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Conférence extrait de l’ouvrage Seconde édition du sultanat de Tajoura: Institutions et

Histoire à l’orée du premier festival culturel de Tadjoura (21decembre-22decembre 2023) à


paraitre à Harmattan 2024
Présenté par Dr Adawa Hassan Ali-Ganta ancien Ministre
(Brève bibliographie de l’auteur et résumé de la conférence à la fin)

LE SULTANAT DE TADJOURA 1927-2023: L’INVENTION DE LA TRADITION1

Les puissances coloniales puis postcoloniales ont déliberement cherché à inventé de toutes
pièces, les «traditions» en Afrique pour se legitimer, s’inscrire dans la longue durée, ou encore
garantir le contrôle des puissances coloniales ou postcoloniale avec la complicité des autochtones
:« L’occupation de Tadjoura, celle de Dikhil, la cessation de l’état de guerre qui régnait en
permanence entre les tribus Issa et Dankalis, ont été obtenues sans violences et sans appareil
militaire grâce à une préparation qui m’a demandé plus de deux ans. Je dois dire que cette
préparation politique, si elle a été conçue et dirigé par moi, a été au point de vue réalisation,
l’œuvre exclusive d’un autre : le nommé Hassan Hanfaré Loitah » dans son rapport de 1930.
Concernant la Côte Française des Somalis, avant de cerner les origines de la volonté de la
puissance étrangère pour mettre sous dépendance le sultanat Afar de Tadjoura 2, nous allons
esquisser les différentes étapes qui y ont conduit.

I- PRÉLUDE À LA MISE SOUS DÉPENDANCE ÉTRANGÈRE DU SULTANAT DE


TADJOURA.
Plusieurs faits précèdent l’occupation de la ville et du sultanat depuis le traité signé avec le
sultan jusqu’à l’occupation des côtes de la mer Rouge.

1. LE TRAITÉ D’AMITIÉ ET DE COOPÉRATION AVEC LE SULTAN DU 21 SEPTEMBRE 1884


À OBOCK
Le sultan de Tadjoura affirme en effet dans la version arabe du traité : « Que seul le vizir a
signé le traité, le sultan n’y apposant que son cachet ; ensuite que l’article I stipule
l’engagement du sultan et de ses successeurs. L’article II indique que le sultan n’a pas le droit
de donner son pays à la France selon la constitution afare, mais demande la protection contre
d’éventuels agresseurs tout en respectant nos activités économiques, nos us et coutume. Il
reconnait que le traité stipule que les Français y sont libres de construire des maisons, mais
après en avoir fait la demande et acheté les terrains conformément aux droits fonciers en
vigueur3 ».
Ainsi le traité signé le 21 septembre 1884, à Tadjoura, et approuvé et ratifié par le décret du
10 décembre 1884, a pour signataires, le gouverneur Lagarde et le sultan de Tadjoura, dont le nom

1
Recueil d'études sur les modes de légitimation des États-nations et des sociétés traditionnelles par l'affirmation ou la
négation de traditions. Sous la direction de E. Hobsbawm & T. Ranger, The Invention of Tradition, Cambridge, 1983
(traduction française : L'invention de la tradition, trad. par Christine Vivier, Éditions Amsterdam, 2006)
2
Voir aussi notre livre Les sultanats de Tadjoura et de Gooba’ad 1927-1935.
3
Entretien avec le sultan Adullkader Hummad à son domicile à Tadjoura le 22 décembre 2006.
varie dans le texte français. Dans la version arabe, « sultan Hamad sultan Muhammad, sultan de
Tadjoura » désigne exactement en Afar Hummad Mahammad Mandaytu (1880-1912). Son vizir,
effectivement seul signataire du traité, est Arbahim Hummad, qui mourra de la variole en 1887, et
sera remplacé par Mahammad Arbahim son fils (futur sultan de 1912 -1927). Leurs noms figurent
sur l’acte dit de « cession 4» signé à bord du Seignelay, le 18 octobre 1884, par lequel le sultan de
Tadjoura « donne à la France par amitié, Raz Ali (en Afar Raysali), Sagallo (sagallou en Afar) et
Rood Ali (Gubbet karab) ». Le nom Rood Ali ne figure pas dans le texte arabe du traité du
21 septembre, où on lit en lieu et place Gubbet Karab (Gubbat al-Kharab). Le sultan de Tadjoura se
présente dans le texte en arabe comme « commandant de Raysalé jusqu’à Gubbat al Harab et, dans
l’intérieur, Asal ». La confrontation des deux versions (celui du sultan en version arabe et en
français) montre que ces traités sont faux.
La mise sous dépendance militaire et économique étrangère d’Obock date officiellement d’un
traité fondateur de Paris signé avec Ahmed Aboubakar le 11 mars 1862. Celui d’Obock avec la
mission Conneau-Lagarde en 1883, celui de Djibouti officiellement de 1896, et par la suite le long de
la construction du rail jusqu’en 1917 date du traité avec les chefs Issa.
La colonisation française forcée des sultanats de Tadjoura et de Gooba’ad débute le 2 mars
1927. Les sultanats, Dardar ou Amoyta ou Reedantu 5, héritage précolonial remonte à l’arrivée de
Hadal Maahis6 à côté du village d’Adaylou et marque le début d’un système politique
économique culturel solide qui régit le peuple Afar et s’oppose farouchement à toute mise sous
dépendance.
La remise en cause du colonialisme français dans les deux sultanats souverains de Tadjoura et
de Gooba’ad, la volonté de sauvegarder leur souveraineté, entraîne les crimes contre l’humanité.
C’est seulement dans ces deux sultanats de la CFS qu’elle se confronte militairement au
peuple Afar. Comment les sultanats purent-ils protéger leurs souverainetés préservées depuis des
siècles contre toutes les invasions étrangères ? La violence de l’État colonial a-t-elle permis
l’assujettissement, la soumission du sultan de Tadjoura, la suppression ou la pérennité du
sultanat de Gooba’ad’ ? Quels ont été les prix cruels de ce que certains auteurs ont appelé la
pacification que nous appelons la lutte pour l’indépendance pour les populations Afar ? En
conclusion nous allons répondre à la question suivante : comment faire pour que le nouveau
sultan Ali Habib Ahmed, le chef et les membres du Migliss, les notables retrouvent leur
autonomie financière ?
Préparatifs de la « paix coloniale » est longue. La mise sous dépendance a demandé un
préparatif et la mise en place du réseau ferroviaire, Djibouti-Addis qui devient effectif en 1917,
d’une brigade indigène composée uniquement de Somalis et d’Arabes.

2. LE FAR WEST7, L’ORIGINE DE LA MILICE INDIGÈNE : LA BATAILLE ENTRE-AFAR


SOMALI-ISSA DU PK70 (DA’ASBUYYI), DESCENTE DU PK25 (SEBENLE), À AMBOULI.
De 1862 à 1884, le comptoir est dénommé Territoire Français d’Obock. Un décret du
gouverneur Lagarde valide « Territoire d’Obock et dépendances », en juin 1884. Le 20 mai 1896,
un décret fusionne les protectorats de Tadjoura et des pays Danakils, le « protectorat de la côte des
Somalis » pour créer la « Côte Française des Somalis et dépendances dont le chef-lieu est
4
Qui ne figure pas dans la version arabe du traité.
5
Termes expliqués dans l’avertissement.
6
« Celui qui fut sur un arbre un matin » sur un jujubier à Cheik Abbiwin près du village d’Adaylu, au nord de
Tadjoura. Il est le fondateur des sultanats au début du XIVème siècle excepté celui de Badoytameela en Éthiopie.
7
Carette Pierre, Le Far West, livre lu à l’institut Français de Djibouti (fermé à cause du covid19) et dont je n’ai pas le référence ;
ce personnage est mentionné par Rosane Van Gelder dans son livre sur le train.
Djibouti ». Ainsi dénommé « parce qu’il n’y a pas des somalis ?8» En tout cas l’orientation pro-
somalie de la puissance se dévoile.
Ainsi en 1910, les combats meurtriers reprenaient entre Afar et Somali-Issa dès fin mars, les
affrontements entre Issas et Afars devinrent plus violents et des combats eurent lieu autour de la
voie ferrée au kilomètre 709. Pour mieux intervenir dans le règlement de ces affaires « intestines »,
les autorités se contentèrent de renforcer les différents postes. 10 Mais en avril, le chef Afars,
Ampharé Loitah11, décida de pénétrer avec 4 000 hommes armés « en pays Issas12 » pour venger
des assassinats et des vols de bétail, dont ils avaient été victimes plusieurs années plus tôt.13
Ce n’est que le 6 mai que le gouverneur Pascal apprit la présence de toute l’armée Afar au
kilomètre 25, soit actuellement à Balbala. Épuisée par plusieurs jours de marche, sans arrière-base,
et n’ayant pu atteindre le point de rassemblement de leurs ennemis, elle décida de marcher sur
Djibouti en quête de nourriture.
Devant le danger de voir arriver ces guerriers affamés qui risqueraient de piller la ville, le
gouverneur réagit promptement en faisant parvenir aux campements Afars un fourgon de vivre !
En échange, il obtint la promesse des chefs qu’une fois reposés, leurs hommes regagneraient
leurs campements14.
Le lendemain, une grande partie de la troupe respecta l’engagement et s’en retourna vers
Tadjoura. Mais 1000 d’entre eux continuèrent leur marche jusqu’à Ambouli, à 9 km du centre-
ville. Sur leur trajet, ils semèrent la panique parmi la population qui fuyait à leur passage. Pressé
par ce péril immédiat, Pascal instaure l’état d’urgence, à Djibouti. Il fit distribuer des armes aux
Européens et aux 200 coolies arabes, employés par les Messageries maritimes. Ces partisans
improvisés, équipés à la hâte, impressionnèrent vivement la troupe rassemblée à Ambouli. Une
fois désarmés par ce service d’ordre, les combattants Afar réclamèrent des boutres, afin de
regagner leur territoire par la voie maritime.
Les négociations avec les chefs Afar permirent d’éviter le combat et les derniers guerriers
furent évacués sans incident15. Grâce à l’improvisation rapide d’une troupe formée par de civils
européens et Arabes de Djibouti, aux prouesses diplomatiques déployées par l’administration, le
pire put être évité. Toutefois, la crainte d’une nouvelle attaque maintint la population de
Djibouti-ville dans un état d’inquiétude permanente.
Pour mettre fin à ce climat de tension, des mesures concrètes furent prises pour renforcer le
dispositif de sécurité16. Les intérêts du chemin de fer et ceux de l’administration divergeaient
quant à la formation d’une force de sécurité. Malgré ces difficultés, un arrêté du 27 septembre
1909 prévoit l’organisation « d’un cadre local de miliciens chargé d’assurer la surveillance et
la protection de la partie rurale du protectorat »17. Par la suite, l’arrêté du 1er juin 1910 supprime
la milice nouvellement créée, car elle fait double usage avec celle de la CIE. En fait cette
décision permet au gouverneur de créer par arrêté pris le jour « attendu qu’il est nécessaire

