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Nicolas Petit, L’Occasionnel, l’éphémère et le Non Llivre, 15e-18e s., 1997, propose de définir des
ephemera ou non livres. Par ce vocable, il désigne les feuilles volantes et minces brochures qui n’adoptent
pas la forme du livre. Mal connus car pas destinés à être conservés, ces non livres se caractérisent par
une pluralité de formes et d’usages qui recouvrent l’ensemble du spectre social. On retrouve actes royaux,
factums de notaires, bibliothèque bleue, avis de décès, publicités, feuilles commerciales mais aussi
épreuves ou cartons, étiquettes.
Pbque : Sous quelles formes le non-livre se répand-t-il en Europe entre la fin du XVe et du XVIIe s., pour
quels publics et en quoi s’inscrit-il entre continuité et rupture dans les modes de transmission et de
connaissance de l’écrit ?
I. La normalisation d’une culture visuelle en Europe
La gravure naît dans les années 1460-1470 à Strasbourg, Mayence, Bâle, Nuremberg le long du Rhin.
Ainsi Anton Koberger, éditeur à Nuremberg, est célèbre pour sa Weltchronik, 1493 d’Hartmann Schedel,
avec 1809 illustrations qui représentent les figures les plus importantes de l’Histoire (rois, scientifiques,
religieux) et les lieux. Ces illustrations sont aussi tirées à part, vendues en tant qu’estampes et rehaussées
de couleurs. C’est un jalon dans l’histoire de la xylographie. La production résulte d’un contrat d’association
entre Koberger, Schedel, deux financiers et deux peintres responsables des illustrations (soin, composition,
qualité de la représentation des espaces). Koberger est réputé pour la qualité des illustrations de ses
ouvrages.
Parallèlement, Florence et Venise deviennent deux centres majeurs d’illustration. Le roman Le Songe de
Poliphile de Francesco Colonna est publié à Venise en 1499 par Alde Manuce avec 172 gravures.
Réalisées par Benedetto Bordon, ces gravures reflètent la culture visuelle du graveur liée aux progrès
artistiques de la Renaissance (composition, perspective, narration, lieux géométriques) ainsi qu’un goût
personnel pour l’ésotérisme. Au XVIe s. Rome devient cependant le centre du marché d’estampes en
Europe, avec les images de piété post-tridentines, les reproductions des œuvres des grands artistes et les
reproductions d’antiques, avec notamment Lafréry qui inventorie graphiquement la ville antique et
moderne.
2. Répondre à une demande nouvelle : la gravure maniériste anversoise
La gravure se développe à partir des années 1550 à Anvers, pour répondre à la demande flamande. En
particulier, Hieronymus Cock et sa femme Volcxken Dierick devient un célèbre vendeur d’estampes et
graveur. Il ouvre boutique peu avant 1550 dans ce qui devient le nouveau quartier commercial d’Anvers, au
moment où les artistes, qui jusqu’alors s’auto-éditaient, cèdent le pas aux vendeurs d’estampes. Cock édite
des gravures prestigieuses mais aussi d’autres de moindre qualité, sans mentionner son nom, pour ne pas
déprécier sa réputation. Cock se tourne vers la gravure sous l’influence d’un libraire, marchand d’estampes
et graveur, Antonio Salamanca, qui commence par racheter des gravures et les revendre sous son nom
avant de se lancer dans les créations à partir de 1536 à Rome. Cock récupère le graveur Giorgio Ghisi, qui
lui confère du prestige en gravant d’après Raphaël ou Bronzino auprès desquels il a travaillé. Cock se
spécialise dans le paysage et l’ornement. Sa femme joue un rôle majeur, puisque de 1570 à 1601, elle tient
boutique après la mort de son mari A sa mort, la collection de gravures est récupérée par d’autres familles
d’éditeurs anversois comme les Galle et les Collaert. Cock participe à faire émerger des formules
maniéristes de gravure.
Le développement de la gravure en France est plus lent que celui de l’imprimerie. Il s’opère surtout à partir
des années 1540, sous l’influence des aquafortistes maniéristes italiens de l’école bellifontaine à la cour de
François Ier. A partir de 1545 Paris et Lyon deviennent des centres de gravure. Pendant les guerres de
Religion la gravure poursuit son essor, tout particulièrement dans le quartier de St-Germain des Prés à
Paris. Le graveur anversois Thomas Le Leu se fait remarquer pour ses portraits d’Henri III puis d’Henri IV.
Sous Louis XIII, de nombreux graveurs font un séjour en Italie avant de revenir en France, comme c’est le
cas du Lorrain Jacques Callot, célèbre pour Les Grandes misères de la guerre (1633). L’aquafortiste
Abraham Bosse grave le quotidien des parisiens sous Louis XIII et Louis XIV. Grâce à Robert Nanteuil, les
graveurs sont reconnus comme « artistes libéraux » par Louis XIV et peuvent entrer à l’Académie royale de
sculpture et de peinture.
B. Des usages diversifiés
1. Les usages religieux
La gravure est utilisée dans le cadre de la Réforme protestante, en particulier avec les portraits de Luther
par Cranach. En réaction, les décrets du concile de Trente mettent en place une réglementation et initient
la publication de plusieurs traités De nombreux artistes prennent cause pour la Contre-Réforme : Rubens,
Poussin, Le Bernin.
Le traité des saintes images de Jean Molanus, paru en 1570 à Louvain, et modifié par une seconde
édition de 1594 est un manuel post-tridentin d’iconographie chrétienne à destination des clercs et surtout
des évêques. Molanus, chanoine et théologien de Louvain entend à la fois lutter contre l’abus des images
mais surtout justifier le recours aux images et c’est cette seconde intention qui domine. Ainsi, il réhabilite
certaines œuvres jugées pourtant dangereuses en affirmant qu’il faut amender l’interprétation qu’on en a
faite. L’ouvrage de Molanus vise à conjurer la crainte de l’iconoclasme protestant tout en réaffirmant le
magistère des évêques sur le contrôle des images chrétiennes, réaffirmé par le concile de Trente.
Burgkmair reçoit deux commandes importantes : l’illustration du rapport de voyage de Balthasar Springer,
qui s’est rendu en Afrique et en Inde pour le compte des Fugger en 1506, et produit des planches sur ces
peuples exotiques, de 2m en plusieurs planches et un portrait équestre de l’empereur Maximilien
(1508). Il utilise dans ce portrait de Maximilien la technique du clair-obscur ou du camaïeu. Ehrard Ratdolt,
imprimeur d’Augsbourg, après avoir été à Venise, apporte en Allemagne la gravure en couleur. Dans le cas
de l’estampe en couleurs, on utilise plusieurs matrices et fait imprimer à Augsbourg en 1494 un missel en
couleurs à l’aide de 5 matrices. Burgkamir réalise fait son portrait de Maximilien à l’aide de deux matrices.
A. Exposer l’information
R. Salzberg, Ephemeral City. Cheap Print and Urban Culture in Renaissance Venice, 2014. L’auteure
étudie les « cheap prints », imprimés bons marchés, qu’elle réduit aux feuilles volantes, à Venise, entre les
années 1470 et 1540. Elle redonne voix aux marchands ambulants, vendeurs et chanteurs de rue qui se
concentrent entre le Rialto et Saint-Marc. Elle souligne la mobilité et la flexibilité professionnelle des
acteurs, tel Nicolo Zoppino, imprimeur à succès mais aussi marchand ambulant et chanteur de rue
(jusqu’en 1510). La production de ces cheap prints accueille une grande diversité de thèmes et de genres :
nouvelles, secrets, textes religieux. Typographes et marchands ambulants participent à diffuser cette
production imprimée jusque dans les couches sociales les plus modestes. L’inflation documentaire des
imprimés bon marchés dès les années 1540 et surtout à partir du milieu des années 1560 conduit les
autorités à porter leur attention sur les feuilles volantes et les pamphlets. Du fait des risques encourus, les
vendeurs de cheap print se tournent vers d’autres produits.
A l’époque moderne émerge le ressenti d’une contemporanéité. C’est lié à la circulation des informations,
rendue possible par l’amélioration des moyens de circulation. A cet égard, les guerres d’Italie et de Religion
font figure de catalyseurs puisqu’ils sont les thèmes centraux de ces bulletins d’informations. Ces récits
illustrés d’événements sont appelés canard, mais il s’agit de pièces d’actualité sans régularité.
En Espagne au début du XVIIe s. les écrits des publicistes José Pellicer et Jeronimo Barrionuevo, qui
rendent compte dans leur correspondance manuscrite à leurs patrons en provinces des nouvelles et
informations à la cour, témoignent de l’émergence de cette actualité.
H. Ettinghausen, « Politics and the press in Spain », B. M. Dooley et S. A. Baron, The Politics of
Information in Early Modern Europe, 2001
L’impression des provisions de bénéfices ecclésiastiques et des appointements d’offices par Philippe III
provoque au début du XVIIe s. l’apparition de gazettes imprimées et relations. Il s’agit d’imprimés en
série, anonymes, dont l’auteur met en garde lecteur de diffuser le texte. Ainsi, un de ces imprimés décrit la
mort de Philippe III en 1621 : Lettre d’un gentilhomme à la cour à un de ses amis. L’auteur anonyme insiste
sur la contrition du souverain sur son lit de mort qui reconnait l’échec de son règne et dont le confesseur
Florencia apaise la conscience, tout en annonçant un nouveau gouvernement réformateur, celui d’Olivares.
Les relations, qui se concentrent sur un seul événement, dominent à l’époque. Un écrivain, Almansa y
Mendoza, a été identifié comme l’auteur de multiples relations dans lesquelles il relate en particulier la vie
de cour et les festivités.
Une presse populaire se développe, en général en vers. Elle adopte surtout une morale chrétienne en
montrant le rôle de Dieu dans la victoire de l’Espagne sur ses ennemis (Maures, Juifs, Protestants), en
dénonçant les pécheurs et les impies et en mentionnant les miraculeux rescapés des catastrophes
naturelles. En général, la première page est illustrée, à des fins publicitaires.
Une presse périodique apparait, avec la Gaceta nueva (1661). Ce périodique couvre les informations de
l’Europe de l’ouest, centrale, du nord et même de la rive nord de la Méditerranée. Il est publié dans les
principales villes espagnoles : Madrid, Séville, Saragosse, Valence et même Mexico. A sa suite les
publications de gazettes augmentent, surtout après 1680.
C. La presse d’information, un genre ambivalent, entre goût du public et critique des lettrés
Les newsletters, avisi visent un public de souscripteurs aisés. Les travaux de Brendan Dooley et Mario
Infelise sur les avisi montrent que ces nouvelles manuscrites sont jugées plus fiables car elles échappent à
la censure, au privilège ou à la licence. Dans les années 1620-1630 les newsletters ne sont pas censurées
en Angleterre non pas parce qu’elles sont moins subversives mais parce qu’elles sont destinées aux élites.
Ces nouvelles manuscrites sont copiées de 200 à 400 exemplaires. Certains novellistes comme John Pory
(1572-1636) publient des nouvelles manuscrites et imprimées.
2. Du manuscrit à l’imprimé, la presse d’information sous le feu des critiques
Le célèbre dramaturge Ben Jonson, dans sa pièce de théâtre Staple of News (l’entrepôt des
nouvelles », publiée en 1631 et rééditée en 1640, montre l’articulation entre nouvelles manuscrites et
presse d’information imprimée, tout en dénonçant l’inflation de fausses nouvelles que ce système
médiatique nouveau participe à diffuser. La pièce a pour décor principal une officine, dirigée par master
Cymbal, qui est informé grâce à des coureurs de nouvelles à la Bourse, la cour, Westminster, la cathédrale
Saint-Paul. Les informations sont ensuite triées et compilée de façon manuscrite par quatre employés,
avant d’être imprimées et diffusées. Ben Jonson accuse les novellistes de se renseigner auprès des
soldats ivrognes des tavernes et raille leur public de lecteurs, incarné dans la pièce notamment par une
crémière qui demande à acheter des nouvelles fraîches pas trop chères à rapporter à son pasteur. En fait
Ben Jonson vise Nathaniel Butter et Nicholas Bourne, deux stationers associés qui dominent le marché
londonien de l’information dans les années 1630, en faisant rédiger et imprimer des newsbook ou weekly
books vite oubliés. Pour Ben Jonson, comme il l’explique dès 1620 dans son divertissement de cour ou
« masque », News of the World, l’impression des nouvelles est problématique car il confère à l’écrit du
crédit auprès du public.
III. Les imprimés du quotidien : le non-livre comme média au cœur des régulations sociales
L. Lavoir, « Factums et mémoires d’avocats aux XVIIe et XVIIIe s. » Histoire, économie et société, 1988. La
thèse de l’auteure s’intéresse aux factums d’avocats, c’est-à-dire aux documents imprimés, en général de
quelques dizaine (et très rarement centaines) de pages qui rendent comptes des causes d’une affaire, à
destination du juge. Pour ce faire, elle se fonde sur 80 procédures présentant 200 documents et 2850
notes et mémoires généalogiques Ces factums sont établis pour l’essentiel par des avocats pour le compte
de familles de moyenne et haute noblesse. La thèse montre l’importance des litiges de droit civil, avec en
particulier la difficulté de pourvoir les dots, puis le degré de chicanerie des conflits intra-familiaux. Une
dernière partie est consacrée à l’étude d’un factum d’un avocat célèbre, Olivier Patru, qui révèle un conflit
qui oppose les religieuses de l’Hôtel-Dieu de Pontoise à leur prieure, au milieu du XVIIe s. Les religieuses
étant majoritairement jansénistes, elles sont confrontées à leur prieure, Mme de Guénégaud. Une première
révolte en 1647 est matée par les autorités religieuses de tutelle, mais en 1663, les religieuses contestent
la suppression du scrutin secret par lequel les sœurs s’exprimaient sur la candidature de chaque nouvelle
postulante. L’affaire est portée au Parlement de Paris, évoquée au grand conseil du roi et la prieure
l’emporte sur toute la ligne.
3. Les estampes
M. Grivel, Le commerce de l’estampe à Paris au XVIIe s., 1986 L’estampe recouvre une diversité de
métiers : papetiers, graveurs, enlumineurs, colporteurs. L’auteure participe à reconstituer un tableau de
Paris. Elle souligne une grande diversité : de la profession, avec des boutiques modestes du charnier des
Saints Innocents à celles qui visent un public aisé comme celle des Langlois rue Saint-Jacques ; diversité
des thèmes de gravure et enfin diversité des formes, depuis les estampes pour colporteurs aux
prestigieuses planches des gravures de Robert Nanteuil. S. Lepape, Gravures de la rue Montorgeuil, 2016.
s’inscrit dans la continuité de ce travail. L’auteure fait l’inventaire de 650 gravures vendues par les
marchands d’estampes installés entre 1550 et 1640 rue Montorgueil dans le quartier des Halles à Paris.