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1 Martin Zeiller,

Senlis, in Topographiae Galliae, Zweiter Theil,


Francfort-sur-le-Main, Caspar Merian, 1656, fol. s.n.

Grantley McDonald

La musique 171

à la cathédrale
Notre-Dame de Senlis

U
n voyageur à l’approche de la ville de Senlis, à la bibliothèque de Sainte-Geneviève un lectionnaire de Senlis
quelque cinquante kilomètres de Paris, remar- datant du XIIe siècle et contenant la vie des saints (ms. 552),
que très tôt la haute flèche si reconnaissable de la deux lectionnaires du XIIIe siècle (mss 125 et 142), un pontifical
cathédrale Notre-Dame, qui a été pendant très du XIVe siècle (ms. 148) et un bréviaire du début du XIVe siècle
longtemps l’établissement musical le plus important de la (ms. 1268). Comme le bréviaire de Beauvais, celui de Senlis
cité. En effet, la proximité de la Civitas Silvanectium (« cité emprunte beaucoup au bréviaire monastique, avec quantité
des Silvanectes ») avec Paris et Chantilly, ainsi que son statut d’antiennes et de répons, dont certains sous forme d’hexa-
de réserve de chasse très appréciée de la famille royale fran- mètres ou de distiques. Le bréviaire de Senlis indique pour
çaise, sont à l’origine d’une relation liturgique et musicale plusieurs jours de l’année des prières spécifiques pour prime et
étroite entre la chapelle royale et la cathédrale de Senlis. complies qui diffèrent de celles du bréviaire romain. Ces livres
Senlis profite aussi de nombreuses connections, dont une montrent en outre que l’usage à Senlis incluait une quantité
forte parenté liturgique, avec la cité voisine de Beauvais. d’autres petites particularités locales, comme cette répartition
des antiennes mariales sur la semaine : le lundi, Alma redemp-
Plusieurs manuscrits importants de Senlis ont été préservés, ce toris, le mardi Sub tuum, le mercredi Haec est, le jeudi Tota
qui nous permet d’avoir une certaine connaissance de la litur- pulchra, le vendredi Ave regina caelorum, et Salve Regina le
gie des lieux depuis une époque assez reculée : le plus ancien samedi. Comme celles de Chartres et Paris, la cathédrale de
de ces manuscrits est un graduel du IXe siècle (Paris, Biblio- Senlis dérogeait à l’habitude en utilisant la même préface pour
thèque Sainte-Geneviève, ms. 111). Comme c’est le cas avec toutes les occasions. Il existe des points de contact avec la litur-
d’autres textes similaires de Corbie et de Nivelles, on ne trouve gie irlandaise ; par exemple, la fête de sainte Brigitte d’Irlande
pas dans ce manuscrit de notation musicale. L’Antiphonale était célébrée à Senlis, de même qu’à Rebais, Meaux, Nivelles,
missarum sextuplex de Hesbert, basé sur les graduels de Senlis, Corbie, Marchiennes, Saint-Amand et Saint-Vaast.
Monza, Rheinau, Mont-Blandin, Compiègne et Corbie (qui
datent tous du VIIIe au Xe siècle), nous fournit quelques élé- Un document du 15 avril 972, pendant l’épiscopat de
ments sur le corpus de plain-chant de l’église carolingienne, Constance de Senlis, porte la signature de quatre enfants de
plain-chant qui correspond étroitement à ce que l’on trouve chœur (Gontier, Gulfroy, Gisleran et Vautier) présents comme
dans le graduel noté du XIe siècle de Saint-Gall (Sankt Gallen, témoins d’un acte de propriété, ce qui atteste non seulement la
Stiftsbibliothek, ms. 339). Le graduel de Senlis comporte juste- présence d’enfants de chœur à Senlis, mais montre aussi qu’ils
ment plusieurs innovations liturgiques : par exemple, pendant étaient suffisamment instruits pour pouvoir lire et écrire. En
la quête, on chantait deux ou trois versets. On trouve aussi à 1152, l’évêque Thibault de Senlis réorganise la maîtrise (Senlis,
2
Chœur des chantres, chapiteau de la salle du chapitre,
bas-relief, XIVe siècle.
Senlis, cathédrale Notre-Dame.
Grantley McDonald

Bibliothèque municipale, coll. Afforty vol. I, p. 497). En 1349,


172 Arnaud Salmon, chantre de la cathédrale, acquiert une maison
près du palais de l’évêque pour y loger les enfants de chœur ; par
son testament, il fera aussi un don d’argent destiné à payer un
La musique à la cathédrale Notre-Dame de Senlis

chapelain ou un clerc « expérimenté dans l’art de la musique »


pour la formation des chanteurs (AD de l’Oise, G 2118). La
même année, Simon Eveillart, doyen de la cathédrale, achète
des terres pour en tirer un revenu permettant de subvenir aux
besoins matériels du chœur (AD de l’Oise, G 2284).

