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UNE SÉRIE DES

ANNALES
DES MINES
FONDÉES EN 1794

ENJEUX NUMÉRIQUES
ISSN 2781-1263 (en ligne)
ISSN 2607-9984 (imprimé)
Série trimestrielle - N°22 - Juin 2023

Rédaction Membres du Comité de rédaction

Conseil général de l’Économie Jean-Pierre Dardayrol


Ministère de l’Économie, Président du Comité de rédaction
des Finances Edmond Baranes
et de la Souveraineté
industrielle et numérique Godefroy Beauvallet
120, rue de Bercy Côme Berbain
Télédoc 797 Pierre Bonis
75572 Paris Cedex 12
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Tél. : 01 53 18 52 68
http://www.annales.org Serge Catoire
Grégoire Postel-Vinay Nicolas Chagny
Rédacteur en chef Arnaud de La Fortelle
Gérard Comby Éric Freyssinet
Secrétaire général Francis Jutand
Alexia Kappelmann Caroline Leboucher
Secrétaire générale adjointe
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Magali Gimon
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Assistante de rédaction
et Maquettiste Grégoire Postel-Vinay
Myriam Michaux Maurice Ronai
Webmestre et Maquettiste Anne-Lise Thouroude
Laurent Toutain
Publication
Benjamin Vignard
Photo de couverture
René Marjolin, dessinateur,
Étude de bateau, dessin,
19e siècle. Paris, Musée de la La mention au regard de certaines
Vie romantique (©Paris Musées / illustrations du sigle « D. R. » corres-
Musée de la Vie Romantique) pond à des documents ou photogra-
phies pour lesquels nos recherches
Iconographie
d’ayants droit ou d’héritiers se sont
Alexia Kappelmann
avérées infructueuses.
Mise en page
Magali Gimon Le contenu des articles n’engage
Impression que la seule responsabilité de leurs
Dupliprint Mayenne auteurs.
Sommaire

Mondes virtuels –
Perspectives et enjeux

Introduction générale
04 « La France veut un développement des mondes virtuels conforme à ses
valeurs »
Entretien avec Jean-Noël BARROT, ministre délégué chargé
de la Transition numérique et des Télécommunications
Mélanie BÉNARD-CROZAT

09 Introduction : Mondes virtuels – Quels horizons ?


Général Éric FREYSSINET

12 « La connexion réseau a été perdue »


Essai sur la représentation et l’imaginaire des mondes virtuels
Thierry DUFRÊNE

Les jeux et les technologies


de réalité virtuelle et augmentée

20 Les mondes virtuels dans le monde des jeux vidéo


Leroy ATHANASSOFF

25 Les mondes virtuels, nouvelles perceptions, nouvelles représentations


Thomas TASSIN

32 Quels outils numériques pour les formations de demain ?


Entretien avec François TADDÉI
Grégoire POSTEL-VINAY

42 Qu’attendre de la réalité virtuelle et augmentée


pour les applications médicales
Jean-Baptiste MASSON

51 La formation en réalité augmentée et mondes virtuels


Jean-Michel LAVALLARD

53 Handicap, accessibilité et formation aux mondes virtuels


Sylvie SANCHEZ

Les Métavers
57 Qui sont les acteurs du métavers ?
Paul JOLIE et Emmanuel CAQUOT

2
Enjeux numériques – Juin 2023 – N°22 © Annales des Mines

70 Témoignage de l’association France Meta


Interview de Pierre PAPERON, président de l’association
Général Éric FREYSSINET

75 Quel est le réel potentiel du métavers ?


Frédéric CAVAZZA

80 Le métavers au service de la mode et du luxe ?


Pascal MORAND et Marine PEYROL

86 L’adoption du métavers : les mondes virtuels et l’industrie du luxe


Nelly MENSAH

Enjeux juridiques et éthiques


91 Effet des mondes virtuels sur l’enquête judiciaire
Noémie CARON

96 Enjeux juridiques et éthiques posés par les mondes virtuels


Me Corinne THIERACHE, Me Caroline LEROY-BLANVILLAIN
et Hanna LE DERRIEN

103 L’éthique, frein aux innovations et interfaces numériques ?


Dr Laure TABOUY

Hors Dossier
112 Le baromètre du numérique - édition 2022
Michel SCHMITT et Matthias de JOUVENEL

121 Traductions des résumés

126 Biographies des auteurs

Ce numéro a été coordonné par


le Général Éric Freyssinet

3
Introduction générale

« La France veut un
développement des mondes
virtuels conforme à ses valeurs »
Entretien avec Jean-Noël BARROT,
ministre délégué chargé
de la Transition numérique
et des Télécommunications
Propos recueillis le 11 mai 2023
par Mélanie BÉNARD-CROZAT
Rédactrice en chef de la revue
Sécurité & Défense Magazine (S&D Magazine)

L’avenir passe par les nouveaux champs d’innovation du numérique. Les cryptoactifs,
par exemple, sont actuellement détenus par 8 % des Français, et notre pays compte déjà
des pépites de renommée mondiale. Nous nous sommes dotés d’un cadre réglementaire
qui a inspiré l’Europe1. Mais ces technologies évoluent très vite et nous avons des places
à prendre. Nous allons donc poursuivre nos efforts pour faire de la France le premier
hub européen pour les innovations reposant sur la blockchain. Le métavers est lui aussi
un enjeu de souveraineté numérique et culturelle majeur pour la France. Nous devons
être en mesure de développer et maîtriser les briques technologiques permettant d’offrir
des solutions métavers dans tous les domaines applicatifs, qu’il s’agisse par exemple de
l’e-sport ou de la culture. Nous pouvons d’ores et déjà nous appuyer sur un tissu d’acteurs
de grande qualité pour répondre à la volonté du président de la République de créer un
métavers européen. Je pense notamment à l’Inria, Ubisoft ou à Dassault Systèmes, leader
mondial sur les jumeaux numériques et dont les applications dans l’industrie peuvent
renforcer substantiellement notre compétitivité. Les enjeux du métavers sont vastes et
très intriqués. Il s’agit de préparer l’avenir avec ambition et détermination, et les travaux
sont en cours pour conduire prochainement à une stratégie dédiée.

Des métavers :
une définition commune

Si de nombreux projets aussi différents que des plateformes de réalité virtuelle, des jeux
vidéo multijoueurs, des plateformes de diffusion de concerts en réalité augmentée ou des

1
Le règlement général sur la protection des données (RGPD) en avril 2016, le règlement (UE)
2018/1807 du 14 novembre 2018 sur les données non personnelles, la directive (UE) 2019/1024 du
20 juin 2019 concernant les données ouvertes et la réutilisation des informations du secteur public,
le règlement sur les marchés numériques (DMA) de septembre 2022, le règlement sur les services
numériques (DSA) d’octobre 2022, le règlement 2022/868 sur la gouvernance européenne des données,
(DGA), dont l’entrée en vigueur est prévue pour le 24 septembre 2023, la proposition de règlement
sur l’harmonisation des règles d’accès et d’utilisation équitable des données, dite “Data Act”.

4
Enjeux numériques – Juin 2023 – N°22 © Annales des Mines

sites de vente en ligne fondés sur des blockchains s’attribuent l’appellation « métavers »,
ce dernier est défini par plus de 80 personnalités consultées dans le cadre du rapport
parlementaire sur les technologies immersives et les métavers qui nous a été rendu
au ministre de la Culture et à moi-même (entrepreneurs de la réalité virtuelle et de la
blockchain, acteurs culturels, artistes, professionnels du jeu vidéo, chercheurs en sciences
sociales, en intelligence artificielle et en informatique) comme « un service en ligne
donnant accès à des simulations d’espaces 3D en temps réel, partagées et persistantes,
dans lesquelles on peut vivre ensemble des expériences immersives ».

Des ambitions affirmées


Les métavers s’annoncent comme porteurs de débouchés majeurs, de l’industrie à la
santé, en passant par la formation et l’économie. Parce qu’ils pourront contribuer à la
démocratisation de nouvelles formes d’expression culturelle et d’outils de création en
ligne, ils représentent une opportunité indéniable. Pour la France et pour l’Europe, le
développement des métavers doit permettre l’émergence de nouveaux leaders mondiaux
des usages du numérique, et renforcer le rayonnement culturel français. Les métavers
seront déterminants pour l’avenir du numérique et du Web3, pour lesquels la France doit
jouer un rôle majeur au niveau mondial en s’appuyant sur un savoir-faire, des leaders
industriels mondiaux et un esprit entrepreneurial exemplaire. Mais si les métavers sont
de formidables espaces d’innovation, ils doivent promouvoir la créativité de chacun tout
en assurant la protection des utilisateurs, de leur liberté, et de leurs données. Je pense
notamment aux mineurs qui font l’objet de notre plus grande vigilance. Ce rapport souligne
la nécessité de déployer une stratégie qui réaffirme notre modèle de société en soutenant
un développement des métavers aligné avec nos valeurs françaises et européennes, dans
le respect à la fois des exigences climatiques, de santé publique, et d’acceptabilité sociale.
Parmi les dix leviers d’actions qui visent à développer l’infrastructure technologique,
soutenir l’innovation, miser sur les usages, orchestrer la régulation et prendre en compte
les enjeux sociétaux et environnementaux, le rapport invite aussi à se saisir de l’oppor-
tunité des Jeux olympiques pour rassembler les acteurs français des métavers autour de
projets concrets, au sein d’un consortium public-privé placé sous le pilotage de l’Inria.
Objectif : proposer des actions de grande visibilité autour d’expériences immersives
pouvant être partagées avant, pendant et après les Jeux olympiques et paralympiques
(entraînement / compétitions, transport / tourisme, coulisses / échanges avec les athlètes).

Standards et puissance publique


La France doit réinvestir les instances de négociation des standards techniques, pour parti-
ciper activement aux discussions sur l’interopérabilité des technologies de l’immersion.
La puissance publique aura aussi un rôle à jouer pour faire émerger les services communs
et essentiels permettant l’avènement d’une pluralité de métavers interopérables.
La règlementation qui s’intensifie au niveau européen, notamment avec le règlement
général sur la protection des données (RGPD), le DSA2 (législation sur les services numé-
riques) et le DMA3 (la législation sur les marchés numériques) devront être adaptés aux
enjeux des métavers.

2
https://www.economie.gouv.fr/legislation-services-numeriques-dsa-adoption-definitive-texte
3
  https://ec.europa.eu/info/strategy/priorities-2019-2024/europe-fit-digital-age/digital-markets-act-
ensuring-fair-and-open-digital-markets_fr

5
Introduction générale

L’État est également appelé à investir dans des outils et les techniques d’analyse des
métavers, et des transactions qui s’y déroulent, afin de permettre aussi bien la détec-
tion des infractions pour remonter aux auteurs que de percevoir l’impôt ou encore de
réaliser des investissements dans des initiatives de recherche interdisciplinaire (infor-
matique, neurosciences et sciences sociales) de grande ampleur et à long terme, utili-
sant les dispositifs existants (France 2030, quatrième programme d’investissements
d’avenir, programmes et équipements prioritaires de recherche, agence nationale pour
la recherche).

Les piliers de la recherche


et de l’innovation

Soutenir l’innovation sera aussi stratégique. Protéger et encourager les acteurs en


pointe sur des briques technologiques sera essentiel à la constitution des métavers de
demain. Cette stratégie nationale du métavers viendra consolider et protéger les filières
industrielles de la réalité virtuelle, de la modélisation 3D, de l’animation 3D et du jeu
vidéo, mais aussi attirer des talents et éviter autant que possible la fuite des cerveaux.
La France bénéficie d’ores et déjà de filières d’excellence dans les technologies de l’immer-
sion. Pour aller plus loin, il est appelé à créer un institut de recherche et coordination qui
serait à la fois un laboratoire de recherche en informatique dédié aux arts immersifs, un
lieu de coordination entre chercheurs et artistes pour la création d’œuvres immersives
innovantes dans les métavers, et un comptoir d’expertise pour toutes les institutions
culturelles concernées.

Une démarche responsable


La technologie et le numérique joueront également un rôle clef pour relever le grand défi
écologique et atteindre la neutralité carbone. Au gré des évolutions technologiques, la
transition est déjà une réalité : la fibre consomme trois fois moins d’énergie que le cuivre.
En zone dense, la 5G utilisera dix fois moins d’énergie que la 4G, à usage constant.
Conformément aux objectifs fixés par la Première ministre, et bien que le secteur du
numérique ne représente que 2,5 % de l’empreinte carbone du pays, tous les acteurs ont
confirmé leur volonté de diminuer de 10 % leur consommation énergétique d’ici deux ans.
Le métavers doit aussi intégrer cette dimension et permettre de développer des solutions
au service de la sobriété numérique, ainsi qu’un système de mesure de l’impact environ-
nemental de ses infrastructures. Ainsi, collectivement, nous pouvons franchir la première
marche vers une neutralité carbone, souhaitée par le président de la République à horizon
2050.

Approche collaborative et éthique


Nous souhaitons que cette transition numérique immersive qui se profile s’opère au profit
de la population. Elle ne se fera pas au détriment de notre souveraineté technologique,
économique et culturelle. L’adoption de ces technologies ne prospérera toutefois qu’à la
condition de les mettre au service de nos concitoyens.
Aussi, avons-nous invité ces derniers, les entreprises, les associations et les chercheurs,
au travers d’une consultation publique lancée en avril 2023, à exprimer leurs attentes et
perspectives en la matière. Cette consultation qui vient en complément de celle lancée
au niveau international par la Commission européenne, entend contribuer à définir cette
stratégie nationale ambitieuse sur l’univers immersif virtuel et proposer une alternative

6
Enjeux numériques – Juin 2023 – N°22 © Annales des Mines

aux univers immersifs virtuels proposés aujourd’hui par les géants internationaux. Elle
a pris fin début mai.
Les citoyens ont été interrogés sur la réalité mixte, la blockchain et les logiciels de création
3D. Nous avons également souhaité les inviter à nous faire part de leurs intentions de
mener des activités dans les univers virtuels immersifs. Les chercheurs ont été priés
d’identifier les domaines dont le développement devra être financé en priorité. Ils ont
par ailleurs partagé une description de leur vision des expériences immersives virtuelles.
Les entreprises et associations ont été encouragées à présenter les éléments sur lesquels
les futurs mondes immersifs s’appuieront, et à identifier les différents obstacles qui
pourraient entraver la progression des entreprises françaises dans le développement des
univers virtuels immersifs.
Les sujets éthiques liés au numérique sont majeurs. Aussi j’ai saisi le comité national
d’éthique du numérique sur un projet pilote en 2019. Il a été pérennisé cette année par
le Président de la République, et le comité rendra cet été un avis sur l’éthique de l’IA et
des agents conversationnels comme ChatGPT. De même, nous pourrions envisager de
le saisir également sur la notion de mondes virtuels. Les enjeux liés à la protection des
données et des mineurs figurent parmi les principaux points de vigilance.

L’Europe et les mondes virtuels ouverts,


interopérables et innovants

La Commission européenne entend aussi élaborer une vision des mondes virtuels émer-
gents fondée sur le respect des droits numériques et de la législation et des valeurs de
l’UE. L’objectif est de créer des mondes virtuels ouverts, interopérables et innovants que
les citoyens et les entreprises pourront utiliser en toute sécurité et en toute confiance.
La consultation devrait permettre de préciser cette vision, exposer les perspectives et
les enjeux sociétaux, et annoncer les mesures de mise en œuvre à venir. La Commission
européenne poursuit actuellement son projet de passeport numérique des produits4. Un
dispositif qui doit théoriquement imposer que chaque produit physique renvoie vers une
carte d’identité en ligne intégrant des données sur son origine et son mode de production.
Celui-ci, comme les métavers, devrait s’adosser à un système de blockchain.

Des débouchés majeurs


Les métavers s’annoncent comme porteurs de débouchés majeurs, de l’industrie à la santé,
en passant par la formation et l’économie, et carils pourront contribuer à la démocrati-
sation de nouvelles formes d’expression culturelle et d’outils de création en ligne. Nous
avons une longue tradition dans ce domaine, avec des acteurs de la 3D pour l’industrie et
la santé dont un leader mondial qui est Dassault Systèmes, avec des acteurs des univers
virtuels pour les jeux vidéos comme Ubisoft ou encore des sociétés comme Ledger. Et des
écoles reconnues au plan international comme Les Gobelins. La filière française de la
création immersive a également donné naissance à des studios de fabrication reconnus
mondialement. D’autres projets innovants – indispensables pour naviguer et réaliser
des transactions dans les métavers – sont en cours de développement afin d’offrir des
solutions de gestion d’identités, de stockage décentralisé, ou de sécurisation des actifs
numériques. Il en ressort ainsi que pionniers et pépites des métavers français se répar-
tissent entre deux écosystèmes, celui de la réalité virtuelle / réalité augmentée / réalité

4
  Voir par exemple pour les produits de santé, https://hadea.ec.europa.eu/calls-proposals/digital-
product-passport_en

7
Introduction générale

mixte (ou réalité étendue) ; et, de l’autre, l’écosystème blockchain / Web3 / NFT. Pour la
France et pour l’Europe, le développement des métavers doit permettre le renforcement
de ces leaderships, mais aussi permettre l’émergence de nouveaux leaders mondiaux des
usages du numérique et renforcer le rayonnement culturel français.
Le développement de ces nouveaux univers n’en est qu’à ses débuts. Mais il est possible
d’en anticiper les formes et modalités d’usages, en s’appuyant sur ce qui existe déjà
en termes de technologies immersives (réalité virtuelle, réalité augmentée, hardware
lunettes / combinaisons haptiques…) et des infrastructures réseaux (moteurs de calcul
issus du secteur du jeu vidéo, services cloud…), pour offrir des expériences sociales, profes-
sionnelles ou culturelles enrichies. À l’échelle de ce match devenu mondial, la France a
un rôle majeur à jouer en Europe, et ses succès contribueront à ceux de l’Union. Nous
devons rester pionniers pour garantir le respect des droits et des devoirs dans l’espace
numérique, et permettre à la démocratie de s’emparer du cyberespace.
Des avatars aux jumeaux numériques, des cryptoactifs aux casques de réalité virtuelle, le
développement des métavers est une opportunité majeure que nous devons saisir tout en
respectant nos valeurs et nos droits fondamentaux.

8
Enjeux numériques – Juin 2023 – N°22 © Annales des Mines

Introduction :
Mondes virtuels –
Quels horizons ?
Par Éric FREYSSINET
Officier général de gendarmerie

Lorsque nous avons commencé à travailler sur ce numéro d’Enjeux numériques, ­l’actualité
sur les mondes virtuels était accaparée par les annonces de certains industriels, l’émer-
gence annoncée de technologies Web3 et un engouement particulièrement visible de
nombreux acteurs économiques.
Depuis, Facebook a discrètement refermé la porte sur cet épisode, comme un soufflé raté.
Ces soubresauts ne doivent pas masquer les réalités de fond, à savoir des technologies
utiles qui transforment progressivement les apprentissages, la vie professionnelle ou les
divertissements.
L’imaginaire, la création, les religions ont souvent recours à des mondes imaginaires,
où l’homme projette sa personne ou des êtres surnaturels, qu’il admire ou qu’il craint.
Cette capacité à se projeter est de plus en plus soutenue par des outils numériques qui
permettent de jouer, simuler, tester en toute sécurité, faciliter les interactions ou encore
se mêler à la réalité en l’augmentant.
En France, l’expérience de Laval, depuis 1996, a su montrer une véritable dynamique
d’innovateurs dans les technologies d’immersion, de la réalité virtuelle à la réalité
­
augmentée (regroupées sous la terminologie des solutions XR – ou réalité étendue), au
travers du salon qu’organise l’association Laval Virtual chaque année, mais aussi grâce
aux travaux du centre de ressources technologiques du laboratoire CLARTE, et des collec-
tivités et entreprises qu’elle accompagne et qu’elle soutient.
Plusieurs témoignages dans ce numéro illustrent cette dynamique, mais aussi les
nombreuses questions que posent ces technologies. Très souvent, les auteurs nous
appellent à revenir à des réalités beaucoup plus concrètes sur ce qui est possible et perti-
nent en termes d’usages, chacun dans son domaine. Ainsi, les technologies XR rendent
possible l’exploration de musées lointains, de lieux aujourd’hui disparus ou trop fragiles,
de la conformation des organes au sein du corps humain.
Plus accessible, l’univers du jeu est peut-être celui qui est le plus dynamique, et où les
acteurs français sont très présents. En observant cet univers ludique, on y retrouve toutes
les tendances qui s’imposent ailleurs : à chaque type de jeu, des choix de technologies effi-
caces sans chercher à toujours mettre en avant le réalisme, mais plutôt les qualités que
recherchent les joueurs (jouabilité, scénario, complexité, interactions ; dans certains cas,
expériences nouvelles à chaque partie, etc.). Certains établissent même des communautés
avec leurs joueurs pour leur permettre de participer à la création des nouveaux jeux ou
leurs évolutions.
Et c’est sans surprise que l’on retrouve les mêmes tendances dans les métavers, qui sont
aujourd’hui majoritairement utilisés à des fins ludiques. Si le lecteur prend le temps de
passer quelques heures dans ces différents univers, où le contenu est apporté par les
utilisateurs, il découvrira que ce sont des nouveaux espaces de création. On y voit appa-
raître des marques qui n’existent pas ailleurs, des constructions ou des vêtements – pour

9
Introduction générale

l’instant – impossibles dans le monde traditionnel, et surtout chacun des « joueurs » est
en réalité rapidement happé par l’envie de créer lui aussi. Les outils y sont souvent très
accessibles, intégrés aux plateformes ou disponibles sous forme de logiciel libre (on pense
par exemple à Blender qui rend accessibles la création et l’animation à tous… avec une
phase d’apprentissage non négligeable).
C’est donc tout naturellement que le monde du luxe s’intéresse vivement à ces nouveaux
usages, pour y faire connaître ses créations sous une nouvelle forme, mais aussi peut-
être pour dénicher de nouveaux talents. Parmi ces nouveaux talents, peut-être certains
auront-ils été formés par l’association Creative Handicap qui témoigne dans les pages qui
suivent.
Tout au long de cette exploration, de nombreuses questions se posent : performances et
coûts des technologies – qui sont toutefois de plus en plus accessibles –, lourdeur et accep-
tabilité des interfaces, adaptation des choix technologiques et des interfaces aux besoins
réels des utilisateurs, propriété intellectuelle, éthique et… preuve numérique exploitable
par le magistrat en cas d’infraction.
Le point de vue qui semble être le plus partagé est peut-être, comme souvent en matière
de technologies, celui de l’adaptation des outils et des interfaces aux réels besoins des
utilisateurs finaux.
Et c’est peut-être ce que l’on a observé avec les projets avortés (ou retardés) de métavers
universels d’une partie de l’industrie américaine : à vouloir mettre un même outil à toutes
les sauces, il devient insipide pour la plupart des personnes ciblées. Ce sont peut-être
aussi les questions éthiques sous-jacentes et auxquelles on n’a pas répondu qui ont freiné
l’appropriation : celles sur les données collectées par ces nouvelles interfaces et leur
impact sur la vie privée.
Parmi les autres questions, l’immixtion des solutions de NFT ou autres contrats reposant
sur des chaînes de blocs signées cryptographiquement (blockchain) est peut-être celle qui
pose le plus de questions au lecteur attentif. En effet, les NFT sont souvent mis en avant
dans le concept de Web3, qui nécessiterait de telles technologies pour assurer la traça-
bilité des transactions et la propriété dans les espaces virtuelles. Force est de constater
que cette vision n’est pas partagée par tous, qui soit estiment ne pas en avoir forcément
besoin (comme les créateurs de Second Life1) ou tout simplement les bannissent de leurs
plateformes (Valve et Steam) quand d’autres les accepteraient (Epic)2. Au final, il semble
que les NFT pourraient répondre à certains usages aussi dans les mondes virtuels, mais
ils n’en constituent a priori pas une pierre angulaire.
Il est donc vraisemblable que l’on continuera de voir se développer massivement ces tech-
nologies, mais chacune des briques étant choisie ensuite finement en fonction de l’usage
qui en sera fait ensuite, pour créer des expériences sur mesure. Par exemple, la réalité
augmentée dans le monde industriel ou médical doit être précise, parfois capable de réagir
en temps réel pour garantir la sécurité, mais n’a pas forcément besoin d’un réalisme de
niveau cinématographique.
Pour toutes ces raisons, comme le souligne le rapport de la mission sur le développement
des métavers rendu public le 24 octobre 20223, il est évidemment indispensable que la

1
https://www.wired.com/story/metaverse-philip-rosedale-second-life/
2
  https://www.theverge.com/2021/10/15/22728425/valve-steam-blockchain-nft-crypto-ban-games-
age-of-rust
3
   https://www.culture.gouv.fr/Espace-documentation/Rapports/Rapport-de-la-mission-sur-le-
developpement-des-metavers

10
Enjeux numériques – Juin 2023 – N°22 © Annales des Mines

France, et évidemment l’Europe autour d’elle, continuent d’investir dans ces technolo-
gies. Non seulement parce qu’elles en ont la capacité, comme le montre la dynamique des
innovateurs et des créateurs – en particulier dans l’industrie du jeu –, mais aussi parce
que leur histoire leur permettra peut-être d’aborder les questions éthiques avec d’autant
plus d’agilité.
« L’horizon métaversique » sera donc manifestement fait de ce savant mélange d’innova-
tion, de culture et de création, où les usages se croisent et s’alimentent les uns les autres,
et où l’éthique et le droit avancent en même temps. Nous espérons que la lecture des
articles qui suivent vous en convaincront.

11
Introduction générale

« La connexion réseau
a été perdue »
Essai sur la représentation
et l’imaginaire
des mondes virtuels
Par Thierry DUFRÊNE
Professeur d’histoire de l’art contemporain à l’Université Paris Nanterre

« Si tous les êtres devenaient fumée,


les narines les discerneraient »,
Héraclite

En 1940, Adolfo Bioy Casarès concevait dans L’Invention de Morel (1940) le plus
convaincant des « mondes virtuels » de notre ère contemporaine. Au cours des
années 1960-1970, à la rencontre de l’aventure spatiale lunaire, du développement
des mass media, des utopies de la jeunesse et du psychédélisme, la science-fiction
– Wells, Asimov et K. Dick – imagine à son tour des « mondes virtuels ». Dans la
décennie suivante, après l’hyperréalisme dans les arts visuels, la simulation et
la séduction du faux (fake) passionnent les chercheurs et les artistes tout autant
que les ingénieurs. Avec Internet, les « mondes virtuels » sont devenus la norme
des interfaces homme-machine et des réseaux informatiques. L’interactivité
(multi-joueurs) et la simulation offrent à ces mondes ce qu’Étienne Souriau
appelait en 1943 une « possibilité absolue » : un imaginaire de la connexion est
né. Cet article pose la question d’un nouveau pacte d’extension anthropologique
où l’humain s’émule à son double et à ceux du monde. Mais lorsque les dispositifs
immersifs et les interfaces (lunettes 3D et gants haptiques) seront remplacés par
des greffes à même le corps humain, comme l’augure le transhumanisme, de quoi
sera porteuse la rencontre de l’actuel et du virtuel ?

Dans le métavers, mon avatar achète une maison dans un domaine, il / je paie avec une
cryptomonnaie, il s’offre de même une paire de chaussures à la boutique Nike du coin
(du coin de quoi ?) et se promène pour aller au musée (voir de l’art crypto fondé sur
les NFT, des jetons cryptographiques uniques et indivisibles) ou pour croiser (interagir
avec ?) d’autres avatars porteurs d’autres chaussures qui n’existent que là, sortent
de maisons qui n’existent que là1. « Là », où ? La réalité virtuelle (VR) est la dernière
venue des doublures du monde. Nous entendons par là les multiples schizes qui, au
cours de l’histoire, ont fissuré l’actuel, où le temps s’écoule et où, corps et esprit à la

1
Le terme de « métavers » est inventé par Neal Stephenson dans Le Samouraï virtuel (1992).

12
Enjeux numériques – Juin 2023 – N°22 © Annales des Mines

fois, les humains éprouvent l’existence, inédite, imprévisible, et le virtuel2, où le temps


est une fiction contrôlée par un répertoire défini d’actions. Des religions et des mytholo-
gies antiques, de la Bible aux utopies / dystopies politiques et scientifiques du XVIIIe au
XXe siècle, de telles doublures du monde abondent. Avec Internet, les « mondes virtuels »
vont devenir selon Lev Manovich « la norme nouvelle des interfaces homme-machine et
des réseaux informatiques »3. L’interactivité (multi-joueurs) et la simulation confinent à
ce qu’Étienne Souriau appelait une « possibilité absolue » : un monde d’êtres fictifs qui
pourraient exister (pseudo-réalités ; mock-existences), « sollicitudinaires »4 – au sens où,
comme les héros de la fiction, ils ont besoin de nous pour « exister » –, des tamagotchis aux
avatars. Au-delà du passage de l’actuel au virtuel, et réciproquement (au cœur de la vie
individuelle et sociale), l’enjeu devient la transformation de l’un en l’autre : un imaginaire
de la connexion est né.

Mondes parallèles
Le platonisme, distinguant le monde des idées et celui des corps, et la religion judéo-
chrétienne ont ancré profondément en Occident la conception dualiste de mondes qui
s’opposent, même si pour atténuer l’angoisse du jugement dernier, l’église catholique
inventa un lieu intermédiaire – le purgatoire – entre paradis et enfer5. La jonction entre
l’actuel et le virtuel se fait hors monde, dans une eschatologie apocalyptique, sauf dans
le cas des hybridations entre règnes (Métamorphoses d’Ovide, Ier siècle). Sur Terre – si
l’on peut dire –, le passage de l’un à l’autre n’est permis qu’à quelques élus : Ulysse qui
descend dans les enfers d’Homère et dans les limbes, Orphée qui n’en peut faire remonter
Eurydice. Du romantisme noir (Füssli, Blake) à Inception (2010), en passant par Orphée
(1950) de Cocteau ou Les Ailes du désir (1993) de Wenders, quelques passeurs voyagent
d’une rive à l’autre. Un monde virtuel peut être un refuge où l’on échappe à la prédation et
/ ou champ d’action pour un avatar en rupture de corps, comme dans la Pandora de James
Cameron (les films Avatar, 2009, 2022). Dans les utopies (ou dystopies) philosophiques
et littéraires, de More et Campanella à Swift, Voltaire et Defoë, les « mondes parallèles »
reproduisent cette division. Le merveilleux scientifique cher à Maurice Renard (1875-
1939) – les inventions qui changent le rapport au monde, les récits d’anticipation – prend
ensuite le relais : chez Jules Verne, Vingt Mille Lieues sous les mers réactive le mythe
de l’Atlantide, le Château des Carpathes (1892) est du pré-cinéma. Dans ces récits-là,
le monde virtuel est préféré à l’actuel, le premier se gagnant par le sacrifice (la perte)
du second. Nemo ne reviendra pas à la surface ; la cantatrice Stilla qui revit dans la
fantasmagorie du baron Rodolphe de Gortz est morte. La convergence entre le roman
populaire et la haute littérature symboliste à la fin du XIXe siècle ne peut que frapper :
dans À Rebours (1884), Des Esseintes, le héros de Huysmans, vit dans un monde entiè-
rement artificiel dont il ne sort plus ; dans L’Ève future (1886), Villiers de l’Isle-Adam
fictionnalise un personnage d’inventeur réel, Thomas Edison6, créant un androïde en tous
points réaliste et dont la parole est issue de cylindres sur lesquels ont été enregistrées les
œuvres littéraires majeures de l’humanité. Un programme, ancêtre de ChatGPT, choisit
parmi cette base de données immenses, les réponses pertinentes à l’interlocuteur-amant
humain (ce qui fait de l’Ève en question une sorte de sex doll avec IA, ou une Her (2013)
avant la lettre).

2
Nous reprenons la distinction de Gilles Deleuze, Cinéma 2 – L’Image-Temps, Paris, Minuit, 1985,
pp. 93-95.
3
Lev Manovich, Le langage des nouveaux médias, Dijon, Les presses du réel, 2010, p. 80.
4
Étienne Souriau, Les différents modes d’existence (1943), Paris, PUF, 2009, pp. 134-135.
5
Jacques Le Goff, La naissance du purgatoire, Paris, éd. Gallimard, Bibliothèque des Histoires,
1981.
6
Qui inventa le phonographe pour mettre en relation les vivants et les morts.

13
Introduction générale

En 1940, au moment où René Daumal écrivait Le Mont Analogue (entre 1939 et 1944,
publié seulement en 1952 après sa mort, qui extériorisait le monde intérieur comme
espace virtuel d’une quête de l’absolu), l’écrivain argentin Adolfo Bioy Casarès, grand
ami de Borgès, concevait dans L’Invention de Morel (1940) le plus convaincant des
« mondes virtuels » de notre ère contemporaine7. Le roman constitue une anticipation
géniale de nos questionnements politiques et éthiques devant la montée en puissance
(hors de contrôle ?) de la virtualisation. Morel a enregistré les amis qu’il a invités dans
une île dotée d’un musée, d’une piscine et d’une chapelle, au moyen de caméras de son
invention cachées dans les miroirs (voir la Figure 1) ; les images qu’il en a obtenues
sont d’un nouveau genre : ce sont des hologrammes parfaits qui existent (?) en dehors
de toute projection sur un écran – il aurait même réussi à enregistrer les pensées les
plus intimes de ses invités ; sur le principe du « jour sans fin », la semaine enregistrée se
rejoue éternellement bien après le départ (la disparition) des hôtes de Morel et de l’inven-
teur qui s’est lui-même enregistré, en particulier dans sa relation amoureuse complexe
avec une femme nommée Faustine (Faust ?). Le moyen de cette diffusion (éternelle)
– qu’on dirait aujourd’hui holographique, mais cela n’existait pas en 1940 – est l’énergie
fournie par des machines mues par les marées. Calculée sur la base d’études marines
de long terme, la position des machines s’avère inadaptée au changement du régime des
marées (notre futur changement climatique ?), et devant les yeux horrifiés et bien vite
captivés d’un naufragé (le narrateur du livre, l’homme qui envoie le manuscrit comme
une bouteille à la mer – le joueur de ce monde virtuel ?), des « intrus » se mettent à appa-
raître (connexion) et disparaître (connexion perdue) sur l’île qu’il croyait déserte (voir la
Figure 2). Il tombe même amoureux de Faustine en vrai, alors qu’il comprend au bout
d’un certain temps (celui de l’expérimentation du dispositif) qu’elle n’est qu’une image, et
non un être incarné. Il s’est épris d’un simulacre, mais l’émulation avec Morel le conduit
à se rendre maître des machines et à s’enregistrer dans la boucle virtuelle des images

Figure 1. Pierrick Sorin, esquisse du projet pour l’exposition


« L’Invention de Morel ou la fabrique des images », Maison de l’Amérique latine (2018),
Commissariat T. Dufrêne (Copyright : Pierrick Sorin).

7
Adolfo Bioy Casarès, Romans, Paris, Bouquins, 2001 (éd. Michel Lafon). Nous avons consacré
à ce roman et à son impact immense sur la pensée et la création contemporaine une exposition
« L’Invention de Morel ou la machine à images » à la Maison de l’Amérique latine (Paris du 16 mars
au 21 juillet 2018) : voir Thierry Dufrêne (dir.), L’Invention de Morel ou la machine à images, Paris,
éd. Xavier Barral, 2018.

14
Enjeux numériques – Juin 2023 – N°22 © Annales des Mines

projetées, et à devenir lui-même un « intrus » dans le monde des images : il aura pris soin
de donner l’image d’une proximité amoureuse avec Faustine. Il change donc les disques,
non sans avoir compris que les machines tuaient : une fois enregistré, l’être dépérit et
seule son image (avatar ?) vit. Il sait qu’en s’enregistrant, il mourra, mais il préfère cela
à ne pas s’inscrire dans le temps éternel de l’image, le monde de l’idée de l’amour de
Faustine. Mais pour quel spectateur ? Dans les derniers feuillets où il décrit sa déchéance
physique, il espère un inventeur, le troisième après Morel (anagramme de « le mort ») et
lui-même (le naufragé) : l’homme d’une alliance nouvelle après un nouveau Déluge (une
guerre mondiale, une dictature politique universelle – il fuit la police de son pays –, une
catastrophe écologique ?) : un inventeur qui saurait permettre aux images (avatars) de
pénétrer dans la conscience les unes des autres – c’est-à-dire d’obtenir une transparence
totale : alors seulement, il pourra – écrit Bioy – entrer « dans le ciel de la conscience de
Faustine » ; formulation eschatologique d’un paradis possible de la virtualité, transpa-
rence totale désirable ou prison numérique, paroxysme du panoptique de Bentham.

Figure 2. Rafael Lozano-Hemmer, First Surface (2012), ordinateur, Kinect 360,


projecteur, miroir, image 175 x 122 cm, pour l’exposition « L’Invention de Morel
ou la fabrique des images », Maison de l’Amérique latine (2018),
Commissariat T. Dufrêne (Copyright : Rafael Lozano-Hemmer).

Monde virtuel numérique


Dans les années 1960-1970, à la rencontre de l’aventure spatiale lunaire, du développe-
ment des mass media, des utopies de la jeunesse et du psychédélisme post-Doors of the
­perception (1954) d’Aldous Huxley, la science-fiction – Wells, Asimov et K. Dick – qui
augmente la distance entre les mondes habités, imagine des « mondes virtuels » pour
rapprocher les séparés et faire communauté. En 1968, dans Do Androids Dream of
Electric Sheep (Ridley Scott, Blade Runner, 1982, puis Denis Villeneuve, Blade Runner

15
Introduction générale

2049, 2017, voir la Figure 3), Dick imagine un monde post-apocalyptique où chacun chez
soi communique avec tous les autres éparpillés dans l’univers au moyen d’une « boîte à
empathie » : on y voit à l’écran un homme de dos qui monte péniblement la pente raide d’un
chemin caillouteux, après quelques secondes on est soi-même cet homme appelé Mercer et
on ressent tout ce qu’il ressent en même temps que tous les autres connectés à la « boîte à
empathie » – un peu comme l’image du Léviathan de Hobbes où la multitude compose la
figure immense du monarque. Mercer est lapidé et chacun en ressent la douleur sur son
propre corps. Il s’agit d’une figure christique. S’échappant de la réalité, l’usager de la boîte
expérimente une vision transformatrice qui est, au minimum, un exercice d’apprentis-
sage, et, au plus haut niveau, un « exercice spirituel » au sens d’Ignace de Loyola, le fonda-
teur de l’ordre des Jésuites, qui recommandait aux professes de se figurer mentalement
– jusque dans le moindre détail – la Passion du Christ : les images des églises jésuites et
baroques y aidaient les profanes. Selon Dick, c’est par l’entraînement de l’empathie que
les humains se distinguent des robots. Ce que diffuse la boîte à empathie est à l’opposé de
la télévision de divertissement diffusée en continu par l’ami Buster.

Figure 3. Denis Villeneuve, Blade Runner 2049 (2017),


Source : Wikicommons.

Dans les années 1980, après l’hyperréalisme dans les arts visuels, la simulation et la
séduction du faux (fake) passionnent les chercheurs et les artistes tout autant que les
ingénieurs. Jean Baudrillard publie Simulacres et simulation (Paris, Galilée, 1981) et
démontre que le simulacre ne cache pas la vérité : il en tient lieu. Dans La guerre du faux
(Paris, Grasset & Fasquelle, 1985), Umberto Eco nous fait voyager dans les musées de
cire, les dioramas, les Disneyland de la culture américaine. Les mots-clés de son « voyage
dans l’hyperréalité » sont : “more” et “the real thing”. Donner à voir plus que dans l’ori-
ginal, souvent européen (que ne verront pas les visiteurs) – par exemple des pieds ajoutés
à un portrait en buste peint transformé en objet tridimensionnel (à propos d’un portrait
augmenté de Peter Stuyvesant, fondateur de New York, Eco écrit : « on voit même son
derrière ! ») – ou encore reconstruire tel que c’était vraiment : par exemple reconstruire

16
Enjeux numériques – Juin 2023 – N°22 © Annales des Mines

une ferme du XIXe siècle avec des vrais moutons, quitte à les obtenir par écolo-archéologie
– car les moutons d’aujourd’hui sont différents ! L’exposition Les Immatériaux conçue
pour le Centre Pompidou par Jean-François Lyotard en 1985, qui ne présente encore que
des Minitel, précède ce que Milad Doueihi a appelé la « grande conversion numérique »
(Internet)8.
Le « monde virtuel » numérique, qui hérite de l’imaginaire de ceux qui l’ont précédé,
est issu de la conjugaison de la simulation et de l’interactivité. Là aussi, les artistes ont
ouvert la voie. Dans The Legible City (1989-1991), installation interactive de l’Australien
Jeffrey Shaw, le spectateur-acteur monte sur une bicyclette et pédale face à un écran
géant qui figure une ville dont les rues sont faites d’une double rangée de mots en pers-
pective qu’il voit se profiler au loin, dépasse et qu’il laisse derrière soi. Chaque coup de
guidon lui permet de bifurquer et de changer de rue (et de paysage – d’aire – séman-
tique). Chaque coup de pédale imprime au dispositif une vitesse particulière. Les autres
visiteurs observent ses choix, son itinéraire. Dans cette cité virtuelle – engendrée par le
programme –, Shaw mobilise deux imaginaires : celui du livre à choix multiple, celui des
rapports de la carte et du territoire. Sans remonter au Songe de Poliphile ou à la Carte
du Tendre, on pense aux Villes invisibles (1972) d’Italo Calvino, à la longue lignée des
utopies et plus particulièrement à Borgès et à son « jardin aux chemins qui bifurquent »,
à son monde comme bibliothèque. La différence entre le domaine du métavers et l’œuvre
de Shaw, c’est que le dispositif a absorbé le spectateur-acteur, comme dans la Bible, la
baleine avale Jonas : l’habitant du métavers ne voit les autres que dans ce domaine-là et
sous cette description particulière de l’avatar. Une pièce intermédiaire de Shaw montre
le passage : The Golden Calf (1994). Le spectateur entre dans une salle avec un socle vide
où est accroché un ordinateur. Sur l’écran, l’image d’une sculpture représentant le Veau
d’or. En tenant l’écran d’une certaine manière, le spectateur va pouvoir poser la sculpture
sur le socle et l’admirer (l’adorer), mais uniquement dans un « monde virtuel » mappé sur
l’espace réel.

Doublement du monde ou monde augmenté ?


Superman (1938) se retire dans la forteresse de la solitude, son « musée des souvenirs »
où tout est enregistré sous forme de copie ou même sous forme originale et miniatu-
risée comme la ville de Kandor. Dans Solaris (livre de Stanislas Lem, 1961, puis film
de Tarkovski en 1972), les « visiteurs » sont des simulacres puisés par l’Océan dans les
souvenirs des astronautes. Dans Himmel über Berlin (Les Ailes du désir, 1987), l’ange
Damiel s’incarne par amour pour une trapéziste, et alors, le film passe du noir et blanc
à la couleur. L’irruption des images de synthèse dans Jurassic Park (1993) produit à
l’écran l’effet de surprise et d’horreur que le roman de Conan Doyle Le monde perdu
(1912) anticipa.
Là où le monde virtuel numérique est le plus troublant, c’est lorsqu’il prend la place
de l’actuel. Dans L’Invention de Morel, les objets réels – y compris les machines – sont
doublés par leur copie. Une fois la projection lancée, le naufragé ne peut ouvrir une porte
qui a été enregistrée fermée ; il se trouve prisonnier dans le monde virtuel. N’est-ce pas
l’argument même des Matrix à partir de 1999 ? Les simulacres de Bioy n’anticipent-ils
pas les “digital twins” – copies numériques d’objets – de Second Life (2003) ou plus près
de nous de Decentraland (2020) ou du métavers ? Dans L’Homme variable (1953), Philip
K. Dick imagine que Thomas Cole est capable d’un dialogue si intime avec les machines
de calcul qu’il en fait varier les prédictions : il en est la « variable ». Son empathie avec
les machines est une alternative à l’angoisse engendrée par la peur du robot télépathique

8
Milad Doueihi, La grande conversion numérique, Paris, Seuil, 2008, et Pour un humanisme
numérique, Seuil, 2011, notamment « Oubli de l’oubli », pp. 139-156.

17
Introduction générale

qui pourrait prendre le contrôle des humains, type HAL9000 de 2001, Odyssée de l’espace
(1968). Dans Morel’s Panorama (2003), l’artiste japonais Masaki Fujihata propose de la
même manière au visiteur d’introduire une variabilité infinie par sa présence (voire son
jeu) dans le dispositif ouvert d’enregistrement/projection (voir la Figure 4). Le passage
de l’approximatif (si l’on reprend le titre du recueil de poèmes publié par Tzara en 1931 :
l’homme moderne comme approximation calculée) au variable (Philip K. Dick) constitue
l’apport du numérique à la création de « mondes virtuels ». Prenons l’œuvre en VR
­d’Anne-Laure Cazin, Freud, la dernière hypnose (2019). Le spectateur peut changer de
point de vue : soit il est le patient, soit il est Freud ; aujourd’hui, l’artiste travaille à
un cinéma neuro-émotif où le spectateur doté d’un double équipement (casque de VR
et casque à électrodes pour EEG) peut modifier l’ambiance du film projeté (musique,
couleurs) et infléchir le déroulement du film selon ses réactions émotives – des mesures
d’ondes cérébrales sont faites régulièrement, qui commandent la bifurcation du contenu
narratif (soit il s’agit d’une résultante, l’ambiance d’une salle dans laquelle trois ou quatre
personnes sont équipées, soit il s’agit d’une expérience individuelle). On peut imaginer à
terme une sensibilité particulière de pilotage du dispositif par le cerveau sensible.

Figure 4. Masaki Fujihata, Morel’s Panorama (2003), ordinateur, caméra panoramique,


projecteur, pour l’exposition « L’Invention de Morel ou la fabrique des images »,
Maison de l’Amérique latine (2018), Commissariat T. Dufrêne (Copyright : Masaki Fujihata).

