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Hélène Montardre
© 2016 Éditions Nathan, SEJER, 25, avenue Pierre-de-Coubertin, 75013 Paris, France
Loi n° 49-956 du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse, modifiée par la loi n° 2011-525 du 17 mai 2011.
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ISBN 978-2-09-256530-8
Sommaire
Couverture
Copyright
Le voyage d’Ulysse
1 - La malédiction de Polyphème
4 - L’aboyeuse de la mer
Où vit Circé ?
Hélène Montardre
LE VOYAGE D’ULYSSE
– Prenez gaaarde !
La voix d’Ulysse, emportée par le vent, ricocha sur les vagues et sauta
d’un navire à l’autre.
« Prenez garde, prenez garde… » Facile à dire ! Mais difficile à mettre en
œuvre sur une mer démontée.
Pourtant, quand les douze bateaux d’Ulysse, le roi d’Ithaque, avaient
quitté Troie, tout allait bien. Après dix ans de guerre, les Grecs avaient
enfin vaincu Troie, et chaque roi rentrait chez lui avec sa flotte chargée d’un
gros butin. Seulement voilà… Après quelques jours de navigation, Ulysse
et les siens avaient été emportés par une prodigieuse tempête.
Lorsqu’elle se fut calmée, ils naviguaient sur une mer inconnue. Pour
Ulysse, un long voyage commençait. Un voyage auquel on donna le nom
d’Odyssée…
1
LA MALÉDICTION
DE POLYPHÈME
De son œil unique, Polyphème regarde la mer. Elle danse sous le soleil
tandis que les oiseaux piquent parfois vers la crête des vagues pour attraper
un poisson imprudent. Polyphème observe leur manège. De temps en
temps, il tourne la tête pour s’assurer que ses brebis ne se sont pas
éloignées. Rien à craindre. Son troupeau est paisiblement installé sur la
colline et broute l’herbe avec ardeur.
Un drôle de grondement tire Polyphème de sa rêverie. Il passe sa main
sur son ventre. Il connaît ce bruit et cette sensation de vide à l’intérieur de
son énorme carcasse : il a faim ! Il a envie de viande. La salive lui monte à
la bouche et il a un mouvement de rage. Voilà longtemps qu’aucun
voyageur n’a fait halte sur son île ! Et pas de voyageurs signifie personne à
dévorer… Il va encore devoir sacrifier l’une de ses bêtes pour calmer son
estomac.
C’est alors qu’il entend des voix. Elles sont menues et légères et
s’égrènent dans l’air transparent avec la gaieté d’une guirlande de
clochettes. Polyphème bondit sur ses pieds, court dans l’herbe, se fige
soudain devant le plus charmant des spectacles. Une jeune fille et une
femme. Elles sont belles. Leur longue tunique laisse deviner leur corps
parfait. Des perles de lumière sont mêlées à leur chevelure. La jeune fille…
Ah ! La jeune fille ! Polyphème cesse de respirer. Son œil unique est fixé
sur la stupéfiante apparition. Son estomac vide ? Oublié. Ses oreilles
perçoivent des paroles qui sonnent comme la plus belle des musiques. Il y
est question de fleurs. Effectivement, la jeune fille serre un bouquet contre
sa poitrine. Polyphème pâlit puis rougit. Il voudrait tellement être l’une de
ces fleurs !
– Viens, Galatée, rentrons maintenant, dit alors la femme.
Galatée… Le nom s’inscrit en lettres de flammes dans le cœur de
Polyphème.
La jeune fille ramasse encore quelques fleurs et lance :
– J’arrive !
Polyphème les voit gagner la mer, y plonger légèrement et disparaître.
Alors, il comprend qui elles sont. La femme est Doris, l’épouse de Nérée, le
vieux dieu des mers. Et la jeune fille est l’une de leurs cinquante filles, dont
on dit qu’elles sont plus belles les unes que les autres. À présent, il est prêt
à jurer que cela n’est pas vrai ; la plus belle de toutes est Galatée.
