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Le numérique au musée
Le numérique au musée
Table des matières
Extrait du rapport d’activité du Louvre 2018
Les expositions de Louvre en 2018
Delacroix (1798-1853)
Un rêve d’Italie La collection du marquis Campana [titre 3]
La France vue du Grand Siècle Dessins d’Israël Silvestre (1621-1691)
Pastels du musée du Louvre
La Gravure en clair-obscur Cranach, Raphaël, Rubens…
Petite Galerie 3 Théâtre du pouvoir
Petite Galerie 4 L’Archéologie en bulles
Les ressources documentaires et éditoriales du musée du Louvre en 2018 [titre
2]
Les images
Les traductions
Les bibliothèques
Les bases de données
Les productions numériques et audiovisuelles du Louvre : près de 19 millions de
visiteurs sur Louvre.fr en 2018
louvre.fr et musee-delacroix.fr
Les outils mobiles au service de la visite
Chiffres clefs
La communication numérique : le Louvre, musée français le plus présent sur Fa-
cebook, Instagram et Twitter
Recueil de textes
Extrait de l’article « Médiation et pratiques informationnelles des community
managers dans les musées »
Introduction
Socialisation numérique dans les musées
Méthodologie de recherche
Discussion et conclusion
La prescription au cœur des médiations numériques muséales
Introduction
Médiations muséales : usages et relations
Les tables multitouch
Les applications mobiles
Les applications mobiles à l’extérieur des musées
L’Internet et le participatif
Diffusion et prescription
Pour conclure : innover la prescription numérique
Extrait du rapport d’activité du Louvre 2018
Les expositions de Louvre en 2018
Delacroix (1798-1853)
Par son ampleur et son ambition, l’exposition a relevé un défi inédit depuis l’exposi-
tion parisienne qui commémorait en 1963 le centenaire de la mort de l’artiste. Il
reste encore beaucoup à comprendre sur la carrière de Delacroix : elle se déroule sur
un peu plus de quarante années (de 1821 à 1863), or les peintures qui font la
célébrité de l’artiste ont pour la plupart été produites durant la première décennie.
Souvent cité comme ancêtre des coloristes modernes, Delacroix décrit en réalité un
parcours parfois peu compatible avec la seule lecture formaliste de l’histoire de l’art
du 19e siècle. L’exposition a proposé une vision des motivations susceptibles d’avoir
inspiré et dirigé son activité picturale au fil de sa longue carrière, déclinée en trois
grandes périodes. La première décennie a été placée sous le signe de la rupture avec
le système néoclassique, au profit d’un recentrement sur les possibilités expressives
et narratives du médium pictural dans un contexte de crise de la peinture d’histoire
traditionnelle ; la seconde partie a cherché à évaluer l’impact du grand décor public,
principale activité de Delacroix dans les années 1835-1855, dans sa peinture de che-
valet où s’observe une tension entre le monumental et
le décoratif; enfin, les dernières années semblent domi-
nées par une forte attraction pour le paysage, tem-
pérée par un effort de synthèse personnelle rétrospec-
tive. Ces clefs interprétatives ont permis de proposer
une classification renouvelée qui dépasse le simple re-
groupement par genres ou bien le clivage romantique-
classique, et ménagent des effets de contrastes. Elles
permettent enfin de placer la production picturale de
Delacroix en résonance avec les grands phénomènes
artistiques de son temps: le romantisme certes, mais
aussi le réalisme, les historicismes, l’éclectisme. Ces
propositions ont stimulé de nouveaux débats au cours
de journées d’étude accompagnant l’exposition. Un catalogue et un album, tous deux
intitulés Delacroix et respectivement tirés à 16 500 et 33 000 exemplaires, ont ac-
compagné cette exposition.
Pourquoi avoir choisi de rétrospective à Eugène De- En France, il n’y avait pas
consacrer une grande lacroix ? eu de grande exposition re-
traçant la carrière complète ne sont représentatifs que position, le parcours se
de cet artiste depuis 1963, des dix premières années concluait avec l’importance
date du centenaire de sa de création. Pourquoi accrue du paysage qui
mort. 55 ans plus tard, abandonne-t-il les sujets baigne les compositions
alors que les recherches d’actualité après 1830 au tardives, et le rôle créateur
des historiens ont fait profit de sujets classiques que le peintre assignait à la
émerger une énorme ou décoratifs ? Quelle mémoire. Il y avait aussi un
quantité de sources nou- forme de modernité visait-il espace central dédié à
velles, il apparaissait utile dans les années 1850, alors l’écriture, complément in-
de décanter cette masse que sa peinture paraît si dispensable de la création
d’informations et de s’ef- dissociée de celles de chez Delacroix.
forcer d’en offrir une syn- l’avant-garde réaliste ?
thèse cohérente. Par Telles étaient les questions
ailleurs, cette envie rencon- qu’il fallait poser pour inté- Quelles sont selon vous
trait celle du Metropolitan resser le public non pas les raisons du vif succès
Museum of Art de New seulement au Delacroix de que l’exposition a rencon-
York pour qui une telle ex- 30 ans, mais aussi à celui tré auprès du public ?