Dès lors, l’opposition entre les deux modes d’existence que Sartre a établis dans
L’imaginaire (1940) – je ne peux pas vivre en même temps ma vie actuelle et ma vie
virtuelle : soit je vis dans la réalité, soit je vis sur le mode imaginaire – serait troublée.
Loin de n’être qu’une nouvelle déclinaison de l’« ère du faux » étudiée par Eco, ou encore
une pure création d’usages marchands, le « monde virtuel numérique » brouillerait les
ontologies et ferait de la commutation de l’une à l’autre – le « jouable » comme « exercice
spirituel » –, un entraînement à la variabilité critique des modes d’existence (Souriau),
un nouveau pacte d’extension anthropologique – où l’homme s’émule à son double (statue,
mannequin, automate, robot, IA…) et à ceux du monde (espaces artificiels, « musées
imaginaires », analogues de la science expérimentale, etc.). Une interrogation encore :
lorsque les dispositifs immersifs et les interfaces (lunettes 3D et gants haptiques) seront
remplacés par des greffes à même le corps humain, comme l’augure le transhumanisme,

18
Enjeux numériques – Juin 2023 – N°22 © Annales des Mines

la transformation physique fera-t-elle de l’usager non plus seulement un Ignace de Loyola


à visions intermittentes, pouvant basculer de l’actuel au virtuel, mais un permanent
« transformé » selon l’expression forgée par Bioy – décidément l’écrivain indispensable
pour nos questions actuelles – dans Plan d’évasion (1945) ? Dans ce roman, Castel,
gouverneur de Cayenne et des îles, dont l’île du Diable où était le bagne où Dreyfus fut
détenu de 1895 à 1899, a un « plan d’évasion », insolite et désespérée quête de bonheur
collectif. Cette fois, pas de machine à images, mais une transformation physiologique
qui touche aux cinq sens de l’homme. Castel opère trois détenus et s’opère lui-même : en
modifiant le système de perception des « transformés », il parvient à leur faire voir des
plages, des bras de mers à la place des murs, un panorama d’« îles entourées d’eau » qui
sont en réalité les autres cellules avec leurs habitants. Le moyen est de modifier leur
système optique et de réaliser des « combinaisons entre les sens » pour que leur cerveau
ne puisse pas voir autre chose que ce que Castel leur a appris à voir mentalement comme
le lieu idéal où s’évader : une île déserte et paradisiaque : « Ils arrivèrent à s’en faire une
image réelle, obsédante »9. Castel choisit de greffer sur son nerf auditif les sonorités du
premier mouvement de la Symphonie n°4 en mi mineur de Johannes Brahms, l’équivalent
de ce que sera la Cinquième symphonie de Beethoven dédiabolisée pour Alex, le héros de
Burgess, après avoir subi le traitement « Ludovico » dans Orange mécanique publié en
1962, dont Stanley Kubrick tira en 1971 un film célèbre.
Mais c’est une autre (inquiétante) histoire. Y aurait-il un Castel chez Zuckerberg ?

9
Op. cit., p. 162.

19
Les jeux et les technologies de réalité virtuelle et augmentée

Les mondes virtuels


dans le monde
des jeux vidéo
Par Leroy ATHANASSOFF
Creative Director on Rainbow 6 Siege
@ Ubisoft Montréal

Les mondes virtuels ont acquis une place importante dans le monde des jeux
vidéo. Ils permettent aux joueurs de plonger dans des univers imaginaires et de
vivre des expériences uniques. Les mondes virtuels peuvent prendre différentes
formes, que ce soient des modes de jeu en ligne, des environnements virtuels
immersifs ou des plateformes sociales, et peuvent parfois être associés à la réalité
virtuelle. Celle-ci offre une immersion totale et absolue, réalisant ainsi le rêve
suprême de mettre le joueur à l’intérieur du rêve. Cependant, les défis auxquels
elle est confrontée en matière de design, de frictions et d’accessibilité ne doivent
pas être sous-estimés.

Les mondes virtuels ont acquis une place importante dans le monde des jeux vidéo. Ils
permettent aux joueurs de plonger dans des univers imaginaires et de vivre des expé-
riences uniques. Les mondes virtuels peuvent prendre différentes formes, que ce soient
des modes de jeu en ligne, des environnements virtuels immersifs ou des plateformes
sociales, et peuvent parfois être associés à la réalité virtuelle.
Pourtant, les mondes virtuels ont existé bien avant la technologie. Des mondes contenant
des possibilités infinies, cohérentes mais qui s’opposent à la réalité. On les visite dans
notre imaginaire seul ou avec des amis. Pendant une session de jeu avec des Lego ou
des poupées, nous étions à l’intérieur d’un monde avec ses propres règles et sa propre
cohérence.
En grandissant, certains découvraient les systèmes de règles des jeux de rôle, permettant
d’ajouter de la persistance à ces univers. Ils se prolongeaient d’une session à l’autre, mais
cela se faisait au prix de beaucoup de complexité. Finie l’accessibilité immédiate de la
Barbie et de son « on dirait que... » enfantin. Il fallait lire et comprendre des systèmes
de règles parfois très complexes pour que tout le monde puisse jouer, sauvegarder et
reprendre. Par conséquent, seule une petite partie de la population était concernée à cette
époque.

Les jeux vidéo en ligne ou


les premiers mondes virtuels sur écran

Une des forces des jeux vidéo en ligne, donc des premiers mondes virtuels sur écran, a été
de reprendre tous ces systèmes, de les simplifier au travers d’interfaces beaucoup plus
accessibles et de les rendre disponibles facilement à tout le monde.
Parmi les pionniers, on peut citer Diablo, Ultima Online, Eve Online, Everquest, Dark Age
of Camelot, etc. Mais celui qui va vraiment démocratiser le genre et s’imposer pendant
presque vingt ans comme le roi ultime est World of Warcraft.

20
Enjeux numériques – Juin 2023 – N°22 © Annales des Mines

Le premier monde virtuel grand public. Où l’on pouvait éprouver la persistance, des dyna-
miques sociales, des aventures, etc.
Des communautés et des outils pour gérer ces communautés sont nées avec World of
Warcraft. Et lorsque d’autre tendances ont émergé alors ces communautés se sont dépla-
cées ou agrandies pour exister dans ces nouveaux espaces.
D’abord, les MOBA pour multiplayer online battle arena où plusieurs équipes de joueurs
s’affrontent en ligne (League of Legends, les Dota) puis l’émergence de l’e-sport, les jeux
de “Battle Royale” (expression anglophone pour désigner un genre particulier de jeux où
tout le monde s’affronte en même temps jusqu’au « dernier homme debout »), Minecraft,
Fortnite, Roblox, etc.
Et s’il existe plusieurs espaces virtuels qui partagent des caractéristiques (la dimension
sociale étant de loin la plus importante), ils ont tous leur propre spécificité.
Chacun va parler à des profils de joueurs (des “personas”) différents et donc a des commu-
nautés différentes. Prenons un exemple proche, celui de l’e-sport et de la communauté en
ligne du jeu Rainbow 6 Siege (ou R6 Siege) : ses besoins, ses règles et ses modes d’exis-
tence sont bien différents de ceux des communautés Minecraft. Quand bien même on va
retrouver des outils identiques (création d’un serveur sur Discord, présence de contenu
sur YouTube, streamers favoris sur Twitch), le mode d’interaction et la nature du jeu font
que le public n’est pas le même.
Dans le cas de l’e-sport, ce qui est intéressant est que même si le cœur de l’expérience est
en ligne, celle-ci est sans cesse ramenée au réel au travers de compétitions et d’évène-
ments bien physiques, qui sont tout autant d’occasions pour les gens de se découvrir en
« vrai » avec parfois bien des surprises.

Toujours plus d’immersion


et moins de distance
entre le réel et le virtuel

Ce mélange de virtualité et de réalité crée une friction permanente entre l’avatar et le


sujet avec par exemple l’agent du GIGN surentraîné à l’intérieur du jeu joué par une
adolescente de 17 ans dans la réalité. Et c’est justement cette distance, cette friction,
qu’une évolution technique majeure essaye de corriger depuis presque dix ans.
En 2013, l’arrivée des casques de réalité virtuelle (acronyme VR en anglais) sur le marché
grand public va tenter de résoudre, entre autres, cette problématique de l’athlète diffé-
rent de l’avatar.
Les personnes qui ont eu la chance de tester cette technologie conviennent qu’il n’y a rien
de comparable dans le monde des jeux vidéo traditionnels, du cinéma, ou même dans le
monde réel. La VR offre une immersion totale et absolue, réalisant ainsi le rêve suprême
de mettre le joueur à l’intérieur du rêve.
On pensait son essor inéluctable et inévitable. Et pourtant, depuis l’apparition de l’Oculus
Rift en 2013 par Valve, chaque année on a prédit l’année de la VR sans que celle-ci n’arrive
vraiment.

Problème de design,
de frictions et d’accessibilité,
et un challenge économique

Tels sont les différents problèmes et enjeux auxquels est confrontée cette technologie.

21
Les jeux et les technologies de réalité virtuelle et augmentée

Problème de design
Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, la VR ne peut pas simplement hériter de
tous les apprentissages passés du jeu vidéo. Croire que ce serait par exemple une stricte
amélioration de la vue à la première personne (FPV pour first person view / FPS pour first
person shooter), si populaire dans le jeu vidéo, serait une erreur majeure.
La VR est un nouveau paradigme, une nouvelle façon d’envisager les jeux. C’est une
révolution comparable à l’arrivée de la 3D, qui a changé et révolutionné pour toujours
le design et le mode de contrôle des jeux vidéo. La 3D a fait passer les plateformes et les
jeux d’arcade 2D à de vrais modes de contrôle en trois dimensions, et la VR est en train
de faire de même.
De plus, les mouvements de la tête et du corps dans la VR doivent être parfaitement
synchronisés avec les mouvements dans le monde virtuel pour éviter toute sensation
de nausée ou de désorientation. Cela peut nécessiter des ajustements dans la concep-
tion des jeux, tels que des vitesses de déplacement plus lentes ou des angles de caméra
spécifiques.

Les frictions
Un autre défi majeur pour la VR est la question des frictions, c’est-à-dire les obstacles qui
empêchent les utilisateurs de profiter pleinement de l’expérience de la VR. Il y a plusieurs
types de frictions auxquels les utilisateurs sont confrontés :
• Le coût élevé. Les casques de VR peuvent coûter cher, et cela peut être un obstacle
pour de nombreuses personnes. Le coût des casques de VR a considérablement baissé
ces dernières années, mais il reste un défi majeur pour la VR si elle veut devenir une
technologie grand public.
• Les problèmes de confort. Les casques de VR peuvent être inconfortables à porter
pendant de longues périodes, et ils peuvent également causer des problèmes de
fatigue oculaire. Les développeurs doivent continuer à travailler sur l’amélioration du
confort des casques de VR pour offrir une expérience plus agréable aux utilisateurs.
• Les problèmes de compatibilité / manque d’interopérabilité. Il y a souvent des
problèmes de compatibilité avec les différents matériels et logiciels utilisés pour la
VR. Les développeurs doivent s’assurer que leurs jeux et applications fonctionnent
sur toutes les plateformes de VR disponibles.
• Les problèmes de mouvement. Les casques de VR peuvent être limités en termes de
mouvement, ce qui peut limiter l’expérience immersive. Les développeurs doivent
trouver des moyens de permettre aux utilisateurs de se déplacer librement dans
l’environnement virtuel.

Défis économiques
La VR est confrontée à des défis économiques importants pour devenir une technologie
grand public. Les coûts élevés de développement et de production des jeux et applications
VR, ainsi que les coûts de marketing et de distribution, peuvent rendre difficile pour
les développeurs et les éditeurs de rentabiliser leurs investissements. En effet, le parc
installé de machines reste malheureusement bien trop petit, et tend à réduire les gains
potentiels et donc les coûts des projets possibles.
Enfin, la VR doit également faire face à la question de la disponibilité des contenus. Les
développeurs doivent continuer à produire des jeux et applications VR de haute qualité
pour maintenir l’intérêt des utilisateurs et stimuler la demande pour la VR.
Conditions rendues d’autant plus difficiles que les budgets sont limités.

22
Enjeux numériques – Juin 2023 – N°22 © Annales des Mines

Alors il y a bien eu des exemples de sociétés essayant de briser ce cercle vicieux. On pense
à Valve et son Half-Life : Alyx avec un score exceptionnel de 93 % sur le site de collecte
de notes attribuées à du contenu musical et audiovisuel, Metacritic1, rompant avec le
traditionnel « petit jeu » pour offrir aux utilisateurs de VR une expérience et une aventure
dignes des plus grosses consoles AAA (système de classification informel dans l’industrie
du jeu vidéo pour désigner des jeux vidéo dotés de budgets de développement élevés et
générant de gros revenus), la société n’ayant jamais regardé à la dépense.
On a aussi eu récemment Sony avec son PSVR 2 (casque de VR pour console PlayStation 5)
et l’incroyable Horizon Call of the Mountain, jeu qui se déroule dans l’univers de la licence
à succès Horizon. Et là encore, Sony a mis de gros moyens, développant même une techno-
logie d’eye-tracking pour améliorer les problèmes de cinétose (mal des transports).
Dans les deux cas, si le succès d’estime et critique est là, malheureusement le succès
commercial, lui, tarde à venir et l’impact sur les ventes de casques VR reste très marginal.
L’essor et l’excitation des premiers temps (où tous les studios et développeurs avaient leur
projet VR en cours) ont laissé la place maintenant à un réalisme plus froid.
On continue d’exploiter cette plateforme et il est toujours possible de produire de bonnes
expériences et de rencontrer une certaine forme de succès, mais dorénavant le plafond de
verre est connu et les ambitions sont revues à la baisse, et surtout sont beaucoup plus
réalistes.

Conclusions
La réalité virtuelle et les mondes virtuels ont déjà connu des évolutions importantes
depuis leur création, mais leur potentiel est encore largement inexploré. Avec l’améliora-
tion constante de la technologie et la réduction des coûts, nous pouvons nous attendre à
voir de plus en plus de personnes profiter des expériences immersives, avec ou sans VR.
Cependant, les défis auxquels la VR est confrontée en matière de design, de frictions et
d’accessibilité ne doivent pas être sous-estimés. Les concepteurs et développeurs devront
continuer à innover pour trouver des solutions aux problèmes existants, et pour créer des
expériences de réalité virtuelle qui sont à la fois accessibles et engageantes pour le grand
public.
En ce qui concerne les mondes virtuels, ils sont appelés à devenir des espaces de plus en
plus sociaux et interactifs, où les utilisateurs pourront se connecter, interagir, jouer et
collaborer ensemble. Les mondes virtuels pourraient même devenir une nouvelle plate-
forme de travail, permettant aux gens de travailler ensemble de manière collaborative,
quelle que soit leur localisation géographique. On pense par exemple à des plateformes
comme Discord, Teams, Miro, Slack, etc.
Le Covid fut, malgré lui, un catalyseur, un accélérateur de cette tendance, et a fait
émerger cette notion de « tiers-lieu » (de l’anglais “third place”) en ligne, désignant ainsi
les environnements sociaux venant après la maison et le travail.
Ce qui fait qu’aujourd’hui, on ne considère plus les espaces en ligne et les mondes virtuels
uniquement comme des lieux récréatifs et d’évasion. Il est possible de produire, de fabri-
quer, de travailler ensemble… Le monde du jeux vidéo a donc ce paradoxe de travailler
sur le jeu à l’intérieur du jeu. Car en cette période où le télétravail prend son essor et
où il faut retrouver des espaces communs et des activités d’équipe pour créer ce tissu

1
https://www.metacritic.com/game/pc/half-life-alyx

23
Les jeux et les technologies de réalité virtuelle et augmentée

nécessaire à toute bonne collaboration, quoi de mieux que le jeu auquel on collabore ? Et
c’est là un des secrets de la si bonne résistance de cette industrie aux dernières crises, qui
explique qu’elle a pu continuer de produire et travailler tout en maintenant du lien avec
ses collaborateurs.
Avec le temps, une partie du travail qui ne nécessite pas de présence et de moyen physique
se délocalisera dans ces espaces virtuels. Et l’on peut déjà se demander ce que cela veut
dire de créer de la musique, des films, des revues, des sites web dans des environnement
100 % connectés et en ligne.
Il y a fort à parier que l’on se tournera alors vers les jeux et leur mondes virtuel pour en
comprendre leur fonctionnement, et élaborer des nouveaux process de production et de
création.

24
Enjeux numériques – Juin 2023 – N°22 © Annales des Mines

Les mondes virtuels,


nouvelles perceptions,
nouvelles représentations
Par Thomas TASSIN
Co-fondateur de Mira

Les mondes virtuels sont souvent, à tort, considérés comme le prochain Internet.
Cette affirmation empêche de penser leurs réelles filiations, les raisons profondes
de leur émergence ainsi que les effets durables qu’ils pourraient avoir sur notre
relation au monde et à la société. Nous proposons ici de dépasser une analyse
centrée sur les usages immédiats, dont la pertinence est limitée concernant une
innovation technologique et artistique de rupture.
En regardant du côté des arts, notamment visuels et de leurs différents supports,
il apparaît que les mondes virtuels en sont des descendants très proches.
De par cet héritage, les métavers s’inscrivent dans l’évolution continue de notre
perception, de nos interactions et de nos représentations du réel.
Les perspectives qu’ils apportent sont à considérer sous ce prisme.

Aux racines du virtuel


La thèse qui positionne le métavers comme le futur d’Internet est un raccourci malheu-
reux. Elle constitue une réponse trop rapide à la question de sa place dans l’Histoire,
de ses sources, et donc de sa raison d’être et de sa trajectoire future. Plusieurs indices
indiquent que cette lignée n’est pas aussi naturelle qu’on le dit. Ainsi, l’usage d’Internet,
qu’il s’agisse du Web1 ou du Web2, est-il principalement organisé en mode asynchrone,
seul, sans représentation spatiale, avec un rapport à l’esthétisme et à l’émotion limité. Ce
qui n’est pas le cas du métavers.
Si le métavers est certainement un cousin d’Internet, sa lignée est bien plus complexe
en ce qu’il présente des similarités qui sont plus fortes avec d’autres inventions qui ont
chacune transformé leur époque : la peinture, la sculpture, l’écriture, l’imprimerie, la
photographie, le cinéma, le phonographe, le téléphone, la télévision, les différents moyens
de transport modernes depuis la draisienne, ou encore les jeux vidéo. Ces innovations ont
permis d’explorer, de créer et de partager de nouvelles représentations du réel, ont ouvert
de larges champs de créativité et changé à jamais notre rapport au monde.
La compréhension des enjeux du virtuel en général et du métavers en particulier est à
mettre en perspective avec l’histoire de la représentation du réel, notamment à travers
les arts, ce qui inclut l’évolution des supports et des technologies d’expression artistique.
Il y a environ quarante mille ans, les premières peintures rupestres étaient réalisées dans
les grottes de Lascaux en France et d’Altamira en Espagne, directement sur des parois
rocheuses à l’aide de pigments naturels, tels que l’ocre, le charbon de bois et l’argile.
Les premiers artistes utilisaient leurs mains, des bâtons ou des morceaux de charbon de
bois. Certaines peintures se répondent et se superposent bien que créées à cinq mille ans

25
Les jeux et les technologies de réalité virtuelle et augmentée

d’écart. L’art comme représentation du réel apparaît dès ses origines comme un moyen de
communication et de transmission.
Au-delà du caractère intemporel et de la beauté de ces œuvres, plusieurs points attirent
l’attention.

Figure 1. Photo de la grotte Chauvet : caverne du pont d’arc


(Source : site de l’office de tourisme de Berg et Coiron).

L’emplacement
Au fond des grottes, sur les murs, loin de la lumière de l’entrée, dans des recoins courbés.
La visualisation de l’œuvre suppose de s’approcher et de se retrouver en partie entouré
par les parois et les peintures. L’œuvre est positionnée pour être vécue de façon immer-
sive, en s’extrayant du réel, pour prendre du recul et ainsi mieux le penser, l’assimiler et
le comprendre.

Le mouvement
Pour voir les œuvres, il fallait les éclairer à l’aide d’une torche, ce qui leur donne vie.
L’impression de mouvement apportée par l’éclairage est accentuée par les peintures elles-
mêmes, avec des effets de répétitions et de superpositions de traits, des pattes supplé-
mentaires, des positions dans l’espace qui transmettent une dynamique et créent une
tension palpable.

Les thèmes
Les animaux sont beaucoup plus présents que les hommes ou les femmes.
Lorsque les humains sont représentés, ils sont bien moins détaillés que les animaux.
Les représentations sont principalement figuratives, sauf lorsqu’il s’agit d’empreintes
qui, répétées, peuvent donner naissance à des œuvres quasi abstraites. Elles vibrent et
parlent directement à nos émotions, comme un partage direct de rêves et de sensations.
On retrouve aussi représentés dans ces grottes, des instruments de musique, des flûtes en
particulier, qui indiquent que la musique était présente à cette époque, et peut-être jouée
au moment de la création ou de la contemplation des peintures.

26
Enjeux numériques – Juin 2023 – N°22 © Annales des Mines

Ces éléments portent en eux toutes les plus importantes représentations autour de l’art
et de la représentation :
• le support ;
• le rapport au temps et au mouvement ;
• la représentation du réel et de la présence humaine en particulier ;
• le potentiel de partage, de communication et de transmission.
Concernant l’art préhistorique, en tout
cas en ce qui concerne les peintures
murales, la question de l’auteur et de
la propriété de l’œuvre ne semble pas
envisagée, celle de sa monétisation
encore moins… Des notions qui sont
aujourd’hui omniprésentes dans le
monde de l’art devenu un domaine
économique.
Le métavers reprend et s’inscrit dans
ces mêmes questions, dans la conti-
nuité des différents modes de trans-
mission et de représentation du réel.
Au fil des siècles, les artistes ont utilisé
différents supports pour leurs créa-
tions, tels que la poterie, les textiles et
les métaux. L’écriture est apparue il y
a environ 5 000 ans, avec l’invention de
l’écriture cunéiforme en Mésopotamie
et l’écriture hiéroglyphique en Égypte.

Figure 2. Robert Fulton,


Brevet d’invention 1799
(© Archives INPI).

Ces premiers systèmes d’écriture étaient gravés sur des tablettes d’argile à l’aide d’un
stylet.
L’écriture est devenue plus sophistiquée avec l’invention de l’alphabet et de l’encre. Les
manuscrits (littéralement « textes écrits à la main ») anciens étaient reproduits sur des
papyrus, des parchemins ou des vitraux. Avec l’invention de l’imprimerie au XVe siècle,
il est devenu plus facile de produire des livres en masse, ce qui a aussi permis de diffuser
les connaissances à un public plus large.
Dans le même temps, l’art a continué d’évoluer, avec une technique de plus en plus appro-
fondie, notamment avec l’invention de la perspective mais aussi de la peinture à l’huile
au XVe siècle, qui a permis aux artistes de créer des œuvres plus réalistes et durables.
Au XIXe siècle, sur une courte période en Europe, apparaissent les panoramas, bâti-
ments cylindriques de plusieurs dizaines de mètres de diamètre au centre desquels les
spectateurs entraient pour se retrouver immergés au sein d’un paysage ou d’une scène
peinte sur l’ensemble des murs du cylindre. Ces dispositifs ont disparu avec l’arrivée du
cinéma, mais ils représentent une première tentative très claire de procédés immersifs
contemplatifs.
L’apparition de la photographie puis du film a ensuite un impact majeur sur l’art et
sur toute la société, en modifiant en profondeur les modes de création et de partage de
l’imaginaire, et en le faisant à de très grandes échelles et dans des délais très courts. La

27
Les jeux et les technologies de réalité virtuelle et augmentée

Figure 3. Camera Oscura (Source inconnue).

structuration de l’industrie du cinéma s’étend sur plus de cinquante ans, du muet noir
et blanc au parlant en cinémascope, avec une grande variété de propositions artistiques.
Au XXe siècle, l’art a connu une révolution avec l’avènement de l’art abstrait et de l’art
conceptuel. Les artistes ont commencé à utiliser des matériaux non traditionnels tels
que le plastique, le métal et le verre pour leurs créations. Dans les années 1960, l’art
conceptuel a donné naissance à l’art numérique avec l’utilisation de l’ordinateur comme
outil de création.

Les sceptiques
Chaque nouveau support ou mode de représentation inquiète et trouve ses opposants.
Ainsi, la critique de Socrate à l’égard de l’écriture est-elle exprimée dans le Phèdre de
Platon. Dans ce dialogue, Socrate raconte une histoire dans laquelle Thoth, le dieu
égyptien de l’écriture, présente sa création à Thamous, le roi des dieux égyptiens, et
défend l’écriture devant Thamous, sceptique.
Socrate défend la position de Thamous. Il affirme que l’écriture n’est qu’une représentation
de la parole, et qu’elle ne peut jamais égaler la richesse et la complexité de la conversation
orale, plus vivante et plus interactive que l’écriture, avec un échange immédiat d’idées et
de pensées entre les interlocuteurs. À cela s’ajoute le fait que l’écriture rend paresseux, et
n’incite pas à utiliser sa mémoire et sa réflexion.
Platon, quant à lui, exprime sa réserve vis-à-vis de la peinture qu’il considère comme une
imitation imparfaite de la réalité, qui ne peut pas nous donner une connaissance authen-
tique et complète du monde. Elle a la capacité de tromper les sens et de nous éloigner de la
vérité. Difficile ici de ne pas faire le parallèle avec l’allégorie de la Caverne où les hommes
contemplent des ombres alors qu’ils pensent regarder la réalité. L’image les éloigne de la
connaissance, de la vérité et du bien.
En raison de ses multiples paradoxes, de sa place si particulière entre réalité et imagi-
naire, entre vérité, projection et invention, entre perception immédiate (en bien moins
d’une seconde) et son caractère intemporel, l’image fascine et interroge. Le rapport des

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Enjeux numériques – Juin 2023 – N°22 © Annales des Mines

Figure 4. Illustration de l’allégorie de la Caverne (Source inconnue).

religions à l’image, et notamment à la représentation des dieux, en est une parfaite


illustration.
À leurs débuts, la photographie et le cinéma ont inquiété du fait de leur relation ambigüe
avec le réel accentuée par leur dimension très réaliste. Comment pourrait-on juger de
ce qui est vrai et de ce qui est faux si le vrai et le faux se confondent ? Une photo ne
pourrait-elle pas dire de moi plus ou autre chose que ce que je voudrais montrer ? Les
deux dimensions de la représentation, révélatrice, d’une part, et, potentiellement falsifi-
catrice, de l’autre, posent question. Cela s’accompagne d’une peur de la perte de contrôle,
de son image mais aussi, en conséquence, de sa réputation. On craint aussi l’effet que
peuvent avoir ces nouveaux supports sur les populations : transmission d’idées nouvelles,
voire révolutionnaires, propagande, incitation à la violence. Par ailleurs, la question de la
valeur artistique de ces nouveaux médias est centrale, avec une crainte de substitution à
la peinture : représenter le réel ainsi, est-ce vraiment de l’art ?
L’invention de l’imprimerie à caractères mobiles par Johannes Gutenberg au XVe siècle a
aussi soulevé de vives critiques. Il était considéré que la multiplication des livres pouvait
entraîner une perte de qualité dans la production de la connaissance, une banalisation
du savoir et dès lors contribuer à la diffusion de la médiocrité. On craignait aussi une
surcharge cognitive chez les lecteurs qui ne seraient pas en mesure de trier les informa-
tions importantes des détails superflus. De plus, les textes, essentiellement religieux à
l’époque, étaient généralement l’apanage des prêtres et des érudits. Avec l’imprimerie,
ces textes devenaient plus largement accessibles pouvant conduire à des interprétations
divergentes des textes sacrés, voire à des schismes religieux.

Les usages
À l’évocation du métavers, qui inquiète et fascine dans le même temps, les principales
questions portent sur les usages. Pour quoi faire ? Quelle utilité ? C’est oublier que nous
sommes encore au temps des premiers explorateurs d’une technologie de rupture. Il est
illusoire de penser les univers virtuels à l’aune de nos pratiques actuelles.
Avant l’utilité, avant les usages, le sujet le plus important est celui des ruptures
potentielles.

29
Les jeux et les technologies de réalité virtuelle et augmentée

Qui aurait pu prédire du temps de Daguerre et Niépce des usages futurs de l’image ?
L’exercice de définition des usages est trop complexe à ce stade. Cela reviendrait à prédire
le futur avec nos yeux d’aujourd’hui. Henry Ford a dit un jour : « Si j’avais demandé à mes
clients ce qu’ils voulaient, ils m’auraient répondu : “Un cheval plus rapide” ».
Les usages potentiels du métavers touchent tous les domaines. On peut déjà en imaginer
certains même si cela restera forcément restrictif.
Pour l’architecture, l’immobilier, le patrimoine : visiter à plusieurs des espaces inac-
cessibles au public, des monuments qui n’existent plus ou y plonger à l’époque de leur
construction ; découvrir le monde et avoir accès à des événements, en direct ou en différé,
à des lieux d’exception, qu’il s’agisse de lieux touristiques, de salles de concert, de grottes
fermées au public...
Pour l’armée, la médecine, les pompiers et tous les métiers techniques : s’entraîner,
simuler, avec ou sans exposition au danger, réaliser des interventions à distance.
Pour l’art : offrir un nouvel espace de création où les réalisations de projets complexes
sont rendus viables, où il est possible de jouer avec les perceptions et donc les émotions de
manière très intense ; créer des décors et des personnages, et les utiliser pour la création
audiovisuelle.
Pour les souvenirs et le mémoriel : scanner très simplement en 3D des objets ou des lieux,
les voir ou les visiter virtuellement avec des applications évidentes pour le grand public,
les institutions culturelles ou même le secteur de l’assurance (certificats d’État).
Pour la communication : se retrouver à plusieurs au même endroit tout en étant physi-
quement à distance, avec plus d’outils disponibles que dans la réalité pour échanger et
conceptualiser.

Les perspectives
Aujourd’hui, nous faisons tout pour imaginer des usages avec notre prisme actuel.
Nous cherchons à tout prix une utilité immédiate aux mondes virtuels. Nous en sommes
même à mesurer les émissions carbone de mondes qui n’existent pas. À vouloir aller trop
vite, on passe à côté du sujet !
Il est très probable que les mondes en 3D fassent partie, de manière très naturelle, des
outils de perception et de représentation du monde qui seront naturellement utilisés par
les générations futures.
Aujourd’hui, des artistes, des techniciens, des ingénieurs, des entreprises, des agences
de communication, des philosophes, de simples utilisateurs se saisissent du sujet avec
des motivations et des attentes extrêmement nombreuses et très différentes. La gram-
maire est balbutiante, les phrases maladroites, mais on commence à entrevoir quelques
éléments saillants qui révèlent la naissance d’un nouveau langage.
Dans le monde de Mira, nous testons différents usages, avec un grand nombre de parties
prenantes, en privilégiant une très grande diversité, et en suspendant notre jugement
– exercice délicat lorsque l’approche entrepreneuriale suppose d’avoir des convictions
fortes, et même des certitudes – pour percevoir le mieux possible ce qui se joue et éviter
de déployer de fausses bonnes idées.
Ainsi, à titre d’exemple, on constate, sans que cela soit vraiment étonnant, que la repré-
sentation des animaux fonctionne très bien. Le fait de pouvoir s’approcher et interagir
avec des éléphants, des baleines ou des lions animés plait beaucoup, et l’expérience se
déroule de façon très naturelle, avec un grand plaisir et une fascination chez la plupart
des utilisateurs.

30
Enjeux numériques – Juin 2023 – N°22 © Annales des Mines

Figure 5. Bourse de Commerce (Source : Mira).

La représentation humaine est plus compliquée techniquement et plus dérangeante


à l’usage. On touche clairement à un sujet sensible. Un champ de recherche et de
développement s’ouvre, impliquant l’ensemble des corps de métiers, du philosophe au
modélisateur 3D en passant par l’ergonome, l’ingénieur en intelligence artificielle et le
régulateur.
L’intelligence artificielle générative vient contribuer à la richesse des mondes virtuels en
général et de Mira en particulier, qu’il s’agisse de l’aide à la création ou de l’assistance aux
interactions et animations au sein des mondes.
Plus de quarante mille ans après les premières représentations du monde, on continue
à chercher d’autres supports, d’autres façons de voir, de représenter, de proposer et de
partager des imaginaires. Par ces représentations, on témoigne et on influe sur le temps
et l’espace.
Un élément de rupture à considérer est porté par la blockchain qui, contrairement aux
peintures rupestres et aux autres supports, permet d’accompagner de façon intégrée ces
représentations de systèmes d’authentification et de monétisation.
Considérer le métavers comme un simple outil est réducteur ; en faire une chimère ou une
menace pour l’humain est largement disproportionné.
Au-delà du scepticisme, la curiosité et l’inventivité sont en train de donner naissance à un
nouveau mode de représentation du réel, très probablement associé à son propre système
économique.

31
Les jeux et les technologies de réalité virtuelle et augmentée

Quels outils numériques pour


les formations de demain ?
Entretien avec François TADDÉI
Propos recueillis
par Grégoire POSTEL-VINAY

Présentation de François TADDÉI


Fondateur et président du Learning Planet Institute (anciennement Centre de
recherches interdisciplinaires – CRI), François Taddei est ingénieur général des
Ponts des eaux et des forêts. Chercheur de renommée internationale à l’Inserm,
il se dédie désormais aux sciences de l’apprentissage et en particulier à la notion
de “Planetizen”, afin de permettre à chacun.e d’entre nous d’apprendre à prendre
soin de soi, des autres et de la planète.
François Taddei plaide pour une collaboration à grande échelle afin de construire
– avec le soutien, notamment, de l’UNESCO – une planète apprenante et le
développement de communautés d’apprentissage travaillant ensemble, pour
trouver des solutions durables dans les secteurs de l’éducation et de la santé,
ainsi que dans l’atteinte des Objectifs de développement durable (ODD).

François, pour nos lecteurs, tu es à l’origine d’une


création remarquable qu’est le Learning Planet Institute,
sis à Paris, qui est devenue une alliance internationale
pour des sociétés apprenantes susceptibles de répondre
aux grands enjeux, notamment de développement
durable, en expérimentant des écosystèmes numériques
pour l’éducation, en développant de la R&D sur les
méthodes de formation qui mettent en œuvre de
l’intelligence collective, de l’apprentissage par projet.
Tu les diffuses via des opérations comme les
Savanturiers, et aussi par une réflexion sur les MOOC.
Et tu as une influence notable sur les réflexions sur
l’éducation et la formation, tant au niveau national qu’à
l’OCDE, et dans les instances onusiennes. Sur le sujet qui
nous occupe, les mondes virtuels, je propose que dans un
premier temps tu nous donnes une vision prospective,
dans un second, la façon dont cela se décline selon les
âges et les professions, et que nous évoquions aussi
les atouts, faiblesses, chances à saisir et risques du
développement de ces nouveaux outils.
Merci ; il y a une accélération des technologies et des enjeux sociétaux qui nous amène
à changer l’éducation. Il faut à la fois une éducation aux transitions, mais aussi une

32
Enjeux numériques – Juin 2023 – N°22 © Annales des Mines

transition de l’éducation. Les technologies peuvent contribuer à cette évolution de l’édu-


cation mais elles se doivent d’être au service des apprentissages. Tout en contribuant à
une souveraineté, et à une appropriation de ces outils et de ces méthodes, aux différents
publics, différents âges ou différents types de contrats.

Former les éducateurs et formateurs,


co-construire les outils

Le second point est qu’il faut aussi éduquer à ces outils. Et je dirais qu’il faut éduquer
à l’heure des outils : par exemple à l’heure où l’intelligence artificielle peut rendre des
copies de bons étudiants en droit, on peut se demander si un étudiant a vraiment envie
d’apprendre à faire des choses qu’une machine pourra faire plus vite et mieux que lui.
Cela concerne non seulement son éducation mais aussi son avenir professionnel. Il faut
donc apprendre à faire des choses avec les machines que ni les machines ni les humains
seuls ne sauraient faire.
Et comme il n’y a pas d’enseignement sans enseignants, il faut aussi questionner la
formation des enseignants, leur appropriation de ces outils. Et s’agissant de formation
professionnelle, il faut interroger les différents métiers, et ceux qui y forment, car si l’on
n’est pas capable de les faire monter, eux, en compétence, ils ne pourront pas accompa-
gner les transitions en cours. Ils peuvent être cheville ouvrière ou facteur limitant selon la
façon dont on “co-design” ces outils et leurs usages avec les apprenants et les enseignants.
La question de l’appropriation est essentielle : par exemple se fait-on imposer des outils
venant de Californie, ou de Chine, ou créons-nous les nôtres et si oui, comment ? Il y a des
chances que d’un point de vue strictement technologique, nous ayons un temps de retard :
les développements sur open source en intelligence artificielle sont parfois un peu moins
performants, mais le retard n’est que d’un an ou deux. La question est donc d’accepter
d’être légèrement en retard mais avec nos propres outils et usages, afin de rester maîtres
chez nous, alors que si l’on se fait imposer des outils conçus ailleurs, nous n’aurons la
maîtrise ni des données, ni des algorithmes, ni des usages que l’on voudrait promouvoir,
ou des sujets éthiques.

Réinventer les Lumières


Cela pose la question du modèle économique
et des modes de rémunération de ceux qui alimentent
l’open source (rémunération par la gloire
ou bien financière publique ou de mécénat),
alors qu’ils sont en concurrence avec des modèles
propriétaires de grandes plateformes qui en tireront
des marges de manœuvre considérables pour faire,
entre autres, de la R&D et mener la course en tête ?
Oui, les modèles économiques de l’économie de la connaissance et de la reconnaissance
ont besoin d’être inventés simultanément. On peut à la fois financer les gens qui contri-
buent à l’open source ou à l’open data, et créer des contenus éducatifs libres (open educa-
tion resources). Pour moi, la question est la réinvention des Lumières : nous parlons là
d’éducation, de science, de démocratie, de citoyenneté et de vivre-ensemble. Tout cela a
été inventé une première fois à Athènes en s’appuyant sur l’écrit et les murs de la cité,
une seconde par les philosophes des Lumières, en s’appuyant sur l’imprimerie et la notion
de nation, et nous le vivons une troisième fois avec le numérique et des enjeux qui sont
devenus planétaires.

33
Les jeux et les technologies de réalité virtuelle et augmentée

Vivre avec les outils d’intelligence artificielle


Ne faut-il pas considérer les limites des outils ?
Par exemple pour ChatGPT4, il offre des performances
remarquables en se fondant sur des milliards de données,
mais en même temps présente une sorte de moyenne
statistique de ce qui a été dit auparavant,
ce qui ne permet pas nécessairement de répondre
à tous les enjeux devant nous, ni d’être très innovant ?
Oui, par définition il fait la synthèse du passé, et donc a du mal à inventer l’avenir, alors
que les disruptions sont souvent les plus intéressantes. Par exemple ChatGPT est une
disruption, mais est-elle capable de se penser elle-même ? D’autre part, Bloom, une version
open source des mêmes algorithmes, existe, et on pourrait investir massivement dessus
face aux transitions à venir, c’est le premier niveau ; ensuite, chacun peut apprendre à
faire des « prompts » (courts messages de commande à une IA), et apprendre les limites
de la machine et à se dire « puisque finalement le résultat est une moyenne, et qu’en outre
la machine ne donne pas de sources, du moins pas pour l’instant, voire qu’elle en invente
ce qui est carrément dangereux, on a besoin d’un esprit critique, au moins autant face à
une intelligence artificielle qu’humaine ». Il faut donc évaluer les étudiants pas tant que
leur capacité à mémoriser que celle d’aller plus loin que la machine. Par exemple des
institutions ont interdit ChatGPT (SciencesPo, ou à New York), mais la question n’est pas
tant de l’interdire que de savoir ce que l’on peut faire de mieux en en disposant. Il faut
dire aux étudiants « vous avez le droit d’user de ChatGPT, mais montrez-nous ce qu’elle
vous a fourni et les limites de ce qu’elle vous a apporté ». D’autre part, il y a d’autres IA,
comme une que nous avons développée ici qui s’appelle “We Learn”1, aussi basée sur les
transformeurs, mais au lieu de faire des moyennes, elle préserve l’intégrité et la spéci-
ficité de chaque source, et renvoie à une famille de textes qui sont proches. Ainsi, si sur
un texte vous voulez vérifier des personnes pertinentes, elle va vous donner des listes et
des contenus, par exemple des thèses publiées en France ou des articles de HAL, ou des
­podcasts de France Culture, ou des articles contenant une bonne base comme des articles
de The Conversation qui vont aider à creuser son sujet. Je m’en suis servi pour mes
propres livres, ce qui élargit les sources ; c’est très utile et l’on a besoin de démocratiser ce
genre d’outils, et de créer de facto des services publics de la connaissance.

Créer des services publics de la connaissance


On a créé des services publics de la radio et de la TV à l’époque où c’étaient les technolo-
gies émergentes, mais pas depuis l’apparition du web ou de l’IA. On a éventuellement des
services publics qui se sont emparés du sujet, mais ce n’est pas la même chose que France
Télévisions mette des données en ligne que d’avoir un service public de l’intelligence
artificielle ou de l’open source, open science, etc. On a créé France Université Numérique,
l’initiative la plus visible, et cela a été très intéressant, mais on ne lui a pas donné les
moyens d’évoluer face aux progrès de Coursera ou d’autres qui sont devenues des multi-
nationales et des licornes. Il faut investir dans la R&D des services publics et notamment
de l’éducation, de la connaissance.

1
https://welearn.cri-paris.org/pages/onboarding.html

34
Enjeux numériques – Juin 2023 – N°22 © Annales des Mines

Il y a des initiatives de diffusion,


comme la plateforme Cairn.info ?
Oui, mais il s’agit de diffusion, pas de R&D. Par exemple nous avons tous été surpris
par le Covid, et le système universitaire ou scolaire n’avait pas les outils pour faire
face. L’université la plus innovante aux États-Unis huit ans de suite, l’Arizona State
University, a beaucoup investi dans la R&D, avait créé EdPlus quelques années avant,
et donc avaient tous ses cours disponibles en ligne2. Ils faisaient de l’hybride avant la
crise et ont pu rapidement s’adapter. Sur les technologies immersives ils travaillent avec
les fondateurs de Dreamworks pour faire ce qu’ils nomment Dreamscape3, qui crée des
environnements immersifs pédagogiques. On peut ainsi être immergé dans l’océan pour
comprendre la vie des baleines, ou dans la forêt amazonienne, ou autour des gladiateurs
dans la Rome antique… et ils prototypent des expériences pédagogiques dans ce genre
d’environnement. Par exemple pour comprendre l’écologie, la génétique d’un milieu
spécifique ; ou comprendre le changement climatique en étant immergé dans l’océan, ou
en Antarctique. Cohabite dans l’université pour sa R&D un écosystème agile de déve-
loppeurs, chercheurs, enseignants, étudiants, qui permet de prototyper rapidement des
situations nouvelles.

Simuler les crises


Et en France, en Europe ? Et sur quoi cela
porte-t-il surtout, la prévention de crises,
la simulation pour de la chirurgie ?
Il y a eu en effet le plus d’investissements dans la santé après le Covid, cela peut être de
la simulation, et plus généralement que faire dans une situation critique, par exemple
comment on gère une salle d’opération en période de crise : il vaut mieux se tromper
dans une simulation que dans la vie réelle, c’est la même raison qui amenait auparavant
dans la santé à disséquer des cadavres ; ou dans l’aviation, ou dans le nucléaire à simuler
des cas d’accident, souvent la conséquence d’une succession d’incidents. Ce sont en outre
des domaines où l’argent est plus facilement disponible que dans l’éducation nationale.
Et savoir comment s’agencent les différents corps de métiers en situation de crise, et
tirer des enseignements d’erreurs en situation de simulation pour ne pas les répéter en
situation réelle importe.

En effet pour les cyberattaques des hôpitaux,


on a constaté qu’un hôpital préparé à la crise
revient à l’état normal en huit jours,
mais cela peut atteindre
six mois s’il n’était pas prêt…
Oui de même aux États-Unis, on simule les situations de crise dans un stade, pour
gérer les flux, ce qui n’est pas trivial. Nous aurons la même question pour les Jeux
olympiques.

2
https://asuonline.asu.edu/online-degree-programs/
3
https://dreamscapeimmersive.com/

35
Les jeux et les technologies de réalité virtuelle et augmentée

Il y a donc deux types d’outils,


ceux pour l’acquisition de connaissances,
et ceux pour apprendre à gérer l’imprévu ?
Oui les situations complexes, car la complexité peut créer des situations imprévisibles
et potentiellement catastrophiques. D’où l’importance de créer de la résilience dans les
systèmes, et des dynamiques qui impliquent nombre d’acteurs. Ce qui montre bien que
nous ne devons pas nous faire imposer des algorithmes ou des jeux de données qui ne
correspondent pas forcément à nos propres situations et capacités d’intervention.

Développer les sciences participatives


Il faut donc que la technologie intègre
les actions de chacun, et donc permette
de créer une forme d’intelligence collective ?
Exactement, je crois beaucoup aux sciences participatives, qui sont une façon de gérer de
façon rationnelle l’intelligence collective (la bêtise collective existe aussi), car gérer des
collectifs humains, des foules, c’est compliqué. Rien qu’un exemple : après que Kasparov
eut été vaincu par Deep Blue, il organisa une partie contre le reste du monde. Karpov
l’avait fait avant lui, sans succès de la part de ses opposants, qui agissaient séparément.
Kasparov voulut rajouter de l’intelligence collective, en donnant du temps pour la déli-
bération entre ses opposants, et de la modération, assurée par quatre jeunes. Parmi eux,
une jeune américaine disposait d’un logiciel qui montrait la cartographie des possibles
proposés par les autres joueurs. Et tant que le collectif suivait ses recommandations,
du 9e au 81e coup, Kasparov était en échec. Il a déclaré que c’était la meilleure partie du
monde entre humains… Ce qui était important, c’était le petit logiciel qui permettait la
modération. De même que Wikipedia est une co-écriture. Pour faire converger des intel-
ligences sur un produit, qu’il s’agisse de démocratie participative ou d’autres produits,
on a besoin d’outils qui permettent une maïeutique collective. Et qui convergent vers
quelque chose qui ne soit pas du café du commerce, mais qu’aucun des individus n’aurait
su proposer seul.