8
Monfreid.
9
PK70 n’a pas d’autres noms mais s’appelle en Afar Da ‘as buyyi.
10
Ibidem.
11
Hanfadé Lao’oyta est le frère du défunt de Gooba’ad sultan Hummad La’oyta (1830-1902) mort à Doda près de Dorra le
17octobre 1902.
12
L’administration française ignore qui habite ce territoire à l’époque en 1910.
13
Ibidem CAOM, 1AffPol, C121, D2.
14
Ibidem.
15
Ibidem.
16
Ibidem CAOM, 1AffPol, C121, D2.
17
JO CFS, arrêté du 27/09/1900.
d’assurer la surveillance et la police tant dans les différentes stations de chemin de fer situé en
territoire Français que de la voie elle-même ; article 1 : il est créé le long de la voie de chemin
de fer huit postes de police rurale »18, un corps nouveau, totalement contrôlé par
l’administration. Quel est-il ?
Ces événements vont précipiter la création d’une unité de police compétente 19. L’arrêté du
2 juin 1910 déclare : « Il est créée en CFS une brigade de gardes indigènes pour assurer la
police intérieure de la colonie. Cette force de police relève du gouverneur. Elle est constituée
d’un personnel d’infanterie coloniale hors cadre et d’indigènes locaux. 20 » C’est le début de la
création d’une force composée que de Somalis et de Yéménites, pour combattre toute rébellion.
« Je vous ai avisé que l’organisation de la force de police en question devait se rapprocher
autant que possible de celle d’une compagnie sénégalaise »21. Cette force territoriale est
organisée comme le bataillon sénégalais.

3. L’IGNORANCE DE LA COLONIE
En dehors de Djibouti un poste administratif22 est laissé à Obock, où se trouve un
administrateur civil jusqu’en 191523 qui devient un poste militaire confié à un détachement
indochinois plus tard. Donc, seuls les villages de Djibouti et d’Obock sont sous la souveraineté
directe de la puissance coloniale. Les sultanats de Tadjoura et de Gooba’ad ne cèdent pas la
propriété du sol et conservent leur statut, car les traités conclus avec Léonce Lagarde ne
comprennent pas l’abandon de souveraineté.
Le 25 mars 1927 est rétabli le poste d’Obock supprimé en 1914, et crée deux autres postes
dans « le district Dankali à Tadjoura et Gooba’ad 24» où la France n’est même pas présente :
« le poste de Goba’ad, déjà créé par arrêté, va être édifié et occupé incessamment sous peu.25»
18
JO CFS, arrêté du 01/06/1901.
19
CAOM, 1AffPol, C2989, D2, administration générale, organisation et fonctionnement de la colonie (1898-1924).
20
JO CFS, arrêté du 02/06/1910
21
CAOM, 1AffPol, C123, D2, organisation de la garde indigène à Djibouti (1910-1918).
22
Carte Imbert Simon-Vier, Tracé des frontières à Djibouti, Karthala, Paris, p 127.
23
Un poste occupé par des gardes depuis janvier 1903.
24
Simon Imbert Vier, p 136.
25
ANOM, affaires politiques 696.
Nous sommes dans le contexte d’une mise sous dépendance par une puissance étrangère dans
un pays qu’une guerre fratricide entre Afar’Asahyamara et Afar ‘Adohyamara oppose.
En septembre 1929, le géologue Dreyfus dessine une carte 26 ci-après, à la demande du
gouverneur Chapon Baissac, proche de celle de Chaurand qui démontre la méconnaissance du
terrain.

4. LA PREMIÈRE ÉTAPE DE L’OCCUPATION : QUATRE NOUVEAUX POSTES LE LONG DE LA


CÔTE DE LA MER ROUGE (1924-1926)
Jusqu’en 1925, entre Doumeira et Tadjoura, il n’y avait deux sites occupés : Obock et khor
Anghar, avec respectivement 20 et 15 hommes27. Le gouverneur de la CFS, Chapon-Baissac (en
poste de 1924 à 1933) créa le long de ces 150 km de côte à intervalles, plus ou moins réguliers,
quatre nouveaux postes aux endroits susceptibles d’accueillir la nuit les boutres venant du
Yémen pour embarquer des esclaves et débarquer leurs marchandises 28. Ainsi du Nord au Sud,
les sites de Doumeira, Moulhoulé, Ras Syan, et Godoria reçurent l’implantation des petits fortins
avec environ 7 à 8 gardes chacun, soit en 1926 un total de 60 hommes répartis sur cinq postes.29
Les consignes de surveillance étaient théoriquement strictes. Étaient considérés comme
suspects tous les boutres qui s’approchaient à moins de 500 m du rivage. Celui-ci devait alors
être hélé, invité à mettre bas sa voile, et gagner le rivage pour vérifier la nature de la cargaison.
En cas d’insuccès, des sommations étaient faites et à la quatrième, la nature de l’embarcation
était visée puis l’équipage.30
Néanmoins les sources mentionnent la mise en pratique de ces procédés, et les sources orales
nous les ont confirmées.
La colonie tenta à plusieurs reprises d’équiper des navires. En 1923, la marine dépêcha le Diana,
sa mission s’arrêta en 1925. L’administration locale prit alors le relais en armant 3 boutres à moteur,
dont un, sombra mystérieusement en 1930, sans que les inspections n’aient le moindre résultat en

26
Imbert Simon-Vier, Tracé des frontières à Djibouti, Karthala, Paris.
27
CAOM, 1Aff Pol, C3148.
28
ibidem CAOM, 1Aff Pol, C696, D1.
29
ibidem CAOM, 1Aff Pol, C693, D1.
30
SHAT, 7H8, D3, Plan de défense et de mobilisation des postes de Djibouti, Ali-Sabieh, Dikhil, Obock, Ouéa, et
Tadjoura (1937-1939).
particulier pour l’interdiction de l’acheminement des marchandises vers le nord du pays, mais aussi
pour surveiller la traite des esclaves.31
C’est une troisième phase de l’occupation de la CFS par l’administration coloniale qui a d’abord
commencé par Obock, puis s’est transportée à Djibouti qu’elle a édifié avec la construction d’un
chemin de fer et d’un port, puis enfin décidé d’occuper les sultanats souverains de Gooba’ad et de
Tadjoura dans l’objectif d’en faire d’abord des postes français alors qu’elle n’avait pas les moyens de
s’aventurer dans l’arrière-pays.

5. LES VAINES TENTATIVES D’OCCUPATION DE LA VILLE DE TADJOURA (1911-1925)


La tentative d’occupation de la ville de Tadjoura est ressentie comme une menace, elle fut
plusieurs fois reportée.
En 1920 le gouverneur Jules Lauret « avait obtenu du sultan Mohamed Ibrahim que le
pavillon français fut arboré sur la ville et que trois ascaris y fussent maintenus en permanence
comme garde pavillon (…) Mais l’attitude de la population indique donc assez que nous serions
mal accueillis32. »
L’occupation de Tadjoura est de nouveau envisagée en 192133 : « L’administration se décida
d’occuper Tadjoura, mais craignait de se heurter à une opposition armée de la part des Danakils.
Ceux-ci paraissaient bien déterminés à s’opposer à une occupation française qui mettrait fin à
leurs trafics 34». Les trafics des armes et des esclaves ayant toujours existé, l’auteur omet
volontairement que Tadjoura vit aussi du commerce international de produits asiatiques et
européens, réexportés vers les hautes terres d’Éthiopie. En retour, les marchands-caravaniers
importaient les produits éthiopiens, tels l’ivoire, les plumes d’autruche, les fibres de palmiers
doums de la plaine du Hanlé, du lac Allol. Tadjoura vivait aussi des produits de l’agriculture
éthiopienne et de l’exportation des bétails vers le Yémen via les ports des côtes de la mer Rouge.
L’intervention de l’administration coloniale signifiait aux yeux de Tadjouriens et
Tadjouriennes la fin de cette indépendance économique et politique à laquelle ils étaient attachés
depuis plusieurs siècles. Les habitants de Tadjoura ne s’en prendraient-ils pas à Obock, voir à
Djibouti-ville, si l’administration s’attaquait à eux ? Telle était la hantise de l’administration
coloniale.
C’est pourquoi il fallait ménager la population et s’attaquer au système d’alternance qui régit
le sultanat, en divisant le sultan et le vizir créant ainsi les rivalités entre les deux sous-fractions
d’une tribu Ad’ali régnant dans le sultanat de Tadjoura. Autant créer la zizanie entre les tenants
qui font l’alternance, la sous-fraction Ad’ali, - dinité et Bourhanto - plutôt que de se mettre à dos
toute la population se disait l’administration.
En effet, Tadjoura connaissait à l’époque une indépendance économique et politique : en
dehors des taxes internationales, régionales, locales sur les commerces, il prélevait des impôts en
Thalers sur chaque esclave et pour ceux qui en emmenaient une grande quantité, et qui ne
pouvaient s’acquitter de leurs impôts, il reprenait les esclaves en lieu et place du non-paiement.
Enfin le vizir Habib exerçait provisoirement le pouvoir du sultan d’autant plus que le sultan
Mahammad Ibrahim avait de graves ennuis de santé depuis des années et le pouvoir restait
vacant. Il était tombé gravement malade en été 1927.