position était encore néces- qui peint jusqu’à son der-
saire puisqu’il s’agissait de nier souffle, à plus de 60
faire découvrir pour la pre- ans. Le parcours de l’expo- Pour le public français et
mière fois au public sition et le catalogue qui européen, Delacroix fait
l’œuvre de l’artiste dans l’accompagne sont articulés partie de ces grandes fi-
toute sa diversité et sur en fonction de ces ques- gures familières dont on a
toute sa carrière. tions, ce qui a conduit à plaisir à se laisser sur-
une sélection et à un accro- prendre alors qu’on croyait
Quel nouvel éclairage
chage nécessairement sub- le fréquenter depuis long-
avez-vous souhaité porter
jectifs, mais qui avaient la temps. Utiliser La Liberté
sur l’artiste et son œuvre
vertu de surprendre et de guidant le peuple pour
avec cette exposition?
renouveler le regard sur cet l’affiche et le catalogue
L’enjeu n’était pas d’être artiste. Nous avons par était un signal de ralliement
exhaustif – impossible avec exemple choisi de mener le très efficace ; les visiteurs la
Delacroix, auteur de plus spectateur d’emblée et redécouvraient, sur un fond
de 700 peintures et 6 000 d’un seul coup aux grands bleu nuit, dès l’entrée de
dessins, d’une centaine formats des Salons de 1822 l’exposition. Notre souhait
d’estampes et de milliers à 1834 pour rendre sen- était que cette accroche
de pages écrites! – mais de sible la rapidité fou- rende le public plus dispo-
proposer une lecture nou- droyante avec laquelle De- nible pour découvrir en-
velle d’une carrière et lacroix trouve une place et suite ce qu’il connaît moins
d’une œuvre complexes: une voix singulière sur la ou pas du tout: les lithogra-
pour le grand public, sa scène artistique parisienne, phies noires, les études de
production se résume trop en réformant la peinture en nu brutales et sensuelles,
souvent à quelques chefs profondeur par les sujets et les énormes gerbes de
d’œuvre «romantiques» de par la technique picturale. fleurs, les déplorations aus-
grand format, alors qu’ils À l’autre extrémité de l’ex- tères et pathétiques inspi-
rées de la Passion du Christ,
les paysages flottants, éme-
raude et turquoise des der-
nières années, sans oublier
les pages magnifiques du
Journal ou des lettres. L’im-
pression conjointe d’abon-
dance, de diversité et de
cohérence a sans doute
contribué à rendre la visite
agréable et surprenante ;
s’y ajoutait la muséogra-
phie élégante et fluide si-
gnée par Victoria Gerten-
bach. Le peintre étant très
soucieux de la qualité
d’exécution et de l’intégrité
de ses peintures après lui,
ses œuvres brillent encore
aujourd’hui d’un éclat par-
ticulier, rehaussé par un
éclairage très soigné réalisé
par les équipes du Louvre.
L’exposition offrait un bain
de couleurs contrasté, servi
par un peintre qui ne se
laisse toutefois jamais dé-
border par une matière
qu’il maîtrise avec génie.
L’interview se termine ci-dessus
Musée du
Louvre,
7 juin au
10
Xavier 1 121 1 500 NC
Pastels du Salmon
musée du
rotonde septem-
Louvre Sully sud bre
Les images
Les iconographes du Louvre ont assuré en 2018 les recherches iconographiques pour une di-
zaine d’ouvrages et articles scientifiques, pour la médiation numérique et signalétique dans
les salles (Olympie, Parthénon, sculptures, Palais de Darius, espace didactique des arts gra-
phiques) et pour le catalogue, la médiation et la communication de six expositions dont
celles sur Delacroix et Campana. L’exposition «L’Archéologie en bulles» à la Petite Galerie a
constitué un enjeu inédit pour le musée en matière d’images, puisqu’il s’est agi de négocier
les droits de reproduction et représentation de 120 planches de bandes dessinées par 70 au-
teurs français et étrangers. 12 000 clichés réalisés en 2018 témoignent de la vie du musée :
montage d’expositions, chantier des salles Rouges et de l’accueil des groupes, restauration
du tombeau de Philippe Pot, chantiers des collections… Un important chantier de prises de
vue a permis de réaliser 1105 clichés en très haute définition de tapisseries issues de la
récupération artistique (œuvres MNR), qui seront diffusés sur la base ministérielle. L’alimen-
tation de la photothèque numérique interne a repris en 2018, à raison de 13000 clichés
d’œuvres intégrés, portant le total à plus de 233000 images. Enfin, le musée du Louvre a lan-
cé mi-2018 une réflexion active sur les conditions juridiques et opérationnelles de l’ouver-
ture des images de ses collections, en lien avec ses interlocuteurs ministériels et la Réunion
des musées nationaux-Grand Palais (RMN-GP).
Les traductions
Le volume de textes traduits en 2018 pour les besoins de médiation, communication, conser-
vation, information des publics, augmente de 46% par rapport à 2017, soit 2 182 feuillets de
1 500 signes, répartis entre 12 langues cibles. Cette hausse exceptionnelle est liée à la tra-
duction en cours des contenus du nouvel audioguide prévu pour 2020, au développement
des traductions d’articles scientifiques écrits par les chercheurs du Louvre, ainsi qu’à la géné-
ralisation de l’emploi du chinois dans la signalétique d’information, en plus de l’anglais et de
l’espagnol, accompagnant la hausse de la fréquentation par les visiteurs sinophones. La tra-
duction des cartels et panneaux de salles en anglais et espagnol se poursuit sur un rythme
identique à 2017 (1 200 cartels et 40 panneaux, notamment pour les sculptures françaises et
les antiquités grecques).
