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THE
STROKES Le récit de 20 ans de légende
RENCONTRE EXCLUSIVE
+ NOS SÉLECTIONS MUSIQUES, CINÉMAS, SÉRIES, LIVRES…
Sommaire
ÉDITO p. 4
12
Story p. 14
L’abécédaire Strokes ou l’histoire
du groupe en 18 mots clés
Décryptage p. 20
Les dix albums fondateurs
qui ont influencé l’écriture et le son
des New-Yorkais
6
CAHIER CRITIQUES
pp. 24-39
OÙ EST LE COOL ?
p. 40
French Waves, Zorba Productions
38 26
par Felipe Barbosa pour
Les Inrockuptibles
Les Inrockuptibles Edité par la société les Editions indépendantes, société anonyme au capital de 326 757,51 € - 10-12, rue Maurice-Grimaud, 75018 Paris Siret 428 787 188 000 39 Tél. 01 42 44 16 16,
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Rédaction Directeur de la rédaction Jean-Marc Lalanne Rédacteur.trice en chef Marie Kirschen (web) et Franck Vergeade (musiques) Rédactrices en chef adjointes Carole Boinet et Fanny Marlier Société Mathieu Dejean
Musiques François Moreau Cinémas Jean-Baptiste Morain, Bruno Deruisseau Livres Nelly Kaprièlian Scènes Fabienne Arvers Cool Alice Pfeiffer Secrétariat de rédaction – Secrétaire général de la rédaction Christophe Mollo
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Iconographes Valérie Perraudin, Julie Delaittre-Vichnievsky Retouche images G C Photographe Renaud Monfourny Illustrateur.trice Timothy Durand, Camille Roy Compilations François Moreau
Ont collaboré à ce numéro : Raphaëlle Berlanda-Beauvallet, Vincent Brunner, Alexandre Büyükodabas, Thierry Jousse, Olivier Joyard, Ingrid Luquet-Gad
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Fondateurs Christian Fevret, Arnaud Deverre, Serge Kaganski © Les Inrockuptibles 2020. Tous droits de reproduction réservés.
Drake dans
le clip
Toosie Slide,
réalisé par
Theo Skudra
capture d’écran
Synchrones
Des images de confinement, nous en cet art compliqué de l’indécence inclusive. Indécence, parce
sommes tou·tes largement abreuvé·es depuis qu’un niveau de richesse insensé s’y étale de façon totalement
des semaines. Parfois, elles émanent défiltrée (à côté duquel les maisons à colombage des écrivain·es
d’artistes connu·es. Des images homemade, français·es paraissent bien modestes). Inclusive parce que,
postées sur des comptes personnels ou ceux étonnamment, l’artiste réussit à ce que cette ostentation ne
de médias (dont Les Inrocks), où chacun·e heurte quasiment personne, ne déclenche aucun embrasement
Jean-Marc offre à ses congénères confiné·es une reprise, polémique sur les réseaux et paraisse moins une narguerie
Lalanne
une nouvelle composition, un message de de grand privilégié qu’une invitation. C’est le miracle du dance
réconfort (voire la traversée hallucinée d’un challenge, reproduit à l’infini partout sur Terre et posté sur
Paris désert à la recherche d’une pharmacie TikTok. Un pied jeté en avant, puis sur le côté, tous ensemble, et
de garde, sur d’inquiétantes nappes de synthé, comme Arielle comme par magie les inégalités de confinement s’adoucissent.
Dombasle dans une vidéo déjà culte)… Une œuvre marqueur de son époque, les Strokes en avait déjà
Souvent, des bouts d’intimité domestique sont soudainement réussi une avec éclat. Indubitablement, c’est à New York qu’a
partagés (un coin de bibliothèque, un bout de canapé). commencé le XXIe siècle en septembre 2001. D’abord, l’histoire
Ce nouveau standard proliférant, et généralement très lo-fi, humaine globale – géopolitique, idéologique –, avec la tragédie
de l’artiste confiné·e qui chante chez lui·elle, un clip récent vient que l’on sait. Mais aussi une histoire plus mineure – mais
de lui donner sa forme de blockbuster : Toosie Slide, réalisé qui ne nous importe pas moins –, celle des courants esthétiques
par Theo Skudra pour Drake. Quelques très beaux plans et des formes : il a suffi d’un vrombissement introductif de
nocturnes d’un Toronto vidé de présence humaine ; la star gantée guitares pour que Is This It reconfigure la cartographie musicale
et emmitouflée dans des tissus barrières ; juste trois plans- de l’époque et inaugure avec flamboiement une décennie de
séquences qui nous convient à suivre le rappeur dans sa retour du rock.
déambulation à domicile ; quelques pas de danse, un devant puis Presque vingt ans plus tard, après une très longue absence,
un de côté, propres à déclencher du mimétisme viral de masse : les Strokes reviennent, et le moment paraît tout aussi charnière.
et voilà, le tour est joué. Certain·es analystes affirment même que c’est en fait
Nul doute que la crise mondiale que nous vivons vient maintenant, avec cette crise sanitaire en cours, puis avec la crise
de produire sa première œuvre artistique notable. Dont le économique, sociale, politique à venir, que nous entrons
propre est à la fois de figurer fortement ce moment – solitude, véritablement dans le XXIe siècle. Les dix-neuf années qui nous
confinement, isolement – tout en visant à le transformer séparent de septembre 2001 n’étaient peut-être qu’un long
– l’invitation à la danse pour ressouder une communauté de sas entre deux siècles. Pour accompagner cette deuxième entrée,
corps, même virtuelle. les Strokes ont en tout cas trouvé le titre parfait : The New
On sait depuis le clip de God’s Plan, qui le voyait distribuer Abnormal. Tandis que notre quotidien isolé et prostré semble
le budget de la vidéo (1 million de dollars) à des passants d’un avoir dérapé hors du régime du réel, saura-t-on s’adapter à cette
quartier populaire de Miami, que Drake est passé maître dans nouvelle anormalité ?
United We Stream
Le plus grand club virtuel au monde
United We Stream est une initiative de la Berliner Clubcommission et du réseau Reclaim Club Culture.
Les revenus de ce projet seront redistribués afin de contribuer à la survie des clubs et artistes berlinois dans le contexte
de confinement. United We Stream = Unis nous diffusons.
En Une
JUST
JUST LIKE
LIKE
A
A ROLLING
ROLLING
STROKES
STROKES
En Une The Strokes
permettait de reformer une unité. Au fond semblent véritablement prêts à nous même pièce”, finit-il par nous dire. Dans la
de nous, nous sommes toujours ces gamins laisser percer. Il nous faudra l’aide de tête d’Albert, les choses ne sont pas plus
de 18 ans qui se connaissent par cœur les uns Fabrizio Moretti pour y voir plus clair. claires : “Peut-être que Julian savait où
et les autres et qui seraient partants pour Tout juste sait-on que The New Abnormal l’on allait… Ce qu’on faisait, c’était arriver
tout. L’amour. Il y avait quelque chose de si a donc été enregistré chez ce bon vieux tôt en studio, préparer quelques chansons en
spécial. Je ne sais pas où ça se trouve en Rick Rubin, sur les hauteurs de Malibu, établissant une setlist et on commençait à
chacun de nous mais ça nous relie tellement au Shangri-La Studio : “Il y avait ces faire des jams.” On demande confirmation
que ça me donne presque envie de pleurer… immenses feux à Los Angeles, se rappelle à Fabrizio : “C’était une sorte d’exercice,
C’est trop beau.” Même son de cloche du Julian. Beaucoup de maisons ont brûlé pour vivifier nos muscles et voir si des choses
côté de Fabrizio Moretti, le batteur, mais Shangri-La a survécu, par miracle. que l’on pourrait utiliser sortaient des jams
contacté par téléphone deux mois plus C’est de là que vient le nom de l’album, de avant que Rick Rubin n’arrive. Ça nous
tard : “Il semblerait que le plan de Rick ces conditions météorologiques extrêmes, permettait de voir ce qu’il y avait à creuser
Rubin était de nous ‘déverrouiller’. Comme de cette violence…” Moretti n’en revient sur telle ou telle chanson. Il y avait cette règle
s’il savait qu’il y avait quelque chose dans d’ailleurs toujours pas : “Oui, c’est fou. qui disait qu’il fallait que l’on enregistre
notre sang qu’il fallait réveiller.” Comme si les dieux de la musique avaient l’intégralité de ces sessions, nous rencarde-t-
protégé l’endroit. Tu savais que l’ancien tour il. “Est-ce que, moi, je savais à quoi
Mais la presse, Julian et sa clique bus de Bob Dylan était garé dans le jardin ?” ressemblerait le disque dans son entièreté ?
s’en foutent pas mal. D’ailleurs, Lorsque l’on demande à Julian des Non, nous prévient Albert. Mais c’est
lui comme Albert ont directement précisions sur l’enregistrement du disque, aussi ça, un processus de création d’album.
montré des signes de défiance en le flou opère : “Je sais pas… je veux dire, J’imagine que d’autres groupes ont besoin
nous voyant arriver, même si le guitariste c’est dur de se rappeler après toutes ces d’un thème pour avancer, j’ai l’impression
hirsute de la bande restera finalement une années, je n’arrive pas à réfléchir comme qu’ici le thème s’est trouvé tout seul durant
heure à discuter au lieu d’aller boire des ça… j’ai juste travaillé dessus… Ok, désolé, l’enregistrement. Il n’y avait pas de feuille
coups dans les coulisses avec Alex Turner, c’est une réponse de connard. On a fait de route, quand Julian a rassemblé les demos
deux musiciens de Phoenix ou encore quelques maquettes à New York, aux Red et nous a fait écouter le tout, on s’est dit :
Hedi Slimane. Le processus de création Bull Studios, et j’ai rassemblé tout ça chez ‘Putain, c’est ce qu’on a réussi à faire !’
