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Magazine culturel indisciplinaire

n° 91

HARMONY KORINE Vernis white trash


TANIA BRUGUERA « La révolution est une marque déposée »
L 14944 - 91 - F: 5,90 € - RD

LASCAUX, VOLUME 4 Les mystères du XXIe siècle


THÉO MERCIER Au bal des civilisations
PERFORMANCE À TOKYO Chim Pom, collectif iconoclaste
SUISSE 9,5CHF

Et aussi : SMITH, MOHAMED EL KHATIB, CLÉMENT COGITORE ...


BALADE SAUVAGE 91

Lascaux 4 :

REPORTAGES
les mystères du XXIe siècle
Le « Centre international de l’art pariétal » abritant le
nouveau fac-similé complet de la grotte périgourdine a
ouvert ses portes. Mouvement a fait partie du groupe
de 9 h 42.

p. 24
Un village laboratoire
Entre pièce de théâtre sur l’hospitalité avec des comé-
diens-villageois et véritable accueil d’une famille de
réfugiés, La Bastide-Clairence se réinvente pour éviter
sa muséification.

p. 34
Performance à Tokyo

STORY
Harmony Korine
Plus forte, plus propre, plus sure : une nouvelle capitale
sort de terre en prévision des JO. Mais le collectif Poète de l’Amérique white trash, le cinéaste et plasti-
Chim Pom fait de la résistance. cien s’accapare les codes de la culture dominante pour
mieux les pulvériser : une manière de sublimer l’idiotie

p. 58 crasse, la violence et le mauvais goût.

p. 16
Un spectacle organique, qui convoque
Théo Mercier
le souffle de l’air et questionne notre
Le plasticien fréquente le Mexique avec assiduité
rapport à la Terre. Sur une musique depuis bientôt dix ans. Visite guidée de son atelier
percussive, les corps des quatorze chilango et portrait de l’artiste en archéologue de ses

Compagnie Blanca Li

PORTRAITS
propres fictions.
danseurs vibrent à l’unisson.
Production Chaillot – Théâtre national de la danse
p. 30
Solstice
Mohamed El Khatib
21 septembre – 13 octobre 2017
Supporters du RC Lens, femme de ménage ou parents
danse, musique endeuillés : le metteur en scène les invite tous à jouer
leur propre rôle sur scène. Une façon d’être « au plus
près de la vie » et de sonder les conventions du théâtre
contemporain.
Photo : Nico Bustos

1 place du Trocadéro, Paris p. 40


www.theatre-chaillot.fr
2017

SAISON
2018
SMITH

INTERVIEWS
L’artiste emmêle technologies futuristes, modifications
biologiques et rêveries transhumanistes. Traversées
par spectres et fantômes, ses œuvres se moquent des
frontières disciplinaires.

p. 12
David Dufresne
Discussion avec un journaliste d’investigation qui utilise
le jeu en ligne comme une arme politique et la narration
comme stratégie de dévoilement.

p. 48
Tania Bruguera
La performeuse est à l’image de Cuba : elle déchaîne
les passions. À l’occasion de la création de sa première
pièce de théâtre, elle évoque cette synthèse qu’elle

CRÉATION
opère entre art et activisme.

Braguino de Clément Cogitore


Perdu dans la taïga sibérienne, Sacha Braguine vit
p. 52
avec sa famille dans l’autarcie la plus complète. Pour
comprendre les motivations de cet homme, l’artiste
s’est rendu sur place. Extrait de son carnet de repérage.
Karim Moussaoui
Témoin d’une société algérienne empêtrée dans l’immo-

p. 44 bilisme, le réalisateur signe son premier long-métrage : En


attendant les hirondelles. Rencontre avec une figure de la
nouvelle vague maghrébine.

88
ABONNEZ-VOUS !
p.
À
TOUT

64
JAN FABRE • MILO RAU • DE WARME WINKEL • LES 7 DOIGTS DE LA MAIN

p.
ROBERT LEPAGE • WILLIAM FORSYTHE x RYOJI IKEDA • VIA KATLEHONG

ANALYSE
Portfolio Hannah Whitaker
VINCENT MACAIGNE • DIMITRIS PAPAIOANNOU • KOEN AUGUSTIJNEN

& Stefano Marchionini


BARTABAS • VILLETTE SONIQUE • ISRAEL GALVÁN • RADHOUANE EL MEDDEB Faire de l’effet
THÉO MERCIER & FRANÇOIS CHAIGNAUD • DELAVALLE T BIDIEFONO Raphaël Fabre, Pierre Akrich et Valentin Muller
formulent des œuvres susceptibles de déclencher des
REGGIE (REGG ROC) GRAY & PETER SELLARS • ANGELIN PRELJOCAJ… réactions en chaîne dans la sphère sociale.

Info/résa 01 40 03 75 75 • lavillette.com p. 84
M. Rau, V. Macaigne, Forsythe/Ikeda : avec le Festival d’Automne à Paris • R. Lepage, V. Macaigne, D. Papaioannou, I. Galván : avec le Théâtre de la Ville • Forsythe/Ikeda : avec la Galerie Gagosian, la Galerie Almine Rech • R. Lepage, Les 7 doigts de la main : dans le
cadre de Québec à La Villette • K. Augustijnen : avec le CENTQUATRE-PARIS • A. Preljocaj (Helikopter) : avec l’Ircam dans le cadre du festival ManiFeste-2018
Magazine culturel indisciplinaire

Mouvement a été fondé en 1993 par Jean-Marc Adolphe

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Prochain numéro Mouvement n° 92
En kiosques et librairies début novembre 2017
Rédaction :
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Cathy Blisson, Alice Bourgeois, Audrey Chazelle, Lucie
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Moïra Dalant, Chrystelle Desbordes, Agnès Dopff, Inès
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Jérôme Provençal, Sophie Puig, Alice Ramond, Marine
Relinger, Aurore Saint Bris, David Sanson, Fanny Taillandier,
Loïc Troizat, Alexandre Vella, Stéphanie Vidal, Nicolas Villodre

Photographes et illustrateurs :
Paul Arnaud, Jean-Marie Binet, Johann Bouché-Pillon,
Louis Canadas, David Chicheportiche, Hugo Denis-Queinec,
Vincent Desailly, Écoute chérie, Louise France, Anne-Sophie Guillet,
Édouard Jacquinet, Samuel Kirszenbaum, Philippe Lebruman,
Christiaan Lopez-Miro, Elsa Maillot, Damien Maloney, Lison Matha,
Yusuke Miyagawa, Manuel Obadia-Wills, Jérémy Piningre,
Jérémie Souteyrat, Marie Taillefer, Gaël Turpo, Fanny Viguier
CA NA P É S PAGE CRITIQUE M OUVEM ENT n ° 9 1

Critique fiction d’une œuvre qui n’existe pas encore Critique SMS

Michel Blazy, 2047 Démons de Lorraine de Sagazan


Pour fêter sa sortie de prison, Michel Blazy – fiché S, catégorie
« écoterroriste » – ouvre les portes de son atelier. Il y a cinq ans,
l’artiste dont les sculptures de moisissures évolutives ont
fait la célébrité, avait opéré un casse à la Banque mondiale
d’oxygène stérilisé pour entretenir sa pépinière de baskets
végétalisées. Les accords de Trifouillis-les-Oies signés entre
les groupes industriels et les pays du G20 au lendemain du Démons de
2 janvier 2032, « Jour record du dépassement de la Terre », Lorraine de Sagazan,

2017 avaient autorisé la privatisation des ressources naturelles et


vitales disponibles pour une “utilisation et une répartition
raisonnées”. Une politique de quotas avait donc été mise en
place par les institutions internationales pour leur distribution.
« Les végétaux "sains" sont cultivés dans les laboratoires
du 26 septembre au
14 octobre au Théâtre
Monfort, Paris
d’Areva & Cie et strictement réservés à la production de l’air
commercialisable. Mais les drones pollinisateurs coûtent très
création cher », précise l’artiste, devant l’une de ces récentes sculptures.

Valère Novarina 20 septembre – 15 octobre


Critique sépia

avec le Festival d’Automne à Paris Marcel Duchamp,


et le Théâtre de la Ville
New York en 1913
Mohamed El Khatib 27 septembre – 7 octobre
Le 1er mai 1913, le monde de l’art new-yorkais découvre
Marcel Duchamp. Son Nu descendant l’escalier est exposé au
69e salon de l’Association des peintres et sculpteurs américains.
Un chroniqueur du New York Times écrivait alors :

« Cela ressemble à tout sauf à un nu descendant l’escalier, et


peut-être plus – ou non – à l’explosion d’un moulin à bardeaux.

illustration Nastasha Romanenko


Un observateur, encore assez jeune pour se souvenir des contes
Jan Lauwers 11 octobre – 22 octobre d’Andersen, a déclaré qu’il n’y avait aucun mystère dans cette
œuvre, pour la simple et bonne raison que celle-ci ne présente
pas d’image.

création Il y avait deux tisserands, a-t-il rappelé, qui avaient promis au


roi de lui confectionner le plus bel habit que l’on n’ait jamais vu,
tellement beau que seul Dieu saurait en déceler la magnificence.
« Autour de nous, ce ne sont que des plantes et des nutriments de […] Quand ils l’habillèrent, il sembla à Sa Majesté que les deux
synthèse. J’ai eu le loisir, en prison, de revoir les fondamentaux tisserands ne faisaient que mimer les gestes, mais pour ne pas
Annick Lefebvre – Alexia Bürger 8 novembre – 2 décembre de ma pratique, basée sur mon environnement immédiat. » Aux perdre la face, il vanta tout de même la justesse de leur coupe et
pieds du plasticien, dans un espace laissé à l’air libre, agonise la finesse des étoffes. […] Lorsqu’il sortit se promener avec ses
une petite forêt de végétaux sculptée dans du calcaire radioactif courtisans […] un jeune garçon s’écria : « Mais pourquoi le roi ne
et recouverte de feuilles grignotées par un Rhytisma acerinum porte-t-il pas d’habits ? »
– champignon qui prolifère sous les pluies acides. À mesure des
intempéries, la pierre s’érode, les taches goudronneuses du De la même manière, M. Duchamp, s’il n’est pas ce que ses
création parasite s’étendent. « À la fin, ça ressemble à une bouillie de compatriotes appellent un fou à lier, a parfaitement conscience
carton mouillé… anticipe Michel Blazy. Ce qui est pratique, c’est que son tableau ne comporte aucune image, aucun nu, aucun
que les autorités ne font aucune différence entre l’œuvre dans escalier, rien du tout. Par conséquent, quel plaisir n’a-t-il pas
Wajdi Mouawad 17 novembre – 16 décembre son état final et le paysage des Zones d’Épuration Prioritaire. » goûté devant le sage qui, louant ou dénonçant son œuvre,
Son bracelet électronique, accroché à sa cheville, le rappelle à s’est efforcé d’y voir quelque chose, expliquant et interprétant
l’ordre : c’est l’heure de s’actualiser sur consommateurdurable.com. gravement le sens et les intentions de l’artiste. Seule l’innocence
de la jeunesse peut comprendre la plaisanterie et partager les
Retrouvez l’ensemble de la programmation rires du bouffon. »
sur www.colline.fr 7
15, rue Malte-Brun, Paris 20e
PAGE ACTU

ALAIN BUFFARD
CA NA P É S M OUVEM ENT n ° 9 0

Culture et contrats aidés :

COLLOQUE, SPECTACLES,
l’effet perlimpinpin
« (Poudre de) perlimpinpin. subst. masc. Poudre aux vertus
imaginaires vendue autrefois comme panacée par les

EXPOSITION, CONCERT
charlatans. » Utilisation courante en politique contemporaine.

Exemples : La querelle du street art


« Les 50 millions [d’économies imposés au ministère de la Savoir qui de Banksy ou d’Invader – tous deux couronnés « plus
Culture] ne touchent en rien la création [...] Ça n’affecte pas le grands artistes du moment » par la banque Boursorama en 2014 – est

AU CN D
soutien au spectacle, ni les politiques culturelles. » – Françoise le plus subversif : telle n’est plus la question.
Nyssen, ministre de la Culture
Certains artistes de rue ne craignent pas la censure mais le
« Les contrats aidés sont extrêmement coûteux [...] et ne sont pas vol. Cet été, une porte rouillée où l’artiste C215 avait posé sa
efficaces dans la lutte contre le chômage ; [...] ils ne sont pas un griffe a été subtilisée à Soissons et les mosaïques parisiennes

04.10 > 15.12.17


tremplin pour l’insertion professionnelle. » d’Invader, victimes d’affreux chapardeurs déguisés en employés
– Muriel Pénicaud, ministre du Travail municipaux. « C’était sans compter la puissance des réseaux
sociaux, les fans de street art et surtout la colère de la mairie de
Vertus : Paris ! » écrivait Le Parisien.

Faire croire que le secteur culturel, dont beaucoup d’associations Les temps changent : Ce sont les « internautes lanceurs d’alerte »
et de jeunes compagnies fonctionnent grâce à des emplois qui jouent les brigades de surveillance et diffusent sur les
réseaux le portrait des « hommes à abattre », photographiés au
04 > 08.10 Alain Buffard subventionnés, ne sera pas affecté par cette diminution d’environ
36 % du nombre de contrats aidés. téléphone sur les lieux des vols. Pendant que les pouvoirs publics
Good Boy se mettent à prendre la défense d’une pratique considérée et
Synonymes : condamnée jusqu’ici comme une « dégradation ». Le tagueur
04 > 13.10 Ève Couturier & Jean-Jacques Palix M. Chat, contre qui le parquet avait requis trois mois de prison
ferme en octobre 2016, peut en témoigner.
Installations sonores Une main de fer dans un gant de velours, Le gentil et le méchant
flic, En une main il tient le pain, en l’autre le bâton.
Les temps changent donc, mais pas pour tout le monde.
04.10 > 15.12 Buffard rembobine ! Le squat K13, dédié aux pratiques artistiques urbaines et ouvert
Une exposition du 40e anniversaire du Centre Pompidou en 2016 par l’association Action Concrète, disparaît du paysage
du XIIIe arrondissement de Paris, sans émouvoir la mairie qui se
05 > 07.10 Alain Buffard targue pourtant de soutenir le street art. La société Enedis
(ex-ERDF), concessionnaire de la Ville de Paris, a exigé
Mauvais genre l’expulsion des squatteurs, à l’origine de « nuisances sonores ».
06 > 08.10 Colloque Alain Buffard Le tribunal d’instance s’est exécuté. Le K13 abritait non
seulement un grand nombre d’œuvres, mais assumait un rôle fort
d’éducation artistique auprès des jeunes et venait en aide aux plus
06 & 07.10 Pauline Le Boulba démunis.
La Langue brisée (3)
08.10 Vincent Ségal

« T’es sérieux,
Concert
12 > 14.10 Alain Buffard
Les Inconsolés (Hors les murs au Centre Pompidou)
Avec le soutien de la Fondation d’entreprise Hermès dans le cadre j’ai ce truc ? »
de son programme New Settings Alice Cooper vient de retrouver une toile d’Andy Warhol
L’événement Alain Buffard est rendu possible grâce au fond d’un placard. (The Guardian, 24/07/17)
au généreux soutien de la Fondation d’entreprise Hermès.

Spectacles au CN D à € 5 et € 10 avec la carte


illustration Emma Emmerich

Centre national de la danse


Réservations et informations pratiques
+33 (0)1 41 83 98 98 9
cnd.fr
M OUVE ME NT n °9 1 PAGE ACTU
GRÉGOIRE STRECKER AVEC

AVEC
TANIA BRUGUERA LE FESTIVAL
D’AUTOMNE
À PARIS
LE FESTIVAL
D’AUTOMNE
À PARIS
THÉÂTRE DU RADEAU
MILO RAU
Pendant ce temps-là,
THÉO MERCIER
en Russie…
Épidémie de chronitoïte : CLÉDAT & PETITPIERRE
S O N
I
AVEC

8
Fin d’idylle pour Roman Abramovitch et Dasha Zhukova.
JONATHAN CAPDEVIELLE
1
LE FESTIVAL
Les chômeurs de la politique sont les plus touchés
A
L’annonce de leur divorce donne des sueurs froides au D’AUTOMNE

S –20
À PARIS
monde de l’art : qu’adviendra-t-il du Garage, lieu majeur de
l’art contemporain à Moscou, financé et géré par le couple JACQUES OSINSKI
7
Un virus médiatique a frappé les personnalités politiques dont

1
le mandat n’a pas été renouvelé. Sept cas de reconversion en depuis 2008 ? « Nous allons continuer à travailler ensemble » AVEC

VINCENT MACAIGNE
20
LE FESTIVAL
chroniqueur télé ou radio ont été déclarés à la rentrée. Henri a tenté de rassurer l’oligarque russe. Reste à savoir ce que D’AUTOMNE
Guaino avait montré des signes avant-coureurs en juin : il se deviendra leur gigantesque collection commune… À PARIS AVEC
sentait écœuré par les électeurs et se plaignait d’une classe
politique et médiatique à bout de souffle. D’autres ont été fauchés
GISÈLE VIENNE
LE FESTIVAL
D’AUTOMNE
À PARIS

en pleine reconversion : Jean-Pierre Raffarin voulait créer


une ONG lanceuse d’alerte sur les questions de paix. Aurélie
LOND MALMBORG
Filippetti pensait se consacrer à l’enseignement. La liste pourrait
s’allonger. Manuel Valls tient bon et se dit « très étonné » par
MARKUS ÖHRN
cette épidémie.
SUSANNE KENNEDY
Exposer un cadavre humain PHILIPPE QUESNE
sans slip, c’est péché ? MARTIN LE CHEVALLIER
RENAUD HERBIN
L’exposition itinérante Body Worlds et ses 200 écorchés mis en
PIETER DE BUYSSER
Un samedi après-midi au Patriot Park p: D.R

scène lancent le débat en débarquant au Palexpo de Genève pour


illustrer le « cycle de la vie », après une tournée américaine et
européenne. Un député genevois ouvre les hostilités en fanfare : BERTRAND DEZOTEUX
blasphème et affront au sacré, les mots sont lâchés.
Sans attendre la réplique, il exige l’interdiction de cette
« mascarade » qui dure depuis 1995.
BEGÜM ERCIYAS
DANIELA LABBÉ CABRERA
Alerte pasticcio ! & ANNE‑ÉLODIE SORLIN
Scandale au Palazzo Ducale de Gênes où la dernière exposition
Modigliani, qui abritait des faux, a été interrompue. Des faux, Cet automne, les tribunaux moscovites accueilleront aussi le
ALICE LALOY
et pas qu’un peu : sur la cinquantaine d’œuvres présentées,
près d’un tiers seraient des contrefaçons. « Des toiles tellement
procès du cinéaste et metteur en scène Kirill Serebrennikov.
Accusé de détournement de fonds publics, le directeur du centre
LES FRÈRES CHAPUISAT
horribles que je ne les accrocherais pas dans mon salon » a
enfoncé Carlo Pepi, collectionneur toscan et premier à avoir
culturel Gogol – dont le dernier ballet avait été déprogrammé
pour cause de « propagande homosexuelle » – encourt dix ans
GWENAËL MORIN
alerté les autorités. Résultat : 21 toiles saisies par les carabiniers
et un curateur mis en examen pour recel et escroquerie.
de prison. « Une affaire purement financière et absolument pas
politique » a rassuré le porte-parole du Kremlin.
BRUNO LATOUR
Dans le monde merveilleux de l’armée russe, en revanche, aucun & FRÉDÉRIQUE AÏT‑TOUATI
problème de censure. Sa propagande s’étale dans un nouveau
SANJA MITROVIĆ
GRAPHISME → TESCHNER—STURACCI / PHOTOGRAPHIE → MAGDA HEUCKEL
musée dédié à l’intervention en Syrie. Inaugurée à l’occasion du
salon Army 2017, dans le non moins sexy Patriot Park à l’ouest de
Moscou, l’institution fait l’éloge de la mission humanitaire – voire KOM.POST EZ !
HÉR
civilisatrice – de la Russie au Moyen-Orient, à travers de très
jolies reconstitutions de scènes de vie au kitsch parfaitement
maîtrisé. Climax du parcours : la salle des trophées présente un
PASCALE MURTIN AD
large éventail d’armes saisies aux « terroristes ». SARAH VANHEE
LÉA DROUET 10 TOUS
R
POU AVECRTE !
MASSIMO FURLAN LA C
A
THÉO MERCIER
10 nanterre-amandiers.com
& STEVEN MICHEL + 33 (0)1 46 14 70 00
I NT E RV I E W ARTS ET S CIENCES M OUVEM ENT n ° 9 1

SMITH
UNIVERS
SMITH emmêle technologies futuristes, modifications biologiques et rêveries trans-
humanistes. Début septembre, l'artiste plasticienne irait même jusqu’à s’implanter un
fragment de Lune. Les frontières disciplinaires ne la concernent pas : elle présentera
bientôt sa première pièce chorégraphique.

Propos recueillis par Aïnhoa Jean-Calmettes & Alice Ramond


Photographies : Manuel Obadia-Wills, pour Mouvement

Il y a souvent un fantôme qui se cache dans d’apparition/disparition de l’image. J’aime de plastique, testostérone de synthèse et
votre travail, mais il n’est jamais anxiogène. que les sujets ne se donnent pas d’une encre de chine – Nda] est une réflexion sur
Vous n’avez pas peur des fantômes ? manière claire et immédiate à la vue, les hormones. Tout ce qui semble définir
qu’il y ait un travail d’adaptation optique. un être humain – est-ce un homme ou une
« C’est quoi, un fantôme qui fait peur ? L e dévo ilement de l’ima ge , di sc re t , femme, est-il heureux ou malheureux, calme
Dans plein de pays d’Asie, les ancêtres incertain avait déjà à voir avec une ou colérique – est régulé par les hormones.
sont encore présents, on leur laisse à fo rme de fa ntô mité et étai t c om m e Et ce support des émotions est matériel,
manger et ça n’effraie personne. Mais un éch o a ux perso nnes trans que j e commercialisable, modifiable et altérable
le type de fantôme qui m’intéresse n’est photographiais [projet Löyly, exposition avec des pilules que tu peux acheter
pas le « revenant », il n’est pas mort : et publication, 2012-2013 – Nda]. Après, en pharmacie. Ensuite, Spectrographies
il est absent. Les fantômes sont des figures plus généralement, la grande idée de m’est venu en essayant de comprendre mes
mélancoliques parce que, par définition, la photographie c’est quand même de obsessions. Cette présence irréductible
ils reviennent tou jours nous visiter, conserver une trace qui résiste au temps, de quelque chose ou de quelqu’un, où se
comme une pulsion. La mélancolie, c’est c’est une « prévision de la mélancolie ». situe-t-elle ? Dans notre esprit, dans notre
la même chose : un flux. Une autre figure corps ? Il y avait 10 000 façons de mener
qui m’intéresse, c’est le spectre, ces Vous avez commencé par la photo, mais cette enquête, mais j’ai commencé par une
manifestations sensibles de choses qui vous créez également des installations. installation, puis un premier film, puis des
ne sont pas censées être là mais trouvent En novembre, une première pièce de danse photographies. C’est devenu un univers
une manière de s’offrir à la vue. Ce qui a viendra prolonger votre projet TRAUM . par accumulation de données, comme un
quelque chose à voir avec le spectacle, qui Comment ces travaux deviennent-ils des coup de collectionnite. Et à la fin, je me
se révèle, se dévoile. univers à part entière, avec leur propre suis implanté une puce qui me permettait
logique, leurs propres règles ? de ressentir la chaleur, captée par caméra
C’est une métaphore de votre travail thermique, des spectateurs qui entraient
photographique ? « J’ai besoin d’explorer d’autres langages d a n s l ’ i n s t a l l a t i o n C e l l u l a i re m e n t .
pour exprimer une réalité, c’est une J’avais comme une sorte de « collection
« Souvent en photographie c’est le sujet nécessité. To ut pa rt to u j ou rs d’ u ne de fantômes » que je pouvais convoquer
qui prévaut mais, en ce qui me concerne, question, puis mon travail s’autoaugmente quand je voulais. Et je me suis demandée :
j’apporte beaucoup d’attention au mode C19H2802 (agnès) [six vidéos, sculpture si je convoque dans mon corps la chaleur
13
I NT E RV I E W ARTS ET S CIENCES M OUVEM ENT n ° 9 1

je me suis rendu compte, dans cette espèce Sublimer ces obsessions en projets artistiques
de solitude, de mon extrême dépendance les font-elles disparaître ?
à ces communications à distance, à cette
fausse présence des autres. Et presque « Les fantômes sont toujours là, mais au
par hasard, j’ai redécouvert un recueil bout d’un moment, c’est comme quand tu
de lettres de Franz Kafka, les Lettres à essaies de saisir un rêve, de chasser un
Milena. Bon, c’est assez cheesy, ce sont souvenir d’enfance ou de te rappeler un
des lettres d’amour classiques, mais mot que tu as sur le bout de la langue : plus
avec cette chose étrange, quand même : tu te concentres dessus, plus il s’estompe. > TRAUM (le paradoxe de V.) de SMITH et Matthieu
Kafka passe son temps à refuser de revoir Quand tu es trop obsédé par quelque chose, Barbin, pièce chorégraphique qui prolonge le projet
Milena. Il trouve toujours des excuses. cette chose finit par s’évaporer. Mais un pluridisciplinaire TRAUM (court-métrage, photographies,
Dans sa « lettre aux fantômes », il explique fantôme vient chasser l’autre… » • sculptures 3D, conférences, livres) et qui raconte l’histoire de Vlad,
que cette relation épistolaire – que l’on cosmonaute mort dans l’espace à bord de sa navette Soyouz.
pourrait comparer à l’infinité de ces Propos recueillis par Aïnhoa Jean-Calmettes Les 27 et 28 novembre au Théâtre de la Cité internationale, Paris,
relations par Tinder, Skype ou Snapchat, & Alice Ramond dans le cadre de New Settings
que j’aime bien appeler les « technologies
de l’absence » ou les « télétechnologies « Désidération », expérience d’intrication », intervention-
de l’intime » – au lieu de nous rapprocher, performance de SMITH et de l’astrophysicien Jean-Philippe Uzan
créent des fantômes. Kafka développe deux avec réalisation d'un implant lunaire.
théories du fantôme, à la fois enfantines Le 6 septembre dans le cadre du Colloque « Le rêve des formes »
et crève-cœur. La première c’est que les au Collège de France, Paris
fantômes naissent sous les mains qui
écrivent et se nourrissent des baisers que
l’on s’envoie, ce qui fait que la personne
ne les reçoit jamais. Et c’est vrai, ces
messages sont sans substance, comme s’il
y avait une impossibilité de l’écrit ou de la
photographie à porter ça. On peut raviver et
réinvestir ces baisers par notre imaginaire,
mais les messages ne les contiennent
pas. Sa deuxième théorie, c’est que les
humains ont passé leur temps à créer des
technologies qui nous permettent de nous
rapprocher physiquement – la voiture,
de telle ou telle personne, si je contrôle Vous travaillez souvent avec des scientifiques ? me disais que ça permettait d’offrir une le bateau, l’avion – mais les fantômes, eux,
cette forme de « hantise », est-ce que ça va subjectivité à un fantôme [projet TRAUM ont inventé le téléphone, le télégraphe, etc.,
m’aider ? Qu’est-ce que ça provoque ? « Interviewer un scientifique et travailler à – Nda]. Pour la caméra thermique, je suis toutes ces choses qui ne font que renforcer
partir du savoir qu’il m’aurait prêté, ça ne tombée sur Internet sur la démonstration l’absence.
Vous multipliez les disciplines pour faire m’intéresse pas. Je préfère dire : « toi, avec d’une caméra qui filme les infiltrations
le tour de vos questions ou pour explorer de ton regard de musicien, de scientifique ou d’eau, et je me suis dit : « Une caméra qui Le fantôme, en tant qu’obsession, n’est-il pas
nouveaux récits ? de philosophe, viens regarder ce sujet permet de filmer l’invisible ! » Aussi, j’ai indissociable de l’acte de création ?
avec moi et faisons une forme ensemble.» appris à programmer très tôt, j’ai une
« Pa ra dox a l em en t , l es mé d i u ms q u i En art, surtout en art-science ou en bio-art, affinité avec la pensée informatique au « En ce qui me concerne, c’est totalement
m’intéressent en ce moment, la photo, on n’est limité ni par la technique de la sens large. J’ai toujours été stimulée vrai. Ça me paraitrait impossible de me
l’installation, la danse, sont assez peu connaissance, ni par la méthodologie, ni par ces technologies qui nous semblent dire : « Tiens, j’ai vu ce sujet dans le journal,
investis par la fiction. Souvent en danse par l’éthique. Donc on peut repousser, un complètement inaccessibles ou futuristes. ça m’inspire, j’ai envie d’écrire un film
– à part dans les ballets – la narration et peu, ensemble, les limites de l’imaginaire Et puis j’aime la science-fiction réaliste, dessus… » Ça vient toujours de quelque
l’imaginaire purs sont évacués au profit et de la connaissance, sans rester dans comme chez l’écrivain Greg Egan par chose – une expérience personnelle, une
de questions de forme, d’énergie, de le fantasme, car on a les outils pour exemple. C’est de l’anticipation mais qui rencontre, un ressenti – suffisamment
technique. Agréger différentes formes expérimenter réellement. est techniquement, logiquement ou même fort pour imprimer une trace plastique,
dans mes projets archipels, c’est une sorte physiquement, déjà possible ; il imagine un synaptique, indélébile, quelque part dans
de cubisme qui me permet d’appréhender Caméras thermiques, drones, capteurs de monde à partir de données technologiques mon cerveau ou mon âme. Jusqu’à présent,
différentes facettes que les médiums, mouvement, implantation de puce et et scientifiques plausibles. les choses sur lesquelles j’ai travaillé
seuls, ne sont pas habilités à recevoir. bientôt de lune. D’où vous vient cet me touchaient personnellement, sous
L’idée ce serait plutôt de raconter des intérêt pour les nouvelles technologies ? Pour certains, les nouvelles technologies, une forme de revenance et de hantise
histoires avec des mots qui ne sont pas du en ménageant des présences absentes, permanente.
tout faits pour ça. Comme quand on passe « Je n’ai pas de rapport virtuose à la créent de nouveaux fantômes. Les traces
une nuit avec un physicien, un philosophe, technique. Je dirais plutôt que je peux que laissent nos navigations Internet nous
un bibliothécaire et qu’on se dit « Tiens, devenir obsédée par un appareil, une créeraient des doubles fantomatiques.
écrivons une histoire ensemble.» On fait pellicule, et que ça me plaît d’essayer de
entrer en conversation différents langages le maîtriser et surtout de l’investir d’un « Cette question, je me la suis posée quand
et cela permet de rêver ensemble. imaginaire. Pour le drone, par exemple, je je suis partie vivre à l’étranger et que
14 15
STO RY CINÉMA M OUVEM ENT n ° 9 1

HARMONY KORINE
CLOCHARD SELECT
Flibustier pop et poète de l’Amérique white trash, le cinéaste et plasticien Harmony
Korine s’accapare les codes de la culture dominante pour mieux les pulvériser : une
manière bien à lui de sublimer l’idiotie crasse, la violence et le mauvais goût. Le Centre
Pompidou et la Galerie du Jour lui consacrent une rétrospective.

