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Nouvelles de l’estampe 

252 | 2015
L'estampe française au XVIIe siècle
Rémi Mathis (dir.)

Édition électronique
URL : https://journals.openedition.org/estampe/587
DOI : 10.4000/estampe.587
ISSN : 2680-4999

Éditeur
Comité national de l'estampe

Édition imprimée
Date de publication : 1 octobre 2015
ISSN : 0029-4888

Référence électronique
Rémi Mathis (dir.), Nouvelles de l’estampe, 252 | 2015, « L'estampe française au XVIIe siècle » [En ligne],
mis en ligne le 15 octobre 2019, consulté le 22 juin 2021. URL : https://journals.openedition.org/
estampe/587 ; DOI : https://doi.org/10.4000/estampe.587

Légende de couverture
Antoine Trouvain, Mademoiselle d'Armagnac en robe de chambre, 1695, eau-forte et burin, sergé de laine
imprimé au bloc et rehauts verts, 300 x 200 cm. BnF, Estampes, Smith-Lesouëf 9244-boîte-fol.

Ce document a été généré automatiquement le 22 juin 2021.

La revue Nouvelles de l’estampe est mise à disposition selon les termes de la Creative Commons
Attribution 4.0 International License.
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SOMMAIRE

Un royaume peuplé d’estampes


Rémi Mathis

Quelques réflexions sur l’estampe au XVIIe siècle


Autour de l’exposition Images du Grand Siècle
Christian Michel

De Paris à Strasbourg
Les métamorphoses d’un cycle d’estampes du XVIIe siècle
Christine Moisan-Jablonski

Le « sr de Lavenage »
L’homme à l’origine de l’ultime tentative d’ériger les graveurs en corps de métier (1660)
Rémi Mathis

« Ceux qui voudront les Images, qui sont au nombre de cent… »


L’Ordre des Prêcheurs dans la production de la famille Landry
Claire Rousseau

L’actualité gravée au temple de mémoire


La mise en place du programme d’illustration du Mercure galant au tournant de l’année 1678
Barbara Selmeci Castioni

Le Triomphe du Libraire ambulant, entre estampes et écrans


Pascale Cugy et Philippe Cornuaille

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Un royaume peuplé d’estampes


Rémi Mathis

1 Louis XIV est partout, vous ne lui échapperez pas! À l’occasion des festivités organisées
pour le tricentenaire de la mort du Roi-Soleil, les Nouvelles de l’estampe ont décidé de
dédier un numéro spécial au dix-septième siècle. Nous nous situons ainsi dans la lignée
d’un certain nombre d’institutions qui ont fait la part plus ou moins belle à l’estampe –
et d’événements ou émissions médiatiques qui l’oublient presque systématiquement...
Versailles expose ainsi plusieurs pièces sur la pompe funèbre des souverains à
l’exposition Le roi est mort!, et la BnF présente la première grande synthèse sur
l’estampe française de cette époque, sous le titre Images du Grand Siècle (auparavant
présentée au Getty Research Institute, à Los Angeles et intitulée A Kingdom of Images) 1.
2 Le XVIIe siècle fait depuis quelques dizaines d’années l’objet d’une recherche
particulièrement active. Maxime Préaud a publié au cours de sa longue carrière,
achevée en 2010, de nombreux volumes de l’Inventaire du fonds français, qui font office
d’ouvrages de référence sur les graveurs de notre pays. Il nous a donné à l’occasion de
son départ en retraite une très efficace synthèse sur les travaux restant à mener 2...
tandis que ses collègues lui ont, eux, offert des Mélanges, qui approfondissent encore
certains des thèmes qui lui tenaient à cœur3. L’auteur de ces lignes est très honoré de
poursuivre le travail de Maxime Préaud sur les fonds du XVII e siècle de la BnF.
3 Marianne Grivel, titulaire de la seule chaire spécifiquement dédiée à l’estampe, à
l’université Paris IV-Sorbonne, a considérablement renouvelé notre approche de
l’estampe française dès ses premiers travaux – en particulier avec Le Commerce de
l’estampe à Paris au XVIIe siècle (Droz, 1986) – et a travaillé sur cette extraordinaire
originalité qu’est le Cabinet du roi – faisant d’un roi de France un éditeur! Elle a
également – tout comme Véronique Meyer, l’autre grande universitaire spécialiste de
l’estampe du XVIIe siècle – dirigé de nombreuses thèses. Une des dernières en date est
celle dédiée à la famille Bonnard par Pascale Cugy, dont l’excellente connaissance de la
production gravée parisienne a permis de nous proposer ici une étude d’une grande
originalité.
4 À l’extérieur des frontières de l’Hexagone, Christian Michel a lui aussi publié des études
éclairantes, souvent accessibles au grand public comme à l’occasion de l’exposition qu’il
a dédiée à la « grande manière » d’après Le Brun, avec Louis Marchesano (Getty, 2010).

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C’est à lui que nous avons demandé s’il désirait donner un compte rendu d’Images du
Grand Siècle. Mais plutôt que se prêter à cet exercice de manière ordinaire, il a préféré
prendre de la hauteur et nous proposer une réflexion sur le statut et l’histoire de la
gravure à cette époque. Le compte rendu se transformant en une excellente
introduction aux complexes questions que les chercheurs se posent sur l’estampe
ancienne, nous avons choisi de traiter ce texte comme telle et de le placer en début de
numéro.
5 À la suite des travaux cités ci-dessus, nous assistons à une floraison de recherches sur
les sujets les plus divers. Les auteurs des présents articles publient pour la plupart pour
la première fois dans la revue; à travers l’étude de cas d’espèces, la plupart des grandes
problématiques actuelles sont abordées: comment des images sont copiées et adaptées
à d’autres marchés, à d’autres pays (Ch. Moisan-Jablonski), qui sont les hommes de
l’estampe et comment se met en place une organisation à la fois légale et sociale du
métier (R. Mathis), comment sont choisies les illustrations d’un volume, comment en
découvrir les auteurs et les sources des motifs utilisés (Cl. Rousseau), à quoi servent les
estampes dans un périodique, et en quoi elles participent pleinement du propos voire
d’une philosophie sous-jacente (B. Selmeci Castioni), comment la mise en regard
d’estampes semi-fines peut faire émerger des phénomènes ou des motifs restés
invisibles et inconnus jusqu’alors (P. Cugy et Ph. Cornuaille).
6 L’estampe française du XVIIe siècle est un vaste monde dont bien des régions restent à
explorer : nous espérons que ce numéro répondra à quelques questions irrésolues,
mais, surtout, persuadera le lecteur de la multiplicité des enjeux d’un médium alors en
pleine expansion, voire donnera à certains l’envie de se plonger plus profondément
dans un domaine et une époque où les sujets de recherche ne manquent pas.

NOTES
1. Images du Grand Siècle, exposition BnF, site François-Mitterrand (3 novembre 2015 – 31 janvier
2016), commissaires V. Selbach, R. Mathis, avec P. Fuhring et L. Marchesano.
2. Maxime Préaud, « Les Arts de l’estampe en France au XVIIe siècle. Panorama sur trente ans de
recherches », Perspective, la revue de l’INHA, 2009, 3, p. 357-390.
3. L’Estampe au Grand Siècle. Mélanges offerts à Maxime Préaud, dir. B. Brejon de Lavergnée,
P. Fuhring, M. Grivel, S. Lepape, V. Meyer, Paris, BnF, école nationale des chartes, 2010, 612 p.

INDEX
Index géographique : France
Index chronologique : 17e siècle

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AUTEUR
RÉMI MATHIS
Archiviste paléographe, conservateur chargé des estampes du XVIIe siècle au département des
Estampes et de la Photographie de la Bibliothèque nationale de France et rédacteur en chef des
Nouvelles de l’estampe

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Quelques réflexions sur l’estampe


au XVIIe siècle
Autour de l’exposition Images du Grand Siècle

Christian Michel

1 C’était une gageure que vouloir dresser un panorama de la gravure française pendant le
règne personnel de Louis XIV (1661-1715) à l’aide de cent-dix estampes, soit deux par
an, quand on connaît l’ampleur de la production durant cette période. Le choix a été de
faire référence, dans les titres anglais et français de l’exposition 1, au fascinant
souverain et à la prééminence politique et culturelle que la France aurait acquise sous
son règne, voire sous son impulsion. La date même de 1660 rattache la production
gravée à la figure du roi qui, par l’arrêt de Saint-Jean-de-Luz, « maintient et garde l’art
de la gravure […], ceux qui font profession d’icelui, tant régnicoles qu’étrangers, en la
liberté qu’ils ont toujours eue de l’exercer dans le royaume »2. Mais, heureusement,
l’exposition permet de voir que la gravure en France ne se limitait pas à célébrer les
hauts faits du monarque, que l’imagerie religieuse restait de première importance, que,
sur le modèle flamand et hollandais, des sujets populaires connaissaient une
importante diffusion.
2 Il est impossible de savoir le nombre d’images qui circulaient à Paris pendant ce demi-
siècle. Félibien indique que « Cet art de graver sur le cuivre et sur le bois s’est tellement
perfectionné et est devenu si commun que la quantité des ouvrages qu’on a faits est
presque innombrable. L’on peut en juger par le recueil que M. de Marolles a pris soin
d’en faire et qui est présentement dans la Bibliothèque du Roy 3 » On en peut juger
davantage en ajoutant que Michel de Marolles, après avoir vendu au roi en 1666 sa
première collection qui comprenait quelque cent-vingt-trois mille estampes, en
possédait de nouveau plus de cent mille en 16724. On trouvait, dans sa seconde
collection, aussi bien des images du xve siècle, que cinq cent quatre-vingt-dix estampes
de Jean Lepautre, cinq cent trente-huit paysages des Perelle ou cent treize sujets
d’après Le Brun.

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Ill. 1. Gérard Edelinck d’après Charles Le Brun, Les Reines de Perse aux pieds d’Alexandre (La Tente de
Darius), eau-forte et burin, v. 1675, 675 x 897. BnF, Estampes, AA-5 (Le Brun, Charles)

3 La gravure tient une place centrale dans les projets préparés par les conseillers de
Colbert lorsque ce dernier, « dès la fin de l’année 1662, ayant prévu ou sachant déjà que
le roi le ferait surintendant de ses bâtiments, commença à se préparer à la fonction de
cette charge »5. Il s’adressa à Jean Chapelain pour lui demander ce que seraient les
moyens d’assurer la gloire du roi dans les lettres et celui-ci lui envoya, le 18 novembre,
une longue missive6 où tous les genres d’écriture panégyrique sont évoqués et se
terminant par les autres outils qui permettraient de célébrer Louis XIV : « Il y a bien,
Monsieur, d’autres moyens louables de répandre et de maintenir la gloire de Sa
Majesté, desquels même les anciens nous ont laissé d’illustres exemples qui arrêtent
encore avec respect les yeux des peuples, comme sont les pyramides, les colonnes, les
statues équestres, les colosses, les arcs triomphaux, les bustes de marbre et de bronze,
les basses-tailles, tous monuments historiques auxquels on pourrait ajouter nos riches
fabriques de tapisseries, nos peintures à fresque et nos estampes au burin, qui, pour
être de moindre durée que les autres, ne laissent pas de se conserver longtemps. Mais
ces sortes d’ouvrages appartenant à d’autres arts que celui des muses, sur lequel vous
avez souhaité mes sentiments, je me contenterai de vous en avoir fait souvenir, afin que
vous jugiez s’ils peuvent entrer en part de vos autres sublimes idées. »
4 Les gravures au burin comme les tapisseries sont des outils qui peuvent assurer une
diffusion dans le temps et dans l’espace de la gloire du roi, à condition toutefois que
leur qualité puisse témoigner de la supériorité désormais acquise par la France.
5 Ce but, si l’on en croit Félibien, a été atteint : « La Gravure qui se fait aujourd’hui sur le
cuivre avec le burin et avec l’eau forte, est une invention des derniers siècles. On doit
d’autant plus l’estimer, que les Anciens n’en ayant eu aucune connaissance, nous avons
cet avantage de pouvoir rendre plus durable une infinité de choses qu’ils n’ont pu nous

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laisser, pour avoir ignoré un art si beau et si utile. Car par le moyen de plusieurs
estampes qui se tirent d’une seule planche, l’on perpétue, et l’on multiplie presque à
l’infini un tableau qui demeurerait unique, et qui ne pourrait subsister qu’un certain
nombre d’années. De sorte qu’entre tant d’excellents ouvrages que le Roi fait faire, il est
très certain que les planches que l’on grave doivent tenir un rang considérable. C’est
par elles que la postérité verra un jour sous d’agréables figures, l’histoire des grandes
actions de cet Auguste Monarque, et que dés-a-présent les peuples les plus éloignés
jouissent aussi bien que nous des nouvelles découvertes que l’on fait dans les
Académies que Sa Majesté a établies pour les Sciences et pour les Arts. C’est encore par
le moyen de ces estampes que toutes les Nations admirent les somptueux édifices que le
Roy fait élever de tous côtés, et les riches ornements dont on les embellit. Et parce que
les Tableaux et les Statues dont ce Grand Prince a fait faire une curieuse recherche,
sont d’un prix inestimable, et d’une singulière beauté, Sa Majesté a bien voulu encore
que Celui qui a soin d’exécuter ses ordres, choisît les plus excellents Graveurs de son
Royaume pour les graver, et en faire un Recueil, afin que par le moyen des estampes
que l’on tirera, ces mêmes ouvrages aillent eux-mêmes, s’il faut dire ainsi, se faire voir
aux Nations les plus reculées, qui ne peuvent pas les considérer ici en original. 7 »

Ill. 2. Simon Thomassin, d’après Raphaël, La Transfiguration, 2e état, burin, 750 x 663, 2 feuilles. BnF,
Estampes, AA-3 (Thomassin, Simon)

6 Seules les œuvres des « plus excellents graveurs » peuvent pérenniser la gloire du roi,
ce qui a conduit Colbert à leur assurer, par un arrêt du Conseil du 22 décembre 1677, le
monopole de graver tout ce qui appartient au souverain. Ils ne sont pas nécessairement
français de naissance, mais sont indispensables pour faire de Paris le principal centre
de la gravure européenne, et succéder ainsi à Rome, Anvers et Amsterdam. Reprenant
les termes de la requête des graveurs, le roi avait déclaré, dans l’arrêt du conseil de
Saint-Jean-de-Luz, qu’il est de la gloire de la France « de cultiver autant qu’il est

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possible les arts libéraux, tel qu’est celui de la gravure en taille-douce, au burin et à
l’eau-forte, qui dépend de l’imagination de ses auteurs, et ne peut être assujetti à
d’autres lois que celles de leur génie » et que la constitution d’une maîtrise « au lieu
d’ouvrir la porte aux étrangers que leur génie et leur courage ont élevés au-dessus du
commun, [… leur interdirait] l’entrée du Royaume, en les menaçant d’une contrainte
qu’ils ne trouveraient point parmi les nations moins policées, et de plus bannir les Arts
au lieu de les attirer par un accueil favorable. » Le sort privilégié de certains graveurs,
admis sans condition à l’Académie, pensionnés, voire logés aux Gobelins témoigne de
cette ambition. Il s’agit d’attirer à Paris les meilleurs graveurs et d’empêcher leur
départ pour d’autres villes. Si l’on en croit La Condamine, auteur au XVIIIe siècle d’une
biographie de Gérard Edelinck dans l’ensemble bien informée, « Edelinck, sachant que
le Roi avait vu ses ouvrages et en avait témoigné de la satisfaction, lui demanda une
place à la pension de l’Académie de Rome. Sa Majesté, n’envisageant que les progrès
qu’il pourrait y faire, la lui accorda sans balancer. Mais M. Colbert représenta au Roi
qu’il n’y avait pour lors à Rome aucun graveur d’un certain mérite, et qu’il était à
craindre qu’on n’y fît à Edelinck un sort capable de l’y arrêter. C’en fut assez pour
déterminer le Roi à une autre résolution. L’ordre pour la pension de Rome fut révoqué,
et le mécène de la France, pour y fixer à jamais Edelinck, lui donna de l’ouvrage et se
chargea de faire son établissement. Il négocia lui-même son mariage avec M lle
Regnesson, dont le père était graveur et riche, et la lui fit épouser [en 1672] 8. » D’autres
graveurs, comme Étienne Picart, Girard Audran, Étienne Baudet, Benoît Farjat, Jean-
Louis Roullet, Nicolas Dorigny, Simon Thomassin, Guillaume Vallet… se rendirent à
Rome pour se perfectionner, certains avec une pension du roi, mais plusieurs d’entre
eux demeurèrent en Italie (Farjat, Dorigny), ce qui explique l’inquiétude de Colbert.
Florent Lecomte, dans la nécrologie qu’il consacra à Jean-Louis Roullet 9, le loue d’avoir
refusé les propositions qui lui étaient faites de s’installer à Rome (où il aurait été
préféré à François Spierre et à Cornelius Bloemaert, les graveurs alors les plus
renommés), à Naples ou à Vienne. Le besoin de disposer de bon graveurs aurait poussé
Le Brun à lui proposer de s’installer aux Gobelins « pour l’avoir plus assidûment auprès
de lui », « mais ce graveur voulant être libre également dans le choix de ses ouvrages
comme dans le maniement de les faire, il a méprisé la fortune afin de s’attacher
uniquement à ce qui la méritait. » La célébration de l’école française de gravure conduit
même à intégrer dans le Cabinet du Roy l’estampe gravée par Simon Thomassin à Rome
d’après la Transfiguration, bien que le recueil ne comporte que des tableaux des
collections royales. La lettre de l’estampe précise bien que le graveur était « élève dans
l’Académie de peinture et de sculpture entretenue par le Roy. ».
7 La qualité de la gravure française tient une place importante dans la construction
idéologique qui prétend que la France a désormais surpassé tous les pays européens. En
cela elle joue un rôle dans la Querelle des anciens et des modernes. Dans ses Hommes
illustres qui ont paru en France pendant le XVIIe siècle, Charles Perrault donne aux graveurs
une place plus importante que celle qu’il accorde aux sculpteurs et aux architectes
(quatre graveurs pour six peintres, un sculpteur et un architecte), même s’il met
l’accent sur les graveurs qui ont travaillé d’après leurs propres compositions : Callot,
Nanteuil, Mellan et Chauveau. Il insiste dans son Cabinet des beaux arts sur la valeur de la
gravure moderne : « Quelque beaux et bien peints que soient les tableaux, ils n’ont rien
qui ne soit exprimé dans les estampes, sur quoi je dirai qu’il y a peu d’arts qui dans ce
siècle se soient autant perfectionné que la gravure ». Elle sait varier son travail bien
mieux que le faisait Marc-Antoine Raimondi : « Elle a des touches de burin pour en

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représenter la mollesse, la dureté, la fluidité, la roideur, l’épaisseur et jusqu’aux


couleurs mêmes les moins sensibles, bien qu’elle n’ait que du blanc et du noir. » 10
8 On trouve le même discours tenu par Florent Lecomte, qui, s’il admet la supériorité de
Raphaël sur Le Brun, estime que les graveurs du Premier peintre du roi pourront
espérer « dans les siècles à venir la même recherche pour leurs ouvrages que celle
d’aujourd’hui pour le graveur de Raphaël »11 Et il explique plus loin que les estampes de
Raimondi n’ont pas par elles-mêmes « tout l’agrément possible » et que « les graveurs
d’aujourd’hui, joignant ensemble l’expression avec l’enjouement, et la correction avec
la liberté de leur burin, font voir qu’il n’y a rien dont les esprits de ce siècle ne viennent
à bout. »12 C’est ce qu’écrit encore en 1732 Bernard Picart : « Il serait ridicule d’exiger
des inventeurs d’un art la perfection que la longueur du temps leur a donnée par la
suite ; mais, il serait encore plus ridicule, en admirant leurs ouvrages, de fermer les
yeux sur les découvertes qu’on a faites depuis. […]Par exemple, la Sainte Famille de
Raphaël, dont le tableau est chez le Roi de France, et qui a été gravée anciennement, est
très inférieure, à mon sens, à celle qui a été gravée de nos jours par Edelinck. » 13
Perrault avait fait appel à Edelinck pour graver et faire graver les portraits des Hommes
illustres, comme pour diffuser le Cabinet des beaux arts, dont les graveurs sont Pierre
Lepautre et Jean Dolivar pour les vues d’ensemble, François Chauveau pour les
ornements et les tableaux sont gravés par Benoît Audran, Girard Audran, Étienne
Baudet, Jean Bonnart, Louis de Châtillon, Jean-Baptiste Corneille, Louis Cossin, Gérard
Edelinck, Pierre Lepautre, Charles Simonneau et Louis Simonneau. Comme il s’était
adressé à des peintres différents, témoignant de l’état de l’école française, il a aussi pris
soin de la représenter par la diversité des graveurs, du moins de ceux qui étaient alors
disponibles.
9 Cette affirmation d’une prééminence française dans le domaine de la gravure est
renforcée à la fois par la pratique des collectionneurs et par la publication des règles de
cet art. Dès 1651, Pierre Daret publie son Abrégé de la vie de Raphaël Sansio d’Urbin, très
excellent peintre et architecte, où il est traité de ses œuvres des stampes qui en ont été gravées,
tant par Marc-Antoine Bolognois qu’autres excellents graveurs, où il dresse un premier
catalogue des gravures d’après Raphaël, dont l’authenticité lui paraît plus assurée que
celle des dessins ou des tableaux. Les curieux de papier se multiplient : la figure du
collectionneur d’estampes maniaque devient avec La Bruyère un topos littéraire, et
dispose avec le Cabinet des singularités de Florent Lecomte de catalogues destinés à
l’aider à constituer des œuvres aussi complets que possible. Certes les gravures
italiennes, allemandes flamandes ou hollandaises sont particulièrement recherchées et
beaucoup plus nombreuses, mais la gravure française contemporaine est présente dans
toutes ces collections où, à côté des œuvres de Callot, de Mellan, ou d’après Vouet,
figurent celles de Sébastien Leclerc, de Nanteuil, des Poilly ou les recueils d’après Le
Brun. Les estampes enluminées, que l’exposition donne à voir, devaient être très
nombreuses, mais n’étaient guère destinées à être conservées. L’amateur d’estampes
s’intéresse aux qualités des tailles, que l’enluminure fait disparaître ; or, dans les
années précédant le règne personnel de Louis XIV, une nouvelle réflexion sur les la
façon de poser les hachures en perspective avait été menée par les plus illustres
graveurs parisiens14, et leurs œuvres étaient particulièrement apprécies, ce qui peut
expliquer la faible implantation en France de la gravure en mezzotinte. Il s’agissait
d’allier la correction des graveurs de Raphaël avec les qualités coloristes des graveurs
de Rubens. C’est aussi à des graveurs français, en particulier Abraham Bosse, que l’on
doit les premiers traités destinés à « réduire en art » la gravure 15, ce que souligne John

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Evelyn dès 166216, l’année ou Faithorne publia une traduction anglaise, qui succédait à
des traductions en allemand (1652) et en hollandais (1662). Il ne s’agit pas seulement
d’un manuel technique, mais aussi d’une réflexion, confuse comme l’est souvent Bosse,
sur l’esthétique de la gravure. En cela il répond, en avance, à la demande que Colbert
présenta à l’Académie royale de Peinture et de Sculpture en 1667, en demandant que
soient instaurées des conférences : « Que cet exercice serait aussi utile que glorieux à
leur corps, puisqu’en traitant de l’art de la peinture d’une manière qui n’a jamais été
pratiquée ailleurs, on verrait un jour que s’ils n’ont pas été des premiers à le découvrir,
ils auront au moins eu l’honneur d’être les premiers qui en auront mis les règles à leur
dernière perfection17. »
10 Toutefois, dans la collection de Marolles, à côté des volumes rangés par maîtres,
figuraient les volumes thématiques dont un millier de « Pièces Emblématiques
ridicules » de différentes nations, un « Livre de pièces de Bouffonneries de l’invention
de divers Maîtres de Paris, quelques-uns desquels se sont permis un peu trop de licence
pour divertir le peuple », mais qui « laissent pourtant pas de servir aux connaissances
de l’Histoire du temps » Bien de ces images ne figureraient pas à la Bibliothèque
nationale sans le legs de Michel Hennin au XIXe siècle, et sont devenues beaucoup plus
rares que les estampes exécutées par les graveurs du roi, logés aux Gobelins ou
membres de l’Académie, qui ont été plus systématiquement collectionnées. La gravure
« demi-fine » des almanachs, des estampes de mode ou des sujets de dévotion est
destinée à une consommation immédiate et non à être conservée. Certes, une annonce
publicitaire parue dans le Mercure galant de décembre 1692 indique « ce qu’il y a de plus
considérable dans ces Almanachs, c’est qu’ils comprennent tous les sujets remarquables
de chaque année, et qu’ils cherchent à en rafraîchir la mémoire par les dates qui y sont
marquées fort exactement, ce qui fait que beaucoup de Curieux prennent soin d’en faire
des recueils et en veulent avoir des premières épreuves… »18 De même Florent Lecomte
incite aussi à constituer des collections d’images de mode : « Dieu de Saint-Jean est un
de ceux qui a commencé les gravures de différentes modes et attitudes, dont on a été
assez content. Il inventait et dessinait et il les faisait graver pour les débiter au public ;
il a fait notamment le portrait du roi à cheval, le même habillé à la mode,[…] Monsieur
Le Pautre en a fait aussi, Messieurs Bonnart, Mariette le fils, Trouvain et les autres les
continuent encore aujourd’hui avec succès, inventant et représentant tout ce que leur
imagination leur offre ; car c’est assez que ce soit une nouveauté pour plaire, qu’elle ait
un fondement ou qu’elle soit sans principe, on ne laisse pas que de donner dedans avec
plaisir, et cela pourra même former des recueils dans la suite, dont la curiosité ne sera
pas indifférente. »19 Ces recueils pourtant sont beaucoup plus rares que ceux des
œuvres de Callot, Sébastien Leclerc, Vouet ou Le Brun.

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Ill. 3. Antoine Thomassin, Dame de qualité jouant au solitaire, eau-forte et burin, v. 1700. BnF,
Estampes, Oa-52-4

11 L’image liée à l’expérience quotidienne, qu’elle soit à portée comique ou emblématique


a une longue tradition, surtout en Hollande20, ainsi que l’image politique. Un assez fort
contrôle de l’État fait que ces images sont moins variées à Paris sous Louis XIV qu’elles
ne l’ont été dans d’autres pays d’Europe. On peut même être frappé de l’absence de
toute gravure pornographique conservée. Il est pourtant probable qu’au moins des
copies des Modi de Marc-Antoine Raimondi et des Lascivie d’Agostino Carracci
circulaient à Paris. En revanche, l’exposition montre bien la place que tient la
civilisation française contemporaine dans l’estampe demi-fine. À force de l’entendre
répéter par les idéologues du régime, les Français étaient convaincus de vivre une
période historique exceptionnelle. Le siècle de Louis le Grand avait succédé à ceux
d’Alexandre, d’Auguste, des Médicis, et même, si l’on en croyait Charles Perrault, les
avait surpassés. Tout devait donc être conservé pour la postérité, mais aussi montré au
citadin éloigné de la cour. La plupart des grands événements royaux devaient être
donnés à voir, soit par le biais des planches diffusées par le Cabinet du Roy, soit par les
images reconstruites des éditeurs de la rue Saint-Jacques. Les nouvelles modes, tant
dans le comportement, que dans la décoration des hôtels et des palais, que dans les
habitudes vestimentaires suscitaient une curiosité comparable à celle qu’éprouvent les
actuels acquéreurs des magazines dits people. On voulait connaître les traits, les
habillements, les façons de vivre de la famille royale et des gens de qualité. N’en
déplaise à Florent Lecomte, ces images étaient vite remplacées par les suivantes, à la
dernière mode, plus que conservées dans une perspective historique.
12 C’est donc toute une civilisation de l’image que l’exposition de Los Angeles et de Paris
donne à voir. Certes, quelques domaines ont été laissés de côté, les cartes
géographiques, les paysages sont à peine représentés, la gravure d’illustration est
absente, ainsi que les recueils pédagogiques pour apprendre à dessiner ; la

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consommation de l’image sous Louis XIV ne se limite pas à l’estampe française, ni à


l’estampe contemporaine (les marchands possèdent et continuent à exploiter des
planches anciennes), mais à travers ces cent-dix estampes bien choisies et parfois
exceptionnelles, on dispose d’un panorama satisfaisant que vient enrichir un catalogue
riche d’informations.

NOTES
1. A Kingdom of Images : French prints in the Age of Louis XIV, Los Angeles, Getty Research Institute,
juin-septembre 2015 ; Images du Grand Siècle, l’estampe française au temps de Louis XIV, Paris, BNF,
novembre 2015-janvier 2016.
2. Arrêt du conseil réédité in M. Grivel, Le commerce de l’estampe à Paris au XVIIe siècle, Genève, 1986,
p. 406-407.
3. A. Félibien, Principes, 1676, p. 383.
4. M. de Marolles, Catalogue de livres d’estampes et de figures en taille-douce, avec un dénombrement des
pièces qui y sont contenues, Paris, 1672.
5. Charles Perrault, Mémoires de ma vie, éd. P. Bonnefon, éd. Paris, 1993, p. 125-126.
6. Ph. Tamizey de Larroque, Lettres de Jean Chapelain, t. II, 1883, p. 272-277.
7. A. Félibien, Tableaux du cabinet du Roy, statues et bustes antiques des maisons royales, Paris, 1677,
avant-propos.
8. J. Lichtenstein et Chr. Michel (dir.), Conférences de l’Académie royale de Peinture et de Sculpture, t.
VI, 2015, vol. 1, p. 363-364.
9. Florent Le Comte, Cabinet des singularités d’Architecture, Peinture, Sculpture et Gravure, Paris, 1700,
t. III, 2e partie, p. 202-208.
10. Ch. Perrault, Le Cabinet des beaux Arts ou recueil d’estampes gravées d’après les tableaux d’un
plafond, Paris, 1690, p. 4.
11. Fl. Lecomte, op. cit, t. III, p. 217.
12. Ibid., p. 249.
13. B. Picart, Impostures innocentes, ou Recueil d’estampes d’après divers peintres illustres : tels que
Rafael, le Guide, Carlo Maratti, Amsterdam, 1734, p. 3
14. E. Bouvy, Nanteuil, 1923, p. 56-62 ; M. Le Blanc, D’acide et d’encre. Abraham Bosse et son siècle en
perspective, Paris, 2004, p. 89-102 ; A. Adamczak, Robert Nanteuil ca. 1623-1678, Paris, 2011,
p. 37-38.
15. Sur la notion de « réduction en art », voir le recueil publié par P. Dubourg-Glatigny et H.
Vérin (dir.), Réduire en art : la technologie de la Renaissance aux Lumières, Paris, MSH, 2008.
16. J. Evelyn, Sculptura: Or the History, and Art of Chalcography and Engraving in Copper, 1662, 2ème
éd., 1755, p. 90.
17. A. Félibien, Conférences de l’Académie royale de Peinture et de Sculpture pour l’année 1667, Paris,
1668, préface non paginée.
18. Cité par M. Préaud, Les effets du Soleil. Almanachs du règne de Louis XIV, cat. exp., Paris, 1995,
p. 16, note 21.
19. F. Lecomte, op. cit, t. III, p. 198.

Nouvelles de l’estampe, 252 | 2015


13

20. Voir notamment le catalogue de l’exposition Mirror of everyday Life. Genreprints in the
Nederland 1550-1700, Amsterdam, 1997, même s’il tire trop nettement toutes les images du côté de
l’emblématique.

