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252 | 2015
L'estampe française au XVIIe siècle
Rémi Mathis (dir.)
Édition électronique
URL : https://journals.openedition.org/estampe/587
DOI : 10.4000/estampe.587
ISSN : 2680-4999
Éditeur
Comité national de l'estampe
Édition imprimée
Date de publication : 1 octobre 2015
ISSN : 0029-4888
Référence électronique
Rémi Mathis (dir.), Nouvelles de l’estampe, 252 | 2015, « L'estampe française au XVIIe siècle » [En ligne],
mis en ligne le 15 octobre 2019, consulté le 22 juin 2021. URL : https://journals.openedition.org/
estampe/587 ; DOI : https://doi.org/10.4000/estampe.587
Légende de couverture
Antoine Trouvain, Mademoiselle d'Armagnac en robe de chambre, 1695, eau-forte et burin, sergé de laine
imprimé au bloc et rehauts verts, 300 x 200 cm. BnF, Estampes, Smith-Lesouëf 9244-boîte-fol.
La revue Nouvelles de l’estampe est mise à disposition selon les termes de la Creative Commons
Attribution 4.0 International License.
1
SOMMAIRE
De Paris à Strasbourg
Les métamorphoses d’un cycle d’estampes du XVIIe siècle
Christine Moisan-Jablonski
Le « sr de Lavenage »
L’homme à l’origine de l’ultime tentative d’ériger les graveurs en corps de métier (1660)
Rémi Mathis
1 Louis XIV est partout, vous ne lui échapperez pas! À l’occasion des festivités organisées
pour le tricentenaire de la mort du Roi-Soleil, les Nouvelles de l’estampe ont décidé de
dédier un numéro spécial au dix-septième siècle. Nous nous situons ainsi dans la lignée
d’un certain nombre d’institutions qui ont fait la part plus ou moins belle à l’estampe –
et d’événements ou émissions médiatiques qui l’oublient presque systématiquement...
Versailles expose ainsi plusieurs pièces sur la pompe funèbre des souverains à
l’exposition Le roi est mort!, et la BnF présente la première grande synthèse sur
l’estampe française de cette époque, sous le titre Images du Grand Siècle (auparavant
présentée au Getty Research Institute, à Los Angeles et intitulée A Kingdom of Images) 1.
2 Le XVIIe siècle fait depuis quelques dizaines d’années l’objet d’une recherche
particulièrement active. Maxime Préaud a publié au cours de sa longue carrière,
achevée en 2010, de nombreux volumes de l’Inventaire du fonds français, qui font office
d’ouvrages de référence sur les graveurs de notre pays. Il nous a donné à l’occasion de
son départ en retraite une très efficace synthèse sur les travaux restant à mener 2...
tandis que ses collègues lui ont, eux, offert des Mélanges, qui approfondissent encore
certains des thèmes qui lui tenaient à cœur3. L’auteur de ces lignes est très honoré de
poursuivre le travail de Maxime Préaud sur les fonds du XVII e siècle de la BnF.
3 Marianne Grivel, titulaire de la seule chaire spécifiquement dédiée à l’estampe, à
l’université Paris IV-Sorbonne, a considérablement renouvelé notre approche de
l’estampe française dès ses premiers travaux – en particulier avec Le Commerce de
l’estampe à Paris au XVIIe siècle (Droz, 1986) – et a travaillé sur cette extraordinaire
originalité qu’est le Cabinet du roi – faisant d’un roi de France un éditeur! Elle a
également – tout comme Véronique Meyer, l’autre grande universitaire spécialiste de
l’estampe du XVIIe siècle – dirigé de nombreuses thèses. Une des dernières en date est
celle dédiée à la famille Bonnard par Pascale Cugy, dont l’excellente connaissance de la
production gravée parisienne a permis de nous proposer ici une étude d’une grande
originalité.
4 À l’extérieur des frontières de l’Hexagone, Christian Michel a lui aussi publié des études
éclairantes, souvent accessibles au grand public comme à l’occasion de l’exposition qu’il
a dédiée à la « grande manière » d’après Le Brun, avec Louis Marchesano (Getty, 2010).
C’est à lui que nous avons demandé s’il désirait donner un compte rendu d’Images du
Grand Siècle. Mais plutôt que se prêter à cet exercice de manière ordinaire, il a préféré
prendre de la hauteur et nous proposer une réflexion sur le statut et l’histoire de la
gravure à cette époque. Le compte rendu se transformant en une excellente
introduction aux complexes questions que les chercheurs se posent sur l’estampe
ancienne, nous avons choisi de traiter ce texte comme telle et de le placer en début de
numéro.
5 À la suite des travaux cités ci-dessus, nous assistons à une floraison de recherches sur
les sujets les plus divers. Les auteurs des présents articles publient pour la plupart pour
la première fois dans la revue; à travers l’étude de cas d’espèces, la plupart des grandes
problématiques actuelles sont abordées: comment des images sont copiées et adaptées
à d’autres marchés, à d’autres pays (Ch. Moisan-Jablonski), qui sont les hommes de
l’estampe et comment se met en place une organisation à la fois légale et sociale du
métier (R. Mathis), comment sont choisies les illustrations d’un volume, comment en
découvrir les auteurs et les sources des motifs utilisés (Cl. Rousseau), à quoi servent les
estampes dans un périodique, et en quoi elles participent pleinement du propos voire
d’une philosophie sous-jacente (B. Selmeci Castioni), comment la mise en regard
d’estampes semi-fines peut faire émerger des phénomènes ou des motifs restés
invisibles et inconnus jusqu’alors (P. Cugy et Ph. Cornuaille).
6 L’estampe française du XVIIe siècle est un vaste monde dont bien des régions restent à
explorer : nous espérons que ce numéro répondra à quelques questions irrésolues,
mais, surtout, persuadera le lecteur de la multiplicité des enjeux d’un médium alors en
pleine expansion, voire donnera à certains l’envie de se plonger plus profondément
dans un domaine et une époque où les sujets de recherche ne manquent pas.
NOTES
1. Images du Grand Siècle, exposition BnF, site François-Mitterrand (3 novembre 2015 – 31 janvier
2016), commissaires V. Selbach, R. Mathis, avec P. Fuhring et L. Marchesano.
2. Maxime Préaud, « Les Arts de l’estampe en France au XVIIe siècle. Panorama sur trente ans de
recherches », Perspective, la revue de l’INHA, 2009, 3, p. 357-390.
3. L’Estampe au Grand Siècle. Mélanges offerts à Maxime Préaud, dir. B. Brejon de Lavergnée,
P. Fuhring, M. Grivel, S. Lepape, V. Meyer, Paris, BnF, école nationale des chartes, 2010, 612 p.
INDEX
Index géographique : France
Index chronologique : 17e siècle
AUTEUR
RÉMI MATHIS
Archiviste paléographe, conservateur chargé des estampes du XVIIe siècle au département des
Estampes et de la Photographie de la Bibliothèque nationale de France et rédacteur en chef des
Nouvelles de l’estampe
Christian Michel
1 C’était une gageure que vouloir dresser un panorama de la gravure française pendant le
règne personnel de Louis XIV (1661-1715) à l’aide de cent-dix estampes, soit deux par
an, quand on connaît l’ampleur de la production durant cette période. Le choix a été de
faire référence, dans les titres anglais et français de l’exposition 1, au fascinant
souverain et à la prééminence politique et culturelle que la France aurait acquise sous
son règne, voire sous son impulsion. La date même de 1660 rattache la production
gravée à la figure du roi qui, par l’arrêt de Saint-Jean-de-Luz, « maintient et garde l’art
de la gravure […], ceux qui font profession d’icelui, tant régnicoles qu’étrangers, en la
liberté qu’ils ont toujours eue de l’exercer dans le royaume »2. Mais, heureusement,
l’exposition permet de voir que la gravure en France ne se limitait pas à célébrer les
hauts faits du monarque, que l’imagerie religieuse restait de première importance, que,
sur le modèle flamand et hollandais, des sujets populaires connaissaient une
importante diffusion.
2 Il est impossible de savoir le nombre d’images qui circulaient à Paris pendant ce demi-
siècle. Félibien indique que « Cet art de graver sur le cuivre et sur le bois s’est tellement
perfectionné et est devenu si commun que la quantité des ouvrages qu’on a faits est
presque innombrable. L’on peut en juger par le recueil que M. de Marolles a pris soin
d’en faire et qui est présentement dans la Bibliothèque du Roy 3 » On en peut juger
davantage en ajoutant que Michel de Marolles, après avoir vendu au roi en 1666 sa
première collection qui comprenait quelque cent-vingt-trois mille estampes, en
possédait de nouveau plus de cent mille en 16724. On trouvait, dans sa seconde
collection, aussi bien des images du xve siècle, que cinq cent quatre-vingt-dix estampes
de Jean Lepautre, cinq cent trente-huit paysages des Perelle ou cent treize sujets
d’après Le Brun.
Ill. 1. Gérard Edelinck d’après Charles Le Brun, Les Reines de Perse aux pieds d’Alexandre (La Tente de
Darius), eau-forte et burin, v. 1675, 675 x 897. BnF, Estampes, AA-5 (Le Brun, Charles)
3 La gravure tient une place centrale dans les projets préparés par les conseillers de
Colbert lorsque ce dernier, « dès la fin de l’année 1662, ayant prévu ou sachant déjà que
le roi le ferait surintendant de ses bâtiments, commença à se préparer à la fonction de
cette charge »5. Il s’adressa à Jean Chapelain pour lui demander ce que seraient les
moyens d’assurer la gloire du roi dans les lettres et celui-ci lui envoya, le 18 novembre,
une longue missive6 où tous les genres d’écriture panégyrique sont évoqués et se
terminant par les autres outils qui permettraient de célébrer Louis XIV : « Il y a bien,
Monsieur, d’autres moyens louables de répandre et de maintenir la gloire de Sa
Majesté, desquels même les anciens nous ont laissé d’illustres exemples qui arrêtent
encore avec respect les yeux des peuples, comme sont les pyramides, les colonnes, les
statues équestres, les colosses, les arcs triomphaux, les bustes de marbre et de bronze,
les basses-tailles, tous monuments historiques auxquels on pourrait ajouter nos riches
fabriques de tapisseries, nos peintures à fresque et nos estampes au burin, qui, pour
être de moindre durée que les autres, ne laissent pas de se conserver longtemps. Mais
ces sortes d’ouvrages appartenant à d’autres arts que celui des muses, sur lequel vous
avez souhaité mes sentiments, je me contenterai de vous en avoir fait souvenir, afin que
vous jugiez s’ils peuvent entrer en part de vos autres sublimes idées. »
4 Les gravures au burin comme les tapisseries sont des outils qui peuvent assurer une
diffusion dans le temps et dans l’espace de la gloire du roi, à condition toutefois que
leur qualité puisse témoigner de la supériorité désormais acquise par la France.
5 Ce but, si l’on en croit Félibien, a été atteint : « La Gravure qui se fait aujourd’hui sur le
cuivre avec le burin et avec l’eau forte, est une invention des derniers siècles. On doit
d’autant plus l’estimer, que les Anciens n’en ayant eu aucune connaissance, nous avons
cet avantage de pouvoir rendre plus durable une infinité de choses qu’ils n’ont pu nous
laisser, pour avoir ignoré un art si beau et si utile. Car par le moyen de plusieurs
estampes qui se tirent d’une seule planche, l’on perpétue, et l’on multiplie presque à
l’infini un tableau qui demeurerait unique, et qui ne pourrait subsister qu’un certain
nombre d’années. De sorte qu’entre tant d’excellents ouvrages que le Roi fait faire, il est
très certain que les planches que l’on grave doivent tenir un rang considérable. C’est
par elles que la postérité verra un jour sous d’agréables figures, l’histoire des grandes
actions de cet Auguste Monarque, et que dés-a-présent les peuples les plus éloignés
jouissent aussi bien que nous des nouvelles découvertes que l’on fait dans les
Académies que Sa Majesté a établies pour les Sciences et pour les Arts. C’est encore par
le moyen de ces estampes que toutes les Nations admirent les somptueux édifices que le
Roy fait élever de tous côtés, et les riches ornements dont on les embellit. Et parce que
les Tableaux et les Statues dont ce Grand Prince a fait faire une curieuse recherche,
sont d’un prix inestimable, et d’une singulière beauté, Sa Majesté a bien voulu encore
que Celui qui a soin d’exécuter ses ordres, choisît les plus excellents Graveurs de son
Royaume pour les graver, et en faire un Recueil, afin que par le moyen des estampes
que l’on tirera, ces mêmes ouvrages aillent eux-mêmes, s’il faut dire ainsi, se faire voir
aux Nations les plus reculées, qui ne peuvent pas les considérer ici en original. 7 »
Ill. 2. Simon Thomassin, d’après Raphaël, La Transfiguration, 2e état, burin, 750 x 663, 2 feuilles. BnF,
Estampes, AA-3 (Thomassin, Simon)
6 Seules les œuvres des « plus excellents graveurs » peuvent pérenniser la gloire du roi,
ce qui a conduit Colbert à leur assurer, par un arrêt du Conseil du 22 décembre 1677, le
monopole de graver tout ce qui appartient au souverain. Ils ne sont pas nécessairement
français de naissance, mais sont indispensables pour faire de Paris le principal centre
de la gravure européenne, et succéder ainsi à Rome, Anvers et Amsterdam. Reprenant
les termes de la requête des graveurs, le roi avait déclaré, dans l’arrêt du conseil de
Saint-Jean-de-Luz, qu’il est de la gloire de la France « de cultiver autant qu’il est
possible les arts libéraux, tel qu’est celui de la gravure en taille-douce, au burin et à
l’eau-forte, qui dépend de l’imagination de ses auteurs, et ne peut être assujetti à
d’autres lois que celles de leur génie » et que la constitution d’une maîtrise « au lieu
d’ouvrir la porte aux étrangers que leur génie et leur courage ont élevés au-dessus du
commun, [… leur interdirait] l’entrée du Royaume, en les menaçant d’une contrainte
qu’ils ne trouveraient point parmi les nations moins policées, et de plus bannir les Arts
au lieu de les attirer par un accueil favorable. » Le sort privilégié de certains graveurs,
admis sans condition à l’Académie, pensionnés, voire logés aux Gobelins témoigne de
cette ambition. Il s’agit d’attirer à Paris les meilleurs graveurs et d’empêcher leur
départ pour d’autres villes. Si l’on en croit La Condamine, auteur au XVIIIe siècle d’une
biographie de Gérard Edelinck dans l’ensemble bien informée, « Edelinck, sachant que
le Roi avait vu ses ouvrages et en avait témoigné de la satisfaction, lui demanda une
place à la pension de l’Académie de Rome. Sa Majesté, n’envisageant que les progrès
qu’il pourrait y faire, la lui accorda sans balancer. Mais M. Colbert représenta au Roi
qu’il n’y avait pour lors à Rome aucun graveur d’un certain mérite, et qu’il était à
craindre qu’on n’y fît à Edelinck un sort capable de l’y arrêter. C’en fut assez pour
déterminer le Roi à une autre résolution. L’ordre pour la pension de Rome fut révoqué,
et le mécène de la France, pour y fixer à jamais Edelinck, lui donna de l’ouvrage et se
chargea de faire son établissement. Il négocia lui-même son mariage avec M lle
Regnesson, dont le père était graveur et riche, et la lui fit épouser [en 1672] 8. » D’autres
graveurs, comme Étienne Picart, Girard Audran, Étienne Baudet, Benoît Farjat, Jean-
Louis Roullet, Nicolas Dorigny, Simon Thomassin, Guillaume Vallet… se rendirent à
Rome pour se perfectionner, certains avec une pension du roi, mais plusieurs d’entre
eux demeurèrent en Italie (Farjat, Dorigny), ce qui explique l’inquiétude de Colbert.
Florent Lecomte, dans la nécrologie qu’il consacra à Jean-Louis Roullet 9, le loue d’avoir
refusé les propositions qui lui étaient faites de s’installer à Rome (où il aurait été
préféré à François Spierre et à Cornelius Bloemaert, les graveurs alors les plus
renommés), à Naples ou à Vienne. Le besoin de disposer de bon graveurs aurait poussé
Le Brun à lui proposer de s’installer aux Gobelins « pour l’avoir plus assidûment auprès
de lui », « mais ce graveur voulant être libre également dans le choix de ses ouvrages
comme dans le maniement de les faire, il a méprisé la fortune afin de s’attacher
uniquement à ce qui la méritait. » La célébration de l’école française de gravure conduit
même à intégrer dans le Cabinet du Roy l’estampe gravée par Simon Thomassin à Rome
d’après la Transfiguration, bien que le recueil ne comporte que des tableaux des
collections royales. La lettre de l’estampe précise bien que le graveur était « élève dans
l’Académie de peinture et de sculpture entretenue par le Roy. ».
7 La qualité de la gravure française tient une place importante dans la construction
idéologique qui prétend que la France a désormais surpassé tous les pays européens. En
cela elle joue un rôle dans la Querelle des anciens et des modernes. Dans ses Hommes
illustres qui ont paru en France pendant le XVIIe siècle, Charles Perrault donne aux graveurs
une place plus importante que celle qu’il accorde aux sculpteurs et aux architectes
(quatre graveurs pour six peintres, un sculpteur et un architecte), même s’il met
l’accent sur les graveurs qui ont travaillé d’après leurs propres compositions : Callot,
Nanteuil, Mellan et Chauveau. Il insiste dans son Cabinet des beaux arts sur la valeur de la
gravure moderne : « Quelque beaux et bien peints que soient les tableaux, ils n’ont rien
qui ne soit exprimé dans les estampes, sur quoi je dirai qu’il y a peu d’arts qui dans ce
siècle se soient autant perfectionné que la gravure ». Elle sait varier son travail bien
mieux que le faisait Marc-Antoine Raimondi : « Elle a des touches de burin pour en
Evelyn dès 166216, l’année ou Faithorne publia une traduction anglaise, qui succédait à
des traductions en allemand (1652) et en hollandais (1662). Il ne s’agit pas seulement
d’un manuel technique, mais aussi d’une réflexion, confuse comme l’est souvent Bosse,
sur l’esthétique de la gravure. En cela il répond, en avance, à la demande que Colbert
présenta à l’Académie royale de Peinture et de Sculpture en 1667, en demandant que
soient instaurées des conférences : « Que cet exercice serait aussi utile que glorieux à
leur corps, puisqu’en traitant de l’art de la peinture d’une manière qui n’a jamais été
pratiquée ailleurs, on verrait un jour que s’ils n’ont pas été des premiers à le découvrir,
ils auront au moins eu l’honneur d’être les premiers qui en auront mis les règles à leur
dernière perfection17. »
10 Toutefois, dans la collection de Marolles, à côté des volumes rangés par maîtres,
figuraient les volumes thématiques dont un millier de « Pièces Emblématiques
ridicules » de différentes nations, un « Livre de pièces de Bouffonneries de l’invention
de divers Maîtres de Paris, quelques-uns desquels se sont permis un peu trop de licence
pour divertir le peuple », mais qui « laissent pourtant pas de servir aux connaissances
de l’Histoire du temps » Bien de ces images ne figureraient pas à la Bibliothèque
nationale sans le legs de Michel Hennin au XIXe siècle, et sont devenues beaucoup plus
rares que les estampes exécutées par les graveurs du roi, logés aux Gobelins ou
membres de l’Académie, qui ont été plus systématiquement collectionnées. La gravure
« demi-fine » des almanachs, des estampes de mode ou des sujets de dévotion est
destinée à une consommation immédiate et non à être conservée. Certes, une annonce
publicitaire parue dans le Mercure galant de décembre 1692 indique « ce qu’il y a de plus
considérable dans ces Almanachs, c’est qu’ils comprennent tous les sujets remarquables
de chaque année, et qu’ils cherchent à en rafraîchir la mémoire par les dates qui y sont
marquées fort exactement, ce qui fait que beaucoup de Curieux prennent soin d’en faire
des recueils et en veulent avoir des premières épreuves… »18 De même Florent Lecomte
incite aussi à constituer des collections d’images de mode : « Dieu de Saint-Jean est un
de ceux qui a commencé les gravures de différentes modes et attitudes, dont on a été
assez content. Il inventait et dessinait et il les faisait graver pour les débiter au public ;
il a fait notamment le portrait du roi à cheval, le même habillé à la mode,[…] Monsieur
Le Pautre en a fait aussi, Messieurs Bonnart, Mariette le fils, Trouvain et les autres les
continuent encore aujourd’hui avec succès, inventant et représentant tout ce que leur
imagination leur offre ; car c’est assez que ce soit une nouveauté pour plaire, qu’elle ait
un fondement ou qu’elle soit sans principe, on ne laisse pas que de donner dedans avec
plaisir, et cela pourra même former des recueils dans la suite, dont la curiosité ne sera
pas indifférente. »19 Ces recueils pourtant sont beaucoup plus rares que ceux des
œuvres de Callot, Sébastien Leclerc, Vouet ou Le Brun.