Texte : Julien Bécourt


Photographies : Christiaan Lopez-Miro, pour Mouvement

1995 : Kids, de Larry Clark, sort en salles. Le scénario, dont les


protagonistes sont des ados new-yorkais libidineux se refilant
CULTURE SKATE
le Sida, est crânement signé « Harmony Korine, un écrivain « Je ne sais pas comment marche ce truc. » Quand on l’appelle
célèbre ». Repéré par le réalisateur et photographe, le skateur de par Skype, Harmony Korine fait mine de ne pas savoir comment
23 ans vient de voir adapté à l’écran un script qu’il avait scribouillé fonctionne le mode vidéo. Foutage de gueule, d’emblée ? Avec la
cinq ans plus tôt. Avec l’égérie du film Chloë Sevigny, il devient nonchalance qui le caractérise, le maverick esquive les questions
une icône de la génération X. qui semblent l’ennuyer ou s’immiscer un peu trop dans son intimité.
1997 : Gummo, le premier long-métrage d’Harmony Korine, Père de famille, il sépare désormais sa vie professionnelle de sa
devient instantanément un « film culte ». Sur fond de black metal, vie personnelle, et tue l’ennui en zigzaguant entre les supports.
des gamins dévalent en bicross les routes d’un quartier sinistré Un savant dosage entre le pharmakon et le divertissement. « Je
de Nashville, fument des bangs affalés sur des matelas pouilleux, cherche seulement à me distraire. Je n’ai pas de discours tout fait,
mangent des spaghettis dans leur bain et s’amusent à shooter des j’agis toujours de manière intuitive, sans établir de hiérarchie
chats à la carabine. entre les médiums. Peindre, écrire, dessiner, faire des films… Il n’a
2013 : Spring Breakers, dont la campagne promotionnelle est beau y avoir aucune logique apparente dans ce que j’entreprends,
orchestrée comme celle d’un vulgaire teen movie, est présenté tout participe d’une seule et même esthétique unifiée. »
en avant-première au Grand Rex à Paris. Les jeunes groupies de
Selena Gomez, venues en masse assister au film dans lequel s’ébat Nul besoin de l’aiguiller vers son adolescence, il y vient de lui-
leur idole Disney, sortent de la salle en sanglots, traumatisées. même, comme si son destin était tout tracé. Fils de trotskistes,
il passe ses premières années dans une communauté hippie
Entre Gummo et Spring Breakers, Harmony Korine, 44 ans, a de Californie, jusqu’à ce que ses parents déménagent dans un
réalisé trois autres longs-métrages, tourné une flopée de pubs et quartier exsangue de Nashville. Là, il découvre Chaplin, Buster
de clips (Sonic Youth, Bonnie Prince Billy, Cat Power, Rihanna…), Keaton et le plaisir des bastons préadolescentes avec des rednecks.
batifolé avec le Pussy Posse – la bande new-yorkaise énervée de « Gosse, j’ai toujours été un cancre, un branleur multirécidiviste.
Leonardo Di Caprio –, et essuyé quelques détox. Mais il a surtout Je provoquais les profs en classe, j’étais insolent. C’est pareil
accumulé dans son atelier de Nashville des centaines de collages, aujourd’hui et j’ai bien l’intention de foutre la merde jusqu’à mon
de peintures, de photographies et de poèmes, typographiés à enterrement ! », s’esclaffe-t-il. Obnubilé par le skate, la déconne
la main. Toute une production méconnue et rarement exposée et la défonce, Korine fait l’école buissonnière pour défricher des
en France, désormais chapeautée par Gagosian, la galerie trous paumés et enracine sa passion pour le ghetto rap et le black
multinationale. folk art. Révéler la poésie derrière la misère et l’ennui est pour
le jeune vaurien une quête perpétuelle. Ses premiers gribouillis,
empreints d’un certain mysticisme, cherchent une forme de
transcendance qui ne le quittera pas, comme un carbone inversé
de la société de consommation : à la fois dark et fluo, romantique
et sarcastique.
17
S’il a fini par décrocher de la poudre et du crack, qui ont bien
failli avoir raison de sa carrière, c’est toujours en skate, un barreau
de chaise accroché aux lèvres, qu’il arpente les 400 m2 de son
atelier de Nashville. Alicia Knock, commissaire de son exposition
au Centre Pompidou, a d’ailleurs consacré un espace entier à la
planche à roulettes : « Le skate, dont il ne se sépare quasiment
jamais, est son instrument de vision mouvante, analyse-t-elle. Ses
images semblent être faites pour être regardées en bougeant. Son
but est de produire une expérience psychédélique, saccadée et
répétitive de l’image. J’aurais adoré qu’on puisse faire du skate
dans l’expo pour recréer cette expérience. »

POÉSIE BIZARRE
Premier coup d’éclat, Gummo porte haut l’étendard d’un

Korine Orange Ghost, collection agnès b.


cinéma délivré des impératifs de la narration. Harmony Korine
y met en scène le quartier où il a grandi, comme s’il s’agissait

Spring Breakers (2012)


d’une fiction, en quête d’un surplus d’étrangeté et de poésie. Les
postados des nineties possèdent désormais un film qui corrobore
leur fantasme d’une Amérique en déshérence, peuplée de
morveux rebelles et semi-clodos qui s’emmerdent à crever dans
leur bled. Pas de critique sociale à la truelle, juste une observation
des mœurs contemporaines dans ce qu’elles ont de plus absurde
des œuvres en soi », témoigne la styliste et mécène. Après Julien
et d’irrationnel. Mais l’univers de Korine, dont il est lui-même
Donkey-Boy, Korine abandonne temporairement le cinéma pour
partie prenante, est toujours rattrapé par la grâce et un comique
alterner entre projets personnels et commandes de pubs ou de
de situation hérité du slapstick de W. C. Fields. À l’image de c’est bon pour les problèmes de maths. Je me fous de la logique,
clips ; une façon d’établir des correspondances enracinée dans la
Fight Harm, film avorté dans lequel il provoque des rixes avec je suis éperdument amoureux du non-sens absolu ! Mon art
vision romantique d’un « art total ».
des passants anonymes, dans l’optique de se faire tabasser devant cherche à créer une perturbation associée à une étrange forme
la caméra. Il jettera l’éponge après s’être retrouvé en sang sur le
bitume, deux dents cassées, mais convaincu que cela aurait donné
de transcendance. Cela provient d’expériences et d’une façon de
projeter ce vécu dans l’imaginaire, de l’exagérer jusqu’à ce qu’il se HAPPENING DÉRANGÉ Mes films sont autant
son meilleur film. transforme en poésie bizarre. »
Son long-métrage suivant, Mister Lonely (2007), déroule des lettres d’amour que
Pour Julien Donkey-Boy (2000) – réalisé en adhésion aux
principes du Dogme95 établis par Lars Von Trier et Thomas
Le film scelle sa collaboration avec Agnès B., qui le prendra sous
son aile, l’exposant et produisant plusieurs de ses futurs projets
des séquences surréalistes autour d’un congrès de sosies de
célébrités en Écosse. Bancal, en dépit d’une scène mémorable des condamnations
Vinterberg – il convie son mentor Werner Herzog à interpréter un
père de famille schizophrène. On distingue dans ses propos une
sensibilité proche de celle du cinéaste allemand, en quête d’une
cinématographiques. « Je le considère avant tout comme un grand
poète, avec une écriture magnifique. C’est quelqu’un qui ne juge
pas, qui au contraire aime la nature humaine dans tous ses états :
où des bonnes sœurs sautent d’un avion et d’une bande-son de
choix (signée J. Spaceman et Sun City Girls), le film fait un flop.
Refroidi par cet échec, Harmony Korine change son fusil d’épaule
à mort - Harmony Korine
« vérité extatique » en opposition au cinéma-vérité : « La vérité, dans ses débordements, sa fantaisie, aussi. Ses personnages sont et reprend les rênes d’un cinéma low-fi et fauché, antichambre de
sa copieuse production artistique. Dans Trash Humpers (2009),
les personnages aux masques de vieillards s’accouplent avec des

Gummo (1997)
poubelles et se livrent à de douteuses frasques nocturnes. Théâtre
d’un happening dérangé, les quartiers résidentiels dans lesquels
se déroulent le film sont emblématiques du cauchemar normcore.
Avec un grain vidéo sale et saturé, le film dresse, selon Agnès B.,
un nouveau portrait de l’Amérique « des délaissés qui ont fait
élire Trump ».
BOMBARDEMENT SENSORIEL
Harmony Korine ne suit aucune règle préétablie et construit
S’y épanouit le goût du cinéaste pour une provocation
ses films au montage, en se rapprochant des structures de la
agressive, dont on retrouve les prémices dans les installations de
musique électronique « avec des breaks, des répétitions et des
Mike Kelley et Paul McCarthy ou chez les actionnistes viennois.
leitmotiv mélodiques ». Un cut-up audiovisuel qui fait crépiter les
« Harmony Korine est un artiste brut, même s’il rechigne à être
images dans le cerveau. « L’intrigue et les personnages changent
catégorisé, avance Alicia Knock. Trash Humpers tient surtout
en cours de tournage, il m’arrive aussi d’intervertir les dialogues
de Ralph Eugene Meatyard, photographe du sud des États-Unis,
à la dernière minute. Je dessine souvent un story-board, mais je
qui faisait dans les années 1950 des portraits de famille avec
le jette au moment du tournage, explique le cinéaste. Un film est
des masques étranges. C’est un artiste profondément américain,
avant tout une question d’atmosphère, de tonalité. Je veux qu’on
il l’assume et le revendique. D’ailleurs, le cinéaste dont il se
perçoive l’air qu’on y respire, que l’on sente l’odeur des lieux et
sent le plus proche est Clint Eastwood. Bien plus que d’autres
la détonation des flingues. Que ce soit tactile et agressif pour
réalisateurs avec lesquels on le compare souvent, comme David
produire sur le spectateur une impression physique aux effets
Lynch. »
analogues à ceux d’une drogue hallucinogène. »

18 19
M OUVE ME NT n °9 1

fond d’EDM et de dubstep saturé. Le rituel étudiant du spring


break, dans toute sa vulgarité consumériste, est outré jusqu’à la
bouffonnerie. Prises dans les filets d’un gangster bas du front
surnommé Alien, quatre midinettes fraîchement déniaisées s’y
transforment en une milice de riot girls à cagoule rose, armées
jusqu’aux dents et cokées jusqu’à l’os. La mythologie du gangster
est ici réinventée. Korine kidnappe le public des idoles Disney
pour le confronter à un film néonoir, au psychédélisme vidé de
toute utopie, dérivant vers une ultraviolence et une mystique
pop qui n’a rien à envier à la Manson Family. « Bien sûr, le film
était en partie destiné à provoquer, mais il était aussi voué à
devenir un objet étrange de culture pop. Mon idée était d’infiltrer
le mainstream, d’atteindre un public populaire pour mieux le
désarçonner. J’étais ravi de voir ma tactique fonctionner ! Mes
films sont comme des balles tirées en plein cœur, ils ne sont pas
censés être ouvertement ironiques. Ce sont à parts égales des
lettres d’amour et des condamnations à mort. »

Plutôt que de souscrire au système de valeurs qui consiste à

Korine Devil Goat, collection agnès b.


tout hiérarchiser, Korine préfère brouiller les pistes. « Les choses
les plus commerciales sont parfois les plus radicales, et les choses
les plus avant-gardistes sont parfois les plus chiantes. Je n’aime
pas l’idée de niche, d’un périmètre où tout est extrêmement
rare et précieux. Je veux foutre le bordel dans la perception
standardisée de la réalité ! En soumettre une vision distordue à
un point d’étrangeté presque magique. »

MADE IN HOLLYWOOD
Un bombardement sensoriel qui se retrouve dans ses
assemblages de photographies et de textes, auxquels une large Depuis le carton de Spring Breakers au box-office, cet enfant
section de l’exposition au Centre Pompidou est consacrée. Pour bâtard du bling-bling et de la subculture DIY a une autoroute
sa collaboration avec l’artiste Christopher Wool, il utilise la devant lui. Et s’il lâche temporairement le cinéma pour se remettre
photocopieuse comme outil médiumnique, en poussant la à la peinture, c’est pour mieux récidiver. « On me demande
reproduction de la reproduction jusqu’à l’abstraction. « Son toujours pourquoi je n’ai réalisé que six films. C’est simplement
rapport au support relève de quelque chose d’assez archaïque. parce qu’entre chaque film, j’ai besoin d’être à nouveau en prise
C’est une culture du recyclage, de la récupération, observe avec le réel, loin du monde du cinéma ou de l’art. J’aime bien me
Alicia Knock. Harmony Korine est très attaché aux cassettes balader en vélo pour faire des repérages, j’ai besoin d’identifier ce
VHS de son enfance, dont il s’est servi comme support pour ses qui me stimule, d’examiner ce qui se passe dans des coins paumés.
peintures, les transformant en objets-sculptures. C’est aussi Ça me prend un bon moment avant de trouver une idée nouvelle
quelqu’un qui a toujours dressé des listes : de mots bizarres, de pour un film. Ce n’est jamais du documentaire ni du cinéma-
ses films préférés… » Ses créations compulsives traduisent son vérité, mais une combinaison constante d’éléments basés sur mon
intérêt pour les rituels païens propres à l’Amérique vernaculaire, observation, dont j’accentue et j’exagère certains aspects. »
des fêtes d’Halloween au satanisme de pacotille en passant par
les devantures de fêtes foraines. L’exposition dévoile les visions Aussi à l’aise avec le drogué du coin de la rue qu’avec une
d’horreur qui le poursuivent depuis l’enfance, à travers des mégastar d’Hollywood, Korine l’enragé refuse toujours de faire
peintures et des gribouillis où s’ébattent fantômes, diables et des compromis. En novembre, il débutera en Colombie et à Cuba
créatures anthropomorphiques. Obsessions combinées à un goût le tournage de The Beach Bum, dont le casting insolite réunit
pour l’op art et la pop culture psychédélique des années 1970, Matthew McConaughey, Snoop Dogg, « le fantôme de Marlon
dont témoigne une récente série de toiles monumentales titrées Brando » et Cheech & Chong, un duo comique postbeatnik très
Phazers. porté sur la fumette. Une comédie burlesque sous THC qui aurait
plus d’impact à la télévision ? « On me propose constamment
MYSTIQUE POP de réaliser des séries, mais je reste très attaché à l’idée de long-
métrage. La télévision est un médium davantage adapté aux
Lorsqu’il dévoile Spring Breakers, tourné à l’été 2012, tout scénaristes, tandis que le cinéma reste le véritable bastion des
le monde l’attend au tournant. Le film est produit et distribué réalisateurs. Cela dit, j’ai encore toute la vie devant moi pour y
par Megan Ellison, une milliardaire de 28 ans qui fait trembler penser. Mais si je m’y colle, ce sera à un niveau tellement haut que
Hollywood. Sous ses atours de teen movie crétinisant, saturé de ça t’explosera le cerveau, mec ! » •
couleurs fluo et de sound design tonitruant, Spring Breakers est
empreint d’un nihilisme sans fond qui colle à l’époque comme un Julien Bécourt
chewing-gum fondu à des sneakers. Dès les premières images,
rappelant les clips de Chris Cunningham pour Aphex Twin, des > Harmony Korine, du 14 septembre au 28 octobre à la Galerie du Jour, Paris

Harmony Korine, chez lui à Miami douches de bière se déversent au ralenti sur des culs en bikini, sur > Harmony Korine, rétrospective et exposition, du 6 octobre au 5 novembre au Centre Pompidou,

21
M OUVE ME NT n °9 1 S CÈNES

TROPISMES
SOUS LES

saison 17/18
une année pour

Vibrer!
Motus i Collettivo Cinetico i Cia scimone sframeli i MK i

p. D. R.
Lucia Calamaro i Livia Ferracchiati i Joris Lacoste &
Pendant le processus de création de Still le terreau des conditionnements médiatiques complicité de quelques huiles locales, il a alors
pierre-Yves Macé i bruno Geslin i Timofeï Kouliabine i
in Paradise, version réactualisée de leur et sociétaux, ils mettent les leurs sur la table. imaginé une fiction susceptible de remédier
Federico León i Laila soliman i De Warme Winkel &
performance Made in Paradise créée en Une bonne dose de peurs et préjugés, qui ne au problème : le village accueillerait bientôt
Wunderbaum i nadia beugré i rodrigo García i alain
2008, Yan Duyvendak et Omar Ghayatt se sont pas plus glorieux que les vôtres ou les une flopée de migrants. Dans Hospitalités,
sont écharpés autour d’une question cruciale. miens, évidemment. Il se trouve juste que les le spectacle qu’il a créé à partir de cette idée
buffard i François Tanguy / Théâtre du radeau i Marie
Pour remettre en jeu aussi honnêtement deux artistes, suisses d’adoption, ont eu l’heur avec une dizaine d’habitants de La Bastide-
Vialle & pascal Quignard i rodolphe Dana i alain
que possible la question de la rencontre de de naître et grandir aux Pays-Bas pour l’un, Clairence, Massimo Furlan n’a pas invité béhar i Fanny de Chaillé i Jonathan Capdevielle i
« l’autre avec un grand A », il était opportun en Égypte pour l’autre. Soit dans des zones de réfugié. Mais le village, s’est entretemps noé soulié i nicolas bouchaud / éric Didry i Mathilde
d’inviter un réfugié sur scène, arguait du globe que l’on oppose systématiquement, accordé pour créer une association – Bastida Monnier & alan pauls i Jeanne Candel / la vie
Duyvendak. Ce serait le transformer en et depuis un jour de septembre 2001 en Terre d’accueil – et accueillir, pour de vrai, une brève i Lionel González & Gina Calinoiu i isabelle
animal de zoo en soulageant à peu de frais particulier. Alors ils en jouent, par le biais famille syrienne • Luccioni i nicolas Gunn i Jean-Michel rabeux i
une bonne conscience néocolonialisante de fragments performatifs fondés, au gré Fabrice ramalingom i robyn orlin i Gisèle Vienne i Tg
de toute beauté, rétorquait Ghayatt en de l’actualité, sur les vicissitudes que leur Cathy Blisson sTan / De roovers i Dorothée Munyaneza i Mohamed
substance. Et pourquoi pas, tant qu’on y relation a pu connaître, malgré le désir de el Khatib i Marguerite bordat & pierre Meunier i
était, chanter « We Are The World » avant de se rencontrer. Ils nous proposent de voter Georges appaix i David Geselson i Tiago rodrigues
partager un thé à la menthe ? Après moultes « démocratiquement » pour cinq des douze
discussions et engueulades – revisitées dans scénettes disponibles, en interprétant des
Still in Paradise –, le duo a finalement bandes-annonces truffées d’ingrédients
transigé. Et décidé de retracer à l’aide de publicitaires, qui nous confrontent à nos
petites voitures et accessoires pour trains tropismes envers l’image ou le mot racoleur.
électriques le parcours de Dilovan, directeur Et nous mettent dans la position d’éprouver la > Still in Paradise de Yan Duyvendak et Omar Ghayatt,
d’hôtel kurde ayant fui l’Irak en 2008 et profondeur des déterminismes, comme notre du 14 au 16 septembre au festival IDEM, Madrid ; les 17 et 18
dépensé quelque 54 000 euros pour passer ignorance de « l’autre avec un grand A », qui, octobre au CDN de Normandie, Rouen ; les 15 et 16 novembre aux
des années en transit entre Irak, Turquie, Italie, pour l’occidental de base, a étrangement pris Rencontres à l’Échelle, Marseille
Suisse, France, Norvège, Autriche, Bulgarie... le nom du musulman, fût-il étiqueté terroriste
ou migrant. > Hospitalités de Massimo Furlan, les 7 et 8 octobre au
Ils ne sont pas si nombreux, les artistes FAB, Saint-Médard/Bordeaux ; les 22 et 23 octobre au festival
capables d’exposer en scène leurs divergences, Quand Massimo Furlan, autre artiste suisse, Sens Interdits, Lyon ; le 11 novembre au TAP, Poitiers ; les 25 et 26
leurs errances, leurs tentations refrénées. Yan a demandé en 2014 aux habitants de La novembre à Bancs Publics, Marseille ; le 3 mars au Sept Collines,
Duyvendak et Omar Ghayatt (accompagnés Bastide-Clairence (Pays basque) qu’il était Tulles ; le 17 mars à l’Agora, Boulazac ; Le 7 avril au Théâtre d’Arles ;
d’un traducteur) en font la matière première venu rencontrer, ce qui leur faisait le plus peur les 10 et 11 avril à La Vignette, Montpellier ; les 13 et 14 avril au
de leur performance. Pour démonter pour l’avenir, ils ont répondu sans broncher, la TLH-Sierre, Suisse
la mécanique des idées préconçues et hausse des prix de l’immobilier (provoquant la
projections fantasmatiques qui fleurissent sur désertion forcée de la jeunesse du cru). Avec la

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t h é â t r e G a r o n n e , 1 a v e n u e d u C h â t e a u d ’e a u / To u l o u s e , M 0 s t - C y p r i e n r é p u b l i q u e
photographie : Piece for Person & Ghetto Blaster de Nicola Gunn © Sarah Walker / licence n 0 1050565-566-567
R E P O RTAG E AT TR ACTION M OUVEM ENT n ° 9 1

LASCAUX 4
LES MYSTÈRES
DU XXI SIÈCLE
E

Le « Centre international de l’art pariétal » abritant le nouveau fac-similé complet de la grotte


périgourdine a ouvert ses portes. Ses gestionnaires tablent sur une fréquentation considérable :
plus de 1 000 visites par jour. Mouvement a fait partie du groupe de 9h42.

Texte : Fanny Taillandier, à Montignac


Illustrations : Elsa Maillot, pour Mouvement

« Un départ toutes les six minutes » : ceci n’est pas un slogan de -18 000. La grotte n’aurait d’ailleurs été visitée que pendant
vantant la performance d’une ligne de transports en commun l’espace de quelques siècles, sans que l’on sache pourquoi les
en heure de pointe, mais la fréquence affichée des entrées hommes préhistoriques s’en détournèrent. Couvrant tous les
des groupes pour la v isite guidée de Lascaux 4. Le dispositif plafonds et les hauts des parois, les fresques figurent pour moitié
Vigipirate, les portiques où flasher les QR codes des billets et des chevaux, des cerfs et des aurochs, trois animaux que les
la vaste verrière où des écrans plats diffusent des animations 3D hommes du Néolithique ne chassaient pas. Le jour du solstice
au-dessus des banquettes d’attente pourraient pourtant induire d’été, le soleil couchant plongeait ses derniers rayons sur l’œil
le visiteur en erreur, tant tout, dans cet accueil, ressemble à une effrayé d’un cheval, dit « renversé », qui semble se précipiter dans
gare TGV ultramoderne ouverte à l’occasion de la ligne à grande le vide. Au fond de la grotte, dans un puits, à côté d’un oiseau
vitesse Paris-Bordeaux. et d’un rhinocéros, se dissimule la seule représentation humaine,
silhouette rapide à tête d’oiseau et phallus en érection.
Pourtant ici, à Montignac, à 300 km à vol d’oiseau du grand
port colonial, le train n’est plus passé depuis 1955. Le gros bourg Les interprétations des usages et des significations de ces
d’à peine 3 000 habitants, niché au bord de la Vézère, semble peintures sont multiples : animisme (le passage des lampes à huile
à peine réveillé par la présence obligatoire d’un Intermarché et devant les peintures leur aurait conféré un caractère mouvant, les
d’un Jardiland. La route qui descend la vallée jusqu’au confluent animaux peuvent être totémiques), rite initiatique (le puits et la
de la Vézère et de la Dordogne, à peine assez large pour y figure humaine au fond de la grotte aurait servi de passage vers
croiser une caravane hollandaise peinant dans les virages, sinue un autre âge), cosmogonie représentant les cycles de la vie et
paresseusement sous les falaises de calcaire creusées de grottes. des saisons (si l’on s’intéresse à la façon dont les représentations
La vallée en abrite des dizaines, habitées ou utilisées depuis le animales se superposent)… Georges Bataille y voit la naissance
Paléolithique, ce qui lui a valu d’être baptisée « Vallée de l’homme ». du geste artistique, Blanchot celle de l’homo ludens. Certains
chercheurs ont retrouvé dans les orientations des peintures
Celle de Lascaux est la plus célèbre. Découverte en 1940, et leurs saillances les formes des constellations célestes. Ici se
cette grotte d’une dizaine de salles abrite 1 900 gravures et racontait une histoire, mais elle est pour nous une énigme.
peintures noires, ocres ou rouges, tirant profit des aspérités de
la roche. Selon les chercheurs, elles auraient été peintes autour

25
EXCEP
R E P O RTAG E AT TR ACTION M OUVEM ENT n ° 9 1

INE DE L'
SIXT
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LA CHAPEL
L 100% EL

T
L’expérience de la reproduction

PARIÉ AL
de pastiche maladroit de L’Âge de glace. Grâce à cet intermède,
désormais conscients des conditions climatiques rudes qui
C’est sans doute cette histoire et cette énigme qui attire, en sévissaient dans les parages « à l’époque », nous sommes fin prêts

T
GARANTIE 15 ans d’ouverture, plus d’un million de touristes dans la grotte, pour l’expérience. Notre guide nous emmène prestement le long
au point qu’André Malraux la fait fermer au public en 1963 : les d’une pente douce, toujours de béton, nous forme à l’utilisation de

IMMERSION TOTALE précieuses images disparaissaient sous les algues, champignons


et calcifications dus aux perturbations de l’atmosphère causées
nos casques (malheureusement, nous entendons d’abord Chante
France et devons recommencer l’opération), appuie sur un bouton,
par la présence humaine, les systèmes de ventilation et les ouvre une porte coulissante. Nous entrons dans la grotte.
éclairages. La grotte est classée au patrimoine mondial de
l’humanité. Lascaux 2, la première réplique, puis Lascaux 3, De fait, le décor est époustouflant. Les parois, au-dessus de
qui date des années 2000, continuent d’accueillir des flots de nos têtes, semblent irradier ; les animaux se suivent dans une
curieux. Dans cette vallée enclavée, peu propice à l’agriculture sarabande étrange, colorée, à la fois onirique et hyperréaliste.
productiviste et vivant du tourisme, la manne était trop belle pour Le fac-similé, fruit du travail de dizaines de scientifiques et
la laisser tarir : c’est la raison du projet Lascaux 4, lancé sous la d’ouvriers, suscite le recueillement et la rêverie. Dans un micro
présidence Sarkozy, qui ambitionne 400 000 visiteurs par an. grésillant, la guide nous demande d’admirer le talent de ces
Après un montage financier compliqué d’austérité, des difficultés
de chantier et de multiples conseils scientifiques, le nouveau
site ouvre en décembre 2016. Cet été 2017 est le premier grand
moment de rush touristique ; à la cafétéria, la serveuse inscrit sur
les tables alignées par rangée de huit les numéros au Posca blanc,
anticipant le coup de feu de midi.
32 personnes par groupe, un
Les titulaires d’un billet pour le départ de 9 h 42, appelés par
une voix automatisée, se regroupent auprès d’un agent d’accueil
groupe toutes les six minutes,
qui annonce la marche à suivre : à gauche, récupérer un casque
et un « compagnon de visite » : une tablette numérique sur
de 9 heures à 22 heures
laquelle, promis, nous découvrirons les mystères de cette grotte
« exceptionnelle » – ce mot reviendra 16 fois au cours de la visite.
Le reste du commentaire enregistré sur la tablette, tout comme le

compagnon
propos de la guide qui accueille le groupe de 9 h 42, ne dira rien
des multiples histoires possibles contenues dans ces peintures
étranges. artistes, « comme nous capables d’imagination, sans doute de

d e v i s i te
mythologie ». Les équipes de médiation sont formées par un
Ce n’est pas cela que promet Lascaux 4 ; c’est, paradoxalement, préhistorien spécialiste de la grotte, lui-même ancien guide :
l’expérience authentique de la visite de la grotte dans sa certainement, pensons-nous, de plus amples explications vont
reproduction. Pour la première fois, le fac-similé reconstitue suivre, et des mains se lèvent pour poser des questions. Mais la
l’intégralité de celle-ci, et en conserve aussi la température et le guide coupe court : déjà le groupe de 9 h 48 nous pousse vers la
taux d’humidité. L’ensemble du bâtiment abritant la reproduction salle suivante, où s’attarde, agaçant, le groupe de 9 h 36. En moins
doit concourir à parfaire cette expérience. Snøhetta, l’agence de 30 minutes, nous voilà dehors, dans une nouvelle cavité de
d’architectes norvégienne qui a remporté le concours, damant le béton où tombe le jour blanc, un peu aveuglant. La parole peine à
pion à l’enfant du pays Jean Nouvel, a pris le parti d’un bâtiment reprendre. La guide s’excuse, doit nous laisser pour récupérer son
semi-enfoui, long de 160 m, censé figurer, en écho à la grotte, une groupe suivant. Mais l’expérience n’est pas finie : notre compagnon
faille horizontale dans la colline de Lascaux. L’étymologie du nom de visite va nous accompagner dans la seconde partie, où l’on peut
reflète la pierre calcaire d’un blanc légèrement jaune. Mais les rester « jusqu’à 22 heures si on le souhaite ». 32 personnes par
architectes lui ont préféré le béton brut qui « confère à l’ensemble groupe, un groupe toutes les six minutes, de 9 heures à 22 heures.
une dimension monolithique » selon le dossier de presse. Lequel L’objectif final ne se laisse pas oublier : on a promis 400 000, on
béton, d’un volume de 10 000 m3, a été acheminé par camions fera 400 000.
à travers la vallée, alimentant un chantier qui a nécessité de
détourner une source et de forer les fondations armées à 12 m Faire son panier idéal
sous terre, enfouissant 730 tonnes d’acier à béton. Le tout pour
protéger l’écologie de la colline… C’est que l’enjeu est de taille pour le département de la
Dordogne, dont un cinquième du PIB vient du tourisme et qui a
Après la verrière du hall d’accueil, il s’agit donc de s’imprégner été à l’initiative de ce projet. Lascaux 4 a coûté 57 millions d’euros,
de l’ambiance authentique de la vallée. Pour nous permettre répartis entre le Département, la région Nouvelle-Aquitaine
d’y accéder, on monte par un ascenseur de verre jusqu’au toit et l’Europe, via son fonds de développement régional FEDER
panoramique qui, garantit la guide, nous permet de nous faire qui repose sur des appels à projets mettant en concurrence les
une idée de l’atmosphère de la vallée de la Vézère. Nous voyons différents territoires de chaque région. L’État, loin des 16 millions
le quartier pavillonnaire de Montignac et les parkings 1 et 2 d’euros promis par Nicolas Sarkozy (mais jamais inscrits au
de l’attraction. Aussitôt, la guide nous emmène vers la suite : budget), participe finalement à hauteur de quatre millions.
toujours dans l’idée de préparer le choc que sera la visite de la Le Département s’est donc tourné vers le mécénat : le Crédit
grotte, nous visionnons un film de deux minutes où bondissent Agricole, la Fondation EDF et Hyper U font partie des donateurs ;

Avec : « Un homme-oiseau culbuté par un bison


26
G suivez le guide des bisons et des lions des cavernes en animation, dans un genre il n’était pas question d’abandonner le projet. Cet objectif de
27
qu’il vient d’éventrer et qui perd ses entrailles ! » Breuil départ toutes les six minutes !
SEP–DÉC 2017 ARSENIC
Centre d’art scénique contemporain
MÅRTEN SPÅNGBERG (SWE)
PAMINA DE COULON (CH) www.arsenic.ch
GREGORY STAUFFER (CH)
CHARLOTTE NAGEL (CH)
CHRISTEENE (USA)
L’OCELLE MARE (FRA)
YVES-NOËL GENOD (FRA)
PRICE (CH)
LEA MORO (CH)
RÉBECCA BALESTRA (CH)
JULIEN MAGES (CH)
RENÉE VAN TRIER (NL)
TATIANA BAUMGARTNER (CH)
LÉA MEIER (CH)
LES URBAINES
TIPHANIE BOVAY-KLAMETH (CH)
VALERIO SCAMUFFA (CH)
AUDREY CAVELIUS (CH)

400 000 visiteurs, c’est l’espoir d’autant de nuitées d’hôtel, de moderne et contemporain ; le malheur, pensons-nous, c’est que
sandwiches et de crêpes, de locations de canoë ; c’est la promesse sans une connaissance préalable de l’histoire de ces arts, il est SEP–DÉC 2017 ARSENIC
d’une locomotive économique pour la région. L’investissement impossible de savoir pourquoi. D’ailleurs la salle est quasiment
lui-même a représenté des contrats de sous-traitance pour les vide. Si nous devons être mille dans la journée ici, il semble qu’une Centre d’art scénique contemporain
entreprises du bâtiment de la région et des repas pris sur place
par les ouvriers, qui ont été jusqu’à une centaine à la fois sur le
bonne part se soit déjà évaporée.
MÅRTEN SPÅNGBERG (SWE)
chantier. Sans doute, ce que venaient chercher les visiteurs était autre PAMINA DE COULON (CH) www.arsenic.ch
chose qu’une énième tablette électronique, qu’un écran plat
Soit ; pour autant, nous ne voyons pas trop en quoi ces surérogatoire, qu’un ultime panier idéal. Les visiteurs venaient
GREGORY STAUFFER (CH)
nobles visées économiques justifient ce qui nous arrive lorsque, chercher des peintures maladroites et fascinantes. Ils venaient voir CHARLOTTE NAGEL (CH)
débarrassés de notre infime identité de groupe de 9 h 42 et rendus de leurs yeux ce qui a traversé les millénaires, pas se retrouver aux
à l’autonomie de nos compagnons de visite, nous pénétrons dans prises avec de la technologie déjà déconnante et bientôt obsolète,
CHRISTEENE (USA)
la suite du musée. Promettant toutes les clés de toutes les énigmes, et ils étaient d’accord pour payer les 16 euros de l’entrée. L’OCELLE MARE (FRA)
il s’agit d’une vaste salle intitulée « l’atelier », où se trouvent, pêle-
mêle, des reproductions de la grotte, des frises chronologiques, Pourquoi, alors, leur inf liger ces salles son et lumière YVES-NOËL GENOD (FRA)
des morceaux d’outils préhistoriques et des écrans tactiles où nous clinquantes ? Pourquoi ne pas leur dire : 16 euros les 30 minutes, PRICE (CH)
sommes invités à faire notre panier idéal de chasseur-cueilleur. à prendre ou à laisser ? Est-ce qu’il y aurait une arnaque à cacher
Le compagnon de visite vibre lorsque l’on s’approche de l’une ou quelque part ? Est-ce que cela aurait coûté plus cher s’il y avait LEA MORO (CH)
de l’autre de ces curiosités, et nous affirme dans le casque qu’elles
sont exceptionnelles. Des enfants se chamaillent, une vieille dame
eu seulement l’investissement du fac-similé à amortir ? Toutes
ces questions restent en suspens alors que nous regagnons le
RÉBECCA BALESTRA (CH)
n’entend rien, tout le monde paraît perdu. Rien ne fait sens. parking 2, avec la même sensation de vague écœurement qu’en JULIEN MAGES (CH)
sortant d’un mauvais blockbuster en 3D ou d’une après-midi dans
Cela ne s’arrange pas dans les salles suivantes, présentant tour une galerie commerçante. Les Homo sapiens n’ont utilisé la grotte
RENÉE VAN TRIER (NL)
à tour un cinéma 3D vantant la peinture rupestre, un faux théâtre de Lascaux pour leurs mystères que durant quelques siècles, après TATIANA BAUMGARTNER (CH)
vidéoprojeté évoquant l’Exposition universelle de 1 900, et, clou quoi celle-ci est restée secrète pendant des millénaires ; on peut se
de l’énigme, une « galerie de l’imaginaire », parallélépipède demander ce que comprendront les hommes du futur, lorsqu’ils
LÉA MEIER (CH)
d’écrans plats diffusant des reproductions des Baigneuses de découvriront un jour cet amas (pardon, cette « faille ») de béton LES URBAINES
Picasso ou des silhouettes de Giacometti selon les choix des dans la colline, de notre art, de nos rêves et de nos croyances •
visiteurs, mis à nouveau face à des écrans tactiles et un panier TIPHANIE BOVAY-KLAMETH (CH)
idéal. Le but, nous explique le médiateur présent dans cette salle, Fanny Taillandier VALERIO SCAMUFFA (CH)
est de comprendre que les peintures rupestres ont influencé l’art
AUDREY CAVELIUS (CH)
28
P O RT R A I T ARTS VISUELS M OUVEM ENT n ° 9 1

THÉO MERCIER
AU BAL DES CIVILISATIONS
Résidence secondaire, source d’inspiration majeure : le plasticien fréquente le Mexique
avec assiduité depuis bientôt dix ans. Visite guidée de son atelier chilango et portrait de
l’artiste en archéologue de ses propres fictions.