INDEX
Index géographique : France
Index chronologique : 17e siècle

AUTEUR
CHRISTIAN MICHEL
Professeur ordinaire d’histoire de l’art de la période moderne à l’université de Lausanne

Nouvelles de l’estampe, 252 | 2015


14

De Paris à Strasbourg
Les métamorphoses d’un cycle d’estampes du XVIIe siècle
From Paris to Strasbourg. The metamorphosis of a print cycle

Christine Moisan-Jablonski

1 C’est avant tout par le biais des estampes publiées en France que des modèles picturaux
français influencèrent la peinture des pays voisins. Toutefois, on ne doit pas oublier que
nombre d’estampes parues au XVIIe siècle à Paris servaient aussi de modèles directs à
des copies graphiques recréées chez des éditeurs étrangers. Ainsi les cycles allégoriques
édités par Jean Ier Leblond et Rolland Leblond et burinés par le Dantzigois Jeremias
Falck et le Flamand Guillaume de Gheyn servirent-ils de modèles à Cologne et à
Strasbourg1. Dans ce genre de pratique, il n’est que de citer la série des Allégories des
Saisons éditée par Peter II Aubry. Elle est d’autant plus intéressante qu’elle permet
d’examiner de plus près le phénomène d’imitation des modèles français à la mode tout
en adaptant la représentation visuelle et le contenu du commentaire aux goûts d’une
autre clientèle.

Les Quatre Saisons


2 Les représentations des quatre saisons, par l’intermédiaire des arts plastiques,
définissaient les lois immuables gouvernant le temps terrestre. Les compositions
avaient pour but d’exprimer un concept philosophique de la vie humaine allant du
carpe diem d’Horace à la vanitas omniprésente. Les saisons qui cadençaient le cycle
annuel du temps dans le monde sublunaire s’inscrivaient idéalement dans une diversité
de programmes iconographiques complexes, dont le principe était de montrer l’unité
existante entre l’homme et son milieu ambiant. En même temps, en ornant les
résidences des rois, princes et modestes seigneurs, elles en faisaient l’éloge. Dans les
arts graphiques du XVIIe siècle, les saisons sont illustrées par des personnifications
traditionnelles et par un choix abondant de scènes de genre et de paysages.

Nouvelles de l’estampe, 252 | 2015


15

Ill. 1. Guillaume de Gheyn d’après Charles Le Brun, Rolland Leblond (éd.), Le Printemps, burin, eau-
forte, vers 1639-1642, 28,6 x 21 cm, Paris, BnF, Estampes, Da-35-fol. 169

3 Au XVIIe siècle, les allégories des saisons s’apparentaient souvent à des demoiselles
vêtues de toilettes à la mode2. De jeunes et séduisantes dames, dont l’âge ne reflétait en
rien la flétrissure due à la ronde du temps, responsable de la variété de leur
physionomie, venaient déloger dorénavant les dieux antiques. Les attributs et la mise
vestimentaire seuls, adaptés au goût ambiant, permettaient de différencier le Printemps
de l’Hiver. Le graveur J. Falck a été le coauteur de plusieurs cycles de cette sorte. Lors de
son séjour à Paris, il a effectué pour Rolland Leblond et Jean I er Leblond trois séries de
gravures illustrant les saisons3. Il importe de signaler que ces estampes allégoriques
s’inscrivaient dans un genre de plus en plus populaire, proche de la gravure de mode,
présentant les atours féminins en vogue adaptés à chaque saison.
4 Le premier de ces cycles, apparemment le plus ancien puisqu’il a été tiré au temps où
Rolland Leblond vendait ses estampes à l’enseigne du Pélican 4, est l’œuvre de deux
graveurs. Les planches du Printemps et de l’Été ont été faites par G. de Gheyn 5, celles de
l’Automne et de l’Hiver par J. Falck. On lit la signature du buriniste néerlandais sur deux
planches : elle a été placée dans l’angle en bas à droite de ses estampes 6. Ces deux
gravures sur cuivre se trouvent à la Bibliothèque nationale de France à Paris 7. L’auteur
des compositions originales est Charles Le Brun. Nous savons qu’il s’agissait de quatre
panneaux peints en camaïeu vers 1639-1642, comme les panneaux peints en grisaille
attribués à Juste d’Egmont, qui servirent de modèles pour les planches de la série des
Éléments8 et des Cinq Sens9 burinées par J. Falck pour Jean Ier Leblond. Nicolas Sainte Fare
Garnot a identifié les tableautins de l’Automne et de l’Hiver, aujourd’hui séparés, dans
deux collections privées10. Bien que la signature « C. Le Brun pinxit » apparaisse
uniquement sur la planche illustrant l’Hiver, Henri Jouin, auteur du catalogue des
œuvres du peintre, a considéré que le cycle complet est issu de quatre tableaux des
Saisons dus au pinceau de Le Brun11.

Nouvelles de l’estampe, 252 | 2015


16

Le Printemps

5 Se promenant sur une terrasse, une dame vêtue d’une robe somptueuse personnifie le
Printemps12 (ill. 1). Dans l’échappée seulement entre les balustres, on voit des plates-
bandes et des arbres s’étendant dans le lointain du jardin. Un petit chien est assis sur la
balustrade. La personnification tend vers le spectateur une rose, un des attributs du
printemps, et elle tient dans l’autre main un vase garni de fleurs. Deux strophes
commentent l’estampe, rappelant que la saison du printemps est celle où la nature
s’éveille à la vie et à l’amour. Entre les deux colonnettes du poème, on lit son titre : « LE
PRINTEMPS ».
Estant des Saisons la plus belle
Je peint la Campagne de fleurs ;
Que l’Aurore arrouse de pleurs,
Quand la Terre le renouvelle.
A mon agreable venue,
Les Poissons bruslent dans les eaux ;
Et pour repeupler l’air d’Oiseaux,
Amour les blesse dans la nue.

Ill. 2. Peter II Aubry (éd.), Johann Michael Moscherosch (auteur du commentaire), Le Printemps,
burin, eau-forte, après 1639/1642-1668, 30 x19,8 cm, Braunschweig, Herzog Anton Ulrich-Museum,
JMMoscherosch AB 3.1, photo HAU-M

6 Ici, il convient de comparer l’estampe française avec sa copie allemande. Ce cycle


d’estampes, qui reprend les supposées compositions de Charles Le Brun, a été mis sous
presse dans l’officine de Peter II Aubry13, à Strasbourg. Les copies graphiques ont été
exécutées en contrepartie, le nom du graveur nous est inconnu. On ne peut toutefois
pas exclure qu’elles aient pu être gravées par l’imprimeur lui-même 14. Les cuivres

Nouvelles de l’estampe, 252 | 2015


17

portent la signature de l’éditeur et celle de l’auteur des commentaires versifiés, lequel


s’est révélé être Johann Michael Moscherosch15 (1601-1669), homme d’État allemand,
satiriste et pédagogue. L’auteur des copies strasbourgeoises a introduit des
modifications d’assez grande ampleur dans l’arrière-plan des compositions et n’a
reproduit servilement que l’effigie des personnifications. En outre, le titre en allemand
de chaque estampe a été inscrit dans une couronne. L’inscription Frühling est cernée de
fleurs, Sommer d’épis de blé, Herbst de feuilles et de grappes de raisin, Winter de
branches de conifères.
7 La personnification du Printemps16 (ill. 2) ne se tient pas debout sur la terrasse d’un
palais imaginaire avec vue sur les parterres d’un clos, comme on le voit sur l’estampe
publiée par Leblond. On ne voit sur la gravure strasbourgeoise ni le petit chien assis sur
la balustrade, ni le fragment de mur où est nichée une sculpture, ni la draperie
décorative si souvent visible, ne serait-ce que sur les portraits d’apparat.
8 La personnification du Printemps, sur l’estampe qu’Aubry a éditée, est exposée dans un
jardin ; elle se dresse dans l’herbe et, au-delà de son dos vers la gauche, on distingue la
silhouette d’une fontaine avec la statue de Neptune à son faîte, tandis qu’à sa droite on
aperçoit un couple déambulant dans une allée. Un homme jeune, chapeau en tête, pose
sa main gauche sur sa poitrine tout en regardant sa compagne. Conformément au
principe inscrit dans Ver Veneris, le couple d’amoureux incarne le badinage printanier.
Un détail significatif différencie la robe de la demoiselle en train de coqueter de celle de
la personnification : le pourtour du bas de la robe est brodé de trois galons, coutume
typique des costumes de la bourgeoisie allemande. Par ailleurs, c’est davantage la
teneur des mots qui particularise l’estampe strasbourgeoise en regard de celle en
français, quoique l’esprit de la première strophe ressemble assez à celui du
commentaire en français :
Levez-vous, tout être veut dès lors convoler en noce ;
Tout ce qui respire et vit sur terre
Dans les airs comme dans les eaux flotte.
Les fleurs des champs s’assemblent entre elles.
Levez-vous ; tout être veut dès lors convoler en noce.
Frisch auff; all Creatur will ietz zur Hochzeit fahren
Wass auff Erden leibt und lebt,
In der lufft und Wassern schwebt.
Die Blumen in dem feld sich miteinander paren
Frisch auff; All Creatur will ietz zur Hochzeit fahren.
9 Si la première partie du commentaire en allemand peut passer pour une paraphrase
approximative du huitain en français dépeignant le printemps comme le renouveau de
la terre et de l’amour fécond, la seconde est en revanche d’un esprit tout à fait opposé.
Moscherosch écrit :
Éveille en moi aussi, ô Seigneur, une conscience nouvelle
Dans les péchés du gel hivernal
Je gis ici sans aide et consolation ;
Toi seul, ô Seigneur, peux me donner ce que je demande,
Éveille donc, oh ! éveille en moi une conscience nouvelle.
Schaff du auch, Gott in mir ein new gewisses leben
In des sünden Winters frost
Lig ich da ohn hülff und trost.
Du kannst allein, O Herr, mir was ich bitte geben
So schaff, ach schaft in mir ein new gewisses leben.

Nouvelles de l’estampe, 252 | 2015


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10 Composée dans le style d’une invocation implorant Dieu, la seconde partie du


commentaire modifie entièrement la portée sémantique de l’estampe. Le printemps
n’est plus tant la manifestation d’une fête radieuse et insouciante de toute la nature
que la venue du réveil de la moralité. Moscherosch dépeint pour nos yeux un pécheur
impuissant demandant à Dieu de l’aider. Pareillement, le sens des trois autres estampes
du cycle est altéré par le biais du commentaire.

L’Été

11 Enserrée dans l’estampe parisienne, (ill. 3) une jeune femme, montrée dans un paysage
estival en lointain, symbolise « L’ESTÉ »17. Un petit miroir octogonal est noué à la
ceinture de la robe de la joliette. Deux gerbes de blé sont placées à ses pieds. Dans sa
dextre, elle tient une faucille, l’outil du moissonneur, dans sa main gauche levée un
éventail pour apaiser les morsures de la chaleur de l’été. La personnification semble
adresser au spectateur les paroles juxtaposées à l’estampe :
L’astre qui tout le Monde esclaire,
M ayde a faire meurir les grains,
Que je repends à pleines mains,
Et sa chaleur m’est nécessaire.
C’est par moy qu’avec sa Faucille,
Le Paysan dedans les Gueres,
Couppe les presens de Ceres,
Affin d’en nourrir sa Famille.
12 Ici, les vers n’évoquent pas l’amour, mais le blé que le feu solaire fait mûrir, don de la
déesse Cérès, grâce auquel le paysan peut nourrir sa famille.

Nouvelles de l’estampe, 252 | 2015


19

Ill. 3. Guillaume de Gheyn d’après Charles Le Brun, Rolland Leblond (éd.), L’Été, burin, eau-forte, vers
1639-1642, 28,8 x 20,8 cm, Paris, BnF, Estampes, Da 35, fol. 170

13 Sur la gravure allemande (ill. 4), la pimpante dame ne se tient pas debout près de
l’arbre. Le paysage en fond a été transformé. De Gheyn présente un paysage sans
personnages s’étendant au loin où l’on perçoit sur la gauche des champs de blé mûr.
Sur la planche allemande au contraire, on remarque que les travaux relatifs à la
moisson sont davantage concrétisés : à gauche, on voit un groupe de paysans chargeant
des gerbes de blé sur une charrette à laquelle deux bœufs sont attelés ; à droite, on
rencontre, vêtus à la mode, un couple de nobles se promenant en compagnie d’un petit
chien qui va trottinant. De la main gauche, l’homme à l’épée ceinte au côté indique à sa
compagne les paysans en train de vaquer. Son geste semble être en concordance avec
les mots du commentaire :
Qui ne veut ores moissonner devra le regretter l’hiver venu.
À chacun selon son rang,
Prends en main la faux et la faucille,
Fauche, assemble, lie, moissonne la récolte féconde.
Qui ne veut ores moissonner devra le regretter l’hiver venu.
Wer ietz nicht samlen will, der muss den Winter darben
Jeder nehm in seinem standt,
Senss und sichel in die handt.
Schneid, leg, bind, Ernde ein die schwanger grosse garben
Wer ietz nicht samlen will, der muss den Winter darben.
14 Remarquons que ces vers sont comme l’écho des instigations contenues dans le Livre des
Proverbes – Pr. 6,6 – à l’encontre de la paresse 18. La comparaison des personnages
appartenant à deux classes sociales distinctes et aux tâches divergentes est en rapport
avec la convention traditionnelle largement répandue dans le graphisme néerlandais
des XVIe et XVIIe siècles. Le sens latent de la première partie du commentaire est
manifesté dans les vers qui suivent :

Nouvelles de l’estampe, 252 | 2015


20

Quoique j’aime Ton Droit de tout mon cœur,


Je Te prie, ô Seigneur,
De m’aider ; non pas tant
De jouir du fruit de mon travail journalier
Mais que de ce que maintenant et à jamais j’aime Ton Droit.
Dass ich die rechte dein von gantzem hertzen liebe
Das ist O Gott meine bitt
Hülff du mir ; auff das ich nit.
Die früchte meiner Duss von tag zu tag auffschiebe
Sondern die rechte dein ietz und und ewig liebe.
15 Ainsi, accomplir une tâche quotidienne résulte de l’observation des commandements,
et la joie qui provient de se conformer au droit divin l’emporte sur le plaisir temporel
dû au fruit du labeur.

Ill. 4. Peter II Aubry (éd.), Johann Michael Moscherosch (auteur du commentaire), L’Été, burin, eau-
forte, après 1639/1642-1668, 30,1 x 20,2 cm, Braunschweig, Herzog Anton Ulrich-Museum,
JMMoscherosch AB 3.2, photo HAU-M.

L’Automne

16 Une femme parée d’une toilette d’époque, debout sur fond de draperie, personnifie
l’Automne (ill. 5), allégorie que J. Falck a gravée19, et troisième planche que Leblond a
éditée. Un collier de perles ornemente son cou, sa main droite porte un panier garni de
fruits parmi lesquels on distingue du raisin ; de l’autre main, elle tient un verre empli
de vin. Au fond, au-delà du rideau tiré, s’étend un paysage montagneux boisé. Les
strophes en vers qui suivent en constituent le commentaire :
Je me vante que sur la terre,
Je fais multiplier le fruit,

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21

Qui par les Arbres est produit,


Et que le Laboureur resserre.
Qu’Apollon garde sa Maistresse ;
Je n’enuie point son Amour ;
Puis que Bacchus me fait la cour,
Et que Pomone me caresse.
17 La personnification se targue des fruits qu’elle multiplie tout en se prévalant d’être la
protégée tant de Bacchus, dieu de la vendange qui lui adresse ses galanteries, que de
Pomone, nymphe protectrice des jardins et des vergers.

Ill. 5. Jeremias Falck d’après Charles Le Brun, Rolland Leblond (éd.), L’Automne, burin, eau-forte,
vers 1639-1642, 28,8 x 21 cm, Paris, BnF, Estampes, Da-35-fol. 171

18 Sur l’estampe que Peter II Aubry a éditée (ill. 6), il n’y a pas de draperie dissimulant
une partie du paysage. La personnification cependant se tient debout sur un sol en
carrelage analogue. Dans le lointain, on voit un paysage montagneux. Comme sur les
autres planches de Strasbourg, les activités qu’on y décèle correspondent à la saison. À
gauche, un homme cueille les fruits d’un arbre et les dépose dans un panier que
soutient une femme, leur compagne semble retenir des fruits dans le creux de son
tablier. À l’opposé, un couple élégamment vêtu regarde avec attention ceux qui
vaquent aux vendanges : alors que les uns apportent des hottes remplies de raisin, un
autre écrase les grappes jetées dans la presse à bras. Tout près, un paysan est occupé à
confectionner des tonneaux. Là encore, Moscherosch se réfère au commentaire
français :
C’est la meilleure saison où la terre nous offre de copieuses récoltes,
Chacun apporte avec joie
Pommes, bière, moût et vin
Et tout le nécessaire qu’on doit avoir pour vivre l’année durant.
C’est la meilleure saison où la terre nous offre de si copieuses récoltes.

Nouvelles de l’estampe, 252 | 2015


22

Der Erden beste zeit gibt uns nun reiche gaben,


Jederman trägt frölich ein,
Äpffel, Bieren, Most und Wein
Und was man durch das Jahr zu leben sonst muss haben
Der Erden beste zeit gibt uns solch reiche gaben.

Ill. 6. Peter II Aubry (éd.), Johann Michael Moscherosch (auteur du commentaire), L’Automne, burin,
eau-forte, après 1639/1642-1668, 30,4 x 20,7cm, Braunschweig, Herzog Anton Ulrich-Museum,
JMMoscherosch AB 3.3, photo HAU-M.

19 Au final, le poète tourne ses pensées vers Dieu, donateur de tous les biens :
Seigneur, ce que je suis et ai tout est grâce,
À toi seul je suis redevable
Que je vis dans la paix et la quiétude.
À celui que tu protèges l’ennemi ne fera aucun mal,
Seigneur, ce que je suis et ai tout est grâce.
Herr was ich hab und bin ist alles auss Genaden,
Dir allein schreib ich es zu
Das ich leb in frid und ruh
Wen du behütst dem mag der feind nicht schaden,
Herr was ich hab und bin ist alles auss Genaden.

L’Hiver

20 « L’HYVER » (ill. 7), ultime saison du cycle engendré à Paris 20, est symbolisé par une
dame habillée d’une robe somptueuse, perles au cou ; elle se tient debout devant une
cheminée où brûle un feu ardent d’où s’élève de la fumée. De la main gauche, elle lève
un pan de son manteau, son pied droit que galbe un soulier à la mode fait saillie dessous
sa toilette. Face à la cheminée, l’échine tournée vers le spectateur, un petit chien de
compagnie jouit de la chaleur du foyer. Deux quatrains énoncent le credo de l’hiver :

Nouvelles de l’estampe, 252 | 2015


23

Je purge les humeurs des Corps,


Et dans le sein de la Nature,
Je Scay conserver les Thresors,
Qui seruent à leur nourriture.
Puis qu’il est vray qu’en cent façons
A la Terre ie suis vtile,
Sans mes neges et mes glaçons,
Comment seroit elle fertile.
21 La neige et la glace se révèlent être une bénédiction pour la terre qui aura des récoltes
opulentes grâce aux bienfaits de l’hiver.

Ill. 7. Jeremias Falck d’après Charles Le Brun, Rolland Leblond (éd.), L’Hiver, burin, eau-forte, vers
1639-1642, 28,9 x 21 cm, Paris, BnF, Estampes, Da-35-fol. 172

22 L’iconographie de la gravure allemande (ill. 8), exceptionnellement, ne distingue en


rien de celle du modèle que J. Falck a gravé. En revanche, il est difficile de trouver dans
les vers que Moscherosch a composés une quelconque allusion au commentaire en
français. De même que pour l’Été, le poète allemand amplifie une réflexion louant le
labeur en puisant dans le Livre des Proverbes :
Qui est en force de faire, qu’il œuvre avec ardeur,
Qui a passé l’été à se gaver goulûment
Voudrait à l’automne fainéanter,
Celui-là ne jouira du fruit de son labeur.
Qui donc est en force de faire, qu’il œuvre avec ardeur.
Wer kan, der schicke sich, und schaff mit händ und füssen.
Wer in Sommer schlinglen gebn,
Im Herbst wolte müssig stehn.
Der wird der Arbeit sein im Winter nicht geniessen
Drumb schicke sich wer kan, und schaff mit händ u. füssen.

Nouvelles de l’estampe, 252 | 2015


24

Ill. 8. Peter II Aubry (éd.), Johann Michael Moscherosch (auteur du commentaire), L’Hiver, burin,
eau-forte, après 1639/1642-1668, 30,2 x 20,2 cm, Braunschweig, Herzog Anton Ulrich-Museum,
JMMoscherosch AB 3.4, photo HAU-M.

23 En accord avec l’esprit du protestantisme, le poète considère que la prospérité obtenue


par le travail est avant tout la marque de la bénédiction divine :
Fais, ô Dieu clément, que je sois fidèle en toutes choses,
Que je vive avec prudence,
Porte-moi conseil et aide,
Pour Ta gloire qu’ici et là tout me profite,
Accorde seulement que je sois fidèle, ô Seigneur, en toutes choses.
Lass mich O fromer Gott trewlich in allen dingen
Und vorsichtig gehen und,
Mir zu rath und hülffe kum.
So wird zu deiner Ehr mir hie und dort gelingen,
Gib nur: das ich sey trew, O Herr, in allen dingen.

Entre Paris, Amsterdam et Strasbourg


24 Le cycle des saisons publié par R. Leblond a dû jouir d’une grande renommée. Les
planches que G. de Gheyn et J. Falck ont gravées ont servi de modèles non seulement
aux estampes de Strasbourg, mais à d’autres, par exemple celles qu’a fait paraître
Gerard Valck21, graveur et éditeur hollandais. Toutes les planches ont été gravées au
burin en contrepartie par rapport aux originaux. Les noms français ont été remplacés
par des titres en néerlandais : Lente, Somer, Herfst, Winter (ill. 9-12), mais elles n’ont pas
été dotées de commentaires versifiés. Les exemplaires qui se trouvent dans la collection
du Cabinet des estampes de la BnF22 portent la signature de l’éditeur : « G Valck ex. ».
Les années d’activité indépendante de l’artiste, de 1672 à 1726 environ, permettent

Nouvelles de l’estampe, 252 | 2015


25

d’établir indirectement la date de leur création. Ces estampes proviennent des années
où G. Valck était imprimeur23, ce que confirme la signature.

Ill. 9. Gerard Valck, Le Printemps, burin, eau-forte, après 1666-1726, 28,2 x 22,2 cm, Paris, BnF,
Estampes, Oa-45-pet fol, p. 60

25 La découverte des planches originales ayant servi de modèles aux estampes allemandes
et néerlandaises permet, entre autres, de préciser leur datation. Comme l’a remarqué
Bénédicte Gady, les estampes éditées par Rolland Leblond ont dû être burinées vers
1639-1642. L’année du départ de Charles Le Brun à Rome fixe une date basse. Le fait de
connaître le modèle français permet aussi d’analyser avec plus de précision le degré
d’imitation, tant du point de vue des dimensions des estampes 24, de la technique
utilisée, de la manière de graver que de la dextérité technique de l’exécutant. Pour ce
qui concerne la série citée et leurs deux imitations, on constate que toutes les planches
ont été gravées au burin. On aperçoit des traces menues dues à l’utilisation de l’eau-
forte sur les estampes de Guillaume de Gheyn et de Falck25, utilisation aussi visible à un
degré supérieur sur les planches que Gerard Valck a publiées 26 Sur les cuivres d’Aubry,
on a utilisé l’eau-forte pour travailler les scènes en arrière-plan des estampes 27.

Nouvelles de l’estampe, 252 | 2015


26

Ill. 10. Gerard Valck, L’Été, burin, eau-forte, après 1666-1726, 27,8 x 21,8 cm, Paris, BnF, Estampes,
Oa-45-pet fol, p. 61

26 La connaissance du modèle permet de scruter les analogies et les dissimilitudes tant au


niveau de l’image que du verbe. Les cycles publiés par les Leblond et Aubry
s’adressaient à la bourgeoisie. Ce faisant, le goût de la clientèle parisienne 28 était bien
différent des prédilections des acquéreurs à Strasbourg. Une ambiance de gaieté,
teintée d’une touche de sensualité, anime les estampes parisiennes. On apprécie les
douceurs de la vie : le bon vin, la chaleur de la cheminée, la promenade sur la terrasse
dominant le jardin, la belle vue sur un paysage montagneux… Le paysage en lointain
dépourvu de présence humaine est apprécié comme agrément visuel ; il joue en
quelque sorte le rôle d’un attribut, en rapport avec la pose et la parure des
personnifications, imitant en cela, sur les planches du Printemps et de l’Automne, les
conventions des portraits d’apparat. La draperie, les éléments architecturaux, la
présence des chiens de compagnie, tout cela fait partie du décorum. Conformément au
commentaire en français, vantant les bienfaits de chaque saison, celui-ci évoque les
dieux de l’Antiquité, Bacchus et Pomone par exemple, symboles des attraits et des joies
de l’automne, et omet le dieu des chrétiens.

Nouvelles de l’estampe, 252 | 2015


27

Ill. 11. Gerard Valck, L’Automne, burin, eau-forte, après 1666-1726, 27,3 x 21,3 cm, Paris, BnF,
Estampes, Oa-45-pet fol, p. 62

27 À l’inverse des vers français, c’est la présence du Tout-Puissant qui prédomine dans les
commentaires en allemand29. La vision qu’on en donne est puisée dans la Bible, au Livre
des Psaumes : « Tu couronnes l’année de tes bontés », Ps. 65,12. Avant tout, il ne s’agit
pas tant des dons reçus pour le plaisir de la chair que des bontés dont le Seigneur
nourrit l’âme. Le caractère religieux des commentaires et leur portée didactique sont
en corrélation avec les modifications introduites dans les images. Hormis la planche de
l’Hiver, on a tout à fait altéré le fond des estampes de Strasbourg. Et, quoiqu’on puisse
discerner un jeune couple s’adonnant au plaisir d’une promenade printanière, c’est
surtout l’image du travail qui prévaut : moisson, vendange, cueillette des fruits,
vinification. Le petit chien ne tient plus compagnie à la personnification du Printemps,
mais à celle du couple surveillant des paysans au travail en été.
28 Les changements apportés étaient certainement adaptés aux besoins de la population
protestante, ce que confirment aussi les réflexions omniprésentes ayant trait aux
valeurs morales du travail. Comparé au cycle français, celui d’Aubry apparaît très
austère, empreint de l’esprit de prédication. En regardant le cycle de Strasbourg, on a
l’impression que les estampes parisiennes ont été censurées dans l’esprit de la
confession dominante de cette ville rhénane.
29 On peut se demander qui a eu le plus d’influence sur les modifications introduites. Pour
tenter une réponse hypothétique, il convient d’examiner d’autres cycles allégoriques
qu’Aubry a publiés, ainsi que le rôle tenu par Johann Michael Moscherosch à
Strasbourg. Parmi les cycles variés que Peter II Aubry a édités et pourvus de
commentaires rédigés par Moscherosch, on en trouve deux concernant les Saisons, deux
autres illustrant les Cinq Sens, et un autre encore se rapportant aux Parties du Jour 30.
L’auteur de ces lignes a réussi à démontrer que trois d’entre eux, c’est-à-dire un cycle

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28

différent sur les saisons, sur les cinq sens et les parties du jour, ont été créés en se
fondant sur trois séries d’estampes que Balthasar Moncornet 31 a publiées. À mon avis, le
cycle représentant les cinq sens s’appuie aussi sur un modèle français qui a été édité
par François Mazot32. Pour ce qui concerne aussi les séries susmentionnées, c’est la
pensée de la dévotion protestante qui imprègne la plupart des commentaires que
Moscherosch a rédigés. Chose curieuse, on a introduit dans le cycle des Parties du Jour
des changements significatifs dans les attributs des personnifications en les adaptant à
l’expressivité des vers allemands.
30 Il est intéressant aussi de comparer la signification des commentaires de Moscherosch
relative aux saisons seulement33. On saura reconnaître que les vers de ce poète
allemand, qui annotent un cycle différent sur les saisons, lequel prend pour modèle les
estampes de Balthasar Moncornet, ne dépeignent que d’une manière conventionnelle
les occupations et les joies liées à chaque saison et ne comportent aucune considération
moralisante.

Ill. 12. Gerard Valck, L’Hiver, burin, eau-forte, après 1666-1726, 27 x 21 cm, Paris, BnF, Estampes,
Oa-45-pet fol, p. 63

31 Situer précisément la date de la création du cycle strasbourgeois n’est guère possible.


En tenant compte de la datation des estampes françaises, ce pourrait être au plus tôt
vers 1639 ou quelques années plus tard (1642). Quant à la date limite, elle est fonction
de la mort de Peter II Aubry, soit 1666/1668. Toutefois, la période la plus vraisemblable
semble être les années quarante, ou bien les années cinquante du XVIIe siècle. Il faut
savoir que dans les années 1645-1655, Moscherosch était établi à Strasbourg où il
occupait un poste important dans le tribunal de police, celui de Fiskal des Polizeigerichts.
Dans les années 1656-1660, il était membre du conseil municipal (Staatsmann im
Kabinett). Si l’on tient compte de sa haute position, il est tout à fait plausible qu’il ait
écrit les commentaires pour les Saisons et qu’il a pu suggérer ou même recommander

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29

des modifications concrètes dans les images. Aujourd’hui, nous ne sommes pas en état
de déterminer si ces innovations furent introduites par Aubry lui-même, ou si elles
furent l’objet d’une coopération entre l’éditeur et l’écrivain34.
32 Les éditeurs allemands se servaient souvent des modèles français à la thématique
allégorique. Ainsi à Cologne, Gerhard Altzenbach publia le cycle des Saisons à partir des
estampes éditées par Pierre Mariette, et burinées par Gilles Rousselet et Jean Couvay
d’après les compositions de Grégoire Huret35. En copiant les modèles français,
Altzenbach ne les accompagnait pas forcément d’un commentaire. Signalons ne serait-
ce que le cycle des Sybilles36 inspiré des estampes de Rousselet, d’après Claude Vignon,
ou encore les trois autres séries éditées par Jean Ier Leblond, séries auxquelles
travaillèrent d’ailleurs Guillaume de Gheyn et Jeremias Falck. Il s’agit des suites des
Douze Mois, des Cinq Sens et d’une suite différente des Quatre Saisons 37.
33 En marge de nos réflexions antérieures, il importe de rappeler que parfois la copie
étrangère des estampes françaises servait de modèle à une composition picturale. Par
exemple, il en fut ainsi dans le cas du tableau représentant l’Allégorie de l’Automne,
conservé au Musée des beaux-arts de Budapest38. En réalité, le peintre ne s’inspira pas
de l’estampe de Falck mais de celle sous l’excudit d’Aubry, comme en témoignent les
scènes analogues du second plan.
34 Le fait d’avoir découvert dans les estampes strasbourgeoises les modèles graphiques
français permet de porter un autre regard sur l’œuvre poétique de Moscherosch et de
recréer avec plus de précision la façon de réinterpréter les originaux tant au niveau de
la parole que de l’image. En grande partie, le résultat dépendait des conditions
confessionnelles et sociales dans le Strasbourg germanique d’alors.