Ill. 3. Antoine Thomassin, Dame de qualité jouant au solitaire, eau-forte et burin, v. 1700. BnF,
Estampes, Oa-52-4
NOTES
1. A Kingdom of Images : French prints in the Age of Louis XIV, Los Angeles, Getty Research Institute,
juin-septembre 2015 ; Images du Grand Siècle, l’estampe française au temps de Louis XIV, Paris, BNF,
novembre 2015-janvier 2016.
2. Arrêt du conseil réédité in M. Grivel, Le commerce de l’estampe à Paris au XVIIe siècle, Genève, 1986,
p. 406-407.
3. A. Félibien, Principes, 1676, p. 383.
4. M. de Marolles, Catalogue de livres d’estampes et de figures en taille-douce, avec un dénombrement des
pièces qui y sont contenues, Paris, 1672.
5. Charles Perrault, Mémoires de ma vie, éd. P. Bonnefon, éd. Paris, 1993, p. 125-126.
6. Ph. Tamizey de Larroque, Lettres de Jean Chapelain, t. II, 1883, p. 272-277.
7. A. Félibien, Tableaux du cabinet du Roy, statues et bustes antiques des maisons royales, Paris, 1677,
avant-propos.
8. J. Lichtenstein et Chr. Michel (dir.), Conférences de l’Académie royale de Peinture et de Sculpture, t.
VI, 2015, vol. 1, p. 363-364.
9. Florent Le Comte, Cabinet des singularités d’Architecture, Peinture, Sculpture et Gravure, Paris, 1700,
t. III, 2e partie, p. 202-208.
10. Ch. Perrault, Le Cabinet des beaux Arts ou recueil d’estampes gravées d’après les tableaux d’un
plafond, Paris, 1690, p. 4.
11. Fl. Lecomte, op. cit, t. III, p. 217.
12. Ibid., p. 249.
13. B. Picart, Impostures innocentes, ou Recueil d’estampes d’après divers peintres illustres : tels que
Rafael, le Guide, Carlo Maratti, Amsterdam, 1734, p. 3
14. E. Bouvy, Nanteuil, 1923, p. 56-62 ; M. Le Blanc, D’acide et d’encre. Abraham Bosse et son siècle en
perspective, Paris, 2004, p. 89-102 ; A. Adamczak, Robert Nanteuil ca. 1623-1678, Paris, 2011,
p. 37-38.
15. Sur la notion de « réduction en art », voir le recueil publié par P. Dubourg-Glatigny et H.
Vérin (dir.), Réduire en art : la technologie de la Renaissance aux Lumières, Paris, MSH, 2008.
16. J. Evelyn, Sculptura: Or the History, and Art of Chalcography and Engraving in Copper, 1662, 2ème
éd., 1755, p. 90.
17. A. Félibien, Conférences de l’Académie royale de Peinture et de Sculpture pour l’année 1667, Paris,
1668, préface non paginée.
18. Cité par M. Préaud, Les effets du Soleil. Almanachs du règne de Louis XIV, cat. exp., Paris, 1995,
p. 16, note 21.
19. F. Lecomte, op. cit, t. III, p. 198.
20. Voir notamment le catalogue de l’exposition Mirror of everyday Life. Genreprints in the
Nederland 1550-1700, Amsterdam, 1997, même s’il tire trop nettement toutes les images du côté de
l’emblématique.
INDEX
Index géographique : France
Index chronologique : 17e siècle
AUTEUR
CHRISTIAN MICHEL
Professeur ordinaire d’histoire de l’art de la période moderne à l’université de Lausanne
De Paris à Strasbourg
Les métamorphoses d’un cycle d’estampes du XVIIe siècle
From Paris to Strasbourg. The metamorphosis of a print cycle
Christine Moisan-Jablonski
1 C’est avant tout par le biais des estampes publiées en France que des modèles picturaux
français influencèrent la peinture des pays voisins. Toutefois, on ne doit pas oublier que
nombre d’estampes parues au XVIIe siècle à Paris servaient aussi de modèles directs à
des copies graphiques recréées chez des éditeurs étrangers. Ainsi les cycles allégoriques
édités par Jean Ier Leblond et Rolland Leblond et burinés par le Dantzigois Jeremias
Falck et le Flamand Guillaume de Gheyn servirent-ils de modèles à Cologne et à
Strasbourg1. Dans ce genre de pratique, il n’est que de citer la série des Allégories des
Saisons éditée par Peter II Aubry. Elle est d’autant plus intéressante qu’elle permet
d’examiner de plus près le phénomène d’imitation des modèles français à la mode tout
en adaptant la représentation visuelle et le contenu du commentaire aux goûts d’une
autre clientèle.
Ill. 1. Guillaume de Gheyn d’après Charles Le Brun, Rolland Leblond (éd.), Le Printemps, burin, eau-
forte, vers 1639-1642, 28,6 x 21 cm, Paris, BnF, Estampes, Da-35-fol. 169
3 Au XVIIe siècle, les allégories des saisons s’apparentaient souvent à des demoiselles
vêtues de toilettes à la mode2. De jeunes et séduisantes dames, dont l’âge ne reflétait en
rien la flétrissure due à la ronde du temps, responsable de la variété de leur
physionomie, venaient déloger dorénavant les dieux antiques. Les attributs et la mise
vestimentaire seuls, adaptés au goût ambiant, permettaient de différencier le Printemps
de l’Hiver. Le graveur J. Falck a été le coauteur de plusieurs cycles de cette sorte. Lors de
son séjour à Paris, il a effectué pour Rolland Leblond et Jean I er Leblond trois séries de
gravures illustrant les saisons3. Il importe de signaler que ces estampes allégoriques
s’inscrivaient dans un genre de plus en plus populaire, proche de la gravure de mode,
présentant les atours féminins en vogue adaptés à chaque saison.
4 Le premier de ces cycles, apparemment le plus ancien puisqu’il a été tiré au temps où
Rolland Leblond vendait ses estampes à l’enseigne du Pélican 4, est l’œuvre de deux
graveurs. Les planches du Printemps et de l’Été ont été faites par G. de Gheyn 5, celles de
l’Automne et de l’Hiver par J. Falck. On lit la signature du buriniste néerlandais sur deux
planches : elle a été placée dans l’angle en bas à droite de ses estampes 6. Ces deux
gravures sur cuivre se trouvent à la Bibliothèque nationale de France à Paris 7. L’auteur
des compositions originales est Charles Le Brun. Nous savons qu’il s’agissait de quatre
panneaux peints en camaïeu vers 1639-1642, comme les panneaux peints en grisaille
attribués à Juste d’Egmont, qui servirent de modèles pour les planches de la série des
Éléments8 et des Cinq Sens9 burinées par J. Falck pour Jean Ier Leblond. Nicolas Sainte Fare
Garnot a identifié les tableautins de l’Automne et de l’Hiver, aujourd’hui séparés, dans
deux collections privées10. Bien que la signature « C. Le Brun pinxit » apparaisse
uniquement sur la planche illustrant l’Hiver, Henri Jouin, auteur du catalogue des
œuvres du peintre, a considéré que le cycle complet est issu de quatre tableaux des
Saisons dus au pinceau de Le Brun11.
Le Printemps
5 Se promenant sur une terrasse, une dame vêtue d’une robe somptueuse personnifie le
Printemps12 (ill. 1). Dans l’échappée seulement entre les balustres, on voit des plates-
bandes et des arbres s’étendant dans le lointain du jardin. Un petit chien est assis sur la
balustrade. La personnification tend vers le spectateur une rose, un des attributs du
printemps, et elle tient dans l’autre main un vase garni de fleurs. Deux strophes
commentent l’estampe, rappelant que la saison du printemps est celle où la nature
s’éveille à la vie et à l’amour. Entre les deux colonnettes du poème, on lit son titre : « LE
PRINTEMPS ».
Estant des Saisons la plus belle
Je peint la Campagne de fleurs ;
Que l’Aurore arrouse de pleurs,
Quand la Terre le renouvelle.
A mon agreable venue,
Les Poissons bruslent dans les eaux ;
Et pour repeupler l’air d’Oiseaux,
Amour les blesse dans la nue.
Ill. 2. Peter II Aubry (éd.), Johann Michael Moscherosch (auteur du commentaire), Le Printemps,
burin, eau-forte, après 1639/1642-1668, 30 x19,8 cm, Braunschweig, Herzog Anton Ulrich-Museum,
JMMoscherosch AB 3.1, photo HAU-M
L’Été
11 Enserrée dans l’estampe parisienne, (ill. 3) une jeune femme, montrée dans un paysage
estival en lointain, symbolise « L’ESTÉ »17. Un petit miroir octogonal est noué à la
ceinture de la robe de la joliette. Deux gerbes de blé sont placées à ses pieds. Dans sa
dextre, elle tient une faucille, l’outil du moissonneur, dans sa main gauche levée un
éventail pour apaiser les morsures de la chaleur de l’été. La personnification semble
adresser au spectateur les paroles juxtaposées à l’estampe :
L’astre qui tout le Monde esclaire,
M ayde a faire meurir les grains,
Que je repends à pleines mains,
Et sa chaleur m’est nécessaire.
C’est par moy qu’avec sa Faucille,
Le Paysan dedans les Gueres,
Couppe les presens de Ceres,
Affin d’en nourrir sa Famille.
12 Ici, les vers n’évoquent pas l’amour, mais le blé que le feu solaire fait mûrir, don de la
déesse Cérès, grâce auquel le paysan peut nourrir sa famille.
Ill. 3. Guillaume de Gheyn d’après Charles Le Brun, Rolland Leblond (éd.), L’Été, burin, eau-forte, vers
1639-1642, 28,8 x 20,8 cm, Paris, BnF, Estampes, Da 35, fol. 170
13 Sur la gravure allemande (ill. 4), la pimpante dame ne se tient pas debout près de
l’arbre. Le paysage en fond a été transformé. De Gheyn présente un paysage sans
personnages s’étendant au loin où l’on perçoit sur la gauche des champs de blé mûr.
Sur la planche allemande au contraire, on remarque que les travaux relatifs à la
moisson sont davantage concrétisés : à gauche, on voit un groupe de paysans chargeant
des gerbes de blé sur une charrette à laquelle deux bœufs sont attelés ; à droite, on
rencontre, vêtus à la mode, un couple de nobles se promenant en compagnie d’un petit
chien qui va trottinant. De la main gauche, l’homme à l’épée ceinte au côté indique à sa
compagne les paysans en train de vaquer. Son geste semble être en concordance avec
les mots du commentaire :
Qui ne veut ores moissonner devra le regretter l’hiver venu.
À chacun selon son rang,
Prends en main la faux et la faucille,
Fauche, assemble, lie, moissonne la récolte féconde.
Qui ne veut ores moissonner devra le regretter l’hiver venu.
Wer ietz nicht samlen will, der muss den Winter darben
Jeder nehm in seinem standt,
Senss und sichel in die handt.
Schneid, leg, bind, Ernde ein die schwanger grosse garben
Wer ietz nicht samlen will, der muss den Winter darben.
14 Remarquons que ces vers sont comme l’écho des instigations contenues dans le Livre des
Proverbes – Pr. 6,6 – à l’encontre de la paresse 18. La comparaison des personnages
appartenant à deux classes sociales distinctes et aux tâches divergentes est en rapport
avec la convention traditionnelle largement répandue dans le graphisme néerlandais
des XVIe et XVIIe siècles. Le sens latent de la première partie du commentaire est
manifesté dans les vers qui suivent :
Ill. 4. Peter II Aubry (éd.), Johann Michael Moscherosch (auteur du commentaire), L’Été, burin, eau-
forte, après 1639/1642-1668, 30,1 x 20,2 cm, Braunschweig, Herzog Anton Ulrich-Museum,
JMMoscherosch AB 3.2, photo HAU-M.
L’Automne
16 Une femme parée d’une toilette d’époque, debout sur fond de draperie, personnifie
l’Automne (ill. 5), allégorie que J. Falck a gravée19, et troisième planche que Leblond a
éditée. Un collier de perles ornemente son cou, sa main droite porte un panier garni de
fruits parmi lesquels on distingue du raisin ; de l’autre main, elle tient un verre empli
de vin. Au fond, au-delà du rideau tiré, s’étend un paysage montagneux boisé. Les
strophes en vers qui suivent en constituent le commentaire :
Je me vante que sur la terre,
Je fais multiplier le fruit,
Ill. 5. Jeremias Falck d’après Charles Le Brun, Rolland Leblond (éd.), L’Automne, burin, eau-forte,
vers 1639-1642, 28,8 x 21 cm, Paris, BnF, Estampes, Da-35-fol. 171
18 Sur l’estampe que Peter II Aubry a éditée (ill. 6), il n’y a pas de draperie dissimulant
une partie du paysage. La personnification cependant se tient debout sur un sol en
carrelage analogue. Dans le lointain, on voit un paysage montagneux. Comme sur les
autres planches de Strasbourg, les activités qu’on y décèle correspondent à la saison. À
gauche, un homme cueille les fruits d’un arbre et les dépose dans un panier que
soutient une femme, leur compagne semble retenir des fruits dans le creux de son
tablier. À l’opposé, un couple élégamment vêtu regarde avec attention ceux qui
vaquent aux vendanges : alors que les uns apportent des hottes remplies de raisin, un
autre écrase les grappes jetées dans la presse à bras. Tout près, un paysan est occupé à
confectionner des tonneaux. Là encore, Moscherosch se réfère au commentaire
français :
C’est la meilleure saison où la terre nous offre de copieuses récoltes,
Chacun apporte avec joie
Pommes, bière, moût et vin
Et tout le nécessaire qu’on doit avoir pour vivre l’année durant.
C’est la meilleure saison où la terre nous offre de si copieuses récoltes.
Ill. 6. Peter II Aubry (éd.), Johann Michael Moscherosch (auteur du commentaire), L’Automne, burin,
eau-forte, après 1639/1642-1668, 30,4 x 20,7cm, Braunschweig, Herzog Anton Ulrich-Museum,
JMMoscherosch AB 3.3, photo HAU-M.
19 Au final, le poète tourne ses pensées vers Dieu, donateur de tous les biens :
Seigneur, ce que je suis et ai tout est grâce,
À toi seul je suis redevable
Que je vis dans la paix et la quiétude.
À celui que tu protèges l’ennemi ne fera aucun mal,
Seigneur, ce que je suis et ai tout est grâce.
Herr was ich hab und bin ist alles auss Genaden,
Dir allein schreib ich es zu
Das ich leb in frid und ruh
Wen du behütst dem mag der feind nicht schaden,
Herr was ich hab und bin ist alles auss Genaden.
L’Hiver
20 « L’HYVER » (ill. 7), ultime saison du cycle engendré à Paris 20, est symbolisé par une
dame habillée d’une robe somptueuse, perles au cou ; elle se tient debout devant une
cheminée où brûle un feu ardent d’où s’élève de la fumée. De la main gauche, elle lève
un pan de son manteau, son pied droit que galbe un soulier à la mode fait saillie dessous
sa toilette. Face à la cheminée, l’échine tournée vers le spectateur, un petit chien de
compagnie jouit de la chaleur du foyer. Deux quatrains énoncent le credo de l’hiver :
Ill. 7. Jeremias Falck d’après Charles Le Brun, Rolland Leblond (éd.), L’Hiver, burin, eau-forte, vers
1639-1642, 28,9 x 21 cm, Paris, BnF, Estampes, Da-35-fol. 172
Ill. 8. Peter II Aubry (éd.), Johann Michael Moscherosch (auteur du commentaire), L’Hiver, burin,
eau-forte, après 1639/1642-1668, 30,2 x 20,2 cm, Braunschweig, Herzog Anton Ulrich-Museum,
JMMoscherosch AB 3.4, photo HAU-M.
d’établir indirectement la date de leur création. Ces estampes proviennent des années
où G. Valck était imprimeur23, ce que confirme la signature.
Ill. 9. Gerard Valck, Le Printemps, burin, eau-forte, après 1666-1726, 28,2 x 22,2 cm, Paris, BnF,
Estampes, Oa-45-pet fol, p. 60
25 La découverte des planches originales ayant servi de modèles aux estampes allemandes
et néerlandaises permet, entre autres, de préciser leur datation. Comme l’a remarqué
Bénédicte Gady, les estampes éditées par Rolland Leblond ont dû être burinées vers
1639-1642. L’année du départ de Charles Le Brun à Rome fixe une date basse. Le fait de
connaître le modèle français permet aussi d’analyser avec plus de précision le degré
d’imitation, tant du point de vue des dimensions des estampes 24, de la technique
utilisée, de la manière de graver que de la dextérité technique de l’exécutant. Pour ce
qui concerne la série citée et leurs deux imitations, on constate que toutes les planches
ont été gravées au burin. On aperçoit des traces menues dues à l’utilisation de l’eau-
forte sur les estampes de Guillaume de Gheyn et de Falck25, utilisation aussi visible à un
degré supérieur sur les planches que Gerard Valck a publiées 26 Sur les cuivres d’Aubry,
on a utilisé l’eau-forte pour travailler les scènes en arrière-plan des estampes 27.
Ill. 10. Gerard Valck, L’Été, burin, eau-forte, après 1666-1726, 27,8 x 21,8 cm, Paris, BnF, Estampes,
Oa-45-pet fol, p. 61
Ill. 11. Gerard Valck, L’Automne, burin, eau-forte, après 1666-1726, 27,3 x 21,3 cm, Paris, BnF,
Estampes, Oa-45-pet fol, p. 62
27 À l’inverse des vers français, c’est la présence du Tout-Puissant qui prédomine dans les
commentaires en allemand29. La vision qu’on en donne est puisée dans la Bible, au Livre
des Psaumes : « Tu couronnes l’année de tes bontés », Ps. 65,12. Avant tout, il ne s’agit
pas tant des dons reçus pour le plaisir de la chair que des bontés dont le Seigneur
nourrit l’âme. Le caractère religieux des commentaires et leur portée didactique sont
en corrélation avec les modifications introduites dans les images. Hormis la planche de
l’Hiver, on a tout à fait altéré le fond des estampes de Strasbourg. Et, quoiqu’on puisse
discerner un jeune couple s’adonnant au plaisir d’une promenade printanière, c’est
surtout l’image du travail qui prévaut : moisson, vendange, cueillette des fruits,
vinification. Le petit chien ne tient plus compagnie à la personnification du Printemps,
mais à celle du couple surveillant des paysans au travail en été.
28 Les changements apportés étaient certainement adaptés aux besoins de la population
protestante, ce que confirment aussi les réflexions omniprésentes ayant trait aux
valeurs morales du travail. Comparé au cycle français, celui d’Aubry apparaît très
austère, empreint de l’esprit de prédication. En regardant le cycle de Strasbourg, on a
l’impression que les estampes parisiennes ont été censurées dans l’esprit de la
confession dominante de cette ville rhénane.
29 On peut se demander qui a eu le plus d’influence sur les modifications introduites. Pour
tenter une réponse hypothétique, il convient d’examiner d’autres cycles allégoriques
qu’Aubry a publiés, ainsi que le rôle tenu par Johann Michael Moscherosch à
Strasbourg. Parmi les cycles variés que Peter II Aubry a édités et pourvus de
commentaires rédigés par Moscherosch, on en trouve deux concernant les Saisons, deux
autres illustrant les Cinq Sens, et un autre encore se rapportant aux Parties du Jour 30.
L’auteur de ces lignes a réussi à démontrer que trois d’entre eux, c’est-à-dire un cycle
différent sur les saisons, sur les cinq sens et les parties du jour, ont été créés en se
fondant sur trois séries d’estampes que Balthasar Moncornet 31 a publiées. À mon avis, le
cycle représentant les cinq sens s’appuie aussi sur un modèle français qui a été édité
par François Mazot32. Pour ce qui concerne aussi les séries susmentionnées, c’est la
pensée de la dévotion protestante qui imprègne la plupart des commentaires que
Moscherosch a rédigés. Chose curieuse, on a introduit dans le cycle des Parties du Jour
des changements significatifs dans les attributs des personnifications en les adaptant à
l’expressivité des vers allemands.
30 Il est intéressant aussi de comparer la signification des commentaires de Moscherosch
relative aux saisons seulement33. On saura reconnaître que les vers de ce poète
allemand, qui annotent un cycle différent sur les saisons, lequel prend pour modèle les
estampes de Balthasar Moncornet, ne dépeignent que d’une manière conventionnelle
les occupations et les joies liées à chaque saison et ne comportent aucune considération
moralisante.
Ill. 12. Gerard Valck, L’Hiver, burin, eau-forte, après 1666-1726, 27 x 21 cm, Paris, BnF, Estampes,
Oa-45-pet fol, p. 63
des modifications concrètes dans les images. Aujourd’hui, nous ne sommes pas en état
de déterminer si ces innovations furent introduites par Aubry lui-même, ou si elles
furent l’objet d’une coopération entre l’éditeur et l’écrivain34.