Ce qui précède relève largement d’outils


qui préexistent dans l’Internet,
est-ce que des outils immersifs
apportent davantage ?
Il y a quelque chose dans l’émotion qu’il n’y a pas dans les technologies immersives en
général, ou plus précisément on peut ressentir une émotion mais on ne peut l’exprimer
de la même façon, à l’égard des autres personnes qui seraient dans le même collectif
immersif que moi. L’évolution des traits du visage ne suit pas au même rythme, c’est
une limite. Il y a une tribune de Noam Chomsky dans le New York Times, qui dit que le
problème de ChatGPT, au-delà des critiques qu’il peut avoir en tant que linguiste, c’est
que cette intelligence n’a pas d’éthique car elle n’a ni peur ni envies ni émotions, donc
de remords, d’hésitations, et elle parlera avec le même aplomb quel que soit le sujet, au
rebours d’un humain. Or en particulier dans les problématiques de gestion des situations
critiques, se couper de l’émotion des autres fausse les réactions par rapport au réel.

36
Enjeux numériques – Juin 2023 – N°22 © Annales des Mines

Cibler les usages inclusifs, favorisant l’empathie,


ou à haute valeur, maîtriser les autres

Parmi les menaces, nous venons de voir


un aspect éthique, il y a aussi le risque
de fracture sociale, que ce soit le coût des équipements,
ou le modèle économique, qu’en penser ?
Clairement, il y a plusieurs difficultés liées aux technologies immersives : déjà, on les
supporte plus ou moins bien, l’oreille interne réagit mal à ce que l’individu réel soit
immobile et son avatar soumis à des mouvements brusques, ce qui peut rendre certains
malades. En second lieu, ces objets coûtent très cher. Si c’est pour exécuter des tâches
qu’on ne peut faire nulle part ailleurs, cela a du sens : par exemple les simulateurs dans
l’aviation existent depuis longtemps, et dans la mesure où ils évitent des crashs, ils sont
indispensables. Pour la formation professionnelle de gens liés à des risques importants,
c’est justifié. Ce n’est pas forcément le cas dans toutes les écoles de France, je suis dubi-
tatif. À la limite, cela peut servir à aider les enseignants à gérer une classe, il peut y avoir
des enseignements universitaires pour cela. J’ai vu par exemple comment un enseignant
peut gérer un élève dyslexique : s’il dispose d’un casque où il voit les lettres danser comme
un dyslexique les voit, il comprend le stress de l’élève, montrera plus d’empathie plutôt
que de le stigmatiser. Ce type d’usage est pertinent et inclusif. Autrement, il y a des
risques d’exclusion.
De même pour les aidants de personnes âgées, il y a des simulations non virtuelles
mais consistant à enfiler des habits alourdis artificiellement, ce qui permet de mieux
comprendre l’effort que doit faire celui ou celle que vous aidez, et ceci développe aussi de
l’empathie.

Prévenir les addictions


Qu’en est-il sur les risques de perte
de concentration ou d’addiction ?
Sur l’addiction, c’est dramatique ; j’ai été très marqué par un rapport passé inaperçu
car publié juste avant le Covid, publié dans The Lancet par l’OMS et l’UNICEF, présidé
par Helen Clark, ancienne Première ministre de Nouvelle-Zélande, qui dit que l’espé-
rance de vie diminue par rapport aux générations précédentes, à cause du changement
climatique, de l’obésité, des addictions du XXe et du XXIe siècle, dont pour ce dernier les
addictions numériques. C’est lié à un cours donné à Stanford sur le fonctionnement du
cerveau et le rôle de la dopamine. Ils ont inventé un mot, la « captologie », pour capturer
l’attention des gens pour les conserver dans un jeu vidéo, un réseau social, une interac-
tion virtuelle. L’obésité est due aussi à une manipulation de notre héritage biologique :
habitué à manquer du nécessaire, le corps stockait dès qu’il pouvait ; et dès lors que
l’abondance était omniprésente, il continue à sur-stocker. Il en va de même pour les
informations gratifiantes que peuvent fournir des mondes virtuels, le cerveau cherchant
des interactions sociales ou sexuelles intenses. Il faut former très tôt tous les enfants
aux risques des addictions en général, incluant de savoir que nos cerveaux peuvent être
hackés par la technologie. Et ainsi mieux se connaître et connaître son environnement.
Il vaut mieux apprendre à manipuler l’intelligence artificielle que de la laisser vous
manipuler. Idéalement, il faut former ainsi avant une addiction, de même qu’il faut des
campagnes anti-tabac avant l’âge de la première cigarette. Et comme le numérique est
présent dans les maisons, l’école a un rôle essentiel à jouer. C’est ce pourquoi quand je
parle d’apprendre à l’heure du numérique, c’est aussi apprendre à éviter les addictions.

37
Les jeux et les technologies de réalité virtuelle et augmentée

Sur l’enseignement supérieur, que penser des MOOC,


lancés en 2008 et qui ont connu une heure de gloire,
restent avec des résultats significatifs,
comment évoluent-ils quinze ans plus tard,
(le MetaKwark par exemple) et les évolutions
technologiques les affectent-ils ?
Peut-on en attendre mieux ?
Ce qu’a su faire l’open university en Angleterre, ou en Inde, c’est de rendre accessibles
des parcours entiers en ligne. Le CNAM aurait pu le faire mieux s’ils avaient eu assez
de moyens ; nous n’avons pas suffisamment investi dans des structurations numériques
intégrées. Le numérique à 100 % a plein de défauts, mais on a bien vu durant la crise
que pour ceux qui ne peuvent se déplacer et qui savent se concentrer, cela peut apporter
une valeur ajoutée exceptionnelle. Dans le cas de l’Arizona State University, ils ont déve-
loppé 300 partenariats digitaux avec des start-up, et donc on a l’impression qu’on est chez
EdPlus4 d’ASU, mais cela intègre des dizaines d’outils qui viennent de leurs partenaires,
et ils ont décidé que leur propre conférence serait en Californie (alors qu’ils sont sis à
Phénix) pour enrichir en permanence leur écosystème des apports de la côte Ouest. Cette
dynamique partenariale n’a pas d’équivalent en France.

Ces partenariats sont-ils financés par l’université


elle-même (les universités américaines
sont plus riches que les nôtres) ?
Et sinon, pourquoi ce ne sont pas les GAMAM
ou BATX qui se lancent là-dedans en considérant
le business de l’éducation dans une optique libérale ?
Ou bien se lancent-ils à partir des universités
parce qu’elles ont l’atout des sources
de connaissance ?
Dans l’industrie de la connaissance, il y a aussi de la reconnaissance, et le diplôme,
apanage des universités, est jusqu’à maintenant ce qui a le plus de valeur dans l’économie
de la connaissance, ce qui attire des partenariats. Une autre approche dit que c’est le
marché du travail qui est directeur, et donc que l’on va créer des programmes pour aller
travailler chez telle ou telle industrie, qui a besoin de recruter par milliers ou dizaines de
milliers, ce qui donne lieu à des programmes de formation pour les salariés.

Cette forme d’adéquationnisme peut fragiliser


les salariés si leur employeur connaît
des revers de fortune…
Oui, sauf s’ils ont appris des technologies réutilisables dans d’autres contextes. En
pratique, ces deux approches avancent simultanément. Depuis que ChatGPT4 a réussi
certains concours, y compris de type sélectif, il faut s’interroger sur l’appétence pour
apprendre ce qu’une machine sait faire. Certes, on peut jouer aux échecs même si DeepBlue
gagne, mais l’attrait professionnel importe : vous devez acquérir des compétences que les
machines n’ont pas.

4
https://edplus.asu.edu/

38
Enjeux numériques – Juin 2023 – N°22 © Annales des Mines

L’OCDE avait produit en 2012 une étude expliquant


que la moitié des métiers risquait de disparaître
ou être profondément changés en 2030. En pratique,
dix ans plus tard, on constate qu’il y a bien eu une
disparition d’environ 10 % d’emplois peu qualifiés
et très automatisables, mais que les autres demeurent,
tout en étant, en effet, adaptés pour se servir
de nouveaux outils…
Cette capacité à se réinventer est très importante. J’ai discuté avec Florence Poivey et ses
équipes de WorldSkills, qui organise des olympiades des métiers en 2024. J’écrivais qu’il
y a intérêt à inventer des laboratoires de métiers de demain, et WorldSkills contribue
à cela : on invite des jeunes à relever des défis professionnels, en prenant en compte
différents critères, comme la transition écologique, et d’explorer comment leur métier
se réinvente (le mot skill recouvrant à la fois la notion de compétence et de métier) dans
l’esprit de l’appel d’offre CMA du SGPI sur les compétences et métiers d’avenir. Ainsi, des
tailleurs de pierre vont refaire Notre-Dame-de-Paris, ce sont des métiers millénaires mais
dont les techniques évoluent.
La question est la réflexivité : suis-je conscient de mes progrès en tant qu’individu, en tant
que part d’un collectif (entreprise, branche, personnes développant une compétence) ?
Apprenons-nous les uns des autres, mutualisons-nous nos explorations ? Si l’OCDE a
surestimé l’impact, c’est que chaque métier a su s’organiser pour faire face. Et face à
l’accélération des changements, climatiques, numériques, comment peut-on s’organiser
de façon plus structurée, à l’échelle des branches, à l’échelle nationale, ou internatio-
nale ? WorldSkills est une plateforme, qui pourrait capitaliser davantage : nous avons été
­champions du monde de la biologie synthétique, et avons en outre accueilli les organisa-
teurs de la compétition qui avaient quitté le MIT car ils n’aimaient pas Donald Trump, et
la communauté de biologie synthétique est une forme d’olympiades, où chaque équipe doit
tout documenter en ligne, dire ce qu’elle a utilisé des générations précédentes et quelles
collaborations elle a eues pour capitaliser ; à la façon de Bernard de Chartres, pour voir
loin il faut gravir les épaules de géants. Les communautés apprenantes deviennent des
communautés de recherche et d’exploration de nouveaux métiers et des manières de se
former à ces nouveaux métiers. On passe du praticien au praticien réflexif, au praticien
chercheur et au chercheur praticien. Et ce qui est vrai au niveau de l’individu l’est aussi
au niveau d’une communauté. Cela suppose des outils numériques, d’intelligence arti-
ficielle, qui permettent de savoir si d’autres se sont posé la même question, si certains
ont déjà la réponse, si à défaut lorsque beaucoup se la posent comment mutualiser les
efforts pour y répondre, traiter un sujet devenu prioritaire et obtenir des ressources pour
explorer ces sujets prioritaires.

Parmi les atouts français en l’espèce, quels sont ceux


sur lesquels surtout capitaliser, ou lesquels renforcer ?
Il peut y en avoir d’autres que la biologie de synthèse.
On a des services publics et des citoyens engagés, c’est une force. La faiblesse est
d’organisation pour faciliter la transformation, l’innovation. Des expériences comme
­
https://beta.gouv.fr/ ont permis de l’exploration de solutions open source, mutualisables
avec des partenaires qu’ils soient en Europe, en Inde ou ailleurs. Quand je discute avec
des collègues étrangers, ils nous envient des structures comme le SGPI. On pourrait en
avoir au niveau européen… la Commission a certes ses propres effectifs de R&D mais
ils ne sont pas suffisamment dans l’open source. Nous avons des gens bien formés, mais

39
Les jeux et les technologies de réalité virtuelle et augmentée

à l’heure de l’IA, ces gens vont-ils être capables de s’adapter suffisamment vite à ces
transitions ?
Il faut passer à la notion de défi. Non plus seulement « Je suis là pour apprendre tel
théorème » mais « Je suis là pour résoudre un défi et trouver les bons outils pour ». Tous
les métiers auront des défis, et ceux qui savent les relever auront toujours du travail.

C’est donc une question de l’apprentissage


par projet ?
Oui, mais surtout par défi ce qui est une des formes de l’apprentissage par projet. Ce n’est
pas la même chose d’avoir un projet dont celui qui la donne détient déjà la solution, ou
s’il ne la détient pas ; ou si celui qui se fixe le projet le choisit parce que la problématique
le touche. Par exemple la fondation Lego a fait le tour du monde pour trouver les écoles
qui préparaient le mieux les enfants à s’adapter aux défis du XXIe siècle, et a trouvé
étonnamment non en Californie, dans le quartier latin ou à Singapour, mais à Haïti, une
école où à 6 ans on apprend à planter une graine, car la nourriture importe, à 12, à coder
un serveur de SMS car la version marchande est trop chère, et à 18, à créer un réseau
de détection d’ondes sismiques, car c’est vital pour sa communauté. Ce sont à chaque
fois des projets co-définis par les jeunes eux-mêmes, et in fine cela donnera des prix aux
olympiades internationales de géologie, même s’ils ne sont pas nés dans l’environnement
le plus favorable pour cela.

Penser l’avenir en le co-construisant


avec les générations montantes

À l’assemblée générale des Nations unies à New York pour le premier sommet
“Transforming education” en septembre 2022, on constatait que la crise Covid avait fait
des ravages : il y a des pays où 90 % des enfants de 10 ans ne savent pas comprendre ce
qu’ils lisent. L’Unesco disait que le monde est en crise, que l’éducation devrait être partie
de la solution et qu’elle est une partie du problème. De même, le secrétaire général de
l’Onu António Guterres mentionnait l’importance de l’éducation et de l’investissement
pour elle, tandis que Jeffrey Sachs réprimandait ses anciens élèves partis à la Banque
mondiale pour leur trop grande timidité à investir dans l’éducation. À cette occasion,
500 000 jeunes ont été invités à s’exprimer sur le futur de l’éducation, ce qui a conduit à
une déclaration5, en une trentaine de points qui mériteraient d’être discutés partout, et
pour lesquels Gutteres a appelé à co-construire l’avenir avec eux.
En pratique pour l’espèce humaine, la jeunesse est la R&D de l’espèce : elle a le plus d’in-
térêt à l’avenir car elle y passera le plus de temps, mais elle a aussi une grande capacité
à explorer les possibles. Cela conduit à définir les priorités et les droits. Or les droits des
enfants ont été écrits par les adultes (en 1924), comme les droits des esclaves le furent par
leurs propriétaires, ce qui dans ce cas avait peu de chances de répondre à leurs attentes.
Il serait utile d’impliquer directement les enfants, un siècle après cette première forma-
lisation des droits. Cela a été fait par exemple à l’échelle de Paris, et a donné lieu à une
charte parisienne des droits de l’enfant, qui touche non seulement aux attributions du
responsable jeunesse de la ville, mais aussi du logement, du handicap, des transports…

5
https://www.un.org/sites/un2.un.org/files/2022/09/tes_youthdeclaration_fr.pdf

40
Enjeux numériques – Juin 2023 – N°22 © Annales des Mines

Quels âges ont ceux pour qui ce type de consultation


a eu lieu ? Et cela reflète-t-il beaucoup l’opinion
des parents ou de ceux qui posent les questions ?
10-18 ans. Oui forcément, mais l’enfant s’autonomise progressivement et plus on lui
demande son avis tôt, plus il réfléchit par lui-même tôt.

Nous avons couvert beaucoup de sujets.


Reste-t-il un sujet qui te tienne à cœur,
ou bien me reste-t-il à te remercier ?
Il y a un livre qui m’a marqué de Donnella Meadows sur les douze leviers pour changer
un système6, hiérarchisés par ordre d’importance croissante. Or nous avons besoin de
changements systémiques, ce qui donne de l’importance à son ouvrage. Le premier groupe
est celui des paramètres, et dans le domaine de l’éducation, cela correspond au nombre
d’élèves par classe, le nombre d’heures consacrées à tel sujet, qui occupe une bonne partie
de nos débats sur l’éducation. Le second niveau regroupant aussi trois éléments concerne
les boucles de rétroaction, pour accroître ou réduire l’importance de tel sujet ; par exemple
ce que l’on évalue, si on fait un grand oral au bac… Les six autres leviers, les plus impor-
tants selon elles, sont les flux d’information du système que l’Internet, et les outils dont
nous venons de parler, a énormément accrus ; qui décide dans le système (et l’on voit que
le conseil national de la refondation est une forme d’ouverture vers ce qui va se passer) ;
la question de l’auto-organisation du système (par exemple pendant le Covid on a permis
aux hôpitaux plus de liberté d’organisation pour accroître leur réactivité, mais par défaut
nous sommes assez centralisés, notamment dans l’éducation, où la rue de Grenelle a une
structure très hiérarchique et pyramidale ; d’autres pays s’en sont affranchis mieux que
nous). Et enfin les trois niveaux les plus impactants sont de savoir quels sont les buts du
système (on donne tellement de buts à l’Éducation nationale que l’on peut s’interroger sur
sa façon de traiter les principaux enjeux ; et cela, certains pays l’ont fait) ; un niveau de
changement de paradigme, par exemple de passer d’une compétition sur les savoirs d’hier
vers une coopération sur les enjeux d’aujourd’hui pour inventer le monde de demain ; et
enfin d’inventer ce qu’elle nomme un paradigme ouvert, une capacité à évoluer en fonction
des besoins de la société. Certes, Meadows songeait surtout aux ressources planétaires,
mais en matière d’éducation, je pense que nous avons besoin des mêmes réflexions sur les
changements systémiques. On a tendance à ne pas changer souvent de modèle, au regard
de ce qu’Aristote appelait la φρόνησις (phronesis), pour guider une éthique de l’action. Et
notamment d’examiner les conséquences collatérales et non voulues de nos actions, de
notre système, et au vu des crises auxquelles nous sommes confrontés, comment prendre
du recul. Pour cela, savoir comment former des jeunes ou moins jeunes aux conséquences
que nous avons sur la planète importe. J’ai l’exemple d’une jeune fille qui m’a marqué,
et ce sera mon mot de la fin : elle arrive à 14 ans après la lecture du rapport du GIEC,
avec la conclusion que la seule façon d’avoir une empreinte carbone nulle, c’est le suicide.
Sa psychiatre, qui travaille sur les sujets d’éco-anxiété, a réussi à la détourner de ses
intentions en lui disant « Si tous ceux qui pensent comme toi se suicidaient, il ne resterait
plus que ceux qui sont le plus enclins à saccager la planète : tu dois donc rester en vie et
avoir un impact positif ». Cela suppose que nous, avec nos outils, sachions accompagner
ces jeunes de façon constructive plutôt que de les laisser s’enfoncer dans une déprime qui
ne mène nulle part, si ce n’est à l’implosion des individus ou à l’explosion du collectif.

6
https://fr.wikipedia.org/wiki/Douze_leviers_pour_intervenir_dans_un_syst%C3%A8me

41
Les jeux et les technologies de réalité virtuelle et augmentée

Qu’attendre de la réalité
virtuelle et augmentée
pour les applications médicales
Par Jean-Baptiste MASSON
Directeur du laboratoire Decision and Bayesian Computation,
Institut Pasteur et directeur scientifique d’Avatar Medical

Les technologies relatives à la réalité mixte (XR), bien qu’elles ne soient pas une
innovation, connaissent un essor considérable en raison des avancées récentes
en matière d’informatique, d’apprentissage automatique et de la réduction
drastique du coût des dispositifs de visualisation. Ces progrès pavent la voie à une
utilisation élargie dans le secteur médical et hospitalier. Cependant, à l’instar de
toute technologie naissante, l’adoption de la réalité mixte dans le milieu médical
doit surmonter de nombreux défis. Malgré ces entraves, les développements
futurs en matière de vision par ordinateur appliquée à la médecine, les méthodes
de rendu en réalité mixte et la réflexion sur le processus décisionnel médical
sont appelés à métamorphoser ces technologies en atouts incontestables. Elles
profiteront non seulement aux praticiens qui les mettront en œuvre, mais
également aux patients qui jouiront d’un accompagnement médical optimisé.
Dans ce texte, nous abordons tant les avancées récentes que les défis inhérents
à l’exploitation médicale de ces technologies.

Propos liminaire
Dans cette présentation succincte, je vais explorer quelques facettes de ce que l’on peut
espérer des technologies de réalité virtuelle et augmentée dans le secteur médical. Mon
objectif n’est pas de fournir une analyse exhaustive des méthodologies ou des applica-
tions. Je me concentrerai sur les aspects liés à mon activité de laboratoire. De ce fait, je
ne traiterai, par exemple, ni des progrès en réalité virtuelle visant à préparer et à apaiser
les patients avant ou pendant les procédures chirurgicales, ni des applications technolo-
giques exclusivement dédiées à l’enseignement. Mon propos se focalisera sur la pratique
médicale et la manière dont ces technologies peuvent contribuer au bon fonctionnement
du système de santé.

Brève introduction de la technologie


La réalité virtuelle (VR) est une technologie immersive permettant à l’utilisateur de se
mouvoir dans un environnement intégralement numérique grâce à un casque spécifique.
La VR offre l’expérience à l’utilisateur d’évoluer dans un monde physique artificiel où il
peut interagir avec celui-ci au moyen de divers types de manettes. Les limitations les plus
notables résident dans l’isolement du monde réel, le casque obstruant la vision de l’envi-
ronnement naturel, et les risques de nausée liés à l’inconfort engendré par les anomalies
entre les mouvements de l’utilisateur et la rétroaction visuelle imparfaite du casque.
La réalité augmentée (AR) est une technologie superposant des éléments numériques sur
le monde réel, généralement via un écran de smartphone ou des lunettes spéciales. L’AR

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Enjeux numériques – Juin 2023 – N°22 © Annales des Mines

offre une expérience interactive en permettant à l’utilisateur d’interagir avec des données
numériques tout en évoluant presque naturellement dans le monde physique. Elle souffre
néanmoins de problèmes de précision, de latence et de superposition des éléments virtuels
sur le monde réel. De plus la qualité des rendus laisse souvent à désirer.
Enfin, la réalité mixte (MR) représente un amalgame des deux technologies précédentes,
combinant les éléments du monde réel et virtuel afin de créer des environnements où les
objets physiques et numériques coexistent et interagissent en temps réel. La technologie
se présente généralement sous la forme d’un casque de VR équipé de diverses caméras
permettant de superposer les images captées dans l’environnement réel sur l’environne-
ment virtuel.
Les réalités virtuelles et augmentées sont d’ores et déjà intégrées dans diverses industries
depuis plusieurs décennies. Elles sont notamment présentes dans l’industrie automobile,
tant dans la conception et le développement de véhicules pour visualiser et tester les
prototypes avant la production, que pour former les employés aux processus d’assemblage
et de maintenance. Elles occupent les mêmes fonctions dans l’aéronautique. Enfin, dans
le divertissement et les jeux vidéo, la VR et l’AR sont déjà utilisées pour créer des expé-
riences immersives, généralement dans des installations dédiées et, depuis peu, là où les
joueurs le souhaitent.
Dans la suite de ce texte, je désignerai l’ensemble de ces solutions par le terme « solutions
XR » (solutions de réalité étendue) et préciserai, dans certains cas, une technologie spéci-
fique si mes remarques ne se réfèrent qu’à un sous-groupe.

Figure 1. Exemples d’application du logiciel DIVA vu à travers son interface de bureau sur
des images de microscopie et sur des images médicales. Ces images n’ont pas été traitées ou
segmentées. Dans chaque sous panneau on peut voir en insert une coupe des images d’origine.
a-c) Piles d’images au format TIFF de l’hippocampe de souris imagé par imagerie deux photons
(SEBI, souris Thy-1-GFP) en a). En b) des tranches cérébrales embryonnaires de souris obtenues
par microscope à disque tournant (spinning disk). En c) une microscopie électronique à balayage
à faisceau d’ions focalisés des composants d’un neurone adulte de souris : l’appareil de Golgi et
les mitochondries. De d) à f) ensembles d’images médicales au format DICOM (commun dans le
monde des données médicales). En d) un scanner de fractures craniofaciales après une opération
de reconstruction. En e) un IRM d’un cœur adulte présentant une boucle ventriculaire et une
malformation septale. En f) un scanner des poumons atteints d’une infection de Covid-19.

43
Les jeux et les technologies de réalité virtuelle et augmentée

Accompagner la chirurgie de la planification


à son exécution dans la salle opératoire

Ici, je présente un exemple pour lequel les solutions XR se verraient être utilisées lors
du processus chirurgical. Je discuterai ici de la XR en relation avec la chirurgie, car cette
application semble émerger comme étant la principale pour les technologies XR médicales.

Préparer la chirurgie avec la réalité virtuelle


La VR semble destinée à jouer un rôle dans la préparation chirurgicale, en permettant
aux médecins d’explorer et de planifier les interventions de manière plus précise et inte-
ractive. La VR permet une visualisation volumétrique avancée grâce à des techniques
telles que le ray casting ou le ray tracing (voir la Figure 1). Ces méthodes permettent
de visualiser les structures anatomiques en trois dimensions sans avoir à segmenter
préalablement les images médicales. L’immersion en VR offre également la possibilité
d’explorer les images médicales en profondeur, en « plongeant » littéralement à l’intérieur
des structures anatomiques. Cette approche peut permettre aux chirurgien.nes de mieux
appréhender la complexité des cas et de préparer leurs gestes avec une précision accrue.
Ces possibilités contribuent à améliorer la compréhension des relations spatiales entre
les différents éléments anatomiques. De plus, en ne nécessitant pas de segmentation,
l’analyse n’est pas dépendante de la performance de l’algorithme de machine learning
(la plupart du temps) qui la produit. Ainsi, même les images ambigües, comme celles
impliquant des tumeurs aux frontières complexes, peuvent être explorées, sans qu’un
traitement de données ait essayé d’en déterminer précisément leurs positions.
D’un point de vue procédural, la VR facilite la répétition du parcours chirurgical en
permettant aux médecins d’explorer les différents aspects de l’intervention, tels que les
voies d’accès pour amorcer la chirurgie. Cette répétition virtuelle pourrait contribuer à
minimiser les risques d’erreurs et d’incidents lors de l’opération réelle, en familiarisant
les praticiens avec les spécificités du cas. L’utilisation de “landmarks” (zones ou positions
dans l’imagerie médicale permettant de se positionner dans l’espace) en VR est un autre
avantage majeur pour la préparation chirurgicale. Ces repères virtuels permettent de
baliser les étapes clés de l’intervention et d’orienter les médecins tout au long du processus.
Les landmarks peuvent également faciliter la communication et la coordination entre les
membres de l’équipe chirurgicale. Parallèlement, la préparation chirurgicale peut exiger
des quantifications en termes de volumes ou de formes de structures d’intérêt qui ne
seront accessibles que par la segmentation. Cependant, cela peut être géré grâce à une
combinaison adéquate des techniques de VR et de segmentation. La VR offre la possibi-
lité de vérifier l’exactitude des analyses préopératoires, comme la segmentation, en les
superposant aux images brutes en réalité virtuelle. Cette étape de vérification permet
d’identifier d’éventuelles erreurs ou imprécisions, et de les corriger avant l’intervention.

Assister les chirurgies avec la réalité augmentée


L’utilisation des technologies AR en intra-opératoire ouvre de nouvelles perspectives
pour améliorer la précision et la sécurité des interventions chirurgicales. Deux aspects
principaux de l’utilisation de l’AR en chirurgie peuvent être distingués : l’accès aux infor-
mations et aux analyses dans la salle d’opération, et la surimposition d’images médicales
sur le patient durant l’intervention.
Dans le premier aspect, l’AR pourrait faciliter l’accès aux représentations et aux analyses
médicales au sein même de la salle d’opération. Les images pourraient être consultées
facilement sur des tablettes ou à travers un casque de réalité augmentée, permettant

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Enjeux numériques – Juin 2023 – N°22 © Annales des Mines

aux médecins de revoir et d’interagir avec les données sans quitter le champ stérile.
L’accessibilité de ces informations en temps réel et de manière aisée constituerait un
atout majeur pour la prise de décision et l’efficacité du geste médical.
Le second aspect, plus ambitieux, vise à superposer les images médicales sur le patient
durant l’intervention pour guider les gestes du chirurgien.ne. Cette approche présente
plusieurs défis à surmonter pour une mise en œuvre réussie. Le recalage en temps réel de
l’image constitue l’un des principaux enjeux. L’AR doit être capable de synchroniser les
images médicales avec la position et l’anatomie réelles du patient tout au long de l’opéra-
tion. Cela implique de développer des algorithmes de recalage robustes et performants,
capables de s’adapter aux mouvements du patient, aux mouvements du chirurgien.nes
et de ses collègues, et aux variations anatomiques. L’AR doit être suffisamment réactive
et précise pour suivre les gestes du chirurgien.ne et ajuster les images médicales en
conséquence. Des capteurs de mouvement et des dispositifs de suivi optique peuvent être
utilisés pour détecter et analyser les mouvements du médecin et permettre une interac-
tion fluide avec les images en réalité augmentée. Enfin, la déformation des tissus induite
par l’opération pose également un problème pour l’application de l’AR en chirurgie. Les
algorithmes d’AR devraient alors être capables de modéliser et de compenser les défor-
mations des tissus pour maintenir une cohérence entre les images médicales et la réalité.
Cette modélisation nécessite des avancées dans les domaines de la biomécanique et de
l’imagerie médicale, ainsi que le développement de méthodes de simulation en temps réel
adaptées au contexte chirurgical. Tout ceci indique que des solutions généralistes d’utili-
sation d’AR dans le bloc opératoire avec une composante de superposition prendront du
temps à émerger.

Machine learning médical et réalité virtuelle


La VR et l’apprentissage automatique (machine learning) médical sont deux domaines
étroitement liés, offrant un potentiel considérable pour améliorer la précision et l’effica-
cité des analyses d’images médicales. Deux étapes limitantes dans l’apprentissage auto-
matique médical sont l’annotation manuelle des images, qui est laborieuse et complexe,
ainsi que les erreurs d’annotation induites par le fait qu’elles soient, la plupart du temps,
effectuées en 2D image par image. La VR peut jouer un rôle crucial dans la vérification de
la qualité des segmentations manuelles en superposant ces dernières aux images brutes.
Cette approche permet de s’assurer que les structures d’intérêt sont correctement identi-
fiées en respectant leur morphologie 3D. Bien que l’annotation purement en VR présente
des limites, notamment en termes de précision qui dépendrait fortement des utilisateurs,
il est envisageable de combiner des annotations générales effectuées en VR avec des
annotations plus fines réalisées sur tablette. Cette approche hybride permettrait de tirer
parti des avantages de la VR pour la visualisation 3D des structures, tout en conservant
la précision des annotations 2D sur tablette.

Haptique et XR
Les technologies XR peuvent profondément changer la nature des interactions avec les
données et les environnements numériques. Toutefois, un aspect manquant dans les
applications XR est la nature des interactions physiques et sensorielles avec ces données.
Les contrôleurs ou les mouvements de la main en l’air ne reproduisent pas la sensation
de contact, essentielle pour une expérience immersive et réaliste. Des avancées intéres-
santes sont en cours dans le domaine des interfaces haptiques associées aux systèmes XR.
Ces interfaces offrent un retour tactile aux utilisateurs, leur permettant de ressentir des
sensations de toucher, de pression ou de vibration lorsqu’ils interagissent avec des objets
virtuels. Par l’intégration de la dimension haptique aux expériences XR, les interactions
deviennent plus réalistes et intuitives.

45
Les jeux et les technologies de réalité virtuelle et augmentée

Les dispositifs haptiques trouvent leur utilité dans la formation par simulation pour
les étudiants en médecine et dans l’apprentissage continu des médecins. La simulation
haptique permet de reproduire des sensations tactiles similaires à celles rencontrées lors
d’interventions réelles, facilitant ainsi l’acquisition et l’amélioration des compétences
techniques. Les étudiants en médecine peuvent s’exercer sur des modèles virtuels et
ressentir les sensations correspondantes, améliorant ainsi leur compréhension et leur
maîtrise des gestes médicaux.

Toucher - naviguer - découper


L’XR et l’impression 3D sont deux technologies qui pourraient avoir un effet significatif
dans le domaine médical si elles sont conjointement utilisées pour optimiser les résultats
des traitements médicaux. L’impression 3D permet aux chirurgien.nes de toucher et de
manipuler des objets représentant les organes ou les structures d’intérêt. Ces modèles
physiques offrent une dimension complémentaire à la compréhension de la morphologie
et de la structure des tissus, en permettant aux mains du chirurgien.nes de contribuer
à la compréhension de la configuration spatiale des zones d’intérêt. D’un autre côté, les
technologies XR permettent de pénétrer les objets sous tous les angles possibles, offrant
ainsi une perspective unique et une visualisation détaillée des structures internes des
organes sans la contrainte de la physique réelle que les chirurgien.nes devront respecter
lors de l’opération. Ainsi, par exemple, la réalité augmentée pourrait accompagner une
impression 3D biomimétique pour préparer des chirurgies complexes. Les chirurgien.nes
pourraient superposer des informations numériques sur le modèle imprimé en 3D, telles
que des repères anatomiques, des zones à risque ou des trajets vasculaires, pour guider
et informer davantage leur prise de décision. De plus, il est possible de préparer une
simulation de chirurgie en VR avant de l’essayer sur l’impression, afin de reproduire tout
un ensemble de gestes et de préparatifs avant d’envisager la chirurgie sur le patient.

Le positionnement des solutions XR


Le positionnement de l’XR dans les applications biomédicales représente un enjeu
crucial pour son adoption par les personnels médicaux, et sa démocratisation au-delà
des hôpitaux enclins à adopter les nouvelles technologies. Les retards constatés dans la
mise en œuvre de ces solutions ne proviennent pas, à mon sens, d’un scepticisme médical
à l’égard de ces technologies ou même d’un manque d’acculturation. Ils s’expliquent en
partie par une perception partiellement erronée de la nature des solutions XR. En effet,
celles-ci sont souvent perçues et commercialisées comme des logiciels, alors qu’il s’agit en
réalité d’une authentique solution biomédicale. Cette distinction n’est pas anodine, elle
est essentielle pour saisir les implications liées à l’adoption de la XR. L’acquisition d’un
logiciel, même dans un contexte hospitalier, s’accompagne généralement d’une licence
d’utilisation, laissant l’utilisateur développer seul les procédures d’exploitation. En
revanche, une solution biomédicale requiert une approche plus englobante, incluant la
conception, l’amortissement, la formation, la maintenance et le support technique assuré
par une équipe spécialisée.
Le positionnement de la XR par les entreprises comme solution biomédicale permettra de
mieux répondre aux attentes et aux besoins des professionnels de santé dans la réalité
hospitalière. Il conviendra ainsi d’offrir un accompagnement complet et adapté tant du
point de vue de la gestion du matériel que de la formation à son utilisation. Une approche
globale facilitera également l’intégration de la XR dans les pratiques médicales exis-
tantes, en veillant à ce que les utilisateurs disposent des compétences et des ressources
nécessaires pour exploiter pleinement les potentialités de cette technologie. De plus, cette
approche sera la plus en adéquation avec les exigences réglementaires associées aux
applications médicales.

46
Enjeux numériques – Juin 2023 – N°22 © Annales des Mines

La réglementation
L’intégration de la XR dans le domaine médical et hospitalier soulève des défis considé-
rables en matière de réglementation. Les organismes de régulation, tels que la Food and
Drug Administration (FDA) aux États-Unis et le marquage CE en Europe, vont surement
adapter leurs processus d’évaluation et d’approbation pour prendre en compte les parti-
cularités de ces technologies. Sans être exhaustifs, nous mettons en lumière quelques
aspects qui joueront un rôle essentiel dans l’avènement de ces technologies dans le monde
médical. L’un des défis majeurs est la qualité des images produites par les casques de
réalité mixte. Les organismes de régulation veilleront à ce que les dispositifs offrent une
qualité d’image suffisante pour ne pas compromettre la prise de décision médicale. Les
critères d’évaluation incluront la résolution, la fidélité des couleurs, la profondeur de
champ et la latence. En pratique, ces critères sont les mêmes que ceux attendus des
nouvelles technologies d’écran utilisées par les radiologues. Un autre enjeu est l’impact
de la modification de la représentation sur la décision médicale. Les régulateurs devront
évaluer comment les différentes représentations de la XR influencent les choix et les
actions des médecins. Des études cliniques pourraient être nécessaires pour déterminer
si les avantages potentiels l’emportent sur les risques associés à ces nouvelles modalités
de visualisation. Ceci devra être pris en compte tout particulièrement, car ces technolo-
gies sont destinées à être utilisées par des chirurgien.nes ou médecins n’ayant pas une
spécialisation, tels que les radiologues, dans l’analyse d’images médicales. L’introduction
de la réalité mixte dans le bloc opératoire soulève également des questions de sécurité et
d’efficacité. Les régulateurs devront examiner si l’utilisation de ces technologies améliore
réellement les résultats pour les patients, et si les dispositifs sont conformes aux normes
d’hygiène et de stérilité. De plus, la formation des professionnels de santé à l’utilisa-
tion de ces outils devra être prise en compte dans la réglementation. La précision de
la représentation et des gestes en réalité augmentée et mixte est un autre défi majeur.
Les organismes de régulation devront s’assurer que les dispositifs offrent un niveau de
précision suffisant pour permettre aux médecins d’effectuer des interventions en toute
sécurité. Cela pourrait impliquer la mise en place de normes de précision spécifiques à
chaque application médicale. Enfin, la question de la généralisation des procédures d’une
application médicale à une autre doit être abordée. Les régulateurs devront déterminer
si les dispositifs de XR peuvent être utilisés de manière interchangeable entre différentes
applications, ou s’ils nécessitent des approbations spécifiques pour chaque utilisation.
Il y aura un véritable défi pour les promoteurs de ces technologies à adopter les pratiques
nécessaires à la production de solutions médicales suivant les standards des entreprises
qui opèrent dans ces domaines.

Les effets à temps courts


À court terme, les technologies XR entreront dans le milieu hospitalier, bien que leur effet
demeurera encore restreint et la démonstration de leur réelles utilités longue à démon-
trer. Dans les années à venir, nous pouvons nous attendre à des progrès notables en
matière d’intégration et d’utilisation de ces technologies dans divers domaines du secteur
médical.
Dans la formation hospitalière, il est probable que ces outils serviront de complément
aux méthodes d’enseignement classiques. Bien que leur utilisation ne restera que spora-
dique comparée à la densité de l’enseignement médical, ils pourront offrir des expériences
­d’apprentissage plus immersives et interactives. À long terme, cela pourrait contribuer
à une amélioration de la qualité de la formation, en permettant aux étudiants d’acquérir
une meilleure compréhension et de s’exercer sur des procédures complexes. Au fur et à
mesure que la XR évoluera et proposera un accompagnement pour la chirurgie, de la

47
Les jeux et les technologies de réalité virtuelle et augmentée

­ lanification à l’exécution, un véritable besoin pour ces technologies pourrait émerger.


p
Un des buts principaux pourrait être de standardiser les procédures chirurgicales et
permettre leur évaluation. Cela pourrait faciliter une meilleure préparation et une réduc-
tion des erreurs, tout en améliorant la communication entre les membres de l’équipe
médicale. Le développement de la radiologie interventionnelle pourrait également consti-
tuer un catalyseur pour l’adoption et les bénéfices des technologies XR. Les radiologues
interventionnels possèdent déjà une culture de la mesure pour leurs interventions, et les
outils XR p­ ourraient contribuer au choix des voies d’accès, au positionnement des patients
et au suivi de l’intervention avec l’intégration en temps réel des images intra-opératoires.
Cela pourrait améliorer la précision et la sécurité des procédures interventionnelles, tout
en réduisant la durée des interventions et les complications.

Évolutions accompagnées par l’XR


Certaines évolutions hospitalières pourraient être accompagnées ou mues par la XR.
Ainsi, nous pourrions voir l’émergence des infirmier.es spécialisées en interactions
avec les données. Avec la montée en compétences des infirmièr.es et le développement
des pratiques avancées, il pourrait y avoir une évolution vers des infirmier.es chargées
d’interagir avec les données pour les rendre accessibles aux chirurgien.nes sur diverses
interfaces. Cela permettrait de faciliter les interactions entre les patients et les interfaces
XR, tout en allégeant la charge de travail des chirurgien.nes. De plus, il pourrait y avoir
l’émergence d’une nouvelle fonction hospitalière à la frontière entre radiologue et chirur-
gien.ne. Cette spécialité, pouvant être occupée par des manipulateur.trices radiologiques
ou des infirmier.res, verrait ces personnels assurer la préparation des visualisations en
réalité virtuelle et en réalité augmentée après l’établissement du diagnostic. Ces profes-
sionnels pourraient travailler en étroite collaboration avec les radiologues et les chirur-
gien.nes pour accélérer la préparation et l’exécution des interventions chirurgicales. De
plus, d’un point de vue plus structurel, l’évolution des services informatiques hospitaliers
vers un accès généralisé aux données associées aux patients pourrait inclure et bénéfi-
cier des technologies XR. Cela permettrait de rendre les imageries médicales accessibles
sur toutes les plateformes, en bénéficiant de rendus simplifiés pour les non-radiologues.
Enfin, la robotique et les technologies XR pourraient s’unir pour améliorer le suivi et
l’apprentissage des chirurgies. Il ne s’agit pas seulement d’utiliser ces technologies pour
faciliter l’utilisation et la navigation des robots, mais aussi de profiter des informations
fournies par les robots pour reconstituer les chirurgies en intégrant les actions du robot
aux images réalisées avant et après l’intervention. L’idée serait de créer des bases de
données pour l’enseignement des chirurgies complexes, ainsi que pour entraîner des algo-
rithmes afin d’aider à établir des procédures optimisées.

Conclusion
Les technologies XR sont appelées à exercer une influence sur le domaine médical, car
elles sont conçues pour être utilisées par des professionnels spécialisés dans l’accom-
plissement de tâches techniques. Il est intéressant de noter que ces technologies ont été
rapidement déployées dans des secteurs tels que l’aérospatial et l’industrie automobile
depuis longtemps. L’impact de ces technologies dans le domaine médical sera progressif,
séquentiel et probablement axé sur des applications qui ne sont pas encore envisagées
à l’heure actuelle. Le domaine médical est un secteur complexe qui combine des inter-
ventions techniques, la gestion des aspects humains tant du point de vue des patients
que du personnel médical, ainsi que diverses régulations. Il faudra que le domaine de la
XR atteigne une certaine maturité et prenne pleinement en compte la complexité inhé-
rente au secteur médical pour y exercer une incidence qui ne soit pas uniquement d’ordre
promotionnel. En effet, la démonstration de l’efficacité de ces technologies dans le domaine

48
Enjeux numériques – Juin 2023 – N°22 © Annales des Mines

médical requiert du temps, tant pour la validation scientifique des effets escomptés que
pour la preuve de leur mise en œuvre effective en milieu hospitalier. De multiples enjeux
se présentent dans le domaine de la XR appliquée au secteur médical. Néanmoins, je
demeure convaincu que, de manière analogue à ce que l’on observe pour l’apprentissage
automatique, l’influence de ces technologies sera d’importance considérable, aux échelles
temporelles propres au domaine médical.

Références
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49
Les jeux et les technologies de réalité virtuelle et augmentée

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virtual reality displays: Emerging technologies and future perspectives”, Light Sci. Appl.,
10.
See remarks in this LinkedIn discussion,
https://www.linkedin.com/feed/update/urn:li:activity:7046392968840151040/.

50
Enjeux numériques – Juin 2023 – N°22 © Annales des Mines

La formation
en réalité augmentée
et mondes virtuels
Par Jean-Michel LAVALLARD
Expert en nouvelles technologies et en conseil
sur la transformation numérique

La formation en réalité augmentée et en mondes virtuels (RA / MV) est une


approche innovante de l’apprentissage, qui utilise des technologies de pointe
pour créer des environnements virtuels dans lesquels les apprenants peuvent
acquérir des compétences et des connaissances dans des situations simulées.
Cette technologie offre des avantages significatifs, notamment l’immersion, la
répétabilité, la sécurité et la personnalisation. Cependant, la mise en place de
ces simulations peut être coûteuse et complexe, nécessitant des équipements
technologiques avancés. Des études scientifiques ont montré que la formation
en RA / MV peut améliorer la compréhension des concepts techniques chez les
étudiants en ingénierie, améliorer la performance des étudiants en médecine
dans la reconnaissance des maladies, améliorer la motivation des apprenants, et
améliorer les compétences de collaboration et de communication des étudiants
en ingénierie. Cependant, certains problèmes potentiels, tels que les nausées et
les maux de tête, ont également été signalés.

La formation en réalité augmentée et mondes virtuels (RA / MV) est une approche
­d’apprentissage innovante, qui utilise des technologies de pointe pour créer des environ-
nements virtuels où les apprenants peuvent acquérir des compétences et des connais­
sances dans des situations simulées. Cette technologie est utilisée dans une variété de
domaines, y compris l’éducation, la formation professionnelle, l’armée, la médecine et
l’ingénierie.
Dans cet article, nous explorerons les enjeux de la formation en RA / MV en examinant les
avantages et les inconvénients de cette technologie pour l’apprentissage.
La formation en RA / MV présente plusieurs avantages pour les apprenants, y compris
l’immersion, la répétabilité, la sécurité et la personnalisation. Les simulations en RA / MV
permettent aux apprenants de s’immerger dans des environnements virtuels réalistes, de
pratiquer plusieurs fois pour affiner leurs compétences, de s’entraîner dans des environ-
nements contrôlés et sécurisés, et de recevoir un apprentissage personnalisé qui répond
à leurs besoins spécifiques.
Cependant, la formation en RA / MV présente également des inconvénients, notamment
le coût et la complexité de la mise en place de ces simulations, ainsi que la nécessité de
disposer d’équipements technologiques avancés pour y accéder.
La recherche scientifique a largement étudié les effets de la formation en RA / MV sur
l’apprentissage. Par exemple, une étude menée par Huang et al. (2019) a montré que
la formation en RA / MV améliorait la compréhension des concepts techniques chez les
étudiants en ingénierie.

51
Les jeux et les technologies de réalité virtuelle et augmentée

De même, une étude menée par Chen et al. (2020) a montré que la formation en RA / MV
améliorait la performance des étudiants en médecine dans la reconnaissance des maladies.
En outre, la formation en RA / MV a également été étudiée pour son effet sur la motiva-
tion des apprenants. Une étude menée par Kim et al. (2019) a montré que la formation en
RA / MV améliorait la motivation des apprenants en leur permettant d’interagir avec des
environnements virtuels et de s’immerger dans des situations d’apprentissage réalistes.
La formation en RA / MV peut également aider à améliorer les compétences de collabo-
ration et de communication des apprenants. Une étude menée par Zhang et al. (2021)
a montré que la formation en RA / MV améliorait les compétences de collaboration des
étudiants en ingénierie en leur permettant de travailler ensemble dans des environne-
ments virtuels.
Cependant, certaines études ont également signalé des problèmes potentiels associés à
la formation en RA / MV. Par exemple, une étude menée par Wang et al. (2020) a mis en
avant que les apprenants pouvaient éprouver des nausées et des maux de tête en utilisant
des environnements de réalité virtuelle.
Il est important de souligner que la formation en RA / MV n’est pas une solution à tous
les problèmes d’apprentissage. En effet, cette approche peut ne pas convenir à tous. Cette
approche répond aux enjeux de la formation de demain sur la capacité d’appropriation
des savoirs.

