se joindre à lui. Il se mit en observation sur le territoire des
Nezlioua prêt à se porter du côté d’où viendrait le danger.

CHAPITRE II
Organisation de la colonne expéditionnaire de l’est. — Marche de la colonne par Ben-Hini
et l’Oued-Soufflat. — Combat de l’Oued- Souillât le 5 octobre, le colonel Leblond est
tué. — Destruction du bordj de Bel-Kherroub. — Arrivée au camp de Si Mohamed-
ben-Mahi-ed-Din, il reçoit l’investiture comme khalifa du Sebaou. — La colonne
est éprouvée par des pluies continuelles — Le 11 octobre, on marche contre les Oulad-
el-Aziz qui font leur soumission. — Attaque des Beni-Khalfoun le 13 octobre, soumis-
sion de la tribu le 14. — Dislocation de la colonne au Fondouk, le 17 octobre. — Le
général Changarnier soumet les tribus du Dira en octobre 1842. — Ordonnance royale
du 13 novembre 1842 qui organise la Kabylie. — Ben-Salem réside à l’Oued-Ksari. —
Il rassemble de nouveaux contingents dans les Nezlioua. — Expédition du duc
d’Aumale en mars 1843. — La colonne est éprouvée par le mauvais temps sur l’Oued-
et-Tnin les 4 et 5 mars. — Attaque des Nezlioua le 11 mars. — Ben-Salem
s’installe dans la forêt de Bou-Mahni, sa situation précaire. — Nouvelles luttes des
partis dans les Ameraoua et les Beni-Ouaguennoun. — Prise de la zmala d’Ab-el-Kader
à Taguin le 16 mai 1843. — Déboires du khalifa Ben-Salem.

La colonne expéditionnaire de l’est se trouva réunie, le 29 septembre 1842, en avant de la


Maison-Carrée ; elle était composée delà manière suivante :
MM. le lieutenant-général Bugeaud, gouverneur général, commandant en chef ;
le lieutenant-colonel Eynard, aide de camp ;
le capitaine d’artillerie Rivet, officier d'ordonnance ;
MM. le colonel de la Rue, de l’état-major du ministre de la guerre accompagnant le
gouverneur général ; le colonel Pélissier, chef d’état-major général ;
les capitaines Spitzer, de Courson, Denecey, attachés à l’état-major ;
le capitaine d’état-major Durrieu, chargé des travaux topographiques ;
Lyautey, chef d’escadron, commandant l’artillerie;
Villeneuve, lieutt-colonel, commandant le génie ;
Blanchot, sous-intendant militaire, chargé des services administratifs de la colonne ;
Roudil, aumônier ;
Philippe, chirurgien major, chef de l’ambulance.
Suivant l’habitude qu’on avait à cette époque, le corps expéditionnaire était divisé en trois
colonnes :

Colonne de droite

M. le colonel Leblond du 48e de ligne, commandant.


3° chasseurs d’Orléans…………1 bataillon.
Tirailleurs indigènes…………. ..1 bataillon.
48e de ligne……………………. 2 bataillons.
TOTAL…………………………..4 bataillons.

Colonne du centre

Le bataillon d’élite (artillerie et génie) en tête ;


Artillerie, 2 sections de montagne, 2 sections de fusils de rempart, réserve de cartouches ;
Ambulance, bagages des corps, train des équipages, 44 voitures civiles et militaires,
troupeau.

Colonne de gauche.
M. le colonel Gachot, du 3e léger, commandant.
3e léger…………… 1 bataillon.
58e de ligne………. 1 bataillon
64e de ligne………. 1 bataillon
Disciplinaires………1 bataillon
TOTAL ……………..4 bataillons.

La cavalerie, sons les ordres du commandant Korle est composée de fractions prises dans
le 1er et le 4e chasseurs d’Afrique.
La gendarmerie, sous les ordres du commandant Vial, grand prévôt, forme 2 escadrons de
68 chevaux et compte de plus, 32 gendarmes à pied.
Récapitulation par armes des hommes et chevaux combattants.

Officiers Hommes Chevaux Mulets

Bataillon d’élite 12 401 12 »


Infanterie 107 3.692 41 »

Cavalerie 24 318 318 »

Gendarmerie 5 100 68 »

Ambulance 11 40 » 84

Train des équipages.... 18 999 412 952

TOTAUX 167 5.149 841 1.036

La colonne fut mise en route le 30 septembre, sur une seule colonne, à 5 h. 1/4 du matin.
La chaleur était accablante et la marche fut très pénible pour la troupe. La tête de colonne est
arrivée à 10 h. 1/2 au Fondouk, l’arrière-garde n’a rejoint qu’à 1 h. ¼ ; le camp a été établi sur
la rive droite de l'Oued-el-Khemis.
Un chasseur d’Orléans s’est brûlé la cervelle sur la route ; un soldat du 64 e de ligne s’est
cassé le bras par accident et on a dû l’amputer.
La cavalerie, partie d’Alger le 30 au matin, est arrivée à 4 heures du soir.
Le 1er octobre, le départ a lieu à 5 h. 1/4, on marche sur trois colonnes en suivant la route
de Constantine, qui n’est qu’un long défilé. On traverse trois fois l’Oued- Khedera, le bivouac
est établi sur cette rivière à Mokta- Tala-Khalifa ( 25). En quittant le bivouac du Fondouk, les
voitures ont repris la route d’Alger, emmenant 48 éclopés.
Le 2 octobre, on part à la même heure, en une seule colonne sur la route de Constantine.
La tête de colonne arrive à 8 heures à Aïne-Soultane des Ammal, on franchit le col de Ben-
Lemmou, on traverse l’Oued-Zitoun et on établit le bivouac au confluent de l’Oued-Isser et de
l’Oued-Zitoun, près du pont turc de Ben-Hini. L’arrière- garde n’arrive qu’à 5 heures du soir.
La chaleur est toujours accablante et la marche pénible sur une route rocheuse très mauvaise.
Les Beni-Djad, dont le territoire est tout proche, amènent les chevaux de gada et apportent
la difa du sultan consistant en orge et en comestibles pour le chef et son entourage. Des
corvées armées sont envoyées à la paille dans le voisinage ; l’eau et le bois sont en
abondance.
25
La route suivie est l’ancienne route turque de Constantine
Un marabout des Beni-Khalfoun vient au camp demander une sauvegarde ; il ne revient
plus.
On avait marché jusqu’à présent en pays ami, on doit pénétrer maintenant au milieu de
tribus encore insoumises.
La colonne fait séjour le 3 octobre à Ben-Hini. A 7 heures du soir un convoi de 68
malades, conduit par le caïd des Khachna, Mohamed-ben-Merah, est dirigé sans aucune
escorte sur Alger où il est arrivé sans accident. La pluie tombe une partie de la journée.

Un marché est établi sur une des faces du camp, les indigènes y apportent des poules, des
œufs, du raisin, des figues, etc. ; l’administration y achète de l’orge.
Des travailleurs sont envoyés sur Tisser pour établir deux rampes afin de faciliter la sortie
du camp le lendemain.
Le 4 octobre, on part à 5 h. 1/4, la cavalerie est à l’arrière-garde. On franchit Tisser et on
suit la route de Constantine sur la rive droite de cette rivière, on traverse l’Oued-Zeberboura,
qui est un affluent de droite, et on fait la grand’halte sur l’Oued-el-Arba, qui est un autre
affluent. La vallée de Tisser est large et bien cultivée et elle ne présente pas d’obstacles à la
marche delà troupe et du convoi.
A hauteur de Dehous-mta-Beni-Maned, le général fait déposer les sacs à un bataillon du 3 e
léger, qui est envoyé pour débusquer quelques cavaliers arabes qui se sont montrés sur la
gauche de la colonne; les sacs sont chargés sur les mulets du convoi. Les cavaliers aperçus et
qui sont accompagnés de quelques fantassins, appartiennent à la tribu des Nezlioua ; M.
Roche, interprète principal de l’armée, entre en pourparlers avec deux d’entre eux, qui lui
apprennent que Ben-Salem est dans leur tribu et qui promettent de venir à notre camp le soir
pour apporter la soumission des Nezlioua. Défense est faite à la colonne de brûler les
habitations.
Le bataillon du 3e léger rentre dans la colonne, qui traverse une deuxième fois Tisser pour
aller camper à Dehous mta-Beni-Maned. La cavalerie et le train des équipages, protégés par 2
compagnies de la colonne de gauche, vont à une zaouïa des Ouled-Sidi-Salem pour faire de la
paille. L’eau et le bois sont en abondance.
Le 5 octobre, la colonne de droite se met en marche à 4 h. 3/4 ; la colonne de gauche,
précédée par la cavalerie et le goum, part à 5 h. 1/4. Laissant à sa gauche la route de
Constantine, la colonne traverse Tisser, franchit une crête, séparant cette rivière de l’Oued-
Soufflat et remonte le cours de cet oued. Le chemin est presque constamment dans le lit de la
rivière, qui est très resserré entre des berges rocheuses; on traverse plusieurs fois le cours
d’eau. A midi le convoi se réunit au pied delà rampe qui conduit au bivouac situé à Akebat-el
Ferad, près de bordj Bel-Kherroub, la place d’armes de Ben-Salem que le général Bugeaud a
résolu de détruire.
A 1 heure, on rend compte au commandant de la colonne que le bataillon du 64 e de ligne
et celui des disciplinaires, qui forment l’arrière-garde du convoi, sont attaqués et qu’il existe
une grande distance entre cette arrière-garde et la gauche du convoi ; le général envoie
aussitôt son chef d’état-major, le colonel Pélissier, accompagné du capitaine de Courson, pour
prendre le commandement des troupes engagées.
Une assez grande confusion règne en effet dans l’arrière-garde, la fusillade est très vive et
les Kabyles, au nombre de 5 à 600, qui l’attaquent, deviennent fort entreprenants. Le colonel
Pélissier fait rétablir l’ordre, fait relever les deux bataillons engagés par les tirailleurs
indigènes du commandant Vergé et par le 9e chasseurs d’Orléans, et il prescrit des dispositions
pour faire évacuer successivement les mamelons qui dominent la rivière en opérant une
retraite par échelons, l’échelon qui se retire étant protégé par le feu d’un échelon plus en
arrière.
Ces mouvements s’opéraient méthodiquement lorsque le capitaine Bivet apporte, de la
part du général, l’ordre de prendre l’offensive pour refouler l’ennemi. Le colonel Leblond
arrive avec les deux bataillons de son régiment sans sacs pour soutenir le mouvement en avant
et, comme le commandement lui revient, il se porte de sa personne sur le terrain du combat,
au point où se trouve engagé le bataillon de tirailleurs du commandant Vergé; il se met à la
tête de ce bataillon et l’emmène au pas de charge vers l’ennemi. En arrivant au point
culminant de la crête, il reçoit une décharge d’un groupe de Kabyles embusqués à 25 pas et il
tombe mortellement atteint. Le colonel Pélissier reprend alors le commandement et fonce sur
les Kabyles, qui se dispersent dans toutes les directions, laissant une quinzaine de morts sur le
terrain et disparaissent. Le retour offensif ayant réussi à balayer complètement le terrain, les
troupes reprennent le chemin du bivouac, où elles arrivent désormais sans un seul coup de
fusil.
Le colonel Leblond avait été frappé à la ceinture d’une balle qui était ressortie par l’os
sacrum ; il expirait une demi-heure après avoir été atteint. Un chasseur d’Orléans avait encore
été tué dans cette affaire et 16 blessés entrèrent à l’ambulance. Le docteur Pugens avait été
blessé grièvement au genou au moment où il s’élançait au secours d’un blessé sous le feu de
l’ennemi ; on fut plus tard obligé de l’amputer.
Dès l’arrivée au camp, les travailleurs du génie étaient montés au bordj de Bel-Kherroub
pour en opérer la destruction. C’était une construction toute neuve et non encore achevée qui
aurait passé pour belle même à Alger ; tout y était bâti avec un soin qu’on ne rencontre pas
souvent en dehors des villes. Il y avait une manutention et des fours pour la troupe régulière,
des magasins considérables et des silos de grains. On travailla pendant deux jours à tout
renverser de fond en comble; quelques sacs de poudre jetèrent à terre cette construction dont
l’édification avait été si laborieuse. On mit aussi le feu aux maisons d’habitation qui entou-
raient le bordj.
Le 6 octobre, à 6 heures du matin, les derniers devoirs furent rendus au colonel Leblond
par les deux bataillons du 48e de ligne, en armes; tous les officiers de la colonne étaient
présents. « C’était, dit le général Bugeaud dans son rapport au ministre, daté du 17 octobre, un
des meilleurs chefs de notre armée, chéri et estimé de tout le monde ; enterré au milieu du
camp, son régiment a défilé en pleurant autour de sa tombe. »
La journée fut consacrée à compléter, comme nous l’avons dit, la destruction du bordj de
Ben-Salem, à en vider les silos et à recevoir la soumission des tribus. Un bataillon du 3 e léger
était parti à 5 heures du matin pour prendre position afin de protéger les corvées ; tous les
chevaux et mulets de la cavalerie et du train furent employés au transport du blé, de l’orge et
aussi de la paille destinée aux animaux.
Si Mohamed-ben-Mahi-ed-Din des Beni-Sliman arriva au camp dans la journée avec les
caïds et notables des tribus. Les Metennan et les Arib vinrent aussi faire leur soumission et
amenèrent des chevaux de gada.
Si Mohamed-ben-Mahi-ed-Din séduisit le général Bugeaud par son intelligence, sa
sagesse et la justesse de ses vues ; celui-ci résolut de l’opposera Ben-Salem en lui donnant le
même titre que ce dernier avait reçu de l’Émir Abd el-Kader, celui de Khalifa du Sébaou.
C’était, pour une grande part, un commandement in partibus, mais le Gouverneur général
voulait ainsi donner un but à l’ambition du nouveau chef : il n’avait qu’à amener à nous les
populations kabyles que comprenait son commandement, et elles seraient à lui. Si Mohamed-
ben-Mahi-ed-Din avait incontestablement une grande influence, mais elle ne s’étendait pas
assez loin pour lui permettre d’atteindre le but qu’on lui laissait entrevoir. Quoi qu’il en soit,
le Gouverneur général avait bien placé sa confiance et le Khalifa est toujours resté pour nous
un serviteur fidèle et un puissant collaborateur.
Sa nomination n’eut pas lieu sans opposition, et il donna séance tenante une preuve de son
influence en la réduisant à néant. «C’est, dit le rapport du général Bugeaud déjà cité, un des
arabes les plus capables que j’aie jamais rencontrés, il triompha de toutes les résistances
autour de lui. Il laissa parler contre lui, puis il prit la parole avec une fermeté calme et sans
doute éloquente, puisque l’opposition cessa et que les dissidents l’embrassèrent à la tête ».
Ce fut devant les ruines de Bel-Kherroub que le nouveau chef reçut son commandement,
en présence des délégués des tribus nouvellement soumises.
La mort du colonel Leblond nécessita un remaniement dans l’organisation des colonnes ;
le 58e de ligne passa à la colonne de droite, dont le commandement fut donné au colonel de
Illans et le bataillon de tirailleurs passa à la colonne de gauche.
Le 7 octobre, le départ a lieu à 5 h. 1/2, on marche sur trois colonnes ; après avoir passé à
Bordj-bel-Kherroub, on continue à remonter la vallée de l’Oued-Soufllat, on passe à 11 heures
à Bordj-el-Arib (26) et on va camper une demi-lieue plus loin, sur l’Oued-et-Tnin. L’arrière-
garde, composée du 3e léger et du 58e de ligne, a reçu quelques coups de fusil, mais elle n’y a
pas répondu.
En passant à Bordj-el-Arib, la colonne y avait laissé le bataillon d’élite chargé d’en opérer
la destruction sous la protection du bataillon de tirailleurs et d’un peloton de cavalerie,
lesquels ont pris position sur les hauteurs de gauche. Ben-Salem avait fait de ce bordj,
construit au temps des Turcs, un dépôt d’armes et de munitions. On l’a fait sauter à la mine.
Cent cinquante cavaliers des Arib sont venus au camp se joindre au goum des Beni-
Sliman.
La pluie est tombée une partie de la nuit et elle s’est continuée dans la journée du 8
octobre ; malheureusement il n’y a pas de bois dans les environs du bivouac.
Le khalifa Mahi-ed-Din s’est chargé de faire arrivera Alger un convoi de 58 malades et
blessés auquel on a joint un détachement de chevaux et mulets blessés; il en a répondu sur sa
tête, et le convoi est, en effet, arrivé à bon port en trois jours, en passant par la route de l’Arba
des Beni-Moussa.
Le départ de la colonne, le 8 octobre, n’a lieu qu’à midi, on remonte l’Oued-et-Tnin, on
franchit la ligne de partage des eaux de cette rivière et d’Aïoun-Bessem et on va camper à 3
heures à l’Oued-el-Merdja, affluent de l’Oued-Lekehal. La route, qui est presque en plaine,
est facile.
On construit des barrages sur le petit cours d’eau pour abreuver les chevaux et mulets. On
trouve de la paille, mais pas de bois.
L’agha des Arib, Lakhedar-ben-Taleb, rejoint la colonne amenant encore 200 cavaliers.
De fortes pluies tombent pendant la nuit et elles continuent pendant toute la journée du 9
octobre. Le départ est retardé jusqu’à midi, mais on ne se déplace que de quelques kilomètres
pour aller camper sur l’Oued- Lekehal. La pluie ne cesse pas, elle dure encore une partie de la
nuit suivante et on n’a que très peu de bois.
Le 10 octobre, on se met en route à 6 heures du matin sur trois colonnes. La pluie continue
toujours. On traverse l’Oued el-Hamed (Oued-el-Garess) qui a beaucoup grossi et la tête de la
colonne arrive à Bordj-el- Hamza (Bordj-Bouïra) où le bivouac est établi sur le plateau par
une pluie battante. Le mauvais temps n’empêche pas les Ouled-Bellil de faire leur soumission
et les Arib d’apporter les provisions d’usage. On trouve de la paille en abondance dans les
environs, mais peu d’orge.
Les Ouled-el-Aziz, tribu des plus turbulentes adossée à l’extrémité occidentale du
Djurdjura, ont pris une part prépondérante' à l’attaque de la colonne le 5 octobre, et comme ils
sont à notre portée, le général Bugeaud organise une colonne légère, le 11 octobre, pour aller
les châtier. Cette colonne est composée des chasseurs d’Orléans, du bataillon d’élite, du 48 e
de ligne, des tirailleurs indigènes, de la cavalerie, de la gendarmerie et du goum, avec une
section de montagne, une section de fusils de rempart et une section d’ambulance.
On laisse au camp les bagages des corps et le convoi sous la garde du bataillon du 64 e de
26
Ce bordj, qui ne figure pas sur la carte au 50.000 e, se trouvait près de la rive droite de l’Oued-
Soufflat en lace du confluent de l’Oued-ben-Taïba.
ligne et du bataillon des disciplinaires, sous le commandement du colonel de Illans. On laisse
également le nombre d’hommes suffisant, dans chaque corps, pour la préparation de la soupe.
Le général Bugeaud se met en marche à 5 heures du matin et, après avoir cheminé pendant
3 heures, il arrive sur les hauteurs de Dra-oum-er-Rih, d’où on aperçoit une vingtaine de gros
villages, appartenant aux Oulad-el-Aziz, étagés sur le flanc nord de la vallée de l’Oued-
Bezzit.
Les Oulad-el-Aziz ne s'étaient pas crus menacés, ils n’avaient fait aucun préparatif de
défense et ils furent terrifiés à l’apparition soudaine de nos troupes. Pris au dépourvu, ils firent
contre fortune bon cœur et, au moment où le général allait prendre ses dispositions pour
commencer l’attaque, il reçut une députation des notables de la tribu qui venait demander
l’aman. Il accepta la soumission des Oulad-el-Aziz, leur imposa une amende de 6.000
boudjoux et la remise de 600 fusils et il retint comme otages leurs trois principaux chefs. Les
villages de la tribu furent respectés.
Pendant les pourparlers une fusillade éclata tout à coup vers l’est; le chef d’escadron
Daumas et le caïd El-Arbi s’étaient avancés de ce côté avec le goum, soutenus par le
commandant Faucheux à la tête du 3e bataillon de chasseurs d’Orléans ; ils s’étaient trouvés
en présence d’un rassemblement de gens des Beni-Smaïl et la fusillade s’était aussitôt
engagée. Ces Beni-Smaïl, qui font partie de la confédération des Guechtoula, ont leurs
villages sur le versant nord du Djurd- jura, mais ils ont une bonne partie de leur territoire sur
le versant sud, entre les Oulad-el-Aziz et les Merkalla, et ils y ont des cultures et des azibs.
Pour amener les agresseurs à sortir des rochers où ils étaient embusqués et à se porter sur
un terrain propice à l’action de la cavalerie, le commandant Daumas feignit une retraite, et
quand il vit les Kabyles engagés sur un terrain découvert, il opéra un vigoureux retour
offensif; chargés par les chasseurs et par le goum, ceux-ci furent bientôt balayés en laissant
une quinzaine de morts sur le terrain.
Chose étrange, cette escarmouche se passait sous les yeux d’un rassemblement
considérable de Kabyles que Ben-Salem avait réunis sur les crêtes supérieures des Beni-Smaïl
et qu’il fut impuissant à entraîner au combat.
La colonne était de retour au camp à 3 heures, les troupes avaient fait du bois avant de
rentrer au bivouac où il faisait défaut.
Le 12 octobre, l’armée se met en marche à 5 h. 1/2 du matin, sur trois colonnes; elle suit
pendant deux heures le chemin déjà parcouru le 9 octobre, puis elle change de direction à
droite et longe l’Oued-Rekham, sur lequel elle fait une halle d’une heure et demie pendant
laquelle le général reçoit la soumission des Harchaoua, ancienne tribu makhezen. On franchit
la rivière et on gravit une montée qui mène à Teniet-el-Melab ( 27) ; on fait une grand’halte à
mi-côte et on aperçoit sur la droite, à une dizaine de kilomètres, vers Dra-Sellama, sur les
crêtes qui forment la ligne de partage des eaux entre l’Oued-Isser et l’Oued-Bor’ni, un grand
rassemblement qui se tient sur un gros contrefort dépouillé d’arbres. A la lunette on distingue
très bien un cavalier monté sur un beau cheval noir et qu’on reconnaît pour Ben Salem. Le
khalifa passe en revue les bandes qui se sont rendues à son appel et qui, ensuite, font plusieurs
décharges de leurs armes (miiz) pour consacrer sans doute une décision prise.
Continuant sa route, la colonne va camper sur la rive gauche de l’Oued-Djemâa, où elle
arrive à 2 h. 1/2. Des rampes sont pratiquées pour franchir la rivière le lendemain.
Le 13 octobre, dès 5 h. 1/4, l’infanterie s'écoule par la rampe de droite et le convoi par la
rampe de gauche ; on franchit l’Oued-Djemâa et, après 2 heures de marche, la colonne est
arrêtée. On établit un camp provisoire abrité entre trois mamelons et on y laisse le convoi, le
troupeau et tous les impedimenta sous la garde du 64e de ligne et des disciplinaires. Le colonel
Gachot y prend le commandement.
Le général Bugeaud n’avait pas voulu s’éloigner sans avoir marché contre le gros
27
Ce col est eu tète de l'Oued-Chaichas de la carte au 50.000 e.
rassemblement que Ben- Salem avait montré la veille, et il était parti avec toute l’infanterie, la
cavalerie, l’artillerie et une section d’ambulance. La colonne s’éleva sur des collines infé-
rieures dont les crêtes conduisaient diagonalement en arrière vers les montagnes où avaient
été vus les contingents de Ben-Salem et où on espérait qu’on pourrait encore les rencontrer.
A 8 heures, il s’éleva un brouillard tellement épais qu’on ne pouvait plus distinguer sa
route et il fallut s’arrêter. Le brouillard se dissipe enfin et on aperçoit à environ 1 800 mètres,
sur les hauteurs de Dra-el-Abbès (c’est la crête qui, sur la carte au 50,000 e, va de Koudiat-el-
Bass à Tizi-el-Arba) le rassemblement ennemi. Cette multitude pousse de grands cris pour
s’exciter, on voit des groupes de Kabyles se mettre en mouvement comme pour entraîner les
masses à l’attaque, mais ils ne sont pas suivis et l’ennemi reste sur la défensive.
Le général cherche encore à l’attirer à lui en éparpillant sur la gauche le bataillon de
tirailleurs pour brûler des villages des Nezlioua et des meules de paille et en envoyant plus en
avant et encore à gauche le bataillon du 3 e léger, soutenu par le 58e et par un escadron de
cavalerie pour brûler un autre gros village. Il avait dissimulé son infanterie et sa cavalerie, ne
montrant que peu de monde pour donner confiance à l’ennemi, mais tout fut inutile; celui-ci
ne bougea pas et se mit à construire des retranchements en pierres sèches pour barrer le
chemin qui, par lui-même, était déjà d’un difficile accès et passait dans des terrains boisés.
Le général Bugeaud ne voulait pourtant pas s’en aller sans avoir eu raison des Kabyles qui
étaient venus le braver et, puisqu’ils ne voulaient pas venir à lui, il se décida à aller à eux. Il
envoya à l’attaque le bataillon d’élite puis le 3° bataillon de chasseurs d’Orléans, en les
faisant suivre par l’artillerie et par le 48° de ligne tenu en réserve. A 800 mètres de l’ennemi,
il fit mettre en batterie ses quatre obusiers, qui ouvrirent un feu successif de la droite à la
gauche.
Les premiers obus lancés portèrent au milieu des Kabyles, qui ne connaissaient pas encore
l’effet de ces projectiles, et jetèrent dans leurs masses une terreur difficile à décrire. Les coups
se succédèrent rapidement et le général, voyant l’ennemi ébranlé, lança à l’assaut le bataillon
d’élite composé de 200 artilleurs et de 200 sapeurs sous les ordres du capitaine d’artillerie
Ellias, et derrière, pour le soutenir, les chasseurs d’Orléans conduits par le colonel Pelissier et
le capitaine Denecey ; en peu d’instants les Kabyles furent dispersés et mis en fuite, laissant
une vingtaine de morts sur le terrain. Tous les villages des environs furent livrés aux flammes.
Après une heure de repos et rentière dispersion des Kabyles, la colonne se retire, rejoint le
convoi et va camper sur la rive droite de Pisser.
Les Beni-Khalfoun, ébranlés par le combat qui vient d’avoir lieu, se hâtent de faire des
ouvertures de soumission ; rendez-vous leur est donné pour le lêndemain près du pont de Ben-
Hini.
Le 14 octobre, la colonne suit la rive droite de Pisser, traverse cette rivière au pont de
Ben-Hini et va établir son bivouac à 4 kilomètres plus loin, au pied du col de Ben-Lemmou, à
cheval sur la route de Constantine. Les Beni-Khalfoun font leur soumission complète,
apportent les présents d'usage et promettent obéissance au khalifa. Ce dernier quitta, à ce
bivouac, la colonne qu’il avait suivie depuis Bel-Kharroub.
Le 15 octobre, la colonne, suivant la route qu’elle avait déjà prise le 2 octobre, alla établir
son bivouac au-delà de l’Oued-Khedera au Mogta-Tala-Khalifa. La cavalerie n’ayant plus
d’orge et le pays n’offrant aucune ressource de ce genre, on distribue trois galettes de biscuit
par cheval.
Le général Bugeaud part avec son état-major et la cavalerie pour aller camper au Fondouk,
laissant le commandement au colonel Gachot.
Le 16, le général rentre à Alger, le corps expéditionnaire campe au Fondouk et, le
lendemain, la colonne se disloque et les troupes rentrent dans leurs cantonne- men ts.
Dans cette campagne de 17 jours, qui avait été des plus pénibles à cause des pluies
torrentielles qui n’avaient cessé de tomber, il n’avait pas été fait de conquêtes nouvelles
importantes, mais les soumissions obtenues antérieurement avaient été consolidées et on avait
pu établir autour de la Mitidja, déjà couverte au nord-ouest par l’organisation du Khalifalik
des Iladjou- tes, créé par l’ordonnance du 14 septembre 1842, une zone protectrice qui arrêta
désormais les razzias kabyles et donna de la securité à la colonisation. Les tribus soumises de
la Kabylie et même celles restées indépendantes accoururent sur nos marchés, ce qui produisit
d’heureux résultats pour la population d’Alger; les denrées alimentaires, qui avaient atteint
des prix exorbitants, baissèrent immédiatement d’une manière très notable. Le général
Daumas cite comme exemples {La grande Kabylie, p. 255) que le prix de la viande, qui
dépassait 2 francs la livre, tomba aussitôt à 30 et 40 centimes et que le prix de l’huile d’olive
passa de 1 fr. 40 à 0 fr. 60 le litre.
Le prestige moral de Ben-Salem avait reçu une forte atteinte aux yeux des Kabyles du fait
qu’il n’avait pas osé se mesurer avec nous el qu’il avait laissé détruire sous ses yeux sa place
d’armes de bordj Bel-Kharroub, à laquelle il donnait une si grande importance. Néanmoins la
puissance du khalifa n’avait pas encore été sérieusement entamée.
Dans le même mois d’octobre, le général Changarnier, commandant des provinces de
Médéa et de Miliana (28), avait remporté, d’un autre côté, de grands avantages. Rentrant à
Médéa de son expédition du Chélif, il en était reparti le 13 octobre et était arrivé à Sour-el-
Djouab le 15 octobre ; puis, contournant le Dira, il avait soumis successivement les Djouab,
les Oulad-Tan, les Oulad-Meriem, les Oulad-Ferah, les Oulad-Barka, les Oulad- Dris, les
Oulad-Selama el les Adaoura et il était rentré à Médéa le 24 octobre. Ces nouvelles tribus
rattachaient l’un à l'autre, sans solution de continuité, le territoire du khalifalik du Sébaou et
celui du Titery.
L’ordonnance royale du 13 novembre 1842 nommait définitivement comme khalifa Si
Mohamed-ben-Mahi-ed- Din el plaçait dans son commandement 4 aghaliks :
1° l’aghalik des Beni-Sliman, dont le chef était l’agha El-Kaïd-Brahim-Ben-Si-Sliman
avec les tribus suivantes: Ahl-el-Euch, Oulad-Zenim, Oulad-Soultan, Oulad-Ziana, Beni-
Silem, Melouan, Beni-Maloum, Beni-Ouatas, Beni- Zer’im, Beni-bou-Alman, El-Bekkar,
Beni-Djar’el, Beni- Zerouan, El-Namen ;
2° L’aghalik des Beni-Djad, agha Si Allal-ben-el-Merikhi el comprenant : les Cheurfa,
Oulad-Brahim, Oulad-Selim, Singoua, Oulad-Guelman,Oulad-Si-Mohamed-ben-Aïssa,
El-Mesdata, El-Debbiat, Senhadja, Metennan, Zaouïa- Sidi-Salem, Beni-bel-Kassem,
Beni-Malla, Béni Amran, El-Ferkioua, El-Mesbah, Oulad-Aïssa, El-Haoucouda, Guechtoula,
Zouatna-Djadia ;
3° L’aghalik des A ribs, Agha Lakhedar-ben-Taleb, avec les Aribs-Réraba, Aribs-
Cheraga, Ksenna ;
4° L’aghalik des Kabyles, restant à conquérir.
La même ordonnance consacrait l’organisation de l’aghalik des Khachna, qui relevait
directement du Gouverneur général et qui comprenait la tribu des Khachna (dont faisaient
partie les Ammal), celles des Isser et des Beni-Moussa, et la tribu des Zouatna- Khachnia.
L’agha, El Arbi-ben-Kahia était originaire des Aribs du Hamza ; fin, rusé, avide, il a commis
des exactions, mais il n’en a pas moins rendu, à une époque difficile, de bons services à notre
cause.
Dans la nouvelle organisation, les Isser avaient quatre caïds : El-Hadj-Ahmed-bel-Abid
pour les Isser-el-Ouïdan, Bel-Abbès-ben-Es-Sifi pour les Isser-Oulad-Smir, Saïd- ben-
Guennan pour les Isser-Drœu et Ahmed-ben-Mohamed-ben-Kanoun pour les Isser-el-Djedian.
L’investiture de tous les nouveaux chefs indigènes, comprenant un khalifa, trois aghas et
cent-douze caïds, eut lieu à Alger, le 27 octobre 1842, avec une grande solennité.
28
Par ordre général du 17 juillet 1842, le général Changarnier avait reçu le commandement des
provinces de Miliana et de Médéa, qui comprenaient les anciens khalifaliks de Si Embarek et d’El-
Berkani.
Après la destruction de sa résidence de Bel-Kherroub et la soumission des Beni-Djad,
Ben-Salem prit le parti de s’établir dans les Mkira, à l’Oued-Ksari, où, comme nous l’avons
vu, il avait déjà envoyé sa famille et ses bagages avant l’expédition du général Bugeaud. Il
s’occupa de rétablir la paix entre les tribus et il fit tous ses efforts pour réchauffer le zèle des
Kabyles pour la guerre sainte. Dans les premiers mois de 1843, il convoqua les contingents de
toutes les tribus dans le but d’attaquer les tribus qui nous avaient fait récemment leur
soumission, pour les forcer à retourner sous son autorité. Sa parole fut mieux écoutée que
l’année précédente, et de gros rassemblements se formèrent dans les Nezlioua auprès du
Taclientirt ; les Flissat-Oum-el-Lil et les tribus du Sebaou, qui s’étaient abstenus la première
fois répondirent, dans une certaine mesure, à son appel.
Le Gouverneur général, informé de ces préparatifs, donna l’ordre au duc d’Aumale, qui
commandait la province du Titery depuis le mois de décembre 1842, de se porter de ce côté
pour disperser les bandes de Ben-Salem et préserver nos tribus d’une attaque imminente. Le
duc d’Aumale partit le 1er mars 1843 à la tête d’une petite colonne et se dirigea vers les
Nezlioua. Au début de ses opérations ses troupes furent éprouvées d’une manière très sérieuse
par le mauvais temps, comme on pourra en juger par son rapport ci-après, daté d’El-Betoum
(29) sur l’Oued-Zer’oua du 6 mars 1843 :
« D’après vos ordres, la colonne a quitté Médéa le l er mars et, le 4, elle s’est établie sur
l’Oued-et-Tnin, où se trouvait déjà la colonne de M. Vergé et le convoi de 350 mulets qu’il a
amené d’Alger. Le temps, qui avait été assez beau pendant les trois premiers jours de marche,
est devenu très mauvais. Il pleut à verse tous les jours et, le soir, la pluie se change en neige
accompagnée d’un vent, du nord glacial. Le pays est déboisé, comme vous le savez, et ce (pie
nos hommes ont apporté de bois sur leurs sacs, joint à quelques charges transportées par
Mahi-ed-Din, avaient seulement suffi pour la soupe. La nuit tut très dure et, le matin, trois
hommes du bataillon de Tirailleurs et quelques arabes étaient morts. Nos soldats étaient
soutenus, par leur énergie habituelle, mais, chez les indigènes, la démoralisation était
complète. A force de prières et de menaces, MM. Vergé et Pelée parvinrent ù faire charger les
mulets ; 95 caisses à biscuit dont on ne put retrouver les porteurs turent remises en compte à
l’agha des Aribs, qui doit les rapporter aujourd’hui.
» J’avais d’abord le projet de gagner Bordj-bel-Kherroub, car il était impossible de rester
au bivouac du 4, mais la description qu’on me lit du chemin me décida à revenir sur mes pas.
J'étais sûr d'une route praticable et de trouver à 3 ou 4 lieues un endroit bien boisé. Nous y
sommes arrivés vers une heure au milieu de bourrasques épouvantables, mais sans avoir rien
laissé en arrière. Sur le soir, la neige cessa; la nuit fut belle et nos soldats bien réchauffés et
bien nourris ont retrouvé toute leur gaîté.
» Aujourd’hui je fais séjour, le temps est beau mais offre encore bien peu de garanties.
Cependant je sais combien il serait fâcheux de quitter ce pays sans avoir fait aucune des
opérations que vous aviez indiquées, et je ne prendrai ce parti qu’a la dernière extrémité.
» Si le temps se soutient encore demain, je tâcherai d’agir sur quelques fractions des Beni-
Djad. Je vais pour cela me concerter avec Ben-Mahi-ed-Din, qui est à cheval depuis le malin
pour nous faire arriver de l’orge. Le Khalifa paraît nous servir avec beaucoup d’activité.
Jusqu’ici ni hommes ni bêtes n’ont manqué de rien ; j’ai fait distribuer un peu de biscuit à nos
pauvres requis qui mouraient de faim ; je pense que vous ne me blâmerez pas.
» La nuit du 4 au 5 a coûté la vie à deux recrues du 33 e, à trois hommes du bataillon
indigène et à plusieurs arabes du convoi. 53 tirailleurs manquent à l'appel ; on pense qu’ils
sont allés s’abriter dans leur pays, car ce sont presque tous des Zouatna. Je n’ai du reste que
des éloges à donner à M. Vergé pour son activité. Tous les officiers et chefs de service sous
mes ordres ont également fait preuve de dévouement et d’énergie.
» Je ne puis rien dire de positif sur mes mouvements ultérieurs...
29
C’est le point appelé aujourd’hui « Les Frênes ».
» J’ai été rejoint en route par Chourar, Kouïder-ben-Abd-Allah el Ben-Yahia (le boiteux) ;
ils reviennent d’une tournée que je leur avais prescrit de faire dans le sud avec leurs cavaliers.
Le goum des deux Ei-Akhedar s’étaient dispersés... »

Le Prince sévit sur une fraction des Beni-Djad qui s’était laissé entraîner par les
agissements de Ben-Salem ù faire de l’opposition à ses chefs et il se porta, le 11 mars, chez
les Nezlioua, dont les villages furent incendiés et où on fit un butin considérable (30). La
défense avait été très molle. Ben-Salem avait avec lui, comme nous l’avons dit, des
contingents assez considérables, mais il n’était pas parvenu à les organiser; les chefs étaient
jaloux et se méfiaient les uns des autres, ceux qui venaient de se trouver engagés dans des
guerres intestines et qui pouvaient craindre de les voir se rallumer, craignant de s’affaiblir au
profit de leurs ennemis.
Le général Daumas raconte dans La Grande Kabylie, p. 261, comment Ben-Salem ayant
voulu entraîner les Kabyles à attaquer de nuit le camp fiançais, ceux-ci n’avaient pas voulu le
suivre à cause du mauvais temps, et qu’ayant néanmoins réussi à emmener au milieu de la
nuit un millier d’individus, il s’était aperçu, en arrivant près du camp, qu’il n’avait plus
derrière lui qu’une centaine d’hommes. Ayant alors lancé son cheval au galop pour ramener
les déserteurs, il était tombé dans une mare épaisse d’où on eut peine à le sortir, la tête
horriblement contusionnée.
La colonne du duc d’Aumale est rentrée à Médéa le 21 mars ; les troupes étaient très
fatiguées mais en bon ordre.
Après la sortie de la colonne du duc d’Aumale, Ben- Salem comprit qu’il ne serait plus en
sûreté à l’Oued- Ksari et qu’il y serait exposé aux incursions de nos colonnes; depuis la
soumission des Beni-Khalfoun notre territoire arrivait à une douzaine de kilomètres de son
quartier général. Il se décida à aller s’établir dans la forêt de Bou-Mahni, entre les Flissa et les
Maatka, sur un petit plateau appelé Tarzout-ou-Merhoun, situé entre le sommet du Nador et
l’Oued-el-Hammam, non loin du confluent de cette rivière avec l’Oued-Bor’ni. C’est un
canton sauvage au milieu des bois et loin de tout village. Le khalifa n’avait plus avec lui que
25 cavaliers et une centaine de fantassins restés fidèles à sa fortune, et encore était-il obligé de
faire appel aux tribus pour nourrir tout ce monde, et elles ne s’y prêtaient qu’avec une
mauvaise grâce évidente. Ses cavaliers, envoyés en pourvoyeurs, se permettaient de petites
exactions qui excitaient le mécontentement des Kabyles; ils faisaient aussi de petites razzias
sur les tribus soumises à notre autorité et en particulier sur les Isser ; ils s’étaient attri bué la
police des routes et ils dépouillaient les gens qui se rendaient sur nos marchés.
Ben-Salem n’était plus que toléré par les tribus au milieu desquelles il vivait ; son prestige
de descendant du Prophète et de khalifa du sultan n’imposait plus aux Kabyles, qui ne se
gênaient pas pour lui voler ses mules et tout ce qui leur tombait sous la main. Les marabouts
de la zaouïa de Si Abd-er-Rhaman-bou Goberin, dans les Beni-Smaïl, lui refusaient même la
libre disposition de la poudre et des armes qu’il avait mises en dépôt chez eux, sous prétexte
que tout cela appartenait au sultan qui, seul, pouvait les leur réclamer. Pour comble de
disgrâce, on était sans nouvelles d’Abd-el-Kader depuis de longs mois, et on n’était même pas
certain qu’il fût encore de ce monde; on lui avait écrit à plusieurs reprises et aucune réponse
n’était arrivée. Ben- Salem finit par envoyer une députation dans l’Ouest pour savoir ce qu’il
était devenu.
La paix que le khalifa avait rétablie dans les tribus ne fut pas de longue durée; à peine
l’alerte donnée par l’apparition de la colonne du duc d’Aumale fut-elle passée que les
intrigues recommencèrent, plus actives que jamais. Les tribus du Sébaou, fatiguées de ces
30
Le duc d’Aumale a fourni de l’Oued-Rekham, le 15 mars, un rapport sur ses opérations dans les
Nezlioua ; ce rapport avait clé transmis en original au Ministre de la Guerre, qui l’a communiqué au
Roi : une note indique, dans les archives de la guerre, qu’il n’a pas été rendu.
hostilités continuelles, si préjudiciables à leurs intérêts, et regardant Bel-Kassem-ou Kassi
comme l’instigateur de tous ces conflits, s’entendirent pour se liguer contre lui : (El-Hadj)-
Aomar-ben-Mahi-ed-Din deTaourga, Si Moha- med-ben-Hassen d’El-Itama, Amar-Mançour
des Oulad- bou-Khalfa, Saïd-ben-Amara et Ahmed-bel-Hadj de Tizi- Ouzou, El-Hadj-
Hamdan-Kolli des Abid-Chemlal, Allal- ben-Abetouch et Mohamed ben-Salem-ou-Reddach
de Sikh-ou-Meddour, Tchiklat-ben-Toumi de Tala-Atman, Saïd-ou-Saada de Tazazereit, Si
Saïd-ou-Sahnoun et Mohamed-SnïdSi-Ahmed des Beni-Fraoucen, tous ennemis des Oulad-
ou-Kassi, se concertèrent pour razzier de nuit Tamda et Mekla. Les cavaliers des Ameraoua
devaient remonter le Sebaou, les Oulad-Mahi-ed-Din avec les Beni-Ouaguennoun devaient
descendre sur Tikobaïn et les gens de Djemaa-Sahridj devaient se porter directement sur
Mekla.
Les Oulad-ou-Kassi ne se laissèrent pas surprendre ; ils rencontrèrent le parti d’(El-hadj)-
Aomar-ben-Mahi-ed-Din à l’est de Tikobaïn près d’Azib-el-Djebla et le mirent en déroule ;
les Ameraoua-Tahta, avant de s’engager, avaient voulu voir le résultat de celte première
rencontre et ils étaient restés inactifs; les gens de Djemàa-Saharidj n’avaient fait, de leur côté,
qu’une simple démonstration. Les Oulad-Mahi-ed-Din battirent en retraite par les Beni-
Ouaguennoun, suivis de près par les partisans de Bel-Kassem-ou-Kassi ; les gens de la tribu,
craignant d’attirer sur eux le courroux de ce dernier, se mirent avec lui, abandonnant le parti
d’(El-hadj)-Aomar, au fur et à mesure de ses progrès. Cette défection successive s’opéra
d’Afir à Altouch au-dessus de la zmala d’El-Itama. Il y eut là un petit combat où (El-hadj)-
Aomar fut encore battu ; Bel-Kassem lui prit sept de ses cavaliers avec leurs chevaux. Les
Oulad-ou- Kassi ne poussèrent pas plus loin leur succès ce jour-là et rentrèrent à Tamda.
Ayant assemblé de nouvelles forces, Bel-Kassem-ou- Kassi descendit la vallée du Sebaou
par Tala-Atman, Sikh-ou-Meddour, les Abid Chemlal, Tizi-Ouzou, les Oulad-bou-Khalfa et
parvint jusqu'au sebt Ali-Khodja (31) près de Dra-ben-Khedda. Les partisans des Oulad-ou-
Kassi dans ces villages aidèrent ceux-ci à chasser leurs ennemis, qui durent se réfugier dans la
montagne. Ces progrès ne furent pas réalisés en un jour, Bel-Kassem- ou-Kassi y employa
une quinzaine dejours, mettant en œuvre la politique plutôt que la force.
(El-hadj)-Aomar-ben-Mahi-ed-Din, se voyant vaincu, appela les Flissa à son secours, mais
ceux-ci lui répondirent qu’il ne les avait pas consultés avant d’entreprendre de nouvelles
hostilités contre Bel-Kassem-ou-Kassi et qu’il n’avait qu’à se tirer d’affaire comme il
pourrait. Dans cette extrémité, (El-hadj)-Aomar envoya son frère Lemdani à Bel-Kassem pour
lui faire sa soumission ; ses derniers partisans, voyant cette défection d’un de leurs chefs,
abandonnèrent son parti, et il fut obligé d’aller se réfugier aux Beni-Ouarzedin dans les
Flissat-oum-el-Lil. Lemdani continua à habiter Taourga, mais il accepta un chef des mains de
Bel-Kassem-ou- Kassi, et ce chef fut Mohamed-ou-Kassi, frère de ce dernier.
Les faits que nous venons de rapporter se sont accomplis au printemps de 1843. A la
même époque, d’autres faits avaient lieu à Dellys : Ben-Salem avait destitué le caïd el mersa
(caïd du port) El-Mouloud-ben-el-Hadj-Allal à cause de ses relations avec les Français, et il
avait fait brûler tous les bateaux du port pour empêcher les communications avec Alger. El-
Mouloud réunit ses partisans qui étaient nombreux, et il fit une telle opposition aux actes du
caïd Si Abd-er-Rahman Delsi, qui l’avait remplacé, qu’il le força à quitter la ville.
La même année l’ambition poussa un homme des Beni-Smaïl, du village de Bou-Zoula,
nommé El-hadj Akli, à faire des démarches de soumission auprès du khalifa Si Mohamed-
ben-Mahi-ed-Din ; ses offres furent accueillies et le général Bugeaud le nomma agha des

31
Ali-Khodja a été, sous la domination turque, le premier caïd du Sebaou ; nous n’avons pas avec
certitude la date de son arrivée dans le pays, mais nous avons trouvé un titre de propriété daté d’ouel
Chaban 1133 (juin 1721) relatant qu’il a été écrit sous le commandement d'Ali-Khodja. Il passe pour
avoir construit l’ancien bordj de Sebaou et pour avoir créé les marchés du Sebt des Ameraoua et du
Tnin de Bar’lia.
Guechtoula. On ne tarda pas à reconnaître que ce kabyle avait singulièrement exagéré son
influence, car le sof opposé au sien, ayant appris la démarche qu’il allait faire, pilla et
incendia sa maison pendant qu’il se trouvait à Alger et l’empêcha de rentrer dans sa tribu.
Au mois de mai 1843, un évènement qui eut un grand retentissement en Algérie, vint
encore augmenter les difficultés de la situation de Ben Salem : le duc d'Aumale enleva à
Taguin, le 16 de ce mois, la zmala d’Abd-el- Kader au moment où elle cherchait à gagner le
Djebel- Amour. Cinq cents cavaliers vigoureusement entraînés capturèrent avec les immenses
troupeaux qu’elle conduisait, une émigration qui ne comptait pas moins de 20 000 âmes. Le
22 juin, le colonel Gery surprenait encore et enlevait le camp de l’Émir à Medressa-El-Arbia.
A la fin de 1843, Ben-Salem fut encore abreuvé d’amertumes: son frère Aomar fit sa
soumission et alla se fixer dans les Isser, où il épousa la veuve d’El-hadj-Ali-ben- Sidi-Saadi,
le premier khalifa du Sebaou (32) qui était mort dans les Mkira, et un de ses fils nommé Cherif,
âgé de 18 ans, s’évada de la maison paternelle et alla se présenter, le 17 octobre, à l’agha des
Khachna El-Arbi- ben-Kahia, qui le conduisit à Alger. Ce jeune homme fut envoyé en France
pour y recevoir une éducation française.
Le général Bugeaud avait été élevé à la dignité de maréchal de France à la date du 31
juillet 1843.
En vertu d’un ordre général du 11 août de la même année, le général Changarnier cessa de
commander la division de Titery et de Miliana, les subdivisions correspondirent directement
avec le Gouverneur général. Un ordre général, du 17 novembre 1843, a établi à Blida le siège
de 1a division d’Alger et a investi de son commandement le lieutenant-général de Bar.
Dans l’hiver de 1843-1844, sept bataillons ont été employés sur la route de Constantine, à
partir du Fondouk, à l’ouverture d’un nouveau tracé muletier, passant par Tizi-el-Arba et le
village des Oulad-Zian ; l’ancien tracé de la route turque par Aïne-Soultane des Ammal, était
abandonné comme trop accidenté et passant par des terrains trop rocheux.
L’arrêté ministériel du 1er février 1844 a donné pour la première fois une organisation et
une hiérarchie au service des affaires arabes (33) ; il créait, dans chaque division militaire,
auprès du général commandant la division, une direction des affaires arabes, dans chaque
subdivision, un bureau arabe de lre classe, et dans les postes secondaires, des bureaux arabes
de 2e classe.
A Alger, le directeur des affaires arabes centralisait, sous l’autorité immédiate du
Gouverneur général, en outre des affaires de la division, celles des divisions d’Oran et de
Constantine avec le titre de directeur central des affaires arabes. Par le fait, il n’y avait pas de
directeur divisionnaire sous l’autorité du général commandant la division d’Alger.
Le chef d'escadron Daumas, du 2e Chasseurs d’Afrique, qui était directeur des affaires
32
Voir la Revue Africaine de 1876, p. 218.
33
En 1830, Hamdan-ben-Amin-es-Sekka fut, dès les premiers jours de l'occupation d’Alger, nommé
agha des Arabes ; les affaires étaient traitées au cabinet du général en chef. Cet agha des Arabes fut
supprimé le 7 janvier 1831, puis rétabli le 1er février 1831, et le grand prévôt Mendiri fut nommé à
cet emploi le 18 février; il fut remplacé le 24 juillet 1831 par El-badj-Mahi-ed-Din-S’rir-ben- Ali-el-
Mobarek de Coléa.
En mars 1833, il est créé un bureau arabe près du général en chef et le capitaine de Lamoricière est
nommé chef de ce bureau.
Le 18 novembre 1834 on revient à l’emploi d’agha des Arabes, qui est donné au lieutenant-colonel du
1er spahis Marey-Monge. Ce système dure jusqu’au 15 avril 1837, date à laquelle on supprime encore
l’agha des Arabes pour créer une direction des affaires arabes, dont le titulaire fut le capitaine d’état-
major Pellissier de Heynaud.
Le 5 mars 1839, nouveau changement; la direction des affaires arabes est supprimée et on crée, à
l’état-major général, une section des affaires arabes dont le chef est le capitaine d’état-major
d’Allonville.
Enfin, le 16 août 1841, la direction des affaires arabes est rétablie et le chef d’escadron Damnas est
nommé directeur.
arabes auprès du Gouverneur général, reçut le 17 avril 1844, le titre de directeur central.

CHAPITRE III
Motifs de l’expédition de 1844 dans les Flissat-oum-el-Lil. — Le maréchal Bugeaud
adresse aux. Kabyles un dernier avertissement. — Réunion à la Maison-Carrée, le 26
avril, de la colonne expéditionnaire; sa composition. — Marche de la colonne jusqu’à
Bordj- Menaïel. — Une redoute est construite sur ce point pour la garde des
approvisionnements. — Le 6 mai, le Maréchal marche sur Dellys avec le gros de ses
troupes. — Dellys est occupé le 8 mai et le capitaine Périgot y est installé comme
Commandant supérieur. — Combat de Taourga, le 12 mai. — Les troupes réunies
campent le 16 mai à Tadmaït. — Assaut des montagnes des Flissa le 17 ; la colonne
établit son camp au point, culminant, près de Timezrit. — Soumission des Flissa et de
diverses autres tribus, le 18 mai ; Ali-ou-el-Haoussine-ben-Zamoum est nommé agha
des Flissa — Organisation donnée au pays soumis. — Le Maréchal s’embarque à
Dellys le 25 mai, appelé par les évènements du Maroc. — Investiture solennelle des
chefs Kabyles à Alger, le 6 juillet.

L’expédition de 1842 avait, comme nous l’avons montré, créé autour de la Mitidja, une
zone de tribus soumises qui fermait la route aux incursions Kabyles, tout en permettant aux
populations habitant au-delà d’entretenir des relations commerciales suivies avec Alger. Cette
situation, qui donnait aux kabyles tous les avantages qu’ils pouvaient raisonnablement désirer,
nous convenait également, puisqu’elle nous évitait d’entreprendre une conquête qu’on ne
pouvait espérer réussir qu’au prix de grands efforts et d’importants sacrifices ; elle aurait pu
se prolonger longtemps si les Flissat-oum-el-Lil n’avaient toléré la présence, au pied de leurs
montagnes, du khalifa Ben-Salem avec les débris de ses réguliers et de ses goums, et s’ils ne
l'avaient laissé continuer ses anciens agissements. Gomme nous l’avons dit précédemment,
Ben-Salem s’était attribué la police des routes, ses cavaliers dépouillaient les caravanes
kabyles qui se rendaient sur nos marchés et ils se permettaient même de petites razzias sur nos
tribus soumises.
Ce n’était pas seulement cette tolérance envers le chef à qui se ralliaient tous les ennemis
de notre domination que nous avions à reprocher aux Flissat-oum-el-Lil, les voleurs et les
recéleurs étaient, comme de tout temps, nombreux dans leurs tribus où étaient d’ailleurs
accueillis les malfaiteurs de tous pays ; les-uns et les autres ne se faisaient pas faute d’exercer
leurs déprédations sur les tribus des Isser et des Khachna, et celles-ci ne cessaient de faire
entendre leurs plaintes aux autorités d’Alger et de réclamer notre protection.
Des observations et des avertissements avaient été adressés à plusieurs reprises aux chefs
des Flissa et ceux-ci n’en avaient tenu aucun compte. Il était devenu nécessaire de frapper un
grand coup sur ce massif montagneux des Flissa qui domine la ligne de partage des eaux entre
le bassin du Sebaou et celui de l’Isser inférieur et commande les débouchés de la Grande
Kabylie vers Alger ; il fallait réduire à l’obéissance ces tribus turbulentes qui, du haut de leurs
montagnes escarpées et couvertes d’épais fourrés, tenaient sous la pression d’une population
de près de 25,000 âmes, les fertiles plaines du bas Isser et de la partie occidentale de la vallée
de Bor’ni.
Avant d’entreprendre cette expédition, le Maréchal envoya encore, le 14 avril, comme
dernier avertissement, une proclamation adressée à tous les chefs des Flissa, Ameraoua, Beni-
Khalfoun, Nezlioua, Guechtoula, Oulad-el-Aziz et Harchaoua, dans laquelle il leur
prescrivait, sous peine de voir leurs villages incendiés, leurs récoltes détruites, leurs arbres
fruitiers coupés, de chasser de leur territoire le khalifa Ben-Salem ( 34). Les Flissa n’ayant pas
obtempéré à cette injonction, le Maréchal se décida à agir.
Le corps expéditionnaire, qui comptait près de 8,000 hommes, se trouva réuni à la
Maison-Carrée le 26 avril 1844, sauf les chasseurs d’Afrique, qui rejoignirent le bivouac le
lendemain et le 2e bataillon du 2° Léger, qui travaillait sur la route de l’est; il était composé de
la manière suivante :
Commandant en chef : le Maréchal de France, Gouverneur général de l’Algérie ; ses
officiers d’ordonnance : le capitaine d’artillerie Rivet, le capitaine de cavalerie Guillemot, le
capitaine d’infanterie de Garraube.
Le colonel Pélissier, chef d’état-major général ;
34
On trouvera le texte de cette proclamation ainsi que la correspondance échangée avec les Flissa à
celte occasion, dans la Grande Kabylie du général Damnas, p. 299.
Le chef d’escadron Gouyon, chargé du service topographique ;
Les capitaines Anselme, De Cissey, Raoult, attachés à l’état-major général ;
Le chef d’escadron Liautey, commandant l’artillerie;
Le colonel Charron, commandant le génie ;
Le sous-intendant militaire de 2e classe Paris, chargé des services administratifs ;
Le médecin principal Philippe, chargé du service de santé.
Le corps expéditionnaire était fractionné en trois colonnes (35), savoir :

Colonne de droite
Le maréchal de camp Gentil, commandant ;
Le capitaine d’état-major Lapasset, aide de camp ;
Le chef d’escadron Beauquet, chef d’état-major;
Les 2e et 3e bataillons du 3e Léger, commandés par le colonel Gachot ;
Les 2e et 3e bataillons du 58e de ligne, commandés par le colonel Blangini ;
1 section d’artillerie de montagne ;
1 section de fusils de rempart ;
1 demi-section d’ambulance;
25 spahis.

Colonne du centre
(spécialement sous les ordres du Maréchal)
Le colonel Smidt, du 53e de ligne, commandant l’infanterie;
Le colonel Bourgon, du 1er Chasseurs d’Afrique, commandant la cavalerie ;
Un bataillon d’élite, formé d’artillerie et de génie ;
Un bataillon de Zouaves ;
Les ler et 3e bataillons du 26e de ligne formant ensemble
5 compagnies d’élite et 5 compagnies du centre ;
Le ler bataillon du 53e de ligne ;
1 compagnie de grosses carabines du 3e d’Orléans ;
1 section d’artillerie de montagne avec sa réserve ;
1 section de fusils de rempart;
1 équipage de pont Mathieu ; parc du génie ;
Les escadrons du 1er régiment de Chasseurs et 1er de Spahis d’Alger ;
30 gendarmes à cheval et 25 gendarmes à pied ;
Train, convoi arabe, troupeau ;
1 section d’ambulance avec réserve.

Colonne de gauche

Le maréchal de camp Korte, commandant ;


Le sous-lieutenant de chasseurs d’Afrique Sédille, officier d’ordonnance ;
Le chef d’escadron d’état-major De Zaragora, chef d’état-major ;
Le bataillon de tirailleurs indigènes de la division d'Alger ;
Les 1er, 2e et 3° bataillons du 48°, commandés par le colonel Régnault ;
1 section d’artillerie de montagne ;

35
Comme nous l’avons déjà vu à propos de l’expédition de 1842, les colonnes d’une certaine
importance étaient, à cette époque, subdivisées en trois colonnes, celle du centre comprenant le
convoi et tous les impedimenta. Ces trois colonnes marchaient de front lorsque le terrain le
permettait; dans le cas contraire, elles marchaient l’une derrière l’autre, dans l’ordre que fixait le
commandant en chef.
1 section de fusils de rempart ;
1 demi-section d’ambulance ;
25 spahis.