d’un disque des Strokes demeure donc moi, Upstate New York. Et puis avec les gars Le résultat final tient de la magie que Rick
un mystère que ni Julian ni Albert ne on s’est retrouvés à Shangri-La dans la a su créer.”
bien connue : c’est au prestigieux Institut c’est de ne pas arrêter de changer. Quand
Le Rosey, une école privée suisse, que tu fais quelque chose de trop répétitif, ton
ce fils du fondateur de l’agence de cerveau s’arrête de penser. Tu dois l’exercer,
mannequinat Elite fait la connaissance faire en sorte que ton esprit reste ouvert.”
du dernier mousquetaire, Albert. “J’avais On évoque avec lui le chemin
13 ans, il en avait 15. C’était comme parcouru, les projets solo ou parallèles
un grand frère, retrace Albert. J’aimais nos des uns et des autres – dont son dernier
énergies. Ça me semblait cohérent. C’est en date, Machinegum – et le titre
comme de tomber amoureux. Deux mondes prophétique de ce sixième album,
qui se percutent. Nous étions si semblables The New Abnormal, qui, bien que faisant
et si différents. Lorsque nous vivions référence aux incendies ayant ravagé
ensemble, j’étais très ordonné et lui tellement la Californie en 2018, restera dans les
sale... Il était en avance sur moi. J’ai tant mémoires comme celui d’un disque sorti
appris. Il comprenait trop de choses que dans un monde confiné : “Je vais te
je ne connaissais pas. Aujourd’hui, je me sens raconter un truc, nous dit Fabrizio. Quand
capable d’écrire des morceaux, mais pas j’ai joué les premiers trucs de Machinegum
à cette époque. Je ne savais pas comment y à Nick (Valensi – ndlr), il a mis le doigt
parvenir.” Albert prend alors la guitare sur quelque chose. Il m’a dit : ‘Je n’arriverai
dans le tout jeune groupe que monte jamais à écouter ta musique, ou la musique
Casablancas : The Strokes. de n’importe lequel d’entre nous, sans penser
En janvier 2001, leur premier ep, à la manière dont j’aurais pu l’influencer.’
The Modern Age, fait l’effet d’une bombe. Et je pense que c’est bien vu, parce qu’on
La presse anglo-saxonne s’emballe. a tous nos moments pour essayer des trucs et
L’album Is This It déboule au mois d’août explorer d’autres vibes en dehors du groupe.
de la même année et achève de sacrer Mais quand on est réunis, on sait tellement
beaucoup de choses. Nous avons changé le retour du rock. Ce que ne fera que bien comment fonctionner ensemble.”
nos arrangements et nous avons retrouvé confirmer Room on Fire, deux ans plus The Strokes a tiré des boys bands un
cette énergie”, lâche Julian, la tête dans les tard. The Strokes tutoie les Ramones, précieux détail – devenu le socle
mains, sans que l’on sache si la posture le Velvet et les Rolling Stones dans des permettant au groupe de perdurer : son
est surjouée ou si le caractère introspectif esprits enfiévrés par leur habile twist : champ magnétique ne s’établit que dans
de l’interview l’atteint réellement. la multiplicité des mélodies, couplée au la réunion de ses cinq membres. Il n’y a
chant d’écorché vif d’un Julian qui qu’à voir le degré d’excitation s’amoindrir
Ils ressemblaient à quoi, les Strokes cherche à personnifier la lame du rasoir, légèrement lorsqu’il s’agit de leurs autres
à 18 piges, quand cette énergie vient titiller le classicisme de la formation projets. The Strokes est une véritable
n’avait pas besoin d’être ravivée ? chant-guitare-basse-batterie et assure hydre à cinq têtes, pilotées par un Julian
A une bande de potes fringués de la tête l’originalité d’un groupe qui se démarque omniscient, capable de tirer le meilleur
aux pieds au Rags-A-Gogo, cette friperie immédiatement des autres. de chacun pour accoucher d’albums.
de Greenwich Village où un certain Au fil de ses cinq albums, The Strokes Malgré tout, la motivation de ce groupe
Adam Green fit la rencontre d’Albert ; ne cessera de se réinventer, poussant qui semble perpétuellement au bord
une époque où l’idée de groupe toujours plus loin la recherche du titre du divorce nous échappe encore.
représentait le début et la fin de chaque parfait : aussi complexe qu’un trip sous Alors, pourquoi un nouveau disque des
chose, comme une sorte d’évidence LSD mais débordant d’une remarquable Strokes en 2020 ? Albert laisse filer
cosmique. Une bande de potes montée efficacité. Fabrizio Moretti acquiesce : quelques secondes qui semblent durer des
par Julian Casablancas, qui rencontra “On ne pense pas à ce dont les gens ont plombes et lâche : “Parce que c’est ce que
chaque membre durant l’enfance ou besoin, ou ce qu’ils veulent écouter. On pense font les groupes.”
l’adolescence et se chargea de les cimenter à ce dont nous avons besoin. Je pense que la
les uns aux autres. L’histoire est désormais seule façon de faire quelque chose d’honnête, Lire la critique de The New Abnormal p. 12
CERTIFICAT
D’ANORMALITÉ
L’œuvre
de Jean-
Michel
Basquiat,
Bird
on Money,
1981,
illustre la
pochette
de ce
nouvel
album
Pour ce sixième album espéré depuis sept ans et produit par l’immense
Rick Rubin, les Strokes sont au rendez-vous et déjouent
tous les pronostics de leur décomposition. THE NEW ABNORMAL est
la bande-son idéale de cette étrange période – et au-delà.
LORS DE LA SORTIE DE “COMEDOWN MACHINE” (2013), You Only Live Once, Machu Pichu, Tap Out. Qui dit mieux
DISQUE FACILEMENT RECONNAISSABLE À SA POCHETTE depuis vingt ans à part Phoenix ? S’ensuit Selfless, dont l’entame
ROUGE ET AU LOGO RCA plus imposant que celui quasi doucereuse et la mélodie circulaire épousent idéalement
des Strokes, beaucoup firent la fine bouche à l’écoute de ce les modulations vocales de Julian Casablancas, entre parlé-chanté
cinquième album. Et pourtant, en 39 minutes et 55 secondes, et rage contenue. Si Brooklyn Bridge to Chorus, le troisième
comme il était annoncé sur le faux sticker imprimé, les cinq et nouveau single, aurait pu figurer sur Is This It pour cette
New-Yorkais réassemblés signaient une collection de morceaux propension new-yorkaise à faire le grand pont entre le Velvet
inespérés. En poursuivant leur quête synthétique (One Way et Television, Bad Decisions lorgne plutôt du côté de l’Angleterre,
Trigger), déjà esquissée sur le déceptif Angles (2011), tout en décalquant la rythmique de New Order avec le gimmick
ne perdant rien de leur ADN électrique (All the Time), du Dancing with Myself de Billy Idol (évidemment crédité
les Strokes livraient un grand cru, dont personne n’imaginait au générique avec son comparse Tony James pour leur tube
alors qu’il pourrait être le chapitre conclusif de l’histoire du détourné de 1983).
meilleur-groupe-de-rock-des-années-2000.
Sans donner la moindre interview, Julian Casablancas L’une des grandes surprises de The New Abnormal,
(chanteur), Albert Hammond Jr. (guitariste), Nick Valensi produit de main de maître par l’insigne Rick Rubin,
(guitariste), Nikolai Fraiture (bassiste) et Fabrizio Moretti c’est un Eternal Summer réunissant les Strokes et les frères
(batteur) repartaient vaquer à leurs occupations respectives. Richard & Tim Butler des merveilleux Psychedelic Furs
D’où la surprise provoquée par le maxi Future Present Past EP (qui d’ailleurs feront bientôt leur come-back discographique,
(2016), édité par Cult Records, le label de Julian, lequel vingt-neuf ans après World Outside). Sur Eternal Summer,
avait déjà trouvé un autre terrain d’expression collectif avec plage s’étirant sur six minutes, Julian Casablancas a la voix plus
les teigneux The Voidz. Sur ce maxi, dont le éraillée que jamais, timbre qui, par ailleurs,
mot “future” paraissait un vœu pieux sinon est sa marque de fabrique : “I can’t believe it /
une provocation, The Strokes jouait encore, This is the 11th hour / Psychedelic / Life is such
le temps de trois morceaux (dont l’inoubliable Sur Why Are Sundays a funny journey.” Séparant les deux faces,
Drag Queen porté par la voix inimitable de So Depressing, c’est le morceau central du disque, croisant
son leader), concentré et resserré comme le qui prend une autre un rock à la fois rustaud et hypnotique au
cinq majeur du rock contemporain. son eighties avec le jeu de batterie
Annoncé le 11 février par le groupe lui-
dimension en incomparable de Fabrizio Moretti, avant
même via les réseaux sociaux (on est en 2020, ces temps confinés, d’enchaîner avec At the Door, le premier
plus à l’époque quasi préhistorique d’Is This It Julian Casablancas single déjà évoqué.
en 2001, quand ni Twitter ni surtout Facebook Puis vient Why Are Sundays So Depressing,
n’existaient), The New Abnormal est, sur le
lâche la bride et étale comme un clin d’œil manifeste au classique
papier, fidèle à la logique métronomique du ses états d’âme Everyday Is like Sunday de Morrissey,
groupe : une dizaine de morceaux (neuf qui prend une autre dimension en ces temps
même, une première dans leur discographie), confinés. Antépénultième titre, Why Are
un tracklisting déroulé comme un scénario, une pochette Sundays So Depressing annonce aussi une fin de disque en pente
graphique, en l’occurrence une peinture de leur compatriote douce, où Julian Casablancas lâche la bride et étale ses états
Jean-Michel Basquiat, Bird on Money, réalisée en 1981. d’âme (Not the Same Anymore, superbe ballade introspective).