Sur les hauteurs qui dominent les falaises, un long appel retentit. Le
géant qui l’a poussé se redresse de toute sa taille et guette l’horizon. Là-bas,
sur une colline, apparaît une silhouette, si haute qu’elle semble remplir le
ciel. Le géant sourit. Son cri a été entendu. Son compagnon le reprend et le
lance à son tour. Plus loin, un autre géant surgit et assure le relais. L’appel
parcourt ainsi la côte et informe ses habitants :
– Douze navires approchent ! Ils font voile vers notre port !
Bientôt, la nouvelle arrive à Télépyle, la capitale du royaume. Elle
n’inquiète personne. La cité est accrochée à la falaise et protégée par de
puissants remparts. Le port se trouve en contrebas, au fond d’un bras de mer
encadré par deux longues falaises. Elles s’avancent dans les flots en se
rapprochant l’une de l’autre, ménageant une entrée si étroite que les bateaux
qui l’empruntent doivent le faire à la queue leu leu.
Une jeune géante a aussi entendu l’avertissement. Elle est sortie chercher
de l’eau, mais la nouvelle est bien plus intéressante que l’eau de la source !
En effet, ils ne sont pas nombreux les visiteurs qui s’aventurent jusqu’ici…
Alors ces marins étrangers se dirigeant vers le port l’intriguent. Oseront-ils
y pénétrer ?
Curieuse, elle guette l’étroite ouverture entre les falaises. Bientôt, elle
voit un navire s’y engager. Qu’il est petit ! Un autre le suit, et un autre, et
un autre encore. La jeune géante les compte : un, deux, trois… neuf, dix,
onze… Ce sont onze bateaux qui s’alignent à présent en contrebas, le long
des quais.
« Pourtant, le guetteur a parlé de douze embarcations. Il a dû mal
compter ! » se dit-elle.
Trois hommes descendent du premier navire et prennent le chemin qui
grimpe vers la ville. La jeune géante avance à leur rencontre. Ces hommes
sont vraiment minuscules ! Ils doivent lever la tête pour s’adresser à elle.
– Bonjour, étrangers, dit-elle. Je suis la fille d’Antiphatès, le roi des
Lestrygons. Vous êtes ici sur ses terres et dans sa ville. Qui êtes-vous ?
D’où venez-vous ? Que voulez-vous ?
– Nous sommes des Grecs, répond l’un des marins. Notre chef se nomme
Ulysse. Nous revenons de Troie que nous avons vaincue, et nous sommes
en route pour Ithaque, notre royaume. Mais une tempête nous a détournés.
Nous avons besoin d’eau…
– Et de nourriture, ajoute un autre marin.
La jeune géante les examine quelques instants avant de conclure :
– Allez voir mon père.
Elle tend le bras :
– Vous voyez ces toits, là-bas ? Ce sont ceux de notre maison.
Les marins remercient et s’éloignent.
Chez les Lestrygons, tout est démesuré : les rues, les places… et les
Lestrygons eux-mêmes ! C’est ce que découvrent les marins, qui
commencent à se demander s’ils ont bien fait de venir jusqu’ici.
Ils ont raison de se poser la question… À peine sont-ils entrés dans la
demeure du roi qu’une géante se dresse devant eux. Elle est plus grande que
tous ceux qu’ils ont croisés, et elle n’a pas l’air commode. Elle ne perd pas
de temps à les interroger et appelle :
– Antiphatès ! Nous avons de la visite !
Sa voix est si puissante que les trois marins se bouchent les oreilles.
Sous leurs pieds, le sol se met à trembler.
« Boum, boum, boum… »
Ils reculent de deux pas. Mais il est trop tard pour battre en retraite. Le
géant qui vient de surgir est si énorme que, à côté de lui, les autres
paraissent tout petits. Et si son épouse n’a pas l’air commode, lui est
carrément terrifiant.