Les troupes sont mises en marche le 27 avril et elles vont camper sur la rive gauche du
Hamis (Oued-Khemis), à Haouch-el-Bey ; trois ponts du modèle Mathieu sont jetés sur la
rivière. Le lendemain, après une marche très pénible dans des prairies inondées et couvertes
de hantes herbes, le camp est établi sur la rive droite de l’Oued-Corso, près de la koubba du
bey Mohamed-ed-Debbah (36). Le 29avril, on franchit le col des Beni-Aïcha et on va établir le
bivouac à Haouch-ben-Ameur, sur la rive gauche de l’Isser, à 3 kilomètre en amont du con-
fient de l’Oued-Djemâa. Pendant la marche, un goum de 600 chevaux, commandé parle
khalifa Ben-Mahi-ed-Din, avait rejoint la colonne.
Les pluies diluviennes, qui avaient rendu si pénibles certaines périodes des expéditions de
1842 et de 1843, reparaissent cette fois encore ; une pluie torrentielle, accompagnée d’un vent
furieux qui éteint les feux de bivouac, arrête la marche de l’armée pendant deux jours ; l’Isser,
qui a grossi de deux mètres et a pris une largeur de 90 mètres, roule ses eaux impétueuses, et
la vallée, dont le sol est marécageux, est devenue un vrai bourbier. Les tribus des Issers,
persuadées que nos armes allaient se briser sur ces montagnes du haut desquelles les Flissa
avaient pu, pendant trois siècles, se jouer de la puissance des Turcs, montraient peu
d'empressement à fournir les vivres qui leur étaient demandés, les caïds ne parurent même que
le second jour, prétendant qu’ils avaient ignoré l’arrivée de nos troupes ; seul, le caïd des
Isser-Drœu, Saïd-ben-Guennan, voulant tirer avantage de la mollesse de ses collègues,
déploya un grand zèle, et il pourvut, à lui seul, à tous les besoins de la colonne. Son activité
fut récompensée ; le maréchal, mécontent de l’inexécution de ses ordres, prononça la
destitution de tous les caïds qui avaient manqué à leurs devoirs, infligea à chacun cent douros
d’amende et donna à Saïd-ben-Guennan le commandement de tous les Isser, qui ne formèrent
plus qu’un seul caïdat.
Le lor mai on avait essayé de jeter un pont sur la rivière, mais en vain ; le courant, qui avait
une vitesse de 3 mètres par seconde, n'avait pas permis de le fixer. Dans la journée, les eaux
ayant baissé, les pontonniers reprirent leur travail le lendemain, à 1 heure du matin ; le pont,
qui n'avait que 36 mètres, était trop court, mais on combla avec des fascines un bras de la
rivière et, dans la matinée du 2 mai, les troupes purent enfin franchir l’Isser. La colonne se mit
en marche vers le vieux bordj turc de Ménaïel, en traversant une plaine inondée et, après un
parcours de 8 kilomètres des plus pénibles, elle établit son bivouac sur la rive droite de
l’Oued-Ménaïel, en face de l’ancien bordj.
Le maréchal Bugeaud avait décidé que ses troupes seraient ravitaillées par le port de
Dellys, dont Fa population nous était déjà acquise, comme nous l'avons vu au chapitre n, et il
avait prescrit d'y envoyer deux bateaux à vapeur chargés de vivres et de munitions. En
s’établissant à Bordj-Menaïel, son intention était d’établir sur ce point un dépôt central
d’approvisionnements qui serait alimenté par des convois envoyés de Dellys ; le bordj turc fut
trouvé en trop mauvais état et trop exigu pour la destination qu’on voulait lui donner, et on se
décida à construire, sur le mamelon dominant le camp, une redoute destinée à abriter les
approvisionnements et le détachement chargé de les garder. Ces travaux furent exécutés par la
colonne, sous une pluie battante, dans des terrains boueux et glissants. Pendant leur exécution,
des tentatives d’accommodement furent encore faites auprès des Kabyles, mais elles lestèrent
sans résultat.
Le 6 mai, l’arrivée des bateaux ayant été annoncée, le maréchal se dirigea sur Dellys avec
le gros de ses troupes, laissant ses gros bagages et la redoute sous la garde du colonel
Pélissier, qui avait sous ses ordres la compagnie du 3 e chasseurs d’Orléans, le 3° bataillon du
36
Voir dans la Revue africaine de 1873, p. 364, une note sur ce terrible bey turc.
26e de ligne et le ler bataillon du 48e de ligne, pris dans les colonnes du centre et de gauche. Le
général Gentil avec la colonne de droite et toute la cavalerie régulière était resté sur place au
camp.
La colonne, qui avait avec elle les goums du khalifa Ben-Mahi-ed-Din, suivit la vallée de
l’Oued-Menaïel, traversa le territoire des Isser-Drœuen passant au nord du village des Oulad-
Aïssa et alla camper sur la rive gauche de l'Oued-Neça (c’est le nom que prend le Sébaou
dans son cours inférieur), sur l’emplacement du marché du Tnin de Bar’lia(37).
Le mauvais temps avait recommencé, un nouveau déluge avait transformé l'Oued-Neça en
un torrent impétueux de plus de 120 mètres de largeur et d’un mètre de profondeur. Quand on
voulut, le 7 mai, traverser la rivière, on y éprouva les plus grandes difficultés ; les troupes et le
convoi arrivèrent néanmoins à la franchir, mais quand ce fut le tour du goum le passage était
devenu impossible, tellement la crue avait encore augmenté ; trois cavaliers qui tentèrent le
passage furent emportés avec leurs chevaux. Le goum fut laissé sur la rive gauche et les
troupes campèrent sur la rive opposée, près de Barlia.
Le 8 mai, la colonne longea la rive droite de l’Oued- Neça, puis, en arrivant près de Ben-
Nechoud, elle tourna à droite pour gravir la montagne qui la séparait de Dellys ; le bivouac fut
établi sur la hauteur, à Bou- Medas, à 4 kilomètres et en vue de la ville. Celle-ci fut occupée le
jour même sans résistance.
Nous copions dans le journal des marches et opérations de la colonne une description de
Dellys au moment de son occupation.
« La ville se compose d’un groupe de maisons formant des rues, et d’habitations
éparpillées dans la campagne. Les unes et les autres occupent ensemble un espace de 16 à
1,800 mètres de longueur sur 5 à 600 mètres de largeur. Elle a une mosquée presque à l’entrée
de la ville du côté sud-est et plusieurs marabouts assez bien situés. Les environs du côté ouest
sont très bien cultivés en jardins.
Il n’y a pas de port, mais une assez bonne rade protégée des vents du nord-ouest par le cap
Bengut et de ceux du sud-ouest par des rameaux du Djurdjura. Les bateaux à vapeur mouillent
à 3 ou 400 mètres de la côte ; un petit-débarcadère est établi près de la mosquée.
Le nombre des maisons est de 110 et la population de 600 âmes. Un commerce de fruits
secs et de volailles est fait par de petites barques pontées qui vont à Alger. Son marché du
jeudi est assez fréquenté ».
Dès que nous eûmes pris possession de la ville, le génie se mit en devoir d’y élever
rapidement les abris nécessaires à la défense et d’organiser des magasins pour recevoir les
approvisionnements arrivés par mer.
Le capitaine Périgot, des tirailleurs, fut nommé commandant supérieur de Dellys, et on lui
donna 100 hommes des tirailleurs indigènes, 1 section d’artillerie de montagne et 40 sapeurs
du génie avec un capitaine et un lieutenant. El-Mouloud-ben- el-Hadj-Allai, dont nous avons
déjà eu, à plusieurs reprises, occasion de parler et qui avait donné des preuves incontestables
de dévouement à notre cause, fut nommé, à la date du 9 mai, caïd el-mersa.
Voici les instructions qu’avait données le maréchal Bugeaud au capitaine Périgot, au
moment de sa nomination de commandant supérieur de Dellys :

« Bivouac au-dessus de Dellys, 9 mai 1844.


CAPITAINE,
Le poste que je vous ai confié va devenir important. Ce que l’on m’a dit de votre
caractère et de votre esprit me donne la confiance que vous serez à hauteur de cette mission.
Vous aurez à établir des relations avec les arabes du voisinage au fur et à mesure que les
tribus feront leur soumission ; vous saurez mettre dans ces relations de la fermeté et delà
justice ; apportez-y un esprit liant.
37
Le hameau du Tnin, dépendant de Kebeval, occupe aujourd’hui cet emplacement.
Je vous donne, pour traiter les affaires arabes sous votre direction, Monsieur le capitaine
d’artillerie Narcy. Il est bien entendu que c’est vous qui êtes responsable dos affaires arabes.
Si donc M. Narey ne vous paraissait pas réussir, vous m’en rendriez compte et j’y placerais
un autre officier.
La première chose à faire est de vous mettre à l’abri d’un coup de main et de vous établir
le plus commodément possible. Pour cela, il faut faire travailler vos hommes avec suite et
activité pour faire exécuter tout ce qui sera prescrit par le génie pour approprier les environs
du poste, pour qu’il soit plus sain et pour en rendre les abords praticables. Vous recevrez
bientôt d’Alger un renfort de cent recrues de soldats français.
Vers le 16 ou le 17, le bâtiment Le Liamone, qui est stationnaire à Bougie, viendra
s’établir dans le port de manière à commander avec son canon les ravins et les plateaux à
l’Est de votre poste.
J’ai autorisé le caïd Miloud à loger les habitants des maisons qui doivent nous être
remises autour de la mosquée, dans les maisons des émigrés, mais je me suis réservé la
maison d'Abd- er-Rahman-ben-Salem, khalifa de Ben-Salem. Je réserve aussi au beylik tous
les jardins et toutes les terres appartenant aux émigrants. Dès que vous aurez un peu de
terres, il faudra en faire la reconnaissance et en dresser des états où sera indiquée la surface
approximative.
Vous vous informerez également, dans les environs et un peu au loin, des terres
appartenant au beylik.
Faites bien la reconnaissance des environs de votre poste dans un rayon d’une demi-lieue
et tâchez d’acquérir, par renseignements, des notions sur les chemins, sur la topographie du
pays, sur les tribus et sur les hommes influents qui les dirigent.
Je voulais faire organiser ce matin une compagnie de milice indigène, mais les habitants
m’ont fait dire par le caïd qu’ils désiraient ne pas être soldés, mais que cela ne les
empêcherait pas de combattre et de mourir avec nous; j’ai accédé à leur désir. 11 faut donc
se borner à leur donner des fusils et à dresser le contrôle des hommes qui en auront reçu. Le
caïd sera leur capitaine ; il commandera le service qu’il y aurait à faire. Ils devront être
continuellement chargés des postes d'observation les plus lointains; mais il ne faut pas en
abuser, car en même temps qu’ils se garderont, ils auront besoin de vaquer à leurs affaires.
Je désire que cette petite population soit bien traitée parce qu’elle nous a bien accueillis et
qu’elle a eu confiance en nous. Ne permettez pas que nos soldats pénètrent dans leurs
maisons, ni qu’ils leur fassent aucune avanie. J’ai décidé que ceux qui travailleront au port
seront payés 1 fr. 25 par jour, par les soins de l’agent comptable.
Recevez, Capitaine, l’assurance de ma considération distinguée.
Le Gouverneur général,
Maréchal BUGEAUD.
M. Perigot, capitaine commandant. »

Le goum de Ben-Mahi-ed-Din et les mulets destinés à la formation du convoi de


ravitaillement ne purent traverser l’Oued-Neça et arriver à Dellys que le 11 mai au matin ; le
maréchal fit immédiatement charger les mulets et ils rejoignirent le camp de Bou-Merdas le
soir même. Le 12 mai, au point du jour, la colonne se mit en marche sur la route déjà suivie;
de gros rassemblements kabyles s’étaient formés dans les montagnes d’Aïn-el-Arba et de
Taourga, mais le maréchal, qui tenait avant tout à faire arriver son convoi à Bordj-Ménaïel, ne
parut pas s’en préoccuper : il se dirigea directement sur le gué de Barlia et se mit en devoir de
le faire franchir à sa colonne. Les Kabyles, voyant notre mouvement, descendirent à la hâte
par la longue crête qui se détache des Beni-Attar pour aboutir à Barlia ; ils étaient 8 à 10,000
et étaient appuyés par un goum assez nombreux. Le maréchal fit réunir le convoi au Tnin sous
la protection d’un bataillon du 48e, fit mettre les sacs à terre par son infanterie sur le bord de
la rivière (rive gauche), puis il rassembla ses troupes sur l’autre rive pour les préparer à
l’attaque.
La Grande Kabylie, du général Daumas, donne le récit circonstancié des opérations contre
les Flissat- oum-el-Lil ; nous nous bornerons à en donner un résumé succinct.
Le maréchal disposait de cinq bataillons d’infanterie et du goum; n’ayant pas de cavalerie
régulière, il fit former un escadron d’élite avec les maréchaux des logis et brigadiers du train,
les gendarmes et les spahis de l’escorte. Le goum et l’escadron d’élite furent dissimulés dans
un pli de terrain sur la gauche ; à un signal donné ils sont lancés sur les cavaliers ennemis
dirigés par Ben-Salem, pendant que trois bataillons marchent à l’attaque. Le goum de Ben-
Salem est promptement bousculé et il est poursuivi de position en position ; les fantassins
kabyles, voyant la déroute des leurs, se replient précipitamment sur les villages de Taourga ;
notre infanterie leur donne l’assaut, les déloge et les rejette dans les ravins qui sont au-delà, en
leur tuant beaucoup de monde. Cette affaire, vigoureusement conduite, ne nous avait coûté
que 3 tués et une vingtaine de blessés.
Le combat terminé, les troupes vont reprendre leurs sacs et établissent leur bivouac au
Tnin, pendant que le convoi est dirigé sur Bordj-Ménaïel.
Le maréchal donna l’ordre au général Gentil de se porter sur Tadmaït, au pied des
montagnes des Flissat-oum-el-Lil, en ne laissant qu'un bataillon à la garde des
approvisionnements et il se porta lui-même sur ce point qui, depuis lors, a pris le nom de
Camp du Maréchal. La jonction des deux colonnes eut lieu le 16 mai.
Des négociations avaient encore été continuées par le caïd des Isser, Saïd-ben-Guennan,
qui était lié de parenté avec les chefs des Ameraoua et ;des Flissa, pour amener les tribus à se
soumettre, mais les Kabyles avaient refusé. Ils se seraient crus déshonorés s’ils nous avaient
demandé l’aman avant d’avoir eu leur journée de poudre.
Des contingents considérables étaient accourus de tous côtés et on pouvait, du camp
français, observer leurs mouvements ; la principale ligne de défense, dont les abords étaient
garnis de retranchements en pierres sèches, s'étendait de Feraoun au piton de Si-Ali-bou-Nab ;
les contingents étrangers occupaient principalement la droite de cette ligne : les Ameraoua
étaient groupés à Feraoun ; les Zouaoua des tribus du versant nord du Djurdjura, conduits par
Si el-Djoudi, étaient établis au village des Beni-Ouarzedin ; les tribus du pâté des Beni-Aïssi
avaient leurs contingents, conduits par Chikh-el-Mobarek des Beni-Mahmoud, au col de Bou-
Iadif, un peu en arrière des lignes de défense ; le khalifa Ben-Salem se tenait sur les hautes
crêtes avec son goum. On a estimé à 15 ou 20 000 le nombre des guerriers kabyles rassemblés
pour la défense des montagnes des Flissat-oum-el-Lil.
Les positions à enlever étaient formidables tant par les difficultés d’un terrain rocheux,
escarpé, broussaillé, que par les défenses que les Kabyles y avaient accumulées. Le maréchal,
une fois ses forces réunies le 16 mai, résolut de ne pas perdre de temps et de se porter à
l’attaque dès le lendemain. La route qu’il avait choisie pour son ascension était une arête
ayant son origine en face du camp, qui ne paraissait pas présenter trop de difficultés et qui
aboutissait, sur la crête supérieure, à un sommet partageant en deux la ligne de bataille enne-
mie; elle s’élevait entre deux ravins profonds et on pouvait la suivre sans être exposé à des
attaques de liane. Il n’y avait à livrer, en montant, qu’un combat de tête de colonne et le
maréchal pensait que la vigueur de nos troupes en garantissait le succès. Connaissant le
danger des mouvements de retraite en pays kabyle, il avait résolu d’établir son bivouac sur le
sommet des montagnes, et il donna l’ordre de laisser au camp, sous la garde d’un bataillon et
des troupes du train, le convoi et les bagages, les sacs de fantassins et de n’emporter que deux
rations de biscuit, de la viande cuite pour- deux jours, le tout roulé, avec une réserve de
cartouches, dans le sac de campement porté en sautoir.
La colonne d’attaque devait être composée de 9 bataillons, de 3 pièces d’artillerie de
montagne et de cent cavaliers français ou indigènes. Le général Korte, ayant sous ses ordres le
goum, toute la cavalerie régulière (environ 500chevaux), 2 bataillons d'infanterie et une pièce
d’artillerie, était chargé de faire un mouvement enveloppant la droite ennemie de manière à
gagner l’Oued-el-Kseub et à y recevoir les Kabyles lorsqu’ils seraient rejetés de la montagne.
Le 17 mai, à 3 heures du matin, les troupes étaient en marche; la pluie qui tombait depuis
la veille avait cessé, elle était remplacée par un brouillard intense qui masquait nos
mouvements, mais qui rendait encore plus difficile la marche sur un sentier rocheux et étroit.
Voici dans quel ordre était formée la colonne : une avant-garde composée du bataillon de
zouaves, de la compagnie de carabiniers du 3e chasseurs d’Orléans et d'une section de sapeurs.
Derrière venait le gros de la colonne, en tête duquel marchait le maréchal, et qui se composait
du bataillon d’élite, des 3 pièces de montagne, d’un détachement de cent chevaux français et
arabes, du bataillon de tirailleurs indigènes, de 2 bataillons du 3e léger, de 2 bataillons du 26e
de ligne et de 2 bataillons du 48e. Des cacolets étaient échelonnés dans toute la colonne. 11
restait, pour la garde du camp et pour appuyer la cavalerie du général Korte, un bataillon du
58e, un bataillon du 48e et un bataillon du 3e léger.
L’ascension des montagnes se faisait dans le plus profond silence. Les Kabyles, qui
n’avaient jamais supposé que nous prendrions un pareil chemin, n’y avaient préparé aucune
défense, ils avaient réservé tous leurs efforts pour rendre inaccessible le chemin qui va de
Feraoun au Timezrit et qui est beaucoup plus praticable. Le sentier taillé en arête n'offrit
bientôt plus que des éboulements de granit et tous les cavaliers durent mettre pied à terre, le
maréchal lui-même tirait son cheval par la bride.
Notre avant-garde, conduite par le lieutenant-colonel de zouaves de Chasseloup-Laubat,
put s’avancer jusqu’à moitié chemin de la crête supérieure sans avoir rencontré aucun ennemi;
elle trouva alors devant elle le gros village des Beni-Ouarzedin. Les Kabyles ne s’étaient pas
gardés; grâce aux habiles dispositions prises, ils furent surpris dans leur sommeil et les
zouaves en firent un grand carnage.
Après 3 heures de marche on arriva sur la crête supérieure ; des masses ennemies étaient
là sur notre gauche poussant leurs cris de guerre. Le maréchal, supposant que les forces
principales des Kabyles étaient de ce côté, y dirigea les zouaves sauf deux compagnies de
gauche du bataillon et une demi-section de sapeurs qu’il fit tourner à droite ; il laissa au point
de partage un officier avec mission d’envoyer du même côté, pour appuyer ces détachements,
le 48e de ligne lorsqu’il arriverait.
La ligne ennemie se trouvait coupée en deux, nous étions maîtres des points culminants qui
débordaient sa droite et nos troupes n’avaient plus qu’à descendre pour engager l’action. En
nous voyant apparaître sur son flanc, dans une position dominante, toute cette droite, prise
d’épouvante, se précipite confusément dans les pentes qui mènent à l’Oued-El-Kseub, sauf
quelques fractions des forces ennemies qui tentent de défendre les villages placés sur des
mamelons des pentes sud; Ben-Salem et son goum se trouvent parmi les fuyards. Le maréchal
lance ses 100 chevaux à la charge, mais au lieu de descendre perpendiculairement sur la
vallée, trouvant un sol inondé, obstrué de broussailles, ils sont obligés de suivre un chemin à
gauche qui les mène sur des villages devant lesquels ils durent s’arrêter. Ces villages sont
successivement enlevés par les zouaves, le bataillon d’élite et les tirailleurs indigènes.
L’artillerie donne son concours en envoyant des obus sur les villages attaqués et sur les
groupes ennemis qui auraient pu prendre les nôtres en flanc
Si la cavalerie du général Korte était arrivée en ce moment, où les masses kabyles étaient
précipitées des hauteurs dans le lit de la rivière, elle aurait pu faire subir à l’ennemi de
grandes pertes; malheureusement, elle avait été mal renseignée et elle s’était perdue dans des
sentiers inextricables sans réussir à arriver à l’Oued-el-Kseub. Pourtant le chemin n’était pas
difficile à trouver même sans guides, puisqu’il suffisait de remonter le lit du Sebaou jusqu’au
confluent de l’oued-Bougdoura, qui est la môme rivière que l’Oued-el-Kseub, et de remonter
ensuite cet affluent. Le goum de Ben-Salem et les fuyards kabyles purent donc franchir la
rivière et se réfugier dans les montagnes des Maatka.
Revenons aux deux compagnies de zouaves et à la demi-section de sapeurs que le maréchal
avait dirigées sur la droite en arrivant à la ligne de crête. Ces détachements auraient dû se
borner à prendre une position de flanc-garde sur le sommet d’Azib-Chikh pour empêcher
l'ennemi de venir inquiéter les opérations entreprises vers notre gauche. D’après les ordres du
maréchal, ils devaient bien être soutenus par le 48e, mais ce régiment était à la gauche de la
colonne et il était certain qu’il ne pourrait arriver qu’après un temps fort long ; il n’était donc
pas prudent de s’aventurer au loin.
Voyons ce qui s’était passé dans la marche. Les cent chevaux qui se trouvaient en tête de
colonne, les mulets de l’artillerie, ceux des cacolets avaient obstrué le chemin et empêché
l’infanterie d’avancer, les hommes avaient marché un par un, les unités s’étaient mêlées et
confondues et ne pouvaient se reconstituer par suite de l’obscurité ; il leur fallait beaucoup de
temps pour se reformer à la sortie des mauvais chemins.
Au lieu de se borner, pour le moment, à prendre une position défensive, les deux
compagnies de zouaves, se laissant entraîner par leur ardeur, marchèrent à l’attaque de gros
rassemblement kabyles qui se montraient sur la crête de droite. Elles arrivent sur la lisière
d'un grand bois; au lieu de s’y embusquer et de tenir les Kabyles en échec par une vive
fusillade, elles s’élancent sur la clairière qui les sépare d’eux et commencent une attaque
infructueuse; leur faiblesse numérique est révélée, les Kabyles prennent l’offensive. Eu un
moment la moitié de la compagnie tête de colonne est mise hors de combat; la seconde
rétablit d’abord l’équilibre mais sera bientôt insuffisante, lorsqu’interviennent quelques
compagnies du 3e léger et du 48e envoyées précipitamment au secours des zouaves et des
sapeurs, qui, malgré le courage qu’ils ont déployé, auraient fini par succomber.
Cependant le maréchal, voyant que sur notre gauche, où il s’était d’abord tenu de sa
personne, le combat s’était décidé en notre faveur, remonta sur la crête vers si Ali-bou-Nab,
en emmenant le 3° léger et le 26e de ligne, et il arriva à temps pour dégager le 48° et le
détachement de zouaves qui étaient aux prises, comme nous l’avons vu, avec les masses
kabyles dont ils n’auraient pas pu supporter longtemps l’effort. Il fit reprendre l’offensive sur
le terrain même où les deux compagnies de zouaves avaient soutenu une lutte opiniâtre et
l’ennemi fut refoulé par les crêtes et les contreforts qui s’en détachent, jusqu’au sommet du
Timezrit, point culminant du massif des Flissat-oum-el-Lil.
Jugeant alors la bataille terminée, il ne songea plus qu’à laisser reposer les troupes un
instant, et il appela à lui le général Gentil, qui se trouvait à l’attaque de gauche, lui prescrivant
de détruire, en chemin, les villages qu’il trouverait à sa portée. Le moment d’arrêt qui se
produisit alors fit croire aux Kabyles que nous nous disposions à commencer notre
mouvement de retraite vers Tadmaït, et ils se rallièrent dans l’intention de nous harceler
pendant que nous descendrions les longs contreforts qui conduisent à la plaine ; ils
commencèrent même un mouvement offensif sur les pentes de la position que nous
occupions. Le maréchal ordonna une charge à fond, et les Kabyles furent si vivement refoulés
qu’ils ne purent pas même s’arrêter sur les belles positions qui étaient en arrière d’eux et
qu’ils prirent la fuite jusque dans les versants opposés.
Croyant les avoir suffisamment dégoûtés du combat et ayant le projet de rétrograder
jusqu’à remplacement du marché de l’Arba, à proximité duquel se trouvent plusieurs belles
sources et où il voulait établir son bivouac, il ne voulut pas poursuivre davantage les Kabyles
et il fit commencer le mouvement de retour. Aussitôt ceux-ci se rallient de nouveau et
reviennent à la charge avec d’autant plus d’ardeur qu’ils voyaient arriver un renfort de 3,000
zouaoua, qu’un mouvement de terrain cachait à notre vue. Ce renfort, qui venait de l’Oued-el-
Kseub, se glissa dans un bois de chênes-lièges couvrant la pente sud du piton de Si-Ali-bou-
Nab et put s’approcher sans être aperçu jusqu’à portée de pistolet d’une compagnie de
voltigeurs du 48e de ligne, postée pour garder la crête par laquelle arrivaient les Kabyles.
Ceux-ci font alors une décharge générale de leurs armes sur les voltigeurs, qui, surpris par
cette brusque attaque, éprouvent un moment d’hésitation et cèdent d’abord le terrain. Trois
compagnies du même régiment, qui étaient placées en soutien, arrivent aussitôt à la rescousse
suivies bientôt de deux bataillons du 3e léger qui arrivaient en ce moment ; nous reprenons
une offensive rapide et énergique, les Zouaoua sont délogés des bois et poursuivis au loin
avec des pertes considérables.
En même temps qu’avait lieu le retour offensif des contingents du Djurjura, nous étions
attaqués en arrière par les Kabyles qui avaient été repoussés du côté du Timezrit ; le 26 e de
ligne, dirigé par le colonel Pélissier, sous-chef d’état-major général, les refoule de nouveau
avec la plus grande vigueur.
Il était 5 heures du soir ; l’ennemi était en retraite dans toutes les directions, on voyait de
longues files de Kabyles emportant les cadavres de ceux des leurs qui étaient tombés,
quelques obus lancés par l’artillerie sur les principaux groupes de fuyards terminèrent cette
bataille, qui avait duré 14 heures; les troupes furent installées au bivouac à Souk-el-Arba et
elles purent enfin prendre un repos bien mérité.
Cette journée nous avait coûté 32 morts, dont un officier, M Codille, sous-lieutenant de
zouaves, et 95 blessés dont 7 officiers; l’un de ceux-ci, M. Valentin, du bataillon de tirailleurs,
avait été atteint mortellement. Les pertes de l'ennemi ont été évaluées à 600 morts et le
nombre des blessés a dû être considérable; nous avions livré aux flammes les villages des
Beni-Ouarzedin, Ir’arbien, Tala-Malek, Beni-Mammar, Azib-Ir’ârbien. Ben-Salem s’était
enfui chez les Maatka qui n’avaient pas voulu le recevoir après sa défaite, et il avait dù aller
se réfugier auprès de Bel-Kassem-ou-Kassi.
On peut se demander si les dispositions adoptées par le maréchal pour l’attaque du massif
montagneux des Flissa étaient bien les meilleures qu’on pût prendre. Il a fait monter toutes ses
troupes par un seul chemin, lequel était si mauvais qu’il devait forcément se produire un
allongement considérable de la colonne; de profonds ravins à droite et à gauche couvraient ses
flancs contre toute attaque des Kabyles, mais ces mêmes ravins, qui nous tenaient
emprisonnés, auraient empêché toute manœuvre si nous avions eu besoin de nous déployer
avant d’arriver sur les hauteurs. Un ennemi plus avisé nous eût attendus en force à la sortie du
défilé dans lequel nous étions engagés; dans les conditions ordinaires, nous aurions été
certains d’avoir l’avantage dans un combat de tête de colonne ; mais, avec une tête de colonne
arrivant par petits paquets par un seul débouché, il n’en eût peut-être pas été de même. La
cavalerie, qui ne pouvait avoir qu'une bien petite action sur le terrain où on se portait, n’était
pas à sa place en tête de colonne.
Heureusement les Kabyles ne s’étaient pas gardés et nous avons pu arriver, pour ainsi dire
sans combat, sur un point dominant de la ligne de défense ennemie ; une manœuvre risquée et
hasardeuse était devenue une cause de succès, comme il arrive souvent à la guerre.
Quoi qu’il en soit, nous croyons qu’il eût été plus prudent, puisque l’effectif des troupes le
permettait, de former plusieurs colonnes d’attaque et de les faire monter par des crêtes
parallèles, ce qui leur eût permis de se protéger réciproquement (38).
Le 18 mai, les blessés furent évacués sur Dellys sous l’escorte d’un bataillon et les
bataillons descendirent successivement pour reprendre leurs sacs et leurs bagages au camp de
Tadmaït et remonter ensuite sur les hauteurs conquises ; la cavalerie régulière et le troupeau
furent envoyés au camp de Bordj-Ménaïel, et il ne resta plus au camp de Tadmaït que le goum
du khalifa Ben-Mahi-ed-Din avec le lieutenant-colonel Daumas, directeur central des affaires
arabes.
De sa position de Souk-el-Arba, la colonne pouvait rayonner pour peser sur les
populations indigènes en détruisant les villages et en coupant les arbres fruitiers ; le village
38
C’est ce qui a été fait plus tard avec succès en 1857 et en 1871, lorsque nous avons attaqué le
massif des Beni-Raten.
d’Ouriacha fut brûlé et 4 ou 500 figuiers furent coupés. Il ne fut pas nécessaire de recourir
longtemps à ce moyen de persuasion un peu barbare; en effet, dès le 18 mai, Lemdani-ben-
Mahi-ed-Din de Taourga se présenta au lieutenant-colonel Daumas au camp de Tadmaït pour
faire des ouvertures de soumission, et cet officier supérieur s’empressa de le conduire au
maréchal.
Lemdani, après avoir rapporté les dispositions des tribus, exposa au gouverneur général
que, de temps immémorial, les populations de la confédération des Flissat-oum-el-Lil avaient
toujours reconnu la prépondérance de la famille des Oulad-ben-Zamoum et que ce n’était que
dans cette famille qu’on pouvait leur choisir un chef ; il lui demanda l’autorisation de lui
amener le petit-fils du fameux El-Hadj-Mohamed-ben-Zamoum, dont nous avons eu souvent
occasion de parler, que son origine et la tradition appelaient au commandement des Flissa.
C’était un jeune homme de 18 ans appelé Ali-ou-el-Haoussin-ben-Zamoum, dont le père avait
été tué en 1835 dans les guerres que les Flissa avaient soutenues contre les Isser (voir la
Revue Africaine de 1876, p. 202) et qui était le chef reconnu de la famille; il était aussi
intelligent que brave et énergique, et son caractère s’était mûri de bonne heure dans les temps
troublés qu’on venait de traverser et où il avait déjà joué un rôle. Ali-ben-el-Haoussine-ben-
Zamoum plut au maréchal, et les négociations commencèrent avec le concours des notables
kabyles pour régler les conditions de la soumission et organiser le commandement indigène.
« Tous les points de la soumission étant réglés, dit le général Daumas (La Grande Kabylie,
p. 332), l’investiture des chefs principaux et secondaires eut lieu. La musique jouait; le canon
annonçait aux fiers monta gnards que le petit-fils de Ben Zamoum acceptait les lois de la
France et avait revêtu le burnous de commandement. L’aghalik des Flissa, qu’on plaçait sous
ses ordres, comprenait même, alors, la confédération des Guechtoula, qui en fut plus tard
détachée. »
Cette cérémonie avait eu lieu le 21 mai.
Le Maréchal avait donné à l’agha, comme khalifa, pour guider son inexpérience, un
homme d’âge mûr, d’une grande influence, renommé pour sa bravoure; c’était le nommé
Mohamed-ben-Zitouni, de la fraction des Beni- Mekla.
La colonne, après avoir été se ravitailler à Bordj-Menaïel, était à peine revenue à son
ancien camp de Tadmaït, que de nouvelles demandes de soumission arrivaient de tous côtés; il
vint même des députations de tribus que nous n’avions pas eu l’intention de soumettre et dont
les noms nous étaient inconnus ; le Maréchal organisa pour elles deux nouveaux aghaliks,
celui de Taourga et celui des Ameraoua.
L’homme qui eût convenu pour le premier de ces aghaliks était (El hadj) Aomar-ben-
Mahi-ed-Din, dont nous avons retracé les luttes avec Bel-Kassem-ou-Kassi et qui était encore
fixé dans les Beni-Ouarzedin des Flissa depuis sa dernière défaite ; son intelligence, sa
réputation de bravoure, son influence sur les tribus kabyles l’auraient naturellement fait
désigner, mais il s’était tenu à l’écart, jugeant peut-être qu’on ne lui offrirait pas assez et il
avait mis lui-même en avant son frère Lemdani, qui fut nommé agha. Ce dernier était un
homme d’environ 35ans, intelligent, de bonnes manières, mais d’un caractère faible et n’ayant
qu’une influence bien médiocre, pour ne pas dire nulle, sur les tribus Kabyles. Pour l’aghalik
des Ameraoua, à défaut de Bel- Kassem-ou Kassi, qui n’avait pas fait sa soumission, on
choisit Allal-ould-Mohamed-es-S’rir, appartenant à une famille assez obscure des Oulad-
Kharcha (Flissa), qui s’était établie au temps des Turcs dans la zmala de Dra- ben-Khedda. Il
était âgé d’une quarantaine d’années et était d’un caractère doux et bienveillant, dévoué et
fidèle; il était d’une grande bravoure, mais d’une intelligence assez étroite.
Les Beni-Tour et les Beni-Slyim avaient fait leur soumission, dès le 15 mai, au
commandant supérieur de Dellys, qui avait donné comme caïds : aux premiers, Ahmed-bel-
Ounès ; aux Beni-Slyim de l’Est, Arab-ou- Koufi, et, aux Beni-Slyim de l’Ouest, Mohamed-
Saïd-Hamada.
L’un des frères du khalifa Ben-Salem, Aomar ben-Salem, dont nous avons déjà parlé
comme s’étant établi dans les Isser, demanda l’aman et l’autorisation de vivre en simple
particulier ; le maréchal lui accorda sa demande et il le recommanda à la bienveillance du
khalifa du Sebaou, Si Mohamed-ben-Mahi-ed-Din, l’ancien rival du khalifa d’Abd-el-Kader.
L’investiture fut donnée aux nouveaux chefs indigènes dans les journées du 24 mai, pour
l’aghalik de Taourga, et du 25 mai, pour l’aghalik des Ameraoua ; puis le maréchal alla
s’embarquer précipitamment à Dellys, appelé par les événements graves qui se passaient sur
la frontière marocaine.
Les troupes qui avaient pris part à l’expédition partirent le 26 pour diverses destinations ;
trois bataillons furent laissés en observation au col des Beni- Aïcha.
L’ordonnance royale du 11 juin 1844 a fixé de la manière suivante la composition des
trois aghaliks qui venaient d’être créés :

1° Aghalik des Flissa


Agha : Si Ali-ben-el-Haoussine-ben-Zamoum.
Khalifa : Si Mohamed-ben-Zitouni.
Composition : Confédération des Flissat-Oum-el-Lil (Mzala, Mkira, Azazna, Beni-Mekla,
Rouafa, Oulad-bou-Rouba, Ahl-Semat, Et-Taïa, El-Oustani, Oulad-Yahia-Moussa, Beni-Arif)
;
Confédération des Guechtoula (Beni-Smaïl, Frikat, Beni-Mendès, Beni-Koufi, Bénibou-
R’erdane, Beni-bou-Addou, Ir’il-Imoula, Mechtras) ;
Les Nezlioua, les Abid d’Aïn-Zaouïa, les Abid d’Akbou, Oum-en-Naïl ( 39), Oulad-
Moussa, Chabet-el-Ahmeur.

2° Aghalik de Taourga
Agha : Lemdani-ben-Mahi-ed-Bin.
Khalifa : Mohamed-bel-Hadj.
Tribus : Beni-Tour, Beni-Slyim, Beni-Ouaguennoun, Bordj-Sebaou, Flissat-el-Behar et
Beni-Djennad.
(Ali-Moussa et Ali-Dachen étaient nommés chikhs de Bordj-Sebaou).

3° Aghalik des Ameraoua


Agha: Allal-Ould-Mohamed-es-Srier.
Khalifa: Hammou-ben-Amar.
Tribus: Ameraoua (Aïn-Faci, Kaf-el-Aogab, El-Itama, Oulad-bou-Khalfa, Sidi-Namen,
Tizi-Ouzou, Abid-Chemlal, Sikh-ou-Meddour, Beni-Hasseb-Allah, Tala-Atman, Tazazereit,
Tamda et Mekla) ;
Maatka (Oulad Salah, Oulad-Youcef, Betrouna, Kam- mouda, Arour, R’andouça, Oulad-
Ali-ou-Zian);
Beni-Aïssi (Bou-Hinoun, Hassenaoua, Ir’Il-Bouzerou, Aït-ou-Hanech) ;
Beni-Raten, Beni-Fraoucen et Djemaa Sahridj.
(Amar-Mançour était nommé Chikh des Oulad-bou- Khalfa et Si Abd-er-Rahman cadi des
Ameraoua).

Dans cette ordonnance, on indiquait à chaque agha sa sphère d’influence plutôt qu’on ne
lui donnait un commandement réel. Ainsi, Ben-Zamoum nomma des chikhs dans les
Guechtoula et prit même comme chikh-el-chioukh l’ex agha in partibus El-hadj-Akli, mais
son autorité n’y fut jamais que très précaire; Lemdani-ben- Mahi-ed-Din n’aurait pas osé se
présenter chez les Flissat-el-Behar et les Beni-Djennad, qui n’avaient d’ailleurs nullement fait
39
Qu’on écrit ordinairement et moins correctement Menaïel.
leur soumission, et l’agha Allai eût été mal venu s’il avait voulu donner des ordres aux Beni-
Raten et même aux zmoul de Tamda et de Mekla ; tout au plus pouvait-il un peu se faire
écouter dans les tribus du massif montagneux entre l’Oued-el-Kseub et l’Oued-Aïssi.
Les trois aghas étaient indépendants l’un de l’autre et ils relevaient directement du
Gouverneur général par l’intermédiaire du Directeur central des affaires arabes. Leur
traitement était de 2,400 francs par an.
L’aghalik des Flissa payait une lezma de 10,000 francs par an, les Guechtoula de cet
aghalik payaient 3,000 francs.
Le Commandant supérieur de Dellys n’avait pas encore de territoire bien défini ; il avait la
banlieue de Dellys et les villages de Takdemt et des Beni-Azeroual, sur la rive droite de
l’Oued-Nença, qui avaient été détachés de la tribu des Isser-el-Djedian dont ils faisaient
originairement partie.
Les Isser continuaient à relever de l’agha des Khachna, mais on en avait encore détaché
Sebaou-el Kedim, pour le donnera l’agha Allai et les Oulad-Moussa, pour les donnera l’agha
Ben-Zamoum.
AU mois de juillet 1844, les chefs kabyles furent convoqués à Alger pour recevoir leurs
brevets revêtus de la signature royale ; en l’absence du Gouverneur général, ce fut le
lieutenant-général de Bar qui présida cette réunion, laquelle eut lieu le 6 juillet.

CHAPITRE IV
Meurtre d’El-Hadj-Hamdan par Mohamed-ou-Kassi. — Pillage de la zmala de Ben-Salem.
— Pendant les fêtes qui ont Heu à Alger, Ben-Salem tente d’attaquer Dellys. — Une
colonne expéditionnaire, sous les ordres du général Comman, est formée à Dellys à la
fin de septembre 1844. — Du 28 septembre au 8 octobre, la colonne fait la
reconnaissance de la vallée du Sebaou jusqu’à Mekla et Djemaa-Sahridj et rentre par
les crêtes des Beni- Ouaguennoun. — Razzia sur les Flissat-el-Behar, le 6 octobre. —
Nouvelle sortie de la colonne le 11 octobre ; elle se porte dans les Beni-Ouaguennoun.
— Le 17 octobre, le général Comman attaque les Kabyles au Tléta des Flissat-el-Behar.
— Après un succès douteux, elle revient le 18 à Aïn-el-Arba et le 19 à Dellys. — Le
maréchal Bugeaud arrive à Dellys avec des renforts, le 22 octobre. — 11 se porte à Aïn-
el-Arba le 25. — Les Kabyles ayant abandonné la position du Tléta, le maréchal va les
attaquer, le 28 octobre, à Tizi-bou-Nouan, dans les Beni-Djennad, et leur inflige une
défaite complète. — Ravitaillement par le petit port de Tedlès. — Soumission des Beni-
Djennad le 1er novembre. — Retour à Aïn-el-Arba le 2 novembre; le 3, la colonne
campe aux Isser-el-Ouïdan, sa dislocation a lieu à la Maison-Carrée, le 5 novembre. —
Les aghas Allai et Ben- Zamoum sont nommés chevaliers de la Légion d’honneur le 27
novembre 1844.

Bel-Kassem-ou-Kassi était resté insoumis et, malgré l’autorité que nous avions donnée à
l’agha Allai, il avait gardé dans son sof les Ameraoua-el-Fouaga, avec lesquels il continuait à
faire de petits coups de main sur les tribus qui s’étaient soumises.
Dans Pété de 1844, pendant que ce chef kabyle était campé à Sikh-ou-Meddour, une
discussion s’éleva entre lui et El-Hadj-Hamdan-ben-Kolli, chikh des Abid- Chemlal. Cette
zmala tenait encore avec Bel-Kassem, mais elle avait marqué l’intention de se soumettre à
nous. El Hadj-Hamdan voulait que l’Oued-Aïssi servît de limite aux excursions de Bel-
Kassem dans le bas de la vallée, disant qu’il était loisible à ce dernier de passer par les Beni-
Ouaguennoun s’il voulait atteindre des tribus plus à l’ouest, et Bel-Kassem trouvait cette pré-
tention inacceptable. Mohamed-ou-Kassi, qui était encore couché dans sa lente, entendit la
dispute et, comme il était peu endurant, il monta aussitôt à cheval avec ses cavaliers et partit
pour razzier les Abid, installés de l’autre côté de l’Oued-Aïssi. El-Hadj-Hamdan le suivit,
s’efforçant de le retenir et de lui faire abandonner ce dessein ; Mohamed-ou-Kassi irrité le tua
d’un coup de fusil, et il alla brûler la zmala des Abid-Chamlal, dont les habitants qui purent
s’échapper allèrent se réfugier dans les Beni-Aïssi. Cet El-Hadj-Hamdan-ben-Kolli était un
cavalier renommé ; il faisait de l’opposition à Bel-Kassem-ou-Kassi sans être de ses ennemis
déclarés.
Nos tribus soumises ne se laissaient pas toujours faire sans exercer des représailles ; ainsi,
à la fin de l’été de 1844, les Flissa et les Ameraoua-Tahta tombèrent un beau jour sur la zmala
de Ben-Salem et la mirent au pillage ; l’ex-khalifa lui-même ne put s’échapper qu’à
grand’peine.
A la fin de septembre, de grandes fêtes eurent lieu à Alger pour célébrer la victoire
remportée à Isly, le 14 août, sur les Marocains, par le maréchal Bugeaud, et les chefs
indigènes furent invités à y assister; les aghas des Flissa et de Taourga s’y rendirent avec une
députation de caïds et d’amins et les cavaliers qu’ils purent réunir.
Le samedi, 21 septembre, les chefs indigènes invités arrivèrent à Mustapha pour la fête qui
devait avoir lieu le lendemain. Il y avait là 7 à 800 cavaliers qui firent une grande fantazia
devant le maréchal. Le lendemain, il y eut un grand dîner auquel assistèrent 3 khalifas, 2
bach-aghas et 22 aghas ; on était en ramdan, mais ce n’était pas un obstacle, le repas n’ayant
lieu qu’après le coucher du soleil Après un discours du maréchal, les chefs indigènes
récitèrent la fateha sous la direction du khalifa Si Mohamed-ben-Mahi-ed-Din.
Ben-Salem et Bel-Kassem-ou-Kassi voulurent profiter de l’absence des chefs indigènes et
de leurs meilleurs cavaliers pour tenter une attaque contre Dellys. Le 21 septembre, ils étaient
campés à Sidi-Namen avec 2,000 fantassins et 200 chevaux.
Les promoteurs He cette prise d’armes voulaient marcher sur Dellys, mais ils
rencontrèrent une grande opposition de la part des Kabyles, qui voulaient bien aller razzier
des tribus soumises, mais qui refusaient de s’attaquer aux Français, dont ils redoutaient les
représailles ; les Beni-Raten surtout combattirent vivement ce projet. La journée du 22 se
passa en discussions violentes, les dissidents se retiraient successivement, et le soir Ben-
Salem et Bel-Kassem-ou-Kassi n’avaient plus auprès d'eux que 200 fantassins et 200
cavaliers, avec lesquels ils ne pouvaient rien entreprendre de sérieux.
Renseigné immédiatement sur l’agitation qui s’était produite, le maréchal s’était hâté
d’envoyer des troupes pour maintenir et pour compléter les résultats obtenus dans la
campagne du mois de mai; ces troupes débarquèrent à Dellys du 23 au 27 septembre et
formèrent une petite colonne expéditionnaire sous les ordres du général Gunman, l’ancien
commandant supérieur de Médéa, dont nous avons parlé au chapitre premier.
Voici quelle était la composition de cette colonne :
Général Comman, commandant en chef ;
Chef d’état-major, commandant De Wengi ;
Officiers d’état-major, capitaines D’Aigny et Raoult ;
Sous-intendant militaire, Onfroy-Monibrun ;
Chef du génie, capitaine Lemore.
(Le capitaine D’Aigny était chargé du service topographique.)

Troupes
1 bataillon d’élite composé de 150 hommes du génie et de 200 zouaves, sous les ordres du
capitaine Jaquin 350 Hommes.
1 bataillon du 3 léger, commandant De Serres.
e
349 Hommes.
1 bataillon du 26e de ligne, commandant Titart. 394 Hommes.
2 bataillons du 53° de ligne, colonel De Saint-Arnaud 790 Hommes.
2 bataillons du 58° de ligne, colonel Blangini 885 Hommes.
2 escadrons du 1 chasseurs, commandant De Noué
er
204 Hommes.
2 sections de montagne (4 pièces), capitaine Aubac. 106 Hommes.
1 section d’ambulance 25 Hommes.
Train des équipages militaires 207 Hommes.
TOTAL 3.307 Hommes.

Dès le 26, le lieutenant-colonel Forey fut envoyé avec le bataillon du 3 e léger et un