Les bibliothèques
Le projet de migration des catalogues des dix bibliothèques du musée du Louvre et du mu-
sée Delacroix dans un nouvel outil, lancé mi-2017, a abouti avec succès en juillet 2018: les
notices bibliographiques de quelque 200000 ouvrages conservés au Louvre sont désormais
consultables en ligne dans le catalogue collectif du Réseau des bibliothèques des musées na-
tionaux (RBMN), http://auroch.culture.fr, donnant une visibilité inédite à ces fonds spéciali-
sés en lien avec les domaines scientifiques du musée et contribuant à positionner le musée
en tant que lieu de production de la recherche et de mise à disposition de ressources scienti-
fiques. Les bibliothécaires du Louvre disposent aussi d’un nouvel outil de gestion pour les
opérations de catalogage, récolement, prêt, en remplacement de l’ancien logiciel tombé en
obsolescence. Le musée a mis en place des formations complètes à cet outil et a piloté pour
le réseau la rédaction d’un référentiel de catalogage.
Le Louvre a déployé en avril 2018 l’outil Intranet Collections en ligne, permettant aux agents
de consulter 215 000 notices d’œuvres issues de la base de gestion et de documentation.
Cette première étape décisive dans la diffusion numérique des collections a été suivie en
septembre par le lancement du projet Portail des Collections, dont l’objectif est la mise en
ligne des collections sur Internet fin 2019, dans une interface adaptée aux chercheurs
comme aux visiteurs. L’outil de gestion et de documentation des collections a connu en 2018
deux évolutions majeures: implémentation de l’inventaire unique informatisé, avec numéros
d’inventaire normés; conception de l’interface de traçabilité des œuvres par codes-barres,
en vue du déménagement et de l’installation des réserves au futur Centre de conservation
du Louvre à Liévin. L’intégration des données du musée Delacroix sera finalisée en 2019.
louvre.fr et musee-delacroix.fr
Face à la hausse de la fréquentation, louvre.fr [https://www.louvre.fr/] a continué d’évoluer
pour faciliter notamment l’accès à des informations pratiques et à la billetterie en ligne. Par
ailleurs, le site s’est également enrichi de nouveaux contenus à destination de différents pu-
blics : un documentaire sonore dédié aux époux Dieulafoy, des vidéos du MOOC «La sculp-
ture grecque d’Alexandre à Cléopâtre » avec les conservateurs du musée et en partenariat
avec l’École pratique des hautes études, un mini-site dédié au 14e Congrès international des
études nubiennes ou encore des médias dossiers pédagogiques. En mars 2018, le musée De-
lacroix a mis en ligne son nouveau site internet [https://www.musee-delacroix.fr/fr/] afin de
présenter le lieu, ses collections, son actualité et ses activités. Ce site, qui s’adapte à tous les
écrans, permet aux visiteurs de mieux préparer leur visite et favorise la découverte du lieu et
du peintre Eugène Delacroix grâce à une ergonomie et un graphisme repensés.
Les applications mobiles et l’audioguide du musée accompagnent les publics dans leur visite
des expositions temporaires et des collections permanentes. Avec les différents guides
édités, les outils papier mis à disposition des visiteurs et les dispositifs numériques in situ, ils
complètent la large palette de l’offre du musée. L’application de l’exposition dédiée à Eu-
gène Delacroix a ainsi permis de proposer des contenus sonores autour des chefsd’œuvre
présentés. Par ailleurs, l’application «L’Archéologie en bulles » conçue pour la 4e édition de
la Petite Galerie accompagne les visiteurs en situation de handicap dans leur déambulation.
L’audioguide du musée donne pour chaque grande exposition des clefs de compréhension
aux visiteurs grâce à des interviews des commissaires. Ainsi pour les expositions consacrées
à Eugène Delacroix et au marquis de Campana, les visiteurs ont pu se laisser guider à travers
les chefs-d’œuvre présentés. Les productions audiovisuelles Le musée a développé depuis de
nombreuses années une production audiovisuelle, qu’elle soit destinée aux outils de média-
tion in situ, à l’antenne ou aux réseaux sociaux et à la chaîne YouTube du Louvre
[https://www.youtube.com/c/museelouvre] . En 2018, le musée du Louvre a coproduit un
nouveau documentaire de 52 minutes dédié à l’artiste Eugène Delacroix autour de l’exposi-
tion. Ce documentaire a été diffusé sur France 5, projeté à l’École du Louvre et à l’auditorium
du musée et édité en DVD. La production de courts documentaires autour des techniques et
des métiers d’art s’est également poursuivie afin de faire découvrir au public les coulisses du
musée et les secrets des œuvres.