31
ibidem CAOM, 1Aff Pol, C696, D1.
32
ANOM, contrôle 205, Mission Leconte, rapport du 28/04/1921, pp13 et 14.
33
ANOM, Aff/politiques 121/4, note des affaires politiques.
34
Philipe Oberlé, Pierre Hugo, p103.
L’administration coloniale réclamait depuis 1911 l’occupation effective de Tadjoura. En 1913
le gouverneur envisageait l’opération avec 75 gardes, mais l’hostilité des Tadjouriens et
Tadjouriennes et les mauvais contextes politiques remettaient toujours à plus tard le coup de
main.35
Dans cette ville, l’administration coloniale n’y était plus représentée que par 3 autochtones
chargés de garder le pavillon des représentants de l’administration coloniale dont personne ne
devinait l’existence. Ces personnels n’impressionnaient ni les habitants ni les commerçants de
Tadjoura.
En 1922 le départ de la Compagnie des Tirailleurs Sénégalais reporta encore une fois l’affaire,
car la garde était jugée trop faible à cette époque.36
C’est en 1927 qu’est décidée l’occupation de cette ville avec l’appui de Hassan Dimu qui, depuis
1917, essaie de faire la médiation entre l’administration coloniale d’un côté, le sultan et le vizir
de Tadjoura de l’autre. Devant le courage du vizir Habib, il provoqua me disent les sources
orales la division au sein de deux sous-clans régnants dans le sultanat l’okal Debné Hassan
Hampharé Loa’oyta dit Hassan Dimu. « Je dois dire que cette préparation politique, si elle a été
conçue et dirigé par moi, a été au point de vue réalisation, l’œuvre exclusive d’un autre : le
nommé Hassan Hanfaré Loitah » écrit Chapon Baissac dans son rapport de 1930.
.D’ailleurs il a été complice de la deportation du sultan de Goba’ad et de son vizir à Madagascar
en 1930 comme le prononce cet Arrêté :
Arrêté gouvernemental contre Loitah Houmed et Hadj Ali, sultan et vizir de Gobad, une
peine d’internement de dix ans à subir dans une colonie française autre que la côte Française
des Somalis.
Le gouverneur de la Côte Française des Somalis, chevalier de la légion d’honneur,
Vu l’ordonnance organique du 18 septembre 1844, rendu applicable à la colonie par
décret du 18juin 1884,
Vu le décret du 15 novembre 1924 portant règlementation des sanctions de police
administrative en A.O.F et en A.E.F à Madagascar et à la Côte Française des Somalis dans son
article 22 !
Vu l’arrêté du 23 mars 1927, créant des postes administratifs d’Obock de Tadjoura et de
Gobad-Dikkil
Après avis du procureur de la Republique
Le conseil d’administration entendu dans sa séance du 27 et 30 aoôut 1930,
Arrête :
Art.1er. –Une peine administrative de dix ans d’internement à subir dans une colonie
française autre que la Côte Française des Somalis, est infligée à Loitah Houmed et Hadji Ali,
sultan et vizir du Gobad, pour avoir été les instigateurs des assassinats commis en territoire

35
CAOM, 1Aff Pol, C121, D4, Opérations militaires, projet d’occupation de Tadjoura (1911-1925).
36
Ibidem.
étranger les 28et 29 mars 1930,par les Debenehs, sujets français, sur la personne de 23
Gallellas, sujets du sultan de l’Aoussa.
Art.2. –Loitah Houmed et Hadji Ali auront droit, pendant la durée de leur punition, sur
le budget local de la Côte Française des Somalis, à une allocation dont le montant sera fixé sur
l’avis du gouverneur de la colonie intéressée
Art3-Loitah Houmed et Hadji Ali pourront se faire accompagner d’une de leurs femmes
seulement
Art4.-Le passage de Djibouti à la colonie d’internement pour Loitah Houmed, et Hadj
Ali et leurs femmes incombe au budget local de la Côte Française des Somlis
Art.5- Le présent arrêté sera enregistré, publié et communiqué partout où besoin sera.
Djibouti, le 30 août1930 Signé CHAPON-BAISSAC (source Journal de la Côte Française des
Somalis, octobre 1930) :

C’est la complicité de ce notable Afar qui a facilité la deportation du sultan et vizir de


Goba’ad, l’occupation de Dikkil Gooba’ad (voir notre livre sur le sultanat de Tadjoura et de
Goobad, edition Menhir 2017), mais aussi celle de Tadjoura.

II. LA GARDE INDIGÈNE37 OCCUPE LA VILLE DE TADJOURA LE 2 MARS 1927


POUR INSTALLER UN NOUVEAU SULTAN.

L’occupation de Tadjoura a trois objectifs : y imposer l’autorité française aux dépens des lois
séculaires qui le régissent, mettre fin au commerce des esclaves, profiter des potentialités
économiques sociales et politiques de Tadjoura situé au débouché des riches provinces
éthiopiennes de l’Awsa, de l’Oromo, du Choa.
Cette occupation est l’œuvre de la garde indigène principalement composée de Somalis
« allogènes 38» de tribu somalis (Issak, Gadaboursi, Darod) et d’Arabes, groupes sociaux
considérés comme étant plus sûrs que les recrues autochtones. Toutefois, afin de pallier les
insuffisances de recrutement, le gouverneur Chapon-Baissac décide, en 1925, d’incorporer pour la
première fois, cinq Afars39, or l’accès à la garde indigène était impossible aux Afars depuis la loi du
gouverneur Alfred Martineau de septembre 1900 qui leur impose un laissez-passer pour venir du
sultanat de Gooba’ad, du sultanat de Tadjoura, du sultanat de Rahayto à Djibouti.
La question de la fiabilité de ces recrues dans une action menée contre leur propre ethnie a
justifié le retard dans l’incorporation des Afars et des Somalis-Issas. Ainsi donc, les Somalis
« allogènes » et les Arabes constituent la base permanente de la garde indigène. Ils représentent
les sociétés les mieux intégrées au système colonial et les plus attirées par ce genre d’emploi.
L’occupation de Tadjoura, capitale d’un sultanat, est doublement mal ressentie par la
population : d’une part, parce que c’est une occupation militaire effectuée par des soldats
37
La garde indigène est créée en 1910, suite au soulèvement du peuple Afar qui a marché sur Djibouti (Pierre Pascal
s’en fait l’écho).
38
Dubois Colette, Djibouti frustration ou héritage ?
39
Ibidem, CAOM, AffPol, C3148. Ces cinq Afar sont censés servir d’interface, d’interprète entre l’administration
coloniale et la population Afar.
« allogènes » considérée comme des étrangers avec la complicité d’une puissante occupante la
France.
Bien que la présence des Afars progresse, ils sont 16 en 1931 pour 15 Somalis - Issas,
l’occupation de Tadjoura reste l’œuvre d’une troupe étrangère aux Afars comme l’est l’autorité
coloniale, et elle est ressentie comme telle par la population et les différents chefs de poste font
mention de cette hostilité. En 1931, l’unité est encore constituée à 90 % d’étrangers, la plupart
Somalis « allogènes » et Arabes, bien que ces derniers soient de moins en moins nombreux. Le
recrutement demeure tributaire de la conjoncture.
D’autre part la ville de Tadjoura ne dépassait pas « inki nakilto40» c’est-à-dire le palmier
aujourd’hui disparu qui se trouvait à côté de l’Hotel Corto Maltese de Moussa Awli : « Le
gouverneur Chapon Baissac décida d’occuper la ville de Tadjoura, mais resta prudent jusqu’au
moment où une division se fut jour au sein de la famille régnante suite à grave maladie du
sultan : Une occasion se présenta en 1927 41 ». En effet, la mort du sultan provoque pour la
première fois les dissensions orchestrées et manipulées par l’autorité coloniale sur sa succession :
Un notable Debné Hassan Dimu42 de la tribu Harkameela, proche de Chapon-Baissac, est parti
à Tadjoura pour convaincre le vizir Habib, qui était censé remplacer le sultan gravement malade,
de la nécessité d’accepter l’occupation française à Tadjoura. Le vizir, normalement futur sultan,
refusa cette proposition, car il avait tout à perdre avec cette occupation : perte d’autorité et perte
d’indépendance économique, et donc politique, perte des taxes qu’il prélevait sur les différents
autres commerces caravaniers et maritimes. Alors devant ce refus Hassan Dimu convainc le fils
du sultan malade un surnommé Hummad Mahamad Arbahim dit Hummad Zaghir 43, jeune, sans
expérience44, non préparé à la fonction45, de devenir sultan, au cas où son père viendrait à mourir.
Cela n’était pas arrivé à Tadjoura depuis le XIIe siècle lorsque d’abord un sultan, « ura
banoyta »46 (le banoyta qui brille en Afar) fut destitué pour viol d’une fillette, puis, quelques
années plus tard, lorsque les deux enfants de ‘Assa kamil, Bourhan et Dini se disputèrent le trône
du sultanat (voir la généalogie des sultans).
L’affaire fut réglée par le Migliss 47 en instaurant une alternance entre Bourhan et Dini qui
donne l’alternance entre leurs descendants, les sous fractions Bourhanto et Dinité en nommant
l’un d’eux comme sultan, l’autre comme vizir et vice versa. À la mort du sultan, il est dit que le
Vizir le remplace. Depuis lors, il y a un changement au sultanat de Tadjoura entre les sous-
fractions Bourhanto48 et Dinité49.
Mais en 1927, lorsque Mahammad Arbahim, sultan depuis 1913, fils de l’un des signataires
des traités avec Lagarde, tombe gravement malade, et semble être condamné à mourir « Les
rivalités pour la succession divisaient les Danakils, et le moment sembla propice pour imposer
la présence et l’arbitrage de la France. 50 » La famille du sultan, la sous-fraction Bourhanto qui
40
Témoignages des enquêtés anonymes de Tadjoura, mais dans cette ville, les habitants expliquent la défaite du sultan par
l’indifférence de la population, hormis son clan les Dinités.
41
CAOM, Ibidem, p104.
42
Lippman parle abondamment de ce notable dans son livre Guerriers et sorciers en Somalie.
43
Zegir veut dire en arabe « le petit ».
44
Une des conditions pour être sultan.
45
Car il y a une personne chargée de préparer le vizir au pouvoir du sultan.
46
Ce Banoyta appartenait à la tribu Daoudinité, c’est l’un des rares sultans non signalés par Didier Morin dans le Dictionnaire historique
Afar, information sources orales.
47
Assemblée du sultanat.
48
Bourhanto : les descendants de Bourhan et Dinnité : descendants de Dini.
49
Idem.
50
Ibidem.
profitant de l’appui de l’autorité coloniale, s’appuyant sur Hassan Dimu, ami du gouverneur
Chapon Baissac, chef Debné, favorable à l’implantation française tant dans le sultanat de
Gooba’ad que dans celui de Tadjoura, ont provoqué une dissension pour la succession.
En tout cas, cette division provoque le 2 mars 1927, un prétexte pour une intervention d’un
détachement d’une soixantaine d’hommes, équipés de trois canons. Ces derniers débarquèrent à
Tadjoura, bombardèrent la ville et ne laissèrent pas aux habitants favorables au sultan déchu, le
temps d’organiser une résistance dans la ville. Rappelons qu’une partie des Ad’alis, sous fraction
bourhanto – dont étaient issu le feu sultan Mahamad Arbahim– étaient favorables à l’intervention
française51 et s’opposèrent à toute résistance.