bataillon du 58° pour rejoindre la cavalerie et le goum qui se trouvaient déjà près de Dra-ben-
Khedda ; le goum, qui comptait environ 500 cavaliers, était sous les ordres des trois aghas.
La colonne quitta son camp de Dellys le 28 à 5 heures du matin, elle traversa l’Oued-
Neuça, suivit la rive gauche de la rivière, fit une grand’halte de 2 heures pour faire le café au
Tnin de Bar’lia, et arriva au camp de Bordj-Sebaou à 3 heures de l’après-midi après avoir tra-
versé de nouveau la rivière, dans laquelle les hommes avaient de l’eau jusqu’aux genoux. Le
bivouac fut établi en carré sur la rive droite du Sebaou, entre cette rivière et l’ancien fort turc.
Le 29 septembre, on traverse de nouveau le Sebaou et, après 2 heures de marche, on va
camper au marabout de Sidi-Amar où se trouvent déjà les troupes parties le 26, la cavalerie et
le goum. « Ce site, dit le journal des marches et opérations de la colonne ( 40), l’un des plus
jolis qu’offre la vallée du Sebaou, se fait remarquer par une fontaine en maçonnerie qui donne
de très bonne eau en assez grande quantité pour les besoins de l’infanterie. Elle est ombragée
par un petit bois d'oliviers. C’est à 1.500 mètres à l’Est du marabout de Sidi-Amar que
l’Oued-Bougdoura se jette dans le Sebaou ».
Le 30 la colonne se met en marche à 6 heures 1/4 et se dirige vers l’Est en laissant le
Sebaou sur sa gauche ; la marche est couverte en avant par la cavalerie et le goum. C’est la
première fois que des troupes françaises s'avancent au milieu de la Kabylie, c’est donc un
voyage de découverte en pays inconnu qu’effectue la colonne. A 7 heures 1/4 on arrive au
Sebt-el-Kedim dont remplacement est traversé par l’Oued-Sebt, et on gravit une colline qui se
détache de la montagne des Ouled-bou- Khalfa ; on arrive à 8 heures à la fontaine de Tizi-
Ouzou (c’est la fontaine du marché actuel du Sebt) et on y fait une halte d’un quart d’heure. «
On se remet ensuite en marche et, après avoir parcouru 500 mètres, on laisse à droite le fort de
Tizi-Ouzou, qui est à peu près à 300 mètres de la route. Cette forteresse, que les Turcs avaient
élevée pour défendre la route que les Kabyles du haut- Sebaou ont l’habitude de prendre pour
se rendre à Alger, a la forme d’un carré sur les côtés duquel sont établies des tours
40
Les paragraphes que nous donnerons entre guillemets seront des extraits textuels du journal.
flanquantes. Ce point pourra devenir par la suite d’une grande importance et il faudra y faire
peu de travaux pour le mettre en état de défense On y voit encore les 16 pièces de canon qui
formaient son armement du temps des Turcs, qui ne l’ont abandonné qu’en 1830 ».
La colonne descend ensuite en laissant à sa droite l’Oued-Hassenaoua (Oued-Medoha) et
va asseoir son bivouac sur la rive droite du Sébaou, dans la boucle de la rivière, à peu de
distance de l’Oued-Aïssi.
Le 1er octobre la colonne fait séjour, et 'e 2, elle se met en route à 6 heures en suivant la
rive droite du Sébaou ; elle arrive au campement de Tamda el-Blat à 10heures. Les Zmoul des
Ameraoua étaient abandonnées ; la cavalerie, qui était en tête, avait eu l’occasion d’exécuter
une charge sur une trentaine d’hommes qui s’étaient réunis sur le territoire des Beni-Raten,
mais elle n’avait pu les atteindre.
On mit le feu à la Zmala de Tamda ; la mosquée, les meules de paille et la maison de Bel-
Kassem-ou-Kassi furent respectées. « Le village est sur le versant oriental d’un mamelon
assez élevé au sommet duquel est un marabout tout à fait en ruines ».
Bel-Kassem-ou-Kassi s’était retiré dans sa maison de Rabta dans les Beni-Raten. Il avait
de fortes attaches dans cette tribu el il pouvait s’y considérer comme chez lui, puisque sa mère
en était originaire et qu’il avait épousé la fille d’un de ses hommes les plus influents, Ferhat-
Naït-Tahar de l’addert-bou-Adda. Une des femmes de son frère Mohamed était également
originaire, des Beni-Raten.
En ménageant Bel-Kassem-ou-Kassi on avait espéré l’amener à se soumettre ; comme il
ne s’y décidait pas, un bataillon, fort de 400 hommes, est envoyé le 3 octobre à 10 heures 1/2
pour protéger des travailleurs chargés de couper des orangers qui lui appartiennent, sur la rive
gauche du Sébaou, en face du camp ; 50 chevaux accompagnent le détachement, A 2 heures,
l’opération était terminée sans qu’aucun ennemi se fût montré. A 1 heure 1/2 un autre
bataillon et 50 chevaux, avec une partie du goum, sont encore envoyés pour aller razzier le
moulin de Bel Kassem et couper le bois d’orangers qui dépend du village de Mékla, situé à
une lieue en amont deTamda. La corvée rentre au camp à 4 heures.
« Le moulin de Bel-Kassem ( 41), situé à une petite fi eue en amont de Tamda, devait être
d’une grande ressource pour les habitants. Il se composait de deux roues à turbines qui
mettaient en mouvement autant de meules. Les eaux de l’Oued-Arous, affluent de gauche du
Sébaou et dont le confluent est vis-à-vis du camp, y étaient conduites à l’aide de deux tuyaux
en bois.
» Le 4 octobre, les 2 compagnies d’élite du 26°,2 pièces d’artillerie, 1 bataillon du 53 e et 1
bataillon du 58e, partent sans sacs à 6 heures du matin, sous les ordres du lieutenant-colonel
Forey, pour aller chez les Djemaâ-Sahridj. La cavalerie, le goum, 29 paires de mulets
accompagnés d’un officier de santé et d’une cantine d’ambulance, font partie de cette
colonne, dont la présence suffit pour amener la soumission de cette tribu, qui était restée
fidèle à Bel-Kassem.
» Le village de Mékla, dont il a été parlé plus haut, a été traversé par cette colonne et tout
le monde a été frappé de l’importance de ce point, qui peut être défendu d’autant plus
facilement qu’il est bâti à l’extrémité d’un contrefort dont les berges sont inaccessibles. Cela
n’a pas échappé aux chefs de Djemaâ Sahridj, qui sont venus demander au général
l’autorisation de s’établir dans ce village que nous avons trouvé complètement abandonné, ce
qui a permis de leur accorder ce qu’ils sollicitaient ».
Il est évident que cette soumission n’était pas bien sérieuse et qu’elle n’était faite que pour
écarter de Djemaâ-Sahridj le danger dont ce village était menacé.
Le 5 octobre la colonne fit encore séjour à Tamda et la maison de Bel-Kassem, respectée
jusque-là, fut cette fois démolie; ii n’est resté debout dans le village que la mosquée.
41
Le jardin de Tabokert avait été planté et le moulin construit par un grand-oncle de Bel- Kassem,
Amar-ou-Saïd-ou-Kassi.
La colonne devait partir le lendemain pour rentrer à Dellys par la ligne de crête des Béni
Ouaguennoun, en traversant le territoire des Béni Djennad, des Flissat-el-Beharet des Beni-
Ouaguennoun, tribus qui avaient été placées dans le commandement de l’agha Lemdani, bien
que, comme nous l’avons dit, elles n’eussent jamais fait acte de soumission. Le général
Comman, sans doute à l’instigation de ce chef indigène qui voyait là un moyen d’asseoir son
autorité, résolut de signaler son passage par une razzia. A cet effet, il fit partir le 6 octobre, à 3
heures du matin, le lieutenant-colonel Forey avec le goum, la cavalerie, 1 bataillon du 53 e et 1
du 58°. Cette petite colonne, après avoir brûlé le village d’Afir des Beni-Ouaguennoun,
ramasse en chemin les troupeaux qu’elle trouve au pacage et elle arrive au camp d’Aïn-el-
Arba, emmenant avec elle 1404 têtes de bétail.
Le général Comman quitte à son tour le camp de Tamda à 6 heures 1/4, arrive à 10 heures
au village d’Afir où il fait sa grande halte, puis il rejoint le détachement du lieutenant-colonel
Forey à Aïn-el-Arba. Deux soldats du 58% qui s’étaient éloignés de la colonne à Afir, ont été
blessés légèrement et, durant la dernière partie de la marche, l’arrière-garde commandée par le
colonel Blangini, a été attaquée par une troupe de 500 Kabyles que quelques coups de canon
ont dispersés.
La majeure partie du goum provenant de la plaine de la Mitidja fut renvoyée d’Aïn-el-
Arba. La colonne, après avoir fait séjour sur ce point le 7, se remit en marche le 8, à 6 heures
1/2 du malin, et elle arriva à Dellys à 11 heures.
Cette première sortie de la colonne avait pu s’effectuer sans rencontrer aucune résistance;
le souvenir des combats du mois de mai avait sans doute fait comprendre aux Kabyles qu’il
était bon pour eux de ne pas se montrer trop susceptibles ; ces bonnes dispositions se sont
modifiées à la suite de la razzia du 6 octobre.
Le 11 octobre, le général Comman fil une nouvelle sortie vers les Beni-Ouaguennoun et
les Flissat-el- Behar qui ne payaient pas l’impôt et qui ne tenaient aucun compte des ordres de
leur agha. Le bataillon du 3e léger fut laissé à Dellys.
Après avoir suivi pendant une demi-heure le bord de la mer, la colonne gravit les
contreforts qui se détachent de la chaîne principale de partage des eaux et, après avoir laissé
sur sa droite le Djebel-Arba, elle alla établir son bivouac à El-Hamenta à environ 7 kilomètres
de cette montagne, un peu à l’ouest du sommet de Tifilkout.
La colonne y fit séjour le 12 et, le 13, le général Comman alla faire une reconnaissance au
nord-est du camp avec les 4 bataillons des 53e et 58e de ligne, la cavalerie et une section
d’artillerie. On fit à Menzelt-el-Mahila (Tnin des Beni-Ouaguennoun), qui n’était éloigné que
de deux petites lieues, une halte de deux heures pour prendre le café et on reprit le chemin du
camp.
Le 14, nouveau séjour. Le 15 la colonne, passant par Menzelt-el-Mahila, va établir son
bivouac aux Cheurfa. Quatre coups de fusil sont tirés la nuit suivante sur le camp. «C’est pour
surveiller les mouvements de l’ennemi, dit le journal des marches et opérations, que la
colonne s’est établie aux Cheurfa ; mais les renseignements fournis par les Arabes ayant fait
connaître que ses principales forces étaient réunies au Tléta, le général a cru, en raison de
cela, devoir ordonner un mouvement rétrograde ».
Ce mouvement rétrograde s’est effectué le 16 octobre delà manière suivante: le colonel de
St-Arnaud partit d’abord avec le convoi sous l’escorte du bataillon d’élite et des 2 bataillons
du 53e pour aller établir Je bivouac au Tnin des Beni-Ouaguennoun, el, 2 heures après, le
général Comman, emmenant le reste des troupes, alla l’y rejoindre. La marche ne fut
nullement inquiétée.
Du Tnin, le général n’avait plus qu’à suivre la ligne de crête pour atteindre les
rassemblements kabyles et il prit ses dispositions, le 17 octobre, pour aller les disperser.
Une colonne d’attaque, sans sacs, composée de deux bataillons du 53 e (colonel Saint-
Arnaud), du bataillon du 26eet de 1 bataillon du 58e (lieutenant-colonel Forey), de 3 obusiers
de montagne, de 30 paires de cacolets, de la cavalerie et du goum, se réunit en avant de la
première face du camp et se mit en marche. Les hommes étaient munis de 30 cartouches. Le
convoi et les sacs des fantassins étaient laissés sur place sous la garde du colonel Blangini.
ayant sous ses ordres le bataillon d’élite et le bataillon du 58° (moins les deux compagnies
d'élite qui avaient été mises sous les ordres du lieutenant-colonel Forey).
« La colonne d’attaque suit la crête de la chaîne principale. Après avoir marché pendant
une heure et demie, elle laisse à gauche le village de Titra, qui est occupé par deux à trois
cents Kabyles dans une attitude qui ne présente rien de menaçant. La présence de ces hommes
tous armés fait penser que les principales forces de l’ennemi sont sur le sommet du
mouvement de terrain qui domine ce village. En effet, à peine l’avant-garde est-elle au col où
vient s’attacher le contrefort sur lequel est assis le village d’Afir, dont nous avons déjà parlé,
qu’elle aperçoit devant elle l’ennemi. Il occupait à gauche la position formidable du Tléta et, à
droite, les nombreux pitons rocheux qui sont sur la ligne de partage.
« Aussitôt le général donne l’ordre au colonel Saint- Arnaud de s’emparer, avec les deux
bataillons du 53e et deux pièces de montagne, de la position qui est à gauche, pendant que le
lieutenant-colonel Forey, avec le reste de l’infanterie, une pièce de montagne et la cavalerie,
exécutera un mouvement tournant de manière à envelopper la gauche de l’ennemi. Cette
manœuvre, qui devait avoir les meilleurs résultats si les mouvements ordonnés avaient été
exécutés simultanément, n’a été accomplie qu’à moitié, car le lieutenant-colonel Forey, arrêté
sans doute par des difficultés imprévues du terrain, a décrit, avec sa colonne, un cercle
beaucoup trop grand et n’a pu arriver assez à temps pour couper la retraite aux Kabyles qui
défendaient le Tléta ».
Le mouvement tournant avait été, en effet, bien mal dirigé, car, au lieu d’aboutir sur la
crête supérieure, la colonne du lieutenant-colonel Forey arriva sur le grand village d’Abizar
des Beni-Djennad. L’infanterie attaqua les fractions des Aït-Malek et des Aït-Abd-Allah de ce
village et pénétra dans quelques maisons, pendant que la cavalerie, ayant aperçu le goum de
Bel-Kassem-ou- Kassi qui était plus bas, à Tidech, se lançait dans cette direction en suivant le
flanc des pentes où sont assis les villages d’Abizar et d’Imesbahen. Le goum ennemi ne fit
aucune résistance et prit la fuite, les chasseurs lui enlevèrent deux chevaux. Une partie de ce
goum s’enfuit derrière Abizar, après avoir mis pied à terre à cause de la difficulté du chemin;
le reste s’échappa vers Izarazen suivi par les chasseurs, qui s’avancèrent jusqu’au cimetière
d’Agueni-Besouel situé au-dessous de ce village, qui appartient aussi aux Beni-Djennad. Ils y
furent arrêtés par les difficultés du terrain et par de gros rassemblements kabyles. Nos
chasseurs étaient là à plus de six kilomètres du Tléta, l’infanterie en était à plus de quatre
kilomètres.
Les contingents des Beni-Ouaguennoun, qui avaient marché avec nous, avaient suivi la
cavalerie, mais ils ne firent rien pour la soutenir et ils se débandèrent quand ils virent
l’hésitation qui se produisait chez les nôtres, hésitation suivie bientôt d’un mouvement de
retraite. Le terrain ou s’étaient engagés nos cavaliers est extrêmement tourmenté, rocailleux,
coupé de murs en pierres sèches servant à clore les propriétés ; ils se retirèrent suivis de près
par les contingents des Beni-Djennad et les cavaliers de Bel-Kassem-ou-Kassi, qui les
pressaient vivement. L’infanterie, voyant la retraitedes chasseurs, dut à son tour se replier,
également serrée de près.
Pendant que le lieutenant-colonel Forey exécutait ce mouvement si peu tournant, le
colonel Saint-Arnaud, avec ses deux bataillons du 53°, avait enlevé avec une énergie et un
élan qui leur ont fait le plus grand honneur, la position du Tléta où s’étaient groupés les
contingents des Flissat-el-Behar, des Beni-Djennad, des Zerkhfaoua et même des Beni-Raten.
Nos soldats avaient essuyé à dix pas le feu des Kabyles qui, embusqués derrière les rochers et
derrière les retranchements qu’ils avaient élevés, les avaient attendus sans tirer, mais ils n’en
avaient pas moins, grâce à l'impétuosité de leur attaque, réussi à déloger l’ennemi et à le
mettre en fuite. Les Flissat-el-Behar s’étaient rejetés vers leurs villages sur le versant nord des
montagnes, les autres contingents s’étaient retirés en suivant la crête elle-même et nos soldats
les avaient poursuivis jusqu’à Tizi-bou-Nouan (la carte porte Tizi-Taouane) à 4 kilomètres du
Tléta, où il y avait encore eu combat.
Le 53e, qui ne comptait plus que 700 combattants, est resté ainsi pendant plusieurs heures
aux prises avec toutes les forces kabyles, qui n’ont pu, dans des retours offensifs plusieurs fois
répétés, reprendre la position que nous leur avions enlevée.
Cependant le général Comman, qui n’apercevait plus son aile droite, était dans une grande
inquiétude, et il ne lui restait plus de cavalerie pour l’envoyer à la découverte; un spahis, qui
réussit à s’avancer assez loin, lui rapporta dans quelle situation elle se trouvait. Le général
appela à lui, du camp du Tnin, deux compagnies de sapeurs du bataillon d’élite et il leur fit
apporter un approvisionnement de cartouches.
Les troupes du lieutenant-colonel Forey étaient, comme nous l’avons dit, dans un terrain
fort difficile, elles étaient enveloppées de tous côtés par un essaim de Kabyles qui les
harcelaient avec acharnement ; en arrivant près du Tléta, elles durent se frayera la baïllonnette
un passage à travers des masses kabyles. La colonne réussit enfin à se rallier sur cette position
; il était deux heures de l'après-midi.
Si on avait pu camper sur place, la situation eût été beaucoup moins difficile, mais les
bagages et les vivres étaient au camp du Tnin et il fallait encore qu'on y arrivât. La retraite se
fit avec beaucoup d’ordre et de sang-froid en suivant la crête rocheuse qui se détache du Tléta,
vers le sud et, quand la colonne fut arrivée à Tabourt-Mguissi, à hauteur du village de Tifra,
les Kabyles renoncèrent à la suivre, et elle put achever son mouvement rétrograde sans être
davantage inquiétée. Cela tint en partie à la bonne attitude des Beni-Ouaguennoun, qui étaient
restés fidèles. Quelques hommes de leurs contingents avaient bien égaré sur les nôtres
quelques coups de fusil, mais la masse avait tenu bon, et les combattants ennemis n’avaient
pas osé s’avancer sur le territoire de la tribu. Si les Beni-Ouaguennoun s’étaient tournés
contre nous, la situation fût peut-être devenue périlleuse.
Dans cette rude journée nous avons eu 26 morts et 165 blessés dont 15 officiers ; mais les
pertes de l’ennemi ont été beaucoup plus considérables, les renseignements qui ont été pris
plus tard les font monter à 326 tués et à 350 blessés.
Le 18 octobre, les blessés furent évacués sur Dellys au moyen des cacolets et des chevaux
du goum ; la colonne elle-même alla camper à Aïn-el-Arba et, le lendemain 19, elle rentrait à
Dellys.
Dans l’affaire du 17 octobre, nos troupes s'étaient vaillamment conduites et avaient infligé
de grandes pertes à l’ennemi, mais le combat n’avait pas été suffisamment décisif, puisque la
colonne avait dû reculer jusqu’à Dellys ; le maréchal Bugeaud, craignant que l’effet moral ne
fût désastreux sur les populations kabyles, ne voulut pas rester sous le coup de cet insuccès.
Dès le 22 octobre il débarquait à Dellys avec un bataillon du 53e, un du 58e et deux bataillons
du 3e léger ; le lendemain arrivaient encore par mer le 3 6 bataillon de chasseurs d’Orléans et
l’escadron de spahis du commandant d’A lion ville. Ces troupes devaient renforcer la colonne
du général Comman, qui fut ainsi portée à un effectif de 5,370 hommes.
Le maréchal prit le commandement et se mit en marche le 25 octobre sur trois colonnes;
cet ordre de marche n’ayant pas tardé à devenir impraticable, on se forma sur une seule
colonne et on alla camper à Aïn-el- Arba. Le colonel Yusuf avait pris le commandement de
toute la cavalerie.
Le 26 octobre la colonne transporta son bivouac au Tnin des Beni-Ouaguennoun. Le
lendemain 27, le maréchal se mit en marche vers la position du Tléta qu’il voulait attaquer;
mais l'avant-garde, y étant arrivée à 9 heures du matin, la trouva abandonnée ; les Kabyles
n’avaient sans doute plus eu confiance dans cette formidable position qu’ils avaient si bien
défendue le 17 octobre. La colonne put y établir son bivouac sans coup férir.
Dans la pensée que nous y trouverions une vive résistance, le maréchal avait envoyé à
l’avance la cavalerie sous les ordres du colonel Yusuf pour exécuter le mouvement tournant,
manqué le 17 octobre, destiné à couper la retraite à l’ennemi. Comme elle n’avait plus rien à
faire, le maréchal rappela cette cavalerie qui n’avait essuyé que quelques coups de fusil.
Une corvée armée fut envoyée à Tifra, qui est le village le plus important des Flissat-el-
Behar, pour y prendre de la paille. Ce village, qui était abandonné, fut incendié et les
nombreux vergers qui l’entouraient furent dévastés.
Le 28 octobre, on se mit en route à 5 heures du matin en suivant toujours la crête
supérieure, et on arriva au petit jour à Aïn-el-Arbi, source qui est en tête de la ramification la
plus orientale du ravin appelé Terga- Bouzrou-el-Kebir, à l’ouest du col de Bou-Nouan. Le
maréchal fit déposer les sacs dans une conque parfaitement couverte par une ligne courbe de
rochers; on y installa également le convoi.
On était là à 600 mètres de l’ennemi, qui occupait une ligne d’escarpements rocheux de 4
kilomètres partant du sommet principal de la forêt d’Aberkane (cote 939) et passant derrière
Abizar. Cette ligne de défense était garnie, sur divers point, de parapets en pierres sèches
derrière lesquels étaient postés les guerriers les plus renommés de la belliqueuse tribu des
Beni-Djennad, qui pouvait mettre sur pied, à elle seule, plus de 3,000 fusils, et les contingents
des tribus voisines.
Le maréchal envoya le colonel Blangini avec le 58e, 2 pièces d’artillerie et la cavalerie du
colonel Yusuf vers la droite de l’ennemi, avec mission de la tourner et de menacer la retraite
des Kabyles vers les montagnes de l’est ; ils devaient suivre une sorte de plateau qui paraissait
praticable pour la cavalerie. Il envoya également le colonel Gachot, avec deux bataillons du 3e
léger et 2 pièces de montagne, pour déborder la gauche de l’ennemi. Il devait lui-même faire
l’attaque directe au moment favorable.
Le colonel Blangini exécuta son mouvement tournant, puis il lança une ligne de tirailleurs
dans les rochers qui couvrent les pentes nord du mamelon (cote 939), pendant que le maréchal
s’avançait lui-même jusqu’à 250 mètres de cette droite ennemie avec 3 bataillons et 4 pièces
de montagne. Le maréchal fait envoyer des obus sur le point où les Kabyles paraissaient
massés en plus grand nombre et, quand il voit le trouble causé parmi eux par le feu de
l’artillerie, quand il voitle58ôescaladerles pentes, il pousse en avant le 3 e bataillon de
chasseurs d’Orléans et un bataillon du 53e ; ces bataillons se font précéder par une ligne
épaisse de tirailleurs qui se lancent à la course à l’escalade des rochers. L’ennemi est
promptement débusqué de sa position, il se rejette sur son centre, où il est vivement poursuivi.
Pendant ce temps, la cavalerie du colonel Yusuf faisait des efforts inouïs pour tomber sur
les fuyards, mais le flanc de montagne qu’elle avait à suivre et qui, vu d’en haut, paraissait
facile, était en réalité affreusement accidenté et pierreux et, malgré l’habileté des cavaliers à
passer sur toute espèce de terrain, elle ne put arriver à rejoindre et à sabrer qu’une
cinquantaine de Kabyles. Alors que le colonel Yusuf pensait faire un grand nombre de
prisonniers, il ne put en saisir un seul; au moment où on croyait avoir cerné un groupe
d’ennemis, ceux-ci se précipitaient dans des ravins profonds garnis de broussailles et
disparaissaient. Dans cette charge nous avons eu 3 tués et 3 blessés et nous avons perdu en
outre 4 chevaux.
Sur notre droite le colonel Gachot avait fait canonner des groupes de Kabyles étagés sur
des crêtes qui dominent le village d’Abizar, puis il avait lancé ses hommes sur cette crête
qu’ils avaient enlevée, et l’ennemi avait été poursuivi, d’un côté sur le petit village de Bou-
Kharouba et de l’autre sur celui d’Iajemad.
Pendant ce temps, le goum commandé par l’agha Allai, qui était parti d’Afir, avait marché
vers Izarazen, suivi par les contingents des Beni-Ouaguennoun qui combattaient avec nous ;
les Beni-Djennad, qui étaient groupés de ce côté sur les hauteurs, se voyant tournés, se
sauvèrent précipitamment abandonnant leurs villages; nos contingents amis se jetèrent sur
celte proie qui leur était laissée et livrèrent tout au pillage. Le village d’Abizar en particulier,
fut consciencieusement saccagé, nos alliés indigènes y firent un butin considérable. L’agha
Allai, qui avait poursuivi son mouvement, remonta par le marché de Khemis et alla faire sa
jonction avec les troupes de l’attaque principale, qui étaient arrivées dans les villages de la
fraction des Aït-Mammar.
Le terrain où on avait combattu était bien l’image du chaos ; alors que l’engagement
n’avait duré que 2 heures, il fallut le reste de la journée pour rallier les troupes.
L’action avait été menée avec tant d’entrain, de vigueur et d’ensemble que nos pertes
étaient minimes ; en dehors de celles de la cavalerie que nous avons indiquées plus haut, il n’y
avait eu qu’une dizaine d’hommes mis hors de combat. On a estimé à 200 hommes les pertes
de l’ennemi.
Le bivouac fut établi à Aïn-el-Arbi.
Le maréchal avait décidé que la colonne serait ravitaillée par le petit port du cap Tedlès.
Le 29 octobre une corvée armée s’est rendue sur ce point pour y prendre des vivres et, en
particulier, deux rations de vin par homme à titre de gratification pour les journées du 27 et 28
octobre; la corvée a été protégée par tout le 3e léger.
« Il a fallu près de 3 heures pour parcourir environ 7 kilomètres. Il est difficile de voir un
terrain plus horriblement bouleversé que celui qui a été suivi. Plusieurs contreforts dépendant
du Tléta ont été franchis avec des difficultés très grandes surtout pour les chevaux. De
nombreux villages parfaitement construits attestent que la population de cette partie de
l’Afrique est très considérable. La corvée est rentrée au camp vers les 9 heures du soir.
» Les malades ont été conduits au port de Tedlès pour être évacués sur Dellys.
» Il existe au mouillage de Tedlès une ligne de rochers à fleur d’eau qui pourrait servir à
l’établissement d’un port. M. le maréchal a examiné avec beaucoup d’intérêt cette jetée
naturelle, qui n’a pas moins de 2,000 mètres de longueur et derrière laquelle les bâtiments
seraient parfaitement abrités. Ce port serait seulement ouvert aux vents d’est »
Le 30, radministration alla chercher un ravitaillement à Tedlès.
Le 31 octobre, la colonne quitta son bivouac d’Aïn-el- Arbi pour aller en prendre un plus
commode à 1,500 ou 1,600 mètres plus à l’est, au col de Tizi-bou-Nouan, sur le terrain même
où avait été livré le combat du 28.
« On a devant soi en regardant le sud un contrefort qui se distingue autant par les
nombreux pitons boisés qui le dominent que par le peu de largeur qu’offre sa crête rocheuse.
C’est au pied du versant occidental de ce contrefort que se trouve le village d’Abizar, le plus
considérable des Beni-Djennad. Il est entouré de jardins et, vu d’une certaine distance, il
rappelle parfaitement ceux qu’offre le Midi de la France. Les maisons sont en pierre et
recouvertes de tuiles. »
Le 1er novembre, les notables des Beni-Djennad vinrent apporter au maréchal la
soumission de la tribu. En présence de la colonne, le maréchal procéda à l’investiture des
chefs indigènes et, pour donner aux Beni- Djennad une haute idée de la générosité de la
France, en même temps que pour leur permettre de réparer les pertes qu’ils avaient éprouvées
par l’incendie de leurs villages et la destruction de leurs vergers, il les exonéra d’impôts
pendant six ans.
Les chefs investis furent trop nombreux ; dans chaque village, chaque sof avait voulu
avoir son chikh, et comme on ne connaissait pas encore la valeur des indigènes qui avaient été
présentés comme chefs, on les avait acceptés sans y regarder de trop près. On donna ainsi
l’investiture à des individualités sans autorité qu'on fut obligé de remplacer plus tard.
Les principaux chikhs qui furent investis sont les suivants :
Abizar, Mohamed-ou-Ali-Mesoussen ;
Izarazen, El-Arbi-ben-Mr’ar et Mohamed-el-Arbi ;
Ibedach, Iken-ou-Chouane et Hand-ou-Yahia ;
Mira, Kassi-ou-Amara ;
Timizar, Amar-Amzian ;
Aït-bou-Ali, Amar-ou-Kassi-ou-Saïa et Saïd-Akaouch , Tala-Ntegana, Mohamed-ou-
Yahia-ou Braham ;
Taguercift, El-Hadj-KassLou-Laziz et Hand-ou-Bel-Kis; Aït-el-Adeur, Boudjema-ou-
Kassi ;
Tirzert, Amar-ou-Abba.
Le 2 novembre, la colonne campait à Aïn-el-Arba et, le 3 novembre, le maréchal allait
s’embarquer à Dellys, tandis que la colonne descendait sur le Sebaou, traversait cette rivière,
gravissait le contrefort qui sépare le bassin du Sebaou de celui de Pisser et allait prendre son
bivouac aux Oulad-Ouïdan, sur la rive gauche de cette dernière rivière. Le 4 elle campait au
Boudouaou et le 5 novembre elle arrivait à la Maison-Carrée, où avait lieu la dislocation.
Par ordonnance royale du 27 novembre 1844, l’agha Allal-ben-Sr’iret l’agha Ali-ou-El-
Haoussine-ben-Zamoum étaient nommés chevaliers de la Légion d’honneur pour services
rendus aux colonnes pendant le mois d’octobre précédent.

CHAPITRE V
Nouvelle organisation de l’Algérie. — En mai 1845 agitation dans les tribus du Sébaou,
fomentée par Ben-Salem. — Des goums sont rassemblés à Dra-ben-Khedda. — Bel-
Kassem-ou-Kassi est battu aux OuIad-bou-Khalfa. — Razzia de Ben-Salem sur les
Isser-Drœu. — Une colonne commandée par le général Gentil, occupée d’abord à des
travaux de route, est envoyée au col des Beni-Aïcha, puis au camp d’Aïn-el-Arba, où
elle arrive le 22 juin. — Ben-Salem pose son camp aux Oulad-Aïssa-Mimoun. —
Razzia du commandant de Serre sur les Beni-Slyim le 3 juillet. — Le général Gentil se
porte à Sidi-Naman et fait une razzia sur Sikh-ou-Meddour le 7 juillet. — Il attaque
Tikobaïn le 10 juillet, le goum de Ben-Salem est battu. — Le général Gentil rentre à
Aïn-el-Arba le 13 juillet. — Le maréchal Bugeaud arrive au camp avec de nouvelles
forces le, 2i juillet. — Composition de la colonne. — Le maréchal campe le 25 à l’oued
Stita. — Attaque des Oulad-Aïssa-Mimoum le 26. — Destruction des villages et
soumission des Oulad-Aïssa-Mimoun le 27 juillet. — Le 28, on campe à Bou-Chebaten.
— Proclamation adressée aux Beni-Raten. — Reconnaissance au pied des Beni-Raten
le 29. — Le 30 juillet on campe à Freha, réorganisation des Beni-Djennad. — On
campe le 2 août à l’Oued-Khemis. — Retour à Aïn-El-Arba le 4. La colonne rentre vers
Alger, elle est dissoute le 8 août à la Maison-Carrée. — Investiture à Alger des chefs
des Beni-Djennad le 15 août 1845. — Meurtre de Saïd-ou-Saada par Mohamed-ou-
Kassi.

Une ordonnance royale du 15 avril 1845 a donné une nouvelle organisation à l’Algérie,
qui a été divisée en trois provinces : celles d’Alger, d’Oran et de Constantine. Le cercle de
Dellys y a reçu une organisation officielle.
Nous donnerons seulement la composition de la subdivision d’Alger d’après cette
ordonnance royale. Elle comprenait : les centres de Blida et de Dellys, le khalifalik du Sebaou
et l’aghalik des Khachna.
1° Cercle de Dellys. — Ameraoua (Aïn-Faci, Kaf-el- Aogab, Dra-ben-Khedda, El-ltama,
Oulad-bou-Khalfa, Tizi-Ouzou, Sikh-ou-Meddour, Abid-Chemlal, Tala- Atman, Tazazereït,
Kettous), Beni-Djennad (Abizar, Aït- Adès, Aït-Kodea, Aït-el-Adeur, Taboudoucht), Ben-
Ouaguennoun, Flissat-el-Behar, Bordj-Sebaou, Taourga, Beni-Tour, Beni-Slyim, banlieue ;
2° Cercle de Blida. — Oulad-Mendil, Souhalia, Beni- Khelil, Beni-Misra ;
3° Aghalik des Khachna. — Beni-Moussa, Khachna, Isser (El-Ouïdan, El-Djedian, Oulad
Smir, Drœu);
4° Khalifalik du Sebaou. — Le commandement du khalifa du Sebaou, Si-Mohamed-ben-
Mahi-ed-Din, a conservé la composition donnée par l’ordonnance royale du 13 novembre
1842 (voir au chapitre n).
Pendant l’expédition du maréchal Bugeaud dans les Beni-Djennad, Ben-Salem et Bel-
Kassem-ou-Kassi n’avaient pas donné signe de vie; le premier avait même écrit au maréchal
pour lui demander l’aman. Au mois de mai 1845, tous deux recommençaient leurs intrigues ;
ils répandaient dans le pays de fausses nouvelles, annonçant que l’émir avait remporté de
grands succès dans l’ouest, que le maréchal Bugeaud avait été tué et que, dans toutes les
zaouïas, les marabouts prophétisaient la fin du règne des chrétiens.
Fanatisés parce nouvel appel à la guerre sainte, les Flissat-el-Behar et les Beni-Djennad,
avec quelques fractions des Beni-Raten et des Beni-Fraoucen, avaient attaqué les zmoul de
Sikh-ou-Meddour, Tizi-Ouzou, Oulad-bou-Khalfa, Sidi-Namen et les avaient incendiées ;
leurs habitants avaient été forcés d’aller chercher un refuge jusqu’à Bordj-Sebaou et Aïn-Faci.
Les Beni- Ouaguennoun s’étaient aussi laissé entraîner à la révolte, mais les fractions
d’Attouch et de Makouda étaient restées fidèles.
Nos aghas et, en particulier l’agha Allai, assemblèrent leurs forces à Dra-ben-Khedda pour
faire face à l’orage, et le général de Bar, commandant la division d’Alger, informé de ce qui
se passait, envoya immédiatement un renfort de 200 cavaliers des Isser, commandés par le
caïd Saïd-ben-Guennan, renfort qui fut bientôt suivi d’un autre aussi nombreux commandé par
l’agha des Khachna, El-Arbi-ben-Kahia. Une rencontre eut lieu dans les premiers jours de juin
chez les Oulad-bou- Khalfa, et Bel-Kassem-ou-Kassi y ayant été battu, ses contingents à pied,
qui avaient eu quelques hommes tués ou blessés, s’empressèrent de déserter d’autant plus vite
qu’on avait aperçu de la montagne les feux de bivouac de la colonne du général Gentil ( 42). Ils
étaient d’ailleurs préoccupés de la rentrée de leurs moissons qui approchaient de la maturité.
Par suite de la réunion dans la vallée du Sébaou de tous les goums des Isser et des
Khachna, la vallée de l’Isser s’était trouvée dégarnie ; Ben-Salem profita de cette circonstance
pour y exécuter un rapide coup de main. Étant parti de Tizi-Ameur, dans les Maatka, il passa
par Tamdikt, entre les Flissat-oum-el-Lil et les Beni-Khalfoun, et tomba sur une fraction des
Isser-Drœu près du marché du djemaa et y fit une razzia considérable ; un de nos anciens
caïds, Khalifa-ben-Taïeb, et deux de ses fils furent tués dans cette affaire. Mohamed- ben-
42
Le général Gentil était alors campé au col des Beni-Aïcha.
Zitoun, khalifa de Ben-Zamoum, qui était resté dans la tribu pendant l’absence de l’agha,
alors dans les Ameraoua, fut soupçonné d’avoir été de connivence avec Ben-Salem parce que,
habitant les Beni-Mekla dont les villages dominent les défilés que Ben-Salem avait dû
franchir pour arriver au djemaa des Isser et en revenir avec son butin, celui-ci n’aurait pu
passer si Ben-Zitoun lui avait barré le passage.
Au milieu du mois de juin, les trois aghas de l’est allèrent saluer à Alger le Gouverneur
général qui rentrait de son expédition de l’Ouarsenis, et le féliciter des succès qu’il avait
obtenus. Ils lui exposèrent ensuite que, depuis six semaines, ils étaient à cheval, eux et tous
leurs cavaliers, pour s’opposer aux progrès des insurgés kabyles et que leurs intérêts
commençaient à en souffrir: « Il faut que nous fassions nos moissons, ajoutèrent-ils, et comme
nous sommes toujours menacés par nos voisins des montagnes, nous ne pourrions les faire
avec sécurité si nous n’étions pas protégés par une petite colonne française ».
Le Gouverneur général avait déjà prescrit la formation d’une petite colonne, aux ordres du
général Gentil, dont la mission était de travailler à la route de Dellys ; la présence de nos
troupes devait en même temps rassurer la grande tribu des Khachna qui se croyait menacée
par ses voisins Kabyles. Cette colonne, réunie le 2 mai à la Maison-Carrée, avait été établir
ses ateliers de l’Oued- Khemis à l’Oued-Corso ; elle avait la composition suivante :

Hommes
Officiers de troupe Chevaux Mulets
——

État-Major 2 4 5 »
2 bataillons du 3° léger 32 935 14 15

1 bataillon du 58° de ligne... 15 429 4 7

Chasseurs d’Afrique » 15 15 »
Génie 3 47 4 7

Artillerie (1 sect, de montne).. 1’ 37 2 20

Train » 25 2 31
Ambulance 3 18 3 »

Administration 1« 13 1
»

TOTAUX 57 1 .523 50 80

Le 3e léger était commandé par le colonel Gachot et le bataillon du 58 a par le commandant


Thierry.
Les populations indigènes avaient vu d’un bon œil ces travaux qui leur promettaient une route
facile pour le transport de leurs produits à Alger ; le génie avait payé des indemnités aux
propriétaires qui avaient eu leurs terrains traversés par la route, et cet acte de justice, auquel
les indigènes n’étaient pas accoutumés, avait produit sur eux le meilleur effet. Leurs rapports
avec nos soldats étaient cordiaux et ils s’étaient empressés d’approvisionner les camps en
denrées de toute espèce. Le caïd des Khachna, Mohamed-ben-Merah, avait placé sa tente à
proximité afin de pouvoir satisfaire sans aucun retard aux demandes de l’autorité militaire.
Le 3 juin, en raison des troubles qui avaient éclaté dans la vallée du Sébaou, le 3 e léger
avait été envoyé au col des Beni-Aïcha; il établit son camp un peu au-delà du col, à Hadjar-
Djouala, à la naissance de la plaine des Isser.
Le 15 juin, un escadron du 1 er chasseurs d’Afrique se joignit à la colonne, et le 18 juin, le
bataillon du 58e qui était au Corso, arriva à son tour. Cette concentration avait lieu pour
répondre aux craintes exprimées, comme nous l’avons dit, par les trois aghas de l’est; le
général Gentil avait reçu l’ordre d’aller camper à Aïn-el-Arba, dans les Beni-Ouaguennoun,
pour appuyer les Beni- Slyim, les Flissat-el-Behar, les Taourga, les Ameraoua Tahta et les
Maatka, tribus soumises, contre les Beni- Aïssi, les Oulad-Aïssa-Mimoun et les Beni-Raten,
qui s’étaient groupés sous les ordres de Ben-Salem et de Bel-Kassem-ou-Kassi. Le général
devait protéger les moissons de l’Isser au Sébaou, et il lui était recommandé d’attaquer avec
vigueur tout ennemi qui voudrait pénétrer sur le territoire des tribus soumises.
La colonne campa le 19 à l’Oued-Menaïel, le 20 au Tnin de Bar’lia sur la rive gauche du
Sébaou, le 21 à Dellys, où elle prit des ravitaillements, et elle arriva le 22 juin à Aïn-el-Arba.
Dès l’arrivée de nos troupes sur ce dernier point, Ben-Salem, qui venait de se faire battre aux
Oulad-el-Aziz par les colonnes d’Arbouville et Marey, comme nous le verrons au chapitre
suivant, convoqua les contingents des tribus qui lui obéissaient sur le plateau qui couronne le
massif montagneux des Oulad-Aïssa- Mimoun. Il eut même l’audace d’envoyer un
détachement dans un village des Beni-Slyim qui tenait pour lui et, de là, il faisait exécuter des
coups de main dans les Beni-Slyim, les Beni-Tour et même dans les environs de Dellys.
Cette situation ne pouvait être tolérée, et le général Gentil envoya le 3 juillet, à 11 heures
du soir, un bataillon du 3e léger commandé par le chef de bataillon de Serre pour surprendre
l’ennemi. Ce bataillon arrive à la pointe du jour sur le village des Beni-Slyim qui avait
accueilli les gens de Ben-Salem, il le livre aux flammes et il rentre au camp le lendemain à 1
heure de l’après- midi, ramenant des troupeaux enlevés aux maraudeurs qui venaient
justement d’exécuter une nouvelle razzia. Ces troupeaux servirent à indemniser les Beni-Tour
et les Beni-Slyim des pertes qu’ils avaient éprouvées. Nous n’avions eu qu’un seul homme
blessé.
La colonne du général Gentil avait été renforcée d’un nouveau bataillon du 3 e Léger et
d’un bataillon du 58e qui était en garnison à Dellys, de sorte que son effectif total s'élevait à 89
officiers, 2,609 hommes de troupes, 193 chevaux et 131 mulets ; chiffres dans lesquels les
chasseurs d’Afrique étaient compris pour 6 officiers, 144 hommes, 144 chevaux et 15 mulets.
Le général Gentil ayant eu connaissance que des rassemblements ennemis s’étaient formés
à Sikh-ou-Meddour dans le but d’empêcher les Ameraoua soumis et les Maatka de faire leurs
moissons, résolut d’aller les disperser. Le 5 juillet, laissant pour garder le camp, où une
redoute avait été construite pour renfermer l'ambulance et les magasins, un bataillon du 3e
Léger et le bataillon du 58e arrivé de Dellys, il partit à 11 heures du soir avec le reste de sa
colonne et arriva le lendemain à G heures du matin à Sidi-Namen, dans les Ameraoua, où il
établit son bivouac. Le lendemain, 7 juillet, il part à 1 heure du matin laissant les sacs de
l’infanterie sous la garde d’une compagnie par bataillon, et tombe à l’improviste sur le village
de Sikh-ou-Meddour, qui est incendié par la cavalerie. Bel-Kassem-ou-Kassi, qui avait été
blessé dans le combat, dut se réfugier avec ses contingents dans les Beni-Raten. Le général
Gentil rentra le jour même à 3 heures du soir à son camp de Sidi-Namen.
Encouragé par ce succès, le général Gentil, continuant sa guerre de surprises, résolut de
dissiper les rassemblements formés auprès de Ben-Salem, sur le plateau des Oulad-Aïssa-
Mimoun, en allant attaquer le gros village de Tikobaïn qui se trouve sur le revers oriental du
massif montagneux et dont il est le principal débouché.
Il part de Sidi-Namen, le 9 juillet, à 11 heures du soir, emmenant avec lui les aghas des
Flissa, des Ameraoua et de Taourga avec leurs cavaliers, et il arrive le lendemain à la pointe
du jour devant Tikobaïn, qu’il attaque aussitôt en commençant par y envoyer quelques obus.
Les contingents Kabyles qui garnissaient le village se retirent dans le haut de la montagne,
tandis que les cavaliers de Ben-Salem cherchent à se réunir en plaine. Le commandant de
Noué ne donne pas le temps à ces cavaliers de se rallier; à la tête de son escadron, qui
comptait 147 sabres, il fond sur eux à la charge et les disperse en leur faisant éprouver des
pertes sensibles. Le sous-lieutenant de Louche a été blessé en chargeant à la tête de son
peloton et 11 chasseurs ont aussi reçu des blessures dans cette chaude affaire, où les cavaliers
ennemis se sont conduits avec une grande vigueur. Le goum de Ben-Salem avait été refoulé
vers Azib-el- Djebla.
Le général Gentil ne pouvait songer avec la petite colonne qu’il avait amenée, à escalader la
montagne des Oulad-Aïssa-Mimoun ; il regagna Sidi-Namen en suivant le milieu de la plaine,
où sa colonne se trouvait hors de la portée des balles ennemies. Les Kabyles, qui étaient
embusqués dans les broussailles, n’osèrent pas suivre nos soldats qui arrivèrent tranquillement
à leur bivouac, à 5 heures du soir, non sans avoir éprouvé de grandes fatigues.
Ben-Zamoum avait porté plainte au général Gentil contre son khalifa Mohamed-ben-
Zitouni, qui avait, comme nous l’avons vu, laissé Ben-Salem exécuter, le mois précédent, une
razzia sur une fraction des Isser-Drœu ; mandé au camp, Ben-Zitouni fut arrêté et envoyé à
Dellys. Peu après il fut interné en France.
Etait-il réellement coupable, ou Ben Zamoum a-t-il voulu simplement se débarrasser d’un
mentor dont l’intervention dans les affaires lui pesait? C’est une question qu’il serait bien
difficile de trancher. Ben-Zitouni fut remplacé comme khalifa par Si-Ahmed-ben-Tafat,
parent de Fagha.
Le général Gentil séjourna encore le H et le 12 juillet à Sidi-Namen, puis il rentra le 13 à
Aïn-el-Arba ; il n’eut plus aucune opération à entreprendre jusqu’au 24 juillet, date à laquelle
le maréchal Bugeaud, amenant de nouveaux renforts, vint prendre le commandement des
troupes.
Le maréchal avait résolu de commander lui-même une expédition dans la vallée du
Sebaou pour affermir et compléter les résultats qu’il avait obtenus l’année précédente et pour
punir les tribus soumises qui avaient fait défection. Il fit embarquer pour Dellys, le 17 et le 18
juillet, 4 bataillons d’infanterie, pendant qu’il envoyait par terre la cavalerie, l’artillerie et le
train sous les ordres du commandant de Wengi. Toutes ces troupes se trouvèrent réunies à
Dellys le 23 juillet et, dès le lendemain, elles arrivaient au camp d’Aïn-el-Arba, où le
maréchal les rejoignait le jour même.

La colonne expéditionnaire fut alors constituée de la manière suivante :


MM. le maréchal duc d’Isly, commandant en chef ;
le colonel Pélissier, chef d’état-major général ;
le général Gentil, commandant l’infanterie ;
le général Lechesne, commandant l’artillerie ;
Onfroy-Montbrun, sous-intendant militaire ;
Philippe, chirurgien principal, chef de l’ambulance.

Les troupes étaient réparties en 3 colonnes de la manière suivante :


Colonne de droite (colonel Gachot, commandant)
3e léger, 3 bataillons ;
58e de ligne, 1 compagnie de grenadiers ;
20 artilleurs-tirailleurs ;
30 paires de cacolets et 3 litières.
Colonne de gauche (colonel Renault, commandant)
6° léger, 1 bataillon ;
13e léger, 2 bataillons ;
58° de ligne, 1 compagnie de voltigeurs ;
20 artilleurs-tirailleurs ;
30 paires de cacolets et 3 litières.
Colonne du centre (général Gentil, commandant)
Zouaves, 1 bataillon ;
58e de ligne, moins les compagnies d’élite ;
Artillerie : 2 sections de montagne, 2 sections de fusées à la congrève, réserve d’artillerie ;
Ambulance ;
Train des équipages militaires, convoi, bagages des corps ;
Troupeau.
La cavalerie et le goum n’étaient compris dans aucune colonne.
L’ordre de marche en trois colonnes ne devait être employé que lorsque le terrain le
permettrait. Avec une colonne unique l’ordre de marche devait être donné chaque soir ou au
moment du départ. (L’ordre de marche en trois colonnes n’a jamais reçu d’exécution dans
l’expédition entreprise.)
Voici quels étaient les effectifs au moment du départ:
DÉSIGNATION DES CORPS
OFFICIERS

CHEVAUX

MULETS
TROUPE

Etat-major 15 17 46 46
Zouaves. 1 bataillon 25 653 16 26

3e léger. 3 bataillons 48 1. 386 18 23

6e léger. 1 bataillon 19 515 9 11

13e léger. 2 bataillons 32 926 10 19


58e de ligne, 3 bataillons 40 1.212 12 20
1er chasseurs d’Afrique, 2 escadr. 12 221 233 34

Artillerie 11 237 32 101

Génie 2 90 6 10

Train 10 600 77 731

Ambulance 12 67 12 12

Administration 3 29 4 »

TOTAUX 229 5.933 475 1.033

Le 25 juillet, la colonne quitte Aïn-el-Arba avec quinze jours de vivres dont cinq livrés à
la troupe, ayant pour guide Mohamed-ou-Sliman-Tobbal, d’Isserradjen, caïd des Beni-
Ouaguennoun. Cet homme avait été nommé caïd parce qu’il avait marché avec la colonne
l'année précédente et avait rendu de bons services ; mais il ne jouissait dans la tribu d’aucune
considération à cause de sa profession de musicien et il n’avait aucune influence.
On se dirigea sur l’Oued-Stita (Oued-Boussoula), par le ravin de l’Oued-Djarfa. Ce ravin
présentait d’énormes difficultés et, lorsque la tête de colonne l’eut dépassé, on fut obligé de
faire une halle de trois heures afin de rallier la gauche. On établit le bivouac dans la vallée de
l’Oued-Stita, sur la rive droite de ce cours d’eau, au pied du versant nord du pâté des Oulad-
Aïssa-Mimoun, une des fractions les plus hostiles de la grande tribu des Beni-Ouaguennoun.
Le 26 juillet, à 4 heures du matin, le maréchal fit opérer l’attaque de la montagne des
Oulad-Aïssa-Mimoun par sept bataillons qui furent répartis en deux colonnes.
La première colonne, conduite par le maréchal et son chef d’état-major, comprenait : le
bataillon de zouaves, 50 sapeurs avec 2 mulets d’outils, 60 chasseurs d’Afrique, 50 cavaliers
arabes, 1 section d’artillerie de montagne, 1 section de fuséens, 10 paires de cacolets et 2
paires de litières, 1 section d’ambulance légère, le bataillon du 6 e léger, 10 paires de cacolets
entre ce bataillon et la compagnie d’arrière-garde.
La deuxième colonne, sous les ordres du colonel Gachot, comprenait : 2 bataillons du 3 e
léger, 1 bataillon du 13e léger, les fusils de rempart régimentaires, 10 paires de cacolets et 2
litières par bataillon, 1 section d’ambulance et 1 détachement du goum arabe.
L’infanterie était sans sacs et portait 60 cartouches par homme, du biscuit, la ration de
viande cuite et les petits bidons pleins d’eau.
La mission de la deuxième colonne était de chasser l’ennemi à l’est et de détruire les
villages, sous la protection de la colonne du maréchal qui allait gagner les crêtes.
Le reste des troupes devait demeurer au camp sous les ordres du général Gentil.
Le maréchal dirigea sa marche vers Tahanout. Malgré une chaleur très forte et les
difficultés d’un terrain rocheux et escarpé, l’ascension se fait avec beaucoup d’ardeur; nos
troupes n’éprouvent nulle part aucune résistance sérieuse, un homme du 3e léger est tué.
Ben-Salem était allé au village d’Akaoudj avec Bel- Kassem-ou-Kassi et le goum des
Ameraoua-Fouaga ; mais, jugeant toute résistance impossible, ils étaient partis emmenant les
contingents des Beni-Ouaguennoun et des Beni-Djennad qui avaient été réunis pour la
défense. Les villages avaient été abandonnés, les femmes, les troupeaux et les objets les plus
précieux avaient été envoyés chez les Beni-Raten.
Le maréchal s’étant décidé à camper à Ir’il-Bouchen près du point culminant des Oulad-
Aïssa-Mimoun, fit monter dans l’après-midi, par les mulets du train, les sacs des soldats qui
étaient restés au camp inférieur.
Le 27, à 5 heures du matin, un demi-bataillon du 6 e léger et un demi-bataillon du 13e
léger, sans sacs, sont envoyés, sous les ordres du colonel Mollière, sur les pentes sud de la
montagne pour continuer les travaux de destruction dans les nombreux villages qu’on y
rencontre ; en même temps un bataillon du 58e et un bataillon du 3e léger, commandés par le
colonel Gachot, allaient faire la même opération sur les mêmes pentes en allant vers l’est.
Le général Gentil, rappelé du camp inférieur, rallie dans la journée le maréchal avec les
troupes sous ses ordres et le convoi.
Dans la soirée, les Oulad-Aïssa-Mimoun font demander l’aman, que le maréchal leur
accorde.
Le 28 juillet, la colonne part à quatre heures du matin, en suivant la ligne des crêtes vers,
l’est et, après une marche très pénible dans la descente de la montagne, elle se rallie dans la
plaine au-dessous du grand village de Tikobaïn. La chaleur est extrême, et le maréchal fait
faire une halle de trois heures sur l’Oued-Djebla (la carte porte Tacift-Tamda), affluent de
droite du Sébaou.
A trois heures de l’après-midi, on se remet en marche et la division, après avoir franchi le
Sebaou, va camper sur la rive gauche à Bou-Chebaten, au pied des montagnes des Beni-
Raten, en face du village détruit de Tamda-el Blat. La colonne avait eu pour guide Saïd-ou-
Saùda de Tazazreïl, ennemi mortel des Oulad-ou-Kassi.
Le maréchal n’avait pas l’intention de rien entreprendre contre les Beni-Raten ; il voulait
seulement obtenir de cette puissante tribu qu’elle laissât en paix les populations qui s’étaient
soumises à nous. Il leur adressa dans ce but, la proclamation ci-après :
« Il y a déjà plus de deux ans que vous avez recueilli chez vous Ben-Salem et Bou-Chareb
; plus tard, vous avez donné l’hospitalité à Bel-Kassem-ou-Kassi ; vous avez écouté leurs
paroles et leurs mauvais conseils. Je vous ai avertis plusieurs fois que cela attirerait de grands
malheurs sur vos tètes et, qu’ayant la force dans la main, nous ne pourrions pas souffrir que
vous donnassiez asile à nos ennemis acharnés et que, conduits par eux, vous vinssiez attaquer
les tribus qui obéissent à notre loi. Vous n’avez tenu aucun compte de mes avertissements et.
de mes conseils de bon voisinage. Non seulement, vous avez continué de garder chez vous les
hommes que je viens de nommer, mais encore vous leur avez fourni des ressources de tout
genre pour continuer de nous faire la guerre.
» C’est ainsi que vous me forçâtes l’année dernière à passer l’Isser. Vous réunîtes alors
tous vos guerriers et vous vîntes m’attaquer le 12 mai au passage de l’Oued-Sebaou ; vous
savez ce qui vous advint. Le 17 du même mois, vous réunîtes chez les Flissa un bien plus
grand nombre de fusils ; ces grandes forces et vos montagnes les plus escarpées ne purent pas
arrêter mon armée ; vous fûtes dispersés comme le vent disperse les sables du désert. Les
Flissa, les Ameraoua, etc., se soumirent.
» Je me serais volontiers borné là, car ce n’est pas le terrain qui nous manque, nous en
avons bien assez. Ce que nous voulons, c’est de la tranquillité et le commerce qui vous
enrichirait aussi bien que nous. Vous renouvelâtes vos attaques et je me vis obligé, au mois
d’octobre suivant, de venir soumettre les Flissat-el-Behar et les Beni-Djennad. Je pouvais
aller bien plus loin ; je m’arrêtai pensant que la leçon serait suffisante, que, désormais, vous
resteriez tranquilles et que vous repousseriez de votre sein les intrigants qui vous entraînent à
votre perte. Vous n’en avez alors rien fait et, tout récemment encore, vous avez pillé plusieurs
villages et vous avez entraîné dans la rébellion plusieurs tribus qui avaient accepté notre aman
; il a bien fallu que je vinsse une troisième fois dans votre pays pour reprendre ce que vous
m’aviez pris.
» Cependant, mon cœur souffre d’être obligé de dévaster vos villages et je veux bien
encore vous donner un dernier conseil : que vos djemaas se réunissent et viennent à mon
camp ; si elles sont animées d’intentions de paix, nous ferons un arrangement pour assurer la
tranquillité de tout le monde et la liberté du commerce. Si vous ne le faites pas, je vous le
prédis, il vous arrivera les mêmes choses qui viennent d’affliger les Beni-Ouaguennoun. J’irai
chez vous une fois ou l’autre, je parcourrai toutes vos montagnes, je visiterai tous vos
villages, je poursuivrai vos populations dans les vallons les plus profonds et jusque sur les
pics les plus élevés. Vous ne pourrez-vous en prendre qu’à vous de toutes ces calamités, car
j’aurai fait tout ce qui était en mon pouvoir pour vous les éviter. »
Les Beni-Raten firent la réponse suivante à la proclamation du maréchal :
Louanges à Dieu !
» De la part de tous les gens des Beni-Raten, marabouts, chérifs, grands et cultivateurs, à
Sa Seigneurie le très distingué maréchal, sultan de l'Algérie...
» Nous vous informons que votre lettre nous est arrivée et que nous en avons compris le
contenu; nous vous remercions des bons conseils que vous nous adressez. Nous vous sommes
aussi reconnaissants pour la manière bien généreuse avec laquelle vous nous avez épargnés.
Vous nous avez traités comme tout Prince comme vous l’aurait fait dans cette circonstance.
Vous nous avez promis qu’il ne nous serait fait aucun mal et vous nous avez tenu parole. De
notre côté aussi nous vous avons respecté et nous n’avons pas bougé.
« Quant aux Ameraoua, depuis un temps bien ancien il existe entre nous et les Zmoul du
bas un certain degré de mésintelligence, et toujours le plus fort parti faisait de son adversaire
tout ce que bon lui semblait. Nous vous prions de ne pas nous en faire de reproche. Tout cela
est à la connaissance de beaucoup de gens qui peuvent vous en instruire. Si vous voulez la
réconciliation des tribus, envoyez-leur de grands marabouts ; mais il n’est pas digne d’un
grand sultan comme vous de vous occuper de choses si minimes. Quant aux relations
commerciales qui existent entre vous et nous, nous désirons les voir se continuer et que
personne n’y apporte d’empêchement. Salut ».
Comme on le voit, les Beni-Raten avaient évité de répondre à ce qui concernait Ben-
Salem et les autres réfugiés. Le maréchal leur écrivit aussitôt pour leur faire remarquer cette
abstention et pour leur répéter de nouveau qu’il ne souffrirait de leur part aucune agression
contre nos tribus soumises. Cette correspondance montre en quels termes nous en étions à
cette époque avec les tribus de la Kabylie indépendante; nous ne demandions qu’à vivre avec
elles en bonne intelligence en montrant même une certaine longanimité afin d'éviter la
nécessité d’en faire la conquête.
Dans la journée du 28, presque tous les chefs des Beni-Ouaguennoun et des Flissat-el-
Behar vinrent au camp pour faire de nouveau leur soumission et se mettre à la merci du
gouverneur général. Les chefs indigènes qui avaient été investis l’année précédente et étaient
restés personnellement fidèles à notre cause, furent maintenus en fonctions.
Le 29 juillet, à 5 heures du matin, le maréchal escorté par la cavalerie est allé reconnaître
la partie ouest des montagnes des Beni-Raten, pendant que le colonel Mollière, à la tête de
deux bataillons du 13e léger, allait reconnaître la partie orientale. On a pu voir toute la
population mâle rassemblée sur les crêtes, ainsi que de forts contingents accourus des autres
tribus pour secourir les Beni-Raten en cas d’attaque. Cette double reconnaissance est rentrée
sans avoir été inquiétée autrement que par quelques coups de fusil isolés tirés par des hommes
embusqués dans les figuiers du bas des montagnes.
Une corvée de vert dirigée sur la rive droite du Sébaou est rentrée sans avoir aperçu aucun
ennemi.
La chaleur a été de plus en plus suffocante, sous le souffle impétueux du siroco qui a duré
jusqu’à 2 heures.
Les Beni-Djennad sont venus à leur tour demander l’aman ; le maréchal, ayant appris que
les chefs qu’il avait nommés l’année précédente n’étaient pas tous des gens influents, les
véritables chefs de sof s'étant tenus à l’écart, invite les djemaas à se réunir à l’effet de lui
désigner à l’élection les personnages les plus importants. Pour faciliter le règlement de cette
affaire, le maréchal décide de se transporter aux abords du territoire des Beni-Djennad.
La colonne se met en route, à cet effet, le 30 au matin. Elle laisse une embuscade dans les
figuiers pour le cas où, suivant leur usage, les Kabyles viendraient harceler la queue de la
colonne; les Beni-Raten n’étant pas descendus de leurs montagnes, l’arrière-garde se met en
route à son tour après une heure d’attente La colonne a remonté le cours du Sébaou en suivant
le lit même de la rivière qui a fort peu d’eau dans cette saison, puis elle a remonté de même le
cours de l’Irzer-bou-Delès, affluent de droite du Sébaou et a été établir son bivouac à Freha à
cheval sur l’Irzer, qui était sans eau. Des trous nombreux contre les rochers fournissent
suffisamment d’eau pour les besoins de la colonne. La chaleur est beaucoup moins intense
que la veille.
Le 31 on fait séjour. La chaleur est redevenue très violente, le siroco souffle toute la
journée, quelques hommes qui se sont écartés malgré les défenses faites essuient des coups de
fusil.
Les Beni-Djennad ont envoyé des députations au camp, mais ce ne fut que le 1er août que
l’organisation du commandement put être arrêtée. Les chefs des 12 fractions des Beni-
Djennad sont prévenus qu’ils devront se rendre à Alger pour recevoir leurs burnous
d’investiture; le maréchal lient à leur faire voir notre civilisation et à leur donner l’occasion
d’ouvrir des relations avec nos commerçants.
Le2août le bivouac est levé à 4 heures de l’après-midi, et la colonne se dirige vers l'Ouest
en suivant le pied des pentes des Beni-Djennad ; elle est flanquée à droite par le bataillon de
zouaves.
Le camp est installé à l’Oued-Khemis (c’est le nom d’une portion de l’Irzer-Amokran) au
débouché en plaine de la grande vallée où a eu lieu l’affaire du 28 octobre 1844.
Dans la soirée, les Beni-Djennad apportent la majeure partie de l’amende de guerre qui
leur a été imposée par le maréchal.
Le 3 août la colonne remonte par Afir pour prendre la crête supérieure des Beni-
Ouaguennoun et installe son camp au Tnin de cette tribu. La journée a été excessivement
pénible, surtout pour l’infanterie, à cause des mauvais chemins, de la violence de la chaleur et
de la rareté de l’eau le long de la route. Dans certains cantons on a pu constater les ravages
des sauterelles qui ont dévoré les feuilles des arbres.
Les Beni-Ouaguennoun sont tous rentrés sur leur territoire, ils ont acquitté leur impôt et la
contribution de guerre qui leur a été infligée. Les Flissat-el-Behar, qui se sont présentés, ont
promis de porter à Dellys les sommes qui leur ont été imposées.
Le 4 août la division va occuper le camp d’Aïn-el-Arba ; le maréchal part pour Dellys
emmenant l’artillerie et le génie qui doivent s’embarquer avec lui pour Alger Le reste des
troupes doit faire le trajet de celte ville par terre en faisant étape au Tnin de Bar’lia, au
Djemaâ des Isser, au Boudouaou ; la colonne est dissoute le 8 à la Maison-Carrée.
Dans cette courte campagne, pour laquelle nous avions mis en mouvement des forces assez
considérables, nous n’avons pas eu une seule-fois à combattre, mais nous avons néanmoins
affermi notre autorité, et les résultats, au point de vue de la pacification, dans les tribus de la
rive droite du Sébaou, ont été assez durables.
Les douze chefs appelés par le choix des djemaâs à commander les diverses fractions des
Beni-Djennad, se sont rendus à Dellys le 10 août ; ils ont été embarqués pour Alger sur un
bateau à vapeur, sous la conduite du chef du bureau arabe, Je capitaine O’Malley, et sont
arrivés le 15 août. Ils y ont reçu leurs burnous d’investiture des mains du gouverneur général
avec quelques cadeaux d’usage. La cérémonie a été fort imposante. Nos Kabyles semblaient
aussi heureux que surpris du spectacle qu’ils avaient sous les yeux. Divers personnages
indigènes, comme l’agha Ben-Zamoum, le caïd des Khachna, le fils de notre khalifa de
Laghouat, s’y trouvaient également ; ce qui a ajouté à la solennité de l’investiture ce fut la
présence inattendue du khalifa de l’est, Si Mohamed-ben-Mahi-ed-Din. Le maréchal a fait une
allocution à laquelle a répondu le khalifa ; l’agha Ben-Zamoum a traduit ces discours en
kabyle aux chefs des Beni-Djennad.
Nous avons vu que Saïd-ou-Suada de Tazazereit avait servi de guide au maréchal dans les
Ameraoua ; c’était un adversaire de vieille date des Oulad-ou-Kassi, il avait été le premier des
Ameraoua-Fouaga à se rallier à nous, et il briguait un commandement. Il avait mis récemment
le comble au ressentiment des Oulad-ou-Kassi en allant, après la destruction de leur maison
de Tamda, ramasser les tuiles de cette maison pour les employer à la sienne propre. 11
habitait alors le village de Tizi-Rached dans les Beni-Raten.
Peu de temps après l’expédition que nous venons de raconter, étant allé à Chaïb, il
rencontra en chemin Mohamed-ou-Kassi ; les deux adversaires se jetèrent l’un sur l’autre le
sabre à la main, et Mohamed-ou-Kassi fut blessé au bras. Hammou-ben-Hammou ( 43) survint
alors et il tomba également sur Saïd-ou-Saada, qui fut obligé de prendre la fuite. Poursuivi par
ses deux agresseurs, il tomba mortellement frappé d’une balle près d’une fontaine appelée
Aïnsor-ou-R’anim.

CHAPITRE VI
Soulèvement dans le Dira et l’Ouennour’a, en avril 1845.— Combat du Djebel-Graten. —
Le général Marey se porte sur les lieux avec sa colonne. — Razzia sur les Adaoura le 21
mai. — L’agha des Douairs avait été razzié de son côté par Bou-Chareub le 20 mai. —
Le 23 mai, le khalifa Ben-Mahi-ed-Din rejoint la colonne à l’Oued-Mainora avec 760
cavaliers. — Razzia du capitaine Durrieu dans les Beni-SIima, le 28 mai. — Le khalifa
Mokrani rejoint la colonne à Si-el-Hadj-Cherif avec 350 chevaux. — Le 13 juin, la
colonne se porte sur l’Oued-Halloufa où la colonne de Sétif du général d’Arbouville
vient se joindre à elle. Le 18 juin, les deux colonnes se portent à Bordj-Bouïra, —
Attaque des Oulad-el-Aziz le 19 juin. — Le général d’Arbouville se sépare, le 24 juin,
pour rentrer dans sa subdivision et le général Marey rentre, de son côté, à Médéa, où il
arrive le 9 juillet 1845.