NOTES
1. Krystyna Moisan-Jabłońska (Christine Moisan-Jablonski), Polskie przygody grafiki
zachodnioeuropejskiej, XVII-XVIII w. (Les Aventures polonaises de l’estampe occidentale, XVIIe et
XVIIIe siècles), Ciche, Sarmatia Artistica, 2013, p. 69-81, ill. 14-25.
2. Cf. Madeleine de Terris, « L’allégorie des quatre saisons dans la gravure française du XVIIe
siècle », L’estampe au grand siècle. Études offertes à Maxime Préaud, textes édités par Peter Fuhring,
Barbara Brejon de Lavergnée, Marianne Grivel, Séverine Lepape, Véronique Meyer, Paris, École
nationale des chartes, BnF, 2010, p. 385- 401. L’auteur présente ce type d’allégorie dans un plus
large contexte.
3. Comme nous l’avons démontré, Julius Caesar Block a, dans son ouvrage consacré à l’œuvre de J.
Falck, entre autres, erronément conféré à J. Falck une quatrième série des Saisons, en réalité
burinée par François de Poilly d’Abbeville pour Pierre Ier Mariette, cf. Moisan-Jabłońska, op. cit.,
p. 103-107 ; cf. J[ulius] C[aesar] Block, Jeremias Falck sein Leben und seine Werke mit vollständigem
alphabetischen und chronologischen Register sämmtlicher Blätter sowie reproduktionen nach des Künstlers
besten Stichen, Danzig-Leipzig-Wien, G. Ehrke, 1890, p. 90-91, cat. nº 109-112.
4. Cf. Roger-Armand Weigert, Maxime Préaud, Inventaire du fonds français, graveurs du XVIIe siècle, t.
VII, Lasne (J) – Leclerc (P), Paris, Bibliothèque nationale, 1976, p. 378-379. Rolland Leblond fut
actif à cette adresse à une époque antérieure (dès le 2 novembre 1635). Le 12 août 1639 il est de

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nouveau domicilié sur le pont Notre-Dame ; Bénédicte Gady, L’Ascension de Charles Le Brun ; Liens
sociaux et production artistique, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, Paris 2010,
p. 53-54, 425, note 199.
5. Cf. Friedrich Wilhelm Heinrich Hollstein, Hollstein’s Dutch and Flemish etchings, engravings and
woodcuts, 1450-1700, vol. VII, Fouceel-Gole, Amsterdam, Menno Hertzberger, année de parution
inconnue, p. 201. Guillaume (Willem) de Gheyn, né en 1610 à Anvers, date inconnue de son décès,
il travailla dans les années cinquante à Paris pour Jean I er Leblond. Parmi les neuf œuvres
nommées du graveur, figurent les planches du Printemps et de l’Été (n° cat. 4, 5) figuré par des
femmes présentées à mi-corps (in half-length), dim. 31,7 x 21,2 cm. L’ouvrage d’Hollstein signale
que les planches de l’Automne et de l’Hiver furent exécutées par Falck. La note comporte une
erreur puisque sur les quatre planches de ce cycle toutes les personnifications sont montrées en
pied ; Allgemeines Künstler-Lexikon, die bildenden Künstler aller Zeiter und Völker, vol. 32, Ebersbach-
Eimbke, München-Leipzig, K. G. Saur, 2002, p. 2, s.v. « Gheyn (Gein ; Geyn), Guilliam (Guillaume,
Willem) de », rédigé par Uta Römer. Graveur, dessinateur et peintre néerlandais, né en 1610 à
Cologne ou Anvers, décédé après 1650. Considéré à tort être le fils de Jacques II de Gheyn. a
buriné, entre autres, d’après des modèles de ce dernier. Il grava des représentations religieuses et
des portraits. Et, sur commande de l’éditeur parisien Jean Leblond, des scènes de genre et des
portraits de femmes. Avec Jeremias Falck, il burina les allégories des quatre saisons (le Printemps
et l’Été), sous forme de personnifications féminines.
6. Comme les estampes furent créées à Paris, l’artiste orthographia son nom à la française
« Guillaume de Geÿn fecit : ». Le nom de l’éditeur se trouve en bas, au centre, sous les noms des
saisons : « le Blond excud auec Priuilege du Roy. ».
7. Paris, BnF, Estampes, Da-35-fol. 169-172, Œuvre de Charles Le Brun (collection Béringhen), t. 1.
8. Maxime Préaud, « L’inventaire après décès de Jean I er Leblond (vers 1590/1594-1666), peintre
et éditeur d’estampes », Nouvelles de l’estampe, nº 182, mai-juillet 2002, (p. 19-37), p. 21, ill. 3.
9. Christine Moisan-Jabłońska (Moisan-Jablonski), « Les grisailles attribuées à Juste d’Egmont,
modèles du graveur Jérémias Falck ‘le Polonois’« , Les Cahiers d’Histoire de l’Art, nº 12, 2014,
p. 31-38, fig. 3, 4.
10. Bénédicte Gady, op. cit., p. 54, 55, 425, note 208, ill. 28, 29.
11. Henri Jouin, Charles Le Brun et les arts sous Louis XIV. Le premier peintre, sa vie, son œuvre, ses
écrits, ses contemporains, son influence d’après le manuscrit de Nivelon et de nombreuses pièces inédites,
Paris, Imprimerie nationale, 1889, p. 516-517 ; Daniel Wildenstein, « Les œuvres de Charles le
Brun d’après les gravures de son temps », Gazette des beaux-arts, année 107, période 6 e, 66, 1965,
p. 29, ill. 168-171.
12. BnF, Estampes, Da-35-fol. 169, burin, eau-forte, dim. 286 x 210 mm.
13. Allgemeines Künstler-Lexikon..., vol. 5, Ardos-Avogaro, München-Leipzig, K. G. Saur, 1992, p. 585,
s.v. « Aubry, Peter II », rédigé par Anke-Maria Mühlner, p. 585. Né en 1596 à Oppenheim, décédé
en 1666 à Strasbourg, fils de Peter Ier Aubry, frère d’Abraham Aubry dit Meyer. Sa façon de
buriner ne se différencie en rien du style de Peter Ier et des autres membres de sa famille dont il
fut le plus fécond. Il exécuta surtout les portraits des éminents personnages de son époque et
l’illustration d’ouvrages.
14. La série fut mentionnée la première fois par Adolf Schmidt, « Die Bibliothek Moscheroschs »,
Zeitschrift für Bücherfreunde, 2e année, 1898/1899, 2 e cahier, (p. 497-506), p. 505. La suite était
conservée à la Hofbibliothek à Darmstadt ; elle fut aussi analysée par Artur Bechtold, « H. M.
Moscherosch und der Kupferstecher Aubry », Zeitschrift für Bücherfreunde, 8 e année, 1917, 2 e
cahier, (p. 250-260), p. 253, ill. 1. Ce dernier prétendait que ces quatre planches sont de qualité
supérieure à toute l’œuvre d’Aubry, et que l’éditeur les réalisa lui-même. Aujourd’hui, la série se
trouve dans la collection Holzschuher Sammlung à Nuremberg (2 o StN 240, fol. 159-159 v.) ainsi
qu’au Herzog Anton Ulrich-Museum à Braunschweig.

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31

15. Cf. Deutsches Literatur-Lexikon, Biographisch-Bibliographisches Handbuch, vol. 10, Lucius-Myss, réd.
Heinz Rupp, Carl Ludwig Lang, Bern, Francke Verlag, 1986, col. 1346-1350, sv. Moscherosch,
Johann Michael ; Walter E. Schäfer, Johann Michael Moscherosch Staatsman, Satiriker und Pädagoge im
Barockzeitalter, München, Verlag C. H. Beck, 1982.
16. 25.11.2014, www.virtuelles-kupferstichkabinett.de, PURL http://kk.haum-bs.de/?id=j-m-
moscherosch-ab3-0001 (la même adresse avec en fin les quatre différents chiffres consécutifs
0002, 0003, 0004). La signature de Moscherosch y est interprétée comme celle du graveur. Les
estampes sont datées 1621-1669 ; Braunschweig, Herzog Anton Ulrich-Museum, JMMoscherosch
AB 3.1, JMMoscherosch AB 3.2, . JMMoscherosch AB 3.3, JMMoscherosch AB 3.4. Sur la planche du
Printemps (300 x 198 mm, gravure sur cuivre, burin, eau-forte) sous la première strophe du dizain,
on relève à gauche la signature : « I. M. Moscherosch fe : », puis sous la seconde strophe à droite,
celle de l’éditeur : « P. Aubrÿ excudit. ». La planche de l’Été (301 x 202 mm, gravure sur cuivre,
burin, eau-forte) a été coupée dans le bas et ne présente aucune signature. Sur les planches de
l’Automne (304 x 207 mm, gravure sur cuivre, burin, eau-forte) et de l’Hiver (302 x 202 mm,
gravure sur cuivre, burin, eau-forte) à droite, après la dernière ligne du commentaire versifié, la
signature « I. M. Moscherosch fecit. » est visible ; la formule fecit qui, en général, accompagne la
signature de l’auteur du modèle ou le nom du graveur, s’applique ici à l’auteur du commentaire
rimé.
17. BnF, Estampes, Da-35-fol. pl. 170, dim. 288 x 208 mm, burin, eau-forte ; La planche de l’Été se
trouve à Amsterdam au Rijksmuseum, Rijksprentenkabinett, RP-P-1878-A-923.
18. La Bible de Jérusalem. La sainte Bible traduite en français sous la direction de l’École biblique de
Jérusalem, Paris, Desclée de Brouver, 1975, p. 1093, 1139. « Va voir la fourmi paresseux !/ observe
ses mœurs et deviens sage :/elle qui n’a ni magistrat,/ ni surveillant ni chef,/ durant l’été elle
assure sa provende/ et amasse, au temps de la moisson, sa nourriture./ Jusques à quand,
paresseux, resteras-tu couché ?/ Quand te lèveras-tu de ton sommeil ?/ Un peu dormir, un peu
s’assoupir,/ un peu croiser les bras en s’allongeant,/ et, tel un rôdeur, viendra l’indigence, et la
disette comme un mendiant » (Pr 6, 6-11). « Il est quatre êtres minuscules sur la terre,/ mais
sages entre les sages :/ les fourmis, peuple chétif,/ mais, qui, en été, assure sa provende ; » (Pr 30,
24-25).
19. BnF, Estampes, Da-35, fol. 171, 28,8 x 21 cm, burin, eau-forte. Sous le commentaire versifié, en
bas dans l’angle gauche, la signature du graveur : « J. falck fecit », sur la même ligne, le nom et
l’adresse de l’éditeur : « le Blond le jeune demeurant sur le pont N. Dame a lenseigne du Pelican.
Auec Priuilege du Roy ». Pour les estampes burinées par Falck pour Rolland Leblond et Jean I er
Leblond, l’IFF reprend les données du catalogue de Block en citant les numéros attribués par le
chercheur allemand. Conformément au principe établi de classification en fonction de
l’appartenance nationale des graveurs, l’IFF ne signale pas sa propre liste des œuvres des
graveurs étrangers ni la cote des exemplaires gardés dans les collections de la Bibliothèque
nationale de France ; cf. Weigert, Préaud, Inventaire du fonds français..., vol. VII, Lasne (J) – Leclerc
(P), p. 347, 380 ; Block, op. cit., p. 92, cat. nº 113, 290 x 210 mm. D’après Block, l’auteur de la
composition est inconnu. Le chercheur allemand note l’existence de deux représentations
seulement : l’Automne et l’ Hiver, faisant partie dudit quatrième cycle des saisons de l’année,
conformément à la successivité des séries qu’il a traitées ; Edward Rastawiecki, Słownik rytowników
polskich tudzież obcych w Polsce osiadłych lub czasowo w niej pracujących (Dictionnaire des graveurs
polonais ainsi qu’étrangers établis en Pologne ou y travaillant temporairement), Poznań,
Poznańskie towarzystwo przyjaciół nauk, 1886, p. 55, cat. nº I, 35 ; signalons que plusieurs
exemplaires des planches de l’Automne et de l’ Hiver exécutées par Falck sont conservés dans
divers cabinets d’estampes en Pologne (entre autres au Musée national de Cracovie, ainsi que
dans les collections de la Fondation des princes Czartoryski, déposées au Musée national de
Cracovie, à la bibliothèque de l’Académie polonaise des sciences à Cracovie, aux musées
nationaux de Varsovie et de Poznań. L’auteur de ces lignes a retrouvé aussi un exemplaire de

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32

l’Automne en Ukraine, à LVIV, à la Bibliothèque nationale scientifique d’Ukraine Vasyl Stefanyk,


Département du Palais des Arts Tatiana et Omelian Antonovich. Il est fort probable que cette
gravure provient de la fameuse collection Pawlikowski qui se trouvait dans la même ville (pol.
Lwów, all. Lemberg, lat. Leopolis). D’autant plus qu’en janvier 1940, après l’annexion de cette
partie de la Pologne par les Soviétiques, la collection fut accaparée par les nouvelles autorités et
incorporée à la même bibliothèque.
20. BnF, Estampes, Da-35, fol. 172 ; 289 x 210 mm, burin, eau-forte ; En bas dans l’angle gauche,
sous le commentaire rimé : « J. falck fecit », plus loin sur la même ligne « le Blond excud auec
Priuilege du Roy », sur la même ligne en bas dans l’angle droit : « C. le Brun pinxit ». ; Block,
op. cit., p. 92-93, cat. nº 114, 286 x 224 moment ; Rastawiecki, op. cit., p. 55, cat. nº I, 36.
21. Hollstein’s Dutch and Flemish etchings..., vol. XXXI, Jan van der Vaart to Gerard Valck, rédigé par
Ger Luijten, Amsterdam, Van Gendt, 1987, p. 215. Né à Amsterdam vers 1651-1652, décédé à
Amsterdam en 1726. Il employait le burin et l’eau-forte ainsi que la manière noire, il fut
également éditeur. Élève et collaborateur d’Abraham Blooteling avec lequel il partit à Londres en
1672. Vers1680 il s’associa à son beau-frère Petrus Schenk, se spécialisant dans l’édition de cartes
et de mappemondes. Hollstein ne relève pas de gravures sur cuivre étant des copies d’estampes
de Gheyn et de Falck éditées par Leblond ; Alfred von Wurzbach, Niederländisches Künstler-Lexikon
auf Grund archivalischer Forschunger bearbeitet, vol. 2, L-Z, Wien-Leipzig, Verlag von Halm und
Goldmann, 1910, p. 736-737. Wurzbach ne mentionne pas le cycle des saisons. Il évoque
uniquement la copie de la représentation de la maison publique, burinée par Falck à Amsterdam,
no « 27. Das Bordell. J. le Ducq p. Ger. Valck exc. Gr. qu. fol. (Kab. Reynst.) Dasselbe Blatt ist von Jer.
Falck (J. Lys p.) gestochen ».
22. Paris, BnF, Estampes, Oa-45-pet fol, p. 60-63 ; « Costumes de France sous Louis XIII », dim. 282
x 222, 278 x 218, 273 x 213, 270 x 210 mm.
23. Théoriquement, les tirages purent être faits pendant le séjour de Valck à Londres (1673-1680).
Nous savons que lors de son séjour londonien l’artiste se rendit souvent à Amsterdam. Les titres
en néerlandais laissent toutefois supposer que ce fut bien à Amsterdam que ces œuvres furent
exécutées.
24. Dans les trois séries les personnifications sont plus ou moins de la même dimension.
25. Sur la planche du Printemps l’emploi de l’eau-forte est visible dans la chevelure et la rose.
Pour l’Été, dans la plume au chapeau. Pour l’Automne, dans la chevelure et la plume au chapeau.
Pour l’Hiver dans la fourrure ornant la robe et les flammes.
26. Sur la planche du Printemps l’emploi de l’eau-forte est visible sur le ruban et les manches de la
robe. Pour l’Été, dans le paysage en fond, l’arbre et la gerbe. Pour l’Automne, dans le paysage en
fond. Pour l’Hiver, dans la fourrure ornant la robe.
27. Bechtold, op. cit., p. 253-255.
28. Cf. Pierre-Louis Duchartre, René Saulnier, L’Imagerie parisienne. L’Imagerie de la rue Saint-
Jacques, Paris, Gründ, 1944, p. 222. Les auteurs ont situé de semblables gravures allégoriques avec
des personnifications vêtues à la mode, dans une position médiane : entre les estampes de
cabinet et les images populaires réservées à la peu regardante clientèle du large public parisien.
29. Bechtold, op. cit., p. 254, 257. Dans les vers de Moscherosch consacrés aux quatre saisons,
l’érudit entrevoit une inspiration tirée de l’œuvre des auteurs néerlandais de livres d’emblèmes :
Jacob Cats, Daniel Heinsius, Pieter Corneliszoon Hooft, Joost van den Vondel. Il s’agit de passages
se rapportant à la sphère de la vie spirituelle.
30. Michael Schilling, « Unbekannte Gedichte Moscheroschs zu Kupferstichfolgen Peter Aubrys d.
J. », Euphorion, Zeitschrift für Literaturgeschichte, vol. 78, 1984, Heidelberg, Carl Winter-
Universitätsverlag, (p. 303-324), p. 318 ; remarquons que les commentaires poétiques cités sont
plutôt moyens en comparés au reste de l’œuvre littéraire de Moscherosch ; cf. Bechtold, op. cit.,
p. 254, 255.

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33

31. L’article sur le thème des modifications relatives à la symbolique, se plaçant dans l’intervalle
entre les cycles-modèles édités par Balthazar Moncornet et les séries de Peter II Aubry
accompagnées des commentaires de Moscherosch, est préparé pour l’impression par l’auteur du
présent article. Christine Moisan-Jabłońska, « Balthazar Moncornet et Peter II Aubry ou les
aventures strasbourgeoises des estampes parisiennes », Les Cahiers d’histoire de l’art, nº 13, 2015, à
paraître.
32. L’auteur de ces lignes prépare actuellement pour l’impression un article sur le cycle allemand
accompagné des vers de Moscherosch, sur son modèle français ainsi que sur une série différente
à laquelle le cycle strasbourgeois a servi de modèle.
33. Schilling, op. cit., p. 303-324.
34. Qu’ils aient coopéré est attesté non seulement par les séries à la thématique allégorique, mais
encore par les nombreux vers de Moscherosch accompagnant les estampes avec les portraits de
personnalités ; cf. Bechtold, op. cit., p. 260.
35. Véronique Meyer, L’Œuvre gravé de Gilles Rousselet, graveur parisien du XVIIe siècle. Catalogue
général avec les reproductions de 405 estampes, préface de Maxime Préaud, Paris, Commission des
travaux historiques de la Ville de Paris, 2004, p. 186, nº cat. 183, 184. L’auteur évoque les copies
des estampes de Rousselet représentant l’Automne et l’Hiver faites d’après les compositions de
Gérard Huret lesquelles, dans un format réduit, furent publiées chez la veuve Cnobbaert, et dans
un format identique mais de plus mauvaise qualité chez Altzenbach.
36. Série des Douze Sybilles, un exemplaire de cette série se trouve au Herzog Anton Ulrich
Museum à Braunschweig ; 25.11.2014, www.virtuelles-kupferstichkabinett.de, PURL http://
kk.haum-bs.de/?id=g-altzenbach-ab3-0014, dim. 366 x 291 mm, 374 x 300 mm (feuille).
37. Moisan-Jabłońska (Moisan-Jablonski), Polskie przygody..., op. cit., p. 99, ill. 36 ; un exemplaire de
la série des Douze Mois se trouve au Herzog Anton Ulrich Museum à Braunschweig (cote G.
Altzenbach AB 3 ;8, Inv. n° 779), alors que les séries des Cinq Sens et des Quatre Saisons sont
conservées à la Herzog August Bibliothek à Wolfenbüttel (cote Graph. Res. D : 2) ; 25.11.2014,
www.virtuelles-kupferstichkabinett.de, PURL http://kk.haum-bs.de/?id=g-altzenbach-ab3-0008,
dim. 375 x 297 mm (feuille) ; 25.11.2014, www.virtuelles-kupferstichkabinett.de, PURL http://
kk.haum-bs.de/?grafik=graph-res-d-2, dim. 356 x 273 mm, 394 x 305 mm (feuille).
38. Catalogue d’exposition : Ranskalaisia 1600 – luvum maamauksia Budapestin Taidemuseosta =
Seventeenth century French paintings from the Museum of Fina Arts, Budapest (Szépmüvészeti Mùzeum),
Catalogue : Agnes Szigethi, Helsinki, Museo Sinebrychoff, 1994, p. 101. L’exposition a eu lieu entre
le 18 mai et le 3 octobre 1994 ; n° inv. 5826, copie libre d’après l’Allégorie de l’Automne de Charles
Le Brun.

RÉSUMÉS
Nombre d’estampes publiées au XVIIe siècle à Paris servaient de modèle à des copies graphiques
créées chez des éditeurs étrangers. Les cycles édités par Jean I er Leblond et Rolland Leblond et
burinés par Jeremias Falck et Guillaume de Gheyn servirent de modèles aux éditeurs de Cologne
et de Strasbourg. Il n’est que de citer la série des Allégories des Saisons édité par Peter II Aubry. Elle
est intéressante d’autant plus qu’elle permet d’examiner le phénomène d’imitation des modèles
français à la mode tout en adaptant l’image et le commentaire aux goûts d’une clientèle
germanique protestante.

Nouvelles de l’estampe, 252 | 2015


34

Many prints published in Paris during the 17th century were subsequently copied and published
abroad. The cycles engraved by Jeremiah Falck and Guillaume de Gheyn and engraved by Jean
Leblond I and Rolland Leblond were then used as models by publishers in Cologne and
Strasbourg, and the same goes for the Allégories des Saisons published by Peter Aubry II. The latter
series is interesting because it shows how imitations of fashionable French models adapted both
image and letter to the taste of their Germanic protestant audience.

INDEX
Index géographique : France
Index chronologique : 17e siècle

AUTEUR
CHRISTINE MOISAN-JABLONSKI
Professeur à l’université Cardinal Stefan Wyszynski (UKSW) de Varsovie. Directrice de la
collection « L’art religieux polonais de la Renaissance et du baroque. Thèmes et symboles »

Nouvelles de l’estampe, 252 | 2015


35

Le « sr de Lavenage »
L’homme à l’origine de l’ultime tentative d’ériger les graveurs en corps
de métier (1660)
The "lord of Lavenage". The man who last tried to turn printmaking into a
sworn craft

Rémi Mathis

1660 : la fin de la liberté du métier de graveur en taille-


douce ?
1 La gravure étant un métier relativement récent, ceux qui la pratiquent en France ne
sont pas organisés en une « communauté de métier » (ce que l’on appelle au XVIIIe siècle
une corporation). Le métier est donc libre, c’est-à-dire que tout individu peut le
pratiquer sans qu’il y ait besoin de passer par un système d’apprentissage, de chef
d’œuvre et de maîtrise – ce qui n’empêche pas une surveillance de la production, et de
nombreux procès dans le contexte d’une législation ambiguë et de la crainte d’une
concurrence de la part des communautés des peintres et des libraires 1.
2 Plusieurs tentatives se succèdent au milieu du XVIIe siècle pour mettre fin à cette
liberté. Un certain Palevoisin en 1644 semble obtenir un brevet du pouvoir royal pour
organiser cette communauté à son profit – sans succès. La tentative la plus dangereuse
vient de l’architecte François Mansart, qui propose de vérifier les estampes prêtes à
être diffusées, de donner son approbation… et d’encaisser la moitié des amendes. Un
bras de fer s’engage avec certains graveurs, qui finissent par obtenir l’assurance du
garde des sceaux que la liberté ne serait pas remise en cause, malgré les confortables
bénéfices qu’en aurait tirés une personne aussi importante que l’architecte.
3 La liberté est définitivement accordée par l’édit de Saint-Jean-de-Luz du 26 mai 1660,
après la dernière tentative d’une personne qui demeurait inconnue jusqu’à ce jour, le
sieur de Lavenage. Le 7 février 1660, un projet de ce dernier pour créer une maîtrise,
doublée d’une limitation à deux cents du nombre de maîtres à Paris, est renvoyé par un
arrêt du conseil au Châtelet afin d’instruire la demande. Bien qu’apparemment

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soutenue par certains graveurs, la proposition se trouve encore une fois en butte à
l’opposition de la plupart des professionnels, qui l’importe donc définitivement à la fin
du printemps. On ignore néanmoins qui est ce Lavenage et ce qu’il souhaitait
réellement2 – et particulièrement comment réellement tirer un profit substantiel de
cette nouvelle organisation.

Un personnage énigmatique
4 René-Henri d’Allemagne affirme que Lavenage est graveur3, ce qui est rapidement
remis en cause par les historiens ayant travaillé sur cette époque. Anatole de
Montaiglon renonce à se montrer trop aventureux et avoue tout net son ignorance à
propos de cet « énigmatique sieur de Lavenage » dont « il serait bon d’éclaircir la
personnalité et les accointances »4. Il émet toutefois l’hypothèse qu’il pût s’agir d’un
prête-nom.
5 Roger-Armand Weigert, conservateur des fonds du XVIIe siècle au département des
Estampes de la Bibliothèque nationale, n’a trouvé aucune estampe signée de ce nom 5.
Marianne Grivel souligne de plus à raison qu’aucune des tentatives précédentes pour
encadrer le métier ne venait du milieu des graveurs, mais bien plutôt de personnes
attirées par la possibilité de gagner aisément de fortes sommes d’argent. Dans sa thèse
de l’École des chartes, publiée et devenue un classique de l’histoire de l’estampe, cette
dernière signale deux documents à propos de Lavenage. Elle n’a pas cherché à creuser
le sujet et se contente de signaler que son nom revient dans l’index de documents
conservés au département des Manuscrits de la BN6. Elle signale donc deux cotes : une
lettre de 1656 relative à des actions militaires7, et un mémoire sur le corps de garde du
Palais-Royal, prévoyant de réserver à Lavenage l’attribution du bâtiment 8. Marianne
Grivel y voit la confirmation que Lavenage n’a rien à voir avec le monde de la gravure
mais ne cherche pas de qui il s’agit.

Lavenage, membre de la Garde écossaise du roi


6 Nous proposons donc ici une identification de ce Lavenage. Nous pensons qu’il s’agit de
Jacques Seton, sr de Lavenage.
Ce dernier est d’origine écossaise9 : il appartient au clan Seton, et probablement, de
manière plus précise, à la branche des Seton de Cariston, issue d’un fils du 6 e lord Seton.
Sa famille émigre en France à une date indéterminée, sans doute au XVIe siècle. Le
premier Seton attesté dans la garde écossaise est en tout cas David Cetton, reconnu
noble en 160010.
7 La première mention de Jacques Seton, sr de Lavenage se trouve dans une constitution
de rente de 1633 qui le désigne comme « chevalier » et « maître d’hôtel chez le roi,
gentilhomme ordinaire de sa maison »11. Il est alors déjà seigneur du fief de Lavenage,
situé à proximité immédiate de Vendôme12. Il achète en 1634 pour 300 livres une charge
de « gentilhomme écossais de la garde du corps du roi » 13, c’est-à-dire de membre de la
Garde écossaise, corps militaire d’élite chargée de la garde personnelle du roi de
France. Le caractère écossais de ce corps s’était alors amoindri par la volonté du
souverain – le capitaine n’est plus écossais depuis la moitié du XVIe siècle et est alors
Guillaume de Simiane, marquis de Gordes – mais des gentilhommes originaires de ce

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royaume y occupent encore des places importantes. Et, en effet, Lavenage parvient à
être nommé enseigne (1er janvier 1643) puis lieutenant de sa compagnie (1 er juillet 1648,
à la suite de son parent Jean Seton)14 et maréchal de camp (brevet du 22 novembre
1651)15.
8 Homme important qui jouit de la confiance du pouvoir royal, il est nommé gouverneur
de la ville, citadelle et pays de Bourg16 le 27 juin 1654. Mazarin correspond avec lui : les
deux hommes semblent entretenir des relations cordiales, le cardinal remerciant même
Lavenage pour les truffes qu’il a bien voulu lui offrir17. Il possède des terres en Poitou,
province dont il fréquente la noblesse locale18, et obtient le droit de haute justice sur sa
seigneurie de la Mougaterie la même année 165419 ; son épouse est apparemment
originaire de la région20 ; il est possible que David Seton, brigadier puis retenue
d’exempt des gardes du corps soit son fils21.

Une fin de carrière difficile, une compensation


manquée
9 Mais la francisation de la compagnie se poursuit et, le 1 er juin 1656, une déclaration
royale stipule qu’il y aurait désormais deux lieutenants, l’un d’origine écossaise, et
l’autre français. Lavenage est contraint de démissionner de la moitié de sa charge et ne
l’exerce plus qu’en alternance, toutes les six semaines. Il est finalement obligé de se
démettre de sa demi-lieutenance en janvier 166222.
10 En 1660, Lavenage se trouve donc dans une position difficile alors qu’il jouit des faveurs
de Mazarin. La réorganisation de l’armée et en particulier des gardes du corps en a
voulu ainsi, sans que la personne de l’Écossais soit remise en cause. Homme du cardinal,
il pouvait même bénéficier d’importants soutiens qui lui permettent d’obtenir grâces et
privilèges. C’est, nous pensons, dans ce contexte, qu’a germé l’idée de proposer la
réorganisation à son profit du métier de graveur – peut-être même soufflée par le
pouvoir royal lui-même. Le cas est très semblable à celui de Mansart, autre grand
personnage qui pensait que la faveur dont il jouissait lui aurait permis de trouver de
grands revenus dans le contrôle du métier de graveur, sans du tout appartenir à ce
milieu. La réorganisation du métier aurait alors été une compensation accordée à
Lavenage après les malheurs que Mazarin avait dû lui faire subir pour réorganiser
l’armée en cette période de profonde mutation de l’État. Mais, tout comme Mansart,
Lavenage se trouva en butte aux professionnels capables de se mobiliser et de faire
échouer le projet. Nous perdons alors la trace de ce soldat qui aurait pu régner sur
l’estampe française, mais aura finalement été le catalyseur de la liberté du métier.

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Pierre-Louis van Schuppen et Robert Nanteuil d’après François Chauveau, Portrait de Mazarin à
l’entrée de la galerie supérieure de son palais (aujourd’hui galerie Mazarine à la BnF, site Richelieu),
1659, burin. BnF, Estampes, AA4-Nanteuil

NOTES
1. Marianne Grivel, Le Commerce de l’estampe à Paris au XVIIe siècle, Genève, Droz, 1986, p. 83-99.
2. Marianne Grivel, op. cit., p. 96.
3. René-Henri d’Allemagne, « Histoire de la corporation des graveurs », Bulletin de la société
archéologique, historique et artistique Le Vieux Papier, Paris, mars 1907, p. 81-100.
4. Anatole de Montaiglon, « La Mansarade, satire contre François Mansart. Suivie d’un arrêt de
Louis XIV en faveur de la gravure », Archives de l’art français, 1862, p. 242-266.
5. Roger-Armand Weigert et Maxime Préaud, Inventaire du fonds français XVIIe siècle. Tome 7. Lasne
(J.) – Leclerc (P.), Paris, Bibliothèque nationale, 1976, 472 p.
6. Marianne Grivel, op. cit., p. 97.
7. BnF, Manuscrits, fr. 20482, fol. 47-49v., cité par M. Grivel, ibid.
8. BnF, Manuscrits, fr. 17346, fol. 216 sqq. , cité par M. Grivel, ibid.
9. Matthew Glozier, Scottish Soldiers in France in the Reign of the Sun King, Brill, 2004.
10. BnF, Manuscrits, Pièces originales 2667, n° 59290. Je remercie Matthew Glozier pour les
renseignements qu’il a bien voulu me fournir.
11. Archives nationales, Minutier central, CX, 98, 12 décembre 1633. Je remercie Maxime Préaud
de m’avoir signalé ce document.

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12. Loir-et-Cher, arr. de Vendôme, commune de Naveil. Les Advénages, L’Advenage, L’Évenage au
XVIIe s. ; Les Venages de la carte de Cassini jusqu’à nos jours. Le toponyme demeure dans une « rue
des Venages », qui se dirige vers Vendôme (située à 1 km à l’est) depuis le centre de Naveil en
suivant le Loir.
13. Archives nationales, Minutier central, LXII, 85, 4 janvier 1634.
14. Selon BnF, Manuscrits, fr. 8006, « Recueil de copies de pièces relatives à l’histoire des Gardes
du corps du roi », fol. 152-155, il est lieutenant dès 1643. Mais ces documents nous semblent
moins fiables que la chronologie de Pinard, d’autant que d’autres documents le donnent bien
enseigne en 1645 (voir Vicomte de Noailles, Le Maréchal de Guébriant, Paris, Perrin, 1913, p. 448)
15. M. Pinard, Chronologie historique militaire…, Paris, Hérissant, vol. 6, 1763, p. 327.
16. Gironde, arr. de Blaye.
17. BnF, Manuscrits, Mélanges Colbert 41, fol. 359, résumé dans Lettres du cardinal Mazarin, éd.
A. Cheruel, t. 6 (septembre 1653-juin 1655), Paris, Imprimerie national, 1890, p. 655.
18. Il intervient par exemple pour partager les biens de Philippe Viault, seigneur de Torsay, entre
Louis de Villedon, chevalier, seigneur de Sansais, de Gournay, du Vieux Moulin, Aigonnay, et
René de Massougne, chevalier, seigneur de la Sablière et de la Tour de Brelou, son beau-frère. Ce
contrat de partage fut reçu par Martin et Pinet, notaires à Niort, dans la maison de Jacques
Jouslard, écuyer, seigneur de Chantecaille
19. Guillaume Blanchard, Compilation chronologique contenant un recueil en abrégé des ordonnances,
édits, déclarations, etc., vol. 2, Paris, Veuve Moreau, 1715, col. 2037.
20. AD Vienne, E nouveau 1113 : Cession d’une rente de 225 l.t. assignée sur des terres près de
Vendôme et en Poitou, par Jacques de Seston, seigneur de Lavanage, enseigne des gardes écossais
du roi, à Nicolas Chopin, substitut du procureur général au Parlement de Paris, le 19 janvier
1647 ; Sentence de l’élection de Poitiers autorisant le sieur de Lavenage à se pourvoir contre un
certain sieur du Moulin, commis à la recette des tailles de l’élection de Poitiers pour l’année 1645,
en vue du recouvrement d’une somme de 965 l.t., le 9 août 1651.
21. Archives nationales, O1 23, 82 (1679) ; O1 35, 69v (1691).
22. M. Pinard, loc. cit. ; BnF, Manuscrits, fr. 8006 donne 1658, ce qui est encore une fois moins
probable.