Texte : Salomé Kiner De Dominicis, à Mexico


Photographies : Marie Taillefer, pour Mouvement

Mexico City, 30 mai 2017, 11 heures. « J ’ai dormi douze Ce kaléidoscope opère comme un aimant sur Théo Mercier
minutes ! » Une barquette de mangue fraîche à la main, Théo qui séjourne au Mexique depuis près de dix ans, même si les
Mercier tourbillonne entre ses sculptures. La cerne grise trouée cultures préhispaniques étaient inscrites en lui depuis l’enfance,
par le bleu de ses yeux, son visage dit la grâce et l’angoisse. Il lui comme une fascination précédant beaucoup d’autres. Pour lui qui
reste six heures avant l’avion qui le ramènera à Paris, mettant fin réinvente et démonte constamment l’histoire en détournant les
à deux mois de séjour au Mexique. Ce n’est qu’un bref au revoir : traces du passé et les repères du présent, la fabrique mexicaine
il sera de retour dès la fin de l’été pour terminer les préparatifs de l’hybride est un moteur puissant : « C’est particulièrement
de son exposition Delego Fantasma, qui ouvrira le f lagrant avec l’architecture. On peut tomber sur une vieille
23 septembre. Entre les deux, en France, il mènera de front maison coloniale écrasée par une tour de verre construite sur
les répétitions de La Fille du collectionneur, la création qu’il des dallages brisés par un tremblement de terre. Les reliefs sont
présente au Théâtre Nanterre-Amandiers en novembre prochain, visibles, l’histoire n’est pas figée comme en Europe. Les strates
la préparation d’une exposition personnelle au musée de l’Homme entre la ville contemporaine et son passé sont perméables. On
et la reprise de la performance souterraine Radio Vinci Park à la peut traverser les époques en marchant dans Paris mais on sent
Ménagerie de verre. que les choses sont là pour le rester. Ici, les temps sont encore en
En attendant, Théo Mercier dresse l’état des lieux de l’atelier- action, les volcans crachent, la terre bouge, elle fait sortir des
showroom qu’il occupe sur le toit de la galerie Marso depuis deux choses. Les fouilles archéologiques sont permanentes. Quand on
ans. Pour rejoindre ce perchoir, il faut se rendre à l’angle des rues construit un immeuble on trouve toujours un vestige, une pierre
de Berlin et Versailles, pousser le lourd portail forgé de la villa taillée, une céramique… »
néoclassique, passer sous l’élégant préau de marquises, traverser
des bureaux saturés d’écrans, saluer des assistantes suspendues Face à lui, un premier ensemble de totems garde l’entrée
à leur kit mains-libres, enjamber les derniers assemblages à du temple à l’intérieur duquel il orchestre son grand bal des
même un patio carrelé et gravir un dédale d’escaliers en bois qui civilisations. Dans une ville où la terre tremble régulièrement,
débouche finalement sur un plateau de béton rouge. Le panorama cette série de fantassins se dresse comme la skyline turgescente
s’ouvre sur un parking étagé, une citerne à eau, un hamac en tricot, d’une cité précaire. Un empilement hétéroclite de pierres
un champ d’antennes chancelantes et la cime d’un palmier. C’est fossilisées, masques préhispaniques, cailloux de rivière, briques
là, jaillie d’un sol couleur maya, que trône sa mansarde, telle de construction ou ponces mayas, toutes issues de ressources
la cabine d’un phare surplombant les flux spatio-temporels si locales. Son matériel est un mélange de babioles chinées au
caractéristiques de son œuvre. marché aux puces de La Lagunilla, de fournitures Home Depot,
d’objets usuels ou précieux, de souvenirs à touristes, de

31
P O RT R A I T ARTS VISUELS M OUVEM ENT n ° 9 1

À l’exception d’une méthode d’espagnol et d’une paire de


baskets fourrées sous une table, l’atelier de Théo Mercier échappe
à son époque. Même le pneu Goodyear, une pièce récurrente
de son œuvre, semble avoir atteint son statut symbolique. Elle
dit la ronde infernale et infinie du Temps, la même que l’écrivain
Malcolm Lowry, autre grand fétichiste du Mexique, met plusieurs
fois en scène dans le roman Au-dessous du volcan à travers le
motif d’une grande roue lumineuse : « Le pneu est un objet bavard
à plusieurs égards. Il avance, il recule… Le comble, c’est que ses
crampons s’appellent des “sculptures”. J ’aime cette idée de la
trace. Celles qu’on veut préserver, comme les grottes d’art pariétal,
et celles qu’on veut gommer, comme les grands massacres, ou
notre empreinte carbone. L’histoire repose sur ce genre de choix. »
Théo Mercier voudrait encore parler de La Fille du
collectionneur, le conte-fresque qu’il met en scène au Théâtre
Nanterre-Amandiers, et de cette forme de distance que la
dramaturgie apporte à son travail de plasticien. Mais passe un
lapin blanc poursuivant sa montre à gousset. Il lui reste cinq
heures avant son avion pour Paris ; il doit fermer son atelier. Son
pays de merveilles attendra la rentrée •

Salomé Kiner De Dominicis

reproductions plus ou moins réussies et de trouvailles acquises


auprès des revendeurs d’articles archéologiques : « J’aime ce flou
de l’authenticité, cette impossibilité à savoir qui se fait avoir.
Est-ce que je roule le paysan en lui achetant quelque chose dont Est-ce que je roule le paysan en lui achetant une
il ignore la valeur ou est-ce que c’est moi qui suis en fantasme
total ? »
chose dont il ignore la valeur, ou est-ce moi qui
À la fois faussaire et conteur, Théo Mercier traque les pièces suis en fantasme total ? – Théo Mercier
anodines, fragments de ville et d’histoire qu’il investit de ses
mythologies personnelles et dont l’usage réinventé les charge
d’un nouveau sens : « Bien qu’ils soient tous individuellement Expositions
référencés, ces éléments deviennent alors des objets propres,
dans le sens où leur géographie et leur temporalité ne sont plus La même méthode de travail s’applique aux futures pièces > The Great War Wall, du 9 septembre à fin novembre au Museo experimental El Eco, Mexico
directement identifiables. Ils racontent une nouvelle humanité, murales. On reconnaît, détourées et sous verre, telles des figures > Delego fantasma, du 23 septembre à fin novembre à la Galeria Marso, Mexico
imaginaire et imaginée. Comme si les croisades, les guerres et les spectrales prisonnières de leur cadre, une idole cycladique, > Pièces rapportées, du 5 octobre au 2 avril au musée de l’Homme, Paris
colonisations ne s’étaient pas faites dans le même sens. J’invente un jeune soldat romain, une amphore grecque : « Ce vase a été
une autre histoire possible et les objets issus de cette histoire volé deux fois, puis enterré, déterré, restauré, placé au musée, Scène
fantasmée. » reproduit en noir et blanc, puis en couleurs. À mon tour, je le
change d’échelle à partir du négatif de l’image. De nouveau, c’est > Radio Vinci Park, du 30 novembre au 2 décembre à la Ménagerie de verre, Paris
Au royaume des uchronies ce travail des strates qui m’intéresse. » Une pratique au carré, > La Fille du collectionneur, du 14 au 19 novembre au Théâtre Nanterre-Amandiers
puisque ces images seront ensuite recouvertes d’une nouvelle
En rangers et treillis camouflage, Théo Mercier campe bien couche de matériaux, amenant par là un relief inédit. Ainsi
l’archéologue pirate de ces mondes fabuleux, aux références disposera-t-il sur ce marbre des Cyclades les pièces d’un vase de
flottantes et bouturées. Volontiers obsédé par la chute et la ruine, Palenque du musée d’anthropologie, reproduit dans sa matière
il porte tatoué sur son bras son année de naissance – 1984, ça ne d’origine. Le jeune soldat se remplira quant à lui de morceaux
s’invente pas – sous un crâne recouvert d’une peau de banane. Le de dallages récupérés sur les chantiers de l’avenue Insurgentes,
temps ? Belle panique, grosse marrade. Pour mieux lui faire « des pavés qui par ailleurs racontent 40 ans d’histoire de la
la nique, ce collectionneur compulsif et maniaque s’applique à en moisissure à Mexico City. C’est comme une greffe de visage, une
démultiplier les manifestations possibles. forme d’hybridation abstraite ».

32 33
R E P O RTAG E ARTS VIVANTS M OUVEM ENT n ° 9 1

LA BASTIDE-CLAIRENCE VILLAGE LABORATOIRE


Huit habitants de cette bourgade du Pays basque racontent leur propre histoire dans
Hospitalités, de Massimo Furlan. En parallèle de la pièce de théâtre, initialement
une simple farce, les villageois ont accueilli une famille syrienne. Reportage dans un
arrière-pays qui se réinvente pour ne pas tomber dans la muséification.

Texte : Mel Waldron à La Bastide-Clairence


Photographies : Lison Matha, pour Mouvement

« Quand le village dépasse la fiction » titre Télérama. « La L’intimité villageoise


fiction devient réalité », lit-on dans Le Monde. « La farce fait
l’union », s’exclame Libération… Jamais La Bastide-Clairence, Ce n’est pas tant la pièce de théâtre qui semble avoir motivé
village tranquille du Pays basque, ni aucun de ses 1 100 habitants l’emballement de la presse que ce qui a été considéré, à tort,
n’avaient fait couler autant d’encre dans la presse nationale. Un comme son effet direct : l’emménagement d’une famille syrienne,
fait-divers sordide ? Un gagnant à l’Euromillions ? Un club de réelle cette fois, en novembre 2016. L’art qui change la vie : on
football qui grimpe magistralement en National 3 ? Non, une comprend l’enthousiasme. Depuis le temps qu’on attendait cette
pièce de théâtre. œuvre qui aurait le pouvoir de « transformer la fiction en réalité »
d’un coup de baguette magique… Sauf que ce miracle théâtral, à
Tout aurait commencé par un vaste canular : faire croire La Bastide-Clairence, personne ne l’a encore vu. Quant aux liens
aux Bastidots que le village de vacances, niché sur les rives entre la création et l’accueil de cette famille exilée, ils sont plus
de la Joyeuse en contrebas de la rue principale, serait bientôt ambigus que cela ne peut paraître. À l’heure du café, dans un
transformé en centre d’hébergement pour réfugiés. Une farce restaurant du village, le serveur n’est pas vraiment à l’aise avec
qui reposait sur le raisonnement grotesque suivant : la présence le sujet. « Oui, j’ai entendu parler de cette pièce… Mais ça serait
des réfugiés fera baisser le prix de l’immobilier de la bourgade, bien qu’on puisse la voir nous aussi ! »
les jeunes Basques seront alors en mesure d’acheter des maisons À 37 ans, Kattina Urruty a été choisie pour participer à
pour vivre auprès de leurs parents… L’idée étant de provoquer pour Hospitalités. Plus tôt dans la matinée, avant que les touristes de
susciter le débat. Cette performance pensée par Kristof Hiriart, la haute saison ne prennent d’assaut son atelier de poterie, elle
musicien installé à La Bastide, avec le metteur en scène Massimo s’étonnait du manque d’engouement des autres villageois pour
Furlan devait voir le jour avec l’aide de villageois-complices. Nous cette création. « Des choses positives comme ça devraient porter
sommes alors à l’automne 2015. La photo d’Aylan, un enfant kurde le village… Pourtant, c’est presque passé inaperçu. Ici, seuls
retrouvé mort noyé sur une plage, vient de faire le tour du monde. les ragots circulent ! Quand les articles sont tombés, certaines
Le drame humanitaire des réfugiés politiques se métamorphose personnes ont commencé à jaser. Ils étaient frustrés : “Quoi, ils
en « crise des migrants ». Le sujet est trop brûlant, la blague tuée font leurs stars ailleurs et ils ne jouent même pas la pièce ici ?!” »
dans l’œuf. Le projet évolue ensuite vers Hospitalités, une pièce
créée en janvier 2017, pensée exclusivement pour la scène et dans Jusqu’à récemment, tous les habitants-comédiens n’étaient pas
laquelle huit habitants, qui jouent leur propre rôle, s’interrogent d’accord pour se raconter devant un parterre de proches. Question
sur le sens de l’accueil. d’intimité dans un petit village… C’était le cas de Marie-Joëlle
Haramboure, propriétaire du village de vacances mouillé dans
l’idée du canular, elle-même fille d’un émigré portugais qui a fui
le régime de Salazar. « Mon père a traversé les frontières la nuit,
35
M OUVE ME NT n °9 1 ARTS VIVANTS R E P O RTAG E ARTS VIVANTS M OUVEM ENT n ° 9 1

Kristof Hiriart, musicien et défenseur de la culture basque

En 1983, c’était la désolation totale : la population Marie-Joëlle Haramboure, comédienne dans Hospitalités

était âgée et à son niveau le plus bas. Faire venir


General Motors pour relancer l’économie, c’était un
peu gonflé. On a donc eu l’idée de l’artisanat d’art.
- Léopold Darritchon

à pied. La migration, c’est un éternel recommencement… Une fois qu’être regardée pendant une heure et demie serait au-dessus
installé à Paris, il accueillait chez nous d’autres émigrés, le temps de mes forces. Mais l’expérience est juste géniale. Tu dois tout
qu’ils trouvent un travail et obtiennent des papiers », se rappelle- donner, faire le vide en restant connecté avec les autres. Ça te
t-elle. Elle n’avait jamais parlé de ces souvenirs à personne. « La responsabilise d’une façon assez étrange. » Sur le plateau, elle
pièce m’a permis de mettre des mots. C’est Massimo qui m’a évoque les sensations que lui procure le « tour » en poterie. « La
conseillé de raconter mon histoire à mes enfants. C’était un terre a l’air vivante, ce n’est pas une matière morte que tu modèles
grand soulagement. » selon tes envies. Les artisans qui refusent de dévoiler leurs recettes,
ça me dépasse… Ils préfèreraient que nos métiers meurent ? »
Si Hospitalités a bouleversé des existences, c’est avant tout
celle de ses protagonistes. Entre la thérapie quasi psychanalytique
de l’autobiographie et son coup de foudre pour la scène, Kattina
« Le héros du village »
Urruty ne regrette pas de s’être laissé embarquer. « Je pensais
Accueillir des artisans d’art à La Bastide-Clairence fut le
grand projet du précédent maire, Léopold Darritchon. Sur scène,
silhouette svelte et cheveux grisonnants, il évoque son enfance
dans la ferme de ses parents ; assis au Café des Arceaux, il revient
sur 31 ans passés à la mairie, à la vitesse de l’éclair. « Quand
j’ai été élu, en 1983, c’était la désolation totale. Avec moins de
800 habitants, la population était âgée et à son niveau le plus
bas. L’école était sur le point de fermer… Faire venir General
Motors pour relancer l’économie, c’était un peu gonflé. On a donc
eu l’idée de l’artisanat d’art. C’était la première fois qu’un village
faisait ce genre d’opération. » Professeur d’économie à la retraite,
Nivine, son mari et leurs quatre enfants posent finalement leurs
tendance « décroissionniste », l’homme ne voudrait pas verser
valises à La Bastide-Clairence, après un long voyage et un passage
dans l’autopromotion. Qu’il le souhaite ou non, tout le monde le
par l’Arabie saoudite, mais sans retour en Syrie. Vétérinaire, il
dit : « Léopold, c’est le héros du village. »
se forme aux pratiques locales avec son homologue du village
voisin. Elle, professeure, devrait prochainement mettre en place
Faire venir le musicien Kristof Hiriart et sa compagnie
des cours d’anglais. L’intégration est discrète, plus évidente pour
LagunArte à La Bastide-Clairence en 2012, c’est lui. Monter
leurs enfants scolarisés. Pour prévenir d’éventuelles critiques
l’association Bastida terre d’accueil avec 14 autres villageois et
au village et la curiosité de la presse, Léopold et les membres
organiser la venue de la famille syrienne, c’est encore lui… En
de l’association veillent au grain. « Il est clair que certaines
2014, François Hollande en visite en Allemagne annonce un plan
personnes étaient contre leur venue, mais elles ne le disent pas…
gouvernemental d’accueil des migrants. Il s’avère impossible
Encore qu’on le ressent. On voit bien les regards. » Un tabou ?
de l’intégrer : malgré leurs démarches répétées, les bénévoles
Dans Hospitalités, la seule personne à s’exprimer ouvertement
bastidots ne reçoivent aucune réponse de la part des autorités.
contre l’accueil des étrangers est un personnage fictif campé par
« C’était une usine à gaz… On a galéré pendant un an. Je crois
Massimo Furlan. Patron d’une entreprise de murs et de barrières
que le projet d’accueillir 30 000 migrants en France n’existait
barbelées, l’homme, nommé Beñat Etcheverry, frôle la caricature,
pas, c’était un effet d’annonce. Alors j’ai dit à mes collègues : je
mais insuffle un brin d’humour et de folie dans des récits de vie
vais vous en trouver, moi, des gens qui cherchent un logement !
pas toujours gais.
Grâce aux associations et au bouche-à-oreille, ça a fonctionné. »

Léopold Darritchon a été maire de La Bastide-Clairence pendant 31 ans Francis Dagorret, bastidot pure souche, est maire depuis 2014

36
M OUVE ME NT n °9 1 ARTS VIVANTS

Trinquet society Pierre Richard


Après plusieurs représentations, dont une série de cinq jours
Gilles Jobin
au Théâtre Vidy-Lausanne, Léopold Darritchon reste étonné du
succès que rencontre Hospitalités. « De l’intérieur, on ne voit pas
THÉÂTRE DE STRASBOURG
SCÈNE EUROPÉENNE
17 18
forcément l’intérêt de tout cela. Pourtant, à la fin, les spectateurs Stephan Eicher
ont parfois les larmes aux yeux et viennent nous embrasser !
C’est seulement la vie de gens normaux, à la base de la société, Jeanne Candel
qui expriment franchement leur regard sur les choses. »

À La Bastide-Clairence, les « gens normaux » continuent à N’en déplaise aux clichés qui visent les Basques, sa principale Emma Dante
vivre normalement. Les enfants apprennent la danse basque préoccupation de maire n’est pas le recul identitaire mais de
avec le groupe folklorique, les exploitations agricoles alentour garder son village vivant. « Assurer une certaine cohésion, qu’on Olivier Letellier
élèvent vaches et brebis, et les touristes photographient des rues se sente bien ici, notamment les jeunes. La plupart partent
labellisées « plus beau village de France ». Comme toutes les
semaines depuis son élection en 2014, François Dagorret se rend
étudier à Bayonne ou à Toulouse mais souhaiteraient revenir. »
Entretenir l’incroyable patrimoine de La Bastide « avec peu de Dada Masilo
à la mairie, une bâtisse aux volets rouges typiquement basques, moyens » tout en évitant l’écueil de la muséification. « Il faut que
qu’elle partage avec une supérette Vival. « Je travaille encore les gens puissent vivre de leur activité, sans que l’on cherche à Dorian Rossel
à 80 % comme responsable technique d’un lycée de Bayonne. faire venir les touristes à tout prix. » Pour ce faire, il compte sur
Mais quand on devient maire, il y a toute une série de réunions
auxquelles on ne pense pas au départ ! », commence-t-il depuis
les effets à retardement de la pièce de Massimo Furlan. Mais
surtout sur le fameux terrain de trinquet où quelques amateurs
Jacques Gamblin
ce bureau qu’il n’aurait jamais pensé occuper. « Alors si on m’avait s’exercent à la pelote basque, en prévision du tournoi international
dit que je serais comédien un jour... » L’ancien rugbyman, fils et qui aura lieu en septembre. La fierté du village. « 500 ans ! C’est le Emmanuel Meirieu
petit-fils de Bastidots, aime raconter l’histoire de sa commune, plus vieux terrain au monde encore en activité. Des joueurs sont
sur scène comme dans la vie. « La principale spécificité du venus d’Écosse pour le visiter. Apprendre après l’expertise que ça Dorothée Munyaneza
village c’est d’être charnégou, ce qui veut dire “sang-mêlé”. » À sa n’était pas le leur le plus ancien, ça les a rendus fous ! »
création, en 1312, les Gascons arrivent en nombre d’Ariège. Au Cie Alias
XVIIe siècle, une communauté de juifs séfarades fuyant l’Espagne Le 1er octobre, depuis les hauts murs du trinquet, Antoine Le

Batsheva
et le Portugal s’y installe pendant près de 200 ans. Il y aurait donc, Menestrel donnera un spectacle « danse-escalade » au premier UN FAIBLE DEGRÉ PIANO SUR LE FIL
à La Bastide-Clairence, un certain gène de l’hospitalité… festival de création contemporaine de La Bastide-Clairence. D'ORIGINALITÉ Bachar Mar Khalifé, Gaëtan Levêque,

Dance Company
Antoine Defoort Belgique Collectif AOC Liban, France
Comme Massimo Furlan, le chorégraphe et grimpeur a été invité
GERMINAL ÇA IRA (1) FIN DE LOUIS
par Kristof Hiriart à venir s’inspirer du territoire. Grâce à l’action Halory Goerger, Antoine Defoort Joël Pommerat France

Irène Jacob
de ce musicien très attaché à la transmission de la culture basque, France, Belgique
FREAK CABARET
le village affichera bientôt un second label : « Centre culturel de KAIXU BY PIXVAE Dakh Daughters, Vlad Troitskyi Ukraine
rencontre », une appellation qui regroupe les lieux de patrimoine France, Colombie
SONS OF SISSY
qui se réinventent via des programmations culturelles, comme la CROWD Simon Mayer Autriche Erika Stucky
Gisèle Vienne France
Fondation Royaumont ou l’abbaye de Noirlac. Une première pour MENUET

Pierre Guillois
création
Daan Janssens, Fabrice Murgia,
un lieu habité et une aubaine pour conserver le patrimoine, comme Louis Paul Boon Belgique
CELUI QUI TOMBE
pour faire vivre les traditions locales. « Aujourd’hui, les jeunes ne Yoann Bourgeois, CCN2-Centre première française

sont plus complexés d’être bilingues, voire quadrilingues. Il y a chorégraphique national de Grenoble
ARDE BRILLANTE
quelques années, quand on parlait basque, on passait pour un
France
EN LOS BOSQUES DE LA NOCHE Samuel Achache
THE BALLAD OF SEXUAL Mariano Pensotti Argentine

Katie Mitchell
paysan analphabète ou un militant très dur. C’était la langue DEPENDENCY
de la violence. Politiquement, tout a radicalement changé. Il faut Nan Goldin, The Tiger Lillies SIENA
États-Unis, Angleterre Marcos Morau, La Veronal Espagne
désormais prendre soin de cette culture, sans trop la protéger. » •
ZVIZDAL L'APRÈS-MIDI DES TAUPES

Mel Waldron
Berlin Belgique Philippe Quesne France
Titi Robin
RAIN LA NUIT DES TAUPES

Ambra Senatore
Anne Teresa de Keersmaeker, Rosas Philippe Quesne France
Belgique
DÉPLACEMENT
RARE BIRDS Mithkal Alzghair Syrie
Un Loup pour l'Homme France
IMITATION OF LIFE
Kornél Mundruczó, Proton Theatre
Cie Finzi Pasca
PINK FOR GIRLS

Johann Le Guillerm
Hongrie
& BLUE FOR BOYS
Tabea Martin Suisse AGLAÉ
première française Jean-Michel Rabeux France

LES FILS PRODIGUES SANCTUARY


Jean-Yves Ruf, Chat Borgne Théâtre Brett Bailey, Third World Bunfight
France Afrique du Sud
création
FORCED BEAUTY
LA POSIBILIDAD QUE T.I.T.S. Norvège
DESAPARECE FRENTE première française
AL PAISAJE Saison 17–18
Tanya Beyeler, Pablo Gisbert,
El Conde de Torrefiel Espagne
forum-meyrin.ch
maillon.eu
Genève / Suisse
LOVE AND REVENGE
Kattina Urruty, artisan-potière, rêve de vivre dans coin plus reculé des Pyrénées La Mirza, Rayess Bek Liban, France +33 (0)3 88 27 61 81

38
P O RT R A I T THÉÂTRE M OUVEM ENT n ° 9 1

« LES VRAIS
RISQUES, CE N’EST
PAS NOUS QUI LES
PRENONS »
Supporters du RC Lens, femme de ménage ou parents endeuillés : Mohamed El Khatib
les invite tous à jouer leur propre rôle sur scène. Une façon pour lui d’être « au plus près
de la vie » et de sonder, inlassablement, les conventions du théâtre contemporain.

Texte : Thomas Ancona-Léger, à Avignon


Photographie : Édouard Jacquinet, pour Mouvement

Avignon, deuxième semaine de festival. En ce début d’après- d’éducation populaire qui encadre des groupes de lycéens venus
midi brûlant, la foule a déserté les rues pour prendre d’assaut découvrir le théâtre. Cela se passe un certain été 2003, au début
les terrasses de la place des Corps-Saints. Une silhouette fine de la réforme du statut d’intermittent et du bras de fer avec le
se détache en contre-jour. Lunettes de soleil, short et sac à dos : gouvernement. « On était juste à côté d’ici », se souvient-il. « Le
Mohamed El Khatib se fond dans la faune festivalière comme un festival a été annulé, des AG se montaient partout. D’un coup,
glaçon dans un verre de Pac à l’eau. on sortait des pages culture des journaux pour arriver dans les
pages éco et politique. » Le surgissement de la réalité économique
« Il y a trois ans, j’aurais dormi dans une chambre d’étudiant et des conflits sociaux au sein du monde du spectacle : un effet de
surchauffée, au quatrième étage », lâche-t-il depuis son Airbnb débordement qui structure son approche du théâtre.
plutôt coquet du centre-ville. Ce n’est plus en outsider mais en
metteur en scène à l’agenda bien rempli qu’il séjourne à Avignon. « À petite échelle, j’essaie de recréer le monde à un état densifié,
S’il ne présente aucun spectacle cette année, El Khatib garde en de ralentir un peu le réel. » Pour Stadium, l’une de ses dernières
tête ce qu’il doit à cette ville. C’est ici, au Théâtre de la Manufacture, créations, il collabore avec une cinquantaine de supporters du
qu’il se fait connaître du grand public en 2015 avec Finir en beauté, RC Lens. Envisagé comme un « ready-made », le spectacle se veut
une pièce sur la mort de sa mère qui évoque l’absurdité du « travail le « prélèvement d’un morceau de tribune ». « Être supporters
de deuil », encensée par la critique et dont le texte est récompensé lensois, c’est leur plus petit dénominateur commun : il y a des
l’année suivante par le Grand prix de littérature dramatique. médecins, des avocats, des manutentionnaires, des chômeurs,
« Avignon, j’allais presque dire que j’y suis né. » une mixité sociale que l’on retrouve dans très peu d’endroits et
malheureusement pas assez au théâtre. » Sur scène, El Khatib est
Originaire de Beaugency, une petite ville traversée par la à leurs côtés. « Je me mouille avec eux, en tant qu’auteur parti
Loire, à une trentaine de kilomètres d’Orléans, Mohamed El faire des rencontres. S’ils ne sont pas contents, ils peuvent me le
Khatib a 22 ans lorsqu’il foule pour la première fois les rues du dire en direct, ils ne s’en gênent pas d’ailleurs. » Supplanter l’acteur
festival. Bafa en poche, il participe aux Ceméa, un mouvement par des personnes jouant leur propre rôle, un parti pris initié avec

41
M OUVE ME NT n °9 1 THÉÂTRE

Moi, Corinne Dadat, une pièce qui met en scène une femme de Biais scientifique
ménage et une danseuse professionnelle. Certains la taxeront
d’« exhibitionnisme ». Ces critiques, le metteur en scène les bat en S’il serait malhonnête de lui faire un tel procès, El Khatib
brèche. « Ce qu’on donne à voir peut paraître exotique pour celui concède de lui-même un certain biais scientifique, jusque dans
qui n’a pas vu de pauvres depuis 20 ans. L’instrumentalisation le processus de création, qu’il mène avec une rigueur quasi
est réciproque, moi je le fais car ça sert mon geste, et mes acteurs ethnographique, n’hésitant pas à s’entourer de chercheurs.
y trouvent un intérêt parce qu’ils vivent quelque chose, partagent « J’aime l’idée bourdieusienne qui consiste à se poser la question
leurs valeurs et aussi parce qu’ils sont payés. » d’où l’on parle. » Une injonction à l’objectivation qu’il applique
autant à ses pièces, « sans intérêt si elles ne questionnent pas leurs
Bricoler le social propres moyens d’exister », qu’au théâtre en général. En découle
un discours où se mêle critique du théâtre bourgeois, sensibilité
Dans cette zone grise déstabilisante qui se situe entre réalité aiguë aux questions de violence symbolique et une aversion
et fiction, Mohamed El Khatib navigue à vue. « L’art dramatique prononcée pour l’entre-soi. On lui a d’ailleurs fait comprendre
est une pratique qui m’est étrangère […]. Je n’ai pas l’impression qu’avec cette liberté de ton, il prenait quand même quelques
d’aller vers telle ou telle forme, mais plutôt d’être au plus près risques. « Mais si je ne les prends pas, qui le fera ? » se demande-
de la vie », peut-on lire dans l’interview de la feuille de salle qui t-il, avant de nuancer : « Les vrais risques, ce n’est pas nous qui les
accompagne Stadium et C’est la vie, une pièce dans laquelle deux prenons. Ce n’est que du théâtre, après tout. »
acteurs partagent sur scène leur expérience, respective et vécue,
du décès de leur enfant. Et s’il se permet quelques arrangements En comptant sur ses doigts, il fait la liste de ses créations, sept
avec la réalité pour des raisons narratives, il s’empresse de au total. « Ça fait une par an ! » Désormais, à 37 ans seulement,
rétablir les faits dans un document intitulé « fact-checking », Mohamed El Khatib est artiste associé au Théâtre de la Ville
comme pour ne pas les dissoudre dans la fiction jusqu’à les rendre à Paris. Cette reconnaissance, il la mesure à la liberté dont il
imperceptibles. jouit pour mener ses projets. Une liberté financière, mais aussi
celle de pouvoir décider où jouer. « Je ne vois pas pourquoi j’irais
rafraîchir la case expérimentale d’une scène nationale qui vend du
divertissement de masse au kilomètre. » Pourtant, depuis l’autre
côté de la galère, il avoue ressentir une forme de responsabilité
Être supporters lensois, c’est leur plus petit envers ceux qui n’ont pas accès à ces cercles-là. « Si mon mode
de vie est de plus en plus bourgeois, intimement – et c’est un peu
dénominateur commun : il y a des médecins, cliché – je serai toujours un fils d’ouvrier. Je ne peux pas du jour
des avocats, des manutentionnaires et des au lendemain oublier les luttes. » El Khatib, le « fils de prolo », un
titre qu’il réfute mais un terreau social dans lequel il pioche la
chômeurs matière première de son travail. « J’éprouve un certain plaisir à
cultiver cet héritage, c’est une manière de rendre hommage à mes
parents et de poursuivre le combat des classes populaires. »

Quel besoin de porter sur scène les imperfections de notre Ce combat, il se dit d’ailleurs prêt à le mener sur d’autres fronts
monde social, telle la perte d’un enfant ? « Pour le mettre à distance, que celui du théâtre si d’aventure il se sent lassé, empêché ou
le questionner. Le tabou de la mort d’un enfant, personne ne simplement s’il n’a plus rien à dire. « Je pourrais devenir instit’,
voulait en entendre parler, des Yvette, [une octogénaire supporter travailler dans le social ou l’éducatif, je ne prendrais pas ça
du RC Lens dans Stadium – Nda], on n’en voit pas au théâtre. pour un déclassement. » Depuis la mort de sa mère, il ressent une
Pourquoi sont-ils absents des plateaux ? Le théâtre crée du lien sorte de futilité croissante vis-à-vis des problèmes inhérents à la
mais seulement entre une partie de la population… Ce que je fais profession. Rejeter l’illusion théâtrale, se soustraire à la vanité du
est une manière de le réparer car c’est un outil que j’aime. » Entre milieu. « Parce qu’il y a la vie, et le théâtre, à côté, qui en fait
deux spectacles, le metteur en scène rêve parfois d’une insurrection partie. » •
théâtrale. « Il pourrait tout à fait se produire qu’à la fin d’une
représentation de Stadium, s’il y a un problème politique, les Thomas Ancona-Léger
ultras disent :"O.K., là on est 700 dans la salle, on sort bloquer la
préfecture." D’un coup, le théâtre passerait à l’acte. » En attendant,
il accepterait de prendre les rênes d’un lieu de représentation, si > Moi, Corinne Dadat, du 7 au 9 septembre au festival La Bâtie, Genève ; le 8 novembre au Théâtre
l’opportunité se présente, mais en banlieue de préférence ou sur du Cormier, Cormeilles-en-Parisis
« un territoire abîmé où il y aurait un travail de réconciliation à > Finir en beauté, le 11 septembre à la Fondation Cartier, Paris ; du 12 au 14 septembre au festival La
mener ». « Abîmé », « outil », « réparer » : avec un vocabulaire de Bâtie, Genève ; du 5 au 9 décembre au Théâtre du Grand Marché, La Réunion
bricoleur, Mohamed El Khatib a parfois des airs d’ingénieur du > Stadium, du 21 au 22 septembre au Quai, Angers ; du 27 septembre au 7 octobre au Théâtre de
corps social. Et pour cause : docteur en sociologie et titulaire d’un la Colline, Paris, dans le cadre du Festival d’Automne ; le 12 octobre au Théâtre de Saint-Germain-en-
DEA en géographie, on ne se refait pas si facilement. Laye ; le 13 octobre au Théâtre de Chelles ; le 14 octobre au Théâtre Louis Aragon, Tremblay-en-France ;
le 21 octobre au Channel, Calais ; le 10 novembre à l'Avant-Scène, Colombes ; les 16 et 17 novembre au
Théâtre du Beauvisis, Beauvais ; les 24 et 25 novembre au Festival Mettre en scène, Rennes
> C'est la vie, du 30 octobre au 7 novembre à Théâtre ouvert, Paris, dans le cadre du Festival
d'Automne ; du 9 au 22 novembre au Théâtre de la Ville, Paris

42
M OUVE ME NT n °9 1 CINÉMA

LA COMMUNAUTÉ IMPOSSIBLE
CLÉMENT COGITORE - CARNET DE REPÉRAGES

Perdu dans la taïga sibérienne, à 700 km de toute présence humaine, Sacha Braguine
vit avec sa famille, de chasse et de pêche et dans l’autarcie la plus complète. Pour
comprendre les motivations de cet homme, Clément Cogitore s’est rendu sur place.
Rapidement, il s’aperçoit que ces quelques cabanes en bois sont le théâtre d’un
violent conflit humain : l’ennemi juré est installé de l’autre côté du rivage et a Kiline
pour patronyme. Nous publions un extrait du carnet de repérages qui donnera
Braguino ou la communauté impossible, un film réalisé avec le soutien du Bal.