32 Les éditeurs allemands se servaient souvent des modèles français à la thématique
allégorique. Ainsi à Cologne, Gerhard Altzenbach publia le cycle des Saisons à partir des
estampes éditées par Pierre Mariette, et burinées par Gilles Rousselet et Jean Couvay
d’après les compositions de Grégoire Huret35. En copiant les modèles français,
Altzenbach ne les accompagnait pas forcément d’un commentaire. Signalons ne serait-
ce que le cycle des Sybilles36 inspiré des estampes de Rousselet, d’après Claude Vignon,
ou encore les trois autres séries éditées par Jean Ier Leblond, séries auxquelles
travaillèrent d’ailleurs Guillaume de Gheyn et Jeremias Falck. Il s’agit des suites des
Douze Mois, des Cinq Sens et d’une suite différente des Quatre Saisons 37.
33 En marge de nos réflexions antérieures, il importe de rappeler que parfois la copie
étrangère des estampes françaises servait de modèle à une composition picturale. Par
exemple, il en fut ainsi dans le cas du tableau représentant l’Allégorie de l’Automne,
conservé au Musée des beaux-arts de Budapest38. En réalité, le peintre ne s’inspira pas
de l’estampe de Falck mais de celle sous l’excudit d’Aubry, comme en témoignent les
scènes analogues du second plan.
34 Le fait d’avoir découvert dans les estampes strasbourgeoises les modèles graphiques
français permet de porter un autre regard sur l’œuvre poétique de Moscherosch et de
recréer avec plus de précision la façon de réinterpréter les originaux tant au niveau de
la parole que de l’image. En grande partie, le résultat dépendait des conditions
confessionnelles et sociales dans le Strasbourg germanique d’alors.
NOTES
1. Krystyna Moisan-Jabłońska (Christine Moisan-Jablonski), Polskie przygody grafiki
zachodnioeuropejskiej, XVII-XVIII w. (Les Aventures polonaises de l’estampe occidentale, XVIIe et
XVIIIe siècles), Ciche, Sarmatia Artistica, 2013, p. 69-81, ill. 14-25.
2. Cf. Madeleine de Terris, « L’allégorie des quatre saisons dans la gravure française du XVIIe
siècle », L’estampe au grand siècle. Études offertes à Maxime Préaud, textes édités par Peter Fuhring,
Barbara Brejon de Lavergnée, Marianne Grivel, Séverine Lepape, Véronique Meyer, Paris, École
nationale des chartes, BnF, 2010, p. 385- 401. L’auteur présente ce type d’allégorie dans un plus
large contexte.
3. Comme nous l’avons démontré, Julius Caesar Block a, dans son ouvrage consacré à l’œuvre de J.
Falck, entre autres, erronément conféré à J. Falck une quatrième série des Saisons, en réalité
burinée par François de Poilly d’Abbeville pour Pierre Ier Mariette, cf. Moisan-Jabłońska, op. cit.,
p. 103-107 ; cf. J[ulius] C[aesar] Block, Jeremias Falck sein Leben und seine Werke mit vollständigem
alphabetischen und chronologischen Register sämmtlicher Blätter sowie reproduktionen nach des Künstlers
besten Stichen, Danzig-Leipzig-Wien, G. Ehrke, 1890, p. 90-91, cat. nº 109-112.
4. Cf. Roger-Armand Weigert, Maxime Préaud, Inventaire du fonds français, graveurs du XVIIe siècle, t.
VII, Lasne (J) – Leclerc (P), Paris, Bibliothèque nationale, 1976, p. 378-379. Rolland Leblond fut
actif à cette adresse à une époque antérieure (dès le 2 novembre 1635). Le 12 août 1639 il est de
nouveau domicilié sur le pont Notre-Dame ; Bénédicte Gady, L’Ascension de Charles Le Brun ; Liens
sociaux et production artistique, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, Paris 2010,
p. 53-54, 425, note 199.
5. Cf. Friedrich Wilhelm Heinrich Hollstein, Hollstein’s Dutch and Flemish etchings, engravings and
woodcuts, 1450-1700, vol. VII, Fouceel-Gole, Amsterdam, Menno Hertzberger, année de parution
inconnue, p. 201. Guillaume (Willem) de Gheyn, né en 1610 à Anvers, date inconnue de son décès,
il travailla dans les années cinquante à Paris pour Jean I er Leblond. Parmi les neuf œuvres
nommées du graveur, figurent les planches du Printemps et de l’Été (n° cat. 4, 5) figuré par des
femmes présentées à mi-corps (in half-length), dim. 31,7 x 21,2 cm. L’ouvrage d’Hollstein signale
que les planches de l’Automne et de l’Hiver furent exécutées par Falck. La note comporte une
erreur puisque sur les quatre planches de ce cycle toutes les personnifications sont montrées en
pied ; Allgemeines Künstler-Lexikon, die bildenden Künstler aller Zeiter und Völker, vol. 32, Ebersbach-
Eimbke, München-Leipzig, K. G. Saur, 2002, p. 2, s.v. « Gheyn (Gein ; Geyn), Guilliam (Guillaume,
Willem) de », rédigé par Uta Römer. Graveur, dessinateur et peintre néerlandais, né en 1610 à
Cologne ou Anvers, décédé après 1650. Considéré à tort être le fils de Jacques II de Gheyn. a
buriné, entre autres, d’après des modèles de ce dernier. Il grava des représentations religieuses et
des portraits. Et, sur commande de l’éditeur parisien Jean Leblond, des scènes de genre et des
portraits de femmes. Avec Jeremias Falck, il burina les allégories des quatre saisons (le Printemps
et l’Été), sous forme de personnifications féminines.
6. Comme les estampes furent créées à Paris, l’artiste orthographia son nom à la française
« Guillaume de Geÿn fecit : ». Le nom de l’éditeur se trouve en bas, au centre, sous les noms des
saisons : « le Blond excud auec Priuilege du Roy. ».
7. Paris, BnF, Estampes, Da-35-fol. 169-172, Œuvre de Charles Le Brun (collection Béringhen), t. 1.
8. Maxime Préaud, « L’inventaire après décès de Jean I er Leblond (vers 1590/1594-1666), peintre
et éditeur d’estampes », Nouvelles de l’estampe, nº 182, mai-juillet 2002, (p. 19-37), p. 21, ill. 3.
9. Christine Moisan-Jabłońska (Moisan-Jablonski), « Les grisailles attribuées à Juste d’Egmont,
modèles du graveur Jérémias Falck ‘le Polonois’« , Les Cahiers d’Histoire de l’Art, nº 12, 2014,
p. 31-38, fig. 3, 4.
10. Bénédicte Gady, op. cit., p. 54, 55, 425, note 208, ill. 28, 29.
11. Henri Jouin, Charles Le Brun et les arts sous Louis XIV. Le premier peintre, sa vie, son œuvre, ses
écrits, ses contemporains, son influence d’après le manuscrit de Nivelon et de nombreuses pièces inédites,
Paris, Imprimerie nationale, 1889, p. 516-517 ; Daniel Wildenstein, « Les œuvres de Charles le
Brun d’après les gravures de son temps », Gazette des beaux-arts, année 107, période 6 e, 66, 1965,
p. 29, ill. 168-171.
12. BnF, Estampes, Da-35-fol. 169, burin, eau-forte, dim. 286 x 210 mm.
13. Allgemeines Künstler-Lexikon..., vol. 5, Ardos-Avogaro, München-Leipzig, K. G. Saur, 1992, p. 585,
s.v. « Aubry, Peter II », rédigé par Anke-Maria Mühlner, p. 585. Né en 1596 à Oppenheim, décédé
en 1666 à Strasbourg, fils de Peter Ier Aubry, frère d’Abraham Aubry dit Meyer. Sa façon de
buriner ne se différencie en rien du style de Peter Ier et des autres membres de sa famille dont il
fut le plus fécond. Il exécuta surtout les portraits des éminents personnages de son époque et
l’illustration d’ouvrages.
14. La série fut mentionnée la première fois par Adolf Schmidt, « Die Bibliothek Moscheroschs »,
Zeitschrift für Bücherfreunde, 2e année, 1898/1899, 2 e cahier, (p. 497-506), p. 505. La suite était
conservée à la Hofbibliothek à Darmstadt ; elle fut aussi analysée par Artur Bechtold, « H. M.
Moscherosch und der Kupferstecher Aubry », Zeitschrift für Bücherfreunde, 8 e année, 1917, 2 e
cahier, (p. 250-260), p. 253, ill. 1. Ce dernier prétendait que ces quatre planches sont de qualité
supérieure à toute l’œuvre d’Aubry, et que l’éditeur les réalisa lui-même. Aujourd’hui, la série se
trouve dans la collection Holzschuher Sammlung à Nuremberg (2 o StN 240, fol. 159-159 v.) ainsi
qu’au Herzog Anton Ulrich-Museum à Braunschweig.
15. Cf. Deutsches Literatur-Lexikon, Biographisch-Bibliographisches Handbuch, vol. 10, Lucius-Myss, réd.
Heinz Rupp, Carl Ludwig Lang, Bern, Francke Verlag, 1986, col. 1346-1350, sv. Moscherosch,
Johann Michael ; Walter E. Schäfer, Johann Michael Moscherosch Staatsman, Satiriker und Pädagoge im
Barockzeitalter, München, Verlag C. H. Beck, 1982.
16. 25.11.2014, www.virtuelles-kupferstichkabinett.de, PURL http://kk.haum-bs.de/?id=j-m-
moscherosch-ab3-0001 (la même adresse avec en fin les quatre différents chiffres consécutifs
0002, 0003, 0004). La signature de Moscherosch y est interprétée comme celle du graveur. Les
estampes sont datées 1621-1669 ; Braunschweig, Herzog Anton Ulrich-Museum, JMMoscherosch
AB 3.1, JMMoscherosch AB 3.2, . JMMoscherosch AB 3.3, JMMoscherosch AB 3.4. Sur la planche du
Printemps (300 x 198 mm, gravure sur cuivre, burin, eau-forte) sous la première strophe du dizain,
on relève à gauche la signature : « I. M. Moscherosch fe : », puis sous la seconde strophe à droite,
celle de l’éditeur : « P. Aubrÿ excudit. ». La planche de l’Été (301 x 202 mm, gravure sur cuivre,
burin, eau-forte) a été coupée dans le bas et ne présente aucune signature. Sur les planches de
l’Automne (304 x 207 mm, gravure sur cuivre, burin, eau-forte) et de l’Hiver (302 x 202 mm,
gravure sur cuivre, burin, eau-forte) à droite, après la dernière ligne du commentaire versifié, la
signature « I. M. Moscherosch fecit. » est visible ; la formule fecit qui, en général, accompagne la
signature de l’auteur du modèle ou le nom du graveur, s’applique ici à l’auteur du commentaire
rimé.
17. BnF, Estampes, Da-35-fol. pl. 170, dim. 288 x 208 mm, burin, eau-forte ; La planche de l’Été se
trouve à Amsterdam au Rijksmuseum, Rijksprentenkabinett, RP-P-1878-A-923.
18. La Bible de Jérusalem. La sainte Bible traduite en français sous la direction de l’École biblique de
Jérusalem, Paris, Desclée de Brouver, 1975, p. 1093, 1139. « Va voir la fourmi paresseux !/ observe
ses mœurs et deviens sage :/elle qui n’a ni magistrat,/ ni surveillant ni chef,/ durant l’été elle
assure sa provende/ et amasse, au temps de la moisson, sa nourriture./ Jusques à quand,
paresseux, resteras-tu couché ?/ Quand te lèveras-tu de ton sommeil ?/ Un peu dormir, un peu
s’assoupir,/ un peu croiser les bras en s’allongeant,/ et, tel un rôdeur, viendra l’indigence, et la
disette comme un mendiant » (Pr 6, 6-11). « Il est quatre êtres minuscules sur la terre,/ mais
sages entre les sages :/ les fourmis, peuple chétif,/ mais, qui, en été, assure sa provende ; » (Pr 30,
24-25).
19. BnF, Estampes, Da-35, fol. 171, 28,8 x 21 cm, burin, eau-forte. Sous le commentaire versifié, en
bas dans l’angle gauche, la signature du graveur : « J. falck fecit », sur la même ligne, le nom et
l’adresse de l’éditeur : « le Blond le jeune demeurant sur le pont N. Dame a lenseigne du Pelican.
Auec Priuilege du Roy ». Pour les estampes burinées par Falck pour Rolland Leblond et Jean I er
Leblond, l’IFF reprend les données du catalogue de Block en citant les numéros attribués par le
chercheur allemand. Conformément au principe établi de classification en fonction de
l’appartenance nationale des graveurs, l’IFF ne signale pas sa propre liste des œuvres des
graveurs étrangers ni la cote des exemplaires gardés dans les collections de la Bibliothèque
nationale de France ; cf. Weigert, Préaud, Inventaire du fonds français..., vol. VII, Lasne (J) – Leclerc
(P), p. 347, 380 ; Block, op. cit., p. 92, cat. nº 113, 290 x 210 mm. D’après Block, l’auteur de la
composition est inconnu. Le chercheur allemand note l’existence de deux représentations
seulement : l’Automne et l’ Hiver, faisant partie dudit quatrième cycle des saisons de l’année,
conformément à la successivité des séries qu’il a traitées ; Edward Rastawiecki, Słownik rytowników
polskich tudzież obcych w Polsce osiadłych lub czasowo w niej pracujących (Dictionnaire des graveurs
polonais ainsi qu’étrangers établis en Pologne ou y travaillant temporairement), Poznań,
Poznańskie towarzystwo przyjaciół nauk, 1886, p. 55, cat. nº I, 35 ; signalons que plusieurs
exemplaires des planches de l’Automne et de l’ Hiver exécutées par Falck sont conservés dans
divers cabinets d’estampes en Pologne (entre autres au Musée national de Cracovie, ainsi que
dans les collections de la Fondation des princes Czartoryski, déposées au Musée national de
Cracovie, à la bibliothèque de l’Académie polonaise des sciences à Cracovie, aux musées
nationaux de Varsovie et de Poznań. L’auteur de ces lignes a retrouvé aussi un exemplaire de
31. L’article sur le thème des modifications relatives à la symbolique, se plaçant dans l’intervalle
entre les cycles-modèles édités par Balthazar Moncornet et les séries de Peter II Aubry
accompagnées des commentaires de Moscherosch, est préparé pour l’impression par l’auteur du
présent article. Christine Moisan-Jabłońska, « Balthazar Moncornet et Peter II Aubry ou les
aventures strasbourgeoises des estampes parisiennes », Les Cahiers d’histoire de l’art, nº 13, 2015, à
paraître.
32. L’auteur de ces lignes prépare actuellement pour l’impression un article sur le cycle allemand
accompagné des vers de Moscherosch, sur son modèle français ainsi que sur une série différente
à laquelle le cycle strasbourgeois a servi de modèle.
33. Schilling, op. cit., p. 303-324.
34. Qu’ils aient coopéré est attesté non seulement par les séries à la thématique allégorique, mais
encore par les nombreux vers de Moscherosch accompagnant les estampes avec les portraits de
personnalités ; cf. Bechtold, op. cit., p. 260.
35. Véronique Meyer, L’Œuvre gravé de Gilles Rousselet, graveur parisien du XVIIe siècle. Catalogue
général avec les reproductions de 405 estampes, préface de Maxime Préaud, Paris, Commission des
travaux historiques de la Ville de Paris, 2004, p. 186, nº cat. 183, 184. L’auteur évoque les copies
des estampes de Rousselet représentant l’Automne et l’Hiver faites d’après les compositions de
Gérard Huret lesquelles, dans un format réduit, furent publiées chez la veuve Cnobbaert, et dans
un format identique mais de plus mauvaise qualité chez Altzenbach.
36. Série des Douze Sybilles, un exemplaire de cette série se trouve au Herzog Anton Ulrich
Museum à Braunschweig ; 25.11.2014, www.virtuelles-kupferstichkabinett.de, PURL http://
kk.haum-bs.de/?id=g-altzenbach-ab3-0014, dim. 366 x 291 mm, 374 x 300 mm (feuille).
37. Moisan-Jabłońska (Moisan-Jablonski), Polskie przygody..., op. cit., p. 99, ill. 36 ; un exemplaire de
la série des Douze Mois se trouve au Herzog Anton Ulrich Museum à Braunschweig (cote G.
Altzenbach AB 3 ;8, Inv. n° 779), alors que les séries des Cinq Sens et des Quatre Saisons sont
conservées à la Herzog August Bibliothek à Wolfenbüttel (cote Graph. Res. D : 2) ; 25.11.2014,
www.virtuelles-kupferstichkabinett.de, PURL http://kk.haum-bs.de/?id=g-altzenbach-ab3-0008,
dim. 375 x 297 mm (feuille) ; 25.11.2014, www.virtuelles-kupferstichkabinett.de, PURL http://
kk.haum-bs.de/?grafik=graph-res-d-2, dim. 356 x 273 mm, 394 x 305 mm (feuille).
38. Catalogue d’exposition : Ranskalaisia 1600 – luvum maamauksia Budapestin Taidemuseosta =
Seventeenth century French paintings from the Museum of Fina Arts, Budapest (Szépmüvészeti Mùzeum),
Catalogue : Agnes Szigethi, Helsinki, Museo Sinebrychoff, 1994, p. 101. L’exposition a eu lieu entre
le 18 mai et le 3 octobre 1994 ; n° inv. 5826, copie libre d’après l’Allégorie de l’Automne de Charles
Le Brun.
RÉSUMÉS
Nombre d’estampes publiées au XVIIe siècle à Paris servaient de modèle à des copies graphiques
créées chez des éditeurs étrangers. Les cycles édités par Jean I er Leblond et Rolland Leblond et
burinés par Jeremias Falck et Guillaume de Gheyn servirent de modèles aux éditeurs de Cologne
et de Strasbourg. Il n’est que de citer la série des Allégories des Saisons édité par Peter II Aubry. Elle
est intéressante d’autant plus qu’elle permet d’examiner le phénomène d’imitation des modèles
français à la mode tout en adaptant l’image et le commentaire aux goûts d’une clientèle
germanique protestante.
Many prints published in Paris during the 17th century were subsequently copied and published
abroad. The cycles engraved by Jeremiah Falck and Guillaume de Gheyn and engraved by Jean
Leblond I and Rolland Leblond were then used as models by publishers in Cologne and
Strasbourg, and the same goes for the Allégories des Saisons published by Peter Aubry II. The latter
series is interesting because it shows how imitations of fashionable French models adapted both
image and letter to the taste of their Germanic protestant audience.
INDEX
Index géographique : France
Index chronologique : 17e siècle
AUTEUR
CHRISTINE MOISAN-JABLONSKI
Professeur à l’université Cardinal Stefan Wyszynski (UKSW) de Varsovie. Directrice de la
collection « L’art religieux polonais de la Renaissance et du baroque. Thèmes et symboles »
Le « sr de Lavenage »
L’homme à l’origine de l’ultime tentative d’ériger les graveurs en corps
de métier (1660)
The "lord of Lavenage". The man who last tried to turn printmaking into a
sworn craft
Rémi Mathis
soutenue par certains graveurs, la proposition se trouve encore une fois en butte à
l’opposition de la plupart des professionnels, qui l’importe donc définitivement à la fin
du printemps. On ignore néanmoins qui est ce Lavenage et ce qu’il souhaitait
réellement2 – et particulièrement comment réellement tirer un profit substantiel de
cette nouvelle organisation.
Un personnage énigmatique
4 René-Henri d’Allemagne affirme que Lavenage est graveur3, ce qui est rapidement
remis en cause par les historiens ayant travaillé sur cette époque. Anatole de
Montaiglon renonce à se montrer trop aventureux et avoue tout net son ignorance à
propos de cet « énigmatique sieur de Lavenage » dont « il serait bon d’éclaircir la
personnalité et les accointances »4. Il émet toutefois l’hypothèse qu’il pût s’agir d’un
prête-nom.
5 Roger-Armand Weigert, conservateur des fonds du XVIIe siècle au département des
Estampes de la Bibliothèque nationale, n’a trouvé aucune estampe signée de ce nom 5.