Il est difficile de dater la première apparition de la polyphonie


à Senlis. Un document de 1205 (AD de l’Oise, G 2242) semble
indiquer qu’il était normal que, pour les très grandes occasions,
l’invitatoire soit chanté par quatre personnes (« in majoribus
festis invitatorium cantabunt, in illis scilicet in quibus quatuor Le morceau auquel Gace fait référence, Se je chans, est la
cantant illud »). Ce document ne fait pas clairement allusion seule composition de Denis qui nous reste aujourd’hui
à un chant polyphonique, mais l’existence de conduits (pièces (Ivrea, Biblioteca Capitolare ms. 115, fol. 52v). La citation
simples, accompagnant les déplacements pendant les céré- de cette chace par Machaut attestent des liens entretenus
monies) à quatre voix datant de cette époque en suggère en par Denis avec la scène musicale parisienne, et du respect
tout cas la possibilité. Il existe des preuves plus certaines de qu’avait pour lui le poète. De plus, ce morceau se distingue
la présence de compositeurs de polyphonie à Senlis à partir du par son utilisation de l’imagerie de la chasse comme méta-
milieu du XIVe siècle. Le compositeur Denis Le Grant (Diony- phore de l’imitation canonique.
sius Magni - mort en 1352), premier chapelain de Philippe VI
de France (« prior cappellanus regis ») en 1349, est nommé À la fin du Moyen Âge, alors que la dignité de cantor (ou
évêque de Senlis en janvier 1351 par le nouveau roi, Jean II ; grand-chantre) était devenue une charge principalement
on peut supposer que dans les deux années qui lui restaient à cérémoniale et administrative, la responsabilité de l’activité
vivre, le nouvel évêque s’est impliqué dans la vie musicale de musicale de l’église dut passer en bonne partie au succen-
la cathédrale. Or, Denis est mentionné dans le célèbre « motet tor (sous-chantre). Les noms d’un bon nombre d’entre
de musiciens » Appollinis eclipsatur / Zodiacum signis lustrandi- eux sont connus, mais on ignore tout de leurs éventuelles
bus, dans lequel vingt des plus importants musiciens français compétences musicales : Robert de Gagnac (mort en 1294),
du milieu du XIVe siècle sont nommés. Dans le Roman de Henri Le Grinelle (1358), Jean Girard de Nanteuil (1383-
Deduis (vers 1370), Gace de La Bugne décrit Denis ainsi : 1389), Philippe Bonnart (1398-1417), Jean Buffet (1417-1427),
Jean Godefroy (mort en 1438), Jean Richevillain (1455),
Un aucteur qui fut de grant pris, Pierre de Crécy (1467), Jean Echevin (mort en 1494), Jean
Qui fu evesque de Senlis, Coquet (1496), Pierre Léger (1496-mort en 1531), Loys Thi-
Fist une chace de faucons bault (1557-1577), Albin Macaire (1598-1625), Étienne Thirlet
La ou il moustre aux compaignons (1653). Mais à partir du XVe siècle au moins, la supervision
Et leur ensaigne la manière de la musique était avant tout l’affaire du maître des enfants,
Quant fait bon aler en riviere, dont les seuls noms qui ont été préservés par les archives
Maiz il moustre tout clerement sont : Johannes de Mota (1462), Étienne Postel (1462-1465),
Qu’il n’y fait pas bon par gros vent. Jean Thierry (1498), Nicolas Boileaue (1504), Nicolas Mau-
Il fut preudomme et sceust bien chant voisin (1505-1521) et Berthaud Turquet (1559). Au côté des
Et ot a nom Denis le Grant. enfants de chœur et de leur maître, le personnel musical se
3
Ange jouant du luth, chapiteau de la salle du chapitre,
bas-relief, XIVe siècle.
Senlis, cathédrale Notre-Dame.

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composait en outre de vicaires-chantres adultes, dont les Prient (1520-1521) et Yvon Riou (1520-1521). En 1491, Nicole
archives de l’officialité (tribunal ecclésiastique) de Senlis, de La Barre instruisait les 12 enfants de chœur à lire, écrire et
assez complètes pour les années 1490-1530 (AD de l’Oise, G chanter (AD de l’Oise, G 2015, 35v ; G 2015, 52v-58r). Cer-
2008, 2014, 2015, 2016), nous ont transmis les noms : Sandrin tains services religieux fondés à l’époque de Mauvoisin nous
Bussart (1496), Denis Du Boys (1496), Laurent de La Vallée éclairent sur les obligations des vicaires et des enfants de
(1496-1521, ténoriste), Jean Lescot (1504), Georges Fleury chœur. En 1513 le chanoine Pierre Cotart fonda « une haulte
(1505, organiste), Jean Chiron (1505-1520), Antoine Cahutte messe de nostre dame » qui devait être célébrée chaque
(1505-1521), Pierre Bailli (1505), Pierre Luillier (1496-1512), samedi « par le maistre des enfans de cœur de ladite église
Pierre Raison (1509-1511), Antoine Taconnet (1510-1518), à l’autel de La Trinité » (AD de l’Oise, G 2167). En 1520,
Pierre Portenay (1510-1514), Pierre Héliot (1510), Pierre de Denis Dubois fait un don au chapitre pour que soit chan-
Villa Nova (1510), Nicolas Fortier (1510-1515), Philippe Du tée « chacun jour de jeudi perpetuellement par le maître des
Ruissel (1510-1513), Jacques Du Chastel (1510), Pierre Cheusy enfans de cœur, ou ung demy prebendé en son absence, une
(1511), Honoré Houssermant (1513), Philippe Molins (1515), haulte messe […] par les petits enffans de cœur » (AD de
Pierre de La Ruelle (1516-1521), Pierre Dauxy (1517), Jean l’Oise, G 2170). Le testament du grand-chantre Jean Félix
Cornillot (1517), Florent Ferry (1518, ténoriste, alors âgé de (1541) requiert que son corps soit inhumé dans le chœur de
vingt ans), Abraham Poussin (1520-1521, ténoriste), Pierre la cathédrale, comme il était coutume de le faire pour les
4
Thrésor de musique d’Orlande de Lassus,
contenant ses chansons à quatre, cinq et six parties, Superius,
Genève, Simon Goulart, 1576, frontispice.
Munich, Bayerische Staatsbibliothek.
Grantley McDonald

chantres. Félix demande également que soit chantée « en la


174 Chappelle du Sepulchre de ladite eglise par le maistre des
enfans de chœur s’il est prebstre, si non par un des demy
prebendés, a tousjours chacun vendredy de l’an a l’issue de
La musique à la cathédrale Notre-Dame de Senlis

matines une messe de la passion ou des cinq ployes nostre


seigneur a note par les enfans de chœur » (AD de l’Oise, G
2179). Le terme « à note » désigne une messe solennelle, soit
en plain-chant, soit en polyphonie. Les chanteurs passaient
alors la plupart de leur temps ensemble, dans une promis-
cuité qui semble avoir souvent créé des tensions (voir l’article
de D. Fiala « Monstres-chanteurs »).

Malheureusement, nous disposons de peu d’informations était « de bonne vie et conversation et réputé scavant en la
sur le répertoire du chœur de Senlis en dehors du plain- science de musique et plain chant » et « capable montrer l’art
chant. Cependant, ce qui en est connu indique des liens et science de musique aux enfans de cœur ». Un prêtre de
musicaux forts avec Beauvais et Paris : l’inventaire des biens de Saint-Sauveur, Gilbert Vinart, attesta qu’il avait vu Turquet
Christophe Brocart (mort en 1557), chanoine à la cathédrale (qui devait son éducation initiale à sa position d’enfant de
de Senlis, comprend une liste de la musique qu’il a léguée au chœur de la cathédrale de Beauvais) « faire plusieurs compo-
chapitre pour l’usage du chœur (AD de l’Oise, G 2183). Des sitions en musique et congnu plusieurs de ses escoliers qui
preuves circonstancielles permettent aussi de placer Brocart sont de present estimez des plus suffizans du royaulme ». Il
parmi les chanteurs de la Chapelle royale de plain-chant. est malheureux que rien n’ait survécu des œuvres de Turquet.
Il est attesté que Brocart prend part à ce groupe entre 1533 Aucun des maîtres des enfants de chœur actifs à Senlis
et 1535, et qu’il est reçu en tant que chanoine à Senlis en n’étant connu entre Nicolas Mauvoisin et Berthaud Tur-
1539. L’inventaire de sa collection de musique comprend quet, on pourrait même imaginer que Brocart a rempli cette
beaucoup de pièces disparues depuis, entre autres des messes tâche, au moins pendant une partie de la vingtaine d’années
et des Magnificat de Nicolle Des Celliers de Hesdin (qui qu’il passa à Senlis entre 1539 et 1557. Aucune preuve directe
termine sa carrière comme maître de chant à Beauvais en de l’activité de Brocart comme maître des enfants ne sub-
1538), Nicolas Pagnier et Valentin Sohier (maîtres de chœur à siste, mais divers éléments appuient une telle hypothèse, à
Notre-Dame de Paris), Pierre Certon (maitre des enfants de commencer par sa bibliothèque musicale.
chœur de la Sainte-Chapelle du Palais à Paris), Jean Conseil,
et des compositeurs par ailleurs inconnus : Simon de Gouy et Simon Goulart est né à Senlis en 1543 ; son intérêt ultérieur
Syrot. Heureusement, une partie de la collection de Brocart pour la musique vocale suggère qu’il a reçu une forma-
est composée d’œuvres connues par d’autres sources, comme tion dans l’une des églises locales. Goulart étudie le droit
c’est le cas pour certaines messes de Certon et de Mouton. à Paris puis, après s’être converti au calvinisme, part s’ins-
D’autre part, la collection de Brocart comprenait aussi une taller à Genève où il finit par succéder à Théodore de Bèze
certaine quantité de musique imprimée de Pierre Attain- à la charge de modérateur de la Compagnie des Pasteurs.
gnant (vers 1495-vers 1551), ainsi que des éditions imprimées Entre 1576 et 1597, Goulart publie les œuvres de nombreux
venant d’Italie. Il est clair que le chœur de Senlis était tout à compositeurs célèbres, protestants autant que catholiques ;
fait capable de chanter des pièces aussi exigeantes. mais, dans de nombreux cas, il présente souvent la musi-
que accompagnée de textes contrefaits, « tellement changés,
Le document de 1559 requérant que Berthaud Turquet, qu’on les peust chanter de la voix et sur les Instruments, sans
maître de chant à Notre-Dame de Senlis, soit nommé souiller les langues ni offenser les Oreilles Chrestiennes ».
maître des enfants à Saint-Sauveur de Beauvais, précise qu’il Malgré cela, Goulart prend grand soin de ne pas bousculer
la relation délicate existant entre la musique et le texte, qu’il (attesté en 1682-88), Jean-François Gillier (attesté en 1692) et
modifie le moins possible afin qu’il s’adapte parfaitement Laurent Gervais (1694-1703). Tabart est un personnage par- 175
aux contours de l’original. En fait, Goulart espère même ticulièrement intéressant : après avoir servi à Senlis, il part
que son exemple encourage Lassus à cesser de composer de s’installer à Meaux, où il travaille à partir de 1699 aux côtés
la musique sur des textes à la morale contestable, et à revenir de Sébastien de Brossard, qui a conservé sa musique (elle se
à des thèmes plus pieux, « à fin que nous aions une chaste trouve aujourd’hui à la Bibliothèque nationale de France).
Musique Françoise ». Dans Le Thrésor de musique d’Orlande
(1582 et 1594), Goulart a réarrangé les pièces selon un ordre Quelques chanteurs de la cathédrale ont laissé des traces au
qui diffère de l’ordre modal que Le Roy et Ballard avaient XVIIe siècle : Jacques Delicourt (attesté en 1636-68), Robert
établi en 1571 (Chansons nouvelles) et 1576 (Les meslanges Dubray (vers 1654-après 1679), Charles Houdet (attesté en
d’Orlande) (fig. 4). 1656-68), Denis Gallé (attesté en 1657-1718), Jacques Dur-
main (attesté en 1660-1716), Michel Fortier (1663), Nicolas
Les archives qui couvrent le XVIIe siècle sont bien plus com- Bellart (né en 1672, chanteur jusqu’en 1689, membre d’une
plètes. Au début du siècle, les enfants de chœur sont à la grande famille prenant une part active à la vie musicale de
charge de Mathurin Lefranc, décédé en septembre 1620 à un Senlis dans la seconde moitié du siècle), Louis Hennequin
âge sans doute avancé en la maison de la maîtrise. Un docu- (attesté en 1678-1705), Denis (ou Daniel) Herouart (attesté
ment indique que les chanteurs furent payés soixante-quatre en 1683-1702), Louis François Velon (1687-1710), Jean Haron
sous pour chanter à ses funérailles. Deux des chanteurs, Valen- (ou Charon, attesté en 1692-95), Jean Foulon (attesté en
tin Sonon et Leger Rochart, font l’acquisition de certains des 1701-1719), Antoine Henin (attesté en 1694-1704) et Antoine
effets de Lefranc aux enchères, lors de la vente de ses biens Bernabé (attesté en 1696). D’autres noms de musiciens nous
(AD de l’Oise, G 2030). Plus tard, en 1648, Pierre Robert, sont parvenus, sans doute des instrumentistes, comme Jean
ancien premier choriste (« spe ») du chœur de Notre-Dame Baptiste Millot (vers 1640-1679), Claude Moultherot (1643-
en 1639 et étudiant au Collège de Fortet, est nommé maître 1645), Gabriel Vignon (1647) et Charles Dumetz (1686).
de chœur à la cathédrale de Senlis. Apparemment ambitieux, Il est probable que des instruments autres que l’orgue ont
ce musicien préfère partir rapidement, devenant maître de été utilisés à la cathédrale à partir de la fin du XVIe siècle,
musique à Chartres en 1650 puis enfin à Notre-Dame de comme cela est attesté dans le cas de Beauvais dès 1594, bien
Paris en 1653. Quelque temps après le retour de Robert à que la permission archivée la plus ancienne autorisant cette
Paris, on sait que le chœur de Senlis fut confié à Jacques Bony pratique à Senlis ne date que de 1650. Afforty, le grand col-
(attesté 1658), puis à Jean Mignon, qui succède par la suite lectionneur de Senlis, a en effet pris note de l’exécution des
à Robert à Notre-Dame de Paris (1664), lorsque Robert est « motets à grand chœur et orgue ou instruments exécutés à
choisi par Louis XIV comme l’un des quatre sous-maîtres de la cathédrale en 1625 et 1627 » (Senlis, Bibliothèque muni-
la chapelle royale (position qu’il partage exclusivement avec cipale, collection Afforty vol. VIII, XII, p. 4267 et 7781).
Du Mont à partir de 1669). Pendant son service à la cha- Plusieurs des organistes de Notre-Dame de Senlis durant
pelle royale, Robert compose aussi bien des grands que des le XVIIe siècle nous sont aussi connus : François Noudart
petits motets, les premiers dans le style solennel de Lully et (1609), Jean Poly (1637-1642), Claude Guesnot (1637-1642),
de Du Mont, les derniers dans un style plus intime et plus Antoine Tallepied (1641-1665), Philippe François Liévin
italien, à l’harmonie complexe. La musique de Mignon est (1659, attesté jusqu’en 1688), André de Crespy (mort en
d’un caractère différent, conçue en accords syllabiques, mais 1663), Pierre Dufour (1665), Nicolas Prévost (1672), Charles
toujours contrapuntique, aux notes pointées caractéristiques. Menicier (1678-83), Charles Martel (1683), Léonarde Dufour
Il est tout à fait imaginable que Robert et Mignon aient tous (1692-1695), et Jean-Baptiste Le Duc (1695-1730). Le plus
deux composé pour le chœur de Senlis. Leur ont succédé à ancien orgue connu de la cathédrale fut construit en 1634 par
ce poste Charles Cousin (attesté de 1668 à 1669), Jean Catine Lesselier, de Rouen. La présence du facteur d’orgues Nicolas
(attesté 1673), Pierre Tabart (1678-1679), Jean de Largillière Corié (ou Courrier) à Senlis est aussi attestée en 1636. Vers la
5
Anges chanteurs, façade latérale de la cathédrale,
demi-relief, XVe siècle.
Senlis, cathédrale Notre-Dame.
Grantley McDonald

176
La musique à la cathédrale Notre-Dame de Senlis

toute fin de la période qui nous occupe, on trouve un docu- Ainsi, la musique à la cathédrale de Senlis parcourt-elle
ment intéressant qui montre bien que l’absence de musique toute la gamme des styles et des goûts musicaux, conservant
élaborée peut avoir autant d’effet que sa présence : lorsque son identité locale propre tout en profitant de liens étroits
Jean Deslions, doyen de la cathédrale, prend ses dispositions avec les centres voisins de Beauvais et de Paris ainsi que de
concernant le service de ses funérailles en 1701, il spécifie que la circulation, entre les trois villes, de son personnel et de ses
l’orgue reste silencieux, et que la seule polyphonie chantée ressources musicales. n
soit en faux-bourdon, c’est-à-dire dans le style le plus simple
(AD de l’Oise, G 2290). Ce qui ne suggère en rien que Des- Traduction française de Marie-Alexis Colin et Judith Strauser
lions dédaignait la musique chorale : en 1666, il avait fait un
don d’argent pour l’entretien d’un des enfants de chœur de * étude réalisée avec le soutien du Studium (CNRS, Orléans)
la cathédrale (AD de l’Oise, G 2219). et du Centre d’études Supérieures de la Renaissance (Tours).
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