Texte & images : Clément Cogitore

Aéroport de Krasnoïarsk indolent et tranquille, ponctué par les arrivées de cargaisons de


Mercredi 11 juillet 2012 bois et de carburant.
On a dormi quelques heures dans un grand bâtiment entièrement
Depuis Moscou, on voyage sans s’arrêter dans le sens inverse de vide, qui devait être autrefois une colonie de vacances, et on
la rotation de la Terre, les journées défilent en accéléré et l’heure attend maintenant le bateau pour remonter vers le nord. La petite
est celle d’un crépuscule permanent. Il ne fait réellement nuit que humanité du fleuve se rassemble peu à peu près de l’embarcadère :
de 3 heures à 5 heures du matin ; on perd la notion du temps, du pêcheurs, familles, jeunes en jogging, vieillards, filles en talons
jour et de la nuit. aiguilles et lunettes de soleil, et aussi du bétail : cochons, chèvres
On devait rejoindre Ienisseïsk ce matin par un petit avion, mais dont je comprends qu’ils attendent d’embarquer eux aussi.
la piste a été abîmée par un avion militaire trop lourd, utilisé pour
lutter contre les incendies. Partout en Sibérie la taïga part en
fumée. Une fois passés les monts Oural, on ne voyait plus que ça
Embarcadère de Iartsevo
Jeudi 12 juillet 2012
par les hublots du Boeing : de gigantesques départs de feu. Ça se
produit chaque été lors des grosses chaleurs et, au dire de tous,
On a perdu le réseau téléphonique sur le fleuve. Il reste ici une ou
chaque été est pire que les précédents.
deux lignes fixes et quelques postes de radio, mais plus au nord,
Portable vissé à l’oreille, Alla [Shevelkina : chargée de production
on n’aura plus aucun moyen de communication. Iartsevo est le
et interprète du projet – Ndr] nous cherche une voiture et un
dernier point de ravitaillement des avions et des hélicoptères pour
chauffeur pour rejoindre notre destination par la route : huit
cette région de Sibérie à peu près grande comme la France. En
heures de voyage sur des petites routes défoncées et poussiéreuses.
fait de village, c’est un trou perdu de quelques cabanes branlantes
autour d’un hangar insalubre, d’une citerne de carburant et d’un
Ienisseïsk terrain poussiéreux qui tient lieu de piste d’atterrissage.
Jeudi 12 juillet 2012 On rencontre nos « guides » pour poursuivre notre voyage sur le
fleuve : deux hommes aux airs de repris de justice qui chargent
L’odeur âcre des incendies prend à la gorge ; la région est plongée beaucoup trop de vodka et beaucoup trop d’armes sur une barque
dans un brouillard doré aux airs de fin du monde. Ienisseïsk est beaucoup trop petite. Un échange de regard entre Alla et moi
la dernière ville le long du fleuve avant l’immensité de la taïga : suffit pour se dire qu’on ne traversera pas les derniers 700 km sur
une étendue de maisons en bois aux volets peints et sculptés, un radeau instable conduit par des inconnus bourrés et armés.
parcourue par de vieilles voitures soviétiques aux amortisseurs Depuis l’embarcadère, elle essaie de convaincre par radio un
défoncés, des 4x4 flambant neufs aux vitres teintées, des vaches shérif local de nous aider à trouver une solution.
et des chiens errants. L’endroit vit au rythme du fleuve Ienisseï,

44 45
M OUVE ME NT n °9 1 CINÉMA R E P É R AG E S CINÉMA M OUVEM ENT n ° 9 1

Tout autour, des hommes de tous âges titubent sous l’effet de Le vol dure plus de trois heures. On ne verra par les hublots que de Braguino
l’alcool ou d’autre chose. Ceux qui tiennent debout nous observent la taïga en feu à perte de vue. Un monde sans horizon et au bord des Samedi 14 juillet 2012 – 22 heures
dans un mélange de curiosité et de méfiance. Avec le décalage ténèbres. Soudain, les toits de quelques cabanes se distinguent au
horaire, le manque de sommeil, ce brouillard crépusculaire qui bord du fleuve, l’hélicoptère commence à descendre vers un petit Le temps prend ici une autre dimension. Les journées passent
ne finit jamais, j’ai l’impression de flotter dans des limbes où îlot de sable. Le copilote nous ouvre la porte et lorsque l’hélico est sans horaires, repères, ni véritable rythme. Une fois passée la
paysages et silhouettes m’apparaissent comme des spectres. suffisamment bas, nous crie de sauter. Nous attrapons nos sacs, sidération de l’atterrissage, on se dit d’abord qu’on pourrait se
sautons et nous collons au sol, pour éviter d’être soufflés par les pales. trouver dans n’importe quelle forêt de Russie ou d’ailleurs, dans
Iartsevo-Braguino un village reculé où on survit de chasse et de pêche. Seuls les
regards posés sur nous nous font sentir au bout du monde.
Jeudi 12 juillet 2012 - 23 heures Puis : le silence. Ou plutôt ce que nous pensons être le silence, car
une fois le vacarme assourdissant disparu nous réalisons qu’autour
Sacha Braguine, le père, nous a immédiatement accueillis comme
Autour de la citerne rouillée de l’aérodrome, trois MI-8 [anciens de nous aboient furieusement six chiens-loups surexcités et
des amis, sans la moindre méfiance. J’ai compris que le seul
hélicoptères de transport de troupes soviétiques – Nda] aux enchaînés à des piquets.
fait d’être arrivés jusqu’ici pour les rencontrer, d’avoir réussi à
carlingues à moitié noircies par l’âge et les flammes attendent Une pluie très fine se met à tomber. Sur la rive apparaissent les
obtenir leurs coordonnées GPS faisait office de visa. Les enfants
le ravitaillement : carburant, nourriture, alcool, médicaments, silhouettes de la famille Braguine. On distingue dans la pénombre
nous regardent avec fascination et curiosité. La petite Vassilissa
cigarettes, et d’autres caisses dont j’essaie de deviner le contenu une nuée d’enfants, quelques hommes avec de longues barbes, fusil
n’avait encore jamais vu d’autre être humain que les membres de
en m’approchant. Un flic agressif me hurle de dégager. à la main. Deux d’entre eux montent dans une barque et s’avancent
sa famille. Les plus grands n’avaient encore jamais entendu une
En regardant d’un peu plus loin je comprends que la moitié lentement à notre rencontre. Nous voici à Braguino. Reste tranquille
autre langue que la leur. Ils prennent peur lorsqu’on leur adresse
de ce qui entre ou sort de ces hélicoptères, qui appartiennent
la parole et restent muets. Tous nous fixent comme des créatures
pourtant à l’État, est l’objet de trafics : armes, fourrures ou gibier
inconnues aux voix et visages étranges.
et certainement plein d’autres choses dont je n’ai aucune idée.
Des liasses de cash circulent de main en main, les flics sont aux
Braguino ressemble à un village mais en fait chaque isba a un
premières loges et les pilotes ressemblent à des rois du pétrole.
usage précis : il y a celle où on mange, celle où on dort, celle où
Alla et moi nous entendons avec l’un d’eux sur 100 000 roubles
on se lave… Il y a aussi le frigo : une isba isolée par de la mousse
(1 500 euros) pour qu’il fasse un détour sur son plan de vol et qu’il
végétale, avec dedans un tas de glace restant de l’hiver, sur lequel
nous dépose aux coordonnées GPS convenues. Il lance le rotor, on
est posé un renne découpé en quartiers, ainsi qu’une dizaine de
embarque. Le MI-8 s’avance sur la piste. Tout l’habitacle se met
brochets.
à trembler et je me dis qu’il est physiquement impossible que ce
char d’assaut d’un autre âge puisse se détacher ne serait-ce que
La chaleur est suffocante et on est assaillis du matin au soir
d’un centimètre du sol. Et pourtant.
par des nuées de moucherons noirs et de moustiques. Hommes,
femmes et enfants de Braguino semblent s’y être habitués. Ils ont
ces gestes mécaniques autour du visage pour les chasser, mais qui
ne servent à rien : corps et visages restent rougis par les morsures,
piqûres et irritations.

Je commence seulement à reconnaître chacun de nos hôtes, à me


rappeler de tous les noms. Les hommes se ressemblent : blonds,
barbus, cheveux hirsutes et vêtus de treillis élimés. Les enfants
aussi : tous blonds, vêtus de couleurs vives, nœuds dans les
cheveux pour les filles. Les femmes sont toutes en jupe et coiffées tu vois toute cette beauté incroyable,

d’un foulard.

Stupeur : on vient de comprendre qu’il y avait ici d’autres


personnes, dans une autre partie du « village », de l’autre côté
d’une barrière que je pensais à l’origine destinée au bétail. Je
pensais avoir mal vu ou mal compris mais non, il y a bien une
deuxième famille qui vit ici. Aucun des Braguine ne veut en parler
ouvertement. Ils nous interdisent de passer la barrière et de leur
adresser la parole. Alla hésite à insister, me dit qu’elle sent là un
conflit profond. Elle a juste obtenu un nom, « Kiline », et quelques
détails : les deux familles ne se parlent plus depuis longtemps, se
haïssent, s’empoisonnent les chiens, dressent des barrières dans
la taïga… Même les tombes sont séparées par des barrières. Les
hommes sont armés et redoutent de se croiser dans la forêt •

Clément Cogitore

> Clément Cogitore, Braguino ou la communauté impossible, du 15 septembre au 23


décembre au Bal, Paris

tu ne peux pas croire qu'elle puisse disparaître

47
I NT E RV I E W LIT TÉR ATURE M OUVEM ENT n ° 9 1

DANS LES LIGNES


ENNEMIES
AVEC DAVID DUFRESNE
Petites lunettes rectangulaires et chemisette blanche, Dufresne n’est pas journaliste
d’investigation pour rien : on lui donnerait le bon Dieu sans confession. Son nouveau
livre, New Moon. Café de nuit joyeux, érige pourtant le punk en méthode de travail.
Discussion avec celui qui utilise le jeu en ligne comme une arme politique et la narra-
tion comme stratégie de dévoilement.
Propos recueillis par Fanny Taillandier
Photographie : Louis Canadas, pour Mouvement

Dans Tarnac, magasin général, nous sommes documentaire, c’est comme le rock’n’roll, « Je fais partie de ces gens très à gauche
dans un polar ; dans L’Infiltré [une application on a tous trois accords, mais ce qui fait la qui considèrent qu’il faut s’intéresser à
qui suivait la campagne présidentielle du différence c’est le son, l’ampli, le style. Je la police puisque la police s’intéresse à
FN – Nda], vous prenez le modèle du roman travaille sur la forme et le dispositif, avant nous. Quand on est urbain, réfléchir à
d’espionnage. Pourquoi aller chercher des de travailler sur le propos. la question de la police – qui est gestion
codes littéraires de fiction pour parler d’un de la cité – ça vaut le coup. En plus, il y a
réel très contemporain ? Dans New Moon, vous dites des impres- toute une charge émotive à Pigalle, plein
sionnistes – qui ont écumé le Pigalle de la d’histoires, d’embrouilles et d’humanité.
« Je viens du journalisme, je fais partie de fin du XIXe – qu’ils ont été un modèle de la Ce qui est drôle à Pigalle, c’est que l’idée
ceux qui ont monté Mediapart. Or depuis bohème du quartier. Mais ils ont aussi changé du quartier est façonnée par la fiction, les
10-15 ans je trouve que le journalisme de façon de peindre parce que la photo était films de Melville, les livres de Simenon. Ça
est totalement déconnecté de la réalité venue bouleverser la représentation. N’est- permet de réfléchir à ce qu’on peut dire du
et je crois qu’il est grand temps d’aller ce pas aussi un modèle dans la façon de réel.
chercher des nouvelles formes pour représenter une époque ?
raconter le réel. La profession n’a pas vu Vous passez par un récit préexistant des faits
qu’en face, tout le monde avait compris son « Absolument. Leur modèle, c’est de pour y confronter le vôtre ?
fonctionnement et lui racontait n’importe vivre avec son temps. Mes bouquins sont
quoi. Le journalisme est totalement fractionnés parce que je suis drogué au « Oui, déjà dans Tarnac. Il y avait un récit
surutilisé, surinstrumentalisé, il a besoin Net depuis le milieu des années 1990 et qui avait été livré par Michèle Alliot-Marie ;
de se ressourcer de manière narrative. Les que mes lectures sont fractionnées. Le je me suis dit, allons voir de plus près.
e
9/10 des livres d’enquête sont chiants, coté collage vient du dada, du punk, mais
mal écrits… Il faut oublier les dépêches aussi du Web. Cette juxtaposition de Comment faites-vous ? Vous êtes allé aux
AFP et cette écume des jours, ça n’a aucun rapports, d’archives, d’extraits de journaux, archives de la police ?
intérêt. de guides… Certes, je suis un obsessionnel
Il y a 30 ans, j’ai été éditeur de polar. Ça reste mais je crois que si on a l’outrecuidance de « Non, c’était une enquête en cours, sous
un modèle. Pour L’Infiltré, j’ai mélangé vouloir raconter le monde, la moindre des le coup du secret d’instruction. Sinon
le genre policier et le documentaire. New choses est de vivre dedans. les archives de la police, c’est porte de
Moon, mon prochain livre, est monté Pantin, vous pouvez y aller. Il y a beaucoup
comme une fiction. D’ailleurs le CNL ne Selon vous, le caractère romanesque de d’alcoolos et de flics ratés, ils ne sont pas
savait pas dans quelle catégorie le mettre Pigalle a trait à la collusion qui y existe entre très aimables.
– je l’ai pris comme un compliment. Le force de l’ordre et mafia…
49
M OUVE ME NT n °9 1 LIT TÉR ATURE

Vous n’avez pas non plus eu accès au dossier J’adore ça, donc je ne dors pas beaucoup. Ange, parle du porno avec une approche un
sur la reine de Pigalle, propriétaire du New Le souffle punk fait que j’y vais. Je peu marxisante, dans le côté dérégulation.
Moon entre autres. Savez-vous pourquoi ? demande juste qu’on m’offre la possibilité Il y avait une alliance objective entre ce
de me tromper. Si je ne peux pas prendre monde et les bohémiens qu’on était : ça
« La raison officielle, c’est qu’on n’a pas de risques, je ne fais pas – non par goût du nous convenait de pouvoir faire ce qu’on
accès aux dossiers RG des personnes risque, mais par celui du renouvellement. voulait.
vivantes. Mais on va dire que certaines
personnes étaient d’accord pour le montrer Les formats en ligne permettent de toucher Depuis le Canada, quelle vision avez-vous de
mais me disaient : « Vous ne le verrez pas. » des gens qui n’iraient pas acheter un livre en la France ?
Ça ajoute du mystère. librairie.
« Avec mon regard d’expatrié, je trouve
Vous ne vous mettez jamais dans une position « Fort McMoney [jeu documentaire sur que le pays a vraiment viré fasciste
d’autorité. l’industrie pétrolière au Canada – Nda] ces dernières années, sans s’en rendre
c’est 700 000 visites, Prison Valley compte. Très peu le disent et très peu
« Je me suis retrouvé devant une porte [webdoc sur une ville du Colorado où il y a luttent… Je ne crois pas que la France soit
close, donc le lecteur aussi. C’est l’idée 13 prisons – Nda] ça doit être à peu près intrinsèquement fasciste, mais il y a un
d’impliquer le lecteur ou le spectateur 500 000… Mais le plus fort, c’est d’avoir mode de gouvernance, l’état d’urgence, une
dans le récit. Mon idée c’est de dire « viens un retour constant, de voir comment les parole effarante du côté des fascistes, qui a
fouiller avec moi », même si bien sûr je n’ai gens trichent, s’entraident. Pour Hors- totalement imprégné la gauche et la droite.
gardé que le meilleur. Si le lecteur a envie Jeu, un webdoc sur le football en clin d’œil Pour moi, le fascisme commence assez tôt :
de sauter des pages, je l’entends, et ce n’est aux vignettes Panini, on a eu des dizaines dès lors qu’on piétine, au nom de l’ordre,
pas grave. C’est aussi en lien avec cette de milliers de messages sur le forum, les les libertés individuelles et collectives, on
époque où on est submergé d’informations, gens s’échangeaient des cartes… Ils étaient a mis un doigt dans l’engrenage.
où la capacité d’attention est réduite. à fond ! Les modèles d’il y a 20 ans ont Le mot que je mets en avant, c’est
C’est drôle de jouer avec ça. Tu veux des explosé, mais ce n’est pas une menace. De « maintenant ». Chacun peut trouver
chapitres courts ? O.K., mais tu en auras la même manière qu’il y a une autre façon son « maintenant », et Pigalle a créé
trente sur un seul bâtiment ! (rires) d’écrire, il y a une autre façon de produire des « maintenant » à tout un tas de gens
et de diffuser, quel que soit le média : pendant un siècle. Mais j’ai du mal à
Dans l’application L’Infiltré, vous restez assez presse, littérature, films… trouver un « maintenant » dans le Bio c’est
distant et laissez votre lecteur/joueur aller bon qui a remplacé la salle de concert…
où il veut. Et s’il est séduit par le discours du On dit souvent qu’avec Fort McMoney vous J’avais pensé à ce titre, puis on en a changé
FN, comment ça se passe ? Quelle liberté lui avez réalisé le SimCity de la réalité. Vous avec mon éditrice. Et c’est drôle parce que
laissez-vous ? êtes-vous servi de ce jeu comme modèle ? juste ensuite il y a eu le bouquin du Comité
invisible.
« Je propose aux gens de faire ce que je « J’y ai joué. C’est une référence. Nous,
fais d’habitude : entrer dans les lignes on a étudié la façon dont les gens ont Comment vous positionnez-vous par rapport
ennemies. Je trouve ça drôle, intéressant. transformé la ville. Ensuite ça a été repris au Comité invisible ?
Juridiquement, on était sur la crête : ce très sérieusement par les journaux. Le
n’était pas de l’information, pas tout à Globe and Mail, Le Monde canadien, par « Oh vous savez, je ne sais pas qui c’est, moi,
fait de la fiction… Tout est sourcé, donc exemple, se demandait chaque dimanche le Comité invisible (rires). Je ne partage
on peut toujours savoir ce qui est inventé. : qu’est-ce que ça donnerait si c’était la pas toutes leurs idées même si je trouve
C’est aussi une façon de rendre hommage réalité ? Fort McMoney est encore utilisé qu’il y a beaucoup de finesse. Eux, je crois
au travail des journalistes qui suivent ce dans des lycées ou des collèges comme qu’ils veulent changer le monde ; moi, si
sujet-là. Je pense que le FN n’en sort pas support pédagogique. Il me semble que j’arrive à le comprendre, je serai vraiment
grandi. Mais on n’est jamais comptable de c’est le propre du documentaire. heureux. » •
ce que le lecteur peut penser ou ressentir ;
si on s’en soucie, on perd sa liberté. La Pédagogique, certes, mais aussi engagé Propos recueillis par Fanny Taillandier
responsabilité de l’auteur s’arrête à l’écrit. politiquement.

En étant multimédia, vous allez chercher « Il y a un lien très ténu entre Prison Valley,
d’autres formes que l’écrit. Comment Fort McMoney et Pigalle : ce sont des lieux
maîtrisez-vous code, vidéo, réalisation ? mono-industriels. Ça, pour moi, c’est une
réflexion sur le capitalisme qui prétend être
« J’ai toujours été dans la culture punk sur la concurrence, l’ouverture et qui, en
du DIY, dès qu’un moyen d’expression réalité, tend aux oligopoles et monopoles. > David Dufresne, New moon. Café de nuit joyeux, éditions
arrive, je saute dessus. J’ai commencé à La concurrence est un miroir aux alouettes. du Seuil, septembre 2017
14 ans en faisant des fanzines. J’étais déjà Les employés se font concurrence, pas les
multimédia : j’avais la colle, les ciseaux, employeurs. Le chasseur de Pigalle qui
le Scotch… j’imprimais, je distribuais… va escroquer le tourisme, c’est aussi du
Virginie Despentes vendait mon fanzine capitalisme. C’était déjà le cas à l’époque,
à Lyon. Puis ça a été la cibi, les radios et dans le monde sans loi qu’était Pigalle
libres, les journaux, l’édition, les webdocs… dans les années 1980. Un des témoins,
50
I NT E RV I E W ARTS VIVANTS M OUVEM ENT n ° 9 1

« LA RÉVOLUTION
EST DEVENUE
UNE MARQUE DÉPOSÉE »
ENTRETIEN AVEC TANIA BRUGUERA
Ambassadrice de la liberté d’expression pour certains, opportuniste pour d’autres, Tania
Bruguera est à l’image de Cuba : elle déchaîne les passions. En octobre, la performeuse
met en scène sa première pièce de théâtre : une adaptation de Samuel Beckett. L’occa-
sion d’évoquer cette synthèse qu’elle opère entre art et activisme.

Propos recueillis par Thomas Ancona-Léger


Photographies & stylisme : Damien Maloney & Ashley Munns, pour Mouvement

Votre œuvre s’organise autour du concept Quel regard portez-vous sur l’activisme Vous êtes considérée comme une figure de la
d’artivisme, pouvez-vous développer les idées aujourd’hui ? dissidence à Cuba. Concrètement, quel type
derrière ce néologisme ? de changement prônez-vous ?
« Trop prévisible, l’activisme est en
« On a tendance à réserver certaines crise. Quand une chose fonctionne, on a « Mon travail consiste à déconstruire, à
émotions esthétiques au musée. C’est tendance à la reproduire encore et encore. désapprendre ce que la société nous a
problématique car cela exerce une La reproduction est presque inscrite transmis, toutes ces contraintes sociales
pression sur le spectateur : dans un musée, dans les gènes de l’activisme. Si bien qui influencent la conception que l’on se fait
tu dois trouver les choses géniales. Mais qu’aujourd’hui, les gens ne croient plus de notre rôle et qui brident notre pouvoir
que se passe-t-il si tu ne ressens rien en sa capacité de changer les choses… Ils d’agir. Je veux créer des situations où les
devant un Picasso ? Aujourd’hui, ces s’imaginent seulement trois jeunes en gens se sentent libres. Responsabiliser le
émotions ne sont plus dans les musées train de bloquer une route. public, car c’est sa conduite qui donnera
mais dans la société elle-même. Je ne dis J’ai vu personnellement des cas où l’art a pu le contenu de la pièce : s’il ne fait rien,
rien de nouveau, chaque génération fait changer les choses. Durant le mouvement la pièce n’existera pas. C’est une forme
son propre constat des limites de l’art Occupy Wall Street, en 2012, des militants d’expérimentation sociale de la liberté.
institutionnel… ont utilisé les mêmes techniques que les À Cuba c’est compliqué car pour des
L’esthétique, selon moi, se situe au point de groupes capitalistes pour racheter des générations entières, le concept de liberté
rencontre entre une proposition éthique dettes dites « poubelles » afin d’en libérer d’expression n’a aucun sens. Les Cubains
et sa réception. C’est précisément quelque les débiteurs. [Le mouvement n’a déboursé ont besoin d’une forme d’éducation civique,
chose que peuvent accomplir ensemble que 400 000 dollars de dons pour racheter pas d’une réforme de l’économie. Je ne
l’art et l’activisme. Il faut se demander 14,7 millions de dollars de dettes, issues crois pas en cette idée américaine que
comment l’art, qui a toujours accompagné de traitements médicaux, concernant l’ouverture du business va libérer les gens.
les avant-gardes politiques, peut aider 2 600 personnes – Nda]. Le jour où Aujourd’hui, à Cuba, le monde des affaires
l’activisme à se renouveler. À repenser le quelqu’un t’appelle pour te dire que tu es n’accepte plus de collaborer avec ceux qui
langage de la protestation et la manière libéré de toutes tes dettes, je pense que tu critiquent le régime. Au contraire, il s’allie
de porter les idées dans l’espace public. ressens une émotion égale à celle que tu à l’État pour mieux les surveiller.
Un autre objectif de l’artivisme serait pourrais éprouver devant une œuvre d’art.
d’interpeler les artistes engagés, de leur C’est un moment d’utopie réalisée. L’art
rappeler que s’ils souhaitent être l’avant- n’aura jamais la puissance d’un appareil
garde artistique, ils doivent collaborer législatif, ce n’est pas la même échelle
avec l’avant-garde politique. d’action. Mais à un niveau micro, l’art est
capable de changement.

53
M OUVE ME NT n °9 1 I NT E RV I E W

Fin de partie Généralement, ils sont financés par les


Américains. Le problème est que ça donne
au gouvernement un moyen pour les
Il fait froid et humide. Dans l’obscurité,
décrédibiliser. Récemment, j’ai refusé une
une trentaine de personnes s’éparpille
grosse somme d’argent de la part d’une
autour d’organisateurs flanqués de lampes
organisation. Elle provenait, en réalité,
frontales. Chacun reçoit une couverture
élimée : on croirait entrer en garde-à-vue. directement du gouvernement américain.
Pour sa première création théâtrale, Tania C’était dur mais essentiel pour rester libre.
Bruguera met en scène Fin de partie de
Samuel Becket, qui lui « trotte dans la Vos performances mettent souvent en scène
tête » depuis 20 ans. L’action se déroule votre propre personne, cela vous a été
en contrebas d’un échafaudage de quatre reproché.
étages, le long duquel de longs draps
blancs ont été tendus. Accoudé aux tubes « Je n’ai aucun plaisir à me montrer devant
en métal, le spectateur glisse son cou dans les caméras. En revanche, j’aime tenter
un trou pour observer la scène ou alors les ce que les autres ont trop peur de faire.
têtes de ses congénères, encastrées dans Je le fais moi-même parce que je suis
la paroi comme des trophées de chasse. protégée par 25 ans de travail artistique
Un dispositif à l’allure de panoptique durant lesquels je suis restée claire sur
inversé où l’apocalypse beckettienne a mes positions. Ce que j’ai fait place de
des airs de bloc opératoire. « Venir de la la Révolution en 2014, si ça avait été
performance m’a donné plus de liberté sur
quelqu’un d’autre, on n’aurait plus jamais
plan visuel. » Tania Bruguera affirme avoir
entendu parler de lui… Certains ont pensé
été respectueuse des directives de l’auteur :
que c’était une question d’ego. Mais j’ai déjà
« Beckett est un dictateur, j’ai simplement
tenté d’exploiter les espaces qu’il avait eu sept papiers dans le New York Times,
laissé sans contrôle ! » Une technique je n’en ai pas besoin d’un supplémentaire !
qu’elle a déjà pu rôder à La Havane, dans
l’ombre d’un autre célèbre autocrate. Certains artistes cubains essaient de
réconcilier la dissidence contemporaine
> Endgame, du 22 septembre au 1er octobre au Théâtre Nanterre- avec l’héritage de la révolution. Quel regard
Amandiers, dans le cadre du Festival d’Automne à Paris portez-vous sur ces tentatives ?

