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Oeuvres complètes de lord

Byron / traduction nouvelle


de Louis Barré ; illustrée par
Ch. Mettais, E. Bocourt, Ed.
frères

Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France


Byron, George Gordon Byron (1788-1824 ; baron). Auteur du
texte. Oeuvres complètes de lord Byron / traduction nouvelle de
Louis Barré ; illustrée par Ch. Mettais, E. Bocourt, Ed. frères. 1856.

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OEUVRES COMPLÈTES

DE

LOBD BYRON
Ptris. — Typographie de Gàittel et Cie, rue Clt-le-Cteur, 7
OEUVRES COMPLETES

LORD BYRON
DE

TRADUCTION NOUVELLE

DE LOUIS BARRÉ

ILLUSTRÉS

PAR CE. METTAIS, E. BOCOURT, ÉD. FRÈRE

ÉDITION BRY AÎNÉ

PARIS
En Vente à la Librairie centrale des publications à 20 centimes
5, RUE DU PONT-DE-LODI, 5

1856
NOTICE

SÛR

LORD BYRON.

L'auteur de Chitde-Harold cl de Don Juan est ûfi, des enfants de prédominant pf pour les livres d'histoire, et en particulier pour l'An-
celle grande révolutionqui a commence par l'Amérique et la France, cien-Testament.
ck Après une légère indisposition, on l'envoya faire
et qui n'a point encore dit son dernier mot. Tel est lo secret de sa nr séjour dans les HigMands pour rétablir sa santé, séjour qui fit
un
popularité parmi nous. Nous avons salué en lui la plus brillante éclore éc en lui un profond sentiment des beautés de là nature.
expression d'une époque où tout a grandi au point de briser les an-
ciens moules. Mais pour être reconnu d'abord par ses compatriotes, Un trait caractéristique de l'enfance dé Byron consiste dans ses
le poète de l'avenir devait avoir aussi un trait du passé. Ce trait, amours al précoces. Agé seulement de huit ans, il se passionna pour
c'est la partie aristocratique de son caractère, en lutte continuelle une UJ petite fille d'Aberdeen, nommée Mary Duff, qui l'aimait de son
avec ses instincts de démocratie. Grand seigneur par ses goûts et ses côté, Cl sentiment réciproque qui se manifestait par le plaisir que ces
dédains, anglican par ses images bibliques et certaines aspirations deux
d< charmantes créatures trouvaient à se tenir gravement assises
religieuses, payant tribut aux classiques par le plan de ses drames l'une ' ' auprès de l'autre en causant tendrement, tandis qu'Hélène, la
cl son admiration pour Pope, il ne montre là que l'épidémie': dans soeur s< aînée de Mary, jouait à la poupée. A chaque séparation, Georges
son coeur, Byron est tout révolutionnaire,enthousiastede liberté, témoignait
l.c une vive impatience; il engagait sa merc ou sa bonne à
sceptique religieux et vaguement humanitaire,novateur par la libre Cl écrire pour lui à sa petite fiancée; et, peu d'années après, en appre-
allure de ses plans, de ses pensées, de son style; il est démocrate nant n le mariage de Marie Duff, il tomba dans des convulsions alar-
enfin par son existence cosmopolite et sa mort de martyr! mantes.
" Plus lard, à Dulwich, il s'éprit de mémo de Marguerite
Parker, charmantejeune fille qui mourut bientôt après de consom-
Ce double aspect ressort d'une rapide esquisse de sa vie. ption, et dont la mort inspira au poète naissantsa première élégie. La
p fois enfin, à Newstead, venuen vacances de Harrow, il vit
La race des Byrons remonte à l'invasion normande ; un Ralph de troisième ,]
Burun est inscrit dans la distribution des terres saxonnes. Ses des- miss n Cliaworlh, qui habitait dans le voisinage et qui appartenait à la
ccndanls parurent aux croisades, à Calais, à Crécy; ils reçurent de J1 famille avec laquelle son grand-oncle avait eu un funeste différend.
Henri Vlll le domaine ccclésiaslique de Newstcail, et, pendant les Le l romanesque de cette liaison la changea bientôt en un violent
guerres civiles, ils restèrent fidèles au dogme de la légitimité. Le amour a du côté de l'adolescent, mais non du côté de la jeune per-
grand-père de notre poêle, l'amiral Byron, est cité dans les fastes de sonne, s qui, ayant deux ans de plus, crut pouvoir accueillir comme
la marine britannique; un de ses grands-oncleseut un procès fa- un x jeu la passion du pauvre écolier sans refuser néanmoins un parli
meux pour avoir tué en duel un M. Cliaworlh ; son père, enfin, se, s sérieux qui se présenta l'année Suivante. Ces trois aventures, en
fit connaître moins honorablement par ses dettes cl par un enlève- apparence
J frivoles, ne présageaient-ellespas le rôle important que,
ment que suivit son premier mariage avec la femmedivorcée de lord[ '
les femmes devaient jouer dans la vie et les écrits de Byron, et l'en-
Carinacrlhen. (De cette union naquit AuguslaByron, depuis niislressj cens ( et les sarcasmes qu'il leur a prodigués lour-à-tour?
Leigh, soeur bien-aimée du poète.) Du côté maternel, on voit éga- Revenons sur nos pas. Ce grand-oncle en question,- le meurtrier
lement une longue suite d'illustres ancêtres; les Gordons de Gight1 M. Chaworth, était mort sans héritier direct dans son domaine
descendaient d'une fille de Jacques lc>' d'Ecosse. de
(
de
( NeAvstead. Le jeune Georges devenait pair d'Angleterre, hon-
Tout ceci explique le patricien; passons à l'homme. neur qu'il parut sentir vivement dans l'expectative, mais dont la
réalité le désabusa. La mère et l'enfant, en venant prendre possession
Le capitaine Byron, devenu veuf, épousa miss Catherine Gordon, de la vieille abbaye, voisine de la foret de Sheerwood, la trouvèrent
riche héritière que les anciennes dettes et les nouvelles profusions »
s dans un délabrement complet. L'oncleWilliam s'amusaitde son vi->
de son mari avaient déjà complètement ruinée, lorsque, le %i jan-
vier 1788, étant à Londres, elle mit au inonde son fils unique, George vant à nourrir dans les salles une quantité innombrable de grillons,
Gordon-Byron. D'une mère dont le caractère, naturellement vio- plus e qui tous disparurentà sa mort ; mais il avait en outre une passion
lent, était encore aigri par les privations,d'un père qui errait sans coûteuse, analogue à celle de l'oncle Tobie dans le Tnslram-
s Shandy :- sir William avait fait construiresur un lac des forteresses
cesse d'Angleterre et d'Ecosse en France, où il mourut en 1791, le e et une flottille, et il s'y livrait au plaisir de la petite guerre, brûlant
jeune Georges était né sous les tristes auspices d'une misère dorée.?• sous
En oulre, il avait un pied difforme, et cette infirmité le fit souffrir forme de poudre à canon quelque chose de plus que ses reve-
longtemps au physique par les efforts même que Ion tenta pour la lr nus. La situation des héritiers ne se trouva donc guère améliorée,,
'a car il leur restait à peine quelques livres sterling, produit de la venia
guérir; elle le fit souffrir toute sa vie dans sa vanité. Par là, il se sen-
*" de leur mobilier. Celte situation ne devint un peu plus conforme à
tait doublement séparé de la caste élégante et riche. leur rang que grâce à une pension de trois cents livres que lady
Le caractère de l'enfant se montra concentré, sauvage, intraitable, B
Byron obtint sur la liste civile, et surtout quand lord Carlisle, tuteur
non sans de fréquents éclairs d'intelligence et de bonté. 11 conserva du jeune Georges, l'eut fait rentrer dans le domaine substitué de

un long ressentiment contre sa mère, qui, dans un accès de violence ;e Rochdale, indûment aliéné par le marin d'eau douce. Le souvenir
ir
provoqué par l'usage habituel des spiritueux, l'avait poursuivi poul- de ce précédent maître du domaine n'offrait pas d'ailleurs à son
ie battre en l'appelant : « Marmot boiteux ! » Mais il montratoujours jeune héritier un exemplebien propre à lui tracer cette ligne de con-
rs duite régulière qui conduit dans le monde
un tendre attachement à May Gray, sa gouvernante,dont l'affection m aux positions stables et
adoucissait ses chagrins. enviées.
A l'Age de cinq ans, le jeune Georges fut envoyé à l'école d'Abcr- ir- l
I Mistress Byron s'étant rendueà Londres, en 1799, son fils fut mis
deen, ville où résidait sa mère, et c'est là qu'il contracta son goût ût l en pension au collège de llarrow-on-the-llill, près de Windsor. Il
4 t LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

se trouvait alors assez mal préparé par ses maîtres précédents aux ! irenom qu'obtint le poète, fort bel homme d'ailleurs quand il ne mar- i ||
études purement linguistiques ; mais il avait puisé dans ses lectures I <chail pas, et homme à la mode surtout, prêtait assez au scandale :
incessantes une certaine connaissance des faits historiques, et sur- \ iune noble dame avait été jusqu'à se couper la gorge pour lui en
tout une force de pensée et d'élocution assez rare à son âge, pré- ]plein raout avec un verre cassé. Le poêle, en songeant au mariage, |
|
cieux indice pour ceux qui songeront un jour à réformer l'instruc- voulut se ranger et se rendit encore plus vulnérable. Il demanda la
tion publique. A Harrow, Byron, devenu aussi latiniste qu'il appar- imain de miss Milbanke, riche héritière, assez jolie personne, mais '
tient à un Anglais, mais helléniste médiocre, composa dans sa langue prude et un peu bas-bleu : refusé du premier abord, il eut enfin le
maternelle des vers qui n'étaient souvent que des imitations des an- malheur de réussir. Les noces, célébrées le 2 janvier 1816 furent j
ciens; il se distinguait surtout dans les exercices du collège par son d'une tristesse de mauvais augure. Une gouvernante favorite, , tirée
talent pour la déclamation. Extrême en tout, il conçut pour quel- plus tard de son obscurité par des vers qui la fustigeront dans la
ques-uns de ses jeunes camarades des amitiés passionnées, bientôt postérité, se posa dès l'abordentre les deux époux ; et l'année écou-
brisées par la mort ou la séparation. On a remarquéqu'il choisissait lée, miss Milbanke se. retira chez son père: ses motifs restèrent ob-
souvent les objets de ses affectionsdans une classe inférieure à celle scurs, mais elle alléguait que les profusions de son mari ne lui lais- , ;
où il était né, premier signe de cette sympathie qu'il eut toujours saient pas les moyens de vivre selon son rang.
pour les faibleset les opprimés. Après quelques démarches pour la ramener, lord Byron, voyant
L'élève de Harrow, indocile jusqu'à la rébellion, n'avait rien perdu s'ameuter autour de lui les amours-propres irrités de ses succès, les 1,
de la turbulence de l'enfant des grèves d'Aberdeen ou de la forêt de salons et les sacristies blessés de son dédain pour les formes et les
Sheerwood: il aimait les jeux bruyants, le mail, quelquefoismôme idées reçues, quitta pour jamais l'Angleterre,profondément ulcéré ],
la lutte et la boxe ; passion qui se manifesta plus tard sous d'au- contre le monde qui finit, prophète et précurseur du monde qui va
tres formes : le goût des chiens, des armes, les courses au grand commencer. Du rivage, il adressa de louchants adieux à sa femme
galop sur le Lido à Venise et la répétition de l'exploit de Léandre et à sa fille Ada, la bien-aimée de son coeur. !

aux Dardanelles. Il remontale Rhin ; puis il passa en Suisse où il se lia avec Shel-
Le barde futur passa, en 1805, au collège de la Trinité, univer- ley et madame de Staël, noblesamitiés qui, avec celles de Shéridan,
sité de Cambridge, cl il y mena une existence assez dissipée. Mais Hobhouse, Lewis et Moore, le vengèrent amplement des rancunes
pendant les vacances, il fut introduit par sa mère dans plusieurs des nullités titrées et initiées.
familles respectables et put envisager le monde sous un aspecl plus Ce fut dans ce voyage qu'il composa le troisième chant de Childe-
sérieux. Les traces des plus petits événements de sa vie à cette épo- Harold, le Prisonnier de Chillon, quelques petits poèmes et Man-
que et dans les années précédentes se retrouvent dans ses Heures fred (1817). Il se fixa bientôt à Venise où il commença en 1818
de loisir, recueil de poésies qui ne fut alors imprimé qu'à cent Don Juan que l'on peut considérer comme son oeuvre capitale, et
exemplaires. Ce ne fut qu'en 1808 que la Revue ^.Edimbourg daigna la plus complète, la plus libre expression de cette âme multiple.
s'occuper de cet ouvrage. Une critique injuste et passionnée fit évé-
nement dans la vie du jeune poète et faillit l'entraîner dans la voie L'année suivante, un attachement auquel les moeurs italiennes
de la littérature militante pour laquelle il se crut une vocation pro- se prêtent plus facilement que celles des pays du nord virilconsoler
noncée circonstance qui peut-ôlre eût privé le monde des chefs- Byron de son veuvage. La comtesse Guiccioli l'aima, quitta pour lui
d'oeuvre, que Byron devait créer dans un genre tout différent. Il son mari et se chargea d'acquitter la delte de toutes les âmes que
répondità l'attaque par une satire intitulée les Poètes anglais et les le poète avait charmées. Ce fut dans sa retraite auprès de celte
critiques écossais. Le succès mit les rieurs de son côté. amante dévouée, à Venise, à la Mira, à Ravenne, àPise, qu'il con-
tinua Don Juan et qu'il composa Caïn, Les deux Foscari et le reste
En 1809, le jeune lord, qui venait d'atteindre sa majorité, se pré- de ses ouvrages dramatiques.
senta seul à la chambre haute, son tuteur ayant refusé de lui servir
de parrain. La réception fut froide: trois ans après seulement, Cependant l'ami des libertés du monde s'était affilié aux carbo-
il prononça son premier discours à propos du bill sur les briseurs nari ; et son coeur, comme celui de Sardanapale, qu'il a peint à S:;
de métiers ; il s'y montra fidèle aux principes libéraux et favorable celte époque, balançait entre l'amour et le devoir... Car c'était un ["
à l'émancipation catholique. L'année suivante (1813), il prit encore devoir sacré qui l'appelaitau secours des Grecs qu'il avait peut-être [;
la parole pour la pétition du major Cartwright, insulté et arrêté illé- enflammés par ses chants. Le 24 juillet 1823, il partit de Livourne ;.
galement par les agents brutaux de l'autorité militaire. Dans les pour Céphalonie avec le comie Gamba, le frère de sa maîtresse... i
deux occasions, son succès parut grand ; mais Byron vit bien qu'il (Les moeurs italiennes sont encore là.) Il avait sacrifié les débris do (y
n'avait émn qu'à la surrace une assemblée dévouée à ses seuls sa fortune pour apporter aux insurgés des armes et des munitions, p
intérêts; et dégoûté, il abandonna pour toujours la carrière poli- Les premiers mois furent employés à lutter péniblement'outre les [
tique. prétentions exagérées et les divisions des Palicares, qui lui étaient |
cependant tout dévoués. Au mois de janvier seulement il put aller |
Dans l'intervalle, un pèlerinage vers le sud et l'est de l'Europe rejoindre Mavrocordalo à Missolonglii, où le temps passa encore f
avait singulièrement développé les plus précieuses de ses facultés se
en discussions et en préparatifs. Vers le milieu de février, on réso-
poétiques : il y avait recueilli les matériaux de ses poèmes orien- lut d'aller assiéger Lepanle,
taux. Il avait visité Lisbonne, Gibraltar, Malte, la Sicile, la Sar- longtemps de marcher, « élanl eu dépil des Souliotes qui refusèrent
habitués, disaient-ils, à se battre
daigne, l'Epire, où il avait vu le fameuxAli, pacha de Janina, et en contre des hommes et non contre des murailles.
dernier lieu la Morée. Enfin, après avoir passé à Constantinople, il »
était revenudans la cité de Minerve où son courage sauva la vie à une Enfin, l'avant-gardepartit. Lord Byron voulait la rejoindre avec
jcuneGrecque qui était accusée d'un crime d'amour (commis sans le corps d'armée, lorsque, le 9 avril, comme il était à une lieue de
doute en faveur du jeune Anglais) et que l'on portait toute cousue Missolonglii avec le comte Gamba, ils furent assaillis par une pluie
dans un sac de cuir pour la jeter à la mer. violente et continue. Byron rentra avec la fièvre : le lendemain, il
Ce fut aussi durantcevoyagequ'ilcomposales deux premierschants voulut
reprendre ses occupations et sortit à cheval. Ce fut la der-
de Childe-Harold, ouvrage dontun ami, homme de goût, M. Dallas, enfin nière fois. Obligé de s'aliter, il languit encore neuf jours et mourut
le 19 avril, en répétant le nom de sa fille, et chargeant son
parvint avec peine à lui faire comprendre la supériorité sur ses valet de chambre Fletcher d'aller trouver lady Byron et de lui
essais satiriques. Enfin persuadé, il s'occupait de l'impression de dire «Tout... tout...» ; mais il ne fut capable d'articuler aucune
:
ce poème,lorsqu'il apprit que sa mère était dangereusementmalade : explication.
il revint en Angleterre et n'arriva à Newslead que pour assister aux
funérailles. Le mystère aurait pu nous être dévoilé, sans l'infidélité de Tho-
Childe-Harold fut accueilli comme l'oeuvrela plus grande qui eût mas Moore.. dépositaire des mémoires du noble poète : mais ce
paru depuis le Paradis perdu : l'auteur a dit lui-même avec justesse : mystère est maintenant scellé sous deux tombes.
« Je m'éveillai un matin et me trouvai célèbre. » L'Envie s'éveilla Les restes de lord Byron furent repoussés de Westminster le
aussi : forcée au silence, mais nullementdésarmée par le succès non clergé anglican, qui eut raison de ne point se croire digne de par les re-
interrompudu Giaour, de la Fiancéed'Abydos, du Corsaire, elle quitta cevoir. On les a déposés à Newslead,dans le tombeau de ses pères.
la critique pour la calomnie et attaqua les moeurs de l'homme, ne Mais ellesera .. la première des nations du globe, celle qui un jour les
pouvantentamer ses oeuvres. 11 faut avouer qu'un certain genre de réclamerapour son Panthéon.
CS1TJYB.ES COMPLETES

DB

LORD BYRON
TRADUCTION NOUVELLE PAR LOUIS RARRÉ.

LE CORSAIRE.
II.
Tel était le cri sauvage qui s'élevait do l'île des Pirates, oùbrillait
un feu de bivouac; tels étaient les sons que répétaient en frémissant
les échos des rochers, et qui semblaient des chants à ces oreilles
grossières. Dispersés en groupes sur le sable doré, les forbans
CHANT PREMIER. jouaient, riaient, causaient ou aiguisaient leurs poignards, quelques-
uns choisissaient leurs armes; chacun reprenait sa lame fidèle et
regardaitd'un oeil indifférent le sang qui la couvrait. Ceux-là tra-
1. vaillaient à réparer leur navire, à replacer le gouvernail ou les avi-
rons, tandis que d'autres erraient pensifs le long du rivage. Los plus
« Sur les vagues joyeuses de la mer revêtue d'un sombre azur, occupés tendaient un piège à l'oiseau des rochers ou étalaient au
comme clic, nos pensées sont sans bornes, et nos âmes toujours li- soleil les filets humides : de l'oeil avide de l'Espérance, ils cherchaient
bres ; aussi loin que la brise peut porter, le flot se couvrir d'écume, dans la moindre tache à l'horizon quelque voile éloignée, se rappe-
elles planent sur notre empire, contemplent une patrie. Voilà nos lant l'un à l'autre les prodiges décent nuits de combat et se deman-
royaumes, le domaine illimité sur lequel domine notre pavillon, dant de quel côté ils iraient chercher une proie nouvelle. — De quel
sceptre à qui tout doit obéir. Notre vie, toujours sauvage et turbu- côté? qu'importeI c'est l'affaire du CHEF; la leur est de croire que
lente, même quand elle passe de la lutte au repos, nous fait trouver ni la proie ni les dispositionspour la saisir ne feront défaut— .Mais
des jouissances dans chacune de ces alternatives. Et ces jouissances, ce CHEF quel est-il ? Son nom esl connu et redouté sur maint rivage;
qui pourrait les décrire? Ce n'est pas toi, esclave des voluptés, toi ils n'en savent, ils n'en demandent pas plus. Il ne se révèle à eux
dont l'âme faiblirait au sommet croulant des vagues : ce n'est pas que pour commander: peu de mots, mais un regard, mais un
toi, noble vaniteux, élevé dans la débauche et l'indolence, toi que geste : jamais il ne vient animer de sa propre gaîté leurs joyeux fes-
le sommeil no repose plus, à qui le plaisir même ne sait plus plaire. tins : mais ils lui pardonnent son silence en faveur de ses succès.
Oh! qui pourrait les décrire, sauf l'infatigable pèlerin de ces routes Jamais ils ne remplissent pour lui la coupe empourprée; elle passe
sans traces, dont le coeur, habitué à ces épreuves, a bondi triom- devant ses yeuix sans qu'il l'effleure ; et quant aux mets de sa table, le
phant sur l'abîme des eaux, et gonflé de joie et d'ivresse, a senti ses plus grossier de la troupe les dédaignerait à son tour. Le pain rus-
battements s'accélérer jusqu'au délire? Lui seul chérit l'approche tique,l'humble racine desjardinset à peine un de ces fruits, luxe de
de la bataille pour la bataille même, faisant ses délices de ce que l'été, apportentà ses courts repas une frugalitéque supporterait à pei ne
d'autres appellent danger : il ambitionne ce que le lâche s'empresse un ermite. Mais tandis qu'il méprise ainsi les plaisirs grossiers des
de fuir, et quand le faible s'évanouit, il s'émeutseulement... il s'é- sens, son âme semble se nourrir de cette abstinence môme. « Droit
meut en sentant, dans les profondeurs de son sein agité, l'espérance à ce rivage ! » et la voile y conduit. « Faites ainsi ! » c'est fait. <t A
qui s'éveilleet le courage qui s'enflamme.Oh! nous ne craignons pas vos rangs el suivez-moi ! » le butin est conquis. Ainsi l'acte accom-
la mort, pourvu que l'ennemi périsse avec nous... pourtant la mort pagne la parole ; tous obéissent et peu s'enquièrentde ses intentions:
paraît encore plus triste que le repos... N'importe ! qu'elle vienne à ceux-ci, un mot, un coupd'oeildedédaiu, montrentassezsa colère;
quand elle voudra : en attendant, nous épuisons l'essence même de il ne daigne point s'expliquer davantage.
la vie; et quand on a perdu celle-ci, il est indifférent que ce soit
par la maladie ou par l'ôpée. Qu'un être, épris de sa propre décré-
pitude, consente à se cramponner sur sa couche, à y languir des an- III.
nées dans les douleurs, à respirer un air appesanti, à secouer une
tète tremblante : pour nous le frais gazon, et non le lit fiévreux!... « Une voile ! une voile ! » c'est l'espoir d'une prise 1 « Quelle na-
Tandis que son âme s'exhale lentement,sanglot à sanglot, les noires, tion? Quel pavillon? Que dit le télescope?» Ce n'est point une prise,
d'un seul effort, d'un seul bond, échappent à toute contrainte. Que hélas ! et pourtant ce navire est bienvenu : l'étendardrouge de sang
son cadavre soit fier de son urne de marbre et de son étroit caveau ; flotte au gré du vent. « Oui, c'est à nous, c'est un vaisseau qui re-
que ceux que fatiguait sa vie lui dorent tombe : à nos morts, des vient au port. Souffle favorablement, ô brise! ils doivent jeter l'ancre
larmes peu nombreuses, mais sincères,une quand l'Océan s'entr'ouvre avant la nuit. » Le cap est doublé : la baie reçoit cette proue qui brave
pour les ensevelir! Pour eux, au milieu même des banquets, de les vagues. Comme elle poursuit fièrement sa noble course ! Ses
vrais regrets s'exhalent de la coupe rougissante, et des libations blanches ailes, qui jamais ne fuient devant l'ennemi, semblent la
couronnent leur mémoire. Leur courte épitaphe se rédige, à la fin porter sur les ondes, qu'elle parcourt comme un oiseau des mers,
du jour des dangers, quand les vainqueurs partagent les dépouilles en défiant les éléments conjurés. Ah ! qui ue braverait le feu des
et s'écrient, le front assombri par un triste souvenir : Hélas I com- combats, qui ne braverait le naufrage, pour régner en monarque
bien les braves qui ont succombé seraient joyeux à cette heure ! sur le peuple qui habite ses flancs !
»
C LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES. |j#
i

IV.
ils ne résistent point, car Conrad l'a voulu, et qui oserait mettre en 1
question ce que Conrad décide? Homme d'isolement et de mystère,
à peine l'a-t-on vu sourire, rarement on l'entendsoupirer; son nom -5|
|
Jj
terrifie les plus hardis de sa troupe et fait pâlir leurs visagesbasanés :
Le câble frôle rudement les flancs du vaisseau; ses voiles sont il esl doué de la puissance dominatrice qui fascine, entraîne cl fait
repliées ; il se balance en jetant l'ancre ; el les oisifs qui l'observent frissonner au besoin les coeurs vulgaires... Quel est donc ce charme f|
du rivage peuvent voir le canot qur descend de la poupe vitrée. L'cm- que ccsliommes indisciplinés reconnaissentet envient, mais contre S
liarcation est garnie d'hommes, et les avirons cadencés la dirigent lequel ils voudraient lutter en vain? Quel lien peut ainsi enchaîner fï
vers la plage, jusqu'à ce que sa quille effleure et creuse le sable. — leur foi?... Le pouvoir de la pensée, la magie de l'intelligence; pou- i|
Salut! cris de bienvenue, paroles amicales! mains qui s'unissent et voir né du succès, saisi et conservé par l'adresse, qui de la volonté %
se serrent sur la grève ; sourires, questions el réponses précipitées ; d'un seul fait un moule pour les faiblesses des autres, n'agissant "à
offrescordiales de fêtes et de banquets! que par leurs mains, mais se parant à leur insu de leurs plus bril-
lants exploits. Ainsi sous le soleil, a-l-on toujours vu et verra-t-on [ ::
toujours le grand nombre travailler pour un seul. C'est l'arrêt de j;
V. la nature; mais que le faible qui travaille se garde d'accuser, de haïr, j
celui qui recueille les produits. Oh! s'il connaissait le poids de ces
Les nouvelles se répandent, et la foule s'amasse pour les recueillir; chaînessplendides, que ses humblesdouleurs lui paraîtraientlégères!
parmi les sourds murmures et les bruyants éclats de rire, les voix
plus douces, mais inquiètes, des femmes se font entendre. Les noms
des amis, des époux, des amants, sont répétés après chaque mot : IX.
« Oh! sont-ils saufs au moins? Nous ne demandons point vos suc-
cès : mais les reverrons-nous?entendrons-nousleurs voix chéries? Différent des héros des races antiques, démons par leurs actes,
Quelque part qu'ait rugi la bataille, que les vagues aient déployé leur mais dieux par leur beauté, Conrad n'a rien dans son aspect qui
fureur, sans doule ils ont bravement agi ; mais lesquels d'entre eux puisse exciter l'admiration, sauf le feu qui brille sous l'ombre de ses
ont survécu? Qu'ils se bâtent de nous apporter l'etonncmcnt et la noirs sourcils; robuste, mais non taillé en hercule; d'une taille or-
joie, et que leurs baisers éloignentle doute de nos paupières ravies ! » dinaire plutôt que gigantesque; en somme néanmoins, ceux qui
s'arrêtent à le regarder à deux fois distinguenten lui des signes que I
ne porte point le vulgaire des hommes : ils le contemplentet s'élon-
VI. ncnl de leur propre impression... et, tout en l'avouant, ils n'en peu-
vent deviner la cause. Ses joues sont brûlées du soleil; son front est
o Où est le chef? nous avons un rapport à lui faire, et nous crai- haut et pâle, mais voilé en partie par les noirs anneaux de son abon-
gnons de voir bientôt finir cette joie qui salue notre arrivée; n'im- dante chevelure; el sa lèvre relevée révèle souvent malgré lui les ;
porte! elle est sincère, elle est douce au coeur, cette joie passagère. ! hautaines pensées qu'il réprime, mais qu'il no peut cacher lout-à-
Allons, Juan ! guide-nous à l'instant vers le chef : une fois que nous ' liiit. Bien que sa voix soit douce et toute son apparence calme, on j
l'aurons salué, nous reviendrons fêler notre retour, et chacun ap- \ croit cependanty démêler quelque chose qu'il ne voudrait pas lais-
prendra ce qu'il désire savoir. » Ils montent lentement de pics en ser paraître. Ses traits aux lignes profondes, aux teintes changeantes,
abîmes par un sentier taillé dans le roc, jusqu'à la plate-forme où la attirent à la fois et troublent la vue, comme si sous la pensée téné-
tour de garde qui domine la baie s'élève parmi des buissons touffus breuse s'agitaienl des sentimentsterribles, mais encore vagues ; mais
et des massifs de fleurs sauvages : l'air y est rafraîchi par des sources s'il en est ainsi, personne ne le peut dire, car son regard sévère ar-
argentées, qui jaillissent pleines de vie de leurs bassins de granit et rêle un examen attentif. Peu d'hommes pourraient délier la rencontre
provoquent la soif à s'assouvir dans leurs flots pétillants. — Là-bas, de son oeil pénétrant; et quand un regard curieux cherche à sonder
près de celte grotte, quel esl cet homme isolé dont le regard plane son coeur ou à étudier les altérations de son teint, il sait à la fois
sur les vagues? dans une attitude pensive, ilscreposesursonsabre, découvrir le dessein de l'observateur et le forcer de reporter son
qui certes est rarement un bâton d'appui pour celle main rougie de attention sur lui-môme, de peur de révéler ses propres secrets au
sang? u C'estlui, c'est Conrad, seul maintenant comme toujours. En lieu de pénétrer ceux de Conrad. Autour de sa lèvre se joue un sou-
avantl Juan, en avant! annonce-nous. 11 a vu le navire... Dis-lui rire infernal qui excite à la fois la rage et la terreur, et partout où
que nous apportons des nouvelles qu'il lui importe de connaître tombe le sombre regard de sa haine, l'Espérancese flétrit el s'envole,
promptement: nous n'osons approcher; tu connais son humeur , la Pilic soupire et dit adieu.
quand des pas étrangers ou non désirés viennenttroublersa solitude.»
X.
VII. Bien faibles sont les signes extérieurs des fatales pensées : le de-
dans, c'est là que travaille l'esprit du mal ! L'amour trahit toutes ses
Juan s'approche du chef et lui fait connaître le voeu de ses com- phases diverses; la haine, l'ambition, la perfidie, ne se manifestent
pagnons. Celui-ci n'ouvrepoint la bouche, mais exprime son assen- que par le môme sourire plein d'amertume. Une lèvre bien légère-
timent par un signe. Juan appelle les autres; ils s'avancent ; à leur ment contractée, la plus faible pâleur répandue sur un visage étudié,
salut le chef s'incline légèrement, mais ses lèvres restent muettes. ,[ indiquent seulesdes passions profondes; et, pour observer leurs sym-
« Ces lettres, chef, sont de ce Grec, ton espion, qui annonce de nou- | ptômes, il faudrait voir en restant invisible. Alors, parcelle marche
veau que le butin ou le péril sont tout proche : quelles que soient ses précipitée, par cet oeil qui se lève fréquemment vers le ciel, par ces
informations, nous pouvons annoncer qu'en outre... — Silence ! si- j, mains qui s'élrcignentconvulsivement, par ces pauses soudaines qui
lence! » C'est ainsi qu'il arrête leurs inutiles discours. Etonnés, lui- !! interrompent l'agonie, quand le coupable se redresse et croit saisir
miliés, ils se retirent à l'écart et se communiquent à voix basse leurs j! autour de lui des pas indiscrets, craignant qu'on ne vienne contem-
conjectures ; ils épient en même temps son regard pour observer pler de trop près ses terreurs; alors, dans toutes ces libres du visage
l'impression que font sur lui les nouvelles annoncées. Mais comme que tiraille le coeur, dans ces explosions de sentiment qui se renou-
s'il les devinait, il tourne la tête de côté pour cacher son émotion et vellent el se fortifient sans cesse, dans ces tressaillements soudains,
ses craintes, ou seulement par orgueil, et parcourt le billet. « Mes ta- ces convulsions, ces luttes, ces frissons et ces ardeurs, ces rougeurs
blettes, Juanl écoute... où est Gonzalvo? — Dans le navire qui est à la joue cl ces sueursau front; dans tous ces symptômes, étranger!
à l'ancre. — Qu'il y reste... porte-lui cet ordre... et vous, à votre si tu le peux sans trembler, contemple son âme vois quel som-
poste ! préparez tout pour le départ; je prendrai le commandement meil adoucit ses souffrances, vois comme ce sein flétri dans la soli-
ce soir. —Ce soir, seigneur Conrad. —Oui : an coucherdu soleil : car tude et l'abandon s'agite sous la pensée désolante d'un passé qu'il
la brise doil fraîchir vers la fin du jour. Mon corselet, mon manteau ; exècre! Contemple.... Mais qui, n'étant qu'un homme lui-môme, a
et dans une heure nous sommes en route. Tu prendras ton clairon. jamais vu ou verra jamais à découvert les profondeurs de l'âme?
Veille à ce que les ressorts de ma carabine soient exempts de rouille
et ne trompentpas mon adresse : que le tranchant de mon sabre d'a-
bordage soit bien aiguisé et que la garde élargie s'adapte mieux à XL
ma main. L'armurier devra s'en occuper sur-le-champ; car dans la
dernière affaire cette épée a plus fatigué mon bras que n'a fait la Cependant Conrad n'avait pas été créé par la nature pour con-
résistance de l'ennemi. Veille a ce que l'on tire exactement le canon duire une bande de scélérats, el devenir lui-même le plus détestable
de signal quand l'heure du délai sera expirée. » instrument du crime. Son âme avait été altérée avant que ses actes
l'eussent amené à combattre l'homme et à renier le ciel. Elevé par
le monde à l'école du désenchantement, trop sage dans ses paroles et
VIII. trop insensé dans sa conduite, trop ferme pour céder el trop orgueil-
leux pour s'abaisser, condamné par ses vertus même au rôle de dupe,
Tous s'inclinent en signe d'obéissance, et se retirent silencieu- il maudit ces vertus comme la cause de ses maux et ne maudit pas
sement. C'est aller revoir un peu tôt le désert liquide ; et pourtant les traîtresquil'avaientperdu; il ne vit point qu'en plaçanlmieux ses
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON.

bienfaits il aurait conservé son propre bonheur el les moyens de faire le sommet de la colline que couronnait sa tour... Là, il s'arrèle sur
le seuil, car il reconnaît celle voix tendre et mélancolique qu'il no
encore des heureux. Redouté, honni, calomnié, quand sa jeunesse croit jamais avoir entendue trop souvent. Le3 sons, quoique doux,
était encore dans sa force, il en était arrivé à détester trop profon-
dément l'humanité pour sentir les remords, el il prit la voix de son se répandent au loin à travers le grillage de la haulo fenêtre ; et voici
courroux pour un appel céleste qui lui ordonnait de venger sur tous l'air que chantait le bel oiseau captif.
l'es torts de quelques-uns. 11 se reconnaissait coupable, mais il croyait
que les autres ne valaient pas même le portrait qu'ils faisaient de lui, 1.
cl il méprisait les plus sages comme des hypocrites qui
commettaient
actes que les plus hardis se permettent ou-
en cachette ces mômes détesté, Ce lendre secret habite au plus profond de mon âme, solitaire et
vertement. 11 se savait mais il savait aussi que ses accusa- caché pour toujours, sauf quand mon coeur se soulève pour répon-
teurs s'inclinaient el tremblaient devant lui. Abandonné, furieux, dre à ton coeur, puis tout tremblant rentre dans son silence.
égaré, il se posa en être inaccessible à toute affection comme à tout
dédain : son nom pourrait épouvanteret ses actes surprendre; mais 2.
ceux qui le craignaient n'oseraient le mépriser. L'homme foule aux
pieds un ver, mais il s'arrèle avant de réveiller tous les poisons en- Là, au centre de ce coeur, brûle lentementla flamme d'une lampe
dormis du serpent replié sur lui-même; le premier pourra relever sépulcrale, éternelle, mais invisible; les ténèbres du désespoir ne
la tète, mais non vengersa blessure ; le second meurt, mais ne laisse peuvent l'étouffer, quoique ses rayons soient maintenant plus inu-
point son ennemi vivant; il enlace rapidementles membres de l'of- tiles que jamais.
fenseur, et, tant qu'il peut mordre, on peut l'écraser, mais non le 3.
vaincre.
XII. Garde mon souvenir! Oh! ne passe pas devant ma tombe sans
une pensée pour celle dont les restes sont cachés là; la seule dou-
Nul n'est tout mauvais : Conrad conserve un doux sentiment qui ' que mon âme ne puisse braver, ce serait de trouver l'oubli dans
leur
s'agite dans son coeur. Souvent il s'csl raillé des hommes trompés " tienne.
la
par des passions bonnes pour les sots et les enfants ; et pourtant il 4.
lutte vainement contre une passion semblable, el même en lui cette Ecoute cet accent profond, le plus faible, le dernier : la Vertu ne
passion réclame le nom d'Amour. Oui, c'était un amour inaltérable, défendre de regretter les morts donne-moi donc la seule
inaltéré, ayant un objet dont rien n'avait pu le détacher. Quoique peut
P
chose
c qAie je t'aie jamais demandée : une larme, là première, la der-
les plus belles captives fussent chaque jour offertes à ses regards, il nière, la seule récompense de tant d'amour.
ne méprisait pas ces femmes, il ne recherchait point leurs caresses, "
mais il passait froidementauprès d'elles; quoique mainte beauté lan-
guît captivedans ses chaînes dorées, aucune d'elles n'avait pu rem- Il franchit le seuil, traversa le corridor et arriva au salon au mo-
plir une de ses heures les plus oisives. Oui, celait de l'amour, si l'on ment
r même où la mélodie finissait : « Ma chère Médora, ton chant
peut appeler ainsi une tendresse éprouvée par les tentations; le est
c bien triste. — En l'absence de Conrad, voudrais-tu qu'il fût
malheur, l'absence, les changements de climat, et enfin, chose plus jjoyeux? Quand lu n'es point là pour entendre ma voix, elle doit
rare encore, par les efforts du temps; une passion que n'ont pu at- tencore révéler mes pensées, mon âme entière ; chacun de mes ac-
trislcr ni les espérances vaincs, ni les projets détruits, qu'aucune cents est l'écho do mon pauvre coeur, et mon coeur ne pourrait se
<
fureur n'a pu troubler, à qui la maladie elle-même n'a pu arracher taire
t quand même mes lèvres seraient muettes! Oh! pendant com-
un murmure ; toujours joyeuse
d'e
au retour, toujours calme au départ, bien de nuits, étendue sur ma couche solitaire, les terreurs do mes
j

do peur que la douleur l'amant ne brisât le coeur de l'amante; rêves


i ont prêté au vent les ailes de la tempête, et pris le souille qui
une pareilletendresse, que rien n'avait pu étouffer, que rien ne me- caressait
i doucement les voiles pour le murmure précurseur de la
mirait d'affaiblir, oh! si l'amour existe parmi les mortels, c'était là rafale : son faible bruissement me semblait un chanl sombre et pro-
du l'amour. Conrad était un grand coupable, tous ses actes étaient phétique, pleurant sur .ton cadavre qui flottait au gré des vagues.
criminels; mais non celte passion toute puissante qui, de toutes les Je me levais pour ranimer le feu du signal, de crainte que des agents
vcrlus la plus aimable, élait la seule que le crime lui-même n'avait moins fidèles n'en laissassentexpirer la llamme. Pendant du longues
pu éteindre. heures sans repos, j'observais attentivement les étoiles, et enfin
XIII. l'aube arrivait et tu étais toujours loin de moi. Oh! alors, comme
le frisson matinal glaçait ma poitrine I comme le jour se lovait sombre
Il resta un moment immobile, jusqu'à ce que ses compagnons, qui à mes regards troublés! Je regardais et regardais encore, et mes
regagnaient le vallon à la hâte, eussent disparu nu premier détour pleurs, mes promesses, mes voeux, ne pouvaient faire paraître un
du chemin. «Etranges nouvelles! j'ai vu bien des dangers, et je ne navire. Aujourd'hui, enfin.... il était midi.... je pus saluer et bénir
sais pourquoi celui-ci m'apparaîl comme le dernier. Mais quoique un mât qui vint frapper ma vue : il s'approchait; hélas! il jours passa
outre. Un autre vint... Dieu! c'était le tien. Oh! que de pareils
mou coeur abandonnel'espoir, il restera inaccessible à la crainte,
et mes soldats ne me verront point faiblir : c'est un coup désespéré ne reviennent plus! mon Conrad! Ne voudras-lu donc jamais con-
naître les douceurs de la paix? Certes, tu as plus qu'une forluno
que d'aller au-devant de l'ennemi, mais ce serait une mort plus sûre vulgaire, el plus d'un séjour aussi beau
d'attendre qu'il vînt nous traquer ici et nous pousser vers une ruine que celui-ci t'invile à y ter-
inévitable. Si mon plan peut s'accomplir, si la fortune nous sou- miner tes courses errantes. Tu le sais, ce n'est pas le péril que jo
rit, il sera versé des larmes autour de notre bûcher funéraire. Oui, crains, je ne tremble que quand tu n'es pas ici, et alors môme co
qu'ils donnent) que leurs rêves soient paisibles! le malin ne les a n'esl point pour ma vie, mais pour celle qui m'est bien plus chère,
jamais réveillés par des feux aussi brillants que celui qui s'allumera cl qui, n'aspirant qu'aux combats, se dérobe sans cesse à l'amour.
celle nuit (sois-nous seulement favorable, ô brise!) pour réchauffer Chose étrange que ce coeur,
si tendre envers moi, se plaiso il com-
ces tardifs vengeurs de la paix des mers. Chez Médora, maintenant! battreOui, la nature et ses plus doux penchants !
Oh! mon faible coeur, puisse le coeur de Médora ne point souf- — chose étrange, en effet ! ce coeur est changé depuis long-
frir un poids pareil à celui qui l'oppresse 1 El pourtant, j'étais temps : on l'a foulé aux pieds comme un ver; il s'est vengé comme
brave.... pauvre sujet d'orgueil, ici où l'on ne voit que des braves. un serpent; il no lui reste point sur la terre d'autre espoir que Ion
L'insecte lui-même pique bravement pour défendre ce qui lui est amour, et jamais un éclair de pitié n'est venu briller pour lui du
cher. Ce courage vulgaire que nous partageons avec la brute, et haut des cieux. Ce que tu condamnes en moi, cette haine envers les
dont le désespoir seul inspire les redoutables efforts, mérite peu hommes est aussi mon amour pour toi : sentiments tellement con-
d'estime. Mais je visais à de plus nobles résultats : j'ai habitué ma fondus dans mon âme que , si on les sépare, ils mourront tous les
petite troupe à se mesurer froidement contre de nombreux ennemis ; Ine deux ; je cesserai de t'aimer le jour où j'aimerai l'humanité. Mais
longtemps j'ai guidé mes soldats de telle sorte que leur sang ne crains rien : le passé t'assure que^mon amour vivra dans l'avenir.
coulât point en vain... Maintenant, plus de milieu : il faut vaincre Toutefois, ô Médora ! raffermisIon noble coeur : à cette heure encore,
ou périr. Eh bien ! soit ; je ne regrette point de mourir, mais de con- il faut... ce n'est pas pour longtemps... il faul nous séparer.
duire ainsi mes compagnons à un combat où toute retraite leur sera — Nous séparer, à cette heure ! Mon coeur l'avait prévu : ainsi se
impossible. Depuis longtemps je m'occupe peu de mon sort; mais flétrissent mes rêves féeriquesde bonheur. Partirà cette heure, cela
mon orgueil souffre de.donner ainsi dans le piège. Est-ce là de l'ha- ne se peutl Ce navire à peine a jeté l'ancre dans la baie: l'autre
bileté, du savoir? jouer sur un seul dé l'espérance, le pouvoir et la est encore en mer ; et l'équipage a besoin de repos avant de nou-
vie! Oh, destin ! Conrad, accuse ta folie et non le destin le velles fatigues. Mon amour! lu te moques de ma faiblesse, et tu
destin peut encore le sauver ; il n'est point trop lard. cherches à endurcir mon coeur, avant l'instant où il doit être frappé ;
» mais ne joue pas davantage avec ma douleur, une pareille gaîté fait
plus de mal que n'en ferait un véritable chagrin. Tais-toi, Conrad!
XIV. Cher Conrad ! viens partager le festin que je me suis plu à te pré-
parer : léger labeur que de rassembler et d'orner ta frugale nourri-
îl s'en (retint de la sorte avec lui-même, jusqu'à ce qu'il eût atteintt \[ turc! vois, j'ai cueilli le fruit que j'ai cru le meilleur, et quand j'avais
LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

trop à choisir, incertainemais charmée, j'ai pris en même temps le devait plus la revoir; il sent bien en ce moment que la terre pour
plus beau. Trois fois j'ai gravi la colline pour chercherla source la lui ne contientqu'elle seule : il baise son front glacé, se détourne,
plus fraîche : ton sorbet ce soir doit te plaire ; vois comme il brille et Conrad est parti.
dans son vase de neige. La joyeuse essence de la vigne ne réchauffe
jamais ton sein, toi, qui es plus sévère qu'un musulman quand la XV.
coupe circule : oh! ne pense pas que je veuille l'en blâmer: je me
réjouis, au contraire, de cette sobriété de goûts que d'autres consi- « Est-il parti? » Dans sa solitude soudaine, combien de fois va se
dèrent comme une privation que tu t'imposes. Mais viens : la table présenter cette terrible question : « A peine un instant s'est écoulé ;
est prête ; la lampe d'argent est remplie et ne craint pas les vapeurs il était là! El maintenant... » Elle s'élance hors de la tour, et alors
du soir. Mes jeunes suivantes assisteront au repas et se joindront à seulementses larmescoulent en liberté ; elles tombent, larges, bril-
moi pour former des danses ou pour éveiller la voix de l'harmonie; lantes et pressées, sans même qu'elle les sente ; mais ses lèvres se
ou bien ma guitare, que tu aimes à entendre, pourra calmer et as- refusent encore à répéter « Adieu. » Car ce mot, quoi que nous y ren-
soupir tes sens; ou enfin, si ton oreille dédaigne ses accords, nous fermionsde promesses, d'espérance,de foi, ce mol fatal ne contient
relironscelle histoire con- que le aesespoir. ueja sur
tée par l'Arioste, de la chaque Irait de celte fi-
belle Olympia tant aimée gure immobile cl pâle, le
et si tristement délaissée. chagrin a marqué une
Certes, si tu me quittais empreinte que le temps
maintenant tu surpas- ne pourra jamais effacer:
,
serais en cruauté celui ses grands yeux pleins
qui manqua de foi à cette d'amour, ses yeux d'un
pauvre damoiscllc , et bleu si tendre, se glacent
même cet autre perfide... à force de contempler le
tu sais : je t'ai vu sourire, vide. Mais tout-à-coup ils
un jour où la sérénité du parviennent à saisir, et à
ciel nous permitd'aperce- quelle distance, hélas ! l'i-
voir l'île d'Ariadne, que mage à peine entrevue
je te montrai du haut de du fugitif : et alors ce re-
ce rocher; et en même gard redevient mobile; la
temps, à moitié riante et frénésie semble couler à
craignant à moitié que ce flots à travers ses cils
doute ne vînt à se réaliser longs, noirs et brillants,
un jour, jeté dis : «Ainsi parmi ces sources d'une
Conrad doit m'abandon- onde amôre, sources qui
ncr un jour dans mon se renouvellerontsi sou-
île ! » et Conrad m'a trom- vent. «Il est parti! » Sa
pée, car il est revenu en- main rapide el convul-
core. sive se fixe sur son coeur,
— Encore ! encore ! et puis se lève suppliante
il reviendraencore, ô mon vers le ciel. Elle regarde
amour! s'il lui reste quel- encore vers le rivage, et
que vie sur la terre et quel- voit dresser le niât: elle
que espérance au ciel, il voit hisser la blanche voi-
reviendra vers toi... Mais le... elle n'ose plus regar-
l'aile du temps redouble der davantage; mais ren-
de vitesse et nous amène trant l'âme navrée sons
l'heure du départ. Pour- le portail de la tour : « Ce
quoi partir? Pour quels n'est point un songe, dit-
lieux? A quoi bon le le elle, et mou malheur est
dire maintenant, puisque complet. »
tout doit finir par ce triste
mot, Adieu I Et peut-être
voudrais-je, si le temps le XVI.
permettait, te dévoiler...
Mais ne crains rien : je Descendant de roe en
n'ai point affaire à de for- roc, Conrad se hâte d'un
midables ennemis; et une air sombre et ne tourne
garde plus forte que de pas une seule fois la tête;
coutume veillera ici pour mais il frémit chaque fois
résister à une soudaine at- que les détours de la rou-
taque ou soutenirun long te présentent à ses yeux
siège. D'ailleurs, lu n'es ce qu'il ne voudrait pas
pas seule, quoique ton revoir, sa demeure soli-
protecteursoit absent; nos Répartis en groupes sur le sable doré, les pirates jouent, boivent. taire, mais charmante,
matrones et tes jeunes .. placée sur le sommet d'où
suivantes restent avec elle le salue la première
toi ; et que cette pensée te quandilrevicntdelahaule
rassure, quand nous nous mer; et puis, Médora, sa
retrouverons, la sécurité doublerales charmes du repos. Ecoutons... douce et mélancolique étoile, l'astre dontlesbrillants rayonsl'éclai-
C'est le son aigu du cor... Juan a fait entendre le signal. Un baiser... rentdansles régions lointaines. Il ne doit pointla regarder; il nedoit
un encore... encore. Ob ! adieu ! » plus penser à elle; car rester, c'est dormir sur le bord de l'abîme.
Elle se lève, elle s'élance ; elle le serre dans ses bras, et cachant Un moment néanmoins, il est tenlé de s'arrêter et d'abandonner sa
sa figure dans le sein de son amant, elle sent un coeur battre sous vie au hasard et ses projets aux vagues... Mais non, il n'en peut être
ses lèvres. Il voudrait plonger son mâleregard dans les beaux yeux ainsi ; un chef, digne de ce litre, peut s'attendrir, mais non se chan-
de Médora, dans ces yeux d'un bleu si profond ; mais il n'ose re- ger en traître pour les pleurs d'une femme.Enfin il revoil son navire ;
lever cette tête qui fléchit dans l'agonie sans pouvoir répandre une il admire combien le vent esl favorable,el il rassemble froidement
larme. Les longs cheveux blonds de l'amanle flottent sur les bras toute sa force d'âme. Alors il hâte de nouveau ses pas, et lorsqu'il
qui la soutiennentdans tout le désordre de la beauté éplorée. Ce entend vibrer à ses oreilles le bruit des apprêts, les murmure-î em-
sein qu'habile l'image de Conrad bat à peine, tellement rempli de pressés, le tumulte du rivage, les cris, les signaux elles avirons qui
douleur qu'il en devient insensible. Ecoute ! voici l'appel du canon brisent l'onde ; quand il voit" le mousse grimper au mât, l'ancre sortir
qui retentit. Commeun tonnerre, il annonce que le soleil se couche; des flots, les voiles se développer tout entières, les mouchoirs s'agiter
et Conrad maudit le soleil comme un insensé. Il presse, il presse sur la rive en signe d'adieu pour ceux qui vont braver les flots, et
encore sur son sein cette femme qui l'avait silencieusement enlacé, quand il aperçoit surtout le pavillon sanglant livré à la brise/alors il
qui tout à l'heure le caressaiten l'implorant. Il porte en chancelant s'étonne que son coeur ait pu paraître si faible. Les yeux en feu, la
Médora sur sa couche, et la cotjtemple un moment, comme s'il ne poitrine remplie d'une ivresse sauvage, il se sent redevenului-même:
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON.

alors il bondit, il vole jusqu'à ce qu'il ait atteint la limite où finit la parut jamais trop prolongée? Cependantla brise constante soufflait
pCnle de la colline et où commence la grève... Là il modère sa course toujours dans un ciel serein, et le vaisseau glissait sur les ondes
et s'arrête, moins pour respirerla fraîcheur de la brise qui montede comme le faucon dans l'air. Ils franchissaientrapidementles hauts
la mer que pour reprendre la gravité de sa démarche habituelle et promontoiresdes îles qui se trouvaient sur leur roule, afin de gagner
ne point se présenterhaletant et troublé aux yeux de sa troupe. Car le poil longtemps avant le sourire du matin : et bientôt la lunette
Conrad savait faire plier la foule devant lui à l'aide de ces artifices de nuit reconnaît au fond de la baie étroite le havre où se tiennent
qui sont un voile et souvent un bouclier pour l'orgueil : il avait ce les galères du Pacha. Ils comptent chaque voile et observent les
port allier, cette expression de froideur qui semble ne vouloir point feux à demi éteints des navires, marques de l'imprudente sécurité
l'aperçoit, cet aspect imposant des musulmans. Le navire de Conrad passe sans être signalé près
se montrer et qui terrifie quand on des vaisseaux ennemis, el jette l'ancre au lieu choisi pour son em-
cl ce regard sérieux qui repoussent une indiscrète familiarité sans
manquer à la courtoisie : c'est par là qu'il forçait^ l'obéissance. Mais buscade, derrière un cap qui se projette et dessine sur le ciel sa
voulait-il gagnerles coeurs; il savaitsi bien se détendre que l'affec- forme rude et fantastique. Alors les pirates s'apprêtent:il n'est pas
tion chassait bientôt la crainte chez ceux qui l'écoutaient: les pré- besoin pour cela de les réveiller : ils sont armés pour combattre soit
sents que d'autres au- a terre, sou sur les îlots.
raient employés n'au- Conrad appuyé sur le
raient point eu l'efficacité bord du, navire et penché
de sa voix dont la grave sur l'abîme écumant, leur
et douce mélodie relentis- parle d'une voix calme...
sait dans tous les coeurs, pourtant il leur parle de
comme un écho du sien. sang!
Mais ce n'était point là sa
manière habituelle : il
songeait moins à séduire
qu'à subjuguer: les mau-
vaises passions de sa jeu- CHANT II.
nesse lui avaientappris à
préférer l'obéissance à
l'affection.
I.
XVII. Dans la baie de Coron
flottent cent galères rapi-
Sa garde se range en des; à travers les vitraux
bon ordre autour de lui ; du sérail de Coron, on
Juan se présente devant voit briller les lampes ;
le chef. « Tout le monde car Séid, le pacha,don ne
est-il prêt? —Tous sont une fêle celle, nuit : une
embarqués : le dernier fête en l'honneur du tri-
canot n'attend plus que omphe qu'il se promet
le capitaine. — Mon épée! dans l'avenir, quand il
mon manteau ! » Aussitôt ramènera à sa suite les pi-
son baudrier est bouclé rates enchaînés ; il l'a
fermement sur une épau- juré par Allah et par son
le le manteau est jeté épée, et fidèle à son fir-
man cl à sa parole, il a
.
légèrement sur l'autre.
« Qu'on appelle Pedro! » rassemblé le long de la
Pedro vient, et Conrad côte les navires qu'il a
répond à son salut avec fait venir de loutcs parts.
toute la courtoisie qu'il Nombreux sonl les équi-
daigne montrer à ses Bifi- pages; bruyants sonl les
des : «Reçois ces tablettes cris d'orgueil qui s'élè-
et consulte-les soigneu- vent parmi eux; déjà ils
sement : les paroles qui se partagent les caplils et
y sont inscrites te révé- les dépouilles, quelque
leront l'état des choses et éloigné que soit encore
toute ma confiance en l'ennemiqu'ilsméprisent:
toi ; double la garde et ils n'ont qu'à mettre à la
,
quand le navire d'Ansel- voile ; nul doule qu'au
mo reviendra, communi- premier lever du jour,
que-lui ces ordres. Dans ils ne voient les pirates
trois jours, si la brise dans les fers et leur re
nous est favorable, le paire envahi. Cependant
soleil éclairera notre re- les gardes de nuit peu-
tour ; jusque-là que la veutdormir, s'il leur plaît,
paix t'accompagne ! » et non-seulement atten-
Sur ces mots il serre dre pour s'éveiller le mo-
la main de son compa- ment du combat, mais
gnon de piraterie , et tuer d'avance l'ennemi
a un air hardi, il saule dans le canot. Aussitôt les avirons fendent dans leurs rêves. Tous ceux que ne retient pas le service se disper-
l'onde, et les vagues, étincelant sous le coup, jettent en se brisant sent sur lacôle et vont exercer leur bouillante valeur sur les Grecs de
un éclat phosphorique. Ils ont gagijé le vaisseau ; !» ?«™tainc est la contrée ; oh ! quel exploit glorieux pour le brave en turban, que
sur le tillac; le sifflet aigu retentit; tous se mettent à la manoeuvre. de tirer le cimeterre et d'effrayer un esclave! Aujourd'hui le Turc se
Conrad remarque avec bonheur avec quelle docilité le navire obéit contente de piller la demeure des opprimés ; son bras est fort, mais il
au gouvernail, quelle agilité déploie tout l'équipage ; et il daigne se montre débonnaire;il ne daignepoint verser de sang, parce qu'il
l'en féliciter: son regard plein d'orgueil va se tourner vers le jeune en a trop le pouvoir. A moins qu'un joyeux caprice ne l'engage à
Gonzalvo... Mais pourquoi Conrad a-t-il frémi ? Quelle tristesse in- frapper pour s'entretenir la main en attendant l'ennemi, la joie, les
térieure semble le saisir tout-à-coup? Hélas ! son regard a rencontré festins et la débauche lui suffisent pour charmer les heures du soir;
le rocher et la tour, et pour un moment il revoit la scène du départ. et les esclavesqui veulent garder leur tête n'ont pour cela qu'à sou-
Elle, sa Médora aperçoit-elle le navire? Oh! jamais il ne l'aima rire, à offrir à la voracité des musulmans ce qu'ils ont de meil-
moitié autant qu'à .. cette'heure! Mais il reste beaucoup à faire avant leur, el à retenir leurs malédictions tant
l'aube... Il se maîtrise, se détourne, et descend dans la cabine avec débarrassé d'eux. que le rivage n'est pas
Gonzalvo à qui il communique son plan ses moyens et son but.
Devant eux brûle une lampe et s'étend une ,
carte avec tous les in- II.
struments qui servent à l'art nautique : leur entretien se prolonge
jusqu'au quart de minuil ; pour des coeurs inquiets, quelle veille Séid, coiffé de son turban, est assis dans la partie la plus élevée de
10 LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES. I

sa grande salle ; autour de lui, sont les chefs à la longuebarbe qu'il la paix les Iribus les plus hostiles , el nous fail voir un frère dans a
doit guider au combat. Le banquet achevé, le dernier pilaw enlevé, l'ennemi l'c que nous avons pour hôte ? ?]
on dit que le pacha ose s'abreuver des liqueurs défendues, quoique — Le sel n'assaisonneque des mets recherchés; mais
les esclaves présentent à la ronde au reste de l'assemblée, selon se compose des plus chôlives racines, ma boisson est ma
nourriture |
l'eau pure du J
l'usage des rigides musulmans, la sobre essence des grains d'Arabie; ruisseau; ru d'ailleurs mes voeux el la règle de mon ordre me dél'en- |
les longues cliibouques répandent leurs nuages dans la salle, et denl
les aimés dansent au son d'une musique sauvage. Le matin, en étrange;
de de rompre le pain avec amis ou ennemis. Ceia peut sembler
él et si cette manière de vivre me rend suspect, que le péril 1
|
se levant, verra les chefs s'embarquer; mais les vagues sont quel- en ci retombe sur moi Mais pour tout Ion pouvoir, ô pacha, bien |i
quefois perfides pendant la nuit ; et les joyeux convives dormiront plus, pi pour le trône du sultan, je ne goûterai ni pain ni aucun mcls, [;|
plustranquillement sur leurs couches de soie que sur le rude lillae. a moins que je ne sois seul : si je manquais à mes devoirs, la colère [f
On s'amuse ici tant qu'on peut ; on ne combattra que quand il le du di Prophète pourrait m'arrêter dans mon pèlerinage
au temple de j"
faudra, cl moins encore pour la victoire même que pour l'honneur la la Mecque.
du Coran : et cependant, le nombre des soldats du pacha justifie et — Soit ! comme lu voudras, ascétiquedévot : réponds à uneseulo
au-delà son orgueilleuse confiance. question, et pars en paix. Combien d'hommes... Que vois-je ? ce ne
<T
peul
1> ôlrc Je jour ? quel astre... quel soleil vient briller sur la baie ?
Elle resplendit comme un lac de feu!... Holà! holà, trahison 1 mes
gardes
g ! mon cimeterre ! les galères sont
eu flammes, et je ne suis
L'esclave chargé de veiller en dehors de la porte se glisse lente- {? pas là I Derviche maudit ! voilà donc les nouvelles
que lu annon-
tnent el révérencieusementdansla salle ; il incline profondémentsa Aqu'on le lue !» çais... quelque vil espion !... qu'on le saisisse, qu'on l'enchaîne, j.
tête, et sa main effleure le plancher, avant que sa langue ose an- ^
Le derviche s'était levé à cet éclat de lumière, cl le changement
noncer la nouvelle qu'il apporte : « Un derviche captif des pirates, de
échappé de leur repaire, se présente ici: lui-mêmedira le reste.» js'était son aspect n'était pas moins étonnant que le reste: le derviche ;
;

L'esclave comprit le signe d'assentimentde Séid et amena silencieu- j,bondissant levé, non plus dans son pieux costume, mais comme un héros |
sèment le sainthoinmc. Ses bras étaient croisés sur sa robe d'un sur son coursier : il avait jeté son haut bonnet, déchiré i.
vert foncé; sa démarche était mal assurée et sa contenance abattue : ssa robe en pièces;on voyaitbrillersur sa poitrine une cotte de mailles, |
cependantil paraissait usé par les souffrancesplus que par les an nées, e^élincelaulet la lame de son sabre jetait des éclairs. Son casque peu élevé, mais i
et ses joues étaient pâles d'abstinence,mais non de crainte. 11 porte et la fureur et orné d'une plume noire, son oeil plus étincclaul encore ;
tout entières les mèches de sa chevelure consacrée à Dieu et que ( plus noire qui brunissait son front, le montrèrent aux i
des musulmans comme un de ces esprits qu'ils appellent !
surmonte fièrement son chapeau à forme haute : sa longue robe yeux -,
*
Afi'ites, démons dont les coups sont inévitables el mortels. Une
sans ccinturccnvcloppcun seiu tout rempli de l'amour du ciel; d'un jfusion affreuse, universelle, le reflet sombre des flammes dans
cou- j
air soumis, mais pourtant calme et assuré, il soutiennes regards ciel des torches le j
curieux qui l'observent et qui semblent le questionnersur l'objet de el la
sur lerre, les clameurs d'ell'roi et les hurle- i
menls qui s'y mêlaient (car déjà les glaives commençaient à s'entre-
sa venue avant môme que le paélia lui pcrmelle de parler. ,
choquer, et les cris de combat à retentir), toul donnait à
( rivage
l'aspect de l'enfer. Les esclavesépouvantés, qui fuyaient çà ce cl là, ne
IV. trouvaient que du sang sur la grève cl du feu sur les eaux. Ils n'é-
coulaient guère les cris du pacha courroucé : eux ! saisir le derviche
« D'où viens-tu, derviche ? — Du repaire des proscrits, d'où je me plutôt saisir Satan lui-même. L'étranger voit leur terreur, et chasse: '.
suis échappé.— Et quel jour, en quel lieu es-lii tombé en leur pou- l'accès de désespoir qui d'abord lui inspirait le dessein de rester
voir ? — Noire caïque allait du port de Scalauova à l'île de Skio : mais; la place et d'y mourir : car il avait été trop tôt el trop bien obéi,sur et
Allah n'a pointsouri à notre voyage: les pirates ont conquis le bieni la flamme avait été allumée avant qu'il eût donné lu signal. Il voit
des marchandsmusulmans;nos membres ont été chargés de chaînes. leur terreur, saisit le cor suspendu à son baudrier, el en lire un son
Je ne craignais pas la mort : je n'avais point de richesses à perdre, bref niais aigu : on répond. « Bien, mes braves compagnons ! Coni-
sauf l'errante liberté que l'on m'a prise. Un soir, enfin, la pauvre3, ment ai-je pu douter un moment de leur empressement à nie join-
barque d'un pêcheur vint m'apporter l'espérance et les moyens deB dre ! et soupçonner qu'ils me laissaient seul ici de propos délibéré?»
fuir : je saisis l'occasion, el j'arrivai ici où je suis en sûrelé : sous tax Alors, il étend son bras puissant ; el son sabre, eu décrivant des
protection, puissant pacha, qui pourraitcraindre quelquechose ? cercles autour de sa lèle, répare le temps (ju'il a perdu : sa fureur
—Elque font les proscrits? sont-ils bien préparés à défendre less achève ce que la crainte a commencé, et foule nombreuse recule
richesses qu'ilsont volées, les rocs qui leur servent d'asile ? connais-i- honleusement devant un seul homme. une Les turbans, percés d'un
sent-ils nos préparatifs ? savent-ils que leur nid de scorpions eslil coup fatal, sonl épais sur le carreau, el l'on voit à peine un bras se
condamné aux flammes? — Pacha, l'oeil attristé d'un captif qui nee lever pour défendre la tôle menacée. Séid lui-même, hors de ses
songe qu'à sa liberté est peu propre au rôle d'espion : je n'enten- sens, vaincu par la rage el la surprise, se relire devant rélranger,
dais que le mugissement incessant des flots, de ces flots qui refu- quoiqu'on le défiant: Séid n'est point un lâche, et cependant il re-
saient de m'cnlever au funeste rivage; je n'observais que le glorieuxx doutelc coup, tanllaconfusion de.ccltc scèncgrandil sou adversaire.
soleil et les cieux, trop brillant, trop bleus pour un captif; et jec Le spectacle de ses galères en feu distrait sans cesse son regard il
sentais que celle belle nature ne réjouit que le coeur de l'hommee s'arrache la barbe, et tout écumanl de fureur, il quille le champ ;de
libre.... il fallait briser ma chaîne avant de sécher mes pleurs.j. bataille ; car déjà les piralcsont franchi la porte du serai ; ils su pré-
Voici du moins ce dont tu peux juger par ma fuite même : ils nee cipitenl à l'intérieur, et ce serait vouloir la mort que de les attendre
songent guère à rien de ce qui s'appelle danger ; sans cela, si leur il- . un instant de plus. Les musulmans épouvantés Client, s'agenouil-
vigilance avait pesé sur moi, vainement aurais-je appelé ou cher- lent cl jcltenL leurs armes; maison vain, car leur sang coule à grands
ché le secours qui m'a conduit ici. Les gardiensinsoucieux, qui n'ont il flots. Les corsaires, poussanllcur attaque, se bâtent d'accourir vers
point aperçu ma fuite, veilleront sans doulc aussi paresseusement il le lieu où ils ont entendu l'appel du cor, où les gémissements des
quand les forces approcheront Pacha! mon corps est affaibli, i^ blessés, lus cris perçants de ceux qui demandent la vio annoncent
secoué par les vagues, et la nature demande du repos et des aliments Is que leur chef poursuit son oeuvre sanglante. Us poussent un cri de
réparateurs: permets-moi de me retirer : paix à loi! paix à lous les >s
joie en le trouvant seul el frémissant comme un tigre assouvi qui
tiens ! parcourt son repaire. Mais leurs félicitations sont courtes ; plus courte
— Arrête, derviche! j'ai encore quelques questions à te faire est encore sa réponse. « Tout esl bien ; mais Séid nous échappe
arrête, te dis-je, je t'ordonne de l'asseoir.. .. m'cnlcnds-tu? obéis; t! cl il doit mourir. On a beaucoup fail, mais il reste plus à faire. Leurs,
Mes esclaves vont l'apporter ton repas :jene veux pas que tu souf- f- galères sont en feu. pourquoi pas la cité ? »
fres le besoin, quand lous font ici grande chère : mais ton souper 31"
achevé, prépare-loi à répondre clairement cl en détail. Je déleste le lc
mystère » V.
»
Il eût clé difficile de deviner ce qui blessait le saint homme ; maisis
il promenait sur le divan des regards presque farouches,montrant à Prompts à lui obéir, tous prennent des torches et incendient le
la fois peu d'empressement pour le festin offert et peu do respect cl palais depuis lc minaret jusqu'au portail. Une volupté farouche se
pour les convives. Ce ne fut qu'un simple mouvemenl d'humeur pen- a- peint dans les yeux de Conrad : mais soudain, il change de visage,
dait t lequel une rougeur d'irritation anima sa joue. Puis il s'assit sit car un cri de femme a frappé son oreille cl a retenti, comme un glas
en silence et sa figure reprit son immobilité première. Son repas
as de mort, dans ce coeur que le bruit de la bataille n'a pu émouvoir,
était servi ; mais il dédaigna les mels somptueux, comme si quelque je « Oh ! qu'on enfonce les portes du harem I sur votre vie. respectez
poison y eût été mêlé : pour un homme si longtemps condamné ié les femmes : souvenez-vous que nous avons nos amantes. C'est sur
aux privations et à la souffrance, cette conduite pouvait paraître ré elles qu'un tel outrage serait vengé : les hommes sonl nos ennemis,
étrange. « Qu'as-lu donc, derviche? mange! supposes-tu que cette lie cl notre droit est de leur donner la mort; mais toujours nous avons
fêle soit une fête chrétienne?El dans mes amis vois-tu des objets ;ts épargné, toujours nous épargneronsdes êtres faibles. Oh ! je l'avais
de haine? pourquoi ne point goûter le sel, ce gage sacré qui entre
re oublié ; mais le ciel ne m'oubliera pas, si une femme sans défense
ceux qui l'ont partagé emousse le tranchant du sabre, réunit dans
ns perd ici la vie : me suive qui voudra; j'y cours : il est temps encore
OEUVRES COMPLETES DE LORD RYRON. 44

d'allégernos âmes au moinsdecc dernier crime.» En parlant ainsi, coups qu'il avait reçus n'y en avait-il donc point un seul qui pût en-
il franchit les degrés qui craquent sous ses pas; il enfonce la porleet voyer son âme... ail ciel, osait-il à peine dire? Seul parmi lous, de-
ne seul pas que le parquet embrasé brûle la plante de ses pieds ;sa vait-il garder la vie, lui qui plus que tous avait lutté et frappé pour
poitrine convulsive rejette les Ilots de fumée qu'elle aspire, el cepen- mourir? Il sentait profondément ce que doit sentir tout mortel ainsi
dant il se fraie un chemin d'appartement en appartement. Comme renversé du haut de la roue de l'inconstante fortune et menacé par
lui, ses compagnons cherchent; ils trouvent, ils sauvent: dans ses le vainqueur de lentes tortures, juste châtiment du crime. Il le sen-
bras vigoureux chaque pirate emporte une femme éploréc dont il ne tait profondément, tristement; mais le fatal orgueil, qui l'avait con-
contemple pas les charmes. Ils s'efforcent de calmer le bruyant cfl'roi duit à commettre tant do forfaits, l'aidait maintenant à cacher ses
de leurs captives, et pour relever leurs forces défaillantes emploient remords. Son attilude sombre cl concentrée est celle d'un conqué-
lous les soins dus à la beauté sans défense: tant Conrad a su chan- rant plutôt que d'un captif; quelque affaibli qu'il soit par les fati-
ger leur humeurfarouche et assouplir ces bras encore teints desang. gues de la lulle et le sang qu'il perd, peu s'en aperçoivent, tant il
Mais quelle est celle que Conrad a dérobée aux fureurs des combats y a de calme dans le regard qu'il promène autour de lui. En vain
et aux flammes de l'incendie? Qui serait-ce, sinon la favorite de ce la foule, revenue de ses terreurs, élève insolemment ses cris hai-
pacha que le corsaire brûle d'immoler, la reine du harem, mais en neux, les guerriers les plus braves, ceux qui Pont vu de plus près,
même temps l'esclave de Séid? n'insultent point l'ennemiqui leur a fail connaître la crainte ; et les
sombres gardiens qui le conduisent à son cachot lc regardent en
VI. silence avec une secrète frayeur.

Conrad eut peu de temps pour féliciter Gulnare, peu de paroles


à dire pour rassurer celte beauté tremblante : car pendant ce délai IX.
que la pitié dérobait à la guerre, l'ennemi, qui aurait fui rapidement Un médecin fut envoyé près de Conrad, non par humanité, mais
cl bien loin, vil avec éloinienient que sa retraite n'était pas pour-
suivie; d'abord il ralentit sa fuite, puis il se rallia, et enfin, il revint pour observer combien il lui restait encore d'existence et de force;
il lui trouva tout ce qu'il fallait pour supporter les plus lourdes chaî-
au combat. Séid l'aperçut, et il aperçut en même temps combien
l'équipage isolé du corsaire était peu nombreux en comparaison de nes el sentir sans succomber les plus atroces douleurs : le lende-
sa troupe : alors il rougit de son erreur, en voyant quel désastre
main, oui le lendemain,le soleil en descendantsous les mers devait
résultait d'un nionientdc panique et de surprise.«Allah,il Allah ! » voir commencer les tortures du pal, el l'astre, en se levant avec la
Tel est le cri de vengeance : la houle se change en une rage qui rougeur accoutumée du matin, saurait si la victimeavait bien ou mal
doit se satisfaire au prix de lu vie. La flamme doit répondre à la supporté ses souffrances. De tous les supplices celui-là est le plus
flamme , lc sang au sang ; le flot de la victoire doil remonter son long et lcplus douloureux ; car il ajoute le tourment delà soif à cette
cours; la fureur renouvelle le combat, el ceux qui combattaient pour agonieaffamés que chaque jour la mort refuse de finir, tandis que les vau-
vaincre doivent songer maintenant à défendre leur vie. Conrad voit tours volent en cercle autour du fatal poteau. « Oh ! de
le danger, il voit ses compagnons fatigués, repoussés par des enne- l'eau! de l'eauI » La haine avec un sourire rejette la prière du pa-
mis qui n'ont point encore combattu. « Un effort, un seul encore tient : car s'il boit il esl mort. Tel était l'arrêt. Lc médecin, le geôlier,
pour briser le cercle qui nous enferme! » Les pirates se réunissent, s'étaient retirés el avaient laissé le fier Conrad
seul et enchaîné.
se forment en colonne, chargent, chancellent... Tout est perdu!
comprimés dans une enceinte qui se rétrécit sans cesse, assiégés de
toutes parts, sans espoir, mais non sans courage, ils combattent et X.
luttent encore..... Hélas! voilà qu'ils ne gardent plus leurs rangs
de bataille ; percés, rompus, renversés foulés aux pieds Mais Comment exprimer à quel point s'exallcrent ses souffrances? il
, conscience. Il s'établit dans l'in-
;. chacun d'eux frappe de son côlé en silence ne portant que des est douteux qu'il en eût lui-même quand
,
coups mortels, cl tombe fatigué plutôt que vaincu, poussant son der- telligence une guerre, un chaos, toutes ses puissances trou-
.
nier effort avec son dernier souffle, jusqu'à ce que son fer ne soit ' blées, confondues, cèdent à la violence sombre qui les écrase el se
j plus retenu que par l'étreinte de la mort. laissent dévorer par le remords sans repentir : le remords, ce dé-
mon trompeur, qui jamais ne parle avant l'acte, mais qui, l'aclo
accompli, vient crier : «'Je l'avais averti!» Vain reproche! Une âme
VII. brûlante, inflexible, s'irrite et se révolte : le faible seul se rcpenl.
Oui, cola est vrai, môme dans celle heure solitaire où le sentiment
Mais avant que les Turcs ralliés en fussent venus à rendre coup intérieur s'exalte, où l'âme se révèle tout entière à elle-même, où il
pour coup, à opposer rang à rang, épée contre épée, Gulnare et n'est plus de passion exclusive, plus dépensée dominante qui laisse
toutes les filles du harem, devenues libres, avaient é(é mises ensû- tout lc reste dans l'ombre, et où les sauvages aspects du passé sem-
:
roté par l'ordre de Conrad dans la demeure d'une femme de leur blent se précipiter par les mille avenues de la mémoire. Alors les
' croyance. Là elles avaient pu sécher les larmes que leur avait fait songes de l'ambition expirante, l'amour qui n'est plus qu'un regret
répandre la crainte de la mort el des outrages. Or, quand la jeune el la gloire un danger, la vie môme qui va s'éteindre, les jouis•
dame aux yeux noirs, quand Gulnare rappela ses pensées tout à sauces qu'on n'a pas connues, le mépris ou la haine envers ceux
l'heure égarées par lc désespoir, elle s'étonna beaucoup de la cour- qui triomphent peu1 glorieusement, le passé irréparable, l'avenir
i
i loisie qui avait adouci la voix et le regard du vainqueur. Chose accourant trop vile pour que l'on puisse examiner s'il conduit au
; étrange! ce bandit, tout teint de sang, lui semblait alors plusaiina- ciel ou à l'enter, des actions, des pensées, des paroles, qui peut-être
; ble que Séid dans son humeur la plus tendre. Lc pacha offrait ses ne se représentaient point si vivement jusque-là, mais que cepen-
\ voeux comme s'il eût pensé que l'esclave devait s'estimer heureuse dant on n'avait jamais oubliés, des fautes légères ou gracieuses
' de les accepter; le corsaire donnait son appui, prodiguait les paro- dans leur temps, el qui, devant la froide réflexion, se montrent
les rassurantes, comme si son hommage était un droit de la beauté. comme aulanl de crimes ; la certituded'un mal inconnu à tous, mais
' « ! c'est un désir coupable , el chose pire pour une femme, c'est d'autant plus poignant qu'il est mieux caché : en un mol, tout ce
Ah
un désir inutile; mais je brûle de revoir mon sauveur, ne fût-ce que qui peut l'aire frémir l'oeil de la conscience humaine, voilà ce que
V l'our
lui rendre grâces (ce que mes terreurs m'ont fail négliger) de dévoile ce sépulcre entr'ouvert, le coeur d'un criminel mis à nu,
s
ni'avoir sauvé cette vie dont mon gracieux maître ne s'csl point jusqu'au moment où l'orgueil se réveille pour arracher à l'âme son
5
occupé. » miroir et le briser. Oui, l'orgueil peut tout voiler, le courage peut
braver tout, tout en deçà et au-delà de la chu te dernière, do la chute
I vm- vraiment mortelle. Mais quantàce point fatal, chacun ases craintes,
môme celui qui les trahit le moins : et celui-là, est-ce l'hypocrite
Alors elle l'aperçut dans l'endroit où le carnage avait été le plus avide de louanges? est-ce le lâche fanfaron qui fait d'abord étalage
!: terrible, et au moment où on le ramassait respirant encore parmi d'intrépidité et qui prend la fuite ? non, c'est celui qui regarde la
il les morts plus hcurcux'quc lui : éloigné de sa troupe et combattant mort en face, cl meurt silencieux; c'est celui qui, dès lon.-Memps
i: une nuée d'ennemis auxquels il l'ail payer cher le terrain qu'il leur armé pour son dernier combat, quand le trépas s'avance,lui épargne
r cède, il était tombé sanglant, dédaigné par la mort qu'il cherchait, la moi lié du chemin.
| ?

I
destiné à expier tous les maux qu'il avail faits, épargné
languir et vivre impuissant, tandis que la vengeance, imaginant
enfin
pour iui de nouveaux supplices, élancherait son sang pour le verser
pour
XI.
j do nouveau, mais goutte à goutte, sous l'oeil avide de Séid : toujours Dans le liant donjon de la plus haute tour, Conrad est assiâ chargé
i mourant sans jamais mourir. Est-ce bien lui que tout à l'heure elle de chaînes et au pouvoir du pacha. Le palais du Turc s'est abîmé
J a vu triomphant? alors un geste brusque de sa main sanglante était dans les flammes : la forteresse renferme à la fois son captif el sa
| un ordre, une loi. Oui, le voilà désarmé, mais non abattu, car son cour. Conrad ne peut guère blâmer la sentence qui lc frappe : son
j seul regret est de vivre encore; ses blessures sont à ses yeux trop vaincu aurait subi le môme sort. Il esl seul ; la solitude a
i légères, cl pourtant il s'est élancé au-devant d'elles avec résolution, ennemi réveillé ses remords, mais elle l'a aidé à reprendre son calme exté-
i? prêt à baiser la main qui lui aurait donné la mort. Oh! parmi les rieur. H est une seule pensée qu'il ne peut, qu'il n'ose envisager :
42 LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

« Hélas I comment Médora va-t-ellc supporter l'annonce de ces re-


vers? » A celle idée soudaine, il levait ses mains vers le ciel, regar-
dait ses chaînes retentissantes et les lirait avec rage : mais bientôt XIV. 1
il trouva, imagina, rêva un motif de consolation, et sourit comme
pour se railler de son propre chagrin. « Vienne maintenant la tor- « Corsaire! ton supplice est résolu; mais je puis, profitantd'une
ture quand elle voudra : je n'ai besoin que d'un peu de repos pour heure de faiblesse, adoucir le couiroux du pacha. Je voudrais t'é-
m'y préparer ! » En parlant ainsi, il se traîna vers sa couche et pargner des souffrances ; bien plus, je voudrais te sauver dès ce
quels que fussent ses rêves, il y dormit tranquillement.Il était mi- moment; mais le temps, les circonstances, tes forces même ne lc
nuit quand l'affaire avait commencé ; car les plans de Conrad, une permettentpas ; tout ce que je puis, je le ferai : au moinsj'obtiendrai
fois conçus, étaient aussitôt exécutés : et la dévastation sait si bien un délai à l'exécutionde celle sentence qui te laisse à peine un jour.
profiler du temps qu'en un court intervalle elle avait accompli pres- Tenter davantagemaintenant ce serait toul perdre; et toi-même lu
que lous les genres de crimes. Depuis que Conrad élait arrivé avec te refuserais à un coup de désespoir qui nous conduirait tous deux
le flot, une même heure l'avait vu déguisé, découvert, vainqueur, à la mort.
prisonnier et condamné : chef puissant à terre, pirate sur l'Océan ; —Oui, je m'y refuserais en effet : mon âme est préparée à tout;
destructeur, sauveur el endormidans les fers. elle est tombée trop bas pour craindre une chute nouvelle. Ne te
laisse pas fasciner par le danger; ne me fascine pas moi-mêmepar
l'espoir d'un salut impossible : incapable de vaincre, irai-je fuir hon-
XII. teusement? serai-je seul qui ne consente pas à mourir ? Et pourtant
il est un être vers lequel ma mémoire se reporte, jusqu'à ce que mes
Il dormait dans un calme apparent; car son haleine était régu- yeux s'attendrissent comme les siens. Quels ontélé mes appuis dans
lière et profonde... plus heureux, si ce sommeil eût été la mort! Il la route que je me suis tracée ? mon navire, mon épée, mon amour
dormait... Qui vient donc se pencher sur la couche paisible? Ses en- et mon Dieu! Quant à ce dernier soutien, je l'ai abandonné dans
nemis l'ont quitté, et il n'a point d'amis dans ce donjon. Serait-ce ma jeunesse : il m'abandonne maintenant, cl l'homme en m'abais-
quelqueséraphin descendu du ciel pour lui annoncer son pardon? sant ne fait qu'accomplir sa volonté. Je ne songe point à envoyer
Non, c'est une créature humaine, sous une apparencecéleste ! Son vers son trône une prière dérisoire, arrachée par le désespoir à la
beau bras blanc élevait une lampe à moitié cachée, de peur qu'un peur; il suffit : je respire encore et je puis tout supporter. Mon
rayon ne vînt tomber brusquement sur ces yeux qui ne devaient épée a été arrachée de celte main sans vigueur, qui devait mieux te-
s'ouvrir que pour la douleur et qui une fois ouverts ne se ferme- nir une lame si fidèle. Mon navire est coulé à fond ou pris... Mais
raient plus qu'une fois. Cettefemme à l'oeil si noir, à la joue si bril- mon amour!... Oh! pour elle seule ma voix pourrait s'élever vers
lante, aux beaux cheveux bruns entrelacés de perles, à la taille de le ciel; elle forme le seul lien qui puisse encore m'allacherà la vie ;
fée, aux pieds nus brillant comme la neige, el comme la neige se et ce qui doit se passer vabriscr un coeurtendre,une forme céleste...
posant sans bruit sur la terre, commenta-t-clle pu arriverjusqu'ici Avant que la tienne m'eût apparu, ô Gulnare! mon oeil n'avait
a travers les gardes cl dans les ténèbres? Ah ! demandez plutôt ce jamais cherché si d'autres étaient aussi belles.
que n'osera point une femmeconduite par lajeunesse et la pitié. Gul- — Tu en aimes donc une autre?... maisque me faiteela?... rien...
nare ne pouvait dormir, et pendant que le pacha sommeillait en mur- jamais rien.Enfin pourtant lu aimes, et... Oh! que j'envie les coeurs
murantet voyant encore dans ses rêves lc pirate son hôte, elle avail qui peuvent s'appuyer si fidèlement l'un sur l'autre, qui n'ont ja-
quitté sa couche; elle avait pris l'anneau de Séid dont souvent elle mais senli le vide, et dont les vagabondes pensées n'ont jamais
ornait sa main en riant, et munie de ce gage respecté, à peine ar- comme les miennes poursuivi deî chimères.
rêtée par une seule question, elle s'étail frayé un chemin à travers — Jeune femme, je croyais que ton amour était à celui pour qui
les soldais assoupis. Les gardiens, épuisés par le combat et les coups mon bras t'a retirée d'une tombe embrasée. — Mon amour au
qu'ils avaient échangés, enviaient lc repos de Conrad; ils avaient sombre Séid ! Oh l non, non, pas mon amour! Et pourtant ce coeur
étendu sur le seuil de la tourelle leurs membres frissonnants et en- s'est efforcé d'abord de répondre à sa passion : mais cela ne pou-
gourdis, cl déjà ils ne veillaient plus : ils ne firent que lever la tète vait être. J'ai senti... je sens... que l'amour n'existe qu'entre des
pour reconnaître l'anneau du pacha el ne s'informèrent ni du sens ôtres libres. Je suis une esclave, une esclave favorite tout au plus,
de ce signal, ni de la personne qui le portait. appelée à partager sa splendeur, et à s'en montrer bienheureuse.
Combien de fois je suis obligée de subir celte question : « M'aimes-
tu ? » et je brûle de répondre : « Non ! » Oh ! qu'il est pénible de
XIII. supporter cette tendresse et de lutter en vain contre soi-même pour
n'y point répondre par l'aversion ; mais il est plus pénible encore
Elle lc regardait avec admiration : « Peut-il dormir en paix, tan- de voir reculer devant soi le coeur que l'on a choisi el de devoir lui
dis que d'autres yeux pleurent sa chute ou les désastres qu'il a cau- cacher ce que l'on éprouve... parce qu'il est peut-être rempli d'un
sés, et que les miens, ne pouvant trouver lc repos, viennent le con- autre objet. Séid prend une main que je ne lui donne pas... que
templer ici? Quel charme soudain peul donc me le rendre si cher? je ne retire pas non.plus : mon pouls n'en est ni plus lent ni plus
11 est vrai : je lui dois la vie, et plus encore, je l'avoue : hélas 1 il rapide : je resle calme et froide : et quand il me rend celle main,
est bien tard pour songer à ses bienfaits... mais silence! son som- elle retombe à mes côtés comme un poids incrlc ; car je ne l'ai ja-
meil s'interrompt; comme il respire lourdement)... il frémit... il mais aimé assez pour que je puisse le haïr. Mes lèvres pressées
s'éveille. » par les siennes rendent aucune chaleur, et mon souvenir se
Conrad soulève sa tôle; ébloui par la clarté de la lampe, son oeil glace et frissonneneen songeant à toul le reste. Oui, si j'avais jamais
semble douter de la réalité de ce qu'il aperçoit : il remue la main ; le: éprouvé l'ardeur de cette passion, ce serait sentir encore que de la
cliquetis de ses chaînes lui prouve douloureusement qu'il existe en- voir changée en haine ; mais non ! il pari non regretté, revient non
core. « Qui vient là? si ce n'est point un esprit de l'air, mon geôlier désiré, et souvent môme présent, il est absent de ma pensée. Oh !
me semble doué d'une merveilleuse beauté. quand la réflexion vient, et je ne puis la bannir, je crains de ne
—Piratel tu ne me connais pas, mais lu vois une femme qui sentt plus éprouver désormais que du dégoût. Je suis son esclave : mais
le prix d'une action telle que tu en as peu fait dans ta vie. llegarde- en dépit de l'orgueil, ce serait une chose au dessous de la ser-
moi et rappelle-toi celle que ton bras a dérobée à la flammeet à tes3 vilude que de devenir volontairementsa femme. Oh ! si celte erreur
compagnons plus terribles encore. Je viens à toi dans la nuit... je) de sessenspouvait au moins cesserou se diriger vers un autre objet
sais à peine pourquoi... mais je ne te veux pas de mal : je ne vou- et me laisser à ce qu'hier encore j'aurais appelé mon indifférence !
drais pas te voir mourir. Quand maintenant je feindrai une tendresse inaccoutumée, sou-
— S'il en est ainsi, généreuse dame : les yeux sont les seuls icii viens-toi, captif, que c'est pour briser tes chaînes, pour payer la vie
qui ne sourient pas d'avance à l'idée de mon supplice : la chance estt que je le dois, pour te rendre à tout ce que tu chéris, à celle qui
pour les musulmans; qu'ils usent de leur droit! mais je dois remer- partage un amour que je ne connaîtraijamais. Adieu 1 voici le jour :
cier leur courtoisie ou la tienne qui m'amène un si charmant con- il faul que je m'éloigne : il m'en coulera cher ; mais ne crains pas
fesseur. » la mort aujourd'hui.»
Chose étrange! parmi l'extrême souffrance se mêle souvent unee
certaine gaîlé, une gaîté qui n'apporte aucun soulagement, qui nee XV.
déguise point la plénitude des angoisses et qui ne sourit qu'avecc
amertume, mais qui sourit pourtant; cela s'observe quelquefoischezz Alors, elle pressa sur son coeur les mains enchaînées du captif ;
les plus sages el les meilleurs des hommes, et même l'échafaud a elle baissa la tête et disparut comme un doux songe. Etait-elle là?
répété leurs bons mots. Cependant ce n'est point là une joie vérita- Conrad est-il maintenant seul? Quelles sont ces perles liquides qui
ble : elle peut tromper tous les coeurs, sauf celui qui l'affiche. Quel:1 élincellenl sur sa chaîne? Ce sont les larmes les plus sacrées, des
que fût le scnlimcnl qui animait Conrad, un sourire sauvage avait it larmes versées sur le malheur : elles sont tombées des yeux de la
à moitié détendu son front, el son accent s'était empreint de gaîlé,, Pitié, brillantes, pures et polies par une main divine. Oh! qu'elle est
comme si "c'eût été son adieu aux joies de ce monde : et cependant il persuasive, qu'elle est dangereusement aimable cette larme désin-
cet accès était contraire à sa nature; car dans sa courte carrièree I téressée dans l'oeil de la femme 1 arme de sa faiblesse qui sauve on
il avait pu dérober peu d'instants aux tristespensées et aux combats.3. qui subjugue, à la fois son épée et son bouclier. Fuyez de pareils
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON. 13

elles veulent pensées vers toi, belle Athènes ? C'est que personne ne peut jeter
pleurs : la Vertu fléchit et la Sagesse s'égare quandQuelle
pénétrer trop avant dans les douleurs de la femme. cause a un regard sur tes mers natales, c'est que personnene peut entendre
perdu un monde et fait prendre la fuite à un héros ? une larme ti- ton nom, quelque intéressant que soit le récit commencé, sans que
mide dans l'oeil de Cléopâtre.Cependant excusons la faute du faible ton souvenir magique l'emporte sur tout le reste. Comment pour-
triumvir, combien à ce prix ont perdu, non pas la terre, mais le rait-il ne pas te chanter, le poète dont le coeur ne sait se déta-
ciel ; combien ont livré leurs âmes à l'éternel ennemi de l'homme cher de toi, ni par le temps ni parla distance, et reste enfermé par
et scellé leur propre malheur pour épargner un chagrin à
quelque un charme dans l'enceinte de tes Cyclades ! Et cet hommage n'est
beautélégère. point entièrement étranger ici : l'île du Corsaire fut jadis ton do-
maine ; que n'est-elle encore à toi avec la liberté ?
XVI.
Le malin a paru, et ses rayons se jouent sur les traits altérés du
nuit,
III.
captif; mais sans lui apporter l'espoir de la veille. Avant la
que sera devenu Conrad? peut-être une chose inerte sur laquelle Le soleil s'est couché. Quand ses rayons ont cessé d'éclairer la
les corbeaux viendrontagiter leurs ailes funèbres, sans que ses yeux tour du phare, le coeur de Médora s'affaisse dans une obscurité plus
fermés puissent les voirct les sentir, landisque s'abaissera ce même profonde que la nuit. Le troisième jour est venu et passé : et l'in-
soleil, et que la rosée du soir tombera froide, humide et brumeuse, grat ne vient pas, n'envoie pas de message ! Le vent était favorable
sur ses membres raidis ; rafraîchissant la terre, revivifiant toutes quoique faible, et il ne s'élevait aucune tempête. La veille au soir,
choses, excepté lui. le navire d'Anselmo étail revenu ; et il n'avait rien à faire connaître,
sinon qu'iln'avait pas rencontré son chef. Ah ! l'événement, quoique
terrible encore, eût été tout autre si Conrad avait attendu celle se-
conde voile. La brise nocturne fraîchit : Médora avait passé tout le
jour à épier à l'horizon tout ce qui offrait l'apparence d'un mât ;
elle était assise tristement sur la hauteur. Au milieu de la nuit, l'im-
patience l'entraîne vers le rivage, cl là elle promène ses pas er-
CHANT I1L rants, insoucieuse des vagues qui viennent mouillerses vêtements
comme pour l'avertir de se retirer : elle ne voit rien et ne sent rien,
pas même le froid de la brise : le frisson est dans son coeur. Et
I. de celle longue attente, il surgit en elle une telle certitude de son
malheur, que la vue soudaine de son amant lui aurait enlevé le sen-
Plus splcndidc encore vers la fin de sa carrière, le soleil disparaît timent et la vie.
lentement derrière les montagnes de la Morée; non point enve- Enfin arrive une barque sombre et en mauvais état.... les ma-
loppé d'un sombre éclat, comme dans nos climats du Nord, mais telots aperçoivent sur la grève celle qu'ils cherchaient la première.
sans être voilé d'aucun nuage, foyer étincelant d'une vivante lu- Quelques-uns sont sanglants, tous accablés de souffrance : ils sont
mière. Il darde ses rayons jaunes sur une mer paisible et dore les peu nombreux et savent seulement qu'ils ont échappé; comment?
vagues grisâtres, qui tremblent sous ses feux. Le dieu de la joyeuse ils l'ignorent. Sombres cl silencieux, chacun d'eux semblait at-
lumière envoie son dernier sourire aux vieux rocs de l'Eginc, aux tendre qu'un de ses compagnons exprimât ses tristes conjectures
rivages d'Hydra : ralentissant sa course, il aime à éclairer les ré- sur le destin de Conrad : ils auraient eu quelque chose à dire, mais
gions qui lui étaient consacrées, quoique ses autels n'y reçoivent ils craignaientl'effet de leurs paroles. Quant a Médora, elle vit tout
plus d'hommages. L'ombre des montagnes glisse plus rapide et d'un coup d'oeil ; cependant elle ne faiblit pas, ne trembla pas sous
baise les vagues de ton golfe glorieux, ô invincible Salamincl le poids du deuil et de l'abandon : celle femme, aussi fragile que
Les longues franges des croupes azurées des collines se teignent belle, renfermait des sentiments élevés qui ne se prononcèrent point
d'une pourpre sombre pour se fondre dans l'éclat radieux de avant d'avoir pris toute leur énergie.Tantqu'il y eut encore de l'es-
i'astre; et des nuances plus tendres, traçant des lignes lumineuses poir, ils se répandirent en attendrissement, en anxiété, en larmes:
cuire les sommets, marquent sa course brillante et reflètentles cou- quand tout fut perdu, cette tendresse d'âme ne s'éteignit pas ; elle
leurs des cieux; jusqu'au moment où, sombremenl échancrô parla s'endormit, et dans son sommeils'engendra celle énergique pensée :
terre et les eaux, il s'enfonce enfin et va dormir derrière ses col- « Quand il ne reste rien à aimer, il n'y a plus rien à craindre. »
lines Dclphiques. Dans une pareille soirée, il jetait sur toi ses rayons Une pareille pensée dépasse la nature : mais c'est ainsi que les
les plus pâles, ô Athènes ! pendant que le plus sage de tes citoyens forces humaines se changent en délire sous le pouvoir de la fièvre.
promenait sou dernier regard sur l'horizon : avec quelle anxiété « Vous gardezle silence... cl je n'ai pas besoin de vous entendre...
les meilleurs de tes enfants observaient le rayon d'adieu qui devait ne parlez pas... ne inédites pas un mot; car je sais tout. Cependant
clore le jour suprême de Socralc immolé. Pas encore! pas encore! je voudrais vous demander... mes lèvres s'y refusent presque... ré-
llélios s'arrête au dessus des coteaux : l'heure précieuse qui pré- pondez vite... dites-moi où on l'a mis. —Noble dame, nous l'igno-
cède le départ se prolonge encore ; mais bien triste est sa lumière rons : à peine avons-nous pu échapper vivants, mais un d'entre
aux yeux de l'agonie ; bien sombre paraissentles montagnes qui Ij
I
nous affirme qu'il n'est point mort : il l'a vu enchaîné, perdant son
chaque soir se peignent de nuances si douces : Phoebus-Apollon sang, mais en vie. »
semble répandre le denil sur celte aimable contrée à laquelle il sou- Elle n'en écouta pas davantage : elle aurait essayé en vain de
rit toujours. Mais avant qu'il ail disparu derrière la cime du Cilhé- lutter ; ses artèresbattaient; les pensées qu'elleavait écarléesjusque-
ron, la coupe fatale est vidée ; l'esprit a pris son vol ; l'esprit, l'âme là se précipitaient enfouie, se confondaient. Ces seules paroles ont
de celui qui n'a voulu ni trembler ni s'enfuir et qui vécut et mou- vaincu cette âme concentrée : elle chancelle, tombe inanimée. Et
rut comme personne ne saura vivre ou mourir 1 peut-êtreles vagues lui auraient-elles épargné un autre tombeau ; mais
Mais voyez ! depuis le sommet de l'Hymette jusqu'au bas de la de leurs mains rudes, quoique les yeux humides, les matelots luidon-
plaine, la reine de la nuit prend possession de son domaine silen- nôrent les soins qu'inspire la pitié, en jetant sur ses joues mortelle-
cieux.Nulle vapeurfuneste, héraut de la tempête, ne voile son beau ment pâles la rosée de l'Océan, la relevant, agitant l'air autourd'elle
front, ne ceint sa forme radieuse. Elevant vers le ciel leur corniche et la soutenant dans leurs bras. Enfin ils appelèrent ses suivantes
étincclanlc où se jouent les rayons de l'astred'argent, les blanches et leur abandonnèrent ce corps inanimé qu'ils contemplaient avec
colonnes semblent saluer son éclat bienfaisant, et de tous côtés à douleur: alors ils se rendirent à la grotte d'Anselmo, pour y faire le
l'entour, couronné de lueurs tremblantes, le croissant son emblème récit toujours pénible d'un combat sans victoire.
réfléchit ses feux sur les minarets. Les bosquets d'oliviers sombres
et touffus, épars sur les bords entre lesquels l'humble Céphisus pro-
mène son filet d'eau, les noirs cyprès de la mosquée, la riante tou- IV.
relle du kiosque et le palmier solitaire du temple de Thésée qui
semble triste et pensif aumilicu du calme sacré de la nuit, tous ces Dans ce conseil tumultueux, des propos bizarres et brûlants
objets divers teints do nuances variées arrêtent l'oeil du voyageur : furent échangés : on parla de rançon, de délivrance et de vengeance,
bien insensible serait celui qui passerait près d'eux sans rêver! Au de tout, sauf durepos ou de la fuite : l'âme de Conrad planait, res-
fond du tableau la mer Egée, dont les flots ne retentissent pas à pirait encore dans ces lieux et en chassait le désespoir : quelque
celle distance, berce son sein fatigué de la guerre des éléments : soit son destin, les braves qu'il a formés et conduits le sauveront
ses vagues aux teintes adoucies déploient leurs longues nappes d'or vivant ou apaiseront ses mânes. Malheur à ses ennemis ! S'il ne sur-
" el de saphir, parmi lesquelles se distinguent les ombres des îles loin- vit que peu d'hommes, leurs bras sont aussi audacieux que leurs
taines, fronts rembrunis au milieu des sourires du calme Océan. coeurs sont fidèles.

II.
Dans l'appartement le plus secret du harem est assis le sombre
Maintenant, à mon sujet... Pourquoi ai-je tourné un momentmes Séid, méditant encore sur le destin du captif; ses pensées se par-
14 LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

tagent entre l'amour et la haine : tantôt elles sont avec Gulnare, 1 penséescontrairesquisurgissent dansl'âme; n'avoird'autre spectacle
tantôt dans la cellule du captif; couchée à ses pieds, la belle esclave I que celui de son propre coeur, et méditer sur desfautes irrévocables
observe son front et tente de dissiper les nuages qui l'assombrissent. et sur un destin tout proche, trop tard pour éviter le dernier, pour
Pendant que ses grands yeux noirs lancent sur lui des regards in- réparer les autres ; compter les heures qui se précipitentvers le dé-
quiets, et cherchentvainement à éveiller ses sympathies, ceux de noûmentfatal, sans un ami pour vous releveret pour témoignerque
Séid semblentuniquement fixés sur les grains de son rosaire mu-* vous avez bien supporté la mort ; se voir entouré d'ennemis prêts à
sulman, mais intérieurement ils contemplent sa victime saignante. forger le mensonge, à souiller d'une calomnie la dernière scène de
« Pacha ! lajournée esta loi : la victoireplane sur ton turban : Conrad
votre drame; avoir devantsoi des tortures que l'âme peut braver, en
est pris ; tout le reste a succombé. L'arrêt du captif est porté ; c'est la doutant toutefois que la chair y résiste, et sentant qu'un seul cri va
mort : il a mérité son destin. Et pourtant cet homme est indigne de la vous enlever votre dernière, votre plus chère couronne, celle de la
haine : il serait habile, ce me semble, de lui vendre un court moment bravoure; la vie que vous perdez ici-bas, vous la voir refuser là-
de liberté, au prix de tous ses trésors. On vante hautement les ri- haut par ces hommes qui ont usurpé le monopole de la miséricorde
chesses du pirate : je voudraisquemonpacha pût s'en rendremaître. divine ; et ce qui vaut plus qu'un paradis incertain, le ciel de vos
Discrédité, affaibli par ce combatdésastreux, épié, suivi partout, il espérances terrestres, la bien-aimée de votre coeur, la voir ravie pour
l'offrirait ensuite une proie facile; tandis que si tu prends sa vie, le jamais à votre amour ! telles étaientles pensées que lc proscrit avait
reste de sa bande embarquera ses richesses et cherchera un refuge à supporter, voilà les angoisses au-dessus de toute peine mortelle
plus sûr. qu'il avait à combattre, et cependant il les supportait, il les com-
battait. Prenait-il bien son parti? n'importe! c'était déjà quelque
— Gulnare! si pour chaque goutte de son sang on m'offrait une chose de ne pas succomber entièrement.
perle riche comme le diadème du sultan,si pour chacun de sesche-
veux une mine d'or vierge était ouverte devant moi; si loul ce que
nos contes arabes révèlent ou rêvent de richesses était étalé à mes
yeux : lous ces trésors ne pourraient le racheter! rien n'aurait payé VII.
une seule heure de sa vie, si le
je ne savais point enchaîné et en mon
pouvoir, cl si, dans ma soif de vengeance, je n'en étais encore à
chercher les supplices qui torturent le plus longtemps et qui tuent Le premier jour se passa, el il ne revit point Gulnare ; le second,
lc moins vile. lc troisième se passèrent, et Gulnare ne vint pas ; mais ses charmes
Soit, Séid! je ne cherche point à calmer ta fureur fondée sur avaient certainement opéré lc miracle que sa bouche avait promis,

de trop justes motifs pour te permettrela clémence : ma seule pensée jour sans quoi Conrad n'aurait point vu un second soleil. Lc quatrième
était de t'assurer les richesses du forban. Délivré à ce prix, il ne ténèbres. s'était écoulé, et la nuit avait apporté la tempête au sein de ses
! comme il prêtait l'oreillcau fracas des vaguesquijamais
serait point libre : appauvri de la moitié de sa puissance et de ses jusque-làOh n'avait interrompu son sommeil. Kanimée par la voix de
soldais, il pourrait être reprisa ton premier commandement. élément chéri, l'âme farouche du captif enfantait des pensées
_—11 pourrait... et dois-je donc lui accorder un seul jour, à ce mi-
son
plus farouches encore. Souvent il avait vogué sur ces vagues ailées, et
sérable que je tiens en mon pouvoir?Kelâchermon ennemi! grâce il avait aimé leur rudesse à cause de la rapiditéqu'elles imprimaient
à quelle intercession?à la tienne, ô beauté trop sensible! Ta ver- au navire ; cl maintenant leur mugissement retentissait à son oreille :
tueuse gralilude veut récompenserainsi l'humeur miséricordieuse accents bien connusel bien rapprochés de lui,mais trop inutilement,
du Giaour qui parmi tous n'a voulu épargner que toi et les com- hélasILeventsoufflaitbruyanldansles airset deux fois plus bruyant
pagnes, sans considérer,j'aime à lecroire, combien ta capture était lc tonnerre éclatait au-dessusdela tourelle; l'éclairbrillaità travers
précieuse. Je te dois pour cela mes remercîments et mes éloges : les barreaux de la fenêtre, clarté plus douce à ses yeux que celle de
écoute ! j'ai un conseil à faire entendre à ton oreille délicate : femme) l'astre de minuit: il traîna sa chaînejusqu'auprèsde la grille en feu,
je me méfie detoi ; et chaque mot que tu prononces met le cachet de espérant qu'il ne s'exposeraitpas en vain au péril; là il leva vers le
la vérité sur mes soupçons. Emportée par lui du serai à travers le ciel sesmainschargées dcfers.lesupplia'nld'anéantir sa créaturesous
feu, dis-moi, n'atlcndais-tu pas le moment de fuir avec lui? Il est un foudremiséricordieux.Lcferctlcs prières impiesdoivent attireréga-
inutile de répondre : ton aveu est écrit dans la rougeur coupable de lement lc feu céleste : cependantl'orage suivit son cours et dédaigna
tes joues. Donc, aimable dame, songes-y bieri et gare à toi ! ce n'est de frapper : les coups s'affaiblirent progressivement; ils cessèrent.
pas sa seule vie qui réclame lanldesoin. Un mot de plus et mais Conrad se trouva plus seul encore; comme si quelque ami infidèleavait
non... il n'en faut pas davantage. Maudit soit lc moment où il l'a rejeté ses supplications.
emportée hors des flammes; il aurait mieux valu... et pourtant alors
je t'aurais pleurée avec les yeux d'un amant: maintenant, c'est Ion
maître qui t'avertit, femme perfide! Ne sais-tu pas que je puis VIII.
abattre tes ailes inconstantes. Je ne suis point habitué à m'en tenir
à des mots : veille sur toi, et ne pense pas que ta fausseté reste Minuit est passé, cl un pas léger s'avance vers la porle massive;
impunie. » il s'arrête, il reprend : Conrad entend glisser lentement les verrous
H se lève el sort lentementet d'un air sombre, la rage dans ses re- criards et tourner la clef lugubre ; sou coeur le lui a dit d'avance :
gards cl laissant des menaces pour adieux. Ah! ce tyran insensé! c'est la belle esclave. Quelles que soient ses erreurs, c'est pour lui un
qu'il connaissait mal cet esprit de la femme, qu'aucun reproche ange gardien, aussi radieux qu'un pieux crmilepcut sole représenter
n'abat, qu'aucune menace ne subjugue; qu'il savait peu combien dans ses visions. Et pourtant elle esl bien changéedepuis qu'elle est
ton coeur, ô Gulnare, peut aimer quand on t'aime, peut oser contre venue visiter celte cellule : sa joue est plus pâle, son corps plus trem-
qui l'outrage. Les soupçons de son tyran lui paraissaient injustes; car blant; elle jette sur lui un regard triste, égaré, qui lui dit avant
elle ne savait pas quelles profondesracines la compassionavait jetées qu'elle ail parlé: « Tu dois mourir... oui, tu dois mourir: il n'estplus
dans son coeur : c'était une esclave, et en esclave elle devait ac- qu'une ressource, la dernière , la plus terrible : si les tortures n'é-
corder à un compagnon de captivité un sentimentcri apparencefra- taient pas plus terribles encore.
ternel donl elle se déguisait lc vrai nom. C'est pourquoi, ignorante — Jeune dame, je ne cherche aucun moyen d'échapper ; mes lèvres
à demi des motifs qui la poussaient, ne comprenant pas la fureurdu répètentencore ce qu'elles n'ont cessé d'affirmer. Conrad est toujours
pacha, elle s'aventura de nouveau dans le dangereux sentier qu'elle le même : pourquoi vouloir sauvcrlavie d'un vaincu et faire révoquer
avait parcouru, cl fut de nouveau repoussée jusqu'au moment où un arrêt que j'ai mérité de subir; certes j'ai bien encouru, non-seu-
s'éleva en elle cette lutte de la pensée, source de tous les malheurs lement ici mais dans d'autres lieux encore, par mainte poursuite
de la femme. acharnée, la vengeance de Séid.
— Pourquoi vouloir te sauver? parce que oh f ne m'as-tu pas
VI. préservée d'un sort pire que l'esclavage? Pourquoi le vouloir? tes
malheurs t'ont-ils donc fait oublier le coeur de la femme? Et faut-il
donc tout te dire, quoique les sentimentsdemon scxcserévollenlcn
Cependant,après de longues anxiétéset de longues fatigues, roulan t moi et m'ordonnent de me taire? Parce que... malgré tous les
toujourslamêmepenséejour et nuit, l'âme deConradétaitparvenueà crimes... tu as touché mon coeur : je t'ai craint d'abord... je l'ai dû
dompter la terreur môme. H avait surmontécette fatale attenté entre le la vie...j'ai eu pitié de toi... je... jet'aime enfin comme une insensée.
doute et la crainte,quand chaque heure pouvait lui apporter un sup- Ne me réponds pas, ne me répète pas que tu en aimes une autreet
plice pire que la mort, quand chaque pas qui retentissaitdevant la porte que je t'aime en vain. Qu'elle soit éprise comme moi, et sansdoule
pouvait lui annoncerla hache ouïe pal, quandchaquevoix qui frappait plus belle, qu'imporle! Je me jette pour toi dans des périls qu'elle
son oreille pouvaitôtreladernièréqu'ildûtjamaiscntertdre.Oui: il avait n'oserait affronter. Crois-tudonc lui être réellementcher? Si j'étais
dompté la terreur; cet esprit sombre et hautain s'étaittrouvéd'abord elle, moi, lu ne serais point seul ici. L'épouse d'un proscrit, per-
mal préparé, non résolu à la mort : maintenant il était usé, ruiné mettre que son époux aille sans elle courir les mers ! Cette noblcdamc,
peut-être, et pourtant il supportait en silence celle épreuve, la plus qu'a-t-clledoncde si précieux à faireauprèsdufoyer?...Ncmcparle
terrible de toutes. La chaleur du combat, les sifflementsde la tem- pas maintenant! sur la tête et sur là mienne un sabre bien tranchant
pête laissent à peine une âme assez libre pour envisager le péril : esl suspendu par un seul fil ; s'il te reste du courage et si tu veux être
mais dans l'isolementet dans les fers, languir en proie à toutes les libre, prends ce poignard, lève-toi, suis-moi.
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON.

quoi! chaînes! Chargé d'un


— Eh
lïanchirai-jed'un
avec nies pareil ornement,
pied léger les corpsde louscesdormeurs.Tul'avais
Il arrive dans une galerie ouverte : à ses yeux brille ,avec lader^-
nière étoile de la nuit, un horizon qui commence à s'éclairer : ce-
oublié : est-ce là un coslume propre à la fuite? est-ce là une arme pendant à peine remarque-t-il l'étal du ciel... une clarté venant
bonne pour le combat? d'une chambre isolée a frappé sa vue. Il se dirige vers ce point ; une
corsaire! j'ai gagné la garde disposée à la révolte et porte enlr'ouvertc lui montre que le rayon part de là, mais rien de
— Défiant
avide d'une récompense; un simple mot de, moi va faire tomber la plus. Une figure de femme sort d'un pas précipité ; elle s'arrête, se
chaîne : sans quelque aide, commentpourrais-jcêtre ici? Depuisquc retourne, s'arrête encore... c'est elle enfin! Plus de poignard dans
je iict'aivu,montempsaétéactivementcraployé; si je suis coupable, sa main... nul signe d'angoisse dans son attitude. « Béni soit ce
c'oslpour loi qu'a étécommislccrime; le crime!... ce ne peut en être coeur accessible à la pitié! elle n'a pas eu la force de tuer! » Il la
un de punir les forfailsdeSéid : ce tyran exécré, Conrad, il fautqu'il regarde de nouveau : son oeil se détourne avec effroi de la lumière
meure. Je le vois frémir, mais mon âme esl bien changée: insultée, du jour. Elle s'arrête, rejette en arrière ses longs cheveux noirs,
foulée aux pieds, avilie, il faut que je me venge; car on a osôm'ac- qui voilaient presque sa face et sa blanche poitrine comme si sa
cuser de ce que j'avais dédaignéjusqu'ici, moi qui n'ai été que trop tôle venait de se pencher sur quelque objet de doule,et de terreur.
fidèle,'quoique enchaînéedans le plus triste esclavage.Tu souris... Elle rejoint Conrad... Sur son front... sans le savoir ou par oubli, :
i
niais je ne lui avais donné aucun sujet de plainte ; je n'étais pas sa main précipitée a laissé une seule et faible tache : il n'en distin- '•
infidèle alors, el lu ne m'étais point cher ; mais il me l'a dit; et les gue que la couleur, el s'y arrête à peine... Oh! léger, mais certain
jaloux, ces tyrans tracassiers , nous provoquent à la révolte et mé- indice du crime... c'est du sang.
lilenllesortque leurs lèvres chagrinesont annoncéd'avance. Je n'ai
-
jamais aimé ; il m'a achetée, fort cher sans doute, car il y avait en
* moi
un coeur qu'il ne pouvait acquérir... J'étais une esclave sou- X.
! mise; il a prétendu que s'il n'était point venu
me reprendre,j'aurais
fui avec loi. C'était un mensonge, tu le sais. Mais laissons parler de
l pareils augures ; ils émettent des présagesque leurs i nsullcs rendent Conrad a va les batailles; il s'est repu dans la solitude des souf-
frances promises à un condamné; il a éprouvé les tentations cl les
; véritables. Le relard de ton supplice ne fut pas même accordé à ma
i prière,cellelaveur apparciiten'avaitpourobjelquedepréparerpour remords du crime; il a été vaincu, enchaîné, el la chaîneaurait pu
f loi de nouveaux tourments el d'augmenter mon désespoir. 11 m'a peser toujours à son bras; mais jamais la lutlc, la captivité, le re-
:' même menacéedernorl; maissafollepassionm'auraitréservée quel- pentir, surexcitant toutes les forces de son être sensible, n'ont fait
nobles plaisirs; et quand il aurait été las de mes battre, n'ont glacé toutes ses veines comme la vue de celte tache
; (pie temps pourses
;. faibles charmes et de moi: un sac est-là pour me recevoir et la mer rouge. Cette marque de sang, cette trace révélatrice a banni toute
:J bal led'un pied des murailles! Eh quoi! suis-jc donc faite pour ôlrc Je beauté decetle face de femme. Il a vu répandre bien du sang : il l'a vu
jouet caprice sénile? un bijou que l'on porte jusqu'à ce que la sans émotion ; mais alors le sang coulait dans un combat ; cl il était
;l dorure en soit effacée? .le l'ai vu; je l'ai aimé; je le dois toul; je versé par des hommes.
'i veux le sauver, ne fût-ce que pour te montrer combien uneesclave
} es! capablede gratitude. S'il n'eût point ainsi menacé mon honneur XL
ma vie (et il garde bien les sermenlsqu'a prononcés son cour-
i; riroux), je t'aurais toujours sauvé, mais j'aurais épargné le pacha.
ï Maintenant je t'appartiens et suis préparée à tout; lu ne m aimes « C'est fait... il a failli s'éveiller... mais c'est fait. Corsaire! il est
> pus; tu ne me connais pas, cl je te fais horreur. Hélas! tu es mon mort : lu me coûtes cher. Toute parole serait maintenantsuperflue...
J premier amour, et il est ma premièrehaine... Oh! que ne peux-tu parlons) partons! Notre barque est à flot : il fait déjà grand jour;
; inollrc ma sincéritéà l'épreuve, tu ne reculerais pas devant moi ; tu les quelques hommes que j'ai gagnés sonl toul à moi: ils prendront
• no
craindrais pas ce feu qui brûlcdanslccoeur dcsfillcs de l'Orient : avec eux ceux dos tiens qui ont survécu : ma voix justifiera l'oeuvre
\ eu l'eu est maintenant Ion phare de salut; il te montre dans le port de ma main aussitôt que notre voile aura perdu do vue ce rivage
ï une barque maïnole. Mais dans une chambre que nous devons tra- abhorré, »
/> verser dort le cruel Séid... il ne faut pas qu'il s'éveille 1
l —Gulnare! Gulnare! .le n'aijamais senti jusqu'à présent combien XII.
; ma fortune est abjecte et mon honneur flétri : Séid est mon ennemi :
? il voulait balayer mes amis de la terre par la force du nombre, mais
J au moins par la force ouverte; et c'est pourquoi jesuisvenuici dans
Elle frappe des mains, et dans la galeiie se rassemblent, disposés
? nia barque de guerre répondre au meurtre par le meurtre, pour la fuite, ses fidèles Grecs et Maures : en silence, mais avec ac-
au ci- tivité, ils s'approchent, ils brisent les chaînes du pirale... celle fois
•' melcrre parl'épée; car telle esl cl
mon arme, non le poignard caché
;
; celui qui épargne la vie des femmes ne prend pascelle d'un homme
: encore ses membres se trouvent libres, libres comme le vcnl des
; J endormi. Si je l'ai sauvée, Gulnare, ce n'était pas pour
montagnes; mais sur son coeur malade pèse une tristesse aussi
en recevoir lourde que s'il portait tout le poids de ses fers. Pas un mot n'est pro-
i-'l' une pareille récompense : ne me force point à croire
que ma pitié a noncé. Sur un signe do Gulnare une porte s'ouvre, et montre un
| i. élu mal placée. Maintenant adieu: puisse ton sein
paix! la nuit s'écoule... la dernière nuit de repos qui
recouvrer la passage secret vers le rivage ; la ville est derrière eux : ils se hâ-
3 me reste sur tent, ils gagnent la rive ou les vagues dansent joyeusement sur la
> la terre. grève jaunâtre; et Conrad, marchant derrière elle, obéit et ne s'in-
— Du repos! du repos! dès le lever du soleil, tous les membres quiète point s'il est sauvé ou trahi : la résistance serait aussi vainc
;j craqueront el les jambes se crisperont autour dupoteau déjàdressé. que si le farouche Séid vivait encore pour contempler son
'• Cm entendu l'ordre; j'ai vu. je ne verrai pas le reste, car si tu supplice.
î jéris, je mourrai avec toi. Ma vie, .
mon amour, ma haine, toutmon
: '"Ire ici-bas dépend de loi, corsaire! Ce n'est qu'un coup à frapper!
S ans cette précaution, la tuile serait inutile: comment échapper à XIII.
j a poursuite ardente I Mes injures impunies , ma jeunesse flétrie, de
i ongues, longues années perdues, un seul coup peut toul venger et Ils sont embarqués ; la voile se déploie au souffle léger de la brise.
^ >ous mettre à l'abri de toute crainte. Mais puisque le poignard te Que de choses la mémoirede Conrad fait repasserdevant elle! il reste
f onvienl moins que l'épée J'éprouverai la fermeté de ce bras fémi- absorbé dans la contemplation jusqu'au moment où lc cap, sous
;; in. Les gardes sont gagnés ; en un moment tout sera fini, corsaire! lequel il a jeté l'ancre naguère, élève sa forme gigantesque. Ah ! de-
% ous ne nous revenons qu'en sûreté ou jamais ; si ma faible main puis celte fatale nuit, quelque court qu'ait été l'intervalle, il a vécu
C nanquosonbut, la brume du malin planera sur ton échafaud et
\ ur ma bière. un siècle de terreur, de douleur et de crime. Au moment où l'ombre
allongée du promontoire assombritla voile, Conrad se cacha la face
| IX.
et s'enfonça dans ses regrets : il se rappelait tout : Gonzalvo et sa
troupe, son triomphe précaire et sa main faiblissante ; il songeait à
celle qui est loin de lui, à la bieh-aimée qui l'attend dans la soli-
Elle se tourna vers la porte et disparut avant qu'il
tude. Toul-à-coupil se tourna en arrière, et vit... Gulnare, l'ho-
's
;pût répondre micide!
S uns le regard inquiet de Conrad l'accompagna longtemps; et
ras-
j emblanl comme il put les fers dont il était chargé, pour diminuer XIV.
è '!"' longueur en étouffant leur cliquetis, la serrure et les verrous
arrêtant plus ses pas, il la suivit aussi vile que le lui permet-
|
'A
ncnl ses membres enchaînés. Le passage était sombre el tortueux
£ Conrad ne savait où conduisait cette roule. 11 n'y trouve ni lampe;
Elle observa ses traits jusqu'au moment où elle ne put supporter
davantage son air glacé el plein d'aversion ; et alors, son exal'ation
\ i gardes : il voit do loin une faible lumière : doil-il se diriger inaccoutumée se fondit lout-à-coup en larmes, trop lard pour en
's rayons indislincls ou bien les éviter? Le hasard guide vers
ne Irnichcur pareille à l'air du malin tombe en plein ses pas : verser ou pour qu'on pùtlcs tarir. Elle s'agenouillaprès de lui, et lui
A
sur son front. serra la main : « Tu peux me pardonner, toi, bien qu'Allah doive me
46 LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

prendre en horreur ; car, sans cette oeuvre de ténèbres, que serais-


tudevenu ? Accable-moi de reproches ; mais pas encore aujourd'hui...
Oh ! épargne-moi maintenant. Je ne suis pas ce que je parais être :
cette nuit terrible a troublé mon cerveau; ne me rends pas lout-à-
fait insensée ! Si je ne l'avais point aimé, je serais moins coupable,
mais tu n'aurais pas vécu... pour me haïr, si tu le veux. »

XV.

Elle jugeait mal Conrad : car il se blâmait plus lui-même qu'il


ne blâmait celle qu'involontairement il avait rendue coupable ; mais
ses pensées. .
promîmes
J>

saignaient obscurément
dans son coeur, retraite
silencieuse et sombre.
Le vaisseau marchait, la
brise était belle, la mer
j '
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON. .,Jr j H

cette clarté. O joies du foyer, que vous êtes sacréesà l'oeil de l'Es- deux aslres d'azur dans une longue, nuu dei nière oolipea ; «niais elle
pérance, quand elle vous contemple du sein troublé des mers! épargne encore le charme qui entoure les lèvres : elles semblent en-
core réprimer un sourire et implorer un instant de repos.blondes,
Mais ce
blanc linceul et ces tresses étendues sur son sein, longues,
XIX. mais couchées immobiles, ces tresses qui, jouets des zéphyrs de
chaque élé, échappaient d'elles-mêmes aux guirlandesqui tentaient
de les retenir; tout cela, et la complète pâleur de ses joues... tout
On aperçoit des lumières en haut, sur le phare et dans la demeure cela ne convient qu'au cercueil. Médora n'est plus rien : pourquoi
du chef, et Conrad y cherche la tour de Médora ; il la cherche en Conrad est-il là ?
vain ; chose étrange 1 de toutes les fenêtres, la sienne seule est som-
bre. Chose étrange! autrefois cette clarté ne manquait jamais de XXI.
saluer le retour; et peut-être, maintenant, est-elle non pas éteinte,
niais voilée. Conrad descend^sttTrïvage^jpar le premier canot, et Il ne fait point de question : toutes les réponses sont contenues
s'impatiente de la len- /> dans le premier aspect de
leur des avirons. Oh!/çV ce front de marbre. C'en
que n'a-t-il une aile
plus-ir/ est assez : elle est morte ;
rapide que celle du faiK^" j qu'importe comment ?
cou, pour s'élancer
cornW^\ L'amour de sa jeunesse,
sommet rp
me une flèche auprcmiereX/
l'espoir de meilleures an-
du rocl A la nées, la source de ses
pause que firent les ra- x voeux les plus doux, de
meurs avant d'aborder au ses craintes les plus ten-
rivage, il n'attend plus, ne dres, le seul être vivant
regarde plus rien; il se qu'il pût ne point haïr,
jette dans les flots, lutte tout lui est enlevé à la
contre la mer , monte fois ; et il mérite son sorl,
sur la rive et gravit le mais il n'en sent pas
sentier accoutumé. II moins la rigueur. L'hom-
vient d'atteindre la porte me vertueux cherche la
de la tourelle ; il s'arrête : Îiaix dans des régions où
aucun bruit ne se fait en- e crime ne peut jamais
tendre à l'intérieur, et trouver de place; l'or-
tout est nuit à l'cntour. Il gueilleux, l'homme éga-
; frappe; il frappe forte- ré qui ont fixé ici-bas
, leurs joies el qui
ment, el aucun pas, au- toutes
-
cune voix n'annoncent trouvent que la terre con-
qu'on l'ait entendu ou tient bien assez de dou-
qu'on le sache près de là ; leurs, en perdant l'objet
: il frappe encore, mais fai- de ces joies, perdent tout.
blement cette fois, car sa Peut-être n'était-ce qu'u-
main tremblante refuse de ne illusion, mais qui peut
satisfaire à son impatien- se séparer sans chagrin
ce. La porte s'ouvre ; il d'une illusion qu'il ai-
voil une figure bien con- mait? Bien des yeux sloï-
nue, mais non celle qu'il ques et bien des figures
s'apprêtait à serrer dans sombres masquent des
'' ses bras. Les lèvres de la coeurs qui, en fait de
suivante sont muettes, cl souffrances n'ont plus
,
rien à apprendre:
,
' les siennes, à lui, essaient el bien
deux fois en vain de pro- des pensées déchirantes
noncer une question. Il sont cachées et non ense-
saisit la lampe : sa lu- velies sous des sourires
mière lui apprendra tftiit; qui conviennent le moins
\ mais il ne peut la soute- à ceux qui les affichent
' nir, etelles'éteinten tom- le plus.
bai! I. Impossible d'atten-
dre qu'elle soit rallumée; XXII.
] plutôt rester là jusauVi.
jour; mais, à l'extrémité Ceux qui lc sentent
du corridor un au Ire bien vivement ne peuvent
,
flambeau répand sa clar- cependant exprimer ce
té vacillante; il arrive à trouble que la souffrance
l'appartement... il voit apporte a l'esprit : il en-
ce que son coeur ne vou- Elle n'est pins ! — Que fait-il là encore? tame des milliers de pen-
lait point croire mais sées pour n'aboutir qu'à
,
ce quil avait pressenti. une seule ; il demande a
toutes choses un refuge,
et ne le trouve nulle part.
XX. Aucune expression ne suffit pour dévoiler ce secret des tortures de
l'âme; car la vraie douleurn'estpoint éloquente.L'épuiseinentécrasait
Conrad, et la stupeur le berçait comme dans une sorte de repos : dans
Il ne détourne'point la tête, ne parle point, ne se sent point dé- cet état d'énervemenl, il semblait que toute la sensibilité que l'homme
faillir : ses yeux deviennent fixes ; ses membres, tout à l'heure in- puise dans le sein de sa mère fût revenue dans ses yeux ; car ces
quiets et agités, restent immobiles: il regarde... Oh! combien yeux, naguère si fiers, pleuraient comme ceux d'un enfant : la fai-
longtemps nous contemplons de pareils spectacles en dépit de la blesse même de son cerveau se révélait ainsi, sans apporter aucun
' douleur, et sachant, mais ne voulant pas nous avouer que nous les adoucissement à ses peines. Personne ne vit ces larmes : peut-être,
contemplons en vain I Animée par la vie, elle était si calme et si s'il avuitété vu.nese serait-iljamais livré à ces démonstrationsinac-
blanche, que, pour elle, la mort a revêtu un doux aspect : les froides coutumées.Du reste, elles ne coulèrent pas longtemps, il les sécha
fleurs que tient sa main plus froide qu'elles, sont si doucement ser- pour partir le coeur inconsolé, désespère, brisé. Le soleil se lève
rées dans sa derrière étreinte, qu'elle semble les sentir encore en mais l'âme de Conrad reste sombre; la nuit vient, mais sa nuitdure,
feignant de dormir : image d'un jeu d'enfant qui fait venir les toujours. 11 n'est point de ténèbres pareilles à celles de l'âme : la
larmes! Sespaupièresdeneige,frangées de longs cils noirs, voilent.... douleur est aveugle, plus aveugle que les aveugles mêmes. Elle ne
Oh ! peut-on se rappeler, sans douleur, tout ce qui brillait sous ce peut voir et elle ne veut point voir; mais elle se tourne toujoursvers
voile. Oui, c'est sur l'oeil humain que la mort exerce toute sa puis- l'ombre la plus épaisse, et elle ne peut souffrirun guide!
sance en chassantl'esprit de son trône lumineuxI Elle a plongé ces
PAU». — loep. IACOUKMC*.rneSouf0cl,13, %
48 LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

XXÏU. A EDDLESTONE.

Leçoetir de Conrad, fait pour lés sentiments tendres, avait été Si la Frivolité sourit quand elle, voit nos deux noms enlacés par
violemment jeté dans le mal : trahi de bonne heure et trop long- l'amitié ; la vertu, s'unissant à la vertu, mérite pourtant plus d'in-
temps trompé, chacun de ses penchants, pur comme la goutte d'eau térêt que la noblesse qui s'allie au vice.
qiii tombé de la voûte d'ùiie grotte, comme cette goutte s'était en- Quelque inégal que ton destin puisse être au mien que décore Un
d urci ; devenus terrestres, ils furent peut-être moinsciiâstes ; mais ils titre, une haute naissance, n'Crtvie pas cependant cet éclat trop
durent aussi s'abaltrc, se glacer et se pélrifier enfin. Les tempêtes brillant : tu peux l'enorgueillir de ta vertu modeste.
usent le rocher, la foudre le brise; mais, comme le rocher, son Nos âmes au moins se sont embrassées, comme étant de même
coeur sut résister longtemps. Une fleur croissait à l'ombre de son origine ; ton sort ne peut abaisser le mien ; et nos rapports né sont
front sourcilleux, que}queepaissèqûéfût celte ombre :illavait abri- pas moins doux, puisque le mérite y tient la place du rang.
tée, défendue jusque-la. Le tonnerre est venu, et a brisé à la fois et
la dureté dû granit et la faible tige du lis : l'aimableplante n'a point
livré au vent une seule de ses feuilles pour révéler son sort : mais
elle s'est flétrie, elle est morte tout entière au lieu même où elle
est tombée; et de son rude protecteur, il reste des fragments noh> A D (1803).
cis, épais à la ronde sur le sol nu.
j'espérais avoir en loi un ami dont la mort seule pourrait me
séparer ; mais la main perfide de l'Envie t'a délaché de mes bras
XXIV. pour toujours.
Oui, c'est par la force seule qu'elle a pu t'arracher de mes bras;
Le malin brille : peu d'entre les piratés osent aiiOrder Conrad à mais, tu gardes la place dans mon coeur ; là, du moins, ton image
celle heure où il veut être seul : néanmoins Ansëlîno'se dirige vers restera toujours, tant que ce coeur n'aura point cessé de battre.
sa tour. Conrad n'élait point là, ci on ne l'apercevait point sur le Et, quand viendra le jour où le tombeau laisse échapper ses
rivage. Alarmés, ses compagnons emploientla.journée à parcourir morts, où la vie vientranimer la poussière, alors je reposerai ma
l'île en lous sens; un second soleil, un autre encore les voit conti- tète slir ton sein bien-aimé... Sans toi, où trouYcrais-jc le ciel?
nuer les mêmes recherches : ils crient et répètent son nom jusqu'à
en fatiguer les échos. Mais après avoir fouillé en vain les monts, les
grottes, les cavernes, ils trouvent enfin, sur la grève, la chaînebri-
sée d'un canot: leursespérancesrevivent ; ils lesuivront sur l'Océan.
Vaine penséeI la lune remplit son croissant, le vide et le remplit FRAGMENT (1803).
encore, et Conrad ne vient pas : il n'est pas revenu depuis ce jour.
Aucune trace, aucun avis sur son sort ne sont venus apprendre où QilSmd la voix de mes nôrcs appellera dans leurs demeures êthé
vivent ses douleurs, où a péri son désespoir. Les forbans regrettèrent rées ni'on esprit satisfait a'ôlre reconnu par eux; quand mon fan--
longtemps celui qu'aucun autre ne regrette; ils élevèrent à sa bien^ tôme chevauchera la brise, où dans l'obscurité d'un brouillard des-
aimée un monument splcndide ; mais pour Conrad, ils ne consa» cendra le flàriç de la montagne; oh! (pic mon ombre ne voie pas
crerent à sa mémoire aucune pierre funéraire : sa mort est encore d'urne fastueuse 'inarquer la place où la terre retourne à la terre 1
douteuse; ses exploits sont trop bienconnus.il n'a légué à l'avenir ni longue.liste do litres, ni inscriptions élogieuscs surina pierre
que le nom d'un corsaire, paré d'une seule vertu, souillé de tbu,s tumulairc. Moli épUaphc sera mon seul nom. Si ce nom est pour
les crimes.
ma poussière Une couronné, dho.nncnr, il ne m'en faut point da-
vantage pour payer- lc peu do bien que j'aurai fait. Ce nom, ce
FIN VO CORSAIRE.
nom seul marquera une place qui avec lui doit vivre dans la mé-
moire, ou tomber avec lui dans l'oubli.

APRÈS LK UAR1AGB DE MISS CHAWORTII (1805).


HEURES DE LOISIR.
Collines d'Anncslcy,collines froides el sombres, parmi lesquelles
errait ina jeunesse insouciante, ohl comme les orages du nord hur-
lent tristement parmi vos ombrages touffus 1
Non, déiftrhîtiîs, pour tromper les longues heures, je ne puis
Slusretrouver Ici me» retraites favorites; non, désormais le sourire
e Mario ne peut plus m'y faire un paradis.
SUR LA MORT D'UNE JEUNE rÀRlîNT* (180?).

Les vents se laisent ;,,le soir esl triste ; pas un zéphyr n'agite le
bocage : j'ai visité la tombe de Marguerite, et j'ai semé des fleurs EN QUITTANT L'ABIIATE DE NEWSTEAD (1808).
sur les restes de ce que j'aimais.
Son enveloppe terrestre est couchée dans une ôlroile demeure; Le vent siffle sourdement entre tes créneaux, ô Newslead! de-
cette enveloppe à travers laquelle rayonnait une si belle âme. Lc meure de mes pères, tu lombes en ruines! Dans tes jardins autre-
Roi 4es épouvantemenls l'a saisie comme une proie : ni vertu, ni fois si riants, la ciguë et le chardon ont étouffé la rose, qui avait
beauté n'ont pii racheter sa vie. fini par fleurir dans les chemins.
Oh! si ce monarque terrible pouvait éprouver la pitié ; si le Ciel Les barons couverts de mailles, qui conduisaient vaillamment
voulait annuler lés terribles décrets du Destin, l'amant éplo.ré n'au- leurs vassaux d'Europe à la conquête des plaines de la Palestine
rait point à parler de ses douleurs; la muse n'aurait point à révéler n'ont laissé icid'autres traces que leurséçussons ctleursboucliersqui,
des vertus éteintes pour jamais. s'entrecli.oquent au moindre souffle du vent.
Mais, pourquoi pleurer? Celte âme sans rivale plane au-dessus Robert, le vieux ménestrel, ne vient plus aux accords de sa harpe
de l'espace où brille la clarté du jour, et les anges, en pleurant la réveiller dans les coeurs l'amour des palmes guerrières: John do
conduisentvers, ces retraites fortunées où des plaisirs sans fin ré- Horislan dort sous les tours d'Ascalon, et la main de son ménes-
compensent la vertu. trel a élé sêçliée par la mort.
Et de présomptueux mortels iront-ils prendre les cieux à partie, Paul et Hubert dorment dans la vallée de Créçy, où ils sont tom-
et dans leur délire accuser la Providence divine'?. ÎJori'l loin de moi bés en combattant pour Edouard et pour l'Angleterre. 0, mes pères !
cette lutte insensée; jamais je ne refuserai à mon Dieu la soumis- les. larmes de votre pays vous ont fait revivre, et ses annales disent
sion que je lui dois. encore comment vous avez combattu, comment vous êtes tombés.
Pourtant le souvenir de ces vertus m'est cher ; pourtant ces traits Luttantcontre leslraîlresà Marston-Moor avec le loyalRuperi, qua-
restent gravés dans ma mémoire : toujours ce souvenir me fait ver- tre frères ont fécondé de leur sang un sol stérile; ils combattaient
ser une larme de tendresse^ toujours ces traits gardent dans mon à la fois pour le roi et pour la patrie, et leur dévoûment â été scellé
coeur leur place accoutumée. par la mort.
Ombres des héros, soyez heureuses! En quittant la demeure de
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON. 19

ses ancêtres, votre fils vous fail ses adieux! Dans les pays lointains y déposer un baiser de feu : cependant, je m'interdis ce bonheur
comme ici, voire souvenir relèvera son courage; il ne songera qu'à céleste ; car, hélas ! ce serait un bonheur coupable.
la gloire et à vous. Quand je vois en rêve ton sein si pur, ah ! je voudrais reposerma
Quoiqu'une larme obscurcisse sa vue au moment de ce départ tète sur cette blanche neige: cependant, je réprime ce désir auda-
douloureux, un regret, et non point une crainte, cause son émo- cieux ; car ce serait renoncer pour jamais au repos.
tion; quelque loin que l'entraîne sa destinée, brûlant d'imiter ses Tes regards pénétrants vont droit à mon coeur, el le font palpiter
aïeux, il n'oubliera pas leur gloire. d'espérance ou de crainte; cependant, je te cache mon amour, et
O gldîrc! ô souvenir qu'il chérira toujours ! il. jure ici que jamais pourquoi? Parce que je ne voudrais point te coûter une larme.
il n'imprimerade lâche à votre nom ; il veut vivre comme vous,_ ou Je ne t'ai jamais dévoilé mon amour, et pourtant tu n'as que trop
comme vous mourir ; et puissc-t-il ensuite mêler sa poussière à la bien deviné le feu qui me consume ; mais dois-je l'entretenir do
vôtre ! nia passion, et changer en enfer le ciel de ton âme?
Non, car tu ne peux jamais être à moi; un prêtre ne pourrait
bénir notre union. Ce n'est donc que par un lien tout céleste,
ô ma bien-aimée1 que ni pourras m'appartenir.
ÉPITAPIIË «'UN AMI (1803). Que mon feu se consume donc en secret; qu'il se consume, tu ne le
connaîtras jamais : j'aime mieux encourir une mort certaine que de
O bien-aimé! ô ami toujours cher! de combien de larmes vaines laisser briller sa clarté criminelle.
j'ai arrosé ton cercueil! combien de soupirs ont répondu à les der- Je ne veux point soulager les tortures de mon coeur en chassant
niers soupirs, tandis que lu luttais contre les angoisses du trépas! du tien la douce paix aux yeux de colombe; plutôt que de t'infliger
désirs.
une telle blessure, je prétends étouffer mes présomptueux braverais
Si des larmes pouvaient arrêter dans sa course l'impitoyable tyran;
si des angoisses pouvaientamortir les coupsde son arme funeste; si Oui, je renonce à ces lèvres adorées, pour lesquelles je
la jeunesse, la vertu, pouvaientobtenir un seul instant de répit; si plus que je n'ose dire ; pour sauver ton honneur et le mien, je te
la beauté possédait un charme capable d'éloigner de sa proie ce dis un dernier adieu.
Oui, je renonce à ce sein de neige: je fuis avec le désespoir;
r , et,
spectre redouté, tu aurais encore vécu pour apaiser les souffrances
de mon âme, pour faire l'honneur de les émules et les délices de jamais je n'espérerai plus te serrer dans mes bras, bonheur au prix
les amis. Ta douce âme vienl-elle planer quelquefois sur la place
duquel je pourrais lout risquer, excepté ton propre bonheur.
où la cendre achève de se consumer ; alors, lu dois lire, écrits dans Tu resteras donc pure de toute faute, et la plus sévère matrone
mon coeur, des regrets trop profonds pour les confier à l'art du
I
ne pourra flétrir ta renommée. Que des maux incurables viennent
sculpteur. Aucun marbre n'indique la couche où tu dors sous un m'assiéger, ce n'est pas loi qui seras le martyr de l'amour.
humble gazon ; mais des statues rivantes y versent des larmes.
L'image de la douleur ne s'incline pas sur ta tombe ; mais la dou-
leur elle-même y vient pleurer ton destin prématuré. Sans doute
un père gémit sur l'extinction de sa race ; mais la douleur même, A CAROLINE.
d'un père ne peut égaler la mienne. Certes, nul ne pourra, comme
tu l'eusses fait., adoucir sa dernière heure; et pourtant, il a d'au-
tres enfants pour calmer aujourd'hui ses regrets; mais près de Crois-tu donc que j'aie pu voir sans être ému les beaux yeux
moi, qui tiendra ta place? quelle nouvelle amitié pourra effacer ton remplis de larmes qui me suppliaient de rester; crois-tu que sans
image?... Non, rien! Les larmes d'un père cesseront de couler; le m'éinouvoir j'aie pu entendre les profonds soupirs, qui en disaient
temps apaisera la douleur d'un frère encore enfant: lous seront plus que des paroles ne pourraient exprimer ?
consolés, et l'amitié seule pleurera dans l'abandon. Quelque vive que fût la douleur qui faisait couler tes larmes, en
voyant ainsi se briser nos espérances et notre amour, cepen-
dant, chère fille, ce coeur saignait aussi profondément blessé que
lc tien.
Mais, quand l'angoisse enflammait nos joues, quand tes dbnecs
A EMMA. lèvres s'unissaient aux miennes, les larmes que versaicnlmes pau-
pières se perdaientdans celles que tu répandais toi-même.
* Tu ne pouvais sentir le feu de mes joues, car lu l'avais éteint
Puisque l'heure est venue où vous, devez malgré ses larmes quit- dans les flots de tes larmes. Et lorsque la langue essayait de par-
ter celui qui vous aime ; puisque noire rêve de bonheur est passé ; ler, c'est au milieu des soupirs qu'elle prononçait mon nom.
encore une angoisse à souffrir, chère enfant, el tout sera fini. Et cependant,chère fille, nous pleurons en" vain ; en vain nous
Hélas! c'est une angoisse cruelle de nous quitter pour ne nous soupirons en plaignant noire sort. 11 ne peut nous rester que lc sou-
réunir jamais, de m'arracher des bras de celle que j'aime, el de la venir... le souvenir qui redoublera nos larmes.
laisser partir pour un rivage lointain. Adieu, encore une fois, ô ma chère bien-aimée! étouffe tes re-
Eh bien ! nous avons passé quelques moments" heureux, et de grets, si lu le peux; que ta pensée ne s'arrête pas sur un bonheur
doux souvenirs viendront se mêler à nos larmes, quand nous re- qui n'est plus : notre seul espoir est dans l'oubli.
verrons par la pensée ces tours antiques, abri de notre enfance.
Du haut de ces tours aux gothiques créneaux, nous avons con-
templé le lac, le parc, la vallée; et, à travers les larmes qui ob-
scurcissent notre vue, nous leur disons encore un dernier adieu.
Nous disons adieu à ces champs que nous avons tant de fois par- A LA MEME.
courus dansIcsheures consacrées aux jeux de notre enfance ; adieuà
ces ombrages où, après nos courses, votre tête reposait sur mon sein ; Oh I quand la tombe voudra-t-elleensevelir pour jamais ma;dbu-
Tandis que moi, admirant Votre jeune beauté, j'oubliais d'écarter lcurl Quand mon âme pourra-t-elle déployer son vol loin de celte
l'insecte ailé, à qui j'enviais le baiser qu'il posait sur vos yeux en- dépouille d'argile? Le présent est pour moi l'enfer; et chaque
dormis: ma-
tin qui renaît ne fait que ramener avec de nouvelles, tortures la
Voyez la petite nacelle peinte, dans laquelle je vous conduisais; malédiction qui m'accablait la veille.
voyez là-bas, dominant lous les arbres du parc, l'ormeau que j'es- Les larmes ne tombent pas de mes yeux, le blasphème ne sort
caladai' pour vous plaire. pas de mes lèvres ; je ne maudis même pas les démons- qui m'ont
Ces temps sont passés; nos joies ne sont plus; vous me quittez; chassé de mon paradis; car, sous le poids d'une pareille douleur,
vous quittez celle heureuse vallée; seul, je parcourrai lous ces lieux c'est le fait d'une âme sans énergie que de l'exhaler en plaintes
témoins de tant de bonheur; sans vous, quel charme pourrais-je en- bruyantes.
core y trouver? Si mes yeux, au lien de larmes, pouvaient lancer des traits de
Qui peut comprendre,sans l'avoir éprouvée, la douleur d'un der- feu; si mes lèvres exhalaient unei flamme inextinguible; mon re--
nier embrassement, quand, arraché à tout ce qu'on aimait, il faut i gard vengeur consumerait nos ennemis, et ma langue donnerait
dire un long adieu au repos? ! l'essor à
C'est là le plus douloureux des maux, c'est ce qui maintenant 1 Mais les sa rage.
malédictions et les larmes, également impuissantes, ne
couvre nos joues de larmes : c'est le terme fatal de l'amour, le plus ! servent qu'à augmenterlajoie de noâ tyrans ; car, s'ils nous voyaient
tendre et le dernier adieu. ; déplorer notre funeste séparation-, leurs coeurs sans pitié s'enivre-
] raient de ce spectacle.
i Et pourtant, nous avons beau céder avec une résignation feinte,
; la vie ne fait plus luire à nos yeux un seul rayon de bonheur ; l'a*
1 mour ni l'espérance ne peuvent nous consoler sur la terre la lombfr
A M. S. G. :
,
est notre seul espoir; car la vie ne nous offre que dés craintes.
O fille adorée ! quand voudra-t-onm'élendre dans le cercueil, puis*
Quand j'aperçois les lèvres charmantes, leur rongeur m'invite à , que j'ai vu l'amour et l'amitié me quitter
pour jamais? Si dans la
20 LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

demeure sombre je peux encore le serrer dans mes bras, peut-être plus cher et plus doux souvenir, celui que nous garderons après
laisseront-ilsen paix les morts. tous les autres, sera le premier baiser d'amour.