Nous allons nous occuper maintenant des événements qui s’étaient accomplis en même
temps sur un autre théâtre, dans la partie supérieure des bassins de l’Oued- Sahel et de l’Isser.
Au mois d’avril 1845, de graves désordres avaient éclaté dans les Adaoura, de la
subdivision de Médéa, par suite des agissements de Mohamed-ben-Kouïder, ancien agha
d’Abd-el-Kader, qui avait avec lui le sof des K’eraba, contre notre caïd des Adaoura, Abd-el-

43
Il fut plus tard khalifa de Bel-Kassem-ou-Kassi, devenu bachagha du Sebaou.
Kader- ben-Mohamed, chef du sof des Cheraga, à propos du recouvrement des impôts. Notre
caïd, homme d’une naissance obscure, s’était fait une personnalité et était arrivé au pouvoir
par son énergie et sa bravoure remarquable; attaqué par des forces supérieures, il subit une
razzia et le général Marey, qui commandait la subdivision de Médéa, lui fit envoyer un renfort
de 600 cavaliers par le bach-agha Moul-el-Oued ; Abd-el-Kader prit position auprès du Kaf-
Afoul.
Dès qu'il avait eu connaissance de ces désordres, Bou-Chareub, l’ancien agha de Berkani
dont nous avons parlé déjà, qui se trouvait auprès de Ben-Salem, s’était hâté d’accourir et,
mettant à profit son ancienne influence, il avait soulevé tout l’Ouennour’a. Les deux partis ne
tardèrent pas à se trouver en présence, Abd- el-Kader-ben-Mohamed à l’Oued-Mamora,
Mohamed- ben-Kouïder et Bou-Chareub à l’ouest du Djebel-Graten. Un violent combat fut
engagé au Djebel-Graten (44), et dès le début de l’action, les 600 cavaliers de renfort qu’avait
reçus Abd-el-Kader, ayant faibli et tourné bride, celui-ci se trouva aux prises avec des forces
très supérieures. Malgré des prodiges de valeur, ayant été blessé, il dut fuir en perdant tous ses
bagages et il eut beaucoup de peine à échapper à la poursuite de ses adversaires.
Le général Marey, qui était parti le 19 avril de Médéa avec une petite colonne composée
d’un bataillon de zouaves, un bataillon du 33e de ligne, un escadron de chasseurs d’Afrique et
un escadron de spahis, pour opérer dans le Nahr-Ouassel et le Djebel-Sahari, se trouvait en ce
moment à Sebaïa près d’Aïn-el-Hadjel ; le caïd Abd-el-Kader lui dépêcha son neveu pour le
prévenir de ce qui s’était passé et pour l’appeler à son secours ; celui-ci remplit sa mission le
19 mai.
Le général Marey, en prévision d’une razzia à opérer sur les Adaoura, organisa ses troupes
en deux fractions de la manière suivante : 1° Une colonne mobile formée du bataillon de
zouaves moins une compagnie, des compagnies d’élite du 33e , de la cavalerie, d’une pièce
d’artillerie et du goum du Tilery, en tout 900 baïonnettes, 250 chevaux réguliers et 500
goumiers ; 2° Une colonne de bagages comprenant le reste de l’infanterie et de l’artillerie, le
train et le convoi ; les sacs des fantassins de la colonne mobile étaient chargés sur 150
chameaux qui furent joints à la colonne des bagages.
La colonne des bagages fut mise en route le 21 mai à 4 heures 1/2 du matin et la colonne
mobile à 5 heures 1/2, en suivant une vallée peu accidentée, mais où elles étaient néanmoins
dérobées à la vue des gens du Dira. A midi les deux colonnes arrivèrent simultanément à
l’Oued-el-Ham.
A 11 heures du soir la colonne mobile est mise en route ; la cavalerie, lancée en avant,
passe à Sidi-Aïssa, suit l’Oued-Djenan et l’Oued-Chieb, arrive au jour à Merah-Sidi-Aïssa
dans les Oulad-Dris et fond sur les campements des Adaoura et des Ouennour’a, qui se
trouvaient réunis sur ce point. Les dissidents ne songèrent pas sérieusement à se défendre, et
nos cavaliers ramenèrent 2,000 moutons, 300 bœufs et presque tout le butin qui avait été
enlevé à l’affaire du Djebel-Graten. L’ennemi avait eu un grand nombre de morts; nous
avions, de notre côté, un spahis tué et 3 blessés, dont un officier indigène M. Abd-er-
Rahman ; nous avions eu aussi plusieurs chevaux tués.
L’infanterie de la colonne mobile avait été guidée plus à gauche; à 4 heures 1/2 elle avait
aperçu une très grande quantité de troupeaux à environ 9 kilomètres, sur la pente nord du Dira
; le manque de cavalerie ne permit pas d’atteindre les rebelles, qui avaient d’ailleurs levé leur
camp précipitamment.
Pendant ces opérations, la colonne des bagages s’était portée à l’Oued-Defila, où elle fut
rejointe par la cavalerie et par le goum de l’agha Chourar, comptant 600 chevaux. Le général
Marey, en même temps qu’il apprenait la nouvelle de la razzia sur les Adaoura, apprenait la
défaite des goums de Chourar par Bou-Chareub dans un combat qui avait eu lieu le 20 mai.
Comme nous venons de le voir ces goums avaient rallié la colonne à l’Oued-Défila.
44
Voir les notes historiques sur les Adaoura de M. Guin, Revue Africaine de 1873, p. 193.
L’infanterie avait établi son bivouac sur l’Oued- Khalifa ; elle rejoignit le reste des troupes le
22 mai.
La colonne se porta, le 23, sur l’Oued-Mamora, où le khalifa Ben-Mahi-ed-Din la
rejoignit le lendemain avec 760 cavaliers des Aribs et des Beni-Sliman.
La colonne séjourne les 25, 26 et 27 mai à Bel-Groun dans les Beni-Sliman, et le 28 mai
elle s’installe au camp d’El-Mida.
A 11 heures du soir, le capitaine d’état-major Durrieu, chargé des affaires arabes, part
avec un peloton de spahis ; à 2 heures du matin il passe au campement d’un détachement de
cavalerie qui ramenait un ravitaillement de Médéa, il y prend le 3° escadron de spahis et il
tombe sur des campements des Oulad-Zenim et des Beni-Sliman, au milieu desquels s’étaient
réfugiés des rebelles du Dira avec leurs troupeaux; il en ramène 1,600 moutons, 74 bœufs et
plusieurs chevaux et mulets.
La colonne prolonge son séjour à El-Mida jusqu’au 30 mai. Ce jour-là, le khalifa Ben-
Mahi-ed-Din, qui était parti le 28 pour aller fouiller des douars des Aribs, en ramène 22 bœufs
et 257 moutons appartenant à des gens des Adaoura qu’il y a trouvés.
Le 1er juin, le camp est établi à Dra-el-Abiod ; les populations du Dira restées fidèles et
celles qui se soumettent s’établissent près du camp et vivent sur les récoltes des Adaoura ;
tout cela forme bientôt une agglomération de plus de 30,000 indigènes ayant avec eux leurs
troupeaux.
Les dissidents des Adaoura et de l’Ouennour’a s’étaient réfugiés dans la forêt du Ksenna,
asile ordinaire des mécontents, et il était assez difficile d’aller les y traquer ; le général Marey
avait demandé à cet effet le concours du khalifa de la Medjana Si-Ahmed-ben-Mohamed-el-
Mokrani, et ce chef indigène vint se mettre à sa disposition le 4 juin, avec 350 chevaux, à son
nouveau camp de Djenan-Si-el-Hadj-Cherif.
Après s’être arrêté deux jours à El-Kantera et deux jours à Aïn-Tisserane, le général
Marey alla s’établir, le 10 juin à Aïn-Hazem dans les Beni-Amar. Le 11, les Ouennoura lui
avaient envoyé un cheval de gada comme gage de soumission, mais les cavaliers de Ben-
Salem avaient réussi à l’enlever, et l’homme qui le conduisait ne dut la vie qu’à sa qualité de
marabout.
Le 13 juin, au nouveau campement de l’Oued-Halloufa, on reçoit un convoi de onze jours
de vivres amené par les gens du khalifa Ben-Mahi-ed-Din. Le 14, le colonel Camou du 33 e
part pour Médéa, où il doit prendre le commandement en remplacement du colonel de
Gallemant.
Les insurgés du Dira et autres, pourchassés dans la forêt du Ksenna où ils s’étaient
d’abord réfugiés, avaient franchi l’Oued-Sahel et ils s’étaient portés dans le Djurdjura, où
Ben-Salem avait rassemblé de gros contingents à cheval et surtout à pied, fournis en majeure
partie par les tribus Kabyles ; ces rassemblements étaient faits sur le territoire de la tribu des
Oulad-el- Aziz. Le général Marey, ne se trouvant pas assez fort pour aller les déloger dans
une région de hautes montagnes rocheuses, avait demandé au général d’Arbouville,
commandant la subdivision de Sétif, de vouloir bien lui donner son concours. Cet officier
général avait accepté et, avec l’autorisation de ses chefs, il s’était mis en route pour rejoindre
le général Marey; la réunion des deux colonnes eut lieu, le 16juin, à l’Oued-Halloufa ; le
général d’Arbouville avait amené 1,100 fantassins, 300 chevaux et 2 pièces de montagne (45).
Le 18 juin, les deux colonnes vont s’établir à côté l’une de l’autre à Bordj-Bouïra et, dès le
lendemain, l’attaque des Oulad-el-Aziz est entreprise sous les ordres du général d’Arbouville,
qui est le plus ancien de grade.
Le 19 juin, à 4 heures du matin, les troupes se mettent en marche vers l’Oued-Meroudj, et
45
Ses troupes comprenaient deux bataillons du 19e léger, un bataillon du 36* de ligne, deux
compagnies de tirailleurs de Cons¬tantine, deux escadrons du 3e régiment de chasseurs et une
section de montagne.
elles commencent par établir leur bivouac sur la rive gauche de cette rivière, à Dra-el-Khemis.
A 10 heures, le général d’Arbouville forme sa colonne d’attaque, qui se compose du bataillon
de zouaves, des deux bataillons du 19 e léger, du bataillon du 33e, des deux sections d’artillerie
et de la cavalerie des deux colonnes ; l’infanterie est sans sacs. On commence à gravir la
montagne des Oulad-el-Aziz et, après une heure de marche pénible, on arrive sur le sommet
de Koudiat-bou-Senane. Jusque-là, on n’avait pas vu un seul Kabyle, mais, de la hauteur où
on est parvenu, on découvre toute la vallée de l’Oued-Bezzit, sur le versant septentrional de
laquelle sont étagés les beaux et nombreux villages des Oulad-el-Aziz; les berges de l’Oued
sont très escarpées, particulièrement sur la rive droite. Le camp des rebelles, au milieu duquel
on distingue parfaitement la lente de Ben-Salem, occupe la crête supérieure du Nador, qui est
le prolongement de la chaîne rocheuse du Djurdjura. Les zouaves elles grenadiers du 33° sont
envoyés en avant pour occuper les crêtes, pendant que le goum, soutenu par la cavalerie
régulière, est lancé sur la gauche vers les villages pour les piller et les incendier. Les Kabyles,
voyant ce mouvement agressif, mettent eux-mêmes le feu à leurs maisons et défendent
vivement l’accès des crêtes ; le capitaine Pial, des spahis de Constantine, qui chargeait à la
tête de son escadron, est tué d'un coup de feu par un kabyle embusqué dans une maison.
L’infanterie, qui faisait l’assaut des crêtes pour protéger le mouvement de la cavalerie, eut un
rude combat à soutenir; elle a de nombreux blessés, surtout parmi les officiers qui marchent
en tête de leurs hommes pour les entraîner. Les rebelles, malgré les efforts de Ben-Salem, sont
mis en déroute poursuivis par nos soldats, les zouaves les poussent ainsi jusqu’au col de
Djaboub, qu’ils occupent pendant quelque temps.

Voici les noms des officiers blessés dans cette affaire:


MM. Janod, capitaine de grenadiers au 33e de ligne ;
Couland, sous-lieutenant au 33e ;
Jeannigros, lieutenant de zouaves, grièvement blessé au genou ;
Morand, lieutenant de zouaves ;
Billiard, sous-lieutenant de zouaves, contusionné ;
Machuré, sous-lieutenant de chasseurs d’Afrique, fortement contusionné.
Dans la troupe, voici quelles étaient les pertes :
Infanterie. 2 tués, dont le sergent de zouaves More, 24 blessés, 1 cheval tué ;
Cavalerie, 2 tués, 8 blessés, 3 chevaux tués, 5 blessés ;
Goum, 1 tué, 3 blessés, 4 chevaux blessés.
Cela fait un total de 6 tués, dont un officier, et de 41 blessés dont 6 officiers, plus 3
chevaux tués et 9 blessés.

L’ennemi avait une vingtaine de tués, dont un des chefs les plus influents de Ben-Salem,
nommé M’hamed- ben-Moussa ; le nombre de ses blessés a dû être considérable. Onze
villages des Oulad-el-Aziz avaient été pillés et incendiés.
A 4 heures, les troupes étaient rentrées dans le camp de Dra-el-Khamis. Elles n’avaient
pas été inquiétées dans leur retraite, tant les Kabyles avaient été terrifiés par la vigueur de
notre attaque.
Le 20 juin, les deux colonnes retournèrent au bivouac de Bordj-Bouïra après avoir opéré,
sans être inquiétées, un grand fourrage chez les Oulad-él-Aziz. Le 21, elles se transportèrent à
l’Oued-Berdi où elles eurent peine à trouver de l’eau potable, toutes les eaux étant infectées
par des sauterelles en putréfaction (46). On s’établit dans les cultures des Beni-Yala, qui

46
Les criquets forment des colonnes que rien ne détourne de la direction qu’ils ont adoptée. En 1866,
nous en avons vu faisant l’assaut des murailles du bordj des Beni-Mançour, qu’ils avaient trouvées sur
leur chemin. Des colonnes de criquets ont franchi l’oued Sahel et ont passé sur le sommet de Lalla-
Khedidja, le point culminant du Djurdjura ; des canaux d'irrigation avaient été complètement obstrués
avaient donné asile aux rebelles des Ksenna et des Adaoura. Le 22 et le 23, des détachements
sont envoyés pour brûler les moissons et les azibs de cette tribu. Une fraction des Beni-Yala
arrive au camp annonçant que la tribu entière voulait se soumettre, mais que la vue des
détachements de troupe occupés aux travaux de destruction a effrayé les députations qui
arrivaient et qui s’en sont retournées dans la montagne. La venue des Beni-Yala est promise
pour le lendemain.
Le 24 juin, le général d’Arbouville, voyant que les affaires de la colonne de Médéa sont
en bonne voie, se sépare d’elle et reprend le chemin de Sétif; il prend comme itinéraire
l’Oued-Ksenna, Aïn-Chellala et l’Oued- Kasseba.
Le 25, le général Marey s’établit avec sa colonne à l’Oued-Goumera, et il y séjourne pour
recevoir la soumission des tribus des Ksenna. Les chaleurs sont devenues excessives, un
siroco violent souffle sans répit. Le 3 juillet, le khalifa Ben-Mahi-ed-Din part avec son goum,
qui va être licencié, et le général Marey se met lui-même en route pour rentrer à Médéa, où il
arrive le 9 juillet, après trois mois d’absence. Voici quels ont été ses gîtes d’étape : le 3 et le 4
juillet, Dayat-el-Bel ; le 5 juillet, Guelt-er-Rous ; le 6, El-Djouab ; le 7, Foum- Oued-Ghaïr ;
le 8, Berrouaghia ; et le 9, Médéa.

CHAPITRE VII
Apparition du chéri! Mouley-Mohamed dans le Dira, en septembre 1845. — Il fait
décapiter le caïd des Oulad-Barka et mettre aux fers celui des Oulad-bou-Arif. — Des
goums du Titery lui sont opposés. — Combat du 20 septembre. — Le général Marey
arrive, le 24, sur l’Oued-Zer’oua, où il est rejoint par le goum du Titery et par celui de
Ben-Mahi-ed-Din. — Le chérit recule sur le Djurdjura. — Une retraite simulée le fait
descendre en plaine et il essuie une razzia le 5 octobre. — Le khalifa Mokrani arrive au
camp d’Aïn-Tiziret le 8 octobre. — On vide les silos des Oulad- Dris et leur territoire est
donné aux Aribs. — Mokrani part le 28, rappelé par le général d’Arbouville. — Le 11
novembre, le général d’Arbouville fait sa jonction avec le général Marey à Aïn-Tiziret.
— Attaque des Oulad-el-Aziz le 12 novembre. — Le 15 novembre, la colonne Marey
retourne à Médéa, où elle arrive le 22. — Les Beni-Djad attaquent par trahison la
colonne du général d’Arbouville le 22 novembre; ils sont repoussés et leurs villages sont
brûlés. — Le général Bedeau rejoint la colonne du général d’Arbouville, à l’Oued-
Zer’oua, le 12 décembre. — Formation des troupes en deux brigades. — Petit
engagement le 15 décembre. — Les 16, 17 et 18, sorties de colonnes légères qui
dévastent les Beni-Djad. — Mauvais temps persistant. — Du 25 au 27, soumission des
Beni-Djad. — Départ des troupes. — En novembre 1815, le général Gentil a été

par les cadavres de criquets qui n’avaient pas pu les franchir; l’eau, devenue brune, exhalait une
puanteur repoussante.
réprimer une agitation dans les Ammals.

Au commencement de septembre 1845, apparut chez les Beni-Ameur, dans le Dira, un


aventurier du nom de Mouley-Mohamed-ben-Abd-Allah,dit Bou-Aoud (l’homme au cheval),
qui se prétendait envoyé par Dieu avec la mission de chasser les chrétiens du pays de l’Islam.
C’était le premier de ces moul saa qui sont venus successivement soulever les populations de
la Kabylie. Jeune encore, brillant cavalier, il avait été un des plus énergiques compagnons de
Bou-Maza dans le Dahra (47). 11 avait été attiré dans le pays par Bou-Chareub, qui voulait
profiter de la situation encore troublée de l’Ouennour’a et du Dira pour relever, avec son
concours, le drapeau de l’insurrection. Mohamed-ben-Kouider, des Adaoura, lui donna son
patronage, et le chérif se vit bientôt entouré de nombreux adhérents. Se trouvant dans les
Oulad-Sellama, il fit décapiter notre caïd des Oulad-Barka, Si Lakhedar-ben-Ali, et mettre aux
fers celui des Oulad-bou-Arif, Bel-Kassem-ben-El-Aldja. Il avait voulu, par ces exemples,
bien asseoir son autorité.
Le général Marey, ayant appris ces événements, envoya aussitôt à Guelt-er-Rous, dans les
Oulad-Meriem, un goum de 100 cavaliers de choix et de 25 spahis, sous les ordres du khalifa
de l’agha de l’est, Ben-Yahia-ben-Aïssa ( 48) et du caïd du Dira supérieur, Si Ahmed-Ould- el-
Bey-bou-Mezrag, en attendant qu’il pût aller lui-même sur les lieux. Le 20 septembre, le
chérif, qui était alors campé à Aïn-Hazem, essaya de surprendre de nuit le camp de Ben-Yahia
; il n’y réussit pas, mais ce dernier, très inférieur en forces, dut reculer et les Djouab furent
razziés.
Comme il était urgent d’étouffer aussitôt cette insurrection, le général Marey était parti
dès le 19 septembre de Médéa, avec une colonne composée du 33° de ligne, d’un bataillon de
zouaves, d’un bataillon du 36e, de deux compagnies de tirailleurs, de deux escadrons du I er
chasseurs d’Afrique et de 50 spahis; il avait, de plus, trois obusiers de montagne, une section
d’ambulance et 106 mulets du train. La chaleur était très forte, une partie des troupes avait
subi précédemment de grandes fatigues, aussi y eut-il un grand nombre de malades qu’on dut
renvoyer à Médéa. Après avoir campé le 19 à Berrouaguia, le 20 à l’Oued-Chaïr, le général
Marey arriva le 21 à l’Oued-Tamda, où il apprit le coup de main exécuté la veille par le
chérif. Le 22 il était à El-Djouab, et le 24 il arrivait à l’Oued-Zer’oua, où il fut rejoint par le
goum du Titery et par celui du khalifa Ben-Mahi-ed- Din, qui comptait 800 chevaux.
Le chérif Bou-Aoud, en apprenant la marche de la colonne, jugea prudent de ne pas
demeurer à Aïn-Hazem et il recula jusqu’à Bordj-Bouïra, afin de ne pas être coupé du
Djurdjura qui devait lui servir, en cas de besoin, de refuge.
La colonne fut portée, le 25, à Aïnsor-et-Tir et, le 26, à l’Oued-Halloufa, dans les Beni-
Amar, où elle séjourna jusqu’au 30 septembre. Les tribus que nous avions traversées étaient
pacifiées, mais le khalifa Ben-Mahi- ed-Din n’était pas sans de vives appréhensions au sujet
de la puissante tribu des Arib, qu’il sentait travaillée par les agents de Ben-Salem.
Nos goumiers vont tous les matins foire des reconnaissances du côté de Bouïra et
échangent des coups de fusil avec les rebelles, mais sans qu’il y ait d’engagement sérieux. Le
chérif est sur les premières pentes du Djurdjura.
Le 30 septembre, voulant donner confiance à Bou-Aoud par une retraite simulée, le
général Marey va poser son camp à Sour-el-R’ozlan, et il pèse sur les Oulad-Dris, dont tous
les douars, à l’exception de deux et du caïd, ont suivi le chérif; il fait prendre leurs
approvisionnements de paille et vider leurs silos pour les besoins de la colonne. Enhardis par
notre éloignement, les rebelles descendent au pied des montagnes, à Gouza-Medadra, avec
leurs troupeaux affamés; des fantassins réguliers de Ben-Salem vont même enlever le grain
47
Voir la Revue Africaine de 1881, p. 66.
48
Ben-Yahia-ben-Aïssa, que nos soldats appelaient « la jambe de bois », était un vaillant entraîneur
de goums ; il est devenu bach-agha.
dans les silos des Aribs, dans les environs de Bouïra ; le moment est venu d’essayer sur eux
une razzia. Le 5 octobre, au matin, le camp de Sour-el-R’ozlan est levé; le goum et la
cavalerie partent en tête, franchissent l'Oued-ed-Dehous et tombent sur les troupeaux de
l’ennemi, pendant que l’infanterie de la colonne établit un nouveau bivouac à Aïn-Tiziret, où
la cavalerie ramène, à 4 heures du soir, une importante razzia. Nous avions eu 2 hommes du
goum tués et 5 chevaux blessés; l’ennemi avait perdu 10 à 12 hommes.
D’après les ordres du lieutenant-général De Bar, commandant la division d’Alger, le
bataillon de zouaves et un escadron de chasseurs d’Afrique sont distraits de la colonne et
partent pour Médéa le 7 octobre. Le général Marey à l’ordre de ne rien entreprendre contre le
chérif avant l’arrivée de la colonne de Sétif. Le khalifa de la Medjana, Mokrani, rejoint la
colonne, le 8 octobre, avec 700 cavaliers.
La colonne se transporte, le 9 octobre, à l’Oued-Berdi, où elle reçoit, le lendemain, la
soumission d’une partie des tribus de l’Ouennour’a. Les zouaves et les chasseurs d’Afrique,
qui étaient partis le 7 octobre, rentrent à la colonne le 16.
La colonne retourne le 19 à Sour-el-Rozlan après avoir passé deux jours à l’Oued-
Goumera ; elle achève de vider les silos des Oulad-Dris et elle prend, dans celte tribu, la paille
nécessaire pour nourrir les 4,000 chevaux et mulets qui sont avec nos troupes ou avec le
goum. Les Oulad-Dris s’obstinant à rester dans l’insoumission, le générai Marey prend le
parti de donner leur territoire aux Aribs et aux gens des tribus du Dira inférieur ; les Oulad-
Ferah, qui sont en majeure partie avec le chérif, sont également expulsés de leurs terres, qui
sont données aux Kabyles du khalifa Ben-Mahi-ed-Din. Les bénéficiaires de cette mesure de
rigueur s’empressent de profiter de cette bonne aubaine et de prendre possession des terres qui
leur sont attribuées et où ils vont commencer leurs labours. Il était convenu que, si les Oulad-
Dris et Oulad-Ferah se décidaient à demander l’aman, ils seraient transportés dans la
Medjana, où le khalifa Mokrani les disperserait dans les tribus. Il est bien entendu que cette
mesure ne fut que provisoire.
Nous ne continuerons pas à suivre la colonne dans ses divers déplacements ( 49), nous nous
bornerons à dire que Mokrani, rappelé par le général d’Arbouville, est parti le 28 octobre pour
rentrer dans la subdivision de Sétif, que le colonel Camou est parti pour Médéa le 10
novembre avec 400 hommes du 33e, 1 escadron de spahis, 1 pièce d’artillerie, emmenant les
malades et les malingres, et que les colonnes d’Arbouville et Marey out fait leur jonction, le
11 novembre, à Aïn-Tiziret.
Le général Marey avait reçu, le 30 octobre, la nouvelle que la subdivision de Titery et
celle de Miliana étaient mises provisoirement sous les ordres du lieutenant- général Bedeau,
qui était chargé de diriger l’ensemble des opérations militaires dans le centre méridional de
l’Algérie.
Dès que les généraux d’Arbouville et Marey se trouvèrent réunis, ils décidèrent d’un
commun accord d’en finir sans plus tarder avec ce chérif qui nous tenait en haleine depuis
deux mois. Celui-ci était alors campé sur les crêtes qui dominent les Oulad-el-Aziz ; il avait
avec lui, depuis quelques jours, un autre aventurier de son espèce, nommé Mouley-Brahim,
qui devait aussi jouer plus tard un certain rôle en Kabylie; mais Ben- Salem, qui était tombé
malade, et qui d’ailleurs avait été froissé des allures autoritaires de Bou-Aoud, s’était retiré
depuis près d’un mois.
Les contingents que le chérif avait auprès de lui comprenaient : les Oulad-Dris, les tribus
de l’Ouennour’a, quelques Aribs, les Oulad-el-Aziz, les Merkalla, les Beni- Smaïl et
beaucoup de guerriers des autres tribus des Gueehtoula.
Le soir même de la jonction, à minuit, les troupes des deux colonnes se mettent en
mouvement pour l’attaque. On laisse au bivouac 1 bataillon du 36 e, moins 2 compagnies
49
Voici quels ont été ces diners mouvements : 23 octobre, Oued- Zer’oua ; 24 octobre, Aïn-Zer’oua ;
25 octobre, Oued-el-Kbainis ; 27 octobre Oued-Boudjeria ; 11 novembre, Aïu-Tiziret.
d’élite qui sont employées à renforcer les bataillons du 33° dont l’effectif est faible, 2
compagnies du 19e léger et 1 peloton de spahis de Sétif. Le camp de la colonne de Médéa
reste sur place les tentes dressées ; celui de la colonne de Sétif est levé et les bagages sont
portés à celui de Médéa. Les sacs des hommes qui vont marcher à l’attaque y sont aussi
déposés sous la garde de quelques hommes par compagnie.
Le général d’Arbouville, qui a le commandement, a formé sa colonne d’attaque dans
l’ordre suivant : 1 bataillon de zouaves, 2 bataillons du 19 e léger, 2 compagnies des tirailleurs
indigènes d’Alger, 2 compagnies des tirailleurs indigènes de Constantine, 2 pièces d’artillerie
de chacune des colonnes de Sétif et de Médéa, un détachement de fusils de rempart (colonne
de Sétif), 42 paires de cacolets, 6 paires de litières et les ambulances réunies des deux
colonnes. Vient ensuite la cavalerie, comprenant deux escadrons du 1 er chasseurs d’Afrique, 2
escadrons du 3e chasseurs d’Afrique et les goums du Titery et du khalifa Ben-Mahi- ed-Din.
La colonne mobile arrive ù 5 heures du matin sur le bord de l’Oued-Meroudj à Dra-el-
Khemis, et elle commence son ascension par la rive gauche de l’oued en suivant le chemin qui
mène à Teniet-Djaboub. A 6 h. 1/2, on arrive au col de Sidi-Messaoud, d’où on aperçoit la
vallée de l’Oued-Bezzit et les villages des Oulad-el-Aziz. Les zouaves et les tirailleurs sont
lancés à l’assaut des crêtes supérieures d’Agueni-Amrous, où est posté l’ennemi, pendant que
le 19e léger favorise leur mouvement en se portant plus à l’ouest sur la même crête. L’attaque
est poussée avec la plus grande vigueur, les rebelles sont bientôt bousculés et rejetés sur le
versant nord des montagnes ; tous les bagages du chérif et de ses alliés tombent en notre
pouvoir. Le combat a été court, mais acharné, et nous avions éprouvé des pertes assez
sérieuses.
A 9 h. 1/2, le général d’Arbouville ordonne la retraite. Nous avons vu qu’au combat du 19
juin, les Kabyles n’avaient pas osé nous poursuivre ; cette fois, ils se montrent plus
entreprenants, et nous sommes obligés de former des échelons de soutien pour les contenir.
Les zouaves, le 19° léger et les tirailleurs couvrent le mouvement de descente jusqu’au col de
Sidi Messaoud ; à 10 h. 1/2, l’arrière-garde est confiée au 1 er bataillon du 33e. A 2 heures, les
Kabyles ont cessé leur poursuite et la colonne fait une grand’halte de 2 heures à Dra-el-
Khemis ; il était 9 heures du soir lorsqu’elle a regagné son camp d’Aïn-Tiziret, et il y avait 21
heures qu’elle en était partie.
Les pertes de la colonne de Médéa étaient de 6 tués et 33 blessés ( 50) dont 6 officiers;
celles de la colonne de Sétif, de 16 tués et 80 blessés ; le total général était de 22 tués et 113
blessés.
Les officiers blessés delà colonne de Médéa étaient:
MM. Bûcheron, capitaine aux. Zouaves ;
Richard, sous-lieutenant aux zouaves, blessé grièvement ;
Pinel, sous-lieutenant aux zouaves ;
Courtois, capitaine au 33° de ligne ;
Guichard, lieutenant aux tirailleurs ;
Bergé, sous-lieutenant aux tirailleurs.

D’après des renseignements qui ont été obtenus plus tard, l’ennemi avait eu 14 arabes tués
et 23 blessés, 41 kabyles tués et 86 blessés.
C’était pour la troisième fois, depuis 1842, que nous étions obligés de faire Passant des
montagnes des Oulad-el-Aziz ; cette tribu était-elle donc particulièrement indomptable? Il y
avait bien quelque chose comme cela, mais ce qui faisait d’elle un foyer de rébellion c’était
surtout sa situation géographique.
50
Les zouaves avaient 3 tués et 17 blessés dont 3 officiers ; le 33 e, 1 tué et 10 blessés dont 1 officier ;
les tirailleurs, 2 tués et 5 blessés dont 2 officiers, et le 36 e, 1 blessé. Nous n’avons pas le détail des
pertes pour la colonne de Sétif.
La chaîne rocheuse du Djurjura n’est traversée, depuis le col de Tirourda jusqu’à celui de
Djaboub, que par des sentiers extrêmement difficiles, et ce dernier col est le débouché vers le
versant sud des tribus des Guechtoula et même des Beni-Sedka adossés au versant nord.
Lorsque ces tribus ont quelque chose à entreprendre sur le côté sud, c'est par là que leurs
contingents arrivent ; c’est aussi là que les agitateurs ont le plus de chance de réunir un grand
nombre d’adhérents des populeuses et belliqueuses tribus kabyles du versant nord. En cas de
défaite, ils trouvent un refuge assuré en se jetant dans des chemins tellement difficiles que
nous ne pouvons pas les y suivre.
D’autre part lorsque les tribus du versant sud sont menacées par nos colonnes, elles
s’empressent de faire passer de l’autre côté de la montagne, pour les mettre en sûreté, leurs
familles et leurs troupeaux. Mais, lorsqu’elles l’ont fait, les tribus des Guechtoula où elles ont
cherché un asile, ont un gage entre les mains, et elles ne le rendent qu’à bon escient ; les tribus
qui ont fait passer chez elles leurs familles et leurs richesses ne peuvent plus se soumettre
qu’avec la permission de leurs voisins, qui se montrent facilement irréductibles, puisqu’ils ne
leur en coûte rien personnellement (51).
Ce qui montre bien que le col Djaboub a toujours exercé une attraction sur les populations
des Gueehtoula, c’est qu’elles se sont déversées par-là dans la vallée de l’Oued-Sahel ; les
Beni-Smaïl, puissante tribu des Guechtoula qui est adossée au col du côté nord, sont
descendus jusque dans la plaine de l’Oued-Sahel par une expansion de leur territoire qui vient
s’enclaver entre les Oulad-el-Aziz et les Merkalla.
Les tribus étaient fatiguées de ces longues hostilités, et elles avaient besoin de tranquillité
pour s’occuper de leurs labours ; aussi des demandes de soumission étaient- elles arrivées de
divers côtés. Le général Bedeau en présence de ces tendances à un prompt apaisement crut
pouvoir rappeler à lui la colonne du général Marey. Les deux colonnes campèrent encore le
14 à côté l’une de l’autre à l’Oued-Berdi et, le 15, elles se séparèrent ; le général Marey,
laissant pour quelques jours à son collègue le bataillon du 36°, campa, cejour-là, à Aïnsor- et-
Tir, le 18 à l’Oued-Khemis, le 19 à l’Oued Zer’oua, le 20 à Moulgreub, le 21 au Tléta, et le 22
novembre il rentrait à Médéa.
Le général d’Arbouville se trouvait donc seul pour continuer les opérations de
pacification, et il s’était porté vers les Beni-Djad.
Cependant la nouvelle du désastre de Sidi-Brahim (22 septembre), colportée avec des
exagérations fantastiques, avait réveillé les espérances des indigènes, et il s'était manifesté une
agitation qui s’était répercutée en Kabylie; Ben-Salem en avait profité pour recommencer ses
intrigues dans les Beni-Djad, où il avait conservé son prestige de marabout et où il avait
encore de nombreux partisans.
La colonne du général d’Arbouville avait passé la journée du 21 novembre dans les
Oulad-Sidi-Salem, à Bordj-bel-Kherroub, l’ancien etablissement militaire du Khalifa d’Abd-
el-Kader, détruit en 1842 par le maréchal Bugeaud et, le 22, elle levait le camp lorsqu’elle fut
attaquée soudain par les Beni-Djad ameutés par leur ancien chef. Rien n’avait fait soupçonner
cette agression, car, peu d’instants auparavant, les indigènes de la tribu étaient encore dans le
camp où ils avaient apporté du blé et de l’orge. Nos soldats se comportèrent avec vigueur et
sang-froid dans des combats corps à corps livrés sur un terrain des plus difficiles ; les Beni-
Djad furent punis de leur trahison par la perte d’un grand nombre des leurs et l’incendie de
leurs villages. L’effet moral est resté complètement en notre faveur, car à peine le général
d’Arbouville eut-il établi son camp à Souk-el-Tnin que plusieurs douars de la plaine, trompant
la surveillance des Kabyles, vinrent se rendre à discrétion.
Le général Bedeau avait entrepris une expédition au sud de Boghar ; il rentra dans cette
51
Dans l'insurrection de 1871 il a encore fallu faire deux fois l'assaut des montagnes des Oulad-el-
Aziz, le 28 avril et le 7 juillet. S’il n’en a pas été de même dans les expéditions de 1849, de 1851 et de
1856, c’est que nos colonnes sont allées attaquer les Guechtoula sur leur propre territoire.
place le 8 décembre et, dès le lendemain, laissant sous Boghar la colonne du général Marey, il
en repartait pour aller rejoindre le général d’Arbouville à la tête d’une colonne qui compre-
nait: 1 bataillon du 13e léger, 1 bataillon du 22e de ligne,
1 bataillon du 33e, 1 section de montagne et un détachement de 40 spahis, le tout
présentant un effectif de 53 officiers, 1 302 hommes, 85 chevaux et 135 mulets.
11 campait le jour même à Meurdja-oulad-Deïd, le 10 à Tamda des Beni-Sliman, le 11 à
Souk-el-Arba, et le
12 décembre il rejoignait le bivouac du général d’Arbouville sur la rive droite de l’Oued-
Zér’oua, ayant accompli un trajet de 120 kilomètres. Le jour même, le général Bedeau opéra
une reconnaissance avec la cavalerie et
2 bataillons sans sacs pour étudier l’entrée du pays des Beni-Djad.
Il répartit ses troupes en 2 brigades de la manière suivante :
1re Brigade (Général d’Arbouville)
2 bataillons du 19e léger, 1 bataillon du 36e de ligne, 1 section de montagne (1 I e
d’artillerie), 1 détachement de sapeurs.

2E Brigade (colonel Camou)


Un bataillon du 13e léger, 1 bataillon du 22e de ligne, 1 bataillon du 33e, 2 compagnies de
tirailleurs indigènes de Constantine, 1 section de montagne (12e d’artillerie).
La cavalerie, comprenant 2 escadrons du 3e chasseurs d’Afrique et 1 escadron de spahis,
était placée sous les ordres du chef d’escadron de Signy.
Les ambulances des deux colonnes étaient réunies sous la direction du chirurgien-major
Laeger ; le capitaine d’artillerie Lebœuf remplissait les fonctions de sous-intendant militaire
et le sous-lieutenant Renaud, du 33e, celles de vaguemestre.
Le 13 décembre, la colonne commence à s’élever dans les premières montagnes des Beni-
Djad et va installer son bivouac dans la tribu des Oulad-Selim ; le temps, qui était menaçant,
devient tout à fait mauvais et le bivouac est assailli par de la grêle, de la pluie et de la neige
fondue. Le temps devient encore plus mauvais, et le 14 dans la journée, le sol est couvert de
neige dans des proportions inquiétantes ; le général se décide à lever le camp à 1 heure pour
retourner à celui du 12 sur l’Oued-Zer’oua.
Le 15, le temps a meilleure apparence, la colonne s’élève par les Cheurfa du sud et va
camper sur l’Isser aux environs de Souk-el Tleta. En descendant les pentes de Koudiet-en-
Nador, on remarque des groupes hostiles sur le flanc droit de la colonne et on prend des
dispositions de combat en prévision d’une attaque sérieuse, mais tout se borne à quelques
coups de fusil échangés avec le goum. La force de l’ennemi a été évaluée à 7 ou 800 hommes.
Pour lui donner une leçon, on fait embusquer dans le lit de l’Isser une division de chasseurs et,
quand les Kabyles y arrivent, une charge est exécutée et 8 des leurs restent sur la place. Dès
lors l'ennemi se tient à distance et le feu contre notre arrière-garde cesse complètement.
Le 16 décembre, dès 6 heures, du matin, on fait resserrer le camp, qui va rester sous la
garde d'un bataillon, d’une compagnie fournie par chacun des autres bataillons et d’un
escadron de chasseurs; une pièce d’artillerie y est aussi laissée. Deux colonnes légères
d’infanterie, sans sacs, de 1 000 hommes chacune, sont formées, et elles gravissent deux
contreforts qui se réunissent à un même point de la ligne de faîte sur la rive droite de l’Isser ;
la cavalerie et l’artillerie marchent aux flancs intérieurs. Les Kabyles, que leurs feux observés
pendant la nuit ont fait juger nombreux et que l’on dit excités par la présence de Ben-Salem,
n’essaient même pas de défendre les magnifiques positions dans lesquelles ils sont établis. La
ligne de faîte est occupée par nos troupes, qui se prolongent à gauche, pendant près de 2
lieues, refoulant l’ennemi. Les goums, sous la protection des colonnes, descendent dans la
vallée au-dessous et vont au loin piller et brûler les villages qui sont abandonnés sans
résistance. A 4 heures les troupes sont rentrées au camp sans avoir été suivies par l’ennemi.
Le 17, les mêmes dispositions sont prises, la colonne' mobile visite la fraction des Beni-
Amran qui fait sa soumission, et elle rentre au camp sans avoir tiré un coup de fusil.
Le 18, une colonne légère organisée comme les jours précédents suit la ligne de faîte,
entre la vallée de l’Isser et celle de son affluent de gauche, l’Oued-Beni-Amran (Beni-Anane
à la partie supérieure). Pendant la grand’- halle qui est faite au Djebel-Guerouma (Dra-es-Sebt
de la carte), à hauteur du grand village de même nom, un rassemblement, qui ne paraît
d’abord ni nombreux ni hostile, se forme en face de nous et, vers midi, on commence à
tirailler; des gens à cheval dirigent les mouvements des Kabyles, et on reconnaît parmi eux
des soldats réguliers de Ben-Salem. Lu mouvement simulé de retraite amène les rebelles sur
un terrain qui nous est plus favorable, et un retour vigoureux, exécuté par la cavalerie et
l’infanterie, appuyé du feu de deux pièces d'artillerie, les chasse au loin et leur fait essuyer des
pertes notables. Le mouvement offensif se prolonge jusqu’au fond des vallées, d’où on
ramène un troupeau de 80 bœufs. Nos troupes rentrent au camp sans être inquiétées par
l’ennemi.
La journée du 19 décembre se passe à recevoir les impôts et les amendes de guerre
acquittés par les fractions qui ont obtenu l’aman, et qui sont payés soit en argent soit en bétail.
Le 20, un convoi de malades, blessés et éclopés est dirigé sur Médéa ; puis, le camp est
levé et la colonne va s’établir sur le sommet de la montagne de Guerouma, où a eu lieu la
grand’halte qui a précédé le combat du 18. Dans la soirée, le mauvais temps se déclare de
nouveau et il dure jusqu’au lendemain ; un ouragan disperse le troupeau et renverse une partie
des tentes.
Le 21, les chefs de la fraction des Beni-Mehalla, des Senhadja, arrivent au camp pour faire
leur soumission. Le mauvais temps continue, et comme remplacement occupé par la colonne
est pauvre en eau et en bois, le général Bedeau se décide à descendre dans la vallée de l’Isser
pour prendre son bivouac sur la rive gauche, près de la zmala du caïd des Beni-Djad. La
colonne y fait séjour pendant les journées du 22 et du 23 décembre, immobilisée par le
mauvais temps.
Le 24 au malin, les bagages et le convoi sont réunis dans une position facile à défendre, en
dehors du camp, sous la garde d’un bataillon et de cinq compagnies fournies par les autres
troupes, avec deux pelotons de cavalerie et une pièce d’artillerie. Le reste des troupes, sans
sacs, se porte à deux lieues et demie plus bas dans la vallée pour appuyer le goum et des
contingents indigènes qui vont piller et détruire le village d’un chef des Beni-Djad, l’un des
principaux auteurs de la défection de la tribu. Les Senhadja sont dévastés.
A la nuit tombante les troupes reviennent camper, à six cents mètres en amont du camp de
la veille, sous un bois d’oliviers où le sol est résistant.
La colonne reste trois jours sur ce point pour recevoir la soumission des diverses tribus
des Beni-Djad et percevoir l’impôt et les amendes de guerre, qui sont payées en majeure
partie en bœufs et en orge.
La pacification étant complète, la colonne se met en roule, le 28 au malin, pour gagner le
camp de Souk-el- Arba en suivant le chemin des crêtes, afin d’éviter la nécessité de franchir à
tout moment la rivière, comme on aurait dû le faire si on avait pris la route de la vallée. Le
khalifa Si-Mohamed-ben-Mahi-ed-Din a pris avec son goum la direction d’Alger, où il
conduit les chefs qui ont été choisis dans les diverses fractions des Beni-Djad.
La colonne campe le 29 au Khemis des Beni-Selim et, le 30 décembre, les troupes se
divisent en deux colonnes, dont l’une, composée du 13° léger, du 22 e de ligne et du 33°, de
l’escadron de spahis et d’une section d’artillerie, ira opérer dans le sud sous les ordres du
colonel Camou et l’autre composée du 19e léger (deux bataillons), du 36e de ligne (un
bataillon), des tirailleurs indigènes de Constantine (deux compagnies), doit se diriger sur
Médéa, sous les ordres du général d’Arbouville.
Qu’est devenu le chérif Mouley-Mohamed-bou-Aoud? Renonçante la lutte contre nos
troupes, après le combat du 12 novembre, il avait entrepris de prêcher la guerre sainte dans les
tribus de la grande Kabylie (52). Quant à Ben-Salem, il était retourné à sa zmala de Bou-
Mahni.
Les agissements du chérif Mouley-Mohamed-bou-Aoud et de Ben-Salem avaient fait
naître une grande agitation dans les tribus des Khachna ; la fraction des Bou-Tekoubat, qui
confine au col des Beni-Aïcha vers le sud, s’était mise à intercepter le passage des caravanes
kabyles à ce col et elle avait pris part à une attaque à main armée contre le caïd Ben-Merah ;
celle des Debbar’a, vers le haut de la vallée de l’Oued-Corso, avait permis au secrétaire de
Mouley-Mohamed-bou-Aoud de s’installer sur son territoire, de destituer les chefs que nous y
avions nommés, pour en mettre d’autres à la place; enfin la fraction des Ammal avait laissé ce
même secrétaire s’établir sur son marché du vendredi pour y faire de la propagande et y
écrire, au nom du chérif, des lettres pour les diverses fractions des Khachna.
Comme il importait de mettre un terme à ces menées et de rétablir la sécurité sur la route
de Kabylie, le gouverneur général mit en marche, sous les ordres du général Gentil, une
colonne composée de deux, bataillons de 51e de ligne (colonel Siméon), d’un bataillon du 31 e
de ligne (commandant Neigre), d’un escadron du 5 e chasseurs, d’une section d’artillerie et
d’une section d’ambulance. De nouvelles troupes étaient arrivées de France, et on avait trouvé
là une occasion de les exercer au service en campagne. La colonne, réunie à la Maison-
Carrée le 13 novembre 1815, se mit en route le 14 pour aller camper au Boudouaou et, le
lendemain, elle s’établit à l’Oued-Corso, où elle séjourna jusqu’au 21. A cette date elle se
transporta, après cinq heures de marche, à Aïn- Djedida, sur la rive droite de l’Oued-Corso.
Ce mouvement avait pour but de faire payer une amende de 500 douros infligée à chacune des
fractions récalcitrantes que nous avons nommées ci-dessus. Ces fractions s’étant exécutées et
étant rentrées dans le devoir, le général Gentil retourna le 23 novembre à son camp du Corso
et il y séjourna jusqu’au 15 janvier 1846, occupé à faire continuer les travaux de route déjà
entrepris. Le 16 janvier, la colonne se mit en marche vers la Maison-Carrée pour rentrer dans
ses cantonnements.

CHAPITRE VIII
Abd-el-Kader réapparaît dans la division d’Alger à la fin de 1845. — Mesures prises pour
essayer de le capturer. — Mouvements des colonnes du maréchal Bugeaud et des généraux
Bedeau et Marey. Razzia d’Abd-el-Kader sur les Issers le 5 février 1846. — Rapport du
colonel Blangini sur son intervention. — Surprise du camp de l’Emir à Cherak-et-Teboul
par le général Gentil, le 7 février. — Mesures prises par le maréchal pour couvrir la
Mitidja. — Le maréchal fait sa jonction, le 9, avec le général Bedeau sur l’Oued-Zérouan.
— Des pluies torrentielles et persistantes éprouvent la colonne. On campe sur l’Isser le 11
février. — Le 15, la colonne franchit le Djebel-Beggas et va camper à Tamdekt. — Le 16, le
général Bedeau brûle les villages des Beni-Khalfoun. — Le général Gentil arrive le 17 à
proximité du camp et échange ses troupes fraîches contre des troupes fatiguées. — Le 18,
destruction de villages dans les Mzala. — Le 19, le maréchal marche sur le camp de
l’Emir; celui-ci se retire et franchit le col de Djaboub — On campe à Djemaa-el-Kedim. Le
21 février, on brûle des villages des Nezlioua et on retourne au camp de Tamdekt. —
Construction d’un pont sur l’Isser, près du marché du Djemaa. Le maréchal laisse, le 23
février, un bataillon du 58e au col des Beni-Aïcha. — Rentrée des troupes à Alger le 24
février. — Abd-el-Kader, qui n’a pas abandonné la partie, fait des efforts infructueux pour
attacher les Kabyles à sa fortune.

52
Voir la Revue africaine de 1881, p. 223.
Depuis sa mésaventure où il s’était vu enlever sa de Taguin, le 16 mai 1843, zmala, Abd-el-
Kader n’avait plus paru dans le Titery, d’où son khalifa El-Berkani avait été chassé, et nous
avions étendu, de ce côté, notre domination vers le sud. A la fin de 1845, après qu’il eût lancé
dans les tribus une proclamation virulente (53) pour les convier à la guerre sainte, il reparaît
dans le pays ; au mois de décembre il est sur le plateau du Sersou, au sud de Teniet-el-Had
(poste fondé par le général Changarnier le 27 mars 1843) ; puis il va successivement à
Goudjila, à Taguin, à Aïn-Oussera, revient sur Tiaret, puis se rabat subitement sur les Oulad-
Allane de Médéa. A l’aide de cette tribu il razzie les Adaoura- Réraba, les Oulad-Ali-ben-
Daoud, les Mouiadat, les Oulad-Mokhtar-Cheraga. Appelé par les Oulad-Madi du Hodna, il
feint d’y aller, mais il fond sur l’Ouennour’a récemment soumis.
Tous les efforts du maréchal Bugeaud tendirent alors à la capture d’Abd-el-Kader et il y
déploya une activité et une ténacité extraordinaires. « Nos troupes et leurs chefs, dans celte
chasse à l’Emir, dit Pellissier de Raynaud dans les Annales Algériennes, p. 194, déployèrent
une activité presque surhumaine. Nous eûmes un instant jusqu’à quatorze colonnes en
mouvement sur les divers points du théâtre de la guerre. Il était impossible de faire plus que
l’on fit dans une circonstance où l’espérance de saisir enfin le grand agitateur de l’Algérie,
faisait supporter gaiement à nos soldats des fatigues inouïes ».
On a reproché au maréchal Bugeaud d’avoir dispersé ses forces en une multitude de
petites colonnes sans lien, sans force, manœuvrant au hasard, d’avoir émietté les unités au
grand détriment de la discipline et de la bonne administration. Nous croyons qu’il a obéi à une
nécessité supérieure; il fallait absolument en finir. Nous ne pouvions pas avoir la prétention de
gagner l’Emir de vitesse, nous n'avions que faire de grosses et lourdes colonnes puisqu’il n’y
avait plus de grandes batailles à livrer, notre ennemi n’étant plus suivi que par quelques
centaines de cavaliers; ce n’était qu’en l’enveloppant dans un réseau de petites colonnes qu’on
avait quelque chance de l’atteindre.
D’un autre côté, il fallait maintenir dans le devoir des tribus qui, sans la présence de nos
53
) Voici un extrait de cette proclamation :
O musulmans ! sortez donc enfin de l’aveuglement où vous a plongés votre commerce avec les
infidèles ; reconnaissez donc leur adresse perfide. Jugez-en d’après les faits.
Lorsque les Français ont voulu vous engager à vous soumettre à eux, ils vous ont dit: soumettez-vous
à nous, nous vous garantissons votre religion, vos biens, vos femmes et vos enfants. Nous vous
laisserons gouverner par vos chefs habituels; nous ne troublerons en aucune façon vos coutumes et
nous respecterons vos lois. Nous nous occuperons seulement de veiller à ce (pie vous soyez justement
gouvernés et à ce que vous ne soyez point victimes des exactions qui pesaient sur vous lorsque vous
étiez soumis à votre ancien sultan Abd-el-Kader. Vous avez cru à ces paroles mensongères et vous
vous êtes soumis aux chrétiens.
Aussitôt que l’impie s’est cru fort et que, pour quelques instants, j’ai disparu d’au milieu de vous, il
s’est empressé de manquer à ses promesses. Il a appliqué vos mosquées à des usages profanes ; il a
pris vos meilleures terres pour les donner aux siens ; il a payé de ses trésors la vertu de vos femmes;
il a enrôlé vos enfants dans ses abominables cohortes ; il a affranchi les esclaves que Dieu vous
permet de posséder ; il s’est arrogé le droit de vous rendre la justice; il a persécuté vos plus nobles
familles ; il a changé vos chefs pour les remplacer par d'infâmes musulmans qu’il a achetés.
Vos nobles et vos marabouts, qui avaient été assez insensés pour les servir avec fidélité, ont eu pour
récompense une prison éternelle dans le pays des chrétiens. Vous êtes maintenant commandés par
des roumis jugés par des roumis administrés par des roumis.
Et pour vous rendre plus visibles ses perfides intentions, voyez- le qui vient compter vos guerriers, vos
femmes et vos enfants, ainsi qu’un maître compte les moutons qu’il veut aller vendre au marché.
Malgré la mission (pie Dieu m’a donnée de combattre l’infidèle jusqu’à la dernière goutte de mon
sang, je lui ai laissé quelque repos ; je me suis éloigné du théâtre de la guerre, bien certain que le
chrétien se perdrait par ses œuvres.
Le jour du réveil est arrivé. Levez-vous tous à ma voix, ô musulmans! Dieu a remis entre mes mains
son épée flamboyante, et nous allons fertiliser les plaines de notre pays avec le sang de l’infidèle,
etc...
troupes, auraient été entraînées d’un signe par l’Emir ; d’où la nécessité de nous montrer sur
beaucoup de points.
Sans doute, il en est résulté de graves inconvénients ; on n’avait pas les moyens de
ravitailler régulièrement un aussi grand nombre de colonnes, dont on ignorait souvent la
position exacte, les hommes étaient à peine nourris, ils n’étaient plus habillés que de loques et
on ne recevait la solde qu'à de longs intervalles. Les unités passaient d’une colonne à l’autre
et restaient en expédition des années entières, et les colonels ne voyaient plus que par
occasion des fragments de leurs régiments. Le bien-être des hommes et la discipline en
souffraient ; mais le premier besoin était de faire vite, dût-on méconnaître momentanément les
règles ordinaires.
Nous ne pouvons pas, dans cette élude, donner l’ensemble des mesures prises pour
capturer Abd-el-Kader, nous nous contenterons d’indiquer ce qui a été fait dans la division
d’Alger.
Au commencement de 1846, le maréchal Bugeaud se trouvait en expédition dans la vallée
du Chélif avec une colonne comprenant deux bataillons du 53e, un bataillon du 64e, un
bataillon de marche, 150chevaux du 1er et du 4e chasseurs d’Afrique, un détachement de 40
hommes du génie, une section d’artillerie et des détachements des services auxiliaires formant
un effectif de 92 officiers, 1981 hommes, 300 chevaux et 436 mulets. 11 était le 1 er février à
l’Oued-Mr’ila, le 3 au Nhar-Ouassel, le 4 à Moudjelil et le 5 à Boghar.
La colonne du général d’Arbouville, que nous avons vu se former le 30 décembre 1845 au
Khemis des Beni- Selim, après avoir fait un séjour à Médéa, en était partie le 21 janvier sous
les ordres du général Bedeau, était allée d’abord dans la vallée du Haut-Isser, était passée
ensuite dans celle de l’Oued-el-Ham, tributaire du choit du Hodna, et elle avait fait sa jonction
le 4 février (54) avec la colonne du général Marey; puis elle était partie le 5 en empruntant à
cette dernière colonne son bataillon de zouaves, avait fait sa grand’halte à Sour-el-R’ozlane et
avait établi son bivouac dans la partie supérieure de Toned Lekehal. Le général Bedeau s’était
porté sur ce point, sur la nouvelle qu’Abd-el-Kader voulait razzier les Aribs.
Le général Marey était parti de Boghar avec sa colonne, le 5 janvier, pour se mettre à la
recherche de l’Émir ; il était allé d’abord jusqu’à Chabounia, où il avait été rejoint, le 11
janvier, par la colonne du colonel Camou, que nous avons vu partir le 30 décembre 1845 du
khemis des Oulad-Selim. Toutes les troupes avaient été formées en deux colonnes ; la colonne
mobile, sous les ordres directs du général Marey, se composait des hommes les plus valides
des zouaves, du 1er bataillon du 33e et du bataillon du 13e léger, des compagnies d’élite, des
deux autres bataillons du 33e et de celles du bataillon du 22 e de ligne, de la cavalerie, de deux
pièces de montagne et de 150 chameaux pour porter les sacs ; la colonne de station,
subordonnée à la première, comprenait le reste des troupes et était placée sous les ordres du
commandant Carbuccia, du 33e.
Le 12 janvier on se porte sur le bord de l’Ourent, où on apprend qu’Abd-el-Kader a campé
la veille à Oussak-Ourakaï, à 12 lieues à l'ouest de Goudjila. Ce renseignement décide le
général à rester sur-place. Le 16 on apprend que l’Émir s’est avancé vers Test et campe à
Kouïba, à 16 lieues au sud du camp, et qu’il y rassemble des contingents des Oulad-Nayls,
Oulad-Mokhtar, Oulad-Chaïb, pour exécuter une razzia soit sur les Zenakhera, soit sur les
tribus du Dira. La présence de Ben-Salem dans le Dira et vers Aïn-Hazem, semble coïncider
avec la marche d’Abd-el-Kader.
Le 20 janvier, ayant appris que ce dernier a dû aller à Guelt-es-Stel, le général Marey se
porte à Aïn-Oussera ; le 21, il partait vers Birin lorsqu’une lettre de l’agha Chourar le fait

54
Voici les étapes de la colonne Bedeau : 22 janvier, Oued- Malah ; 23, Oued-Zenib ; 21, Chabet-el-
Kedim, au pied nord du Kaf-Lakbedar ; 25, Guerça, sur l’Oued-el-Ham ; séjour, jusqu’au
2 février où on bivouaque sur l’Oued-R’inan (Isser-Supérieur) ;
3 et 4 février, Oued-el-Ham (Oued-Mamora).
changer de direction pour aller asseoir son bivouac à Reizou, sur le Nhar-Ouassel. On apprend
là que, la veille, Abd-el-Kader a razzié El-Hadj-Mokhari, à Guetta, à 14 lieues à l'est de
Reizou ; les chevaux: de l’Émir ont fait, dans cette occasion, 45 lieues en 24 heures. Le 22, la
colonne va à Mgaren-R’arbi et le 23, à El-Abiod, et on apprend que notre adversaire est à
Aïn- Seka, à 48 kilomètres à l’est, qu’une grande partie des tribus se sont ralliées à lui, qu'il a
4 ou 500 chevaux de ses anciens réguliers et 7 à 800 chevaux de goumiers et qu’il a reçu la
soumission des Oulad-Ali-ben-Daoud et des tribus de l’est.
Le 25 janvier la colonne s'installe à Guetta, l’Emir est à Eeka, à 8 lieues au sud-sud-est ; le
26 la colonne est à El-Abiod, à 16 kilomètres de celle du général Bedeau et y fait séjour. Le
27, le commandant Durrieu, chef du bureau arabe de Médéa, est envoyé avec les spahis et un
escadron de chasseurs dans les Oulad-Allane pour se faire livrer de l’orge, des bœufs et
moutons et des chameaux de réquisition.
Le 4 février la colonne a fait, comme nous l’avons vu, sa jonction avec la colonne Bedeau
à l’Oued-Mamora, au point où ce ruisseau sort du Djebel-Afoul. On est informé que l’Émir a
passé la journée du 3 à Kasba des Beni-Ilman eton lui prête l’intention de razzier les Aribs.
Voyons maintenant ce qui avait été fait en Kabylie. Nous avons vu que la colonne du
général Gentil, après avoir rétabli l'ordre dans les Animal, avait été disloquée, le 16 janvier, à
la Maison-Carrée. A peine était-elle rentrée qu’elle recevait l’ordre de repartir pour prendre
un poste d’observation à l’Oued-Corso, tout en continuant les travaux de route. Cette colonne
avait la même composition qu’au mois de novembre ; son effectif était de 78 officiers, 2,067
hommes, 132 chevaux et 56 mulets. Elle arriva au Corso le 1 er février et, le lendemain, le
colonel Blangini, du 58e de ligne, en partait à la tête d’un bataillon du 51° de ligne qui devait
relever un bataillon de son régiment en garnison à Dellys ; le colonel devait ensuite ramener
au camp le bataillon relevé- Des guides étaient chargés de le conduire par le col de Chereub-
ou-Hareub et le chemin du littoral.
Le colonel Damnas (55), qui avait conduit au Corso la colonne du général Gentil pour
s'informer de la situation politique, télégraphia, le 4 février, au Gouverneur général que les
nouvelles du pays étaient satisfaisantes, sauf en ce qui concernait les Beni-Khalfoun ; aussi le
général Gentil éprouva-t-il, le lendemain 5, une grande surprise lorsqu’il vit arriver, à 2 heures
de l’après-midi, des cavaliers qui lui avaient été expédiés en toute hâte, et qui lui apprirent
que, dans la matinée, un ouragan de cavaliers arabes s’était abattu sur les tribus des Isser ; ces
cavaliers avaient tout livré au pillage et avaient emmené une immense razzia.
Le général Gentil s’empressa de se porter avec sa colonne à Hadjer-Djouhala, à 2
kilomètres au-delà du col des Beni-Aïcha, en appelant à lui le bataillon que devait ramener le
colonel Blangini. On ignorait encore quel était le véritable auteur de cette razzia, qu’on attri-
buait à Ben Salem. Le 6 février le général reçut le rapport ci-après du colonel Blangini :

« Bivouac sur Visser, le 6 février 1846.