RÉSUMÉS
Un certain « sieur de Lavenage » tente en 1660 de faire de la gravure un métier juré, entraînant la
protestation des graveurs et la publication de l’édit de Saint-Jean-de-Luz par lequel le roi assure
définitivement que le métier demeurera libre. Ce Lavenage était toutefois un inconnu complet,
entraînant des spéculations diverses sur son identité, depuis deux siècles. Nous proposons de
l’identifier à Jacques Seton, sieur de Lavenage, membre de la Garde écossaise du roi, qui perd sa
charge autour de 1660 dans les transformations de l’organisation de l’État qui se font jour sous
Mazarin.

In 1660, a nobleman known only as 'the lord of Lavenage' tried to turn printmaking into a sworn
craft, practiced by guild members only. This sparked widespread protest among printmakers who
had been assured once and for all, by royal decree (the Edict of Saint-Jean-de-Luz), that their
craft would remain free. The identity of this mysterious Lavenage has been the subject of
speculations for two centuries, and here we propose to name him as Jacques Seton, lord of

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Lavenage, a member of the king's Garde ecossaise (Scots guard) who lost his charge circa 1660 in
the modifications of the State machinery implemented by Mazarin.

INDEX
Index géographique : France
Index chronologique : 17e siècle

AUTEUR
RÉMI MATHIS
Archiviste paléographe, conservateur chargé des estampes du XVIIe siècle au département des
Estampes et de la Photographie de la Bibliothèque nationale de France et rédacteur en chef des
Nouvelles de l’estampe

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« Ceux qui voudront les Images, qui


sont au nombre de cent… »
L’Ordre des Prêcheurs dans la production de la famille Landry
« Those Who Want Holy Images, That Are one Hundred in Number… » The order
of Preachers among the Landry family production

Claire Rousseau

J’exprime toute ma reconnaissance à Frédérique Arvat (Bibliothèque d’agglomération Bonlieu –


Annecy), Guillaume Boyer (Bibliothèque de l’Institut catholique de Paris), Rémy Cordonnier
(Bibliothèque d’agglomération de Saint-Omer), Hendrik Defoort (Bibliothèque universitaire de
Gand), Marc-Édouard Gautier (BM d’Angers), Jean-Louis Mahé (BM de La Rochelle), Bernard
Montagnes (Province dominicaine de Toulouse), Jean-Michel Potin (Bibliothèque du Saulchoir), à
Sandrine Cunnac et à toute l’équipe du fonds patrimonial (BM de Lyon Part-Dieu), aux
conservateurs et employés du fonds patrimonial de la BM de Grenoble, et aux conservateurs et
employés du département des Estampes de la BnF, en particulier à Maxime Préaud.
Mes remerciements s’adressent également à Marion et Alain Combes pour leur relecture du texte
et à Friar Dominic Vernes pour ses suggestions pour le résumé en anglais.
1 « Ceux qui voudront les Images, qui sont au nombre de cent, les trouveront chez
Monsieur Landry ». Ainsi s’achevait en 1700 la préface du quatrième et dernier tome de
L’Année dominicaine, livre rédigé pour les membres de l’ordre des Prêcheurs par Bernard
de Vienne et imprimé à Paris chez Nicolas Le Clerc (1655 ?-1742 1 ?). En réalité, l’ouvrage
n’était pas une nouveauté et avait déjà connu, en France, deux autres éditions :
• en 1670, l’ouvrage fut édité pour la première fois à Paris chez André Cramoisy (1634-1722)
avec un privilège de sept ans. Il n’était alors constitué que de deux tomes en deux volumes 2
[cette édition sera désormais désignée par la lettre A] ;
• en avril 1679, l’auteur engagea une nouvelle édition au texte largement amplifié. Dès le 30
septembre 1677, Estienne Michallet (1630 ?-1699) obtenait un privilège de vingt-cinq ans,
registré le 10 mars 1678 [édition B]. Pour la première fois, la recommandation de se fournir
en planches chez monsieur Landry apparaissait à la fin de la préface du quatrième volume 3 ;

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2 Vint ensuite l’édition de 1700, toujours en quatre volumes, tirée pour le compte de
Nicolas Le Clerc (vers 1655-vers 1742) à Paris [édition C].
Une dernière édition en quatre volumes fut de nouveau produite par Nicolas Le Clerc
en 1714 [édition D].

Ill. 1. Louis Spirinx, Saint Dominique, 1670, burin, 102 x 70. Bernard de Vienne, L’Année dominicaine…,
1670, Gand, Universiteitsbibliotheek Gent, DEDP.A3653

3 Retrouver les « images » créées pour illustrer les ouvrages fut une entreprise de longue
haleine, nécessitant de localiser au mieux les volumes présents dans les bibliothèques
de France et de Belgique, exemplaires le plus souvent lacunaires, voire totalement
dépourvus des images qui étaient à acquérir indépendamment des livres. Un bref
constat peut ainsi être dressé :
• les exemplaires de l’édition A conservés à la Bibliothèque nationale de France et à la
Bibliothèque du Saulchoir (Paris) ne comportent pas de planches autres qu’un frontispice
signé Lalouete4. En revanche, l’exemplaire de la Bibliothèque universitaire de Gand
provenant du fonds des dominicains de la même ville recèle, outre ce frontispice repris aux
deux tomes, douze planches, trois dans le premier tome et neuf dans le second 5. Le premier
tome conservé à la Bibliothèque municipale d’Annecy possède l’une des planches de
l’exemplaire de Gand et trois autres6. Au regard des saints et bienheureux figurés et de la
non-présence de saints majeurs de l’ordre des Prêcheurs, il n’est pas exagéré d’affirmer que
ces séries sont incomplètes et enregistrent des pertes dues aux aléas de la conservation à
travers les siècles ;
• un seul exemplaire de l’édition B de 1679 comportant les cent planches annoncées a pu être
localisé, à la Bibliothèque municipale de La Rochelle 7. Le recours à un nouvel éditeur
entraîna visiblement l’impossibilité de réutiliser les anciennes estampes portant l’excudit
d’André Cramoisy8 ; au contraire, les planches au nom de Landry de l’exemplaire de 1670 se
retrouvent toutes parmi les cent planches. L’examen de celles-ci invite cependant à la

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prudence dans leur datation puisque, par exemple, au tome II, la planche figurant Pie V
porte la date du « 5 may 1713 » ;
• l’exemplaire de l’édition C de 1700 du fonds des jésuites conservé à la Bibliothèque
municipale de Lyon ne comporte aucune planche.
• les deux exemplaires localisés de l’édition de 1714 ne comprennent aucune planche 9.

Ill. 2. Graveur non identifié, Bienheureux Réginald d’Orléans, 1670, burin, 102 x 70. Bernard de Vienne,
L’Année dominicaine…, 1670, Gand, Universiteitsbibliotheek Gent, DEPD.A3653

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Ill. 3. Graveur non identifié, Bienheureux Réginald d’Orléans, 1679, burin, 102 x 70. Bernard de Vienne,
L’Année dominicaine…, 1679, La Rochelle, Médiathèque Michel-Crépeau, 8453 C

4 Au-delà de ces premiers constats et dans l’impossibilité de présenter ici chacune des
planches, nous aimerions prolonger l’étude et émettre quelques suggestions visant à
une meilleure connaissance de la production des graveurs et des éditeurs et à un
affinement des inventaires de leurs œuvres, qu’ils aient été déjà réalisés ou qu’ils soient
en cours. En tout premier lieu il s’agit de comprendre le choix de faire paraître des
volumes aussi abondamment illustrés et d’identifier les graveurs.

Une œuvre, un auteur, des éditeurs et des graveurs


5 Les informations biographiques concernant l’auteur de L’Année dominicaine sont
maigres et déductibles seulement des titres, épîtres dédicatoires et préfaces de ses
ouvrages10. Bernard de Vienne était prêtre profès du tiers ordre dominicain. Son père,
François de Vienne, de la Brossette, était gouverneur de la ville et du château de
Lesparre. Sa mère, bonne de Phelipeau (1606-1670) appartenait elle-même au tiers
ordre, et c’est pourquoi le premier tome de 1670 lui est dédié. L’auteur précise que tous
ses enfants (quatre vivants sur sept), sont consacrés à Dieu, notamment ses deux filles
moniales de l’ordre de saint Dominique. Le second tome est ainsi offert aux sœurs de
l’auteur, sœur Marie de Saint-Hyacinthe (1642-1713) et sœur Élisabeth de Saint-Bernard
(1646-1703), toutes deux professes au monastère de la Mère de Dieu, du tiers ordre, à
Rosay-en-Brie (Seine-et-Marne). Rédacteur ou inspirateur de notices biographiques sur
sa mère et ses sœurs, Bernard de Vienne leur survécut et il convient de situer sa mort
après l’édition de 1714, plus vraisemblablement après la parution de l’une des notices
en 1716.

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6 La vocation religieuse de Bernard de Vienne repose sur deux expériences mystiques. La


première est la vision qu’il eut de mère Marie Magdelaine de la Trinité (Madeleine
Martin) de l’ordre de Notre-Dame de la Miséricorde fondé en 1638 à Aix par le père
Antoine Yvan, oratorien décédé en 1653. L’apparition eut lieu durant le séjour parisien
de la religieuse venue installer un couvent dans la capitale (1649-1658 11). Elle devint en
quelque sorte la mère spirituelle du jeune homme qui l’accompagna ensuite à Aix pour
un séjour durant lequel il travailla à la rédaction de L’Année dominicaine obtenant, dès
1668, les premières approbations des religieux dominicains de la ville, le frère Jean
Lange, provincial de la Province de Provence, et le frère Charles Bouquin, prieur du
couvent. Dès l’édition augmentée de 1679, mère Marie Magdelaine de la Trinité devint
la dédicataire du premier tome12. La mère spirituelle succédait ainsi à la mère charnelle
décédée. La deuxième expérience mystique remarquable fut la vision que sa mère
spirituelle eut du Christ enjoignant que le jeune homme n’entre pas dans la
congrégation fondée par le vénérable dominicain Antoine Le Quieu dit Antoine du
Saint-Sacrement, mais qu’il reste dans le clergé séculier et œuvre au sein du tiers ordre
dominicain13. Ces apparitions situent l’auteur dans un courant de spiritualité très
largement répandu au XVIIe siècle, ouvert aux plus hautes expériences mystiques et à la
fréquentation des « saintes » âmes au-delà des limites spatiales et temporelles.
7 Proposer une galerie de portraits de membres éminents d’un ordre religieux n’était pas
une nouveauté en 1670. L’objectif de « Monsieur de Vienne » semble moins historique
au sens actuel du terme qu’accordé à ce que lui-même expérimente d’une manière
privilégiée : la communion des saints. Il souhaite offrir pour chaque jour de l’année un
ou plusieurs modèles de vie spirituelle. De ce fait, les notices biographiques sont
réduites à quelques lignes et prolongées par des conseils pour la méditation et la
conduite de la vie chrétienne. Les lecteurs sont invités à l’imitation de membres
vénérables de l’Ordre ayant tracé une voie sûre, comme l’exprime Bernard de Vienne à
ses sœurs. La figuration en taille-douce des « bienheureux » avec leurs attributs offre
donc un support visuel susceptible de soutenir et de nourrir le lien affectif et spirituel
né de la lecture.

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Ill. 4. Graveur non identifié, Saint Raymond de Peñafort, 1670, burin, 102 x 68. Bernard de Vienne,
L’Année dominicaine…, 1670. Annecy, Bibliothèque d’agglomération Bonlieu, 9853

8 Une étude plus ample interrogerait le catalogue des membres choisis dans l’ordre des
Prêcheurs, catalogue largement augmenté à partir de l’édition de 1679. L’Ordre en 1670
ne pouvait s’honorer de trois cent soixante-cinq membres officiellement canonisés ou
béatifiés. L’auteur ajouta donc à la petite vingtaine des élus ceux qui jouissaient d’un
culte populaire et dont on pouvait espérer la montée sur les autels ; mais le nombre
restant encore insuffisant y furent adjoints des frères, moniales, religieuses et laïcs
dont la réputation de vie vertueuse s’était répandue. Il est rétrospectivement
impossible de savoir pourquoi telle ou telle personne fut retenue pour être portraiturée
et pas telle autre. Il est tout aussi difficile, faute de contrat connu, de connaître les
rapports entretenus par Bernard de Vienne avec les graveurs. Fit-il confiance à André
Cramoisy, qui éditait alors les ouvrages hagiographiques du frère Jean-Baptiste Feuillet
du couvent de l’Annonciation au Faubourg-Saint-Honoré à Paris, pour contacter ceux-
ci ? Décida-t-il de lui-même de s’adresser aux Landry ? Est-ce Pierre Landry qui exigea
que la deuxième édition [B] paraisse chez son gendre Estienne Michallet ? Au-delà du
décès de celui-ci avant l’échéance de son privilège, d’autres motifs purent-ils conduire
à choisir Nicolas Le Clerc pour l’impression de l’édition suivante ?

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Ill. 5. Graveur non identifié, Bienheureux Alvares du Portugal, après 1679, burin, 102 x 68. Bernard de
Vienne, L’Année dominicaine…, 1679, La Rochelle, Médiathèque Michel-Crépeau, 8453C

9 Dans l’édition A de 1670 conservée à la Bibliothèque universitaire de Gand, seuls les


noms de Lalouete et de Spirinx apparaissent, suivis de l’abréviation de la forme verbale
sculpsit. Jacques Lalouette (actif dans la seconde moitié du XVIIe siècle) n’est l’auteur que
du frontispice. Louis Spirinx (1596-1669) signe deux planches, celle figurant saint
Dominique (ill. 1) et celle présentant Albert le Grand. Il est difficile de dire s’il est
l’auteur d’autres planches, notamment de celle représentant le bienheureux Réginald
d’Orléans (ill. 214). La similitude avec la planche de saint Dominique laisse la question
ouverte. Mais la première planche était propriété de l’éditeur André Cramoisy, tandis
que la seconde appartenait au fonds Landry. Louis Spirinx décéda en 1669 avant la
parution de la première édition.
10 Une seule planche de l’ouvrage porte l’excudit de van Merlen, et il semble difficile
d’émettre une quelconque hypothèse à son sujet. L’estampe est reprise dans le
deuxième tome de l’édition B de 1679 de l’Institut catholique de Paris mais est absente
de la série des volumes conservés à la Bibliothèque municipale de La Rochelle. La
planche figurant Bernard de Toulouse (au 3 décembre) ne porte aucune indication. Il en
est de même pour sept autres planches de l’édition de 1679 15. André Cramoisy était
propriétaire d’une seconde planche, figurant Hypolite de Jésus, moniale mystique et
savante de Barcelone, morte le 6 août 1624. La bienheureuse Hypolite toujours présente
dans le texte du tome III de l’édition de 1679 n’apparaît plus en planche.
11 Les autres planches portent le nom de Landry ou, plus exactement, soit la mention
« Chez Landry rue St Iacq. a St franç de Sales », « a Paris chés Landry », « Chés Landry »
ou « Chez Landry » dans l’édition A de 1670 et celle de 1679 de l’Institut catholique de
Paris, soit « a St Landry » dans l’édition de 1679 de La Rochelle, ce qui renverrait moins
à Pierre Landry (vers 1630-1701) qu’à ses enfants, François et Gabrielle installés à

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l’Image Saint-Landry, rue Saint-Jacques, à Gabrielle surtout dont l’initiale est gravée sur
neuf planches de cet exemplaire de La Rochelle. Au regard des dates de naissance de
François (1669) et de Gabrielle (vers 1670), l’histoire apparaît beaucoup plus
compliquée. Si l’on compare la planche figurant le bienheureux Réginald d’Orléans
dans l’édition de 1670 conservée à Gand (ill. 2) avec celle de l’édition de 1679 conservée
à La Rochelle, le changement d’adresse saute aux yeux et la lettre porte les traces d’une
reprise au burin (ill. 3). La même modification s’observe pour bien d’autres planches
conservées à La Rochelle. L’enquête ne peut s’arrêter là. En 1679, François et Gabrielle
sont trop jeunes pour avoir pu bénéficier d’un fonds paternel à leur profit. Quand se fit
ce transfert d’une enseigne à l’autre de la série des cuivres ? La finale de la préface de
1700, recommandait de se procurer les images « chez Monsieur Landry ». Au prime
abord, une telle affirmation laisserait supposer que les tirages se trouvaient encore,
comme en 1679, chez Pierre Landry très connu sur le marché parisien de l’estampe.
Cependant, il faut évoquer les démêlés des enfants Landry, Denis (1666-1713), François
(1669-1720) et Gabrielle (vers 1670- ?), au sujet de l’héritage maternel. Déshérités par le
testament de leur mère décédée en juin 1693, les frères Denis et François Landry
obtinrent « réparation par une sentence du Châtelet du 19 décembre 1697 » et les trois
enfants Landry reçurent de leur père les cuivres qui leur revenaient en 1698 16. Les
documents subsistant sont trop vagues ou parcellaires pour dire qui obtint les planches
de L’Année dominicaine et lesquelles 17. Cependant il est aisé de comprendre pourquoi
François et Gabrielle tinrent à modifier l’adresse gravée sur les cuivres devenus de
haute lutte leur propriété légitime.
12 Quoi qu’il en soit, l’histoire prouve que la belle série de planches conservée à La
Rochelle a bien été insérée a posteriori dans l’édition de 1679, peut-être assez
tardivement si l’on tient compte de la date de 1713 figurant sur la planche de saint Pie
V.

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49

Ill. 6. Graveur non identifié, d’après Jean Mathieu, Saint Raymond de Peñafort, 1679, burin, 102 x 68.
Bernard de Vienne, L’Année dominicaine…, 1679. La Rochelle, Médiathèque Michel-Crépeau, 8453 C

13 Pouvant être achetées indépendamment de l’ouvrage, les planches des Landry servirent
à illustrer d’autres ouvrages, tels ceux sur le Rosaire qui associaient les saints de l’Ordre
aux différents mystères. C’est avec juste raison que le tome 6 de l’Inventaire du fonds
français (XVIIe siècle) édité par Roger-Armand Weigert en 1973 évoque au nom de Pierre
Landry les planches du livre d’Estienne Meney, Instruction Chrestienne pour les Confreres
du S. Rosaire18. L’inventaire, qui renvoie au catalogue d’Edmond Maignien et propose un
décompte non vérifié des planches, attribue prudemment les planches à Pierre Landry
ou à ses fils (l’initiale G de Gabrielle étant lue comme celle du prénom masculin Gabriel
par l’IFF qui attribue ainsi trois fils à Pierre Landry). En réalité les planches, lorsqu’elles
la font apparaître, portent comme celles des Instructions necessaires, la mention « Chez
Landry19 ». Les planches ont dû être acquises, soit par les dominicains de Grenoble soit
par les moniales du monastère de Montfleury, sans doute avant 1698, peut-être dès
1680.

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Ill. 7. Jean Mathieu, Saint Raymond de Peñafort, avant 1672, burin, c. de pl. : 116 x 72. BnF,
Estampes, Rd-2-fol., H180714

14 L’analyse du recours aux planches dominicaines sorties des ateliers Landry pour
l’illustration de L’Année dominicaine demeure délicate puisqu’il n’y a jamais de certitude
quant à leur date d’insertion dans les ouvrages recensés et que, d’autre part, leur
absence de certains exemplaires ne présume pas de leur non usage. Telle qu’elle s’offre
dans l’exemplaire de l’édition de 1679 conservé à La Rochelle, la série des cent planches
atteste tout à la fois l’engouement qu’elle connut et les méandres des affaires familiales
déjà mises en valeur par Frédéric Jiméno à propos des tailles-douces en tableau de
Pierre Landry20. Le frontispice de ce même exemplaire fait apparaître un cinquième
éditeur : Pierre II Mariette (1634-1716). La planche de Jacques Lalouette qui servit de
frontispice à l’édition de 1670 semble ne plus avoir été disponible à moins que le
frontispice de La Rochelle soit une singularité21.
15 Les planches de l’exemplaire de La Rochelle permettent également de connaître le nom
de l’un des graveurs ayant travaillé à l’entreprise : Louis David (1644- ?). Louis David se
serait installé à Avignon dès 1677, voire dix ans plus tôt en 1667 22. Bernard de Vienne
l’aurait-il connu par l’intermédiaire des dominicains de Provence lors de son séjour à
Aix ? Ou bien l’a-t-il sollicité à Paris même ? Neuf planches portent sa signature : L.
Dauid inv. et fe. (Tome II : Louis Gandule) ; L. Dauid fe. (Tome II : Nicolas de Kovusqui ;
Vincent de Saint Estienne ; Tome III : Martin de Porres ; Tome IV : Thomas de Saint
Jean ; Bonaventure de Sienne) ; L. D. fe ou sc. ( ?) (Tome I : François de Capillas ;
Dominique de l’Annonciation ; Tome III : Jean de Massias). Les « saints » gravés par
Louis David sont absents de l’édition de 1670, à l’exception de Thomas de Saint Jean
mentionné en page 10 du Tome II. Les différences stylistiques entre les planches sont
assez importantes, dues peut-être à des modèles provenant de diverses mains. De ce
fait, il est malaisé de proposer d’autres attributions. L’appréciation de l’IFF sur l’œuvre
de Louis David garde toute sa pertinence : « Ses travaux sont, tantôt ceux d’un imagier,

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et tantôt ceux d’un professionnel au métier plus éprouvé23 ». L’IFF ne recense aucune
des planches de L’Année dominicaine.
16 Au total six noms d’éditeurs ont été recensés dans les différentes éditions de L’Année
dominicaine, suivant les exemplaires à disposition : André Cramoisy (1670), Van Merlen
(1670), Pierre II Mariette (1679), [Pierre] Landry (1670, 1679), [François] et Gabrielle
Landry (à partir de 1700). Seuls deux noms de graveurs apparaissent explicitement :
Louis Spirinx (1670) et Louis David (sans doute pour l’édition de 1679). Les autres
graveurs, s’il y en eut, demeurent dans l’ombre. L’une des planches de Louis David
indiquait qu’il était le créateur du modèle. Fait exceptionnel pour être ainsi
mentionné ? Si tel est le cas il convient de rechercher des estampes plus anciennes
ayant servi à la création des planches de L’Année dominicaine.

Ill. 8. Graveur non identifié, Saint Ceslas, d’après Gabriel Ladame, 1679, burin, 102 x 68. Bernard de
Vienne, L’Année dominicaine…, La Rochelle, Médiathèque Michel-Crépeau, 8453 C

Modèles et fortune critique de quelques planches


17 Les cent planches de L’Année dominicaine présentent en réalité cent sept membres de
l’Ordre des Prêcheurs, quelques images mettant en scène plusieurs personnages, sans
compter le fait que Catherine de Sienne est figurée non seulement sur l’estampe qui lui
est dédiée mais également comme apparaissant à Dominique de l’Annonciation (12
mars) et à Bonaventure de Sienne (26 décembre). Il faut aussi ajouter la figuration
symbolique d’un frère et d’une sœur sur la planche de la commémoration de tous les
saints de l’Ordre. Au moins trente-trois des personnages sont décédés au XVIIe siècle,
soit presque un tiers des représentés. Pour autant, qu’il s’agisse de bienheureux du XVIIe
siècle ou d’élus des siècles antérieurs, les planches de L’Année dominicaine innovèrent-

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elles ou reprirent-elles des modèles à disposition, notamment dans la production


gravée antérieure à 1670 ?
18 L’utilisation de stéréotypes iconographiques a déjà été mise en valeur par le
rapprochement entre la planche figurant saint Dominique et celle montrant Réginald
d’Orléans. Certaines mises en scène sont tellement passe-partout qu’elles pouvaient
convenir à plusieurs bienheureux. Ainsi, la lettre de la planche figurant saint Raymond
de Peñafort24 dans l’exemplaire de l’édition de 1670 conservé à la Bibliothèque
municipale d’Annecy (ill. 4) fut ensuite grattée et l’iconographie attribuée au
bienheureux Alvares de Portugal, telle qu’on peut la voir dans l’exemplaire de La
Rochelle (ill. 5).
19 Quant à saint Raymond (vers 1180-1275), canonisé en 1601, il reçut une nouvelle
iconographie relative à un épisode miraculeux de sa vie (ill. 6) et sa fête, déplacée par
le pape Clément X, se fixa au 23 janvier25. Le graveur semble avoir transposé en la
simplifiant l’iconographie déjà traitée par Jean Mathieu (ill. 7 26). Le décès de celui-ci en
1672 a sans doute facilité la copie de son œuvre.

Ill. 9. Gabriel Ladame (1613 ?-168 ?), Saint Ceslas, 1650, burin, c. de pl. : 190 x 129. BnF, Estampes,
Ed-131-fol., Inv. 13

20 Il n’était vraisemblablement pas nécessaire d’attendre le décès d’un graveur pour se


livrer à une imitation. La distance géographique avec le lieu de production d’origine, la
réduction de format pouvaient tout aussi bien autoriser l’emprunt jamais cité. Sans
doute le couvent du Faubourg-Saint-Honoré et les éditeurs pouvaient-ils puiser, dans
leurs collections et leurs fonds, des modèles adaptables. C’est d’ailleurs tout
naturellement que les planches gravées par Gabriel Ladame (1613 ?-168 ? 27) et Grégoire
Huret (1606-1670) pour servir d’illustrations aux ouvrages du dominicain Jean Giffre de
Rechac sur les saints de l’Ordre servirent de modèles pour les saints Ceslas et Gonzalve

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d’Amaranthe ou pour sainte Marguerite de Savoie, avec une forte simplification pour
ne retenir que l’essentiel des scènes cadrées désormais sur le saint vénéré (ill. 8 à 11).

Ill. 10. Graveur non identifié, Saint Gonzalve d’Amaranthe, d’après Gabriel Ladame, 1679, burin, 102 x
68. Bernard de Vienne, L’Année dominicaine…, La Rochelle, Médiathèque Michel-Crépeau, 8453 C

21 Les planches d’origines anversoise et bruxelloise que le couvent de l’Annonciation


conservait et utilisait pour des copies parisiennes ont également servi de modèles. La
figuration d’Alain de la Roche, le promoteur des confréries du Rosaire, gravée par Henri
Snyers28 (1613- ?) atteste ainsi la pérennité des modèles de la première moitié du
XVIIe siècle qui, il est vrai, diffusaient les canons hagiographiques dominicains et ne
présentaient donc pas d’innovation iconologique, afin de faciliter l’identification par
tous des personnages (ill. 12 et 13).

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Ill. 11. Gabriel Ladame (1613?-168?), Saint Gonzalve d’Amaranthe, 1650, burin, c. de pl.: 193 x 130.
BnF, Estampes, Ed-131-fol., Inv. 11

22 L’iconographie dévolue à saint Thomas d’Aquin, figure la plus éminente de l’ordre des
Prêcheurs, mériterait d’être explorée à part. Les représentations de l’Aquinate, docteur
angélique, se déclinent en différentes typologies et l’on peut se demander pourquoi
Bernard de Vienne opta pour une figuration aussi combative. Certes, il s’agissait de la
façon dont saint Thomas était sculpté depuis 1628 en haut de son mausolée dans l’église
des Jacobins à Toulouse mais l’auteur aurait pu préférer le docteur inspiré par la
colombe de l’Esprit Saint ou/et approuvé par le Christ crucifié plutôt que l’image du
chérubin gardien du nouvel arbre de Vie. Quoi qu’il en soit des motifs que ne laisse en
rien deviner le texte de l’ouvrage, il est clair que le graveur de L’Année dominicaine a
repris l’une des quatre planches de Claudine Bouzonnet-Stella (1641-1697) créées pour
illustrer l’œuvre thomiste in-folio du frère Jean-Baptiste Gonet (1615-1681) publiée en
1669 chez Antoine Bertier (1610 ?-167829 ; ill. 14 et 15). La planche exista-t-elle dès
l’édition de 1670 ? Les exemplaires consultés ne la comportent pas et dans l’état actuel
de cette recherche il est impossible de dire ce que représentait la planche dédiée à
l’Aquinate.

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Ill. 12. Graveur non identifié, Bienheureux Alain de la Roche, d’après Henri Snyers, 1679, burin, 102 x
68. Bernard de Vienne, L’Année dominicaine…, La Rochelle, médiathèque Michel-Crépeau, 8453 C

23 Au-delà de ces emprunts à l’iconographie spécifiquement dominicaine, il serait


intéressant, en particulier pour les femmes, de s’assurer qu’il n’y a pas eu de transfert
de modèle d’un ordre à un autre. La question des pièces intermédiaires non
répertoriées apparaît réellement cruciale dans la recherche des modèles utilisés pour
L’Année dominicaine.
24 Les recherches n’ont pas encore permis de trouver un modèle précis pour le frontispice
de Jacques Lalouette utilisé pour l’édition de 1670 chez André Cramoisy. Mais l’ouvrage
de Bernard de Vienne connut un certain succès au-delà des frontières et, pour sa
traduction en flamand éditée à Anvers en 1675, Frederik Bouttats dit le Jeune
(1610-1676) fit une copie du frontispice dans un format légèrement supérieur ce qui
permit l’introduction de la colombe de l’Esprit Saint dans le haut de l’image 30.
25 Quant au frontispice ajouté à l’exemplaire de l’édition B de 1679 conservé à La Rochelle
et portant l’excudit de Pierre II Mariette (1634-1716), il doit être rapproché d’une
planche éditée par Jean Messager (vers 1580-1649) dont le fonds avait été acquis par
Pierre I Mariette en 163731. Une telle iconographie a pu susciter celle de la bienheureuse
Hélène de Hongrie.

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Ill. 13. Henri Snyers (1613- ?), Le Bienheureux Alain de la Roche, s. d., burin, feuille 339 x 222. BnF,
Estampes, Rd-13, H 171367

26 Ce travail d’enquête sur les modèles des planches de L’Année dominicaine reste à
poursuivre avec toujours beaucoup de prudence tant quantité de planches échappent
pour diverses raisons aux recensements et collectes. Seule une patiente quête pourra
déterminer la part de copie et celle, sûrement plus réduite, d’invention dans la série.
Jusque là les conclusions demeureront fragiles et fragmentaires en particulier en ce qui
concerne l’édition de 1670.

