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Procès du 13 novembre 2015 : La

vie secrète des rats

SYLVIE CASTER · MIS EN LIGNE LE 21 MARS 2022 · PARU DANS L'ÉDITION 1546 DU 9 MARS

Après une suspension de quinze jours, due au Covid de trois accusés, le


procès reprend. Retour des enquêteurs belges, qui détaillent la découverte
des planques utilisées par les terroristes.

Osama Krayem refuse à nouveau de comparaître, comme il le faisait depuis plusieurs


semaines déjà. C’est devenu une routine : Le président ouvre l’audience. Il annonce que
Krayem ne veut pas comparaître. Alors, à peine ouverte, l’audience est suspendue. L’huissier
file pour lui faire les sommations d’usage. Et quand l’huissier a fini d’acter son refus,
l’audience commence enfin véritablement. Si, un jour, Krayem venait comparaître, on en
serait bien étonné.

C’est maintenant les enquêteurs belges qui viennent parler des nombreuses caches utilisées
par les terroristes qu’ils ont découvertes. Assez modestement, voire de façon un peu
dénigrante, leur travail est présenté comme étant « les recherches infructueuses de
caches ». Vraisemblablement parce qu’ils ne les ont débusquées qu’après les attentats. Et
quand ils les ont perquisitionnées, les « locataires » avaient quitté les lieux depuis longtemps.
Certains sont même décédés. Ils se sont fait exploser ou ils sont morts abattus.

Il n’empêche. Quand ces enquêteurs sont entrés dans les lieux, ils ont trouvé de multiples
traces, puis révélé nombre d’éléments accablants.

Sur deux jours, c’est une véritable toile d’araignée qu’ils vont faire apparaître : l’organisation
du meurtre, de planque en planque, et sa chronologie. Dès août 2015, ces caches ont
commencé à être louées. Pour héberger des terroristes qui ne frapperont que plusieurs mois
plus tard.

Témoigne d’abord l’enquêteur belge 447761902. On ne sait pourquoi les enquêteurs belges
ont toujours ce genre de matricule, cette longue suite de chiffres. Le numéro 447761902 est
un policier qui apparaît sur l’écran de la salle d’audience. Il parle en visioconférence, assis au
bout de cette longue table, dans cette toujours même salle du parquet fédéral de Bruxelles. Il
commence par évoquer une voiture retrouvée sur un parking. Et qui a permis l’arrestation
d’Ahmed Dahmani. Il le dira un peu plus tard, le repérage des véhicules était capital : « À
chaque fois, quand on a trouvé une planque, c’est grâce aux traqueurs de véhicules. Qui
repéraient les voitures qui venaient se garer devant. »

Là, le véhicule permet d’arrêter Dahmani. Une perquisition est effectuée à son domicile. Les
enquêteurs y trouvent des perruques, une paire de lunettes, trois drapeaux djihadistes et un
matériel de falsification de pièces d’identité. Ah, les perruques ! L’enquêteur montre sur le
rétroprojecteur cet assemblage de huit perruques noires. Elles sont d’une facture si grossière
qu’elles semblent des moumoutes de déguisement. Elles ont pourtant fonctionné. Elles sont
parvenues à métamorphoser ceux qui les portaient. L’enquêteur montre à l’écran la
photographie de Salah Abdeslam sur sa fausse carte d’identité. Pour la prise de ce cliché, il
arbore une perruque de cheveux raides mi-longs de type coiffure des années 1970, à laquelle
il a surajouté le port de lunettes. Il est absolument méconnaissable. Et il en est de même pour
Dahmani, littéralement transformé par le port de sa perruque. Ces moumoutes qui semblent
grotesques savaient se montrer opérationnelles.

Avant de parler de la location des caches, l’enquêteur nous renseigne sur d’autres locations
conjointes. Celles de véhicules. Évidemment nécessaires quand on doit faire des « trajets
opérationnels ». Il indique que Mohamed Bakkali a loué plusieurs voitures, notamment une
BMW et une Seat Leon de couleur noire que l’on retrouvera plus tard. C’est en effet cette
même Seat Leon qui transportera à Paris les trois terroristes qui sont venus semer la mort aux
terrasses, le 13 novembre 2015. Abdelhamid Abaaoud, Brahim Abdeslam et Chakib Akrouh.

Les enquêteurs belges ont dénombré huit planques : cinq à Bruxelles, deux à Charleroi et une
à Verviers. Mais, dit l’enquêteur, ils « allaient jusqu’à la frontière franco-
belge ». Abandonnant parfois leurs projets de location. Parce qu’ils ne trouvaient pas l’endroit
assez discret. Ou qu’ils estimaient que la planque recélait trop d’humidité. Il ne s’agissait pas
d’un souci de salubrité, mais d’éviter tout problème d’humidité à la poudre explosive TATP,
qui y est très sensible.

L’enquêteur parle maintenant de leur première planque débusquée, 86, rue Henri-Bergé, à
Schaerbeek, commune de Bruxelles-Capitale. Les policiers ont remarqué que la fameuse Seat
Leon était souvent garée devant. Le propriétaire indique que c’est un dénommé Fernando
Castillo qui lui a loué cet appartement. Le 8 décembre 2015, quand les enquêteurs entrent
dans les lieux, l’appartement est vide et non meublé. Les locataires, disparus bien sûr. Le 10
décembre 2015, les enquêteurs procèdent à la perquisition de cette cache, qui se présente
comme un petit duplex moderne, assez coquet, avec parquet et poutres apparentes dans la
chambre du haut, mansardée. Ils vont retrouver une perruque (encore une perruque) qui
ressemble fort à celle que le faux Fernando Castillo arborait pour se présenter. Six salopettes,
un sac vert contenant toute une série de vêtements. Et une veste genre anorak d’un bleu
turquoise très vif, pendue à la rampe d’escalier.

La veste anorak turquoise porte les traces ADN d’Abrini. Sur les autres vêtements, on va
retrouver les traces ADN d’Osama Krayem, de Chakib Akrouh, de Mohamed Belkaid, de
Najim Laachraoui, artificier des attentats, et celles de Bilal Hadfi, qui fera partie du
commando du Stade de France et qui s’y fera exploser. Sur les gobelets, les verres et les
couverts, les traces ADN de Salah Abdeslam et de Mohamed Abrini. Les enquêteurs vont
également retrouver un chiffon blanc portant des traces d’explosif. Dix grammes de TATP. La
note de leurs achats de vêtements et sous-vêtements homme dans un magasin Cora en date du
7 octobre 2015. Et un dessin très maladroit que l’enquêteur montre à l’écran. Il le commente
en disant : « C’est un corps humain qui porte une sorte de ceinture. » Le dessin a beau être
très mauvais, il figure de façon flagrante un homme qui porte une ceinture explosive.

La deuxième planque retrouvée était 29, rue du Fort, à Charleroi, à une soixantaine de
kilomètres de Bruxelles. Là, le changement de décor est total. Pas de poutres apparentes ni de
parquet. Il ne s’agit pas d’un duplex coquet. C’est un appartement assez tristounet, meublé de
façon vieillotte, qui se trouve dans un bâtiment bas en brique rouge, dans cette rue du Fort si
tranquille. Il a été loué par Khalid El Bakraoui, logisticien des attentats, qui s’est présenté
sous la fausse identité d’Ibrahim Maaroufi. « Maaroufi » a signé le bail le jour même, payé
cash, en liquide, la location et deux mois d’avance. Les enquêteurs y retrouveront les traces
ADN d’Abdelhamid Abaaoud sur un aspirateur. Ces traces ADN prouvent non seulement
qu’il est passé par là, mais qu’il a jugé bon de passer au moins une fois l’aspirateur avant de
venir assassiner des gens aux terrasses. On trouvera aussi les traces ADN des trois terroristes
qui ont fait un carnage au Bataclan, Samy Amimour, Ismaël Omar Mostefaï et Foued
Mohamed-Aggad. Ils gagneront ensuite une autre planque, à Jette.

Bilal Hadfi, quant à lui, avait beaucoup frappé le libraire. Il est venu lui demander par deux
fois s’il avait des livres avec une description du paradis. Il devait avoir besoin de se
représenter ce paradis. Avant de se faire exploser trois mois plus tard au Stade de France.

La troisième planque se trouvait à Auvelais, rue Radache. C’était une location atypique pour
ce genre de locataires. C’est la seule qui ne soit pas en ville, mais en zone rurale. La seule
aussi qui ne soit pas un appartement, mais une maison. C’était même une mignonne petite
maison de campagne donnant sur verdure et jardin.

Elle a été louée le 6 octobre 2015 par Najim Laachraoui, l’artificier des attentats du 13
Novembre, sous une fausse identité. Le propriétaire a trouvé que son locataire « présentait
bien, style informaticien ». Puis il a vu arriver « plusieurs personnes qui déchargeaient des
matelas et des sacs ». Ce qu’il a trouvé un peu intrigant. Quelques jours après, en passant -
devant sa maison, il a vu des draps suspendus qui occultaient les fenêtres. Il s’est rendu au
commissariat pour dire qu’il avait loué à une personne qui lui avait payé deux mois d’avance,
mais qu’il y avait là des locataires qui mettaient des « draps aux fenêtres pour qu’on ne les
voie pas ».
Planque éventée. Erreur professionnelle que cette arrivée massive et que la pose de ces draps,
de la part de locataires qui, d’ordinaire, savent se montrer si circonspects, se faufilant en ville
comme des rats, dissimulés dans des immeubles discrets. On demande d’ailleurs à cet
enquêteur comment ils ont pu rester autant de temps cachés en ville sans paraître suspects.
L’enquêteur répond qu’il est plus facile de se cacher en ville. « Il y a beaucoup de va-et-vient.
Il y a du monde. On n’observe pas le voisin. » Tandis qu’à Auvelais, tranquille zone rurale,
les riverains voient tout de suite qu’il y a quelque chose qui cloche.

Quand cette maison de campagne sera perquisitionnée, on trouvera une machine à laver,
étrangement et on ne sait pourquoi, entièrement démontée, quatre matelas par terre et les
traces ADN de Najim Laachraoui, de Sofien Ayari, de Mohamed Belkaid et d’Osama
Krayem.

La BMW louée servait aux déplacements de Najim Laachraoui. Et les bornages téléphoniques
ont permis de reconstituer les trajets effectués entre les différentes caches. Auvelais, Bruxelles
et Charleroi. La Seat Leon noire louée par Bakkali passait à Auvelais, puis se retrouvait garée
tout près de la rue Henri-Bergé, cette première planque, à Bruxelles, dont l’enquêteur a parlé.

On peut observer que, dès les premiers jours de la préparation des attentats, il y avait deux
groupes, celui des terroristes de Schaerbeek et celui de ceux de Molenbeek. Que ces deux
groupes étaient en connexion. Et qu’ils « opéraient » de concert.

La rue Henri-Bergé va être utilisée par une dizaine de « locataires ». On y a découvert des
cordelettes portant les traces ADN de Mohamed Abrini et de Mohamed Belkaid. Ce sont ces
mêmes cordelettes qu’on retrouvera au Stade de France et au Bataclan. Le 18 décembre 2015,
Mohamed Bakkali sera identifié comme étant le faux Castillo. Celui qui a loué deux
appartements dans Bruxelles, tandis que Khalid El Bakraoui en louait deux autres, hors
Bruxelles.

Khalid El Bakraoui utilisait 16 lignes de téléphone, chacune servant à une « action »


spécifique. Une ligne pour la commande des faux papiers, une autre pour la réception des faux
papiers, etc. L’une des avocates de Farid Kharkhach (fournisseur de faux papiers) va
intervenir pour dire qu’El Bakraoui était « quelqu’un de paranoïaque ». Et que c’était un
terme qu’on a déjà utilisé pour le qualifier. L’enquêteur lui répond, plus mesuré dans son
diagnostic : « Paranoïaque, disons plutôt précautionneux. Ces lignes dédiées, c’est une
technique. Ça se fait dans le grand banditisme. » Paranoïaque, le logisticien d’attentats était
d’abord pragmatique et défiant.
Arrivé à la fin de son exposé, cet enquêteur belge, qui a tout de même pas mal travaillé, va
devenir le misérable qu’on conspue, qu’on écartèle, qu’on veut mettre en pièces. C’est que les
avocats de la défense veulent défendre leurs clients. Et le plus acharné va être Me Kempf,
avocat de Yassine Atar. Il lance à l’enquêteur d’un ton à tuer toute réponse : « J’entends que
vous dites qu’il n’y a aucune trace de mon client dans ces appartements. Sur quelle pièce
avez-vous pu établir que mon client avait eu connaissance de la location de ces appartements
conspiratifs ? » Et il le flagelle, la voix implacable, le ton mordant : « Si Yassine Atar est
dans ce box, c’est à cause de vous ! »

Le malheureux 447761902 se retrouve accusé d’avoir fait mettre un innocent dans le box. Il
n’en peut mais. L’ambiance devient aussi mauvaise qu’électrique. Au point que le président
se sent tenu de dire à Me Kempf : « Ne mettez pas tout sur le témoin, sinon on pourrait
penser que vous voulez l’influencer. » Me Kempf, restant sur ses ergots : « Merci pour ce
cours de droit, monsieur le président. » Le président, légèrement agacé mais restant
conciliant, comme quand on s’adresse à un premier de la classe qui vient de
déborder : « Mais ce cours de droit m’a semblé nécessaire, et cela m’étonne de vous. »

De planque en planque, sur les traces de l’organisation des


attaques

Me Kempf fonce de nouveau sur l’enquêteur, qui n’est plus qu’une petite ombre tétanisée. Il
lui lance : « Pourquoi, dans votre procès-verbal, inscrivez-vous comme élément à charge
grave que mon client se serait retrouvé dans une planque avec un autre accusé, alors qu’il
était au restaurant ? Il est écrit que mon client aurait fréquenté à plusieurs reprises la rue
Bergé. Mme Panou [la juge antiterroriste belge] reproche à mon client d’avoir fréquenté la
rue Bergé, après que les autres avaient quitté cette planque, sur la base de votre travail. Vous
avez transmis à Mme Panou un dossier qui dit que mon client a borné devant la rue Bergé.
Comme s’il se rendait dans cette planque. [Pour des activités terroristes.] Alors qu’il y allait
juste voir son oncle. [Qui habite à proximité.] »

L’oncle de Yassine Atar est ce personnage qu’on a déjà vu témoigner. Et qui, pour défendre
son neveu et bien montrer qu’on ne pouvait en rien le dire radicalisé, s’était mis à le charger
de tous les vices. « Yassine, c’est le fils de Bacchus, le fils du sexe et du vice. Yassine a fait
tous les bordels de Tanger. » Une défense pittoresque qui a eu son petit succès.

À LIRE AUSSI : Yassine Atar, grand bavard

Et puis, tonne Me Kempf, « il faut parler de cette fameuse clé qui a été un élément à charge
déterminant contre Yassine Atar ». Cette clé était suspectée d’être celle d’une planque.
L’enquêteur attaqué, ainsi que tout son travail, a un sursaut de défense vital. Il se redresse et
répond à l’avocat : « Monsieur, vous êtes en train de dire qu’aucun travail n’a été fait et que
tout est instruit à charge contre votre client. Or il y a eu toute une série de vérifications qui
ont été faites. Pour cette clé, il a été vérifié qu’elle pouvait ouvrir cette porte, mais aussi
d’autres portes. Elle a été écartée et n’est plus à charge contre votre client. » Me Kempf
devait être un des premiers à le savoir. Mais il sait très bien défendre son client. En mettant en
pièces l’adversaire. À coups de massue. Pendant que Yassine Atar était sur un point
innocenté, on a oublié toutes les preuves accablantes que cet enquêteur a apportées contre les
autres accusés. Elles sont passées aux oubliettes. Personne n’en a plus discuté.

Le lendemain, Osama Krayem refuse toujours de comparaître. Et c’est l’officier de police


447437051 qui témoigne. À savoir une jeune enquêtrice qui va s’attacher à la découverte de
trois autres caches. La première au 408, avenue de l’Exposition, à Jette, commune de
Bruxelles-Capitale. Au 9e étage d’un immeuble assez haut, gris-blanc, anodin. Le propriétaire
rencontre son futur locataire : « Il était bien habillé, assez classe. Il avait une chevelure qui
ne semblait pas naturelle. » Encore une de leurs fameuses perruques. Celui qui
l’accompagne, par contre, ne lui fait pas du tout bonne impression : « Il avait l’air d’une
petite crapule. »

Le 20 septembre 2015, il loue son appartement. Le locataire lui remet un paquet de fausses
fiches de paye. Et lui présente de faux papiers, avec une photographie d’identité où il figure,
arborant cette même chevelure qui ne semblait tout de même pas très naturelle. Une fois de
plus, ça passe. Bien que cette grosse perruque ne fasse vraiment pas du tout naturel. Et qu’elle
donne au locataire l’air d’un mouton hirsute et touffu.

Le mouton hirsute paye cash, en liquide, 1 843 euros. Et c’est la carte de Mohamed Bakkali
qui est utilisée pour les paiements. Cette planque est louée à une date bien précise. Le jour de
l’arrivée des trois terroristes qui vont faire un carnage au Bataclan. Et cette cache de Jette sera
utilisée avant, mais aussi après les attentats de Paris. La location ne prendra fin que le 6 mars
2016.

Le 22 mars 2016, les enquêteurs perquisitionneront cette planque. Un petit appartement,


studio-salle de bains, avec un balcon-terrasse et une cave entièrement vide. L’appartement est
vide lui aussi, bien sûr. Mais on retrouvera sur des couverts et le tapis de la salle de bains des
traces ADN de Salah Abdeslam, d’Osama Krayem et de Bilal Hadfi. Ainsi que des traces très
importantes de l’explosif TATP. Le locataire de la planque était Khalid El Bakraoui. Il
connaissait bien Jette. Ses parents y habitent. En 2014, il s’y est illustré de façon glaçante
avec son frère Ibrahim.

Jusque-là, ils faisaient dans le grand banditisme, mais en 2014, ils ont voulu « voir ce que ça
faisait de tuer ». Pour faire ce « test », ils ont abattu en pleine rue un homme âgé de 77 ans,
un passant qui traversait pour se rendre au café regarder un match de football.

« Ce que ça fait de tuer un homme », pour eux, a été une expérience facile. Les policiers ne
les ont jamais retrouvés. Ne comprenant même pas pourquoi on avait assassiné cet homme de
77 ans. Les frères El Bakraoui font partie de ces accusés contre lesquels l’enquêtrice a réuni
des preuves accablantes. Mais ils ne comparaîtront jamais. Ils se sont fait tous deux exploser
en 2016, lors des attentats de Bruxelles.

La deuxième planque était rue des Chapeliers, à Verviers. Elle a été louée par Ibrahim El
Bakraoui. Dans un petit immeuble très correct. Une troisième planque est découverte au 39,
avenue des Casernes, à Etterbeek. La cache est un petit appartement clair et lumineux. On y
retrouve Ibrahim El Bakraoui, qui y emménage le 29 octobre 2015. Il y a là une caméra de
vidéosurveillance qui capte son image, le filme lors de ses nombreuses allées et venues. Il se
dissimule sous des artifices divers, bonnet enfoncé, lunettes, perruque noire… Il sort l’après-
midi et retourne dans sa planque en fin de soirée. Il reçoit aussi des visites.

À deux reprises, Mohamed Bakkali apparaît sur les vidéosurveillances. On y voit également
Ali El Haddad Asufi, ami d’Ibrahim El Bakraoui, qui est accusé d’avoir participé à la
fourniture des armes. Interrogé, Asufi dira qu’en effet il venait parfois chercher Ibrahim El
Bakraoui, mais que c’était juste pour aller boire un verre ou l’emmener au restaurant, et qu’il
n’avait aucune idée qu’il puisse être lié aux attentats.

C’est un ami pourtant bien singulièrement affublé pour aller boire un simple verre. Toujours
masqué, transformé par ces lunettes et cette moumoute de déguisement.

Le 9 avril 2016, lors de la perquisition, on trouvera les traces ADN d’Ibrahim El Bakraoui et
d’Osama Krayem. Et des traces d’explosif TATP en très grande quantité. Et dans le box du
garage, un sac de boulons et d’écrous similaires à ceux qui ont été utilisés pour les attentats de
Paris.

Arrivé à ce point, le président note : « On a retrouvé un très grand nombre de traces des
terroristes décédés et des accusés. Et on peut établir une chronologie. Le 3 septembre, il y a
la location de Charleroi, qui va servir à héberger les trois terroristes du Bataclan qui
arrivent : Samy Amimour, Ismaël Omar Mostefaï, Foued Mohamed-Aggad. Ils ne vont pas y
rester longtemps, mais y laissent des traces ADN. Ils vont ensuite avenue de l’Exposition, à
Jette. Où ils font des rencontres et des préparatifs. Le 6 octobre arrivent Osama Krayem et
Sofien Ayari. »

On voit que toute une organisation s’est mise en place. Faux papiers. Planques. Voitures.
« Exécutants » et logisticiens qui arrivent. Recherches d’armes. Fabrication d’explosifs.
Quand les locataires disparaissent, ils laissent des traces de TATP. La poudre blanche des
explosifs. Ce TATP qui est l’explosif préféré des terroristes de Daech. Et qu’ils appellent « la
mère de Satan ».
La « mère de Satan ». L’ambiance qu’il devait y avoir dans ces planques ! Avec ces assassins
qui organisent meurtres et carnages. Qui se cachent, qui se faufilent. Qui s’activent. Qui
sortent avec des perruques, des chapeaux, des bonnets enfoncés. Artifices qui les dissimulent.
Qui se retrouvent invisibles, se glissant façon rats dans des immeubles anodins. Ils se font
livrer des pizzas. Ils ont besoin de beaucoup de matelas. Seuls, ils ne pourraient rien faire.
Mais ils sont en groupe. Soudés ensemble dans leurs activités mortifères. Et ils vont
s’endormir sur leurs matelas achetés chez Cora. Il y a huit, six ou trois matelas par terre. Ils
sont hors du réel. Dans leur cauchemar de mort. Que mettaient-ils aux murs, comme
décoration ? Des drapeaux de mort djihadistes ? Ou une icône : la mère de Satan.

Dessins : Corentin Rouge

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