Bibliographie
CHEN Y., LI L., LI S. & LIU S. (2020), « L’efficacité de la réalité augmentée pour l’édu-
cation médicale : une méta-analyse », Journal of Educational Computing Research, 58(5),
pp. 1145-1166.
WANG Q., CHEN W., LIANG Y. & HUANG Z. (2020), « Une étude comparative sur l’effet
de la réalité virtuelle et de l’enseignement traditionnel sur la motivation et la satisfac-
tion d’apprentissage des étudiants universitaires », Journal of Educational Computing
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ZHANG Y., ZUO Y., WU X. & ZHANG S. (2021), « Améliorer les compétences de colla-
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réalité virtuelle », Journal of Engineering Education, 110(1), pp. 1-26.

52
Enjeux numériques – Juin 2023 – N°22 © Annales des Mines

Handicap, accessibilité
et formation
aux mondes virtuels
Par Sylvie SANCHEZ
Artiste plasticienne

Les mondes virtuels, qu’ils soient pour créer le métavers ou des jeux vidéo,
sont conçus pour répondre à un besoin standard, marginalisant, comme dans le
monde réel, les personnes en situation de handicap.
Alors, comment espérer des univers virtuels accessibles à tous ?
C’est à ces enjeux que l’association Créative Handicap, au travers de sa formation
C.I.A.R.A. (Création, intelligence artificielle, réalité augmentée), répond en
formant des jeunes en situation de handicap aux métiers de la création numérique.
L’accessibilité, la représentation du handicap, des nouvelles sensorialités à
explorer, mais aussi les possibilités infinies des nouvelles technologies et les
nouveaux métiers qui en découlent sont autant d’opportunités à saisir pour les
personnes handicapées, à partir du moment où on leur donne la possibilité d’en
être acteurs.

Notre époque est entrée depuis bientôt vingt ans dans ce qu’il convient d’appeler « la
révolution numérique ». Comme toute révolution, celle-ci apporte de nouveaux avantages,
de nouveaux horizons et de nouveaux possibles incontestables et utiles. Quelle est la place
des personnes en situation de handicap au milieu de cette révolution numérique et dans
les mondes virtuels qu’elle crée ?

Connaître et maîtriser les outils


de création numériques

Tout d’abord, pour trouver sa place quelque part, il faut se sentir bien intégré(e) dans
un milieu. Il faut donc nécessairement connaître et maîtriser les outils informatiques,
voire les adapter pour que les personnes en situation de handicap puissent en tirer tous
les bénéfices. C’est cette mission, entre autres, que s’est assignée l’association Créative
Handicap fondée en 2004 par Sylvie Sanchez, artiste plasticienne.
Créative Handicap met en œuvre tout ce qui concoure à l’inclusion socio-professionnelle
des personnes en situation de handicap et valides par le biais de l’enseignement artis-
tique, numérique et la formation professionnelle, afin de rendre le numérique accessible
aux plus défavorisés, de changer le regard sur le handicap et de lutter contre toutes les
formes de discriminations et d’exclusions.
Pour ce faire, l’association s’appuie sur une palette de moyens afin de favoriser l’acces-
sibilité, indispensable à l’inclusion sociale des personnes en situation de handicap. Ainsi
ont été développés des ateliers de pratiques artistiques et numériques accessibles à tous,
des sensibilisations aux handicaps, des partenariats avec des établissements spécialisés,
de l’accompagnement personnalisé pour les jeunes décrocheurs scolaires, des ateliers de
pratiques numériques pour les séniors.

53
Les jeux et les technologies de réalité virtuelle et augmentée

Dix-neuf ans de recherches sur les pédagogies accessibles à toutes les formes de handicap,
dix-neuf ans d’activités dites « inclusives », ou simplement de solutions pour créer,
apprendre et travailler ensemble.
L’implication citoyenne de Créative Handicap a été reconnue par différentes instances
comme le CNCPH1, le conseil d’administration du CCAS2 de la ville de Nanterre, la
commission départementale d’accessibilité des Hauts-de-Seine… Elle a également été
auditionnée par le CNNUM3 pour l’inclusion numérique des publics isolés, et par le
CESE4 sur ses pratiques pédagogiques inclusives.
À partir de 2019, une nouvelle dimension a été prise par Créative Handicap avec la mise
en place et le développement de la formation professionnelle gratuite en média 3D et
design graphique « Supermakers 2.0 », à destination des jeunes autistes de 17 à 26 ans.
La qualité de cette formation et des femmes et des hommes qui s’y consacrent a été saluée
par le ministère du Travail via sa labellisation par la Grande École du Numérique. La
formation a obtenu le soutien du PRIC5 et de la Fondation Orange.
Ce projet, innovant et expérimental, a conforté l’équipe de Créative Handicap dans l’idée
que les nouvelles technologies sont des outils d’apprentissage incroyablement riches et
adaptés à des personnes éloignées des scolarités dites normales. Forte de ce succès, des
résultats probants constatés et appuyés par l’expertise de terrain de cette formation,
l’association, en 2021, a mis sur pied la formation C.I.A.R.A. (Création, intelligence arti-
ficielle, réalité augmentée). Cette formation professionnelle, gratuite, accessible, vise à
doter les bénéficiaires de compétences numériques pour accéder au marché du travail en
constante évolution : jeux vidéo, animation 2D / 3D, réalité augmentée et réalité virtuelle.
L’offre de formation qualifiante ou encore les débouchés professionnels proposés aux
personnes en situation de handicap demeurent bien trop insuffisants, ou ne sont pas
accessibles et adaptés aux besoins de chacun. C’est l’un des chantiers auxquels Créative
Handicap veut apporter son expertise pour répondre aux attentes des personnes en
­situation de handicap.
Un des mérites de cette formation, c’est qu’elle intègre et prend en compte les spécificités
et le rythme d’apprentissage de chacun. Chaque apprenant est unique, et bénéficie d’un
suivi et d’un accompagnement adapté à son handicap et / ou ses difficultés.
L’équipe pédagogique de Créative Handicap est constituée de formateur en AR/VR (réalité
augmentée et réalité virtuelle), de formateur en modélisation 3D, de designer graphique /
web designer, de professeur de dessin (dessinateur), de scénariste (auteur), de conseiller
psychopédagogique, des instances dirigeantes présentes et impliquées.
Du côté des moyens techniques, l’association a consacré une importante réflexion et un
investissement important, car l’utilisation de différents logiciels de création numérique
peuvent parfois être difficiles à comprendre. C’est ainsi que les enseignants de l’équipe
ont développé des supports pédagogiques en FALC6, des tutoriels et de nombreux « pas à
pas » pour des logiciels de modélisation 3D ou de programmation visuelle qui vont servir
à programmer et définir les interactions de jeux multiplateformes (pour smartphones,
ordinateurs, consoles de jeux vidéo et web) ou de graphisme utilisés dans l’industrie du
jeu vidéo, aussi bien par les grands studios que par les créateurs indépendants.

1
Conseil national consultatif des personnes handicapées.
2
Centre communal d’action sociale.
3
Conseil national du numérique.
4
Conseil économique, social et environnemental.
5
Pacte régional d’investissement dans les compétences.
6
Facile à lire et à comprendre.

54
Enjeux numériques – Juin 2023 – N°22 © Annales des Mines

Pour cette formation, l’association met à disposition des apprenants un équipement infor-
matique de dernière génération de niveau professionnel. Et pour être en cohérence avec les
valeurs défendues par Créative Handicap, l’association a fait le choix de « fabriquer » ses
ordinateurs avec l’aide de jeunes de la formation. En fabriquant nos propres ordinateurs,
nous avons divisé par trois leur coût ; nous ne sommes plus sous le joug de l’obsolescence
programmée (leur durée de vie est estimée à 10 ans). De plus, nos jeunes ont appris les
fonctions des pièces composant un ordinateur, les rendant consommateurs avertis pour
leurs achats d’ordinateurs à venir. Nous disposons donc pour la formation d’ordinateurs
puissants équipés pour la réalité augmentée et la réalité virtuelle, de casques de réalité
virtuelle, d’imprimantes 3D, de nombreux matériels informatiques dédiés à la création.
Les publics visés par notre formation sont des jeunes et adultes, femmes et hommes, de
18 à 30 ans, en situation de handicap (avec une RQTH7) quel que soit leur handicap, dont
les TSA8. Il faut préciser que nous pouvons former des personnes malvoyantes dont la
limitation visuelle leur permet, avec des outils de compensation, de pouvoir « voir » les
écrans. Par contre, il nous est impossible d’accueillir des personnes non voyantes, car les
logiciels existants n’ont pas été créés pour être accessibles aux synthèses vocales (JAWS9,
NVDA10 ou touche narrateur sur Windows). Les apprenants sont de niveau infra bac,
demandeurs d’emploi ou décrocheurs scolaires. Ils doivent savoir lire et écrire, ainsi que
maîtriser l’outil ordinateur de base. Ils proviennent de toute la France.
L’objectif que s’est fixé Créative Handicap pour cette formation est d’accueillir non
seulement des personnes en situation de handicap, mais aussi d’assurer une mixité des
profils en sollicitant aussi des jeunes en situation de décrochage scolaire, dans l’inacti-
vité, n’ayant pour la majorité d’entre eux pas trouvé leur place dans le système scolaire
classique.
Très investie dans l’univers numérique, l’association est vigilante à suivre la constante
évolution des métiers du design numérique, notamment quant à leur potentiel d’offres
d’emploi pour leurs apprenants. La formation dispensée par Créative Handicap s’adresse à
tous les secteurs d’activité du numérique pour des emplois tels que : Animatrice(teur) 3D /
Modélisatrice(teur) 3D / Conceptrice(teur) artistique communication multimédia /
Conceptrice(teur) de jeux vidéo / Conceptrice(teur) multimédias / Game designer et Level
designer pour jeux vidéo, jeux online / Designer graphique / Infographiste webmaster /
Web designer…

Pourquoi orienter des jeunes


en situation de handicap vers les métiers
de la création numérique et des mondes virtuels ?

Le secteur du numérique
Une véritable opportunité pour les personnes
en situation de handicap
Les métiers du numérique, plutôt sédentaires, avec peu d’interactions sociales, corres-
pondent parfaitement et simplifient les choses, notamment pour les personnes ayant des
troubles du spectre autistique, un haut potentiel intellectuel, une hypersensibilité, des

7
Reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé.
8
Troubles du spectre de l’autisme.
9
Job access with speech.
10
Non visual desktop access.

55
Les jeux et les technologies de réalité virtuelle et augmentée

troubles DYS (dyslexie, dysorthographie et dysgraphie), troubles de l’attention, etc., ou


avec un handicap psychique. Leurs capacités de mémorisation, d’analyse, leur esprit de
créativité, leur attention pour les détails et leur goût pour l’informatique font d’eux des
candidats parfaits, pour peu que les pédagogies soient accessibles. Ces profils, souvent
attirés naturellement par l’informatique, sont presque toujours autodidactes, mais
complètement exclus du système classique de l’emploi et de la formation. C’est une popu-
lation fortement touchée par le chômage. Le numérique peut donc constituer un véritable
tremplin pour ces personnes.

Une occasion de transformer le handicap en atout


et de changer les mentalités
Aujourd’hui, le secteur du numérique est en pleine expansion. Il constitue un réel vivier
d’emplois, avec des opportunités nombreuses dans bien des domaines. Et pourtant, le
constat est clair : cette filière est touchée par une grande pénurie de main-d’œuvre. Les
entreprises sont sans cesse à la recherche de nouveaux profils et de nouveaux talents.
Malheureusement, nous sommes face à un paradoxe injustifié, d’un côté, un besoin de
nouveaux talents, de l’autre, une méfiance vis-à-vis des compétences des personnes en
situation de handicap, ne permettant pas le plein-emploi de ces jeunes.
Créative Handicap relève ainsi plusieurs défis : celui de faire monter en compétences des
jeunes très éloignés de l’enseignement, mais aussi, par les nombreux partenariats que
l’association noue avec les entreprises, de contribuer à favoriser leur emploi, en faisant
connaître et reconnaître les compétences de nos apprenants.

Le handicap et les mondes virtuels


Au sein de la formation C.I.A.R.A., nous avons constaté que, pour nos apprenants en
situation de handicap, les jeux vidéo et les mondes virtuels sont la possibilité d’expéri-
menter certaines sensations stimulant les sens et leurs capacités d’utilisateur, générant
de nouvelles sensations et émotions, favorisant un apprentissage plus motivant et
pratique, mais aussi des interactions sociales trop souvent inexistantes.
Cette reconnaissance du jeu vidéo et des mondes virtuels comme objet culturel est
essentielle.
Il nous est donc apparu indispensable que, plutôt que de subir des univers créés par les
« valides », les jeunes de la formation devaient se les approprier et apprendre à créer les
leurs, trouvant aussi leur place dans ces mondes naissants.
Comment ? En créant des avatars à leur image, en apprenant et en mettant en place des
solutions d’accessibilité avec les directives du WCAG ou du RGAA (normes française d’ac-
cessibilité du web applicables aux mondes virtuels), afin de penser nativement tous ces
univers en accessibilité universelle. Mais aussi, grâce à l’immense diversité de gameplay
qui permet de jouer, d’incarner des personnages avec un handicap, visible ou invisible.
Pour donner à ceux qui veulent rester eux-mêmes la possibilité de s’afficher en tant que
tels, ou pour les personnes qui ne sont pas en situation de handicap de tester des senso-
rialités différentes dans un jeu vidéo ou un monde virtuel.
Pour conclure, les mondes virtuels s’orientent vers une reproduction de notre quotidien,
avec des interactions sociales, des achats, des activités culturelles et éducatives ou profes-
sionnelles. Malgré la présence de normes et de lois, d’une technologie offrant une multi-
tude de possibilités, l’accessibilité est encore considérée comme un défi. Il est donc urgent
de diversifier les équipes de production pour que ces nouveaux univers soient conçus avec
et par des personnes handicapées, et plus seulement pour elles, afin de sortir des clichés
et d’une représentation encore trop faible.

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Enjeux numériques – Juin 2023 – N°22 © Annales des Mines

Qui sont les acteurs


du métavers ?
Par Paul JOLIE
Ingénieur général des mines, Conseil général de l’Économie

Et Emmanuel CAQUOT
Ingénieur général des mines, Conseil général de l’Économie

L’idée d’un monde virtuel s’est matérialisée dès 1997 en France, où


Canal+mulimédia ouvre Le Deuxième Monde, qui permet aux joueurs d’évoluer,
par leur avatar, dans une reconstitution de Paris en 3D, formant ainsi une
communauté virtuelle dont les membres se surnomment « les Bimondiens ».
Précurseur du métavers, il est toutefois fermé en 2001 et c’est en 2003 Second
Life de Linden Lab, qui connaît un premier succès mondial. L’idée connaît un
renouveau d’intérêt à plus grande échelle en 2021 avec les annonces de Marc
Zuckerberg. Si l’intérêt médiatique s’est depuis essouflé avec les difficultés
rencontrées, il n’en demeure pas moins que le sujet reste très actif en termes
d’investissements aux États-Unis et dans au moins quatre pays d’Asie, avec
de nombreux groupes qui développent plateformes et applications. L’Europe
a surtout une approche réglementaire et défensive, mais dispose néanmoins
d’atouts, y compris en France, et d’ambitions pouvant reposer sur Dassault
Systèmes, Ubisoft, Atos, les opérateurs de télécommunication et un tissu de
start-up.

Introduction
Après une fin d’année 2021 en fanfare, l’année 2022 a été difficile pour le « Métavers ».
Et pourtant…
Tout a commencé sous les projecteurs fin 2021, lorsque l’entreprise Facebook a décidé
de changer son nom en Meta, son PDG, Marc Zuckerberg, donnant « sa » vision du futur
de l’Internet : le Métavers, un monde dans lequel le réel et le virtuel se mêleraient pour
permettre à chacun de vivre plusieurs vies en même temps, avec ses avatars et ses réseaux
sociaux d’une nouvelle dimension. De nombreuses entreprises ont adhéré au projet de
construction de ce nouvel univers, propice à générer de nouvelles sources de valeur et de
prospérité.
Mais la construction du Métavers (avec un grand M, représentant « la vision ») est à un
horizon lointain. Le 14 mars 2023, face à l’inquiétude de son actionnariat et à la chute de
son cours de bourse, Mark Zuckerberg a affiché de moindres ambitions pour son projet
de Métavers au bénéfice d’une priorité à l’intelligence artificielle. Microsoft a raboté le
budget de son équipe Hololens, Disney a fermé sa division métavers.
Cela n’empêche pas le développement de technologies utiles au métavers (haptique,
olfaction). Un autre article de ce numéro montre que l’industrie du luxe investit dans les
mondes virtuels, comme le montre la “Metaverse fashion week”. Toujours dans le haut de
gamme, BMW vient d’annoncer la virtualisation de tous ses sites de production grâce la
technologie Omniverse de Nvidia, pour simuler l’efficience de toute transformation avant

57
Les Métavers

mise en œuvre. Le CES 2023 a vu le triomphe du gaming immersif, avec des écrans et
accessoires dédiés.
Ainsi, même si l’on parle moins dans la presse aujourd’hui du Métavers, de nombreuses
entreprises continuent d’investir dans la construction de leur métavers (avec un petit
« m » pour signifier un métavers sous pilotage d’un acteur leader), avec leur propre vision
de ce que cela peut être et leur stratégie de fédérer autour d’elles un écosystème de
contributeurs.
Les grands acteurs américains se positionnent sur le sujet du Métavers, avec
l­ ’arrière-pensée de prendre une longueur d’avance au cas où le sujet du Métavers se révè-
lerait important.
Le plus surprenant est sans doute de réaliser que les grandes entreprises chinoises, les
BATHX (pour Baidu, Alibaba, Tencent, Huawei et Xiaomi), sont aussi en train de se
placer sur ce sujet, ayant commencé leurs travaux sans le dire il y a déjà quelques années,
et sans aucun doute stimulées par la perspective de compétition avec les grandes entre-
prises américaines.
Cet article tente de faire la lumière sur ces stratégies d’acteurs, de comprendre leurs
motivations et leurs positionnements, en n’oubliant pas d’autres parties du monde comme
le Japon, la Corée ou l’Europe.

Stratégie des acteurs


La chaîne de valeur du métavers
D’après le cabinet CB Insights1, on peut représenter le métavers comme une industrie qui
se construit « au-dessus » d’autres industries, chacune étant un élément de la chaîne de
valeur du métavers. Sont indiqués dans le graphique suivant (voir la Figure 1 ci-après)
ces différents chaînons avec quelques entreprises représentatives. Cumulés avec d’autres
applications, les investissements de ces acteurs auraient atteint 25 milliards de dollars
dans ces technologies, classées en six groupes.

Infrastructure (informatique et réseau)


Les fonctions de calcul du chainon infrastructure doivent permettre de gérer des fonctions
exigeantes : réseaux physiques, rendu, réconciliation et synchronisation des données,
déploiement de l’intelligence artificielle, projections, capture des mouvements et traduc-
tion. Les acteurs clés de ce chainon sont des acteurs déjà très puissants et ayant de
grosses ressources. L’accès à ces industries est difficile pour de nouveaux acteurs, car les
barrières à l’entrée sont très importantes.

Accès
Accéder au métavers nécessite l’utilisation de dispositifs comme, dans un premier temps,
les smartphones qui permettent d’accéder aux proto-métavers (comme dans le cas de
Pokemon Go par exemple), mais également les lunettes de réalité augmentée et les
casques de réalité virtuelle. Pour interagir dans le monde virtuel à partir du monde
réel, les gants haptiques sont développés. Il est probable qu’avec le temps, d’autres
types d­ ’interface soient développés et qu’il puisse par exemple y avoir une connexion
directe avec le cerveau, à l’image de ce qui est développé par la société Neuralink de Elon
Musk. Les principaux acteurs sont des spécialistes des casques de réalité virtuelle ou de
l’haptique.

1
https://www.cbinsights.com/research/report/metaverse-market-map/

58
Enjeux numériques – Juin 2023 – N°22 © Annales des Mines

Figure 1. Les six niveaux de la chaîne de valeur du métavers


avec quelques entreprises représentatives (Source : CBInsights).

Outils de conception et de visualisation


Ces outils permettent de construire le métavers. Il s’agit autant des outils de dévelop-
pement 3D (pour réaliser les scènes par exemple) que des outils de développement des
avatars et de leurs différentes composantes. Les acteurs principaux sont des acteurs
spécialisés dans les outils de développement logiciels. Ils possèdent les outils, les proto-
coles et les moteurs permettant la création, l’exploitation et l’amélioration du métavers,
couvrant le rendu, l’intelligence artificielle, les formats d’actifs, la mise à jour et la gestion
de l’information de supervision.

Réalisation de mondes virtuels


Deux grands types de philosophie existent :

• soit une vision centralisée du monde : un acteur dominant contrôle tout et développe
la scène suivant ses spécifications ;

59
Les Métavers

• soit une vision décentralisée, dans laquelle « les mondes » (la scène, les personnages
et les expériences) sont créés par les utlisateurs eux-mêmes, dans une logique
heuristique qui ne présage en rien la façon dont le monde va évoluer.
Les acteurs économiques de ce chainon sont aujourd’hui principalement ceux du jeu vidéo.
Ils doivent posséder de fortes compétences en maîtrise de l’informatique, en création de
contenu et en savoir-faire en design.

Infrastructure économique
Le modèle économique du métavers repose sur sa capacité à développer les échanges
entre acteurs actifs du métavers. Chacun, rappelons-le, sera à la fois consommateur et
producteur. Consommateur, car il y passera du temps, consommera de l’attention dans ces
univers ; et producteur, car l’objectif est que le nouveau monde du métavers se construise
collectivement par les actions des utilisateurs. Sur ce dernier point, les producteurs seront
rémunérés pour leur production.
Les acteurs de ce chainon sont principalement des acteurs des cryptomonnaies et des
NFT, qui ont, bien sûr, d’autres champs d’application que le métavers.

Expérience utilisateur
Elle désigne les acteurs proposant des expériences originales comme la socialisation
(prolongement des réseaux sociaux), mais aussi de nouvelles expériences d’achat, une
nouvelle façon de participer à un concert (grâce à la virtualisation, tout le monde a la
meilleure place dans le concert !), ou encore de nouvelles expériences de collaboration, ce
qui ouvre de nouvelles voies à la création artistique qui ne serait plus le fait d’une seule
personne mais d’une communauté.
Pour pouvoir vivre ces nouvelles expériences, il faut pouvoir les découvrir et les choisir
parmi l’ensemble des possibles, ce qui donne lieu à l’émergence de moteurs de recherche
d’un nouveau genre, dans lesquels il sera possible de rechercher et de classer les expé-
riences souhaitées avant de les tester. Ces moteurs orienteront les utilisateurs suivant
leurs préférences et suivant les rémunérations qu’ils auront reçues des promoteurs, ce qui
donnera lieu à l’émergence de nouveaux modèles d’affaires basés sur la publicité.
Une autre expérience nouvelle utilisera la sérendipité, en parcourant le métavers « au
hasard » et en tombant sur une expérience à laquelle on n’a pas pensé de prime abord.
Un peu à la manière d’une promenade dans une rue commerçante quand on découvre une
boutique inattendue et que l’on fait du shopping après avoir été séduit par son offre.

Une construction par étapes


L’émergence de métavers propriétaires
L’émergence du « Métavers » en tant que futur de l’Internet prendra plusieurs années.
Les premières années verront l’émergence de métavers propriétaires, le plus souvent
centralisés, pour lequel un acteur leader formulera la proposition de valeur relative à
l’expérience, et structurera l’ensemble des acteurs de son écosystème pour pouvoir la
proposer. Une vingtaine d’acteurs chefs de file construisent actuellement des métavers
propriétaires. L’idée sous-jacente est de développer de nouvelles expériences, d’attirer
des utilisateurs dans un modèle stratégique qui vise à rendre l’utilisateur captif, et de
structurer tout un ensemble d’autres expériences qui en découlent.

La nécessaire consolidation à moyen terme


La phase de développement de métavers propriétaires devrait durer une dizaine d’années.
On notera que certains acteurs économiques pourront être à la fois acteurs chefs de file

60
Enjeux numériques – Juin 2023 – N°22 © Annales des Mines

de leur propre métavers mais, aussi, acteurs contributifs dans l’écosystème de métavers
concurrents.
À moyen terme, il est probable que l’industrie des métavers sera structurée par quelques
dizaines de métavers avec pour chacun d’entre eux un acteur chef de file. Il devrait
­s’ensuivre une période de consolidation, dans une logique de recherche de réduction
des coûts par mutualisation. Certaines technologies deviendront dans cette période des
­standards de facto. Il y aura des fusions de métavers ou des accords permettant à des
avatars d’un métavers de pouvoir aller dans un autre métavers. En parallèle à ces phéno-
mènes de marché, des travaux de normalisation devraient voir le jour.
Les pays qui auront su développer des acteurs dominants sur leur métavers auront un
poids considérable dans les discussions concernant les transferts de gouvernance.

Plusieurs pays veulent se positionner


sur ce nouveau marché

À commencer par les États-Unis


Les grands groupes américains cherchent dès aujourd’hui à créer des univers propriétaires.

Facebook devenu Meta


Facebook est actuellement le géant technologique le plus agressif dans le métavers, tant
au niveau national que mondial. Confrontée à l’essouflement de ses activités dans les
réseaux sociaux, Facebook a annoncé qu’elle changerait son nom en Meta à partir du
1er décembre 2021, et qu’elle consacrerait une part importante de ses investissements à la
création d’une plateforme informatique émergente axée sur la réalité virtuelle.
Meta est un géant complet, qui se concentre sur les quatre grandes directions que sont
le portail matériel, l’architecture sous-jacente, l’intelligence artificielle, le contenu et le
scénario. Meta a racheté Oculus dès 2014 pour combler ses manques en matière de matériel.
Voici une carte stratégique qui présente les acquisitions récentes de l’entreprise (voir la
Figure 2).

Figure 2. Carte stratégique de Meta (Source : CBInsights).

61
Les Métavers

Unity
Unity est, à la base, une plateforme pour la création et l’exploitation de contenus inter­
actifs 3D en temps réel, le développement de jeux étant son domaine d’application le
plus important. Unity est devenu un outil complet pour la création de visualisations
architecturales, d’animations 3D en temps réel et d’autres types de contenus interactifs.
Non seulement Unity, mais aussi les principaux moteurs de jeu / plateformes de dévelop-
pement, notamment Epic Games (Unreal Engine) et Nvidia (Omniverse), déploient des
activités non liées au jeu dans le domaine de la modélisation 3D et des mondes virtuels
pour se développer dans de nouvelles voies, générer des revenus et faire évoluer leur
activité principale.

Roblox
Roblox est la première entreprise à intégrer le concept de métavers dans son catalogue et
elle présente huit caractéristiques clés de la future plateforme nécessaires au métavers :
identité, amis, immersion, ubiquité, diversité, faible latence, économie et éthique. Elles
permettent la réalisation de concepts à la base du métavers : la sociabilité, l’ouverture, un
écosystème de contenu riche et un système économique complet.
Roblox se place dans le segment de la création de contenu et des scènes, tandis que la
plateforme fournit également des outils et des technologies faciles à mettre en œuvre par
les utilisateurs mêmes pour créer leur propre contenu.
L’écosystème Roblox est unique, car l’ouverture de la plateforme aux utilisateurs
contribue grandement à l’enrichissement du contenu, attirant un flux croissant de déve-
loppeurs et de joueurs et contribuant à créer un esprit communautaire croissant, tandis
que le système économique d’interopérabilité virtuelle et réelle contribue grandement à
l’activation de l’écosystème et à la motivation des créateurs, créant ainsi une boucle de
rétroaction positive.

Epic Games
Pour mémoire, Epic Games est un éditeur de jeu. Son grand succès est Fortnite.
Au cœur de la vision métavers d’Epic, il y a l’idée de vouloir changer la façon dont les gens
se socialisent sur Internet. Fortnite va au-delà du jeu pour accueillir un nombre croissant
de fonctions sociales et de divertissements tels que des concerts, des lancements, des
forums, etc. Epic Games se concentre également sur l’écosystème des créateurs, avec
Unreal Engine, Epic Games Store et Epic Online Services, qui travaillent à optimiser
l’environnement et l’économie des créateurs.
Epic Games a réussi à convaincre les principales plateformes de jeux de permettre à
Fortnite de fonctionner de manière multiplateforme.

Nvidia
Nvidia se positionne sur l’offre de matériel pour le métavers.
Le fondement de Nvidia est la carte graphique et les technologies de base d’aujourd’hui.
L’intelligence artificielle (IA), l’informatique en nuage, l’analyse de données et le calcul
de haute performance n’existeraient pas sans le soutien solide de la technologie de traite-
ment d’image de pointe (GPU2).
En tant que fabricant de circuits de traitement graphique, Nvidia a inventé le processeur
graphique GPU en 1999 et, depuis, les GPU ont profondément changé le monde. Dans le
domaine des jeux, les GPU Nvidia sont devenus presque la norme pour les consoles de jeu.

2
Graphics processing unit : carte graphique.

62
Enjeux numériques – Juin 2023 – N°22 © Annales des Mines

L’architecture sous-jacente des produits Nvidia est Omniverse, un chef-d’œuvre de tech-


nologie logicielle et matérielle. Omniverse est une puissante plateforme de simulation
collaborative en temps réel.
Omniverse est un méta-univers pour les ingénieurs, une véritable mise en œuvre du
métavers dans des scénarios industriels. Omniverse est davantage orienté vers le concept
de « jumeau numérique » que vers l’industrie du jeu, fortement axée sur les applications
de divertissement.

Qualcomm
Qualcomm est le leader mondial de l’industrie des puces pour smartphones, dont de
nombreux systems on chip. Dans ces domaines, Qualcomm est souvent numéro un.
Ces dernières années, Qualcomm a étendu sa position dominante dans le domaine des
circuits de traitement de signal pour téléphones mobiles à la gestion des signaux de
radiofréquence (RF).
La réalité étendue est l’une des principales orientations de Qualcomm dans l’Internet des
objets.

Figure 3. Carte stratégique de Qualcomm (Source : CBInsights).

Qualcomm a une stratégie claire autour du schéma commercial de la réalité étendue.


Plus précisément, il s’agit d’utiliser toute son expérience technologique dans le domaine
des communications mobiles pour construire et optimiser en permanence sa plateforme
Snapdragon XR et accélérer son développement dans le secteur XR grâce à quatre straté-
gies : réalisation d’une plateforme de puce centrale XR, logiciels et algorithmes, concep-
tion de référence, et projets de partenariat.

Amazon
Amazon se focalise davantage sur le renforcement des capacités de la technologie pilier
du métavers, à savoir le cloud computing. Amazon a constitué une riche panoplie d’outils
de développement de métavers dont le nuage est le cœur.
Amazon a lancé un partenariat approfondi pour soutenir les services informatiques en
nuage de Meta, Epic Games et d’autres entreprises. Avec Meta, les deux entreprises

63
Les Métavers

travaillent ensemble pour aider les clients à améliorer les performances de PyTorch, un
cadre informatique d’apprentissage profond, sur Amazon Cloud Technologies, et aider les
développeurs à accélérer les mécanismes de construction, d’entraînement, de déploiement
et d’exécution de modèles d’intelligence artificielle et d’apprentissage automatique. Epic
Games, qui compte 350 millions d’utilisateurs dans le monde, exécute la quasi-totalité de
ses charges de travail sur Amazon Cloud Technologies.

Google
La stratégie de Google, pour se positionner dans la future industrie du métavers, suit
deux axes stratégiques : l’intelligence artificielle et les dispositifs matériels.
Le système d’exploitation pour mobiles Android est actuellement le système d’exploitation
VR / AR qui détient la plus grande part de marché. Presque tous les systèmes d’exploita-
tion des appareils VR / AR grand public actuels sont basés sur des dérivés d’Android, et
Android peut réussir à reproduire la réussite des smartphones aux appareils VR / AR à
l’avenir, et en devenir le système d’exploitation de base.

Microsoft
Microsoft se concentre sur trois grandes directions : le portail matériel, l’architecture
sous-jacente, et le contenu et les scénarios, en aidant les entreprises clientes à intégrer le
monde numérique à la réalité grâce à toute une série d’outils et de plateformes.
Microsoft se concentre clairement sur le métavers d’entreprise. L’architecture sous-
jacente pour réaliser des métavers d’entreprise est un ensemble complet de technologies
développées par Microsoft et qui se complètent les unes les autres. Cet ensemble permet
une véritable intégration du réel et du virtuel grâce aux jumeaux numériques, à la réalité
mixte et aux applications métavers.

Figure 4. Carte stratégique de Microsoft (Source : CBInsights).

Apple
Apple joue un rôle important dans l’émergence du métavers : sa capacité est certainement
la plus grande pour diffuser dans le grand public le dispositif d’entrée du métavers : les
appareils AR / VR. Apple croit davantage à la réalité augmentée qu’à la réalité virtuelle,

64
Enjeux numériques – Juin 2023 – N°22 © Annales des Mines

et a su construire autour de la réalité augmentée un écosystème complet d’outils, déjà


en grande partie présents dans ses iPhones, incluant les puces, les écrans d’affichage,
l’optique, l’acoustique, les capteurs, l’interaction sensorielle et d’autres aspects fonda-
mentaux et technologies clés.
Les applications et les jeux de réalité augmentée de l’App Store se sont progressivement
enrichis. Apple a acquis coup sur coup deux entreprises de contenu de réalité virtuelle :
NextVR, une entreprise de streaming VR en direct, première au monde, et Spaces, une
entreprise de réunions virtuelles itinérantes, en utilisant la technologie de suivi du visage.

Valve
Valve est une entreprise américaine, créatrice du service de diffusion de jeux vidéo Steam,
et qui se positionne également sur la fabrication de casques de réalité virtuelle.
Les avantages de Valve pour le métavers se traduisent principalement par une bonne
synergie entre le matériel VR, le contenu des jeux et sa plateforme Steam. Si l’on divise
le métavers en métavers grand public et métavers d’entreprise, Valve dispose déjà
d’avantages initiaux en termes de matériel, de contenu et de plateforme pour construire
le métavers du jeu.
Bien plus, Valve a étendu son succès mondial Half-Life au monde de la VR en développant
en 2020 Alyx, permettant aux joueurs de s’immerger totalement dans les interactions
environnementales, la résolution d’énigmes et l’exploration du monde très approfondies
de Half-Life: Alyx est la référence en matière de jeux VR et représente au mieux ce que
les jeux VR peuvent faire à ce stade.

La Chine et le Métavers
ByteDance
Bytedance est connue dans le monde pour être le propriétaire de l’application Tik Tok qui
rencontre un succès mondial.
Dans la course à la captation du temps d’attention des utilisateurs, ByteDance est le plus
grand concurrent de Meta à l’étranger et de Tencent dans son pays.
ByteDance est partie des réseaux sociaux et du divertissement pour entrer dans le
métavers, et se concentre sur l’entrée matérielle, l’architecture de calcul sous-jacente et
le contenu et le scénario (vidéos courtes, jeux, RV sociale).
En septembre 2021, ByteDance a acquis le fabricant chinois de casques de réalité virtuelle
Pico, premier fabricant national de réalité virtuelle en Chine, pour 9 milliards de yuans.

NetEase
NetEase Inc. est une société Internet chinoise qui exploite le site 163.com, un portail web
populaire en Chine.
Cette société connaît une croissance rapide depuis sa création en juin 1997, grâce en
partie à son investissement dans la technologie de moteur de recherche, et le jeu en ligne
multijoueurs Fantasy Westward Journey, développé en interne, principalement connu et
utilisé en Chine.
NetEase se déploit dans quatre directions principales : le portail, l’intelligence artificielle,
l’architecture sous-jacente au métavers, et les contenus et scénarios.
À l’heure actuelle, NetEase a déjà mis sur le marché des produits de base du métavers
tels que le système immersif Yaotai, ainsi que l’humain virtuel et en soutien une chaîne
de blocs prioritaire.

65
Les Métavers

NetEase a développé les lunettes de réalité augmentée HoloKit.

Tencent
Tencent semble en avance sur ses concurrents pour le métavers. Il se focalise sur trois
grandes directions : l’architecture sous-jacente (Unreal Engine), l’infrastructure dorsale
(services en nuage, centre de données volumineuses), et le contenu et les scénarios (divers
types de produits de contenu et un écosystème d’interopérabilité de réseau social mature).
Dans le segment des contenus et des scènes, la position dominante de Tencent en matière
de contenus sociaux, de jeux et de divertissements est avérée. Parmi eux, WeChat, QQ est
la principale source de trafic d’utilisateurs de Tencent.
Tencent développe également des services SaaS pour les entreprises tels que Enterprise
WeChat, Tencent Meetings, Tencent Documents et WeChat Pay, complétés par des solu-
tions adaptées pour différents secteurs industriels ou de services.

Alibaba
Outre son succès comme place de
marché concurrente d’Amazon, Alibaba
a l’avantage d’être la première arrivée
dans l’informatique en nuage en
Chine, et domine la recherche d’appli-
cations multi-scènes pour le commerce
électronique.
L’intérêt d’Alibaba pour le métavers
remonte à 2016, lorsqu’elle a lancé la
fonction d’achat en réalité virtuelle sur
Taobao et investi dans la licorne AR
Magic Leap. Figure 5. Tmall Super Brand Day.

En 2021, Alibaba a accéléré sa stratégie dans le métavers, avec la création d’une nouvelle
marque Cloud Mirror, XR Lab et l’embauche d’AYAYI en tant que maître d’œuvre numé-
rique pour le “Tmall Super Brand Day” (voir la Figure 5 ci-dessus).
Globalement, Alibaba suit deux voies parallèles : la première en développant des solu-
tions informatiques pour approcher le métavers, comme le jeu en nuage, basé sur l’ac­
cumulation de technologies sous-jacentes du cloud computing ; et la seconde en optimisant
l’expérience basée sur des scénarios de commerce électronique tels que les achats en RV,
le matériel de RV et le marketing humain virtuel.

Baidu
Fondé en janvier 2000, Baidu a réussi à se transformer d’un simple fournisseur de services
de moteur de recherche en une société Internet globale avec une fusion du développement
de contenu et de l’intelligence artificielle (IA) après environ 20 ans de développement.
Baidu se trouve bien positionnée dans l’émergence des futurs géants du métavers, princi-
palement dans deux aspects : l’intelligence artificielle et les dispositifs matériels.
La stratégie de Baidu dans le métavers se concentre sur des applications professionnelles,
comme l’enseignement, en déployant des solutions de réalité virtuelle, vendues sous la
marque Baidu VR.

Huawei
Huawei concentre ses efforts dans le métavers sur la mobilité pour la réalité étendue
(XR) et sur l’adaptation des normes de téléphonie mobile 5G pour cette XR. Forte de sa
position dominante dans les réseaux, les puces et les terminaux 5G, Huawei est en train

66
Enjeux numériques – Juin 2023 – N°22 © Annales des Mines

de s’installer comme un acteur incontournable dans les dispositifs matériels, le système


d’exploitation, l’architecture sous-jacente et l’infrastructure dorsale du métavers.
En termes d’outils de développement de contenu, Huawei a lancé Reality Studio, un outil
dédié à faciliter le développement de contenu pour les utilisateurs sans compétences
professionnelles en matière de développement, avec un large éventail de fonctionnalités,
notamment la conception d’interactions et de scènes, l’édition de modèles et la gestion de
la publication.

Xiaomi
Xiaomi, comme beaucoup d’autres, se concentre actuellement sur deux grandes directions :
le dispositif matériel, et le contenu et le scénario. Le matériel VR de Xiaomi s’améliore, en
mettant l’accent sur la diffusion importante de jeux dans le nuage. En 2021, l’entreprise a
lancé des lunettes intelligentes, montrant ainsi que la recherche dans le matériel XR est
toujours active. Le nouveau prototype Xiaomi Smart Glasses Explorer Edition utilise des
guides d’ondes lumineuses MicroLED, qui permettent d’afficher une image sur la lentille
de l’œil, autorisant la fusion d’images virtuelles à la vision naturelle de l’utilisateur.
Le deuxième axe de Xiaomi est d’investir dans le jeu en nuage, première étape essentielle
dans la mise en place de son métavers.

Le Japon
Stratégie gouvernementale
Le Japon, pour ce qui concerne le métavers, se concentre sur ses points forts dans l’ani-
mation et sur les jeux vidéo.
Le gouvernement prévoit d’améliorer la réglementation et le soutien au développement,
et tente de prendre une position de leader dans l’industrie mondiale de l’espace virtuel3.
Le Japon cherche à soutenir les industries liées aux métavers afin de créer un avantage
compétitif pour le pays. En juillet 2021, le ministère japonais de l’Économie, du Commerce
et de l’Industrie a publié une enquête sur les possibilités et les problèmes futurs de
­l’industrie des espaces virtuels, définissant le métavers comme « un espace virtuel spéci-
fique dans lequel des producteurs de divers domaines fournissent une variété de services
et de contenus aux consommateurs ». Le rapport affirme que l’industrie devrait développer
un contenu d’espaces virtuels de haute qualité pour fidéliser les utilisateurs, mais égale-
ment se concentrer sur la prévention et le traitement des problèmes juridiques dans les
« espaces virtuels » et améliorer l’application des lois aux entreprises transfrontalières et
multiplateformes.
Une des plateformes d’échange de cryptoactifs (monnaie virtuelle) japonaise et d’autres
acteurs japonais ont créé un groupe d’industriels du métavers à la mi-décembre 2021 sous
le nom d’Association japonaise du métavers. Le groupe travaille avec l’agence des services
financiers et d’autres agences administratives pour créer un marché et faire du Japon un
pays développé dans le métavers. D’autres plateformes d’échange de devises virtuelles japo-
naises impliquées dans le secteur des portefeuilles électroniques y participent également.

Sony
Sony travaille actuellement à la fois sur le portail matériel et sur le contenu et le scénario.
Le matériel VR de Sony est une extension de la console de jeu PlayStation, jointe à des

3
Rappelons que le 1er avril 2017, le Japon a promulgué la « loi sur les services de paiement », qui
reconnaît officiellement le Bitcoin comme une méthode de paiement légale, et fixe des exigences
réglementaires claires pour l’échange d’actifs numériques chiffrés.

67
Les Métavers

dispositifs VR grand public, et lui donne, avec une offre de jeux exclusive de qualité, un
avantage certain.
Parallèlement, Sony, en tant que groupe mondial de premier plan intégrant les jeux, la
musique et le cinéma, possède, outre les jeux, des droits de propriété intellectuelle tels
que Spider-Man, Men in Black et Peter Rabbit, ainsi que les droits musicaux d’artistes de
renommée mondiale tels que Michael Jackson et Beyoncé. Face au métavers, la valeur des
actifs numériques du groupe Sony devrait être réévaluée. Sony s’est d’ailleurs associée à
Epic Games pour explorer la convergence numérique de contenus connexes.
L’acquisition d’une participation de 1,4 % dans Epic Games, pour un montant de
250 millions de dollars, permettra au partenariat d’associer les ressources et technolo-
gies de pointe de Sony à l’écosystème numérique d’Epic, afin de proposer des expériences
uniques aux consommateurs et aux créateurs dans l’ère du métavers.

Taïwan
HTC
HTC se structure autour de cinq lignes de produits VR pour étayer sa stratégie alliant
matériel et contenu. HTC a été en tête des fabricants de matériel VR de l’industrie dès
2015, avec la coopération de Valve dans le développement du casque HTC VIVE.
L’avantage principal qu’a HTC dans la mise en place de son métavers est que sa gamme
de produits de réalité virtulle est riche et complète, avec une forte part du marché, et
a acquis une bonne réputation auprès des utilisateurs. HTC s’attache maintenant à
construire sa propre plateforme de jeux VR, Viveport, en portant une grande importance
au marché chinois.

La Corée
Le gouvernement coréen espère jouer un rôle de premier plan dans l’industrie du métavers.
En 2025, 2,6 trillions de wons (environ 2,2 milliards de dollars) devraient être consacrés
aux technologies métavers, blockchain et autres.
L’Office coréen de la technologie et des normes s’efforce de devenir le leader technologique
mondial dans le métavers. Le ministère sud-coréen de l’Éducation promeut des cours
dans le métavers.
Pionnier de la formation de la société du métavers le 8 mai 2021, l’agence coréenne de
promotion de l’industrie de l’information et de la communication, en collaboration avec
25 organisations (institut coréen de recherche sur l’électronique et les télécommunica-
tions, fédération coréenne de l’industrie mobile, etc.) et entreprises, a créé l’Alliance
Métavers, qui vise à construire un écosystème de métavers grâce à la coopération du
gouvernement et des entreprises, et à réaliser une plateforme de métavers ouverte dans
divers domaines, réels et virtuels. Le consortium compte désormais plus de 500 entre-
prises et organisations, dont Samsung.
En termes de politique industrielle, le ministère coréen des Sciences et de la Technologie
a publié une stratégie de développement de l’économie immersive, qui vise à faire de la
Corée l’une des cinq premières économies métavers du monde.
Le 3 novembre 2021, le maire de Séoul a présenté “The Seoul Vision 2030”, qui vise à
faire de Séoul une ville à la cohabitation aisée, une ville sûre et une ville d’avenir, la
ville pour « les émotions du futur ». Dans une première phase, la mairie de Séoul prévoit
de construire une plateforme performante appelée Metaverse Seoul, qui proposera une
variété de contenus immersifs pour les jeunes, tels que des conférences, des programmes
de mentorat ou des salons de l’emploi.