Marianne Grivel souligne de plus à raison qu’aucune des tentatives précédentes pour
encadrer le métier ne venait du milieu des graveurs, mais bien plutôt de personnes
attirées par la possibilité de gagner aisément de fortes sommes d’argent. Dans sa thèse
de l’École des chartes, publiée et devenue un classique de l’histoire de l’estampe, cette
dernière signale deux documents à propos de Lavenage. Elle n’a pas cherché à creuser
le sujet et se contente de signaler que son nom revient dans l’index de documents
conservés au département des Manuscrits de la BN6. Elle signale donc deux cotes : une
lettre de 1656 relative à des actions militaires7, et un mémoire sur le corps de garde du
Palais-Royal, prévoyant de réserver à Lavenage l’attribution du bâtiment 8. Marianne
Grivel y voit la confirmation que Lavenage n’a rien à voir avec le monde de la gravure
mais ne cherche pas de qui il s’agit.
royaume y occupent encore des places importantes. Et, en effet, Lavenage parvient à
être nommé enseigne (1er janvier 1643) puis lieutenant de sa compagnie (1 er juillet 1648,
à la suite de son parent Jean Seton)14 et maréchal de camp (brevet du 22 novembre
1651)15.
8 Homme important qui jouit de la confiance du pouvoir royal, il est nommé gouverneur
de la ville, citadelle et pays de Bourg16 le 27 juin 1654. Mazarin correspond avec lui : les
deux hommes semblent entretenir des relations cordiales, le cardinal remerciant même
Lavenage pour les truffes qu’il a bien voulu lui offrir17. Il possède des terres en Poitou,
province dont il fréquente la noblesse locale18, et obtient le droit de haute justice sur sa
seigneurie de la Mougaterie la même année 165419 ; son épouse est apparemment
originaire de la région20 ; il est possible que David Seton, brigadier puis retenue
d’exempt des gardes du corps soit son fils21.
Pierre-Louis van Schuppen et Robert Nanteuil d’après François Chauveau, Portrait de Mazarin à
l’entrée de la galerie supérieure de son palais (aujourd’hui galerie Mazarine à la BnF, site Richelieu),
1659, burin. BnF, Estampes, AA4-Nanteuil
NOTES
1. Marianne Grivel, Le Commerce de l’estampe à Paris au XVIIe siècle, Genève, Droz, 1986, p. 83-99.
2. Marianne Grivel, op. cit., p. 96.
3. René-Henri d’Allemagne, « Histoire de la corporation des graveurs », Bulletin de la société
archéologique, historique et artistique Le Vieux Papier, Paris, mars 1907, p. 81-100.
4. Anatole de Montaiglon, « La Mansarade, satire contre François Mansart. Suivie d’un arrêt de
Louis XIV en faveur de la gravure », Archives de l’art français, 1862, p. 242-266.
5. Roger-Armand Weigert et Maxime Préaud, Inventaire du fonds français XVIIe siècle. Tome 7. Lasne
(J.) – Leclerc (P.), Paris, Bibliothèque nationale, 1976, 472 p.
6. Marianne Grivel, op. cit., p. 97.
7. BnF, Manuscrits, fr. 20482, fol. 47-49v., cité par M. Grivel, ibid.
8. BnF, Manuscrits, fr. 17346, fol. 216 sqq. , cité par M. Grivel, ibid.
9. Matthew Glozier, Scottish Soldiers in France in the Reign of the Sun King, Brill, 2004.
10. BnF, Manuscrits, Pièces originales 2667, n° 59290. Je remercie Matthew Glozier pour les
renseignements qu’il a bien voulu me fournir.
11. Archives nationales, Minutier central, CX, 98, 12 décembre 1633. Je remercie Maxime Préaud
de m’avoir signalé ce document.
12. Loir-et-Cher, arr. de Vendôme, commune de Naveil. Les Advénages, L’Advenage, L’Évenage au
XVIIe s. ; Les Venages de la carte de Cassini jusqu’à nos jours. Le toponyme demeure dans une « rue
des Venages », qui se dirige vers Vendôme (située à 1 km à l’est) depuis le centre de Naveil en
suivant le Loir.
13. Archives nationales, Minutier central, LXII, 85, 4 janvier 1634.
14. Selon BnF, Manuscrits, fr. 8006, « Recueil de copies de pièces relatives à l’histoire des Gardes
du corps du roi », fol. 152-155, il est lieutenant dès 1643. Mais ces documents nous semblent
moins fiables que la chronologie de Pinard, d’autant que d’autres documents le donnent bien
enseigne en 1645 (voir Vicomte de Noailles, Le Maréchal de Guébriant, Paris, Perrin, 1913, p. 448)
15. M. Pinard, Chronologie historique militaire…, Paris, Hérissant, vol. 6, 1763, p. 327.
16. Gironde, arr. de Blaye.
17. BnF, Manuscrits, Mélanges Colbert 41, fol. 359, résumé dans Lettres du cardinal Mazarin, éd.
A. Cheruel, t. 6 (septembre 1653-juin 1655), Paris, Imprimerie national, 1890, p. 655.
18. Il intervient par exemple pour partager les biens de Philippe Viault, seigneur de Torsay, entre
Louis de Villedon, chevalier, seigneur de Sansais, de Gournay, du Vieux Moulin, Aigonnay, et
René de Massougne, chevalier, seigneur de la Sablière et de la Tour de Brelou, son beau-frère. Ce
contrat de partage fut reçu par Martin et Pinet, notaires à Niort, dans la maison de Jacques
Jouslard, écuyer, seigneur de Chantecaille
19. Guillaume Blanchard, Compilation chronologique contenant un recueil en abrégé des ordonnances,
édits, déclarations, etc., vol. 2, Paris, Veuve Moreau, 1715, col. 2037.
20. AD Vienne, E nouveau 1113 : Cession d’une rente de 225 l.t. assignée sur des terres près de
Vendôme et en Poitou, par Jacques de Seston, seigneur de Lavanage, enseigne des gardes écossais
du roi, à Nicolas Chopin, substitut du procureur général au Parlement de Paris, le 19 janvier
1647 ; Sentence de l’élection de Poitiers autorisant le sieur de Lavenage à se pourvoir contre un
certain sieur du Moulin, commis à la recette des tailles de l’élection de Poitiers pour l’année 1645,
en vue du recouvrement d’une somme de 965 l.t., le 9 août 1651.
21. Archives nationales, O1 23, 82 (1679) ; O1 35, 69v (1691).
22. M. Pinard, loc. cit. ; BnF, Manuscrits, fr. 8006 donne 1658, ce qui est encore une fois moins
probable.
RÉSUMÉS
Un certain « sieur de Lavenage » tente en 1660 de faire de la gravure un métier juré, entraînant la
protestation des graveurs et la publication de l’édit de Saint-Jean-de-Luz par lequel le roi assure
définitivement que le métier demeurera libre. Ce Lavenage était toutefois un inconnu complet,
entraînant des spéculations diverses sur son identité, depuis deux siècles. Nous proposons de
l’identifier à Jacques Seton, sieur de Lavenage, membre de la Garde écossaise du roi, qui perd sa
charge autour de 1660 dans les transformations de l’organisation de l’État qui se font jour sous
Mazarin.
In 1660, a nobleman known only as 'the lord of Lavenage' tried to turn printmaking into a sworn
craft, practiced by guild members only. This sparked widespread protest among printmakers who
had been assured once and for all, by royal decree (the Edict of Saint-Jean-de-Luz), that their
craft would remain free. The identity of this mysterious Lavenage has been the subject of
speculations for two centuries, and here we propose to name him as Jacques Seton, lord of
Lavenage, a member of the king's Garde ecossaise (Scots guard) who lost his charge circa 1660 in
the modifications of the State machinery implemented by Mazarin.
INDEX
Index géographique : France
Index chronologique : 17e siècle
AUTEUR
RÉMI MATHIS
Archiviste paléographe, conservateur chargé des estampes du XVIIe siècle au département des
Estampes et de la Photographie de la Bibliothèque nationale de France et rédacteur en chef des
Nouvelles de l’estampe
Claire Rousseau
2 Vint ensuite l’édition de 1700, toujours en quatre volumes, tirée pour le compte de
Nicolas Le Clerc (vers 1655-vers 1742) à Paris [édition C].
Une dernière édition en quatre volumes fut de nouveau produite par Nicolas Le Clerc
en 1714 [édition D].
Ill. 1. Louis Spirinx, Saint Dominique, 1670, burin, 102 x 70. Bernard de Vienne, L’Année dominicaine…,
1670, Gand, Universiteitsbibliotheek Gent, DEDP.A3653
3 Retrouver les « images » créées pour illustrer les ouvrages fut une entreprise de longue
haleine, nécessitant de localiser au mieux les volumes présents dans les bibliothèques
de France et de Belgique, exemplaires le plus souvent lacunaires, voire totalement
dépourvus des images qui étaient à acquérir indépendamment des livres. Un bref
constat peut ainsi être dressé :
• les exemplaires de l’édition A conservés à la Bibliothèque nationale de France et à la
Bibliothèque du Saulchoir (Paris) ne comportent pas de planches autres qu’un frontispice
signé Lalouete4. En revanche, l’exemplaire de la Bibliothèque universitaire de Gand
provenant du fonds des dominicains de la même ville recèle, outre ce frontispice repris aux
deux tomes, douze planches, trois dans le premier tome et neuf dans le second 5. Le premier
tome conservé à la Bibliothèque municipale d’Annecy possède l’une des planches de
l’exemplaire de Gand et trois autres6. Au regard des saints et bienheureux figurés et de la
non-présence de saints majeurs de l’ordre des Prêcheurs, il n’est pas exagéré d’affirmer que
ces séries sont incomplètes et enregistrent des pertes dues aux aléas de la conservation à
travers les siècles ;
• un seul exemplaire de l’édition B de 1679 comportant les cent planches annoncées a pu être
localisé, à la Bibliothèque municipale de La Rochelle 7. Le recours à un nouvel éditeur
entraîna visiblement l’impossibilité de réutiliser les anciennes estampes portant l’excudit
d’André Cramoisy8 ; au contraire, les planches au nom de Landry de l’exemplaire de 1670 se
retrouvent toutes parmi les cent planches. L’examen de celles-ci invite cependant à la
prudence dans leur datation puisque, par exemple, au tome II, la planche figurant Pie V
porte la date du « 5 may 1713 » ;
• l’exemplaire de l’édition C de 1700 du fonds des jésuites conservé à la Bibliothèque
municipale de Lyon ne comporte aucune planche.
• les deux exemplaires localisés de l’édition de 1714 ne comprennent aucune planche 9.
Ill. 2. Graveur non identifié, Bienheureux Réginald d’Orléans, 1670, burin, 102 x 70. Bernard de Vienne,
L’Année dominicaine…, 1670, Gand, Universiteitsbibliotheek Gent, DEPD.A3653
Ill. 3. Graveur non identifié, Bienheureux Réginald d’Orléans, 1679, burin, 102 x 70. Bernard de Vienne,
L’Année dominicaine…, 1679, La Rochelle, Médiathèque Michel-Crépeau, 8453 C
4 Au-delà de ces premiers constats et dans l’impossibilité de présenter ici chacune des
planches, nous aimerions prolonger l’étude et émettre quelques suggestions visant à
une meilleure connaissance de la production des graveurs et des éditeurs et à un
affinement des inventaires de leurs œuvres, qu’ils aient été déjà réalisés ou qu’ils soient
en cours. En tout premier lieu il s’agit de comprendre le choix de faire paraître des
volumes aussi abondamment illustrés et d’identifier les graveurs.
Ill. 4. Graveur non identifié, Saint Raymond de Peñafort, 1670, burin, 102 x 68. Bernard de Vienne,
L’Année dominicaine…, 1670. Annecy, Bibliothèque d’agglomération Bonlieu, 9853
8 Une étude plus ample interrogerait le catalogue des membres choisis dans l’ordre des
Prêcheurs, catalogue largement augmenté à partir de l’édition de 1679. L’Ordre en 1670
ne pouvait s’honorer de trois cent soixante-cinq membres officiellement canonisés ou
béatifiés. L’auteur ajouta donc à la petite vingtaine des élus ceux qui jouissaient d’un
culte populaire et dont on pouvait espérer la montée sur les autels ; mais le nombre
restant encore insuffisant y furent adjoints des frères, moniales, religieuses et laïcs
dont la réputation de vie vertueuse s’était répandue. Il est rétrospectivement
impossible de savoir pourquoi telle ou telle personne fut retenue pour être portraiturée
et pas telle autre. Il est tout aussi difficile, faute de contrat connu, de connaître les
rapports entretenus par Bernard de Vienne avec les graveurs. Fit-il confiance à André
Cramoisy, qui éditait alors les ouvrages hagiographiques du frère Jean-Baptiste Feuillet
du couvent de l’Annonciation au Faubourg-Saint-Honoré à Paris, pour contacter ceux-
ci ? Décida-t-il de lui-même de s’adresser aux Landry ? Est-ce Pierre Landry qui exigea
que la deuxième édition [B] paraisse chez son gendre Estienne Michallet ? Au-delà du
décès de celui-ci avant l’échéance de son privilège, d’autres motifs purent-ils conduire
à choisir Nicolas Le Clerc pour l’impression de l’édition suivante ?
Ill. 5. Graveur non identifié, Bienheureux Alvares du Portugal, après 1679, burin, 102 x 68. Bernard de
Vienne, L’Année dominicaine…, 1679, La Rochelle, Médiathèque Michel-Crépeau, 8453C
l’Image Saint-Landry, rue Saint-Jacques, à Gabrielle surtout dont l’initiale est gravée sur
neuf planches de cet exemplaire de La Rochelle. Au regard des dates de naissance de
François (1669) et de Gabrielle (vers 1670), l’histoire apparaît beaucoup plus
compliquée. Si l’on compare la planche figurant le bienheureux Réginald d’Orléans
dans l’édition de 1670 conservée à Gand (ill. 2) avec celle de l’édition de 1679 conservée
à La Rochelle, le changement d’adresse saute aux yeux et la lettre porte les traces d’une
reprise au burin (ill. 3). La même modification s’observe pour bien d’autres planches
conservées à La Rochelle. L’enquête ne peut s’arrêter là. En 1679, François et Gabrielle
sont trop jeunes pour avoir pu bénéficier d’un fonds paternel à leur profit. Quand se fit
ce transfert d’une enseigne à l’autre de la série des cuivres ? La finale de la préface de
1700, recommandait de se procurer les images « chez Monsieur Landry ». Au prime
abord, une telle affirmation laisserait supposer que les tirages se trouvaient encore,
comme en 1679, chez Pierre Landry très connu sur le marché parisien de l’estampe.
Cependant, il faut évoquer les démêlés des enfants Landry, Denis (1666-1713), François
(1669-1720) et Gabrielle (vers 1670- ?), au sujet de l’héritage maternel. Déshérités par le
testament de leur mère décédée en juin 1693, les frères Denis et François Landry
obtinrent « réparation par une sentence du Châtelet du 19 décembre 1697 » et les trois
enfants Landry reçurent de leur père les cuivres qui leur revenaient en 1698 16. Les
documents subsistant sont trop vagues ou parcellaires pour dire qui obtint les planches
de L’Année dominicaine et lesquelles 17. Cependant il est aisé de comprendre pourquoi
François et Gabrielle tinrent à modifier l’adresse gravée sur les cuivres devenus de
haute lutte leur propriété légitime.
12 Quoi qu’il en soit, l’histoire prouve que la belle série de planches conservée à La
Rochelle a bien été insérée a posteriori dans l’édition de 1679, peut-être assez
tardivement si l’on tient compte de la date de 1713 figurant sur la planche de saint Pie
V.
Ill. 6. Graveur non identifié, d’après Jean Mathieu, Saint Raymond de Peñafort, 1679, burin, 102 x 68.
Bernard de Vienne, L’Année dominicaine…, 1679. La Rochelle, Médiathèque Michel-Crépeau, 8453 C
13 Pouvant être achetées indépendamment de l’ouvrage, les planches des Landry servirent
à illustrer d’autres ouvrages, tels ceux sur le Rosaire qui associaient les saints de l’Ordre
aux différents mystères. C’est avec juste raison que le tome 6 de l’Inventaire du fonds
français (XVIIe siècle) édité par Roger-Armand Weigert en 1973 évoque au nom de Pierre
Landry les planches du livre d’Estienne Meney, Instruction Chrestienne pour les Confreres
du S. Rosaire18. L’inventaire, qui renvoie au catalogue d’Edmond Maignien et propose un
décompte non vérifié des planches, attribue prudemment les planches à Pierre Landry
ou à ses fils (l’initiale G de Gabrielle étant lue comme celle du prénom masculin Gabriel
par l’IFF qui attribue ainsi trois fils à Pierre Landry). En réalité les planches, lorsqu’elles
la font apparaître, portent comme celles des Instructions necessaires, la mention « Chez
Landry19 ». Les planches ont dû être acquises, soit par les dominicains de Grenoble soit
par les moniales du monastère de Montfleury, sans doute avant 1698, peut-être dès
1680.
Ill. 7. Jean Mathieu, Saint Raymond de Peñafort, avant 1672, burin, c. de pl. : 116 x 72. BnF,
Estampes, Rd-2-fol., H180714
14 L’analyse du recours aux planches dominicaines sorties des ateliers Landry pour
l’illustration de L’Année dominicaine demeure délicate puisqu’il n’y a jamais de certitude
quant à leur date d’insertion dans les ouvrages recensés et que, d’autre part, leur
absence de certains exemplaires ne présume pas de leur non usage. Telle qu’elle s’offre
dans l’exemplaire de l’édition de 1679 conservé à La Rochelle, la série des cent planches
atteste tout à la fois l’engouement qu’elle connut et les méandres des affaires familiales
déjà mises en valeur par Frédéric Jiméno à propos des tailles-douces en tableau de
Pierre Landry20. Le frontispice de ce même exemplaire fait apparaître un cinquième
éditeur : Pierre II Mariette (1634-1716). La planche de Jacques Lalouette qui servit de
frontispice à l’édition de 1670 semble ne plus avoir été disponible à moins que le
frontispice de La Rochelle soit une singularité21.
15 Les planches de l’exemplaire de La Rochelle permettent également de connaître le nom
de l’un des graveurs ayant travaillé à l’entreprise : Louis David (1644- ?). Louis David se
serait installé à Avignon dès 1677, voire dix ans plus tôt en 1667 22. Bernard de Vienne
l’aurait-il connu par l’intermédiaire des dominicains de Provence lors de son séjour à
Aix ? Ou bien l’a-t-il sollicité à Paris même ? Neuf planches portent sa signature : L.
Dauid inv. et fe. (Tome II : Louis Gandule) ; L. Dauid fe. (Tome II : Nicolas de Kovusqui ;
Vincent de Saint Estienne ; Tome III : Martin de Porres ; Tome IV : Thomas de Saint
Jean ; Bonaventure de Sienne) ; L. D. fe ou sc. ( ?) (Tome I : François de Capillas ;
Dominique de l’Annonciation ; Tome III : Jean de Massias). Les « saints » gravés par
Louis David sont absents de l’édition de 1670, à l’exception de Thomas de Saint Jean
mentionné en page 10 du Tome II. Les différences stylistiques entre les planches sont
assez importantes, dues peut-être à des modèles provenant de diverses mains. De ce
fait, il est malaisé de proposer d’autres attributions. L’appréciation de l’IFF sur l’œuvre
de Louis David garde toute sa pertinence : « Ses travaux sont, tantôt ceux d’un imagier,
et tantôt ceux d’un professionnel au métier plus éprouvé23 ». L’IFF ne recense aucune
des planches de L’Année dominicaine.
16 Au total six noms d’éditeurs ont été recensés dans les différentes éditions de L’Année
dominicaine, suivant les exemplaires à disposition : André Cramoisy (1670), Van Merlen
(1670), Pierre II Mariette (1679), [Pierre] Landry (1670, 1679), [François] et Gabrielle
Landry (à partir de 1700). Seuls deux noms de graveurs apparaissent explicitement :
Louis Spirinx (1670) et Louis David (sans doute pour l’édition de 1679). Les autres
graveurs, s’il y en eut, demeurent dans l’ombre. L’une des planches de Louis David
indiquait qu’il était le créateur du modèle. Fait exceptionnel pour être ainsi
mentionné ? Si tel est le cas il convient de rechercher des estampes plus anciennes
ayant servi à la création des planches de L’Année dominicaine.
Ill. 8. Graveur non identifié, Saint Ceslas, d’après Gabriel Ladame, 1679, burin, 102 x 68. Bernard de
Vienne, L’Année dominicaine…, La Rochelle, Médiathèque Michel-Crépeau, 8453 C
Ill. 9. Gabriel Ladame (1613 ?-168 ?), Saint Ceslas, 1650, burin, c. de pl. : 190 x 129. BnF, Estampes,
Ed-131-fol., Inv. 13
d’Amaranthe ou pour sainte Marguerite de Savoie, avec une forte simplification pour
ne retenir que l’essentiel des scènes cadrées désormais sur le saint vénéré (ill. 8 à 11).
Ill. 10. Graveur non identifié, Saint Gonzalve d’Amaranthe, d’après Gabriel Ladame, 1679, burin, 102 x
68. Bernard de Vienne, L’Année dominicaine…, La Rochelle, Médiathèque Michel-Crépeau, 8453 C
Ill. 11. Gabriel Ladame (1613?-168?), Saint Gonzalve d’Amaranthe, 1650, burin, c. de pl.: 193 x 130.