Chiffres clefs
Pour éléments suivants, faire une liste à puces
• louvre.fr: 18 907 184 visites (+4,3 % par rapport à 2017)
• musee-delacroix.fr: 726029 visites (+13,9% par rapport à 2017)
• applications du musée : +295 000 téléchargements
• 1 documentaire de 52 minutes sur Eugène Delacroix – 25 productions de courts documen-
taires
Recueil de textes
Extrait de l’article « Médiation et pratiques informationnelles des
community managers dans les musées »
Introduction
L’introduction de la communication constitue un changement important dans le monde des
musées. Elle se matérialise par l’importance prise par les expositions dans la programmation
muséale. Pour Daniel Jacobi (1997, p. 10), le passage d’un paradigme « de la collection et du
conservateur, à celui du media exposition, n’est pas une évolution quelconque, mais une
rupture ». Les modèles de communication muséale se trouvent par ailleurs bouleversés par
l’émergence des réseaux socionumériques. En effet, depuis les années 2000, les musées
doivent faire face au développement du Web social qui s’impose désormais comme un nou-
veau média. Ses propriétés nouvelles révolutionnent tant la production que la réception de
l’information culturelle permettant aux musées de multiplier leurs champs d’action (Dufrêne
et Ihadjadene, 2013). Dépassant leur statut de simples récepteurs, les usagers jouent désor-
mais un rôle actif dans l’évaluation de l’information participant ainsi à la production de la ré-
putation numérique des organisations culturelles. Face à la présence massive d’outils
comme Google ou Facebook, la communication des institutions culturelles s’est adaptée en
recourant notamment à une nouvelle catégorie d’infomédiaires que sont les Community
Managers. L’intégration de ces acteurs dans les stratégies de médiation numérique constitue
une évolution majeure de la communication des institutions culturelles.
Le métier de Community Manager (CM) est en lien avec la fonction de médiation puisque
l’on peut considérer le community management comme un mode de régulation numérique
entre les musées et les internautes (Bonafé-Schmitt, 1997) qui permet d’établir un climat de
confiance entre les usagers et l’institution culturelle. Aujourd’hui le métier de Community
Manager devient prépondérant, dans la mesure où la promotion d’évènements culturels,
l’attractivité des musées et la gestion de leur notoriété se jouent en partie sur les réseaux so-
cionumériques (RSN).
Dans cet article, nous présentons les résultats exploratoires de notre étude de terrain por-
tant sur les pratiques informationnelles des Community Managers en cherchant à mieux
comprendre comment ce groupe d’acteurs mobilise un ensemble de dispositifs numériques,
de sources informationnelles, de compétences cognitives dans différentes situations et acti-
vités professionnelles, ainsi que celles impliquées dans la médiation numérique.
Méthodologie de recherche
Notre étude empirique qualitative vise à examiner les caractéristiques du travail des CM,
l’hétérogénéité des opérations qu’ils accomplissent et leurs savoirs et savoir-faire pour
mieux comprendre leurs pratiques informationnelles et l’intégration de dispositifs de type
Web 2.0 dans leurs répertoires d’actions professionnelles. Pour ce faire, nous avons réalisé
dix-neuf entretiens dans le domaine muséal et culturel en France. Ces entretiens ont été ef-
fectués sur une période de deux ans, entre le 22/02/2016 et le 15/02/2018. Ils ont tous été
enregistrés et retranscris afin d’illustrer nos propos lors de la présentation de nos résultats.
Étant donné que la compréhension qu’ont les acteurs d’une situation, de son contexte et de
sa résolution s’appuie notamment sur leurs connaissances, leurs expériences et leurs valeurs
(Maurel, 2010), nous avons fait appel à la sense-making methodology (SMM) de B. Dervin
(Dervin, 2008), à savoir, la méthodologie communicationnelle de conduite d’entretien par
construction de sens. Nous avons choisi de compléter notre méthodologie de recherche par
le récit de vie des acteurs. En effet, on parle d’approche biographique ou de récit de vie pour
désigner des techniques d’entretien narratif au cours duquel un chercheur demande à son
locuteur de lui raconter tout ou partie de son expérience vécue. Selon Rob Evans, le récit
biographique met en évidence les ressources que l’individu mobilise pour faire face aux évé-
nements de sa vie (Evans, 2008), ce qui permet d’étudier ses représentations et d’en déga-
ger des modèles mentaux intégrateurs de savoirs et orientés vers l’action (Filion et Akizawa,
2012). Les deux méthodologies partagent « le regard d’un présent sur un passé (après-coup),
une mémoire qui produit du sens » (Paganelli, 2018, p. 108).
[…]
Discussion et conclusion
Le musée n’est plus un lieu de seule conservation d’objets culturels et de leur présentation
devant le public. Outre l’exposition, assurant seule cette fonction auparavant, les institutions
muséales se sont vues contraintes, avec la généralisation des TIC, de diversifier leurs formes
d’animations et de médiation en leur sein permettant ainsi de redéfinir selon Andreacola
(2014, p. 5) « les relations entre le musée et son public » qui « semblent pouvoir se redessi-
ner dans une temporalité étendue à l’avant et l’après visite ». De l’apparition des premières
bornes interactives jusqu’à la mise en œuvre de solutions issues du web sémantique, les mu-
sées ont continuellement favorisé l’interactivité avec les publics. Cette interactivité fait éga-
lement appel aux réseaux socionumériques considérés comme des supports de communica-
tion. Ils deviennent alors des outils de médiation (Degenne, 2011). Désormais, le musée est
en contact permanent avec son public via les médiateurs humains que sont les Community
Managers. Ces derniers, dans une démarche de médiation, animent les réseaux sociaux des
institutions muséales dans le but de fidéliser leur public et de toucher une nouvelle clientèle.