« La révolution est devenue une marque


déposée et la propriété d’un groupe. Et
ce groupe ne s’approprie pas seulement
les faits historiques mais aussi la parole
À La Havane, vous avez tout de même révolutionnaire et le droit de se rebeller. Un
réussi a créé un institut d’artivisme, nommé peu comme si la rébellion était terminée et
Hannah Arendt. toute révolte proscrite. Fidel Castro avait
Si je fais des choses que les policiers ne comprennent pas, bien compris où se trouvaient les foyers
« L’institut subit de fortes pressions de ils devront faire des recherches pour me censurer ! de révolte potentiels, pour les encadrer
la part du gouvernement. Pour nous par des institutions gouvernementales.
- Tania Bruguera 2018
protéger, nous avions prévu d’organiser La jeunesse, par exemple, est contrôlée
N S E 2017-
N DA
HEM
tous les évènements dans un bâtiment par deux institutions : la Fédération HELAG
S A I S O A H IM BOUC
qui appartenait à mes parents. Comme étudiante universitaire et l’Union des - BR T SHI IBA
HRBA SA ISH
c’est un endroit privé, la police ne pouvait jeunes communistes. Aujourd’hui, la CIE ZA SHIMA
12 DEC X Y O
UCHI
théoriquement pas y entrer sans mandat. bien souvent l’effet d’annonce suffit : quand librement durant une minute place de la répression n’est plus exercée par le AWAG
YUI K
23 JAN HI ONG,
Mais les autorités ont bloqué les permis ils voient ce qu’on s’apprête à réaliser, Révolution – Nda], je me suis fait arrêter. gouvernement que dans les cas extrêmes. AGUC IA LIB
Y U I KAW O U N I, SON HMOUNI
25 JAN KT RA
nécessaires à la rénovation et tentent de ils s’empressent de le faire avant nous ! La personne qui m’a interrogée a dû se Le reste du temps, le système entier R ZER ELEM
ARTHU T FARID AY
ARI + E
récupérer le bâtiment. Nous avons dû À leur manière, certes… renseigner sur la pièce pour comprendre opère à sa place. En mai dernier, par C IE IK O N D TAING
20 FEV E REYM G CAS
décentraliser les activités. ce que je faisais réellement. Là, je me suis exemple, un journaliste qui donnait son MAËLL IN H CUON
M
- ERIC
Récemment, nous avons mené une Pour financer l’institut, vous avez organisé rendu compte que si je faisais des choses avis lors d’une conférence a été chassé de ONEN
CIE SH
10 AV R nte 29€
campagne de trois mois en rapport avec une campagne de crowdfunding. Le donateur que les policiers ne comprenaient pas, ils l’université par les étudiants eux-mêmes ! / Préve 42€
x 15€
te re o lu Pré nte
v e
les élections de 2018. Dans une série de pouvait faire passer un message au policier devraient faire des recherches pour me À Cuba, toutes les institutions répressives L E S Carte S reolux 25€ /
ECTAC rte Ste
E 3 SP TACLES Ca
vidéos, on demandait aux Cubains ce qu’ils qui vous interrogerait lors de votre prochaine censurer. Alors j’en ai fait une tactique. sont cachées derrières des ONG dirigées DANS PEC
PASS E 5 S
feraient s’ils détenaient le pouvoir. Le arrestation. Comme lorsque j’ai fait cette performance par des gens très gentils. Si l’embargo DANS
PASS
premier objectif était que ces personnes autour d’Hannah Arendt, une lecture de devait être levé, la première des choses
s’imaginent en position de pouvoir, ce « C’était aussi une forme de performance. 24 heures, afin qu’ils lisent ce livre eux- à faire serait de désinstitutionnaliser les
qui leur était inconcevable. Nous faisons Après une pièce intitulée Le Murmure aussi. espaces citoyens et d’ouvrir les archives. » • Plus d’infos sur
un peu d’humanitaire aussi, de manière de Tatline [une performance réalisée à Pour revenir à la campagne de www.stereolux.org
anonyme. Les autorités sont tellement La Havane en 2014 au cours de laquelle crowdfunding, je suis contente que celle- Propos recueillis par Thomas Ancona-Léger
terrifiées par ce que nous pouvons faire que le public était invité à venir s’exprimer ci ait inspiré certains artistes cubains.
54
DANSE
Let’s party ! ballet-de-lorraine.eu
M OUVE ME NT n °9 1

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Graphisme © Jean-Claude Chianale / Photo © Arno Paul

Saison 2017 | 2018


EN ÉCHEC
50 ans !
DANSE

p. D. R.
À Montpellier existe l’Agora – Cité des angles morts de la vidéo-surveillance. Le comble était atteint cette année, qu’on
internationale de la danse. En centre-ville, De quoi abriter quelques solidarités de découvrait à la faveur du Festival. Un
y cohabitent le Centre chorégraphique fortune, addictions entêtantes, transactions quatrième rajout de grille, immense, coupe
national et le Festival international de peu licites. Ils zonent. Punks à chiens, en deux, de manière absurde et hideuse, le
danse ; dont un beau théâtre de plein air. Les dérangeants pour les petites peurs, les gênes parvis du théâtre, et en isole des guichets
Montpelliérains anciens continuent d’appeler quotidiennes, du passant clôturé dans son de billetterie. Pour cacher les indésirables
cela Les Ursulines. Historiquement en effet, monde de déliements. aux regards, les pousser plus loin, un espace
ce bâtiment fut d’abord un couvent. Devint commun tout entier est rendu impraticable
plus tard une prison. Puis une caserne. Toute Voici quelques années, en plein jour, au à tout un chacun, dégradé à son usage
une déclinaison de lieux d’enfermement. terme d’une pénible agonie, l’un de ces urbain, sinon la canalisation en bon ordre
pauvres hères perdait la vie sur le parvis des spectateurs de la danse. Invention d’un
Lorsqu’on attribua enfin pareil site au du Centre chorégraphique de Montpellier, labyrinthe paranoïaque d’alvéoles closes.
spectacle vivant, les discours embrayèrent, sous les yeux du personnel de ce dernier.
pour annoncer que la danse, toute de fluidité, Les appels répétés aux services de secours La logique est mortifère. Socialement
saurait briser les cadenas symboliques étaient restés infructueux. La directrice du autodestructrice. Esthétiquement ravageuse.
laissés par ce passé. Aux Ursulines, pardon, CCN – en ce temps-là Mathilde Monnier – Le rapport avec la danse ? On s’inquiète,
à l’Agora – Cité internationale de la danse, s’en émouvait dans un courrier à la maire, dans le fait que très peu des spectateurs de
tout ne deviendrait qu’ouverture, fut-il médecin de profession, tout de même. celle-ci, quand ils se présentent là, très peu
claironné. Quelle est cette ville « surdouée » où l’on de ses artistes, ses auteurs, ses critiques,
meurt comme un chien ? semblent seulement remarquer cette
Montpellier est une ville pauvre. Elle a ses situation minable. Laquelle touche, pourtant,
universités, laboratoires, établissements Comment les autorités allaient-elles réagir aux usages de l’espace, en son temps. Donc
de santé de pointe. Aujourd’hui ses start- au problème social, moral, soulevé par à un enjeu que la danse, dès sa sortie du
up, sa french tech. Montpellier a ses la chorégraphe ? Au bout de quelques studio ou du plateau, diffuse dans la ville.
Rizzo, Montanari, Rodrigo García, Nicolas semaines, des ouvriers venaient dresser Une danse, ici aveuglément mise en échec •
Bourriaud. Une magnifique vitrine culturelle. d’impressionnantes grilles devant l’entrée
Mais en ville, on croise quantité de laissés- de l’Agora – Cité internationale de la danse. Gérard Mayen
pour-compte, d’errants, cabossés de la vie, Cela serait-il suffisant ? Plus tard, on en
qui y cherchent un peu plus de soleil que sous plaçait une autre pour barrer un passage
d’autres cieux. naturel entre l’arrière du théâtre et l’entrée
du CCN. Encore un peu d’attente : un portail
Problème. Certains d’entre eux s’attachent verrouillé barre un bel escalier débouchant
obstinément aux abords des Ursulines. Ses sur le quai du tramway.
recoins, passages dérobés, demeurent
56
R E P O RTAG E PERFORMANCE M OUVEM ENT n ° 9 1

CHIM POM
FAIT LES POUBELLES
DE TOKYO
Un nouveau Tokyo sort de terre en prévision des Jeux olympiques 2020. Une capitale plus
forte, plus propre et plus sure, censée refouler le spectre de Fukushima. Mais Chim Pom fait
de la résistance. En fouillant dans ses poubelles, en convoquant ses fantômes, le collectif
dévoile une ville sauvage et chaotique, contre laquelle les grues ne peuvent rien.

Texte : Guillaume Loiret, à Tokyo


Photographies : Jérémie Souteyrat, pour Mouvement

Descendre à la station Shinjuku. Sortie Est. Dépasser le


bâtiment du Studio Alta. Traverser la large avenue Yasukuni.
S’enfoncer dans le Kabukichō. 100 mètres plus bas, contourner
歌舞伎町 – KabukichŌ
le cinéma-building Tōw, dont dépasse un gigantesque Godzilla.
Pika Pika
Un virage à gauche. C’est là.
Mais là, rien. Le bâtiment a disparu. Il y a neuf mois encore, De la sauvagerie, du chaos ? Voilà des denrées rares en art.
on le trouvait à sa place habituelle, avec ses quatre étages percés Surtout dans ce Japon 2017 où le sens critique est menacé par
de fenêtres globuleuses et sa façade de tôle grisâtre. Il était là le national-libéralisme de Shinzō Abe, et l’audace anesthésiée
depuis les JO de 1964. Mais la chrysalide olympique ne fait pas par l’impérialisme pop de Takashi Murakami. Mais Chim Pom
dans la nostalgie. ne compte pas parler politique, ni tailler des croupières à l’art

Teint en jaune canari comme Pikachu, l’icône des Pokémon, un rat empaillé attaque Tokyo
pompier. Ils sont six, la trentaine, des gamins de Tokyo devenus
Chim Pom non plus. L’exposition que le collectif avait en dix ans les jean-foutre d’un art contemporain japonais qui
logée dans les étages du bâtiment juste avant sa destruction, en peinait à surprendre. Tous se lient au début des années 2000 dans
octobre 2016, n’était pas une larme versée sur le passé. Plutôt un le studio de Makoto Aida. Ils sont alors modèles ou assistants du
doigt d’honneur à ce Tokyo Scrap and Build (« démolir et peintre et plasticien, génie foutraque et joyeux, partisan d’un art
construire », le thème de l’exposition) qui croit pouvoir cacher la vulgaire.
poussière et la mémoire sous le tapis, ces neuf années de désespoir
qui séparent Fukushima des prochains jeux d’été. « La démolition, Leur premier coup d’éclat est une blague de sale gosse, un pari
la gentrification, toutes les grandes villes sont touchées par ça. de mec bourré. En 2006, ils se filment en train de capturer des
C’est le cas à Paris aussi, non ? Partout ça devient plus propre, rats au filet à papillons dans les poubelles du quartier de Shibuya.
plus règlementé, plus ordonné. Et Tokyo était déjà l’une des pires Empaillés, les rongeurs sont teints en jaune canari – comme
de ce point de vue… Malgré ça on essaye de prouver qu’on peut Pikachu, l’icône des Pokémon – et mis en scène dans des photos
encore, ici, trouver de la sauvagerie, du chaos, dans un univers et des maquettes. Voici Super Rat, un travail ingénu et gentiment
tellement sur les rails », explique Ryūta, l’un de ses membres. iconoclaste qui aiguise la curiosité du milieu, et rapproche Chim
Pom de galeries en vue à Tokyo. Les installations et performances
qui suivent portent la désobéissance et le blasphème en étendard,
et surtout s’ancrent dans des territoires surdéterminés. En 2009,
ils inscrivent Pika (« Boom ! ») avec le panache d’un avion dans le
ciel bleu d’Hiroshima, et ouvrent en 2015 une galerie dans la zone
59
M OUVE ME NT n °9 1 PERFORMANCE

interdite de Fukushima. On les verra aussi exploser des sacs


Vuitton au Cambodge (I’m Bokan, 2008), installer un office du
tourisme à Tijuana (U.S. A. Visitor Center, 2017), et exposer chez
les pointures mondiales du bon goût – Saatchi à Londres, le PS1 Le gouvernement japonais a exigé que la
à New York.
performance ne fasse référence ni au sexe,
Big Mac ni à Fukushima, ni à la Corée du Nord.
Et qu’on censure le mots “radiations” de nos
Mais c’est à Tokyo qu’ils reviennent toujours. Shinjuku, Shibuya,
Aoyama, Kōenji, Roppongi : Chim Pom fait naître sa forme
vidéos – Chim Pom
et nourrit son travail de ces territoires urbains. Imaginer la
cartographie nouvelle, intime et esthétique, d’une ville qui veut
toujours renaître de ses cendres. Parler d’une relation possible
à l’espace vécu, à ses suppléments d’âme, à sa saleté et à sa et de cultures : la culture traditionnelle, celle du Golden Gai
vérité. Inventer des sanctuaires où l’impur aura sa place. Dans le [labyrinthe de ruelles où s’entassent des microbars, ancien Q.G.
Kabukichō, naturellement, où était installé le bâtiment condamné de travestis et de comédiens – Nda], la culture du sexe, et celle de
de Scrap and Build. Rasé par les bombes américaines en 1945, la mafia bien sûr », rappelle l’un des artistes.
promis au théâtre classique kabuki, voilà qu’il vire bientôt au
rouge et accueille le commerce du sexe sous toutes ses formes, Cet empilement se retrouve figuré dans les étages de l’exposition,
réactivant ainsi la mémoire de Yoshiwara, le quartier des plaisirs par exemple dans le Build Burger, un Big Mac de gravats piochés
de l’époque d’Edo (1603-1868). Ici, dans les néons criards de dans le voisinage, ou dans les nombreux cyanotypes (tirage
quelques dizaines de rues, coincées entre la gare de Shinjuku et photo bleu cyan) racontant la vie du quartier, notamment celle
le ghetto coréen de Shin-Okubo, s’évanouissent chaque soir des d’une jeune prostituée surnommée Mirai (« avenir »). Kabukichō
milliards de yens dans des bars à minettes et des rayonnages de devient le territoire-antithèse de ce Tokyo olympique que Chim
vidéos pour adultes. « Ce quartier est un empilement d’histoires Pom n’aime pas. Scrap and Build durera deux semaines, un
dernier moment de folie et d’insouciance avant que les pelleteuses
n’emportent tout. Les murs et les œuvres. Tabula rasa ?

渋谷 - Shibuya

Chim Pom, portrait d’un collectif insolent


Tokyo Teens hurlant au mégaphone : « Où est la ville de mon enfance ? » (voir un territoire crasseux et inspirant, fait d’ordures et de gravats,
la séquence d’ouverture du documentaire Otaku : fils de l’empire de putes et d’ivrognes, de sauvagerie et d’animalité. Tout ce qui
Descendre à la station Shibuya. Sortie Hachiko. Laisser sur du virtuel de Jean-Jacques Beineix, 1994). excite Chim Pom.
la gauche la statue du chien le plus célèbre du Japon. Se frayer un
chemin entre les milliers d’ados qui se sont donné rendez-vous Ce n’est pas un hasard si Chim Pom a choisi Shibuya comme En 2007, l’un des six membres de la bande, Mizuno, s’enferme
au même endroit. Emprunter le passage piéton et atteindre le territoire. « C’était un quartier mythique quand on était au dans une pièce de trois mètres sur deux de la galerie Hiromi Yoshii
building 109. C’est là. collège, à cause de la culture gyaru qui s’étalait partout. » Le avec… un rat et un corbeau. Une vitre sans tain les sépare du public,
C’est là qu’en 2009 Chim Pom s’amuse dans une performance gyaru, icône absolue des années 1990 : des gamines aux jupes des ordures leur sont déposées chaque jour durant trois semaines.
filmée baptisée Black of Death. À l’arrière d’une voiture, Ellie, ultracourtes, aux cheveux ultraperoxydés et à la peau ultrabronzée L’expérience est éprouvante, elle vire à l’amitié (le corbeau mange
seule fille de la bande et égérie branchée, brandit un corbeau aux UV. Un kawaii vulgaire et sexuellement peu ambigu, qui va dans la main de l’artiste) puis au cannibalisme (le corbeau meurt,
empaillé et une enceinte crachant des croassements. En quelques envahir les étages du magasin de mode 109 et les magazines du l’artiste animalisé le mange). Mais si, finalement, son acteur
minutes, une nuée d’oiseaux noirs la rejoint et l’accompagne dans monde entier. Le style va largement contribuer à forger l’identité principal n’était ni l’homme, ni l’animal, mais le déchet ? Comme
un road-trip bruyant qui s’achève à côté du palais impérial, sous du quartier, faisant même naître en réaction le style « Lolita » lorsque Chim Pom installe un sac poubelle de plusieurs mètres de
les fenêtres du parlement japonais. C’est là aussi, en tapant dans (innocence et virginité) dans l’autre épicentre teenager de Tokyo, haut devant l’entrée du magasin Parco (Gold Experience, 2012) ou
une benne à ordures, qu’étaient apparus les Super Rats. Harajuku. « On était tout le temps fourrés à Shibuya dans les distribue à des passants le contenu de poubelles publiques dans
années 2000, dans des bars, des clubs. Et puis on en a eu marre, les rues de New York (NY Holly Night, 2012).
Shibuya, ses ados, ses rues vallonnées, ses magasins branchés, on a commencé à regarder par terre, dans les caniveaux, les
ses love hotels. Ses grues aussi ; le quartier est soumis à une poubelles. Et on a trouvé nos Super Rats ! » Ce goût du happening, Chim Pom l’emprunte à ses aînés
rénovation intense. Scrap and Build, objectif 2020. Mais on des années 1960 et 1970, la charge politique en moins, le
ne touchera pas à son passage piéton, l’ultracélèbre Shibuya Charognards cynisme en plus. Les Neo-Dada Organizers, inf luencés par
Crossing avec sa marée humaine qui monte et qui descend le Fluxus et la rupture introduite par les artistes du Gutaï, qui
toutes les deux minutes. Ce symbole de Tokyo a fait le tour du Des poubelles, des corbeaux, et des rats. Tokyo est une invitent la performance dans les manifestations. Hi-Red Center,
monde, filmé des millions de fois par des millions de caméras. ville hygiéniste où les animaux sont rares, enfermés (dans des qui moque l’hygiénisme des JO de 1964 en nettoyant le quartier
Dans les années 1990, il fut aussi la scène des performances de cafés à chats ou hiboux), objectivés dans des gadgets et sur des de Ginza à la brosse à dents. Le groupe Zero Jigen, dont les
Tokyo Gagaga. Des dizaines de comédiens se battant, défilant au tee-shirts, miniaturisés. Mais elle ne manque pas de corbeaux ni membres dansent nus dans les rues au cours de rituels que filme
rythme de slogans idiots, tournant en dérision les manifestants de rats. Ces deux espèces, l’homme urbain ne les aime pas mais Nagisa Ōshima (Gishiki, 1971). La bonne conscience politique
nationalistes qui haranguent la foule depuis des camions noirs. il se retrouve obligé de cohabiter avec elles. Intelligentes et et médiatique vomit ces anarchistes et leur hangeijutsu (anti-art),
Et le chef de la troupe, l’insaisissable Sono Sion (devenu depuis indépendantes, elles lui rappellent qu’il n’est pas seul en ville, mais le ver est dans le fruit.
réalisateur à succès : Suicide Club, 2010 ; Tokyo Tribe, 2014) et que « Tokyo n’est pas si propre que ça ». Elles circonscrivent
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M OUVE ME NT n °9 1 PERFORMANCE R E P O RTAG E PERFORMANCE M OUVEM ENT n ° 9 1

福島 - Fukushima 高円寺 - KŌenji


Courage Fukushima ! Rouleau compresseur
Un soir de mai 2011. Le Japon est suspendu au destin de la
Descendre à la station Kōenji. Sortie Nord. Prendre
centrale de Fukushima. Des milliers de corps se pressent dans les
la rue piétonne qui longe le métro aérien. Marcher environ
couloirs de la gare de Shibuya et passent devant une large fresque
500 mètres. C’est là, sur la gauche, sous une devanture rouge
de 30 mètres aux couleurs criardes. Le Mythe de demain (1969),
ornée de deux gros yeux.
du peintre Tarō Okamoto, devait fixer dans les regards le souvenir
Là, cette drôle de bicoque, basse et étroite, a eu plusieurs vies :
apocalyptique d’Hiroshima et de Nagasaki. Mais qui la remarque
une secte, un HP, un bordel, un atelier de mode, un club de jazz y ont
encore ? Il est 22 heures. Six jeunes gens s’approchent et fixent au
successivement élu domicile. Puis une galerie d’art contemporain
bas de l’œuvre une petite toile d’un style semblable, sur laquelle
baptisée Garter, que Chim Pom fait vivre depuis quelques
figurent deux réacteurs nucléaires fumants.
années. Makoto Aida et Sono Sion y ont exposé. Aujourd’hui,
23 juillet 2017, c’est le bazar, ça sent la colle et la peinture. Le
Un mois plus tard, l’un de nos six saboteurs se rend
prochain show débute dans une semaine et ils sont déjà bien à la
à Fukushima et, vêtu d’une combinaison blanche, brandit
bourre. Ryūta met un masque de chirurgien, soulève une plaque
un carton rouge devant l’un de ces réacteurs. Le geste est
d’égout, et rejoint le sous-sol. « Le jour où on y est descendu,
immortalisé par une photo (Red Card, 2011). Les deux actions
personne n’y avait mis les pieds depuis longtemps. Il y avait des
sont signées Chim Pom, qui s’est choisi un nouveau territoire
ordures partout, de la bouffe momifiée. C’est une pièce minuscule

Le terrain de jeu des Chim Pom, le jour comme la nuit


à l’identité paradoxale : tout le monde en parle, les télévisions
mais Nature Danger Gang est venu y jouer l’an dernier. C’était
du monde entier le situent sur la carte, mais personne ne
n’importe quoi, ils ont tous fini à poil. »
peut y pénétrer. « Les images qu’on avait pu créer avant 2011
semblaient perdre tout leur pouvoir face à celles du tsunami et
Ryūta désigne une paroi vitrée. Derrière celle-ci, une
de la centrale. Alors on y est allés, pour apporter de l’aide en tant
sédimentation de débris, d’objets cassés, de fragments de béton,
que volontaire, mais aussi pour documenter le moment, et le
de canettes écrasées, le tout aplani au rouleau compresseur. La
restituer. »
déchetterie des territoires de Chim Pom. Certains éléments
proviennent du bâtiment détruit à Kabukichō, d’autres des rues
avoisinantes de Kōenji.

Kōenji, un quartier planqué à l’ouest de Tokyo, entre Shinjuku


et Nakano. Un village populaire et tranquille, où le badaud se
Tokyo est une ville hygiéniste où les animaux promène en tongs, la clope au bec, au milieu des gargotes de
sont rares, enfermés, objectivés dans des yakitori (brochettes). « Ici les gens sont crados, ils font penser
à des poubelles ! Et tout le monde se parle. On s’y sent bien ».
gadgets et sur des tee-shirts, miniaturisés. Kōenji, ses rues étroites, ses friperies, son shōtengai (galerie
Mais qui ne manque pas de corbeaux ni de rats. couverte), ses salles de concert et ses disquaires. On y trouve les
meilleurs de Tokyo, comme Enban (punk, productions locales) et
surtout Los Apson?, bastion historique des musiques différentes
(noise, expé), où l’on chine du Merzbow comme du Costes. Et puis
ce quartier a une histoire. Le romancier bohème Osamu Dazai y
vécut chichement, et Sono Sion y tourna Bad Film (2012).

Dans la no-go zone (30 kilomètres autour de la centrale), Chim Pas compliqué de comprendre ce qui a attiré Chim Pom sur
Pom réalise un travail sobre et frappant. Le groupe réactive son Un Chim Pom lors d’une performance à Fukushima. Le collectif a organisé ce territoire, et dans ce bâtiment, pour poursuivre son récit. En
une exposition dans la no-go zone autour de la centrale Chim Pom, Without
Black of Death en guidant des nuées de corbeaux hors du secteur SAY GOODBYE, 2011, Courtesy de l’artiste et de Mujin-To Production, Tokyo parcourant l’installation de Scrap and Build intitulée Paving
maudit. Il rassemble des fleurs et des plantes ramenées à Tokyo Mais le tabou est puissant. Chim Pom a fourré son doigt dans the Street, on retrouve ses obsessions plastiques et thématiques.
pour exécuter un ikebana (arrangement floral, pratique vieille de le déni et le mensonge. Voilà le collectif blacklisté par la Japan Le déchet, la destruction, le rongeur (un terrier en verre permet
six siècles) radioactif. Sur une photo (Without Say Goodbye), la Foundation (l’antenne du ministère de la Culture chargée d’observer des rats), et l’espace non seulement réceptacle mais
combinaison antiradiation devient un épouvantail inutile qui fait de soutenir les artistes japonais à l’étranger). Un musée texan se œuvre lui-même. Et toujours ce doigt d’honneur au Tokyo propret
penser à un danseur de butō. Une vidéo montre, dans un village voit intimer de ne pas l’exposer, et le Centre Pompidou-Metz a dû et policé qui les irrite. La soirée d’ouverture sera festive et sauvage.
dévasté, un chœur hurlant des sarcasmes (« La radioactivité, c’est annuler sa performance initialement prévue au programme de son Makoto Aida fait la popote pendant que Naohiro Ukawa (le Dj des
génial ! », « Je veux nager dans l’océan ! »), qui sont autant de exposition de rentrée, Une saison japonaise. « Le gouvernement Boredoms) passe des disques. Un homme appelle la police, on
détournements des slogans du type « Courage Fukushima ! », que japonais a exigé que la performance ne fasse référence ni au parlemente, on y retourne. « Le voisin d’en face nous cherche des
répètent alors en boucle médias et politiques (Kiai 100). Le tout sexe, ni à Fukushima, ni à la Corée du Nord et qu’on censure noises. On ne sait même pas combien de temps on pourra rester,
est exposé la même année sous le titre Real Times à Tokyo, puis à le mots "radiations" de nos vidéos. » Chim Pom revient pourtant peut-être pas très longtemps », plaisante Ryūta. Et on les imagine
Londres. à Fukushima en 2015, installer une exposition d’un genre inédit. déjà, rongeurs et poubelles sous les bras, déménager leur bordel
Don’t Follow the Wind rassemble les œuvres d’une douzaine dans un autre territoire de la capitale •
d’artistes internationaux, dont Ai Weiwei. Mais qui viendra la
visiter, ici, dans la zone interdite de la centrale nucléaire ? Guillaume Loiret

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PORTFOLIO
A. Stefano Marchionini

Stefano Marchionini est un photographe


italien né en 1985. Il vit actuellement à Marseille.
Après avoir étudié la peinture aux Beaux-arts
de Venise, il est diplômé en 2014 de l’ENSBA
de Paris. Il a notamment collaboré aux
magazines Dazed & Confused, Waterfall ou
Fantastic Man.
Sélection : Louis Canadas

B. Hannah Whitaker

« Je m’inspire de l’histoire informatique et de


la culture numérique, mais j’ai recours à la
photographie analogique. Mes images, dont
le graphisme est inspiré des premiers logiciels
de traitement, montrent des gestes de la main
binaires, d’approbation et de refus.
Ce sont des photographies créées par une
superposition de prises de vue, sur le même
négatif 4x5, shootées à travers des masques
en papier découpés à la main. Ici, chaque
image est une couche habituellement invisible
et déconstruit une seule et même photographie
(non montrée). C’est un travail à rebours. »

Sélection : Alain Berland

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EXPOSITION
Continua
Sphères
01 53 35 50 00 ENSEMBLE
www.104.fr 16.09 > 19.11.2017
Ai Weiwei
Leila Alaoui
Jocelyn Anquetil
& Charles Harrop-Griffiths
Iván Argote
Kader Attia
Agostino Bonalumi
Daniel Buren
Alberto Burri
Enrico Castellani
Loris Cecchini
Chen Zhen
Nikhil Chopra
Berlinde De Bruyckere
Mark Dion
Sam Falls
Aurélie Ferruel
& Florentine Guédon
Lucio Fontana
Carlos Garaicoa
Douglas Gordon
Shilpa Gupta
313 Art Project Subodh Gupta
40mcube Zhanna Kadyrova
A Gentil Carioca Anish Kapoor
ATHR Gallery Brigitte Kowanz
Galerie Cécile Fakhoury Lee Wan
Chatterjee & Lal Reynier Leyva Novo
Cittadellarte – Fondazione Pistoletto Luis Enrique López-Chávez

Courtesy the artist and GALLERIA CONTINUA, San Gimignano / Beijing / Les Moulins / Habana t
Collection Lambert en Avignon Lu Yang
GALLERIA CONTINUA Ahmed Mater
Galleria Franco Noero Moataz Nasr

Loris Cecchini - Waterbones (Sensitive Chaos), 2016 | Ph. Lorenzo Fiaschi


Gazelli Art House OPAVIVARÁ!
Galerie In Situ – fabienne leclerc Giovanni Ozzola
König Galerie Michelangelo Pistoletto
Galerie Krinzinger Philippe Ramette
mor charpentier Rosângela Rennó

T Fondaco dei Tedeschi by DFS - Venise


M WOODS Jems Koko Bi
Perrotin Paolo Scheggi
Tornabuoni Art Andreas Schmitten
VNH Gallery Pascale Marthine Tayou
Galerie Xippas Sislej Xhafa
M OUVE ME NT n °9 1 POÉSIE POÉSIE M OUVEM ENT n ° 9 1

Si sa création est autorisée, Cigéo (Centre industriel de stockage géologique) sera implanté [...] dans
une couche de roche argileuse choisie pour ses propriétés de confinement sur de très longues échelles
de temps.
Au même moment, le gouvernement Macron vient de passer commande
pour 22 millions d’euros « de grenades de maintien de l’ordre
et moyens de propulsions à retard » sur 4 ans.

Le concept retenu par l’Andra (Agence Nationale pour la gestion des Déchets Radioactifs), à ce stade,
pour le stockage de ces déchets ne présente pas les garanties de sûreté suffisantes.

D’abord le bois il est occupé pour empêcher concrètement l’avancée des travaux de Cigéo,
défendre — aussi défendre la forêt parce qu’elle est défrichée comme pleins d’autres forêts
en France et ailleurs pour des projets industriels merdiques et — donc voilà.
C’est pas comparable à Notre Dame des Landes parce que c’est une résistance
plus diffuse, y’a pas un lieu d’occupation bien précis, y’en a plusieurs euh — si
y’a une ZAD à Bure, c’est la ZAD de tous les habitant,e,s, de toute la population,
de tous les villages alentour.
Donc, les déchets qui sont là en effet nous on dit, il faut qu’ils restent à proximité des endroits de
production, donc près des centrales, et puis surveillés, à l’air libre quoi, qu’ils soient étiquetés, que
tout le monde sache que c’est dangereux et que — voilà, mais surtout pas les cacher.

6 votes pour. 5 votes contre.

5 voix contre, 6 voix pour - le Conseil Municipal vient de réaffirmer la cession du Bois Lejuc à
l’Andra. Un vote à bulletin secret dans un climat loin d’être serein, mais un vote parfaitement
démocratique pour le maire.

J’suis pas tout seul. On a été élu par les habitants du village. Euh, la démocratie c’est
ça aussi j’veux dire, y’en a qui s’sont exprimé,e,s. Est-ce que vous m’avez entendu ou
vu sauter à la gorge de ceux qui ont voté contre ? Je sais qui vote contre, mais ça me
dérange pas moi, j’les respecte.

Il faut quand même réaliser que c’est : six personnes, qui ont voté pour Cigéo,
et qui ont engagé l’avenir de la région et du pays. C’est incroyable quoi.

Du côté de l’Andra, on salue bien évidemment ce vote. Il devrait permettre la poursuite des
travaux sur le site.
> Suzanne Doppelt, Vak Spectra, éditions
Nous prenons acte de cette décision, et nous saluons non seulement l’engagement du P.O.L., mai 2017
conseil Municipal, mais aussi des élu,e,s qui ont soutenu euh ce conseil, et donc ce qui
confirme bien, j’dirais tout l’intérêt à la fois national bien sûr de c’projet, mais aussi
l’intérêt territorial de c’projet.

La Fédération Anarchiste apporte tout son soutien à Robin dans cette épreuve, et plus
largement à toutes celles et ceux qui luttent contre l’état et son monde nucléaire.

Depuis plus d’un an, le bois Lejuc à Bure est occupé pour bloquer le projet Cigéo d’enfouissement de déchets nucléaires conçu par l’Andra.
SOURCES : 1- « Les déchets pris en compte dans les études de conception de Cigéo », andra.fr, juillet 2013 2- « Action de soutien à Robin et
contre la violence de l’état », http://vmc.camp/, 24.08.2017 3- Conclusions de l’expertise de l’IRSN sur le dossier d’options de sûreté du projet
Cigéo, www.irsn.fr, 04.07.2017 4- « Pas de ZAD à Bure ? », vidéo par Nicolas Thomasset, 05.07.2017 5- Ibid. . 6- « Festival les Bure’lesques »,
France 3 Lorraine, 12.07.2017 7- « Bure : vives tensions à Mandres entre antinucléaires et gendarmes », France 3 Lorraine, 19.05.2017
8- Communiqué de la fédération anarchiste suite à la nouvelle vague de répression à Bure, www.aubanar.lautre.net, 23.08.2017

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A NA LY S E ARTS VISUELS M OUVEM ENT n ° 9 1

De jeunes artistes formulent des œuvres susceptibles de déclencher des réactions en chaîne
dans la sphère sociale, sans s’extraire pour autant du monde de l’art.