BnF, Estampes, Ed-131-fol., Inv. 11
22 L’iconographie dévolue à saint Thomas d’Aquin, figure la plus éminente de l’ordre des
Prêcheurs, mériterait d’être explorée à part. Les représentations de l’Aquinate, docteur
angélique, se déclinent en différentes typologies et l’on peut se demander pourquoi
Bernard de Vienne opta pour une figuration aussi combative. Certes, il s’agissait de la
façon dont saint Thomas était sculpté depuis 1628 en haut de son mausolée dans l’église
des Jacobins à Toulouse mais l’auteur aurait pu préférer le docteur inspiré par la
colombe de l’Esprit Saint ou/et approuvé par le Christ crucifié plutôt que l’image du
chérubin gardien du nouvel arbre de Vie. Quoi qu’il en soit des motifs que ne laisse en
rien deviner le texte de l’ouvrage, il est clair que le graveur de L’Année dominicaine a
repris l’une des quatre planches de Claudine Bouzonnet-Stella (1641-1697) créées pour
illustrer l’œuvre thomiste in-folio du frère Jean-Baptiste Gonet (1615-1681) publiée en
1669 chez Antoine Bertier (1610 ?-167829 ; ill. 14 et 15). La planche exista-t-elle dès
l’édition de 1670 ? Les exemplaires consultés ne la comportent pas et dans l’état actuel
de cette recherche il est impossible de dire ce que représentait la planche dédiée à
l’Aquinate.
Ill. 12. Graveur non identifié, Bienheureux Alain de la Roche, d’après Henri Snyers, 1679, burin, 102 x
68. Bernard de Vienne, L’Année dominicaine…, La Rochelle, médiathèque Michel-Crépeau, 8453 C
Ill. 13. Henri Snyers (1613- ?), Le Bienheureux Alain de la Roche, s. d., burin, feuille 339 x 222. BnF,
Estampes, Rd-13, H 171367
26 Ce travail d’enquête sur les modèles des planches de L’Année dominicaine reste à
poursuivre avec toujours beaucoup de prudence tant quantité de planches échappent
pour diverses raisons aux recensements et collectes. Seule une patiente quête pourra
déterminer la part de copie et celle, sûrement plus réduite, d’invention dans la série.
Jusque là les conclusions demeureront fragiles et fragmentaires en particulier en ce qui
concerne l’édition de 1670.
Ill. 14. Graveur non identifié, Saint Thomas d’Aquin, d’après Claudine Bouzonnet-Stella, 1679, burin,
102 x 68. Bernard de Vienne, L’Année dominicaine…, 1679, La Rochelle, médiathèque Michel-
Crépeau, 8453 C
Ill. 15. Claudine Bouzonnet-Stella (1641-1697), Saint Thomas d’Aquin chérubin, 1669, eau-forte et
burin, c. de pl. : 300 x 188. BnF, Estampes, Da-44-fol.
NOTES
1. Bernard de Vienne, L’Année dominicaine ou sentences pour tous les jours de l’annee ; Tirées des
paroles, & des Oeuvres spirituelles des Saints, des Saintes & des personnes illustres de l’Ordre des Freres
Prêcheurs : Avec un abregé de leurs Vies, suivi de Meditations, & de Reflexions sur leurs principales vertus.
Par M. de Vienne Prêtre du Tiers Ordre de Saint Dominique. Tome IV, A Paris, Chez Nicolas Le Clerc, ruë
S. Jacques, proche S. Yves, à l’Image S. Lambert, 1700 (France, Lyon, Bibliothèque municipale –
cote : SJ V 183/118).
2. [Bernard de Vienne ], L’Année dominiquaine ou sentences Pour tous les jours de l’année, Tirées des
oeuvres spirituelles de S. Catherine de Sienne, & du B. Henry de Suso. Avec un abregé des vies de plusieurs
Saints & Bienheureux de l’Ordre de S. Dominique, & des Meditations & Reflexions sur leurs principales
vertus. Enrichie de quantité de figures en taille douce. Par un Prestre du Tiers Ordre de S. Dominique. Tome
I [Tome II], A Paris, Chez André Cramoisy, ruë Vieille Bouclerie, au Sacrifice d’Abraham, 1670.
3. [Bernard de Vienne ], L’Année dominicaine ou sentences pour tous les jours de l’année. Tirées des
paroles, & des Oeuvres spirituelles des Saints, des Saintes & des personnes illustres de l’Ordre des Freres
Prêcheurs : Avec un abregé de leurs Vies, suivy de Meditations, & de Reflexions, sur leurs principales vertus.
Par un Prestre du Tiers Ordre de S. Dominique. Tome I [Tome II, III, IV], A Paris, Chez Estienne
Michallet, ruë S Jacques, à l’image S. Paul, proche la Fontaine S. Severin, 1679.
4. France, Paris, BnF – cote : D-19284 (1-2) ; Bibliothèque du Saulchoir – cote : 445 E 55 (1-2).
5. Belgique, Gand, Universiteitsbibliotheek Gent – cote : DEPD.A3653.
6. France, Annecy, Bibliothèque d’agglomération Bonlieu – cote : 9853.
7. France, La Rochelle, Médiathèque Michel-Crépeau – cote : 8453 C.
8. André Cramoisy dont l’excudit figure au bas de planches n’est pas mentionné comme éditeur
d’estampes par le Dictionnaire des éditeurs d’estampes à Paris sous l’Ancien Régime. La notice
biographique que lui consacre le Dictionnaire des imprimeurs, libraires et gens du livre à Paris,
1701-1789 (Genève, Droz, 2007, Tome I : A-C, p. 570-572) l’établit oncle de Sébastien Marbre-
Cramoisy (1637-1687). S’il est l’imprimeur d’ouvrages hagiographiques du dominicain Jean-
Baptiste Feuillet, rien n’indique dans la notice qu’il produisait lui-même des tirages d’estampes.
Cependant son nom apparaît, par exemple, au bas d’un portrait du maître de l’Ordre Jean Thomas
de Rocaberti et de planches de la vie de saint Louis Bertrand, estampes signées Lalouete et
produites pour Jean-Baptiste Feuillet. Une étude plus approfondie des activités d’André Cramoisy
mériterait d’être conduite afin de mettre en valeur son rôle dans l’édition d’estampes.
9. France, Saint-Omer, Bibliothèque d’Agglomération de Saint-Omer – cote : 682 (1-4) ; Toulouse,
Bibliothèque municipale – cote : Fa D 18594 (1 à 3). Sans doute est-ce la mort prématurée
d’Estienne Michallet en 1699, avant expiration de son privilège, qui conduisit l’auteur à changer
d’éditeur. Toutefois le tome IV de l’édition de 1700 chez Nicolas Le Clerc, puis celui de 1714,
portent encore le privilège reçu par Estienne Michallet, sans plus d’explication.
10. Le même constat a déjà établi par André Duval dans « Vienne (Bernard de) », Dictionnaire de
spiritualité ascétique et mystique. Doctrine et histoire, Paris, Beauchesne, Tome XVI : Ubald
d’Alençon-Zypaeus, 1994, col. 745-748.
11. Voir Alexandre Piny (1640-1709), La Vie de la Venerable Mere Marie Magdelaine de la Tres-Sainte
Trinité, fondatrice de l’Ordre de Nostre-Dame de Misericorde […], A Lyon, Chez François Barbier, Impr.
& Libraire du Roy, sur le Quay de Saône, proche les RR. PP. de S. Antoine, 1680, p. 258-264 (France,
Paris, Bibliothèque du Saulchoir – cote : Rés. Mod. D 37).
12. Son portrait est conservé en frontispice du deuxième tome, unique volume conservé par la
bibliothèque de l’Institut catholique de Paris (cote : 24 178).
13. Il est vraisemblable qu’au sein du Tiers-Ordre l’auteur ajouta le prénom Dominique au sien,
d’où des signatures de préfaces en « B. D. ».
14. Les planches éditées chez Landry mesurent toutes environ 10, 2 x 6, 8 cm. Le coup de planche
n’est pas visible car les images devaient être gravées au nombre de deux par planches pour être
ensuite séparées.
15. Par ordre alphabétique : Alain de la Roche, Augustin de sainte Madelaine, Catherine de
Racony, Gonzale d’Amaranthe, Henri Suso, Jean du Château, Marguerite de Savoye.
16. Minutier central, XLIX-412, 1 er mars 1698 et XLIX-413, 7 mai 1698. Actes mentionnés dans
Maxime Préaud, dir., Dictionnaire des éditeurs d’estampes à Paris sous l’Ancien Régime, Paris,
Promodis ; Le Cercle de la Librairie, 1987, p. 188, note 5 ; citation, p. 189. Actes consultés en juillet
2014.
17. L’inventaire dressé après décès le 2 septembre 1693 (Minutier central XLIX-401) n’évoque
pour L’Année dominicaine qu’un seul exemplaire de « cinquante planches à fonds blancs », ce qui
pourrait correspondre à l’édition de 1670.
18. [Estienne Meney (1631-1694)], Instrvction Chrestienne povr les Confreres du S. Rosaire ordinaire &
perpetuel de la Sainte Vierge Mere de Dieu. Avec le Sommaire des Indulgences accordées par les Souverains
Pontifes, aux Confreres du S. Rosaire ; nouvellement approuvé et confirmé par nôtre S. Pere le Pape
Innocent XI. le 31 Iuillet de l’année 1679 & le 3e de son Pontificat , A Grenoble, Chez P. Fremon,
Imprimeur du Roy ; Pour Monseigneur le Duc de Lesdiguieres, & de Nosseign ie de la Chambre des
Comptes, 1680 (France, Grenoble, Bibliothèque municipale – cote : O.6235). IFF, XVIIe s., Tome 6,
1973, p. 259, n° 345.
19. Instrvctions necessaires, pour ceux qui font le vœu, appelé communement des quinze Samedys en la
Chapelle du sacré Rosaire. Iouxte la Copie imprimée à Tolose, A Grenoble, Chez Jacques Petit
Imprimeur, proche le Grand Puys, 1681 (France, Grenoble, Bibliothèque municipale – cote : V.
31426 Rés.).
20. Frédéric Jiméno, « Les tailles-douces en tableau de Pierre Landry et de ses héritiers
(1679-1720) », Paris, Bulletin de la Société de l’Histoire de l’Art français, 2008, p. 81-107.
21. Le frontispice est absent des exemplaires conservés à Angers (Bibliothèque municipale –
cote : 3417) et à Amiens (Bibliothèque municipale – cote : HR 1179A).
22. Roger-Armand Weigert, Inventaire du Fonds Français. Graveurs du XVIIe siècle, Paris, BnF, Tome 3,
1954, p. 390.
23. Ibidem.
24. Deuxième successeur de saint Dominique à la tête de l’Ordre des Prêcheurs, Raymond favorisa
l’apostolat auprès des juifs et des musulmans, et encouragea, dans ce but, l’étude de l’arabe et du
Coran. Il obtint le soutien du roi d’Aragon, Jacques Ier, pour la fondation en 1218 par Pierre
Nolasque de l’Ordre de Notre-Dame de la Merci voué au rachat des chrétiens enlevés par les
musulmans.
25. Raymond de Peñafort avait été canonisé en 1601 par Clément VIII et sa fête fixée au 7 janvier,
au lendemain du jour anniversaire de sa mort (Voir Année dominicaine…, Janvier, 1883, p. 783).
26. Jean Mathieu (1590-1672), Saint Raymond de Peñafort. Burin, c. de pl. : 11, 6 x 7, 2 cm. France,
Paris, BnF, Estampes Rd2 Fol., H180714.
27. Gabriel Ladame (1613 ?-168 ?), Saint Ceslas. Burin, c. de pl. : 19 x 12, 9 cm. France, Paris, BnF,
Estampes Ed131 Fol., Inv. 13 ; Saint Gonzalve d’Amaranthe. Burin, c. de pl. : 19, 3 x 13 cm. France,
Paris, BnF, Estampes Ed131 Fol., Inv. 11.
28. Henri Snyers (1613- ?), Le bienheureux Alain de la Roche. Burin, c. de pl. : 33, 9 x 22, 2 cm à la
feuille. France, Paris, BnF, Estampes Rd13, H 171367.
29. Jean-Baptiste Gonet (1615-1681), Clypeus theologiæ thomisticæ… Editio tertia… [contra novos eivs
impvgnatores], Parisiis, sumptibus Antonij Bertier, Bibliopolæ Reginæ, viâ Iacobæâ, sub signo Fortunæ, et
Gvillelmi de la covrt, bibliopolæ Burdigalensis, 1669 (Paris, BnF – cote : D-181 [1-5]). La planche est
insérée au tome V dont elle constitue la page 174 (vérification effectuée dans l’exemplaire
conservée à la Bibliothèque municipale de Lyon sous la cote : SJ TH 239/16). L’estampe présentée
ici est conservée à la BnF : Claudine Bouzonnet-Stella (1641-1697), Saint Thomas d’Aquin chérubin,
1669. Eau-forte et burin, c. de pl. : 30 x 18, 8 cm. France, Paris, BnF Estampes, DA-44 Fol.
30. Dimensions au coup de planche de l’estampe de Jacques Lalouette : 12 x 6, 7 cm. Dimensions
de la planche de Frederik Bouttats : 13 x 8, 5 cm. Frontispice pour Dominique de Herre
(1607-1687), trad., Het Heylich Jaer vande Predick-heeren Oorden. Dat is, Voor elcken dagh van het jaer
een cort verhael van eenen Heylighen oft Salighen vande Orden vanden H. Dominicvs Die op dien dach
ghestorven is. Mitsgaders een Meditatie en aenmerckinghe op hun principale deughden. Als oock een
sententie daer op passende, ghetrocken uyt de Gheestelijcke schriften vande H. Catharina van Senen oft den
Sal. Henricus Suso, Vyt de Franssche tael, en in Vranckrijck geapprobeert, inde Neder-duytsche over-
gheset. Door den EerW. Pater P. Dominicvs de Herre Priester vande selve Oorden, T’Antwerpen, By Jacob
Mesens, op de Lombaerde-Vest inden gulden Bijbel, 1675 (France, Paris, BnF – cote : H-10722).
31. Graveur non identifié, Saint Dominique. Burin, épreuve rognée : 29 x 18, 8 cm. France, Paris,
BnF, Estampes Rd2, H 173514.
32. Voir Jacques Échard ( 1644-1724) ; Jacques Quétif (1618-1698), Scriptores Ordinis Prædicatorum,
recensiti notis historicis et criticis illustrati […], Lutetiæ Parisiorum, Apud J.-B.-Christophorum Ballard ;
Nicolaum Simart, Tomus secundus, 1721, p. 791.
33. Jean-Baptiste Feuillet (vers 1624-1687), L’Année dominicaine ou les vies des Saints, des
Bienheureux, des Martyrs, et des autres personnes Illustres ou Recommandables par leur pieté, de l’un & de
l’autre Sexe, de l’Ordre des FF. Précheurs, Pour tous les jours de l’Année, avec un martyrologe, Recueillies
Par le R.P. Jean Baptiste Feuillet, Religieux du mesme Ordre, de la Province de S. Louys, affilié au grand
Convent de S. Jacques de l’étroite Observance à Paris, A Amiens, Chez Guislain Le Bel, Imprimeur &
Libraire Ordinaire du Roy, proche le College des RR. PP. Jesuites, au Pilon d’or, Janvier, 1678
(France, Toulouse, Bibliothèque du couvent des dominicains – cote : 013 B). L’Année dominicaine
connut pour ses différents volumes plusieurs rédacteurs et éditeurs successifs.
34. « Le second motif a esté le zele que Monsieur de Vienne, Ecclesiastique d’une insigne pieté, &
Profés de nôtre Tiers-Ordre, a fait paroître dans ses deux petits volumes de l’Année Dominicaine,
desquels il a enrichi le public. Comme il a plûtôt irrité que satisfait l’appetit de ceux qui
desiroient passionément voir dans une plus grande étendüe les vies de tant de Saints & de
Bienheureuses, qu’il n’a fait qu’ébaucher, j’ay crû qu’il falloit pour la gloire de l’Ordre seconder
son zele, & donner une connoissance plus entiere d’une infinité de belles actions de ces fidéles
serviteurs & servantes de Dieu, qu’il n’a fait qu’indiquer. », op. cit., p. VIII-IX.
35. La notice biographique de sa sœur Elisabeth de Saint Bernard fut rédigée par le frère Charles
de Saint-Vincent et insérée par le dominicain Jacques Lafon, presque à contrecœur en raison de
sa longueur, dans le second volume de septembre (voir la remarque p. 43). Notice de Bonne de
Phelipeau (dite Bonne de S. Bernard) dans le volume de janvier (p. 72-80) et celle de Marie de
Saint Hyacinthe dans la deuxième partie du mois d’octobre (p. 577-622).
36. Frontispice de Pierre Landry. Burin, c. de pl. : 20, 5 x 15, 7 cm. Planche du mausolée entre les
pages 670 et 671. Graveur non identifié. Burin, c. de pl. : 20, 6 x 15 cm.
37. Année dominicaine ou Vie des Saints, des Bienheureux, des Martyrs et des autres personnes illustres ou
recommandables par leur piété de l’un et de l’autre sexe de l’Ordre des Fr. Prêcheurs, Lyon, X. Jevain,
impr.-éd., 1883-1902 ; Bureaux de la couronne de Marie, 1906-1909. Le frontispice du premier
volume est une reprise en héliogravure par Paul Dujardin (1843-1913) du frontispice de L’Année
dominicaine de 1678.
RÉSUMÉS
Tout au long du XVIIe siècle la littérature religieuse domine le monde de l’édition et le livre
hagiographique demeure le type prédominant dans les bibliothèques conventuelles et privées.
Mais lire la vie d’un saint ou d’un pieux personnage ne suffit pas à satisfaire la curiosité
spirituelle et la soif de modèles. L’image est requise tant elle donne à voir les différentes formes
d’expression de la sainteté baroque. C’est ainsi que L’Année dominicaine publiée dès 1670 par
Bernard de Vienne offrit progressivement en cent planches de porter le regard tant sur les saints
reconnus de l’Ordre des Prêcheurs que sur des contemporains dominicains à la vie pieuse, entre
Throughout the Seventeenth century, religious literature dominated the publishing world and
hagiography remains the major type in conventual and private libraries. But reading the life of a
saint or godly character is not enough for spiritual curiosity, nor the thirst for models. To see
different forms of the baroque holiness requires images. Thus L’Année dominicaine was published
in 1670 by Bernard de Vienne, bringing to light the pious lives of recognized saints of the Order
of Preachers as well as his contemporary Dominicans, manifesting the suffering they bore and
the sweetness of their divine consolations over the course of one hundred plates. Going beyond
the common typology of sanctity, the series of engravings edited by the Landry family questions
the history of iconographic canons and the repetition of old models fixed in the collective
memory. Retracing the stemma of the plates, however, depends upon the vagaries of their
conservation within printed books as well as within collections of prints. If the problematic is not
new, this series from the excudit of Landry seems to be forgotten, it merits a rediscovery.
INDEX
Index géographique : France
Index chronologique : 17e siècle
AUTEUR
CLAIRE ROUSSEAU
Doctorante en histoire de l’art (Paris IV-Sorbonne)
1 Fondé en 1672 par Jean Donneau de Visé, le Mercure galant est un périodique mondain
qui fonctionne selon un modèle littéraire issu de la sociabilité galante 1 : une fiction
épistolaire encadre une succession d’articles d’actualité, composés en prose et en vers,
variant les sujets, les genres et les tons. Les stratégies éditoriales et les moyens de
fidélisation du public mis en œuvre par Donneau de Visé sont relativement bien
connus : système d’abonnement ; usage de la publicité ; établissement d’une circulation
de l’information entre les différents volumes du périodique et, surtout, valorisation du
public mondain par un principe de collaboration proposé au lecteur, invité à être publié
dans le Mercure galant2. Or, parmi les stratégies de publication du Mercure galant, il en
est une, essentielle, dont le rôle a été largement sous-évalué : le choix de l’illustration
comme pièce maîtresse d’un nouveau programme éditorial que Donneau de Visé lance à
partir de janvier 1678. Après six ans de diffusion irrégulière, le Mercure galant est en
effet doté le 5 janvier 1678 d’un nouveau privilège qui consacre, on le sait, la
régularisation du périodique mondain en publication mensuelle. Fait notable, ce
privilège entérine également la place nouvelle de la gravure dans la diffusion du
Mercure galant par la défense faite « aux graveurs de graver, faire graver, imprimer et
vendre, mesme separément, aucunes des planches dudit nouveau Mercure Galant » 3. À
partir de cette date et jusqu’à la mort de son fondateur en 1710, le mensuel accueille
près de quatre cent cinquante estampes – plus du double si l’on compte les planches
musicales –, consacrées à des sujets hétérogènes, de formats variables, originales ou
issues de cuivres réemployés. Essentiellement concentrées sur la première décennie de
stabilisation du périodique, elles scandent les différents événements d’actualité
littéraire, artistique, historique, politique, architecturale, médicale, astronomique,
vestimentaire, etc. dont le Mercure galant se fait l’écho auprès du public de la capitale,
des provinces et de l’étranger4. Faute d’études d’ensemble, les moyens de production
des estampes, ainsi que leur fonctionnement au sein du périodique sont à ce jour
encore mal connus. L’on s’attachera ici principalement à identifier les enjeux
éditoriaux, poétiques, rhétoriques et historiographiques du programme d’illustration
au moment de sa mise en place par Donneau de Visé au tournant de l’année 1678. Le
fondateur et directeur du périodique construit en effet l’illustration comme un
événement qui renouvelle et resserre le rapport du lecteur à ce « livre » singulier et
tentaculaire que constitue le Mercure galant5. L’estampe rend alors visible l’élaboration
d’un régime d’historicité singulier, qui fait au sein du Mercure galant de la nouveauté
une valeur définitoire de ce qui est digne de mémoire.
toujours prest à jour nommé »13. Il faudra encore selon Donneau de Visé « établir
beaucoup de choses pour cela, et lier commerce avec bien des gens » 14. Mais, malgré les
difficultés financières et les conditions de production tendues du périodique, Donneau
de Visé paraît extrêmement résolu à mener à bien un programme d’illustration qu’il
s’applique à présenter comme nécessaire15. Quels bénéfices espère-t-il en retirer ?