A LA MÊME (1805). Au DUC DE DORSET (1808).

Quand je t'entends exprimer une affection si vive, ne pense pas, Dorset, toi dont les premiers pas accompagnèrentles miens, alors
ô ma bien-aimée, que j'accueille avec incrédulité tes paroles; car que nous explorions ensemble tous les sentiers des bosquets de
ta voix désarmerait le soupçon même, et les yeux brillent d'une lu- l'Ida (1); toi, qui m'inspiras assez d'affection pour que je voulusse te
mière qui ne saurait tromper. protéger cl devenir Ion ami au lieu de ton tyran, en dépit des rudes
Et cependant mon coeur, rempli d'une tendre adoration, songe coutumes de notre troupe adolescente, qui t'ordonnaient d'obéir et
avec peine que l'amour, comme la feuille des bois, doit se flétrir m'autorisaient à commander; toi, sur la tête de qui peu d'années
un jour; que la vieillesse viendra, et qu'alors nos souvenirs nous accumuleront les dons de la richesse et les honneurs du pouvoir;
toi, qui dès ce jour possèdes un des noms les plus illustres et le
coûteront des larmes ;
Qu'un jour doit arriver où les beaux anneaux de ta chevelure, rang le plus glorieux, un rang qui le rapproche des marches du
perdant leurs doux reflets dorés, s'éclairciront au souffle de la brise ; trône: Dorset, malgré tous ces présents de la fortune, ne laisse
où enfin quelques fils argentés, débris de ces tresses splendides point entraîner ton âme au mépris de la noble science, au rejet de
annonceront les infirmités de l'âge el le déclin de la nature. , tout contrôle : garde-toi de le prévaloir de la complicité de certains
Telle est la pensée, ô ma bien-aimée, qui assombrit mon front, pédagogues qui, craignant de rabaisser le jeune héritier d'un titre,
quoique je n'aie point la présomption de censurer l'arrêt que Dieu et prévoyant sa grandeur prochaine, voient d'un oeil indulgent de
a prononcé sur toute créature, l'arrêt de mort qui doit nous sépa- seigneuriales erreurs, et sourient à des fautes qu ils n'oseraient pu-
rer un jour. nir.
Ne te méprends pas aimable incrédule, sur la cause de l'émo- Déjà de jeunes parasites plient le genou devant la richesse, leur
tion qui m'agite : aucun doule ne peut arriver jusqu'à l'âme de ce- idole d'or, et non devant toi (car même à l'aurore de la simple en-
lui qui t'adore ; chacun Je les regards est l'objet de mon culte ; un fance, elle trouve des esclaves prêts à manier l'encensoir et l'éven-
sourire m'enchante, une larme suffit pour changer mes convictions. tail) ; déjà ils te disent : « L'éclat les
doit entourer celui que sa nais-
Mais puisque la mort doit tôt ou lard arrêter notre carrière, puis- sance destine aux grandeurs; livres ne sont fails que pour de
laborieux
que ces deux coeurs, unis par une brûlante sympathie, doivent dor- vulgaires. imbéciles, el les esprits généreux dédaignent les règles
mir dans la tombe, jusqu'à ce que le son de la terrible trompette » Ne les crois point : le chemin qu'ils t'indiquent est ce-
vienne nous réveiller en appelant tous les trépassés confiés au sein lui de la honte ; en suivantleurs conseils, tu flétrirais la gloire de ton
de la terre ; nom. Parmi les jeunes condisciples,rechercheceux qui n'hésitent pas
Puisqu'il en est ainsi, savourons à longs flots les plaisirs d'une à condamner lé mal ; ou si, parmi lous les amis de ta jeunesse, au-
passion inépuisable ; échangeons sans cesse la coupe toujours cun n'ose faire entendre l'accent sévère de la vérité, consulte ton
pleine des ravissementsde l'amour ; enivrons-nous tous deux de ce propre coeur, il te mettra sur tes gardes; car je sais que la vertu
terrestre nectar. y réside.
Oui, depuis longtemps j'ai observé ton âme ; mais maintenant
un nouveau théâtre m'attire loin de toi ; depuis longtemps j'ai ob-
servé en toi un esprit généreux qui, bien cultivé, fera les délices do
STANCES A UNE DAME, EN LUI ENVOYANT LES POESIES tes semblables. Ah I moi-mêmeque la nature a fail hautain et farou-
DU CAMOENS.
che, moi l'enfant chéri de l'imprudence; moi qui, marqué d'avance
du type de toutes les erreurs, dois marcher de faute en faule à ma
Peut-être en faveur de moi, jeune fille, feras-tu quelque cas de chute complète : je voudrais y succomber seul. Bien que nul pré-
cepte puisse maintenant apprivoiser mon coeur orgueilleux, je
ce gage de ma tendre estime I Ces vers chaulent les rêves enchantés chérisne
de l'amour, sujet que nul ne peut dédaigner. les vertus que je ne puis atteindre.
Qui peut y trouver à redire, si ce n'est quelque solle envieuse, d'autres Ce n'est pas assez pour loi de briller un instant, comme tant
quelque vieille fille désappointée, quelque élève d'une école de pru- flammanl; enfants du pouvoir, passager météore qui tombe en s'en-
derie, condamnée à se flétrir dans un triste isolement? lu ne le contenteras? pas du triste honneur de remplir
Lis ce volume, jeune fille ; lis avec amour, car tu ne seras jamais unefigurentpage des annales de la pairie d'une longue suite de noms qui
pareille à ces malheureuses créatures ; el ce n'esl pas en vain que ne que là, el de partager avec la foule des hommes qui
je le demanderai ta pitié pour les douleurs du poète. portent un litre, ce vulgaire destin d'être envié pendant ta vie et
Camoëns était un véritable enfant des. muses : il ne chantait point oublié dans le tombeau. Car là,songes-y bien, rien ne Icdisliiigucrait
de la fouie des morls ; rien que la froide pierre qui couvrirait les res-
une flamme frivole ou factice : puisse l'amour te couronner comme tes, et l'écusson délabré, el la devise héraldique, et l'inscription
il l'a couronné; mais que sa triste fin ne soit pas la tienne.
pompeusement blasonnée, mais bien rarement lue, ornements du
sépulcre, où des lords sans vertus gravent leurs noms inhonorés.
Non, tu ne voudras pas imiterces hommes qui dormentoubliés comme
les sombres caveaux où sont ensevelis leurs cendres, leurs erreurs
LE PREMIER BAISER D'AMOUR. et leurs vices, le tout recouvert de longues légendes armoriées, où
personne ne jettera jamais les yeux. Ohl que je voudrais, d'un re-
gard prophétique, te suivre d'avance dans ta longue et glorieuse
Arrière les pâles fictions de vos romans, tissus de faussetés dont carrière, marchant à la tête des bons et des sages, le premier par
la folie a fourni la trame ! A moi le doux rayon d'un regard qui tes talents comme par ta naissance, foulant aux pieds les vices, dé-
vient du coeur, ou le ravissement qui naît du premier baiser d'a- daignant les faiblesses, et non le favori de la fortune, mais le plus
mour ! noble de ses enfants.
Rimeurs dont le sein ne brûle que du feu de l'imagination dontt Fouille les annales des anciens jours : elles sont remplies du nom
,
les passions sentent la bergerie; de quelle noble source couleraient de tes ancêtres. L'un, ami des rois, fut pourtant homme de mérite,
vos sonnets, si vous aviez goûté le premier baiser d'amour. et eut l'honneur de créer lc drame britannique; un autre, non
Si parfois Apollon vous refuse son aide, si les neuf Soeurs pren- moins renommé pour son esprit, brilla dans les camps, sénat et
nent leur vol loin de vous : ne les invoquez pas davantage, ditess à la cour; favori de Mars et des neuf Soeurs, il était faitau pour bril-
adieu à la muse, pour essayer l'effet du premier baiser d'amour. ler dans les plus hauts rangs; el, bien supérieur à la foule qui
Froides compositions de l'art, je vous exècreI que les prudes mei autour des trônes, il fut l'orgueil des princes et l'honneur
condamnent, que les bigots me dévouent à l'enfer; j'aime les sim- rampe de la lyre. Voilà quels furent tes aïeux : soutiens leur nom tel qu'ils
ples effusions d'un coeur qui bat de plaisir au premier baiser d'a- le l'ont légué; ne sois point seulement l'héritier de leurs litres,
mour. mais aussi de leur gloire,
Vos bergers, vos troupeaux, inventions fantastiques, peuventt Pour moi l'heure s'approche, quelques journées rapides vont clore
plaire un moment, mais jamais émouvoir : l'Arcadie n'est que lee à mes yeux cette scène étroite de joies et de douleurs enfantines :
Eays des rêves; que sont de pareilles visions, au prix du premier r chaque appel de la voix du temps m'annonce qu'il faut quitter ces
aiser d'amour. ombrages où j'ai connu l'espoir, la paix et l'amitié: l'espoir, qui se
Ne dites plus que l'homme, depuis Adam jusqu'à nous, n'a connuu colorait pour moi de toutes les nuances de l'arc-en-ciel, et qui do-
que le malheur; une part du paradis reste encore sur la terre:: rail les ailes des instants fugitifs ;,la paix, que ne troublaientjamais
Eden revit dans le premier baiser d'amour.
Quand la vieillesse glace le sang, quand l'âge du plaisir est passé (l) Nom par lequel Byron désigne, ici et dans quelques autres passa-
(car les années pour s'enfuir ont les ailes de la colombe), notre ges, le collège d'Marrow.
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON. 21

desombres réflexions, ni ces rêves de malheur qui assombrissent j s'étendent devant moi, un rayon du passé est devenu bien cher à
l'avenir ; l'amitié enfin qui, dans toute sa pureté, n'appartient qu'à jj mon coeur.
l'enfance ; car, hélas ! ils n'aiment pas longtemps, ceux qui savent Mais si, dans le cours des années qui me sont réservées, quelque
si bien aimer. A tous ces biens, adieuI je salue pour la dernière nouvelle scène de bonheur se découvre à ma vue, alors, saisi d'une
fois les lieux où je les ai goûtés. Ainsi, l'exilé salue le rivage natal pensée qui accroîtra mon ravissement, je m'écrierai : « Oui, tels
qui fuit lentement à l'horizon profond et bleuâtre, et d'où le sui- étaient les jours que mon enfance a connus. »
vent des yeux pleins de deuil, mais qui ne peuvent pleurer.
Cher Dorset, adieu ! je ne demanderai pas un profond souvenir à
un coeur si jeune que le tien. La prochaine aurore balaiera mon
nom de celle intelligence encore tendre, el n'y laissera aucune GRANTA (1)..
trace de moi. Peut-être dans un âge plus mûr, puisque le sort nous
a jetés dans la même sphère d'activité, puisque dans un môme sénat,
dans une même discussion, l'Etat peut réclamer notre suffrage ; SALMIGONDI (1806).
peut-êlre, nous rencontrant dans cette arène politique, passerons-
nous l'un près de
l'autre avec une froide réserve, avec un regard in-
différent et glacé. Pour moi, dans l'avenir,je ne puis être à ton égard n'ai-je à ma disposition le démon boiteux créé par Lc
Ah 1 que
ni ami, ni ennemi; je dois être étranger à la personne, à les joies Sage! Celte nuit même il me transporterait toul tremblant sur le
et à tes peines ; je ne puis espérer de repasser un jour avec toi les clocher de Sainte-Marie.
souvenirs de nos premières années, de retrouver ces douces heures Là, découvrant les toits des édifices de la vieille Granla, il me
d'intimité, ou môme d'enlendre encore, si ce n'est dans la foule des montrerait à découvertleurs pédanlesqucs habi tanls ; ces hommes
salons, ta voix si bien connue. Et pourtant, si les voeux d'un coeur qui ne rêvent que prébendes et bénéfices, prix de leur suffrage
incapable de voiler des sentimentsqu'il devrait étouffer peut-être vénal.
( mais hâtons-nous de quitter un sujet sur lequel c'est insister
Là, je verrais Pctly et Palmerston, ces deux candidats rivaux, ten-
trop longtemps), si ces voeux n'onl point été formés en vain, l'ange dre leurs filets parmi les doctes membres pour les prochaines élec-
protecteur qui dirige ta destinée, comme il l'a trouvé grand par la tions.
naissance, te laissera brillant de ta propre gloire. Électeurs et candidats, toute la saintephalange dort d'un profond
sommeil ; gens fameux par leur piété, dont aucun remords de con-
science ne troublejamais le repos-
Lord llawkepeutêlre tranquille : les membres de la docte faculté
sont des hommes sages et réfléchis : ils savent que des promotions
DAMOETAS (1805). peuvent avoir lieu, mais rarement et par intervalles.
Ils savent que le chancelier peut avoir à sa disposition quelques
bons petits bénéfice^ chacun espère en obtenir un, et en consé-
Enfant d'après la loi, adolescent par l'âge, esclave par nature quence accueille avec :un sourire le candidat proposé par l'autorité.
de lous les penchants vicieux, dépourvu de toul sentiment de honte Maintenant, comme il se fail tard, je quille ce speclacle sopori-
et de vertu, habile dans lc mensonge, démon d'imposture, hypo- fique el je tourne d'un aulrc côté pour passer en revue sans
crite achevé dès le berceau, inconstant comme le vent, extravagant être aperçume les fils studieux de l'Aima Mater.
dans ses goûts ; faisant de la femme sa dupe, d'un enfant trop con- Voici, dans un appartement étroit et humide, l'aspirant aux prix
fiant son jouet ; vieux dans la pratique du monde, quoique sortant annuels qui travaille à la clarté de sa lampe nocturne : il se couche
à pciuedel'école ; Damoelas a parcouru toulc la route du mal et atteint lard et se lève de bonne heure.
déjà le terme, à l'âge où d'autres commencent leur carrière. El ce- Il mérite certainement d'obtenir les prix et les honneurs du col-
pendant, des passions contradictoiresse disputent son âme, et de lège, celui qui se dévoue à d'aussi pénibles labeurs pour acquérir
la coupe du plaisir ne lui laissent boire (lue la lie ; blasé par le vice, science qui ne peut servir à rien ;
il rompt successivement toutes ses chaînes, et ce qui lui paraissait une Qui sacrifie ses heures de repos pour scander avec une nouvelle
une source de bonheur bicnlôl n'est plus qu'un poison. précision des vers altiques, ou qui tourmente sa pauvre poitrine en
résolvant les arides problèmes de la géométrie ;
Qui se fie aux fausses quantités indiquées par Seale, ou se casse
la tôle à méditer sur un triangle, ou se morfond à dispuer en latin
barbare, le toul en privant son corps de la nourriture nécessaire,
L ECOLE ET LE VILLAGE D HARROW. Renonçant à l'instructive et agréable lecture des historiens et
abandonnant les sages et les poètes pour le carré de l'hypothénuse.
Scènes de mon enfance, dont le doux souvenirremplit le présent Et pourtant ce sont là des occupations innocentes, et en s'y li-
d'amertumequandje le compare au passé : lieux où la science a l'ait vranl, le malheureux éludiant ne l'ail de mal qu'à lui-môme : mais
éclore en moi les premièreslueurs de la pensée, où j'ai noué des il n'en est pas ainsi des récréationsqui réunissent déjeunes impru-
amitiés trop romanesques pour durer; dents.
Où mou imagination se plaît encore à faire revivre les traits de ces La vue est blessée de leurs audacieuses orgies où le vice se môle
jeunes compagnons, mes alliés pour le bien comme pour le mal : à l'infamie, où l'ivresse et le jeu sollicitent des sens déjà engourdis
oh ! que je nourris avec joie votre éternelsouvenir, vivant à jamais par le vin.
dans ce sein où l'espérance est morte I Telle n'est pas la troupe méthodiste, gravement occupée de ses
Je revois les collines théâtres de nos jeux, les rivières que nous plans de réforme : humblement agenouillés, ces hommes prient le
passions à la nage et les champs où se livraient nos combats, et l'é- ciel et implorent son pardon... pour les péchés d'aulrui,
cole où, rappelés par la cloche, nous revenions pâlir sur des pré- Oubliant que leur esprit d'orgueil, la montre qu'ils font de leurs
ceptes sublimes enseignés par de minces pédagogues. épreuvesôtentbeaucoupdu mérite des sacrifices dont ils se vantent.
Je revois celte pierre lumulaire où je me couchais pour rêver pen- Voici le matin : je détourne ma vue de ces gens-là. Quelle scène
dant les longuesheures du soir, et ce cimetière dont je gravissais rencontrent mes regards? Une troupe nombreuse, en blancs surplis,
les pentes pour saisir le dernier rayon du soleil couchant. traverse les vertes promenades.
•le revois la salle encombrée de spectateurs où, sous les traits de La cloche de la chapelle retentit bruyammeal : elle se tait... quels
Zanga, je foulais à mes pieds Alonzo'vaincu (1), tandis que mon sons harmonieux lui succèdentI La voix céleste de l'orgue se fait
jeune orgueil, enivré d'applaudissements, croyait éclipser le fameux entendre à l'oreille charmée.
Mossop (2). Bientôt les chants sacrés viennent s'unir à ceux de l'instrument :
Cette salle où, représentant le roi Lear (3), privé par ses propres ce sont les hymnes sublimes du roi-prophète... et pourtant ceux
filles de son pouvoir et de sa raison, je lançais la célèbre impréca- qui auront entendu quelque temps celte musique ne souhaiteront
tion avec tant de succès, qu'exalté par l'approbation de l'auditoire jamais l'entendre de nouveau.
et par ma propre vanité, je me considérais comme un autre Gar- De pareils choeurs seraientà peine tolérés, fussent-ilscomposés de
rick. simples commençants : le ciel doit refuse» toute miséricorde à des
Songes de mon enfance, combien je vous regrette : votre souvenir pécheurs qui croassent de la sorte.
vit en moi dans toute sa fraîcheur : dans ma tristesse et mon isole- Si David, après avoir fini son oeuvre, l'eût entendu chanter par
ment je ne puis vous oublier, et par la pensée je jouis encore de de tels lourdauds, ses psaumes ne seraient point parvenus jusqu'à
vos plaisirs. nous, et dans sa rage il les aurait lacérés.
O Ida! puisse la mémoire me ramener souvent vers toi, taudis Les Irisles débris d'Israël, expatriés par l'ordre d'un tyran inhu-
que destin déroulera mon sombre avenir. Depuis que les ténèbres main, refusèrent de répéter des airs joyeux sur les rives des fleuves
le
de Babylone.
(1) Personnages d'un drame d'Young intitulé « la Vengeance. » Oh ! si, poussés par la crainte, ou concevant un habile stratagème,
(2) Célèbre acteur, rival de Garrick.
(3) Prononcez Lir; tragédie de Shakspeare. (1) Nom classique de l'université de Cambridge.
22 LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

ils eussent fait enlendre d'aussi effroyables accords, ils n'eussent doulc, que le temps ne fît changer mon âme inconstante; el ne
point eu à se gêner : du diable si personne fût rcslé à les écouter. voyant pas que ce gage d'undoux souvenir doit enchaîner toutes les
Mais si j'en barbouille davantage, du diable encore si quelqu'un facultés de mon être.
rc6le à me lire :. ma plume est émoussée; mon encre s'épaissit; il A travers les heures, les années, la vie entière, il saura me char-
est bien temps de m'arrêler. mer; dans les moments de tristesse, il ranimera mes espérances;
Adieu donc, ô clochers de la vieille Granla! Je ne viendrai plus, au milieu de mon agonie, je le contemplerai encore, el c'est sur lui
comme Cléofas, me percher sur vos sommets; vous n'inspirerezplus que tombera mon dernier regard.
ma muse : le lecteur est fatigué... el moi aussi.

A LESBIE.
A M. S. 6.
Depuis que j'ai porté mes pas loin de vous, ô Lesbie, nos âmes
Si je rêve que vous m'aimez, vous me le pardonnerezsans doute. ne brûlent plus d'une affection bien vive ; vous prétendez que c'est
Votre courroux ne doit pas s'élendre jusque sur le sommeil ; car moi qui ai changé et non vous ; je voudrais vous dire pourquoi,
cet amour n'exisle que dans une vision : je me lève, et elle me laisse mais je l'ignore.
tout en larmes. Aucun chagrin n'a marqué votre front poli, ô Lesbie, et nous n'a-
O Morphéel hâte-toi d'assoupir toutes mes facultés;répands sur vons pas beaucoup vieilli depuis le jour où d'abord tout tremblant,
moi ta bienfaisante langueur : si le songe de la nuit prochaine res* je me laissai prendre mon coeur, puis enhardi par l'espoir, je vous
semble au précédent, quel ravissementdivin I avouai mon amour.
On prétend que le Sommeil, frère du Trépas, est l'emblème de la Nous avions alors tout au plus seize ans, et depuis lors deux
fragilité de notre sort : oh I comme j'abandonnerais avec délices le années seulement ont passé sur nos têtes, ô mon amour I et déjà de
dernier souffle de mon sein, si ce que j'éprouve- est un avant-goût nouvelles pensées occupent nos esprits, el moi pour le moins je me
de l'autre vie. sens disposé au changement.
Point de courroux, aimable dame ! Éclaircissez ce beau front et Seul je suis à blâmer, seul je suis coupable de trahison envers
ne me reprochez point mon bonheur : si je suis coupable en rêve l'amour: puisque votre tendre coeur est toujours lc même, le caprice
j'expie maintenant ma faute, condamné que je suis à n'apercevoir, doit être ma seule raison.
que de loin tant de félicité. Non, mon amie, je nedoule point de vous; aucun soupçonjaloux
Quoique je puisse vous voir, aimable dame, me sourire dans mes ne pèse sur mon sein; l'ardente passion de ma jeunesse ne laisse
rêves, ne croyez pas que mon châtiment soit léger ; quand voire point après elle les sombres traces de l'imposture.
douce présence a charmé mon sommeil, je suis assez puni en m'é- De mon côté, ma flamme n'était point faillie : je vous aimais bien
vcillant. sincèrement; et, quoique notre songe soit fini, mon coeur vous
garde une tendre estime.
Nous ne nous rencontreronsplus dans ces bosquets ; l'absencem'a
A M.
rendu volage : mais des coeurs plus mûrs, plus fermes que les nôtres,
ont aussi trouvé de la monotonie dans l'amour.
La douce fleur de vos joues est sans rivale ; de nouvelles beautés
Oh! si les yeux au lieu de flammes avaient l'expression d'une brillent chaque jour en vous ; vos yeux, préludant à leurs conquêtes,
vive mais douce tendresse, peut-être allumeraient-ils moins de dé- sont l'atelier où l'amour forge ses irrésistibles éclairs.
sirs, mais un amour plus que mortel te serait consacré. Ainsi armée pour blesser lous les coeurs, belle amie, vous allez
Car lu es si divinement belle, qu'en dépit de ce regard indomp- réunir autour de vous une foule d'amants soupirant comme moi.
table, on t'admire quoique sans espoir : ce fatal éclat de tes yeux ils se montreront plus fidèles sans doute ; mais aucun ne sera plus
empêche de te comprendre. tendre.
Quand la nature a formé ton beau corps, elle s'est aperçue qu'elle
avait mis en loi lant de perfection, qu'elle craignit que, trop divine
pour la lerrc, le ciel ne te réclamât.
Voulant donc empêcher que les anges ne vinssent lui disputer son DERNIER ADIEU DE L AMOUR.
plus précieux ouvrage, elle mit secrètement un funcBte éclair dans
ces yeux auparavant célestes. Les roses de l'amour embellissent le jardin de la vie, bien qu'elfes
Maintenant, brillants de lous les feux du Midi, ils tiendraient en croissent parmi des herbes vénéneuses: elles l'embellissentjusqu'au
respect le sylphe le plus audacieux. 11 n'est personne qui ne soit jour où la faulx impitoyable du temps vient les effeuiller ou arrêter
ravi delà beauté; mais nul ne peut supporter l'étincelle de ton re- pour jamais leur croissance; c'est le dernier adieu de l'amour.
gard. En vain nous demandons aux all'cclions de soulager la tristesse
On dit que la chevelure de Bérénice, changéeen étoile, orne la du coeur; en vain nous promettons un long avenir de tendresse : le
voûte des cieux : mais on ne t'y admettraitpoint, toi qui éclipse- hasard d'un moment peut nous séparer, et la mort nous désunir
rais les sept grands astres. dans le dernier adieu de l'amour.
Car si les yeux vivaient là-haut comme elles, les planètes leurs Toutefois l'espérance nous console, et au moment où la douleur
soeurs seraient à peine visibles : et les soleils eux-mêmes, dont gonfle notre sein, elle vient nous dire à l'oreille : « Nous pourrons
chacun préside à tout un monde, ne jetteraient plus dans leurs nous revoir encore. » Ce rêve trompeur apaise notre affliction, et
sphères qu'une douteuse clarté. nous ne sentons plus le poison du dernier adieu de l'amour.
Voyez ce couple d'amanIs, au midi de leur jeunesse. Dès leur
enfance, l'amour les avait enlacés de ses guirlandesde fleurs : ils se
sont aimés en grandissant; et les voilà qui fleurissent ensemble
A MARY dans la saison de la vérité; mais ils seront glacés par l'hiver du
dernier adieu de l'amour.
O douce beauté I pourquoi cette larme vient-ellesillonner une joue
EN RECEVANT SON PORTRAIT, dont l'éclat rivalise avec celui de ton sein? Ah ! je ne devrais point
te faire celte question : en proie au désespoir, la raison a péri dans
Cette faible image de tes charmes, faible quoique l'artiste ait fait le dernier adieu de l'amour.
tout ce que peut un pinceau mortel, désarme les craintes d'un coeur Quel est ce misanthrope fuyant le genre humain? 11 fuit les cités
fidèle, rallume mes espérances et m'ordonne de vivre. pour les antres des forêts : là, dans sa fureur, il hurle ses plaintes
J'y reconnais ces boucles dorées qui se jouent autour de ton front au vent, et l'écho des montagnesrépète le dernier adieu de 1dans amour.
de neige, ces joues sorties du moule de la beauté, ces lèvres qui ont Aujourd'huila haine gouverne un coeur qui, naguère, de
fait de moi ton esclave. douces chaînes goûtait les tumultueusesjoies de la passion ; au-
J'y reconnais... Oh! non, je n'y puis reconnaître ces yeux dont ,
jourd'hui le désespoir allume le sang et le fait battre de rage au
l'azur flottant dans un feu liquide défie tout l'art du peintre et le souvenir du dernier adieu de l'amour.
contraint d'abandonner sa tâche. Comme il porlc envie au malheureux dont l'âme est cuirassée
Je trouve bien ici leurs teintes délicates : mais où est le rayon si d'acier ! celui-ci a peu de plaisirs et peu de douleurs aussi ; il se rit
doux qui donne tout son éelatà leur azur, rayon pareil à celui de d'aifgoisses qu'il n'a jamais éprouvées; il ne redoute pas les dou-
la lune qui se joue sur l'Océan. leurs du dernier adieu de l'amour.
Charmante image! lu m'es cependant bien plus chère, privée La jeunesse s'enfuit, la vie s'use, l'espérance même se sent vain-
comme tu l'es de vie et de sentiment, que toutes les autres beautés cue : la passion a perdu sa première fureur; elle déploie ses jeunes
vivantes, cxceplé celle qui t'a placée près de mon coeur. ailes et le vent l'emporte. Le linceul des affections, c'est lé dernier
Elle l'y a placée avec tristesse, craignant, bien vainement sans adieu de l'amour.
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON. 23

3 Aslrée a voulu que dans celte vie d'épreuves l'homme achetât, jeune homme eût fixé son coeur capricieux : elle lui eûl prodigué
% prix de quelques peines, le bonheur célesle qui l'attend. Pour lous ses trésors et rien ne fût resté pour les autres.
1 an
celui qui a porté ses adorations au sanctuaire de là beauté, Une pé-
'% nilence nssez cruelle l'attend dans le dernier adieu de l'amour.
||
|
S
Quiconque adore le jeune dieu doit, devant son lumineux autel,
semer alternativementle myrte et le cyprès : lé myrte, emblème des
plus pures délices; le cyprès, image funèbre du dernier adieu de LA LARME (1806),
I famour.
Quand l'amitié ou l'amour éveillent nos sympathies, quand la vé-
rité devrait apparaître dans le regard, les lèvres peuvent tromper
par un froncement ou un sourire, mais le vrai signe de l'affection
A UNE JOLIE QUAKERESSE. est une larme.
Trop souvent un sourire n'est que la rusé de l'hypocrite qui veut
Fille charmante! quoique nous ne nous soyons rencontrésqu'une déguiser ou sa haine ou sa crainte; moi, je crois au doux soupir;
fois, je n'oublierai jamais ce moment, et quoique nous puissions ne quand l'oeil, organe de l'âme, est un moment obscurci par Une
nous revoir jamais, ma mémoire conservera les traits. Je n'ose dire : larme.
«Je t'aime; » mais malgré moi mes sens luttent conlrema volonté. C'est à l'ardeur de la charité que nous autres mortels nous recôn-
Bn vain, pour te chasser de mon coeur, j'impose àjnes pensées Un iiaissoùs Ici-bas une âme exempte de la primitive barbarie. Une pa^
silence rigoureux ; en vain j'étouffe un naissant, ?8upir, lin atiîro l'eille vertu est toujours accompagnée de la pitié dont la rosée est-
aussitôt lui succède. Peut-être n'est-ce point de l'amôùr ; et pour- iine larme*
tant ce moment où je t'ai rencontrée, je ne puis l'oublier. Le marin qui dirige sa voile sous le souffle de la tempêté, qui gou-
Nos bouches n'ont pas rompu le silence, mais nos yeux ont parlé verne son navire à travers les flots orageux de l'Atlantique, se pen-
nu langage plus doux. La parole débite des mensonges flalteius, cl che sur la vague qui va devenir son tombeau, et à la verte surface
\ dit des choses que l'on n'a jamais senties; la lèvre perfide ne sail de l'onde oii voit Un moment briller une larme.
1 que tromper, que contrefaire lessentimentsdu coeur; mais les yeux,
Dans la carrière aventureuse, de la gloire, le soldat brave la mort
i interprètes de l'âme, dédaignent
une pareille contrainte-et pesé pour un laurier imaginaire; mais iiprès la bataille, il relève l'ennemi
! prêtent point
au déguisement. Ainsi, nos regards ont conyéjàé eii-- vaincu et arrose chacune de ses blessures d'une larme.
! semble et
se sont faits les interprèles de nos coeurs; el ajjjrs aucun Heureux et fier, il revientprès de sa fiancée déposer sa lance san-
i esprit intérieur
ne s'csl élevé pour nous blâmer ; crois plutôt que, glante, et tous ses exploits sont payés, alors que, pressant la jeune
| selon ta doctrine, « l'Esprit parlait en nous. » fille dans ses bras, il dépose un baiser sur sa paupière et y recueille
î Ce que nos yeux se sont dit, je ne veux point lc répéter; je pense une larme.
j pourtant que tu m'as suffisamment compris, et pendaflt quét toit Aimable séjour de ma jeunesse ! asile de l'amitié et de la fran-
\ souvenir domine
ma pensée, j'ose croire que la tienne se reporte chisé, ot» l'année fuyait si.vile devant les chaudes affections, quand
{ aussi vers moi. Pour ce qui me concerne, du moins, je puis, le dire, je te quittai dans la tristesse, je me retournai pour jeter vers loi un
i Ion image m'apparaît et la nuit et le jour : éveillé, mon imagiiia- dehiier regard, mais je n'aperçus tes tours qu'à travers une larme.
\ lion s'en nourrit; endormi, je la vois me sourire dans des songes Maintenant t|ue je ne puis plus offrir mes voeux à Mary, à Mary
2 fugitifs : douces visions qui charment le
cours des heures et me font dui me fut autrefois si chère, j'aime à me rappeler l'heure où dans
1 ombre d'un bosquet ces voeux furent payés d'une larme.
ij maudire les
rayons de l'aurore qui viennent rompre le charme. Oli! IJh autre ja. possède ! Puisse-t-elle vivre heureuse ! Mon coeur gar-
il en songeant à ces pures délices, je voudrais que la nuit fût
sans fin;
Oui, quelle soit ma destinée, j'aie à goûter le plaisir, à subir dera son nom avec un doux respect: en renonçant à ce coeur que
i la douleur, que que
1
caressé par l'amour ou ballotté par l'orage,,jamais je je crus être à moi, je pousse encore un soupir; en pardonnant son
| n'oublierai Ion image chérie. parjuré, je répands une larme.
| Hélas! nous ne devons plus nous revoir, nous ne renouvellerons Amis do mon coeur, avant que nous nous séparions, permettez-moi
a plus ce muet entrelien. Permets-moi doue de soupirer une dernière d'expriitiër ujh espoir qui m'est bien doux : si nous pouvons nous
3 prière que me dicte mon coeur :
« Que lc ciel daigne veiller sur mon
réunir encore dans celle retraite champêtre, que ce soit comme nous
I aimable quakeresse et lui épargner les souffrances ! que la paixet ÎË% nous quittons, avec une larme !
| verlu ne l'abandonnent jamais, et que le bonheur soit toujours son;
f parlagc I Puisse le fortuné mortel que les plus doux liens doivent
Quand mon ftme prendra sou vol vers des régions de ténèbres,
mon corps étant couché dans son cercueil ; si vous passez près de la
3 unir à son sort lui créer chaque jour de nouvelles joies; et qiie Y&r- tomboqui recouvrira mes cendres, ô mes amis, humectez-lesd'une
ï; poux se dissimule dans l'amant 1 Puisse ce sein si pur ne jamais larme I
;î| connaître1'incçssanlc douleur elles vains regrets, longs tourments Point de marbre.qui étale la splendeur des regrets, comme ceux
y de l'âme de celui qui ne peut l'oublier ! » qu'élèvent les fils de la vanité; point d'éloges mensongers pour dé-
corer mon nom ! Tout ce que je demande, tout ce que je désire, c'est
une larme.

I.A CORNALINE.

Ce n'est point l'éclatextérieur de celle pierre qui la rend précieuse


à mon souvenir : elle n'a brillé qu'une fois à mes yeux, et sa
rou-
geur est modeste comme celui qui me l'a donnée.
Ceux qui tournent en dérision les liens de l'amitié m'ont souvent
; blâmé de ma faiblesse; et pourtant je fais cas de ce simple don ;
car
LARA" 1.
i je suis sûr qu'il me vient d'un ami sincère (1).
11 me l'offrit en baissant les
yeux comme s'il craignait un refus;
el en recevant son présent, je lui dis, que ma seule crainte était de lc
perdre.
Je regardai attentivement ce gage d'amitié, el en l'examinant de
près pour en voir l'étincelle, il me sembla qu'une goutte avait
ar-
rosé la pierre; et depuis ce temps une larme m'a toujours été pré-
! cieuse. CHANT PREMIER.
1 Et pourtant son humble jeunesse n'était relevée ni par l'orgueil
i de la naissance, ni par les dons de la richesse mais celui
;
i trouver les fleurs de la vérité doit quitter les jardins qui veut
les champs.
j Ce n'est point la plante élevée à l'abri de lous lespour vents qui éclate
I.
1 en beauté, qui
se répand en parfums ; les fleurs les plus riches en
I parfums, en beauté, sont celtes qui croissent
au sein d'une sauvage Les vassaux sont joyeux dans le Vasle domaine de Lara, et la ser-
I cl luxurieuse nature. vitude y a presque oublié ses chaînes féodales: Lara, le seigneur
1 Si la Fortune, oubliant un jour son bandeau, avait secondé la dont ils n'attendaient plus le retour, mais qu'ils n'avaient pointcèssé
ï turc et qu'elle eût proportionné ses dons aux qualités de l'âme, na-
1 certes la part de
I Mais d'ailleurs,mon jeune ami eût été belle. (1) Ce poème est généralement considéré comme la suite dn Corsaire,
si la déesse n'avait plus été aveugle, la beauté du quoique lé poète ait rendu, sans doute à dessein * ta liaison un peu ob-
scure. La scène se passe non pas en Espagne* comme le nom de Lara l'a
(I) Eddiestone; vovez plus haut, ot Chihle Harold, ch. II, fait croire à quelques critiques, mais dans une principaulé féodale de la
9. Morée.
24 LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

de regretter, ce chef qui si longtemps a vécu dans un exil volon- lointain semblait avoir appesanti l'aile du temps. Ils l'ont vu, ils
taire, Lara s'est rétabli dans la demeure de ses pères. Dans la grande l'ont reconnu, t,t pourtant le présent leur paraît encore douteux, el
salle qui s'anime on voit des figures riantes, des coupes sur la ta- le passé leur semble un rêve. Il vit ; et quoique flétri par les fati-
ble et des bannières suspendues aux murailles; le foyer, longtemps gues , quoique se ressentant un peu des atteintes du temps, il est
refroidi, réfléchit sa clartéhospitalièredanslcs grands vitrauxpeints, encore dans toute sa force virile. Quelles qu'aient pu être ses er-
et les hôtes égayés se rangent en cercle autour de l'âlre avec des reurs , quand même elles ne seraient point oubliées, les vicissitudes
rires bruyants et des regards pleins d'allégresse. de la fortune doivent l'en avoir corrigé; depuis longtemps on ne
sait rien de lui ni en bien ni en mal, et son nom peut encore sou-
tenir l'honneur de sa race. Jadis il montrait une âme hautaine,
n. mais après tout ses fautes ont été celles que l'amour du plaisir
fait commettre à la jeunesse, et quand le monde n'a point endurci
Le chef de la maison de Lara est de retour : mais pourquoi Lara le coeur, de pareils torts peuvent se racheter facilement et n'exi-
avait-il traversé l'Océan ? Ayant perdu son père, trop jeune encore gent point de longs remords.
pour sentir une pareille
perte, il élait devenu de V.
bonne heure son propre
maître : héritage de mal- Et , en effet, tout en
heur, redoutable puissan- lui est changé : on le voit
ce que le coeur humain au premier coup d'oeil,
n'exerce qu'en se privant quel qu'il soit mainte-
à jamais du repos. N'a- nant , il n'est plus ce
yant personne pour l'ar- qu'il a élé. Son front est
rêter, peu d'amis pour lui sillonné de rides ineffa-
signaler à propos les mille çables qui annoncent des
sentiers qui descendent passions, mais des pas-
yers le chemin du crime ; sions éteintes. Son main-
à l'âge qui demande un tien froid qui révèle non
guide, Lara, audacieux plus le feu, mais l'orgueil
enfant, eut à gouverner de ses jeunes années, son
des hommes. 11 serait inu- dédain constantdes louan-
tile de suivre pas à pas ges, sa démarche alliè-
lous les caprices de son re, son regard qui sem-
essor juvénile : la car- ble pénétrer toutes les
rière trop rapide que par- pensées ; cette légèreté
courut son âme inquiète sarcastique de la parole,
fut pourtant assez longue représailles blessantes
pour qu'il en sortit à de- d'un coeur que le monde
mi brisé. a blessé; flèches qu'il
lance autour de lui com-
III. me en jouant, qui se
font sentir vivement à
Dès sa jeunesse, Lara tous, mais dont person-
avait donc quitté le do- ne n'avoue être atteint:
maine paternel ; mais du tous ces traits sont bien
moment où il avait fait de les mêmes, mais par
la main le dernier signe dessus tout cela, le coup
d'adieu, les traces de sa d'oeil, l'accent de la voix,
roule s'étaient perdues indiquent encore autre
insensiblement, et enfin chose. L'ambition, la
il n'était presque rien res- gloire, l'amour, ces buts
té pour rappeler sa mé- communs de la vie vers
moire. Le défuntseigneur lesquels tous se dirigent
n'était plus que poussiè- et que si peu savent at-
re; et tout ce que savaient, teindre, ne semblent plus
tout ce que déclaraient exciter les désirs de son
les vassaux, c'est que La- coeur; et pourtant on s'a-
ra était absent. Il ne re- perçoit que naguère en-
venaitpoint, il n'envoyait core ces passions y étaient
point de nouvelles; on vivantes. Enfin un senti-
était réduit à des conjec- ment plus profond , que
tures froides chez lc plus l'on voudrait en vain dé-
grand nombre, inquiètes finir, vient de temps en
dans quelques - uns. A Et en effet, tout en lui est changé. temps éclairer son visage
peine les échos de la livide.
grande salle répètent- ils
quelquefois son nom; son VI.
portrait noircit dans le
cadre vermoulu ; un autre I! ne supportait pas vo-
époux a console la tiancee qui lui lut promise : les jeunes gens i ont lontiers de longues questions sur le passé, et il n'aimait pas à par-
oublié, et les vieux sont morls. « Et pourtant il vit encore! » s'é- ler des merveilles des déserts qu'il avait parcourus sous le ciel loin-
crie son héritier impatient, soupirantaprès un deuil qu'il ne portera tain où ilavait erré seul et inconnu... Inconnu?... il se plaisailàle
pas. Cent écussons sont l'ornement funèbre de la dernière demeure croire. Cependant ce ne peut être en vain qu'il a observé tant de con-
des Laras; mais un seul manque encore à cette poudreuse série, trées étrangères ; il est impossible qu'il n'ait rapporté aucune expé-
el ce n'est point sans plaisir qu'on le suspendraitau pilier gothique. rience de ses rapports avec ses semblables : seulement tout ce qu'il
en a retiré, il se défend de le montrer comme chose indigne de l'at-
tention d'un étranger, et si les sollicitations deviennent pressantes,
IV. son front se rembrunit et sa parole est brève.
Il est enfin arrivé,triste et seul : d'où ? nul ne le sait : pourquoi ?
nul n'a besoin de le savoir. Les premiers hommages rendus, ce VIL
dont on pourrait s'étonner le plus, ce n'est pas son retour, mais
sa longue absence. Il n'amène d'autre suite qu'un seul page à On le revoit avec bonheur, on l'accueille amicalement dans la
l'aspect étranger, et d'un âge encore tendre. Les années se sont société de ses pareils : issu d'un noble lignage, allié aux plus puis-
succédé; et leur cours est rapide aussi bien pour le voyageur que santes famille'!, il esl admis parmi les grands du pays ; il se mêle à
pour l'homme sédentaire; mais le manque de nouvelles d'un pays leurs fêtes joyeuses et regarde leurs plaisirs ou leurs ennuis : il les
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON. 25

regarde, mais il ne partage ni la gaîté ni la tristesse générale; il ne « lait parler, on pourrait... » C'est ainsi qu'autour de la table de
ruit pas le chemin où ils s'engagent tous, sans cesse trompés par l'office les vassaux de Lara babillaient sur le compte de leur
maître.
l'espérance, sans cesse crédules à ses promesses ; il ne courl pas
comme eux après la fumée des honneurs, après les richesses ma-
térielles , après les faveurs de la beauté, ou après une vengeance X.
issue d'une rivalité. Autour de lui semble tracé un cercle mysté-
rieux qui repousse toute approche, et au centre duquel il reste seul. Il était minuit, et la rivière transparente des domaines de Lara
Son regard a quelque chose de sévère qui tient la frivolité à dis- brillait aux rayons des étoiles : les eaux étaient si calmes qu'elles
tance ; les êtres timides qui le contemplent de plus près gardent le semblaient à peine couler ; et pourtant elles glissaient sur leur
«dlcnce, ou se communiquenttout bas leurs craintes ; et quant au pente, rapides comme les jours heureux, çt répétant dons leur mi-
petit nombre des hommes sages et bienveillants, ils avouent qu'il roir magique ces clartés vivantes et immortelles qui peuplent les
doit valoir mieux que l'apparence. cieux. Le lit des ondes est bordé d'arbres nombreux et touffus, et
des plus belles fleurs que peut choisir l'abeille ; de ces fleurs Diane
eniant eut rorme sa guir-
VIII. lande, et l'innocence les
offrirait à ce qu'elle aime.
Chose étrange) dans sa Entre ces rives fleuries
jeunesse, il était tout l'eau se fraie un lit tor-
mouvement, toute vie : tueux et brillant comme
altéré de plaisir, il ne re- les replis mouvants de la
culait pointdevantlecom- couleuvre. Tout est si
bat : l'amour, la guerre, doucement tranquille,sur
l'Océan, tout ce qui pro- la terre et dans les airs,
met des plaisirs , des qu'on s'effraierait à peiné
dangers, un tombeau, il de rencontrer une appa-
l'avait éprouve tour-à- rition dans ces lieux, cer-
tour : il avait tout épuisé tain qu'aucun mauvais es-
ici-bas, et avait trouvé prit ne pourrait se plaire
sa récompense non dans a errer au milieu d'un tel
un insipide milieu, mais paysage, elparuncsibelle
dans la complète sensa- nuit. 11 faut être bon pour
tion de la joie ou du mal- jouir de ces choses : ainsi
heur; car c'est dans ces pensa Lara , car il ne
émotions puissantes qu'il resta pas longtemps de-
cherchait l'oubli de la hors; mais il reprit en si-
pensée. Au milieu des lence la route du château.
orages de son coeur, il Son âme ne pouvait con-
voyait avec mépris la lutte templer longtemps un pa-
des éléments moins re- reil spectacle : il lui rap-
doutables que ses pas- pelait d'autres jours, et
sions; dans les ravisse- des cicuxmoins brumeux,
ments de ce coeur, il con- une lune plus brillante,
templait le ciel et lui de- des nuits d'une douceur
mandait s'il pouvait don- plus constante, des coeurs
ner une extase pareille à qui maintenant non,
la sienne. Privé de sa li- non, l'orage peut battre
bellé par l'excès même de son front sans être senti,
ses passions, esclave do quoiqu'il ne ralentisse
tous les extrêmes, com- point sa fureur... mais
ment parvint-il à se ré- une nuit comme celle-ci,
veiller de ce songe terri- une nuit belle et sereine,
ble? hélas ! il ne l'a révélé c'est une dérision pour
à personne... mais il s'é- son coeur.
veillaenfin pour maudire
ce coeur flétri qui ne vou-
lait point se briser. XL
Il rentra dans son ap-
IX. partement,solitaire, etson
ombreallongées')' dessina
Sa seule lecture autre- de nouveau sur les murs.
fois avait été le coeur hu- Là se trouvaient lés por-
main ; mais maintenantil Un mot encore.... je te somme de rester. traits d'hommes des an-
paraissait feuilleter les li- ciens jours, c'étaient les
vres d'un oeil plus cu- seuls monuments qu'ils
rieux, et souvent dans eussent laissés de leurs
son humeur sombre, il se vertus ou de leurs cri-
séparait pendant de longs mes; plus quelques va-
jours de la communion des hommes : et alors les serviteurs,dont il gues traditions et les sombres voûtes funéraires qui recouvraient
réclamait rarement les soins, disent avoir entendu pendant les lon- leur poussière, leurs travers et leurs fautes; plus encore la moitié
gues heures de la nuit ses pas retentir sur le parquet de la sombre d'une de ces pages solennelles qui transmettent d'âge en âge un
galerie. Ils ont entendu, mais, disent-ils, « il ne fautpoint répéter conte spécieux et dans lesquelles la plume de l'histoire, distribuant
« cela; ils ont entendu les sous d'une langue qui n'appartient pas le blâme ou la louange, prend si bien l'air de la vérité pour mieux
« à la terre. Oui, l'on peut en sourire si l'on veut, quelques-uns accréditer ses mensonges. Il se promenait en songeant : les rayons
« d'entre eux ont vu des choses qu'ils ne peuvent définir, mais qui de la lune perçaient les sombres vitraux et brillaient sur le pavé de
« certes... n'étaient pas comme il aurait fallu. Pourquoi était-il tou- marbre et sur'les lambris ciselés : le« saints, que la peinture gothi-
« jours en contemplation devant cette tête effrayante arrachée par que des cristaux représentait agenouilles et en prière, se reflétaient
« une main profane à la couche des morts et toujours placée à
, en figures fantastiques .et semblaient reprendre la vie, mais non pas
« côlé de son livre ouvert comme pour épouvanter et chasser tout le une vie mortelle. Quant à Conrad, les noirs anneaux de sa cheve-
« monde? Pourquoi ne dort-il pas quand tout le monde repose? lure en désordre, son front couvert de ténèbres et l'ample panache
« Pourquoi n'entend-il pas de musique?Pourquoi ne reçoit-il per- noir qui flottait sur sa toque, lui donnaient l'apparenced'un spectre
« sonne? Tout cela n'est pas bien, à coup sûr... mais en quoi con- revêtu de toutes les horreurs de la tombe.
« siste le mal? Certaines gens pourraientle dire... mais l'histoire
« serait trop longue ; et d'ailleurs on est trop discret, trop prudent,
« pour insinuer autre chose que des conjectures ; mais si l'on vou-
26 LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

ce un songe? sa propre toix avait-elle proféré ces sons étrangers et


bizarres? Sortait-il de «a bouche, ce cri qui avait interrompu leur
XII. sommeil? Etait-ce bien lui dont le coeur oppressé, écrase, avait
cessé de battre? lui, dont le regard les avait terrifiés? L'homme qui
Il était minuit : toul dormait ; la clarté solitaire de la lampe s'obscur- avait éprouvé de pareilles souffrances pouvail-il les oublier ainsi,
cissait, incapable de dissiper d'aussi profondes ténèbres. Ecoulez ! on quaiidceux qui l'avaientvu souffrir en frémissaient encore? Ou bien
entendde sourds murmures dans la salle du château de Lara... puis un pareil silence indiquait-il que ce souvenir vivait trop profondé-
un son, une voix, Un appel d'alarme, un cri éclatant et prolonge.... ment enseveli dans son âme pour être exprimé par des mots, indé-
et tout rentré dans le silence. Les serviteurs endormis Ont-ils en- lébile, séparé de tput'le reste et devenu un de ces mystérieux agents
tendu l'écho de ces accents frénétiques ? Oui : ils l'ont entendu, et de destruction qui montrent l'effet sans révéler la cause ? Non ! il
ils se lèvent, et, moitié tremblants, moitié s'armant de courage, ils n'en était pas ainsi de Lara : effet et cause , son sein absorbait tout:
se précipitent vers i'endroit où l'on semble appeler leur aide ; ils Uul observateursuperficiel n'aurait pu voir éclore en lui de ces pen-
arrivent portant des flambeaux encore mal allumés et tenant à là sées que des lèvres mortelles n'expriment qu'à demi, arrêtant au
màihs leurs épèes dont ils n'ont point eu le temps de ceindre le passage leur expression imparfaite.
fourreau.
XIII. XVII.
Froid comme le marbre que couvrait son corps i pâle cbminiB je En lui s'offrait un mélange inexplicable de ce qu'on aime et de ce
rayon de la lune qui flottait sur ses traits, Mra gisait sur ïo 8oL Qu'on hait, de ce que l'on recherche et de ce qu'on craint : l'opi-
près de lui son sabre à moitié tiré dû faùffàaù semblait avoir été nibn publique variait sur l'explication de sa mystérieuse destinée ;
arraché de sa main par une terreur surnaturelle : cependant il avait hvàis pour l'éloge ou le blâme, son nom n'élait jamais oublié. Son
gardé sa fermeté jusqu'au dernier moment ; et le défi fronçait encore silence même fournissait matière aux conjectures : on devinait, on
les rides de son front ; même dans son état d'insensibilité, un désir épiait, on aurait voulu toul pénétrer. Quel rôle avait-il joué dans la
de vengeance vivait toujours sur ses lèvres; inôlô h Une expression de vie? Quel était cet homme impénétrable,dont on ne connaissait que
terreur: une menace, une imprécation de désespoir et d'orgueil y l'origine, et qui, en traversant le monde, se posait en ennemi de
était restée à demi formée. Son oeil èlait presque fermé mais il gar- ses semblables? Quelques-uns ajoutaient bien qu'on l'avait vu aussi
dait encore, dans son expression convùlsivé; ce regard, de, gladia- gai que personne dans un cercle joyeux; mais ils avouaient que ce
teur qui l'animaitordinairementet qui semblait maintenant Immo- sourire, quand oh,l'observait de près, perdait tout-à-coup son ex-
bilisé dans un horrible repos. On Iferëlève, on l'emporlëi» SUéncel pression joyeuse,et se changeait en ricanement: il venait jusqu'à
il respire, il parle : une rougeur sombré colore de nouveau sesjbUes, ses lèvres, pas jHbs loin, el jamais on n'en avait vu de traces dans
ses lèvres reprennent leur teinte de sang, ses yeux éhebiè Obscur- ses yeux. Et pouvantson regard était quelquefois moins sévère : on
cis roulent libres et farouches dans leurs orbites, tous Ses membres voyait que là nature ne lui avait pas donne un coeur sans pitié;
tressaillantlentement reprennent tou>-a-tburleurs fonctions ; mais mais dès qu'il croyaitêtre observé, il semblait rejeter une pareille
les paroles qu'il prononce rie semblent point appartenir à sa langue faiblesse comme indigne de son orgueil; il armait sa poitrine d'acier,
natale : dans les mots étranges mais distincts qu'il articule, tout ce dédaignant de racheter d'un seul doute celte estime qu'il avait con-
qu'on peut comprendre, c'est qu'il emprunte les accents d'une terre quise à moitié. 11 se renfermait alors dans le sombre ascétisme in-
étrangère ; et ces accents sont destinés a une oreille qui lie lés en- fligé par lui-môme àce coeur dont jadis quelques sentiments tendres
tend point, hélas ! qui ne peut les entendre; avaient sans doule troublé le repos : il se fortifiait dans cette dou-
leur vigilante qui condamnaitson âme à la haine comme coupable
de trop d'amour.
xiv*
XVIII.
Son page approche, et seul il paraît comprendre le sënâ des pa-
roles que tous enlcndenl comme lui; et par lé changementqui s'b- Il y ftvâit en lui un mépris essentiel de toutes choses, comme s'il
pôre dans sa physionomie, on peut deviner nue les discours dé eût éprouvé le pire de toul ce qu'on peut jamais éprouver. Etranger
Lara ne sout point de nalure à être avoués par lui-même ou inter- dans le nionde des vivants, espriterrantehassé d un autre monde;
prétés par le page. Cependant il voit avec moins de surprise «iùè imagination sombre qui se plaisait à reconstruire les dangers éva-
tous les autres l'état où se trouve lc maître ; inàls il Sq poncho sur nouis i éVhnouis en vain, car au fond du souvenir, son âme encore
son corps affaissé et lui répond dans ce même idiome ihoohhu qui s'en glorifiait et les regrettait; douéde plus de facultés aimantesque
semble être le sien. Lara écoule ces douces paroles ijui semblent la terre n'en donne ordinairement à ses enfants, ses premiers rêves
adoucir les horreurs de son rêve, si toutefois un rêve peut avoir bou^ de vertu avaient dépassé la vérité, et un âge mûr plein de trouble
leversé de la sorte une âme qui n'a nul besoin de ie créer un mul- avait suivi sa jeunesse déçue. Que lui restait-il? Le souvenir des an-
heur idéal. nées consumées à poursuivre des fantômes,du gaspillage do facul-
tés destinées a un plus nobleemploi,cl enfin des passions insensées
XV. qui, après "avoir répandu la désolation sur leurs traces, livraient
'0 ses meilleurs sentimentsà une lullc incessante contre les habitudes
Quoi que sa démence ait rêvé ou que ses yeux aiejil vu> |e le farouches de son orageusevie. Mais dans son orgueil, incapablede
rappelle encore, il ne le révélera jamais, et le secret éh rfestérri en- rejeter le blâme sur lui-même, il prit la nature à partie pour alléger
seveli dans son coeur. Le matin est revenu, et il a rendu là vigueur son fardeau et imputa toutes ses fautes à cette forme d'argile, à cette
à ses membres ébran|és; car Lara ne demande de soulagement ni pâlr.rc des vers dont elle avait embarrassé son ftme. En raisonnant
au médecin ni au prêtre, et bientôt il reprend ses manières el son ainsi, il on vint à confondre lc bien et le mal el à prendre à peu
langage accoutumé : il ne sourit pas moins amèrement, il ne tient près les actes de sa volonté pour des oeuvres du destin. D'une âme
pas son front plus abaissé que d'habitude. Et si l'approche de la nuit trop fiôre pour être accessible à l'égoïsme vulgaire, il savait sacri-
est désormais plus pénible au coeur de Lara, il ne le laisse point voir fier quelquefois son propre avantage au bien d'aulrui, mais non
à ses vassaux étonnés qui montrent par leur agitation que leurs par pitié, non par devoir: c'était une étrange dépravation de la
craintes à eux ne sont point oubliées. En effet, ces hommes timides pensée qui le poussait à faire par orgueil ce que personne n'aurait
ne se glissent dans l'ombre que par couples tremblants; seuls ils fait, impulsion qui, sous l'empire des tentations, l'égarait égale-
n'oseraient sortir : et surtout ils évitent la grande salle, théâtre du ment dans les sentiers du crime : tant il planait au-dessus ou s'a-
prodige; ils redoutent les bannières flottantes, la porte qui se ferme baissait au-dessous de Celte race humaine parmi laquelle il se trou-
avec bruit, là tapisserie qui se froisse, le pavé sonore, les ombres vait condamné à vivre ! Avide de se séparer par le bien ou par le
noires et allongées des arbres d'àl'entour, le vol tremblotant de la mal de cet état mortel qu'il abhorrait, son âme avait placé son trône
chauve-souris et le cïiant nocturne de la brise, en un mot tout ce loin dii inonde, dans des régions de son choix. De là, regardant
qu'ils entendentà l'heure où les ombres ducrépUsculeviennent rem- froidement passer toutes les choses d'ici-bas, son sang coulait plus
brunirles murailles grisâtres du mànôir. calme dans ses veines: heureux s'il avait toujours conserve celle
lenteur glaciale et si des pensées criminelles n'en avaient jamais ac-
céléré le cours ! A la vérité, il semblait suivre le même sentier que les
XVI. autres hommes ; en apparence , il agissait, il parlait comme eux et
n'outrageait point ta raison par des accès de démence : sa folie n'é-
Craintes vaines! Cette heure de mystérieuse terreur ne revint tait point dans la tête, mais dans le coeur; rarement elle éclatait
plus, ou Lara sut prendre un air d'insouciance qui étonna encore dans ses discours; rarement elle lui faisait dévoiler dés pensées qui
plus ses vassaux sans diminuerleur effroi... Avait-il en effet perdu eussent choqué ses aud^n-s.
le souvenir en reprenant ses sens? Ce qu'il y a de certain, c'est
que pas un mol, pas un regard, pas un geste ne trahit en lui une
émotion qui rappelât ce moment de fièvre d'une âme malade. Etait-
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON. 27

•*+ Tu n'éludesaucune question ? songes-y bien... n'en est-il point


XIX. une à laquelle ton coeur doit répondre, quoique ton'èoeurla repoussé?
El crois-tu ne pas me connaître? regardé-moiencore. Ln mémoire,
En dépit son de air mystérieux el glacial, de son apparent désir certes, ne l'a pas été donnée en vain ; jamais lu ne pourras acquit-
de n'être point remarqué, il avait (si ce n'était point un don de na- ter la moitié de la dette qu'elle te rappelle et que l'éternité te défend
une), il avait l'art d'imprimer son image dans les coeurs. Ce n'était d'oublier. »
point amour, ce n'était point haine, ni aucun des sentiments que Lara promène un regard lent et attentif sur les traits de.l'étran-
l'on peut représenter par des mots; mais en ne le voyait jamais en ger, mais il n'y peut rien trouver qu'il reconnaisse eu qu'il veuille
vain : l'avait-on regardé, il fallait s'occuper de lui; vous adressait- reconnaître; sans daigner répondre, il secoue la tête d'un àir de
il la parole, vous ne pouviez l'oublier, et quelque insignifiant que doute, et, laissant"percer à demi son mépris, il tourne le dos pour
fût le propos, vous le méditiez longtemps...Comment? pourquoi? s'éloigner^ Mais le sombre étranger l'arrête : « Un mol encôïe.,
Personne ne pouvait le dire; ce qu'il y a de certain, c'est qu'il se je te somme de rester et de répondre à Un homme qui, si tu élàis de
glissait, s'enlaçait fortementdans l'esprit de ses auditeurs et y gra- noble naissance, serait ton égal ; mais vu ce que lu as été et ce que
vait un souvenir don* ou terrible. Quelle que fût la date du sentiment tu es encore... ne fronce pas les sourcils : si l'accusation est fausse,
(jii'il avait inspiré, amitié, compassion ou aversion, la trace eh res* il sera aisé de la repousser... mais vu ce que tu as été et ce que tu
lait intime et durable. Vous ne pouviez pénétrer son âme, mais vous es encore, cet homme le regarde d'en haut, ne croit pas à tes sou-
vous étonniez bientôt de sentir qu'il s'était fait une place dans la rires et ne craint pas ton courroux. N'es-tu pas celui dont les ex-
vôtre; sa présence vous poursuivait partout, toujours il vous arra- ploits!...
chait un intérêtinvolontaire. En vain essayiez-vous de vous débattre '"-* Qui que je sois, je n'écouterai pas plus longtempsd'aussi inso-
dans ce piège moral : il semblait vous défier de l'oublier. lentes paroles, un accusateur tel que toi; cèUx qui peuvent y àj'6ù>
ter quelque importance écouteront lé reste et accueillerontle mer-
veilleux récit que sans doute tu vas faire après avoir commencé avec
XX. tant de courtoisie et d'éloquence! QU'Othon fosse fête à un convive
aussi poli, je me réserve de lui en faire mes reraercîmCnts et de lui
Une fêle est donnée où se rendent les chevaliers et les dames, et
,
en dire ma pansée. »
tout ce qu'il y a de riche et de noble dans le pays ; en vertu de son Enfin, Ollion, longtemps frappé d'élonnement, croit devoir inter-
rang, Lara est convié et bien venu dans les salons du magnifique venir : « Quelque causé mystérieuse de débals qui existe entre vous,
Olhon. Un tumulte joyeux ébranle la salle brillamment illuminée, ce n'est ni le temps, ni le lieuconvenable: vous né devez point trou-
où le. bal succède au banquet. Un essaim de beautés, se livrant à la bler la gaîlé de cette réunion par une guerre de paroles. Vous, sei-
danse joyeuse, enlacent dans une chaîne fortunée la grâce et l'har- gneur Ezzelin, si vous avez à révéler quelques faits qui intéressent
monie. Le bonheur palpite dans ces jeunes coeurs, dans ces douces le comte Lara, demain, ici, ou en toul autre lieu que vous choisirez
mains qui s'unissent pour former des choeurs inspirés par un doux tous deux, vous pourrez dire le reste. Je puis répondre pour vous,
accord. Un pareil spectacle adoucit le front le plus sombre : il arra- car vous ne m'êtes pas inconnu, bien que comme le comte Lara vous
che un sourire à la vieillesse et lui fait rêver le retour du bel âge; soyez revenu récemment, et tout seul, des terrés lointaines où vous
la jeunesse elle-même, dans cette joyeuse exaltation des sens, oublie étiez devenupresque un étranger pour nous. Quant à Lara lui-même,
que de si doux moments se passent sur la terre. si, comme je le crois, son courage et sa vertu répondent à son noble
sang et à sa haute naissance, il gardera son nom de loute lâche, et
ne refusera point d'obéir aux lois de la chevalerie.
XXI. —- A
demain donc, répond Ezzelin ; alors seront éprouvées la no-
blesse d'âme cl la sincérité de chacun de nous. Je ne dirai que la
Quanta Lara, il semble contempler ce tableau avec une satisfac- vérité; j'y engage ma vie et mon épée, et ma part du séjour des
tion tranquille, et, si son âme est Irisle, son front ment. Son regard bienheureux.»
suit le vol rapide des charmantesdanseuses dont les pas légers n'é- Et que répond Lara? Son âme, repliée sur elle-même, s'absorbe
veillent point les échos. Il se tient appuyé contre un large pilier, les dans une rêverie profonde; les discours et les regards de loute l'as-
bras croisés sur sa poitrine et regardant avec attention devant lui; semblée n'ont d'autre objet que lui ; mais sa bouché reste silencieuse
mais il ne remarque pas des yeux fixés sur les siens avec Une atten- et son regard semble errer dans une complète distraction, bien loin,
tion pareille car le fier Lara n'a pas coutume d'endurer un long bien loin de là. Hélas! cet oubli de tout ce qui l'entoure révèle trop
examen. A la lin, il surprend l'observateur: c'est un homme dont clairement de profonds souvenirs.
la ligure lui est inconnue, mais qui semble étudier celle de Lara,
et celle-là seule; une sombre investigation préoccupe cet étranger,
qui jusque-là a pu contempler Lara sans être aperçu de lui. Enfin, XXIV.
les deux regards se rencontrent, pleins tous deux d'une curiosité ar-
dente et d'un muet étonnement. L'émotion se peint de plus en plus « A demain, soit! à demain ! » Tels furent les derniers mois que
dans les traits de Lara, qui commence à suspecter les intentions de prononça Lara; aucune colère extérieure n'éclatait sur son front;
ce nouveau venu; pour celui-ci, son oeil sombre et fixe lance dés ses grands yeux noirs ne lançaient point d'éclairs. Cependant, il y
feux que peu de regards pourraient soutenir. avait dans le ton peu élevé de sa voix une fermeté qui marquait une
résolution bien prise, mais inconnue à tous. 11 prend son manteau, in-
cline légèrementla tête et quittel'assemblée;mais en passantdevant
XXII. j Ezzelin, il répond par un sourire à l'air d'indignation sous lequel
l'étranger semble vouloir l'écraser. Ce n'est point le sourire de la
« C'est lui! » s'écrie l'étranger, et ceux qui l'entendent répètent
gaîlé; ce n'est pas non plus celui do l'orgueil exhalant en dédains
aussitôt, à voix basse, les mots qu'il a prononcés : « C'est lui?... qui un courroux qu'il ne peut cacher; c'est le sourire d'un homme cer-
donc? » Ces questions se propagent dans toute la salle, jusqu'à'ce tain d'avance de tout ce qu'il osera faire, de tout ce qu'il pourra
que le bruit, en grandissant, ait frappé l'oreille de Lara.'Là rumeur, supporter. Mais est-ce là une paix véritable avec soi-même? est-cç
en effet, est devenue telle que peu d'hommes aimeraient à se voir là le calme d'un coeur irréprochable? ou bien est-ce l'endurcissement
l'objet de celte attention générale, ou même seulement dii regard désespéré d'une âme qui a vieilli dans le crime? Hélas 1 la face de
<l"i l'a causée. Mais Lara ne s'émeut ni ne tressaille;la surprise, qui l'homme ne mérite pas plus de confiance que ses discours ; C'est par
s'était peinte d'abord dans son regard fixe, semble maintenant dis- les actes, et les actes seuls qu'on peut discerner cette vérité si diffi-
sipée; sans abattement comme sans vaine fierté, il jette un coup cile à reconnaître.
d'oeil autour de lui, quoique l'étranger continue de le contempler.
Enfin celui-ci, se rapprochant-davantage,reprend d'un ton hautain XXV.
et méprisant : « C'est lui I comment est-il venu ici? et qu'y
peut-il faire? » Avant de poursuivresa route, Lara a eu soin d'appeler son page,
jeune enfant qui obéit à son moindre mot, a son moindre signe, le
XXIII. seul serviteur qu'il ait ramené de ces climats lointains où, sous uti
aslre plus brillant, l'âme à aussi plus de feu. Cet enfant à quitté pour
C'en était trop pour Lara que de supporter de pareilles questions suivre Lara lès rivages qui l'ont vu naître ; il est assidu à ses devoirs
répétées de cet air insultant; tournant vers l'étranger un regard et tranquille, quoique bien jeune silencieux comme celui qu'il sert,
;
"dans lequel il rassembla toute son énergie, d'un ton de voix froïd et dévouaient semblé au-dessus de sa condition et de son âge.
plutôt doux et ferme qu'irrité et hardi, il répondit au curieux indis- son Quoiqu'il connaisse la langue du pays de Lara, c'est rarement dans
cret : « Mon nom esl Lara!... Quand le lien me sera connu, je re- cette langue qu'il reçoit les ordres de son maître ; niais dès qu'il l'en-
connaîtrai convenablement là courtoisie inattendue d'un chevalier tend prononcer quelques paroles dans i'idipme dé Sa patrie, ii ac-
tel que loi. Oui, mon nom est Lara L-. As-tu quelque autre demandé, court d'un
pas léger et fépoiuï d'une voix ijôuçèiiiéni èniue. Ces
quelque observation à faire? Je n'élude aucune question et je ne accents éveillent dans son oreille un écho 4éS niontagnés natales
porte point de masque. qui lui sont si chères ; ils lui rappellent là voix accoutumée des amis,
LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

des parents qu'il a quittés, abjurés, pour un homme maintenant son ' comme s'il reconnaissait un signal accoutumé : sa mémoire lisait
seul ami, son tout. Sur la face de la terre, il ne trouverait plus un dans une telle expression bien des choses que les autres ne pou-
autre guide ; comment s'étonner si on le voit rarement s'éloigner vaient comprendre. Il s'élança à la voix de son maître : un moment
de Lara? se passa : lous deux étaient partis, et ceux qui se trouvaientdans la
salle semblaientdemeurer seuls. Tous avaient tellement fixé leurs
XXVI. regards sur les traits de Lara, tous avaient si bien confondu leurs
sentiments avec ceux des acteurs de cette scène qu'au moment où
Sa taille est svelte, et sa physionomie un peu brunie offre pourtant son ombre haute et noire disparut sous la torche qui la projetait,
dés traits délicats : le soleil natal y a laissé 1 empreintede ses rayons, tous les coeurs battirent plus vile, toutes les poitrines furent agitées
mais il n'a point flétri cette joue où souvent brille une rougeur in- comme quand nous sortons d'un rêve bien noir à la réalité duquel
volontaire : hélas! ce n'est pointcetincarnat de la santé où vient Se nous ne croyonspas, mais que nous redoutons cependant,parce que
réfléchir la charmante vivacité du coeur; mais ce n'est qu'une ardeur les choses les plus pénibles ne sont que trop souvent les plus vraies.
fébrile et passagère, impression maladive d'une souffrance cachée. Ils étaient partis tous deux; Ezzelin était encore là, le visage pensif
L'étincelle qui brille étrangement dans ses yeux semble un feu et l'air impérieux : mais il n'y resta pas longtemps; une heure après,
venu d'en haut, une lueur électrique produite par la pensée, bien il fit à Othon un salut de la main, et se retira.
que l'éclat de ses deux noires prunelles soit adouciplus
par le voile mé-
lancolique de ses longs cils. On y lit néanmoins de fierté que
de chagrin, ou si l'on y voit quelque douleur, c'est une douleur au XXIX.
moins que personne ne doit partager. Enfant, il ne se plaît point
aux jeux de son âge, aux espiègleries de la jeunesse, aux bons tours La foule s'est écoulée : fatigué de la fête, chacun a été chercher
pour lesquels les pages sont renommés : il se tient immobile pen- le repos : l'hôte courtois, les convives prodigues d'éloges ont rega-
dant des heures entières, le regard fixé sur Lara et oubliant tout gné leur couche accoutumée, où la joie s'oublie, où la douleur sou-
dans cette contemplationattentive; et quand son maître ne le garde Îiirc en cherchant le sommeil, où l'homme enfin, écrasé par ses
point près de lui, il va seul, répond en peu de mots, et n'interroge ultes incessantes, se plonge dans le doux oubli de la vie. Là repo-
jamais; il a pour promenadelà forêt, pour récréationquelque livre sent les espérances fiévreuses de l'amour, les ruses de la perfidie, les
étranger, pour lieu de repos la. rive au détourdu ruisseau : comme tourments de la haine et les plans déjoués de l'ambition : l'oubli se-
le maître qu'il sert, il semble vivre isolé de tout ce qui charme le re- coue ses ailes sur les yeux qui se ferment et l'existence éteinte s'é-
gard ou remplit le coeur, ne point fraterniser avec la race humaine tend dans un cercueil. Quel autre nom en effet donner à l'asile du
et n'avoir reçu de ce monde qu'un don bien amer : l'existence. sommeil? N'est-ce pas le sépulcrede chaque nuit, le refuge universel
où la faiblesse et la force, le vice et la vertu gisent étendus, mis à
nu et sans défense : heureux pour un moment de respirer sans avoir
XXVII. la conscience de son être, chacun doit bientôt se réveiller pour lut-
ter de nouveau contre la crainte de la mort et pour fuir (quoique
S'il aimaitquelqu'un sur la terre, c'étaitLara : mais ce dévoûment chaquematin ramène des maux sans cesse grandissants), pour fuir
ne se montrait que par son respect, ses services, ses attentions et maudire ce dernier sommeil, le plusdoux sans contredit, puisqu'il
muettes, le soin avec lequel il devinait chaque désir pour le remplir est exempt de rêves.
avant qu'il fût exprimé. Mais on remarquait dans loute sa*conduite
une certaine fierté, on voyait en lui une âme qui n'aurait pas sup-
porté les reproches : plus actif dans son zèle que n'eût été un es-
clave, ses actes seuls peignaient l'obéissance, son air était celui du
commandement : il semblait suivre ses propres inclinations plus CHANT IL
que celles de Lara en le servant ainsi : et certes il ne le servait pas
pour un salaire. D'ailleurs,ce que son maître demandaitde lui n'était
qu'unelâche bienlégère : lui tenir l'étrier ou porter son épée ; accorder
son luth ou quelquefois lui lire des passages de livres anciens ou 1.
étrangers; maisjamais il n'avait à se mêler avec le vulgaire des do-
mestiques pour lesquels il n'avait ni égards, ni dédain, mais la ré- La nuit pâlit : les vapeurs enroulées autour des montagnesse fon-
serve digned'un être qui ne peut sympathiseravec des âmes serviles : dent dans l'air du matin, et la lumière réveille lc monde. L'homme
son âme, quelle que fût sa condition ou sa naissance, pouvait plier aluigrossi d'un jour encore son passé et a fait un pas de plus vers ce-
devant Lara, mais non descendre jusqu'à eux. 11 annonçait en effet qui sera pour lui le dernier. La puissante nature s'élance comme
de
une origine distinguée et paraissait avoir connu de meilleurs jours, les son berceau : le soleil éclate dans les cieux et la vie sur la terre;
car ses mains ne portaient point les marques d'un travail vulgaire, santé fleurs dans la vallée, la splendeur dans les rayons du jour, la
et leur blanjchcuraussi bien que la délicatesse de ses traits semblait dans la brise, et la fraîcheur dans la source. O homme, être
trahir nn autre sexe : ces conjectures pouvaient être déroulées par immortel I contemple l'éclat de ta gloire, et dans la joie de ton coeur,

son costume, par l'expression de son regard plus sauvage et plus dis-toi intérieurement : « Toutes ces choses sont à moi ! » Admire ce
allier qu'il ne convient à une femme, et enfin par une violence ca- speclacle pendant que tes yeux enchantés peuventencorerecevoir la
chée, plus en harmonie avec le climat brûlant de son pays qu'avec lumière; un jour arrive où tout cela ne sera plus en ta possession:
la délicatesse de ses formes, violence qui ne s'exhalait jamais en pa- et quels que soient les êtres humains qui pleurent sur la bière insen-
roles, mais que sa physionomie révélait clairement. Kaled était le sible, la terre cl le ciel n'y verseront pas une larme ; les nuages ne
nom du page, quoique l'on sût confusémentqu'il en avait porté un s'assombriront point; il ne tombera point une feuille de plus ; la
autre avant de quitter les montagnes et les rivages de son pays : brise ne poussera pas un soupir pour toi, elle n'en pousserait pas
en effet, quelquefois il entendait ce nom proféré tout haut près de un seul pour loutle genre humain : mais des êtres immondes ram-
lui sansy répondre, comme si celle appellation ne lui était point fa- pant sur ta dépouille s'en feront un festin, et grâceà eux tes débris
milière ; ou si on le répétait encore, il tressaillait à ces sons comme deviendront propres à fertiliser le sol.
s'il se le fût seulement rappelé; à moins pourtant que ce ne fût la
voix bien connue de Lara quil'appelait, car alors l'ouïe, la vue et le
coeur, tout en lui s'éveillait. II.
XXVIII. Le matin est venu, puis le midi : sur l'invitation d'Othon les sei-
. gneurs du voisinage se sont assemblés dans la grande salle de son
11 avait jeté un coup d'oeil dans la salle du bal et avait remarqué manoir : l'heure assignée est venue qui doit venir proclamerla vie
cette querelle qui n'avait échappé à personne ; et pendant que la ou la mort de l'honneur de Lara : Ezzelin va pouvoir développer
foule assemblée autour des deux adversaires exprimait son étonne- son accusation, et quelle que soit la mystérieuse histoire, on va en-
ment du calme de l'agresseuret de la patience avec laquellele noble fin la connaître. Il a engagé sa foi, et Lara a fait la promesse solen-
Lara supportait une telle injure, doublement grave de la part d'un nelle de l'entendre ici en présence des hommes et du ciel. Mais
étranger, Kaled changea vingt fois de couleur, ses lèvres prenant pourquoi l'accusateur ne se présentc-t-il-pas? pour développer de
les nuances de la cendre et ses joues toutes celles delà flamme. Sur si importants secrets, ne devrait-il pas se hâter davantage ?
son front s'étendit cette sueur froide et maladive qui s'élève du coeur
quand il succombe sous le poids de fatales pensées que repousse la
réflexion. Oui, certaines choses doivent être imaginées, tentées, ac- III.
complies avant que la raison en soit instruite. Quelle que soit la ré-
solution de Kaled, elle suffit pour mettre un sceau sur ses lèvres L'heure est passée, et Lara comme les autres attend d'un air froid,
en torturant son cerveau. Il observa Ezzelin jusqu'au moment où patient et sûr de lui-même. Pourquoi Ezzelin ne vient-il pas? L'heure
Lara le regarda de côté en souriant et en passant devant lui ; lors- est passée; des murmures s'élèvent, et le front d'Othon se rembru-
que Kaled aperçut ce sourire, ses traits se détendirent subitement nit. « Je connais mon ami! sa foi n'est point suspecte : s'il est
OEUVRES COMPLÉTÉS DE LORD BYRON. 29

ncore vivant, il viendra ; le manoir qu'il habite est situédans la val- Lara, et l'on s'entretient chaque jour de sa renommée flétrie; mais
se entre mon propre domaine cl celui du noble Lara ; mon foyer aussitôt qu'il se montre, tout se tait : on attend l'absence de cet
ût été honoré de recevoir un pareil hôte, el le brave Ezzelin n'au- homme redouté pour reprendre de merveilleux et lugubres récits,
ait point
dédaigné mon humble toit ; mais sans doute il est retenu et pour former des conjectures de plus en plus sombres.
îar la nécessité de se procurer quelque preuve urgente pour soute-
i'ir
son dire. Comme j'ai engagé pour lui ma foi, je 1 engage de
!0uveau ; il viendra, ou je rachèterai moi-mêmela tache imprimée VIL
, son honneur. »
11 se lut, et Lara répondit : « Je suis venu ici sur ta demande Les jours se succèdent, et la blessure d'Othon est guérie, mais
l'oreille
aux récits malveillants d'un étranger, dont les non son orgueil ; et il ne cache plus sa haine : il est puissant ; il
jour prêter
injures auraient blessé profondémentmon coeur, si je n'avais pas vu est l'ennemi de Lara, l'ami de tous ceux qui lui veulent du mal, et
m lui un homme à peu près insensé, ou pour lc prendre au pis, il sollicite la justice du pays de demander compte à Lara de l'ab-
lin ignoble ennemi. Je
ne lc connais pas, mais lui semble m'avoir sence dEzzelin. En effet, quel autre que Lara avait à redouter sa
connu dans des contrées où... mais pourquoi m'arrêter à de sem- présence? qui peut l'avoir fait disparaître, si ce n'est l'homme con-
blables contes? représente-moice faiseurd'histoires, ou rachète ton tre lequel il avait lancé une accusation redoutable? On le sait, la
gage, ici même, à la pointe de l'épée. » rumeur publique devient d'autant plus bruyante qu'elle est mal in-
Le fier Olhon rougit,jelle son gantelet à terre et lire son glaive : formée et tout ce qui offre une apparence de mystère plaît à la
,
foule curieuse.
« Ce
dernier parti est celui qui me convient le mieux, et voilà com- Dans son isolement apparent, Lara n'avait jamais
ment je réponds pour mon hôte absent. » cherché ni à gagner la confiance ni à éveiller l'affection : il trahis-
Sur le bord de sa tombe ou de celle qu'il va ouvrir, Lara n'é- sait en toute occasion une férocitéimplacable. Et cette habileté avec
prouve rien qui puisse altérer la pâleur livide de son teint : sa main laquelle il maniai! sa redoutable épée, était-ce loin des combats que
saisissant le fer avec une froide insouciance, montre combien elle son bras l'avait acquise? Dans quel genre de vie pouvait s'être en-
est habituée à en saisir la poignée; son oeil, quoique calme, indique durci ce coeur si farouche? car on ne voyait pas en lui cette colère
la résolution de ne rien épargner; et sans hésiter davantage, il tire aveugle et capricieuse qu'un mot enflamme el qu'un mot apaise :
son arme du fourreau. En vain les chefs se pressent autour d'eux : c'était un penchant enraciné dans l'âme, devenueincapable de pitié
la fureur d'Othon ne souffre aucun délai, et il laisse tomber des dès que sa fureur s'était fixée sur un objet, penchant qu'un long
paroles de défi... Heureuse son épée, si elle peut les soutenir! exercice du pouvoir et des succès sans bornes pouvaientseuls avoir
concentré à ce point et rendu inexorable. Tous ces motifs, joints à
celle disposition qui pousse toujoursles hommes à condamner plutôt
IV. qu'à louer, avaient enfin en s'amoncelant soulevé contre Lara une
tempête redoutable même pour lui, et telle que ses ennemis pou-
Le combat ne fut pas long : aveuglé par la colère Olhon expo- vaient le désirer. 11 est appelé à répondre de l'absence d'un homme
, bientôt,
sait inutilement sa poitrine aux coups : son sang coula et qui mort ou vivant ne cesse de le poursuivre.
il tomba, mais non mortellement blessé : un coup adroit l'avait
seulement étendu sur le sol. « Demande la vie ! » Il ne réponditpoint,
el peu s'en fallut qu'il ne se relevât plus du pavé qu'il avait rougi; VIII.
carcnce momentle frontde Lara se rembrunit encorejusqu'à prendre
la noirceur de celui d'un démon, cl il brandit sa lame avec plus de Parmi la population du pays il se trouvait une foule de mécon-
fureur qu'au moment où lc front de son ennemi était au niveau du tents, maudissant la tyrannie sous laquelle ils pliaient ; car le sol
sien : car toul à l'heure il rassemblait toute son adresse et sa pré- était partagé enlre quelques despotes avides qui transformaient en
sence d'esprit; maintenantunehaineimplucablcdéborde de son coeur; lois leurs moindres caprices. De longues guerres au dehors et des
il est si peu disposéà épargner son ennemi blessé que les témoins es- troubles fréquents à l'intérieur avaient tracé au crime une roule de
saient inutilement d'arrêter son glaive; il tourne presque sapoinlc sang où il élait prêt à rentrer au moindre signal pour commencer
altérée de sang contre ceux qui implorentsa merci. Mais un moment un nouveau carnage tel qu'en amônenl ces discordes civiles qui
de réflexion le fait changer de pensée; cependant il regarde encore n'admettent point de neutralité, et où l'on ne voit que des adver-
d'un oeil morneson adversairevaincu; il semble regretter l'inutilité saires ou des amis. En attendant, chaque seigneur était confiné
d'un combat dont son ennemi sort vaincu maisvivant; il semble se dans sa forteresse féodale, obtenant la soumission en actes et eu
demander à quelle distance du tombeau le coup qu'il a porté doit paroles, mais abhorré au fond des coeurs. C'est dans de pareilles cir-
avoir mis sa victime. constancesque Lara avait pris possession du domaine de ses pères,
où il avait trouvé bien des coeurs souffrants, bien des bras pares-
V. seux ; mais sa longue absence de son pays natal l'avait rendu in-
nocent de toute oppression, et sous son pouvoir assez doux, toute
On relève Olhon lout sanglant, cl le médecin défend la inoindre crainte s'était peu à peu effacée du coeur de ses vassaux. Ses servi-
question, la moindre parole, le moindre signe : les amis du blessé teurs seuls conservaient une terreur respectueuse, et dépuis quel-
se retirent dans un salon voisin; et lui, encore irrité et ne s'oc- que temps ils craignaient plus pour lui que pour eux-mêmes. Quoi-
cupant d'aucun d'eux, lui, la cause de cette lulte soudaine dont il est que d'abord ils l'eussent jugé plus sévèrement, ils ne le croyaient
vainqueur, il se retire lentement et dans un silence hautain : il re- plus que malheureux: ses longues nuits sans sommeil, son humeur
monte à cheval, prend le chemin de sa demeure, et ne jette pas un silencieuse, étaient attribuées par eux à une disposition maladive
regard en arrière sur les tours du manoir d'Othon. entretenue par la solitude : et si son aversion pour le monde ré-
pandait la tristesse dans sa demeure, cependant là munificence en
égayaitle seuil ; car jamais les malheureux ne s'en éloignaient sans
VI. être soulagés , et pour eux du moins son âme était accessible à la
pitié. Froid et méprisant à l'égard des puissantset des riches, son
Mais qu'est-il devenu ce météore de la nuit qui ne semblait pas oeil s'abaissait volontiers sur l'humble et le pauvre il
devoir disparaître à la clarté du matin? Qu'est devenu cet Ezzelin, sait : ne leur adres-
pas la parole, mais ils trouvaient souvent un asile sous
arrivé et parti sans avoir laissé plus de traces de ses intentions ? Il toit, et n'en étaient jamais injurieusement chassés. On pouvait son ob-
a quitté le manoir d'Othon par une nuit noire et longtemps avant server que chaque jour de nouveaux tenanciers venaient se fixer
l'aurore; et cependant le sentier était si bien battu qu'il ne pouvait sur ses domaines : mais c'était surtout depuis la disparition d'Ez-
le manquer. Sa demeure n'était
pas éloignée ; cependant il n'y était zelin qu'on voyait en lui un maître bienveillant et un généreux
pas arrivé, et dès le malin commencèrent d'activés recherches qui hôte. Peut-être son duel avec Olhon lui avait-il fait craindre quel-
ne firent rien connaître, sinon l'absencedu chef. Sa chambre était que piège tendu contre ses jours : quel que fût son motif, il par-
^ide, son coursier oisif, toute sa maison en alarmes : ses écuyers vint à se concilier plus de partisans parmi le peuple n'en
murmuraient et se désolaient. Les perquisitions s'étendent tout le avaient les autres seigneurs.Etait-ce une politique ? c'étaitque
long de la route, et même dans les environs où l'on craint de
ren- litique habile; mais le grand nombre n'en jugea que parune ce
po-
qu'il
contrer des marques de la fureur de quelques bandits; mais on n'en voyait. Les malheureux, forcés de s'exiler par la cruauté de leur
trouve aucune : pas une branche de fougère n'est teinte d'une maître,
ne demandaient qu'un abri, et il le leur donnait : jamais
goutte de sang, ou ne porte un lambeau d'étoffe déchirée; aucune dans ses domaines un paysan ne pleurait sa chaumière envahie,
:
«iule, aucune lutte n'a souillé la verdure; cet indice ordinaire d'un dépouillée, et le serf lui-même pouvait à peine s'y plaindre de son
meurtre fait défaut : des doigts sanglants n'ont peint laissé dans le sort; l'avare vieillesse y gardait en sûreté son trésor, et la pauvreté
sol leur empreinte convulsive pour révéler le forfait,
rive au moment où la victime à l'agonie cesse de comme il ar- n'y rencontrait, ni dédains ni raillerie ; la jeunesse était retenue
défendre,
se et en près de lui par les festins et l'espoir des récompenses jusqu'à ce qu'il
se débattant ne blesse plus que le tendre gazon. De pareilles mar- fût trop tard pour le quitter; à la haine il offrait dans prochain
Vies se trouveraient dans le taillis, s'il avait été le théâtre d'un as- avenir les ardentes représaillesd'une vengeance différéeunà l'amour,
, sassinat ;
: ; mais rien ! rien! et il reste encore une lueur d'espoir.Ce- victime de l'inégalité des conditions, il promettait la beauté de son
\ pondant un étrange soupçon se répand : on murmure le nom de choix conquise par la victoire. Déjà tout était mûr : il lui restait à
30 LES VEILLÉES LITTERAIRES ILLUSTRÉES.

proclamer que l'esclavage était un vain mot. Enfin le moment est abri sous un ciel humide, retraite derrière des murailles opiniâtres :;
venu : et c'est celui même où Olhon se croit bien sûr de sa ven- qui bravent tout l'art des assaillants et lassent leur patience : les
geance. Ses sommations trouvent celui qu'il appelle criminel dans vassaux ameutés n'avaient pointprévu tout cela. Un jour de bataille, X•
la grande salle de son château, entouré de milliers d'hommes, tout ils pouvaient rivaliser avec les plus vieux guerriers; mais l'ar- î
récemment délivrés de leurs chaînes féodales, bravant les puissants deiir de la lutte, dussent-ils y trouver le trépas, leur semblait
de la terre el pleins de confiance dans le ciel : ce matin même il préférable à une vie de privations continuelles. La famine les tor- -
vient d'affranchir les serfs de la glèbe ; ils ne fouilleront plus le sol turait; la fièvre diminuait sans cesse leur nombre. Des chants «
dans l'intérêt d'autrui, ou ce sera pour y creuser la fosse de leurs prématurés de triomphe se changeaient en cris de mécontentement, \
tyrans! Tel est leur cri de guerre : il faut en outre un mot d'ordre et Lara seul semblait encore indompté. Mais bien peu restent pour '
qui annonce le redressement des injures,la revendicationdes droits : obéir à sa voix ou aider son bras; une armée de plusieurs milliers {
Religion ! liberté I vengeance !... ce que l'on voudra, il suffit d'un d'hommes s'est réduite à quelques soldats désespérés ; les plus bra- i
de ces mois pour conduire les hommes au carnage. Une phrase sé- ves sont restés les derniers et regrettentcette disciplinequ'ils ont dé-
ditieuse, méditée et répandue par les habiles, peut assurer le règne daignée. Un seul espoir reste encore : la frontièren'est pas loin, et
du crime et la pâture des loups et des vers. ils peuvent se soustraire par là au- désastre qui menace de terminer
cette guerrecivile. Chez l'étranger, ils conserveront dans leurs coeurs
leurs regrets d'exilés, leur haine de proscrits ; sans doute il est dur
IX. de quiller la terre natale, mais il est plus dur encore d'avoir à choi-
sir entre la mort et l'esclavage.
Ce pays où le pouvoir féodal avait pris un lel empire était à peine
gouverné au nom d'un monarque enfant : momentbien choisi pour
Ta rébellion, car le peuple méprisait celui-ci et détestait l'un et XII.
l'autre. Il ne lui fallait plus qu'un chef et il en trouvait un in-
séparablementuni à sa cause, un homme qui pour sa propre sû- Leur résolution est prise; ils marchent vers la frontière : la nuit
reté était obligé de se jeter au milieu de la lulte universelle. Séparé propice leur prête les clartés de son flambeau pour guider leur fuite
par un arrêt mystérieux du destin de ceux que le hasard de la nais- sans bruit et sans torches allumées; déjà ils voient les paisibles rayons
de la lune dormant sur les flots de la rivière qui sert de limite aux
sance lui avait donné pour alliés, depuis celle soirée qu'il maudis- deux pays/, déjàilspeuvenldislinguer...Est-ce là le rivage' Arrière !
sait, Lara s'était préparé à faire face, mais non seul, à tout événe- il est couvert de bataillons ennemis. Quel parti prendre? la retraite
ment. Un motif impérieux; quel qu'il fûl, lui commandait d'arrêter
toute enquête sur sa conduite dans des pays lointains; en confon- ou la fuite? Mais que voit-on briller à l'arrière-garde?... c'est la ban-
dant sa cause avec celle de tous, dût-il même tomber, il retardait nière d'Othon! cesontlcs lances ennemies! ces feux qui brillentsur
les hauteurs, sont-cc des feux de bergers? Hélas non ! ils jettent une
sa chute.Depuis longtemps un calme sinistre avait pesé sur son clarté trop étendue pour que la fuite soit encore possible : coupés de
coeur; l'orage de ses passions, autrefois si terrible, semblait s'être toutes parts, ils sont pris pour ainsi dire au piège; mais on verse
endormi ; mais soulevé tout-à-coup par des événements qui devaient
conduire sa sombre destinée à une crise extrême, cet orage avait quelquefoismoins de sang pour vaincre que pour fuir.
enfin éclaté et l'avait montré de nouveau tel qu'il fut jadis, tel qu'il
esl encore : seulement il a changé de théâtre. Il ne s'inquiète guère XIII.
de sa vie ; il songe moins encore à sa renommée ; mais il n'en est
que mieux disposé à jouer cette partie désespérée : condamné d'a- On s'arrête un moment pour reprendre haleine. Marcheront-ilsen
vance par la haine des hommes, il sourit à sa ruine pourvu qu'il y avant ou se tiendront-ilssur la défensive? Il importe peu : s'ils char-
entraîne ses ennemis avec lui. Que lui importe la liberté d'un*peu-
ple? S'il a relevé les humbles ce n'était que pour rabaisser les su- gent l'ennemi qui leur barre le passage sur la rive du fleuve, quelques ,

perbes. Il a espéré un moment qu'il trouverait le repos dans sa unspcut-êlrese fraieront une rouleel parviendront rompre les rangs
sombre tanière, mais l'homme et le destin sont venus l'y poursui- quolqucscrrésqu'Assoient.«Eh bienlchargeons;attendre l'attaque
serait le fait d un lâche I » Les sabres sortent du fourreau ; chaque ca-
vre : accoutume aux ruses des chasseurs, il est traque dans son fort; valier serre la bride de son cheval, et lc dernier mot prononcé de-
ils pourront l'y tuer, mais ils ne le prendront pas au piège. Farou-
che, taciturne, dépourvu d'ambition, on l'a vu jusque-là calme spec- vancera de bien peu l'action. Dans le suprême commandement que
tateur des scènes de la vie; mais ramené dansl'arène, il se montre Lara va proférer de toutes les forcesde sa poitrine, combien n'enten-
un digne rival des guerriers féodaux : son naturel sauvage éclate dront que l'appel de la mort !
dans sa voix, dans ses traits, dans ses gestes, ctlc regard du gladia-
teur étincelle dans ses yeux. XIV.
X. Lui-même a mis l'épée à la main... Son aspect est aussi sombre,
mais plus calme que le désespoir : c'est quelque chose de plus que
Qu'est-il besoin de répéter après tant d'autres la description des cetle indifférencequi, dans des circonstances pareilles, sied an plus
combats, le festin des vautours, lc massacre des victimes humaines, brave, s'il lui reste quelque sentimenthumain. Il tourne ses regards
la fortune diverse des diverses journées, la férocité du vainqueur, vers Kaled, toujours à ses côtés, et trop dévoué pour montrer la
la lâcheté du vaincu, les ruines fumantes des villesécroulées ? Celte moindre crainte; pout-êtremême n'était-ce que la faible clarté de la
lulte fut semblable à toutes les autres, si ce n'est que des passions lune qur jetait sur ses traits un reflet inaccoutumé de pâleur el de
sans frein joignirent leurs- fureurs à celles de la haine qui ne con- '. deuil, expression non de sa terreur, mais de la sincérité de sa len-
naît point le remords. Personne ne demandait la vie, car on savait dresse. Lara remarque celle pâleur et pose sa main sur la main du
que la voix de la pitié no serait point écoutée, et les prisonniers
:
page; elle ne tremblait pas dans ce moment redoutable; ses lèvres
étaient égorgés sur le champ de bataille •: dans le3 deux camps ia i
étaient muettes; son coeurbatlaità peine; ses yeux seuls semblaient
môme rage enflammait ceux qui l'emportaient tour-à-lour ; et frap- dire : « Nous ne nous quitterons pas I que tes soldats périssent; que
pant au nom de la liberté commeau nom de l'esclavage, ils croyaient les amis prennent la fuite : je dis adieu àlavie, maisje ne te dis point
avoir tué trop peu s'il restait encore des vivants. Il est trop tard adieu. » Enfin le- commandement du chef s'est fait entendre, et la
maintenant pour arrêter le glaive exterminateur : la désolation et la petite Iroupe bien en ordre s'élance de la hauteur sur les lignes en-
famine envahissent toute la contrée: la torche une t'ois allumée, la nemies formées plus bas; les coursiers obéissent à l'éperon; le ci-
flamme s'est répandue de toUs côtés à la fois, et le carnage sourit à melcrrebrilleet l'acier résonne. Inférieurs en nombre, mais non en
son oeuvre de chaque jour. courage, les compagnons de Lara opposent le désespoir à la résis-
tance et attaquent l'ennemi de front; le sang-se mêle-aux vagUes du
XI. fleuve quloffr-irontencore auxrayonsdu matin une teinte rougeâtre.
Forte de l'énergie que lui donne une impulsion toute fraîche, la
Iroupe nombreuse-de Lara emporte les premiers succès : mais cotte XV.
fâlàlè victoire est la ruine du parti'. Les soldats ne forment plusieurs
rangs h la voix du chef: ils marchent en désordre, se jettent aveu- Commandant, ralliant, animant tout par son exemple, partout où
glément sur l'ennemietsemblentcroire qu'on peut arracherle succès l'ennemi gagne- du lorrain où ses amis semblent plier, Lara les
,
sans en avoir assuré les moyens. L'amour du butin, la soif de la encourage de la voix,frappe du tranchantou de la pointe, et inspire
haine entraînent à-leur sort fatal ces bandes indisciplinées* En vain un espoir que lui-même a perdu. Personne ne fuit, car tous savent
Lara fait-il tout ce qu'un chef peUt4eiîlërpour réprimer la furie in- quelafuiteseraitinulile; niais ceux même qui faiblissaientreviennent
sensée desatroUpé;; en vain ilessaic d'apaiser cetteardeuropiniâtre; au combat quand ils'voîent l'es plus hardis d'entré- l'ennemi reculer
la main qui alluma la flamme ne saurait l'èteiiîdre. L'ennemi plus devant les regards et les coups1de leur chefi Entouré parle nombre
sage peut seul corriger cette foule indocile-et lui-démontrer son er- et presque seul, lour-à-lour il disperse les-rangs-opposés et, rallié
reur; retraites feintes, embuscades nocturnes, marches fatigantes, encore quelques soldats : il ne ménage point sa vie-... Enfiii'l;ennemi
réfUs d?accepterle comtes longues privations de vivres, repos sans semble plier... c'est l'instant... il élôvesa main en l'air; il agite;..
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON. 31

Pourquoi son panache s'est-il abaissé (out^à-coUp? Le coup est porté ; fées, tant étaiententrecoupéeset pleines d'hésitationles parolesqui
la flèche est dans son sein ! Ce geste fatal a laissé son flanc sans dé- sériaient de ses lèvres pâles elpresque immobiles.Au contraire,la voix
fense, et la mortvientd'abaltrc ce bras orgueilleux.Le cri de victoire de Lara, quoique peu élevée, demeura calme et distincte jusqu'au
reste à demi formé sur ses lèvres ; cette main qui se levait pour l'an- momentou la mort en Rapprochant vint changercette voix en râle :
noncer, comme elle pend insensible! cependant elle serre encore mais c'est en vain que d'après les traits de son visage on se flatte-
instinctivement la poignée du glaive , quoique l'autre main ait lâché rait de deviner ce qui se passe en lui, tant leur expression sombre
Ses rênes. Kaled les ramasse : étourdi du Coup el privé de senti- est étrangère au repentir aussi bien qu'à toute affection ; et pourtant
ment , Lara, courbé sur l'arçon de la selle, n'aperçoit pas que son au moment où il luttait contre la dernière agonie, on remarquason
nage détourne son coursierde la mêlée. Cependant ses compagnons regard tendrement fixé sur son page, et dans un autre moulent,
continuent de charger l'ennemi el sont trop occupés de donner la commeKaled cessait de parler, Lara leva là main et montrai'Orient.
mort pour songer à celui qui l'a reçue. Peut-être l'éclat du malin avait-il frappé ses yeux ; car le soleil,
franchissantl'horizon, chassait en ce moment devant lui les nuages
qui voilaient le ciel; peut-être n'était-ce qurun geste insignifiant;
XVI. peut-être enfin le souvenir de quelque événement avait-ij soulevé
machinalementson bras vers les lieux où le fait s'était passé. Kaled»
Le jour luit sur les mourants et les morts, sur les cuirasses per- parut à peine le comprendrelui-même, mais il détourna là tète,
cées et sur les lèles dépouillées du casque. Le cheval de bataille, comme s'il avait horreur du jour; et au lieu de saluer cette lumière
privé de son maître, est gisant sur le sol, el dans sa dernière con- matinale, il fixa ses regards sur le front de Lara où descendait la
vulsion il déchire son harnais ensanglanté; et près de lui palpité lit nuit. Le moribond n'était point encore privé de tout sentiment, et
la main qui tenait j>$l ay ciel qu'il l'eût été! car un des assistants lui ayant montré la
encore d'un reste de vie, le talon qui le pressait etçoûiaiit êfoïx, |a|| ù^ ^fttïé rédemption, et ayant approché de sa main le
la bride. Quelquesmourants sont tombés près du dç l'ondè,
trop près, hélas ! car les flots en fuyan t trompent leurs lèvrégayidès: saint chapelet, appui quosoù àmô prête à partir aurait dû réclamer,
celle soif haletante, qui accompagne la mort sanglante du soldat, «Jeta sur ces pièjux objets un l%afd profane, el un sourire... que
torture la bouche brûlante et la sollicite vainementà implorer Une, le ciel lui pardonné, si c'était l'êxpreBsion du dédain. Mais Kaled, sans
goutte d'eau... la dernière... afin de se rafraîchir p&ur ïft tombe : pvononcév' Un Jttot'i sans dèjoufnè? de la face de Lara son regard
leurs membres affaiblis, agités par des efforts convulsifs, rampent f\xe bt àésôspéré, d'un Air irrité et d'un geste rapide, repoussa la
sur le gazon teint de pourpre, efforts qui épuisent le peu qui lèUt* main qui présentait ces gages.'^hsjkgjfés:comme si l'on n'eût fail que
reste de vie : mais enfin ils atteignent le courant; ils se penchent troubler ainsi ïei dernièçs çàçittVejiUide son maître. Il ne paraissait
pour y plongerleurs lèvres; déjà ilseU senton||à fraîcheur; ils ont pa,s savoir que ttêsCOmôftïêjfti h$nxé,la vie commençait pour lui,
presque goûté... Pourquoi restent-ils Immobiles? Ils n'ont plus de celle vie immortelleque nui n^ëpèùt être sûr d'obtenir s'il n'a point
soif à éteindre; quoiqu'elle reste inassouvie, Vis ne là senlentplus; une foi complète dans le Chrlit.
c'était une horrible agonie... mais tout est oublié.

XY1I.
Cependantla respiration de Lara devenait de plus en plus péni-
Sous un tilleul, à quelque distance du lieu qui sans lu) n'aurait ble : ic voile qui éoAlVraji »ÔS yeW *'é.t,Uit épaissi j ses membres s'é-
point, été le théâtre d'un pareil combat, on voit èoUçhê u,tt guerrier tendaient d'une manière çbitVUlsivê, et sa tôle était tombée inerte
respirant encore, mais voué au trépas :. c'était Lara dônl la vie s'é- sur les genoux faibles qui la SOuMiatenl sans se lasser. Enfin, il
coulait rapide avec les flots de son sang. Celui qui le suivait naguère, presse une dernière fois la nuinj qu'il tient sur son coeur.... Ce
qui.est maintenant son seul guide, Kaled, agenouillé près db lui, coeur ne bat plus, mais Kaled ne co.nsenl pas encore à se dégager
examine son flanc entr'ouvert o.t s'éJmrco, d'çlanchêra><jc son de celle froide étrcinle ; il cherche,' tî cherche encore cette Sourde
écharpe lc sang qui, à chaque convulsion, sVslançfca bouillons plus palpitation qui ne lui répond plusi ftMais son coeur bat! » Arrière,
presses; puis, lorsque son haleine affaiblie devient plus rare, ce sang rêveur! Tout est fini : ce fut Laj$, cet objet que tu regardes
conle en filets non moins funcsles: le blessé peut à peine parier; encore.
mais par un signe, il fait entendre à Kaled que, tous les efforts sont
vains et ne font qu'ajouter à ses aiigoissos. Il' gçrrc celle main qui XXI.
tentait de soulager ses douleurs, et d'un sourire triste, il remercie cet
étrange enfant qui ne craint, ne sent, n'examine,ué voit rien, rien H le contemplait, colnmo si l'esprit hautain qui animait cette ar-
que ce Tront humide appuyé sur ses genoux ; rien que ce pâle Visage gile n'avait point prift son essor; et les assistants l'avaientarraché
el cet oeil presque éteint, seule clarté qui brille encore tel-bas p0Û\' à son état d^x|asd'S^M,.pftUvojr.détourner ses regards de l'objet
Kaled. sUr lequel ils étaient fixes. Relevé du lieu où il soutenait dans
ses bras ce corps inanimé, quand il vit cette tête,'qu'il aurait voulu
XVIII. retenir sue sWt sein, retomber salis force vers le sol, comme la

poussière,rendue à poussière, il hé se précipita point de nouveau
Les vainqueurs viennent de ce côté, après de longues recherches auprès dû cadavre; il n'ttrracha point les boucles brillantes de sa
sur le champ de bataille; car leur triomphe est nul tant que Lara no.u'e chevelure : mais essaya dé se tenir debout et de regarder
11
lui-mêmen'a pas succombé. Ils voudraientl'emporter,mais ils s'aper- encore ; puis il chancela etttjini
tomba toul-à-coup, à peine moins ina-
çoivent bientôt que ce serait une peine inutile. Lui, les rogirdiâ, avec nimé que. celui qu'il àynit aimé. Il !... lui!... oh! non; jamais
le calme du dédain, sentiment qui le réconcilie avec son destin et. Uiii coeur d'homntia n'a pu nourrir un pareil amour. Celte dernière
qu'une haine toujours vivante fail naître au sein môme de la mort. épreuve viciit enfin de révéler un secret longtemps mais imparfaité-
Olhon arrive et, sautant de son coursier, vient contempler les bles- menl caché; sous ses vêtements qu'onécarte pour rappeler à la vie ce
sures saignantes de l'ennemi qui l'a blessé; il l'interroge sur son coeur dont les douleurs semblent arrivéesà leur terme, on découvre
étal: Lara ne répond pas, le regarde à peine, comme un homme une femme. Alors la vie reparaît, mais cet être bizarre ne semble
qu'il avait oublie, et se tourne vers Kaled... Quant aux mots qu'il point éprouver de honte... que lui importent maintenant son sçxc et
prononce alors, les assistants les entendent assez distinctement, sa renommée.
mais ils n'en comprennentpoint un seul: sesdernièrespensées sont
exprimées dans celle langue inconnue à laquelle l'attache irrésisti- XXII.
blement quelque étrange souvenir. Sans doute ces accents doivent
rappeler d anciennesscènes dé sa vie; mais quelles sont-elles? Kaled Et Lara ne repose pas où reposent ses pères ; mais sa fosse est
seul le sait ; car Seul il peut comprendreson maître; et il lui répond creusée aussi profondémentdans le sol sur lequel il est tombé; et
quoique d'une voix basse, tandis que les vainqueursrangés en cercle son sommeil n'y est pas moins calme, quoique des prêtres n'aient
cl les contemplant tous deux restent étonnés el muets. Le chevalier point boni la tombe et que nul marbre ne la couvre; son deuil a
cl son page semblent dans ce moment suprême oublier à moitié le été porté avec des regrets moins bruyants mais plus sincères que,
présent dans le souvenir du passé, et avoir en commun quelque ceux qu'inspire à un peuple la perte d'un libérateur. En vàiii on
destinée singulière dont nul étranger ne saurait pénétrer les questionna l'étrangèresur son passé; eh vain même on la menaça:
ténèbres. muetle jusqu'au bout, elle ne voulutrévéler ni d'où elle venait, ni
comment elle avait quitté tout pour suivre un homme qui semblait
XIX. lui montrer peu d'affection. Pourquoi donc l'aimàit-èllé? Curiosité
insensée! taisez-vous! L'amourest-il donc le produit de la, Volonté?
Leur entrelien se prolongea longtemps, quoiqu'ils ne parlassent Pour elle peut-être Lara étail-il toute tendresse: Ces âmes sombres,
que d'une voix faible; c'élaitseulomentd'après.leur accent que l'on ont une profondeur de sentimentdans laquelle notre regard superfi--
pouvait conjecturer le sens de leurs discours. A en juger ainsi, on ciel ne peut pénétrer ; et quand elles aiment, nos railleurs ne savent
aurait cru le jeune page plus près de sa fin que n'était Lara lui- point avec quelle puissance battent Ces coeurs généreux. Les scepti-
même tant la voix et la respiration de Kaled étaient tristes étouf- ques avouerontcependant, du bout des lèvres, que ce n'étaient pas
,
32 LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

des liens vulgaires qui attachaientà Lara l'affection et l'intelligence


d'un être tel que Kaled. Mais rien ne put la faire consentir à révéler
le secret de celte fatale histoire ; et maintenant, la mort a scellé les
lèvres qui l'auraient pu raconter.

XXIII.
Ils ont déposé Lara dans le sein de la terre; et sur sa poitrine,
outre la blessure qui en a chassé l'âme, ils ont trouvé les traces de
mainte cicatrice qui ne pouvaient provenir d'une guerre récente :
rlque part qu'il ait passé l'été de sa vie, il doit avoir vécu au sein
combats. Mais sa gloire ou ses crimes sont également inconnus:
on sait seulement que au
stng a été versé, et Ez-
zelin, qui aurait pu ré-
véler son passé, Ezzelin
n'a plus reparu... la nuit
de leur rencontre avait
été sa dernière nuit.

XXIV.
3i LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

femmes^ quoiqu'il n'en eût aimé qu'une seule, qui, hélas! n'avait pu porlé par ses ailes de neige cl que les rivages indécis s'évanouis-
être à lui: heureuse qu'elle fut d'échapper à celui dont les em- saient à sa vue, voici le chant d adieu qu'il jetait aux vcnls el aux
brasscmcnts auraient souillé un être aussi chaste; qui bientôt flots:
aurait délaissé ses charmes pour de vulgaires voluptés, qui aurait 1.
aliéné de riches domaines pour dorer ses travers et qui jamais n'eût Adieu! adieu! mon pays natal disparaît sur les vagues bleues; les
daigné goûter le charme de la paix domestique. brises nocturnes soupirent, les vagues se brisent en rugissant, cl la '
VI. mouette pousse ses cris sauvages : nous suivons dans sa course ce
soleil qui va se plonger dans la mer. Adieu à lui ! adieu à toi aussi,
Le coeur de Childe-Harold élait bien malade: il fuyait les orgies ô ma patrie I
de ses compagnons. On dit que parfois une larme était près de 2.
jaillir de ses yeux, mais l'orgueil venait aussitôt l'y glacer. Se pro- Dans peu d'heures ce soleil se lèvera pour enfanter encore un
menant seul dans sa triste rêverie, il résolut de quitter son pays jour : je saluerai encore l'Océan et les cicux, mais non la terre ma-
natal cl de visiter des climats brûlants par-delà les mers; trompe ternelle. Ma salle antique est déserte, et son foyer désolé : des her-
par le plaisir, il aspirait presque aux souffrances, et pour changer bes sauvages croissent dans les murailles et mes chiens hurlent sui-
de théâtre, il se fût volontiers plongé dans les ténèbres éternelles. te seuil.
VII. 3.
Childe-Haroldquitta le manoir de ses pères, vaste et vénérable
«Viens près de moi, mon petit pagel pourquoi pleurer et te
édifice tellement frappé de vétusté qu'il semblait ne se tenir debout
plaindre? Crains-tu donc la fureur des vagues ou le souffle du vent?
Essuie les larmes : notre vaisseau est rapide et bien construit : à
que par miracle, mais soutenu psfc la solidité de ses piliers et de ses peine mon meilleur faucon a-l-il un vol plus joyeux.
ailes massives. Religieuse retraite, maintenant condamnée à des
usages profanes! Ces lielix, où la superstition avait jadis établi son 4.
repaire^ retentissaient des chants et des rires des filles de Paphos:les
moines auraient pu croire que leur temps était revenu, si les an- •*—.Qup le vent siffle, que la vague grossisse, je ne crains ni la
ciens récils n'ont point calomnié ces saints personnages. vague ni le vent ; mais ne vous étonnez pas , monseigneur, de me
voir triste au fond de l'âme : car j'ai quitté mon père, une mère
V11I. que j'aimais, el après eux je n'ai point d'amis, si co n'est vous...
cl celui qui est là-haut.
Quelquefois, au milieu de sa plus extravagante gaité, on voyait l'an- 5.
goisse passer sur le front de Childe-Haroldcomme un étrange éclair :
on eût dit que le souvenir de quelque lutte mortelle ou quelque « Mon père m'a donné sa bénédiction avec ferveur; et cepen-
passion déçue venait tout-à-coup s'y trahir; mais personne n'avait dant il n'a point fail entendre de plaintes; mais ma mère va sou-
pénétré ce mystère et né paraissait même se soucier de l'éclaircir; pirer amèrement jusqu'à mon retour. — Assez, assez, mon petit
car il n'avait pas une de ces âmes ouvertes et naïves, qui trouvent page ! de pareilles larmes vont bien à tes yeux : si j'avais ton coeur
du soulagement à épancher leurs chagrins: il ne souhaitait point innocent, lés miens ne seraient pas secs.
qu'un ami pût lc consoler ou s'affliger avec lui d'un malheur qu'il 6.
n'était plus temps de prévenir.
— Viens près de moi, mon fidèle serviteur ! pourquoi donc cs-lu
IX. Ést-ç6
si_ pâle? que tu crains l'attaque des Français, ou bien ce vent
Et au fond, personne ne l'aimait, quoiqu'il réunît à sa lablc et te doiihë-t-il lé frisson ? — Croyez-vous que je tremble pour ma
dans ses salons des convives accourus de près et de loin gens yie? non; monseigneur;je ne suis pas assez faible pour cela; mais
qu'il connaissait lui-même comme flatteurs de ses journées de , fête, la pensée d'une femme absente peut faire pâlir un époux.
parasites sans coeur du festin qu'il dressait. Non, personne ne
l'aimait.... pas môme ses maîtresses; car la femme n'aime que le
luxe cl la puissance, el quand ces biens sont absents, l'amour prend femme et mes enfants demeurent près de votre manoir, le
« Ma
sa volée; comme lé phalène nocturne, la beauté se laisse prendre à long du lac qui l'entoure ; et quand mes petits garçons demande-
ce qui luit: et Maminon se fraiesa route là où un chérubin désespère. ront après leur père, que pourra-t-clleleur répondre? — Assez,
assez, mon fidèle serviteur : personne ne peut blâmer ta tristesse;
mais moi; d'une humeur plus légère, c'est en riant que je m'éloi-
Childe-Harold avait une mère; il ne l'avait point oubliée quoiqu'il gne; »
partit sans lui faire ses adieux; il avait une soeur qu'il aimait; mais 8.
il ne la revit point avant de commencer son triste pèlerinage: ses Et qui voudrait se fier aux vains soupirs d'une femme ou d'une
amis.... s'il en eut.... il ne dit adieu à aucun. El hé croyez pas pour maîtresse ? un nouvel amour séchera ces beaux yeux bleus que
cela qu'il eût un coeur d'acier: vous qui avez éprouvé ce que c'est nous, avons vus tout humides. Je ne regrette pas plus les plaisirs
de placer toutes vos affections sur un petit nombre d'objets, vous passés que je ne redoute les dangers présents : mon plus grand
comprenez que de pareils adieux brisent le coeur qu'on espérait chagrin esl de ne rien laisser après moi qui soit digne d'une larme.
soulager.
XI. 9.
Sa demeure, son foyer, son héritage, ses domaines; les riantes , Et maintenant me voilà seul au monde sur la vaste, vaste mer.
créatures dont il avait fait sa joie et qui, avec leurs grands yeux Je n'ai à pleurer pour personne, puisque personne ne soupirera
bleus, leurs blonds anneaux, leurs mains de neige, auraient damné pour moi. Peut-être mon chien gèmira-t-il quelque temps jusqu'à
un anachorète; ces beautés qui avaient longtemps cfim'blé lés désirs il ce qu'une main étrangère l'ait nourri; mais bientôt, si je revenais,
de sa jeunesse; ces coupes où pétillaient les vins les plus rares; nié déchirerait à belles dénis.
enfin ce que le luxe a de plus attrayant : il quitta tout sans un
soupir, pour traverser l'Océan, parcourir les rivages musulmans et 10.
franchirla ligne qui parlagc le globe. Vogue rapidement, ô mon navire; nous traverserons ensemble
les plaines écumantes : n'importe dans quelle contrée lu me por-
XII. teras, pourvu que tu ne me ramènes point dans la mienne. Salut,
Les voiles étaient gonflées; la brise légère soufflait commejoyeuse salul! vagues bleuâtres. Et quand j'aurai perdu de vue l'Océan, sa-
de l'emporter loin de la terre natale; bientôt les blanches iuluises lut, déserts! salut, antres sauvages! Et toi mon pays natal, adieu !
s'effacèrent rapidement à sa vue et disparurent dans la brume.
Alors peut-êtreconçut-il un regret de la résolution qu'il avait prise- XIV.
mais cette pensée dormit silencieuse dans son coeur, aucune plainte En avant! en avant! lc vaisseau fuit, la terre a disparu et les
ne sortit de ses lèvres, tandis que d'autres autour de lui pleuraient vents soufflentrudementdans la baiede Biscaïe incessammentagiléc.
et livraient aux vents insensibles des gémissements indignes d'un Quatrejours s'écoulent, et le cinquième on signale la côte, et cette
homme. nouvelle répand la joie dans lous les coeurs. La montagne de Cintra
XIII. salue les navigateurs ; devant eux le Tage apporte à l'Océan le tri-
Mais au moment où le soleil s'enfonçait dans la mer, il saisit sa but de ses flols dorés. Les pilotes lusitaniens escaladent bientôt le
harpe, dont il tirait parfois des accords que nul ne lui avait en- bord, et le navire glisse entre des rives fertiles où quelques paysans
seignés, quand il croyait n'être écouté par aucune oreille étrangère. achèvent la moisson.
Alors il promena ses doigts sur les cordes sonores et préluda à ses XV.
adieux au milieu dû pâle crépuscule. Tandis que lc vaisseau volait O Christ ! c'est plaisir de voir toul ce que le ciel a fail pour celte
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BVRON. 35

lerre de délices! Quels fruits embaumés rougissent sur les arbres! montagne tu méditais sans cesse de nouveaux plaisirs s mais au-
niicllcs richesses se déploient sur les coteaux ! Mais l'homme vient jourd'hui , comme un séjour profané ton magique palais est soli-
, toi-même! Des plantes gigantesques
,
ravager d'une main impie tous ces dons de la nature, cl quand le taire comme laissent à peine un
Tout-Puissant lèvera son bras vengeur pour frapper les transgres- passage vers les salles désertes les
et vastes portiques béants : nou-
seurs de ses commandements, ses foudres allumées par une triple la
vel exemple, pour une âme réfléchie, de vanité des jouissances
vengeance frapperont les hordes des Gaules, ces armées de saute- Jerrestres, si rapidement balayées par les flots tumultueux du
relles, et purgeront la terre de ses plus cruels ennemis. temps.
xxiv.
XVI. Voici le palais où des chefs renommés se sont réunis nagiière (1).
Au premier coup d'oeil, quelles beautés Lisbonne déploie! Son Oh! que sa vue est pénible aux regards d'un Anglais! C'est là que
image se réfléchit tremblante dans ce noble fleuve que les poètes siège, coiffé du bonnet de la folle en guise dé diadème, et revêtu
menteurs faisaient couler sur un sable d'or, el à la surface duquel d'une robe de parchemin un petit démon au sourire moqueur : il
"lissent maintenant les carènes de mille puissants vaisseaux, de- porte suspendus à son côté. un sceau et un noir rouleau où brillent
miis qu'Albion donne son appui aux Lusitaniens : nation gonflée des armoiries et des noms connus dans la chevalerie, et de nom-
(l'ignorance et d'orgueil, baisant cl maudissantà la fois la main breuses signatures que le petit lutin montre du doigt en rloht de
qui a tiré
î'épée pour l'arracher aux fureurs de l'implacable tyran tout son coeur.
des Gaules. XXV.
XVII. Convention, tel esl le nom de ce nain diabolique qui a dupé tous
Mais si l'on pénètre dans l'intérieur de cette ville, qui vue de les chevaliers rassemblés dans lé palais de Marialva : il leur a enlevé
loin semble une habitation céleste, on erre tristement parmi une leur cervelle (si toutefois ils en avaient une) ; et a changé en deuil
fuule d'objets pénibles à voir pour l'étranger : chaumières el palais la fausse joie d'une nation. Ici la sottise a foulé aux pieds le pana-
sont également malpropres, cl partout les habitants croupissent che du vainqueur, et la politique a regagné ce que les armes
dans la fange : de quelque rang qu'il soit, nul ne s'occupe de la avaient perdu. Que les lauriers fleurissent en vain pour des chefs
propreté de son linge ou de son costume; el fussent-ils attaqués de tels que les nôtres 1 Oui, malheur aux vainqueurs,et non pas aux
la plaie d'Egypte ils resteraient sans s'émouvoir dans leurs hail- vaincus puisque la victoire prise pour dupe, se laisse ainsi ravir
lons cl leur crasse., , ,
ses palmes!
XVIII XXVI.
L Pauvres et vils esclaves! nés cependant au sein de la plus belle Depuis ce belliqueux congrès ton nom fait pâlir la Bretagne,
| contrée ! O nature ! comment prodigucs-lu tes merveilles
çn faveurô Cintra; les ministres,quand ils, l'enlendeilt, frémissent, et ils rou-
I de lois hommes? Voyez! Cintra nous étale radieux Eden, giraient de honte s'ils pouvaient rougir. Comment la postérité qua-
son cn-
4
semble varié de montagnes et de vallons. Quel pinceau, lilieratl-ellc un semblable trailé ? Les nations ne se railleront-elles
quelle
j plume pourrait reproduire la moitié des beautés pas de nous en voyant nos championsdépouillés de leur gloire par
que l'oeil conlein-
'; pic ? sites plus éblouissants pour des regards mortels
que les lieux
un ennemi vaincu sur le champ de bataille , et vainqueur sur un
i mêmes décrits par le poêle qui, le premier, a ouvert aux humains tapis vert? Ridicule contraste que le mépris flétrira dans un long
| clonnés les portes de l'Elysée. avenir (8).
| XIX. XXVII.
j Itochcrs audacieux couronnés par un couvent suspendu dans Ainsi pensait Harold tout en gravissant la montagne, silencieux
| l'espace, lièges blanchâtres
,
qui garnissent la pente escarpée, mous- cl solitaire : le site était magnifique, cl pourtant il avait hâte do
| ses des montagnesbrunies par un ciel brûlant, valiéesprolondcsdonl fuir, plus ennemidu repos que l'hirondelledans l'air. Cependant il
| les arbrisseaux pleurent l'absence du soleil, mer sans ride dont le s'exerçait ainsi à réfléchir, car il était quelquefois enclin à là médi-
tation': la voix de sa conscience lui disait tout bas qu'il avait passé
5 tendre
azur se déploie à l'horizon, oranges dont l'or brille parmi la misérablement
sa jeunesse dans des caprices insensés : mais quand
I plus belle verdure, torrents qui bondissent du haut des rocs dans les il regardait la vérité,
j vallons; des vignes sur les hauteurs, plu» bas des saules : lous ces ses yeux blessés s'obscurcissaient.
J objets réunis forment un spectacle imposant plein de magnificence
% et de variété. XXVIII.
I XX" A cheval ! à cheval ! il quitte, il quille pour jamais un séjour du
I '
Gravissez lentement le sentier aux mille détours, et lournez- paix, quelque doux qu'il soit à son âme : il sort de son accès de rê-
§ vous de temps en temps pour regarder derrière vous ; chaque point
verie; mais ce n'est ni l'amour ni les festins qui l'appellent, il vole
toujours en avant sans savoir encore où il se reposera de son pèle-
|I
3 de vue plus élevé vous découvre de nouvelles beautés
vous enfin au couvent de Notre-Dame-des-Doulcurs,
: arrêlez-
où des moines
dévols montrent à l'élranger leurs petites reliques, el lui racontent
rinage; la scène changera bien des fois autour de lui, avant que la
fatigue ait apaisé sa soif de voyages, avant que son coeur se soit
à de vieilles légendes : ici des impies ont été frappés par Dieu môme, calmé, et que l'expériencel'ait rendu sage;
'J et là-bas, voyez cette profonde caverne où Honorais habita loiig-
ï| temps dans l'espérance de mériter le ciel en se faisant de ce monde XXIX.
4 un enfer. Cependant Mafia l'arrêtera un moment. C'est là qu'habitait la
M ' xxi. malheureuse reine des Lusitaniens : l'Eglise et la Cour y entremê-
En gravissant lc rocher, remarquez, tantôt à droite, tantôt à gau- laient leurs pompes; on y voyait se succéder les messes et les fes-
che du chemin ces croix- grossièrement sculptées tins, des courtisans et des moines, compagnons assez inâl assortis!
: ne croyez pas Mais la Prostituée de Uabylone a construit dans ces lieux un édifice
qu'elles aient été, placées là par la dévotion ; ce sont les monuments
fragiles d'autant de meurtres : car paripul où une victime, a crié et où elle brille d'une lellc splendeur que l'on oublie le sang qu'elle a
répandu son sang sous le couteau de l'assassin une main incon- versé et que l'on plie le genou devant cette magnificence qui dé-
,
nue vient ériger une croix formée de deux laites,vermoulues; el les core le crime.
bosquets et les vallons en offrent des milliers XXX.
sur cette terre ensan-
glantée, où la loi no protège pas la vie de l'homme. Childe-Harold chemineà travers des vallons fertiles, des collines
pittoresques (ah I que ne sont-elles habitées par une racé d'hommes
XXII. libres!), parmi des sites délicieux qui charment sans cesse la vue.
Sur la penle des collines, ou dans le fond des vallées sont des Des hommes peu actifs peuvent taxer de folie une pareillepoursuite,
palais où les rois faisaient jadis leur demeure aujourd'hui , et s'étonner qu'on abandonne son bon fauteuil pour parcourir les
ces en-
ceintes solitaires n'ont plus pour habitants que: quelques fleurs longues, longues lieues d'une'route fatigante : n'imporle! l'air des
vages; et pourtant on V découvre encore des traces de leur gran-
sau- montagnes esl doux à respirer, on y puise une vitalité que l'indo-
deur passée. Là-bas s'élèvent les tours du palais du prince c'est lence ne connaîtra jamais.
•a aussi, ô Valbek (t), le plus opulent des fils de l'Angleterre,: i
lu avais jadis réalisé ton paradis, oubliant que XXXI.
déployer toute sa puissance, elle peut retenirque la richesse a beaui Les collines deviennent plus rares et s éloignent à la vue ; lçs val-.
ne la douce paix dans
sos pièges voluptueux. ' lées moins fertiles ont plus d'étendue, et enfin ce ne sont plus que
XXIII.
C'est ici que tu demeurais ; sous la crête toujours superbe de (t) La convention dont il s'agit entre les généraux anglais et français
celle fut conclue à plus de dix lieues de l'endroit où la place Byron.
f 11 '*"«* est mis ici (2) On sait néanmoins que si Juno.t, duc d'Abraritès, cerné et n'ayant
.. pour M. Williamlîeckford, autenrdu conte orien-
l!d, intitule : Le calife Vathelt, et célèbre que des forces très inférieuresà celles de l'ennemi, obtint dos conditions
par ses richesses et sa nrodi- avantageuses, ce fut grâce à la térreiu-qu'inspiraient encore les débris
de sa courageuse armée. ""'
3G LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

d'immensesplaines qui se perdent à l'horizon. Aussi loin que l'oeil


peut atteindre, il voit s'étendre sans fin les domaines de l'Espagne XXXIX.
où les bergers font paître ces troupeaux dont la laine soyeuse est si Voyez là-bas I le géant est debout sur la montagne, étalant au ;
bien connue du commerce. Maintenant il faut que le bras des pas-
teurs défende leurs agneaux : car l'Espagne est envahie par un en-
soleil
~ sa chevelure sanglante; le foudre exterminateur brille dans ;
sa main de feu ; son oeil dévore tous les objets sur lesquels il s'ar- ;
nemi redoutable, et chacun doit défendre ce qu'il possède, ou subir rête ; cet oeil, tantôt roulant dans son orbile, tantôt se fixant, lance
r{
les maux de la conquête.
au loin ses éclairs. La destruction est couchée sous ses pieds d'airain, \
al
XXXII. observant
o! la marche du fléau: car ce malin trois puissantes nations
si sont rencontrées pour répandre devant son autel le sang, son S
se
Au lieu où se rencontrent la Lusilame et sa soeur, que pensez- offrande
0 favorite.
vous qui marque la borne des deux Etats rivaux ? Est-ce lc Tage XL.
qui interpose son onde majestueuse entre ces nations jalouses ? Les
sombres Sierras y viennent-elles élever leurs rochers orgueilleux? Par le ciel! c'est un beau spectacle, pour qui n'a là ni frère ni ;
Y voit-on une barrière élevée par la main des hommes, pareille à ami,
a de voir se mêler toutes ces écharpes couvertes de broderies, el
l'immense muraille de la Chine?... Point de mur ni de barrière,point toutes ces armes qui brillent au soleil ! Les ardents limiers de la ;
t<
de large et profond cours d'eau, pas de rochers escarpés, point de guerre
g ont quitté leur chenil : ils allongent leurs griffes et hurlent
montagnes sombres et altières comme cellesqui séparent l'Espagne s la trace de leur proie. Tous prennent part à la chasse , mais
sur
de la France. peu partageront le triomphe. La mort emportera la plus belle part
F
XXXIII. de la prise et le carnage dans sa joie peut à peine compter lc
ci

argenté, nombre des ,victimes.