68
Enjeux numériques – Juin 2023 – N°22 © Annales des Mines

En termes de tourisme, Séoul va construire également des attractions touristiques dans


une zone spéciale pour la visite virtuelle de Séoul dans le métavers. Viennent ensuite les
services publics, tels que les dépôts de plaintes, la consultation et la réservation d’ins-
tallations publiques. Tous ces services seront également disponibles dans le métavers
pour offrir aux citoyens des services plus pratiques, ce qui améliorera également la ville
intelligente de Séoul.

L’Europe et le Métavers
L’Europe adopte une approche très prudente à l’égard du métavers.
Les textes législatifs tels que la loi européenne sur l’intelligence artificielle, le règlement
sur les plateformes commerciales, la loi sur les services numériques et la loi sur les
marchés numériques illustrent la manière dont les régulateurs traitent le métavers.
Parmi les positions et tendances possibles figurent une transparence accrue, le respect
du choix de l’utilisateur, une protection stricte de la vie privée et des restrictions sur
certaines applications à haut risque.
Les législations préfigurent l’attention accrue que l’IA porte aux questions de réglemen-
tation et de règles dans le métavers, dans le but de prendre une longueur d’avance sur la
gouvernance et les règles, et de protéger ainsi le marché intérieur européen.
Dans ce contexte, le président de la République Emmanuel Macron a proposé de construire
un métavers européen, un projet « essentiel » mais déjà difficile à réaliser. L’objectif
affiché est de développer le champ culturel en particulier français, mais il n’a pas précisé
à ce jour la façon de ne pas dépendre d’agrégateurs anglo-saxons ou chinois, ce qui lui a
été reproché dans la presse.
La France a de belles cartes à jouer, car elle dispose de fortes compétences utilisables pour
le Métavers. À commencer par son fleuron national, Dassault Systèmes, leader mondial
des technologies 3D et des jumeaux numériques. Viennent ensuite Ubisoft, spécialiste
des jeux vidéo, et Atos, spécialiste des infrastructures à haute performance, nécessaires
pour faire fonctionner ces nouvelles technologies. Le panorama se complète bien avec les
opérateurs de télécommunication et les start-up des cryptomonnaies, comme Ledger.

Initiatives d’autres pays


Émirats arabes unis
Lieu favori d’expatriation pour les acteurs mondiaux des cryptomonnaies, les Émirats
arabes unis sont en train de mettre en place les différentes briques permettant de
construire des métavers, principalement dans le domaine des crypto-avoirs.
La Banque centrale des Émirats arabes unis a annoncé une feuille de route de planifica-
tion pour la période 2023-2026, afin de réaliser le fonctionnement de la CBDC et de faire
des Émirats arabes unis l’un des dix premiers pays au monde pour la transformation
numérique du secteur financier.

Royaume-Uni
La maison de vente aux enchères britannique Sotheby’s a lancé le Sotheby’s métavers et a
organisé une vente aux enchères spéciale intitulée “Natively Digital 1.2: The Collectors”,
qui présentait 53 pièces de collections d’art NFT exposées en même temps. Le célèbre
studio VR britannique Maze Theory va créer un « fan métavers » autour d’IP (pour intel-
lectual properties) et d’univers de fans bien connus.

69
Les Métavers

Témoignage de
l’association France Meta
Interview de Pierre PAPERON,
président de l’association
Propos recueillis
par le Général Éric FREYSSINET

Présentation de Pierre PAPERON


Pierre Paperon est ingénieur des Arts et Métiers et MBA HEC. Il a été
consultant et directeur général dans de multiples sociétés dont McKinsey,
Havas, Apple, groupe Danone, Lastminute.com... Depuis huit ans, il conseille les
gouvernements et les sociétés pour l’utilisation des blockchains, des NFT et du
Web3 (anti-blanchiment, cinéma, grands crus classés et primeurs, agriculture,
stade de foot…). Il a créé, en janvier 2022, l’association France Meta, qui compte
1 300 membres.
Pierre a sept enfants, tenté l’Everest, écrit trois livres et été officier sur le
Redoutable pendant deux ans.

Comment définir les métavers ?


Comme pour l’Internet à ses débuts mais encore de nos jours, de multiples définitions
existent, notamment celle donnée par Mark Zuckerberg au mois d’octobre 2021 : pour
faire simple, un univers en trois dimensions, la représentation des individus par un ou
plusieurs avatars, et des lunettes de visualisation. Pour beaucoup de mes interlocuteurs,
cela paraît trop limitatif et n’inclut pas, par exemple, la blockchain et l’intelligence arti-
ficielle alors que la tendance actuelle est forte. Je proposerai donc une définition plus
opérationnelle et large : le métavers est une représentation d’une réalité accessible à
plusieurs personnes qui peuvent échanger et collaborer dans cet univers spécifique.
Parfois, les métavers sont permanents, ce qui permet à ces mondes de garder une mémoire
de ce qui s’y passe, l’univers vivant sa propre vie et étant en capacité de recevoir la visite
de personnes à tout moment, voire d’y observer des bots (automates) qui y évoluent en
permanence. C’est une caractéristique présente dans la plupart des cas, mais pas dans
tous et cela dépend de la finalité du metaverse. Dans un des démonstrateurs monté par
nos membres, le métavers du sous-sol (appelé Métavers de Terre par l’équipe), la finalité
est de pouvoir découvrir ce sous-sol et notamment tenir des conférences avec de multiples
avatars ou personnes présentes dans le sous-sol.
Dans d’autres cas, des métavers ont réuni des millions de personnes pour des concerts…
pour un temps donné. Un peu comme une salle de théâtre ouverte puis fermée. Dans
Fortnite, qui est un métavers de jeu, c’est une nouvelle session toutes les dix minutes avec
un nouvel environnement à chaque fois.
La permanence n’a que peu d’intérêt dans ce cas-là.

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Enjeux numériques – Juin 2023 – N°22 © Annales des Mines

S’agissant des avatars eux-mêmes, ils peuvent prendre des formes réalistes ou faisant
appel à l’imaginaire. Toutefois, l’univers professionnel fait une supposition d’authenticité
de la personne que l’on voit. L’habit fait une partie du moine dans ce monde-là. Et cette
règle va s’appliquer dans les métavers même si un peu de fantaisie va être permise.
Les codes professionnels ont la vie dure. Pour des univers plus personnels, la porte est
grande ouverte à tout type d’avatars. Les réseaux sociaux sont intéressants à observer
actuellement, sans que ce soit des avatars, les photos de profils sont améliorées par l’IA,
ce qui indique une tendance forte vers du botox virtuel.

Définitions de Web3, NFT et métavers


Pour France Meta, le Web3 est le mouvement d’ensemble qui englobe la confluence et
toutes les combinaisons possibles de multiples technologies nouvelles ou anciennes :
blockchain, tokens et NFT, intelligence artificielle, edge computing, avatars, 3D, vidéo à
360°, métavers...
La technologie blockchain nous paraît particulièrement adaptée aux métavers. Le modèle
blockchain apporte une solution de transmission directe de propriété ou droit de personne
à personne, comme Deezer avait pu l’initier en 1998. C’est l’équivalent du cash ou de
la monnaie fiduciaire, mais en version électronique. Avec pour certains, le souhait de
s’émanciper des banques ou des États.
En découlant, le NFT (non-fungible token) est clairement une de ces technologies, et
permet de certifier et tracer un jumeau numérique (par exemple pour une bouteille de
grand cru classé comme cela a été fait). Les NFT sont aussi à l’origine du fort développe-
ment de certains métavers comme Sandbox et Decentraland, car le financement de ces
plateformes s’est fait au travers de la vente de NFT de surface immobilière.
Les fonctions du token ou NFT sont innombrables comme la certification, l’authentifica-
tion, la traçabilité, la création d’un actif numérique immatériel (surface immobilière, part
de film, tonne de CO2, CEE de MWh, compte épargne temps...). Par exemple, un fichier
PDF tokenisé serait un document avec dans les métadonnées un condensat (hash) au
format SHA2 permettant d’auto-vérifier que pas un pixel n’a été changé. Cette propriété
ou fonctionnalité pourrait servir à éviter l’usurpation d’identité pour 200 000 personnes
par an, qui ne sont pas protégées par la carte d’identité dont on ne demande qu’une
photocopie ou une numérisation au format PDF aisément falsifiable.

Une interopérabilité nécessaire ?


La tentation est grande pour tous de tenter de s’accaparer une grande part du gâteau
Web3. Un peu comme AOL a pu le faire en 1993 en concevant un Internet « fermé » qui
a conduit à sa disparition, car les producteurs de contenus sont rapidement devenus des
millions à la fin des années 1990. Peu de solutions émergent actuellement en dehors
du constat de cette non-interopérabilité qui a donné naissance au Metaverse Standards
Forum en juin 2022, qui produit des documents mais dont on peut imaginer la difficulté
à faire émerger une solution commune pour les 2 000 entreprises, et dont Apple ne fait
pas partie.
Les attendus d’une telle standardisation sont multiples et touchent de nombreux domaines.
En premier lieu, l’interopérabilité, sans conteste. En second, les règles de surveillance et
de contrôle de ce qui est ou peut se transformer en espace d’insécurité majeur avec un
développement incontrôlé de la cybercriminalité, des atteintes aux mineurs ou des blan-
chiments de fonds en tous genres. En troisième, la définition du cadre légal avec le choix
d’une ou plusieurs législations applicables pour ces univers sans ancrage géographique a
priori. En outre, la propriété, l’immobilier, la fiscalité, le droit de la consommation sont

71
Les Métavers

des questions qui émergent fortement actuellement. L’inclusion des IA dans les métavers
soulève des questions encore plus vertigineuses avec leur puissance de génération de
réponses, d’images, de nouveaux mondes ou de paradis artificiels.
L’AFNOR a été chargée récemment d’une mission de normalisation, et l’association
France Meta participe aux travaux. Même si ces normalisations à venir vont arriver trop
tard, être potentiellement désuètes (par exemple, quelle norme pour les avatars conver-
sationnels dotés d’une IA spécifique…) ou encore être « écrasées » par des directives euro-
péennes en cours de gestation.

Des technologies émergentes


pour le métavers

ChatGPT, motorisé pour l’instant par GPT3.5 et basé sur des données de 2021, ouvre la
voie à une intégration très rapide dans les métavers au travers de la réalisation d’avatars
conversationnels. Ce sont des personnes vivantes ou décédées, réelles ou virtuelles, à qui
il sera possible de poser des questions et de tenir une conversation. Les applications pour
les entreprises, les services publics et l’éducation, notamment, sont assez vertigineuses.
Sans aller jusqu’à l’intelligence artificielle, beaucoup d’automates sont déjà en place
dans des mondes virtuels. Plus que des contraintes, ce sont pour l’instant leur faible
qualité qui permet de les détecter assez rapidement, un peu comme des faux profils sur
les réseaux sociaux ou des bots sur Fortnite qui sont pointés par nos enfants en moins de
trois secondes. L’IA va leur donner une capacité d’auto-perfectionnement qui va gommer
cette différence encore perceptible entre « réel » et « virtuel fabriqué ».
Et il est bien entendu indispensable de travailler à une identification très claire de ces
automates, et même d’avoir une notation pour l’évaluer. La question, très parallèle, est
en train de se poser à Amazon qui a vu depuis le début de l’année plus de 250 livres écrits
avec de l’IA. Une solution pourrait être une indication du mix réalisé entre l’auteur et l’IA,
un peu comme une étiquette pour les produits indiquant leur composition.
Le mouvement métavers a mis en évidence la puissance de l’immersif pour des processus
d’apprentissage et de représentation de réalités auxquels on n’a pas un accès direct. Un
métavers de sous-sol biologique et vivant est, par exemple, en cours de réalisation pour
« immerger » à deux mètres sous la surface un ou plusieurs agriculteurs, et leur faire
comprendre l’importance d’une gestion des sols différente avec la visualisation de la
capture de carbone par exemple (multipliée par 10).

Envisager de nouveaux usages


pour les métavers

Nous évoquions plus haut l’application directe à la capture de CO2 par les agriculteurs.
Nous avons aussi proposé au ministère de l’Intérieur la création d’un jumeau numérique
d’une cellule de crise, pour former les participants sans qu’ils aient besoin de se déplacer,
permettre à des intervenants à distance de participer à la cellule de crise, de mettre à jour
les connaissances des uns et des autres sur les informations et visualisations possibles.
Les applications pour les seniors et l’amélioration de leurs capacités neurocognitives est
une voie royale me semble-t-il aussi : j’ai pu être au musée de Guggenheim à New York
avec ma mère de 87 ans qui était à Nîmes et moi, dans ma ferme dans le Berry.
C’est un regard nouveau sur le monde que permettent ces nouvelles technologies. Par
exemple, une réflexion est en cours actuellement avec un acteur pour, lors de son prochain
spectacle de théâtre, avoir une captation de l’information en 360° sur scène pendant la

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Enjeux numériques – Juin 2023 – N°22 © Annales des Mines

pièce. Le spectateur ne serait plus confiné à une place unique avec un champ de vision
unique, mais pourrait se déplacer sur scène, choisir parmi les captations faites et voir au
plus près tout autour de lui la pièce.
On peut aller plus loin, et c’est une réflexion en cours avec un réalisateur pour son
prochain film, en incluant le spectateur qui aurait aidé à financer le film, sous forme de
NFT dans le film lui-même, par une modification digitale d’un des figurants de ce film. Le
spectateur devient « spect’acteur ». C’est une révolution copernicienne pour le cinéma que
d’autoriser à tous l’entrée dans le grand écran.
Pour les musées, on peut penser que la diffusion de la culture sera bien plus puissante.
Par exemple, Miro, qui a beaucoup écrit sur la mystique à l’œuvre dans tout son travail,
peut être reconstruit sous forme d’avatar pour commenter et éventuellement tenir une
conversation avec les personnes qui vont venir à une de ses expositions ou tout simple-
ment consulter ses œuvres à distance.
Mais le cœur de la révolution attendue va venir de ces avatars que l’on pourra aussi faire
à notre image pour accélérer l’apprentissage. Ou bien à celle d’une personnalité sportive
qui pourrait enseigner les maths si cela s’avère le plus efficace pour l’éducation.

Pourquoi créer l’association


France Meta ?
La motivation est venue de cette déclamation par Mark Zuckerberg de ce qu’était le
métavers. À cette pensée unique ou monothéiste, il nous a semblé utile pour la France
d’avoir d’autres éclairages sur ce que pouvait être le métavers comme des métavers 2D
proposés par Gather.now ou Workadventu.re, et qui suffisent dans la plupart des cas.
L’activité principale est de participer à des salons, répondre à des interviews, écrire des
articles pour partager tout ce qui est pertinent et innovant dans cet élan Web3.
Et pour cela, nous ne travaillons pas isolés et avons choisi la voie de la coopération avec
d’autres initiatives. Mais c’est complexe à chaque fois, la question du nom, la question
de la gouvernance, la question des objectifs poursuivis. En tous cas, l’ambition de France
Meta est de faire avancer la réflexion en répondant, par exemple, à des questions comme
les autres. Nous défendons l’idée que c’est un univers passionnant, que les technologies
immersives ont un potentiel aussi fort qu’Internet en 1993. Et nous restons attentifs au
fait que la technologie n’est pas totalement au point, que l’impact écologique doit être
pris en compte. Et nous restons polythéistes sur les combinaisons de technologies, ne
cherchons pas des souverainetés où c’est trop tard, et nous souhaitons que soit définie une
éthique avant une régulation.
Ce que l’association France Meta ne fera pas, c’est travailler pour des intérêts purement
commerciaux. Elle doit chercher à valoriser des initiatives qui le méritent, et semblent
porteuses de sens et à même d’être des réponses à des problèmes : lutter contre les dérè-
glements climatiques, contrer l’isolement dans la population senior qui va bientôt repré-
senter un tiers de la population, favoriser l’apprentissage à l’école.

Quelle place pour les technologies


et les savoir-faire français ?

La liste des technologies et des savoir-faire des entreprises françaises est longue à faire.
Les start-up sont présentes, les financements aussi. Il manque néanmoins une vision poli-
tique claire et éclairée sur ce sujet Web3 ou métavers. Les propositions faites dans le cadre
de l’AMI de France 2030 pour avoir un “métavers as a service” qui serait le WordPress du
Web3, ou bien encore « l’université européenne de l’innovation ­cinématographique » qui

73
Les Métavers

intègre les effets spéciaux et la possibilité pour tout un chacun de devenir figurant dans
n’importe quel film (par remplacement dans la copie digitale), n’ont pas su éveiller un
intérêt justifiant la subvention malgré un impact assez évident.
À l’échelle européenne, en dehors de quelques initiatives nationales, nous voyons bien
peu de sources d’inspiration, et sommes plutôt étonnés du réflexe de régulation qui vient
à nouveau de nos instances européennes. Il n’a toujours pas été compris qu’il ne sert à
rien de freiner ou d’encadrer des pratiques à leur naissance. Il est bien plus efficace de
prendre de l’avance et d’orienter leur application vers des utilités plus souhaitables pour
notre civilisation. La régulation doit venir ensuite pour éviter les distorsions ou contour-
nements évidemment mis en œuvre par certains.

N’est-ce finalement qu’une mode


pour certains investisseurs ?

Oui, certains comme la société américaine Meta sont partis bien trop vite pour, peut-
être, trouver une solution à leur baisse d’audience, ce que l’on appelle en entreprise des
relais de croissance. L’adoption massive est déjà là avec le gaming et ses 500 millions
d’utilisateurs mensuels. Et ce sont des applications spécifiques comme celles mentionnées
ci-avant qui vont permettre un élargissement progressif et fort au-delà des gamers. Pour
l’internet et le e-commerce, c’est le voyage qui a joué ce rôle-là à partir de 2002. Pour
les métavers, ce pourraient être les rencontres ou les univers éducatifs boostés par les
avatars et l’IA, qui pourraient ouvrir la voie à cette propagation à plus de deux milliards
de personnes.

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Enjeux numériques – Juin 2023 – N°22 © Annales des Mines

Quel est le réel potentiel


du métavers ?
Par Frédéric CAVAZZA
Marketing Technologist

Concept issu de la littérature cyberpunk des années 1980, le métavers déchaîne


les passions des geeks et entrepreneurs depuis la réorientation stratégique de
Facebook en 2021, qui en a fait son nouveau levier de développement. Point de
convergence d’une grande diversité d’usages, le métavers cristallise les espoirs
et les craintes de nombreux observateurs dont l’appréhension du potentiel est
brouillée par des projets dont l’unique objectif est de réaliser une plus-value
rapide reposant sur des promesses qu’ils seront incapables de tenir. Pour bien
comprendre ce qu’est ou n’est pas le métavers, il faut prendre du recul et mettre
de côté ses a priori afin d’en avoir une perception pragmatique et surtout réaliste.
Non, le métavers n’est pas l’avenir du web, ce n’est pas non plus une technologie
disruptive, c’est un terme générique pour décrire un média immersif qui englobe
des jeux en ligne et univers virtuels déjà exploités par des centaines de millions
d’utilisateurs, ainsi que des services novateurs plus ou moins mûrs dont la
viabilité reste encore à prouver. Tenez-le pour acquis : les joueurs d’aujourd’hui
sont les utilisateurs virtuels de demain.

Le métavers est assurément le sujet qui a fait le plus de bruit en 2022 dans le milieu
des nouvelles technologies. Si l’engouement médiatique est retombé, le sujet est toujours
aussi insaisissable et clivant, alimentant les débats entre les prosélytes et les détracteurs.
Des discussions enflammées qui compliquent la compréhension de ce qu’est le métavers
et du potentiel qu’il représente.
Pour bien appréhender son potentiel, il faut dans un premier temps définir ce qu’est le
métavers, étudier ses origines ainsi que l’évolution des technologies et usages, de même
que prendre en compte les contraintes et obstacles à franchir avant son éventuel déploie-
ment à grande échelle.

Un concept littéraire
qui concentre les espoirs et les craintes
liés aux usages numériques

La première chose à savoir sur le métavers est que ce n’est ni une technologie, ni une
innovation. C’est un concept issu de la littérature de science-fiction des années 1980, et
plus particulièrement du mouvement cyberpunk animé par des auteurs comme William
Gibson ou Neal Stephenson avec des livres fondateurs comme Neuromancien (1984) ou
Le Samouraï virtuel (1992). Il est d’emblée intéressant de constater que ce concept est
né dans la tête d’écrivains qui ne sont pas informaticiens de formation, à une époque
où les ordinateurs pouvaient à peine faire tourner une interface graphique. N’est-ce pas
surprenant de décrire les futurs usages numériques du XXIe siècle en s’appuyant sur des
romans publiés au siècle dernier ? Trouveriez-vous pertinent de théoriser l’évolution des
usages numériques en utilisant des concepts comme le cyberespace ou les autoroutes de

75
Les Métavers

l’information ? Pourtant, c’est ce que fait le marché en décrétant l’avènement du métavers


comme une évidence.
C’est en constatant l’énorme décalage entre ce qu’était l’outil informatique dans les
années 1980 et ce que proposent les supports et terminaux numériques aujourd’hui, et
a fortiori dans les prochaines années, que l’on se rend compte que les débats autour du
métavers sont faussés. Il nous faut revenir aux fondamentaux pour bien aborder le sujet
et en comprendre les subtilités.
S’il n’existe pas de définition communément admise, nous pouvons néanmoins décrire le
métavers comme un média immersif, où les utilisateurs vivent des expériences ludiques
et sociales à travers des avatars évoluant dans des environnements virtuels persistants.
Selon cette définition, le métavers couvre un champ d’applications très vaste qui englobe
des usages d’ores et déjà très répandus comme les jeux en ligne, les univers virtuels ou
les applications d’avatars.
Vous noterez que nous avons déjà connu un phénomène similaire d’engouement média-
tique il y a quinze ans avec la découverte par le grand public du concept d’univers virtuel,
et de Second Life en particulier. Un engouement qui depuis est largement retombé, car les
espoirs et promesses de l’époque se sont heurtés à de nombreuses contraintes. De façon
surprenante, si l’engouement médiatique pour les environnements virtuels est revenu,
l’expérience proposée par les univers virtuels de référence est très proche de celle de
l’époque.

Figure 1. Second Life et Decentraland (Source : FredCavazza.net, 2022).

Le marché est-il en train de reproduire les mêmes erreurs ? Nous pourrions le penser,
mais la réorientation stratégique de Facebook et la présence de nombreuses marques
exploitant les supports virtuels à des fins publicitaires sont des signaux forts qui nous font
douter. Mais le plus troublant dans cette frénésie est que sous la bannière du métavers
se côtoient le pire et le meilleur : des projets uniquement motivés par l’opportunité de
profits rapides, et des services extrêmement populaires qui rassemblent des centaines de
millions d’utilisateurs.

Une large gamme d’usages


Décrire le métavers est un exercice difficile, car cette notion regroupe de nombreux usages
avec différents niveaux de maturité et potentiels de croissance. Parmi ce foisonnement
d’usages, nous pouvons néanmoins distinguer :
• des services parfaitement viables et institutionnalisés comme les jeux en ligne
massivement multi-joueurs pour le grand public (ex. : Fortnite, Roblox, Minecraft…)
ou les outils de simulation pour les entreprises (ex. : Nvidia Omniverse ou Azure
Digital Twins de Microsoft) ;

76
Enjeux numériques – Juin 2023 – N°22 © Annales des Mines

• des services largement surcotés comme les univers virtuels décentralisés (ex. :
Decentraland) ou les solutions de collaboration virtuelle (ex. : Facebook Horizon
Workplace, Microsoft Mesh) ;
• des services à très fort potentiel comme les simulations ludiques d’exploration et de
gestion dans lesquelles des millions d’utilisateurs développent des activités sociales
et économiques parallèles (ex. : Star Citizen), ou les applications d’avatars comme
ZEPETO qui annonce 250 M d’utilisateurs sur smartphone ;
• des services innovants, mais dont la viabilité reste à confirmer comme les bacs
à sable virtuels (ex. : Horizon World) et les solutions de formation virtuelle (ex. :
MetaKwark).

Figure 2. Cartographie fonctionnelle BtoC (Source : SYSK, 2022).

Figure 3. Cartographie fonctionnelle BtoB (Source : SYSK, 2022).

77
Les Métavers

Comme vous pouvez le constater, le métavers est un concept « souple » qui englobe
beaucoup d’usages (des jeux vidéo au Web3). Il concentre les espoirs et fantasmes des
geeks, visionnaires et entrepreneurs peu scrupuleux, un peu comme les cryptomonnaies
l’étaient avant l’effondrement du marché. Il y a ici un parallèle intéressant à faire avec
tous les services qui reposent sur la blockchain : le potentiel est réel, mais il se heurte à
de nombreuses contraintes pour pouvoir être déployé à grande échelle. Il en va de même
pour le métavers.

Des contraintes techniques,


fonctionnelles et marchandes
qui annihilent l’espoir
d’un métavers universel

Tel que décrit dans les médias ou les œuvres de fiction comme le film Ready Player One
(Steven Spielberg, 2018), le métavers universel et gratuit n’existera probablement jamais,
car il faudrait pour cela résoudre des problèmes techniques, fonctionnels et économiques
quasiment insolubles.
D’un point de vue technique, la compatibilité entre les univers est une caractéristique
extrêmement complexe. Les jeux vidéo et environnements 3D sont ainsi tous conçus à
l’aide de moteurs de rendu qui ne sont pas compatibles entre eux (ex. : Unreal Engine,
Unity, Cry Engine, Frostbyte…). Il est éventuellement possible d’importer les mêmes
modèles ou environnements 3D dans ces différents moteurs, mais il subsiste un très gros
travail d’adaptation pour pouvoir intégrer ces éléments génériques.
Ceci nous amène à un deuxième problème de nature fonctionnelle et commerciale : les
nombreux environnements virtuels (jeux en ligne, applications mobiles…) proposent des
expériences très différentes répondant à des logiques ergonomiques et économiques diver-
gentes. Forcer l’interopérabilité entre ces services reviendrait à niveler le rendu graphique
et les fonctionnalités sur un plus petit dénominateur commun, qui rendrait l’expérience
insipide. Il existe ainsi une technologie ouverte et standardisée pour pouvoir créer des
environnements virtuels décentralisés : OpenSimulator, qui existe depuis quasiment
vingt ans, mais qui ne remporte qu’un succès très limité tant l’expérience est pauvre.
De plus, les éditeurs d’un service en ligne dont le modèle économique repose sur la vente
d’items virtuels n’accepteraient jamais la possibilité de pouvoir importer des objets
achetés ailleurs. Tout comme vous ne pouvez pas boire le vin que vous amenez avec vous
dans un restaurant, vous ne pouvez pas utiliser dans Fortnite les armes achetées dans
Call of Duty, et inversement. Rien que la portabilité des sauvegardes pour un même jeu
entre différents supports est un sacré casse-tête (ex. : exporter une sauvegarde depuis une
Playstation vers une Xbox). Il n’y a que les jeux récents d’Ubisoft qui la proposent.
Il y a enfin un problème économique à ne pas négliger, car si 95 % des adultes possèdent
un smartphone en France, seuls 20 % sont équipés d’une montre connectée et à peine 5 %
d’un casque de réalité virtuelle, soit moins de 3 M de personnes. Le pouvoir d’achat est
ici un évident facteur limitant, car tout le monde ne peut pas se payer un casque à plus
de 500 € en plus des autres équipements qui sont à renouveler fréquemment (ex. : smart-
phones, ordinateurs…). Et là, nous ne mentionnons même pas les hypothétiques lunettes
de réalité augmentée d’Apple qui devraient dépasser la barre symbolique des 2 000 $.
S’obstiner à voir le métavers comme un environnement virtuel ouvert, universel et libre
de droits est une illusion. Même dans dix ans, les conditions de réalisation ne seront pas
réunies. Ceci étant dit, le potentiel reste intact pour les services déjà disponibles qui ne
remplissent qu’une partie de ces conditions, mais rassemblent des dizaines de millions
d’utilisateurs (ex. : Fortnite, Roblox, ZEPETO…).

78
Enjeux numériques – Juin 2023 – N°22 © Annales des Mines

Une chimère qui cache


des usages bien réels

Si la poursuite d’un idéal est vaine (le métavers tel que décrit dans les œuvres de fiction),
nous avons maintenant le recul pour mieux apprécier les différentes composantes du
métavers, celles qui représentent aujourd’hui des usages et revenus bien réels.
De l’état actuel du marché et des usages, nous pouvons tirer différents enseignements :
• Les loisirs numériques ont été un refuge pendant le confinement, ils sont maintenant
une habitude bien ancrée dans le quotidien de nombreux utilisateurs. Le secteur des
jeux vidéo approche ainsi les 200 Md$ de revenus en 2022. Un marché des biens et
services numériques que personne ne peut remettre en cause (ex. : tenues et acces-
soires virtuels pour avatars, concerts virtuels, influenceurs virtuels…).
• La réalité virtuelle est un marché de niche tiré par les logiciels et plus particuliè-
rement les jeux (ex. : Job Simulator, Beat Saber…), pour lesquels il y a des progrès
réguliers et notables qui entretiennent une base solide d’aficionados.
• La réalité augmentée est un marché de niche tiré par le matériel (ex. : Google
Glass, Microsoft Hololens…) très en avance de phase. Les contraintes techniques à
respecter sont aujourd’hui quasiment insolubles (une énorme puissance de calcul à
faire rentrer dans des branches de lunettes qui ne doivent pas dépasser les 200 g).
Autant dire qu’il n’y aura pas « d’effet iPhone » avant de nombreuses années (irrup-
tion d’un produit qui devient la référence du marché).
Ce dernier point est particulièrement crucial à comprendre : l’attention des médias se
focalise sur les applications de réalité alternée (augmentée, virtuelle ou mixte), alors que
l’essentiel des usages apparentés au métavers se fait sur les smartphones dont il y a plus
de 5 milliards d’unités dans le monde contre moins d’1 milliard d’ordinateurs et à peine
250 millions de consoles de jeu. Selon cet angle de vue, la course au métavers est déjà
perdue d’avance pour Meta puisque Google et Apple règnent en maîtres sur les smart-
phones (maîtrise du matériel, du système d’exploitation et des applications distribuées
via les app stores).
Tous ces paramètres de marché expliquent pourquoi il est extrêmement délicat d’évaluer
le potentiel réel du métavers. Ce qui est certain, c’est que son appréhension est clairement
brouillée par une vision utopique propagée par les médias. Et puisque l’on parle d’eux,
il semble évident que les principaux perdants de l’avènement du métavers seront les
médias traditionnels (TV, radio, presse, cinéma…), dont la consommation s’amenuise
irrémédiablement à mesure que les loisirs numériques gagnent en sophistication et en
popularité. Ceci explique certainement pourquoi ils véhiculent une image déformée de ce
qu’est le métavers ainsi que de son potentiel.

79
Les Métavers

Le métavers au service
de la mode et du luxe ?
Par Pascal MORAND et Marine PEYROL
Fédération de la Haute Couture et de la Mode

La révolution numérique se poursuit inexorablement, et envahit le monde


et notre vie. L’arrivée du métavers, stimulée par celle du Web3, symbolise la
vive accélération de la virtualisation. Le métavers est une source de créativité
augmentée, de nouvelles formes de déploiement de l’imaginaire, de nouvelles
expériences individuelles et collectives. L’article montre en quoi il est naturel
aux marques de mode et de luxe de s’en emparer. Il explicite les innovations qui
en résultent et leurs modalités. Il se penche également sur ses limites ainsi que
sur son impact sur l’identité humaine et l’altérité, et sur le rapport à la mode et
au luxe qui peut en résulter.

La révolution numérique se poursuit inexorablement, et envahit le monde et notre vie,


symbolisée par des vagues de concepts qui se succèdent et font l’objet d’engouements et
de focalisation. Après celle du big data se dont déversées celles du Web2.0, de la réalité
augmentée, de la blockchain, de l’intelligence artificielle, du métavers et du Web3, sans
oublier la mise en lumière au cours des mêmes années des nouveaux attributs de la fabri-
cation additive et de la robotique, qui a établi un lien direct avec la « réalité » ou plutôt
le monde en trois dimensions qui nous est familier. Bien entendu, ces différents concepts
et leur matérialisation interagissent entre eux. Ils aident les acteurs de l’économie, de la
culture, de la politique, et plus généralement de la société à s’emparer des nouvelles tech-
nologies, à mieux comprendre les interactions, à en explorer la teneur et les potentialités.
Ce fut ces dernières années au tour du métavers de faire irruption dans les médias et
dans les conversations, formelles et informelles, de donner lieu à des projets stratégiques
de grande ampleur tout comme à une floraison de start-up partout dans le monde. Pour
autant, les mondes virtuels étaient déjà répandus, à l’instar de Second Life, qui a vu le
jour en 20031. C’est la maturité des technologies sous-jacentes qui a conduit à considérer
qu’était venu le temps du métavers. D’autres concepts et enjeux reviennent aujourd’hui
au premier plan, au premier rang desquels l’intelligence artificielle. Mais le métavers est
devenu entre temps un nom commun désignant un nouveau royaume de l’imaginaire qui
peut représenter un espace autonome, et l’on parle alors d’un métavers, ou bien l’espace
illimité du nouveau monde virtuel, et l’on parle alors du métavers comme ensemble de
tout ce qui existe.
La mode et le luxe s’y sont logiquement intéressés, car ils forment un laboratoire de
l’économie et de la société qui annonce toujours les tendances à venir. Cela vaut pour
tous les facteurs de transformation digitale. La mode fut ainsi le premier secteur de l’éco-
nomie, il y a plus de trente ans, à mettre à profit les technologies de l’information et de

1
Une recherche basée sur une étude quantitative de 580 avatars de Second Life a conduit Michael
Haenlein et Andreas Kaplan à conclure que ses résidents ne voyaient que peu de différences, voire
aucune, entre leur vie réelle et leur vie virtuelle (“The fairy land of Second Life: About virtual social
words and how to use them”, Business Horizons, 52, 2009).

80
Enjeux numériques – Juin 2023 – N°22 © Annales des Mines

la ­communication pour reconfigurer sa chaîne de valeur industrielle2. Par le rôle qu’y


tient l’image, elle a très rapidement, et avec la plus grande dextérité, saisi l’opportunité
que représentent les réseaux sociaux et est à présent le plus important utilisateur d’Ins-
tagram. Ce faisant, le métavers est un terrain de jeu particulièrement adapté à la mode
et au luxe.

Le metavers, la mode et le luxe,


des fiançailles naturelles

Pour comprendre pourquoi la mode et le luxe se sont appropriés le métavers avec le plus
grand naturel, il faut en revenir à la source même du concept, tel qu’il a été fondé par
Neal Stephenson en 1992 dans Snow Crash, monument de la littérature postcyberpunk3.
Le mot lui-même est caractérisé dans la langue anglaise comme porte-manteau, car il en
réunit deux, résultant de ce que Neal Stephenson n’appréciait pas les termes de réalité
augmentée et réalité virtuelle. Mode et luxe donnent pourtant lieu à une représentation
du temps structurellement différente de celle de la science-fiction. La mode est par défi-
nition ici et maintenant. Le luxe s’attache à la stabilité dans la durée, par la qualité des
produits et la valeur symbolique qui le caractérisent, davantage qu’à la transformation du
monde. Mais quatre facteurs confèrent à la mode et au luxe, plus qu’à d’autres, un désir
de métavers.
En premier lieu, il représente une grande opportunité d’exercice de la créativité, ce que
la mode affectionne. Il faut distinguer ici les marques qui sont tournées vers la création
(creativity-driven), qui pratiquent un marketing de l’offre, et celles qui sont tournées vers
le consommateur (consumer-driven). Ce sont les premières, où les créateurs de mode /
directeurs artistiques jouent un rôle de premier plan, qui sont directement concernées.
Il ne s’agit pas pour elles de mésestimer les consommateurs mais de concevoir une offre
à dimension esthétique générant une désirabilité, sans que prime a priori l’aspiration
à satisfaire une demande et des besoins. Lorsque la création se conjugue à un savoir-
faire de grande qualité, le paradigme de la mode rejoint celui du luxe. Réciproquement,
le luxe se rapproche de la mode lorsqu’il associe à son héritage culturel une vitalité
créative. Le métavers est dès lors un facteur de créativité augmentée. Le second facteur
de proximité est la place déterminante que tient l’imaginaire dans la mode et le luxe.
Il est plus général que le premier, car si la création génère par nature un imaginaire,
l’imaginaire d’une marque ne suppose pas nécessairement un acte créatif s’il est arrimé
à un patrimoine immatériel important. Le métavers ainsi peut soutenir la déclinaison de
tout imaginaire de la mode et du luxe, de la même manière que la présentation immer-
sive d’une œuvre d’art ou d’une exposition peut enrichir leur visibilité et leur perception
sensorielle et émotionnelle. Le troisième facteur se rapporte au désir d’œuvre d’art totale
(Gesamtkunstwerk) qui transparaît dans les défilés de mode, où l’enjeu est d’intégrer les
collections dans un univers scénographique associant d’autres disciplines des industries
culturelles et créatives. Le métavers est alors un moyen parmi d’autres de créer une
expérience polysensorielle cohérente. Le quatrième et dernier facteur tient au rôle plus
général que tient l’expérience dans la mode et le luxe, également en termes de design et
d’usage. Il y a certes bien longtemps que s’est répandu le marketing expérientiel dans
tous les compartiments de l’économie. Un acte d’achat tout comme l’usage d’un produit
sont aujourd’hui vécus comme des expériences, qu’il s’agisse de l’entreprise ou du consom-
mateur. Le métavers va plus loin, car il offre la possibilité à un client ou à un membre de
la communauté d’une marque de se mouvoir dans un monde virtuel. En résumé, création,

2
Voir Richard Baldwin, “Globalisation, the great unbundling”, Prime Minister’s Office, Economic
Council of Finland, 2006.
3
Sa traduction française est parue sous le titre Le samouraï virtuel (Robert Laffont,1996).

81
Les Métavers

imaginaire, œuvre d’art totale, expérience, sont des attributs du capitalisme esthétique,
où la mode et le luxe sont particulièrement à l’aise pour s’approprier des technologies qui
leur permettent d’aller plus loin, et qui s’exercent conjointement.
Sous un autre angle, la digitalisation s’est vivement accélérée depuis la pandémie et le
métavers a bénéficié de cet effet d’aubaine. Elle a en effet ouvert de nouvelles perspectives
de création, de communication et de commercialisation au moment même où les déplace-
ments physiques étaient impossibles ou au moins très limités. Il fallait recréer un nouveau
monde, transposer les activités dans un univers digitalisé, se diriger vers une nouvelle
frontière éclairée par des explorateurs embarquant avec eux de multiples communautés et
partageant la conviction chevillée au corps que métavers et univers « classique » seraient
appelés à converger. Encore fallait-il savoir quels chemins emprunter dans le dédale des
métavers fermés les uns aux autres, et dans le contexte d’une grammaire métaverselle
encore balbutiante4.

Le metavers, catalyseur de désirabilité


de mode et de luxe

Dans la mode et le luxe, le mot métavers a été parfois utilisé pour illustrer des expé-
riences encore assujetties au Web2.0, et donc se limitant à proposer des expériences
supposant une posture passive des utilisateurs. L’usage du qualificatif de métavers a
fait alors référence aux progrès réalisés en matière de visualisation en 3D, en statique
et en mouvement. Une véritable mutation a eu lieu avec l’avènement du Web3, qui a
permis de placer les utilisateurs dans une position active. Ce qui était déjà parvenu à
maturité dans les jeux vidéo s’est déployé plus largement, rendant possibles de nouvelles
pratiques d’immersion qui ont pu faire usage d’accessoires tels que les casques commu-
nément répandus en réalité virtuelle, mais tendent désormais à s’en défaire. Si bien que
les audiences, qui jusqu’alors ne pouvaient interagir que de manière limitée avec les
marques ou autres audiences connectées, à l’image des likes sur les réseaux sociaux, sont
devenues proactives, prenant aisément part à ces nouvelles expériences de l’imaginaire,
et ce de différentes manières.
• Le premier scénario est celui de la participation active et individuelle dans un univers
ouvert. Il s’agit des initiatives qui, suivant le modèle des jeux vidéo, permettent
aux audiences d’explorer un imaginaire commun ouvert à tous, de s’y déplacer, de
personnaliser les actions et interactions, et ainsi de vivre une expérience immersive
entièrement personnalisée5.
• Le second scénario est celui de la participation active individuelle dans un environne-
ment fermé. Comme dans le cas précédent, l’expérience est immersive mais réservée
à un ensemble fermé d’utilisateurs. Ceux-ci sont sélectionnés par les maisons qui
ont décidé de leur offrir une forme de priviliège, comme elles le font sur un plan plus
général pour les VIP et les VIC (very important clients). L’expérience peut concerner
des événements, des objets, des collections, etc.6.

4
S’attachant à conjurer les méfaits d’un cloisonnement généralisé, Neal Stephenson a initié en 2022
un métavers en open source dénommé LAMINA1.
5
Balenciaga a ainsi proposé un show sous forme de jeu vidéo pour sa collection automne-hiver 2021,
« Balenciaga The Age of Tomorrow : immersion dans une vie augmentée », https://www.showstudio.
com/news/balenciaga-propose-a-life-in-augmented-reality
6
Dolce Gabbana a créé dans ce registre The #DGFamily, un programme réservé aux détenteurs de
NFT Boxes, proposant différents types d’expériences selon la boite détenue.

82
Enjeux numériques – Juin 2023 – N°22 © Annales des Mines

• Le troisième scénario est celui de la participation active et collective dans un


univers ouvert. Les univers multiversels incorporent alors un niveau supplémen-
taire d’interaction et d’immersion, en permettant aux utilisateurs de s’y retrouver
et de co-construire l’imaginaire. On passe ainsi de l’échelle individuelle à l’échelle
communautaire7.
• Le quatrième scénario est celui de la participation active et collective dans un univers
fermé, où est renforcé le sentiment d’appartenance à la communauté concernée, à la
manière d’un club privé8.
De surcroît, le métavers ne se contente pas de forger de nouveaux univers où se meuvent
des personnages existants ou imaginés ainsi que des produits sublimés. Accompagné
d’autres technologies, il conduit à l’apparition d’objets que l’on peut qualifier de métapro-
duits. C’est ainsi que nous assistons à la multiplication d’objets virtuels, sous la forme
de jetons virtuels (NFT), qui participent fortement de l’expérience dans les écosystèmes
métaversels. Rien n’empêche que ces vêtements, accessoires et autres objets purement
numériques soient portés par des avatars communiquant entre eux. À cela s’ajoute une
nouvelle forme de liberté créative qui s’affranchit des contraintes des univers physiques
tridimensionnels, qu’il s’agisse de modélisme ou de production. Ainsi avons-nous vu surgir
la robe Flamme9 de Balmain et des collections inspirées par le biomimétisme imaginées
par la marque de mode virtuelle Auroboros10. Au surplus, certaines maisons proposent
des expériences où les avatars sont tous à l’origine identiques, mais se façonnent au fur
et à mesure de leur déambulation et expérimentation au sein de l’univers virtuel, pour
devenir à l’issue de leur voyage des créations originales et uniques11. Il n’est pas rare de
constater un engouement pour des robes ou des sneakers strictement virtuels, dont le
prix peut s’élever à plusieurs centaines d’euros, susceptibles d’être diffusés en édition
limitée et de bénéficier ainsi de la propriété de rareté chère au luxe12. De nouvelles ambi-
tions artistiques apparaissent également, sous la forme d’œuvres picturales ou d’objets
imaginés dans le métavers et présentés sous cloche13. Ainsi, un métasoulier peut-il
aisément devenir un objet d’art ou être considéré comme tel, parmi d’autres convoités par
des crypto-collectionneurs détenteurs de monnaies virtuelles basées sur la blockchain.

Mode, luxe, conscience de soi


Les expérimentations virtuelles à venir doivent continuer d’être alignées sur les principes
de la mode et du luxe. Se référer à la mode obéit à une logique intemporelle et invariante :
« hyéroglipher » son apparence, pour reprendre le mot de Balzac, en affirmant son identité
dans un cadre codé fixé par les tendances du moment et les nouveaux référents nés de

7
C’est le cas de la Metaverse Fashion Week dans laquelle les avatars des participants peuvent
interagir avec les marques présentes et les avatars des autres participants.
8
Le Bristol, célébre hôtel parisien, a annoncé la création d’un club privé dans le métavers, qui sera
réservé aux onze détenteurs de sa collection NFT.
9
“Olivier Rousteing and Elizabeth von Guttman on Balmain’s foray into virtual fashion”, Vogue
Singapour, 25 aout 2021, https://vogue.sg/balmain-nft/
Biomimicry Collection, Auroboros, Victoria and Albert Museum, Londres, septembre 2021, https://
10

www.dezeen.com/2021/11/15/auroboros-biomimicry-dress-crystalises-transforms-real-time/
11
Gucci Garden, Roblox, https://blog.roblox.com/fr/2021/05/lexperience-gucci-garden-debarque-sur-
roblox/
12
“Dolce & Gabbana just set a $6 million record for fashion NFTs”, New York Times, 4 octobre 2021,
https://www.nytimes.com/2021/10/04/style/dolce-gabbana-nft.html
13
« À l’issue de l’enchère, en plus des chaussures numériques, les heureux gagnants recevront aussi
une paire physique au cœur d’une vitrine en verre », Vogue France, 19 janvier 2022.