1. LES ANNÉES DIFFICILES D’OCCUPATION FRANÇAISE (1927-1943)


Les premières années d’occupation furent tendues. En avril 1927, trois gardes perdirent la vie,
tués près de Tadjoura, à Agraf Eyla. L’administration coloniale accusa le vizir d’en être le
responsable. Nous en connaissons deux victimes pour avoir été indemnisées par l’administration
coloniale, Ismaël Hassan (tribu Ma’anxita) et Omar ‘Ali (tribu Ad’ali). Le troisième semble
avoir violé une femme et avoir été tué par le mari de la femme à Agraf ‘ela près de Tadjoura 52.
Le 6 août 1927, à la mort du sultan, l’administration coloniale temporisa pour nommer son
successeur. Le chef de poste de Tadjoura, Dupont, dans le journal du poste fait à partir du
1er novembre 1928 un compte-rendu de ce qui s’y passe. Il reçoit beaucoup d’okals et demande
leur avis sur les conséquences de la destitution du vizir. « On ne pourra imposer à la population
un autre sultan, car il se produira des troubles dans le pays53», lui rétorquent les notables.
Le 13 novembre 1928, l’administrateur Azenor, originaire de la Réunion, remplace Dupont,
après que le poste ait été délimité officiellement. Dès le lendemain de sa nomination, le nouveau
chef de poste décide d’abréger le deuil conventionnel d’un an, observé « coutumièrement » lors
du décès du sultan pour « préparer l’élection du nouveau sultan »54. Le chef de poste fait
communiquer aux frères du sultan cette déclaration : « À la suite de l’incident du 17 avril
dernier, le vizir est devenu indésirable et sa nomination fortement compromise. Nous serons
heureux qu’un membre de notre famille succède à notre frère Mohamed Ibrahim, au lieu du vizir
Habib. En accord avec les notables du pays, nous avons choisi Houmed Segir qui deviendrait
éventuellement vizir, et éventuellement sultan ». Et d’expliquer ce choix : « Nous avons écarté le
fils aîné parce qu’il est aveugle, le fils cadet Hassan parce qu’il est le fils d’une Somalienne, les
autres fils Isaac et Chehem reconnaissent la supériorité de leur frère Houmed Seghir.55 »
Rappelons l’ordre de succession : le sultan de Tadjoura est Mahamad Arbahim (2 décembre
1913 - 6 août 1927), est Ad’ali Bourhanto. Son vizir est Habib Hummad Mahammad Mandaytu,
Ad’ali, de la sous-fraction Dinité, fils de l’ancien sultan Hummad Mahamad Mandaytu (1880-
24août 1912) avec qui Léonce Lagarde avait apposé un cachet au traité d’amitié et de protectorat
à Obock le 21 septembre 188456, signé uniquement par le vizir, père du sultan Mohamed
Arbahim.

51
Source orale feu Youssouf Ibrahim et feu Kamil Mohamed Kamil, feu Ali Banoyta.
52
Journal du chef de poste 23 novembre 1928.
53
Journal du chef de poste du 22 novembre 1928.
54
Journal du 14 novembre 1928.
55
Lettre du 14 novembre 1928.
56
La version de ce traité en arabe stipule que seul le vizir a signé ce traité, que l’article1 stipule l’engagement du
sultan et de ses successeurs, que l’article II affirme que le sultan donne son pays « en dépôt » que les Français y sont
libres d’y construire des maisons après avoir acheté le terrain.
2. LE GOUVERNEUR CHAPON-BAISSAC CHOISIT LE FILS SULTAN AU LIEU DU VIZIR. QUI
DEVAIT REMPALCER LE SULTAN DEFUNT
À la mort d’un sultan de la sous-fraction Bourhanto, succède normalement un sultan de la
sous-fraction Dinitté. Le gouverneur Chapon-Baissac s’oppose à cette logique d’alternance,
refuse sa nomination comme sultan, invoquant le fait que le vizir était compromis dans
l’accrochage ayant entraîné la mort des trois gardes indigènes.
Le 14 novembre, le gouverneur en personne arrive à bord de l’aviso Diana, il nomme les
okals, soit « un certain nombre des chefs influents et leur fait jurer sur le Coran de servir le
gouvernement français avec fidélité. Une heure après il prononce un discours et procède à
l’élection du sultan Houmed Seghir. (…) Puis intronisation au moment de la proclamation qui
clôt la cérémonie rituelle et qui est faite par l’okal Siraj Daoud. Le gouverneur remet au
nouveau sultan l’ordre de Nicham el Anouar »57. Trois questions se posent après cet événement :
pourquoi, et de quel droit, à part par la force, un gouverneur peut-il nommer des notables,
pourquoi jurer sur le Coran pour servir les intérêts français alors qu’il est chrétien ? Pourquoi un
gouverneur décerne-t-il au sultan la médaille de l’ordre de Nicham el Anouar ? En effet,
auparavant, cette médaille, l’ordre de Nicham el Anouar, était remise par le sultan aux personnes
bienfaiteurs. Maintenant, le gouverneur s’approprie cette fonction et prend la place du sultan.
Le vizir Habib reste en liberté, puis est arrêté le 30 novembre 1928. Dans son journal du
er
1 décembre, le chef de poste souligne que « le nacouda apporte la nouvelle de l’arrestation du
Vizir Habib. Dans la maison de ce dernier, on entend des cris et des lamentations. Reçu à
16 heures, arrêté n° 386 du 30 novembre prononçant contre le vizir Habib une peine de cinq
ans d’internement à subir à Madagascar a été prononcée. »58
Le 28 décembre 1928, le chef de poste M. Azenor décéda dans des conditions étranges après
l’investiture du nouveau sultan. « Une justice divine » pour les partisans du Vizir, « victime des
trafiquants d’esclaves »,59 ou « empoisonné par sa femme somali-issa ».
La preuve ? En 1942, l’ex-compagne d’Azenor est soupçonnée après la mort d’un vétérinaire
français avec lequel elle vivait.60 Le diagnostic officiel est que « l’administrateur Azenor est bien
décédé le 28 décembre dernier, aux environs de Tadjoura, d’un arrêt brusque du cœur,
consécutif à une congestion pulmonaire double.61»
En fait l’échec relatif de Chapon-Baissac dans sa lutte contre les commerces illicites s’explique
en partie par la crainte de pénétrer l’arrière-pays Afar. Ces populations éloignées n’avaient que de
très rares contacts avec les autorités, qui ignoraient à peu près tout de cette région nord de la
colonie.62 Cette zone inconnue de la CFS plaçait l’administration dans l’impossibilité d’agir
efficacement contre la répression de la traite.63Il a cependant lutté contre ce trafic en arrêtant des
personnes telles que Chelem Omar condamné à dix ans de prison, pour qui Hummad Cheik, un
okal ‘Ablé demande la grâce le 2 décembre 1928.
Suite à la mort du sultan Mohamed Arbahim, le gouverneur Chapon-Baissac investit par la
force et par élection un des fils du sultan défunt Humad Mahamad Arbahim, qui devient le

57
Ibidem.
58
Journal du chef de poste du 1er décembre 1928.
59
Oberlé, Hugot : p104.
60
ANOM 1E5 et 1E6/1-5 « Correspondance 1927-1943 », lettre du 11/04/1942.
61
ANOM, 3G3 « correspondance (1923-1955) lettre du gouverneur au chef de poste le 09/01/1929.
62
Ibidem p103.
63
CAOM, 1’AffPol, C696, D1.
31e sultan, écrasant la résistance hostile « à ce coup d’État » imposé par une puissance étrangère.
Outre ce changement dans le droit coutumier, l’administration induit une violence politique.