Mais entre les deux royaumes'rivauxglisse un ruisselet XLI.
aux rives verdoyantes el à peine distingué par un nom. Le berger
inoccupé vient s'y arrêter, appuyé sur sa houlette, et laisse son oeil Trois armées se réunissent pour offrir ce sanglant sacrifice; trois
indolent errer sur les flots qui murmurent et qui coulent paisibles 1langages élèvent vers le ciel d'étranges prières; trois pompeux
entre des ennemis acharnés : car ici tout paysan est fier comme le étendards < flottent sur le pâle azur des cieux. On entend crier :
plus noble duc, et le laboureur espagnol sait quelle différence existe France!
1 Espagne! Albion! Victoire! L'ennemi, la victime, cl un
entre lui et l'esclave lusitanien , le dernier et le plus lâche des allié J qui combat pour tous et toujours sans récompense, se sont
hommes. donné
' rendez-vous ici, comme s'ils ne pouvaient trouver la mort
XXXIV. dans
' leurs propres foyers; ils viennent nourrir les corbeaux sur ki
1
plaine de Talavera, et fertiliser lc champ que chacun d eux prétend
Avant d'avoir laissé loin en arrière ces limites indécises, Ha- iconquérir.
rold voit la sombre Guadiana, si souvent chantée dans les ancien- jI XL1I.
nés romances, rouler devant lui avec un imposant murmure ses tristes
et vastes ondes. Autrefois sur ses bords s'entassèrent des légions de C'est là qu'ils pourriront, insensées mais glorieuses victimes de
Maures cl de chevalierschrétiens, brillant dans leurs cottes de mail- l'ambition! Oui, l'honneur décore le gazon qui couvre leur dé-
les : ici les plus agiles s'arrêtèrent; ici tombèrent les plus forts : le pouille'. Vain sophisme ! ne voyez en eux que de tristes instruments;,
turban musulman et le cimier du chrétien se rencontrèrent roulant des instruments brisés, que la tyrannie jette autour d'elle par my-
dans les flots ensanglantés. riades quand elle veut paver de coeurs humains sa route criminelle,
pour atteindre quoi?... un rêve. En elfel, le joug des despotes est-
XXXV. il accepté volontairement quelque part? Esl-il utt seul coin de terre
qu'ils puissent appeler véritablement leur domaine, sauf celui où
O belle Espagne! glorieuse et romantiquecontrée ! qu'est devenu enfin leurs
l'étendard que portail Pelage, après que le traître Julien, père de os doivent tomber pièce à pièce ?
l'infortunée Cava, eut appelé les bandes africaines pour teindre du XLIII.
sang des Goths les sources de tes montagnes ? Où sont ces banniè-
res sanglantes qui flottaient sur les tètes de les enfants, enflées par O Albuera, champ de gloire el de deuil I au moment où notre pè-
le souffle de la victoire, et qui repoussèrent enfin les envahisseurs lerin poussait son coursier à travers ta plaine, qui pouvait prévoir
jusque sur leurs propres rivages ? Alors la Croix brillait d'une splen- que tu serais sitôt le théâtre où tant d'ennemis viendraient triom-
deur empourprée; le pâle croissant s'évanouissait devant elle, et pher et mourir I Paix aux morts ! puissent la palme guerrière el les
les échos africains répétaient les gémissements des matrones mau- larmes des vainqueurs êlre longtemps leur récompense ! Jusqu'à ce
resques. Suc d'autres guerriers succombent, guidés dans d'autres lieux par
XXXVI. 'autres chefs, Ion nom, Albuera, rassemblera en cercle la foule
Chacun de les chanls populaires n'est-il pas plein de ces glorieux émerveillée ; et les chants du peuple te décerneront une gloire fu-
récils? Telle est, hélas ! la plus haute récompense du héros. Quand gitive. XLIV.
le granit tombe en poudre, et quand l'histoire se tait, la complainte
d'un paysan supplée aux annales douteuses. Orgueil 1 détache les C'est assez parler des favoris de Bellone : qu'ils s'amusent à jouer
regards du ciel pour les abaisser sur toi-même , et vois comment les des existences humaines et à donner leur vie pour la gloire : celte
noms les plus puissants vont se réfugier dans une chanson. Un livre, gloire ne ranimera pas leurs cendres, quand même des milliers de
un édifice, un tombeau, peuvent-ils te conserver ta grandeur? et; victimes tomberaientpour illustrer un seul nom. En vérité, ce serait
oseras-tu compter sur la simple voix de la tradition quand la flat- .dommage de leur refuser l'objet de leur noble ambition, ces vail-
terie ne parle plus pour toi, et quand l'histoire le méconnaît? lants mercenaires qui affrontent la mort pour servir leur pays, qu'ils
I eussent peut-être déshonoré s'ils avaient survécu : car ils auraient
XXXVII. péri dans quelque sédition domestique, ou dans une carrière plus
Eveillez-vous,fils de l'Espagne, éveillez-vous! En avant! C'est obscure, ils se seraient livrés au brigandage.
la chevalerie , votre ancienne divinité, qui vous appelle ; mais elle\ XLV.
n'a plus comme jadis une lance altérée de sang, et son panache de
Îionrpre ne se balance plus dans la nue : elle vole maintenant surr Harold poursuit rapidementsa route solitaire : il arrive aux lieux
a fumée des détonations enflammées, et rugil comme un tonnerre3 où la fière Séville règne encore indomptée : elle est libre encore,
par la voix des tubes d'airain ; à chacun de ces éclats elle vous crie : cette proie convoitée par les envahisseurs. Hélas t bientôt les pas
«Réveillez-vous! levez-vous! «Dites, sa voix est-elle donc pluss farouchesde la conquête auront souillé ses rues et marque rudemciil
faible qu'elle n'élait jadis, quand son cri de guerre se faisait enten- leur passage à travers ses palais élégants. Heure fatale ! c'est en
dre sur les rivages de l'Andalousie? . vain qu'on voudrait lutter contre la ruine quand la Providence l'en-
voie établir quelque part ses hordes affamées; sans cette loi funeste
XXXVIII. llion, Tyr, seraient encore debout : la vertu serait triomphanteet lc
Silence! n'entendez-vons pas retentir le sol sous le galop dess meurtre
abattu.
XLVI.
coursiers? N'est-ce pas le bruit du combat qu'on entend dans laa
plaine? Ne voyez-vous pas quelles victimes tombent sous le glaivee Mais ignorant l'arrêt qui les menace, les Sévillans ne s'occupenl
fumant? Courez, courez au secours de vos frères avant qu'ils Is que de fêles, dédiants et d'orgies; les plaisirs les plus étrange;
tombent sous les coups des tyrans et de leurs esclaves. Les feux x emploient lous leurs instants, cl leur patriotisme ne saigne point de;
du trépas, les feux qui portent la balle mortelle brillent sur les hau- i- blessures de la patrie. Au lieu des clairons de la guerre. résoniK
teurs ; chaque coup répété de roc en roc annonce que des rs l'amoureuseguitare. La Folie règne en despote; la Luxure, aux ycu)
milliers
de victimes ont cessé de respirer ; la mort chevauche un aquilon >n brillants de jeunesse, fail sa ronde de minuit, el le Vice, promenan
sulfureux ; le génie des batailles frappe le soi de son pied rouge de j
le avec lui les crimes silencieux des grandes capitales, s'attache jus-
sang, el les nationssentent lc contre-coup. l qu'au dernier moment à ces murs près de s'écrouler.
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD RYRON. 37

plus noirs que le noir tissu de sa mantille ; si vous aviez entendu


XLVn. ses joyeuses chansons dans les réunions de ses compagnes, con-
de sa templé les longs anneaux de sa chevelure défiant l'art du peintre,
H n'en est point ainsi de l'homme des champs ; caché près sa taille de fée, sa grâce plus que féminine, vous auriez de la peine
| (rcmblante compagne, il promène vaguement un oeil appesanti qui
,
à croire que les remparts de Saragosse l'ont vue sourire en face au
I
n'ose s'aventurer trop loin : il craint de voir sa vigne dévastée, flé- danger à la tête de Gorgone, éclaircir les rangs de l'ennemi et con-
trie sous le souffle fatal de la guerre. On n'entend plus le fandango duire les guerriers dans le chemin périlleuxde la gloire.
agiter ses joyeusescastagnettes sous les rayons amis de l'astre du
soir. Monarques, si vous étiez capables de goûter toutes les joies que LVI.
vous troublez, vous n'iriez plus affronter les fatigues que
coûte la
gloire : la voix triste et discordantedu tambour se tairait, et l'homme Son amant tombe... elle ne verse pas des larmes inopportunes.
trouverait encore le bonheur ici-bas. Le chef est tué... elle le remplace au poste fatal. Ses compagnons
veulent fuir... elle les arrête sur le chemin de la honte. L'ennemi
se relire... elle dirige une sortie. Quelle femme saura comme elle
Si
I XLVIII.
apaiserles mânesd'un amant? qui vengera aussi bien la chute d'un
1
Que chante maintenant le muletier : célèbre-t-il encore l'amour, chef? Voyez la jeune fille relever le courage abattu des guerriers!
| la chevalerie, la dévotion,qui charmaientautrefois sa longue route, voyez-la fondre avec rage sur l'ennemi dispersé, fuyant devant la
I tandis que les grelots de ses mules résonnaient gaîment sur le che- main d'une femme au pied des remparts qu'il foudroie!
'i min? Non ! tout en courant, il répète : « Viva el Rey Fernando ! » et
| ne suspend son refrain que pour
flétrir Godoy, l'imbécile roi LVII.
jj Charles, et maudire le jour où une reine d'Espagne réchauffa dans i
I son lit adultère la trahison aux yeux sombres et aux traits teints de Pourtant les filles de l'Espagne ne sont pas une race d'Amazones:
I sang. elles sont faites pour l'amour et ses plus doux enchantements. Si
^ XLIX. dans les combats elles rivalisent quelquefoisavec les hommes et se
jettent au sein de l'horrible mêlée, ce n'est que le débile courroux
;| Sur celle plaine vaste et unie, bordée à l'horizon par des rochers de la colombe frappant du bec la main qui menace son époux. En
I que couronnentdes tours mauresques,leier des coursiersa déchiré douceur aussi bien qu'en courage elle surpasse les femmes des au-
i cl souillé lc sein de la terre, et le gazon est noirci çà et là par les
| flammes : ces signes annoncent que l'ennemi a envahi l'Andalousie.
I Ici était le camp, le feu de bivouac, l'avant-garde; ici le paysan in-
tres climats qui ne savent que babiller ou tomber en faiblesse : son
âme est certes plus noble et ses charmes égalent peut-être les leurs.
| trépide pris d'assaut le repaire du dragon ; il le montre encore
I d'un aira triomphant, et vous signale ces positions plusieurs fois
.
LVIII.
'^ prises el perdues. Il doit être bien doux, ce menton gracieux où le doigt de l'amour
1 L- a marqué une légère fossette; ces lèvresqui s'avancent commepour
nichée
laisser sortir une baisers disent à l'homme
de les
que pour
5
Chaque voyageur que vous rencontrez sur la route porte à son mériter il doit se montrer brave. Comme ce regard est beau d'une
",<chapeau la cocarde rouge, signe qui indique celui qu'on doil ac- sauvage énergie! celle joue n'a point été flétrie par les rayons de
\ cueillir, celui qu'il faut éviter. Malheur à l'homme qui se montre en Phébus : elle esl sortie plus fraîche encore de ses baisers amoureux I
| public sans ce gage de fidélité! lecouleau est affilé, le coup rapide, Qui pourrait, après l'avoir vue, rechercher les pâles beautés du
|cl triste serait la destinée des soldats de la Gaule, si le poignard Nord? Que leurs formes semblentpauvres, frêles, froides et languis-
j, perfide, envcloppé'dansle manteau, pouvait émousserle tranchant
i du sabre et dissiper la fumée du canon.
santes I
LIX.
1 LI. Climats que les poètes se plaisent à vanter I harems de cette con-
trée lointaine où je fais entendre ces chants à la gloire des beautés
| A chaque détour dans les Morénas sombres, les hauteurs sont ar- qu'un cynique lui-même admirerait! montrez-nous ces houris à qui
jj niées d'une batterie meurtrière, et aussi loin que peut porter le
vous permettez à peine de respirer un air libre, de peur que la-
| regard de l'homme, il aperçoit l'obusicr de montagne, les routes
coupées, les palissades qui hérissent, les fossés remplis d'eau mour n'arrive jusqu'à elles sur le souffle du vent ! Pouvez-vous les
3 se
garnis, la garde qui veille sans cesse, les magasins,
les postes bien
comparer à ces filles de l'Espagne dont le regard esl sombre et bril-
I lant à la fois? C'est là que nous trouvons le paradis de votre pro-
i creusés dans le roc, les chevaux abrités sous un hangar de chaume, phète avec ses vierges célestes aux yeux noirs, à l'angélique dou-
J les boulets empilés en pyramide, et la mèche toujours allumée. ,
ceur.
LX.
LU.
O Parnasse, je te contemple maintenant, non plus dans la
\ Présages infaillibles de ce qui va suivre ! mais l'homme qui d'un brûlante vision d'un songe, non plus dans les fabuleuses descrip-
; signe a renversé de leur trône des despotes plus faibles que lui s'ar- tions des poètes ; mais je vois tes sommets neigeux dans leur sau-
1 rèle avant de lever le bras, et daigne encore accorder un moment Qui s'étonnera de ce que
j de répit. Bientôt ses légions balaieront tous les obstacles, et l'Occi- vage majesté s'élever vers le ciel natal.humble
| dent reconnaîtra lc fléau du monde. Pauvre Espagne 1 qu'il sera
I triste pour toi le jour où le vautour des Gaulesdéploiera ses ailes
j'ose chanter en ta présence? Lc plus
qui t'ont visité se plaît à solliciter tes échos du
des poètes pèlerins
bruit de ses accords,
quoique sur tes cimes aucune muse ne déploie aujourd'hui ses
I cl où tu voudras compter en vain tes fils précipités en foule au sé- ailes.
|jour des morts. LXI.
LUI.
Que de fois je t'ai vu dans mes rêves I car ignorer ton nom glo-
Ah! faut-il donc qu'ils tombent tous les plus jeunes, les plus rieux, c'est ignorer le plus divin privilège de l'homme; et mainte-
,
tiers, les plus braves, pour assouvir la fatale ambition d'un chef or-
i nant que lu es là devant mes yeux, c'est avec honte, hélas ! que je
gueilleux?N'y a-t-il pas de choix entre l'esclavage et la mort entre
;, t'offre l'hommage d'aussi faibles accents. En me rappelant tes anti-
le triomphe d'un brigand et la chute de l'Espagne ? La Providence
»
i que l'homme adore peut-elle consacrer un pareil arrêt, et rester ques adorateurs, je tremble et ne puis que plier le genou. Je n'ose
sourde aux plaintes des suppliants? L'héroïsme d'unevaleur déses- élever la voix, ni me livrer à un impuissant essor ; mais je te con-
. perée, la temple silencieusementsous ton dais de nuages : joyeux de penser
i sagesse des conseils , l'ardeur du patriote, l'habileté des qu'enfin il m'est donné de te voir.
À guerriers
consommés le feu de la jeunesse, l'intrépidité de l'âge
,
tout cela sera-t-il vain? D
|r mur : LXII.
LIV.
Plus heureux que tant d'illustres poètes enchaînés par le destin
Est-ce donc pour cela, ô vierge d'Ibérie, que tu t'es levée, sus- dans une lointaine patrie, pourrais-je contempler sans émotion ces
-
pendant aux branches des saules ta guitare muette? Est-ce pour sites consacrés, dont tant d'autres ambitionnent le spectacle, quoi-
cela qu'oubliant ton sexe, tu as épousé l'audace, chanté les qu'ils ne les connaissent pas? Bien qu'Apollon ne fréquente plus
v
^ l'ruyants hymnes de guerre et affronté la bataille? Celle qui s'ef- ses antres favoris, et que la résidence des muses soit maintenant leur
»'a\ail autrefois de l'apparence d'une rixe, et que le cri d'une tombeau on ne sait quels aimables génies fréquentent encore ces
j: ciiouelte glaçait de terreur, maintenant sans trembler voit le scin-
,
lieux, soupirantdans la bise, habitant le silence des grottes, et glis-
uiieinent des baïonnettes ennemies, brave les éclairs du sabre et sant d'un pied léger sur l'onde mélodieuse.
:,
ouïe du pas d'une Minerve l'arène sanglante où Mars lui-même ne
Ï;
""arche pas sans frémir. LXIII.
LV.
Bientôt, ô Parnasse, je dois revenir à toi ; maisau milieu de mes
:.
Vous qui vous étonnez en apprenant son histoire, oh ! si vous chants, je me suis écarté démon sujet pour te-payer mon tribut, et
; ia\iez connue dans de meilleursjours, si vous aviez vu ses yeux j'ai oublié un instant le sol, les enfants et les vierges de l'Espa-
38 LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

gne ; et ses destins qui doivent être chers à tout coeur libre : j'ai
tout oublié pour te saluer, non peut-être sans verser une larme. LXXI.
Maintenant, je reviens sur mes pas; mais que j'emporte de tes
saintes retraites une relique, un souvenir; laisse-moi cueillir une Tous les peuples ont leurs folies; mais telles ne sont pas les
feuille de l'arbre immortel de Daphné, et he permejs pas que l'es- ,.
tiennes, ô belle Cadix, qui le mires dans lc sombre azur des eaux!
poir de celui qui t'implore semble aux yeux des hommes une iiri> Aussitôt
. que la cloche matinale a sonné neuf coups, tes pieux habi-
puissante vanteriCi tants
.,' comptentles grains de leur rosaire; el la Vierge (la seule, je
LXIV. I qu'il ydeait danspéchés
dois, le pays) a fort à faire pour effacer d'un seul
qu'il y a de fidèles qui l'implorent. Cela
coup autant gros
Mais jamais, noble montagne)jamais dansla Grèce jeune encore,
tu n'as vu sous tes croUpés géantes un plus brillant choeur de nym-
lterminé, ils se rendent en foule au cirque où grands et vieux, riches
eet pauvres se montrent également avides du même spectacle.
plies; jamais Delphes, au temps où ses'prêtressesinspirées d'un feU
plus que mortel chantaientl'hymne pylhien, n'a contemplé un es- LXXII.
saim de vierges plusdignes d'inspirer des chant3 amoureux que ces
filles de l'Andalousie élevées dans la brûlante atmosphère des ten- La lice esl ouverte; la spacieuse arène est libre : des milliers de
dres désirs : ah ! que n'ont-elles sous leurs ombragés cette paix spectateurs l'entourent, entassés les uns sur les autres: longtemps
dont jouit encore la Grèce; quoique la gloire ait déserté ses forêts avant le premier signal de la trompette sonore, les curieux attardés
de lauriers. n'y
! trouvaient plus une seule place. On y voit foisonner les dons et
LXV. ' grandesseset surtout les dames à l'oeillade meurtrière, mais fort
les
disposées à guérir les blessures qu'elles -ont faites. Nul ne peut se
Séville peut être fière de sa beauté, de sa force, de ses richesses, plaindre,
I comme le font les poètes lunatiques, que leur froid dédain
de son renom dès les pluB anciens jours ; mais Cadix, sur son loin- l'ail
1 condamné à mourir des traits cruels de l'amour.
tain rivage, réclame un plus doux quoique moins glorieux éloge.
O vice! que tes voluptueux sentiers ont de charmes t Tant qu'un LXXIII.
jeune sang fermente dans nos veines, comment échapper à là puis-
sance de ton regard magique? Hydre à là tête de chérubin, tu nous Les murmures de l'assemblée ont cessé. Montés sur de nobles
fascinés sans cesse et ta forme décevante se plie à tous les goûts, coursiers,
( avec leurs blancs panaches, leurs éperons d'or et leurs
, lances
j légères, on voit quatre cavaliers, préparés à celle joule pé-
rilleuse, s'avancer dans le cirque eu s'inclinant devant les specta-
LXVI.
ils
teurs: portent riches écharpes, et leurs montures caracolent
de
Quand Paphos succomba sous les efforts du temps (vieillard aveegrâce. S'ils prétendent briller dans ces jeux redoutables, ce n'csl
maudit, la reine de tous les coeurs doit céder aussi devant toi), les quepour obtenir les bruyants applaudissements de la foule et l'aima-
ploisirs exilés cherchèrent un climat aussi doux, et Vénus; fidèle à ble sourire des dames: c'est là le seul prix de leurs exploits et ce-
ses mers natales, mais à nulle autre chose fidèle, daigna fixer son lui dont se paient également les monarques et les guerriers.
séjour sur les côtes d'ibérie. Cadix, ce fut dans les blanches mu-
railles qu'elle érigea son temple, sans toutefois circonscrire son LXXIV.
culte à un seul lieu, mais en adoptant mille autels toujours allumés
en son honneur. Revêtu d'un splendide costume et d'un manteau éclatant, mais
LXVIL toujours à pied, le léger matadorse place au centre de l'arène, pour
assaillir le roi des troupeaux mugissants; mais auparavant il par-
Du matin jusqu'à là nuit, de la nuit jusqu'à l'heure où l'au- Court toul le terrain d'un pas attentif, de peur que quelque obstacle
rore brusquement éveillée vient contempler en rougissant l'orgie caché ne vienne entraver son adresse. Son arme esl un simple dard ;
de la bande joyeuse, partout on entend les chansons, partout on il ne combat que de loin : c'est tout ce que l'homme peut faire sans
voit les guirlandesde roses; et d'aimables propos, et des folies tou- l'aide du coursier fidèle, trop souvent, hélas! condamnéà verser son
jours nouvelles se suivent sans intervalle. Qu il dise un long adieu sang pour lui.
a des plaisirs tranquilles celui qui séjourne dans ces murs : rien LXXV.
n'interrompt la bacchanale joyeuse; mais à défaut de véritable piété,
les moines brûlent de l'encens : l'amour et la dévotion régnent en- Le clairon a sonné trois fois : lc signal est jeté ; l'antre s'ouvre,
semble ou dominent tour-à-tour. et l'attente silencieuse règne dans les rangs pressés des spectateurs.
Le puissant animal s'élance d'un seul bond dans l'arène, promène
LXVI1I. autour de lui ses regards farouches, bat du pied l'arène sonore;
mais il s'élance pas aveuglémentsur l'ennemi. Son front mena-
Le septième jour est venu, jour d'un pieux repos : comment çant se ne tourne de côté et d'autre, comme pour bien mesurer sa pre-
f.'honore-t-on sur celte terre chrétienne ? Il est consacré à une fête mière attaque, cl il bat ses flancs de sa queue qu'agilela fureur: ses
solennelle. Ecoulez! n'entendez-vous point rugir le monarque des yeux
forêts ? 11 brise les lances ; ses naseaux aspirent lc sang des hom- rouges el dilatés roulent dans leurs orbites.
mes et des coursiers terrassés par ses cornes redoutables : l'arène LXXV1.
encombréede spectateursrépète ce cri : « Encore! encoreI » une
foule insensée se repaît du spectacle d'entrailles palpitantes Soudain il s'arrête: son oeil se fixe... Arrière1 jeune imprudent,
; les
yeux des femmes ne s'en détournent point, et ne feignent même arrière ! apprête ta lance ; voici le moment de périr ou de montrer
pas la tristesse. cet art par lequel il est encore temps d'arrêter la course furieuse du
LXIX. monstre. L'agile coursier pirouette au moment précis: le taureau
Est-ce donc là le jour du Seigneur, le jubilé de l'homme? poursuit sa course écumanl de fureur, mais non sans blessure: un
ruisseau de pourpre coule de son flanc. Il vole, il tourne sur lui-
O Londres, que tu connais bien mieux le joui- de la prière : tes cita- môme, aveuglé par la douleur. Le dard succède dard; la lance
dins endimanchéss tés artisans les mains propres, tes apprentis suit la lance: ses souffrances s'exhalent en longsau mugissements.
gaillards vont prehdre leur portion hebdomadaire d'air respirante ;
carrosses de louage , whiskeys , cabriolets à un cheval, modestes LXXV1I.
gigs, roulent dans lés tumultueux faubourgs, et se dirigent vers
Hâmpstead Brehlfôrd ou Harrow, jusqu'à ce que la pauvre rosse Il revient sUr ses pas: rien ne l'effraie, ni les lances, ni les dards,
s'arrête épuisée au milieu des quolibets jaloux de la foule pé- ni les bonds précipités des coursiers haletants. Que peuvent contre
>

destre. lui l'homme et ses armes' destructrices? Vaines sont ics armes de
LXX. l'homme; plus vaihè encore ekt sa force. Déjà un vaillant coursier
n'est plus qu'un cadavre défiguré; un autre ( hideux spectacle ! )
Quelques femmes enrubannées voguent en bateau sur la Tamjse; est tout éventré, et à travers son poitrail sanglant voit palpiter
d'autres préfèrent éômmè plus sûre la'route coUpéè de barrières : à nu les organes de la vie; quoique frappé à mort, on il traîne encore
une partie des promeneursgravit là colline de Ricliemond; d'autres ses membres affaiblis; chancelant, mais luttant encore, il dérobe
courent à Wàre, mais la plupart montent jusqu'à Highgate. Vous son maître au danger.
dirai-je pourquoi, ombrages de la Bèolie (1)? C'est pour adorer la LXXVIII.
corne sacrée qui, offerte par la main du mystère, reçoit les ser-
ments redoutables des garçons et des filles, serments consacrés par Enfin vaincu, sanglant, hors d'haleine, furieux, le monstre est
des libations et dés dàrtses'qui durent jusqu'au malin (2). aux abois. 11 se lient immobile au milieu de l'arène, entouré de ces
dards causes de ses blessures, des débris des lances qui l'ont frappé
(t) Byronécrivait ces stances à Thèbes en Béotie, où fut proposée la fa- et des ennemis qu'il a su mettre hors de combat. Maintenant les ma-
meuse énigme du Sphinx. tadores voltigent autour de lui, agitant leur mantille rouge et bran-
(2) Allusion à une coutume ridicule que l'on observait autrefois dans dissant lc fer mortel: une fois encore il s'élance à travers ses en-
lesâubergès de Highëâte: dn présentait aux voyageursunepaire de cornes
sur lesquelles ils prêtaient lé serment bouffon de ne jamais embrasser boire de petite bière quand ils auraient de la bière forte; et autres niai-
la servante quand ils pourraient embrasser la maîtresse ; de ne point series do même force.
3'.)
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON.

ncmis avec la rapidité de la foudre. Rage impuissante! une main 4.


perfide lance lc voile funeste qui couvre ses yeux enflammés ; tout
est fini ; H va tomber sur le sable. C'est cet ennui fatal qui jaillit pour moi de tout ce que je vois,
de tout ce que j'entends : là beauté a cessé de me plaire; tes yeux
LXXIX. même ont à peine un charme pour moi.
A l'endroit précis où son cou robuste se réunit aux vertèbres, e.
l'arme mortelle s'enfonce comme dans une gaîne. 11 s'arrête, il
frémit, dédaignant de reculer : il tombe lentement au milieu des C'est la tristesse sombre, incessante que l'Hébreu fratricide por-
au-delà
tait partout avec lui : tristesse qui n'ose jeter regard
cris de triomphe et meurt sans un gémissement, sans une convul- un
sion. Un char richement décoré se présente : on y place le corps de du lombeau et qui ne peut espérer de repos en deçà.
l'animal, spectacle bien doux aux yeux delà foule 1 Quatre cour- ,
6.
siers, qui dédaignentle frein, aussi agiles que bien dressés, traînent
ce pesant
fardeau et leur vitesse est telle que l'oeil a peine à les Qui peut s'exiler de lui-même? A travers les climats les plus éloi-
suivre. ,
gnés, toujours, toujours il me poursuit, ce fléau de ma vie, ce démon
LXXX. qu'on appelle la Pensée.
Tels sont les jeux impitoyables qui charment les vierges, les jeunes 7.
hommes de l'Espagne. Habitué de bonne heure à voir couler le Combien d'aulres semblent se livrer avec ravissementau plaisir
sang, leur coeur se complaît dans la vengeance, et jouit des souf- et trijuvep. des charmes dans tout ce que j'abandonne! Oh ! puissent-
frances d'autrui. Combien d'inimitiés privées troublent cl ensan- ils[continuer leurs rêves de bonheur, et ne jamais s'éveiller, du
glantentchaque village ! Tandis que tous devraient se réunir en une moins d'un semblable réveil.
patriotique phalange pour faire face à l'étranger, il n'en reste en- 8.
core que trop, hélas! dans leurs pauvres cabanes, occupés à aigui- Mon sort est d'errer à travers cent contrées, toujours poursuivi
ser en secret contre un ami le poignard qui fera couler son sang seule consolation esl de savoir qu'ar-
avec sa vie. i par un fatal souvenir ; et ma
terrible passé...
LXXXI. | rive ce qui voudra, le plus est
Mais la jalousie ne règne plus en Espagne; ses grilles, ses ver-
rous, la prudente duègne, sa sentinelle surannée, el tout ce qui ré- Le plus terrible! qu'est-ce donc? Ah! ne le demande pas; par
volte les âmes généreuses, toul ce luxe de précautions qu'un vieil- pitié né m'interroge plus : reprends ton sourire,et ne cherche pas
lard amoureux employait pour enchaîner la beauté , tout cela est
tombé dans les ténèbres de l'oubli avec le siècle qui vient de finir. a pénétrer un coeur... dans lequel tu trouveraisl'enfer.
Avant que le volcan de la guerre eût vomi ses fureurs, qu'y aVait-il LXXXV.
de plus libre au monde que la jeune Espagnole, alors que, livrant
aux zéphyrs les longues tresses de sa-chevclure, elle bondissait sur Adieu, belle Cadix! oui, adieu pour longtemps! Qui peut oublier
la verte pelouse, et que la reine des nuits souriait à ses danses cl à la vigoureuse résistance de tes remparts? Quand tous trahissaient
ses amours ? leur foi, loi seule restas fidèle : tu fus la première affranchie el sub-
LXXX1I. juguée la dernière; et si au milieu d'aussi terribles scènes , d'atla-
ques aussi rudes, quelques goultes du sang espagnol ont rougi le
Obi souvent cl bien souvent Ilarold avait aimé ou rêvé qu'il ai- pavé de les rues, ce fut celui d'un seul traître (I), victime d'une
mail, puisqu'on effet le bonheur n'est(qu'un rêve ; mais maintenant
rixe qu'il avait causée. Dans ton enceinte toul se montra noble,
son coeur capricieux élait insensible, car il n'avait pas encore bu sauf la noblesse elle-même ; personne ne baisa les chaînes impo-
au fleuve de l'oubli, el il savait depuis peu seulement que l'amour sées par le vainqueur, si ce n'est une noblesse dégénérée.
n'a rien de si doux que ses ailes. Quelque beau, jeune et charmant
qu'il paraisse, au fond même de ses jouissances les plus délicieuses LXXXV1.
on trouve une amertume qui en corrompt la source, un poison qui
se répand sur leurs fleurs. Tels sonl les enfants do l'Espagne, et que leur sort, hélas! est
LXXXIH. lnzarrc! Ils combattent pour la liberté, eux qui ne furent jamais
libres ; un peuple sans roi soutient une monarchie décrépite ; quand
Cependant il n'était point insensible aux charmes de la beauté ; les suzerains ont fui, leurs vassaux lultcnt encore, fidèles à la tra-
mais il en recevait l'impression qu'en reçoit lc sage. Ce n'est pas hison incarnée. C'est qu'ils chérissent celle terre qui ne leur a rien
que la sagesse eûl jamais jeté sur une ânie telle que la sienne ses donné que la vie ; c'est qu'un juste orgueil leur montre le chemin
chastes et imposants regards : mais ou la passion prend la fuite, ou do la liberté. Repousses, i|s attaquent encore : « La guerre! » s'é-
elle se consume et arrive au repos ; el le vice, qui se creuse à lui- crient-ils sans cesse; « la guerre môme aux couteaux! »
même une tombe voluptueuse, avait déjà enseveli et pour jamais
lotîtes les espérances de Ilarold. Triste victime des plaisirs, une LXXXV1I.
sombre haine de la vie avait écrit sur son front flétri la fatale sen-
tence de Caïn. Vous qui désirez en apprendre davantage sur l'Espagne et ses
LXXX1V. habitants, lisez les pagesque l'on a écrites sur les luttesles plus san-
glantes. Tout ce que la vengeance la plus implacable peut inspirer
Speclaleur insensible, il ne se mêlait point dans la foule; mais contre un usurpateur étranger a élé mis en oeuvre contre lesl'Espa-
Fran-
il ne la regardait pas avec la haine du misanthrope. 11 eût voulu çais ; depuis le brillant cimeterre jusqu'au couteau caché,
prendre part à la danse et aux chanls ; mais comment' sourire gnol s'est fait une arme de tout : puisse-t-il sauver ainsi sa soeur et
quand on se seul plier sous son destin? Rien de ce qui s'offrait à sa compagne! puisse-t-il verser le sang du dernier agresseur!
châtiment
ses yeux ne pouvait adoucir sa tristesse. Un jour pourtant il essaya puisse partout une pareille invasion recevoir un aussi
de lutter contre le démon qui le tuait, et se trouvant assis lout rê- terrible !
veur dans le boudoir d'une jeune beauté, il fit entendre ce chant LXXXVllf.
improvisé adressé à des charmes non moins aimables que ceux qui
l'avaient captivé dans des jours plus heureux. Seriez-vous tenté d'accorder une larme de pitié à ceux qui suc-
combent ? voyez dans ces plaines désolées les traces de leurs rava-
A INÈS. ges! voyez leurs mains rougies du sang des femmes! Alors vous
abandonnerez aux chiens leurs cadavres privés de sépulture ; alors
1. vous laisserez aux vautours ces restes que l'oiseau de proie dédai-
Ne souris pointa mon front soucieux, hélas! je ne puis te rendre
gnera peut-être. Il faut que leurs ossements blanchis, et ces traces
de bataille
de sang que rien ne pourra effacer , marquent le champ
ton sourire. Fasse pourtant le ciel que tu n'aies jamais de larmes à d'un signe hideux et durable, et fassent comprendre à nos neveux
répandre, à répandre peut-être en vain. l'horreur des scènes dont nous avons eu le spectacle.
LXXX1X.
Veux-tu donc savoir quel malheur secret empoisonne mes joies et Mais, hélasl l'oeuvre terrible n'est point achevée! De nouvelles
ma jeunesse? Pourquoi chercher à connaître une douleur que toi- légions descendent des Pyrénées : l'avenir s'obscurcitencore ; l'oeu-
même lu ne pourrais adoucir ? entamée, et nul oeil mortel n'en saurait voir
3- vre terrible esl à peine
la fin. Les nations subjuguées ont les yeux fixés sur l'Espagne : si
Ce n'est pas l'amour, ce n'est pas la haine, ce ne sonl pas les elle devient libre, elle affranchira plus de pays que le cruel Pizarre
honneurs perdus d'une vaine ambition, qui me font maudire mon
sort présent, et fuir tout ce qui m'était cher. j (1) Le gouverneurSolano, assassiné en mai 1809 par la populace.
40 LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

n'en a enchaîné jadis. Etrange retour des choses! maintenant le temple, et il y esl encore malgré les ravages de la guerre, de l'in-
bonheur de la Colombierépare les maux qu'ont souffertsles enfants cendie et du temps qui a fait disparaître ton culte. Mais l'acier et la
de Quito, tandis que la dévastation et le carnage planent sur la flamme et lc lent travail des siècles sont moins destructeurs que le
mère-patrie. sceptre redoulable et le règne funeste de ces hommes étrangers à
XG. ce feu sacré qu'allume dans les âmes civilisées ton seul souvenir, le
souvenir de tes enfants chéris.
Ni tout le sang versé à Talavera, ni tous les prodiges de valeur
accomplisà Barossa, ni Albuera enfin, ce charnier humain n'ont II.
,
pu assurer à l'Espagnela conquête des droits les plus sacrés. Quand
donc vcrra-t-elle 1 olivier refleurir dans ses plaines? Quand donc Fille des âgesl auguste AthèneB! où sont-ils tes hommes forts?
Sourra-t-elle respirer de ses sanglants labeurs ? Combien de jours où sont tes grandes âmes? Ils ne sont plus : ils n'apparaissent que
'alarmes doivent encore s'effacer dans la nuit, avant que le ravis- comme une lueur dans les rêves du passé : les premiers dans la
seur abandonne sa proie, et que l'arbre exotique de la liberté s'ac- carrière de la gloire, ils ont conquis la palme et ils ont disparu...
climate sur ce sol qui l'a- Est-ce la tout 7 servir de
dopte. thème à l'écolier, nous
XCI. étonner pendantune heu-
Et toi, ô mon ami (1)1... re I Ici l'on cherche vai-
nement le glaive du guer-
puisque ma douleur inu- rier , la robe du philoso-
tile s'échappe de mon phe : sur les ruinesde tes
coeur maigre moi, et se tours, noircies par la bru-
mêle à mes chants : si du me des siècles, on voit pas-
moins le fer t'avaitabattu serl'ombrepâledeta gran-
comme il abat les héros, deur.
l'orgueil pourrait arrêter m.
les pleurs de l'amitié;
mais descendre ainsidans Fils d'un matin, lève-
la mort, sans exploits, toi I approche, viens ici ;
sans lauriers, oublié de mais n'outrage pas cette
tous, hormis ce coeur so- urne sans défense; con-
litaire, et mêler ton ca- temple ces lieux... sépul-
davre sans blessure avec cre d'une nation, séjour
tous ces morts célèbres; de ces dieux dont les au-
tandis que la gloire cou- tels sont éteints. Ces dieux
ronne tant de tètes moins eux-mêmes sont forcés de
dignes! Qu'as-tu fait pour céder ; chaque religion a
n'obtenir qu'un trépas si son tour : hier Jupiter, au-
paisible? jourd'hui Mahomet ; et
XCH.
d'autres croyances naî-
Iron t avec d'aulressiècles,
O le plus ancien de jusqu'à ce que l'homme ait
mes amis et lc plus esti- compris qu en vainsonen-
mé I cher à un coeur qui cens s'élève, en vain ses
avait perdu tant d'atta- victimes expirent; faible
chements bien qu'à ja- enfant du doute et de la
mais ravi ,à mes jours in- mort, dont l'espérance
consolés, ne refuse pas ta s'appuie sur un roseau.
présence à mes rêves. Lc
malin, en m'évcillant au IV.
sentiment de mes dou- Lié à la terre, il lève ses
leurs, renouvellera mes
larmes secrètes; et mon yeux vers le ciel. N'est-ce
imagination se plaira au- donc pas assez, malheu-
tour de ta tombe inno- reuse créature, de savoir
cente, jusqu'au jour où ce que tu es ? La vie esl-
cllc un don si précieux,
ma frêle dépouille retour- que tu veuilles exister en-
nant à la poussière, l'ami core au-delà du tombeau,
qui n'est plus et celui qui et aller dans des régions
pleure reposerontensem- inconnues, peu t'importe
ble. où, pourvu que tu quittes
XC1II. la terre pour te perdre
Voici le premier chant dans les cicux ? Ne cesse-
du pèlerinage d'Harold. A chaque détour dans les Morénas sombres, les hauteurs sont armées ras-tu de rêver des félici-
Vous qui voulez le suivre d'une batterie meurtrière. tés ou des joies à venir ?
plus loin, vous trouverez Examine et pèse cette
de ses nouvelles dans poussière avant qu'elle
d'autres pages, si celui s'envole : cette urne étroi-
qui compose ces rimes te en dit plus que des mil-
peut encore en griffonner quelques-unes. En serait-ce déjà trop?... liei s d'homélies.
Critique impitoyable, tais-toiI... Patience 1 et l'on apprendra ce v.
que vit notre pèlerin dans d'autres contrées où sa destinée le pous- Ou bien fouille sur le rivage solitaire ce tertre élevé où dort un
sait : contrées où s'élevaient les monuments de l'antiquité, avant ancien héros. 11 tomba, et les nations qui sentaient tomber
que la Grèce et les arts des Grecs eussent succombé sous la main lui vinrent gémir autour de son mausolée.seMais maintenantdeavec ces
des barbares. milliers d'hommes attristés, il n'en reste plus un seul qui le pleure;
nul gueirier fidèle à sa mémoire ne vient veiller dans ce lieu où,
d'après la tradition les demi-dieux apparaissaientaux mortels. Au
CHANT IL milieu de ces débris ,enars, ramasse ce crâne: est-ce donc làle temple
que peut habiter un dieu? Le ver même du tombeau finit par dédai-
I. gner sa cellule en ruines.
VI.
Descends, ô Sagesse, viergecéleste aux yeux bleus... mais, hélas!
tu n'inspiras jamais les chants d'un mortel. Minerve I ici était ton déserts Vois cette arcade rompue, ces parois en ruine, ces appartements
et ces portiques défigurés : ce fut jadis le haut séjour de
(1) John Wingfield, lié avec Byron depuis dix ans, et mort de la fièvre l'ambition, le dôme de la pensée, le palais de l'âme. A travers ces
à Coïmbrc orbites éteintes, aveuglées, tu vois le brillant asile de la sagesse, de
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON. il
l'esprit, de mille passions intraitables : tout ce qu'ont jamais écrit les derniers restes de son antique pouvoir, quel fut lc dernier et le
les saints, les sages ou les sophistes, pourrait-il repeupler celte tour plus odieux? Rougis, ô Calédonie! d'avoir engendré un tel fils. Je
abandonnée, restaurer ce domaine? suis heureux, ô noble Angleterre! que cet homme ne t'appar-
tienne pas. Tes libres citoyens devraient épargner ce qui fut libre
VIL jadis ; et pourtant on les voit violer les sanctuaires attristés, et em-
porter les autels sur l'Océan qui semble ne les recevoir qu'à regret.
Tu disais vrai, ôle plus sage des Athéniens : «Tout ce que nous
savons, c'est que nous ne pouvons rien savoir. » Pourquoi reculer XII.
devant l'inévitable? Chacun a ses souffrances, mais les faibles gé-
missent sur des maux imaginaires enfantés par les rêves de leur Ignoble sujet de triomphe pour le modernePicte, que d'avoir
cerveau. Cherchons ce que le hasard, le destin nous indique comme ravi ce qu'ont épargné le Turc et le Goth et le temps lui-même : il
le premier des biens ; la paix nous attend sur les rives de fAchéron : doit avoir l'âme aussi stérile et aussi froide, le coeur aussi dur que
\h te i<nnvivi> rAKKnsié n'pj«i «oint forcéde coûter à de nouveaux ban- les rochers de son rivage natal, l'homme qui a pu concevoir et exé-
quets ; le silence dresse la cuter 1 odieux dessein de
couche d'un repos qu'on lépouiller la malheureuse
ne regrette jamais. Athènes. Ses habiiants,
trop faibles pour défendre
VIII. ses ruines sacrées , ont
Si pourtant, comme pourtant compris les dou-
leurs de la patrie, et dans
: l'ont pensé les hommes
les plus vertueux, il existe ce moment ils ont senti
plus cruellement que ja-
par-delà le noir rivage un mais le poids de leurs
royaume des âmes, sujet chaînes.
de confusion pour la doc-
trine sadducéenne, et XIII.
pour ces sophistes qui
s'enorgueillissent folle- Eh quoi! un Anglais
ment de leurs doutes ; osera - t - il jamais dire
qu'il serait doux d'y ado- qu'Albion fut heureuse
rer la source de l'être, de des larmes d'Athènes ?
1 concert avec ceux qui ont Quoique ce soit en Ion
•i allégé nos labeurs mor- nom que des esclaves ont
| tels f d'y entendre de nou- déchiré son sein, crains
I veau toutes ces voix que de dévoiler un attentat
' nous redoutionsde ne plus qui ferait rougir l'Europe.
;S en tendre! de contempler Eh quoi! la reine de l'O-
par la vue même céan, la libre Bretagne
\ comme
1
ces ombres révérées, le se charge des dernières
i sage de la Bactriane le dépouilles d'un pays dé-
I philosophe de Sumos, et , vasté I Oui, celle qui prête
jj lous ceux qui ont ensei- un appui généreux à tant
,j gné la vertu. de peuples qui bénissent
i ix.
son nom arrache d'une
main de harpie ces restes
f C'est là que je te rever- malheureux que le temps
' rai, loi dont l'amitié et la a respeelés, et que les ty-
J vie s'éteignirent en mê- rans ont laissés debout.
lemps (1), cl qui m'as
i; nie
laissé ici-bas pour aimer XIV.
;J cl vivre
sans but. O frère Où élait donc ton égide,
l jumeau de mon coeur, je ô Pallas ; cette égide qui
ne puis croire à ta mort, sut arrêter le faroucheAia-
|
ii
quand l'active mémoire te ric et la dévastation qu'il
peint en traits de feu dans traînait avec lui ? Où élait
i, mon cerveau. Soit : je rè- lc fils de Pelée que l'enfer
; verai que nous pouvons ne put retenirdans ce jour
nous réunir encore, et je fatal de l'invasion des
:i caresserai cette vision Goths, et dont l'ombrepa-
:! dans mon sein que tu as rtit à la lumière, armée de
: laissé vide. S'il survit en
nous quelquechosede nos
sa lance redoutable? Quoi
donc ! Pluton ne pouvait-
I jeunes souvenirs, que l'a- il encore une fois laisser
I venir soit ce qu'il pour- Attique. — Vue prise de l'Hymette. le héros en liberté pour
I ra...ceseraitassezdebon- arracher sa proie à un au-
heur pour moi que de sa-
i' tre spoliateur ? Hélas I
1 voir ton âme heureuse. Achilleoisifcontinuad'er-
rer sur les bords du Slyx
A. et ne vint plus sauver la cité de Minerve
J'aime à m'asseoir sur celte pierre massive, base encore, stable d'une
colonne de marbre; fils de Saturne, ici était la résidence favorite xv. • ;
la plus splendide parmi tant de splendides demeures : d'ici je-cher-, O belle Grèce bien froid est le coeur de l'homme qui en te con-
che à retrouver les vestiges qui indiquent la grandeur de ton sanc- templant ne sent point
,
ce qu'éprouve un amant penché sur la pous-
tuaire : vaine tentative 1 l'oeil même de l'imagination ne peut res- sière de celle qu'il aimait ; insensibles sont les yeux qui peuvent
susciter ce que les efforts du temps ont détruit. Ces orgueilleuses voir sans larmes tes murs dégradés, les restes de tes temples enle-
colonnes méritent certes plus qu un souvenir fugitif, et pourtant vés par des mains anglaises quand leur devoir eût été plutôt de pro-
auprès d'elles le musulman s'assied impassible, et le Grec frivole téger ces ruines immortelles. Maudite soit l'heure où ces misérables
passe en chantant. quittèrent leur île pour déchirer de nouveau ton sein meurtri, et
XI. entraîner tes dieux frissonnantsvers des climats glacés qui leur
Mais de tous les spoliateurs de ce temple qui domine sur la hau- font horreur!
teur où Pallas avait prolongé son séjour, ne quittant qu'à regret XVI.
,
Mais où donc est Harold? Ai-je oublié de suivre sur les vagues ce
(1) Lc jeune Eddlestone,l'ami de Byron à Harrow. Voyez les Heuresde sombre voyageur? Il partit de l'Espagne sans songer à rien de tout ce
loisir. que les autres hommes regrettent; aucune amante ne vint étaler
tô LÉS VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

devant lui une douleur de commande ; aucun ami ne tendit la main tous nos plans d'espérance et d'orgueil, el nous revolons malgré
pour dire adieu à ce froid étranger qui allait chercher d'autres cli- nous vers les années que nousavons laissées en arrière. Il n'est point
mats. Il est dur le coeur que les charmes de la beauté ne peuvent d'âme assez abandonnée où un être aimé, plus aimé qu'elle ne
retenir; mais Ilarold n'éprouvait plus ce qu'il eût éprouvé jadis : il s'aime elle-même, n'occupe ou n'ait occupé la pensée, et ne vienne
quitta sans un soupir ce théâtre de carnage et de crimes. lui demander l'hommage d'une larme; éclair de douleur dont
notre coeur attristé voudrait, mais en vain, éviter l'éblouisscment
XVII. fatal.
XXV.
Quiconque a vogué sur les mers bleuâtres y a contemplé sans
doute et plusieurs fois un magnifique spectacle : la plus belle, la S'asseoir au sommet des rocs, rêver sur les flols ou au bord des
plus fraîche des brises arrondit la blanchevoile, et la vaillante fré- abîmes, s'égarer à pas lents sous l'ombrage des forêts, rechercher
gate prend son essor : à la droite du navigateur, les mâts, les clo- lès êtres sur lesquels ne s'étend pas la domination de l'homme, les
chers, le rivage, s'éloignent; à gauche, l'Océan se déploie dans sa lieux où le pied d'un mortel a rarement ou n'a jamais iaissé sa
majestueuse splendeur : les navires du convoi se dispersent comme trace; gravirinaperçule mont inaccessible avec ces troupeauxsau-
une troupe de cygnes sauvages ; et le plus mauvais voilier marche vages qui n'ont pas*besoin de bercail ; seul s'incliner au-dessus des
avec agilité, tant les vagues se brisent doucement autour de chaque précipices et des cataractes écumantes : ce n'est pas encore là vivre
proue. dans la solitude ; ce n'est que converser avec la nature, l'appeler
XVIII. à dérouler devant nous toutes ses magnificences.
Et voyez dans chaquenavire tout un appareil militaire : le bronze XXYI.
poli des canons, lé filet tendu sur le tillac, la voix rauque du com-
mandement,le bourdonnementde la manoeuvre quand, sur un or- Mais parmi la foule, lc bruit et le contact des hommes, entendre,
dre du chef, les matelots montent garnir les agrès les plus élevés voir, sentir et posséder; et cependant errer çà et |à, citoyen fatigué
du Vaisseau. Ecoulez l'appel du contre-maître, lc cri joyeux par du monde ; et n'avoir personne à chérir, personne qui nous ché-
lesquels les marins s'excitent entre eux pendant que les cordages risse; n'être entouré que de ces courtisans de la fortune qui fuient
glissent entre leurs mains. Voyez le midschipman imberbe qui à l'aspect du malheur ; et au milieu de tant d'êtres qui nous flattent,
grossit sa voix d'enfant pour approuver ou blâmer ; écolier qui déjà nous adulent, nous harcellent, n'eu trouver pas un seul qui ait pour
sait diriger l'équipage docile. nous une affection intime, el qui, si nous n'étions plus, cesse au
XIX. moins de sourire : oh ! c'est là être seul ; voilà la véritable solitude.
Sur le tillac, propre et poli comme un cristal, le lieutenant de XXVII.
quart se promène avec gravité. Un espace demeure comme un do- Plus jieureijx est le pieux ermite que le voyageur rencontre dans
maine sacré où le seul capitaine s'avance majestueusement : silen-
cieux et craint de lous, il n'adresse que bien rarement la parole à les déserts de rAthos{' rayant le soir sur les sommets gigantesques
djB la montaghe d'où |1 contemple une mer si bleue et des cieux si
ses subalternes s'il veut conserver intacte celle subordination sé- piirs. Celui qui à pareille heure vient errer dans ces lieux consacrés,
vère, sans laquelle on ne peut conquérir ni triomphe ni gloire : reste longtemps pensif, ci s'arrache lentement à ce spectacle ma-
mais les Anglais se soumettent aux lois les plus dures quand elles
ont pour objet d'ajouter à leur force. gique; puis il soupire, il regrette que son sort ne soil point celui
de l'anachorètede la montagne,et il part enfin abhorrant davantage
XX. un monde qu'il avait presque publié.
Soufflez, soufflez rapidement, ô brises propices, jusqu'à l'heure XXVIII.
où lc soleil agrandi sera près d'éteindre ses feux ; alors le navire qui
porte le pavillon amiral devra diminuer ses voiles pour que les bâ- Passons sous silence la longue route monotone el si souvent sil-
timenls paresseux puissent le rejoindre.Ah ! retard maudit, cruelles lonnée sur laquelle nous ne laissons aucune trace; ne décrivons ni
heures d'oisiveté! Gaspiller pour d'indolentes chaloupes une si le calme ni la brise ; ni les changements d'air, ni lc vaisseau qui
belle brise ! que de lieues on aurait pu faire d'ici à la pointe du louvoie, ni les caprices bien connus des éléments ; laissons de côté
les jouissances et les peines des marins confinés par les flols dans
jour) mais nous restons inactifs à contempler la mer paisible, el la
voile abaissée bat le long du mât : et cela pour attendre des soli- leur citadelle ailée, le temps bon ou mauvais, favorable ou conirairc
scion que la brisp et les vagues s'élèvent ou tombent : jusqu'à ce
veaux sans vie. malin joyeux où lout-à-coup ; « Holà! terre ! » s'écrie-t-on ; cl toul
XXI.
est bien.
La lune s'est levée : par le ciel, voilà une belle nu|t. De longs XXIX.
sillons de lumière s'étendent au loin sur les vagues bondissantes :
voici l'heure où, sur le rivage, les jeunes hommes soupirent, où les Mais n'oublions pas do parler de (es îles, 0 Calypso! groupées
vierges ajoutent foi à leurs serments : puisse l'amour nous sourire comme des soeurs au milieu de l'Océan : là une rade sourit encore
aussi quand nous aurons regagné la lerre! Cependantl'archet d'un aux malclols fatigués, quoique la belle déesse ail cessé depuis long-
Arion barbare éveille la sauvage harmonie si chère aux matelots; temps d'y pleurer un infidèle et d'altendic en vain du haut de ses
rochers celui qui a pu lui préférer une mortelle. C'est ici que l'elils
un cercle d'auditeurssatisfaits se forme autour de lui, ou bien les d'Ulysse but l'onde amêrc, précipité dans les flots par le sévère Men-
marins dansent gaîmenl en suivant la mesure d*un air connu,
aussi gais et insouciants que s'ils étaient encore en liberté sur le tor : double perte à déplorer pour la reine des nymphes.
rivage.
XXII. XXX.
Ilarold aperçoit les rochers de la côte à travers le détroit de Son règne est fini; sa douce puissance n'est plus : cependant ne
Calpé : là l'Europe et l'Afrique se regardent. La contrée des vierges t'y fie pas, jeune imprudent ; prends garde! une reine mortelle a
placé ici lc siège de son dangereux empire : crains d'y trouver une
aux yeux noirs et celle du Maure basané sont également éclairées nouvelle Calypso. Aimable Florence ( l ), si ce coeur inconstant et
par les rayons delà pâle Hécate. Comme ces rayons se jouent dou- vide d'affection pouvait se donner encore, il serait à loi ; mais, vic-
cement sur les côtes de l'Espagne! aux faibles clartés de son dis- time de lous les liens que j'ai formés, je n'oserais offrir à Ion au-
que décroissant, comme on distingue nettement le rocher, la colline, tel un indigne encens, ni demander qu'une âme aussi pure souffre
la forêt sombre; tandis qu'en face les sombres et gigantesques
montagnes de la Mauritanie projettent leurs ombres noires depuis pour moi.
leur sommet jusqu'à la côte! XXXI.
.
XXIII. Ainsi pensait Ilarold en contemplant les yeux brillants de celle
belle : l'éclat de ce regard ne lui inspira d'autre pensée qu'une in-
Il est nuit : c'est l'heure où la méditation nous rappelle que nous nocente admiration. L'amour se tint à l'écart sans s'éloigner beau-
avons autrefois aimé, quoique noire amour soit fini. Le coeur, por- coup : car il savait que le coeur d'Harold avait été souvent conquis
tant le deuil de ses affections trompées, quoique sans ami mainte- el perdu, mais il ne trouvait plus en lui son fervent adorateur. Le
nant, aime à rêver qu'il eut un ami. Qui courbe volontairement la dieu enfant renonça pour jamais à lui inspirer de nouvelles flam-
tête sous le fardeau des années, alors qu'en lui la jeunesse survil à mes j quand il le "vit résister à celte dernière attaque et il comprit
ses jeunes amours elà ses joies? Hélas ! quand deux âmes unies ont ou- qu'il avait perdu pour jamais son ancien empire.
blié leur tendresse, la mort n'y trouve plus que peu de chose à dé-
truire. O bonheur de nos jeunes années! qui ne voudrait pas rede- XXXH.
venir enfant 1
XXIV. Quelle ne dut pas être ta surprise, ô belle Florence, en voyant
Ainsi penchés sur le bord du navire lavé par les flols, contem- (1) Voyez dans les poésies diverses les deux pièces adressées à cette
plant-l'orbe de Diane qui se reflète dans les vagues, nous oublions dame : « A Florence, » et « l'Orage. »
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON. 43

u n homme prêtà soupirer, disail-on, pour lous les objets qu'il rencon-
trait, soutenir impassible l'éclatde tes regards où tous les autres hom- XL.
mes lisaient ou faisaient semblantdelalire leur espoir, leur arrêt, leur Ce fut par un beau soif d'un automne de Grèce que Childe-Harold
châtiment, leur loi; hommage que beauté exige de ses esclaves. SâlUà de loin le cap LeUcade, qu'il brûlait de voir et qu'il rtc quitta
Comment un adolescent qui semblait encore aussi novice pouvail-il qu'à regret: Souvent il parcourut les théâtres d'anciennes batailles:
ne pas éprouver, ne pas feindre au moins ces ardeurs si souvent dé- Actium, Lépanle et le fatal Trâfalgar ; il les vit sans émotion ; car,
crites, que les femmes peuvent repousser, mais qui excitentbien ra- né sans doute sous un astre peu héroïque, il ne Se plaisaitpoint aux
rement leur courroux. récits de sanglants tumultes ou de nobles combats ; il méprisait le
XXXIII. métier d'égorgeur mercenaire et riait dés guerrières rodomontades.
Elléignorait que ce coeur qui lui semblait de marbre, se faisant un
masque du silence ou retranché dans son orgueil, n'était pas inha- XLI.
bile dans l'art de la séduction ; qu'il savait tendre de loin ses piè- Mais quand il vit l'étoile du soir briller au dessus du triste pro-
ges voluptueuxel que s'il avait renoncé à de coupablespoursuites, montoire de Leucàde, quand il salua ce dernier recours d'une pas-
c'est seulement lorsqu'il n'avait plus rien trouvé qui fût digne de sion sans espoir, il sentit ou crut sentir un ébranlement inconnu : et
ses attaques. Mais Ilarold dédaigne aujourd'hui de tels triomphes , comme le majestueuxnavire glissait lentement sous l'ombre du mont
et quand même ces beaux yeux bleus auraient touché son âme, il antique, il se mit à contemplerle mouvementmélancoliquedes flols ;
ne se joindrait pas à la foule de leurs adorateurs. et bien que plongédans sa rêverie habituelle, son regard paraissait
plus calme, son front pâle était plus uni.
XXXIV.
11 connaît bien peu, je crois, le coeur de la femme, celui qui s'i- XLII.
magine que des soupirs peuvent conquérir cet être inconstant. Que L'Orient blanchit : pu voit surgir les collines de la rude Albanie
lui importent des coeurs alors qu'elle est certaine de les posséder?
Rendez aux beaux yeux de votre idole l'hommage qu'ils réclament : el les rochers sombres de Souii. Le sommet du Pinde s'élève au loin
mais ne soyez point trop humble, ou elle vous méprisera ainsi que dans les terres, à demi enveloppé d'un voile de brouillards, sillonne
votre aveu , de quelques brillantes métaphores que vous l'ayez de ruisseaux blancs CQmme la neige cl couronné de larges bandes
revêtu. Dissimulez même votre tendresse, si vous êtes sage ; une d'un pourpre obscur. A mesure que les brouillards se dissipent, on
confiance hardie est encore ce qui réussit le mieux auprès de la aperçoit sur les pentes les demeuresdes habitants des montagnes :
femme : sachez exciter tour-à-lour et calmer son dépil, et bientôt c'est "là que rôde (e loup, que l'aigle aiguise son bec, que vivent des
elle couronnera tous vos voeux. oiseaux de proie, des bêles sauvages et des hommes plus sauvages en-
core : là se forment sourdement ces tempêtes qui troublent la der-
XXXV. nière saison de l'année.
XLHI.
Vérité bien ancienne, démontrée par le temps et déplorée surtout
de ceux qui en sont le mieux convaincus : quand on a obtenu ce Sur ce rivage, Ilarold se sentit enfin seul et dit un long adieu aux
que tous désirent obtenir, lc triomphe vaut à peine ce qu'il a coûté. langages des chrétiens : il se voyait enfin dans un pays inconnu que
La perte de la jeunesse, la dégradation de l'âme, la ruine de l'hou- lous admirent et que beaucoup craignent de visiter : son coeur était
neur, voilà les fruits de la passion satisfaite. Et si par un cruel armé contre le destin ; il avait peu de besoins; il ne cherchait pas
bienfait, nos espérances sont flétries de bonne heure, la blessure les dangers, mais il n'était pas disposé à les fuir. Un spectacle sau-
s'envenime et le coeur n'en guérit pas, bien qu'il n'ait plus d'amour vage, niais toujours nouvoau ! que fallait-il de plus pour adoucir les
et ne songe plus à plaire. fatigues incessantesde la route, pour faire oublier et le souffle glacial
XXXVL de l'hiver et les chaleurs dévorantes de l'été?
En avant! pourquoi ces digressions frivoles au milieu do nos XL1V.
chants? N'avons-nouspas encore plus d'un rivage pittoresque à cô-
toyer? Guidés, non par l'imagination, mais par la mélan coliepensive, Ici la croix, car on l'y rencontre encore , quoiqu'on butte aux
nous parcourrons des contrées belles au-delà de lout ce que la pen- cruels outrages des circoncis, la croix a dépouillé cet orgueil si cher
sée humaine peut inventer dans ses étroites conceptions,au-dcla dç à un clergé opulotit : le pasteur et ses ouailles sont confondusdans
toutes ces nouvelles utopies qui enseignent à l'homme ce qu'il un même abaissement. Impure superstition, sous quelque apparence
pourrait, ou devrait être, si celte créature corrompuepouvait jamais que tu te déguises, idole, saint, vierge, prophète,croissant ou croix,
profiter d'un pareil enseignement. quelque symbole que tu adoptes, bénéfice pour le sacerdoce, perle
pour l'humanité, qui pourra séparer de ton alliage immonde l'or pur
XXXVII. de la vraie piété?
XLV.
La nature esl encore la plus tendre les mères ; quoique toujours
changeant, son aspect n'en est pas moins doux. Puissc-jc m'abrenver Voilà le golfe d'Ambracie où jadis uii monde fut perdu pour une
toujours à sa mamelle nue, enfant qu'elle n'a jamais sevré, bien
.femme, être charmant
et inoffensif. Ce fut dans celte baie tranquille
qu'elle ne m'ait point prodigué ses caresses. Oh ! qu'elle est belle que les chefs romainset les monarques de l'Asie amenèrent leurs ar-
surtout dans son aspect le plus sauvage, et lorsque l'art n'a point mées navales pour un triomphe douteux et un carnage certain. Là-
encore défiguré ses traits. Là nuit et le jour, elle m'a toujours souri, bas se sont élevés les trophées du second des Césars, maintenant
cl pourtant je l'ai observée de plus près que personne, je l'ai scrutée flèlris comme les mains qui les érigèrent. Anarchistes couronnés,
de plus en plus intimement, et c'est dans ses rigueurs que je l'ai vous multipliez les maux de l'humanité! non certes, Dieu n'a pas
chérie davantage. fait lé globe pour qu'il fût conquis ou perdu par de tels tyrans.
XXXVIII.
XLVI.
Terre d'Albanie I patrie de cet Iskander (1) dont l'histoire charme
la jeunesse et instruit le sage, patrie aussi de cet autre héros du Depuis les sombres barrières de cette contrée sauvage jusqu'au
même nom (2) dont les exploits chevaleresques firent reculer tant de centre même des vallées illyriennes,Ilarold franchit plus d'un mont
fois les musulmans consternés : lerre d'Albanie! permets-moide te escarpé, traversa mainte contréeà peine mentionnéedans l'histoire:
contempler, rude nourrice de farouches héros! La croix disparaît; et pourlantrAllique sirenommée offre peu de vallées aussi délicieuses;
les minarets s'élèvent ; el le pâle croissant brille dans la Vallée, au on y retrouve fous les charmes dont s'enorgueillitla belle Tempe ;
milieu des bois de cyprès qui entourent chaque ville, le Parnasse lui-même,la montagne sainte et classique, ne peut rU
yaliscr avec quelques-unsdes sites que recèlent ces sombres pôles.
XXXIX.
Ilarold vogue toujours; il a dépassé l'île stérile où là triste Pé- XLVII.
nélope ne cessait de contempler les vagues; il aperçoit de loin le Il dépassales sommets glacésdu Pinde, lelacAchérusien,et quittant
rocher encore célèbre aujourd'hui, dernier recours îles amants et lesmursdelà premièrecité du pays (1), ii poussa plusloin son voyage
tombeau de la fille de Lesbos. Brune Saphol tes vers immortels pour aller saluerle chef de l'Albanie dont les ordres sont des lois ab-
u'ont-ils donc pu sauver ce coeur brûlant d'Une éternelle flamme? solues. Sa main sanglante gouverneune nation turbulente et hardie :
n'a-t-elle donc pu vivre celle qui dispensait une vie immortelle; si et cependant çà et là quelques intrépides montagnards bravent son
toutefois l'immortalité est réservée aux chants de la lyre, l'unique pouvoir,et du haùtde leurs rocherslui jettent un cri de défi : indé-
Eden que connaissentles enfants de la lerre. pendance indomptable qui ne cède enfin qu'au pouvoir de l'or,
(1) Alexandre-le-Grand. (1) Janina, chef-lieu des Etats du célèbre Ali, pacha d'Albanie, qui ré?
(2) Scanderbeg. sidait alors à Tebelen où U était né.
M LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

XLVIII. LVI.
O monastique Zitza, sur ta colline ombreuse, quel petit coin de Il passa devant la tour silencieuse du sacré harem, et pénétrant
terre favorisé des cieux 1 Partout où se portent les regards, en haut, :sous les vastes arceaux de la" porte, il put voir la demeure du chef,
en bas, à l'cntour, quelles couleurs d'arc-en-ciel et quels charmes demeure< dans laquelle tout révélait sa puissance. Une pompe extra-
magiques I Rochers, rivières, forts, montagnes, tout est réuni dans ordinaire
< entourait le despote; la cour retentissait du bruit de mille
ce tableau, sur lequel un ciel du plus beau bleu répand l'harmonie. préparatifs
] : esclaves, eunuques, soldats, convives, santons y atten-
Plus bas et à dislance, la voix mugissante d'une cataracte révèle le daient< les ordres du maître. Au-dcdans, c'était un palais ; au-dehors,
lieu où elle se précipite entre des rocs suspendus dont la vue plaît une ' forteresse : des hommes de tous les climats s'y trouvaient
et effraie à la fois. réunis.
XLIX. LVII.
Parmi les bois touffus qui couronnent cette colline, colline qui En bas, des coursiers richement caparaçonnés, préparéspour la
sembleraitimposante, sans les montagnes voisines dont la chaîne guerre, el de nombreux faisceaux d'armes"étaient rangés en ordre
s'élève toujours de degré en degré, on voit briller les blanches mu- le long des murs de la vaste cour. Plus haut, des groupes bizarres
railles du monastère. C'est là qu'habite le caloyer, humble prêtre remplissaient le corridor, et de temps à autre un cavalier tarlare,
haut bonnet de fourrure, s'élançait au galop de la porte
qui n'a rien de farouche et dont la table est hospitalière. Le voya- avec sonLe Turc, le Grec, l'Albanais, le Maure, avec leurs costumes
geur y e* bien venu, et il emporterade ces lieux un souvenir du- sonore. bigarrés mêlent et se croisent, tandis que les sons graves du
rable, s'il n'est point tout-a-fait insensible aux charmes de la tambour se de guerre annoncent la fin du jour.
nature.
L. LVII.
Au milieu des ardeurs de l'été, qu'Use repose sur ce gazon ; carie On reconnaît l'Albanais farouche, si beau avec son court jupon
gazon est frais sous ces arbres séculaires : les plus doux zéphyrs qui lui vient au genou, sa tête enveloppée d'un châle, ses armes à
agiteront sur son sein l'éventail de leurs ailes, et il aspirerala brise feu ciselées et ses vêtements brodés d'or ; le Macédonien à l'écharpe
même du ciel. La plaine esl bien loin au-dessous de lui : oh I pen- de pourpre; le Delhi avec son redoutable turban et son cimeterre
dant qu'il le peut, qu'il goûte ici unevoluptépure ; ici ne pénètrent recourbe; le Grec, plein de vivacité et de souplesse; le fils mutilé
point les rayons dévorants du soleil, portant la maladie avec eux. de la noire Nubie ; le Turc à la longue barbe, qui daigne rarement
Qu'ici le pèlerin insoucieux étende en liberté ses membres noncha- parler, et maître de tout ce qui l'entoure, se croit trop puissant pour
lants et laisse couler sans fatigue le matin, le midi et le soir. être affable.
LIX.
LI. Les uns, réunis par groupes, sont étendus sur le pavé el obser-
De gauche à droite s'étendent les monts volcaniques de la Chi- vent la scène variée qui les entoure; plus loin, quelque grave musul-
mère, amphithéâtrenaturel, sombre et grandiose, qui semble s'élar- man adresse sa prière au prophète ; plusicursfumcnt, d'aulrcsjouent;
gir b la vue ; au-dessous s'étend une vallée pour ainsi dire vivante, ici l'Albanais se promène fièrement; là le Grec fail entendre ses
où les troupeaux se jouent, les feuillagesondulent, les rivières cou- chuchottements et son babil. Ecoutez! La voix du muezzin résonne
lent et le pin des montagnes balance sa tête dans les airs. Voici le du haut du minaret de la mosquée et fait entendre l'appel accou-
sombre Achéron, jadis consacré à la mort. O PlutonI si c'est l'enfer tumé de chaque soir : « II n'y a pas d'autre dieu que Dieu!... A la
prière! Dieu est grand! »
que j'aperçois d'ici, ferme les portes de ton Elysée vaincu : mon
ombre n'en réclamera point l'entrée. LX.
C'était pendantla saison où s'observelc jeûne du ramazan : l'ab-
LU. stinence aurait toute la longue journée, mais dès que le tardif cré-
Ni tours, ni remparts ne viennent gâter ce charmant paysage : puscule availdisparu, on se livrait de nouveau aux plaisirs de la table.
Janina, quoique peu éloignée, est cachée par un rideau de collines; En un inslant tout fut en mouvement dans le palais : de nombreux
domestiques préparèrent el servirent un repas abondant. La galerie
ici les hommes sont peu nombreux, les hameaux chélifs ; les chau- élait
mières isolées sont même rares : mais le chevreau broute suspendu devenue silencieuse el déserte : mais un bruit confus partait
sur chaque précipice, et lc petitberger, couvert de la blanche capote des appartements intérieurs, et les pages et les esclaves sortaient
albanaise, observant d'un air pensif son troupeau dispersé, appuie et rentraient sans cesse.
ses formes grêles le long d'un rocher ou attend à 1 entrée d une LX1.
grotte la fin d'un orage passager. Dans ces lieux, on n'entend jamais une voix féminine. Renfer-
mées dans une enceinte écartée, les femmes sortent rarement et
LUI. toujours gardées et voilées : elles doivent à un seul époux leur per-
O Dodone! où sont tes chênes séculaires, ta source prophétique et sonne et leur coeur, et habituées à leur prison, elles n'éprouvent
tes divins oracles? Quellevallée répète encore les réponsesdumaître même pas lc désir de la quitter. Elles s'y trouvent heureuses de
des Dieux? Où sont les vestiges du temple de Jupiter Tonnant? l'amour d'un maître et des doux soins de la maternité : soins déli-
n'égale
Tout, tout est oublié Et l'homme murmurerait de voir rompre élève cieux, dont aucun autre sentiment les charmes! Chacune
les liens qui l'attachentà une vie passagère ! Insensé cesse tes avec d'autant plus d'amour l'enfant qu'elle a porté; cl jamais
plaintes : le destin des dieux peut bien être le tien : voudrais-tu
, elle ne pense à l'éloigner de ce sein dont une passion moins pure
survivre au marbre ou au chêne, et te soustraire à la loi qui frappe ne trouble point la paix.
les nations, les idiomes, les mondes? LXH.
Dans un kiosque pavé de marbre, au centre duquel jaillit une
LIV, eau vive, dont le murmure répand à l'entour une douce fraîcheur,
Les frontièresde l'Epires'éloignent,et ses montagnes décroissent ; sur une couche voluptueuse qui invite au repos, est étendu Ali,
l'oeil, fatigué de mesurerleur hauteur, se repose avec bonheur sur la homme éprouvé par la guerre et les souffrances : et pourtant ce vi-
vallée la plus unie que jamais le printemps ait revêtue de ses cou- sage vénérable porte l'empreinte d'un caractère si doux, que l'on n'y
leurs verdoyantes. Même dans une plaine les beautés delà nature ne pourrait lire toutes les pensées cruelles qui s'agitent en lui, et les
souillé
sont pas dépourvues de grandeur; car de temps en temps une rivière crimesqui ont son âme d'une tache ineffaçable.
majestueuse en coupe la monotonie ; des bosquets s'élèventle long
de la rive et leurs images se bercent dans le miroir de l'onde, ou y LX1II.
dorment avec les rayons de la lune à l'heure solennelle de minuit. Ce n'est pas que cette longue barbe grise qui parc son visage ne
Îmisse se concilier avec les passions de la jeunesse : l'amour soumet
LV. a vieillesse à ses lois : Hafiz (1) l'a déclaré; le poète de Téos (2) l'a-
souvent répété dans des vers qui portent le cachet du vrai. Mais
Le soleil venait de se coucher derrière les larges croupes du mont le crime sourd à la voix plaintive de la pitié, le crime odieux chez
Tomerit; non loin mugissaitle large et rapide courant du Laos ; les tous les hommes, mais surtout chez les vieillards, un pareil crime
ombres de la nuit devenaient plus épaisses, quand, suivant avec l'a marqué de sa dent de tigre. Le sang appelle le sang ; et ceux
précaution les détours de la rive escarpée, Harold vit, comme des qui ont commencé leur carrière en le faisant couler, la termineront
météores dans le ciel, briller les minarets de Tebelen, dont les murs par une fin sanglante.
dominaient le fleuve. En s'approchant de la ville, il reconnut un
bruit confus d'armes et de voix, apporté à son oreille par la brise (i) Poète persan.
qui suivait la longueur du vallon. (2) Anacréon.
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON. 45

ébats de la troupe joyeuse; car il n'était point l'ennemi d'une joie


LXIV. innocente quoiqu'un peu grossière. Et en effet, ce n'était point un '
spectacle vulgaire qu offraient ces danses barbares mais décentes,
Le pèlerin fatigué s'arrêta quelque temps en ce lieu, au milieu de ces visages éclairés par les flammes du foyer, ces gestes pleins de
J
tous ces objets nouveaux pourdégoûtlui. Mais bientôt, lassé du faste mu- vivacité,
, ces yeux noirs et brillants, ces longues chevelures retom-
sulman, il ne vit plus qu'avec ce vaste palais, séjour des ri- bant
j en boucles jusqu'à la ceinture : tandis qu'ils répétaient en
chesscs et de la débauche, retraite choisie par un homme rassasié de choeur
( ces paroles moitié déclamées,moitié chantées :
sa propre grandeur pour échapper au bruit des cités : mais la paix
ne se trouve pas dans le sein d'artificielles jouissances, et quand le
plaisir et l'éclat sont réunis, ils se détruisent mutuellement. Tambourgi ! Tambourgi ! Ton appel donne aux braves la pro-
LXV. messe des combats et l'espoirdu butin : à tes sons guerriers on voit
se lever lous les enfants des montagnes, le Chimariote, l'Illyrien et
Les fils de l'Albanie portent des coeurs farouches; et pour- le Souliole basané.
lant ils ont des vertus qui ne demanderaient qu'à être cultivées. %. ,

Quel ennemi les a jamais vus. par derrière? Qui sait mieux qu'eux Oh ! qui surpasse en bravoure le Souliote basané, revêtude sa tu-
endurer les fatigues d'une campagne. Leurs montagnes ne sont pas nique blanche comme la neige et d'une capote velue ? Il abandonne
un asile plus sûr que leur fidélité n'est inviolable dans les point.
temps
son troupeau sauvage aux loups et aux vautours, et descend dans
difficiles. Si leur vengeance est mortelle, leur amitié ne varie
la la plaine comme un torrent du rocher.
Aussitôt que reconnaissance el le devoir réclamentleur sang, ils
s'élancent intrépides sur les pas de leur chef.
LXVI. Les enfants de Chimari, qui n'oublient jamais l'outrage d'un
frère, iront-ils épargner la vie d'un ennemi vaincu? Nos fidèles ca-
Ilarold les vit dans le palais du pacha accourant en foule pour rabines se refuseraientà un pareil dédain de la vengeance : quel but
marcher au combat et à la gloire : il les revit encore plus lard lors- est plus beau que lc sein d'un ennemi?
qu'il tomba entre leurs mains, poursuivi momentanément par le
sort. C'est dans ces heures de détresse que les méchants vous acca-
blent; mais les Albanais l'abritèrent sous leur toit. Des peuples La Macédoine envoie ses fils invincibles : ils abandonnent pour
moins barbaresl'eussent moins bien accueilli, et ses compatriotes se
seraient tenus à l'écart. Combien peu de coeurs soutiennent de pa- un temps la chasse et leurs cavernes; mais leurs écharpes rouges
reilles épreuves ! comme le sang seront plus rouges encore avant que le sabre rentre
dans le fourreau, et que la bataille soit finie.
LXVII.
Un jour, en effet, des vents contrairespoussèrent son vaisseausur
les côtes escarpées de Souli : là, tout autour de lui n'était que déso- Les corsaires de Parga qui habitent sur les vagues, et qui ap-
lation et ténèbres. Le rivage était redoutable, plus redoutable élait prennent aux pâles Francs ce que c'est qu'être esclaves,laisseront
encore la mer; cependant les marinshésitèrentquelque temps, n'o- sur la côte leurs avirons cl leurs longues galères pour conduire les
sant se confier à une terre où la trahison pouvait les attendre. Enfin, < captifs à leur prison.
ils se hasardèrent, non sans* craindre encore que des peuplades 6.
également ennemies du Franc et du Turc ne renouvelassentles Je ne souhaite pas les plaisirs de la richesse : mon sabre saura
scènes sanglantes qui avaient déjà déshonoré ces rivages. conquérir ce que le lâche doit acheter; il conquerra la jeune fian-
LXVI1I. cée aux longs cheveux flottants, il arrachera les vierges du sein de
leur mère.
Vaincs terreurs I Les Soulioles leur présentent une main amie, 7.
les guident parmi les rochers et les perfides fondrières. Plus hu-
mains que des esclavescivilisés, quoique moins prodigues de paroles J'aime la beauté de la jeune vierge ; ses caresses me berceront,
flatteuses, ils raniment la flamme du foyer, fonl sécher les vête- ses accords feront mes délices : qu'elle apporte sa lyre aux cent
ments humides des naufragés, remplissent la coupe de l'hospitalité, cordes, et qu'elle nous chante une chanson sur la défaite de son
allument la lampe joyeuse et apportent une nourriture, frugale il père I
esl vrai, mais la seule qu'ils puissent donner. N'est-ce point le véri- 8.
table précepte de l'humanité : abriter la fatigue, consoler l'affliction; Rappelez-vous le moment où Prévésa est tombée ; les cris des
une pareille conduite est une leçon pour les heureux du monde, un vainqueurs, les gémissements des vaincus ; les toits incendiés par
reproche pour les méchants. nos mains, le butin partagé, les riches mis à mort, les belles que
LXIX. nous sûmes épargner.
9.
Lorsqu'Harold voulut quitter ces montagnes hospitalières, il se
trouva que des bandes de maraudeurs interceptaient la roule et Ne parlons pas de pitié, ne parlons pas de crainte ; ces mots doi-
portaient de tous côtés lc 1er et la flamme. Prenant donc une es- vent être inconnus à qui veut servir le vizir; car depuis les jours du
corte sûre d'hommes habitués à la guerre et aux fatigues, il franchit Prophète, jamais le Croissant n'a vu un chef aussi glorieux qu'Ali-
i
avec elle les vastes forêts de l'Acarnanie, et ne s'en sépara que Pacha.
| quand il eut reconnu les blanches ondes de l'Achéloiis,des rives du- 10.
! quel on découvre les plaines de l'Elolie. Le sombre Muchlar son fils est envoyé sur le Danube : lesGiaours
; LXX. aux cheveux blonds verront avec terreur ses queues de cheval ;
quand ses Delhis toul sanglants auront écrasé leurs bataillons,
i Aux lieux où l'Utraikey forme une anse arrondie dans laquelle combien peu de Moscovites reverront leur patrie.
;
Ids vagues fatiguées se retirent pour s'étaler calmes et brillantes,
11.
comme il est sombre vers minuit, le feuillage de ces arbres qui cou-
ronnent la verle colline, et se balancent sur le sein de la baie tran- Selictar! tire du fourreau le cimeterre de notre chef: tambourgi!
quille, tandis que la brise occidentale murmure doucement et baise ton appel nous promet les combats. Et vous, montagnes, qui nous
sans y marquer un pli la surface azurée des flols ! C'est là qu'Ha- avez vus descendre sur le rivage, nous reviendronsvainqueurs, ou
> rold reçut un accueil amical : il ne put contempler sans émotion ce ne reviendronsplus.
' gracieux tableau, car il trouvait d'ineffablesjoies dans le spectacle LXXIII.
| des nuits.
| LXXI. Belle GrèceI reste déplorable d'une gloire qui n'est plus! dispa-
| Les feux de nuit brillaient sur le sable du rivage; le repas était rue , mais immortelle ; déchue, mais grande encore I qui mainte-
| achevé, la coupe rougie circulait rapidement, et celui que le hasard nant guidera tes enfants dispersés ? qui brisera ce joug auquel ils
I aurait amené en face de ces groupes, n'aurait pu les voir sans éton- sont accoutumés? Ah! qu'ils ressemblent peu, ces fils dégénérés, à
inement. Avant que l'heure silencieuse de minuit fût passée, ils ceux qui jadis, volontairementcondamnés à une lutte sans espoir,
commencèrent la danse du pays. Chaque palikare déposa son sabre ; attendaientla mort dans le défilésépulcral des froides Thermopyles I
Cl lous, se tenant par la main, se mirent à bondir en cadence, Oh! qui pourra s'inspirer de ce généreux courage, et, s'élançant-
hurlant barbare. en des rives de l'Eurotas, te réveiller dans ta tombe?
un chant
| LXXII. LXXIV.
| Childe-Harold se tint à l'écart, observant non sans plaisir les O Génie de la liberté ! lorsque sur les remparts de Phylé tu étais
4G LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

avec Thrasybule et ses immortels complices, aurais-tu pu prévoir I t rahit à demi sous un visage contraint? Pour eux le doux murmure
la
' funeste destinée qui assombrit les plaines verdoyantes do ta chère cles vagues n'est qu'un écho de leurs douloureuses pensées; en
Allique ? Ce ne sont plus trente tyrans qui l'asservissent, mais à clux la gaîlé de la foule n'excite qu'un froid et farouche
dédain.
chaque pas on y rencontré un brutal oppresseur; et les fils ne se (Combien ces] rires bruyants et sans objel leur deviennent odieux !
lèvent plus; mais ils se bornent à maudire vainement le joug des (Jù'ils ont hâte de changer leurs vêtements de fête contre un lugu-
Turcs qui les écrase. Ils naissent; ils meurent esclaves; et leurs pa- I >re linceul !
LXXXHI.

rôles, leurs actes, n'ont plus rien de l'homme.
Tel doit être le sentiment de tout véritable fils de la Grèce, sj la
LXXV. ,jrèce peut encore s'honorer d'un patriote sincère : car ils ne méiï-
Tout est change en eux, sauf la formé extérieure. El en obser- lent pas ce nom ceux qui parlent de guerre, tout en se réfugiant
vant le feu qui étincelle dans leurs regards, qui né croirait pas que <
lans la paix de l'esclavage; qui regrettent ce qu'ils onl perdu, mais
leurs ccëùrs brûlent encore de la flammé, ô Libellé, qu'ils ne con- qui ont encore un sourire pour leurs tyrans, et qui manient la fau-
naissent plus! Beaucoup d'entre eux rêvent encore que l'heùi'c ap- cille; servile et non' l'épéè. O^Grèçe! ceux qui t'aiment le moins
proche qui leur rendra l'héritagede leurs pères : ils soupirent après sont ceux qui te doivent le plus : leur naissance, leur sang et cette
les armes et l'aide de l'étranger et ils n'oseraient affronter eux- suite sublimé d'héroïques ancêtres qui font honte maintenant à une
mêmes la colère de l'ennemi, ni,effacer leur nom des funèbres an- race dégénérée.
nalesde l'Esclavage. LXXXIV.
LXXYL Quand renaîtra l'austérité de Lacédémone, quand Epaminondas
Serfs héréditaires! ne savez-yous donc pas que pour se rendre reviendra gouverner Thèbes, quand les fils d'Athènes auront repris
libreil faut soi-même frapper le premier coup? C'est à son propre leurs coeurs généreux, quand les mères grecques mettront au jour
brasqUé l'homme peut devoir une pareille conquête : lé Gaulojs_oii des hommes : alors lu pourras revivre, mais non avant. Mille ans
lc Moscovite vous ViendrOnt-ils affranchir? Non certes! A la vérité, suffisent à peine pour créer un empire : une.heure peut le réduire
ils pourront humilier vos fiers spoliateurs; mais ils ne rallumeront en poussière : combien d'efforts ne faudrait-il pas pour renouveler
pas pour vous les autels de la liberté. Ombres des hilotes! triomphez ta splendeur éclipsée, le rendre les vertus et vaincre le Temps et
de vos tyrans! La Grèce pourra changer de maître mais son état la Destinée!
,
sera toujours le même : ses jours de gloire sont passés, mais non LXXXV.
ses jours de honte. Et pourtant que tu es belle encore au milieu de ton deuil, ô patrie
LXXV1I. des dieux et des héros semblables aux dieux ! Tes vallées toujours
La cilé que les fils d'Allah onl conquise sur les infidèles pourra vertes, tes sommets couronnés de neiges éternelles montrent la va-
de nouveau être arrachée par le Giaour des mains de la race otto- riété des dons que t'a prodigués la nature; mais tes autels, tes tem-
ples inclinés vers le sol et brisés par lc choc de la charrue, se mê-
mane; les tours impénétrables du serai' pourront encore s'ouvrir lant avec lenteur à une terre héroïque, ne font que subir ie sort
au Franc farouche qui déjà les a occupées une fois ; la nation re- réservé aux monuments ouvrages des hommes : tout s'efface suc-
belle des Wahabitcs, qui a osé dépouiller la lomhe du prophète de
tant de pieuses offrandes, pourrase tracer une route sanglante vers cessivement sauf le souvenir des vertus célébrées par le Génie.
,
l'Occident : mais jamais la liberté ne visitera ie sol maudit de la
Grèce, cl à travers des siècles d'un labeur incessant, l'esclave y suc- LXXXVI.
cédera à l'esclave. Cependant une colonne solitaire encore debout semble gémir sur
LXXVHI. lc sort de ses soeurs, enfants de la même carrière, toules renversées
auprès d'elle ; le temple élevé de Pallas orne encore le cap de Co-
Voyez pourtant leur gaîlé, à l'approche de ces temps de pénitence lonna, et apparaît de loin les flots; el çà et là on voit aussi les
pendant lesquels la religion se prépare à délivrer l'hommedu poids lombes ignorées à demi desur quelques héros."Leurs pierres grisâtres,
de ses fautes mortelles par l'abstinence du jour et les veillés de la leur gazon toujours vert, bravent
nuit ; avant l'heure où le repentir revêt le cilice. quelques jours de l'oubli : car les étrangers sonl les seuls encore les siècles, niais non
qui passent pas insou-
fête sonl accordés à tous, pour que chacun puisse chercherle plaisir cieux près d'elles, et qui parfois s'arrêtent nemoment, les regar-
qu'il préfère, prendre avec le masque un Vêtement aux brillantes dent et soupirent. un
couleurs, se mêler à la danse cl se joindre au cortège bouffon du
joyeux carnaval. LXXXVH.
LXXIX. Et toujours pourtant ton ciel est aussi bleu, les rochers sont
aussi tés bocages sonl frais, tes plaines verdoyantes; tes
Et quelle ville offre plus de joyeux divertissements que toi, olivessauvages; mûrissent
ô Stamboul, jadis reine des plaisirs, bien que le turban déshonore Irire, et l'llymeUecomme nu jour où Minerve leur accordait un sou-
aujourd'hui le temple de Sainte-Sophie où la Grèce cherche en vain est toujours riche de son miel doré : libre voya-
geuse dans l'air de la montagne, l'abeille y construit gnimcnl sa
ses propres aulcls (bêlas! ses malheurs viennent toujours attrister citadelle odorante; pendant de longs, longs'élôs, les rayons d'Apol-
mes chants)? Ils étaient gais jadis ses ménestrels , car son peuple lon dorent les murailles elles marbres du Penléliquo.Les ails, la
était libre et. lous ressentaient en commun la joie qu'ils feignent gloire la liberté, passent; mais la nature est toujours belle.
maintenant. Mes yeux n'avaientjamais vu de spectacle, mes oreilles ,
n'avaient jamais entendu d'accords pareils à la scène que je coh- LXXXV11I.
tcmplai, aux sons qui éveillèrent pour , moi les échos du Bosphore.
Quelque part que se dirigent nos pas, nous foulons une terre
LXXX. sainte cl consacrée! Nulle portion de ce sol n'Offre un aspect vul-
Un tumulte joyeux retentissaitsur le rivage; souvent la musique gaire , les mais un monde de merveilles s'étend autour de nous, et
changeait d'air ; mais elle ne s'arrêtait jamais : elle se mêlait sans toutes fictions des muses nous semblent réalisées, au point que
cesse au bruit cadencé des avirons, et au doux murmure des eaux notre nos sens se lassent à contempler ces scènes peuplées des rêves de
jaillissantes. L'astre qui commande au reflux des mers semblait du mômejeunesse. Ici forêts et prairies collines et vallons bravent ce
,
pouvoir qui a renversetant d'édifices
haut du ciel sourire à ces fêtes, et quand une brise passagère venait tours d'Athènes, : le temps a ébranlé les
rider la surface de l'eau; un rayon plus brillant échappé de son il a respecté les vieux champs de Marathon.
trône y peignait son image, et les vagues étincelanteséclairaient
les bords qu'elles baignent. LXXX1X.
LXXXI. Dans celle plaine fameuse, le soleil, la glèbe sont les mêmes; il
n'y à de changé que l'esclave qui la cultive, et le maître qui la pos-
Les caïques effleuraient légèrement l'écume des vagues ; les filles sède. Il a encore et les mêmes bornes et la môme renommée, ce
de là contrée dansaient sur la rive, et jeunes hommes et vierges champ de bataille où les hordes persanes courbèrent la tête pour la
avaient également oublié le repos et le foyer paternel : des yeux première ibis sous lc fer redoutable des Hellènes. Jour cher à la
languissants échangeaient des regards irrésistibles; des mains fré- Gloire, où Marathon devint un mot magique qu'on ne peut pronon-
missantes répondaient doucement aux mains qui les pressaient. cer sans évoquer aux regards de celui qui l'entend le camp, les ar-
O amour! ô jeunesse ! que le sage et'le cynique en disent ce qu'ilsi mées, la bataille et la victoire !
voudront, ces heures enchaînées dans vos liens de roses, ces heu-
res-là seulement rachètent dans la vie de longues années de dou- XC.
leur. Ici fuyait le Mède, jetant ses flèches et son arc brisé. Là, le
LXXXII. Grec menaçant le poursuivait de. sa lance sanglante. En haut les
Mais au milieu de la foule, parmi ces joyeux déguisements, ni! montagnes; au bas la côte el l'Océan ; sur le front des Grecs la
se cachë-t-il pas quelques coeurs agités-par Une peine secrète qtii si; mort ; dans les rangs des Perses là terreur et la fuite : tel élait. le
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON; 47

tableau qu'offrait Marathon... Que resle-l-il aujourd'hui? Quel tro- aimés, et de se trouver seul sur la terre, comme j'y suis, seul main-
phéesignale celte plaine sacrée qui ville sourire delà liberté et les tenant. Sur les ruines de tant de coeurs brisés, de lânt châtie.
d'espérances
Jours
larmes de l'Asie? Des urnes vides, des tombeaux violés, et la pous- détruites, je m'incline humblement devant Celui qui
sière que le coursier d'un barbare fait jaillir sous ses pieds. inutiles, écoulez-vous rapidement : je vous verrai fuir sans vous
compter, puisque le temps m'a privé do tout ce qui faisait la joie
XCL de mon âme et a versé sur mes jeunes années tous les malheurs de
Cependant les restes de ce passé splendide attireront toujours les la vieillesse.
pèlerins pensifs qui oublieront un moment leurs fatigues. Long-
temps le voyageur, amené par le vent d'Ionie, saluera la brillante
pairie des muses el des héros. Longtemps, ô Grèce, les annales el
langage immortel répandront ta gloire parmi la jeunesse des CHANT liL
Ion

-,
plus lointains climats. Orgueil de l'âge mûr, leçon de ia jeunesse,
c'est loi que le sage vénère et que le poète adoré quand Pallas et la I.
muse leur ouvrent leurs mystérieuxtrésors. Tes traits ressemblent-ilsà ceux de ta mère, ô ma belle enfant !
XCII. Ada ! fille unique de ma maison cl de mon coeur 1 Quand, la dernière
fois, j'ai vu tes jeunes yeux d'azur, ils souriaient, et alors je te
Le coeur du voyageur soupire pour la patrie absente, quand de quittai... non comme je le quitte maintenant, mais avec Une espé-,
tendres liens rattachent au foyer domestique : niâiS l'homme Isolé rance
ici-bas, qu'il reste errant dans ces lieux, qu'il attache de longs re- Je me réveille en tressaillant : les vagues se gonflent autour dp
gards sur cette terre en harmonie avec lui! La Gi-êce n'est point le moi ; les venls font entendre leurs voix dans les airs : je pars. Où
séjour de la gaîlé légère eldes plaisirs du mondé : mais celui pour nous allons, je l'ignore : mais le temps n'est plus où en voyant s'a-,
qui la mélancolie a des charmes peut, en faire Sa patrie. A peine baisser les côtes d'Angleterre, mon regard était ému de douleur ou,
regretlera-t-il la terre natale quand il ira' èrfër lentement sur les de joie.
coteaux sacrés de Delphes, et pronïéhéf Ses regards sur les plaines IL
qui ont vu mourir le Perse et l'Hellène.
Encore une fois sur les flots I Oui, encore une fois! et les vagues
xciii. bondissent Sous' moi comme un coursier qui connaît son maître.
Vagues mugissantes, salut! Rapide soit vôtre course, quelque part
Que de pareils hommes visitent çëilë terre sacréèy qu'ils traver- qu'elle mC conduise! Dûl le mât fatigué trembler comme un roseau,
sent en paix ces magiques solitudes : mais qu'ils respectent ses dût là voile déchirée abandonner ses lambeaux aux vents, il faut
ruines; qu'une main sacrilège ne vienne poinl défigurer un tableau que j'aille enaVant; car je suis comme l'herbe marine, détachée du
déjà trop effacé ! Ce n'est point pour ùhe telle fin que furent élevés roc et semée parmi l'écume de l'Océan : je vais partout où me
ces aulels. Révérez ces débris que des nations oiit révérés : el que poussera l'effort des vagues, l'haleine de la tempêle.
puisse ainsi le nom de votre patrie ne jamais recevoir d'outrage, et
puissiez-vous prospérer vous-même aux liëùx où fleurit votre jeu- HL
nesse, entouré de loulcs les joies vertueuses que peuvent donner
l'amour et la vie! Dans l'été de ma jetihèsséj, j'ai entrepris de chanter lé pèlerinage
XCIV. d'un exilé volontaire fuyant son propre coeur : je reprends une his-
toire que j'avais à peine entamée, et je l'emporte avec moi, comme
Pour loi qui, trop longtemps peut-être, viens de charmer tes loi- le vent impétueux pousse devant lui le nuage. J'y retrouve la trace
I sirs par des chants sans gloire, nientôt ta voix va so perdre parmi de mes longues pensées et de mes larmes taries, qui n'ont laissé
\ les voix plus éclatantes de tant de ménestrels que nos jours ont pro- qu'un désert sur leur passage. C'est là que mes années s'écoulent
j iluils. Ne leur dispute point un laurier que le temps doit flétrir. Une pesamment,dernière solitudede la vie, où l'on ne voit point paraî-
pareille lutte ne sied point à un esprit qui dédaigne également lés tre une flcUr.
| crititjues amôres et les éloges dictes par la partialité ; car ils. sont IV.
| glaces depuis longtemps, lous les coeurs dont le suffrage l'eût flatté;
j et l'on ne cherche plus à plaire quand on n'a plus rien à aimer.
Depuis mes jours de jeunesse et de passion, jours de plaisirs pti
de douleurs, mon coeur et ma harpe peuvent avoir perdu une corde;
S xcv. une dissonance en peut résulter, et peut-être voudrai-je en vain
chanter comme autrefois; Mais, quelque ingrat que puisse être le
! Et toi aussi lu n'es plus, loi qui me fus si chère et qui méritais sujet dé mes chants, je m'y àtiàchc : pourvu qu'ils bannissent de mon
s
tant d'amour; loi que la jeunesse et ses affections unissaient à moi ; âme ies tristes rêves d'une douleur et d'une joie égoïstes, et qu'ils
| qui fis pour moi ce que personne autre n'a fait ci qui ne dédaignas répandent autour de moi l'oubli, ils me sembleront délicieux, quoi-
j pas un coeur indigne du tien. Que suis-je maintenant que lu as que personne peut-être ne soit de cet avis.
f cessé de vivre ? Tu n'es plus là pour accueillir au retour ce voya-
| gcur à qui il ne reste que le regret des heures, qui ne reviendront V.
1 (dus. Oh I pourquoi
ce bonheur a-t-il jamais existé, bu pourquoi n'cstf
| il poinl encore à venir? Pourquoi suis-jè revenu dans ce9 lieux,
devaient m'en chasser encore?
Celui «lui dans ce monde de douleurs a vécu par ses actes plutôt
années et qui a pénétré les profondeurs de la vie au
a lorsque de nouvelles douleurs que par ses plus
point de ne s'étonner de rien ; de sorte que l'amour et ses pei-
| XCVI. nes, là gloire, l'ambition, la rinalilô ne peuvent plus faire pénétrer
dans son coeur ce poignard acéré dont on souffre les blessures en
1 O femme toujours aimante, toujours aimable et toujours aimée! pensée cherche un refuge
: celui-là peut dire pourquoi la
i Comme une douleur égoïste s'absorbe dans le passé et s'attache à silence cavernes solitaires el se plaît néanmoins à les peupler d'i-
I des pensées qu'elle devrait écarter! Mais ton image esl la dernière dans des aériennes, de ces formes qui habitent toujours jeunes la re-
1 (pie le temps effacera de mon âme. Cruel trépas, tout ce que lu pou- mages
I vais avoir de moi, tu me l'as pris : une mère, un ami et plus qu'un traite enchantée de l'âme.
il ami maintenant ; pour personne les trails ne se sont succédé aussi VI.
1 rapides : accumulant sur moi douleur après douleur, tu m'as en-
C'est uniquement pour créer et pour jouir en créant d'une plus
g levé le peu de consolations que la vie pouvait encore m'offrir. grande intensité dé vic> que nous donnons une-forme à nos vivions,
XCVII. nous appropriant à nous-mêmes, comme je l'éprouve maintenant,
cette existence que nous inventons. Qùé suis-je, moi? Rien. Mais il
Irai-je donc me jeter de nouveau dans les agitations de la foule, n'en est pas ainsi de toi, âme de ma pensée ! Avec toi, je parcours
cl y chercher tout ce que dédaigne un coeur paisible? Irai-je m'as- là terré, invisible mais pouvant tout observer, in'associant à ton
seoir aux banquets de l'Orgie, Où un rire faussementbruyant, dé- esprit, partageant ta céleste origine, et capable encore de sentir ett
menti par le coeur, défigure les joues creuses des convives, et laisse toi, quand ma sensibilitéest éteinte et stérile.
après lui dans l'âme un surcroît d'abattement et de faiblesse? Là, en
vain une gaîlé de commande veut forcer les traits à feindre le plaisir VIL
ou à dissimuler le dépit : les sourires tracent le sillon d'une larme Mais arrêtons le désordre de ces pensées : j'ai médité trop long-
à venir, el en relevant la lèvre convulslve, n'y peignent qu'un se-
cret dédain. temps, je me suis livré à des réflexions trop sombres, et enfin j'ai
XCVIII. senti mon cerveau brûlant, épuisé par ses propres efforts, se chan-
ger en un véritable tourbillon de visions el de flammes : c'est ainsi
Quel est lc plus terrible des maux qui accompagnent la vieil- que n'ayant point appris à domplër mon coeur, j'ai vu s'ompoison^
lesse, celui qui grave sur le front la ride la plus profonde? C'est de ner les sources de ma vie. Il est trop tard aujourd'hui, mais il me
voir effacer du livre de vie le nom de fous les êtres que nous avons reste encore assez de forcé pour supporter des maux que le temps
48 LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

ne peut guérir, et pour mè nourrir de fruits amers sans accuser le


destin.
•i'i". r;,',. VIII.
En voilà,Wpps'urcesujet': maintenant tout appartient au passé,
et le sceau/du-mystère est apposé sur le charme quin'estplus. Après
une longue absence, Harold;reparaît enfin : Harold dont lc coeur
voudrait ne plus rien* sentir, mais.se sent déchiré de blessures in-
curables sans être, mortelles. Le temps néanmoins, qui change tout,
a modifié son âme et ses traits : les années dérobent le feu de l'es-
prit comme la vigueur desmembres, et'la coupe enchantée delà vie
ne pétille que sur ses'bords.

' Harold avait trop avi-


dement épuisé la sienne,
et au fond il avait1trouvé
une lie d'absinthe : mais
il là remplirde nouveau
à une source plus pure et
sur un sol consacré, et il
la crut intarissable. 11 se
trompait. Autour de lui
s'enroulait invisiblement
une chaîne.toujoursplus
sèrrée^,''dp'nt'.il'sentait .
léjfrottèmént douloureux .
quôiqu'il.'.n.e pût l'aper- '.
cevôir/donflepoids, l'ac-
cablaitquoiqu'il n'en pût
entendre le bruit. C'était
une souffrance muette et
de plus en plus péné-
trante qui suivait Harold
dans tous les pas qu'il es-
sayait aux divers sentiers
de la vie.

,
', ' X.
.
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON. 49

beau delà France, la plaine fatale de Waterloo. Comment une heure


j-t-elle suffi à la fortune pour reprendre les dons qu'elle avait fails, XXIII.
pour faire passer en d'autres mains la gloire inconslante comme
elle! Ici, l'aigle prit dans les cieux son dernier essor; mais percé deDans l'embrasure d'une croisée de la vaste salle était assis l'in-
fortuné duc de Brunswick. Le premier, au milieu de la fête, il
part en part des flèches des nations coalisées, il laboura la plaine de
avait entendu ce son fatal, et il l'avait recueilli avec l'oreille
ses serres sanglantes, traînant encore après lui quelques anneaux
prophétique de l'homme destiné au trépas. Il annonça l'approche
brisés de la chaîne dont il avait chargé l'univers. Ce jour-là loute
une vie d'ambition vit anéantir le fruit de ses travaux.
de la bataille; et un sourire d'incrédulité accueillit ses paroles :
mais son coeur avait trop bien reconnu la voix redoutable du
XIX. bronze qui avait étendu son père dans une bière sanglante, et
allumé en lui-même une vengeance que le sang seul pouvait
Justes représailles)LaGauUj^gentTn-Oïdreson frein, écumer sous I éteindre : il s'élança sur le champ de bataille, et tomba en com-
I
jé&eUeHlufrlibre? Les nations n'ont- battant aux premiers rangs.
ses fers... mais la terre en
elles combattu que pour
vaincre un seul homme, A / XXIV.
On allait et on venait
ou se sonl-elles liguées" ça et là, en tumulte : des
pour enseigner à tous les ^ pleurs coulaient; la beau-
rois en quoi consiste laV' té tremblait d'effroi, et
vraie souveraineté ? Eh > l'on voyait pâlir desjoues
quoi I les lambeaux réu- qui une heure auparavant
nis de l'esclavage rede- avaient rougi à l'élogede
viendront-ils l'idole d'un leurs charmes. Il y eut là
siècle de lumière?Après de ces adieux soudains
avoir abattu le lion fau- qui semblent arracher à
dra-t-ilquenous rendions de jeunes coeurs tout ce
hommage au loup? fau- qu'ils ont de vie; il y eut
dra-l-il baisser le regard, des soupirs étouffés qui
plier le genou devantles Ïieut-ètre devaient être
trônes?Non, non ! éprou- es derniers. Qui pouvait
vons avant de louer. dire s'ils se rencontre-
raient jamais ces regards
XX. qui s'entendaient si bien,
Et si nous n'eu lirons alors que sur une nuit si
aucun bien, que l'on ne
douce se levait une si ter-
s'enorgueillisse plus de la rible aurore.
chute d'un seul despote.
En vain les joues des é- XXV.
pouses et des mères ont Les guerriers se hâtent
été sillonnées de larmes de monter à cheval : les
brûlantes ; en vain la escadrons se forment ;
fleur de l'Europe a été
ses chars
.
foulée sous les pieds d'un l'artillerie lance
tyran avant qu'elle pût
bruyants; lout se préci-
produire ses fruits ; en pite, chaque corps va
vain des années de mort,
prendre son rang de ba-
d'appauvrissement, d'es- taille. Et toujours au loin
clavage etde terreur, ont on entend se succéderles
pesé sur nous; eu vain sourdes -détonations du
le joug a été brisé par canon ; et plus près le
l'accord unanime de plu- tambour d'alarme éveille
sieurs millions d'hom- les soldais avant que l'é-
toile du matin ait brillé.
mes : ce qui ajoute le Cependant les citadins
plus de prix à la gloire s'nssemblentmuelsdeter-
c'est le myrte qui cou-,
ronne lc glaive, comme reur, ou chuchotent tout
il couronna celui d'Ilar-
bas el les lèvres pâles :
modius levé sur le tyran « C'est l'ennemi! il ap-
d'Athènes. proche! il approche! »

XXI. XXVI.
C'était la nuit: l'air re- L'appel des Gainerons
tentissait du bruit d'une La fontaine Castalio et le mont Parnasse. fait retentir son harmo-
fête ; l'élite de la beauté nie sauvage : c'est le
et de la chevalerie était chant de guerre de I.o-
réunie dansla capitalede chiel qu'entendirentsou-
la Belgique, et l'éclat des vent les collines d'Albyn,
lampes ne tombait que ainsi que les Saxons en-
sur de jolis fronts et de vaillantes poitrines. Mille coeurs battaient nemis. Comme leur pibroch retenlil aigu et sauvage dans les ténè-
heureux à l'unisson, et quand s'élevait la voix voluptueuse de l'har- bres de la nuit I mais le même souffle qui enfle la cornemuse rani-
monie, de doux regards parlaient d'amour aux regards qui leur ré- me daus le coeur de ces montagnards leur courage naturel, réveille
pondaient, et tout était'joyeux comme le carillon d'une noce... en eux le souvenir des siècles passés, et fait résonner à leurs oreil-
Mais, silenceI écoulez : un bruit sourd retentit comme un glas fu- les les noms glorieux des Evan et des Donald.
nèbre.
XXII. XXVII.
N'avcz-vous pas entendu?... non ce n'était que le vent, ou le La forêt des Ardennes balance sur leurs têtes son vert feuillage
bruit d'un char sur le pavé sonore. Continuonsla danse : que rien toul humide des larmes de la nuit : on dirait.qu'elle pleure, si la
n'interrompe la joie! point de sommeil jusqu'au matin, quand la nature inanimée était capable de douleur, sur ces braves qui pas-
jeunesse le plaisir et la danse s'unissent pour chasser les heures. sent maintenant et qui ne reviendront plus. Avant le soir, hélas! ils
,
Mais écoulez! ce bruit sourd retentit de nouveau, comme si les seront foulés aux pieds comme le gazon sur lequel ils marchent
nuages en répétaient l'écho. Il s'approche; il devient plus distinct maintenant : le gazon les couvrira de sa prochaine verdure , quand
ie
et plus terrible : aux armes ! aux armes I C'est... c'est canon qui loute cette bouillante valeur qui les précipite vers l'ennemi, quand
commence à rugir. ces hautes espérances qui les animent pourriront avec eux dans
une couche profonde et glacée.
»,
Puis. — Imp. Ucov» 3t C*, tue SoufUil, 13.
*
50 LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

XXVIII.
XXXVI.
Hier, le milieu du jour les vit pleins de force et d'ardeur ; le soir,
ils se montraient remplis d'orgueil et de joie au milieu d'un cercle Là 'est tombé lc plus extraordinaire et non le pire des hommes,
de beautés ; minuitleur apporta le signal du combat : aujourd'hui, '
esprit formé de conlrusics, .^appliquant avec une égale puissance,
le matin les a vus former leurs rangs, et midi éclaire l'appareil som- tantôt
' aux objets les plus élevés , et tantôt aux plus petits. Oloi,
hrc el majestueux de la bataille. Un nuage tonnant les enveloppe, qui
< fus extrême en toute chose, si lu avais su garder une ligne
et chaque fois qu'il se déchire l'argile de la plaine est recouverte '
moyenne, lc trône serait encore à loi, ou tu n'y serais jamais monté;
d'une argi'.ç humaine qu'elle-même recouvrira demain, entassant car
< c'est l'audace qui l'a élevé, comme elle a causé la chute. Et
dans une fosse sanglante cavaliers et chevaux, amis et ennemis, maintenant
' encore lu songes à ressaisir le sceptre impérial ; et, ;
amoncelés et confondus. Jupiter Tonnant, tu voudrais ébranler de nouveau le monde.
XXIX. XXXVII.
Des lyres plus sonores ont chanté leur gloire ; et pourtant il est Vainqueur de la terre, te voilà son captif : elle tremble encore
Un nom que je voudrais choisir dans cette foule illustre : je le dois à à ton souvenir, et ton nom redoutable n'a jamais plus retenti dans
l'alliance de famille qui m'unissaità lui; je le dois à son père envers la pensée des hommes qu'en ces jours où lu n'es plus rien qu'un
qui j'ai à expier des loris; el enfin des noms illustres consacrent les jouet de la renommée. Elle te courtisa jadis, se Ht ton esclave et
chants du poète. Celui-là brillait entre les plus braves; et là où la caressa ton humeur hautaine jusqu'à te persuader que tu étais un
pluie de fer cclaircissail le plus rapidement nos rangs, où la tem- dieu... elle le persuada moineaux nations stupéfaites, qui te crurent
pele de la guerre rugissait plus terrible, elles ne frappèrent point longtemps ce que tu prétendais être.
un sein plus noble que le tien, ô jeune et brave HowardI
XXXVIII.
' XXX.
Plus moins qu'un homme, dans ta grandeur ou dans tes dé-
Pour loi des larmes ont coulé, pour toi des coeurs se sont brisés : sastres,oulu affrontes des nations entières et tu fuis du champ de
que seraient mes larmes el mon coeur si j'avais un pareil hommage bataille; tu fais du cou des monarques le marchepied
.
de Ion trône,,
à l'offrir? Mais quand je me trouvai près de l'arbre.qui, vivant et et tu deviens plus prompt à fléchir que lc dernier de les soldats tu
;
verdoyant encore, incline son feuillage sur la place où lu reçus la peux renverser, gouverner, relever un empire, mais tu es incapable
mort, quand je vis autour de moi la plaine rajeunie couverte d'un e de modérer la moindre de tes passions; habile à pénétrer l'esprit
verdure qui promet l'abondance, et le printemps, reprenant son I des autres, tu ne sais ni lire dans le lien ni réprimer ton amour
oeuvrejoyeuse, rassembler sur ses ailes les oiseaux exilés, je déiomv I désordonné pour la guerre, ni comprendre ,
enfin que le Destin,
nai mes regards de tout ce qu'il ramenait pour les reporter sur ce II mis au défi, abandonnela plus brillante étoile.
qu'il ne pouvait nous rendre.
XXXI. XXXIX.
Je les reportai sur toi, sur tant de milliers de braves dont chacun Et cependant ton âme a supporté les revers avec cette philoso-
a laissé un vide effrayant dans Une famille affligée pour qui l'oubli deur innée
phie qui ne s'apprend pas, et qui, fruit de la sagesse, de la froi-
serait un don précieux. La trompette de l'archange, et non celle de ou d'un profond orgueil, jette le fiel el l'absinthe au coeur
la renommée, réveillera ces héros tant regretlés.Lc doux bruit de la d'un ennemi. Quand la haine ameutée l'entourait pour épier cl rail-
gloire peut calmer un moment, mais non éteindrel'ardeur des vains ler ta faiblesse, loi tu le pris à sourire : Ion oeil resta calme et ré-
regrets, et le nom que nous entendons honorer acquiert de plus signé. gâté,
Quand la fortune s'enfuit loin de l'enfant chéri qu'elle avait
puissants titres à nos larmes. il soutint sans plier le poids des infortunes accumulées sur sa
tête.
XXXII. XL.
On pleure, mais on sourit enfin ; et en souriant ou pleure encoro : Plus sage alors qu'au jour de tes grandeurs ; car au sein de cel-
l'arbre se flétrit longtemps avant de tomber; le navire marche en- les-ci l'ambition t'endurcit,et lu laissas trop paraître ce juste mépris
core quand il a perdu son mât et sa voile ; la poutre consumée que l'inspiraientles hommes et leurs pensées habituelles. Ce mépris
tombe du toit, mais ses débris encombrentlongtemps lc pavé de la était mérité, mais fallait-il le porter toujours empreint sur tes lèvres
salle solitaire; lc mur en ruine reste debout quand ses créneaux et sur ton front? fallait-ilhumilier les agents dont tu élais obligé de
minés par les éléments gisent autour de lui; la chaîne survit au te servir, au point de les pousser à se retourner contre loi pour pré-
captif qui l'a portée ; le jour continue de s'écouler, même quand le9 parer la ruine? Qu'on le perde ou qu'on le gagne, c'est un triste
nuages obscurcissent lc soleil : ainsi le coeur peut se briser, mais objet d'ambition que ce inonde : lu l'as bien éprouvé, comme tous
tout brisé qu'il est il continue à vivre. ceux qui se sont proposé un pareil but.
XXX11I. XLI.
Comme un miroir rompu se reproduit dans chacun de ses frag- S], comme une lour bâtie au sommet d'un roc escarpé, lu avais
ments cl enfante mille images au lieu d'une, et plus encore si on le dû résister ou tomber seul, un tel mépris de l'homme aurait pu
morcelle davantage : ainsi fait le coeur qui ne sait point oublier, vi- l'aider à braver le choc ; mais les intelligences humaines formaient
vant d'une existence fragmentaire, immobile et froide, ne sentant les degrés de ton trône, l'admiration que lu inspirais était la plus
plus le sang circuler en lui, souffrant d'une douleur sans sommeil, sûre de tes armes. Ton rôle élait celui du fils de Philippe, pourquoi
se flétrissant enfin à mesure seulement que tout vieillit autour de donc (à moins que tu n'eusses jeté la pourpre de côté) te moquer des
lui, et ne donnant aucun signe visible de son état; car ces choses hommes à la manière de Diogènc? La terre serait un tonneau trop
ne se disent pas. vaste pour des cyniques couronnés.
XXXIV.
Il y a dans le désespoir même un principe actif, une vitalité vé- XLII.
néneuse, racine vivace qui nourrit toutes ces branches frappées de Mais pour une âme active, le repos est l'enfer ; et voilà ce qui
mort : car ce ne serait rien de mourir ; mais la vie elle-même doit causa ta perte. L'âme renferme un feu qui ne saurait se restrein-
apprendre à se repaître du fruit abhorré de la douleur, semblable à dre à ses étroites limites, mais qui aspire sans cesse au-delà du mi-
ces pommes des rivages de la mer Morte qui n'offrent que des cen- lieu des justes désirs : une fois allumé, rien ne saurait l'assouvir;
dres à celui qui les goûte. Si l'homme voulaitn'estimer sa vie que il se repaît d'aventureuses destinées et ne se fatigue que du
repos :
par la quantité de ses jouissances, et prendre chaque jour de bonheur fièvre intérieure fatale à tous ceux qui en ont été atteints un seul
pour Une année, compterait-il bien douze lustres? instant.
XLIII.
XXXV.
Celte lièvre fait les insensés qui, par leur contact, rendent in-
Le psalmiste a supputé les années de l'homme : et elles lui ont sensés les auires hommes, conquérantset rois, fondateurs de sectes
paru assez nombreuses. Mais pour toi, si l'histoire dit vrai, fatal et de syslèmes, auxquels il faut ajouter sophistes, poêles hommes
Walerloo! elles l'étaient trop encore, et tu nous as même enviéi d'Etal : êtres inquiets et dangereux qui font vibrer trop ,fortement
celte durée fugitive. Des millions d'hommes rappellent ton souve- les secrets ressorts de l'unie, et sont eux-mêmes les dupes de ceux
nir; les lèvres de leurs enfants répéteront ce qu'ils ont appris d'eux, qu'ils abusent : hommes enviés et pourtant bien peu digues d'envie,
et diront : « C'est à Waterloo que des nations coalisées ont tiré l'é-, el tourmentés des plus cruels aiguillons! Le sein de l'un d'eux, mis
pée; c'est là que nos ancêtres ont combattu. » El de cette grande', h nu enseignerait à l'humanité ce que valent la puissance et Ici
journée, voilà lout ce qu'aura épargné l'oubli. gloire.,
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON.

XL1V. LU.
L'agilation est leur élément : leur vie est une tempête qui les Ainsi pensait Harold en suivant le cours du fleuve. Et pourtant il
emporte pour les laisser tomber enfin ; et pourtant ils sont tellement ne demeurait point insensible au charme qui éveillait le chant
enivrés, tellement idolâtres de la lutte, que s'ils voyaient le calme matinal de l'oiseau joyeux, à toutes les beautés de ces vallons où
du crépuscule succéder à leurs jours remplis de périls ils se sen- l'exil lui-même sembleraitdoux. Si son front élait sillonnéde lignes
,
tiraient écrasés d'ennuis et de tristesse, et mourraient sous le poids. austères,si une calmeaustérité y avaitprisla place de sentiments plus
Semblables à une flamme sans aliment qui vacille et s'éleint, ou à vifs mais moins purs; le sourire n'élait pas toujours absent de ses
l'épée qui se rouille dans l'oisiveté el s'y consume sans gloire. traits : à l'aspect des beautés de la nature, un rayon de bonheur
venait les illuminer tout-à-coup.
XLV.
LUI.
Escaladez le sommet des montagnes, et vous trouverez les plus
hauts pics enveloppés des plus sombres brouillards, de la neige la L'amour n'clail pas non plus entièrement banni de son coeur,
plus épaisse : de même celui qui dépasse ou subjugue l'humanité, bien que ses brûlantes passions se fussent consumées elles-mêmes.
assume sur lui loules les haines. Au-dessus de lui brille le soleil deC'est en vain que nous essaierionsde regarder avec froideur un visage
la gloire au-dessous s'étendent les terres et l'Océan ; mais autour qui nous sourit; le coeur, dégoûté de toutes les affections de ce-
, monde, se laisse pourtant aller de nouveau sur la pente de la ten-
de lui il n'aperçoit que des rocs glacés, les tempêtes déchaînées as-
dresse. C'est ce qu'éprouvait Harold : car il existai! une âme où
siègent, de loules parts sa tête nue : teile est la récompense des tra-
vaux qui l'ont conduit sur ces hauteurs. vivait son souvenir, une âme sur laquelle il pouvait s'appuyer avec
confiance et avec laquelle il aurait voulu confondreson âme ; et, dans
XLVI. ses heures d'attendrissement, c'est sur celte pensée qu'il aimait à se
_„„.. „„._..,
Loin de moi de pareilles pensées! Le monde de la véritable sa- ' reposer.
LIV.
gesse est dans ses propres créations ou dans les tiennes, ô nature ,
ô sainte mère! Combien de merveilles en effetn'enfanles-lu pas sur Et il savait aimer (je ne sais pourquoi dans un loi homme ce
les bords du Rhin majestueux. C'est là qu'Harold contemple une trait semble étrange), il savait aimer le regard innocent de l'en-
oeuvre divine, assemblage de loules les beautés : ondes, vallons, fance, dans sa fleur, et dans son bouton même : quelle cause pou-
fruits, feuillages, rochers, bois, champs cultivés, montagnes et vait transformer ainsi une âme imbue du mépris de l'humanité?
vignobles. Çà el là des caslels abandonnés semblentdire un mélan- n'importe; la chose était telle; et quoique la solitude soit peu fa-
colique adieu du haut de leurs remparts, où la ruine grisâtre s'en- vorable au développementdes affections, celle-ci cependant brillait
toure de verdure. dans son coeur où loules les autres s'étaient éteintes.
XLVII.
Semblables à ces esprits ailiers qui, minés par le malheur, dédai- LV.
gnent d'abaisser leur fierté devant la foule qu'ils méprisent, ces 11 était donc un tendre coeur, avons-nous d'il, uni au sien par des
manoirs sont là debout, habiles seulement par le vent qui vient sif- noeuds plus forts que ceux que l'Eglise a bénis. Non consacré par
fler à travers les crevasses, cls'alliant Iristcmenlavec les nuages. 11 l'hymen, cet amour élait pur, sans déguisement, et il avait résisté,
fut un temps où ils étaient pleins de jeunesse et de fierté : des ban- il s'était affermi même à I épreuve d'inimitiés mortelles cl de dan-
nières flottaient sur leurs murs, des bataillesse livraient au-dessous; gers redoutables surtout aux yeux d'une femme. Il était resté fer-
mais les combattants sonl ensevelis dans leur sanglant linceul, me, et il méritait bien ce chant de regrets qu'Harold lit entendre
depuis longtemps les étendards ne sont plus qu'une poussière in- du rivage étranger.
forme, et les créneaux ruinés ne soutiendront plus de siège. 1.

XLV1II.
Les rochers du château de Drachenfels, sombres et majestueux,;
dominent les larges détours du Rhin. A leurs pieds les vagues du
Sous ces créneaux, dans l'enceinte de ces murailles, habitait lc fleuve s'enflent ou s'aplanissent entre les coteaux couverts de pam-
pouvoir avec ses passions habituelles. Des chefsde brigands tenaient pre , les collines ornées d'arbres fleuris et les champs qui pro-
orgueilleusement leur cour dans les salles garnies d'armures, libres mettent de riches moissons. Çà et là des cités, avec leurs blanches
d'accomplir leurs plus cruels caprices, et non moins fiers de ce pou- murailles, se font remarquer'au loin cl couronnent ce tableau que
voir que des héros plus puissants cl plus anciens. Que manquail-il je contempleraisavec un doublebonheur si tu étais avec moi.
à ces hommes hors la loi pour être de vrais conquérants ?... Rien
qu'une page de la vénale histoire qui leur eût donné le litre de %.
grands; un plus vaste théâtre, un tombeau magnifique. Leur ambi-
tion était tout aussi vive, leur bravoure n'était pas moindre. Déjeunes villageoises aux yeux bleus, dont la main nous offre les
fleurs du printemps, embellissent cet Eilen de leur sourire. Sur cluv
XLIX. que montagne, les châteaux de la féodalité élèvent leurs murs gri-
sâtres parmi les ombrages verdoyants; des rochersà la pente rapide
Dans leurs luttes féodales et leurs combats en champ clos, com- et les nobles débris d'antiques arceaux apparaissent au-dessus des
bien de prouesses dont lc souvenir s'est perdu I L'amour qui, pour treilles de la vallée. El surles bords du Rhin une seule chose manr
composer les armoiries du leurs écus, inventa les ingénieux emblèmes que à mon bonheur, c'est de sentir ta douce main pressée dans la
d'une tendre fierté, l'amour se glissait jusqu'à ces coeurs d'airain à mienne.
travers les mailles de leur armure; mais il n'allumait en eux que 3.
des flammes farouches, causes de combats et de meurtres, et plus
d'une de ces tours, conquise pour la possession d'une beauté fatale; Je t'envoie les lis qui m'ont été offerts, sachant bien que longtemps
a vu les flots du Rhin rougir à ses pieds. avant d'arriver jusqu'à loi, ils seront entièrement flétris. Ne les
dédaigne pas cependant : car je les ai aimés pensant que ton oeil
L. pourrait les voir; qu'ils formeraient un lien entre tpn âme et la
mienne, quand lu songerais que ces fleurs fanées ont été cueillies
Mais loi, fleuve abondant et superbe, les vagues bénies ne répan- sur les bords du Rhin cl offertes par mon coeur à ton coeur.
dent que la fertilité sur toul ce qu'elles arrosent ; tes rives sonl re-
vêtues (l'une beauté qui serait éternelle, si l'homme respectait tou- i.
jours ton ouvrage, et si la faulx tranchante de la guerre ne venait
souvent moissonner ce. que tu promets de richesses. Alors, la vallée Le fleuve écumant traverse avec majesté ces bords magiquesdont
il fait le premier enchantement ; et chacun de ces mille détours ré-
aux douces ondes offrirait sur la terre une image de l'Elysée ; et vèle aux yeux de nouvelles beautés. Quel mortel ambitieuxne borne-
pour sembler telle à mes yeux, que lui manque-l-jl en effet?... que
les flols soient ceux du Léthé. rait point ses désirs à couler ici ses jours dans de molles délices. Âli !
nul climat n'est aussi favorisé de la nature, nul asiie ne mç paraî-
LI. trait aussi doux si tes yeux, s'y promenant cpmme mes yeux, ve- .
Mille batailles ont ensanglanté tes rives, mais l'oubli a couvert naient encore embellir les rives du Rhin. _^--
la moitié de leur gloire. Le carnage y a entassé des monceaux de
cadavres : les tombeaux même des guerriers ne sont plus, et leurs LVL
noms même ont disparu. Chaque jour la vague etface le sang de Près de Coblentz une simple et humble pyramide couronne un
la veille ; il n'en reste plus de traces et dans ton onde limpide le tertre de vert gazon. Sa base recouvre les cendres d'un héros qui
soleil mire ses rayons tremblotants. Mais tous tes flots réunis, quel fut notre ennemi; mais que cela ne nous empêche pas d'honorer la
que soit leur pouvoir pour balayer tout vestige, ne pourraient effa- mémoire de Marceau. Sur sa tombe prématurée, plus d'un farouche
cer les songes douloureux d'une mémoire assombrie. soldat versa des larmes, de grosses larmes, déplorant el enviant à la
ri 3 LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

fois le destin de celui qui mourait pour la France, pour la conquêle On croirait voir un malheureux que la terreur a changé en pierre
de ses droits. et qui, au milieu de son égarement, conserve encore la conscience
LVII. de son état. Ce monumentest là debout, merveilleux surtout par
Elle fut courte, vaillante cl glorieuse, la carrièredu jeune général; sa conservation, tandis qu'un autre orgueil de l'art humain, Avcn-
ticum, ville égalementantique, réduite au niveau du sol, a parsemé
son deuil fut porté par deux armées, par ses compagnons el ses de débris ses anciens domaines.
ennemis. L'étranger qui s'arrèle en ce lien peut sans honlc prier
Ïiour lc repos de celle âme intrépide ; car Marceau fut le champion de LXVI.
a liberté ; il fut du petit nombre de ceux qui n'ont pas dépassé la
mission qu'elle confie à ses défenseurs : il garda la candeur de C'est ici que Julia... Oh 1 béni soit à jamais ce doux nom I C'est
son âme, el c'est pourquoi les hommes l'ont pleuré. ici que Julia, héroïne de l'amour filial, avait consacré sa jeunesse
au ciel : son coeur, cédant à l'affection dont les droits sont les plus
LVII1. puissantsaprès ceux de la Divinité,se brisa sur la tombe d'un père.
Plus loin, sur la hauteur, paraît Ehrenbrcitslein : ses murs La justice a juré de ne point se laisser attendrir par les larmes, sans
déchirés, tout noirs de l'explosion de la mine, laissent encore voir quoi ses larmes auraient obtenu la vie dont dépendait la sienne :
le juge fut inexorable et elle mourut avec son père, ne pouvant le
ce qu'étaitcelle citadelle-formidablequand les bombes et les boulets sauver. Une tombe simple et sans buslc les renferma tous deux
rebondissaient impuissants autour d'elle. Tour chère à la victoire,
d'où l'oeil suivait dans la plaine la fuite de l'ennemi vaincu : mais et leur urne ne contint qu'une âme, un coeur, une même cendre.
la paix a détruitce que la guerre n'avait pu entamer : elle a ouvert
LXVII.
aux pluies de l'été ces voûtes orgueilleuses qui pendant des siècles
avaient bravé la grêle des boulets. Voilà des actes dont la mémoire devrait être éternelle et des noms
qui ne devraientpas mourir dans cet oubli qui engloutit justement
LIX. les empires, les maîtres et les esclaves,cl leur morlet leur naissance.
î Adieu ! beau fleuve du Rhin : avec quelle peine le voyageur ravi Oui, la haute majesté de la vertu doit survivre et survit réellement à
s'éloigne de tes bords ! Ton aspect convient également et à deux son martyre, et du haul de son immortalité,elle regarde le soleil face
âmes unies et à la contemplation solitaire. Oh! si l'insatiable vau- à face comme ces neiges des Alpes éternelles et pures parmi toutes
tour du regret pouvait cesser de s'acharner sur l'âme désolée, ce les choses d'ici-bas.
serait dans ces lieux où la nature, sans être trop sombre ou trop LXVI1I.
gaie, sauvagesans rudesse, majestueuse mais non austère, est pour
les autres contrées de la terre ce que l'automne est pour l'année. Le lac Léman me sourit avec son front de cristal, miroir profond
où les étoiles et les montagnes réfléchissentle calme de leur aspect,
LX. leurs sommets élevés et leurs teintes variées. Il y a trop de l'homme
ici pour que je puisse contempler dans une disposition convenable
Encore une fois, adieu I Mais c'est en vain, on ne peut dire adieu le grand spectacle qui s'offre à moi ; mais bientôt la solitude réveil-
à un pareil séjour : la mémoire prend l'empreinte de toutes ses lera dans mon âme des pensées cachées,mais non moinschères qu'a-
beautés el si les yeux se détachent enfin de toi, ô fleuve enchanteur! vant mon retour parmi le troupeau des hommes el dans leur trislc
c'est avec un dernier regard de gratitude el d'amour. H peul exister bercail.
des contrées plus puissantes, d'autres revêtues de plus d'éclat, mais LX1X.
aucune ne réunit en elle seule, comme ces sites pittoresques, la
beauté, la douceur, et les glorieux souvenirs des anciensjours. Fuir les hommes, ce n'est point les haïr : lout le monde ne se
sent pas fait pour s'agiter et travailler avec eux. Ce n'est point leur
LXI. témoigner un dédain morose que de retenir son âme au fond de la
Ici l'on voit la grandeur et la simplicité, une végétation luxuriante source, de peur qu'elle ne se consume dans celle foule brûlante où
qui présage la fécondité les brillants édifices des grandes villes, tout devient victime de sa propre corruption. U ne fautpoint risquer
les ondes majestueuses, lc , sombre précipice la forêt verdoyante, d'avoir à nous repentir trop lard et longtemps, après avoir usé nos
les tours gothiques semées çà et là les rocs , sauvages.taillés forces dans une lutte bruyante,rendant le mal pour le mal, au milieu
en d'un monde hostile où toute force n'est que faiblesse.
tourelles el défiant l'architecture des ,hommes, cl au milieu de ces
tableaux une population aux visages riants comme eux : car ici les LXX.
bienfaits de la nature semblent jaillir des flots même du fleuve pour
se répandre sur leus, à côlé des empires écroulés. Là, nous pouvons en un moment nous préparerde longues années
de repentir; là, nous pouvons flétrir notre âme au point que tout
LXII. noire sang se change en larmes et que l'avenir se revête à nos yeux
des teintes de la nuit. Pour ceux qui marchentdans les ténèbres, la
Mais toul cela est déjà bien loin. Sur ma tête s'élèvent ies Alpes,
ce palais de la nature , dont les vastes murailles sont couronnées course de la vie n'est qu'une fuite sans espoir. Sur l'Océan, lc pilote
le plus hardi ne se dirige que vers un port bien connu -. mais com-
d'une corniche de glaciers perdus dans les nues, trône sublime et bien de nautonniers errent sur la merdel'éternité, laissent aller leur
froid de l'éternité où se forme et d'où tombe l'avalanche, cette fou- barque au hasard et ne jetteront jamais l'ancre !
dre de neige. Tout ce qui peut élever l'esprit et l'épouvanter en
même temps C3t réuni autour de ces sommets comme pour montrer
LXX1.
que la lerre peut s'approcherdu ciel el laisser l'homme tout en bas
malgré son orgueil. Ainsi, n'est-il pas plus sage de vivre seul et de ne s'attacher à
LXIII. la terre que pour ses charmes naturels, de vivre près des flols bleus
du Rhône rapide comme une flèche, ou près de la limpidesurface du
Mais avant d'oser franchir ces monls sans rivaux, il esl un lieu lac qui nourrit le jeune fleuve comme une mère corrige un bel enfant
que je ne puis passer sous silence : c'est Morat, noble et patriotique maussade étouffant ses pleurs sous des baisers? N'esl-il pas plus
champ de bataille, où l'homme peut contempler de funèbres tro- ,
sage de passer ainsi la vie, que de nous mêler à la foule turbulente
phées sans rougir pour les vainqueurs. C'est ici que la Bourgogne
abandonna ses guerriers sans sépulture : leurs ossements amon- pour souffrir ou faire souffrir.
celés y resteront pendant des siècles- et feront eux-mêmes leur LXXH.
monument. Privés des honneurs de la tombe, leurs mânes errent
sur les bords du'Styx en poussant de longs gémissements. Je ne vis pas renfermé en moi-même, mais je m'identifie avec ce
qui m'entoure : les hautes montagnesévcillentcnmoi un sentiment;
LX1V. mais le tumulte des cités m'est un supplice. Je ne vois rien de haïs-
sable dans le monde, sinon de former malgré soi un des anneaux
Tandis que Walerloo lc dispute à la sanglante défaite de Cannes, d'une chaîne charnelle; de se voir assigner un rang parmi des créa-
Morat et Marathon seront deux noms jumeaux, trophées sans tache,Î turcs de même espèce , tandis que l'âme pourraitprendre son vol el
d'une véritable gloire. .L'ambition ne guidait pas les vainqueurs : se confondre non sans fruit avec les cieux, la montagne, les étoiles
c'était.une noble armée de citoyens, de frères, champions désin- ou les plaines agitées de l'Océan,
téressés d'une cause qui n'était poinl celle d'un prince ou d'une
courr !
corrompue. Ceux-là ne condamnèrent aucun peuple à gémir souss LXXHI.
des lois blasphématoires et draconiennesqui proclament lc droit di-
vin des rois. Absorbé dans la création, c'est alors que je crois vivre ; ce désert
LXV. d'hommesque j'ai traversé, je n'y vois qu'un lieu d'agonie cl de com-
bats, un exil ou en punitionde quelque fautej'ai été envoyé pour agir
Près d'un humble mur une colonne solilaire s'élève grisâtre, an- et souffrir. Je remonte enfin et prends un nouvel essor : je sens
tique et usée par la douleur, dernier débris du naufrage des siècles. croître mes ailes ; déjà vigoureuses, quoique jeunes, elles deviennent
i.
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON. 53

capables de lutter contre les vents, que je vais fendre avec bonheur, déchirer
<
lc voile, et exposer aux yeux de l'univers les secrets qu'il
dédaignant ces liens d'argile qui emprisonnent noire èlre. cachait.
< Mais les novateurs détruisirent le bien en même temps que
lc mal, el ne laissèrent que des ruines avec lesquelles on rebâtit
LXXIV. bienlôtsur
I les mêmes fondements, des prisons et des trônes, bientôt
occupés comme auparavant ; car l'ambition ne pense jamais qu'à
Et lorsqu'enfin l'esprit sera libre de tout ce qu'il abhorre sous '
elle.
cette forme déchue, dépouillé de cette vie charnelle, sauf ce qui se LXXXHI.
verra appelé à une vie plus heureuse sous la forme d'insectes et de Mais cela ne saurait durer, ni se souffrir longtemps. Le genre
vers : lorsqueles élém enlsretourneront aux élémentset que la pous- humain a senti sa force et l'a fait sentir à ses tyrans. Les peuples
sière ne sera plus que de la poussière, ne sentirai-je pas alors tout
ce que j'entrevois maintenant, moins ébloui peut-être, mais pénétré auraient pu en faire un meilleur usage; mais enivrés de leur nou-
de plus de chaleur ? Ne verrai-je point la pensée dégagée du corps, velle puissance, ils ont étouffé la voix de la pitié et se sont jetés les
et le génie de chaque lieu dont parfois je partage déjà l'immortelle uns sur les autres. Élevés dans l'antre ténébreux de l'oppression,
existence ? ils n'avaient point, comme les petits de l'aigle, grandi à la face du
LXXV. soleil : peut-on s'étonner qu'ils se soient trompés de proie?
Montagnes, vagues, voûte céleste, n'èles-vouspoint une partie de LXXXIV.
moi-même cl de mon âme, comme je suis une portion de votre être?
Votre amour, la plus pure des passions, n'cst-il pas profondément Quelles blessures profondes se sont jamais fermées sans laisser de
enraciné dans mon coeur ? Comparés à vous, tous les objets terrestres cicatrice ? Celles du coeur saignent le plus longtemps, et impriment
ne sont-ils pas dignes de mépris? Ne consentirais-je pas à souffrir de tristes stigmates. Ceux qu'animent de légitimes espérances peu-
mille tourments avant d'échanger de tels sentiments contre la dure vent être vaincus : alors ils se taisent; mais ils ne se soumettent
et mondaine indifférence de ceux dont les regards sont incessam- pas : l'implacable ressentimentse lient immobile dans son repaire,
ment tournés vers la terre et dont la pensée ne s'anime jamais d'une jusqu'au jour qui doit lui payer des années d'attente. Nul ne doit
noble chaleur. désespérer : il est déjà venu, il vient el viendra encore lc jour qui
LXXVI. nous permettra de punir ou de pardonner... De ces deux pouvoirs,
il en est un que nous serons moins pressés d'exercer.
Mais je me suis écarté de mon sujet : il faut revenir aux lieux que
je chante. Que ceux qui se plaisent à rêver sur l'urne funéraire. à LXXXV.
contempler une poussière qui fut jadis une flamme, s'arrêtent avec
moi devant la tombe d'un des enfants de ce pays dontje respire un mo- Limpide et calme Léman I ton lac, qui contraste avec lc monde
ment l'air pur, hôte passager des lieux qui lui ont donné l'être. Il orageux où j'ai vécu, m'avertit par son silence d'échanger les eaux
ambitionnala gloire ; et pour conquérir et garder cette vaine idole, troublées de la terre pour une source plus pure. La voile de celle
il sacrifia tout le reste. barque paisible esl comme une aile silencieuse sur laquelle je vais
fuir le désespoir. Il fut un temps où j'aimais les mugissements de
LXXVII. l'Océan furieux; mais ton doux murmure m'attendrit comme la voix
Oui, c'est ici que Rousseau commençaune viequi fil son malheur, d'une soeur qui me reprocherait d'avoir trop recherché de sombres
Rousseau, çc sophiste sauvage, seul auteur de ses proprestourments, I plaisirs.
apôtre de la mélancolie, qui revêtit la passion d'un charme magique LXXXVI.
et puisa dans' la douleur une irrésistible éloquence. Rousseau sut Voici que descend la nuit silencieuse ; et depuis tes bordsjusqu'aux
embellir jusqu'à la folie ; il répandit sur des acles et des pensées montagnes, tous les objets sont enveloppés du crépuscule,mais en-
coupables un céleste coloris : son éloquence est un rayon de soleil
éblouissant les yeux et leur arrachant des larmes. , core distincts; leurs contours s'affaiblissent, mais ils se délachent
des masses, sauf le sombre Jura, dont toutes les crêtes se confon-
dent en un seul précipice escarpé. En se rapprochant du rivage, on
LXXVIII. respire le vivant parfum des fleurs qui viennent de naître : on en-
Son amour étail l'essence môme de la passion ; sentir son coeur tend lc bruit léger des gouttes d'eau qui tombent de l'aviron sus-
embrasé, consumé par une flamme célesle, comme l'arbre frappé de pendu, ou le chant aigu du grillon qui salue le retour de la nuit.
la foudre : tel élait son amour. Mais ce n'était pas l'adoration d'une
femme vivante, ou d'un fantôme tel qu'en suscitent nos songes : une LXXXVII.
beauté idéale se confondait avec son existence ; toul insensé qu'il C'est, le joyeux musicien du soir : il fait de sa vie une enfance et
peut paraître, ce sentiment déborde de ses pages brûlantes. la passe à chanter. Par intervalles, un oiseau fait entendre sa voix
du sein d'un buisson, puis il se lait. Je ne sais quel murmure sem-
LXXIX. ble Holler sur la colline; mais ce n'est qu'une illusion; car la rosée
11 sift animer Julie de son souffle et la revêtit d'un charme roma- distillée des étoiles épuiscsilencieuscmcnttoutes ses larmes d'amour
nesque et doux. C'est lui qui sanctifiait ce baiser si célèbre que cha- pour imprégner le sein de la nature de sa céleste essence.
que malin ses lèvres ardentes du poète allaient cueillirsur les lèvres
d'une femme qui ne l'accordaitqu'à l'amitié ; mais à ce doux contact LXXXV1H.
la flamme dévorante de l'amour s'emparait de son cerveau et de son Etoiles»! poésie du ciel ! Si nous cherchons à lire dans vos bril-
coeur; et tout son être, absorbé dans un soupir, y trouvait l'ineffable lants caractères les destinées des hommes et des empires, nous som-
jouissance que ne donne pas aux êtres vulgaires la possession com-
plète de l'objet aimé. mes pardonnables : c'est dans nos aspirations vers tout cemortelle qui est
grand, que nous osons franchir les bornes de notre sphère
LXXX. el nous croire quelque parenté iivee vous : car vous êles toute beauté,
Savie fut unelonguelultecontredesenncmisquelui-mômcs'était tout mystère, et vous nous inspirez de loin tant d'amour et de res-
créés ou contre des amis qu'il avait repoussés. Car la défiance, s'é- pect, que la fortune, la gloire, la puissance et la vie ont pris une
lant fait de son âme un sanctuaire, lui demandait pour victimes étoile pour emblème.
ceux qu'il aimait le plus et qu'il immolait avec une bizarre et aveu- LXXXIX.
gle fureur. Mais il elait en démence... Pourquoi? nul ne peut le Lc ciel et la lerre sont plongés dans le repos, mais non dans le
•"; dire : la science humaine n'en trouvera peut-êlre jamais la cause ; sommeil; ils retiennent leur haleine comme le mortel qui éprouve
et sa folie, effet de la maladie ou du malheur, était arrivée à ce point'
funeste où elle revêt les apparences de la raison. une émotion vive ; ils sonl muets comme celui qu'absorbe une pen-
(J
sée profonde. Le ciel et la terre sont plongés dans le repos : depuis
LXXXI. le sublime cortège des étoiles, jusqu'au lac assoupi et à la rive mon-
tagneuse, tout se concentre dans une vie intense : il n'est pas un
Car alors il élait inspiré, et de sa retraite solitaire comme jadis de rayon,pas un souffle, pas une feuille qui n'ait part à cette existence
l'antre mystérieuxde la pythonisse, partaient ces oracles qui mirentt et qui ne communie par elle avec le Créateur et Conservateur du
lc monde en flammes, incendie qui ne s'éteignit qu'après avoir dé- monde.
truit des empires. La France ne l'a pas oublié, la France, qui jus- XC.
que-là s'était courbée sous une tyrannie consacrée par les siècles. .
s'éveille ce sentimentde l'infini, manifesté dans la solitude,
Tremblante auparavant sous le joug, à la voix de Rousseau et de là Alors où nous sommes le moins seuls : c'est la vérité qui s'infuse dans
ses disciples, elle se leva tout-à-coup, animée de cet excès de colère tout nolreôtre, et le purifie de sa personnalité ; c'est une vibration,
qui succède à l'excès de la servilité. âme et source de la musique, qui nous initie à l'éternelle harmonie;
LXXXII. c'est un charme pareil à celui de la fabuleuse ceinture de Cythérée
unissant toutes choses dans le lien de la beauté : charme qui désar-
Ce peuple s'éleva un effroyable monument des débris des vieilles merait le spectre même de la mort, si ce spectre avait réellement le
opinions, et des mille abus contemporainsdu monde. La France osa pouvoir de nuire.
H4 LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