83
Les Métavers

l’imaginaire des créateurs de mode, qui agissent comme des aimants. Le luxe, quant à lui,
permet plus que jamais d’exprimer et démontrer une forme de réussite par l’ostentation,
tout comme de donner accès à des produits et services exhalant raffinement et volupté.
Ces caractéristiques symbolisent le fait que la fonctionnalité des objets concernés par
la mode et le luxe est un enjeu de second ordre. Ce sont l’affect et le signe qu’ils com-
muniquent qui tiennent un rôle primordial, ainsi que leur substance, qui conditionne leur
qualité dans le monde physique et prend un autre sens dans le monde digital. On peut
dès lors imaginer que du métavers, au sens le plus large, vont jaillir de toutes parts de
nouveaux objets de mode et de luxe pleinement affranchis du monde réel y compris dans
leur forme et leur usage.
Jusqu’où peut aller la virtualisation ? Elle semble illimitée, d’autant que l’image digitale
contemporaine, dans la lignée du cinéma, ne procure pas moins d’émotions qu’une scène de
la vie réelle, et qu’il a été par ailleurs démontré que les réseaux sociaux peuvent conduire
à une production d’ocytocine qui ne souffre pas de leur caractère immatériel. L’empathie
elle-même peut s’ancrer en profondeur auprès des avatars, comme en témoigne l’engoue-
ment que suscitent les stars strictement digitales, ou dans un autre registre les senti-
ments forts que les humains peuvent nourrir vis-à-vis des robots14. Et l’on peut imaginer
une virtualisation du champ concurrentiel, où la location et la seconde main verront le
jour sous une nouvelle forme, où les enjeux de propriété intellectuelle se multiplieront, où
de nouveaux acteurs pourront s’imposer dans la mode et le luxe15.
Pour autant le succès spectaculaire des marques de création et de luxe, qui n’a fait que se
conforter ces dernières années, témoigne de la permanence des valeurs qui les animent.
On ne doit pas y lire une sorte de chant du cygne ou de sursis revigorant mais éphémère,
avant que le monde physique ne s’affaisse, car l’émotionnalité, s’agissant de la mode et du
luxe comme de bien d’autres domaines, est indissociable de la sensorialité. Qu’il s’agisse
du monde physique ou du monde virtuel, celle-ci est dictée par nos cinq sens, au moins,
puisque la neuroscience contemporaine nous a demontré que les sens sont en fait beaucoup
plus nombreux. Quoi qu’il en soit et pour illustration, la combinaison de la résolution, du
sens des contrastes et du sens de la profondeur de la vision humaine, qui est aussi parti-
culière qu’elle est excellente, est loin d’être reproduite à l’identique par l’image digitale16,
les technologies haptiques ne font encore que balbutier et il en est de même pour celles
qui concernent le goût et l’odorat. Ces décalages sensoriels constituent d’ailleurs l’un des
facteurs conduisant à ce que la Fashion Week online, créée lors de la pandémie, s’est
superposée à la Fashion Week physique après le retour à la normale, alors qu’il a été dit
et écrit qu’elle s’y substituerait. Le besoin de sensations physiques s’est même encore
accru tandis que la révolution numérique s’accélérait lors de cette période, par un effet
unanimement désiré d’équilibrage des sensations qui, sinon, auraient par trop penché du
côté du digital, ce qui aurait provoqué un effet de privation sensorielle.
Le métavers a exacerbé le principe énoncé par le philosophe irlandais George Berkeley
au XVIIIe siècle, selon lequel n’existe que ce qui est perçu17. Et il est certain que la

14
Cette mutation du champ de l’altérité a été analysée en profondeur par Paul Dumouchel et Luisa
Damiano dans Vivre avec les robots ; essai sur l’empathie artificielle, Seuil, 2016.
15
Lors des Rencontres internationales de la Mode s’étant tenues en 2022 à Hyères, qui ont porté
sur le métavers et ses enjeux, dans le cadre du Festival international de mode, photographie et
accessoires, François Bourdoncle a évoqué la possibilité d’un basculement du marché issu de la
virtualisation des référents sémiologiques des objets, dont bénéficieraient les grands acteurs de la
tech, au détriment de ceux de la mode et du luxe.
16
« Le semi-flop de la première “Metaverse Fashion Week” », Le Figaro, 28 mars 2022, https://www.
lefigaro.fr/industrie-mode/le-semi-flop-de-la-premiere-metaverse-fashion-week-20220328
17
Esse est percipi aut percipere (Exister, c’est être perçu ou percevoir) est l’exacte formule de Berkeley,
qui fait pendant au cogito cartésien.

84
Enjeux numériques – Juin 2023 – N°22 © Annales des Mines

substitution du monde digital au monde physique est un fait fréquent, qui ne fera que
s’ancrer avec le temps. Toutefois, en matière de mode et de luxe comme dans bien d’autres
domaines, le corps et l’esprit ne font qu’un. L’oublier reviendrait à retomber dans l’écueil
cartésien du dualisme du corps et de l’âme18. La perspective de l’identité numérique pure
dans le métavers rappelle également l’image du fantôme dans la machine, utilisée par le
philosophe anglais Gilbert Ryle pour évoquer la représentation cartésienne d’un esprit
lévitant et d’un corps décrit comme mécanique19. En résumé, si le métavers, en accen-
tuant la fragmentation du moi20, est amené à multiplier les réalités de la mode et du
luxe, leur sens premier n’en sera pas pour autant structurellement endommagé tant il est
intimement lié à l’osmose naturelle et indépassable de la force de l’esprit et de la vitalité
sensorielle.

18
Des auteurs contemporains, au premier rang desquels Antonio Damasio et Alain Berthoz, ont
dénoncé le dualisme et reformulé la relation corps / esprit sur une base scientifique. Voir par exemple
Antonio Damasio, L’erreur de Descartes, Odile Jacob, 1995 ; et Alain Berthoz, La décision, Odile
Jacob, 2003.
19
Cette formule apparaît dans The concept of mind, publié en 1949, dont le titre français est
La notion d’esprit, Payot, 2005.
20
Elle se caractérise par l’effet proteus, qui se rapporte à la transformation du comportement d’un
individu résultant de ses avatars dans les univers virtuels. Il a été formalisé en 2007 par Nick
Yee et Jeremy Ballenson dans “The Proteus Effect: The effect of transformed self-representation on
behavior”, Human communication Research, 33, 2007.

85
Les Métavers

L’adoption du métavers :
les mondes virtuels
et l’industrie du luxe
Par Nelly MENSAH
Vice-présidente de l’Innovation numérique
et des Solutions émergentes chez LMVH

LVMH explore le potentiel des mondes virtuels pour se connecter avec les clients
et augmenter la désirabilité de ses marques. LVMH considère les mondes virtuels
comme un moyen d’attirer les jeunes générations adeptes de la technologie, ainsi
que d’établir des connexions plus émotionnelles avec les clients, le marché du
métavers étant prédit à plus de 1 billion de dollars de revenus annuels d’ici
la prochaine décennie. LVMH explore trois domaines clés dans son approche
des mondes virtuels : impliquer la prochaine génération sur des plateformes
de métavers établies et émergentes ; rendre ses propres plateformes plus
immersives ; et l’utilisation de “digital twins”. Cependant, les défis comprennent
la navigation dans le paysage réglementaire des mondes virtuels, la nécessité
de reproduire l’artisanat et l’art de la version physique au virtuel, et l’adoption
limitée de la réalité virtuelle.

Introduction
Il peut paraître surprenant que les mondes virtuels – des espaces où les utilisateurs se
rassemblent pour former une communauté – existaient avant même l’invention d’Internet.
Les premières versions de ces mondes ont vu le jour sur des réseaux informatiques locaux
dès les années 1970 avant de migrer en ligne1. Ces espaces virtuels se sont beaucoup
sophistiqués avec le temps et ont pris de nombreuses formes grâce à l’avènement d’un
Internet ultra-rapide, de téléphones portables et de technologies avancées de rendu
d’images 3D. Plus de 12 millions d’utilisateurs ont assisté à un concert de Travis Scott
dans le jeu vidéo Fortnite, et les fans de la plateforme d’avatar sud-coréenne ZEPETO
échangent quotidiennement 1,5 million d’objets numériques créés par des utilisateurs.
À la base de ces chiffres impressionnants se trouve un besoin humain fondamental de
connexion sociale, de créativité et d’expression de soi. Alors que la prochaine génération
de consommateurs natifs du numérique émerge, il est tout à fait naturel qu’ils se sentent
à l’aise au sein de communautés en ligne, tout comme ils le sont dans le monde physique.
Chez LVMH, nos maisons ont toujours compris et encouragé cet aspect de la nature
humaine. Peu importe le secteur ou l’industrie, de la mode aux vins et spiritueux, nos
marques sont expertes dans la création de moments magiques grâce à l’artisanat de
leurs produits et à la mise en scène d’expériences inoubliables. Et bien que la richesse de
­l’héritage et le savoir-faire aient toujours été dans l’ADN de nos maisons, le groupe n’est
pas étranger à l’innovation numérique. Comme pour toute technologie émergente, LVMH
est attentif à la prochaine évolution du métaverse, cherchant à trouver de nouvelles

1
https://www.deccanherald.com/special-features/the-long-history-of-virtual-worlds-1137606.html

86
Enjeux numériques – Juin 2023 – N°22 © Annales des Mines

façons de se connecter émotionnellement avec les clients actuels et futurs grâce à de


nouveaux types d’expériences et de narration. Une étude de Grayscale Research prédit
que le marché du métavers pourrait valoir plus de 1 billion de dollars de revenus annuels
d’ici la prochaine décennie2. Ces tendances indiquent un changement significatif dans le
comportement des consommateurs, avec un nombre croissant de personnes s’engageant
dans des mondes virtuels et des jeux vidéo. Par conséquent, LVMH voit les mondes
virtuels comme un moyen de se connecter avec les clients d’une nouvelle manière, et de
développer la désirabilité de la marque. Cela signifie quelque chose de différent pour
chacune des nombreuses marques de LVMH. Cependant, trois domaines clés ont émergé
dans leur approche des mondes virtuels.

Trois domaines clés


Impliquer la prochaine génération
sur les plateformes de métavers établies et émergentes
De nombreuses maisons du groupe sont très actives dans le monde du jeu vidéo. Par
exemple, Louis Vuitton a conçu des skins numériques pour League of Legends et le coffret
de transport physique pour le trophée du championnat en 2019, et Benefit Cosmetics a
lancé son propre flux sur Twitch (une plateforme de live-streaming populaire parmi les
joueurs) en 2021. Plus récemment, Bulgari a lancé une expérience sociale sur ZEPETO
en Corée, offrant aux utilisateurs la chance d’explorer une boutique Bulgari virtuelle,
­d’essayer des bijoux et même d’assister à des événements exclusifs au sein de la plate-
forme. Givenchy Beauty s’est également aventuré dans l’espace en créant un monde
dans Roblox, qui a jusqu’à présent accueilli plus de 8 millions de visiteurs. Ces dernières
entreprises montrent que les plateformes de jeu deviennent de plus en plus semblables à
des réseaux sociaux. Il est excitant de constater que le nombre de joueurs occasionnels et
de femmes joueuses est également en hausse, avec près de 50 % des joueurs aux États-
Unis s’identifiant comme femmes3. Établir une présence sur ces plateformes permet
aux marques de se connecter avec des consommateurs plus jeunes et plus technophiles,
d’aborder un nouveau public de joueurs qui apprécient le luxe et le style, et d’étendre la
portée des marques au-delà des canaux traditionnels. Cependant, l’objectif final restera
toujours de se concentrer sur la vente des produits physiques de la plus haute qualité,
artisanaux et tangibles – des produits que l’on peut toucher, que l’on peut porter, qui font
se sentir bien en les portant.

Rendre nos propres plateformes plus immersives


En plus d’explorer diverses plateformes de métavers sur le marché aujourd’hui, LVMH se
concentre également sur l’amélioration de ses propres plateformes pour créer des expé-
riences plus immersives pour ses clients. Un nombre croissant de marques et de retailers
utilisent les technologies et les compétences nécessaires pour développer une présence
dans des plateformes de métavers tierces, et les appliquent à leurs propres canaux. Cela
comprend la modélisation 3D de produits, la conception d’environnements immersifs et la
conception d’expériences « gamifiées ». Un exemple de cette tendance est le développement
d’expériences immersives autonomes surnommées « microverses », qui permettent aux
clients de s’engager avec les marques dans un niveau plus profond. Plusieurs marques de
LVMH, dont LV, Bulgari, Fendi et Hennessy, ont créé de telles expériences immersives,

2
  https://markets.businessinsider.com/news/currencies/metaverse-1-trillion-opportunity-grayscale-
virual-land-sales-decentraland-2021-11
3
  https://www.forbes.com/sites/tomokoyokoi/2021/03/04/female-gamers-are-on-the-rise-can-the-
gaming-industry-catch-up/

87
Les Métavers

certaines achetables, d’autres non, pour transporter les clients au cœur de la marque et
favoriser une connexion émotionnelle plus forte. Alors que certains de ces microverses sont
conçus pour être expérimentés à l’aide de lunettes de réalité virtuelle, d’autres peuvent
être simplement vus sur un écran standard ou avec l’aide de la réalité augmentée.
De plus, de nombreuses marques ont également créé leurs propres jeux. LV a lancé Louis
the Game, offrant aux clients une manière unique et interactive d’expérimenter la marque
Louis Vuitton. Dans ce jeu, les joueurs explorent un monde virtuel, collectent des objets
et relèvent des défis, tout en découvrant l’histoire et l‘art de la marque. Cette approche
innovante de l’engagement de la marque non seulement divertit, mais éduque également
les consommateurs sur les valeurs et le savoir-faire de la marque. Kenzo a récemment
lancé Kenzo Run sur la page d’accueil de son site web pour plaire aux joueurs occasionnels
et aux fans de la marque, le gagnant ayant le score le plus élevé étant invité à assister à
un défilé de mode à Paris.

L’utilisation de “digital twins”


L’une des avancées technologiques les plus prometteuses dans l’espace du metaverse reste
la possibilité de connecter un produit physique à son jumeau numérique dans un monde
virtuel. Des représentations virtuelles de produits physiques peuvent être utilisées pour
améliorer les expériences des clients, améliorer la traçabilité et permettre aux proprié-
taires de ces produits de montrer leur sens du style dans un métavers de leur choix4.
Avec cette approche, deux innovations supplémentaires sont nécessaires : 1) la blockchain
pour assurer l’authenticité et l’unicité de l’objet numérique ; 2) la technologie IoT pour
connecter l’objet physique à son homologue virtuel (cela pourrait être NFC, RFID ou
même un QR-code).
Une plateforme qui réunit ces deux éléments pour les marques de LVMH est le consor-
tium blockchain Aura, une initiative multi-marques visant à accroître la transparence et
l’authenticité dans l’industrie du luxe. Cette technologie renforce non seulement le lien
entre la marque et le client, mais garantit également l’intégrité de chaque produit tout
au long de son cycle de vie. Bulgari a récemment utilisé cette technologie pour sa montre
Octo Finissimo Ultra innovante qui donne aux propriétaires accès à un NFT avec un
contenu numérique exclusif ainsi qu’à des informations sur la provenance de la montre
elle-même.

Plusieurs défis
Malgré le potentiel passionnant des mondes virtuels, les marques entrant dans cet espace
doivent encore faire face à plusieurs défis.

Technologies émergentes
Bien que les leaders de l’industrie estiment que les technologies émergentes, telles que
la réalité virtuelle et la blockchain, sont essentielles à la réussite de leur entreprise, ces
technologies présentent souvent des défis d’utilisabilité, qu’il faut résoudre pour créer des
expériences utilisateurs fluides et engageantes. Par exemple, de nombreuses marques
manquent encore de l’expertise nécessaire pour créer et déployer du contenu 3D, comme
des produits, des avatars et des environnements. De plus, la plupart des plateformes de
métavers ne sont pas interopérables, obligeant les créateurs à produire plusieurs versions
du même contenu pour différents mondes virtuels, ce qui est à la fois coûteux et chrono-
phage. Avec l’avènement de l’IA générative, qui est maintenant capable de produire du

4
https://www.voguebusiness.com/technology/fashions-next-nft-use-case-pairing-them-with-nfcs

88
Enjeux numériques – Juin 2023 – N°22 © Annales des Mines

contenu de haute qualité pour les plateformes 3D et de jeu, il est probable que la création
de tels contenus deviendra plus accessible aux marques.

Adoption limitée
Pour l’instant, les mondes virtuels attirent encore principalement un public de niche, et
l’adoption de la réalité virtuelle est encore à ses débuts. Pour réussir dans le metaverse tel
qu’il est aujourd’hui, les marques doivent adapter leur stratégie pour plaire à différentes
populations, notamment des joueuses ainsi que des joueurs occasionnels, qui s’engagent
de plus en plus sur les plateformes virtuelles. Cela impliquera de créer des expériences
diverses et inclusives en phase avec ces publics. Bien que les jeux vidéo et la réalité
virtuelle ne deviendront jamais populaires auprès de tous, il est probable que la réalité
augmentée le sera. Facilement accessible depuis un téléphone, cette technologie gagne en
popularité et est susceptible d’amener plus d’utilisateurs dans le métavers.

Réglementation et protection de la marque


Comme pour toute technologie émergente, naviguer dans le paysage juridique et régle-
mentaire des mondes virtuels peut être difficile pour les marques de luxe telles que
celles de LVMH. Les marques et les entreprises souhaitant rejoindre ces espaces doivent
travailler étroitement avec des experts juridiques et des régulateurs pour garantir que
leur propriété intellectuelle et leur image de marque soient protégées dans ces nouveaux
espaces. Cela peut impliquer de collaborer avec les fournisseurs de plateformes pour
établir des lignes directrices et des bonnes pratiques pour la protection de la propriété
intellectuelle, ainsi que de surveiller activement et de traiter toute utilisation non auto-
risée des produits de la marque. En même temps, la nouvelle génération de consomma-
teurs s’attend à pouvoir collaborer avec leurs marques préférées et à co-créer avec elles.

Savoir-faire et art
Un objectif majeur pour les marques de luxe, et surtout pour les maisons de LVMH, est
de transposer leur réputation d’excellence et de savoir-faire du monde physique au monde
virtuel. Chaque métavers a son propre style esthétique et look, ainsi que son degré de
détail et de réalisme. Les marques cherchant à établir une présence dans le métavers
doivent veiller à sélectionner une plateforme qui corresponde au style de la marque, et
travailler étroitement avec les créateurs pour que le degré de savoir-faire de ses produits
numériques soit à la hauteur de la qualité de ses produits physiques.

Que se passe-t-il ensuite ?


Bien que les marques doivent encore relever de nombreux défis en ce qui concerne leur
participation aux mondes virtuels, l’engagement de LVMH en faveur de l’innovation et
de la flexibilité le place dans une position forte pour surmonter ces obstacles. À mesure
que nous avançons vers l’avenir, LVMH est impatient de continuer à explorer les possi-
bilités du métavers pour l’industrie du luxe. Au début de cette histoire, notre objectif
reste encore axé sur l’éducation et l’expérimentation, car nous croyons que développer une
culture d’apprentissage est essentiel pour réussir dans le monde virtuel.
Dans le cadre de cet engagement, le groupe organise souvent des programmes de forma-
tion et des conférences pour réunir des individus très divers, passionnés par le métavers.
En partageant les connaissances et les ressources entre nos marques, nous pouvons
collectivement libérer tout le potentiel de cet espace nouveau et excitant. Plus important
encore, il est crucial d’identifier les jeunes talents passionnés par cet espace, souvent
présents dans les écoles de jeux et de design, pour leur faire savoir que les jeux vidéo
ne sont pas la seule voie professionnelle possible maintenant que toutes les industries

89
Les Métavers

cherchent à entrer dans le métavers. En investissant dans l’éducation et le développe-


ment des talents, le groupe peut créer une base solide de professionnels qualifiés capables
de créer des produits et des expériences virtuelles qui contribuent à l’image de LVMH en
matière de savoir-faire et d’art.
De plus, nous sommes très intéressés par l’utilisation du pouvoir des NFT et de la tech-
nologie blockchain pour améliorer la propriété numérique et créer des expériences encore
plus convaincantes pour nos clients. À mesure que nous suivons l’évolution du Web3 et
de sa nature décentralisée, nous explorerons la manière dont elle peut renforcer encore
davantage nos offres dans le metaverse du luxe.
Un autre aspect prometteur des mondes virtuels est leurs applications internes, parfois
appelées « métavers industriels ». En plus de créer des expériences pour les clients, les
marques peuvent tirer parti de la technologie pour d’autres cas d’utilisation, tels que la
formation, la fabrication, et la collaboration des employés. (Gardez un œil sur les avatars
qui arrivent sur Microsoft Teams, l’entreprise déployant Microsoft Mesh auprès d’un
nombre croissant d’utilisateurs).
Enfin, nous sommes fiers de continuer à soutenir l’écosystème plus large grâce à plusieurs
initiatives. La Maison des Startups, le programme d’incubation de LVMH, héberge déjà
de nombreuses start-up axées sur les mondes virtuels. L’année dernière, nous avons lancé
une nouvelle catégorie de prix d’innovation LVMH lors de Vivatech axée sur la 3D, les
métavers et le Web3, et avons présenté au monde LIVI, notre ambassadrice virtuelle de
l’innovation. En favorisant l’innovation et en collaborant avec des start-up, nous pouvons
garantir que le métavers de luxe soit un espace dynamique et passionnant, regorgeant de
nouvelles idées et de possibilités.
Chez LVMH, nous nous efforçons de nous adapter au paysage en constante évolution
des comportements des consommateurs, et de rester en tête de l’industrie en matière
de technologies émergentes. Nous pensons que les mondes virtuels pourront permettre
aux marques d’attirer l’attention de la prochaine génération, de créer une fidélité à la
marque auprès d’un nouveau public, et de découvrir de nouvelles façons de se connecter
émotionnellement avec leurs clients.

90
Enjeux numériques – Juin 2023 – N°22 © Annales des Mines

Effet des mondes virtuels


sur l’enquête judiciaire
Par Noémie CARON
Auditrice du Conservatoire national
des Arts et Métiers (CNAM)

Les mondes virtuels amènent avec eux de nouvelles formes d’infractions et de


cybermenaces spécifiques. Ils accentuent le déséquilibre entre la toute-puissance
des géants du numérique, et la nécessité d’adapter la justice et ses institutions.
Afin d’assurer la souveraineté numérique française, le cadre légal doit s’adapter
à ces nouveaux enjeux.

Mondes virtuels :
les fondamentaux

La notion de « mondes virtuels » n’est pas nouvelle. La première référence notable à


celle-ci provient de l’ouvrage Snow Crash1 de Neal Stephenson, publié en 1992 sous le
terme de « métavers ». Certains parlent « du Monde virtuel » tandis que d’autres préfèrent
parler « des Mondes virtuels ». Comme l’utilisation du pluriel l’indique, il en existe déjà
plusieurs2 et ils ne cessent de se développer.
Malgré leur pluralité, les mondes virtuels ont des caractéristiques communes : leur per­
sistance, leur utilisation en temps réel et leur aspect immersif et social3.
Pour y accéder et y établir une présence virtuelle4, il est nécessaire d’avoir recours à
des « avatars ». Ces derniers sont définis par le dictionnaire Larousse comme étant des
« personnages virtuels que l’utilisateur d’un ordinateur choisit pour le représenter graphi-
quement, dans un jeu électronique ou dans un lieu virtuel de rencontre ». Ils permettent
d’y avoir des interactions sociales, professionnelles, commerciales ou vidéoludiques.
Les possibilités d’utilisation de ces mondes et leur mimétisme plus ou moins marqué du
monde réel en font des espaces influencés aussi bien par les enjeux du monde physique
que par de nouveaux enjeux inhérents à ceux-ci. Dont des enjeux juridiques tels que des
infractions préexistantes à l’émergence des mondes virtuels et qui s’y sont simplement
transposées, ainsi que des infractions spécifiques à ceux-ci.

1
Traduit en français par Le samouraï virtuel.
2
Tels que Horizon Worlds de Meta, Minecraft, Second Life, Roblox, Fortnite, the Sandbox,
Decentraland et ZEPETO pour les plus connus.
3
BASDEVANT A., FRANCOIS C. & RONFARD R. (2022), « Mission exploratoire sur les métavers »,
Rapport officiel édité par le ministère de la culture et le ministère de l’Économie, des finances et
de la Souveraineté industrielle et numérique, https://www.vie-publique.fr/rapport/286878-mission-
exploratoire-sur-les-metavers, p. 25.
4
INTERPOL (2022), “Technology assessment report on Metaverse”, en anglais dans le texte “virtual
presence”.

91
Enjeux juridiques et éthiques

La qualification d’infractions de faits


commis dans les mondes virtuels

En droit, une infraction est définie comme étant un « comportement actif ou passif (action
ou omission) prohibé par la loi et passible selon sa gravité d’une peine principale, soit
criminelle, soit correctionnelle, soit de police, éventuellement assortie de peines complé-
mentaires ou accessoires ou de mesures de sûreté »5. Il existe trois catégories d’infrac-
tions : les contraventions, les délits et les crimes.
Au sein des mondes virtuels, deux types d’infractions peuvent être distinguées : les infrac-
tions déjà qualifiées dans le monde physique se transposant aux mondes virtuels, et les
infractions inhérentes aux mondes virtuels.
Concernant les infractions transposées, l’enjeu est de déterminer si des actes qualifiés
d’infractions dans le monde physique le sont aussi dans les mondes virtuels. La Cour
suprême néerlandaise a par exemple qualifié pénalement le « vol virtuel » dans son arrêt
en date du 31 janvier 2012. Elle reconnaît donc qu’un item virtuel est un bien susceptible
d’être volé, et qu’un tel acte est qualifiable d’infraction même si celui-ci a été commis dans
un monde virtuel.
Cependant, toutes les infractions qualifiées dans le monde physique ne le sont pas forcé-
ment dans les mondes virtuels. Concernant les faits assimilés à des viols, l’article 222-23
du code pénal qualifie cette infraction uniquement s’il y a « pénétration sexuelle, de
quelque nature qu’il soit ou tout acte bucco-génital commis sur la personne d’autrui ou
sur la personne de l’auteur par violence, contrainte, menace ou surprise ». Pour que cette
infraction soit qualifiée, il est donc nécessaire qu’elle ait lieu dans le monde physique à
l’encontre de personnes physiques.
Les infractions inhérentes aux mondes virtuels sont, quant à elles, des infractions qui
ne peuvent être commises que dans un monde virtuel via ses outils. Dans son document
“Technology assesment report on Metavers”, Interpol parle même de darkverse.
Le darkverse fait référence à la transposition du dark web et de ses enjeux dans les
mondes virtuels. Les actes commis à l’aide du darkverse pourraient avoir des consé-
quences aussi bien dans le monde physique que dans les mondes virtuels. Il pourrait par
exemple s’agir d’utiliser les mondes virtuels comme d’un lieu de vente de marchandises
illicites livrées dans le monde physique. On peut aussi imaginer que s’y déroulent des
échanges d’éléments ayant pour objectif d’affecter les mondes virtuels, en eux-mêmes,
par des atteintes portées à leurs infrastructures, leurs logiciels ou leurs données. Il serait
opportun d’adapter le cadre légal actuel à la nature même de ces infractions.

Les enquêtes judiciaires face aux infractions


dans les mondes virtuels

Une des difficultés à laquelle doit faire face la bonne tenue d’une enquête judiciaire réside
dans la nécessité même de la constatation de l’infraction. Dans un monde virtuel, on peut
imaginer que la constatation soit opérée par des « cyberpatrouilles » des forces de l’ordre.
Cette présence virtuelle aurait aussi pour but « d’offrir aux citoyens une meilleure acces-
sibilité » aux forces de l’ordre6. Ce rapprochement des forces de l’ordre à la population

5
CORNU G. - ASSOCIATION HENRI CAPITANT (2016), Vocabulaire juridique (11e édition mise
à jour), PUF.
6
GENDARMERIE NATIONALE - SERVICE DE LA TRANSFORMATION (2022), « Pour une intel-
ligence artificielle de confiance au service de la sécurité », Cultur’IA, n°8, mars-avril.

92
Enjeux numériques – Juin 2023 – N°22 © Annales des Mines

pourrait s’appuyer sur divers outils d’intelligence artificielle ainsi que sur des chatbots
institutionnels qui permettraient par exemple aux utilisateurs de signaler rapidement
et facilement tous comportements illégaux. Ce système amènerait donc à la création
de mondes virtuels « de confiance ».
Mais la nature même des acteurs des mondes virtuels peut avoir un effet sur l’enquête
judiciaire. En effet, ces mondes sont régis par des acteurs privés. Or, le régime juri-
dique encadrant ces acteurs est mal défini. Ce sont eux qui, par les possibilités d’action
laissées par les algorithmes, permettent ou non aux utilisateurs d’agir dans les mondes
virtuels à travers les avatars. Cette toute-puissance des plateformes entraîne des enjeux
de souveraineté numérique influençant directement les processus d’enquêtes judiciaires.
Il est donc nécessaire de rééquilibrer les rapports entre ces plateformes et les acteurs
étatiques.
Pour cela, certaines obligations à l’encontre des acteurs privés ont été mises en place.
Le règlement européen “Digital Services Act” (DSA) et les articles 6 et suivants de la
Loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN) leur imposent de signaler aux
forces de l’ordre toute infraction qu’elles auraient été amenées à repérer en conséquence
de l’exécution de leur obligation de modération fixée par les mêmes textes.
Concernant la tenue des enquêtes, la section II du second protocole additionnel à la
Convention de Budapest contient des dispositions concernant la divulgation, par les
acteurs privés envers les forces judiciaires étatiques, de données relatives aux abonnés7,
au trafic8 ou au contenu9. Ces données sont d’une importance capitale pour les enquêtes,
car elles permettent d’obtenir des informations sur l’utilisateur, les caractéristiques de
ses communications ainsi que leur contenu.
Les enquêtes relatives aux infractions se déroulant dans des mondes virtuels porteraient
sur l’étude de preuves numériques. Aux enjeux traditionnellement attribuables à ce type
de preuves s’ajouteraient ceux causés par la nature même de l’espace de commission de
l’infraction.
Les mondes virtuels fonctionnent à l’aide de nombreux terminaux susceptibles de
contenir des preuves numériques utiles au bon déroulé de l’enquête. On pourrait donc
imaginer que les enquêteurs aient accès aux données enregistrées par les casques de
réalité virtuelle par exemple, c’est-à-dire, les flux vidéo et sonores enregistrés dans le laps
de temps proche de celui de la commission de l’infraction. Si l’exploitation de ces données
ne s’avérait pas concluante, il serait aussi imaginable d’utiliser les données haptiques
et biométriques enregistrées. L’analyse des données biométriques, que ce soit sur les
terminaux de l’auteur de l’infraction ou sur ceux de la victime, pourrait aussi permettre
d’obtenir des éléments sur l’état d’esprit des protagonistes, et éventuellement déduire un
préjudice psychologique. Cette possibilité reste toutefois à nuancer face au cadre régis-
sant le traitement des données mis en place par le RGPD10.
Il serait aussi envisageable d’adapter les techniques spéciales d’enquête à ce nouvel
espace. Celles-ci permettraient aux forces de l’ordre d’enquêter sous de fausses identités,
voire de se faire passer pour des mineurs dans le but de repérer de potentiels pédocrimi-
nels sévissant dans ces nouveaux espaces.

7
Définition à l’article 18 de la Convention de Budapest.
8
Définition à l’article 1 de la Convention de Budapest.
9
Dispositions de l’article 21 de la Convention de Budapest.
10
Règlement général sur la protection des Données (RGPD).

93
Enjeux juridiques et éthiques

La personnalité juridique
de l’avatar

Pour qu’un acte soit qualifié d’infraction, il faut que l’entité l’ayant commis bénéficie d’une
personnalité juridique lui conférant la capacité d’être un sujet actif de droit. La reconnais-
sance d’une personnalité juridique à une entité permet donc de la sanctionner.
Or, pour pouvoir qualifier d’infractions certains actes commis dans les mondes virtuels
par le biais d’avatars, il faut reconnaître à ceux-ci une certaine forme de personnalité
juridique. Toutefois, un avatar ne peut pas bénéficier de la même personnalité juridique
que celle attribuée aux personnes physiques, car, par principe, un avatar n’en est pas une.
Il est néanmoins envisageable de leur reconnaître une sorte de personnalité juridique
propre obtenue via l’extension de la personnalité juridique de leur utilisateur. Un cadre
légal spécifique à cette personnalité virtuelle11 pourrait ainsi être institué. La reconnais-
sance d’une telle personnalité juridique induirait donc la possibilité de sanctionner les
actes qualifiés d’infractions commis à travers l’utilisation d’un avatar.
Selon le modèle de personnalité juridique retenu, il pourra être considéré que l’infrac-
tion est commise par l’avatar ou via celui-ci. On comprend donc que, si l’hypothèse de
la création d’une personnalité juridique propre à l’avatar est retenue, il sera question
de sanctionner l’avatar en lui-même. À l’inverse, si la personnalité juridique affiliée à
l’avatar n’est qu’une extension de celle de son utilisateur, il sera alors question de sanc-
tionner l’utilisateur. Cependant, le fait de sanctionner un avatar peut aussi amener à
sanctionner son utilisateur12.
L’avatar n’étant qu’un outil pour l’utilisateur, sans existence, libre arbitre ou auto-
nomie propre, c’est donc à son l’utilisateur d’être sanctionné. Cela pose problème, car
de nombreuses situations rendent complexes l’identification même de l’utilisateur d’un
avatar et donc l’attribution d’une sanction à celui-ci. En cas d’anonymat de l’utilisateur
ou bien de partage de l’avatar entre plusieurs personnes par exemple. Ou encore dans
l’hypothèse d’un contrôle de l’avatar par une intelligence artificielle, en l’absence de l’uti-
lisateur, pour le bon déroulé des actions en temps réel prenant place dans ces mondes
virtuels.

Conclusion
L’étude de l’effet des mondes virtuels sur les enquêtes judiciaires amène à constater la
nécessité des acteurs publics de s’imposer face aux acteurs privés via l’adaptation du
cadre législatif. On comprend que l’affirmation de la souveraineté numérique étatique ne
pourra se faire qu’à travers des partenariats avec les acteurs privés du secteur qui sont
en position majoritaire dans le domaine.
Afin de bénéficier de mondes virtuels respectant totalement la souveraineté numérique
étatique ainsi que le principe de l’autonomie des enquêtes judiciaires, la création de
mondes virtuels étatiques est aussi envisagée. À l’image de la proposition du président de
la République française, Emmanuel Macron, de créer un métavers européen respectant
les normes juridiques européennes.

11
BOULANGER Q. (2022), « Étude juridico-technique d’un phénomène en hypercroissance : le
Métavers », La plume DJCE, édition 5, février.
12
Si l’avatar est placé dans une sorte de prison virtuelle par exemple. Ce qui empêcherait l’utilisateur
d’y avoir accès.

94
Enjeux numériques – Juin 2023 – N°22 © Annales des Mines

Bibliographie
BASDEVANT A., FRANCOIS C. & RONFARD R. (2022), « Mission exploratoire sur
les métavers », Rapport officiel édité par le ministère de la Culture et le ministère de
l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, https://www.
vie-publique.fr/rapport/286878-mission-exploratoire-sur-les-metavers, p. 25.
BOULANGER Q. (2022), « Étude juridico-technique d’un phénomène en hypercroissance :
le Métavers », La plume DJCE, édition 5, février.
CHAVENT-LECLERE A.-S. (2013), « Le droit pénal dans les mondes virtuels », in
DELABRE G. (éd.), Le droit dans les mondes virtuels, Philosophie et économie, Larcier,
première édition, pp. 39-48.
COMMISSION EUROPEENNE (2022), « Le plan de l’Europe pour prospérer dans le
métavers », déclaration disponible sur le blog du Commissaire Thierry Breton, septembre,
Bruxelles, https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/statement_22_5525
CORNU G. - ASSOCIATION HENRI CAPITANT (2016), Vocabulaire juridique,
(11e édition mise à jour), PUF.
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mondes virtuels, Philosophie et économie, Larcier, première édition, pp. 15-25.
ELKAIM J., SAND C. & SABER S. (2022), « Métavers : réflexions prospectives, propriété
intellectuelle, fiscal et pénal », LEXISNEXIS SA revue pratique de la prospective et de
l’innovation, n°1, avril.
FOURNIE P. (2022), « La protection des droits de la personnalité sur le métavers », Revue
Lamy Droit de l’Immatériel LAMYLINE, n°191.
FREYSSINET E. (2003), « La preuve numérique, un défi pour l’enquête criminelle du
21e siècle », Lavoisier, Les Cahiers du numériques, 4(3-4), pp. 205-217.
GENDARMERIE NATIONALE - SERVICE DE LA TRANSFORMATION (2022), « Pour
une intelligence artificielle de confiance au service de la sécurité », Cultur’IA, n°8,
mars-avril.
INTERPOL (2022), “Technology assessment report on Metaverse”.
LATIL A. (2013), « La diffamation dans les univers virtuels », in DELABRE G. (éd.),
Le droit dans les mondes virtuels, Philosophie et économie, Larcier, première édition,
pp. 49-60.
LEPAGE X. & DE LA METTRIE A. (2022), « Métavers : enjeux, perspectives… et risques »,
Association SERVIR- Alumni de l’ENA et de l’INSP, n°515, juin-juillet.
VADILLO F. (2018), « Techniques d’enquête numérique judicaire : les défis d’une survie
dans la modernité », Annales des Mines – Enjeux numériques, n°3, septembre.

95
Enjeux juridiques et éthiques

Enjeux juridiques
et éthiques posés
par les mondes virtuels
Me Corinne THIERACHE
et Me Caroline LEROY-BLANVILLAIN
Avocates au Barreau de Paris
Et Hanna LE DERRIEN
Élève-avocate EFB
Cabinet ALERION AVOCATS

Les enjeux sociaux, politiques, économiques, juridiques, mais avant tout,


éthiques, que soulève le développement des métavers et autres mondes virtuels
témoignent de la porosité croissante entre la vie réelle des êtres humains et la
vie virtuelle de leurs utilisateurs.

Depuis l’avènement d’Internet dans les années 1990, le numérique a révolutionné notre
rapport à l’autre. Ce changement de paradigme s’est opéré par un phénomène de virtua-
lisation et d’amplification des échanges, d’ubiquité et d’universalité de leurs effets. Après
le Web 1.0 des années 1990 qui permettait simplement de connecter les usagers à des
sites Internet, et le Web 2.0 qui a marqué l’émergence des blogs et des réseaux sociaux
dans les années 2000 en permettant l’interconnexion des usagers entre eux, le web évolue
vers de nouveaux usages en instaurant un Internet immersif dans lequel les internautes
deviennent proactifs, appelé le Web 3.0. Il s’agit ainsi d’un Web décentralisé, constitué
de mondes virtuels interconnectés utilisant la réalité virtuelle, la réalité augmentée et
l’intelligence artificielle (ci-après « IA »).
Un monde virtuel, également appelé « métavers »1, est un monde créé artificiellement par
un logiciel, conçu et partagé par des individus afin qu’ils puissent interagir, sous forme
d’avatars, dans un monde simulé et personnalisé. Le monde virtuel peut imiter le monde
réel, avec ses lois physiques telles que la gravité, le temps, le climat, la géographie, ou
tout au contraire être régi par d’autres lois.
Il existe deux types de mondes virtuels : les premiers sont fondés sur le divertissement,
les seconds sur l’interaction sociale :
• Dans les mondes de jeux virtuels, les utilisateurs jouent via leurs avatars et ont un
objectif à atteindre : conquête du monde, victoire dans des batailles, etc. Ces mondes
virtuels sont des MMOG – “massively multiplayer online game” – et représentent la
majorité des mondes virtuels qui existent aujourd’hui (ex. : EverQuest, Les Sims, Eve
Online, World of Warcraft, etc.).
• Les mondes sociaux virtuels, quant à eux, simulent le monde réel et offrent aux
utilisateurs une expérience plus ouverte, où ils sont libres de leurs objectifs, tels
que l’exploration de paysages, la pratique de sports d’aventure, la socialisation avec
des communautés, la participation à des débats ou à des expériences politiques, la

1
« Métavers » signifie étymologiquement « au-delà de l’univers ».

96
Enjeux numériques – Juin 2023 – N°22 © Annales des Mines

participation à des sessions éducatives, la formation dans un environnement simulé,


et d’innombrables autres possibilités virtuelles (ex. : Komity, Second Life, IMVU,
Mamba Nation, Active Worlds, Horizon Worlds, Decentraland, The Sandbox, etc.).
« Le monde numérique envahit et redéfinit tout ce qui nous est familier avant même que
nous ayons eu le temps de réfléchir et de décider »2. En effet, la numérisation de nos vies
nous pousse urgemment à une réflexion continue et évolutive afin d’identifier les valeurs
et les normes que nous souhaitons protéger, sans jamais considérer comme acquises les
technologies qui s’imposent aujourd’hui à la vie humaine.
Consciente des enjeux sociaux, économiques et environnementaux que ces mondes virtuels
impliquent, la Commission européenne a développé sept principes éthiques permettant
de définir une IA digne de confiance3 :
• les systèmes d’IA doivent respecter les droits fondamentaux, sans restreindre ou
dévoyer l’autonomie humaine ;
• les algorithmes de l’IA doivent être suffisamment sûrs, fiables et robustes pour gérer
les erreurs ou incohérences des systèmes ;
• les citoyens doivent avoir la maîtrise totale de leurs données personnelles, et les
données les concernant ne doivent pas être utilisées contre eux à des fins préjudi-
ciables ou discriminatoires ;
• la traçabilité des systèmes d’IA doit être assurée ;
• les systèmes d’IA doivent promouvoir la diversité, la non-discrimination et l’équité ;
• ils doivent être utilisés pour soutenir des évolutions sociales positives, et renforcer la
durabilité et la responsabilité écologique ;
• des mécanismes pour garantir la responsabilité à l’égard des systèmes d’IA et de
leurs résultats doivent être mis en place.
À l’instar de l’IA, les mondes virtuels, dont le principal objectif est l’immersion totale de
l’utilisateur, soulèvent des enjeux éthiques majeurs aux conséquences juridiques impor-
tantes, qu’il convient d’analyser afin d’appréhender et de réglementer convenablement
ces nouveaux mondes virtuels qui s’ouvrent à nous.

Les enjeux relatifs à la gouvernance


des mondes virtuels

Lors de l’avènement du web dans les années 1990, d’aucuns promettaient un univers
nouveau dans lequel la liberté était la règle, quand d’autres alertaient sur le pouvoir
grandissant des intermédiaires techniques qui écrivaient les codes sources régulateurs
d’Internet. Aujourd’hui, le développement des mondes virtuels remet au centre des débats
la question de la gouvernance de tels mondes.
En 1999, Lawrence Lessig écrivait Code is Law, ouvrage dans lequel il expliquait que
sur Internet, les comportements étaient régulés, non par les normes juridiques, mais
par l’architecture technique du web telle que dessinée par les éditeurs des codes sources.
Cette réalité s’applique également aux mondes virtuels dans lesquels l’éditeur, qui est
généralement une entreprise privée, crée le code source. En effet, c’est le code source
lui-même qui va déterminer l’environnement du métavers, sa temporalité, les actions

2
ZUBOFF S. (2020), The Age of Surveillance of Capitalism (traduit de l’anglais).
3
COMMISSION EUROPÉENNE (2019), « Renforcer la confiance dans l’Intelligence artificielle axée
sur le facteur humain », 8 avril.

97
Enjeux juridiques et éthiques

possibles, ou encore, l’imagerie de l’avatar qui est le reflet virtuel de la personne réelle qui
l’utilise. En d’autres termes, le code source détermine l’entièreté de l’univers dans lequel
l’utilisateur va s’immerger. L’utilisateur n’a aucun droit de regard sur l’élaboration de ce
monde, tandis que l’éditeur y est « tout-puissant »4.
Cette absence totale de contrôle pour l’utilisateur est renforcée par l’unique source de
droit, d’origine contractuelle, qui régule l’utilisation d’un métavers. Plus précisément,
les seules dispositions contraignantes émanent des « toutes-puissantes » conditions géné-
rales d’utilisation (ci-après « CGU ») et des contrats de licence de l’utilisateur final (ou
« CLUF »), rédigés par les éditeurs du monde virtuel. Ces contrats reflètent nécessaire-
ment la vision du monde voulue et imaginée par ses créateurs, et en cela ils sont aussi
intéressants sur la philosophie voulue pour le métavers qu’importants quant à l’usage
que l’utilisateur consent d’en faire. S’agissant de contrats d’adhésion, tels que définis à
l’article 1110 du Code civil, ils sont composés d’« un ensemble de clauses non négociables,
déterminées à l’avance par l’une des parties ». De fait, lorsque l’utilisateur souhaite se
connecter au monde virtuel, il est obligé d’accepter l’ensemble des clauses des CGU et des
licences rédigées arbitrairement et unilatéralement, sans négociation possible.
Ainsi, la réalité du monde virtuel est telle que l’entreprise privée, éditrice du code source
et rédactrice des dispositions juridiques applicables, contrôle, de manière absolue, le
monde dans lequel les utilisateurs se connectent.
Cette perte d’autonomie de l’utilisateur, non seulement contraire aux préconisations déve-
loppées ci-avant par la Commission européenne, est également problématique puisque la
vie virtuelle représente aujourd’hui une part importante de la vie réelle des utilisateurs5.
Parallèlement, les utilisateurs revendiquent une plus grande protection de leurs droits
et de leurs créations dans les mondes virtuels, notamment s’agissant de la protection de
leur avatar, afin de se prémunir en particulier de toute suppression de compte décidée
unilatéralement par l’éditeur. Une suppression du compte équivaudrait en effet parfois
à supprimer l’existence virtuelle de l’utilisateur, ce qui peut être vécu de manière très
violente par l’utilisateur et peut entraîner des conséquences considérables, qu’elles soient
psychologiques, personnelles ou encore économiques – lorsque l’utilisateur est une entre-
prise qui a créé un magasin virtuel au sein du métavers. Transposé au monde réel, le droit
à l’existence virtuelle pourrait s’apparenter au droit fondamental à la vie qui protège
l’individu contre tout risque pour sa vie.
Dès lors, dans un monde où la vie devient de plus en plus numérique, la reconnaissance
de droits fondamentaux pour l’être virtuel permettrait de garantir le respect d’un socle
minimal de droits fondamentaux dans les mondes virtuels, et de rééquilibrer les pouvoirs
en présence.

Les enjeux concernant la sanction


des comportements illicites virtuels

En mai 2022, une chercheuse, qui effectuait des recherches pour le compte de l’ONG
SumOfUs dans Horizon Worlds, a révélé avoir été victime d’un viol numérique dans une
salle virtuelle privée, commis par un autre utilisateur, devant d’autres avatars qui obser-
vaient la scène. Cette agression a eu un impact réel sur la victime puisque ses manettes
vibraient dès que l’agresseur virtuel la touchait. À cet effet, la société Meta, éditeur du
Métavers Horizon Worlds, a mis en place un espace vital infranchissable autour des

4
LAVERDET C. (2020), Aspects juridiques des mondes virtuels, Thèse de droit, Université
Paris II-Panthéon-Assas, 4 mai.
5
GENSOLLEN M. (2007), L’économie réelle des univers persistants : Vers une propriété virtuelle ?