Notre étude montre que les représentations du métier de Community Managers sont
hétérogènes. Elles appartiennent à une catégorie d’activité dans laquelle le travail n’est pas
stabilisé (Aubouin et al., 2010). Il est ainsi possible de se poser la question de l’appartenance
de cette activité à ce que certains sociologues appellent les métiers flous, puisque les acteurs
ont de grandes marges de manœuvre pour définir leur métier au quotidien (Boussard et al.,
2010). La précision même des termes employés pour désigner l’activité de ces nouveaux ac-
teurs constitue un enjeu de légitimité de leur profession. L’hybridité des pratiques des Com-
munity Managers explique sans doute cette activité de monitoring pour mesurer l’impact de
leurs actions et légitimer leurs emplois (Ancieux, et al., 2018). Notons que le processus de
professionnalisation des acteurs de la communication n’est pas nouveau. Walter (1993) a
montré, dans le cas des directeurs de communication, comment le travail de mise en visibili-
té contraste avec l’hétérogénéité des membres de la profession.
L’analyse de toutes les situations issues des entretiens nous a permis d’identifier une typolo-
gie d’actions assurées par les Community Managers au sein des institutions muséales (straté-
gie de communication numérique, community management, éditorialisation des ressources,
formation et conseil, contrôle et monitoring, veille et médiation). De façon générale, elles
correspondent à celles proposées par les auteurs comme (Moretti et Tuan, 2015) ou (Ertz-
scheid et al., 2010). Les acteurs du projet européen Mu.SA ont proposé les profils de métiers
émergents dans les musées en vue de faciliter leurs certifications (Silvaggi, 2016). Les com-
pétences nécessaires aux Community Managers que proposent les acteurs du projet Mu.Sa
sont réduites par rapport aux activités listées dans notre étude ou celles de Couillard (2017),
notamment, quant à l’intérêt porté à la médiation par les Community Managers français.
Nous pouvons noter, qu’en-dehors du champ culturel, la catégorie d’activité « médiation »
ne semble pas être répertoriée comme distinctive des autres rôles/activités.
Dans notre étude, nous tentons également d’appréhender les contours de la médiation nu-
mérique dans les musées en lien avec les réseaux socionumériques en étudiant les processus
informationnels à l’œuvre dans les activités professionnelles des Community Managers. Au
sein de notre groupe d’acteurs, certains Community Managers se sont clairement identifiés
comme étant des médiateurs. Le Community Manager gère les interactions, les réactions et
les commentaires des publics sur la vie de l’institution muséale, tout en relayant cette parole
auprès des instances de décision de l’établissement (Magro, 2015). Les Community Mana-
gers interviewés ont évoqué la médiation numérique comme démarche de captation de
l’attention des publics afin d’entretenir un lien permanent et très ouvert avec celui-ci. Dans
d’autres situations, elle a été vue comme un rapport avec le public et qualifiée de multi-mé-
diation, dans la mesure où elle permet aux visiteurs de dialoguer, de s’entretenir et de ré-
agir. Cette médiation peut prendre plusieurs formes, ce qui corrobore les études de Jacob -
son (2017) et de Couillard (2017). En dehors de la catégorie d’activité désignée comme « mé-
diation », les autres activités participent implicitement à la médiation numérique muséale
des CM (community management, éditorialisation, formation et conseil).
Pour exercer l’ensemble de ces activités professionnelles, les CM se tournent vers la matière
première qu’ils travaillent : l’information. L’étude des sources informationnelles des commu-
nity managers montre le caractère interactif des pratiques informationnelles. Ces dernières
constituent une partie intégrante des activités professionnelles de ce groupe d’acteurs. En
conclusion, nous pouvons avancer que les théories en matière de pratiques information-
nelles pourraient contribuer à la description des pratiques professionnelles des Community
Managers, dont la médiation, ainsi qu’à celle de leur identité et légitimité professionnelles.
Introduction
La médiation culturelle, fonction essentielle dans les musées, pour accueillir et impliquer les
publics, en dépassant l’accès mais servant la transmission des savoirs (Bordeaux et Caillet,
2013), est au cœur des dispositifs numériques, mobiles ou fixes, qui visent des rencontres
entre publics et contenus scientifiques et patrimoniaux, tout en soutenant le sensible en re-
lation avec des connaissances et des expériences culturelles (Eidelman et al., 2013). Ces dis-
positifs se sont déployés dans les musées dès les années 1980 avec les bornes multimédia,
qualifiées dans les années 1990 d’interactives. Le thème de l’interactivité (Papilloud, 2010) a
longtemps accompagné le développement numérique, jusqu’à l’expression « expérience uti-
lisateur », à partir des années 2000. C’est à cette période que les sites web de musées se
multiplient, suivis des premières expérimentations participatives dites 2.0. Dans l’enceinte
des musées, les interfaces multitouches et mobiles sont plébiscitées dans les années 2010.
Dès lors s’intensifient les médiations qui visent la participation dans les expositions et à dis-
tance sur l’Internet muséal.
Dans ce contexte d’usages numériques, nous faisons l’hypothèse que la mission de diffusion
des musées et les savoir-faire en matière de médiation numérique conduisent à faire évoluer
et maintenir la prescription.