Ill. 1. La Boissière, Frontispice du Mercure galant, 1678, eau-forte, 114 x 750, et titre gravé, 104 x
660, Mercure galant, janvier 1678, BNF, Arsenal, 8-H-26484
Ill. 2. Antoine Trouvain, Revers de médailles à la gloire de Louis le Grand, eau-forte et burin, 1678, 470
x 345, Extraordinaire du Mercure galant, quartier d’octobre 1678, t. IV, p. 349, conformément à l’Avis
pour placer les figures. BnF Arsenal, 8H-26484
10 Ce programme d’illustration est à la fois ambitieux par la diversité des sujets que
Donneau de Visé entend faire graver, et original par les procédés de collaboration qu’il
esquisse entre les acteurs du périodique et le public. Conforme à la « diversité »,
envisagée comme valeur cardinale de l’esthétique galante, le spectre générique des
« figures » est d’emblée présenté dans une extension généreuse. Les principaux genres
gravés du périodique sont annoncés : l’énigme en figure24 ; les airs notés25 ; les cartes de
galanterie26 ; les gravures de mode27 ; les inventions et les chefs-d’œuvre d’art28.
Dévoilée à l’avance, la diversité de ce programme d’illustration a vocation publicitaire :
il s’agit bien sûr d’aiguiser avant tout l’intérêt d’un vaste lectorat.
Ill. 3. Anonyme, La Comète et trois œufs, eau-forte et burin, 1681, 225 x 300 (dimensions prises sur
la grandeur maximale du dessin), Mercure galant, février 1681, p. 177, conformément à l’Avis pour
placer les figures. BNF, Arsenal, 8-H-26484
qu’on puisse graver sans embarras »32. La collaboration du public, enfin, est
particulièrement sollicitée pour les estampes conçues « à la gloire du roy ». Les
indications données dans les « Desseins proposez d’arc de triomphe, pyramides et
medailles à la gloire du roy, le tout embelly de figures, bas-reliefs, devises, inscriptions
et autres ornemens », précisent le format des dessins ainsi que les délais pour les faire
parvenir au directeur du Mercure galant :
On peut envoyer des desseins de toutes ces choses, faits par de bons peintres, sans
qu’il soit necessaire de les accompagner d’aucun discours, si ce n’est qu’on y veuille
joindre quelque ouvrage qui donne lieu de faire la description de ces monumens.
Les arts en peuvent élever de magnifiques pour reconnoistre ce que pendant la
guerre mesme, ce grand prince n’a pas cessé de faire pour eux. Chaque dessein ne doit
pas estre plus grand qu’une page de cet Extraordinaire, à cause du temps qui pourroit
manquer aux graveurs. Ceux des arcs de triomphe peuvent estre de la grandeur de
deux pages. Quant aux medailles, on doit aussi envoyer le dessein du revers. Elles ne
doivent estre guére plus grandes qu’une piece de trente sols, afin qu’en mettant le revers
à costé, l’un et l’autre puissent estre dans la largeur d’une page. Les desseins qui
viendront plus-tard que dans deux mois, ne pourront estre gravez faute de temps. A
Paris ce 14. d’octobre 167833.
12 Une illustration (ill. 2) publiée dans l’Extraordinaire suivant exemplifie parfaitement
l’extension à la fabrication de l’estampe du principe collaboratif qui sous-tend la
rédaction du Mercure galant. Autour d’un portrait du roi sont répartis quarante-deux
revers de médailles conçus par différents lecteurs du périodique, au sujet desquels
Donneau de Visé délivre quelques informations : monsieur Brossard de Montancy,
conseiller au siège présidial de Bourg-en-Bresse ; un avocat nommé Miconet et un abbé
du nom de Malement de Messange ; monsieur Roubin, de l’Académie royale d’Arles ;
monsieur Bonnecamp, médecin de Quimper, ainsi que, sans autre information,
messieurs Gardien, Robbe, Roux et d’Ablouville, contributeurs occasionnels du
périodique. Si les dess(e)ins de ces médailles reviennent principalement à différents
notables de province, tout porte à croire que Donneau de Visé décide alors seul des
choix de composition de la planche, comme le suggère notamment l’indication
suivante : « Il m’en reste [des revers de médailles] beaucoup sur la paix, que je n’ai
point employez ici faute de place. Ils auront leur tour dans une autre occasion. J’ay
choisy pour cette fois ceux qui ont le plus de rapport à la personne du roy » 34. Le soin de
graver la planche est enfin confié à Antoine Trouvain, dont la signature ne semble
toutefois revendiquer la paternité que du portrait central du roi, délicatement buriné,
qui contraste avec la facture moins soignée des revers de médailles, pour la réalisation
desquels Donneau de Visé a peut-être fait appel à d’autres graveurs.
Ill. 4. Pierre-Mathieu Ogier, La Vénus d’Arles, burin, 1680, 247 x 146, Mercure galant, mai 1685, p. 196,
conformément à l’Avis pour placer les figures, BNF, Arsenal, 8-H-26484
Ill. 5. [Jean Lepautre], Au Roy, eau-forte et burin, 1678, 493 x 364, Extraordinaire du Mercure galant,
quartier d’octobre 1678, t. IV, BnF Arsenal [8H-26484]. L’Avis pour placer les figures précise que « La
figure dans laquelle l’épistre au roy est gravée, doit estre au devant de la premiere page de la
matiere », n.p.
15 C’est par conséquent un rapport spécifique à l’écriture de l’histoire que donnent à voir
les estampes dans le Mercure galant, un rapport scripto-visuel fondé sur l’alliance de
l’actualité et de la mémoire. Furetière souligne le lien consubstantiel qui unit dans
l’imaginaire du XVIIe siècle la gravure à l’écriture : « Ce mot vient du Grec grapho, qui
signifie j’escris »41. Cette consubstantialité de l’écrit et de l’image dans le projet
historiographique particulier de Donneau de Visé est particulièrement ostensible dès
l’épître gravée au roi publiée dans l’Extraordinaire du Mercure galant du mois d’octobre
1678 (ill. 5), soit durant les premiers mois de l’illustration du périodique. Deux
Ill. 6. [Jean Lepautre d’après Jean I Berain], Garde-robes pour dames et pour hommes, eau-forte et
burin, 1678, 230 x 315, Extraordinaire du Mercure galant, quartier de janvier 1678, t. IV, p. 525,
conformément à l’Avis pour placer les figures. BnF Arsenal, 8H-26484
16 Mais le portrait du roi n’est que le centre visible d’une constellation d’illustrations bien
plus complexe. L’importance de la figure et des exploits du Roi Soleil, qui cimente le
projet viséen, autorise la publication d’une grande diversité d’images destinées à « fixer
les événements du temps présent en Histoire »48. Le traitement des exploits royaux
légitime en effet par analogie l’exploitation d’autres événements d’actualité dans une
perspective susceptible d’élever jusqu’au fait quotidien au rang d’événement digne de
mémoire. On pense par exemple à la rubrique de mode qui s’attache à fixer par l’image
ce que le meilleur de la cour porte « presentement49 » (ill. 6).
17 Si la promotion de l’image royale accompagne l’essor du programme d’illustration qui
enrichit le Mercure galant en 1678, la baisse du nombre des illustrations qui intervient
moins d’une décennie plus tard50 laisse supposer que le poids des changements
institutionnels et politiques qui suivent notamment la mort de Colbert et la Révocation
de l’Édit de Nantes auront freiné les ambitions de Donneau de Visé s’agissant de
l’illustration de son périodique. Et s’il est trop tôt pour tirer des conclusions générales
d’un programme d’illustration qui s’étend sur trente-deux ans, on peut néanmoins
souligner que l’estampe joue un rôle essentiel au moment du lancement mensuel du
Mercure galant en 1678. Outre des enjeux esthétiques, informatifs et cognitifs, elle revêt
des fonctions rhétoriques et poétiques importantes dans la publication du Mercure
galant : elle doit persuader le lecteur de l’authenticité de l’imprimé et assurer la liaison
d’une matière textuelle hétérogène. Mieux : associée à l’enregistrement d’un
événement majeur pour la postérité, la gravure accomplit visuellement un geste
historiographique singulier. D’une part, l’accumulation d’événements d’actualité, dans
le Mercure galant, pointe déjà vers l’économie médiatique qui caractérise aujourd’hui
selon François Hartog51 un régime d’historicité présentiste, délié du passé et méfiant à
l’égard de l’avenir. Mais d’autre part, l’éloge royal qui aimante les discours du Mercure
galant, conduit à privilégier un ancien régime d’historicité, par l’inscription dans une
temporalité longue d’événements potentiellement illustrés, au sens plein, par la
gravure. L’estampe apparaît alors comme la meilleure alliée de l’écriture pour fixer
tout récit, fût-il ou non d’actualité, au « temple de mémoire ».
NOTES
1. S’agissant des pratiques et des formes littéraires de la sociabilité galante, on se rapportera aux
travaux de référence de Delphine Denis, Le Parnasse galant. Institution d’une catégorie littéraire au
XVIIe siècle, Paris, Champion, 2001 et d’Alain Viala, La France galante. Essai historique sur une catégorie
culturelle, de ses origines jusqu’à la Révolution, Paris, PUF, 2008.
2. Sur le Mercure galant, voir notamment Pierre Mélèse, Un homme de lettres au temps du grand roi.
Donneau de Visé fondateur du Mercure galant, Genève, Droz, 1936 ; Monique Vincent, Le Mercure
galant. Présentation de la première revue féminine d’information et de culture 1672-1710, Paris,
Champion, 2005 ; Anne-Élisabeth Spica, « Identité sociale et code linguistique : le discours
emblématique et ses commentaires dans le Mercure galant (1672-1692), Europe XVI-XVII, n° 7, 2006,
p. 57-70 ; Sara Harvey, « La critique littéraire dans le Mercure galant de Donneau de Visé
(1672-1710) : lorsque la galanterie rencontre les exigences d’une politique culturelle », dans La
Médiatisation du littéraire dans l’Europe des XVIIe et XVIIIe siècles , Tübingen, Gunter Narr, 2013,
p. 131-141 ; François Moureau, « Du Mercure galant au Mercure de France : structure et évolution
éditoriales (1672-1724), dans Lévrier, Alexis et Wrona, Adeline (dir.), Matière et esprit du journal. Du
Mercure galant à Twitter, Paris, PUPS, 2013, p. 25-47 ; et Christophe Schuwey, « Le Mercure galant :
un recueil interactif », Cahiers du dix-septième siècle, volume XVI, à paraître.
3. Privilège du Mercure galant, 5 janvier 1678, n.p. L’abrégé du privilège publié dans les volumes
suivants réitère la protection des gravures du Mercure galant.
4. Un catalogue en ligne des estampes du Mercure galant est en cours de d’élaboration, à paraître
sur le site de l’OBVIL/Université de Paris-Sorbonne, au sein du « Programme Mercure galant »
dirigé par Anne Piéjus, http://obvil.paris-sorbonne.fr/projets/mercure-galant. Le principal
instrument à disposition actuellement pour dégager les tendances de l’illustration au sein du
Mercure galant est, bien qu’incomplet, l’inventaire des gravures procuré par Monique Vincent,
dans Mercure galant. Extraordinaires. Affaires du temps. Table analytique contenant l’inventaire de tous
les articles publiés (1672-1710), Paris, Champion, 1998, p. 693-718. Selon ce document, la parité des
planches musicales et des autres sujets gravés est maintenue (avec une légère prépondérance des
planches non musicales) jusqu’en août 1684, à raison d’environ deux planches de musique et de
deux « figures » par volume. La cadence passe alors à environ deux chansons pour une planche.
Durant les années qui séparent les livraisons d’octobre 1691 et de janvier 1698, les
« embellissements » du Mercure galant se réduisent à environ une chanson et une planche par
volume. Au-delà de cette date, les planches musicales deviennent très nettement majoritaires,
puisque jusqu’en mai 1710, dernier numéro publié sous la responsabilité de Donneau de Visé, on
dénombre 232 airs notés pour une trentaine de planches figuratives seulement. Pour provisoires
qu’ils soient, ces chiffres suggèrent que les efforts d’illustration de Donneau de Visé, s’agissant
des planches gravées non musicales, se concentrent sur la période qui précède l’année 1684, date
l’ouvrage de Terrin arrivait à échéance, ce qui laisse supposer que Donneau de Visé a pu acquérir
la planche à un prix avantageux.
41. Furetière, Dictionnaire (1690). Erronée, l’étymologie atteste néanmoins la similitude qui unit
dans l’imaginaire du XVIIe siècle le maniement du burin et celui de la plume. Selon le Dictionnaire
historique de la langue française, t. II, p. 1633, le verbe graver vient de l’ancien francique graban qui a
donné en allemand graben, creuser. Il prend son sens moderne de « tracer sur une matière dure
en l’entaillant » au XVe siècle et signifie au sens figuré, depuis le XVIe siècle « rendre durable » et,
e
au XVII siècle « rendre manifeste, par quelque chose de remarquable ».
42. Gravures au second degré, les compartiments figurent des places « demeurées à la France » et
d’autres offertes « au repos de l’Europe ». Sur la mise en abyme en gravure, voir Bénédicte Gady,
« La gravure dans la gravure. Exercices visuels et sémantiques », dans L’Estampe au Grand Siècle,
op. cit., p. 449-462. La gravure, contrairement aux arts de la peinture, de la sculpture et de
l’architecture, est privée de représentation allégorique propre, et « n’a [par conséquent] guère le
droit que de perpétuer le souvenir de ces touchantes réunions de famille », art. cit. p. 450.
43. Christophe Schuwey, « Le Mercure galant : un recueil interactif », art. cit.
44. Louis Marin, Le Portrait du roi, Paris, Minuit, 1981, notamment p. 68-70.
45. Extraordinaire du Mercure galant, quartier d’octobre, tome IV, p. 349.
46. Voir à ce propos Marianne Grivel, Le Commerce de l’estampe à Paris au XVIIe siècle, Genève, Droz,
1986, p. 181-190.
47. André Félibien, Les Quatre elemens peints par Mr Le Brun et mis en tapisseries pour sa Majesté
[1671], dans Recueil de descriptions de peintures et d’autres ouvrages faits pour le Roy, Marbre-
Cramoisy, 1689 p. 97-98. Je remercie Christian Michel d’avoir attiré mon attention sur ce texte.
48. Sara Harvey, art. cit., p. 140.
49. Extraordinaire du Mercure galant, quartier de janvier 1678, p. 521.
50. Près de la moitié des gravures d’illustration sont publiées entre 1678 et 1683, soit durant les
six premières années d’un programme d’illustration qui s’étend de 1678 jusqu’à la mort de
Donneau de Visé en 1710.
51. François Hartog, Régime d’historicité, Paris, Seuil, 2003.
RÉSUMÉS
Périodique mondain fondé en 1672 par Jean Donneau de Visé, le Mercure galant est doté au
tournant de l’année 1678 d’un programme d’illustration significatif qui se maintient jusqu’à la
mort de son fondateur et directeur en 1710. Le présent article s’attache à identifier ses fonctions
principales (éditoriales, poétiques et historiographiques) au moment de sa mise en place.
Donneau de Visé construit en effet l’illustration du périodique comme un évènement destiné à
fidéliser un large lectorat. Mais surtout : entretenant un rapport étroit avec la promotion de
l’image royale, l’estampe dans le périodique rend visible l’élaboration d’un régime d’historicité
singulier, qui fait de la nouveauté une valeur définitoire de ce qui est digne de mémoire.
Jean Donneau de Visé created the socialite gazette le Mercure galant in 1672, and in 1678 the
magazine became heavily illustrated. In this article we study how Donneau de Visé developed
this new pictorial component, which remained part of the gazette until his death in 1710. We
show he meant it as a way to build up a loyal audience, and used it for editorial, poetic and
historiographic purposes. Beyond this, prints were a medium tightly linked to royal propaganda,
and this era of the Mercure galant illustrates a changing relation to history, where novelty
becomes the defining feature of what constitutes a historic event.
INDEX
Index géographique : France
Index chronologique : 17e siècle
AUTEUR
BARBARA SELMECI CASTIONI
Collaboratrice scientifique FNS/université de Bâle
Ill. 1. Anonyme, Madame Lucie de Tourville de Cotentin, Marquise de Gouville, gravure à l’eau-forte et
au burin publiée par Claude-Auguste Berey, vers 1695-1700, 27,5 x 18,5 cm. BnF, Arsenal, Est-373,
fol. 66
4 Le succès des écrans transparaît dans la façon dont les graveurs les ont représentés
dans leurs estampes. Plusieurs les montrent en situation dans la main d’une dame qui, à
proximité d’un âtre, se protège le visage. Des exemples se trouvent chez Abraham Bosse
(notamment dans sa série sur les Vierges folles et les vierges sages) comme dans le
domaine des facéties8 ; ils sont particulièrement nombreux dans le cas des allégories de
L’Hiver comme celles publiées par Gilles Rousselet, Philippe I er Huart ou Pierre Mariette,
auxquelles les écrans fournirent un attribut parfaitement adapté, rappelant par
glissement la chaleur du feu et de la cheminée9.
5 Les gravures de mode produites à partir des années 1670 permirent quant à elles la
mise en place d’un véritable « modèle-type » que l’on retrouve chez des artistes et
éditeurs comme Jean Dieu de Saint-Jean, Nicolas Arnoult, Jean Mariette et les frères
Bonnart10. L’Hiver, exécuté par Nicolas Ier Bonnart d’après un dessin de son frère Robert,
offre, dans les mains d’une jeune femme coiffée d’une fontange, portant un long
manteau doublé d’hermine cintré à la taille, un écran d’assez grande taille au manche
en bois tourné « à pommette11 » ; l’écran lui-même n’est maintenu que d’un seul côté
par le manche, qui vient se ficher dans l’axe tout en permettant la rotation de
l’estampe. Claude-Auguste Berey et François-Gérard Jollain employèrent le même
dispositif, faisant intervenir une dame richement habillée, assise dans un fauteuil face à
une cheminée et tenant à la main un écran (ill. 1)12.
Ill. 2. Anonyme d’après Claude Simpol ( ?), La Revendeuse, gravure à l’eau-forte et au burin publiée
par Jean Mariette, vers 1695-1705, 28 x 19 cm. BnF, Estampes, Hennin, 6605
main gauche, tient entre le pouce et l’index de sa main droite le manche d’un écran à
angles aigus ; l’image de celui-ci est sans équivoque la reprise d’une autre estampe
publiée par le même éditeur, Le Grand Triomphateur ou le Libraire ambulant, personnage
dont l’avantage est décrit dans la lettre qui accompagne la planche (ill. 4) :
Un autre moins fameux libraire / pourra se contenter d’un pilier du palais // Mais
pour le débit que je fais / Paris entier m’est nécessaire 18.