En rampes de lancement, The Strokes publie deux titres Sur le conclusif Ode to the Mets, le leader des Strokes semble
paradoxaux : At the Door (faux single de cinq minutes, lancinant même cracher sa bile, ses rancœurs envers ses comparses trop
comme un jour confiné et précisément coincé derrière la porte) longtemps ensevelies. Il suffit de lire les paroles pour le
et Bad Decisions, tube millimétré lâché le jour d’un Olympia comprendre au plus près : “Old friends long forgotten /The old ways
mémorable le 18 février dernier. On connaît la suite avec la at the bottom / Of the ocean now has swallowed /The only thing that’s
pandémie du Covid-19 dans le monde, ce qui confère une autre left / Is us – so pardon.” Cette chanson pourrait être l’épilogue du
interprétation au titre de The New Abnormal. Tout est désormais fameux Take It or Leave It, qui refermait Is This It.
nouveau et anormal, jusqu’à cette sortie du sixième album A l’inverse de Phoenix, leurs cousins versaillais dont l’alchimie
des Strokes, passé en quelques semaines d’un événement reste aussi mystérieuse que stimulante à l’intérieur du quatuor,
planétaire à une sortie digitale à peine promue par les principaux les Strokes ont besoin de s’éparpiller pour mieux se retrouver,
intéressés (qui parlèrent en France seulement aux Inrockuptibles fût-ce de manière de plus en plus espacée. Car, après avoir
et à France Inter lors de leur passage express hivernal). attendu sept longues années le successeur de Comedown Machine,
Ouvrant l’album et joué pied au plancher dans une personne, pas même les cinq principaux intéressés, n’est capable
progression harmonique qui n’est pas sans évoquer The End de pronostiquer une suite discographique à The New Abnormal.
Has No End, The Adults Are Talking fut le tout premier titre C’est aussi ce qui rend encore plus beau et précieux ce sixième
révélé par The Strokes lors d’un concert de charité en mai 2019 album dont la date de parution fera toujours écho à la séquence
à Los Angeles. Sur ce morceau introductif, Albert Hammond Jr. historique que nous vivons. De telle sorte que The New Abnormal
et Nick Valensi s’en donnent à cœur joie, entre cocottes à la est la bande-son de notre époque confinée et, accessoirement,
guitare et soli savamment distillés. l’un des disques de l’année.
A bien y réfléchir, le groupe n’a jamais raté une seule entrée
en matière sur ses disques : Is This It, What Ever Happened ?, The New Abnormal (RCA/Sony Music). Sortie digitale le 10 avril
L’ABÉCÉDAIRE
STROKES C
AB
RCA/Sony Archives
8,5 C’est le nombre, en millions, premier ep, The Modern Age. Les Strokes
d’albums vendus par le groupe ressuscitent l’esthétique CBGB seventies :
depuis 2001. Un score pas si mirobolant perfectos cintrés, jeans slims et Chuck
si l’on considère l’aura du groupe, son Taylor All Star, mythique basket née
influence et sa place de choix sur la frise en 1917. Un clin d’œil à Mick Jagger (qui
historique du rock. Les trois premiers s’en chaussa pour son mariage avec
albums sont certifiés “disque de platine” Bianca Perez Morena en 1971), comme
en France (soit 300 000 exemplaires aux Ramones ou, plus tard, Kurt Cobain.
vendus). F. M. Grâce aux Strokes, la Converse redevient
symbole d’allégeance à une communauté
rock que l’on pensait moribonde et
CONVERSE “C’est un groupe en refleurit aux pieds des kids du monde
Converse qui débarque à un moment où tout entier. Propulsé égérie Converse, Julian
RCA/Sony Archives
le monde écoute Daft Punk”, résume très Casablancas enregistre My Drive Thru
The Strokes justement Ludovic Guinnebert, directeur en 2008 en featuring avec Pharrell
à New York,
en 2003 marketing chez RCA, qui bosse avec les Williams et Santogold, et initie ainsi un
Strokes depuis la sortie en 2001 de leur premier pas en solo… C. B.
The Strokes,
à New York,
en 2004
DAFT PUNK En septembre 2014, à Veridis Quo, à sa simplicité. Et ma The Lonely Island “everyone was wearing
une semaine avant la sortie du premier première réaction a été de leur dire : fingerless gloves” sur le titre Boombox.
album des Voidz, l’autre groupe de Julian ‘gardez-la en instrumental, ne gâchez pas Une façon de se moquer de lui-même ?
Casablancas, le New-Yorkais évoquait cette merveille avec ma voix !” F. M. “Ils recherchaient une vibe à la Terminator
dans une interview accordée aux (…). Je pense que quand j’en porte, ça ne
Inrockuptibles sa fascination pour le duo ressemble pourtant pas à une blague.
casqué français. Et dénigrait sa propre FINGERLESS GLOVES Peut-être que les gens pensent que si. Ça me
performance sur le titre Instant Crush : “Je garde les gants pour la photo ? Allez, va aussi”, déclare-t-il au Riverfront Times.
“Leur chanson Veridis Quo est sans doute je garde les gants pour la photo”, se Son côté gang dans le New York des
l’une de mes préférées de tous les temps. demande Julian lors du shooting de notre années 1980 (voir l’entrée Tyranny). F. M.
On évoque souvent leurs fondations funky, couv de cette semaine. Anecdotique,
que j’adore aussi, mais ce qui me touche peut-être, mais les fingerless gloves, ou
le plus chez eux est ce côté baroque. mitaines, constituent – avec la paire FUZLAB Derrière ce nom
Leur façon de mélanger le classique et les de lunettes de soleil toujours collée sur qui ressemble à un projet de la Nasa,
synthés est vraiment magique. Quand j’ai le pif – l’un des éléments de la panoplie deux hommes : le dessinateur français
entendu la chanson qu’ils me proposaient, de Julian Casablancas. En 2010, il chante Luz et Fabrizio Moretti, batteur des
Instant Crush, j’ai immédiatement pensé même avec le groupe parodique Strokes. A la suite d’une nuit alcoolisée
La salle du
Mercury Lounge
à New York
The Strokes
à New York,
en 2004
La pochette
du premier
album du Velvet
Underground
signée
Andy Warhol
The Velvet new-yorkaise qu’Is This It ultime disque des New- (2003) – ces deux petites
exaltera, des bas-fonds Yorkais (la pochette avec merveilles ne dépassant
Underground du Lower East Side les dinosaures coiffés de que très difficilement
The Velvet cocaïné à ce son garage sombreros), sorti en 1995. les trente minutes chrono.
Underground & Nico joué par des jeunes gens Il faut pourtant remonter Rajoutez à cela les
(1967) modernes à contre-courant à 1976 et la sortie skinny jeans, le perfecto
“Lou Reed disait que le des canons de l’époque. de Ramones, le premier et les baskets usées
premier album du Velvet La noirceur nihiliste de long format de la clique jusqu’à la corde, et vous
Underground n’avait été l’écriture de Julian dans de Joey Ramone, pour obtiendrez une belle carte
vendu qu’à trente mille ses moments les plus down retrouver l’une des sources postale du New York City
exemplaires. Je pense que se confondra avec celle de l’urgence punk d’Is This sounds à coller sur la porte
chacune des personnes de son aîné, quitte à troquer It (2001) et Room on Fire de votre frigo.
possédant une de ces l’expression des déviances
trente mille copies a depuis les plus perverses de ce
formé un groupe !”, aurait dernier pour une
dit Brian Eno en 1982. Une mélancolie romantique
sentence qui trouve encore de fin des temps.
sa vérité plus de trente ans
après la sortie de ce disque
séminal, avec la formation Ramones
des Strokes en 1998. Julian Ramones (1976)
Casablancas, lui, n’a jamais On est en 2006, les Strokes
caché son admiration pour sortent le maxi du single
Lou Reed – il a même Heart in a Cage, extrait du
repris Run Run Run pour la troisième album du groupe.
B.O. de la série de Scorsese La face B, Life’s a Gas, est
Vinyl. Outre les motifs une cover des Ramones (et
enchevêtrés de The Modern pas de T.Rex). Du très late
Age faisant écho au drogué Ramones, puisque ce titre
I’m Waiting for the Man, aux vertus dédramatisantes
c’est toute une filiation est issu de ¡Adios Amigos !,
Sensible et sensé
Le Français RICKY HOLLYWOOD reste
fidèle à lui-même avec ce deuxième album
fantasque et inspiré.
Frank Ocean
Dear April (Side A - Acoustic)
& Cayendo (Side A - Acoustic) Blonded
Soko
Are You a Magician ?