XCI. XC1X.
Qu'elle était grande et juste l'-idéc des anciens Persans, qui pla- Clarcns! aimable Clarens! berceau d'un véritable amour, ton air
çaient les autels de la divinité sur les hauteurs et les cimes des mon- e le souffle de la pensée, de la jeunesse el de la passion ; les arbres
est
tagncs , d'où l'on contemple au loin la terre, et qui priaient dans ont
o leur racine dans le sol de l'amour; ses couleurs se reflètent dans
des temples dignes de lui, dans des temples sans murailles, le grand hles neiges de les glaciers, el lès rayons du soleil couchants'y endor-
Esprit si imparfaitementhonoré dans des sanctuaires élevés par la ment
n amoureusement en les colorant d'une teinte de rose- tes ro-
main dés hommes-. Venez dbiic comparer vos colonnes, Vos voûtes chers
c et les précipices eux-mêmes parlent des amants qui y cherchè-
idolâtrés, grecques ou gothiques, avec la lerre etles cieux, ces tein- r un refuge contre les persécutionsde ce monde perfide, qui fait
rent
pies de la nature, et vous cesserez dé circonscrirela prière dans ces iiaîlre
i dans les coeurs des espérances, des affections, et puis qui
étroites enceintes. raille
r ensuite les sentiments qu'il a produits.
XCII.
Mais le ciel change d'aspect.... et quel changement! O nuit, ora-
ges et ténèbres, vous êtes des puissances merveilleuses el pourtant O Clarens, les sentiers conserventl'empreinte de pas célestes, des
aimables dans votre force, comme l'éclair de l'oeil noir de la femme. pas
I immortels de l'amour : c'est ici qu'il a placé son trône dont les
Au loin, de roc en roc et parmi les abîmes qui retentissent, le ton- montagnes
i sonl les degrés. Sa divinité est une vie, une lumière qui
lierre bondît Comme un être vivant. Ce n'est point d'un nuage isolé pénètrent
I partout, et non-seulement parmi les monls sourcilleux,
qUe partent les coups ; niais chaque montagne a trouvé une voix, et 1les antres et les forêts paisibles : mais l'étincelle de son regard fait
à travers son linceul de vapeurs, le Jura répond aux Alpesjoyeuses épanouir
« la fleur, et son baleine la caresse, sa douce et chaude ha-
qui l'appellent bruyamment. 'leine, plus puissante en même temps que les tempêtes à leursheures
les plus terribles.
XCIII. Cl.
Cependant la nuit règne... Nuit glorieuse, lu ne fus pas destinée Ici tout proclame sa puissance : il esl là-haut dans l'ombre de ces
au sommeil I Laisse-moi partager les sauvages cl brillants plaisirs ; noirs sapins ; ici dans la voix mugissante des torrenls; dans les pam-
laisse-moi me confondre avec la tempête et avec toi ! Le lac en-
flammé étincelle comme une mer phosphoiïquccl la pluie aux lar- pres verdoyants semés sur la pente insensible qui mène au rivage;
dans ces llbls caressants qui viennent au-devant de lui et l'adorent
ges goultcs rebondil sur la lerre. Un moment lout redevient ténè- en baisant ses pieds avec un doux murmure. La forêt avec ses vieux
bres ; puis là voix des montagnesse fail entendre bruyante et pleine arbres dont le tronc est blanchi par l'âge, mais dont les feuillessont
d'allégresse, comme si elles se réjouissaient de la naissance d'un jeunes comme le plaisir, est encore à la môme place que jadis et
tremblement de terre. offre à l'amour et a ses favoris une solitude peuplée;
XCIV.
CIL
Dans un endroit de son cours, le Rhône rapide s'ouvre un che-
min entre deux rochers, pareils à deux amants qu'un profond res- Oui, peuplée d'abeilles el d'oiseaux, peuplée de myriades d'êtres
sentiment a séparés et qui, le coeur brisé, ne peuvent pourlanl se aux formes féeriques, aux couleurs variées, qui, libres de loulc con-
réunir, tatil est profond l'abîme qui s'est creusé enlre eux. Et ce- trainte el pleins de vie, célèbrent ses louanges par-des sons plus
pendant, quand ils se sont mutuellementblessés, l'amour était au doux que loulc parole, et déploient iiinocemnicntleuisnilcsjoyeuscs.
fond de la rage cruelle et tendre qui a flétri la fleur de leur vie; Ici la source jaillissante, la cascade abondante et sonore, les ra-
puis ils se sont quittés, et à la longue,l'amour lui-même s'est éteint, meaux de l'arbre qui balancent leur feuillage, la fleur dans son
leur laissant des années qui ne comptentque des hivers. bouton, image frappante de la jeune beauté, loules ces oeuvres de
l'amour forment un mélange harmonieux créé pour une lin unique
XCV. cl grandiose.
Or, c'est dans l'endroit où le Rhône rapide s'ouvre ce chemin, cm.
que la lempêle rugit plus terrible: là ce n'est poinl un orage, ce Ici, l'êlre qui n'a point aimé peut s'initier aux tendres mystères et
sont vingt ouragans qui lu lient ensemble et se renvoient le tonnerre faire de son coeur une pure flamme; celui qui les connaît en ai-
de l'un à l'autre, en lançant autour d'eux l'éclair el la foudre : le plus mera davantage : car c'est ici l'asile de l'amour, c'est là qu'il s'est
étincelanlde lous a dardé ses flèches entre ces deux rocs disjoints, retiré, loin des tourments de la vanité et des dissipationsdu monde;
comme s'il comprenait que là où la destruction a déjà l'ail un tel car il est dans sa nature de croître ou de mourir; il ne peut, rester
vide, le feu du ciel doil dévorer tout le reste. immuable, mais il doit, décliner ou s'accroîtrejusqu'à un bonheur
immense qui, dans son éternité, peut rivaliser avec les immqftelles
XCVL splendeurs.
Cieux, montagnes, fleuves, vents, lac, éclairs! vous méritiez bien C1V.
qu'au milieu delà nuit, des nuages et du tonnerre, une âme capa- Ah! si Rousseau a choisi ce coin do terre pour le peuplerde ten-
ble de vous comprendre veillât pour vous contempler et s'inspirer dres affections, ce ne fut point par une simple supposition romanes-
devons. Le roulement lointain de vos voix expirantes csll'écho de
ce qui veille toujours en moi... même quand le corps se livre au que: maisil reconnut que la passion ne pouvait assigner un plus
digne séjour à ces êtres épurés, enfants de l'imagination. C'est
repos. Mais quel est, ô tempêtes, le terme de vos courses? Êtes-vous dans ces lieux que lejeune Amour dénoua la ceinture de sa Psyché,
comme vos soeurs qui grondent sans repos dans le coeur de l'homme? les consacrant ainsi par un charme adorable. Solitude mystérieuse,
Ou bien, semblables à l'aigle, avez-vous là-haut un nid qui vous enchantée, où les sons, les parfums, les couleurs elles formes char-
attend? Imcnt à la fois lous les sens, c'est dans ton sein que le Rhône a
XCV1I. |
étendu sa couche et que les Alpes ont élevé leur trône!
Oh! si je pouvais maintenant produira au-dchors ce que je sens
en moi de plus intime et lui donner un corps ; si je pouvais jeter CV.
mes pensées dans le mouled'une expression,et renfermer lout ainsi, O Lausanne I et toi, Ferney! vous nous rappelez des noms qui
âme, coeur, esprit, passions, sentiments forts on faibles, tout ce que
je voudrais avoir ambitionné et tout ce que j'ambitionne encore, ont rendu vos noms célèbres : vous accueillîtes deux moi-tels qui,
tout ce que je souffre, connais, éprouve sans en mourir. renfer- par une route périlleuse, ont cherché et atteint Une gloire immor-
telle. Intelligencesgigantesques, ils voulurent, comme jadis les Ti-
mer lout cela, dis-je, dans un seul mot, dût ce mot être la .
foudre tans, entasser sur des doutes audacieux des pensées capables d'at-
elle-même : je parlerais. Mais faute de celte condition je vis et
meurs sans être compris, sans voix pour exprimer ma nensée, , tirer le tonnerre et le courroux du roi des cieux assiégé de nouveau,
reille à une épée qui reste au fourreau. pa- si toutefois l'homme et ses outrages pouvaientprovoquer de ce,côté
I autre chose qu'un sourire.
XCVIII. CVI.
L'aurore a reparu, humide de rosée : son haleine est uù parfum, L'un étail toute légèreté et tout feu, inconstant dans ses désirs
ses joues sontdes fleurs : son sourire chasse devant elles les nuagesi comme un enfant, mais doué de l'esprit le plus varié : tour-à-tour
dont elle semble se jouer; gaie comme si la terre ne contenait pass gai ou grave ; inspiré par la sagesse et par la folie; historien, poète
un seul tombeau, elle ramène le jour. L'homme peut reprendre le) et philosophe ; proléc de lous les talents , il se multipliait sous leurs
cours de-inexistence commune : et moi, sur tes rivages, ô beau lac aspects divers. Mais son armulla plus terrible était le ridicule, qui,
je puis Irouver encore du temps et dès sujets pour mes méditations,. comme le vent, allait où le poussait son caprice, renversant toul de-
etjc-ne passerai point insoucieux auprès des tableaux que tu iii'of^, vant lui, tantôl pour immoler la sottise, tantôt pour ébranler un
fres. trône.
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON. 55

ne t'entends pas; mais personne né peut s'identifierà toi commeje


CVII. le fais. Tu es l'amie vers laquelle se projettent les omb-es de mes
lointaines années. Quoique lu ne doives jamais voir mes traits, ma
L'autre, profond et réfléchi, creusant laborieusement sa pensée, voix viendra se mêler à tcsrêves el arriverajusqu'à Ion coeur, quand
employa des années à se faire un trésor de sagesse. Ami de la mé- lc mien sera déjà glacé. Un signe de souvenir, un accent d'amour,
ditation, muni des ressources de là science, il sut donnerà son arme s'élèveront pour loi de la tombe de ton père.
acéré, el employa de solennels sarcasmes à saper des
un tranchant
dogmes solennels. Roi de l'ironie, le plus puissant des talismans, il cxvi.
suscita dans le coeur de ses ennemis une rage, fille de la crainte,
et le zèle des dévots se vengea en le condamnant
à l'enfer : réponse Aider au développement de ton esprit ; épier l'aube de tes joies
éloquente et qui résout tous les doules. enfantines, m'asscoirprès de toi pour te voir presque grandir sous
mes yeux, le suivre quand lu saisis la connaissance des objets, qui
CVIH. tous
ti sont encore pour toi des merveilles , t'asseoir doucement sur
Repos à leurs cendres! S'ils onl mérité un châtiment, ils l'ont ''
mon genou et imprimer sur ta douce joue un baiser paternel : tout
cela sans doute ne m'était pas réservé, et toul cela pourtant était
subi. 11 ne nous appartient pas de juger, de condamner encore
moins. Un jour viendra où ces mystères seront révélés à lous, ou
dans
, ma nature... et même maintenant, je ne sais ce qui se trouve
au fond de mon coeur, mais certainementil y reste quelque chose de
du moins ces espérances et ces craintes dormiront dans un môme *
semblable.
sommeil et sur le même oreiller, c'est-à-dire sur la poussière (cela "
CXVII.
seul est certain) qui demeurera comme notre tracé ici-bas. Et alors*
celte poussière revenant à la vie, comme la foi nous l'enseigne, se Ah! quàhd même là sombrehaine te seraitenseignée comme un
trouvera pardonnée ou appelée à souffrir justement. devoir,
( je sais que tu m'aimerais encore. Quand on te cacherait mon
inom, commeun charme qui porte la ruine, comme un litre
anéanti;
CIX. quand
i même la tombé se serait fermée entre nous : n'importe ; je
sais que lu m'aimeraisencore. Quand même on voudrait, et pourrait
Mais laissons là les oeuvres des hommespour lire dé nouveau dans extraire mon sang de tes veines, ce serait en vain : tu ne m'en
celles que le Créateur a répandues autour de nous : terminons cette aimerais pas moins, tu conserverais ce sentimentplus fortement que
page de rêveries qui semble se prolonger sans fin. Chaque nuage la vie.
qui passe sur ma tête se dirige vers les blanches Alpes : je veux CXV1II.
escalader ces montagnes; je veux observer tout ce que découvrira ma
vue, pendant que mes pas s'élèveront jusqu'à leur région la plus Enfant de l'amour... quoique née dans l'amertUmeet nourriedans
haute et la plus majestueuse, là où la terre force les puissances du les ahgoisses : tels furent les éléments dont se forma ton père ;
ciel à recevoir ses baisers. tels furent aussi les tiens. Leur influence domine encore autour de
CX. toi : mais le feù de ta vie sera plus tempéré el de plus hautes espérances
te sont Offertes; Que ton sommeil soit doux dans ton berceau! Dit
Italie! ô Italie! à ton aspect, l'âme s'illumine soudain de là sein des mers, du sommet des montagnes où je vis maintenant,
lumière dessiècles qui ont brillé sur toi,depuis IêjoUl-où le fierCnrtha- je voudrais t'èilvoycr autant de bonheur , hélas I que tu aurais pu
fîinois faillit te conquérir, jusqu'àceux où un dernier reflet de gloire en répandre sur moi.
vint couronner les héros ci tes sages. Tu fus le trône el ie tombeau
des empires, et encore aujourd'hui C'est de Rome impériale, de là
cité aux sept collines que coule la source éternelle où vont s'a-
,
breuver les âmes qui brûlent de la soif de connaître. CHANT IV.
CXI. j
J'interromps ici une lâche reprise soUs de tristes auspices. Sentir I
I.
que nous ne sommes plus ce que nous avons été ; juger que nous
J'étais à Venise sûr le pont des Soupirs, entre un palais et une
édifices s'élever du sein des flots comme au
ne sommes pas ce que nous devrions être ; armer notre coeur contre prison : je voyais les
lui-même ; cacher enfin avec Une Hère susceptibilité, amour, haine, coup de baguette d'un magicien. Autour de moi dix siècles étendent
passion, sentiments, projets, chagrin ou dévoûment, en un mot leurs atics sombres, cl une gloire mourante sourit à c-.s temps éloi-
lout ce qui domine notre pensée : C'est là en effet une rude tâche gnés où tant de nations subjuguées fixaient leurs regards sur les
! pour l'âme. N'importe ; l'épreuve eh est faite. monuments de marbre du Lion ailé de Venise qui avait assis son
) trône au milieu de ses cent îles.
| CXH.
Quant à ces discours, enveloppés de là formé, poétique, ce n'est II.
%
\ peut-être qu'une ruse innocente, qu'un colorisjeté sûr les scènes qui On dirait la Cybèlc des mers, fraîchement sortie de l'Océan, avec
;
jmsscnt devant moi et que je lâche de saisir en passant pour distraire sa couronne de tours altièrcs, se dessinant dans un lointain aérien,
;, un moment mon coeur ou celui des autres. La jeUnussb a soif de et majestueuse dans sa démarche comme la souveraine des eaux et
f] gloire : maisjenesuis plusassez jeuhcpoUr considérer le dédain ou le de leurs divinités.Et tel élait en réalité son pouvoir : Icsdépouillcsdes
\ souriredeshommes comme unarrêtdefinilifilercnohunéeoud'oubli. nations formaient la dot de ses filles, el l'inépuisable Orient versait
J'ai vécu et je vivrai seul : que mon nom périsse ou surnage. dans son giron la pluie étincelantc de ses trésors. Elle était vêtue
de pourpre ; et ens'asseyantàses banquets, les monarques croyaient
1
CXIH. rehausser leur dignité.
i Je n'ai pointaimé lc monde, elle monde ne m'a pas aimé : je n'ai III.
poinl capté le souffle empesté de sa faveur; je n'ai pointplié devant A Venise;, les chants du Tasse n'ont plus d'écho, et le gondolier
§ ses idoles un genou complaisant ;,je n'ai pninl stéréotypé le sourire rame maintenant silencieux : les palais tombent en ruine sur lo
;| sur mes joues ni fait de ma voix l'écho de la flatterie. Les hommes rivage, et la musique y charme rarement l'oreille. Ce luxe a fui
>| n'ont jamais eu lieu de me croire capable de pareilles bassesses : mais la beauté esl^ toujours la môme. Les empires s'écroulent, les,
3 j'ai vécu au milieu d'eux, mais sans être un des leurs. Enseveli dans arts tombent en décadence ; mais la nature ne meurt pas:elle n'ou-
|Û despenséesqui n'étaientpas leurs pensées, je serais encore Ici aujour- blie pas combien Venise fut autrefois chérie, Venise le rendez-vous
d'hui si mon âme ne s'était domptée el modérée elle-même. de tous les plaisirs, le banquet du monde, le bal masqué de l'Italie.
CX1V. IV.
Je n'ai point aimé le monde, et le monde ne m'a pas aimé ; mais, Mais Venise a pour nous un charme plus puissant que sa renom»
lui et moi, séparons-nous en ennemisloyaux. Je crois encore, bien mée historique, que ce long cortège d'illustresombresqui, voilées do
que je n'aie rien Irouvé de pareil, je crois qu'il est des mots qui tristesse, pleurent sur le sceptre brisé de la cité des doges : l'Angle-
valent des faits, des espérances qui ne trompent pas, des vertus terre y possède un trophée qui ne périra point avec le Rialto ;
indulgentes,incapablesdetendre des piégcsàla fragilité ; jecrois aussi Shylock, Othelloet Pierre Jaffier ne peuvent être effacésparle temps.
qu'il est des coeurs qui compatissentsincèrement aux douleurs d'au- Quand lout lereste aurait disparu,ilspeupleraientencorepour nous
Irul; qu'un ou deux êtres ici-bas sont presque ce qu'ils paraissent; la rive solitaire.
qu'enfin la bonté n est pas seulement un mot, et le bonheur un rêve. 'V.
cxv. Les créations de la pensée lié sont point des corps d'argile : iminor»
telles par essence, elles produisent et multiplient en nous un rayon
Mafilîe ! c'est avec ton nom que ce chant a commencé : ma fille! plus bi-illânl, une èxisténéë plus chère : ce que le Destin a refusé
c'est par ton nom que ce chant va finir. Je ne te Vois pas... je à cette vie grossière dans notre ëlàt de mortel esclavage, ces enfants
56 LES VEILLEES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

du génie nous l'apportent : ils bannissent d'abord de notre âme les besoin. Les épines que j'ai recueillies proviennent de l'arbre que
penséesqu'elle abhorre et ils en prennent la place ; ils rafraîchis- j'ai planté : elles m'ont déchiré, et je saigne : je devais savoir quel
sent lé coeur dont les premièresfleurs se sont éteintes et remplissent fruit sortirait d'une telle semence.
le vide où ils en font naître de nouvelles.
XI.
VI.
L'Adriatique, condamnéeau veuvage, pleure son époux : son ma-
Là est le recours du jeune âge comme de la vieillesse : l'un y est riage annuel ne se renouvelleplus, et le Bucentiure dépérit dans le
conduit par l'espérance ; l'autre y cherche un remède à l'ennui. Le port, parure oubliée des noces interrompues. Saint-Marcvoit encore
triste isolement a sansdoutepeupléde ses créations bien des pages, et son lion s'élever où il s'élevait jadis; mais il n'est plus qu'une déri-
peut-être est-ce lui qui me pousse à remplir le papierqui est devant sion d'un pouvoir aboli, sur cette place orgueilleuse qui vit un em-
moi : pourtant il est des objets dont la réalité puissante éclipse nos pereur suppliant et où les monarquescontemplaientd'un oeil d'envie
régions de féerie, des objets dont les formes et les couleurs surpas- Venise, la reine des flots, la plus riche des fiancées.
sent en neaute noire ciei
fantastiqueet les bizarres XII. i
constellations dont la mu- Où s'esthumiliéle mo-
se se plaît à le ipeupler. narque Souabe, règne
maintenantl'Autrichien:
VII. un empereur foule avec
dédain le sol où un em-
J'en ai vu ou rêvé de pereur a plié le genou.
semblables ; mais n'y pen- Des royaumes deviennent
sons plus. Ils sont venus de simples provinces, des
à moi sous les apparen- cités souverainesportent
ces de la vérité et ont des chaînes retentissan-
disparu comme des son- tes. Les nations descen-
ges ; et quoi qu'ils aient dentdu pinaclede la puis-
pu être d'abord, ce ne sance quand elles ont à
sont maintenant que des peine senti les rayons du
rêves. Je pourrais les soleil de la gloire, et toul-
remplacer, si je voulais : à-coup elles s'écroulent
car ma pensée est fécon-
pareilles comme l'avalanche déta-
de en créations chée du flanc de la mon-
à celles que j'ai cherchées tagne. Oh 1 une heure
et que j'ai trouvées quel- seulement de l'aveugle
quefois : renonçons-y é- Dandolo, le chef octogé-
galement. La raison, qui naire, conquérant de By-
se réveille en moi, con- zance.
damne comme insensées
ces illusions trop chères : XIII.
et d'autres voix me par- Sur le portail de Saint-
lent, d'autres objets me Marc sont encore ses che-
pressent. vaux de bronze dont les
VIII. harnais dorés brillent au
soleil : mais la menace
J'ai appris les langages de Doria ne s'est-clle pas
des autres peuples et j'ai accomplie ? les coursiers
cessé d'être un étranger ne sont-ils pas bridés ?
hors de mon pays natal. Venise vaincue a vu finir
Quand un esprit sait être ses treize siècles de liber-
lui-même, aucun chan- té : va-t-ellc, comme une
gement ne félonne ; il plante marine, disparaî-
n'est difficile ni de trou- tre sous les flols d'où elle
ver ni de se créer même est sortie? Ah! mieux
une patrie parmi les hom- vaudrait pour elle êlre
mes... ou même en de- ensevelie dans les vagues
hors. Et pourtant je suis cl fuir dans les profon-
né dans un pays dont on deurs de sa tombe ces
peut être fier, et non sans cruels étrangers de qui sa
raison... Pourquoi donc soumission achète un c-
ai-je laissé dernière moi pos sans honneur.
cette île, asile inviolable
de la sagesse et de la li- XIV.
berté? pourquoi vais-je Jeune, elle était bril-
chercher un autre foyer lante de gloire, c'était une
par-delà les mers ? autre Tyr! Le surnom de
ses enfants leur avait été
IX. donné par la victoire; c étaient les Planteurs de lion (t), insigne qu ils
portèrent à travers le sang et la flamme sur la terre el la mer sub-
Cette patrie, peut-être l'ai-je aimée avec ardeur, et dussé-je laisser juguées. Faisant de nombreux esclaves, elle sut se maintenir libre
ma cendre dans une terre étrangère, peut-être mon esprit rcvolera- et fut le boulcvart de l'Europe contre la puissance ottomane ; je
t-il vers elle... si toutefois l'âme dégagée du corps peut se choisir un t'en atteste, ô Candie, rivale de Troie, et toi, golfe immortel qui
sanctuaire. Je garde l'espérance de vivredans la mémoire des miens, vis la bataille de Lépante ! Car ni le temps ni la tyrannie ne pour-
de laisser un souvenir rappelé dans ma langue natale. Si c'est aspi- ront effacer ces deux noms.
rer trop haut et trop loin ; si ma renommée doit, comme ma for- XV.
tune, croître rapidement, et rapidement se flétrir ;
Pareilles à des statues de cristal, les nombreuses images des an-
X. ciens doges sont réduites en poudre ; mais le vaste et somptueux
Ïialais qui fut leur demeure parle encore de leur splendeur antique;
Si le sombre oubli doit interdire à mon nom l'entrée du temple eur sceptre brisé , leur épée rongée par la rouille, sont sous les
où le3 nations honorent leurs morts illustres, soit! que le laurier pieds de l'étranger. Ces édifices inhabités, ces places désertes, ces
décore une tête plus digne, et que l'on grave sur ma tombe i'épi- visages insolites, en te rappelant trop souvent, ô Venise! quel est
taphe lacédémonienne : « Sparte eut plus d'un fils meilleur que
lui. » En attendantje ne réclame pas de sympathie : je n'en ai pas (1) Piantar il leone d'où Pantalon.
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON. 57

Ion esclavage et quels sont les maîtres, ont jeté sur ton enceinte
adorable un nuage de désolation. XXI.
L'existence peut se maintenir, la vie et la souffrance peuvent
XVI. pousser de profondes racines dans des coeurs nus et désolés : le
chameau marche muet sous les plus lourds fardeaux et le loup
Quand Athènes fut vaincue à Syracuse,quaud des milliers de ses meurt en silence. Que ces exemples ne soient point perdus ,
soldais enchaînés subirent le joug de l'esclavage, ils durent leur
pour
nous. Si des êtres d'une nature inférieure et sauvage peuvent
délivrance à la musc de l'Attique, dont les chants leur servirent souffrir sans se plaindre, nous qui sommes formés d'une argile plus
de rançon loin de la terre natale. Voyez ! au son de leur hymne noble, sachons supporter le malheur... ce n'est d'ailleurs que pour
Iragique, lc char du vainqueur étonné s'arrèle, les rênes et le
i glaive inutile s'échappent de ses mains : il brise les chaînes des un jour.
captifs et leur dit de remercier le poète de ses vers et de leur li-
XXII.
berté. Toute souffrance détruit, ou est détruite par celui qu'elle atteint:
XVII. dans les deux cas, eue a
un lerme. Quelques-uns,
} Ainsi, ô Venise, quand ranimés par un nouvel
| même tu n'aurais pas espoir.retournentaupoint
j d'autres titres plus puis- d'où ils sont venus, se
3 sants, quand même ta proposent le même but et
j glorieuse histoire serait se remettent à filer la mê-
| oubliée,
rends
ainsi le culte que
à un poète divin
me trame; d'autres, abat-
tus et courbés, les che-
1 tu
| répétant ses vers, ton veux blanchis, le front
i enamour pour le Tassé au- hâve, sont flétris avant le
| tait dû rompre les fers temps et périssent avec
!} dont les tyrans t'ont char- le roseau leur appui ;
3 gée. Ton sort actuel est d'autres enfin appellent
$ un opprobre pour les na- à eux. la dévotion, le
' lions et pour loi surtout, travail, la guerre, la ver-
I ô Albion ! La reine de tu ou le crime, selon que
3 l'Océan devrait-elleaban- leur âme fut faite pour
:| donner les enfants de s'élever ou pour ramper
% l'Océan? Que la chute
|! de Venise te fasse penser XXIII.
31 à la tienne, en depit de
II les humides murailles. Mais de ces douleurs
comprimées il reste tou-
XVIII. jours un vestige sembla-
ble à la piqûre du scor-
J'aimai celte ville dès pion plaie à peine visi-
,
mon enfance ; c'était pour ble mais toujours impré-
mon coeur une cité ma- gnée d'une nouvelle a-
gique, s'élevant du sein mertume : les causes les
des mers comme un pa- plus futiles peuvent faire
lais aux colonnes liqui- rclomber sur le coeur le
des séjour des plaisirs, poids dont il eût voulu
| ,
rendez-vousdesrichesses: s'alléger pour toujours ;
Olway, Radcliffc, Schil- un bruit, une série de
ler, Shakspearc, avaient sons, un soir d'été ou de
gravé son image dans printemps, une fleur, le
mon esprit; et quoiqueje vent, l'aspect de l'Océan,
l'aie trouvée dans sa dé- tout enfin peut rouvrir
cadence, je n'ai pas ces- nos blessuresen touchant
sé de l'aimer : peut-être la chaîne électrique qui
m'esl-elle plus chère en- nous enveloppe de ses
; core par ses infortunes liens invisibles.
• «pie si elle était toujours
' l'orgueil, la merveille et XXIV.
; le spectacle du monde.
Et nous ne savons ni
I XIX. comment ni pourquoi ; et
il nous est impossiblede
( Je puis la repeupler à remonter jusqu'au nuage
j| l'aide du passé... et son qui recelait cet éclair de
f présent suffit
la encore aux Le pont des Soupirs à Venise. l'âme; mais nous sentons
i yeux, à pensée, aux la commotion qui se re-
î mélancoliques médita- nouvelle, et rien ne peut
' lions : c'est plus encore effacer la noire et dou-
' 'pie je ne cherchais, que loureuse trace qu'elle
,]c n espérais trouverdans ses murs. Quelques-unsdes plus heureux laisse après elle : car c'est au moment ou nous y pensons le moins
jours qui sont entrés dans le tissu fragile de ma vie te doiventleurs que des objets familiers, indéterminés,évoquentà notre vue les fan-
brillantes couleurs, ô Venise ! S'il n'élail des sentimentsque le temps tômes qu'aucun exorcisme ne peut écarter : les coeurs froids, les
ne peut endormir, que les tortures ne peuvent dissiper, tous les coeurs infidèles, et peut-être les morts aimés, pleures, perdus... trop
miens seraientmaintenant glacés et muets. nombreux encore malgré leur petit nombre.

XX. XXV.
Mais les plushauts sapins des Alpes ne croissent que sur les rocs Mais mon âme s'égare ; je la rappelle pour méditer sur la déso»
i les plus hauts et les moins abrités: leurs racines poussent dans
une lation d'un pays, ruine vivante au milieu des ruines. Qu'elle cher •
'<pierrestérile, sans qu'aucune couche de terre les soutienne contre
lechoedes tempêtes; et cependant leur tronc s'élance vers les cieux,
che la trace des empires déchus, des grandeurs ensevelies dans
cette contrée qui fut la plus puissante de toutes aux jours de son
; et brave
les aquilons mugissants, tant qu'enfin sa grandeur et ses antique domination, qui esl encore et qui sera éternellement la
:
formes deviennent dignes des montagnes dont les blocs de sombre plus belle : moule primitif où la main céleste de la nature a jeté le
granit ont enfanté et nourri cet arbre géant. Ainsi peut vivre et type des héros et des hommes libres, de la beauté et du courage...'
; croîtrel'âme. des maîtres de la terre et des mers :
58 LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

XXVI. XXXV.
République de rois, citoyens de Rome!..; Et depuis ce temps, ô O Ferrarc! l'herbe croît dans tes vastes rues dont la symétrie
belle Italie; tu fus et lu es encore le jardin du inonde, la patrie du n'était pas faite pour la solitude : on dirait que la malédiction pèse
bèa'U dans les arts comme dans la nature. Même dans ta solitude, sur le séjour de tes antiques souverains,de cette môme maison d'Est
qUy a-t-il de Comparable à toi? Les ronces que tu produis sont qui pendant des siècles maintint sa domination dans tes murs,
belles, et ton sol inculte est plus riche que la fertilité des autres cli- princes qui selon leur caprice furent tour-à-tour les tyrans et les
mats. Ta chute est Une gloire, et les ruines sont parées d'un charme protecteurs des hommesqui ceignaient le laurier du Dante.
ineffaçable et pur;
XXVII. XXXVI.
La lune s'est levée : pourtant il n'est pas nuit: le soleil qui descend De ces princes le Tasse est la gloire et la honte. Ecoulez ses vers;
Îiàrtagè àVec elle l'empire des cieux : un océan de lumière baigne puis, allez visiter sa cellule : voyez de quel pi ix Torquato a payé
fes sommets bleuâtres dès Alpes du Frioul. Le ciel esl pur de tout sa renommée ; voyez quel séjour Alphonse a offert à sou poêle! Le
misérable despote ne put réussir à faire plier le génie qu'il voulait
nuage; mais toutes les couleurs semblenls'y fondre pour former un éteindre : en vain il le plongea dans un enfer où il l'entoura de
Vaste àrc-en-ciel ayant son centre à l'occident où le jour qui finit
rejoint 1 étet-nité du passé; tandis qu'à l'opposite la douce image de maniaques; une gloire immortelle dissipa les nuages qui obscur-
Diane flotte dans l'air azuré, comme une île solitaire, séjour des cissaient son nom ;
bienheureux. XXXYH.
XXYII1.
Et ce nom fera toujours verser des pleurs, ce nom sera ètcrnel-
Une seule étoile brille auprès d'elle, et règne avec elle sur la îemenl honoré, tandis que le tien, ô Alphonse, pourrirait dans l'ou-
moitié du riahlcmpyréc.Cependant l'Océan lumineux de l'Est sou- bli et se perdrait dans l'ignoble poussière, dans l'obscur néant
lève toujours ses vagues brillantes el en couvre les pics de la loin- d'où est sortie lou orgueilleuse race, si lu ne formais dans la chaîne
taine Rhétie : le jour et la nutt continuent leur lutte jusqu'au mo- des destinées du poète un anneau qui nous rappelle la vulgaire mé-
ment où la nature vient faire rentrer toutes choses dans l'ordre chanceté. O prince ! avec quel mépris nous rappelons main-
accoutumé. La profonde Brcnta INoiilé lentement ses flotscolorésdcla tenant tes litres! comme ta splendeur ducale s'efface dans la posté-
teinte de rose qu'y réfléchit le ciel* courant qui se mire dans Un rité, toi qui, né dans une autre sphère, aurais à peine été le digne
autre courant. esclave de celui que tu condamnas à souffrir.
XXIX.
XXXVIII.
L'onde est remplie de l'image dU ciel qui à l'horizon descend
jusqu'à la mer ; et toutes les cbùlêUrs dû firmament, depuis le glo- Toi, né pour manger, vivre méprisé et mourir comme meurent
rieux couchant jusqu'à la pâle étoile qui se lèVe, y répètentleur ma- les brutes, auxquelles tu ressemblais, sauf que lu eus une auge
gique variété... Cependant lascèhè change: une ombre indécise plus splendidc el Une élablc plus vasle ; lui, portant autour de son
jette son manteau sut- les montagnes lointaines : lc jour qui fuit front sillonné une auréole de gloire qui déjà brillait alors, qui de-
meurt comme lc dauphin à quk 'ait-tth; chaque convulsion donné puis éblouit tous les yeux en dépit de tous ses ennemis, et de la
une couleur nouvelle : la dernière est là plus éclatante... puis tout coterie de la Crusca el de ce Boileau, esprit envieux el mesquin.
esl fini..; un gris sombre a tout remplacé; incapablede supporter des chants qui faisaient honte à la lyre dis-
cordante de son pays, lyre de laiton aux sons monotones, supplice
XXX; des dents qu'elles agacent
Dans Arqua est une tombe, un sarcophage élevé sur des pilastres, XXXIX.
où reposent les ossements de l'amant de Lnure : là se rendent ceux Paix à l'ombre outragée de Torquato 1 pendant sa vie et après sa
qu'ont charmés ses chants harmonieux,.pèlerins voués au culte du mort, son destin était de servir de but aux traitsempoisonnésde h
génie. Ce poêle naquit pour créer Une langue et relever son pays haine, traits dont aucun ne l'atteignit. O vainqueur de lous les bar-
de l'obscuritéoù l'nvail plongé'lèjbug stupidetlcs barbares. En arro- des modernes! chaque année renouvelle par millions les habitants
sant de ses pleurs harmonieux 1 arbre où il avait gravé le nom de de la terre : mais combien dé temps l'océan des générations devra-
la dame de ses pensées, il s'est assuré a lui-même l'immortalité. t-il rouler ses vagues, sans que celte multitude réunie enfante un
XXXI. génie égal au tien ? En condensant tous les rayons épars, on n'en
formera jamais un soleil;
Arqua, ce village des montagnes, esl le lieu qui le vit mourir et XL;
qui a recueilli sa cendre : c'est là qu'il passa ses derniers jours. Lés
villageois sont fiers (fierté bien légitime
et qu'il faut respecter)
de Mais tout grand que tu es, tu as trouve des rivaux dans tes devan-
montrer au voyageur la demeuré et lé monument du poète : simples ciers, dans tés compatriotes, les chantres de l'Enfer et de la Che-
l'un cl l'autre, mais d'une noble simplicité, pius en harmonie avec valerie : le premier, père delà poésie toscane, chanta la Divine co-
ses chants que ne serait une pyramide érigée sur sa tombe. médie; l'autre» égal en mérite au Florentin, fut le Walter-Scolt du
Midi, de même qû'ê celui-ci peut être appelé l'Ariostc du Nord :
XXXIL car tous deux surent créer un.inonde magique, tous deux chantè-
Ce doux et tranquille hameau qu'il habita semble un séjour fait
rent lés dames el là guerre, les aventures d'amour et les exploits
chevaleresques.
exprès pour les mortels pénétrés du sentiment de leur fragilité. XLI.
Déçus dans leurs espérances, ils trouvent un asile sous le frais om-
brage d'une colline verdoyante, d'où ils peuvent contempler dans Un jour, la foudre arracha du buste de l'Arioste le laurier de fer
une perspective lointaine les bruyantes cités; mais c'est en vain dont il élait couronné; el la foudre ne fut pas inique , car la véri-
que l'éclat des villes se déploie, il ne saurait plus tenter des coeurs table couronne que tresse la Gloire est cueillie sur le liobie arbuste
désabusés : n'y a-l-il pas pour eux une fête dans chaque rayon d'un qui ne craint pas le feu du ciel, et cette trompeuse imitation ne fai-
beau soleil; sait que déparer lc front du poète. Et toutefois, si la superstition
XXXIII. s'afflige de ce présage, qu'elle sache que sur la terre la foudre sanc-
tifie tout ce qu'elle louche ; et qu'ainsi la tèle du poêle est double-
D'un soleil qui leur montre les montagnes, le feuillage et les ment consacrée.
fleurs, el qui se réfléchit dans le ruisseau murmurant, tandis que XLII.
lesheureslimpides comme i'onde s'écoulentdans une calme langueur
qui peut ressemblerà la paresse, mais qui a pourtant Son côté moral.. Italie ! Italie ! tu as reçu lc don fatal de la beauté, funèbre douaire,
Si la société nous enseigne là vie, la solitude doit nous apprendre à source de tes maux présents et passés ; car la hottte à creusé sUr ton
mourir. On n'y trouve point de flatteurs; la vanité ne peut nous y front charmant des sillons de douleur, et tes annales sont gravées
prêter son secours illusoire : l'homme s'y trouve seul en face de en caractères de flamme. Plût au ciel que dans ta nudité tu possé-
son Dieu : dasses moins de charmes ou assez de force pour proclamer les
XXXIV. droits, et terrifier, rejeter de ton sol les brigands qui viennent en
foule répandre ton sang el boire les larniës de détresse.
Peut-êU-è aussi en face des démons ennemis des meilleures pén^
sées et choisissant pour leur proie les âmes mélancoliques qui,; XL1II.
bizarres dès leur enfance, ont toujours recherchédes lieux de terreur
et de ténèbres : se croyant prédestinés à d'incurables maux , lèsi Alors, ou tu inspirerais un salutaire effroi; oU, moins désirée,
mortels ainsi doués voient du sang dans le Soleil ; à leurs yeux i là tù êPuleràis des jours humbles et pacifiques, et l'on n'aurait point
terre est Une tombe, là tombé un énfèr, et l'enfer luKmemê à desi à déplorer l'effet destvucleur de tes charmes ; alors on ne verrai'
horreurs sans bornes. plus ces torrents d'hommes que rien ne peut lasser sans cesse des-
,
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON. 59

1Paris, ou à Anchisc mille fois plus heureux ? Ou bien est-ce ainsi


cndrc des sommets des Alpes : des hordes de spoliateurs de toutes '
nations ne viendraient plus sur les rives du Pô s'abreuver à la fois ique, dans tout l'éclat dé ta divinité, lu vois à tes pieds ton vaincu
l'eau ,;i de sang ; l'épéc de l'étranger ne seraitplus la seule el triste ;
I dieu de la guerre? Appuyé
le sur tes genoux, ses regards, t|Ui con-
défense, et tu ne te verrais pas, victorieuse ou vaincue, l'esclave de j I templent ton front comme un astre, se repaissent du divin incarnat
amis ou de tes ennemis. ! ' de les joues ; et cependant de tés lèvres comme d'une urne, une
IC=
XL1V.
lave
' de baisers pleut sur ses paupières^ sur son front, sur ses lèvres.

Dans les voyages de ma jeunesse, j'ai suivi la roule tracée par ce LU.
Itoinain (i), l'ami de la plus haute intelligence de Rome, l'ami de Brûlants et plongés dans l'extase d'un amour muet, ne pouvant
'fullius : comme mon vaisseau poussé par une douce brise glissait trouver dans leur divinité même les moyens d'exprimer, d'accroître
flIr la mer
écumanlc et bleuâtre, je vis devant moi Mégarc; der- Ce qu'ils éprouvent, les dieux deviennent de simples mortels ; et la
iière moi était Egine, le Pirée à ma droite, et de l'autre côlé Corin- destinée de l'homme compte des instants pareils aux plus brillantes
- (||C,
Penché sur la proue je contemplais loules ces cités réunies heures de l'existence des dieux. Mais le poids de notre argile re-
-" dans la môme destruction, , désolant spectacle qui avait également tombe bienlôt sur nous... Soit, il nous esl permis de renouveler de
frappé la vue de mon devancier.
| XLV.
pareilles visions et de produire, en nous inspirant de tout.ce qui
fut, ûo lout ce qui pourrait être, des créations rivales de là statue,
ô Cylhérée, images des dieux sur la terre.
:>i
! Car le temps n'a point relevé ces villes antiques ; seulement sur
leurs débris onl surgi des constructions barbares qui ne rendent que LUI.
attendrissants el plus chers les derniers rayons de ces lumières
plus Je laisse à des plumes savantes*- à l'artiste et à l'amateur (le singe
àdcnii éteintes el les reliques mutilées de ces grandeurs évanouies. de l'artiste), le soin de prouver comment ils comprennent la grâce
Le Romain a vu, dès son époque, ces tombeaux, ces sépulcres de de celte courbe, la volupté de ce méplat : je leur laisse à décrire l'in-
cites qui excitent une si douloureuseadmiration ; et sur une page descriptible : je craindrais que leur souffle fétide ne vînt rider l'onde
%iuc les siècles ont épargnée, il nous a transmisla leçon morale qu'il limpide où toujours se réfléchira cette.image :. miroir fidèle et pur
,'ia tirée de son pèlerinage.
du plus aimable rêvé qui descendit jamais des cieux pour rayonner
| XLVI. dans l'âme d'un mortel.
| J'ai devant moi cette page éloquente el sur celle que j'écris je
;|dnis ajouter la mine de sa propre pairie, à la liste de tous les Etats
LIV.
L'enceinte sacrée de Santa-Croce renferme des cendres qui la
.-jjdonl il regrettaitle déclin et dont je pleure la
mort. Tout ce qu'oc- sanctifient doublement, et qui seraient à elles seules un reste d'im-
|ciipail déjàladésolation, elle l'occupe mortalité, quand môme il ne resterait ici que le souvenir du passé,
encore; et maintenant, hélas!
poinc, l'impériale Rome, courbe sa tèle sous le inêmc orage, dans et cette poussière, relique de génies sublimes qui soûl allés se réu>
Sla mènic poussière el les mômes ténèbres! et nous passons devant nir au chaos : ici reposent les ossements de Michel-Ange, d'Alliéri
|le squelette de son corps lilanesque, débris d'un autre monde, el les tiens, ô fils des étoiles, ô malheureuxGalilée; ici la terre dont
jdont les cendres sont encore chaudes. fut formé Machiavel est retournée à la terre.
| XLVII. LV.
4 Kl cependant, Italie! le bruit des injures qui te sont faites doit Voilà quatre génies, qui, comme les quatre éléments, suffiraient
Bicli'iilir cl retentira de rivage rivage parmi loules les nations. à toute une création. Italie! le temps en déchirant en mille lam-
itolèro dos arts comme autrefoisen île la guerre, la main qui fut notre ,
beaux ton manteau impérial, refuse néanmoins à toute aulrc contrée
y;i|i|Hii est aujourd'hui noire guide. Mère de nos croyances, devant la gloire d'enfanter des grands hommes du sein même de ses ruines.
I?qui les nations
se sont agenouilléespour obtenir les clefs des cieux! Ta décadence est encore empreinte, d'un reflet de divinité qui la
Iriviiropc, repentante de son parricide, te délivrer, refouler dore et la rajeunit de ses rayons : Canova n'est-il pas aujourd'hui
-jfau loin les Ilots des barbares, et obtenirsaura
de loi son pardon. ce que tes grands hommes étaient autrefois ?
%
XLV1II. LVI.
1
<| Mais l'Aroo nous appelle vers les blanchesmurailles de l'Athènes Mais où reposent les trois enfants de l'Etrurie : Dante, Pétrarque
i de I Kl ru rie : là des palais féeriques réclament et obtiennent notre et le barde de la prose, ce génie créateur qui écrivit les « Cent nou-
\- tendre inlcrôt. Ceinle d'un amphithéâtre de collines, Florence rc- velles d'amour? » Où ont-ils déposé leurs ossements'? car ils méri-
cueille ses vins, ses blés, ses huiles; et tenant en main sa corne taient d'être distingués du vulgairedans la mort comme dans la vie.
'i-, pleine, l'Abondance joyeuse bondit auprès d'elle. C'est sur le rivage Leurs restes ont-ils disparu, et les marbres de leur patrie n'ont-ils
g arrosé par le riant Arno que sont nés le commerce el le luxe
mo- rien à nous en apprendre? Les carrières florentines n ont-elles pu
l;ileriics; c'est là que la science, sortant de son tombeau, vit naître fournir pour eux un seul buste? N'onl-ils pas confié leurs restes
; pour clic un nouveau malin. à la terre qui leur donna le jour?
XLIX. LVII.
C'est là ([ne C'y pris aime encore sous son enveloppe de inarbre Ingrate Florence, Dante repose loin de loi ; comme Scipion il

et remplit de sa beauté l'atmosphère qui l'entoure
: en contem-
,
esl enseveli sur un rivage qui te reproche ton injustice. Tes factions,
ï'f plant ces formes plus suaves que l'ambroisie nous aspirons une dans leurs guerres plus que civiles, ont proscrit le barde que les en-
j portion de son immortalité; le voile des cieux, est soulevé à demi ; fanis de tes enfants adoreront à jamais en l'entourant vainement de
\ jions restons immobile sous le charme; dans les contours de ce leurs remords séculaires. Quant au laurier que le front de Pétrar-
l beau corps, dans les Irails de ce visage divin, nous voyons ce que a reçu à ses derniers moments, il avait crû sur un sol étranger
;. 'lue peut produire le génie de l'homme, là où s'arrête la
nature; et et lointain : lu ne peux réclamer ni sa vie, ni sa renommée ni sa
J nous envions à l'antiquité, enthousiaste idolâtre, la flamme innée
| qui a pu donner l'âme à
une si belle enveloppe.
tombe qu'un des liens a lâchement violée. ,

LVIII.
"i L.
Mais du moins Rbccace a laissé sa céUdrè à sa patrie ? elle repose
i Nous regardons, puis nous détournons la tête
gards, éblouis, enivrés de tant de beauté, le sans fixer nos re- sans doute parmi celles de ses grands hommes; etdcs voix harmo-
•a plénitude des sensations. Là, coeur chancelant sous nieuses et solennelles onl chanté les suprêmes prières pour celui
.pi art triomphant, nous sommes pour toujours enchaînés au char qui doua la Toscane de sa langue de sirène, cette poésie parlée, cette
ses captifs et
ne pouvons nous véritable musique dont chaque intonation est une mélodie? Non ;
; «luigner. Ali! ce n'est pas le lieu de répéter de vains mots, des l'hyène du bigolisme a renversé, à outragé sa tombé; Une place lui
<? icnnes scientifiques,pitoyable jargon du trafiquant de marbreà l'aide
;. juquel le pédanlisme fait sa dupe de la Sottise : n'aVons-nôus pas
a môme été refusée parmi les morts obscurs ; car on saurait qui est
là, et le passant lui donuerait un soupir.
e |es yeux ; et notre sang, nos artères, notre coeur, n'ont-ils pas con-
x '"'me le jugement du bergerdardauien? LIX.
\
.t-
LI- Leur cendré illustre manque donc à Sànta-Crocè; mais ils y brii-
N'est-ce pas sous celle forme, ô Vénus, que tu
. lent par leur absence même, comme autrefois dans le cortège de
të montras à César l'image absente de Brutus n'en rappelait <jùe mieux à lt'Oihè
iV n-°ïeï la '*!ttl'è célèDre de SferviuS Sulpicius à Cieêron là mémoire du plus dévoué de ses enfants. Combien tu es plus hêu-t
1
sur la mort j reùse, ô Ràvcnnè ! Sur ton rivageantique, dernier rempart de l'e'm-
s L mina, fille de l'orateur romain.
I
pire croulant, repose entourée d'honneurs là cendre de l'illustre
60 LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

exilé. Arqua aussi conserve avec orgueil son trésor d'harmonieuses


reliques, tandis que Florence, les yeux en pleurs , redemande en LXVIII.
vain les morts qu'elle a proscrits. Ne vous éloignez pas sans rendre hommage au génie du lieu : si
un plus doux zéphyr vient caresser votre front, ce souffle est celui
LX. de son haleine; si la verdure de ces bords rit davantage à vos yeux
Qu'importe cette pyramidede pierres précieuses, où le porphyre, si la fraîcheur de ces beaux lieux rejaillit jusqu'à votre coeur ; si ce
le jaspe, l'agate et des marbres de toutes couleurs enchâssent les
baptême de la nature efface pour un moment l'aride poussière d'une
vie importune ; c'est à lui que vous devez rendre grâce de cette
ossements de ces princes marchands? Le pavé de mosaïquequi re- suspension de vos ennuis.
couvre la tête des princes n'a jamais été foulé d'un pied aussi res-
pectueux que le vert gazon dont la fraîcheur est entretenue par la LXIX.
rosée, étincelant à la clarté des étoiles, modeste monument de ces
Mais quelles sont ces eaux qui mugissent? De ses hauteurs escar-
morts dont les noms seuls sont des mausolées pour la muse. pées le Yclino s'élancedans le précipicequ'il s'est creusé. Imposante
LXI. cataracte! rapide comme la lumière, la masse étincelante écume et
bondit dans l'abîme qu'elle ébranle : véritable enfer des eaux, où les ''
Auxbords de l'Arno. dans ce palais consacré aux arls par un luxe vagues hurlent et sifflent et bouillonnentdans d'incessantestortures :
?
princier et où la sculpture rivalise avec sa soeur la reine de l'arc-en- la sueur d'agonie arrachée à ce nouveau Phlégéthon voltige en flc-1
?
ciel, on trouve encore bien des merveilles propres à flatter le coeur cons sur les noirs rochers qui couronnent le gouffre de leur front
les
et yeux... mais non les miens: car j'ai accoutumé ma pensée à terrible, inexorable. i
embrasser la nature plutôt au sein des campagnes que dans les ga- LXX. %-

leries de l'art : bien qu'un chef-d'oeuvre attire les hommages de Voyez-la monter en écume jusqu'au ciel, d'où elle retombe en
mon esprit, pourtantj'en exprime moins que je n'en ressens; pluie continue, nuage intarissable de douce rosée qui forme à l'en-
tour un avril perpétuel et y entrelient un tapis d'émeraude. Comme '
LX1I. le gouffre est profond! comme le géant des eaux bondit de roc en \
Car mon imagination a d'autres allures, et j'erre plus à mon aise roc! Dans son délire, il écrase les rochers qui, usés et fendus sous 5
sur les bords du lac Trasimène et dans leurs défilés funestes à la ses terribles pas, laissentà découverld'horribleset béantes ouvertures: l
témérité des Romains. Là, j'évoque le souvenir des ruses du chef
carthaginois, et son adresse à engager l'ennemi entre les monta- LXXI.
gnes el le rivage. Je crois voir la mort éclaircir les les rangs des Ro- C'est par là que s'élance l'énorme colonne d'eau : on dirait la
mains désespérés mais non abattus : je crois voir torrents gonflés
brûlante, semée loin source d'uu jeune océan, arrachée aux flancs des montagnes par
par des flots de sang, sillonner la plaine au renfantementd'un nouveau monde ; ctl'on croiraitavec peine qu'elle
des débris des légions va donner naissance à des ondes pacifiques qui serpentent douce-
LXIII. ment, avec de longs détours, à travers la vallée, fournez la tète
et voyez-la s'avancer comme une éternité qui va tout engloutir dans s
égale,
On dirait une forêt renversée par le vent des montagnes; et telle son cours; cataracte sans qui fascine l'oeil effrayé : i
la
fut dans celte fatale journée fureur du combat, telle est cette fré-
nésie qui ne laisse à l'homme de facultés que pour le carnage, qu'un LXXH.
tremblement de terre eut lieu et ne fui poinl remarqué des com- Qu'elle est belle dans son horreur! Mais aux brillantes clartés du
battants! Nul ne sentit la nature troublée chanceler sous ses pieds matin, Iris, suspendue l'abîme, étend d'un bord à l'aulrc son arc
cl ouvrir un tombeau pour ceux à qui leur bouclier servait de lin- radieux, au-dessus de sur l'infernal chaos des eaux : semblable à l'Es-
ceul : telle est la haine qui absorbe toutes les penséesde deux peu- pérance assise
ples armés l'un contre l'autre! au chevet d'un mourant, elle conserve ses riantes
couleurs. Tandis que lout esl dévasté autour d'elle par les eaux fu-
LXIV. rieuses, rien ne peut ternir son éclat. 0-n croirait voir, au milieu de
cette scène de désolation, l'amour observant d'un oeil calme et se-
La terre était pour eux comme une barque au rapide roulis qui rein les transports de la démence.
les emportaitvers l'éternité : ils voyaientbien l'Océan autourd'eux,
mais ils n'avaient point le temps de remarquer les mouvemenls de LXX11I.
leur navire; les lois de la nature étant suspendues en eux , ils ne Me voici de nouveau parmi les forêts des Apennins, Alpes encore
ressentaient rien de cette terreur qui règne partout, alors que les enfants, qui exciteraient mon admiration, si mes regards n'avaient
montagnes tremblent; que les oiseaux, fuyant de leurs nids renver- été frappes par l'aspect plus imposant des Alpes véritables, où le
sés, vont chercher un refuge dans les nuages ; que les troupeaux pin
mugissants s'abattent sur la plaine qui ondule, et que la terreur de des avalanches. se balance sur des sommets plus escarpés, où rugit le tonnerre
Mais j'ai vu la Jungfrau lever son front couvert de
l'homme ne trouve plus de voix. neige et vierge de pas humains : j'ai vu de près et de loin les anti-
ques glaciers du Mont-Blanc, et j'ai entendu retentir la foudre sur
LXV. les sommets du Chimnri, des vieux monts Acrocérauniens.
Bien différent esl le spectacle que Trasimène offre aujourd'hui : LXX1V.
le lac est une plaque d'argent, et la plaine n'est-sillon née que par le
soc de la charrue; les vieux arbres s'élèvent pressés comme autre- J'ai vu voler sur le Parnasse les aigles qui semblaient les génies
fois les morts, à la placemême où ils ont planté leurs'racines: mais du lieu prenant leur essor vers la gloire, car leur vol s'ëievait
un ruisseau , un petit ruisseau au lit étroit, à l'onde rare, a pris à d'incommensurables hauteurs. J'ai contemplé l'Ida avec les yeux
son nom du sang qui dans un jour fatal y tombacomme une pluie d'un Troycn. Enfin Alhos, Olympe, Etna, Atlas, ont diminué à mes
le Sanguinelto indique le lieu où les mourants humectèrent le so regards l'imporlauce des collines italiques, à l'exception de la cime
et rougirent les flots indignés. solitaire du Soracte, qui, maintenantdépourvude neige, a grand be-
soin de la lyre d'Horace pour le recommander à notre souvenir.
LXVI.
LXXV.
Mais toi, ô Clilumne, jamais onde plus douce que ton cristal mo
bile n'invita la naïade à y mirer, à y baigner ses beaux membre H s'élève au milieu de la plaine comme une vague qui vient du
nus ; tu arroses paisiblementdes rives herbeuses où vient paître I large et qui sur le point de se briser resle un instant suspendue.
taureau blanc comme le lait. 0 le plus pur des dieux-fleuves, 1 Ah! celui qui veut ici fouiller dans ses souvenirs peut facilement
plus calme d'aspect et le plus limpide, sans doute tes flots n'on orner ses ravissements de citations classiques et faire redire aux
jamais été souillés par le carnage; tes flots ont pu toujours servi échos des sentences latines. Pour moi j'ai trop abhorré dans mon en-
ce bain et de miroir à la jeune beauté. fance la fastidieuse leçon , apprise mot par mot et à contre-coeur
pour réciter ici les vers du poète :
LXVII.
LXXVI.
Près de ta rive fortunée, sur la douce pente de la colline, un tera
pie, aux proportions sveltes et délicates, s'élève pour consacrer I i Je ne puis répéter avec plaisir rien de ce qui rappelle la potion
mémoire; au-dessous coule ton onde paisible : souvent on voit bon nauséabondeinfligée chaque jour à ma mémoire malade. Quoique
dir à sa surlace le poisson à l'écaillé argentée qui habite el se jou î ie temps m'ait enseigné à méditer ce qu'alors je ne, faisais qu'ap-
dans les profondeurs des eaux cristallines, et parfois un lis d'ea î prendre, néanmoinsl'impatience de mes jeunes années a enraciné
détaché de sa tige fait voile et s'abandonne aux vagues qui descer -. mes premiers dégoûts. Ces chefs-d'oeuvre ont pf-rdu pour moi leuï
dent en répétant leur murmurante chanson. 1 fraîcheur avanl que mon esprit fût capable de savourer un charme
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON. 61

ilcûl pcul-èlrc recherché, ayant la liberté du choix. Maintenant,


ne puis rendre à mes goûts leur purele altérée; et ce qu'alors je LXXXV.
issais, je l'abhorreaujourd'hui. Sylla fut le premier des victorieux; mais notre Sylla, Cromwell,
LXXV1I. fut le plus sage des usurpateurs : lui aussi balaya les sénats, après
avoir taillé dans le trône un billot immortel rebelle! Voyez ce
dieu donc, Horace, loi que j'ai tant délesté, non pour tes fautes qu'il en coûte de crimes pour êtremaître un moment et fameux dans
les, mais pour les miennes : c'est un supplice de saisir par l'in- tous les siècles! Mais de sa destinée surgit une grande leçon morale:
lifcnce mais non par le sentiment l'élan de ta strophe lyrique et le même jour qui lui avait vu remporter des victoires le vit aussi
comprendre*les vers sans pouvoir les aimer. Et pourtant nul mo- mourir; plus heureux de rendre le dernier souffle que de conquérir
jslc ne sonde plus profondément noire chétive existence, nul cri- des royaumes!
11c ne nous
enseigne mieux les secrets de l'art, nul satirique n'a- LXXXVI.
rde avec plus d'enjoûmcnl les mystères de la conscience et ne
t aussi bien toucher noire coeur sans lui faire de blessure. El ce-
Le troisièmejour du neuvième mois del'année (1), qui du pouvoir
inlant adieu : nous nous quittons sur la cime du Soracle. luiavaildonnétout,sauf lacouronnc,cemême jour lc fit descendre pai-
siblementdu trône usurpé parla force et le coucha dans la terre ma-
LXXVIII. ternelle. La fortune n'a-t-elle point montré ainsi que la gloire, la
puissance et tout ce que nous ambitionnons le plus, ce que nous
O Home, ô ma patrie, ô cité de l'âme! c'est vers toi que doivent nous acharnons à poursuivre à travers tant de routes périlleuses,
tourner les orphelins du coeur, ô mère délaissée des empires dé-
leurs tout cela est à ses yeux moins enviable que la tombe? Si l'homme
lits, afin d'apprendre à renfermer dans leur sein chétives envisageait ainsi l'existence, que ses destinées seraient différentes !
uleiirs. Que sont nos maux et nos souffrances? Venez voir les
près, venez écouterla chouette, venez frayer votre chemin parmi LXXXVII.
débris des trônes et des temples, vous dont les tourments sont
«
s malheurs
d'un jour... à vos pieds est un monde,aussi fragile que Salut, fatale otatue, qui subsistes encore dans ton austère et ma-
us-mêmes. jestueuse nudité, loi qui vis, au milieu du tumulte d'un meurtre,
LXX1X. César tomber à tes pieds qu'il baigna de sang, et s'envelopperdes
plis de sa robe avec, la dignité d'un mourant : victime immolée
La voilà donc, laNiobé des nations! Sans enfants, sans couronne, devant toi par la rein?, des dieux et des hommes, l'implacable Né-
us voix pour exprimer sa douleur : ses mains flétries tiennent une mésis. Il est donc more en effet, et toi aussi, Pompée? el qu'avez-
ne vide dont la poussière sacrée a été dispersée par les siècles, vous été lous deux? les vainqueurs de rois sans nombre ou des ma-
lonibe des Scipions ne contient plus leurs cendres : les sépulcres rionnettes de théâtre?
êmc ont perdu leurs hôtes héroïques. Est-ce toi qui coules encore, LXXXVIII.
eux Tibre, à travers un désert de marbre? Ah! soulève tes flots
unâlrcs, pouren couvrircomme d'un manteau la détresse de Rome. Et toi que la foudre a frappée, nourrice de Rome, louve, dont
les mamelles de bronze semblent encore verser le lait de la victoire
LXXX. dans celle enceinte où lu es placée comme un monument de l'art
antique mère des sentimentsgénéreux que le fondateur de la
LcGoih, le chrétien, le temps, la guerre, l'onde et le feu ont grande cité puisés à ta
appé lour-à-tour l'orgueil de la cité aux sept collines ; elle a vu les les traits célestes a sauvage mamelle, toi qui fus sillonnée par
du Jupiter romain et dont les membres sont encore
<;trcs de sa gloire s'éclipser tour-à-tour et les coursiers des rois noircis par la foudre n'as-lu donc point oublié tes doux soins
arbarcs fouler la route par où le char des triomphateurs montait de mère, et veilles-tu
Capitole temples et palais sont écroulés laisser de
encore sur tes immortels nourrissons?
u : se sans trace.
ui, dans ce chaos de ruines, pourra reconnaiîrc un plan distinct, LXXX1X.
1er sur lous ces fragments confondus un pâle rayon de lumière
dire : « Ici élait... là se trouve... » alors que partout régnent de Oui mais ceux que tii as nourris sont morts : ils ne sont plus,
ubles ténèbres?... ces hommes de fer : le monde a bâti descités avec les débris de leurs
sépulcres. Imitateurs de ce qui causait leur effroi, les hommes ont
LXXXI. versé leur sang; ils onl combattu et vaincu, et plagiaires des Ro-
Car les ténèbres du temps et ceux de l'Ignorance, fille de la Nuil, mains, ils ont marché de loin sur leurs traces : mais nul n'a élevé,
il enveloppé el enveloppent encore tout ce qui nous entoure : si n'était capable d'élever sa dominationà la même hauteur ; nul, si
us y croyons trouver un chemin n'est que pour nous égarer l'on excepte un homme orgueilleux qui n'est point encore dans la
, ce
vanlage. L'Océan a sa carie ; los astres ont la leur, et la science les tombe ; mais qui, vaincu par ses propres fautes, est aujourd'hui
roule dans son large giron ; mais Rome est un désert où nous ne l'esclave de ses esclaves
avons nous diriger qu'à l'aide de souvenirs souvent trompeurs.
uduin nous battons des mains en criant : « Eurêka! Une clarté XC.
ille à nos yeux »... mais ce n'est qu'un mirage trompeur, qui s'é- Dupe d'une fausse grandeur, espèce de César bâtard, il a suivi
ve des ruines. d'un pas inégal son antique modèle; car l'âme du Romain avait été
LXXXII. jetée dans un moule moins terrestre; avec des passions plus vives,
Hélas! où est-elle la cité superbe? Hélas! où sont les trois cents et un jugement aussi froid, il était doué d'un immortel instinct qui
'oniplics? où esl ce jour qui vit le poignard de Brutus plus glo- rachetait les faiblesses d'un coeur tendre quoiqu'intrépide: quel-
ax que le glaive du conquérant? Qu'est devenue la voix de Tul-
quefois, aux pieds de Cléopâtre, c'était Alcide tenant la quenouille;
s, la lyre de Virgile, le pinceau de Titc-Live ? Ah 1 du moins Rome el ensuite reprenant sa radieuse auréole, il pouvait dire :
vil dans les oeuvres de ces grands hommes; lout le reste... n'est
us. Malheur à celle lerre! car nous ne la verrons plus briller de l'é- XCI.
l dont elle était revêtue, alors que Rome était libre. Je suis venu, j'ai vu, j'ai vaincu! Mais l'homme qui avait dressé
LXXXIH. ses aigles comme des faucons de chasse à tomber sur leur proie en
tête des bataillonsfrançais et qui de fait les conduisit longtemps à la
loi, au char de qui la Fortune avait attaché sa roue, victorieux victoire,cet homme au coeur sourd etqui ne semblaitjamais s'écouter
II»! toi qui commenças par soumettre les ennemis de
ton pays| lui-même, était singulièrement organisé : il n'avait qu'une fai-
aiit d'écouler le ressentiment de tes propres injures, qui laissas blesse la dernière de toutes, la vanité. Son ambition était pleine
,
coquetterie il visait à quoi? que voulait-il? et pourrait-il
mhler la mesure de tes griefs jusqu'à ce
que tes aigles eussenl, de le dire lui-même ?
ne sur l'Asie abattue; toi dont le regard anéantissait un sénat-
qui fus Romain encore, malgré lous tes vices,
car tu déposas \ XCI1.
«« un sourire expiatoire une couronne plus que terrestre
U voulut être tout PU rien ; et il ne sut pas attendre que la tombe
LXXXIV. vînt enfin marquer son niveau ; peu d'années l'auraient mis à la hau-
teur des Césars que foulent nos pas. C'est donc pour en venir là que
c laurier du dictateur! Sylla, aurais-tu pu deviner à que1 le conquérantélève ses arcs-de-triomphe ! C'est pour cela que le sang
tau serait un jour abaisséce qui faisait de toi plus qu'un mortel'? et les larmes de la terre ont si longtemps coulé et coulent encore,
uvais-tu penser que Rome serait ainsi renversée universel où l'homme infortuné ne voil point d'arche de
par d'autres quie déluge marée
' «es Romains, elle qui s'était appelée l'Eternelle et qui
dres salut, qui ne baisse un moment que pour refluer bientôt!
tses guerriers que pour la conquête ; elle qui couvrait lane die Grand Dieu ! que votre arc-en-ciel apparaisse encore dans la nue !
ombre immense et dont les ailes éployées touchaient terre
'«mités de l'horizon ; elle enfin qu'on saluait du nom de aux àem
'ssanteî
Toute (1) Le 3 septembre, victoires de Dnnbar et de Worcester; mort de
Cromwell en 1658.
62 LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

n'aiment que les époux des autres? Car il s'en est trouvé des deu\ I
XCIII. genres même dans les siècles les plus reculés : les annales uV
Rome nous l'apprennent. Eut-elle, comme Cornélie, la gravité d'une
Quel fruit recueillons-nous de celle stérile existence? Nos sens matrone l'air léger de la gracieuse reine d'Egypte?Se livrâ-t-cllr-
sont bornés, notre raison fragile, notre vie sans durée;la vérité esl" ou
au plaisir ou bien lui fit-elle la uuerre par amour pour la vertu?
une perle cachée dans les abîmes, et toutes choses sont pesées dans lnclina-t-ellevers les tendres sentimentsdu coeur ou, plus sage, rc-
la trompeuse balance de l'usage : l'opinion est une puissance ir- poussa-t-ellc l'amour comme un ennemi? Car ces deux extrêmes se
résistible, enveloppant la lerre de son voile ténébreux ; après quoi rencontrent.
le bien et le mal sont de purs accidents et les hommes tremblent CIL
que' leur jugement ne devienne trop assuré, que leurs libres pensées
ne se changent en crimes, et qu'enfin trop de clarté ne brille sur la Peut-être mourut-elle jeune; pliant sous des maux plus lourds
lerre. que la tombe monumentalequi pèse sur sa cendre légère. Un nua»c
XC1V. s'étendit sur ses charmes, la tristesse de son oeil noir vint prophé-
tiser pour elle le sort que le ciel accorde à ses favoris, une mon
Et c'est ainsi qu'ils végètent dans une lâche misère, qu'ils pour- précoce; cl cependant le charme d'un soleil couchant se répandait
rissent de père en fils et de siècle en siècle, fiers de leur nature avi- autour d'elle; une clarté maladive, l'hcspérus des mourants, colorait
lie, cl qu'ils ftieurcnl enfin léguant leur démence héréditaire à une
d'esclaves-nés. Ceux-là comballronl à leur lour le choix ses joues brûlantes de la teinte rougeâtre des feuilles d'aulomne.
race pour
des tyrans; plutôt que de vivre libres, ilss'entrelueronten gladiateurs cm.
dans la mêinc arène couverte des cadavres de leurs devanciers ;
ainsi tombent les unes sur les autres toutes les feuilles d'un même Peut-être aussi mourut-elle dans la vieillesse, survivant à se;
arbre. propres charmes, à ses parents, à ses enfants. Les longues tresses
XCV. de ses cheveux blancs rappelaient encore quelque chose d'une autre
époque, alors leurs boucles élégantes faisaient son orgueil d
Et je ne parle pas des croyances de l'homme : elles restent entre ' queses charmesque excitaientdans Rome l'admiration et l'envie... Mais
lui et son créateur. Je parle de choses avérées, reconnues cl que l'on- pourquoi vaines conjectures? Nous ne savons qu'une chose:
voit chaque jour, à chaque heure. Je parle du double joug qui pèse Coecilia Mctella ces
esl morte l'épouse du plus riche des Romains ; c!
sur nous et des desseins avoués de la tyrannie; je signale ledit voici le monument de l'amour ou de l'orgueil de son époux.
nouveau des maîtres de la lerre, devenus les singes de celui qui na-
guère humilir.il les plus fiers cl les éveillait en sursaut en secouant CIV.
leurs trônes : homme glorieusementimmortel, si son bras puissant
se fût borné là. O splendide tombeau! je ne sais pourquoi, mais en restant ainsi
XCVI. près de toi, je me figure que j'ai connu jadis celle qui habile les ca-
Les tyrans ne peuvent-ils donc être vaincus que par des tyrans, et veaux; et le passé resurgit devant moi au son d'une harmonie qui m'es!
familière, seulement lc ton en esl changé cl devient solennel connus
la liberté ne trouvcra-t-clle jamais un champion et un fils pareil à le prolongement lointain du tonnerre que le vent apporte jusqu'à
celui que la Colombie vit paraître quand elle-même naquit au jour
nous. Oui, je veux m'asseoit- au pied de ces murs tapissés de lierre,
comme Pallas, vierge sans tache el toul armée? ou bien de pa- jusqu'à ce que mon imagination échauffée ait donné un corps à mes
reilles âmes ne peuvcnl-cllcssc former que dans la solitude, au sein pensées. Je veux évoquer ces formes qui flotlent çà el là parmi lc;
des forêts vierges, au bruit des cnlaraclcs mugissantes,dans ces lieux débris d'un naufrage immense.
où la nature, bonne mère, sourit à Washington enfant? La lerre
ne porte-t-elle plus de tels germes dans son sein, et l'Europe n'a-t- CV.
clle pas de pareils rivages ?
Avec les planches brisées, éparscs sur les rochers, je veux qui
XCV1I. l'espérance me construise une nacelle pour affronter de nouveai
Mais la France, ivre de sang, a vomi le crime; el ses saturnales les flots de l'Océan et les bruyants récifs el le mugissement sans fc
sont devenues funestes à la cause de la liberté : elles l'ont été et le qui assiège la grève solitaire où j'ai vu périr lout ce que j'aimai;.
seront dans lous les siècles et sous tous les climnls. En eflet, les Mais, hélas! lors môme que dos débris épargnés par la tempêteji
jours sombres que nous avons traversés puis ce mur de diamant pourrais me construire une grossière chaloupe, de quel côlé hitli-
élevé par l'ambition entre l'homme el ses , espérances
et enfin lc rigerais-je ? 11 n'est plus d'asile, d'espoir, d'existence qui ail de;
drame honteux joué récemment sur la scène du monde, toul cela charmes pour moi : je n aime que ce qui esl ici.
,
sert de prétexte à l'éternel esclavage qui flétrit l'arbre de vie cl
condamne l'homme à une seconde chute pire que la première. CVI.
Que les vents hurlent donc! leur voix sera désormais ma mé-
XCVI1I. lodie, cl pendant la nuit les hiboux y viendront mêler leurs cris lu-
Néanmoins, ô Liberté, tabannière déchirée, mais encore flottante, gubres, commeils le foui maintenant que l'ombre du soir commtiiei
s'avance contre le vent, pareille au nuage qui porte la foudre. TaL à s'éiendre sur la demeure des oiseaux des ténèbres. Ils se rc
voix de cuivre, aujourd'hui faible et mourante est encore la plusj pondent les uns aux autres sur le mont Palatin, ouvrant de large
puissante que les tempêtes aient épargnées ; loii, arbre a perdu sesi yeux gris et brillants etchéiives agitant leurs ailes. En face d'un pareil m";
fleurs, et sou écorce entamée par la hache parait rugueuse et flé- numenl. que sont nos douleurs?... Je ne saurais parlerii
trie : mais le.tronc reste debout, et les semences sont plantées. des miennes.
profondément même dans le sein du Nord; attendons : un meilleur CVII.
printemps nous donnera des fruits moins amers. Le cyprès et le lierre, la ronce cl le violicr, enlacés en mass;
compactes; des amas de terre entassés sur re qui fut autrefois (1
XCIX. appartements, des arceaux rompus, des colonnes renversées p;
A Rome, il est une vieille tour ronde et d'un style sévère ; solide, tronçons, des voûtes effondrées, des fresques dans des soiilcrrair
humides où les hiboux les contemplentcomme ils regardent les ot
comme une forteresse, ses remparts suffiraient pour arrêter toutejj jets dans la nuit ; tout cela fait-il des temples, des bains ou des |i.
une armée. Elle s'élève solitaire avec la moitié de ses créneaux; c1I lais? Prononce qui pourra; car tout ce que la science a pu déco
le lierre qui la parc depuis dix mille ans, guirlande de l'éternité, ba-
lance son vert feuillage sur les pierres les plus endommagées pai., vrir, c'est que ce sont des murailles. Voyez ce mont habité pari
le temps. Qu'étail-ce dpnç que celle -forteresse?Quel trésor dans soi3 empereurs! ainsi tombe la puissance humaine.
caveaux pouvait être si bien renfermé, si bien défendu?... L(e CVII1.
tombeau d'une femme.
C. Telle est la moralité de toute histoire, éternelle répétition
Mais qui était-elle, cette majesté de la mort, qui a pour tombe uia passé ! d'abord la liberté, puis la gloire ; après la gloire, riches:
palais? Etait-elle chaste et belle? Digne de la couche d'un roi., vice, corruption et enfin barbarie. Ainsi l'histoire, avec tous-
De quelle race de chefs et dI'P énormes volumes, n'a qu'une seule page; une page écrite suri
ou bien plus, de celle d'un Romain? dans les lieux où la fastueuse tyrannie accumula tous les treso
héros fut-ellela tige ? Une fille a-t-cile hérité de sa beauté ? Commentj
a-t-elle vécu, aimé, quitté la vie? Si on lui a rendu dé tels honneurss toutes les délices des yeux et de l'oreille, du coeur, de l'âme et
si on l'a placée dans celte splendide demeure, où des restes vulgaire,g langage... Mais les mots sont inutiles : approchez.
. n'oseraient pourrir, n'est-ce point
pour consacrer la mémoire d'un'e CIX.
destinée plus que mortelle ?
CI. Venez admirer et vous enthousiasmer; venez sourire de nié)
et verser des pleurs... car il y a place ici pour lous ces sei
Fut-elle de ces femmes qui aiment leurs époux ou de celles qiui monts. Homme, balancier suspendu entre un sourire et une lnn
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON. «3

des siècles et des empires sonl entassés pêle-mêle dans cet étroit Îsouffle du ciel, semble en réfléchir l'azur dans ses beaux yeux
espace; cette montagne, maintenant presque aplanie, supportait bleus.
1

une pyramide de lestrônes, et les jouets de la gloire la couronnaient CXVIIL


d'un lel éclat que rayons du soleil en s'y réfléchissant semblaient C'est ici, sous cet ombrage enchanté, que tu habitas, ô divine
doublerleur splendeur. Où sont ces toits dorés? Où sont les hommes Egérie ! ici Ion coeur céleste battait en reconnaissant de loin les pas
qui osèrent les construire ? d'un mortel adoré ; minuit étendait sur cette mystérieuse entrevue
CX. son dais élincclant dont il semblait multiplier les étoiles; tu t'as-
seyais auprès de ton bien-aimé : et qu'arrîvait-'ilalors? Cette grotle
Tullius fut moins éloquent que toi, colonne sans nom dont la semble à la vérité formée tout exprès pour proléger les feux d'une
base est enterrée ! Où sont les lauriers qui couvrirent le front de déesse; pour être le temple du pur amour... le plus ancien de tous
César? Tressez-moiune couronne avec le lierre qui tapisse les ruines les oracles.
de son palais. A qui cette colonne, cet arc-de-triomphe? A Tilus, à CX1X.
Trajan. Non, c'est le trophée duTcmps. Arcs-dc-triomphe,colonnés,
le temps change vos noms en se jouant : et la slatue d'un apôtre As-tu donc en effet, répondant à sa lendresse, uni ton coeur cé-
monte prendre la place de l'urne impériale : leste à un coeur purement humain ? As-tu répondu par d'immortels
transports à cet amour qui expire comme il est né, dans un soupir?
CXI. Ta puissance a-t-clle été en effet jusqu'à communiquer celle poiv
tion de ton être, jusqu'à donner la pureté du ciel aux joies de la
Celle urne où des cendres dormaientà cette hauteur sublime, en- lerre ; as-tu pu sans émousser la flèche lui ôler son venin, cette sa-
sevelies dans les airs, dans le bleu ciel de Rome cl voisines des tiété qui flétrit lout, et déraciner de l'âme les herbes mortelles qui
étoiles. L'âme qui les animaitjadis était bien digne d'un pareil sé- i'éiouflcnt?
jour ; l'âme de celui qui le dernierdonna des lois à la terre entière, CXX.
aumonde romain ; car après lui nul ne soutint le fardeau, nul ne
conserva ses conquêtes. Il fut plus qu'un Alexandre: la débauche Hélas 1 la source de nos jeunes affections s'épanche en pure perle,
cl le meurtre d'un ami ne
souillent poinl sa mémoire, son front pu n'arrose qu'une solitude stérile : il n'en sort qu'un luxe funesle
serein était paré de toutes les vertus d'un monarque; cl aujourd'hui de plantes parasites, qu'une hâtive ivraie, amère au coeur bien que
l encore nous adorons le nom de Trajan. douce à la vue ; des Heurs dont l'odeur malfaisante exhale l'ago-
nie, des arbres qui distillent le poison : telles sont les plantes qui
CXII, naissent dans le sentier de la passion, alors qu'elle s'élance par le
Où est la colline des triomphes, le haut lieu où Rome embrassait
désert du monde, haletante et'enquête de quelque fruit céleste iiir
lerdit à nos désirs.
?es héros? Où est la roche Tarpéiénnc? ce digne but d'une carrière
de perfidies, ce promontoire d'où le traître était précipité pourgué- CXXI.
': rir son ambition. Esi-cc bien ici que les vainqueurs suspendaient O Amour! lu n'es point un habitant de ce monde : séraphin invi-
ks dépouiller opimes? Oui, et là-bas dans celle plaine dorment sible, nous croyons
' mille ans de factions réduites au silence : c'est le Forum, qui a ré- coeurs brisés; mais l'oeil
-s en toi, c'est une foi qui a pour martyrs tous les
humain ne t'ajamais vu, ne te verra jamais
? pété tant de voix immortelles, et où, dans l'air éloquent, la parole tel que tu dois être ; l'esprit de l'homme l'a créé, comme il a peuplé
t de Cicéron respire et brûle encore. les cieux à l'aide de son imagination et de ses désirs i c'est à une
pure pensée qu'il a donné cette forme qui poursuit l'âme altérée,
CXHI. brillante, fatiguée, torturée, déchirée.
Champ de bataille où régnèrent la libellé, les factions, la gloire
cl le carnage ; là s'exhalèrent les passions d'Un peuple orgueilleux, CXXII.
depuis la première heure de cet empire encore dans son germe jus-
qu'à celle où il ne lui resta plus rien à conquérir dans le inonde.
L'esprit languit du désir maladif d'une beauté qui est son propre
.
Mais longtemps avant ce terme, la liberté s était voilé la face, et ouvrage j il s'éprend d'une passion fiévreuse pour ses propres créa-
;
l'anarchie avait usurpé ses attributs, jusqu'aux jours où tout soldat tions : ou lui est le type des formes que le sculpteur a saisies avec son
* audacieux put fouler aux pieds un sénat d'esclaves tremblants èi
: âme ? En seul. La nature a-t-clle"iïcti d'aussi beau? Où sonl les
f muets, ou acheter les voix vénales qui se prostituaientà eux. charmes cl les verlus que nous imaginons dans noire enfance et
que nous poursuivons dans l'âge mûr? Paradis idéal où nous ten-
CX1V.
dons sans cesse et qui fais noire désespoir, tu égares par trop d'é-r
clat la plume qui veut te décrire, tu surcharges la peinture qui veut
Détournons nos regards de tous ces tyrans et portons-les vers le te reproduire dans la fleur.
dernier tribun de Rome, vers toi qui voulus la racheter de ses tristes
siècles de honlc ; loi l'ami de Pétrarque, l'espoir de l'Italie, ô CXXIII.
llicnzi! lc dernier des Romains I Tant qu'il poindra une feuille sur Aimer, c'est un délire, c'est la démence du jeune âge; mais lé
lc tronc flétri de l'arbre de la liberté, qu'on en forme une guirlande remède est plus amer encore que le mal. Quand nous voyons s'éva-
pour ta tombe; car tu fus le champion du forum, le véritable chef nouir l'un après 1 autre les charmes qui enveloppaient nos idoles :
i du peuple,
un nouveau Numa, dont le règne, hélas! futTrop court. quand nous voyons avec une fatale certitude que ni mérite ni
beauté ne résident hors de l'idéal que l'âme s'en était formé ; alors
i CXV. cependant nous restons encore sous le charme, nous nous sentons
lïgérie ! douce création d'un coeur qui, pour se reposer, n'a pas entraînés, et après avoir semé le vent nous recueillons la lempèle.
trouvé sur la terre d'asile aussi beau que ton sein idéal ;. quelle que Lc coeur opiniâtre, une fois qu'il a commencé son opération d'alchi-
soit ton origine : jeune aurore aérienne, nymphe imaginaire en-
miste se croit toujours voisin du trésor qu'il convoite : d'autant
,
fantée par un amoureux désespoir, ou peut-ôtre même bcaulé ter- plus riche qu'il approche lus de sa ruine.
restre qui reçus dans ces bois un hommage peu vulgaire, une ado-
ration enthousiaste : tu fus toujours une belle pensée revêtue d'une CXXIV.
forme charmante. Nous nous flétrissons dès notre aurore, sans cesse haletants, dé-r
CXVI. faillants, malades, n'atteignantjamais notre but, ne pouvant étan-
Les mousses de ta fontaine sont encore arrosées par Ion onde chernotresoif; et pourtantjusqu'à notre dernière heure, sur le bord
élyséentic : une grotte protège la surface limpide que les siècles même de la tombe, nous nous laissons leurrer par quelque doux
n'ont point ridée, et qui.réfléchit encore les doux regards du génie fantôme pareil à tous ceux que nous avons suivis. Mais il est trop
du lieu, i.'arl des hommes a cessé de défigurer ta verte et sauvage tard ; et nous nous sentons mauditsdoublement. Amour,-gloire, am-r
'ïve; ton onde transparenten'est plus condamnée à dormir dans billot», avarice tout est pareil ; tout est vain et funeste ; autant de
météores également, perfides sous des noms différents; la mort est
; une prison de marbre; elle jaillit avec un doux murmure du piedde
la statue mutilée, et serpente çà et là parmi la bruyère le lierre et la fumée sombre dans laquelle disparaît leur flamme.
,:
'es plantes sauvages qui rampent entrelacésdans Un désordre ,
fan-
«
tastique. CXXV.
CXVII.
! Il en est peu... il n'en est point qui rencontrent ce qu'ils aiment
Les vertes collines sont émaillées, parées de fleurs précoces le ou ce qu'ils eussent pu aimer; souvent, à la vérité, le hasard, un
;
'w.ard aux
yeux de feu se glisse sous le gazon, el les chants des oU contact fortuit, l'invincible besoin de s'attacher à quelque chose ont
féaux de l'élé saluent le promeneur. Les fraîches corolles de mille écarté des antipathies... qui reviendront bientôt envenimées
j Plantes, d'espèces variées, semblent le conjurer de suspendre sa d'incurables blessures. L'Occasion, cette déesse toute matérielle par.
ji marche, et leurs teintes diverses dansent au souffle de la brisei qui flotte de méprise en méprise, va sans cesse déterrant de ba-
comme une vaste ronde de fées. La douce violellc, caressée par lei | guette crochue, et nous jetant à la tète nos maux à venir dont sa
,e le
Gk LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

choc réduit nos espérances en poussière... poussière que nous avons plein d'une divine désolation , parmi des tributs plus dignes de toi
tous foulée. j'ose apporter le mien : je t'offre les ruinesde mes années peu nom-
CXXVI. breuses encore, mais fécondes en vicissitudes. Si jamais lu m'as vu
trop superbe, n'écoute pas mes voeux; mais si j'ai supporté avec
Notre vie est une fausse nature. Il n'est pas dans l'harmonie uni- calme la fortune favorable, réservant mon orgueil pour 1 opposer à
verselle, ce terrible décret, stigmate indélébile du péché. Nous la haine qui ne m'abattra jamais , fais en sorte que je n'aie pas vai-
sommes sous un arbre destructeur, sous un immense upas dont nement armé mon coeur de cet acier... Eux seuls ne pleureront-ils
l'ombre donne la mort, qui a pour racine la terre et pour feuillage le pas?
ciel. C'est de laque tombe sur le genre humain une pluie de cala- CXXXII.
mités, la maladie, la mort, l'esclavage... tous les maux que nous
voyons, et plus cruels encore ceux que nous ne voyons pas, bles- Et toi dont la main ne laisse jamais pencher la balance des injus-
sures incurables qui palpitent dans l'âme, douleurs toujours nou- tices humaines,puissante Néraésis,loi qui appelas les furies du fond
velles qui nous rongent le coeur. de l'abîme, et leur commandas de limieret de siffler autour d'Oreste
en punition ue la ven-
CXXVIL geance dénaturée qu'il
Toutefois contemplons avait exercée, vengeance
hardiment notre desti- ,qui n'eût été que juste
née : c'est un lâche aban- de la pari d'une main
moins chère, Némésis,
don que celui de notre c'est ici que fut ton pre-
raison, de noire droit de mier empire, c'est ici que
penser, noire unique et je viens l'évoquer de ta
dernier refuge. Ce droit poussière. N'entends-In
du moins je le conser-
verai toujours : en vain pas la voix demon coeur?
Eveille-toi : il faut m'é-
depuis le berceau, cette couler.
faculté divine est enchaî-
née et torturée, renfer- CXXXI1I.
mée, bâillonnée, empri-
sonnée, élevée dansl'om- Ce n'est pasque les fau-
bre ,de peur sans doute tes de mes pères ou les
que le jour de la vérité miennes ne m'aient peut-
ne vienne frapper d'un . être mérité la blessure
trop vif éclat l'âme mal dont je saigne en secret ;
préparée à tant de lu- et si je n'avais point élé
mière ; malgré lout, le frappé d'une main injus-
rayon immortel pénètre te, peut-être la laisserais-
i'usqu'à nous, le temps et je librementcouler. Mais
a science guérissent no- maintenant la lerre ne
tre cécité. boira pas mon sang: c'est
à toi que je le consacre.
CXXV1II. C'est toi qui le chargeras
de la vengeance : l'occa-
Arcades sur arcades! sion s'en présentera, et
On dirait que Rome, ras- si je ne l'ai point cher-
semblant les divers tro- chée moi-même par é-
phées de ses enfants a gard... n'importe!Jedors;
voulu faire un seul édi-,
mais tu veilleraspourmoi.
fice de tous ses arcs-de-
triomphe, et u créé ainsi CXXX1V.
le Coliséc. Les rayons de
la lune l'éclaircnt comme Et si ma voix éclate
le flambeau naturel de maintenant, ce n'est pas
ce vaste palais : il n'y a que je tremble au sou-
qu'une clarté divine qui venir de ce que j'ai souf-
soil digne de briller sur fert : qu'il parle, celui
cette mine inépuisable de qui m'a vu courber le
méditations; et lc som- front, qui a vu mon âme
bre azur d'une nuit d'I- affaiblie par ses tortures!
talie... Mais je veux que cette
page soit un monument
CXXIX. pour ma mémoire; les
paroles que je trace en
Ce firmament profond ce moment ne se disper-
dont les teintes ont une La fontaine Égéric. seront pas aux vents, mê-
voix cl nous parlent des me quandje ne serai plus
choses divines... flotte au que poussière : l'avenir
dessus de ce vaste et su- accomplira les prophéti-
blime monument,et sem- ques menaces de mes
ble un voue jeté sur sa grandeur. Oui, un sentiment respire dans vers, et entassera comme des montagnes sur les têtes designées le
les choses de la terre que le temps a frappées, et sur lesquelles il poids de ma malédiction.
a posé la main, mais en y ébréchanl sa faulx. 11 a dans les créneaux
.
en ruines une puissance magique bien supérieure à la pompe de CXXXV.
ces palais fastueux, qui attendent encore le vernis des siècles. Celte malédiction sera mon pardon...N'ai-jepaseu,je t'en prends
' à témoin, ô Terre ô mère des hommes, et loi aussi, ô Ciel! n'ai-je
CXXX. pas eu à lutter contre ma destinée? n'ai-je point souffert des choses
O Temps! toi qui embellis les morts, qui parcs les ruines,qui seul dé à cent fois pardonnées? n'a-t-on pas desséché mon cerveau,
peux adoucir et fermer les blessures du coeur ; ô temps ! qui sais re- déchiré mon coeur, sapé mes espérances,été flétri mon nom, jeté aux
dresser les erreurs de nos jugements ; pierre de touche de la vérité, vents la vie de ma vie ? et si je n'ai pas poussé jusqu'au déses-
de l'amour; unique philosophe, car tous les autres sont des sophis- poir , n'est-ce point uniquement parce que je n'étais point forme
tes ; vengeur dont la justice bien que différée, est toujours infail- d'une argile pareille à celle dans laquelle pourrit l'âme de mes per-
,
lible ! j'élève vers toi mes mains, mes yeux, mon coeur, et j'implore sécuteurs?
de toi une grâce. CXXXVI.
CXXXI. Depuis les plus graves outrages'jusqu'aux mesquines perfidies,
Au milieu de ces débris où tu t'es fait un autel et un temple lout n'ai-je pas vu ce dont sont capables des êtres à face humaine? Ici
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD RYRON. /v "•*V" J 05
-,- ' .. ; - s
l'horrible rugissement de la calomnie déclarée ; là le faiblechuchot- bords du Danube : là jouaient ses jeunes ëhfanlsfïes petits du Barbare!
tenient de quelques vils coquins et le subtil venin d'une coterie de Là étaitleur mère, fille de la Dacie..>Taudis"quelui, leur père, égorgé
reptiles; plus loin le regard significatif de ces Janus à double face, pour les plaisirs des Romains... Toutes ces images traversaient sa
habiles à mentir par leur silence même, par un haussement d'é- pensée pendant que coulail son sang. Et sa mort restera-t-elle sans
paules ou un soupir affecté, et à communiquer ainsi au cercle des vengeance?... Non, levez-vous, fils du Nord; el venez assouvir votre
oisifs une médisance muette. rage.
CXLH.
CXXXVII.
Mais ici où le meurtre respirait la vapeur du sang ; ici où les na-
Mais j'ai vécu, et je n'ai pas vé;'u en vain : mon esprit peut per- tions empressées encombraient toutes les issues, murmurant et mu-
dre sa force et mon sang sa chaleur; mon corps peut succomber gissant comme le torrent des montagnes qui jaillit ou serpentesui-
dans ses efforts même pour vaincre la douleurjjoaais-je sens en vant ses voies ; ici où le blâme ou l'éloge de la multitude romaine
moi quelque chose qui doit vaincre la torturent lés^énàpsvetqui étaient des arrêts de vie ou de mort, jeux cruels d'une populace
vivra encore quand j'au- effrénée ; maintenant ma
rai expiré. Un sentiment voix seule retentit ; les
auquel ils ne songentpas, faibles rayons des étoiles
eux, pareil au souvenir tombent sur l'arène vide,
des derniers sons d'une sur les sièges brisés, sur
lyre muette, pèsera sur les murs qui s'écroulent
leurs âmes attendries, é- et à travers ces galeries
veillant dans ces coeurs où mes pas éveillent un
aujourd'huide marbre les écho bruyant et sinistre.
tardifs remords de l'a-
mour. CXLIII.
CXXXVIH. Des ruines... et quelles
ruines! Ou a tiré de leur
Le charme est achevé... masse des murs, des pa-
Salut maintenant, redou- lais, des villes presque en-
table puissance ! divinité tières ; et pourtant en
sans nom, mais irrésisti- passant à quelque distan-
ble, qui erres dans cette ce de l'énorme squelette,
encei nie à l'heuresombre vous vous demandez en
,
de minuit, répandant au- quel endroit on peut lui
tour de toi un recueille- avoir ôté quelque chose.
ment bien différent de la A-t-on réellement dé-
terreur. Tu te plais aux pouillé celle enceinte,'ou
lieux où les murs en rui- l'a-t-on seulement dé-
ne sont* revêtus de leurs blayée? Mais quand on
manteaux de lierre, et approche de l'édifice gi-
ccsscônessolennellescin- gantesque, la dcslruclion
pruiitcnt de ta présence se montre et s'étend au
un charme si pénétrant regard : celte merveille
et si profond que, nous du inonde ne supporte
identifiant avec le passé, plus la lumière du jour,
nous en devenons les in- dont l'éclat est trop bril-
visibles témoins. lant pour tout ce que le
temps et l'hommeont dé-
CXXX1X. vasté.
Ces lieux ont jadis re-
tenti de la rumeur con- CXL1V.
fuse des populations cm- Mais quand la .lune
.
pressées, des murmures ayant atteintla plus haute,
de la pitié ou des accla- des arcades, semble s'y
mations bruyantes, au reposer doucement ;
momentoùl'homme toin- quand les étoiles scintil-
': bail immolé par la main lent à travers les brèches
d'un frère; et immolé, faites par le temps, quand
pourquoi?Parce que telle la brise noclurne balance
était la loi du cirque san- doucement la forêt de
glant et le bon plaisir de feuillages, guirlandedont
César... Et pourquoi pas, tiiallir tressaille en examinant son fils, car il a vu dans ses yeux
d'ailleurs ? Qu'importe se parent les murs grisâ-
le terrible effel de ses reproches. tres, ainsi que le premier
que nous tombions, pour César portait une cou-
devenir la pâture des ronne de lauriers pour
; vers, sur un champ de ba- cacher sa têle chauve ;
taille ou dans l'enceinte quand une lumière serei-
d'un cirque ! Ce ne sont ne s'y répand sans éclat :
que deux théâtres différents ou pourrissent également les principaux alors les trépassés se lèvent dans celte magique enceinte : des hé-
ros ont foulé cette poussière, et c'est leur poussière qu'y foulent nos
CXL. pas.
Je vois le gladiateurétendu devant moi ; sa main supporte le poids CXLV.
de son corps : on lit sur son mâle visage qu'il accepte la mort, mais « Tant que sera debout le Cotisée, Rome sera debout; quand tom-
quil dompte l'agonie ; sa tôle penchée s'affaisse par dégrés; une « bera le Cotisée, Rome tombera, et quand tombera Rome le monde
î large et rouge blessure laisse couler les dernières gouttes de son « tombera avec elle. » Ainsi s'exprimaient, en face de ces majes-
> sang qui tombent-lentes,pesantes,une à une, comme les premières tueuses murailles, les pèlerins d Albion, du temps des Saxons que
gouttes d'une pluie d'orage. Déjà l'arène tourne autour de lui... il nous appelons anciens ; or, ces trois choses périssables se tiennent
a cessé de vivre, avant que soit tue l'acclamation inhumaine qui sa- encore sur leurs fondements et sans décadence sensible : Rome et
•uait le misérable vainqueur. ses ruines irréparables, le monde enfin, cette vaste caverne... de
'-
voleurs ou de ce qu'on voudra.
CXLI.
' U l'a
entendue, mais il l'a dédaignée... Ses yeux étaient avec son CXLVI.
C03ur; et son coeur était bien loin. Il ne songeait plus à la vie, à la Simple, majestueux, sévère, austère, sublime-, basilique de tous
|
;;
victoire qu'il perdait; mais il croyait voir sa hutte sauvage sur les les sair's et temple de tous les dieux, depuis Jupiter jusqu'à Jésus;
— lui]). I.Ai:oi'li el Ce, l-up Smilïlut, Ui.
'^ VAIUS.
66 LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

monument épargné et embelli par le temps; loi qui lèves un front I construit en son honneur a offert un plus sublimé aspect? Majeslc,
paisible tandis qu'autour de loi tout croule ou chancelle, arcs-de- j puissance, gloire, force, beauté, lout est réuni dans celle arche
triomphe cl empiras, et que l'homme se fraie à travers les ronces un éternelle du vrai culte.
chemin vers le tombeau : dôme glorieux! dois-tu durer toujours? CLV.
La fanlx du temps et la verge de la tyrannie se sonlémoussées con-
tre toi. ô sanctuaire et patrie des arts et de la piété, Panthéon ! or- Entrez : vous n'êtes point accablé de sa grandeur; et pourquoi?
gueil de Rome I le temple ne s'est pas rétréci ; mais voire âme, agrandie par le gé-
CXLVII. nie de ce lieu, est devenue colossale ; elle ne se trouve à l'aise que
dans un sanctuaire en rapport avec son immense espoir d'immor-
Monument de jours plus glorieux et des arls les plus nobles! dé- talité. Ainsi un jour viendra où, si vous en êtes jugé digne, vous ver-
gradé, mais parfait encore, dans ton enceinte un religieux recueil- rez Dieu face à face, comme vous voyez maintenant ce sanctuaire
lement saisit tous les coeurs. Tu offies à l'art un modèle; et celui des sanctuaires, et sans être anéanti par son regard.
qui parcourt Rome afin d'y étudier la trace des siècles, voit briller
la gloire à travers l'orbe unique do la coupole. Pour les âmes reli- CLVI.
gieuses, voici des autels qui aUciidc.nl leurs prières ; et ceux enfin
qui honorent le génie peuvent reposer leur vue satisfaite sur les Vous avancez : mais tout s'agrandit à chaque pas, comme il ar-
bustes qui les entourent. rive quand vous escaladez quelque sommet des Alpes qui va tou-
jours s'élcvanl devant vous après vous avoir trompé par l'élégance
CXLV1II. de ses proportions gigantesques. L'immensité s'accroît; mais tou-
Mais voici un cachol : sous ses voûtes à demi obscures, qu'aper- jours en gardant sa beauté, et en restant harmonieuse dans toutes
çois-je? Rien. Regardons encore : deux ombres se dessinent lente- ses parties : des marbres splendides, de plus splendides peintures;
ment à ma vue... sans doute deux fantômes de mon imagi- des autels où brûlent les lampes d'or ; et enfin ce dôme allier, édi-
nation : mais non : je vois deux êtres humains entiers et dis- fice aérien qui rivalise avec les plus beaux monuments de la lerre;
tincts; un vieillard, une femme jeune cl. belle, fraîche comme une bien que les fondements de ceux-ci soient établis sur le sol ferme,
mère qui aljailc son enfant et dans les veines de laquelle le sang et que les siens à lui appartiennentà la région des ntiages.
s'est changé en nectar... que peut-elle faire ici? pourquoi ce cou dé-
couvert? ce sein blanc el nu? CLVII.
Vous ne pouvez lout voir : il S-ous faut décomposerce grand tout,
CXLIX. pour contempler séparément.chacune de ses parties. Comme les
Un lait pur gonfle ces deux sources de vie, où en naissant nous côtes de l'Océan offrent do nombreuses baies qui appellent le re-
avons puisé sur le coeur el dans le coeur de la femme notre premier, gard de même il faut ici concentrer voire attention sur les ohjcls
les ,
plus rapprochés et maîtriser votre pensée, .jusqu'à ce qu'elle ait
notre plus doux aliment, alors que l'épouse, heureuse d'être mère,
dans l'innocent regard de son nourrisson, dans le petitcri de ces lè- bien compris les éloquentes proportions de l'édifice, el qu'elle puisse
vres irritées par un léger délai mais non parla douleur, saisit une joie dérouler graduellement, fraction par fraction, ce glorieux tableau
que l'homme ne peut comprendre. Avec quel bonheur elle voit dans que, dès l'abord, vous n'avez pu saisir dans son ensemble.
son petit berceau le bien-aimésemblable a un bouton qui s'épanouit
peu à peu... Mais quel sera le fruit?... Nul ne le sait... Eve enfanta CLVI11.
Caïn. Ce n'est donc point un défaut de l'édifice : c'est le résultat de vo-
CL. tre faiblesse. Nos sens extérieurs ne peuvent rien apprécier que par
Ici c'est à la vieillesse qu'une jeune femme offre cet aliment pré- degrés; cl l'impression la plus intense ne correspond jamais à au-
cieux : c'est à un père qu'elle rend le sang reçu de lui avec la cune de nos faibles descriptions. De môme ce resplendissant, cet
vie. Non l'infortuné ne mourra pas, tant que le*feu de la santé et écrasant édifice trompe d'abord notre vue éblouie; celle grandeur
d'un saint, amour entretiendra dans ces veines pures et charmantes des grandeurs délie l'cxiguilé de- notre nalurc : mais enfin , nous
la source qu'y a placée la nature, source plus féconde que le Nil développant iious-mèmc, nous élevons peu à peu notre âme au ni-
dont se vante l'Egypte. A ce sein affectueux, bois, bois la vie, ô veau de l'objet qu'elle contemple.
vieillard : la ciel môme n'a pas un breuvage aussi doux.
CL1X.
CLI. Arrêtez-vous alors, et laissez-vouspénétrer par une clarté divine;
La fable de la voie lactée n'a pas la pureté de celle histoire. On il y a dans un pareil spectacle plus que la satisfaction du regard
dirait une constellation dont les rayons sont plus doux : et la sainte émerveillé,plus que le recueillement inspiré parla sainteté du lieu,
nature triomphe bien plus dans ce renversement de ses lois que plus que la simple admiration pour l'art cl les grands maîtres créa-
dans l'aliîme étoile où brillent lous ces mondes lointains. O la plusi teins d'un monument supérieur à tout ce que l'antiquité a pu exé-
sainte des nourrices! aucune goutte de cette pure liqueur ne se per- cuter ou môme concevoir. Ici la source même du sublime dc-ouvre
dra : toutes iront au coeur de ton père, cl rempliront d'une nou- ses profondeurs : l'esprit de l'homme peut pénétrer à loisir dans ses
velle vie la source d'où elles proviennent : c'est ainsi que nos âmesi sables d'or, et apprendre ce que peuvent les conceptions du génie.
affranchies vont se fondre dans l'univers.
CLX.
CL1I. Allons au Vatican voir la douleur ennoblie dans les tortures de
Tournons-nous vers le môle qu'Adrien a élevé dans les cieux, Laocoon : la tendresse d'un père el l'agonie d'un morlcl, réunies à
impérial plagiaire des pyramides de la vieille Egypte, copiste d'uno> la patience d'un dieu. Inutiles eiVorls! c'est en vain que les bras du
difformité colossale, qui, dans ses voyages, s'élant épris du modèle> vieillard se raidisscntfconlrc les noeuds redoublés cl l'élreinlc tou-
immense qu'il avait contemplé sur les bords lointains du Nil, a con- jours plus pressante du dragon : la longue et venimeuse chaîne rive
damné l'art à bâtir pour des géants cl. a destiné celle demeure; autour de lui ses anneaux vivants : l'énorme reptile ajoute angoisse
splendide à recevoir sa vaniteuse poussière, ses cendres chétives. sur angoisse, étouffe l'un après l'autre les cris de ses victimes.
Le sage ne peut s'empêcher de sourirede pitié en reconnaissant uni
si triste but à une oeuvre aussi gigantesque. CLXI.
CL1II. Voyons aussi le dieu à l'arc infaillible le dieu do la vie , de la
j lumière, lc soleil sous la forme humaine. , Son front rayonne de sa
Oh! voici le dôme... ie vaste et admirable dôme, en regard du- victoire : la flèche vient de partir, ardente de la vengeance d'un
quel le célèbre temple de Diane ne serait qu'une simple cellule -: ;
! immortel ; ses yeux et ses narines respirent un noble dédain ; la
temple majestueux du Christ élevé sur la tombe d'un martyr! J'aij ; puissance et la majesté éclateut à grands traits dans lout son visage,
vu la merveille d'Ephèse : ses colonnes étaient éparses dans le dé-- i et son seul regard révèle un dieu,
sert, et l'hyène et lu chacal habitaient sous leur ombre. J'ai vu less \
coupoles de Sainte-Sophie enfler sous les rayons du soleil leurss CLX1I.
masses étincelanles; il m'a été donné de promener mes regardss Mais ses formes élégantes semblent un rêve d'amour, révélé à
dans son sanctuaire alors que l'usurpateur musulman y priait.
quelque nymphe solitaire, dont le coeur soupirait pour un immortel
CL1V. amant, cl s'égarait dans ses enthousiastes visions. Elles expriment
tout ce que notre esprit, dans son vol le plus éloigné do la terre, a
Mais loi, entre lous les temples de l'antiquité el des temps mo- I jamais pu concevoir d'idéale beauté, alors que chacune de nos pen-
dernes, lu t'élèves seul cl sans rival, ô le plus digne sanctuaire dui-u | sées était un envoyé céleste, un rayon d'immortalité, et que loules,
Dieu très saint, du vrai Dieu! Depuis la ruine de Sion, depuis quee j rangées autour de nous comme un cercle d'étoiles, finissaient par
le Tout-Puissant a délaissé son antique cilé, quel édilice tcrrcslrc•c : se réunir et former un dieu.
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON. 07

LLe souffle inconstant de la faveur populaire, la langue des conseil-


CLXIII. leers perfides, ce fatal oraclequi, depuis l'originedes monarchies,a re-
tenti comme un glas de mort aux oreilles des rois, jusqu'à ce que
le
Àh s'il est vrai que Promélhéeail ravi aux cieux le feu qui nous
!
jces nations, poussées au désespoir, courussent aux armes : l'étrange
lime, il a bien acquitté notre dette, l'artiste dont le génie a su revêtir ^Tatalilé abat les puissants monarques et, combattant leur omni-
une éternelle perfection ce marbre poétique. Si c'est là l'ouvrage 'potence,quijette dans le bassin opposé de la balance un poids qui tôt
une main mortelle, ce n'est pas du moins une conception hu- jj
tard les écrase.
ie temps lui-même a donné à ce marbre une consécration ou
mine :
ii
,inte : n'a poinl réduit en poussière une seule boucle de la che- CLXX1I.
Dlure; il n'a nulle part imprimé le cachet des siècles : il y a laissé Voilà peut-être ce qu'elle eût trouvé sur le trône: mais non, nos
'spirer loute la flamme avec laquelle il fut créé. coeursse refusent à le croire. El si jeune, si belle, bonne sans effort,
c,
CLXIV.
Igrande là!
sans un ennemi ; tout à l'heure épouse cl mère... et main-
Que de liens ce moment fatal a brisés! Depuis le eoeup
tenant
Mais où donc est-il le pèlerin, héros de mon poème, celui dont le de
" ton royal père jusqu'à celui du plus humble sujet, tous sonl unis
la chaîne électrique du même désespoir : la commotion a été
iom soutenait autrefois mes chants? H est bien lent, ce me sem- par
I'
pareille à un tremblement de terre ; elle a soudain frappé tout un
île, cl reste longtemps en arrière... 11 n'est plus! Nous avons répété P
qui t'aimait commeaucun autre n'aurait pu l'aimer.
es derniers accents; son pèlerinage est terminé; ses visions s'éva-
pays
l1
louisscnt : il est lui-même comme s'il n'eût jamais été. S'il fut ja-
unis autre chose qu'un fantôme, si l'on a pu le ranger parmi les CLXXIH.
itrcs qui vivent el qui souffrent, qu'il n'en soit plus question : son Salut, Nemi ! beau lac caché au cenlrcdc collinesombreuses, tu le
imbro disparaît dans les masses confuses de la destruction ; ris
r des vents furieux. En vain ils déracinent les chênes, chassent
1l'Océan au-delà de
CLXV.
ft ses limites, et lancent jusqu'aux cieux l'écume
i vagues, il faut qu'ils respectent malgréeux le miroir ovale de Ion
des
Car la destructionenveloppe dans son redoutable linceul les om- onde.
c Calme comme la haine qui couve dans un coeur, sa surface a
lires, les substances, la vie, loul ce qui esl notre héritage ici-bas : elle 'un aspect froid el tranquille que rien ne peut troubler ; ses eaux
slcnd sur le monde ce voile immenseet sombre,à travers lequel toutes semblent
s se replier sur elles-mêmes, comme s'enroule un serpent
choses semblent des spectres, nuage qui s'épaissit entre nous et lout endormi.
(
ce qui brille, au point que la gloire elle-même n'est plus qu'un CLXXIV.
pal e crépuscule, une mélancoliqueauréole qui poind à peine sur Près de là, les ondes d'Albano, à peine séparéesde celles de Némi,
la limite des ténèbres : lueur plus triste que la plus triste nuit, car brillent
] dans une autre vallée ; plus loin serpente le Tibre, et le vaste
elle égare notre vue. Océan
I baigne ces rivages du Latium, théâtre où commençala guerre
CLXVI. épique
i du Troyen dont l'étoile reprit son ascendant "et finit par
éclairer un empire., A droite est l'asile où Tullius venait oublier le
nous fait contempler les profondeurs de l'abîme , pour nous
1211e
bruyant
j séjour de Rome ; el là-bas, où ce rideau de montagnes in-
enquérir de ce que nous deviendrons quand notre forme passagère
tercepte la vue, élait jadis cette villa du pays des Sabins où Horace
sera réduite à quelque chose de moins encore que notre misérable
,

jcondiiion actuelle. Elle nous fait rêver de la gloire ; elle nous amène aimait à goûter le repos.
ù clïaeer la poussière d'un vain nom que nous n'entendrons plus CLXXV.
jamais. Mais jamais non plus ô pensée consolante I nous ne pou-
vons redevenir ce que nous avons, été 111 suffit bien en ell'el d'avoir Mais je m'oublie... Mon pèlerin est arrivé au terme de sa course;
porté une fois ce fardeau du coeur... de ce coeur dont la sueur est lui et moi nous devons nous quitter : eh bien ! soit; sa tâche et la
ïlusaiig. mienne sonl presque achevées: jelons néanmoins sur la mer un
\ CLXV1I.
dernier regard. Les Ilots de la Méditerranée viennent se briser à
nos pieds, et du sommet do la montagne d'Albc, nous contemplons
! Silence! une voix s'élève de l'abîme : c'est une clameureffrayante l'ami de noire jeunesse, ecl océan dont nous avons vu les vagues
?çl sourde; c'est le murmure lointain d'une nation qui saigne d'une se dérouler sous notre navire depuis les rocs de Calpé jusqu'aux
iblcssurc profonde et incurable. Au milieu de la lempêle cl des lé- lieux où le sombre Euxin baigne les Symplégades azurées.
fiùbrcs la terre gémil cl s'entr'ouvre béante : des milliers de fantô-
,
•pics volligenlsur iegouffre. 11 en est un qu'on distingue de la foule : CLXXVI.
$>n dirait
une reine, quoique son fronl soil découronné ; elle est
Éïilo mais belle, et dans De longues années... longues quoique peu nombreuses, ont de-
sa douleur de mère elle embrasse un cn-
Jiuil et l'approche vainement de puis lors passé sur Harold et sur moi ; quelques souffrances et
son sein. quelques larmes nous ont laissés tels à peu près que nous étions au
'' CLXVIll. départ. Ce n'est pas en vain toutefois que nous avons parcouru
noire carrière mortelle : nous avons eu notre récompense; et c'est
Fille des rois et des héros, où es-tu? Cher espoir de tant donations, ici que nous l'avons trouvée; car nous nous sentons encore réjouis
JMu disparu delàlerre? La mort ne pouvait-ellel'oublier cl frapper par les doux rayons du soleil, et dans la lerre el l'océan nous sa-
Îuriquc tête moins élevée, moins chérie? Au milieu d'une nuit de vons encore trouver des jouissances presque aussi complètes que
oiileur, lorsque, mère d'un moment, ton coeur saignait encore s'il n'existait pas d'hommes au monde pour en troubler la pureté.
Îfnu Ion fils, la mort est venue éteindre pour jamais ci tte angoisse :
\uctoi s'est envolé le bonheur présent des îles impériales, avec loi CLXXVIl.
pi disparu les espérances dont elles s'enivraient. Oh! que ne puis-je habiter le désert avec une fille des génies,
CLX1X. compagne de ma solitude; que ne puis-je oublier entièrement le
,
genre humain,et, sans haïr personne, n'aimer au monde qu'elle. O
I compagne du laboureur devient mère sans danger pour sa
La
vous, éléments,dont la nobleinspiration réveille mon enthousiasme,
Ijc. et toi, heureuse, adorée I... Oh ! ceux qui n'ont point de lar- ne pouvez-vous exaucer mes désirs? Est-ce une erreur de croire
Pe-i pour les malheurs des rois en auront pour ton sort; et la liberté que de pareils êtres habitent au sein de la nature, quoique nous
Jicme, le coeur désolé, cesse d'accumuler ses griefs,
pour ne plus ayons rarement le bonheur de communiquer avec eux?
finger qu'à ta perte : car elle avait prié pour toi, et sur la léte elle
jouit son arc-en-ciel. Et toi, prince solitaire, amant désolé! ton CLXXVHI.
*\men devait donc être inutile! époux d'une annéeI père d'un
fiort! Il est un charme au sein des bois non frayés, il est des ravisse-
i ! CLXX. ments sur le rivage solitaire: on trouve une société sans aucun im-
I Ta parure nuptiale n'était qu'un vêtement de deuil le fruit de portun sur les bords de la profonde mer, et dans le rugissement de
Ivinui n'est que cendres; elle esl couchée dans la; poussière, la
ton ses vagueson entend une mélodie. Je n'en aime pas moinsl'homme,
mais je préfère la nature, à cause de ces douces entrevues, dans
8'onde héritière des îles, l'amour de
^ec quelle confiance nous remettionstant lesquelles j'échappe à tout ce que je puis être, à tout ce que je lus,
de millions d'hommes!
entre ses mains lout notre pour me confondre avec l'univers et sentir des choses que je no
J^enir! et quoique cet avenir ne fût pour nous que la nuit de la pourrai jamais exprimer, mais que je ne puis taire entièrement.
jPndic, nous aimions à penser que nos enfants obéiraient à
son fils
|| béniraient la mère et sa postérité tant désirée. Cette espérance CLXXIX.
J'-nt pour nous ce qu'est l'étoile
aux yeux du berger.., et ce n'était Déroule les vagues d'azur, profond et sombre Océan... C'est en
Y «n météore rapide.
I CLXXI. vain que des flottes innombrables parcourent les plaines; l'homme
\ l'ieuvons sur nous-mêmes el non sur elle, car elle dort en paix. peut imprimer ses traces sur la lerre en y faisant des ruines; mais
son pouvoir s'arrèle à Ion rivage. Toi seul fais les naufrages dont ta
68 LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTREES.

surface est le théâtre, et il n'y reste pas une ombre des ravages de
l'homme, sauf sa trace à lui qui s'y dessine un moment pendant
qu'il s'enfonce comme une goulle de pluie dans l'abîme, avec un LA
petit bouillonnement,un cri étouffé, pour y dormir sans tombeau,
sans pompe funèbre, sans cercueil cl sans nom.
CLXXX.
FIANCEE D'ABYDOS.
Ses pas ne s'impriment point dans tes sentiers; tes domaines ne
sont point sa proie : tu te lèves et tu le secoues loin de toi: ce lâche
pouvoir qu'il exerce pour la destruction de la terre, lu le dédaignes,
toi ; le prenant sur ton sein, tu le lances en te jouant vers les nuages
a\ec l'écume de tes flots, puis tu l'envoies, tremblant, éperdu, re-
joindre ses dieux de qui ses vaines espérances attendaient un heu- CHANT PREMIER.
reux retour dans le port ou la baie; tu le rejettes enfin sur la plage :
qu'il y reste 1 1.
CLXXXI.
Connaissez-vous le pays où croissent le cyprès et I e myrte, emblè-
Ces armements qui vont foudroyer les remparts des citadelles
bâties sur le roc, qui épouvantent les nations et font trembler les rmes d'amour et de terreur, ce pays où la rage du vautour, l'amour de
la
j tourterelle se fondent en douleur ou s'exaltent jusqu'au crime?
monarques au sein de leurs capitales; ces lévialliansde chêne aux (Connaissez-vous , le du cèdre el de la vigne où les fleurs sont
gigantesques flancs, en vertu desquels l'homme d'argile qui les a ttoujours épanouies, pays les cieux toujours brillants , où l'aile légère du
créés prend le titre de roi de l'Océan et d'arbitre de la guerre : que zéphyr milieu des jardin* de ,
s'affaisse
sont-ils pour toi ? de simples jouets. Comme de légers flocons de parfums, ; au
, où le roses, sous le poids des
citronnier clTolivier porlent des fruits si beaux,
neige, ils fondent dans l'écume de tes eaux, et tu anéantis égale- J.où la voix du rossignol n'est jamais muette où les couleurs de et la
;
ment l'orgueilleuse Armada et les dépouilles de Trafalgar. terre
| et les nuances du firmament, quoique différentes, rivalisent
!en beauté ; où un pourpre plus foncé colore l'Océan où les vierges
CLXXXII. sonl douces comme les roses qu'elles tressent en guirlandes, où ,
Sur tes rivages sonl des empires où tout est changé, excepté toi. enfin , excepté l'esprit de l'homme, loules choses sont divines? C'est
L'Assyrie, la Grèce, Rome, Carlhage, que sont-elles devenues? Tes le climat de l'Orient, c'est la terre du soleil... Mais les coeurs et les
flots battaient leurs remparts au temps où elles étaient libres, actions des hommes y sont aussi sombres que les derniers adieux
comme plus d'un tyran les a assiégés depuis : leurs territoires de deux amants.
obéissent à l'étranger, sont plongésdans l'esclavage ou dans la bar- 11.
barie ; leur décadence a transformé des royaumes en déserts arides : Entouré d'esclaves nombreux, lous hardis el dévoués, tous ar-
mais en toi rien ne change que le caprice de tes vagues. Le temps més comme il convient à des braves, el attentifs an moindre signe
ne grave pas une ride sur Ion front d'azur, et tel que le vit l'au- de leur mailre, qu'il l'aille guider ses pas ou protéger son reposa le
rore delà création, tel nous le voyons aujourd'hui. vieux Giaffir est assis sur son divan. Il semble profondément préoc-
cupé : à la vérité, le visage d'un musulman ne trahit guère ses
CLXXXHI. pensées intérieures, accoutumé qu'il est à tout dissimuler, sauf son
Glorieux miroir, où la face duToul-Puissant se réfléchit dans les indomptable orgueil : mais en ce moment les traits pensifs de Giaffir
tempêtes! Toujours, calme ou agile, soulevé parla brise, la rafile sonl moins discrets que de coutume.
ou l'ouragan; glacé vers le pôle, ou sombre et assoupi sous un ciel
lorride, sans bornes et sans fin, lu es l'image sublime de l'éternité, III.
le trône de l'Invisible. De ton limon sont formés les monstres de
l'abîme; loute région du globe t'obéit : et lu marchesterrible, inson- nant « Qu'on se relire de cette salle! » La suite a disparu. « Mainte-
faites venir le chef de la garde du harem! » Il ne reste avec
dable et solitaire. Giaffir que son fils unique, et le Nubien qui attend ses ordres.
CLXXX1V. foule de ces est-laves aura franchi le
« Haroun , aussitôt que la
El je t'ai bien aimé, Océan! Dans mes premiersjeux, ma joie seuil de la porte extérieure (car malheur à ceux qui auraient vu
était de me sentir bercé sur ton sein, comme les bulles d'air que tu sans voile les traits de ma Zuleïka), lu iras chercher ma fille dans
promènes; enfant, je folâtrais avec tes brisants : ils avaient un sa tour : en ce moment, son destin est fixé; cependant ne lui com-
charme pour moi, el quand lc flot en montant les rendait plus re- munique pas ma pensée; c'est à moi seul de lui apprendre son de-
doutables, le même charme se mêlait à ma terreur. Car j'étais comme voir. — Pacha, entendre c'est obéir. » Un esclave ne doit pas eu
un de tes fils; de près ou de loin je me confiais à tes vagues, et ma dire davantage au despote. Haroun allait sortir et se diriger vers la
main se posait sur ton humide crinière...comme elle s'y pose main- tour, mais lc jeune Sélim rompt le silence. Il commence par s'in-
tenant. cliner profondément; puis il s'exprime ainsi d'une voix douce cl les
CLXXXV. yeux baissés, en se tenant debout aux pieds du pacha ; car le fils
d'un musulman mourrait avant d'oser s'asseoir en présence de
Ma tâche est finie... mon chant a cessé... ma voix s'est éteinte l'auteur de jours : « Père, avant de gronder ma soeur ou son
dans un dernier écho : il esl temps de rompre lc charme d'un rêve noir gardiensessache que s'il y a un coupable, c'esl moi seul : que
trop prolongé. Je vais éteindre la torche qui chaque soir rallumait la colère ne tombe donc que sur moi. La matinée était si belle!
,
ma lampe nocturne... et ce qui est écrit esl écrit .. Je voudrais avoir la vieillesse et la fatigue peuvent aimer le sommeil ; mais moi, je
fait mieux. Mais je ne suis plus ce que j'ai été: mes visions voltigent ne pouvais dormir. El aller voir seul les plus beaux aspects de la
moins saisissables devant moi, et la flamme qui habitait dans mon terre et de l'Océan, sans personne pour répondre aux pensées qui
esprit est vacillante, pâle et affaiblie. feraient battre mon coeur, ce serait un ennui : quel que soit d'ail-
leurs mon caractère,je n'aime point la solitude. J'ai donc éveillé
CLXXXVI. Zuleïka : vous savez que les portes du harem s'ouvrent facilement
Adieu!... parole bien des fois prononcée et qui le sera bien des pour moi ; el avant le réveil des esclaves qui la gardent, nous étionsla
fois encore... parole qui prolonge les moments du départ... et ce- déjà sous les bosquets de cyprès, et nous nous emparions de
pendant... Adieu! O vous qui avez suivi le pèlerin jusqu'à la der- lerre, de l'Océan et des cieux. Nous nous y sommes promenés peut-
nière scène de ses voyages, si vous gardez dans votre mémoire une être trop longtemps, oubliant lesduheures pour l'histoire deMejnoii»
des pensées qu'il eut autrefois, si un seul souvenir de lui surgit et de Leïla (1), ou pour les vers Persan Sadi ; jusqu'au moinunl
dans votre âme, il n'aura point porté en vain les sandales et le où, entendant la voix sonore du tambour qui annonce ton divan,
chaperon écaillé. Adieu ! Que le regret, s'il en existe, soit pour lui fidèle à mon devoir, je suis accouru pour leirrité saluer ; mais Zuleïka
seul... pour vous la morale de ses chants ! est encore au jardin... O père, ne sois pas ; rappelle-toi que
personne ne peut pénétrer sous ces secrets ombrages.
IV.
FIN DE CHILDE-HAROLD.
— Fils d'une esclave, dit le pacha; né d'une mère infidèleI c'esl
en vain que ton père espérerait voir en toi ce qui prometun homme.
Eh quoi ! lorsque ton bras devrait bander l'arc, lancer un javclol,
dompter un coursier, Grec dans l'âme, sinon de croyance, tu vas rê-
ver au murniuredes eaux, ou voir s'épanouir les roses ! Plût à Dieu
(1) Le Roméo et la Juliette de l'Orient.
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON. 69

nue cet astre dont tes regards frivoles admirent tant l'éclat voulût inaltérée, brille à la tête des Timariols, intrépides défenseurs des
in
communiquer une étincelle de sa flamme! Toi qui verrais
bien le fiefs
fi< que leur vaillance a conquis. Sache seulement que celui qui
j
de Eang-froirt ces créneaux s'écrouler pierre à pierre sous le canon prétend
pi à ta main est un parent du célèbre Oglou : ne parlons pas
j
des chrétiens, et les vieux murs de Stamboul tomber devant les de son âge; je ne voudrais pas te donner un enfant pour époux.
d<
i jpjscovilcs sans
frapper un seul coup sur les chiens de Nazareth ! T
Tuauras un nobledouaire ; et ma puissanceunie à la sienne pourra
i
ya ; et que ta main, plus débile que celle d'une femme, prenne la braver le firman de mort que d'autres accueillent en tremblant;
bi
! quenouille et non l'épée. Mais toi, Haroun ! rends-toi près de ma nous apprendrons au messager impérial quel sort est dû auporteur
in
\ f,||e puis écoute : songe à la propre tôle : si Zuleïka prend trop d' pareil présent. Tu connais la volonté de ton père, et c'est tout
d'un
;
1
souvent son vol, lu vois cet arc : il a une corde. » ci qu'une fille doit savoir. A moi de te montrer enrore la voie de
ce
\ l'obéissance,
l'i à Ion nouveau maître de l'enseigner celle de l'amour. »
I V.
VIII.
; ne s'échappa des lèvres de Sélim, pas un du moins
Pas un son
\ qui arrivât à l'oreille du vieux Giaffir; mais chacun des regards de La jeune fille inclinala tête en silence; et si ses yeux se remplirent
i FOU père, chacune de ses paroles le perçait plus au vif que n'eût fait dde larmes, que ses sentiments comprimés parvinrent à retenir; si
i, l'epec d'un chrétien. « Fils d'une esclave !... m'accuscr de lâcheté : ses joues se couvrirent alternativement de pâleur et d'une rou-
si
| ,ie qu'est
S cl
pareils mots eussent c.oiïté cher à lout autre. Fils d'une esclave
donc père?
! geur
g ardente, à mesure que ces paroles d'un père arrivaient comme
ddes flèches à son oreille, que pouvail-ce êlre, sinon des craintes
mon
| »
Ainsi Sélim donnait carrière à ses sombres pensées; c'était plus virginales?
v Si belle est une larme dans les yeux de la beauté, que
1
que de la colère qui brillait par instants dans son regard. Le vieux
il Giaffir regarda
l'amour
1' regrette à demi de la sécher sous un baiser; si douce est la
son fils cl tressaillit ; car il avait lu dans ses yeux r
rougeur de la modestie, que la pitié même n'en voudrait rien ôter.
1 l'impression produite par ses reproches, et il avait Quelle que fût la cause de son émotion son père ne daigna point
y vu poindre la re- Ç
,
% liellion : « Viens ici.
enfant... quoi! pas de réponse? .le l'observe... la
1: remarquer; ayant frappé trois fois dans ses mains, il demanda
% cl je te connais; mais il est des choses que tu n'oserasjamais faire. s coursier, déposa la chibouque ornée de pierreries, se mil en
son
:] Si la barbe élait plus virile, si ta main avait plus d'adresse et de selle
s dans l'appareil convenable pour une simple promenade, et,
| force, j'aimerais à le voir rompre une lance, fût-ce contre la entouré
e de Maugrabins, de Mamelucks et d'inli-épidcs Dehlis, il se
\ mienne! » mil
i: en route pour aller assister à l'exercicedu cimeterre tranchant
| laissant tomber mois ironiques, son oeil sombre se fixa de l'inoffensifdjerrid. Le Kislar-aga et ses eunuques noirs res-
| surEncelui de Sélim, qui ces
lui rendit regard pour regard d'une manière
cou
tèrent
l seuls pour garder les portes massives du harem.
1 si fière el si persistante que Giaffir le premier céda et se tourna de
1 colé Pourquoi?il lesentitsansosers'enrendre compte : « .le crains,
..
IX.
j se dit-il, qu'un jour cet enfant téméraire ne me cause bien des en- II tenait satèle appuyée sur sa main ; son oeil semblait errer sur
;
nuis; je l'exècre... mais son bras n'est guère redoutable; et c'est à | vagues d'un bleu sombre qui glissaient rapidement et dou-
les
i peine si à la chasse il peut vaincre le daim sauvage ou la timide ga- ,
s'enllaient entre les sinueuses Dardanelles : pourtant il ne
zclle : bien loin d'entrer dans l'arène où les hommes se disputent la
cement
(
.'-)
:
gloire el la vie... cependant je n'aime ni ce regard ni cet accent...
voyait
^ réellement ni la mer, ni le rivage, ni même la suite du pa-
J n'aime point non plus ce sang qui touche de si près au mien.
je
cha,
. occupée à partager en courant, avec tranchantdu cimeterre,
le
il ne m'a pas entendu... il suffit! je l'observerai doréna- un
, feutre plié eu double : il ne remarquait pas les évolutions de la
ï3 vautsang...
Ce
de pins près. Il n'est pour moi qu'un vil Arabe ou un chrétien foule
j qui lançait la javeline; il n'entendait ni les cris sauvages, ni
les
i bruyants "Allah: il ne songeait qu'à la lilledc Giaffir.
>; demandant quartier. Mais écoutons!... c'est la voix de Zuleïka: elle
i résonne à mon oreille comme l'hymne des hou ris. Zuleïka est l'en-
de mon choix : je la chéris plus que je n'ai chéri sa mère; car
X.
j faut

d'elle j'ai tout à espérer cl rien à craindre. O ma Péril lu es toujours Aucune parole ne s'échappait des lèvres de Sélim ; un seul soupir
:1 la bienvenue près de moi. Tu
es douce à ma vue comme la fontaine exprimait
'
chacune de ses pensées qui volaient vers Zuleïka : el il
ï rln désert aux lèvres altérées. Et le pèlerin rendu à la vie ne peut continuait à regarder par la jalousie d'une fenêtre, pâle, muet
j ollïir à l'aulel de la Mecque desaclionsde grâces plus ferventes que el dans une morne immobilité. Les yeux de Zuleïka élaicnl tournés
| celles d'un père qui bénit la naissance et ta vie lout entière. » vers lui ; mais elle cherchait vainement à deviner ce qui pouvait
i vi.
l'occuper : sa douleur était égale, quoique la cause en fût autre.
Une flamme pins douce brûlait dans le coeur de la jeune fille ; et ce-
v|
5
lîclle comme la première femme qui soit tombée, lorsque, séduile pendant, par crainte ou par faiblesse, sans savoir pourquoi, elle
js une fois pour séduire toujours, elle sourit à ce terrible mais ai- s'abstenait de parler : pourtant il le fallait Mais par quoi com-
i niable serpent, dont l'image s'était gravée dans son âme éblouis- mencer? «H est étrange, pensa-t-ellc,qu'il se détourne obstinément
I saule comme ces visions trop ineffables, hélas! que le sommeil ac- « de moi ! ce n'était pas ainsi que nous nous retrouvions autrefois;
;| corde à la douleur lorsque, dans un songe élysécn, le coeur rejoint « ce n'est pas ainsi que nous devons nous quitter. » Trois fois d'un
ij le coeur qu'il aima, et voit revivre dans les cicux.ee qu'il a perdu pas lent, elle fit le tour de la chambre en épiant son regard toujours
:; sur la lerre... douce comme le souvenir d'un amour que renferme
fixé devant lui : elle prit l'urne où élai', renfermé le parfum que les
-y* la Inmbe... pure comme la prière que l'enfance exhale vers Dieu...
Persans appellent alar-gul (1), et en arrosa les lambris peints et le
A 'elle élait la fille du vieux chef, lequel l'accueillit avec des larmes... pavé de marbre : les gouttes de l'essence embaumée que la jeune
§ non des larmes de douleur. fille en se jouant fit tomber sur la veste brodée de Sélim furent un
| Quel homme n'a pas éprouvé combien les mots sont impuissants appel inutile : il les laissa couler inaperçues sur son sein comme
s'il eût été de marbre. « El quoi ! toujours sombre ? cela ne doil pas
'i peindre une seule étincelle des rayons de la beauté! Quel homme\
à
_
1 n;i point senti dans l'excès de son'ravissement être ainsi... Oh ! mon Sélim, qui es ordinairement si doux, devais-je
sa vue se troubler,
|
ses joues trembler, son coeur défaillir, et n'a point confessé ainsi attendre cela de loi! » Elle aperçut alors une corbeille pleine des
|
la_puissance, la majesté des attraits de la femme? Telle était Zu-
v| leika ; ainsi brillait autour d'elle un charme indicible qu'elle seule\
plus belles fleurs de l'Orient. « II* les aimait naguère : elles lui plai-
ront peut-être encore offertes par la main de Zuleïka. » A peine
I ne remarquait point : c'était la lumière de l'amour la pureté de la' avait-elle formé celte enfantine pensée que les roses étaient cueil-
'.?j gi'i'ice, l'intelligence et l'harmonie qui rayonnaient , dans lies et enlacées en guirlande. L'instant suivant vit la jeune enchan-
tous ses'
I bails , un coeur donl la tendresse semblaitfondre ensemble tontes teresse assise aux pieds de Sélim et lui disant : « Cette rose esl un
S ces choses ; et son regard ah ! son regard à lui seul était une âme.' messageque m'apporle Bulbul (2) pour calmer les chagrins de mon
';$ ,
Ses bras gracieux paisiblement croisés sur son sein naissant etj frère : il annonce que cette nuit il prolongera sa douce chanson
|
'out prêts à s'ouvrir au premier mot de tendresse, Zuleïka parut... pour l'oreille de Sélim; et quoique sa mélodie soit mélancolique, il
|
e'Giaffir sentit sa résolution à demi ébranlée. Ce n'esl pas que son'
j| coeur, quoique farouche,eût une seule pensée contraire au bonheurr
essaiera un mode plus propre à chasser tes sombrespensées.

g que rêvait sa fille ; mais si l'affection attachait ce coeur à celui de sa XL


« douce enfant, l'ambition travaillait de sou côté à briser les anneauxt « Et quoi ! dédaigner mes pauvres fleurs ? Oh ! je suis bien mal-
A (lc 'a chaîne. heureuse1 Rester ainsi tout sombre devant moi? Ne connais-tu donc
S VIL poinl celle qui t'aime le plus au monde! Oh cher, plus que cher
Sélim, dis, est-ce donc que tu me hais ou me crains? Viens, repose
%
| Zuleïka! ma tendre fille : ce jour t'apprendra combien tu m'es
«
malgré ma douleur, je puis me résigner à te perdre,
caere, puisque,
3
j| Çn l'ordonnant d'aller vivre auprès d'un autre : d'un autre, ie plus>s
ta tète dans mon sein, et je la calmerai à force de baisers, puisque
les paroles et les chants n'y peuvent rien, même ceux d'un rossignol
>| wave des guerriers que l'on vît jamais combattre de mon invention. Je n'ignore pas que le père est quelquefois bien
aux premiers
,;| langs. Nous aulres, musulmans, nous ne songeons guère à
une
s naissanceillustre ; néanmoins,la race des Carasinan(l),inaltérable, familles de la Turquie; it était gouverneur de Magnésie. Les Timariols
'» possèdent, des terres à charge de service militaire, et les cavaliers qu'ils
i| (1) Carasman ou Kara Osman "Oglou fut le chef d'une des plus grandes fournissentsont appelés spahis. Les dehlis en sont les eclairenrs.
is (1) Essence de rose. — (2) Le rossignol.
70 LES VICILLÉES LlTTËIIAIlUiS ILLUSTRÉES.