La prescription numérique fait en effet l’objet d’une acceptabilité pour bénéficier de la per-
sonnalisation et de la rapidité des traitements de données. Pour ce faire, les usages sont tra-
cés et exploités selon des stratégies de captation de l’attention des usagers. Ces stratégies
servent des missions de valorisation des ressources et institutions, ainsi que leur position sur
les réseaux numériques, en prenant également appui sur la recommandation. La prescrip-
tion désigne justement la capacité d’exercer une influence pour faire agir, en livrant des in-
formations et des recommandations qui vont combler une incertitude ou confirmer un avis à
conforter dans des communautés d’intérêts. Sur l’Internet, la prescription s’appuie sur des
stratégies fondées sur des algorithmes, qui vont « définir la valeur à attribuer à un bien : le
consommateur se disqualifie lui-même comme acteur de ses propres choix en faisant appel
à un tiers "prescripteur" » (Benghozi et Paris, 2003). Des échanges et critiques vont circuler,
générant des données qui ont une valeur économique sur un marché de la prescription re-
liée à une délégation du processus de prise de décision, notamment par les community ma-
nagers, les influenceurs et les algorithmes.
Pour vérifier notre hypothèse, nous mettons en perspective six études d’usages, menées
entre 2011 et 2017, de médiations numériques dans l’enceinte des musées : tables interac-
tives, dispositif multi-écrans et applications mobiles, et des applications mobiles à distance
1
. Parallèlement, nous considérons les usages du web participatif et le développement du
web des données culturelles2.
Ces usages sont produits par plus de 150 usagers, dans la mesure où, dans l’enceinte des
musées, nous adoptons des suivis de visites 3 , fréquemment en famille ou entre amis, ponc-
1 Le corpus de données d’usages numériques recouvre : dans l’enceinte de musées : deux applications (au Petit Palais et au Palais Galliera)
développées par Paris Musées, et trois tables interactives développées : une par Paris Musées (musée Cernuschi), une par Erasme-Lyon et
musée des Confluences, une par la Cité des sciences et de l’industrie. À distance : onze applications mobiles en relation avec des musées et
autres données patrimoniales. Voir les références des rapports d’études en bibliographie.]
2 [insérez ici la note de fin suivante : Le web des données recoupe la diffusion des ressources selon une interopérabilité des systèmes d’infor-
mation qui supportent les bases de données structurées. Voir (Bermès, 2011) et http://www.cidoc-crm.org
3 Nos suivis de visites ne sont pas appareillés. Une technique appareillée de suivi de visite de musée est présentée dans
(Schmitt et Meyer-Chemenska, 2014). Il s’agit d’une « mini-caméra » portée par des visiteurs durant leur visite, suivie d’un en-
tretien, filmé, réalisé en « re-situ subjectif » : après leur visite ils décrivent leur expérience de visite en visualisant le film de
leur parcours.]
tuées d’usages numériques (53 visites pour le musée des Confluences hors les murs au mu-
sée Gallo-Romain de Fourvière-Lyon ; 12 visites pour le musée Galliera, 15 visites pour le Pe-
tit Palais, 20 visiteurs au musée Cernuschi), ou menons des études de tests comme ceux de
la Cité des sciences et de l’industrie (29 visiteurs). A distance, 27 usagers d’applications ont
été rencontrés à l’extérieur des musées. Dès lors nous observons les usages dans leur
contexte, en saisissant les interactions de pratiques de musées et de pratiques numériques,
puis menons des entretiens semi-directifs 4 . Il importe de dépasser l’évaluation des utilisa-
tions fonctionnelles, néanmoins essentielles, pour saisir les usages dans le cadre de l’en-
semble des pratiques culturelles, communicationnelles et numériques, y compris sur les ré-
seaux.
Cette mise en perspective d’études d’usages permet de cerner non seulement l’évolution et
le maintien de la prescription numérique, mais également un enjeu épistémologique relatif à
la recherche sur les usages des médiations muséales numériques dans le contexte d’une
hyperconnectivité (Carré et Vidal, 2018) conduisant à une certaine confusion entre les pra-
tiques culturelles et numériques (Vidal et Panico, 2018). Une première partie expose l’ana-
lyse d’usages de médiations numériques muséales, dans l’enceinte et à l’extérieur des mu-
sées, pour saisir les enjeux de communication, de mise en relation entre les publics et les
musées. Ensuite, nous abordons la diffusion des ressources patrimoniales par voie numé-
rique, pour examiner la prescription culturelle contemporaine.
4 Les études qualitatives par observations et entretiens prévoient la relève des variables suivantes : ergonomie
des fonctionnalités, ergonomie cognitive, rythmes, position par rapport aux dispositifs, difficultés, besoin d’un
mode d’emploi, éventuels contournements d’usages, rapport aux contenus, usages par procuration, interactions
entre visiteurs, significations d’usages.]
5 Le développement du web sémantique avec le modèle RDF pour l’échange de données fondé sur leur significa-
tion, et renvoyant à des domaines de connaissances qui prend appui sur des ontologies pour relier des
concepts.]
L’évolution des sites web des musées se poursuit ainsi que celle de leurs publications sur les
réseaux sociaux numériques, permettant de saisir les enjeux d’information, de communica-
tion, de mise en contact et de la participation en ligne. Actuellement, le paradigme des ré-
seaux pervasifs qui relient réseaux locaux et objets augmentés avec divers contenus numé-
riques, dont ceux du secteur patrimonial, autrement dit l’Internet des objets pour un réseau
de ressources sur des territoires, s’étend également dans les musées en s’appuyant sur des
pratiques en mobilité.
