« Le débordement de la casserole dû à l’absence de la Carotte »
Ce sont les mots venus à la bouche de mon ami Léon alors que je venais de faire déborder l’eau en train de bouillir. La carotte, tel est le nom que les gens m’ont donné. Ce nom, je l’aime, j’aime ma belle chevelure rousse. Ma mère nous disait, à ma sœur et moi, que cela nous rendait unique. J’aime ma maman, ma mère aussi était rousse, elle aussi était belle. mais contrairement à moi, ma mère savait cuisiner. J’aime manger les plats qu’elle nous mitonnait. J’expliquais à mon ami m’ayant rendu visite l’histoire tragique qui va suivre :
« Je faisais la cuisine en attendant le retour de Thibault, il était sur le
point de rentrer et j’essayais tant bien que mal de réussir ce plat. Ma sœur et moi avons toutes deux hérité de deux aspects de notre mère. Personnellement, ce sont sa beauté et sa bêtise qui me revinrent. En effet, je suis, en toute modestie, très jolie. Par contre je suis aussi naïve et distraite que ma maman. Emma, ma sœur, contrairement à moi, sait cuisiner et chanter. — Oh, qu’elle chantait bien ! me souvenais-je. Maman était cantatrice, avant sa mort. Ma sœur a repris le flambeau, elle est cantatrice, à son tour. Moi, la carotte, de mon vrai nom Luciole, je suis femme au foyer. Je n’ai pas aussi bien réussi que mes parents et ma sœur. Étant adolescente, j’étais promise à un avenir de mannequin grâce à ma beauté. — Clap ! la porte claqua. — Quand-est-ce qu’on mange ? s’écria Thibault. Thibault, c’est mon mari, il est loin d’être parfait, mais je l’aime. Pour lui, être mannequin c’est inutile, il m’avais demandé de ne pas me lancer car pour lui, ce serait juste un manque de respect vis-à-vis de lui de m’exposer devant tant de monde, tant d’hommes. Il les considère comme des voleurs voulant lui voler mon cœur.
— J’ai soif, il reste des bières ?! Lançait-il en se dirigeant vers le
frigid-aire. Lors de mes dix-huit ans, Thibault me força à arrêter mes études, il disait que si je partais aux États-Unis en haut école, il cesserait de m’aimer à cause de la distance. De plus, il m’assurait qu’on gagnerait moins d’argent en travaillant plutôt qu’au chômage avec des aides de l’État. Je n’étais pas d’accord avec lui mais je vais m’y suis pliée, car je l’aime. Il s’allongea devant la télévision, bière à la main, en attendant que je termine le repas. Il dépense la majorité de notre argent mensuel en boissons, cigarettes ou au casino, mais au fond, je l’aime. — Où en étais-je ? Ah oui, la sauce ! me disais-je. J’essayais tant bien que mal de reproduire la recette du livre de ma mère, bien que cela ne soit pas facile. Maman disait que pour qu’une recette soit réussie, il fallait la réaliser en chantant, hélas, je ne sais pas chanter. C’est peut-être la raison de mon incompétence en cuisine, Dieu seul sait. Sur un ton légèrement moqueur mais bienveillant, en même tant que Thibault, je disais : — « C’est bientôt prêt ? » Ses répliques, je les connaissais par cœur. Après plus de 15 ans de vie commune, je pouvais prédire ses moindres faits et gestes. C’est comme s’il vivait en moi. Thibault ne m’a jamais réellement gâtée. Au début de notre relation, il me disait des mots doux, me faisait plaisir de temps en temps en s’occupant du repas ou en pendant le linge, mais malheureusement, tout cela s’arrêta bien vite. Maintenant, il passe la majorité de son temps au bistrot du coin ou devant la télévision en fin de mois quand le compte en banque se fait vide. On n’a plus aucun moment de complicité, ce n’est plus comme au début, mais je l’aime, quoi qu’il fasse, je ne peux cesser de penser à lui, de l’idéaliser et de l’aimer. Ce soir là, comme tous les jeudis soir — non, que dis-je ? — comme tous les soirs, Thibault se rendait à L’Écluse. C’est un lieu où les gens se retrouvent pour dépenser leur argent en achetant des bières ; il me semble qu’ils appellent ça aussi « le bistrot » je n’aime pas ce concept, mais il s’y amuse donc je suis heureuse pour lui. Lorsque lorsqu’il partait, je m’occupais, je regardais la télévision — quelle belle invention, d’ailleurs ! — puis j’allais me coucher et recommencer mon train de vie tous les jours. Mais ce soir là, je sentais que c’était différent, quelque chose se tramait. J’ignorais pourquoi, mais je savais que quelque chose d’anormal allait se produire. Dans notre maison, rien n’avait de valeur du moins pas de réelle grosse valeur. Seuls quelques objets dont mes parents m’avait fait don après leur mort en avaient un chouïa. Parmi ceux-ci figuraient une collection d’une douzaine d’objets datant de l’antiquité aux temps modernes. Mes parents étaient très riche mais ne souhaitaient ne léguer d’argent ni à moi ni à ma sœur car ils estimaient que l’on devait apprendre à s’en sortir seules. Ces objets étaient donc le seul patrimoine leur appartenant autre fois qui nous fut transmit. Notre famille était assez connue et riche dans toute l’Europe principalement en France, aux Pays- Bas et en Allemagne, not-amment grâce a ma mère, mais aussi grâce aux talents de banquier de mon père. Hélas ni moi ni ma sœur avons hérité de ses talents. Nous possédions plusieurs