» Mon Général,
» Je suis parti du camp de l’Oued-Corso avec un bataillon du 51 e de ligne le 2 février, à 9
h. 1/2 du matin, pour me rendre à Dellys relever le bataillon du 58 e qui y est en garnison. J’ai
couché le même jour sur les bords de l’Oued-Merdja, le second jour à Salem-Beïram près du
Sébaou.
» Je suis arrivé le 4, à 8 h. 1/2 du matin, à Dellys ; chemin faisant j’ai appris, et
confirmation m’en a été donnée à Dellys, que Ben-Salem se trouvait sur l’Isser avec 300
cavaliers. Au lieu de passer la nuit à Dellys, je suis parti à 1 heure après-midi et je suis venu
coucher à l’Oued-el-Arba, où nous sommes arrivés à 7 heures du soir.
» Le 5, à 6 heures du matin, ayant entendu une forte fusillade dans la direction du village
55
Le lieutenant-colonel Damnas avait été promu colonel au 1 er spahis, et un ordre général du 25 août
1845 l’avait maintenu dans sa situation de directeur central des affaires arabes.
de Maouïa (56), j’ai fait de suite accélérer la marche du bataillon sans toutefois me détourner
de l’itinéraire tracé par le colonel Daumas. .le suis arrivé au village sur les 10 heures du
matin, au moment où Ben Salem exécutait la razzia de ces tribus. .J’ai fait aussitôt partir deux
compagnies d’élite au pas de course et mis en position le reste du bataillon. Je suis parvenu à
reprendre des mains des cavaliers de Ben-Salem une grande partie des bestiaux qu’ils avaient
enlevés à ces tribus, et cela sans un coup de fusil.
» Voyant que la troupe de Ben-Salem ne se composait que de cavaliers et qu’ils opéraient
leur retraite, n’ayant par conséquent rien à craindre, j’ai jugé à propos de passer la journée à
Maouïa pour rassurer les tribus et leur rendre les troupeaux.
» Dans l’après-midi j’ai fait partir un émissaire porteur d’une lettre pour vous rendre
compte.
» Le guide que le colonel Daumas m’a donné s’est parfaitement bien conduit, j’ai été bien
accueilli par les tribus que j'ai traversées ; à chaque bivouac elles m’ont apporté des œufs, de
l’orge, des poules en quantité. J’ai trouvé la vallée de l’Isser couverte de troupeaux et de
charrues et ses habitants sont bien disposés en notre faveur.
» Signé : Colonel BLANGINI, du 58e de ligne. »

Voici comment avait été exécutée la razzia des Isser. Ben-Salem s’était, comme nous
l’avons vu, concerté avec Abd-el-Kader ; il lui avait représenté que toutes nos troupes ayant
été portées dans le Sud, le littoral était resté sans défense et qu’il lui serait très facile, en
entraînant les populations kabyles, d'envahir la Mitidja comme on l’avait fait en 1839. Abd-
el-Kader sentait qu’il ne pouvait plus guère compter sur les tribus arabes, il avait usé d’elles
outre mesure et elles étaient ruinées et à bout de forces ; la Kabylie pouvait lui fournir, pour
relever sa fortune, un nouvel élément de succès avec sa population si dense, où il serait
possible de lever de véritables armées. Dans tous les cas il y trouverait un asile sûr où nos
colonnes ne pourraient plus aller le pourchasser. Le projet de Ben-Salem était donc fait pour
le séduire ; mais, pour sa rentrée en scène, il fallait un coup de foudre qui frappât et subjuguât
l’imagination des Kabyles. C'est alors qu’avait été résolue la grande razzia des Isser, pour
laquelle il emmènerait ses réguliers, les cavaliers des Oulad-Nayl et des tribus du sud voisines
qui s’étaient jointes à lui et les goums qu’il pourrait entraîner sur sa route.
Le c. minaudant Durrieu, que nous avons vu envoyer en mission le 27 janvier, écrivait, le
5 février, de son bivouac de l’Oued-el-IIam :
« Abd-el-Kader, parti hier, 4 février, de l’Oued-Chellala près de Kasba, a pris la route de
Feidj-Debab, a traversé les Oulad-Msellem et est sorti chez les Beni-Iddou où il s’est établi.
On assure que les Arabes lui ont envoyé un cheval de gada ; les espions affirment avoir
entendu une vive fusillade aujourd’hui, vers midi, dans la direction de ras Oued-Djenan. Le
général Bedeau devait se trouver dans ces parages.
» Abd-el-Kader a emmené dans le Tell les goums de toutes les tribus nouvellement
soumises de l’est et du sud du Titery. L’Ouennour’a et le Ksenna ont reçu l’Émir avec
empressement. »
Abd-el-Kader n’avait pas eu affaire à la colonne du général Bedeau, il l’avait évitée en
passant à environ 35 kilomètres d’elle; il ne s’était pas arrêté dans les Beni- Iddou:
poursuivant sa route il était passé à l’est de Bouïra, emmenant les goums des Aribs et des
Beni- Djad que Ben-Salem avait décidés à le suivre; puis franchissant la ligne de partage entre
le bassin de l’Isser et celui du Sébaou, il était passé à Tamdekt, avait rallié à lui les cavaliers
de Ben Salem, et était arrivé dans les Isser, le 5 février, avant le jour. La masse de cavalerie
qui l’avait suivi avait fondu comme un torrent sur la riche proie qui lui était offerte. Les gens
des Isser, qui ne s’attendaient pas à pareille aventure, n’avaient fait qu’une faible résistance,
ils s’étaient enfuis jusque dans la forêt de Bou-Berak, poursuivis par les cavaliers de l’Émir.
56
Sur la route du littoral entre l’Oued-Isser et l’Oued-el-Merdja, à environ 2 kilomètres de l’Isser.
D’après les renseignements fournis par les lettres du commandant Durrieu et du colonel
Blangini que nous avons rapportées, Abd-el-Kader avait donc accompli d’une seule traite, en
24 heures, de Kasba aux Isser, un trajet de plus de 140 kilomètres.
Abd-el-Kader s’avança de sa personne jusqu’à l’Oued-el-Arba et la Koubba de Si-Amar-
Cherif, dans les Isser-el-Djedian, et il revint à Menaïel emmenant prisonnière la famille de
notre caïd des Isser, Saïd-ben-Guennan. Son agha des Askar, Si-Bel-Kassem-Tebassi, arriva
jusqu'à la zaouïa de Gueribissa dans les Isser-Drœu pendant que Bel-Kassem-ou-Kassi,
Aomar ben Mahi-ed- Din et Si-Abd-er-Rahman-Dellessi tombaient sur les Beni-Tour et
arrivaient jusqu’à El-Assouaf dans la banlieue de Dellys. Ce dernier fait montre que tout avait
été bien concerté à l’avance.
Tous nos chefs indigènes sauf Saïd-ben-Guennan, qui avait d’ailleurs été obligé de se
réfugier dans les Beni-Aïcha, s’étaient conduits avec beaucoup de mollesse, et notre agha des
Flissa Ali-ou-el-Haoussine-ben-Zamoum avait fait sa soumission à Abd-el-Kader, qui lui
avait même donné un burnous de commandement (57).
Le général Gentil ayant été informé, le 6 février, que l’ennemi était campé à Cherak-et-
Teboul (58) dans les Beni-Mekla, fraction des Flissat-Oum-el-Lil, à une faible distance de la
colonne, résolut d’aller le surprendre par une marche de nuit comme il en avait exécuté
plusieurs avec succès l’année précédente. 11 avait pour le guider Mohamed-ben-Ketiteuch,
khalifa du caïd des Isser. Voici le rapport qu’il a adressé au général de Bar sur ce hardi coup
de main :

Camp d’Hadjer-Djouhala, le 7 février 1846.


« Mon Général,
» J’ai l’honneur de vous adresser le rapport circonstancié que je vous ai annoncé hier sur
l’attaque du camp de Ben-Salem.
» Parti le 6, à minuit, de Hadjer-bjouhala avec une colonne légère composée de 2
compagnies d’élite du 31e de ligne et 2 compagnies d’élite du 51' formant un bataillon sous
les ordres de M. le commandant Nègre, le bataillon du 58e de ligne, l’escadron de cavalerie
du 5e chasseurs el une pièce d’artillerie, je suis rentré à mon bivouac le 7, à 11 heures du
matin.
» Mon trajet vers le camp de Ben-Salem s’est passé sans évènement remarquable; nous
avons été favorisés par un clair de lune qui nous a heureusement abandonnés aux approches
du camp, qui était situé à Cherak-et-Teboul sur l’oued-Djemaâ, dans les terres des Beni-
Mekla. Des feux nombreux étaient allumés, le bruit que j’entendais et le mouvement que
j’apercevais m’ont fait croire que l’ennemi, prévenu, m’attendait; j’ai craint une embuscade et
j’ai dû prendre mes dispositions en conséquence.
57
Voici une lettre de l’agha reçue le 18 février par le colonel Damnas, dans laquelle il cherchait à
expliquer sa conduite (cette lettre est postérieure de quelques jours à la razzia) :
« Je vous avais annoncé l'ennemi lorsqu’il se trouvait à Foum-oued-Djenan. De là il a exécuté une
marche forcée pendant un jour et une nuit et est arrivé à l’Isser sans que nous ayons rien su.
Il s’est arrêté au bas de Menaïel. Il m’a écrit trois lettres d’aller à lui; j’ai refusé. Il pensa alors à
s’emparer de Menaïel ; je me rendis chez lui pour retarder l’entreprise de manière à me permettre
d’enlever ce que je possédais. Actuellement je suis chez moi.
Nos ennemis lui ont dit : il faut investir Ben-Zamoum pour lui faire rompre avec les Français ; il me
donna alors un burnous.
On lui a dit que c’était moi qui avais dirigé la razzia qui l’a atteint. Je compte comme un des vôtres. Si
je n’avais été obligé de veiller sur les miens et sur mes biens, je me serais réfugié près de vous.
Abd-el-Kader est très réduit, il n’a pas de réguliers avec lui, il est accompagné d’environ 100 cavaliers.
Il espère former une armée de Kabyles ; ceux-ci ne l’écoutent pas. Il est campé à l’oued-Tleta ;
Lemdami et Allai sont avec lui ».
58
Cherak-et-Teboul est sur la crête qui sépare l’Oued-Cheraga de rir’zer-Halouane ; ce point est
distant de 13 kilomètres d’Hadjer- Djouhala où campait le général Gentil.
» J’ai fait commencer l’attaque par les deux compagnies d’élite du 31e et, malgré les
difficultés du terrain, la colonne qui suivait de très près l’avant-garde, s’est élancée dans le
camp sur la trace de ces deux compagnies.
» Seulement alors, l’ennemi a reconnu sa position, et une terreur générale s’est tellement
emparée de lui que personne n’a songé à se défendre; les arabes se sont enfuis dans toutes les
directions, abandonnant leur camp et tout ce qu’il contenait (59).
» Par une bizarrerie singulière, j’entrai dans le moment où les muezzins appelaient les
fidèles à la prière ; sans cette circonstance il est probable que je les trouvais tous endormis et
que peu auraient échappé.
» Je me suis trouvé en un instant maître du terrain. Le camp était très militairement établi,
et je n’ai rien trouvé de mieux à faire que d’occuper les crêtes que l’ennemi aurait dû garder.
Ces positions furent enlevées par les deux compagnies d’élite du 31 e et du 51e soutenues par
deux compagnies du 51e. Une fois mes postes établis, je m’occupai d’un travail difficile:
c’était de réunir les bœufs, moutons, chevaux, chameaux, etc. qui se trouvaient dans le camp
et de faire détruire les armes, les selles, les tentes et les vêtements, et tous les objets qui
avaient été abandonnés. Pendant cette opération, j’ai été prévenu que l’ennemi, revenu de sa
frayeur, se préparait à faire un retour offensif avec des masses de cavalerie et d’infanterie
qu’on a sans doute exagérées. Je m’occupai dès lors d’assurer ma retraite. Cette opération
devenait nécessaire pour mettre à l’abri les troupeaux énormes que j’enlevais.
» Ce mouvement ne se fit pas sans quelques difficultés. L’ennemi menaçait; il n’osa pas
m’attaquer et, contre toute prévision, je ‘effectuai sans être inquiété.
» A une demi-lieue du camp seulement, quelques cavaliers commencèrent à se présenter
sur les derrières de la colonne et à tirer des coups de fusil. Leur nombre augmenta sans
pourtant devenir bien considérable. .le n’ai employé pour les contenir que 2 compagnies
d’arrière-garde. Cette retraite au milieu de tant de mal et d’embarras occasionnés par les
prises, s’est faite avec beaucoup d’ordre et de calme; le capitaine Jouannis, commandant par
intérim le 58e de ligne, s’est acquitté de cette mission avec énergie et capacité.
» L’attaque du camp de Ben-Salem a été vigoureusement faite par le commandant Nègre,
à la tête des deux compagnies d’élite de son bataillon. Pour cette attaque qui pouvait offrir des
chances de combat très sérieuses, il avait fallu s’occuper des dispositions préalables ; j’ai été
parfaitement secondé par M. le Colonel du 51 e, qui commandait les troupes sous mes ordres,
lequel a montré beaucoup d’activité et d’aplomb.
» La prise du camp a produit un effet moral très grand sur les populations qui étaient
effrayées de l’apparition de Ben-Salem et de Bel-Kassem sur leur territoire. C’est plus sous ce
rapport que l’importance de cette opération doit être jugée que sous le rapport matériel, qui est
le suivant :

Chameaux 17
Chevaux et poulains……………….... 18 en mauvais état

TROUPEAUX Mulets 22 de même.

enlevés. Anes 22

Bœufs et veaux 817

Moutons 1.200 et quelques.

59
Le caïd des Adaoura-Kéraba, Abd-el-Kader-ben-Mohamed, dont nous avons parlé au chapitre vi, qui
avait été fait prisonnier peu auparavant par l’Emir, profita de la panique pour s’évader.
» La prise, en armes de toute espèce, se fera vivement sentir chez, les Arabes ; plus de 500
fusils ont été mis hors de service en cassant les bois, dispersant les batteries et tordant les
canons ; des effets de harnachement en grand nombre, des effets de campement ont été pris et
détruits. Des effets d’habillement, dont la richesse de quelques-uns nous atteste la présence de
hauts personnages, ont été emportés ainsi que beaucoup d’autres objets par les soldats.
» Je puis attester que plus de 60 cadavres ont été vus gisant sur le terrain ; beaucoup de
blessés ont pu s’échapper. Au nombre des morts se trouve un Arabe richement vêtu dont je
n’ai pu constater l’identité.
» La réunion de quelques groupes d’Arabes a donné l’occasion à mon artillerie d’envoyer
quelques obus qui ont été bien dirigés. Un détachement du génie composé de 25 hommes et
’officier, se trouvait avec les compagnies d’avant-garde et s’est bien conduit.
» Un résultat pareil sans blessés, dans un camp gardé en entier par des hommes armés, est
le résultat de la terreur qui leur a été imprimée par une attaque aussi imprévue qu’énergique et
toutes les dispositions ayant été prises comme pour une défense sérieuse. Je me plais à rendre
hommage à la vigueur et à l’intelligence déployées par toutes les troupes sous mes ordres.
» La cavalerie qui se trouvait dans les meilleures dispositions a, par sa présence à
l’arrière-garde, contribué à paralyser les efforts de l’ennemi.
» Trois drapeaux avec des broderies ont été abandonnés devant le camp.
» Il est de mon devoir de citer les officiers, sous-officiers et soldats qui se sont fait
remarquer dans cette attaque.
État-major : M. Galle, mon aide-de-camp.
31e de ligne : Le commandant Nègre ;
Le capitaine adjudant-major Guignard ;
M. Bobet, sous-lieutenant ;
Métral, sergent, et Bréau, caporal.
51e de ligne : M. le colonel Siméon ;
Le capitaine de grenadiers Picard ;
Le capitaine de voltigeurs Bérail ;
Le lieutenant Coulon ;
Les sergents Mathieu et Henesteter.
de ligne : Le capitaine Jouannis, commandant par intérim le bataillon ;
Les capitaines de Thermes et Bertrand ;
Le lieutenant Ferry ;
Le sergent-major Sampérac et le grenadier Delbert.
» Le maréchal de camp, etc.,
» Signé : GENTIL.
» P.-S. — Tous les renseignements que je reçois tendent à me faire croire qu’Abd-el-
Kader était dans le camp. Le fait fût-il vrai, je ne pouvais rien faire de plus. »

Bientôt des lettres trouvées dans les dépouilles en notre pouvoir et d’autres témoignages
irrécusables fournis par les Kabyles ne laissèrent plus subsister aucun doute. Surpris dans son
sommeil, l’émir n’avait eu que le temps de fuir à peine vêtu.
Les Kabyles des Flissa ne purent s’empêcher de ramasser les objets abandonnés dans leur
fuite par les cavaliers de l’émir et qu’ils considéraient comme de bonne prise; il fallut
l’intervention des marabouts pour leur en faire restituer une partie.
La razzia faite par la colonne à Cherak-el-Teboul, liquidée par les soins de
l’administration des Domaines, a produit 44,000 francs ; on a prélevé sur celle somme, dans la
mesure du possible, ce qu’il fallait pour indemniser les Isser des pertes qu’ils avaient subies,
et cet acte d’équité a produit le meilleur effet sur les populations kabyles.
Après sa mésaventure. Abd-el-Kader s’était d’abord retiré dans les R’omeraça, fraction
des Flissa, à 7 kilomètres à l’est du camp ; puis il s’établit sur le marché du Tléta, au confluent
de l’Oued-Aguergour et de l’Acif-Tala-Imedran. Il tenta de déterminer les Kabyles à se lever
pour la guerre sainte, et il parcourut dans ce but les Nezlioua et les Mzala ; mais sa récente
défaite avait porté un rude coup à son prestige et les gens restaient sourds à ses prédications.
La plupart des cavaliers arabes qui l’avaient suivi pour sa razzia des Isser avaient d’ailleurs
disparu.
Le maréchal Bugeaud, qui se trouvait, comme nous l’avons dit, en expédition, ne reçut la
nouvelle de l’apparition d’Abd-el-Kader en Kabylie et de la razzia des Isser que le 7 février, à
6 heures du soir ; il se trouvait ce jour-là à l’Oued-Chaïr, entre Berrouaguia et Sour- el-
Djouab. Jugeant la Milidja menacée d’une nouvelle invasion, il prit immédiatement des
mesures pour la couvrir et pour courir sus à l’émir. Il donna l’ordre au général Yusuf de partir
sur le champ pour Médéa, avec le détachement du 1 er chasseurs d’Afrique, de prendre deux
bataillons et de se porter par une marche rapide à la Maison-Carrée, où il devait réunir tout ce
qu’il pourrait de cavalerie; de marcher droit sur l'émir et de s’acharner à sa poursuite s’il osait
pénétrer dans la Mitidja (60).
Le colonel Mollière, du 13e léger, devait sortir de Médéa avec la colonne de réserve
composée de 1 bataillon du 3e léger, 2 bataillons du 13e léger, 2 bataillons de marche venus de
Blida, 1 escadron du 4e chasseurs, 1 section d’artillerie de montagne, pour couvrir les Beni-
Sliman.
Le colonel Pélissier, qui se trouvait dans le Nhar-Ouassel, devait laisser le commandement
de sa colonne au colonel Renouard et venir prendre le commandement de la subdivision de
Médéa ; il recevait ensuite la mission de travailler vigoureusement les Aribs qui avaient fait
défection (61).
Le général Marey devait commander le secteur Blida- Boufarik et la plaine de la Mitidja,
et le commandement de sa colonne passait au colonel Camou.
Le lieutenant-colonel Maissiat, avec 2 bataillons, devait se porter sur la route du pont de
Ben-Hini, en avant du Fondouk ; un autre bataillon formé de tous les ouvriers militaires
d’Alger était envoyé au Fondouk même.
Le commandant supérieur de Sétif recevait l’ordre de prescrire au khalifa de la Medjana
de faire un mouvement sur les tribus des environs de Bou-Saada et de l’appuyer avec sa
colonne. Enfin, des ordres étaient donnés pour préparer à Alger la mobilisation de la milice.
La situation, sans être aussi menaçante que le craignait le maréchal, ne laissait pas que
d’être assez grave.
La venue du Sultan (62) avait fait naître une grande agitation en Kabylie; un certain nombre de
tribus soumises avaient émigré sur les territoires voisins : les Beni-Tour s’étaient réfugiés à
Dellys; Taourga et Bordj- Sebaou, dans les Beni-Ouaguennoun ; les Isser, partie à Dellys,
partie dans la forêt de Bou-Berak, et leur caïd, Saïd-ben-Guennan, aux Beni-Aïcha; les aghas
Lemdani et Allai dans les Flissat-oum-el-Lil; peut-être même sont-ils allés temporairement,
comme l’insinuait Ben- Zamoum, dans le camp d’Abd-el-Kader.
La nouvelle de la marche du maréchal releva les courages. Comme il pouvait avoir affaire
à des forces considérables si les Kabyles acceptaient de suivre l’émir, le maréchal avait jugé
sa colonne insuffisante, et il avait appelé à lui la colonne du général Bedeau, qui se trouvait, le
7 février, à Melgat-el-Ouidan, au confluent de l’Oued-Zerouan et de l’Oued-Malah, après
avoir traversé la veille le territoire des Aribs qu’il avait trouvé abandonné. Le 9 février, les
deux colonnes font leur grand - halte à El-Beloum (Les Frênes) où a lieu leur jonction, et elles
vont ensemble établir leur bivouac à l’Oued- et-Tenin (nom que porte l'Oued-Souffiat dans la

60
Le général Yusuf rendait compte, le 10 février, qu’il se trou¬vait à la Maison-Carrée avec 1,100
fantassins et 450 cavaliers.
61
Il a pris, probablement, le commandement de la colonne Mollière.
62
Quand ils parlent d’Abd-el-Kader, les Kabyles le désignent toujours sous le titre de Sultan.
partie supérieure de son cours). Le maréchal a alors sous ses ordres un effectif de 154
officiers, 4 114 hommes, 533 chevaux et 555 mulets (63). Le khalifa Ben-Mahi-ed-Din est
arrivé le même jour avec son goum et un convoi de 30,000 rations. Le 10 février, les deux
colonnes sont au Khemis des Metennan, et le 11 elles établissent leur bivouac à cheval sur
l’Oued-Rekham ; la pluie, survenue dans la dernière partie du trajet, a rendu la marche très
pénible, et la queue de la colonne n’est arrivée que 2 heures après la tête. Quelques villages
des Metennan ont été incendiés en chemin, puis, après l’installation au bivouac, des
compagnies sans sacs sont encore allées fouiller et incendier tous les villages des environs.
Le 12, le temps devient tout à fait mauvais, et l’on se hâte de quitter le camp établi dans
un lieu bas sur un sol labouré et très gras ; la colonne s'élève sur les hauteurs de la rive gauche
de l’Oued-Rekham par une pente assez rapide ; la tête de colonne doit faire une halte de 1
heure et demie au sommet, à Teniet-el-Melab, pour y laisser masser le convoi qui marche
péniblement ; la pluie tombe à torrent. A 10 heures le maréchal établit son bivouac à Ben-
Haroun, sur une pelouse assez ferme, à portée du bois et de l’eau et entourée de villages qui
peuvent fournir de l’orge. Des bataillons sans sacs sont envoyés pour les fouiller et ils en
rapportent, en effet, une assez grande quantité d’orge. Les deux bataillons du 53° de ligne ont
poussé jusqu’à l’Oued- Soufllat et leur compagnie d’avant-garde a eu un petit engagement
avec des gens des Arib, qui ont perdu 5 hommes tués.
Le 13 février, la colonne fait séjour. La pluie n’a pas cessé de tomber toute la nuit et on est
obligé de déplacer le bivouac de la cavalerie, où le sol, piétiné par les hommes et les chevaux,
s’est changé en un lac de boue liquide. Heureusement les maisons des villages voisins ont
fourni du bois sec de charpente en abondance cl, malgré la pluie et la neige, de grands feux de
bivouac peuvent être entretenus.
Malgré l’affreux temps qui règne, 4 bataillons sans sacs ont été envoyés dans la journée à
la recherche de l’orge et, avec ce qu'ils ont rapporté et ce qui restait de la veille, on put faire
une distribution de deux rations et demie à toute la colonne.
63

Colonne Bugeaud : Officiers Hommes Chevaux Mulets


État-major 18 30 70 »
53e de ligne 29 596 7 15
64e 16 395 5 8
Bataillon de marche 8 391 2 7
1er chasseurs d’Afrique. 4 40 41 8
4e — 7 103 114 12
Artillerie 1 47 5 21
Génie 1 41 6 8
Services auxiliaires 8 338 50 357
92 1 981 300 436
Colonne Bedeau
Etat-major 9 28 31 «
Zouaves 16 512 6 9
19e léger 16 775 8 18
22e de ligne 1 3 1 »
36e 4 377 3 8
Tirailleurs (2 compagnies) 4 158 1 2
Artillerie 2 31 5 18
Génie 1 28 1 4
3e chasseurs d’Afrique 5 147 156 »
Spahis «  11 12 »
Services auxiliaires 4 63 9 60
62 2 133 233 119
Colonne Bugeaud 92 1.981 300 436
TOTAL GENERAL 154 4 114 533 555
Le temps s’est un peu amélioré pendant la nuit et on lève le camp, le 14, à 9 heures du
malin. On descend sur l’Oued-Djemaa dont la traversée ne présente pas de trop grandes
difficultés malgré la crue; on suit la rive droite de l’Isser et on va camper au confluent de
l’Oued-el-Arba sur un mouvement de terrain assez élevé. Le goum ramasse un troupeau de
bœufs qu’on a aperçu à peu de distance.
Le 15 février, la colonne franchit la ligne de partage des bassins de l’Isser et du Sébaou ;
elle s’élève par une pente assez rapide au milieu du territoire des Beni- Khalfoun, passe au col
de Tizi-Ncheria ou de Beggas et descend sur Tamdekt, où le bivouac est établi sur un terrain
solide où le bois et le diss se trouvent en abondance. Le 53e, qui était d’extrême arrière-garde,
a été suivi par 5 ou G Kabyles qui ont tiré quelques coups de fusil en manière de protestation,
en se tenant prudemment hors de portée.
Le 16 février, on fait séjour. Le général Bedeau, avec 4 bataillons sans sacs et 50 chevaux,
va brûler quelques villages des Beni-Khalfoun. Le Maréchal avait appelé à lui la colonne du
général Gentil, qui était toujours à Hadjer Djouhala, dans le dessein d’échanger ses troupes
fraîches contre des bataillons de la colonne, fatigués par une série d’expéditions. Le général
Gentil arriva ce jour-là à proximité du camp, mais sa marche ayant été retardée par la
difficulté des chemins et par son convoi composé de 200 mulets de réquisition pris à Alger et
qui n’avaient pas l’habitude des montagnes, il dut s’arrêter au bas de la montée, à 3 kilomètres
du camp.
Le 17, la jonction ayant eu lieu, le Maréchal fît passer le bataillon de zouaves et celui du
36° de ligne, provenant de la colonne Bedeau, à la colonne Gentil, en échange des 4 bataillons
qui composaient celle-ci. Il ne garda avec lui comme cavalerie que 90 chevaux du 4 e
chasseurs, sous les ordres du commandant de Noire, et passa le reste à la colonne Gentil, ainsi
que 17 malades et une trentaine d’éclopés. La difficulté de nourrir les chevaux l’avait
déterminé à ne conserver que le nombre de cavaliers absolument indispensable.
Les troupes furent réparties en deux brigades, la lre sous les ordres du général
d’Arbouville, la 2e sous les ordres du colonel Blangini du 58 e de ligne. Par suite de l’échange
fait, l’effectif de l’infanterie avait un peu grossi ; la colonne comptait maintenant 185
officiers, 4,881 hommes de troupe, 286 chevaux et 568 mulets.
A 10 heures du matin, le même jour, la colonne se rapprochant du camp de l’Émir, alla
établir son bivouac auprès du village de Tizi-Ntedoukkart, de la fraction des Mzala, réputée la
plus turbulente des Flissat-oum-el-Lil. La 1re brigade monta sur le champ sur les hauteurs dont
elle occupa les crêtes sans coup férir ; les groupes de Kabyles qui s’y trouvaient avaient pris la
fuite sans songer à combattre.
Le 53e de ligne, qui faisait partie de la 2° brigade, fut envoyé sur la droite de la l re brigade
pour fouiller les villages et tacher d’en rapporter de l’orge. Les troupes rentrèrent à la nuit
après avoir détruit plus de vingt villages et fait un butin considérable, mais elles ne rap-
portaient pas d’orge.
Pendant cette opération, les troupes restées au camp avaient été occupées à construire un
réduit en pierres sèches, afin de pouvoir y laisser le convoi avec une faible garde, dans le cas
où le Maréchal voudrait s’engager dans les montagnes des Flissa.
Que devenait pendant ce temps Abd-el-Kader ? Il s’était retiré des Mzala à l’approche de
la colonne et il avait été s’établir, avec sa cavalerie, à Bor’ni. Il s’efforçait toujours d’entraîner
les Kabyles à la guerre sainte ; mais ceux-ci, qui n’avaient pas oublié la déroute de Cherak-
et-Teboul, refusaient de croire qu’il pourrait les conduire à la victoire, et ils lui faisaient
toujours la même réponse: « Si les chrétiens viennent dans nos montagnes, nous saurons nous
défendre avec vigueur, mais en plaine, nous ne pouvons pas lutter contre eux. Fais-nous voir
que tu es capable de les vaincre et nous te suivrons. » C’était une pétition de principe, car,
pour savoir s’il pourrait vaincre, il aurait fallu commencer par lui donner des soldats; mais les
Kabyles n y regardaient pas de si près.
Le 18 février, le général Gentil reprend le chemin du col des Beni-Aïcha, où il va rester
encore en observation; la colonne du Maréchal fait séjour. La pluie tombe de nouveau, le sol
du camp qui est labouré et glaiseux rend la situation très incommode. Plus tard, le temps
paraissant se remettre, la 2° brigade est envoyée pour détruire des villages considérables du
versant nord-est de la montagne des Mzala ; 2 bataillons de la l re brigade couronnent, pendant
ce temps, les positions occupées la veille par la brigade d’Arbouville, pour couvrir le flanc
gauche de la 2e brigade. Tous les chevaux et mulets de la colonne ont été envoyés, sous la
protection des tirailleurs indigènes et d’un bataillon du 51e, pour rapporter du diss. L’orge
manquant complètement, on distribue 3 rations de biscuit d’un kilogramme par cheval ou
mulet ayant droit à la ration.
A 3 heures de l’après-midi, la 2e brigade rentre au camp après avoir détruit de grands et
beaux villages; elle avait eu devant elle des rassemblements estimés à 4,000 fusils, mais ils
s’étaient retirés sans combattre, les Kabyles se contentaient de regarder à distance l’œuvre de
destruction ; quelques fanatiques seulement avaient tiré de loin des coups de fusil, un
grenadier du 53e a seul été légèrement atteint. La colonne est rentrée au camp sans avoir été
suivie.
Le Maréchal aurait voulu éviter de s’engager plus avant dans la montagne, ce qui aurait pu
l’entraîner à des opérations d’une plus grande envergure que celles qu’il pouvait entreprendre
avec les moyens qu’il possédait. D’ailleurs, le Gouvernement métropolitain se berçait de
l’illusion qu’on pourrait vivre en paix avec les Kabyles en se bornant à n’avoir avec eux que
des relations commerciales, et le maréchal ne voulait pas qu’on pût croire qu’il cherchait à lui
forcer la main. « Ce n’est pas moi, disait-il dans son rapport, qui ai été pressé de faire la
conquête de la Grande-Kabylie, mais j’ai toujours dit que nous serions contraints de nous en
emparer.» Il avait cherché à attirer Abd-el-Kader sur la lisière des montagnes, mais celui-ci
était resté inactif, et les Kabyles ne nous opposaient que la force d’inertie.
Cette situation ne pouvait pas se prolonger, car nos approvisionnements touchaient à leur
fin ; aussi le Maréchal se décida-t-il, le 19 février, à marcher contre e camp d’Abd-el-Kader.
A midi, la colonne se mit en marche en suivant la plaine des Nezlioua et des Abids ; les
rassemblements qu’on avait vus la veille couronnaient de nouveau les crêtes des Mzala et ils
se prolongèrent parallèlement à la marche de la colonne, mais sans essayer aucune agression.
Après une heure de marche, les cavaliers du goum saisirent un mendiant qui déclara s’être
trouvé, le matin même, dans le camp de l’Émir, et qui indiqua la position de son camp, près
d’un marabout qu’on apercevait sur les pentes nord-ouest du Djurdjura, dans les Beni-Smaïl.
Toutes les lunettes furent aussitôt braquées sur ce point et on aperçut très distinctement, à plus
de 3 lieues de notre avant-garde, une colonne de cavalerie et de bagages engagée dans le col
de Djaboub, qui conduit chez les Oulad-el-Aziz. Sur le flanc gauche et à la même distance à
peu près, on distinguait un petit goum d’une centaine de chevaux, et on apprit que c’était celui
de Ben-Salem en marche pour rejoindre l’Émir.
Le maréchal continua à se porter en avant mais sans espérance d’atteindre l’ennemi ; il
arriva au pied des pentes nord du Djurdjura dans les Beni-Matas, fraction de la tribu des
Frikat, qui appartient elle-même à la confédération des Guechtoula. Les hauteurs étaient
couvertes de groupes armés qui paraissaient nous provoquer au combat, et on voyait les
femmes, les enfants et les troupeaux quitter précipitamment les villages pour .fuir vers la
montagne.
Deux bataillons du 53e, appuyés par un bataillon du 58e et un obusier de montagne, furent
envoyés sur les premiers mamelons pour en chasser l’ennemi pendant que la colonne installait
son bivouac sur l’emplacement de l’ancien marché du Djemâa, entre les villages des Beni-
Matas des Frikat et ceux de Keirouan des Nezlioua, sur le ravin appelé Chabet-bou-Segacen.
Les Kabyles ne firent pas une sérieuse résistance; pourchassés de position en position ils
durent, à un moment donné, défiler dans un étroit sentier sous le feu de nos troupes en y
laissant une soixantaine de cadavres. Nos soldats rentrèrent au camp à la nuit, ne ramenant
qu’un seul blessé.
Le 20 février, dès la pointe du jour, les gens des Frikat se présentèrent au camp pour
demander l’aman ; ils confirmèrent le départ de l’Émir, qui s’était rendu chez les Oulad-el-
Aziz et paraissait vouloir reprendre le chemin du sud.
On apercevait dans la vallée de nombreux rassemblements armés qui paraissaient se tenir
en observation; ces rassemblements envoyèrent une députation au camp pour dire que
l’intention des Kabyles était de défendre leur pays si nous voulions y pénétrer, mais que si
nous voulions bien nous en abstenir ils ne commettraient aucun acte d’hostilité ; ils
déclaraient vouloir vivre en paix avec nous et demandaient à être autorisés à aller porter leur
huile et leurs autres produits à Alger en échange des denrées que nos commerçants pourraient
leur fournir.
Le maréchal fit répondre aux Kabyles qu’il ne les craignait pas comme ennemis et que
s’ils voulaient de la poudre il les en rassasierait; mais que s’ils voulaient rester paisibles et ne
pas accueillir nos ennemis et leur venir en aide, il était disposé à leur donner aide et protection
pour leur commerce avec Alger.
Le fourrage manquant absolument, on se vit obligé de faire ramasser du chiendent qui,
lavé et séché, fut distribué à raison de 4 kilos par cheval ou mulet.
Dans la soirée, tous les rassemblements kabyles avaient disparu.
La campagne n’avait pas eu jusque-là de grands résultats; nous avions seulement forcé
Abd-el-Kader à se déplacer un peu, mais le pays était resté sous l’impression de sa présence,
et les tribus qui auraient désiré venir à nous n’osaient pas le faire de peur de se voir assaillir
par l’Émir dès que nous nous serions éloignés. Il aurait fallu pouvoir s’attacher aux traces de
l’Émir, en faisant arriver sur le versant sud du Djurdjura la colonne du colonel Pélissier, mais
on manquait d’approvisionnement, et pour faire venir un convoi de ravitaillement d’Alger il
aurait fallu le faire escorter par des troupes. Le khalifa Ben-Mahi-ed-Din avait bien, en
diverses circonstances, conduit des convois à nos colonnes opérant dans les Aribs et le
Hamza, mais ce n’était pas un moyen assez sûr à la distance où on se trouvait ; force fut donc
de reprendre le chemin d’Alger.
La nécessité de créer des postes-magasins pour permettre aux colonnes expéditionnaires
de se ravitailler se faisait vivement sentir, aussi le maréchal avait-il déjà songé à créer un
poste de celle nature à Sour-el- R’ozlan, sur l’emplacement de l’ancienne colonie romaine
d’Auzia ; cette création fut réalisée l’année suivante.
Le 21 février, la colonne se mit en route pour Tamdekt en passant au pied des pentes de la
montagne des Nezlioua ; on fit une grand’halte sous de beaux villages de cette tribu que la l re
brigade fut chargée d’aller fouiller et détruire ; c’étaient Hania, Keirouan, Aïnsor, Oulad-
Naceur, Rouachda. On y trouva une assez grande quantité de paille et on y ramassa assez
d’orge, de blé et de fèves pour faire une distribution de 2 kilos par bête, aux chevaux et mulets
de la colonne, qui étaient complètement privés d’orge depuis 4 jours. La colonne arriva à la
nuit tombante à Tamdekt.
Le 22 février, la colonne se dirigea sur le col des Beni-Aïcha. La marche fut d’abord très
pénible dans la descente sur l’Oued-Adila à cause de la difficulté du chemin, puis la route
devint facile. Des gens des Beni- Khalfoun se présentèrent peu après le départ pour demander
l’aman; l’agha Ali-ou-el-Haoussin-Ben-Zamoum arriva à son tour suivi de quelques cavaliers.
Il chercha à expliquer sa défection et l’acceptation d’un commandement sous l’autorité
d’Abd-el-Kader; le maréchal, tenant compte de la jeunesse de l’agha et des circonstances de
force majeure dans lesquelles il s’était trouvé, ne chercha pas trop à approfondir sa conduite
et, par politique, il lui fit bon accueil.
Le bivouac fut établi sur la rive gauche de l’Isser à 1 500 mètres du camp du général
Gentil.
Le général Lechesne, commandant supérieur de l’artillerie de l’armée, était établi sur
l’Isser avec un détachement de 200 artilleurs, 53 pontonniers et 60 sapeurs du génie pour
construire, sur cette rivière, qui n’est pas toujours facilement guéable, un pont à la Birague et
un radeau de tonneaux. Le maréchal mita sa disposition les deux bataillons du 51 e de ligne,
sous les ordres du colonel Siméon, tant pour protéger les travaux que pour fournir des
travailleurs. Il y avait encore à aménager les abords du pont et à construire une tête de pont
avec revêtement de fascines.
En partant, le 23 février, le maréchal laissa un bataillon du 58° au camp des Beni-Aïcha,
qui était gardé par les sapeurs du génie et renfermait 60 000 rations de toute nature ; il donna
des ordres pour qu’une redoute y fût construite de manière qu’on pût y laisser, au besoin, les
approvisionnements sous la garde d’un détachement de 50 à 60 hommes; des barbettes
devaient y être installées pour des pièces d’artillerie en situation de battre le défilé et de
balayer même les rives de l’Isser.
La colonne suivit dans sa marche la route d’Alger à Dellys, ouverte en 1844 et mise à la
largeur de voiture en 1845; des ponts en bois de grume et en fascines étaient établis aux
passages de ravins; pour rendre la route praticable en toute saison, il restait encore à l’empier-
rer. La route fut trouvée bien tracée avec des pentes suffisamment douces.
La colonne s’arrêta au camp du Boudouaou sur la rive gauche de la rivière. Le général
Gentil, appelé du Fondouk par le maréchal, vint recevoir ses ordres ; il fut décidé que cet
officier général prendrait le commandement des troupes de la ligne de l’est (Fondouk, Beni-
Aïcha jusqu’à l’Isser), ferait réparer la route et perfectionner la redoute des vivres et qu’il
résiderait, de sa personne, au camp d’Hadjer-Djouhala. On lui donna à emmener 10 chasseurs
à cheval du 5e régiment, une section de montagne et une section d’ambulance.
Le colonel Blangini fut désigné pour prendre le commandement du Fondouk avec un
bataillon de son régiment, ses compagnies de recrues et un bataillon de tirailleurs indigènes.
Les autres troupes de la colonne devaient être renvoyées dans leurs garnisons.
Le 24 février, la colonne, diminuée des troupes dirigées sur Blida, fit son entrée à Alger.
A Hussein-Dey, le lieutenant-général de Bar, commandant la division, était venu au-devant du
maréchal avec les principales autorités et l’escadron mobile de la milice.
Dans une allocution très énergique, le maréchal Bugeaud exposa aux miliciens la situation
politique et les motifs qui l’avaient déterminé à préparer la mobilisation de la milice pour la
mettre à même d’agir au premier signal de danger. Il remonta ensuite à cheval en congédiant
tout le monde, pour entrer en ville à la tête des troupes, entouré seulement de son état-major.
Dès Mustapha, une immense population se pressait sur le passage de la colonne, belle de
ses uniformes usés dans les poussières et les boues de 5 mois de bivouac, des figures bronzées
de ses soldats et des glorieuses fatigues empreintes sur les visages. Le canon de la place et
celui des navires de guerre pavoises pour la circonstance saluent l’entrée du maréchal dans la
ville.
La milice, formée en carré sur la place Royale, présente les armes et ses tambours battent
aux champs. Les applaudissements et les hourras de la foule, qui encombre jusqu’aux
terrasses des maisons, se mêlent aux mâles accents de la musique militaire. Les troupes
défilent devant la statue du prince royal et rentrent dans leurs casernements.
L’émir Abd-el-Kader n’avait pas repris le chemin du sud comme on l’avait annoncé tout
d’abord ; il n’avait pas renoncé à la partie et il se tenait sur le versant sud du Djurdjura, entre
les Oulad-el-Aziz et les Merkalla; les Beni-Yala lui donnaient aussi leur concours pour faire
vivre tout son monde. De là, il visitait quelquefois les tribus du versant nord pour les pousser
à la guerre sainte. Pour exciter L’enthousiasme des Kabyles il leur racontait des victoires
imaginaires qu’il aurait remportées sur les chrétiens, et il montrait comme preuve le lieutenant
Lacotte, chef du bureau arabe de Tiaret, qui avait été capturé dans les environs de cette place.
Il le présentait comme un envoyé des Français venu pour lui apporter des propositions de paix
qu’il aurait repoussées avec mépris. Il avait aussi comme prisonniers l’interprète Lévy, pris à
la malheureuse affaire de Sidi- Brahim, et Ould-ben-Hamani, chef des Oulad-en-Nharde la
province d’Oran.
Les prétendues victoires d’Abd-el-Kader ne trouvaient plus grande créance chez les
Kabyles; pour se créer des liens parmi eux, il épousa une fille de Ben-Salem.
Sa fierté fut souvent soumise à de pénibles épreuves avec ces rudes montagnards, peu
habitués à mesurer leurs paroles dans l’expression de leurs sentiments et fort réservés quand il
s’agissait de donner; il eut plus d’un affront à essuyer. Les Kabyles le laissaient souvent
manquer du nécessaire, et ses cavaliers, bien qu’ils fussent réduits à un petit nombre, étaient
obligés de vendre leurs burnous pour se procurer de l’orge pour leurs chevaux.
Un rapport du commandant supérieur de Dellys donnait les renseignements suivants qu’il
avait fait recueillir par ses espions : « Le 28 février, Abd-el-Kader a réuni dans la vallée de
l’Oued Bor’ni tous les chefs des Beni- Raten et deux ou trois individus des plus marquants par
village ; après les avoir harangués, il leur a fait jurer de ne jamais se soumettre aux chrétiens
et de n’accepter d’eux aucun chef. Il leur a recommandé d’obéir aux ordres de Si-el-
Haoussine-Oulid-Chikh-el-Arab, fils d’un marabout et de prendre les armes pour la guerre
sainte.
« Ceux qui ont promis de suivre Abd-el Kader sont les Beni-Raten, Beni-Yenni, Beni-
Ouassif, Ouadia, Béni-Sedka, Beni-Zmenzer, Beni-Aïssi, Oulad-el-Aziz, Beni- Yala et la
moitié des Maatka. Sur la live droite du Sébaou, les Oulad-Saïd et Tikobaïn sont les seuls qui
n’aient pas envoyé de délégués. Les Flissat-el-Behar n’ont fait aucune démonstration non plus
que les Beni- Djennad.
« Bel-Kassem-ou-Kassi et Ben-Salem se tiennent constamment à Bor’ni pour exciter le
zèle des Kabyles ».
Quelques milliers de Kabyles en armes entouraient ce congrès de notables, auquel on était
venu de tous les points de la Kabylie; l’assemblée s’était terminée par un miiz où on avait
brûlé beaucoup de poudre, ce qui avait donné à croire que tous les chefs Kabyles avaient
donné leur parole de soutenir leur sultan.
CHAPITRE IX
Réunion d’une nouvelle colonne expéditionnaire commandée par le maréchal. —
Proclamation aux Kabyles. — Départ de la colonne le 6 mars. — Bivouac au pont de
Ben-Hini, le 7. — Le colonel Pélissier est campé à peu de distance. — Le 8 mars le
colonel Blangini va occuper remplacement de son camp. — Une tempête arrête la
colonne. — Le 9, on campe à Teniet-el-Melab. — Le 10, nouvelle tempête de neige. —
La pluie continue le 11 et le 12. — On apprend le 12 la fuite d’Abd-el-Kader et la
défaite que lui a infligée le colonel Camou. — Le maréchal reprend le 13 le chemin
d’Alger. — Soumission des Beni-Khalfoun, Nezlioua et Oulad-el- Aziz. — On campe, le
14, au col de Beggas, le 15 à Tamdekt et le 16 à Hadjer-Djouhala. — Dislocation de la
colonne. — Nomination du duc d’Aumale, le 18 mars, au commandement des subdi-
visions de Miliana el de Médéa. — Abd-el-Kader quitte les Oulad-el-Aziz le 5 mars et
razzie les Douairs le 6. — Le colonel Camou l’atteint le 7 et reprend les troupeaux
emmenés. — Le général Yusuf inflige une nouvelle défaite à l’Émir, le 13 mars, et le
force à gagner la province d’Oran.

Le maréchal Bugeaud, ne voulant pas laisser à Abd-el-Kader le temps d’organiser une


nouvelle prise d’armes en Kabylie, résolut de marcher sur lui de manière à lui couper la
retraite vers le Sud ; pour cela, il devait gagner le Hamza. Les troupes destinées à celte
nouvelle expédition furent réunies au Fondouk, où le maréchal, qui devait les commander,
arriva le 5 mars. Voici l’organisation de la colonne :
Le maréchal Bugeaud, duc d’Isly, commandant en chef.

ÉTAT-MAJOR GÉNÉRAL :
MM. de Cissey, chef d’escadron, chef d’état-major ;
Pissis, — attaché à l’état-major ;
de Valdan, capitaine, —
Mancel, — —
Gendarmerie: Un détachement de 15 hommes sous les ordres d’un maréchal-des-logis.
Artillerie : 2 sections de montagne et une réserve de 60 000 cartouches, sous les ordres du
chef d’escadron Bonamy.
Génie : Un détachement de 50 sapeurs avec 22 mulets d’outils sous les ordres du
lieutenant de Givry.
Infanterie
Colonne de gauche : Colonel Blangini, du 58e, commandant ;
2 bataillons du 53e de ligne ;
1 bataillon du 58e —
Le bataillon de tirailleurs indigènes.
Colonne du centre : Colonel Siméon, du 51° de ligne, commandant;
3e bataillon de chasseurs d’Orléans ;
2 bataillons du 51e de ligne ;
1 bataillon de marche du 1er régiment étranger et du 2e bataillon d’Afrique.
Colonne de droite : Colonel Levaillant, du 36e de ligne, commandant;
1 bataillon de zouaves ;
1 — du 19e léger;
1 — du 36e de ligne ;
Cavalerie: Un détachement de 120 chevaux des lor et 4e chasseurs d’Afrique, sous les
ordres du chef d’escadron de Loë.
Services administratifs : Tous les services centralisés sous la direction du sous-intendant
militaire de Mont- brun.
Service de santé : Une section complète d’ambulance avec 88 mulets sous la direction du
chirurgien-principal Philippe.
Le train compte 190 mulets pour le transport des vivres et il a en outre 280 mulets de
réquisition.
Les troupes emportent 7 jours de vivres dans le sac, les chevaux et mulets portant 4 jours
de fourrages.
Le temps très beau dans la matinée devient très mauvais au milieu de la journée; une pluie
torrentielle chassée par un violent vent d’Ouest tombe jusqu’à 3 heures du soir.
Avant de partir, le maréchal avait envoyé aux Kabyles la proclamation suivante:
« Le maréchal gouverneur général à toutes les tribus Kabyles des revers Nord et Sud du
Djurjura.
» Je vous ai écrit il y a peu de jours avant d’entrer chez vous pour vous annoncer que je ne
venais point pour vous faire la guerre mais seulement pourchasser El-Hadj-Abd-el-Kader de
votre pays, ainsi que tous les autres perturbateurs qui travaillent à vous mettre en hostilité
avec nous, et vous avez vu qu'aussitôt que l’ex- Emir a eu quitté vos montagnes je me suis
moi-même retiré pour rentrer à Alger.
» Mais j’apprends qu’El-Hadj-Abd-el-Kader vous a convoqués en assemblée à Bordj-
Bor’ni pour vous provoquer de nouveau à ce qu’il appelle la guerre sainte, comme s’il était
dans la volonté de Dieu de plonger tous les musulmans dans la misère et d’en faire périr une
bonne partie, comme il est déjà arrivé dans le centre et dans l’Ouest. Ayant épuise toutes les
ressources et toutes les bonnés volontés des Arabes, El-Hadj-Abd-el-Kader s'adresse mainte-
nant aux Kabyles, à qui il apporte le même sort. Quelques-uns d’entre vous ont répondu à son
appel, d’autres s’y sont refusés et ce sont les plus sages.
» Dans votre intérêt bien plus que dans le mien, je veux vous donner encore un
avertissement salutaire. Repoussez de votre sein Abd-el-Kader, Ben-Salem, Bou-Chareub et
tous les autres ambitieux et intrigants qui veulent vous précipiter dans les horreurs de la
guerre.
» Je vous déclare que je traiterai en ennemies toutes les tribus qui auront reçu et assisté ces
hommes de malheur et que je respecterai le territoire de toutes celles qui n’auront pas écoulé
leurs funestes conseils. Elles pourront venir commercer librement avec nous; elles seront
respectées et justice leur sera toujours rendue. Les méchants, au contraire, seront traités
comme ils le méritent».
Le temps s’étant remis au beau dans la matinée du 6 mars, le maréchal se décida a se
mettre en route à midi.
Tous les sous-officiers, brigadiers et trompettes de l’artillerie, de la cavalerie et du train
des équipages avaient reçu des besaces d’orge de 40 kilos qu’ils durent charger sur leurs
chevaux ; eux-mêmes devaient marcher à pied jusqu’à ce que leurs chevaux fussent suffi-
samment déchargés par la consommation journalière.
Au bout d’une heure de marche on arriva au camp du colonel Blangini, qui était, comme
nous l’avons vu, commandant des troupes du Fondouk et qui avait, pour le moment, sous ses
ordres le 3e bataillon des chasseurs d’Orléans, le bataillon de zouaves, un bataillon du 58 e et
le bataillon de tirailleurs indigènes, toutes troupes qui devaient faire partie de la colonne et qui
prirent rang à la queue.
Dans la prévision d’opérations militaires contre la Kabylie, le maréchal avait, dans l’hiver
de 1843, fait ouvrir une route qui devait être carrossable du Fondouk au pont de Ben-Hini ;
c’est cette route que suivit la colonne. Son tracé était bon, avec des pentes très douces (64),
mais elle n’avait pu être empierrée que sur quelques portions peu étendues, et la nature
argileuse du sol, par ces temps de pluie, la rendait très glissante; aussi la colonne ne put-elle
arriver qu’avec de grandes fatigues au bivouac de Chabet-el-Ihoudi, abluent de gauche du
Boudouaou à l’ouest du Djebel-bou-Zegza. L’arrière-garde ne rejoignit qu’à la nuit.
Le 7 mars, on dut envoyer en avant le 3° bataillon de chasseurs et les sapeurs du génie
pour faire à la route des réparations nécessitées par des éboulements; on fit la grand’halte à
l’Oued-Khedera, puis on franchit la ligne de partage entre l’Oued-Khedera et l’Oued-Zitoun
(oued Tala-ou-Ferah de la carte). A partir de la crête, la route cessait d’être carrossable et on
n’avait plus qu’un sentier arabe en terrain rocheux. Le bivouac fut établi sur la rive droite de
l’Oued-Zitoun, un peu au-dessus du confluent de cette rivière avec l’Isser, non loin du pont de
Ben-Hini. Le terrain glaiseux a encore rendu la marche très pénible, et l’arrière-garde n’est
arrivée au bivouac qu’à la nuit close.
Le colonel Pelissier, sous-chef d’état-major général, commandant les troupes des
subdivisions de Mostaganem et de Titery, qui se trouvait avec une colonne à Melgat-El-
Ouidan (65), à 18 kilomètres en amont, vint communiquer avec le maréchal et retourna ensuite
à son camp. 11 avait reçu l’ordre de se rendre à El-Betoum (les Frênes), d’y organiser un
convoi avec les vivres déposés chez le khalifa Ben-Mahi-ed-Din et de l’envoyer à la colonne
sous la conduite du colonel Mollière et des trois bataillons sous ses ordres.
Le 8 mars, le colonel Blangini se mit en marche avec les deux bataillons du 53 e et le
bataillon du 58e pour aller an camp que le colonel Pélissier avait dû quitter le matin, afin d’y
prendre un détachement de 60 canonniers, sous les ordres du capitaine Laboussinière, qui était
chargé de faire procéder à des expériences avec les armes à balles cylindro-coniqnes et à
tiges.
A midi, le reste de la colonne se met en route, mais à peine a-t-on franchi l’Isser, un peu
au-dessus du pont de Ben-Hini, qu’une violente tempête se déchaîne; un vent terrible du
64
C’était la nouvelle route de Constantine par Tizi-el-Arba et le village des Oulad-Zian.
65
Le colonel était le 4 mars à Teniet-el-Melab, il a vidé les silos des Metennan, Senhadja, Nezlioua en
fuite. Il s’est porté plus tard dans le sud du Dira.
Nord-Ouest chasse des rafales de pluie mêlée de grêle. Le maréchal, craignant d’être surpris
par la nuit au cours de l’étape par un pareil temps, avec un convoi engagé dans de mauvais
chemins, se décide à bivouaquer à l’Oued-el-Arba sans rejoindre le colonel Blangini ; il
envoie seulement le bataillon de tirailleurs pour porter à cet officier supérieur la viande dont il
a besoin pour sa troupe. Pendant la nuit le temps se remet au beau.
Le 9 mars, la colonne fait sa grand’halte au camp du colonel Blangini, eu face des Beni-
Khalfoun, puis elle franchit l’Oued-Djemaà, s’élève sur les hauteurs de la rive droite de
l’Oued-Soufilat et elle va établir son camp à Teniet-el-Melab ( 66). Le pays fournit du diss en
abondance, c’est une précieuse ressource pour la colonne qui commence à manquer de
fourrages. La route parcourue est celle qui avait été suivie dans la journée des 13 et 14 février.
Le 10 mars, vers 3 heures du matin, une violente tempête se déclare ; des torrents de pluie
mêlée de neige et de grêle fondent sur le camp et, au jour, les chemins sont tellement défoncés
et affreux qu’il est impossible de se mettre en route. La pluie continue toute la journée et on
profile des rares éclaircies pour faire couper du diss pour les animaux. La pluie continue à
tomber toute la nuit sans interruption; dans la journée du 11, les chevaux et mulets sont
conduits au pâturage sur le flanc de la montagne pour les sortir de la boue du bivouac. Ou
distribue aux hommes une ration d'eau-de-vie.
Le 12, le temps continue à être très mauvais et la colonne est encore immobilisée;
quelques hommes sont entrés à l’ambulance avec les pieds gelés. Une nouvelle ration d’eau-
de-vie est distribuée. A 8 heures, les zouaves, le 3e chasseurs d’Orléans et le 53e de ligne
partent dans diverses directions pour fouiller les villages et tâcher de trouver de l’orge ; ils
rentrent dans l’après- midi ne rapportant presque rien.
Dans la journée, le maréchal reçut des dépêches qui lui apprenaient la fuite d’Abd-el-
Kader des Oulad-el- Aziz, la razzia faite par l’Emir sur les Douaïrs et le brillant succès
remporté sur lui par le colonel Camou ; nous rapporterons ces faits un peu plus loin.
Dans la soirée du 12, les Beni-Khalfoun vinrent demander à faire leur soumission.
Chassés de leurs villages qui avaient été incendiés le mois précédent et n’ayant pour refuges
avec leurs familles que les ravins et les bois, il leur était impossible de résister plus longtemps
au mauvais temps, et ils imploraient la clémence du maréchal.
L’agha Ben-Zamoum était également venu au camp; toutes les tribus du voisinage ne se
sentant plus sous la menace de l’Emir ne demandaient plus que la paix.
Le maréchal, ayant obtenu le résultat qu’il avait cherché, se décida à reprendre le chemin
d’Alger. Il avait d’ailleurs hâte de faire rentrer les troupes fatiguées afin de leur permettre de
se refaire pour aller relever d’autres colonnes qui se reposeraient à leur tour. Les chevaux et
les mulets épuisés par les fatigues et la mauvaise alimentation étaient hors d’état de faire un
bon service. 11 n’y avait pas à craindre que les Kabyles, qui n’avaient pas voulu nous
combattre quand ils avaient leur sultan au milieu d'eux, iraient maintenant commettre des
agressions.
Les routes étaient toujours affreuses, mais le camp était devenu tellement inhabitable, tant
le sol était défoncé et boueux, que le maréchal mit quand même sa colonne en route le 13
mars, à 7 heures du matin. On reprit le chemin qui avait été suivi pour monter à Teniet-el-
Melab ; en arrivant à hauteur de Ben-Haroun, on fit tète de colonne à droite pour descendre
sur l’Oued-Djemâa par des pentes assez douces mais horriblement glissantes. Les mulets
chargés roulaient à chaque instant dans la boue et on avait grand peine à les relever. La rivière
fut franchie sans trop de difficultés malgré la rapidité du courant. A 10 h. 1/2, le maréchal
voyant que les mulets exténués ne pourraient pas aller plus loin, se décida à bivouaquer à
Djemaa-el- Kedima, à mi-côte des hauteurs qui séparent le bassin de l’Isser de la vallée de
Bor’ni.
66
En tête du ravin affluent de gauche de l’Oued-Rekliam, qui porte sur la carte le nom d’Oued-
Charchar.
Dans la journée, les Beni-Khalfoun, les Nezlioua, les Oulad-el-Aziz vinrent au camp pour
régler les conditions de leur soumission, et on leur imposa tout d’abord d’apporter de l’orge à
titre de contribution de guerre. Quelques charges d’orge furent apportées, mais 1a quantité
étant insuffisante on dut compléter la ration en distribuant deux kilos de biscuit par cheval ou
mulet.
Dans la journée le génie exécuta des travaux pour améliorer les sentiers qui devaient
servir pour gagner les hauteurs.
Vers minuit, le temps, qui avait été très beau dans la soirée, devient de nouveau
épouvantable; des torrents d’eau fondent sur le camp et il est impossible de se mettre en route,
le 14, avant 8 heures du matin. Les mulets gravissent péniblement les pentes qui conduisent à
travers la forêt de Beggas au col de Tizi-Ncheria (la carte porte col des Beni-Khalfoun ou col
de Beggas). A 9 h. 1/2, le maréchal établit la tête de colonne au bivouac, un peu au-delà du
col sur un contrefort, boisé au sommet, qui descend dans la vallée de Bor’ni en face des Mzala
; le reste de la colonne rejoint successivement. Le camp est excellent, le diss est très abondant
ainsi que le bois, et un beau soleil de printemps permet enfin aux soldais de sécher leurs
vêtements détrempés par la pluie de la nuit. Le manque d’orge oblige encore à distribuer du
biscuit aux animaux.
Le 15 mars, la colonne descend par une arête assez facile quoique assez étroite, sur l’oued
Tamdekt (la carte porte oued Bou-Adila), et elle s’établit au bivouac à 1 kilomètre au-delà de
la rivière. On est au-dessous des villages des Mzala qui ont été détruits le mois précédent; les
évènements n’ont pris une tournure décidée que depuis si peu de temps que les gens de cette
fraction n’ont encore rien fait pour relever leurs maisons de leurs ruines.
Les tribus nouvellement soumises apportent assez d’orge pour qu'on puisse distribuer une
ration de 2 kilos.
Le 16, la colonne va camper à Hadjer-Djouhala, à côté du camp du général Gentil, où se
trouvent 260 artilleurs armés de grosses carabines, 250sapeurs du génie, 1 bataillon du 22° de
ligne, 1 bataillon formé des recrues du 3e léger et du 36e de ligne, 1 section d’artillerie, 1 sec-
tion d’ambulance et 12 cavaliers du 5e chasseurs à cheval. Le Maréchal décide que le bataillon
de recrues restera seul au col pour garder le pont de l’isser et le dépôt de vivres qui contient
90 000 rations (67).
Le 17, le Maréchal, confiant au général Gentil le soin de ramener les troupes, rentra à
Alger pour recevoir leurs Altesses Royales le duc d’Aumale et le prince de Saxe-Cobourg, qui
débarquaient à Alger pour prendre part aux opérations de l’armée. Un ordre général du 18
mars nommait le duc d’Aumale au commandement supérieur des subdivisions de Miliana et
de Médéa.
Le khalifa Si Mohamed-ben-Madhi-ed-din rendait compte, le 18 mars, que les Aribs
étaient tous soumis et se concentraient à El-Betoum. Lakhedar-ben-Taleb et Ould-Ferhat, des
Arib, qui avaient accompagné l’Émir jusqu’au Zarez, ont été, à leur passage dans les Oulad-
Dris, attaqués par 15 cavaliers de cette tribu ; Lakhedar a été égorgé et Ben-Ferhat, qui avait
pu s’échapper, a obtenu l’aman.
Retournant un peu en arrière, nous allons maintenant faire le récit de la fuite d’Abd-el-
Kader des Oulad-el-Aziz et des faits qui sont survenus dans sa retraite précipitée.
Le 5 mars, le jour où la colonne expéditionnaire s’était trouvée réunie au Fondouk, Abd-
el-Kader avait convoqué une réunion de notables Kabyles à Bor’ni espérant, par un effort
suprême, entraîner le pays à la guerre sainte; mais il s’était encore une fois heurté au parti-pris
bien arrêté de s’abstenir de toute agression à notre égard. Les Kabyles, qui se croyaient

67
Le Maréchal a décidé, le 29 mars, que la garnison tête de pont de l’Isser évacuerait le poste le 5
avril, que la garde du pont et des ouvrages serait confiée au caïd des Isser, Saïd-Ben-Guennan qui y
entretiendrait un poste de 60 hommes, et que la garde de la redoute des vivres serait confiée au caïd
des Khachna, Ben- Merah.
invincibles dans leurs montagnes et qui n’espéraient pas pouvoir nous chasser de l’Algérie, ne
voyaient pas la nécessité pour eux de se jeter dans les aventures : « S’ils viennent chez nous,
disaient-ils, nous nous défendrons, mais nous n’avons rien à gagner à aller leur chercher noise
; nous avons au contraire tout intérêt à maintenir de bonnes relations avec eux pour les
avantages que nous procure le commerce dont nous avons besoin pour vivre ».
Ils jouissaient d’une indépendance complète et ne voulaient pas risquer de la perdre par
une guerre imprudente. Le Maréchal leur avait dit qu’il ne voulait pas combattre les tribus,
mais simplement chasser de leur pays les perturbateurs qui cherchaient à les entrainer à la
guerre ; les lois de l’hospitalité ne leur permettaient pas de repousser les étrangers qui s'étaient
réfugies chez eux, mais ils ne demandaient pas mieux que de les voir partir de leur plein gré.
Voyant qu’il n’avait rien à attendre des Kabyles qui étaient trop pratiques pour tout
sacrifier à la haine du chrétien, l’Émir prit le parti d’aller chercher ailleurs les hommes qui lui
manquaient pour continuer la lutte. Avec la rapidité de décision qui le caractérisait, le jour
même de la réunion de Bor’ni, où son éloquence avait encore échoué, il partait de la
montagne des Oulad-el- Aziz et, le 6 mars, évitant la colonne du colonel Camou, il tombait
comme la foudre sur les campements de la tribu Makhezen des Douairs, et y exécutait une
immense razzia qu’il ne put pas mieux garder que celle des Issers. Nous allons donner un
extrait du compte-rendu, daté de Nezlioua, le 13 mars, qu’en a fait le maréchal Bugeaud au
Ministre de la guerre :

«… Le 7 mars, le colonel Camou était à El-Abiod, au nord


de Birin, près d’Aïn-Oussera (68). Abd-el-Kader ayant quitté, le 5, les pentes sud du Djurdjura,
s’était dirigé vers le Sud avec 12 à 1,500 cavaliers. Le 6, il exécuta une razzia sur les Douairs,
à peu de distance de Birin, à 5 ou 6 lieues du colonel Camou ; plus de 25,000 têtes de bétail
ainsi que 1,000 chameaux, beaucoup de femmes et, entre autres, celles de notre agha Chourar,
tombèrent entre ses mains.
» Le colonel Camou parvint à le rejoindre, le 7, à Boririk, au nord du Djebel-Khider,
emmenant sa razzia. Dès qu’il fut en vue de l’émir, il laissa dans une bonne position les sacs
et les bagages sous la protection de quelques compagnies et s’avança résolument sur lui formé
sur 4 bataillons, sa cavalerie au centre, dans l’ordre que j’ai si souvent recommandé.