sombre, mais loi, je ne l'avais jamais connu ainsi : il ne t'aime avouerais-jcplusmain(cnanl?Qnelchangcmenlcst-i!survenu qui me
pas, je ne lésais que trop ; mais as-lu donc oublié combien lu es fasse renier maintenant la vérité dans laquelle loi el inoinousavons
aimé de Zuleïka? Oh ! je crois comprendre?...lc projet du pacha... jusqu'ici placé notre orgueil?Me.montrcr aux rcgardsd'un étranger!
Ce parent... ce bcy de Carasman esl peut-être un de tes ennemis : nolrcloi,nolrccroyance, notre Dieu le défendent; et jamais je n'au-
s'il en est ainsi, je jure par le temple de la Mecque, si les voeux rai la pensée de murmurer contre la volonté du prophète : non, je
d'une femme peuvent être accueillis dans ce temple duquel les pas dois lc bénir, puisqu'il m'a lout laissé en me laissant ta présence. Il
d'une femme n'approchentjamais; je jure que sans ton libre con- me serait affreux d'être donnée malgré moi à un homme que je n'ai
sentement et même sans ton ordre exprès,le sultanlui-même n'ob- jamais vu : pourquoi ferais-jemystère de ce sentiment? et pourquoi
tiendrait pas ma main ! Penses-tu que je puisse me séparer de toi et toi-même m'cngages-lu à lc cacher ? Je sais que l'humeur sévère
faire deux parts de mon coeur? Où serait ton amie el qui serait mon du pacha ne s'est jamais adoucie à ton égard ; el il lui^ arrive si
guide? Alors, lc dard mortel d'Azraël (1) lui-même, qui sépare tout souventde s'emporter pour rien : Allah! plaise à la volonté que nous
ici-bas, réunira nos deux coeurs dans un même tombeau. » ne lui donnions jamais de motifs pour le faire ! Mais je ne sais
pourquoi ce mystère pèse sur mon coeur comme une faute grave.
XII. Si donc un pareil secret pouvait être coupable, cl il me paraît
A ces paroles Sélim renaît, il respire, il se meut, il relève la jeune
tel d'après mon trouble intérieur, ô Sélim ! dis-le-moi tandis qu'il
fille agenouillée près de lui, elses angoisses sonl dissipées : son oeil esl temps encore, et ne me laisse pas en proie à mes craintes. Ah!
brillanl exprime de nouveau mille pensées qui dormaient dans les voici le corlégoqui revient : mon père a quille ses amusements guer-
ténèbres de son coeur. Comme un ruisseau, longtemps caché par riers; je tremble maintenant de rencontrer son regard. Sélim, ne
l'ombrage des saules de ses bords, se révèle lout-à-coup et fait bril- peux-tu me dire pourquoi ?
ler à la lumière lc cristal de ses ondes; comme du noir nuage qui XIV.
la retenait la foudre s'élance soudain dans les cieux : ainsi l'âme
flamboie dans ses yeux et se fail jourà travers ses longs cils. — Zuleïka, retire-loi dans la tour... je vais rejoindre Giaffir : il
faut que je m'entretienne avec lui de firmans d'impôts, de levées
Le cheval de bataille au son de la trompette, le lion éveillé par d'hommes, de politique. De terribles nouvelles , sont arrivées des
un limier imprudent, un tyran appelé à une lutte soudaine par là bords du Danube ; noire visir laisse éciaircir ses rangs avec une
pointe du poignard qui l'a manqué, ressaisissent la vie avec une longanimité dont le Giaourdoillui savoir gré : mais le sultan a une
énergie convulsive : tel Sélim s'enflamme en écoulant cette pro- manière expéditive de récompenser des triomphes aussi coûteux.
messe, el Irahil aussitôt tous les sentiments de son coeur. « Main- Ecoule! quand ce soir lc tambour aura appelé les soldats à leur re-
tenant tu es à moi, pour toujours à moi; à moi pour la vie et par pas et au sommeil, Sélim viendra te prendre: nous nous glisserons
delà peut-être; maintenant lu es à moi; ce serment solennel, pro- silencieusement hors du harem, afin de nous promener sur le bord
noncé par ta seule bouche, nous enchaîne tous deux. Oui, tu as été de la mer. Les murs de nos jardins sont élevés : aucun importun
aussi bien inspirée que tendre : ce voeu a sauvé plus d'une lêle. ne hasardera de les escalader pour nous écouter ou troubler notre
Mais point de terreur... la moindre boucle de ta coiffure réclame entrevue; et si quelqu'un le tentait, j'ai une lame que quelques-uns
de moi plus que de la tendresse : pour lous les trésors ensevelis ont sentie, que de plus nombreux sentiront encore. Alors tu en ap-
sous les voûtes d'istakar (2), je ne sacrifierais pas un seul de ces prendras plus sur Sélim que lu n'en as su ou pensé jusqu'ici : sois
cheveux qui couvrent ton front. Ce matin des nuages ont été en- confianle, Zuleïka ; ne me crains point.
tassés sur moi ; une pluie de reproches est tombée sur ma tôle, cl .
— Te craindre, Sélim I jamais pareil mol cnlrc nous... d'Harouu,
Giaffir m'a presque traité de lâche ! Maintenant j'ai des raisons pour — Ne m'arrête point ; j'ai la clef; et parmi les gardes
l'aflendenl.
être brave, moi, lc fils d'une esclave dédaignée... Ne frémis point ; les uns ont reçu leur récompense, les autres Ce soir.
ce sonl, ses paroles... Moi, qui ne sais point me vanter, je lui ferai Zuleïka, tu apprendras ce que je suis, ce que je projette et ce qui
connaître un coeur qnc ni sa colère, ni son bras même ne pourra me reste à craindre. Non, je ne suis pas ce que je parais. «
dompter. Suis-je son lils, à lui?... Oui, grâce à toi, je le suis peut-
être ou du moins je le serai. Mais que lc serment que nous nous
sommes fait reste maintenant secret et entre nous. Je connais le
misérable qui ose demander ta main à Giaffir sans consulter Ion
coeur : parmi tous les musselims (3) de celte contrée, on ne trouve- CHANT II.
rait pas plus de richesses mal acquises ni une ôme plus vile. N'ap-
particnt-il pas à cette race d'Egripo (4), plus méprisable que les L
enfants d'Israël. Mais le temps révélera le reste. Moi et les miens
nous nous chargeons d'Osman-bcy ; car au jour du péril je ne Les vents s'élèvent sur la mer d'IIellé, comme dans celle nuit
manquerai pas de partisans. Ne me crois pas tel que j'ai paru jus- orageuse où l'amour qui l'avait lancé sur les flots oublia de sauver
qu'ici : j'ai désarmes, des amis, cl la vengeance n'est pas loin. le jeune, le beau, le brave Léandre, l'unique espoir de la vierge de
Seslos. Oh! quand, à l'horizon lointain, il vit briller le phare de la
X1H. tourelle, en vain la brise fraîchissante, cl la vague qui se brisait eu
écuinant, et les cris des oiseaux de mer lui disaient de rester ; en vain
— Ne pas le croire tel que tu as paru ! En effet, mon Sélim, unI les nuages sur sa tête et les Ilots à ses pieds, par leurs signes et leur
triste changement s'est opéré en toi : ce malin je t'ai vu tendre, ai- langage, lui conseillaient de ne point braver le danger : il ne vou-
mable : mais maintenant tu semblésdifférent de toi-niômc.Tu ne pou- lut ni entendre ni voir leurs menaces:son oeil ne s'arrêtait que sur
vais ignorer mon amour : il n'a jamais été moins profond, il ne3 le flambeau de l'amour, la seule étoile qui le saluât dans les cieux;
peut l'être davantage. Te voir, l'entendre, rester prèsde toi, maudire3 son oreille n'enlcndail que le chant de la belle prêtresse : « O va-
la nuit sans en connaîtrela raison, si ce n'est que je le vois seule- gues, séparcrez-vous toujours deux amants?» Ce récit est bien
mcnl le jour, vivre avec toi et avec loi mourir : telles sont toutess vieux; mais l'amour pourrait encore donner assez de force à de
mes espérances. Baiser les jeucs, les yeux, les lèvres... comme cela... jeunes coeurs pour démontrer qu'il est vrai.
comme cela! mais non, c'esl assez, car les lèvres sonl de flamme
Allai) ! quelle lièvre brûle dans les veines? Elle s'est presque corn IL
muniquéeà moi! Calmer les souffrances dans la maladie ou vcillci
sur ta sanlé, partager tes richesses en les ménageant, ou le sou- Les vents s'élèvent et les flots d'IIellé roulent sombres et gonflés
rire dans la pauvreté, el porter sans murmure la moitié de ton far sur la face de l'abîme; et les ombres de la nuit en tombant voilent
deau; faire tout au monde pour toi, excepté de fermer tes ycu:x ce champ de bataille où tant de sang fut versé en vain, ce déscrl
mourants, car je ne vivrai point assez pour le tenter ! Voilà lout ci"u qui remplace l'empire du vieux Priani, ces tombeaux, seuls restes
à quoi mon ôme aspire, puis-je en faire et peux-tu en demander dai- de sa grandeur, les seuls... sauf les rêves immortels qui charmaient
vantage? Mais, Sélim, il faut m'apprendre pourquoi nous avons be le vieil aveugle de la rocheuse Scio.
soin de tant de mystère. Je n'en puis deviner la raison; mais tu 1
veux, c'est bien. Cependant, « des armes, des amis, dis-tu? » Yoil
i
qui dépasse ma faible intelligence. Il me semble que Giaffir devail} Et pourtant (car ces lieux, je les ai visités, mes pas ont foulé ce
connaître le serment que-je t'ai fait : sa colère ne me l'aurait pas fa II
rivage sacré et mes bras ont fendu ces vagues tumultueuses), pour-
révoquer, et certainement il m'aurait laissée libre. Peut-on trouve31'
tunl, ô poète antique, puissé-jc y rêver et pleurer avec loi, recon-
étrange que je veuille demeurer ce que j'ai toujours été ? Depuis k^s
naître encore ce théâtre d'anciens combats, croite que chaque mon-
premiersjoursdesonenfance,Zuleïkan-t-ellcvu.désirera-l-cllcjama •s ticule verdoyant renferme les cendres d'un véritable héros et qu'au-
voir quelque autre que toi compagnon de sa rétraite et de ses jeu?"• tour de celle scène de merveilles irréfragables rugit l'Hellespont,
Ces chères pensées, qui ont commencé avec ma vie, pourquoi ne hcs «immense,» comme lu le vis autrefois! Puissé-je garder longtemps
ces croyances! El qui, en contemplant ce spectacle, pourrait douter
(1) L'ange de la mort — (2) La capitale des sultans préadamites, selcan de toi ?
les Musulmans. — (3) Musselim, gouverneur turc. — (4) EgriQO ou Nié- IV.
greponl, l'ancienne Eubée, dont les habitants turcs sont d'une mcchai
eeté proverbiale. La nuit est descendue sur les flols d'IIellé; et elle ne s'est point
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYHON. 71

de l'Ida, celle lune qui a brillé sur les serrait sur sa poitrine comme une cuirasse : les jambièresattachées
encore levée aux sommets plus l'éclal des pai- sous ses genoux étaient revêtues d'écaillés d'argent avec des agrafes
liéros du grand poème : nul guerrier n'accuse bénissent encore, du môme mêlai. Si l'énergie du commandementn'avait éclaté dans
sibles rayons ; mais des bergers reconnaissants les
paissent sur le tumulus du héros qui tomba sous la ses yeux, dans sa voix, dans ses gestes, tout ce qu'un marin
oeil peu at-
leurs troupeaux de tentif eûl pu reconnaîtreen lui, c'eût été quelque jeune grec.
flèche du berger dardanien : celle pyramide imposante autour
laquellele prétendu (ils de Jupiter Ammon (1) fil circuler son char, X.
nui fut relevée par des peuples,
couronnée par des monarques, n'est
maintenant qu'un insignifiant monticule isolé el sans nom! Au de- « Je t'ai dil-quc je n'élais pas ce que je semblais être; et tu vois
dans, que Ion habitation est étroite! Au dehors, des étrangers seuls maintenant que je disais vrai. J'ai à te conter des choses que lu
peuvent articuler ton nom • la poussière dure plus longtemps que n'aurais jamais pu imaginer. Si leur vérité a quelque chose d'affreux,
la pierre sculptée des tombeaux :
mais loi, la poussière môme a d'autres en porteront la peine. Ce serait en vain que je voudrais
disparu. maintenant te cacher mon histoire. Je lie veux pas le voir la
femme d'Osman; mais si les propres lèvres ne.m'avaient point fait
Tard, bien tard dans la nuit, Diane réjouira la vue du berger et connaître quelle place j'occupe dans ton jeune coeur, je ne pourrais,
dissipera les craintes du marin ; jusque-ià aucun phare sur la rive je ne voudrais point encore le révéler les noirs secrets du mien.
escarpée ne guide la course du navire qui s'égare ; les clartés Maintenant, je ne le parlerai pas de mon amour :
c'esl au temps, à
la baie se sonl éteintes l'une après l'autre : à cette la vérité, aux périls de leZuleïka, lc prouver: mais avant lout... Oht n'en
eparses autour de seule je ne suis pas Ion frère.
heure solitaire la lampe qui brille encore est celle de la tour épouse jamais un autre...
de Zuleïka. Oui, voici encore de la lumière dans cet appartement XL
désert : sur l'ottomane soyeuse on voit les grains odorants du cha-
I pelcl d'ambre qu'ont égrené ses jolis doigts; tout auprès
(comment Tu n'es pas mon frère!... oh! rétracte cette parole... Mon Dieu!
le saint amulette de mère, in- —
a-l-ellc pu oublier ce joyau) est sa suis-je donc laissée seule sur la lerre pour pleurer... je n'ose pas
'
crnsié de rayonnantes émeraudes et sur lequel sont gravés les ver- maudire... pour pleurer le jour témoin de ma naissance solitaire?
;
l sets du Koran qui savent adoucir les angoisses de celte vie cl con- Oh ! maintenant lu ne m'aimeras plus ! j'ai senti mon coeur défaillir:
quérir le bonheur de l'autre ; à côté du chapelet turc on voit un il prévoyait bien un malheur. Mais non, lu verras toujours en moi
richement enluminées quelques poèmes que les
'-. Koran en lettres cl
caractères; ce que tu y voyais... la soeur... ton amie... ta Zuleïka! Peut-être
! scribes
persans ont transcrits en brillants sur ces rou- m'as-lu amenée ici pour me tuer : si lu as quelque vengeance à exer-
! leaux est couché lc luth rarement muet comme aujourd'hui; enfin,
cer sur moi, vois : je l'offre mon sein : frappe! Plutôt cenl fois être
i autour de la lampe d'or ciselé des Heurs s'épanouissent dans des parmi les morts que vivre en ce monde cl n'êlre plus rien pour toi,
riches ,
étoiles de l'Iran, les parfums do Shiraz,
;; vases de Chine. Les et me trouver peut-être l'objet de la haine; car maintenant je com-
) toul
ce qui charme l'oeil el les sens est réuni dans celle somptueuse prends pourquoi Giaffir s'est toujours montré Ion ennemi; el moi,
l'cirailc : et cependant il y règne un air de tristesse. La Péri, l'âme hélas! je suis la fille de ce Giaffir par qui tu as été dédaigné, humilié.
.
; de celle cellule, que fail-ellc absente, par une nuit si rude? Si je ne suis pas la soeur cl que lu veuilles épargner ma vie, oh!
dis-moi d'être ton esclave.
VI.
XII.
Enveloppée dans un sombre manteau noir, tel qu'en portentsenls
les plus nobles musulmans, pour préserver de la brise un sein aussi
—Mon esclave, Zuleïka!... c'esl moi qui suis le tien. Mais, cher
' cher à Sélim que la lumière du ciel, Zuleïka traversexl'un pas timide amour, calme ce transport; ton sort est pour toujours attaché au
les bosquets du jardin : elle frémii chaque fois qu'à travers les clai-
mien : je le jure par le tombeau de noire prophètej et puisse ce ser-
:
i rières le veut fait entendre ses sourds gémissements. Enfin, nr- ment être un baume pour les blessures I El comme je tiendrai ce
"- rivée sur un terrain plus égal, son sein agité commence à battre serment solennel, qu'ainsi puissent les versets du Koran gravés sur
plus doucement : la vierge suilsoii guide silencieux, et quoique ses mon sabre en diriger la lame pour nous préserver tous deux dans
: les dangers, 11 doit changer, ce nom dans lequel ton coeur avait mis
len-curs lui conseillent de retourner sur ses pas, comment pourrait-
elle quitter Sélim? comment articuler un reprocho? son orgueil; mais apprends ceci, ô ma Zuleïka, les liens de parente
qui nous unissaient sonlseulemenl relâchés : ils ne sonl pas rompus,
VIL quoique ton père soit mon plus mortel ennemi. Mon pèreétait pour
Giaflir tout ce que Sélim semblait jusqu'ici être pour loi; ce frère
arrivent enfin à une grotte, taillée par la nature mais agrandit
Ils consomma le meurtre d'un frère, mais il épargna du moins mou
par la main des hommes, où souvent elle aimait à faire résonne enfance, cl me berça d'une illusion perfide que de justes repré-
1 son luth ou à repasser les préceptes du Koran ; souvent encore dan: sailles doivent punir, H în'ôlcva, non avec tendresse, mais comme
.'-; ses jeunes rêveries elle se demandait ce que devait être le paradis Caïn eûl élevé un neveu; il me surveilla comme on surveille un
«Où l'Ame de la femme allait en quittant le corps, le prophète u'avni lionceau qui ronge sa chaîne et qui peut la briser un jour. Le sang
point daigné le révéler : mais la demeure future de Sélini était biei de mon père bout dans chacune de mes veines; mais pour l'amour
connue, el certainementil ne pourrait supporter le séjour d'unaimé aulr que je le porte, je ne songe poinl maintenant à la vengeance ; seu-
"-.; inonde, quelque
délicieux qu'il lui, sans celle qu'il avait tant lement, je ne dois plus ddneurer ici. Mais d'abord, chère Zuleïka,
i dans celui-ci. Quel être aussi leudre pourrait habiter avec lui? un ! apprends comment Giaffir accomplit son forfait.
,=
houri pourrait-elle lui prodiguer des soins à moitié aussi doux? »
XIII.
V11I.
« Commentleurs dissentiments devinrent de la haine, si ce fut l'a-
:
Depuis qu'elle n'avait visité ce lieu, il semblait y avoir quclqu ! mour ou l'envie qui en fil deux ennemis,je l'ignore, et peu importe!
chose de changé dans la grotlc : peut-être était-ce seulement la nu 1 Entre des esprits ailiers, les moindres inarques'de dédain, uncscule
i
qui altérait les formes des objets : et on effet cette lampe d'airain n ' négligence suffisent pour mettre la discorde. Abdallah mon père
j jetait qu'une clarté douteuse; niais dans un coin ses regards tom éliitl renommé pour ses exploits guerriers, qui font encore le sujet
lièrent sur des objets étranges. Désarmes y étaient en faisceau? i des chants bosniaques, et les hordes rebelle i de Paswan n'ont pas
i niais non des armes semblables à celles que lc Dehli au front ceii 1 oublié combien sa présence dans leurs contrées leur devenait l'u-
fj d'un lui ban porte dans la bataille : celaient des épées dont la lan 3 neslc. Toulcc que j'ai besoin de te racontermaintenant, c'est sa mort,
•i el la garde avaient une formé étrangère, et une de ces lames cla ' odieux résultat de la haine de Giaflir, cl la découverte que je fis de
3 rougic... par un crime peut-être ! car le sang se vcrse-l-il sans criiiu ' ma naissance, découvertequi m'a rendu libre du moins !
n On voyait aussi sur la table une coupe qui ne paraissait pas conten
'J le léger sorbet. Que signifie tout cela? Elle se tourne pour regardi l' XIV.
j Sélim... « Oh! est-ce bien lui? »
«Quand Paswan, après avoir combattu desannées d'abord pour la
I IX. vie, puis pour le pouvoir, eut pris dans les murs de Widdin une at-
titude trop fière, les pachas se rallièrent au chef de l'Etat : les deux
Sa robe brillante avait disparu son front n'était plus couroni e
'%
|
^
:
du haut turban, mais à sa place un châle rouge, légèrement tord i,
lui couvrait les te : pus: ce poignard, dont la garde était ornée d'ui c
frères, égaux par leur rang, commandaient chacun une Iroupe sé-
parée ; ils livrèrent au vent leurs queues de cheval et allèrent se
réunir à l'armée rassemblée dans les plaines de Sophia où ils dres-
perle qui aurait dignement paré un diadème, ne brillait plus à a
||
q
ceinture garnie de pistolets toul unis; un sabre élait attaché à si n
baudrier el de ses épaules descendait négligemment le manlct u
sèienl leurs tcnles, chacun dans le poste qui lui fut assigné : précau-
lion vainc, hélas! pour un d'eux! Pourquoi prolongerces discours?
Par l'ordre do Giaffir un poison subtil comme son'àino, préparé et
3 blanc, la légère capote dont les candiotes se couvrent dans leu 'S versé dans la coupe mortelle, envoya mon père au ciel. Au retour
g courses errantes; en dessous, sa veste couverte de plaques d'or ie d'une chasse, fatigué cl en proie à îa fièvre, il s'ôlail mis au bain,
no soupçonnant guère que pour élaucher sa soif le ressentiment d'un
S (t) Alexandre, avant son expédition contre les Perses. j frère lui offrirait un semblablebreuvage. Un serviteur gagné apporta
72 LES VEILLEES LITTERAIRES ILLUSTRÉES. 3

le vase perfide, il en but une gorgée : il n'en fallait pas davantage: cevant ce costume; mais je l'ai longtemps porté et je dois lc i
si tu doutais de la vérité de ce récit, Zuleïka, interroge Haroun. porter longtemps encore. Ce jeune matelot, à qui tuas donné ta
foi par serment, esl le chef d'une, de ces bandes de pirates qui
ont
leurs lois et leursviesau bout de leursépées. Si jeteraconlaisses 1er.
XV.
i-ihles aventures, tes joues en pâliraient encore. Ces armes que tu vois
« Lc crime accompli, et la puissance de Paswan étant en partie ici ont été apportéespar mes soldats ; les bras qui saventles manier
ne
abattue quoiquejamais anéantie, Giaffir oblint-le pachalick d'Abdal- sont pas loin; cette coupe remplie est aussi destinée à ces grossiers
lah : tu ne sais pas ce que dans noire divan la richesse peut faire compagnons: une fois qu'ils l'ont vidée, ils n'ont plus de remords :
même pour un être au-dessous de l'humanité Souillé du sang noire prophète pourra leur pardonner, car ce n'est que dans le
de son frère, Giaffir se fit conférer tous les honneurs qu'avait eus vin qu'ils sonl infidèles.
Abdallah. 11 esl vrai que, pour les acheter, il épuisa presque ses tré- XVIII.
sors acquis par le crime : mais la brèche fut bientôt réparée.
Faul-il te dire comment ? Parcours ces campagnes et demande au «Que pouvais-jedevenir? Trailé ici en proscrit,amené par raille
misérable paysan si ses insultes à désirer une vie
gains paient les sueurs de errante, et laissé dans '
son front..'. Pourquoi le J'oisiveté, car les craintes ï
cruel usurpateurm'épar- de Giaffir me refusaient )
gna; pourquoi il me le coursieret la lance ; el :
nourrit dans son palais : pourtant bien des fois...
je l'ignore. La honte, le combien de fois, ô Ma-
regret, le remords, la sé- homet! le despote m'a ;
curité qu'inspire un en- raillé en plein divan
fant débile-, en outre la comme si ma main, par,
nécessité d'adopter un faiblesseou mauvais vou-
fils quand le ciel ne lui loir, refusait la bride el
en avait point accordé, le glaive! Il allait tou-
peut-être quelque intri- jours seul à la guerre,
gue secrète ou seulement et me laissait ici inactif, :
un caprice : voilà ce qui inconnu, abandonnéaux
me sauva la vie... mais soins d'Haroun avec les •

celte vie ne fut pointpai- femmes, flétri dans tou-


sible : il ne put me ca- tes mes espérances,privé
cher son humeur hau- de tout moyen de m'illus-
taine et je ne pus, moi, lui trer, tandisque toi, chère
pardonner le sang de Zuleïka, dont la ten-
mon père. dresse continue, lout en
XVI. m'amollissant, m'avait
longtemps consolé, tu
« Dans sa propre mai- étais conduite pour ta
son, Giaffir a des enne- sûreté dans les murs de
mis; ceux qui partagent Broussa où lu attendais
son pain ne lui sont point l'issue de la bataille. Ha-
tous fidèles. Si j'avais roun ,
voyant mon àïnc
découvert ma naissance accablée sous le joug fa-
à ces esprits mécontents, tal de l'inaction, con-
ses jours, ses heures mô- senti! non sans effroi à
me eussent été comptés : mettre en liberté son cap-
il ne leur fallait qu'un tif, el brisa ma chaîne
coeur pour les conduire, pour foui l'été, sous pro-
une main pour leur mon- messe que je reviendrais
trer le but à frapper. Mais avant le jour où Giaffir
Haroun seul connaît celle devait remettre son com-
histoire dont le dénoû- mandement.C'est en vain
ment est proche. Il est que je voudrais te pein-
né dans le séraï d'Abdal- dre l'enivrement de mon
lah et y a occupé le pos- coeur, quand, pour lapre-
te qu'il occupe ici... il mière fois, d'un oeil libre,
a été témoin de la mort je pus contempler la ter-
de mon père : mais que re l'Océan, le soleil et
peut un esclave isolé? les, cieux, comme si mon
venger son maître? trop âme les eût pénétrés, el
lard, hélas! ou préserver que je fusse entré en
le fils d'un sort pareil? Zu'.eïka. possession de leurs plus
Il choisit le dernier parti, intimes merveilles. Un
et quand il vit le fier seul mol peut te faire
Giaffir heureux et triom- comprendrece sentiment
phant sur les ruines de surhumain j'étais li-
ses ennemis subjugués, bre ! je de
cessai souffrir
de ses amis trahis, il me prit par la main, pauvre orphelin sans de ton absence : le monde, le ciel lui-mêmeétait a moi.
appui, et me conduisit à sa porte- ce ne fui pas en vain qu'il implora i
pour moi la vie. On sut dérober à tous le secret de ma naissance et ! XIX.
particulièrementà moi-même : et cette précaution suffisait à la sû-
reté de Giaffir.Il abandonnaen outre, pour habitercette côte d'Asie, j'étais « L'esquif d'un Maure fidèle m'emportade cette terre d'oisiveté :
avide de voir ces îles riantes, perles du diadème du vieil
les bords de Roumélie et nos lointainsdomaines sur le Danube, n'em- Océan. Je les visitai tour-à-lour, et bientôt je les connus toutes;
menant avec lui que Haroun, seul maître de son secret. Or, ce Nu- mais quand et comment je me joignis à la troupe avec laquelle je
bien a senti que les secrets d'un tyran ne sont que des chaînes dont suis engagé à vaincre ou à mourir , il sera temps de te le dire
le captif s'affranchit avec joie, et il m'a révélé toute cette ténébreuse me pians exécutés, l'histoire sera complète.
histoire, avec bien d'autres détails. Ainsi, dans sa justice, Allah ac- quand, nos
corde au crime esclaves, dupes, complices, mais pas un ami. XX.
XVII. « Ce sont, il est vrai, des hommes sans lois, aux formes gros-
sières, à l'humeur farouche, de toute race, de toute croyance ; mais
«Tout ceci, Zuleïka, peut être dur à entendre; mais ce qui me une franchise entière, un bras toujours prêl, une obéissance avei>
l'amitié
reste à dire sera plus pénibleencore : dussent mes paroles blesser ton gle; un coeur avide d'entreprises, inaccessible à la crainte;
âme délicate, je ne dois rien le cacher. Je t'ai vue étonnée en aper- pour chacun la fidélité envers tous, la .vengeance pour le traître:
,
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON. 73

voilà ce qui en fait des instruments propres à des desseins même en mettant en oeuvre tour-à-tour la ruse ou la violence. Que celle-
l'autre viendra en son
plus étendus que les miens. Quelques-uns aussi sonl au-dessus du ci soit maintenant notre seul instrument :
vulgaire; mais j'ai surlout appelé à mes conseils un Franc plein de temps, quand nous habiterons les cités, ces geôles sociales, où une
prudence. Parmi eux se trouvent les derniers patriotes de la bande âme même telle que la tienne pourraitse perdre; car la corruption
de Lambro (1), aspirant à de plus hautes destinées, et jouissant entame un coeur que le
péril n'avait point ébranlé; et la femme,
avec moi d'une liberté anticipée :, souvent, autour du feu de la ca- plus encoreque nous, quand la mort, le malheur, une simple dis-
celui qu'elle aimait, peut se laisser aller sur la pente
verne, je les entends débattre des plans chimériques pour l'affran- grâce a frappédéshonorer...
chissement des rayas.Qu'ils soulagent leur coeur en parlantdecette des plaisirs et Arrière, infâmes soupçons!... Zuleïka
cValilé des droits que l'homme ne connaîtra jamais! Et moi aussi n'a rien de commun avec vous! Mais la vie, après toul, n'est qu'un
jaime la liberté. Oui, je voudrais errer sur l'Océan, comme le pa- jeu de hasard; et ici, n'ayant plus rien à gagner, nous avons beau-
triarche navigateur; ou mener sur la terre la vie nomade du Tartare : coup à craindre : oui, à craindre!... car ne peux-tu m'être ravie,
une tente sur le rivage, une galère sur les flots valent mieux pour soit parla puissanced'Osman, soit par l'inflexiblevolonté de Giaffir.
moi que cités et serais. Que mon coursier ou ma voile m'emportent Celte crainte va disparaître devant la brise favorable que l'amour
à travers le désert ou sur promet cette nuit a ma
l'aile des vents; bondis voile : aucun danger ne
où tu -voudras, ô mon peut atteindre le couple
bon cheval barbe! glisse d'amants que son sourire
à ton gré, ô ma proue! a béni : si leurs pas sont
Mais toi, Zuleïka, soisl'é- errants, leurs âmes sont
loile qui guide mes pas en repos. Avec toi tout
errants; viens partager
.
travail me sera doux,
et bénir ma nacelle : sois tout climat heureux, la
pour mon arche la co- terre comme l'Océan ,
lombe de promesse et car notre monde se ren-
de paix ! ou, puisqu'un fermera dans nos baisers.
si doux espoir nous est Que les vents irrités sif-
refusé dans ce monde a- flent sur le pont, et tes
; gilé, sois l'arc-en-ciel bras enlaceront plus é-
d'une vie de tempêtes, le troiteinent mon cou : le
]
rayon dusoirdontlesou- dernier murmure de mes
\ rire écarte les nuages et lèvres sera, non un sou-
I colore le lendemain de pir de regret pour la vie,
! rayons prophétiques! Sa- mais une prière pour toi.
| cres... comme l'appel du La guerre des cléments
s'adressant des ne peuteffrayer l'amour :
| muezzin
3
murs de la Mecque aux il n'a pas de plus redou-
table ennemi que la so-
jipèlerinsprosternés... ca-
I ressants... comme la jeu- ciété humaine : tel est le
1 mélodie qui arrache seul écucilqui peut arrê-
I ne
à l'admiration muette une ter notre course : sur la
I larme furlive... doux... mer, des dangers d'un
I
|
%
comme le chant natal à
l'oreille de l'exilé... ré-
sonneront les accents de
moment; dans les villes,
des années de naufrage!
Mais loin de nous ces peu-
\| chérie. J'ai pré-
ta voix secs qui se dressent coin-
!
| paré pour toi dans ces îles
riantes une retraile fleu-
ri rie comme l'Eden à sa
i me d'horribles fantômes!
L'heure présente va favo-
riser notre évasion ou
I première heure. Mille l'empêcher pour jamais.
i glaives, avec le coeur et
bras de Sélim seront
J'ai peu de mots à dire
pour terminer mon his-
iI fendre
m le
là ,
pour le garder, le dé-
le venger, si tu
toire; lu n'en as qu'un à
prononcer pour nous
si ,
l'ordonnes. Entouré de soustraire à nos enne-
|S ina bande fidèle, ma Zu-
leïkaà mes côtés, je cou-
mis.Oui... nosennemis...
Giaflir cessera-t-il d'en
« vrirai ma fiancée des dé- être un pour moi ; Os-
||
1 pouilles des nations.Pour
de pareilles jouissanceset
de telles occupations, on
man , qui veut nous sé-
fiarcr, ne doit-il pas être
etien?
fï oublie facilement l'oisive XXL
"J langueur du harem. Ce
it| n'est pas que je m'aveu- Il s'élance à rentrée de la caverne, et l'écho retentit au loin de la décharge « Je fus de retour au
gle sur ma destinée : je
de pistolet. temps fixé pour sauver
à vois partout d'innombra- sou la tête de mon gardien ;
1 blés dangers et un seul a- peu surent, personne ne
I mour. Maisuncoeurfidèle répéta que j'avais été er-
1 compensera bien et mes rer d'île en île, et depuis
irayaux el les rigueurs de la fortune, et même la trahison de préten- lors, quoique je sois sépare de mes compagnons, et que je quitte
dus amis. Qu il est doux de songer, dans les heures les plus som- rarement le rivage, ils n'entreprennent rien sans mon avis. Je
bres, qu'abandonné de tous, je le trouverai toujours la même. Sois trace le plan; j'adjuge les dépouilles : il est temps que je prenne
erme comme Sélim, et Sélim sera tendre comme toi. Pour calmer une part plus active à ces travaux. Mais le temps presse; ma barque
la douleur, pour partager la joie, confondons toutes nos pensées, est à flot, et nous ne laissons derrière nous que la haine et la
*l que rien ne nous sépare. Une fois libre,
mon devoir est de me crainte. Demain Osman arrive avec sa suite: cette nuit doit briser
remettre à la tète de mes soldats, tous amis entre eux, ennemis du la chaîne; et si tu veux sauver ce bey orgueilleux, peut-être même
reste du monde : en cela nous ne faisons que remplir le rôle assigné celui qui t'a donné la vie, à l'instant même parlons, partons ! Mais
Par la nature à notre espèce guerroyante : vois! lc carnage et la quoique tu te sois donnée à moi, peut-être voudrais-tu rétracter ce
conquête s'arrêtent-ils un moment ; l'homme a fait une solitude, et serment spontané; alors je reste ici... non pour voir ton hymen :
ni appelle la Paix. Moi, comme les autres, je veux user de mon je reste au péril de ma vie. »
adresse et de ma force ; mais je ne demande
de la longueur de mon sabre. Les tyrans pas de territoire hors XXII.
ne régnent qu'en divisant,
Zuleïka, muette et immobile, ressemblaità ce marbre douloureux
(1) Le Grec Lambro Canzani s'illustra
en 1789 par ses efforts pour l'af- où une mère ayant perdu son dernier espoir, est transformée en
, le sein, les. bras de la vierge étaient
iranchissemeni de -son pays : abandonné par la Russie, il se fit pirate, pierre; la tête, ceux d'une
Pais se relira à Saint-Pétersbourg. jeune Niobé. Mais avant que ses lèvres ou son regard eussent essayé
74 LES VElLLÉliS LITTÉRAIRES ILLUSTREES.

de répondre, derrière la porlc grillée du jardin paru! la lueur écla- I 'vement qui n'est pas celui de la vie, semble encore essayer une nie. ;
tante d'une torche : une seconde brilla... puis une autre... et une naceen
i s'élevan t avec leflot cten s'abaissantcomme lui... Etqu'iin. :?
autre encore. « Oh! fuis... loi qui n'es plus mon frère... loi qui es porlc
] que ce cadavre disparaisse dans un vivant tombeau ? L'oiseau
bien plus encore! » Au loin, dans tous les bosquets, reluit la rou- qui
< déchirera cette forme inanimée n'aura fait qu'enlever celle proie
geâtre et terrible clarté ; et non-seulement la clarté des torches, car àl de vils insectes. Le seul coeur, les seuls yeux qui auraient saigné ?
chaque main droite porte un.glaive nu. Ils se divisent, cherchent et et
i pleuré en le voyant mourir, qui auraient souffert auprès de ses
reviennent sur leurs pas, en promenant leurs flambeaux et leurs membres
i rassemblés dans une tombe, qui se seraient affligés sur la ;'.-
lames élincelanles : derrière tous les autres, brandissant son cime- j pierre
i funéraire couronnée d'un turban ce coeur s'est brisé... ces
terre, le sombre Giaffir exhale sa fureur... Les voila près de la yeux se sont fermés... oui, fermés, même, avant les siens!
grotte... Oh! ses voûtes seront-elles le tombeau de Sélim?
XXVJI.
XXIII. Près des flots d'IIellé, un chant de deuil se fait entendre : les yeux î
11 reste intrépide: «Le moment est venu... il sera bientôt passé... des femmes sont humides, les joues des hommes sont pâles Zu-
un baiser, Zuleïka... c'est le dernier! Pourtant, mes hommes ne leïka ! dernier rejeton de la race de Giaffir, l'époux qu'on le desti- ;'
sont, pas loin du rivage ; ils peuvent entendre mon signal, voir bril- nail est venu trop lard : il ne voit pas, il ne verra jamais tes traits.
ler l'amorce... mais ils sont trop peu nombreux : téméraire tenta- Les sons lointains [lu Wul-wullch n'arrivent-ils pas à son oreille?
tive !... n'importe! encore cet effort, » Les suivantes qui pleurent sur lc seuil, les voix qui répètent l'hymne
Kn même temps, il s'avance à la porte de la caverne : l'écho ré- du destin enseignée par lc Koran, les esclavesqui attendent silen-
pèle au loin la bruyante détonation. Zuleïka ne tressaille poinl, ne cieux el les bras croisés, les soupirs que l'on entend dans la salle,
verse pas une larme : le désespoir a glacé ses yeux comme son les cris qui s'élèvenl sur la brise; tout ne lui raconle-til pas l'évé-
coeur. « Ils ne m'entendent pas, ou s'ils rainent vers nous, ils n'ar- nement fatal? O Zuleïka, tu n'as point vu tomber ton Selim! Dès
riveront que pour me voir mourir; car le bruit de mon arme attire ce terrible moment où il quitta la caverne, ton coeur se glaça. Sé-
l'ennemi de ce côté. Eh bien! sors de ton fourreau, glaive de mon lim était ton espoir, ta joie, ton amour et Ion tout... et une dernière !
père, tu n'asjamais vu un combat moins égal ! Adieu Zuleïka !... pensée vers celui que lu ne pouvais sauver, cette pensée te donna
tendre amie, retire-toi , la mort : tu poussas un seul cri, un cri déchirant... cl lout fut tran-
ou plutôt reste dans l'intérieur de la
grotte; tu y seras en sûreté, et contre loi sa colère ne~s'exhalera quille en toi, Paix à ton coeur hrisél paix à ta tombe virginale!
qu'en paroles. Ne te montre pas, une lame ou une halle égarée Heureuse après tout de ne perdre de la vie que ce qu'elle a de pire!
pourrait l'atteindre.Craindrais-tu pour Ion père?... puissé-jemourir cette douleur si profonde, si terrible, élait pour toi la première.
si mes coups se dirigent vers lui : non, quoiqu'il ait versé le poison... Trois lois heureuse I de n'avoir jamais à éprouver ou à craindre les
non, quoiqu'il m'ait traité de lâche ! Mais leur présenterai-je hum- tourmentsde l'absence, la honte, l'orgueil outragé, le ressenliment,
blement ma poilrine ? lui seul sera excepté. les remords, el ces angoisses plus qu'insensées,ce ver qui jamais ne
dort, jamais ne meurt; ces pensées qui obscurcissent le jour et peu-
XXIV. plent la nuit de fantômes, qui redoutent l'obscurité et fuient, la lu-
D'un bond, il s'élance vers le rivage : à ses pieds est tombé le mière, qui circulent autour du coeur palpitant et le déchirent sans
premier de la troupe : ce n'est plus qu'une tête béante, un corps cesse,., Ah! que ne le consument-ellesloul-à-fait!
palpitant : un autre subit le même sort. Mais un essaim d'ennemis Malheur à toi, cruel et imprudent pacha! en vain tu couvres la
entoure Sélim : frappant à droite et à gauche , il se fraie un sen- tôle de cendres, en vain lu prends le cilicc de celle même main qui
tier el touche presque-aux flots qui semblentvenir à sa rencontre. fil périr Abdallah et Sélim. Que celte main arrache maintenant ta
La barque paraît : elle n'est pas à cinq longucursd'aviron; ses com- barbe dans les accès d'un désespoir impuissant : l'orgueil de ton
pagnons rament avec une vigueur désespérée ; oh! arriveront-ilsà coeur, la fiancée promise à la couche d'Osman, celle que Ion sultan
temps pour le sauver? Au moment où le pied de Sélim esl 'mouillé n'eût pu voir sans la demander pour épouse, ta fille esl morte! U
par la première vague, ses soldats plongent dans la baie : leurs sa- est tombé l'espoir de ta vieillesse, lc seul rayon du crépuscule de
bres brillent à travers l'écume des flols ; malgré l'onde qui les bai- ta vie, des vagues d'IIellé. El qui a pu éteindre ses rayons?... le
gne, furieux, infatigables, ils nagcnl vers la rive... ils touchent sang que lu us versé. Ecoute ! à ce cri de ton désespoir : «Ma fille,
enfin la terre! Ils arrivent, mais ce n'est que pour accroître le car- où est-elle? » l'écho répond : « Où est-elle? »
nage, déjà le sang de leur chefa rougi les flols. XXVIII.
XXV, Dans celle enceinte où dos milliers de tombeaux brillent sous le
Echappé aux balles, effleuré à peine par l'acier trahi, entouré, sombre abri du cyprès, arbre qui dans sa tristesse esl plein de vie
Sélim avait gagné la limite où le sable et les vagues , et no se fane jamais, quoique ses branches cl ses feuilles portent
se touchent ;![
là, au moment où son pied allait quitter la terre, où son bras por- l'empreinte d'une douleur éternelle, comme la douleur d'un pre-
lail un dernier coup mortel... ah! pourquoi se rclounie-l-il? pour- mier amour malheureux... il esl un lieu toujours fleuri, môme dans
quoi son regard la chercbc-l-il encore vainement?Ce moment d'nr. çc jardin de la mort : une simple rose, douce et pâle, y répand son
rêl, ce fatal coup d'oeil, ont scellé son trépas ou sa chaîne. Au milieu, éclat solitaire; si blanche qu'on la dirait plantée par la main du
des périls et des douleurs, que l'espéranceest donc lenle à quitterp désespoir; si faible que la moindre brise pourrait disperser ses pé-
le coeur d'un amant! Il tournait le dos aux vagues écumnnles ; deiv tales dans les airs. Mais vainement elle est tourmentée par le froid
îïèrclui, mais assez proches élaient ses compagnons, quand tout-a^ et les orages; vainement des mains plus rudes que l'haleine dcl'hi-
coup siffla une balle. « Ainsi périssent les ennoiniB de Giaffir I », ver l'arrachent de sa lige : lc lendemain la voit refleurir. Un génie
Quelle voix s'est fait entendre? quelle carabine a tonné? quelleB cultive la plante avec amour et l'arrose de ses larmes célestes; car
main a lancé ce Irait de mort qui a retenti dans l'air de la nuit, deB les vierges d'IIellé le savent bien, cette fleur ne doit avoir rien de
trop près et trop bien ajusté pour manquer son but? C'esl la voix, terrestre pour braver ainsi le souffle flétrissant des tempêtes, et
ton arme et la main, meurtrier d'Abdallah! Ta haine a lentementl pousser toujours un nouveau boulon sans avoir l'abri d'un berceau,
préparéJe trépas du père; elle en finit plus vile avec le fils. Le sang„ pour n'impiorer ni les ondées du printemps, ni les rayons de l'été.
jaillit de sa poitrine à larges et rapides bouillons, cl souille la blan-* Pour elle chante lo-.it le long des nuits un oiseau qu'on no peut
cheur de l'écume marine... Si les lèvres de la victime essayèrentI voir, quoiqu'il soit peu éloigné : invisibles sont ses ailes aériennes,
un faible gémissement, il fut étouffé par le fracas des vagues. mais douces comme la harpe d'une houri sont ses notes sympathi-
ques et prolongées. Ce serait peut-être le bulbul (1); mais quoique
XXVI. mélancolique, la voix du bulbul n'a pas de tels accents; car ceux
Le matin chasse lentement les masses de nuages qui ne semblentL ([ni les ont entendus ne peuvent quitter celte enceinte; ils errent
point avoir été témoins d'un combat : aux cris qui dans l'ombre trou- de côté et d'autre, et pleurent comme s'ils aimaient en vain, lit
blaient lc repos delà baie a succédé le silence. Mais on peut remar- pourtant si douces sonl les larmes qu'ils répandent, leur douleur
quer sur le rivage quelques vestiges d'une lutte; des fragments dee est tellement exemple de crainte, qu'ils ne voient qu'avec peine l'au-
lames brisées ; des traces de pas multipliés, el sur le sable l'em- rore interrompre ce charme mélancolique, el qu'ils voudraient cn-
preinte de plus d'une main convulsive;plus loin une torche éteinte,,.. corc prolongerleur veille et leurs larmes au son de ces naïfs el ravis-
un bateau désemparé, et au milieu des algues qui s'accumulentsur 'j, sants accords. Mais dès les premières rougeurs du malin, la magique
la grève, à l'endroit où elle penche vers l'abîme, on voit une capotee mélodie expire. Quelques-uns même ttant les doux rêves de la jeu-
blanche : elle est déchirée dans loute sa longueur, et marquée d'unee nesse nous abusent, mais qui aurait le coeur de les blâmer?), quel-
tache d'un rouge sombre, sur laquelle la vague glisse sans l'effacer. r,|
ques-unsonlcruque ces notes pénétrantes et graves articulaient le
Mais celui qui portait ce vêlement, où est-il? Vous qui avez besoin nom de Zuleïka. C'est du faîte des cyprès de sa tombe que résonne
de pleurer sur ses restes, allez les chercher sur les rives de Lemiios, dans l'air ce mol aux syllabes limpides; c'est sur son humble cou-
s
où le courant dépose ses fardeaux, après les avoir promenés autour chc virginale que la blanche rose a pris naissance- On y avait placé
lr
du cap de Sigée. Là les oiseaux de mer poussent leurs cris sauva- t_ une table de marbre : le soir la vit posée, le malin ne la trouva plus.
ges en volant au-dessus de leur proie, que leurs beés affamés n'o- j_
Ce n'était pas un bras mortel qui avait emporté jusqu'au rivage ce
sent attaquer encore ; Car sans cesse agitée sur cet oreiller sans 's (i) Nom persan du rossignol : les amours du bulbul et de la rose ont
repos, la tête se soulève bercée parla vague; la main, par un mou- l- étéchantés par les poêles de l'Orient.
OEUVRES COMPLETES DE LORD BYRON. 73

monument profondément enfoui dans le sol ; car si l'on en croit les les cavernes même offrirent un asile à la liberté, ou une tombe à la
IcL'cndcs des bords d'IIellé, on le trouva lc lendemain sur la place gloire! Ossuaire dos vaillants et des forts! est-il possible que ce soit
était tombé. Là il esl baigné par les vagues bondissantes là lout ce qui reste de toi ? Approche, esclave vil el rampant; dis:
ou Sélim
nui ont refusé à ses restes une sépulture plus sainte. La nuit, dit- sont-ce làlcsThermopyles? Servile rejeton des hommes libres, ces
cn, on y voit se pencher une tète livide portant un turban ; cl ce eaux bleues qui s'étendent autour de toi, ce rivage qu'ellesbaignent,
marbre au bord de la mer esl appelé l'Oreiller du Pirate. Au lieu nomme-les-moi. C'est le golfe, ce sonl les rochers deSalamine!
où on l'avait posé d'abord fleurit encore chaque matin la rose soli- Lèye-toi, el reprends possession de ces lieux illustrés par l'histoire;
taire cl baignée de rosée, la rose pure, froide el pâle, comme les dégage des cendres de tes pères quelques étincelles du feu qui les
joues de la beauté qui accorde des larmes à ce Récit de douleurs. animail : celui qui périra dans la lutte ajoutera à leurs noms un
FIANCÉE D'ABïnoS. nom redoutable aux tyrans et léguera à ses fils un espoir, une gloire
FIN DE LA ?[u'ils défendront au prix de la vie : car la guerre de la liberté une
ois entamée, le fils y remplace son père sanglant, el après une suite
de revers le triomphe esl certain. Sois-en témoin, ô Grèce ; ton his-
toire immortelle l'atteste à chacune de ses vivantes pages! Tandis
I FRAGMENTS. que les monarques ensevelis dans de poudreuses ténèbres n'ont
laissé qu'une pyramide sans nom, tes héros, quoique le temps ail ba-
|| Aucun souffle ne brise la vague qui se déroule sous le tombeau du layé la colonne qui décorail leur tombe, voient leur mémoire con-
clidathénien : la pierre sépulcrale, blanche sur lc promontoire, ' sacrée par un monument plus grandiose, les montagnes do leur pays
| salue la première le naulonnier à son retour vers le foyer domes- natal : c'est là que ta muse montre à l'étranger les tombeauxde ceux
1 tique et domine de loin sur cette lerre que Thômislocle sauva vaine- qui ne mourront jamais. Il serait long et bien triste de suivre cha-
1 nient. Quand verra-t-on revivre un héros tel que lui? cun de tes pas sur cette penle qui l'a conduite de la splendeur à la
% misère : il suffit de rappeler que nul ennemi du dehors n'a pu avilir
;f IScau climat! où chaque saison sourit bienveillante a toutes ces ton âme jusqu'à ce qu'elle se fût avilie par elle-même : oui, ce fut
I îles fortunées qui, vues des hauteurs du cap Colouna,réjouissentle cette dégradation, ouvrage de tes propres mains, -qui fraya la roule
| coeur et charment la solitude. Ici l'Océan , sur ses joues
i de riantes fossettes, réfléchit les leinles des montagnes et prête leur
marquées aux traîtres et aux despotes.
Que trouvç-l-il à raconter, celui qui foule maintenant ton sol?
:| couleur aux vagues joyeuses qui lavent les rivages de cet Eden Plusde ces légendes des siècles passés, plus de ces traits héroïques
*| oriental. Et si parfois une biise fugitive vient rider le bleu cristal qui élèvent le vol de la muse aussi haut que dans les jours glorieux,
IS des mers el bercer les rameaux des arbustes en fleurs, qu'il est bien- alors que chez loi l'homme était digne de la beautédu ciel. Sans
venu ce doux zéphyr qui éveille tant de fraîcheurs et de parfums! doule, les vallées doivent toujours nourrir des coeurs magnanimes,
î| Ici, sur les rocs et dans les vallons, la rose, la sultane du rossi- des âmes de feu capables d'inspirer à tes fils des actions sublimes ;
j gnol, la fiancée pour laquelle il remplit les airs de ses mille chan- mais ils rampent maintenant du berceau à la tombe, esclaves... que
I sons, s'épanouit rougissante aux doux accents de son bien-aimé. dis-je? serviteurs des esclaves, et insensibles à tout, si ce n'est aux
] La reine du chantre ailé, la reine desjardins, respectée par les vents richesses que peut donner le crime. Souillés de tous les vices qui dés-
'.:| cl les frimas, loin des hivers occidentaux, caressée par toutes les honorent la portion de l'humanité la plus voisine de la brute, dé-
I brises el toutes les saisons, en retour des doux sucs dont la nature pourvus môme des qualités du sauvage, n'ayant point parmi eux un
] l'a nourrie, lui rend l'encens le plus pur et offre au ciel qui lui sou- seul coeur vaillant et libre, on les voit cependant traîner de port en
| rit l'hommage de sa reconnaissance, ses brillantes couleurs et ses
j soupirs embaumés. Ici sonl les mille fleurs de l'été; ici maint om-
portleur astuce proverbiale et leurs antiques fraudes. C'est là qu'on
retrouve le Grec subtil, encore renomme à ce litre elà ce titre seul.
j brage appelle les amants... el mainte grotte, asile destiné au repos, En vain la liberté ferait un appel à ces coeurs façonnés à l'esclavage,
4 n'a que des pirates pour hôtes. La barque des corsaires, abritée en vain elle voudrait relever ces tètes qui chérissent leur joug!
A dans l'anse, épie au passage une voile pacifique, jusqu'à l'heure où Mais c'esl assez m'appesanlir sur ce sujet douloureux: pourtant elle
'% la guitare du gai matelot fait entendre et
sealors, où brillent les premiers i sera bien triste aussi l'histoire que je vais raconter, cl ceux qui la
'•j rayons de l'astre du soir ; glissant sur ses avirons amortis, à liront peuvent m'en croire, quand je l'entendis moi-même ce no fut
1 l'ombre des rochers de la côte, le brigand nocturne s'élance
râles
sur sat pas sans larmes.
3
proie et change en de mort les joyeuseschansons. Etrange aber- •»
| s ration ! que, dans ces lieux où la nalure s'est plu à créer un séjoui A l'horizon de la mer bleuâtre, domine l'ombre de noirs rochers.
digne des dieux, dans ce paradis où elle a réuni toutes ses grâces elt Le pêcheur les prend de loin pour la barque de quelque pirale des
% Ions ses charmes, l'homme, épris de la destruction, vienne faire uni îles ou de la côte maïnote : craignant pour sa légère caïque, il évite
y sauvage désert et fouler sous son
pied brutal ces douces plantes quii l'anse voisine qui lui paraît suspecte : el quoique fatigué de son long
% ne réclament même pas le travail de ses mains pour embellir sa re- labeur et chargé à plein bord de son humide proie, il manie lcnlc-
j traite enchantée, et qui, dans leur doux langage, le prient seulemciv t ment mais avec vigueur ses avirons dociles, jusqu'à ce qu'il aital-
'; de leur laisser la vie. Oui, étrange! que, dans un séjour de paix, lc;s teint le refuge assuré de Port-Leone, où il entre guidé par la douce
j passions viennent déployer leurs orgueilleusesfureurs, que la dé- lumière d'une belle nuit de l'Orient.
I hanche et la rapine établissentleur sombre domination sur les rui
|f| nos
de tant de beautés. On dirait que les esprits infernaux ontatta-
que cl vaincu les séraphins, et que les héritiersde l'enfer, libres enfin
Quel est ce cavalier qui s'avance comme la foudre sur son noir
coursier aux rênes flottantes, aux sabots rapides? Le son des fers
1 les trônes célestes tellement théâtre , retentissants éveille les échos des cavernesd'àl'entour qui rendent
vieil lient siéger sur : ce est en-
)\ chanteur el l'ait pour loules les joies : tellement sont maudits les ty bruit pour bruit, éclat pour éclat; l'écume qui sillonne les lianes de
|| rans qui le profanent!
Si vous vous êtes penché sur la face d'un mort, avant qu'un jou r
% entier eût passé sur l'oeuvre du trépas, première et sombre journé'e
l'aninial ressemble à celle des vagues de l'Océan. Les vagues fati-
guées se reposent, mais elle ne connaît point de repos, l'âme du cava-
lier ; et quoique pour demain une leinpêle se prépare, cette tempête
% du néant, la dernière du danger et des craintes, avant que le doig;l sera moins terrible que celle do ton coeur, ô jeune Giaourl Je ne le
J falal de la destruction eûl etlacé les lignes où survit la beauté ; connais pas; ta race, je la déleste : mais dans les traits je reconnais
à vous avez admiré sans doule celle douceur angélique,ce repos pleiin des indices que lc temps n'effacera pas, qu'il rendra toujours plus
i d'extase, ces traits fixes mais sans rigidité qui dominent la placide frappants; ton front jeune et pôle, mais lerni, porte l'empreinte de
È langueur des joues. Hélas! sans celoeil tristement voilé qui n'a pluis farouches passions; quoique lu eusses les regards baissés vers la
I ni feu, ni larme, ni sourire, sans ce Iront immobile et glacé, où 1a lerre quand tu as passé près de moi comme un météore, j'ai bien rc-
| froide apathie de la tombe épouvante celui qui le contemple, rc!- marqué ton oeil falal, et je te reconnais pour un de ces èlresqu'un
:J doutant la contagion d'un sort dont il ne peut détacher sa penséei. fils d'Othman doit tuer ou dont il doit fuir le contact. Il courait, il
S Oui, sans cet unique et infaillible indice, pour un moment, pouir courait, et mon regard étonné n'a pu s'empêcher de suivre sa fuite.
a(| une heure d'illusion, on pourrait douter de la puissance de la mort'; Bien qu'il m'ait apparu comme le démon de la nuit, pour s'évanouir
tant il est beau, tant il est calme, tant il est empreint d'un cachet dle aussitôt à ma vue, ma mémoire troublée a gardé son image, el long-
ïf douceur, ce premier et dernier aspecl que révèle le trépas. temps mon oreille a retenti du terrible galop de son noir coursier,
1 Tel esl le speclacle qu'offrent ces rivages : c'esl la Grèce ; ma is Ah! il pique encore sa monture; il s'approchedu roc escarpé qui se
=1 non la Grèce vivante : froide mais charmante, belle dans la mort projette sur les flots et les couvre de son ombre : il galope et veut
g môme, elle nous fait tressaillir; car l'âme n'est plus là. Ses charunîs pivoter à la hâte : le rocher va le délivrer de ma vue : car il est im-
g sonl ceux du trépas, ces charmes qui ne s'enfuient pas avec lc deir- porlun pour l'hommequi fuit, le regard fixé sur ses traces, et toute
| nier soupir; beauté a celte ileur funéraire, cette teinte des porlies étoile lui paraît trop brillante. Il va tourner le rocher ! mais avant de
:| «lu tombeau, sa cette fugitive lueur de la pensée qui s'envole, celle aia- disparaître, il jelle derrièrelui un seul, un dernier regard . un mo-
% l'àole d'or qui plane
1 qui s'éteint : étincellesur un cadavre, ce rayon d'adieu du scnlimeint ment il a retenu son coursier, un moment il a repris haleine on se
de cette flamme, peut-être d'une céleste ori- dressant sur ses élriers... Pourquoi regarde-t-il ainsi vers le bois
II gine, qui éclaire encore mais n'échauffe plus la demeure d'argide d'oliviers? Le croissant de la lune brille sur la hauteur, les lampes
qu'elle a longtemps chérie. de la mosquée jettent encore une clarté tremblanle : quoique trop
i| Patrie des héros immortels, loi dont les plaines, les montagneis, éloigné pourque la détonation éveille ici l'écho, l'éclair des lophaï-
76 LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTREES.

ques (1) annonce au loin le zèle religieux des musulmans. Ce soir ] les vassaux plus de travail, depnis que son turban a été percé par le
se couche le dernier soleil du Rhamazan; ce soir commence la fête I glaive de l'infidèle.
du Baïram; ce soir... Mais qui es-tu, voyageur à la tournure étran-
gère el au front farouche? et que font toutes ces choses à toi el aux J'entends des pas qui s'avancent;-mais pas une voix ne frappe mon
tiens pour que tour-à-tour tu l'arrêtes et tu fuies de la sorte. ? oreille; le bruit esl. proche... j'aperçois des turbans, des yatagans
Il s'est arrêté! la terreur se peint sur ses traits, mais bientôtl'ex- dans leur fourreau d'argent: à la tôle de la troupe est un émir re-
pression de la haine la remplace. Ce n'est pas la rougeur soudaine connaissablc à la couleur verte de sa robe : « Holà ! qui es-lu ?
d'une colère fugitive ; c'est la pâleur du marbre de la tombe, qui rend Ce respectueux salem te répond que j'appartiens à la foi musul- —
plus lugubre encore son aspect ténébreux. Son front s'abaisse ; son mane... Le fardeau que vous portez semble réclamer tous vos soins,
oeil se glace. Il lève un bras menaçant; il agite sa main en l'air avec et sans doule c'est un objet de prix : mon humble barque s'offre
un geste farouche : il semble hésiter un moment s'il doit retourner avec joie pour le prendre-—C'est bien parlé : démarre Ion esquif, el
en arrière ou continuer sa course. Impatient de ce délai, son cour- éloignons-nousde ce rivage silencieux... Non , ne déploie point ta
sier noir comme l'aile du corbeau a henni : alorsla main du cavalier voile ; rame en rasant la côle et jusqu'à mi-chemin de ces rochers,
s'abaisse et saisit la poignée de son épée : ce hennissement a inter- où l'eau dans son étroit canal dort sombre et profonde. Arrête-toi...
rompu son rêve sans sommeil, comme on s'éveille en sursaut au cri là... bien travaillé! Notre course a été rapide; el pourtant c'est le
de la chouette. L'éperon a sillonne les .flancs du cheval. En avant! plus long voyage, certes, qu'une des....
en avant ! il s'agit de la vie. Rapide comme le djerrid dans l'air, le.
coursier frémissants'élance sous l'aiguillon qui le presse. Le fardeau plongea et s'enfonça lentement, et la vague aupara-
Enfin, il a doublé le rocher, et le rivage ne retentit plus du ga- vant paisible clapota jusqu'au rivage. Je suivis l'objet du regard;
lop sonore ; on ne voit plus la figure hautaine du chrétien Un seul il me sembla qu'un mouvementétrange agitait en ce moment l'onde
instant, il avait retenu les rênes de son fougueux coursier barbe ; troublée... Ce n'était sans doulequ'un rayon de lumière qui se jouail
un seul instant il s'était arrêté, puis il avait piqué des deux, comme sur le cristal liquide. Je regardai la chose qui s'affaiblissait à ma
s'il élait poursuivi par la mort ; mais durant cet intervalle si court, vue, comme un caillou qui diminuede volume en tombant au fond:
des années de souvenirs,ressurgissant tout-à-coup, avaient réuni toujours de moins en moins visible ce ne fut bientôt plus qu'une
dans une seule goutte du fleuve du temps toule une vie de misère et petite tache blanche qui brillait au ,fond des eaux ; et enfin elle
de crime. Pour un coeur en proie à l'amour à la haine ou à la disparut lout-à-Mt. El le secret de ce fardeau alla dormir au fond
crainte, un semblable moment réunit tout un, passé de douleurs : de l'Océan, connu seulementdes génies de l'abîme, qui, tremblants
que devait-il donc sentir alors, celui qui était à la fois accablé de ces dans leurs grottes de corail, n'osent même par un murmure le ré-
trois tortures de l'âme? Cette pause pendant laquelle il méditait sur véler aux vagues.
son destin, qui pourrait en calculer la durée? Presque impercep-
tible dans le temps réel, c'était une éternité pour sa pensée : car Dans les prés d'émeraude de la belle Cachemire, le roi des papil-
infinie comme l'espace, la pensée fille de la conscience peut con- lons de l'Orient, s'élevant sur ses ailes de pourpre, invile un enfant
tenir en elle des douleurs sans nom, sans espoir et sans ternie. à le poursuivre: il le conduit de fleur en (leur ; et après une course
L'heure est passée; le Giaoura disparu ; a-l-il fui ou succombé? longue et fatigante, toul-à-coup l'insecte ailé élève son essor et laisse
Maudite soit cette heure témoin de son arrivée et de son dépari! le jeune chasseur haletant el désolé : ainsi la beauté, avec des cou-
Fléau envoyé pour les péchés d'Hassan, il a changé un palais en leurs aussi brillantes, des ailes aussi capricieuses, trompe une autre
tombeau ; il est venu, il esl parti comme le Simoun, ce messager de enfance moins jeune: poursuite pleine de vaines espérances et de
mort et de souffrance, dont le souffle dévaslalcur fait mourir jus- I craintes non moins vaincs, que commence la folie et qui se termine
qu'au cyprès lui-même, jusqu'à cet arbre si triste quand les autres ont dans les larmes I Le papillon et la jeune fille, s'ils se laissent saisir,
quitté leur deuil, le seul qui pleure toujours sur les morts. ont à craindre des maux pareils: une vie de douleurs, le trouble de
l'âme, leur sont infligés par les jeux de l'enfant ou les caprices de
Le coursier a disparu de l'étahle ; on ne voit plus d'esclaves dans l'homme le charmant jouet recherché avec tant d'ardeur a perdu
la demeure d'Hassan ; l'araignée solitaire y file sa toile grisâtre qui tout son :charme par la seule conquête, car chaque atteinte pour
s'étend lentement sur les murs ; la chauve-sourisfait son nid dans l'arrêtera flétri ses plus délicates nuances, el enfin sa beauté, ses
les appartementsdu harem ; et lc hibou s'est installé dans le phare couleurs étant anéanties, il n'a plus qu'à tomber à lerre ou à s'en-
de la citadelle. Les chiens affamés et devenus sauvages viennent voler seul. Les ailes déchirées, le coeur saignant, où reposera la pau-
hurler sur les bords de la fontainequi trompe leur soif; car la source vre victime? Le papillon mutilé pourra-l-il encore voltiger de la
a fui de son lit de marbre couvert de poussière et de ronces. Qu'il tulipe à la rose? La beauté détruite en un instant Irouvera-t-cllc
élait doux autrefois d'y voir lès eaux joyeusess'élancer en filets d'ar- encore le repos dans son asile profané ? Non : des inscclcs pius heu-
gent, se jouer en capricieux détours el combattre l'aridité du midi, reux en passant près de là n'abaissentjamais lc vol de leurs ailes
en répandant par les airs une douce fraîcheur et sur le sol d'à sur celui qui meurt; jamais de beaux yeux n'ont montré de pitié
l'entour une verdure luxuriante. Qu'il élait doux, la nuit, quand pour une chute autre que la leur : ils ont des larmes pour loules les
le ciel étoile brillait sans nuages de contempler les flols de cette peines, mais non pour celles d'une soeur qui a failli.
,
lumière liquide et d'écouter son mélodieux murmure. Combien de
fois dans son enfance Hassan n'a-t-il pas-joué sur les bordsde cette L'âme qui médite sur ses douleurscoupables et qui s'irrite jusqu'à
cascade ! Combien de foissur le sein d une mère cette harmonie n'a- la démence est pareille au scorpion que le feu environne. Le cerch
t-ellc pas bercé son sommeil ! Combien de fois encore, aux jours se rétrécissantà mesure que le brasier s'anime, la flamme serre de
de sa jeunesse, Hassan n'a-t-il pas écoulé près de cette fontaine les plus en plus prèsle malheureuxcaptif, jusqu'à ce que, déchiré inté-
chants de la beauté dont la mélodie semblait prendre un nouveau rieurement par mille tortures, il recoure à sa triste cl seule ressource,
charme en se mêlant à celle des flots I Mais sa vieillesse ne viendra le dard qu'il aiguisait pour ses ennemis; ce dard, dont jamais la bles-
pas, à l'heure du crépuscule, chercher le repos sur ces bords autre- sure n'a été vaine, et qui par nue seule souffrance guérit toutes le;
fois chéris : la source est tarie... le sang qui animait son coeur est autres, son désespoir le tourne contre lui-môme. Ainsi les sombre!
épuisé, et nulle voix humaine ne fera plus entendre ici aucun ac- pensées peuvent être anéanties dans l'âme après avoir vécu commi
cent de fureur, de regret ou de joie. La dernière et triste mélodie le scorpion dans un cercle de feu ; ainsi se torture le coeur que lc re
qui s'est élevée sur l'aile de la brise était le chant lugubre des fu- mords consume, incapable de vivre sur la terre, exclu du ciel : au
nérailles : depuis qu'elle a cessé, tout est silencieux. On n'entend dessus de lui les ténèbres au-dessousle désespoir, à l'entour de
d'autre bruit que celui de la jalousie qui bat sous l'effort du vent : flammes et au dedans la mort , !
que l'ouragan mugisse, que la pluie ruisselle ; nulle main ne vient
la rattacher. Dans les sables du désert, le voyageur se réjouit de Le sombre Hassan fuit son harem ; ses yeux ne s'arrêtent plu
trouver les moindres traces du passage des hommes : ainsi dans ces sur les charmes de la beauté ; la chasse, autrefois négligée, occup
lieux, la voix même de la douleur éveillerait un écho consolateur aujourd'hui tous ses instants, et néanmoins il n'éprouve aucun de
qui semblerait nous dire : « Tous ne sont pas partis : la vie est en- plaisirs du chasseur. Hassan ne fuyail pas ainsi son harem lorsqu
core ici, quoique dans un seul être plaintif. » Car il y a dans ce pa- Leïla l'habitait... Est-ce donc que Leïla ne l'habite plus? Le seu
lais bien des chambres dorées qui ne sont point faites pour la soli- Hassan pourrait le dire- Des bruits étranges ont circulé dans la ville
tude : dans l'intérieur, la ruine n'a poursuivi que lentement encorts quelques-unsdisent qu'elles'esl enfuie le dernier soir du lihamazaii
son travail rongeur : ses efforts se sont accumulés sous le portique, a l'heure où des milliers de lampes brillant sur chaque minaret an
où le fakir lui-même ni le derviche errant ne s'arrêteront plus, cai,; nonçaiunt à l'immense Orient la fête du Beïram. C'est alors quel!
l'hospitaliténe leur tend pas la main : le voyageur fatigué n'y vien- sortit comme pour se rendre au bain où Hassan furieux la fit vaim
dra plus bénir en les partageant le pain et le sel, ces emblèmes sa- ment chercher : car elle avait échappé à la rage de son maître sou
crés. La richesse et la pauvreté passeront également ici insoucieuses3 le costume d'un page géorgien, et à l'abri de ses atteintes elle l'ava
et non remarquées; car au sein de ces montagnes, la bonté, la pitié outragé en se livrant au perfide Giaour. Hassan avait déjà eu que
sont mortes avec Hassan. Son toit, abri si fréquenté, ,
n'est plus qui3 ques soupçons, mais l'infidèle se montrait si tendre et lui paraissa
le repaire de la désolation et de la faim. Les hôtes n'ont plus d'asile ; si belle qu'il n'avait pas voulu croire à cette trahison d'une esclai
qui eût méritéla mort : ce môme soir il s'était rendu à la mosqut
(i) Mousquet turc. et ensuite à un festin qu'il donnait dans son kiosque.
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON. 77

1
'fd est le compte que rendirent les esclaves de Nubie, qui avaient montagneux abri. Seul le sombre Hassan dédaignede descendre de
{fail assez négligemment leur devoir mais d'autres racontèrent que
; son coursier et continue sa course ; mais les coups de feu tirés en
3 celle môme nuit, à la lumière incertaine de la pâle Phingari, le tôle lui démontrent bientôt que les brigands se sont emparés de la
Giaour avait été vu guidant sur le rivage son coursier d'ébène dont seule issue par laquelle leur proie pourrait leur échapper. Alors sa
il faisait saigner le flanc, maisseul et sans jeune fille. barbe se hérisse de courroux, et ses yeux lancent un éclat plus ter-
rible : « Que leurs balles sifflent de près ou de loin ; j'ai échappé à
H seraitimpossible de décrire le charme de ses beaux yeux noirs : des rencontres plus terribles que celle-ci. »
mais regardez ceux de la gazelle, et vous en aurez une idée : les En ce moment l'ennemi quitte les rochers qui le couvraient et or-
siens étaient aussi grands, aussi profonds et languissants,mais l'âme donne aux voyageurs de se rendre ; maisle regard et la parole d'Has-
brillait dans chacune des étincelles qui jaillissaient de dessous la san sont plus redoutés des siens que le glaive des assaillants; per-
paupière, brillantes comme le diamant de Djemschid. Oui, l'âme 1 sonne ne dépose la carabine ou le yatagan et ne pousse le cri du
et dût noireprophète assurer que ce corps magnifique n'était qu'une lâche : «Aman! » Les derniers des brigands ont quitté-leur em-
1 argile animée par Allah, je soutiendraisle contraire, quand même buscade et tous réunis se rapprochent de plus en plus ; plusieurs
3 je serais sur le pont d'Al-Siral, qui tremble au-dessus d'une mer de sortent à cheval du bosquet de pins. Quel est celui qui les conduit
| feu, regardant en face le paradiset toutes les hourisqui m'appellent. tous, tenant une épée de forme étrangère qui étincelle dans sa main
I Oli ! en lisant dans les regards de'Leïla , quel musulman aurait pu sanglante? « C'est lui ! c'est lui! je le reconnais maintenant : je le
% croire encore que la femme n'est qu'une vile poussière, un jouel ma- reconnaisà son front pâle et à ce regard funeste qui l'aidedans ses
trahisons; je lereconnaisà sa barbe noire comme le jais : le costume
|
is tcriel destiné aux plaisirs d'un maître? Les muftis qui l'auraient
contemplée auraient reconnu dans son regard une flamme imraor-
I telle ; ses joues avaient l'incarnat loujours nouveau de la fleur du
d'un Arnautequ'il a revêtu, apostat de sa vile croyance, ne le sau-
vera pas de la mort : c'est lui ! sois le bienvenu à toute heure, amant
I grenadier; quand au milieu de ses femmes, qu'elledominait toutes, de la perfide Leïla, Giaour trois fois maudit! »
I elle dénouait dans les salles du harem sa chevelure flexible comme Quand un fleuve roule jusqu'à l'Océan l'impétueux torrent de ses
1 les liges de l'hyacinthe, les tresses de
sa coiffure balayaient le marbre noires ondes, souvent ou voit les vagues de la mer lui opposer une
:1
sur lequel ses pieds brillaient plus blancs que la neige des monta- forceégale, et s'élevanlfièrement en colonne azurée faire remonter
is gnes avant qu'elle ail quitté lc nuage paternel el que le contact do bien loin le courant parmi les flocons d'écume et les flols furieux
| Ta lerre ail altéré
sa pureté. Commele cygne glisse majestueusement
I à la surface des eaux, ainsi se mouvait sur lc sol cette fille de la
qui s'entrechoquent tourbillonnant sous le soufflede l'hiver : d'hu-
mides éclairs brillent à travers une étincelante fumée; les eaux mu-
% Circassie, le beau
cygne du Franguestnn. De même que le noble gissent comme le tonnerre et se précipitentavec une formidable vi-
i oiseau, effarouché par les pas d'un étranger foulant les bords de tesse sur la côte qui brille el s'ébranle sous le choc. De même que
J son humide domaine, lève une tète superbe et bat les vagues de ces deux courants se lancent l'un contre l'autre avec une fureur in-
yl son aile orgueilleuse; ainsi se dressait et plus blanc encore le cou sensée; ainsi se joignent les deux troupes que de mutuelles injures,
do la belle Leïla ainsi elle s'armait de sa beauté contre un regard leur destin et leur rage poussenttoutes deux en avant. Le cliquetis des
> , sabres qui se heurtent ets'ébrèchent, les détonations lointaines ou
H importun jusqu'à ce que le présomptueux eût baissé les yeux de-
,
vaut ces charmesqu'il admirait. Avec lant de grâce et de dignité, rapprochéesqui résonnent à l'oreille assourdie, le projectile mortel
;
elle n'avait pas moins de tendresse pour l'ami deson coeur; mais cet qui siffle dans l'air, le choc des combattants, leurs cris, les gémisse-
| ami... sombre Hassan, quel était-il? Hélas 1 ce nom ne t'élail pas dû. ments des blessés, tous ces bruits se répercutent le longde la vallée
mieux faite pour retentir des chants des bergers. Quoique les com-
: Le sombre Hassan s'est mis en voyage : vingt vassaux forment sa battants soient peu nombreux,cette lutte est de celles dans lesquelles
"i suite, tous armés, comme il convient à des hommes, d'une arquebuse on n'accordeni ne demande la vie. Ah! elle est énergique l'étreinte de
\i «I d'un yalagun : le chef à leur tôle, équipé en guerre, porte à son deux jeunes coeurs qui se prodiguentde mutuelles caresses ; pourtant
; côté le cimeterre
qu'il leignit du plus pur sang des Amantes, le jamais, pour s'emparerde tout le bonheur que la beauté lui accorde
:: jour où ces rebelles ayant
osé lui disputer le passage du défilé de en soupirant, jamais l'amour n'aura la moitié de la fureur que mon-
i Parna, il n'en resta que bien peu pour aller raconter aux leurs ce tre la haine dans le mortel embrassement do deux ennemis achar-
'i qui s'élail passé dans celle rencontre. Les pistolets passés dans sa nés, quand, se saisissant au milieu de la mêlée, ils enlacent leurs
3 ceinture sont
ceux que portait autrefois un pacha, cl bien qu'ilssoient bras dans une étreinte que rien ne pourra dénouer. Non ! des amis
i enrichis de pierreries et garnis d'or, l'oeil du brigand craindrait de se rencontrent pour se séparer bientôt ; l'amour se rit des noeuds
J s'arrêter sur eux. On dit qu'il va chercher une fiancée plus
fidèle qu'il a formés; mais quand de véritables ennemis sont une fois
j que celle qui a quitté sa couche, que celte perfide esclave qui s'est réunis, ils le sont même dans la mort.
î enfuie de son harem... et pour qui ? pour un giaour!
Son cimeterre, brisé jusqu'à la garde, dégoutte encore du sang
i Les derniers rayons du soleil s'arrêtent sur la colline et brillent qu'il a répandu; sa main, séparée du poignet, serre convulsivement
dans les Ilots du ruisseau, dont les eaux fraîches el limpides sonl ce glaive qui a trahi son courage; son turban, fendu à l'endroit le
i bénies du montagnard. Ici le marchand grec attardé peut goûter ce plus épais, a roulé loin de lui ; sa robe flottante est hachée de coups
3 repos qu'il chercherait en vain dans les villes où le voisinage de ses de sabre et rouge comme ces nuages du malin, qui, rayés de lignes
t maîtres le fait trembler pour son secret trésor. Ici il peut dormir en sombres, annoncentune tempête pour la fin du jour ; chaque buis-
\i paix, sans être vu de personne; lui qui dans la foule est un esclave, son ensanglanté porte un lambeau de son châle aux couleurs splen-
J au désert il se trouve libre : il y peut remplir d'un vin défendu la dides ; sa poitrineest couverted'innombrablcsblessures : enfin, couché
~~\ coupe qu'un musulman ne doit pas vider. sur le dos, la face vers le ciel, git le malheureux Hassan, tournant en-
core vers l'ennemi ses yeux tout grands ouverts, comme si sa haine
UnTartarc remarquable par son bonnet jaune marche en tètei inextinguibleeût survécu à l'heure qui avait fixé son destin. Sur lui se
;;î et se trouve à la sortie du défilé ; tandis que le reste de la troupes penche son ennemi avec un front aussi sombre que celui du cadavre.
1 forme longue iilequi suit lentement les détours du passage. Au-
j dessusune
d'eux s'élève la cime de la montagne où les vautours aigui- « Oui, Leïla dort sous la vague; mais lui, il aura une tombesan-
".' sent leur bec affamé, et peut-êtresepréparera-l-ilcette nuit pour euxi glanle : l'âme de Leïla dirigeait l'acier qui a percé lc coeur de son
'] un repas qui les fera descendre de leur repaire avant les premiersi meurtrier. 11 a invoqué le prophète; mais Mahometa été impuissant
| rayons du jour. Sous les pieds des voyageurs, une rivière tarie pai contre la vengeance du Giaour : il a invoqué Allah, mais sa voix
fj les rayons de l'été a laissé son lit à sec el nu, sauf quelques brous- n'a pas été écoutée. Insensé musulman I le ciel pouvait-il exaucer la
% sailles qui pointent pour mourir bientôt. Aux deux côtés de la routi
; prière, toi qui as été sourd à celles de Leïla? J'ai épié l'occasion
|
•'!
on voit quelques fragments épars d'un sombre granit que le tempsj
ou les orages onl détachés des pics cachés dans les nues : quel moi-
propice; j'ai fait alliance avec ces braves pour surprendre le traître
à son tour : ma rage est assouvie ; l'acte est consommé, et mainte-
1 tel
a jamais vu à découvert le sommet du Liakura? nant je pars... mais je pars seul.

|| périlatteignent
3
le
Ils enfin le bosquet de pins. llismillah! Maintenaitt
;
«
est passé car sous nos yeux voici la plaine découverte et noui 3
On enlend tinter les sonnettes des chameaux qui paiss?ntdans la
plaine : la mère d'Hassan regarde à travers les jalousies ; elle voit la
pourrons presser le pas de nos coursiers. Ainsi parle un des guides
» rosée nocturne descendre en gouttes étincelantes sur le vert pâtu-
%
| l'avanl-garde
au même moment une balle siffle à ses oreilles et le Tartare
et
a mordu la poussière. Prenant à peine le temps de re
die, rage ; elle voit les étoiles qui commencentà scintiller : « Voici veuil-
le soir : sans doute le cortège n'est pas loin. » Elle ne peut rester
|I tenir les rênes, les cavaliers s'élancent à lerre d'un seul bond- mais
trois d'entre eux ne se remettront jamais en selle l'ennemi qui lcs
:
dans le pavillon du jardin ; mais elle monte à la plus haute tour et
s'approche delà fenêtre grillée. « Pourquoi ne vient-ilpas?sescour-
f a frappés est invisible, el c'est en vain que leur mort demande ven siers sonl légers et ne craignent pas la chaleur de l'été. Pourquoi le
geance. Quelques-uns, le cimeterre au poing, la carabine arméei, fiancé n'envoie-t-il pas les présents qu'il a promis? Son coeur est-il
s'appuient sur le harnais de leurs chevaux dont le corps leur fait uia plus froid, ou son cheval barbe moins rapide? Ah! j'ai tort de lui
; rempart ; d'autres se
. réfugient derrière les rochers lès plus voisins faire ces reproches! Voici un Tartare qui a gagné le sommet des
:% pour
y attendre l'attaque; car ce serait une vaine bravade de reste:r montagnes voisines et qui d'un pas prudent en descend la pente-
1 exposés aux coups d'un ennemi qui n'ose point quitter lui-même soin maintenant il suit la vallée : il porte à l'arc<m de sa selle les pré-
78 LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

sents attendus... comment ai-jeaccusé sa lenteur? mes largesses le


récompenseront de sou empressement et de ses fatigues. » « Le regard qui brille sous sonbrun capuchon esl sombre et n'ap-
Le Tartare met pied à terre à la porte du château, mais il sem- partient
pt; point à la terre : son passé se révèle trop clairement dans
ble avoir peine à se soutenir : ses traits rembrunis ont un air ia
la flamme de son oeil dilaté; à travers les changements de ses
abail.u : ce ne peut êlreseulemenl de la fatigue. Ses vêtementssont nuances indistinctes . cet oeil épouvante quelquefoisincontesté,
ni l'étranger, car
tachés de sang : lout ce sang ne peut provenir des flancs de son on y lit clairement l'ascendant inexplicable, mais
01
d'un
coursier. 11 lire de dessous son vêtement le gage qu'il apporte esprit
es que rien ne domptera jamais. Pareil à l'oiseau tremble qui ébranle
Ange de la mort! c'est le turban d'Hassan tout fendu en deux ; c'est se ailes sans pouvoir fuir le serpent qui le fascine,
ses on
l'insupportable
de-
in-
la calotte de fer brisée... son caftan rouge de sang. « Femme! Ion vant
vj son regard, mais on n'en peut rompre
fils a épousé une terrible fiancée : les meurtriersm'ont épargné, fluence. Chacun de nos frères, quand il le rencontre seul, sent un
fli
moi, non par merci, mais pour t'apporter ce don. Paix au brave effroi
el soudain et un besoin de se retirer, comme si ces yeux et ce
dont le sang a coulé I Malheur au Giaour : le crime esl de lui ! » sourire
se amer répandaient autour de lui les terreurs et la trahison.
C'esl rarement, d'ailleurs, qu'il daigne sourire, et quand il le fait,
C
. :
Un turban sculpté dans la pierre la plus commune, une colonne il semble se railler de sa propre souffrance, tant sa lèvre p.Mc se re-
que dominent d'épais buissons de ronces, et sur laquelle on peut à lève le ironique el tremblante ! Mais bientôt cette lèvre redevient im-
peine lire aujourd'hui le verset du Koran gravé sur la demeure des mobile n: et semble fixée pour l'élernité, comme si la douleur ou le
morts; voilà ce qui indique, dans le défilé solitaire, la place où d< dédain lui défendaient toute nouvelle faiblesse. Que n'en est-il
Hassan esl tombe. Là dort un des meilleurs musulmans que l'on vit ainsi! a Ce rire sépulcral ne saurait provenir d'une véritable gaîté.
jamais fléchir le genou à la Mecque, repousser la coupe défendue, Mais M il serait plus triste encore de chercher à deviner quels senti-
et, à chaque appel solennel du muezzin, prier la face tournée vers ments n se sont peints autrefois sur ce visage : lc temps n'en a pas
indices
le saint tombeau. 11 tomba cependant sous les coups d'un étranger encore e tellement fixé les traits qu'il n'y reste quelques de
cl au sein de sa terre natale, cl mourut les armes à la main. Son bien b mêlés avec le reste; des nuances encore perceptibles révèlent une
trépas esl resté sans vengeance, du moins sans vengeance san- j âme â que ses crimes n'ont point entièrement dégradée. Le vulgaire
glanle; mais les vierges du Paradis s'empressent de l'accueillir n'y n voil que la marquesombre d'actescoupables el dclcur juslechâ-
dans leurs demeures, el les yeux noirs et brillants des houris lui timent; ti mais un observateur moins superficiel y reconnaît une âme
sourironl à jamais. Elles s'avancent agitant leurs verts tissus de noble n
vains,
une illustre origine : deux dons, hélas ! qui ontilsétén'appar-
,
gaze el leurs baisers viennent saluer le brave ! Quiconque tombe ppuisque la douleur el le crime les ont souillés; mais
en combattantl'iufidèle esl digne de l'immortel séjour. tiennent
t pas à des êtres vulgaires cl leur cachet inspire toujours
à demi
un
dé-
sentiment
s de respectueuse crainte. Une chaumière
Mais toi, perfide Giaour, lu te tordras sous la faulx vengeresse de truite t attire à peine le regard du voyageur : mais la tour battue par
Monkir, et tu n'échapperas à ce supplice que pour aller errer au- les l assauts et la tempête, tant qu'un seul de ses créneaux est en-
tour du trône d'Eblôs : là, un feu inextinguible entourera, péné- ccore debout, attire el fixe l'attention : ces arches couvertes de
Irera ton coeur; et aucune oreille ne pourrait entendre, aucune lierre, 1 ces piliers isolés parlent encore d'une gloire passée.
langue ne peut exprimer les tortures de cet enfer intérieur. Mais «Sa robe flottante se glisse lentement le long des colonnes du
d'abord ton cadavre, arraché de la tombe, sera renvoyé sur la lerre cloître c : nous ne le voyons qu'avec terreur
contempler d'un air
avec la puissance hideuse d'un vampire, pour apparaître, spectre sombre s nos pieuses cérémonies. Mais quand les hymnes saints font
horrible, aux lieux de ta naissance, et l'y nourrir du sang de toute retentir i le choeur, quand les moines s'agenouillent, alors il se re-
ta race. Là, vers l'heure de minuit, tu viendras boire la vie de la fille, lire i : à la lueur d'une
torche vacillante, on le voit debout sous le
de ta soeur, de ta femme, en détestant loi-même l'horrible aliment jporche où il reste jusqu'à la fin de l'office, écoutant les prières mais
I
dont lu dois gorger ton cadavre vivant el livide; tes victimes, J n'en i
répétant aucune. Voyez... près de ce mur à demi éclairé :
avant d'expirer, le reconnaîtrontdans le démon qui les tue : elles I son i capuchon est rejeté en arrière, ses cheveux noirs retombent en
le maudiront el lu les maudiras, en voyant tes fleurs se flétrir sur désordre i sur son front pâ!c, auquel la Gorgone semble avoir cédé
leur tige. De tous les êlrcsqiii doivent périr par tes crimes, un seul, ises plus terribles serpents : car, ayant pris d'ailleurs notre costume,
lc plus jeune, le plus aimé de tous, le bénira en le disant : « Mon il dédaigne en cela seul la règle du couvent et laisse aux boucles de
père I » Ce mot te brûlera le coeur, et pourtant il faudra que tu sa i chevelure celle longueur profane. Son orgueil el non sa piété
achèves la lâche que tu épies la dernière rougeur sur sa joue, la comble de riches présents un temple qui n'a jamais entendu ses
, .
dernière étincelle dans ses yeux, que tu voies un dernier regard prières. Observez-le lorsque lc choeur élève vers le ciel sa puissante
limpide se glacer dans sa prunelle mourante : alors, d'une main sa- harmonie : toujours celle joue livide, cette immobilité de marbre,
crilège lu arracheras celle blonde chevelure : vivant, tu en portais cette altitude de défi el de désespoir! O bienheureux François,
une boucle, gage de la plus tendre affection; mais maintenant, tu daigne l'éloigner de Ion sanctuaire, car il est à craindre que la" co-
,
la garderas avec toi comme un monument de ton agonie. Tes lère divine ne se manifeste ici par quelque signe épouvantable Si
dents grinçantes et les lèvres convulsives, toujours humectées, dé- jamais un mauvais ange a revêtu la ligure humaine. Ici il parut sans
goulleiontdu plus pur sang de lous les tiens. Alors va te renfermer doute : Par toutes mes espérances de pardon, un tel aspect n'appar-
dans ta tombe lugubre ; va cuver la rage avec les Goules et les tient ni à la lerre ni au ciel. »
Affiles qui reculerontd'horreur en contemplant un spectre encore
plus odieux qu'eux-mêmes. Les coeurs lendrcs sont enclins à l'amour, mais trop timides pour
accepter les douleurs, pour faiblir, pour braver lc désespoir, ils ne
« Comment nommez-vous ce caloyer solitaire ? Je pense avoir se donnent jamais à lui tout entiers. Des âmes fortes peuvent
seules
déjà vu ses traits dans ma terre natale : il y a bien des années que, ressentir ces blessures que le temps ne guérit pas. Lc métal grossier
passant sur un rivage désert, je l'ai vu presser les flancs du cour- sortant de la mine doit passer par le feu avant d'être susceptible de
sier le plus rapide qui jamais ait servi l'impatience de son cavalier. poli : plongé dans la fournaise, il se fond cl devient ductile sans
Je n'ai vu sa ligure qu'une fois; mais elle portail l'empreinte de tels changer de nature : alors trempé pour les besoins ou les caprices de
tourments intérieurs, que je ne puis la méconnaître à celle seconde l'homme, il deviendra un instrument de salul ou de morl, une cui-
rencontre : la même tristesse sombre y respire encore ; il semble rasse pour proléger son sein, une épée pour percer son ennemi:
que sur ce front la mort a mis son cachet. mais si l'acier prend la forme d'un poignard, malheur à qui en ai-
—Il y aura cet été six ans qu'il a fail sa premièreapparitionparmi guise la poinle! Ainsi le feu des passions, les séductionsde la femme
nos frères, et il a voulu habiter ici pour expier quelque noir for- peuvent modifier el apprivoiser une âme forte; celte âme en reçoit
fait qu'il n'a poinl révélé. Mais on ne le voit jamais s'agenouiller sa forme et sa destination, elle demeurera telle qu'elle aura faite,
été
pour les prières du soir ni devant le tribunal de pénitence : il ne et avant de la plier dans un autre sens... on la briserait.
s'unit pointa nous quand l'encens on les cantiques s'élèvent vers
le ciel : mais il reste seul, méditantdans sa cellule. Sa foi et sa Lorsqu'après la douleuron trouve la solitude,le soulagement qu'on
race nous sont inconnues. Venu des pays mahomôlans, il a débar- en éprouve est faible; le coeur vide et désolé bénirait une angoisse
qué sur nos côies : il ne semble pas, toutefois, appartenir à la race> qui viendrait l'occuper. Nos sentiments veulent être partagés : le
d'Olhman, el ses traits annoncent un chrétien. J'inclineraisà voir bonheur même n'est que peine s'il faut en jouir seul, el le coeur qui
en lui un malheureux renégat, repentant de son abjuration, s'il1 reste ainsi dépourvu de sympathies doit chercher enfin un refuge...
n'évitait point nos saints autels, s il participait au pain et au vini dans la haine. Tels seraient les trépassés s'ils sentaient le ver froid
consacrés. 11 a fait de grandes largesses à notre monastère et s'estt rampant sur leurs membres, s'ils frémissaient au contact de l'inseclc
ahisiassuré la faveur de l'abbé : pour moi, si j'étais prieur, je nes immonde qui vientles ronger pendant cet affreux sommeil, sans pou-
souffrirais pas ici cet étranger un jour de plus, ou je le renferme- voir écarter les convives glacés qui se nourrissent de leur argile; tel
rais pour toujours dans la cellule de pénitence. Dans ses visions, il1 serait l'oiseau du désert qui s'ouvre lui-même les entrailles pour
parle souvent de jeunes filles enseveliesdans la mer, de sabres qui sei calmer la faim de ses petits, et qui ne regrette pas la vie qu'il fait
heurtent,d'ennemis en fuite, d'outrages vengés, d'un musulman expi- passer de ses veines dans les leurs; tel il serait, si, après avoir dé-
rant. On l'a vu s'asseoirseul au sommet d'une falaise, et là s'imaginert chiré ce sein maternel, il trouvait son nid vide et ses nourrissons
qu'une main sanglante, nouvellement coupée et visible pour lui seul,, envoies. Oui, les plus vives souffrancesque le malheureux puisse cn-
venait lui montrer sa tombe et l'inviter à se jeter dans les flots. I durer sont
un ravissement ineffable, comparées à ce vide affreux,
OEUVRES COMPLÈTES DE LOBD BYRON. 79
.

ce désert stérile de l'âme, à cette désolation d'un coeur inoccupé. tristementla détonation prophétique pendant que sa troupe se diri-
ti
ni voudrait être condamné à contempler un ciel sans nuages et geait vers le théâtre du massacre. Du reste, i! est mort dans le tu-
gi
ins soleil? Oh! plutôt le mugissement d'éternelles tempêtes que multe
n de la bataille, quand on ne sent ni fatigue ni souffrance : un
'avoir plus à braver les vagues. Mais se voir jeté, après le combat ci vers Mahomet, une prière à son Dieu, et ce fut lout. H m'avait
cri
es cléments, naufragé solitaire, sur une côte offerte par le hasard, reconnu et heurlé dans la mêlée... je le contemplai couché dans la
ri
ans la tristesse d'un calme inaltérable, au fond d'une baie silen- poussière,
p et j'assistai au départ de son âme : quoique percé commele
l'épieu
ieuse, destiné à dépérir lentement loin de tous les regards... plutôt tigre
ti par du chasseur, il n'éprouvait pas la moitié de ce que
necomber sous la foudre que de mourir ainsi pièce à pièce! j'
j'éprouve maintenant. J'épiai, mais en vain sur son visage les con-
vvulsions d'une âme blessée : tous ses traits, exprimaient la fureur,
« Mon père! tes jours se sont
écoulés en paix, dans d'innombra- a
aucun ne trahissait un remords. Oh I que n'aurait point donné ma
îles prières, comptées pourtant aux grains de ton chapelet: ab- vvengeance pour lire le désespoir sur cette face mourante, pour y
oudre les péchés des autres sans éprouver loi-même un remords ou voir
v ce tardif repentir qui ne peut plus dépouiller la tombe d'une
m souci, sauf ces maux passagers qui sonl notre commun partage, tel sseule de ses terreurs, ne renfermantni consolation pour cette vie,
i
élé ton sortdepuis les jeunes années, et tu bénis le ciel de l'avoir ni
n salut dans l'autre !
nis à l'abri de ces passions farouches el indomptablesque les péni- « Le sang est glacé chez les fils d'un climat froid : leur amour
ciils sonl venus le montrer eldont les crimes et les douleurssecrètes cesl à peine digne de ce nom : mais le mien était ce torrent de lave
estent ensevelis dans Ion sein pur cl miséricordieux.Quant à moi, qui
c bouillonne dans le sein enflammé de l'Etna; Je ne sais point
nés jours, peu nombreux, ont connu bien des joies, mais encore vanter,
i dans leur puéril langage, les charmes féminins el les
ilus de maux : et pourtant ces heures d'amour et de combat m'ont Chaînes
t de la beauté ; si des joues qui pâlissent, des veinesqui s'en-
Icrobé à l'ennui de la vie Tantôt me liguant avec des amis, tantôt t
flamment, des lèvres convulsives, mais non gémissantes, un coeur
;nlouré d'ennemis, je ne pouvais souffrir les langueurs du repos. prèl
| à éclater, un cerveau en démence; si des actes d'audace et
[lien ne me reste aujourd'hui à aimer ou haïr, rien ne ranime plus i acier prêt à la vengeance ; ce que j'ai senti, ce que je sens en-
Un
en moi ni l'espoir ni l'orgueil, et je voudrais être l'insecte le
plus core :- si tout cela révèle l'amour cet amour élait le mien ; et des
<
hideux qui rampe sur les murs d'un cachot plutôt que de passer dans indices
i ,
plus terribles encore révélaient ma passion. Je ne savais ni
la méditation mes tristes et uniformes journées. Et pourtantjo sens me
i plaindre ni soupirer; je ne songeais qu'a posséder ou à mourir.
poindre au-dedans de moi un désir du repos... mais d'un repos dont Je meurs... mais j'ai possédé : arrive ce qui pourra, j'ai connu le
je ne voudrais pas avoir conscience. Ce voeu, mon sort doil bientôt iJionheur. Accuserai je maintenant la destinée que j'ai choisie?
l'accomplir; bientôt, je dormirai sans uu songe de ce que j'étais, de Non... dépouillé de tout, mais ne souffrant que du trépas de Leïla,
ce que je voudrais être encore, quelque criminelle que te paraisse qu'on

' m'offre de nouveau le plaisir et la peine je voudrais vivre
mon existence. Ma mémoire n'est plus que la tombe d'un bonheur pour
] aimer encore. Je gémis, ô mon saint guide,, non sur celui qui
cleint, passé : lout mon espoir est de m'éleindre de même, et il eûl meurt, mais sur celle qui est morte : elle dort sous la vague er-
mieux valu mourir avec lui que de traîner si longtemps une vie lan- rante... Oh! que n'a-t-clle une tombedans la terre : ce coeur brisé,
guissante. Mon âme n'a point succombé sous ses peines cuisantes et celle tète palpitante, iraient chercher et partager sa couche étroite.
sans trêve : elle n'a poinl cherché le repos dans une tombe volon- Leïla était une lumière vivante : dès que je l'eus aperçue, elle de-
taire comme plus d'un insensé des temps antiques ou modernes. Et vint une partie de mon regard, et partout où se tournait ma vue
pourlanl je u ai jamais craint la mort : elle in'eûl été douce au sein elle se levait devant moi, étoile du matin de lous mes souvenirs!
des combats, si j'avais cherché les dangers pour la gloire et non «Oui, l'amour est en effet une lumière des cieux, une étincelle
pour l'amour. Ces dangers, je les ai bravés, non pour de vains hon- de ce ieu immortel que nous partageons avec les anges, et qu'un
neurs : il m'est indifférent de perdre ou de gagner des lauriers; Dieu nous a donné pour détacher nos désirs de lu terre. La piété
je les laisse aux amis de la renommée ou des succès mercenaires : nous élève vers le ciel ; mais le ciel lui-même descend en nous
mais que l'on place encore devant moi un prix que je juge digne de dans l'amour; sentiment que la Divinité nous communique pour
mes efforts, la femme que j'aime, l'homino que je hais; et pour purifier notre êlrc de sordides pensées; rayon du Créateur qui
sauver l'une ou tuer l'autre, je me jetterai sur les^ms du destin à forme autour de l'âme une glorieuse auréole ! Sans doute mon
travers le fer et la flamme. Tu peux en croire un homme prêt à amour était impartait, comme toul ce que les hommes appellent à
faire encore... ce qu'il a fail déjà. La mort n'est rien : l'audacieux tort de ce nom ; à ce litre, qunlilic-lc de péché, de lout ce que tu
la brave, le faible la subil, le malheureuxl'implore. Que ma vie re- voudras : mais, avoue-le, le sien n'élail pas coupable. Leïla était
loiirne donc à celui qui me l'a donnée : puissant et heureux, je n'ai l'étoile polaire de ma vie : cet astre éteint, quel rayon pouvait in-
poinl fléchi devant le danger..: le ferai-je maintenant? terrompre ma nuit? Oh! que ne peut-elle luire encore pour me
guider j fût-ce à la mort ou à des maux plus terribles! Pourquoi
«J'aimais cette femme, ô moine; je l'adorais... mais ce sonl là l'étonner si ceux qui ont perdu tant de bonheur dans le présent,
j tics mots que lous peuvent répéter... moi j'ai prouvé mon amour tant d'espoir pour l'avenir, ne peuvent porter paisiblement leur
\ autrement que par des mots. 11 y a une tache sur celle épée
: c'est douleur; si leur frénésie accuse le destin ; si dans leur démence ils
j du sang ; el elle ne s'effacera jamais. Ce sang a été versé pour elle, accomplissent ces actes épouvantables qui ne font qu'ajouter le
j(|iii était morte pour moi; ce sang animait lo coeur d'un homme crime a la souffrance? Hélas I un coeur saignant d'une blessure in-
Iabhorre... Ne frémis pas... ne plie pas les genoux : lu ne dois pas térieure n'a Plus rien à redouter des atleinles du dehors : déchu de
j mettre un pareil acte au nombre de mes péchés, lu dois môme
m en toul ce qu'il connaît de bonheur, qu'importe dans quel abîme il
j absoudre : cet homme élait l'ennemi de la foi. Le nom seul de Na- tombe 1 Vieillard, ma cruauté égale à les yeux celle du farouche
jzaréen était une absinthe pour son coeur musulman, ingrat et in- vautour : je lis l'horreur sur ton front : c'est encore un des châti-
|sensé! sans les épées maniées par quelques mains vigoureuses, sans ments qui m'étaient destinésI Oui, comme l'oiseau de proie, j'ai
|les blessures infligées par des Galilôens, ce moyen assuré de ga- marqué par le carnage ma roule ici-bas; mais la colombe m'a mon-
gner le ciel de Mahomet, les houris impatientes auraient encore tré à mourir... sans connaître un second amour. C'est enore une
| longtemps à l'attendre sur le seuil du Paradis. J'aimais celte femme... leçon que l'homme doit prendre d'êtres qu'il ose mépriser : l'oiseau
| l'amour se fraie des sentiers par où les loups eux-mêmescraindraient qui chante parmi la bruyère, le cygne qui nage sur le lac ne pren-
g de poursuivre leur proie: cl s'il ne manque pas d'audace, il est rare nent qu'une compagne, une seule. Qu'un coeur volage, inconstant
Pijucla passion n'obtienne point sa récompense...n'importe comment, comme les enfants dans leurs jeux, raille ce qui ne sait point chan-
où et pourquoi,je
ne m'en inquiétai jamais: quelquefois cependant, ger : je n'envie poinl la variété de ses plaisirs et l'estime moins que
saisi d'un remords, j'ai regretté qu'elle eût connu un second
amour ce cygne solitaire ; moins, bien moins encore que la beaUlé légère
« Elle mourut... Je n'ose le dire comment; mais vois... cela est'. qui l'a cru et qu'il a trahie. Cette honte du moins ne peut m'être îm-
écrit sur mon fronl. Tu peux y lire le crime et la malédiction de putée... Leïla, je t'ai donné toutes mes pensées, mes vertus, mes cri-
,flaïn gravés en caractères que le temps n'efface point toutefois:
: i mes, mes richesses, mes malheurs, mon espoir dans les cieux, mon
ÎIVJIn t de me condamner écoute-moi : je ne suis pas l'auteur, mais tout ici-bas. La terre ne possède rien de semblable à loi ; ou si cet
. i
la cause du crime. L'autre fit seulementce que j'aurais fait, si elle eûti être existe, pour moi, il existe en vain : pour un monde entier, je
e|é infidèle à un second amant. Elle le trahit, et il porta le coup ne voudrais pas regarder une femme qui te ressemblerait cl qui ne
;;
clle m'aimait, el je l'ai vengée. Quelque mérité fût le sort de serait pas toi. Les crimes qui onl souillé ma jeunesse, ce lit de mort
que i
celle femme, sa trahison était fidélité envers moi : c'est à moii lui-même... attestent cette vérité! Il est trop tard pour toute autre
lu'cllc avait donné son coeur, la seule chose que la tyrannie nes pensée... Tu fus, tu es encore le rêve délirant etohéii de mon coeur !
puisse enchaîner; cl moi, hélas! venu trop tard pour la sauver;
•ont ce qui restait à faire, je le fis ; je consolai son ombre
; « Et elle périt... et moi, je continuai de vivre, mais non comme
en im- vit le reste de l'humanité : un serpent enlaçait mon coeur de ses re-^
molant notre ennemi. Ce dernier trépas no me pèse guère : maiss plis el son aiguillon réveillait sans cesse ma haine. Indifférent au
Sf|n sort, à elle, a fait de moi un être que tu dois prendre
en hor- temps, abhorrant ions les lieux, je me détoureais avec épouvante
leiir. L'arrêt du meurtrier étail porlé... il le savait, averti d'avancei de la face de la nature; cal- toutes les beautés <pi m'avaient charmé
P«<r la voix du sombre tahir (1), à l'oreille duquel avait résonné i ne faisaientplus qu'éveiller les sombres douleurs de mon âme; Vous
I
!.,(') '-O tahir des musulmans connaît l'avenir par les sons qui arriventt faculté correspond en quelque sorte à la seconde vue du scer (voyant)
|uavance à sou oreille, comme la détonation des mousquets, clc. Celte3 des Ecossais.
80 •'*'ft >'KS VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

savez déjà tout le reste, vous connaissez toutes mes fautes et la radis; il ne me faut que le repos. Tout à l'heure, je vous le dis
moitié de mes douleurs. Mais ne me parlez plus de repentir; vous mon père, tout àblancl'heure je l'ai vue : oui, elle était vivante; elle
voyez que je partirai bientôt de ce monde, et quand même j'ajoute- brillait dans son linceul, comme à traversée pâle nuage brille
rais foi à vos pieux discours, ce qui est fait, pouvez-vous le défaire? l'étoile, cent fois moins belle, que je contemple comme je la con-
Ne m'accusez pas d'ingratitude; mais croyez-le bien, ma douleur templais. Je ne vois plus que confusémentsa tremblante étincelle;
n'est point de celles qu'un prêtre peut guérir. Il vous est facile de la nuit de demain sera encore plus sombre, et moi, avant que les
deviner en vous-même l'état de mon âme : mais, plus je vous inspire rayons de cette étoile aient disparu, je serai celte chose sans vie qui
de pitié, moins vous devriez me parler de ce sujet. Quand vous fait l'effroi des vivants. Je m'égare, mon père, car mon âme se pré.
pourrez rendre ma Leïla à la vie, alors j'implorerai de vous mon cipite vers la fin de la carrière. Je l'ai vue, moine ! et je me suis
pardon, alors je plaiderai ma cause devant ce haut tribunal dont levé, oubliant toutes mes peines... M'élançanl de ma couche, je la
l'indulgence s'obtient en payant des messes. AllezI essayez de cal- saisis, je la presse contre ce coeur désespéré, je la presse et
mer la lionne solitaire, quand un chasseur a enlevé de sa tanière ses qu'est-ce donc que je presse contre mon coeur? Ce n'est point un
petits vagissants; mais ne tentez pas de calmer de railler mon sein qui respire, ce n'est point un coeur qui, par ses battements, ré-
aesespoirt pond au mien, Et pour-
« Dans de plus jeunes tant, Leïla, ce sein est le
années, à des heures plus tient Es-tu donc telle,
calmes, quand le coeur ment changée,ô ma bien-
trouve ses délices à s'unir aimée, qu'en consolant
avec un autre coeur, aux mes regards, tu ne me
lieux où fleurit ma natale rendes pas mes embrasse-
vallée, j'avais l'ai-je ments? Ah! quelque gla-
? j'avais
encoreVieillard, un cés que soient tes char-
ami! je vous mes , n'importe! je veux
charge de lui transmet- serrer dans mes bras le
tre ce souvenir de notre seultrésorquej'aiejamai
jeune affection : je désire désiré. Hélas 1 c'esl un
qu'il apprenne ma fin : ombre qu'ils entourente
quoique des âmes absor- ils se replient frémissant
bées comme la mienne sur ma poitrine solitaire
dans une seule pensée ac- et, cependant, elle est en
cordent peu à l'amitié ab- core la, debout, en siien
sente , j espère que mon ce, et m'appelai)t de se
nom flétri lui est encore mains suppliantes I C
cher. Chose étrange I il sont les tresses de sa clic
m'a prédit mou sort el je velurc, ce sont ses y eu
lui ai répondu par un sou- noirs et brillants... Je s:
rire (en ce temps-là. je vais bien que c'était u
souriais encore), pendant mensonge... elle ne pu
que la prudence, me par- vait pas mourir!... Ma
lant par sa voix, me don- lui, il est mort. Je l'ai \
nait des avis que je enterrer dans le défilé,
n'écoutais guère : mais la place même où il e
maintenant la mémoire tombé. 11 ne vient pa
me répèle tout bas ces dis- car il ne peut percer
coursa peine compris au- terre qui le couvre; t
trefois. Dites-lui que ses pourquoi donc t'es-tu i
prédictions se sont ac- veillée? On mlavait
complies, et il frémira que les vagues caprici
d'apprendre ces nouvel- ses roulaientsur les Ira
les, et il regretterad'avoir adorés, sur tes .foi-
été prophète. Dites-lui chéries; on m'avait dit
que, si au milieu d'une c'était une odieuse fai
vie tristement agitée, j'ai selé ! Je voudrais répé
négligé les souvenirs des cette histoire que ma h
jours dorés de notre jeu- gue s'y refuserait : si
nesse néanmoins à est vraie pourtant, et
l'heure, de la souffrance,
tu quittes les grottes
et de la mort, ma voix l'Océan pour récla
:
défaillante eût essayé de une tombe plus pnisib
bénir sa mémoire ; mais oh! passe tes doigts 1
le ciel s'indignerait si le mides sur mon front
crime osait le prier pour il ne brûlera plus,
l'innocence. Je ne lui de- La soif de ma vengeance est apaisée. Je pars, mais je pars seul.
pose-les sur ce coeur
mande pas de m'épar- sespéré; mais ombre
gner le blâme : son coeur réalité, quoi que tu p
est trop grand pour ne ses être, par pitié ne
point respecter mon nom; va point, ou emp
et, d'ailleurs, qu'ai-je à avec toi mon âme
faire de la renommée? Je ne lui demande pas de ne point me pleu- loin que ne soufflent les vents et que ne roulent les vagues !
rer: cette froide prière ressemblerait au dédain-, et les larmes viriles
de l'amitié conviennent bien au cercueil d'un frère. Portez-lui seu- « Je t'ai confié mon nom et mon histoire, ministre de la p
lement cet anneau qui fut autrefois le sien, et peignez-lui... ce que tence ; ton oreille a reçu le secret de mes douleurs : je te rem
vous voyez maintenant: un corps flétri, une âme en ruines, un dé- de cette larme généreuse que tu m'accordes et que mon oeil de
bris du naufrage des passions, un parchemin effacé, une feuille ché n'eût pu répandre. Qu'on me couche parmi les morts les,
desséchée qu'emporte le vent de l'automne! humbles, et, sauf la croix placée sur ma tête, que ma tomb
porte ni nom ni emblèmes qui attirent l'attention de l'étrang
« Ne me dites plus que c'est une vision mensongère : non, mon arrêtent les pas du pèlerin. »
père, non ; ce n'élaitpas un songe, hélas 1 pour rêver, il fautdormir :
je veillais et j'aurais voulu pleurer; mais je ne le pouvais pas, Il mourut... sans laisser aucun indice qui. pût révéler son no
car mon front en feu s'ébranlait commemaintenant aux battements sa race, si ce n'est ce qu'avait entendu le moine qui l'avait assi
de mon cerveau : j'invoquais une larme, une seule, comme un don son lit de mort et ce que son voeu lui défendait de dévoiler. Ce
rare el précieux : je l'appelais et je l'appelle encore : le désespoir morcelé est tout ce que nous savons sur la femme qu'il a ch
est plus fort que ma volonté. Ne prodiguez point en vain vos sur l'homme qu'il a tué.
prières : le désespoir est plus puissant qu'elles. Cela fùt-il possible,
FIN DU GIAOUR.
je ne voudraispoinl être béni du ciel : je ne demande point le pa-
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON. \..^...._Jiiïil__lx' 8*

sécutions, l'exil et les larmes que j'ai versées sur toi. Mes autres
LA maux ne m'avaient point coûté de pleurs : car je ne suis point de
nature à plier devant la tyrannie d'une faction et les rumeurs de la
PROPHETIE DU DANTE ".
foule. Ma longue, longue lutte a été sans fruit ; je ne dois plus re-
voir ma lerre nalale, même pour y mourir, sauf loi sque l'oeil de mon
imagination,perçant le nuage suspendu sur les Apennins, me montre
cette Florence autrefois si fière de moi : et pourtant ils n'ont pas
vaincu l'Âme inflexible du vieil exilé!
Mais le soleil, quel que soit son éclat, se couche enfin, et la nuit
le remplace : je suis vieux d'années, d'actions, de pensées ; j'ai vu la
destruction face à face et sous toutes ses formes. Le mondem'a laissé
Aimable damel Si, pour la^lde^et bruiteuse patrie où je suis pur comme il m'a trouvé, et si je n'ai- pas encore recueilli ses suf- .
né, mais où je ne voudrais uaVmôurir, j'oseimiter le rhythme du frages, du moins je ne les ai pointhonteusement brigués. L'homme
père des poètes d Italie | outrage; ie temps ven-
et copier grossièrement I ge , et mon nom ne sera
peut-être pas un monu-
en caractèresruniques les .
ment sans gloire, quoi-
sublimes chants du Sud,
la faute en est à vous; que le but de mon am-
sans doule je n'atteindrai
bition n'ait poinl été d'a-
pas l'immortelle harmo-
Jouter une ligne de plus
nie du modèle, mais votre i la listevaniteusede ces
coeur indulgent me par- coureurs de renommée
donnera. Dans la confi- qui tendent leur voile au
ance de la beauté et de
souffle inconstant de l'o-
la jeunesse, vous avez Einion et mettent leur
ordonné : et pour vous, onneur à prendre place
parler et être obéie c'est dans les chroniques san-
une mêmechore... .cest glantes du passe avec les
seulement dans les chau- conquérants et tant d'au-
des régions du Sud que tres ennemis de la vertu.
s'enlendenl de tels ac- Ce que je voulais, c'était
cents, que se montrent de te voir puissante et li-
tels charmes, qu'un si bre, ô ma FlorenceI Flo-
doux langage s'exhale rence! lu fus pour moi
d'une bouche si belle... comme cette Jérusalem
Que ne tenterait point sur laquelle le Tout-Puis-
celui qui vous a enten- sant pleura : n Tu ne l'as
due? pas voulu I » mais si lu
avais écouté ma voix, je
t'aurais abritée sous mon
aile comme l'oiseau abri-
CHANT PREMIER. te ses petits. Loin de là,
commela couleuvresour-
Encore une fois rentré de et féroce, tu dardas ton
dans le monde fragile de venin contre le sein qui
l'homme! Je l'avais quitté te réchauffait : mes biens
depuis si longtemps qu'il furent confisqués ; mon
était oublié. L'humaine corps fut condamné aux
argile pèse de nouveau flammes. Hélas! cettema-
sur moi, trop vile ravi à lédiction de la patrie
1 immortelle vision qui combien elle est amère à,
soulageait mes douleurs celui qui voudraitmourir
terrestres. Cette vision pour ses concitoyens,
m'a fait traverserce gouf- mais qui n'a point mé-
fre profond d'où l'on ne rité de mourir par eux,
revient pas et où j'ai en- et qui les chérit encore
tendu les cris des damnés même dans leur colère.
sans espoir ; elle m'a Le jour peut venir où
montré ensuite cette au- Florence sera désabusée;
tre demeure moins dou- le jour peut venir où elle
loureuse d'où l'homme serait fière de posséder
purifié par -le feu peut celle cendre qu'aujour-
prendre un jour son es- Le Dante. d'hui elle voudrait jeter
sor pour se réunir à la aux vents, de transférer
troupe des anges: enfin dans ses murs la tombe
elle m'a élevé jusqu'au de celui à qui vivant elle
séjour céleste où ma bril- refuse un asile. Inutile re-
lante Béatrice a éclairé gret Que ma poussière
I
mon esprit de sa lumière ; alors gravissant d'étoile en étoile jus- demeure ou elle sera tombée : non, toi qui m asdonnéla vie, mais qui
qu'au trône du Tout-Puissant sans êlre foudroyé par sa gloire, je dans ta fureur soudainem'as repousséloin de toi pour aller vivreoùje
suis parvenu à la base de l'éternelle triade, de ce Dieu, le premier, pourrais, tu ne reprendras pas ainsi possession de mes ossements
le dernier; le plus parfait des êtres, mystérieusement triple et uni- indignés, parce que ta colère est passée et que tu as daigné rétrac-
que, immense et infini, âme de tout l'univers! O Béatrice, sur ton ter ton arrêt; non, tu m'as refuse ce qui m'appartenait, mon toit :
corps adorépèsent depuis longtempsla terre el le marbre froid ; pur tu n'auras pas ce qui ne t'appartient point, ma tombe !
séraphin de mon premier amour, de cet amour tellement ineffable Trop longtemps son courroux, s'armant conlre moi, a repoussé
et unique, que rien s'ur la terre ne peut plus toucher mon coeur. loin d'elle un fils prêt à verser son sang pour la défendre, un coeur
Si je ne t'avais rencontrée dans le ciel, mon âme eût continué d'er- dévoué, une âme d'une fidélité éprouvée, un hommequi a combattu,
| rer en te cherchant comme la colombe sortie de l'arche dont les travaillé, voyagé pour elle, qui a rempli tous les devoirs d'un bon
pieds ne pouvaient se poser nulle part pour soulager son aile fa- citoyen, et qui, pour sa récompense, a vu le perfide ascendant des
! liguée. Oh ! sans ta lumière, mon paradis eût été incomplet. Guelfes ériger en loi son arrêt de proscription. Dé pareilles choses
I
Depuis que le soleil a fait luiiemon dixième été, tu fus ma vie et ne s'oublient pas : Florence auparavant serait oubliée. Trop sai-
1 l'essencede nia pensée: je t'aimais avant deconnaîtrele nom d'amour, gnante est la blessure, trop profond l'outrage et trop prolongée la
et ton image brille encore devant ces yeux affaiblis par l'âge, les per- souffrance:mon pardon n'aurait plus rien de grand, et un tardif re-
pentir ne rendrait pas l'injustice moins criante : et cependant... je
(t) Composé en 1819, à Ravenne, près du tombeau du Dante. sens mes entrailles s'émouvoiren sa faveur ; et pour l'amour de toi,
PAMS. — lmp. LACOUR et C", ru* Stmfilot, IK «
>
82 LES VEILLÉES LITTERAIRES ILLUSTREES.

ô ma Béatrice! il m'est pénible de me venger d'un pays que j'appe- IL'homme ne peut avoir qu'une pairie, cl lu es encore la mienne:
lais ma pairie et qui fut consacré par le retour de tn'ceridrc •: comme rnés os reposeront dans ton sein ; mon âme vivra dans Ion langage,
une relique sainte; cetie cendre protégerala ciléhomicidé; el ta seule cpii jadis s'est étendu comme la puissance romaine par tout l'Occi-
unie suffira pour sauver les jouis-de tous mes ennemis .Comme le <icnt. Maisjcsiijirai créer un nouvel idiome aussi noble cl plus doux,
vii-ux'Marinsdans !lb* marais de Minturiics et pal-ini les ruines de t'gaiement propre: à exprimer l'ardeur dés jiéros'et les' soupirs des
Giirthage. il est-des' moments où mon-coeur est dévoré de l'i rosse iiimanis. Il 'trôWcra des sons appropriés
â tous lès sujets ; et Ions
brûlante du rcsscntimcnl; où un'songé m'offrele spectacle dcsdci- sses mots, brillants comme ton ciel, réaliseront les rêves les plus,
nières angoisses d'un lâche ciihcmPet fait rayonner sur'mon front iambitieux du poète. Alors tu deviendras le rossignol de l'Europe:
l'espoir-du-'triomphe..: Ecartons ces ~jieiisécsl•dernière faiblesse de iauprès du tien lous les idiomes seront comme le ramage des oi-
ceux qui; ayant longtempssotiiïcrl des 'maux'surhumains, ct-n'élaiil sseaux vulgaires, et loute langue s'avouera barbare en présence ik
au fond (pie des hommes, ne-liouventde repos que sur l'oreiller de la
1 tienne. Voilà
ce que tu devras à celui que tu as outragé, au bardi;
la vengeance;.. Oh fia vengeance,1 ce monstre qui's'endort-pour de i l'Elrurie;' nu proscrit gibelin. Malheur! malheur! le'voile des
rêver-dé sahg, qui s'éveille'avecla soif souvent trompée niais inex- Siècles i à venir est déchiré : mille ans qui reposaient immobiles,
tinguiblc-d'uiï changement de fortune, avec l'espoir de remonterau comme la surface de l'Océan avant que les vents aient soufflé, s'é-
pouvoir et de fouler à son leur sous ses pieds ceux qui l'ont écrasée, lèvent ondulant d'un mouvement triste et solennelef sortent du
pendant qn'A|é et-lâ-Mort inarchcront des fronts abattus et des J sein de l'éternité pour flotter devant mes regards : la tempêle .som-
iêl.es coupéesI.-.. Grand Dieu ! éloignedesur moi ces pensées : je remets I meille encore, les nuages gardent leur repos; la'jerre tifa point en-
entre tes mains mes'nombreusesinfurcs, cita verge puissante tom- core enfanté les fléaux que couvent ses entrailles, le chaos sanglant
bera sur ceux qui m'ont frappé. Sois encore mon bouclier, comme n'a point encore la vie : mais toutes choses 'se- préparent pour Ion
tu J'ns été dans-les dangers el les souffrances, au milieu des troubles châtiment. Les éléments n'attendent plus que la voix qui doit dire :
deç cilés et sur les champs de bataille, dans les 'travaux et les fati- « Que les ténèbres soient! » et aussitôt tu deviendras un tombeau.
gues que j'ai endurés pour l'ingrate Florence. J'en appelle déifia Oui, superbe Italie! tu sentiras le tranchant de l'épée : Italie,
pallie à !oi,àtoi que j'ai vu récemment entouré de t0.ujt=Tâpparéildè toujours si belle, qu'en toi le paradis semble refleurir pour l'homme
la puissance, dans celte vision glorieuse qui n'avait été accordée régénéré : faut-il donc que les fils d'Adam le perdent une seconde
avant mni à nul vivant. -'
'*"•- '-'='- fois? Italie, dont les campagnes dorées, sans autre -culture que les
Hélas! après ce sublime spectacle, de quel poids je sens peser sur rayons du soleil, seraient, déjà le grenier du monde : toi dont le ciel
mon fron.lel la lerre et les choses terrestres; dès pasàionS çoi-"ro|5vys, sp'p^are ^'étoiles plus brillantes, d'un azur plus foncé; loi', palais du
des scnliirenls Iristes cl vulgaires, les angoisses d'uii -$oebr qiâilbnl- 1 #p)ej).çlncrcenudu grand Empire ; toi qui ornas l'éternellecitédes dé-
pile dans'di's tortures morales, les longues journées, le^)îlj(s'li'Jcin'cs J pouillés dcs'ï'bis conquises par les hommes libres; patriedes héros,
de lerréurs, le souvenir d'un demi-siècle de sang cl de%fihe£, ci tempie'des saints : où la gloire terrestre d'abord, puis celledes cieux
l'attente de quelques pauvres années encore, amiées-fre vTeIi'jj#fSe et ont étal/irjeur séjour ; toi dont toutes les imaginations se .tracent
de déo'.nuagement. années moins dures toutefoisà siipjiortçl^qùç le d'avaiïcé'>ujje image que l'oeil accuse plus lard de faiblesse, quand
.passé. En effet, j'ai élé trop longtemps abandoiH.iëW.mmé^^tiaùi il te contemple en réalité du haut des neiges, des rochers el des -fo-
fragé sur le roc solitaire du désespoir pour sttlVre'cn'éiiré o'-hn re- rêts de pins des Alpes, ces forêls solitaires dont le verdoyant pana-
gard l'animé la barque fugitive qui vient dKiibîér"icft'l'OTi,cux che se balance au souffle de la tempêle. Car, de 1(1, le voyageur le
éçn.ci!, pour élever la voix en implorant une aide^raV pèreorWic ne couve du regard et appelle avec impatience le moment où il pourra
|irêierait l'oreille à mes gémisseinents-... Je ne suis lîf de rj^Jiè'uple, contempler de plus près les brillantes campagnes ; et plus il avance
ni'de ce siècle; cl néanmoins mes chants conscrver'oiit leWi'uvénir el plus il les chéri)'," p'I.fi's il les chérirait surtout si elles étaient libres.
de celle époque : pas une seule page'de ses turbulentes annalc^'ii'au- O Italie! lu ésHiohdlimhée à subir la loi de tous les oppresseurs : lc
i-ail fixé les regards de la postérité, si maint acic aussi insigiiilWnt Golh est venu.ïVïé-jGérVhain, le Franc et le Hun viendront à leur
.que ses ailleurs ne se Irouvaii embaumé dt(iis'%iè.s vers. .C'ë'sl'le sort lotir'. "Sur la''èd))i.newWérjâlc, sur le Palatin, son trône, le génie de
des esprits mon rang d'être
de tourmentés; d'ansçèlle yieî%é''con- la destruction';'wij& jÛïèr'dès exploits accomplis par les anciens Bar-
sumer leurs coeurs cl leurs jours clans desliitlçs ïiiçe|^nt!.fës Cl de bares, aitend leè,'n!o?uvè'aii)ii; il contemple à ses pieds Rome conq-usc
mourir dans -l'isolement : mais alors oh Voitdè^lWf^rS'âiîoihmes cl sanglante i'-lalVài'fifc'iii-1:|Ôes sacrifices humains infecte l'air qui élait
entourer leur tombe, des pèlerins y âccourcnf weê'pys Imn'.lajmfôù d'un si beau bléii'^'j'e'sbn^rougit les flols jaunes du 'libre chargé de
ils <>nl appris le noin... de celui (pii'n'ésI'-ni^wuïiMpm-.i'ii^b^i'iç 'çiii.lavi-csîlciuôtre^n'nsdéfensc, la vierge plus faible encore, -mais
prodigue à un marbre insensible I honiniMeMWrr'écoutéd(inégfi)ii'è ' Sloif m'oins sainle, se'sont enfuis avec des cris d'effroi et onl cessé
doni In mort ne peut jouir. Ali! cc.tl!è1'^^,i^^^'^\couÏ!i'^liilr: jc'ur'ihniislèrc. Ibères, Allemands, Lombards, tous ont saisi leur
mourir n'est rien; mais me voir dessécher^ i 'jrb'iç, et après
eux sont venus le loup cl le vautour plus humains
finie de ses-hautes régions, marcher:tftes''tous ccV^è)jt|<(hôinrhéj peut'-e(fi-'e : car cesVrWmaux nc ro,,t m,c dévorer la chair et h ire le
(Unis leur- étroits sentiers, être un vUJfjih-c spccincle%ù| yeux ics i sangles nibr.ts, pû$ ils s'éloignent; mais les autres, les sauvages
plus vulgaires, vivre errant, quand Ics'IoMs çux-inênlfcS ont jëii'r ia- ^ïaçè'iîfuViYâihp ^sbiènt lous les genres de torture, el toujours in-
nière; me voir privé-<le famille, de foyc^dc loulcsl%eàiiè,hô§fes qui saliiibléil; dèybiiés'â?iihe lïiim pareille à celle d'ilugolin, ils cherchent
foui le charme de la société humainjp&l nllçgont la^.dufé^V; me ' 'encoré''îl.c nbùvéllès'l.Vicliines.
. sentir isolé
comme un munarque èï-T'^voir ni pui&ahcc ûi 'cou- '. Nénf'hiis laïùirê'se lèvera sur ces horribles scènes. L'armée qui
locne; envier à la colombe et son mu^ct ces' ailes dur peuvent! la suivait lîl haunièr'c'-xPùii prince félon a laissé à-tes portes le cadavre
porter aux lieux où'.les-Apennins sc^'mirent dans l'Â%io.L.-'H'cn- de son éhef : si lé^bnuélable rebelle eûl vécu, peut-être nurnis-iu
;iT!ix «îiscaiijMI va se reposer peut-être sur les murs de celte ville élé épargnée: mais son sort a décidé du tien. O Rome ! loi qui tonr-à-
in.ip.l. cable où sont encore mes curants, où vit cote femme fatale à tournèpouillasIaFranrcoul'enrichis ilelcsdépouilles.dep.ufs11rciinus
rnajdeKjinée, leur mère; la froide compagne qui m'apporta pour dot jusqu'à ce prince de Bourbon, jamais, jamais un drapeau étranger
j,a ruine... Ali,!voir et sentir tout cela, el savoir qu'il n'y a point de ne s'approchera do tes murs sans que le Tibre devienne un lleove
rçmièdè îi ces maux, c'est une leçon bien anièrc. Mais je suis de deuil. Obi chaque fois que les étrangers-franchiront les Alpes et
libre, je .n'ai à m,e ^reprocher ni'lâcheté ni bassesse : encore ils ont fait de le Pô, écrasez-les, ô rochers; engloutissez-les,ô flots, et que pas un
îuoi un exilé... et non un esclave. n'échappe ! Pourquoi donc sommeiller, oisives avalanches, ou écra-
ser le pèlerin solitaire? Eridan , pourquoi tes flots bourbeux ne
débordent-ilsque sur les moissons? Chaque horde barbare ne l'offre-
t elle pas «ne proie plus licllc 9 Le désert a englouti l'armée'de
Cambyse dans son océan de sables ; la mer a roulé dans «..-s flols
CHANT II. .Pharaon' et ses milliers de soldats : montagnes et fleuves, que ne
i. ) .»'.'s y.- faites-vous ainsi 1-
El vous hommes, vous Romains, qui n'osez pas mourir; fils
L'cspiii.t religieux des anciens jours donnait aux paroles un sens des vainqueurs de ceux qui onl vaincu l'orgueilleux Xercès, les
qui passait dans les faits : alors la^pensée éclairait les-.lénèbrcs de Alpes soiit-clles plus faibles que les Tbermppyles? Qui des Alpes
1 avenir cl dôvoijail aux gommes la destinée des enfants de leurs en-
ou de vous ouvre un passage à lous les envahisseurs . et sans in-
fants, évoquée de l-abiine.des temps à naître, do ce chaos d'événe- quiéter leur marche les laisse pénétrer dans'le coeur du pays? Eli
ments où dormclil ébauchées les Termes quidojvent devenir moi-- quoi! la nature elle-même entrave char du vainqueur et rend le
tti-l',es : cet csprit.que portaienten èu'x les'grands prophètes <lTs:àël, votre pays inexpugnable, si jamais pays pouvail l'èire par lui seul :
je le .piirie aussi en moi: Si je dois avoir le sort dé .imssaiidre, si au mais la nature ne combat pas seule1: elle aide le guerrier digne de
milieu du tumulte des Jutlcs-humaincs personne.n éillénd- celle voix sa naissance, sur un sol où les mères mettentau mondedes hommes;
qui.;s.'élçvç du déserj, ou si I'ç.niend-cin.l personne ne vêul croire'ce elle ne fait rieil'pour des aines1sans énergie-.des forteresses nfe sau-
qu'ele iin.non.ee. que la faute en re.loni.be sur eux -et-qué ma con- raient-.lés protéger : le Irou du pauvre reptile, qui a conservé son
.soienii.efsalisf-iite suit ma récompense, la seule que j'aie jamais con- aiguillon est plus sûr que des murs de diamant non défendus par
n.u;è.-ÎS';asr,li.]pas assez igné.,--cldois-;tu saigner encore;-'ô-Ilaiic?
s le- courage. -.Et du courage, vous en uyeî sans doute ? Oui, la terre
.
A.h I l'avenir qui se'découvre à moi; sous'une clarté sépulcrale, me d'Âusoiiie a des coeurs, des mai-iS, des armes, des guerriers à op-
Tait oublier-.mes jn-opres infortunes dans les-^irréparables malheurs. poser à 1;oppression : mais .tout cela est vain tanjt que la .division y
.
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON. 83

cnie le malheuret la faiblesse, semences dont l'étranger •^!if'h recueillera ainsi condamné à chanter l'accompagnementqu'entonne la flatterie,
c
fruit. ' '" •>' - ' - ^<» '"•""- "--> f! '"'»' '" '" ' "'-• ' "? il travaille, il s'agite, craignant toujours de se tromper. Redoutant
0 ma patrie, ma belle pairie! si longtempsabattue, si longtemps le qu'une noldc pensée, ange de rébellion, ne surgisse dans son cer-
[oinhcnii dès e'spéTanèes'dctes1entants, qti'and?ilt'ne faudraitij'ue-frap- veau, et que la vérité, crime debaiiletrahison, ne bégaie dans ses
nerun-sculconp pourbrisertachaîne\M lit'cependahtiè vengeui-ne vers, il parle comme l'orateur athénien, avec des cailloux dans la
Siciiiïpas- La disedrdêsetilè do'uteséglisseiit'cntreloiëttc§véritables bouche. Mais parmi les nombreux faiseurs de sonnets, quelques-
amis et'Téunissent leuhS fiircesàcellcs^qùi conibailent'-'coriirè 'loi. uns:né< chanteront^às'cirvain :: leur maître abolis'(1)preWdrtfplace
Que faut-il pour que tu sois-libre-elque ta-beauté'brillé de'tôut son 1à"mescôlÉs;"L?aihourTera'Son
' tourment; maisses'-iafmes'dèvieti-
celai?..'.-{liie'!Ies-Alpes!idevienn'cnteinfranchissables: et'n'eus, tes dront immortelles fl'Italiè'salueraeh lui le premierdésl poMcs' amou-
enfants, nbusn'avonspour cela qu'une -chose à faire.:: nous unir. reux; elles -chants plus nobles qu'il 'àûraêb'nsàèrégàfejibeHédé-
coreront son'ïrbntd^uné aussi verte çôurônnjei!i'! *' '' 'h'-'' v ",
•Mais plus tard'naîtrontsurles bords de TErïdan deux poètesplus
grands:encore: le môndb'/:quiolavait''soù'fi;ûlîletir''1prêdéèe'sseù'r,
les'persécuterajusqn!aii'jour:où ilsrhe! seront plusPqué'cMdre~:ètre-
ÇHAJMT III. poserontaveesmoi.'^'''' ' <
;"; ','"! ir,i:" ''' <•'' f('|,!ï "- '',|',5
••' La -lyrevdu ^premier (2) enfantera tout un siècle et remplira la
terre de'lmûls*fa'ils'de chevklé'rie;>:s'oniimaginà:ii'ô'ùvsefa'unr,àrrC'-en-
Parmi celle masse de fléaux sans cesse renaissants, la peste, les ciel ; son feu^ poétique sêra;le''feû 'célësley'itnmôi'tei; ét'-sà p'én'àée
princes"et l'étranger, vases de colère qui ne se vidêntque p'oïir-'se volera1sur uiie-aileinfatigàblerlè^plàisir, cbhfime un 'papilloii'noù-
remplir et s'épancherde nouveau, je ne puis retracer toût'ce'qurse vellement captif •"Sccouêrà'sés ailèsbrillantes1sur'les'fantaisies'de
messe devant mon-prophéliqueregard. La terre et TOééàn'ii'bffr'i- sa -m'use;-et-dansla l'ranspare'hcéî'deSés-beàUx (êves ràït^é'vièrtdfa
raient pas un espacé assez grand'poury:transcrire de pareilles an- une aùfre-natnre;'; r;"v;' ' '-'-^ ':r- "*,,! ''''*'''' '''': f! ' -'!t' H'';7 ;-"'•>
nales : et pourtant tout S'accomplira:' Oui ."tout 'estiécrit!8'!ayartcë, '• Le second'(3), doué d'un génie plus, tendre et plus mélancolique,
mais non par une main mortelle, dans ces lieuxoù'lefc'deï'nî'éré'so- épanch'era"touteso'n!âmeisûr"'''Jéï-usalëm'';til!'è"hà'ntcra' àUSsiTés'com-
leilset'les dernièresétoiles prennent naissanceMàV'déplo'yé'e'côîiime bats'etdilate sang chrétien répandu âùxTiëux ôùsaig'ïiàié.Chrîàt.
une bannière à la'porte des cieux', flotte la"list'e: sà'nglaiite'dc'tYos Sa :noble hàrpe-,';aurpied"0es1f'saulès'daJèùk'daid,!'férà''i'6yivré les
injures dix fois séculaires; l'écho de nos gémissem'ê'nfspè'rcë''à chants-deSion. La- lutté âcharn'éëi'letl-ioniphedès pieux guerriers,
travers les concertsdis archanges; et lesangde l'Halle, de là'nàtioîn leséffor'is"de 1 enfer péur''dét6Urrier lèlirs Soeurs' de'cette^g'raride
martyre , lie s'élèvera pas:en vain Vers les demeureséteriiëllès'de entreprise,- et enfi ri les bannièresà là' croix rôugë'flottàn'l'yilçtorièùscs
: l'omnipotence et
de la miséricorde. Comme iinè liarpc 'dont les aux lieux où la-prénriière'croix fut 'roug'iê 'd'û<'s'aftgdë'celui'qui'moii-
cordes résonnent au souffle de la brise, la voix deses lamehlâlion's, rut potir lesalùt*dHSlïoifnmes: tel serà'le S'ùjet'sacré dé'sdii poôinê.
i dniniiiant les choeurs des séraphins;' ira toucher la grande-âme de Sa jeunesse; là 'faveur dii prince', sa liberté -perdues,&i 'gloire liiêine
'• l'univers. Et cependant, moi, le plus humble de'tcsenfanls'l'nioi, momeiitaiiément contestée'(Câ'r l'adulation des côiii-s glissëi'a'sUr'sbii
| créature d'argile que le contact deTimmortalitéui'i-endUcapable de nom oublié, et appellera sa captivité'un acte dé bicnVëiljâiicè'dés-
j scntimenls'plus puis et plus vrais, dussent les superbesrailler, lès tinô à le sauver delà démence et de lahonte) : tellë'sè'ra sa-'i-ééôm-
i tyrans menacer et des victimes plus résignées ployer devant Te pense. Digne palme, en effet,' pbui- celui qui futenvoyé'sùi- la-terre
I souffle croissant de la tempête ; c'est à toi'jô-mon' pays /toujours comme le poète du Christ ! Florence n'a prononcé.contre,inol'qù'e
| chéri comme autrefois, c'est à toi que je consacre la'lyre plaintive le bannissement ou':là'rtlortï'Ferràreiui 'donnera iift'câchdl et la
î el le triste don de prophétie que j'al'rcçus1 d'en haut. Pardonné, si pitance des prisonniersi'irailementplus cruel et'moins in'é'rifé;'cài',
; maintenant mon feu n'a
plus l'éclat dont5il brilla jadis pour loi ; j'e moi; j-avais' blessé- les factions en tâchant de lès câliner;-mais'cet
i n'ai qu'à prédire tes malheurs etpuis'à' mourir: ne crois pris -homme- si doux, qiilrega'rde' la terre coinmè leciel, avec lés 'yçrix
j qu'après-un- tel spcctaclc-je-consente à'>vivre CnCôré. Un pouvoir in- d'uiiumànl, et qùidaigtié émbâu'mer'dàns ses'divines flàttèi'iès
1 visible me conlrnint à'regarder et à parler, et' pour ma 'réconi- l'être'le>pluschélif qrii' fiit'jamaisCréé po'ur'-rég'her^'qti'à-t-il"fait
| pense il m'accorde la mort:'il-faut'que mon coeurs e'paiiche'sui-toi \ pour s'allirer un'paréilchàlînient? Peut-être à-t-il aiihéT.'...'i Ali'!
g et se brise.-Mais uii'iriomenl'encorey'avant-derèpre'ndre'la sombre
, l'amour malheureux'"n'esl-ilpas' un tourment1.assez'cruel saiis le
p trame de les maux, je veux saisir au plissage losïu'eUlVplùsi'doûee's 'faire descendredans une tombe viVantè?'Et,cependant, il en sefh
p qui percent les ténèbres, quelques étoiles et plus d'un brillant iné- ainsi .'lui ets*on"rival;le bftrde dé la clièvulerie|'cOnsiùiiièrohldel'oii>
i téore brillent dans ta nuit; et sur ta tombe s'inclinent des marbres gués années1dans la pénfirie etla dôuléiirrct moiirant;dëcoûràgês,
I- (ivanls, beaulés que la mort ne peut flétrir ; de les cendres enfin légùeront"à ce 'mondé; qui 'à peine daigri':ra' leur accorder [:ùiie
sî surgissentd'immenses génies, qui lotit ta gloire et l'honneur de la larme; un hérilage propre à enrichir toute la'racé à' vêhir'en lui 'irY-
\ lerre. Ton sol enfantera toujours des sages, des esprits, aimables fusitnt l'âme de deux Véritables'poêles. En même temps ils orneront
, leur palriB:d'une doublé couronne que les siècles iië'pourrôiit'flé-
; des savants, des coeurs magnanimes cl braves , aussi naturels chez
] toi que l'été sous ton ciel; vainqueurs sur les rivages étrangers et trir. LâGrëce 'clle--mêmè1,néipëutmontrer dans'la longue saile do
'} sur les mers lointaines, découvreurs de nouveaux mondes qui por- ses olympiades-des noms pàreils:à ceux-là, quelque grand que sort
i tiTonl leurs noms : tu es la seule que leurs bras ne puissent sauver, le premierde ses poètésï.: Et voilà donc, Soùs lo'S'oléil,' là deslinô'a
^ et loute ta récompense est dans -leur renommée, 'noble prix pour de'tels'hommes I Voilà- le prix''qu'obti'ennén'tles-penséesiés- plus
i eux, mais non poû'r'tôi: Doivent-ils donc gràiidîr
sà'n's'&esse, el loii sublimes ;' uné: sensibilité palpitante, 'u'n"s'ahg' qui-"coure danS'Vçs
'i rester toujours la'méme T' "*' "' """ "' s" vcinésàveela rapidité de lâ^foù'di-e, un' côïps'mertic'rédUi^èii'iùjfé
;! Oh! plus illustre qu'eux tous sera le mortel et peut-êlre, àL à^Torce-de sentir'ce qui est ct'dlniaginëf ce1 qU'Pdevrait' èf^.? Ëh
i cetle heure, est-il déjà né... le mortel sauveur qui pourra l'affran- quoi! le rude ouragan,dispersera-t-i! toujoursle brillant n^m^gédè
\ chir el replacer sur ton front lé diadème défiguré, el porte par de; ces''Oi3éaux-' de= paradis?'1Oiiïi 'et- il en •;doit,iêtré"àliïsi; càf^iôrniôs
| modernes Barbares : il verra un doux soleil ramener Ion aurore, l'au- d'une'niatièrê'trop"'péiiét'i'àble,'ils n'aspii-eiït''qu'à rénVotUëV vers
l rore de tes vertus, trop longtemps voilée par des nuages et d'im- leur demeure natale ;'ilsrsehtent bieh'tOl^qùèies'hrô^îllâ^li dfe1 ia
; pures vapeurs
sorties de l'Averhe, "vapeur que respire quiconque estt terre néconviènnèntpasMéUr'ailé purej-'èt ils mèùrèrjtjrjii s'àvf-
1 avili par la servitude et laisse emprisonner son âme. Néanmoins, lissent;car l'âme succombe ùiOne,ihfëc'lionitrôp durable": lé dé^cs^
î durant celle éclipse séculaire, quelques voix retentiront, auxquelles ,
i poir et lès passions1;- itnplaêablfesVautours1, suivant 'de près leur
Ha terre prêteral'oreille*,îles poèics-su'ivrônt, élargiront le sentier;• vol, épientile moment^é'1lé's,assaillir1èt!ide Tcs":'dë'chirer;'èt'lbps,
que j'ai tracé : ce ciel brillant, qui sollicite les concerts des oiseaux, qù'enfin^esvoyageursâilés's'àbàtténï sôus "un-dèriiiërebhp dé vèrif.
leur inspirera des chants àla.fois nobles et naturels : leurrhylh'me j alors'Vieriti lé "triomphe!dèg; ôisëàùxdé' proie; "àlôi-s ilg'-'fo'ndfent sur
sera plein d'harmonie :, la plupart diront l'amour et quelques-uns 3
leurs victimes«t's'en'parfàgénli-lesidépdUilItes, (juëlqnesiûris poùi1-
, la liberté;
mais .bien peu sauront s'élever sur les ailes.de l'nigle-fet, tant ont puéchapper, Sprè's à'Voii1 appris à sbûfl'rtr; quelqùés-Uhsiiié
comme,lui, regarder la-face du soleil, libres et intrépides comme' le,> se sont jàmai9\labs'é abattre'"et ohfsù se' t'csi'siei,iîàrërix*imèuiest'':
nona'rque;des,cieux.Beauçoùpraseiiontdéplus près la teri-eiîcom- tàGhe- difficile, la plusdifHCîlë'tle1toutes ll'OuH'^'S'ëh est trouvé;- de
liien de phrases pompeuses seront prodiguées-à quelquepelilprin'ce! ! ces hommes.setisimOnrnom'1pôUvatt:'figlirer, parmi1les'lëtfrs; Cetfè'
combien de fois le langage, éloquemment imposteur,- .attestera-Wl I destinée austèrej'mais'sereînèj'ïhéi-endrait phis'fiër qu'ùné'âestinéè;
l'impudeurdu génie, qui,! comme la beauté, peut oublier le respectt plus brillante et moins - {juré.* lies sommetà riëigeùx' des Alpes sont
<!elui-mêmeet.se faire de la prostitution un Revoir !. Quiconque entre i plus près du ciel que :1e 'cratère1 Sauvage1 ët^èrnbi-asè'd'un"volcan
convive dans le palais jl'ùn tyran y reste esclave;, sa penséénestt qui projette,-dufond dùsombre-ablrhë^sàspléTïde'ur'ëirjjpruU'téè1: lia'
conquise, et,Ici prémier'jourquijfait un- captifYlu.i ravit la moitié,de> montagne intérieurement'déchirée1laissëiar'racHëiiidésrJÎlsein'brû:-
sa itjrce virile .: Lai castration de-l'âme âuioliil, son. courage': c'estt lanfc et torturé une flamme pàss'agëféyéUê;!bi'iirév béndahf ùti'é' nuit
pourquoi lé barde, placé trop près du: trône-,-perd.le-souffle-inspi- --.
de4ërrèùrs!imaisbientôt1- êllfef;ràppèllé"'^es**fëù')C;';dân^!4èù'r(iérïfèr;
râleur, car il doit se borner à plaire... O tâche servile! ii faut polirr •-. natal; dans l'enfer étemel dé'Besehtt-aille's?"10'iloa iSj ';°'1W"' «!s yii
«les vers
pour .caresser les gpûls et-charmerLlqs loisirs d:Un royal1 „,v. «;,n M,i,.-,.:-„rt0fSMai:i-.9î_j!(..Svie
j maître- ne rieritrailer trpp.lbngueinent,saùl son. éloge, et trouverai i'' '.-' - .
l saisir, forcer ou inventer dés'sujets qui lui plaisent! Ainsi garrotté, 1 (l)Pélrarque. — (S) L'Arioste.—(3) Le Tasso.
,
;^ - ,T-'-1 r-. «î ,rs! - <>. '.-
ftii.10! «"î-uai-L'>-:-?.J:Ci .--.'•; fini-'
LES VEILLEES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

la
la douleur, ou à n'arriver à la grandeur que par le chemin de la
honte,
hi en cachant sous de brillantes chaînes une flétrissure pro-
CHANT IV. *
fonde? Et d'un autre côté, si leur destinée les a placés dans une
Eosition plus haute ou si les tentations n'ont pu les arracher à leur
niumble condition, pourquoi faul-il qu'ils aient à soutenir dans le
Beaucoup sont poètes, qui n'onljamaisécritleurs inspirations, et fond
fc de leurs âmes une épreuve plus terrible encore, la guerre inté-
peut-être ce sont les meilleurs : ils ont senti, ont aimé et sont morts ri
rieure d'ardentes et profondes passions?
sans léguer leurs pensées à des âmes vulgaires; ils ont comprimé O Florence, quand ton cruel arrêt fit raser ma demeure, je
le Bien renfermédans leur sein etsont allés rejoindrelesastres, non t't'aimais; mais la vengeance lenfermée dans mes vers, la haine que
couronnés des lauriers de la lerre, mais plus favorisés que ceux qui m'inspirent
n tes outrages, haine qui s'accroît avec les années el ac-
se sont laissé dégrader par le tumulte des passions et qui ont atta- cumule
ci mes malédictionssurta tète, voilà ce qui vivra, ce qui doit
ché à. leur gloire le souvenirde leurs faiblesses, vainqueurs de haut survivre
si à lout ce que tu chéris, à ton orgueil, à tes richesses, à ta
renom, mais couverts de cicatrices. Beaucoup sont poètes, sans en liberté
H et même au pouvoir des chélifs tyrans qui te gouvernent;
porter le nom : car en quoi consiste la poésie, sinon à puiser des fléau
fl qui est le plus grand des maux d'ici-bas, car ce ne sont pas
créations dans le sentiment énergique du bien et du mai, à cher- h rois seuls qui savent opprimer les peuples, et les démagogues ne
les
cher une vie extérieure au-delà de notre destinée, et à ravir, nou- hle cèdent aux monarques les plus cruels que par la courle durée de
veaux Promélhées, le feu du ciel pour le communiquer à de nou- hleur domination. Dans toutes les choses fatales qui font que l'homme
veaux hommes? Trop tard,hélas1 nous trouvons que mille douleurs s hait lui-même et que les hommes se haïssent entre eux, en fait
se
viennent payer ce présent : le bienfaiteur est puni d'avoir prodigué d discorde, de lâcheté, de cruauté et de tous les fruits qu'a portés
de
ses dons; et il reste enchaîné sur le rivage à Bon roc solitaire où 1l'union incestueusedu Trépas avec la Corruption sa mère, pour tout
des vautours lui dévorent le coeur. Soitl nous savons souffrir. Ainsi c qui constilue l'oppression sous ses formes les plus hideuses, lc
ce
tous ceux dont l'intelligence toute puissante s'affranchit du poids chef
Ç d'une faction populairen'est que le frère du sultan el le cruel
de la matière ou l'allège et la spirilualise, quelle que soit la forme i
imitateur du pire des despotes.
que revêtent leurs créations, tous ceux-là sont poètes. Le marbre Florence! mon âme solitaire a bien longtemps brûlé du désir de
animé peut porter sur son front éloquent plus de poésie qu'il n'y retourner
i vers toi en dépit de tes injuies, comme un prisonnier
1brûle d'échapper à
en eut jamais dans tous les chants, ceux d'Homère exceptés. Un ses chaînes ; car l'exil est la plus triste des pri-
noble coup de pinceau peut faire resplendir une vie tout entière, sons
s : l'exilé a pour cachot le monde entier, la plus forte des geô-
déifier la toile et lui imprimer une beauté tellement surhumaine les;
1 les mers, les montagnes, l'horizon même, en sont les barreaux
qu'en fléchissant le genou devantcesdivinesidolesonne viole aucun et
< lui interdisent le seul petit coin de terre où, quel que soit son
commandement divin-, car le ciel est là transfiguré, reproduit dans destin,
< il voit encore une patrie, le lieu où il est né, le lieu où il
toute sa grandeur. Et que peut faire de plus la poésie? Elle peuple voudrait
' mourir... Florencel quand cette âme solitaire ira rejoindre
l'air de nos pensées, d'êtres que nos pensées réfléchissent. Que l'ar- 1lésâmes qui lui ressemblent, alors tu reconnaîtras ce que je vaux;
liste partage donc la palme du poète : car il partage ses périls et il 'tu consacreras une urne vide et de vains honneurs à mes cendres
succombe découragé quand ses travaux ne rencontrent point lesuc- que
' lu ne posséderasjamais... Hélas I « que l'ai-je donc fait, ô mon
ces... hélas! le désespoir et le génie se donnent trop souvent la peuple » (1)? Tu fus toujours rigoureux dans tes arrêts, mais ici tu
main. dépasses
< les bornes ordinaires de la perversitéhumaine ; car j'ai été
Dans les siècles que je vois passer devant moi, l'art reprendra et tout ce qu'un citoyen peut être; mon élévation fut ton ouvrage:en
tiendra glorieusement le sceptre qu'il tenait en Grèce aux jours mé- paix comme en guerre, je fus tout à loi : et en retour, tu t'es armée
morables de Phidias et d'Apelles. En contemplantles ruines, il saura contre moi... C'en est fait I sans doute je ne franchirai plus l'éter-
ressusciter les formes grecques; par lui des âmes romaines revivront nelle barrière élevée entre nous ; sans doute je mourrai dans l'a-
enfin dans des ouvrages romains exécutés par des mains italiennes; bandon, contemplant de l'oeil d'un prophète les jours mauvais qu'il
et des temples plus majestueuxque les temples anciens offriront au m'est donné de voir d'avance, et les annonçant à ceux qui ne m'é-
monde de modernes merveilles. A côté de l'austère Panthéon en- couleront pas (il en fut ainsi dès les anciens temps) : mais un jour
core debout, s'élancera vers les cieux un dôme, son image, ayant viendra où la vérité luira à leurs yeux parmi les larmes el leur fera
pour base un temple qui surpassera tous les édifices connus et où reconnaître le prophète au tombeau.
des représentants de tout le genre humain pourront se réunir en
foule pour prier : jamais une pareille enceinte ne s'est ouverte aux
regards des hommes; loules les nations viendront déposer leurs PIN DE LA PROPHÉTIE DU DANTE.
péchés à cette porte colossale du ciel. L'audacieux architecte à qui
sera confiéela lâche d'élever cet édifice verra tous les arts le saluer
comme maître; soit que, sorti du. marbre sous les coups de son
ciseau, le litiérateurdesHébreux, celui dont la voix tira Israël de l'E-
gypte, ordonne aux vagues de s'arrêter; soit que son pinceau re-
vêle des teintes de l'enfer les damnés assemblés devant le trône de
leur juge, tels que je les ai vus, tels que chacun doit les voir; soit
enfin qu'il élève des temples d'une grandeur inconnue avant lui :
HEURES DE LOISIR.
qui sera toujours la source de ses grandes pensées?... moi, le Gibe-
lin ; moi qui ai traversé les trois royaumes formantl'empire de l'é-
ternité. (Suite.)
Au milieu du cliquetis des épées et du choc des casques, le siècle
que j'annonce n'en sera pas moins le siècle du beau, el pendant que
le malheur pèsera sur les nations, le génie de ma patrie s'élèvera.
Cèdre majestueux du désert, la beauté de son feuillage charmera n il> an n
i

tous les yeux : aussi odorant que beau, on le verra de loin exhaler
vers lés cieux l'encens qu'il produit. Les rois suspendrontle jeu des
batailles et déroberont une heure au carnage, pour contempler la OSCAR D'ALVA.
toile ou la pierre : eux, les ennemisde toute beauté sur la terre, ils
se verront forcés à sentir, à vanter le pouvoirde ce qu'ilsdétruisent; Comme la lampe céleste, brillant dans l'azur des cieux, éclaire
et l'art, trompé par sa reconnaissance, élèvera des monuments et doucement les rivages de Lora ! les tours antiques d'Alva s'élèvent
des trophées a ces tyrans qui ne voient en lui qu'un jouet : il pro- paisibles vers la nue, et ne retentissent plus du bruit des armes.
. stituera
ses charmesàd'orgueilleuxpontifesqui n'emploientlTiomme Mais souvent les rayons de l'astre qui roule parmi les nuages se
de génie que comme on emploie une bête de somme, à porter un far- sont réfléchis sur les casques d'argent des guerriers d'Alva, et ont
deau, à servir un besoin, et ainsi se réservent le droit de vendre son vu leurs chefs se rassembler à l'heure paisible de minuit, couverts
labeur, de trafiquer de son âme. Celui qui travaille pour les na- de leurs armes étiiicelantes.
tions reste pauvre peut-èlre, mais il est libre; celui qui vend ses Souvent, sur ces rocs ensanglantés qui dominent les flots sombres
sueurs aux rois n'est qu'un chambellan doré qui, pour une livrée et de l'Océan, la lune, jetant sa lumière pâle dans les rangs qu'éclair-
des gages, se tient respectueusement àla porte où il salue en esclave cissait la mort, a vu les soldats tomber et mourir.
patelin. O Régulateur et Inspirateur suprêmeI comment se fait-il Alors bien des yeux affaiblis, qui ne devaient plus contempler
que ceux dont le pouvoir sur la terre ressemblele plus en apparence l'astre éclatant du jour, se sont détournés du champ de bataille en-
à ton pouvoir dans le ciel, empruntent le moins tes attributs divins - sanglanté pour contempler en mourant le disque froid de la reiac
qu'ils courbent sous leurs pas le dos humilié des nations et osent des nuits.
nous assurer que leurs droits sont les tiens? Commentse fait-il au La noble race des seigneurs d'Alva est éteinte. Les tours de lcuf
contraire que les vrais fils de la gloire, qui reçoivent d'en haut leurs domaine se montrent encore au loin, parées du vernis des siècles ;
inspirations, ceux dont le nom esl le plus souvent dans la bouche
des peuples, sont condamnés à passer leursjours dans la pénurie et (I) Premiers mots d'une êpttre latine du Dante au peuple florentin.
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON. 85