Texte: Marine Relinger

Le plasticien Raphaël Fabre vient de se voir délivrer ce qui est peinture – ou d’élargir son champ à tout ce qui en semblait exclu
sans doute la première carte d’identité officielle figurant un être – des ready-made duchampiens au slogan « Tout est art » de Ben
qui n’existe pas : le sosie artificiel de l’artiste. En lieu et place du Vautier. L’impact fut sans doute, au final, un dévoilement : celui
traditionnel photomaton, ce dernier a glissé dans son dossier une de l’art comme convention ; et donc d’un espace malléable, prêt,
image de synthèse le représentant. De son côté, Pierre Akrich potentiellement, à tout intégrer. De fait, l’unique critère qui
a présenté au dernier Salon de Montrouge une série de dettes semble demeurer aujourd’hui dans le champ conventionnel de l’art
contractées par des particuliers, dont la vente aux enchères est celui de l’aval collégial d’un petit nombre d’acteurs (curateurs,
permettra l’acquittement. Le jeune Valentin Muller, constatant collectionneurs, critiques). Dans ce contexte, le tremblement
quant à lui ses difficultés à communiquer, formule des œuvres qui du réel que produit par définition le geste de création menace de
sont autant de processus lui permettant de nouer des relations devenir une figure de style, faisant glisser l’événement (le choc) du
interpersonnelles ou amoureuses. côté de l’évènementiel (la simulation du choc, le frisson vain).

Ce qui rapproche ces trois démarches, par ailleurs très Plutôt que de redéfinir l’art, il s’agirait dès lors de considérer
différentes, est qu’elles se pensent avant tout en terme d’efficience ce que ce dernier peut faire advenir. Cette question n’est
(du latin efficere, « réaliser »), une notion qui caractérise ce qui évidemment pas nouvelle. Que l’on songe, par exemple, à l’époque
possède en soi-même la puissance de produire un effet. Chacune à du modernisme même, au Bauhaus qui cherchait à contribuer
leur manière, elles rappellent que la création est en premier lieu par l’art à l’édification d’une société. Ou, plus récemment, à
un impact à même de requalifier le réel. Et que cette dernière ne l’esthétique relationnelle ou à l’art radicant, théorisés par le critique
saurait se réduire à de simples effets de discours. Dans le cadre Nicolas Bourriaud1. Les œuvres présentées ci-dessous s’inscrivent
d’une conférence intitulée « Qu’est-ce que l’acte de création ? » dans ces lignées. Ces gestes opèrent indépendamment de leur
(17 mars 1987), Gilles Deleuze disait en ce sens que l’acte de reconnaissance dans et par le monde de l’art, en amont et en aval
création, et plus précisément l’idée créatrice, est un « acte de de l’exposition. Pour ces artistes – que nous rapprocherons de
résistance », par définition irréductible à ce qui est préétabli. concepts dans l’air du temps (hacking, opportunisme radical et
nécessité deleuzienne) – l’art reste une convention nécessaire : un
Nécessairement transgressif, selon Deleuze, l’acte de création cadre d’existence (un statut) et un lieu, littéralement, d’exposition.
a pu prendre pour cible l’art lui-même : le modernisme a cherché
à en (re)formuler la définition, qu’il s’agisse d’accéder à son
essence supposée – dont le symbole reste le monochrome en
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M OUVE ME NT n °9 1 ARTS VISUELS

Le hacking interstitiel de Raphaël Fabre Valentin Muller et la nécessité à l’œuvre


L’image que Raphaël Fabre a soumise, le 7 avril 2017, à la Cette notion d’efficience, néanmoins, ne concerne pas
préfecture de Paris dans le cadre du renouvellement de sa carte seulement des œuvres se déployant sur la place publique ou
d’identité, n’a rien à voir avec une photographie. Il s’agit d’une la sphère sociale au sens large. Le travail de Valentin Muller
modélisation 3D de son visage faisant appel à des techniques implique ainsi des déplacements plus intimes, venant cette fois
utilisées pour créer des effets spéciaux au cinéma et dans altérer la construction de sa propre identité et ses relations
l’industrie du jeu vidéo. La démarche, proche de celle d’un peintre personnelles. Ce dernier explique : « Quand notre existence
ou d’un sculpteur, évoque l’une des légendes de l’histoire de l’art, propre est comme problématique, qu’elle ne va pas de soi, le genre
celle relatée par Pline l’Ancien dans Histoire naturelle. Lors d’un autobiographique ne suffit plus ; regarder son passé depuis la
concours, en Grèce antique, Zeuxis a entrepris de soulever le voile bulle de son présent d’énonciation produit encore du disjoint. Je
masquant la peinture de son rival Parrhasios. Surprise : ce qui tente alors de mettre cette vie en œuvre : plutôt que de la relater,
était peint n’était autre que le rideau qu’il venait de tenter d’écarter. que de la mettre en scène, il s’agit de construire une pièce comme
on fabriquerait une estrade, un dispositif […] au sein duquel les
Tel Zeuxis trompé par Parrhasios, l’administration française choses vont pouvoir se passer. » du 7 au 17
s’est laissé mystifier. Assumant l’anachronisme, l’on pourrait novembre
rapprocher ces deux leurres artistiques d’un « hacking » au À l’exposition des Félicités 2016 des Beaux-arts de Paris, son

6 spectacles
sens large : soit la mise en œuvre d’une technique permettant travail consistait en la projection all-over, sur les quatre murs
d’exploiter les failles et vulnérabilités d’un système. En déplaçant d’une boîte noire, des transcriptions de 88 heures d’interview.
l’impact de son geste au sein d’une réalité sociale, Raphaël Fabre L’artiste a demandé à des connaissances, plus ou moins proches, 1 installation
met cette dernière (et non plus seulement la convention artistique) ce qu’elles pensaient de lui. Résultat : un espace saturé de textes,
à l’épreuve du geste de création. bourrés d’interjections, dépliant les troubles que peuvent susciter Focus sur la création
le jeune homme et sa démarche acharnée. Pour ne rien gâcher, transdisciplinaire
En effet, la notion de photographie n’est pas définie dans les gesticulations des visiteurs – poussés à se déplacer sans française
les textes encadrant la délivrance d’une carte d’identité, et cesse, leurs ombres venant tronquer les textes – jouaient dans et internationale
l’administration française accepte dans les faits des clichés l’espace même de l’œuvre un petit théâtre du vivre-ensemble.
réalisés par des particuliers au-delà de la procédure agréée Le 22e entretien, qui s’est révélé devenir une rencontre amoureuse,
(photomatons ou professionnels qui proposent parfois, par a donné naissance à la pièce suivante : la mise en espace de sa
Day 3024|2017
ailleurs, des retouches comme l’effacement des cernes du modèle). version sonore, d’une durée de 3 h 33, censée faire revenir la jeune
A normal working day
Raphaël Fabre s’est ainsi glissé dans un interstice caractérisant fille en question (d’où la caméra, braquée sur les visiteurs, ne Delgado Fuchs & Zimoun
nos sociétés de contrôle, basées sur l’induction de contraintes qui manquant pas une seconde de la semaine d’exposition).
conditionnent nos modes de vie et de pensée. Il révèle par là le Nirvana
Pierre Akrich souligne qu’« une œuvre d’art n’est jamais en
trouble contemporain qui entoure les notions de réel et de fiction, Si c’est une individualité qui est ici mise en œuvre, elle rejoint Delgado Fuchs
partie une marchandise […], elle ne l’est pas du tout ou elle n’est
comme la signification de l’image à l’ère du numérique. une forme d’universalité : notre altérité étant ce que nous avons
que cela. Une proposition artistique n’est jamais partiellement
en commun. C’est d’ailleurs, selon Deleuze, au nom de cette Myousic
au service de l’idéologie dominante : elle l’est entièrement ou elle
Si l’artiste a ajouté son geste au champ des possibles, incluant « nécessité » de l’acte de création que « j’ai quelque chose à dire à Dimitri de Perrot
s’y oppose totalement. » Dans le champ de l’art, ce positionnement
l’éventualité d’une suite donnée par les autorités administratives, quelqu’un ».
est peut-être difficile à tenir à long terme. Mais tant qu’il peut
l’œuvre ne prétend pas s’extraire du format de l’exposition Dementia
s’y exprimer en acte, cela ne l’empêche pas d’y produire son effet.
pour autant. Raphaël Fabre a montré ce travail à la galerie R-2 Les travaux de ces jeunes artistes qui opèrent au-delà du Kornél Mundruczó
À côté, nombre de circonvolutions formelles et esthétiques dites
à Paris, sous la forme de documents, dont un tirage agrandi de champ de l’art nous rappellent ainsi l’importance d’une question,
critiques, alors qu’elles se cantonnent à un seul effet de discours What will have been
l’autoportrait où la manipulation devient perceptible. si élémentaire que l’on peut avoir tendance à l’oublier, et qui
– autorisé dans le champ de l’art et ne faisant rien d’autre que Circa
revient à se demander pour quoi faire de l’art. Au-delà de son
perpétuer le système en place –, frisent l’incohérence.
Pierre Akrich et l’opportunisme radical statut de produit sur le marché, au-delà de l’espace consensuel et
Rule of three
évènementiel auquel le monde de l’art tend à se limiter, l’œuvre se
Jan Martens
La démarche de Pierre Akrich n’est pas non plus étrangère à la doit de produire quelque chose, de réaliser une modification du
pratique du hacking, mais c’est le système de l’art que ce dernier monde comme de sa perception •
Les Voix du soir
prétend détourner. Les dettes qu’il a exposées, contractées par
Dominique Petitgand
des particuliers auprès du Trésor public ou d’entreprises privées, Marine Relinger
ont été rendues anonymes mais leurs montants demeurent
visibles. La cession de ces « ready-made », le 4 novembre au 1. Nicolas Bourriaud, Esthétique relationnelle, Les presses du réel, 1988 et Radicant, éditions Denoël,
Beffroi de Montrouge lors de la vente aux enchères suivant 2009.
traditionnellement le salon, doit permettre le désendettement des 2. Christophe Kihm, « Pour un opportunisme radical », artpress, n° 431, p. 52-55.
personnes concernées.
© Pierre Akrich - Pbr7/Recouvrement, 2017
La démarche peut évoquer le concept d’opportunisme radical, © Valentin Muller - 33 entretiens (ici reproduit : n°33/33), vidéoprojections, 7h38, 2015-16
récemment formulé par Christophe Kihm2, qualifiant des œuvres © Raphaël Fabre - CNI, carte d'identité française avec portrait 3D, .obj, .blend, .psd, 2017
qui « s’inscrivent dans une réalité qui les porte, puis qualifient
à nouveaux frais la manière d’être de cette réalité ». Elle se
Théâtre Centre d’Art
rapproche également de la notion de « compatibilité » défendue 8 bis avenue Louis Breguet
par Paul Devautour, auprès duquel Pierre Akrich a fait ses classes. 78140 Vélizy-Villacoublay
Cette notion vient qualifier des formes artistiques s’inscrivant dans
plusieurs sphères au-delà du champ de l’art… au risque d’en sortir. londe.fr
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I NT E RV I E W CINÉMA M OUVEM ENT n ° 9 1

« EN ALGÉRIE, ON
CONTINUE À FONCER
DANS LE MUR »
ENTRETIEN AVEC KARIM MOUSSAOUI

Témoin effaré d’une société algérienne empêtrée dans l’immobilisme, le réalisateur


signe son premier long-métrage. Sélectionné à Cannes, En attendant les hirondelles
est une radiographie désenchantée des années 2000. Rencontre avec une figure de
la nouvelle vague maghrébine.

Propos recueillis par Julien Bécourt


Photographie : Philippe Lebruman, pour Mouvement

Il aura suffi du talent et de la persévérance cette « décennie noire » (1991-2002) qui Un chirurgien, présent lors d’un viol
de jeunes activistes pour recentrer a fait plus de 150 000 victimes. Au début commis par des islamistes pendant la
l’Algérie sur la carte du septième art. des années 2000, le vent révolutionnaire guerre civile, est rattrapé par son passé.
Karim Moussaoui, né en 1976, appartient retombe au bout de quelques mois : les Trois récits et trois personnages contrariés
à la génération de l’après-indépendance. poussiéreuses institutions sociales, par les non-dits d’une classe supérieure
Dans les années 1990, il plonge dans familiales ou religieuses reprennent le accrochée à ses privilèges.
le cinéma d’auteur grâce à un ciné-club dessus, l’Algérie s’enferre à nouveau dans
qu’il anime à Alger, aux côtés d’autres l’apathie et la résignation. Pourquoi avoir imbriqué trois récits les uns
apprentis réalisateurs qui incarnent dans les autres pour construire votre film ?
aujourd’hui la nouvelle vague maghrébine : Dans son premier long-métrage, Karim
Hassen Ferhani, Djamel Kerkar ou Nabil Moussaoui se positionne en observateur « Je ne voulais ni porter un regard étriqué
Djedouani. Ce microcosme issu de la distancié mais empathique de cette sur la société algérienne ni tomber dans
petite classe moyenne se prend les années Algérie-là. En attendant les hirondelles le discours ou le didactisme lourdaud. J’ai
de plomb en pleine face. Leurs débats démonte méthodiquement les promesses donc entrecroisé les récits de personnages
sur Antonioni, Tarkovski, Kubrick ou d’un individualisme confortable issus de catégories sociales différentes,
Kiarostami vont bon train, tandis que le conjuguées à la crainte d’une remise en tout en conservant un mouvement
pays est secoué par des affrontements question. Un promoteur immobilier en continu. C’est la structure du film iranien
sanglants entre le gouvernement et les instance de divorce, incité par sa maîtresse Le Cercle (2000) de Jafar Panahi, qui m’a
groupes islamistes. L’Algérie s’embrase, à quitter Alger pour la France, voit sa vie donné cette idée.
des bombes explosent, les violences et bouleversée après avoir été le témoin passif
les meurtres se multiplient. Malgré le d’un meurtre. Une jeune femme consent
décret de réconciliation nationale, les à un mariage conforme à la tradition, en
plaies ont bien du mal à cicatriser après dépit des ses sentiments pour un autre.

89
CINÉMA

Evenement Alain Buffard


M OUVE ME NT n °9 1

L’humain est nomade à la base. C’est la peur qui l’a poussé à SpectacleS, colloque, expoSition
s’installer quelque part, à mettre des clôtures et à prendre des Trois reprises exceptionnelles de pièces du chorégraphe, ancien artiste associé au Théâtre de Nîmes
disparu en 2013. À l’initiative de l’association PI:ES et en collaboration avec ses fidèles complices et
fusils pour empêcher l’autre de cueillir sur son territoire interprètes, cet événement national produit par le CN D Centre national de la danse fait résonner
son œuvre. À l’issue du cycle, reprise de Chroma de Bruno Geslin, artiste associé à la même période.

La narration n’est pas linéaire. Des plans


contemplatifs et certaines scènes aux allures
Comment expliquez-vous cette inertie ? changer, comme si on n’était pas nous-
mêmes responsables de la situation. Tant
Good Boy (2017)
de comédie musicale entrecoupent les récits. « C’est le mur des certitudes, du confort qu’on fonctionnera selon une conception Conception Alain Buffard - Assistant et interprète Matthieu Doze

© Marc Domage
intellectuel et matériel. On nous parle sans manichéenne du monde, les choses Mardi 17 octobre 2017 à 20h. Le Périscope.
« En intégrant des séquences dont on ne arrêt de sécurité, de stabilité, de travail, de n’évolueront pas. Des gens naissent dans la
comprend pas, au premier abord, l’utilité, mariage… Pourtant, l’humain est nomade misère la plus totale. Et nous, dans notre Et aussi le 20 octobre à ICI - CNN Montpellier.
j’ai essayé d’imiter la façon imprévisible à la base, c’est dans ses gènes. C’est la petit salon cosy, on juge les monstres, les

Mauvais Genre (2017)


dont la vie se déroule. J’aime cet inconfort. peur qui l’a poussé à s’installer quelque criminels. C’est facile ! Que sait-on du
La véritable expérience de cinéma, c’est part, à mettre des clôtures et à prendre cheminement par lequel ils passent pour
quand un film nous transporte dans des fusils pour empêcher l’autre de venir en arriver à détester toute la société et le
un inconnu aussi bien émotionnel que cueillir des fruits sur son territoire. La système ? On nous fait croire qu’on naît Conception Alain Buffard

© Marc Domage
scénaristique et nous amène à nous sédentarisation est un phénomène récent tous avec les mêmes chances mais c’est une
Reconstruction 2017 Matthieu Doze et Christophe Ives
remettre en question à chaque instant. et ses conséquences, ce sont tous les aberration !
Le décor, aussi, incarne un personnage à concepts inventés par la suite : le mariage, Mercredi 18 octobre 2017 à 20h. Théâtre Bernadette Lafont.
part entière. Le plan contemplatif est un l’acte de propriété… Avez-vous vu s’opérer un changement majeur

Les Inconsolés (2017)


moment, parfois salutaire, où le spectateur en Algérie, notamment chez la génération
se tourne vers lui-même et essaye de Les figures féminines du film renvoient les née au milieu des années 1980 ?
digérer les choses avant de reprendre le hommes à leurs contradictions, mais elles
cours du film. Tout le monde est sensible restent tributaires du dogme patriarcal. « Entre la fin des années 1980 et maintenant, Fabrication Alain Buffard, Matthieu Doze et Christophe Ives

© Marc Domage
à la vue d’un paysage désertique, d’une les gens ont acquis davantage de pouvoir
rivière ou du mouvement des feuilles sur « Oui, mais elles n’en sont pas victimes, d’achat, mais la pseudo-modernité Jeudi 19 octobre 2017 à 20h. Odéon.
un arbre. Ces paysages font remonter en elles acceptent leur condition comme si néolibérale affichée à Alger n’a pas changé Et aussi les 13 et 14 décembre au Théâtre Garonne.
nous des émotions enfouies. Les séquences c’était une fatalité. Les femmes sont tout grand-chose au final. C’est davantage dans

++ 2 philosophes revisitent l’œuvre d’Alain Buffard


musicales reflètent la vie désirée et aussi passives que les hommes. Elles des petites poches, disséminées au fin
fantasmée des personnages, ce qu’il se peuvent faire bouger les choses, mais cela fond de l’Algérie rurale, qu’on remet petit
passe à l’intérieur d’eux-mêmes. impliquerait un renoncement. Or, elles à petit en question un certain nombre de
sont plutôt dans l’acceptation de ce qui choses admises. Mais ça ne s’est pas encore Baron Buffard, résister aux tendances de l’histoire et de la mémoire par François Frimat
Vos personnages ont une épaisseur fascinante. est admis globalement dans la société transformé en volonté collective de passer
Comment les avez-vous construits ? algérienne. Comme si le changement – à autre chose. Il n’y a pas encore eu de & Les Inconsolés ou la noirceur lyrique du désir par Frédéric Pouillaude
et c’est un postulat posé dès le début du révolution de la pensée. En revanche, grâce Mercredi 18 octobre 2017 à 18h au Bar du Théâtre Bernadette Lafont.
« Je m’inspire de gens réels. Les film – allait venir de l’extérieur, sans que à Internet, les gens ont accès à différentes
personnages qui apparaissent dans le film quiconque ne se remette en question. En sources d’information. La rupture avec

Chroma
existent autour de moi, d’une manière ou Algérie, on sait pertinemment que rien ne le vieux monde est entre les mains de la
d’une autre. Ce sont des amis ambitieux va, mais on continue à foncer dans le mur. génération à venir. L’aspect rassurant,
qui ont envie de faire des choses mais C’est un paradoxe incompréhensible. c’est que le fantasme de modernité, lié à la

© Bruno Geslin
qui s’en empêchent. Et ce, dans tous les possession de biens matériels, est en train Bruno Geslin - Compagnie La Grande Mêlée
milieux sociaux. Même si je ne raconte pas Comment les Algériens vivent-ils l’héritage de s’essouffler. Je suis curieux de voir ce
leur passé, je fais en sorte qu’on le ressente de la guerre civile ? qui va se passer dans les dix ans à venir. » • Vendredi 20 octobre 2017 à 20h. Théâtre Bernadette Lafont.
par leur manière de parler, le décor ou
la tension de la situation. Je pensais « Depuis qu’a été décrétée la réconciliation Propos recueillis par Julien Bécourt
que la classe algéroise plus privilégiée nationale, c’est comme s’il ne s’était rien Et aussi, plusieurs rendez-vous en partenariat avec Uzès Danse – centre de développement chorégraphique
était à l’aise avec certains sujets, plus passé. Chacun a son avis sur la question,
indépendante. Mais avec le temps, je me mais on porte tous, collectivement,
national et ICI – centre chorégraphique national Montpellier – Occitanie / Pyrénées-Méditerrannée...
suis rendu compte que tout le monde était le même regard sur la guerre civile > En attendant les hirondelles, Ad Vitam Distribution, sortie en
dans le même moule, chacun ruminant ses de 1991. On s’entend souvent dire : « Je salles le 8 novembre
obsessions respectives : une promotion n’ai rien fait. » Mais c’est peut-être ça le RENSEIGNEMENTS 04 66 36 65 00 - RÉSERVATIONS 04 66 36 65 10
professionnelle, l’acquisition de tel ou tel problème : n’avoir rien fait ! Il faudrait déjà
bien matériel… Ces obsessions empêchent commencer par dire : « Je n’ai rien pu faire,

theatredenimes.com
de sortir des sentiers battus et d’envisager je n’ai pas eu le courage. » Tout le monde
les choses différemment. se demande quand les choses vont enfin

90
scène conventionnée pour la danse contemporaine
M OUVE ME NT n °9 1 ART CONTEMPOR AIN

Créations in situ
Théâtre
L’ASSEMBLÉE
Danse
Performances SAISON 17 — 18
Arts visuels
RABBIT HOLE LA FUITE !
Karaoké live UNIVERS PARALLÈLES COMÉDIE EN HUIT SONGES
David Lindsay-Abaire / Claudia Stavisky Mikhaïl Boulgakov / Macha Makeïeff
Barbecue
DU RÊVE

DANS LA PEAU DU MONSTRE LA CUISINE D’ELVIS


DJ set Lucie Depauw, Stéphanie Marchais / Lee Hall / Pierre Maillet
Cécile Auxire-Marmouget,
• Christian Taponard MARGOT
Christopher Marlowe / Laurent Brethome
Marion Siéfert TARKOVSKI,
LE CORPS DU POÈTE NOVECENTO
Tanguy Malik Bordage Julien Gaillard, Antoine de Baecque, Alessandro Baricco / André Dussollier
Andreï Tarkovski / Simon Delétang
Clément Pascaud PETIT ÉLOGE DE LA NUIT
ÇA VA ? Ingrid Astier / Gérald Garutti
Vanille Fiaux Jean-Claude Grumberg / Daniel Benoin
LES EAUX ET FORÊTS
Jonathan Seilman MARTYR Marguerite Duras / Michel Didym
Marius von Mayenburg / Oskaras Koršunovas
Collectif Allogène JE N'AI PAS ENCORE À LA TRACE
Alexandra Badea / Anne Théron
Cie l’Unanime COMMENCÉ À VIVRE
Tatiana Frolova / Théâtre KnAM
ACTRICE
Poils et les Gants BODY REVOLUTION

p. Martin Argyroglo
Pascal Rambert
& WAITING
Irma Kalt Mokhallad Rasem GEORGE DANDIN
BEC-DE-LIÈVRE OU LE MARI CONFONDU
VENGEANCE OU PARDON Molière / Jean-Pierre Vincent
Fabio Rubiano
LOVELESS
NORD-EST
C’était jeudi 20 juillet dans un des carrés des aux gens sur les marchés, dans les rues, celui ou celle qui combat l’ordre dominant Claude Jaget /
Torsten Buchsteiner /
Anne Buffet, Yann Dacosta
jardins de la Villa Médicis. Le temps d’une de nous raconter leurs rêves et on les mais est aussi capable d’y construire des Galina Pyanova, ARTiSHOCK Theater
chaude soirée romaine, je faisais partie d’une enregistrait. À Rome, j’ai surtout travaillé lieux à part où il échappe à sa loi. » • LA MISSION TRISTESSES
assemblée d’une trentaine de personnes dans un centre culturel, un ancien squat SOUVENIR D’UNE Anne-Cécile Vandalem
RÉVOLUTION
réunie pour La Nuit des rêves, l’épilogue qui héberge une cinquantaine de familles Alain Berland Heiner Müller / Matthias Langhoff LE QUAT’SOUS
d’un projet citoyen intitulé Light House de migrants, mais aussi dans une école Annie Ernaux / Laurence Cordier
TABLEAU D’UNE EXÉCUTION
Project1. À partir de l’ouvrage de référence, primaire du même quartier populaire.
Howard Barker / Claudia Stavisky BLUEBIRD
Rêver sous le IIIe Reich de Charlotte Ensuite, l’équipe a réalisé les nombreuses Simon Stephens / Claire Devers
Beradt, l’écrivain-dramaturge Lancelot transcriptions et on les a éditées sous EVA PERÓN & L’HOMOSEXUEL
OU LA DIFFICULTÉ DE S’EXPRIMER LE PAYS LOINTAIN
Hamelin, l’un des résidents 2016-2017 de forme de journaux. Nous avons comme Copi / Marcial Di Fonzo Bo Jean-Luc Lagarce / Clément Hervieu-Léger
l’Académie de France à Rome, a entrepris de projet d’essayer de dégager de ses paroles
rencontrer des inconnus et de recueillir leurs de l’écriture pour en faire un livre », LA VIE QUE JE T'AI DONNÉE PROFESSEUR BERNHARDI
Luigi Pirandello / Jean Liermier Arthur Schnitzler / Thomas Ostermeier
rêves durant les périodes électorales. déclare Lancelot Hamelin.
Midi — Minuit L'AMOUR ET LES FORÊTS

LICENCES 1-1085447 2-1085448 3-1085449 - IMAGE © SUPER TERRAIN


TRINTIGNANT -
« Notre protocole s’est inspiré de celui La Nuit des rêves avait déjà vécu une Éric Reinhardt / Laurent Bazin MILLE - PIAZZOLLA
de Médecins du monde, à Marseille, première édition à Nanterre-Amandiers 26, 27 et 28 sept. 2017 20 000 LIEUES SOUS LES MERS
Jacques Prévert, Allain Leprest,
Robert Desnos, Boris Vian… /
qui soigne les populations les plus avec cette particularité de transmettre à la
vulnérables en important dans la rue radio, en direct, les rêves des participants. Surprise party artistique Jules Verne / Christian Hecq, Valérie Lesort Jean-Louis Trintignant,
Astor Piazzolla, Daniel Mille
certaines techniques de la psychothérapie À la Villa Médicis, j’assistais aux prémices de ARTURO BRACHETTI SOLO
BOTALA MINDELE
institutionnelle. Cette association la seconde édition. Cette fois-ci, le thème Rémi De Vos / Frédéric Dussenne
RAMONA
militante a une action politique particulier était celui des conflits non-résolus. 1. Initiée en 2012 à la Nouvelle-Orléans, l’œuvre s’était prolongée Rezo Gabriadze
quasiment invisible, mais très efficiente, Après une présentation conviviale nécessaire avec l’aide précieuse du comédien Duncan Evennou et de FESTEN
LE DIAMANT DU Thomas Vinterberg, Mogens Rukov,
en tentant de ramener les SDF dans la à la mise en confiance, public et participants

CORRIDA - Illustration : Thomas Ehretsmann - Licences : 1095274 / 1095275 / 1095276


nombreux autres volontaires, dans diverses villes. Principalement
MARÉCHAL DE FANTIE Bo Hr. Hansen, Daniel Benoin /
communauté sociale. Je voulais à mon tour se séparaient et l’œuvre collective se à Nanterre, en collaboration avec le Théâtre Nanterre-Amandiers Rezo Gabriadze Cyril Teste, Collectif MxM
agir pendant les élections présidentielles, prolongeait dans les pavillons de la villa. et à Rome avec le soutien de la Villa Médicis, mais aussi dans
mais je ne me voyais pas m’engager dans d’autres cités comme Calais, Lyon, ou encore Valence. TU-Nantes
un parti. Ne pas porter une bonne parole, Ce soir du 20 juillet, je n’ai pas pu m’empêcher
mais plutôt un bon silence. Arrêter de relier cette œuvre expérimentale aux 2. Jacques Rancière, En quel temps vivons-nous ? Scène jeune création
les gens pour créer des situations de propos de Jacques Rancière, interrogé Conversation avec Eric Hazan, éditions La Fabrique, 2017 et émergence
réception de paroles et déplacer des lignes par Eric Hazan2. Il rappelait que
en travaillant sur l’inconscient dans la « L’émancipation, hier comme aujourd’hui, •
rue : voilà ce qui m’intéressait. À partir est une manière de vivre dans le monde www.tunantes.fr
d’un protocole simple, on demandait de l’ennemi dans la position ambiguë de
04 72 77 40 00 — THEATREDESCELESTINS.COM
92
M OUVE ME NT n °9 1 MUSIQUE

v
CLASSIQUE
TRANSE

p. D. R.
Le paysage de la musique « classique » classique du concert, qui a sa noblesse, ces pièces prennent à nos oreilles des
française voit depuis quelques années tempère Simon-Pierre Bestion. Mon couleurs radicalement neuves – et l’écoute
éclore de jeunes ensembles qui lui font subir objectif est de prendre le spectateur aux du disque nous fait cheminer à travers un
un énergique (et salutaire) dépoussiérage. tripes et que son esprit soit embarqué. Il fascinant dédale spatio-temporel. On est
Le Secession Orchestra initié par le doit se sentir prêt à partir en transe ! » loin des « fonctionnaires de la musique »
protéiforme Clément Mao-Takacs et la Le Secession Orchestra propose quant à et de cette « fausseté en queue-de-pie »
compagnie La Tempête, emmenée par lui, en septembre, la seconde partie de son (« tuxedoed fallacy ») que stigmatisait
l’ardent Simon-Pierre Bestion, par exemple, festival Intervalles entamé le 21 juin, dans le Glenn Gould. Avec des jeunes aussi investis
tranchent avec les orchestres traditionnels, VIIIe arrondissement de Paris : une série de et indisciplinés, la musique des siècles
par leur modèle économique et leur mode programmes thématiques (et surprises) dans passés, non seulement reste notre éminente
de fonctionnement : « Le terme compagnie différents lieux patrimoniaux. contemporaine, mais a encore bien des
incarne la volonté des musiciens de émotions à nous communiquer •
s’insérer dans un projet commun, expliquait Quant à leurs programmes et leurs
Simon-Pierre Bestion1. À terme, j’imagine répertoires, polymorphes, ils excellent à David Sanson
La Tempête comme ces sociétés gérées de dresser des passerelles entre les siècles,
manière coopérative et participative : entre les arts, voire entre les traditions
tous les acteurs sont propriétaires du musicales. Avec Azahar (« fleur d’oranger »
projet. » Quant au Secession Orchestra, il ne en espagnol), La Tempête publiait ainsi
fonctionne que grâce à des subsides privés. chez Alpha, en début d’année, un magistral
nouveau disque – après le shakespearien
Mais ces nouveaux collectifs se singularisent The Tempest – entrelaçant la polyphonie
aussi par l’audace de leurs propositions fervente de la Messe de Notre-Dame de
artistiques. Leur manière inédite d’aborder Guillaume de Machaut (1365) et la puissante
la scène, d’abord. Ces jeunes musiciens, monophonie des Cantigas de Santa María
issus des meilleures formations, ont compris (fameux manuscrit de chants religieux
que le concert classique ne pouvait plus se recueillis durant le règne du roi de Castille
satisfaire de cet aspect rituel et compassé Alphonse X Le Sage) à deux œuvres du XXe 1. Propos recueillis par Séverine Garnier pour le blog Classique
qu’il a fini par acquérir au fil des ans. Par le siècle : la sublime Messe d’Igor Stravinsky mais pas has been, en 2015
soin qu’ils accordent à la dramaturgie, au (1948) et les si singuliers Cantigas de

Design graphique : Cédric Gatillon © 2017 – Licences n° 2 (1055722), n° 3 (1055723)


sens scénique autant que musical, et à la Santa María de Maurice Ohana (1953- > Azahar, La Tempête, CD Alpha
« chorégraphie » de leurs prestations, ils font 54). Ainsi intriquées et interprétées par > Intervalles part #2, du 11 au 15 septembre à Paris
du concert une pure expérience sensible et des chanteurs et instrumentistes rompus
de la musique, un art véritablement vivant. à la musique ancienne, dont la ferveur 02 18 75 12 12
«Je ne veux pas révolutionner la forme emporte aussi bien au disque que sur scène, WWW.CCNTOURS.COM
MINISTÈRE
DE LA CULTURE

94
SEPTEMBRE - OCTOBRE 2017

Une Saison

Let’s folk ! © Pierre Ricci


à l’Opéra
Opéras
Così fan tutte
Le Nain
La Princesse légère
Le Roi Carotte
La Légende du Roi Dragon
Nabucco

Danse
Trisha Brown
Maguy Marin
Eleanor Bauer
Anne Teresa De Keersmaeker
Sasha Waltz dU 4 AU 14 OCT
Concerts/ Happy Days !/ L’ÉCHANGEUR - CDCи
En Famille/ Mercredi 18h…
GAËLLE BOURGES | MICKAËL PHELIPPEAU
Tarifs à partir de 5 € MALIKA DJARDI | MITHKAL ALZGHAIR
L’OPÉRA DE LILLE MYLÈNE BENOIT | ERWAN KERAVEC
LES ENTREPRISES
Illustration : Loren Capelli

L’Opéra de Lille, établissement public de coopération L’Opéra de LilleMARION MUZAC


remercie ses partenaires | EMMANUEL
pour leur soutien.
L’OPÉRA DEest
culturelle, LILLE
financé par LES ENTREPRISES
L’OPÉRA DE LILLE
L’OPÉRA DE LILLE LES ENTREPRISES
LES ENTREPRISES EGGERMONT DE L’OPÉRA | AINA ALEGRE | ...