Ill. 3. Anonyme, Dame vêtue à la sultane (état I/II), gravure à l’eau-forte et au burin publiée par Henri
II Bonnart, vers 1688-1698, 28 x 19 cm. BnF, Arsenal, Est-373, fol. 134
8 Cette estampe fut probablement réalisée dans les années 1680 d’après un dessin de
Henri II Bonnart qui affectionnait les types physiques d’hommes mûrs au visage très
caractéristique (grands yeux, sourcils se rejoignant en apostrophes au-dessus du nez,
pommettes saillantes)19 ; elle appartient à une importante suite de Métiers et Cris de Paris
publiée par les frères Bonnart à L’Aigle et au Coq qui représentait différents gagne-pains
exercés dans la capitale, pris pour la plupart dans la sphère du petit commerce
ambulant. Inaugurant les séries ouvertes dans lesquelles s’illustra la famille Bonnart 20,
enrichies durant plusieurs années, ces Cris aux caractéristiques formelles similaires
furent édités pour vingt-neuf d’entre eux au Coq et vingt-et-un à L’Aigle 21. À côté des
signatures des propriétaires de ces deux enseignes – respectivement Henri II et
Nicolas Ier – on y retrouve la main de leurs deux jeunes frères, Jean-Baptiste et Robert
Bonnart, qui livrèrent des dessins préparatoires, sans doute à des périodes différentes,
tout en effectuant également des travaux de gravure22.
Ill. 4. Anonyme d’après Henri II Bonnart ( ?), Le Grand Triomphateur ou le Libraire ambulant (état I/II),
gravure à l’eau-forte et au burin publiée par Henri II Bonnart, vers 1680-1690, 28 x 19 cm. BnF,
Estampes, Oa 53 pet fol, fol. 17
Ill. 5. Jean-Baptiste Bonnart, Fille de la Charité servant les malades, gravure à l’eau-forte et au burin
publiée par Henri II Bonnart, vers 1680-1686, 27,5 x 19,5 cm. BnF, Estampes, Hennin, 5087
10 Comme d’autres planches de cette suite éditées au Coq, la plaque du Libraire ambulant
fut déclinée en deux états ; le second, s’il ne marque pas une réelle évolution de
l’iconographie ou du sens de la composition, dénote un souci commercial particulier à
Henri II, qui fut indubitablement le plus actif des frères Bonnart dans le recyclage et
l’optimisation de ses cuivres. Né en 1642 à Paris, ce dernier s’installa à son compte à
l’enseigne du Coq en juillet 1677 25 ; il avait auparavant appris et pratiqué les métiers de
graveur, d’imprimeur en taille-douce et probablement de marchand dans la boutique
de ses parents dont il s’occupait avec son frère aîné ; tout en exerçant des fonctions
importantes au sein de l’académie de Saint-Luc où il avait été reçu comme peintre en
1671, il développa un commerce florissant à l’échelle européenne. Employant des
graveurs en plus de ses frères, il édita de nombreuses compositions déclinées en
plusieurs états, parfois en versions voilées/dévoilées, afin d’obtenir un maximum de
rentabilité ; certaines d’entre elles furent même, par une adaptation de la lettre ou un
travail en coédition avec des marchands étrangers, rendues aptes à séduire les marchés
espagnol ou italien26. Probablement gravé par ses soins, le cuivre du Libraire ambulant
représente le marchand en pied, corps tourné vers la gauche et visage vers la droite,
souriant d’un air goguenard, portant sur lui sa marchandise, les livres en feuille
s’apercevant dans les poches de sa veste et sur le pourtour de son chapeau, ainsi que
dans ses deux besaces dont les lanières se croisent sur sa poitrine ; cette spécificité le
démarque des autres Cris, qui portent généralement des hottes ou de grands paniers. Se
tenant à l’aide de deux cannes, légèrement courbé et barbu, il présente le physique
abîmé attendu des libraires ambulants, traditionnellement recrutés parmi les
compagnons imprimeurs devenus incapables de travailler.
11 Il ne saurait être ici question de refaire l’histoire de la librairie parisienne, de longues
études et de passionnants travaux ayant déjà traité le sujet 27. Il importe néanmoins de
rappeler que l’édition fut, depuis le début du XVIe siècle et en conséquence des guerres
de religion, très encadrée, surveillée et censurée. L’université de Paris interdit, à partir
de 1517, de nombreux écrits de Luther ou de ses disciples avant de faire paraître un
catalogue d’ouvrages proscrits28, soutenu par un arrêt du Parlement proclamé dans les
rues de Paris le 28 juin 1545. Dès le début du XVIIe siècle, le pouvoir royal prit la main
sur la production imprimée et déposséda l’université de son droit de censure. La grande
chancellerie eut le pouvoir d’accorder ou non des permissions ou des privilèges. Cette
nouvelle forme de contrôle favorisa les grands libraires parisiens tout en les inféodant
au pouvoir politique. Furent distribuées des charges d’« imprimeur du roi » pour la
publication des actes officiels et des « continuations de privilèges » assurant une
protection et une exclusivité temporaires sur les titres requis.
12 Les imprimeurs ne se cantonnaient cependant pas à l’édition de livres. En l’absence de
périodiques, ils informaient aussi leurs lecteurs avides de nouvelles à l’aide de petites
brochures ou même de feuilles volantes, voire d’almanachs, rapidement imprimés et
vite vendus. Dans le premier XVIIe siècle, des centaines de milliers de ces bulletins et de
ces feuilles furent commercialisées29. Les murs se couvraient de placards officiels aux
armes du roi mais aussi d’affiches « publicitaires » ou encore de feuilles à caractère
injurieux. Ce fut un canal privilégié pour toucher l’opinion publique sur les
controverses politiques, notamment sous la forme de libelles et pamphlets s’en prenant
violemment au roi ou à son gouvernement. Au milieu du XVIIe siècle, la production des
mazarinades fut autant impressionnante qu’incontrôlable. Alain Riffaud souligne que la
période de la Fronde fut « marquée par le foisonnement des pamphlets et libelles,
surtout dirigés contre Mazarin dont la “vie [était] un sujet inépuisable pour les auteurs,
et infatigable pour les imprimeurs”. C’[était] le temps où “une moitié de Paris
[imprimait] ou [vendait] des imprimés, [où] l’autre en [composait et où] les colporteurs
[courbaient] sous le poids de leurs imprimés au sortir de nos portes” 30 ».
13 À côté des libraires installés et de la voie d’affichage, différents canaux se chargeaient
de la diffusion de l’imprimé : des merciers ambulants, ou « marchands mercier »,
autorisés à vendre des almanachs ou des ouvrages destinés à l’apprentissage de la
lecture31, mais aussi des colporteurs de livres – groupe auquel appartient le Libraire
ambulant –, qui posèrent de nombreux problèmes au pouvoir.
14 Le terme moderne de « colporteur » est empreint d’une forte connotation péjorative,
« colporter » étant associé aux nouvelles, le plus souvent aux mauvaises nouvelles,
voire aux rumeurs. Cette connotation était en adéquation avec le continuel agacement
des hautes autorités qui, malgré les multiples arrêtés et ordonnances, eurent bien du
mal à contrôler les membres actifs de cette profession itinérante. Si des listes pouvaient
être dressées pour condamner des livres interdits, et si la censure puis le système des
privilèges permettaient un certain contrôle des imprimeurs et des libraires ayant
pignon sur rue, il en allait évidemment tout autrement des marchands ambulants qui
portaient leur marchandise sur eux ou qui avaient la possibilité de faire des étals
mobiles et facilement démontables.
15 Au début du XVIIe siècle, seuls vingt-quatre colporteurs « autorisés » se partageaient le
quartier du Palais et celui du Châtelet. Ils étaient chargés de publier les édits, arrêts et
autres déclarations. Pendant la période de la Fronde, leur nombre augmenta de façon
exponentielle au prorata de la production massive des libelles et des pamphlets. Ce
nombre fut ramené à cent en avril 165332. Dix ans plus tard, il était interdit de colporter
à moins d’y être officiellement autorisé. Afin d’exercer un contrôle « à la source », on
Ill. 6. Anonyme d’après Henri II Bonnart ( ?), Le Grand Triomphateur ou le Libraire ambulant (état II/II),
gravure à l’eau-forte et au burin publiée par Henri II Bonnart, vers 1698-1711, 28 x 19 cm. BnF,
Estampes, Hennin, 6228
26 À côté de ce deuxième état, le Libraire ambulant eut également droit à une seconde
planche, en lien avec la première image, à laquelle elle répond directement. Le Grand
Triomphateur, debout et souriant malgré ses cannes, réapparaît en effet sous la forme
d’un Grand Triomphateur desolé, en colère, assis sur un banc de pierre à l’avant d’un mur
sur lequel se trouve, à droite, placardée, une représentation de la première estampe 50
(ill. 7). Bien que le personnage paraisse plus robuste dans cette seconde planche que
dans la première, plusieurs similitudes émergent entre les images : d’abord dans les
traits du visage et la conservation du costume, mais aussi dans le titre qui est inscrit –
fait unique dans la série – en haut à gauche à l’intérieur même de la composition dans
la deuxième image. Présente à travers le procédé d’image dans l’image, qui rappelle
celui employé pour l’écran de la Dame vêtue à la sultane, la référence à l’estampe du
Libraire ambulant se poursuit dans la lettre qui prend place en partie basse, tout entière
construite en réponse à la première image et en rapport étroit avec le quatrain
accompagnant cette dernière.
Ill. 7. Anonyme d’après Henri II Bonnart ( ?), Le Grand Triomphateur désolé, gravure à l’eau-forte et au
burin publiée par Henri II Bonnart, vers 1690-1698, 31,5 x 18,5 cm (deux cuivres). BnF, Estampes,
Oa 53 pet fol, fol. 16
Ill. 8. Anonyme d’après Henri II Bonnart ( ?), Le Grand Triomphateur désolé, petit format, gravure à
l’eau-forte et au burin publiée par Henri II Bonnart, vers 1690-1711, 12,5 x 9,5 cm. BnF, Estampes,
Oa 53 pet fol, fol. 16
Ill. 9. Anonyme, L’Homme de paille, Apollon du Pont-Neuf, gravure à l’eau-forte et au burin publiée par
Henri II Bonnart, vers 1692-1711, 15 x 10,5 cm. BnF, Estampes, Oa 53 pet fol, fol. 7
Ill. 10. (D’après ?) Ed. Hebve, Le Libraire ambulant au dix-septième siècle. – D’après un dessin du
cabinet des estampes de la Bibliothèque royale, gravure sur bois debout publiée dans Le Magasin
pittoresque, 1846, 14,5 x 8 cm. BnF, Estampes, Ya1 – 139 – 4, 14ème année (1846), p. 264
31 Si l’hypothèse d’un personnage réel est très séduisante, celui-ci demeure encore non
identifié ; son surnom de « Grand Triomphateur » – probable référence parodique aux
généraux romains victorieux, qualifiés de la sorte lorsqu’ils entraient en triomphe dans
Rome57– n’a, à notre connaissance, guère été relayé par la littérature ou les gazettes de
son temps. La liste des noms de colporteurs ayant eu maille à partir avec la justice dans
les années 1688-1710 ne permet pas davantage de découvrir avec certitude son identité
que la consultation des actes émanés de Louis XIV, expédiés par le secrétaire de la
Maison du Roi, qui mentionnent par exemple le sieur Charon, colporteur de libelles
enfermé dans un château en 169458, ou encore Jean Friquet, colporteur de livres
défendus59. Tenter d’y voir Poullin, Soulage, Nicolas La Combe, Pierre Duval, tous
colporteurs en tort, avec quelques femmes, mentionnés, dans un rapport rédigé en
avril 1702 par Claude Belot, conseiller du Roy et bailli du Palais de Paris 60, ou encore
Gonet dit La Chapelle, « colporteur de mauvais livres prisonier a la Bastille », « homme
d’esprit et tres entendu dans le comerce » de ces derniers61, semble tout aussi arbitraire
que de piocher parmi la liste des colporteurs de la ville & faubourgs de Paris établie par
arrêt du parlement du 26 août 171162. Par ailleurs rien ne prouve qu’il bénéficiât de ce
« statut des colporteurs ». Suivre sa trace n’est pas même facilité par un rapport de
police relativement tardif conservé dans la collection Anisson dans lequel figure une
épreuve du Grand Triomphateur : si ce texte, accompagné de deux estampes, indique
qu’« il y avoit aussy dans ce tems un colporteur de reputation qui a été gravé », il est
malheureusement très maigre et semble relativement sujet à caution, ne serait-ce que
par ce qu’il paraît dater la pièce « du temps de la minorité de Louis 14 63 ». Aucune de ces
pistes ne donne malheureusement de résultat satisfaisant : si les déboires des libraires
ambulants ne manquent pas dans les archives, il apparaît bien difficile de trouver un
véritable indice qui permettrait d’attribuer un nom au personnage commercialisé par
Henri II.
32 L’Intermédiaire des chercheurs et curieux, périodique fondé en 1863 sur le modèle du Notes
and Queries anglais, rejeta d’ailleurs cette option : dans son courrier des lecteurs se
trouve l’affirmation que cette estampe publiée par Henri II Bonnart est une
représentation « purement allégorique ». À un collaborateur posant la question de
l’identité du libraire64, l’amateur et collectionneur Valentin Mourié, de Saint-Florent-
sur-Cher, répondit en effet, en 1883 :
L’estampe (…) “Le grand triomphateur ou le libraire ambulant” me paraît purement
allégorique. En 1649, les libraires en boutique, jaloux de leurs confrères libraires
s’en allant la balle sur le dos, et afin de rehausser à Paris et en province l’éclat de la
libraire, il fut défendu de “par le Roy” d’avoir boutique portative, ni étalages à Paris
sur les quais du Pont-Neuf et autres. Il résulte de ceci que les libraires en boutique
étaient des hommes instruits (de nos jours, depuis 1870 surtout, cela se passe
autrement), desquels on exigeait, préalablement à l’exercice de cette profession, la
connaissance des langues grecque et latine. – Les libraires forains exerçaient en
dehors de ces formalités. – Voilà pourquoi Paris entier était nécessaire à ces
forains65.
33 On peut rester peu convaincu par une telle argumentation et circonspect quant à la
parfaite maîtrise du latin et du grec des libraires du Palais ; il paraît toutefois justifié de
se demander pourquoi le Libraire ambulant, assez clairement inclus dans la suite des
Métiers et Cris de Paris, serait un individu spécifique alors que les autres personnages
sont clairement des types généraux – seuls Le Vielleur Boniface et l’ Homme de paille,
l’Apollon du Pont-Neuf, qui se distingue par son petit format, semblent pouvoir être
rattachés à un être précis.
34 Néanmoins, on ne peut manquer de relever une analogie entre le Grand triomphateur
désolé et un autre personnage truculent connu par l’estampe ; le libraire ambulant n’est
en effet pas sans rappeler, par sa mise comme par sa figure et ses manières, par le mur
même devant lequel il est assis, un certain Guillaume de Limoges, surnommé le Gaillard
boiteux. Apparemment rendu célèbre par les chansons qu’il entonnait et vendait sous
forme de livrets ou de feuilles volantes sur le Pont-Neuf, cet homme fut salué par un
portrait d’assez grandes dimensions signé Girard Audran et une pièce de François
Couperin intitulée Le Gaillard-Boiteux, publiée en 172266. Le portrait gravé le représente
en situation, en train de chanter, coiffé d’un mauvais chapeau, muni de deux cannes,
assis sur un mur couvert de graffitis derrière lequel s’aperçoivent nettement le Collège
des Quatre-Nations et le Louvre (Ill. 11) ; cette planche fut d’ailleurs, dans son dernier
état, publiée par Henri II Bonnart lui-même, avant que son fils Jean-Baptiste-Henri ne la
reprenne en contrepartie67.
Ill. 11. Girard Audran, Guillaume de Limoges (état IV/IV), gravure à l’eau-forte et au burin publiée par
Henri II Bonnart, vers 1698-1710, 50 x 33 cm. BnF, Estampes, N3, D 289497 (vol. 52), Limoges
Ill. 12. Anonyme, Le Gaillard Boiteux, gravure à l’eau-forte et au burin publiée par Jean-Baptiste-
Henri Bonnart, vers 1708-1720, 28,5 x 20 cm. BnF, Arsenal, Est-378, fol. 135
37 Comme l’a souligné Florence Gétreau, cette planche fait référence à un contexte
particulier, celui de la querelle entre la communauté de Saint-Julien des Ménestriers et
les musiciens « harmonistes », revendiquant la « Noblesse » de leur art 71 – un contexte
qui rappelle de façon étonnante celui de la lutte entre libraires installés et libraires
ambulants, et plus largement la question de la liberté des métiers face aux maîtrises et
communautés, problématique particulièrement exacerbée au XVIIe siècle. D’un côté se
trouvait le monopole de la confrérie de Saint-Julien des Ménestriers, et de l’autre, les
musiciens, professeurs et compositeurs qui, comme le jeune François Couperin,
refusaient de se faire recevoir maîtres ; revendiquant la noblesse et la libéralité de leur
art, issu d’un savoir académique, ces derniers se trouvaient paradoxalement dans la
même position que les chanteurs populaires qui, ne faisant pas partie de la corporation,
étaient assimilés aux colporteurs et marchands ambulants et soumis à une législation
spécifique, puisque leurs textes devaient « être approuvés par le Lieutenant général de
police avant d’être [imprimés] ».
38 L’exemple de la planche d’Audran donna-t-il l’idée à Henri II Bonnart de publier une
suite à son Libraire ambulant ? On ne peut en effet qu’être frappé par la similitude des
enjeux qui sous-tendent ces images, traitées sur le mode burlesque, ainsi que par la
grande proximité des deux figures, restituées sous l’apparence d’un personnage
débraillé, hâbleur, à la barbe hirsute, se servant de cannes et portant une besace d’où
sortent des feuilles imprimées. L’apparition du libraire sur deux estampes successives
permit d’ailleurs de poursuivre la fable esquissée par la première lettre, donnant au
récit un prolongement conforme au goût du XVIIe pour les histoires et les anecdotes,
dont la « fable » du Meunier à l’anneau et les innombrables Historiettes relatées par
Tallemant des Réaux sont des exemples typiques.
NOTES
1. Voir Georges Forestier, Le Théâtre dans le théâtre sur la scène française du XVIIe siècle [1981],
Genève, Droz, 1996.
2. Voir Bénédicte Gady, « La Gravure dans la gravure, exercices visuels et sémantiques », Barbara
Brejon de Lavergnée, Peter Fuhring, Marianne Grivel et al., L’Estampe au Grand Siècle : études
offertes à Maxime Préaud, Paris, École nationale des Chartes/Bibliothèque nationale de France,
2010 p. 449-462.
3. Voir L’Étude du procureur d’Abraham Bosse, dans laquelle figure au mur un almanach pour
l’année 1633 (José Lothe, L’Œuvre gravé d’Abraham Bosse, graveur parisien du XVII e siècle, Paris, Paris-
Musées, 2008, p. 261, n° 245).
4. Voir Le Maître d’école d’Abraham Bosse, dans laquelle figure au mur un almanach pour l’année
1638, publié en coédition avec Melchior Tavernier (José Lothe, op. cit., p. 263, n° 250).
5. Voir Jules Lieure, Jacques Callot , Paris, éd. de la Gazette des beaux-arts, 3 vol. , 1924-1929,
cat. n° 302, t. II, p. 2-3.
6. José Lothe, L’Œuvre gravé d’Abraham Bosse […], op. cit., p. 267, n° 271.
7. Sur l’histoire de l’éventail, voir par exemple Pascal Payen-Appenzeller, Éventails, Paris,
Parangon, 2000 ; Le Siècle d’or de l’éventail, de Louis XIV à Marie-Antoinette, Paris, 14 novembre
2013-2 mars 2014, catalogue établi par Georgina Letourmy-Bordier et José de Los Llanos, Dijon,
Faton, 2013. Sur l’histoire et les représentations de l’écran de feu à main, censé permettre aux
dames de préserver leur teint, leurs mouches et leur maquillage de la vive chaleur des
cheminées, voir Philippe Cornuaille, « L’écran rond de feu à main du XVIIe siècle », Le Vieux papier,
416, 2015, p. 443-453 et la suite à paraître dans Le Vieux papier, 417. Sur les écrans du XVIIIe siècle,
voir la série de dix articles qui leur furent consacrés par Georgina Letourmy et Daniel Crépin, Le
Vieux Papier, 403-411, de janvier 2012 à avril 2014 ou encore Nathalie Rizzoni, « De la scène à
l’écran au XVIIIe siècle : Les Petits comédiens de Charles-François Pannard, Iconographie théâtrale
et genre dramatique », dans Gilles Declercq et Jean de Guardia (dir.), Iconographie théâtrale et
genres dramatiques, Paris, Presses de la Sorbonne-Nouvelle, 2008.
8. José Lothe, L’Œuvre gravé d’Abraham Bosse…, op. cit., p. 161, n° 18.
9. Gilles Rousselet, L’Hiver, BnF, Estampes, Ed-40 a, p. 21-22 ; Philippe I er Huart, Miroir des
courtisanes du XVIIe siècle, BnF, Estampes, Oa-46-fol., p. 104 ; Pierre Mariette, L’Hiver, BnF, Estampes,
Hennin, 3045.