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Ill. 14. Graveur non identifié, Saint Thomas d’Aquin, d’après Claudine Bouzonnet-Stella, 1679, burin,
102 x 68. Bernard de Vienne, L’Année dominicaine…, 1679, La Rochelle, médiathèque Michel-
Crépeau, 8453 C

27 En quelle quantité les planches de L’Année dominicaine furent-elles imprimées ? Au-delà


des estampes réutilisées par certains auteurs dominicains, quelles furent les
iconographies ayant eu le plus de succès ? Parmi les saints dont le culte était officialisé,
saint Thomas d’Aquin et sainte Catherine de Sienne furent-ils les plus demandés ? La
récente canonisation de sainte Rose de Lima suscita-t-elle un engouement particulier ?
Qui furent les acheteurs de ces planches ? Combien payaient-ils chaque image ou
chaque lot ? La fonction des images l’emportait-elle sur l’appréciation esthétique ?
Aucune évaluation des illustrations de L’Année dominicaine émanant des XVIIe et
XVIIe siècles n’a pu pour l’heure être trouvée. Les jugements se portent sur la
personnalité de l’auteur estimé pieux mais non sur son ouvrage 32. Pourtant celui-ci
connut une étonnante fécondité. Les différentes préfaces attestent que l’auteur
entretenait d’étroites relations avec les couvents. Il connaissait les dernières nouvelles
arrivant depuis les missions et était au fait de la vie des monastères et de la réputation
de sainteté des religieuses. Son travail comme sa capacité à nouer amitié stimula
certains pères dominicains à entreprendre une œuvre similaire mais plus ample et
d’une dimension historique et documentaire accrue33. Le dominicain Jean-Baptiste
Feuillet, auteur des premiers tomes de cette « grande » Année dominicaine éditée in-
quarto, rendit compte de ce motif dans la préface du premier volume 34. À cette
entreprise beaucoup plus audacieuse, critique et de longue haleine, Bernard de Vienne
participa en faisant venir de tous pays des documents et en rédigeant la seconde partie
de la chronologie des missions dominicaines éditée dans le volume du mois de
septembre ; il y fit aussi insérer les notices biographiques de sa mère et de ses sœurs 35.
Sans doute est-ce en raison de cette dimension érudite et moins populaire que
l’ouvrage ne reçut qu’un frontispice signé Landry, auquel s’ajouta une planche

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commandée par Jean-Baptiste Feuillet figurant la face orientale du mausolée de saint


Thomas d’Aquin dans l’église des Jacobins de Toulouse 36. Ce relevé architectural se
révèle être à la hauteur des illustrations des volumes des Acta sanctorum des
bollandistes et demeure l’un des rares témoins de cette prestigieuse élévation. À notre
connaissance, aucun portrait ne fut adjoint aux notices. Malgré l’intense désir du
maître Antonin Cloche (1628-1720) que s’écrive enfin une grande Histoire de l’Ordre,
L’Année dominicaine s’arrêta en 1716 avec la publication du dernier volume du mois
d’octobre et ce n’est qu’aux XIXe-XXe siècles qu’une nouvelle édition compléta et acheva
le travail37.

Ill. 15. Claudine Bouzonnet-Stella (1641-1697), Saint Thomas d’Aquin chérubin, 1669, eau-forte et
burin, c. de pl. : 300 x 188. BnF, Estampes, Da-44-fol.

NOTES
1. Bernard de Vienne, L’Année dominicaine ou sentences pour tous les jours de l’annee ; Tirées des
paroles, & des Oeuvres spirituelles des Saints, des Saintes & des personnes illustres de l’Ordre des Freres
Prêcheurs : Avec un abregé de leurs Vies, suivi de Meditations, & de Reflexions sur leurs principales vertus.
Par M. de Vienne Prêtre du Tiers Ordre de Saint Dominique. Tome IV, A Paris, Chez Nicolas Le Clerc, ruë
S. Jacques, proche S. Yves, à l’Image S. Lambert, 1700 (France, Lyon, Bibliothèque municipale –
cote : SJ V 183/118).

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2. [Bernard de Vienne ], L’Année dominiquaine ou sentences Pour tous les jours de l’année, Tirées des
oeuvres spirituelles de S. Catherine de Sienne, & du B. Henry de Suso. Avec un abregé des vies de plusieurs
Saints & Bienheureux de l’Ordre de S. Dominique, & des Meditations & Reflexions sur leurs principales
vertus. Enrichie de quantité de figures en taille douce. Par un Prestre du Tiers Ordre de S. Dominique. Tome
I [Tome II], A Paris, Chez André Cramoisy, ruë Vieille Bouclerie, au Sacrifice d’Abraham, 1670.
3. [Bernard de Vienne ], L’Année dominicaine ou sentences pour tous les jours de l’année. Tirées des
paroles, & des Oeuvres spirituelles des Saints, des Saintes & des personnes illustres de l’Ordre des Freres
Prêcheurs : Avec un abregé de leurs Vies, suivy de Meditations, & de Reflexions, sur leurs principales vertus.
Par un Prestre du Tiers Ordre de S. Dominique. Tome I [Tome II, III, IV], A Paris, Chez Estienne
Michallet, ruë S Jacques, à l’image S. Paul, proche la Fontaine S. Severin, 1679.
4. France, Paris, BnF – cote : D-19284 (1-2) ; Bibliothèque du Saulchoir – cote : 445 E 55 (1-2).
5. Belgique, Gand, Universiteitsbibliotheek Gent – cote : DEPD.A3653.
6. France, Annecy, Bibliothèque d’agglomération Bonlieu – cote : 9853.
7. France, La Rochelle, Médiathèque Michel-Crépeau – cote : 8453 C.
8. André Cramoisy dont l’excudit figure au bas de planches n’est pas mentionné comme éditeur
d’estampes par le Dictionnaire des éditeurs d’estampes à Paris sous l’Ancien Régime. La notice
biographique que lui consacre le Dictionnaire des imprimeurs, libraires et gens du livre à Paris,
1701-1789 (Genève, Droz, 2007, Tome I : A-C, p. 570-572) l’établit oncle de Sébastien Marbre-
Cramoisy (1637-1687). S’il est l’imprimeur d’ouvrages hagiographiques du dominicain Jean-
Baptiste Feuillet, rien n’indique dans la notice qu’il produisait lui-même des tirages d’estampes.
Cependant son nom apparaît, par exemple, au bas d’un portrait du maître de l’Ordre Jean Thomas
de Rocaberti et de planches de la vie de saint Louis Bertrand, estampes signées Lalouete et
produites pour Jean-Baptiste Feuillet. Une étude plus approfondie des activités d’André Cramoisy
mériterait d’être conduite afin de mettre en valeur son rôle dans l’édition d’estampes.
9. France, Saint-Omer, Bibliothèque d’Agglomération de Saint-Omer – cote : 682 (1-4) ; Toulouse,
Bibliothèque municipale – cote : Fa D 18594 (1 à 3). Sans doute est-ce la mort prématurée
d’Estienne Michallet en 1699, avant expiration de son privilège, qui conduisit l’auteur à changer
d’éditeur. Toutefois le tome IV de l’édition de 1700 chez Nicolas Le Clerc, puis celui de 1714,
portent encore le privilège reçu par Estienne Michallet, sans plus d’explication.
10. Le même constat a déjà établi par André Duval dans « Vienne (Bernard de) », Dictionnaire de
spiritualité ascétique et mystique. Doctrine et histoire, Paris, Beauchesne, Tome XVI : Ubald
d’Alençon-Zypaeus, 1994, col. 745-748.
11. Voir Alexandre Piny (1640-1709), La Vie de la Venerable Mere Marie Magdelaine de la Tres-Sainte
Trinité, fondatrice de l’Ordre de Nostre-Dame de Misericorde […], A Lyon, Chez François Barbier, Impr.
& Libraire du Roy, sur le Quay de Saône, proche les RR. PP. de S. Antoine, 1680, p. 258-264 (France,
Paris, Bibliothèque du Saulchoir – cote : Rés. Mod. D 37).
12. Son portrait est conservé en frontispice du deuxième tome, unique volume conservé par la
bibliothèque de l’Institut catholique de Paris (cote : 24 178).
13. Il est vraisemblable qu’au sein du Tiers-Ordre l’auteur ajouta le prénom Dominique au sien,
d’où des signatures de préfaces en « B. D. ».
14. Les planches éditées chez Landry mesurent toutes environ 10, 2 x 6, 8 cm. Le coup de planche
n’est pas visible car les images devaient être gravées au nombre de deux par planches pour être
ensuite séparées.
15. Par ordre alphabétique : Alain de la Roche, Augustin de sainte Madelaine, Catherine de
Racony, Gonzale d’Amaranthe, Henri Suso, Jean du Château, Marguerite de Savoye.
16. Minutier central, XLIX-412, 1 er mars 1698 et XLIX-413, 7 mai 1698. Actes mentionnés dans
Maxime Préaud, dir., Dictionnaire des éditeurs d’estampes à Paris sous l’Ancien Régime, Paris,
Promodis ; Le Cercle de la Librairie, 1987, p. 188, note 5 ; citation, p. 189. Actes consultés en juillet
2014.

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17. L’inventaire dressé après décès le 2 septembre 1693 (Minutier central XLIX-401) n’évoque
pour L’Année dominicaine qu’un seul exemplaire de « cinquante planches à fonds blancs », ce qui
pourrait correspondre à l’édition de 1670.
18. [Estienne Meney (1631-1694)], Instrvction Chrestienne povr les Confreres du S. Rosaire ordinaire &
perpetuel de la Sainte Vierge Mere de Dieu. Avec le Sommaire des Indulgences accordées par les Souverains
Pontifes, aux Confreres du S. Rosaire ; nouvellement approuvé et confirmé par nôtre S. Pere le Pape
Innocent XI. le 31 Iuillet de l’année 1679 & le 3e de son Pontificat , A Grenoble, Chez P. Fremon,
Imprimeur du Roy ; Pour Monseigneur le Duc de Lesdiguieres, & de Nosseign ie de la Chambre des
Comptes, 1680 (France, Grenoble, Bibliothèque municipale – cote : O.6235). IFF, XVIIe s., Tome 6,
1973, p. 259, n° 345.
19. Instrvctions necessaires, pour ceux qui font le vœu, appelé communement des quinze Samedys en la
Chapelle du sacré Rosaire. Iouxte la Copie imprimée à Tolose, A Grenoble, Chez Jacques Petit
Imprimeur, proche le Grand Puys, 1681 (France, Grenoble, Bibliothèque municipale – cote : V.
31426 Rés.).
20. Frédéric Jiméno, « Les tailles-douces en tableau de Pierre Landry et de ses héritiers
(1679-1720) », Paris, Bulletin de la Société de l’Histoire de l’Art français, 2008, p. 81-107.
21. Le frontispice est absent des exemplaires conservés à Angers (Bibliothèque municipale –
cote : 3417) et à Amiens (Bibliothèque municipale – cote : HR 1179A).
22. Roger-Armand Weigert, Inventaire du Fonds Français. Graveurs du XVIIe siècle, Paris, BnF, Tome 3,
1954, p. 390.
23. Ibidem.
24. Deuxième successeur de saint Dominique à la tête de l’Ordre des Prêcheurs, Raymond favorisa
l’apostolat auprès des juifs et des musulmans, et encouragea, dans ce but, l’étude de l’arabe et du
Coran. Il obtint le soutien du roi d’Aragon, Jacques Ier, pour la fondation en 1218 par Pierre
Nolasque de l’Ordre de Notre-Dame de la Merci voué au rachat des chrétiens enlevés par les
musulmans.
25. Raymond de Peñafort avait été canonisé en 1601 par Clément VIII et sa fête fixée au 7 janvier,
au lendemain du jour anniversaire de sa mort (Voir Année dominicaine…, Janvier, 1883, p. 783).
26. Jean Mathieu (1590-1672), Saint Raymond de Peñafort. Burin, c. de pl. : 11, 6 x 7, 2 cm. France,
Paris, BnF, Estampes Rd2 Fol., H180714.
27. Gabriel Ladame (1613 ?-168 ?), Saint Ceslas. Burin, c. de pl. : 19 x 12, 9 cm. France, Paris, BnF,
Estampes Ed131 Fol., Inv. 13 ; Saint Gonzalve d’Amaranthe. Burin, c. de pl. : 19, 3 x 13 cm. France,
Paris, BnF, Estampes Ed131 Fol., Inv. 11.
28. Henri Snyers (1613- ?), Le bienheureux Alain de la Roche. Burin, c. de pl. : 33, 9 x 22, 2 cm à la
feuille. France, Paris, BnF, Estampes Rd13, H 171367.
29. Jean-Baptiste Gonet (1615-1681), Clypeus theologiæ thomisticæ… Editio tertia… [contra novos eivs
impvgnatores], Parisiis, sumptibus Antonij Bertier, Bibliopolæ Reginæ, viâ Iacobæâ, sub signo Fortunæ, et
Gvillelmi de la covrt, bibliopolæ Burdigalensis, 1669 (Paris, BnF – cote : D-181 [1-5]). La planche est
insérée au tome V dont elle constitue la page 174 (vérification effectuée dans l’exemplaire
conservée à la Bibliothèque municipale de Lyon sous la cote : SJ TH 239/16). L’estampe présentée
ici est conservée à la BnF : Claudine Bouzonnet-Stella (1641-1697), Saint Thomas d’Aquin chérubin,
1669. Eau-forte et burin, c. de pl. : 30 x 18, 8 cm. France, Paris, BnF Estampes, DA-44 Fol.
30. Dimensions au coup de planche de l’estampe de Jacques Lalouette : 12 x 6, 7 cm. Dimensions
de la planche de Frederik Bouttats : 13 x 8, 5 cm. Frontispice pour Dominique de Herre
(1607-1687), trad., Het Heylich Jaer vande Predick-heeren Oorden. Dat is, Voor elcken dagh van het jaer
een cort verhael van eenen Heylighen oft Salighen vande Orden vanden H. Dominicvs Die op dien dach
ghestorven is. Mitsgaders een Meditatie en aenmerckinghe op hun principale deughden. Als oock een
sententie daer op passende, ghetrocken uyt de Gheestelijcke schriften vande H. Catharina van Senen oft den
Sal. Henricus Suso, Vyt de Franssche tael, en in Vranckrijck geapprobeert, inde Neder-duytsche over-

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gheset. Door den EerW. Pater P. Dominicvs de Herre Priester vande selve Oorden, T’Antwerpen, By Jacob
Mesens, op de Lombaerde-Vest inden gulden Bijbel, 1675 (France, Paris, BnF – cote : H-10722).
31. Graveur non identifié, Saint Dominique. Burin, épreuve rognée : 29 x 18, 8 cm. France, Paris,
BnF, Estampes Rd2, H 173514.
32. Voir Jacques Échard ( 1644-1724) ; Jacques Quétif (1618-1698), Scriptores Ordinis Prædicatorum,
recensiti notis historicis et criticis illustrati […], Lutetiæ Parisiorum, Apud J.-B.-Christophorum Ballard ;
Nicolaum Simart, Tomus secundus, 1721, p. 791.
33. Jean-Baptiste Feuillet (vers 1624-1687), L’Année dominicaine ou les vies des Saints, des
Bienheureux, des Martyrs, et des autres personnes Illustres ou Recommandables par leur pieté, de l’un & de
l’autre Sexe, de l’Ordre des FF. Précheurs, Pour tous les jours de l’Année, avec un martyrologe, Recueillies
Par le R.P. Jean Baptiste Feuillet, Religieux du mesme Ordre, de la Province de S. Louys, affilié au grand
Convent de S. Jacques de l’étroite Observance à Paris, A Amiens, Chez Guislain Le Bel, Imprimeur &
Libraire Ordinaire du Roy, proche le College des RR. PP. Jesuites, au Pilon d’or, Janvier, 1678
(France, Toulouse, Bibliothèque du couvent des dominicains – cote : 013 B). L’Année dominicaine
connut pour ses différents volumes plusieurs rédacteurs et éditeurs successifs.
34. « Le second motif a esté le zele que Monsieur de Vienne, Ecclesiastique d’une insigne pieté, &
Profés de nôtre Tiers-Ordre, a fait paroître dans ses deux petits volumes de l’Année Dominicaine,
desquels il a enrichi le public. Comme il a plûtôt irrité que satisfait l’appetit de ceux qui
desiroient passionément voir dans une plus grande étendüe les vies de tant de Saints & de
Bienheureuses, qu’il n’a fait qu’ébaucher, j’ay crû qu’il falloit pour la gloire de l’Ordre seconder
son zele, & donner une connoissance plus entiere d’une infinité de belles actions de ces fidéles
serviteurs & servantes de Dieu, qu’il n’a fait qu’indiquer. », op. cit., p. VIII-IX.
35. La notice biographique de sa sœur Elisabeth de Saint Bernard fut rédigée par le frère Charles
de Saint-Vincent et insérée par le dominicain Jacques Lafon, presque à contrecœur en raison de
sa longueur, dans le second volume de septembre (voir la remarque p. 43). Notice de Bonne de
Phelipeau (dite Bonne de S. Bernard) dans le volume de janvier (p. 72-80) et celle de Marie de
Saint Hyacinthe dans la deuxième partie du mois d’octobre (p. 577-622).
36. Frontispice de Pierre Landry. Burin, c. de pl. : 20, 5 x 15, 7 cm. Planche du mausolée entre les
pages 670 et 671. Graveur non identifié. Burin, c. de pl. : 20, 6 x 15 cm.
37. Année dominicaine ou Vie des Saints, des Bienheureux, des Martyrs et des autres personnes illustres ou
recommandables par leur piété de l’un et de l’autre sexe de l’Ordre des Fr. Prêcheurs, Lyon, X. Jevain,
impr.-éd., 1883-1902 ; Bureaux de la couronne de Marie, 1906-1909. Le frontispice du premier
volume est une reprise en héliogravure par Paul Dujardin (1843-1913) du frontispice de L’Année
dominicaine de 1678.

RÉSUMÉS
Tout au long du XVIIe siècle la littérature religieuse domine le monde de l’édition et le livre
hagiographique demeure le type prédominant dans les bibliothèques conventuelles et privées.
Mais lire la vie d’un saint ou d’un pieux personnage ne suffit pas à satisfaire la curiosité
spirituelle et la soif de modèles. L’image est requise tant elle donne à voir les différentes formes
d’expression de la sainteté baroque. C’est ainsi que L’Année dominicaine publiée dès 1670 par
Bernard de Vienne offrit progressivement en cent planches de porter le regard tant sur les saints
reconnus de l’Ordre des Prêcheurs que sur des contemporains dominicains à la vie pieuse, entre

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souffrances assumées et douces consolations divines. Au-delà d’une typologie de la sainteté, la


série des images éditée par la famille Landry interroge l’histoire de la création de canons
iconographiques et la reprise de modèles qui se fixent dans la mémoire collective. Retracer les
stemma reste cependant tributaire des aléas de conservation des planches au sein des livres
imprimées aussi bien que dans les collections d’estampes. Si la problématique n’est pas neuve,
cette série à l’excudit des Landry semble oubliée et mérite d’être redécouverte.

Throughout the Seventeenth century, religious literature dominated the publishing world and
hagiography remains the major type in conventual and private libraries. But reading the life of a
saint or godly character is not enough for spiritual curiosity, nor the thirst for models. To see
different forms of the baroque holiness requires images. Thus L’Année dominicaine was published
in 1670 by Bernard de Vienne, bringing to light the pious lives of recognized saints of the Order
of Preachers as well as his contemporary Dominicans, manifesting the suffering they bore and
the sweetness of their divine consolations over the course of one hundred plates. Going beyond
the common typology of sanctity, the series of engravings edited by the Landry family questions
the history of iconographic canons and the repetition of old models fixed in the collective
memory. Retracing the stemma of the plates, however, depends upon the vagaries of their
conservation within printed books as well as within collections of prints. If the problematic is not
new, this series from the excudit of Landry seems to be forgotten, it merits a rediscovery.

INDEX
Index géographique : France
Index chronologique : 17e siècle

AUTEUR
CLAIRE ROUSSEAU
Doctorante en histoire de l’art (Paris IV-Sorbonne)

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L’actualité gravée au temple de


mémoire
La mise en place du programme d’illustration du Mercure galant au
tournant de l’année 1678
The news engraved on the temple of Memory. How the illustration programme of
the Mercure galant was set up at the end of 1678

Barbara Selmeci Castioni

1 Fondé en 1672 par Jean Donneau de Visé, le Mercure galant est un périodique mondain
qui fonctionne selon un modèle littéraire issu de la sociabilité galante 1 : une fiction
épistolaire encadre une succession d’articles d’actualité, composés en prose et en vers,
variant les sujets, les genres et les tons. Les stratégies éditoriales et les moyens de
fidélisation du public mis en œuvre par Donneau de Visé sont relativement bien
connus : système d’abonnement ; usage de la publicité ; établissement d’une circulation
de l’information entre les différents volumes du périodique et, surtout, valorisation du
public mondain par un principe de collaboration proposé au lecteur, invité à être publié
dans le Mercure galant2. Or, parmi les stratégies de publication du Mercure galant, il en
est une, essentielle, dont le rôle a été largement sous-évalué : le choix de l’illustration
comme pièce maîtresse d’un nouveau programme éditorial que Donneau de Visé lance à
partir de janvier 1678. Après six ans de diffusion irrégulière, le Mercure galant est en
effet doté le 5 janvier 1678 d’un nouveau privilège qui consacre, on le sait, la
régularisation du périodique mondain en publication mensuelle. Fait notable, ce
privilège entérine également la place nouvelle de la gravure dans la diffusion du
Mercure galant par la défense faite « aux graveurs de graver, faire graver, imprimer et
vendre, mesme separément, aucunes des planches dudit nouveau Mercure Galant » 3. À
partir de cette date et jusqu’à la mort de son fondateur en 1710, le mensuel accueille
près de quatre cent cinquante estampes – plus du double si l’on compte les planches
musicales –, consacrées à des sujets hétérogènes, de formats variables, originales ou
issues de cuivres réemployés. Essentiellement concentrées sur la première décennie de
stabilisation du périodique, elles scandent les différents événements d’actualité
littéraire, artistique, historique, politique, architecturale, médicale, astronomique,

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vestimentaire, etc. dont le Mercure galant se fait l’écho auprès du public de la capitale,
des provinces et de l’étranger4. Faute d’études d’ensemble, les moyens de production
des estampes, ainsi que leur fonctionnement au sein du périodique sont à ce jour
encore mal connus. L’on s’attachera ici principalement à identifier les enjeux
éditoriaux, poétiques, rhétoriques et historiographiques du programme d’illustration
au moment de sa mise en place par Donneau de Visé au tournant de l’année 1678. Le
fondateur et directeur du périodique construit en effet l’illustration comme un
événement qui renouvelle et resserre le rapport du lecteur à ce « livre » singulier et
tentaculaire que constitue le Mercure galant5. L’estampe rend alors visible l’élaboration
d’un régime d’historicité singulier, qui fait au sein du Mercure galant de la nouveauté
une valeur définitoire de ce qui est digne de mémoire.

Le choix de l’estampe : une prétendue marque de


reconnaissance offerte au public
2 Janvier 1678 marque assurément dans l’histoire du Mercure galant un tournant. Les
efforts de Donneau de Visé pour obtenir des aides financières semblent avoir en partie
porté leurs fruits6 : il a acquis la protection du Dauphin7 et il est désormais en mesure
d’offrir au public un volume par mois, ainsi que des numéros spéciaux, les
Extraordinaires. La présence nouvelle et régulière des estampes paraît en ce sens
témoigner d’un tournant économique favorable dans l’expansion du périodique. Il
s’agit pourtant bien davantage d’une prise de risque calculée 8, malgré la mise en scène
par le directeur de sa propre mansuétude : « Le public a reçeu ce livre si favorablement,
qu’il est juste de luy en marquer de la reconnoissance par les nouvelles beautez qu’on
luy prestera9 ». Donneau de Visé souligne que les frais engagés dans l’illustration du
périodique seront conséquents, tout en essayant d’en minimiser l’impact sur les prix de
vente :
Elle [la dépense] sera grande pour tous ces embellissemens, et devroit faire
rencherir le Mercure de beaucoup ; cependant comme on s’attache plus à la gloire
qu’à l’interest, l’augmentation du prix sera tres-peu considerable, puis qu’il ne se
vendra chez l’imprimeur que seize sols en blanc, et au Palais vingt sols en
parchemin, et vingt-cinq sols en veau10.
3 Il s’agit en effet pour lui d’ « ajouter plusieurs planches lesquelles l’obligeront à de
grandes dépenses qu’il luy conviendra faire, et desquelles il ne pourra estre si-tost
remboursé, attendu le grand nombre qu’il sera obligé d’en faire, à cause de la longue
suite des volumes11 ». Dès le mois de mars 1678 intervient cependant déjà une
augmentation du prix de vente de quatre à cinq sols par volume suivant la reliure.
Encore une fois, Donneau de Visé laisse entendre que les dépenses supplémentaires
engendrées par l’insertion des gravures ne seront pas répercutées sur le prix des
exemplaires :
quelque dépense qu’il y fasse à l’avenir, comme il n’épargnera rien pour donner de
plus en plus quelque chose de curieux pour les graveurs, il n’en augmentera jamais
le prix, qui n’est que fort médiocre pour un livre de cette grosseur, quand mesme il
n’y auroit aucune figure, en comparaison de ce qu’on vend ordinairement les livres
pour lesquels il y a la moitié moins de dépense à faire 12.
4 La mise en œuvre du programme d’illustration, par ailleurs, connaît des débuts
délicats : « Toutes les choses qui y sont gravées, estant faites avec tant de precipitation,
demandent qu’on employe beaucoup de gens et d’ouvriers tout-à-la-fois pour le tenir

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toujours prest à jour nommé »13. Il faudra encore selon Donneau de Visé « établir
beaucoup de choses pour cela, et lier commerce avec bien des gens » 14. Mais, malgré les
difficultés financières et les conditions de production tendues du périodique, Donneau
de Visé paraît extrêmement résolu à mener à bien un programme d’illustration qu’il
s’applique à présenter comme nécessaire15. Quels bénéfices espère-t-il en retirer ?

Ill. 1. La Boissière, Frontispice du Mercure galant, 1678, eau-forte, 114 x 750, et titre gravé, 104 x
660, Mercure galant, janvier 1678, BNF, Arsenal, 8-H-26484

Lutter contre les livres « defigurez » ou l’estampe


comme moyen de se prémunir des contrefaçons
5 Certes, la gravure d’illustration, envisagée traditionnellement comme
« embellissemens »16 dote assurément le Mercure galant d’une plus-value esthétique et,
dans la relation au texte qu’elle illustre, l’estampe peut remplir des fonctions
informatives et cognitives essentielles. Elle donne à voir et à connaître, par exemple à
propos du plan d’une collation royale : « Prenez la peine de jetter les yeux dessus, le
voicy ; vous comprendrez plus aisément en le regardant, ce que j’ay à vous en dire » 17. Mais
au moment de mettre en place le programme d’illustration, c’est sur les plans éditorial
et poétique que Donneau de Visé affiche peut-être le plus ostensiblement la nécessité
de l’illustration, envisagée comme un véritable gage d’authenticité. Le flux tendu de la
publication d’un ouvrage périodique ne laisse en effet guère le loisir aux auteurs de
contrefaçons de reproduire à temps les illustrations :
[le] public doit prendre garde si on ne luy vend point de Mercures contrefaits. […] Il
faudra examiner s’ils auront les lettres fleuronnées et figurées, les vignettes, le
frontispice (ill. 1), et generalement toutes les planches que je viens de dire, qui
seront à l’avenir dans les veritables18.

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6 Cette fonction d’authentification s’accomplit ainsi sur un plan pragmatique, externe au


mensuel (difficulté de copier à temps les gravures), mais également dans une
perspective interne et poétique. La présence de l’estampe constitue en ce sens un
facteur de cohésion et d’unité textuelle au sein de chaque volume : « Ceux qui se
hazarderont à les contrefaire dans les provinces […] comme il les debiteront sans
figures, seront obligez d’oster beaucoup de la matiere qui aura relation avec les
planches, et tout le reste demeurant sans liaison, sera un pur galimatias » 19. Sans les
planches, les volumes du Mercure ne seront rien que des livres « defigurez » !
7 Cette fonction de liaison est assurée par le soin que porte Donneau de Visé à l’insertion
des estampes dans les volumes successifs du Mercure galant. Constatant rapidement des
erreurs dans le travail des relieurs, il ajoute dès le mois de février 1678 un nouveau
péritexte – un Avis pour placer les figures –, qui sera inséré systématiquement dans
chaque numéro jusqu’en 1710 :
Quelques figures ayant esté mises hors de leur place dans le dernier volume du
Mercure20, on a jugé à propos de marquer icy les endroits où celles de ce volume
doivent estre placées, afin d’empescher les relieurs de se méprendre, et de donner
lieu au public de connoistre s’ils ne les mettent pas où elles doivent estre 21.
8 Péritexte significatif, l’Avis pour placer les figures précise en principe pour chaque
planche gravée un intitulé ainsi que la page que l’estampe doit « regarder ». Ces Avis
constituent des témoins précieux de l’importance que le directeur de la revue accorde à
l’illustration et à son ancrage textuel. Au seuil du programme d’illustration du
périodique, les fonctions d’authentification et de liaison de l’estampe légitimeraient-
elles à elles seules les risques financiers pris par Donneau de Visé pour « embellir » le
Mercure galant ? Ce serait sans compter les intérêts supplémentaires que présente le
programme d’illustration en lui-même, sur le plan de son contenu et des modes de
réalisation des planches.

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Ill. 2. Antoine Trouvain, Revers de médailles à la gloire de Louis le Grand, eau-forte et burin, 1678, 470
x 345, Extraordinaire du Mercure galant, quartier d’octobre 1678, t. IV, p. 349, conformément à l’Avis
pour placer les figures. BnF Arsenal, 8H-26484

Un programme d’illustration diversifié et collectif


9 Après avoir placé les estampes sous le signe des « ornemens » offerts au Dauphin 22,
désormais principal dédicataire du périodique, Donneau de Visé détaille dans l’Avis au
lecteur de décembre 1677 le contenu des illustrations à venir en un programme original
et ambitieux, bien qu’encore virtuel :
On fera graver dans chaque volume trois ou quatre planches, suivant les sujets dont
le Mercure parlera ; et comme les énigmes sont devenues un jeu d’esprit qui plaist,
comme on le voit par un nombre infiny de gens qui cherchent à y donner des
explications, outre celles qui seront en vers à l’ordinaire, on en mettra tous les mois
une autre en figures, dont on laissera le mot à deviner. On y trouvera trois ou quatre
chansons dont les notes seront gravées. Elles seront composées par les meilleurs
maistres, et notées exprés pour le Mercure, de sorte qu’on peut s’assurer qu’elles
auront toute la grace de la nouveauté, puis que personne ne les aura veues avant
que le volume où elles seront, soit en vente. Ceux qui voudront envoyer des paroles,
le pourront faire, on aura soin de les faire noter, si elles se trouvent propres à estre
chantées. Il y aura des cartes de galanterie, et la premiere qui paroistra, sera l’Empire
de la Poësie, de Monsieur de Fontenelle. On peut croire sur ce nom qu’elle ne
manquera pas d’agrément. On donnera aussi chaque mois des desseins gravez des
modes nouvelles, et quand on aura commencé, on ne discontinuera plus, mais il faut
établir beaucoup de choses pour cela, et lier commerce avec bien des gens. Ce sera
une commodité pour ceux qui auront inventé quelque chose de nouveau, dans l’envie
de contribuer au plaisir de Monseigneur le Dauphin, ou qui auront quelque chef-
d’œuvre d’art à proposer au public. Ils pourront en apporter les desseins, et on les
fera graver, s’ils meritent cette dépense23.

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10 Ce programme d’illustration est à la fois ambitieux par la diversité des sujets que
Donneau de Visé entend faire graver, et original par les procédés de collaboration qu’il
esquisse entre les acteurs du périodique et le public. Conforme à la « diversité »,
envisagée comme valeur cardinale de l’esthétique galante, le spectre générique des
« figures » est d’emblée présenté dans une extension généreuse. Les principaux genres
gravés du périodique sont annoncés : l’énigme en figure24 ; les airs notés25 ; les cartes de
galanterie26 ; les gravures de mode27 ; les inventions et les chefs-d’œuvre d’art28.
Dévoilée à l’avance, la diversité de ce programme d’illustration a vocation publicitaire :
il s’agit bien sûr d’aiguiser avant tout l’intérêt d’un vaste lectorat.