» Abd-el-Kader, avec ses réguliers, fermait la marche ; ses goums irréguliers marchaient
en avant, poussant devant eux les troupeaux et prises. Notre infanterie, quelque légère qu'elle
fût, ne pouvait lutter de vitesse avec celte émigration. Le colonel jugea à propos de lancer sa
cavalerie commandée par le lieutenant-colonel de Noue. Cette cavalerie ne comptait que
150chasseurs ou spahis et quelques cavaliers arabes de nos alliés. Abd-el-Kader n’était plus
séparé de nous que par une distance d’une lieue et demie environ.
» Le colonel de Noue fut bientôt à quelques centaines de mètres de lui et l’attaqua si
vivement qu’il le força à abandonner successivement toutes les dépouilles qu’il avait enlevées
à nos Douairs. La résistance des réguliers fut très opiniâtre, et ils n’abandonnèrent la partie
qu’à la dernière extrémité et après avoir laissé sur le terrain 70 des leurs. Les 25,000 têtes de
bétail, les 1 000 chameaux, toutes les femmes enlevées furent repris, et plus de 250 chevaux,
soit de réquisition, soit des goums de l’émir, restèrent en notre pouvoir ; la journée fut donc
68
Sa colonne comprenait 2 bataillons du 33e, 1 du 13e léger, un demi-bataillon du 22e de ligne, 1
compagnie de tirailleurs, la valeur de 2 escadrons de chasseurs d’Afrique, de chasseurs de France et
de spahis, 3 pièces de montagne ; elle comptait 60 officiers et l 200 hommes.
complète (69).
» Le général Yusuf, parti précipitamment de Boghar, a fait sa jonction le 8 avec le colonel
Camou et s’est lancé sur les traces d’Abd-el-Kader, qui avait continué de fuir vers le sud. J’ai
lieu de croire qu’avec ses 500 chevaux, chasseurs et spahis, et nos nombreux alliés il mettra
en déroute les forces de l’Emir…
» Le 12, la colonne bivouaquait à Meliliha chez les Oulad-ben- Alia ; Abd-el-Kader en
faisait autant à quelque distance en avant, à la sortie du défilé de Gaïga dans le Djebel-Sahari ;
le général Yusuf résolut de surprendre l’Emir par une marche de nuit et il y réussit
complètement, comme nous allons voir dans un extrait du rapport qu’il fournit le 15 mars sur
cette affaire.
»…Le 12, le colonel (Camou) arrivait à Gaïga après avoir
rencontré le malin un bivouac quitté la veille par l’ennemi ; celui- ci, n’ayant les yeux (pie sur
cette colonne, n’aperçut pas la mienne qui arrivait au même point deux heures plus tard. Je
plaçai mon camp dans un lieu très caché et où les éclaireurs ne pouvaient estimer mes forces;
une reconnaissance me fit découvrir que, le matin même, Abd-el-Kader avait campé à peu de
distance et que son nouveau camp, dont on apercevait la fumée, était à 8 lieues de nous. A 5
heures du soir, je parlais avec 600 chevaux Commandés par M. le lieutenant-colonel de Noue,
et 400 hommes à dos de mulet commandés par le colonel Renault ; je confiai mon camp à M.
le colonel Camou.
» Le terrain qui était sablonneux et la lune qui éclairait parfaitement, me permirent de
suivre les traces de l’ennemi, qui me parut avoir 1 500 chevaux ou mulets ; à 11 heures
j’arrivai sur un bivouac qu’Abd-el-Kader venait de quitter peu de temps auparavant sur l’avis
de notre marche qui avait été éventée. Je me remis sur la piste, mais, comme cette poursuite
devait m’entraîner très loin, j’expédiai l’ordre à M. le colonel Camou d’envoyer 2 bataillons à
6 lieues en avant sur la route que je venais de parcourir; ces 2 bataillons, sous les ordres du
commandant Sutton de Clonard, se rendirent rapidement à leur poste.
» A 5 heures du matin, j’aperçus les feux de l’ennemi à 1,000 mètres, au pied d’une
colline du haut de laquelle je le dominais. Je pris de suite mes dispositions pour l’attaquer à la
tête de mon infanterie, pendant que je l’envoyais reconnaître par un homme à pied qui,
revenant quelques instants après, m’annonçait qu’Abd-el-Kader venait de prendre la fuite
laissant toutes ses tentes et tous ses bagages sur le terrain ; c’était la troisième fois, en 12
heures, (pie nous le délogions.
» A cet instant, le jour commençait à paraître ; j’aperçus à une lieue environ la cavalerie
ennemie et sa tokla (bagages) qui fuyaient. Je partis aussitôt à la tête de ma cavalerie, (pie je
lançai dans toutes les directions pour cerner l’ex-émir. M. le capitaine Ducrot, chef du bureau
arabe, avec ses goums et un escadron de spahis, fut assez heureux pour le joindre le premier ;
en un instant, une grande partie de ses réguliers étaient tués ou faits prisonniers et deux
drapeaux étaient enlevés. La poursuite dura pendant 5 lieues ; plusieurs de nos chevaux
tombèrent raides morts de fatigue; les autres, qui venaient de faire trente lieues, ne pouvaient
aller plus loin ; Abd-el-Kader, nous abandonnant tout, s’enfuyait suivi de 14 cavaliers.
Quelques officiers les mieux montés s’acharnèrent après lui et le serrèrent de très près
pendant un instant; il ne dut son salut qu’à la vitesse supérieure de son cheval. Nous étions
alors à 7 ou 8 lieues de Bou-Saada, dans un pays dépourvu d’eau à plus de 10 lieues à la
ronde, si ce n’est dans la ville même. J’aurais bien poussé jusque-là ; mais comme je savais
que les habitants avaient appelé à eux l’ex-émir, je ne pouvais m’avancer à cette distance,
avec la chance de livrer un nouveau combat, à 35 lieues de mon camp.
« La démoralisation était telle que, craignant de se voir enlever par nous ses prisonniers,
69
D’après les renseignements recueillis plus tard, les pertes de l’ennemi étaient encore plus sérieuses
qu’on ne l’avait cru d’abord ; 110 réguliers étaient tombés et parmi eux le khalifa Ben-Kelikha et
quatre aghas.
MM. le lieutenant Lacotte et l’interprète Levy, il avait donné l’ordre de les tuer ; sa fuite était
si précipitée que les assassins n’ont pas eu le temps de les achever, el nous avons recueilli ces
deux Français blessés chacun de trois coups de feu. M. Levy a succombé quelques heures
après ; les blessures de M. Lacotte (70) n’offrent point de gravité. »
Signé : YUSUF.

Abd-el-Kader fut encore traqué pendant plusieurs jours dans une poursuite acharnée parle
général Yusuf, mais il réussit à s’échapper et à gagner le Sud Oranais.

CHAPITRE X
Situation de la Kabylie après le départ d’Abd-el-Kader- — Ben- Salem se fixe dans les
Beni-bou-Addou. — Colonne du colonel Mollière, avril, mai, juin 1846. —Fondation
d’Aumale qui devient chef-lieu de cercle. — Coup de main de Ben-Salem. — Le colonel
de Lamirault se rend avec une colonne à Aumale pour les travaux d’installation. —
Dispositions pacifiques dans le Sébaou ; Bel-Kacem-ou-Kassi rebâtit sa maison à
Tamda. — En janvier 1847, Si-Chérif-ben-Salem est autorisé à aller visiter son père
aux Beni-bou-Addou. — Pourparlers de soumission de l’ex-Khalifa Ben-Salem. — Il
fait sa soumission à Aumale le 27 février 1847. — Organisation du bach-aghalik du
Sébaou en faveur de Bel- Kassem-ou-Kassi et du bach-aghalik de l’Oued-Sahel en
faveur d’Aomar-ben-Salem. — Situation de la ville et du cercle de Dellys. — Expédition
de l’Oued-Sahel en mai 1847. — Le duc d’Aumale gouverneur de l’Algérie, le 11
septembre 1847. — Départ de Ben-Salem et de quelques-uns de ses partisans. —
Création du caïdat de Bouïra. — Création d’une direction divisionnaire des affaires
arabes à Alger. — Naufrage près d’Azeffoun de V Élisabeth-Hortense. — Bel-Kassem-
ou-Kassi ramène les naufragés et leur fait restituer les marchandises pillées. —
Reddition d’Abd-el-Kader le 22 septembre 1847 et de son khalifa Si-Ahmed- ben-Amar.
— Assassinat du capitaine Castex.

La nouvelle des échecs successifs de l'émir avait ramené une sécurité générale dans le
bassin du Sébaou ; les Ameraoua, les Beni-Tour, les Taourga et les Isser, qui avaient dû
quitter leur territoire, avaient repris possession de leurs villages.
La soumission des Flissat-oum-el-Lil et des Maatka étant devenue plus sérieuse, Ben-
Salem ne put pas continuer à habiter dans la forêt de Bou-Mahni et il alla se réfugier dans les
Beni-bou-Addou, au village des Aït- Djima. Bel-Kassem-ou-Kassi retourna à Tamda et il prit

70
M. Lacotte a succombé trois mois plus tard ; il put fournir d'importants renseignements sur la
situation de l’Émir.
auprès de lui 80 cavaliers blessés, malades, démontés ou mal montés qu’Abd-el-Kader n’avait
pu emmener avec lui dans sa fuite précipitée; les tribus leur fournissaient, avec plus ou moins
de régularité, des vivres pour eux et de l’orge pour leurs chevaux. Mohamed- bou-Chareub
avait acheté des propriétés à Djemaâ- Sahridj et il s’installa dans ce village.
Ben-Salem cherchait encore à faire croire au retour prochain d’Abd-el-Kader, mais
personne ne s’y laissait plus prendre ; le vent était à la paix et Bel-Kassem-ou-Kassi laissait
entrevoir son intention de se soumettre.
Le 31 mars, le gouverneur général reçut à Alger la visite d’une vingtaine de chefs des
Beni-Djennad, Beni-Ouaguennoun et Flissat-el-Behar, qui étaient allés lui porter de nouvelles
assurances de soumission; le maréchal leur fit un très bon accueil et leur fit remettre des
cadeaux au bureau arabe.
Au mois d’avril 184G, le colonel Mollière, du 13 e léger, fut chargé d’opérer dans l’est de
la province de Titery, conjointement avec le duc d’Aumale, pour obtenir la soumission de
quelques tribus encore récalcitrantes et pour faire rentrer les contributions de guerre qui
avaient été imposées précédemment. Il avait sous ses ordres un bataillon du 3e léger, deux du
13« léger, formant un effectif de 1,540 hommes, 41 chevaux et 182 mulets. Cette colonne
n’eut pas de combats à livrer et nous nous contenterons de donner l’itinéraire qu’elle a suivi.
Quant à la colonne du duc d’Aumale, elle avait à opérer en dehors de la Kabylie et nous n’en
parlerons pas.
Parti d’Alger le 24 avril, le colonel Mollière fit étape à Douéra et il était le 25 à Blida, le
26 au pied du Nador et le 27 à Médéa, où il reçut du duc d’Aumale l’ordre de se rendre à
Sour-el-Djouab. Après avoir fait séjour le 28 à Médéa, la colonne campa le 29 à Berrouaguia,
le 30 à Souagui sur l’Oued-Melah et elle arriva le 1er mai au point assigné, où elle reçut un
convoi de ravitaillement envoyé par le khalifa Ben-Mahi-ed-Din. La colonne séjourna à Sour-
el-Djouab jusqu’au 5 mai, où elle alla camper à Kaf-el-R’orab ; elle était le 7 à l’Oued-Oulad-
Ferah et le 8 à l’Oued-Bou-Diffel à 2 kilomètres de Sour-el-R’ozlane, point où on allait
bientôt jeter les fondements d’un poste-magasin dont la création avait été décidée en principe.
Le même jour le colonel Mollière fit une razzia de 350 moutons et chèvres et de quelques
bœufs et tentes sur les premières pentes de l’Ouennour’a ; un caïd y fut tué. Le 10, la colonne
était à l’Oued-Feham, le 11 à l’Oued- Zéroua, le 13 à El-Betoum, où elle s’arrêta les 14 et 15
et fut rejointe par le khalifa Ben-Mahi-ed-Din. Le 16 le bivouac fut porté à Sour-el-Djouab,
où le duc d’Aumale prit le commandement delà colonne le 18.
La colonne se rendit de nouveau à Sour-el-R’ozlan et, le 27 mai, le duc d’Aumale y posa
la première pierre du poste-magasin; les travaux de construction commencèrent
immédiatement sous la protection des troupes dont le colonel Mollière reprit le
commandement le 30 mai. Le 9 juin, les Beni-Yala se présentaient au camp pour faire leur
soumission; elle fut apportée parAhmed- ben-Hamdach, Sliman-ben-Ali et Ben-Gouanoun. Le
10 juin la colonne se mit de nouveau en mouvement : elle arriva à Bouïra le 11, y séjourna le
12 et le 13 et, le 15, elle était de retour à Sour-el-R’ozlane, où elle resta jusqu’au 25 juin pour
la continuation des travaux. Elle fit encore une autre pointe sur Bouïra et rentra le 28 juin à
son camp de Sour-el-R’ozlane, qui venait de recevoir un nom officiel. Le ministre de la guerre
avait en effet décidé, à la date du 19 juin, que le poste-magasin s’appellerait Aumale « en
commémoration de ce que S. A. R. Mgr le duc d’Aumale en a posé la première pierre ». La
continuation des travaux ayant été ajournée jusqu’après les chaleurs, la colonne Mollière
reprit la route de Médéa le 30 juin et elle arrivait dans cette ville le4.juillet. Le colonel avait
emmené avec lui Mohamed- ben-Kouider des Adaoura, dont nous avons plusieurs fois parlé ;
c’était un homme très influent qui avait été longtemps le principal appui d’Abd-el-Kader dans
la région du Dira et avait été un des principaux instigateurs des prises d’armes de 1845 et
1846. Ayant fait sa soumission, on l’avait nommé caïd du Ksenna ; Ahmed-ben-Hamdach
avait été nommé caïd des Beni-Yala et avait été également conduit au commandant de la sub-
division.
Par ordonnance royale du 21 août 1846, Aumale était érigé en cercle relevant de la
subdivision de Médéa ; le colonel de Lamirault, commandant le régiment de zouaves, fut
nommé commandant supérieur du cercle.

Organisation du cercle d’Aumale


Si-Ahmed-Ouldel-Bey-bou-Mezrag, agha de 2e classe.
Lekehal-ben-el Oucif, son khalifa.

Grand caïdat du Dira supérieur, caïd des caïds Ben- Yahia-ben-Aïssa.


Oulad-Debab, caïd Ali-ben-Taleb.
Oulad-Otman, caïd Bou-Seboua.
Djouab, caïd Zitouni.
Oulad-Meriem, caïd Mohamed-ben-Messaoud.
Oulad-Ferah, caïd Sliman-ben-Amara.
Oulad-Dris, caïd Ben-Ali.
Oulad-bou-Arif, caïd Bel-Kassem-ben-Aïssa.
Oulad-Barka, caïd Bouzid-ben-Ali.

Grand caïdat du Dira inférieur, caïd des caïds Yahia- ben-Abdi.


Oulad-Abd-Allah, caïd Yahia-ben-Abdi.
Oulad-Selama, caïd Mohamed-ben-Selami.
Oulad-Si-Ameur, caïd Si-El-Guefiaf.
Oulad-Si-ben-Daoud, caïd El-Bikra.
Oulad-Sidi-Aïssa, caïd Si-Mohamed-ben-Messaoud.
Grand caïdat des Adaoura, caïd des caïds Abd-el-Kader-ben-Mohamed.
Oulad-Saïdan, caïd Mustafa-ben-Nadji.
adaoura Infia caïd Lakhedar-ben-Ahmed.

Oulad-Si-Moussa, caïd El-Aïdi.

Grand caïdat du Ksenna, caïd des caïds Mohamed- ben-Kouider.


Oulad-Salem, caïd El-Medani.
Beni-Ameur, caïd Mohamed-ben-Taïeb.
Beni-Iddou, caïd Ameur-ben-Namir. Oulad-IIamza, caïd Mohamed-ben-Saïd. Beni-Yala,
caïd Ahmed-ben-Koudach (71).

Grand caïdat des Oulad-Mokhtar-Cheraga, caïd des caïds Bel-Hadj-ben-Richida.


Oulad-Mokhtar-Cheraga et Oulad-Selima, caïd Guettar.
Mouïadat-Cheraga, caïd Si-Ben-Saada.
Sahari du Tell, caïd Alman-ben-Messaoud.
Sahari du Guebla, caïd El-Hadj-ben-Yahia.

Grand caïdat des Oulad-Dia, caïd des caïds Guettaf.


Oulad Dia, caïd Guettaf.
Oulad-Mohanni, caïd El-Harran.

Ben-Salem n’avait pas renoncé à faire de l’agitation dans les tribus du nouveau cercle ( 72).
71
Le véritable nom est Ahmed-ben-Hamdach, cité plus haut.
72
Des lettres trouvées dans un sentier près d’El-Henfra, le 5 septembre 1846, montrent qu’Abd-el-
A la fin du mois d’août 1846, il avait formé, avec le concours du chérif Mouley-Mohamed-
bou-Aaoud et du Mokrani El-Aïb, un rassemblement de tous les mécontents du Titery et des
Aribs, qui comptait une centaine de chevaux, et il avait essayé d'exciter à la révolte le Ksenna
et le Dira. Les gens du pays ayant refusé de le suivre, les agitateurs durent se retirer, ce qu'ils
firent en emmenant 56 chameaux de la fraction des Beni-Ahmed des Aribs. Dans la poursuite
qu’ils leur donnèrent, les nôtres ont perdu 4 hommes; l’ennemi avait eu un tué et un pri-
sonnier.
Le 4 octobre, accompagné d’une vingtaine de cavaliers, Ben-Salem tombait à l’improviste
sur quelques tentes des Aribs du Hamza et leur enlevait une vingtaine de bœufs et quelques
moutons qu’il emmenait aux Beni-bou-Addou. C’est la dernière fois qu’on le vit paraître dans
le Hamza.
Le khalifa Ben-Mahi-ed-Din prit, peu après, une revanche de cette razzia ; une bande de
maraudeurs tomba dans une embuscade qu’il avait fait tendre ; 4 d’entre eux furent tués et on
leur enleva 2 mulets.
Le 8 octobre 1846, une colonne composée de 1 bataillon de zouaves, 1 bataillon du 13 e
léger, du 3e bataillon de chasseurs d’Orléans, avec des détachements d’artillerie, du génie et
du train, formant un effectif de 45 officiers, 1 815 hommes, 80 chevaux et 23 mulets, partait
de Blida, sous les ordres du colonel de Lamirault, et elle arrivait à Aumale le 15. Le colonel
de Lamirault prit le commandement effectif du cercle, avec le capitaine Ducrot pour chef du
bureau arabe, et il fit commencer immédiatement les travaux de toute nature pour
l’installation permanente des troupes de garnison.
En même temps, 4 bataillons, sous les ordres du colonel Blangini, étaient employés à
l’ouverture d’une route muletière, par Sakamodi, destinée à assurer les communications entre
Alger et le nouveau poste d’Aumale.
Dans la vallée du Sébaou, les indigènes montraient toujours des dispositions pacifiques;
profitant de la tranquillité qui avait régné après le départ d’Abd-el-Kader, ils avaient étendu
leurs labours en plaine ; Bel-Kassem-ou-Kassi et Ben-Salem avaient été les premiers à donner
l’exemple. La récolte s’annonçait comme devant être très belle, et tout le monde désirait
vivement voir le calme se maintenir au moins jusqu’à son enlèvement. Les Kabyles
commençaient d’ailleurs à comprendre qu’il ne leur était plus possible de continuer la lutte
contre nous ; plus familiarisés avec nous, ils avaient pu voir qu’il n’y avait rien de commun
entre notre manière d’agir et celle de leurs anciens dominateurs, les Turcs, que les Français
n’étaient inspirés que par des sentiments de loyauté et de justice et ne demandaient qu’à les
voir prospérer. Aussi un sentiment général d’apaisement avait-il succédé à la fièvre guerrière
qui les avait, jusque-là, entraînés.
Bel-Kassem-ou-Kassi avait, à l’époque où nous sommes arrivés, des démêlés avec les
Beni-Raten à cause des exactions que se permettaient certains membres de sa famille ; son
frère Mohamed faillit même être tué par un Kabyle qu’il voulait dépouiller de sa propriété ;
aussi se sentait-il mal à l’aise dans sa maison de Rabta, située entre les Beni-Fraoucen et les
Beni-Raten, et désirait-il s’établir dans la plaine. Il fit des démarches auprès de l’agha de
Taourga Lemdani dans ce sens, et il eut même une entrevue avec lui à Makouda vers le milieu
du mois d’août. Il lui demanda s’il serait inquiété par les Français dans le cas où il relèverait
sa maison de Tamda ; il se faisait fort, si on l’autorisait à la rebâtir, d’empêcher tout acte
d’hostilité à l’égard de nos tribus soumises et de reconstituer en plaine les zmoul des
Kader songeait toujours à retourner en Kabylie; ces lettres étaient adressées au khalifa Ahmed-ben-
Taïeb-ben-Salem-ben-Abd-Allah, à l’agha Bel-Kassem- ou-Kassi, à Si-Mohamed-el-Khodja-Bou-
Chareub, à Si-El-Hadj- Mohamed, khalifa du chikh Ben-Abd-er-Rahman, et a d’autres personnages;
plusieurs portaient la date de chaban 1262 (premiers jours d’août 1846). L’Émir y expliquait les motifs
qui l’avaient empêché de retourner en Kabylie; mais il y annonçait son prochain retour, il y était fait
allusion au massacre des prisonniers français à la Deïra, massacre qui avait eu lieu dans la nuit du 27
au 28 avril.
Ameraoua- Fouaga. Cet arrangement fut accepté.
Cela n’empêcha pas Bel-Kassem de continuer à prélever, au nom du sultan Abd-el-Kader,
un impôt sur les récoltes des Beni-Ouaguennoun et d’agir en maître dans une partie de la
tribu. Quelques chefs investis par nous, qui avaient jugé prudent de se cacher, ont été amenés
devant lui, et il s’est contenté de les réprimander et de les menacer d’un châtiment s’ils
osaient, à l’avenir, faire usage de l’autorité qu’ils avaient reçue de nous.
A la fin du mois d’août, Ben-Salem arriva dans la vallée des Ameraoua, suivi d’une
quarantaine de fantassins et de quelques cavaliers, pour visiter le dépôt des cavaliers d’Abd-
el-Kader qui n’avaient pas pu le suivre et que celui-ci avait confié à ses soins. Ces gens,
d’abord établis à Tamda, avaient été transférés au pied des Azazga. Ils manquaient souvent de
tout, les Kabyles faisant la sourde oreille lorsqu’on leur demandait quelque chose pour eux; ils
étaient obligés de vendre leurs chevaux pour s’acheter des vêtements et des vivres, et
beaucoup avaient déserté ; de 80 qu’ils étaient dans le principe, il n’en restait plus qu’une
vingtaine, et ils seraient sans doute tous partis sans la surveillance que Bel-Kassem- ou-Kassi
faisait exercer sur eux.
En quittant les Ameraoua, Ben-Salem alla visiter Djemaa-Sahridj et les Beni-Raten.
Dans le courant d’octobre, Bel-Kassem-ou-Kassi ayant terminé sa maison de Tamda, s’y
installa. Il laissait déjà entrevoir son intention de nous demander l’aman. A ce même moment,
un frère de Ben-Salem faisait sa soumission et obtenait de s’établir dans les Beni-Djad.
Du côté des Flissat-oum-el-Lil, l’autorité française avait eu toute l’année des ennuis à
cause des querelles de l’agha Ben-Zamoum, excité par l’ancien caïd des Isser-ed-Djedian,
Ahmed-ben-Mohamed-ben-Kanoun, avec l’agha Allai, qui était poussé de son côté par le caïd
des Isser, Saïd-ben-Guennan. Ces querelles avaient pour objet la possession des terres d’Aïn-
Faci, et elles étaient si vives qu’à plusieurs reprises, les deux adversaires faillirent en venir
aux mains.
Au mois de janvier 1847, Si-Chérif-ben-Salem, fils de l’ex-khalifa d’Abd-el-Kader qui,
comme nous l’avons vu au chapitre II, s’était livré à nous au mois d’octobre 1843 et avait été
envoyé en France pour y faire son éducation, avait été amené à Aumale. Il obtint
l’autorisation d’aller voir son père aux Beni-bou-Addou, et son arrivée fut l’occasion de
grandes fêtes qui durèrent quatre jours. Le jeune homme fit de grands efforts auprès de son
père pour le décider à se rallier à nous, et il réussit à l’ébranler; Ben-Salem fit appeler Bel-
Kassem-ou-Kassi et Bou-Chareub pour se concerter avec eux. Il y eut ensuite des réunions de
notables dans les tribus et partout le sentiment général fut qu’il y avait intérêt à se soumettre.
Après une correspondance par lettres avec le commandant supérieur d’Aumale, Ben-Salem
eut une entrevue, dans la première quinzaine de janvier, au Mehalat-Ramdan (près de Teniet-
Djaboub), sur la crête du Djurdjura, avec le capitaine Ducrot, chef du bureau arabe, qui s’était
fait accompagner par les principaux chefs indigènes du cercle. D’autres entrevues suivirent
pour régler les conditions de la soumission. Pour montrer ses bonnes dispositions, Ben-Salem
fit mettre en liberté Ould-ben-Hamani, chef des Oulad-en-Nahr, dont nous avons déjà parlé,
que l’Émir Abd-el-Kader avait confié à sa garde comme prisonnier.
Enfin Ben-Salem se décida à se présentera Aumale, le 27 février 1847, accompagné de
son frère Aomar et d’un grand nombre de notables kabyles ; le maréchal Bugeaud était arrivé
dans cette place le 25 février pour passer l’inspection des travaux, et c’est entre ses mains que
l’ex-khalifa fit sa soumission, le 28 février. Bel-Kassem ou-Kassi aurait dû raccompagner, et
il s’était mis en route dans ce but; mais, ayant été pris d’une indisposition, il avait dû
rétrograder sur Tamda et il avait donné pleins pouvoirs à son beau-fils, Si-Amar-ou-
Hamitouch, pour le représenter.
Voici la lettre que le Maréchal écrivit à ce sujet au commandant Périgot, commandant
supérieur de Dellys :
« Aumale, le 1er mars 1847.
» Commandant,
» Je m’empresse de vous faire connaître que l’ex-khalifa Ben- Salem est venu hier me
faire sa soumission à Aumale, avec la plupart des grands chefs du pays, tels que Bou-
Chareub, Si-Abd-er- Kahman-el-Dcllisi, Si-Amar-oulid-ou-Kassi et un grand nombre d’autres
personnages. Si-Bel-Kassein-ou-Kassi devait aussi venir, mais, au moment de rejoindre Ben-
Salem, il a été saisi par une maladie assez grave et a du se faire remplacer par son frère, Si-
Amar (73).
» Je me suis occupé sans délai de pourvoir à l’organisation de l’ancien gouvernement de
Ben-Salem et j’ai constitué deux grands bach-aghaliks, l’un au nord, l’autre au sud du grand
pic du Djurdjura. Ben-Salem m’ayant manifesté le désir de ne point accepter pour lui-même,
quant à présent, le pouvoir, j’ai donné à son frère, Si-Aomar, le bach-aghalik du sud, qui
ressortira du cercle d’Aumale ; Si-Aomar sera le titulaire de l’emploi, mais, par le fait, Ben-
Salem sera l’âme de ce nouveau gouvernement.
« Quant au back-agalik que je me propose de donner à Bel- Kassem-ou-Kassi, c’est aussi
par les soins de Ben-Salem qu’il sera organisé. Si-Amar-Oulid-ou-Kassi, qui représentait son
frère auprès de moi, a entendu de ma bouche les paroles que j’ai prononcées au sujet du
gouvernement à constituer à son frère ; Ben-Salem et lui m’ont affirmé qu'ils agissaient en
son nom et que tout s’arrangerait pour le mieux. Ils partent demain pour retourner dans le
Djurdjura et là, ils s'entendront avec Bel-Kassem pour la réunion de tous les chefs kabyles qui
viendront recevoir l’investiture à Alger.
» J’ai dit à Ben-Salem et à Si Amar-Oulid-ou-Kassi, qu’en formant un aghalik pour Bel-
Kassem, j’entendais que nos aghas des Ameraoua et de Taourga continuassent leurs fonctions
sous ses ordres, et cela n’a donné lieu ù aucune objection. Le gouvernement de Bel-Kassem-
ou-Kassi comprendra toutes les tribus de la plaine et de la montagne, du bassin du Sébaou
jusqu’aux Isser el aux Flissat-oum-el-Lil, qui continueront d’être administrés comme
auparavant. Le bach-aghalik de Bel-Kassem-ou-Kassi ressortira au cercle de Dellys.
» Quant à Si Abd-er-Rahman-el-Delissi, l’ancien caïd de Dellys et le conseiller intime de
Ben-Salem, je lui ai promis de lui faire du bien et de lui faire rendre celles de ses propriétés
que le domaine n’avait pas encore prises pour ses besoins. Nous avons un grand intérêt à bien
recevoir ce personnage qui exerce une grande influence sur l’esprit de Ben-Salem.
» Son intention, m’a-t-il dit, est d’aller à la Mecque avec son Seigneur (Ben-Salem). Nous
ne chercherons pas à le retenir ; mais, on attendant qu’il effectue son voyage, nous devrons
nous montrer très bienveillants à son égard.
» Vous connaissez sa situation quant à ses propriétés ; vous écouterez ses propositions et
vous me ferez un rapport sur ce sujet ; je chercherai à le satisfaire sans nuire à nos intérêts.
Assurez-lui la protection entière de la part des autorités arabes de votre cercle.
» Ben-Salem a l’intention de marier son fils, Si-Cherif, avec la nièce de Si-Abd-er-
Rahman, de Dellys ; il m’a prié de vous informer de cette circonstance afin que vous ne
mettiez pas d’opposition à la consécration de cette union.
» Cette lettre vous sera remise par Si Abd-er-Rahman lui-même, qui doit se rendre sous
peu à Dellys.
» Recevez, Commandant, l’assurance de ma considération distinguée.
» Signé: Ml D. D’ISLY ».

L’ordonnance royale du 8 avril 1847 constituait le bach-aghalik de l’Oued-Sahel de la


manière suivante :
73
Si-Amar-ou-Kami touch était le fils d’Ahmed-Hamitouch, oncle de Bel-Kassem-ou-Kassi ; ce dernier
avait épousé la veuve de cet oncle et il avait élevé son enfant, Si-Amar, qui n’avait alors qu’un an ou
deux; il s’était attaché à lui et le considérait comme son propre fils.
Aomar-ben-Salem, bach-agha.
Aghalik des Beni-Djad, agha Si Allal-ben-Merikhi.
Tribus : Metennan, Oulad-Brahim, Oulad-Selim, Senhadjà, Cheurfa-el-Hareg, Beni-bel-
Hassen, zouatna.
Grand caïdat de l’Ouennour’a-R'eraba, caïd des caïds Mohamed-ben-Kouïder.
Tribus: Oulad-Salem (caïd El-Medani), Ksenna (Béni-Amar, Beni-Iddou) (caïd Kouïder-
bel-Abbès) ; Ahl-Hamza (caïd Mohamed-ben-Rocïd).
Sous le commandement direct de Si Aomar-ben-Salem.
Tribus : Harchaoua, Beni-Maned,Oulad-el-Aziz, Guechtoula, Beni-Meddour, Merkalla,
Beni-Yala, Ahl-el-Ksar, Sebocha, Beni-Mançour, Beni-Aïssi, Mecheddala, Beni-Ouakour,
Beni-Kani, Cheurfa.

On remarquera que les Guechtoula se trouvaient enlevés à l’agha Ben-Zamoum, qui n’y
avait d’ailleurs jamais exercé sérieusement son autorité. Cette modification ne répondait pas à
un besoin des populations ; les intérêts des Kabyles du versant nord du Djurdjura les
poussaient, non vers Aumale, mais vers Alger. C’est par là que se dirigeait leur commerce,
c’est de ce côté que les Kabyles qui cherchaient du travail trouvaient le plus facilement à
s’employer. Le rattachement des Guechtoula au bach-aghalik de l’Oued-Sahel avait été fait
uniquement pour donner satisfaction à la famille de Ben-Salem, qui avait vécu plusieurs
années aux Beni-Smaïl et aux Beni-bou-Addou et qui s’y était créé une influence.
Le 5 mars, les chefs les plus importants des Beni- Khalifa, Betrouna et Beni-Zmenzer se
rendirent à Dellys pour affirmer leur soumission ; ils faisaient partie, depuis 1844, du
commandement de l’agha Allai ; mais, jusque-là, ils s’étaient toujours tenus à l’écart.
Cependant, Bel-Kassem-ou-Kassi avait beaucoup de peine à déterminer les chefs des
tribus kabyles à le suivre à Alger ; dans une réunion de notables qui avait eu lieu à Tamda au
commencement d’avril, les Beni-Raten et les Beni-Fraoucen avaient même nettement refusé
leur consentement ; ils finirent pourtant par se décider à la démarche qui leur était demandée.
Bel-Kassem-ou-Kassi se rendit à Alger accompagné des personnages les plus marquants
de la Kabylie, et il y arriva le 10 avril 1847. Il s'y rencontra avec Ben-Salem et avec Si Abd-
er-Rahman-Dellissi, arrivés l’avant-veille et qui avaient été amenés par le colonel de
Lamirault, commandant supérieur d’Aumale et par le capitaine Ducrot, chef du bureau arabe.
Les nouveaux soumis reçurent le plus honorable accueil, des cavaliers et la musique militaire
furent envoyés au-devant d’eux et on les installa dans une maison du domaine préparée pour
les recevoir. Tous ces chefs furent vus dans les salons du gouverneur, on les promena en ville
et dans les envi- vous, et rien ne fut négligé de ce qui pouvait mettre en relief la puissance et
l’hospitalité française (74).
Bel-Kassem-ou-Kassi et les principaux chefs qui l’avaient accompagné se présentèrent, le
27 avril, au commandant supérieur de Dellys ; la vue de notre civilisation avait modifié leurs
idées sur notre puissance. Le 29 avril, ils repartaient pour Tamda.
Si Abd-er-Rahman-ben-Salem Dellisi avait été également saluer le commandant Périgot
qui l’avait reçu avec de grands égards et l’avait autorisé sur sa demande à s’installera El-
Assouaf auprès de Si El-Mahfoud-ben- Salem, proche parent de l’ex khalifa, mokaddem de Si
Abd-er-Rahman-bou-Goberine.
« Les grands commandements de l’Oued-Sahel et du Sébaou (75) se sont obligés à payer
un tribut annuel à la France, à ne recevoir aucun de nos ennemis, à maintenir la liberté du
commerce et la sécurité des routes pour les voyageurs, à protéger tout européen que les
74
La Grande Kabylie du général Daumas, p. 370.
75
Extrait du Moniteur du 30 avril 1847, dont les articles politiques étaient rédigés par le bureau central
des affaires arabes.
circonstances amèneraient dans leur pays.
« Tant que ces conditions seront observées, nous ne devrons point occuper leur territoire
ni le parcourir avec nos colonnes.
« Nous n’avons pas à intervenir dans l’administration intérieure des tribus et nous ne leur
nommons ni caïds, ni chikhs, ni cadis (76).
« Si notre autorité est moins étendue, si elle ne s’exerce pas journellement dans tous ses
détails, en revanche, beaucoup de petites difficultés disparaissent et nos obligations sont
moins grandes. »
Le commandement de Bel-Kassem-ou-Kassi comprenait les aghaliks, des Ameraoua-
Tahta et des Taourga, et en outre, toutes les tribus à l’est de ces aghaliks, sur lesquelles il
aurait assez d’influence pour établir son autorité ; c’étaient : les Beni-Raten, Beni-Fraoucen,
Beni- Khelili, Beni-bou-Chaïb, Beni-Yahia, Beni-Idjeur, Beni- Robri, Beni-Flik, Zerkhfaoua,
Beni-Djennad. Tout cela n’était pas bien défini, le pays ne nous [était pas encore connu et il
était difficile d’assigner des limites précises.
Dans sa lettre du 1er mars, que nous avons vue plus haut, le maréchal avait décidé que le
bach-aghalik ressortirait au cercle de Dellys ; puis, le 15 avril suivant, il modifiait cette
décision en prescrivant que le contrôle de Dellys ne porterait pas sur les tribus dont le com-
mandement indépendant avait été donné à Bel-Kassem-ou-Kassi et, le 11 août, le général
Bedeau, gouverneur général par intérim expliquait qu’il ne devait rester annexé au cercle de
Dellys que la banlieue, les Beni- Tour, les Beni-Slyim, Sebaou-el-Kedim, Taourga (com-
prenant les villages des Beni-Attar, Bou-Habachou, El- Redaïr, Dar-Beïda, Tazrout, Oued-
IIclal, Barlia, Azib-bou-Hattab, Oulad-Ouaref, Kettous, Bordj-Sebaou) et, dans l’aghalik
d’Allal-ben-Srïer, les zinoul d’Aïn-Faci, Kaf-el-Aogab, Dra-ben-Khedda, El-Itama, Sidi-
Namen, Oulad-bou-Khalfa, Tizi-Ouzou, Abid-Chemlal, Timizar Lor’bar, Sikh-ou-Meddour,
Tala-Atman, Tazazerait. Toutes les autres tribus attribuées par l’ordonnance royale du 11 juin
1844 aux aghas de Taourga et des Ameraoua, devaient être regardées comme faisant partie du
commandement indépendant de Bel-Kassem-ou-Kassi, et ce chef indigène n’était soumis pour
elles à d’autre contrôle que celui du Gouverneur général, exercé par l’intermédiaire de la
direction centrale des affaires arabes. Ainsi quand le bach-agha donnait par exemple, à l’agha
Lemdani un ordre concernant le territoire de Taourga, le commandant supérieur de Dellys
avait un contrôle à exercer ; tandis que s’il lui donnait un ordre concernant les Beni-
Ouaguennoun ou les Flissat-el-Behar, cet oflicier supérieur n’avait rien à y voir. Tout cela
était bien compliqué et devait donner lieu à de nombreux tiraillements.
Bel-Kassem-ou-Kassi s’était engagé à verser une lezma annuelle de 30.000 francs, dont il
répartissait à son gré la charge entre les tribus de son commandement. 11 lui était alloué un
traitement de 6.000 francs par an.
Nous croyons intéressant de reproduire une note du Moniteur du 20 juin 1847 qui donne la
situation de la ville de Dellys à cette époque.
« Lorsque nous sommes arrivés à Dellys, nous y avons trouvé une population indigène de
1 100 habitants. A la fin de la campagne d’été, les principaux points de défense étaient mis
hors d’atteinte par des blockhaus entourés de redoutes en maçonnerie ; l’hôpital, installé dans
la grande mosquée, était complété en accessoires, les officiers de troupe trouvaient
d’excellentes baraques étagées parallèlement au rivage. La population civile, d’abord
concentrée au quartier de la marine, commençait à envahir les plateaux qui dominent. Les
magasins de vivres, de campement, des munitions de guerre, bureau arabe, trésor, douane,
direction du port, entrepôts du génie, deux fours à chaux, deux briqueteries sont terminés pour
le commencement de 1845.
76
Ceci n’a été appliqué que dans le commandement de Bel- Kassem-ou-Kassi où nous ne nommions
pas de chefs indigènes. Nous ne nous sommes départis de cette manière de faire qu’après l’expédition
du général Bandon de 1854.
« Vers la même époque le plan de la ville alloti donne essor à la colonisation et, à la fin de
1845, il y a 400 habitants, 61 maisons ; la milice organisée à 200 hommes. A la fin de 1846,
on a 73 maisons en maçonnerie, 14 en bois, d’une valeur de plus de 650.000 francs, l’enceinte
est terminée aux trois cinquièmes ; grand réservoir d’eau de 60 hectolitres, fontaines, lavoir,
route carrossable, hôpital presque achevé.
« Le commandant Périgot a profité de la solennité du 1 er mai pour inaugurer la mosquée
construite en échange de celle qui sert d’hôpital, en y réunissant les chefs indigènes. »
Dans le courant du mois de mai 1847, le Maréchal Bugeaud fit une expédition combinée
avec les troupes des divisions d’Alger et de Constantine pour soumettre les tribus de la vallée
de l’Oued-Sahel (77) (cette rivière prend dans la partie inférieure de son cours le nom de
Summam). Le Maréchal partit d’Alger, le R mai à la tête d’une colonne de 8.000 hommes,
prit la nouvelle route d’Aumale, jusqu’un peu au-delà d’El-Betoum (Les Frênes) ; puis
changeant de direction vers l’est, il campait le 12 à Bouïra.
Parti de Sétif le 14, avec plus de 7,000 hommes, le général Bedeau se dirigeait vers la
vallée du Bou- Sellam.
Le 15 mai, le Maréchal Bugeaud campait à Sidi- Moussa au bord de l’Oued-Sahel, en face
des Beni- Abbès et, la nuit suivante, les Kabyles attaquaient le camp. Le 16 mai la colonne
marche sur les Beni-Abbès, enlève de vive force le village d’Azrou, que les indigènes
croyaient inexpugnable, et les Beni-Abbès se soumettent. Cet exemple est suivi par les tribus,
voisines : Béni-Aïdel, Illoula, Beni-Our’lis.
De son côté, le même jour, le général Bedeau campait en face des Reboula, où s’étaient
réunis les contingents amenés par le chérif Mouley-Mohamed-bou-Aoud et leur livrait combat
; le lendemain après un nouvel engagement, le général Bedeau obtenait la soumission de ces
gens et des Beni-Ourtilan. Le 19 mai, les Beni-Hafif et les Guifsar mettaient aussi bas les
armes.
Dès lors, les deux colonnes n’eurent plus à combattre, mais simplement à enregistrer les
soumissions. Le 23 mai, les deux colonnes, ayant fait leur jonction, campèrent en face de
Bougie.
Les Kabyles du Djurdjura avaient eu le bon esprit de s’abstenir d’aller combattre la
colonne expéditionnaire.
Le 24 mai eut lieu l’investiture de plus de 60 chefs indigènes, et, le lendemain, laissant au
général Gentil le soin de ramener sa colonne, le maréchal s’embarquait pour Alger. C’était sa
dernière expédition en Algérie ; quelques mois après, le 11 septembre, le duc d’Aumale était
nommé gouverneur général de l’Algérie, et il débarquait à Algérie 5 octobre. Tous les grands
chefs indigènes, et, en particulier, Bel-Kassem-ou-Kassi et Aomar-ben-Salem, allèrent lui
porter dans celle ville leurs souhaits de bienvenue.
Le général Changarnier avait été nommé au commandement de la division d’Alger le 27
septembre précédent.
Si-Ahmed-Taïeb-ben-Salem, l’ex-khalifa d’Abd-el- Kader, s’était embarqué à Alger, le 24
septembre, sur un vapeur qui devait s'arrêter à Dellys et y prendre différents membres de sa
famille et certains personnages religieux comme Chikh-Mobarek, Si-el-Hadj-Abd-Allah,
Chikh-el-Mahdi, qui l’accompagnaient à la Mecque. Au dire des Kabyles, l’ancien khalifa
avait espéré, en faisant sa soumission, recevoir un vaste commandement; celui qui lui avait
été offert ne lui ayant pas paru suffisant, il avait pris le parti de s’expatrier.
Des difficultés régnaient toujours dans l’aghalik des Flissa et dans les Isser : le 27 juin, les
habitants de Sebaou-el-Kedim, zmala dépendant de l’agha Allai, ont été obligés d’aller se
mettre sous la protection des cheiks de Bordj-Sebaou, Aii-Moussa et Ali-ou-Dachen, pour
échapper à une razzia qui devait être opérée sur eux par les Flissa, à l’instigation de Ben-
Zamoum. Peu après, ce chef indigène, ayant voulu sévir chez les Beni-Arif pour les punir de
77
Lire le récit de cette expédition dans la Grande Kabylie du général Daumas.
diverses exactions, a été reçu à coups de fusil et a été obligé de se retirer avec son goum à
Bordj-Menaïel.
Au mois d’août, les Isser-Drœu se révoltèrent contre leur caïd Saïd-ben-Guennan auquel
ils refusaient de payer l’achour, et les récalcitrants s’enfuirent chez les Flissat-oum-el-Lil. La
présence de leur agha, El-Arbi-ben-Kahia, qui arriva avec un goum considérable, les fit
rentrer dans le devoir. Mais, dans la nuit du 7 au 8 septembre, le caïd Saïd-ben-Guennan était
assassiné dans sa maison, à Guenanna, par deux coups de feu tirés à bout portant.
Le caïdat des Isser fut alors scindé en deux : El-Hadj- Ahmed-ben-Abid fut nommé caïd
des Isser-Drœu et des Isser-el-Ouïdan, et Bel-Abbès-ben-Sifi, caïd des Isser-el-Djedian et des
Isser-Oulad-Smir.
Si-Aomar-ben-Salem, notre bach-agha de l’Oued-Sahel, était loin d’avoir la valeur de son
frère Si-Ahmed-Taïeb ; d’un caractère léger, dissipateur, mou, aimant ses aises, il n’avait pas
sur les tribus l’autorité et l’influence nécessaires pour obtenir l’obéissance et pour apaiser les
rivalités entre les chefs subordonnés. On songea alors à reconstituer le caïdat de Bouïra, qui
existait au temps des Turcs, pour le confier à Si-Bouzid-ben-Salem, de la famille de l’ex-
khalifa dont il était d’ailleurs le beau-frère. C’était un homme instruit, intelligent, plein de
dignité, de droiture et de distinction, d’un caractère doux et conciliant, respecté de tous ; on le
prenait souvent pour arbitre des différends qui se produisaient dans le pays. Son séjour dans
les tribus du Djurdjura avec l’ex-khalifa Ben-Salem lui avait acquis sur elles un certain
ascendant.
La création du caïdat de Bouïra fut approuvé, le 10 novembre 1847, par le ministre de la
guerre Trézel dans les conditions suivantes :
« 1° Le caïdat de Bouïra est rétabli : il comprendra les tribus du versant sud du Djurdjura
depuis les Oulad-el-Aziz jusqu’aux Beni-Mellikeuch et les tribus du Ksenna dépendant de
rOued-Sahel (78).
» 2° Si-Bouzid, cousin et beau-frère du bach-agha Si-Aomar-ben-Salem, est nommé caïd
de Bouïra ; il habitera avec sa famille dans le bordj de Bouira, auquel des réparations
indispensables (79) seront faites par le génie militaire ; il aura à sa disposition un makhezen
d’une centaine de cavaliers recrutés principalement chez les Oulad-Bellil ; ces cavaliers ne
recevront pas de solde, ils seront indemnisés par un dégrèvement d’impôts et par la location
de gré à gré, à des conditions avantageuses, des terres du beylik situées aux environs du fort ;
» 3° Le bach-agalik de l’Oued-Sahel sera divisé en deux parties principales : l’aghalik des
Beni-Djad sous les ordres d’Allal-el-Merikhi, et le caïdat de Bouïra commandé par Si-Bouzid.
78
On a omis de mentionner les Guechtoula.
79
Le maréchal Valée avait déjà voulu occuper le bordj de Bouïra en 1839, mais une tempête affreuse
menaça d'engloutir les troupes réunies à Kara-Moustafa et força d’ajourner cette entreprise. Des
hommes et des mulets périrent dans cet affreux cataclysme, qui eut amené un désastre s’il eut éclaté
après (pie la colonne, traînant avec elle des canons de siège, se fut engagée dans les défilés
inextricables situés au-delà de l’Oued-Khedra, ce Rubicon de l’Algérie (Campagnes de l’armée
d’Afrique du duc d’Orléans).
Un rapport du 17 novembre 1847 indiquez en ces termes l’état du fort :
Il occupe un plateau de 150 m. de l’est à l’ouest et de 200 m. du nord au sud. Il est entouré, sur trois
faces, de ravins profonds et sur la 4e se trouve une dépression de terrain assez forte. Le fort ne
découvre pas le fond des ravins, ce qui fait qu’il est abordable à petite distance. Sa surface extérieure
est formée par un carré dont chaque côté a 40 m. et encore les rampes des plates-formes dimi¬nuent
l’espace libre.
Ce bordj construit avec une régularité assez remarquable, forme un fort étoilé présentant 8 saillants,
dont 4 avec plates-formes et embrasures. Les autres saillants sont garnis de créneaux. Une citerne
existe sur toute l’étendue de la cour intérieure ; elle est indispensable à l’existence du fort, l’accès de
la rivière étant impossible en cas de blocus.
La muraille est haute de 10 m. Le fort était armé au temps des Turcs de 11 pièces de canon qui gisent
maintenant sans affûts.
Ces deux chefs relèveront du poste d’Aumale ;
» 4° Le bach-agha Si-Aomar conservera la jouissance de son titre et de son traitement ; il
aura droit, comme les autres aghas, à la part déterminée par les règlements dans la collection
des impôts et des amendes et aux redevances payées sur le marché de Bouïra ».
Le titre de bach-agha n’était plus qu’honorifique, Si Aomar n’avait plus de
commandement effectif; mais il convient de dire qu’il a rempli avec zèle les missions qui lui
ont été confiées en diverses occasions.
Le duc d’Aumale donnait des ordres, le 7 décembre, pour faire commencer
immédiatement les travaux de restauration, et le colonel de Lamirault arrivait à Bouïra le 15
décembre, avec un bataillon, pour présider à la mise en train de ces travaux. Le 18, il assistait
à l’ouverture du marché du sebt de Bouïra dont la création venait d’être décidée, et il profita
de cette occasion pour donner l’investiture avec plus de solennité aux nouveaux chefs
indigènes.
Si Bouzid avait pour caïd du makhezen Ben-Yahia- ben-Bouzid, qui était en même temps
caïd des Oulad-Bellil, tribu à laquelle il appartenait.
Par décision du 3 novembre 1847, une direction divisionnaire des affaires arabes avait été
créée, comme dans les autres provinces, auprès du général commandant la division d’Alger.
Le commandant Durrieu, chef du bureau arabe de Médéa, avait été nommé, à la même date,
au nouvel emploi de directeur divisionnaire. Le pays Kabyle entre Dellys et Bougie,
continuait à relever de la direction centrale.
Le 15 décembre le lieutenant-colonel Rivet, du 4’ chasseurs d’Afrique, était nommé
directeur central des affaires arabes, en remplacement du colonel Daumas, dont la démission
était acceptée.
Au mois de décembre, les Animal avaient fait rébellion contre leur agha El-Arbi-ben-
Kahia et lui avaient même tiré des coups de fusil ; le général Changarnier profita du
relèvement de la garnison d’Aumale pour se porter sur leur territoire, le 16 décembre. La
présence de nos troupes suffit pour ramener la tribu dans le devoir ; les Ammal firent leur
soumission et payèrent l’amende qui leur fut infligée.
Des difficultés s’étant élevées entre le bach-agha Si Aomar-ben-Salem et l’agha Ben-
Zamoum au sujet du commandement des fractions des Oulad-Sidi-Aïssa (sur la rive gauche de
l’Isser, au sud des Zouatna), des Beni- Maned et des Harchaoua, le gouverneur général avait
décidé, le 21 novembre, qu’elles relèveraient du bach-aghalik de l’Oued-Sahel.
Le 28 novembre, le chikh d’Azefloun, tribu des Zerkhfaoua, nommé Saïd ou Braham, se
présenta à Dellys apportant la nouvelle du naufrage d’un navire qui avait fait côte, dans la
journée du 18 novembre, près de l’embouchure de l’Oued-Sidi-Hand-ou-Youcef, un peu à
l’est du petit port d’Azeffoun. Ce navire était le brick goélette l’Elisabeth-Hortense, qui venait
de Marseille chargé de farines à destination de Philippeville. Le chargement avait été pillé par
les Kabyles des Zerkhfaoua et l’équipage, composé de six personnes, avait été fait prisonnier
et emmené à Azeffoun ; les gens de ce village demandaient 5 000 francs pour sa rançon.
Le commandant supérieur rendit immédiatement compte de ces faits à Alger. Le bach-
agha Bel-Kassem- ou-Kassi reçut la mission de s’occuper de celte affaire, et la lettre ci-après,
datée du 22 décembre, du lieutenant-colonel Rivet, va nous montrer de quelle façon ce chef
indigène sut la remplir.
« Vous avez sans doute appris soit par les journaux d’Alger soit par des renseignements
kabyles, la suite heureuse donnée, par Bel-Kassem-ou-Kassi, à l’affaire des naufragés des
Zerkhfaoua...
» A peine eûtes-vous signalé au général Changarnier le naufrage d’un bâtiment sur la côte
entre Dellys et Bougie, que j’écrivis à Bel-Kassem-ou-Kassi en lui faisant remettre ma lettre
par Hamoud, l’interprète temporaire de ma direction ; je chargeai celui-ci d’activer les
démarches de notre bach-agha.
» Au reçu de ma lettre, Bel-Kassem-ou-Kassi jura sur sa tête qu’il accomplirait ce que
nous demandions de lui. Il écrivit immédiatement aux Zerkhfaoua en leur annonçant son
arrivée prochaine au milieu d’eux et en les menaçant de toute la colère de la France si le
moindre dommage était fait aux Français naufragés et à la cargaison du navire. Le lendemain,
il se mit en route avec Hamoud accompagné seulement de deux de ses amis et arriva, après
quatre jours de marche, sur le rivage où avait péri le navire. Je laisse parler Hamoud.
» De Tamda des Ameraoua, nous allâmes coucher le premier jour à Tifrit-Naït-el-Hadj.
Les chefs de la tribu se réunirent à nous et nous arrivâmes le lendemain chez les Beni-Flik.
Là, plusieurs chefs kabyles vinrent encore nous rejoindre et nous partîmes tous ensemble,
ramassant sur notre route les chefs des diverses fractions dont nous traversions le territoire. Le
troisième jour, nous reçûmes l’hospitalité des Oulad-Sidi-Yahia, où se compléta la réunion de
tous les gens influents du pays. Le quatrième jour, nous atteignîmes les Zerkhfaoua et nous
nous trouvâmes sur le théâtre des évènements.
» Le premier soin du bach-agha fut d’appeler auprès de lui les djemaas des quatre villages
dont les habitants avaient recueilli les naufragés, mais qui s’étaient déjà partagé la partie de la
cargaison qui avait échappé au désastre.
» Bel-Kassem leur fit comprendre qu’il venait, par ordre de S. A. B. le gouverneur
général, leur demander compte de leur conduite à l’égard des malheureux naufragés
européens et, pour donner plus de force à ses paroles, il leur fit remarquer la présence de
l’envoyé du directeur des affaires arabes d’Alger.
» — De quel droit, leur dit-il ensuite, avez-vous pillé un bâtiment français et fait
prisonniers les marins qui le montaient? » Les Kabyles furent tout interdits et répondirent
qu’ils y avaient été autorisés par leur chikh Saïd-ou-Braham, qu’ils n’avaient pas été tous
d’accord à ce sujet, que les uns voulaient le pillage immédiat, que les autres demandaient
qu’on informât le bach-agha de la circonstance, qu’enfin c’était l’autorisation du chikh qui
avait levé tous les scrupules et que le feu n’avait été mis au bâtiment que dans le but d'en
arracher le dernier morceau de fer.
» Les Kabyles apprirent encore à Bel-Kassem que le chikh avait recueilli les naufragés
dans sa maison et qu’il s’était rendu à Dellys pour prévenir, disait-il, l’autorité française.
» Ce n’était qu’une spéculation de la part du chikh, car nous apprîmes plus tard qu’il avait
proposé au commandant supérieur de Dellys de négocier la mise en liberté des naufragés
moyennant une rançon de 5,000 francs, prétendant qu’ils étaient prisonniers dans une autre
tribu.
» Il nous restait à faire remettre les gens de l’équipage et les marchandises qui avaient été
pillées. Bel-Kassem menaça les Zerkhfaoua de la colère de la France s’ils n’obéissaient aux
ordres de S. A. B. Les différents chefs des autres tribus se joignirent franchement à lui et
donnèrent tort à la fraction coupable des Zerkhfaoua.
» Se voyant ainsi abandonnés, ces Kabyles se résignèrent à une restitution complète. Six
marins français nous furent rendus ; le capitaine du navire avait péri dans le sinistre, de l’aveu
même de l’équipage, emporté par une vague au moment de l’échouage. Les marchandises en
mauvais état et divisées en mille parts, nous furent également remises. Nous en times le dépôt
à des hommes de la tribu après en avoir donné l’inventaire, et nous nous remîmes en route
avec les six marins. Bel-Kassem voulut lui-même se rendre à Alger pour rendre compte à S.
A. R. du résultat de ses démarches. Nous arrivâmes en 1 jours à Alger, en marchant depuis le
matin jusqu’au soir.
» Bel-Kassem a reçu un gracieux accueil de Son Altesse Royale. »

Bel Kassem-ou-Kassi profita de sa présence à Alger pour soumettre à l’autorité supérieure


diverses questions. Il revendiquait le commandement des Beni-Tour et des Beni-Slyim
comme faisant partie de l’aghalik de Taourga ; mais cette prétention, qui n’était pas fondée,
ne fut pas admise.
Il obtint de payer la lezma imposée aux tribus de son commandement en deux termes de
15 000 francs payés tous les six mois ; pour l’année 1847, le Prince consentit à le dégrever
d’une somme de 5 000 francs.
L’année 1847 s'est close par un évènement qui devait avoir d’heureux résultats pour la
pacification de l’Algérie : l’émir Abd-el-Kader se livrait, le 22 décembre, au général de
Lamoricière près du marabout de Sidi- Brahim, célèbre par la catastrophe du colonel
Montagnac, et il était, peu après, embarqué pour la France.
Quelques jours après cette reddition, Si Ahmed-ben-Amar, des Oulad Sidi-Aïssa, ancien
khalifa de l’émir dans l’Ouennour’a, faisait sa soumission à Médéa. Interné d’abord dans cette
ville, il obtint peu après d’être placé dans la tribu des Oulad-Ferah, où il se trouvait plus
rapproché de son pays.
Dans les premiers jours de janvier 1848, le bureau arabe d’Aumale saisissait 50 fusils de
fabrication anglaise que l’ex-khalifa avait laissés dans le Dira à son départ.
Dans la nuit du 7 au 8 janvier 1848, une pluie d’une violence exceptionnelle tomba sur la
Kabylie et y causa des désastres. Une grande misère régnait dans le pays par suite du manque
complet de récoltes.
Dans la première quinzaine de février, la garnison d’Aumale fut péniblement
impressionnée par l’assassinat d’un officier, le capitaine Castex, du 8 e de ligne, qui se rendait
d’Alger à Aumale avec son bataillon et qui, à l’étape du pont de Ben-Hini, ayant voulu aller à
la chasse en tenue bourgeoise du côté du Djemaa des Ammal, avait été assassiné par les gens
de Gueurgour de cette tribu. Il avait eu la tête écrasée à coups de pierres. Dans l’enquête
judiciaire qui fut faite, on constata que le caïd des Khachna, qui avait les Ammal sous ses
ordres, n’avait pas montré l’activité et le bon vouloir désirables, et sa révocation fut
prononcée (80) après une incarcération de plusieurs mois. C’était un indigène avide qui s’était
rendu coupable de beaucoup d’exactions et était détesté par les gens sous ses ordres.