Le Californien publie deux nouveaux morceaux atmosphériques Babycat Records/Because
et poignants pour temps inquiets. Expatriée en Californie depuis
des années, la chanteuse
TANDIS QUE LE CONFINEMENT strangers / And our two strange lives”, bordelaise a fait appel
À ÉCHELLE MONDIALE SEMBLE chante-t-il sur Dear April, qui résonne à Gia Coppola pour réaliser
PROVOQUER DES EFFETS aujourd’hui de façon bien étrange, sans le clip fantasmagorique
INATTENDUS sur les habitudes d’écoute que nous sachions véritablement si cette de son nouveau single.
du public (les plateformes de streaming lettre en forme de ballade lacrymale Si, comme beaucoup d’autres
subiraient une baisse vertigineuse de s’adresse au mois d’avril ou à quelqu’un disques, la sortie du troisième
fréquentation), Frank Ocean poursuit son en particulier. album de Soko, Feel Feelings,
exploration des ambiances atmosphériques Remixés par Sango (Cayendo) et est reportée d’avril au mois
en rendant disponibles deux nouveaux Justice (Dear April), ces deux maxis, de juin, la Californienne
morceaux, déjà dévoilés lors de la promis à une poignée de chanceux en d’adoption fait patienter son
première soirée PrEP+ de l’ex-Odd vinyles collectors, sont destinés aux public en dévoilant un nouvel
Future, à New York, en octobre dernier. amants séparés par le lockdown généralisé, extrait, Are You a Magician ?,
Cayendo (chanté à la fois en espagnol à l’heure (suspendue) où les hits le titre d’ouverture psyché
et en anglais) et Dear April – dont pompiers du Top 200 Spotify ne font plus produit par Dustin Payseur de
Sorties
le sous-titre pourrait être Variations sur recette. Après la sortie l’année dernière Beach Fossils. Pour le clip,
spleen californien – nous plongent dans de DHL et In My Room, Frank Ocean la chanteuse et actrice a songé
une torpeur typiquement oceanique, en ajoute deux nuances de plus à son vague à la réalisatrice Gia Coppola
étirant le temps déjà long d’un printemps à l’âme ultra-moderne et solitaire. En (oui, la petite-fille de Francis
anormal. “Lead them left and right / At a attendant, peut-être, un nouvel album. Ford Coppola), pour qui
certain place and time / Like you took these Un jour. François Moreau “Soko est une inspiration. C’était
tellement amusant de pouvoir
collaborer avec elle”.
Tourné dans une maison de
poupée et dans un jardin
verdoyant, le résultat est un
conte pailleté et poétique,
où la magicienne Soko donne
vie à une peluche en projetant
dans un effet miroir tous
ses fantasmes. Mi-enfantine,
mi-illuminée, Stéphanie
Sokolinski alterne les scènes
de magie et de vie domestique
qui évoquent autant Edward
aux mains d’argent que l’univers
décalé des films de Wes
Anderson. De quoi patienter
avant la parution de Feel
Feelings, considéré par son
autrice comme “une invitation
à tamiser légèrement la lumière
et à se détendre, dans un espace
situé quelque part entre le rêve
et la conscience, entre désirer et
lâcher-prise”. Franck Vergeade
Juliet Berto
Sorties
tout entier est une déclinaison de tous les novateurs, les plus modernes de tout du groupe qui se cache). Tous connaissent
sens que peut prendre le mot d’interprète. le cinéma français. la lente descente de la désillusion. Si la
Il y a d’un côté les personnages de Léaud Alors que le film paraît voguer à vue, société résiste, si l’ordre se recompose,
et Berto, qui mènent une enquête, dériver sans fin au gré des impros de l’art est peut-être un champ plus fertile.
interprètent des signes, tentent de leur chacun, quelque chose pourtant se trame. Et si Out 1 est le plus grand film de 68,
arracher un peu de signification. Il y a C’est là que la durée exceptionnelle du ce n’est pas seulement parce qu’il
les deux troupes de théâtre, l’une menée film trouve toute sa mesure. Sa puissance documente et commente cette période
par Michèle Moretti, l’autre par Michael d’hypnose tient à ce qu’une fiction s’y historique. Le film est lui-même une
Lonsdale, dont les séances de travail élabore, mais à une vitesse proche du zéro. révolution, un coup formel inouï
sur deux pièces d’Eschyle scandent le film Certaines informations prennent sens au proposant à lui seul un autre cinéma
et qui, dans un style théâtral inspiré bout de plusieurs heures. Un événement possible. Une révolution comme Mai 68
des avant-gardes de l’époque (le Living mystérieux dans l’épisode 2 est éclairci en un sens manquée, car sans équivalent
Theatre, Grotowski, Peter Brook), dans l’épisode 5. Peu à peu, une figure se y compris dans le cinéma de Rivette.
interprètent leur texte. A la fois en dessine dans le magma, une forme Une révolution qui en même temps n’a
l’incarnant dans de sidérantes impros au s’organise dans ce qui semblait informe. jamais fini de s’accomplir, tant ce grand
bord de la transe, puis en se réunissant Quelque chose se tend, un suspense se met trip immobile, cette déflagration
à l’issue de la séance pour essayer de tirer en place, qui triomphe du sentiment de psychédélique à feu doux, ces noces un
un enseignement de ce qui s’est joué. surplace et d’incessantes digressions. peu folles entre cinéma feuilletonesque
L’interprète, c’est alternativement Ce sens qui point par lente coagulation des origines et modèle de série télé
celui qui explicite un sens et qui enfante d’informations dispersées, c’est un expérimentale encore à venir, n’a toujours
un monde, celui qui décrypte et celui portrait de la France dans l’immédiat pas épuisé ses réserves – d’invention
qui accouche. Rarement un film aura post-68. La clé est donnée lors d’un fantasque et de sédition poétique.
fait du travail de production d’un acteur échange entre Françoise Fabian, Jacques Jean-Marc Lalanne
sa matière même, son moteur à Doniol-Valcroze et Michael Lonsdale,
combustion. Et il n’est pas indifférent lorsqu’une référence est faite aux Out 1 de Jacques Rivette, avec Jean-Pierre
bien sûr que ces acteurs-là, Lonsdale, “événements d’il y a deux ans”. Le projet Léaud, Juliet Berto, Michael Lonsdale,
Fabian, Ogier, Lafont, Berto, Léaud…, secret de ces Treize était la révolution, et Bulle Ogier, Françoise Fabian, Bernadette
tous associés à la mémoire de certains le film montre ceux qui en ont porté Lafont, Michèle Moretti (Fr., 1971, 12 h 40)
Le 8 avril sur levideoclub.carlottafilms.com
des films mythiques de la Nouvelle Vague, le projet comme une communauté étêtée Lire notre article sur le Vidéo-Club
comptent parmi les plus beaux, les plus (le mystérieux Igor, absent du film, leader Carlotta p. 28
O Fantasma
du digital contre le physique.
Alités devant nos écrans, nous
voyons des films, nous visitons
des musées, nous assistons
de João Pedro Rodrigues à des concerts et nous sommes
même spectateur·rices de
Sur la plateforme Mubi, le premier long métrage du grand pièces de théâtre.
cinéaste portugais. L’odyssée sexuelle insatiable d’un jeune éboueur gay lâché Signe de ce basculement,
dans la nuit lisboète. Un chef-d’œuvre, brûlant et mystérieux. Carlotta, excellent distributeur
spécialisé jusque-là dans
À L’ÉPOQUE DE LA SORTIE EN FRANCE animale du sexe. On le voit dès les premières des pratiques physiques
Sorties
DU PREMIER FILM de João Pedro Rodrigues, scènes, il n’embrasse ni ne sent ses partenaires, – ressorties en salle et éditions
les critiques (notamment celle, sublime, il les lèche, les mord, les renifle, leur aboie de DVD –, vient de lancer
d’Olivier Séguret dans Libération) parlaient dessus ou grogne comme une chienne sa plateforme de streaming
d’O Fantasma comme d’un grand film sur en chaleur. Ses étreintes relèvent plus de par abonnement (dont l’offre
l’homosexualité. S’il est vrai que le film trône l’accouplement sauvage que de l’acte d’amour démarre à cinq euros par
en compagnie d’Un chant d’amour, de ou même de la baise. O Fantasma raconte mois). Le site, dont
Querelle ou des Roseaux sauvages parmi les une zoomorphisation, une métamorphose l’esthétique, il faut l’avouer,
chefs-d’œuvre du cinéma gay, on pourrait, kafkaïenne en forme de parade nuptiale, date des années MSN, se
à la lumière de L’Ornithologue, dernier film de rut éblouissant et solitaire. divise en six catégories dans
en date de l’auteur portugais, renverser Parmi les étapes de ce devenir-animal, lesquelles on retrouvera
cet axe de lecture, en ne donnant non pas il y a la rencontre, au bout d’une nuit passée une cinquantaine d’œuvres
à homosexualité le sens premier du terme à ramasser les ordures, d’un jeune motard de grande qualité, en partie
(attirance pour les individus de même sexe) sur lequel l’imaginaire de Sergio va se renouvelées chaque mois.
mais en le prenant à la racine, c’est-à-dire déchaîner. Mais ce fantasme n’est pas Il y a tout d’abord
l’homo-sexualité, la sexualité des humains. intellectuel, il est physique. Sergio fétichise “Le réalisateur du mois”
On se l’autorise d’autant plus que le titre du chaque élément ayant été au contact de (catégorie dans laquelle on
film lui-même s’amuse d’un double sens, l’objet de son désir, d’une paire de gants trouve les quatre premiers
puisque le portugais de fantasma renvoie tant troués à l’eau d’une piscine. Si le film films de Milos Forman),
au fantôme qu’au fantasme. reprend les codes du porno gay et du puis “Les incontournables”
Dans L’Ornithologue, Rodrigues se rêvait, sadomasochisme, c’est comme motif d’une (par exemple, Deep End
à travers le corps de Paul Hamy, tant sexualité brutale, comme bain révélateur de de Skolimowski, 1971),
en spécialiste des oiseaux qu’en Antoine notre instinct animal de possession physique. “Déjà culte”, “Découvertes
de Padoue, saint patron des animaux perdus, Bien que cette proclamation du sexe comme et raretés” (où figure
et finalement en homme retourné à l’état pulsion indomptable ne soit pas vraiment le magnifique Mad Love
de nature. Et si la grande obsession dans l’air du temps, O Fantasma n’en fait pas in New York des frères Safdie,
du réalisateur était au fond de traquer la l’apologie, il sonde avec une grâce infinie 2014), “Le coin des enfants”
persistance de l’instinct animal chez le bloc d’abyme de notre sexualité enfouie. et enfin les “Suppléments”,
l’homme, de précisément explorer une Bruno Deruisseau où l’on peut dénicher
sexualité non-humaine, animale ? de vraies pépites en accès
Car le fantasme de Sergio, le jeune libre. B. D.