;s guerriers ne poursuiventplus le daim dansles bois, ni l'en- I «' Oui, je ne puis en douter, les ossements de mon fils blanchis-
ur le champ de bataille. sei sur quelque roc désert. O Dieu I l'unique grâce que je te de-
sent
; qui fut le dernier des maîtres d'Alva, et pourquoi la mousse mande,
ma c'est d'aller rejoindre mon Oscar I
-1 - elle ses créneaux? Les pas des guerriers ne réveillent « Et pourtant, qui sait? peut-être vit-il encore I Arrière, ô déses-
5cho de ses voûtes qui ne répond qu'au sifflement de la brise, poir!
po Calme-toi, ô mon âme! peut-êtrevit-il encore I ô ma voix,
orsque l'aquilon souffle avec le plus de violence on entend n'accuse point la destinée. Grand Dieul pardonne-moi une prière
n'i
g des galeries un son terrible qui ébranle les murs . prêts à impie
im I
r en poussière. « Mais s'il ne vit plus pour moi, je vais descendre oublié dans la
t l'haleine de la tempête qui agite le bouclier du vaillant tombe;
toi l'espoir de ma vieillesse est éteint pour jamais : de pareilles
; mais sa bannière ne flotte plus sur la muraille : son panache tortures peuvent-elles être méritées? »
toi
balance plus sur son casque. Ainsi le malheureux père se livrait à sa douleur. Mais à la fin le
;us avait béni le jour qui vit naître Oscar. C'était son premier- temps,
tel qui adoucit les maux les plus cruels, ramena le calme sur
is vassaux vinrent s'asseoir autour du foyer du chieftain pour son front, et sécha les larmes dans ses yeux.
so
gaîment cette heureuse matinée. Car au fond du coeur un sentiment secret lui disait encore qu'il
chasseurs oui percé de leurs flèches le daim des forêts : le pi- retrouverait
rc son fils : cette lueur d'espoir naissait et mourait tour-
fait entendre ses sons aigus, et pour égayer la fête des mon- à-
à-tour; et ainsi s'écoula une longue et douloureuse année.
;, les airs guerriers se succèdent. Les jours se succédaient : l'astre de la lumière avait parcouru de
jour, s'écriait-on avec transport,le pibroch annoncera le fils m
nouveau son cercle accoutumé ; Oscar n'était pas revenu consoler
os, lorsqu'il précédera ses vassaux couverts du tartan de la la vue d'un père, et les regrets devenaient peu à peu moins amers.
Car le jeune Allan lui restait encore, et c'est lui qui faisait main-
i autre année s'écoule rapidement, et Angnsdevientpère d'un tenant te toute la joie de Bon père; et le coeur de Mora fut bientôt
I fils. Le jour de sa naissance fut encore
un jour de fête ; gagné, gî car la beauté couronnait le front de l'enfant aux blonds che-
l également célébrée par un joyeux banquet. veux.
vi
;us exerce ses fils à bander l'arc et à chasser le chevreuil sur Elle se dit qu'Oscar était dans la tombe, et qu'Allan avait un vi-
mbres collines d'Alva toujours balayées par les vents. Dans si sage bien doux ; puis si Oscar vivait encore, une autre femme avait
courses rapides , Oscar et Allan devançaientleurs agiles lé> sans si doute rempli son coeur inconstant.
Angus déclara enfin que si une seconde année s'écoulaitdans un
leinc sortis de l'enfance, ils sont déjà reçus dans les rangs de espoir es inutile, il mettrait de côté ses scrupulespaternels, et fixerait
:rrc : ils savent manier légèrement la brillante claymore, et le le jour des noces.
ci- au loin la flèche retentissante. Les mois se succédèrent lentement, et enfin parut l'aurore dési-
-
cheveux d'Oscar étaient noirs et flottaient en désordre au gré rée. n Maintenant que cette année d'anxiété est passée, le sourire se
irise ; mais la tête d'Allan étail ombragée d'une chevelureblonde j< joue sur les lèvres des amants.
nie et bouclée; et son front était pâle el pensif. Ecoulez le son joyeux des cornemusesI écoutez le chant nuptiall
:ar avait l'âme d'un héros; la franchise rayonnait dans son Les L voix retentissent en douces mélodies, cl se prolongent en
I oeil noir. Allan avait appris de bonne heure à contenir
ie et à prodiguer de flatteuses paroles.
sa choeur.c
Les vassaux en habits de fête se pressent au manoir d'Alva : leur
us deux, oui, tous deux étaient vaillants, et la lance saxonne j1joie bruyante éclate ; ils ont retrouvé leur gaîlé.
L souvent brisée sous leur épée. Le coeur d'Oscar était inacces- Mais quel esl cet hôte dont le front triste et sombre contraste
à la crainte, mais il connaissait déjà les émotions de l'amour. 1la commune allégresse ? Sous son regard, le feu de l'âtrc brûle avec avec
is l'âme d'Allan démentait la beauté de son corps ; elle était plus p de vivacité et jette des flammes bleues.
ne d'une pareille enveloppe : sa vengeance était mortelle et Sombre est le manteau qui l'entoure de ses plis-, haute et rouge
ait ses ennemis comme la foudre. comme
c lu sang la plume de son panache. Sa voix est pareille au
s tours lointaines de Southannon vint une jeune et belle châ- mugissement
i précurseur de la tempête ; mais son pas est léger et ne
ie; les terres de Kcnncth devaient former sa dol : c'était la fillei laisse 1 pas de traces.
eux bleus du riche Glcnalvon. 11 esl minuit. La coupe circule parmi les convives : on porte gal-
car l'avait demandée pour sa fiancée, et Angus souriait auxL ment la santé du jeune époux; les acclamations résonnent sous les
: d'Oscar : l'alliance des Glcnalvon flattait l'orgueil féodal du i voûtes,
' et tous s'empressentde répondre à cet appel.
oui- d'Alva. Soudain l'étranger se lève, la foule bruyante se tait, l'étonne-
oulcz le son joyeux des cornemuses! écoutez le chant nuptial!! I ment se peint dans le3 traits d'Angus , et les tendresjoues de Mora
oix relentissciilcn douces mélodies, et se prolongent en choeur, ise i couvrent de rougeur.
>.VC7. flotter dans les salles du manoir d'Alva les panaches rouges Vieillard! » s'écrie l'hôte.inattendu, « on vient de répondre à
chevaliers. Les jeunes hommes sont revêtus de leurs plaidsss un«toast; tu vois que j'y ai fait honneur, et que j ai salué l'hymen
îoulcurs variées, et chacun d'eux marche sur les pas de soni de ton fils maintenant je réclame de toi la permission d'en propo-
;
tain. iser un autre.
n'est point la guerre qui réclame leur . assistance;
car lacor- « Pendant qu'ici tout est dans la joie, pendant que chacun bénit
iise ne joue que les airs de la paix : toute celte foule est assem- le destin de ton Allan dis-moi, n'avais-lu pas un autre fils? dis-
pour les noces d'Oscar : tous leschanls invitent au plaisir. j
moi ! pourquoi Oscar serait-il oublié ?
lis où est Oscar? certes il est bien tard. Est-ce là l'ardent em-
scmciild'un fiancé? Tous les hôtes, toutes les dames sontréunis: Oscar — Hélas ! répond, les larmes aux yeux, le père infortuné ; ou
: s'est éloigné de nous, ou il est mort: el quand il disparut,
manque qu'Oscar et son frère. vieux coeur fut presque brisé de chagrin.
lan arrive enfin et prend place auprès de la fiancée : Pour- mon Trois fois la terre a parcouru sa course annuelle depuis que la
Oscar ne vient-il pas? demande Angus; où est-il ? » Son « «
nd : « Il n'est point venu avec moi sur la clairière.
frère•e • présence d'Oscar n'a réjoui mes yeux ; et, depuis sa tuite ou sa
Peut-être s'est-il oublié dans son ardeur à poursuivre le daim,
mort, Allan est ma seule consolation,
i, —C'est bien ! réplique le sombre étranger, dont l'oeil farouche
:e sont les flots de l'Océan qui l'arrêlent... cependant la barque te lance des éclairs. Je serais curieux de connaître le destin de ton fils ;
est
car rarement retardée. car peul-ètre ce héros n'est-il pas mort.
Non, non! s'écrie le père alarmé, ce n'est ni la chasse ni la>

qui retarde mon fils : voudrait-il faire un tel affront à la belle
Ia< « Si la voix de ceux qu'il chérissait le plus venait à l'appeler,
le peut-être ton Oscar reparaîtrait-il : il pourrait ne s'être absenté que
i?quel obstacle pourrait le retenir loin d'elle? momentanément: les feux de mai (1) peuventencore s'allumer pour
Chevaliers, courez à la recherche de mon fils ! cherchez partout! t! lui.
n, va parcourir avec eux tous les domaines d'Alva : pars, je ne ie « Que la coupe s'emplisse jusqu'au bord d'un vin généreux et
t point de réponse jusqu'à ce que mon fils, mon Oscar soit lit qu'elle circule autour de la table 1 Je veux que chacun comprenne
vé. » bien mon loasl et y réponde : je propose la santé d'Oscar absent,
out est en confusion. Des voix sauvages font retentir le nom mon coeur, répliqua le vieil Angus en remplissant sa
icar dans les vallées : le nom d'Oscar s'élève sur la brise mur-
m — DeAtout la santé de mon fils! qu'il soilmort ou vivant, je ne re-
ante jusqu'à l'heure où la nuit déploie ses ailes sombres. r- coupe.
trouveraijamais son pareil,
e nom vient interrompre lc silen'ce des ténèbres; mais c'est en
i que l'écho le répète : c'est en vain qu'il résonne dans les brouil-
in — Bravement dit, vieillard ; voilà une santé bue selon les règles,
ls du matin, Oscar
il- Mais pourquoi Allan reste-t-il là tremblant et immobile? Allons,
ne paraît pas sur la plaine. , homme, bois à la santé de
endant trois jours, trois nuits d'insomnie, le seigneur d'Alva jeune ton frère, et tiens ta coupe d'une
Ha toutes les grottes des montagnes; puis il perdit tout espoir, va main plus ferme. »
ir, La rougeur qui animait le visage d'Allan fit place tout-a-coup à.
rrachant ses cheveux blancs, il s'écria :
Oscar, ô mou filsI... Dieu du ciel, rends-moi l'appui de
liesse ! ou si je dois renoncer à le revoir, livre ma
Q* (1) En Ecosse, on allume le 1«' mai de grands feux de joie appelés
son meurtrier ' à
.
Beltane ou Bcal-tain, ce que certains antiquaires traduisent par feux
vengeance. de Baal.
.
86 LES VEILLÉES LÏTTÊRÂUÏÊS ILLUSTREES.

la pâleur d'un spectre j et là, sueur du trémas découla dé son front sont pas destinés à'cacher leurs prunelles sous Iq,,vo'iic',dô.ia con-
cri'gouttes glacées'et fapi<)es'. trainte; malgré loi-même,.il.s.iançe.n.tà la.dérohéedés rayons pleins
Trois,fois il.leya,sa coupé en,f l'air; trois
.
~
......
fois ses lèvres se refu- dç Charme. Tes lèyi-es niais ici nia nuise modeste di;it me refuser
sèrent à' en' toucher le' Bord :,car trois fois il avait rencontré lc re- ,,
chastement son aide,: voilà qu'elle .rougit., fait la révérence,.fronce
gard de rélra'ngçr qui se.fixait sur le sicn;avec u'nc.ragc mortelle. le sourcil... bref, elle craint quun,p$reilsujel n'enflamme trop mon
! « Esl-'èe donc ainsi qu'un' frère accueille le souvenir chéri, d'un style.; et la voilai qui, courant après Ja raison ramène à propos la
frère?,Si l'affection se fait connaître par de tels signes, comment prùdcrice. Je me bornerai donc à dire(cé que, , je
pense c'e.st,iine
donc se' ma'nifèsïëra.là crainte?» ' ,'ù'---. autre qi.ics.tioq,),que ces lèyrcs si charmantes, a Voir :pnt élé; fjulcs
Excité par-l'ironie de ces paroles, Allan lëye,enfin,la coupé et pour un meilleur.emploi q'ue.TirQni.e.^i.iupn,conseil,n'estjfci-.it-en-
s'écrie :. «Plût au ciel qu'Oscar, fût ici poui-partager notre joie.» veloppé de formes gracieuses, il est au moins,.dçsin'léi';éssé.: jjè le
Mais sdùdainùne (erreur sécrète s'empare db lui, et il laisse tomber don ne,dans ces vers, si ns art des conseil? où la' fl.a|iéric n'entre .pour
le vàscT hospitalier. rien. Tu pcUxlescqnsidércr comme ceux d'un fr.èrc;,car thon, coeur
,..« 11 esl icij.il .entend la voix de son assassin ! » s'écrie un spec- s'est donné à d'autres, ou pour mieux dire, inhabile à tromper, il
se partage entre.une douzaine de .beautés, Adieu, Marion! Je l'en
,
tre sombréquiapparaît fqut-à-coup.« Assassin ! » a répété l'écho des
voûtes.' el ce cri se mêlc.àUxmngbsemehisde la tempête. conjure,,hé dédaigne plis cet avis quelque déplaisant quille pa-
Les flambeaux s'éteignent; les guerriers reculent d'horreur., et raisse : et, pour ne pas l'importunerdavantage de nies remontrances,
Tétraiigera disparu. Mais au sein de la foule'on remarque un fan- ja te dirai seulement, quelle est noire opinion, à nous autres hom-
lome vêtu d'un tartan vert, et dont la taille grandit d'une manière mes, sur lédoux empire de la femme. Quelque admiration que nous
effrayante. inspirent de beaux yeux bleus, des lèvres roses, les boucles d'une
,11 porte sur ses flancs un large baudrier ; un. panache noir se ba- ondoyante chevelure, capricieux cl.inconstants.que.nous sommes,
lance sur sa tête : mais sa poitrine nue laisse voir de larges bles- tout cela ne suffit point poui-.nous fixer. Ce n'est point être, trop sé-
sures toutes roiiges de sang , et son oeil vitrifié a l'immobilité du vère que dédire : tout cela ne fait' qu'une jotie. peinture, Mais veux-
trépas. lu connaître la chaîne secrète qui nous attache en esclaves soumis
-•Trois fois jl sourit d'un air sinistre cnflécbissântle genou devant à vôtre char, qui nous courbe devant vous comme.devant les reines
Angus, cl-trois fois il fronce le sourcil en regardant un guerrier de la création? Celle chaîne, en un mot, c'est la vivacité là vie.
étendu par terre et dont la foule s'écarte avec horreur. ,
>; Les-roulements du tonnerre se répondent d'un pôle à l'autre: la
,

foudre-éclate dans lés cieux: et le fantôme disparaît dans la nuit


orageuse, emporté sur les ailes de l'ourqgan.
L'allégresse a fui : le banquet est interrompu. Qui s'ont ces deux A LA FEMME.
h'onimés étendus sur le pave de la salle? Angus a perdu l'usage de
ses sens : enfin on réussit à le rappeler à là vie. 0 femme! l'expériencedevrait m'avoirappris que te voir c'est l'ai-

Mais pour Allan on appelle en vain le;médecin, en vain on essaie mer; elle devrait m'avoir appris aussi que les plus fermes promes-
d'ouvrir.ses yeux à là lumière ; le sablier est vide : il a vécu : jamais ses ne sonl que néant ; mais si tu parais devant moi dans I é-
Allan ne se relèvera. clat de la'beauté, j'oublie tout pour l'adorer. 0 mémoire! pre-

D'où est venu ce sombre étranger? Qui- était-il? C'est ce que .'nul mier de lous les biens quand on espère et. qu'on possède encore:
mortel ne peut dire. Mais tous les vassaux ont reconnu le fantôme : don funeste au contraire pour lous les amants, quand l'espérance
c'était le spectre d'Oscaiv s'csl cnvplée, quand la passion est éteinte. Femme ! chère el belle
enchanteresse, combien une âme novice est docile à le croire;
,
-Le cadavre d'Oscar avait élé abandonné sans sépulture dans la
sombre vallée île Glcnlanar -, les venls soulevaient ses noirs che- comme il bal, le coeur de I adolescent qui contemple pour la pre-
veux ; et la flèche barbelée d'Allan éluitrestée dans son sein. mière fois ces yeux qui nagent dans un brillant azur, ou qui lancent
-
L'ambition avait armé In main d'Allan Î les démons avaient prêlé l'étincelle de leur prunelle noire, on dont le doux rayon perce sons
des ailes à sa flèche homicide-; l'envie l'avait éclairé de sa torche et des sourcils brun-clair. Avec, quel empressement nous ajoutons foi
avait versé ses poisons dans son coeur. aux serments delà beauté; avec quelle confiance nous accueillons
La, flèche d'Allan a volé rapide; Ce sang qui coule à grands flots, ses promesses. Insensés! nous croyons fermement que cela durera
à.qui apparlicnl-ii? Le noir panache d'Oscar est dans la poussière, sans fin, clen un seul jour elle a changé. Oui. ce mol sera éternel-
la flèche a bu son sang avec sa vie. ..;>..
-La beauté de Mora avait séduit le coeur d'Allan ; son coeur blessé
lement vrai: « Femme, tes serments sont écrits sur le sable. »
était devenu le coeur d'un traître.-Hélas(pourquoi les yeux de la
beauté, qui respirentl'amour, excitent-ils l'âme aux plus cruels
lorfaits!'-: :-.-
iNe voyez-vous pas là-bas cette tombe solitaire, abri des restes SUA UN iiXAMISN 0E COLLÈGE (1806).
d'un guerrier? On la dislingue à la lueur du crépuscule : c'esl le lit
nuptial d'Allan. Dominant toute la foule et entouré de ses pairs, Magnns lève un
Ce lieu maudit est loin bien .loin diMiohlè monument qui con-
, de front vaste et sublime : assis dans son fauteuil officiel, mi dirait un
tient les cendres glorieuses sa famille. Sur la tombe d'Allata,- on dieu, pendant que, nouveaux .ou vétérans, tous les élèves tremblent
ne voit point flotter sa bannière, car il l'a souillée du sang dé son au moindre signe de sa volonté. Dan's le silence profond et sombre
frère. -. ..-..*» >
t
; -;.... .... ., ......
Quel, vieux;i ménestrel,' quel-barde aux cheveux biancs consen-
qui l'entoure, sa voix tonnante ébranlé le dôme sonore, et flétrit d'un
blâme sévère les pauvres diables qui ont pâli sans succès sur les
tirait à chanter sur sa harpe les exploits d'Allan? Les chantsi problèmes des mathématiques.
sotil.J^ récompense de la gloire : mais quelle voix peut célébrer un Heureux le jeune homme à cheval sur les axiomes d'Eiiclidc, ne
meurtrier i?; -.: .-..-, , . • ,. ... . fûl-il qu'un âne en toute autre chose! heureux qui, à peine capable
Que la harpe veste immobile,et, silencieuse !<Que la main da'ii- d'écrire une ligne en bon anglais, scande des vers attiijuôs avec tout
cuiirinénéslrel ne vienne..éveillersesaccords!,. La pensée du crimei l'aplomb d'iihérudiil Qu'importe qu'il ignore coihmphi ses pères ont
paralyseraitsamain tremblante; foutes les cordes de sa harpe frémi- versé leur sang pendant nos discordes civiles, ou dans ces jours glo-
raient jusqu'à se briser. 1 -i .! ......
.Aucune lyre, aucun.chant de gloire îiè.célébreia soù nom. L'ir-
* rieux où Edouard guidait contre l'Ecosse ses .bataillons intrépides,
où Hë:ïri foulait.à ses pieds l'orgueil de la France ! U né sait ce que.
ré.vocâbiejnalôdictioud'.un.pèrej le.deniiér -gémissement de là vie- c'est que la Grànde-Çhàrté ; mais i,l connaît pertinemmentla' iégis-
timè.lombééjiôussonbras fratricide : voilà tout ce que l'écho répètei lalion sparliate , cl s'il h'a jamais Ouvert un Blacksionc, il vous, dira
sur sa tombe. quels édits promulgua Lycurgué : il sait à peine le nom du barde
des rives dé l'Avon, mais il vaulè eri revanche la gloire impérissa-
ble du théâtre des Grecs! '
Tel est le jeune.homme au savant mérite duquel on destine, le*
honneurs, classiques, les médaiilefi, leà bourses, et peut-être même
V .-...-
:•" ï|, .l.lin-!' "vi '«>.>l..u..i -i ..i» i«.^ uci.i t.i Oi
-S.--. . .. .
le prix de déclamation, s'il lui coriyièiïi de prétendre'à une haute
si
O Marion! pourquoi ce front pensif? Quel dégoût de la vie s'est it récompense .Mais!,hélas! nul orateur vulgaire ne petit espérer
empàj;éidedoi-?;>Baniii8.icetiair.ideUtrislpsse-:le .chagrin ne sied pass d'obtenir la^coûpe d'argent si convoitée par tous. Non pas que nos
à Jabeaùté. Gerlesico n'est. pos> l'amour qui trouble toniï-epos ; carr maîtres' soient"bien exigeants eh fait d'éloquence.: ils, hé dëraaiï-
l'amour -estinconnu à tonciéuiv H sé> montre,dans- lès fossettes duu dent pas le style brillant dé l'orateur d'Athènes, où lé noble fèû de
sourire, dans une larme timide et sous une paupière voluptueuse;;• TuliiuS: Là clarté; la chaleur-, n'ont vieil à faire céans; ,càr hô/lre
,. înâisîibïuttioin d'uhifrôidisoui«il:.qU:iiKO;ii'oii.eé.Heprendsdone t'aa bul'à-iioush'esf-pointde côh vaincre. Que d'autres orateurs tentent de
vivacité première: quelques-uns t'aimeront, et lous vont l'admirer. plaire à leur auditoire, nous parlons priai;.notfje propre àmusehjçnt,
T^f.'iP'0A-ll^y^^ AeAc#'£«laSlâ1.noni «laura jtpue..toj..qMS dete et non pour, émouvoir. IS foulé;'Une psalmodié murmuvanîë] entre
lismijSrjenee^jfcyi^cm^f^ duu laëi'ià'illërièet'lë-tdhgémissâhtt voilà ce nui Sonvient à ho tris gi-a-
moins ou fais semblant de sourire : des yeux comme les tiens hoie vite. Surtout gardez-vous d'ajouterà la parole l'éloquence du gëàté :
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON. 87

Icplnslçgermouvement ilu.corns ou,des bras scandaliseraitle doyen/, Tristes,.et mucls, lous s'étendent par lei-re auprès du monarque et
,,là sa.suite tous les gradués, bqndissaiit s,u.r leurs sièges, ne man- de sa mouline; car le danger met.an mémo niveau l'h/iuirne et son
queraient pas.de ridiculiser, ce qu'ils ne saui-aiên! ,iiniter;, . serviteur : tous ont. les mènes besoins , Parmi, çux ^Mazepl» .s'il-,
vance et prépare sa couche sous un chêne .. vieux et robuste comme
jiàrdez constamment la même ,,_,.. ,àl
1 o.uf obtenir, la cojjipe ,prppfiise„.
posture ; hê li',vez p.oint les.yeux, ne vqus .arrêtez jamais; dites loii- lui : c'esl t'hclma-t «le l'Ukraine, le guerrier calme et intrépide.
jo-.irs, n'miporjc quoi, pourvu
qii'o.hgiië puUse yoiis entendre. Çon,- Mais d'abord, bien qu'exténué par une longue course, le prince, des
liiinez votre iléh.tysqiis.rpRrèndre baleiné :,q;ii parle le plu.s vite parle Kosaks pause son coursier, lui fait une litière de feirllnge , pci-'iie
le mieux, cl entasser le plus de iiipls.uaiis.lii plus court espace de sa crinière et ses fanons, desserre Ja sangle-; ôte la bride ; et sp ,rô-
tcpips,,c'est s'assurer Ip prix de la course.m-fitojrè. jo.iiit.de le .y,oii\ bien manger -.car jusque-là^'' avâii^crai.ut que son
Les fils, de, la science,,après, avoir obtenu des récompenses ,,.. .... pâ-, coursier fatigué ne refusât de brouter l'hcrbè Immigeile ia ros':e de
reillcs., peuvent gpûlci;,un indolent repos sous les doux ombrages la nuit. Mais le noble animal était vaillant comme son maître.,et
dcGrà.nla; mollement étendus parmi les rpseaux des rivés du Caiii, peu difficile en .fait de vivre cl fie' coucher. Pléiii (le feu et docile îi
ilsy peuvent dormir inconnus, vivre inliôiiprés et mourir sans qji'p-n la fois, il.iiese. refusait à rien. En vrai coursier lartarc, yelo, aile,
les pleure. Tristes.comme les tableaux qui décorent leurà siiiles, ils vigoureux, il emportait son cavalier comme lé,ycrit, obéissait. ,;t sa
croient tout le, savoir humain renfermé dans l'enceinte de leur col- voix, accourait à son appel et le reconnaissait entre lous : fi,t.Til, eu-;
lège. (Grossiers daiis leurs manières, esclaves d'une sotte étiquette, louré de milliers d'hpiniiies, par une nuit sans élinlcs, depuis jç
ils affectent de inépriscr toute composition moderne, cl placm^tjes çouche.r-;diiso,l.ë,i|.jùsqu'à l'aube, il eût suivi soui maître connue le
cniiiincnlairesdé Bentley, de Brunck et de l'oi-sim, beaucoup a^ faon suit sa niêrë; *
dessus des poèt.v.s que. ces critiques ont-commentes. Vains de. leurs
jionncur-acadcm:(|iies„lourds comme hi bjèrèjlqnl ils s'enivrent, rv.
! insipides comme leurs, froids jeux de mots ;ennuyeux,comme jciirs
\ leçons, ils ne s'émeuvent que pour leurs inléréis ou ceux de. I Égiiie, Ces dçvoijp •a^CQmpiiSi-.Ma^pjJa élend sur là. terre son manteau;
j Ciiurlisans emprcssés.ilu pouvoir, ils s'ihçliiieiil devan.tjiii
avec ,un et appuie, s^.laric^iconl^eiîë Çjlîèhc;. il examiné si ses ajrin.es soin}
bpiir.çsiçi^^ç^i.ii'pfîtpa^ souffert de là longue man-hq du
]
501 ir ri:
suppliant, Jaiil qu'ils voiciil..rcliiirc. de ,çé -côte, les inili-ss encore eii bass.ih.ei^ii.ej^qj-p
; un ils c mvidienl; mais, que dans Un orage politique llioiixine d'Etal jour ; si le jgàrni de poudre et. si la pi .'i-ro ëi les
.-ifîui; il màii.ie ,la ganle et lje'..four-
; soit renversé, ils, s'ciiquerront de soii,,iiuccesseu|\ pppr lui porter ressor s fpn.çiîpnlïjjht çtjmjijjjiij
leur hommage. Tels sont les hommes commis à.lîi..gài:ile dii..trésor i-eau de-S!>n.sa|ir,o, et reg^rifô si le ceinlmon n'est point çiidoin-
;
; .les sciences ; tels sont leurs travaux ,ç.Çlçs..^c,»inpiBiiisés qu ilsam- magé. Alors seulement, je vieux guerrier tire.de son jiayresac, cl d i
i hiiiiinncui. On peut affirmer, en toul cas; que le pi-ix n'excède guère son bidon ses provisions ciiôlivcs. dont il offre le (oui pg^particq.ié du
; les effurls
qu'il u demandés. pionarque et à:isti.,s.i.iitè, ,avcc iiifiiiimeiit moins de cérémonie
n'en feraient des cfliil'tisans.à un banquet. t;iiarles,p!i Souriant, ac;
çeptcdii geste ce fru^alr.e.pàs,,pi)ui-aflichcr une gaîi.é qu'il, u'.épïou-- 0
pasau I'OIKJ] dur.ieur^eise ii^onlrerau-dessus des sdiiffràncesëtdes re^
vers. Alors il pai'lé.aiiisi : «jDe.timlcnotre
lro;ipc,,cp;nposécd&gcnsàù
coeur ferme, aii tiras vigourep,?i égalementaguerris aux ésc.arin.ou;
K! a Z: E S» P À. ches, à I» marche, qù méiiërjdp fourrageur," il li'en ésl-pas de inoins
bavard et de plus-actifqiie.tp.ii.Mazeppa : depui^ Alexandre oji ha
pointvu sur la terré^.un cdiipipiàussi bien assorti.quçloi et touBuç.é-
plmle -. toute la gioirij de lajreythie s'incline devant là tienne i tp^iiiil
il s'agit de franchir p.ii le^-Mnines ou les flots. Maudiiç soil l'ecolç.^

répondit Mazçppa:, ôM.j'^piiris à monter à cheval! — Eli! pourquoj
donc, vieil.hctûio,!^;,reprii le monarque, puisque les leçons foui s|
bien pnjjjtpl^-rrrîiî'ë serait il ne longue histoire, dit le Cosaii'.iè^ct
t
I. nous avqns encore hicii,des lieues à l'aire, et plus d'un cdiijiâ dijnU
ner ç'i,etklï», contre ùii èhjupmi dix fois plus noihbrcùx-. tjyai.il qije
I C'était après la terrible journée dePultàwa, alors que làjoWunô nos chçyaiix puissent broi^ér à leur aise siirdoivent l'autre bb'r.d du i;aj)h|c
i abii.iiilonna le roi de Suède. Au loin , le, solétait jonché ile3 câda- Borysllièhes; d'ailleurs, Sirfei vus membres avoir besoin de
:\ vies d'une armée qui avait livré son dernier, combat. La hiiissaiioo repos : je sô.h;irai de védeltévà votre escorte. — .le, Vèiix:|absiilii,
i el la gloire, infidèles comme les hommes dont olie^,sp,iit lès idoles, pient, répliqua;le,,rpi de Siié(ile, que lu nie contes tou.hisliiirii,. et,
r, ehiieiit passées du côté du czur triomphant, cl lcs.piiirs de Moscou peut-être. eu,obtiendrài-jele bienfait du sommeil ; cai-(en.cé inoinè.i.t
' n avaient plus rien à cra.ndre... jusqu'à ce jour du,, moins, nlusspi.n- p|psl en vain que mes paupièresrappellent'. — Eh bien! Sire, dalis
j bru et plus lerriblc , jusqu'à celte année plus pîohipi'ablo qui ilë- cet espoir; mes souvenirs vont se reporter à soixante-dix ans d'ici.
i vnirnt livrer au massacre et à la honte d'une, de faite, une ui-mec

J'élais,j«j ,ci-pis...dans,mon vingtième printemps,....oui, c'est,
.; plus puissaiile et un nom pins illusl,rp çhcorp: iiapfi'iyjc jiius torri- C.èla...,Cà^iinij-i)éiîlit^pL^Je.ân Casimir... j'ai.été son page pendant;
; Me, chute plus profonde; revers d'ùiihbihme; coup
ilë foudre Hour six tins :.;u.h savant i.^.qnarquë,f..ina loi! et qui lie resscmblail^utre
.: l'Europe! à Votre Majesté.:,!! i\ç iuisajLpàs Ja guerre, cl ne s'inquièlail pas d.ij
J IL conquérir de iio.ùvçaux royàiilhës' p.mr les perdre bientôt après: et
sauf les iléhatsde là,diète de Varsovie, son règne s'écoii.la dans uij
'4 Telle était la fortune de la guerre; Charles, blessé, avait enfin repos fort inconvenant. Non qu'il mnnqi.At.de. moyens ilu se lotir7
i appris à l'uir : la unit, le jour, il traversait les campagnes et les menler : il aimail les muscs el les femmes; el queliiuéruis loules ce,3
i; neuves, tout couvert du sang de ses propres sujets; car des milliers femelles sonl si fantasques qu'il aurait voulu ceiil fois èire à là
S ilhmmn.es avaient péri pour favoriser celle fuite, et
pas une voix ne guerre. Mais bientôt son courroux se calmant,,11,prenait.uno,11'UT
à sciait élevée c»titre l'insatiable ambitieux à celle heure d'humi- yelie maîtresse ou un nouveau livre; puis il donnait des,fêtes prodi-
| billion où la vérité .n'avitii plus rien à craindre, du' pouvoir.
Lc che-
gieuses... Tout Varsovie accourait autour .de, son palais, pour t:onT
î val du roi avait .été tué : Giela lui avait donné le sien cl élait allé templer sa cour splendide, cl ses daines, éi. ses) géiiériiux , et l.aiç
j mourir pri-onnici-.chez les Itusscs. Celle seconde monture , princier de lout cela : celait le Salmnon (je laifpli!gi|è.,../à ce ijiié
| manque
également après plusieurs lieues de vaincs l'alignes supportées avec disaient les poêles, un seul excepté, lequel i, n'ayant point dé j'en:
I courage,; et. c'esl. dans la profondeurdes forêts, sous le feuillage des- sion fit une satire, el s.e vanta de ne point. savoirMllaiier. t'.'çiait
3 ipieiles les feux de bivouac sont à peine visiides tandis
, jouteurs cl.,d'hi8tripqs|pù||.ç|iaquiî. s'essayaji à iji.n.ieç,:
une cour dej'accouchai
% desennenii-! éclairent la plaine à l'entour, c'est ,la qu'unque ceux
roi doit moi-môme un.jour de quelquesvers, ,el incs.hdes elaieiii
j euliii éiciulre ses membres fatigués. Est-ce pour .de tels lauiecrs, si-'iiées : «, Lei désespéré Thyrsis. »,I1 y iiyail )à iin çèrlaiu, palainij
4 pour un tel repos, que les natio.ns.doiventépuiserleursforces ? Ac- comte de liant el.ài.\liquelignage,, riçiie cHnime une jnine .le sel
un (j;argent,
| Cable parla douleur el les fatigues,.on le couche
au pied d'un arbre; ou èl fier, ypUs.ppuvézJojiens^'r, çoînmif.s'il.fqi dési eiiilii
du ciel mèmp. li^iaitsi bien pourvu de. nobles^eëtdéçus, que |>eu
te sang de ses blessures est. lige : ses m- mbres.sonl engourdis là
;,
"un pèse, froide cl sombre,; In lièvre qui agile soiv.sang lui refuse un de gens âu-déssoiis diitrône pouy^ièiit lui disputer le pas; : et à fiirc.f
seul i .stant de ce sommeil qui lui serait si nécessaire. Au.milieude lout de pôûvei- dés yëiix,sèsjrésm-s,de.mé.ijUoi;sùr.sa géiieahigie^ilèiail
c.eia.lo monariiue supporte royalcinentsa chute.iet dans ces extrê- ari-ïvè aune cé'r.làii>'é confusion dj!déÊSpi)'ro\lùil.d'uup lèlè ii,ii p'cîî
mes pénibles, il.failde ses douleurs les vassales de sa volonté : elles faible, et il prenail le mérité de ces lieux choses pour lc sien. Or,
restent, silencieuses et soumises-, comme les nations l'étaient
na- sa femme n'élait pas tout-à-fait de cette opinion : plus jeune que
guère autour de lui. I lui de trente ans, son joug lui de^nait de jour en jour plus insup-
portable ; et après beaucoup de désirs, d'espérances et de craintes,
"1- après quelques larmesd'adieu à,Ia,v.ertii,,.une pu deux nuits agitées,
é'értaiiis èoupsd'qiU ïeïês sjif'là' j;éù'hes<ë ile Vai'SoriéV$l o^èlérifiir
i Quelques chefs ràêëômnagneht|i.. Hélas! Qu'ils sont jiéu fiônî-
| «reux, ces'd'èbiïs d une seule défaite; mais débrishéroïques'et ffM'cs.
soils è't des dàtises; 'èiie n'àtteii'dait hnik hifel'jofeisiofr 'ii%n.àj'i-6':
On "de éeé à'ccîdérits' ijul aUett'dflssêniM'bè'âulps l'es pl'iis frôïdiis
88 LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.
s
pour décorer le comte de titres nouveaux qui, dit-on, sont un pas- involontaires de la pensée, qui s'échappent du coeur oppressé
seport pour les cieux et dont, chose étrange, se vantent rarement et forment un étrange langage aussi mystérieux qu'expressif : an-
ceux qui en sont le mieux pourvus, neaux de celte chaîne brûlante qui unit à leur insu de jeunea
coeurs et de jeunes âmes ; fil électrique qui, par une vertu secrète,
V.
sert de conducteur à une flamme dévorante, je la vis et je sou-
pirai... et je gémis en silence, me tenant, non sans peine, dans les
s limites de la réserve. Enfin, je lui fus présenté, et nous pûmes nous
« J'étais alors un gaillard de bonne mine : à soixante-dix ans, on entretenir de temps à autre sans exciter le soupçon. Alors brûlant
me pardonnera bien de dire que, dans mes jeunes années, il y avait de m'expliquer, je résolus de le faire ; mais la voix faible et trem-
peu d'hommes ou de garçons, vassaux ou chevaliers, qui pussent blante expirait sur mes lèvres. Un jour enfin... Il est un jeu, passe.
me le disputer en frivoles agréments; car j'avais la force, la jeu- temps insignifiant et frivole, avec lequel on trompe l'ennui de la
nesse, la gaîté, un visage qui n'élait pas celui que vous voyez, mais journée, c'est... j'en ai oublié le nom... et nous fûmes conduits à y
aussi gracieux qu'il est maintenant rude et austère : car le temps, jouer par quelque circonstance bizarre que je ne me rappelle plus..
les soucis, les combats, Je me souciaispeu ae ga-.
en labourant mon front gner ou de perdre: il me •
en onl commeeffacé mon suffisait d'être près d'elle, j
âme; au point que je d'entendre et de voir celle -
serais renie par parents que j'aimais tant Je
et cousins qui, m'ayant lobservais comme une
connu autrefois, me ver- sentinelle (puissent les
raient tel que je suis à nôtres veiller aussi bien
présent ; au reste, ce par cette nuit sombre),
changement s'est opéré < quand je crus voir, et
longtemps avant que la je ne me trompais pas,
vieillesse eût écrit son qu'elle élait pensive, ne
nom sur mes traits. Ma songeait nullementà son
force, mon courage, mon jeu, et demeurait insen-
intelligence, vous le sa- sible à la perte ou au
vez , n'ont point décliné gain; et cependant elle
avec les ans, sans quoi continuait à jouer pen-
je ne serais pas ici à cette dant des heures entières,
heure', vous contant de comme si son désir l'eût
vieilles histoires sous un enchaînée à cette place,
arbre, n'ayant pour pa- mais dans un tout autre
villon qu'un ciel sans é- but que celui de la par-
toiles. Mais poursuivons : tie. Alors une pensée ra-
la beauté deThérésa... il pide comme l'éclair tra-
me semble la voir passer versa mon cerveau : c'est
sous mesyeux, entre moi qu'il y avait dans son air
et celte touffe de châtai- quelque chose qui me di-
gniers, tant son souvenir saitde ne pas désespérer ;
est encore vif et chaud ; et etsnrcette penséeles mots
pourtantje ne puis trou- sortirent de ma bouche,
ver d'expressions pour dans toute leur incohé-
vous dire comment elle rence naturelle... je de-
était faite, celle que j'ai- vais être peu éloquent;
mais tant. Elle avait cet cependant elle m'écou-
oeil asiatique,fruit du mé- ta... C'est assez, me dis-
lange de la race des je, qui écoute une pre-
Turcs, si voisinede nous, mière fois écoutera une
avec notre sang polonais; seconde; son coeur n'est
mais de cet oeil, sombre certainement pas de gla-
comme le ciel sur nos ce , et un refus n'est pas
tètes, il s'échappait une irrévocable,
lumière tendre comme le
lever de la lune à l'heuro
de minuit. Grands, noirs, Vil.
nageant au milieu d'un
courant de clartés dans a J'aimai et je fus ai-
lesquelles ils semblaient mé... On prétend, sire,
se fondre , ces yeux é- que vous n'avez jamais
taient moitié langueur, Nous glissions comme le vent, laissant en arrière les buissons, connu ces doucesfaibles-
moitié flamme,mais tout les arbres et les loups... ses : s'il en est ainsi, je
amour, comme ceux des dois abréger le récit, de
martyrs qui se lèvent mon bonheur et de mes
pleinsderavissementvers souffrances; il vous sem-
le ciel au moment où ils blerait absurde et frivole:
expirent sur le bûcher, mais tous les hommes
comme si la mort était pour eux un délice. Son front était pareil ne sont pas faits pour régner, soitsur leurs passionsseulement, soit
à un lac par un beau jour d'élé, tout transparent el pénétré par commevous, à la fois sur eux-mêmes et sur des nations. Je suis. ou
les rayons du soleil, quand les vagues n'osent murmurer et que le plutôt je fus... prince, chef de plusieurs milliers d'hommes : j'ai. su
ciel se mire à sa surface. Ses joues et ses lèvres... mais pourquoi les conduire au plus fort du péril et du carnage; mais je n'ai jamais
en dire davantage?je l'aimais alors... je l'aime encore à présent, su exercer autant d'empire sur moi-même. En résumé, j'aimai et je
el ceux qui me ressemblent aiment avec une farouche énergie, dans fus aimé; certainement c'est un heureux destin, mais cette félicité,
la prospérité comme dans le malheur : ils aimentjusque dans leurs lorsqu'elle est à son comble, aboutit au malheur. Nous nous réunis-
fureurs ; au sein -de la vieillesse, ils sont poursuivis par l'ombrevaine sions en secret, et l'heure qui me conduisait dans ses bras était atten-
du passé... Tel sera Mazeppajusqu'au dernier jour, due avec une impatience fiévreuse. Mes jours et mes nuits n'étaient
rien : tout disparaissait pour moi, excepté cette heure à laquelle ma
mémoire ne trouve rien à comparer dans le long intervalle qui sé-
VI. Sare l'enfance de la vieillesse. Je donnerais l'Ukraine pour revivre
e pareils instants, pour être encore le page, l'heureux page, posses-
Nous nous rencontrons... nos regards se croisent..... je la vois seur de ce coeur aimant et de sa bonne épée, et n'ayant pour toutes
ît «je soupire : elle ne me parle pas, et pourtant elle répond. Il y richesses que ces dons de la nature, la jeunesse et la santé. Nous
a des milliers d'accents et de signes, que nous entendons, que nous réunissions en secret : et selon quelques-uns, le secret double
nous voyons, mais que personne ne peut définir étincelles le bonheur. Je ne l'entends pas ainsi : j'aurais donné ma vie pour
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON. 8»

pouvoir seulement l'appeler mienne à la face de la terre et des | où j'étais emporté ainsi, loin de mes ennemis, fut le rire féroce de
cieux ; car j'ai longtemps souffert de ne la posséder que par une ces lâches esclaves qui, après quelquesinstants de celte course dés-
sorte de larcin, ordonnée ,'arriva à mon oreille sur le souffle du vent. Saisi d'une
rage soudaine, je dégageai ma tête en brisant le lien qui, à la place
VIII. des rênes, m'attachait à la crinière de l'animal ; et me redressant à
mi-corps, je hurlai une malédiction vers eux. Mais parmi le bruit
Tous les yeux sont ouverts sur deux amants; ils l'étaient sur
«
du galop de mon coursier, qui retentissait comme un tonnerre, ils
nous. En de telles occasions le Diable devrait être civil...le Diable!... ne l'entendirent pas ou n'y firent point attention. J'en suis fâché!...
j'allais lui faire injure : ce fut probablement quelque saint malen- car je voudrais au moins leur avoir rendu leurs insultes. Du reste,
contreux qui, ne pouvant rester en repos, donna cours à sa pieuse ils l'ont payé cher plus lard : de tout ce châleau, avec son por-
bile. Quoi qu'il en soit, par une belle nuit, des espions aposlés tail, son pont-levis et sa herse, il ne reste point une pierre, une
nous surprirent et s'emparèrent de nous. Le comte était pire qu'en- barre de fer ou de bois, une trace mêmede fossé; dans lous les
ragé : je me trouvais sans armes; mais eussé-jc élé couvert d'acier champs qui en dépendaient on ne trouverait pas une touffe d'herbe,
de pied en cap, que faire sauf celle qui pousse ou
contre tant d'ennemis ? se trouvait le foyer de la
La chose se passait dans grande salle : et l'on y
le voisinage de son châ- passeraitbiendes foi s sans
teau , bien loin des cités se douter qu'il y ait eu
et de toute aide, et vers jamais là un donjon. J'ai
la pointe du jour. Je crus vu ses tours dévorées par
bien que je n'en verrais la flamme,ses créneaux se
plus un second, et que fendre avec un craque-
lous mesmomentsétaient ment, elle plomb fondu
comptés: donc après une couler comme la pluie
prière adressée a la mère du toit embrasé et noirci :
du Sauveur et peut-être l'épaisseur de ses murail-
i à une couple de saints, les ne l'a point mis.à l'a-
| je me résignaià mon sort. bri de ma vengeance.Ahl
i On me conduisit à
la por- dans cet instant terrible,
| te du châleau : je ne sus où ils me lançaient, com-
i pas ce qu'on avait fait de
mesur un éclair, versune
\ Thérésa, et depuis lors destruction certaine ils
| nos destinées furent sé- ,
ne se doutaient guère
i parées. Le fier palatin , qu'un jour je reviendrais
\ comme bien vous devez avec dix mille lances ,
; penser, n'était pas de bel- remercier le comte de son
% le humeur; et, certes, incivile cavalcade. Ils me
-
il avait ses raisons pour jouèrent un vilain tour
% cela : mais ce qui mettait quand, me liant sur les
[f lc comble à sa rage, c'é- flancs de leur coursier é-
fî tait le désordre qu'un pa- cumant, ils m'abandon-
j| reil accident pouvait met- nèrent à sa course vaga-
% tre dans la future généa- bonde; mais, enfin, je
|| logie dcsarace;il nepou-
vaiteoncevoirqu'une
leur en ai rendu un qui
valait le leur; carie temps
pa-
1 reillc tache vint souiller nivelle toutes choses et
| son écusson à lui qui
, pourvuque nous sachions ,
V élait de siantique nobles- attendre l'heure, il n'est
se ; car se croyant lc pre- pasdepuissance humaine
\ mierde lous les hommes, qui puisse échapper aux
\ il pensait l'être aussi aux Îiatientes recherches cl à
yeux des autres , et sur- alonguc persévérancede
|
p
lout aux miens. El pour celui qui couve ses inju-
|I unc'eûtpage ,
morbleu!... si res comme un trésor.
été un roi, du moins,
3 il eût pu se résigner à la
? chose : mais un polisson XI.
Je ne saurais
de page...
' peindre sa fureur; mais « En avant ! en avantl
1 j'en sentis bientôt les ef-
tels.
nous volions sur les ailes
; du vent, et nous laissions
derrière nous toutes les
IX. Le voilà couché et poussant son dernier souille, le regard vitreux, habitations des hommes ;
les membres encore fumants et immobiles... nous passions comme des
« Qu'on amène le che- météores dans la nue,
val?» Le cheval fut ame- quand la lumièreboréale
né: c'était vraiment un vient dissiper la nuit en
noble coursier, un tar- faisant néliller ses traî-
tare de l'Ukraine paraissant avoir dans ses membres toute la nées d'étincelles. Sur notre route , ni ville ni village... mais une
, mais
vitesse de la pensée ; sauvage comme le daim des forêts in- plaine stérile qui s'étendait au loin, bordée par une noire forêt; et
dompté, el ne connaissantni la bride ni 1 éperon : il avait été, pris sauf quelques forteresses, bâties pourarrêterles invasionsdes Tarta-
la veille même. Hennissant, la crinière hérissée, résistant
fureur, mais en vain, tout écumant de terreur et de rage, l'enfant
avec res, dont j'enlrevoyaisàpeineles créneaux sur le sommetdesinoota-
du désert est amené près de moi : des mains serviles s'empressent gnes : aucune trace humaine! Un an auparavant une arméeturque
avait passé par là et sur le sol sanglant foulé par les chevaux-des
de^m'attacher sur son dos par les noeuds redoublés d'une cour- spahis, loute verdure disparaît. Le ciel élait sombre,tristeetgrisâlre,
roie; puis on le lâche soudain, en l'excitant d'un coup de fouet: et la brise rasait la terre avec des gémissements auxquelsj'aurais ré-
En avant 1 en avantl... et nous voilà lancés : les torrents sont moins pondu par les miens, si notre course n'avait été tellement rapide, en
rapides et moins impétueux. avant! en avantl qu'il m'était impossible de soupirer ou même de
prier. Une sueur froide coulait de mon front comme une pluie sur
X. la crinière hérissée du cheval qui, hennissant toujours de rage et
de terreur, poursuivait sou vol rapide. Quelquefois je me flattais
« En avant! en avantl... Je ne respirais plus : je ne pus voir de qu'ilallait ralentir sa course; mais non, le poids de mon jeune corps
quel côté le cheval précipitait sa course. Le jour venait seulement Iassujéti sur ses reins était bien léger pour un animal dont la colère
('c paraître et il poursuivait
; sa carrière écumante : en avant I en doublait les forces : ce n'était pour lui qu'un aiguillon. Chaque
avantl,.. Le dernier son humain que je pus entendre, au moment mouvement que je faisais pour dégager de leurs liens mes membres
S>Ô LÉS VllLLÉÈS UTTÉRÂÏRËS tLLÙStîiÉÉS:

cùjlés et douloureuxaugmentait sa fureur et son effroi. J'essayai de rut sans grande douleur, mais pour faire place à un (rouble pltisnf- ;
faire entendre ma voix : elle élail basse ël- faible, niais ce fut com- freux que la douleur même. J'avoue que je redouterais d'éprouver V-

me si j'avais frappé l'animal <lu foiicl • lïé issnnt à mes accents, une pareille soulfrancc au moment du trépas, el cependant je siip. ~

il semblait enlendrc l'éclat soudain de la trompette. Cependant le pose que riioinmc doit encore souffrir davantage, avant de retourner -
sang qui. sii'iitai.l de tous mes membres humectait mes cordes et à la poussière. N'importe j'ai plus d'une fois découvert hardiment '
lès res-errait encore; et une soif plus brûlaiilequelu flammé mémo mon front eu face de la mort, comme je le découvre encore main-
dévorait ma gorge et ma langue. tenant.
XIV.
xii.
«Le sentiment me revint : où élais-je? Glacé, engourdi, étourdi,
« Nous approchions de la forêt sauvage : elle était si vaste que pulsation par pulsation, douleur par douleur, la vie reprenait len-
d'aucun côté je n'en pus découvrir les limites. Çà et là s'élevaient tement-possession de mon être : puis vint une angoisse qui pour un
di-s arbres antiques que n'auraient pu faire ployer les vents les plus moment fit refluer mon sang épaissi et glacé; des bruits discordants
v'nl-u's qui accourent en hurlant des déserts de la Sibérie et dé- frappèrent mon oreille : mon coeur se reprit-à tressaillir; ma vue ;
pouillent en passa-il les bois de leur feuillage Mais ces arbres étaient revint quoique obscure, comme si je n'eusse aperçu les objets qu'à
rares, et l'intervalle qui les séparait élait rempli de buissons travers un épais cristal. Il me semblait entendre près de moi lebruii
jeunes nt verdoyants, dans toul le luxe de leur parure annuelle cl des finis et j'entrevoyais le ciel parsemé d étoiles... Ce n'est poinl un
iioii encorçat teints par ces hriscsd'automnc qui, frappant de mort le songe : le sauvage coursier traverse à la nage un fleuve plus sau-
feuillage îles forêts el changeant la couleur des arbres en une rou- vage encore : la rivière large et brillante étend ses ondes autour de
geur inhrtel'e, Icsfont ressembler à des cadavressanglanlselétendus nous cl poursuit au loin son cours: nous sommes au milieu du cou-
sur,le champ de halaillc. après qu'une longue nuil d hiver a jeté ses rant, luttant contre lui pour atteindre un rivage incoiinuet désert,
frimas sur ces têtes sans sépulture, si froides etsi rigides, que le bec L'eau m'a tiré.de mon'profond engourdissement, et son baptêmea
du corbeau frapperait leurs jnucsglncécs sans les pouvoir entamer. rendu une vigueur momentanée à mes membres roidis. Le large
C'était un sauvage.désert l<>ut couvei-,1 de broussailles où se mon- poitrail de mon coursier altronte el brise les vagues qui montent
traient tantôt un: châlaigircr, tantôt un chêne robuste ou un pin, jusqu'à son.cou et nom continuons d'avancer. Enfin nous attei-
mais à une grande distance les uns des autres... et fort, heureuse- gnons la rive glissante, porl de sulul qui avait peu de prix pour
ment pour moi, car mon sort eût été,,-.tout autre. Les broussailles moi : car si c.ii arrière tout était sombre et redoutable, en avant ce
pliaient devant nous sans déchirer mes mcmbiespl j'eus la force n'était ciîcq.i-ëjqiiè !énèbres,ct terreurs. Combien d'heures de la nuit
de supporter mes blessures déjà figées.par le froitl. Mes...liç.us me et du jour ai-jejiasséesdàns.cellcsuspension de messoull'raiices. je
garantissaient du danger de tomber nous glissioijs comme le vent ne puis lc deviner : à peine sàts-je si mon soufde esl encore de la vie.
à travers le feuillage, laissant en arrière les buissons, les arbres et
les loups : car la nuit j'entendis ces animaux sur nos traces, leur
troupe louchait presque, nos talons : ils avaient ce galop prolongé XV.
capable de (aligner la fureur des limiers et l'ardeur du chasseur. De
quelque côté que se dirigeât notre vol, ils nous suivaient toujours. « Le poilhumide, la crinière ruisselante, le pas chancelant et les
Et ils ne nous quittèrent même pas au leverdu soleil ; car àfalucur flancs couverts dé funriée, il lutte de toutes les forces qui lui resteiil
des premiers rayons du malin je les aperçus derrière nous à une pour, gruyir la rive escarpée. Nous parvenons au sommet : une
verge de dislance,suivant tous les déloursdii bois, de môme,
que loulc plaine sans bornes sc.iléroule à travers les ténèbres cl semble s'é-
la nuit j'avais entendu leurs pas furtifs qui faisaient ^frissonner,le tendre, s'étendre toujours, davantage, el plus loin que ne peut por-
feuillagei Oh! que n'aurais-jc pas donné pour avouvùriépiouoù un ter lu vue, commeces préjçjpices que nous voyons dans nos rêves:
sabre, afin de m'élancer au milieu de leur bande, cl s'ilfdllhii périr çà cl. là quelques lachps blànchâlres, ou quelques Unifies d'un som-
n.e périr au inoins qu'en combattant cl après avoir immojè^plus.il un bre gazon sc.délacliëiit en,masses confuses au moment où la lune
ennemi. Du moment où ma monture.avait pris sa course, j'avais ^ais. dans, la triste solitude on n'aperçoit rien
se lève devant moi.,cbélive
d'abord désiré le but; niais maintenant je redoutais qu'elle no. fût qui indique là plus cabale; aucune lampe Irembioiiautene
point assez forte ou assez agile. Vaine.craiiite! sa nature .sauvage se révèle comme l'étoile de,,l!liospilaliié, aucun fci follet même ne
lui avait donné toute la vigueur du ,çh à nipis .des montagnes,: telle surgit du.sçil,r,|>mme pouy.sè railler de mes douleurs, déception qui
la neige tombe rapide lorsque ses tourbillons éhlouissaiitsavcuglent dans ce inpinçiil.éût été pour moi un bonheur réel : car inèiiie re-
et arcablcnt le villageois à deux pas de sa chaumière dont il ne tra- connue, je J'aurais bénie encore, comme m apportant au milieu lit
versera plus le seuil; Ici le coursier infatigable,, ^dompté,, plus que mes soulïraiiccs un souvenir de 1 habitation des homnies.
sauvage,, traverse les sentiers de la forèl ; furioùx comme, un enfant
gâté dont on n'a poinl satisfait le caprice, ou plus furieux encore...
comme une femme piquée, qui veut eh faire à sa tète. XVI.
«Nous, continuons d'avancer, mais d'un pas faihleet lent:la sau-
XIII. vage vigueur du coursier esl enfin épuisée:-faiigiié.-abnltii,l'éciiiiif
sort de sa bouche cl il se Iruinc péniblement. Un enliinl débile pour-
« Nous avions franchi la forêt; il était plus de midi, mais l'air rait le conduire: mais moi, je ne puis profiler même de sa fai-
i'-lail glacé quoiqu'on lui au mois de juin : ou peul-être le sang blesse, car les liens me retiennent encore, cl eut-sé-je élé. lilnv.
coulait .plus froid dans mes veines: car des snulfranccs prolon- peut-être la force ni'eût-elle manqué à moi-même, .le iéniai eni-mï
gées domptent les plus courageux. D'ailleurs, je n'étais pas alors quelques efforts pour briser les lions qui m'ciicluiîtinicnl si étroite-
Ici que je parais maintenant, mais, impétueux comme nu tnrrcni nient; ce fut en vain : je ne taisais que les resserrer dauinlago; t:
d'huer, je laissais éclater nies sentiments avant d'eu avoir pu moi- j'abandonnai bientôt celle inutile tcnlativc qui augmentait inessm.f-
même démêler les,causes. Livré ainsi à la rage, à la terreur, nu franecs. Notre course frénétique paraissait lerniin, c. bien que je lia-
re senliine;:!, à loules lus tortures du froid, de la faim, de la honte perçusse nullement que! en avait élé le bul>: quelques Iraits. de lu-
cl des i-ftgrcls! me voyant nu cl garrotté, moi fils d'une race d hom- mière annonçaient le soleil, llélasl comme il venaitlentement. Il ni
mes qui, irrités-et foulés aux pieds, se dressent comme le serpenta semblait que le brouillard grisâtre du matin ne tëiailjaiiia s place a
sonnclles prêt à percer son ennemi I est-il étonnant que ce corps jour; que ce voile élail lourd et tardif! Un temps bien long .-'ccoiii'
fatigué se soit allaissé un moment sous le poids de ses maiix? La avant que l'astre du jour'cùt coloré l'orient de sa pourpië sanglanlr
lerre disparut sous moi, les nuages parurent tourbillonner à l'en- détrôné les étoiles, éteint les rayons de leurs chars et du lîaiii il
tour : je crus que je tombais. mais non, j'étais attaché trop solide- son Irône eût rempli la terre de celle lumière qui nappai-lien
ment. Mon coeur élail malade; mon cerveau s'enflamma, palpita qu'à lui.
un niomciil, puis je ne le sentis plus ballre : le ciel tournait tou-
jours comme une roue immense; je voyais- les.arbres,chanceler XVII.
comme des hommes,ivres,et un faible, éclair passa devant mes yeux
qui eusuiiç ne virent plus rien. Personne.ne sentira, plus que je ne «Enfin le soleil se leva : le3 brumes s'enroulèrent dévoilant la su
|e. sentis alors, tout ce.qu'éprouve un mourant. Accablé par la tor- face de cette région solitaire qui s'étendait toul autour de moi, c
ture de, celte coure.infernale, les ténèbres,,s'appesantissaient.sui ^ avant el en arrière. Que me servail-il donc d'avoir Ira versé phiiii'
moi et se dissipaient lour-à-tour : j'essayais de me réveiller, mais je forêt, rivière? Ni hommes, ni animaux, ni traces des pieds des (pu
lie..pouvais tirer.mes sens de 1 abîme.où ils étaieiil.plougés. J'élais drupèdes, ni empreintesde pas humainssurce sol couvert d'une vcg<
tomme le naufragé qui a saisi.une. planche aei que chaque vague talion sauvage et luxuriante; ni indices de passage, ni travaux cou
spulèvpel submerge à la. fois..eh le.poussant.vers la côte déserte. mericés; l'air même est muet; ni le petit boui-ilonucmeiit d'un msccl
Ma, vie.incertaine,élail,commeces lueurs fantastiques que l'on erni ni la voix d'un,oiseau, matinal ne s élèvent de I herbe on du buisso
yum,passer,.devant soi au milieu.delahuiLet les.yeux.fermés, quant Ma mon turc fatiguée.' haletante comme si ses flancs allaient se brise
la fièvre commence à s'emparer du cerveau. Celte sensation dispa se traîna encore quelques wersies, et toujours nous étions... no
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD RYRON. • 91

femblions être seuls: enfin, tandis que nous cheminions pénible- |faiblie el doht'lès fn'yons errants me parurent osciller devant moi :
nient, je crois entendre le hennissement d'un cheval sortir d'un ij'ai ensuite le souvenir dé l'expression froide el sombre, vertigineuse
croupe de noirs sapins. Est-ce le vent qui en agile les branches ? mais
, intense, du retour dé mes sens : puis, ils s'affaissentde nou-
j<nn I non ! Une Iroupe de cavalerie s'élance de la forêt; je. la vois veau dâiïs la mort; ensuite viennent un -souffle léger, un vague
venir : elle s'avance- en nombreux escadrons! Je veux pousser un jfrisson, un court moment d'arrêt : une défaillance glaciale fige le
cri! mes lèvres sont Sans voix. Les coursiers s'élancent-en caracos sangdéinon
, coeur; des étincelles traversent mon cerveau... uh san-
' lanl fièrement; mais où soûl les mains qui doivent tenir les rênes? glot, une palpitation, un élancement de douleur, uh soupir.... et
Quoi! mille chevaux cl pas un seul cavnlierl Mille chevaux ayant plus rien.
la crinière flottante, la queue abandonnée aux,ycnls, de larges na-
seaux que la douleur n'a jamais comprimés, une bouche qui n'a ja- XIX.
mais saigné sous le mors ou la bride, un ongle que le fer n'a ja-
mais cnlamè et des flancs non sillonnés par l'éperon.ou le fouet; «Je m'éveille1... ou suis-je?i..Est-ceunvisage humain qui se penche
nulle chevaux sauvages, libres comme les vagues qui se suivent sur sur moi? est-ce un' toit qui m'abrite*'mes membres reposent-ils
l'Océan s'avancent serrés et d'un pasi retentissantà l'égaldu ton- sur un lit? suis-je dans «ne chambre? sont-cé des ^yeux refermaimôrlelsi
,
nerre, comme s'ils venaient au devant du débile voyageur. Celle vue ces yeux brillants qui me regardent d'un air si doux?... Je
ranime mon coursier, il accélère un momenLson pas incertain, il les miens, hésitant à croire que je fusse sorti d.î mon évanouisse-
répond par un faible et sourd hennissement: puis il tombe. Le voilà ment. Une jeune fille à la laillehaulc et dégagée, aux longs cheveux,
couché tpoussant son dernier soufflé, le regard vitreux, ses^mem- était assise près du mur de la chaumière et veillait sur moi;-.l'élina-
bres encore fumants et immobiles: c'en est fait, sa première, sa celle de son regard fut la première sensation que je saisis avec le
dernière course est finie. La- troupe s'avance : ses frères du dé- retour de ma pensée : car de temps en temps son oeil noir, naïf et
serl contemplent, sa chute; ils me voient, spectacle étrange! en- brillant, s'arrêtait sur moi avec une expression de sollicitude ct.de
chaîné sur son dos et tout couvert dp sang : ils s'arrêtent... ils fré- pitié : je l'observai, je l'observai eneôrc el jerhe convainquis enfin
missent... leurs naseaux aspirent l'air bruyamment : ils galopent que ce ne pouvait être une vision... mais que j'étais bien vivant et
un moment de côté et d'autre, s'approchent, se retirent, caracolent n'avais plus à craindre de servir de festin aux vautours. Quand la
autour du mourant; puis lout-à-coup reculent en bondissant, guidés vierge de l'Ukraine vit que le sceau fatal se levait enfin de mes pau-
pu; un grand cheval noir dont les flancs velus n'ont pas une seule pières appesanties, clic sourit... et moi, j'essayai de parler, mais je
tache, blanche, pas un seul poil blanc, et qui semble le patriarche ne pus... el en m'approchant elle me fil signe, un doigt sur ses lè-
de la Iribu. Ils reniflent, ils écument, ils hennissent, ils s'écarlcnt, vres, dé ne pas tenter de rompre le silence jusqu'à ce que mes forces
! ptrs. ayant aperçu l'oeil d'un homme, par un mouvement instinctif, fussent revenues; alors,elle posa sa main sur la mienne, elle releva
- ils reprennent
leur galop vers.la forêt. Ainsi je me trouve aban- l'oreiller sous ma tète; puis se glissant sur la pointe, des pieds, plie
;
donné à mon désespoir, garrotté sur lecadavredumalheureuxcour- ouvrit doucementla porte et dit quelques mots à voix busse... jamais
| sicr dont les membres inanimés sonl étendus sous moi, nu sentant je n'entendis de voix aussi douce! il y avait une musique même
plus du moins l'inaccoutuméfardeau dont jen'ai pu le débarrasser dans la légèreté de ses pas : mais les personnes qu'elle avait appe-
;î en me délivrant moi-même. Nous voilà couchés tous deux, le mou- lées dormaient sans doute, et elle sortit; mais, avant de disparaître,
nuit et le moi t. Je n'espérais guère alors qu'un autre jour se lève- elle jeta encore un regard sur moi : elle me fit un autre signe pour
{ rail sur ma têie inabritée et sans défense.
,
. m'indiquer que je n'avais rien à craindre, qu'on ne s'éloignait pas,
crépuscule, sentant doulou-
« Je restai ainsi depuis l'aube jusqu'au que lout était à mes ordres et quelle-môme ne larderait pas à reve-
: censément
le. poids des heures, et conservant tout juste assez de vie nir. Dès qu'elle fut sortie, il me sembla que je souffrais d'être seul.
sommeil : j'étais arrivé à
pour voir descendre sur moi mon dernier
celle certitude de désespoir qui nous réconcilie enfin avec ce qui
;
autrefois nous semblait le pire et le dernier des maux à craindre. XX.
; C'esl là l'inévitable, c'esl. même un
véritable bienfait qui, pour venir
> un peu toi,
n'en esl pas plus à dédaigner. Kt pourtant nous semblons « Elle revint avec son père et sa mère...mais qu'oi-je besoin, d'en
le craindre et l'éviter avec autant de soin que si c'était un simple dire plus?... je ne vous fatiguerai pas du long récit de ce qui m'ar-
piège auquel la prudence peut échapper. Souvent on nous voit riva une Ibis devenu l'hôte des Cosaques. Ils m'avaient trouvé pres-
-
désirer, implorer même ce dénoûment final, quelquefois môme que mort dans la plaine, m'avaient porté dans la .huile la plus
nous lc devançons en aiguisant contre nous notre propre épée ; et proche et m'avaient rappelé à la vie... moi -destiné à régner un jour
cependant c'est un sombre el affreux remède à des maux même iu- surcux. Ainsi l'insenséi qui, pour assouvir sa rage,-avait voulu ral'ti-
: lolérables, un-remède qui ne
plaît sous aucune forme. Et néan- ncr mon supplice, ne m'avait chassé dans la forêt sauvage, seul,
moins, chose bizarre! les enfants du plaisir, ceux qui ont abusé au- enchaîné, nu et saignant, que pour me faire passer du désert à un
:
delà de foule mesure de la beaulé, des festins, du vin cl des ri- trône... Quel mortel peut,deviner son sort?... Nul ne doit se décou-
; chesses, ceux-là meurent calmes, plus
calmes souvent que celui rager, nul ne doit.désespérer! Demain le fiorysthènes peut voir nos
-
qui pour lout héritage a recueilli la misère. Car, après avoir par- coursiers paître tranquillement sur son rivage turc... et jamais je
couru to.ur-à-lour tout ce que la terre offre de séduisant et de neuf, n'ai salué aveu tant de plaisir un fleuve que je ne saluerai celui-là
il ne reste rien à espérer, rien à regretter; peut-être même rien à quand ii nous aura mis en sûreté. Camarades, bonne uuill »
craindre, sauf,l'avenir, que les hommes n'envisagent pas precisé-
: ment selon leurs mérites, mais plutôt selon la force de leurs, nerfs. L'Iietman s'étendit à l'abri du chêne, sur le lil de feuilles qu'il
:
Au contraire, le malheureux espère toujours que ses maux .vont avait préparé, couche qui n'était ni rude ni insolite pour, lui : car il
? finir, et le trépas, qu'il devrait accueillir comme un ami, se présente dormait n'importe où, n'importe a quelle h -lire, et le sommeil ferma
' à son intelligence égarée comme venant lui ravir la récompense, ga- bientôt ses yeux. Si vous vous étonnez, lecteur, que Charles nii.ouhlié
V
Ruée, les,fruitsde son paradis. Demain lui aurait tout donné, aurai! de le remercier de son histoire, lui, Mazeppa, iiesciiUoiinu point...
pajé ses souffrances el. racheté sa chute ; demain aurait élé le pre- le roi dormait depuis une heure.
^ înicr des jours non déplorés ou maudits, un jour long el brillant,
-

l le premier d'une série d'années qu'il entrevoit radieuses à Iravers


• ses pleurs; demain il aurait pu commander, briller,, punir ou par- FIN DE MAZEPPA.
donner... Faut-il qu'une si belle aurore ne se lève que sur sa tombe?

XVIII.
«Le soleil s'abaissait vers l'horizon, etj'étais toujours attaché à ce
; cadavre froid et roidi : je crus que nous mêlerions là nos pous-
HEURES DE LOISIR
i sières; el au fond nul espoir de salut.nc se monlraut,.mesyeux;ob<-
!
scui-cis avaient besoin du trépas. Je jetai un dernier regard vers les
cieux, et là, .entre le soleil et moi je vis voler le corbeau impatient (Suite.)
lui, pour commencer son repas, attendait à regret que les deux vie-
limes fussent mortes. Il s'envolait el se posait à terre ; puis il re-
prenait son vol, el à chaque fois il s'approchait davantage : je sui-
vais à la lueur du.ci^pRSjçuJecliaque.iiiauvepienldoses ailes, et un
'nsiant il se trouva si prés de moi que j'aurais pu le tuer si j'en avais
T1T 898 if i

la f,oriç,e,:,majs,;un;!égçr mouvemen.1 de lamain.un faibje coup


eu,
qui effleura,le sable, up. bruit jÇoiiyulsif, arraché avec peine de mon LOCllNAGABR.
gosier.el méritant q pjeineJe.nqm .ds,,yoix, ,cç}.a suffit ppur l'écar-
<;. .' ,1 f•!>-lï :>l.: jardins
1 •'.
; -.; ..,;J ',, I :ï:;Vî G:-: ,'. ' i.
' , 'ri'.,. Je n'en jsais pas djdya,iitagej..,mp!iJide.rhipr rêve,, me pyëçentp . . de
Loin . --<:..
moi, riants paysages. de roses .
! que les favoris
l je ne sais quelle étoile divine qui attira dans lé lointain ma vue af- de la richesse errent dans vos bosquets. Hendez-moi les rochers sur
92 * LES VEILLEES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

lesquels dort la neige : leur silence est cher à la liberté et à l'amour. Néanmoins,je l'avoue, en lisant vos vers, je ne pouvais deviner '

Calédonie, j'aime tes montagnes, quoique leursblancs sommets ser- tous
te ses mériles : vous me sembliez malheureux, et j'ai plaint la ; [!
vent de théâtre à la lulte des éléments. Bien que les cataractesécu- triste victime d'une beauté si cruelle.
ti d
mantes y remplacent les sources paisibles, mon coeur regrette la ' Puisque les baisers embaumésde votre enchanteresseexcitent en - f,
vallée du sombre Lochnagarr. vousde
v tels ravissements ; puisque, dites-vous, vous oubliez le monde
Ah ! c'est là qu'ont erré mes pas d'enfant; la toque des monta- entier
e quand vos lèvres ont rencontré les siennes, mes conseils ne (t
gnards couvrait ma tête; un plaid était mon manteau, el dans mes sont plus de saison.
si
courses de chaque jour à travers les clairières des forêts de pins, Moi, selon vous, je suis un volage, el je n'entends rien
_ à_ l'amour, <i
ma mémoire évoquait les chefs des anciens jours. Je ne revenais Vous
V avez raison , je suis assez peu enclin à la constance : si j'ai ]
point à mon foyer, avant que l'éclat du jour eût fait place aux b
bonne mémoire, j'ai aimé bon nombre de fois ; mais convenez aussi
i
rayons brillants de l'étoile polaire ; car mon imaginations'enivrait qque changement a bien son charme.
le
des traditions que me racontaient les enfants du Lochnagarr. Je ne veux point, pour me plier au caprice d'une belle, suivre en .-
Ombres des trépassés! n'ai-je point entendu vos voix s'élever sur amour
a les règles du roman; bien qu'un sourire me charme, un
l'haleine orageuse du vent du soir. Sans doute l'âme d'un héros se moment
u de mauvaise humeur ne m'épouvante pas, et ne me pous- ,
réjouit en traversant montée sur la brise son vallon natal des High- ssera jamais au désespoir. j
lands. Les vapeurs de l'orage s'amassent sur les flancs du Lochna- Tant que mon sang coulera aussi chaud, je ne me corrigerai pas ;
garr , et l'hiver les parcourt sur son char de glace. Ces nuages en- eet n'irai point à l'école du platonisme; ce dont je suis certain, c'est l
veloppenl les ombres de mes pères qui habitent les tempêtes du qque si ma passion s'épurait à ce point, une maîtresse comme la f;
sombre Lochnagarr: vôtre
v me traiterait de sot.
Guerriers aussi braves que malheureux (1), nulle vision prophé- Si je dédaignais loules les femmes pour une seule dont l'image J
tique ne vint-elle vous annoncer que la fortune abandonnait votre devrait
c remplir tout mon coeur, et qui accaparerait toutes mes pré- ;
cause? Ah ! si vous fûtes destinésd'avance à tomber à Culloden, la férences
f et tous mes soupirs, quelle insulte ne ferais-je pas à tout le i
victoire n'a pas eu à s'enorgueillir de votre trépas. Mais vous fûtes ssexe ! s
heureux de l'asile que vous offrait le sein de la terre : vous reposez Adieu donc, mon ami. Votre passion, je ne le cache pas, me pa- I
avec ceux de votre clan dans les grotles de Braemar'; accompagné
par les sons les plus graves de la cornemuse, le pibroch redit vos
raît
i
ment
i
tout-à-fail absurde : l'amour que vous prêchez est effective-
un amour pur et abstrait ; car il ne consiste que dans le mot, :j
|
exploits aux échos du sombre Lochnagarr.
Les ans ont marché, Lochnagarr, depuis que je t'ai quille ; des
années pourront s'écouler encore, avant que je foule de nouveau
tes pentes : la nature t'a refusé la verdure et les fleurs; el pourtant LA FICTION.
tu m'es plus cher que les plaines d'Albion. Angleterre, les beautés
sont trop calmes, trop amies du foyer domestique pour l'homme qui Mère des rêves dorés, muse de la Fiction, riante souveraine des
erra au loin dans les montagnes. Oh ! rien ne vaut les rochers ma- joies enfantines, toi qui conduis la danse aérienne d'un long cor- :
jestueux et sauvages, les sommets ailiers et menaçants du sombre tége de vierges et de garçons : enfin m'atiVaiichissantde ta magie, :
Lochnagarr. je brise les liens de mon jeune âge; mon pied ne foulera plus ton :
cercle mystique : je quille tes domaines pour ceux de la réalité.
Et pourtant il est dur de renoncer à ces songes, hôtes d'une âme !
A UN AMI naïve, dans lesquels la.moindre beaulé rustique semble une déesse
dont les yeux lancent des rayons immortels, où l'imagination règne
SITn LA COQUETTEB1E0E SA MAÎTRESSE (1806). sur un empire sans limites, où tous les objets se teignent de cou- ;
II leurs changeantes où les jeunes filles cessent d'être vaines, où les
Ami, pourquoi gémir de ses dédains? pourquoi te désespérer? sourires de la femme sont sincères.
Essaie pendant des mois entiers, si tu veux, ce que peuvent les I Faul-il donc avouer que tu n'es qu'un nom? faut-il descendre de
soupirs; mais, crois-moi, jamais soupirs n'ont triomphé d'une co- ton palais de nuages? ne plus trouver un sylphe dans chaque ràor-
quette. telle, un Pyladc dans chaque ami? mais tout-à-coup abandonner
Veux-tu l'amener à comprendre l'amour, feins quelque temps ton empire'èlhéré aux groupes confus des lutins, enfants de la fée-
d'être volage. Peut-être d'abord montrera-t-elle de l'humeur ; mais rie, confesser que la femme est aussi Irompeuse que belle et que les
laisse-la y songer-, bientôt elle te sourira, et la réconciliation sera amis sont véritablement dévoués... à leurs intérêts.
scellée sur les lèvres de ta coquette. Je le déclare à ma honte, j'ai subi ton joug : mais je me repens
Car telles sont les allures de ces belles capricieuses; elles consi- el ton règne est fini. Je n'obéis plus à les lois, je ne m'élève plus
dèrent les hommages comme une dette qu'on leur paie ; mais un sur des ailes imaginaires. Tendre folie, que d'aimer un oeil brillant
oubli momentané produit bientôt son effet et abaisse la plus fière eld'y lire la sincérité; de croire aux soupirs d'un coeur inconstant
coquette. el de s'attendrir à ses larmes!
Cache tes souffrances, relâche la chaîne et montre-toi faligué de O Fiction I maintenant fatigué de mensonges, je fuis loin de ta
ses hauteurs. Quand tu reviendras en soupirant auprès d'elle, tu cour inconstante où dominent l'affectation et la sensiblerie : leurs
n'auras plus à craindre de refus; elle sera toute à toi, la charmante larmes imbéciles ne savent couler que pour les maux que tu en-
coquette. fantes el elles se détournent des souffrances réelles pour bâtir dans
Si enfin, par un faux amour-propre, elle persiste à se moquer de les brouillards ton temple fantastique.
tes maux, oublie loul-à-fait la jeune capricieuse, porte les homma- Va-t'en rejoindre la sombre Sympathie, couronnée de cyprès et
ges ailleurs, où l'on partagera tes feux en riant avec toi de tapetile velue do deuil, qui mêle à tes soupirs ses soupirs sans inotf's, dont
coquette. le coeur saigne pour tous les coeurs du monde. Evoque ton choeur de
Pour moi, j'en adore une vingtaine,tout au moins, et je les chéris; dryades pour pleurer un berger à jamais perdu, lequel, ayant brûlé
tendrement ; mais quoique mon coeur soit esclave de leurs charmes, naguère de ton feu banal, désormais ne s'incline plus devant ton
je les abandonnerais toutes, si elles agissaient comme ton imper- trône.
tinente coquille. O tendres nymphes dont les larmes sont prêtes à couler en toute
Plus de langueurs, adopte mon avis, et brise d'un effort ses débilesi occasion, dont les coeurs se gonflent d'imaginaires terreurs, s'em-
filets; chasse le désespoir, et n'hésite plus un moment à fuir ta dan- brasenl d'une flamme et d'un délire également imaginaires : dites,
gereuse coquette. plcurerez-vous mon nom absent, le nom d'un apostat qui renie
Quitte-la, mon ami ; sache dégager ton coeur avant qu'il soitt votre aimable secte? Un jeune poète a droit de vous demander un
tout-à-fait englué dans ses pièges. N'attends pas que ton âme pro- hymne de regrets.
fondémentblessée s'indigne à la fin et maudisse la coquette. Adieu, sensibles créatures! adieu pour longtemps! l'heure mar-
quée par le destin approche : d'ici j'aperçois le gouffre où vous allez
disparaître sans laisser de regrets; je vois le lac ténébreux de l'ou-
bli, agité de tempêtes que vous ne pouvez maîtriser : c'est là que
AU MÊME. vous et votre aimable reine, vous allez, hélas ! vous engloutir tous
ensemble.
Pardonnez-moi, mon ami, si mes vers vous ont blessé ; pardon-
nez-moi je vous le demande mille fois. Par amitié, j'ai voulu gué-
, mais je n'entreprendrai plus pareille tâche, jee
rir vos chagrins; A UN CRITIQUE BIENVEILLANT.
vous jure.
le
Puisque votre belle maîtresse a récompensé voire .flamme, je nee La bonne foi me fait un devoir de louer vos vers qui sont à la fois
peux plus blâmer votre passion ; elle est toute divine maintenant,, d'un censeur et d'un ami. Vos reproches énergiques mais bien mé-
et je m'incline devant l'autel de votre ci-devant coquette. rités m'arrachent mon approbation, à moi dont l'imprudence se les
est attirés. Pour lous ces défauts qui gâtent mes vers, j'implore de
(1) Allusion aux Gordons, ancêtresmaternels du poète. î
vous mon pardon : dois-y i l'implorer en vain? Le sage s'écarlo
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON. 93

îelquefois des voies de la sagesse; dès lors comment un jeune chant,


chi sans espoir, sans amis, sans foyer, n'ayant que leur Dieu
ur pourrait-il réprimer ses inspirations naturelles? Les préceptes po refuge.
pour
la prudence répriment, sans pouvoir les dompter, les ardentes Ecoutez l les voûtes sonores de la salle retentissent des accords,
lotions d'une âmequi déborde. Quand ledélire amoureux s'empare nouveaux
no pourelles, d'une musiquebelliqueuse! emblèmesdu pou-
'un coeur brûlant, l'étiquette le suit de loin et d'un pas boi- vo impérieux d'un guerrier, les hautes bannières armoriées flot-
voir
ux. Vainementla vieille radoteuse accélère sa démarche de prude, tei dans cette enceinte.
tent
le est bientôtvaincuedanscettechassedelapensée. J euneselvieux La voix lointaine des sentinelles qu'on relève, la joie bruyante
nt porté les chaînes de l'amour: que ceux qui n'en onl jamaissenti des festins, le cliquetis des armes qu'on répare, les sons éclatants de
de
poids désapprouventmes chansons; que ceuxdont l'âmedédaigne la trompette et les sourds roulements du tambour, se mêlent trop
e joug charmant accablent de leurs censures une
victime résignée, so souvent au cri d'alarme.
Pour moi, je hais, je déleste une poésie énervée et glaciale, per- Jadis abbaye, aujourd'hui forteresseroyale, entourée d'insolents
étucl écho de la foule des rimeurs dont les vers laborieux coulent rebelles, re tes remparts menaçants se hérissent de redoutables engins
vec une grelotanle monotonie pour peindre une passion que l'au- et vomissent le trépas au milieu d'une pluie de soufre enflammée.
cur n'a jamais connue. Mon Helicon sans art, c'esl la jeunesse... Vaine défense ! le perfide assiégeant, souvent repoussé, triomphe
la lyre, c'est le coeur; ma muse, la simple vérité; loin de moi de de d( la valeur par la ruse. D'innombrablesennemis accablent le su-
< corrompre une
âme virginale. » One pareille crainte suffira tou- jet je fidèle, et l'étendard de la rébellion flotte au-dessus des murs.
ours pour me retenir. La jeune fille dont le coeur pudique est dé- Le redoutable baron ne tombe pourtant point sans vengeance :
ourvu d'artifice, dont les désirs naïfs se montrent, dans un modeste le sang des traîtres a rougi la plaine. Invaincu, sa main brandit en-
ourirc, dont l'oeil baissé n'aura jamais d'oeillade lascive; forte de core ci le glaive ; et des jours de gloire lui sont encore réservés.
sa vertu, mais non sévère; celle enfin qu'embellit une grâce natu-
Alors le guerrier eût voulu mourir sur les lauriers cueillis par sa
relle, celle-là mes vers ne sauraient la corrompre. Mais celle nym- main, m et s'étendre dans une tombe volontaire; mais le génie pro-
nhe dont le coeur esl tourmenté de précoces désirs et de coupables te tecteur de Charles accourut sauver l'ami, l'espoir du malheureux
flammes, point n'est besoin de tendre de pièges pour enlacer son n
monarque.
coeur : elle serait tombée, n'eût-ellejamais rien lu au monde. Pour Tremblant de son danger, il sut l'arracher à un combat inégal,
moi, je ne songe qu'à plaire à ces âmes d'élite, qui, fidèles au sen- pour
p aller sur d'autres champsde bataille repousser le torrent enva-
liment el à la nature, épargneront ma musc adolescente et netrai- h
hisseur. Sa vie était réservée pour de plus nobles combats : il devait
teront pas sans pitié les légères effusions d'un coeur inexpérimenté, j guider g les rangs au milieu desquels tomba Falkland, lc plus accom-
Ce n'est point à la foule stupide que je demanderai la gloire : ses ppli des mortels.
factices lauriers n'ont poinl d'attrait pour moi. A peine accepte- j Malheureux édifice, maintenant abandonné à un pillage effréné I
rais-je ses applaudissementsles plus chaleureux : et je méprise éga- ! les 1 gémissements des mourants, l'odeur du sang des victimes, s'élè-
lcment ses sarcasmeset ses censures. vent
v de ton enceinte, encens bien différent de celui que tu envoyais
I autrefois
a vers les cieux.

j
I Les cadavres hideux, pâles, infects des brigands souillent tes sa-
ccrés parvis; sur les restes des hommes et des chevaux entassés
L'ABnAYE M5 NEWSTEAD. pêle-mêle,
I monceau de pourriture, les spoliateurs se fraient un
chemin.
<
Klégic. Les tombeaux, recouvertsautrefois d'herbes épaisses et soupirant
)
à
«
la brise, dévastés maintenant, rendent à la lumière les dépouilles
! O Ncwsteadl séjour naguère resplendissant et tombant si vite en qui
< leur étaient confiées : le repos des morts même n'échappe point
1 ruines! sanctuaire de la i'oil orgueil du repentir d'un Henri (1)
; ài la rapacité des pillards qui cherchent l'or enfoui avec eux.
j sainl mausolée de guerriers, de moines cl de châtelaines dont les La harpe se tait; les sons belliqueux ont cessé de retentir, caria
; ombres mélancoliquesse glissent parmi les ruines.
main
} du ménestrel est glacée dans la mort : elle ne fait plus vibrer
i Salut! monument plus respectable dans la chute que tant d'édi- ila corde frémissante pour chanter les lauriers et la gloire.
\ fices modernes dans leur magnificence intacte; les voûtes de tes Enfin les meurtriers, gorgésde butin, rassasiés de carnage, se sont
f salles s'élèvent dans un sombre et majestueux orgueil et semblent retirés : le bruit du combat a cessé : le silence reprend son em-
I défier les ravages du temps. pire formidable, et l'Horreur à l'aspect sombre garde la porte
Les serfs, revêtus de leurs colles de mailles et dociles à la voix de massive.
\ leurs seigneurs, n'y sont jamais venus, phalange formidable, dc- C'est là que la Désolation tient sa redoutable cour : quels hé-
; mander la croix rouge, ou s'asseoir gaiment autour de la fable
raulls proclament son règne fatal? Des oiseaux de funeste au-
\ hospitalière du chef pour qu'ils forment une immortelle armée : gure prennentleur vol à l'heure sombre du soir, et leurs ciis lugu-
S'il en eût été ainsi, l'imagination inspiratrice pourrait, par sa bres célèbrent les vigiles dans le sanctuaire désolé.
i magie, me relrucer leurs exploits dans la suite des âges, évoquer Bientôt cependant les rayons vivifiants d'une nouvelle aurore
i; devant moi tous ces jeunes héros, pèlerins volontaires qui se con- chassent du ciel de l'Angleterre les nuages de l'anarchie : le farou-
| damnèrent à mourir sous le ciel de la Judée. che usurpateur retourne dans l'enfer d'où il est sorti, et la nature
| Mais ce n'est pas de ton enceinte, vénérable édifice, que parlait applaudit à la mort du tyran.
Elle salue par des tempêtes les gémissements de son agonie :
I lc guerrier : son domaine féodal était situé dans d'autres contrées.
| Ici la conscience, en s'éloignant de la vaine pompe du siècle, venait l'ouragan répond à ses derniers et pénibles soupirs : la terre trem-
S chercher un remède à ses blessures. ble au moment où elle reçoit ses os : ce n'est qu'à regret qu'elle
j Oui, dans tes sombres cellules el sous tes ombrages épais, les accepte_ cette hideuse offrande.
|
4 moine abjurait un monde qu'il ne pouvait plus revoir : le crime•
souillé de sang y trouvait le calme dans le repentir, ou l'innocences
4 un asile contre l'oppression.
Le légitime souverain reprend le gouvernail, et guide sur des
mers plus calmes le vaisseau de l'Etat. L'espérance sourit à un
règne pacifique, et cicatrise les blessures saignantes des haines fa-
;| Un monarque te fit naître du sein de ces solitudes où erraientt tiguées.
|| autrefois les outlawsdu Sherwood, et les divers crimesengendrés parr O Newslead ! les sombres usurpateurs de tes retraites s'éloignent
la superstition viennent s'y abriter sous le capuchon du prêtre. avec des cris discordants de leurs nids dévastés : le maître revient
Aux lieux où maintenant le gazon exhale une rosée de vapeurs, prendre possession de ses domaines, et l'absence en relève pour lui
humide linceul jeté sur l'argile des morls, les moines vénérés ci-ois-, le charme.
saient en sainteté et leurs pieuses voix ne s'élevaient quepour prier. Les vassaux réunis dans ton enceinte hospitalièrecélèbrent dans
:
Où maintenant la chauve-souris déploie ses ailes vacillantes aus- un banquet joyeux le retour de leur maître : la culture revient
:
sitôt que le crépuscule étend une ombre douteuse; alors le choeurr embellir la riante vallée : et les mères, tout à l'heure désolées, ont
- retentissait du chant des vêpres ou
des prières matinalesadressées ài cessé leurs chants dé deuil.
Marie. Des milliersde voix joyeusessont répétéespar l'écho mélodieux ; les
bcs années font place aux années et les siècles aux siècles; less arbres se revêtent d'un plus riche feuillage. Ecoutez I le cor fait en-
abbés succèdent aux abbés, et la charte de la religion est leur bou- tendre ses accents prolongés, et le cri du chasseur reste suspendu
clier protecteur jusqu'au jour où un monarque sacrilège prononce e sur l'aile de la brise.
leur arrêt. La vallée tremble au loin sous les pieds des chevaux : que de
Un pieux Henri éleva ce gothique édifice et en fit un asile de dé- i- craintes, que d'espérances accompagnent la chasseI Le cerf mou-
votion et de paix : un autre Henri relire ce don bienfaisant et im-
- rant a cherché un refuge dans les flots du lac, et des cris triom-
pose silence aux saints échos de la prière. phants annoncent que sa course est finie.
Menaces, supplications,tout est inutile : il chasse les religieux dee Heureux jours! trop heureux pour être durables! Tels étaient les
leur paisible retraite ; il les condamne à errer parmi un monde mé- plaisirs innocents de nos simples aïeux. Point de
i- ces vices qui sé-
duisent par leur éclatl mille joyeuses occupations, et de bien rares
H (t) Henri Tl fonda cette abbaye, en expiation du meurtre de Thomas soucis !
lg Chez une telle race, les fils succèdentaux pères. En vain le temps
1 r,ecl!-et> archevêque de Cantorbéry, en 1170; et ce ne Tut que sous 1S
a Henri Vlll que ce domaine sécularisé passa dans la famille des Byron. poursuit son cours, en vain la mort brandit sa faulx. Un autre chef
94 MIS VIPJUÈËS JL17T&t&Rf$ ILLUSTI^Eg.

suit le cerf liois d'haleine '" '•''•.'


vient rnpnfer le coursier écumanf,une autre foule de vassaux,pour-
'Q -Newslead! que top aspect est tristement changé! Tes arceaux
tombe
to
sumeront
si
silencieuse-,vieux et jeunes, amis et ennemis,,lous se con-
de mênîe et pourrirontdans le linceul.
;Le marbre vieillit el dure un long espacesletemps;maistifinil par
lézardés annoncent les-progrès lents dp la destruction. .Un enfant, tomber,
te inutile débris, en proie aiix coups iihpiloyables de jà des-
le dernier rejeton d Âiné noble race, domine .aujourd'hui sur tes truction : dès plus orgueilleux édifices, il fie reste plus ,qu!une
fr
tours, prêles à s'écrouler. .;'.;.-,,. ruineinforme.
n Quànil -'
,
Il çonteinple tes vieux remparts, maintenant solitaires; tes ca- les chefs-d'oeuvre de Ja sculpture disparaissent ainsi, qui
veaux <>ù donnent 'es-défunts- des âges féodaux ; les'cloîlres; que peut
p donc échapper à l'oubli?... la spulë reniomuiée de ceux dont
(inversent les pluies de l'hiver ; i] les contemple, et -il ne neutre1- Jes vertus rtiérjtentcette.br'ii.lanteRécompense.
je
tenir «es larmes.'.... • -
'.
Slais non des larmes de regret! une pieuse affection les fait seule
couler. L'orgueil, l'espérance et l'amour lui défendent l'oubli et
allument: dans son sein -unegénéreuse ardeur.
Et cependant il préfère ton séjour aux dômes- dorés, aux bril-
Ne dis donc plus que la'commune destinée de tous est dans lc3
flots
II duLélhé. lin petit nombre d'hommes né seront jamais oubliés',
e briseront les chaînes du tombeau.
et "",--
lants sajoris de la grandeur'Vaniteuse; il se plaît à errer parmi tes
tombes-humides et .moussues,\éj il n'a,pas un murmure contre les
arrêts du destin. LE BANDEAU DE VELOURS (I80G).
- =
.Peui'-êlre ton soleil, sortant du nuage, doit-il briller encore, et Ce bandeau qui retenait tes blonds cheveux, il est à moi, douce
t'illuininer
_ des raypns de son midi : peut-rêlre les heures splendides
-de ton passé doivent-ellesresurgir dans un aivenir fortuné; |enfant'.'Ten'dre
„ gagédë'Wn àmoûr; je dois le garder avec ml'soin
assidu et:jaloux, comme oh les reliques
Conserve habitant d'Un des
" cièîix.'
c 1 ' ''- '''-"-
'"Je" veux le porter près de mon coeur :
'''•'' •'•'' '"'V:;- |;
^
" •''><>> ><•• •••
doux lien qui enchaînera
A UN AMI (1806). mon |
âm'e'à là tienne, il ne me quittera jamais, et,
mêlera'sacpbussiëre à ma poussière.''
dans
'"'; '" '"'''"
là tombe,
:
il

La rosiSé que je cueille sur tes lèvres m'est moins chère encore
Vous me conseillez de fréquenter le monde : c'est un avis dont ce'don : elle, je ne l'aspire qu'un instant, je n'y puise qu'une
je ne puis niéconuaître la sagesse , mais la retraite convient à mon que
;
félicité passagère '
humeur : je ne veux point m'abaissér à un contact que je méprisé. ?
'Lui1, :
il me rappellera toutes les scènes de mon jeune âge; même
Si le sénat ou les camps réclamaient mes efforts, l'ambition me quand notre vie penchera vers son déclin :'"et le feuillage de I a-
.pousserait peut-être à me produire; quand l'adolescence et ses an- nmïiPpaurra reverdir', rafraîchi pài1 le souvenir. '
nées d'épreuves seront passées pour moi,, peut-être éssaierai-jede ' dorés, qui formais des anneaux si
O petite boucle de cheveux
me montrerdigue.de ma naissance. gracieux sur une tête adorée! pour un monde tout entier, je ne
Le, feu qui .brûle aux cavernes de .l'Etna bouillonne invisible J
voudrais pas te perdre;
dans ses mystérieuses retraites... -Mais enfin il se révèleimmense , Quoique des milliers d'autres boucles semblables à loi orncnl le
épouvantable; aucun torrent ne peut l'éteindre, aucune limite le front
. poli où naguère tu brillais, comme le rayon qui dore une
contenir.
Ainsi le désir de la gloire vit caché dans mon coeuj, et me çon-
matinée
' sans nuage sous lc ciel brûlant de la Colombie.
seille de ne vivre que poui- les applaudissemcnlsdelà postérité. Si,
commele phénix, je pouvais m'éleversur l'aile de la flamme, comme
ilui, je me mettrais au bûcher.
Oh ! pour la vie d'un Fox ou la mort d'un Cliatam, que de cen- L'AMOUR ET L'AMITIÉ (1806).
sures, de périls, de souffrances ne braverais-je pas! Leur vie ne
s'est pas terminée quand ils ont rendu le dernier souffle, et leur Pourquoi mon coeur inquiet gémirait-il de la fuite de ma .jeu-
iglpirc illumine l'obscurité de leur tombeau. ' nesse? Des jours de bonheur me sont encore réservés : l'alfeclimi
Mais pourquoi me mèlerais-.je à' l'immense troupeau des esclaves n'est pas morte. Quand je repasse dans ma mémoire les aimées de
'delà mode? Pourquoi irais-je flatter ceux qui la gouvernent el ram- mon adolescence, une éternelle vérité , que j'y trouve gravée pro-
pèrsous ses lois? Pourquoi m'incliner devant l'orgueil ou applau- fondément, me procure une consolation céleste. Douces lui-es,
dir l'absurde? Pourquoi chercher le bonheurdans l'amitié des sots. porlez-,là dans ces lieux où pour la première l'ois mon coeur battit
J'ai goûté les douceurs et lés amertumes de l'amour; j'ai cru de à l'unisson d'un autre coeur : « L'amitié, c'est l'amour sans ailes. »
Ibonnc heure à l'amitié. Les prudentes matrones onl désapprouvé Dans le cours de mes années peu nombreuses, mais ngilées. quels
:mcs tlammés, et j'ai .trouvé qu'un ami peut promettre et trahir. instants m'ont appartenu? Tantôt ils élnieiil à demi obscurcis p:ir
Qu'est .pour moi la richesse? elle peut s'évanouir en un instant des nuages de larmes; tantôt ils s'éclairaient de rayons divins.
.devant le triomphe îles tyrans, devant un caprice de la fortune. Quelque avenir qui me soil résevé, mon âme, enivrée du passé,
<Q.ù«st-ce pour moi oji'un litre?.... le fantôme de la puissance. Que s'attache avec délices à une pensée unique. Amitié, efie esl à loi Unit
melfàïtla mode?... je n'ambitionne que la gloire. entière; elle vaut à elle seule un monde de félicite, celle'pensée
.L'imposture est étrangèie à mon âme : je ne sais point farder la . qui
me dit : « L'amitié:, c'est l'amour sans ailes. »
vérité ; (noûrqiioi dpiic ii-ai-jc me soumettre à un contrôle odieux? ,l.à, où ces ils balancent légèrementleurs rameaux au souffle de
'"'"' "'
^Pourquoi-sacrifieraux folies du' monde les jours de ma jeunesse.
" "
la brise, s'élève une tombe simple et rarement visitée , monument
- | de la commune destinée. A l'eulour jouent les écoliers insouciants
I jusqu'au moment où la triste cloche du studieux séjour annonce
la fin des jeux enfantins. Ah I partout où se portent mes pas, 'mes
lurincs silencieuses rie le prouvent que trop : «L'amitié, c'est, l'a-
SUR UN POÈME INTITULÉ : LA DESTINÉE COMMUNE.
mour sans ailes. » ;
.îjlqn'tgomery, tu dis vrai : la commune destinée des mortels est; Amour , devant tes brillants aulels , j'ai prononcé mes premiers
daiis-fcs ifiots du Léthé .quelques hommes cependant ne sont ja- voeux; mes espérances, mes rêves, mon coeur, élaiéiit à: toi : mais
mpJiS
'Ouliliés; quelques .hommes vivront'au-delàdu.tom.beau. lout cela maintenant est usé, flétri; car ,les ailes .soiit compie le
'"'Quajiiïl un héros gouverne le flux' et le reflux des batailles, sou- vent,'et ne laissent aucune trace derrière elles, sauf, hélas! l'ai-
démon'perfide", lu ne
vent un ignore.le,lieu de .sa naissance; mais nul n'ignore sa gloirei guiilou de la jalousie. Laisse-moi, laisse-moi,
'miiilâïre,qui brille au loin comme un météore. présideras pas aux jours qui m'attendent, à moins quetu ne" sois
£cs joies el ses ^imleurs, ses plaisirs où ses peines échapperontt dépouillé de les ailes.
peut être à la plume dé l'histoiie; mais des nations encore à naîtres Séjour de ma jeunesse ; tta tour aperçue de loin mp rappelle bien
^entendront répéter son nom immortel. •"" ' ' des jours de bonheur; je sens se rallumer en moi mon premier
Le corps périssable du patriote et du poêle .partagera la tombei feu......et je me crois redevenu enfant. Ton bosquet d'ormeaux, la
commune de tous debout l'es Jio'iiirnës; leur gloire ne dormira pas dei coltine verdoyante', les-moindres sentiers sont pour iiidi ' pleins
même; elle restera sur les ruines mêmes des empires; d'attraits, tes fleurs m'apportent un double parfum, et dans un
L,éclat des yeux de la .beauté prendra l'épouvantable.fixité dui joyeux enlrëlicn chacun des amis de mon enfadeë semble me'dire :
trépas;: lout ce'qii'iry a dé^beaû, dé vaillant, dcjion doit mourir ett « L'amitié, c'est l'amour sans ailes ! »
rlçsceiidredansïlè sépulcre -béant.- Cher Çlare; pourquoi pleurer? reliens tes larmes : .l'affection .peut
-
'^1 aïs dés i-ëgàrds'éloquents reYivcnl et brillent encore dans ,less dormir quelque temps; mais, sois en sûr, elle se réveillé; Pense
vers d'un aniai|l;.la.Laurëde tPélràrque est vivante encore : elles donc, ami, la première fois que nous nous reyerrons, cette entrevue
iniourut.un-'îpis,.nipi^ellë rie mpùri-à^ilus. ''"•' longtempsdésirée combien elle sera clouée! cette espérajïi'cèfait .battre
" 'Le'ésiiisVi'ns'se
spiyeiiV et .dispàraisseUl: le temps poursuit son-vcd
1 mon coeur Tant quelle jeunes coeurs savent aimer ainsi ^l'absence,
infatigable,'mais les làiiriéls de là fehornméé ne se fanent jamais ; ô mon ami, ne fait que nous dire : « L'amitié, c'est l'amour sans
ijls fleurissent rafraîchis par .un,.pçiptemps éternel. ailes!'»'"' •" - ' -lJ •">''"<' : ">; - i--e- '- i- »"-' ''
' \-Sjoù,s,'tous doivjifl^dôrmir dans "un,,lugubre repos, au fpnd.deja
Ç(ne'fpis, jne seule fois .trompé, me suis-je ^amenté sur.nion
a '
OEUVRES COMPLÈTES PE LORD BYRON. $5

•rcur? Non. Affranchi d!un lien tyrannique, je sus mépriser un ! gré; mon coeur peut encore multiplier Ion image. L'amour heureux
liillienicux: Je thé'tournai vers ceux que mon enfaiïce avait cori- se perd par la satiété : les malheureux sont les amants fidèles : leur
àl'âme chaleureuse aux sentiments sincères; attachés à mon destinée esl de voir s'éleindre tous leurs sentiments, sauf un seul,
ns,
lui' par des cordes sympathiques; el jusqu'à ce que cesje'cordes \ el toutes leurs passions s'absorber dans une passion unique, comme
jvantcs soient brisées, c'est' pour ceux-là seulement que ferai les fleuves courent se confondre dans l'Océan•''océan, chez eux,
ibi-er'dans mon sèiri les accords'de l'amitié, cet amour sans ailes; sans bornes et sans rivages.
Rares élus l'àvous mon âme ë't mavie.tnessôuvenirsetmesèspé-
inccs -, votre mérite vous assure Une affection'durable
et-libre'djjfis P*
on cours. Que l'Adulation aux traits séduisants,
à la langue miel-
nse, fille de' l'Impostureet de la Crainte, se contente d'assiégerles §ur ma tête, écoutezI écoulez les cris prolongés et frénéliqties (je
ois : pour nous mes amis au'milieu de la joie qui nous enivre ceux dont le corps et l'âme sont également captifs. Ecoutez les coups
, ,
online des pièges qui nous menacent, nous n'oublieronsjamais que de fouet el les hurlements qui redoublent, et les blaspnem'és articulés
:l'iiiniiiéi c'est l'amour sans ailes."-- - ?
à demi- Ici se trouvent des' hotninès infectas d'un mal pjre que là dé-
Des fictions, des rêves inspirent le poète qui aborde l'épopée ; que mence, des hommes qui se plaisentà "tourmenter (lésâmes déjà trop
'amitié cl la sincérité soient ma récompense : je neveux pas d'au- souffrantes,à obscurcir par des tortures inutiles le peu de lumière qui
ic palme. Si les lauriers de la gloire ne croissent qu'au sein du leur reste encore : car le bonheur du tyran est dans l'excès des tour-
ncnsoiige, que l'enchanteresse fuie loin de moi, car c'est mon ments qu'il inflige. Je me trouve à la fois èiïlojuré de ces bourreaux
:oeiii' et non mon imagination qui parle dans mes chants. Jeune et el de leurs victimes; c'est au milieu de pareils bruits, au milieu de
uiïf.je ne sais point feindre, cl je répète ce rustique, mais sincère pareils spectacles que j'ai vécu ces longues années, que pcul-àjre.je
cl'rain : « L'amitié, c'esl l'amour sans ailes! » terminerai ma vie : eh bien! soit... alorsdu moins, je reposerai., '

IV.
J'ai été patient, je dote l'être encore; ma mémoire a perdu la
moitié
n des trésors que je voulais en effacer : mais l'es souvenirs
LA n reviennent... Olil'que ne puis-je oublier comme'on m'oublie.
me
-Eàujiïi'-^biic pardonner à ceux qui m'onl imposé pour demeure cet

UPfITimON DU T||||. j |î^mlà) flë tous les maux, où le rire n'est point une joie, ni là'pensée
Ùn'|iïgemèni, ni la parole uh langage, ni l'homme enfin une fraction
de l'îîuiliànité; où les injures répondent aux malédictions, les cris
aux côlips; où chaque victime est torturée dans un enfer distinct?
Car ici nous sommes nombreux, mais séparés entre nous pu- un mur
qui
c
ren^oje" en écho tous les balbulicmen'ts de la démence. Tous
«_)0«1* entendent;
c niais nul ri'ècoule la voix de son voisin... Nul, sauf un
seul,
s le!pluà" malheùr'ëux de tous, celui qui ne méritait pus'd'avoir
de
<
pareil cbmpâgtfops'et'-'d'èlre confine ainsi entre des malades"et .
I. dps'-inseiisês'y^
<
à ceux qui ui'otil enchaîné ici, qui
m?ont
I
trVih datîs'W-upmip'rt-dès hommes, en me privant de l'usage de
Les années sont bien longues... Elles pèsent Ji la fibre irritable î
mon irilèiligen^o/pïtV-ièëaiîlma vie au point le plus glorieux de ma
«le l'cnl'anl <lç la lyre; elles étouffent son
-yoj'!-|'Aigjc, ces •Iônguè/s i çarrlèf^'^et-^iia^qiiiiu^^ù'Ti' fer chaud loules mes pensées comme
minées d'inilragos,'ih'. calomnies et d'injiistiç!cls.l'j'ài subi linë necii- 'dangereuses
i
;etifa¥àfc^''Ués tortures, ne lés leur iiilligcrai'-je point
siilion de démence, une prison solitaire,'Ià^jjjSiy d'air et de lumière, i mon à tour 5, ne''letti-^ns'clgnèrai-jo pas ce que c'est que I angoisse
cancer qui dévore l'âme ulcérée; une grillc'nb'hôrrëç mil, intè'rçèp- qu'on
i étouffe, l'ellorf ftït'ér-iour du calme qu'on s'impose et le froiil
huit lés rayons du soleil, laisse monter âù°çër'ycaù';'%,ar la jirrineljc désespoir'qui
i
coritremine lès progrès du stoïcisme? Non... je suis
cnnvnlsivc. une sensation brûlante de pesanihïir'e'l afe.trilîjéssé ' J'ki trop fier encore poiirîme-venger : j'ai pardonné les insultes des
vu enfin la captivlé loulc nue se tenir debout 'sur
lé'se.liîj'dy'céljé priiices, et je saur'âi'mou'rir1. Oui. soeur de mon souverain, je veux
; jierle qui ne s'ouvre jamais lout entière et
ri;a!dViiçt' rie ri! à> '-jti;âyè'râ arracherï$e
i indu sein toute'îimerimiic : qu'a-t-ellc affaire nù lu lia-
j l'élroil guichet, rien
que ces aliments sans^.à<,£AVci|ui-ft'^ii.t''pra>fii bitcs.t'ïpii frère est plein de haine... je ne la puis concevoir, 'i'u.
| d'une si intolérable ainertuine, jusqu'à ci iijue-'|îè Tussé^hu'iiituë à n'as poinl de pitié : je ne puis> rien qu'aimer.
! prendre ma nourriture comme une bêle de proje^trîsleçt^eui^ëiiùçjiê
\ dans
ce caveau qui est mon repaire et
*ieiH-|ïre'ma tôrhlië. 'routés
| ces choses m'ont ruiné, me ruineront eh'çoVëf,1-mais-jè^ilpjii JeS"siip- V.
\ imiter. Je ne cède poinl au désespoir; eàr'j!ai lutté çpttrè 'IpirOriiç
i même : je me suis l'ait des ailes qui m'ont emporté' hoi-'è 3ç Tëfrrjit'è ypis un amour qui ne sait pas désespérer, mais qui ayant résisté
| enceinte dé mop donjon; j'ai affranchi lc Saint^^pûllerei^aî'yéçu à j.l&Wf est*encore la meilleure pari de moi-même. Il habite dans le
| an miliçiides hommes et des objets divins.'ct m'ôri'g'éiiie'rplanarit forill'-'d-ei^ce coeur silencieux et fermé à tous, çîiiiune
i'éelair habiie
p sur la i'alcs.linë a chanlé la guerre sacrée entreprise p'our lé Dieu dans son nuage, comprimé dans son noir et flouant linceul',' jus-
é qui haliitii" la'terre et qui esl aux cieux, pour ce Dieu qui a daigné qu'au moment où, sous un choc soudain! la flèche ëthérëe prend
| fortifier ihoii âme et'inon corps. Afin de mériter mon pardon par son vol. Ainsi ton nom me frappe, el la pensée Vivante s'allume dans
p ines souffrances, j'ai employé ma captivité à célébrer la conquête tout mon être, el pour un moment les objets flottent autour de moi
'ij i|ui a délivre le sanctuaire de Solyinc. tels qu'ils firent jadis... mais toul se dissipe... et je nié retrouve le
même. Et pourtant cet amour ne fut poinl couvé par Tairibilio'n : j«
connaissais ton rang et le mien, e 1.je savais qu'une princesse n'est
point l'aile pour s'allier à un poète, (jet amour ne se li-àhii ni par îiii
mot ni par un soupir : il se suffisait à lui-même; il était sa propre
Mais cette tâche est terminée... Il est achevé ce travail plein de récompense : el s'il s'est révélé dans mes yeux, hélas! ils ont éié
clniririeSi.'.-O fidèle ami qui m'as soutenu pendant de longues an- assez punis par le silence des tiens; et pourtant je rie me suis ja-
nées, si ton dernier feuillet çsl humide de mes larmes, sache que mais plaint de ce silence. Tu étais pour moi une relique sainte dans
mes malheurs né1 m'en ont arraché àucuhii.u5Iais' toi, ô ma jeune sa'châsse de cristal, que'l'on doit'adorer à distance en hatéaiit
création 1 ô l'enfant de mon aine, loi qui'venais autour demoi le humblement le; sol qii elle'consacre:''non parce que lu éiàis'née
jouer éi sourire, èi. dont lé doux aspect Vn arrachait à là pensée dei piïji'césse, mais parce que l'amour t'avait revêtue de gloire et avait
mes maîiXj toi aussi tu m'as quitté..'. et là co'nsolation m'ai quillei îm'pirirriêà les' traits' une beàutéqui riïe frappaitdé terreur...' Olï! non
avec loi : et c'est pourqiioi'jé'pléiii'eVc'est'ppùrqiîôi mon coeur saigne, pas de terreur,'niais d'é'respect;'coiriiiiè'cëlle d'un habitant dés' cieux.
roseau déjà brisé'qui reçoit un 'dernier coup. Après toi, que nié rcs- Et dans ton adorable sévérité, il y avait quelque cho-e qui siu-pas-
Icra-t-il'-?.,. car j'ai encore des ''douleurs (à endurer... et comiriéht1?' sait toute douceur. Je ne sais comment... Ion génie dominait le mien...
w ne sais... mais il est eii riion esprit une vigueur iriiîée qui serat mon étoile était sans rayons devaiîl toi. Si l'on pouvait accuser de
"wn appui. Je hé nie suis pas laissé abattre, parce que je n'avaisi présomption un pareil amour qui n'avait point de but cette dou-
non à me rëprôeliçr. Ils "m'Ont'appelé insensé.'.. et pourquoi'?' loui-euse fatalité m'aêoùté cher. Mais tii ne m'en es que , plus chère,
0 l-énndre! ri est-ce pas à foi de répondre? Oui; mon'coeur devaitt ci sans loi, je serais digne de cette cellule qui maintenant esl'pour
^re cri délire pour élever ses voeux1jiisqu'à toi ; mais au moins cettes irioi un outrage. Ce riièiue amour qui iiî'a imposé ma cliàîué l'allège
'"he ne icuaii p>>iiH à mon intelligence : j'e'côm'prenâis 'riVâ'faufè ett de la' moitié dé' son poids; dtquoique lé i-efete'soitencore bien Iriiii-U,
^jesubis ma peine sans fléchit*, ce n'est pas que je la res.-ente moins. iLm'e itiiiihe là forcé* nécessaire'-'p'bhr'su(ipôl-ler"ceTàrileaii, pour
'n étais belle, et je n'étais-pas aveugle : .telles!-.le-crime qui me sô- élever vèi-s'ibi un coelir où'tU règués'sans partage et poui- dompter
-
'i Pure de l'humanité: mais qu'ils poursuivent,qu ils me torlurcnt à leurr une na'lurè Soufl'rantèV " > < '!''*'' *'•"* < -
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00 LES VEILLÉES LITTERAIRES ILLUSTRÉES.

ligués avec lui... Toute la terre m'abandonne... le ciel m'oublie...


VI. peut-être en l'absence de toute protection les génies du mal essaie-
• ront-ils sur moi leur pouvoir; peut-être prévaudront-ils sur une
Qu'y a-t-îl là qui doive étonner?... Depuis ma naissance, mon pauvre créature usée la souffrance. Oh I pourquoi mon âme est-
fttne s est enivrée d'amour : l'amour s'est répandu autour de moi et elle éprouvée commepar l'acier dans la fournaise avant de subir la
s'est confondu avec toul ce que je voyais sur la terre. De tous les trempe?... Parce que j'ai aimé ; parce que j'ai aimé ce que nul ne
êtres inanimés je faisais mes idoles; parmi les fleurs sauvages etso- pouvait voir sans l'aimer, à moins d'être plus ou moins qu'un mor-
lilaires qui croissent au pied des rochers, je me créais un paradis ; et tel, d'être plus ou moins que moi.
là, couché sous l'ombrage flottant des arbres, je prolongeais mes
rêves sans compter les heures : cependant on nie grondait pour mes
courses vagabondes ; et les prudents vieillards, en me voyant, se- IX
couaient leurs têtes blanchies, el disaient que de tels éléments font
un homme malheureux, qu'une enfance indisciplinée aboutit au Il fut un temps où mes sensations étaient vives... ce temps n'est
manieur et que des châ- plus : mes cicatrices se
timents corporels pour- sont durcies, et s'il en eût
raient seuls me corriger. été autrement, je me se-
Et alors on me frappait, rais brisé le crâne contre
et je ne pleurais pas, mais ces barreaux quand je
je maudissais mes tyrans voyaiB le soleil y jeter un
dans mon coeur, et je re- rayon comme pour se
gagnaismes retraitesché- railler de mes souffran-
riespoury pleurer seul et ces. Si je supporte, si j'ai
y retrouver ces rêves que supportétant de maux et
n'enfantait poinl lc som- bien d'autres qu'aucune
meil. El avec le progrès parole ne peut exprimer,
des années, mon âme ha- c'esl que je n'ai pas voulu
letante se remplit d'un sanctionnerpar mon sui-
mélange confus de sen- cide le stupide mensonge
timents à la fois doux et qui a servi de prétexte
pénibles : mon coeur tout pour m'enfermer ici ; je
enliersexhalaiten un dé- n'ai point voulu que le fer
sir unique, mais indéfini, chaud de l'infamie mar-
changeant, jusqu'au jour quât ma mémoire de ce
où je trouvai l'objet de ce mot terrible : « Démen-
désir... et ecl objetc'était ce ! » c'est que je n'ai
toi. Alors je perdis mon point voulu appelerla pi-
existence qui s'absorba tié sur mon nom flétri el
tout entière dans la tien- sceller moi-même la sen-
ne: le monde disparut de- ten.ee prononcéepar mes
vant mes yeux, et pour . ennemis. Nonpasl... ce
moi tu anéantis la lerre. nom sera immortelI...je
fais de ma prison actuel-
le un temple que les na-
VII. tions viendront visiter en
songeant à moi.O Ferra-
JemeplaisaisdanslasP- re ! quand tu auras cessé
lilude... mais je ne m'at- d'être la demeure de tes
tendaisguèreà passer une ducs souverains, quand
portion quelconquede ma on verra crouler pierre
vie séparé de la société de à pierre tes palais au fo-
messemblables et n'ayant yer infréquenté,alors le
de communication qu'a- laurier du poêle sera ta
vec des insensés et leurs seUle couronne, le cachot
tyrans... Si j'eusse éléor- du poêle sera ton édifice
ganisé comme eux, de- le plus renommé, tandis
puis longtemps mon âme quel'oeil de l'étrangers'é-
comme la leur eût parta- tonnera de l'abandon de
gé la corruption de son tes murailles! Et toi, ô
tombeau. Mais quelqu'un Léonore, toi qui rougis
m'a-t-il vu dans les fu- d'avoir un amant tel que
reurs de la démence ? moi, toi qui n'aurais pu
quelqu'un m'a-t-il enten- apprendresans honteque
du délirer?Peul-êlredans Le Tasse. d autres que des monar-
nos cellules souffrons- ques pussent te trouver
nous plus le
que marin belle, eh bien I va dire i
naufragésur le rivage dé- ton frère que ce coeur in-
sert. Le monde entier dompté par les ans, le
s'ouvre devant lui : tout chagrin, la fatigue... et
mon univers se reniermecn ceheu.doubleàpeinedc lespacequon peut-êtreaussi par une faible atteinte du mal qui m etail nnpuie
doit accorder à mon cercueil. En mourant le naufragépeut du moins (car l'âme résiste difficilement à la longue infection d'une tanière
lever les yeux pour adresser au ciel un dernier reproche... les miens comme celle-ci, où l'abîme lui communique sa corruption native)..-
ne se lèveront pas en haut pour l'accuser, bien que la voûte de va dire à ton frère que ce coeur n'a cessé de t'adorer... Ajoute ceci :
mon cachot soit comme un nuage entre le ciel et moi. Quand l'homme aura abandonné, oublié dans une froide solitude,
les tours et les créneaux qui maintenant protégentla joie de se
banquets, de ses danses, de ses orgies; alors ce cachot, oui, ceca
VIII. chot sera un lieu consacré. Mais toi, quand se sera éteint cet cela
magique dont t'enlourcnt le rang et la beauté, tu partageras le lau
Quelquefois pourtant, je sens mon intelligence qui décline; mais rier qui ombragera ma tombe. Nulle puissance ne pourra sépare
c'est un déclin dont j'ai conscience...je vois briller dans ma prison nos deux noms dans la mort, comme rien dans la vie n'a pu t'arra
des lueurs inaccoutumées ; un étrange démon me tourmente et m'in- cher de mon coeur. Oui, Léonore, ce sera notre destin d'être uni
flige mille pelilesdouleurs, mille vexations imperceptibles à l'homme pour toujours... mais trop tard!
sain et libre; mais trop sensibles, hélas! pour moi qui ai si long-
temps souffert et des tristesses de coeur el du manque d'espace et
de tout ce que l'on peut supporter ou qui doil avilir. Je croyais n'a- UN DB LÀ LAMENTATION Ut TASStt.
voir d'ennemi que l'homme; mais il se peut que des esprits soient
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON. W

n'ayant d'autre or que les trésors non vendus qu'elle étale à sa


L'ILE surface, que la clarté du soleil et ses brillauU produits ; la
liberté
qui, de la moindre caverne, peut se flaire une demeure ; cet immense
jardin où tous peuvent se promener, où la nature traite tous les
hommes comme ses enfants et se complaît au spectacle de leur
ou sauvage félicité ; ces coquillages, ces fruits, les seulesrichessesqu'ils
connaissent; leurs canots si peu aventureux, leurschasseslointaines
CHRISTIAN ET SES COMPAGNOJI&. et leurs pêches
face sur la vague écumante ; leur étonnement même à
la vue d'une européenne... voilà le spectacledont ces étrangers
brûlent de jouir de nouveau : spectaclequ'ils achèteront bien cher I

CHANT PREMEBi%'D r.V^


111.

Eveille-toi, brave Blighl l'ennemi est à ta porte : éveille-toi1 Hé-


las I il est trop tard! les mutins ont fièrement pris place à la porte
Le quart du matin était arrivé : le vaisseau pouj*éùîyait g^Mieu- de ta cabine et ont proclamé le règne de la rage et de la terreur.
sement son humide car- Tesmembressont garrot-
rière : comme une im- tés ; la pointe de la baïon-
mense charrue, la proue nette est sur ta poitrine;
traçait son majestueux ces hommes, qui trem-
sillon à travers les vagues blaientnaguère a ta voix,
jaillissantes. En face, le te déclarent leur prison-
inonde des eaux se dé- nier : ils te traînent sur
roulait dans son immen- le tillac, où désormais le
sité; derrière, étaient se- gouvernailet la voile n'o-
mées les nombreusesJles béiront plus à ton com-
de la mer du Sud. La itult mandement. Un instinct
paisible, commençant à sauvageessaie dedéguiser
se diaprer de nuages lu- sous une feinte colère
mineux, m arquaitl'heure l'audacieusedésobéissan-
qui sépare les ténèbresde ce : cette colèreéclateau-
faurore. Les dauphins, tour de toi, et ceux qui
sentantl'approchedujour redoutent encore le chef
et empresses d'en saisir qu'ils sacrifient ont peine
les premiersrayons, bon- à en croire leurs yeux;
dissaientsur les flots. Les car l'homme ne peut ja-
étoiles commençaient à maisétoufferentièrement
pâlir devant de plus lar- le cri de sa conscience,
ges clartés, et cessaient à moins de s'enivrer jus-
d'abaisser sur l'Océan qu'à la rage.
leurs prunellesscintillan-
tes. Lavoile, naguère ob- IV.
scurcie, reprenaitsa pre-
mière blancheur, et une En vain, non décon-
brise rafraîchissante ef- certé par l'aspect de la
fleuraitleseaux.... Enfin mort, tu fais, au périlde
l'Océan, en revêtant une ta vie, appel à ceux qui
teinte de pourpre, annon- sont restésfidèles: ilssont
ce l'approche du soleil ; en petit nombre, et vain-
mais avant quel'aslre sur- cus par laterreur, ils ac-
gisse... il va se passer ceptent tacitement tous
quelquechose. ces actesauxquelsles plus
exaltésapplaudissent.En
vain tu leur demandes
U. leurs motifs : un blasphè-
me, des menaces sont
Le chef vaillant dort touteleurréponse.L'épée
dans sa cabine, se fiant brille à tes yeux, la poin-
surceux qui sont chargés te des baïonnettes se rap-
de veiller : ses songes lui proche de ta gorge; les
retracent les rivages ai- mousquetssontdirigéssur
més de la vieille Angle- ta poitrine par des mains
terre, ses travaux récom- qui necraindrontpasd'a-
pensés et ses dangers fi- chever. Tu les en défies
nis : son nom s'ajoute à en t'écriant: «Feu !» Hais
la liste glorieusede ceux Une île où chaque cabane invitait l'étranger. ceux qui n'ont pointde pi-
qui ont tenté d'atteindre tié savent encore admi-
le pôle couronné de tem- rer : un reste secret de
pêtes. Le plus pénible est leur ancien respect a sur-
passé, et tout semble lui vécu au sentiment du de-
répondre du reste : pour- voir. Ils ne veulent noint
quoi ne dormirait-il pas en sûreté T Hélas I le pont estfoulé par des tremper leurs armes dans le sang ; mais ils t'abandonnent à la
pieds indociles, el des mains audacieuses tendent à s'emparerdu gou- merci des flots.
vernail. De jeunes coeurs soupirent après une de ces îles équato-
riales où l'on trouve sans cesse et lessourires de l'été et les sourires V.
de la femme : ce sont des hommes sans patrie, qui, après
longue absence, n'ont point retrouvé le toit natal ou Pont une trop
trouvé « La chaloupe en mer t» s'écrie alors le chef, et qui osera répondre:
changé, et qui, devenus a demi sauvages, préfèrent une grotteet
douce compagneà l'inconstantedemeurequi flottesur les une « Non I » car la révolte n'écoute rien dans ce premier moment
Les d'ivresse, dans les saturnales de son pouvoir inespéré. La chaloupe
fruits délicieux que le sol produit sans culture, le boisvagues.
sans autre est mise à l'eau avec tout l'empressement de la naine ; et bientôt,
sentier que celuiqu'on y trace; des champssur lesquels l'abondance ÔBligh! il n'y aura plus entre toi et la mort que son plancher fra-
semble verser à plaisir sa corne toujours pleine;le sol n'appartenant gile elle contient seulement
a personneet possédé en commun ; ce désir, que les siècles n'ontpu tre de : assez de provisions pour te permet-
contempler ce trépas que leurs mains te refusent : assez
étouffer dans 1 homme, de n'avoir de maître que sa volonté la terre d'eau et de pain
; pour une agonie de quelques jours. Néanmoins on
VMII. — IBP. LWOUKMC*, tlMSMdot,!». 7
ÔS LES VEILLEES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

but n'est point de raconter l'histoire lamentable des vic-

:-'''''
y ajoute ensuite quelquescordages, un peu do toile, du fil, véritables Mais
M mon
trésors des anachorètes de l'Océan : secours longtempsimploréspar times
tii de la trahison, leurs constants périls, leurs rares soulage-
des malheureux qui ne peuvent devoir leur-salut qu'aux vents cl ments,
m leurs jours de dangers et leurs' nipts de fatigues, leur mâle
aux flols. On y joint enfui la boussole inlclligonte, cette tremblante courage , même quand ce'çouyage parafait inutile ; la famine les
c<
esclave du pôle, celle âme de la navigation. minant
m sourdement et reridantle squeletted'un fils méconnaissable
même
m à sa mère ; les maux contre lesquelsleurs chélives provisions
étaient plus insuffisantes encore et qui faisaient oublier les souf-
cl
VI. frances mêmes de la' faim, ; les agitations pi les torpeurs de l'Océan,
fi
lanlôt
ta menaçant de les engloutir, tantôt opposant à leurs avirons
Alors, le chef qui s'est élu lui-même juge à propos d'amortirla paresseux des vagues immobiles; l'incessante fièvre d'une soif dé-
p;
première impression d'un pareil crime et de ranimer le courage de vorante
vi qui recueillait, comme l'onde d'une source pure, la pluie
ses complices. « Holà! le grand bowl ! » s'écrie-l-il; car il redoute épanchée
é| des nuages sur des membres niis, qpi trouvait un délice
que la fureur n'échoue sur les bas-fonds du bon sens. De l'eau-de- à étancher les froides'aversesd'une huit orageuse, qui lordail la
vie pour les héros ! dit un jour Burke, offrant à la gloire épique un voile humide pour en exprimer une goulte et humecter les ressorts
vi
humide chemin. Nos héros'de nouvelle date furenfde bel avis ; ils desséchésde la vie; lc sauvage ennemi auquel on n'échappait qu'en"
di
vidèrent la coupe en 'criant : « Huzza 1 vive O-Taïli ! » Cri étrange redemandantà
n la mer un asile moins inhospitalier ; et enfin , ces
dans la bouche des rebellés. Quel charme en effet, ces farouches spectres
s| décharnés,"'dérobes au trépas, pour faire le plus affreux
enfants des mers, chassés par tous les vents du ciel, quel charme récit
r< de dangers qui, dans les annales de l'Océan, ait jamais excité
peuvent-ils trouver dans l'île paisible et dans ce sol si doux, ces h terreur de l'homme et les larmes de la femme.
la
coeurs amis, ces plaisirs Sans travail, ces prévenances inspirées par
la seule nature, Ces richessesque n'amasse pas l'avarice, ces amours
non achetésf Et maintenant, est-ce donc en décrétant le malheur X.
dlautrul qu'ils peuvent se préparer à obtenir ce qu'implore en vain
la doiice vertu j le repos? Hélas! telle est notre nature : nous ten- Nous les abandonnons à leur sort, qui ne resta cependant pas
dons tous au même but par des sentiers différents : les facultés na- ignoré
i; ni sans vengeance. La justice réclame ses droits : la disci-
turelles, la naissance, lo. pays, le nom, la forlune, le tempérament, pline outragée prend en main leur cause, el toutes les marines res-
jj
l'extérieur même, ont plus d'influence sur notre argile flexible que. sentant
s cette injure s'élèvent contre la violation de leurs communes
tout ce qui est en dehors de notre petite sphère. Kl pourtant, une 1lois. Nous, allons suivre la fuite des révoltés, à qui une vengeance
faible voix se fail entendre en nous à travers le silence de la cupi- ttardive n'inspire pas d'clfroi. Ils fendent les vagues : ils vont au

l'homme est l'oracle de'Dieu. ......


dite ou le fracas de la gloire ; oui, quelque croyance qui nous soit
enseignée, quelque sol que nous ayonl foulé, la conscience de
loin
1
chérie
c
vpnt
^
nature
i
! au loi'ji i ap loin! Leurs yeux vont saluer de nouveau la baie
; de nouveau ces heureux rivages, où ne règne aucune loi,
accueillir ces hommes hors la loi qu'ils ont vus naguère. La
et la divinité de la"pâture, la femme, les appellent sur ces
VIL bords
1 où ils n'entendrontde reproches que ceux de leur conscience ;
pu tous se partagent les biens de la lerre, sans se les disputer ja-
La chaloupe porte à peine le petit nombre do ceux qui partagent imais, et où le pain lui-même se recueille comme un fruit. Là per-
le destin du chef, triste'mais fidèle équipage: pourtant quelques- sonne
( ne se voit 'cbiitcsfcr là possession des champs, des bois et des
uns sont restés malgré eux sur le pont de l'orgueilleux navire, eaux
i : VAse sans °T> CP'*C époque où l'or ne trouble les rêves d'au-
moralement naufragé.... cl ceux-là voient d'un oeil de com- cun
< niprlël, règne tlanscesbenuxlieux, ou plutôt il y régna jusqu'au
passion le sort du capitaine ; pendant que d'autres, insiijlaiil aux jour
j où'l'Euyopc vint enseigner à leurs habitants une meilleure vie,
maux qui lui sont réservés, rient de sa Voile pygmée, de sa barque leur
1 communiqua ses coutumes et corrigea les leurs, mais surlout
si fragile et si chargée. Lc nautile, enfant 4es mers, heureux pilote légua
1 ses vices, a, jours descendants. Ne' songeons plus à cela!
d'un canot coquille, ce féerique ondin de l'Océan a une embarca- Ypypns-jcs tels qu'ils étaient, faisant le bien avec ia nature, ou se
tion plus solide cl de plus libres allures. Lui, quand la trombe aux trompant avec elle, ((liuzzal ViveO-Taïti ! » ici est lc cri des mate-
ailes de flamme balaie la face des eaux, il est en sûreté : son nprt lots, pchjlapt que le brave vaisseau poursuit sa course majestueuse.
est au fond dé l'abîme -, il survit triomphant aux armadas des hom- La briso s'élève : devantgpn souffle grandissant, la voile naguère
mes qui font trembler lé monde et succombent au premier effort flottante étend ses arceaux ; les flots bouillonnent plus rapides dans
du vent. le gl!|àgie de la carène hijj-die qui les fend sans effort. Ainsi le navire
Ârgo labourait les vngjjeg"flq l'Éu,xin encore vierge; mais les navi-
VIII. gateurs de là Grëçë tournaient encore leurs yeux vers la pairie
ceux qui montent pç iiaviryrcbcïjë ont renie la leur; ils la fuient
Quand tout fut prêt, quand la troupe fidèle eut quitté ce navire comme le corbeau fuy4jt l'arche ; et, cependant, ils ont l'C3poir de
soumis à la rébellion, uii matelot /moins endurci que. ses compa- Îiartager lc i|iâ pq la colombe et de retremper aux feux de l'amour
gnons, laissavoir cette vainc piljô nui *i'e fait qu'irrjtc'r le ipàîjieur : son eurs coeurs endurcis.
regard chercha son ancien chef et ïui cxprjnja par un muet langage
sa compassionet son repentir ; puis il porta une iiqupur bienfaisante
à ses lèvres altérées et brûlantes. Mais on je surprit, 01) le remplaça
p
par un autre gardien; et aucune commtëlrjflijân Viniptys se> fnjjljf
à la révolté. Alors s/àvjiriea l'audacieux jeune nomme quj jéçpnippfiT
CHANT II.
sait l'alfeeliort du chef en 'coiisomtnaùtsârUfné /efînonlrapt la frète
embarcation, il s'écria: « Partez sùr-lêTchâinpi le moindre àélai', I.
c'est la morl I » Et pourtant, en ce moment même, il ne put étouffer
tous ses sentiments : un mol suffit pour éveiller en lui le remords Qu'ils étaient doux les chants de Toubonaï, à l'heure où le soleil
d'un forfait à demi consommé, cl l'émotion qu'il dérobait aux d'été descend dans la baie de corail !
regards de ses complices se révéla facilement à son chef. Quand « Venez 1 disaient les jeunes filles, venez errer sous les plus beaux
Bligli, d'un top sévère, lui demanda où élait |a reconnaissance ombrages de l'île ; venez entendre le gazouillement des oiseaux. Le
diic pour l'affection'qu'on lui avail témoignée, où ' était l'es- ramier roucoulera dans les profondeurs de'la forêt çomipé }a voix
poir qu'il avait conçu île voir son nom célèbre et d'ajouter un nou- de nos dieux; nous cueillerons les fleurs qui croissentsiir les^tom-
veau lustre aux milleglôjrcsde l'Angleterre, ses lèvres convulsives beaux; car elies s'épanouissent surtout où repose la tête du guer-
rompirent le charme qùi'les scellait, et il s'écria: « C'esl vrai! c'est rier : nous nous assiérons pour jouir du crépuscule ; noqs verrons la
vrai ! Je suis en enfer! en enfer! » Ce fut tout ; mais, poussant son douce lune briller à travers le feuillage des arbres, el couchè%spUS
chef vers là barqqej il l'abandonna dans cette arche fragile. Ah! leqr ombre, IJOUS pçoulerpnsfivec un mélancqliqqë"plaisir ie'murtijure
que dé choses dans ce faroU'che adieu ! plaintif de leurs rameaux. OÙ, bien'nous gravirons la fajaise et nous
verrons lés vagues liillcr follement contre les gigantesques rochers
du large qui lés refo'uiènt eii colonnes peurneusps. Que toutes ces
IX. choses sont belles! hëùi/eux'ceux qui peuvent sp dérober aux'fati-
gués et au tumulte de la'yie pourpqijlemplcrdes scènes où il n'y a
En ce moment le soleil des mers arctiques élevait son large dis- de luttes que celles de l'Océan. Et lui-même, il est ainpuréu^ à. ces
que au-dessus des vagues. Tantôt la brise se taisait, tantôt elle mur- heures, ce grandi lac d'azur, et ilàbàisse sa crinière hérissée spiis Jiis
murait du fond de son antre; se jouanl commesur une harpe éolien- doux rayons de la lune.
ne, son aile capricieuse lanlôt faisait résonner les cordes de l'Océan,i
tantôt les effleurait à peine. En ràniant lentement et sàùs espoir;i II*
les marins de l'esquifabatidonnôdirigeaient leur roule pénible versi
une côté que l'oii voyait poindre comme un nuage au-dessus de; •'( Oui, nous cueillerons la fleur du tombsau, puis nous ferons t|!l
l'Océan. La chaloupe et le vaisseau ne doivent plus se rencontrera banquet pareil à celui des esprits dans leurs bocages île délices; puis
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON. 99

)us nagerons joyeusement dans les vogues bondissantes ; enfin, où l'atmosphère est embaumée : un premier soulfle commençait à
oi
5us étendrons sur l'herbe molle nos membreshumides él brillapls bercer le palmier, une brise encore, muette soulevait doucementles
lu
nous les parfumeronsd'une huile embaumée; nous tresserons les flots
fli et rafraîchissait la grotte où la belle chanteuse était assise à
lirlandcs cueillies sur la demeuredes morts, et lions parerons nos ci du jeune étranger qui lui avait enseigné le? joies fatales de
côté
tes des fleurs nées de la cendre des braVes. Mais voici venir là l'amour...
Y; Oui, fatales; car elles sont toutes puissantes sur les.
lit : le signal du soir nous rappelle : le son des nattes agitées ré- coeurs,
ci et sur ceu* d'abord qui ne savent pas que l'on peut cesser
iilit au bout du chemin. Tout à 1 heure lés torches de la danse, d'aimer,
d' sur ceux qui, consumés par leur nouvelle flamme, se ré-
lieront leurs étincelahlcs clartés sur la pelouse des fêles et nous je
jouissent comme des martyrs sur leur bûcher lunéraire, tellement
ippelleront la mémoirede ces jours heureux el brillants, avant que absorbés par }'extase que la vie n'pjffre point de ravissements com-
al
idji eut embouché la conque de la guerre, avant que des canots parables
p à ceux d'une telle niorl : et ils meurent, en effet; ils vppt
larges d'ennemis fussent venus envahir nos rivages. Hélas! par se confondredans cette existence supérieure que tous nos rêves
si
ix la fleur des jeunes hommes verse son sang; par eux nos champs n
nous offrent comme un torrent d'éternel amour.
; couvrent d'herbes sauvages; par eux on ignoré ou l'on Oublie le
onheur. ravissant d'errer seuls avec la luné et l'amour. Eh bien!
jil! ils nous ont appris à manier la massue, à couvrir la campagne VU.
une pluie de flèches : qu'ils recueillent la moisson qu'ils oiit se-
iée! Mais celte nuit, réjouissons-nous; nous parlons demain.; Fràp- Dans celle grolte était assise l'aimable fille du désert, déjà femme
cz la mesure de la danse! remplissez les coupes jusqu'au bord! par
-- le développementde ses formes, quoiqu'enfant par les années,
puisons-lesjusqu'à la dernière goutte! demain nous pouvons mou- si
s l'on en juge du moins d'après les idées de nos froids climats, où
ir. Couvrons nos corps de nos-vêtements d'été; attachons à nos rien
i ne mûrit rapidement, si ce n'est le crime. Vierge dans un
ichilurcslc blanc vnppa; que nos fronts, comme celui du printemps, I monde
i vierge, et-comme lui, naïve et pure; belle, aimante, pré-
c couronnent
d'ëpaissps guirlandes, et que, sur notre cou, brillent I
coce;
< noire comme la nuit.'.... là nuit avec toutijs ses étoiles, ou
m colliers les graines du
honni : leur vive couleur contraste avec (comme une grottë'sôinbrequibriliedëtousscscristaux; des yeux tout
c sombre éclat'de nos brunes poilrines. ' ' langage
1 et tout'enchantement; un corps..... celui d'Aphrodite
portée
1 dans sa conque à la surface de l'abîme, entourée d'un essaiip
d'Amours;
! voluptueuse comme l'approche du sommeil, et'cepen-
m. dant pleine de Vie, çar'une ardente rougeur perçait ses joues bru-
nies
i par lès feux du tropique et remplaçait là parole; un sàiig
« Maintenant, la danse esl lerminéc... pourtant reste encore ! ar- émané ,
rclel ne dépouille pas si vite le sourire amical. Demain nous par- dait
i d'un brûlant soleil colorait son coït et son sein,'et répan-
i à travers sa peau brune une teinte lumineuse, pareille à celle
Ions; mais ce n'est pas celle nuit... cette nuit appartient au coeur, du
i corail qui rougit sous la vague sombre, et attire le plongeur vers
Apprêtez encore ces guirlandesaprès lesquelles nous soupirons dou- ses i grotlcs empourprées. Telle était cette fille des mers du Sud:
cernent, jeunes enchanteressesde l'aimable Likou ; que vos formes douée de toute l'énergie de leurs vagues, elle portait, comme un
sonl ravissantes! comme tous les sens rendent hommage'à vos esquif, la félicité de ceux qu'elle aimait, et ne trouvait de douleurs
beautés pleines de douceur, mais puissantes, comme ces fleurs qui, que dans l'amoindrissement de leurs joies. Son
coeur audacieux et
du sommet de nos rochers, envoient leurs parfums bien loin sur brûlant, mais sincère, ne connaissait de bonheur que le bonheur
1 Océan!... Nous aussi, nous visiterons Likou,.. mais!., ô mon qu'il donnait; son espoir ne s'appuyait jamais sur l'expérience,
coeur! que dis-je... demain nous partonsI » celte froide pierre de touche, dont la triste influence décolore tout:
elle ne craignait pas le mal, car elle ne le connaissait pas, ou ce
qu'elle en connaissait était bien vite... trop vite oublié. Les'sou-
IV rires et les larmes avaient passé sur elle, comme de légères brises
Tels étaient les chants, telle était l'harmonie qui s'élevait sur ces passent sur un
lac en ridant un moment leur miroir, mais sans
bords, avant que les brises y eussent poussé les enfants de l'Eu-
jamais le briser ; car les profondeursde ses cavernes, les sources des
montagnes renouvellent sans cesse l'éclat de cette surface paisible ;
rope. Les habitants avaient leurs vices, il est vrai, ceux qu'enfante à moins qu'un ébranlement volcanique ne vienne déraciner la
la nature : leurs défauts appartenaientà In barbarie; et nous,
nous source, refouler les ondes dans l'abîme, et faire de ces eaux vives
avons à la fois, ce que la civilisation a de sordide, mêlé avec toute
la sauvage férocité, stigmate de la chute de l'homme. Qui n'a point une masse inerte, l'équivoque désert du marécage fangeux Tel
sera donc le 'destin de la jcuiïc sauvage?... An!, les vicissitudes
vu le règne de l'hypocrisie, où les prières d'Abel s'allient aux actes éternelles frappent l'humanité plus rapidement encore qu'elles ne
de Caïn ? Il suffit d'ouvrir sa fenêtre pour voir l'ancien monde plus
frappent le de la nature : l'homme en tombant, ne fait que
dégradé que le nouveau cl ce dernier lui-môme ne mérite plus subir le sortreste
; un pareil nom, sauf dans ces régions où la Colombie nourrit deux les
réservé aux mondes ; mais, s'il fut juste , son esprit
| géants jumeaux, enfants de la liberté, dans
planera sur débris de l'univers.
ces régions où le Chim- ^
|horazo promène ses regards de Tilan sur l'air, la terre et les flots,
| sans apercevoir
y un esclave. VIII.
j
V.
Et lui, quel est-il?... un enfant du Nprd, un jeune homme aux
il Ainsi se perpétuait la. tradition, quand la gloire des morts no
re- yeux bleus,' né dans des' îles plus connues, mais non moins sau-
|vivait que dans des chansons, quand la gloire ne laissait d'autre vag'és ; c'est le blond fils des Hébrides, où mugissent les flols tour-
l'race après elle que le charme presque divin de , bidonnants; dû Peiiiland; agité dans son berceau par les. vents im-
ces accords. Alors5j pétueux,
3 point d'annales pour convaincre le sceptique l'histoire à
: son pre- enfant dp la tempêle par le corps et par l'âme, en ouvrant
mier âge n'a d'autre: langage que l'harmonie; tel Achille.enfant, ses jeunes yeu.x spr les ondes éçumantes de l'Océan, il avait dès ce
tenant en main la lyre du Centaure, apprenait à surpasser
son moment
[ regardé l'abîme comme sa patrie : il avait vu en lui le
l'ère. En effet, les simples stances d'une antique ballade, réson- géant confident de ses pensées vagabondes, le compagnon de ses
nant du haut d'ui^ roej se mêlant au bruit des vagues, o.U au mur- promenades solitaires parmi les rochers, le seul niëntor de sa jeu-
mure des'ruisseaux',' et réveillant les échos de lp montagne, P.ntj nesse. Jeune insouc|ànl, il laissait errer sa barque au hasard, jouet
l>his de pouvoir
sur des coeurs sincères et faciles à émouvoir queB des flots è't'de l'air, pVs'a.bandonnàïi volontiers au Caprice du sort.
tous les trophées des favoris de la
guerre et de la fortune. Ellesg Nourri des légendes de la ferre maternelle,' prompt à croire au bon-
sont pleines d'attrait, tandis que les hiéroglyphes ne sont qu'un
1
heur, mais non moins, ferme à souffrir, il avait t'pu.1 éprouvé, sauf le
S||jçl d'é,tu.dçs pour le sage, de rêveries
pour l'crudit : elles saventt désespoir. Sous' le ciel de l'Arabie, U eût été le nomade fc plus hardi
plaire, ifindis que les volumes de l'histoire n'offrent
au lecteur,, de ses sablés dévorants ; il eût brave là soif avec la constance d'îs-
qn'une fatigue. La ballade est le premier, le plus frais rejeton qui,- maëfporté par son navire du désert."$ur les côtés du Chili, c'eût été
«oit éclos'surl'csbldu sentiment. Tel était le chant
sauvage (car c'est.j leplusfier des çaciqués. ; dans lés 'mo'ntjighesi del'I^éllade, un Grec
"«x sauvages que plaît surtout le. chant) dont les. hommes du Nordj toujours en révolte ; sous une
'tenté, un Tamerlàn : mais élevé pour
S|nspiraicnt' dans leurs solitudes, quand ils vinrent visiter et L'J
cpn- le trône, ïl! eût' été sans doute un:mauvais roi. En effet, la mônie
luérir le reste de l'Europe ; tel est encore, celui qui existe pârlput [t âmequi serait capable de se frayer une route vers lé pouvoir, si elle
u nul ennemi n'est venu civiliser ou détruire il toùclip le coeur; y est placée d'abord, ne trouve plus d'aliment qu'en elle-même;
:
'l que peuvent faire de plus tous les raffinements de notre poésie?" il ne lui reste plus qu'à retourner e!ri'"arrière, et à se lancer dans les
douleurs pour y chercher le plaisir. JDu niême génie qui. fit un
Néron, la honte de Roinç,' une situation plus'liumble'et l'éducation
VI. du coeur ont formé, son glorieux homonyme, éclatant contraste"fijl'
Mais laissons-lui ses vices, admettons qu'il.ne^iës'teiip.it quedélui-
Or, les suaves accords de cette mélodie naturelle interrompaient même, sans
.e voluptueux silence des airs, Une d^.uçè sieste d'été', une journée
il un trône ppur 'théâtre, qu'ils".eussentété petits.!
^tropicale de ïou'bonaï. C'était l'heure'où' toute fleur s'est épanouie, e
s, (t) Le consul Néron, vainqueur d'Asdrubal el d'Annibai.
100 LES VEILLEES LITTERAIRES ILLUSTRÉES.