80
Il a été remplacé par Lekehal-bou-Noua, dont la nomination a été confirmée le 17 juin 1818.
CHAPITRE XI
Proclamation de la République le 24 février 1848. — Départ du duc d’Aumale ; il est
remplacé par le général Cavaignac. — Soumission de Mouley-Mohamed-bou-Aoud, en
mars 1848. — Naufrage d’une barque maltaise à Sidi-Khaled le 12 mars. —
Installation de Si Bouzid à Bouïra. — Le 17 mai, le général Cavaignac est nommé
ministre de la guerre; il est remplacé par le général Changarnier. — Au mois de juin le
siège de la division d’Alger est transporté à Blida. — Le colonel de Lamirault, promu
général, et nommé à Médéa, est remplacé à Aumale par le colonel Canrobert. — Le 22
juin le général Changarnier est relevé de son commandement et remplacé, par intérim,
par le général Marey-Monge. — Au mois d’août, le caïd des Oulad- Bellil est assassiné
traîtreusement par les Beni-Yala. — Mise en liberté de Mohamed-ben-Zitouni des
Flissa ; les désordres recommencent. — Au mois de juin, razzia sur les partisans de
Ben- Zamoum. — Mohamed-ben-Zitouni est interné aux Beni-Sliman et Ben-Zamoum
retenu un mois à Alger. — De nombreuses plaintes sont portées contre l’agha, lequel
est incarcéré à la kasba. — Réorganisation des Flissa ; Mohamed-ben-Zitouni nommé
agha. — Coup de main sur les Abid d’Aïn-Zaouïa, le 12 septembre 1848. — Les Abids
sont rendus à l’aghalik des Flissa. — Le général Charon est nommé gouverneur
général le 9 septembre 1848. — En octobre 1848 un officier est envoyé au poste de
Bouïra. — Le 11 novembre 1818, Aumale est érigé en subdivision et reste sous le
commandement du colonel Canrobert — Le 31 décembre 1848, le caïd de Bouïra reçoit
le titre d’agha. —Suppression de la direction centrale des affaires arabes ; nouvelle
organisation. — Les Beni-Ouaguennoun sont en partie insoumis. — Manière de servir
de Belkassem-ou-Kassi. — Il témoigne le désir de s’expatrier. — Démarche pour le
retenir. — Assassinat du caïd des Oulad-Soltan. — Châtiment infligé aux Beni-Silem
en avril 1849. — Expédition du général Blangini dans les Guechtoula et les Flissa en
mai 1849. — Soulèvement des Beni-Mitnoun de Bougie en mai 1849. — Expédition du
colonel Canrobert dans les Beni-Yala et les Beni-Mellikeuch en juillet 1849.
La proclamation de la République, le 24 février 1848 et le départ d’Alger du duc
d’Aumale, qui eut lieu le 3 mars, avaient produit dans les tribus une vive émotion. Les bruits
les plus absurdes étaient mis en avant: on disait que les Turcs, conduits par le sultan Abd-el-
Medjid, par l’émir Abd-el-Kader et par Ben-Salem étaient en marche pour envahir l’Algérie
et en chasser les chrétiens; que les Anglais se préparaient à effectuer un débarquement pour
leur prêter leur concours. Ces mensonges grossiers ne laissaient pas que d’enflammer
l’imagination si prompte des arabes. Il n’y eut pourtant que des mouvements sans importance
dont la répression fut facile.
Le général Cavaignac avait été nommé gouverneur général et il arriva à Alger le 10 mars.
Il avait été promu lieutenant-général.
Un évènement qui devait contribuer au raffermissement de la tranquillité dans le pays
kabyle, se produisit au commencement de mars: Mouley-Mohamed- bou-Aoud fit sa
soumission aux Français, comme l’avait fait l’année précédente (13 avril 1847), son ancien
chef et émule Bou-Maza. Le 5 mars, Mouley-Mohamed arrivait aux Mecheddala, conduit par
Hammou-Tahar-ou-Tajja, chikh des Beni-Abbès, ayant avec lui une trentaine de cavaliers et
deux drapeaux; le surlendemain, 7 mars, sans autre garantie qu’il aurait la vie sauve, il partit
pour Aumale avec le caïd de Bouïra, Si Bouzid-ben- Ahmed, qui était allé le chercher avec un
goum. Transféré à Alger sous bonne escorte, le jeune aventurier fut envoyé en France dans
une forteresse.
Dans la journée du 12 mars, une barque maltaise de Dellys, assaillie par un coup de vent,
fut obligée de s’échouer à Sidi-Khaled, à l’est de Taksebt, dans les Flissat-el-Behar ; les
Kabyles donnèrent des vivres aux hommes de l’équipage et les reconduisirent à Dellys. Ce
fait montre les progrès qu’avait déjà fait notre autorité sur les Kabyles, qui, comme d’ailleurs
beaucoup de populations maritimes en pays plus civilisés, étaient habitués à regarder comme
leur propriété légitime les épaves que la mer leur apportait.
Dans le courant du mois d’avril 1848,1e général Cavaignac prescrivit la remise au caïd Si-
Bouzid du fort de Bouïra, dont la restauration venait d’être terminée. Afin de lui donner les
moyens d’exercer une police sévère, il lui donnait, en outre du makhezen des Oulad- Bellil,
50 askars qui devaient recevoir une solde de 15 francs par mois, et 10 khiala qui devaient
recevoir 30 francs.
Afin de laisser plus de liberté d’action et en même temps de responsabilité au caïd, il
interdit au commandement d’Aumale d’envoyer aucun officier français, à poste fixe, à
Bouïra ; on devait se contenter de faire visiter de temps à autre ce point important.
Par décision du gouvernement provisoire du 17 mai, le général Cavaignac fut nommé
ministre de la guerre et il fut remplacé, comme gouverneur général, par le lieutenant-général
Changarnier.
Au milieu de juin, le siège de la division d’Alger fut transporté provisoirement à Blida ; le
général emmena avec lui son état-major et la direction provinciale des affaires arabes. Les
Khachna, Zouatna, Isser, Aribs de la Maison-Carrée, c’est-à-dire tout l’aghalik d’El-Arbi-
ben-Kahia, devaient rester sous l’administration du bureau arabe d’Alger. Cette réorganisation
ne fut sanctionnée que par arrêté du 11 novembre.
Le colonel de Lamirault, promu général de brigade par décret du 12 juin, fut nommé au
commandement de la subdivision de Médéa; le commandement du cercle d'Aumale fut donné,
provisoirement au colonel du 1er zouaves, Certain-Canrobert.
Le 22 juin, le général Changarnier ayant été relevé de son commandement, l’intérim du
gouvernement général, ainsi que celui de commandant de la division d’Alger, furent donnés
au général Marey-Monge.
Du côté de Bougie, les Mezzaïa de la montagne s’étant mis en insurrection au mois de
juin, en refusant l’impôt et en chassant leur caïd, quelques bataillons venus d’Alger par mer,
sous les ordres du général Gentil, marchèrent contre eux, les battirent complètement dans les
journées du 5 et du 6 juillet, en leur infligeant de grandes pertes, et les forcèrent à demander
l’aman.
Dans la première quinzaine du mois d’aoùt, le caïd des Oulad-Bellil et du makhezen de
Bouïra, Ben-Yahia-ben-Bouzid, attiré dans un guet-apens par les Beni- Yala, fut
traîtreusement assassiné avec son fils, et les cavaliers qui les accompagnaient furent
dépouillés. La question des Beni-Yala ayant été étudiée en détail dans un article intitulé
Soumission des Beni-Yala, qui a paru dans la Revue africaine (année 1893, p. 22), nous ne
nous étendrons pas sur ce sujet.
Nous avons vu, au chapitre V, que le khalifa des Flissat-Oum-cl-Lil, Mohamed-ben-
Zitouni, avait été interné en France sur la plainte de l’agha Ben-Zamoum ; après deux ans de
détention, il fut mis en liberté sur la demande du même Ben-Zamoum et rentra dans sa tribu.
En avril 1848, il fut l’instigateur de nouveaux désordres: les démêlés de l’agha Allai et de
l’agha Ben-Zamoum à propos des terres d’Aïn-Faci recommencèrent; le bachagha Bel-
Kassem-ou-Kassi favorisait le sof de Ben-Zitouni, qui tenait naturellement pour l’agha Allai.
L’autorité française décida que ce dernier quitterait Aïn-Faci et qu’il établirait sa zmala à Dra-
ben-Khedda ; cette mesure avait d’ailleurs l’avantage de donner plus de sécurité à la roule
d’Alger, très fréquentée par les caravanes kabyles.
Au commencement de juin, les Mkira et les Mzala, au nombre de 200, tombèrent sur les
partisans de Ben- Zamoum, leur infligèrent une razzia et deux frères d’Ahmed-ben-Tafat,
khalifa de l’agha, furent blessés dans cette affaire. Le colonel Rivet, directeur central des
affaires arabes, se transporta au djemaa des Isser pour faire une enquête à laquelle assista Bel-
Kassem-ou-Kassi ; les deux adversaires furent emmenés à Alger, et le général décida que
Mohamed-ben-Zitouni serait interné aux Beni-Sliman, chez le khalifa Si-Mohamed-ben-
Mahi-ed-Din, et que l’agha Ben-Zamoum serait consigné à Alger pendant un mois.
Le 17 juillet, ayant appris qu’une nouvelle descente était opérée dans son azib par les
partisans de Ben- Zitouni, Ben Zamoum quitta précipitamment Alger pour aller secourir ses
frères et il se porta dans la montagne, suivi des cavaliers de Menaïel et des Beni-Amran. Un
combat dans lequel plusieurs de ses ennemis furent tués, mit fin aux hostilités ; l’intervention
des marabouts, quelques jours après, rétablit le calme. Les Oulad-bou Rouba conservèrent
seuls une altitude menaçante.
Cependant, des plaintes incessantes étaient portées au gouverneur général par les gens des
Flissat-oum-el-Lil contre l’agha Ben-Zamoum, qu’ils accusaient de toutes sortes d’exactions ;
ils affirmaient même qu’il favorisait les voleurs et les recéleurs et qu’il recevait d’eux un
tribut pour leur assurer l’impunité.
Il faut dire que les Flissat ont toujours eu, de tout temps, une exécrable réputation ; ils
étaient connus comme ayant parmi eux de nombreux malfaiteurs ne vivant que de vol et de
recel. Leurs montagnes sont entourées de plaines fertiles dont les habitants possèdent de
nombreux troupeaux; les maraudeurs y trouvaient une proie facile, et leurs montagnes
présentent des bois épais, des fourrés impénétrables obstrués de rochers où ils pouvaient
aisément cacher les animaux emmenés.
C’est alors que commençait le rôle des oukafs (receleurs). Des affidés sondaient les
intentions des victimes, et, si celles-ci acceptaient de payer une bechara (prix de rachat), on
leur donnait rendez-vous sur un point désigné; puis, lorsqu’ils avaient payé la bechara, on les
conduisait à l’endroit où étaient cachées leurs bêtes qu’elles emmenaient. Il était très difficile
de surprendre les oukafs dans l’exercice de leur fructueuse industrie, car ceux-ci avaient une
police bien organisée et, si les gens volés amenaient du monde avec eux, ils ne trouvaient
personne au rendez-vous. On le savait si bien qu’on n’essayait même plus de tendre des
pièges aux recéleurs.
Il y avait, à l’époque dont nous parlons, des sociétés de recéleurs qui avaient des relations
suivies avec les voleurs de la plaine delà Mitidja et du Sahel d’Alger ; les oukafs recevaient
par des tiers les animaux ou les objets volés et ils ne les rendaient que moyennant une bonne
béchara.
Lorsque les victimes n’acceptaient pas de payer et dénonçaient le vol à l’autorité, les
recéleurs se débarrassaient du butin en l’envoyant vendre sur des marchés éloignés. Ils avaient
des correspondants dans les tribus sur leur ligne d’écoulement, les animaux volés étaient
emmenés de nuit, passaient de main en main et ils étaient vendus au loin avant qu’on eut le
temps de se mettre sur leur piste.
Ben-Zamoum s'était-il fait réellement le complice des oukafs? Il serait bien difficile de
l'affirmer, tant les Kabyles ont de facilité pour mentir quand l’esprit de sof est en jeu ; la
chose était peu probable. Quoi qu’il en soit, en présence du grand nombre de plaintes
appuyées de témoignages qui se produisaient, le gouverneur général ordonna l’arrestation de
l’agha Ben-Zamoum et son incarcération à la Kasha d’Alger ( 81) ; cette arrestation fut opérée
dans la deuxième quinzaine de septembre. Le commandement de l’aghalik fut donné
provisoirement à Mohamed-ben-Zitouni, proposé pour cet emploi. La révocation de Ben-
Zamoum fut prononcée définitivement en novembre 1848.
Après cette exécution, une réorganisation complète de l’aghalik s’imposait, elle
gouverneur général envoya sur les lieux M. Mesmer, officier attaché à la direction centrale
des affaires arabes, pour régler tous les détails de ce remaniement administratif. Cet officier,
accompagné seulement de l’interprète M. Hamouda séjourné pendant trois semaines aux
Flissa, étudiant les besoins des populations et cherchant à apporter des règles dans
l’administration d’un pays que son éloignement de nos centres d’action et les nécessités de
notre politique nous avaient contraints d’abandonner jusque-là à la discrétion de nos chefs
indigènes el presque sans contrôle.
La famille des Oulad-ben-Zamoum, la plus importante sans contredit de toute la contrée,
comptait encore de nombreux partisans qu’il convenait de rattacher, dans la nouvelle
organisation, à la direction des affaires de l’aghalik. Dans cette vue, le jeune Aomar-ben-el-
hadj-Mohamed ben-Zamoum, oncle de l’ex-agha, âgé de 19 ans, fut donné comme Khalifa à
Mohamed-ben-Zitouni malgré ses protestations, car il s’attendait bien à être rendu
responsable de tout ce qui arriverait de mauvais.
Les Flissat-oum-el-Lil furent partagés en deux caïdals :
1° Caïdat des tribus du sud, caïd Si-Ahmed-ou-bel- Kassem.
Tribus: Mzala, Mkira, Oulad-Yahia-Moussa, Rouafa, Azazna, Oulad-ben-Jarni, Béni-
Mekla, Arch-Oustani, Romeraça ;
2° Caïdat des tribus du nord, caïd Ahmed-ou-Ali-ben- Chakal.
Tribus: Beni-Arif, Oulad-bou-Rouba, Beni-Amran,
Béni-Chenacha, Beni-Chelmoun, Ir’arbien, Haïdouça, Beni-Khercha, Beni-Ouarzadin.
Les autres tribus de l’aghalik étaient organisées comme suit:
Beni-Khalfoun, caïd Mohamcd-ben-Gabba.
Fractions : Amara, Beni-Nzar, Oulad-Ali, Malouça, Beni-Ntas.
Nezlioua ; caïd Sliman-ben-Kfif.
Fractions : Chaab, Rouachda, Ouled-Aïssa, Keirouan, Oulad-Salem.
De nouveaux chikhs furent donnés aux différentes fractions. Chaque tribu reçut un cadi
pour l’administration de la justice ; il n’y en eut qu’un pour tous les Flissa. Il fut prescrit que
les trois cadis se réuniraient deux fois par mois pour entendre les causes qui n’auraient pas été
jugées par un seul à la satisfaction des parties ; le medjelès d’Alger constituait un 2 e tribunal
d’appel.
Due mesure générale atteignit les étrangers de mauvaise réputation qui habitaient le pays ;
on leur promit l’oubli du passé et on les renvoya chez eux. Les sociétés de recéleurs furent
81
La détention à la Kasba dura six mois. Ali-ou-el-Haoussine- ben-Zamoum fut ensuite interné quatre
ans aux îles Sainte-Marguerite, puis cinq ans à Mascara, et il fut autorisé à s’établir à Alger en 1858.
dissoutes et ceux-ci furent forcés par les montagnards eux-mêmes, à demander l’aman. On
leur fil jurer de renoncer à leur odieux métier et il fut prescrit à l’agha et aux populations
intéressées au maintien du bon ordre de les surveiller étroitement.
Comme on ne renonce pas du jour au lendemain à des habitudes séculaires rapportant de
notables profits, tous ces serments furent bientôt oubliés, et les oukafs ne tardèrent pas à
reprendre leur ancien métier, bien qu’il n’y eût plus là, pour les protéger, l’ancien agha Ben-
Zamoum. Peut-être même, à l’heure qu’il est, les recéleurs n’ont-ils pas encore complètement
disparu des Flissa.
Dans le courant du mois de septembre 1848, les nommés Mohamed-bel-Kassem, Sliman-
ben-Aggach et Aomar ben-Turki, des Harchaoua avaient incendié la maison et les récoltes de
leur caïd El-Hadj-Amar-ben-Aïssa et s’étaient réfugiés dans la zmala d’Aïn-Zaouïa dans les
Abids ; les gens de la zmala avaient refusé de les livrer. Ces mêmes hommes avaient déjà
tenté, quelques mois auparavant, de tuer leur caïd, qu’ils avaient blessé au bras d’un coup de
pistolet.
Les Abids donnaient, depuis quelque temps, de graves sujets de mécontentement en
donnant asile aux recéleurs et aux coupeurs de routes et en rançonnant les Kabyles qui
traversaient leur territoire pour aller commercer en pays arabe. Le commandant Carbuccia,
qui commandait le cercle d’Aumale par intérim, résolut, avec l’approbation du général de
division, de leur infliger un châtiment sévère.
Le 12 septembre, il part d’Aumale à la tête d’une colonne légère composée de 600
hommes d’élite d’infanterie pourvus de 300 mulets de réquisition qu’ils montaient tour à tour,
à raison d’un mulet pour deux hommes, d’un escadron de spahis et de 300 goumiers ; il passe
à Bordj-bel-Kharoub, à l’Oued-Djemaa à Tachentirt et il tombe, le 13 au malin, après un trajet
de 80 kilomètres, sur la zmala d’Aïn-Zaouïa qui est razziée complètement et incendiée. Les
Abid en entier firent alors leur soumission aux conditions suivantes : ils chasseraient les
receleurs, n’exigeraient plus de droit de passage des Kabyles, indemniseraient le caïd des
Harchaoua des pertes qu’il avait subies et payeraient 500 francs d’amende par zmala. Ils
demandèrent à avoir pour chef Smaïl-ben-Medjahed, mais comme ce dernier avait été fait
prisonnier précédemment dans une razzia opérée par Ben-Zamoum, on leur prescrivit d’obéir,
en attendant qu’il fût relâché, à un nommé Melennani.
Cette exécution faite sur les Abid par Aumale, fit renaître l’ancienne querelle des aghas de
l’Oued-Sahel et des Flissa, qui prétendaient tous deux avoir les Abid dans leur
commandement. Une décision du général commandant la division, du 17 octobre, donna cette
petite tribu makhezen à l’agha des Flissa (82).
Une décision du 22 septembre 1848 avait annexé au cercle de Dellys la zmala de Sebaou-
el-Kedim, qui appartenait à l’agha Allai.
Par arrêté du 9 septembre, du chef du pouvoir exécutif, le général Charon, directeur des
affaires de l’Algérie au ministère de la guerre, avait été nommé gouverneur général de
l’Algérie ; il avait pris possession de son poste le 20 septembre.
Comme nous l’avons vu plus haut, le général Cavaignac avait décidé qu’aucun officier
français ne serait envoyé à demeure à Bouïra ; mais on s’aperçut bientôt que Si Bouzid-ben-
Ahmed, tout en ayant d’excellentes qualités, n’avait pas la poigne nécessaire pour faire
marcher les populations turbulentes qu’on lui avait donné à commander et en particulier les
Beni-Yala, qui étaient en état de révolte perpétuelle ; on se décida, le 27 octobre, à envoyer
dans ce poste un officier du bureau arabe d’Aumale comme chargé des affaires de l’Oued-
Sahel et du commandement du fort. Ce fut le lieutenant de zouaves Camatte qui reçut cette
mission. Un peu plus tard, au mois de novembre, on mit à Bouïra une garnison de 60 zouaves.
82
Une décision du gouverneur général du 6 janvier 1849 rendit la zmala de Bor’ni à l’aghalik de Bouïra
et laissa celle d’Aïn-Zaouïa à l’aghalik des Flissa. Au mois de juin suivant les deux zmalas revinrent à
ce dernier aghalik.
Par arrêté du 11 novembre 1848, le chef-lieu de la division d’Alger fut définitivement
transféré à Blida ; la subdivision de Blida devait être, comme en France, commandée
directement par le général de division.
Le cercle d’Aumale était, par le même arrêté, érigé en- subdivision, et le colonel
Canrobert était nommé au commandement de celle subdivision.
Le 31 décembre delà même année, le caïd Si Bouzid-ben- Ahmed voyait changer son litre
en celui d’agha de Bouïra.
Le 12 février 1849, le commandant Ducrot, chef du bureau arabe d’Aumale, était nommé
chef du bureau arabe de Médéa ; il appartenait au ler régiment étranger- Le capitaine Petit le
remplaça comme chef du bureau arabe d’Aumale.
La création d’un bureau arabe subdivisionnaire à Alger avait été la conséquence du
transfèrement à Blida du siège de la division. Cette création fut confirmée par décision du
ministre de la guerre du 22 mars 1849; le capitaine du génie Péchot fut nommé chef de ce
bureau.
Le président du Conseil, chef du pouvoir exécutif, avait pris, le 9 décembre 1848, un
arrêté sur l’administration de l’Algérie, qui fut promulgué le 16 mars 1849. L’article 7 de cet
arrêté supprimait la direction centrale des affaires arabes, et l’article 17 chargeait le secrétaire
général du gouvernement de la centralisation des affaires concernant les indigènes du
territoire militaire, avec l’aide d’un bureau spécial (le 2e bureau), dont le chef était choisi
dans le personnel des bureaux arabes. Le chef de bataillon d’Hesmivy d’Auribeau, du 12 e de
ligne, fut nommé, le 2 avril 1849, chef de ce 2e bureau du secrétariat général.
La nouvelle organisation militaire de la province d’Alger en six subdivisions (Blida,
Alger, Aumale, Médéa, Miliana et Orléansville) et la suppression de la direction centrale des
affaires arabes qui administrait directement une portion du territoire militaire, obligèrent à
apporter des modifications dans les commandements. Ces modifications ont été données dans
une lettre du gouverneur général du 16 avril 1849, dont nous allons extraire ce qui nous
intéresse particulièrement.
La subdivision de Blida comprendra: 1° le khalifalik de l’est; 2° les caïdats des Beni-
Khelil, des Beni-Misra, des Oulad-Mendil, des Souhalia ; 3° le khalifalik des Hadjoutes moins
les Beni-Menad, qui passent à Miliana.
La subdivision d’Alger comprendra: 1° le cercle d'Alger, composé du Sahel d’Alger, de
l’aghalik des Khachna moins les Isser-Drœu, Isser-el-Djedian et Isser-Oulad-Smir qui passent
dans le cercle de Dellys, de l’aghalik des Flissa, du bach-aghalik du Sébaou et des tribu
insoumises de la Kabylie ;
2° le cercle de Dellys, qui se compose de la banlieue de Dellys, et des caïdats des Beni-
Tour, Beni-Slyim, Sébaou- el-Kedim, Isser-Drœu, Isser-el-Djedian et Isser Oulad-Smir (83) ;
3° le cercle de Bougie, qui se compose des confédérations des Zerkhfaoua (84), Toudja,
Fenaïa et Oulad-Abd- el-Djebar.
La subdivision d’Aumale comprendra :
Le bach-aghalik de l’oued Sahel, l’aghalik du Dira- supérieur, les caïdats du Dira-
inférieur, de l’Ouennoùr’a Cheraga et d’illoula, enfin les Sahari du Tell répandus dans les
tribus de la subdivision.
Depuis sa nomination de bach-agha du Sébaou, Bel-Kassem-ou-Kassi avait fait de
louables efforts pour maintenir la tranquilité dans les tribus de son commandement, et il y
avait réussi ; mais ce qui ne lui était pas facile d’obtenir c’était le payement de l’impôt. Les
Kabyles n’avaient jamais reconnu de maître, et bien que la redevance qu’on leur réclamait fût
très faible, ils mettaient leur amour-propre à ne pas la payer. Au mois d’août 1848 Bel-
83
Les Isser-Oulad-Smir n’ont été, en réalité, ajoutés au cercle de Dellys que par décision du 27
octobre 1849, le marché du Djemaa-des-Isser restant compris dans le cercle d’Alger.
84
Ne pas confondre avec les Zerkhfaoua du bach-aghalik du Sébaou.
Kassem-ou-Kassi s’était rendu à Alger pour verser une partie de la lezma ; les fractions les
plus faibles des Beni-Ouaguennoun avait acquitté leur impôt, mais les fractions les plus fortes,
comme laskren, les Aït-Msellem, Afir, s’y étaient refusés, ainsi que les Flissat-el-Bahar, les
Beni-Djennad et diverses tribus de la rive gauche du Sébaou.
Au mois de septembre, une démonstration vigoureuse, faite avec ses goums, mit fin à la
résistance des Beni-Ouaguennoun, mais il n’était pas aussi facile de réduire, par la force des
armes, les autres tribus récalcitrantes. Il imagina alors, comme moyen accessoire» de faire
payer une taxe sur le marché du Sebt des Ameraoua, qui était très fréquenté par les Kabyles.
Cette innovation amena une certaine agitation dans les tribus de la rive gauche du Sebaou et,
par représailles, les Beni- Raten firent payer la même contribution aux gens des Ameraoua et
aux Arabes de la vallée sur leurs marchés du Had et du Tléta. Pour calmer les esprits, le bach-
agha convoqua une grande assemblée des marabouts et des chefs du pays pour arriver à un
arrangement, mais il n’en sortit pas une solution bien satisfaisante.
A Djemaa-Sahridj, les Issahnounen lui faisaient une opposition ouverte et cherchaient à
entraîner le sof des Issegarouren, sur lesquels il avait une grande influence. Pour empêcher cet
accord, Bel-Kassem-ou-Kassi se porta, au commencement de décembre, sur Djemaa- Sahridj
avec un goum considérable et, avec le concours des gens de son sof, il chassa du pays les
Issahnounen, qui durent aller demander asile, avec leur chef, Si Saïd-ou-Sahnoun, dans la
tribu des Beni-Yahia.
Au moment de la création du bach-aghalik, le maréchal Bugeaud avait voulu, comme nous
l’avons dit, assurer à Bel-Kassem-ou-Kassi une complète indépendance et, pourvu qu’il
assurât la tranquillité et la sécurité du commerce, qu’il empêchât toute agression contre nos
tribus soumises, on n’avait plus rien à lui demander et il était maître des procédés à employer.
Ce programme n’avait pas tardé à se modifier dès le 11 août 1847, le général Bedeau,
gouverneur par intérim, écrivait : « Nous avons le plus grand intérêt à multiplier nos points de
contact avec Bel-Kassem-ou-Kassi, personnage dont la parole est écoutée dans la montagne et
dont la fidélité nous assure la tranquillité de l’est d’Alger. Nous devons, en évitant de lui faire
des concessions d’avenir, saisir les occasions de le compromettre et l’habituer à recourir de
lui-même à notre intermédiaire pour les actes importants de son administration ». Ces
prescriptions indiquaient une tendance à attirer à nous les affaires et, par suite, à écouter les
plaintes qui pourraient être portées contre la manière de faire du bach-agha.
Les rapports politiques étaient toujours pleins de l’éloge de Bel-Kassem-ou-Kassi ; on
reconnaissait qu’il avait justifié la confiance du gouvernement de la France et que, grâce à son
intervention, la tranquillité était maintenue dans le bassin supérieur du Sébaou, que les
populations kabyles, qui vivaient sous un régime démocratique et formaient un grand nombre
de petites républiques séparées, avaient accepté sa haute influence. Puis, plus tard, la note
change, et on paraissait accueillir trop facilement à Dellys les récriminations et les doléances
de ses ennemis, et l’opposition qui s’était formée contre lui avait grandi.
Le général Charon, dès son arrivée à Alger, réagit contre cette tendance ; dans une lettre
du 22 septembre 1848, il disait : « Je ne puis admettre que le commandant supérieur de Dellys
s’adresse aux aghas Allai et Lamdani sans passer par l’intermédiaire du bach-agha. Aux
termes de l’organisation arrêtée par le maréchal Duc d’Isly, le commandement du bach-agha,
y compris les aghalik des Ameraoua et de Taourga, doit dépendre directement d’Alger... »
Ce n’était pas tout à fait exact, car la décision du 11 août 1847, que nous avons
mentionnée, laissait au commandant supérieur de Dellys le contrôle sur une partie des
aghaliks de Taourga et des Ameraoua ; mais cette anomalie fut réparée, la décision du 16 avril
1839 ayant enlevé au cercle de Dellys la totalité de ces aghaliks.
Dans une autre lettre, du 19 janvier 1849, le général Charon écrivait encore au général
Blangini, commandant la division, que le bureau arabe de Dellys lui paraissait porté de
mauvaise volonté vis-à-vis de Bcl- Kassem-ou Kassi et cherchait à mettre en relief tout ce qui
était défavorable à ce chef indigène, qu’on y nourrissait l’espoir de voir revenir incessamment
le commandement de Bel-Kassem sous l’autorité directe de Dellys. Il conseillait la prudence à
cet égard, en exécution des promesses faites.
Au milieu de février, Bel-Kassem-ou-Kassi, instruit des mauvais bruits qu’on faisait
courir sur son compte, se rendit spontanément à Alger pour se disculper; il annonça en même
temps qu’il avait reçu des lettres de Fex-khalifa Ben-Salem et de Chik-el-Mahdi qui l’enga-
geaient à les rejoindre en Orient, et qu’il était décidé à partir. Il devait emmener avec lui un
certain nombre de notabilités religieuses et politiques, parmi lesquelles on citait : Si-
Mohamed-bou Chareub, Ben-Kanoun, ex-caïd des Isser, Si-el-Hadj-Amar, oukil de la zaouïa
de Si-Abd-er-Rahman-bou-Goberin, Bouzid, ex-agha des askar d’Abd-el-Kader, Oulid-
Chikh-ou-Arab des Beni- Raten, Si-Taïeb et Ahmed-bou-Sebsi des Beni-Ouaguennoun. Il y
avait à cette époque, chez les Kabyles, un courant d’idées qui les poussait à l’émigration ;
c’était l’objet de toutes les conversations. Environ 300 Kabyles demandaient à aller à la
Mecque, la plupart sans esprit de retour.
Les gens de la famille des Oulad-ou-Kassi avaient déjà commencé à vendre leurs biens.
Vers le milieu d’avril 1849, le caïd des Oulad-Soltan, de la confédération des Beni-
Sliman, fut assassiné, pendant sa tournée de recouvrement du zekkat, par plusieurs notables
qui l’avaient attiré dans un guet-apens. Le khalifa Si Mohamed-ben-Mahi-ed-Din, à la
première nouvelle du crime, se rendit dans la tribu pour prévenir tout mouvement
insurrectionnel de la part des gens compromis ; grâce à cette intervention rapide ceux-ci se
virent contraints de prendre la fuite. Ils se réfugièrent avec leurs familles dans les ravins
escarpés et difficiles du Kaf-el-Akhedar, sur la limite des cercles de Médéa et d'Aumale, où
ils se croyaient en sûreté. Une battue fut exécutée par les escadrons de spahis de ces deux
commandements et par les goums des Aghas Ben- Yahia et Chourar’, et la plupart des
coupables furent capturés et livrés à la justice militaire.
Une agitation avait été provoquée dans le sud de la province d’Oran par les prédications
de Sidi Chikh-ben- Taïeb, et ses émissaires avaient répandu en Kabylie des lettres annonçant
des succès imaginaires remportés sur nos colonnes. Un marabout de Bougie nommé Ali-ou-
Mokran avait là-dessus cherché à soulever les populations des Zerkhfaoua et des Beni-
Djennad, mais Bel- Kassem-ou-Kassi avait facilement étouffé ce commencement d’agitation.
A la meme époque les Beni-Silem, fraclion des Beni-Sliman, se mettaient en état
d’insoumission à l'instigation du derouich Si Tahar, eu refusant l’impôt et en chassant leur
caïd ; deux petites colonnes parties l’une de Blida, l’autre de Médéa, sous les ordres du
colonel Daumas, furent chargées de châtier les rebelles.
Le 16 avril, 350 tirailleurs sous les ordres du commandant de Wimpffen partent de Blida
et vont camper à l’Oued-el-Harrach ; le lendemain, ils gravissent, vers le Sud, des montagnes
à pentes très raides, et le 18, après avoir passé un défilé effrayant, qui n’était pas défendu, on
arrive en face d’une position escarpée couverte de nombreux villages, c’étaient les Beni-
Silem. Surpris par l'arrivée des troupes, ils ne songeaient qu’à faire filer leurs familles et leurs
troupeaux ; mais alors ils sont reçus par les zouaves et les goums de Médéa qui arrivaient par
le Sud et par l’Est. Les rebelles n’eurent plus qu’à mettre bas les armes ; ils payèrent leurs
impôts arriérés et en outre une contribution de guerre.
Au mois de mai les Guechtoula, fanatisés à leur tour par le derouich Si Tahar, qui venait
de soulever les Béni-Silem, se déclarèrent insoumis ; le général Blangini marcha contre eux
avec une colonne réunie à Aumale. Nous avons donné dans la Reçue Africaine de 1885, p.
321, un récit détaillé de cette expédition, et nous nous contenterons d’en faire un court
résumé.
Parti d’Aumale le 15 mai, le général Blangini arriva le 19 à Bor’ni et repoussa
vigoureusement les Kabyles qui étaient venus l’attaquer; le lendemain, il se porta à l’attaque
des Béni Smaïl qu’il mit de nouveau en déroute. Le 21, il allait marcher sur la zaouïa de Si
Abder-Rahman- bou-Goberin lorsque l’oukil de la zaouïa, Si el-Hadj-Amar, vint demander
l’aman. Le derouich Si Tahar avait été tué dans le combat du 20 mai.
Le général Blangini eut encore à sévir contre la fraction des Oustani des Flissat-oum-el-
Lil qui s’était révoltée ; le 2 juin, il fit l’assaut de leurs montagnes, emporta la position de Si-
Ali-bou-Nab, qu’ils avaient retranchée, et il les réduisit à l’obéissance.
A la suite de cette expédition, les Gueehtoula elles Abids furent définitivement rendus à
l’aghalik des Flissa. L’article de la Reçue Africaine rappelé ci-dessus donne les noms des
chefs indigènes qui furent investis.
Dans cette année de 1849, un vent d’insurrection soufflait sur toute la Kabylie,car nous
voyons encore le 4 mai *es Beni-Mimoun du cercle de Bougie, soulevés par l’agitateur Si Ali-
ou-Mokran, cité plus haut, et entraînés, par les contingents des Beni-Sliman, attaquer les
Beni- bou-Messaoud soumis et leur brûler plusieurs villages. Le lieutenant Cabarrus, adjoint
au bureau arabe de Bougie, fut envoyé au secours des Beni-bou-Messaoud avec le goum et les
contingents des Mezzaïa,et il parvint à chasser les agresseurs. 11 devint nécessaire, pour
vaincre la résistance des Beni-Sliman qui étaient turbulents et belliqueux, de faire marcher
deux colonnes; l’une, commandée par le général de Salles, partit de Sêtif le 19 mai, l’autre,
commandée par le général de St-Arnaud et arrivée d’Alger à Bougie par mer, se mit en route
de celle place le 20. Le 21, un combat fut livré aux rebelles près du Djebel Kandirou, au sud
des Beni- Mimoun, où ils furent battus; le lieutenant Cabarrus y fut tué à la tête du goum. Les
colonnes ayant fait leur jonction le lendemain, les Beni-Sliman eurent tous leurs villages
brûlés, et ils furent contraints à faire leur soumission.
Dans la vallée du Sébaou, le bach agha continuait à agir sur les tribus pour les contraindre
à payer l’impôt à la fin de juin, son frère Mohamed-ou-Kassi tombait, à la tête du goum, sur
quelques fractions des Beni-Raten, brûlait leurs villages, emmenait leurs bestiaux et les forçait
à rentrer dans le devoir. Quelques jours après, Mohamed-ou-Kassi attaquait, de même, les
Béni-bou-Chaïb avec le concours d’un des sofs et les forçait à s’exécuter après un combat où
il y avait eu, de chaque côté, un tué et trois blessés.
Trois des bataillons qui avaient pris part, avec le général de Salles, à l’expédition contre
les Beni-Sliman et qui rentraient dans leurs garnisons delà province d’Alger par la voie de
terre, arrivèrent à Aumale le ler juillet. Le colonel Canrobert prit sur lui d’en disposer pour for-
mer une colonne avec laquelle il attaqua les Beni-Yala, qui se jouaient depuis trop longtemps
de nous. Le 5 juillet, il se porta dans leurs montagnes, les battit complétement et détruisit le
grand village de Sameur, qui était leur principal point d’estivage pour leurs troupeaux. Nous
avons donné le récit de cette expédition dans la Reçue africaine de 1898, p. 22.
Des Beni-Yala, le colonel Canrobert se porta sur les Beni-Mellikeuch à la demande du
marabout Si Ben-Ali-Cherif et livra, le 12 juillet, à cette tribu turbulente et aux nombreux
contingents des Zouaoua amenés par le marabout Si El-Djoudi, un combat très rude dans
lequel il eut raison des insurgés. (Voir l’article de la Reçue Africaine cité ci-dessus).
CHAPITRE XII
Arrivée d’un chérif chez Si El-Djoudi.— Il prêche la guerre sainte dans les tribus. — La
maraboute Lalla Fatma le favorise. — Propagande dans la subdivision d’Aumale. —
Le sous-lieutenant Beauprètre est envoyé contre lui avec un goum. — Combat du 6
septembre. — Situation de l’Algérie. — Le capitaine Péchot a mission d’obtenir de Bel-
Kassem-ou-Kassi son renoncement à aller à la Mecque. — Fuite de Si Ahmed-ben-
Amar interné chez les Oulad-Ferah. — Il est poursuivi mais on n’atteint que les
femmes. — Le chérif menace de nouveau l’Oued-Sahel. — M. Beauprètre est encore
envoyé avec un goum. — 11 cherche à soumettre les Beni-Mellikeuch. — Le chérif
réunit ses forces au village des Cheurfa. — M. Beauprètre reçoit des renforts le 2
octobre. — Combat des Cheurfa du 3 octobre, le chérif est tué. — Récompenses
accordées à M. Beauprètre. — Difficultés du côté de Bou-Saâda. — Le lieutenant
Beauprètre est envoyé avec un goum pour châtier les Oulad-Ameur. — 11 éprouve un
grave échec le 27 octobre. — Le colonel Canrobert, envoyé à Zaatcha, passe à Bou-
Saâda et calme l’agitation. — Création du cercle de Bou-Saâda le 18 janvier 1850.

En rentrant dans sa tribu après le combat qu’il avait livré le 12 juillet au colonel Canrobert
dans les Beni- Mellikeuch, le marabout Si El-Djoudi trouva chez lui un jeune aventurier qui
se donna comme le fameux Bou- Maza le promoteur de l’insurrection du Dahra, qui avait fait
sa soumission au colonel de St-Arnaud, le 13 avril 1847 et qui avait été envoyé en France. Il
raconta qu’il s’était évadé de la prison où on l’avait enfermé, qu’il avait pu regagner l’Algérie
et qu’il venait pour entraîner les kabyles à la guerre sainte. Si El-Djoudi reçut d’abord avec
défiance cet arabe inconnu ; il craignait que ce ne fût un émissaire envoyé par les Français
pour l’assassiner, et ce ne fut que quand d’anciens partisans de Bou-Maza, qui étaient venus
chercher fortune en Kabylie, lui eurent juré que c’était bien Bou-Maza ( 85), qu’il, l'accueillit
en s’excusant d’avoir eu aussi mauvaise opinion de lui.

85
Le véritable Bou-Maza était encore détenu au fort de Ham, il ne s’en est évadé qu’au mois de juillet
1852.
A ce moment, un parti de la soumission commençait à se former dans les Zouaoua, qui
avaient besoin de voyager en pays arabe pour se procurer des moyens d'existence ; Si El-
Djoudi voyait son influence décliner et il pensa que le jeune homme qui se présentait à lui et
qui ne paraissait pas de taille à éclipser jamais sa propre influence, pourrait lui servir à
reconquérir un regain de popularité ; il se mit à patronner le nouveau chérif, il lui fit cadeau
d’un cheval et d’un sabre et on l’appela tantôt Bou-Maza, tantôt Si Mohamed-ben-Abd-
Allah-bou-Sif (l’homme au sabre). Son véritable nom était, paraît-il, Si Mohamed-El-
Hachemi et il était marocain originaire du Tafilalet. Il avait été un des compagnons de Bou-
Maza et, fait prisonnier dans une rencontre avec nos colonnes, il avait été interné en France.
Le récit de son évasion, où il disait tantôt qu’il avait pu tromper la surveillance de nos
agents en se déguisant en femme, tantôt qu’un négociant qui l’avait pris en amitié l’avait
expédié dans une caisse à Marseille avec des marchandises, n’était que fables destinées à
frapper l’imagination des Kabyles. Ce qui était certain, c’est qu’il s’était évadé et qu’ayant été
débarqué à Tunis, il avait regagné le Maroc en passant par le sud de nos possessions et qu'il
avait fait un assez long séjour à Ouzzan, chez-Si El-Hadj-el-Arbi, le grand-maître de l’ordre
dé Mouley-Taïeb. Il paraît avéré que Si El-Hadj-el-Arbi, après l’avoir affilié à son ordre
religieux, lui avait donné la mission de soulever la Kabylie. Il lui aurait remis un talisman qui
devait le rendre invulnérable. Arrivé en Kabylie il avait été passer quelques jours à la zaouïa
de Si Abd-er-Rahman-bou-Goberin ; il était allé à Dellys et il s’était même présenté au bureau
arabe sous prétexte de demander un passage gratuit pour Bône sur le bateau de l’État qui
faisait le service des côtes. De Dellys, il avait gagné le Djurdjura en passant par Tizi-Ouzou.
Le chérif, avec une escorte composée de 3 cavaliers, parcourut les tribus et les marchés
des Zouaoua, en compagnie du fils de Si El-Djoudi, nommé Si Ahmed et il y cherchait des
adhérents et aussi des ziara (offrandes) pour la guerre sainte. Il mit dans ses intérêts la mara-
boute d’Ourdja, Lalla Fatma, à qui il faisait de nombreuses visites.
Ce qui poussait les Zouaoua à suivre le chérif, c’était un désir de vengeance. Peu après
l’expédition du colonel Canrobert dans les Beni-Mellikeuch, les Beni-Mançour et les Cheurfa
avaient tendu une embuscade à des voyageurs des Zouaoua, près du défilé des Portes-de-Fer
et ils avaient arrêté 11 individus des Attafs, des Akblis et des Beni-Bou-Drar. Cinq de ces
malheureux, qui avaient cherché à s’enfuir, avaient été tués à Ifetissen, dans les Mecheddala,
ancien campement des colonnes turques, et leurs corps avaient été brûlés ; 3 des prisonniers
avaient réussi à s’enfuir et les 3 autres avaient été conduits à Aumale. Sur la demande du père
d’un de ces derniers, le colonel Canrobert les avait mis tous en liberté, le 7 août.
Les Zouaoua avaient juré de tirer une vengeance éclatante des Beni-Mançour et des
Cheurfa, comme leurs vieilles coutumes leur en imposaient le devoir. Legros de la population
aurait volontiers oublié cette coutume et aurait désiré la paix, aussi la porte de Si El-Djoudi
était-elle journellement encombrée de pauvres gens qui le suppliaient au nom de Dieu et de la
justice de ne pas les mettre dans l’impossibilité de voyager ; mais, comme toujours, c'était une
minorité batailleuse qui entraînait les décisions des djemaas kabyles.
Tous les anciens cavaliers de Ben-Salem restés dans le pays se joignirent au chérif, ainsi
que tous les coureurs d’aventures des pays circonvoisins ; le chérif Mouley-Brahim, ancien
compagnon de Mouley-Mohamed-bou-Aoud (voir la Revue africaine de 1881, p. 230) alla
également s’unira lui et il entraîna à son parti la fameuse association de malfaiteurs des Tolba-
ben-Dris.
Le chérif envoya des lettres dans toutes les directions ; le bach-agha Bel-Kassem-ou-
Kassi, dans un voyage qu’il fit à Alger, à la fin d’août, en remit au bureau arabe plusieurs qui
avaient été adressées à des tribus de son commandement. Il en envoya particulièrement aux
tribus d’Aumale, aux Beni-Sliman, aux Aribs, pour les invitera se joindre à lui pour la guerre
sainte. Eu voici une écrite aux Mecheddala et à leur caïd El-hadj-Sliman ben-Dris, qui a été
remise le 24 août au colonel Canrobert :
« A EI-hadj-Sliman-ben-Dris et à tous les Mecheddala sans exception.
» Nous avons appris que vous réunissez des grains pour les livrer, comme achour, aux
roumis ; Dieu ne peut accepter cela. Dieu aime celui qui combat selon ses commandements.
» Si vous n’obéissez pas à nos ordres et si vous payez l’achour, Dieu vous punira et vous
aurez à vous en repentir. Un autre jour je n’écouterai plus vos paroles.
» Je m’efforce de vous ramener au bien. Dieu nous a dit dans son livre chéri : « chacun
doit suivre sa religion et faire ses efforts pour marcher dans sa voie.
Aux Beni-Yala il annonçait qu’il allait se fixer chez eux à Tir’eremt et aux Beni-Aïssi, et
qu’il marcherait, de là, sur Bouïra et sur Aumale, d’où il allait chasser les chrétiens.
Le colonel Ganrobert fit relever par 50 zouaves la garnison de tirailleurs qui occupait le
fort de Bouïra et il réunit à Aumale 400 cavaliers arabes qui devaient se tenir prêts à partir au
premier signal. Un goum de même force était également réuni à Bouïra.
Le chérif et Si El-Djoudi avaient convoqué, pour le 2 septembre, une assemblée générale
des kebars (notables) au marché du had des Beni-bou-Drar ; un grand nombre de chefs y
assistèrent et on y décida que les contingents des tribus se réuniraient le lendemain ; on récita
la fateha et on fit une décharge générale des armes pour sceller la résolution prise.
Le chérif alla établir son camp, le 3 septembre, à Gueribissa dans les Beni-Kani.
Les Cheurfa et les Beni-Mançour, qui se voyaient menacés, allèrent demander des secours
à Aumale et le colonel Canrobert fit partir le sous-lieutenant Beauprêtre, dans la nuit du 4 au 5
septembre, avec 330 chevaux des goums. Voici le rapport que cet officier fournit le 6
septembre sur un premier combat qui eut lieu, ce jour-là, contre les contingents ennemis.
« Beni-Mançour, jeudi, 6 septembre.
» Mon colonel,
» J’ai l’honneur de vous rendre compte que je suis arrivé chez les Beni-Mançour, hier à 11
heures du matin. J’ai trouvé le derouich campé avec Si El-Djoudi à 20 minutes du village des
Cheurfa. Il était venu s’établir dans la journée dans cet endroit ; il avait avec lui environ 2 000
hommes tant des Zouaoua que des Beni-Yala, Mecheddala, Beni-Mellikeuch, etc.
» Comme il n’y avait pas de temps à perdre, j’ai pensé que de mettre le désaccord parmi
eux, cela pourrait m’offrir un avantage et pour cela, j’ai fait écrire une lettre sur laquelle tous
les caïds du goum ont apposé leur cachets et adressée à la totalité des Zouaoua. J’en ai
également écrit une à la même adresse, mais la mienne a été lue par Si El-Djoudi qui n’a pas
voulu en donner connaissance à personne, mais qui ne lui en a pas moins laissé une fâcheuse
impression de son Bou-Maza. Je lui ai dit qu’il avait travaillé très longtemps chez un mercanti
d’Alger et qu’ensuite il s’était mis marchand d’atria (86) et que c’était ainsi qu’il était arrivé
chez eux avec l’intention de les exploiter ; ces deux lettres ont été envoyées ce matin.
» Lorsque je me suis placé au-dessous du village des Cheurfa, car j’oubliais de vous dire
que les Zouaoua avaient reculé leur camp hier soir, voyant que la réponse se faisait attendre,
je me suis mis en marche avec le goum, car le terrain n’était pas mauvais ; lorsqu'ils ont vu
commencer ce mouvement, ils se sont empressés de m’envoyer une réponse verbale, il est
vrai, mais dont la suite a prouvé la sincérité. El-hadj-Ameur-ou-Kassi des Beni-Saada
(fraction des Beni-Attaf) a réuni son parti et a refusé de prendre part au combat.
» Aussitôt que le derouich a aperçu le goum qui s’approchait, il s’est sauvé en emportant
ses deux chiffons de drapeaux ; mais il y avait là les contingents des Beni-Yala, Mecheddala
et Beni- Mellikeuch qui voulaient à toute force entamer le combat avec les Cheurfa et qui
n’attendaient, pour cela, que le départ du goum.
» Lorsque j’ai eu tous les renseignements dont j’avais besoin, j’ai continué ma route en
décrivant un demi-cercle et je suis venu tomber sur le village des Oulad-Brahim (fraction des
Mecheddala) dont tous les habitants étaient pour le derouich. Ce village a été brûlé et nous
avons fait 4 prisonniers.
86
Menus objets, principalement à l’usage des femmes, que vendent les colporteurs indigènes.
» Les contingents du derouich, qui avaient commencé le coup de feu avec les Cheurfa, ont
pris la roule de la montagne aussitôt qu’ils ont vu la fumée et les Cheurfa viennent de me dire
qu’ils avaient tué 2 Beni-Yala et 1 Mecheddali et que, de leur côté, ils ont eu 1 homme tué. Le
goum n’a pas tiré 30 coups de fusil ; je cherche du reste à les éviter.
» Les Ksar m’ont envoyé leurs contingents ; les Sebkha ne l’ont point encore fait; les Bou-
Djelil m’ont également promis des hommes et des fusils, mais ils n’ont point encore tenu
parole.
» On me dit à l’instant qu’il vient d’arriver de nouveaux contingents des Zouaoua, mais
cette nouvelle n’est point confirmée. Je vais continuer à chercher à mettre la dissension parmi
eux.
» Nous sommes parfaitement vus et traités par les Beni-Mançour ; ainsi, hier au soir, après
s’être consultés, ils ont décidé que tous leurs hommes iraient coucher chez les Cheurfa en cas
d’attaque pendant la nuit el que la garde de leurs femmes et de leurs enfants serait confiée à
notre goum. Aussitôt que j’aurai quelque chose de nouveau à vous apprendre, je vous écrirai.
» Signé : BEAUPRÈTRE. »