Dans l’enceinte des musées, les visiteurs équipés de leurs terminaux connectés à Internet ac-
cueillent des propositions innovantes comme les tables multitouch et les applications mo-
biles. Dès le début des années 2000, les musées pensent la visite augmentée par des disposi-
tifs numériques mis à disposition dans les expositions, avec la possibilité de retrouver sa
photographie en ligne10 ou son parcours de visite. Les années 2010 témoignent d’un autre
tournant de la médiation numérique, dans laquelle les visiteurs interviennent, avec des don-
nées durant la visite qui entrent et sortent via l’Internet11 grâce à l’initiative des visiteurs
équipés de leur smartphone ou tablette. C’est la décennie du déploiement dans les musées
des tables interactives multitouch ; le musée des Confluences avec Erasme à Lyon, la Cité des
sciences et de l’industrie, et Paris Musées au musée Cernuschi proposent cette médiation
numérique.
Néanmoins les visiteurs critiquent l’application quand ils n’obtiennent pas les contenus aug-
mentés désirés, que la plupart vont chercher sur Internet. En fait, ils critiquent l’application
quand celle-ci leur apparait prescriptive dans la mesure où elle privilégie les œuvres sélec-
tionnées. De façon ambivalente, les visiteurs revendiquent une visite sans prescription, et
dans le même temps cherchent des repères sans se référer au plan fourni dans l’application.
Nonobstant ces appréciations et critiques, les applications font l’objet de significations
d’usages qui conduisent les visiteurs à adopter une posture réflexive fondée sur l’expérience
culturelle et numérique. Aussi, proposent-ils une évolution des applications permettant le
partage de leur visite et facilitant la recherche de données, dans une dynamique qui fait
communiquer l’intérieur et l’extérieur des musées. D’ailleurs, de nombreux visiteurs-usagers
cherchent la géolocalisation, rejoignant la revendication d’une correspondance entre le par-
cours de visite et l’augmentation des données d’exposition, selon un fil narratif reliant les
contenus à renforcer et évitant leur redondance. Penser le hors les murs tout en visitant les
musées, telle est la situation à prendre en compte avec les usages numériques. Les applica-
tions mobiles constituent les actuelles médiations permettant ce lien entre l’enceinte et l’ex-
térieur des musées.
Comme nous le constatons, les musées composent désormais avec la culture numérique de
leurs publics, visiteurs ou non, afin de concevoir et réaliser leurs médiations numériques in
situ et hors les murs. Les prescriptions sont au cœur des médiations et sont accueillies par
des publics qui expriment leurs critiques dans le cadre de l’ambivalence de leurs usages, y
compris en ligne.
L’Internet et le participatif
Depuis une bonne dizaine d’années, l’Internet muséal propose d’impliquer les publics à dis-
tance avec le participatif numérique. Dans l’enceinte des musées également, les médiations
favorisent la participation des publics, qui correspond à un récent engagement de profes-
sionnels de musées pour l’innovation ouverte. Tout en assurant une fonction de communica-
tion, les appels à photographies, dessins, témoignages, voire contributions, jusqu’à parfois
envisager la co-conception d’exposition6 se développent. Les sciences participatives rem-
portent un franc succès auprès de publics amateurs de sciences. Ce type de médiations fait
circuler différentes représentations du musée en rupture dans une certaine mesure avec
celle du musée centré sur la diffusion des connaissances, qui se poursuit néanmoins avec la
structuration des données patrimoniales en réseau. Dans ce contexte d’innovation perma-
nente, l’exposition reste une figure majeure de la médiation muséale, mais depuis deux dé-
cennies, l’Internet peut apparaître comme un vecteur de communication pour expérimenter
de nouvelles relations avec les publics, fondées sur la rigueur scientifique au service de la
qualité des contenus.
6 Le Brooklyn Museum expérimente la co-conception d’expositions avec ses publics depuis plusieurs années [En
ligne]. http://www.brooklynmuseum.org/community/. Le Rijksmuseum d’Amsterdam ouvre ses données et son
studio vise à développer la créativité de ses publics : voir l’interview de Martijn Pronk, responsable du site web
du Rijksmuseum, réalisé par Clic France en 2015.[En ligne]. http://www.club-innovation-culture.fr/martijn-
pronk-rijksmuseum-le-rijksstudio-a-attire-quelques-15-millions-de-visites-pour-200-000-comptes-personnels-
crees/. L’événement Museomix expérimente la co-conception avec des acteurs diversifiés des médiations numé-
riques. [En ligne]. http://www.museomix.com/.],
Du reste, les sites web des musées permettent de poursuivre la circulation de l’information
pour présenter l’offre des activités, telles les expositions, conférences, animations, publica-
tions, mais également la mise à disposition d’archives, de dossiers thématiques. Les objectifs
des musées sur l’Internet visent une mise en contact et la fréquentation, mais l’accès ne
suffit pas quand les internautes attendent des scénarios ludiques, tout en se référant aux
technologies 3D, à la réalité virtuelle ou à l’intelligence artificielle16. Les images et vidéos
jouent un rôle prépondérant dans la production d’expériences sensibles qui renvoient à l’ob-
jet original. Les textes jouent encore un rôle non négligeable, mais leur communication s’ap-
puie sur une écriture adaptée à la lecture écran, avec des textes courts, qui visent la vulgari-
sation des connaissances scientifiques en lien avec la collection et les activités des musées
en ligne. Avec images et textes courts, les internautes peuvent alors se laisser guider sans in-
tervenir dans la médiation pilotée par l’institution, n’empêchant pas l’expression d’inter-
nautes sur des thèmes reliés aux activités du musée ou aux fonds patrimoniaux sur des sites
exogènes notamment les réseaux sociaux numériques. Sur les blogs de musées, une ten-
dance à l’invitation de professionnels-amateurs, dits pro-am, qui peuvent par ailleurs être
des youtubeurs17 passionnés d’histoire, de sciences, ou amateurs éclairés, permet d’appor-
ter des contributions dépassant les expressions rapides sur les plateformes. Le musée ré-
pond ainsi de plus en plus aux attentes de délectation en ligne, d’accès aux connaissances,
de jeux, de participatif, dans le cadre de la fonction de prescription, notamment quand cer-
tains musées proposent des parcours par profils de publics ou de parcours.