Agenda
LA VILLE DE LILLE GRAND MÉCÈNE
L’Opéra de Lille, établissement public de coopération
culturelle, est financé par
L’Opéra de Lille remercie ses partenaires pour leur soutien.

L’Opéra de Lille, établissement public depublic


coopération LA MÉTROPOLE EUROPÉENNE sesDE LILLE,
L’Opéra de Lille, établissement de coopération L’Opéra de Lille
L’Opéra remercie
de Lille remercie partenaires pourGRAND
ses partenairesleurpour
soutien.
leur
MÉCÈNEsoutien. DE L’OPÉRA
culturelle, est financé
culturelle, estpar
financé par LA RÉGION
LA VILLE DE LILLEHAUTS-DE-FRANCE,
LA MÉTROPOLE EUROPÉENNE DE LILLE,
LE MINISTÈRE DE LA CULTURE
GRAND MÉCÈNE
LA RÉGION HAUTS-DE-FRANCE,
DEGRAND MÉCÈNE DE L’OPÉRA DE L’OPÉRA
LA VILLELADEVILLE
LA MÉTROPOLE
LILLEDE LILLE
EUROPÉENNE
LA MÉTROPOLE
+33(0)362 21 21 21
DE LILLE,DE LILLE,
EUROPÉENNE
(DRAC
LE MINISTÈRE
HAUTS-DE-FRANCE).
LA CULTURE
(DRAC HAUTS-DE-FRANCE). En finançant une représentation supplémentaire
LA RÉGIONLA HAUTS-DE-FRANCE,
LE MINISTÈRE
RÉGION HAUTS-DE-FRANCE,
DE LA CULTURE
LE MINISTÈRE
opera-lille.fr
DE LA CULTURE
d’un grand supplémentaire
En finançant une représentation titre d’opéra (Le Vaisseau fantôme de Wagner
d’un grand titre d’opéra (Le Vaisseau fantôme de Wagner
pour cette saison 2016-2017) la FONDATION Crédit Mutuel
pour cette saison 2016-2017) la FONDATION Crédit Mutuel
(DRAC HAUTS-DE-FRANCE). Nord Europe
du plusfavorise l’accès
au du plus grand nombre au
(DRAC HAUTS-DE-FRANCE). Nord Europe favorise l’accès grand nombre
répertoire
répertoire lyrique. La fondation lyrique. La fondation
apporte également son apporte également son
En finançant une représentation
En finançant une représentationsupplémentaire
supplémentaire soutien
soutien à la réalisation du siteà «Première
la réalisation
Loge».du site «Première Loge».
d’un grand d’untitre
grandd’opéra
titre(Le Vaisseau
d’opéra fantôme fantôme
(Le Vaisseau de Wagner de Wagner
pour cette saison
pour cette2016-2017) la FONDATION
saison 2016-2017) Crédit
MÉCÈNE
la FONDATION Mutuel
CréditPRINCIPAL
Mutuel DE LA SAISON
Dans leNord
cadre Europe
de laNord favorise
Europe
dotation l’accès
favorise
de la Ville dul’accès
de Lille, plus grand nombre
du plus grand aunombre au
MÉCÈNE PRINCIPAL DE LA SAISON
Dans
l’Opéra le cadre
bénéficie
répertoire de la dotation
du lyrique.
soutien
répertoire de la
duLa fondation
lyrique. La Ville de Lille,également
apporte
fondation apporte son
également son
CASINO BARRIÈRE
l’Opéra de Lille.
bénéficie du soutien du
soutien àsoutien
la réalisation du site «Première
à la réalisation Loge». Loge».
du site «Première
CASINO BARRIÈRE de Lille.
Depuis 2014, le CIC Nord Ouest apporte un soutien
MÉCÈNE PRINCIPAL
MÉCÈNE DE LADE
PRINCIPAL SAISON
LA SAISONDepuis2016-2017)
spécifique aux productions lyriques, (Le Vaisseau fantôme
de Wagner pour la saison 2014, leetCIC
auxNord Ouest apporte un soutien
actions
Dans le cadre
Dansde la dotation
le cadre de la VillededelaLille,
de la dotation Ville de Lille, «Place(s) aux jeunes !», permettant
spécifique aux aux moins de 28 ans
productions lyriques, (Le Vaisseau fantôme
l’Opéra bénéficie du soutien
l’Opéra bénéficie dudusoutien du PARTENAIRES MÉDIAS de bénéficier de tarifs exceptionnels.
de Wagner pour la saison 2016-2017) et aux actions
CASINO BARRIÈRE de Lille.
CASINO BARRIÈRE de Lille.
M OUVE ME NT n ° 9 1 ÉVÉNEMENTS

les TOiles
ZABOU BREITMAN AMIRA
DANSE PLU RID IS C IPLIN A I R E F E ST I VAL
CASAR
Biennale -
Au milieu des fruits et des
New Settings SÉVERINE

dans la Ville
- -
légumes, le festival Plastique CHAVRIER
du 27 septembre au 14 octobre du 13 septembre au 21
danse flore s’installe au
à Charleroi, Belgique décembre à Paris
cœur du Potager du roi
- - DOROTHÉE
à Versailles les 23 et 24 KERY
Avec l’arrivée d’une nouvelle Furtive, la 7e édition de New MUNYANEZA
septembre. Face aux nom- JAMES
directrice, le vent tourne à la Settings se faufile aux quatre
breuses propositions, visuelles,
biennale de Charleroi. Soufflant coins de Paris pour révéler
auditives (Arnaud Sallé) et EMMA
de l’Est, Wen Hui hérisse un les artistes sous des visages DANTE
chorégraphiques (Antonija Farci.e de Sorour Darabi. p. D. R.
large panorama critique de la qu’on ne leur connaissait pas.
Livingstone & Jennifer Lacey,
révolution culturelle chinoise. Ainsi, la photographe SMITH
Gaëlle Bourges & Gwendoline
Une bribe d’air indonésien nous s’aventure vers la chorégra-
Robin…) il s’agit avant tout de 4 bonnes raisons…
parvient dans une soirée qui phie (avec Matthieu Barbin)
brasse danse traditionnelle
se laisser surprendre. • E. T.
pour repousser les limites de … de faire le
Saman dite des 1000 mains et
le travail d’Otniel Tasman. Dans
FE ST IVA L
son œuvre cubiste Traum. La
performeuse Tania Bruguera tour de l’Italia !
une ode érotisée, le choré-
graphe javanais aère les idées Actoral
et le plasticien Théo Mercier
s’essaient respectivement pour 1. Rencontrer Silvia
de féminin et masculin. Entre la première et seconde fois à la Calderoni, transdisciplinaire
-
alizé empreint de douceur (Sur scène. Quant à Annie Dorsen, et queer, avec MDLSX :
du 26 septembre au 14
le fil de Nacera Belaza), mistral elle imagine une « création un théâtre musical, élec-
octobre à Marseille
tonitruant (To Da Bone de (La) théâtrale algorithmique ». trisé et documentaire.
-
Horde), gaze énigmatique (3 de
Malika Djardi) ou le mythique
Par le verbe, le corps ou la
matière, l’édition 2017 d’Actoral
• Aïnhoa Jean-Calmettes
2. Déconstruire et
zéphyr (Dance de Lucinda reconstruire la danse avec
s’invite dans tous les foyers de
Childs) vous n'aurez qu’à vous F E ST I VAL
Michele Di Stefano (cie
présence humaine. Par une
MK) et le duo Sigourney
laisser porter. • Léa Poiré exploration des fondamentaux
des danses traditionnelles Jerk off
-
Weaver (Biagio Caravano
et Daniela Cattivelli) dans
Festival de Cirque
à Lille, Tournai et la métropole lilloise
OLIVIER MARCHAL
2018
(SunBengSitting de Simon
Hey, une série de poèmes
TH É ÂTRE Mayer), la restauration des uto- du 14 au 23 septembre à Paris
corporels chantés-dansés (et
21 septembre/17 décembre 2017 JÉRÔME
- pies collectives (Des territoires -
Il y a tout juste un siècle, un Pour son 10e anniversaire, Jerk avec Fransesca Pennini). DESCHAMPS
(...D’une prison l’autre...), de Collectif Protocole « Monument », Outoungou, Baro d’Evel
Off continue de fabriquer Cirk Cie « Les Escapades » & « Bestias », Véronique Tuaillon « More
groupe de villageoises égyp-
tiennes décidait de ne pas se
Baptiste Amann), ou l’architec-
ture rhétorique de These Are un espace-temps précieux 3. Traverser ce que veut Aura », Mathieu Ma Fille Foundation « Dad is Dead », Attraction NASSER
dire « avoir mal aux souve- Céleste « Bobines », Cie la Migration « Landscape(s) #1 », Olivier

Ill ustra tio n — Zos e n & M in a H a m a da


taire devant ses violeurs. En My Principles… If You Don’t au sein duquel se lient des DJEMAÏ
nirs » avec l’histoire de Lucia Debelhoir « Un soir chez Boris », Cie l’Ouvrier du Drame « Restes MAËLLE POÉSY
s’emparant de ce fait historique, Like Them I Have Others, le narrations, des projets, corps
Calamaro et La Vita ferma. d’Opérettes », Jean-Baptiste André « Floe », les Nouveaux Nez
Laila Soliman redonne corps festival marseillais promet un et identités queer – dans ce « Corpus Mentalus », Nadia Ghadanfar « Le dedans des choses » FARIDA
que cet « étrange » a de plus (création), le Cirque du Bout du Monde « Le Petit Voleur de Mots»,
à ces voix du courage et de
la dignité, et signe avec Zig
inventaire non-exhaustif de
ce qui nous rend présent.e.s désirable. Parmi des proposi- 4. Per far L’Amore avec Ludor Citrik & Le Pollu « Ouïe » (création) Cie La Choupachoupa GRAND CORPS
RAHOUADJ

zig une occasion nouvelle de tions pluridisciplinaire, avec la cie Scimone Sframeli : un « La Dernière Danse de Monique », Post Uit Hessdalen «Pakman », MALADE
au monde. Le virtuel ordinaire Tom Lacoste « Suite pour une porte et un soupir », Adrien Taffanel
repenser le sujet. Du 12 au 21 Lâche, la chorégraphe Mélanie cimetière, une fin de partie
se heurte à la poésie pratique, « Patient », TrioPourquoiPas « Paf », Cie un Loup pour l’Homme
octobre au Nouveau théâtre Perrier boucle son triptyque sur et l’amour pour propos.
l’intime abyssal au collectif « Rare Birds », Galapiat Cirque Moïse Bernier « Parasites », The
MICHA
2017
de Montreuil. • Agnès Dopff érecteur et incite, souhai- l’amour et le désir ; passant par Urban Voodoo Machine, Cie MPTA Juan Ignacio Tula & Stefan
sa langue natale, le performeur • Sophie Puig Kinsman « Santa Madera », Cie Rhizome Chloé Moglia « Rhizikon » LESCOT
tons-le, à bâtir de nouveaux
Sorour Darabi donne à voir, & « La Spire » (création), C ie P’tit Cirk « Les Dodos » (création),
grands « ensemble ». • A. D. Cie Tire-Laine « Bal des Mésanges », Cie Defracto « Flaque », Martin
avec Farci.e,les impasses gen- Italia !, du 27 septembre
MDSLX de Motus. p. Simone Stanislai
au 7 octobre au théâtre Palisse & Halory Goerger « Il est trop tôt pour un titre », Nikolaus
rées de la langue française et & Joachim Latarjet « La même chose » (création), Marion Collé &
Alejandro Flores Mora explore, Garonne, Toulouse Tiphaine Raffier (création), Vasil Tasevski « I woke up in motion », JANE BIRKIN
avec Call Me, un moment Bachar Mar Khalifé « Piano sur le fil », le Prato « Le-Tout-Monde-
singulier où corps rime avec Cirque » (création), « Cabaret Express », Attractions Littéraires, Cie l’Oiseau
Mouche / le Prato « Clément ou le courage de Peter Pan » (création)
pouvoir. • Emmanuelle Tonnerre
les Partenaires : l’Aéronef Lille, Salle Allende Mons en Barœul, La Condition
Publique Roubaix, Le Colysée Maison Folie de Lambersart, Le Centre Culturel
de Haubourdin, CRAC de Lomme, Le Fil et la Guinde, Le Fresnoy Tourcoing
Le Grand Bleu Lille, Le Grand Sud Lille, l’Hospice d’Havré Ville de Tourcoing PAULINE CYRIL TESTE
l’IMA Tourcoing, lille3000, maison de la culture de Tournai, Maisons Folie de Lille BAYLE
Maison Folie Beaulieu Lomme, Le Phénix Valenciennes, La Rose des Vents

ÉVÉNEMENTS
Villeneuve d’Ascq, Service Culturel de Wambrechies, Théâtre Massenet Lille
Le Théâtre du Nord Lille-Tourcoing, les Universités de Lille 1,2 & 3, Le Vivat Armentières

LAETITIA CASTA
RAPHAËL
un événement initié par le Prato Pôle National Cirque PERSONNAZ
et soutenu par la MEL

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98

Mouvement TOiles 95*270.indd 1 21/07/2017 15:15


M OUVE ME NT n ° 9 1 ÉVÉNEMENTS AG E NDA ARTS VISUELS ET MUSIQUE M OUVEM ENT n ° 9 1

JE UNE CRÉ ATIO N DA N SE T H É ÂT R E P L UR I D I S C I P L I NA IR E MUSIQUE EXPOSITION C O L LO Q U E ARTS VISUELS

Fragment(s) Week-end -
Le collectif Encyclopédie
Festival Lévitation Continua Le rêve des Mondes
-
du 6 au 21 octobre à Paris d’ouverture de la parole poursuit son d’automne -
les 15 et 16 septembre au Quai,
Sphères formes flottants
-
Imaginé par La Loge et Mains
-
du 29 septembre au 1 er
épopée dans l’oralité :
Blablabla, comme une
-
du 13 septembre au 31
Angers Ensemble -
Arts, sciences & cie, du 5 au
-
du 20 septembre au 7 janvier
octobre au CND, Pantin - -
d'œuvres, lieux parisiens matière dense et composite qui décembre à Paris 7 septembre au Collège de à Lyon
- L’improbable liaison Austin, du 16 septembre au 19
emblématiques de l’émergence, remplit la bouche sans discon- - France, Paris -
Pour la rentrée, certains font le Texas – Angers, Maine-et-Loire novembre au Centquatre,
le festival Fragments présente tinuer. Joris Lacoste s’engage à Manuel de survie à l’atten- - Qu’est-ce que le « moderne » ?
ménage. Le CND, lui, fait son est rétablie le temps du week- Paris
des spectacles encore en la pétrir, Emmanuelle Lafon à tion des spectateurs. La forme résout l’équation Une question si vaste que
Week-end de performances, ate- end le plus psyché de cette fin -
chantier et nous plonge dans la formaliser sur scène, Armelle 1. Se laisser guider par le entre sciences dites « dures », le directeur artistique de la
liers et soirées boum. Flamenco d’été avec la nouvelle édition Quand des galeries
les méandres de cerveaux Dousset à lui donner corps. Une ciel : la comète éruptive Vincent sciences « molles » et pratiques Biennale de Lyon, y consacre
avec Olga Pericet (Dialogo et du Lévitation, version française internationales préfèrent la
artistiques en recherche : À création à percevoir du 13 Macaigne brûle ses rêves artistiques : toutes participent une trilogie. Avec le second volet,
Miscelania onírica) ; Ballet du célèbre festival américain. coopération et la mutualisation
partir d’une histoire de selfie au 29 octobre au Théâtre d’adolescent (En manque, et Je à élargir les représentations Mondes flottants, on aperçoit
de l’opéra de Paris avec Boris Une programmation aux petits à la concurrence des foires
pris à Auschwitz, la cie Les Yeux Paris-Villette. • Loïc Troizat suis un pays) ; la dérangeante préexistantes du monde. En un univers trouble et instable,
Charmatz et Dimitri Chamblas oignons où se croiseront, entre d’art contemporain, ça donne
creux explore le « Shitstorm ». constellation du plasticien et parallèle de l’exposition Le mais réversible, où l’actuel et
(À bras-le-corps, 1992) ; autres, les japonais d’Acid Sphères. Pour les dix ans de ce
France 98 retrace la saga bleue réalisateur Harmony Korine Rêve des formes au Palais de l’inactuel s’entrechoquent et
Administration avec Le Jeu Mothers Temple, l’ineffable projet, une vingtaine d’entre
de la coupe du monde comme DAN S E est exposée à Pompidou ; la Tokyo, le neurobiologiste Alain s’enlacent sans se figer. Près
de l’oie du spectacle vivant branleur de Nathan Roche et ses elles – dont la Cittadellarte,
une épopée antique. La cie
LTDH emmerde (en souriant et
de L’Amicale de production Les plateaux mystérieuse éclipse de lune de
Romeo Castellucci part aux
potes du Villejuif Underground la Collection Lambert, mor
Prochiantz et l'artiste Alain
Fleischer, également directeur
de 70 artistes « modernes »
(Hans Arp, Marcel Broodthaers,
et enfin, érotisme avec Ana - ou encore les New-yorkais charpentier, Xippas… – de
avec tendresse) les fantasmes origines de la démocratie. du Fresnoy, invitent artistes Alberto Burri, Lucio Fontana)
Borralho & João Galante du 28 au 30 septembre à la de Beach Fossils. Cerise l’Algérie à l’Uruguay en
transhumanistes. • A. J.-C. 2. Prendre les tabous à (SMITH, Mathieu Pernot, Jean et « contemporains » (Melik
(Mistermissmissmister). • E. T. Briqueterie, Vitry-sur-Seine sur le space cake, le line-up passant par la Côte d’Ivoire,
bras-le-corps : Dorothée Nouvel…) et chercheurs de tous Ohanian, Anawana Haloba,
- accueille l’unique prestation se réunissent au Centquatre.
Munyaneza (Unwanted) et bords à poursuivre le dialogue Susanna Fritscher, Hicham
Chaque année nos papilles des mythiques shoegazers de L’occasion de découvrir, derrière
Laila Soliman (Zig Zig) se indisciplinaire initié par les Berrada) sont embarqués. Et
chorégraphiques frétillent à Slowdive dans l’Hexagone. les œuvres de Kader Attia,
demandent ce que la guerre œuvres. • L. T. leurs œuvres houlées par un
la découverte des alléchants • Thomas Ancona-Léger Douglas Gordon, Chen Zhen ou
fait au corps des femmes. dialogue à renouveler sans cesse
Plateaux. On aimerait pouvoir encore Anish Kapoor, les partis-
3. Faire confiance à la nuit : et sans dogmatisme. • O. H.-L.
tout goûter, tout essayer : l’aci- pris esthétiques des galeristes et
en allant cluber avec Gisèle
dité canadienne de Serpentine ARTS VISUELS non leurs placements financiers.
Vienne (Crowd). • A. J.-C.
par Daina Ashbee, le hip-hop
survitaminé de Jonas & Lander,
Cycle • Loïc Troizat

l’âpreté enivrante de Lisbeth Cosmopolis


Gruwez. Ne craignez pas - CINÉMA
l’indigestion en y ajoutant une
courte pépite musquée (Rue
Collective intelligence, du
18 octobre au 18 décembre au
Claire Denis
Le Jeu de l’oie du spectacle vivant de L’Amicale de production. p. D. R. -
de Volmir Cordeiro) ou une Centre Pompidou, Paris
du 25 septembre au 20
saveur ondulatoire (Rafales -
octobre à la Cinémathèque,
F E STIVA L SCÈNE de Benjamin Bertrand). La Avec le cycle d’expositions
Paris
Francophonies - fraîcheur est garantie cette
année par Linda Hayford et
Cosmopolis, le Centre
Pompidou s’engage dans un
-
en Limousin
-
Sang, viande crue, orgies
et toges blanches, les 15 et son premier solo à l’arôme dialogue des savoirs, transcul-
La Cinémathèque consacre une
rétrospective à Claire Denis, en
16 septembre, Jan Fabre pastel. Suave et acéré à la fois, turel, transfrontière et en phase
du 20 au 30 septembre lien avec la sortie en salles (le
occupe la Villette de Paris c’est promis vous en prendrez avec les pratiques 2.0. Des
- 27 septembre) de son nouveau

ARTS
avec Mount Olympus, une une deuxième fournée. • L. P. collectifs d’artistes ouvrent le

ÉVÉNEMENTS
Avec une programmation film, Un beau soleil intérieur, Hicham Berrada, Les Fleurs. p. de l'artiste
pièce de 24h. Pour « glori- premier volet en décentrant les
franche et sans détour, le festival coécrit avec Christine Angot.
fier le culte de la tragédie », horizons idéologiques : Qu’il
charge de front ce que notre L’occasion de s’immerger dans
les 27 interprètes livrent un s’agisse de recycler le matériel
époque ravive de plus vilain. un cinéma à la fois rigoureux
sombre monde de dieux et de des expositions précédentes
La 2b Company s’amuse avec et sensuel en traversant une
héros, un univers intense et avec Ruangrupa (Indonésie), de

VISUELS
sa Conférence de choses sur dense filmographie, entamée
violent qui ne craint pas plus réexplorer les bases du commu-
les écueils d’un savoir mégalo, en 1988 par Chocolat,
la démesure que son démiurge nisme avec Polit-Sheer-Form
pendant que le Raoul collectif premier film d’inspiration
contemporain. • E. T. (Chine) et Chto Delat (Russie)
examine sans moins de malice autobiographique, et marquée
ou de confronter la culture
les problématiques de l’individu par un goût persistant pour
productiviste à la cosmogonie
face au groupe. Chorégraphie l’expérimentation, de courts

&
du peuple Jaraï (Art Labor, Viêt
politique avec DeLaVallet en longs métrages et du
Nam), « l’intelligence collective »
Bidiefono qui travaille à la documentaire à la fiction. À
est mise à contribution pour une
construction (Monstres, on ne (re)voir en priorité : J’ai pas
mondialisation alternative.
danse pas pour rien). Un focus sommeil (1994), l’un des films
• Orianne Hidalgo-Laurier
sur la création tunisienne sera français les plus audacieux et

MUSIQUE
l’occasion enfin, d’ouvrir une troublants des années 1990.
réflexion plus large sur l’impact • Jérôme Provençal
physique et symbolique d’un
soulèvement collectif. • A. D.
Rafales de Benjamin Bertrand. p. D. R.

100 101
M OUVE ME NT n ° 9 1 ÎLE-DE-FR ANCE AG E NDA CENTRE - PAYS DE LA LOIRE - NORMANDIE & BRETAGNE M OUVEM ENT n ° 9 1

CENTRE-PAYS DE LA LOIRE
P LUR IDIS C IPLINAIRE FE ST IVA L DAN S E DAN S E

Soirées L’Abbaye en Bien fait ! -


Comme dans l’œil d’un cyclone, M USIQU E F ESTIVAL
nomades mouvement -
du 17 au 28 septembre à
danseurs et musiciens se Maintenant -
Du 8 au 10 septembre à

NORMANDIE & BRETAGNE


- - rencontrent au plateau, pour -
Micadanses, Paris Veules-les-Roses, le festival
jusqu’au 29 septembre à la les 16 et 17 septembre à donner leurs traductions du désir. du 10 au 15 octobre au Théâtre
- Situ questionne les modes de
Fondation Cartier, Paris l’abbaye de Royaumont Le 12 octobre au Centre des du vieux Saint-Étienne,
Cartable bouclé et nouveau production du spectacle vivant
- - bords de Marne au Perreux- Rennes
look dégainé : ouvrez vos et les nouvelles formes d’écri-
Quand le solo Finir en beauté À l’occasion des journées sur-Marne les frères Ben -
cahiers, Micadanses fait sa ture. Avec pour pierre angulaire
de Mohamed El Khatib s’achève du patrimoine, l’abbaye de Aïm déploient La Légèreté Le turfu c’est Maintenant ! Un
rentrée. Louis Barreau, fraî- le maintien d’un lien fort au ter-
sur scène, c’est dans le jardin, Royaumont invite cinq pièces des tempêtes et donnent à res- slogan bien merdique que les
chement débarqué sur la ritoire – dans 76980 Judith Zins
et plus précisément sur les chorégraphiques à se glisser au sentir ce qui lie corps et souffles camarades de l’association
scène contemporaine, noircit utilise la correspondance des
sièges d’une Renault 12 que sein – et hors – des murs de cet à ce sentiment complexe Electroni[k] à l’origine d’un des
des lignes de déclinaisons habitants du village alors que
commence un road-movie pour ancien monastère cistercien. d’incomplétude. • E. T. festivals de musique électro-
géométriques et fait muter les Martin Tronquart et Sébastien
quatre spectateurs, d’Orléans Avec Kromos / spin-off, Julien nique le plus avant-gardiste
droites en courbes. Dans le Téot se lancent dans la réalisa-
à Tanger (le 11 septembre). Andujar et Audrey Bodiguel de d’Ille-et-Vilaine – carré-
cours d’histoire de madame FESTIVA L tion d’un film avec les 16-20 ans
Achevant à la fin du mois cherchent des candidats à la DAN S E
son cycle Soirées nomades, colonisation de la planète Mars
Rizzo, on suivra les traces du roi
Louis PI / XIV. Après la récré,
- Scopitone ment ! – n’ont heureusement
jamais trouvé. Pour cette
(« du Louuurd !!! » qu’ils disent).
À suivre. • S. P.
la Fondation Cartier invite par le biais d’une émission de C’est la fascination pour le - nouvelle édition, en vrac, Willow,
pas de pitié pour les cancres
David Levine à une lecture de télé-réalité. Et avec son quatuor maître buto Hijikata qui a du 20 au 24 septembre à Courtesy et le duo crépitant
avec Raphaël Soleilhavoup qui SUR P R ISE PA RT Y
son essai Matter of Rothko musical et chorégraphique + - / inspiré au chorégraphe brésilien Nantes Anthony Linell / Abdulla Rashim.
avec, en seconde partie, une , = _ ; x %, Jerzy Bielski pose
exécute l’ubérisation du travail
Marcelo Evelin sa nouvelle - Bam ! • T. A.-L.
MU S IQU E
performance des Sœurs h et
Maxime Bodson (Je ne vois de
une ambiance « salle de crise
d’une grosse multinationale » et
en faisant faire le travail de huit
personnes à huit, puis sept, puis
création. Avec et à partir de
cette figure, il s’interroge : Ne
Depuis 15 ans, le festival - Hop Pop Hop
Scopitone organisé par du 26 au 28 septembre au TU, -
six personnes… De quoi réviser
mon avenir…, le 18 septembre) insuffle un élan de compétition. faudrait-il pas considérer la Stéréolux valorise les mutations Nantes DA N SE les 15 et 16 septembre à
notre latin « etcetera ». • L. P.
C’est avec MOAB (mother of • E. T. danse comme une maladie ? La et la transversalité des arts - - Orléans
all the bombs) que Jean-Yves souffrance et la danse ont ceci numériques : entre culture pop Le TU de Nantes s’est donné La plateforme de production -
Jouannais boucle la boucle au en commun : exiger de nous une et expérimentations de haute pour mission de démarrer la Météores fait sa rentrée Le jeune et sautillant festival
musée des Invalides, ajoutant attention aiguë à ce corps que volée. Cette année, la figure saison en fanfare et lance trois le 9 septembre. À Nantes, orléanais Hop Pop Hop entend
une pierre à son Encyclopédie l’on a tendance à délaisser ou humaine s’incline. La nuit : une jours de boum avec Bam ! l’événement Champs magné- bien bouter la morosité hors
des guerres. • E. T. prendre pour acquis. Dança symphonie pour verres à pied Les référents playlist, Vanille tiques envahit le quartier de France – et du mois de
Doente, du 19 au 23 octobre (Myriam Bleau) et un ballet pour Fiaux & Jonathan Seilman, Madeleine Champ-de-mars, septembre – en ralliant de
au T2G, Gennevilliers. miroirs (Nonotak). Le jour : une ouvrent le bal avec leur pièce mettant en lumière cette idée preux défenseurs des musiques
CIRQ UE • A. J.-C. battle Dj versus I. A. (Qosmo), de théâtre Pourquoi appelle- simple : la chorégraphie n’est actuelles, issus du circuit alter-
- une séance d’exorcisme par t-on une chanson à succès un pas qu’une histoire de spectacle natif. D’Acid Baby Jesus à Will
De leur rupture, Vimala Pons stimulations lumineuses (Nikki tube ?... La cie L’Unanime aura en black box. Pauline Simon Samson en passant par Bajram
et Tsirihaka Harrivel ont T H É ÂT R E Hock), un aperçu des situations le plaisir pour sa part d’Enfon- et Ernest Bergez ressuscitent Bili, Cocaïne Piss et Dat Politics.
tiré la matière de leur dernière - absurdes entre objets domes- cer les portes ouvertes. Marion la bourrée et aimeraient bien Cette 2e édition s’annonce tout
œuvre totale. Empruntant sa Collerette vaporeuse autour du tiques, laissés en roue libre Sieffert, élue à la Modernité vous entraîner dans la ronde ; feu tout flamme. • J. P.
forme fragmentée au music-hall, cou et perruque figée sur la tête, (Samuel St-Aubin). • O. H.-L. technologique racontera 2 ou Bryan Campbell transforme
Grande- mixe les registres et les deux personnages Charlotte 3 choses que je sais de vous. en performance son magazine
les disciplines pour traverser, et Linus peignent la fable d’un Enfin, Tanguy Malik Bordage et Marvelous. • A. J.-C.
avec une délicatesse à pleurer, temps assassiné, d’un amour CIN ÉM A Clément Pascaud prendront en
les mystères de l’amour, des
obsessions, des échecs et du
hanté et d’une mort dérisoire.
Du 24 au 26 octobre au
Festival interna- charge la partie Interdit aux

temps qui passe. Un bijou Centre culturel suisse à tional du film moins de 18 ans. • E. T.

présenté du 19 septembre Paris, la Fresque couleur - Nicolas Floc’h, Structures productives, récif artificiel, cubes. ADAGP,
Paris 2017. p. de l’artiste
au 11 octobre au Centquatre, jaune poussin des deux com- du 16 au 22 octobre à La EXP OSITION
Paris. • A. J.-C. plices d’Old Masters – Marius
Schaffter et Jérôme Stünzi – -
Roche-sur-Yon
Nicolas Floc’h
mute en vanité déstructurée. Pas de monomanie qui tienne -
EXPO SITIO N • L. P. en matière cinématographique : Glaz, du 15 septembre au 26
- cette année, le « maître » du novembre au Frac, Rennes
Claire Malrieux modélise polar hongkongais Johnnie -

ÎLE-DE-
l’air du temps à la pointe de To et son huis-clos explosif Nicolas Floc’h est de ceux qui
ses crayons et de ses algo- en milieu hospitalier (Three) abolissent les frontières entre art
rithmes. Avec Climat général, donne la réplique au Hollywood et science, mais l’un des rares à
elle donne des formes poétiques lynchéen et criminel d’Aaron abolir celle entre œuvre et outil
et en perpétuelle transfor- Katz (Gemini). L’amour naissant pragmatique, à l’image de ses
entre un adolescent et un jeune Récifs artificiels, structures

FRANCE
mation à l’Anthropocène. Un
phénomène aussi omniscient universitaire (Call Me By Your destinées à abriter un écosys-
qu’inquiétant, dont l’artiste nous Name de Luca Guadagnino) tème sous-marin. Ses « villes
livre les secrets potentiels. Du
Claire Malrieux, Climat preparatoire. p. de l'artiste
laisse place à la passion créa- immergées » sont à mi-chemin
13 octobre au 10 décembre trice de Steven Patrick Morrissey, entre l’imaginaire des Villes
au Collège des Bernardins, avant qu’il ne conquière la scène invisibles d’Italo Calvino et la
Paris. • O. H.-L. internationale avec son groupe réalité des récifs coralliens, dont
The Smiths (Steven before la destruction se soustrait aux
Morrissey de Mark Gill). • L. T. regards. • O. H.-L.