O Fantasma de João Pedro Rodrigues,
éboueur lisboète du film, n’est pas celui avec Ricardo Meneses, Beatriz Torcato, Andre
d’une sexualité humaine mais d’une pratique Barbosa (Por., 2000, 1 h 30). Sur Mubi Sur carlottavod.com
Gaumont
Déambulation contemplative
entre trois continents, le film
emboîte le pas de quelques jeunes
Sorties
ouvrir à la Cinémathèque française en des serveurs dans Le Grand Restaurant La façon dont le film voudrait
ce début de mois d’avril, Louis de Funès ou les numéros musicaux de L’Homme avaler le monde tout entier
aura été, à titre posthume, l’une des orchestre. Pour aller à l’essentiel, de Funès et en capturer le (dé) règlement
victimes collatérales de la période. Mais, fut le seul en France, avec Tati, dont secret rappelle le cinéma de
grâce à la chaîne entièrement dédiée il est à la fois le contemporain et l’exact Rivette et sa vision du réel comme
à de Funès que Ciné+ vient tout juste opposé, à ressusciter le slapstick en plein un gigantesque jeu de piste,
de créer, l’acteur qui régna, sans partage cœur du cinéma parlant. une course de (dés) orientation.
ou presque, sur le box-office français A part ça, de Funès représente Peu de films ont si bien décrit l’état
tout au long des années 1960-1970 est, également un type social majeur de la jeunesse contemporaine
en même temps, l’un des grands des Trente Glorieuses : l’incarnation clandestinement connectée par un
triomphateurs du confinement. Et même dérisoire du chef, mêlant, avec délice, lien invisible (la consommation
s’il y manque quelques classiques, en la bassesse et la mesquinerie. Comme le massive d’instantanés du monde
particulier les films de Gérard Oury, la précipité chimiquement pur d’une société entier ? internet ? le désœuvrement ?)
série des Gendarme ou la trilogie Fantômas, ultra-hiérarchisée qui implose par la mais profondément esseulée.
l’amateur a tout de même quelques biscuits démence anarchiste du jeu de l’acteur. A quoi bon être un corps dans un
à se mettre sous la dent… Comme un carnaval où le bouffon monde où l’épreuve de la distance
C’est une évidence : la puissance de Funès vient miner de l’intérieur le n’existe plus, où il suffit d’être un
plastique, comique, métamorphique de gaullisme ou le pompidolisme dominant. œil pour traverser l’espace. En cette
l’acteur de Funès est bien supérieure Car, passé au Karcher de Funès, période de confinement, ce film
à la somme de ses films et à leur qualité l’archétype du petit chef ressort lessivé, qui acte la fusion du monde et de sa
intrinsèque. C’est une tempête, une épuisé, vidé de sa substance et venge le version digitale prend une saveur
tornade, que dis-je, un ouragan qui dévaste spectateur des diverses humiliations qu’il a toute particulière. B. D.
tout sur son passage, y compris le scénario pu éprouver. Et, même si les personnages
et la mise en scène, sommés de se rallier incarnés par de Funès peuvent paraître
à son panache dévastateur. Ce qui signifie datés, cette forme moderne de catharsis
que dans Oscar, Les Grandes Vacances, opère encore aujourd’hui. Ce qui explique
L’Homme orchestre ou L’Aile ou la cuisse, par sans doute l’incroyable ténacité avec
exemple, le monde entier est plié, le temps laquelle la folle créature continue, encore
du film, aux dévorants désirs de sa majesté aujourd’hui, à hanter nos cauchemars et
Louis Ier. D’ailleurs, si on les prend nos écrans. Thierry Jousse
au pied de la lettre, les films de De Funès
sont généralement des œuvres mineures Ciné+ de Funès jusqu’au 30 avril
Séries
avance par cercles délicats.
La force d’Unorthodox tient d’ailleurs
à sa délicatesse. Un gros mot, parfois,
quand il s’agit de parler d’art – l’indélicat
Amit provoque souvent les plus beaux résultats.
Rahav Il faut peut-être parler alors de modestie,
et Shira
Haas
d’une forme de retrait esthétique où les
effets les plus voyants (de mise en scène et
d’écriture) sont bannis pour laisser place
à une approche plus organique, guidée
La vie d’une très jeune femme physique et mentale qui s’imposait à elle, par le corps de l’héroïne dans divers états
est en jeu. A 19 ans, Esty (Shira Haas, pour s’exiler à Berlin. d’attente, de plaisir, de frustration.
vue dans Shtisel) appartient à une S’installent alors de fluides allers- Tout en colère rentrée, Shira Haas
communauté juive orthodoxe de retours entre sa nouvelle vie plus ou fait des merveilles. Elle se place à la
Williamsburg, à New York, où elle vient moins précaire et des flashbacks décrivant limite de la démonstration, mais n’y
de se marier à un type pas très sûr par le menu les semaines qui ont précédé sombre jamais. Dans ses pas, la série ne
de lui, ni méchant ni pesant, juste très sa fuite. Préparation au mariage, désirs propose rien de moins que le programme
gauche et surtout imposé par la famille. d’ailleurs à peine formulés et difficultés d’une renaissance improvisée, mais venant
Il n’est pas vraiment question pour Esty sexuelles se superposent à la recherche de loin… Anna Winger, la scénariste,
de voir autre chose de la vie que ce timide d’un nouvel équilibre dans la ville n’oppose jamais les deux mondes que
mariage arrangé et les bébés qui doivent allemande la plus ouverte qui soit. D’un connaît Esty, mais cherche à en cerner les
suivre. Ce qui a été tracé à l’avance par côté, Esty parle en yiddish avec les siens, beautés, les oppressions, les portes de
les siens doit servir de canevas. dans sa vie d’avant. De l’autre, elle rase sortie. Une quête de nuance qui fait du
Son groupe vit reclus en suivant les murs de la mégapole où tout le monde bien. Même dans sa partie la moins
les traditions hassidiques, faites de piété baragouine l’anglais, alors que la langue intéressante (la traque de l’héroïne par son
et de célébrations joyeuses de Dieu, locale sonne presque comme la sienne… mari et un autre homme de la
sans contact ou presque avec la vie Elle tente bientôt d’entrer au communauté), Unorthodox parvient
contemporaine qui se trame à l’extérieur. conservatoire après avoir rencontré un à déjouer les attentes. L’air de rien, l’une
Les femmes y ont une place désignée groupe de musicien·nes. Une certaine des meilleures productions Netflix depuis
dont elles ne sortent pas. Sauf qu’une confusion mentale s’ensuit. Comment longtemps. Olivier Joyard
échappée est possible. Nous voyons Esty trouver sa place quand on ne sent
quitter un matin la géographie à la fois vraiment son corps nulle part, quand Unorthodox sur Netflix
QUI SE RESPECTE, CELUI DE déambulation énigmatique qui, enivrée ressorts que dans le monde réel. Si
NATHANIEL HALPERN s’ouvre par une par sa propre joliesse, peine à s’extraire cette forme permet d’éprouver les
adresse à celle et ceux qui vont y plonger. d’une distance illustrative. rapports qui circulent entre les
Face caméra, un vieil homme esquisse Structurée comme un ensemble personnages, elle relègue le sous-
un cadre fictionnel d’un ton autoritaire de concepts à détonateur fantastique texte politique à l’extrême périphérie
qui nous intime à en reproduire l’énoncé – une fillette rencontre son double plus du récit. Deux glissements, pourtant,
sans trop l’abîmer : “Quelque part dans âgé, deux adolescents échangent leurs parviennent à la tendre vers des
l’Ohio, un centre de recherches surnommé corps, des amants figent le temps pour enjeux plus pertinents. En poussant
La Boucle a été construit afin de vivre leur romance en liberté – dont les braqueurs du côté de la lutte
déverrouiller les mystères de l’univers. le dénouement oscille entre la résignation armée, cette quatrième partie
Les expériences qui y sont menées produisent mélancolique et le tragique, la série éprouve le soutien populaire dont
des phénomènes extraordinaires. Tous souffre d’un rythme trop distendu ils bénéficient dans la fiction et celui
les habitants de la ville y sont connectés et ne parvient pas toujours à susciter de que les spectateurs leur accordent.
d’une façon ou d’une autre.” l’affection pour ses personnages. Et en sondant un coup d’éclat
Si le surnaturel irrigue effectivement Quelques belles idées parviennent essentiellement motivé par l’amour
chaque épisode (des galets s’agitent sur néanmoins à adoucir le mal de vivre et la beauté du geste, La Casa de
un ponton de bois, des flocons de neige qui les étreint. Quand une mère de famille papel pourrait opérer un glissement
remontent vers le ciel et des robots géants réconforte l’enfant effrayée qu’elle a inattendu vers le mélo criminel et
veillent sur les enfants), il fait avant tout été en la prenant par la main ou qu’un nihiliste. A. B.
office de levier pour approcher une petit garçon accepte la mort de son
communauté de destins dont il catalyse grand-père en observant des lucioles La Casa de papel partie 4 sur Netflix
les affects contrariés. Chaque épisode s’élever dans l’obscurité (bel épisode
embrasse ainsi le vécu d’un personnage sur le deuil réalisé par Andrew Stanton,
et le tisse dans la maille d’une semi- scénariste des Toy Story), la glace
anthologie cotonneuse. se fissure un peu pour laisser affleurer
Tamara Arranz Ramos/Netflix
Séries
Une vision politique et sociale qui manque parfois de nerf dramatique.