À l’issue de cette analyse d’études d’usages numériques menées entre 2011 et 2017 dans et
hors musées, confirmant l’engagement du secteur pour le participatif et des usages ambiva-
lents entre prescription et autonomisation (recoupant la notion d’empowerment18), nous
poursuivons l’analyse de la situation des musées après quatre décennies d’expérience multi-
média, qui maintiennent leur mission de diffusion du patrimoine et des connaissances, en
ligne et dans l’enceinte des musées.
Diffusion et prescription
La mission de diffusion des musées est au cœur de la loi 200219. Sur l’Internet, les musées
ont ces dernières décennies fait preuve d’une appropriation professionnelle (Vidal, 2018, p.
17-40) pour diffuser des contenus patrimoniaux, assurer leur valorisation et communiquer
avec les internautes, avec l’enjeu de les transformer en visiteurs. Ce faisant, de nouvelles re-
lations avec des publics visiteurs ou non via l’Internet sont instaurées. Une mise en ligne
maîtrisée des contenus, quelques aperçus des coulisses et une participation contenue des in-
ternautes sont des situations de communication sur l’Internet muséal. La médiation en ligne
est prioritairement mise en œuvre pour une mise en contact et un rayonnement de la
culture muséale, selon un modèle de diffusion renouvelé (Vidal, 2018, p. 169-184).
Les études d’usages numériques menées permettent de cerner l’expérience numérique, les
relations publics-musées, les usages des réseaux sociaux numériques, mais aussi la circula-
tion des critiques. Les habiletés ergo-cognitives des publics qui éprouvent le plaisir d’agir
avec les technologies numériques permettent d’intervenir dans le processus de médiation.
En effet, les usagers du numérique muséal veulent être pris en compte de façon personnali-
sée et se sentir maîtres de la situation de communication numérique en mobilisant leur équi-
pement personnel pour faire circuler des contenus, en composant avec les prescriptions nu-
mériques. Ainsi, la rencontre entre publics et musées est au cœur de la prescription cultu-
relle numérique pilotée en ligne, mais aussi in situ.
Dans les musées, les usages de dispositifs multimédias au cours des visites font l’objet,
comme nous l’avons abordé, d’une expression critique qui stimule les usages et renvoient à
leurs significations. En effet, les usages numériques des visiteurs instaurent le dialogue avec
le musée dans le cadre d’une rencontre ponctuée de prescriptions avec les dispositifs de mé-
diation numérique. Néanmoins, il ne convient pas de considérer l’« expérience de visite »
comme « réception et fréquentation » (Falk, 2012, p. 6-8), car les publics souhaitent être ac-
teurs de leur visite, même s’il y a prescription. Au fil de leur visite, ils mobilisent les tables in-
teractives et les applications mobiles, rencontrent des médiations suscitant des postures
émotionnelles et critiques, tant du point de vue des contenus que de l’ergonomie. Les pu-
blics de musée contestent la complexité ergonomique et attendent une mise en débat sur le
fond suscité par les multimédias. Avec les médiations innovantes, les visiteurs disent recher-
cher l’« intuitif », des histoires en se référant au storytelling, des propositions ludiques, des
reconstitutions 3D. Sans efforts, ils veulent saisir ce qui leur procure du plaisir, avec les tech-
nologies et les contenus muséaux. Ils refusent les prescriptions associées aux contraintes et
veulent se repérer sans être guidés. Cette ambivalence marque l’évolution de la place de la
prescription et des formes qu’elle revêt, dans un contexte de culture numérique prônant li-
berté, facilité et aisance de consultation et communication. Ce faisant, ils inventent le sens
de leurs usages durant la visite, en puisant dans leurs connaissances préalables et leur sensi-
bilité. Ils souhaitent également partager leur expérience de visite dans leurs réseaux sociaux
vers l’extérieur avec leurs dispositifs personnels connectés à l’Internet, par envoi de photo-
graphies, de messages sur des plateformes 2.0, de sms ou mails. Ils complètent ou précisent
des contenus grâce à leurs recherches sur Internet depuis le musée.