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M OUVE ME NT n ° 9 1 HAUTS-DE-FR ANCE & GR AND -EST AG E NDA O CCITANIE - PACA & CORSE M OUVEM ENT n ° 9 1

CIRQUE T H E ÂT R E EXPOSITION EXPOSITION DA N SE FESTIVA L EXP OSITION MU S IQU E

Des toiles Le Camion Performance ! Japan-ness Alain Buffard Constellations Supports/ Riverrun,
dans la ville -
de Marine de Missolz, du
-
du 6 octobre au 14 janvier au
-
du 9 septembre au 8 janvier au
-
Temps fort, du 17 au 20
-
du 13 au 17 septembre à Toulon
Surfaces -
du 5 au 8 octobre à Albi
- 12 au 23 septembre au TNS, Tripostal et à la Gare Saint- Centre Pompidou-Metz -
octobre au théâtre de Nîmes - -
du 21 septembre au 17 Strasbourg Sauveur, Lille Les origines, 1966-1970, du
décembre à Tournai, Lille et - - Constellations met à l’honneur Parce qu’ils font partie des rares
13 octobre au 31 décembre au
sa métropole - - 70 ans d’architecture nippone Cet automne, la remise en le chorégraphe Eric Minh Cuong lieux où peuvent se rencontrer
passés au crible. Voilà le tour Carré d’art, Nîmes
Prenant appui sur le film Le Sous les briques rouges du piste de trois pièces d’Alain Castaing. Connu pour ses les musiques de recherche de
- Camion de Marguerite Duras, de force que réalise Frédéric -
Tripostal, l’exposition se téles- Buffard sonne l’alerte d’un explorations de la « vallée déran- toutes obédiences – « savante »,
Dans toute la région lilloise, une la metteure en scène Marine Migayrou, commissaire de Au moment où mai 68 met en
cope avec la performance. Ainsi impératif mémoriel. Emporté geante » – cette zone obscure électroacoustique, improvisée,
émulsion circassienne s’évertue de Missolz questionne l’art l’exposition Japan-ness, le pre- crise la représentation politique,
opportunément intitulée, elle il y a deux ans par le versatile où il devient quasi impossible de « rock », voire extra-euro-
à réinjecter poésie et chaleur expérimental et les objets mier volet de la saison japonaise une douzaine d’artistes français
fait ressurgir ce serpent de mer spectre du Sida, ce Good Boy distinguer l’homme du robot – il péenne –, les six Centre natio-
humaine dans les âmes et dans artistiques avant-gardistes qui du Centre Pompidou-Metz. Un met la peinture à plat. Motifs
philosophique qu’est la question qui se joue du Mauvais genre, présente School of Moon, une naux de création musicale (label
les rangs. Un soir chez Boris ont bouleversé des générations travail de titan organisé autour standardisés sur toiles molles
de reproductibilité artistique et de six chapitres historiques à s’est employé à détricoter le pièce pour enfants et androïdes. des plus récents décerné par
(Olivier Debelhoir) met du de regardeurs et de critiques, et matériaux de récupération
suscitant souvent mépris et la pousse dans les retranche- la recherche de la « japanité », cocon dans lequel la société Également fasciné par les nou- notre cher ministère) sont aussi
baume au cœur, pendant que pour Claude Viallat, variations
levées de boucliers. Infusé de ments de l’œuvre performée. cette Japan-ness théorisée par postcoloniale et hétéronormée velles technologies, il propose des plus pertinents. En témoigne
Le Dedans des choses (cie La sur châssis bruts pour Daniel
parodie et d’autodérision, Le Dans la Gare Saint-Sauveur, il Arata Isozaki, célèbre architecte nous a longtemps endormis. une étape de sa recherche le festival Riverrun, (virgule
Fabrique - Nadia Ghadanfar) Dezeuze, exploration du pliage
Camion déploie, avec ses trois s’agit de la dimension ludique, et pionnier du mouvement Les Inconsolés, tour à tour chorégraphique sur les drones : incluse) initié à Albi par Didier
et Ouïe de Ludor Citrik & Pollu pour Patrick Saytour. La der-
comédiens, toute la poésie et la mise en scène à travers une série métaboliste. Entre influences victimes et bourreaux, s’arment Phoenix. • A. J.-C. Aschour, nouveau directeur du
prêtent l’oreille au seul moment nière avant-garde supports/sur-
finesse de Duras. • E. T. de jeux et d’expériences immer- extérieures et singularité de masques pour mixer Goethe GMEA : s’y côtoient des compo-
qui nous lie. Accalmie sensible faces, c’est d’abord l’explosion
sives replaçant le spectateur au insulaire, c’est l’histoire récente avec l’entêtante comptine siteurs comme Peter Ablinger,
avant la tempête comique, de l’urbanisme japonais qui se de toute hiérarchie en peinture
cœur de l’œuvre. • T. A.-L. « promenons-nous dans les Tom Johnson, Éliane Radigue
insufflée par More Aura de DA N S E donne à voir en image et en et l’expérience d’une mise à
bois », à la lisière de l’enfance et ou Philip Glass, des musiciens
Véronique Tuaillon et Dad Biennale de la vidéo. • T. A.-L. de la transe. Allez-y avant qu’il
égalité totale entre les matières
aussi francs-tireurs que Jean-Luc
is dead des Mathieu ma fille
Foundation. • A. D. danse EXPOSITION ne soit trop tard car l’insolence
et les gestes. • O. H.-L.
Guionnet ou Carole Rieussec...
- Steve Roden F ES T I VA L M O N D I A L
du geste d’Alain Buffard – qui
peut heurter les sensibilités nous A RTS V IS U ELS
• David Sanson
du 5 octobre au 5 décembre -
dans la région Grand Est Quand tout s’éparpille… du des théâtres de avertit-on – vous offrira du grain -
- 14 septembre au 12 novembre
à la Kunsthalle, Mulhouse
marionnettes à moudre. • L. P. Belle et rare initiative, les écoles
d’art de Nice, Arles, Marseille,
Prêts pour une grande expé-
- Aix-en-Provence, Toulon,
dition chorégraphique ? Le -
du 16 au 24 septembre à PA RTICIPATIF Avignon et Monaco se sont réu-
voyage commence avec un Les peintures, dessins, col-
Etcetera : un
V. Bioules, Issanka. © ADAGP, Paris, 2017. p. Y.
Charleville-Mézières Bresson/MAMC de Saint-Étienne Métropole nis pour faire découvrir au public
check-up complet de l’état lages et sculptures de Steve
- Inventeurs d’aventures :
du monde avec Bien sûr les
choses tournent mal de Frank
Roden – savants mélanges entre
abstraction lyrique, minimalisme
Charleville tient bon la barre rituel civique A RT N UM ÉR IQUE
deux épisodes sous le commis-
et présente une fois encore les - sariat de Gaël Charbau, qui réu-
Micheletti. Si vous avez opté
pour la navigation, n’ayez pas
et arte povera – représentent
moins qu’ils n’ouvrent à une
théâtres de marionnettes dans le 23 septembre à Toulouse MèQ nissent les recherche artistiques
toute leur diversité. Renaud - - d’une cinquantaine de leurs
peur du vide car vous atterrirez expérience extra-visuelle via les
Herbin et Agnès Limbos, Si sa prochaine édition est du 12 au 14 octobre à hTh, anciens étudiants. Épisode
dans un bain de foule orchestré ondes sonores. Ses « systèmes »,
« artistes fil rouge » de cette prévue pour 2018, l’équipe du Montpellier 1, jusqu’au 5 novembre
par Gisèle Vienne. Avec une articulés autour de traces cultu-
édition, promettent à eux seuls Printemps de septembre ne - à la Friche belle de mai,
paire de jumelles, à la recherche relles préexistantes (partitions,
des théâtres d’objets sensibles se repose pas sur ses lauriers. Investissant pleinement le CDN Marseille et le second du
d’oiseaux rares, direction le cartes, imprimés), se lisent
Steve Roden, Gradual Small fires… Courtesy et incisifs. Avec une attention Supervisée pour l’occasion par de Montpellier de ses missions 15 octobre au 7 janvier à la
Luxembourg pour découvrir les comme des cartes au trésor qui,
de l’artiste et S. Vielmetter. p. R. Wedemeyer particulière à la création finlan- Claire Tancons, associée avec d’innovation, le festival Mèq a Villa Arson, Nice.
danses encore préservées du de correspondances en échos,
daise, l’édition 2017 interroge la plusieurs institutions scolaires mis les mains dans le cambouis • Alain Berland
Grec Andrea Rama. • L. P. mènent vers… Réponse à la

HAUTS-DE-FRANCE &
notion d’habitat dans ce qu’elle toulousaines et le plasticien pour explorer les liaisons entre
Kunsthalle. • L. T.
peut avoir de plus subtil, et de Mohamed Bourouissa, elle les arts de la scène et ceux du
plus cruel aussi. Les cies La Mue/ présente Ectetera…, un projet numérique. Cette réflexion
tte et Les Anges au plafond au long cours qui plonge dans globale sur les processus créatifs
ne manqueront pas, enfin, de la densité du social pour tenter (sous la houlette de Daniel
rendre l’ensemble un peu plus d’en extraire « un nouveau rituel Romero) prend la forme d’ate-

GRAND-EST
actuel encore. • A. D. civique contemporain ». Une liers, stages et résidences pour
succession de tableaux vivants créer un nouveau monde, rempli
dans toute la ville qui se termine de costumes électroniques et
bien entendu par le fameux d’informatique poétique. • E. T.
rituel du banquet. • T. A.-L.

OCCITANIE-PACA & CORSE


Good Boy d'Alain Buffard. p. Olislaeger

Le Camion de Marine de Missolz. p. D. R.

104 105
M OUVE ME NT n ° 9 1 NOUVELLE AQUITAINE AG E NDA AUVERGNE - RHÔNES-ALPES & BOURGO GNE-FR ANCHE-COMTÉ M OUVEM ENT n ° 9 1

Rock & Goal de M. Kelemenis. p. D. Philispart

EXPO SITIO N PLU RID IS C IPLIN AI R E


T H É ÂT R E EXPOSITION DA N S E
Saufs ?
4 bonnes raisons…
Festival interna- - Indexmakers - … de mettre
-
du 6 octobre au 23 décembre
tional des arts Comment agir le plus justement - Avec Conjurer la peur,
les warning
au Frac, Angoulême de Bordeaux possible, pour soi et pour les du 23 septembre au 7 janvier Gaëlle Bourges poursuit son
- -
autres ? Comment faire au
mieux en partant de cet humble -
au 19, Montbéliard exploration chorégraphique
de l’histoire de l’art. Après la
1. Au cœur de cette
L’état d’urgence, renouvelé six du 5 au 25 octobre édition de Sens interdits, le
objectif ? Incarnés par ses comé- L’artiste comme moteur de tapisserie de La Dame à la
fois, s’apprête à prendre fin pour - décloisonnement, c’est le pari théâtre nous éclaire, qu’il
F E ST I VAL
diens fétiches, les personnages licorne (À mon seul désir) et
réapparaître en partie et de Après une première édition pour DAN S E soit dialogue ou réconcilia-
de Pauline Sales confrontent de l’exposition Indexmakers. Lascaux, elle tourne son regard
manière définitive dans le droit
commun français. Comment
le moins concluante, le FAB
poursuit sur sa lancée avec une
Guintche & -
Nouvellement prélabélisée
leurs routes et leurs tenta- Une cinquantaine d’artistes,
artisans et bidouilleurs confon-
vers la fresque Allégorie et les
tion. Mémoires, identités,
résistances se conjuguent au
une vingtaine de jeunes artistes programmation bien accordée Bacchantes Centre culturel de rencontres
tives de vivre au plus près
de ce en quoi ils croient, du
dus – parmi lesquels Julien
effets du bon et du mauvais
gouvernement, brillamment
pluriel.
fraîchement diplômés de l’ÉESI au présent. Construite autour - – une première pour un village – Prévieux, Pierre Leguillon,
sont-ils traversés par cette de deux thématiques fortes, de Marlene Monteiro La Bastide-Clairence
17 au 20 octobre au Théâtre
Dijon Bourgogne avec J’ai
Sophie Taeuber-Arp, Andrea
étudiée par Patrick Boucheron.
L’image était un langage, dont
2. Pour ne pas oublier,
expérience de la « sécurité », celle des frontières et un focus Freitas, du 16 au 19 octobre lance son premier festival Büttner – s’emparent aussi bien avec We Call It Love de
bien fait ? • E. T. de techniques et savoirs dits surgissent désormais d’autres
comment interprètent-ils cette France-Argentine, la program- à la Maison Cantonale et au pluridisciplinaire le 1er Denis Mpunga l’horreur du
«traditionnels » qu’informatiques images, en mouvement. Les 17
notion si galvaudée par le mation esquisse courageuse- TnBA, Bordeaux octobre, sous la houlette de génocide rwandais.
en passant par les arts culi- et 18 octobre à la Comédie
tapage politique ? Entre regards ment les contours des questions - la cie LagunArte. Antoine Le
critiques, réappropriation, qui dérangent. Avec Talos, Roulant des yeux exorbités, la Menestrel propose un exercice
-
DA N S E naires. De quoi tordre le cou aux
conventions capitalistes qui dis-
de Valence. • A. J.-C.
3. Pour pe(/a)nser la
exorcisme et détachement, Arkadi Zaides épingle l’UE et bouche fermée et déformée de « danse-escalapde» au migration, exode, errance,
Une insurrection est-elle encore socient le « faire » du « penser »,
dans quelle mesure ces œuvres dresse une chorégraphie aux par des morceaux de plastique, trinquet le plus vieux d’Europe ; frontière, accueil, refus
possible aujourd’hui ? Quelle le travailleur du concepteur, le T H É ÂT R E
captent-elles l’humeur du frontières, l’Agrupacion Señor Marlene Monteiro Freitas Marga Berra Zubieta joue des capital culturel des cultures avec Titre provisoire de
forme pourrait prendre la -
contexte actuel ? • L. T. Serrano confronte capitalisme sculpte autant qu’elle danse. traductions et des homophonies marginales. • O. H.-L. Chrystèle Khodr et Waël Ali,
révolte à venir ? Tel est le nou- Été 1975, Thierry Voeltzel,
et humanisme, tandis que Carly Avec Guintche, elle défait, à travers les langues, à la maison dramaturge syrien exilé en
veau champ d’investigation de parfait inconnu tente de
Wijs repense le subjectif face au tord, gonfle et sature son corps, Darrieux egoitza ; au fronton, le France.
la cie de hip-hop Dyptik. Après T H É ÂT R E rejoindre Caen en stop. Michel
CIRQ UE drame collectif. Et finalement, exploitant la moindre possibilité groupe de musique improvisée
- que peut l’art ? Quelques de son anatomie. Débordante, TOC vous convie à sa version
D-Construction, le groupe de
Saint-Étienne présente sa nou-
-
Foucault, qui vient de publier
Surveiller et punir, s’arrête.
4. Et enfin rendre justice
Six acrobates de la cie Un éléments de réponse seront sans elle s’attaque à la fable d’Euri- très personnelle du bal : tous les Le Pays basque comme terre aux femmes avec Zig Zig de
velle création Dans l’engre- Naît alors une amitié, une
Loup pour l’Homme doute à glaner dans Actions de pide dans Bacchantes, collage espaces vibreront au rythme des d’accueil ? Invité en résidence Leila Soliman et Mujer verti-
nage à la Maison de la danse aventure et une série d’entre-
invoquent les Rare Birds du Yan Duyvendak, Nicolas Cilins vivant et hétéroclite, à l’image propositions artistiques. par le musicien Kristof Hiriart cal d’Éric Massé.
de Lyon, du 11 au 14 octobre. tiens sur la jeunesse, la sexualité,
7 au 9 octobre au Parvis à et Nataly Sugnaux. • A. D. de son auteure. • E. T. • A. J.-C à La Bastide-Clairence, le
Ils quittent la grande barrière l’amour, les drogues, la famille,
Ibos. Jonglant avec leur propre metteur en scène et performeur • S. P.
qu’ils ont dressée dans l’espace le travail... Dans son adapta-
corps, imprégnant de fantaisie Massimo Furlan a imaginé,

NOUVELLE
ART S V I S UE LS DAN S E public pour retrouver la scène, tion, Letzlove Portrait(s)
et d’émotion un état de mou- avec les habitants, une fresque Sens interdits, du 19
vement perpétuel et défiant les
Martes Bathori Le Temps mais la même lutte se poursuit.
• A. J.-C.
sur la notion d’hospitalité. Sur
Foucault, Pierre Maillet
joue d’un dispositif épuré et
octobre au 29 octobre à
lois de l’équilibre, ces artistes vir-
- d’aimer scène, huit villageois racontent
foucaldien pour dialoguer avec
Lyon

AQUITAINE
tuoses se changent en oiseaux et leur parcours et lisent des
Utopia porcina, c’est - le jeune comédien Maurin Olles
créent un cirque qui annule toute textes qui résonnent avec cette
demain, du 15 septembre du 8 au 17 septembre à – de l’âge de Voeltzel : on se fait
perception de limites. • E. T. question, si cruciale aujourd’hui.
au 20 octobre à Pollen, Biarritz élèves passionnés. Les 19 et
Hospitalités, les 22 et 23
Monflanquin - 20 octobre à la Comédie de
octobre au Théâtre nouvelle
- Lorsqu’elle disait : « Ma pre- Saint-Étienne. • S. P.
génération, Lyon (festival

AUVERGNE-
2018, après une révolution mière idée du mouvement
Sens interdit). • A. J.-C.
sanglante, les cochons imposent de la danse vient du rythme
leur suprématie et condamnent, des vagues », Isadora Duncan
dans une ironie toute dialec- pouvait-elle imaginer meilleur

RHÔNE-ALPES
tique, l’humanité à l’élevage. terrain de jeu que Biarritz ?
Voici le point de départ du Manœuvrant justement entre
dessinateur de BD et artiste les sports et la danse, Michel
multiforme Martes Bathori, Kelemenis crée un espace

& BOURGOGNE
édité aux Requins marteaux – hybride qui déplace les usages
si l’on en croit sa biographie, de ces disciplines (Rock &
fringant centenaire originaire Goal). Au théâtre du Casino,
des Carpates – qui livre une Martin Harriague monte d’un
fable graphique polychrome aux étage avec Pitch et déclare

FRANCHE-
accents écologico-gore. son amour à Tchaïkovski alors
• T. A.-L. que la serbe Dunja Jocic dresse
le portrait d’un Andy Warhol
schizophrénique (Don’t Talk to

COMTÉ
Me in My Sleep). • E. T.

Gauvain Manhattan, sans titre. © de l'artiste

106 107
Dagmara Stephan, Sock Studies. p. Michel Reuss
M OUVE ME NT n ° 9 1 MONDE AG E NDA SUIS SE M OUVEM ENT n ° 9 1

Dora García, Steal This Book, 2008.


© Dora García, p. Roberto Ruiz
ARTS VISUE LS M US I Q UE FESTIVA L P ER FOR M A N CE
4 bonnes raisons…
Berlin Art Week … de voir Movement La Bâtie -
Pamina de Coulon investit
-
du 13 au 17 septembre à Berlin
Cervantino -
du 28 au 31 octobre à Turin
-
du 1er au 16 septembre à
l’Arsenic de Lausanne du
26 septembre au 1er octobre
-
Créée en 2012, la Berlin Art
1. Car la France est à l’hon- Fief industriel de l’Italie, Turin
-
-
Genève
pour deux volets mono-
neur, on retrouvera Pascal logiques de sa saga Fire
Week a vite pris de l’ampleur accueille depuis 2006 la Oscar Gómez Mata et
Rambert avec sa Clôture of Emotions. Dans « The
et compte désormais parmi les déclinaison européenne de Mohamed El Khatib, invités de
de l’amour, Joël Pommerat F E ST I VAL Abyss », l'artiste suisse, assise
principales manifestations artis- Movement, festival phare des cette édition, plongent dans les
avec Ça ira (1) Fin de Louis sur son rocher-iceberg, s'élance
tiques internationales. Au cœur
de cette 6e édition se trouvent
ou encore la cie Porte27 et
musiques électroniques créé
en 2000 à Detroit, le berceau
Circular absurdités du monde du travail
et interrogent ce qu’il fait à nos
des failles sous-marines pour
sa conférence acrobatique - emmêler tout un réseau de
Art Berlin et Positions Berlin Art de la techno. D’une envergure corps. L’un avec une adapta-
Chute!. du 22 au 30 septembre à Vila savoirs, de souvenirs et de
Fair, deux foires couvrant un moindre, son petit cousin italien tion scénique du film de Lars
do Conde, Portugal réflexions dans une parole aussi
large spectre géographique et
artistique. S’y ajoutent de nom-
2. Pour découvrir des
possède tout de même de beaux
atouts. En témoigne cette édi-
-
von Trier Le Direktør, l’autre
en faisant monter sur scène
virtuose que vertigineuse. Avec
spectacles qui secouent, dont À quelques encablures de Porto, « Genesis », elle bouleverse TH ÉÂTRE & CINÉMA PERFORMANCE
breuses expositions disséminées tion qui convoque notamment une femme de ménage, Moi,
à travers la ville – par exemple,
Still Life, sur les drames
engendrés par l’homophobie
plusieurs pionniers américains
dans une ville paisible que
rien ne destinait à ce rôle, se
Corinne Dadat. Marcelo Evelin
notre rapport au monde, en pre-
nant appui sur le fantasme du
Vincent Distinguished
Portrait of a Nation qui
rassemble des artistes émiratis.
ambiante, de la compagnie
(Robert Hood, Derrick May, Jeff
Mills, Octave One, Lil’ Louis),
déroule l’un des festivals les plus
avec Dança Doente – danse
malade – et Nadia Beugré
voyage dans le temps. Toujours Macaigne Hits
Une place de choix est réservée
italienne Ricci/Forte au
théâtre plastique et visuel.
quelques poids lourds allemands
intéressant du Portugal. Depuis
12 ans, Paulo Vasques et Dina
avec Tapis rouge, insistent : à
avec le même crédo : « Donne à
ce qui te touche le pouvoir de
-
du 14 au 29 septembre au
(1991-2000)
aux images en mouvement, via (Chris Liebing, Sven Väth, Len société malade, corps malades. -
Magalhães y invitent la fine te faire penser. » • E. T. Théâtre Vidy, Lausanne
notamment un festival de films
d’artistes, une rétrospective
3. Pour ressentir une Faki) et un jeune outsider
anglais (Denis Sulta), apôtre
fleur des arts chorégraphiques
Direction donc, le cap de la
furieuse libération des corps
-
de La Ribot, du 11 au 22
octobre à l’ADC, Genève
effervescence politique rare et performatifs européens à L’enfant terrible du théâtre fran-
Harun Farocki et une exposition survolté du footwork. • J. P. avec Bacchantes–Prélude -
avec « Revoluciones Off », présenter leur travail, sur scène EXP OSITION çais fait sa rentrée des classes
consacrée à Danièle Huillet et pour une purge de Marlene La Ribot, performeuse aux
Jean-Marie Straub, doublée
programmation dédiée aux
compagnies indépendantes
et dans des lieux qui ne sont
pas consacrés. Le chorégraphe
Monteiro Freitas et El Baile de Aurélien en Suisse. Au programme :
une nouvelle création (Je suis
cheveux rouges et icone de l’art
d’une rétrospective de leurs
films. • J. P.
mexicaines mobilisées sur Miguel Pereira débarrasse la
la sensible Monnier. Subliminal
et nécessaire. • S. P.
Gamboni & un pays), une forme courte
performatif, présente à l’ADC
dix de ses plus importantes
Sandrine Teixido

MONDE
ladite thématique (Teatro notion de « négociation » de immersive (Voilà ce que jamais
performances. D’un effeuillage
entre 2, Teatro bola de carne, ses significations économiques je ne te dirai) et un premier
- burlesque à un auto-body pain-
etc.) et diplomatiques pour faire long métrage (Pour le récon-
EXPO SITIO N CIN ÉM A A Tale as a Tool, du 7 au 17 ting en passant par des séries
bouger les lignes de la relation fort). Après ses adaptations
Dora García • S. P. performeur / spectateur. Bruno Lausanne septembre au Centre de la
photographie, Genève
de Shakespeare et Dostoïevski,
de poses, l’Espagnole enrichit,
depuis 1991, un répertoire de
-
Somewhere, Two Planets Festival international
Senune plonge dans la noirceur
du chaos. Changeant de couleur,
underground -
explosives et hallucinées, un
tournant semble s’opérer
« Pièces distinguées ». Limitée à
Have Been Colliding... du de Cervantino, du 11 au Ana Pi se demande pourquoi les film festival Partir en expédition sur les lieux
d’un conte d’Edgar Allan Poe,
vers une écriture plus intime.
sept minutes, chacune explore
avec humour et dans une cer-
6 octobre au 9 décembre à la 29 octobre à Guanajuato, civilisations passées n’avaient - Pourtant, les mêmes thèmes
une aventure insensée ? Pas taine pauvreté de moyens, les
Verrière, Bruxelles Mexique pas de mot pour dire la couleur du 18 au 22 octobre à traversent son œuvre : la fuite de
tant que ça. Le duo d’artistes thématiques liées au corps. Nu,
- bleu. • A. J.-C. Lausanne l’idéal, les rêves déchus, et cette
Aurélien Gamboni & Sandrine en l’occurrence. • E. T.
Pour expérimenter le travail de - rage envers et contre tout, de
Teixido est parti enquêter

SUISSE
Dora García, il faut laisser ses Tremblez citoyens du canton ceux qui refusent de baisser les
du Brésil à la Norvège avec
pensées divaguer entre croquis de Vaud, le Luff revient agiter armes. • A. J.-C.
comme seul guide la nouvelle de
et diagrammes, cheminer entre les respectueuses ondes du lac
l’auteur : « Une descente dans le
les pages de livres-installa- Léman avec des vibes under-
Maelström » (1841). Là-bas, ils
tions et les assertions gravées grounds plus énervées que
ont vérifié la loi fondamentale
sur les murs, jouer avec les jamais. Pour la musique, Sete
que l’écrivain avait déployée
performances et jongler avec Star Sept, dignes rejetons de la
à travers le personnage d’un
les registres, suivre les indices scène grindcore tokyoïte parta-
pêcheur, rescapé d’un gigan-
que l’artiste agrège depuis une geront l’affiche avec le post-
tesque tourbillon. Pour ensuite
vingtaine d’année. Le cycle punk hérétique de l’italienne
constater ses échos avec les
« Poésie balistique » organisé par Maria Violenza et le stoner
catastrophes climatiques et éco-
la Verrière semble tout trouvé poétique des Brestoises d’Ave-
logiques actuelles. Débriefing
pour accueillir un œuvre qui n’a nir. Côté film, un hommage
avec photographies, dessins,
de cesse de traquer le moment au nécro-réalisme, courant
vidéos et installations sonores à
où le savoir glisse dans la mar- dissident du cinéma soviétique
l’appui. • O. H.-L.
ginalité, dévie. Accompagné et une intervention de Hisayasu
toujours, de l’aura d’Artaud et Satō, réalisateur phare de
de Joyce. • O. H.-L. l’érotisme gore nippon, qui pré-
sentera une sélection d’œuvres
inédites en Europe. • T. A.-L.
Bleu de Ana Pi. p. D. R.
The Abyss de Pamina de Coulon. p. N. Rodriguez

108 109
YOAN N BOURGEOIS

Horoscope
EISEN STEIN MICHEL LEHMAN N
TCHEKHOV TIMOFEÏ KOULIABIN E

JACQUES P RÉVERT LAURENT P ELLY

Taureau
MARIE RÉMON D

Bélier
JÉRÔME DESCHAMPS GUSTAVE FLAUBERT

Après toutes ces années passées à écouter « The Boys Tout va très bien, arrêtez de vous plaindre.
Are Back in Town » de Thin Lizzy, il est temps de pas-
ROB EVAN S
ser à l’étape suivante. Enfilez votre perfecto le plus
court, lissez-vous la moustache et apprenez à jouer
de la basse. Les gars sont en ville, passez le message.
TIAGO RODRIGUES

JACQUES GAMBLIN THOMAS COVILLE


REN É CLAIR JEAN-FRANÇOIS ZYGEL

Cancer
MAGALI ROUSSEAU

Scorpion Gémeaux
MARCEL P ROUST AGATHE MÉLINAN D

NATHALIE BEN SARD


Côté amour, ce n’est vraiment ça. Votre petite amie a Humeur générale : « DAISSE-PA-CITO… NNANAA
refusé votre dernier bouquet sous le prétexte fallacieux NA… ». Votre cerveau est colonisé par le « tube de l’été
que « des tulipes en aluminium, c’est moche ». Peu ». Mais réjouissez-vous, la rencontre de Mars avec Pluton
importe : l’alignement des 0 sur le compte en banque promet l’extinction radicale du morceau sur les ondes.
de Jeff Koons vous invite à insister. Comme on le dit Vivement l’année prochaine.
chez les Yankees : « La ténacité est la clé du succès. »

Vierge
STEFANO MASSIN I
Vous repassez la scène en boucle dans votre tête : ce soir
Alors que le reste du monde était en vacances, vous avez où le vocodeur de PNL est tombé en rade. Vous étiez dans
consciencieusement travaillé votre come-back. Depuis la fosse, les oreilles ensanglantées, la vision brouillée, le
SYLVIAN E FORTUNY PHILIP P E DORIN le flop de votre groupe de brutal death metal, Massive chaos autours de vous. « Dieu est mort », vous êtes-vous
STÉPHAN E BRAUN SCHWEIG TEN N ESSEE WILLIAMS
Entubator, vous pensez vous reconvertir dans le documen- dit. Déso, les astres ne peuvent plus rien pour vous. Mais
ABON N EZ-VOUS ! taire politique. Ne changez pas le nom de la boîte de prod’. vous resterez un martyre dans l’histoire du rap français.
GRAND MAGASIN LES OMBRES PORTÉES

MATHILDE MONNIER

Capricone
Lion
Votre manuscrit de science-fiction mettant en scène Julien
C’est bien connu, le diable chausse du 38 : deux poin- Coupat dans l’espace en prise avec une société dystopique,
tures de moins que vous. Et il vous avait prêté ses pompes rongée par un biopouvoir totalitaire, s’est fait recaler pour
ce jour maudit où vos rêves de danseur étoile se sont plagiat. Neptune vous conseille d’utiliser vos legs de L3
fracassés sur l’estrade de la salle des fêtes de Nogent- litté pour un remake de Madame Bovary, version zombie.
le-Rotrou. Pour conjurer le sort, dénudez vos augustes
RODOLPHE DANA RACHIDA BRAKN I ARNAUD MEUNIER
arpions et partez faire un stage de danse-contact.

CHRISTOPHE BERGON CAMILLE DE TOLEDO PHILIPPE QUESN E STEVE TESICH

Verseau
YVES-NOËL GENOD
Votre diplodocus de compagnie a trouvé du boulot dans

Poisson
le cinéma, votre castor lapon hermaphrodite a intégré
Votre idylle estivale avec Cameron vous a laissé à l’agonie,
un club de foot et votre hérisson s’est trouvé un nom de
sur une plage abandonnée. Retour à la réalité : vous avez

Design: Yannick James / Studio Philippe Apeloig, 2017 / Licenses spectacle 1-1045623, 2-1045624, 3-1045625 / TNT-306 127 895 000443
scène : Pistache. Pensez à votre carrière, vous-aussi.
trois semaines pour digérer ou Jupiter vous condamnera
RACIN E CÉLIE PAUTHE
à écouter « En espadrilles ça pue des pieds » tout l’été
prochain.

Sagittaire
IVAN VIRIPAEV GALIN STOEV MIHAELA MICHAILOV MICHEL DIDYM
SAMUEL BECKETT D’humeur badine le jour de votre naissance, Mercure
vous a doté de deux mains gauches. Vos compétences

Balance
RACHID OURAMDAN E
en arts plastiques se limitent à la fabrication de cen-
Vous pensiez que la politique était « boring ». Mais driers avec des canettes de 8.6. Pas de panique : en
depuis que Rihanna et Schwarzy tapent la bise à appliquant une signature stylisée au centre de l’ob-
Macron, vous trouvez ça beaucoup plus sexy. L’Express jet, vous obtiendrez un ready-made du plus bel effet.
JØRN RIEL EDDY LETEXIER
et France info themselves ont d’ailleurs couronné
Obama comme le président le plus « swag » de l’his-
toire. Vos intuitions se confirment : encore un effort
NATHALIE NAUZES
JEAN LIERMIER LUIGI P IRAN DELLO en danse du ventre et vous postulerez pour Matignon.

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