Ill. 3. Anonyme, La Comète et trois œufs, eau-forte et burin, 1681, 225 x 300 (dimensions prises sur
la grandeur maximale du dessin), Mercure galant, février 1681, p. 177, conformément à l’Avis pour
placer les figures. BNF, Arsenal, 8-H-26484

11 Original ensuite, le programme d’illustration du Mercure galant l’est par la possibilité


qu’il offre au public de participer à l’illustration du périodique. Donneau de Visé
cherche, on l’a dit, à mettre en place un « commerce avec bien des gens », c’est-à-dire à
établir un réseau reliant le public, le rédacteur et les différents professionnels de
l’estampe29. Dans cette dynamique, l’appel à la participation du public dans le choix et
la fabrication de certaines estampes est primordial. Calqué sur la sollicitation de ce
même public dans la diffusion de pièces de poésie ou d’éloquence 30, il constitue une
stratégie éditoriale singulière, destinée à fidéliser un lectorat potentiellement impliqué
dans la publication du Mercure galant, et vraisemblablement à diminuer les coûts de
fabrication du périodique. Les Avis au lecteur de janvier et de février 1678 précisent en
ce sens certaines modalités de participation : publication des armes des « familles
illustres », à condition toutefois que « leurs amis prennent soin de m’en envoyer les
planches31 » (c’est-à-dire, suivant l’Avis de décembre 1677, les dessins) ; publication
d’airs notés, en priant les contributeurs « de ne rien envoyer que de tres-correct, afin

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qu’on puisse graver sans embarras »32. La collaboration du public, enfin, est
particulièrement sollicitée pour les estampes conçues « à la gloire du roy ». Les
indications données dans les « Desseins proposez d’arc de triomphe, pyramides et
medailles à la gloire du roy, le tout embelly de figures, bas-reliefs, devises, inscriptions
et autres ornemens », précisent le format des dessins ainsi que les délais pour les faire
parvenir au directeur du Mercure galant :
On peut envoyer des desseins de toutes ces choses, faits par de bons peintres, sans
qu’il soit necessaire de les accompagner d’aucun discours, si ce n’est qu’on y veuille
joindre quelque ouvrage qui donne lieu de faire la description de ces monumens.
Les arts en peuvent élever de magnifiques pour reconnoistre ce que pendant la
guerre mesme, ce grand prince n’a pas cessé de faire pour eux. Chaque dessein ne doit
pas estre plus grand qu’une page de cet Extraordinaire, à cause du temps qui pourroit
manquer aux graveurs. Ceux des arcs de triomphe peuvent estre de la grandeur de
deux pages. Quant aux medailles, on doit aussi envoyer le dessein du revers. Elles ne
doivent estre guére plus grandes qu’une piece de trente sols, afin qu’en mettant le revers
à costé, l’un et l’autre puissent estre dans la largeur d’une page. Les desseins qui
viendront plus-tard que dans deux mois, ne pourront estre gravez faute de temps. A
Paris ce 14. d’octobre 167833.
12 Une illustration (ill. 2) publiée dans l’Extraordinaire suivant exemplifie parfaitement
l’extension à la fabrication de l’estampe du principe collaboratif qui sous-tend la
rédaction du Mercure galant. Autour d’un portrait du roi sont répartis quarante-deux
revers de médailles conçus par différents lecteurs du périodique, au sujet desquels
Donneau de Visé délivre quelques informations : monsieur Brossard de Montancy,
conseiller au siège présidial de Bourg-en-Bresse ; un avocat nommé Miconet et un abbé
du nom de Malement de Messange ; monsieur Roubin, de l’Académie royale d’Arles ;
monsieur Bonnecamp, médecin de Quimper, ainsi que, sans autre information,
messieurs Gardien, Robbe, Roux et d’Ablouville, contributeurs occasionnels du
périodique. Si les dess(e)ins de ces médailles reviennent principalement à différents
notables de province, tout porte à croire que Donneau de Visé décide alors seul des
choix de composition de la planche, comme le suggère notamment l’indication
suivante : « Il m’en reste [des revers de médailles] beaucoup sur la paix, que je n’ai
point employez ici faute de place. Ils auront leur tour dans une autre occasion. J’ay
choisy pour cette fois ceux qui ont le plus de rapport à la personne du roy » 34. Le soin de
graver la planche est enfin confié à Antoine Trouvain, dont la signature ne semble
toutefois revendiquer la paternité que du portrait central du roi, délicatement buriné,
qui contraste avec la facture moins soignée des revers de médailles, pour la réalisation
desquels Donneau de Visé a peut-être fait appel à d’autres graveurs.

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70

Ill. 4. Pierre-Mathieu Ogier, La Vénus d’Arles, burin, 1680, 247 x 146, Mercure galant, mai 1685, p. 196,
conformément à l’Avis pour placer les figures, BNF, Arsenal, 8-H-26484

13 Tout concourt, on le voit, à faire de l’illustration du Mercure galant un programme à


long terme, selon le vœu de son directeur : « On continuëra tous les Mois l’ornement
des Figures et des Planches selon la diversité des Matieres » 35. Un accord passé le 15
décembre 1681 et enregistré le 18 janvier 1682, entre Donneau de Visé et Thomas
Corneille au moment de leur association officielle, précisera la cadence de l’illustration,
moins élevée que durant les premiers mois, mais envisagée pour être pérenne : « il y
aura toujours 2 planches et 2 chansons » 36, programme que son fondateur tiendra avec
une constance notable jusqu’à son décès, en 1710.

Graver l’actualité au temple de mémoire : pour une


alliance de la nouveauté et de l’exemplarité
14 Or, l’estampe dans le Mercure galant concentre encore au moins deux ambitions
fondamentales qui sous-tendent l’entreprise viséenne durant près de quarante ans :
publier des nouvelles d’actualité, mais les publier de manière à les « graver dans le
temple de mémoire »37. Il s’agit en effet de diffuser l’information, mais également de la
conserver38. En cela, on ne peut identifier parfaitement le Mercure galant à une revue
d’information moderne. On ne peut non plus se contenter d’envisager les estampes
comme les illustrations de faits d’actualité. Elles illustrent en effet des sujets qui
entretiennent avec l’actualité immédiate du périodique une relation variable, un lien
tantôt étroit (mode vestimentaire, plans de collation, etc.), tantôt lâche (cartes
allégoriques, énigmes en figure, etc.)39. Si par exemple les deux planches relatives à la
comète visible entre décembre 1680 et mars 1681, que Donneau de Visé publie en
janvier (ill. 3) et en février 1681, s’inscrivent dans une actualité immédiate,

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l’illustration de la célèbre statue antique découverte à Arles en 1651, puis identifiée


comme une Vénus après plusieurs années de débats, n’est publiée dans le Mercure galant
qu’en mai 1685 (ill. 4), soit au terme de la querelle relayée par le périodique, et une fois
sa restauration par François Girardon achevée. L’estampe offre de surcroît la vision de
la statue avant sa restauration, soit telle qu’elle a été découverte plusieurs décennies
plus tôt !40 À l’instar de l’illustration de la Vénus d’Arles, les estampes sont souvent
publiées à l’issue d’un fil informatif déroulé par Donneau de Visé à travers plusieurs
volumes. C’est dire qu’il ne s’agit pas à tout prix de donner à voir, au plus vite, une
image de l’actualité, de « couvrir un événement » comme on dirait aujourd’hui, mais
d’achever d’imprimer dans l’imagination du lecteur une information à laquelle il a été
préparé par plusieurs textes antérieurs. En ce sens, les estampes du Mercure galant
engagent également un processus de reconnaissance, qui augmente le plaisir du lecteur
par la confrontation de l’image gravée à celle que son imagination a pu concevoir de
l’information au cours des mois précédents.

Ill. 5. [Jean Lepautre], Au Roy, eau-forte et burin, 1678, 493 x 364, Extraordinaire du Mercure galant,
quartier d’octobre 1678, t. IV, BnF Arsenal [8H-26484]. L’Avis pour placer les figures précise que « La
figure dans laquelle l’épistre au roy est gravée, doit estre au devant de la premiere page de la
matiere », n.p.

15 C’est par conséquent un rapport spécifique à l’écriture de l’histoire que donnent à voir
les estampes dans le Mercure galant, un rapport scripto-visuel fondé sur l’alliance de
l’actualité et de la mémoire. Furetière souligne le lien consubstantiel qui unit dans
l’imaginaire du XVIIe siècle la gravure à l’écriture : « Ce mot vient du Grec grapho, qui
signifie j’escris »41. Cette consubstantialité de l’écrit et de l’image dans le projet
historiographique particulier de Donneau de Visé est particulièrement ostensible dès
l’épître gravée au roi publiée dans l’Extraordinaire du Mercure galant du mois d’octobre
1678 (ill. 5), soit durant les premiers mois de l’illustration du périodique. Deux

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72

colonnes formées de compartiments célèbrent les exploits du monarque 42, entre


lesquelles l’épître est inscrite sur une tenture, tenue à son sommet par une Renommée.
Donneau de Visé y avoue : « Le burin m’a servy de plume en beaucoup d’endroits »,
pour célébrer, diffuser mais aussi conserver les hauts faits du monarque. Celui-ci
accomplit en effet des « miracles continuels », qu’il revient au Mercure galant
d’ « apprendre [à ses lecteurs] tous les jours ». La singularité de cet éloge gravé, dont
Donneau de Visé se plaît à souligner qu’il est effectué « d’une manière qui n’a rien de
commun », tient donc non pas à la célébration des exploits du roi, mais à la volonté
d’en faire le fondement d’un mode de publication nouveau qui constitue le Mercure
galant en « espace virtuel »43 où, par le texte et par l’image, les « miracles continuels »
du roi se renouvellent pour structurer le présent et orienter l’avenir du lecteur.
L’illustration du Mercure galant peut en ce sens être envisagée comme une forme de la
« translation iconique » identifiée par Louis Marin comme fondement d’une
historiographie renouvelée du roi44. La fécondité que Donneau de Visé confère à l’image
du roi apparaît par exemple clairement dans la multiplication des médailles figurant
sur l’estampe des Revers de médailles à la gloire du roi (ill. 2), pour laquelle le directeur du
Mercure galant précise encore : « j’ai cru devoir mettre le portrait du roi au milieu. On
doit supposer qu’il occupe la face droite de tous les revers », dont ses « actions ont
fourni la matière »45. La médaille devient en ce sens un genre emblématique de
l’ensemble des estampes du Mercure galant, informées par l’image d’un roi qui semble
demeurer, même dissimulée, omniprésente. Entreprise de communication dirigée par
un particulier, le Mercure galant, en 1678, redouble en quelque sorte l’entreprise
éditoriale royale que constitue le Cabinet du roi46. Le choix de l’illustration entre alors en
résonance avec le constat de Félibien : « on cherche aujourd’hui d’autres paroles que
celles qui ont été en usage jusqu’à présent » ainsi que des « peintures ingénieuses »
pour « apprendre la grandeur de son nom [Louis XIV] à ceux qui viendront après
nous »47.

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Ill. 6. [Jean Lepautre d’après Jean I Berain], Garde-robes pour dames et pour hommes, eau-forte et
burin, 1678, 230 x 315, Extraordinaire du Mercure galant, quartier de janvier 1678, t. IV, p. 525,
conformément à l’Avis pour placer les figures. BnF Arsenal, 8H-26484

16 Mais le portrait du roi n’est que le centre visible d’une constellation d’illustrations bien
plus complexe. L’importance de la figure et des exploits du Roi Soleil, qui cimente le
projet viséen, autorise la publication d’une grande diversité d’images destinées à « fixer
les événements du temps présent en Histoire »48. Le traitement des exploits royaux
légitime en effet par analogie l’exploitation d’autres événements d’actualité dans une
perspective susceptible d’élever jusqu’au fait quotidien au rang d’événement digne de
mémoire. On pense par exemple à la rubrique de mode qui s’attache à fixer par l’image
ce que le meilleur de la cour porte « presentement49 » (ill. 6).
17 Si la promotion de l’image royale accompagne l’essor du programme d’illustration qui
enrichit le Mercure galant en 1678, la baisse du nombre des illustrations qui intervient
moins d’une décennie plus tard50 laisse supposer que le poids des changements
institutionnels et politiques qui suivent notamment la mort de Colbert et la Révocation
de l’Édit de Nantes auront freiné les ambitions de Donneau de Visé s’agissant de
l’illustration de son périodique. Et s’il est trop tôt pour tirer des conclusions générales
d’un programme d’illustration qui s’étend sur trente-deux ans, on peut néanmoins
souligner que l’estampe joue un rôle essentiel au moment du lancement mensuel du
Mercure galant en 1678. Outre des enjeux esthétiques, informatifs et cognitifs, elle revêt
des fonctions rhétoriques et poétiques importantes dans la publication du Mercure
galant : elle doit persuader le lecteur de l’authenticité de l’imprimé et assurer la liaison
d’une matière textuelle hétérogène. Mieux : associée à l’enregistrement d’un
événement majeur pour la postérité, la gravure accomplit visuellement un geste
historiographique singulier. D’une part, l’accumulation d’événements d’actualité, dans
le Mercure galant, pointe déjà vers l’économie médiatique qui caractérise aujourd’hui
selon François Hartog51 un régime d’historicité présentiste, délié du passé et méfiant à

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74

l’égard de l’avenir. Mais d’autre part, l’éloge royal qui aimante les discours du Mercure
galant, conduit à privilégier un ancien régime d’historicité, par l’inscription dans une
temporalité longue d’événements potentiellement illustrés, au sens plein, par la
gravure. L’estampe apparaît alors comme la meilleure alliée de l’écriture pour fixer
tout récit, fût-il ou non d’actualité, au « temple de mémoire ».

NOTES
1. S’agissant des pratiques et des formes littéraires de la sociabilité galante, on se rapportera aux
travaux de référence de Delphine Denis, Le Parnasse galant. Institution d’une catégorie littéraire au
XVIIe siècle, Paris, Champion, 2001 et d’Alain Viala, La France galante. Essai historique sur une catégorie
culturelle, de ses origines jusqu’à la Révolution, Paris, PUF, 2008.
2. Sur le Mercure galant, voir notamment Pierre Mélèse, Un homme de lettres au temps du grand roi.
Donneau de Visé fondateur du Mercure galant, Genève, Droz, 1936 ; Monique Vincent, Le Mercure
galant. Présentation de la première revue féminine d’information et de culture 1672-1710, Paris,
Champion, 2005 ; Anne-Élisabeth Spica, « Identité sociale et code linguistique : le discours
emblématique et ses commentaires dans le Mercure galant (1672-1692), Europe XVI-XVII, n° 7, 2006,
p. 57-70 ; Sara Harvey, « La critique littéraire dans le Mercure galant de Donneau de Visé
(1672-1710) : lorsque la galanterie rencontre les exigences d’une politique culturelle », dans La
Médiatisation du littéraire dans l’Europe des XVIIe et XVIIIe siècles , Tübingen, Gunter Narr, 2013,
p. 131-141 ; François Moureau, « Du Mercure galant au Mercure de France : structure et évolution
éditoriales (1672-1724), dans Lévrier, Alexis et Wrona, Adeline (dir.), Matière et esprit du journal. Du
Mercure galant à Twitter, Paris, PUPS, 2013, p. 25-47 ; et Christophe Schuwey, « Le Mercure galant :
un recueil interactif », Cahiers du dix-septième siècle, volume XVI, à paraître.
3. Privilège du Mercure galant, 5 janvier 1678, n.p. L’abrégé du privilège publié dans les volumes
suivants réitère la protection des gravures du Mercure galant.
4. Un catalogue en ligne des estampes du Mercure galant est en cours de d’élaboration, à paraître
sur le site de l’OBVIL/Université de Paris-Sorbonne, au sein du « Programme Mercure galant »
dirigé par Anne Piéjus, http://obvil.paris-sorbonne.fr/projets/mercure-galant. Le principal
instrument à disposition actuellement pour dégager les tendances de l’illustration au sein du
Mercure galant est, bien qu’incomplet, l’inventaire des gravures procuré par Monique Vincent,
dans Mercure galant. Extraordinaires. Affaires du temps. Table analytique contenant l’inventaire de tous
les articles publiés (1672-1710), Paris, Champion, 1998, p. 693-718. Selon ce document, la parité des
planches musicales et des autres sujets gravés est maintenue (avec une légère prépondérance des
planches non musicales) jusqu’en août 1684, à raison d’environ deux planches de musique et de
deux « figures » par volume. La cadence passe alors à environ deux chansons pour une planche.
Durant les années qui séparent les livraisons d’octobre 1691 et de janvier 1698, les
« embellissements » du Mercure galant se réduisent à environ une chanson et une planche par
volume. Au-delà de cette date, les planches musicales deviennent très nettement majoritaires,
puisque jusqu’en mai 1710, dernier numéro publié sous la responsabilité de Donneau de Visé, on
dénombre 232 airs notés pour une trentaine de planches figuratives seulement. Pour provisoires
qu’ils soient, ces chiffres suggèrent que les efforts d’illustration de Donneau de Visé, s’agissant
des planches gravées non musicales, se concentrent sur la période qui précède l’année 1684, date

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à laquelle Donneau de Visé commence à percevoir pension et gratifications royales. Voir à ce


propos M. Vincent, op. cit., p. 47-54, ainsi que Sara Harvey, art. cit.
5. Dans les nombreux textes préfaciels, ainsi que dans le périodique, le Mercure galant se désigne
comme un « livre ».
6. Les volumes de l’année 1677 témoignent d’une recherche systématique de protection par le
nombre et la qualité des dédicataires (tome II, la comtesse de Bregy ; tome III, le duc de St
Aignan ; tome IV, la marquise de Thiange ; tome VII, le duc de Montausier ; tome IX, Monseigneur
le Chancelier).
7. L’obtention de cette protection n’est sans doute pas étrangère à la dédicace du numéro de
septembre 1677 au duc de Montausier, gouverneur du Dauphin. Ce volume contient du reste un
Impromptu du duc de Saint-Aignan « Sur le château de S. Germain gravé par Monseigneur le
Dauphin », qui loue les qualités de graveur du royal héritier, p. 228-230. Monique Vincent
rappelle la permanence de la dédicace de 1678 à 1710 et l’aide financière qui devait
l’accompagner, sans que l’on sache « dans quelles proportions ni sous quelles forme elle se
manifestait », op. cit., p. 47. Le goût pour la gravure développé par le Dauphin sous la tutelle de
son maître à dessiner Israel Sylvestre a pu encourager l’illustration du périodique.
8. Selon Monique Vincent, Donneau de Visé a été en proie à des difficultés financières régulières,
et la protection royale ne s’est manifestée que tardivement. Voir M. Vincent, op. cit., p. 53-54,
ainsi que Sara Harvey, art. cit.
9. Mercure galant, décembre 1677, Au Lecteur, n.p.
10. Idem.
11. Mercure galant, Privilège du 5 janvier 1678, n.p.
12. Mercure galant, mars 1678, Au Lecteur, n. p.
13. Mercure galant, mars 1678, Au Lecteur, n. p. Je souligne.
14. Mercure galant, décembre 1677, Au Lecteur, n.p.
15. Sur la distinction entre gravures d’illustration « nécessaires » et « gratuites » ou
« artistiques », voir la typologie élaborée par Christian Michel, dans Nicolas Cochin et le livre illustré
au XVIIIe siècle, Genève, Droz, 1987, notamment p. 5-7 et l’Annexe II, p. 395. La « nécessité » de
l’illustration affichée par Donneau de Visé demande bien sûr, dans le cadre d’une étude plus
approfondie, à être éprouvée à l’échelle de l’ensemble des volumes illustrés du Mercure galant. Les
notions d’illustration « allégorique », « narrative » et « transitive » paraissent par ailleurs
particulièrement opératoires pour penser, dans le Mercure galant, la double articulation de
l’image au discours et au monde réel.
16. Mercure galant, décembre 1677, Au Lecteur, n.p. Je souligne.
17. Mercure galant, octobre 1677, p. 224. Je souligne. À noter qu’il s’agit d’une planche publiée
isolément dans le Mercure galant avant la mise en place du programme d’illustration officiel en
janvier 1678.
18. Mercure galant, décembre 1677, Au Lecteur, n.p.
19. Idem. Je souligne.
20. Dans l’exemplaire de l’Arsenal [8-H-26484], la Carte de l’Empire de Poésie regarde ainsi la
page 147, au lieu de la page 146, et surtout, l’Énigme en figure est placée face à la page 242, au lieu
de la page 246.
21. Mercure galant, février 1678, Avis pour placer les figures, n.p. Le volume du mois de janvier
1678, du moins dans l’exemplaire de l’Arsenal [cote 8-H-26484], contient un Avis pour placer les
figures manuscrit (n.p.).
22. Voir supra, note 7.
23. Mercure galant, décembre 1677, Au Lecteur, n.p. Je souligne.
24. Trente-sept énigmes en figure sont publiées entre janvier 1678 et décembre 1681.
25. Le succès des airs notés dans le Mercure galant est constant. Voir notamment Anne Piéjus
(dir.), Le Mercure galant, témoin et acteur de la vie musicale, actes de la journée d’études de Paris,

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juin 2008, Paris, Publications numériques de l’IRPMF, 1, 2010, http://www.irpmf.cnrs.fr/IMG/


pdf/MG_20140203.pdf.
26. Le genre des cartes allégoriques gravées sera finalement peu représenté au sein du Mercure
galant : outre L’Empire de la poésie (janvier 1678), on relève le Combat de la louange et de la satire
(février 1678) ainsi qu’une réminiscence tardive de la Carte de Tendre intitulée Carte du Chemin
d’Amour (avril 1684).
27. Les gravures de mode sont essentiellement présentes durant les premiers mois de la
stabilisation du périodique : cinq planches dans l’Extraordinaire de janvier 1678, deux dans le
numéro suivant du mois d’avril, deux autres enfin dans l’Ordinaire d’octobre de la même année.
28. Accueillante, cette double catégorie est susceptible de comprendre de nombreux genres
d’illustration présents dans le Mercure galant : les illustrations relatives à l’architecture (y
compris les mausolées et les installations relatives aux feux d’artifices), à l’ingénierie (plans de
villes fortifiées et de ponts), ainsi qu’aux arts figuratifs (représentations de statues antiques et
modernes) ou encore à la numismatique (planches de médailles et de jetons).
29. Le rédacteur affirme majoritairement avoir « fait graver » un dessin pour le Mercure galant ;
parfois il admet qu’il « envoie » une figure déjà connue. La plupart des estampes sont anonymes.
On identifie néanmoins une trentaine de signatures qui suggèrent des collaborations mouvantes,
ponctuelles et limitées dans le temps. Dans L’Inventaire du fonds français. Graveurs du XVIIe siècle, t.
III, Paris, Bibliothèque Nationale, 1954, Roger-Armand Weigert souligne l’importance de la
collaboration de Jean Dolivar, avec 74 planches signées dans le Mercure galant (n° 17-91), op. cit.,
p. 437. François Ertinger devient le graveur attitré du mensuel après la mort de Jean Dolivar en
1692, jusqu’en 1710, Inventaire, op. cit., t. IV, p. 84-133. Jean et Jacques Lepautre, ainsi qu’Antoine
Trouvain, ont également gravé plusieurs planches pour le Mercure galant, voir Préaud, Maxime,
Inventaire, op. cit., t. XI (Jean Lepautre : n° 246 ; 455-464, et Jacques Lepautre : n° 45-58). Sur
Antoine Trouvain, voir Legrand, Anne-Sophie, Antoine Trouvain (1652-1708), graveur et éditeur
d’estampes. Biographie et catalogue, maîtrise, Université de Paris-Sorbonne, 1995.
30. Voir l’Avis du Libraire au Lecteur du Mercure galant, dès le tome I, janvier-février 1672. Les
modalités de participation des lecteurs à la publication de textes divers sont précisées
progressivement, en particulier dans un « Avis pour toujours », publié régulièrement.
31. Mercure galant, janvier 1678, Au Lecteur, n.p.
32. Mercure galant, février, 1678, Au Lecteur, n.p.
33. Extraordinaire du Mercure galant, quartier de juillet, tome III, 1678, p. 395-397, je souligne.
34. Extraordinaire du Mercure galant, quartier d’octobre, tome IV, 1678, p. 349.
35. Mercure galant, février 1678, Avis, n.p.
36. Cité par Pierre Mélèse, op. cit., p. 165. Je souligne.
37. L’expression est empruntée aux dictionnaires de l’époque qui associent distinctement le geste
de graver à l’idée de conservation. Le Dictionnaire de Richelet (1680) évoque l’idée du « temple de
mémoire ». Celui de Furetière (1690) donne l’exemple suivant, éloquent quant à l’importance de
la gravure dans un régime d’historicité héroïque : « Les exploits des heros sont gravez au temple
de mémoire ». S’il s’agit ici du geste consistant à graver sur la pierre, ses diverses connotations
s’étendent à la gravure sur bois et sur métal.
38. Comme le souligne A.-E. Spica, « Le Mercure galant est l’organe à valeur d’archive d’un
groupe », art. cit., p. 58. Voir aussi Ch. Schuwey, « Le Mercure galant : un recueil interactif »,
art. cit.
39. Sur la médiatisation du rapport au temps dans les gravures d’actualité politique, voir José
Lothe, « Gravure et typographie. Images d’actualité éditées à Paris sous le règne d’Henri IV »,
dans L’Estampe au Grand Siècle. Etudes offerts à Maxime Préaud, Paris, Ecole nationale des Chartes et
Bibliothèque nationale de France, 2010, p. 55-65.
40. Donneau de Visé publie une estampe de Pierre-Mathieu Ogier qui illustrait l’ouvrage de
Claude Terrin, L’Obélisque et la Vénus d’Arles, Arles, Jacques Gaudion, 1680. Le privilège de

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l’ouvrage de Terrin arrivait à échéance, ce qui laisse supposer que Donneau de Visé a pu acquérir
la planche à un prix avantageux.
41. Furetière, Dictionnaire (1690). Erronée, l’étymologie atteste néanmoins la similitude qui unit
dans l’imaginaire du XVIIe siècle le maniement du burin et celui de la plume. Selon le Dictionnaire
historique de la langue française, t. II, p. 1633, le verbe graver vient de l’ancien francique graban qui a
donné en allemand graben, creuser. Il prend son sens moderne de « tracer sur une matière dure
en l’entaillant » au XVe siècle et signifie au sens figuré, depuis le XVIe siècle « rendre durable » et,
e
au XVII siècle « rendre manifeste, par quelque chose de remarquable ».
42. Gravures au second degré, les compartiments figurent des places « demeurées à la France » et
d’autres offertes « au repos de l’Europe ». Sur la mise en abyme en gravure, voir Bénédicte Gady,
« La gravure dans la gravure. Exercices visuels et sémantiques », dans L’Estampe au Grand Siècle,
op. cit., p. 449-462. La gravure, contrairement aux arts de la peinture, de la sculpture et de
l’architecture, est privée de représentation allégorique propre, et « n’a [par conséquent] guère le
droit que de perpétuer le souvenir de ces touchantes réunions de famille », art. cit. p. 450.
43. Christophe Schuwey, « Le Mercure galant : un recueil interactif », art. cit.
44. Louis Marin, Le Portrait du roi, Paris, Minuit, 1981, notamment p. 68-70.
45. Extraordinaire du Mercure galant, quartier d’octobre, tome IV, p. 349.
46. Voir à ce propos Marianne Grivel, Le Commerce de l’estampe à Paris au XVIIe siècle, Genève, Droz,
1986, p. 181-190.
47. André Félibien, Les Quatre elemens peints par Mr Le Brun et mis en tapisseries pour sa Majesté
[1671], dans Recueil de descriptions de peintures et d’autres ouvrages faits pour le Roy, Marbre-
Cramoisy, 1689 p. 97-98. Je remercie Christian Michel d’avoir attiré mon attention sur ce texte.
48. Sara Harvey, art. cit., p. 140.
49. Extraordinaire du Mercure galant, quartier de janvier 1678, p. 521.
50. Près de la moitié des gravures d’illustration sont publiées entre 1678 et 1683, soit durant les
six premières années d’un programme d’illustration qui s’étend de 1678 jusqu’à la mort de
Donneau de Visé en 1710.
51. François Hartog, Régime d’historicité, Paris, Seuil, 2003.

RÉSUMÉS
Périodique mondain fondé en 1672 par Jean Donneau de Visé, le Mercure galant est doté au
tournant de l’année 1678 d’un programme d’illustration significatif qui se maintient jusqu’à la
mort de son fondateur et directeur en 1710. Le présent article s’attache à identifier ses fonctions
principales (éditoriales, poétiques et historiographiques) au moment de sa mise en place.
Donneau de Visé construit en effet l’illustration du périodique comme un évènement destiné à
fidéliser un large lectorat. Mais surtout : entretenant un rapport étroit avec la promotion de
l’image royale, l’estampe dans le périodique rend visible l’élaboration d’un régime d’historicité
singulier, qui fait de la nouveauté une valeur définitoire de ce qui est digne de mémoire.

Jean Donneau de Visé created the socialite gazette le Mercure galant in 1672, and in 1678 the
magazine became heavily illustrated. In this article we study how Donneau de Visé developed
this new pictorial component, which remained part of the gazette until his death in 1710. We
show he meant it as a way to build up a loyal audience, and used it for editorial, poetic and
historiographic purposes. Beyond this, prints were a medium tightly linked to royal propaganda,

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78

and this era of the Mercure galant illustrates a changing relation to history, where novelty
becomes the defining feature of what constitutes a historic event.

INDEX
Index géographique : France
Index chronologique : 17e siècle

AUTEUR
BARBARA SELMECI CASTIONI
Collaboratrice scientifique FNS/université de Bâle

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Le Triomphe du Libraire ambulant,


entre estampes et écrans
The Book Peddler Triumph, through prints

Pascale Cugy et Philippe Cornuaille

1 Bien connu du premier XVIIe siècle, l’effet d’enchâssement du « théâtre dans le


théâtre1 » se retrouve largement dans l’estampe sous les règnes de Louis XIII et
Louis XIV ; décliné dans des sujets mettant en scène la vie courante, ce principe permet
notamment de saisir les utilisations contemporaines de cet art du multiple, souvent
riche en références à l’actualité2. Jacques Callot, Abraham Bosse ou Jean-Baptiste
Humbelot, pour ne citer qu’eux, ont ainsi livré des estampes dans lesquelles d’autres
estampes sont contemplées par des amateurs dans des boutiques, affichées aux murs
des maisons, des études de procureurs3 ou des classes tenues par des maîtres d’école 4,
voire collées sur des objets manufacturés.
2 Dans certains cas, ces estampes « dans l’estampe », représentées en situation, sont
parfaitement identifiables. L’exemple de l’Éventail de Jacques Callot est
particulièrement célèbre, avec sa mise en abyme de « l’éventail » lui-même : un
personnage du premier plan, assis sur la volute qui entoure la composition, à droite,
tient dans sa main un accessoire dont la forme est exactement celle de l’estampe
« cadre5 ». Bosse utilisa ce subterfuge pour se mettre en scène ou faire sa promotion ;
c’est le cas dans quelques-unes de ses scènes de genre où il glisse un almanach de sa
composition et, surtout, dans la Galerie du Palais où l’un des boutiquiers manipule une
boîte d’« éventails de Bosse6 ».
3 Mis en abyme par Bosse et Callot, l’éventail et l’écran 7 devinrent un motif récurrent
dans les estampes du XVIIe siècle. Accessoires très en vogue à cette époque, ces objets
symboles d’élégance et de distinction étaient à l’origine principalement employés par
les personnages de la Cour ; ils virent leur multiplication facilitée par l’emploi
d’estampes prêtes à être mises en couleurs, les rendant plus accessibles et standardisés.

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Ill. 1. Anonyme, Madame Lucie de Tourville de Cotentin, Marquise de Gouville, gravure à l’eau-forte et
au burin publiée par Claude-Auguste Berey, vers 1695-1700, 27,5 x 18,5 cm. BnF, Arsenal, Est-373,
fol. 66

4 Le succès des écrans transparaît dans la façon dont les graveurs les ont représentés
dans leurs estampes. Plusieurs les montrent en situation dans la main d’une dame qui, à
proximité d’un âtre, se protège le visage. Des exemples se trouvent chez Abraham Bosse
(notamment dans sa série sur les Vierges folles et les vierges sages) comme dans le
domaine des facéties8 ; ils sont particulièrement nombreux dans le cas des allégories de
L’Hiver comme celles publiées par Gilles Rousselet, Philippe I er Huart ou Pierre Mariette,
auxquelles les écrans fournirent un attribut parfaitement adapté, rappelant par
glissement la chaleur du feu et de la cheminée9.
5 Les gravures de mode produites à partir des années 1670 permirent quant à elles la
mise en place d’un véritable « modèle-type » que l’on retrouve chez des artistes et
éditeurs comme Jean Dieu de Saint-Jean, Nicolas Arnoult, Jean Mariette et les frères
Bonnart10. L’Hiver, exécuté par Nicolas Ier Bonnart d’après un dessin de son frère Robert,
offre, dans les mains d’une jeune femme coiffée d’une fontange, portant un long
manteau doublé d’hermine cintré à la taille, un écran d’assez grande taille au manche
en bois tourné « à pommette11 » ; l’écran lui-même n’est maintenu que d’un seul côté
par le manche, qui vient se ficher dans l’axe tout en permettant la rotation de
l’estampe. Claude-Auguste Berey et François-Gérard Jollain employèrent le même
dispositif, faisant intervenir une dame richement habillée, assise dans un fauteuil face à
une cheminée et tenant à la main un écran (ill. 1)12.

