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Anthologie historique
des lois constitutionnelles antérieures à 1867
Les Presses de l’Université Laval reçoivent chaque année du Conseil des Arts du
Canada et de la Société de développement des entreprises culturelles du Québec
une aide financière pour l’ensemble de leur programme de publication.
Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise
du Fonds du livre du Canada pour nos activités d’édition.
ISBN 978-2-7637-2085-2
PDF 9782763720869
Remerciements.................................................................................. IX
Introduction...................................................................................... 1
Guy Laforest, Eugénie Brouillet, Alain-G. Gagnon, Yves Tanguay
Première partie
Regards d’ensemble sur les constitutions
Deuxième partie
Perspectives parallèles
sur les différentes constitutions
Bibliographie..................................................................................... 359
Remerciements
L afaites
préparation et la publication de cette anthologie ont pu être
grâce à l’appui et à la collaboration de plusieurs partenaires,
de même qu’avec l’aide de certains de nos étudiants. Nous tenons à
exprimer notre gratitude envers le Secrétariat aux affaires intergouverne-
mentales canadiennes (SAIC) du gouvernement du Québec, lequel a
appuyé par une subvention ce projet de livre de même que l’organisation
d’un colloque sur le cent cinquantième anniversaire de la Conférence de
Québec au Musée de la civilisation, à Québec, du 16 au 18 octobre 2014.
L’anthologie et le colloque font partie de la programmation scientifique
du Groupe de recherche sur les sociétés plurinationales (GRSP), une
équipe interuniversitaire dirigée par Alain-G. Gagnon, qui a reçu une
subvention du Fonds de recherche du Québec - Société et culture, pour
la période 2011-2015. La même équipe amorce un nouveau cycle de ses
travaux grâce à une nouvelle subvention du Conseil de recherches en
sciences humaines du Canada pour la période 2014-2017. Plusieurs
projets complémentaires en lien avec la présente anthologie et le projet
de colloque sont inscrits dans la programmation scientifique du Centre
de recherche interdisciplinaire sur la diversité et la démocratie (CRIDAQ),
également dirigé par Alain-G. Gagnon, dont font également partie
Eugénie Brouillet et Guy Laforest. Le CRIDAQ vient de mériter une
importante subvention en 2014 lors du concours Regroupements stra-
tégiques du Fonds de recherche du Québec – Société et culture, pour la
période 2014-2020.
La préparation de l’anthologie a exigé un vaste travail menant au
repérage et à la sélection des textes pertinents dans les corpus historio-
graphiques. Nous tenons à remercier les étudiants Hubert Rioux et
IX
X Ces constitutions qui nous ont façonnés •
Anthologie historique des lois constitutionnelles antérieures à 1867
C edelivremanière
s’inscrit dans une démarche globale visant à interpréter,
sérieuse, réfléchie et critique, les événements et les
textes qui ont mené à l’union de plusieurs colonies britanniques en
Amérique du Nord entre 1864 et 1867. Les principaux événements sont
connus : la Conférence de Charlottetown en septembre 1864, la
Conférence de Québec en octobre de la même année, puis une autre
rencontre formelle à Londres en 1866, le tout conduisant à l’adoption
par le Parlement britannique de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique
au printemps de 1867 (dans la terminologie juridique actuelle ce texte
s’appelle la Loi constitutionnelle de 1867). Les principaux acteurs sont
aussi très connus : John A. Macdonald, George-Étienne Cartier et George
Brown, à la tête d’une grande coalition en faveur d’un Canada-Uni, les
dirigeants des colonies du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse,
Samuel Leonard Tilley et Charles Tupper, les politiciens de l’opposition
dans toutes les colonies, Oliver Mowat qui joua un rôle déterminant dans
la rédaction des articles concernant les compétences des provinces à la
Conférence de Québec, D’Arcy McGee et Alexander Galt qui représen-
taient la puissante communauté anglophone du Canada-Est (le Québec
d’aujourd’hui) et bien d’autres acteurs encore. Du 16 au 18 octobre 2014,
le Groupe de recherche sur les sociétés plurinationales (GRSP), dirigé à
partir de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) par Alain-G.
Gagnon, en collaboration avec la Faculté de droit de l’Université Laval,
dirigée par Eugénie Brouillet et le Secrétariat aux affaires intergouverne-
1
2 Ces constitutions qui nous ont façonnés •
Anthologie historique des lois constitutionnelles antérieures à 1867
2. On trouvera les principales informations sur les célébrations et le programme « Canada 150 :
en route vers 2017 », à l’adresse Internet suivante (page consultée le 29 avril 2014) : http ://
canada150.gc.ca/fra/1344275520795/1344275731901.
3. John Meisel et Guy Rocher (dir.), As I Recall/Si je me souviens bien, Montréal, Institut de
recherche sur les politiques publiques, 1999.
Introduction 5
9. Serge Gagnon, Le Québec et ses historiens de 1840 à 1920, Québec, Les Presses de l’Université
Laval, 1978. Voir aussi, du même auteur, Le passé composé : de Ouellet à Rudin, Montréal,
VLB, 1999.
10. Jean Lamarre, Le devenir de la nation québécoise selon Maurice Séguin, Guy Frégault et Michel
Brunet, Sillery, Septentrion, 1993. Successeurs de Groulx dans la pensée nationaliste, Brunet
et Séguin doivent une partie de leur inspiration dans leurs études économiques aux travaux
des historiens Donald Creighton et Harold Innis, lesquels avaient suscité un virage de l’his-
toire constitutionnelle vers les approches économico-sociales dans l’historiographie anglo-
phone.
11. Ronald Rudin, Faire de l’histoire au Québec, Sillery, Septentrion, 1998.
12. Éric Bédard et Julien Goyette (dir.), Parole d’historiens : anthologie des réflexions sur l’histoire au
Québec, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, 2006.
Introduction 7
grosso modo aux textes choisis dans notre anthologie. Cros situe bien
John Bourinot parmi les historiens canadiens et impérialistes de la fin
du xixe et du début du xxe siècle, dans un pays où l’enseignement de
l’histoire se professionnalisa plus tôt en anglais qu’en français avec l’arrivée
en 1894 de George Wrong à l’Université de Toronto et d’Adam Shortt
à l’Université Queen’s16. Dans le livre de Cros, comme dans l’ouvrage
synthèse de Carl Berger, on découvre que les conflits d’orientations et de
méthodes ne manquaient pas entre ceux qui, comme Bourinot et J.C.
Hopkins, continuaient à privilégier l’enracinement impérial, les doctri-
naires continentalistes et anti-Canadiens français comme Goldwin Smith,
les partisans de l’autonomie totale du Canada comme J.S. Ewart, et enfin
les impérialistes fortement sympathiques à l’autonomie canadienne, et,
dans une moindre mesure, aux Canadiens français, comme George Wrong
qui écrivit beaucoup sur la Nouvelle-France et qui séjournait fréquem-
ment l’été à La Malbaie (Murray Bay)17. L’historien de l’Université de
Toronto Carl Berger, et son collègue de l’Université de l’Alberta, Doug
Owram, doivent être lus de manière complémentaire pour comprendre
l’évolution de l’historiographie anglophone aussi bien en elle-même que
dans le champ plus large de la communauté intellectuelle canadienne-
anglaise entre 1900 et 195018.
Dans la foulée de la Première Guerre mondiale, les historiens furent
happés comme beaucoup de gens dans les milieux anglophones par une
vague de patriotisme propice à des travaux sur la consolidation dans tous
les domaines, y compris la politique étrangère, de l’autonomie politique
du Canada. Une des manières de creuser cette question consistait à
examiner soigneusement l’autonomisation institutionnelle graduelle du
Canada depuis le début du Régime britannique jusqu’à l’avènement du
gouvernement responsable en 1848. C’est dans cette perspective qu’il
faut lire, dans la première partie de notre anthologie, les extraits tirés des
travaux de W.P.M. Kennedy et de Duncan McArthur. Kennedy, en
particulier, voyait avec suspicion, dans une perspective actonienne
semblable à celle qui fut ultérieurement développée par Pierre Elliott
16. Laurence Cros, La représentation du Canada dans les écrits des historiens anglophones canadiens,
Paris, Collection des thèses du Centre d’études canadiennes de Paris III-Sorbonne nouvelle,
2000.
17. Cros, p. 35-80.
18. Carl Berger, The Writing of Canadian History : Aspects of English-Canadian Historical Writing,
1900-1970, Toronto, Oxford University Press, 1976 ; voir aussi Doug Owram, The Govern-
ment Generation : Canadian Intellectuals and the State, 1900-1945, Toronto, University of
Toronto Press, 1986.
Introduction 9
Arthur Lower mérite une place à part dans notre introduction. Dans
un pays où, ces dernières années, l’indifférence et la méfiance semblent
s’être installées à demeure dans les rapports entre francophones et anglo-
phones, ses travaux gagneraient à être davantage connus, bien au-delà de
notre anthologie. Il considérait les rapports entre les civilisations française
et britannique, telles qu’elles sont incarnées ici, comme l’antithèse fonda-
mentale de la vie historico-politique canadienne. Certes, son nationalisme
canadien était très affirmé, mais il était accompagné d’une ouverture à
l’autre dans sa différence. L’extrait qui suit donne une idée de l’esprit et
du style de Lower :
Canada with its divisions of race presents no common denominator
in those profundities which normally unite – in race, religion, history
and culture. If a common focus is to be found, it must come out of the
common homeland itself. If the Canadian people are to find their soul,
they must seek for it, not in the English language or the French, but in
the little ports of the Atlantic provinces, in the flaming autumn maples
of the St. Lawrence valley, in the portages and lakes of the Canadian
Shield, in the sunsets and relentless colds of the prairies, in the foothill,
mountain and sea of the west, and in the unconquerable vastnesses of
the north. From the land Canada, must come the soul of Canada22.
Dans la première partie de l’ouvrage, nous reprenons des panoramas
globaux sur les différentes constitutions du Régime britannique sous la
plume de trois historiens et constitutionnalistes anglophones, et d’autant
d’historiens francophones. Nous commençons avec des extraits du livre
de John Bourinot, Canada under British Rule, paru en 1900. Le point
de vue de Bourinot est celui d’un penseur originaire des provinces mari-
times, favorable au maintien du lien impérial et à l’élargissement de
l’autonomie canadienne. À propos de la période du régime militaire entre
1760 et 1763, il insiste sur la générosité et la justice de l’administration
britannique. Dans la foulée du traité de Paris et de la Proclamation royale
de 1763, les nouveaux sujets britanniques qui voulurent partir eurent
22. Arthur Lower, Colony to Nation, Don Mills, Longman, quatrième édition, 1964, p. 564.
Pour des études critiques sur Lower, voir Cros, p. 273-300, et Berger, p. 112-136. Lower
fut plus qu’un historien, il fut aussi un intellectuel public. Pour des études consacrées à
cette figure de l’intellectuel public au Québec comme dans le reste du Canada, voir Nelson
Wiseman, « Public Intellectual in Twentieth-Century Canada », dans Nelson Wiseman (ed.),
The Public Intellectual in Canada, Toronto, University of Toronto Press, 2013, p. 67-82 ; voir
aussi, dans le même ouvrage, Alain-G. Gagnon, « Quebec Public Intellectuals in Times of
Crisis », p. 98-108.
Introduction 11
23. Yvan Lamonde, Histoire sociale des idées au Québec : 1760-1896, Montréal, Fides, 2000,
p. 273-279.
18 Ces constitutions qui nous ont façonnés •
Anthologie historique des lois constitutionnelles antérieures à 1867
24. En anglais, voir Margaret Conrad et Alvin Finkel, History of the Canadian Peoples : Begin-
nings to 1867, Toronto, Pearson Education Canada, cinquième édition, 2008 ; voir aussi
R. Douglas Francis, Richard Jones, Donald B. Smith et Robert Wardhaugh, Origins : Cana-
dian History to Confederation, Toronto, Nelson College Indigenous, douzième édition, 2012.
En français, voir notamment Craig Brown, Histoire générale du Canada, Montréal, Boréal,
1990 ; Paul-André Linteau, Histoire du Canada, Paris, Les Presses universitaires de France,
2011 ; Paul-André Linteau, René Durocher et Jean-Claude Robert, Histoire du Québec
contemporain, deux volumes, Montréal, Boréal, 1989 ; Jean-Pierre Charland, Une histoire
du Canada contemporain : de 1850 à nos jours, Québec, Septentrion, 2007 ; Éric Bédard,
Les réformistes : une génération canadienne-française au xixe siècle, Montréal, Boréal, 2009 ;
Henri Brun, Guy Tremblay et Eugénie Brouillet, Droit constitutionnel, Cowansville, Les Édi-
tions Yvon Blais, sixième édition, 2014.
Première partie
Regards d’ensemble sur les constitutions
Le Canada sous le Régime britannique1
1760-1900
Sir John George Bourinot
K.C.M.G., LL.D., LITT.D.
1. Sir John George Bourinot, Canada under British Rule. Cambridge: Cambridge University
Press, 1900 (le texte reproduit ici a été traduit de l’anglais par Audrey Lord).
23
24 Première partie – Regards d’ensemble sur les constitutions
au sud-ouest étaient tenus par de petites garnisons anglaises alors que les
Français occupaient toujours le fort Vincennes, sur la rivière Wabash, et
le fort Chartres, sur le fleuve Mississippi, à proximité des établissements
français à Kaskaskia, à Cahokia et à l’actuel site de Saint-Louis.
Cette guerre indienne était toujours en cours lorsque le roi George
III a émis sa proclamation concernant le gouvernement provisoire de ses
nouvelles dépendances en Amérique du Nord. En fait, bien que la
Proclamation ait été publiée en Angleterre le 7 octobre 1763, elle n’est
parvenue au Canada et n’est entrée en vigueur que le 10 août 1764. Les
quatre gouvernements du Québec, de la Grenade, de la Floride orientale
et de la Floride occidentale ont été constitués dans les territoires cédés
par la France et l’Espagne. La limite est de la province de Québec ne
s’étendait pas au-delà de la rivière Saint-Jean, à l’embouchure du fleuve
Saint-Laurent, pratiquement vis-à-vis l’île d’Anticosti, alors que cette île
à proprement dit et le territoire du Labrador, à l’est de la rivière Saint-
Jean jusqu’au détroit d’Hudson, ont été placés sous la juridiction de
Terre-Neuve. Les îles du Cap-Breton et de Saint-Jean, aujourd’hui l’Île-
du-Prince-Édouard, ont été placées sous l’autorité du gouvernement de
la Nouvelle-Écosse, qui comprenait alors l’actuelle province du Nouveau-
Brunswick. La limite nord de la province ne s’étendait pas au-delà du
territoire connu sous le nom de Terre de Rupert en vertu de la charte
octroyée à la Compagnie de la Baie d’Hudson, en 1670, alors que la
frontière ouest avait été tracée obliquement du lac Nipissing jusqu’au lac
Saint-François, sur le fleuve Saint-Laurent. La frontière sud suivait alors
le 45e parallèle à travers la partie supérieure du lac Champlain d’où elle
passait le long des montagnes qui séparent les rivières qui se déversent
dans le fleuve Saint-Laurent de celles qui se jettent dans la mer, une
frontière définie de manière insensée puisqu’elle donnait au Canada,
jusqu’au Cap-des-Rosiers en Gaspésie, un territoire de quelques milles
de largeur. Aucune disposition n’était prévue, dans la Proclamation,
concernant le gouvernement du territoire à l’ouest des Appalaches qui
était revendiqué par la Pennsylvanie, la Virginie et d’autres colonies en
vertu des termes vagues de leurs chartes d’origine qui ne leur conféraient
pratiquement pas de limites à l’ouest. Par conséquent, la Proclamation
a suscité une forte désapprobation chez les colons anglais de la côte
atlantique. Aucune disposition n’était prévue au sujet du grand territoire
qui s’étendait au-delà de Nipissing, jusqu’au fleuve Mississippi, et qui
comprenait le bassin des Grands Lacs. On tire aisément la conclusion
que l’intention du gouvernement britannique était de refréner l’ambition
des vieilles colonies anglaises à l’est des Appalaches et de répartir l’im-
26 Première partie – Regards d’ensemble sur les constitutions
toujours pour être conseillé et guidé – les prêtres, les curés et les seigneurs
– ont bien entendu considéré que ces concessions envers leur nationalité
offraient la preuve la plus incontestable de l’esprit bienveillant et généreux
dans lequel le gouvernement britannique était déterminé à gouverner la
province. Ils avaient obtenu, depuis la Conquête, des preuves satisfaisantes
à l’effet que leur religion était à l’abri de toute interférence et, maintenant,
le Parlement britannique lui-même présentait des garanties juridiques
non seulement à l’égard du libre exercice de cette religion avec tout ce
qui y était associé et la dîme, mais également l’instauration permanente
du droit civil auquel ils attachaient une grande importance. Le fait
qu’aucune disposition ne prévoyait une Assemblée populaire ne pouvait
offenser un peuple qui n’était absolument pas familier avec l’autonomie
locale sous quelque forme que ce soit. Il était impossible de constituer
une Assemblée à partir des quelques centaines de protestants qui vivaient
à Montréal et à Québec et il était tout aussi impossible, compte tenu des
préjugés religieux prévalant en Angleterre et dans les colonies anglaises,
d’octroyer à quatre-vingt mille Canadiens français catholiques des privi-
lèges dont leurs coreligionnaires ne jouissaient pas en Grande-Bretagne
et leur permettre de siéger dans une Assemblée élue. Lord North semblait
exprimer l’opinion générale du Parlement britannique sur ce sujet délicat
lorsqu’il a clos le débat en exprimant « un espoir sincère que les Canadiens,
avec le temps, profiteront autant de nos lois et autant de notre
Constitution qu’il pourra en être salutaire et sans risques pour ce pays »,
mais « ce moment », avait-il conclu, « n’était pas encore venu » (traduction
libre). Il ne semble pas, à la lumière des données dont nous disposons,
que les Britanniques avaient d’autres motifs en adoptant l’Acte de Québec
que celui de rendre justice au peuple canadien-français, à présent des
sujets de la Couronne d’Angleterre. Il ne s’agissait pas d’une mesure qui
visait principalement à entraver le développement d’institutions popu-
laires, mais simplement conçue pour répondre aux conditions réelles
d’un peuple qui n’était absolument pas familier avec le fonctionnement
d’institutions représentatives ou populaires. Il s’agissait d’une première
étape dans le développement d’un gouvernement autonome.
En revanche, l’Acte a été accueilli par de vives expressions de mécon-
tentement par la petite minorité anglaise qui espérait se voir à la tête du
gouvernement de la province. À Montréal, le siège des mécontents, une
tentative de mettre le feu à la ville a eu lieu et le buste du roi a été installé
dans l’un des squares publics, barbouillé de noir et orné d’un collier fait
de pommes de terre et portant l’inscription Voilà le pape du Canada &
le sot Anglais (en français dans le texte original). L’auteur de cet outrage
Sir John George Bourinot – Le Canada sous le Régime britannique, 1760-1900 31
d’un point de vue strictement militaire, était excellente. Or, il s’est avéré
que ses qualités de soldat n’ont pas été réquisitionnées alors que son
manque d’expérience politique, son incapacité absolue à comprendre la
situation politique du pays et son indifférence totale par rapport aux
souhaits de l’Assemblée ont fait en sorte que son administration s’est
avérée être un échec retentissant. En fait, on peut affirmer que c’est
pendant son mandat que le germe du développement de l’antagonisme
politique et racial qui a mené à la rébellion de 1837 a été semé. On ne
peut diminuer l’importance des conséquences de sa décision injustifiable
de destituer de l’assemblée le président, M. Panet, et d’autres éminents
Canadiens français parce qu’ils avaient un intérêt pour le journal Le
Canadien ou du fait d’avoir donné suite à ce geste fort peu discret en
ordonnant l’arrestation indéfendable de M. Bédard et de quelques autres
personnes sous le motif qu’ils étaient les auteurs ou les éditeurs de ce qu’il
déclarait être des écrits qui constituaient une trahison. On croit que les
actions du gouverneur ont été largement influencées par les déclarations
et les conseils du juge en chef Sewell, à la tête du Conseil législatif et des
officiels. Plusieurs personnes ont été relâchées lorsqu’elles ont exprimé
le regret d’avoir émis une quelconque opinion considérée comme étant
extrême par le gouverneur et ses conseillers, mais M. Bédard est demeuré
en prison pendant un an plutôt que de reconnaître directement ou indi-
rectement que le gouverneur ait eu une quelconque justification pour ce
geste arbitraire. Sir James a tenté d’obtenir l’approbation du gouverne-
ment de la mère patrie, mais son représentant, un certain M. Ryland, un
homme compétent et élégant, toujours important dans la vie officielle
du pays, n’a manifestement pas réussi à obtenir d’appui pour le geste de
son patron. Il n’a pas été en mesure d’obtenir un engagement à l’effet
que la Constitution de 1791 serait abrogée et le Conseil législatif mis en
place par l’Acte de Québec s’est à nouveau vu accorder la suprématie
dans la province. M. Bédard a été relâché tout juste avant que le gouver-
neur ne quitte le pays en déclarant que « sa détention avait été une mesure
de précaution et non de punition » (traduction libre) ce qui ne représen-
tait d’aucune façon une rétractation courageuse ou élégante en regard de
ce qui constituait assurément une position absolument intenable dès
l’instant où M. Bédard avait été jeté en prison. Déçu, Sir James Craig a
quitté la province et il est mort en Angleterre, quelques mois après son
retour, des suites d’une maladie incurable dont il était atteint depuis
plusieurs années. Il était hospitalier, généreux et charitable, mais les
qualités d’un soldat ont dominé l’ensemble de ses actions au sein d’un
gouvernement civil.
38 Première partie – Regards d’ensemble sur les constitutions
en 1844, a amorcé une carrière publique qui en a fait l’une des figures
les plus éminentes de l’histoire de l’empire colonial d’Angleterre.
Le Parlement avait été dissous et les élections avaient eu lieu, en
janvier 1848, lorsque le gouvernement a été défait par une forte majorité
et le second gouvernement La Fontaine-Baldwin formé, un gouvernement
remarquable pour la compétence de ses membres et l’utilité des lois
adoptées au cours des quatre années où il est demeuré au pouvoir. Il
convient de souligner que Lord Elgin n’a pas suivi l’exemple de ses
prédécesseurs en sélectionnant les ministres lui-même, mais qu’il a stric-
tement respecté la convention constitutionnelle de faire appel à M. La
Fontaine, en tant que leader reconnu d’un parti au Parlement, afin de
former un gouvernement. Il irait au-delà des limites du présent chapitre
d’examiner cette grande administration dont l’arrivée au pouvoir peut
être considérée comme le couronnement des principes adoptés par Lord
Elgin pour l’appui sans réserve du gouvernement responsable et qui n’ont
jamais été violés depuis ce temps par les gouverneurs du Canada.
Bretagne et, depuis ce jour, le Canada a été habilité à légiférer tout à fait
librement en regard de ses propres intérêts commerciaux. En 1849, le
Parlement impérial a abrogé les lois de navigation et a permis que le
fleuve Saint-Laurent soit emprunté par les navires de toutes les nations.
Avec l’abrogation de lois, dont le maintien avait sérieusement paralysé
le commerce canadien après l’adoption du libre-échange par l’Angleterre,
les provinces ont progressivement amorcé une nouvelle ère d’aventure
industrielle.
Aucune disposition de la Constitution de 1840 n’a autant vexé la
population canadienne-française que la clause restreignant l’usage de la
langue française à l’Assemblée législative. Elle a été considérée comme
s’inscrivant dans le cadre de la politique, que laissait présager le rapport
de Lord Durham, de dénationaliser, si possible, la province canadienne-
française. L’abrogation de la clause, en 1848, témoignait du
fonctionnement harmonieux de l’Union et de l’existence de meilleurs
sentiments entre les deux segments de la population. Plus tard, l’implan-
tation progressive d’un Conseil législatif électif, si vivement réclamé
depuis si longtemps par l’ancienne législature du Bas-Canada, a été
prévue.