« Boum, boum, boum… »
Le roi des géants s’arrête devant les Grecs et les regarde. Il sent la salive
lui monter à la bouche. Bien sûr, ces hommes ne sont pas bien gros… Mais
c’est mieux que rien. Il ne prend pas la peine de les saluer, ni de s’enquérir
de leur nom ou de ce qu’ils veulent. Il tend ses gros doigts vers l’un d’eux
et, avant que le Grec ne réalise ce qui est en train de lui arriver, il le saisit, et
hop ! il l’avale.
Épouvantés, les deux autres marins tournent les talons et s’enfuient. Ils
détalent à toutes jambes vers le bateau tandis que dans leur dos la ville
résonne de cris :
– Alerte ! Alerte ! Votre roi sonne l’alerte !
De chaque maison, des Lestrygons surgissent. Du haut de la falaise, ils
lancent d’énormes blocs de pierre sur les navires amarrés dans le port. Un
bateau est touché, puis un autre. Le bois craque, les marins hurlent, certains
plongent dans l’eau. D’autres Lestrygons se précipitent. Le port grouille de
géants qui attrapent les fuyards et repêchent ceux qui ont sauté dans la mer.
Bientôt, il ne reste rien des onze bateaux qui se sont risqués dans le port, si
ce n’est du bois qui flotte et un silence de mort.
Dans les foyers des Lestrygons, c’est la fête. Un grand festin se prépare !
Voilà longtemps qu’ils n’avaient pas eu autant d’hommes à dévorer. Des
chants de victoire s’élèvent vers le ciel alors que la fille du roi rentre chez
elle, avec sa cruche pleine d’eau fraîche, en pensant au bon repas qu’elle va
faire.
Et Ulysse ?
Ulysse a été prudent. Le guetteur des Lestrygons avait raison : c’est bien
douze bateaux qu’il avait aperçus au large. Le douzième, c’est celui
d’Ulysse. Mais lui n’a pas engagé son navire dans le piège que constitue le
port des Lestrygons. Il est resté à l’extérieur, amarré à un rocher. Quand il a
compris que tout était perdu et qu’il ne pouvait rien pour ses compagnons, il
a coupé la corde qui retenait son bateau et ordonné à ses hommes de ramer
aussi fort qu’ils le pouvaient.
Des douze navires qui ont quitté Troie, il n’en reste désormais plus
qu’un, seul au milieu de la mer déserte.
3
LES MUSICIENNES
DE LA MER
Les jours passent. Les trois sœurs apprennent à pêcher des poissons pour
se nourrir. Elles observent la mer qui miroite à l’horizon. Parfois, un bateau
passe au loin et elles frissonnent. Elles n’ont pas oublié la terrible
malédiction de Déméter et aucune d’elles n’ose chanter. D’ailleurs, elles
n’en ont guère envie !
Un matin, cependant, Pisinoé se surprend à fredonner.
– Tais-toi ! lui ordonnent ses sœurs. As-tu oublié les paroles de la
déesse ? Veux-tu que tes chants attirent un navire sur nos récifs ?
Pisinoé baisse la tête.
– Je m’ennuie, se plaint-elle.
Thelxiopé et Molpé se détournent. Elles aussi s’ennuient ! Chanter les
distrairait. Elles adorent ça, et tout le monde s’est toujours accordé pour
dire qu’elles avaient les plus belles voix du monde.
Un après-midi, elles n’y tiennent plus. Leurs voix gracieuses montent au-
dessus des flots et résonnent sur les vagues. Loin là-bas, un marin entend
leur chant. Impossible de résister. Le vent gonfle les voiles de sa barque qui
se précipite vers l’île. Avant qu’elles aient réalisé le désastre, l’irréparable
se produit, le bateau s’écrase sur les rochers. Les trois sœurs se regardent,
consternées : le marin est mort.
C’est ainsi que naît la légende.