Nouvelles de l’estampe, 252 | 2015


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Ill. 2. Anonyme d’après Claude Simpol ( ?), La Revendeuse, gravure à l’eau-forte et au burin publiée
par Jean Mariette, vers 1695-1705, 28 x 19 cm. BnF, Estampes, Hennin, 6605

L’écran dans l’estampe et son dessin


6 Si l’on regarde avec attention les écrans à main figurés dans ces diverses compositions,
il faut bien reconnaître qu’il est difficile d’identifier les estampes qui les ornaient et
encore plus d’y retrouver un écran ayant réellement existé. La surface dont disposait le
graveur était infime puisqu’elle ne dépassait guère 2 ou 3 cm 2 ; il était donc
éminemment complexe de représenter un écran réel, composé lui-même de plusieurs
images – trois ou quatre, voire beaucoup plus – dans cet espace. Aussi, la plupart du
temps, le graveur était amené à styliser et simplifier le dessin. Dans certains cas, il
n’habilla son écran que de simples lignes figurant les rayons du cercle 13 ; dans d’autres,
comme dans L’Hiver de Bosse, il fit une trame rappelant un tressage en osier 14. Dans
d’autres cas encore, visant à plus de précision, il donna à voir l’esquisse d’une scène de
théâtre, un paysage de verdure ou une petite scène de genre, comme ces deux
personnes s’exerçant à un jeu de balle représentés par Jean Lepautre dans La Mode aux
écrans15. Les écrans figurés dans l’estampe La Revendeuse publiée par Jean Mariette
montrent clairement, sinon des scènes identifiables, du moins les contours de quatre
cartouches (ill. 2)16.
7 Relativement atypique et particulièrement curieux, il existe au moins un exemple d’une
estampe représentant un écran à main sur lequel une image est parfaitement
reconnaissable. Il s’agit d’une « mode » publiée par Henri II Bonnart à son enseigne du
Coq, rue Saint-Jacques, intitulée Dame vêtue à la sultane (ill. 3) 17. Dirigée vers la gauche,
regardant le spectateur la tête penchée, une jeune femme aux cheveux relevés sur la
tête, le visage orné de deux mouches, arborant nonchalamment un mouchoir dans sa

Nouvelles de l’estampe, 252 | 2015


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main gauche, tient entre le pouce et l’index de sa main droite le manche d’un écran à
angles aigus ; l’image de celui-ci est sans équivoque la reprise d’une autre estampe
publiée par le même éditeur, Le Grand Triomphateur ou le Libraire ambulant, personnage
dont l’avantage est décrit dans la lettre qui accompagne la planche (ill. 4) :
Un autre moins fameux libraire / pourra se contenter d’un pilier du palais // Mais
pour le débit que je fais / Paris entier m’est nécessaire 18.

Ill. 3. Anonyme, Dame vêtue à la sultane (état I/II), gravure à l’eau-forte et au burin publiée par Henri
II Bonnart, vers 1688-1698, 28 x 19 cm. BnF, Arsenal, Est-373, fol. 134

8 Cette estampe fut probablement réalisée dans les années 1680 d’après un dessin de
Henri II Bonnart qui affectionnait les types physiques d’hommes mûrs au visage très
caractéristique (grands yeux, sourcils se rejoignant en apostrophes au-dessus du nez,
pommettes saillantes)19 ; elle appartient à une importante suite de Métiers et Cris de Paris
publiée par les frères Bonnart à L’Aigle et au Coq qui représentait différents gagne-pains
exercés dans la capitale, pris pour la plupart dans la sphère du petit commerce
ambulant. Inaugurant les séries ouvertes dans lesquelles s’illustra la famille Bonnart 20,
enrichies durant plusieurs années, ces Cris aux caractéristiques formelles similaires
furent édités pour vingt-neuf d’entre eux au Coq et vingt-et-un à L’Aigle 21. À côté des
signatures des propriétaires de ces deux enseignes – respectivement Henri II et
Nicolas Ier – on y retrouve la main de leurs deux jeunes frères, Jean-Baptiste et Robert
Bonnart, qui livrèrent des dessins préparatoires, sans doute à des périodes différentes,
tout en effectuant également des travaux de gravure22.

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Ill. 4. Anonyme d’après Henri II Bonnart ( ?), Le Grand Triomphateur ou le Libraire ambulant (état I/II),
gravure à l’eau-forte et au burin publiée par Henri II Bonnart, vers 1680-1690, 28 x 19 cm. BnF,
Estampes, Oa 53 pet fol, fol. 17

Les Cris de Paris et le colportage des livres


9 S’inscrivant dans une tradition parisienne solidement établie, marquée par des
estampes comme celles gravées par Pierre Brebiette et publiées par Jacques Honervogt
sous le règne de Louis XIII23, la suite des frères Bonnart se singularisa par l’adjonction
de métiers moins attendus, plus « modernes » que ceux exercés par les crieurs
habituellement représentés : on trouve en effet deux Maîtres à danser, un Maître d’armes,
une Nourrice et une Sage Femme, mais également un Financier et une Fille de la Charité
servant les malades, aux côtés du Vendeur de mort-aux-rats, de la Crieuse de châtaignes, du
Fendeur de bois, du Gagne-petit et de la Laitière de Bagnolet (ill. 5). En intégrant aux
traditionnels vendeurs de fromages et de charbon des professions soucieuses d’aboutir
à une reconnaissance comme art libéral, la série permet de scruter différentes couches
de la société parisienne tout en les mettant en quelque sorte sur un pied d’égalité ; elle
leur octroie un cadre et une apparence standardisés, rapidement partagés avec ceux
des images de mode auxquelles les Cris de Paris devinrent aisément assimilables 24.

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Ill. 5. Jean-Baptiste Bonnart, Fille de la Charité servant les malades, gravure à l’eau-forte et au burin
publiée par Henri II Bonnart, vers 1680-1686, 27,5 x 19,5 cm. BnF, Estampes, Hennin, 5087

10 Comme d’autres planches de cette suite éditées au Coq, la plaque du Libraire ambulant
fut déclinée en deux états ; le second, s’il ne marque pas une réelle évolution de
l’iconographie ou du sens de la composition, dénote un souci commercial particulier à
Henri II, qui fut indubitablement le plus actif des frères Bonnart dans le recyclage et
l’optimisation de ses cuivres. Né en 1642 à Paris, ce dernier s’installa à son compte à
l’enseigne du Coq en juillet 1677 25 ; il avait auparavant appris et pratiqué les métiers de
graveur, d’imprimeur en taille-douce et probablement de marchand dans la boutique
de ses parents dont il s’occupait avec son frère aîné ; tout en exerçant des fonctions
importantes au sein de l’académie de Saint-Luc où il avait été reçu comme peintre en
1671, il développa un commerce florissant à l’échelle européenne. Employant des
graveurs en plus de ses frères, il édita de nombreuses compositions déclinées en
plusieurs états, parfois en versions voilées/dévoilées, afin d’obtenir un maximum de
rentabilité ; certaines d’entre elles furent même, par une adaptation de la lettre ou un
travail en coédition avec des marchands étrangers, rendues aptes à séduire les marchés
espagnol ou italien26. Probablement gravé par ses soins, le cuivre du Libraire ambulant
représente le marchand en pied, corps tourné vers la gauche et visage vers la droite,
souriant d’un air goguenard, portant sur lui sa marchandise, les livres en feuille
s’apercevant dans les poches de sa veste et sur le pourtour de son chapeau, ainsi que
dans ses deux besaces dont les lanières se croisent sur sa poitrine ; cette spécificité le
démarque des autres Cris, qui portent généralement des hottes ou de grands paniers. Se
tenant à l’aide de deux cannes, légèrement courbé et barbu, il présente le physique
abîmé attendu des libraires ambulants, traditionnellement recrutés parmi les
compagnons imprimeurs devenus incapables de travailler.
11 Il ne saurait être ici question de refaire l’histoire de la librairie parisienne, de longues
études et de passionnants travaux ayant déjà traité le sujet 27. Il importe néanmoins de

Nouvelles de l’estampe, 252 | 2015


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rappeler que l’édition fut, depuis le début du XVIe siècle et en conséquence des guerres
de religion, très encadrée, surveillée et censurée. L’université de Paris interdit, à partir
de 1517, de nombreux écrits de Luther ou de ses disciples avant de faire paraître un
catalogue d’ouvrages proscrits28, soutenu par un arrêt du Parlement proclamé dans les
rues de Paris le 28 juin 1545. Dès le début du XVIIe siècle, le pouvoir royal prit la main
sur la production imprimée et déposséda l’université de son droit de censure. La grande
chancellerie eut le pouvoir d’accorder ou non des permissions ou des privilèges. Cette
nouvelle forme de contrôle favorisa les grands libraires parisiens tout en les inféodant
au pouvoir politique. Furent distribuées des charges d’« imprimeur du roi » pour la
publication des actes officiels et des « continuations de privilèges » assurant une
protection et une exclusivité temporaires sur les titres requis.
12 Les imprimeurs ne se cantonnaient cependant pas à l’édition de livres. En l’absence de
périodiques, ils informaient aussi leurs lecteurs avides de nouvelles à l’aide de petites
brochures ou même de feuilles volantes, voire d’almanachs, rapidement imprimés et
vite vendus. Dans le premier XVIIe siècle, des centaines de milliers de ces bulletins et de
ces feuilles furent commercialisées29. Les murs se couvraient de placards officiels aux
armes du roi mais aussi d’affiches « publicitaires » ou encore de feuilles à caractère
injurieux. Ce fut un canal privilégié pour toucher l’opinion publique sur les
controverses politiques, notamment sous la forme de libelles et pamphlets s’en prenant
violemment au roi ou à son gouvernement. Au milieu du XVIIe siècle, la production des
mazarinades fut autant impressionnante qu’incontrôlable. Alain Riffaud souligne que la
période de la Fronde fut « marquée par le foisonnement des pamphlets et libelles,
surtout dirigés contre Mazarin dont la “vie [était] un sujet inépuisable pour les auteurs,
et infatigable pour les imprimeurs”. C’[était] le temps où “une moitié de Paris
[imprimait] ou [vendait] des imprimés, [où] l’autre en [composait et où] les colporteurs
[courbaient] sous le poids de leurs imprimés au sortir de nos portes” 30 ».
13 À côté des libraires installés et de la voie d’affichage, différents canaux se chargeaient
de la diffusion de l’imprimé : des merciers ambulants, ou « marchands mercier »,
autorisés à vendre des almanachs ou des ouvrages destinés à l’apprentissage de la
lecture31, mais aussi des colporteurs de livres – groupe auquel appartient le Libraire
ambulant –, qui posèrent de nombreux problèmes au pouvoir.
14 Le terme moderne de « colporteur » est empreint d’une forte connotation péjorative,
« colporter » étant associé aux nouvelles, le plus souvent aux mauvaises nouvelles,
voire aux rumeurs. Cette connotation était en adéquation avec le continuel agacement
des hautes autorités qui, malgré les multiples arrêtés et ordonnances, eurent bien du
mal à contrôler les membres actifs de cette profession itinérante. Si des listes pouvaient
être dressées pour condamner des livres interdits, et si la censure puis le système des
privilèges permettaient un certain contrôle des imprimeurs et des libraires ayant
pignon sur rue, il en allait évidemment tout autrement des marchands ambulants qui
portaient leur marchandise sur eux ou qui avaient la possibilité de faire des étals
mobiles et facilement démontables.
15 Au début du XVIIe siècle, seuls vingt-quatre colporteurs « autorisés » se partageaient le
quartier du Palais et celui du Châtelet. Ils étaient chargés de publier les édits, arrêts et
autres déclarations. Pendant la période de la Fronde, leur nombre augmenta de façon
exponentielle au prorata de la production massive des libelles et des pamphlets. Ce
nombre fut ramené à cent en avril 165332. Dix ans plus tard, il était interdit de colporter
à moins d’y être officiellement autorisé. Afin d’exercer un contrôle « à la source », on

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interdit aux libraires et imprimeurs, en octobre 1667, toute fabrication de livrets et


feuilles volantes sans permission. Le nouveau lieutenant de Police Nicolas de La Reynie
réaffirma par ordonnance, le 22 août 1670, les obligations, devoirs et interdictions liés à
la profession de colporteur :
FAISONS DEFFENCES à toutes personnes, tant hommes que femmes, à l’exception
des colporteurs qui seront nommez, pourveus de lettres, & receus conformement
aux ordonnances sur ce faites, & à l’arrest du huitième avril 1653 d’exposer en
vente, crier par les rues, ny debiter en particulier en cette ville & faux-bourgs de
Paris aucuns ecrits, livres, livrets ny imprimez, en quelque sorte & maniere que ce
soit, à peine de punition corporelle. ORDONNONS ausdits colporteurs qui ont esté &
qui seront cy apres receus, de porter une marque & escusson de cuivre au devant de
leur pourpoint, & une balle attachée à leur col, dans laquelle ils mettront les
imprimez & livrets qu’ils exposeront en vente33.
16 En outre, cette ordonnance de 1670 rappelait quelques-unes des « qualités » attribuées
aux colporteurs34 :
plusieurs faineans & débauchez (quoy qu’ils soient du nombre des colporteurs
choisis ou nommez par le syndic des libraires, presentez ny receus) s’ingerent, avec
leurs femmes & enfans, de vendre & debiter, tant en public qu’en particulier, toutes
sortes dimprimez, bien souvent sans nom d’autheur ny d’imprimeur, & parmy
lesquels il s’est trouvé quelquesfois des libeles injurieux & diffamatoires contre
l’Estat, & contre le bien public35.
17 Les colporteurs étaient communément issus de la corporation des libraires et
imprimeurs, ainsi que le rappelle un règlement de 1686, qui ramena leur nombre à
vingt-quatre : « ils étaient tenus de savoir lire et écrire, et devaient être recrutés de
préférence parmi les anciens ouvriers du livre qui n’étaient plus capables d’exercer leur
métier en raison d’une quelconque infirmité36 ». Dès le début du XVIIIe siècle, le métier
se transmit au sein d’une même famille ; alors que la multiplication des ordonnances
officielles nécessitait un maillage des quartiers de Paris, sillonnés par un nouveau corps
de colporteurs créé par Nicolas Desmarets, contrôleur général des Finances, un nouvel
arrêt cherchant vraisemblablement à unifier les deux corps et limiter les conflits
ordonna, le 28 mai 1712 « que le nombre de colporteurs [soit] augmenté et fixé à six
vingts37 ».
18 Il n’en reste pas moins que le contrôle était extrêmement difficile à mettre en place ;
suspectés notamment de faire « venir d’Hollande des livres les plus remplis de sottises
qu’ils débitaient », les colporteurs jouissaient d’une réputation très dégradée, comme
en atteste une nouvelle ordonnance du 20 octobre 1721 :
SA MAJESTÉ étant informée que la license touchant l’impression et le débit des
livres seroit parvenue à un tel point, que toutes sortes d’écrits sur la Religion, sur le
Gouvernement de l’État et contre la pureté des mœurs imprimés dans les pays
étrangers et furtivement dans quelques villes de son royaume sont introduits par
des voies obliques et détournées dans sa bonne ville de Paris et y sont distribués par
gens sans qualité et sans aveu qui les colportent dans les maisons particulières,
dans les hostelleries, les cabarets et les caffés, en même temps par les rues ou qui
les débitent à des étallages de livres sur les ponts, quays, parapets, carrefours en
place publiques et qui, pour mieux couvrir leurs mauvaises pratiques, affectent de
garnir ces étallages d’autres livres vieux ou neufs, la plupart volés par des enfans de
famille ou des domestiques et recelés par ces étalleurs38.
19 L’ordonnance rappelle même que ceux qui veillaient au contrôle d’une pratique si
délictueuse ne le faisaient pas sans « exposer leur vie », ces « sortes de gens [étant]
soustenus par les gaigne-deniers sévissant sur les ports et autres de la populace ».

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De la rue à la ruelle. Le Paris populaire et les écrans


20 L’estampe du Grand Triomphateur joue avec la mauvaise réputation attachée aux
colporteurs. Prise « au pied de la lettre », elle se lit comme une intéressante facétie qui
tient de la fable. Comme dans Le Loup et le chien de La Fontaine 39, un personnage se
targue de sa liberté – « Paris entier m’est nécessaire » –, alors que l’autre est attaché à
son « pilier » du Palais ; cette liberté de mouvement semble toutefois se payer bien
cher : voûté, l’homme libre paraît ployer sous le poids des imprimés qu’il transporte
jusque dans les bords ramollis de son chapeau40.
21 Cette vision d’un « ambulant », sous une forme assez brute 41, pourrait sembler
particulièrement dissonante sur un accessoire de mode, destiné à être signe de
raffinement ; elle constitue de fait un exemple relativement précoce de l’appropriation
par les hautes sphères des individus du bas peuple décrite par Vincent Milliot dans son
ouvrage sur les Cris de Paris42. « Porteuses de discours sur le peuple et sur la ville », ces
images étaient en effet autant de motifs à destination des élites « qui [aidaient] à
apprivoiser [le] petit peuple », dressant « un tableau acceptable » de ses mœurs comme
de ses habits, grâce à une « esthétique limitée de la misère qui hésit[ait] entre la
description des mœurs du bon sauvage et la transposition “exotique” de codes
galants », « condition de la domestication, de la connaissance et de l’appropriation d’un
univers étrange, secrètement hostile43 ».
22 Il existe d’ailleurs plusieurs exemples de la présence d’images représentant des scènes
du Paris populaire sur les écrans destinés aux personnes de qualité, à côté des
traditionnels récits mythologiques ou des scènes empruntées au théâtre et aux romans,
dont l’un des plus cocasses et intéressants est probablement celui du « meunier à
l’anneau », personnage pittoresque dont les mésaventures firent l’objet de récits et
d’images durant une dizaine d’années. Devenu célèbre en raison de son ivresse et de
son ridicule, cet individu finit par se retrouver, galamment présenté au sein d’un écran
édité par Antoine de Fer, entre les doigts des dames de qualité 44.
23 Il ne semble pas y avoir eu d’incongruité pour ces mêmes personnes à porter en main
des Cris de Paris45 ; malgré leur sujet a priori « populaire », ces estampes étaient
collectionnées par des personnages de la Cour ou de grands bourgeois – et non
simplement par les populations urbaines auxquelles on les a longtemps cru destinées.
Le libraire et ses congénères se trouvent ainsi dans des recueils ayant appartenu à
d’importants collectionneurs ou bibliophiles comme le marquis de Béringhen ou le père
Placide de Sainte-Hélène46, augustin déchaussé, géographe du roi, graveur lui-même,
qui avait réuni un ensemble considérable, comptant notamment des épreuves du
« Chevalier de la Mort et de la Mélancolie d’Albert Dürer », aujourd’hui au Département
des Estampes et de la Photographie de la Bibliothèque nationale de France 47.
24 La présence du Libraire dans ces collections montre l’intérêt indéniable des amateurs
d’estampes envers ce type de personnages, en partie dû à leur aspect pittoresque, mais
aussi probablement à leur célébrité individuelle et, plus généralement, au contexte
parisien ; en témoignent, outre les estampes qui montrent leur grande présence dans
les rues48, la déclinaison insistante, chez Henri II Bonnart, de cet ambulant.

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Le Grand Triomphateur et ses avatars


25 Plusieurs compositions sont en effet nées autour du « Grand Triomphateur », ce qui en
fait un cas particulier au sein de la suite des Métiers et Cris de Paris. Bien plus que son
frère Nicolas Ier, Henri II Bonnart avait pour habitude de décliner ses planches en
plusieurs états, remplaçant le fond blanc des premiers cuivres par un cadre plus ou
moins pittoresque, tantôt un paysage de campagne – comme pour la planche Argent de
mes petits oiseaux ou celle du Marchand de fromages de Marolles –, tantôt un intérieur ou
une vue urbaine ; il lui arrivait encore régulièrement de publier une version en petit de
ses compositions, reprenant, la plupart du temps en contrepartie, l’intégralité du
dessin et, souvent, de la lettre, pour les diffuser en des feuilles correspondant au format
d’ouvrages in-8°49. Il réutilisa ainsi le cuivre du Libraire ambulant pour la création d’un
deuxième état : le fond blanc à l’avant duquel se trouvait le protagoniste fut transformé
en un mur comportant, dans la partie gauche, une porte ouverte sur une sorte de forêt
et, dans la partie droite, quatre étagères supportant des livres reliés de différents
formats (ill. 6). Henri II Bonnart a, dans cette planche, clairement privilégié des
impératifs de rentabilité, car le remplissage du fond fait peu de cas de la lettre et se
montre en contradiction avec le quatrain, enfermant bizarrement le libraire devant
une bibliothèque qui évoque l’intérieur d’une boutique, même si l’espace ouvert
pourrait rappeler sa vocation de marchand ambulant.

Ill. 6. Anonyme d’après Henri II Bonnart ( ?), Le Grand Triomphateur ou le Libraire ambulant (état II/II),
gravure à l’eau-forte et au burin publiée par Henri II Bonnart, vers 1698-1711, 28 x 19 cm. BnF,
Estampes, Hennin, 6228

26 À côté de ce deuxième état, le Libraire ambulant eut également droit à une seconde
planche, en lien avec la première image, à laquelle elle répond directement. Le Grand
Triomphateur, debout et souriant malgré ses cannes, réapparaît en effet sous la forme

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d’un Grand Triomphateur desolé, en colère, assis sur un banc de pierre à l’avant d’un mur
sur lequel se trouve, à droite, placardée, une représentation de la première estampe 50
(ill. 7). Bien que le personnage paraisse plus robuste dans cette seconde planche que
dans la première, plusieurs similitudes émergent entre les images : d’abord dans les
traits du visage et la conservation du costume, mais aussi dans le titre qui est inscrit –
fait unique dans la série – en haut à gauche à l’intérieur même de la composition dans
la deuxième image. Présente à travers le procédé d’image dans l’image, qui rappelle
celui employé pour l’écran de la Dame vêtue à la sultane, la référence à l’estampe du
Libraire ambulant se poursuit dans la lettre qui prend place en partie basse, tout entière
construite en réponse à la première image et en rapport étroit avec le quatrain
accompagnant cette dernière.

Ill. 7. Anonyme d’après Henri II Bonnart ( ?), Le Grand Triomphateur désolé, gravure à l’eau-forte et au
burin publiée par Henri II Bonnart, vers 1690-1698, 31,5 x 18,5 cm (deux cuivres). BnF, Estampes,
Oa 53 pet fol, fol. 16

27 Le texte rapporte la longue diatribe du libraire, qui déplore sa condition et les


fâcheuses conséquences de la publication de son portrait tout en prenant le spectateur
à partie. Ce discours fait directement référence à la première image et à son auteur, un
« graveur » qui ne semble pouvoir être qu’Henri II lui-même. L’ensemble – bien plus
important que les deux strophes habituellement dévolues aux planches de ce type – se
compose de quatre sizains numérotés, les deux derniers prenant place sur un petit
cuivre rapporté sous la plaque principale :
1/ Depuis un temps asses considerable / Avec honneur je passois dans Paris /
Chacun reconnoissoit ma mine venerable / Je leur vendois a tous livres à juste prix
/ Le ciel avoit voulu pour mon salaire / Qu’en faisant mon portrait on m’y nomma
Libraire // 2/ Apres le nom de grand Triomphateur / On y lisoit en lettres
authentiques / Qu’en tous lieux librement j’erigeois des boutiques / Mais d’où peut
me venir un si triste malheur / Ma qualité m’est aujourd’huy changée / Et mon

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honneur enfin se reduit en fumée. // 3/ Ai-je commis dans la vacation / Quelque


forfait que l’on puisse reprendre / Jamais contre l’Estat on ne ma veu rien vendre /
Je n’ay point contrefait aucune jmpression / Je n’eus jamais une ariere boutique /
Pour livrer en secret un libelle heretique // 4 / De cet afron m’en prendrai je au
graveur / Sa bonne foy paroissoit dans l’ouvrage / Il avoit peint monnes [sic] mes
livres mon visage / Son burin m’asseuroit d’un immortel honneur / Mes qualites
qu’il traçoit sur le cuivre / Helas autant que moy tout au moins devoient vivre.
28 Également déclinée en petit, en contrepartie et avec pour seule lettre, en marge
inférieure, le titre « Le Grand Triomfateur / desolé », accompagné des mentions
d’éditeur, cette estampe entretient un rapport étroit avec l’actualité des métiers de la
librairie et des vendeurs ambulants (ill. 8). Henri II, très actif dans la rue Saint-Jacques,
lié à plusieurs libraires – pour certains de manière familiale 51 – implantés comme lui
dans ce quartier, devait parfaitement connaître les événements qui la ponctuaient,
symptomatiques des conflits entre corporations et métiers libres entre lesquels régnait
un antagonisme profond, visible dans première image du Grand Triomphateur, mais aussi
et peut-être surtout dans la lettre de la seconde. Le texte insiste ainsi sur les méfaits de
la perte de la « qualité » de libraire, qui induit celle de l’« honneur » attaché à la
déclinaison, en « lettres authentiques », d’un état respectable, mérité par un
comportement prétendument exemplaire, que tous les éléments de l’image, du sourire
aux textes cachés dans les replis des vêtements, tendent à nier.

Ill. 8. Anonyme d’après Henri II Bonnart ( ?), Le Grand Triomphateur désolé, petit format, gravure à
l’eau-forte et au burin publiée par Henri II Bonnart, vers 1690-1711, 12,5 x 9,5 cm. BnF, Estampes,
Oa 53 pet fol, fol. 16

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Parentés. Guillaume de Limoges et Girard Audran


29 Face à cette lettre à ce point circonstanciée, d’apparence si individualisée, se pose la
question de la représentation d’un personnage précis ; le Grand Triomphateur n’est
d’ailleurs pas sans proximité avec les images d’autres personnalités célèbres de la rue
ou de la scène parisiennes dont l’existence est plus ou moins documentée. Souvent
devenus de véritables types comiques, ces personnages ont suscité une importante
imagerie, parfois posthume, comme Gros-Guillaume (Robert Guérin, mort en 1634 et
dont Henri II Bonnart publia une effigie après sa mort 52), Scaramouche (Tiberio
Fiorilli53), Belleroche (Raymond Poisson54), Boniface le joueur de vielle, ou encore un
certain « Apollon du Pont-Neuf55 ». Ce dernier fut figuré par Henri II Bonnart sur une
estrade, des feuilles et livrets à la main, à l’avant d’un panneau sur lequel sont écrites
des chansons ; la lettre apprend au spectateur que, « Par ses grimaces et son chant »,
cet individu « Excroque a la sotte canaille / De quoy rire et boire d’autant » (ill. 9).

Ill. 9. Anonyme, L’Homme de paille, Apollon du Pont-Neuf, gravure à l’eau-forte et au burin publiée par
Henri II Bonnart, vers 1692-1711, 15 x 10,5 cm. BnF, Estampes, Oa 53 pet fol, fol. 7

30 Le Magasin pittoresque, au milieu du XIXe siècle, affirma dans un article accompagné


d’une transcription de l’estampe par « ED. HEBVE » – dans laquelle le libraire est mis en
scène dans un format resserré, un ballot de livres à ses pieds –, que le Grand
Triomphateur représenté par Henri II Bonnart était un célèbre « étaleur » ayant eu
quelques soucis avec les libraires installés du Palais (ill. 10). Demeuré anonyme, l’auteur
croyait pouvoir faire coïncider les deux estampes avec deux procès successifs qui
auraient opposé un libraire ambulant renommé aux « libraires brevetés » du Palais,
marchands auxquels il octroyait un « orgueil bourgeois » :
Le “Grand Triomphateur,” en raison probablement de la branche spéciale qu’il
exploitait, avait eu à soutenir un procès avec les libraires du Palais ; il en sortit

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vainqueur. Ce procès, qui eut quelque retentissement, fut suivi de la publication


d’un portrait avec l’épigraphe de “Grand Triomphateur” […].
L’ire des libraires du Palais fut portée à son comble, le corps entier jura de
poursuivre de tels outrages : un nouveau procès s’engagea, et, vainqueurs cette fois,
ils firent supprimer l’estampe que nous reproduisons56.

Ill. 10. (D’après ?) Ed. Hebve, Le Libraire ambulant au dix-septième siècle. – D’après un dessin du
cabinet des estampes de la Bibliothèque royale, gravure sur bois debout publiée dans Le Magasin
pittoresque, 1846, 14,5 x 8 cm. BnF, Estampes, Ya1 – 139 – 4, 14ème année (1846), p. 264

31 Si l’hypothèse d’un personnage réel est très séduisante, celui-ci demeure encore non
identifié ; son surnom de « Grand Triomphateur » – probable référence parodique aux
généraux romains victorieux, qualifiés de la sorte lorsqu’ils entraient en triomphe dans
Rome57– n’a, à notre connaissance, guère été relayé par la littérature ou les gazettes de
son temps. La liste des noms de colporteurs ayant eu maille à partir avec la justice dans
les années 1688-1710 ne permet pas davantage de découvrir avec certitude son identité
que la consultation des actes émanés de Louis XIV, expédiés par le secrétaire de la
Maison du Roi, qui mentionnent par exemple le sieur Charon, colporteur de libelles
enfermé dans un château en 169458, ou encore Jean Friquet, colporteur de livres
défendus59. Tenter d’y voir Poullin, Soulage, Nicolas La Combe, Pierre Duval, tous
colporteurs en tort, avec quelques femmes, mentionnés, dans un rapport rédigé en
avril 1702 par Claude Belot, conseiller du Roy et bailli du Palais de Paris 60, ou encore
Gonet dit La Chapelle, « colporteur de mauvais livres prisonier a la Bastille », « homme
d’esprit et tres entendu dans le comerce » de ces derniers61, semble tout aussi arbitraire
que de piocher parmi la liste des colporteurs de la ville & faubourgs de Paris établie par
arrêt du parlement du 26 août 171162. Par ailleurs rien ne prouve qu’il bénéficiât de ce
« statut des colporteurs ». Suivre sa trace n’est pas même facilité par un rapport de
police relativement tardif conservé dans la collection Anisson dans lequel figure une
épreuve du Grand Triomphateur : si ce texte, accompagné de deux estampes, indique

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qu’« il y avoit aussy dans ce tems un colporteur de reputation qui a été gravé », il est
malheureusement très maigre et semble relativement sujet à caution, ne serait-ce que
par ce qu’il paraît dater la pièce « du temps de la minorité de Louis 14 63 ». Aucune de ces
pistes ne donne malheureusement de résultat satisfaisant : si les déboires des libraires
ambulants ne manquent pas dans les archives, il apparaît bien difficile de trouver un
véritable indice qui permettrait d’attribuer un nom au personnage commercialisé par
Henri II.
32 L’Intermédiaire des chercheurs et curieux, périodique fondé en 1863 sur le modèle du Notes
and Queries anglais, rejeta d’ailleurs cette option : dans son courrier des lecteurs se
trouve l’affirmation que cette estampe publiée par Henri II Bonnart est une
représentation « purement allégorique ». À un collaborateur posant la question de
l’identité du libraire64, l’amateur et collectionneur Valentin Mourié, de Saint-Florent-
sur-Cher, répondit en effet, en 1883 :
L’estampe (…) “Le grand triomphateur ou le libraire ambulant” me paraît purement
allégorique. En 1649, les libraires en boutique, jaloux de leurs confrères libraires
s’en allant la balle sur le dos, et afin de rehausser à Paris et en province l’éclat de la
libraire, il fut défendu de “par le Roy” d’avoir boutique portative, ni étalages à Paris
sur les quais du Pont-Neuf et autres. Il résulte de ceci que les libraires en boutique
étaient des hommes instruits (de nos jours, depuis 1870 surtout, cela se passe
autrement), desquels on exigeait, préalablement à l’exercice de cette profession, la
connaissance des langues grecque et latine. – Les libraires forains exerçaient en
dehors de ces formalités. – Voilà pourquoi Paris entier était nécessaire à ces
forains65.
33 On peut rester peu convaincu par une telle argumentation et circonspect quant à la
parfaite maîtrise du latin et du grec des libraires du Palais ; il paraît toutefois justifié de
se demander pourquoi le Libraire ambulant, assez clairement inclus dans la suite des
Métiers et Cris de Paris, serait un individu spécifique alors que les autres personnages
sont clairement des types généraux – seuls Le Vielleur Boniface et l’ Homme de paille,
l’Apollon du Pont-Neuf, qui se distingue par son petit format, semblent pouvoir être
rattachés à un être précis.
34 Néanmoins, on ne peut manquer de relever une analogie entre le Grand triomphateur
désolé et un autre personnage truculent connu par l’estampe ; le libraire ambulant n’est
en effet pas sans rappeler, par sa mise comme par sa figure et ses manières, par le mur
même devant lequel il est assis, un certain Guillaume de Limoges, surnommé le Gaillard
boiteux. Apparemment rendu célèbre par les chansons qu’il entonnait et vendait sous
forme de livrets ou de feuilles volantes sur le Pont-Neuf, cet homme fut salué par un
portrait d’assez grandes dimensions signé Girard Audran et une pièce de François
Couperin intitulée Le Gaillard-Boiteux, publiée en 172266. Le portrait gravé le représente
en situation, en train de chanter, coiffé d’un mauvais chapeau, muni de deux cannes,
assis sur un mur couvert de graffitis derrière lequel s’aperçoivent nettement le Collège
des Quatre-Nations et le Louvre (Ill. 11) ; cette planche fut d’ailleurs, dans son dernier
état, publiée par Henri II Bonnart lui-même, avant que son fils Jean-Baptiste-Henri ne la
reprenne en contrepartie67.