10. Nicolas Arnoult, L’Hiver, BnF, Estampes, Hennin, 6279 ; Jean Mariette, Décembre, BnF,
Estampes, Hennin, 5867.
11. Nicolas Ier Bonnart, L’Hiver, BnF, Estampes, Hennin, 6287.
12. Claude-Auguste Berey, Madame Lucie de Tourville de Cotentin, Marquise de Gouville, BnF, Arsenal,
Est-373 (66) ; François-Gérard Jollain, Dame de qualité en surtout d’Hiver, BnF Arsenal, Est-379 (78).
13. Voir Pierre Mariette, n. 9.
14. BnF, Estampes, Hennin, 2690.
15. BnF, Estampes, Hennin, 4831.
16. La Revendeuse, BnF, Estampes, Hennin, 6605.
17. Cette estampe, déclinée en deux états, montre une dame habillée d’une robe en vogue à partir
de l’année 1688, appelée la sultane. BnF, Estampes, Oa-51 pet fol, fol. 48 et Oa-62-pet fol, fol. 9.
18. BnF, Estampes, Oa-53-pet fol, fol. 17.
19. Très proche de celui du Crieur d’eau-de-vie ou du Réparateur de la chaussure humaine, le visage
du Grand Triomphateur n’est pas non plus sans évoquer ceux d’autres estampes de
Henri II Bonnart dont on connaît des dessins préparatoires, comme celui du Janissaire en faction
(BnF, Estampe, Rés-B-6-e boîte in-fol) ou de divers protagonistes de La Ligue malade (BnF,
Estampes, Rés. B 11 a boîte format 4). Voir Barbara Brejon de Lavergnée dir., Dessins français du
XVIIe siècle, Inventaire de la collection de la Réserve du Département des Estampes et de la Photographie,
Paris, BnF, 2014, nos 17 et 18.
20. Sur la famille Bonnart, qui œuvra dans la production et le commerce d’estampes durant
quatre générations, voir Pascale Cugy, La Dynastie Bonnart et les bonnarts. Étude d’une famille
d’artistes et producteurs de « modes », Thèse de doctorat de l’université Paris-Sorbonne sous la
direction de Marianne Grivel, 2013, 4 vol.
21. Le décompte exact des planches est rendu particulièrement complexe par le flou entretenu
entre certains Métiers et les images de mode, mais aussi par la variation des formats, des auteurs
du dessin ou de la gravure (outre les quatre frères Bonnart, les frères Gérard-Jean-Baptiste et
Jean-Baptiste Scotin réalisèrent également certaines plaques) voire des éditeurs – les deux frères
pouvant vendre successivement une même plaque –, qui suggèrent une réalisation sur plusieurs
années, probablement avec de longues interruptions. Ce mode de production est typique de la
dynastie Bonnart, dont les membres laissaient toujours, sauf dans le cas de planches précisément
numérotées, la porte ouverte à un enrichissement du nombre de plaques de leurs différentes
séries.
22. Les dessins préparatoires de Robert Bonnart datent vraisemblablement du début des années
1690, tandis que ceux de Jean-Baptiste Bonnart, plus anciens, furent sans doute réalisés avant
1686. La signature de ce dernier se trouve sur seize compositions de la suite, le plus souvent sous
la forme « J. Bonnart f. ».
23. Roger-Armand Weigert, Inventaire du fonds français, graveurs du XVIIe siècle [en italique
bien sûr ; je n’arrive pas à le faire avec ma boîte mail], tome II, Paris, Bibliothèque nationale,
1951, p. 136, n° 226-232.
24. Particulièrement soucieux de son apparence, le Financier publié – et probablement dessiné et
gravé – par Nicolas Ier Bonnart peut ainsi indifféremment être classé parmi les Métiers ou les
Images de mode masculines. L’influence des normes de l’image de mode se fait particulièrement
sentir dans plusieurs pièces, qui donnent à voir des physiques et des mises bien improbables pour
les petits métiers représentés, comme ceux de la Crieuse de fraises ou de L’Écaillère.
25. Fondée grâce au partage réalisé par ses parents à l’occasion de son mariage avec Marie-
Madeleine Pierre, fille d’un épicier parisien, l’enseigne du Coq fut d’abord située dans le haut de la
rue Saint-Jacques, à proximité de l’église des Mathurins, avant d’être installée, dans la seconde
moitié de l’année 1698, dans le bas de la rue, près de la fontaine Saint-Séverin, dans l’ancienne
boutique du libraire Théodore Muguet, L’Image de Saint-Séverin. Cet emplacement fut conservé par
son fils Jean-Baptiste-Henri et, à la mort de celui-ci, en 1727, par sa belle-fille Marie Fontaine, qui
y continua jusqu’en 1747 au moins un commerce d’estampes avec son second époux, le maître de
musique Louis Naudé.
26. P. Cugy, La Dynastie Bonnart et les bonnarts…, op. cit., vol. 1, p. 222-226.
27. Voir par exemple Henri-Jean Martin, Livre, pouvoirs et société à Paris, au XVIIe siècle : 1598-1701,
Genève, Droz, 1969, 2 vol. ; Roger Chartier et Hans-Jürgen Lüsebrink dir., Colportage et lecture
populaire : imprimés de large circulation en Europe, XVIe-XIXe siècles, Paris, IMEC/Éd. de la Maison des
sciences de l’homme, 1996 ; Gilles Feyel, L’annonce et la nouvelle : la presse d’information en France
sous l’Ancien Régime (1630-1788), Oxford, Voltaire foundation, 2000 ; Paris, capitale des livres : le monde
des livres et de la presse à Paris, du Moyen Âge au XXe siècle, Paris, Bibliothèque historique de la Ville
de Paris, 16 novembre 2007-3 février 2008, catalogue établi par Frédéric Barbier, Paris, Paris-
Bibliothèque/PUF, 2007 ; Michel Vernus, « Les colporteurs », dans Patricia Sorel et Frédérique
Leblanc dir., Histoire de la librairie française, Paris, Cercle de la Librairie, 2008, p. 47-54.
28. Voir L’Edict fait par le roy, sur certains articles, faictz par la faculté de Theologie de l’université de
Paris, taouchans & concernans nostre foy & religion chrestienne, & forme de prescher. Avec le catalogue des
livres censurez..., Paris, Jean André, 20 juillet 1545.
29. « La moitié à peu près des presses parisiennes [...] se consacrait alors régulièrement à
imprimer des livrets de quelques dizaines de pages, voire de quelques pages seulement, ou
encore des “placards”, c’est-à-dire des feuillets isolés, imprimés d’un seul côté et en principe
destinés à l’affichage » (H.-J. Martin, Livre, pouvoirs et société…, op. cit., t. I, p. 253).
30. Remerciement des imprimeurs à Monseigneur le Cardinal Mazarin, Paris, N. Boisset, 1649, p. 4, cité
par Alain Riffaud, « Jean Ribou, le libraire-éditeur de Molière », dans Frédéric Barbier dir., Histoire
et civilisation du livre, Genève, Droz, 2014, p. 319.
31. Voir Frédéric Barbier, Sabine Juratic, Annick Mellerio, Dictionnaire des imprimeurs, libraires et
gens du livre à Paris, 1701-1789, Genève, Droz, 2007, introduction, p. 31.
32. G. Feyel, L’Annonce et la nouvelle, op. cit., p. 413.
33. Un tableau français du XVIIe siècle conservé au Mucem de Marseille (inv. D39-4-1 ; RF1939-2)
offre une image d’un de ces colporteurs officiels, agissant selon les règles édictées par La Reynie.
On le voit arborer sa plaque de cuivre ou de bronze ; dans sa « balle » remplie de livres, on
reconnaît La Princesse de Clèves – ce qui implique que le tableau est postérieur à 1678, date de la
parution anonyme de cet ouvrage. Voir aussi la plaque de colporteur en bronze conservée au
musée national de la Renaissance (inv. ECL 18288), reproduite dans Frédéric Barbier dir., Paris,
capitale des livres, op. cit., p. 206.
34. Ordonnance du 22 août 1670 de par le Roy, et Monsieur le Prevost de Paris ou Monsieur son Lieutenant
de Police, Paris, Chez Frédéric Léonard, Imp. ordin. Du Roy, & de la Police, ruë S. Jacques, à l’Ecu de
Venise, 1670.
35. Ibid.
36. S. Juratic, Dictionnaire des imprimeurs, op. cit., introduction, p. 32.
37. G. Feyel, L’annonce et la nouvelle, op cit., p. 417.
38. BnF, Manuscrits, Ms. fr. 22115.
39. Jean de La Fontaine, Œuvres complètes, éd. Jean-Pierre Collinet, Paris, Gallimard, coll. « Bibl. de
la Pléiade », 1991, 2 vol. , t. 1, Fables et contes, I, V, p. 35.
40. Cette description est fidèle à celle faite dans le Remerciement des imprimeurs à Monseigneur le
Cardinal Mazarin (voir n. 29).
41. Son apparence physique ne correspond pas à celle des vendeurs et vendeuses de rue « à la
mode » dessinés par Robert Bonnart à partir des années 1690, qui annoncent les charmantes
crieuses érotisées imaginées par François Boucher et Edme Bouchardon au XVIIIe siècle.
42. Vincent Milliot, Les Cris de Paris ou Le Peuple travesti : les représentations des petits métiers
parisiens : XVIe-XVIIIe siècle, Paris, Publications de la Sorbonne, 1995.
43. Ibid, p. 18-19, 174, 178 et 279.
44. L’Histoire du Meunier à l’anneau, écran attribué à François Chauveau, BnF, Estampes, Rés-Ed-44,
t. 3, p. 155. Sur cette anecdote parisienne, voir Ph. Cornuaille, « L’histoire du meunier à
l’anneau », Les Nouvelles de l’estampe, 205, avril 2015, p. 22-39.
45. L’existence d’un tel écran n’est pas certaine – il pourrait simplement s’agir d’un clin d’œil de
la part de Henri II Bonnart –, mais elle est loin d’être improbable. On sait par ailleurs que les
Bonnart vendaient et éditaient des écrans.
46. Les recueils Oa conservés au département des Estampes de la BnF, dont plusieurs
comprennent des épreuves du Libraire ambulant, sont notamment composés d’estampes
provenant de la collection du marquis de Béringhen. Voir Laure Beaumont-Maillet, « Les
Collectionneurs au Cabinet des Estampes », Nouvelles de l’estampe, 132, décembre 1993, p. 5-27. La
composition figure également dans un recueil conservé à l’Arsenal portant l’ex-libris imprimé du
père Placide de Sainte-Hélène, identifié par Sophie Nawrocki, que nous remercions.
47. Edmond Bonnaffé, Dictionnaire des Amateurs français au XVIIe siècle , Paris, A. Quantin, 1884,
p. 255-256. Voir aussi Georges Duplessis, « Mémoire concernant le Portrait du P. Placide, Augustin
déchaussé, Géographe du Roy. (1714.) », Nouvelles archives de l’art français, 1872, p. 359-364.
48. Un colporteur amputé d’une jambe, vendant des billets de loterie, appuyé sur deux cannes et
portant une besace en bandoulière, se trouve par exemple, accompagné de la mention
« Colporteur / mal à / Cheval ou / la Diligence / embourbé », sur un almanach pour l’année 1701
publié chez « F & G. Landry, rue S. Jacques, à l’Image S. Landry ». BnF, Estampes, Hennin, 6670.
49. À cette occasion, la lettre pouvait aussi cependant, comme l’image, subir une réduction
conséquente, allant de la condensation jusqu’à la refonte totale du quatrain.
50. On notera la correction orthographique dans ce nouveau titre (cf. Ill. 4 et Ill. 7).
51. Henri II Bonnart était un allié, par sa belle-sœur Anne Pierre, du libraire Robert-Jean-Baptiste
de La Caille (1645-1707), à la fille duquel il sous-louait une partie de sa boutique du Coq. Cette
dernière y exerça, avec son époux Pierre Mergé puis seule, une fois devenue veuve, une activité
d’impression typographique et de librairie. Voir : Archives nationales, MC/ET/C-569, 13 juin
1741 ; Augustin-Marie Lottin, Catalogue chronologique des libraires et des libraires-imprimeurs de
Paris…, Paris, Jean-Roch Lottin de Saint-Germain, 1789, p. 181.
52. BnF, Estampes, Tb-34-fol b, fol. 19.
53. Scaramouche fut représenté sur pas moins de six estampes publiées par les Bonnart,
certaines déclinées en plusieurs états. Voir par exemple le Scaramouche édité par Nicolas I er puis
par Henri II, BnF, Estampes, Hennin, 5122 et Oa-54 pet fol, fol. 92.
54. Raymond Poisson, dit Belleroche, était à la fois un célèbre dramaturge et comédien ; il
s’illustra, entre autres, dans le rôle de Crispin, que les auteurs firent vieillir avec lui. Henri II
Bonnart publia une planche le représentant tenant son chapeau à la main reprenant, avec une
lettre différente, la composition de Theodor Netscher gravée par Gérard Edelinck. BnF, Estampes,
Oa-63 pet fol, fol. 52.
55. BnF, Estampes, Hennin, 6664. Sur Philippot le Savoyard, célèbre chanteur de rue du XVIIe
siècle auquel l’estampe se réfère probablement, voir Florence Gétreau, « Philippot le Savoyard –
Portraits d’un Orphée du Pont-Neuf mêlés de vaudevilles, d’images et de vers burlesques », dans
Michelle Biget et Rainer Schmusch dir., L’Esprit français und die Musik Europas : Entstehung, Einfluss
und Grenzen einer ästhetieschen Doktrin, Hildesheim, Zürich, New York, Georg Olms Verlag, 2007,
p. 269-288.
56. [s. n.], « Le Grand Triomphateur, ou Le Libraire ambulant », Le Magasin pittoresque, 1846,
14e année, p. 264. Cette hypothèse semble d’ailleurs reprise par José Lothe, qui mentionne la
politique de La Reynie, (« Paris et les métiers du livre au grand siècle », dans Paris, Capitale des
livres, op. cit., p. 160). Le Libraire ambulant apparut également sous sa forme désolée en fac-similé
dans le numéro 33 du Musée des familles, édition populaire hebdomadaire, publié en 1895.
57. La première édition du Dictionnaire de l’Académie française donne, en 1694, comme définition
au terme « Triomphateur » : « Le General d’armée qui entroit en triomphe dans Rome aprés une
grande victoire. » Le verbe « Désoler » reçoit quant à lui comme définition : « Ravager, ruiner,
destruire ». Le Dictionnaire de l’Académie françoise dedié au roy, Paris, Veuve Jean-Baptiste Coignard,
1694, p. 597 et 321.
58. Archives nationales, O/1/38, fol. 298 v°.
59. Archives nationales, O/1/38, fol. 150 v°.
60. BnF, Manuscrits, Ms. fr. 22 115, pièce 34.
61. BnF, Manuscrits, Ms. fr. 22 115, pièce 27.
62. Dans cette liste apparaissent des noms comme ceux de Thomas Collette, « Compagnon
Imprimeur, rue S. Jacques au Chiffre d’or », Martin Vautier, « Compagnon Imprimeur, rue
S. Jacques prés S. Benoist chez M.e Adam Fruitiere », Paul Avril, Jean Hecq, ou Nicolas Fevrier.
63. Ce qui impliquerait un portrait posthume – ce que la lettre du Grand Triomphateur désolé ne
semble absolument pas indiquer. BnF, Manuscrits, Ms. fr. 22 115, pièces 59, 60, 61.
64. L. F., « Connaît-on le nom de ce libraire ambulant ? », L’Intermédiaire des chercheurs et curieux :
Notes and queries français : questions et réponses, communications diverses à l’usage de tous, littérateurs et
gens du monde, artistes, bibliophiles, archéologues, généalogistes, etc., 358, 16 e année, 1883, p. 197.
65. Valentin Mourié, « Une estampe de Bonnart », L’Intermédiaire des chercheurs et curieux…, 360,
16e année, 1883, p. 275.
66. « Figurant au Dix-huitième ordre et publiée dans le Troisième livre en 1722 », cette gigue à la
française « doit s’interpréter “dans le goût Burlesque” ». Fl. Gétreau, « Guillaume de Limoges et
François Couperin ou comment enseigner la musique hors la Ménestrandise parisienne »,
Antonio Baldassare éd., Musik. Raum. Akkord. Bild. Festschrift zum 65. Geburtstag von Dorothea
Baumann. Music. Space. Chord. Image. Festschrift for Dorothea Baumann’s 65 th Birthday, Bern, Peter
Lang, 2011, p. 163-182. Voir aussi Fl. Gétreau, « La rue parisienne comme espace musical
réglementé (XVIIe – XXe siècle) », Les cahiers de la société québécoise de recherche en musique, vol. 5,
1-2, 2001, p. 11-23. Depuis notre travail, cette estampe a fait l’objet d’une notice de Maxime
Préaud dans : Images du Grand Siècle : L’estampe au temps de Louis XIV (1660-1715), Los Angeles, Getty
Research Institute, 16 juin 2015 au 6 septembre 2015 et Paris, Bibliothèque nationale de France, 3
novembre 2015 au 31 janvier 2016, catalogue établi par Rémi Mathis et al., Los Angeles, The
J. Paul Getty Trust /Paris, Bibliothèque nationale de France, 2015, p. 202.
67. Né vers 1678, décédé en 1727, Jean-Baptiste-Henri reprit avec sa mère, Marie-Madeleine
Pierre, le commerce de son père à sa mort, en novembre 1711. Dès la fin de l’année 1707, il avait
pu profiter de la moitié de l’espace de vente du Coq, en raison de son mariage avec Marie Fontaine
(Archives nationales, MC/ET/LXXXIX-203, 4 décembre 1707).
68. BnF, Estampes, Ed-66 a rés fol, fol. 53.
69. BnF, Estampes, N3, Limoges.
70. BnF, Arsenal, Est-378 (135).
71. Le refus des musiciens et compositeurs liés au roi de se faire recevoir dans la communauté
des Ménestriers – et donc de lui payer des droits –, conduisit à un conflit qui dura de 1662 à 1773,
marqué par de nombreux procès et publications, dont une part a été livrée, en 1774, par Pierre
Robert Christophe Ballard, dans son Recueil d’édit, arrêt du conseil du roi, lettres patentes, mémoires et
arrêts du parlement en faveur des musiciens du royaume. Voir Fl. Gétreau, « -Guillaume de Limoges et
François Couperin… », op. cit.
72. Sur l’édit de Saint-Jean-de-Luz, voir Marianne Grivel, Le Commerce de l’estampe à Paris au XVIIe
siècle, Genève, Droz, 1986, p. 96-99.
73. La famille Bonnart se trouva personnellement confrontée au XVIIIe siècle à ce problème
puisque, sous prétexte qu’elle refusait de respecter ses règles, la communauté des imprimeurs en
taille-douce, érigée en 1677, fit de ses membres, au long de nombreux procès, des « usurpateurs »
du titre de graveur (P. Cugy, La Dynastie Bonnart et les bonnarts…, op. cit., vol. 1, p. 85-88).
RÉSUMÉS
Dépenaillé et arborant un sourire goguenard, un libraire ambulant surnommé le Grand
Triomphateur fit plusieurs apparitions sur des estampes de Henri II Bonnart dans les années
1680-1710. Figuré sur des accessoires de mode ou cloué sur un mur, décliné en petit format ou
contant ses mésaventures, ce personnage condense plusieurs enjeux de la société parisienne de
l’Ancien régime, dont les rivalités entre professions ambulantes et installées, corporatisme et
liberté. En le mettant en relation avec la production gravée contemporaine et la biographie de
son créateur, cet article revient sur la figure de ce colporteur, dont l’identité reste mystérieuse
mais qui avait semble-t-il sa place dans les rues parisiennes, aux côtés d’autres fameux crieurs
comme Guillaume de Limoges, dit le Gaillard Boiteux.
Between 1680 and 1710 the recurring character of a book peddler appears in the works of
printmaker Henri Bonnart II: scruffy looking and wearing a mocking smile, this bookseller
became known as Le Grand Triomphateur, ’The Triomphant Victor’. Appearing on fashion
accessories or pinned up on a wall, drawn in small size or telling his unlucky adventures, he
epitomises several aspects of Ancien Régime Parisian society, and not least the rivalry between
ambulant tradesmen and settled ones, and between guilds and free craftsmen. This article puts
the character in the context of his creator’s life and contemporary prints production. We explore
this figure of the peddler, whose identity is a mystery although he seemed to be a well-known
feature of Parisian streets, among other famous criers like Guillaume de Limoges, known as le
Gaillard Boiteux.
INDEX
Index géographique : France
Index chronologique : 17e siècle
AUTEURS
PASCALE CUGY
Docteur en histoire de l’art ; ATER à l’université de Rennes-II
PHILIPPE CORNUAILLE
Docteur ès lettres ; auteur d’un mémoire sur les écrans à main