3. LE CHEF DE POSTE DEVIENT LE SUPÉRIEUR HIÉRARCHIQUE DU NOUVEAU SULTAN ET


DU MIGLISS64, SOUS LE DRAPEAU ET L’HYMNE NATIONAL FRANCAIS !
L’une des raisons de l’occupation étrangère était de soumettre le sultanat aux désidératas de
l’administration coloniale.
En effet dès la nomination du sultan, le gouverneur nomme aussi les notables, car autrefois
ces nominations relevaient du sultan. Une grande partie de la population s’opposa à l’occupation
alors qu’une petite minorité de la population l’accepte indifférente au conflit entre les deux sous-
fractions régnantes dans le sultanat.
Un front du refus mené par des hommes et femmes déterminés à faire respecter l’alternance
voit le jour dans un contexte d’hostilité latente entre les Italiens fascistes installés en Érythrée
préparant l’invasion de l’Éthiopie, soutenant le sultan de l’Awsa Mohammad Yayyo et son vizir
Hammadu Yayyo hostiles à l’occupation du territoire Afar, vont apparaître. Mohamed Bourhan
Kassim qui est beaucoup cité dans les archives pour son hostilité à l’intrusion étrangère, Kamil
Mahamad Abatté, cadi65 de Dorra à l’époque et Abdulmalik Habib, Abas Bourhan font partie de
ceux, nombreux et nombreuses qui s’opposent à l’occupation. Le chef de poste décerne des
mandats d’arrêt contre ces deux derniers, mais aussi contre Mahammad Chehem l’instigateur du
complot du 17 avril 1928. D’ailleurs le chef de poste croit savoir que d’après ses renseignements
que Mahamad Chehem « se retrouverait au billadi Goda66 où il aurait remis à Ahmed Dekha de
la part du gouvernement italien 100 Thalers, 7 chameaux, 4 fusils, 400 cartouches »67 en vue
d’attaquer Tadjoura. Cette rébellion va s’installer dans le versant nord du mont Goda au nord-est
de la ville de Tadjoura.
Cette période est connue dans la mémoire collective comme étant une période de règne des
deux sultans, « namma dardaarinnih daban »68, l’un imposé régnant par force à Tadjoura soumis
à la puissance occupante, l’autre légitime, mais évincé, vivant en exil forcé malgré à Madagascar
en exil dans une prison. Les règles de la succession séculaires, rénovées au cours des âges, qui
consistaient à élire le vizir et le sultan, furent ainsi bafouées. Le fils du Sultan n’avait jamais
succédé à son père à Tadjoura. Le modèle européen, où le fils du roi succédait à son père, fut
imposé au sultanat de Tadjoura, investit par le gouverneur en personne.
Les partisans du sultan Habib Hummad Mahamad Mandaytu organisèrent une résistance
armée à partir de 1928. Certains s’exilèrent au Yémen comme le notable ‘Ablé, Kassim
Mahamad. À Tagori ‘ela69, à Egraf ‘ela, des incidents causèrent la mort des soldats indigènes
comme nous l’avions vu précédemment. L’opposition au pouvoir colonial est multiforme. Elle
s’exprime par la violence, les refus de collaborer, par la déprédation par exemple des Tadjouriens
et Tadjouriennes mécontents qui arrachent les postes de police.
64
Assemblée du sultan présidé par Kassim.
65
Le Cadi est une personne qui représente l’autorité religieuse musulmane qui célèbre les cérémonies de mariages,
funéraires….
66
Le Goda de Billâdi, parallèle à celui de Songo Goda renvoie au chef Billâdi, qui fit creuser le puits de Billladita
près de Bankoualé. Le Songo-Goda correspond au versant sud, le billâdi Goda désigne le versant nord et les oueds
Ayboli et Randa.
67
Journal du chef de poste du 21 octobre 1928.
68
Le premier qui devait devenir sultan est destitué. Il est reconnu par la tradition le second mis au trône par la force
est une nouveauté.
69
‘Ela’ signifie ‘puits’ en langue Afar.
4. LA RÉPRESSION DANS LE SULTANAT DE TADJOURA S’AMPLIFIE.
Dès lors l’administration coloniale interdit « tout discours ou propos en public dans le but
d’affaiblir le respect dû à l’autorité française ou à ses fonctionnaires 70 ». Tout déplacement en
dehors de la ville doit être signalé au chef de poste. La circulation de nuit dans la ville est, sauf
autorisation, un délit après une certaine heure : le couvre-feu est instauré. L’administration
coloniale demande des autorisations, là où avant ces mesures n’existaient pas.
En 1935 des Okals se plaignent auprès du chef de poste des mesures de sécurité, tel le
désarmement des habitants dans la ville 71. Ceci prouve qu’il y avait encore des agitations parmi
la population.
La nomination d’un chef de poste par l’administration coloniale induit la perte de légitimité
du sultan Hummad, au regard de la puissance étrangère occupante, illégitime au regard d’une
bonne partie de la population et au vu de la constitution « Madqa 72» qui a institué l’alternance
entre deux sous-fractions d’une même lignée selon la constitution Afar.
Le chef de poste devient le supérieur hiérarchique du sultan. Un exemple illustre ce fait : le
chef des ‘Ablé, l’Okal Ali Ganta 73 est reçu par le chef de poste, sans passer, par le sultan comme
c’était le cas avant l’occupation de Tadjoura. Lorsque le sultan se plaint de cette attitude, le chef
de poste lui répond « qu’il a agi dans son intérêt, c’est-à-dire dans l’intérêt du sultan. Sa
jeunesse, les conditions de son accession au pouvoir font qu’il ne lui est pas possible en
quelques mois d’affirmer une autorité intransigeante. Le chef de poste peut recevoir qui bon lui
semble.74 » Ali Ganta est aussi l’intermédiaire entre les Afars ‘Assahyamars et ‘Adohyamaras,
d’où son importance en ces périodes où les Italiens soutiennent les ‘Assahyamaras. La fonction
d’Ali Ganta « Maglalla 75» désigne la personnalité habilitée à jouer l’interface entre ces deux
grandes coalitions Afar. Ensuite il dirige la zone frontalière avec l’Érythrée et l’Éthiopie.
C’est dans ce contexte et afin de renforcer l’occupation du territoire, en 1930, que sont créés
trois Cercles : le Cercle de Djibouti, le Cercle de Dikkil-Gooba’ad, et le Cercle des Adaêl,
comprenant Tadjoura et Obock. En décembre 1930, il est décidé que le commandant de cercle
« règle les conflits entre groupements indigènes76 », précise par le Journal officiel du 9 avril 1931.
Dès lors même les décisions du Migliss, l’assemblée du sultan à Tadjoura, autrefois
souveraine, deviennent caduques. À Hassan sultan qui remplace le sultan en déplacement, le chef
de poste répond à propos d’une affaire réglée par cette assemblée qu’il refuse de valider : « Je
lui dis qu’au-dessus de Migliss il y a l’administration et que tout le monde peut faire appel des
jugements du Migliss devant le chef de poste, représentant légal du gouverneur.77 » Précisons
que le chef de poste ne reconnait pas ici la légitimité du remplaçant du sultan auquel il oppose la
sienne. Dans ce face-à-face avec le chef de poste, le pouvoir du sultan comme celui du Migliss
sont dans une position d’infériorité, de domination et s’effaceront puisque le chef de poste règle
tout, a des points de vue sur toutes les questions y compris les problèmes économiques où il
impose des sanctions contre des commerçants qui augmenteraient les prix.78

70
Journal du 6 novembre 1928.
71
Journal du 2 août 1935.
72
Madqa est la constitution Afar qui regit le sultanat
73
Ali Ganta est le grand-père paternel de l’auteur.
74
Journal du 12 avril 1929.
75
Interface entre les Afars ‘Assahyamara et ‘Adohyamara.
76
Le journal du chef de poste du 24 septembre 1930.
77
Le journal du chef de poste de septembre 1930.
78
Ibidem.
Le nouveau sultan imposé par les autorités coloniales est légitime aux yeux de
l’administration coloniale, et les déçus de l’ordre nouveau vont trouver refuge chez les Italiens
d’Érythrée ou au Yémen puis auprès des Anglais.
Ainsi en juin 1929, les Italiens viennent s’installer à Daddato, village frontalier avec
l’Érythrée et les Askaris italiens viennent tous les jours dans la région de Wéima, chasser, se
renseigner et surtout acheter des animaux. Ils donnent des fusils aux opposants du sultan et de
l’administration coloniale. Tout cela montre que l’administration tient compte de la menace
italienne à ses frontières et agit en fonction de ce facteur pour bien intégrer la population du
sultanat de Tadjoura. Ainsi le chef de poste participe à toutes les fêtes religieuses, l’Aïd-el-Adha,
l’Aïd-el-Kebir, reçoit les notables au début et à la fin du ramadan, assiste aux mariages, aux
circoncisions.
Par contre, il impose ses fêtes métropolitaines aux indigènes : tous les matins les clairons
réveillent les habitants, la vie du poste commence par un salut au drapeau français. Le 14 juillet
fête de la confédération est fêté à Tadjoura avec faste, défilé des gardes. Le 11 Novembre le chef
de poste pose une gerbe sur les tombes de soldats morts à Tadjoura. Noël et Pâques sont des
jours fériés et fêtés.
L’administration coloniale intervient aussi dans le domaine de la santé. En effet, dès le début
de l’installation française à Tadjoura est créé un dispensaire à l’initiative de Michel Azenor.
Dans ce dispensaire « les Afars de la brousse la plus profonde se font soigner avec confiance »79
comme le rappelle Chapon-Baissac dans son discours en hommage à Michel Azenor.
Dès 1929, des campagnes de vaccination contre la variole sont entreprises, et les épidémies de
varicelle sont combattues, tout comme le choléra.C’est dans cette conjoncture que les violences
s’exercent dans le sultanat de Tadjoura dans une région où la seconde guerre mondiale
commence avant celle de l’Europe (voir Lukian Prijac, Le blocus de Djibouti - Chronique d'une
guerre décalée (1935-1943), Harmattan 2015.