ISSA RAE PROMÈNE SON VISAGE série, qui possède un don particulier La nouvelle saison intéresse notamment
LÉGÈREMENT AHURI À UN RYTHME pour montrer sans forcément dire. Son par le portrait qu’elle fait d’un jeune
QUI N’APPARTIENT QU’À ELLE. Il aura décor principal d’Inglewood, quartier-ville couple avec enfants, où la répartition
fallu deux ans pour que la quatrième du sud de Los Angeles autour de des tâches s’organise de manière égalitaire.
saison d’Insecure arrive jusqu’à nous, une l’aéroport, a vu le prix de l’immobilier La vision d’Insecure est sociale et politique,
petite éternité dans la temporalité normale monter en flèche ces dernières années même quand les scènes ont l’air simples,
de la télévision US, mais aussi une façon et se gentrifie à vue d’œil. Insecure capte quotidiennes, sous le ton de la chronique.
de vivre pour l’actrice-scénariste, qui cette transformation en promenant Rae brille aussi particulièrement dans
a récemment ouvert un coffee-shop, joué doucement sa caméra pour suivre les le burlesque pur, comme ce moment
dans deux films et même créé un label. trajets des un·es et des autres, balayant génial où son alter ego se débarrasse d’un
Il fallait aussi du sang neuf pour sa série, cette géographie mouvante. préservatif coincé dans son vagin.
ce qui a occasionné le départ de plusieurs Sous le soleil, les palmiers et les On regrette même qu’elle ne donne pas
scénaristes. nouveaux restos californiens sans plus de place à ces moments suspendus,
Cette nouvelle bordée d’épisodes n’a gluten se dessine le cœur battant hilarants, que personne d’autre aujourd’hui
pourtant pas vraiment le goût de l’inédit, du récit, fait des trajets sentimentaux n’est capable de mettre en scène avec
au moins en ce qui concerne les cinq de ses héroïnes, en particulier Issa : elle se autant de légèreté et de drôlerie.
premiers que nous avons pu voir au démène maintenant entre un plan cul Car Insecure se repose parfois sur ses
moment d’écrire ces lignes. C’est à la fois régulier et les nouveaux désirs de son ex, lauriers, cette espèce de ronron narratif où
la limite de la série et son charme persistant, Lawrence, en pleine relation avec une les événements sont rares. On appelle cela
sans qu’il ne soit toujours évident de personne bien trop proche. C’est souvent l’infusion lente, une manière de raconter
décider qui l’emporte entre les deux. dans sa manière de croquer naturellement des histoires qui semble appartenir
Pour rappel, Insecure raconte la vie le point de vue des femmes que la série plutôt aux autofictions des années 2010.
d’un groupe d’amies, Issa, Molly et Kelli, brille, alors que les mecs restent des On aimerait voir la série prendre
trois femmes noires dans le Los Angeles personnages périphériques mais regardés davantage de risques, même si le confort
contemporain, avec des boulots plus ou avec précision et empathie. Un qu’elle procure a quelque chose de
moins stables, mais une vie qui, au fil des retournement du regard simple et subtil, profondément agréable. Olivier Joyard
années, s’embourgeoise tranquillement. qui prouve que personne n’y perd dans
C’est même devenu l’un des sujets de la cette équation – mais qui en aurait douté ? Insecure saison 4 sur OCS à partir du 12 avril
C’EST D’ABORD LE TITRE QUI ATTIRE, accord que pour un seul. Elle acceptera
“LES ANNÉES HEUREUSES”, puis les pourtant, peu à peu, de le revoir.
yeux de Greta Garbo. Introuvable, le Les meilleures pages sont celles
premier volume du journal (1944-1948) consacrées à la star dans sa maison de
du photographe mondain Cecil Beaton est Beverly Hills en mars 1948, où pendant
enfin accessible. Après avoir photographié deux semaines le photographe va se
ses amis les Bright Young Things, jeunes rendre tous les jours. Grâce à son écriture
gens dans le vent des Années folles, photographique, qui capture les détails les
il fera d’inoubliables clichés de Londres plus signifiants ou étonnants, apparaissent
pendant le Blitz et l’après-guerre. le jardin tout blanc d’une Divine obsédée
On croise de Gaulle et Churchill, Cocteau par le jardinage, réveillée à l’aube pour
fumant de l’opium et Picasso chez lui, arracher les mauvaises herbes, pour qui
Anita Loos, avant qu’un personnage le seul shopping intéressant est d’acheter
envoûtant ne fasse son apparition et des sacs d’engrais ; sa beauté délicate,
n’absorbe tout le temps, l’esprit et le reste ses shorts sales, son “divan de bronzage”,
du journal de Beaton. sa peur panique quand sa voiture ne veut
Greta Garbo n’a pas tourné depuis plus redémarrer, son dégoût de
plusieurs années (son dernier film, l’indiscrétion, son ennui dans les dîners
La Femme aux deux visages, est mondains à Hollywood, qu’elle camoufle
sorti en 1941) quand Beaton la rencontre sous sa séduction.
à New York en 1946. Fasciné, obsédé, Si une éventuelle relation charnelle n’est
il passera les deux années qui suivent pas ici confirmée, ce qui devient certitude
à tenter de la conquérir – il en parlera est l’intention de Garbo de revenir
toujours comme d’une longue bataille, au cinéma. Mais les projets échoueront.
finalement perdue. “Eh bien, il semble que le Tout-Puissant
La magie opère : celle qui fut la plus ne veuille pas que je fasse un film : chaque fois
grande star du cinéma se remet ici à vivre que je crois que je vais recommencer, il y a
dans ses moindres gestes, naturelle jusqu’à quelque chose qui cloche”, disait-elle,
l’émotion, malicieuse et drôle, pleine stoïque, avant de retourner cultiver son
d’énergie, riant comme une enfant dans jardin. Nelly Kaprièlian
Central Park, les cheveux au vent. Elle
l’enverra promener dès qu’elle se sentira Les Années heureuses de Cecil Beaton
(Les Belles Lettres), traduit de l’anglais
trahie – il vendra tous ses clichés d’elle par Robert Latour, 348 p., 13,90 €
à Vogue, alors qu’elle n’avait donné son Disponible en version numérique 9,99 €
BD
décalage offert par le romanesque L’INVENTEUR DE LA DYNAMITE – Ruedi Giger ou Jean Giraud – au début
et, plus particulièrement, par le tombe sur une substance noire encore du livre, il présente ses “excuses” pour
genre fantastique. On retrouve ces peu connue, le pétrole. Très vite, lui ces emprunts à une liste de peintres
ingrédients dans New Cherbourg et sa fratrie voient les bénéfices qu’ils et dessinateurs –, il apporte à la
Stories : une ambiance rétrofuturiste peuvent en tirer et passent à l’action. Ils démonstration du scénariste une
avec des dirigeables dans le ciel, font construire un pipeline et un navire dimension fantasmatique et symbolique.
une touche d’irréel avec des pour le transporter, embauchent des Une monstrueuse hydre à sept têtes
créatures aquatiques douées cosaques et des mercenaires qui “vident incarne ainsi les Sept Sœurs, ces
de parole, des rebondissements, de leurs querelles dans des duels d’honneur… compagnies pétrolières qui ont longtemps
l’espionnage et même des humains pas si éloignés de ceux du Far West dominé le marché mondial. Un troll
dotés de pouvoirs étranges. américain”. L’analogie avec le western géant coiffé d’un casque à pointe et des
Dans la veine de la ligne claire mais pourrait laisser penser que tout ceci est de créatures hybrides peuplent cette
tirant aussi son énergie des comics, la fiction, d’autant qu’ici les aventuriers, Malédiction au même titre que John
le trait séduisant de Reutimann chanceux ou illuminés, se bousculent. Davison Rockefeller – le “Méphistophélès
sert de guide dans la découverte Le récit précis de Jean-Pierre de Cleveland” –, Joseph Staline, Winston
de cette histoire chorale dont le Pécau et Fred Blanchard a pourtant Churchill ou Richard Nixon. Alors
personnage principal est une ville une valeur documentaire. Sur un ton que le pétrole demeure la première source
fantasmée. Les deux auteurs légèrement cynique, il montre comment, d’énergie dans le monde, cette BD
réimaginent en effet Cherbourg depuis le XIXe siècle, le pétrole écrit passionnante et glaçante remet tout en
– où ils vivent – en une jumelle en sous-main l’histoire de l’humanité perspective. Vincent Brunner
du New York des années 1930. Ils à l’encre rouge sang. “Toute la Seconde
s’inspirent même d’un authentique Guerre mondiale peut être expliquée La Malédiction du pétrole (Delcourt),
112 p., 17,50 €
fait divers qui a stupéfié la France par le pétrole”, écrit Pécau en légende Disponible en version numérique 11,99 €
en 1934 : la découverte sur une d’une case représentant un amas de têtes
plage de la Manche d’un requin de mort, motif graphique utilisé plusieurs
pèlerin vite pris à tort pour un fois pour ponctuer d’une mélodie
serpent de mer, voire pour un autre lugubre cette sombre ruée vers l’or noir.