« Il y a des sirènes au milieu de la mer ! raconte-t-on. Il ne faut pas s’en
approcher ! Leurs chants attirent les hommes. Ils sont tellement envoûtés
qu’ils finissent par se jeter à l’eau. Alors les sirènes les dévorent… »
Les trois sœurs ont renoncé à lutter contre la malédiction de Déméter.
Elles chantent à perdre haleine, et tant pis pour ceux qui viennent mourir
sur leur île ! Les os de ces malheureux s’entassent et blanchissent au soleil.
Et la légende grandit.
L’ABOYEUSE DE LA MER
Les jours passent. Nul n’a revu Scylla. Des aboiements hargneux
jaillissent du fond de la grotte creusée dans la falaise. Ceux qui connaissent
les lieux conseillent aux voyageurs de l’éviter, expliquant qu’un monstre
odieux s’y cache.
Car Scylla a six têtes de chien à nourrir ! Depuis son observatoire, elle
repère les navires qui s’approchent trop près. Lorsque l’un d’eux passe à sa
portée, elle lance les longs cous en avant, et les crocs puissants happent les
marins imprudents. C’est le seul moyen qu’a trouvé la jeune nymphe pour
calmer sa meute. Le reste du temps, elle demeure tapie dans l’obscurité et
écoute mugir la mer. Ou alors, elle risque un regard à l’extérieur, et observe
sa voisine d’en face. Charybde est la régularité même. Trois fois par jour,
elle engloutit l’eau de mer au fond d’un gouffre sans fin et la recrache
ensuite dans les airs. Malheur au navire qui passe alors par là !
« Entre Charybde et moi, les marins ont peu de chances de s’en sortir ! »
songe souvent Scylla.
Et Ulysse ?
Ulysse finira par perdre tous ses marins, et même son bateau ! Il
connaîtra encore d’autres aventures avant de pouvoir rentrer chez lui, à
Ithaque, des années plus tard, pour livrer son dernier combat.
POUR EN SAVOIR PLUS
SUR L’HISTOIRE
DES MONSTRES DE L’ODYSSÉE
Un auteur grec.
Il a vécu au milieu du 8e siècle avant J.-C.
On pense que c’est lui qui a mis par écrit les récits de l’Iliade, qui raconte
un épisode de la guerre de Troie, et de l’Odyssée, qui met en scène les
aventures vécues par Ulysse lors de son retour de Troie, et notamment sa
rencontre avec Polyphème, les Lestrygons, les sirènes et Scylla.
Un auteur latin.
Il a vécu au milieu du 1er siècle avant J.-C. Dans ses Fables, il raconte
comment la déesse Déméter a changé les amies de sa fille en sirènes.
Un auteur latin.
Il a vécu à la fin du 1er siècle avant J.-C. et au début du 1er siècle après J.-
C. Dans Les Métamorphoses, il évoque l’histoire de Galatée et Acis, ou
encore celle de Scylla et Glaucos.
Oui !
Poséidon, furieux qu’Ulysse ait aveuglé son fils, fera tout pour empêcher
le roi grec de rentrer chez lui. Il déclenchera des tempêtes, et provoquera la
perte de tous les compagnons et bateaux d’Ulysse. Ce n’est qu’au bout de
dix années d’errance qu’Ulysse retrouvera enfin Ithaque, son épouse
Pénélope et son fils Télémaque.
Parce que ce n’est pas ainsi que les Grecs les représentaient.
Pour les Grecs, les sirènes avaient une tête de femme et un corps
d’oiseau. Ce n’est que de nombreux siècles plus tard que l’on a commencé
à représenter les sirènes avec un buste de femme et une queue de poisson.
Où vit Circé ?
Oui !
Le navire d’Ulysse a été disloqué par une tempête et Ulysse s’est
accroché à un morceau de mât. Le vent l’a alors poussé vers Charybde et
Scylla. Mais cette fois, il est passé à proximité de Charybde, et il a réussi à
lui échapper.
HÉLÈNE MONTARDRE