maisons mais toutes furent vendues aux enchères et l’argent qui en fut tiré, reversé à des œuvres caritatives, mes parents étaient très sensibles à ce genre de causes. Lors du partage de l’héritage, ma sœur décréta qu’elle n’aurait pas besoin de toutes les vieilleries léguées par nos parents. Elle es-timait qu’elle avait déjà réussi dans la dans la vie et qu’elles serviraient plus à moi qu’à elle. Après moulte discussions j’eus accepté de prendre ces objets et décida de les stocker dans mon grenier. Thibault n’était pas enchanté à l’idée de stocker ce genre d’objets dans le grenier même lorsque je lui disais qu’avec le temps ils prendraient de la valeur. Il disait que ce n’était pas ses objets et qu’il n’accepterait pas leur stockage dans sa maison. Malgré cela j’ai quand même réussi à le con- vaincre — ce fut difficile — mais depuis, tous les objets figurent dans notre grenier. Il n’y avait qu’une seule pièce à laquelle je portais beaucoup d’af-fection. Celle-ci datait du Moyen Âge et aurait appartenu, selon ma mère, au bouffon de Clovis en personne. C’était une marotte on ne peut plus clas-sique, mais elle avait comme moi une belle chevelure rousse et de beaux yeux bleus. Au-delà de sa valeur monétaire, elle avait aussi énormément de valeur sentimentale pour moi. En effet, malgré sa grande fragilité et son vieil âge, ma mère nous distrayait avec cette poupée, moi et ma sœur, quand nous étions petites. Il était donc facile pour moi de m’y identifier et de me voir à travers celle-ci. J’avais donc placé cette marotte dans un écrin au centre du grenier pour la protéger de l’humidité ou des nuisibles tels que les rats ou les cafards. À l’époque, ma mère l’avait faite estimer, et le prix fut considéré à hauteur d’un demi million d’euros. C’était une grosse valeur certes, mais je ne souhaitais en aucun cas m’en séparer. Beaucoup de monde savait qu’elle était préservée par notre famille mais nul ne connaissais le lieu ou j’habitais. Je n’avais donc aucune raison de m’inquiéter quant à son vol car nul ne savait où cette marotte se trouvait. Seulement, ce soir là, Thibault ayant un peu consommé fut interrogé par un groupe de jeunes — ayant tous à peu prés la trentaine — qui avaient l’air tout-à-fait au courant que Thibault était mon mari et que celui-ci pourrait facilement les amener à cette marotte tant convoitée. Ils commencèrent donc par créer une tension amicale entre eux et Thibault, ils le firent boire, beaucoup, trop. Celui-ci, en raison de L’atmosphère qui régnait, se laissa donc prendre à leur jeu et fini par divulguer l’emplacement exact de cette marotte. Il ne pensait pas mal faire, il en avait même oublié la valeur réelle de celle-ci, et il ne se doutait encore moins de la réelle intention de ses ravisseurs. Ce groupe de jeunes a donc fini par faire sortir Thibault du bar en lui promettant une chose que j’ignore, celui-ci se laissa faire et fut retrouvé mort le lendemain dans une ruelle perdue au fin fond de la ville. Vu que je fus l’une des dernières personnes l´ayant côtoyé, je fus donc convoquée au poste de police le plus proche du drame et je fus interrogée pour savoir si je savais quelque chose sur cet incident ou pire, si j’en étais l’auteure. J’ai du en toute logique totalement nier les faits et expliquer à la police que je savais ce que Thibault allait faire à L’Écluse, mais que je ne le suivais pas à la trace car je lui laissais faire sa vie. J’ai été libérée du com-missariat à dix-huit heures trente-sept exactement et j’ai donc dû rentrer à pieds chez moi, à une demi-heure de marche de l’endroit dans lequel je me trouvais. Je mis un certain temps pour rentrer mais lorsque je fit pour rentrer dans ma maison, j’ai remarqué que la porte fut forcée. Je me précipita donc d’abord instinctivement vers la chambre puis me souvenus de l’existence de la marotte et fonça dans le grenier. C’est avec stupeur et désarroi que je fus contrainte de constater l’absence de la marotte. Les ravisseurs laissèrent un message à l’emplacement de l’objet, lequel disait « Ton ivrogne de mari nous fut bien utile, il n’est pas mort en vain. » Je fus prise d’une tristesse profonde et d’une colère noire, je ne pouvais pas y croire, le souvenir le plus précieux que j’avais de ma mère fut dérobé, durant mon absence, par les mêmes personnes ayant tué mon mari. J’avais perdu deux des choses auxquelles j’étais le plus attachée dans cette vie, je ne pouvais être heureuse après cela. »
Mon ami Léon était déboussolé non-seulement par la rapidité à
laquelle se sont passés ces évènements mais aussi par la violence de ceux- ci. J’ai donc discuté avec lui un bon moment pour qu’il finisse par conclure, avec cette fameuse délicatesse dont il fait toujours preuve : — C’est une bien triste histoire, je compatis. Sache que je t’apporte l’entièreté de mon soutien. Je me dois par contre de souligner une chose, la vie ne t’a fait aucun cadeau, en allant de ton manque de talent de chanteuse t’ayant empêché de suivre les traces de ta mère, jusqu’aux évènements récents. Je ne peux que conclure qu’en mettant en exergue le débordement de la casserole dû à l’absence de la marotte.