monstre du loch Ness ! Plein de Plutôt que d’accompagner platement
fantaisie et d’humour, ce premier les récitatifs au risque d’être redondant,
épisode en appelle, espérons-le, Blanchard a pris le parti de livrer des
bien d’autres. V. B. images choquantes et épurées, parfois
C’EST L’HISTOIRE DE DEUX “– Quand on sortira, tout le monde va dystopiques, évoquant l’hybridation
LÉZARDS HUMANOÏDES QUI devenir cuisinier ou danseur. – Ça fera de la pop culture globalisée (lire :
N’ONT RIEN D’EXTRAORDINAIRE des cuisiniers très angoissés ou des chefs l’impérialisme américain) et
à part d’être des lézards très angoissés.” Le dernier épisode des traditions culturelles du monde
humanoïdes. Depuis une chambre du 2 avril laissait d’ailleurs présager arabe. De manière récurrente,
à Brooklyn, ils entament leur une dissociation du réel à venir : Meriem Bennani incarne ses récits
troisième semaine de confinement cauchemar ?, théorie du complot ? à travers des animaux animés,
et, chaque semaine, on suit leur vie De Meriem Bennani, née mouche, crocodile ou âne, qui
sur Instagram. Comme les lives en 1988 à Rabat et basée à permettent d’exprimer l’expérience
de musiciens ou les journaux New York, on connaissait jusqu’ici vécue de l’altérité tout en suscitant
d’écrivains ? Pas tout à fait, parce les films sous leur forme installée une identification universelle qui
que ces lézards, on le répète, n’ont d’environnements. Au MoMA PS1 déborde ses incarnations
vraiment rien qui les distingue (2016) ou à la Biennale du Whitney particulières.
de tout un chacun. Ils ne sont pas Museum (2019) à New York, à la La réussite de 2 Lizards en
talentueux, pas spécialement Biennale de Rennes (2018) ou à la découle elle aussi. Au milieu d’une
vertueux ou exemplaires non plus. Fondation Vuitton (2019) à Paris, avalanche de statistiques, de
Expos
Tout simplement, ils existent, ici ses dispositifs actualisent la tradition graphiques et de chiffres, ce sont
et maintenant, et tentent comme des années 1970 de l’expanded finalement deux animaux en
ils peuvent de composer avec cinéma (dit cinéma élargi) en cartoon qui capturent le mieux
l’événement : c’est-à-dire, selon diffractant la vidéo projetée à travers notre ressenti intime du moment :
Slavoj Zizek dans l’essai qu’il a une série d’écrans-sculptures. celui d’être chacun, qui que nous
consacré au concept (Event. Aujourd’hui, alors que nous soyons, exilés du cours normal
A philosophical journey through sommes habitués à la navigation de nos existences, alors que
a concept, 2014), un surgissement pluri-onglets et écrans, cette l’effondrement du réel suspend
brisant radicalement le cours fragmentation recompose tout depuis de longues semaines les
de la vie ordinaire. simplement un équivalent prétentions ordinaires à l’objectivité
Depuis le 18 mars, un nouvel augmenté de notre environnement factuelle. Ingrid Luquet-Gad
épisode de la mini-série d’animation médiatique ordinaire. C’est depuis
2 Lizards est publié chaque semaine cette texture visuelle que l’artiste 2 Lizards épisodes 1, 2 et 3,
sur le compte Instagram de l’artiste développe ses scénarios doucement www.instagram.com/meriembennani
Meriem Bennani. Pour l’occasion,
celle-ci s’est liguée avec la
réalisatrice Orian Barki et,
ensemble, elles l’ont écrite, réalisée,
doublée. Chacun des épisodes au
format Instagram, c’est-à-dire longs
de moins de trois minutes, cisèle
avec humour et précision la palette
d’émotions qui scande le passage
Orian Barki et Meriem Bennani, capture d’écran de 2 Lizards,
Points de vue
L’histoire de l’ELECTRO en France, un docu
revigorant sur les MÉDIAS, enquête sur une PLACE
FORTE DU RAP français et la LUTTE CONTRE
L’OBÉSITÉ en question : quelques découvertes et
réflexions pour cette semaine.
La Politique
des putes
moins et bougez plus”, nous ordonnent sur Nouvelles Ecoutes
publicités et spots télévisés. Et si l’obésité En dix épisodes, Océan
qui frappe le monde entier n’était en fait interroge travailleur·euses
que le résultat de l’agrégation de du sexe pour comprendre
responsabilités collectives ? Quel rôle ont leurs difficultés et espoirs
vraiment joué les géants de et mettre à bas les clichés.
l’agroalimentaire dans cette épidémie ? Tout le monde a un avis sur
Chercheurs, médecins, personnes grosses, la question. Qu’il soit tranché ou
politiques et militant·es prennent tour non d’ailleurs. “Pute” : ce mot
à tour la parole devant les caméras des concentre tous les stigmates
documentaristes Sylvie Gilman et Thierry de ce qu’il incarne. Ce mot, les
de Lestrade. Résultat : une enquête travailleur·euses du sexe
passionnante – et quelque peu effrayante – l’emploient généralement pour
sur les dessous de la malbouffe et de ses eux et elles-mêmes, “dans un geste
puissants lobbys. Heureusement, certaines politique et une réappropriation
voix s’élèvent de plus en plus pour faire de l’insulte”. Qu’est-ce que
Laurent souffler un vent de révolte. Au Chili, les signifie exactement le terme
Garnier dans produits trop riches en sucre, en sel ou en “travailleur·euse du sexe” ?
French Waves
gras sont désormais interdits de publicités Quelles réalités recouvre-t-il ?
et sont estampillés de logos d’alerte. Dans La Politique des putes, le
La gronde parviendra-t-elle jusque dans réalisateur et comédien Océan
venant des médias qui s’inventent en l’Hexagone ? Fanny Marlier donne la parole aux concerné·es
France, aux Etats-Unis, au Danemark pour des témoignages forts et qui
Un monde obèse de Sylvie Gilman et Thierry
et au Royaume-Uni, Anne-Sophie Novel poussent à la réflexion. Mimi,
Médias
de Lestrade le 14 avril à 20 h 50, Arte et sur
(qui a signé en 2019 chez Actes Sud le arte.tv du 7 avril au 13 juin Kori, Coleen, Alexandra, Thierry,
livre complémentaire Les Médias, le monde Marianne, Mélusine… Elles
et nous) donne l’énergie d’aller à contre- et ils racontent les préjugés,
courant du bashing permanent. Et les FRENCH WAVES les discriminations, les violences,
armes pour convaincre de la valeur de French Waves, le film de Julian Starke leurs parcours, leur révolte.
l’information. M. D. retraçant l’histoire de la musique electro Au total, dix épisodes de
Les Médias, le monde et moi d’Anne-Sophie en France, est disponible gratuitement trente minutes qui balaient ces
Novel et Flo Laval sur docstv.fr sur Vimeo, le temps du confinement. stigmatisations via des
De sa genèse sur les scènes américaines thématiques précises (travailler,
à son épanouissement dans l’Hexagone, le stigmatiser, militer, choisir,
French Waves suit documentaire suit les traces de désirer, migrer, soigner…) et des
les traces l’incontournable French Touch tout en entretiens de militant·es, juristes
donnant la parole aux artistes et associations. Plus qu’un
de l’incontournable d’aujourd’hui qui font vivre cette scène documentaire, Océan nous livre
French Touch tout comme Jacques ou, bien sûr, les Daft ici une véritable enquête
en donnant la parole Punk. French Waves, c’est aussi un projet immersive sur un enjeu qui divise
transmédia : une série de dix épisodes depuis longtemps les féministes.
aux artistes où des artistes racontent les coulisses Et soulève cette question : le
d’aujourd’hui qui font de la création d’un morceau. Rone, consentement est-il forcément lié
vivre cette scène Motorbass ou encore le collectif au désir ? Un podcast nécessaire
ClekClekBoom (Bambounou, French à l’heure où les travailleur·euses
Fries) dévoilent des anecdotes inédites. du sexe, invisibilisé·es, sont plus
UN MONDE OBÈSE L’objectif était en effet de “mettre en avant que jamais précarisé·es depuis
“Pendant longtemps, j’ai cru que j’étais les jeunes artistes en les posant sur un pied le début du confinement. F. M.
entièrement responsable de mon poids.” d’égalité avec des artistes confirmés comme
Les mots de cette Américaine en surpoids Zdar ou Laurent Garnier”, confie La Politique des putes de la série
résonnent comme une évidence : depuis Julian Starke à Tsugi. Le pari est réussi. Intime & Politique produite par
(trop) longtemps, les pouvoirs publics ne Raphaëlle Berlanda-Beauvallet Nouvelles Ecoutes, disponible sur
cessent de marteler une réponse qui leur toutes les plateformes d’écoutes
French Waves de Julian Starke sur Vimeo, (Spotify, Apple Podcasts, Deezer, etc.)
paraît simple et qui, au fond, est vimeo.com/210968892 et la série de depuis le 1er mars, nouvellesecoutes.
dramatiquement culpabilisante. “Mangez dix épisodes sur french-waves.com/webserie fr/podcasts/intime-politique
Campagne Balmain
Fall/Winter 2014
(la première avec
Olivier Rousteing),
photographiée
par Mario Sorrenti
A table avec
la newsletter What’s Good
Mélody Thomas, journaliste
sur le site Marie-Claire, et Jennifer Padjemi
(notamment collaboratrice des Inrocks)
relancent leur newsletter inclusive et se
penchent sur la place qu’occupe la nourriture
en période de pandémie. En insistant
particulièrement sur les notions de “partage,
de sensations et de souvenirs de voyage”.
instagram.com/whatsgoodofficiel
@desengorgeonsle15
En visitant une
exposition
FRAC Alsace, 2020 © Jeongmoon Choi. Photo Pierre Rich/@platformfrac
#LesFracChezVous
Les Fonds régionaux d’art
contemporain étant bien entendu
fermés, il est néanmoins possible
d’avoir accès, à distance,
à leurs collections. Une belle
initiative des Frac dans
laquelle on trouve des activités
Vue de
l’installation participatives, des visites
The Pulse of the virtuelles, des interviews
Earth de l’artiste de commissaires d’expositions.