I*. f
pour premier spectacle les cimes bleues des montagnes d'Ecosse ne
po
r:ut s empêcherde voir avec amour le moindre pic d'azur qui s'élève
l'horizon; dans chaque rocher, il salue les traits familiers d'un
ami,
Vous souriez, lecteur : pour ceux qui examinenttoute chose avec teurs. et son imaginationembrasse pieusementles sommets des hau- -

le J'ai longtemps erré dans des contrées autres que mon pays
an regard prévenu, ces comparaisons peuvent sembler ambitieuses, natal; j'ai adoré les Alpes, aimé les Apennins, révéré le Parnasse
rattachées au nom inconnu d'un être qui n'eut rien à démêler avec n, contemplé l'Ida et l'Olympe, ces monts de Jupiter, qui dominent
et
„t
la gloire, ni avec Rome, le Chili, l'Hellade ou l'Arabie. Vous sou- l 'Océan
*( de leurs cimes escarpées ; mais ce n'étaient ni leurs trésors
riez! Eh bien cela vaut mieux que de soupirer. Et pourtant il eût d'antiques
$ souvenirs, ni leursbeautés naturelles, qui me plongeaient
pu être tout cela : c'était vraiment un homme, un de ces esprits qui j.dans une extase muette : les ravissementsde l'enfant avaient sur-
planent au dessus de tous, el qu'on voit toujours à l'avant-garde, vécuyJ
héros patriote ou chef despotique, faisant la gloire ou le deuil d'une au jeune âge ; s'il contemplait Troie , c'était du Lochnagarr
nation, né sous des auspices qui élèvent ou abaissent au-delà de autant;u que de l'Ida ; les souvenirs celtiques se mêlaient à ceux du
Phrygien, et les torrentsdes Highlands avec la source limpide
tout ce qu'on ose entrevoir. Mais ce sont là de pures rêveries : ici mont
n]
j(
de Caslalie. Pardonne-moi, ombre d'Homère, gloire chère à l'uni-
qu'était-il en réalité? Un adolescent dans sa fleur, un matelot ré- vers! Pardonne-moi, ô Phébus, celte erreur de mon imagination :
volté, Torquil aux blonds cheveux, libre comme l'Océan, l'époux
de la jeune fille de Toubonaï. „, les spectacles naturels que j'ai chéris autrefois, la nature du
par
nord
n me préparait à révérer les scènes sublimes que vous avez
sanctifiées.
si
X.
XIII.
Assis auprès de Neuha, il contemplait les flots... Neuha, qui,
parmi les vierges de l'Ile, brillait comme l'héliotrope au milieu des L'amour, qui fait toutes choses sympathiques et belles, la jeu-
humbles fleurs; d'une haute naissance (prétention qui va faire nnesse qui change l'atmosphère en un vaste arc-en-ciel, les périls
sourire l'ami de la science héraldique, demandantà voir les armoi- passés
p qui disposentl'homme à goûter comme des plaisirs ces mo-
ries de ces iles ignorées)... Elle descendait d'une race antique nments de repos pendant lesquels il cesse de détruire, l'attrait mu-
d'hommesvaillants et libres, chevaliers nus d'une noblesse sauvage, tuel de la beauté qui frappe les coeurs les plus farouches comme
ti
' dont les tombes de gazon s'élèvent le long de la mer : et la tienne, !l'éclair frappe l'acier : voilà ce qui absorbadans une âme commune ,
Achille!... je l'ai vue., la tienne n'est rien de plus. Un jour, les lle jeune homme et la jeune fille, lui à demi sauvage, elle sauvage
étrangers arrivèrent dans de vastes canots, ceints de foudres en- t
tout-à-fait. Pour lui, la voix tonnante des combats cessa d'enivrer
flammées, et couronnés d'arbres gigantesques plus hauts que des sson coeur de sombres délices-, le repos ne lui causa plus cette impa-
Îialiuiers, qui, par un temps calme, semblaient enracinés dans tience
t fébrile de l'aigle dans son aire, quand le bec aigu et le re-
'abîme; mais dès que les vents s'éveillaient, on les voyait déployer gard
i perçant du roi des cieux cherchent, partout une proie : son
dés ailes larges comme les nuages qui fuient à l'horizon; ils prome- t
coeur amolli était dans celte voluptueuse situation, à la fois céleste
liaient au loin leur puissance, et devant ces cités flottantes, les et
( énervante, qui ne confère poinl de lauriers à l'urne du héros : car
vagues elles-mêmes semblaient moins libres. Neuha, prenant la pa- :ses palmes se flétrissent toutes les fois qu'il songe-a une autre pas-
gaie, darda son agile pirogue à travers les ondes, comme le renne sion
i qu'à celle du sang; et néanmoins quand ses cendres reposent
s'élanceparmi les neiges. Effleurant la cime blanchissante des bri- dans
<
leur étroit asile, l'ombrage du myrte ne leur est-il pas aussi
sants, légère comme une néréide sur sa conque flottante, elle vient doux que celui du laurier ? Si César n avait jamais connu que les
<
contempler et admirer de près la gigantesque carène, élevant de 1baisers de Cléopâtre, Rome fût restée libre, et le monde n'eût
pas
vagues en vagues sa masse qui pèse sur elles. L'ancre fut jetée ; le été
i à lui. Et qu'ont fait pour la terre la gloireet les exploits de César?
navireresta immobile le long du rivage, comme un gros lion eu- Notre
1 honte lui est due en partie; car le sanglant cachet de sa gloire
dormi au soleil, pendant qu'autour de lui, essaim d'abeilles mur- déguise
i la rouille des chaînes que les tyrans nous imposent. En
murant dans sa crinière, voltigeaient d'innombrables pirogues. vain l'honneur, la nature, la raison, la liberté commandent à des
millions d'hommes de se lever et de faire ce que Brutus a fait seul,
i
de chasser des rameaux élevés où ils perchent depuis si longtemps
XI. cesoiBeaux moqueursqui veulent imiter la voix du despotisme.Nous
nous laissons toujours décimer par ces chats-huanls mangeurs de
L'homme blanc débarqua!... qu'est-il besoin d'en dire davantage?• souris ; nous prenons pour des faucons ces ignobles volatiles : tan-
Le nouveau monde tendit à l'ancien sa main basanée : ils étaientL dis que le mot Liberté (leurs terreurs nous le disent de reste) suffirait
l'un à l'autre une merveille, et le lien de l'admiration se changeaL pour dissiper tous ces épouvantails.
bientôt en une sympathie plus étroite et plus chaleureuse.Sur celtes
terre du soleil, affectueux fut l'accueil des pères, plus tendre encore!
fut celui de leurs filles. L'union se resserra - les fils des tempêtesi XIV.
trouvèrent mille beaulés dans ces vierges basanées ; celles-ci, de>
leur côté, admirèrentl'éclat d'un teint plus clair, dont la blancheurr Absorbée dans un tendre oubli de la vie, Neuha, la naïve insu-
devait paraître extrême dans un climat où la neige est inconnue. laire , était tout entière à son rôle d'épouse : aucune préoccupation
La chasse, les promenades, la liberté d'errer au hasard ; dans cha- mondaine ne venait la distraire de son amour; aucune coterie ne
3ue cabane un foyer, une famille pour l'étranger; le filet tendui foule pouvait tourner en ridicule sa nouvelle et passagère passion ; la
des fats babillards ne voltigeait point autour d'elle, exprimant
ans la mer ; le canol agile lancé dans les détours de cet archipel,, admirationbruyante,
ciel d'azur semé d'îles brillantes comme des étoiles ; le doux som- son ou chuchollant d'adultères paroles propres
meil acheté par des travaux qui n'étaient que des jeux ; le palmier,, à flétrirsa vertu, sa gloireetson bonheur. Laissant safoiet sessen-
la plus majestueuse des Dryades, portant dans son sein Baccbuss timents à nu comme sa beauté , elle était comme l'arc-en-ciel au
enfant, vigne surmontée d'un pampre qui rivalise en hauteur avecE milieudel'oragejcarl'arc-en-ciel,tout en modifiant sans cesse la
l'aire de l'aigle ; le banquet animé par le jus de la cava ; l'ignameB brillante variété de ses couleurs, déploie constamment la même
savoureuse, le cocotier qui offre à la fois la coupe, le lait et le fruit;i; courbe mobilité dans les cieux : quelles que soient les dimensions de sou
l'arbre à pain qui, sans que la charrueait sillonné la plaine, offre à arc, la de ses teintes, c'est toujours le même messager d'a-
l'homme ses moissons, et dans des bosquets inachetés prépare sanss mour qui dissipe les nuages.
le secours d'une fournaise ses gâteaux de puce farine : marché gra-
tuit où vient se pourvoir chaque convive, et grâce auquel nulle di- XV.
•ette n'est à craindre... Tous ces attraits, joints aux délices dess
aiers et des bois, aux douces joies de ces solitudes peuplées parr Danscettegrotte du rivage battue par les flots, les deux amants
ï'amour, avaient apprivoisé la rudesse de ces hommes errants, leurr avaient passé le brûlant midi des tropiques Les heures ne leur étaient
avaient inspiré une douce sympathie pour des êtres qui, moins sa- point longues... ils ne mesuraientjamais le temps, et n'étaient pas
vants peut-être, étaientcertainementplus heureux : tous ces attraits is informés de sa fuite par le son funèbre de la cloche qui distribue à
agissaient où avait échoué la discipline, et parvenaient à civiliser ir l'homme civilisé sa portion quotidienne, et le poursuit partout des
les fils de la civilisation. Ij avertissements railleurs de sa langue de fer. Que leur importait
I l'avenir ou le passé? Le présent les tenait
sous son joug. Leur sa-
XII. blier était l'arène du rivage, et la marée voyait leurs moments s'é-
couler comme ses lames paisibles ; leur horloge était le soleil du
Des nombreux couples fortunés qui s'étaient unis, Neuha et Tor- r- haut de sa tour immense. Qu'avaient-ils besoin de noter le cours du
quil ne formaient pas le moins beau : enfants de deux îles, ie temps, eux dont chaque journée ne formait qu'une seule heure ?
.quoique
bien éloignées entre elles, nés tous deux sous l'étoile des mers, tous is Le rossignol, leur seule cloche du soir, chanta doucement à la rose
deux élevés en face des spectacles d'une nalure primitive, dont le les adieux du jour : le disque élargi du soleil s'enfonça sous l'ho-
souvenir nous est toujours cher, en dépit de tout ce qui peut s'in- i- rizon, mais sans la lenteur qu'il affecte dans nos climats du nord,
terposer entre nous et ces sympathies d'enfance Celui qui eut ut où il semble se fondremollementau sein des ondes. Là, dans toute
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON. 101

!a vigueur
et tout son éclat, comme s'il voulait quitter à jamais l'u- fums sous l'une et l'autre zone; partout où circulent les vents et où
fut
tiiverset laisser la terre privée de ses feux, il plonge d'un seul bond s'enflent
s'e les vagues, depuis Plymouthjusqu'aupôle, elle avait op-
!0n front rouge
dans le sein des vagues, comme un héros qui s'é- po ses vapeurs au souffle de la tempête, et au milieu de la fureur
posé
levèrent; ils cher-
lance dans la tombe. Puis, les deux amants se la retrouvèrentdans
de vagues et de l'inconstance des cieux, sa fumée s'était élevée
des
chcrent d'abord la clarté dans lescieux, puis ils co
comme un perpétuel sacrifice offert à Eole. Et qui était le porteur de
des yeux adorés, lous deux s'étonnantqu'un soleil
d'été fût si court, ce pipe?... Je puis me tromper; mais, selon moi, c'était un ma-
cette
ct se demandant si en effet la journée était finie.
telot ou un philosophe. Plante merveilleuse, qui,du couchantàl'au-
tel
rore,
ro charmes les fatigues du marin ou le repos du Turc; qui, sur
l'(
l'ottomane du musulman, partages l'emploide ses heures, et rivalises
XVI. avec l'opium et ses femmes; toi qui, régnant dans toute ta magni-
a\
ficence
fii a Stamboul, brilles peut-être avec moins d'éclat, mais n'en
Et que la chose ne semble pas étrange : l'enthousiaste ne vit pas es pas moinschérie à Wapping on dans le Strand ; tabac divin dans
mondes la nouka, glorieuxdans la pipe garnie d'un bout d'ambre d'unjaune
sur la lerre ; il habite dans sa propre extase ; les jours et les doré, dans la pipe bien faite, riche et longtempsfumée; comme tant
passent inaperçus près de lui, et son âme est dans les cieux avant d(
cendre soit rendue à la terre. L'amour a-t-il moins de puis - d'
d'autres beautés qui nous charment, c'est en grande toilette surtout
que sa
sance ? Non ; lui aussi, il trace
glorieusementson sentier vers Dieu, que tes attraits éblouissent, mais tes véritables amants admirent
qi
on s'attache à tout ce que nous connaissons
du ciel ici-bas, à cet encore plus tes appas quand ils s'offrent dans leur nudité... Qu'on
ei
autre nous-même, supérieur à nous, dont la joie ou la douleur est m'apporte
m un cigarrel
la nôtre, plus «tue la nôtre ; flamme qui absorbe tout, qui, allumée
par une autre flamme, se confond avec celle-ci dans un même ai-
éclat; XX.
bûcher sacré mais funèbre, où, comme les bramines, des coeurs
mants prennent place avec un sourire. Combien de fois n'oublions- A travers les ombres voisinesde la forêt, une figure humaine ap-
nous pas le temps qui s'écoule, lorsque dans la solitude nous admi- paraît
|J tout-à-coup dans la solitude. Un matelot se présente vêtu
rons le trône immense de la nature, ses forêts, ses déserts, ses eaux, d'une manière burlesque, sauvage mascarade, pareille à celle q»i
langage sublime qui répond à notre esprit ! Ces étoiles, ces monta- semble sortir de la mer, quand le navire franchit la ligne et que les.
gnes, ne sont-ce pas des êtres vivants? Les vagues n'ontelles pas matelots, imitantle cortège de Neptune, célèbrent sur le pont leurs
leur âme ? Ces cavernes humides ne joignent-elles aucun sentiment
à leurs larmes silencieuses?... Oh ! la nature nous attire et nous
embrasse de toutes parts ; elle brise avant l'heure ce fardeau, cette
|
grossières saturnales : on dirait alors que le dieu de l'Océan se plaît
a voir son nom invoquéde nouveau par ses véritables enfants, bien
enveloppe d'.irgile, et plonge notre âme dans les flols de son im- que
? ce soit d'une manièredérisoireet dansdes jeux bizarres queh'ont
jamais connus ses Cyclades natales ; on dirait que le vieil époux
inensilé. Dépouillons donc cette individualité qui nous charme et -j
d'Amphitrite s'empresse, de quitter un moment sa demeure pour res-
nous trompe... Qui peut songer à son être en contemplantles cieux? saisir un reflet de son ancien pouvoir. La jaquette de marin, bien
elmêmc, en regardant plus bas, queljeunecoeurnonencore éprouvé toute en guenilles, l'inséparable pipe qui jamais ne fut allumée
que
par les rudes leçons de l'expérience a pu jamais, en face d'un pareil
S
spectacle, songer à la bassesse de ses semblables ou à la sienne?
à demi, son air de gaillard d'avant, sa démarche balancée imitant
le roulis de son cher navire, tout dans le nouvel arrivant annonce
Toute la nature est son empire, et l'amour est son trône. son ancienne profession. Mais d'autre part un reste de mouchoir
iétait noué autour de sa tête, mais peu serré et sans art; ct son pan-
talon
) (trop vite déchiré, hélas! car les bois mêmeles plus délicieux
XVII. ont toujours leurs épines), son pantalon, dis-je, ou pour parler
comme les prudes anglaises, ses inexprimables étaient remplacées
Neuha se leva donc, et Torquil se leva comme elle : l'heure du !

crépuscule descendit, mélancolique et douce, sur leur berceau de par


] un étrange tissu, une espèce de natte, dont était fail également
son chapeau. Ses pieds et son cou nus, sa figure brûlée par le so-
i rochers dont les cristaux humides s'allumant l'un après l'autre re- j
leil an nonçaient à la fois le matelot et le sauvage. Quantà sesarmes,
j Hélèrent la naissante clarté des étoiles. Le jeune couple, pénétré du elles, appartenaientexclusivement
el à. sa profession et à cette Eu-
calme de la nature, se dirigea lentement vers une cabane bâtie sous ,
i
rope à qui deux mondes rendent grâces de leur civilisation : un
J un palmier : tour-à-tour ils étaient souriants et silencieux, comme mousquet était suspendu à ses larges épaules, brunes comme le dos
i l'amour (l'amour immatériel)... quand son front est serein. L'Océan
i doucementbercé faisait à peine entendre un bruit plus fort que cette|
\d'un sanglier
et un peu voûtées par l'habitude de loger dans l'en-
à douce voix qui murmure au fond du coquillage, quand cet enfant
trepont; plus bas pendait un coutelas dépourvu de son fourreau qui
;' des mers, éloigné du sein maternel, cric sans jamais dormir, exha-
• avait été usé ou perdu ; dans son ceinturon était passée une paire
de pistolets, couple matrimonial (métaphore qui n'est pas une plai-
lant en vain sa faible plainte, et appelant la large mamelle de la\ santerie : si l'une de ces armes était sujette à rater, l'autre parlait
,
;I; vague sa nourrice. Les bois assombris inclinaient leurs rameauxj d'elle-même) ; enfin une baïonnette, un peu plus chargée de rouille
comme pour s'endormir ; l'oiseau des tropiques rapprochait son vol1 qu'au sortir du coffre de l'armurier, complétait l'équipement hété-
p circulaire des rochers où il bâtit son nid , et le bleu firmament s'é- roclite avec lequel il se montrait dans l'ombre du soir.
p tendait autour des deux amants comme un lac de paix offert à la
% piété pour élaneber sa soif.

j XVIII. XXI.
| Mais écoutez 1 quelle est cette voix qui résonne parmi les pal- « Comment te portes-tu toi-même, Ben Buntïng, répliqua Torquil
1 miers et les platanes? Ce n'est pas celle qu'un amant désire d'en- quand notre nouvelle connaissance fut tout-à-fait en vue; y a-t-il
vi tendre à une telle heure et au milieu du silence universel ; ce n'est l du nouveau ? — Eh ! eh ! reprit Ben ; rien de neuf, mais force nou-
i point le souffle expirant de la brise du soir qui vient caresser less velles : une voile de mauvais augure est en vue. — Une voile !
1 sommets de la colline, faisant vibrer les cordes de la nature, les ro-i- comment cela ? As-tu pu seulement distinguer ce que c'était ? je n'ai
j chers et les bois les plus anciennes de toutes les lyies et les plus
, s pas aperçu sur la mer un seul lambeau de toile. — Possible, dit
harmonieuses, à qui l'écho sert de choeur. Ce n'est pas non plus unn Ben, de la baie où tu le tiens; mais moi, du promontoire où j'étais
bruyant cri de guerre qui vient briser le charme de ces lieux, cee de quart, j'ai aperçu le vaisseau à mi-corps; car le vent est léger et
n'est point le monologue du hibou, l'ermite emplumé, l'anachorète e la lame n'est point haute. — Quandle soleil s'est couché, oùétait-il ?
aux larges prunelles pleines d'un feu sombre, qui exhale les pen- i- avait-il jeté l'ancre? — Non : il a continué de porter sur nousjus-
sées de son âme solitaire, et qui adresse son hymne lugubre à la a qu'à ce que le vent fût tombé tout-à-fait. — Quel pavillon? — Je
.
nuit. C'est ce long sifflementfamilier aux marins, le plus perçant ît n'avais pas de lunette; mais mille sabords! d'un bout du pont à
qui soit jamais sorti du gosier d'un oiseau de mer. Un moment de le l'autre, ce navire m'a paru quelque engin du diable. — Armé? —
silence succède, puis une voix rauque : « Holà! Torquil! mon gar- Je le crois, et envoyé à la recherche... il est bien temps, me
çon ! comment se porte-t-on par ici? Ohé! lrère, ohé! —Qui m'ap- i- semble-t-il, de virer de bord. — Virer de bord? n'importe qui
pelle? s'écrie Torquil en regardant du côté d'où vient la voix. — — vienne nous donner la chasse, nous ne fuirons pas : ce serait une
''est moi 1 » U ne reçut pas d'autre réponse. lâcheté : nous mourrons en braves dans nos quartiers. — Soit !
soitl cela est égal à Ben. — Christian est-il informé de tout cela?
— Oui : il a rassemblé tout notre monde. On s'occupe à fourbir les
XIX. armes; nous avons aussi quelques canons que nous avons flam-
bés. On te demande. —Rien de plus juste; et lors même qu'il en
Mais en ce moment un parfum exhalé de la même bouche vint se serait autrement, je ne suis pas homme à laisser des camarades
mêler à la brise embaumée du sud, et annonça le nouvel arrivantt : dans l'embarras. Ma pauvre Neuha ! faut-il que le destin ne se con-
..
ce n'était pas l'odeur qui s'élève d'une couche de violettes, mais
iis tente pas de me poursuivre, et qu'il enveloppe dans ma ruine une
'\ celle qui, sortant d'une courte pipe, plane comme un nuage sur les es amante si tendre et si fidèle ? Mais quoi qu'il arrive, Neuha ! ne fais
-j vapeurs du grog et de l'aie. Cetle pipe avait déjà répandu ses par-
r- pas de moi un lâche : nous n'avons pas même le temps de verser
102 LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES;

une larme. Je suis à toi, quel que puisseêtre mon sort ! — Fort bien; vers cette source limpide : tousleurs sentiments s'absorbèrent dans \ v
vci
du Ben, lés larmes sont bonnes pour des soldais de marine. » celui de la soif naturelle, comme loul-à-l'heure ils s'absorbaient ' •
cel
da la soif de la vengeance; ils burent comme des hommes qui
dans c
boivent pour la dernière fois, et se débarrassèrent de leurs armes 1 '
bo
— po se baigner dans cette bienfaisante rosée, rafraîchir leurs ; *>
pour
gosiers
go desséchés, et laver le sang de leurs blessures qui peut- j
êli ne devaient avoir qUe des chaînes pour bandages. Alors leur i
êlrc ,
CHANT III. so clanchée, ils promenèrentautour d'eux un regard douloureux, j
soif
comme s'il s'étonnaient d'être encore vivants ct libres; mais lous }.
co
restèrent
re silencieux : chacun chercha le regard de son voisin,
I. comme pour lui demander des paroles que ses lèvres lui refusaient ; 5
co
ca il semblait que leurs voix se fussent éteintes avec leurs espé- \
car
Le combat .1 avait cessé, : on ne voyait plus resplendir ces éclairs raiices.
ra ;
.(qui brillent dans l'ombre
au momentoù lc canon donne des ailes à
la mort : les vapeurs sulfureuses, en s'élevant, avaient quitté la IV.
terré et lie .souillaient plus que le .ciel; le mugissement sonore des
déchargés d'artillerie, auxquelles l'écho répondait coup pour coup Sombre ct un peu à l'écart se tenait Christian , les bras croisés i
avec une horrible régularité, s'était tû et laissait les vallées à leur si sur là poitrine. L'expression ardente, intrépide, insoucieuse, répan- .<
mélancolique silence. La lutte était terminée ; le sort avait désigné due el- naguère sur son visage, avait fait place à une teinte livide ct
les vaincus; les rebelles étaient écrasés, dispersés ou prisonniers, et plombée p| : ses cheveux d'un bruii clair , qui naguère se pliaient en ]
ces derniers pouvaient porier envié aux morts. Bien peu, bien peu bouclesbi gracieuses, maintenant se hérissaient sûr soii front comme .]
avaient échappé, et on leur faisait lâchasse dans toutes les parties des d vipères irritées. Immobile comme une Statue, comprimantses jj
de cette île qu'ils avaient préférée à leur pays natal. Il n'y avait plus lèvres 1{ au point d'étouffer le souffle de sa poitrine , il était appuyé '
pour eux d'asile sur la terre, depuis qu'ils avaient iviiié la contrée contre c< le rocher, d'un air menaçant, mais en silence; et sauf un
qui les avait vus naître. Traqués comme des bêles féroces, comme léger U battement de son pied dont le talon creusait de temps en
elles ils cherchaient un refuge dans le désert, ainsi qu'Un enfant temps t< le sable, il semblait'changé en statue. Quelques pas plus loin,
court au giron înàterhel; mais c'est en vain que les loups ct les lions Torquil T appuyait sa lèle sur Une saillie du roc : il était également
s'enfuient dans leurs tanières, et plus vainement l'homme se flatté silencieux, s mais son sang coulait... non d'une blessure mortelle...
d'échapper à l'homme. I; plus cruelle élait au dedans. Son front élait pâle, ses yeux

bleus presque éteints, et des gouttes de sang qui souillaient ses che-
li
IL \veux blonds témoignaient que son affaissement ne venait pas dn
désespoir, mais d'une nature épuisée. Auprès de lui était un autre
Un roc se projette au loin sur là côle; et pendant là tempête, il marin
r rude comme un ours des lorôts, niais plein de l'affection .1
est baigné dés flols dé l'Océàh dont il brave lés fureurs': en vain, d'un <1
,
frère : c'était Ben Buiiting, qui se mit à laver, étancbèr el ban-
comme le guerrier qUi mon te le premier à l'assaut, la vague escalade ï la blessure de Torquil ; puis il alluma tranquillementsa pipe, ce
'der
Sa cime gigantesque ; elle en esl soudain précipitée el retombe sur ttrophée qui avait survécu à cent combats, ce phare qui avait réjoui
la multitude agitée qui derrière elle combat sous les bannièresdu !i sson coeur pendant des milliers de nuits. Le quatrième et dernier
vent. Mais aujourd'huila mer est calme, ct c'est sous l'abri dû rocher ; membre i de ce groupe de fugitifs se promenaitçà ct là; puis il s'ai-
que ce sont retires lès faibles débris de là troupe vaincue : épuisés ; rotait, i se baissait pour ramasser un caillou, ct" le laissait tomber...
par la perte de leur sang, dévoués par la soif, ils ont toujours fierté
les ensuite( il courait d'un pas précipité, puis il s'arrêtait soudain .. il
armes à là inàih, ct conservent quelque cliose dé leur ct de jetait j uii regard sur ses compagnons, sifflait la moitié d'un air et
leur résolution ; comme des hommes habitués à méditer sur les coups s'interrompait... i enfin il recommençait tout ce manège avec un
du sort, ctà lutter contre la mauvaise forluiïè au lieu dé s'en élon- mélanged'insouciancei ct de trouble. Voilà une bien longue descrip-
ner. Leur destin actuel, ils l'avaienl prévu ; et s'ils avaient fait un tion t pour rendre compte de ce qui se passa en moins de cinq mi-
coup d'audace, ce n'était point sans en 'connaître les résultats. nutes: mais aussi quelles minutes! De pareils momentssonl dans la
Néanmoins, Un faible espoir leur àVaitdit que peut-être, saiis par- vie humaine autant d'immortalités.
donner leur révolte, on oublierait ou négligerait de lès poursuivre;
que même si l'on envoyait après eux, leur retraite lointaine pourrait
échapper àùx recherchés parmi cette multitude d'îles dispersées sur V.
un vaste océan : ces illusions leur avaient dissimulé ce que main-
tenant ils voyaient ct sentaient durement, la puissance vengeresse Enfin Jack Skyscrapc, homme doué de la mobilité du mercure cl
des lois de leur patrie. Leur île verdoyante, ce paradis gagné par de la légèreté d'un éventail, plus brave que ferme, plus disposé à
un crime, ne pouvait plus abriter leurs vertus ou leurs vices : ce tenter un coup d'audace ct à mourir qu'à lutter contre le désespoir,
qu'ils pouvaient avoir de bons sentiments était refoulé au fond dei s'écria : « God damnl » syllabes énergiques qui constituent le fond
leurs coeurs, rjpùï ne plus laisser surgir qùè là conscience de leursi de l'éloquence anglaise, ce qu'est « Allah ! » pour les Turcs, ce qu'é-
fautes. Proscrits jusque dans leur seconde pairie, il ne leur restaitt tait pour les Romains l'exclamation païenne « Proh Jupiter! » car
plus de recours ; en vain le monde semblait ouvert devant eux c'esl ainsi que tous les peuples donnent issue à leurs premières im-
,
toutes les issues étaient fermées..Leurs nouveaux alliés avaient com- pressions, sorte d'écho qui répond à l'embarras. Jack en effet élait
,

battu ct versé leur sang avec eux: mais que pouvaient la massue ett embarrassé : jamais héros ne lc fut davantage ; et ne sachant que
Ja pique,fussent-elles maniées par le bras d'un Hercule, contre ce3 dire, il jura. Il ne jura pas en vain , car ce son, familier à l'oreille
'sulfureux sortilège, contre la magie de ce tonnerre qui frappe lee de Ben Dunting, le lira de la profonde extase où le plongeait sa
guerrier,'avànl qu'il puisse faire usage de sa force, et, fléau pesti- pipe : il l'ôta.de sa bouche, et prit un air capable; mais il se con-
lentiel, détruiï à la fois el les braves et la bravoure humaine? Eux- tenta de terminer le jurement commencé en complétant la phrase,
mêmes, malgré l'inégalité de la lutte, ils avaient fail toul ce quee péroraison qu'il est inutile de répéter.
l'on peut tenter contre le nombre; mais.quoique le choix semblee
naturel entre la mort et l'esclavage, la Grèce n'a pu se vanter quee
d'un seul combat .des Thermopyles, jusqu'à ce jour où, ayant forgé é VI.
en glaive le métal de ses chaînes, nous la voyons qui ose mourir ir
pour revivre. iMais Christian, homme d'une autre trempe, ressemblait dans sa
iïi. morne immobilité à un volcan éteint : silencieux, sombre et farou-
che : l'empreinted'une colère encore fumante était sur sa face voi-
lée d'un nuage. Enfin, relevant Son front obscurci, il jeta un regard
A l'abri de ce rocher, se sont réfugiés les quelques vaincus, sem- i- sur Torquil, languissant ct penché à quelques pas de lui. (< Enaussi, soni-
...
blables aux derniers restes d'un troupeau daims : leurs yeux sont
de ît mes-nous donc ! là malheureux enfant! et faut-il que toi, toi
pleins d'Une ardeur fébrile, leur contenanceest aballue, et pour- r- tu tombes victime de ma démence ! » Il dit ct s'avança vers le jeune
lan't on voit encore sur leur bois les traces du sang du chasseur. Un n marin encore couvert dû sang Sa de blessure, et lui prit Jâ main
petit ruisseau descendait en cascade de la hauteur et se frayait à avec émotion, mais sans la presser ct comme s'il eûl reculé devant
grand'pè'me un chemin.vers la mer. Son cristal, bondissant de roc ic l'idée d'une caresse. Il s'informa de son état, ct apprenant que la
en roc, se jouait aux rayons dp soleil : .malgré le voisinage de l'O- )- blessure était plus légère qu'il n'avait craint, un éclair de conten-
céan amer el sauvage, son onde pure, douce et fraîche comme l'in- î- tement éclaircit son front, autant'du moins qu'un pareil moment
no.cence, mais moins exposée qu'elle, faisait reluire au-dessus de le pouvait le permettre. « Oui, reprit-il, nous sommés pris dalis le
l'abîme soi- éclat argenté, comme on voit briller au sommet d'un m piège , mais non comme dos lâches ou comme une proie vulgaire '•
roc escarpé, l'oeil du chamois timide ; et bien loin, au-dessous , les es ils ont acheté chèrement leur victoire ; ils l'achèteront cbèremcnl
vagues île l'Océan, gigantesques pomme les Alpes, soulevaient et encore... moi , il ftuil que je succombe : mais vous, amis , aure*»
abaissaient leurs sommets azurés. Les malheureux se précipitèrent ni vous la force d'échapper? Ce serait une consolation pour moi que
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON. 103

auspussiez me survivre : notre bande est réduite à un trop petit et pour Neuha plus que la vie, plus que toutes les existences pos-
el
ombre pour pouvoir combattre. Oh ! que n'avons-nous un seul sibles
siL : car l'amour est embarqué sur la fragile nacelle, et son
soufflé
anot, ne fût-ce qu'une coquille , pour.vous transporter dans un la pousse vers une retraite sûre... Ce refuge d'un côlé, l'ennemi de
eu où habile
l'espérance 1 Quant a moi, mon sort esl ce que j'ai l'a
l'autre sont également proches.. encore, encore un moment... Vole,
oulu : mort ou vivant; je serai libre et sans peur. » arche
an légère, vole!

VII.
Comme il parlait pneore, à la tête du promontoire élevé et gri- CHANT IV*
iître qui dominait les flots , on vit poindre sur l'Océan une tache
mire : elle s'avançait comme l'ombre d'une mouette qui prend son
•ol ; clic s'avançait... et voyez! une seconde tache la suit... Tantôt I.
,'isibles, tantôt cachées, suivant les creux et les collines de l'Océan,
;lles s'approchent de plus en plus; tant qu'enfin on reconnaît deux Blanc comme une blanche voile sur une mer obscure, quand une
lanols, puis les visages amis de ceux qui les montent. Les pagaies moitié
m de l'horizon est nébuleuse et l'autre sereine; blanc,comme
jflicurent la lanie, rapides comme des ailes et voltigeant à travers cette voile suspendue entre la vague sombre etleciel; tel est le der*
ce
l'écume : tantôt lespirpgues sont perchées sur la corniche croulante nier rayon d'espérance qui sourit à l'homme dans un extrême pé-
ni
ri L'ancre a cédé; mais la voile de neige fixe encore nos regards
ril.
îles vagues, tantôt elles plongent dans l'abîme retentissant : ici
l'onde amoncelleles unes sur les autres ses nappes larges el boùil-
tonnantes,, là ellejapce en l'air ses larges flocons., réduits en une
\
a travers là plus rude bourrasque : bien que chaque vague qu'elle
franchit
fi l'éloigné davantagede nous, le coeur ne cesse de la suivre.
neige poudreuse. Enfin, les deux barques, rasant les lames et le
ressac, viennent aborder au rocher, comme deux petits biseaux qui
par un ciel orageux regagnent le rivage. L'art qui les guide paraît IL
la nature même, tant ils connaissentbien les 'flots, ces enfants de là
mer, habitués à se jouer avec elle. Non loin de Toubonaï, un noir rocher s'élève, du milieu de ta'mer-
asile
a des oiseaux marins, désert pour l'homme : là, le phoque informe
vient s'abriter du vent, el dort engourdi dans sa sombre caverne ou
VIII. folâtre lourdement aux rayons du soleil. Si quelque pirogue passe
f<
Ï de là, l'écho ne lui apporte que lc cri perçant de la mouette,
près,
El quelle est celte jeune fille qui, la prcmièrCj s'élance sur le ri- c pêcheurailé de la solitude qui élève sur le roc nu ses petits encore
ce
vage, comme une néréide sortant de sa conque; éétt'è jeune fille au sans
s plumes. Une ligne étroite de sables jaunestonne d'un côlé une
teint basané, mais luisant, aux yeux limpides éÔMmè l'a rosée, bril- ssorte de plage où lajeune tortue, ayant brisé son oeuf, se traîne en
itiiits d'amour, d'espoir et de constance? 'C'pst Neuha... la tendre, rampant
r vers les flots maternels, nourrisson dujour.pclosel'Océan-
d'un
la fidèle, l'adorée Neuha... Son coeur s'ébanch'c cômïne un torrent rayoù
r du soleil cl que la lumière créatrice a.couvé pour Lç
dans le coeur de Torquil : elle sourit, 'cire pleuré., elle l'embrasse resté
i de l'ilôt n'est qu'un noir précipice, un de ces lieux oui. n'offrent
étroitement, et plus étroitement encore, comme pour .s'assurer que s marin naufragé qu'un asile de désespoir propre à faire regretter
au
c'est bien lui qu'elle presse : elle tressaille à l'aspect de sa blessure 1 tillac .englouti, à faire envier le destin de ceux qui ontdisparu.
lc
loulo saignante, cl après s'être assurée du peu dé .profondeur dp la Telle es't.lâ lugubre retraite que Neuha choisit pour soustraire son
*.
plaie, elle sourit et pleure encore. Neuha est la fille d'un gùcr'ri'pr; àniant
i à là poursuite ennemie : mais tous les secrets n'en sonl pas
elle peut supporter de pareils spectacles, s'émoùvolir) s'affliger; dé- révélés,
t elle y connaît Uh trésor caché à tous les yeux.
sespérer, jamais. Son amant vit: nul ennemi, nulle cMhlô fié Sauraitt
étouffer l'ivresse de co moment de délices; la joie brillé .dans ses
larmes; la joie anime chaque pulsation de ce coeur-, si Violemmentt m.
agile qu'on l'entend presque battre : le paradis respire'dans l'haleine-
île celle tille de la nature, enivrée des plus doux sentiments que luii Près de là, arantla séparation des pirogues» lesrameurade l'esquif
i donna sa mère. qui portait Torquil étaient passéspar l'ordre de Neuha dans celui de
Christian afin den accélérer la marche. Christianaurai t voulu S'y o p--
IX. poser; mais lajeunelillc,souriantavec calme el montrunldudoigtl'île
rocheuse-.«Fuyezet soyez heureux! «avait-elledit, ajoutant (Ju'elle se
Les farouches marins, témoins de cette entrevue, ne purent com- chargeait seule du salut de Torquil. Les trois marinspartirent donc
] priiicr leur émotion : qui le pourrait en présence de la louchante B avec cet accroissementd'équipage : la pirogue s'élança rapide comme
j réunion de deux coeurs bien épris? Christian lui-même, en con- une étoile qui file et laissa bien loin derrière elle ceux qui la pou'r-
ï [émulant la jeune insulaire el son amant, ne versa point une larme, suivaient. Alors les ennemis Sôdirigèrent droit vers le roc qu'allaient
i il est vrai, mais il senlit une secrète joie se mêler à ces amères pen-
.,
atteindre Torquil et Neuha. Les deux amants redoublèrent d'efforts ;
\ secs qu'amènent des souvenirs sans espoir ». quand tout a disparu..;; le bras de la jeune femme, bien que délicat, était adroit et robuste :
i tout, jusqu'au dernier rayon de l'arc-cu-ciel. « Et lout cela pour moili accoutumé à lutter contre la mer, il le cédait à peine à la mâle vi-
I seuil » s'écria-t-il, el il se détourna un moment; puis il regarda le è gùèùr dé Torquil. Bientôt il n'y eut plus que la longueur même de
% jeune couple, comme.dans
sa lanière une lionne regarde ses liôh- là pirogue entré elle ct ce roc escarpé, inexorable, n!ayanl à sa base
:] ccaux; enfin, il retomba dans ses mornes méditations, comme
unn que des eaux sans fond. A une distance à peine cent fois plus grande
j homme désormais indifférent à sa destinée. était l'ennemi: après leur fragile canot, quelpouvait.être leur refuge?
Un demi-reproche dans le regard de Torquil sombiait le demander
i x.
et dire : « Neuha ne m'a-t-elleamené ici que pour mourir? Dois-je
trouver ici un refuge ou une tombe, et cet énorme. rocher n'esl-il
point un monument funèbre élevé au sein des nacra? »
% Mais il fut court, l'intervalle laissé à leurs pensées tristes ouu
1 joyeuses : sur, lès flots qui baignent le promontoire, on entendit le le
clapotement des avirons ennemis... hélas ! pourquoi ce bruit est-ilil IV.
\» si terrible? C'est que tout à l'entour semble ligué contre eux, toutît
S Mrs la jeune fille de Toùbbnaï. A peine a-irelle dans la
la Après
, qu'ils se sont reposés un moment sur leurs rames, Neuha
baie aperçu
;, les chaloupes armées qui s'avancent en hâte pour* achever la selève,etmoiitrantl'ennemiquiapproche:«Torquil,s'éci-ie-l-elle,sUis-
.' i'uine des révoltés, qu'elle fait signe insulaires qui sont restés inoi<,suis-moisansçraiiilel»Elsurcesmots,eileplongedanslcsprofon-
un aux ÎS
\ côte : aussitôt
la ils lancent leurs légères, pirogues sur lesquelles28 deurs de l'Océan. Il n'y avait pas de temps à perdre. ..le danger était là :
l s embarquent leurs.hôtes; Christian et ses deux hommes sont placés es les chainessous ses yeux : la menace à Sesoreilles.LesAnglaisfaisaient
dans l'une; mais elle ne veut pas se.séparer de Torquil, et elle le force de rames : en s'approchant ils ie sommaient de se rendre et
garde dans la sienne... Au large! au large! Ils franchissent les bri- •i- l'appelaient par le nom qu'il avait reùié. Il s'élance à son tour la
.1 sanls sillonnentlà baie» et se dirigent vers un groupe d'îlots où )ù tète la première.. 11 était nageur dès l'enfance et c'est dans son hâbi-»
oiseau, de
mer suspend son nid, où phoque établit son repaire
le re lilé que reposait maintenant tout son espoir; Mais où se diriger et
baigné par la vague. Leurs, pagaies rasent le bleu sommet des Ilotss : comment ? il avait plongé et ne reparaissait plus; L'équipage de la
rapide est leur fuite, rapide aussi la marche de leurs impitoyables chaloupe regardait étonné les Ilots et le rivage: nul moyeu d'aborder
persécuteurs. Ceux-ci gagnent un moment de vilesse puis ils res- es
tent un peu en arrière; enfin ils s'avancent de nouveau, , et la s- au précipiceescarpé, rude et glissant comme une montagne de glace,
pour-r- Ils attendirentpendant quelque temps pourvoir s'il reviendrait à la
l suite est toujours menaçante. Toul-à:coûp les deux pirogues se sé- se- surlace, mais pas même iule bulle d'eau ne remonta de l'abîme : la
3 l'arcn.i cl suivent deux directions différentes pour rendre la chasse se vague continuait son cours, et depuis que les deux amants avaient
ï l'his difficile... Vile! vite! de chaque coup de pagaie dépend la vie, c, l plongé, pus un nouveau pli à sa surface n'indiquait leur
passage :
104 LES VEILLEES LITTÉRAIRES ILLUSTREES.

un léger tourbillons'était formé, une légère écume avait blanchi sur elle le guida, car tout était ténèbres au premier moment, jusqu'à
ce
l'endroit qui semblait leur dernière demeure, blanc sépulcre de ce qu'on pût percevoir un faible jour pénétrantpar les fentes supérieu-
couple qui ne devait point avoir de marbre funéraire. La pirogue res. Comme dans la nef crépusculaire de quelque vieille cathédrale
tranquillequ'on voyait se balancer sur les flots, lugubre comme un les monuments poudreuxsemblent se refuser à la lumière, ainsi dans
héritier : voilà toutce qui parlait encore de Torquil et de son amante ; cet asile sous-marin, la caverne empruntait à son propre aspect la
et sans ce vestige unique, toute cette scène aurait pu paraître la vi- moitié de ses ténèbres.
sion évanouie du rêve d'un marin. Ils restèrent quelquetemps sur la
Ïilace et continuèrent en vain leurs recherches ; puis enfin ils s'é- VII.
oignèrent: une terreur superstitieuseleur défendantde rester. Quel-
ques-uns prétendirent que Torquil n'avait pas plongé dans les flots, La jeune sauvage tira de son sein une torche de sapin, soigneu-
mais qu'il s'était évanoui comme la flamme funéraire qui brille sur sement enveloppée dans une pagne de gnatou, le tout recouvert
les tombeaux; d'autres assurèrentqu'il y avait en lui quelque chose d'une feuille de latanier, afin de mettre à l'abri de l'humidité péné-
de surnaturel et que sa tailleétait plus qu'humaine: tous enfin s'ac- trantel'étincelle cachée dans leboisrè^inenx. Ce manteau avait main
cordèrent à dire que son tenu la torche en état d<
visage et ses yeux por- prendrefeu :ensuite,dan!
taient la sombre teintede un repli de la même feuil
l'éternité. Néanmoins, le, elle prit un caillou
tout en ramant pour s'é- quelques rameaux dessé
loignerdel'écueil, ilss'ar- chés: de la lame du cou
rètaient autourde chaque teau de Torquil elle fi
touffe d'herbes marines, jaillir une étincelle, allu
espérant y trouver quel- ma sa torche et la groft
quevestigedeleurproie... futéclairée. Elleétaitvas
mais non, Torquil s'était te et haute et présenta
dissipé SOUB leurs yeux une voûte gothique d
comme l'écume des flots. formationprimitive; l'ai
chitecte de la nature e
avait élevé les arceaux
V. un tremblement de teri
avait peut-être posé l'ai
Or, où était-il le pèle- chitrave; les contrefor
rin de l'abîme, suivant pouvaient s'être détacln
les traces de sa néréide ? du sein de quelque moi
Les larmes des amants tagne à l'époque où li
étaient-elles taries pour pôles avaient fléchi et <
toujours; ou, reçus dans l'onde était tout l'un
des grottes de corail vers.... peut-êtreaussi
avaient-ils obtenu la vie feu, qui envahissait
de la pitié Ides vagues? terre lorsque le glol
Habitaient-ils parmi les entier fumait encore si
mystérieux souverains de son bâcher funèbre,ava
l'Océan, faisant résonner il solidifié tout l'édifie
avec les tritons la conque Les clefs de voûte orne
fantastique? Neuha irait- de sculptures, les ba
elle, avec les sirènes, dé- cotés,la nef, toutse tro
nouersur l'Océanles tres- vait évidé par la main
ses de sa chevelure et les la nuit dans les flancs
abandonner aux flots, cette cavernequiétait s
comme auparavant elles domaine. Une imagin
les livrait à la brise? Ou tion complaisante eut
bien avaient-ils péri tous voir grimacer en l'air (
deux, et dormaient-ils en figureB fantastiques,
silencedans le gouffreoù s'arrêter sur une mit!
ils s'étaient si hardiment un autel, un crucifn
jetés? car en sejouant dansl
rangement de mille s
VI. lactites, la nature s'él
bâti une chapelle sous
Neuha avait plongé mers.
dans l'abîme, et Torquil
l'avait suivie. La jeune VIII.
insulaire nageait au sein
de l'onde natale comme Alors Neuha prit f
dans sonpropre élément, Sombre, à l'écart, Christian restait les bras croisés sur sou sein.
Torquil par la main
tant il y avait de grâce, ,
agitant sous les voûtes
d'élan et d'aisance dans torche allumée, elle
ses mouvements : ses fit visiter tous les coi
pieds agiles laissaient a- tous les secrets déto
près eux un sillon de lumière, brillant comme un acier inaltéra- de leur nouvelle habitation. Ce n'est pas tout : elle avait prép
ble aux flots. Presque aussi habile à pénétrer les profondeurs où d'avance tous les moyens d'adoucir l'existencequ'elle devait pai
habite la perle, Torquil, l'enfant des mers du Nord suivait joy- ger avec son amant : une natte pour le repos; pour le vêtement
eusement et sans peine son liquide chemin. Neuha levguidait tou- pagnes de frais gnatou; de l'huile de bois de santal pour coinh
jours sous les eaux.... un moment, elle s'enfonça plus avant enco- Ire l'humidité ; pour provisions la noix de coco, l'igname, le fi
re.... puis elle remonta.... enfin, étendant les bras, essuyant l'eau de l'arbre à pain, pour dresser la table la large feuille du latai
dont ruisselait sa chevelure, elle fit entendre un rire joyeux dont étendue sur le sol, ou l'écaillé de la tortue dont la chair fournis
le son fut répété par les rochers. Us étaient arrivés au centre d'une le festin. Ils avaient encore la gourde pleine d'une eau récemm
région terrestre, où l'on eût cherchéen vain des arbres, des cam- puisée à la source ; la banane mûre cueillie sur la colline expo
pagnes et des cieux. Autour d'eux s'arrondissait une spacieuse ca- au soleil ; un amas de branches de pin pour entretenir une cla
verne, dont l'entrée unique était sous la vague discrète, portique perpétuelle : tandis qu'elle-même, belle comme la nuit, répand
inaperçu du soleil, si ce n'est à travers le voile verdâtre des flots, sur lous les objets le charme de sa présence et parerait de sa se
par un de ces jours de fête de l'Océan où, tout transparent de lu- nité ce petit monde souterrain. Depuis que la voile de l'étranger
mière, il favorise les ébats de ses hôtes écailleux. Avec sa chevelure, tait approchéede l'île, elle avait prévu que la force ou la fuite p<
la jeune fille essuya les yeux de Torquil. ébloui par l'onde amère, raient ne pointprotéger son amant, et dans cette caverne elle a
et battit des mains de joie en voyant sa surprise ; puis elle le guida préparé un refuge à Torquil contre la vengeance de ses corn
vers une saillie du roc qui formait comme la grotte d'un triton... triotes. Chaque matin elle avaitdirigévers le rocher sa pirogue léf
OEUVRES COMPLÈTES DE LOHD BYRON. 105

chargée de tous les fruits dorés de l'île ; chaque soir elle y avait ap- i
porté tout ce qui pouvait égayer ou embellir ce temple de cristal : et
maintenant elle étalait en souriant tous ses petits trésors, et elle se X.
trouvaitla plus heureuse des filles de ces lies amoureuses.
Et ces hommes, auteurs et victimes de la catastrophe qui exilait
les amants dans les profondeurs de ce rocher, où étaient-ils?... Us
IX. faisaient force de rames pour sauver leur vie ; ils demandaient au
ciel l'asile que leur refusaient les hommes. Ils avaient pris une autre
et elle, elle pres-
Il la regardaitavec une tendressereconnaissante ; direction.... mais où s'arrêter? La.vagne qui les portait porterait
«ait surson sein brûlant cetamant qu'elle avaitsauvé. Enfin,tout en partout l'ennemi, qui, frustré dans sa premièrepoursuite, s était re-
continuant ces douces caresses, elle lui raconta un vieux conte d'a- mis avec une nouvelle ardeur sur les traces de Christian. Impatients
mour... car l'amour est bien vieux, vieux comme l'éternité; mais de rage, comme des vautours à qui une première proie a échappé,
«ans jamais s'user, il crée tous les êtres nés ou à naître. « Un jeune lesmarins redoublèrent d'efforts. Ils gagnèrent de vitesse les fugitifs
« chef, lui dit-elle, il y dont tout 1 espoir reposait
de cela milie lu- dansquelquestérileécueil
« avait
it nés, en
plongeant au ou quelquebaie secrète :
s pied du roc pour pren- car il ne restait plus d'au-
« dre des tortues et pour- tre choix ni d'autre chan-
« suivantsa proie dansles ce de salut; et ils se diri-
« profondeursdel'Océan, gèrent droit sur le pre-
« était sorti de l'eau dans mier rocher qui frappa
« cette même ca verne au leur vue afin desentir en-
« milieu de laquelle ils core une fois la terre sous
« se trouvaient; ensuite, leurs pieds, el de se ren-
« pendant une guerre dre en victimes résignées
«domestique acharnée, ou de mourir l'épée à la
« il avait cachédans cette main. Us renvoyèrent les
i « retraite une fille de ces naturels et leur canot:
îles, une ennemie ado- ceux-ci offraient de com-
«
« rée, née d'un père en- battre pour eux jusqu'à la
« nemidesatribuetdont fin, malgré l'infériorité
j,
« on n'avait épargné la du nombre; mais Chris-
« vie que pour en faire tian exigea qu'ils rega-
{« une esclave. Cependant gnassent leur lie, sans
: « la tempête de la guerre faire un sacrifice inutile;
1 « s'étant apaisée, il avait en effet que pourraientles
' « assemblé le peuple de arcs et les épieux des sau-
« son ile près du lieu où vages contre les armes
i « les eaux étendent leur quelesEuropéensalIaient
I « rideau vert et sombre employer?
' « devant l'issue du ro-
«clier, puis plongeant XI.
« dans la mer sans
« doute, il avait disparu Débarquéssur une grè-
« pour toujourst Ses corn- ve étroite et aride qui ne
« pagnons stupéfaits, im- portait guère d'autrestra-
« mobiles dans leurs pi- ces que celles de la natu-
« rogues, avaient pensé re, ils préparèrent leurs
« que le jeune chef était armes, avec ce regard
«en démence ou qu'il sombre, farouche et ré-
« était devenu la proie dû solu de l'homme réduit à
« glauque requin ; pleins l'extrémité, quand il a dit
«
de tristesse, ils avaient adieu à l'espérance, et
« fait en ramant le tour qu'il ne lui reste même
« du rocher baigné par plus celle de la gloirepour
« la mer, puis ils s'étaient embellir sa lutte contre
« reposés sur leurs pa- la mort ou l'esclavage...
i « gaies sans pouvoir re- Ainsi ils étaient là de-
i « venir de leur épouvan- bout, nos trois combat-
I « te.Tout-à-coup on avait tants, comme les trois
|ï« vu s'élever du sein des cents qui rougirent les
« vagues, toute brillante Thermopylesd'un sang à
! ; « de fraîcheur, une dées- jamaisconsacré. Mais,hé-
« se... telle du moins elle Au-dessus d'eux s'agita quelque temps l'aile humide des oiseaux do la nier. las I quel sort différent1
t
« leur avait semblé dans C'estlacause quifait tout,
i « leur étonnement ; et qui flétrit ou sanctifie le
« avec elle avait reparu courage vaincu. Ceux-ci
,
s
«leur compagnon, glo- ne voyaient pas sur leur
« neux et ner ae sa nancee la nymphe des mers. Kniin quand Je tête une gloire immense, éternelle, briller dans les nuages du
« mystère leur eut été expliqué, les insulaires avaient ramené trépas en les appelant à elle ; nulle patrie reconnaissante ne vien-
i « l'heureux couple au son de leurs conques et de leurs chants dra, souriante à travers ses larmes, entonner sur leur tombe un
« joyeux dans 1 île où ils avaient trouvé une vie fortunée et une hymne continué par les siècles; les yeux des nations ne se fixe-
1 « mort paisible... Et pourquoi, termina-t-elle, n'en serait-il pas de ront point sur leur monument, nul héros ne le leur enviera. Avec
F « même de Torquil el de sa Neuha ? » Quelles brûlanteset secrètes quelque bravoure que leur sang fût versé, leur vie était un op-
l caresses, dans cet asile secret, suivirent un pareil récit! Là pour probre, leur épitaphe serait la liste de leurs crimes. Et cela, ils le
t eux tout était amour, bien qu'ils fussent ensevelis au sein d une savaient, ils le sentaient, tous, ou au moins und'eux, celui qui avait
>
tombe plus profonde que celle où Abeilard, après avoir reposé vingt soulevé ses compagnons et qui les avait perdus. Cet homme, né peut-
ans dans la mort, ouvrit les bras pour recevoir le corps d'Héloïse être pour une vie meilleure, avait joue son existence sur un coup
descendu au caveau nuptial, et pressa sur son coeur ranimé les longtemps incertain : mais maintenant ie dernier dé allait être jeté
t
tes qui se ranimaient comme lui... Pour Neuha et Torquil, res-
en vain el toutes les chancesparaissaient annoncersa ruine : et quelle ruine I
au dehors les vagues murmuraientautour de leur couche : ils ne Cependant il faisait encore face à l'ennemi ; immobilecomme le roc
s occupaient pas plus de ce mugissementque s'ils eussent été privés sur lequelil avait pris position, sombre comme le nuage qui inter-
it de vie : au dedans leurs coeurs formaient leur seule harmonie, c'é- cepte le soleil, il abaissait son arme et mettait enjoué.
taient les murmures de l'amour entrecoupés de soupirs,
^ entrecoupés de murmures.
ses soupirs
e
106 LES YlilLLÉliS LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

I soucieuse,
s( indifférente : au loin à sa surface, les dauphins prenaient
leurs
lé ébats et le poisson,Volant s'élançait de l'onde poui- briller au
XII. ! soleil,
se jusqu'à ce que, l'aile desséchée, ii retombât itoii de bien haut
1 dans là mer, pour y reprendre l'humidité nécessaire à un second
di
;.; La chaloupe approchait; elle était bien armée, et l'équipageélait essor. es
résolu à tout ce que lé devoir comhiaiidei-aitiaussi insoucieux du dan- i
gci- que le vent peut l'être dès feuilles qu'il balaiedevant lui. Nul ne i XIV.
regardait en arrière. El poùrlant peut-êiré auraient-ils mieux aimé :
marcher contre Un ennemi de leur pays que confie un compatriote; ; C'était le: matin; Neuha, dès. l'aube du Jour, s'élait glissée à la
peut-êtrese disaîênt-iis que ce malheureux, victime de sa désobéis- liage n hors de là gi-plte poUi- épier lé premier rayon du soleil et voir
Sa.*?% s'il n'était plus Anglais, avait appartenu à l'Angleterre, ils le si aucune embarcationn'approchait de là retraite amphibie où re-
spnyràeiitdèse rendre... point dé réponse. Les armes s'apprêtent, posait p encore son époux. EU e aperçût une Voilé abandonnée aux
elles .brillent au soleil : Aôu.vellè sommation... mêniê silence. Une vents yi :
la toile frémissait,segonflait et enfi'iî prenait toute sa cour-
fois encore, et d'une voix plus élevée, ils lui offrent quartier : les bure b sous la brise fraîchissante. Le sein de là jeune fille fut soudain
échos seuls, .rebondissant dans les rochers, répondent par des sons ; oppresséeo d'une vague terreur ; son coeur battit plus fort bl plus vile,
dont le dernier semblé un adieu qui expire. Alors l'étincellejaillil, ; tant, U que la direction du navire lui parut incertaine. Mais non; il
là flamme d'une déchargereluit; la fumée s'élève entre les tireurs ; ne n s'approchait pas : comme une légère vapeur, il décroissait > rapi-
le
et leur but ; cependant roc pétille au choc des balles, qui frappent \ dementdans
d le lointain ; il sortaitde la baie. Elle regardait toujours ;
en vain et tombent, amorties. A présent elle va vpnir, la seule ré- j efle essuyait ses yeux que baignait Tonde àmère poui- mïcùx jouir
ed'Uhé'pé'ctaêl,è
ponse que puissent.'faire des hommes qu\î ont perdu tout espoir sur ] d 'qui lui semblait l'arc-cn-ciel. Le navire lointain,
là terre et dans le ciel. Après leurpremièreet bruyantedéchargé»tes j voguants V riiônzpn diminuait, se réduisait à une simple tache...
, j-ieh,
soldats qui se sont encore approchés enlendéjttt ia voix de Christian j èenfin ii UispaV'Ùt. Plus que l'Océan! plus rien que dé là joie!
qui commande ; «..Maintenant, feu! » et avant que lé dernier hiot i Elle B plongé de hbuveauvc.rsla caverne pour réveiller son époux:
.lit,expiré dans l'écho;, deux des agresseurs, sont tombés. Lc reste de j elle, é lui dit le. départ,lapnt eue Vient d'être témoin j et tout ce qu'elle
là troupe s élance sur le rocher : furieux d'une résistanceinsensée, | espère é et tout c^qu'ùn amour heureux peut augurer de l'avenir ou
ils dédaignent tout autre moyen d'atlàqùe et veulent en venir aux .rappeler du passe; Enfin elle sort de nouveau avec Torquil 'qui main-
bains de près. Mais là pente est escarpée et n'offre aucun senliéi-.': rtenant ti peut suivre,librement sa néréide bondissantsui- là vaste mer.
chaque degré qu'ils doivent monter est comme un bastion opposé à Ils
1 font à là liage le tour dû roc et atteignent une petite cavité où
leur ragé : tandis que, placés sur les points les moins accessibles que est è caché le càhoV,qùe Neùlià à laissé aller à là dérivé et sans rames
l'oeil expérimentéde Christian a reconnus aussitôt, les trois rebelles sui- s lés flots, cepied pleine soir, oùles étrangers les ont poursuivis du ri-
entretiennent uil feu continu, du haut des pics ou lès aigles con- vage \ jusqu'au dû rocher : mais quand ceux-ci se fuient reti
sl'ruiraient leur aire. Chacun de leurs coups j)orle> et les assaillants i-'és,i' elle avait cherche sa pirogue- l'avait reprise et l'avait placée où
tombent parmi les rochers où ils s'écrasent comme des vers. Mais ils ii là retrouvent maintenant. Jamais barque lie porta plus d'amoni
assez d'autres survivent; montant toujours de roc en roc cl se divi- e't e de .joie que cette arche légère n'en reçut alors dans ses flancs.
Pâiit de côté et d'autre, ils parviennent enfui à cerner les rebelles et -
à dominer leurs positions. Alors, voyant l'ennemi trop loin èjVcore
pour s'emparer d'eux, mais assez près pour les exterminer; les trois XV.
désespérés s'aperçoivent que leur sort ne tient plus qu'à un fil^
comme celui du requin qui a mordu l'hameçon. Ils tinrent cepen- Les bords de leur île chérie s'élèvent de nouveau devant leur?
dant jusqu'au bout; ct quand un d'eux était frappé, aucun gémisse- |j yeux, * et ces bords,hé sont plus souillés par une présence hostile;
ment ne l'apprenait a l'ennemi. Christian mourut le dernier : il avait jplus de sévère navire, prison flottante, se balançant sûr la houle.
reçu deux blessures, et ses adversaires lui joflrirën.t encore quartier Tout dans est espoir; loul est bonheur domestiqué. Mille pirogues s'élan-
quand ils virentcouler son sang : trop lard pour lui sà'uvéi- la vie> cent '< la baie et ail son des conques marines leur forment un
niais à temps,encore pour qu'unemaiii d'homme, quoique main icollège : lés chefs, entourés de lout lc peuplé, descendent au rivage

d'Un ennemi, pût lui fermerles yeux, Une de ses jâlhbes était bi-i- et i accueillent Torquil comme un fils qui leur est
rendu. Les femmes
sec, ct il se traînait le long du précipice combe un faucon trop en foulé entourent et pressent Neuha : elles l'embrasseni,et Neuha
jeune arraché de son nid. La voix qui lui offrait merci jpftrùi le rà- ileur 1 rend leurs caresses; elles veulent savoir jusqu'où on les a
nirner ou éveiller en lui quelquevésscntim'ent qu'il exprima par un poursuivis j el comment ils ont échappé. Tout leur estconlé : et alors
faible gesle : il fit un signe à l'homme lé plus avancéqui vint à lui ; de accÏÀm'âhoh'spercent les cicùx ; ct de cette heure uni'
i nouvelles
mais quand ils fuient proches l'un dcl'aulrè, il relevason,arme... tradition nouvelle donne au sanctuaire 'des amants Uù nouveau
il avait cniploy.é sa dernière balle, ïnàisil arracha un dès boulons Ï nota : on l'appelle « la Grotte de Neuha. » Cent feux de joie, bril-
de sa veste, lé fit glisser dans le tube, mit cùj'ôûe, tira cl eut encore iS îànt au loin du sommetdès montagnes,éclairentles plaisirs de cet le
ùii sourire en voyant tomber son èiinçbi. Alors comme un serpent, belle nuit, la fête de l'hôte rendu après tant de périls à la paix elau
il rassembla ses membres blessés et fatigués et se, glissa-jusqu'au bonheur : nuit suivie deces heureusesjournées que l'on ne goûte que
bord de l'abîme profond comme .son désespoir : là, il je't'àUà regard dans un monde encore enfant I
eh arrière, agita une main en l'air,, frappa d'un dernier gèsjè de
rage la terré qu'il quittait, et se précipita'...- Son corps arriva brisé
c'oinbc un vôi-rc sur la plate-forme 'rocheuse qui régnait au bas de
la falaise : il n'en restait qu'une masse sanglantedont quelques lam- FIN DE L'ÎLE.
beaux à peineconservaientVapparence humaine ou pouvaient'sei-r
vir dé pâlùi-é aux vers et aux oiseaux du rivage : un crâne couvert
de cheveux blond, souillés de sang et entremêlés de ronces ; quel-
ques débris de ses armes qu'il avait serrées avec force jusqu'au der-
nier moment et. tant qu'il avait pu les tenir-, ces fragments brillaient
encore, niais semés çà cl là loin de lui... ils devaient se rouiller à la
rosée et à l'écume des mers. 11 no restait que cela... sauf une vie
dépiôrabtain'éiH .employée
HEURES DE LOISIR
et une âme Qui pourrait dire ce
qu'elle devint? il né nous appartient pas déjuger les morts; eleeux
qui lés condamnent à l'enfer sont eux-mêmes sur la roule qui y
conduit, à moins 'qu'à ces partisans des peines éternelles IMeii ne (Suite.)
pardonne un mauvais coeur, en considération d'une cervelle pire
encore.
XIII.
L'expédition était terminée. Oh en avait fini avec tous : lès uns
captifs, Vos antres tu'és, un seul disparu. Le petit nombre dès mal- À EDWARD NOËL LONG.
heureux qui avaientsurvécu au combat dans l'île se trouvaient en-
chaînés sur lé pont du navire dont naguère ils formaient avec hon- Cher Ed\v»rd, dans celle retraité solitaire; où tout sommeillé au-
neur le, vaillant équipage : lirais nul ne restait dé l'affairé des ro- tour de moi, les jours heureux doht nous avons joui viennent si
chers. Us étaient couchés, les membres Crispés, âù lièù même où présenter, rajeunis aux regards de mon imagination. Ainsi; quan*
ils étaient tombés, et l'oiseau des nie'rs agiiait aù-dèsàtis 'd'eux son là tempêle se prépare, quand de sombres nuages obscurcissent.1'
aile humide : son vol tournoyait p] us proche à chaque fois qii'ïl ve- j'oùr, si tôiil-à-éoup le ciel prend un aspect môiris l'risle, je salue •'
nait du rivage, ci ses cris avides et sauvages rèiéiilissàièhlàU loin. brillant àrc-cn ciel, signal d'è là paix, devant lequel s'apaisent lc;
Mais plus bas la vague éternelle se soulevait cl retombaitcalme, in- t
orages. Ah ! quoi que te présent nous apporte de douleurs, je m*
OEUVRES'COMPLÈTES DÉ LORD RVRON. 10Ï

figure que ces joins de féiicité peuvent renaître; ou si; dans un


nio- | ine suis plus soutenu par
tes proinesses; elles appartiennent à un
nient de mélancolie, quelque crainte envieuse vient se glisser dans ij sautre.

,non âme; réprimer les douces rêveries qui l'enflamment et Je pourrais détruire son repos et troubler lc bonheur qui l'at-
interrompre mes songes dorés, je dompte bientôt ce monstre pei-- tend..:
i Non . que mon rival puisse sourire dans sa félicité! pour
lîdc et m'abandonne de nouveau à l'illusion chérie.Je lc sais, nous l'amour sacré que je te porte, je ne saurais hjhaïr.
n'irons plus dans là vàilée de Grànta prêter l'oreille aux leçonsdes Ah ! puisque la beauté d'ange m'est ravie, mon coeur ne peut se
pédants ; Ida lie nous verra plus dans ses bosquets poursuivre donner à aucune autre : mais ce qu'il espérait de loi seule, hélas!
comme autrefois nos visions enchantées; la jeunesse s'est envolée il essaie de le trouver en plusieurs.
ailes de rose-, el l'âge Viril réclame ses droits sévères. Ce-
sur ses les
Adieu donc, décevante jeûné fille! lés regrets seraient impuis-
pendant années né détruiront pas toutes nos espérances; elles sants, inutiles; ni le souvenir ni l'espoir ne peuvent plus rien pour
nous réservent encore quelques heures d'une félicité paisible. moi : taais l'orgueil pourra m'apprendre à l'oublier.'
Oui, je l'cspêrè, lé temps en déployant ses vastes ailes, fera toni- Et pourtant ce gaspillage insensé de mes années, ce cercle mo-
lier sûr nous quelques gouttesde rosée prihlànièrc : mais si sa faulx notone dé tristes voluptés, ces amours inconstants ; cet effroi jeté
doit moisonner les fleurs de ces bosquets magiques où la riante au coeur des matrones -, ces vers insouciants à de nouvelles maî-
jeunesse se plaîl tant à errer, où les coeurs s'enflammentdé précoces tresses ;
ravissements; si là vieillesse grondeuse, avec sa froide prudence, Si tu m'eusses appartenu, rien de lout cela n'eût élé : ce visage
vient réprimer lés 'effusions de l'âme, glacer les larmes dans les dévasté par une débaucheprécoce, au lieu d'être enflammé par la
yeux dé la pitié, étouffer les soupirs de la sympathie , fermer notre fièvre des passions se fût animé des teintes pures du bonheur do-
,
oreille aux gémissementsde l'infortune, et reporter toutes nos affec- mestiqué.
tions sur nous seuls : oh ! que mon coeur ne
l'apprennejamais Oui, jadis le spectacledes champs m'était doux ; car c'était à loi
cette fatale sagesse; qu'il garde sou imprudente confiance; qu'il que la nature semblait sourire; jadis, mon coeur abhorrait l'im-
continué à mépriser la froide censure, et qu'il ne devienne janlais posture, car alors il ne battait que pour loi.
insensible aux maux d'autruil Oui, tel que lu m'as connu dans ces Mais maintenant, je recherche d'autres jouissances : "nie livrer à
jours auxquels nous aimons à reporter nos souvenirs, tel puissé-je mes pensées, ce serait jeter moii âme dans la démence : au sein des
me montrer toujours, avec ma sauvage indépendance , el ce coeur
folles réunions et d'un tumulte où toul est vide, je parviens à
' toujours enfant! dompter la moitié de nia tristesse.
bien qU'absorbé maintenant par de fantastiquesvisions, mon Eh bien ! là encore, en dépit de tous mes efforts, une pensée
coeur est toujours le même pour toi. Souvent j'ai eu des malheurs unique se glisse dans mon âme... et les démons auraient pitié de
à pleurer, ct moii ancienne gaîté s'est refroidie. Mais loin de moi, coque je souffre quand je me dis que tu es perdue pour moi... perdue
heures de noires tristesses, tous mes chagrins sont finis : j'en jure atout jamais I
s par
les joies qu'a connues mon jeune âge, je ne veux plus que
votre ombre se projette sur ina vie. Ainsi quand la fureur de l'oU-
raga'n a cessé; qiiàiid les aquilons, rentrés dans leurs cavernes, y
concentrent leurs sourds mugissements,nous oublionsleur rage, cl, PMÉnE BB LÀ NATUnE.
,
:
bercés par les zéphyrs, nous nous laissons aller au repos.
Souvent ma jeune muse monta sa lyre sur les tons voluptueux Père de la lumière, roi tout-puissant des cieùx! entends lu les
de l'amour ; mais aujourd'hui,n'ayant aucun sujet à chanter, ses accents de mon désespoir? Des crimes tels que ceux de l'homme
modulations ne sont plus que de vagues soupirs. Les nymphes qui peuvent-ils jamais être pardonnes? Le vice peui-il s'expier par des
i me charmaient, hélas! ont disparu ; Emma est épouse et Coralie est

prières?
mère; Caroline soupire dans la solitude, Marie s'est donnée à un Père de la lumière c'est vers loi que j'élève ma voix ! tu vois
\ autre, et les yeux (le Cora, si longtemps arrêtés sur les miens, ne combien mon âme est, sombre; toi à qui n'échappe pas la chute du
peuvent plus y rappeler l'amour. Et, en effet^ cher Edward, il était passereau,éloigne de moi la, mort du péché.
i temps
de faire retraite car les yeux de Cora élait disposés à s'ar- Je n'adopte point d'autel, je no reconnais point de secte; oh 1
,
lèter sur tout le monde : je sais bien que le soleil dispense à tous montre-moi le sentier de la vérité. Je crois à la redoutable omni-
ses rayons bienfaisants, et que lc regard de la beauté est un véri- potence.: pardonne, en les redressant, les écarts
, de
ma jeunesse.
liiblc soleil ; niais quant à ce dernier, je pense qu'il ne doit luire que Que de faux dévots t'élèvent un temple lugubre; que là super-
pour un seul homme. stition salue l'orgueilleux édifice; que des prêtres, pour étendre
C'est ainsi que mes anciennes flammes se sont éteintes, et que leur ténébreux empire, inventent des légendes ct de mystérieuses
maintenant l'amour n'est pour moi qu'un nom. Quand un feu est cérémonies!
sur le point de tomber, le souffle, qui tout à l'heure ravivait sa Eh quoi 1 l'homme prétendrait circonscrire la puissance do son
llainmc, ne fait plus qu'accélérer sa (in en dispersant dans la nuit créateur dans des dômes gothiques de pierres vermoulues? Ton
ses dernières étincelles; il en est ainsi du feu d'une passion (maint temple est là face du jour ; la terre, l'Océan et les cieux forment ton
jouvenceau, mainte jeune fille, peuvent se le rappeler)alors que son trône immense.
; ardeur expire, et qu'elle s'éteint sous ses cendres mourantes. L'homme oscra-l-il condamner sa race aux feux infernaux, à
Mais maintenant, cher Edward, il est minuit : des nuages obscur- moins qu'elle ne se rachète par les vaincs pompes des cérémonies?
cissent la lune qui nous annonce la pluie, et dontje né passerai pas Oscra-t-il prétendre que pour la chute d'un seul, nous serons tous
en revue les beautés décrites par tous les rimailleurs. Pourquoi, en enveloppés dans un commun naufrage?
i efl'el. suivrais-je le sentier que lanldepas ont foulé avant moi? Tou- Chacun, pour son compte, se flattera-1-il d'atteindre lc ciel, tandis
i lefois, je te dirai ceci
.
avant que la lampe argentée des nuits aitac- qu'il condamnera son frère à la destruction parce que celui-ci
: cmiipli trois t'ois ses phases
accoutumées, et trois fois parcouru sa nourrit d'autres espérances ou professe de moins ,
rigoureuses doc-
: mule lumineuse* j'espère, ami bien cher, que nous verrons e'nsem- trines?
: lile son disque éclairer la retraite paisible et chérie qui autrefois Quelques hommes, en verlu de dogmes qu'ils ne sauraient dé-
{ abrilait noire jeunesse. Alors nous nous mêlerons à la troupe montrer, pcuvciil-il's nous destiner à un bonheur ou à des tour-
; j'iycuse des amis de notre enfance ; mille récitsde nos anciens jours ments imaginaires'Commentdes reptiles grouillant sur le sol coti-
<
donneront des ailes aux heures riantes; nos âmes s'épancheront nailraient-ils les desseins du souverain créateur?
en douces paroles, sainte rosée de l'intelligence, jusqu'à l'heure où Quoi! ceux qui ne vivent que pour eux seuls, qui se plongent.
le croissant de la lune pâlissante ne sera plus qu'à peine visible à chaque jourdans un oc.éan de crimes, ceux-là pourraient expierleurs
travers les brouillardsdu matin. forfaits par la foi, et vivreheureux,par-delà les siècles,!
Père ! je ne m'altache aux lois d'aucun prophète. Les tiennes se
manifestentdans les oeuvres de la nature. Je m'avoue corrompu et
faible. Pourtantje te prierai ; car lu m'écouteras;
.?
,« Toi, qui guides l'étoile errante à travers les royaumes sans che-
i A UNE DAME (*}. mins de l'espace éthéré ; qui apaises la guerre des éléments, et dont
Ah! si ma vie eût élé jointe à la tienne, comme jadis ce portrait
je vois la main empreinte d'un pôle à l'autre!
: Toi qui, dans ta sagesse» ni'as placé ici bas, et qui peux m'en reti-
ï semblait me lc promettre, toutes ces folies qu'on me reproche ne rer quand ilte plaira: ah! tant que mes pieds fouleront ce globe
' m auraient point tenté; car rien alors n'eût pu troubler la paix de terrestre, étends sur moi ton, bras protecteur !
'non coeur. C'est vers toi, mon Dieu, c'est vers toi que nia voix s'élève! quoi-
C'est à loi que je dois les fautes de ma jeunesse et les reproches
qu'il, m'advienne en ,bien ou en mal, que là volonté m'élève ou
sages el des vieillards : ils connaissent ines torts ; mais ils ne
«es
m'abaisse, je me confie à ton aide.
^ventpas que le tien fut de briser les liens de noire amour. Lorsque ma poussière sera retournée à la poussière, si mon âme
Jadis mon âme élait pure comme la tienne, et capable d'étouffer s'envole sur desaileséthérées, comme elle adorera ton glorieux nota
,'ouicslcs folles ardeurs qui s'élevaient en elle : mais maintenant je ton nom qui inspirera les clients de sa faible voix ! '
Mais si ce souffle fugitifdoit partager avec, l'argile le repos éternel
* Ci Miss Mary Ghaworth, alors mistress 'Muslcrs, de la tombe, tant que mon éoeui- pourra battre, j'élèverai ç:çfcs loi
108 LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

ma prière, fussé-je ensuite condamné à ne pas*quitler la demeure où est-il, le champion et l'enfant gâté de tout ce qu'il y a de piUs
des morts. grand et de plus petit, de sage ou d'insensé? qui jouait aux em- i

J'élève vers toi mon humble chant, reconnaissant de toutes tes pires, avait pour enjeu des Irônes, pour tapisl'univers, et pour dés i

miséricordespassées et espérant, ô mon Dieu, que cette vie errante des ossements humains? Voyez là-bas, dans celle lie solitaire, le '
doit enfin revoler vers toi. grand résultat de tous ces efforts ; et, selon l'impulsionde votre na-
ture , pleurez ou souriez. Pleurez de voir la rage de l'aigle allier
réduite à ronger les barreaux de sa cage étroite; souriez en voyant
le dompteur des nations quereller chaque jour sur des misères,
SOUVENIR (1806). lamenter à son dîner sur des plats retranchés ou des vins réduits, se
s'occuper enfin de mesquines discussions sur de mesquins objets
C'en est faitl un rêve m'a tout révélé: l'espérance ne doit plus Est-ce là l'homme qui châtiait ou hébergeait les rois? Voyez la
embellir mon avenir de ses rayons. Us ont été rapidesles jours de balance de sa fortune dépendre du rapport d'un chirurgien des
ou
ma félicité; glacée par le souffle glacé de l'infortune, l'aurore de harangues d'un lord! Un buste qui n'arrive pas, un livre refusé,
ma vie est voilée d'un nuage. Amour, espoir, bonheur, adieu1 que troubleront le sommeil de celui qui tint si souventle monde éveillé!
ne puis-je ajouter : ô souvenirs, adieu! Est-ce là celui qui abattait l'orgueil des puissants, maintenant es-
clave de la moindre contrariété, du moindre ennui, d'un ignoble
geôlier, d'un espion qui l'observe d'un badaud étranger qui l'a-
borde son carnet de notes à la main? , Plongé dans uu cachot, il
eût été grand encore ; mais quoi de plus bas, de plus mesquin que
cette situation mitoyenne entre une prison et un palais, celte si-
L'AGE DE BRONZE ". tuation
U dont si peu d'hommes peuvent comprendre les souffrances!
«Ses plaintes sont sans fondement... Mylord présente son mémoire :
les< aliments et le vin ont été fournis suivant l'ordonnonce : son
mal est imaginaire... jamais il n'y eut un climat moins homicide;
• en douter serait un crime. » L'opiniâtre chirurgien qui défend la
ei
cause du captif a perdu sa place, mais il a gagné l'estime publique.
» Ci
»
Mais enfin souriez : bien que les tortures de son cerveau et de son
dédaignent et défient les tardifs secours de l'art ; bien qu'il n'ait
coeur
Cl
à son lit de mort qu'un petit nombre d'amis dévoués, et l'image de
I. c bel enfant que soh père ne doit plus embrasser; bien qu'elle
ce
semble
8 même chanceler, cette haute intelligence qui gouverna si
Le «bon vieux temps n'cstplus...*>Tousles tempssontbons,quand longtemps, -* et qui gouverne encore le monde : souriez, car l'aigle
ils sont vieux. Le présent pourrait l'être s'il voulait : il s'est fait ccaptif a brisé sa chaîne, et des mondes plus élevés que celui-ci de-
de grandes choses, il s'en fait encore, et pour qu'il s'en fasse dé viennent v sa conquête.
plus grandes les mortels u'ont guère qu'à vouloir : un espace plus
vaste, un champ plus libre s'offre à ceux qui veulent jouer leur jeu IV.
à la face du ciel. Je ne sais si les anges pleurent ; mais les hommes
ont assez pleuré... pour arriver où? à pleurer encore. Ah! si son âme, dans ses sublimes demeures, conserve encore un
souvenir confus de son règne splendide, comme il doit sourire
1lui-même, quand il regarde ici-bas, de voir ce peu qu'il était et
IL >
qu'il
« a voulu être! En vain sa renommées'est étendue plus loin que
tson ambition presque sans bornes; en vain, le premier en gloire
Tout aété mis au jour... le bien comme le mal. Lecteur,rappelle- <comme en malheurs, il goûta toutes les jouissances ct toutes les
toi que, dans son enfance, Pitt était tout, ou sinon tout, du moins si amertumesj du pouvoir; en vain les rois joyeux d'avoir échappé à
puissant qu'il s'en fallait peu que Fox, son rival, nel e prît pour un ' leurs chaînes essaient de singer leur tyran : comme il doit sourire
grand homme. Oui, nous avons vu les géants, les Titans intellec- 'en contemplant ce tombeau solitaire, le plus éclatant des phares
tuels se mesurer face à face... l'Athos et l'Ida, entre lesquels «n !qui dominent l'Océan! Un geôlier, fidèle jusqu'au dernier moment
océan d'éloquence coulait impétueux comme les vagues profondes à' ses ignobles fonctions, le crut à peine suffisamment enfermé sous
de la mer d'Egée entre la rive hellénique et celle de la Phrygie. le j plomb du cercueil, et ne permit pas même qu'une seule ligne,
Mais où sont-ils, les terribles rivaux? Quelques pieds de la terre 'inscrite sur le couvercle, indiquât la naissance et la mort de
sépulcrale séparent leurs linceuls. O pacificateur et puissant tom- celui ' qu'il renfermait : n'importe! ce nom sanctifiera cette île au-
beau qui fais taire tous les bruits ! Océan calme et sans orages qui paravant obscure, talisman pour tous, sauf pour celui quilc portail;
t'étends sur le monde I « La poussière relourne à la poussière : » les flottes pousséesvers ces bords par la brise orientaleentendrontle
vieille histoire dont on ne sait encore que la moitié : le temps ne dernier mousse le saluer du haut du mât; quand après des siècles
lui ôte rien de ses terreurs; le ver continue à rouler ses froids an- la colonne triomphale de France ne s'élèvera plus comme celle de
neaux; la tombe conserve sa forme, variée au-dessus, mais uni- Pompée qu'au sein d'un désert, l'île rocheuse qui possédera ou
forme au fond; l'urne a beau être brillante, les cendres ne le son aura possédé sa cendre , couronnera l'Atlantique comme un buste
pas : bien que la momie de Cléopâtre traverse ces mêmes mers oùi du héros, et la puissante nature fait plus pour honorer ses restes
cette reine fit perdre à Antoine l'empire du monde ; bien que l'urne.j qu'une mesquineenvie ne lui a refusé. Mais que lui fait tout cela!
d'Alexandre soit donnée en spectacle à ces mêmes rivages qu'il L'appât de la gloire peut-il toucher l'esprit affranchi ou la cendre
pleurait de ne pouvoir conquérir quoiqu'ils fussentinconnus... Oh !I captive? 11 ne s'inquiète guère comment est faite sa tombe; s'il
qu'ils paraissent vains, plus atroces encore que vains, après quel- dort, peu lui importe, et encore moins s'il veille. Son ombre, cou-
ques siècles, ces désirs, ces pleurs du roi de Macédoine! Il pleuraitt naissant bien maintenant la valeur des choses doit voir du même
,
de n avoir plus de mondes à conquérir ; et la moitié de celui-ci ne3 oeil et le caveau grossier de l'île solitaire où ses cendres reposent,
connaît pas son nom ou ne sait de lui que sa mort, sa naissance ett et. la dernière demeure qu'elles auraient pu avoir dans le Panthéon
les ruines qu'il a faites; et la Grèce, sa patrie, est tout ruines , sanss de Rome ou dans celui que la France a élevé à l'image du premier.
avoir la paix des ruines. Il pleurait de n'avoir plus de mondes ài 11 n'a nul besoin de cela ; mais la France, elle, sentira le besoin de
conquérir, lui qui ne comprenait même pas la forme de ce globeB celte dernière el faible consolation : son honneur, sa renommée, sa
qu'il brûlait d'asservir, qui ignorait même l'existence de cette île duj foi, réclament les ossements du grand homme pour les élever sur
Nord, aujourd'hui si active, qui possède son urne, et ne connut pass une pyramide de trônes, afin que, portés à l'avant-garde en un
son trône (2). jour de bataille, ils soient, comme ceux de Duguesclin, le talisman
de la victoire. Quoi qu'on fasse, un jour viendra peut-être où son
m. mon battra la charge, comme le tambour fait de la peau de Ziska.
Mais où est-il, le héros moderne, certes bien plus puissant, qui,;?
monarquesà son char ?
sans être né roi, nouveau Sésostris, attela desbride, v.
Hélas! à peine délivrés du harnais et de la ces pauvres hères
it
croient avoir des ailes ; ils dédaignent la fange où ils rampaient Ociel ! dont son pouvoir n'était qu'un reflet; ô terre ! dont il f»1
naguère, enchaînés à la pompe impériale du grand capitaine ! Oui, i, un des plus nobles habitants ; autre île dont le nom vivra dans 1 «-.
venir , et qui vis l'aiglon toul nu briser sa coquille ! — Alpes qi»
M) Dans l'original le second titre de cette satire politique est en latinni.: le vîtes planer dès son premier essor, vainqueurdans cent batail es-
Carmen seculare et annus haud mirabilis, Chant séculaire el année non — tët toi Rome, qui as vu dépasser les exploits de tes Césars... (bêlas-
admirable. Elle a été composée à Gênes en 1823. pourquoi franchit-il aussi le Rubicon... le Rubicon des droits *
Fhomrae enfin réveillé... pour se mêler au troupeau des monarque
(4) Les Anglais croient posséder au musée britannique le sarcophage ,e
' l
du roi de Macédoinepris par eux à Alexandrie, en 1802. vulgaires?) — Egypte, qui vis tes Pharaons oubliés , après un low
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON. «09

epos, sortir de leurstombesantiques et tressaillir au fond des pyra- conquérants


ce contre un seul véritable sage. Tandis que la pacifique
nides au bruit du tonnerre d'un nouveau Cambyse; tandis que les mémoire
m de Francklin s'élève jusqu'au ciel, en calmant la foudre
loires ombres de quarante siècles , debout comme des géants sur qi qu'il en sut arracher, ou en faisant jaillir de la terre électrisée la
es bords
fameux du Nil ou au sommet élevé des pyramides, con- li liberté et la paix de sa patrie; tandis que Washington laisse son
ienipiaient étonnées le désert peuplé de bataillons vomis par l'en- nom n comme un mot d'ordre qui se répétera tant que l'air aura en-
fer, s'entrechoquant avec fracas et semant le sable aride de leurs core un écho ; tandis que l'Espagnol lui-même, oubliant sa soif d'or
ci
cadavres pour engraisser cette terre inculte! —Espagne ! qui, pour el et de sang, oublie Pizarro pour acclamer Bolivar; hélas I pourquoi
un moment
oublieuse de ton Cid, vis ses étendards flotter sur faut-il ft que ces mêmes vagues atlantiques qui ont baigné les rivages
Madrid! — Autriche! qui vis la capitale deux fois"prise par lui, et d'une d terre libre, servent de ceinture à la tombe d'un tyran... qui
ilcux fois épargnée, et qui le trahis au jour de sa défaite I —El vous, fut le roi des rois et néanmoins l'esclave des esclaves, qui brisa
fi
unfants de Frédéric... Frédérics, de nom seulement... qui meniez à U les fers de plusieurs millions d'hommes pour renouer ensuite ces
votre origineet avez tout hérité de votre aïeul, tout excepté sa gloire; mêmes n chaînes que son bras avait rompues ; qui, enfin, foula aux
qui, écrasés à Iéna, rampants à Berlin, êtes tombésles premiers, et pieds
p les droitsde l'Europe et les siens mêmes pour rester suspendu
ne vous êtes relevés que pour suivre votre vainqueur! — Toi qui entre e une prison et un trône.
fus la patrie de Kosciusko, et qui te souviensencore de la dette de
sang contractée envers toi par Catherine, dette qui n'est pas payée; VI.
Pologne! sur qui passa l'ange exterminateur, en te laissant, comme
il t'avait trouvée, déserte et inculte, oubliant tes injures non répa- Mais tout n'est pas perdu : l'étincelle s'est réveillée sous la cen-
rées, tes peuples partagés, ton nom éteint, tes aspirations vers la dre... d Voyez! l'Espagnol basané retrouve son antique ardeur; la
liberté, les larmes que tu as versées par torrents, ce nom même qui même r énergie qui tint les Maures en échec pendant huit siècles, où
blesse si rudement l'oreille du tyran «Kosciusko!» Pologne! en le 1 sang coula des deux côtés lour-à-tour, cette sublime énergie a
avant 1 en avantl la guerre a soif du sang des serfs et de leur czar; reparu...
r et dans quels lieux?, sous ce ciel occidental où le nom
les minarets de Moscou, de la cité à demi barbare, brillent encore d'Espagne
i était naguère synonyme du mot crime, où flottèrent les
au soleil, mais c'est un soleil qui s'éteint ! — Moscou! limite de la cdrapeaux de Cortès et de Pizarre : le
Nouveau-Mondea voulu mé-
longue carrière du héros, toi que le farouche roi de Suède ne put riter i son nom. C'est le vieux souffle, aspiré par de jeunes seins
voir, bien qu'il en versât des larmes qui se glaçaient dans sesyeux ; pour
] ranimer les âmes dans la chair dégradée, le même souffle qui
toi qu'il a vue, lui, maisdans quel étal?... avec" tes tours et tes palais irepoussa les Perses des rivages où était la Grèce où elle était?
enveloppés dans un vaste incendie! Pour cet incendie, le soldat INon, i I
la Grèce existe encore. Une cause commune fait battre des
prêta sa mèche enflammée le paysan le chaume de sa cabane le myriades I
t de coeurs comme dans une seule poitrine, esclaves de
, , i'Orient
négociant ses marchandises, le prince son palais... et Moscou ne 1
celle
1
ou ilotes de l'Occident. Déroulé sur les Andes ou surl'Athos,
fut plus! O le plus sublime des volcans, devant ta flamme, de le 1 même étendard flotte sur les deux mondes ; l'Athénien porte en-
l'Etna pâlit; l'inextinguible Ilécla s'efface; le Vésuve n'est plus icore l'épée d'Harmodius; le guerrier du Chili abjure une domina-
qu'un spectacle vulgaire et usé devant lequel s'extasient les tou- ition étrangère; le Spartiate sent qu'il est redevenu Grec; la jeune
listes : tu t'élèves seul et sans rival jusqu'à ce feu à venir où doivent liberté 1 décore le panache des Caciques; le conciliabuledes despotes,
:
s'abîmer tous les empires de la terre. cerné
< sur l'un et l'autre rivage, essaie vainement de fuir devant
fit toi, antagoniste du feu! indomptable el rude puissance qui l'Atlantique soulevé; la marée redoutable s'avance à travers le dé-
donnas aux conquérants des leçons dont ils n'ont point profitéI... troit de Cal né, effleure les côtes de cette France, maintenant à
! ton aile de glace s'étendit sur l'ennemi chancelant, et
pour chaque moitié asservie, inonde de ses Ilots le berceau de la vieille Espagne
\ flocon de ta neige, il tomba un héros ; sous les coups stupéfiantsde et réunit presque l'Ausonie à son vaste Océan : mais repoussé de
; ton
bec et de les serres silencieuses, des bataillons expirèrent à la ce côté, non pour toujours, il vient se précipiter dans les flots
j fois en une seule palpitation d'agonie ! En vain la Seine cherchera d'Egée, se rappelant la journée de Salamine. Là, s'élèvent des va-
î sur ses rives ses milliers de braves si brillants et si gais I en vain la gues que ne peuventapaiser les victoiresdes tyrans. Les Grecs, livrés
1 France rappellera ses jeunes hommes sous l'abri de ses treilles; leur à leurs propres forces, et dans les plus rudes extrémités, aban-
g sang coule à flots plus pressés que ses vins ; ou plutôt il reste sta- donnés, trahis par ces chrétiens qui leur doivent leur foi-, leurs
- gnant dans celte glace humaine, dans ces momies congelées l'Italie
qui terres désolées, leurs îles livrées au pillage, les discordes et les dé-
' couvrent les plaines du pôle. En vain le soleil brûlantde vou- fections encouragées, les secours éludés quoique promis, les délais
drait réveiller ses fils engourdis par 1« froid : ils ne connaissent sans cesse ajoutés aux délaiB dans l'espoir de rendre la proie plus
plus ses rayons. De lous les trophées de cette guerre, que verra-t-ou facile... voilà l'histoire de cette malheureuse nation, qui peut s'en
revenir?... Le char fracassé du conquérant dont le coeur seul est prendre de ses souffrances à de faux amis plus qu'à ses ennemis
resté intact. Mais le cor de Roland résonne de nouveau, et ce n'est acharnés. Mais soill les Grecs seuls auront affranchi la Grèce, et
pas en vain. Lutzen, où tomba Gustave au milieu de son triomphe, le Barbare, cachant son avidité sous un masque pacifique, n'aura
voit le Corse vainqueur, mais, hélas ! ne le voit pas mourir : Dresde rien à réclamer dans la victoire. Comment, en effet, l'autocrate,
, voit
, encore trois despotes fuir devant leur maître, leur maître roi d'un peuple d'esclaves, pourrait-il affranchir des nations? Plutôt
comme il le fui si longtemps. Mais ici la fortune épuisée l'aban- encore servir le fier musulman que de grossir les hordes pillardes
donne, et la trahison de Leipsig a vaincu l'invincible : le chacal du Cosaque ; plutôt travailler pour des maîtres que de veiller ser-
saxon abandonne lc lion , pour servir de guide à l'ours, au loup et vilement, esclave des esclaves, à la porte d'un Russe... classés par
au renard; ct le monarque des forêts retourne désespéré à sa ta- troupeaux, capital humain, propriété vivante n'ayant d'autre droit
nière où il ne trouve pas un abri ! que son servage, distribués par milliers de tètes, et donnés comme
C'est vous lous que j'invoque vous tous et chacun de vous! au premier favori du czar, sorte de propriétaire qui ne
Et toi, ô France! qui vis tes belles , — présent
campagnes ravagées comme un goûte jamais le sommeil sans rêver aux déserls de la Sibérie : ah!
s
sol ennemi, et disputées pied à pied, jusqu'aujour où la trahison mieux vaut pour les Grecs succomber à leur désespoir; mieux vaut
toujours ,
son seul vainqueur, vit des sommets de Montmartre Parisi conduire le chameau que d'être dévorés par l'ours.

subjugué! — Et loi, île d'Elbe, qui, du haut de tes falaises, vois\
l'Etrurie te sourire, toi l'asile momentané de son orgueil, jusqu'au
t
moment où, rappelé par une gloire pleine de dangers, il vint re- VIL
trouver cette fiancée qui le pleurait encore! — O France I recon-
quise en une seule marche, par une route qui n'était qu'une longue Mais celte aurore qui brille de nouveau, ce n'est pas seulement
sanglant :
suite d'arcs-de-triomphe! O Waterloo, la plus inutilei sur ces terres antiques où la liberté est contemporaine du temps, ce
•les batailles! qui prouve—que les êtres les plus stupides
peuventt n'est pas seulement sur ce pays lointain des Incas dont l'origine
avoiraussi leurs succès, victoire obtenuemoitiépar imbécillité moitié\ perd dans la nuit des siècles : l'illustre el romantique Espagne se la
par trahison! — O triste Sainte-Hélène, avec ton lâche geôlier I voit se lever aussi et rejette encore de son sol le perfide envahis-
Ecoutez tous, écoutez Prométhée qui, du haut de son rocher, fait —
t seur. Aujourd'hui, ses plaines ne servent plus de champ clos à la
appcl à la terre, à l'air, à l'Océan, à tout ce qui a senti, à tout ces légion romaine el à la horde punique ; le Vandale et le Visigoth
qui sent encore sa puissance et sa gloire, à tout ce qui doit
en- également abhorrés ne souillent plus ses campagnes, et ie vieux
\ tendre un nom éternel comme le cercle des années : il leurr Pelage ne réunit plus au sein de ses montagnes les belliqueux an-
donne une leçon bien des fois et bien vainement répétée cêtres dont dix siècles ont consacré la gloire. Cette semence a porté
; : « Ap-
prenez à ne point commettre d'injustice! »Un seul pas dans la routee ses fruits, comme le Maure se le rappelle en soupirant sur son ri-
(lu droit eût fait de cet homme le Washington du monde;
dans l'autre route a livré sa renommée incertaine à tous les un seulil vage sombre. Longtemps dans les refrains du villageoiset les vers
ventss du poète a vécu la mémoire des Abencérageset des Zegris, de ces
ou ciel; roseau dans les mains de la forlune, verge qui flagellait it vainqueurscaptifs à leur tour et refoulés dans l'empire barbare d'où
les rois; Moloch ou demi-dieu; César pour
'Europe, sans avoir conservé leur dignité dans sa
son pays, Annibal pourr ils étaient venus. Mais ces hommes ne sont plus leur culte, leur
chute. Et, cepen- glaive, leur empire, ont disparu : pourtant ils ont laissé après eux
dant, la vanité elle-même aurait pu lui indiquer un chemin plus des ennemis du christianisme
s encore plus acharnés qu'eux : un
sur pour arriver à la gloire, en lui faisant remarquer dans ces an- monarque bigot et des prêtres bourreaux ; l'inquisition et
uales de l'humanilé (enseignement trop souvent inutile) dix mille - chers, le ses bû-
e rouge auto-da-fé alimenté de cadavres humains, taudis
HO LES VEILLEES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

que lo Moloch catholique, ' calme dans sa cruauté, repaît ses yeUx ' 11jnfci-mé dans tes murs, et qui ne connaissait pas même les çani- {!j
inexorablesde celle' horriblefêlé d'agonie'. Ùnsouvcrain 'violent, où pagiics d'à l'énlour (ôh! puissent les hôtes royaux que leur en- c']|
faible, où tour-à-tour l'un et l'autre et même tous deux à là fois; c cinte confient aujourd'hui l'imiter sous ce rappOrt,'et n'en jamais
l'orgueil se faisant un titre de là paresse,' Une noblesse depuis long- sorlir!)... Oui, poussez des vivat! failes des inscriptions! élevez de |r;
t{
temps dégénérée; l'hidalgo dégradé; et lé paysan moins yii, mais h onfeiix monuments pour dire à la tyrannie que le mondé accepte ,.j
plus humilié; un royaume dépeuplé, urie= marine autrefois glo- s on joug avec: bonheur! Encombrez le théâtre dans voire! entlioU- |a'
rieuse, mais ayant oublié son niétiCr; une armée, jadis invincible, siasme monarchique : là comédie n'est pas sur la scène ; le spec- L
aujourd'hui désorganisée; les forges d'où sortaient les lames dé To- ticle ' est riche en rubans et en décorations. O patienté Italie ! in ||
lèdc entièrementoisives ; les richesses des pays lointains affluant sur \.ieuxle contempler à travers lès barreaux de ton cachot : bals des |>(
tous les rivages de l'Europe,hormis ceux de la nation qui jadis les a 1 nains, on te le permet : pour cela du moins tés mains enchaînées IK
conquises au prix de son saiig; la langue même qui pouvaitMiter avec sont encore, libres.' '
,j,
celle des Romains et que les nations connaissaient comme leur propre -«i
idiome, négligée ou tombée dans l'Oubli : telle était l'Espagne. Mais x
telle on ne la voit plus, telle on ne la revérrà jamais.- Ces envahis-
seurs, les plus dangereux de tous, car ils étaient sortis du sol natal, Spectacle magnifique! voyez ce petit maître de czar, arbitre des
ces envahisseurs ont senti et sentent chaquejour ce que peut lecou- -ralses et de là'guerre, convoitant les applaudissementscomme il 4
rage maintenant retrempé de Numancc et de la Vieille Cas.tiîle. 1convoite un royaume, et aussi propre à coqueler qu'à gouverner; J
Debout! debout!' toréador intrépide !'le taureau de Phalaïis renou- Apollon Calmouk avec l'esprit d'un Cosaque, ayant des inspira-
velle ses mugissements : achevai, nobles hidalgos! qu'on entende lions généreuses toutes les fois que la gelée ne vient pas les durcir, ,?
i

ce vieux cri ' : « Saint Jacques et les remparts de l'Espagne!» Oui, j un moment dilatées par un dégel libéral, mais glacées de nouveau
faites-lui un rempart de vos poitrines armées; montrez dé nouveau j par ja première matinée lin peu froide ; n'ayant aucune répugnance r,
la barrière qui sut arrêter Napoléon, la guerre exterminatrice, là j contré la vraie liberté, si ce n'est parce qu'elle rendrait les nations a
i;
plaine déserte, les rues n'ayant d'habitants que les-cadavres, la 1 libres.' Oh! que l'impérial dandy parle bien des douceurs dé la paixj |,
sauvage sierra garnie de défenseurs plus sauvages encore, guerril- Gomme il affranchirait volontiers la Grèce... si les Grecs voulaient ;i
leros à l'aile de vautour, toujours prêts à; fondre des sommets sur seulement se faire ses esclavesl Avec quelle générosité il rend aux .1,
leur proie; les murs de Saragôsse, si puissante dans son désespoir Polonais leur diète, pour ordonner aussitôt à la turbulente Pologne f
cl sa'chute, l'homme sentant grandir son courage et la vierge ma- de se tenir tranquille! Avec quelle bonté il s'empresserait d'envoyer \
niantTépée avec plus de bravoure qu'une amazone, lc couteau d'A- sa douce Ukraine et ses aimables Cosaques faire la leçon à l'Espa- (
ragon,lal'acier de Tolède; la lance fameuse de la chevaleresqueCas- gUc ! avec quelle complaisanceil montrerait' à la fière Madrid sa ; j
tille, carabine inévitable du Catalan, les coursiers d'avànt-garde I charmante et impériale personne, si longtemps inconnue aii Midi : H,
de l'Andalousie; la torche qui saura faire de Madrid un Moscou, et, J faveur qui rie coûte pas cher, le monde le sait, qu'on ait lés Russes Ji
dans lous les coeurs, l'intrépidité du Cidl... ce qui fut, ce qui sera, , pour amis ou pour ennemis! Poursuis, homonyme de l'illustre f]
ce qui est. En avant donc, ô France! cl viens conquérir, non l'Es- j fils de Philippe : La Harpe, ton Arislole, te fait signe d'avancer ; ce
pagne, mais la propre liberté. |
|
' ' que fut autrefois la Scythie pour le roi de Macédoine, puissent les %
ravages de l'Ibérie l'être pour loi et les tiens ! Cependant! ô ci-devant |
VIII. jeune homme, rappelle-toi le destin de ton grand devancier sur les
rives du Prulii : tu as pour l'aider, si pareille chose farrivait, bien ||
Mais, que vois-jc? un congrès! Quoi! une assemblée pareille à des vieilles femmes, mais pas une Catherine.'L'Espagne aussi ados
|
celle qui sous ce nom sacré affranchit l'Atlantique... Pouvons-nous rochers, des fleuves, des défilés... l'ours peut tomber dans les pièges ||
du lion. Les plaines brûlantes de Xérès ont été fatales aux Golhs :
en attendre autant pour noire Europe dégénérée? A ce nom levez- crois-lu
vous comme l'ombré de Sannici sous les yeux de Sauf, prophètes toi?Tu que ceux qui onl vaincu Napoléon posent les armes devant '}.
de la jeune liberté, évoqués dés climats ies plus lointains; parais, feras mieux crois-moi, de regagner les déserts, de traiis- i
,
lienry (d),Démosiliènesdes forêts, dont le tonnerre fait trembler le former les sabres en socs de charrue, de raser el décrasser tes Bas-
Philippe de l'Océan; parais, ombre énergique de Francklin, montre- kirs, de délivrer tes Etats du servage et du knout, au lieu de suivre ;
fatale
toi revêtue de ces éclairs que lu sus désarmer; et toi, Washington, en aveugle cette roule loiset d'infester dé tes sordides légions des j
i

dompteur de tyrans'; éveillez-vous : faites-nous rougir de nos pays dont le ciel et les sont également purs. L'Espagne n'a
le est fertile, mais il ne nourrit point ;
vieilles çliaînes'ou enseignez-nous à les briser. Mais quels li'ommos pas besoin d'engrais; sol yété
composent ce sénat d'élus destinés à rendre la liberté aux peuples? l'ennemi : àes vautours ont repus naguère; voudrais-tu leur
Quels hommes ont ressuscité ce nom consacré, appliqué jusqu ici à fournir une nouvelle proie? HélasI ton rôle ne serait point celui
des assemblées dont le but était le bonheur du genre humain?... de
conquérant, mais de pourvoyeur. Je suis Diogènc, el le Russe ct
ie liun se tiennent devant mon soleil ct celui de bien des millions
C'esl là Sainte-Alliance, qui prétend que 'trois sonl tout! trinilé^ ter-
restre imitant celle des cieux comme le singe imite l'homme I Pieuse d'hommes; mais si je n'étais Diogènc, j'aimerais mieux être un ver
unitéI formée dans iin'bùt unique... celui de faire de trois imbé- rampant qu'un pareil Alexandrel Soit esclave qui voudra, le cyni-
les parois de son tonneau sonl plus solides que
ciles un Napoléon. Comment donc! mais les dieux des Egyptiens que restera libre :
étaient toul-à-fail rationnels si' on les compare à ceux-ci : leurs les remparts depouf Sinope': il continuera de porter sa lanterne aux
chiens el. leurs boeufs' savaient se tenir à leur place, cl, tranquilles visage des rois chercher parmi eux un honnête homme.
dans leur clicnil ou leurélablç, ils ne s'inquiétaientde rien, pourvu
qu'ils fussent bien nourris; niais ceux-çï, ayant plus grand appétit,
demandent encore quelque chose d'autre : il leur faut le pouvoir XL
d'aboyer' et de mordre, de jouer des cornes et d'évçntrer. Ah!
combien les grenouilles du vieil Esope étaient plus heureuses que Et que fail la France, celte prolifique patrie du nec-plus-ullradc3
nous : nos soliveaux, à nous, sont vivants, et, s'agitant malicieuse- ullras el dé leur bande mercenaire ? Que fait-elle avec ses chambres
ment çà ct là ; ils écrasent des nations entières sous leur slupide bruyantes et sa tribune que l'orateur doit escalader avant ia pro-
poids : car tous onl anxieusement à coeur d'épargner toute besogne noncer un mot, et où, dès qu'il a pu dire ce mot, il s'entend répon-
à la grue révolutionnaire. dre en écho : « Vous avez menti! » Nos communes britanniqucj
daignent quelquefois dire : « Ecoulez ! » un sénat gaulois a plus
IX. dé langues que d'oreilles. Benjamin Constant lui-niêmc, leur uni-
que maître dans la lutte parlementaire, a uiichose dpél le lendeniain pour
justifier son discours de la veille : niais la coûte peu à de vé-
Trois fois heureuse Vérone! depuis que la monarchique trinilé ritables Français, qui aiment niieux se battre que d'écouter, fut-ce
fait luire sur toisa sainte présence; fière d'un tel honneur, ta per- eii face'ide leur père. Qu'esi-ce que présenter sa poitrine à une balle,
fide ingratitude oublie la tombe vantée de tous les Gapulels ; lu ou- cii comparaison du supplice d'écouter un long discours sans inler-
blies tes Sealigers... Qu'était-ce en effet que ton Can Grande (2) ou rompfè? Cette habitude, il éstyrai, ne régnait pas dans l'ancienne
grand chien (je me hasarde à traduire le nom) auprès de ces roquets Rome, quand Ciçéron y lançait les foudres de sa voix ; mais Démo-
sublimes? TU oublies aussi, ton poète Catulle dont les vieux lauriers sihènes semble avoir sanctionné la méthode française en disant que
font place à des lauriers nouveaux ; (3) ton amphithéâtre où s'assi- rëiôqùcnçç « c'est l'action! l'action ! »
rent les Romains, l'exil de Dante protégé par les remparts, el cet
heureux/vieillarddont nous parle Claudien, pour qui le monde était
XII.
(1) Celui qui, en 1765, osa dire en plein parlement : « César eut son
Brutus; Charles Ier son Cromwell ; et Georges III (interruption)....'; Mais où esl le grand monarque? a-t-il bien dîné? ou gémit-il en-
Georges Illfera bien de profiter de leur exemple.» «
core sous le poids douloureux de l'indigestion ? Les pâtés révolu-
(2) Cane I délia Scala, surnommé le grand podestat de Vérone et pro- tionnaires se sont-ils soulevés ct ont-ils changé en prison l'impé-
tecteur du Dante, niorl en 1329. rial estomac? Des mouvements alarmants ont-ils agité les troupes,
(3) Hippolyte Pindemonte, poète bucolique moderne, est né à Vérone. ou bien aucun 'mouvement n'à-t-il suivi des soupes assaisonnées
OEUVRES COMPLÈTES ))E LORD BYRON. 111

trahison? Des cuisiniers carbonari auraient-ils servi de fa-


In hhill patriotique; l'intérêt territorial (vous comprendriez mieux si je
.
carbonades? ou les prescriptions crueUes de là Faculté ont- ddisais l'iiitérêl tout court)..', l'intérêtégoïste des propriétaires ruraux
•s
défendu la réplélion? Ali! je lis dans tes regards abattus la gémit
g de comté en comté : on redoute que l'abondance ne vienne
iiison que ja France exerce par la main de ses cuisiniers! Digne
>s
atteindre
a le pauvre. Relevez-vous donc, relevez-vous, ô rentes! éle-
classique Louis! ah ! qu'il est peu désirable, diras-tu, de jouer le vvez vos prix pour que le ministère ne perde pas cent voix, ct qu'un
udçbesiréiFallail-ilquilterlévertséjourdupaisible Harlwell, une patriotisme
p délicat et susceptible à l'excès ne fasse' pas descendre le
,|c d'Apiciùsetlèsbdcs d'Horace,pour venir gouverner un peuple \pain au niveau du coui-s : car, hélasI les pains et les poissons, si
i ne veut pas être gouverné, et
préfère les verges à un sermon ? recherchés
r autrefois, ont disparu..'.' le four est cios, l'Océan est à
t top caractère et les goûts né te destinaient pas au trône ; tu es s ; et de tous les millions dépensés il né reste rien que la néces-
sec
uicoup mieux placé à lable, doux épicurien, hôte bienveillant ou sité
s d'être modérés et contents. Ceux qui ne le sonl pas ont eu leur i
convive", causant de littérature et sachant par coeur la moitié lour...
l el chacun tire son lot del-urne impartiale du sort; mainte-
n
l'Art poétique et tout l'Art 'culinaire ; toujours homme d'énidi- nant,
i que leur vertu trouve en elle-mêmesa récompense,et qu'ilsse
des biens qu'ils ont préparés I Voyez là'foUle' de ces Cin-

"--'
n, homme d'espi-it parfois,
hûniain quand la digestion le permet; contentent
i
lis peu fait pour gouverner un pays libre ou esclave ; la goutte cinnatus
( sans gloire, fermiers à la guerre, dictateurs dans làfcrrae ;
lit pour toi Un inartjré assez grand. 1leur soc de charrue élait l'épée dans des mains'mercenaires; leurs
champs
i s'engraissaient du sang versé sur d;àùtrès-rivages!': tran-
quilles
i dans leurs granges, ces laboureurs dé là Sabine envoyaient
XIII. leurs
! frères combattre au dehors... pourquoi? 'pour lès fermages!'
Année sur année, ils votaienf-cent pour cent d'augmentation aux
Ne consaçrerai-je pas une phrase à la noble Albion ? ne lui paie- articles
i du budget, c'est-à-dire poire sang, nos sueurs','des mil-
i-je pojnï'l'e ti'ib-it de louange que lui dojt tout vrai Breton ? « Les lions
i arrachés avec des lavpiès.i. pourquoi?'pour lés fermages. Ils.
Is... lés arnics..7Georges... la gloire... les îles... l'heureuse llre- hurlaient, dînaient, buvaient, juraient dp .mourir' pour l'Angle-'
ldançhes fit? terre... pourquoi yivré'àlpïst... po\ir lcurs;fermages. La paix a fait
gnc... lc sourire dp la Richesse ct de la Liberté... ces
ises qui ont tenu l'invasion en respect...' les sujets, satisfaits .tous des mécontents dé tous ces patriotes de la hausse. Là guerre, c'était
l'épreuve <^e l'impôt... le lier Wellington avep spij bec 4'à!g|e, co là rente. Comment concilier avec leur amour pour la patrie tous les
è\ Waterloo:., et--.
ez, çp cyoçbej apquçïest suspendu l'univers... dette)...
millions dépensés pn pure perte?... en tenant compte de la rente.
luit! pas "un mol encore sur le cornmcrcc et" là et le ja- Et ne restitueront-ils pas tpus les millions avancés a l'Etat? Non :
iais... assez... regrettéCasllercagh, qui deson canif, l'auïréjpur.', à que tout périsse, pourvu que les fermages se'relèvent! Pour eux,
3iipé Iccqii à une oie (1)... ct les pilotes, qui prit maîtrisé cette tem- bonheur, malheur, santé, richesse,joie ou déplaisir, l'existence, son
Hcénormè...(maisgardons-nous,mêmcppùrlà rime,de riomnierla Ibut et sa fin, religion enfin, tout se'résumc dans ce mot : la rente !
/forme):» ce sont la des sujets qu'on a chaulés bien squvent jus- ] Tu vendis ton droit d'aînesse, Esaji, pour un plat de lentilles; tu
u'à cojour, el il me semble superflu de les chanterde nouveau : on aurais dû obtenir davantage ou être moins gourmand; maintenant
;s trouve dans tant de livres qu'il n'est pas
du tout nécessaire qu'on que tu as avalé ta portion, toute réclamation est inutile : Israël dé-
iis trouve
encore ici. Mais il est un fait que l'on peut célébrer avec clare lé marché valable. Tel a été, propriétaires, votre appétit pour
aison, cl qui plus est en observant la rime. C'est ce que Ion génie |a guerre; et tout gorgés de sang, vous criez pour uneégratigiiure!
end possible, ô Canning! toi qui, élevé pour faire un homme Eh quoi! voudrie/.-vous étendre jusqu'aux écus le tremblement de
flCIat, étais iié d'abord homme d'esprit, ct qui jamais., même dans terre qui vous afflige, et parce que la propriété'territoriale's'écroule,
clic sliipide chambre, n'as pu abaisser ton essor poétique jusqu'à entraîner dans sa ruinele papierconsolidé?Poiirqueles fermages se
a platitude de la prose : notre-dernier, notre meilleur, notre seul relèvent, faut-il que la banque el la nation périssent, et que l'on
•râleur, je puis maintenant te louer... lés tories n'en font pas da- fonde à la Bourse un hôpital dés enfants trouvés? Voyez, au milieu
anlagejquc' dis-jc?ils n'en font pas aulant... ils le détestent, Çan- des angoisses de la religion,, notre mère l'Eglise pleurer, nouvelle
ling! parce une Ion génie.les épouvanlc encore plus qu'il ne lès Niobé, sur les dîmes, ses enfants. Les prélats S'en vont où sont
Hiulicnl. Les limiers'se' rassembleront à la voix du chasseur i et là .allés les saints; ct les orgueilleux cumuls se réduisent à l'unité. L'E-'
meule docile suivra partout ses pas; mais ne prends pas pour des glise l'Élut, les factions luttent dans les ténèbres, ballottés par lé
, dans leur arche
marques d'afTection jeurs, abois et leurs clameurs : c'est jjjiig niènace déluge commune. Dépouillée de ses évoques, de ses
pour le gibier, et non un éloge à ion adresse ; bien moins sûrs que banques, de ses dividendes, une autre Babel s'élève...mais la Grande-
la meute à quatre pieds, ces bipèdes vont rétrograder'sùrlà,première Bretagne touche à sa lin. Et pourquoi? pour assouvird'égoïstes be-
piste douteuse. La sangle de la selle n'est pas encore bicn; affej-hiiè, soins et soutenir le fragile édifice de ces fourmisagricoles. «Va voir
el le royal étalon n'a pas lc pied 1res sûr ;'lç vieux cheval blanc est les fourmis, paresseux, et que leur exemple te rende sage; » ad-
lourd, sujet à brpheher cl à se cabrer,'et (lq temps en temps l'il- mire leur patience dans tous les sacrifices, jusqu'au jour où une
lustre monture se vautre dans la boue avec son cavalier ; mais pour- leçon à été donnée à leur orgueil, pour prix de tant d'exactions et
voi s'en étonner? bon'sang ne peut mentir. de tant d'homicides : admire leur justice1'qui voudrait refuser lé
paiement de la dette hatipiialp... mais cette dette, qui donc l'a élevée
!
si haut?
x,v-
i , .XV.
.< liais la propriété
rurale! hélas 1 quelle langue ou quelle plume
i leuri'ii déplorer le sort de nos gentilshommes sans campagne, les Tournons maintenant notre voile vers ces rocs inconstants, ces
' entiers à faire cesser le 1 cri des combats, les premiers à faire de la nouvelles Sjmplégadés'..'.lés fonds publics aujourd'hui chancelants,
î'iiix une maladie? Pourquoi étaient-ils faits ces patriotes de vil- la Bourse, où Midas pourrait voir son désir satisfait en papier réel ou
;iige?... pourchasser, voter et faire hausser les céréales. Mais lei en or imaginaire. Ce magiquepalais d'Alcine étale plus de richesses
i le doit tomber comme toutes choses mortelles, les rois, les con- que la Grande-Bretagne n'en eut jamais à perdre, tous les atomes
i (levants ct surtout lés prix du marché. Faut-il donc que vous tom- de son sol fussent-ils de l'or pur, et tous ses cailloux fussent-Us seni:
icz vous-mêmes à chaque épi de blé qui tombe? Pourquoi, s'il blablcs à ceux des bords du Pactole. Là joue la fortune èh personne :
• eni
' si ainsi, àvez7yous cpnibaltu le pouvoir de Bonaparte? C'était lài la rumeur publique tient les dés, et le monde tremble à chaque in-
die grand'Trlp'tôlémé;'son ambition ne détruisait que des royau- stant d'apprendre la chute d'un courtier. Que'l'Angleterre est riche!
té et maintenait les prix de vos denrées : à la grande satisfactioni non pas à la vérité en mines de métaux précieux, en paix or- ah'on-
e tout propriétaire', il pratiquait en. grand l'alchimie agraire, lai dançc,.en blés, huiles pu vins : cp n'est.pas une terre dé Chànâanj
aussédes1"fermages. Pourquoifaut-il que le tyran àit'succombé dé- couverte de miel et de lait; elle ri!à pas non plus force argent 'çonip-
tint les Tarta'rés, et qu'il'ail réduit forgé à des prix aussi bas?, ' tant, si ce n'est en siclcs ou talents de papier.';' mais ne fèrmoiis'pas
oim-uoi l'avoir enchaîné dans celle île solitaire? L'homme vousi non plus lès yeux à l'évidence,'jamais terre clirélipnne né fut si
fvaii bien mieux sur son trône. A Ja vérité, il gaspillait sans mê- riche en juifs. Sous le bon roi Jean j ils se laissaient'arracherleurs'
me l'or et lc sang; mais que vous faisait cela? la France en portaitt dents ; et maintenant, ô rois, ils vous arrachent lotit doucement les
bh'ime ; mais le pain élait cher, le fermier pouvaitpayer vôtres ; ils soumettent à leur contrôle lesIStats', l'es événements; les
', «m jour de l'adjudication l'acre de lerre
sa renie,,
: se louait à bon prix. Mais3 rois, et font circuler un emprunt de 'fIndus au pôle.' Trois frères':-
u est maintenant l'excellente aie qui se buvait en signant la quit- un banquier, un courtier, un'baron, voient àu'seco'ùrs dès illustres
; mec? où est lc tenancier"lier de sa bourse bien garnie, cl connui banqueroutiers qui réclament leur aide. Et ils ne s'en tiennent pas
• oui- n'être jamais en relard ? la ferme qui n'était jamais sans l'er- aux rois : la Colombievojt de nouvelles spéculations suivre Chacun'
l,ei'; le marais accaparé pour le transformer en terre productive; -
; deses succès ; et Israël, devenu philaiUhrOpe',!daigne tirer pn mo-
espoir impatient de l'expiration des baux où l'on pouvait doubler r desle intérêt de l'Espagne épuisée. 1Là Russie liémarche pas Port"
s loyers?... O malheurs.-de la paix! En vain l'on adjuge des prix plus sans l'appui de la race d'Abraham; c'est l'or et non le fer qui
>:
°>i>' exciter le zèle du cultivateur en vain lès prépare les triomphes des cpi^méra.lils. Depx juifs, deux rejetons
; communesvotent uni
du peuple choisi, trouvent d'ans'fout pays'là terré promise; doux
(1) Le suicide de Castlereagh, lord Londonden-y, au mois d'aoàl 182-?, juifs maintiennent les Romains sous le joug et appuient le Hun
;.l l'iace dans le cabinet à Canning, qui prépara la réforme. , maudit, plus brutal maintenant que jamais :''deux juifs... mais non
112 LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

deux samaritains dirigentle monde avec tout l'esprit de leur râbles. Si elle ne partage plus, si elle ne partagea que de nom
secte. Que leurfait le bonheur de la terre? Un congrès est leur nou- un sceptre plus beau que celui de Charlemagne,et s étendant de
velle Jérusalem, et des titres de barons et des ordres chevaleresques Moscou jusqu'aux mers du Midi, elle gouverne du moins le pastoral
forment l'appât qui les y attire... O saint Abraham1 que dis-tu quand empire du fromage où Parme voit le voyageur accourir pour noter
tu vois tes descendants se mêler avec ces pourceaux couronnés, les costumes de cette cour d'emprunt. Elle s'avance : les nations la
lesquels ne crachent pas sur leurs casaques juives, mais les hono- contemplent et s'affligent; et Vérone la voit dépouillée de tousses
rent comme faisant partie du cortège? Que dis-tu quand tu les vois rayons, avant même que les cendresde son époux aient eu le temps
encore, dans cette Venise où vécut Shylôck, couper leur livre de de refroidir dans un sol inhospitalier... (si toutefois ces cendres re-
chair près dit coeur des nations? doutables peuvent jamais être froides... mais non, l'étincelle s'y
ranimera, et elles briserontleur cercueil). Elle s'avance... l'Audro-
XVI. maque... non celle de Racine ou d'Homère... Voyezl elle s'appuie
sur le bras de Pyrrhus) ouil ce bras droit, rouge encore du sang
Etrange spectacle que ce congrès! il sembledestiné à réunir toutes de Waterloo, qui a brisé le sceptre de son époux, ce bras est offert
les incohérences, tous les et accepte! une escla-
contrastes. Je ne parle ve ferait-elle plus... ou
pas ici des souverains... moins?... Et lui, dam
ils se ressemblent tous, sa tombe récenteI... Les
•comme des pièces.frap- yeux, les joues de cette
Îiées au même coin ; mais, femme ne trahissent au.
es banquistes, qui font cune lutte intérieure,
jouer les marionnetteset et t'ex - impératrice est
tirent les ficelles, offrent devenue ex-épouseI Tant
•cent fois plus de variété il y a de respect dans le
que ces lourds monar- coeur des rois pour les
ques. Juifs, auteurs, gé- plus sacrés liens de l'hu-
néraux charlatans, in- manité I Ahl pourquoi
,
triguent aux yeux de épargneraient-ils les af-
l'Europe émerveillée de fections des hommes,
leurs vastes desseins.Là, quand les leurs ne sont
Helternich, le premier rien à leurs propre-
parasite du pouvoir, ca- yeux?
jole tout le monde ; là
Wellington oublie la
«guerre; là, Chateaubriant XVIII.
ajoutede nouveauxchanls
à ses Martyrs; là, le Grec
subtil intrigue pour le Mais, fatigué de folies
stupideTartare; là, Mont- étrangères, je reviensau
morency, l'ennemi juré pays natal et me contente
deschartes, devient tout- d'avoir esquissé ce grou-
à-coup un diplomate de pe... le tableau viendra
force a fournir des arti- plus tard. Ma muse était
des au Journal des Dé- .
sur le point de pleurer;
bats; selon lui, la guerre mais avant qu'une larme
«est certaine... mais pas fût tombée, elle a vu sir
si certaine encore que William Curtis, en jupe
sa démission insérée le écossaise, entouré des
même jour au Moniteur. chefs de tous les clans
Hélas 1 comment le cabi- des Highlands qui vien-
net des Tuileries a-t-il nent saluer leur frère,
pucommettreunepareille Vich Ian l'aidermanl
erreur? La paix vaut-elle Guildhall (1) devient ga-
un ministre ultra? il tom- élique, et ses échos ré-
be peut-être pour se rele- pètent des acclamation!
ver « presque aussi vite en langue erse : tout le
qu'il a conquis l'Espa- conseil de Londres pous-
gne (1). » se le cri de « Claymore!-
En voyant le tartan delà
fière Albyn ceindre com-
XVII. me un baudrier l'énor-
me aloyau d'un Celte de
la Cité, ma muse éclat»
Assez sur ce sujet!... d'un rire tellement im-
Un spectacleplus pénible L'Age de Bronze. modéré que je m'éveil-
appelle le regard de la lai... et,, màfoil ce n'é-
muse qui s'efforce en tait pas un rêve.
vain de détourner les
veux. La fille et l'épouse C'est ici, lecteur, que
d'un empereur,, 1 impériale victime offerte en sacrifice à l'or- nous nous arrêterons... et si Ion ne trouve rien de mal dans ce
gueil; la mère de cet enfant, espoir du héros, jeune Astya- premier Carmen, peut-être en aurez-vous un second.
nax de la moderne Troie ; l'ombre pâle de la plus haute sou-
veraine que la terre ait.jamais vue ou puisse jamais voir, la (1) Maison municipaleà Londres.
voilà qui voltige parmi les fantômes du jour, objet de pitié,
débris d'un grand naufrage. O cruelle ironie ! L'Autriche ne
pouvait-elle épargner sa fille? Que fait là la veuve de France?
Sa place était près des vagues de Sainte-Hélène; son seul trône
est dans là tombe de Napoléon. Mais non , elle veut encore PIN DE L'AGE DB BBPNZB.
tenir ' sa cour en' miniature, escortée de son formidable cham-
bellan de cet Argus belliqueux dont les yeux, sans être au
nombre, de cent (8), la surveillent au milieu de ces pompes misé-

(1) Vers de Pope appliqué à lord Peterbpimig.