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Ill. 11. Girard Audran, Guillaume de Limoges (état IV/IV), gravure à l’eau-forte et au burin publiée par
Henri II Bonnart, vers 1698-1710, 50 x 33 cm. BnF, Estampes, N3, D 289497 (vol. 52), Limoges

35 L’estampe d’Audran, probablement réalisée vers 1693-1695 et initialement publiée par


Philippe II Huart, porte son titre, en partie supérieure, sur un tissu : « Voicy Le portrait
et l’éloge / De ce chantre fameux / Nommé Guillaume de Limoge / Autrement Le
gaillard boiteux » ; elle est accompagnée de cinq quatrains positionnés en marge
inférieure :
Ce gaillard boiteux fait / la nique / Par ses gestes & ses / façons / Aux plus grands
maitres / de musique / Quand il entonne ses / Chansons // La Bourgeoise & La /
Demoiselle / L’artizan et l’homme / de Cour / S’il chante une chanson / nouvelle /
Viennent l’entendre / tour à tour // Ce Chantre est bien le / plus commode / Que
l’on ait jamais / pratiqué // Son livre d’airs et sa / metode / Ne valent pas un sou /
marque // Sa conduite est assez / subtile / Cet homme a plus d’es- / prit qu’un
boeuf / D’enseigner à toute / une ville / Sans jamais sortir du / Pont Neuf // Qui
seroit assez / temeraire / Pour oser médire / de luy / Puis que jadis le docte /
Homere / Faisoit ce qu’il fait / aujourd’huy68.
36 Alors que seul le nom de l’éditeur change sur le dernier état, que Henri II s’attache à
rentabiliser dans sa forme première69, la lettre de l’estampe publiée par Jean-Baptiste-
Henri, de taille réduite par rapport à l’original, est plus succincte ; elle conserve
cependant le sens de celle d’Audran, condensé en quatre vers laconiques (ill. 12) :
Le Gaillard boiteux // Tel jadis le Gaillard boiteux / Sur le Pont neuf, faisant la
nique, // Aux plus grands Maître de musique, / Fut mille fois plus suivy qu’eux 70.

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Ill. 12. Anonyme, Le Gaillard Boiteux, gravure à l’eau-forte et au burin publiée par Jean-Baptiste-
Henri Bonnart, vers 1708-1720, 28,5 x 20 cm. BnF, Arsenal, Est-378, fol. 135

37 Comme l’a souligné Florence Gétreau, cette planche fait référence à un contexte
particulier, celui de la querelle entre la communauté de Saint-Julien des Ménestriers et
les musiciens « harmonistes », revendiquant la « Noblesse » de leur art 71 – un contexte
qui rappelle de façon étonnante celui de la lutte entre libraires installés et libraires
ambulants, et plus largement la question de la liberté des métiers face aux maîtrises et
communautés, problématique particulièrement exacerbée au XVIIe siècle. D’un côté se
trouvait le monopole de la confrérie de Saint-Julien des Ménestriers, et de l’autre, les
musiciens, professeurs et compositeurs qui, comme le jeune François Couperin,
refusaient de se faire recevoir maîtres ; revendiquant la noblesse et la libéralité de leur
art, issu d’un savoir académique, ces derniers se trouvaient paradoxalement dans la
même position que les chanteurs populaires qui, ne faisant pas partie de la corporation,
étaient assimilés aux colporteurs et marchands ambulants et soumis à une législation
spécifique, puisque leurs textes devaient « être approuvés par le Lieutenant général de
police avant d’être [imprimés] ».
38 L’exemple de la planche d’Audran donna-t-il l’idée à Henri II Bonnart de publier une
suite à son Libraire ambulant ? On ne peut en effet qu’être frappé par la similitude des
enjeux qui sous-tendent ces images, traitées sur le mode burlesque, ainsi que par la
grande proximité des deux figures, restituées sous l’apparence d’un personnage
débraillé, hâbleur, à la barbe hirsute, se servant de cannes et portant une besace d’où
sortent des feuilles imprimées. L’apparition du libraire sur deux estampes successives
permit d’ailleurs de poursuivre la fable esquissée par la première lettre, donnant au
récit un prolongement conforme au goût du XVIIe pour les histoires et les anecdotes,
dont la « fable » du Meunier à l’anneau et les innombrables Historiettes relatées par
Tallemant des Réaux sont des exemples typiques.

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39 Si, contrairement au Gaillard boiteux, le Grand Triomphateur demeure anonyme – et peut-


être le restera-t-il toujours ? –, l’homme, figure remarquable de la rue parisienne,
semble avoir été un contemporain bien réel du chanteur en guenilles. La récurrence du
personnage met d’ailleurs en évidence l’intérêt des acheteurs, mais aussi celui des
graveurs et marchands d’estampes, pour ce type de vendeurs de rue hauts en couleurs.
Malgré la mauvaise réputation des colporteurs, une véritable proximité –
professionnelle voire amicale – pourrait bien avoir existé entre ce « libraire » et les
commerçants de la rue Saint-Jacques, affinité vraisemblablement encouragée par les
conflits autour de la question de la liberté d’exercer. Cette dernière avait aussi
concerné les graveurs, dont l’art fut rendu « libre » par édit de Louis XIV en 1660 72 ;
mais cette question demeurait un problème pour la société tout entière 73.
40 Meunier, vielleux, chanteur de rue ou colporteur de livres, ces personnages vivant à la
marge de la société parisienne avaient, a priori, peu de chance de passer à la postérité ;
pourtant, quelques graveurs, éditeurs et marchands avertis, et parmi eux des créateurs
de « modes », ont su s’emparer de leur succès d’un jour, enregistrer leurs « cris » et
amplifier leur histoire par de multiples effets de miroir. L’un des plus grands triomphes
du Libraire ambulant d’Henri II Bonnart est ainsi peut-être d’afficher, aujourd’hui encore
et malgré le mystère qui entoure sa véritable identité, son sourire énigmatique et
goguenard, au fil des publications consacrées à l’histoire du livre et de la librairie.

NOTES
1. Voir Georges Forestier, Le Théâtre dans le théâtre sur la scène française du XVIIe siècle [1981],
Genève, Droz, 1996.
2. Voir Bénédicte Gady, « La Gravure dans la gravure, exercices visuels et sémantiques », Barbara
Brejon de Lavergnée, Peter Fuhring, Marianne Grivel et al., L’Estampe au Grand Siècle : études
offertes à Maxime Préaud, Paris, École nationale des Chartes/Bibliothèque nationale de France,
2010 p. 449-462.
3. Voir L’Étude du procureur d’Abraham Bosse, dans laquelle figure au mur un almanach pour
l’année 1633 (José Lothe, L’Œuvre gravé d’Abraham Bosse, graveur parisien du XVII e siècle, Paris, Paris-
Musées, 2008, p. 261, n° 245).
4. Voir Le Maître d’école d’Abraham Bosse, dans laquelle figure au mur un almanach pour l’année
1638, publié en coédition avec Melchior Tavernier (José Lothe, op. cit., p. 263, n° 250).
5. Voir Jules Lieure, Jacques Callot , Paris, éd. de la Gazette des beaux-arts, 3 vol. , 1924-1929,
cat. n° 302, t. II, p. 2-3.
6. José Lothe, L’Œuvre gravé d’Abraham Bosse […], op. cit., p. 267, n° 271.
7. Sur l’histoire de l’éventail, voir par exemple Pascal Payen-Appenzeller, Éventails, Paris,
Parangon, 2000 ; Le Siècle d’or de l’éventail, de Louis XIV à Marie-Antoinette, Paris, 14 novembre
2013-2 mars 2014, catalogue établi par Georgina Letourmy-Bordier et José de Los Llanos, Dijon,
Faton, 2013. Sur l’histoire et les représentations de l’écran de feu à main, censé permettre aux
dames de préserver leur teint, leurs mouches et leur maquillage de la vive chaleur des
cheminées, voir Philippe Cornuaille, « L’écran rond de feu à main du XVIIe siècle », Le Vieux papier,
416, 2015, p. 443-453 et la suite à paraître dans Le Vieux papier, 417. Sur les écrans du XVIIIe siècle,

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voir la série de dix articles qui leur furent consacrés par Georgina Letourmy et Daniel Crépin, Le
Vieux Papier, 403-411, de janvier 2012 à avril 2014 ou encore Nathalie Rizzoni, « De la scène à
l’écran au XVIIIe siècle : Les Petits comédiens de Charles-François Pannard, Iconographie théâtrale
et genre dramatique », dans Gilles Declercq et Jean de Guardia (dir.), Iconographie théâtrale et
genres dramatiques, Paris, Presses de la Sorbonne-Nouvelle, 2008.
8. José Lothe, L’Œuvre gravé d’Abraham Bosse…, op. cit., p. 161, n° 18.
9. Gilles Rousselet, L’Hiver, BnF, Estampes, Ed-40 a, p. 21-22 ; Philippe I er Huart, Miroir des
courtisanes du XVIIe siècle, BnF, Estampes, Oa-46-fol., p. 104 ; Pierre Mariette, L’Hiver, BnF, Estampes,
Hennin, 3045.
10. Nicolas Arnoult, L’Hiver, BnF, Estampes, Hennin, 6279 ; Jean Mariette, Décembre, BnF,
Estampes, Hennin, 5867.
11. Nicolas Ier Bonnart, L’Hiver, BnF, Estampes, Hennin, 6287.
12. Claude-Auguste Berey, Madame Lucie de Tourville de Cotentin, Marquise de Gouville, BnF, Arsenal,
Est-373 (66) ; François-Gérard Jollain, Dame de qualité en surtout d’Hiver, BnF Arsenal, Est-379 (78).
13. Voir Pierre Mariette, n. 9.
14. BnF, Estampes, Hennin, 2690.
15. BnF, Estampes, Hennin, 4831.
16. La Revendeuse, BnF, Estampes, Hennin, 6605.
17. Cette estampe, déclinée en deux états, montre une dame habillée d’une robe en vogue à partir
de l’année 1688, appelée la sultane. BnF, Estampes, Oa-51 pet fol, fol. 48 et Oa-62-pet fol, fol. 9.
18. BnF, Estampes, Oa-53-pet fol, fol. 17.
19. Très proche de celui du Crieur d’eau-de-vie ou du Réparateur de la chaussure humaine, le visage
du Grand Triomphateur n’est pas non plus sans évoquer ceux d’autres estampes de
Henri II Bonnart dont on connaît des dessins préparatoires, comme celui du Janissaire en faction
(BnF, Estampe, Rés-B-6-e boîte in-fol) ou de divers protagonistes de La Ligue malade (BnF,
Estampes, Rés. B 11 a boîte format 4). Voir Barbara Brejon de Lavergnée dir., Dessins français du
XVIIe siècle, Inventaire de la collection de la Réserve du Département des Estampes et de la Photographie,
Paris, BnF, 2014, nos 17 et 18.
20. Sur la famille Bonnart, qui œuvra dans la production et le commerce d’estampes durant
quatre générations, voir Pascale Cugy, La Dynastie Bonnart et les bonnarts. Étude d’une famille
d’artistes et producteurs de « modes », Thèse de doctorat de l’université Paris-Sorbonne sous la
direction de Marianne Grivel, 2013, 4 vol.
21. Le décompte exact des planches est rendu particulièrement complexe par le flou entretenu
entre certains Métiers et les images de mode, mais aussi par la variation des formats, des auteurs
du dessin ou de la gravure (outre les quatre frères Bonnart, les frères Gérard-Jean-Baptiste et
Jean-Baptiste Scotin réalisèrent également certaines plaques) voire des éditeurs – les deux frères
pouvant vendre successivement une même plaque –, qui suggèrent une réalisation sur plusieurs
années, probablement avec de longues interruptions. Ce mode de production est typique de la
dynastie Bonnart, dont les membres laissaient toujours, sauf dans le cas de planches précisément
numérotées, la porte ouverte à un enrichissement du nombre de plaques de leurs différentes
séries.
22. Les dessins préparatoires de Robert Bonnart datent vraisemblablement du début des années
1690, tandis que ceux de Jean-Baptiste Bonnart, plus anciens, furent sans doute réalisés avant
1686. La signature de ce dernier se trouve sur seize compositions de la suite, le plus souvent sous
la forme « J. Bonnart f. ».
23. Roger-Armand Weigert, Inventaire du fonds français, graveurs du XVIIe siècle [en italique
bien sûr ; je n’arrive pas à le faire avec ma boîte mail], tome II, Paris, Bibliothèque nationale,
1951, p. 136, n° 226-232.
24. Particulièrement soucieux de son apparence, le Financier publié – et probablement dessiné et
gravé – par Nicolas Ier Bonnart peut ainsi indifféremment être classé parmi les Métiers ou les

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Images de mode masculines. L’influence des normes de l’image de mode se fait particulièrement
sentir dans plusieurs pièces, qui donnent à voir des physiques et des mises bien improbables pour
les petits métiers représentés, comme ceux de la Crieuse de fraises ou de L’Écaillère.
25. Fondée grâce au partage réalisé par ses parents à l’occasion de son mariage avec Marie-
Madeleine Pierre, fille d’un épicier parisien, l’enseigne du Coq fut d’abord située dans le haut de la
rue Saint-Jacques, à proximité de l’église des Mathurins, avant d’être installée, dans la seconde
moitié de l’année 1698, dans le bas de la rue, près de la fontaine Saint-Séverin, dans l’ancienne
boutique du libraire Théodore Muguet, L’Image de Saint-Séverin. Cet emplacement fut conservé par
son fils Jean-Baptiste-Henri et, à la mort de celui-ci, en 1727, par sa belle-fille Marie Fontaine, qui
y continua jusqu’en 1747 au moins un commerce d’estampes avec son second époux, le maître de
musique Louis Naudé.
26. P. Cugy, La Dynastie Bonnart et les bonnarts…, op. cit., vol. 1, p. 222-226.
27. Voir par exemple Henri-Jean Martin, Livre, pouvoirs et société à Paris, au XVIIe siècle : 1598-1701,
Genève, Droz, 1969, 2 vol. ; Roger Chartier et Hans-Jürgen Lüsebrink dir., Colportage et lecture
populaire : imprimés de large circulation en Europe, XVIe-XIXe siècles, Paris, IMEC/Éd. de la Maison des
sciences de l’homme, 1996 ; Gilles Feyel, L’annonce et la nouvelle : la presse d’information en France
sous l’Ancien Régime (1630-1788), Oxford, Voltaire foundation, 2000 ; Paris, capitale des livres : le monde
des livres et de la presse à Paris, du Moyen Âge au XXe siècle, Paris, Bibliothèque historique de la Ville
de Paris, 16 novembre 2007-3 février 2008, catalogue établi par Frédéric Barbier, Paris, Paris-
Bibliothèque/PUF, 2007 ; Michel Vernus, « Les colporteurs », dans Patricia Sorel et Frédérique
Leblanc dir., Histoire de la librairie française, Paris, Cercle de la Librairie, 2008, p. 47-54.
28. Voir L’Edict fait par le roy, sur certains articles, faictz par la faculté de Theologie de l’université de
Paris, taouchans & concernans nostre foy & religion chrestienne, & forme de prescher. Avec le catalogue des
livres censurez..., Paris, Jean André, 20 juillet 1545.
29. « La moitié à peu près des presses parisiennes [...] se consacrait alors régulièrement à
imprimer des livrets de quelques dizaines de pages, voire de quelques pages seulement, ou
encore des “placards”, c’est-à-dire des feuillets isolés, imprimés d’un seul côté et en principe
destinés à l’affichage » (H.-J. Martin, Livre, pouvoirs et société…, op. cit., t. I, p. 253).
30. Remerciement des imprimeurs à Monseigneur le Cardinal Mazarin, Paris, N. Boisset, 1649, p. 4, cité
par Alain Riffaud, « Jean Ribou, le libraire-éditeur de Molière », dans Frédéric Barbier dir., Histoire
et civilisation du livre, Genève, Droz, 2014, p. 319.
31. Voir Frédéric Barbier, Sabine Juratic, Annick Mellerio, Dictionnaire des imprimeurs, libraires et
gens du livre à Paris, 1701-1789, Genève, Droz, 2007, introduction, p. 31.
32. G. Feyel, L’Annonce et la nouvelle, op. cit., p. 413.
33. Un tableau français du XVIIe siècle conservé au Mucem de Marseille (inv. D39-4-1 ; RF1939-2)
offre une image d’un de ces colporteurs officiels, agissant selon les règles édictées par La Reynie.
On le voit arborer sa plaque de cuivre ou de bronze ; dans sa « balle » remplie de livres, on
reconnaît La Princesse de Clèves – ce qui implique que le tableau est postérieur à 1678, date de la
parution anonyme de cet ouvrage. Voir aussi la plaque de colporteur en bronze conservée au
musée national de la Renaissance (inv. ECL 18288), reproduite dans Frédéric Barbier dir., Paris,
capitale des livres, op. cit., p. 206.
34. Ordonnance du 22 août 1670 de par le Roy, et Monsieur le Prevost de Paris ou Monsieur son Lieutenant
de Police, Paris, Chez Frédéric Léonard, Imp. ordin. Du Roy, & de la Police, ruë S. Jacques, à l’Ecu de
Venise, 1670.
35. Ibid.
36. S. Juratic, Dictionnaire des imprimeurs, op. cit., introduction, p. 32.
37. G. Feyel, L’annonce et la nouvelle, op cit., p. 417.
38. BnF, Manuscrits, Ms. fr. 22115.
39. Jean de La Fontaine, Œuvres complètes, éd. Jean-Pierre Collinet, Paris, Gallimard, coll. « Bibl. de
la Pléiade », 1991, 2 vol. , t. 1, Fables et contes, I, V, p. 35.

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40. Cette description est fidèle à celle faite dans le Remerciement des imprimeurs à Monseigneur le
Cardinal Mazarin (voir n. 29).
41. Son apparence physique ne correspond pas à celle des vendeurs et vendeuses de rue « à la
mode » dessinés par Robert Bonnart à partir des années 1690, qui annoncent les charmantes
crieuses érotisées imaginées par François Boucher et Edme Bouchardon au XVIIIe siècle.
42. Vincent Milliot, Les Cris de Paris ou Le Peuple travesti : les représentations des petits métiers
parisiens : XVIe-XVIIIe siècle, Paris, Publications de la Sorbonne, 1995.
43. Ibid, p. 18-19, 174, 178 et 279.
44. L’Histoire du Meunier à l’anneau, écran attribué à François Chauveau, BnF, Estampes, Rés-Ed-44,
t. 3, p. 155. Sur cette anecdote parisienne, voir Ph. Cornuaille, « L’histoire du meunier à
l’anneau », Les Nouvelles de l’estampe, 205, avril 2015, p. 22-39.
45. L’existence d’un tel écran n’est pas certaine – il pourrait simplement s’agir d’un clin d’œil de
la part de Henri II Bonnart –, mais elle est loin d’être improbable. On sait par ailleurs que les
Bonnart vendaient et éditaient des écrans.
46. Les recueils Oa conservés au département des Estampes de la BnF, dont plusieurs
comprennent des épreuves du Libraire ambulant, sont notamment composés d’estampes
provenant de la collection du marquis de Béringhen. Voir Laure Beaumont-Maillet, « Les
Collectionneurs au Cabinet des Estampes », Nouvelles de l’estampe, 132, décembre 1993, p. 5-27. La
composition figure également dans un recueil conservé à l’Arsenal portant l’ex-libris imprimé du
père Placide de Sainte-Hélène, identifié par Sophie Nawrocki, que nous remercions.
47. Edmond Bonnaffé, Dictionnaire des Amateurs français au XVIIe siècle , Paris, A. Quantin, 1884,
p. 255-256. Voir aussi Georges Duplessis, « Mémoire concernant le Portrait du P. Placide, Augustin
déchaussé, Géographe du Roy. (1714.) », Nouvelles archives de l’art français, 1872, p. 359-364.
48. Un colporteur amputé d’une jambe, vendant des billets de loterie, appuyé sur deux cannes et
portant une besace en bandoulière, se trouve par exemple, accompagné de la mention
« Colporteur / mal à / Cheval ou / la Diligence / embourbé », sur un almanach pour l’année 1701
publié chez « F & G. Landry, rue S. Jacques, à l’Image S. Landry ». BnF, Estampes, Hennin, 6670.
49. À cette occasion, la lettre pouvait aussi cependant, comme l’image, subir une réduction
conséquente, allant de la condensation jusqu’à la refonte totale du quatrain.
50. On notera la correction orthographique dans ce nouveau titre (cf. Ill. 4 et Ill. 7).
51. Henri II Bonnart était un allié, par sa belle-sœur Anne Pierre, du libraire Robert-Jean-Baptiste
de La Caille (1645-1707), à la fille duquel il sous-louait une partie de sa boutique du Coq. Cette
dernière y exerça, avec son époux Pierre Mergé puis seule, une fois devenue veuve, une activité
d’impression typographique et de librairie. Voir : Archives nationales, MC/ET/C-569, 13 juin
1741 ; Augustin-Marie Lottin, Catalogue chronologique des libraires et des libraires-imprimeurs de
Paris…, Paris, Jean-Roch Lottin de Saint-Germain, 1789, p. 181.
52. BnF, Estampes, Tb-34-fol b, fol. 19.
53. Scaramouche fut représenté sur pas moins de six estampes publiées par les Bonnart,
certaines déclinées en plusieurs états. Voir par exemple le Scaramouche édité par Nicolas I er puis
par Henri II, BnF, Estampes, Hennin, 5122 et Oa-54 pet fol, fol. 92.
54. Raymond Poisson, dit Belleroche, était à la fois un célèbre dramaturge et comédien ; il
s’illustra, entre autres, dans le rôle de Crispin, que les auteurs firent vieillir avec lui. Henri II
Bonnart publia une planche le représentant tenant son chapeau à la main reprenant, avec une
lettre différente, la composition de Theodor Netscher gravée par Gérard Edelinck. BnF, Estampes,
Oa-63 pet fol, fol. 52.
55. BnF, Estampes, Hennin, 6664. Sur Philippot le Savoyard, célèbre chanteur de rue du XVIIe
siècle auquel l’estampe se réfère probablement, voir Florence Gétreau, « Philippot le Savoyard –
Portraits d’un Orphée du Pont-Neuf mêlés de vaudevilles, d’images et de vers burlesques », dans
Michelle Biget et Rainer Schmusch dir., L’Esprit français und die Musik Europas : Entstehung, Einfluss

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100

und Grenzen einer ästhetieschen Doktrin, Hildesheim, Zürich, New York, Georg Olms Verlag, 2007,
p. 269-288.
56. [s. n.], « Le Grand Triomphateur, ou Le Libraire ambulant », Le Magasin pittoresque, 1846,
14e année, p. 264. Cette hypothèse semble d’ailleurs reprise par José Lothe, qui mentionne la
politique de La Reynie, (« Paris et les métiers du livre au grand siècle », dans Paris, Capitale des
livres, op. cit., p. 160). Le Libraire ambulant apparut également sous sa forme désolée en fac-similé
dans le numéro 33 du Musée des familles, édition populaire hebdomadaire, publié en 1895.
57. La première édition du Dictionnaire de l’Académie française donne, en 1694, comme définition
au terme « Triomphateur » : « Le General d’armée qui entroit en triomphe dans Rome aprés une
grande victoire. » Le verbe « Désoler » reçoit quant à lui comme définition : « Ravager, ruiner,
destruire ». Le Dictionnaire de l’Académie françoise dedié au roy, Paris, Veuve Jean-Baptiste Coignard,
1694, p. 597 et 321.
58. Archives nationales, O/1/38, fol. 298 v°.
59. Archives nationales, O/1/38, fol. 150 v°.
60. BnF, Manuscrits, Ms. fr. 22 115, pièce 34.
61. BnF, Manuscrits, Ms. fr. 22 115, pièce 27.
62. Dans cette liste apparaissent des noms comme ceux de Thomas Collette, « Compagnon
Imprimeur, rue S. Jacques au Chiffre d’or », Martin Vautier, « Compagnon Imprimeur, rue
S. Jacques prés S. Benoist chez M.e Adam Fruitiere », Paul Avril, Jean Hecq, ou Nicolas Fevrier.
63. Ce qui impliquerait un portrait posthume – ce que la lettre du Grand Triomphateur désolé ne
semble absolument pas indiquer. BnF, Manuscrits, Ms. fr. 22 115, pièces 59, 60, 61.
64. L. F., « Connaît-on le nom de ce libraire ambulant ? », L’Intermédiaire des chercheurs et curieux :
Notes and queries français : questions et réponses, communications diverses à l’usage de tous, littérateurs et
gens du monde, artistes, bibliophiles, archéologues, généalogistes, etc., 358, 16 e année, 1883, p. 197.
65. Valentin Mourié, « Une estampe de Bonnart », L’Intermédiaire des chercheurs et curieux…, 360,
16e année, 1883, p. 275.
66. « Figurant au Dix-huitième ordre et publiée dans le Troisième livre en 1722 », cette gigue à la
française « doit s’interpréter “dans le goût Burlesque” ». Fl. Gétreau, « Guillaume de Limoges et
François Couperin ou comment enseigner la musique hors la Ménestrandise parisienne »,
Antonio Baldassare éd., Musik. Raum. Akkord. Bild. Festschrift zum 65. Geburtstag von Dorothea
Baumann. Music. Space. Chord. Image. Festschrift for Dorothea Baumann’s 65 th Birthday, Bern, Peter
Lang, 2011, p. 163-182. Voir aussi Fl. Gétreau, « La rue parisienne comme espace musical
réglementé (XVIIe – XXe siècle) », Les cahiers de la société québécoise de recherche en musique, vol. 5,
1-2, 2001, p. 11-23. Depuis notre travail, cette estampe a fait l’objet d’une notice de Maxime
Préaud dans : Images du Grand Siècle : L’estampe au temps de Louis XIV (1660-1715), Los Angeles, Getty
Research Institute, 16 juin 2015 au 6 septembre 2015 et Paris, Bibliothèque nationale de France, 3
novembre 2015 au 31 janvier 2016, catalogue établi par Rémi Mathis et al., Los Angeles, The
J. Paul Getty Trust /Paris, Bibliothèque nationale de France, 2015, p. 202.
67. Né vers 1678, décédé en 1727, Jean-Baptiste-Henri reprit avec sa mère, Marie-Madeleine
Pierre, le commerce de son père à sa mort, en novembre 1711. Dès la fin de l’année 1707, il avait
pu profiter de la moitié de l’espace de vente du Coq, en raison de son mariage avec Marie Fontaine
(Archives nationales, MC/ET/LXXXIX-203, 4 décembre 1707).
68. BnF, Estampes, Ed-66 a rés fol, fol. 53.
69. BnF, Estampes, N3, Limoges.
70. BnF, Arsenal, Est-378 (135).
71. Le refus des musiciens et compositeurs liés au roi de se faire recevoir dans la communauté
des Ménestriers – et donc de lui payer des droits –, conduisit à un conflit qui dura de 1662 à 1773,
marqué par de nombreux procès et publications, dont une part a été livrée, en 1774, par Pierre
Robert Christophe Ballard, dans son Recueil d’édit, arrêt du conseil du roi, lettres patentes, mémoires et

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arrêts du parlement en faveur des musiciens du royaume. Voir Fl. Gétreau, « -Guillaume de Limoges et
François Couperin… », op. cit.
72. Sur l’édit de Saint-Jean-de-Luz, voir Marianne Grivel, Le Commerce de l’estampe à Paris au XVIIe
siècle, Genève, Droz, 1986, p. 96-99.
73. La famille Bonnart se trouva personnellement confrontée au XVIIIe siècle à ce problème
puisque, sous prétexte qu’elle refusait de respecter ses règles, la communauté des imprimeurs en
taille-douce, érigée en 1677, fit de ses membres, au long de nombreux procès, des « usurpateurs »
du titre de graveur (P. Cugy, La Dynastie Bonnart et les bonnarts…, op. cit., vol. 1, p. 85-88).

RÉSUMÉS
Dépenaillé et arborant un sourire goguenard, un libraire ambulant surnommé le Grand
Triomphateur fit plusieurs apparitions sur des estampes de Henri II Bonnart dans les années
1680-1710. Figuré sur des accessoires de mode ou cloué sur un mur, décliné en petit format ou
contant ses mésaventures, ce personnage condense plusieurs enjeux de la société parisienne de
l’Ancien régime, dont les rivalités entre professions ambulantes et installées, corporatisme et
liberté. En le mettant en relation avec la production gravée contemporaine et la biographie de
son créateur, cet article revient sur la figure de ce colporteur, dont l’identité reste mystérieuse
mais qui avait semble-t-il sa place dans les rues parisiennes, aux côtés d’autres fameux crieurs
comme Guillaume de Limoges, dit le Gaillard Boiteux.

Between 1680 and 1710 the recurring character of a book peddler appears in the works of
printmaker Henri Bonnart II: scruffy looking and wearing a mocking smile, this bookseller
became known as Le Grand Triomphateur, ’The Triomphant Victor’. Appearing on fashion
accessories or pinned up on a wall, drawn in small size or telling his unlucky adventures, he
epitomises several aspects of Ancien Régime Parisian society, and not least the rivalry between
ambulant tradesmen and settled ones, and between guilds and free craftsmen. This article puts
the character in the context of his creator’s life and contemporary prints production. We explore
this figure of the peddler, whose identity is a mystery although he seemed to be a well-known
feature of Parisian streets, among other famous criers like Guillaume de Limoges, known as le
Gaillard Boiteux.

INDEX
Index géographique : France
Index chronologique : 17e siècle

AUTEURS
PASCALE CUGY
Docteur en histoire de l’art ; ATER à l’université de Rennes-II

Nouvelles de l’estampe, 252 | 2015


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PHILIPPE CORNUAILLE
Docteur ès lettres ; auteur d’un mémoire sur les écrans à main

Nouvelles de l’estampe, 252 | 2015

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