Jeongmoon
Une façon de repenser l’œuvre
Choi, exposée
au Frac Alsace d’art à l’heure du Covid-19.
instagram.com/platformfrac
Coitus interruptus
“COMME SI ON suite. Une culture qui qu’on allait le faire comme activités avec les enfants,
DEVAIT BAISER EN déborde désormais des lapins, mais pas du tout.” les projets que l’on veut
CONFINEMENT largement le cadre du travail Dans leurs 50 m2, la parole mettre en place pour rendre
(ET AUSSI LIRE (et des frontières a remplacé les actes utile ce confinement…
QUARANTE LIVRES, américaines) pour grignoter physiques. Le couple Pas le temps pour laisser
cuisiner des gaspachos à la pas mal de recoins de partage ses sentiments, ses vagabonder l’esprit dans
coriandre du Brésil, devenir nos existences rêves, ses peurs, et reste un voyage érotique.”
yogi et apprendre le instagrammables : cuisine, pendu au téléphone avec Depuis le mardi 17 mars, le
tchèque)”, s’agace Camille éducation, apparence ses familles respectives. Sa quotidien a muté, sans pour
Emmanuelle, journaliste physique, relations mère à elle travaille en tant autant disparaître. Au
spécialisée dans les amoureuses et amicales, qu’aide-soignante en départ, Emmanuelle*,
questions de sexualité, réussite, culture… et Allemagne, ses parents à lui 30 ans, freelance à Marseille,
autrice de Sexpowerment pourquoi pas le sexe aussi, vivent dans une région voyait dans le confinement
(2016) et Le Goût du baiser finalement ? “Après les italienne particulièrement une vaste exploration
(2019). Elle poursuit : “On attentats de 2015, j’avais touchée par le virus. sexuelle. C’était compter
retrouve l’injonction que l’on écrit un article sur la “La Terre entière parle de sans la fermeture de la
a en temps normal : ‘baisez sexualité post-traumatique. maladie et de mort, pas crèche “et les deux cents
souvent, sinon c’est la mort Sur Eros, la pulsion de vie vraiment la meilleure coups de fil par semaine car
de votre couple’, mais vs Thanatos, la pulsion de condition pour bander, ni je bosse dans le digital”.
démultipliée par le fait que, mort. Mais en ce moment, mouiller sa culotte. Mais Résultat : son mec s’occupe
comme on est à l’intérieur, on ne vit pas un post- disons qu’on reprend de leur enfant, elle répond
qu’on n’est pas sollicité·es trauma, mais un présent lentement mais sûrement au téléphone. “Parfois, on a
par le monde extérieur, on perturbé, parfois angoissant, du poil de la bête… Le le temps de faire des p’tits
devrait redoubler de temps, et un futur très incertain. secret ? Couper la wifi !” trucs, mais on ne coche rien
de désir, d’imagination pour Je trouve qu’il y a plus ‘cul’ Faudrait-il se couper du sur notre to-do list sexe !”
faire l’amour. Or, pour moi, comme ambiance”, explique monde pour laisser place La première crainte de Zoé*,
il n’y a rien d’évident dans Camille Emmanuelle. au fantasme, au désir, graphiste grenobloise
cette idée-là.” L’ambiance est-elle au à la rêverie ? Constamment confinée en banlieue
Le confinement n’a pas non-cul ? Que devient sollicité par ses trois parisienne dans la famille de
altéré la course à la le sexe chez les couples enfants, Albert*, 45 ans, son mec, a concerné la
perfection dans nos confinés ? Disparaît-il confiné dans sa maison en pression extérieure : “On a
sociétés dévolues aux forcément ? Se transforme- banlieue parisienne avec sa entendu ‘c’est super pour
mises en scène de soi. C’est t-il ? Agace-t-il ? Le sexe femme, avoue que “l’envie les couples confinés : sexe
l’objet d’un article paru est-il frivole ? Comment la n’était pas au rendez-vous”. non-stop !’ Moi, je n’ai pas
le 1er avril dans le New York gravité s’invite-t-elle entre “Nous avons quand même pensé à ça… plutôt à
Times, intitulé “Stop trying deux personnes ? A-t-on fait l’amour la troisième adapter ma vie dans un
to be productive”, qui tacle besoin de relâcher ses semaine de confinement… autre sens.” L’adaptation a
l’injonction américaine, angoisses dans le plaisir quand toute la partie boulot ses hauts et ses bas. “On
la hustle culture, une forme sexuel ? Confinée à Paris était maîtrisée.” Et ajoute : essaie de ne pas retomber
d’urgence collective avec son ami Giovanni*, “J’ai songé à me masturber, en adolescence… tout en
à travailler toujours plus producteur d’huile d’olive, mais le contexte ne s’y prête étant respectueux. On se
pour être le ou la meilleur·e, Elisa*, 30 ans, journaliste, a pas. J’ai l’esprit occupé par prend un verre dans un coin,
gagner plus, et ainsi de vite déchanté : “Je pensais l’actualité, le travail, les puis quand tout le monde
est couché, on se retrouve érotiques. “Des trucs mais on n’a pas hésité, on a aurait jamais dites avant…
au lit. Nos relations sont échangistes, avec d’autres juste croisé les doigts et ça Il y aura vraiment un avant
moins… fougueuses. Plus gens.” roule de ouf ! On baisait et un après-Covid-19.”
tendres.” Mais Zoé perd son Même chose chez Pascal*, déjà beaucoup, mais là on Calé sur le même rythme
intimité. “Je n’ai pas de qui ne trouve pas non plus est vraiment l’un sur l’autre ! journalier, le couple voit son
moments à moi. Je ne peux les mots : “C’est le genre Et on est plus sodomie que désir exploser. “On le fait
plus me masturber.” Alors, de rêve qui n’a aucun sens d’habitude.” Mais le le matin, le soir, mais aussi
les rêves surgissent. et semble familier. Une fantasme de l’extérieur n’est parfois dans la journée, une
Toujours avec son ami, et sensation d’être en été, jamais loin. S’il se manifeste petite baise rapide dans le
uniquement en extérieur. enivré, Fête de la musique. chez certain·es dans des cabanon, à côté des voisins.
“A la sortie, on va s’enfermer, S’ensuivent des ébats rêves de partouze ou de Ça nous excite de les savoir
mais différemment ! (rires) torrides, mais impossible de coït en forêt, Pierre, lui, à cinq mètres.” La maison
Deux jours dans une bulle les décrire avec précision. regrette amèrement ses et le jardin se transforment
en pleine forêt. Rien que Le fait de se retrouver clubs libertins. N’y en a-t-il en terrain de jeu. “Elle me
tous les deux.” enfermé toute la journée pas en ligne ? “Ah oui, montre ses seins à la
fait que l’esprit cherche, peut-être ! Ça m’intéresse. fenêtre ou m’appelle en
Les rêves : c’est sur eux j’imagine, à s’évader.” Je vais regarder, mais aller visio, nue sous la douche,
que l’on devrait se pencher En couple depuis neuf ans, sur place, c’est quand alors que je parle au voisin,
en ces temps confinés. Pascal et son ami même cent fois mieux.” je lui envoie une photo
Michael*, réalisateur de n’expérimentent plus C’est l’Autre, encore, qui pantalon baissé allongé
40 ans, vit depuis quatre tellement mais ont des relance la libido de Jérémie*, au soleil dans le jardin !”
ans avec son amie. Tous “rapports plus intenses, trentenaire vivant avec sa Jérémie conclut : “Nos
deux très indépendants, comme l’envie de vivre plus compagne et ses deux voisins sont devenus notre
ils ont préféré jouer la carte fort, plus vite et plus enfants dans une maison à interdit sur lequel nous
de l’évitement une fois librement”. Il ajoute : “J’ai Nantes. Car, derrière le mur pouvons repousser nos
coincé·es ensemble dans l’impression que ma libido de leur jardin, il y a celui des limites, notre sensation
leur deux-pièces. “On dîne est plus mentale que voisins – “Nous n’étions pas de vivre un peu
quand même tous les soirs physique ces dernières potes mais avions de bons dangereusement. Pour
ensemble ! Mais ce qui nous semaines…” rapports”. Petit à petit, les l’instant, nous n’osons pas
sauve, c’est que le cul n’est Alors que l’on commençait deux couples se nous rapprocher, mais c’est
plus un enjeu. Pour nous, à douter qu’un couple rapprochent et se mettent peut-être le début d’une
ça doit être une option prenne son pied durant à parler sexe. “Nos mots histoire à quatre.”
cool et pas un moteur.” ce confinement. Pierre* sont devenus plus crus.
Seule nouveauté : Michael nous écrit sur Instagram : La voisine nous a raconté * Ces prénoms ont été modifiés
fait beaucoup de rêves “On n’habitait pas ensemble des choses qu’elle ne nous à la demande des interviewé·es