III. LES EXACTIONS DANS LE SULTANAT DE TADJOURA DANS UN CONTEXTE DE


BLOCUS REGIONAL

On peut dégager deux phases dans ce blocus. Mis en place dès le mois d’octobre 1940, il se
durcit, à compter du printemps 1941. En effet, les Britanniques battent les armées de l’Afrique
orientale italienne (AOI) et les occupants italiens sont défaits. Aussitôt, les territoires de la
Somalia, de l’Éthiopie et de l’Érythrée sont libérés. Le haut commandement britannique prend
alors la décision de durcir le blocus pour contraindre la CFS, bastion vichyste, de se rendre. Au lieu
de déployer la force, c’est par la contraindre que les Alliés attendent la reddition de ce territoire,
colonie stratégique majeure qui contrôle le débouché méridional de la mer Rouge. Cet impératif
stratégique rappelé, il convient de montrer que les crimes contre les Afars à Tajoura ont lieu bien
après la fin du blocus à Djibouti-ville, et qu’il continue dans l’arrière-pays. Les incidences du
blocus total, à la fois maritime et terrestre, mis en place de mai 1941 à avril à décembre 1942 se
poursuivent à l’intérieur jusqu’en 1946.
1. EXACTIONS

Durant la Seconde Guerre mondiale, la domination coloniale est rejetée dans le sultanat de
Tadjoura et quelques officiers et sous-officiers français présents à l’intérieur du pays en
témoignent. Pourtant le conflit mondial avait cessé en 1943, et le blocus économique imposé à la
79
JOCFS du 18 novembre 1929.
colonie complètement levé le 15 janvier 1943. Mais un crime contre l’humanité est commis
contre des innocents dans le poste de Tadjoura avec la complicité du sultanat.
La situation est liée à l’assassinat d’un Italien, pris pour le capitaine Coullet, par un Afar,
fraction Egrala, ‘Issé Hagayta, le 11 décembre 1942 à Dambaro bouyyi, à Bollli à une
cinquantaine de kilomètre de Tadjoura. L’Italien se trouvait avec un certain Kassim, un Ablé, qui
était en train de prier, lorsqu’il prend une balle dans la tête.
2. LES FUSILLÉS À BIRSIHA, LE 16 JUIN 1943.
Les crimes coloniaux, les comportements et la terreur du capitaine Coullet ont marqué les
esprits par sa férocité. Le terme « kabooba » utilisé par Phillipe Oberlé et Pierre Hugot en des
termes injustes déforme la réalité de l’événement : « En 1943, une importante tribu dankalie de la
région de Tadjoura entra en ébullition. Une énergique intervention armée y mit fin rapidement,
mais elle coûta la vie à un militaire français, le sergent Thiébault.80 ». Kabooba n’est pas une tribu,
ni une sous fraction de la « chefferie Ad’ali81 du Goda 82», mais une fraction de Ad’ali, descendant
de Gibdi Hamad du sultanat de Rahayto, leur trisaïeul kabbo est le quatrième grand-père des
« Kabooba 83» et forment, comme dans l’ensemble du pays Afar, une fi’ma « Bareyna » avec les
Ad’alik-Hassoba (Ad’ali de Tadjoura et les Ad’alik Seeka).
Paul Coullet, méhariste dans le Sahel, avant d’être envoyé en CFS en 1938, Lieutenant
commandant de la « deuxième compagnie méhariste », de février 1938 à septembre 1940
maîtrise parfaitement la langue Afar, confirmé par les témoins. Il obtient en mai 1939 le
certificat de la connaissance des langues arabe et Afar. Il parlait tellement bien l’Afar qu’il a
laissé des proverbes « pourquoi dîtes vous que je suis un animal, je n’ai pas de queue ? ».
En septembre 1942, des révoltes sont signalées un peu partout au sud-ouest et au nord du
pays : « il importe de soutenir à fond, un jeune officier actif et énergique, qui met au-dessus de
sa quiétude personnelle, le souci de faire strictement son métier ».
Le 23 janvier 1943, Perriquet accompagné du sergent Thiébaud et de sept gardes se rend à
Birsiha, afin de capturer les bétails de Kaboobas. Le groupe est reparti poursuivi par « un essaim
de femmes armées de cailloux ».
Devant la détermination des femmes de Birsiha, les méharistes, avec un renfort de 20 hommes
capturent 16 bœufs et 2 chameaux. Attaqué, le sergent Thiébaud est mortellement blessé par
Hagayta Issé, à partir du haut de l’arbre appelé « Subla,84» à Birsiha en aval de Dittilou à côté de
l’eau permanente appelé Toha. Hagayta Issé quitte la colonie pour le sultanat de Dawwé où il
s’est marié avec Madina Bodayya, la sœur du sultan en reconnaissance pour sa résistance
héroïque. Ses descendants sont à Randa.
Pour Coullet, « lorsque la tribu kabbooba attaque un petit détachement SNA (…) le sergent
Thiébault tombe sous les balles de ses agresseurs.85 » Il insiste et demande « une répression
impitoyable », propose « d’arroser la région intérieure par la bombe » et de procéder ensuite « à
un ratissage du terrain pour détruire ce qui restera. » Le peloton méhariste sèmera la terreur dans
les campements.

80
Oberlé Philippe, Hugot Pierre.
81
Ad’ali descendance de Haxal Maahis comme les sultans hormis celui de Dawwé descendant de Badoytameela en
Éthiopie.
82
Didier Morin p 267.
83
Didier Morin, Voir Généalogie de Kaboba, les trois fusillés appartiennent à deux sous-sous-fractions descendants
de Kabbo, Qas kamilti et les ‘isse ‘Alito et sont des cousins germains idem.
84
Témoignage oral du feu Hagayta Issé.
85
Journal de poste rapport du 1er février 1943.
Le 22 avril les Afars dit « indigènes » considérés comme responsables de la mort du sergent
sont arrêtés sans preuve. Ils seront emprisonnés, et le commandant du cercle de Tadjoura, le
capitaine Coullet86 demande des « sanctions impitoyables ».
Le 16 juin, ils sont emmenés à l’intérieur puis furent fusillés comme le décrit Coullet : « les
prisonniers tentèrent de s’enfuir et l’escorte fit feu (…) Mahamad Arbahim et Abdallah Chehem
furent tués net. Mohamed Hussein, manqué d’abord, fut rejoint après une chasse de quelques
minutes et fut tué. Daoud Ali Giba seulement blessé a pu s’enfuir . ». Les prisonniers furent
ligotés, les yeux bandés. Ils ont été fusillés à Birsiha.
Coullet ajoute que « pour plus de sécurité, l’escorte ne comprenait que des escortes
européennes. » Les escortes ne comprenaient pas que des Européens, mais des Somalis et des
Arabes. La preuve, c’est un Somali qui a conseillé à Ali Giba de s’enfuir, voyant qu’il n’avait
pas été touché par les tirs, les autres miliciens étant partis à la chasse du feu Mohamed
Houssein87 qui sera exécuté.
Ces assassinats ne suscitent aucune réaction dans la colonie ni en Europe. Seulement Coullet
est rappelé à Djibouti et sanctionné de quinze jours d’arrêt pour « incorrections répétées à
l’égard du gouverneur ».
Il est remplacé le 13 septembre 1943 par le lieutenant Perriquet qui déclare « avoir l’intention
d’employer les mêmes méthodes, qui ne sont d’ailleurs pas brutales ». Le gouverneur informe
Alger que « pour empêcher qu’il ne soit tenté d’imiter Coullet qu’il admirait beaucoup, j’ai
envoyé sur place le commandant Chedeville lui donner quelques conseils. »
Le chef des Kaboobas, Houmed Mohamed qui n’était pas à Birsiha, est déporté à Madagascar
en septembre 1943, illégalement pour les mêmes raisons que le sultan défunt de Gooba’ad, son
vizir et celui de Tadjoura « pour s’être rendu coupable d’actes et de manœuvres ne tombant pas
sous les coups des lois pénales, mais qui lui conféreraient la personnalité d’individus dangereux
pour la sécurité publique 88 ».
Le gouverneur donne ainsi sa version à l’égard du capitaine Coullet : «sous l’influence sans doute
des mauvais esprits latents, frustes et sauvages, mais aussi de l’effroi et de fièvre dans lequel il
vivait à cause du commandant de cercle, le Sergent Thiébaud était assassiné au cours d’une
expédition punitive de razzia de troupeaux 89».
La version Afar des notables afars en 1946 : « un après-midi, un lieutenant Méhariste,
M. Perriquet, s’est présenté sur le campement de Birsiha et sans explication a enlevé les bœufs.
Les Dankalis ont pris la fuite avec le reste des animaux. Il a alors brûlé les tentes avec tout ce
qu’elles contenaient. Il s’est ensuite mis à la recherche des bœufs : il en a trouvé quelques-uns
qu’il a emmenés avec lui. Quatre Dankali se sont trouvés sur son passage. L’un était armé. Ils
ont supplié le lieutenant de leur rendre les bœufs. Le lieutenant les a écartés à coups de fusil. Le
Dankali armé a tiré et tué le Sergent. Toute la région du Goda a été alors pillée par le capitaine
Coullet, commandant du cercle, à titre de représailles, de nombreuses arrestations ont été
opérées, un vieux notable qui n’était rien dans l’affaire a été expulsé à Madagascar. 90»

1- Fusillade où fut blessé le sergent Thiébaud : Issé Hagayta, Egrala, Dimo Ali Mohamed
(Daba bouda), Sehem Daoud (Balawta), Abdallah Sehem (Kabooba).