98
Enjeux numériques – Juin 2023 – N°22 © Annales des Mines

avatars afin d’éviter que les autres ne s’approchent de trop près ou tentent d’agir de
manière déplacée.
Ce témoignage révèle que les comportements criminels et délictuels ne sont pas cantonnés
au monde réel, mais peuvent aussi être commis dans les mondes virtuels et produire des
conséquences dommageables réelles pour la victime. Au sujet du cyberharcèlement sur
Internet, le président du tribunal correctionnel de Paris, qui jugeait la fameuse « affaire
Mila », avait savamment résumé : « Le réseau social, c’est la rue. Quand vous croisez
quelqu’un dans la rue qui vous déplaît, vous vous interdiriez de l’insulter, de le menacer,
de le moquer. Ce que vous ne faites pas dans la rue, ne le faites pas sur les réseaux
sociaux ». Cette métaphore est également transposable aux mondes virtuels.
Dès lors, pour sanctionner pénalement de tels actes, il est nécessaire, dans un premier
temps, de qualifier juridiquement ces infractions. Une infraction est juridiquement
constituée de trois éléments essentiels, qu’il est nécessaire de réunir pour pouvoir retenir
la qualification pénale correcte :
• l’élément légal : l’infraction n’existe que si elle est prévue par un texte ;
• l’élément matériel : l’infraction sera constituée lorsque la personne aura commis un
certain comportement ;
• l’élément moral : l’auteur du comportement réprimé doit avoir agi avec intention.
Appliquons ce principe aux faits de viol numérique commis dans le métavers d’Horizon
Worlds, tels que décrits dans les développements précédents. Juridiquement, cette quali-
fication pénale ne saurait être retenue par les tribunaux français. En effet, l’article 222-23
du Code pénal définit le viol comme : « Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque
nature qu’il soit, ou tout acte bucco-génital […] ». L’élément matériel de cette infraction
est la pénétration sexuelle ou l’acte bucco-génital. Or, la vibration des manettes ressentie
par la victime ne pourrait a priori pas s’apparenter à de tels actes.
De la même façon, pour qu’il y ait tentative de viol, il aurait fallu que l’utilisateur eut
cru à la possible réalisation de son acte. Là encore, il est difficile de croire que l’utili-
sateur n’avait pas conscience de l’impossibilité matérielle de l’acte initié virtuellement.
Ainsi, sans nier le ressenti traumatique vécu par la chercheuse, qui témoigne avoir été
désorientée et perturbée par ce crime virtuel, force est de constater que l’on se heurte
au principe d’interprétation stricte de la loi pénale : la qualification de viol ne pourrait
être retenue dans le monde réel, faute de réunir les éléments constitutifs de l’infrac-
tion. La solution serait identique pour la qualification d’agression sexuelle, au sens de
l’article 222-22 du Code pénal, qui serait écartée faute de pouvoir caractériser l’élément
matériel qui impose un contact physique.
Toutefois, rien n’empêche d’envisager que d’autres infractions pénales, qui ne nécessitent
pas de contact physique, puissent être retenues, telles que l’exhibition sexuelle, le harcè-
lement sexuel, ou bien l’incitation à la débauche lorsqu’un mineur est concerné. Enfin,
lorsque l’utilisateur qui se dit victime d’une atteinte virtuelle subit un traumatisme
psychologique réel, il pourrait être possible de qualifier l’infraction de violence volontaire.
Une fois l’acte virtuel qualifié pénalement, il est nécessaire, dans un second temps, de
prouver la commission de cet acte et de rechercher l’identité de l’agresseur afin d’obtenir
une condamnation. Dans le monde virtuel, chaque action effectuée est tracée et marquée
par la production de données. De même, pour les enquêteurs et les victimes, il pourrait
être opportun d’exploiter ces données afin de récolter des éléments de preuve.
Outre l’utilisation des données de connexion, les métavers offrent aujourd’hui la possi-
bilité de collecter des données d’identification des utilisateurs particulièrement précises
et intrusives telles que le mouvement du corps, les expressions faciales, l’iris de l’œil ou

99
Enjeux juridiques et éthiques

la voix6. Or de telles données biométriques sont qualifiées de sensibles par l’article 9 du


RGPD7, dont le traitement est par principe interdit, et qui supposent donc un traite-
ment particulièrement encadré lorsqu’il est possible. En conséquence, les opérateurs du
métavers devront recueillir le consentement exprès, libre, et spécifique de l’utilisateur
dont les données sensibles sont collectées, et expliquer précisément la finalité d’un tel
traitement, par principe attentatoire à la vie privée de l’utilisateur concerné.

Les enjeux de la protection


des créations importées
dans les mondes virtuels

Avec le développement croissant des mondes virtuels qui offrent des opportunités écono-
miques nouvelles, beaucoup d’entreprises ont annoncé leur arrivée dans ces environne-
ments numériques.
En effet, de plus en plus d’entreprises sont désormais prêtes à vendre leurs produits
virtuels de marque dans les métavers sous forme de non-fungible tokens (ci-après
« NFT »). À cet égard, le 1er janvier dernier, la 12e version de la Classification de Nice est
entrée en vigueur créant des « fichiers numériques téléchargeables authentifiés par des
jetons non fongibles (NFT) » en classe 9. Ainsi, les libellés des marques vont être adaptés
pour assurer une protection efficace dans le monde virtuel : les marques devront désigner
les programmes informatiques (classe 9), les services de magasins de vente au détail
concernant des produits virtuels (classe 35), les services de divertissement (classe 41), les
produits virtuels non téléchargeables en ligne et NFT (classe 42), et les services financiers
y compris les jetons numériques (classe 36). À titre d’exemple, les sociétés Nike ou Louis
Vuitton ont déjà effectué des nouveaux dépôts de marques aux États-Unis et au sein de
l’Union européenne dans les classes pertinentes. À noter que, concernant la marque de
renommée, celle connue par une partie significative du public, la désignation des classes
pertinentes pour les mondes virtuels ne sera pas requise.
Il arrive cependant que certaines entreprises ne souhaitent pas que leurs marques soient
présentes dans les métavers. C’est le cas, par exemple, de la société Hermès, qui estime
incompatible la vente de produits virtuels avec son image de marque fondée sur la qualité
matérielle de ses produits. À cet effet, la société, victime de contrefaçon de son célèbre
sac Birkin, repris à l’identique sous forme de NFT – les « MetaBirkins » – et vendus pour
plusieurs dizaines de milliers de dollars, a récemment obtenu gain de cause aux États-
Unis. Le tribunal de Manhattan a reconnu la contrefaçon de la marque Hermès commise
dans le métavers8.
De fait, il est possible d’envisager l’application des dispositions de contrefaçon dans les
mondes virtuels dès lors que trois conditions, posées par l’article L. 713-2 du Code de la
propriété intellectuelle, sont réunies : (1) l’usage doit être fait dans la vie des affaires ;
(2) à titre de marque ; et (3) doit générer un risque de confusion dans l’esprit du public.
Pour les mondes virtuels de divertissement, la deuxième condition n’est pas systéma-
tiquement remplie, car la marque est souvent reproduite pour un usage « artistique »,
tandis que dans les mondes virtuels sociaux, la marque est davantage reproduite à titre
de marque. Ainsi, dans les premiers mondes virtuels, la contrefaçon sera écartée, alors
qu’elle sera retenue dans les seconds.

6
PLANQUE J.-C. & JOMBART J. (2023), Quand l’avatar se met à verser dans la délinquance !,
LexisNexis, Droit pénal, n°1, janvier.
7
Règlement général sur la protection des données (UE) 2016/679 du 27 avril 2016.
8
Tribunal fédéral de Manhattan (traduit de l’anglais : District Court of Manhattan), décision du
8 février 2023.

100
Enjeux numériques – Juin 2023 – N°22 © Annales des Mines

Par ailleurs, les sociétés exploitant les métavers, assimilées à des plateformes au sens
du “Digital Services Act”9, sont soumises au régime juridique légal applicable aux héber-
geurs. À ce titre, elles bénéficient de la responsabilité allégée reconnue aux hébergeurs,
qui les dispense de toute obligation de surveillance générale des informations qu’elles
transmettent ou stockent, tant que le contenu illicite ne leur a pas été notifié. Dès lors
qu’ils ont connaissance du contenu litigieux, les métavers auront l’obligation d’agir
promptement pour retirer le contenu ou rendre l’accès à celui-ci impossible, sous peine de
voir leur responsabilité engagée.
Par ailleurs, la qualification juridique de plateforme a vraisemblablement pour consé-
quence l’application de l’article 17 de la directive DAMUN10 aux mondes virtuels s’il est
reconnu que ces plateformes sont des fournisseurs de services de partage de contenus
en ligne. Ainsi, dès lors que les utilisateurs organisent dans les métavers des concerts, à
l’instar du rappeur américain Travis Scott ou de la chanteuse Billie Eilish, ou d’autres
expositions artistiques, celles-ci pourraient être qualifiées de « service de communication
au public en ligne ». De fait, la plateforme, à l’origine du métavers, devra respecter les
dispositions de l’article 17 de la directive DAMUN : conclure une licence contractuelle
pour la mise à disposition des contenus. Elle sera, en outre, soumise à une obligation de
surveillance dans le cas où le contenu est diffusé sans autorisation, par dérogation au
régime de responsabilité allégée des hébergeurs.

Conclusion
Au-delà des enjeux éthiques qu’il nous faut étudier et appréhender, la fusion du virtuel
et du réel créée par les métavers offre d’innombrables opportunités pour l’avenir. Grâce à
l’utilisation de lunettes de réalité augmentée ou de casques de réalité virtuelle, les profes-
sionnels pourront profiter de ces plateformes pour développer de nouvelles pratiques et
tester de nouveaux produits ou services avant de les créer dans le monde réel. À titre
d’exemple, la société Boeing, spécialisée dans la construction aéronautique, a d’ores
et déjà annoncé vouloir utiliser le métavers pour accélérer et simplifier la production
d’avions en construisant une réplique numérique de ses engins dans un métavers afin
d’effectuer des simulations. De la même façon, le club de football Manchester City a créé
une réplique virtuelle du stade Etihad Stadium, et souhaite intégrer les avatars de ses
joueurs et de ses fans, afin d’inciter les fans à participer activement aux activités de
l’équipe et donner vie à de nouvelles formes d’engagement des fans avec leurs joueurs
préférés. Enfin, dans le domaine médical, le métavers pourrait jouer un rôle non négli-
geable dans le perfectionnement de la formation des praticiens via la réalité augmentée
et virtuelle en créant un nouvel environnement éducatif, à travers lequel les étudiants
pourront explorer l’anatomie humaine sous toutes les coutures grâce à un hologramme.
De la même façon, en chirurgie, il serait possible de réaliser des simulations immersives
au plus proche de la réalité afin de rendre les procédures médicales plus fiables et plus
rapides.
Aujourd’hui, les possibilités offertes par les métavers n’ont de limite que l’imagination
humaine et la régulation éthique.

9
Règlement relatif à un marché unique des services numériques (UE) 2022/2065 du 19 octobre 2022.
10
Directive sur le droit d’auteur dans le marché unique du numérique (UE) 2019/790 du 17 avril
2019, transposé par l’ordonnance n°2021-580 du 12 mai 2021 notamment aux articles L. 137-1 et
suivants du CPI.

101
Enjeux juridiques et éthiques

Bibliographie
BASDEVANT A., FRANCOIS C. & RONFARD R. (2022), « Mission exploratoire sur les
métavers », octobre.
COMMISSION EUROPEENNE (2020), « Livre Blanc : Intelligence artificielle, Une
approche européenne axée sur l’excellence et la confiance », 19 février.
DE BOISDEFFRE M., RAYNAUD F. & GROSSET M. (2022), « Nous devons penser les
réseaux sociaux de demain », AJDA, p. 1812.
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et Avenir, novembre, https://www.sciencesetavenir.fr/high-tech/web/le-fantasme-d-un-
monde-virtuel-parallele_159243
ELKAIM J. (2022), « Métavers, droit d’auteur et données personnelles : vers une alchimie
numérique », LexisNexis, Revue pratique de la prospective et de l’innovation, n°2, novembre.
ELKAIM J., SAND C. & SABER S. (2022), « Métavers : réflexions prospectives, propriété
intellectuelle, fiscal et pénal », LexisNexis, La Semaine juridique, n°11, 17 mars.
FAVREAU A. (2022), « Métavers et propriété intellectuelle », Propriété industrielle n°6,
étude 12, juin.
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virtuel », Revue pratique de la prospective et de l’innovation, novembre.
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intellectuelle et métavers », Propriété industrielle, n°7-8, juillet.
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wipo.int/wipo_magazine/fr/2022/01/article_0006.html
PLANQUE J.-C. (2019), « Agressions sexuelles - La répression du « cyber-viol » : simple
adaptation ou prémices d’une révolution des concepts pénaux ? », Droit pénal n°2, étude 4,
février.
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quance ! Mondes virtuels, infractions et réalités pénales », LexisNexis, Droit pénal, n°1,
janvier.
VAMPARYS X. (2020), « L’ambition européenne d’une IA éthique, durable et centrée
sur l’humain », Revue Internationale de la Compliance et de l’Éthique des Affaires, n°4,
comm. 149, août.
VIVANT M. (2019), « Nouvelles frontières, nouvelles technologies : nouveau droit ? »,
Revues des Juristes de Sciences Po, n°17, juin.

102
Enjeux numériques – Juin 2023 – N°22 © Annales des Mines

L’éthique, frein
aux innovations et
interfaces numériques ?
Par le Dr Laure TABOUY
PhD. Neuroscientifique et éthicienne, Équipe Éthique et épistémologie,
CESP-INSERM U1018, Espace éthique de l’APHP de l’Île-de-France,
Université de Paris-Saclay

La période que nous vivons actuellement en 2023 est palpitante. Si l’innovation


technologique apparait comme un nouvel eldorado, l’éthique est en train de se
faire une place au cœur des stratégies de l’innovation, des entreprises et des
recherches. Le défi est d’apprendre à surfer sur la vague de l’innovation et de la
technologie, et de créer des opportunités qui changeront notre vie quotidienne, tout
en admettant qu’il faille anticiper les dérives de leurs usages. L’accélération des
innovations rend indispensable une réflexion sur les enjeux sociétaux, éthiques
et juridiques liés à leurs conceptions et leurs élaborations, à leurs usages, leurs
finalités et leurs conséquences. La conception de garde-fous interdisciplinaires,
de systèmes d’évaluation et de suivi, mais également de systèmes d’encadrement
et de répressions, ainsi que la définition d’une gouvernance adaptée aux valeurs
sociologiques, éthiques et juridiques des différents pays, émergent actuellement
en France, en Europe et dans le monde entier. Mais dans toutes ces initiatives
et réflexions, la pièce maitresse qui tient l’ensemble est, à mon sens, la place que
prend l’éthique dans ce puzzle, car elle va permettre une meilleure acceptabilité
des interfaces numériques, tout en invitant toutes les parties prenantes et tous
les acteurs, des inventeurs jusqu’aux utilisateurs, à se positionner eux-mêmes
face à ces innovations.

Quelles problématiques
les innovations et interfaces numériques
posent-elles aujourd’hui ?
La période que nous vivons actuellement en 2023 est palpitante, excitante par les possi-
bilités et progrès qu’elle ouvre, mais aussi peut désarçonner et quelque peu inquiéter,
comme le montrent les derniers avis, cris d’alarmes et recommandations de l’ONU, de
l’UNESCO et de l’OCDE depuis 2019. Il est tout de même raisonnable de reconnaitre
que la transformation numérique et l’arrivée d’innovations d’IA offrent aux entreprises
de nouvelles opportunités de marché et des avantages certains. Comme développer son
activité professionnelle, augmenter la rentabilité de l’entreprise, favoriser une expérience
utilisateur d’une plus grande qualité par l’exploitation des données collectées, encourager
les collaborations ou encore améliorer les communications en ciblant directement le
public concerné.
Mais à l’heure du metaverse et des réalités virtuelles et augmentées qui s’immiscent dans
notre vie quotidienne personnelle et professionnelle, à l’heure des robots humanoïdes et

103
Enjeux juridiques et éthiques

d’une nouvelle version d’intelligence artificielle (IA) conversationnelle comme ChatGPT,


encore plus performante que celle de novembre 2022, à l’heure des neurotechnologies
non invasives et des algorithmes de plus en plus puissants, qui va prendre le pouvoir
sur l’homme ? Cette question quelque peu décalée et osée reflète pourtant l’ampleur
des ­questionnements sous-jacents aux innovations et aux interfaces numériques. Car
la vitesse à laquelle ces innovations se déploient maintenant représente un risque pour
la démocratie, pour de nombreux emplois, et pourrait aggraver les inégalités entre les
individus, les pays et les cultures.
Il devient évident que le monde d’après, que nous imaginions en mars 2020, lors du
premier confinement de la crise sanitaire de la Covid-19, sera celui de la data, de l’IA, des
neurosciences et des neurotechnologies, donc de l’innovation numérique et technologique.
Mais ce monde d’après gardera-t-il une âme humaine ? Quel impact cela aura-t-il sur
l’espèce humaine, sur chacun des êtres humains ? Que signifie être « un être humain » au
temps des interfaces numériques, des neurosciences et de l’IA ?
Dans un contexte international sous haute tension, l’OCDE a adopté, en mars 2023, une
recommandation sur les enjeux de l’identité numérique (OECD, 2023), reconnaissant que
ce système pourrait simplifier les interactions, permettre la personnalisation des services,
et réduire le risque d’erreur et de fraude. Ce positionnement d’ouverture est intéressant,
car il oblige à se poser d’autres questions mettant l’éthique au centre de tout le système.
Comment construire un monde respectueux de la vie humaine et de l’être humain, alors
que les nouvelles technologies investissent massivement tous les champs de nos vies ?
Quelles questions éthiques aussi vastes qu’exigeantes, les entreprises, les chercheurs,
les dirigeants, les citoyens vont-ils être amenés à se poser, les invitant immédiatement à
réfléchir aux enjeux de responsabilité, d’intégrité et de dignité humaine, d’autonomie, de
bienfaisance ?
Le développement d’outils numériques très miniaturisés et plus puissants, facilite
l’émergence de l’intelligence artificielle, l’expansion d’algorithmes, et leur convergence
avec les progrès des neurosciences. Miniaturiser ces technologies ouvre des possibilités
d’innovations, permettant à l’IA de prendre l’ampleur. Ces interfaces numériques et tech-
nologiques offrent un champ des possibles quant aux usages dans tous les domaines de
la société : comme la recherche, la médecine et la santé humaine (Silva, 2018 ; Rainey et
Erden, 2020 ; Surianarayanan et al., 2023), mais aussi les jeux, la défense, le monde du
travail, le recrutement, la finance, le marketing et le commerce, le luxe et le bien-être.
Les recherches progressent à une vitesse si vertigineuse, qu’elles rendent indispensables
les réflexions sur les enjeux sociétaux, éthiques et légaux qu’elles soulèvent, ainsi que sur
la conception interdisciplinaire de certifications, de normes, d’autorisations, de systèmes
d’évaluation, de surveillance et de cadres de gouvernance qui soient adaptés aux valeurs
sociologiques, éthiques et juridiques de la France et de l’Europe.
Le metaverse (Fernandez et Hui, 2022), les interfaces numériques (Tsamados et al., 2021 ;
Marcello Ienca, 2020), les neurotechnologies (Salles et al., 2019), les réalités virtuelles et
augmentées (Slater et al., 2020 ; Meske et Amojo, 2020) mettent en tension les conceptions
de ce qu’est l’être humain en tant que personne autonome, libre et responsable, et les
conséquences de leurs utilisations sur l’identité humaine et la société. Ils transforment la
conception que nous avons de notre identité, notre perception du monde, de nous-même
et de notre relation aux autres. Leurs développements appellent à une « vigilance éthique
face au risque d’atteinte à l’intégrité psychique et d’entrave à la liberté de pensée » (By-sa,
2020).
Il est également intéressant de souligner que la place de l’imaginaire et de la science-fiction
est centrale dans leurs élaborations et leurs développements, posant l’inévitable question
de quel monde voulons-nous et construisons-nous pour demain. Le philosophe Hans Jonas

104
Enjeux numériques – Juin 2023 – N°22 © Annales des Mines

avait déjà verbalisé cette inquiétude en 1984, dans son livre Le principe de responsabilité1
(Jonas, 1984). Inquiétude que nous pouvons poser par ces simples questions : quel monde
allons-nous transmettre aux générations futures ? Est-ce que c’est prendre soin de ce
futur que de se jeter dans l’innovation sans réfléchir aux conséquences ?

L’éthique peut-elle être


la pierre angulaire de tous ces défis ?
Et d’ailleurs, qu’est-ce que l’éthique ?
Cela n’a échappé à personne que l’éthique est en train de devenir, en 2023, au cœur des
stratégies de l’innovation, des entreprises et des recherches.
Pour qu’une innovation soit acceptée et crédible sur la scène nationale et internationale
de l’économie de marché, et pour qu’elle puisse se faire une place au cœur de ce « TGV en
ultra grande vitesse » mondialisé des innovations numériques et technologiques, elle se
doit d’être fiable, rigoureuse, responsable, transparente et de confiance.
De plus, pour que ces interfaces numériques puissent accélérer la transition vers une
société plus responsable et plus durable, il est essentiel de diffuser une culture éthique au
sein de chaque département et de chaque service des entreprises, qui soit en accord avec
les valeurs que celles-ci veulent incarner et défendre. Cette juste protection des innova-
tions permet aux entreprises et aux acteurs des parties prenantes de continuer à être,
sur le plan national et international, des acteurs influents majeurs de la valorisation et
du transfert vers la société des innovations dans toutes leurs dimensions. Il en va de la
confiance que nos concitoyens accordent et vont continuer à accorder aux entreprises, à
l’État, aux chercheurs, mais aussi de la souveraineté qu’a la France dans l’écosystème des
innovations au niveau international.
Le défi est donc d’apprendre à surfer sur la vague de l’innovation et de la technologie
tout en admettant qu’il faille anticiper les dérives de leurs usages. Mais pour cela, il
faut comprendre ce qu’est véritablement l’éthique et quelle place va-t-on lui donner dans
l’entreprise et dans l’innovation. Car il est évident qu’en 2023, cette discipline n’est pas
encore suffisamment formalisée dans les gouvernances de toutes les entreprises.
Elle doit s’appliquer sur et s’impliquer dans toutes les chaines de valeur de l’entreprise,
et devenir une partie prenante à part entière pouvant intervenir dans l’ensemble des
processus, de l’élaboration jusqu’à la commercialisation en passant par le développement,
la gestion et la coordination de la mise en œuvre du projet.
Or, pour que l’éthique puisse prendre toute sa place, il faut au préalable clarifier les termes,
car une confusion trop importante avec la morale, ne lui permet pas d’être ce qu’elle est
véritablement. L’éthique et la morale renvoient toutes les deux à l’idée de mœurs, l’une
provenant du latin mores, l’autre, du grec ethos. Elles renvoient à une dimension impor-
tante des actions humaines, visible dans des situations de la vie courante. En français,
on utilise le mot ethos pour parler d’une façon d’agir propre à un groupe d’individus, d’un
code de conduite qu’il ne serait pas même nécessaire de transcrire car manifeste (Ricoeur,
1990).
Si l’on veut les distinguer, la morale se réfère à un ensemble de valeurs et de principes
qui permettent de différencier le bien du mal, le juste de l’injuste, l’acceptable de l’inac-
ceptable, et auxquels il faudrait se conformer. C’est l’ensemble des principes de jugement

1
JONAS H. (1998), Le principe de responsabilité, une éthique pour la civilisation technologique,
Paris, Flammarion, collections Champs, 450 p.

105
Enjeux juridiques et éthiques

et de conduite qui s’imposent à la conscience individuelle ou collective, comme fondés sur


les impératifs du bien.
Alors que l’éthique n’est pas un ensemble de valeurs ni de principes en particulier, comme
l’est la morale. Il s’agit d’une réflexion argumentée en vue du bien-agir, partant de la
culture commune d’une entreprise, d’un pays ou d’un peuple. Elle va proposer de s’inter-
roger sur les valeurs morales et les principes moraux qui devraient orienter nos actions,
dans des situations singulières provoquant des questions liées à un conflit de valeurs à un
moment précis, dans le but d’agir conformément à ceux-ci.
Or l’éthique et la morale vont se répondre et dialoguer, lorsque l’une ou l’autre est en
tension, c’est la sagesse pratique selon Paul Ricoeur (Svandra, 2016). Une visée éthique
est selon lui « le mouvement même de la liberté qui cherche une vie bonne, dans la sollici-
tude envers autrui et dans un juste usage des institutions sociales ».
Donc réfléchir sur les enjeux éthiques du numérique, des innovations, de l’IA, des
données, des neurotechnologies nécessite de s’interroger et de s’ouvrir à la démarche du
questionnement de nos actions. Une telle réflexion permet alors de poser factuellement
les choses, et peut se faire à différents niveaux, certains plus fondamentaux et d’autres
plus pratiques et opérationnels.
Penser éthique, c’est pouvoir se poser, impliquant une prise de recul. C’est entrer dans les
méandres des dilemmes qui s’imposent à nous, pour essayer de « tricoter et détricoter »
et peser les arguments du plus juste positionnement. Une telle réflexion est essentielle
à l’innovation responsable qui requiert un temps de réflexion pour que sa concrétisation
dans la société soit sûre et respectueuse des valeurs universelles des droits de l’homme,
des principes de dignité, de bienfaisance, d’autonomie, de responsabilité, de liberté de
penser et de choix, et ce en prenant appui sur l’engagement volontaire des entreprises et
des utilisateurs pour en assurer sa réussite.

Pour créer une technologie,


une innovation de confiance,
quelle place pour le respect de la vie privée,
de la personne humaine, de la dignité
et de la vulnérabilité humaine ?
Les neurosciences modifient nos conceptions philosophiques et éthiques traditionnelles
construites à partir de la base biologique de notre comportement, en apportant des infor-
mations sur le fondement biologique de notre comportement moral, nos pensées, nos
décisions, nos goûts, nos positions, nos fragilités et nos prédispositions.
Elles mettent en question le concept juridique du libre arbitre, donc de la base de la
responsabilité juridique, et interrogent sur la notion de consentement et les finalités des
recherches, mais également sur la vulnérabilité, l’intérêt et la sécurité de la personne et
de la nation, qui doivent être au cœur de ces questionnements éthiques du numérique.
La vulnérabilité nous permet d’entrer en relation avec autrui. C’est une leçon d’humilité,
la comprendre permet de prendre soin de l’autre dans une juste relation d’interdépen-
dance, en assumant une autonomie relationnelle. Ce qui est en jeu, c’est la confidentialité
de ce que nous sommes en tant qu’être humain singulier qui doit être et rester au centre
des enjeux éthiques du numérique et des données.
Donc le défi pour la société, les entreprises, la recherche, est vertigineux. Il est de faire
une place significative à l’éthique au sein des organisations, des directions, et en amont
des projets et des investissements, afin qu’elle puisse les accompagner jusqu’à leurs
termes, diminuant ainsi les risques de contentieux légaux et sociétaux. Le défi est de

106
Enjeux numériques – Juin 2023 – N°22 © Annales des Mines

rendre opérationnelle l’éthique, tout en lui laissant ce qui la caractérise qui est la place
à la réflexion, à l’échange, à la discussion, à la controverse, au doute. C’est finalement
envisager l’éthique comme pivot réflexif entre l’intégrité scientifique, donc une démarche
normative, et la responsabilité sociale, qui est une démarche sociétale et politique
(Coutellec et Weil-Dubuc, 2019 ; Coutellec, 2019).
Pour cela, il faut réunir les conditions d’un questionnement ensemble, de telle sorte que
cela permettre à chacun de : 1) déplacer son regard, 2) de faire un pas de côté, 3) de
prendre de la hauteur et du recul, 4) de relire, 5) de s’approprier et se réapproprier sa
capacité de penser et d’analyse, son esprit critique, 6) d’avoir l’envie d’agir dans le sens
qui lui semble juste.
Pour résumer, l’éthique va donc favoriser une démarche d’intelligence collective, rendant
possible la composition des savoirs et des perspectives de tous projets, en considérant
leurs spécificités et leurs singularités. Cette démarche a un potentiel vertueux et structu-
rant, en invitant à la réflexion et à l’échange, afin d’améliorer les processus, les pratiques
et les approches responsables des projets d’innovation, car avec le numérique, il va être
de plus en plus difficile d’être dans la réactivité face à un problème éthique. Les problé-
matiques éthiques et juridiques vont devenir insolubles si on ne les traite pas en amont
de la conception des technologies numériques. L’éthique va permettre d’être proactifs et
d’accompagner de manière positive l’innovation, et non pas de brimer ses potentiels ni de
la freiner.
Finalement, ce qui est enthousiasmant, c’est que le numérique ouvre de nouveaux champs
d’action de l’éthique, en la dirigeant vers une éthique de l’usage, une éthique appliquée,
embarquée, impliquée, citoyenne et de terrain, faisant le lien avec la réflexion et la philo-
sophie, qui ouvre un éventail de plus en plus large et diversifié aux actions humaines pour
qu’elles soient en cohérence avec les libertés et droits fondamentaux.
L’« éthique by design » (Fischer, 2019) qui se dessine au cœur des organisations est
­l’approche d’une éthique appliquée et embarquée dans la réalité du terrain des entre-
prises dès la conception et l’élaboration des innovations et des projets afin qu’ils intègrent
des dimensions responsables et respectueuses de l’intégrité et de la dignité de l’être
humaine et de l’espèce humaine. Sa spécificité est qu’elle s’insère dans le concret des
projets, en tant que partie prenante de ce dernier, dès le départ, complétant et travaillant

Image générée à l’aide du logiciel Midjourney par Laure Tabouy (D. R.).

107
Enjeux juridiques et éthiques

ainsi avec la “privacy by design”. Car l’arrivée du numérique fait émerger des questions
éthiques sans précédent en lien avec des questions juridiques, puisqu’il génère à lui seul
un appareil normatif qui peut avoir un impact aussi considérable qu’une loi d’un pays,
voire davantage lorsqu’il est mondial. Le but est donc d’intégrer des valeurs et des prin-
cipes similaires à ceux des êtres humains dès la conception des interfaces numériques
et technologiques. Cela se traduit par une réflexion éthique, qui se concrétise ensuite
techniquement.
Opérationnaliser l’éthique demande donc d’être imaginatif et créatif dans la mise en œuvre
de cette problématique en l’intégrant dans le concret de l’entreprise et qui sera empreinte
des valeurs et de la culture de chacune d’entre elle et des pays où elle implantée. Un des
exemples est la mise en œuvre des recommandations de l’OCDE de 2019 sur les neuro-
technologies en France par l’inauguration d’une charte nationale des neurotechnologies
responsables le 17 novembre 2022. Cette charte propose d’accompagner l’innovation
sans être une contrainte pour les entreprises et la recherche. Elle est un exemple concret
­d’application de l’éthique dans le domaine du numérique.

L’éthique de l’anticipation à travers


l’exemple des neurotechnologies

Favoriser l’usage du numérique et des interfaces numériques, le partage et la réutilisa-


tion des données, s’interroger sur les modèles économiques de valorisation de celles-ci,
faire confiance à l’innovation sont des enjeux cruciaux, dont l’attractivité de la France
dépend. L’intérêt suscité par le numérique et les investissements qui y sont consacrés a
conduit à la naissance de nombreuses entreprises et à de nombreux projets de recherche
français, européens et internationaux visant à faire progresser la connaissance.
C’est le cas de la recherche en neurosciences. Lire dans les pensées, décrypter les rêves,
communiquer et écrire par les pensées, télécharger le cerveau dans un ordinateur… Ce
monde, qui relève de la science-fiction, est à nos portes. Il est même déjà là, et il m’inter-
roge. Est-ce qu’il est souhaitable que nos pensées et nos intentions soient à la portée de
tous ?
Par la convergence des approches moléculaires et cellulaires avec des recherches neuro-
physiologiques et cognitives plus intégrées et l’informatique, l’IA, les recherches qui
visent à comprendre la structure et le fonctionnement du cerveau sont accompagnées du
développement d’innovations numériques et de techniques d’exploration du cerveau : les
neurotechnologies ou interfaces cerveau-machine.
La charte française des neurotechnologies responsables2 (MESRI et al., 2022), inaugurée
en 2022 et l’OCDE à travers sa recommandation n°0457 de 2019 (OCDE, 2019) ont défini
les neurotechnologies comme « des dispositifs et des procédures utilisés pour accéder au
fonctionnement ou à la structure des systèmes neuronaux de personnes naturelles et
permettant de les étudier, de les évaluer, de les modéliser, d’exercer sur eux une surveil-
lance ou d’intervenir sur leur activité ». Elles permettent de réaliser des interventions
d’une grande précision, de moduler les circuits neuronaux associés aux facultés cognitives
et comportementales afin d’agir ou de contrôler l’une ou l’autre de ces facultés. Elles sont
développées au sein de laboratoires académiques et d’entreprises, et déjà commercialisées
auprès d’un public en bonne santé.
À la vue de la progression à une vitesse vertigineuse des innovations, c’est autour de la
nécessité de s’accorder sur une éthique appliquée et embarquée aux neurotechnologies

2
   https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/fr/presentation-de-la-charte-francaise-de-
l-innovation-responsable-en-neurotechnologies-87967

108
Enjeux numériques – Juin 2023 – N°22 © Annales des Mines

et à l’IA que se construit la neuroéthique, ou une neuroethics by design. Ces recherches


permettent aujourd’hui de modéliser la notion d’intelligence au cœur même de la notion
d’humanité. Ce qui m’interroge, car l’utilisation d’une sémantique empruntée aux neuro­
sciences entretient dans la société le fantasme d’une IA véritablement intelligente, à la
hauteur de l’intelligence humaine. À l’heure où bon nombre annoncent que ces innova-
tions sont sur le point d’acquérir une conscience, pourraient être capables de raisonne-
ments, d’adaptabilité et de ressentir des émotions, certains posent la question d’accorder
des droits aux innovations technologiques similaires aux humains. À l’heure actuelle,
les machines n’ont pas les capacités d’adaptation des êtres humains. Il est donc encore
possible de distinguer l’intelligence humaine de l’intelligence artificielle, mais pour
combien de temps ?
Est-ce éthiquement justifié de leur accorder de tels droits ? Qu’appelle-t-on une machine
consciente et intelligente ? Qu’en est-il de la responsabilité qu’elles pourraient endosser ?
Quels risques d’abus possible qui pourraient être juridiquement sanctionnables ? Quelle
distinction entre la conscience et l’intelligence humaine et artificielle ? Comment les
définir ?
Dans une société où la nécessité économique domine, ces machines sont porteuses
d’espoir, mais leur capacité à influencer ou manipuler les personnes est inquiétante. Une
frontière très poreuse entre les utilisations médicales et non médicales, comme le bien-
être, les jeux, le travail, le neuromarketing, le luxe, les RH, les finances, interroge, avec
des objectifs et des investissements différents.
Le perfectionnement des technologies sur le marché mondial et la convergence de l’IA et
des neurosciences favorisent le développement de neurotechnologies plus miniaturisées,
plus efficaces et plus puissantes, l’arrivée de plateformes collaboratives, et la mise en
place de cloud international. Cette convergence rend de plus en plus possible le dévelop-
pement d’innovations proches de celles imaginées dans la littérature de science-fiction.
Effectivement, des algorithmes, de l’IA et l’apprentissage automatique permettent de
traiter les données cérébrales capturées. Ils convertissent les ondes cérébrales en signaux
numériques qui peuvent ensuite être utilisés pour du neurofeedback. Quels sont les
enjeux de cette convergence ? Les informations générées par les algorithmes sur l’activité
cérébrale et la manière dont ils produisent des connaissances et des idées exploitables
interpellent.
La mise en lumière des potentiels et des limites des neurotechnologies remet au centre des
préoccupations l’éthique de l’anticipation de celles-ci. En s’interrogeant sur le champ des
possibles, à l’aide de la philosophie et la littérature de science-fiction, il est intéressant de
penser et de comprendre comment prendre soin du présent et du futur, sans contraindre
la promesse d’une innovation utile et prometteuse3 (Coutellec et Weil-Dubuc, 2019).
Anticiper les futurs, c’est davantage s’interroger sur le champ de possibilités qui s’ouvre
lorsque l’on se défait de certains tropismes technologiques. Prises dans l’anticipation
projective de la compréhension du cerveau pour enrichir les capacités cognitives et
émotionnelles des machines, quelles questions éthiques émergent de la science-fiction et
des technologies en cours ?
Cette question met un coup de projecteur sur la place de l’anticipation et de la prédiction,
qui sont centrales dans l’élaboration des neurotechnologies et des interfaces numériques.
Les recommandations de l’OCDE de 2019, de l’UNESCO en 2021 (Unesco, 2022) et

3
COUTELLEC L., JOLIVET A., MOSER S. J., & WEIL-DUBUC P. (éd.) (2019), Le futur de la santé :
Pour une éthique de l’anticipation, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, doi : 10.4000/
books.editionsmsh.16727

109
Enjeux juridiques et éthiques

2023 (Unesco, 2023), mais aussi la charte française des neurotechnologies, inaugurée le
17 novembre 2022, ouvrent d’ailleurs la porte à ces questionnements.
La littérature, depuis Jules Verne, les films et aussi les jeux vidéo regorgent d’idées pour
de futures utilisations des interfaces numériques. Il est donc indispensable de se pencher
sur leur pouvoir de création en analysant les scénarios. Car la question de l’opérationna-
lisation de l’éthique se pose pour que ces innovations soient adaptées aux valeurs socio-
logiques, éthiques et juridiques de la France et de l’Europe. Et la science-fiction reflète
parfois ces valeurs.
En perspective, il faut privilégier la liberté d’innover en intégrant dans le processus dès
la conception des innovations l’éthique, en faisant d’elle une alliée et une partie prenante
de tous projets et de toutes innovations.
« C’est prendre soin de la santé du présent et de notre façon d’y être attentif sans
contraindre l’espérance d’un futur meilleur. C’est finalement remettre au centre des
préoccupations une éthique de l’anticipation comprise comme éthique de notre façon de
prendre soin du futur » (Coutellec et Weil-Dubuc, 2019).
Et vous, chers lecteurs, après ce petit intermède sur l’éthique, comment ces sujets, ces
innovations, ces questionnements, ces réflexions vous parlent et viennent vous chatouiller,
vous titiller, vous toucher, vous bousculer ou vous engager ?

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Enjeux numériques – Juin 2023 – N°22 © Annales des Mines

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111
Hors Dossier

Le baromètre du numérique -
édition 2022
Par Michel SCHMITT et Matthias de JOUVENEL
Conseil général de l’Économie (CGE)

Le baromètre du numérique est un sondage récurrent qui porte sur les


équipements et usages numériques des Français. Nous présentons ici un certain
nombre de résultats de l’édition 2022 de ce baromètre. Les soixantenaires sont
devenus internautes au même niveau que les plus jeunes, et l’équipement en
objets connectés continue sa croissance rapide, que ce soit dans la sécurité,
l’électroménager ou la santé. Les usages qui ont progressé lors du confinement
continuent dans la durée et montrent ainsi leur adoption. Le numérique
devient de plus en plus indispensable : plus de 60 % des personnes interrogées
affirment ne pas pouvoir se passer d’Internet plus d’une journée, en particulier
de messagerie.

Qu’est-ce que le baromètre du numérique ?


Il s’agit d’un sondage récurrent sur les équipements et les usages numériques des particu-
liers en France. Il a été lancé par le Conseil général de l’Économie (CGE) en 2000, rejoint
successivement par l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes
et de la distribution de la presse (Arcep) en 2003, par l’Agence nationale de la cohésion
des territoires (ANCT) en 2016 et enfin par l’Autorité de régulation de la communication
audiovisuelle et numérique (ARCOM) en 2022. Chaque partenaire oriente le baromètre
sur les thèmes spécifiques liés à son champ de compétences. Ainsi, le CGE se concentre
sur les usages.
En 2022, l’enquête a été réalisée par le Credoc en ligne et par téléphone. Une enquête
flash par téléphone auprès de 1 000 personnes a permis de déterminer la proportion de
la population ne disposant pas d’une connexion Internet à domicile, donc moins suscep-
tible de répondre à un sondage en ligne. L’échantillon complet compte 4 184 personnes
résidant en France métropolitaine, dont 163 personnes de 12 à 14 ans (interrogées par
Internet), 573 personnes de plus de 18 ans ne disposant pas de connexion Internet à leur
domicile (interrogées par téléphone) et 3 448 personnes de plus de 15 ans (interrogées par
Internet). Les résultats ont été redressés selon l’âge, le sexe, la catégorie socio-profession-
nelle, le niveau de diplôme, la taille d’agglomération et la région.
Le questionnaire (79 questions en 2022) est composé d’un squelette stable dans le
temps (taux d’équipement en téléphone fixe, téléphone mobile, smartphone, ordinateur
à domicile, Internet à domicile, accessibilité), des focus particuliers à chaque année
ainsi que des questions à fréquence variable, selon l’actualité (télétravail, déconnexion,
empreinte environnementale des téléviseurs…).
Le rapport d’analyse complet comprend 349 pages en raison de la richesse du question-
naire. L’ensemble des documents (présentation utilisée lors de la conférence de presse1,

1
Conférence de presse du 30 janvier 2023 en présence de Jean-Noël Barrot, ministre délégué chargé
de la Transition numérique et des Télécommunications.

112
Enjeux numériques – Juin 2023 – N°22 © Annales des Mines

dossier de presse, infographie et la captation vidéo de la restitution) sont disponibles sur


le site du CGE2. Toutes les données de l’enquête sont accessibles sur la plateforme ouverte
des données publiques françaises3.
Dans cet article, nous mettons en lumière un certain nombre de résultats marquants de
l’édition 2022 du baromètre du numérique. Ce choix des thèmes reflète plus particulière-
ment les préoccupations du CGE en termes d’usages numériques.

Réseaux et équipements numériques


L’effort de déploiement de la fibre continue sa progression rapide et dépasse en 2022
l’ADSL (respectivement 56 et 39 % en 2022, contre 39 et 54 % en 2020). Néanmoins, des
différences territoriales persistent, puisque cette part n’est encore que de 34 % dans le
monde rural contre 72 % dans l’agglomération parisienne.
En ce qui concerne les équipements utilisés quotidiennement, après une décroissance
continue de l’ordinateur, qu’il soit fixe ou portable, au profit du smartphone, l’ordina-
teur retrouve un usage renouvelé à partir de 2020 (47 % en 2019 ; 62 % en 2022). Cette
croissance importante s’interprète par le confinement et l’essor du télétravail avec de
nombreuses visioconférences, plus confortables sur un écran d’ordinateur que sur un
écran de smartphone. Téléphones fixes et tablettes restent globalement constants sur les
cinq dernières années.

Figure 1. Évolution des utilisateurs quotidiens des différents équipements


(Champ : ensemble de la population de 12 ans et plus,
en % d’utilisateurs quotidiens).

Les nouveaux équipements progressent rapidement : l’enceinte connectée (31 % en 2022


contre 22 % en 2020 et 9 % en 2019) et les objets connectés (40 % des personnes sont
équipées d’au moins un objet connecté en 2022 contre 33 % en 2020). Les objets relatifs à
la santé sont les plus répandus (24 %), les objets relatifs à la sécurité se diffusent le plus
rapidement (+ 7 points en deux ans). Une majorité des 12-39 ans est déjà équipée et les
intentions d’équipement en objets connectés s’accroissent.

2
https://www.economie.gouv.fr/cge/barometre-numerique-2022
3
https://www.data.gouv.fr/fr/datasets/barometre-du-numerique/

113
Hors Dossier

Figure 2. « En dehors des téléphones, enceintes, télévisions et consoles de jeux, on peut disposer
à domicile d’objets connectés à Internet grâce à une technologie sans fil de type montre connectée,
électroménager connecté, thermostat, sécurité, etc. Par rapport à ces objets, aujourd’hui,
quelle est votre situation ? » (Champ : ensemble de la population de 12 ans et plus, en %).

Enfin, l’usage des casques de réalité virtuelle, équipements essentiels pour le métavers, a
émergé rapidement. Un Français sur cinq a déjà testé un casque de réalité virtuelle (7 %
possèdent un casque, 14 % ont déjà essayé), 19 % n’ont pas encore essayé mais aimeraient
le faire.

Les Français presque tous internautes


La proportion d’internautes dans la population est stable par rapport à 2020, à 92 %. Les
moins de 70 ans sont internautes à plus de 96 %. Seule une partie des personnes âgées de
plus de 70 ans reste éloignée d’Internet, l’élan de la crise sanitaire (71 % d’internautes en
2020 contre 58 % en 2019 dans cette tranche d’âge) est retombé.

Figure 3. Pourcentage d’internautes selon l’âge


(Champ : ensemble de la population de 12 ans et plus, en %).

La tranche d’âge qui évolue le plus de 2020 à 2022 est celle des 60-69 ans, passant de 81 %
d’internautes en 2019 à 96 % en 2022.
De nombreux équipements numériques comportent des écrans. Ainsi, en moyenne, les
Français passent 32 heures par semaine à regarder un écran. Le nombre moyen d’heures
passées à regarder la télévision sur un poste de télévision est en baisse, à 17 heures par

114
Enjeux numériques – Juin 2023 – N°22 © Annales des Mines

semaine dans l’ensemble de la population (19 heures en 2020). À l’inverse, le temps passé
à regarder des vidéos sur Internet atteint 8 heures en moyenne par semaine (6 heures en
2020). Ces usages sont très corrélés à l’âge.

Figure 4. Les plus âgés passent le plus de temps devant leur poste de télévision
(Champ : ensemble de la population de 12 ans et plus, en %).

Internautes pour quels usages ?


Achats en ligne
La crise sanitaire a relancé les achats en ligne et leur fréquence continue d’augmenter.
Un Français sur deux achète en ligne au moins une fois par mois. Ces tendances sont
corroborées par les chiffres de la FEVAD4.

Figure 5. « Pour vos achats de biens uniquement, quelle est la fréquence de vos achats
et donc de vos livraisons ? » - Évolution depuis 2016 (Champ : ensemble de la population
de 12 ans et plus ayant fait un achat sur Internet au cours des douze derniers mois, en %).