(S) Le comte de Neipperg, chambellande Marie-Louise,et bientôt son
digueépoux,
, était borgne.
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON. \ \ :;: -
4' 3

LE
PRISONNIER DE CHILLON '.
114 LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

pour les combals : robuste de corps , son courage eût bravé le de la nature, devinrent plus lents, plus rares, el s'afTaibiircijj
de
inonde entier armé contre lui : il élait fail pour mourir avec joie peu à peu. J'écoutai, mais je n'entendis plus rien... j'appelai... cm
pc
en combattant au premier rang.... mais non pour languir dans les m craintes m'avaient rendu insensé. Je savais qu'il ne restait, m,]
mes
chaînes. Le cliquetis de ses fers abattit, sa force d'âme : je le vis espoir
es ; mais ma terreur ne pouvait écouler de pareilles raisons
s'affaisser en silence... peut-être en fut-il- autant de moi; mais je J'appelai et crus entendre un son... D'un élan vigoureux je brisai
J'i
faisais tous mes efforts pour ranimerces restes d'une famille chérie, m chaîne el m'élançai vers lui... Il n'y élait plus! Je ne pus
ma ,
qu'er-
Mon frère'élaitun chasseur des montagnes,au sein desquelles il avait rc dans cetle noire enceinte où je devais vivre seul, respirer seul
rer
poursuivi le daim et le loup ; pour lui, ce cachotétait un gouffre, et un air humide, chargé de mes malédictions. En cet inslant fatal, j|
ut
des chaînes à ses pieds lui semblaient le dernier des maux. venait
vc d'être rompu, le dernier, le seul, le plus cher lien qui pût m(.
retenir loin du rivage éternel, et me rattacher encore à nia familii,
re
détruite. De mes deux frères, l'un élail sous la terre, l'autre dessus.^
d(
VI. te deux morts! Je saisis cette main immobile : hélas! la mienne
tous
était
él aussi froide qu'elle. Je n'avais plus la force de m'éloigncr un
Au pied des murs de Chillon les flots immenses du lac Léman d< faire le moindre mouvement ; mais je sentais que je vivais
de en-
s'enfoncentà une profondeur de, mille pieds : c'est ce qu'a mesuré core... sentiment de désespoir quand nous savons en môme temps
ci
la sonde du haut des blancs créneaux que l'onde environne. Vagues '
q tout ceque nousaimons ne nous sera jamais rendu. Je ne sais
que
et murailles entourent ce lieu d'un double rempart, ct en font un j pourquoi
p je ne pus mourir : je n'avais plus nulle espérance terres-
vivant tombeau. Notre sombre caveau était plus bas que la surface tre...
U mais j'avais encore la foi, et elle me défendait une mort
du lac, dont jour ct nuit nous entendionsclapoterles flots : il bat- égoïste.
é.
tait sans cesse autour de nos têtes, et souvent en hiver, quand les
vents impétueux se jouaient, libres el heureux dans le ciel, j'ai senti IX.
l'écume, de l'onde pénétrer à travers les barreaux; et alors le roc
lui-même s'ébranlait : je le sentaisj-emuer sans m'émouvoir moi- Ce qui m'arriva ensuite dans ce séjour, je ne le sais pas bien...
même car j'aurais souri à une mort qui eût brisé mes fers.
,
je
ji ne l'ai jamais su... Je perdis d'abord l'impression de la lumière
c de l'air, ct bientôt celle des ténèbres aussi. Je n'avais ni pensée
et
rni sentiment... rien... l'arini ces pierres, j'étais comme une pierre
VIL moi-même
i ; et, à peine doué de la conscience de mon existence, je
restais
r inerte comme le rocher stérile au milieu du brouillard; loiii
J'ai dit que le inoins jeune de mes frères languissait, et que son aulour
a de moi était froid, pâle et grisâtre : ce n'était pas la nuit,
coeur puissant se laissait abattre : bientôt il refusa toule nourriture, r n'était pas le jour; ce n'était même pins le crépuscule du ca-
ce
non parce que nos aliments étaient grossiers, car nous étions ac- chot
c ,
si odieux à ma vue fatiguée : c'était un vide absorbant lout
coutumes à la vie du chasseur, el c'était là le moindre de nos l'espace;
1 nue immobilité sans lieu déterminé. Il n'y avait p«wr
soucis : au lait de la chèvre des montagnes on avait substitué moi
i ni étoiles, ni terre, ni temps, ni arrêt, ni changement, ni verlu,
l'eau des fossés: notre pain était celui que les larmes des prison- ni
i crime... mais le silence partout, et, en moi, une végétation
ni ers ont mouillé pendant des siècles depuis que l'homme a osé muelle
' qui n'était ni la vie ni la mort; un océan d'inactivité sta-
enfermer son semblable comme une bête, farouche dans une cage de gnante,
{ océan ténébreux, immense, silencieux, immobile !
fer. Mais que nous importait a nous ou à lui? Ce n'était point ce
régime qui affaiblissait ses membres et son coeur. L'Ame de mon
frère élait de celles que glacerait ie séjour môme d'un palais, sans la X.
faculté de parcourir les flanc? escarpés de la montagne et d'y res-
pirer un air libre. Mais pourquoi ne point le dire lout de suite? Une lueur pénétra dans mon intelligence... c'élail le gazouille-
Jl mourut; je le vis, ct ne pus soutenir sa têle, ni atteindre sa ment
i d'un oiseau; il se lui, puis recommença : c'élail le chant
main mourante .. ni même sa main glacée par la mort... malgré 1le plus doux qu'on pût entendre, ct
mon oreille en fui recon-
tous nies efforts, mes efforts désespérés pour briser ou ronger mes naissante; etpromenant nies yeux autour de moi avec une douce sur-
fers. Il mourut... alors les geôliers détachèrent sa chaîne ct creu- ,prise, dans moment, je
ce ne reconnusplus les indicesde mon étal
sèrent pour lui une fosse profonde dans le sol glacé de notre prison, misérable. Mais, par uue suite de. péniblcsdegrés,mes sensations re-
lïn vain je les priai, je les suppliai en grâce de mettre son corps montèrent sur leurs Iraces accoutumées : je vis les murs du cachot
, dans
périssable un lieu où brillai le jour... sans doute, c'était une se clore étroitement autour do moi comme auparavant; je vis la
pensée absurde; mais elle s'empara d'elle-même démon cerveau \ , lueur Iremblottanles'yglisser
comme autrefois; pourlanl, sur le boni
et il me semblait que, même dans la mort, ce coeur né libre ne sau- de la crevasse par où elle arrivait, lc pelil oiseau était aussi joyeux,
rait reposer au fond d'un cachot. J'aurais pu m'épargner des sup- aussi familier, et même plus que s'il eûl élé perché surnn arbre : un
plications inutiles : ils ne me répondirent que par un sourire gla- charmant oiseau aux ailes azurées, dont le chant disait un millier
cial, cl le mirent dans la fosse préparé: : un sol plat cl sans gazon do choses et semblait les dire loules pour moi ! je n'avais jamais vu
s'étendit sur l'êlre que j'avais tant aimé; sa chaîne vide resta sus- son pareil: je ne le verrai de nia vie. 11 semblait avoir comme moi
pendue au-dessus, digne monument d'un pareil meurtre. besoin d'un compagnon ; mais il était loin de paraître aussi triste;
il venait à l'entrée de mon cachot pour m'aimer, maintenant (pic
nul ne vivait plus pour nie rendre mon amour, ct, en réjouissant
VIII. mes sens, il m'avait "rappeléau sentiment cl à la pensée. Je ne sais
si jusque-là ce 'pauvre petit être avait vécu en libellé, ou s'il s'élail
Mais l'autre, le favori, la fleur de noire maison, le plus aimé de- échappé de sa cage pour se poser sur la mienne; mais je connaissais
puis sa naissance, l'image de sa mère par la beauté des traits l'en- trop bien la captivité, cher oiseau, pour vouloir te retenir. .Mais
ma peut-être un habitant du paradis avait-il pris celle forme ailée pour
,
fant chéri de toute la famille, la suprême pensée d'un père martyr,
dernière sollicitude à moi-même, cl le seul être pour lequel j'essayais me visiter; car, le ciel nie pardonne celte pensée, qui me fit à Is
de retenir ma vie, afin que la sienne lût moins malheureuse, et fois pleurer et sourire!... car je me suis souvent figuré que ce pou-
qu'il pût voir le jour de la liberté; lui aussi, qui jusque-là avait con- vait être l'âme de mon frère d-scenduc vers moi pour me consoler.
servé sa gaîlé naturelleou l'avait ranimée par ses elïorls intérieurs... Enfin , il s'envola, el alors je reconnus bien que c'était un être
lui aussi fut frappé, et de jour en jour se flétrit comme une fleur sur mortel ; car mon frère ne se serait pas enfui de la sorte, ct ne m'au-
sa lige. O Dieu 1 c'est un terrible spectacle que de voir l'âme hu- rait pas laissé doublement seul.., seul comme le cadavre dans son
maine prendre son essor, sous quelque face, de quelque manière! linceul... seul comme un nuagesolitaire, parmi beau jour do soleil-
que ce soit : je l'ai vue sortir avec des flots de sang ; je l'ai vue, sur tandis que tout le reste du lirmamcnl est serein et pur : sorte il>'
les vagues de l'Océan, lutter contre une suffocation convulsive; j'aii menace suspendue dans l'atmosphère, menace élrangc quand h-
vu, sur sa couche pâle et sépulcrale, le crime en proie à la terreur ciel esl bleu et la lerre joyeuse.
et au délire : c'étaient d'affreuses choses. Ici, rien de semblable : un
trépaslent et sûr. 11 s'éteignit, toujours calme el serein, accueillantt
avec douceur lc dépérissement et la faiblesse, n'ayant pas une! XL
larme, mais tendre, dévoué, et no s'affligeant que pour ceux qu'ilI
laissait après lui. Sa joue conservait une fraîcheur qui semblait uni Un changement marqué eut bientôt lieu dans mon sort : nies
démenti donné à la mort, et dont les teintes s'effacèrent doucementt gardiens devinrent compatissants : je ne sais quelle considération
comme un arc-cn-ciel qui s'éteint : ses yeux brillaient encore deï les avait adoucis , car ils étaient blasés sur le spectacle d«.is souf-
celle lumière transpareille qui semblait illuminer le noir cachot... frances. Bref, il en élait ainsi... on ne rattacha pas les anneaux (''
el pas un mot de murmure... pas un regret de son destin préma- ma chaîne brisée, ct ce fut pour moi un commencement de liberté
turé... quelques souvenirs de temps plus heureux... quelques motss que de pouvoir parcourir ma cellule d'un houl à l'autre, d'un cote
d'espoir pour me relever moi-même;car je restais plongé dans uni à l'autre côté., en travers même, enfin de m'y promener dans U>u?
morne silence, absorbé parcelle perle, la plus douloureuse de toUles!! les sens: je faisais le tour de lous les piliers un à un, en revenaii'
Enfui les soupirs qu'il essayait de retenir, symptômes de l'agoniep ensuite au po ni d'où j'étais parti. évitant seulement avec soin de
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD RYRON. 115

iiiiiirhcr sur la tombe de mes frères dont aucune élévation du soj Ionnail des ailes
de à ces heures rosées élait de ceux que le ciel laisse
niiiiliiiiiiiil la place : car, si je m'apercevais que par mégarde mes raarcmcnl descendre sur les morlcls.
eussent profané leur humble sépulture, ma respiration devenait Le souvenir seul de celle félicité m'est plus cher que toutes les
.j3f jeoies que j'ai connues loin de vous. J'éprouve une' peine, sans «loute,
leiiihle, oppressée, ma vue s'obscurcissaitet je sentais mon coeur
llél'aillir. ni nais une peine bien douce, à me rappeler ces jours et'ces heures
lu passé, el à soupirer encore. : adieu! '
XII. Ma mémoire pensive plane avec délices sur ces scènes dont nous
n<ie jouirons plus, mais que nous regrettons toujours. La mesure de
I Je creusai des degrés dans le mur, non pour essayer de m'é- •'.îolre jeunesse, est comblée : le lève du soir de la vie est un rêve
1,'luipjicr, car cette enceinte renfermait tous ceux qui, sous une '
<'.risle el sombre, et quand nous roverrons-nous? Ah! peut-être
forme humaine, m'avaient aimé; et désormais la lerre entière ne j«amais.
pouvait êlre pour moi qu'une plus vaste prison : je n'avais ni en- Comme l'on voit deux fleuves partir d'une source commun :
fant, ni père ni parents, ni compagnon de misère. C'est avec plai- Ppassagère union ! bientôt, oubliant leur origine, chacun d'eux va sa
çir que j envisageais celle idée: car s'il m», fût resté quelqu'un au firrayer en murmurant un cours séparé, el ce n'est que dans l'Océan
iiwnde. y penser m'eût rendu fou. Mais j'étais curieux d'atteindre à qqu'ils se rejoignent.
grillée, pour reposer encore sur le sommet des monta- Ainsi nos deux existences, mêlées de biens et de maux, s'écou-
ma fciiêlre hlent rapprochées quoique distinctes, hélas! et ne se confondent
ntes un regard de paix d'amour.
Pplus comme à leur origine : tour-à-tour lentes ou rapides, troubles
o transparentes, jusqu'à ce que se présente le goulî're sans fond,
ou
XIII. h mort qui les engloutira toutes deux.
la
Nos deux âmes, cher ami, qui n'avaient autrefois qu'un voeu,
Je les vis...' elles étaient les mêmes, elles n'étaient pas changées qu'une
t] pensée, suivent mainlcnanl deux routes «lilTércnlcs.,,Dédai-
comme je devais l'être : je vis sur leurs sommets les neiges secu- gnant
g les humbles plaisirs des champs, la destinée vous appelle à
laircs à leurs pieds le vaste lac et les Ilots bleus du Rhône qui s'y
,
vivre
v au sein du faste des cours, à briller dans les annales de la
ji'Ucnt rapides; j'cnleudis les lorrenls bondir el mugir dans leurs mode.
i
lits de rochers el parmi les buissons qu'ils brisent;j'aperçus les La mienne esl de perdre mon temps an milieu des amours ou
, d'exhaler
Manches murailles de la ville loin laine, et les voiles plus blanches < mes rêveries en rimes dépourvues de raison ; car les cri-
uni descendaient avec le courant : puis il y avait une petite île verte tiques
I l'ont proclamé, la raison ne se trouve pas chez un poète
uni souriait en face de moi, la seule que je pusse découvrir .une petite amoureux
* à qui il reste à peine une seule pensée nellc.
îleverlequi ne paraissait pas plus grande (|iie la suriàcede mon cachot; Ce pauvre Utile, ce barde tendre el mélodieux dont les chants
,
mais on y voyait s'élever trois beaux arbres, el sur elle la brise des avaient
! acquis un certain renom en interprétant les leçons de l'a-
montagnes promenait son souille, et près d'elle la vague roulait, cl imour, a dû trouver monstrueusement dur que d'impitoyablescri-
sur son sol croissaient déjeunes Heurs aux douces teintes, à l'ha- 'tiques l'accusassent d'être sans esprit comme sans moralité.
i Icinc embaumée. Les poissons nageaient le long des uuirs du chû- Mais tant que tu sauras plaire à la beauté, harmonieux favori des
l teau, et lous paraissaient bien joyeux; l'aigle s'élevait sur l'aqui- neuf soeurs, ne le plains pas de Ion lot. On lira encore les vers dé-
lon naissant : il me semble que jamais je ne l'avais \n prendre un licieux, alors que le bras de la persécution sera flétri, ct que les
ml aussi rapide... et à celle pensée de nouvelles larmes remplirent. censeurs seront oubliés.
mes yeux : je me sentis troublé et regrettai presque d'avoir quille Toutefois, je dois -n'incliner devant ces hommes éminenls dont
„j
ma chaîne. Quand je redescendis, l'obscurité de ma sombre de- la férule impitoyable châtie les mauvais vers et ceux qui les écri-
nu'iirc tomba sur moi comme un poids insupportable; c'était comme vent :ct, quoique je puisse êlre. moi-même la prochaine victime
une tombe nouvellement creusée qui se ferme sur unêtrechéri que
qu'immoleront leurs sarcasmes, franchement,je ne les appellerai
IMUS voulions sauver... et pourtant mes regards trop vivement pas en duel pour cela.
frappés avaient presque besoin de ce repos. l'cut-ôlrc ne feront-ils pas mal de briser la lyre discordante d'un
débutant aussi jeune : celui qui se jette dans la roule du mal h
dix-neuf ans sera vers la trentaine, je le crains bien un pécheur
incorrigible. ,
XIV.
Maintenant, mon cher Clarc, je reviens à vous: el vraiment, je
Il s'écoula des mois, des années ou des jours : je ne suis, car je vous dois des excuses : daignez les accepter. Je le confesse, -uni,
n'en lins pas compte: el je n'avais aucun espoir de revoir la lu- mon imagination, dans son essor inégal, voltige tantôt à droite el
mière el de sortir de mon triste tombeau. Enfin, on vint me mettre lanlôt à gauche : ma muse aime trop les digressions.
en liberté : je ne demandai pas pourquoi, je ne m'occupai pas du Je disais donc, je crois, que voire deslin serait (rajouter un aslre
lieu où l'on allait me conduire. Après un si long temps, il m'était à ce brillant firmamciil qui entoure la royauté. Puisse la faveur du
iiiililïérenl d'être libre ou captif : je m'étais habituç.h chérir mon Irônc se fixer sur vous : s'il venait à être occupé par un noble mo-
iié-cspoir. "Lois donc que ces hommes parurent, el nie dégagèrent narque capable d'apprécier le mérite, celle faveur ne vous manque-
île mes liens, ces massives muraillesétaient devenues pour moi une rai l pas.
sorte d'ermitage... j'en avais fait ma propriété : el il me semble pres- Mais puisque les périls abondent dans les cours, où de subtils
f|ue qu'ils étaient venus me chasser d'une seconde pallie. J'avais rivaux brillent à l'cnvi l'un de l'autre, puissent, tous les saints vous
l'ail amitié avec les araignées, et je les étudiais dans leur mono- préserver de leurs pièges, ct puissiez-vous n'accorder jamais votre
liuie travail; j'aimais à voir les souris jouer au clair de la lune : et amitié el voire amour, que chacun s'empressera do briguer, qu'à
pout'quoi aurais-je élé moins sensible que ces animaux aux bienfaits des âmes dignes de la vôtre I
île la nature? Nous habitions le même séjour, cl moi, leur monarque Puissiez-vous ne pas dévier un inslant de la ligne droite el sûre
i lous, j'avais sur eux droit de vie el de mort; ct pourtant chose de la vérité : que la voix du plaisjr ne vous séduise jamais! puis-
«'bauge! nous avions appris à vivre tous en paix. Mes chaînes et , siez-vous ne marcher que sur des roses, n'avoir d'autres sourires
luui nous étions devenus amis tant l'habitude conlrihue à nous
,
que des sourires d'amour, d'autres larmes que des larmes de joie!
laire ce que nous sommes! Donc.ee fui on soupirant que je repris Oh! si vous voulez que le bonheur embellisse loules vos années,
ma liberté. lous vos jours à venir el que la vertu couronne votre front, soyez
,
toujours ce que vous fûtes longtemps, sans tache comme je vous ai
FIN OU P1US0NNIKR DIC CHII.I.0K. connu; soyez toujours ce que vous êtes maintenant.
El moi, quoiqu'une légère pari d'éloges qui viendrait consoler
mon vieil âge, me fût doublement chère; en appelant loules lus
bénédictions du ciel sur votre nom bien aimé, je renoncerais volon-
tiers à la gloire du poète pour celle du prophète.

HEURES DE LOISIR
LE JEUNE ÎIONTAGNABn.

Quand j'errais, jeune montagnard, sur la sombre bruyère ; quand


(Suite.) je gravissais, ô neigeux Morvcn, tes cimes escarpées, pour contem-
pler à mes pieds le torrent qui tonne ou les vapeurs que la tempêle
assembledans la vallée, étranger à la science, ignorant la crainte,
An COMTE nn; CLARE. sauvage comme les rochers au sein desquels se développait mon en-
fance, aucune pensée, sauf une seule, n'occupait encore mon coeur.
^ini de ma jeunesse! lorsque nous errions ensemble, couple d'en- Ai-je besoin de vous dire, ô ma douce Mary, que celte pensée se di-
li,uts unis l'un à l'autre par l'amitié la plus
pure, le bonheur qui rigeait tout entière vers vous ?
MG LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

Pourtant ce ne pouvaitêtre de l'amour, car j'en ignoraisjusqu'au son nid 1 je prendrais mon essor vers la roule des cieux ; je quitte-
so
nom : quelle passion peut vivre dans le coeur d'un en fan I ? Et rà ce monde, et je trouverais la paix.
rais
néanmoins j'éprouve encore la même émotion que je ressentais
adolescentdans cette rocheuse solitude. Avec cette seule image em-
preinte dans mon coeur, j'aimais ces froides régions et n'en désirais
point d'autres. J'avais peu de besoins, car tous mes désirs étaient
comblés-, et toutes mes pensées étaient pures; car, ô ma douce LE CIMETIÈRE DE HA1M10W (1307).
Mary, mon âme était avec vous.
Je me levais avec l'aurore; ayant mon chien pour guide, je bon- 1 ieu cher à mon enfance, arbres dont les branches vieillies son-
dissais de hauteurs en hauteurs; ma poitrine luttait contre les pirent
pi agitées par la brise qui rafraîchit un ciel sans nuage! je viens
flots rapides de la Dee ou j'écoutais dans le lointain le chant de ' seul
SE méditer sur celle verle pelouse que j'ai si souvent foulée aveè
l'Highlander. Le soir, je reposais sur ma couche de bruyère, el dans ceux que j'aimais, et qui maintenant, dispersés au loin, regrettent
c(
mes rêves aucune autre image que la vôtre ne se présentait à ma peut-être
pi comme moi le bonheur qu'ils ont connu ici. En suivant
vue ; ô ma douce Mary, mes prières s'élevaient ferventes vers le les
le détours du sentier de la colline, mes yeux t'admirent, mon coeur
ciel, car elles commençaienttoujours par appeler ses bénédictions te chérit encore, ormeau vénérable, qui m'as vu tant de fois, couché
te
sur vous. *
sous ton ombrage, oublier dans mes rêveries l'heure du crépus-
si
J'ai laissé ma froide patrie; mes illusions ont disparu; ces monta- cule. J'étends encore là mes membres fatigués, mais, hélas! où sont
ci
gnes sont maintenant loin de moi, el ma jeunesse n'est plus : le hles pensées qui remplissaientalors mon âme. Tes rameaux, gémis.
dernier de ma race, je dois me flétrir dans l'isolement, et ne trouver sant
si au souffle de la brise, semblent inviter le coeur à évoquer
de joie que dans les souvenirs du passé. Ah I la grandeur, en éle- l'ombre
F du passé : doucement balancés sur ma tête, ils murmurent
vant ma destinée , l'a rendue plus amère. Scènes de mon enfance, c mots : « Pendant que tu le peux, dis-nous un long et dernier
ces
combien vous m'étiez plus chères : si mes espérances onl été dé- adieu! a »
eues,-telles ne sont point oubliées; et si mon coeur a élé glacé, ô Lorsque le sort viendra enfin glacer ce coeur plein du feu de la
ma douce Mary, il esl encore avec vous. fièvre,
Ii quand il viendra calmer, endormir mes inquiétudes et mes
Quand je vois une colline sombre lever son front vers le ciel, je passions,
j souvent j'ai pensé que ce serait un adoucissement à ma
pense aux rochers qui couronnent mont
le Colbleen ; quand je vois dernière
cl heure (si rien peut adoucir ce moment où la vie abdique sa
le tendre azur d'un oeil amoureux,je songe aux doux yeux qui em- puissance)
f de savoir qu'un humble tombeau, une étroite cellule abri-
bcllissaicntpour moi ces lieux sauvages; quand je vois flotter quel- terait
t ce coeur dans ces mêmes lieux qui lui -furent si chers; avec
ques boucles légères dont la couleur ressemble à celle des cheveux celle
( espérance sacrée, il serait, me scinble-l-il, plus doux de
de Mary, je me rapelle ces longs anneaux d'or ondoyanlssur votre mourir i Ainsi je reposerais aux lieux où ont longtemps erré
cou, trésors de la beauté, et alors, ô ma douce Mary, je songe à toutes I mes pensées; je dormirais là où toutes mes espérances ont
vous. pris
1 leur essor; berceau de mes premiers ans, tu serais mon dernier
Cependant, il luira peut-être le jour où les montagnes s'élève- Ilit de repos I étendu pour toujours sous cet ombrage protecteur,
ront encore devant moi avec leur manteau de neige : mais quand ayant i pour abri ce gazon, théâtre des jeux de mon enfance, en-
leur front m'apparaîtra sans aucun changement, Ici que je le vis touré i de ce sol qui m'était cher, me confondant avec la terre qu'ont
jadis, Mary sera-t-elle encore là pour .m'accueillir?... Oh, non! fouléemespas, béni parles voix qui, enfant, ont charmé mon oreille,
adieu donc, collines où fut élevée mon enfance! Fraîches ondes de pleuré par le peu d'amis qu'ici mon âme avait choisis, regrellé par
la Dee, adieu! Nul toit ne m'abritera dans la forêt : ô ma douce ceux dont les jeunes années se lièrent aux miennes, cl oublié de
Mary, quel asile pourrait me plaire sans vous. lout le reste du monde!

A GEORGES, COMTE UELAWARR.


MUGUETS.
Oh oui ! je l'avouerai, nous étions chers l'un à l'autre ; les nmiliés
Obi que ne suis-je, insoucieux enfant, dans ma caverne des mon- de l'enfance, quoique fugitives, sont sincères. La tendresse que vous
tagnes, ou errant à travers la solitude sombre, ou bondissant sur la aviez pour moi était celle d'un f-ère el moi je vous rendais une
vague bleuâtre. Le luxe embarrassant de l'orgueil saxon nu con- affection pareille. ,
vient pasà l'âme libre qui aime les flancs escarpés des montagnes ct Mais l'amitié, ce doux sentiment, change quelquefois d'objet ;
les rochers d'où se précipite lc torrent. une longue affection s'éteint en un moment : comme l'nmotir.
Fortune1 reprends ces fertiles domaines, rep'rends ce nom pom- l'amitié vole sur des ailes rapides ; mais elle ne brûle pas comme lui
peux ct sonore! Je hais le contact des mains servîtes ; je hais lesi d'un feu inextinguible.
esclaves qui rampent autour du maître. Reporle-moi au milieu desi Bien souvent Ida nous vit errer ensemble sur ses coteaux, el notre
rochers que j'aime, et dont les échos répètent les cris sauvages de1 jeunesse fut heureuse , je l'avoue : car au printempsde la vie, (|iic
l'Océan : je ne demande qu'une chose, c'est de pouvoir errer encorei le ciel est serein ! mais les rudes tempêtes de l'hiver s'amassent
dans les lieux familiers à ma jeunesse. maintenant.
Peu nombreuses sont mes années, et pourtant je sens que le! La mémoire ne s'unira plus à l'amitié pour nous retracer les dé-
monde el moi nous n'étions pas faits l'un pour l'autre. Ah ! pour- lices de notre enfance : quand le sein se cuirasse d'orgueil, le coeur
quoi d'épaisses ténèbres cachent-elles à l'homme l'heure où il doit1 ne se laisse plus émouvoir, el ce qui ne serait que justice lui parait
cesser d'être? J'eus une seule fois un rêve magnifique, scène fan- une honte.
tastique de bonheur : ô vérité, pourquoi ton odieuse lumière est-elle Cependant,cher George (car je dois vous estimer et je n'adres-
venue me réveiller et me rendre à un monde tel que celui-ci ?
' serai jamais de reproches au pelil nombre de ceux, que j'aime),
J'ai aimé, ceux que j'aimais ne sont plus; j'ai eu-des amis, les3 l'occasion perdue peut se retrouver : le repentir peut effacer un
amis de nia jeunesse ont disparu. Oh! que le coeur est triste danss voeu imprudent.
l'isolement, quand il a perdu toutes ses espérancesd'autrefois! A lai Je ne me plaindrai pas, et malgré le refroidissement de noire
vérité quelques joyeux compagnons, la coupe en main, dissipent uni affection, nul ressentiment corrosif ne vivra en moi. Une simple
peu le sentiment de nos maux ; mais si le plaisir ranime l'âmee réflexion rassure mon coeur : tous deux nous pouvons avoir tort,
dans un moment de folie, le coeur... le coeur est toujours soli- et tous deux nous devons pardonner.
taire. Vous saviez que si le danger l'exigeait, mon âme, mon coeur, ma
Qu'elles sont tristes à entendre toutesles voix de ceux que le rang? vie, étaient à vous; vous saviez que t->ut dévoué à l'amour et à l'a-
et le hasard, le pouvoir et la richesse ont réunis, sans qu'ils fussentt milié, le temps ct l'absence ne m'avaient point changé,
amis plus qu'ennemis, autour du festin hospitalier! Oh I rendez-moi'i Vous saviez.... mais à quoi bon ces vains retours sur le passé?
quelques amis fidèles, jeunes comme ils étaient et sympathisanttou-i- le lien qui nous unissait est rompu. Un jour, mais trop lard, vous
jours avec moi; et je quitterai, pour eux, ces réunions nocturness vous laisserez émouvoir par un tendre souvenir, et vous regretterez
où le bruit s'appelle la joie. l'ami que vous avez perdu.
O femme! être enchanteur ! femme, mon espoir, ma consolation, Pour le moment, nous nous séparons... Je me plais à espérer qiic
,
mon lout! que mon coeur doit être glacé maintenant, puisque mêmee ce n'est pas pour toujours ; car le temps et les regrets vous ramè-
tes souriresont peine à l'échauffer! J'abandonnerais sans un soupir r nerontà moi. Kfforçons-nous tous deux d'oublier la cause de notre
ce théâtre bruyant de splendides souffrances, pour trouver quelquee désaccord : je ne demande pas de réparation, mais j'attends des jouis
part ce calme contentement que la vertu connaît ou qui se peint il semblables au passé.
en elle.
Je fuirais volontiers les habitations des hommes... des hommes
que je voudrais éviter, mais que je ne hais point. Il me faut le sé-
jour de l'obscure vallée : ses ténèbres conviennent à mon âme as-
sombrie. Oh! que n'ai-je les ailes qui reportent la tourterelle vers |
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON. H7

VIII.

BEPPO C'est pourquoi je prends humblement la liberté d'adresser- celle


recommandationaux amateurs de sauces au poisson : envoyez votre
cuisinier, votre femme ou votre ami faire un tour dans le Slrand,
et acheter en gros (pour vous l'expédier par la voie la plus sûre si
vous êtes déjà en route) une provision ie ketchup, soy, vinaigre du
i

HISTOIRE VÉNITIENNE. Chili et sauce de Harvey, sans quoi, de par Dieu I vous risquez de
mourir de faim pendant le carême ;

IX.
C'est-à-dire si vous êtes de la religion romaine, el qu'étant à
Rome, vous vouliez vous conformerau proverbe et vivre comme les
I. Romains... car nul étranger n'est obligé de faire maigre : mais si
vous êles protestant, ou malade, ou femme, et que vous préfériez
Tout le monde sait, ou du moins doit savoir, que, dans les pays dîner en pêcheur avec un ragoût gras... dînez el vous serez damné!
catholiques, pendant les quelques semainesqui précèdent le Mardi- Je n'ai point l'intention d'être impoli; mais telle est la pénalité,
Gras, la population se donne du plaisir tant qu'elle peut. Pour ache- pour ne rien dire de pire.
ter le repentir avant de se faire dévot, chacun, sans distinction de X.
rang ou de condition, appelle à son aide les violons, la bonne
clit'i-c, la danse, le vin |cs masques, et d'autres choses qui ne coû- De tous les lieux où le carnaval élait le plus gai au temps jadis,
,
tent que la peine de les demander.
nar les danses, les chants, les sérénades, les bals, les masques , les
pantomimes, les intrigues, el mille attraits encore que je ne puis et
IL ne pourraijamais énumérer,Venise était la cité qui portait le mieux
le grelot ; et au moment où je place mon récit, cette fille des mers
Dès que la nuit a couvert le ciel de son manteau sombre (et plus étail dans toute sa gloire.
il
sombre est, mieux cela vaut), commence l'heure, moins agréable
aux époux qu'aux amants, où la pruderie jeltc décote ses chaînes: XI.
!u Gaîlé légère se hausse sur la pointe des pieds, badinant avec
Ions les amants qui l'assiègent; ce ne sont partout que chansons et Elles sont au fait bien jolies, ces Vénitiennes avec leurs yeux
lel'uins, cris el murmures, guitares el instruments de toute sorte. noirs, leurs sourcils arqués, reproduisant celte expression char-
mante que les anciens artistes ont copiée des Grecs, ct que les mo-
111. dernes imitent si mal ; el lorsqu'on les voit appuyées sur leur bal-
con, on les prendrait pour des Vénus du Titien (la meilleure est à
Il y a des costumes splcndides, mais fantastiques,des masques de Florence... allez la visiter si vous voulez), ou pour quelquesligures
lous les temps et de toutes les nations, turcs cl juifs, arlequins el du Giorgione qui sont sorties de leur cadre ;
clowns aux évolutions fantastiques, grecs, romains, américains et
hindous. Chacun peut prendre le vêlement qu'il préfère, hormis XII.
l'habit ecclésiastique, car, dans ces contrées, il n'est point permis
di! ridiculiser le clergé : ainsi, gare à vous, libres penseurs, je vous Car les teintes de ce maître sont d'une vérité ct d'une beauté su-
in préviens. prêmes cl si vous visitez le palais Manfriiii, je vous recommande
son oeuvre : quel que soit le mérite des autres, celle-ci l'emporte
,
IV.
à mon goût sur loul lc reste de la galerie : peut-être sera-ce égale-
Mieux vaudrait vous promener avec une ceinture de ronces en ment le vôtre , et c'esl pour cela que je m'arrête sur ce sujet : ce
guise d'habit cl de culottes, que de porter une seule nippe irrévé- n'est qu'un porlrait de sa femme, dé son fils et du peintre lui-
rencieuse envers les moines : vinssiez-vous ensuite jurer que ce n'é- même; mais quelle femme! l'amour doué de la vie humaine;
Inil qu'uneplaisanterie, on vous enverrait cuire au brasierde l'enfer :
il n'est lîls de bonne mère qui n'attisât pour vous les feux du Phlc- XIII.
gélhon ; nul prêtre qui voulût dire une messe pour ralentir l'ébul-
lilion de la chaudière où l'on fera bouillir vos os, à moins pourtant L'amour plein de viectdans toutson développement; non l'amour
<lu'on ne le payât double. idéal, ni la beauté idéale non plus, laquelle n'est qu'un beau nom ;
mais quelque chose de mieux encore et de si réel que Ici devait être
V. en effet le ravissant modèle : c'est un objet qu'on achèterait, qu'on
Maisà cette exception près, vous pouvez porter lout ce qu'il mendierait, ou qu'on volerait, si le vol étail possible, outre la honte
qui retient : la figure vous rappelle, souvenir qui n'est pas sans tris-
vous plaira sous forme de pourpoint, de capucc ou de manteau, tels tesse, une ligure que vous avez vue, mais que vous ne revenez plus ;
i|ue vous pourriez les choisir dans Monmouth-slreet, ou à la foire
aux chiffons, soit dans un but sérieux soit par bouffonnerie; et
,
l'un Irouvc même en Italie des lieux semblables XIV.
; seulement leur
||oni est plus joli ct se prononce avec un accent plus doux ; car si Un de ces fantômes qui passent près de nous quand, jeunes en-
j en excepteCovcnl-Garden (1), je
ne connaispoint en Angleterre de core, nous fixons nos regards sur lous les visages de femme. Hélas !
place publique qui s'appelle Piazza.
« » les charmes qui nous apparaissent un moment glissant dans l'es-
pace, la grâce suave, la jeunesse, la fraîcheur, la beauté et l'attrait,
VI. nous en revêtons des êtres sans nom, astres dont nous ignorons ,
Celte époque de réjouissancesse nommeCarnaval, mot qui signifie dont nous ignorerons à jamais la position ct le cours, comme celte
Adieu a la chair. » Et ce nom répond à la chose : car pendant pléiade perdue qu'on n'aperçoit plus à l'horizon.
"
•eut le carême on vit de poisson frais ou salé. Mais pourquoil'on
Prélude au carême avec tant de gaîté, c'est plus que je n'en saurais XV.
'lire : à moins que ce ne soit comme nous trinquons avec nos amis
Je disais donc que les Vénitiennes ressemblent à un portrait du
ilv»nt de les quitter, et juste au départ de la diligence ou du pa- Giorgione, et tel est en effet leur aspect, surtout quand ou les voit
'lueliot.
à leur balcon (car la beauté gagne quelquefois à être vue de loin),
VIL alors que, comme les héroïnes de Goldoni, elles regardent à travers
Et ainsi la jalousie ou par-dessus la balustrade : enfin pour'dire la vérité,
ils disent adieu aux plats de viande, aux mets subslan- , à le laisser voir
elles sont en général très jolies, et aiment un peu
!!C«s, aux ragoûts bien épicés, et se nourrissent pendant -«quarante :
jours de poissons mal apprêtés, n'ayant point de sauces pour les ce qui est vraiment grand dommage.
assaisonner : ce qui fait pousser bien des « pouah! » bien des «fi!»
N proférer bien des jurons (qu'il ne conviendrait pas à ma muse de XVI.
feuelcr) parmi les voyageurs accoutumés dès l'enfance à manger
Car les regards amènent des oeillades, les oeillades des soupirs,
le«u- saumon
au moins avec la saumure d'anchois. les soupirs des désirs, ceux-ci des paroles, et enfin les paroles une
lettre, qui vole, sur les ailes de certains mercures aux talons légers
v', Théâtre où se jour l'obéra italien. adonnés à ce métier, parce qu'ils n'en connaissent pas de meilleur ;
H8 LES VKILLÊKS LIT! KRAIRKS ILLUSTRÉES.

clalois Dieu sait lout le mal qui peut arriverquand l'amour lie deux logis,
le d'où elle pouvait voir facilement le vaisseau. Celait un mur-
jeunes gens d'une même chaîne : les coupables rendez-vous, la cou- chaud
c) qui faisait de grandes affaires avec Alcp : son nom était
che adultère, les enlèvements, et les voeux, les tètes ct les coeurs Joseph, et familièrement Bcppo.
J<
que l'on briseI
XVII. XxVl
Shakespeare,dans sa Desdemona, a représenté les femmes de ce 11 élait basané comme un Espagnol, brûlé par le soleil dans ses
pays comme 1res belles, mais suspectes à l'endroit de l'honneur; el voyages
v ,
mais d'une taille avantageuse; et quoiqu'il scniblàl avoir
maintenant encore, de Venise à Vérone, les choses sont probable- pris
p un bain dans une cuve de tanneur, c'était un homme plein de
ment ce qu'elles étaient : hormis que depuis ce temps ou n'a jamais ssens et de vigueur; jamais meilleur marin ne garnit les vergue
connu un mari que le soupçon ait enflammé au point d'étouffer une dd'un navire. Quant à sa femme, quoique ses manières ne fussent
femme de vingt ans au plus, parce qu'elle avait un cauafter' ser- point
p très rigides elle passait pour avoir des principes, au point
,
àd'être presque réputée invincible.
vente.
XVIII.
XXVII.
Leur jalousie, si toutefois ils sont jaloux, esl assez accommodante
à tout prendre : ils ne ressemblent guère à ce diable d'Othello au Mais il y avait plusieursannées que les époux ne s'étaient vus;
teint couleur de suie qui étouffe les femmes dans un lit de plumes, quelques
q personncscroyaicnlque le vaisseau de Beppos'étail perdu;
mais plutôt à ces joyeux compagnons qui, fatigués du joug malri- d'autres,
d qu'il s'était endetté de quelque manière, et qu'il ne se pres-
monial, ne se tourmentent plus la lèle à propos de leur femme, sait
s pas de revenir au pays : enfin plusieurs offraienl de parier,
mais en prennent une autre ou celle d'un autre. ceux-ci
c pour, ceux-là contre son retour; caria plupart des hommes',
jusqu'à
j ce que la perte les ait rendus sages, aiment que leur opi-
XIX. 'nion soit appuyée d'une gageure.
Vîtes-vous jamais Une gondole? Dans le doule, je vais vous en XXVIII.
faire l'exacte description : c'esl une longue barque couverte, assez
commune dans cette ville, recourbée à la proue, légèrement mais On disait que leur dernière séparation avait été fort pathétique,
solidementconstruite, el manoeuvrée par deux rameurs qu'on ap- comme
i de telles scènes le sont fréquemment ou doivent l'être ; et
pelle « gondoliers; » on la voit glisser loute noire sur les eaux, ab- iun pressentiment fâcheux leur disait qu'ils ne se reverraient plus,
soluniciil comme un cercueil posé dans un bateau, ct nul ne peut sorte
i d'impression à moitié morbide, à moitié poétique, dont j'ai \ii
découvrir ce qu'on y dit ou ce qu'on y l'aii. deux ou trois exemples. C'est ainsi que Bcppo laissa tristement age-
nouillée sur le rivage cette Ariadne de l'Adriatique.
XX.
XXIX.
Les gondoles remontent ou descendent les longs canaux et pas-
sent so; s le Hiallo nuitet jour, vile ou lentement : autour des théâ- Lnure attendit longtemps cl versa quelques larmes : elle fut même
Ircs, leur noire troupe attend les passagers sous sa livrée lugubre ; tentée de prendre le deuil, connue elle en avait le droit. Elle avnil
mais il s'en faut grandement qu'elles soient destinées à des oeuvres perdu presque entièrement l'nppétil, et ne pouvait dormir la nuit
de tristesse : elles portent souvent beaucoup de gaîlé, comme les dans sa couche solitaire : au moindre bruit des fenêtres el des ja-
carrosses de deuil au retour des funérailles. lousies, ell.e croyait entendre un voleur ou un esprit; c'esl pourquoi
elle crut prudent de se pourvoir d'un vice-mari, comme protecteur
XXI. spécialement.
XXX.
Mais j'arrive à mon histoire. C'élail il y a quelques années, trente
ou quarante, plus ou moins; le carnaval était dans toul son éclat, lin attendant que Beppo revint de sa longue croisière et rciulil
avec loute espèce de bouffonneries et de travestissements. Une cer- la joie à son coeur fidèle, elle choisit (que ne choisiront pas les fem-
taine dame alla voir les mascarades ; j'ignore son nom véritable et mes si seulement on fail mine de s'opposer à leur choix?), elle
ne saurais le deviner : nous l'appellerons donc Lama, s'il vous choisit un de ces hommes dont ccrlaines femmes raffolent, toul eu
plaît, parce que c'est un nom qui s'arrange facilement dans mes disant d'eux beaucoup de mal... un petit maître, signalé comme tel
vers. par la voix publique, un comte réunissant, disait-on, les avantage
XXII. de la fortune à ceux du rang, el très libéral, surtout dans ses
plaisirs.
Elle n'était ni vieille ni jeune, ni à cette époque de la vie que cer- XXXI.
taines gens appellent « un certain âge, » el qui de tous les âges me
paraît le plus incertain; car je n'ai jamais pu, par prière, promesses El puis c'élail un comte, et puis il connaissait la musique et la
on larmes, obtenir de qui que ce fût qu'il voulût bien nommer, dé- danse, le violon, le français el le toscan, ct ce dernier talent a sou
finir par paroles ou écrit la période précise que désigne ce mot... prix, veuillez le croire;'car peu d'Italiens parlent le pur dialeclc
se qui sans contredit esl tout-à-fail absurde. del'ISlruric. Il élail bon critique en fail d'opéra, connaissait tous les
rallinenients du brodequin el du cothurne, ct jamais auditoire véni-
XXIII. tien n'aurail subi un chant, mie scène, un air, dès qu'il avait crié:
« seccatura » (1 ) !
Lnura était dans toute sa fraîcheur : elle avait mis le temps ài XXXII.
profit, ct le temps en récompense l'avait traitée avec ménagement;
«le sorte qu'eu toilette on lui trouvait très bonne mine partout oùelle. Son « bravo ! » étail décisif, cl ce bruit flatteur élait attendu par
se. présentait : une jolie femme est toujours un hôte bien accueilli , l'Académie musicale dans un silence respectueux : l'orchestre treni-
(il le dépit avait rarement plissé le front de Laura : elle n'avait que• blail quand il promenait autour de lui son regard, dans la craint':
des sourires, ct ses beaux yeux noirs semblaient remercier les hom- qu'il ne saisît au vol quelque fausse note : le coeur mélodieux delà
mes de ce qu'ils voulaient bien l'admirer. prima dona battait violemment, tant elle redoutait le leri-iblc arii'i
de ses « Bah! » Le soprano, la basse et le contralto même eussent
XXIV. voulu le savoir à cinq brasses sous le Riallo.
Elle était mariée : chose fort convenable, car dans les pays catho- XXX11I.
liques on se fail une loi de regarder avec indulgence les petits faux
pas d'une dame en puissance de mari, tandis que s'il arrive à unea 11 patronisail les hnpromxatori, cl lui-même élait de force à im-
jeune fille de faire quelque folie (à moins que dans la période vou- proviser quelques stances : il pouvait rimer quelques veis chanlei'
, dansai!
lue un bon mariage n'intervienne pour apaiser le scandale), je nee une chanson, conter une histoire, acheterdes tableaux, el ne
vois pas commentelle peut s'en tirer, à moins qu'elle ne s'arrange dee pas trop mal pour un Italien, quoique sur ce point l'Italie cède cer-
manière à tenir la chose secrèle. tainement la palme à la France. Bref, c'était un cavalier accompli:
et il passait pour un héros, même aux yeux dé son valel de chambre.
XXV.
XXXIV.
Son mari naviguait sur l'Adriatique, et quelquefois même visitaitil ,

des mers plus lointaines; et quand à son retour il se trouvait enn Puis il était lidèle autant qu'amoureux à Ici point qu'aucune
,
quarantaine (excellente précaution contre toute sorte de maladiee
contagieuse), madame montait «ie temps en temps à l'alliquc de sonil ! (!) Çe/.caturti' oho">«3 ennnvi'iis«>, iléiostablc!
OEUVRES CO.MI'LÈTliS DK LORD I1YRON. H9

(quoique le sexe soit un peu sujet à jelerles hauts cris) ne I du soleil, avec l'assurance qu'il se lèvera le lendemain ayant tout le
.mine cic à lui, el nou en jelant à travers les brouillards du matin un
se plaindre que jamais il eût. mis de jolies âmes en peine
Iniiviiit ciel
,'n
coeur élail de. ceux qu'on aime le plus, de cire pour recevoir regard faible et clignotant, comme l'oeil terne de l'ivrogne qui
re;
impression de marbre pour ,1a garder. C'était un amant de la pleure l'orgie de la veille ; que la journée sera belle et sans nuage,
ph
me ,
loiine vieille école, devenant plus constant à mesure
qu'il devenait et que je ne serai point réduit à celle sorte de chandelleà deux liards
dus froid. qu jette sa lueur au milieu des fumées de Londres, chaudière tou-
qui
XXXV. j°' bouillante.'
jours
XLIV.
jjul ne s'étonnera qu'avec de tels avantages, il ait tourné une
li'.te do femme,
quelque sage et posée qu'elle fût... vu surtout le peu J'aime la langue de.l'Italie, ce doux bâtard du.latin qui.fond
d'espoir qui restait du retour de Beppo : car aux yeux de la loi il ne comme
co les baisers d'une bouche de femme, qui frissonne, comme si
«.«lail guère mieux que mort, n'ayant envoyé ni lettres ni nouvelles, or l'écrivait sur du satin, avec ses syllabes qui respirent la douceur
on
ci" n'ayant point donné la moindre
marque de souvenir; et Laure du Midi, et ses articulationsliquidesqui glissent avec tant de facilité
di
iillendait depuis plusieurs années; et au fait, si un homme ne nous qi l'accent le plus sonore n'y peut blesser l'oreille; tandis que nos
que
l'iit poinl connaître
qu'il esl en vie, il est mort ou doit l'être. langues du Nord, toutes rudes, aspirées el gutturales, semblent tou
la
! jours
J° réduites à siffler, à cracher, à vomir.
i XXXVI.
XLV.
D'ailleurs, en deçà des Alpes (quoique, Dieu le sait, ce soit un
bien gros péciié), chaque femme, on peut le dire, a le droit d'avoir J'aime aussiles femmesde l'Italie (pardonnez-moi cegoût bizarre),
jeux hommes; je ne saurais dire qui en a introduit la coutume, depuis la paysanne aux joues fraîches el bronzées, dont les grands
di
niais les cavalieri servent/ sont chose commune, et personne ne les yeUx
y« noirs vous envoient en passant une volée de regards remplis
remarque ni ne s'en inquiète; c'esl ce qu'on peut appeler, pour ne dde tant de choses, jusqu'à la grande dame, au front mélancolique,
lien dire de trop fort, un second mariage qui tempère le premier. ai teinl plus clair, au regard vague et humide, ayant le coeur sur
au
hles lèvres, l'âme dans les yeux , douce comme le climat, radieuse
XXXVII. comme les cieux.
Cl
XLVI.
l.o mot en usage était autrefois eicisbeo : mais l'expression est de-
venue indécente ct vulgaire; les Espagnols donnent à ce person- Eve de cette terre, qui est encore le paradis! beauté italienne!
nage le noin'de cortejo, car le même usage existe en Espagne, quoi- n'as-lu
n pas inspiré Raphaël qui mourut dans tes embrassemenls el
i|iic. rcccmnie.il
établi : bref, il s'étend du Pô jusqu'au Tage, et qui',
q dans ies oeuvres que nous légua son pinceau , réalise tout ce
b|-cul-ftti*e Iraversera-t-il la mer. Mais le ciel préserve de telles pra-
.
que
(| nous savons du ciel, tout ce que nous pouvons en attendre?...
Piii'm's noire vieille Angleterre ! que deviendraient les divorces et lComment là parole humaine, enflammée même par l'enthousiasme
f les dommages-intérêts? dde la lyre, pourrait-elle, décrire ta gloire passée ou présente, quand
: sur
S ton sol Càiiova crée encore de nouvellesbeautés.
[ XXXVIII.
I
I pense toutefois, avec le respect dû à la partie'encore libre du
.le XLVIL
" beau sexe, que les femmes mariées méritent la préférence, soit dans
Angleterre! avec lous tes défauts, je l'aime cncorcl » disais-jeà
le lèle-à-tèle soit dans la conversation générale.;, et cela soit dit «
, Calais,
, el je ne l'ai point oublié.J'aime n parler, à écrire suivant ma
suis aucune application spéciale à l'Angleterre , à la France ou à guise;
[ j'irtne le gouvernement (non pas celui qui existe) ; j'aime la
loule autre nation... car les dames connaissent le monde; elles se liberté de là presse et de la plume; j'aime Vhabeas corpus (quand
niellent à leur aise, et, y conservant leur naturel, elles plaisent na-
luiellcnient. nous en jouissons) ; j'aime les débats du parlement, surtout quand
. ne se prolongent pas trop lard.
ils
XXXIX.
Il esl bien vrai que votre jeune miss, fraîche comme un bouton, XLVIII.
est loul-à-fait charmante; mais elle esl timide el gauche au premier' J'aime les impôts, pourvu qu'ils ne se multiplient pas; j'aime un
abord : tellement alarmée qu'elle en devient alarmante ; ricanant
moitié boudeuse, l'eu
, de charbon de lerre, quand il n'est pas trop coûteux ; j'aime le
el rougissant à chaque mot; moitié impertinente beef-steak autant qu'on peut l'aimer, et je prends volontiers un
,
cl jelanl un regard'à sa maman de peur qu'il n'y ait quelque chose•'
ii redire en vous, en elle, en ceci, eii cela : la chambre des enfants
pol de bière; j'aime liolrc température, quanti elle n'est point trop
| pluvieuse ce qui signifie que je l'aime deux mois dans l'année. Et
se montre encore dans tout ce qu'elledit ou fait. . et en outre, elle! ,
qu'ainsi Dieu saUve le régent, FEglise et le roi ! ce qui signifie que
Miiil toujours la tartine de beurre.
j aime tout et toute chose.
XL. XLIX.
Quoi qu'il en soil, cavalier' servante est le terme en usage danss Noire armée permanente et nos marins licenciés, la taxe des pau-
In bonne société, pour exprimer cet esclave surnuméraire qui
seB vres, la réforme, la dette nationale el mes propres dettes, nos pe-
lient toujoursaussi près de sa dame qu'une partie de son vêtement, tiles émeutes tout juste pour montrer (pic nous sommes un peuple
et n'obéit à d'autre loi qu'à sa parole. Son emploi n'est pas une si-'
libre, nos banqueroutes si légères dans la gazette, notre climat si
nébuleux et nos femmes si froides: je puis pardonner, oublier tout
nécure, comme vous l'avez sans doute deviné. U va chercher lee
(.'tiiïosse. les domestiques, la gondole, el il porte l'éventail, le man-
cela, et vénérer d'ailleurs nos récents triomphes, toul en regret-
elion, les gants et le châle. tant néanmoins que nous les devions aux tories.
XLI. L.
avec toutes ces habitudes pécheresses, je dois l'avouer, l'Italiee Mais revenons à mon histoire de Laura... car je m'aperçois que
esl pour moi un charmant séjour : car j'aime à voir le soleil brillerr la digression esl un péché, qui, peu peu , m'esl fort à charge et,
à
'"us les jours, el les vignes, sans être clouées au mur, courir en n par conséquent, pourrait également déplaire au lecteur... à cet in~
,
lésions, d'arbre en arbre, comme dans le décor d'une pièce de dulgenl lecteur qui peut devenir plus difficile, el qui, sans égard
Ibéàlre qui attire la foule, quand le premier acte se termine par une
e
•'anse au milieu des vignobles du midi de la France.
c pour les habitudes de l'auteur, manifestera tôt ou tard la volonté
formelle de savoir où il veut en venir: position critique et embarras-
sante pour un poète !
XL1I. Ll.
par un soir d'automne, que l'on puisse sortir à cheval sans
•l'aime, is Oh I que n'ai-je l'art d'écrire facilement des choses faciles à lire !
l'ccoimnaiider au groom que lc manteau soit roulé derrière la selle, -, quo ne puis-je escalader le Parnasse où siègent les muses diclanl
l>«»i'ce que le temps n'est pas des plus sûrs ; je sais aussi que sur ma
a ces jolis poèmes à qui le succès n'a jamais manqué! avec quel cm-
l'outc, si je me laisse attirer dans quelque allée aux verts détours presscmenl je publierais, pour enchanter le monde, un conte grec,
je n'y serai arrêté que par des voitures chargées et toutes rouges de le, syrien ou assyrien, et vous vendrais, mêlés avec le sent'nmènta-
raisins : en Angleterre, ce serait du fumier, de la boue, des rési- i- lisme occidental, quelques échantillons du plus bel orientalisme.
•'us de brasseries.
XLII1. LU.
* l'aime aussi les beefigues à mon dîner; j'aime à voir le coucher
;r Mais je suis uu de ces hommes qui n'ont pas do nom un dandy
,
120 LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

manqué revenant de ses voyages; quand j'ai besoin d'une rime pour mais cela ne fait rien à mon histoire. C'esl sur une petite échelle
accrocher mon vers qui m'échappe, je prends la première que me quelque chose de semblable à notre Vauxhall, saufqu'on n'y peut
fournit le lexique de Walker ; ou si je ne puis la trouver de celte êlre incommodé par la pluie. La compagnie élait « mêlée, » exprès.
manière, j'en mets une plus mauvaise, moins soucieux que je ne sion que l'on emploie pour dire : elle ne méritait pas votre attention.
devrais des vétilles de la critique ; je serais même tenlé de descendre
à la prose, mais les vers sont plus à la mode... et en voilà ! LIX.
LUI. En effet, par « compagniemêlée » on entend qu'à l'exception de
vous, de vosamis et d'une cinquantaine d'autres personnes, que vous
Le comte et Laura firentleur arrangement, et, comme on le voit pouvez saluer sans prendrevos airs de réserve, le reste n'est qu'un
quelquefois,cetarrangement dura sans encombrependant une demi- ramas de gens de. bas étage, l'écume des lieux publics, où ils af.
douzaine d'années. Ce n'est pas qu'ils n'eussent aussi leurs petits frontent lâchementlcfashionaille mépris de quelque cent personnes
démêlés, ces bouffées de jalousie uui n'amènent ianiaisde ramure : bien nées uui s'aonellent « le monde : » ie ne sais tron nourauoi
en pareillesituation, il esl bien que j'aie vécu par-
bien peu d'amanls. sans mi elles.
doute, depuis les pécheurs LX.
de haut paragejusqu'à la
canaille, qui n'aient eu C'est ainsi que la chose
ces bourrasques boueu- se passe en Angleterre ou
ses. du moins qu'elle se pas-
LIV. sait sous la dynastie des
Dandies, àlaqnelleapeut-
Mais, tout compté, c'é- ètre succédé quelque au-
tait un heureux couple, tre classed'imilateursque
aussi heureux qu'on peut l'on imite... Hélas! com-
l'être par un amour illé- me ils déclinent vile et
gitime ; le cavalier était sans retour, les démago-
tendre, la dame étail bel- gues de la mode : tout esl
le; leurs chaînes étaient fragile ici-bas ; comme
si légères, que nul ne se l'empire du inonde peut
fût donné la peine de les se perdre aisément par
briser. Le monde les re- l'amour, par la guerre et
gardait d'un oeil indul- quelquefois par une sim-
gent; seulement les dé- ple gelée !
vols souhaitaient que lc LXI.
diable les emportai... il
ne lcscmporlapoint; car Napoléon fut écrasé par
bien souvent il allend cl. lc Thorseptentrional qui
laisse les vieux pécheurs assomma l'année fran-
servir d'appât aux jeunes. çaise avec son marteau
de glace ; il se vit arrêté
LV. par les éléments, coin me
un baleinier, ou comme
Mais ils étaient jeunes : un novice qui trébuche
oh! sans la jeunesse, que à travers les difficultés de
sérail l'amour ! sans l'a- sa grammaire française.
mour , que serait la jeu- Certes, le conquérant au-
nesse! la jeunesse don- rait dû se défier des chan-
ne à l'amourjoie et dou- ces de la guerre, et quant
ceur, force et vérilé, coeur à la fortune... mais je n'o-
ct âme, tous les dons qui se la maudire, car plus
seniblciilveiiird'euhaut ; je médite sur l'infinité des
mais avec les années, il combinaisons possibles,
languit il devient déplai- plus je me sens contraint
sant. L'amour esl du pe- à croire à sa divinité.
tit nombre de ces choses
que le temps n'améliore LX11.
pas : ce qui explique
peut-être pourquoi les Elle gouverne le pré-
vieillards sont toujours si sent , le passé et tout ce
malencontreusement ja- qui sera; elle nous distri-
loux. bue le bonheur à la lote-
LV1. Laura était encore fraîche ct avait tiré le meilleur parti du temps. rie, en amour et en ma-
riage. Je ne peux dire
C'élail au carnaval, qu'elle ait fait beaucoup
comme je l'ai dit quelque pour moi : non que je
trente-six stances plus veuille déprécier ses fa-
haut : Laura fit doue les veurs : elle et moi nous
apprêts que vous laites quand vous vous proposez u aller au bal n'avons point clos nos comptes, et il landra voir comment eue me
masqué de monsieur Bochm, soit connue spectateur, soil pour y jouer dédommagera des mésaventures passées : en attendant, je n'im-
un rôle; la seule différence, c'est qu'ici, nous avons six semaines de porluiicrai plus la déesse, si ce n'est pour la remercier quand elle
figures de carton. m'aura enrichi. '
LVII. LXI IL
Laura, en toilette, étail, comme je l'ai dit plus haut, aussi jolie Pour revenir... pour revenir encore... Le diable emporte l'his-
femme qu'on puisse l'être, fraîche comme l'ange peint sur l'ensei- toire ! elle me glisse toujours entre les doigts, parce qu'il faudrait lu
gne d'une nouvelle auberge, ou comme lc frontispice d'un nouveau ployer aux caprices de la slance el c'esl ce qui la fait rosier eu
, je ne puis le briser à volonté,
magazinecontenant toutes les modes du mois dernier, colorié et avec arrière. Ce rhythme une fois entamé,
une feuille de papier de soie entre la gravure ct le titre , de peur mais je dois, comme ceux qui chantent en public, suivre le ton cl
que sous la presse les parties du discours ne maculent les parties la mesure. Ah! si je parviens à conduire ce mètre-ci jusqu'au boni,
du costume. j'en prendrai un autre la première fois que je serai de loisir.
LVIIL
LX1V.
Ils se rendirent au Itidolto... c'esl une salle où l'on va danser,
Ronpei-, el danser encore: le mot propre serait peut êlre bal masqué, Ils se rendirent au Ridotto... C'est un endroit où je me piop"?1'
QEUVItliS COMPLÈTES DE LOKD BYRON, 121

d'aller uioi-inôme demain, uni(|ucment pour faire quelque diversion


à mes pensées ; car je suis un peu mélancolique, et je récréerai mes LXX.
esprits eu devinant quelle espèce de visage peut se trouver sous
chaque masque; et comme ma tristesse est de celles qui parfois ra- C'était un Turc couleur d'acajou : Laura le vit et en fut d'abord
lentissent le pas, je ferai naître ou je trouverai quelque chose qui tout heureuse, car les Turcs sont renommés pour leur philogynie,
la retienne une demi-heure en arrière. bien qu ils usent tristement du beau sexe: on dit qu'ils traitent une
pauvre femme comme un chien, après l'avoir achetée comme un
LXV. bidet : ils en ont un grand nombre, bien qu'ils ne les laissent ja-
mais voir ; quatre femmes légitimes et des concubines ad libitum.
Laura traverse la foule joyeuse, le spurire dans les yeux et l"en-
joùment sur les lèvres : elle chucholle'avec.les uns, parle aux au- LXX1.
tres tout haut : à ceux-ci elle fait une révérence, à ceux-là un
simple salut. Elle se plaint de la chaleur, et aussitôt son adorateur Ils les enferment, les voilent et les gardent, même pendant le
apporte une limonade : jour : à peine peuvent-
elle y goûte; puis, pro- elles voir les hommes de
menant un regard autour leur famille : en sorte
d'elle, elle blâme et plaint qu'elles ne passent point
i\ la fois ses plus chères le temps aussi gaîment
aniies d'être si ridicule- qu'on le suppose parmi
ment accoutrées. les nations du Nord ; en
outre, cette réclusion
LXVI. doit pâlir leur teint, et
comme les Turcs abhor-
L'une a de fausses rent de longues conver-
liesses: une autre est trop sations, leurs jours doi-
fardée; une troisième... vent se passer à ne rien
où a-t-ellc acheté cet ef- faire, à se baigner, à soi-
froyable turban ? une gner les enfants, à faire
quatrième est si pâle l'amour et à s'habiller.
qu'on peuteraindrequ'el-
le ne se trouve mal; une LXXII.
cinquième à l'air com-
mun gauche et campa- Elles ne savent pas lire,
,
gnard; lasoie blanchedc cl, par conséquent, ne se
la sixième a une teinte mêlent pas de critique
jaune ; pour la septième, littéraire; elles ne savent
celte mousseline si claire pas écrire, et, par consé-
lui portera malheur; et quent, ne prennent ja-
voilà qu'une huitième mais le rôle de muscs:
paraît : « Je n'en veux elles ne tombent jamais
pas voir davantage, de dans les jeux de mots et
peur que, comme les rois i'épigrummo, et n'ont ni
île Itunquo, elles n'arri- romans, ni sermons, ni
vent h lu vingtaine. » pièces de théâlrc, ni re-
vues... Le savoir ferait
LXV1I. bien vile un beau schis-
me au harem I mais heu-
Pendant qu'elle regar- reusement ces beautés
dai! ainsi les autres on ne sont pas le moins du
,
lui rendait de tous côtés monde bas-bleus : nul
la pareille : elle écoutait pédant à la mode ne s'em-
les éloges que les hom- presse de venir leur
mes chuchotaient autour montrer « un passage
d'elle, cl elle résolut de charmant dans le nou-
ne pas bouger qu'ils veau poème. »
n'eussent Uni : les fem-
mes seules s'étonnaient LXXIIL
qu'à son âge elle eût en-
core tant d'adorateurs... Là, point de vieux et
mais les hommes sont si obstiné ritneur qui, ayant
dépravés que ces créa- toute sa vie péché à la
tures au front d'airain gloire pour n'attraper
sont toujours de leur jamais qu'un pauvre gou-
goût! Monsieur, dit le Turc, ce n'est pas du tout une méprise. jon, n'en continue pas
moins à faire un grand
LXVI1I. bruitde sa pêche, et reste
ce qu'il était, le liïlon du
Pour ma part, je n'ai fretin, le sublime de la
jamais pu comprendre la méchanceté des femmes... mais je ne médiocrité le fou de sens rassis l'écho de l'écho le pédagogue
veux pas discuter ici une chose qui est le scandale du pays : seu- des femmes, beaux-esprits et des ,bardes en herbe...,
cl, pour tout
lement je ne vois pas pourquoi il dire, un sot....
je portais seulement une robe noire en serait toujours ainsi ; et si
et un rabbat, pour être au- LXXIV.
torisé à déclamer à ma guise, je prêcherais tant
WilbciTorco et Komiily citeraient sur ce sujet que
chains discours. mon homélie dans leurs pro- Débitant fièrement ses oracles en phrases pompeuses; laissant
tomber un bon approbateur, qui n'est nullement bon en droit, bour-
donnant comme les mouches autour de toute clarté nouvelle, le
LXIX. plus bleu de tous les papillons bleus, vous fatiguant de son blâme,
Pendant que Laura regardait et se laissait regarder, souriant et vous torturant de ses éloges , avalant tout cru le peu d'encens qu'il
peut recueillir , traduisant des langues qu'il ne sait pas môme lire,
caquetant, sans savoir pourquoi ni comment; pendant que ses et suant des pièces si médiocres que de mauvaises seraient meil-
amies observaient, en grillant d'envie, ses airs de triomphe et tout le leures.
''este, et que les cavaliers élégamment vêtus défilaient devant elle,
s inclinaient eu passant et mêlaient un moment leur babil LXXV.
Ulf homme, plus
au sien :
que tous les aulres, tenait ses regards iixés sur Tout le inonde détesle un auteur qui est toujours auteur, un de
file avec étrange persévérance.
une ces hommes à la calotte de fou barbouillée d'encre, si inquiets, si
122 LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTREES.

habiles, si susceptibles et si jaloux; à qui l'on ne sait que dire et I


dont on ne sait que penser; ballon d'orgueil que l'on serait lenlé de LXXXIV.
gonfler à l'aide d'une paire de soufflets : la fleur des fats les plus
ennuyeux est encore préférable à ces rognures de papier, à ces Je ne rapporterai pas le nom de celte aurore, et cependant je le
niouchures mal éteintes de la lampe nocturne. pourrais
po sans indiscrétion, car elle n'élait rien pour moi, que celle
admirable invention dont le brevet appartient à Dieu, une femme
ad
LXXVI. charmante, cel objet que nous aimons tous à voir : mais il n'est pas
ch
de bon goût de citer des noms propres. Pourtant si vous êtes dési-
Nous en voyons plusieurs de cette espèce... et nous en voyons reux ro de découvrir celle belle, allez au prochain bal de Londres ou
d'autres, hommes du monde., et sachant y vivre en hommes : Scott, de de Paris, vous y remarquerez encore son visage effaçant tous les
Rogers, Moore et. tous ces confrères d'élite, qui pensent encore à av autres par sa fraîcheur.
autre chose qu'à leur plume; mais pour ces enfanlsde mère Sottise,
qui voudraient être gens d'esprit et ne savent pas être gens comme LXXXV.
il faut, je les laisse à leur table à thé quotidienne, à leur coterie
musquée et à la dame de lettres qui les gouverne. Laura, sachant bien qu'il ne lui conviendrait pas du lout de
s'exposer à la clarté du jour, après avoir passé sept heures au bal
LXXV1I. au milieu de trois mille personnes, jugea qu'il était temps de tirer
SJ révérence. Le comle l'accompagnait en portant son châle et ils
sa
étaient sur le point de quitter la salle; mais, ô disgrâce! ces, mau-
él
Les pauvres chères musulmanesdont je parle n'ont aucun de ces dits gondoliers
hommes instructifs et agréables, et l'un d'eux leur paraîtrait une <j
j s'étaient mis juste à la place où ils n'auraient point
dû se trouver.
invention nouvelle aussi inconnue que des cloches dans un minaret
turc : je pense qu'il ne serait peut-être pas mal à propos (bien que LXXXVL
les projets lés mieux semés produisent quelquefois une mauvaise
récolte) d'envoyer un auteur comme missionnaire pour prêcher En cela, ils ressemblent à nos cochers, et la cause qui les écarte
dans ces pays-là l'usage que font les chrétiens des dix parties du eest exactementla même.... l'encombrement de la foule : ils se pous-
discours. sent,
s ils se heurtent avec des blasphèmes à disloquer la mâchoire,
LXXVI1L lChezun torrentlesdegentlemen
et clabauderics que rien ne saurait interrompre.
de Bow-strect maintiennent l'ordre, cl
nous,
Point de chimiste pour leur révéler les gaz; nul cours de mêla- l'celasune ici sentinelle est à deux pas de la porte : niais, malgré tout
physique; point de cabinets de lecture qui rassemblent les romans il s'échange dans les deux pays, en pareille occasion, des ju-
religieux, les contes moraux, les peintures des moeurs du jour; rons ' el des propos tellement révoltants qu'on ne peut ni les sup-
nulle exposition annuelle de tableaux; on ne les voit point sur porter ' ni les redire.
leurs loits observerles aslres, et enfin, Dieu soit loué! elles ne font LXXXV1L
pas de mathématiques.
Le colnte et Laura trouvèrent enfin leur gondole el regagnèrent
LXXLX. - leur
] demeure en voguant sur l'onde silencieuse, s'enlrelunanl de
toutes les danses de Ta soirée des danseurs et des danseuses el de
Pourquoi j'en rends grâce à Dieu ? peu importe ! on doit croire que |leur toilette sartoul, ,
j'ai pour cela mes raisons, et comme peut-être elles n'ont rien dé chét avec un peu de médisance par-dessus le mai-
Déjà la barque s'approchait de l'escalier de leur palais : Laura
bien agréable, je les garde pour mes mémoires que j'écrirai en - ,était assise près'de
son adorateur, quand tout-à-coup elle frémit...
prose; je crains bien d'avoir un certain penchant à la satire; cl ,le musulman était là devant elle.
pourtant il nie semble qu'en avançant en âge, on devient plus en-
clin à rire qu'à gronder, bien que le rire aussitôt qu'il est passé,
, LXXXVIIL
nous laisse doublement sérieux..
« Monsieur, dit le comte d'un air sévère, votre présence inat-
LXXX. tendue
, dausce lieu m'obligeàvous demander quelques explications?
PcUt-Ôlre n'est-ce que l'effet d'une méprise : je l'espère, du moins,
0 innocence el gaîté 1 heureux mélange d'eau et de lait! boisson tel, pour couper court à lotit compliment, je l'espère dans votre
de plus heureux jours! Dans ce triste siècle de péché etdecarhage, propre
l'homme souillé d'abominations n'étanche plus sa soif avec un breu- prendre.— Monsieur,me
intérêt. Vous comprenez sans doute, ou je nie ferai com-
répondit le Turc, ce n'est point du tout une
vage aussi pur. N'importe ! je vous aime je
et veux vouschanler. Oh ! méprise :
qui nous rendra le vieux Saturne et son règne de sucre candi !...
En attendant, je bois à votre retour un bon verre d'eau-de-vie. LXXXIX.
Cette dame est ma femme. » Jugez de l'élonnement de la dame :
LXXXL elle« changea de couleur, non sans raison ; mais là où une Anglaise
s'évanouirait, les Italiennes, ne vont pas si loin : elles se bornent à
Le Turc de notre Laura tenait toujours les yeux fixés sur elle, recommander peu à leurs saints; puis elles reprennent leurs
moins à la façon musulmane qu'a la mode chrétienne qui semble,! se à peu près un tout-à-fait
; ce qui épargne beaucoup de corne
dire : « Madame, je vous lais beaucoup d'honneur, et tanl qu'il mei sens ou
de cerf, de sels, de gouttes d'eau jetées à la ligure cl de lacets coupés,
plaira de vous contempler, vous aurez la bonté de vous tenir eni comme d'usage en pareil cas.
place. » Si l'on pouvait conquérir une femme en la regardant,
Laura eut clé conquise : mais elle n'était pas femme à céder ainsi,', XC.
elle avait soulenu trop longtemps el trop bravement le feu de l'en-
nemi pour baisser pavillon devant le regard lout-à-fait extraordi- Elle dit... que pouvait-elle dire? pas un mot: mais le comte, toul-
naire de cet étranger. à-fait calmé parce qu'il venait d'entendre, invita poliment l'étran-
LXXXIL ger à entrer : « Nous serons beaucoup mieux à la maison, dit-il,
pour causer de tout cela; ne nous rendons pas ridicules par une
Le matin était sur le point de paraître, et à cette heure-là, je scène el une esclandre en public : tout ce que nous y gagnerions
conseille anx dames, qui ont passé la nuit à la danse ou à lout au- serait de faire beaucoup rire et plaisanter de notre affaire. »
tre exercice, de faire leurs préparatifs de retraite, el de quitter la
salle de bal avant le lever du soleil, parce qu'au moment où s'étei-a XCI.
gnent les lampes el les bougies, i! est à craindre que l'éclat du jourr
ne fasse paraître leurs joues un peu pâles. Ils entrent el se font servir le calé... Le café paraît, boisson qui
plaît égalementaux Turcs et aux chrétiens, quoique la manière <'•'
LXXXIli. le préparer ne soit pas la même. Alors Laura, qui a repris ses es
prils et retrouvé la parole, s'écrie : « Beppo! quei est votre nom
J'ai vu jadis des bals et des fêles, el pour quelque sotte raison j'y païen? Dieu me bénisse! voire barbe est d'une étonnante longueur1
suis | arfois resté jusqu'à la lin ; et alors (j'espère que ce n'est pas!,
El comment se fait-il que vous soyez resté si longtemps absent ? N';
un crime) j'observais quelle'était la femme qui traversait le plus" comprenez-vous pas combien c'était mal de votre pari?
heureusement cette épreuve critique : or, bien que j'en aie vu des s
milliers dans la Heur de l'âge, charmantes alors et qui peuvent it XCIl.
l'être encore aujourd'hui : je n'en ai jamais rencontré qu'une seule le
dont l'éclat pouvait (après la danse el quand les étoiles avaient dis- « lîtes-vous réellement et véritablement turc? Avez-vous épouse,
aru) résister du malin. i-
1 ans rayons d'aulres femmes? lîst-il vrai que les musulmans mangent avec leurs
OEUVRES COMPLETES DE LORD BYRON. «3

doigts en guise de fourchette?Ah! sur ma parole, voilà le plus joli


châle que j'aie jamais vu ! vous me le donnerez, n'est-ce pas ? On
que vous ne mangez pas de porc. Mais comment avez-vous fait
d'il
pendant tant d'années pour... Dieu me bénisse! non, je n'ai jamais LES
vu un
homme jaunira ce point? Auriez-vous une maladie de foie?

XCHL BARDES ANGLAIS


«
lieppo! cette barbe ne vous va pas : elle sera coupée avant que
vous ayez vieilli d'un jour : pourquoi vous arrangez-vous ainsi?
Oh! j'oubliais... Dites-moi, ne trouvez-vous pas que lé climat ici
est plus froid ? Quel air vous avez! vous ne sortirez pas d'ici dans ET LES
cc bizarre costume : quelqu'un pourrait vous reconnaître et aller
conter voire histoire. Comme vos cheveux sont coupés court! sei-
nncur! comme ils ont grisonné! » CRITIQUES ÉCOSSAIS.
XC1V.
Que répondit Beppo à toutes ces questions? c'est plus que je — »»
n'en sais. Il avait été jeté sur les bords où fut Troie et .où il n'y a
plus rien aujourd'hui; comme de raison, été fait esclave, et
il avait
avait reçu la bastonnade pour salaire; puis un jour quelque bande
SATIRE:.
de pirates ayant pris terre dans la baie voisine, il s'était joint à ces
coquins, avait prospéré et était devenu un renégat d'assez mauvais
renom. Eh quoi t condamné à tout entendre ! l'enroué Fitz Gerald brail-
XCV lera dans une salle de taverne ses couplets discordants ; el moi je
me tairai, de peur que les revues écossaises ne me traitentde rimail-
Mais il s'élait enrichi et avec la richesse lui était revenu un si vif leur et ne dénoncent
désir de revoir sa patrie, qu'il regarda comme un devoir d'y rentrer,
ma muse! Non! non! j'écrirai à lorl ou à
raison; les sols me fourniront le sujet, et la satire inspirera mes
et de ne point passer toute sa vie à écumer les Avec le temps,
I il se trouvait fatigué de son isolement, commemers. Robînson Crusoé :
vers!
.
| c'est pourquoi", il loua un navire venant d'Iîspag'ne et allant à Noble don de la nature! ma bonne plume d'oie, esclave obéissante
| Cnrfou : une belle polacre ayant douze hommes d'équipage et
1 chargée de tabac,
de ma pensée, arrachée à l'aile maternelle pour devenir un puis-
i sant instrument dans la main de bien petits hommes! O plume!
'
XCVI. ; qui facilites si bien la parturition d'un cerveau en travail, gros
i
de vers ou de prose; toi qui, en dépil de l'inconstance des femmes
Il s'embarqua donc avec toutes ses richesses, acquises Dieu sait i et des sarcîismes de la
critique, fais la consolation d'un amant
comme et gagna le large : l'enlreprise était téméraire et sa peau et la gloire d'un auteur, que de beaux esprits, que de poêles tu sers
i , , chaque jour! Combien est fréquent Ion emploi, el petite la gloire!
1
ne laissait pas de courir de grands risques ; mais la Providence, dit- Tes soeurs se trouvent condamnées,après tous leurs travaux, à un
il, l'avait protégé... pour ma pari, je ne m'expliquerai point à ce
' sujet de peur de n'être point d'accord avec lui... Bref, le navire fut complet oubli, chérie avec les pages qu'elles ont tracées! Mais toi, du
équipé, mit à la voile, et fit route heureusement, hormis trois jours ! moins, plume , que j'ai déposée naguère et que je reprends
de. calme à la hauteur du cap de Bone. ! avec
ardeur, notre tâche terminée, lu seras libre comme celle de Cid-
; Hamet-Bénengeli; si d'autres te
méprisent, moi je veux le choyer.
Prenons donc aujourd'hui notre essor; ce n'est point un sujet re-
XCVII. ;|
i battu, une vision orientale, un rêve extravagant qui m'inspire;
bien hérissée d'épines, est distinctement tracée;
Arrivé à Corfou, il transborda sur un autre navire ses bagages, j notre roule , soientque
i

que nos vers coulants ; que notre chant soit facile.


ses fonds et sa personne, el se donna pour un marchand turc fai-
sant le commerce de différentes marchandises... je ne me rappelle Aujourd'hui, le vice triomphant commande en souverain, obéi
plus lesquelles. Quoi qu'il en soil, il se tira d'affaire par celte ruse des hommes qui ne savent obéir à rien d'autre; les méchants el les
car il y allait de sa lêle, et parvint ainsi jusqu'à Venise afin d'y re- , sols se liguent pour dominer, elpèsent leur justice dans ries balances
prendre sa femme, sa religion, sa maison el son nom de chréiien. d'or; el cependant les plus hardis redoutent encore la risée publi-
que ; ia crainte de la honte est la seule qui.leur reste ; ils pèchent
XCVI1L. avec plus de mystère, tenus en bride par la satire, et tremblent de-
vant le ridicule, sinon devant la toi.
Kn effet, sa femme le reçut; le patriarche le rebaptisa (observons Telle est la puissance de l'esprit caustique et railleur; mais les
en passant qu'il fit un cadeau à l'église); il mit pour cela de côté flèches de la satire ne sont point mou partage : pour châtier les ini-
les vêlements qui le rendaient méconnaissable et emprunta
, pour quités de notre siècle, il faut une arme plus acérée, une main plus
un jour ou deux les culottes du comte. Ses amis ne l'en estimèrent puissante. Néanmoins, il est des folies dont la chassem'est permise.
que davantage après sa longue absence, surtout quand ils virent qu'il Qu'on rie avec moi; je ne demande pas d'aulre gloire. Le signal a
<'u:iil rapporté de quoi leur offrir d'excellents dîners qu'il égayait rclenli ; mon gibier, ce sont les écrivailleurs. Au galop, mon Pé-
Cii leur faisant de bons conles.... dont je ne crois pas la moitié. gase! gare à vous lous, poèmes grands el petits, odes, épopées,'
élégies! Et moi aussi, je puis comme un autre barbouiller du papier;
XCIX. il m'arriva même un jour de répandre par la ville un déluge de
vers, vraie boutaded'écolier indigne d'éloge ou de blâme ; je me fis
Quelques tribulations qu'il eût souffertes dans sa jeunesse, il s'en imprimer... de plus grands enfants que moi en l'ont autant. Il est
•V'doimnagcait sur ses vieux jours on jouissant de son opulence et doux de voir son
"lu plaisir de raconter. Bien que parfois Laura le fit
nom en lettres moulées; un livre est toujours un
m'assure que le comte et lui furent toujours bons amis. Ma plume
enrager, on livre, bien qu'il n'y ait rien dedans. Ce n'est pas qu'un nom titré
doive sauver d'un oubli commun le livre el l'écrivain : Larnbe en
«'si arrivée à la fin d'une page, et celle-ci terminée, le récit doit
terminer aussi; il serait à désirer qu'il eût fini plus tôt : mais une se sait quelque chose, lui dont la farce bâlarde a élé si filée malgré le
los commencés, les récils s'allongent, on ne saitcomni. nt. nom patricien de son auteur. N'importe! George continue d'écrire,
bien qu'il cache son nom aux yeux du public. Autorisé par ce grand
exemple, je suis la même voie; seulement je fais moi-même ma
revue ; el, sans recourir au grand Jeffrey , comme lui je me ton -
slitue de ma propre autorité souverain arbitre en poésie.
K1N DE BEPPO.
Pour tous les métiers, exceptécelui de censeur, il faut un appren-
tissage : les criliques sont faits d'avance. Sachez par coeur les plai-
santeries rebattues de Miller; ayez tout juste autant de science qu il
en faut pour citer à tort et à travers, un esprit bien dressé à dé-
couvrir des fautes, ou à en inventer au besoin, une certaine dispo-
sition au calembourg, que vous appellerez sel attique; puis allez
trouver Jeffrey, et soyez surtout discret ; il paie juste dix livres ster-
ling la feuille. Né craignez pas le mensonge, il aiguisera vos traits;
124, LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

ne reculez pas devant le blasphème, cela passera pour de l'esprit ; diquent


( le titre sacré de poète, ceux qui tourmentent leur cerveau *
abjurez toute sensibilité, et substiluez-y la plaisanterie. Vous voilà |
pour un vil salaire, el non pour la gloire. Puissent-ilstravailler en !
devenu un critique complet : haï, mais adule. vain
i pour Mammon et contempler avec douleur l'or qu'ils n'ont
Mais nous, poètes, nous soumettrons-nousà une telle juridiction? pu
j gagner! Que ce soit là leur partage ! que telle soit la juste ré. 1

Non, certes. Cherchez des roses en décembre de la glace en juin, compense de la muse qui se prostitue,' du barde mercenaire! Et sur {

demandez de la constance au vent, croyez aux , ce, nous disons « bonne nuit à Marmion. »
promesses d'une
(
i
femme ou aux éloges d'une épitaphe, plutôt que d'ajouter foi au lan- Voilà les oeuvres qui réclamentaujourd'hui nos applaudissement;
gage d'un critique chagrin, ou de vous laisser égarer par le coeur voilà les poètes devant lesquels la muse doit s'incliner ; c'est à eus
perfide de Jeffrey, ou la tête béotiennede Lambe. Tant que, soumis que Milton, Dryden, Pope, relégués dans un commun oubli, cèdent
<
au joug de ces tyrans imberbes et sans mission, de ces usurpateurs leurs palmes sacrées.
du sceptre du goût, les auteurs courberont humblement la tète, et
recevront leurs arrêts comme articles de foi; tant que la critique Alors que la musc était jeune encore, quand Homère faisait ré-
sera confiée à de telles mains, ce serait un péché que de l'épar- sonner sa lyre , quand Virgile chantait, il fut un temps où , pour
produire une épopée, dix sièclessuffisaient à peine ; aussi de quelles
gner. De tels censeurs méritent-ils des ménagements? Néanmoins acclamationsd'amour et de respect les peuples saluaient-ils à son
nos modernes génies se suivent tous de si près, poètes el criti-
ques se ressemblenttellement, qu'on ne sait quel choix faire parmi aurore l'ouvrage de chacun de ces bardes immortels, unique mer-
veille de mille années! Des empires ont disparu de la surface de la
eux. terre, des langues ont expiré, avec les nations qqi les parlaient,
On me demandera peut-être pourquoi je m'engage dans une car- sans avoir obtenu la gloire d'un de ces chants immortels où revit
rière que Pope el Gifford ont illustrée avant moi. Mes vers vont tout un idiome éteint. Il n'en sera point ainsi de nous. Nos poêles.
vous répondre. « Arrêtez, » me crie un ami ; « ce vers est négligé ; malgré leur infériorité, ne se contentent pas d'appliquer à un grand
celui-ci, celui-là cl cet autre encore me semblent incorrects. — ouvrage le travail d'une vie entière; voyez d'un vol d'aigle s'élever
Eh bien, qu'en conclurez-vous? Pope a fait la même faute, ainsi dans les cieux Southey, le marchand de ballades. Que Camocns,
que l'insouciant Dryden. — Oui, mais Pye ne l'a pas commise. — Milton, le Tasse, baissent pavillon devant ce génie céraleur, qui,
Belle autoritéI Que m'importe ! mieux vaut errer avec Pope qu'ex- chaque année, fait entrer en campagne une armée de poèmes.
celler avec Pye. »
Voyez au premier rang s'avancer Jeanne d'Arc, le fléau de l'An-
Avant nos jours dégénérés, il fut un temps où, au lieu de grâces gleterre et la gloire de la France, méchamment brûlée comme
mensongères, l'esprit et le bon sens s'alliaient à la poésie. C'est cière par le cruel Bedford : voyez son image entourée d'une sor- au-
alors que, dans cette fie heureuse, la voix de Pope charmait toutes réole de gloire; elle a brisé ses fers, sa prison s'est ouverte, et celle
les âmes, et voyait le succès couronner ses efforts; car il aspirait à vierge phénix renaît de ses cendres. Voici venir ensuite le terrible
l'approbation d'une nation polie, el relevait la gloire du pays en Thalaba, sauvage el merveilleux enfant de l'Arabie, redoutable des-
même temps que la sienne. Le grand Dryden faisait couler les flots tructeur de Domdaniel, chevalier qui a plus exterminé de ma-
de sa muse avec moinsde douceur peut-être, mais avec plus de force. giciens enragés que le monde n'en a jamais connu. Héros immortel!
Alors aussi Congrève égayait le scène, Olway nous arrachait des rival du Petit-Poucet, règncàjamaissurlesdébrisde tes cnncmisabal-
larmes; car l'accent de la nature allait encore à l'âme d'un audi- tus! La poésie s'enfuit effrayéeà Ion aspect, el proclame que 11 fus
toire anglais. Mais pourquoi rappeler ces noms ou de plus illustres avec raison condamné à être le dernier de la race! Oh! que les gé-
encore, quand la place de ces grands hommes est si étrangement nies triomphants ont bien fait de l'enlever de ce bas-monde, illus-
occupée? Jetez maintenant les yeux autour de vous ; feuilletez cet tre vainqueur du sens commun !
amas de pages frivoles ; contemplez les ouvrages qui charment no- J'aperçois maintenant le dernier et le plus grand des héros de
tie époque. 11 est toutefois une vérité que la satire elle même doit Southey": Madoc, cacique à Mexico, et prince au pays de Galles;
reconnaître : on ne peut se plaindre qu'il y ail parmi nous disette de
poètes. Leurs oeuvres font gémir la presse el fatiguent des milliers comme tous les voyageurs, il nous conte d'élranges histoires, plus
de bras : les épopées de Soulbey font craquer sous leur poids les vieilles que celles de Mandevillc, cl pas lout-à-fait aussi vraies.
rayons des bibliothèques, et les poésies lyriques de Lillle brillent 0
Southey ! Soulbey ! mets nu terme à la fécondité de ta musc! Kn
tout l'excès est un défaut; ô le plus robuste des poètes, par pitié,
en in-douze satinés. « Rien de nouveau sous le soleil, » dit l'Ucclé- épargne-nous!
siastc ; et pourtant nous courons d'innovations eu innovations. Un quatrième poème, hélasI c'en serait trop. Mais
Que de merveilles diverses nous allèchent en passant! La vaccine, si, en dépit de tout'ce.qu'on peut le dire, tu persistes à te frayer
le magnétisme, le galvanisme et le gaz apparaissent successivement, vers le Parnasse un pénible chemin ; si, dans les ballades inciviles,
continues à dévouer les vieilles femmes au diable, Dieu garde do
nu grand ébahisseinent du vulgaire; puis la bulle de savon crève. tu
Que rcslc-t-il? du vent! Nous voyons aussi s'élever de nouvelles| tes sinistres desseins les enfants qui sont encore à naître ! Dieu te
écoles poétiques où le plus ennuyeux réclamela palme. La ligue de remette dans la honpe voie, Southey, et tes lecteurs aussi I
ces pseudo-bardes fait pour quelque temps taire la voix dut On voit venir ensuite le disciple ennuyeux d'une ennuycuseécole,
goût. Maint club campagnard plie le genou devant Baal, et détrô- le bénin apostat de toute règle poétique, le simple Word'sworlh, qui
nant le génie légitime, élève un temple et une idole de sa laçon, flatte de créer des chants aussi doux qu'un soir de mai, sou mois
quelque veau de plomb, peu importe lequel, depuis l'ambitieux Sou-, se favori ; qui conseille à son ami « de laisser là le travail et la peine,
ttiey jusqu'au rampant Stotl. et de quitter ses livres , de peur de devenir double ! » qui, par le
Voyez! la légion écrivassière, fractionnée en groupes divers, dé- précepte et l'exemple , l'ail voir que rien ne doit distinguer les vers
file devant nous. Chacun, impatient d'attirer l'attention, pique" de la prose : car une prose insensée fait les délices des poétiques
de l'éperon son Pégase efflanqué ; la rime et les vers blancs mar- âmes, et les contes de la mère l'Oie suffisamment rimes contien-
chent côte à côle. Voyez s'amoncelersonnets sur sonnets, odes sur" lient l'essence du vrai sublime. Ainsi, lorsqu'il nous raconte l'his-
odes. Les histoires de revenants.se coudoient sur la route; les vers s'a- toire de Betty Poy, la mère idiote d'un « enfant idiot, » nigaud lii-
vancent à pas démesurés,car la sottise se complaîtaux plus bizarres ," natique qui a perdu son chemin, et, de même que le poêle,
effets de rhythme : amie d'un fatras étrange et mystérieux, elle ad- confond la nuit cl le jour; il appuie tellement sur tout le palhéli-
'
mire toute poésie qu'elle ne peut comprendre.C'est ainsi que le Lai que d'un Ici caractère, et décrit chaque aventure d'une manière si
du dernier ménestrel (puisse-t-ilêtreeu réalité ledernier!) fait enten- louchante, que tous ceux qui voient « l'idiot dans sa gloire » preu-
dre au souffle de la brise ses tristes gémissements sur des harpes àT nenl le conteur pour le héros du conte.
dèmi-tendues, pendant que les esprits de la montagnebavardentavec c Te passerai-je sous silence aimable Coleridgc, cher à l'ode bour-
ceux de la rivière ; des nains farfadets de la race de Gilpin llorner
ir souffléeet à la strophe ambitieuse ?Bicn que lu te plaisess.:rtout aux
égarent dans les bois de jeunes seigneurs écossais, en sautillant il sujets innocents, l'obscurité est toujours la bien venue chez loi. Si
devant eux à chaque pas, Dieu sait à quelle hauteur ! et font peur ir parfois l'inspiration refuse son aide à celui qui adople une sorcière
aux petits enfants ; tandis que dans leur cellule magique des dames!s pour sa muse, nul ne saurait surpasser en poésie le barde qui
de haut parage font défense de lire à des chevaliers qui ne savent il prend un âne pour sujet d'élégie. Le sujet s'adapte si merveilleuse-
pas épeler, dépêchent un courrier aU tombeau d'un sorcier, et font ît ment à l'esprit de l'auteur, que dans ses rimes on croit entendre
la guerre aux honnêtes gens pour protéger un bandit. braire le poèle-lauréat de la genl aux longues oreilles.
Voyez ensuite s'avancer gravement, sur son cheval de parade, e, O Lewis! merveilleux magicien, moine ou poète, n'importe! loi
l'orgueilleux Marmion au cimier d'or, tantôt faussaire, lantôl héros, s, qui voudrais faire du Parnasse un cimetière ! Le cyprè : en place
également propre à décorer un gibel ou un champ de bataille, :, de laurier compose la couronne; tu as pour muse un revenant, cl
singulier mélange de grandeur et de bassesse. T'imagines-lu donc, e, Apollon t'a institué son fossoyeurl Soit que tu viennes t'asseoir sur
ô Scolt, dans ta folle arrogance, faire agréer au public une oeuvre re d'anliques tombeaux salué par la voix sépulcrale des speclres ; soil
aussi insipide? C'est en vain que Murray se ligue avec Miller pour il* que la plume nous trace ces chastes tableaux qui plaisent tant aux
rétribuer ta muse à raison d'une demi-couronne par vers. Non! i ! femmes de notre âge pudibond, salut! de ton cerveau infernals'élan-
quand les fils d'Apollon s'abaissentà trafiquer de leur plume, leurs rs cent des troupes hideuses de fantômes couverts da leur suaire; à
palmes sont desséchées, leurs jeunes lauriers sont flctiis. Qu'ils ab- b- ton commandement on voit accourir en foule «des femmes grinin-
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON. 12»

caiit-is, avec les rois du feu, de l'eau et des nuages; •> puis une l'un zèle sincère ; écris comme si l'âme du critique Saint-John l'in-
d'i
nantite de « petits hommes gris , de sauvages chasseurs, » êtres ipirait, et fais par haine ce que le pamphlétaire Malle! fit pour de
sp
fourres sur lesquels lu règnes avec ton rival Waller-Scolt. Salut l'aargent. Oh! si tu avais pu extravaguer ou rimailler avec eux ,
seconde fois! Si des contes tels que les tiens rencontrent imèuté avec ses ennemis autour du lion vivant, au lieu de lui don-
an
oui* la
es admirateurs,
c'est une maladie que saint Luc seul peut guérir; ner après sa mort le coup de pied de l'âne , une récompense fût
nt
alan lui-même n'oserait cohabiter avec toi, et ton cerveau lui pa- vc renue s'ajouter à tes gains glorieux, et t'eût pour la peine attaché
lîlrait un enfer plus profond que le sien. m pilori de la Dunciade.
ai
Mais quel est ce poète qui s'avance d'un air si tendre, environné Encore une épopée! Et qui donc vient de nouveau infliger ses
un choeur de jeunes filles (ouïes remplies d'un feu qui
n'est pas v< vers blancs aux cnfanls des hommes? Le Béotien Cotlle, l'orgueil
elui de Vesta? Les yeux brillants, la joue enflammée, il fait retentir de la riche Bristol, importe chez nous de vieilles histoires de la côte
d(
['impudiques accords, et les dames l'écoulcnt en silence! C'est et carabrienne, et envoie toute chaude sa marchandise au marché !
,ilt!e! le Catulle de son époque, aussi doux dans ses chants, Q Quarante mille vers! vingt-cinq chants! voilà du poisson frais du
P
Permesse! Qui achète? il n'est pas cher Ma foi, ce ne sera pas
nais aussi peu sévère que son modèle! La muse, qui condamne à
cgrel, doit pourtant être juste , et ne peut faire grâce au chantre moi. ni Qu'ils doivent être plats les vers de ces mangeurs de soupe à
uèïodieux des voluptés. La muse veut qu'une flamme pure brûle la la tortue, tout bouffis de sa graisse verdâtre! Si le commerce remplit
air ses autels : elle repousse avec
dégoût un encens plus gros- la lu bourse, en revanche il rétrécit le cerveau, et Amos Cottie fait en
;|cr; néanmoins, indulgente à la jeunesse, après ce châtiment, elle vi
vain résonner sa lyre. Voyez en lui un exemple des infortunes
borne à lui ijire Corrige tes vers, va, el ne pèche plus ! » qu'entraîne
1 le métier d'auteur : le voilà condamné à faire les livres
;e : « qu'il vendait autrefois. 0 Amos Cotlle!... (Par Phébus! quel nom
q
Pour toi, traducteuraux vers dcclinquant,clinquant que tu prêtesà pour p remplir la trompette deJa renommée!) 0 Amos Cotlle! songe
ton modèle, Slrangfordi'Hibemien,aux yeux d'azur, la à chevelure donc
d au peu de profils que rendent une plume et de l'encre! Qui
tirant sur le roux, toi dont les chants plaintifs sont admirés de nos voudra v désormais acheter ce papier que gâtent tes rêves poétiques ?
miss malades d'amour, toutes pâmées d'attendrissement sur ces O Q plume détournéede son véritable usage! ô papier mal employé !
viens harmonieux, apprends, si tu le peux, à reproduire le sens de g Cotlle n'avait point quitté son comptoir et son pupitre commer-
Si
ii>ii autour, et à ne plus vendre tes sonnets sous un nom
d'emprunt. cial,
c ou si, né pour d'utiles travaux, on lui avait appris à faire le
Crois-tu donc prendre rang au Parnasse en habillant de dentelles le papier
r qu'il gâche aujourd'hui, à labourer, à bêcher, à manier la
grave Catnoëns? O Strangford, reviens à un goût plus sain, comme rame
r d'un bras vigoureux, il n'aurait point chanté le pays de Galles,
'a
une morale plus pure. Sois chaleureux, mais décent; amoureux, et, e moi, je n'aurais pas eu à parler de lui.
mais chaste; quitte la harpe d'emprunt, et ne fais plus du barde
lusitanien le copiste de Moore. Tel Sisyphe roule sur le précipice infernal son énorme rocher
sans
s pouvoir goûter le sommeil; tel, sur ta colline, ambrosiaque Ri-
Mais, holà! ma plume, arrêtons-nous un moment! quel est cet chrnond, t l'ennuyeux Maurice charrie le granit de ses lourdes pages,
ouvrage? C'est la dernière production d'Hayley, la dernière et la monument
yj des fatigues de son esprit, pétrifications d'un cerveau la-
pire... jusqu'à la prochaine cependant : soit qu'avec d'insipides li- I
borieux qui, avant d'atteindrele sommet, retombent pesamment
rades il fabrique des drames soit qu'il tourmente les morts de ses I
dans la ,plaine.
, (
éloges qui leur font un purgatoire ; jeune ou vieux, il a toujours le I
même style, uniformément faible et lerre-à-terre. Voici d'abord le Mais je vois errer dans la vallée le mélancolique Alcée I sa lyre
Triomphe du Sangfroîd, qui a failli me faire perdre le mien, est
; brisée, sa joue empreinte d'une calme pâleur; ses espérances,
« » si belles auraient pu fleurir un jour: le vent du nord les a
puis le « Triomphe de la Musique. » Ceux qui l'ont lu peuvent af- jadis J
Uriner que la pauvre musique n'y triomphe guère. desséchées.
' Le ,souffle de la Calédonic a flétri ses boulons dans leur
fleur. Que Shcffteld pleure sur tant d'oeuvres perdues, mais que
Moravcs, levez-vousI décernez une digne récompense à la dé- nulle main téméraire ne trouble leur précoco sommeil !
votion el à l'ennui... Ecoulez! le poète du dimanche, le sépulcral
Graliamc, exhale ses sublimes accents en prose barbare, n'aspirant Dites-moi cependant : pourquoi le poêle abdiquerait-il ainsi ses
niènie pas à la rime. Il met en vers blancs l'évangile de saint Luc titres à la faveur des muscs? Devra-l-il donc se laisser toujours
pille auducieuscmenlle Penlateuquc, el, sans le moindre scrupule,
, effrayer par les hurlementsconfus de ces loups d'tëcosso qui rôdent
falsifie les Prophètes, et dévalise les Psaumes. dans l'ombre, lâche engeance, qui, par un instinct infernal, déchire
comme une proie tout ce qui se rencontre sur son passage? Vieux
Salut, ô Sympathie! la douce puissance évdque devant moi mille ou jeune, vivant ou mort, nul n'est épargné; tout sert d'aliment à
souvenirs aux mille faces, et me montre courbé sous ses soixante ces harpies. Pourquoi leurs céder sans combat ? Pourquoi lâche-
années de lamentations, le prince des tristes , faiseurs de sonnets. Et ment reculer devant leurs griffes? pourquoi ne pas refouler jusque
n'es-tu pas en etl'et leur prince, harmonieux Bowles, le premier, le sous les murs d'Edimbourg ces bêles sanguinaires?
Krand oracle des âmes tendres, soit que tu chantes avec la même
facilité de douleur la chute d'un empire ou celle d'une feuille, soit Salut à l'immortel Jeffrey! l'Angleterre eut jadis la gloire d'avoir
que ta muse nous répèle d'un Ion lamentable les sons joyeux des un juge à peu près du même nom. Egalement miséricordieuses et
cloches d'Oxford, cl, toujours s'amourachant des cloches cl clo- justes, leurs âmes se ressemblent complètement, cl il est des gens
chers, Irouvcun ami dans chaque tintement du carillon d'Oslende? qui croient que Satan a lâché sa proie et a permis au vieux juge
Oli ! combien tu serais plus conséquent avec toi-même si tu ornais
royaliste de revenir au monde pour condamner des écrits comme
île grelots le chapeau de ta muse! Délicieux Bowles! toujours bé- nuire fois il condamnait les hommes. Le moderne a la main moins
nissanl ou béni, chacun aime tes vers; mais les enfants surtout en puissante, mais le coeur aussi noir, et sa voix esl tout aussi prompte
l'ont grand cas. H faut te voir, l'associant à la poésie morale de a ordonner la torture. Elève du barreau, il n'a retenu de sa science
Utile, caresser les penchants des coeurs amoureux. Avec toi, la légale qu'une.certaine aptitude à relever les vétilles ; instruit depuis
petite fille verse de douces larmes dans sa chambre d'enfant ; mais
à l'école du libéralisme, il s'est mis à railler les parlis politiques,
à treize ans jeune miss elle échappe à la molle influence; elle bien qu'il soit lui-même l'instrumentd'un parti. 11 sait que si un
quille le pauvre, ,
Bowles pour les chants plus vifs de Little. D'autres jour ses patrons retournent au poste qu'ils ont perdu, les pages
fois, dédaignant île circonscrire aux sentiments tendres les nobles qu'il a griffonnées seront dignement
récompensées, et feront mon-
sons d'une harpe telle que la tienne, tu fais « retentir des accents ter sur le trône du jugement ce nouveau Daniel. Ombre deJeffries,
plus élevés, » accents que personne n'entendit, que personne n'en- nourris cette pieuse espérance, présente une corde à cet autre toi-
tendra jamais. Dans tes vers sont enregistrées, chapitre par chapi- même en lui disant : «
Héritier de mes vertus, ô mon digne émule,
tre, toutes les découvertes maritimes, à partir du jour où l'arche habile à condamner comme à calomnier le genre humain, reçois
entre* tes
vermoulue s'arrêta dans la vase, depuis le capitaine Noé jusqu'au celle corde que je rendras t'ai soigneusement réservée ; tiens-la
capitaine Cook. Ce n'esl pas tout : le poète fait une halte, soupire mains lorsque tu tes arrêts, et qu'elle serve un jour à te
"" louchant épisode, et nous raconte gravement (écoutez, ô belles pendre I »
demoiselles ! ) comment Madère trembla pour un premier baiser. Salut au grand Jeffrey ! que le ciel le fasse longtemps briller sur
Bowles ! retiens cet avis : continue à faire des sonnets; eux, du les rives fertiles de Fife! qu'il protège ses jours sacrés dans ses com-
Jnoins, ils se vendent. Mais si quelque nouveau caprice ou quelque bats à venir, puisque parfois nos auteurs en appellent au jugement
l'irpe salaire sollicite ta pauvre cervelle et te met la plume à la de Dieu. Vous souvient-il de ce jour historique, de cette rencon-
main ; s'il est un poôlc qui, naguère l'effroi des sots, esl descendu tre glorieuse, et qui faillit être fatale, alors que l'oeil de Jeffrey en-
'•mis la tombe et n'a plus que des droits à tous les hommages; si visagea le pistolet sans balle de Little , pendant qu'à deux pas de là
.Ope,dontla gloire et le génie ont triomphé du plus habile des cri- les myrmidonsde Bow-streelpouffaient de rire ? O jour désastreux !
'•ques, doit lutter encore Contre le pire de tous tente l'aventure ; le château de Dunedio. trembla jusque dans ses fondements ; les
relevé la moindre faute, la plus légère imperfection ,
: le premier ondes sympathiques du Forlh roulèrent toutes noires ; les oura-
*,(,s poêles n'était, après tout, qu'un homme. lfouille les vieux fu-
gans du nord firent entendre de sourds murmures; la Tweed enfla
miers pour y trouver des perles; que tous les scandales d'un siècle la moitié de ses flots pour former une larme, l'autre moitié pour-
jlj'i n'est plus se perchent sur ta plume el voltigent sur ton papier; suivit tranquillement son cours; le mont escarpé d'Arthur s agita
'tllectc une candeur que lu n'as pas; donne à l'envie le manteau sur sa base, et la sombre Tolboolh changea presque de place. Cette
126 LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

noire prison sentît alors... car.cn de tels moments la pierre peut < >lonne-nous un drame classique, et reforme notre scène! foulées, Grands
éprouver les émulions de l'homme, elle senliï qu'elle allait être pri- j lieux ! la sottise lèvera la têlesur ces planchesque Garrick a
vée de tons ses charmes si Jeffrey mouraitailleurs que dans ses bras. .me Suidons foule encore! la farce y élalern son masque bouffon',
Enfin, dans celle matinée redoutable, son grenier paternel, ce ît Hock cacher;*, ses héros dans un baril ! Les régisseurs nous don.
seizième élage qui l'ava't vu naître, s'écroula toul-à-coup , el à ce lieront des nouveautés tirées de Cherry, Skeffinglon et ma mcic
bruit la pâle Duncdin tressaillit. Une neige de papier blanc couvrit l'Oie, pendant que Shakspeare, Olway, Massingers moisiront ou-
toutes les rues d'à l'enlour; des ruisseaux d'encre coulèrent dans la bliés sur l'élalage. ou pourriront
dans' les bibliothèques! Oh' avec
Canongate: hoir emblème de là candeur de Jeffrey comme le blanc quelle pompe Us journaux proclamentles candidats à la palmcseé-
pacifique l'était de son courage, comme ces deux couleurs réunies nique! En vain Lewis fait apparaître son hideux cortègede fantô-
forment l'emblème de la constance de son esprit. Mais la déesse mes, le prix n'en esl pas moins pari âgé enlre Skeffinglon éloges, et ma
protectricede la Calédonic plana sur le champ de bataille et le sauva mère l'Oie. Et, de fait, le grand Skeffinglon a droit à nos
de la colère de Moore; elle enleva le plomb vengeur dont les pis- lui qui est également renommé pour ses habits sans basques et ses
tolets étaient chargés, el le remit dans la tête de son favori; celle drames sans plan ; qui ne borne pas l'essor de son génie à rem-
tôle, par une attraction toute magnétique,le reçut comme autrefois plir le cadre du décorateur , mais qui, sans s'endormir, pousse jus-
Danaé la pluie d'or, et le grossier métal vint accroître une mine déjà qu'à cinq actes les facéties de sa «Belle au bois dormant, »au grand
riche par elle-même. « Mon fils, » s'écria-t-cllc, « garde-toi désor- étonnement du pauvre John Bull, qui, lout ébahi, se demande ci-
mais de la soif du sang ; laisse là le pislolel et reprends la plume ; que diable tout cela peut signifier. Mais quelques mains gagées
préside à la politique et à la poésie ; sois l'orgueil de Ion pays et le s'empressant d'applaudir, plutôt que de sommeiller. John Bull les
guide de la Grande-Bretagne, car aussi longtemps que les fils in- imite. *

sensés d'Albion se soumettront à les arrêts, et que le goût écossais Ah! pouvons-nous, sans gémir, nous rappeler ce qu'élaicnl nos
sera l'arbitre du génie anglais, tu régneras paisiblement, et nul pères? Bretons dégénérés! avez-vous perdu toute houle, ou bien,
n'osera prendre Ion nom en vain. Une troupe choisie t'aidera dans indulgents jusqu'à la niaiserie, craignez-vous d'exprimer votre
l'exécution de tes projets et te proclamera chef du clan.de la criti- blâme? Nos lords ont bien raison de suivre attentivement la moin-
que. Au premier rang de la phalange nourrie d'avoine apparaîtra dre grimace du visage d'un Naldi, de sourire aux boulions italiens
ce Thanc voyageur, l'Athénien Aberdeen. Herbert brandira le mar- et d'adorer le* travestissementsde Caluiani,-puisquenotre propre
teau de Thur, et parfois, en retour, tu loueras ses vers raboteux. théâtre ne nous donne en fait d'esprit que des calcmbourgs, en l'ail
Tes pages amères recevront aussi le tribut de l'élégant Petit et de gaîlé que des contorsions.
d'Ilallam renommé pour le grec. Scott consentira peut-être à le
prêter son, nom et son influence, el le méprisable Pillans diffamera Soit ! que l'Ausonie, experte dans l'art d'adoucir les moeurs en 1rs
ses amis dans ton recueil, pendant que l'infortuné disciple de Thalie, corrompant, répande sur la capitale ses folies exotiques; que des
Lambe, comme un diable sifflé, sifflera à son tour comme un diable. prostituées mariées se pâment à conlcmpler Deshayes , cl bénissent
Que ton nom soit célèbre, Ion empire illimité ! Les banquets de d'avance lout ce que ses formes leur promettent; que Gayton bon-
lord Holland récompenseronttes travaux, et la Grande Bretagne, disse sous les regards ravis des marquisen cheveux blancs el desducs
reconnaissante, ne manquera pas d'offrir le tribut de ses éloges aux jouvenceaux ; que de nobles libertins regardent pirouetter la sé-
niercenaii.es du noble lord. J'ai un avis pourtant à te donner : millante l'rcslc dont le beau corps dédaigne d'inutiles voiles;
avant que ton prochain numéro prenne son essor, en déployant ses qu'Angioliui découvre son sein de neige, balance son bras blanc cl
ailes bleues elsafranéos, prends garde que le maladroit llrougham tende son pied ilcxible; que Collini cadence ses chants amoureux,
ne fusse lorl à la vente, ne change le boeuf en galette d'avoine , cl allonge son cou charmant et ravisse la foule attentive. N'aiguisez
le chou-fleur en chou. » A ces mois, la déesse en jupon court donna pas votre faulx membres de la société pour la suppression du
, raffinés, qui,
un baiser à son fils, cl disparut dans un de ces ouragans pluvieux vice, saints réformateursaux scrupules singulièrement
qu'en Ecosse on appelle brouillards. pour le salul de nos âmes pécheresses, faites défense aux brocs île
s'emplir le dimanche, barbiers de raser; qui voulez que la
Prospère donc, Jeffrey I loi le plus éveillé de la bande qu'engraisse bière moisisse dans les aux tonneaux, el que les hommes fassent peur
l'Ecosse avec son orge fermenté! Les prospérités qui attendent tout petits enfants, par respect pour le saint jour.
véritable Ecossais sont doublées dans Ion glorieux partage. Pour toi aux
Duncdin recueille ses parfums du soir, qu'elle répand ensuite sur Saluons dans Argyle-Room le palais de la sottise et du vice!
tes pages candides. La couleur et l'odeur adhèrent nu volume : Voyez-vousce magnifique édifice, sanctuaire de la mode, qui ouvre
l'une ciuhcnumc les pages, l'autre dore la couverture. ses larges portiques à lu foule bigarrée? C'est là qu'il lient sa cour, le
Pélrone de l'époque, l'arbitre souverain des plaisirs cl de la scène.
Illustre Uolhtndl ce sérail vraiment mal à moi de parler de tes Là, l'eunuque stipendié, le choeur des nymphes d'ilespérie. le
stipendiés, et de l'oublier loi-même, Holland , et ton aide-de-camp luth langoureux la lyre libertine les chanfs italiens, les pas fran-
Henri l'elly , piquent* de la menti'. Dieu bénisse les banquets d'Hol- çais, l'orgie nocturne, , , mille détours, le sourire dois
la danse aux
Iniul-housc où les Ecossais oui leur couvert mis, où les critiques beauté les fumées du vin lout s'unil à l'envi pour charmer îles
l'ont bombance! , Puisse loutc la lilléralurc affamée dîner longtemps fais, deselimbéciles, des joueurs, , des fripons et des lords. Là, chacun
sons ce toit hospitalier, à l'abri des créanciers! Voyez l'honnête suit ses goûts; de par Cornus, tout est permis : vous avez le Cham-
llallam quitter la fourchelle pour la plume, rédiger un article sur les dés, la musique, ou même la femme du voisin. Commer-
l'ouvrage de Sa Seigneurie, et, reconnaissant des bons morcqaux pagne, çants affamés, ne venez pas nous parler de votre misère. Les mi-
qui sont sur son assiette, déclarer que son hôte sait lout au moins de la fortune se chauffent au soleil de l'abondance; ils ne
traduire! Edimbourg, contemple avec joie les enfants! Ils écrivent gnons connaissentla pauvretéqu'en masque, lorsque dans une soirée quel-
pour manger. Mais, de peur qu'échauffésparlejusiuaccoutuméde la que portail
quelque pensée trop chaleureuse ne leur échappe ci n'aille que âne litre sedéguise en mendiant el revêt les haillonsl'auditoireft
grappe, grand-père. La parade terminée, le rideau baissé,
faire monter le rouge au front des belles lectrices, mylady se charge son tour occupe la scène. Ici, c'est le cortège des douairières qui
du soin d'écrémer les articles, leur communique d'un souffle sa son fonl le tour de la salle; là , ce sont leurs filles qui, vêtues à la lé-
purclé d'âme, corrige les fautes, et y mel la lime el le rabot. gère, bondissent aux accords d'une valse lascive. Les premières s'a-
Passons au drame. — Quelle confusion ! quels singuliers tableaux vancent en longues files d'un pas majestueux; les antres étalent ans
appellent nos regards ébahis!- Des calembouvgs, un prince qu'on regards des membres agiles et dégagés ; celles-là, pour allécher les
renferme dans un tonneau, les absurdités de Dihdin , voilà ce qui robustes enfans de l'Hibernie, réparent à force d'art les outrage*
satisfait pleinement le public. Heureusement que la rosciomanie est des ans ; celles-cinuptiale volent d'une aile rapide à la chasse des maris, cl
passée de mode, el qu'on ne demande plus des enfants pour acleurs. laissent à la nuit peu de secrets à révéler.
Mais à quoi serviront les vains efforts que les comédiens fonl potir O trop séduisant séjour d'infamieel de mollesse! où, ne songea"1
nous plaire, lant que de pareilles pièces seront tolérées par la cri- qu'à plaire, la jeune fille peut lâcher la bride à ses fantaisies, <;!
tique anglaise, tant qu'on permettra à Reynolds d'exhaler sur la l'amant donner ou recevoir des leçons de plaisir ! Là, le jeune ol'li-
scène ses jurons' grossiers, el de confondre le sens commun avec cier, à peine revenu d'Espagne, mêle les cartes ou manie le coriiri
les lieux communs, lant que le « Monde » de Kenny ennuiera les sonore: le jeu est fait; le sort a prononcé : mille livres pour l.i coup
loges cl endormira le parterre, et qu'une pièce de Bcaumont tra- suivant! Si, furieux de vos pertes, l'existence vous est à charge-
veslic en Caraclacus nous offrira une tragédie complète à laquelle le pistolet complaisant est là tout prêt à vous en délivrer, et, ®
il ne manque que les paroles? Qui ne gémiraitde voir celte dégra- qu'il y a de plus consolant encore, votre femme trouvera deux con-
dation de noire théâtre tant vanté? Eh quoi! avons-nous perdu solateurs pour un. Digne fin d'une vie commencée dans la folie cl
tout sentiment de honte? le talent a-t-il disparu? n'avons-nous terminée dans la houle : n'avoir autour de votre lit de mort ;i 111'
parmi nous aucun poète ? Eveille-toi, George Colman ! Cumber- des domestiques pour panser vos blessures saignantes el recueilli 1'
land, éveille-loi! sonnez la cloche d'alarme! faites trembler la sot- votre dernier soupir ; calomnié, par l'imposture,oublié de lous, vie-
tise! O Sberidanl si quelque chose encore peut émouvoir ta lime honteuse d'une querelle d'ivrogne : vivre comme Clotlius , f'
plume, que la comédie remonte sur son trône! Abandonne les ab- mourir comme Falkland !
surdités de l'école germanique ; laisse aux sols le soin de traduire
Pizarrc; lègue à Ion siècle un dernier monnmenl de ton génie! Sainte Vérité! fais apparailie parmi nous un poète de génie, ''
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD RYRON. 127

nie sa main vengeresse délivre le pays de ce fléau ! Moi-même , le son essor, qu'elle pénètre le pays lout entier, l'âme du campagnard
I se
iioins sage d'une foule insensée, qui en sais tout juste assez pour 1
comme celle de l'artisan ! Continuez, mélodieux saveiiers, à nous
e<
liscerner le bien el choisir le mal ; maître de mes actions à un âge envirer
ei de vos accords! faites à la fois une chanson cl une pan-
ni la raison n'a pas son bouclier, et obligé de me frayer un passage toufle
l( : la beauté achètera vos. oeuvres; on sera coulent de vossonr
i travers
l'innombrable phalange des passions; moi, qui ai par- nels,
n sansdonle; de vos souliers, peut-être. Puissent les (isserands
joiiru lour-à-tour tous les sentiers fleuris du plaisir, et qui dans tous exceller dans la poésie pindarique, et. les tailleurs produire des
e:
nie suis égaré; eh bien! moi-même, je me sens obligé d'élever la poèmes
p plus longs que leurs mémoires! Puissent les dandies récom-
voix; moi-même, je comprends combien de telles scènes sont fu- ppenser ponctuellement leur muse, et payer leurs poèmes.... comme
neslcs à la chose publique! Je sais que plus d'un ami va me repreil- il paient leurs babils.
ils
jre et me dire : « Fou que lu es, qui le mêles de blâmer les autres, Et mainlenanlquej'ai offert à cette foule illustre le Iributque je lui *
vaux-lu mieux qu'eux? » Tous les mauvaissujets, mes rivaux, vont ^devais, je reviens à loi. ô génie qu'on oublie! Lève-toi! Campbell,
sourire el s'émerveiller de m'enlendre prêcher- la morale. N'im-
porte! lorsqu'un poêle vertueux fera entendre les chants d'une donne
^ carrière à tes talents! Qui, plus que toi, chanlrc de l'Espé-
musc chaste et pure, alors je me tairai ou n'élèverai la voix que france peut prétendre à la palme? Et toi, harmonieux Rogers,
qui célébras .
les Souvenirs, réveille-loi enfin! viens ; que ce doux sujet
pour lui décerner le tribut do mes louanges., dussé-je être moi- .l'inspire : fais remonter Apollon sur son Irône vacant; revendique
même atteint par son fouet vertueux. l'honneur
, j de ta pairie el le lien !... Quoi donc! la poésie abandonnée
Quant au menu fretin qui foisonne, depuis le stupide Hafiz doit-elle
t continuer à pleurer sur la tombe où dort avec ses der-
jusqu'au simples Bowles, pourquoi irons-nous chercher ces gens- nières
' espérances la cendre pieuse de Cowper? Faut-il qu'elle ne se
là dans leurs obscures demeures de Saint-Gilles ou môme dans détourne
* de celle froide bière que pour couronner de gazon la lerre
le square opulent de Bond - Street, puisqu'cnlin il est des fas- qui
< couvre Burns, son rustique ménestrel? Non, bien que le mé-
lu'onahles qui ne craignent pas de se faire barbouilleurs de papier? |pris s'attache à la race bâtarde qui rime par manie on par besoin
Si des noms aristocratiques couvrent des poésies innocentes, pru- i esl néanmoins, il est des poètes véritables, dont nous pouvons
il ,
déminent condamnées à fuir le regard du public, quel mal.y a-l-il être
< fiers, qui, sans affecter la passion savent nous émouvo r, qui
àcela? En dépit de tous les nabots de la critique, permis à T... de se ,
sentent
! comme ils écrivent, et n'écrivent que ce qu'ils sentent : té-
lire ses stances à lui-même, à Miles Andrews de s'essayer dans le 'moin Gifford, Sotheby, Mac-Neil.
couplet, cl de lâcher de survivre dans ses prologues à la mort de ses
drames. Il y a des lords poètes; cela arrive quelquefois et dans un «Pourquoi dors-lu, Gifford? » lui de:i'andait-on en vain, na-
noble pair c'est un mérite que de savoir écrire. Cependant , si de guère. « Pourquoi dors-lu, Gifford? » lui demanderai-je de nou-
nos veau: «Ne Irouves-tu nulle part de foliesà extirper? n'y a-t-ilplusde
jours le goût et la raison faisaient loi, qui voudrait pour obtenir
leurs litres assumer la responsabilité de leurs vers! ,Roscommon ! sols dont le dos demande a être fustigé? plus d'erreurs qui appel-
,
Sbefficld ! depuis lent les châtiments de la satire? le vice gigantesque ne monire-t-il
que vous n'èles plus . les lauriers ne couronnent pas sa face dans chaque rue? Quoi! pairs et princes marcheront
plus de nobles têles. Nulle muse ne daigne encourager de son sou- dans le sentier de toutes les abominations, et ils échapperont h la
! rire les paralytiques inspirations
de Carliste. On pardonne au jeune de la muse comme à celle des lois? Leur coupable éclat
écolier ses chants précoces, pourvu que celle manie lui passe vengeance
doit-il
promplcment; mais quelle indulgence pcul-ou avoir pour les vers ne pas luire dans tout l'avenir comme un phare placé sur les
incessants d'un vieillard dont la poésie devient plus détestable à
écucilsdu crime? Lève-toi, ô Gifford! acquitte tes promesses, cor-
rige les méchants, oii du moins fais-les rougir! »
mesure que ses cheveux blanchissent? A quels honneurs hétéro-
gènes aspire le noble pair, à la fois homme d'Etat, rimailleur, petit Infortuné While! ta vie était dans son printemps el ta jeune
-
inaitrc et pamphlétaire! ennuyeux dans sa jeunesse, radoteur muse essayait à peine son aile joyeuse, quand la mort vint briser
dans ses vieux jours, ses drames à eux seuls auraient suffi pour celle lyre naissante, qui aurail fait entendre des chanls immortels.
achever noire scène sur son déclin; heureusement,que les régis- Oh! quel noble coeur nous avons perdu, lorsque la Science causa
seurs se sont écriés à temps : « C'est tissez! » Maintenant, que Sa elle-même la ruine de son enfant chérit Oui, elle le laissa l'absor-
Seigneurie en appelle de ce jugement, cl qu'une peau de veau ber trop ardemment dans tes travaux favoris. Elle sema, et la mort
vienne habiller des oeuvres qui en sont si dignes! vint recueillir. Ton propre génie le porta le coup fatal. Ainsi l'aigle
Quanta vous, bardes au cerveau de plomb, qui gagnez votre pain blessé, étendu sur la plaine pour ne plus s'élever au milieu des
quotidien à griffonner, je ne vous fais point la guerre : la main pe- fourni nuages, reconnaît sa propre plume sur la flèche fatale : lui-même a
des ailes au dard qui tremble dans son flanc.
sante de Gifford a écrasé impitoyablement votre bande nombreuse.
Déchargez contre tous les talents voire rage vénale : le besoin est Quelques hommes, dans ce siècle éclairé, prétendent que la gloire
votre excusé, et la pitié vous protège. Bardes malheureux qu'at- du poète ne vit que de brillants mensonges; que l'invention, les
tend un commun oubli, reposez en paix c'est lout ce que vous ailes toujours étendues, peut seule soutenir le vol du barde moderne.
,
, telles qu'en
méritez. Une de ces redoutables réputations a fait la 11 est vrai que tous ceux qui riment, el môme tous ceux qui écri-
Diniciade pourrait seule faire vivre vos vers l'espace d'un matin; vent, ont horreur du commun, cet antipode du génie; néanmoins,
mais non que vos travaux inaperçus reposent en paix auprès de il en esl à qui la vérité prêle seule ses nobles flammes, habile à or-
,
noms plus illustres 1 Loin de moi la pensée désobligeante de repro- ner les vers qu'elle-même à dictés. C'est ce que prouve Crabbe en
cher à la charmante Rosa sa prose burlesque, elle dont les
vers, n'écrivant que pour la vertu, Crabbe, le peintre de la nature, aussi
fulMes échos de son esprit, renferment toujours
un sens qui échappe sévère que parfait.
à l'intelligence étonnée. Bien
que les poètes imitateurs de laCrusca C'est ici que Shee doit trouver sa place; lui qui manie la plume
ne remplissent plus nos journaux de leurs productions, néanmoins
quelques traînards tiraillent encore sur les flancs des colonnes; et le pinceau avec la même grâce. Le poêle se reconnaît dans les
derniers débris de celle armée de hurleurs que Bell commandait, travaux de l'artiste : il sait lour-à-tour animer la toile par une tou-
Mathildc criaille encore, Hafiz glapit, et les métaphores de Merry che magique, ou nous charmer par des vers faciles et harmonieux;
reparaissent accolées à l'énigmatique signature O. P. Q. et un double laurier lui est réservé.
Heureux le mortel quipeul s'approcher des retraites où naquirent
S'il arrive qu'un jeune gaillard éveillé, habitant d'une échoppe, les muses, dont les pasontfoulé, dont les yeuxoni contemplé la pa-
se mctlc à manier une plume moins effilée que son alêne, déserte irie des poètes et des guerriers, celle terre d'Achaïc qui fut le berceau
sonclabli, laisse là ses souliers, renonce à saint Crépin, ets'institue de la gloire, et sur laquelle la gloire plane encore! Mais doublement
le savetier des
muses ; voyez comme le vulgaire ouvre de grands heureux,celui dont le coeur ressent une noble sympathie pour ces
yeux ! comme la foule applaudit! comme les dames s'arrachent le vo- classiques rivages ; qui, déchirant le voile des siècles, jette sur leurs
lume! que d'éloges les lettrés lui dispensent! Quelque mauvais plai- débris dés regards de poète! Wright, lu eus le double privilège
sant se permet-il d'en rire; c'est méchanceté pure; le public n'est- voir et déchanter cette terre d'immortalité, et
de
il pas le meilleur des juges? 11 faut qu'il ait du génie dans des ce ne fut point sous
y i l'inspiration d'une muse vulgaire que tu saluas l'antique séjour des
vers admirés des beaux esprits; et Capcl LÔH't les déclare sublimes. dieux et des héros semblables
lïcoutez donc, ô vous tous, heureux enfants de métiers désormais aux dieux.
151 vous, couple de poètesamis! qui avez produit
superflus ! quittez la charrue, laissez la bêche inutile ! Ne savez-vous| au jour ces per- *
Pas que Burns, Bloomfield, ont renoncé aux travaux d'unecondilion ' les trop longtemps soustraites aux modernes regards, qui avez
sei'vilc, lutté contre l'orage el triomphé du destin? Pourquoi donc| réuni vos efforts pour tresser cette guirlande où les fleurs de l'At-
n'en serait-ilplusainsi?si Phébusa daigné tesor.rire, ô Bloomfield!; tique exhalent leurs suaves odeurs, et qui avez embaumé votre lan-
pourquoi ne sourirait-il pas aussi à l'ami -Nathan? La mclromanic^ gue natale de ces parfums rajeunis; que des bardes qui ont su se
el non la muse s'est emparée de lui; ce n'est pénétrer si noblement de l'esprit glorieux de la muse grecque ces-
pas l'inspiration, maisî^ senl de faire entendre des sons empruntés ; qu'ils ne se contentent
un esprit malade qui lui'met la plume à la main ; et maintenant si
'on porte un villageois à sa dernière demeure, si l'on enclôt une ' plus d'être des échos harmonieux, et, déposant la lyre hellénique,
prairie, il se croit obligé do composer une ode pour célébrer i'évé- qu'ils fassent résonner celle du nord!
iiiMii.-nl Eh bien ! puisqu'une civilisation toujours croissanteélève les- A ceux-là ou à leurs égaux revient l'honneur de rétablir les lois
''-prits des. enfants de la Grande-Bretagne, que la poésie s-
prenneES violées delà muse; mais qu'ils se gardent d'imiter le pompeux ca-
128 LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

rillon du flasque Darwin, ce majestueux maître des grands vers I Pour moiqui, poète sans mission, ai osé répétera mon pays ce que
insignifiants, dont les cymbales dorées, plus ornées que sonores, sses cnfanls ne savent que Irop , c'est le seul soin de son honneur
plaisaient naguère à l'oeil, mais, fatiguaientl'oreille : après avoir qqui m'a lait braver la phalange des sots de noire âge. Ton noble
d'abord éclipsé par leur éclat' la lyre modeste, usées maintenant, nom
n ne doit perdre aucun de ses vrais titres de gloire, ô terre de la
elles montrent le cuivre qui les compose; pendant que tout le mo- 1liberté, que chérissent également les muses! Albion, que l'on aime-
bile cortège de sylphes voltigeants évoqués par leur bruit s'éva- r à voir tes poètes, émules de ta gloire, se rendre plus dignes de
rait
pore en comparaisonscreuses et en sons vides de. sens. Fuyez un t Ce que furent Athènes pour la science, Rome pour le pouvoir,
loi!
tel modèle; que son clinquant meure avec lui : un faux éclat attire, Tyr au midi de ses prospérités, belle Albion, tu pouvais l'être, ar-
'I
mais ne tarde pas à blesser la vue. 1bitre de la terre reine puissante de l'Océan. Mais Rome est dé-
chue, ,
Athènes a semé la plaine de ses débris, le môle orgueilleux de
c
N'allez pas descendre, toutefois, jusqu'à la simplicité vulgaire de iTyr est enseveli sous les ondes ; de même nos yeux peuvent voir
Wordsworlh, le plus infime des poètes rampants, lui dont la poésie, s'écrouler s la puissance affaiblie, et tomber le boulevart du monde.
puéril bavardage, est vantée par Lamb et par Lloyd comme une har- Mais arrêtons-nous; redoutons le destin de Cassandre: craignons de
munie délicieuse; sachez plutôt.. — Mais, arrête, ô ma muse! et voir i accomplir des prédictions méprisées. Un vol moins haut con-
..
n'essaiepas de donner des leçons qui passent de beaucoupton hum- ivient à ma muse ; elle se contentera d'engager tes poètes à se faire
ble portée. Le génie qu'un vrai poète a reçu en naissant lui mon- iun nom immortel, comme le tien.
trera le sentier qu'il doit suivre et qui conduit aux cieux. Malheureuse Bretagne! que Dieu éclaire ceux qui te gouverneni,
Et loi aussi, Scott, abandonne à de grossiers ménestrels le sau- oracles >
du sénat el risée du peuple! Faut-il donc que les orateurs
vage récit de querelles obscures ; que d'autres, pour de l'argent, continuent à semer des fleurs de rhétorique de Canning
en l'absence du sens
le détestent, parce
fassent de maigres vers! Le génie trouve en lui-même ses inspira- commun? Faut-il que les collègues
tions ! Que Southey chante, bien que sa muse féconde accouche qu'il a trop d'esprit, et que Porlland, celte espèce de vieille femme,
chaque printemps avec trop de régularité ; que l'ami Coleridge en- continue d'occuper la plaee de Pilt?
dorme avec ses vers les enfants au berceau ; que Lewis, ce fabricant Recois adieux ! Déjà s'enfle la voile qui doit me transporter
de spectres, soit satisfait quand il a effrayé les galeries; que Moorc loin de toimesbientôt mes yeux verront la côte africaine, le promon-
:
exhale encore ses voluptueux soupirs, que Slrangford pille Moore, toire de Calpé et les minarets de Stamboul; de là, j'irai porter
et jure qu'il nous donne les chants du Camoëns; que Hayley débile mes pas dans la ,patrie de la beauté, aux lieux où s'élève le Caucase
ses vers boiteux; que Montgomery extravague; que le pieux Gra-
hamc psalmodie ses stupides antiennes; que Bowles continue à avec son manteau de rochers et sa couronne de neige. Mais, si je
reviens à toi, un fol amour de publicité n'ira pas soustraire à mon
polir ses sonnets, qu'il pleure et se lamente en quatorze vers; que portefeuille mon journal de voyage. Que des fais revenus de loin se
Stoll, Carliste, Màlhildeet toute la coterie de Grub-slreet et de Gros- hâtent d'imprimer, et enlèvent à Cari* la palme du ridicule; qu'A-
venor-Place barbouillent du papier, jusqu'à ce que la mort nous ait berdeen ctElgin poursuiventl'ombre delà gloire dans les cabinets
délivrés de leurs vers, ou que le sens commun ait repris son empire. des faiseurs de collections; qu'ils sacrifient inutilement des milliers
Mais loi, dont les talents n'ont pas besoin qu'on les loue, laisse de livres sterling à de* prétendus Phidias, à des monuments déli-
d'ignobles chants à de plus humbles bardes : la voix de ton pays, gurés, à des antiques mutilés, et fassent de leur salon le marché gé-
la voix des neuf soeurs appellent une harpe sacrée ; cette harpe c'est néral des informes débris de l'art. Je laisse aux amateurs le soin de
la tienne. Dis-moi,les annales de la Calédonie ne t'offrent-elles pas parler des tours dardaniennes;-j'abandonne la topographie de
de plus glorieux exploits à chanter que les combats obscurs d'une nous Troie à l'expédilif Gell, el consens volontiers à ne plus fatiguer les
Iribu de pillards dont les prouessesles plus nobles font rougir l'hu- oreilles du public, du moins de ma prose.
manité, que les actes pervers d'un Marmion, dignes tout au plus de
figurer dans l'histoire de Robin-Hood, le proscrit de Shervood ? Enfin, j'ai paisiblement fourni ma carrière, préparé à faire face
Noble Ecosse, revendique avec orgueil ton poète ! que tes suffrages aux ressentiments, cuirassé contre la crainte égoïste. Ces rimes, je
soient sa première et sa plus belle récompense! Mais ce n'est pas les ai toujoursreconnues comme miennes : ma voix, sans avoir trop
seulement dans ton estime que doit vivre son nom : que le monde importuné le public, n'est cependant pas tout-à-fait nouvelle pour
entier soit le théâtre de sa renommée; que ses chants soient connus 11 lui; elle s'estdéjà fait entendre une fois, quoique moins haute qu'au-
encore quand Albion ne sera plus; qu'ils racontent ce qu'elle fût, jourd'hui; et si mon premier livre ne portait pas mon nom, du
transmettent aux siècles à venir le souvenir de sa grandeur éclipsée, moins je ne l'ai jamais désavoué; maintenant je déchire le voile.
et fassentsurvivre sa gloireà sa puissancet Lancez la meute, votre proie est devant vous; rien ne l'intimide, ni
les cris bruyants partis de Melboume-House, ni la colère de Lambe,
Mais, où aboutiront les téméraires espérances du poète? que lui ni le ressentiment féminin de la noble Holland, ni Jeffrey et son
sert de vouloir conquérir des siècles, et lutter contre le temps? Des pistolet inoffensif, ni la rage d'Hallam,ni les fils basanés de Dunc-
èrts nouvelles déploientleurs ailes; dé nouvelles nations apparais- din, ni ses revues couleur de safran. Nos héros écossais passeront,
sent, et leurs acclamations retentissent pour de nouveaux vain- grâce à moi, un rude quart-d heure : ils sentiront qu'ils sont faits
queurs; après quelques générations évanouies, celles qui leur suc- de matière pénétrable; et bien que je n'aie pas la prétentionde sor-
cèdent oublient et le poète et ses chants. Aujourd'huimême, c'est à tir du combat sans une égralignure, mon vainqueur paiera cher
peine si des poètes aimés naguère peuvent revendiquer la mention sa première victoire. Il fut un temps où aucune parole dure ne
passagèred'un nom presque oublié! Le son le plus éclatant de la tombait de mes lèvres, aujourd'hui imbibées de l'amertume de la
trompette de la renommée, après s'êlre quelque temps prolongé, noix de galle; où, en dépit de tous les sots et de toutes les sottises
expire enfin dans l'écho assoupi. du monde, l'être le plus vil el le plus rampant n'eût jamais provo-
qué l'expressionde mon mépris; mais, depuis ma jeunesse, je suis
Granta, la vieille Cambridge, fera-t-elle un appel à ses enfantsen bien changé; devenu impitoyable, j'ai appris à penser par moi-
robe notre,, experts dans les sciences el plus encore dans l'art du même et à dire rudement la vérité, à me moquer des décisions
caleinbourg? De tels disciples seront-ils accueillis parla muse? magistrales du critique et à le rompre sur la roue qu'il me destinait,
Non ! elle s'enfuit à leur aspect, et l'éclat des prix universitaires à briser la férule qu'un écrivailleur voudrait me faire baiser, cl à
n'est pas capable de la tenter, quoiqu'il se trouve des imprimeurs rester indifférent aux applaudissementscomme aux sifflets des cours
pour déshonorer leurs presses en reproduisant les poésies de Hoare, et de la foule. Bien plus, affrontant le ressentiment de tous mes ri-
ou l'épopée eu vers blancs de Hoyle (non pas celui dont le livre, vaux, je me sens en état d'étendre à mes pieds un sot rimailleur, el
prolégé par des joueurs de whist, n'a pas besoin du génie poétique armé de pied en cap, je puis jeter le gant au maraudeur écossais
pour se faire lire). Vous qui aspirez aux honneurs de Granta, mon- comme au fat d'Albion.
tez son Pégase ; c'est un coursier aux longues oreilles, digne re-
jeton de son antique mère, dont le triste Permessen'est que l'onde Voilà ce que j'ai osé : si mon vers imprudent a calomnié celte
dormante du Cam. C'est là que Clarke fait pour plaire de piteux ef- époque sans lâche, c'est ce que d'autres pourront dire, c'est ce que
forts, oubliant que de méchantes stances ne mènent pas aux degrés peut maintenant déclarer le public, qui ne sait guère être indul-
universitaires.Bouffon à gages, se donnant les airs de satirique, grif- gent, mais qui rarement se montre injuste.
fonneur mensuel de niaises plaisanteries, manoeuvre condamné à
fourbir des mensongespour les revues, il consacre à !a calomnie son y
-
esprit bien digne d'un tel métier, car il est lui-m^me une satire
vivante de l'humanité. O noir asile d'une race vandale! tout à la FIN DES nARDKS ANGLAIS.
foisl'orgueil et la honte de la science! séjour tellement étranger à
Phébnsque ta renommée ne peut rien gagneraux vers de Hodgson,
ni rien perdre à ceux de son pitoyable rival I Mais la muse se plaît
aux lieux où la belle Isis roule sou onde limpide; sur ses vertes rives
Polymnie a tressé une guirlande plus verte encore pour en cou-
ronner les bardes qui fréquententson classique bocage. Là, Richard
donne l'essor à ses poétiques inspirations,'el révèle aux modernes
Bretons la gloire de leurs ancêlmjs.
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON. * 129

moments, ou même se rendre compte de leur peu de durée?... Mais


quoi ?... déjà ils sont passés ! hélas! nous nous réveillons avant de
PAR I S I N A '. savoir que de pareils rêves ne reviendront plus.

IV.
Ils s'éloignent lentement et à regret de ce lieu témoin de leurs
coupablesjoies ; et malgré l'espoir et la promesse de se revoir, ils
i. s'affligeni comme si cette séparation était la dernière. Les soupirsré-
pétés, les longsembrassemenls... la lèvre qui ne voudrait plus se dé-
C'est l'heure où le rossignol, caché sous la feuillée, fait entendre tacher pendant que le ciel reflète ses clartés sur les traits de Parisina,
«es nlus brillantes
chansons; c'est l'heure où les amants soupirent ce ciel qui,-elle le craint, ne lui pardonnera jamais; comme si cha-
tout bas des serments dont que étoile, témoin silen-
chaque mot est si d iux ; cieux, avait vu de là-haut
où le souffle dela brise et sa faiblesse... les soupirs
le murmuredel'onde voi- répélés, les longsembras-
sine forment un concert semenls les retiennent
délicieux à l'oreille du enchaînés à cette fatale
rêveur solitaire. La rosée place. Mais le moment est
a rafraîchi les fleurs ; les venu * il faut se séparer,
étoiles ont paru au firma- le coeur douloureusement
ment, et sur la vague est oppressé, avec ce frisson
un azur plus foncé, sur
profond cl glacé qui suit
le feuillage un vert plus de près le crime.
sombre, au ciel ce mé-
lange de ténèbres et de
lumière, ombre suave V.
,
opaque clarté qui suit le
déclin du jour, alors que Et Hugo a regagné sou
le crépuscule s'évanouit lit solitaire où il peut ca-
sous les rayons de la resser librementsesadul-
lune. tères pensées : mais elle,
il lui faut reposer sa tête
H. coupable près du coeur
confiant d'un époux Ce-
Mais ce n'est pas pour pendantuneagitalion fé-
écouter le bruit de la cas- brile sembletroubler son
cade que Parisina quitte sommeil, eldessongeslu-
ses appartements ; ce mullucux enflamment sa
n'est pas pour contera joue : dansson insomnie,
plcr les célestes clartés elle murmure un nom
qu'elle va dans l'ombre qu'elle n'oserait pronon-
delà nuit,etsielles'assied cer à la clarté du époux
jour ;
dans les bosquets du pa- elle presse son
lais d'Esté ce n'est pas contre ce coeur qui bat
,
pour respirer le parfum pour un absent. Pourlui,
des fleurs épanouies... s'évcillant à celle douce
elle écoule, mais vient- étreinte, il prend ces sou-
elle épier le chant du ros- Îiirs d'un rêve, ces brû-
signol?.. non, son oreille an les caressespourcelles
.
attend des accents plus qui répondaient naguère
chers. Des pas font fris- à ses transports, et heu-
sonnerl'épaisfeuillage... reux à celte pensée , il
sa joue pâlit, et les bat- pleure de tendresse sur
teincntsdeson coeurs'ac- celle qui l'adore jusque
célèrent ; le murmure dans son sommeil.
d'une douce voix arrive
vers elle à travers les ra-
meaux frémissants, el la VI.
rougeur revient à sa joue,
et son sein se soulève : Il presse sur son coeur
un moment encore, et
ils seront réunis Mais elle dort encore, ignorant que le nombre de ses jours vient d'être compté. son épouse endormie et
ce prête l'oreille à ses pa-
moment est passé : l'a- roles entrecoupées : il
mant est aux pieds de entend... Pourquoi le
sa bien aimée. prince Azo a-t-illressailli,
comme s'il entendait la
voix de l'archange? Ah! il peut tressaillir : jamais arrêt plus re-
m. doutable ne tonnera sur sa tombe quand il s'éveillera pour ne plus
s'endormir et comparaître devant le Irône de l'Eternel. Oui,
El maintenant que leur importe le monde et le temps, el les il le peut sonpour repos ici-bas est détruit pour toujours par ce qu'il
:
événements
r qui s'y succèdent? Les êtres vivants, la terre et les vient d'entendre. Le nom qu'elle murmure en dormant révèle son
eieux ne sont rien à leurs yeux ni devant leur pensée. Aussi insen- crime et le déshonneur d'Azo. Et quel est-il ce nom qui relenlit
sibles que les morts eux-mêmes à lout ce qui est autour d'eux, au-
dessus et au-dessous, comme si lout le reste avait disparu, ils sur cette couche , terrible comme la vague irritée quand elle roule
ne vers l'écueil la planche de salut et brise sur la pointe des récifs le
respirent que l'un pour l'autre. Leurs soupirs même sonl pleins naufragé qui ne reparaîtra plus? car tel esl le choc que reçoit en ce
dune joie si profonde, que si elle ne diminuait, cette démence du moment l'âme du malheureux époux. Oui, quel est ce nom ? C'est
bonheur deviendrait la mort. Le crime, le péril! peuvent-ils y
son- celui d'Hugo... de son... Certes, il ne l'eût jamais soupçonné!
ger dans le tumulte de ce rêve de tendresse? Qui a pu ressentir à Hugo... lui, le fils d'une femme qu'il aima... le gage d'une liaison
ce point l'empire de la passion et craindre ou hésiter en de pareils coupable, le fruit d'une faute de ses jeunes années, alors qu'il
trahit la confiance de liianca, la pauvre jeune fille qui avail cru à
îl) L'histoire tragique qui fait le sujet de ce poème est arrivée à Fer- ses sermenls, el dont il n'avait point voulu faire son épouse.
rure on l'an 1405, sous le marquis d'Esté Nicolas 111, que le poète appelle
-no. Byron le composa à Londres dans l'hiver de 18i5 à 1816.
Kikis. — lm|i. LAORU a t.e, lue SoiihKtl, 10. 9
120
* \\ * LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTREES.

in'aurai plus ni l'un ni l'antre. Je dois languir solilnire : ch bien;


isoit : il n'est point un homme qui. à ma place, ne fasse ce que j,-:
VII. |fais. Tous ces liens sont brisés, non par moi. il n'importe: le châti-
ment est prêt. RURO, qn prêlre l'attend: et ensuite la juste rému-
Azo porta la main à son poignard; mais il le rejeta dans le four- ,nération de ton crinie; Ilojiid'ibi ! adresse'au ciel tes prières avani
reau avant d'enavoir 'nis la pointe à nu... Quelque indigne, qu'elle fût ,que les étoiles du soir aient paru : voissi tu 'peux' encore obtenir de
de vivre, ne pul se résoudre a immoler un êlre si beau... Non, ]lui Ion pardon : sa miséricorde est grande. Mais ici-bas, il n'est
il
non! pas là du moins... souriante... endormie. . Bien plus : il ne point de lieu sur la terre où toi efmoi nous puissions respirer en-
voulut pàè lïV réveiller; mais il fixa sur elle un regard.:. Ah! si semble, ne fût-ce qu'une heure. Adieu donc! je ne le verrai p.H
elle fût sortie de son anéantissement, ce regard eût suffi pour l'y mourir... Mais toi, être fragile! lu verras tomber sa têle Hors d'ici!
replonger el glacer lous ses sens. De grosses gouttes d'une sueur je ne puis achever : va, femme au coeur dissolu : ce n'esl ..
fiôide coulaient sur le front du prince, et brillaient à la clarté de la main, c'est la tienne qui pas iu;i
va répandre son sang. Va, et si tu peux
lampe. Elle ne parle plus; mais elle continue de dormir... tandis survivre à ce spectacle, jouis de la vie que je te laisse. »
que, dans la pensée de son juge, ses jours sont comptés.

VIII.
XIII.
Alors le sombre Azo se voila la face ; car les veines se gonflaient
Le lendemain Azo interroge : il reçoit de tous ceux qui l'entou- etballaicnt sur son front, comme si une bouillante marée de sang
rent les preuves qu'il redoute encore de trouver; il constate le eùl afflué el reflué dans son cerveau; il resta donc quelque U'inps
crime des siens, la douleur de sa vie entière : les suivantes de la la têle baissée, sa main tremblante posée devanl ses yeux pour
princesse longtemps de connivence avec elle, cherchentà sauver cacher
leurs jours, .
el rejellenl sur elle le crime , la houle et le châtiment : ses impressions à la foule. