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Reste que le travail passe souvent pour une activité pénible et mutilante. Il semble alors
légitime de se demander pourquoi l’on travaille.
À cette question ‘‘Pourquoi travailler ?’’, les hommes répondront d’emblée qu’ils
travaillent pour gagner leur vie et, en dernier ressort, pour subvenir à leurs besoins.
La réponse semble si évidente que la question ne paraît d’abord avoir aucun intérêt. Mais
si le travail s’est toujours présenté comme une obligation vitale à laquelle aucune société
n’a pu échapper, l’homme n’en est jamais resté au niveau de la pure constatation. Il lui a
fallu donner sens à son activité. Quel sens ?
On peut se tourner vers chacune des deux traditions dont est issue notre culture pour
proposer deux réponses à cette question.
II. Pourquoi travaillons-nous ?
1. Le travail, condition de l’homme ; le labeur, malédiction divine
La première de ces traditions est la tradition hébraïque, dite bientôt judéo-chrétienne.
Dans le premier livre de la Bible qui raconte l’origine de l’univers, la Genèse, on lit :
« Le serpent était le plus rusé de tous les animaux des champs que le Seigneur Dieu avait
faits. Il dit à la femme : « Alors, Dieu vous a vraiment dit : « Vous ne mangerez d’aucun
arbre du jardin » ? La femme répondit au serpent : « Nous mangeons les fruits des arbres
du jardin. Mais pour le fruit de l’arbre qui est au milieu du jardin, Dieu a dit : « Vous n’en
mangerez pas, vous n’y toucherez pas, sinon vous mourrez ».
Le serpent dit à la femme : « Pas du tout ! Vous ne mourrez pas ! Mais Dieu sait que, le
jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront, et vous serez comme des dieux,
connaissant le bien et le mal ». La femme s’aperçut que le fruit de l’arbre devait être
savoureux, puisqu’il était agréable à regarder et qu’il était désirable, cet arbre, puisqu’il
donnait l’intelligence. Elle prit de son fruit, et en mangea. Elle en donna aussi à son mari,
et il en mangea. Alors leurs yeux à tous deux s’ouvrirent et ils se rendirent compte qu’ils
étaient nus. Ils attachèrent les unes aux autres des feuilles de figuiers, et ils s’en firent des
pagnes.
Ils entendirent la voix du Seigneur Dieu qui se promenait dans le jardin à la brise du jour.
L’homme et sa femme allèrent se cacher aux regards du Seigneur Dieu parmi les arbres du
jardin. Le Seigneur Dieu appela l’homme et lui dit : « Où es-tu donc ? »
Il répondit : « J’ai entendu ta voix dans le jardin, j’ai pris peur parce que je suis nu, et je me
suis caché ». Le Seigneur reprit : « Qui donc t’a dit que tu étais nu ? Aurais-tu mangé de
l’arbre dont je t’avais interdit de manger ? » L’homme répondit : « La femme que tu m’as
donnée, c’est elle qui m’a donné du fruit de l’arbre et j’en ai mangé ». Alors le seigneur
Dieu dit au serpent : « Parce que tu as fait cela, tu seras maudit par tous les animaux et
toutes les bêtes des champs. Tu ramperas sur le ventre et tu mangeras de la poussière tous
les jours de ta vie. Je mettrai une hostilité entre toi et la femme, entre ta descendance et sa
descendance : celle-ci te meurtrira la tête, et toi, tu lui meurtriras le talon ».
Le Seigneur Dieu dit ensuite à la femme : « Je multiplierai la peine de tes grossesses ; c’est
dans la peine que tu enfanteras des fils. Ton désir te portera vers ton mari, et celui-ci
dominera sur toi ». Il dit enfin à l’homme : « Parce que tu as écouté la voix de ta femme, et
que tu as mangé le fruit de l’arbre que je t’avais interdit de manger : maudit soit le sol à
cause de toi ! C’est dans la peine que tu en tireras ta nourriture, tous les jours de ta vie. De
lui-même, il te donnera épines et chardons, mais tu auras ta nourriture en cultivant les
champs. C’est à la sueur de ton visage que tu gagneras ton pain, jusqu’à ce que tu
retournes à la terre dont tu proviens ; car tu es poussière, et à la poussière tu
retourneras ».
L’homme appela sa femme Ève (c’est-à-dire la vivante), parce qu’elle fut la mère de tous
les vivants. Le Seigneur Dieu fit à l’homme et à sa femme des tuniques de peau et les en
revêtit. Puis le Seigneur Dieu déclara : « Voilà que l’homme est devenu comme l’un de
nous par la connaissance du bien et du mal ! Maintenant, ne permettons pas qu’il avance
la main, qu’il cueille aussi le fruit de l’arbre de vie, qu’il en mange et vive éternellement ! »
Alors le Seigneur Dieu le renvoya du jardin d’Éden, pour qu’il travaille la terre d’où il
avait été tiré. » (Genèse, 3:1-21)
Suite à ce texte, on considère souvent dans les mentalités occidentales que le travail est
une malédiction divine consécutive à la transgression originelle, autrement dit le résultat
d’un châtiment divin dont l’homme est responsable par son péché de désobéissance.
Pour avoir goûté du fruit défendu de l’arbre de la connaissance, le couple originel se voit
donc frappé de mort, Ève condamnée en outre à enfanter dans la douleur et Adam à
gagner son pain quotidien au prix de nombreux efforts. Cela laisse supposer que dans
l’état paradisiaque qu’il quitte, dans le jardin d’Éden qu’il habitait à l’origine, l’homme
(=Adam+Ève) pouvait s’adonner au loisir et ne travaillait pas, puisqu’il n’avait pas à se
procurer une nourriture, jusque-là exclusivement végétale, qu’il trouvait toute préparée en
ce verger délectable (Éden signifie délices en hébreux).
Michelangelo di
Lodovico Buonarroti
Simoni (1475-1564)
Le Péché originel et
l’expulsion du Paradis
terrestre, 1510, Chapelle
Sixtine, Vatican
Mais le texte de la Genèse qui précède l’extrait que nous avons lu dit en réalité tout à fait
autre chose : « Dieu prit l’homme et l’établit dans le jardin d’Éden pour le cultiver et le
garder » (2:15). Le cultiver et le garder !
La précision est donc de rigueur. À proprement parler, le travail, comme tel, n’est pas
une sanction suite au péché du premier homme. Ce qui constitue la punition de la
transgression de l’interdit divin est la sueur versée pour acquérir le pain. Il faut donc
distinguer le travail, dont le récit biblique lui-même nous indique qu’il est coextensif à
l’existence humaine, du labeur, du travail pénible et soutenu, de l’ouvrage d’importance et
de longue haleine qui, lui, fait office de châtiment.
En fait, ce n’est pas le travail qui est maudit mais la terre. C’est donc parce que, de fertile,
la terre devient pauvre, voire stérile que l’homme va devoir travailleur durement pour lui
arracher sa survie.
II. Pourquoi travaillons-nous ?