Après leur échec du 6 septembre, les Zouaoua s’étaient dispersés, il ne restait plus que de
petits rassemblements à Selloum et sur la crête du Djurdjura ; les Beni-Yala, les Mecheddala,
qui avaient fourni des hommes au chérif, imploraient notre indulgence; ces derniers offraient
de brûler l’azib que Si El-Djoudi possédait dans leur tribu, au village des Beni-Hammad, pour
nous prouver leur repentir.
Le sous-lieutenant Beauprêtre profitait de sa présence aux Beni-Mançour pour tâcher de
soumettre les Beni- Mellikeuch et il eût été désirable, à ce point de vue, qu’il pût prolonger
son séjour dans l’Oued-Sahel ; mais la présence de nombreux goums était une lourde charge
pour le pays, car il fallait nourrir les chevaux, et il se décida à rentrera Aumale le 13
septembre. Si Ben-Ali-Chérif avait d’ailleurs revendiqué vivement, comme un honneur, le
soin de compléter la soumission de cette turbulente tribu et le caïd El-Hadj-Betka, de
l’Ouennour’a- Cheraga, parent de Mokrani, était venu s’établir avec ses cavaliers au débouché
des Bibans pour lui prêter son concours.
Les Zouaoua n’avaient pas désarmé, un nouvel orage s’amassait derrière le Djurdjura et
on devait s’attendre d’un jour à l’autre à le voir éclater.
La situation de l’Algérie était en ce moment assez mauvaise; on avait dû mettre, de
différents côtés, des colonnes en mouvement; la province de Constantine surtout donnait des
inquiétudes. L’oasis de Zaatcha s’était mis en révolte à la voix de Ben-Zian et, le 27 juillet, le
colonel Carbuccia, qui avait voulu l’attaquer, avait été repoussé avec des pertes assez
considérables et il fallait y porter tout ce qu’on avait de troupes.
Une grande sécheresse avait régné en 1849, les sauterelles avaient dévoré une partie des
récoltes et le choléra qui avait fait son apparition faisait de nombreuses victimes (87) ; ses
ravages étaient réellement terrifiants.
Le général commandant la division d’Alger avait écrit, a la date du 1 er août 1849, au
commandant de la subdivision d’Alger, la lettre suivante:
» Au moment où Sidi El-Djoudi et Si Mohamed-ben-Abd-Allah-bou-Sif cherchent à
entraîner les kabyles du Djudjura à la guerre, le gouverneur général prescrit les mesures
87
Des notes que nous avons trouvées dans les archives d’Aumale, peuvent donner une idée de
l’intensité du fléau. D’après un état fourni par le sous-intendant militaire il y a eu à l’hôpital, du 9 au
20 octobre 1849, soit en 11 jours, 199 cholériques et 124 décès, savoir : civils, 20 cas et 17 décès ;
militaires, 179 cas et 107 décès, pour une garnison d’un bataillon. A cela il faudrait encore ajouter les
décès survenus en dehors de l'hôpital.
D’après un rapport médical. 28 colons sont encore morts du choléra, à Aumale, du 2 novembre au 4
décembre.
Nous n’avons pas pu trouver de renseignements complets sur ce fléau.
suivantes: (suivent diverses prescriptions). Les projets du gouverneur ne sont nullement de
faire la conquête des populations insoumises, nous devons faire ce qui dépendra de nous pour
être dispensés d’avoir à faire plus lard cette conquête.
» Il faut ouvrir les marchés et faire en sorte qu’on ne parle plus que du commerce entre les
kabyles et nous.
» Les entreprises de Si El-Djoudi et du faux Bou-Maza peuvent se tourner contre les tribus
de Bel-Kassem-ou-Kassi : il faut que nous obtenions la renonciation, pour cette année, au
départ de ce chef pour la Mecque. Attachez-vous à le bien disposer en ménageant sa
susceptibilité.
Vous pouvez charger le chef du bureau arabe d’Alger de se rendre auprès de lui pour
joindre ses efforts à ceux de ses partisans et le décider à ne pas quitter le pays cette année.
» Évitez avec soin toute affaire avec la Kabylie. »

Le capitaine Péchot est parti d’Alger, le 5 août, pour se rendre auprès du bach-agha qu’il a
rencontré à Sikh-ou-Meddour. Après bien des difficultés ce chef indigène, qui avait déjà
vendu une partie de ses biens, a consenti à rester encore un an. Le capitaine Péchot n’avait
d’ailleurs pris aucune espèce d’engagement vis- à-vis de lui.
Si le bach-agha était parti, il n’y aurait eu aucun indigène en état de prendre sa succession.
Aomar-ben-Mahi-ed-Din, de Taourga, avait bien autrefois ambitionné cette situation, mais il
n’avait d’influence réelle que dans les Ameraoua-Tahla et les Beni-Ouaguennoun, il n’en
avait aucune dans le haut Sebaou.
Il y avait déjà eu à Dra-ben-Khedda, un commencement d’agitation ; l'établissement à
cette zmala des gens d’Aïn-Faci avait continué et au mois de septembre, 125 maisons étaient
achevées et beaucoup étaient en voie de construction, mais il avait fallu pour y arriver vaincre
de grandes résistances, une quinzaine de familles semblaient même décidées à ne pas obéir du
tout. Un officier du bureau arabe d’Alger fut envoyé sur les lieux et il ne tarda pas à apprendre
qu’un personnage étranger, qui s’était établi là, prêchait la révolte annonçant que Bou-Maza
allait bientôt arriver. Ce personnage, qui s’appelait Ahmed-ben-el-hadj-Ahmed et était de
Constantine, avait déjà reçu de nombreux dons et s’était fait des adhérents si bien que l’Agha
Allai lui- même n’osait prendre contre lui aucune mesure, préférant le considérer comme un
homme inoffensif. L’officier le fit arrêter et l’emmena à Alger.
Dans le sud du cercle d’Aumale, on craignait de voir se déclarer un mouvement
insurrectionnel. L’ancien khalifa d’Abd-el-Kader, Si Ahmed-ben-Amar, qui était interné chez
le caïd des Oulad-Ferah, Sliman-ben-Amara, s’était enfui dans la nuit du 27 au 28 août
emmenant deux de ses frères et trois femmes et, en même temps, 12 tentes des Oulad-sidi-
Aïssa, sa tribu d’origine, formant la fraction des Ouled-sidi-el-Moufok., qui se trouvaient en
estivage dans le Tell, avaient pris également la fuite vers le Sud.
Un goum de 50 chevaux, conduit par Abd-el-Kader-el- Adaouri, avait été lancé sur les
traces des fugitifs, avait repris les femmes, qui n’avaient pas pu dépasser les Ouled-Barka, et
il avait atteint les fuyards dans la tribu des Oulad-Ameur du cercle de Médéa. Mais ceux-ci
avaient refusé de les livrer et ils avaient favorisé leur fuite. Ce fait montrait que les arabes
s’attendaient à un soulèvement prochain ; le mouvement qui avait éclaté à Zaatcha avait déjà
gagné Bou-Saâda et les Oulad-Nayls. Si Ahmed-ben-Amar, délivré de la poursuite d’Abd-el-
Kader-el-Adaouri, alla rejoindre l’agitateur Bou-Zian.
On désirait bien vivement dans les régions gouvernementales pouvoir en finir avec le faux
Bou-Maza du Djurdjura en n’employant que des forces indigènes, car si l’insurrection arrivait
à s’étendre jusqu’à Aumale par la rive droite de l’oued Sahel on n’aurait pas trouvé de troupes
pour former la colonne qu’il eut été nécessaire d’y envoyer.
Cependant Si El-Djoudi, furieux d’avoir été obligé de battre en retraite devant un ennemi
dont il avait cru avoir facilement raison, avait fait un nouvel appel à toutes les tribus des deux
versants du Djurdjura et, de tous côtés, des contingents lui arrivaient pour reconstituer sa
petite armée. Tous les jours les Cheurfa et les Beni-Mançour, qui étaient les premiers
menacés, entendaient les décharges de mousqueterie annonçant l'arrivée de nouveaux renforts.
Le caïd des Beni-Mançour écrivit de nouveau à Aumale pour demander des secours et le sous-
lieutenant Beauprêtre fut de nouveau envoyé sur les lieux, le 13 septembre, avec un goum de
300 chevaux,
Comme il ne pouvait pas aller chercher le chérif sur les crêtes du Djurdjura et qu’il devait
rester dans l’expectative, M. Beauprètre profita de ce répit pour continuer les efforts qu’il
avait déjà faits du côté des Beni-Mellikeuch. Le 2Ô septembre, il fil une pointe avec son
goum dans cette tribu et fit mettre le feu à un bouquet d’oliviers ; les kabyles accoururent et
ouvrirent une vive fusillade. M. Beauprètre fit alors semblant débattre en retraite, en laissant,
en embuscade derrière un escarpement cent de ses meilleurs cavaliers. Les Beni-Mellikeuch
tombent dans le piège qui leur était tendu, ils se mettent à la poursuite du goum et bientôt,
chargés eu tête et en queue, ils sont balayés avec trois morts, bon nombre de blessés et laissant
deux prisonniers entre nos mains.
Les négociations avaient ensuite été reprises et, le 28 septembre, le sous-lieutenant
Beauprètre annonçait qu’il avait à son camp six djemaas des Beni-Mellikeuch sur dix. Cette
soumission partielle ne fut d’ailleurs pas bien sérieuse.
Le 1er octobre, on apprenait à notre camp que les Zouaoua avaient fait la paix entre eux à
la voix du chérif, auquel les Tolba-ben-Dris avaient rendu de l'influence et que leurs
contingents se réunissaient en grand nombre sur les pentes qui dominent le village des
Cheurfa. On estimait leur nombre de 7 à 8,000 guerriers.
Le lieutenant Camatte, commandant du poste de Bouïra, communiqua sur ces entrefaites
au colonel Canrobert une lettre écrite par le chérif aux Beni-Yala et dans laquelle il disait : «
Je vais attaquer un chrétien et de faux musulmans qui sont dans l’Oued-Sahel ; je suis certain
de les détruire.
» De là, je pousserai jusqu’à Tir’remt et j’attendrai Si Rabin (marabout des Beni-Chebla)
qui m’a promis de me rejoindre avec ses contingents. Les Beni-Irguen et les Beni-Chebla
garderont la montagne de peur qu’elle ne porte secours au bordj que je vais attaquer et ruiner.
» C’est samedi que j’ai fixé pour cette entreprise. Dieu me donnera la victoire ! »
Au reçu de cette communication, le colonel fit partir le 1er octobre, un renfort de 800 chevaux
qui arriva fort à propos aux Beni-Mançour.
Les forces des Zouaoua grossissaient toujours autour de Si El-Djoudi ; le chérif était allé
aux Beni-Mellikeuch qui, malgré leur récente soumission, lui fournirent leurs contingents.
Le faux Bou-Maza avait envoyé des lettres d'insultes, l’une à M. Beauprêtre et au cadi Si
Amar-ben-Zeroual, et l’autre à Salah-ben-Sahnoun, caïd des Metennan et à El-Hadj-Abd-
Allah-ben-Batka, caïd de l'Ouenour’a Cheraga. Le sous-lieutenant Beauprêtre, dans le but
d’amener le chérif en plaine, lui fit écrire une lettre de défi lui proposant de se mesurer avec
lui auprès de l’azib de Si- Abd-el-Kerim, dans les Beni-Mellikeuch.
Dans la journée du 2 octobre, le chérif vînt visiter les campements de Si El-Djoudi et il
s’en retourna aux Beni-Mellikeuch. Ce même jour M. Beauprêtre reçut la réponse du chérif
qui acceptait son défi.
Dans la nuit arriva le renfort de 200 chevaux envoyé d’Aumale, les Sebkha, les Beni-
Aïssi, les Bou-Djelil (Beni-Abbès) et l’Ouennour’a Cheraga avaient envoyé leurs contingents,
de sorte que M. Beauprêtre possédait des forces plus que suffisantes, en temps ordinaire, pour
s’opposer à toutes les entreprises du faux Bou- Maza ; mais il fallait compter avec la crédulité
superstitieuse des indigènes qui croyaient au pouvoir surnaturel du chérif et on pouvait
craindre de leur voir tourner bride au premier choc.
Le 3 octobre, le goum monta à cheval à la pointe du jour, et on ne tarda pas à voir
l’ennemi s’avancer en deux fortes colonnes : l’une composée de Zouaoua descendait sur les
Cheurfa ; l’autre formée en majeure partie de Beni-Mellikeuch, descendait l’Oued-Chekroun
pour arriver sur les Béni Mançour. Le chérif se tenait entre les deux colonnes, escorté de ses
cavaliers et de quelques notables kabyles.
Le sous-lieutenant Beauprêtre avait placé ses contingents à pied au village des Cheurfa avec
un groupe de cavaliers ; il avait gardé le gros de son goum dans la plaine appuyé aux villages
des Beni-Mançour et il avait détaché vers l’est, au-delà de l’Oued-Tazatimt, le caïd des
Oulad-Ferah, Sliman-ben-Amara ; celui-ci s’abrita derrière un rideau de gros oliviers.
Si El-Djoudi voulait qu’on se bornât à attaquer le village des Cheurfa en se tenant hors de
l’atteinte de la cavalerie, mais le chérif, qui comptait sur l’assurance qu’on lui avait donnée
que nos goums tourneraient bride sans combattre, ne voulut rien entendre et s’obstina à
marcher sur les Beni-Mançour en traversant une plaine de 3 kilomètres de largeur.
Les Beni-Mellikeuch qui arrivaient sur notre droite furent facilement repoussés par nos
cavaliers ; le chérif voyant fuir ses partisans entra dans une grande colère et, sans rien écouter,
il s’avança suivi de ses cavaliers au nombre de trois, de Si Ahmed-ben-el-Djoudi et d’une
soixantaine de Beni-Mellikeuch, qui s’arrêtèrent prudemment à la limite des broussailles, de
sorte qu’il se trouva tout seul. Attaqué par quelques cavaliers du goum moins superstitieux
que leurs camarades, il tomba frappé d’une balle entre les épaules (88). Quelques instants après
il était décapité par le spahis Marchely.
Après la chute du chérif les siens, conservant un reste d’espoir, plantèrent son drapeau et
cherchèrent à enlever son corps ; mais le charme était rompu, le goum avait repris toute sa
confiance ; les Kabyles furent repoussés et le drapeau fut enlevé par le brigadier de spahis
Abd-el-Kader-Ould-Bel-Kassem et le mokhazni Abd-el-Kader-ben-Mokhtar et rapporté
comme trophée. Le cheval du chérif, ses armes, son cachet et ses effets, à l’exception de sa
djebira, tombèrent entre les mains des nôtres.

Cette affaire nous a coûté 3 morts: le caïd Sliman-ben-Amara, le cadi du Dira inférieur Si
Bel-Kassem et le spahis Mohamed-Kesentini ; nous avions eu aussi quelques blessés, 2
chevaux tués et 3 blessés.
Le lendemain tous les Zouaoua avaient disparu du versant sud du Djurdjura.
La tête du chérif, conservée au moyen d’une légère préparation, fut exposée avec un
écriteau, le 7 octobre, sur le marché du dimanche d’Aumale et le jour même elle fut envoyée à
Blida au général commandant la division avec cette lettre laconique :

« Aumale, le 7 octobre 1819.


» Mon Général,’
» J’ai l’honneur de vous envoyer la tête du chérif Mohamed-ben-Abd-Allah Boucif.
Je suis, etc.
» Signé: CANROBERT. »

Cet évènement tirait d’un grand embarras l’autorité supérieure, aussi les récompenses ne
manquèrent-elles pas. La belle conduite du sous-lieutenant Beauprètre fut portée à l'ordre de
l’armée d’Afrique par un bulletin élogieux daté du 9 octobre. Proposé à la fois pour
l’avancement et pour chevalier de la légion d’honneur, il obtint, peu après, ces deux
récompenses ainsi qu’une lettre de félicitations du ministre. .
Le brigadier de spahis Abd-el-Kader-Ould-Bel-Kassem (89) fut aussi nommé chevalier de
la légion d’honneur.
Déjà le général de division avait envoyé, le 7 octobre, à M. Beauprêtre un magnifique
88
Lire le récit détaillé du combat dans la Revue Africaine de 1870, p, 358.
89
Il est devenu plus tard capitaine de spahis et caïd des Oulad- Ferad ; il a conduit les goums d’une
manière brillante à la colonne du général Cérez en 1871.
sabre turc ; il avait également envoyé trois paires de pistolets et six fusils pour être distribués
aux indigènes qui s'étaient le plus, distingués dans le combat du 3 octobre.
Cette affaire où M. Beauprêtre avait montré de grandes qualités comme entraîneur de
goums, où il avait prouvé l’ascendant moral qu'il avait su acquérir sur les indigènes et qui,
surtout, s’était produite dans un moment bien opportun, a été l’origine de sa fortune militaire
qui, jusque-là, n’avait pas paru devoir être bien brillante (90).
Si-El-Djoudi eut beaucoup de peine à se défendre de donner aux Zouaoua et aux Tolba-
ben-Dris le trésor du défunt chérif, qui ne se montait d’ailleurs qu’à 1,500 fr. ; il réussit
néanmoins à le garder pour lui.
Mouley Brahim reprit pour son compte le rôle de chérif. On trouvera le récit de ses faits et
gestes, en ce qui se rapporte à la Grande-Kabylie, dans la Reçue africaine de 1881, p. 230.
Le lieutenant Beauprêtre ne fut pas toujours aussi heureux qu’il venait de l’être ; un mois
ne s’était écoulé qu’il éprouvait combien la fortune est capricieuse dans la répartition de ses
faveurs. Voici dans quelles circonstances :
Le colonel Barrai avait été envoyé avec une colonne pour observer les Ouled-Nayls qui
menaçaient de faire défection, lorsqu’il reçut l’ordre d’aller renforcer les troupes qui
assiégeaient l’oasis de Zaatcha. En passant par Bou-Saada, dans les premiers jours d’octobre,
il y avait laissé un dépôt de vivres et 150 malades ou éclopés sous le commandement du sous-
lieutenant Lapeyre, du 38° de ligne, avec un médecin militaire.
Le marabout Ben-Chabira, qui avait réussi à soulever les Oulad-Nayls, attaqua le
détachement, le 19 octobre, et le colonel Canrobert reçut de Sétif la lettre suivante datée du 20
octobre :
« Vous avez sans doute appris que le détachement laisse à Bou-Saada par le colonel de
Barrai était bloqué et que, dans une première affaire avec les Oulad-Feradj, les Oulad-Khalcd
et une partie de la population de la ville, ce détachement, soutenu par le reste de la population
qui forme le parti du chikh, avait éprouvé quelques pertes.
» Je pense que ma lettre arrivera trop tard pour que vous puissiez porter secours à cette
garnison de malades et d éclopés, mais le Khalifa Mokrani, qui va se mettre en marche contre
les insurgés, pense, qu’à son approche, ils se retireront sur Lalleg et que la présence de vos
goums sur ce point produirait le meilleur effet. Oserai-je vous demander, etc...
» Il y a deux officiers à Bou-Saâda, le sous-lieutenant Lapeyre adjoint au bureau arabe de
Bordj-bou-Aréridj et un oflicier de santé. Leurs chevaux ont été enlevés. Le capitaine Pein,
chef du bureau arabe de Bordj-bou-Aréridj, part aujourd’hui de ce point avec ce qu’il a pu
réunir de tirailleurs et de zouaves de bonne volonté. Les goums le suivront de près et le
Khalifa rejoindra demain soir».
Le colonel Canrobert avait immédiatement envoyé dans le Sud le lieutenant Beauprêtre,
avec un goum de 500 chevaux, en lui prescrivant de s’entendre avec le capitaine Pein pour le
concours à lui donner.
Les Oulad-Ameur avaient, comme nous l’avons vu, refusé, dans les derniers jours d’août,
délivrer les tentes des Oulad-Sidi-Aïssa qui s’étaient enfuies avec l’ex-Khalifa d’Abd-el-
Kader, Si-Ahmed-ben-Amar, et ils avaient reçu et fêté ce dernier ; ils avaient fait des razzias
sur les tribus soumises et deux de leurs fractions étaient en armes dans Bou-Saada prêtant
main forte aux insurgés ; le capitaine Pein écrivit au lieutenant Beauprêtre de razzier celte
tribu s’il se trouvait, pour cela, suffisamment fort.
90
Voici l’état de ses services à cette époque : Beauprêtre Alexandre né le 12 janvier 1819 à Marast
(Haute-Saône). Entré au service aux zouaves le 12 décembre 1839, caporal le 3 décembre 1840,
sergent garde-magasin le 16 décembre 18il, sergent-fourrier le 13 avril 1844, sergent-major le 5
octobre 1814 adjudant le 30 août 1846 sous-lieutenant le 9décembre 1847. 11 avait été nommé
adjoint au bureau arabe d’Aumale le 1er mars 1848.
Il a été tué comme colonel, le 8 avril 1864, à l’affaire d’Aouïnet- bou-Bekeur qui a été le premier fait
de l’insurrection des Oulad- Sidi-Chikh dans la province d’Oran. 11 n’avait que 45 ans.
Le lieutenant Beauprêtre trouva les Oulad-Ameur à Oglat-el-Beïda, au nord-est du Zarez-
Cheurgi, et il les attaqua sans hésiter. Voici le compte rendu de cette affaire qui fut un
désastre pour nos goums :
« Oulad-Abd-Allah, à 9 heures du soir, samedi, 27 octobre (1849).
» Mon colonel,
» Je viens seulement d’arriver et d’apprendre que vous étiez campé au Kobla. J’ai
l’honneur de vous rendre compte, mon colonel, que les goums se sont aussi mal conduits,
qu’ils s’étaient bien conduits jusqu’à ce jour.
» Arrivé à 6 heures du matin à l’Ogla où étaient campés les Oulad-Ameur, j’ai lancé les
goums de Yahia-ben-Abdi (caïd des caïds du Dira inférieur) et des Aribs. Quelques milliers
de moutons étaient déjà réunis et la razzia allait s’opérer, lorsque Yahia-ben-Abdi me fit
demander des cavaliers de renfort pour repousser les Oulad-Ameur qui l’inquiétaient.
J’envoyai le caïd Abd-el-Kader (91) avec son goum. Celui-ci a poussé vigoureusement
l’ennemi jusqu’au pied d'un versant où il y avait quelques buissons et là il a été tué par une
embuscade de piétons.
» Le cadavre du caïd fut enlevé par ses frères ; ils le rapportaient en lieu de sûreté, lorsque
le goum des Oulad-Abd-Allah vit ce cadavre, (92) je ne sais si c’est la peur qui les a saisis,
ainsi que le goum des Aribs, mais, dans une minute, ils se sauvèrent tous au grand galop,
entraînant avec eux tous les goums sans exception, même 200 chevaux du goum du Dira qui
étaient sous ma direction et en ordre. Tout le goum en général m’a débordé et n’a écouté
aucun commandement. J’ai employé tous les moyens possibles de douceur et de rigueur, et,
voyant qu’ils n'obéissaient pas, j’ai fait deux exemples ; tous mes efforts ont échoué et chacun
s’est sauve pour son compte. Il n’y avait que 15 cavaliers devant eux lorsqu’ils ont commencé
à fuir.
» Le goum s’est fait prendre en se sauvant ou tuer par les balles et la fatigue environ 50 à
55 chevaux. La plus grande perte est le caïd Abd-el-Kader et 8 spahis, compris le brigadier et
le trompette. Ces spahis ont été pris par l’ennemi parce que leurs chevaux ne pouvaient plus
marcher. Il y a aussi 20 à 25 cavaliers du goum qui sont restés entre les mains de l’ennemi ;
tous n’ont pas été tués.
» Cette lâcheté, qui approche de très près la trahison, vous sera éclaircie, autant que
possible, demain matin, par moi et les chefs du goum.
» Demain matin à la pointe du jour je serai auprès de vous et je vous rendrai compte de
tout.
» Si M. le Capitaine Petit ne m’avait dit que vous deviez camper à Mtilag, je serais allé
vous voir ce soir.
« Signé : BEAUPRÈTRE.
» Monsieur le colonel Canrobert, commandant la colonne expéditionnaire, à la Kouba des
Oulad-Sidi-Aïssa ».

Le lieutenant Beauprêtre se trouvait à 95 kilomètres d’Aumale lorsqu’il fut abandonné par


ses goums, malgré l’ascendant qu’il avait acquis sur ses hommes, malgré la sauvage énergie
qu’il avait déployée pour les arrêter. N’ayant plus avec lui que quelques cavaliers, il dut se
résoudre à une retraite précipitée ; il était à 9 heures du soir, comme nous l’avons vu dans son
rapport, dans les Oulad-Abd-Allah, dont le territoire est un peu au nord du café-poste actuel
d’Aïn-el-Hadjel (93).
91
C’était le caïd des Adaoura-R’eraba, Abd-el-Kader-ben-Mohamed-el-Adaouri, dont il a été question
au chapitre VI. Razzié et fait prisonnier par l’émir en 1816, il avait pu s’évader à Cherak-et-Teboul le 7
février, lors de la surprise du camp de ce dernier par le général Gentil.
92
Le cadavre est resté aux mains des Oulad-Ameur qui le brû¬lèrent.
93
Nous croyons à propos de donner ici l’extrait d’une lettre du docteur Aristide Verdalle qui a été
insérée dans La Campagne d'Afrique, de Delpoux, au sujet de la rentrée à Aumale du lieutenant
Cette fâcheuse affaire n’eut pas de conséquences graves, car le colonel Canrobert, qui
avait reçu Tordre de conduire à Zaatcha une colonne expéditionnaire de 1 500 hommes,
traversa le pays soulevé et put y rétablir Tordre.
Malgré son insuccès, le combat contre les Oulad-Ameur avait rendu un grand service à la
garnison de Bou Saada en retenant loin de cette ville des fractions de cette tribu qui se seraient
jointes aux rebelles et en faisant même rentrer sur leur territoire celles qui étaient déjà autour
de Bou-Saada (94).
Le colonel Canrobert arriva à Bou-Saada le 2 novembre ; sa marche n’avait été qu’un
lugubre convoi à cause du choléra qui sévissait sur la colonne. Ce terrible fléau servit même à
disperser les rebelles, qui fuyaient rapproche de nos soldats pour éviter la contagion.
Au départ du colonel Canrobert, le lieutenant-colonel Durrieu avait été désigné pour faire
l’intérim de commandant de la subdivision d’Aumale; il a rejoint son poste le 31 octobre.
Plusieurs intérimaires se sont encore succédés: le colonel d’état-major Borel de Bretizel, sous-
chef d’état-major général, du 11 avril 1850 au 12 mai ; puis le colonel du régiment de zouaves
d’Aurelles de Paladine désigné le 13 mai et qui fut confirmé dans le commandement de la
subdivision par décision du 17 mai 1850.
Par décision du gouverneur général du 18 janvier 1850, le poste de Bou-Saâda fut érigé en
cercle ; cette décision fut approuvée par le ministre le 14 février et le commandement du
cercle fut donné au capitaine Pein.
Par une autre décision du 18 janvier, les Selamates et les Oulad-Sidi-Hadjerès passèrent
du cercle de Bordj-bou-Aréridj dans celui d’Aumale.
Les faits historiques concernant la subdivision d’Au- male jusqu’à la conquête définitive
de la Grande Kabylie, peuvent maintenant être trouvés soit dans 1’ « histoire du chérif Bou-
Bar’la » insérée dans la Reçue Africaine de 1881 à 1884, soit dans les « notes chronologiques
pour servir à l’histoire de l’occupation française dans la région d’Aumale », par le capitaine
Bourjade, insérées dans la même publication à partir de l’année 1888. Nous ne mentionnerons
plus, dans la suite de ce travail, les faits intéressant cette subdivision.

Beauprêtre :
«... Vers les premiers jours de novembre, un cavalier coiffé d’une chéchia écrasée sur le front et
rejetée en arrière, enveloppé dans un caban brun, laissant voir un pantalon rouge à bande noire que
recouvraient jusqu’aux genoux des houzeaux éperonnés, rentrait à Aumale, suivi de trois mokhaznis,
par la porte du sud. Son cheval marchait au pas et paraissait fatigué; lui se tenait courbé sur sa selle
comme un croissant brodé sur sa housse et ses yeux reluisaient comme des charbons ardents.
» C’était Beauprêtre.
» Quelques jours avant, il était sorti par cette même porte avec 400 chevaux
» Quand il rentra à Aumale, le vaincu de la veille y trouva le brevet de lieutenant, la croix de chevalier
el un sabre d'honneur que le gouverneur général lui envoyait. C’était pour la tête du chérif de l’Oued-
Sahel.
» Lui-même nous disait plus tard avec une modestie charmante : — Je ne sais d’où tout cela me
venait, mais cela me pleuvait de tous côtés...»

94
Ce qu’il y a de curieux c’est qu’après tout ce qu’ils avaient fait aux nôtres, ce sont les Oulad-Ameur
qui se sont plaints des agissements des goums d’Aumale ; sur les rapports du bach-agha Ben-Yahia-
ben-Aïssa, le commandant de la subdivision de Médéa a protesté contre l’agression dont avaient été
victimes, disait-il, de fidèles serviteurs.
CHAPITRE XIII
Installation de zmoul au pied des montagnes des Flissa. — Résistance des Kabyles. — On
installe en zmala une fraction des Arib.—Modifications territoriales et mutations dans
le commandement. — Mohamed-ou-Kassi attaque Djemaà-Sahridj. — Situation des
Beni-Ouaguennoun. — Ils se mettent en rebellion. — Le bach-agha razzie Tikobaïn le
6 avril 1850. — 11 attaque infructueusement Makouda le V8 mai. — Les Flissa
attaquent la zmala des Arib, le 11 mai, et sont repoussés. — Le général de Salles arrive
le 4 juin sur l’Oued-Chender. — Les dissidents se soumettent. — Création du caïdat du
centre dans les Flissa. — Nomination à Alger du général Cuny. — Les Beni-bou-
Addou sont rendus au commandement des Guechtoula. — Nouvelles difficultés dans les
Beni-Ouaguennoun ; on scinde la tribu on deux. — Mutations dans le personnel
indigène. — Si M’hamed- bel-Hadj est nommé agha des Flissa le 7 mars 1851. — Le
commandant Berger est nommé à Dellys le 17 avril 1851. — Création d’une zmala dans
l’Oued-el-Kseub. — Extrait d’un rapport politique du capitaine Péchot. — Soumission
des Beni-Ouaguennoun. — Mutations dans le personnel indigène.

Malgré l’éloignement de l’ex-agha Ben-Zamoum, les voleurs et les receleurs continuaient


toujours leur industrie dans les Flissat Oum-el-Lil et l’agha Ben-Zitouni obtint l’autorisation
d’établir des zmoul au pied des Flissa, en y envoyant des Kabyles des diverses fractions ; on
fit construire à cet effet des installations à l’Oued- Chender et à Chabel-el-A limeur. Mais les
Kabyles montraient la plus grande répugnance à s’y établir, on faisait courir le bruit que nous
voulions faire descendre la population dans la plaine pour l’avoir sous la main et, au mois de
septembre 1849, ils avaient même incendié 10 des gourbis construits à grande peine à l’Oued
Chender ; au mois d’octobre la zmala de Chabet-el-Ahmeur était incendiée à son tour. Une
partie des Rouafa se déclara en insoumission et cet exemple fut suivi par une partie des
Romeraça et des Oulad-Yahia-Moussa et par les Oustani en entier. Ces désordres avaient été
commis à l’instigation d’Ali-Nahmed et d’Ali-Nsliman ; ce dernier avait même promis en
plein marché, une récompense à ceux qui brûleraient les zmoul.
L’agha Ben-Zitouni avait voulu se faire livrer cet Ali- Nsliman et les gens de Rouafa s’y
étant refusés, il avait attaqué ce village, y avait mis le feu et avait blessé trois hommes.
Les évènements de Zaatcha avaient d’ailleurs amené une grande agitation dans tout le
pays, les chefs des mécontents avaient écrit au faux Bou-Maza pour l’attirer dans les Flissa ;
mais les partisans de l’ordre lui écrivirent de leur côté qu’ils ne voulaient pas exposer leur
pays à la visite de nos colonnes et que s’il venait chez eux ils le chasseraient. La nouvelle de
la prise de l’oasis, qui eut lieu le 28 novembre 1849, et celle de la mort du chérif Bou-Sif
ramenèrent un peu de calme.
Les Flissa ne voulant décidément pas se prêter à faire la police de leur territoire, on prit le
parti, au mois de décembre, d’installer à Menaïel une fraction des Arib, prise parmi les gens
de cette tribu makhezen installés à la Maison-Carrée. Ils eurent pour chef le caïd Saad-ben-
Rabah.
Une décision du 21 novembre, du Gouverneur général, a modifié légèrement la répartition
des tribus des Isser : les Isser El-Ouïdan et les Isser Drœu appartiennent au cercle d’Alger ; les
Isser Oulad-Smir et les Isser El- Djedian à celui de Dellys. L’ancien caïd des Isser a pris le
commandement des Oulad-Smir et des Djedian et celui des Isser Drœu et des Isser El-Ouïdan
a été donné, par décision du 3 janvier 1850, à El-Hadj-Ahmcd-ben-Abid, nommé caïd.
Par décision du Président de la République du 22 janvier 1850, le général de Salles,
commandant la subdivision de Constantine, a pris le commandement de la subdivision
d’Alger et il a été remplacé à Constantine par le général Daumas (95).
Une épouvantable catastrophe est survenue dans le courant du mois de janvier 1850, au
village des Aït-ou-Abban, des Beni-bou-Drar. Un éboulement de montagne a enseveli ce
village, et sur 80 familles, 9 personnes seulement ont pu échapper au désastre qui a coûté la
vie à environ 300 personnes.
Nous avons vu que les Issahnounen avaient été expulsés de Djemaa-Sahridj en décembre
1849 par Bel-Kassem- ou-Kassi et avaient été obligés de se réfugier chez les Beni-Yahia ; ces
gens avaient été recueillis plus tard à Mekla par Mohamed-ou-Kassi. Ce dernier avait essayé
d’opérer une réconciliation avec les gens de Djemaa- Sahridj pour les faire rentrer dans leur
village et il n’y avait pas réussi. Au commencement de février, il réunit un goum nombreux et
attaqua Djemaa-Sahridj ; après un combat dans lequel il y eut de part et d’autre quelques tués
et blessés et où périt le chef du sof récalcitrant, le village fut enlevé et les Issahnounen furent
rétablis dans leurs maisons.
Nous avons vu qu’en 1848, Bel-Kassem-ou Kassi avait eu quelque peine à obtenir des
Beni-Ouaguennoun le payement de l’impôt et qu’il avait dû employer la force ; en 1849, par
suite de la présence, dans le pays, de la colonne du général Blangini, le recouvrement se fit
intégralement avec assez de facilité ; mais, en 1850, les difficultés recommencèrent.
L’opposition venait des partisans de l’agha de Taourga, Lamdani-ben-Mahi-ed-Din.
Il convient d’expliquer les tiraillements qui ont toujours existé dans les Beni-
Ouaguennoun sous l’administration du bach-agha. Au moment de la soumission de Bel-
Kassem-ou-Kassi, on fit entrer dans son commandement les aghaliks des Ameraoua et de
Taourga, mais sans rien régler d’une manière bien précise. Les deux aghaliks avaient
commencé par faire partie du cercle de Dellys ; on ne les en retira pas nettement tout d’abord
et il fut convenu que, pour certaines des tribus composant ces aghaliks, le commandant
supérieur de Dellys aurait toujours son droit de contrôle bien que le commandement du bach-
agha relevât, en principe, directement du Gouverneur général. AU début, les choses mar-
chèrent assez bien, Bel-Kassem-ou-Kassi avait chargé son beau-fils, Si Amar-ou-Hamitouch
de s’occuper des Beni-Ouaguennoun et celui-ci s’entendit assez facilement avec l’agha
Lemdani ; mais plus tard, Bel-Kassem-ou-Kassi, qui était assez autoritaire, se mit à
administrer directement, sans s’occuper de l’agha, et il fut implicitement approuvé par
l’autorité supérieure, qui prescrivit au commandant supérieur de Dellys de ne plus s’occuper
du commandement du bach-agha.
Les cavaliers de Bel Kassem commirent quelques petites exactions dont les victimes
allèrent se plaindre à Lemdani, mais ce chef indigène ne put leur donner satisfaction ; au fond,
il n’était pas fâché de voir Imposition qui se manifestait contre l’ancien rival de sa famille,
tout en n’osant pas l’encourager ouvertement?
Les chefs des Beni-Ouaguennoun tinrent des réunions pour convenir de la ligne de
95
Par décret du 20 avril suivant, cet officier général était nommé chef du service de l’Algérie au
Ministère de la guerre.
conduite à adopter vis-à-vis de Bel-Kassem-ou-Kassi et ils décidèrent, d'un commun accord,
qu’ils lui refuseraient l’obéissance et qu’ils le repousseraient s’il voulait faire chez eux acte
d’autorité. Ils firent même davantage, ils devinrent agresseurs, malmenèrent les partisans du
bach-agha et, au mois de février, ils allèrent même jusqu’à razzier le cadi Si Amar-ou-Sliman,
originaire de la fraction des Cheurfa, qui habitait Tikobaïn ; ils lui détruisirent sa maison et lui
enlevèrent ses troupeaux.
Bel-Kassem-ou-Kassi n’était pas homme à laisser cette agression impunie et, le 6 avril, il
tomba avec ses goums et des contingents des tribus sur Tikobaïn et sur le village
d’Ihadikaouen, qui en avaient été les auteurs, et il les razzia complètement. Il fit indemniser le
cadi des perles qu’il avait subies.
Plus tard, lorsque le bach-agha réclama le payement de l’impôt, les Beni-Ouaguennoun le
lui refusèrent et ils se mirent à exécuter des travaux pour mettre leurs villages en état de
défense. Bel-Kassem-ou-Kassi convoqua alors toutes les forces en cavaliers et en piétons qu’il
put réunir et il les groupa au pied des montagnes, en deux camps; l’un sous ses ordres, à El-
ltama, se composait des cavaliers des Ameraoua-Tahla et des contingents à pied des Maatka,
des Beni-Aïssi et des Beni-Zmenzer ; l’autre, sous les ordres de son frère Mohamed-ou-Kassi,
établi au-dessous de Tikobaïn, comprenait les cavaliers des Ameraoua-Fouaga et les Kabyles
des Beni-Fraoucen., Azazga, Beni-Idjeur.
Les fractions de Makouda, Attouch et Hamemta, effrayées de la tournure que prenaient les
choses et craignant d’être pillées si elles refusaient de prêter leur concours au bach-agha pour
combattre leurs frères de tribu, évacuèrent leurs villages pour aller chercher un refuge dans les
Beni-Slyim.
Le capitaine Péchot, chef du bureau arabe d’Alger, était allé sur les lieux pour se rendre
compte de la situation ; il écrivit à Dellys pour demander qu’on fit rentrer sur leur territoire les
fractions qui avaient émigré. Cette mesure fut exécutée. Le capitaine Péchot proposa au
général d’infliger une amende de 2,000 francs aux gens de Tikobaïn pour les punir de leur
conduite à l'égard du cadi Si Amar-ou-Sliman.
Enfin le 28 mai, Bel-Kassem-ou-Kassi, à la tête de 100 cavaliers commandés parles aghas
Allai el Lamdani et de 800 fantassins kabyles, marcha à l’attaque de Makouda. Le combat
dura toute la journée ; le but à atteindre, qui était de faire payer l’impôt, n’excitait pas
beaucoup l’amour-propre des contingents et ils se comportèrent si mollement, médiocrement
entraînés par les aghas, que Bel Kassem-ou-Kassi dut se décider à rétrograder sur El-ltama
sans avoir rien obtenu. De son côté Mohamed-ou-Kassi avait attaqué Isserradjen et Afir sans
plus de succès.
Bel-Kassem-ou-Kassi fit un nouvel appel aux Kabyles pour essayer de réparer cet échec.
Laissons-le pour un moment en face des Beni-Ouaguennoun et occupons- nous des Flissat-
Oumel-Lil qui, à la même époque, avaient montré des velléités de révolte.
Nous avons vu qu’aux mois de septembre et d’octobre 1849 les gens des Rouafa, des
R’omeraça, des Oulad-Yahia-Moussa et des Oustani avaient brûlé les maisons construites à
l’Oued-Chender et à Chabet-el-Ahmeur pour servir à l’installation des Zmoul et qu’ils
s’étaient mis en état d’insoumission. Les dissidents s’étaient bornés d’abord à attaquer des
cavaliers isolés de l’agha, à enlever des bestiaux à son khodja et à envoyer des maraudeurs
dans la plaine ; lorsque vint le moment de payer l'impôt, ils le refusèrent carrément.
Pour compromettre toute la tribu et la mettre dans la nécessité de s’insurger avec eux, ils
résolurent d’aller attaquer la zmala des Aribs de Bordj-Ménaïel et d’enlever la famille de
l’agha qui habitait au même point.
Ben-Zitouni étant parti pour Alger, le 10 mai, afin d’y verser la portion de l’impôt qu’il
avait recouvrée (780 fr. sur 10 000 fr. ) et pour rendre compte de la situation de son
commandement, les dissidents jugèrent l’occasion bonne car l’agha avait dû emmener avec
lui, comme escorte, une partie de ses cavaliers et dès le lendemain, 11 mai, à la pointe du jour,
ils commencèrent l’attaque. Une bande de 3 à 400 insurgés des Oulad- Yahia-Moussa, des
Oultaïa et de Pareil Oustani descendit de la montagne et se porta sur Bordj-Ménaïel.
Heureusement l’éveil avait été donné dans la zmala, les cavaliers avaient eu le temps
démontera cheval et lorsque les assaillants dévalèrent sur la zmala, les 30 ou 40 cavaliers des
Aribs qui les attendaient se précipitèrent sur eux à la charge conduits par leur caïd Saad-ben-
Rabah et les abordèrent avec une énergie extraordinaire. Les rebelles après avoir tiré quelques
coups de fusil lâchèrent pied et s’enfuirent dans la montagne poursuivis l’épée dans les reins.
Au moment où ils commençaient à la gravir, ils furent accueillis par une fusillade que leur
envoyèrent des gens des Oulad-bou-Rouba et des Rouafa, du sof de l’agha, fractions les plus
voisines du bordj, et qui avaient pris les armes et étaient accourus au bruit du combat. Les
dissidents laissèrent sur le terrain 14 hommes et 20 fusils et ils curent un grand nombre de
blessés. Dans cette chaude affaire, les Aribs avaient eu 4 blessés dont un dangereusement et
4chevaux blessés. Le plan des rebelles avait échoué. Effrayés de ce qu’ils avaient fait, ils
s’empressèrent de mettre leurs familles et leurs richesses en lieu de sûreté ; mais ne se
décidèrent pas encore à faire des démarches de soumission.
A la date du 9 mai, des troupes étaient parties d’Alger pour travailler à la route d’Alger à
Dellys dans la partie comprises entre l’Oued-Isser et l’Oued-Neuça et elles avaient installé
leurs chantiers. Le général de Salles, commandant la subdivision d’Alger, en présence des
faits graves qui s’étaient produits dans les Flissa et les Beni-Ouaguennoun, obtint
l’autorisation de se mettre à la tête de ces troupes en les organisant en colonne active ; on lui
donna, à cet effet, un peu de cavalerie et d’artillerie.
Arrivé le 4 juin au camp de l’Oued-Chender, le général chercha à amener les dissidents
des Flissa à composition et il eut la satisfaction d’y réussir sans être obligé d’employer la
force. Il eut beaucoup à se louer, dans cette circonstance, de Si Mhamed-ou-el-Hadj, cheikh
des chikhs des Khachna, qui lui avait servi d’intermédaire pour les négociations. Le 8 juin
tous les hommes importants du parti de l’opposition faisaient leur soumission amenant des
chevaux de gada et promettaient le versement de l’impôt non encore acquitté.
Bel-Kassem-ou-Kassi et Lemdani furent mandés au camp pour le règlement des affaires
des Beni-Ouaguennoun et ils s’y présentèrent le 9 juin, accompagnés des chefs des Ameraoua.
Le général leur notifia que, désormais, le bach-agha n’administrerait plus directement les
Beni-Ouaguennoun, que l’agha Lemdani s’occuperait de toutes les affaires de cette tribu mais
en restant soumis aux ordres de Bel-Kassem-ou-Kassi.
On avait reconnu la nécessité de créer dans les Flissa un troisième caïdat pour les fractions
des parties hautes de la tribu et qui fut composé des Romeraça, Rouafa, Oulad Yahia-Moussa
et Oustani, c’est-à-dire de tous les anciens rebelles cl on donna à cette unité administrative le
nom de caïdat du centre. Ali-Nsliman, appartenant à une des anciennes familles notables de
Rouafa, et qui était le personnage le plus influent du nouveau commandement, fut nommé
caïd, bien qu’on eût à lui reprocher d’avoir été l’instigateur de la rébellion. Sa nomination fut
approuvée par le gouverneur général le 11 juillet 1850.
Voici les noms des cheikhs qui furent donnés aux diverses fractions: aux Rouafa, Ali-
Nahmed ; aux Beni- Mekla, Ahmed-ben-Tafat ; aux Beni-Chenacha, Ali-nsi-Sliman ; aux
Oulad-Yahia-Moussa, Ahmed-ou-Saïd et aux Oustani, El-Eumaça.
Le général de Salles alla visiter Dellys où l’affaire des Beni-Ouaguennoun fut
définitivement réglée, puis il se mit en route pour Alger emmenant avec lui la cavalerie et
l’artillerie ainsi que les nouveaux chefs des Flissa lesquels, après avoir payé le montant de
l’impôt, allaient recevoir leurs burnous d’investiture. Il arriva à Alger, le 20 juin. Il avait
laissé en partant le commandement au colonel Jollivet, du 16° de ligne, qui devait faire
continuer les travaux de route jusqu’à la fin du mois de juin.
Le général de Salles fut remplacé dans son commandement, à son retour à Alger, par le
généra! Cuny.
Le choléra avait fait son apparition dans le bach-aghalik du Sébaou et faisait de
nombreuses victimes, particulièrement à Djemaa-Sahridj ; les tribus de l’oued Sahel étaient
aussi rigoureusement éprouvées par le fléau.
Dans les Guechtoula, la tribu des Beni-bou-Addou, qui a toujours fait partie de la
confédération, n’avait, pas été comprise dans le commandement de Mohamed-ou-Amran ;
celui-ci n’avait cessé de la revendiquer et il avait même fait l’avance de la somme de 100
douros représentant sa part dans la lezma. Une décision du gouverneur général, du 16 avril
1850, avait fait rentrer les Beni-bou-Addou dans le commandement des Guechtoula.
Dans le courant du mois de mai un nouveau changement avait encore eu lieu dans le
service des affaires arabes ; par décret du 4 du dit mois, le 2 e bureau du secrétariat général du
gouvernement de l’Algérie avait été supprimé et l’ancien bureau central avait été rétabli
auprès du Gouverneur, sous le nom de bureau politique. Le lieutenant-colonel Durrieu, du l er
chasseurs d’Afrique, fut nommé chef de ce bureau: sa nomination ne fut ratifiée que par arrêté
ministériel du 16septembre 1850.
A la date du 22 octobre 1850, le général d’Hautpoul fut nommé gouverneur général de
l’Algérie, en remplacement du général Charon.
Mohamed-ou-Amran caïd des Gueehtoula étant mort le 22 septembre 1850, les chefs des
différentes fractions furent convoqués à Alger pour arrêter le choix de son successeur. Le
nommé El-hadj-Akli, dont nous avons eu plusieurs fois occasion de parler, fut nommé caïd
(96) et en lui donnant pour khalifa EI-hadj-Toutah des Beni-Mendes, et Arab naït-Mohamed-
ou-Amran fils du défunt caïd.
Revenons maintenant aux Beni-Ouaguennoun. Par suite de la présence à proximité de leur
tribu de la colonne du général de Salles, ils avaient payé, au moins partiellement leur lezma ;
mais les sofs n’avaient pas pour cela désarmé et nos troupes étaient à peine rentrées à Alger
que l’agitation recommençait. Quelques notables demeurant dans la montagne s’étaient
rapprochés de Bel-Kassem-ou Kassi pour être autorisés à labourer dans la plaine et, non
seulement celui-ci accueillit leur demande, mais encore il les engagea à faire descendre tous
ceux qui voudraient les imiter. Ces gens furent regardés par le reste de la tribu comme des
transfuges et on leur déclara qu’ils devraient regagner leurs villages ou bien abandonner
définitivement la tribu ; ils furent même l’objet de mauvais traitements et on leur enleva leurs
bœufs en train de labourer.
Bel-Kassem ou-Kassi réunit, au mois de novembre, des contingents pour les protéger; en
même temps il avait engagé des pourparlers et un arrangement allait intervenir, lorsque
quelques gens de désordre, dans le cours de la discussion, en vinrent aux mains et la mêlée
devint générale; plusieurs individus restèrent sur le terrain. L’agha Lemdani était resté inerte,
au lieu d’agir contre les perturbateurs, il avait affecté de garder la neutralité.
Dans le but de ramener le calme, le général Cuny fit appeler l’agha à Alger avec ses frères
Aomar et El-Ounès, et ils y furent retenus en surveillance.

Pour en finir avec tous ces tiraillements, le général commandant la division décida, le 15
décembre 1850, que les Béni Ouaguennoun seraient divisés en deux parties, l’une laissée à
l’agha Lemdani devait passer dans le cercle de Dellys, tandis que l’autre serait placée sous
l’autorité directe de Bel-Kassem-ou-Kassi. Le capitaine Péchot se rendit sur les lieux, au mois
de janvier 1851, pour assurer l’exécution de cet ordre ; il appela à lui les djemaâs des Beni-
Ouaguennoun, celles de la plaine se présentèrent mais celles de la montagne s’abstinrent de
96
Primitivement le chef des Guechtoula avait le titre de chikh des chikhs, puis ce titre s'était changé
en celui de caïd. Voici quelle était l’organisation des Gueehtoula, qui avaient deux chikhs par tribu:
Frikat, chikhs investis Aomar-ou-Aïssa et Mhamed-el Ounès; Beni-Smaïl, Sliman-ou-Mançour et
Ahmed-ou-Kassi : Beni- Kouii, El-Hadj-Mohamed-ou-bel-Kassem et Mhamed-naït-Kheddach ; Beni-
Mendes, Aoniar-ou-el-Hadj et Amar-ou-Ahmed-ou-Kaoudj ; Beni-bou-R’erdane, Ali-Ou-Raindan et
Saïd-ou-Mohamed ; Beni- bou-Addou, Mhained-naït-el-Ksa et Saïd-naït-Taleb.
paraître. Le capitaine Péchot se retira alors en prescrivant au bach-agha d’appliquer dans toute
leur rigueur les mesures ordonnées par l’autorité supérieure.
Le bach-agha réunit ses contingents pour faire le blocus des villages rebelles; les hostilités
durèrent jusqu’au mois de mai et les Beni-Ouaguennoun se décidèrent, plus ou moins
sincèrement, à faire leur soumission apart deux petits villages situés près de la mer.
Le caïd du Guechtoula, El-hadj-Akli, était mort le 27 décembre 1850 et il avait été
remplacé, le 2 janvier 1851, par El-hadj-Toutah des Beni-Mendès.
L’agha des Khachna, El-Arbi-ben-Kahia, mourut également le 30 janvier 1851 et la
suppression de l’aghalik fut prononcée.
Enfin, le 3 février 1851, l’agha des Flissa, Mohamed- ben-Zitouni mourut à son tour et on
le remplaça, à la date du 7 mars, par Si Mhamed bel-Hadj des Beni-Aïcha, khalifa du caïd des
Khachna, avec un traitement de 2,400 francs. C’était un homme d’une grande intelligence,
d’un caractère ferme et énergique. Ancien chikh des chikhs sous le gouvernement turc, il avait
conservé l’exactitude du makhezen et les ordres recevaient avec lui une exécution rapide et
complète. Bon administrateur, guerrier habile, il avait une grande réputation de bravoure et
une grande influence même en dehors de sa tribu. Nous l’avons vu donner ses bons offices au
général de Salles pour ramener les Flissat-Oum el-Lil à l’obéissance l’année précédente. Il fut
installé dans ses fonctions, à Bordj-Ménaïel, le 26 mars.
Le commandant Perigot qui avait organisé Dellys, où il avait commandé le cercle pendant
sept ans, fut nommé lieutenant-colonel au 16 e léger et rejoignit son corps; il fut remplacé,
comme commandant supérieur, le 17 avril 1851, par le commandant Berger, du 25e léger.
Le chérif Bou-Bar'la (97) qui avait commencé ses agissements dans la vallée de l’Oued-
Sahel avait envoyé des émissaires et des lettres dans la vallée du Sebaou et dans l’aghalik du
Flissa ; d’un autre côté la police étant mieux faite dans les Flissa, les voleurs et les recéleurs
s’étaient portés dans les Maatka et dans les Mechtras ; dans le courant de juin Bel-Kassem-ou-
Kassi avait sévi contre ces tribus, mais il paraissait nécessaire d’empêcher les relations entre
Flissa et Maatka en installant une zmala dans l’oued-el Kseub. Au mois de juin 1851, le
général Cuny envoya le capitaine Péchot eu Kabylie pour étudier cette question et pour se
rendre compte de la situation des esprits et de ce que pouvaient faire craindre les agissements
du chérif.
Nous donnons ci-après un extrait du rapport, daté du 29 juin, où le capitaine Péchot a
rendu compte de sa mission.
« Je suis parti le 10 juin dans le but de faire une tournée dans le cercle et de retenir les
kabyles contre les prédications de Bou- Bar’la.
» Je suis d’abord resté quelques jours à Bordj-Menaïel. Je savais que Béchar avait quitté
sa tribu pour se réfugier chez les Mkira. L’agha menaça les siens d’un châtiment sévère s’ils
ne chassaient Je Nezlioui ; le chikh des Mkira était très bien disposé pour Béchar.
» El-Hadj-Amar-ben-Khorif des Bouafa correspondait aussi avec Bou-Bar’la ouvertement
et il refusait de descendre dans la plaine...
» Toutes les dispositions nécessaires pour maintenir la tranquillité dans le pays étant
réglées avec l’agha, je m’étais mis en route pour aller chez les Ameraoua, lorsqu’à la
séparation de l’Oued-Chender et de l’Oued-Sebaou, je trouvai Bel-Kassem escorté d’un goum
nombreux. Une fois descendu chez l’agha Allai, à Dra- ben-Khedda, j’allai visiter, avec les
aghas et Bel-Kassem, remplacement de la zmala dans l’Oued-el-Kseub. Deux points furent
discutés ; je choisis le plus éloigné de Dra-ben-Khedda, afin d’éviter des conflits de voisinage.
» Le lendemain arrivèrent les Beni-Ouaguennoun, toujours en deux camps, les uns soumis
depuis longtemps, les autres venant faire leur soumission. Je leur indiquai les conditions
suivantes : 3 chevaux de gada, une amende de cent douros, la lezma de l’année dernière et
celle de cette année ; tout fut consenti.
97
Voir la Revue Africaine de 4581 à 1884.
Deux jours après, Bel-Kassem m’ayant engagé à monter chez lui, nous allâmes coucher à
Tizi-Ouzou. Pendant le trajet il me parla de son désir d’avoir pour son frère Hamitouch un
bordj semblable à celui de Ménaïel dont l’aménagement lui avait plu beaucoup.
» Le lendemain, jeudi (19 juin), nous assistâmes au marché du Khemis fondé par
Belkassem ; il y fait construire une belle fontaine.
» A peine étions nous arrivés chez son frère Amar-ben-Hamitouch, que les Beni-
Ouaguennoun apportaient l’amende et la valeur des trois chevaux de gada, demandant à
emmener leurs troupeaux. L’opposition que je lis à cette reddition parut flatter sensiblement
Bel-Kassem. Nous apprîmes alors qu’ils avaient payé pour des villages qui, n’ayant pas
souffert de la dernière razzia, refusaient de s’exécuter. Bel-Kassem offrit de marcher contre
ceux-ci ; ils acceptèrent de grand cœur tout en demandant à faire une dernière démarche
auprès d’eux. J’ai su depuis que des coups de fusil avaient été échangés entre eux sans
l’intervention de Bel-Kassem, que l’anaïa avait été rompue et que le petit nombre des gens de
l’opposition ne saurait inquiéter.
L’époque du versement de la lezma étant arrivée, Bel-Kassem a envoyé récolter l’impôt
dans la montagne. Les Beni-B’obri ayant refusé tout payement, ont été attaqués par
Mohamed-ou-Kassi ; celui-ci ayant eu, dans un premier engagement, deux hommes blesses,
un cavalier et deux chevaux tués, le bach-agha a immédiatement donné des ordres et, dès le
lendemain, nous vîmes passer goum et infanterie se rendant au camp de Mohamed ; tout se
passait militairement.
» En descendant à Sidi-Namen, j’appris que Mohamed avait brûlé trois villages, tué
quatorze hommes, pris des fusils et des troupeaux et forcé les Beni-R’obri à se soumettre et à
payer.
» Bel-Kassem avait appelé mon attention sur les Maatka et les Mechtras qui, depuis le
maintien de la tranquillité chez les Flissa, sont devenus les plus dangereux de tout le cercle,
recelant les voleurs et les objets volés et refusant de venir devant la justice. Il désirait frapper
un coup sur ces fractions turbulentes, mais il demande le concours de l’agha des Flissa qui
agirait du côté opposé au sien. Je l’ai autorisé.
» En arrivant à Bordj-Ménaïel, j’ai trouvé l’agha des Flissa descendant de cheval et venant
de terminer l’affaire de Béchar. Il s’était emparé du chikh opposant, de deux des principaux
personnages du mouvement, des individus qui voulaient s’opposer à leur arrestation, enfin
d’une partie des troupeaux de Béchar.
» Le Nezlioui fugitif ne trouva asile que chez Si-El-IIadj-Amar, mokoddem de la zaouïa
de Si-Abd-er-Rahman : — Partout ailleurs je le poursuivrais, me dit l’agha, mais là je ne puis
l’atteindre. Seulement je sais à quelles conditions on lui donnera l’hospitalité et je suis
convaincu que, dans pende jours, il fera demander l’aman.
» En effet, dès le lendemain, El-Hadj-Amar écrivait une lettre très humble en faveur du
fugitif.
» L’agha propose d’infliger, comme condition d’aman, le séjour à Menaïel, une forte
amende et, dans le cas où il persisterait dans l’insoumission, le séquestré.
» Au sujet d’El-Hadj-Amar-el-Kherif, je rappelai la promesse faite et, dès le lendemain
jour du marché des Rouafa, on se rassembla, on démolit la maison de l’individu et on enleva
les troupeaux qui furent ramenés à Bordj-Ménaïel et vendus.
» El-Kherif avait reçu de Bou-Bar’la un caclæt et la promesse d’être agha... »
Le 20juin 1851, mourut le caïd des Isser, du cercle d’Alger (Isser-Drœu et Isser-el-
Ouïdan) ; il fut remplacé par son khalifa Ahmed-ben-Mohamed, à la date du 18 juillet. C’était
un homme riche, intelligent, ami du progrès, d’un caractère plein d’énergie et de droiture.
Lors de la grande razzia d’Abd-el Kader, du 6 février 1846, il avait été un des rares chefs
indigènes ayant opposé une résistance énergique.
Saïd-ben-Toubal, caïd des Abids d’Aïn-Zaouïa et de Bor’ni, étant décédé le 6 juillet, fut
remplacé, le 17, par son fils portant le même nom.
A la même époque, le caïd des Flissa du nord, Ahmed- ou-Ali-ben-Chakal, avait cherché à
soulever quelques fractions de sa tribu ; il fut révoqué par décision du 8 juillet 1851 et
incarcéré, pour deux mois, à la Kasba d’Alger.
Le 18 juillet, le gouverneur général approuvait la création d’une zmala à l’Oued-el-
Kseub ; à cette occasion et après la révocation du caïd des Flissa du nord, cette tribu fut
scindée en deux ; la portion de l’est, qui reçut le nom de caïdat de l’Oued-el-Kseub, fut
donnée à Ali- Mohamed-el-Haoussine, qui fut en même temps le chef de la zmala ; la portion
de l’ouest, qui prenait l’ancien nom de caïdat du nord, fut donnée à Mohamed-Amzian-ben-
Smaïl, nommé caïd.
Le 29 juillet, la tribu des Guechtoula fut également scindée en deux ; El-Hadj-Toutah,
déjà caïd, n’eut plus que la moitié orientale ; l’autre moitié fut donnée au fils d’El-Hadj-Akli
des Beni-Smaïl.
Nous terminons ici le travail que nous avons entrepris ; on trouvera la suite des
événements historiques concernant la subdivision de Dellys dans V Histoire du Chérif Bou-
Bar’la publiée dans la Reçue Africaine à partir de l’année 1881 et dans les hôtes et documents
sur l’insurrection de la Grande Kabylie de 1856-1857, publiées dans la même revue à partir de
1898.

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