Les membres du gouvernement La Fontaine-Baldwin sont devenus
les exécuteurs législatifs d’un legs problématique qui leur avait été laissé
par un gouvernement conservateur. En 1839, des lois avaient été adop-
tées par le Conseil spécial du Bas-Canada et la législature du Haut-Canada
pour compenser les loyaux habitants de ces provinces pour les pertes
qu’ils avaient subies pendant les rébellions. Au cours de la première session
du Parlement de l’Union, la loi du Haut-Canada avait été amendée et
des crédits avaient été votés pour rembourser toutes les personnes dans
le Haut-Canada dont la propriété avait été inutilement ou gratuitement
détruite par des personnes agissant ou prétendant agir au nom de la
Couronne. Une campagne requérant l’application du même principe
dans le Bas-Canada a alors débuté et, en 1845, des commissaires ont été
nommés par l’administration Draper afin d’enquêter au sujet de la nature
et de la valeur des pertes subies par les loyaux sujets de Sa Majesté dans
le Bas-Canada. Lorsque leur rapport favorable à certaines réclamations
a été publié, le gouvernement Draper a présenté certaines lois sur la
question, mais a perdu le pouvoir avant qu’une quelconque action n’ait
pu être prise à cet égard. Le gouvernement La Fontaine-Baldwin, alors
déterminé à régler la question en suspens, a présenté une loi pour l’émis-
sion de débentures au montant de 400 000 $ pour le paiement des pertes
subies par toute personne n’ayant pas été reconnue coupable ou accusée
44 Première partie – Regards d’ensemble sur les constitutions
Première leçon
1. Thomas Chapais. Cours d’histoire du Canada de 1760 à 1867. Tome I – 1760-1791. Québec:
J.-P. Garneau, libraire-éditeur, 1919,
2. Journal des campagnes du chevalier de Lévis, p. 303.
45
46 Première partie – Regards d’ensemble sur les constitutions
lequel nous ne pouvions nous insurger. Force nous était de nous incliner
devant le fait accompli, et d’essayer de nous adapter au régime nouveau.
Cette adaptation constituait-elle vraiment pour nous une obligation très
difficile ? Non, Messieurs, nous devons le reconnaître si nous sentons les
réalités de la situation.
En quoi consistait le gouvernement de la colonie sous le régime
français ? Nous avions un gouverneur, chef civil et militaire, qui possédait
les pouvoirs les plus amples et les plus étendus. Nous avions un intendant
de qui relevaient spécialement les affaires de police, de finances et de
justice. Nous avions un conseil supérieur auquel ressortissaient les appels
des tribunaux inférieurs, et qui pouvait aussi porter certains règlements
et ordonnances. Telles étaient les grandes lignes de notre régime politique
sous la domination française. Eh bien, en pratique, le changement d’al-
légeance changea bien peu de chose à la forme du gouvernement. Entre
les deux organismes politiques, l’organisme français et l’organisme anglais,
il y avait peu de différence réelle, peu de divergences fondamentales.
Aujourd’hui comme hier nous serions régis par un pouvoir absolu. Le
gouverneur anglais, comme le gouverneur français, tiendrait sous sa main
tous les rouages administratifs, et monopoliserait toute l’autorité. La seule
différence, c’était qu’il serait pratiquement à la fois gouverneur et inten-
dant, comme d’ailleurs cela était arrivé sous la domination française,
pendant les premières années du gouvernement de Frontenac. Chef absolu
de l’administration coloniale, et détenteur unique du pouvoir dans la
colonie, le gouverneur anglais, comme le gouverneur français, n’aurait
de compte à rendre qu’à la métropole, aux ministres du roi, et au roi
lui-même. Nos ancêtres n’avaient pas connu d’autre mode de gouverne-
ment. Ne l’oublions pas, notre ancien régime colonial n’était pas un
régime de liberté. Et dans notre ancienne mère-patrie elle-même, un
quart de siècle allait s’écouler encore avant que le pouvoir absolu subît
ses premiers assauts.
[...]
Dès le premier moment ils proclamèrent leur loyalisme sincère. Au
lendemain de la promulgation du traité de paix qui cédait la colonie à
l’Angleterre, les Canadiens de Québec adressaient au général Murray une
adresse où nous lisons ces lignes :
La voilà donc descendue du ciel cette paix si désirée, qui non seulement
procure l’union et la tranquillité à toute l’Europe, mais encore aux autres
parties du monde. Par la publication qui nous en a été faite, nous sommes
agrégés sans retour au corps des sujets de la couronne d’Angleterre. Tels
50 Première partie – Regards d’ensemble sur les constitutions
sèrent devant son imminence redoutable. Sujets anglais ! eh bien, oui, ils
le seraient, et ils accepteraient douloureusement, mais délibérément et
sans réserve le décret providentiel. Mais cesser d’être français et catholi-
ques ! Jamais ! Ils ne renieraient pas leur double origine. Et puisqu’une
lutte nouvelle s’imposait pour la défendre, ils accepteraient la lutte.
Cette lutte, elle se présentait à eux sur deux terrains. Le premier coup
porté à la nationalité des Canadiens, en 1764, était l’abrogation virtuelle
des lois françaises. Le premier coup porté à la sécurité religieuse des
Canadiens, en 1764, était l’interruption de la succession épiscopale.
Immédiatement les chefs et les esprits dirigeants de notre race firent
converger nos efforts vers la défense de ces deux points menacés. Et c’est
ainsi que nos deux premières batailles sous la domination anglaise eurent
pour objectif la survivance de notre vieux droit français, sauvegarde de
la propriété, de la famille, de tout l’état social, et la perpétuité de notre
hiérarchie catholique, génératrice du sacerdoce, et gardienne du lien qui
unit les églises particulières à la grande Église universelle.
Ceci vous démontre, Messieurs, combien nous avions raison de vous
faire observer que la question du régime politique eut bien peu de part
dans les préoccupations de nos pères, au lendemain de la Conquête. Cette
question se posera plus tard. Plus tard, quand notre existence nationale
ne sera plus directement en cause, nous aurons à aborder des problèmes
d’un autre ordre. Quand nous aurons fait l’essentiel pour sauver la natio-
nalité, nous commencerons une campagne pour conquérir la liberté. [...]
Cette concentration exclusive de toutes les énergies sur les problèmes
de l’heure présente s’imposait spécialement à nos pères en 1764. Il y allait
de leur nationalité et de leur Église. Et comme la question religieuse,
intimement liée à la question nationale, exigeait la solution la plus
prompte, parce que l’Église canadienne se trouvait à ce moment sans
épiscopat, ce fut donc de ce côté que se porta notre premier effort.
[...]
Cinquième leçon
le tout sera réglé bientôt10. » Cette fois la nouvelle n’était pas trop préma-
turée. Les ministres et les officiers en loi de la Couronne travaillaient à
la préparation d’un projet de loi relatif aux affaires canadiennes. [...]
Le Parlement britannique était à ce moment le corps politique le
plus considérable et le plus important qu’il y eût au monde. Quels que
fussent les vices constitutionnels de sa composition, les inégalités
choquantes de sa représentation, les faiblesses et les fautes de beaucoup
de ses membres, dans l’ensemble il commandait l’admiration par la
puissance intellectuelle, la science politique, la magnificence oratoire qui
signalaient ses délibérations. Les deux chambres comprenaient tout ce
que la nation anglaise avait de plus illustre. La chambre des lords se
glorifiait de posséder lord Chatham qui, en cessant d’être un grand
ministre, n’avait pas cessé d’être un grand et pathétique orateur. À côté
de lui se faisaient remarquer par leurs connaissances ou leur éloquence,
lord Mansfield, le célèbre jurisconsulte, lord Camden, son émule et
souvent son contradicteur, le duc de Richmond, aussi distingué par ses
talents que par sa naissance, lord Hillsborough, à qui sa longue carrière
officielle donnait une autorité particulière, lord Shelburne, argumentateur
effectif, doué d’une compétence reconnue dans les questions de politique
étrangère et commerciale, et beaucoup d’autres. La chambre des
communes contenait elle aussi une pléïade de talents. Le premier ministre,
lord North, qui détenait le pouvoir depuis plusieurs années, était sans
contredit, abstraction faite des erreurs de sa politique et des malheureux
résultats de son système, un parlementaire de haute valeur. Son tact, sa
souplesse, sa facilité de repartie, sa connaissance des affaires, spécialement
des finances, faisaient de lui un debater redoutable. Il était entouré de
collègues éminents, au premier rang desquels figuraient deux hommes
que nous avons déjà rencontrés plusieurs fois au cours de ces leçons,
MM. Wedderburn et Thurlow, l’un clair, persuasif, joignant le charme
de l’imagination à la vigueur de la logique, l’autre mettant au service
d’une pensée pleine d’élévation une parole nerveuse et entraînante. [...]
Sir George Savile jouissait d’une légitime considération, due à son
savoir et à la fermeté de ses principes. Mais les deux sommités du parti
antiministériel étaient sans conteste Edmund Burke et Charles Fox. Il
suffit de prononcer ces deux noms pour évoquer le glorieux souvenir de
toute une époque classique d’éloquence parlementaire. Fox, encore jeune,
n’ayant que vingt-cinq ans en 1774, avait déjà été ministre, et venait à
Qu’il soit de plus décrété, en vertu de l’autorité susdite, que tous les sujets
canadiens de Sa Majesté dans la province de Québec, à l’exception seulement
des ordres religieux et des communautés, pourront conserver la possession
et jouir de leurs propriétés et de leurs biens avec les coutumes et usages qui
s’y rattachent et de tous leurs autres droits civils, au même degré et de la
même manière que si la dite proclamation et les commissions, ordonnances
et autres actes et instruments n’avaient pas été faits, et que le permettront
leur allégeance et leur soumission à la couronne et au parlement de la
Grande-Bretagne ; qu’à l’égard de toute contestation relative à la propriété
et aux droits civils, l’on aura recours aux lois du Canada comme règle pour
décider à leur sujet ; et que toutes les causes concernant la propriété et les
droits susdits, qui seront portées par la suite devant quelqu’une des cours
de justice qui doivent être établies dans et pour la dite province y seront
jugées conformément aux dites lois et coutumes du Canada, jusqu’à ce que
celles-ci soient changées ou modifiées par quelques ordonnances qui seront
rendues de temps à autre dans la dite province, par le gouverneur, le lieu-
tenant gouverneur ou le commandant en chef en exercice, de l’avis et du
consentement du conseil législatif qui y sera établi de la manière ci-après
mentionnée par les présentes13.
[...]
Cet article, on devait s’y attendre, provoqua de vives réclamations
dans la chambre des communes. Les adversaires du gouvernement ne
manquèrent pas de crier qu’il renonçait à faire du Canada un pays anglais,
et qu’il y enracinait au contraire une nationalité française. Un député de
l’opposition, sir John Cavendish, prononça ces paroles : « Je croirais
essentiel de ne pas rendre aux Canadiens leurs lois, elles maintiendront
leur perpétuel recours à ces lois et coutumes qui continuera à faire d’eux
un peuple distinct14. » Burke, dont le grand esprit n’était pas inaccessible
au préjugé, et qui avait le culte du procès par jury, supprimé en matière
civile par le projet de loi, Burke fit une sortie véhémente contre l’article
8 : « Les deux-tiers de tous les intérêts commerciaux du Canada vont être
livrés à la loi française et à la judicature française, s’écria-t-il. [...] »
Il est difficile de concevoir comment de tels appels, dans une chambre
anglaise, ne provoquèrent pas une explosion de passion nationale fatale
au bill. Il n’en fut rien, heureusement. Le bloc ministériel resta inébran-
lable. Lord North était un leader d’une merveilleuse habileté, et il était
admirablement secondé par Wedderburn et Thurlow. Celui-ci prononça
dans le débat général un de ses plus beaux discours. Il s’éleva à une grande
hauteur d’éloquence, et stigmatisa sans merci les théories oppressives au
nom desquelles on réclamait l’abolition de nos lois et coutumes. Parlant
de la proclamation du 7 octobre 1763, il osa dire :
Si elle devait être considérée comme créant une constitution anglaise ; si
elle devait être considérée comme important les lois anglaises dans un pays
déjà établi et gouverné par d’autres lois, je déclarerais qu’elle fut un des
actes de la plus excessive, de la plus absurde et de la plus cruelle tyrannie
qu’une nation conquérante ait jamais commis envers une nation conquise
[...] Voici ma théorie. Il y a changement de souveraineté. Afin de rendre
votre acquisition plus sûre, vous ne devez changer que les lois concernant
la souveraineté française, et leur substituer les lois établissant la souveraineté
nouvelle. Mais quant à toutes les autres lois, à toutes les autres coutumes
et institutions quelconques, qui ne concernent pas les relations de sujet à
souverain, l’humanité, la justice et la sagesse vous conseillent à l’envi de les
respecter intégralement15.
[...]
Restait la question politique, c’est-à-dire la question de savoir quelle
serait à l’avenir la forme de notre gouvernement. Aurions-nous une
législature complète avec une assemblée élue ? Nous ne l’avions pas
demandée, d’abord parce que nous craignions que les menées de nos
adversaires nous en interdissent l’accès ; et ensuite, il faut le reconnaître,
parce que notre mentalité, formée par la longue habitude d’un système
différent sous le régime français, ne nous en inspirait vraiment pas le
désir. Les témoignages rendus devant la chambre des communes étaient
unanimes à le constater.
[...]
La solution adoptée fut la suivante. Les articles 12, 13, 14, 15, et
16, du bill, décrétaient l’institution d’un conseil législatif composé au
maximum de vingt-trois et au minimum de dix-sept membres, nommés
par le roi. Ce conseil était investi du pouvoir de rendre des ordonnances
pour la paix, le bien-être, et le bon gouvernement de la province, avec le
consentement du gouverneur. Mais il ne pouvait imposer de taxes, sauf
pour fins purement municipales. Les ordonnances devaient être transmises
au roi dans les six mois qui suivraient leur adoption, et elles étaient sujettes
au désaveu. Nulle ordonnance concernant la religion, ou imposant une
pénalité plus sévère qu’une amende ou un emprisonnement de trois jours,
et qui se terminait par une victoire pour notre cause. Sans doute tout
n’était pas parfait dans l’Acte de Québec. Il portait l’empreinte de la
situation complexe qui l’avait engendré et de l’heure difficile où il naissait.
Mais lorsque l’on songeait au formidable courant de haines religieuses,
de préjugés sociaux, d’antipathies nationales, de méfiances politiques,
qu’il avait fallu refouler pour lui frayer un passage, on ne pouvait s’em-
pêcher de le saluer, malgré ses défectuosités, comme une œuvre de sagesse
et de justice. Dans l’orientation nouvelle que les mystérieux décrets
providentiels avaient fait subir à nos destinées, il marquait une date et
enregistrait une ascension. Au régime de l’incertitude et du bon plaisir,
succédait le régime de l’ordre connu et de la loi. Nous sortions de l’à peu
près pour entrer dans le défini. Nous nous dégagions de la tolérance
précaire, pour prendre possession de la garantie légale. Depuis dix ans
nous luttions contre un élément peu nombreux, mais arrogant, qui
prétendait nous dominer par l’ostracisme, en vertu du droit de conquête.
Adjugeant entre ce groupe, de race anglaise et de foi protestante, et nous,
de race française et de foi catholique, le Parlement d’Angleterre, quels
que fussent ses motifs et son dessein, statuait en notre faveur et proclamait
nos droits. Pour la première fois depuis 1760 il légiférait au sujet de notre
gouvernement et de nos institutions. Et ce premier acte de législation
impériale décrétait à la fois, dans une large mesure, notre émancipation
religieuse et notre émancipation nationale. C’était un fait immense, qui
devait être fécond en conséquences heureuses. L’Acte de Québec valait
peut-être plus encore par ce qu’il impliquait que par ce qu’il édictait. Il
supprimait pour nous le serment de suprématie ; et cela nécessairement
voulait dire que le catholicisme avait ici droit de cité et pouvait marcher
de pair avec le protestantisme officiel. Il accordait aux curés le droit légal
au recouvrement de la dîme ; et cela, bon gré mal gré, signifiait que l’Église
catholique était reconnue au Canada par l’État britannique. Il rétablissait
sans conteste notre vieux droit civil français, parce qu’il était mieux adapté
à notre mentalité, à nos mœurs, à nos coutumes, et à nos traditions ; et
cela entraînait comme déduction inévitable la survivance admise de ces
traditions, de ces coutumes, de ces mœurs, et de cett mentalité, éléments
essentiels de notre nationalité française. Oui, tout cela était en puissance
dans l’Acte de Québec ! À partir du 22 juin 1774, nous avions une charte
britannique que nous pouvions invoquer, sur laquelle nous pouvions
nous appuyer, et qui pourrait servir de base à nos revendications futures.
[...]
Non, l’Acte de Québec fut dû principalement à la force intrinsèque
de nos réclamations, aux doctrines et aux principes de droit naturel et
60 Première partie – Regards d’ensemble sur les constitutions
de droit des gens professées par les grands jurisconsultes anglais, Yorke,
de Grey, Wedderburn, Thurlow, Mansfield, et à la haute situation occupée
par ces derniers dans les sphères politiques et parlementaires. Il fut dû
enfin à l’action persistante d’un homme qui, parmi les officiels britanni-
ques, pouvait plus que tout autre en revendiquer l’honneur. Cet homme,
c’était Carleton. Pendant huit ans il avait plaidé en faveur des lois fran-
çaises et de la suppression des incapacités confessionnelles. Il voyait ses
vues adoptées et ses conseils suivis. Notre victoire était sa victoire. Et
voilà pourquoi il ne devra jamais cesser de figurer au premier rang parmi
ceux dont la parole et les actes ont pesé dans notre plateau de la balance
où ont oscillé pendant longtemps les destinées de la nationalité franco-
canadienne.
Septième leçon
[...]
Pendant ce temps une autre question agitait aussi l’opinion cana-
dienne. C’était la question constitutionnelle. Au moment où l’Acte de
Québec avait été adopté, en 1774, de graves raisons militaient, dans
l’opinion du gouvernement impérial, contre l’établissement à Québec
d’une législature complète, avec une chambre élue par le peuple. Les
anciens sujets, c’est-à-dire les sujets d’origine britannique, avaient pour
la plupart énergiquement protesté contre le refus de nous donner une
assemblée. Ils avaient d’abord, dès l’automne de 1774, demandé le rappel
de l’Acte de Québec, qui venait à peine d’être adopté. Puis au mois d’avril
1778, ils avaient retourné à la charge et adressé au gouvernement une
pétition dans laquelle ils sollicitaient formellement « l’établissement d’un
gouvernement libre au moyen d’une assemblée de représentants du
peuple18 ». Les Canadiens français s’étaient d’abord tenus à l’écart de ce
mouvement. Nous en avons donné les raisons dans une conférence
antérieure. Jusqu’en 1774 nous avions lutté pour obtenir ce qui nous
importait par dessus tout, notre liberté religieuse, le maintien de nos lois
nationales, et l’abolition des incapacités civiles auxquelles nous étions
assujettis, en vertu du droit public anglais. Pour nous c’était là l’essentiel.
L’Acte de Québec, malgré ses imperfections, était venu nous rendre justice
sur ces sujets d’importance vitale. Et nos chefs l’avaient accepté avec
satisfaction et gratitude. Pendant assez longtemps les démarches tentées
Première leçon
Ceux d’entre vous qui m’ont fait l’honneur de suivre, l’an dernier,
ce cours d’histoire du Canada se rappellent sans doute que nous nous
sommes arrêtés au seuil d’une constitution nouvelle. Vers 1789, le régime
politique institué par l’Acte de Québec semblait avoir fait son temps.
L’accroissement considérable de la population, l’entrée en scène d’un
élément très actif – les loyalistes américains –, le développement du
commerce, la création des districts du Saint-Laurent supérieur, la parti-
cipation inusitée d’un grand nombre de nouveaux sujets aux démarches
faites par la majorité des anciens, les instances de plusieurs grandes
maisons d’exportation coloniale, que leurs relations commerciales avec
le Canada intéressaient à nos affaires, la pression de plus en plus énergique
des membres de l’opposition dans la chambre des communes, tout cet
ensemble de circonstances et d’influences avait amené le gouvernement
britannique à admettre l’opportunité d’un changement constitutionnel.
Et nous avons vu qu’au mois d’octobre 1789 le ministre préposé aux
colonies avait informé lord Dorchester que le Parlement serait saisi, dès
les premiers jours de la prochaine session, d’une législation nouvelle pour
le bon gouvernement de la province de Québec.
[...]
Quelles étaient les grandes lignes de cette mesure destinée à nous
doter d’une constitution qui allait nous régir pendant un demi-siècle ?
Quand on étudie ses dispositions, on constate que trois points saillants
s’en dégageaient : 1o le maintien de toutes les garanties édictées par l’Acte
de Québec ; 2o l’institution du régime électoral et parlementaire ; 3o la
division du Canada en deux provinces.
La première des dispositions que nous venons de signaler était
évidemment de la plus haute importance. La constitution de 1791
19. Thomas Chapais, professeur d’histoire à l’Université Laval. Cours d’histoire du Canada. Tome
II – 1791-1814. Québec: Librairie Garneau ltée, 1921,
Thomas Chapais – Cours d’histoire du Canada 63
20. Documents constitutionnels (1759-1791), p. 665, 672. Sans doute l’article que nous citons
ici ajoutait : « excepté en tant qu’elles sont expressément abrogées ou changées par cet acte ».
Mais tout ce qui était abrogé par l’acte de 1791, c’était la constitution et la juridiction de
notre ancien conseil législatif.
64 Première partie – Regards d’ensemble sur les constitutions
24. Le texte de l’Acte impérial de 1791 pourra être consulté aux appendices de ce volume.
66 Première partie – Regards d’ensemble sur les constitutions
chiffres officiels et précis nous fassent ici défaut, nous croyons pouvoir
affirmer sans crainte que l’élément anglais ne figurait pas dans ce chiffre
pour plus que 10 000 âmes. Avec le régime électoral et le droit de suffrage
octroyé à tous les citoyens, moyennant certaines qualifications, mais sans
distinction de races ni de croyances, vous voyez quelle énorme influence,
quel puissant moyen d’action, ou éventuellement d’opposition, l’acte de
1791 mettait en nos mains.
[...]
[...] Ce fut lord Grenville qui exposa à cette chambre l’idée fonda-
mentale du projet. Lui aussi prononça des paroles importantes pour nous.
La province du Canada, dit-il, diffère par sa situation des autres possessions
britanniques en Amérique. Elle n’est pas une colonie fondée ou originaire-
ment conquise par ce pays, et dans laquelle les lois de la Grande-Bretagne
pourraient être transportées ; mais c’est une province conquise sur une autre
nation, une colonie possédant déjà un système de lois, une industrie agricole
et un commerce [...] Depuis la signature de la dernière paix, des circons-
tances particulières ont créé dans le Haut-Canada une population d’une
différente sorte [...] Eu égard à ces deux classes d’habitants on a jugé
opportun de diviser la province en deux, le Haut et le Bas-Canada. On a
appelé préjugés l’attachement des habitants français du Canada pour leurs
coutumes, leurs lois et leurs mœurs, qu’ils préfèrent à celles de l’Angleterre.
Je dis qu’un tel attachement mérite un meilleur nom que celui de préjugé.
C’est un attachement fondé sur la raison, et sur quelque chose de mieux
que la raison, sur les meilleurs sentiments du cœur humain25.
Après avoir parcouru sans encombre toute la filière des épreuves
parlementaires, le bill relatif au gouvernement de Québec recevait la
sanction royale le 10 juin 1791. C’était pour nous incontestablement un
jour heureux. Nous faisions un nouveau pas dans la voie de notre relè-
vement national. Nous acquérions une nouvelle force. Nous voyions
s’ouvrir devant nous une nouvelle sphère d’action. Sans doute, sous ce
régime où nous allions entrer demain, des difficultés nous attendaient.