4
Selon le bilan 2022 de l’e-commerce français, le commerce en ligne a atteint 146,9 milliards d’euros
de chiffre d’affaires en 2022, en progression de 13,8 % sur un an.

115
Hors Dossier

La réservation d’hôtels ou de taxis, la commande d’un repas se font de manière prépondé-


rante au travers de plateformes, montrant le niveau d’ubérisation de l’économie.

Figure 6. « Il existe, sur Internet, de plus en plus de plateformes en ligne


(par exemple Deliveroo, Uber ou Airbnb) qui permettent à l’utilisateur d’accéder
à une offre de biens et de services sans s’adresser directement au professionnel
qui va prendre en charge ce service. Vous, personnellement, pour les services suivants,
vous recourez auquel le plus souvent ? » (Champ : ensemble des internautes de 12 ans
et plus ayant une connexion Internet fixe à domicile, en %).

Cette question a été posée pour la première fois et ne permet donc pas encore de dégager
la dynamique de ce phénomène.

Réseaux sociaux
L’usage des réseaux sociaux refluent à 62 %, un peu au-dessus du niveau de 2019 (60 %),
après le pic d’usage en 2020 (67 %) lors de la crise sanitaire. Le graphique ci-dessous
montre les disparités d’usage selon l’âge, la taille du foyer, le niveau de diplôme et la
localisation géographique.

Figure 7. Pic de participation à des sites de réseaux sociaux au cours


des douze derniers mois observé en 2020 dans certaines catégories
(Champ : ensemble de la population de 12 ans et plus, en %)

116
Enjeux numériques – Juin 2023 – N°22 © Annales des Mines

Travail et numérique
Le recours à Internet pour chercher un emploi augmente légèrement (32 % contre 30 % en
2020), et atteint 83 % chez les actifs au chômage (contre 76 % en 2020).
Les personnes qui télétravaillent au moins occasionnellement sont positives sur ses
bénéfices : 85 % estiment que le télétravail a un effet positif sur leur vie personnelle,
et 78 % sur leur vie professionnelle. Pourtant, 66 % des personnes en emploi déclarent
avoir utilisé des outils numériques pour des raisons professionnelles en dehors de leurs
horaires et lieux de travail habituels (c’est-à-dire le soir, le week-end, en vacances, dans
les transports, à domicile), 39 % le faisant régulièrement.

Jeux vidéo
En moyenne, les Français jouent à des jeux vidéo sur un équipement numérique 6 heures
par semaine (10 heures par semaine pour les joueurs). Six personnes sur dix indiquent
aujourd’hui jouer à des jeux vidéo, pris au sens large, en intégrant tous les types de jeux,
qu’ils soient accessibles sur smartphones, ordinateurs ou consoles. Le plus souvent seul
(40 %), en ligne avec d’autres joueurs (18 %), cette proportion dépendant fortement de
l’âge. Le téléphone / smartphone constitue le principal équipement utilisé pour jouer aux
jeux vidéo. Le smartphone a élargi le public des joueurs : 47 % des femmes jouent à des
jeux sur leur smartphone (55 % des hommes). 58 % des 40-59 ans et 28 % des 60-69 ans
ouvriers (59 %), employés (59 %) et les cadres (61 %) ou les professions intermédiaires
(60 %).

Figure 8. « À quelle fréquence jouez-vous à des jeux vidéo ? »


(Champ : ensemble de la population de 12 ans et plus, en %).

Quelle confiance dans le numérique ?


La confiance dans les informations relayées par des particuliers sur les réseaux sociaux
s’est fortement accrue depuis 2017 (41 contre 26 %). Cette hausse est largement portée
par les plus jeunes et les jeunes adultes, alors que les plus de 70 ans sont 13 % à avoir
confiance (- 2 points). Les diplômés du supérieur font presque autant confiance que les
non-diplômés.

117
Hors Dossier

Figures 9 et 10. « Avez-vous confiance dans les informations relayées sur les réseaux sociaux ? »
(Champ : ensemble de la population de 12 ans et plus, en %).

Pourtant, les informations relayées au travers des réseaux sociaux font question au
regard des violentes contestations des résultats des élections au Brésil et aux États-Unis,
facilitées par les réseaux sociaux. La crise sanitaire a été l’occasion d’une vague de désin-
formation amplifiée sur les réseaux sociaux.

La révolution numérique
Au regard du taux d’équipement en téléphones mobiles (95 % en 2022 contre 94 % en 2017)
ou de la part des internautes (92 % en 2022 contre 88 % en 2017), la révolution numérique a
déjà eu lieu. D’ailleurs, la majorité de la population (58 %) ne peut plus se passer d’Internet
plus d’une journée, alors qu’Internet ne manquait pas à la majorité (61 %) avant plus d’une
semaine en 2011. La messagerie est le service dont il est le plus difficile de se passer. Les
12-39 ans citent davantage les contenus vidéo, les réseaux sociaux et les jeux vidéo.

Figure 11. « Combien de temps pouvez-vous vous passer d’Internet sans que ça vous manque ? »
(Champ : internautes de 12 ans et plus, en %).

118
Enjeux numériques – Juin 2023 – N°22 © Annales des Mines

Figure 12. « Quels sont les deux services d’Internet dont vous auriez
le plus de mal à vous passer ? » (Champ : internautes de 12 ans et plus, en %).

Depuis 2013, le numérique a rempli les « temps morts » au détriment des pratiques non
numériques. Que ce soit dans les transports en commun, dans une voiture, en attente
d’une autre personne ou d’un rendez-vous, une part croissante de la population navigue
sur Internet (70 contre 30 %), regarde des vidéos (50 contre 13 %) ou joue à des jeux vidéo
(47contre 23 %) ; au contraire, une part décroissante de la population lit un livre ou un
journal papier (53 contre 63 %), discute avec d’autres gens autour (71 contre 77 %) ou
observe ce qui les entoure (87 contre 94 %).

Figure 13. Activités pratiquées pour occuper les « temps morts »


(Champ : ensemble de la population de 12 ans et plus
ayant une connexion fixe à domicile, en %).

119
Hors Dossier

Et quand on rencontre des problèmes ?


La moitié de la population n’a pas de difficultés avec les outils numériques et informa-
tiques (40 contre 31 % en 2019) ou se débrouille seule (11 contre 9 % en 2019). Un petit
tiers (29 contre 35 % en 2019) demande de l’aide à quelqu’un de son entourage. Face aux
difficultés, seule une minorité de la population abandonne (5 %) ou n’y a jamais recours
(7 contre 11 % en 2019).

Figure 14. « On peut rencontrer des difficultés quand on utilise des outils
informatiques et numériques : ordinateur, Internet, smartphone, tablette.
Quand vous rencontrez une difficulté de ce type, que faites-vous ? »
(Champ : ensemble de la population de 18 ans et plus, en %).

En guise de conclusion
Nous avons cherché à illustrer les résultats du baromètre du numérique pour son
édition 2022 et les mettre en perspective avec les résultats des éditions précédentes.
Nous sommes loin d’avoir épuisé les ressources de cette enquête. La base de données
complète permet de croiser différentes modalités et de mettre en lumière des corrélations
permettant d’avancer des explications. D’autres points ont été abordés, en particulier les
comportements des internautes en matière environnementale, en particulier les habi-
tudes concernant le remplacement des équipements (téléviseurs en 2022 ; smartphones
en 2020).

120
Enjeux numériques – Juin 2023 – N°22 © Annales des Mines

Virtual worlds -
Perspectives and issues

General Introduction
04 “France wants a development of virtual worlds in line with its values”.
Interview with Jean-Noël Barrot, Minister Delegate
in charge of Digital ­Transition and Telecommunications
Interviewed on May 11, 2023 by Mélanie Bénard-Crozat.

09 Introduction: Virtual worlds - What horizons?


General Éric Freyssinet

12 “The network connection has been lost”


Essay on the representation and the imaginary of virtual worlds
Thierry Dufrêne.
In 1940, Adolfo Bioy Casares conceived in The Invention of Morel (1940) the most
convincing of the “virtual worlds” of our contemporary era. During the years 1960-
1970, to the meeting of the lunar space adventure, the development of the mass
media, the utopias of the youth and the psychedelism, science fiction – Wells,
Asimov and K. Dick – imagines in its turn “virtual worlds”. In the following
decade, after the hyperrealism of the visual arts, the simulation and the seduction
of the fake fascinate the researchers and the artists as much as the engineers.
With the Internet, “virtual worlds” became the norm for human-computer inter-
faces and computer networks. Interactivity (multi-players) and simulation offer
to these worlds what Étienne Souriau called in 1943 an “absolute possibility”: An
imaginary of connection is born. This article raises the question of a new pact of
anthropological extension where human emulates their double and those of the
world. But when immersive devices and interfaces (3D glasses and haptic gloves)
will be replaced by transplants to the human body, as transhumanism foretells,
what will the meeting of the actual and the virtual bring?

Virtual And Augmented Reality Games


And Technologies
20 Virtual worlds in the world of video games
Leroy Athanassoff.
Virtual worlds have become an important part of the video game world. They allow
gamers to immerse themselves in imaginary worlds and have unique experiences.
Virtual worlds can take different forms, whether they are online game modes, immer-
sive virtual environments or social platforms, and can sometimes be associated with
virtual reality. Virtual reality offers total and absolute immersion, realizing the
ultimate dream of putting the player inside the dream. However, the challenges it
faces in terms of design, friction, and accessibility should not be underestimated.

25 Virtual worlds, new perceptions, new representations


Thomas Tassin.
Virtual worlds are often – wrongly – considered as the next Internet.

121
Traductions des résumés

This assertion prevents us from thinking about their real filiations, the deep
reasons of their emergence as well as the lasting effects they could have on our
relation to the world and to society. We propose here to go beyond an analysis
centered on immediate uses, whose relevance is limited concerning a technological
and artistic innovation of rupture.
By looking at the arts, especially visual arts and their different supports, it appears
that virtual worlds are very close descendants.
Because of this heritage, metaverses are part of the continuous evolution of our
perception, our interactions and our representations of reality.
The perspectives they bring are to be considered under this prism.

32 What digital tools for tomorrow’s training?


Interview of François Taddéi by Grégoire Postel-Vinay.
Presentation of François Taddéi
Founder and president of the Learning Planet Institute (formerly the Center for
Interdisciplinary Research - CRI in French), François Taddei is a general engineer
of the Ponts des eaux et des forêts. An internationally renowned researcher at
Inserm, he now devotes himself to the sciences of learning and in particular to
the notion of “Planetizen”, in order to enable each of us to learn to take care of
ourselves, others and the planet.
François Taddei advocates for a large-scale collaboration to build – with the support
of UNESCO – a learning planet and the development of learning communities
working together to find sustainable solutions in the education and health sectors,
as well as in the achievement of the Sustainable Development Goals (SDGs).

42 What to expect from virtual and augmented reality


for medical applications
Jean-Baptiste Masson.
Technologies related to mixed reality (XR), although not an innovation, are
experiencing considerable growth due to recent advances in computing, machine
learning, and the drastic reduction in the cost of visualization devices. These
advances pave the way for expanded use in the medical and healthcare sector.
However, like any emerging technology, adopting mixed reality in the medical field
must overcome many challenges. Despite these obstacles, future developments
in computer vision applied to medicine, mixed reality rendering methods, and
reflection on the medical decision-making process are expected to transform these
technologies into undeniable assets. They will benefit not only practitioners who
implement them, but also patients who will enjoy optimized medical support. In
this text, we address both recent advances and challenges inherent in the medical
use of these technologies.

51 Training in augmented reality and virtual worlds


Jean-Michel Lavallard.
Augmented reality and virtual worlds (AR/VW) training is an innovative approach
to learning that uses advanced technologies to create virtual environments in which
learners can acquire skills and knowledge in simulated situations. This techno-
logy offers significant advantages, including immersion, repeatability, safety, and
personalization. However, the implementation of these simulations can be costly
and complex, requiring advanced technological equipment. Scientific studies have
shown that AR/VW training can improve engineering students’ understanding of

122
Enjeux numériques – Juin 2023 – N°22 © Annales des Mines

technical concepts, improve medical students’ performance in disease recognition,


improve learners’ motivation, and improve engineering students’ collaboration
and communication skills. However, some potential problems, such as nausea and
headaches, have also been reported.

53 Disability, accessibility, and training in virtual worlds


Sylvie Sanchez.
Virtual worlds, whether they are used to create metaverses or video games, are
designed to meet a standard need, marginalizing – as in the real world – people
with disabilities.
So how can we hope for virtual worlds that are accessible to all?
It is to these issues that the association Créative Handicap, through its C.I.A.R.A.
(for Creation, artificial intelligence, and augmented reality) training course,
responds by training young people with disabilities to jobs in digital creation.
Accessibility, the representation of disability, the new sensorialities to be explored,
but also the infinite possibilities of new technologies and the new professions that
they generate are all opportunities to be seized by disabled people, as long as they
are given the possibility of being actors of it.

Metaverses
57 Who are the players of the metaverse?
Paul Jolie & Emmanuel Caquot.
The idea of a virtual world materialized in 1997 in France, where Canal+mulimedia
opened Le Deuxième Monde, which allowed players to move, through their avatar,
in a 3D reconstruction of Paris, thus forming a virtual community whose members
called themselves “Bimondians”. Precursor of the metaverse, it is however closed
in 2001, and it is in 2003 that Second Life of Linden Lab will know a first world-
wide success. The idea has a renewed interest on a larger scale in 2021 with the
announcements of Marc Zuckerberg. While media interest has since waned with
the difficulties encountered, the subject remains very active in terms of invest-
ments in the United States and at least four Asian countries, with many groups
developing platforms and applications. Europe has a mainly regulatory and defen-
sive approach, but nevertheless has assets, including in France, and ambitions
that can be based on Dassault Systèmes, Ubisoft, Atos, telecom operators and a
network of start-ups.

70 Testimony of the association France Meta


Interview with Pierre PAPERON, president of the association
By Éric Freyssinet.
Presentation of Pierre Paperon
Pierre Paperon is an engineer from Arts et Métiers and has an MBA from HEC.
He has been a consultant and managing director in multiple companies including
McKinsey, Havas, Apple, Danone group, Lastminute.com... For the past eight
years, he has been advising governments and companies on the use of blockchains,
NFT and Web3 (anti-money laundering, cinema, “grands crus classés” and
“primeurs”, agriculture, soccer stadium...). In January 2022, he created the France
Meta association, which has 1,300 members.
Pierre has seven children, attempted Everest, written three books, and was an
officer on the Redoutable for two years.

123
Traductions des résumés

75 What is the real potential of the metaverse?


Frédéric Cavazza.
The metaverse, a concept that originated in the cyberpunk literature of the 1980s,
has been unleashing the passions of geeks and entrepreneurs since Facebook’s
strategic reorientation in 2021, which has made it its new development lever.
As a point of convergence for a wide variety of uses, the metaverse crystallizes
the hopes and fears of many observers whose understanding of its potential is
blurred by projects whose sole objective is to achieve a quick gain in value based on
promises that they will be unable to keep. In order to understand what metaverse
is or is not, one must step back and put aside one’s preconceptions in order to
have a pragmatic, and above all realistic, perception. No, the metaverse is not the
future of the web, nor is it a disruptive technology, it’s a generic term to describe an
immersive media that includes online games and virtual universes already used
by hundreds of millions of users, as well as innovative services that are more or
less mature and whose viability has yet to be proven. Take it for granted: today’s
gamers are tomorrow’s virtual users.

80 The metaverse at the service of fashion and luxury?


Pascal Morand & Marine Peyrol.
The digital revolution continues inexorably, invading the world and our lives. The
arrival of the metaverse, stimulated by that of the Web3, symbolizes the sharp
acceleration of virtualization. The metaverse is a source of increased creativity,
of new forms of deployment of the imagination, of new individual and collective
experiences. The article shows how it is natural for fashion and luxury brands to
seize upon it. It explains the resulting innovations and their modalities. It also
examines its limits as well as its impact on human identity and otherness, and on
the relationship to fashion and luxury that can result from it.

86 The adoption of the metaverse:


Virtual worlds and the luxury industry
Nelly Mensah.
LVMH is exploring the potential of virtual worlds to connect with customers
and increase the desirability of its brands. LVMH sees virtual worlds as a way
to appeal to younger, tech-savvy generations, as well as to make more emotional
connections with customers, with the metaverse market predicted to be worth
more than $1 trillion in annual revenue by the next decade. LVMH is exploring
three key areas in its approach to virtual worlds: Engaging the next generation on
established and emerging metaverse platforms; making its own platforms more
immersive; and using “digital twins”. However, challenges include navigating the
regulatory landscape of virtual worlds, the need to replicate the craft and art of the
physical version to the virtual, and the limited adoption of virtual reality.

Legal and Ethical Issues


91 The effect of virtual worlds on the judicial investigation
Noémie Caron.
Virtual worlds bring with them new forms of specific offences and cyber threats.
They increase the imbalance between the power of the digital giants, and the need
to adapt justice and institutions.
To ensure the French digital sovereignty, the legal framework must be adapted to
these new challenges.

124
Enjeux numériques – Juin 2023 – N°22 © Annales des Mines

96 Legal and ethical issues raised by virtual worlds


Corinne Thierache, Caroline Leroy-Blanvillain
& Hanna Le Derrien, ALERION AVOCATS.
The social, political, economic, legal, and, above all, ethical issues raised by the
development of metavers and of other virtual worlds bear witness to the increasing
porosity between the real lives of human beings, and the virtual one of such worlds’
users.

103 Ethics, a brake on innovations and digital interfaces?


Dr Laure Tabouy.
These are exciting times in 2023. If technological innovation appears to be a new
Eldorado, ethics is taking its place at the heart of innovation, business and research
strategies. The challenge is to learn how to ride the wave of innovation and tech-
nology, and create opportunities that will change our daily lives, while recognizing
that we must anticipate the excesses of their use. The acceleration of innovations
makes it essential to reflect on the societal, ethical, and legal issues related to their
conception and development, their uses, their purposes, and their consequences.
The design of interdisciplinary safeguards, evaluation, and monitoring systems,
as well as supervision and repression systems, and the definition of a governance
system adapted to the sociological, ethical, and legal values of the different coun-
tries are currently emerging in France, Europe and throughout the world. But in
all these initiatives and reflections, the key piece that holds it all together is, in
my opinion, the place that ethics takes in this puzzle, because it will allow a better
acceptability of digital interfaces, while inviting all stakeholders and all actors,
from inventors to users, to position themselves in relation to these innovations.

Miscellany
112 The digital barometer – the 2022 edition
Michel Schmitt & Matthias de Jouvenel.
The digital barometer is a recurring survey that focuses on the digital equipment
and uses of the French. We present here a number of results from the 2022 edition
of this barometer. People in their sixties have become Internet users at the same
level as younger people, and equipment in connected objects continues to grow
rapidly, whether in security, household appliances, or health. The uses that have
progressed during the lockdown continue in the long term, and thus show their
adoption. Digital technology is becoming more and more essential: more than
60% of respondents say they cannot do without the Internet for more than a day,
­especially for email.

Issue editor
General Éric FREYSSINET

125
Biographies des auteurs

Ont contribué à ce numéro


Leroy ATHANASSOFF a été Directeur de jeu et Directeur créatif sur le jeu en ligne
e-sport Rainbow 6 Siege pendant six ans, jusqu’en 2022, à Ubisoft Montréal. Son parcours
s’est essentiellement concentré sur les jeux de tir à la première personne militaires (Red
Steel, Ghost Recon, Rainbow 6).
→ Les mondes virtuels dans le monde des jeux vidéo

Mélanie BÉNARD-CROZAT est Rédactrice en chef de la revue Sécurité & Défense


Magazine (S&D Magazine) dédiée à l’actualité professionnelle du monde de la sécurité
et de la défense, et a débuté sa carrière à l’international. Directrice de communication
dans une société privée en Grèce, elle a rejoint le ministère français des Armées où
elle a assumé, successivement, les fonctions d’officier de communication dans une
unité de renseignement, puis d’officier de communication et responsable des relations
internationales au cœur d’une unité parachutiste. Elle a assuré parallèlement des
missions de journalisme au profit de l’état-major des armées sur différents théâtres
d’opérations dont le Kosovo et l’Afghanistan. En 2011, elle quitte l’institution militaire
pour créer sa maison de presse et d’édition. Modératrice de déjeuners, de dîners-débats
ou conférences au profit d’institutions, ministères et acteurs majeurs de la sécurité, de la
défense et du numérique, en France comme à l’international, Mélanie Bénard-Crozat a
également écrit plusieurs ouvrages dédiés à ces thématiques. Elle intervient aujourd’hui
auprès des autorités, des sphères politiques, et accompagne de nombreux évènements
internationaux autour des thématiques précédemment citées.
Elle est engagée depuis 2015, en qualité de journaliste, auteure et éditrice, au profit de
l’éducation des enfants défavorisés en Asie du Sud-Est. En 2021, elle rejoint le comité
scientifique de plusieurs universités afin d’accompagner le développement de nouvelles
formations dédiées à la sécurité, la cybersécurité, la défense et la géopolitique. Elle est
également présidente du International Digital Peace Funds, fondation œuvrant pour un
numérique de confiance et la cyberpaix.
Dans la continuité des actions portées autour des enjeux sociaux, sociétaux et
environnementaux, elle lance, avec son équipe, le média IMPACT FOR THE FUTURE en
décembre 2022, dont elle est la rédactrice en chef.
→ « La France veut un développement des mondes virtuels conforme à ses
valeurs » - Entretien avec Jean-Noël BARROT, ministre délégué chargé de la
Transition numérique et des Télécommunications

Emmanuel CAQUOT est né le 5 août 1954.


Il est Ingénieur général des Mines honoraire.
CGE - Conseil général de l’Économie :
Membre associé
2019-2013 Chef de la mission de la tutelle des écoles
2013- 2012 Membre
Ambassades de France :
2012-2009 Chef du service économique d’Oslo (Norvège)
DGE - Direction Générale des Entreprises :
2009-2005 Chef du service des Industries Manufacturières et des Activités Postales
DIGITIP - Direction générale de l’industrie, des technologies de l’information et des postes :
2005-1999 Chef du service des technologies et de la société de l’information
France Télécom :
1999-1998 Chef du Service du pilotage de la cohérence du système d’information
1998-1997 Directeur de la Prospective et des Programmes, R&D
1997-1994 Directeur développement des Services et Réseaux - Nanterre

126
Enjeux numériques – Juin 2023 – N°22 © Annales des Mines

CNET - Centre National d’Études des Télécommunications :


1994-1991 Conseiller Spécial du Directeur
1991-1982 Chef de département de recherche - Bagneux
1982-1979 Ingénieur de Recherche microélectronique - Grenoble
→ Qui sont les acteurs du métavers ?

Noémie CARON est titulaire d’un master mention Droit parcours « Cyberjustice »
effectué à la faculté de droit de Strasbourg.
Elle a effectué son stage de fin d’études concernant le master Cyberjustice au sein du
Commandement de la gendarmerie dans le cyberespace en tant que rédactrice juridique.
Elle est actuellement auditrice du CNAM (Conservatoire national des arts et métiers)
au sein du master II Droit, économie et gestion mention criminologie, parcours expertise
criminologique (sécurité, défense, renseignement).
→ Effet des mondes virtuels sur l’enquête judiciaire

Frédéric CAVAZZA, consultant et conférencier, travaille dans les métiers de l’internet


depuis plus de vingt-cinq ans. Spécialiste du marketing digital (commerce en ligne,
médias sociaux, mobiles, plateformes numériques, Web3, intelligence artificielle…), il
accompagne les grandes marques européennes dans leur compréhension des nouveaux
usages et leur transformation numérique. En tant qu’entrepreneur, il a co-créé SYSK,
cabinet conseil et formation. Il se présente en tant que marketing technologist, et est
l’auteur de deux livres (Social Business et Internet mobile) ainsi que le rédacteur du blog
FredCavazza.net depuis près de vingt ans.
→ Quel est le réel potentiel du métavers ?

Matthias de JOUVENEL, ancien élève de l’École normale supérieure de Cachan


(Département d’économie et de gestion 1997-2000) et ancien élève de l’École nationale
supérieure des postes et télécommunications (2001-2002), est administrateur de l’État
hors classe, chargé de mission au Conseil général de l’Économie (CGE), où il pilote le
baromètre du numérique depuis plusieurs années. Il est l’auteur de rapports publics
dans des domaines variés (tourisme, devoir de vigilance, économie circulaire, contrefaçon,
filières REP…), et il a appuyé plusieurs missions parlementaires dont celle confiée au
député Éric Bothorel, « Pour une politique publique de la donnée ».
→ Le baromètre du numérique - édition 2022

Thierry DUFRÊNE est professeur d’histoire de l’art contemporain à l’Université Paris


Nanterre, directeur du master d’histoire de l’art, co-fondateur et directeur de 2007
à 2014, en 2022-2023 de nouveau directeur de HAR (Centre de recherches histoire de
l’art représentations), et membre du Conseil scientifique de l’EUR ArTec (Paris 8-Paris
Nanterre) (2020-).
Adjoint au Directeur général de l’INHA chargé des relations internationales entre 2007
et 2013, membre du Conseil scientifique du musée du Luxembourg, responsable avec
Myoung-Jin Cho de la programmation Art et caméra au sein du Festival d’histoire de
l’art de Fontainebleau de 2011 à 2018, il a occupé de 2004 à 2016 la charge de secrétaire
scientifique du Comité international d’histoire de l’art (CIHA).
Il est membre du Comité français d’histoire de l’art et de l’AICA.
Ses derniers livres sont L’Invention de Morel : la machine à images, Paris, Xavier Barral,
2018 ; Les Années Cinquante. Les chemins de la liberté, Paris, Canopé, 2019 ; Modigliani,
Paris, Citadelles Mazenod, 2020 ; Maillol Héritage, Paris, Dina Vierny Galerie, 2022.
Il a dirigé la publication des Actes du colloque État de l’art urbain. Oxymores 3, DGCA,
ministère de la Culture (avec Dominique Aris), 2017 ; L’Art à ciel ouvert. La commande
publique au pluriel (2007-2019), Paris, Flammarion, 2019 ; Voir le Chef d’œuvre inconnu.
D’après Balzac, Paris-Musées, 2021, et coordonné les numéros thématiques de la revue
Sculptures dont il est co-rédacteur en chef : « La sculpture et le vivant », Sculptures,

127
Biographies des auteurs

n°4, 2017 ; et « Revoir la commande. L’art et l’espace public », Sculptures, n°7, 2019. Il
prépare un ouvrage sur la sculpture contemporaine et est co-commissaire des expositions
Surréalismes (MNAM- Centre Pompidou, 2024) et Zadkine-Modigliani, une amitié
interrompue (Musée Zadkine, printemps 2024).
→ « La connexion réseau a été perdue » - Essai sur la représentation et
l’imaginaire des mondes virtuels

Éric FREYSSINET est officier général de gendarmerie, directeur scientifique auprès


du cabinet du directeur général de la Gendarmerie nationale, ancien commandant en
second de la gendarmerie dans le cyberespace, poste qu’il occupe après vingt-quatre
ans de carrière dans différents postes à responsabilité dans le champ de la lutte contre
la cybercriminalité. Ingénieur de formation (École polytechnique, X92), il complète sa
formation en 2000 par un mastère spécialisé en sécurité des systèmes d’information et
des réseaux (Télécom Paris), et en 2015 par une thèse de doctorat en informatique sur la
lutte contre les botnets (Université Paris 6).
→ Introduction : Mondes virtuels – Quels horizons ?
→ Témoignage de l’association France Meta - Interview de Pierre PAPERON,
président de l’association

Paul JOLIE est Ingénieur général des Mines, diplômé de l’École polytechnique et de
l’École nationale supérieure des télécommunications devenue Télécom Paris. Il est
également titulaire du MBA de l’EDHEC.
Après une carrière passée au centre de recherche de France Télécom et dans différents
services opérationnels de l’opérateur, Paul Jolie rejoint l’administration en 2008 pour
occuper un poste de DSI adjoint au ministère des Affaires étrangères. Après un passage
à l’Inria, il prend le poste de sous-directeur de l’informatique centrale au ministère de
l’Économie et des Finances. Après deux ans comme conseiller pour le numérique auprès
du ministre d’État de Monaco, il revient à Bercy pour occuper un poste de conseiller au
SISSE. Il rejoint le Conseil général de l’Économie en 2020 en tant que référent intelligence
artificielle.
→ Qui sont les acteurs du métavers ?

Jean-Michel LAVALLARD est un expert en nouvelles technologies et en conseil sur


la transformation numérique au service de l’enseignement et de la formation, avec plus
de quinze ans d’expérience dans ce domaine. Né pédagogue, il est titulaire d’un DEA en
sciences de l’éducation et est agrégé d’histoire. Il a évolué dans différents métiers tels
que directeur d’école, maître formateur, conseiller pédagogique, conseiller numérique et
conseiller en technologies de l’information et de la communication pour l’enseignement.
Son expérience et son expertise lui ont valu de travailler pour de grandes entreprises
high tech. Il a également fondé une première start-up, où il a développé des formations
pour aider les enseignants et les élèves à prendre en main les usages numériques. Fort de
ses succès, il a ensuite fondé deux EdTechs, DIGICOURS et Éducation Digitale, qui sont
aujourd’hui des références dans le monde de l’éducation et de la technologie.
Au-delà de ses activités professionnelles, il est également impliqué dans des projets
humanitaires. Il a notamment travaillé en tant que consultant à la Banque Mondiale
Afrique de l’ouest de l’Unesco, où il a contribué à la mise en place de programmes de
formation numérique dans des zones rurales et isolées.
Grâce à sa passion pour l’enseignement, son expertise en nouvelles technologies et sa
capacité à innover, Jean-Michel Lavallard a réussi à créer des solutions éducatives
novatrices qui ont changé la vie de nombreux enseignants et élèves. Son travail a
contribué à façonner le paysage éducatif actuel, et a ouvert de nouvelles perspectives
pour les générations futures.
→ La formation en réalité augmentée et mondes virtuels

128
Enjeux numériques – Juin 2023 – N°22 © Annales des Mines

Hanna LE DERRIEN est élève-avocate et effectue son stage final au sein des
départements Droit des technologies et du Numérique / Propriété intellectuelle, dirigés
par Corinne Thiérache, du cabinet Alerion Avocats.
Diplômée d’un master 1 Propriété intellectuelle effectué à Nantes et d’un LLM Droit
international et européen effectué à Bergen, complétés par un diplôme universitaire Droit
de l’Art et de la Culture de l’Université de Nantes, Hanna Le Derrien est titulaire du
master 2 Droit de la création et du numérique de Paris I Panthéon-Sorbonne (2021). Ayant
obtenu le CRFPA en 2021, elle a intégré, à ce titre, l’École de Formation des Barreaux de
Paris en 2022 en vue de devenir avocate.
→ Enjeux juridiques et éthiques posés par les mondes virtuels

Me Caroline LEROY-BLANVILLAIN est Avocate au Barreau de Paris depuis 2020 et


exerce son activité au sein des départements Droit des technologies et du Numérique /
Propriété intellectuelle du cabinet Alerion Avocats.
Elle est diplômée d’une double-licence en droit et en langues étrangères appliquées,
complétée par un master 2 en Propriétés intellectuelles et un magistère en droit des
TIC. Son parcours lui a permis de développer une grande appétence pour les nouvelles
technologies et la data, domaines dans lesquels elle assiste et conseille une clientèle
française et internationale, notamment dans les secteurs de la santé, de l’éducation, de
la distribution et des médias. Elle intervient également en contentieux de la propriété
intellectuelle, du pénal numérique et en droit de la presse. Elle a ainsi développé une
compétence spécifique qui lui permet d’accompagner de manière pertinente les acteurs
économiques dans leur mise en conformité au RGPD, et peut assister ces derniers pour
mener des actions tant en amont qu’en aval à la suite de cyberattaques. À ce titre, elle est
membre de l’AFCDP.
Membre du Comité de pilotage de la force juridique de la Fondation des Femmes,
Caroline Leroy-Blanvillain participe régulièrement à des projets pro bono en matière
de cyberharcèlement et de discrimination. Elle est également chargée d’enseignement
et publie régulièrement des articles sur les thèmes entrant dans son champ d’expertise.
→ Enjeux juridiques et éthiques posés par les mondes virtuels

Jean-Baptiste MASSON est un physicien théorique et le directeur du laboratoire


Decision and Bayesian Computation (DBC) de l’Institut Pasteur. Ce laboratoire est
également membre du CNRS, et de l’Université de Paris. Il est soutenu dans la gestion
du laboratoire par ses deux adjoints (titulaires) Christian Vestergaard (CLV) et François
Laurent (FL). Il a également une chaire en intelligence artificielle à l’Institut Prairie
et suit le CSO d’avatar medical, une spin-off de Pasteur et Curie qui développe des
logiciels exploitant la réalité virtuelle pour la planification des opérations chirurgicales.
Ses recherches portent sur les principes d’organisation du traitement de l’information
biologique. Plus précisément, il cherche ces principes d’organisation dans la physique
qui sous-tend leurs calculs et dans celle de leurs environnements sensoriels. Il cherche
actuellement à comprendre comment l’évolution façonne de petits réseaux neuronaux
biologiques efficaces chez les insectes, leur permettant de traiter des signaux sensoriels
complexes dans leur environnement et de générer des comportements complexes. Il aborde
ces questions en combinant modélisation physique, inférence bayésienne, simulations
numériques, théorie de l’information et expériences biologiques.
→ Qu’attendre de la réalité virtuelle et augmentée pour les applications
médicales

Nelly MENSAH est vice-présidente de l’innovation numérique et des solutions émer­


gentes chez LMVH, où elle dirige les développements en matière de Web3 et de métavers
à l’échelle mondiale. Dans son rôle précédent chez Sephora, elle a dirigé l’innovation et
l’expérience numérique en magasin. En parallèle, Nelly Mensah est très impliquée dans
la blockchain depuis plus de cinq ans. Elle a co-dirigé une communauté de développeurs

129
Biographies des auteurs

blockchain et a été consultante pour plusieurs projets dans l’espace crypto. Avant Sephora,
Nelly Mensah a passé cinq ans chez Deloitte Digital où elle s’est concentrée sur la
transformation digitale et le design d’expérience. Elle a travaillé avec plusieurs entreprises
du Fortune 100 dans plusieurs industries, et a dirigé des ateliers internationaux sur
des sujets tels que l’optimisation des processus d’affaires, la formation aux compétences
d’innovation et la pensée future. Elle est titulaire d’un BS en ingénierie industrielle de
l’Université de Stanford et d’un MBA du MIT Sloan où elle s’est consacrée à la gestion des
technologies, l’innovation dans le retail, ainsi que sur le leadership conscient.
→ L’adoption du métavers : les mondes virtuels et l’industrie du luxe

Pascal MORAND est président exécutif de la Fédération de la Haute Couture et de


la Mode, Professeur émérite à ESCP Business School et membre de l’Académie des
Technologies. Il est diplômé d’HEC Paris (1978), titulaire d’un DEA en science des
organisations (Université Paris Dauphine-PSL, 1979) et d’un doctorat d’État en sciences
économiques (Université de Rouen, 1988). Il a été directeur général de l’Institut Français
de la Mode (1987-2006), directeur général d’ESCP Business School (2006-2012), directeur
général adjoint de la Chambre de commerce et d’industrie Paris Île-de-France (2013-2015).
Ses travaux portent notamment sur l’économie de l’innovation et du design, ainsi que sur
les relations entre l’économie et la culture. Son dernier ouvrage, Le Moment Viennois ;
Chroniques de la modernité à l’époque de la Sécession Viennoise (2021), met en lumière
la façon dont les grands acteurs de la Sécession viennoise ont annoncé notre modernité.
→ Le métavers au service de la mode et du luxe ?

Marine PEYROL est Responsable de la politique digitale et des réseaux sociaux à la


Fédération de la Haute Couture et de la Mode. Elle y a en particulier mis en œuvre la
Paris Fashion Week® online. Elle est titulaire d’un Bachelor de Management (Kedge
Business School, 2014) et d’un MBA en Digital Marketing and Business (EFAP, 2016).
Elle a été planneur stratégique chez Publicis (2016-2020), et consultante en stratégie
de communication digitale auprès de différentes entreprises et organisations. Elle est
chargée de cours en stratégie digitale à l’IAE de Grenoble (Université Grenoble-Alpes) et
intervient régulièrement dans d’autres établissements d’enseignement supérieur.
→ Le métavers au service de la mode et du luxe ?

Grégoire POSTEL-VINAY est ingénieur général des Mines, membre de l’Académie des
technologies et, depuis 2022, rédacteur en chef des Annales des Mines au Conseil général
de l’Économie. Il a été auparavant responsable de la stratégie à la direction générale des
Entreprises du ministère de l’Économie et des Finances (2009-2022).
Il est l’auteur de travaux sur les plans de relance et les réactions publiques à la crise,
l’économie de l’innovation, l’investissement immatériel, les éco-industries, la prospective
de l’économie numérique, les véhicules décarbonés, la stratégie nationale de recherche et
d’innovation, le développement des pôles de compétitivité, la propriété intellectuelle, le
programme d’investissements d’avenir, le Conseil national de l’industrie, la Commission
nationale pour la croissance française, la prospective industrielle du territoire, la
prospective de l’emploi à horizon 2030, l’innovation servicielle, les technologies clés, la
culture scientifique, technique et industrielle, la coopération européenne, les stratégies
de filières, la concurrence chinoise. Il a apporté des contributions au rapport Gallois,
réalisé des travaux sur le budget européen, notamment celui de la R&D européenne. Il a
été co-rapporteur des Assises de l’entrepreneuriat.
Il a réalisé des travaux sur l’énergie. Il a été à ce titre expert national sur l’énergie pour
le programme H2020, puis Horizon Europe (jusqu’en 2022). Il est membre de nombreux
think tanks et cofondateur de Silicon Sentier (devenu NUMA). Il a été le président du
comité de rédaction de la série Réalités industrielles des Annales des mines.
Il siège actuellement dans plusieurs conseils d’administration (Universcience (2000-
2022) ; IHEST (depuis 2017) ; Institut Mines-Télécom (depuis 2018) ; Armines

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Enjeux numériques – Juin 2023 – N°22 © Annales des Mines

(2017-2021) ; FNEP (Fondation nationale Entreprise et performance (depuis 2014)),


ainsi qu’à la Commission nationale française pour l’Unesco (depuis 2015) et au conseil
d’orientation de La Fabrique de l’industrie (depuis 2011).
→ Quels outils numériques pour les formations de demain ? Entretien avec
François TADDÉI

Sylvie SANCHEZ est artiste plasticienne.


« Détectée enfant haut potentiel, j’ai toujours eu du mal à trouver ma place vis-à-vis des
autres. La création artistique m’a permis d’affirmer mes singularités et de trouver ma
voie. Depuis 1992, j’ai décidé d’être une artiste engagée auprès de ceux que l’on a mis au
ban de la société et de faire de mes particularités mon aiguillon ».
À la suite à l’obtention, en 1987, de son diplôme à l’ENSAAMA (École Nationale des Arts
Appliqués et des Métiers d’Art), elle dirige, pendant 7 ans, des équipes de sculpteurs dans
l’événementiel (mode, publicité, tv, théâtre).
Puis le handicap s’invite dans sa vie. En 1993, un de ces amis, artiste, devient aveugle.
Après avoir fait le constat que rien n’existe dans la culture pour les personnes déficientes
visuelle, elle met en place les premières visites tactiles au Centre Pompidou, au musée
Picasso, au Musée des Beaux-Arts.
Elle crée des ateliers d’arts plastiques accessibles à tous dans de nombreux centres
culturels à Paris et en banlieue, ainsi qu’au sein de plusieurs associations dédiées au
handicap (l’association Valentin Haüy pour les personnes déficientes visuelles, au sein
de l’Institut National des Jeunes Sourds, au Centre Augustin Grosselin pour des enfants
sourds polyhandicapés, APF).
En 2004, elle fonde l’association Créative Handicap et crée de nombreux ateliers d’arts
plastiques et de numérique accessibles à tous, dans un souci de mixité et d’inclusion.
En 2021, avec Raphaël Sancho, expert en nouvelles technologies, ils créent la première
formation gratuite à destination de jeunes en situation de handicap et décrocheurs
scolaires pour les métiers de la création numérique, « C.I.A.R.A. » (création, intelligence
artificielle, réalité augmentée) soutenue par l’AGEFIPH, La Banque des Territoires, le
CNC (Centre National du Cinéma), la mairie de Nanterre et plusieurs fondations privées.
Elle est aussi membre titulaire du CNCPH (Conseil national consultatif des personnes
handicapées) et administrateur du CCAS de Nanterre.
→ Handicap, accessibilité et formation aux mondes virtuels

Michel SCHMITT est membre du Conseil général de l’Économie, président de la section


Innovation, Compétitivité, Modernisation. Titulaire d’un doctorat et d’une habilitation à
diriger les recherches en morphologie mathématique, il a successivement occupé des postes
dans l’industrie (Laboratoire Central de Recherche de Thalès) et dans l’enseignement
supérieur (directeur de la recherche de Mines ParisTech, vice-président numérique de
Paris Sciences et Lettres). Ses centres d’intérêt scientifiques concernent le numérique
et le traitement des données au sens large – probabilités, analyse d’image, intelligence
artificielle, bio-informatique. Il est à l’origine de la création de l’unité mixte INSERM
U900 « Cancer et génome : bioinformatique, biostatistiques et épidémiologie des systèmes
complexes », ainsi que du Centre de recherche sur les risques et les crises de Mines Paris.
→ Le baromètre du numérique - édition 2022

Le docteure Laure TABOUY est neuroscientifique et éthicienne. Guidée par la passion


pour la recherche médicale et scientifique en constante évolution, elle a construit
et personnalisé son parcours au fur et à mesure des rencontres, ce qui lui a permis
d’expérimenter différents milieux de travail, publics et privés, de partir à l’étranger et de
travailler avec des personnes venant de tous horizons.
Après l’obtention d’un premier doctorat en neurosciences, génétique et biologie structurale
au sein de l’institut BFA à l’Université de Paris-Cité, soutenu le 19 décembre 2012, son
parcours en neurosciences s’est d’abord focalisé sur des thématiques autour des régulations

131
Biographies des auteurs

génétique et épigénétique lors du neurodéveloppement. Ces thématiques de recherche en


neurosciences se sont élargies au rôle du microbiote intestinal et de l’axe intestin-cerveau
dans l’autisme lors de son post-doctorat en Israël à l’Université de Bar-Ilan et à son retour
à Paris en 2018, puis au cancer chez MaatPharma, jusqu’en février 2021.
Très interpellée par les révisions de la loi bioéthique en 2018, et travaillée par ces questions
depuis le lycée, elle décide de s’investir dans un groupe de travail interdisciplinaire sur les
réflexions des enjeux éthiques et juridiques des interfaces cerveau-machine, en parallèle
de son travail sur le microbiote.
En 2020-2021, elle décide de continuer son travail sur l’éthique des neurosciences et des
neurotechnologies, en validant un master d’éthique de l’Université Paris-Saclay, puis
sous la forme d’un deuxième doctorat en éthique / neuroéthique, dans l’équipe de Léo
Coutellec, au sein de l’institut du CESP-INSERM U1018 de l’Université Paris-Saclay. Ce
deuxième doctorat est enrichi d’une formation certifiante de l’EDHEC Business School de
Digital Ethics Officer.
Elle mène donc en 2023 des recherches sur l’éthique des neurosciences, des neurotechnologies
et du numérique, et c’est en capitalisant sur son nouveau profil de double PhD / Digital
Ethics Officer avec l’EDHEC, qu’elle souhaite continuer son parcours professionnel.
→ L’éthique, frein aux innovations et interfaces numériques ?

Thomas TASSIN
X1994 – Mines Télécom
Après une première expérience dans une start-up technologique dans les années 2000,
Thomas Tassin mène une carrière de consultant en stratégie dans les industries de réseau
et dans le domaine de la culture et de l’audiovisuel, notamment autour des problématiques
de régulation et d’évolution de modèles économiques. Depuis cinq ans, il est entrepreneur
dans des entreprises innovantes mêlant culture et technologie. Il est cofondateur de Mira,
monde immersif hyperréaliste qui ouvre des passerelles entre réel et virtuel. www.mira.
world
→ Les mondes virtuels, nouvelles perceptions, nouvelles représentations

Me Corinne THIÉRACHE, Avocat au Barreau de Paris depuis 1994, est associée au


sein du cabinet Alerion Avocats et assume la responsabilité des départements Droit des
technologies et du Numérique / Propriété intellectuelle.
Titulaire d’un DEA en droit des affaires et droit économique de l’Université Paris I Panthéon-
Sorbonne et d’un diplôme d’études juridiques en droit allemand, Université Paris X
Nanterre, Corinne Thiérache assiste depuis trente ans ses clients en droit des technologies
et du numérique y compris en droit de la cybercriminalité et de la cybersécurité, droit de la
propriété Intellectuelle, droit de la presse et de l’audiovisuel, de la protection des données
personnelles et de la vie privée, et droit pharmaceutique, tant au niveau du conseil que du
contentieux, en offrant une vision holistique de ces expertises qui convergent de plus en
plus via le développement des technologies innovantes et des nouveaux usages.
Elle intervient à des colloques, dirige des travaux de réflexion, contribue à de nombreux
rapports et publie régulièrement des articles. Elle dispense également des formations,
notamment en matière de cybersécurité et de protection des données personnelles. Elle
intervient au FIC, dans le cadre des DU Cybercriminalité et délégué à la protection des
données (DPO) / Management de la donnée de l’Université Montpellier I, du master
Droit de l’intelligence artificielle de l’ICP et de l’École d’ingénieurs de l’ESTACA. Elle est
référente auprès du Conseil de l’Europe et de la Commission européenne dans le cadre de
missions de lutte contre la cybercriminalité.
Membre de Cyberlex depuis 1998 dont elle a été présidente et vice-présidente de 2005 à
2015, de l’AFCDP et de l’APRAM, Corinne Thiérache est actuellement Responsable du
Groupe DPO du GESTE, et participe au Subcommittee de l’INTA dédié à l’intelligence
artificielle.
→ Enjeux juridiques et éthiques posés par les mondes virtuels

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