86
« Ala macah yok ittaana, ali geeralek ».
87
Grand-père de l’actuel chef de village de Randa Houssein Mohamed Houssein.
88
Rapport du gouverneur de Djibouti 20 /09/1943.
89
Rapport confidentiel sans date 09/1943.
90
ANOM 1E3-4 « correspondances 1946-1956 » 28/10/1946.
2- Venus se joindre aux premiers pendant la poursuite du convoi regagnant Alaîlou avec le
blessé : Adas Mohamed (Gadido), Daoud Ali Giba (Daoud Dinité), Abro Mohamed (Daoud
Dinité) 91».
Les coupables n’appartiennent pas tous à la même sous fraction, mais tous à la fi’ma
« arbaytu » que nous avions signalée, mais l’occupation du pays Afar et l’ignorance du droit
foncier et fiscal Afar par la puissance occupante sont à l’origine de la mort du sergent Thiébaud :
« Il conviendrait que le commandant du cercle de Tadjoura parfasse sa connaissance de cette
région (en dressant un véritable cadastre de la répartition des terrains, cadastre complété par
des renseignements précis sur les droits coutumiers et la législation foncière du Goda).92»
Le 1er décembre 1943, cinq de sept accusés sont condamnés à mort par contumace, par la cour
criminelle de Djibouti. Le chef de la sous-fraction Kabooba est déporté à Madagascar en
septembre 1943, et n’en reviendra qu’en 1948.
Répression suite aux chameaux rendus invalides par la tribu Gara’ta93 en plein blocus, karmi’i.
Nous ne pouvons pas la dater jusqu’à maintenant, mais la révolte de Gara’ta a lieu en plein
blocus terrestre et maritime du pays, avant l’évènement de Birsiha.
Cette révolte éclate, à côté de Magido, pour les mêmes raisons qu’à Goda, à quelques
kilomètres du village de Girrori94 à Yanguli af, près de l’oued We’ima à plus de 85 kms au nord de
Tadjoura. Des femmes et des enfants jettent des cailloux pour empêcher la razzia. Les méharistes
violentent Hassan Derkala l’oncle de Mahammad Derkala, okal général de la tribu Gara’ta « pour
avoir dit ‘nous ne donnerons pas nos chameaux pour un non-circoncis’ « andoytali » en Afar ».
Les chameaux ont été conduits à « Yanguli Af », il refuse de donner des chameaux aux pelotons
méhariste de ‘Alta. Le capitaine Coullet qui connaît parfaitement la langue Afar, décide de
réquisitionner par force les chameaux des Gara’ta aux abords de l’oued We’ima, seul point d’eau
courante dans la région à l’époque avant que celui d’Assa-Gayla soit creusé par les enfants d’Ali
Ganta (Voir les Ablés, Morin95). Mohammad Derkala préfère couper les pieds de ces chameaux qui
appartiennent à la tribu Gara’ta que de les donner au capitaine Coullet et s’exile dans la région
Afar d’Erer96, dans le haut plateau éthiopien du sultanat d’Awsa où il se marie. Il ne reviendra que
dans les années 1970. Coullet aurait alors dit : « Gara’ta ra’iyat makkooy, Magaalé da’ar makko.
» Traduction de l’Afar : « Les Gara’atas ne sont pas devenus des colonisés, l’oued Magaalé n’est
pas carrossable ».
La résistance de cette tribu avait entraîné la fin des pillages des chameaux même s’ils furent
victimes de la répression coloniale : « Les membres de cette tribu furent arrêtés et emprisonnés.
Ils furent libérés grâce à la médiation d’Aden Laga’ 97, le notable Edderkalto, venu de la région
de Daddato »98. Aden Laga’ de la tribu Edderkalto aurait été conseillé par un Cheik Ali dit Ali
Trouplous99. Lors de la négociation, un Afar aurait dit « anum ali qaada lé » en afar : « cet
homme agit comme un animal ». Ce à quoi le capitaine Coullet aurait donné une réponse
91
Morin Didier, Dictionnaire historique Afar, nouvelle édition augmentée Karthala 2015, Paris, p 268-269.
92
Chedeville, document archivé au musée des troupes de marine, cité par Didier Morin.
93
Gara’ta est une tribu Afar, qui habite de Magido à Randa où ils sont appelés It’itto.
94
Assa Gayla est connu pour avoir servi de capitale au Front pour la Restauration de l’Unité et de la Démocratie
(FRUD) de novembre 1991 à juillet 1993.
95
Morin., D. Dictionnaire Historique Afar, 1382-1982, Karthala, Paris, 2004, p.78.
96
C’est avec le sultan d’Errer (Afar d’Ethiopie) que Lagarde signe un traité.
97
Aden Laga’ est un notable respecté aussi bien par les autorités françaises qu’italienne pour son autorité puisque
dans la région des tribus Afars qu’il dirige se trouvent autant à Djibouti et l’Érythrée.
98
Mohamed Hassan Kamil Parlons Afar, Langue et culture L’Harmattan, Paris, 2004, p.19.
99
Ainsi appelé parce qu’il vécut à Tripoli. Oncle maternel de l’auteur.
proverbiale : « ali geeralek, geera may liyo ? yok maxcin », en afar : « l’animal a une queue, ai-
je une queue ? » Le capitaine Coullet a eu d’autres, démêlés avec les ‘Assahyamaras à Andabba
toujours en quête de cheptels pour ses soldats.
Pourtant le conflit avait cessé en 1943, et le blocus complètement levé le 15 janvier 1943.
Mais des révoltes subsistaient dans le cercle de Tadjoura. Le capitaine Coullet a laissé de
mauvais souvenirs dans la population de Tadjoura. Malgré ces révoltes dans le reste de la
colonie, il y avait dans la ville de Djibouti une lente reprise économique. Dans le sultanat de
Gooba’ad, le capitaine Lelong100 aurait aussi fait des pillages dans les cheptels appartenant soit au
sultan soit aux autres ‘Assahyamaras.
Mais entre 1946 et 1962 c’est la paix dans le sultanat de Tadjoura
.Le système colonial devient plus liberal et moins absolu après la première guerre mondiale
autorisant les elections par collèges autochtones et français. En 1959 c’est Ahmed Dini qui
devient vice president du conseil de gouvernement, puis Ali Aref Bourhan, né à Tadjoura qui
prend la relève en 1960, et en 1967 le Territoire Français des Afars et de Issas remplace
l’ancienne Côte Française des Somalis.C’est dans ce contexte que seront intronisés les futurs
sultans.

3. UNE NOUVELLE INVENTION DE LA TRADITION PAR LA POST COLONIE (2023)

Le Sultan Mohamed Sultan est decedé le 17 avril 1962 à 15h30 après une courte maladie.Né vers
1916, probablement en 1910, à Tadjoura, il était le fils de Mohamed Ibrahim Sultan qu’il a
succédé grâce à la puissance coloniale en lieu et place de Habib Ahmed déporté à Madagascar en
1930.Il était le frère d’Ibrahim sultan conseiller territorial, Habib commis à la santé Hassan,
Ewad, Chehem Bourhan.Il laisse trois filles et trois garçons. Voici les temoignages du reveil de
Djibouti :
« En application de la tradition, le 11mai 1964, les Asa Able représentant de la confédération
Weima et les Ayrolasso, représentant la confédération Debné ont invité les représentants de
sept tribus à se réunir au lieu fixé par la coutume, c'est-à-dire derrière la mosquée Khorojib. Les
représentants des 7tribus forment le collège au sein duquel ont lieu les consultations qui doivent
aboutir à la désignation du nouveau sultan.’
« Quand aux Assa Able et aux ayrolassos, ce sont eux qui sont habilités à inviter les
représentants de 7tribus à se réunir. Cette assemblée coutumière locale était composée de la
façon suivante :Ibrahim Mohamed et Mohamed Helem représentant de la tribu Ayrolasso. La
tribu Assa Able était représentée par Barkat Siraj et Mohamed Bourhan Kassim.
« Pour la tribu Hassoba était présent : Ali Oumar Gadile et Abdoulkader Houmed Gaba. La
tribu seeka était représentée par Cheik Alwan Daoud Chehem. La tribu Adnito par Mohamed
Sheik et Houmed Ali Saddik. La tribu Somali était représenté par Sheik Aden Ahmed Dini et
Moussa Haroun.
Outre ces 7tribus qui désignent le sultan toutes les tribus du cercle (Debnek-Weima) y
participent.
100
Hassan Radio, entretien à bâton rompu du 12 mai 2020
« Au nom des Dinités Habib Abdoulmalik et Mohamed Idris ont présenté le candidat au sultanat
tandis que Houmed Mohamed Banoyta et Hassan Mohamed sultan faisaient connaitre le
candidat au vizirat. Les Dinités ont désignés par la voix de Habib Abdoulmalik ont désigné
Habib Ahmed Sultan comme sultan approuvé accepté d’abord par les Assa Able, les Ayrolassos
et les Daoud Dinité est approuvé par par les 7tribus.
A leur tour les Bourhantos représentés par Houmed Mohamed Banoyta ont présenté leur
candidat Abdoulkader Houmed sultan fils ainé du sultan. »
L’ensemble des 7tribus a ensuite fixé la date de l’intronisation au lundi 18 mai 1964
Le réveil du 23mai 1964, dans un article intitulé, Tajoura fête l’intronisation du sultan écrit
« pendant qu’à l’extérieur la foule Dankali, difficilement contenu par les forces de l’ordre,
hurle sa joie, à l’intérieur au milieu des personnalités qui ont pu pénétrer, le président du Miglis
Mohamed Bourhan rase la tête du sultan Habib Ahmed Ali et du vizir Abdoulkader Houmed
qu’il ceint de turban.
« Monté sur le toit de la tente, l’Okal Assa Able peut maintenant présenter officiellement à la
foule son nouveau sultan et son nouveau vizir(…) pour reconduire les nouveaux élus dans leurs
cases ».

Le Sultan Habib, intronisé comme sultan en 1964, alors qu’il n’avait que 30 ans à peine a
toujours su prendre la mesure de l’immense responsabilité qui a pesé sur ses épaules durant les
19 années de son règne à la tête du Sultanat de Tajourah. Il a su gérer au mieux ses relations
souvent tumultueuses avec l’administration coloniale et parvenait fréquemment à imposer son
orientation politique pour la région – qui illustrait forcément la volonté de son peuple. Ses
réactions n’étaient pas nécessairement du goût du représentant de l’État.

En effet il autorise à tous et à toutes les personnes du sultanat de Tadjoura (Debnek-Weima), de


construire des maisons en madrépores ou en durs à Tadjoura, amorçant l’agrandissement rapide
de la ville de Tadjoura. Il fait implanter des arbres un peu partout et cloture toutes les cimetières.

Le 29 septembre 1983, Feu le Sultan de Tadjourah, Habib Ahmed Houmed, s’est éteint sur une
table d’opération au centre hospitalier des armées, Bouffard, à Djibouti, au cours d’une banale
intervention chirurgicale, dans le bloc du service de chirurgie viscérale.

Les Afars en particulier, se souviennent encore de ce chef charismatique, à la forte personnalité,


pour une région qui n’était pas la mieux lotie des régions intérieurs du Territoire français des
Afars et des Issas.