Nous aurions notre part, notre large part de pouvoir législatif. Mais le
pouvoir exécutif nous resterait étranger. Dans nos efforts pour conduire
à bon terme telle ou telle œuvre de législation essentielle, nous nous
heurterions parfois à l’inertie systématique ou à l’hostilité tenace. Mais
si nous ne pouvions pas être sûrs de donner toujours son plein jeu à notre
activité créatrice ou réformatrice, nous étions certains que rien ne pour-
rait avoir raison de notre résistance préservatrice. Si nous ne pouvions
nous promettre de faire aboutir toutes les bonnes lois, nous pouvions
nous jurer que nous ferions avorter toutes les mauvaises. Nous devenions
électeurs, nous devenions éligibles, nous devenions participants à l’auto-
rité parlementaire. De majorité sans parole et sans action nous étions
transformés en majorité parlante et agissante. Nous faisions notre entrée
dans la virilité politique.
À tous ces titres, la constitution de 1791 pouvait être saluée comme
un progrès réalisé et comme une promesse d’avenir.
Histoire du Canada
depuis sa découverte jusqu’à nos jours1
François-Xavier Garneau
Discours préliminaire
[...]
Si l’on envisage l’histoire du Canada dans son ensemble, depuis
Champlain jusqu’à nos jours, on voit qu’elle se partage en deux grandes
phases que divise le passage de cette colonie de la domination française
à la domination anglaise, et que caractérisent, la première, les guerres des
Canadiens avec les Sauvages et les provinces qui forment aujourd’hui les
États-Unis ; la seconde, la lutte politique et parlementaire qu’ils soutien-
nent encore pour leur conservation nationale. La différence des armes,
entre ces deux époques militantes, nous les montre sous deux points de
vue bien distincts ; mais c’est sous le dernier qu’ils m’intéressent davantage.
Il y a quelque chose de touchant et de noble à la fois à défendre la natio-
nalité de ses pères, cet héritage sacré qu’aucun peuple, quelque dégradé
qu’il fût, n’a jamais osé répudier publiquement. Jamais cause, non plus,
et plus grande et plus sainte n’a inspiré un cœur haut placé, et mérité la
sympathie des hommes généreux.
Si la guerre a fait briller autrefois la bravoure des Canadiens avec
éclat, à leur tour, les débats politiques ont fait surgir, au milieu d’eux,
des noms que respectera la postérité ; des hommes dont les talents, le
1. François-Xavier Garneau, Histoire du Canada depuis sa découverte jusqu’à nos jours. (Selon la
première édition [1845]). I. Discours préliminaire. Livre I. Livre II. La Bibliothèque électro-
nique du Québec. Collection Littérature québécoise. Volume 155 : version 1.01.
69
70 Première partie – Regards d’ensemble sur les constitutions
qui existait entre leur langue et leur religion et celles des colonies voisines,
les attacherait plutôt à la cause métropolitaine qu’à la cause coloniale :
ils avaient deviné la révolution américaine.
Le hasard a fait découvrir dans les archives du secrétariat provincial
à Québec, un de ces mémoires, écrit avec beaucoup de sens, et dans lequel
l’auteur a fait des prédictions que les événements n’ont pas tardé à réaliser.
En parlant de la séparation probable de l’Amérique du Nord d’avec
l’Angleterre, il observe
que s’il ne subsiste pas entre le Canada et la Grande-Bretagne d’anciens
motifs de liaison et d’intérêt étrangers à ceux que la Nouvelle-Angleterre
pourrait, dans le cas de la séparation, proposer au Canada, la Grande-
Bretagne ne pourra non plus compter sur le Canada que sur la
Nouvelle-Angleterre. Serait-ce un paradoxe d’ajouter, dit-il, que cette
réunion de tout le continent de l’Amérique, formée dans un principe de
franchise absolue, préparera et amènera enfin le temps où il ne restera à
l’Europe de colonies en Amérique, que celles que l’Amérique voudra bien
lui laisser ; car une expédition préparée dans la Nouvelle-Angleterre sera
exécutée contre les Indes de l’ouest, avant même qu’on ait à Londres la
première nouvelle du projet.
S’il est un moyen d’empêcher, ou du moins d’éloigner cette révolution, ce
ne peut être que de favoriser tout ce qui peut entretenir une diversité
d’opinions, de langage, de mœurs et d’intérêt entre le Canada et la Nouvelle-
Angleterre.
La Grande-Bretagne, influencée par ces raisons qui tiraient une
nouvelle force des événements qui se préparaient pour elle au-delà des
mers, ne balança plus entre ses préjugés et une politique dictée si évidem-
ment dans l’intérêt de l’intégrité de l’empire. La langue, les lois et la
religion des Canadiens furent conservées dans le temps même où il aurait
été comparativement facile pour elle d’abolir les unes et les autres,
puisqu’elle possédait alors la moitié de toute l’Amérique. Elle eut bientôt
lieu de se réjouir de ce qu’elle avait fait cependant. Deux ans à peine
s’étaient écoulés depuis la promulgation de l’acte de 1774, que ses
anciennes colonies étaient toutes en armes contre son autorité, et faisaient
de vains efforts pour s’emparer du Canada, qu’elles disaient n’avoir aidé
à conquérir que pour l’intérêt et la gloire de l’Angleterre.
Les Canadiens, appelés à défendre leurs institutions et leurs lois
garanties par les traités et par ce même acte de 1774, que le congrès des
provinces rebelles avait maladroitement « déclaré injuste, inconstitu-
tionnel, très dangereux et subversif des droits américains », se rangèrent
François-Xavier Garneau – Histoire du Canada depuis sa découverte 73
sous le drapeau de leur nouvelle mère-patrie, qui profita ainsi plus tôt
qu’elle ne l’avait pensé, de la sagesse de sa politique, politique sanctionnée
depuis par le Parlement impérial, en deux occasions solennelles, savoir :
en 1791, en octroyant une charte constitutionnelle à cette province ; et,
en 1828, en déclarant que « les Canadiens d’origine française ne devaient
pas être inquiétés le moins du monde dans la jouissance de leurs lois, de
leur religion et de leurs privilèges, tel que cela leur avait été assuré par
des actes du parlement britannique ».
Si cette politique, qui a déjà sauvé deux fois le Canada, a été
méconnue et répudiée par l’acte d’union, il n’est pas improbable que les
événements y fassent revenir, et qu’on s’aperçoive que les Canadiens, en
s’anglifant, ne deviennent rien moins qu’Anglais. Rien n’indique que
l’avenir sera différent du passé et ce retour pourrait être commandé par
le progrès des colonies qui restent encore à la Grande-Bretagne dans ce
continent, et par la perspective d’une révolution semblable à celle qui a
frayé le chemin à l’indépendance de l’Union américaine.
S’il en était autrement, il faudrait croire que le cabinet de Londres
a jugé d’avance la cause de la domination britannique dans cette partie
du monde, et qu’il la regarde comme définitivement perdue. Mais l’on
doit présumer qu’il y connaît fort bien la situation des intérêts anglais ;
qu’il a déjà jeté les yeux sur l’avenir, comme on peut l’inférer de quelques
passages qui se trouvent dans le rapport de lord Durham sur le Canada,
et qu’il désire enfin le dénouement le moins préjudiciable à la nation. La
Grande-Bretagne tient notre sort entre ses mains ; et selon que sa conduite
sera juste et éclairée, ou rétrécie et tyrannique, ces belles et vastes provinces
formeront, lorsque le temps en sera venu, une nation indépendante et
une alliée utile et fidèle, ou elles tomberont dans l’orbite de la puissante
république qui semble destinée à lui disputer l’empire des mers. Cette
question mérite l’attention grave des hommes d’État métropolitains et
coloniaux ; plusieurs peuples sont intéressés à sa solution.
Dans les observations ci-dessus, nous avons énoncé franchement et
sans crainte nos vues sur un sujet qui doit préoccuper tous les Canadiens
dans la situation exceptionnelle où ils se trouvent comme peuple. Nous
l’avons fait, parce que nous croyons que nos lecteurs avaient droit de
connaître notre opinion à cet égard ; nous avons dû aussi exprimer nos
espérances que nous croyons bien fondées, parce qu’elles procèdent des
déductions les plus sévères des faits historiques dont nous allons dérouler
le riche et intéressant tableau.
74 Première partie – Regards d’ensemble sur les constitutions
sous ses Charlemagne, comme sous ses Napoléon ose appeler toutes les
nations coalisées dans des combats de géants ; il vient surtout de cette
vendée normande, bretonne, angevine dont le monde respectera toujours
le dévouement sans bornes pour les objets de ses sympathies royales et
religieuses, et dont le courage admirable couvrira éternellement de gloire
le drapeau qu’il avait levé au milieu de la révolution française.
Que les Canadiens soient fidèles à eux mêmes ; qu’ils soient sages et
persévérants, qu’ils ne se laissent point emporter par le brillant des
nouveautés sociales ou politiques. Ils ne sont pas assez forts pour se donner
carrière sur ce point. C’est aux grands peuples à essayer les nouvelles
théories. Ils peuvent se donner des libertés dans leurs orbites assez
spacieuses. Pour nous, une partie de notre force vient de nos traditions ;
ne nous en éloignons ou ne les changeons que graduellement. Nous
trouverons dans l’histoire de notre métropole, dans l’histoire de l’Angle-
terre elle-même de bons exemples à suivre. Si l’Angleterre est grande
aujourd’hui, elle a eu de terribles tempêtes à passer, la conquête étrangère
à maîtriser, les guerres religieuses à apaiser et bien d’autres traverses. Sans
vouloir prétendre à une pareille destinée, notre sagesse et notre ferme
union adouciront beaucoup les difficultés de notre situation, et en exci-
tant leur intérêt rendront notre cause plus sainte aux yeux des nations.
François-Xavier Garneau – Histoire du Canada depuis sa découverte 79
Tome troisième3
Livre XI
3. François-Xavier Garneau, Histoire du Canada depuis sa découverte jusqu’à nos jours. Tome
troisième. Québec. Imprimerie de Fréchette et frère, 1848.
80 Première partie – Regards d’ensemble sur les constitutions
mais ils furent trompés dans ce plus cher de leurs vœux. Le traité de
1763, en assurant la possession du Canada à la Grande-Bretagne, déter-
mina une nouvelle émigration. Les marchands, les hommes de loi, les
anciens fonctionnaires, enfin la plupart des familles notables du pays
passèrent en France, après avoir vendu ou même abandonné des biens
qui sont encore aujourd’hui un objet de litige entre leurs descendants. Il
ne resta dans les villes que quelques rares employés subalternes, quelques
artisans, à peine un marchand, et les corps religieux. Cette émigration
ne s’étendit point aux campagnes où le sol attachait les habitants.
[...]
Ceux qui restèrent en Canada durent espérer, suivant la promesse
de leur nouvelle métropole, d’avoir enfin un gouvernement régulier.
Quoique l’on eût fini, sous le régime militaire, par adopter la jurispru-
dence française et par juger suivant les lois et dans la langue du pays, ce
système ne pouvait présenter aucune garantie durable. Aussi, en 1764,
un nouveau changement radical eut lieu ; mais, loin d’alléger le fardeau
qui pesait sur ce malheureux pays, il devait le rendre encore plus intolé-
rable. Chaque jour les Canadiens sentaient davantage toute la grandeur
des malheurs de la sujétion étrangère, et que les sacrifices qu’ils avaient
faits n’étaient rien en comparaison des souffrances et des humiliations
morales qui se préparaient pour eux et pour leur postérité. D’abord
l’Angleterre voulut répudier tout ce qui était français et enlever même
aux anciens habitants les avantages naturels que leur offrait l’étendue de
leur pays pour établir leurs enfants. Elle commença par en faire le démem-
brement. Le Labrador, depuis la rivière St.-Jean jusqu’à la baie d’Hudson
avec les îles d’Anticosti, de la Magdeleine, etc., fut annexé au gouverne-
ment de Terre-Neuve ; les îles de St.-Jean et du Cap-Breton, à la
Nouvelle-Écosse. Les terres des grands lacs furent distribuées de la même
manière entre les diverses colonies voisines, et bientôt après le Nouveau-
Brunswick fut encore enlevé au Canada et prit le nom qu’il porte
aujourd’hui.
Du territoire, la proclamation par laquelle ces grands changements
étaient décrétés, passa aux lois ; et le roi, de sa propre autorité, tout en
déclarant qu’il serait convoqué des assemblées des représentants du peuple
aussitôt que les circonstances le permettraient, abolit d’un seul coup
toutes les anciennes lois civiles si sages, si précises, si claires, pour y subs-
tituer celles de sa métropole, amas confus, vague et incohérent d’actes
parlementaires et de décisions judiciaires enveloppées dans des formes
compliquées et barbares dont l’administration de la justice n’a pu encore
se débarrasser en Angleterre, malgré les efforts de ses plus grands juris-
François-Xavier Garneau – Histoire du Canada depuis sa découverte 81
Peut-être aussi que les réminiscences de son propre pays, les malheurs de
ces belliqueux montagnards d’Écosse si fidèles à leurs anciens princes,
augmentaient en lui ces sentiments d’humanité qui honorent plus souvent
le guerrier que le politique, réduit à exploiter, la plupart du temps, les
préjugés populaires les moins raisonnables. Le général Murray, pour
tranquilliser les esprits, rendit, avec l’agrément de son conseil, une ordon-
nance dès le mois de novembre suivant, portant que dans les procès
relatifs à la tenure des terres, aux successions, etc., l’on suivrait les lois en
usage sous la domination française. C’était revenir à la légalité, car si
l’Angleterre avait le droit de changer les lois canadiennes, elle ne pouvait
le faire que par un acte de son Parlement. [...]
[...]
Le conseil d’État fut en possession de tous ces rapports en 1773.
Depuis neuf ans l’Angleterre cherchait partout des motifs propres à
justifier aux yeux des nations et de la conscience publique l’abolition des
lois et peut-être de la religion d’un peuple auquel elle les avait garanties ;
et l’on ne hasarde rien de trop en disant que la justice et la générosité de
l’éloquent plaidoyer de lord Thurlow auraient été perdues, et que le
Canada serait passé sous la domination d’une poignée d’aventuriers,
ayant une religion, une langue, des lois et des usages différents de ceux
de ses anciens habitants, sans l’attitude hostile des autres colonies
anglaises, qui commençaient à faire craindre à la Grande-Bretagne la
perte de toute l’Amérique4. Cette métropole différa de donner son dernier
mot jusqu’en 1774, alors que la solution pacifique de ses difficultés avec
ces dernières provinces parut plus éloignée que jamais. La révolution qui
sauva les libertés américaines, força l’Angleterre à conserver la langue, les
institutions et les lois des Canadiens, en un mot à leur rendre justice,
afin d’avoir au moins une province pour elle dans le Nouveau-Monde.
[...]
Mais tandis que le parti protestant réclamait ainsi le sceptre du
pouvoir pour lui, et l’esclavage pour les catholiques, ceux-ci ne restaient
pas inactifs. Ils ne cessaient point par tous les moyens qu’ils avaient à leur
disposition, de tâcher de détruire les préjugés du peuple anglais contre
eux, préjugés que ses nationaux en Canada cherchaient continuellement
à envenimer par leurs écrits et par leurs discours. Ils avaient aussi les yeux
sur tout ce qui se passait dans les provinces voisines. Ils ne manquaient
pas d’hommes capables de juger sainement de leur situation et de celle
des intérêts de la métropole dans ce continent, comme le prouve le
mémoire prophétique mentionné dans le discours placé en tête de cet
ouvrage, et qui exposait avec une si grande force de logique la nécessité
pour l’Angleterre, si elle voulait se maintenir en Canada, d’accorder aux
habitants de cette contrée tous les privilèges d’hommes libres, et de
favoriser leur religion au lieu de la détruire, même parmi les gens riches,
par le moyen sourd, mais infaillible des exclusions ; et que ce ne serait
pas avoir la liberté d’être catholique que de ne pouvoir l’être sans perdre
tout ce qui peut attacher les hommes à la patrie. Ils tinrent des assemblées
et signèrent, dans le mois de décembre (1773), une pétition dont voici
les principaux passages :
Dans l’année 1764, Votre Majesté daigna faire cesser le gouvernement
militaire dans cette colonie pour y introduire le gouvernement civil. Et dès
l’époque de ce changement nous commençames à nous apercevoir des
inconvénients qui résultaient des lois britanniques, qui nous étaient
jusqu’alors inconnues. Nos anciens citoyens, qui avaient réglé sans frais nos
difficultés, furent remerciés : cette milice qui se faisait une gloire de porter
ce beau nom sous votre empire, fut supprimée. On nous accorda, à la vérité,
le droit d’être jurés ; mais, en même temps, on nous fit éprouver qu’il y
avait des obstacles pour nous à la possession des emplois. On parla d’intro-
duire les lois d’Angleterre, infiniment sages et utiles pour la mère-patrie,
mais qui ne pourraient s’allier avec nos coutumes sans renverser nos fortunes
et détruire entièrement nos possessions [...].
Daignez, illustre et généreux monarque, ajoutaient les Canadiens, dissiper
ces craintes en nous accordant nos anciennes lois, privilèges et coutumes,
avec les limites du Canada telle qu’elles étaient ci-devant. Daignez répandre
également vos bontés sur tous vos sujets sans distinction [...] et nous
accorder, en commun avec les autres, les droits et privilèges de citoyens
anglais ; alors [...] nous serons toujours prêts à les sacrifier pour la gloire de
notre prince et le bien de notre patrie.
Cette requête qui passa pour l’expression des sentiments de la géné-
ralité des Canadiens, ne fut signée cependant que par une très petite
partie des seigneurs et de la classe bourgeoise des villes et leurs adhérents,
lesquels pouvaient avoir raison d’espérer d’être représentés dans le corps
législatif qui serait donné au pays. Il y a lieu de croire aussi que le clergé
partagea les sentiments des pétitionnaires, quoique, suivant son usage,
s’il fit des représentations, il les fit secrètement. Le peuple ne sortit point
de son immobilité, et la croyance que les remontrances qui se firent alors
venaient de lui, n’a aucun fondement. Il ne fit aucune démonstration
84 Première partie – Regards d’ensemble sur les constitutions
du roi, qu’une chambre populaire dont ils auraient été exclus, et qui
aurait été formée d’ennemis déclarés de leur langue et de toutes leurs
institutions sociales, d’hommes enfin qui, dans le moment même,
voulaient les exclure des emplois publics, et qui auraient sans doute signalé
l’existence du régime électif par la proscription de tout ce qu’il y a de
plus cher et de plus vénérable parmi les hommes, la religion, les lois et
la nationalité.
Les demandes des Canadiens furent accueillies comme elles devaient
l’être dans les circonstances où se trouvait l’Angleterre par rapport à
l’Amérique, et servirent de base à l’acte de 1774, qui ne formait, du reste,
qu’une partie d’un plan plus vaste embrassant toutes les colonies anglaises
de ce continent, dont la puissance croissante effrayait de plus en plus la
métropole, et dont l’attitude depuis la paix, exposée brièvement dans le
chapitre suivant, fera connaître les vrais motifs de la politique de l’An-
gleterre à cette époque concernant le Canada. En même temps pour
consoler de son échec le parti de la proscription, Mazères lui écrivait,
« qu’il pensait que les habitants de la province seraient plus heureux de
là à 7 ou 8 ans sous le gouvernement établi par l’acte de 1774, que sous
l’influence d’une assemblée où les papistes seraient admis », paroles qui
le font mieux connaître que tout ce que l’on pourrait dire.
[...]
[...] [Le] ministère proposa un quatrième bill, l’acte de 1774, pour
réorganiser le gouvernement du Canada, nommé alors province de
Québec. C’était le complément du plan général d’administration imaginé
pour l’Amérique. Ce bill qui imposait un gouvernement absolu à cette
province, acheva de persuader les anciennes colonies des arrière-pensées
de l’Angleterre contre leurs libertés, à en juger d’après sa politique rétro-
grade depuis 1690. C’était à leurs yeux l’exemple le plus dangereux et le
plus menaçant. Elles se récrièrent, et protestèrent surtout contre la recon-
naissance du catholicisme comme religion établie en Canada, plus
probablement par politique, connaissant les vieux préjugés de l’Angleterre
contre cette religion, que par motif de conscience, puisqu’elles admirent
peu après les catholiques au droit de citoyenneté dans leur évolution.
L’on connaît tous les plans qui ont successivement été proposés depuis
1763 pour gouverner le Canada ; les tentatives avortées pour en mettre
quelques-uns à exécution, les investigations et les nombreux rapports
présentés sur cette importante matière par les principaux fonctionnaires
de cette colonie, ainsi que par le Bureau du Commerce et des Plantations
et les officiers de la couronne en Angleterre ; enfin les requêtes des colons
86 Première partie – Regards d’ensemble sur les constitutions
étaient représentés par leurs députés ; il n’y manquait que ceux du Canada
et de la Géorgie pour embrasser toutes les colonies anglaises du continent.
Le congrès commença par faire une déclaration des droits de l’homme.
Il adopta ensuite diverses résolutions, dans lesquelles il exposa avec détail
les griefs des colons, au nombre desquels il plaça l’acte du Canada que
venait de passer le parlement impérial ; acte, disait-on, qui établit dans
ce pays la religion catholique, abolit le système équitable des lois anglaises,
et y érige, vu la différence de religion, de lois et de gouvernement, une
tyrannie au grand danger des libertés des colonies qui l’avoisinent, et qui
ont contribué de leur sang et de leur argent à sa conquête. « Nous ne
pouvons, disait-il insensément, nous empêcher d’être étonné qu’un
parlement britannique ait jamais consenti à établir en Canada une religion
qui a inondé l’Angleterre de sang, et qui a répandu l’impiété, l’hypocrisie,
la persécution, le meurtre et la révolte dans toutes les parties du monde. »
Ce langage n’eut été que fanatique, si ceux qui le tenaient eussent été
sérieux ; il était insensé et puéril dans la bouche d’hommes qui songeaient
déjà à inviter les Canadiens à se joindre à leur cause. Cette déclaration
relative à l’acte de 1774 était donc fort inconsidérée ; elle ne produisit
aucun bien en Angleterre, et fit perdre peut-être le Canada à la cause de
la confédération. Si le congrès s’en fût tenu à une protestation contre ce
qu’il y avait d’inconstitutionnel dans cet acte, contre l’établissement, par
exemple, d’une législature nommée exclusivement par la couronne, il
aurait atteint son but ; mais en se déclarant contre les lois françaises et
contre le catholicisme, il armait nécessairement contre lui la population
canadienne, et violait lui-même ces règles de justice éternelle sur lesquelles
il avait voulu asseoir sa déclaration des droits de l’homme.
Le congrès résolut aussi de cesser toute relation commerciale avec
l’Angleterre. Il procéda ensuite à la rédaction de trois adresses, l’une au
roi, l’autre au peuple de la Grande-Bretagne pour justifier l’attitude qu’il
avait prise, et une troisième aux Canadiens dans laquelle il exprima des
sentiments tout contraires à ceux qu’il venait de mettre au jour dans les
résolutions au sujet de leur religion et de leurs lois. Il cherchait à leur
démontrer tous les avantages d’une constitution libre, à les préjuger contre
la forme du nouveau gouvernement qu’on venait de leur donner, en
disant qu’il y avait une grande différence entre la constitution que le
parlement leur avait imposée et celle qu’ils devaient avoir. Il invoqua le
témoignage de Montesquieu, homme de leur race, pour condamner cette
nouvelle situation, les exhortant à se joindre aux autres colonies pour la
défense de leurs droits communs, et les priant avec insistance d’entrer
dans le pacte social formé sur les grands principes d’une égale liberté, et
88 Première partie – Regards d’ensemble sur les constitutions
d’envoyer des délégués pour les représenter au congrès qui devait s’as-
sembler le 10 mai (1775).
Saisissez, disait-il, l’occasion que la Providence elle-même vous présente ;
si vous agissez de façon à vous conserver la liberté, vous serez effectivement
libres. Nous connaissons trop la générosité des sentiments qui distinguent
votre nation pour présumer que la différence de religion puisse préjudicier
à votre amitié pour nous. Vous n’ignorez pas qu’il est de la nature de la
liberté d’élever au-dessus de toute faiblesse ceux que son amour unit pour
la même cause. Les cantons suisses fournissent une preuve mémorable de
cette vérité ; ils sont composés de catholiques et de protestants, cependant
ils jouissent d’une paix parfaite, et par cette concorde qui constitue et
maintient leur liberté, ils sont en état de défier et même de détruire tout
tyran qui tenterait de la leur ravir.
[...]
Cependant tous ces débats finirent par fixer sérieusement l’attention
de l’Angleterre ; et en 1788 ou 1789, au début du grand mouvement qui
se préparait en France et ailleurs, les pétitions des partisans du gouver-
nement représentatif furent évoquées, par le parlement impérial, des
bureaux où elles dormaient depuis quatre ans, pour devenir le sujet de
ses délibérations, par suite des nouvelles requêtes qui venaient de lui être
présentées. Une grande agitation régnait toujours dans le pays relative-
ment à l’espèce de gouvernement qui devait le régir, quoique suivant leur
usage, les journaux gardassent un silence presque absolu sur cette matière
comme sur tout ce qui avait rapport à la politique.
Appréhendant probablement de la requête des marchands de Londres
de 1786, quelque décision défavorable à leurs vues et à leurs intérêts, les
Canadiens de Québec et de Montréal opposés à l’établissement d’une
chambre d’assemblée, mirent sur pied de nouvelles suppliques à lord
Dorchester, pour demander la conservation des lois françaises et le main-
tien de la constitution existante. Ils en présentèrent d’autres l’année
suivante dans lesquelles ils se prononçaient encore avec plus de force
contre l’introduction des lois anglaises et d’une chambre élective. « Nos
demandes se réduisent, disaient-ils, à conserver nos lois municipales ;
mais qu’elles soient strictement observées ; qu’il y ait dans le conseil
législatif de notre province un nombre proportionné de loyaux sujets
canadiens. » En effet, dans les pétitions de 1784, ils se plaignaient déjà
qu’ils ne jouissaient de leurs lois qu’imparfaitement ; parce que le conseil,
composé aux deux tiers d’Anglais, qui y avaient conséquemment la
prépondérance, les changeait au gré des désirs ou des intérêts de la majo-
rité.
François-Xavier Garneau – Histoire du Canada depuis sa découverte 89
pourra faire cette division de manière à donner à chaque peuple une grande
majorité dans la partie qui lui sera particulièrement appropriée, parce qu’il
n’est pas possible de tirer une ligne de séparation complète. Les inconvé-
nients que l’on pourrait craindre de la circonstance que des anciens
Canadiens seraient compris dans une divison, et des émigrés britanniques
dans l’autre, trouveront leur remède dans la législature locale qui va être
établie dans chacune d’elles.
C’est pour cela que je proposerai d’abord, à l’instar de la constitution de la
mère-patrie, un conseil et une chambre d’assemblée ; l’assemblée constituée
de la manière ordinaire, et le conseil composé de membres nommés à vie
par la couronne, qui aura aussi le privilège d’attacher à certains honneurs
le droit héréditaire d’y siéger. Toutes les lois et ordonnances actuelles
demeureront en vigueur jusqu’à ce qu’elles soient changées par la nouvelle
législature. Le pays conservera conséquemment des lois anglaises tout ce
qu’il en a à présent ou ce qu’il en voudra garder, et il aura les moyens d’en
introduire d’autres s’il le juge convenable. L’acte d’habeas corpus a déjà été
introduit par une ordonnance de la province ; et cet acte, qui consacre un
droit précieux, va être conservé comme partie fondamentale de la consti-
tution. Voilà quels en sont les points les plus importants ; mais il y en a
d’autres sur lesquels je veux appeler aussi l’attention de la chambre. Il doit
être pourvu au soutien du clergé protestant dans les deux divisions, en le
dotant en terres proportionnellement à celles qui ont déjà été concédées ;
et comme dans l’une des divisions, la majorité des habitants est catholique,
il sera déclaré que la couronne ne pourra sanctionner aucune loi des deux
chambres canadiennes, octroyant des terres pour l’usage des cultes, sans
qu’elle ait été préalablement soumise au parlement impérial. La question
des tenures qui a été un sujet de débats, sera réglée dans le Bas-Canada par
la législature locale ; dans le Haut, où les habitants sont pour la plupart
sortis de la Grande-Bretagne ou de ses anciennes colonies, la tenure sera
franche. Et afin de prévenir le retour de difficultés comme celles qui ont
amené la séparation des États-Unis de l’Angleterre, il sera statué que le
parlement britannique n’imposera aucune autre taxe que celle qui résultera
du réglement du commerce ; et pour empêcher l’abus de ce pouvoir, les
taxes qui seront ainsi imposées, demeureront à la disposition de la législature
de chaque division.
Telles sont les simples, mais mémorables paroles par lesquelles le
premier ministre de la Grande-Bretagne annonça aux Canadiens, au nom
de son pays, que leur nationalité, conformément au droit des gens, serait
respectée ; et que pour plus de sûreté le Canada serait divisé en deux
portions, afin qu’ils pussent jouir sans trouble de leurs lois et de leurs
institutions dans celle qu’ils occupaient. Comment la loi britannique,
engagée d’une manière aussi solennelle, a été gardée par le gouvernement
impérial, c’est ce que la suite des événements fera voir.
François-Xavier Garneau – Histoire du Canada depuis sa découverte 91
[...]
Le roi qui de tous les Anglais était celui qui montrait le plus de
sympathie pour les Canadiens, crut devoir remercier les deux chambres
de la passation de cette loi dans son discours de prorogation.
Par elle, le Canada se trouvait à son quatrième gouvernement depuis
31 ans. Loi martiale de 1760 à 1763 ; gouvernement militaire de 1763
à 1774 ; gouvernement civil absolu de 1774 à 1791 ; et enfin gouverne-
ment tiers-parti électif à commencer en 1792. Sous les trois premiers
régimes, malgré les ordres contraires, le pays n’eut d’autres lois que celles
du caprice des tribunaux, qui tombèrent dans le dernier mépris ; et le
peuple ne fit que changer de tyrannie. Quant au dernier, l’on doit attendre
pour le juger, qu’il soit mis en pratique et qu’on en voie les effets ; car
l’expérience seule peut en faire connaître les avantages et les défauts,
d’autant plus que le succès doit dépendre de l’esprit dans lequel chacune
des parties intéressées l’observera, la colonie et la métropole.
Le nouvel acte constitutif portait, après la division du Canada en
deux provinces, et l’indication de la tenure et des lois qui devaient subsister
dans chacune d’elles, que tous les fonctionnaires publics resteraient à la
nomination du roi en commençant par le gouverneur, et demeureraient
amovibles à sa volonté ; que le libre exercice de la religion catholique
serait garanti ainsi que la conservation des dîmes et droits accoutumés
au clergéè que les protestants devenaient passibles de la même dîme pour
leurs ministres ; que le roi aurait la faculté d’affecter au soutien de l’église
anglicane le septième des terres incultes de la couronne, et de nommer
aux cures et bénéfices de cette église dont il est le chef ; que le droit de
tester de tous ses biens était conféré d’une manière absolue ; que le code
criminel anglais était maintenu comme loi fondamentale ; que dans
chaque province seraient institués un conseil législatif à vie à la nomina-
tion du roi, composé de quinze membres au moins dans le Bas-Canada,
et de sept dans le Haut ; et une chambre d’assemblée de cinquante
membres au moins dans le Bas-Canada, et de seize dans le Haut, élus
par les propriétaires d’immeubles de la valeur annuelle de deux lois ster-
ling dans les collèges ruraux, et de cinq louis dans les villes, et par les
locataires de ces mêmes villes payant un loyer annuel de dix louis ; que
la confection des lois était déférée à ces deux corps et au roi ou son
représentant, formant la troisième branche de la législature, et ayant droit
de véto sur les actes des deux chambres ; que la durée des parlements ne
devait pas excéder quatre ans ; et que la législature devait être convoquée
au moins une fois tous les ans, et enfin que toute question serait décidée
à la majorité absolue des voix.
92 Première partie – Regards d’ensemble sur les constitutions
Un conseil exécutif, nommé par le roi, fut aussi institué pour aviser
le gouverneur et remplir les attributions de cour d’appel en matières
civiles.
Tel fut l’acte constitutionnel. Malgré ses nombreuses imperfections
dont quelques-unes étaient fondamentales, il donnait un gouvernement
dans lequel le peuple était appelé à jouer un rôle, et au moyen duquel il
pouvait faire connaître tous ses griefs, si on ne lui donnait pas le pouvoir
d’obliger absolument l’exécutif à les redresser. Cette nouvelle charte entra
en vigueur le 26 décembre 1791, et dans le mois suivant le Bas-Canada
fut divisé en 6 collèges électoraux urbains, et en 21 comtés ou collèges
électoraux ruraux, élisant chacun deux membres, excepté trois qui
n’eurent le droit que d’en élire un chacun ; et l’on donna à la plupart de
ces collèges, par une affectation ridicule et peu conforme à l’esprit de la
nouvelle constitution, des noms anglais que les habitants ne pouvaient
prononcer.
Le Haut-Canada se trouvant de cette époque séparé du Bas, nous
n’en suivrons point l’histoire, l’objet du présent ouvrage étant de retracer
celle du peuple canadien-français, dont les annales s’étendent ou se
reployent, selon que la politique des métropoles étende ou rétrécisse les
bornes de son territoire.
Au temps de l’introduction du gouvernement constitutionnel, la
population des deux Canadas pouvait être d’environ 135 000 âmes, dont
plus de 10 000 dans le Haut ; et sur ce chiffre la population anglo-cana-
dienne entrait pour 15 000 à peu près, et il y avait 1 million, 569 mille
818 arpents de terre en culture. En 1765, la population était d’environ
69 000 âmes, outre un peu plus de 7 000 Sauvages, et il y avait 955 754
arpents de terre exploitable, divisés en 110 paroisses sans compter celles
des villes. La population franco-canadienne s’était doublée par 30 ans
depuis 1679. Elle était à cette dernière époque de 9 400 âmes, en 1720
de 24 400, en 1734 de 37 200 ; il n’y a qu’entre cette dernière année et
1765 que la population ne se redouble pas en conséquence des pertes
faites dans les guerres qui remplirent la plus grande partie de cette période
et de l’émigration en France ; elle n’était que de 60 000 âmes en 1759.
Depuis 1763 elle a repris une marche progressive rapide. Le recensement
officiel de 1844, la porte déjà à 524 000 ; d’où l’on peut conclure qu’elle
sera en 1900 de plus de 2 millions, ou égale à celle de la Hollande
aujourd’hui. L’émigration dans les derniers temps de la domination
française, ne faisait que remplir le vide que laissaient les Canadiens qui
s’en allaient dans les contrées de l’ouest et dans la Louisiane, ou qui
périssaient à la guerre et dans les voyages.
François-Xavier Garneau – Histoire du Canada depuis sa découverte 93
Tome quatrième5
Livre treizième
5. François-Xavier Garneau, Histoire du Canada depuis sa découverte jusqu’à nos jours. Tome
quatrième. Québec. Imprimé par John Lovell, 1852.
6. A short view of the present state of the Eastern townships &c. by the Honble. and Revd. Chs.
Stewart A.M. minister of St. Armand Lower Canada and Champlain to the Lord Bishop of
Quebec, 1815.
98 Première partie – Regards d’ensemble sur les constitutions
Vue d’ensemble
1. Chanoine Lionel Groulx, Histoire du Canada français depuis la découverte, 4e édition. Tome
II. Le Régime britannique au Canada. Montréal et Paris, Fides.
101
102 Première partie – Regards d’ensemble sur les constitutions
2. Nous écrivons Régime britannique et non Régime anglais. Peut-être serait-il opportun de
parler proprement, en histoire autant qu’en d’autres domaines. Le terme Régime anglais nous
paraît une incorrecte désignation de trop de manuels et même de trop d’historiens. Le traité
de Paris n’a pas fait du Canada, une province strictement anglaise, mais l’a fait entrer dans
cet ensemble de pays ou de possessions de races et de cultures diverses qui ont formé l’empire
britannique et qui seront régis par des constitutions et législations plus britanniques qu’an-
glaises. En outre, politiquement, le Canada n’a pas été soumis, de 1760 à 1931, à un régime
proprement anglais. Pas, en tout cas, à partir de 1848, alors que devenue colonie autonome
(self governing colony), son régime politique est plutôt un régime canadien. Pour cette seule
raison, l’expression « Régime anglais » ne saurait convenir à toute la période qui a précédé
l’époque de l’indépendance.
Chanoine Lionel Groulx – Histoire du Canada français depuis la découverte 105
énorme entre l’homme et sa tâche ; tâche d’un peuple forcé de bâtir seul
ou presque seul son pays et sa vie, chargé d’un empire dont le poids
l’écrase. D’où une histoire d’une tension extrême. Après 1760, même
paysage historique, mêmes constantes, même obligation de penser et de
vivre périlleusement. Disproportion aussi considérable entre l’œuvre et
l’homme. Bâtir sa vie, dans un isolement encore plus absolu, sur un
continent d’où la France est expulsée ; dans une Amérique anglo-saxonne,
maintenir un îlot de latinité ; survivre catholique et français dans un
empire britannique devenu la première puissance matérielle et protestante
du monde.
Destin de grands labeurs et de grands risques, mais qui rend à un
peuple ce qu’il coûte.
***
Cette portion d’histoire, ai-je besoin d’en donner l’assurance, j’espère
l’écrire la première, en toute objectivité, dans la mesure du moins où
l’historien de bonne volonté y peut prétendre. Je n’entends ni atténuer
ni aggraver le conflit inévitable entre le conquérant et le conquis, entre
deux cultures et deux civilisations. Déclaration qui n’est pas vaine dans
un temps où l’on s’efforce d’embrigader l’histoire pour des propagandes
étrangères à son objet et à sa discipline.
L’histoire peut servir à l’union nationale ; il ne lui appartient pas d’y
travailler. Elle se situe en dehors de ces préoccupations et plus haut. Une
paix solide et durable entre nations ne saurait se fonder, du reste, sur le
mensonge historique. Deux races appelées à cohabiter le même pays ont
besoin de savoir ce qui s’est passé entre elles, ne serait-ce que pour se
mieux connaître et apprendre ce qu’elles ont à se pardonner l’une à l’autre.
[...]
Proclamation de 1763
L’Acte de Québec
l’empire d’une colonie française de quelque 100 000 âmes lui posait tout
à coup l’un de ses problèmes les plus épineux. Voici dix ans que les
vigoureuses résistances de cette colonie à l’assimilation font travailler les
juristes anglais. La métropole anglaise avait cru établir, en ses possessions
américaines, des Florides au Labrador, un juridisme uniforme. En ce
juridisme, faudrait-il donc pratiquer des brèches coûteuses, affranchir
une simple colonie des lois impériales ? Dans le domaine religieux,
allait-on accorder à des coloniaux, hier encore étrangers à la famille
britannique, une tolérance qui impliquerait, dans un coin de l’empire,
la reconnaissance officielle du catholicisme et, par le fait même, l’octroi
à ces nouveaux venus de droits et privilèges d’ordre public, encore refusés
aux sujets papistes du royaume ? Pour tout dire, l’empire britannique
cesserait-il d’être un système clos, fondé, avait-on espéré, sur l’homogé-
néité rigoureuse de la race, de la loi, de la foi ? Ou faudrait-il le laisser
devenir une entité composite de nations reliées ensemble par les seuls
liens de l’intérêt économique et de l’allégeance à la même couronne ?
Triple réforme ou révision qui bouleverse les idées régnantes en Angleterre
et ne peut manquer de soulever à la fois l’orgueil juridique anglais et le
sentiment protestant, et non seulement en Grande-Bretagne, mais dans
les colonies continentales du sud et au Canada. Ici la minorité britannique
n’a pas désarmé, depuis 1764, sur la question des lois, pas plus que sur
la question religieuse et politique. Dans les treize colonies, la prochaine
Déclaration d’indépendance reprochera au roi de la Grande-Bretagne
d’avoir « aboli dans une province voisine, le système libéral des lois
anglaises » ; le Congrès de Philadelphie demandera l’abrogation d’un Acte
qui, pour avoir établi « la religion catholique romaine », au Canada, vient
d’ériger « une tyrannie grandement dangereuse pour les colonies britan-
niques voisines ». Voici néanmoins que le parlement anglais passe outre
à ces scrupules et à ces objections. Voté en seconde lecture aux Communes,
par 105 voix contre 29, l’Acte de Québec, en dépit des protestations de la
masse londonienne et de son Conseil de ville, reçoit le 22 juin 1774 la
sanction royale.
Étonnante législation, justement désignée par un historien comme
l’« un des grands textes historiques de l’empire britannique moderne ».
Qu’y relève en effet une analyse sommaire ? En premier lieu, et les
Canadiens, dans leur clairvoyance, avaient réclamé la chose dès 1767,
une reconstitution partielle de l’ancienne Amérique française : le Labrador,
le triangle Ohio-Mississipi, les Pays d’en haut, un large environnement
autour des grands Lacs, tous ces territoires réintégrés dans la province de
Québec ; la « réserve » indienne elle-même récupérée, comme s’il eût fallu
la ressaisir avant une invasion possible des colonies insurgées, ou dresser,
114 Première partie – Regards d’ensemble sur les constitutions
Analyse de l’Acte
[...]
Pour l’avenir national du Canada français, quelle haute signification
ne pas encore attacher à l’Acte de Québec ? Il n’a pas fondé le nationalisme
canadien-français, selon la prétention de M. Duncan McArthur. Ne lui
aurait-il pas donné sa base juridique ? Jusqu’ici le fait français au Canada
ne pouvait se prévaloir que des capitulations, reconnaissance qui dépas-
sait à peine les vagues garanties du droit naturel. L’Acte de Québec est
Chanoine Lionel Groulx – Histoire du Canada français depuis la découverte 115
[...]
Une nouvelle étape est franchie vers l’émancipation. Nous dirons
plus loin ce qu’il fallait penser des institutions de 1791. Arrêtons-nous
aux gains au moins apparents et qu’il est permis de croire considérables.
Théoriquement la valeur politique du régime parlementaire peut prêter
à la discussion. Il s’introduisait au Canada, à une heure où, sous la poussée
de la révolution française, presque toutes les nations modernes cédaient
à cette forme d’anglomanie, et l’on sait avec quel profit douteux pour les
nations latines. Sujets britanniques, les Canadiens avaient-ils le choix
d’atteindre, par d’autres chemins, à leur émancipation ? Le nouveau
régime pourra mentir à beaucoup de ses principes. À la petite chambre
close et si peu représentative où s’étaient débattus jusque-là les intérêts
nationaux, 1791 n’allait pas moins substituer un parlement plus ouvert
où pourrait se faire entendre la voix populaire.
N’était-ce pas un autre gain que la division de la province ? Quelques
Canadiens, on le sait, ont vu cette division d’un mauvais œil ; les réfor-
mistes britanniques sont allés clamer leur opposition jusqu’à la barre des
Communes. À Londres on avait peut-être mieux travaillé qu’on ne
pensait. La division de la province en Haut et Bas-Canada assignait à ce
dernier le domaine entier des anciennes seigneuries. Qu’était-ce sinon
octroyer officiellement à ce territoire qui allait devenir le Québec, l’in-
dividualité géographique et politique et, du même coup, sanctionner le
droit de la population canadienne-française à un foyer national, à l’élé-
ment terrestre qui achève de constituer la patrie ? Ne peut-on même
soutenir que l’Acte de 1791 conférait à la petite nationalité, quelque
chose de la personnalité juridique de l’État ? À l’évidente signification de
la division de la province, se joignaient les raisons qu’en avait données
le parlement impérial.
Le premier grand objet en vue, a prononcé le second Pitt, lors de la présen-
tation du projet de loi, est de diviser la province en deux sections [...] Cette
division, nous l’espérons, pourra être faite de manière à donner à chacun
de ces éléments [colons anglais et américains et canadiens], une grande
majorité dans sa section [...] Dans le Bas-Canada, comme les résidents sont
principalement des Canadiens, leur assemblée [...] sera adaptée à leurs
coutumes et à leur particularisme.
Au cours du débat, Grenville, Burke ont parlé dans le même sens.
Pour le Canada français, l’Acte constitutionnel de 1791 n’était-il pas
une ratification et une suite logique de l’Acte de Québec ?
[...]
Chanoine Lionel Groulx – Histoire du Canada français depuis la découverte 121
[...]
Chanoine Lionel Groulx – Histoire du Canada français depuis la découverte 123
l’une qui n’aimerait guère s’emprisonner dans les textes trop précis des
constitutions, qui préfère se prêter à la loi de l’intérêt, de l’expérience,
au passager, à l’évolutif ; l’autre qui croit au droit écrit, aux formules
abstraites du romanisme et du cartésianisme, forme de la raison française
et de son impérieux besoin de logique, qui n’admet de principes que pour
en tirer hâtivement les dernières conséquences, véritable virus au sein de
l’empirisme britannique, capable de le faire exploser. Au principe de tout
néanmoins, et par-delà ces divergences qu’on peut croire secondaires, ne
serions-nous pas en présence d’un problème qui, pour l’un au moins des
antagonistes, serait tout simplement un problème de vie ? Problème de
gouvernement, si l’on veut davantage préciser, mais qui poserait la ques-
tion d’être ou de ne pas être ? Et voilà qui nous amène à la souveraine
équivoque déjà relevée. Colonies et métropole se seraient-elles méprises
sur le sens ou la portée du régime inauguté en 1791 ? Quelle sorte ou
quelle somme de libertés politiques l’Angleterre a-t-elle alors consentie
à ses provinces de l’Amérique du Nord ? Le régime parlementaire appor-
tait-il les prérogatives du self government ? Les chartes coloniales sont-elles
oui ou non une copie fidèle de la constitution-mère ? Là peut-être gît le
nœud de la question.
Indéniablement, dans le Bas et dans le Haut-Canada, l’on a cru à la
« copie fidèle ». Élu à la présidence de l’Assemblée législative de Québec,
J.-A. Panet se hâte de réclamer pour la Chambre « la liberté de parole et
en général les immunités et libertés dont jouissent les Communes de
Grande-Bretagne, note mère-patrie ». Dans la bataille constitutionnelle
qui va s’engager, toute la stratégie de la Chambre s’inspire de la même
illusion ou persuasion. En 1834, dans la 79e des 92 Résolutions, pour
bien marquer qu’elle n’a jamais fléchi dans son interprétation de la Charte
de 1791, elle proclame « Que cette Chambre, comme représentant le
Peuple de cette province, possède le droit, et a exercé de fait dans cette
Province, quand l’occasion l’a requis, les pouvoirs, privilèges et immunités
réclamés et possédés par la Chambre des Communes du Parlement dans
le Royaume-Uni de la Grande-Bretagne et d’Irlande. » Deux ans plus
tard, à propos d’instructions de Londres, irrégulièrement communiquées
à l’Assemblée législative de Québec, Papineau osera dire : « Le Roi, dans
les communications qu’il nous adresse à nous [...] qui de droit et de fait,
ainsi que toutes les autres assemblées, possédons, dans les limites de la
colonie, les mêmes privilèges qu’ont réclamés et exercés en Angleterre les
Communes, doit observer les mêmes formes et la même déférence à notre
égard qu’à l’égard des Communes de son Royaume. » Même façon de
penser dans le Haut-Canada. En 1818, un comité de la Chambre, puis
toute la Chambre elle-même, dans une « adresse » au prince régent, font
Chanoine Lionel Groulx – Histoire du Canada français depuis la découverte 127
tion « qui a pour effet d’imposer un fardeau sur le peuple ». Elle y revient
en 1795, puis encore en 1798, cette fois à l’occasion d’un amendement
du Conseil législatif en matière de subsides, et pour déclarer, sur le ton
solennel, qu’elle ne « se départira jamais » du droit indiscutable des
Communes à cet égard. La Chambre du Haut-Canada y va de la même
fermeté. En 1806, à propos des deniers publics appropriés sans son vote,
on l’entend protester contre ce qu’elle appelle une violation du « premier »
et du « plus constitutionnel des privilèges des Communes ». En 1818, la
même Chambre livre une véritable bataille contre le prétendu droit
d’amendement du Conseil législatif, et pour y dénoncer « une violation
grave de ses privilèges ».
[...]
Maladresses et erreurs empêchent-elles que la solide logique et la
politique de l’avenir ne soient trouvées du côté des Chambres populaires ?
Quand elles revendiquent l’entière appropriation de tous les revenus,
font-elles autre chose que se conformer aux règles primordiales du bon
sens et de toute saine administration financière ? Dans une dépêche du
29 septembre 1828, Sir George Murray, secrétaire d’État pour les colonies,
le reconnaissait en toute bonne foi : demander à la Chambre de subvenir
à la dépense publique pour quelque partie que ce fût, c’était, disait-il, lui
conférer, à toutes fins pratiques, « un contrôle virtuel sur le tout ». De
même entendrons-nous un jour Papineau s’écrier avec sa rude dialectique
– c’est en 1836 : « Si on ne veut pas nous abandonner tous les revenus,
pourquoi nous demander les subsides ? » Des historiens ont reproché aux
parlementaires du Bas-Canada leur acharnement à conquérir le vote ou
l’appropriation du budget. Que ne se sont-ils attaqués, soutient-on, à la
conquête fondamentale et plus décisive du self government ou de ce que
l’on appelait alors le « gouvernement responsable » ? Cet objectif du self
government, nous verrons que ces parlementaires ne l’ont jamais perdu
de vue. Mais qui ne voit que leur tactique aboutissait à la même fin,
tactique classique au surplus dans l’histoire constitutionnelle des pays
britanniques ? C’est en conquérant le droit de voter l’impôt et d’en
approprier le revenu que les Communes anglaises ont acquis leur prépon-
dérance dans le système politique de leur pays. N’est-ce point, par la
même voie et par le même gain, que les Chambres coloniales des futurs
États-Unis avaient fini par se suborner les gouverneurs envoyés de
Londres ? Qui ne voit aussi que les Chambres coloniales ne pouvaient en
dessaisir de leurs prérogatives sur l’administration financière de leur
province, sans proprement abandonner la réalité du gouvernement aux
irresponsables de ce gouvernement, en d’autres termes, sans se prêter, en
130 Première partie – Regards d’ensemble sur les constitutions
Oui, soyons-le. Mais vous voulez tout avoir, le pouvoir, les places et l’or.
C’est cette injustice que nous ne pouvons souffrir.
[...]
Politique de l’Union
1. W.P.M. Kennedy, The Constitution of Canada. An introduction to its development and law.
Humphrey Milford. Londres et Toronto : Oxford Universiy Press, 1922 (le texte reproduit
ici a été traduit de l’anglais par Audrey Lord).
139
140 Première partie – Regards d’ensemble sur les constitutions
traité » (traduction libre), les efforts déployés pour dénouer les différentes
difficultés n’étaient ni clairs ni précis. Les enjeux des établissements et
des Indiens ont d’abord principalement retenu l’attention, et une procla-
mation a été préparée afin de régler ces questions. Par la suite, des
dispositions ont été introduites dans la proclamation afin de créer et
d’encadrer quatre gouvernements distincts et séparés – du Québec, de la
Floride orientale et occidentale et de la Grenade – mais chacun s’est vu
octroyer un identique système juridique et administratif vague sans que
la moindre attention ne soit accordée aux différences au chapitre du
développement, de la population et de l’expérience politique. La
Proclamation royale du 7 octobre 1763 a conféré au Québec son premier
gouvernement civil sous le régime britannique.
[...]
La Proclamation, en ce qui concerne la nouvelle province de Québec,
décrivait seulement les grandes lignes d’une administration pour les
régions peuplées de la Nouvelle-France. Les frontières étaient telles que
le territoire de l’Ouest, avec ses postes de traite s’étendant jusqu’aux
Prairies et à la vallée du Mississippi, a été laissé sous le contrôle du minis-
tère des Affaires indiennes et hors de la juridiction du gouvernement du
Québec. Le pouvoir exécutif a été mis entre les mains d’un gouverneur
et d’un Conseil. Le gouverneur avait reçu l’instruction, « des que l’état
et les conditions [de la] coloni[e] le permettront », de convoquer une
Assemblée populaire semblable à celle des Treize colonies. Le pouvoir
d’adopter des lois, des décrets et des ordonnances a été conféré au gouver-
neur, au Conseil et à l’Assemblée envisagée. Aucune disposition, toutefois,
n’était prévue en matière de législation à part que « des représentants du
peuple [...] devront être convoqués tel que susmentionné ». Lorsqu’on
considère que l’une des principales raisons d’inclure des clauses d’ordre
administratif dans de tels documents hétéroclites était « d’accroître le plus
possible le nombre de nouveaux colons britanniques et autres protestants »
(traduction libre), la Proclamation était extrêmement floue.
Lorsqu’on soumet la Proclamation à un examen critique, il apparaît
clair que l’intervalle entre ses versions préliminaire et définitive n’avait
pas permis d’acquérir une conception juste de la situation canadienne.
Les documents produits au cours de ces mois ne démontrent ni compré-
hension ni connaissance. Soustraire les terres de l’Ouest de la juridiction
civile de la province n’a fait qu’aliéner les marchands de Montréal et de
Québec, dont les affaires dans le commerce de l’Ouest étaient la prise la
plus solide du Canada sur la prospérité économique. Les conditions ainsi
W.P.M. Kennedy – La Constitution du Canada 141
(traductions libres). Il s’agirait d’un levain pour faire lever toute la pâte.
L’ombre de l’abbé Sieyès devait planer sur Pitt au cours des débats puisqu’il
est rare qu’une Constitution repose sur ces principes. Pitt craignait un
conflit racial, mais il était prêt à se servir des jalousies provinciales afin
de susciter une union. La nature allait à l’encontre de son dessein bien-
veillant. La discorde reposait profondément dans le cœur du Bas-Canada
et ce Bas-Canada ulcéré se tournerait sans grande envie vers le Haut-
Canada pour régler des problèmes constitutionnels. Les Britanniques du
Bas-Canada s’étaient opposés à la division de la province. Ils s’étaient
adressés en des termes clairs, par l’intermédiaire d’Adam Lymburner, à
la Chambre des communes. Ce n’est pas un jugement reposant sur l’ex-
périence qui allait réprouver Pitt. Dorchester avait reçu des informations
à l’effet que les dangers, en Europe, nécessitaient la consolidation de tous
les intérêts disponibles dans l’empire. Grenville a clairement indiqué que
les concessions aux Canadiens français étaient une nécessité d’ordre
international. Ils devaient être rendus sourds à de possibles influences de
la France dans l’éventualité d’une guerre européenne en ayant vu leur
nationalité être reconnue et renforcée au sein d’une province où la supé-
riorité numérique garantirait leur pouvoir prépondérant. Il s’agit là d’un
point de vue. À terme, ayant rempli sa fonction en matière de politique
internationale, ce nationalisme allait se dissoudre et disparaître en fonc-
tion d’un désir convaincu et volontaire d’obtenir, dans son intégralité,
l’ensemble du système administratif d’une race étrangère. Cette confiance
admirable, comme toute conviction admirable, ne peut être attribuée
qu’à l’ignorance – la méconnaissance du Canada, de l’histoire, de la
nationalité. Alors que Burke cédait à une colère frénétique et que Fox
essuyait les larmes d’une amitié brisée, Pitt inaugurait une expérience
constitutionnelle au Canada qui ne pourrait jamais produire les résultats
qu’il escomptait. Les Constitutions ne sont pas surnaturelles. Elles se
développent et réussissent là où elles reflètent l’évolution sociale et où
les tensions, au sein du système politique, sont réduites au minimum.
L’Acte constitutionnel de Pitt était empreint de tensions et, avec le temps,
le Haut-Canada a estimé que la Constitution britannique du dix-huitième
siècle constituait un prétexte pour le radicalisme et le Bas-Canada s’en
est servi pour accroître plutôt que réduire ses tendances séparatistes.
152 Première partie – Regards d’ensemble sur les constitutions
Introduction
1. Adam Shortt et Arthur G. Doughty (dir.). Canada and Its Provinces: A History of the Cana-
dian People and their Institutions. Volume IV. Série de 23 volumes rédigés par 100 collabora-
teurs sous la direction de Adam Shortt et Arthur G. Doughty. Toronto: Glasgow, Brook &
Company, 1914-1917. Nous reprenons ici des extraits de la contribution de Duncan McAr-
thur, « Constitutional history », volume 4. (Ce texte a été traduit de l’anglais par Audrey
Lord)
159
160 Première partie – Regards d’ensemble sur les constitutions
Le Conseil législatif
inhabiles bien que leur nomination n’aurait pas pour effet d’empêcher
leur réélection.
La question de savoir dans quelle mesure une législature coloniale,
et en particulier l’Assemblée du Bas-Canada, pouvait légalement se
prévaloir des privilèges de la Chambre des communes britannique a fait
l’objet d’un renvoi particulier aux conseillers juridiques britanniques en
1815. À la question de savoir si, en vertu de l’Acte constitutionnel, l’As-
semblée du Bas-Canada pouvait revendiquer des privilèges, la réponse
transmise était à l’effet que les membres de l’Assemblée avaient droit « aux
privilèges qui sont relatifs et nécessaires à l’exercice de leurs fonctions de
délibérer et de conseiller et qui respectent les lois assurant la paix, le
bonheur ainsi que le bon gouvernement au sein de la province » (traduc-
tion libre). En outre, ils étaient d’avis qu’une législature coloniale n’avait
pas droit à tous les privilèges appartenant à la Chambre des communes
en vertu du Lex Parliamentaria. Le roi, selon ses statuts, ne pouvait
accorder de tels pouvoirs, « et bien que le Parlement puisse, s’il le juge
opportun, lui conférer ces pouvoirs, à moins qu’il ne l’ait expressément
fait, de tels pouvoirs ne peuvent toutefois lui incomber comme étant
inhérents à sa création et à sa Constitution » (traduction libre). L’octroi
à l’Assemblée du Bas-Canada de l’ensemble des privilèges de la Chambre
des communes impériale, si on suit cette logique jusqu’au bout, aurait
conféré au Conseil législatif des pouvoirs judiciaires qui auraient été
incompatibles avec certaines dispositions de l’Acte constitutionnel. La
souveraineté exercée par le Parlement impérial le distinguait d’une légis-
lature subordonnée et rendait certains de ses privilèges inapplicables à
une législature coloniale. Les conseillers juridiques ont entrepris, à cette
occasion, d’énumérer les privilèges qui découlaient de la Constitution
de l’Assemblée du Bas-Canada et, parmi eux, figuraient la liberté indi-
viduelle, l’immunité d’arrestation dans les causes civiles, le pouvoir
d’engager des procédures d’outrage, la liberté de débattre des sujets des
lois en voie d’être étudiées ou promulguées, le pouvoir d’expulser un
membre reconnu coupable d’un crime et le droit de régir ses propres
procédures conformément à la loi qui l’a constituée.
Tout comme en Grande-Bretagne, des conditions particulières s’ap-
pliquaient à l’étude des projets de loi de finances. Aucune requête
concernant des dépenses de fonds pour la fonction publique ne pouvait
être reçue à moins d’avoir été recommandée par le gouverneur.
Parallèlement, l’Assemblée prétendait qu’elle était la seule à pouvoir verser
les subsides et que les projets de loi concernant les crédits devaient être
initiés par la Chambre basse et ne pas être assujettis à des amendements
176 Première partie – Regards d’ensemble sur les constitutions
1. Alfred Leroy Burt. The Old Province of Quebec. New York: Russell & Russell, 1970. (Le texte
reproduit ici a été traduit de l’anglais par Benjamin Pillet)
183
184 Deuxième partie – Perspectives parallèles sur les différentes constitutions
La tâche qui incomba alors aux Britanniques aurait sans doute été
facilitée si la France avait été un allié traditionnel, c’est-à-dire en réalité
tout le contraire de ce qu’elle était à l’époque pour l’Angleterre. En effet,
la Grande-Bretagne remporta le Canada en plein milieu de ce qui fut
appelé plus tard la Guerre de Cent Ans moderne qui vit la France et
l’Angleterre se livrer bataille de manière récurrente, de la révolution
anglaise à la défaite française de Waterloo. Ainsi, au moment de la cession
du Canada, une autre guerre entre ces deux ennemis traditionnels aurait
pu éclater à n’importe quel instant, avec le risque qu’elle transforme les
Canadiens en une population hostile à la Grande-Bretagne. Il faudra
attendre le début du XIXe siècle pour que cette menace planant sur la
question de savoir comment gouverner le Canada s’estompe.
Une seconde complication apparaît au lendemain de la conquête
lorsqu’une petite mais néanmoins importante minorité anglophone vient
s’installer dans les villes de Québec et Montréal. Comment dès lors
parvenir à forger une constitution répondant aux besoins de toute la
population du Canada pourtant divisée par la race, la langue et la religion
sans aliéner la minorité ou opprimer la majorité ? Cette seconde question
eut un poids encore plus considérable dans l’élaboration d’un gouverne-
ment canadien que le problème mentionné auparavant et elle resta sans
solution viable jusqu’à la création du Dominion du Canada, environ un
siècle plus tard. Une troisième problématique fut à trouver dans la juxta-
position avec les anciennes colonies. En effet, débarrassées de la menace
d’expansion que la France pouvait constituer à leurs yeux, ces dernières
finirent par ne plus voir de raison à leur dépendance envers la métropole.
Cette nouvelle sensibilité allant de pair avec les divergences de caractère
existant entre les colonies américaines et le Canada fit en sorte que le
gouvernement britannique se retrouva dans une situation où faire justice
aux nouvelles colonies ne pouvaient qu’offenser les plus anciennes. Ce
dilemme, qui ne fut pas nécessairement vu comme tel par le gouverne-
ment britannique à l’époque, finira par disparaître dans les turbulences
de l’indépendance américaine. Pour autant, la proximité des anciennes
colonies devenues un État indépendant continuera de constituer une
influence persistante sur les développements constitutionnels du Canada,
et dont les conséquences sont aujourd’hui encore palpables. Enfin, la
menace que représentèrent les violents soulèvements autochtones à l’ouest
de la colonie (décrits dans le dernier chapitre) constitua une quatrième
difficulté dans la recherche d’une solution gouvernementale satisfaisante
aux lendemains de la conquête.
Alfred Leroy Burt – L’ancienne Province de Québec 185
plus tard mentionnant l’accord royal quant aux fins visées, mais non
quant aux moyens utilisés. Cette réponse souligna notamment le danger
que pouvait représenter une terre aussi vaste laissée à l’abandon à l’ouest :
sans gouvernement, elle risquerait d’attirer les fugitifs, elle attiserait
l’appétit de pouvoirs étrangers et elle risquerait de voir se développer un
certain nombre de conflits fonciers avant longtemps, Egremont proposant
que ces territoires soient intégrés sous le nouveau gouvernement du
Québec pour y remédier. Face à cette suggestion, le Bureau souleva trois
objections à l’occasion d’un rapport en date du 5 août : inclure ces terri-
toires dans la province de Québec affirmerait implicitement une origine
française quant au droit d’occupation de ces terres, ce qui serait suscep-
tible d’avoir des conséquences indésirables, en particulier vis-à-vis des
Indiens ; cela donnerait également au Québec un avantage commercial
sur les autres colonies ; enfin, cette proposition doterait le gouverneur du
Québec d’un pouvoir militaire par trop imposant puisqu’une garnison
importante serait nécessaire pour gérer une telle région, les troupes devant
être placées sous l’autorité du gouverneur lui-même. Le rapport ajouta
que les objections royales à la nouvelle frontière pourraient être traduites
en mandatant le commandant en chef pour administrer le territoire
jusqu’à nouvel ordre. Ces arguments furent finalement acceptés et la
frontière occidentale entérinée.
Il est à noter qu’il ne fut jamais question, tout au long de ces discus-
sions, de fermer entièrement le territoire à l’ouest de la frontière
occidentale aux Blancs. La Proclamation se contenta d’interdire l’achat
ou l’occupation de ces terres par des particuliers, tout en ordonnant que
ceux s’y étant établis « en connaissance de cause ou par inadvertance »
quittent immédiatement leurs établissements. De toute évidence, cet
ordre ne fut pas dirigé à l’encontre des Canadiens s’étant déjà installés
dans l’Ouest et ne fut de toute manière pas entendu comme tel. En
revanche, il fut destiné aux individus qui s’étaient mis à tailler leur route
au travers des forêts occidentales, à savoir les pionniers des anciennes
colonies. Pour autant, malgré l’exclusion de ces fermiers des territoires
mentionnés du fait qu’ils mettaient en danger les moyens de subsistance
des Indiens, les commerçants furent encouragés à y pénétrer puisqu’ils
permettaient de faire se rencontrer les intérêts conjoints des autochtones,
des colons et de la métropole. Ainsi, tout commerçant était autorisé dans
l’intérieur des terres dans la mesure où il aurait pu se procurer une licence
adéquate et prouvé qu’il observerait les régulations imposées. De plus,
ces licences devaient être accordées « sans frais » par le commandant en
chef ou un gouverneur. Afin d’éviter que cette nouvelle liberté ne créât
Alfred Leroy Burt – L’ancienne Province de Québec 189
neur pouvait également agir de sa propre autorité s’il jugeait les raisons
« impropres à être communiquées au conseil », ce qui lui imposait dans
ce cas d’établir un rapport immédiat au Bureau.
Une autre courte disposition insérée dans un passage traitant du
pouvoir de législation du gouverneur, du conseil et de l’assemblée fut
plus importante encore dans la façon dont elle fut utilisée. Jusqu’à ce
qu’une assemblée soit convocable, le gouverneur avait pour tâche « d’éta-
blir tout règlement jugé nécessaire, avec l’avis de Notre Conseil, à la paix,
l’ordre et le bon gouvernement de la dite province, en prenant soin que
rien ne soit décidé ou fait qui puisse en aucune façon porter préjudice à
la vie, à l’intégrité ou à la liberté de Nos sujets, ou à l’imposition de
nouveaux droits ou taxes ». De tels règlements devaient par la suite être
envoyés à Londres afin qu’ils soient approuvés ou abrogés.
Par ailleurs, il sembla évident que le Conseil remplisse le rôle d’organe
exécutif sachant que les instructions mentionnèrent explicitement l’obli-
gation de son consentement pour des choses telles que l’octroi de terres
ou l’établissement de budgets (publics dans les deux cas). Il remplit
également une fonction judiciaire en devenant la cour d’appel ultime de
la colonie, bien que ce dernier point ne fut mentionné qu’implicitement
à l’occasion d’un passage des directives instruisant le gouverneur de
s’inspirer du précédent de la Nouvelle-Écosse.
La garantie de tolérance religieuse incluse dans le traité fut partie
intégrante des directives, le gouverneur étant enjoint à la faire respecter
selon certaines conditions. Cette liberté devait en effet faire l’objet d’une
attention toute particulière ; Egremont avait précédemment avertit
Murray, lors d’un échange épistolaire le prévenant de sa nomination en
tant que gouverneur, du danger de laisser s’établir des liens entre le clergé
canadien et l’Eglise gallicane, en mentionnant notamment que les lois
britanniques interdisait « tout type de hiérarchie romaine dans l’ensemble
des territoires appartenant à la Couronne ». Les directives interdirent de
plus la présence de « toute juridiction ecclésiastique du Saint-Siège, ou
de n’importe quelle autre juridiction ecclésiastique étrangère », tout en
requérant un rapport complet sur la composition, les demandes ainsi
que les possessions de l’Eglise canadienne. Le passage suivant cette inter-
diction comportait clairement une dimension inquiétante : « afin que
l’Eglise anglicane soit établie aussi bien en principes qu’en faits, et que
les habitants considérés deviennent graduellement acquis à la religion
protestante, et que leurs enfants soient éduqués selon ses principes », des
terres devaient être réservées aux pasteurs et aux instituteurs protestants,
192 Deuxième partie – Perspectives parallèles sur les différentes constitutions
1. Michel Brunet, Les Canadiens et les débuts de la domination britannique. 1760-1791. Ottawa :
Société historique du Canada. 1966.
195
196 Deuxième partie – Perspectives parallèles sur les différentes constitutions
[...]
La sage conduite des autorités britanniques contribua grandement
à concilier les Canadiens avec le nouveau régime. Amherst, Murray, Gage,
Burton et Haldimand se révélèrent de prudents administrateurs. Ils eurent
soin de rassurer la population. Celle-ci s’attendait au pire. La propagande
officielle ne lui avait-elle pas répété que si les Anglais étaient vainqueurs,
ils abuseraient de leur victoire ? Au contraire, les différentes mesures prises
par les gouverneurs militaires facilitèrent un retour rapide à une vie
normale. Les capitaines de milice continuèrent à exercer leurs anciennes
fonctions, les tribunaux établis par le conquérant s’efforcèrent de rendre
justice selon les lois et les règlements en vigueur dans la colonie, le clergé
eut la liberté de veiller aux besoins spirituels des fidèles, les échanges
commerciaux reprirent normalement. Chaque habitant de la colonie
n’avait qu’un but : profiter de la paix retrouvée pour réparer les dégâts
causés par la guerre.
Le conflit avait été long et laissait derrière lui beaucoup de ruines.
Une grande lassitude régnait parmi les classes dirigeantes et chez le peuple.
La mort de l’évêque plaçait le clergé dans une situation particulièrement
délicate. L’administration Bigot avait rendu odieuses les dernières années
du régime français. La banqueroute du gouvernement de Louis XV, qui
ne remboursa qu’en partie la monnaie de papier et les lettres de change
tirées sur le trésor public, augmenta le désarroi et les rancœurs de la
population. Les conquérants avaient devant eux un peuple durement
éprouvé et prostré, prêt à se soumettre. Toutes ces circonstances et tous
ces facteurs rendirent facile l’établissement de la domination britannique.
de ralliement et un lien entre les classes dirigeantes de tous les pays occi-
dentaux. Elles communiaient en quelque sorte à une même idéologie ou
mythologie. L’historien doit tenir compte de ce fait lorsqu’il observe le
comportement et les réactions du clergé et des principaux porte-parole
des Canadiens au lendemain de la Conquête.
Un esprit de franche collaboration avec les conquérants se manifesta
parmi l’élite de la société canadienne. Plusieurs jeunes filles, appartenant
aux familles de la classe dirigeante, n’avaient-elles pas épousé, immédia-
tement après les capitulations de Québec et de Montréal, des officiers de
l’armée victorieuse ? Quelques personnes s’en scandalisèrent mais elles
ne représentaient que l’opinion d’une minorité. Le chanoine Briand,
grand vicaire du district de Québec, n’avait-il pas ordonné de prier pour
George III au canon de la messe alors que les négociations de paix n’étaient
pas encore conclues ? À ceux que sa décision avait étonnés, il répondit
que les Anglais « sont nos maîtres ; et nous leur devons ce que nous devions
aux Français lorsqu’ils l’étaient ». Le traité de Paris ne pouvait que raffermir
chez les dirigeants de la société canadienne leur volonté de collaborer
avec les autorités britanniques. D’ailleurs, ils n’avaient pas la liberté de
se soustraire à cette nécessité dès qu’ils acceptaient de demeurer dans la
colonie.
La solution paternaliste
masse des Canadiens qui avaient refusé de suivre leur appel et de se laisser
conscrire pour défendre la province.
Les marchands britanniques avaient de nombreuses raisons de se
plaindre. Conscients du rôle primordial qu’ils jouaient dans le dévelop-
pement économique de la vallée du Saint-Laurent, ils désiraient étendre
leur pouvoir politique. Ils considéraient comme arbitraire l’autorité
presque illimitée que l’Acte de Québec avait confiée au gouverneur, au
Conseil et aux fonctionnaires. Face à ce gouvernement colonial qui
échappait à leur influence, ils se sentaient frustrés. Leur indignation
atteignit un nouveau sommet lorsqu’ils apprirent que Carleton avait tenu
secrètes ses instructions qui lui ordonnaient d’introduire les lois commer-
ciales anglaises, le procès avec jury dans certaines causes civiles et le
privilège de l’Habeas Corpus.
Dès les premières années de la décennie de 1780, les chefs de la
minorité anglaise jugèrent que le moment était venu d’élever la voix. Le
silence prudent qu’ils avaient en général observé pendant le conflit n’avait
plus sa raison d’être. Leur nombre avait augmenté et ils comptaient sur
l’appui de quelques amis et protecteurs puissants à Londres. Les difficultés
économiques et financières que quelques-uns d’entre eux éprouvaient
après la prospérité facile des années de guerre et le traité de Versailles qui
limitait l’expansion de leur commerce vers l’intérieur du continent les
avaient rendus plus agressifs. La présence des Loyalistes, qu’ils cherchèrent
tout naturellement à prendre sous leur protection, renforçait leur position.
En somme, la minorité anglo-protestante entendait elle aussi faire le bilan
de la domination britannique. La tempête éclata pour de bon en 1783.
Dans une pétition du 30 septembre, ses principaux porte-parole récla-
mèrent le rappel immédiat de l’Acte de Québec et l’adoption d’une
constitution qui ferait enfin du Canada une véritable colonie britannique.
[...]
[...]
Le gouvernement impérial, qui avait longtemps tergiversé, en arriva
à la conclusion qu’il fallait amender la constitution de la Province de
Québec. Après avoir essayé de se renseigner tant bien que mal – plutôt
mal que bien – sur la situation par la lecture des dépêches, des mémoires
et des rapports qu’ils avaient reçus, subissant les pressions les plus contra-
dictoires, les ministres proposèrent l’adoption de l’Acte constitutionnel.
Celui-ci ne révoquait pas l’Acte de Québec. Il prévoyait tout simplement
que la colonie aurait à l’avenir une assemblée élective qui exercerait, en
collaboration avec un Conseil dont les membres seraient nommés par le
roi, le pouvoir législatif. De plus, l’Acte constitutionnel annonçait l’in-
tention qu’avait le roi de diviser la vallée du Saint-Laurent en deux
colonies. Un décret impérial, signé le 24 août 1791, créa les colonies du
Haut et du Bas-Canada. Le gouvernement métropolitain s’était imaginé
que cette division rendrait également justice à la minorité britannique
et à la majorité canadienne. Il avait tout simplement oublié que la bour-
geoisie anglaise habitait le Bas-Canada.
Les marchands anglais de Québec, des Trois-Rivières et de Montréal,
qui luttaient depuis plus de vingt-cinq ans pour faire reconnaître leurs
droits de sujets britanniques, apprirent avec stupeur que l’Acte constitu-
tionnel maintenait les principaux articles de l’Acte de Québec et les
séparait de la population anglo-protestante établie dans le Haut-Canada.
Ils n’avaient pas prévu cette division et avaient raison de supposer que
leurs intérêts comme classe et comme minorité raciale en souffriraient.
Leurs efforts pour l’empêcher échouèrent. Leurs porte-parole les plus
optimistes tentèrent – en y mettant beaucoup de naïveté – de se
convaincre que les députés canadiens, nullement initiés aux institutions
parlementaires, seraient faciles à dominer même s’ils obtenaient la majo-
rité des sièges dans la future Assemblée. La bourgeoisie anglaise se plaisait
toujours à croire que les Canadiens se soumettraient sans trop de résistance
à son paternalisme. Même s’il l’avait emporté sur le French Party, le parti
anglais se rendait vaguement compte que sa victoire n’était que partielle.
Quant aux dirigeants canadiens, si on excepte les seigneurs liés au
French Party, les quelques privilégiés de la période 1775-1790 et les
personnes trop bornées pour saisir les ressources qu’offrait la nouvelle
constitution, ils étaient pour la plupart satisfaits. Quelques-uns se montrè-
rent même enthousiastes. Les lois civiles françaises demeuraient en
vigueur, le clergé conservait les droits que lui avait reconnus l’Acte de
Québec, le roi continuerait à nommer des Canadiens aux charges poli-
Michel Brunet – Les Canadiens et les débuts de la domination britannique 211
213
214 Deuxième partie – Perspectives parallèles sur les différentes constitutions
1. Hilda Neatby, Quebec, the Revolutionary Age, 1760-1791, Toronto, McClelland and Stewart,
1966. (Le texte reproduit ici a été traduit de l’anglais par Audrey Lord)
231
232 Deuxième partie – Perspectives parallèles sur les différentes constitutions
mesure n’a été prise. Non pas que les ministres étaient tout à fait inactifs :
ils ont ajouté à leur série d’avis d’experts les volumineux rapports de
Wedderburn, le solliciteur général, de Thurlow, le procureur général, et
de Marriott, l’avocat général. À la fin de l’année 1773, les ministres de
Sa Majesté avaient finalement à leur disposition des rapports de pas moins
de sept conseillers juridiques, sans compter les efforts dilettantes de
Carleton et de Maurice Morgann. Pourtant, ils hésitaient encore.
Il est possible d’expliquer, voire d’excuser, le fait qu’il ait fallu sept
ans pour régler un problème clairement énoncé en 1766. L’une des raisons
a été la faiblesse des gouvernements successifs jusqu’en 1770, au moment
où l’accession au pouvoir du gouvernement North a assuré une certaine
stabilité dans l’administration. Une fois la loi du Parlement établie,
cependant, tout gouvernement se serait montré réticent à affronter un
enjeu aussi épineux que le gouvernement du Québec. Il aurait été, de
toute évidence, mal avisé et injuste de satisfaire toutes les demandes de
la minorité d’affaires anglaise et, pourtant, l’opinion publique aurait
appuyé la minorité en regard du droit français et de la religion catholique.
Même en dehors des préjugés populaires, la difficulté de concevoir un
règlement pour le Québec qui allierait la justice et une certaine satisfac-
tion pour les nouveaux sujets et ceux de longue date sans mettre en péril
la sécurité de l’État était, effectivement, déconcertante. Comment
pouvait-on tolérer les catholiques et être conciliants envers eux tout en
cherchant à les convertir au protestantisme ? En quoi consisterait un droit
approprié pour une ancienne collectivité française, coupée de la France,
liée à l’Angleterre, proche voisine des colonies américaines et, à présent,
infiltrée par des Anglais et des Américains ? Cette difficulté a été accentuée
par le fait que les juristes compétents qui ont offert leur avis d’expert
étaient, pour la plupart, trop compétents pour appuyer sans réserve soit
le système français, qu’ils ne connaissaient pas suffisamment, ou le système
anglais, qu’ils ne connaissaient que trop bien. Quant à la Constitution,
une colonie anglaise sans une Assemblée apparaissait impensable, une
Assemblée où siégeraient des catholiques indigne de confiance et une
Assemblée excluant les catholiques injustifiable. Il n’est pas étonnant que
les ministres aient trouvé plus facile de commander des rapports que de
s’en servir.
Cependant, il est important de souligner que les rapports des juristes,
quoique présentant de nombreuses différences individuelles, révèlent un
consensus en faveur du plan préconisé par Masères comme étant l’alter-
native à un code : conserver le droit anglais comme base et recourir au
234 Deuxième partie – Perspectives parallèles sur les différentes constitutions
que l’aveu d’un accusé fait sous la torture puisse s’avérer nécessaire pour
conclure un accord, le raisonnement de Lotbinière n’était pas forcément
inexact. Marriott, l’avocat général, préférait la procédure anglaise, mais
déplorait la sévérité des peines anglaises en vertu d’un droit « taché de
sang » (traduction libre). Les deux systèmes avaient grandement besoin
d’être réformés, ce qui a été fait une génération plus tard.
Les objections de l’opposition whig, au Parlement, étaient fort diffé-
rentes de celles de Lotbinière. La question du droit criminel n’a pas été
soulevée au cours des débats. Les porte-paroles de l’opposition ont parti-
culièrement critiqué l’élimination de l’habeas corpus et du procès devant
jury dans les poursuites civiles, mais ils étaient également réticents à
renoncer au droit civil anglais ou à voter en faveur du droit canadien sans
connaître davantage sa nature. North a insisté à l’effet que le droit cana-
dien ne constituait qu’un « cadre général » de lois « qui serait amendé et
modifié lorsque l’occasion se présenterait » (traductions libres). Carleton,
s’il devait retourner au Québec, devrait donc jouer le rôle de médiateur
entre le « cadre général » de Lord North, qui pourrait faire l’objet d’amen-
dements, et la conviction de Lotbinière selon laquelle le droit canadien
devait être encore plus sacro-saint que la Magna Carta.
Malgré les pétitions de dernière minute envoyées depuis le Québec,
par les marchands anglais, et un plaidoyer supplémentaire élaboré et
présenté, en leur nom, par Francis Masères, à Londres, c’était une évidence
que la nouvelle Constitution ne prévoirait pas d’Assemblée. Mis à part
le plan de Hillsborough en 1769, qui aurait introduit des distinctions
tout à fait irréalistes entre les membres des districts urbains et ruraux
dans une société hétéroclite si près de la frontière, aucun plan n’avait été
proposé à l’exception d’une instance exclusivement protestante. Même
la Chambre des communes d’avant la réforme n’aurait pas envisagé un
tel simulacre de gouvernement représentatif. Par ailleurs, ce ne sont pas
les plus ardents défenseurs des institutions représentatives qui auraient
suggéré que, quinze ans après la Conquête, alors qu’on soupçonnait
grandement que la France n’avait pas oublié sa vieille colonie, l’Assemblée
soit aux mains d’une majorité catholique. Pourtant, il a été ardu de
parvenir à la décision « qu’il est actuellement très désavantageux d’y
convoquer une Assemblée », tellement l’impression que des institutions
représentatives constituaient un droit acquis pour tous les sujets britan-
niques était profondément ancrée et que de leur refuser signifiait
d’appuyer le despotisme. La preuve d’une détermination à s’accrocher à
certains vestiges d’un régime parlementaire est une disposition, qui n’a
figuré que dans la première version préliminaire du projet de loi, stipulant
Hilda Neatby – Les controverses historiques canadiennes 241
1. Mason Wade, Les Canadiens français de 1760 à nos jours. Tome I - 1760-1914. Traduit de
l’anglais par Adrien Venne avec le concours de Francis Dufau-Labeyrie. Ottawa: Le Cercle
du Livre de France, 1963.
249
250 Deuxième partie – Perspectives parallèles sur les différentes constitutions
donné aux guerres contre les Français et les Indiens un air de croisade,
quand il s’agissait, en réalité, de guerres impériales et commerciales – fut
ranimée une fois de plus en Amérique. Des hommes poussés à bout sont
rarement obsédés par un besoin de logique. Cinq jours plus tard, en effet,
le même Congrès adoptait une Adresse aux habitants de la Province de
Québec, qui tentait de convaincre les Canadiens français que leur véritable
intérêt était de s’unir aux colonies américaines dans leur lutte pour la
liberté, un gouvernement représentatif et la fin de la persécution écono-
mique. Ce remarquable document, qui tentait de séparer les masses
canadiennes-françaises de leur élite, favorisée par l’Acte de Québec,
mettait dans la bouche de « l’immortel Montesquieu », dont les idées
jouaient un grand rôle dans l’appel tout entier, les mots suivants :
Saisissez la chance que la Providence elle-même vous offre. C’est la liberté
qui va vous conquérir si vous agissez comme vous le devez. Il ne s’agit pas
d’une œuvre humaine. Vous êtes un petit peuple à comparer avec celui qui,
les bras ouverts, vous offre son amitié. Il vous suffira d’un instant de réflexion
pour vous convaincre que votre intérêt et votre bonheur résident dans
l’amitié éternelle de toute l’Amérique du Nord et non dans son hostilité
définitive. Les affronts de Boston ont soulevé et associé toutes les colonies,
de la Nouvelle-Écosse à la Géorgie. Votre province est le seul anneau qui
manque pour compléter la chaîne forte et brillante de l’union. La nature a
uni votre pays aux nôtres. Joignez-y vos intérêts politiques. Dans notre
propre intérêt, nous ne vous abandonnerons ni ne vous trahirons jamais.
Soyez persuadés que le bonheur d’un peuple dépend inévitablement de sa
liberté et de sa volonté de la conquérir.
Et de crainte que la différence de religion indispose les Canadiens
français à l’égard des Américains – quoique « la nature transcendante de
la liberté élève ceux qui s’unissent pour sa cause, au-dessus des infirmités
des esprits bornés » – l’exemple de la confédération suisse, union pacifique
d’États catholiques et protestants qui, ensemble résistèrent à la tyrannie,
fut soigneusement cité.
[...]
En juillet 1789, le cousin du second Pitt, Grenville, succéda à Sydney
au Colonial Office et, à la fin d’août, il avait rédigé les bases de l’Acte
constitutionnel de 1791. Il préconisait une assemblée pour que la colonie
puisse, à l’avenir, se suffire à elle-même financièrement et parce que la
taxation arbitraire pousserait le Canada vers l’Union américaine. Une
législature unique était impossible, pour des raisons géographiques et
ethniques. Par conséquent, une province anglaise dans l’Ouest devait
être séparée de la province actuelle, « plutôt que de fusionner ces deux
254 Deuxième partie – Perspectives parallèles sur les différentes constitutions
dans la haute ville que dans la basse ville de Québec où Français et Anglais
se réunirent et se levèrent pour porter des toasts tels que :
La Révolution de France et la vraie liberté dans tout l’univers ; l’abolition
du système féodal ; puisse la distinction d’anciens et nouveaux sujets être
ensevelie dans l’oubli, et puisse la dénomination de sujets canadiens subsister
à toujours ; que la liberté s’étende jusqu’à la baie d’Hudson ; puisse l’évé-
nement du jour porter un coup mortel aux préjugés, contraires à la liberté
civile et religieuse et au commerce.
Des représentants du rassemblement de la basse ville portèrent une
lettre à celui de la haute ville, proposant ce toast : « La constitution, et
puisse l’unanimité dans toutes les classes de citoyens faire tomber dans
l’oubli toutes distinctions et préjugés, faire fleurir le pays et le rendre
heureux à toujours. » On but simultanément à ce souhait dans les deux
rassemblements au milieu des applaudissements de tous et, ce soir-là, la
capitale fut illuminée en l’honneur de la nouvelle constitution. Un Club
constitutionnel fut fondé par les 160 hommes qui avaient dîné ensemble
à cette occasion et « l’éclat du banquet de la Haute-Ville fut relevé par la
fanfare du régiment du duc de Kent ». Pendant ce temps, un Club des
Patriotes de Montréal discutait avidement les nouvelles de France et les
acclamait. Le duc de Kent en question était Édouard, le soldat, père de
la reine Victoria, qui fut en garnison à Québec avec son régiment, d’août
1791 à janvier 1794. Il favorisa la bonne entente par ses talents de société
et il se fit de nombreux amis parmi les Canadiens français.
à ceux qui, s’étant déjà formé une opinion sur ce sujet, accepteraient de
mûrir de leur réflexion critique cet article qui comprend trois parties bien
distinctes : la première traitera des ambitions et des frustrations de la
bourgeoisie coloniale anglo-écossaise ; la seconde étudiera la conception
des dirigeants britanniques de l’ordre politico-social en rapport avec la
structure de la société métropolitaine ; et la troisième montrera dans
quelle mesure la Constitution de 1791 répondait aux objectifs de la
politique impériale dans le cadre du « Old Colonial System ».
Il apparaît d’abord important de faire quelques mises au point pour
éviter toute méprise et dissiper tout malentendu. Précisons que c’est du
côté métropolitain que se portera notre attention puisque nous sommes
à une époque où, dans le cadre de l’Empire britannique, en théorie comme
en pratique, prédominait encore le « Old Colonial System » qi régissait
les rapports et les liens de dépendance économique et politique des
colonies à la métropole londonienne. Tout changement d’ordre consti-
tutionnel relevait donc de la Couronne et de son Parlement. Dans le cas
particulier qui nous intéresse, il s’agit d’une législation qui fut préparée
sous forme de projet de loi par l’administration de William Pitt le Jeune
et qui fut soumise à l’approbation du Parlement avant de recevoir la
sanction royale. En conséquence, on ne saurait saisir le sens et la portée
de cette législation impériale sans « pénétrer la vision de l’ordre politico-
social » de ceux qui, directement ou indirectement, ont contribué à son
élaboration.
Il nous faut aussi tenir compte du mode de fonctionnement du
système de monarchie parlementaire sous le règne de George III puisque,
comme nous le verrons, la Constitution de 1791 visait à appliquer au
Bas-Canada le modèle constitutionnel métropolitain. Pour ce faire, il
nous paraît capital de ne pas dissocier cette forme politique de gouver-
nement de l’état d’évolution des forces socio-économiques et des rapports
de production dans une Angleterre où la structure politico-sociale, avant
sa transformation par le processus de la révolution industrielle, présentait
l’image d’une société aristocratique d’Ancien Régime. C’est en définitive
l’étude de la société anglaise elle-même, telle qu’elle apparaît en cette
seconde moitié du dix-huitième siècle, qui nous fait le mieux comprendre
les objectifs politiques de ceux qui décidèrent de l’instauration d’un
régime parlementaire au Bas-Canada. Ainsi serons-nous en mesure d’ap-
porter une réponse à la grande question que soulevait l’historien A.L.
Burt en conclusion de son ouvrage devenu classique : Pourquoi, en 1791,
les autorités métropolitaines sacrifièrent-elles les intérêts de la minorité
protestante du Québec « on the altar of French Canada » ?
Pierre Tousignant – Problématique pour une nouvelle approche de la Constitution de 1791 271
ce qu’il pouvait en coûter pour se faire élire et les faveurs que l’on atten-
dait en retour des dépenses encourues. Ainsi se tissait la trame des liens
étroits qui unissaient entre eux les membres de l’oligarchie aristocratique.
« The magnates needed the Court as much as the Court needed the
magnates : without the resources of the borough patrons the Court could
not bring its influence to bear on the House of Commons, but without
the rewards of office for themselves and their clients the patrons could
not maintain their own influence. » Aussi n’y a-t-il pas lieu de s’étonner
si, comme le fait justement remarquer l’historien J.H. Plumb, « patronage
has been, and is, an essential feature of the British structure of power [...]
It was patronage that cemented the political system, held it together, and
made it an almost impregnable citadel, impervious to defeat, indifferent
to social change ». La corruption électorale était une pratique si répandue
qu’elle ne pouvait échapper à l’attention d’observateurs étrangers. Denis
Diderot ne s’y trompait pas en relatant les impressions que lui rapporta
d’Angleterre son ami le baron d’Holbach : « Le monarque paraît avoir les
mains libres pour le bien et liées pour le mal ; mais il est autant et plus
maître de tout qu’aucun autre souverain. Ailleurs la cour commande et
se fait obéir. Là, elle corrompt et fait ce qui lui plaît, et la corruption des
sujets est peut-être pire à la longue que la tyrannie. »
[...]
III
La genèse de la Constitution de 1791 remonte au lendemain du
traité de Paris qui sanctionna, en février 1763, la cession définitive du
Canada à la Grande-Bretagne. C’est au cours des mois qui suivirent que,
du côté métropolitain, l’on supputa diverses solutions aux problèmes de
la pacification, de l’organisation et de l’administration de cet immense
territoire conquis s’étendant du golfe Saint-Laurent jusqu’aux sources du
Mississipi et englobant la vaste région des Grands Lacs. Il en résulta
l’ébauche d’une politique impériale qui, par la Proclamation royale
d’octobre 1763, visait à reconstituer un empire colonial dans une
Amérique du Nord devenue entièrement britannique.
[...]
Quelques mois après son accession au pouvoir, l’administration de
William Pitt le Jeune remplaça le défunt Board of Trade par un comité
du Conseil privé désigné sous le nom de « Committee for Trade » qui fut
chargé de s’enquérir sur les difficultés d’approvisionnement des Antilles
Pierre Tousignant – Problématique pour une nouvelle approche de la Constitution de 1791 277
province, placing the seat of Government on the river St. John [...] They
will gladly receive a Constitution calculated to cherish monarchical prin-
ciples, and to repress republican ideas, and of a tendency to bind them to
Great Britain ; and it will be the fault of Administration if such a
Constitution be not established, as will render their union with this country
happy and permanent.
Ainsi fut officiellement fondé, en juin 1784, un « removed Loyalist
haven in the North ».
La fondation du Nouveau-Brunswick créa un précédent dont allaient
se prévaloir aussi les Loyalistes établis dans la partie supérieure du fleuve
Saint-Laurent pour réclamer le privilège d’une législature provinciale
distincte. Ces milliers de nouveaux colons venus trouver refuge au
Canada, pour la plupart anciens fermiers originaires des colonies de New
York et de Pennsylvanie, entreprirent le développement de la future
province du Haut-Canada, après que le gouverneur Frederic Haldimand
eut décidé, à l’automne 1783, de les établir à l’ouest de la zone seigneu-
riale, depuis le Long-Sault jusqu’à la baie de Quinte. Haldimand fit
preuve de clairvoyance en plaidant la cause de cette colonisation agricole
auprès des autorités métropolitaines :
I am happy to find that there are in the Gift of the Crown, Lands of so
good a Soil and in a favorable Climate, sufficient not only to settle the
Provincial Corps when disbanded, but all such Royalists as may come from
the Southward with a view to find an Asylum from the Tyranny and
Oppression of their Countrymen. I foresee great advantages from this
Settlement [...] The Royalists settled together in numbers will form a
respectable Body attached to the Interests of Great Britain [...] Their industry
will in a very few years raise in that Fertile Tract of Country great Quantities
of Wheat and other Grains and become a Granary for the Lower Parts of
Canada where the Crops are precarious and liable to be engrossed by a few
designing and interested Traders [...]
Cette vision d’avenir d’une province appelée à servir de grenier du
Bas-Canada avait le mérite d’être beaucoup plus réaliste que celle de faire
du British North America le grand pourvoyeur des Antilles britanniques.
Moins d’un an après l’établissement des Loyalistes dans les nouveaux
cantons du Haut-Canada, leurs principaux porte-parole adressèrent une
pétition au roi en vue de l’obtention d’une législature distincte, « under
the Government of a Lieutenant Governor and Council, [...] appointed
by Your Majesty, with the necessary Power of internal Regulation, but
subordinate to the Governor and Council of Quebec ». Ils justifièrent
Pierre Tousignant – Problématique pour une nouvelle approche de la Constitution de 1791 279
nor the courage to cut, and Smith was no great help to him, for he too
was baffled by the complicated situation in the colony. »
Après avoir joué un rôle de tout premier plan dans l’élaboration de
l’Acte de Québec, Sir Guy Carleton parut, à son retour au Canada à
l’automne de 1786, complètement dépassé par les événements. Élevé à
la pairie et âgé de plus de soixante ans, il avait perdu sa ferveur ambitieuse
d’antan. Depuis sa démission de son poste de gouverneur de Québec en
1777, il avait connu d’amères déceptions. Son expérience de commandant
en chef ne lui avait apporté aucune des satisfactions qu’il espérait de cette
nomination du roi. Loin de pouvoir jouer un grand rôle de pacificateur
pour réconcilier les colonies américaines à la mère patrie comme il s’y
attendait, il dut se contenter de faire évacuer des dizaines de milliers de
Loyalistes. Durant son séjour à New York en 1782-83, il avait fait la
connaissance de William Smith qui lui fit rêver de devenir un jour le
« vice-roi » du British North America. Carleton abandonna ce rêve après
avoir obtenu son titre de noblesse auquel il tenait par-dessus tout :
We had a long Conversation on the British Constitution which he admires
as much as I do. He [Carleton] laughed heartily at my Idea that the King
& Queen were the only slaves in the Nation. Assents that an English Peer
had a more eligible Standing than any Crown’d Head. Ease, Dignity &
Security. He thought my Observation a very good one that the Aristocracy
gave a sleeping Dose to Ambition. There is terminated as there was no going
higher. When arrived to the Peerage all Busling ended for the Residue of a
Man’s Days, and the new elevated Peer became a quiet Citizen.
La plus grande ambition de Carleton se trouva donc comblée ce jour
du 19 juillet 1786 où il put baiser la main du roi qui l’éleva au rang des
pairs du royaume. Dorénavant Lord Dorchester pouvait vivre avec « Ease,
Dignity & Security ».
Deux ans après le retour de Dorchester au Canada, le secrétaire d’État
rappela au gouverneur la teneur des « Instructions particulières » reçues
avant son départ de Londres, Lord Sydnay prit soin de lui reformuler les
questions déjà posées en le pressant de fournir tous les renseignements
jugés indispensables afin de mettre le cabinet ministériel en mesure de
proposer, si possible dès la prochaine session, « such arrangements as may
he found to be expedient for removing every just and reasonable cause
of complaint that may exist among His Majesty’s Subjects, of any descrip-
tion whatsoever, who are Inhabitants of [the] Province [of Quebec] ». Et
manifestement préoccupé par le cas des Loyalistes, le ministre précisa :
Pierre Tousignant – Problématique pour une nouvelle approche de la Constitution de 1791 281
that the western settlements are as yet unprepared for any organization,
superior to that of a county. But [...] no time should be lost in appointing
a person of fidelity and ability, in the confidence of the loyalists, to supe-
rintend, and lead them [...] under the title of Lieutenant Governor of the
four western districts [Luneburg, Mecklenburg, Nassau and Hesse].
Toutefois, si l’on décidait de créer une nouvelle province « by the
wisdom of His Majesty’s Councils », il ne voyait aucune raison de priver
les Loyalistes du Haut-Canada des avantages d’institutions représenta-
tives.
Devant un si noble détachement, William Wyndam Grenville, cousin
germain du premier ministre Pitt, n’eut pas la patience de Lord Sydney
et décida de passer à l’action aussitôt après sa nomination au poste de
secrétaire d’État en juin 1789. Il se plongea résolument dans le volumi-
neux dossier canadien avec la détermination de trouver une solution à
l’épineux problème constitutionnel – « the most important and extensive
of any of the subjects which [he] found in the Office ». En moins de trois
mois, il parvint à mettre au point un projet de nouvelle constitution ainsi
qu’il s’en expliqua devant la House of Commons :
As soon as Parliament was prorogued [11 août 1789], he applied himself
to the business with the utmost care and consideration. The House would
naturally see that it must unavoidably cost him some time to study the
subject, to digest his own opinions respecting it, to compare them with the
opinions of others of His Majesty’s servants [...] With great application,
and unremitting industry, he had been able to accomplish all these objects
in less than three months, and had not formed a mere design or outline
[...] but had actually matured the whole, and reduced it to the shape of a
Bill, such as he thought fit to be submitted to the consideration of that
House [...]
Et il s’excusa d’avoir à retarder la présentation de son projet de loi
jusqu’à la réception des commentaires de Lord Dorchester « on many
points of detail which required local assistance ».
Durant les trois mois (d’août à octobre 1789) de préparation de son
plan constitutionnel, Grenville consulta les principaux membres du
cabinet ministériel dont le prestigieux Grand Chancelier Edward Thurlow
– le principal conseiller du roi – qui, jadis, à titre de procureur général,
avait pris la défense de l’Acte de Québec qu’il jugeait « the only sort of
Constitution fit for a Colony ». Tout en reconnaissant que les circons-
tances avaient changé depuis 1774, Lord Thurlow n’en continuait pas
moins à penser que l’entier contrôle du pouvoir législatif par la Couronne
Pierre Tousignant – Problématique pour une nouvelle approche de la Constitution de 1791 283
population of the Province are rapidly increasing ; but the increase has
hitherto been almost entirely confined, & will probably continue to be so,
to the British & American Settlers.
Dans cette perspective, il lui apparut indispensable de donner suite
aux promesses de la Proclamation royale de 1763 ; comment retarder
plus longtemps la réalisation de ces promesses alors que le nombre des
Loyalistes s’accroissait d’année en année ? En étant soumis aux lois, us et
coutumes de la majorité canadienne-française, ces Loyalistes ne pourraient
bénéficier de leurs droits et privilèges ; puisqu’ils formaient déjà la plus
grande proportion de colons britanniques au Canada, pourquoi ne pas
leur offrir les mêmes avantages des « libertés anglaises » qu’à leurs compa-
triotes de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick ? Il fallait aussi
soulager la Grande-Bretagne du lourd fardeau des dépenses que lui occa-
sionnait le soutien de la colonie et qui s’élevaient à près de £100 000
annuellement sans compter la solde des troupes. Depuis 1778, le
Parlement britannique avait officiellement renoncé à son droit d’imposer
aux colonies des taxes pour des dépenses relevant de l’administration
locale et pour des fins de défense générale ; par l’établissement d’une
Chambre d’Assemblée, on remettait ce pouvoir de taxation aux élus du
peuple. Ce partage du fardeau fiscal était devenu si urgent que l’historien
Harlow a pu écrire : « the financial case for running the political risk of
establishing a predominantly French Assembly in Quebec was strong –
almost to the point of compulsion ».
Parmi les objections formulées par les seigneurs canadiens s’opposant
à l’établissement d’une Chambre d’Assemblée, Grenville en releva trois
principales : a) la crainte des taxes ; b) la crainte d’une prépondérance des
« Old British Subjects » à l’Assemblée législative ; c) la crainte des lois
anglaises. À la première objection – crainte des taxes que les seigneurs
avaient utilisées pour alerter et alarmer leurs censitaires contre toute
réforme constitutionnelle – le ministre opposa que les Canadiens ne
pouvaient choisir d’en être exemptés ; lorsqu’ils auront compris, ils préfé-
reront être taxés par leurs propres représentants plutôt que par des
conseillers législatifs nommés par la Couronne. Aux deux dernières
objections, Grenville trouva réponse par la formation de deux législatures
provinciales :
If these two bodies, & Classes of Men, differing in their prejudices, &
perhaps, in their interests, were to be consolidated into one legislative body,
dissensions, & animosities might too probably prevail ; & the success of
either party might, in fact, be injurious to the other. It should seem there-
fore, that the natural remedy, for this, would be, the separation of the
286 Deuxième partie – Perspectives parallèles sur les différentes constitutions
consist, as much as possible, of those who were well inclined towards the
English laws, and that the other part should consist of a decided prepon-
derancy of the ancient inhabitants, who were attached to the French laws
[...]
Reconnaissant qu’il était pratiquement impossible de donner satis-
faction « to all descriptions of men », c’est-à-dire à tous les différents
groupes composant la population coloniale, il précisa les raisons qui
avaient obligé le gouvernement métropolitain à sacrifier les intérêts de
la minorité protestante du Bas-Canada :
It was perfectly true [...] that in Lower Canada there still remained a certain
number of English subjects, but these would hold a much smaller propor-
tion than if there was one form of Government for every part of the province.
It was in Upper Canada particularly that they were to expect a great addi-
tion of English inhabitants. The consequence was, that if it was not divided
from the rest, the Canadians forming a majority of five to one, the grievance
would be every year increasing in proportion as the population increased.
Ces explications furent si bien interprétées par Edmund Burke, le
célèbre auteur des Reflections on the Revolution in France, qu’il déclara en
donnant son appui au plan de Grenville : « An attempt to join people
dissimilar in law, language, and manners, appeared to him highly absurd
[...] Let the Canadians have a constitution formed upon the principles
of Canadians, and Englishmen upon the principles of Englishmen. »
Lorsque le comité de la Chambre passa en revue les divers articles
du projet de loi, les aspects proprement constitutionnels retinrent l’at-
tention et ce furent les modalités d’application de la constitution
britannique au Canada qui suscitèrent un échange d’opinions entre le
chef du gouvernement William Pitt et son principal adversaire, en
Chambre, Charles James Fox. Malgré leur différente allégeance aux deux
grands partis Whig et Tory, ces deux illustres représentants de la société
aristocratique anglaise du dix-huitième siècle vouaient à la forme politique
du gouvernement britannique une commune admiration et vénération.
Au-delà de leurs divergentes options politiques, ils partageaient la même
vision de l’ordre politico-social que sanctionnait la constitution britan-
nique. Leurs plaidoyers respectifs sur ses modalités d’application au
Canada constituaient la meilleure défense et illustration de cette menta-
lité féodale qui donne tout son sens au « Lord Grenville’s Act ».
Charles James Fox fit porter l’essentiel de sa critique sur le mode de
formation du Conseil législatif. Au lieu de faire de ses membres des
instruments au service de la Couronne, il proposa de constituer un véri-
290 Deuxième partie – Perspectives parallèles sur les différentes constitutions
1. Arthur Reginald Marsden Lower, Colony to Nation: a history of Canada, Toronto, McClelland
and Stewart, 1977. (Le texte reproduit ici a été traduit de l’anglais par Audrey Lord)
293
294 Deuxième partie – Perspectives parallèles sur les différentes constitutions
Tant par sa personnalité que ses aptitudes, Durham était tout désigné
pour la tâche ardue qui l’attendait. Homme d’une assurance sans bornes,
rien n’aurait pu lui convenir davantage que l’occasion de commander les
affaires d’un pays tout entier, même de celles des colonies de petites
dimensions du Saint-Laurent. Il s’agissait d’un intellectuel qui était
amateur de faste, comme en témoigne son entrée en scène somptueuse
à Québec, où, au débarquement, il est monté sur un grand cheval blanc,
et, sa suite derrière lui, il s’est rendu dans un état solennel au Château
Saint-Louis. On ne sait pas si cela a créé l’effet attendu chez les habitants.
Chez lui, les excentricités étaient associées à une grande intelligence ; il
était le premier esprit exceptionnel anglais à s’occuper des affaires de
l’Amérique du Nord britannique. Son caractère alliait une grande recti-
tude et une personnalité intéressante, mais difficile. Une anecdote permet
d’illustrer cela. Durham détestait le tabac. Lors de son périple sur le
Saint-Laurent en direction du Haut-Canada, des instructions strictes
avaient été données à l’effet que personne à bord ne devait fumer. À une
occasion, tard le soir, une bouffée de fumée de tabac a pénétré dans la
cabine du gouverneur. Immédiatement, l’ordre a été donné de fouiller
le navire pour trouver le coupable. Finalement, il a été découvert,
accroupi, se cachant derrière l’un des bateaux. Il s’agissait du vice-amiral,
Sir Charles Paget, qui fumait un cigare à la hâte avant d’aller dormir !
C’est peut-être son tempérament impérieux qui l’a amené à s’entourer
de certains hommes qu’un esprit plus docile aurait rejetés. Ces hommes
étaient Thomas Turton, qui avait divorcé, et dans des circonstances
particulièrement répugnantes, et, surtout, Gibbon Wakefield, l’homme
qui avait purgé une peine de prison pour avoir enlevé une jeune héritière.
Wakefield s’était repenti, mais le fait qu’il avait davantage donné et mieux
réfléchi à la colonisation que n’importe qui d’autre en Angleterre n’était
pas suffisant pour effacer son passé scabreux. Bien qu’il soit venu à titre
personnel et qu’il n’avait aucun lien officiel avec Durham, tout le monde
savait qu’ils étaient proches, et il n’a jamais cessé de faire l’objet de criti-
ques cinglantes et peu indulgentes par des journaux comme The Church.
Charles Buller, le secrétaire principal, était trop astucieux et trop singu-
lier pour obtenir l’assentiment d’hommes ordinaires. La mission de
Durham est venue s’échouer sur ces rochers de personnalité et de carac-
tère, mais ce sont les aptitudes non conformistes dont étaient dotés les
membres de ce groupe qui ont produit ses résultats spectaculaires.
Durham a bien commencé son mandat en évitant l’invariable erreur
de ses prédécesseurs : il a refusé d’être rattaché à un camp par la clique
oligarchique. La tenir à distance n’a pas accru sa popularité auprès des
296 Deuxième partie – Perspectives parallèles sur les différentes constitutions
les colonies, qui pouvaient être considérées comme des parties des terri-
toires anglais d’outre-mer, que celle du colon typique envers la mère
patrie. Pour les Anglais, les colonies représentaient des marchés, des
clients, des territoires inexploités ou, au mieux, des zones stratégiques à
contrôler par la puissance maritime ; l’imagination pour envisager leur
avenir faisait défaut. Les liens maintenus au sein de l’empire, jusqu’au
vingtième siècle, ont pratiquement été préservés exclusivement par les
colons. Pour les tories anglais, l’empire périphérique signifiait la prédo-
minance et représentait une occasion d’emploi pour les jeunes hommes,
pour les whig et les radicaux anglais, il évoquait le commerce, et si le
commerce pouvait se faire avec d’autres pays plus avantageusement,
l’empire devenait une nuisance. On ne retrouvait qu’occasionnellement
des hommes comme Durham et Wakefield. Dans ce contexte, les colons
ayant répudié la vision politique de l’empire des tories et la métropole
ayant répudié la conception mercantile traditionnelle, il n’est pas étonnant
que le gouvernement de la mère patrie ait été disposé à concéder à la fois
l’autonomie fiscale et politique.
membres d’une race conquise, qui, quelques années plus tôt, s’étaient
opposés au souverain, jouaient un rôle de premier plan et prenaient en
fait des décisions au nom de la Couronne, doit avoir représenté un grand
choc pour lui. Qui plus est, les individus dont l’esprit s’accordait géné-
ralement avec le sien, « la classe gouvernante naturelle », les tories, étaient
impuissants. À cette époque, les principes n’étaient pas aussi clairs qu’ils
ne le sont devenus par la suite ; ils avaient tendance à être obscurcis par
les détails quotidiens. Ce qui n’était que trop évident pour les tories était
qu’ils ne jouissaient plus des douceurs du pouvoir. Les nominations
allaient à leurs ennemis ou, comme ils l’auraient dit, aux rebelles. Rien
n’aurait pu transpercer plus profondément un groupe d’hommes qui
avait été habitué à considérer que les bonnes choses de la province lui
appartenaient en vertu d’une sorte de droit divin ; voilà en quoi consistait
l’amertume ultime de la révolution : être à l’extérieur et voir ses ennemis
à l’intérieur.
Metcalfe a rapidement pris conscience de la situation ; il avait entendu
de nombreuses histoires pathétiques d’hommes qui lui convenaient
davantage que les individus qu’il retrouvait au sein de son Conseil exécutif.
Lorsque ces derniers lui ont clairement indiqué que même lui, le gouver-
neur, ne pouvait pas être autorisé à y apporter des modifications, ses
rapports avec eux sont devenus difficiles et, lorsqu’un cas de figure s’est
présenté, une nomination insignifiante à laquelle Metcalfe a procédé sans
consulter son Conseil, Baldwin et La Fontaine ont démissionné. Metcalfe
a tenté, en vain, de constituer une autre administration et, pendant plus
d’un an, la province en a été privée.
Le gouverneur croyait qu’en chassant les réformistes du pouvoir, il
sauvait la colonie dans l’intérêt de la Couronne. Il était ridicule qu’un
groupe d’hommes, récemment des « rebelles », puisse laisser entendre que
le représentant de la reine ne doive gouverner la colonie de la reine que
dans la mesure où il était prêt à se rabaisser en se subordonnant à ses
propres subordonnés ; et il était indigne que le peuple « loyal » soit privé
de toute reconnaissance de la part de son souverain, que des voyous
puissent prospérer et que d’honnêtes gens soient affaiblis parce qu’un
groupe d’hommes donné était en mesure de rallier, de son côté, une
majorité au sein de l’Assemblée populaire. Une telle attitude démontrait
à quel point il méconnaissait les réalités de la vie coloniale. Il ne pouvait
concevoir, pas plus qu’il n’aurait pu l’admettre, le principe que l’Assem-
blée constituait le seul mécanisme pour prendre connaissance de la volonté
du peuple et que, dans une colonie de Blancs dont le peuple était l’hé-
ritier de la tradition anglaise (peu importe le cas de l’Inde et de la
Arthur R. M. Lower – Une histoire du Canada. D’une colonie à une nation 307
usage. Tout comme son beau-père, Elgin était pourvu d’une intelligence
exceptionnelle et les résultats ont été manifestes dans le cadre de ses
fonctions de gouverneur. Le lien familial entre Grey, Durham et Elgin,
avec son apport de compétences aussi important aux affaires coloniales
que ceux de tous les autres gouverneurs et ministres des Colonies réunis,
a sauvé le rapport avec la Grande-Bretagne. Elgin a eu tôt fait, après son
arrivée, de comprendre la situation qui prévalait au Canada et, lorsque
l’élection suivante avait été tenue (en 1848), avec le retour anticipé d’une
majorité réformiste pour Baldwin et La Fontaine, le tour de force (en
français dans le texte original) de Metcalfe a discrètement pris fin. Les
anciens conseillers, après avoir futilement tenté de persuader les Français
de travailler avec eux, ont quitté leurs fonctions, la preuve étant immi-
nente qu’ils ne pouvaient pas rallier une majorité, puis Baldwin et La
Fontaine ont pris le pouvoir. La correspondance qu’entretenaient Elgin
et Grey était continuelle et personnelle. Quand Elgin a dit qu’il était
déterminé à collaborer avec ses conseillers et à leur accorder sa confiance
tant qu’ils disposeraient de la confiance de la législature, il utilisait le
même langage que Grey dans ses fameuses dépêches au lieutenant-gouver-
neur Harvey de la Nouvelle-Écosse, par le biais desquelles il a
pratiquement ordonné la mise en place des gouvernements ministériels.
Une fois Baldwin et La Fontaine au pouvoir, puisqu’ils disposaient de la
confiance de l’Assemblée, l’évolution était arrivée à son terme et le
gouvernement responsable était advenu. Il aurait été impossible de revenir
en arrière, à l’ancien type d’administration coloniale de la Couronne,
sans provoquer de nouvelles éruptions de violence puisque si les événe-
ments survenus depuis 1791 avaient prouvé une chose, c’était que
l’évolution en matière de politique coloniale ne pouvait s’arrêter avant
d’avoir atteint l’autonomie gouvernementale. Bien qu’Elgin ait assez
facilement compris cela et qu’il savait que l’autonomie gouvernementale
était la seule alternative à une autre révolution américaine, de nombreuses
personnes au sein des colonies elles-mêmes l’ignoraient. Leurs actions
allaient, en un an ou deux, fournir l’occasion de rudement mettre le
nouveau système à l’épreuve, par le biais du projet de loi pour l’indem-
nisation des pertes subies pendant la rébellion, un test assez rigoureux
pour prouver son assertion.
Les deux autres gouverneurs qui méritent une attention – Sir Colin
Campbell et Lord Falkland, tous deux en Nouvelle-Écosse – ne sont pas
des individus d’une importance primordiale. Campbell avait un vieux
style militaire, un homme qui avait du mal à comprendre que qui que
ce soit d’autre que « les personnes convenables » puissent gérer les affaires
Arthur R. M. Lower – Une histoire du Canada. D’une colonie à une nation 309
de faire valoir la cause et, tout naturellement, c’est à leurs noms que la
plus grande des révolutions pacifiques devrait être principalement asso-
ciée.
Robert Baldwin a souvent été appelé « l’homme d’une seule idée »,
mais cette idée unique était la seule chose qui s’avérait nécessaire. Il y
était resté fidèle contre vents et marées, depuis la fin des années 1820,
lorsque son père l’avait élaborée et qu’il y avait adhéré. Il n’avait été attiré
ni par l’extrémisme de gauche de Mackenzie ni par les avantages dont il
aurait facilement pu bénéficier par le biais de ses contacts et de ses amis
chez les tories. Il avait donné à l’offre de Sir Francis Bond Head une
honnête chance de réussir, en 1836, et, conformément à sa vision de la
procédure à suivre, il avait démissionné lorsque ce gouverneur avait
démontré qu’il n’avait pas l’intention de s’en remettre à ses conseillers.
Au cours des années de la rébellion, bien que des accusations infondées
d’être associé aux rebelles aient été lancées à son endroit, il était demeuré
tout à fait modéré. Il a pratiquement vécu avec Sydenham la même
expérience qu’il avait vécue avec Bond Head. Il avait convaincu Bagot
que la seule voie possible vers la stabilité gouvernementale était de colla-
borer avec la majorité que lui et La Fontaine détenaient à l’Assemblée et
avait donc institué, sous ce gouverneur, quelque chose qui ressemblait à
un gouvernement responsable. Il s’était battu contre la position réaction-
naire de Metcalfe et avait suivi ses principes en collaborant avec le
gouverneur tant qu’il avait eu sa confiance, puis il s’est retiré. Enfin, en
revenant à nouveau au pouvoir après la victoire des réformistes à l’élection
de 1847-1848, il s’était entendu avec Elgin au sujet de la teneur du
concept de gouvernement responsable et il a été l’une des âmes dirigeantes
pour sa mise en œuvre. Si la volonté du peuple, telle que représentée par
une majorité à l’Assemblée, a mené aux projets de loi pour l’indemnisa-
tion des pertes subies pendant la rébellion et pour l’interdiction des
sociétés secrètes, il respectait la volonté du peuple. Tout au long de son
parcours, il a conservé intacts son anglicanisme, son attitude coloniale
aristocratique et son attachement à la Couronne. Un tel politicien modéré
ne pouvait être tellement populaire : il était trop froid, trop bien, trop
constant et, tout comme Aristide, trop juste pour plaire. Mais c’est à lui
plus qu’à quiconque, Durham et Howe ne faisant pas exception, que le
Canada doit le fait de disposer d’un gouvernement autonome sous la
forme d’un « gouvernement responsable ».
Louis-Hippolyte La Fontaine a repris le rôle de Papineau. Mais La
Fontaine était loin d’être comme Papineau. Tout comme les autres jeunes
hommes généreux d’esprit et épris de liberté de sa race, il éprouvait
Arthur R. M. Lower – Une histoire du Canada. D’une colonie à une nation 311
cet avis, mais la plus grande étendue des Canadas allait assurément faire
en sorte que, tôt ou tard, tous les autres aspects de l’autonomie gouver-
nementale allaient devoir être mis sous contrôle local également.
Étant une petite collectivité qui allait probablement prendre peu
d’ampleur, on pouvait certainement faire confiance à la Nouvelle-Écosse,
comme on allait rapidement s’en rendre compte, en matière d’autonomie
gouvernementale locale parce qu’il était peu probable qu’elle ne souhaite
éventuellement obtenir quoi que ce soit de plus qu’un statut provincial.
Le cas du Canada était plus incertain parce que la vie politique y était
tumultueuse et qu’il y existait plusieurs problèmes dont les solutions
pouvaient entraîner la province vers des décisions imprévues. Si ça n’avait
pas été des Canadas, le gouvernement ministériel aurait peut-être bien
été accordé plus tôt qu’il ne l’a été puisqu’il n’y avait pas de rebelles dans
les Maritimes et le gouvernement impérial n’avait pas manifesté le souhait
de les laisser aux mains des petites cliques qui les contrôlaient.
Après les lettres ouvertes à Russell, l’apport de Howe a été, en quelque
sorte, décevant. Il s’agissait principalement de ses duels personnels avec
Campbell et Falkland, déjà évoqués, et de son positionnement comme
pivot autour duquel pourrait se greffer un parti politique : les réformistes
correspondaient somme toute au groupe du même nom dans le Haut-
Canada, leurs opposants étant connus comme les tories et, par la suite,
les conservateurs. Une fois, cependant, le gouvernement responsable
institué, les noms signifiaient à peine suffisamment de différences de
principe pour offrir un cadre stable au nouveau système.
Une période qui a vu disparaître le vieux système colonial, un édifice
juridique et politique vieux de plus de deux cents ans, soutenu par d’in-
nombrables règles, chéri comme moyen de fournir l’assise d’une puissance
maritime et défendu par de grands intérêts particuliers, une période qui
a vu apparaître une expérience radicalement nouvelle au sein de l’empire,
l’octroi de l’autonomie gouvernementale locale aux provinces d’outre-mer
les plus anciennes – une telle décennie mérite d’être qualifiée de révolu-
tionnaire. Le deuxième empire avait poussé sur les ruines du premier,
mais il s’agissait d’un nouvel empire principalement dans un sens
physique, qui consistait en un nouveau territoire, puisque l’âme de l’an-
cien empire avait survécu, et un véritable nouvel empire n’a vu le jour
qu’au cours des années 1840. L’empire comprenant un centre métropo-
litain et des colonies de Blancs réunis par des liens sentimentaux plutôt
que par la domination, au sein duquel le centre était disposé à concéder
l’autonomie comme un père la concède à son fils qui atteint l’âge adulte,
Arthur R. M. Lower – Une histoire du Canada. D’une colonie à une nation 313
1. Denis Vaugeois, L’Union des deux Canadas : nouvelle Conquête ?, « Conclusion », Trois-
Rivières : Éditions du Bien Public, 1962.
315
316 Deuxième partie – Perspectives parallèles sur les différentes constitutions
enfin parce qu’il y a eu la Conquête, parce qu’il n’y aura plus de nation
canadienne et parce que le peuple maître doit mener le jeu et coloniser.
Deux ennemis armés ne peuvent s’affronter indéfiniment sans en venir aux
coups. Rangés en bataille après 1805, les deux groupes raciaux du
Bas-Canada entretiendront une lutte continuelle, surtout après 1807. Le
règlement de comptes définitif n’aura lieu qu’en 1837, après des échanges
de coups de feu. Dès 1790, mais avec beaucoup plus de lucidité et de
coordination après 1820, les Canadiens anglais et les fonctionnaires supé-
rieurs comprirent et affirmèrent que pour solutionner le problème et corriger
la situation, il fallait réaliser l’Union. Unir les deux Canadas, c’était
éliminer la menace des Canadiens en les réduisant à l’état de minorité,
c’était donner la majorité aux Anglais dans la vallée du St-Laurent et ainsi
leur permettre d’accéder sans danger au self-government. C’était en même
temps renforcer le Canada contre l’influence du trop puissant voisin, les
États-Unis. La crise qui débute avec la querelle des prisons, ne se règlera
donc qu’avec la sujétion définitive des Canadiens. Dans la suite, ils ne
constitueront plus un danger pour le Canada anglais. Tout au plus reste-
ront-ils source d’embarras et d’ennuis administratifs.
Dans une telle perspective, la conquête de la responsabilité ministé-
rielle en 1848 continue d’être le fruit des efforts conjugués de Baldwin
et La Fontaine, mais elle cesse de servir également les deux groupes
ethniques par eux représentés.
Baldwin était probablement sincère et beaucoup d’autres avec lui,
mais un fait demeure : le Canada a franchi la principale étape d’émanci-
pation coloniale après qu’une majorité eût été donnée à l’anglo-saxon.
Cessant graduellement de représenter la Couronne britannique, le
Gouvernement canadien pourra devenir le mandataire du peuple (i.e. de
la majorité) et conserver le pays dans la grande famille des nations anglaises.
Incapable de profiter du gouvernement responsable à l’échelle natio-
nale, le peuple canadien-français demeurera un « peuple gouverné », qui
constamment revendique et à qui on fait « électoralement » des conces-
sions. Comme l’écrit M. Guy Frégault : « il serait dorénavant interdit au
Canada français de devenir une nation : il lui faudrait se contenter tout
au plus d’une survivance provinciale – c’est-à-dire subordonnée et très
limitée dans ses horizons ».
Après lui avoir contesté le droit de s’organiser une vie authentique-
ment canadienne-française par une substitution permanente au niveau
de l’agir politique, on lui donnera « une raison de survivre » comme groupe
distinct en créant le double mythe du Canada bi-culturel et de l’unité
canadienne.
Denis Vaugeois – L’Union des deux Canadas : nouvelle Conquête ? 319
1. J.M.S. Careless, The Union of the Canadas : the Growth of Canadian Institutions 1841-1857,
McClelland and Stewart, 1967. (Le texte reproduit ici a été traduit de l’anglais par Audrey
Lord)
321
322 Deuxième partie – Perspectives parallèles sur les différentes constitutions
parmi ces derniers, un tiers était des officiels et un autre tiers des membres
du clergé.
Certes, le puissant milieu d’affaires de Montréal, une ville en ébullition,
l’élément de premier plan au sein de la minorité de langue anglaise du
Bas-Canada, était chaudement enthousiaste face à l’Union. Celle-ci allait
finalement corriger l’erreur commise en 1791, lorsque les deux Canadas
distincts avaient été créés à partir de l’ancienne province de Québec, et
elle les libérerait du poids d’une majorité française hostile au sein du
Bas-Canada. Elle éliminerait les barrières interprovinciales pour le
commerce florissant que les marchands de Montréal contrôlaient jusqu’à
la grande voie navigable du fleuve Saint-Laurent, et elle ferait une entité
politique de ce qui constituait déjà une unité géographique et commerciale.
Et elle permettrait certainement que les travaux puissent aller de l’avant
sur les canaux afin de surmonter les obstacles naturels sur la voie navigable,
maintenant que les Canadiens français, qui s’étaient opposés aux dépenses
élevées pour des travaux publics, pourraient être mis en minorité à la
législature de l’Union. Il n’est pas étonnant que le vigoureux organe
commercial tory, le journal Montreal Gazette, ait salué « une nouvelle ère
dans l’histoire de cette grande province » ajoutant que « ce jour sera célébré
par tout sujet loyal au Canada avec la joie chaleureuse et la reconnaissance
cordiale si particulières aux Britanniques » (traduction libre).
Mais en aval du fleuve, à Québec, ville qui était toujours le cœur du
Canada français, l’hebdomadaire satirique Le Fantasque avait fait remar-
quer la « coïncidence singulière » que l’Union soit inaugurée un mercredi
(Wednesday – mercredi, dans le texte original). Car, comme chacun
devrait le savoir, mercredi (en français dans le texte original) signifie le
jour de Mercure, le dieu des marchands – et des voleurs. Et l’oracle de
la réforme, le journal Le Canadien, le redoutable défenseur des droits des
Français depuis des années, avait rejeté l’appel à l’unité de Sydenham
comme étant un simulacre dénué de sens, alors que rien n’avait été fait
pour apaiser les jalousies et l’animosité entre les Français et les Anglais.
« Le jeu qu’on a fait dans le Bas-Canada pendant un demi-siècle, on va
le recommencer sur une plus grande échelle dans les deux Canadas Unis »
(en français dans le texte original), avait prédit le journal sur un ton
sinistre. Il est à noter, également, qu’un jeune caissier de la Banque de
Québec, François-Xavier Garneau, a mis de côté le grand récit historique
du peuple canadien-français qu’il avait amorcé l’année précédente, afin
de publier, pour le compte du journal Le Canadien, une longue et fervente
remontrance en regard de la disparition prochaine de la langue française
et du mépris du génie de la France.
324 Deuxième partie – Perspectives parallèles sur les différentes constitutions
II
ment réticents à voir leur chasse gardée de pouvoir tutélaire être incorporée
dans une grande entité. Thomson avait donc compensé pour les tories
du Pacte, du côté du gouvernement de l’Assemblée, en cherchant à obtenir
l’appui de l’opposition réformiste (« véritablement de très fidèles et loyaux
sujets de Sa Majesté » (traduction libre), avait-il joyeusement souligné).
Et il avait gagné cet appui ; en partie en raison des réformes à prévoir
sous un gouverneur vigoureux et impatient de mettre en place les recom-
mandations détaillées de Lord Durham en vue d’améliorations concrètes ;
en partie pour une autre raison, plus importante – parce que les réfor-
mistes souhaitaient que l’Union fasse advenir ce que Durham y avait
étroitement associé : le gouvernement responsable.
Mise à part l’Union elle-même, il s’agissait de l’enjeu le plus impor-
tant auquel les Canadas faisaient à présent face, après deux décennies de
tensions entre les autorités au pouvoir implantées et l’aspiration d’une
démocratie populaire qui avait finalement engendré une rébellion. Est-ce
qu’une colonie pouvait disposer de son gouvernement sous le contrôle
de son peuple tout en demeurant une colonie ? Est-ce que les seules
possibilités étaient la soumission au contrôle impérial central ou une
séparation complète, comme la révolution américaine avait semblé le
démontrer ? Outre Durham, d’autres impérialistes libéraux, en Angleterre,
avaient discerné une autre possibilité : un gouvernement colonial local
reposant sur le principe britannique de responsabilité du gouvernement
envers les représentants du peuple. Ces hommes étaient Charles Buller
et Edward Gibbon Wakefield, qui avaient pris part à la mission de
Durham au Canada et participé à la rédaction de ses conclusions. Mais
le défenseur le plus perspicace du gouvernement responsable était le
réformiste du Haut-Canada Robert Baldwin, qui y voyait précisément
le moyen de maintenir des liens avec l’empire en permettant à la colonie
de gérer ses propres affaires selon les usages britanniques et au sein du
système impérial.
Baldwin avait soumis le concept au ministère des Colonies, en 1836,
dans un mémorandum soigneusement réfléchi. Lui et son père, le
Dr William Warren Baldwin, en avaient discuté avec Durham au cours
de son séjour au Canada, et le rapport de Durham contenait des preuves
soutenant les arguments de Robert Baldwin. Certes, le « principe de
responsabilité » était bel et bien dans l’air après le rapport de 1839,
quoique davantage comme un objectif généralement visé que comme
une technique de gouvernement bien définie et bien comprise. Si les
principales possessions toujours sous contrôle britannique en Amérique
pouvaient mettre en œuvre un principe qui permettrait l’accroissement
Denis Vaugeois – L’Union des deux Canadas : nouvelle Conquête ? 333
Introduction
337
338 Deuxième partie – Perspectives parallèles sur les différentes constitutions
sable de la crise coloniale. Pour sa part, Mgr Lartigue jugera plus prudent
de faire circuler, parmi son clergé, une pétition distincte de celle des laïcs
dans laquelle il ne met pas en accusation le gouvernement impérial. En
avril, dans le Bas-Canada, on espère que le projet d’union avortera.
recouvreront leurs droits dans un Lower Canada séparé. « Vous avez besoin
de notre aide, autant que nous, les réformistes du Upper Canada, nous
avons besoin de votre aide. » Hincks invite La Fontaine à se rendre à
Toronto. La Fontaine fait le voyage ; il revient définitivement converti à
l’union législative.
Au mois d’août 1840, La Fontaine publie son « Adresse aux Électeurs
du Comté de Terrebonne ». Cette adresse résume toutes les leçons de
pancanadianisme que Hincks lui a apprises.
Les événements que l’avenir prépare à notre pays, écrit La Fontaine, seront
de la plus haute importance. Le Canada est la terre de nos ancêtres, il est
notre patrie, de même qu’il doit être la patrie adoptive des différentes
populations qui viennent, des diverses parties du globe, exploiter ses vastes
forêts dans la vue de s’y établir et de s’y fixer permanemment leur demeure
et leurs intérêts. Comme nous, elles doivent désirer, avant toutes choses, le
bonheur et la prospérité du Canada. C’est l’héritage qu’elles doivent s’ef-
forcer de transmettre à leurs descendants sur cette terre jeune et hospitalière.
Leurs enfants devront être, comme nous et avant nous, CANADIENS.
Par ces propos, La Fontaine montre qu’il accepte le Canada britan-
nique majoritaire. Dans la même foulée, il entreprend d’encourager les
réformistes du Canada-Est à lutter pour le responsible government de la
Province of Canada comme l’avait prévu Durham. Il promet son appui
à une politique de grands travaux pour canaliser le Saint-Laurent, geste
qui avait été également prévu par Durham. Enfin, il se montre peu
favorable à l’idée d’agiter le rappel de l’union.
De son côté, Étienne Parent remercie Hincks, le grand libéral de
Toronto, de préparer la voie à l’union des esprits.
Quoique nous soyons bien sincèrement opposés à l’union législative des
Canadas, surtout telle que décrétée, écrit Étienne Parent, nous prévoyons
trop bien l’anarchie, les misères politiques et sociales qu’entraînera [...]
l’agitation du rappel de l’union pour ne pas désirer que les deux populations
en viennent à s’entendre et à marcher de concert vers les destinées brillantes
que la nature a mise à leur portée.
Étienne Parent, après La Fontaine, accepte le Canada britannique
majoritaire.
346 Deuxième partie – Perspectives parallèles sur les différentes constitutions
V. – Signification de 1842
Conclusion
1760 et 1840
Michel Brunet
(1917, Montréal, Québec – 1985, Montréal, Québec)
Après avoir commencé sa carrière dans l’enseignement, Michel Brunet
obtient une maîtrise en histoire contemporaine à l’Université de Montréal
(1947) et un doctorat en histoire américaine à l’Université Clark du
Massachusetts (1949). Professeur à l’Université de Montréal, il occupe
le poste de directeur du Département d’histoire (1959-1967) ainsi que
celui de vice-doyen de la Faculté des lettres (1966-1967). Il est également
membre (1959-1970) et président (1970-1971) de l’Institut d’histoire
351
352 Ces constitutions qui nous ont façonnés •
Anthologie historique des lois constitutionnelles antérieures à 1867
Thomas Chapais
(1858, Saint-Denis-de-Kamouraska, Québec – 1946, Saint-Denis,
Québec)
Diplômé de la Faculté de droit de l’Université Laval, Thomas Chapais
est admis au Barreau de la province de Québec en 1879. Il reçoit un
doctorat ès lettres de la même université en 1898. Son engagement touche
les domaines autant journalistique et politique qu’académique. Rédacteur
en chef de l’hebdomadaire Le Courrier du Canada (1884-1901) dont il
devient le propriétaire, également propriétaire et rédacteur du Journal
des campagnes (1890-1901), il collabore à de nombreux autres journaux,
notamment à La Presse (1897-1911) et à la Revue canadienne (1899-1922)
ainsi qu’à diverses revues à caractère historique. Sur le plan politique, il
occupe diverses fonctions : secrétaire particulier du lieutenant-gouverneur
du Québec (1879-1884), membre du Conseil législatif du Québec (1892-
1846) à titre de leader du gouvernement (1893-1894, 1936-1939,
1944-1946) et de président (1895-1897), ministre sans portefeuille dans
les cabinets Taillon et Duplessis et sénateur du Parti conservateur (1919-
1946). Historien et homme de lettres qualifié d’ultramontain, il enseigne
l’histoire à l’Université Laval de 1907 à 1935 et publie différents ouvrages
portant sur la Nouvelle-France et sur le Régime britannique. Son Cours
d’histoire du Canada, 1760-1867 (1919-1934) reproduit l’essentiel de
ses conférences universitaires à ce sujet. Il occupe également de nombreux
postes au sein de diverses sociétés et son engagement est souligné par
plusieurs titres et honneurs, dont la Légion d’honneur de France (1902)
et le rang de Knight Bachelor (1935).
François-Xavier Garneau
(1809, Québec – 1866, Québec)
Notaire de formation, François-Xavier Garneau est reconnu avant tout
comme historien autodidacte et poète. Pratiquant le notariat de façon
intermittente, il travaille également auprès de banques, occupe le poste
354 Ces constitutions qui nous ont façonnés •
Anthologie historique des lois constitutionnelles antérieures à 1867
Lionel Groulx
(1878, Vaudreuil, Québec – 1967, Vaudreuil, Québec)
Après des études classiques et théologiques, Lionel Groulx est ordonné
prêtre en 1903. Il poursuit ses études en Europe où il obtient un doctorat
en philosophie (1907) et en théologie (1908) à l’Université de la Minerve.
Il complète également une maîtrise ès arts (1917) à l’Université Laval à
Montréal et reçoit un doctorat ès lettres (1932) de l’Université de
Montréal. Éducateur et professeur, il enseigne dans de nombreuses insti-
tutions : collège de Valleyfield (1900-1915), École des hautes études
commerciales de Montréal (1915-1920), collège Basile-Moreau (1927-
1950). Nommé professeur d’histoire à l’Université de Montréal en 1915,
il est titulaire de la première chaire d’histoire du Canada (1915-1949).
Historien passionné, il est directeur de la revue L’Action française (1920-
1928), fondateur de l’Institut d’histoire de l’Amérique française (1946)
puis directeur de la Revue d’histoire de l’Amérique française (1947-1967).
Homme engagé, son militantisme social et national est reconnu grâce à
de multiples publications et conférences. Accumulant les distinctions
honorifiques, il s’illustre comme étant l’une des figures emblématiques
du mouvement nationaliste canadien-français et québécois.
Séraphin Marion
(1896, Ottawa, Ontario – 1983, Ottawa, Ontario)
Titulaire d’un baccalauréat (1918) et d’une maîtrise ès arts (1922) de
l’Université d’Ottawa, Séraphin Marion obtient un doctorat ès lettres de
l’Université de Paris (1924). Il enseigne le français au Collège militaire
royal de Kingston (1920-1923) et devient professeur de littérature cana-
dienne-française à l’Université d’Ottawa (1926-1952) où il participe à
la création de la Faculté des lettres (1927) et contribue à la Revue de
l’Université d’Ottawa. Ses fonctions de traducteur et de directeur des
publications historiques des Archives publiques du Canada (1923-1953)
356 Ces constitutions qui nous ont façonnés •
Anthologie historique des lois constitutionnelles antérieures à 1867
Duncan McArthur
(1885, Dutton, Ontario – 1943, Grand Bend, Ontario)
Détenteur d’une maîtrise de l’Université Queen’s (1908), Duncan
McArthur poursuit des études à Osgoode Hall et obtient un doctorat.
Il est admis au Barreau de la province en 1915. De 1907 à 1912, il travaille
avec le professeur Adam Shortt aux Archives publiques du Canada, dont
le responsable est Arthur Doughty, et contribue à la publication de
documents portant sur l’histoire constitutionnelle canadienne. Professeur
d’histoire à l’Université Queen’s (1922-1934), il occupe également le
poste de directeur du Département d’histoire. Sous-ministre de l’Édu-
cation (1934-1940), il est élu député libéral à l’Assemblée législative de
l’Ontario (1940) et devient ministre de l’Éducation (1940-1942). Il a
contribué à divers ouvrages, dont Cambridge History of the British Empire
(1929) et Canada and its Provinces : a History of Canadian People and
their Institutions (1914).
Hilda Neatby
(1904, Surrey, Angleterre – 1975, Saskatoon, Saskatchewan)
Arrivée au Canada en 1906, Hilda Neatby obtient un baccalauréat (1924)
et une maîtrise (1928) en histoire de l’Université de Saskatchewan avant
de recevoir un doctorat de l’Université du Minnesota (1934). Elle
enseigne le français et l’histoire au Regina College (1934-1946) et devient
professeure à l’Université de Saskatchewan (1946-1969). Première femme
à occuper la direction d’un département d’histoire (1958-1969) ainsi
que le poste de présidente de la Société historique du Canada (1962-
1963), elle est également connue pour ses prises de position en faveur
d’une réforme de l’éducation au Canada. À ce titre, elle joue un rôle
important au sein de la Commission royale d’enquête sur l’avancement
Notices biobraphiques 357
des arts, des lettres et des sciences au Canada (commission Massey, 1949).
En plus de recevoir plusieurs doctorats honorifiques, elle devient compa-
gnon de l’Ordre du Canada (1967). Historienne du Québec, elle
s’intéresse à la période couvrant les années 1760 à 1791 et publie deux
ouvrages à ce sujet : Quebec : The Revolutionary Age (1966) et The Quebec
Act : Protest and Policy (1972).
Maurice Séguin
(1918, Horse Creek, Saskatchewan – 1984, Lorraine, Québec)
Licencié en lettres (1944) et docteur en histoire (1947) de l’Université
de Montréal, Maurice Séguin consacre sa carrière à l’enseignement au
sein de cette institution (1948-1984). D’abord chargé de cours (1948)
puis professeur agrégé (1950), il devient professeur titulaire de la chaire
Lionel-Groulx (1959). Bien qu’ayant peu publié, ses enseignements et
son interprétation historique de ce qu’il appelle les deux Canadas vont
faire de lui une pierre angulaire du néonationalisme caractéristique de
l’École de Montréal. Il s’intéresse particulièrement à l’aspect économique
de l’histoire du Canada français et cherche à se distancier de l’historio-
graphie dominante de son époque. Les normes, publié en 1965, détaille
le cheminement interprétatif de l’historien.
Pierre Tousignant
Pierre Tousignant est né en 1931. Il est professeur honoraire au
Département d’histoire de l’Université de Montréal. Il a notamment écrit
des articles dans le Dictionnaire biographique du Canada. Sa thèse, La
genèse et l’avènement de la constitution de 1791, a été publiée à l’Université
de Montréal en 1971. Il a publié plusieurs articles importants, dont « La
première campagne électorale des Canadiens en 179 », Histoire sociale/
Social History, XV(8), 1975, p. 120-148; de même que « Groulx et
l’histoire-interrogation sur le passé en vue d’une direction d’avenir »,
Revue d’histoire de l’Amérique française, XXXII(3), 1978, p. 347-356; voir
aussi « Le Bas-Canada : une étape importante dans l’œuvre de Fernand
Ouellet », Revue d’histoire de l’Amérique française, XXXIV(3), 1980,
p. 415-436. En 1999, il s’est associé à Madeleine Dionne-Tousignant
pour publier sa propre édition du classique, Les Normes de Maurice Séguin :
le théoricien du néo-nationalisme, Montréal, Guérin, 1999, 273 p.
358 Ces constitutions qui nous ont façonnés •
Anthologie historique des lois constitutionnelles antérieures à 1867
Denis Vaugeois
(1935, Saint-Tite, Québec – )
Après des études en lettres (1959) et en pédagogie (1962) à l’Université
de Montréal, Denis Vaugeois obtient un diplôme d’études supérieures
(1967) et un doctorat en histoire à l’Université Laval (1975). Il enseigne
l’histoire dans diverses institutions (1955-1965) et occupe des fonctions
au sein de différentes instances gouvernementales (1965-1976), puis est
par la suite élu député du Parti québécois à l’Assemblée nationale du
Québec (1976-1985) et exerce des charges gouvernementales, notamment
comme ministre des Affaires culturelles (1978-1981) et ministre des
Communications (1979-1980). Très connu dans le domaine du livre,
notamment pour son rôle dans la fondation de maisons d’édition, telles
les éditions du Boréal (1963) ainsi que les éditions du Septentrion (1988),
il publie lui-même un grand nombre de livres traitant de l’histoire cana-
dienne, québécoise et amérindienne. Ses qualités d’historien et d’écrivain
sont soulignées par de nombreuses distinctions.
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360 Ces constitutions qui nous ont façonnés •
Anthologie historique des lois constitutionnelles antérieures à 1867