Pour ce qui est de ses rapports avec les nouvelles autorités de la jeune République de Djibouti,
indépendante depuis le 27 juin 1977, ils ont été dans un premier temps cordiaux et, furent basés
sur la reconnaissance et le respect mutuels, jusqu’au jour où un certain Osman Robleh Daach fut
nommé Commissaire de la République, chef du district de Tadjourah (préfet).

La cohabitation entre le commissaire Daach et le Sultan Habib a été très conflictuelle car les
deux pouvoirs sont antagoniques. En l’espace d’une année, désaccords et autres accrochages se
multiplièrent entre les deux interlocuteurs. Loin de se laisser faire, le chef suprême des Afar de
Tadjoura n’hésitait pas à redessiner pour ce «parachuté», le contour des prérogatives de l’un et
de l’autre, le sultan ayant le pouvoir depuis des siècles et l’autre depuis la décolonisation le
27juin 1977. Le district de Tadjoura, fut un foyer de tensions tout au long de l’histoire de ce
petit pays.

Abdoulkader Houmed Mohamed lui succède en avril 1985, sous le régime de Hassan Gouled,
avec l’appui du feu ministre Ibrahim Sultan son frère comme le relate le quotidien le monde :
« La ceremonie s’est deroulé le 08avril dernier selon un rite immuable.La precedente
intronisation d’un sultan en pays Afar est déjà lointaine.C’était au temps de Djibouti-la-
Française», note le monde du 22avril 1985.

Cette fois le president Gouled n’y participe pas, mais delegue le commissaire du district. « Ainsi
les deux pouvoirs sont-ils en place.D »un côté moderne, étatique, centralisateur, et jeune
(l’independance de Djibouti date du 27juin 1977), de l’autre traditionnel, local, aux teneurs et
eux rîtes immuables remontant à on ne sait quand.Pouvoirss antinomiques que cette journée
particulière va concilier au prix de quelques surprises. »

Deux pouvoirs antagoniques, mais respecté tel qu’elle fut inventé durant la periode coloniale,
l’un plus proche du peuple, plus federateur, l’autre centralisateur, « étranger », « imposé de
l’extérieur » aux réalités multiseculaires du terrain.

Le journal jeune Afrique, à son tour ecrit : «Passé la periode de deuil traditionnel-allongée par
la pandemie du covi19, Houmed Barkat Siraj, le haut representant du migliss (le conseil des
sages) en fait le chef de l’assemblée constituante Debnek Weima (note de la redaction), a pu par
trois fois prononcer la formule riruelle, comme le veut l’usage, pour être certains que les Afars
de Tadjoura et des alentours ont bien entendu le nom du 34eme sultan » écrit Olivier Caslin
dans jeune Afrique du 13 novembre 2022.

Pourtant les choses sont plus complexes en réalité. « Deux sultans à Tadjoura ?» s’interrogent
dans son journal Human village 45, Mahdi.En effet le communiqué publié dans la nation du 1er
août 2022(assemblée constituante de Debnek Weima) qui s’est reuni le 03 juin en session
plenière et extraordinaire, a decidé de ce qui suit :

-Approbation de choix d’Adqali-Dinite portant designation de son altesse Ali Habib Ahmed
comme futur sultan de Tadjoura,

-Approbation du choix d’Adqali- Bourhantoportant nomination de Monsieur Houmed


Abdoulkader Houmed en qualité de vizir du sultan de Tadjoura.

-De fixer la date d’intronisation du nouveau sultan ainsi que de son vizir pour le 24octobre 2022

-La mise en place d’un comité d’organisation. »

Ce communiqué est un tournant historique parce qu’il change la donne. La date fut reportée du
24 au 26 en raison d’une conference internationale sur le climat selon le bon vouloir de «l’état-
nation». Dans la journée du mercredi 26 octobre, Tadjoura a abrité, en grande pompe,
l’intronisation d’Ali Habib Ahmed et de son vizir Houmed Abdoukader :« les rituels ont
commencé vers 6heures du matin, par le deterrement des deux tambours(Dinkara) qui avaient
été enterrés lors du decès du dernier sultan.Les deux dinkaras l’un gand l’autre petit, qui
symbolisent en effet le pouvoir du sultan et du vizir, ont été ensuite lavé à l’eau de mer avant
d’être recouverts des peaux neuves des deux taureaux egorgés pour la circonstance » ecrit la
nation du 27 novembre. Il est interressant de revoir le magazine d’intronisation du sultan de
Tadjoura, sur youtube, du 25octobre 2022.

D’après le journal gouvernemental cette ceremonie a été rehaussé par la presence « du president
Monsieur Ismael Omar Guelleh, de la première dame Mme Kadra Mahmoud Haid(…) » sans
preciser que c’est la première fois depuis l’independance association ?

Là où le bât blesse est le refus des Afars d’accepter l’hymne national Djiboutienne dans lequel
certains ne se reconnaissent pas, qui a été chanté pendant plusieurs années depuis l’independance
uniquement en Somali, et depuis peu en Afar et dans lequel les afars ne se reconnaissent pas.
Ensuite « La ceremonie d’intronisation a coommencé par la lecture du saint coran, suivie de
l’hymne nationale et de la proclamation officielle du Sultan et de son Vizir par le representant
de la tribu Ablé, en l’occurrence Houmed Barkat Siraj. »

Les mefiances restent intacts depuis la création de la cinquième région d’Arta (sa création
officielle date du 9juillet 2002.Ses limites avec la region de Tadjoura par un arrêté de 2003, pose
problème. En effet la création de la région d’Arta est une epine sous les pieds dy système. Pour
les Afars cette region a été crée de toute pièce pour revendiquer une partie du pays Afar en
particulier la face maritime du sultanat de Gooba’ad, les mines d’or, le sel, le lithium du Lac
Assal. Le sultan prend la tête des manifestations monstres. Il se présente devant les frontières du
sultanat de Tadjoura en particulier Assal fuxuusa xa. La situation reste en suspens avec cette fois
ci la revendication du village de Bekkerre dans la région de Dikil ces derniers jours où des
refugiés Issa sont installés de force par l’armée djiboutienne.

C’est dans ce contexte qu’ont eu lieu la double intronisation le 17 octobre et le 26 novembre


2023, des deux sultans et des deux vizirs, les uns rémunérés par l’état, les autres volontaires,
pour la première fois dans l’histoire. « Nous avons le choix entre le mal et le malaise »’ nous a
déclaré Habib Mohamed Yayyo à Samara, capitale de l’état region Afar, le 17 mars 2023,
quelques jours après l’intronisation du sultan d’Awsa Ahmed Ali Mirah.

CONCLUSION

Si dans le passé récent, la France s’est opposée au sultan et au vizir, c’est que ces derniers
formaient un État indépendant avec une assemblée, avec une ville millénaire, avec une région
souveraine, leur autonomie économique et financière totale, les mêmes causes produisant les
mêmes effets aujourd’hui une nouvelle invention postcoloniale a crée un sultanat avec deux
sultans et deux vizirs.
Cette situation est gênante, et nous avons vu pu le remarquer lors de notre sejour à Aysaita
(ville dans la vallée de l’Awash en Ethiopie) pour l’intronisation et à Samara (capitale de l’état
regional Afar) pour une réunion avec les dirigeants de cette université qui voudrait une antenne
pour l’enseignement du français. .
Le sultan d’Awsa Ahmed Ali Mirah compte se rendre à Tadjoura pour regler ce grave litige.
Mais c’est le sultan Ali Habib et le vizir qui resterons à la tête du sultanat. Une solution pour
le second sultan et vizir doivent être trouvé en les nommant dans les fonctions d’ambassadeurs
par exemple, mais tel ne semble pas être la volonté du régime.

Brève bibliographie de l’auteur


Cette conférence extrait et contextualiser de l’ouvrage collectif est dirigé par le Docteur Adawa Hassan
Ali Ganta, maitre de conférences en Histoire à l’université de Djibouti, ancien ministre de l’Education
Nationale et de Formation Professionnelle (MENFOP), Directeur du Centre de Recherche de
l’Université de Djibouti, auteur de plusieurs ouvrages, dont cet ouvrage collectif Sultanat de Tadjoura :
Institutions et Histoire à l’orée du premier festival Culturel de Tadjoura (21-22 decembre 2023)
Harmattan 2024.
Abstract of conférence
Résumé de la Conférence
Nous avons présenté la violence coloniale qui a permis l’occupation du sultanat de Tadjoura et de
Gooba’ad (par la création du village de Dikhil) simultanément à partir de 1927, par l’éviction du vizir
Habib Humad remplacé par le fils du sultan défunt Houmed Mohamed Ibrahim. Le vizir de Tadjoura fut
interné à Saint Dauphin à Madagascar avec celui de Gooba’ad à partir de 1930.Le sultan de Gooba’ad y
meurt en 1932 dans des conditions obscurs. L’occupation étrangère (1927-1977) fut de courte durée ,
50ans dans les sultanats de Tadjoura et de Gooba’ad mais les resultats fut à peu près le même que dans
les restes de la colonie.
C’est dans ce contexte de violence qu’est assassiné le sergent Thiebaut à Birsiha en janvier 1941.
Plusieurs personnes sont fusillées sans sommations. Un grand notable Mohamed Houmed est déporté à
Madagascar. Le capitaine Coulet responsable de ces crimes contre l’humanité est muté à Djibouti. Avec
la fin de la seconde guerre mondiale l’administration coloniale adoucit sa politique de repression
violente envers les Afars, et malgré les protestations du député Mohamed les crimes commises resteront
impunis.
L’administration coloniale crée des nouvelles traditions avec le commandant de cercle, supérieur au
sultan, une armée d’occupation essentiellement composés des Somalis (le clan Issa n’y figure pas) et des
arabes, des fêtes comme le Noêl, la fête du 14juillet, mais elle ne dépasse Tadjoura qu’à partir de 1958,
lorsqu’elle nomme Ali Aref Bourhan, un Afar comme vice-président du conseil de gouvernement.

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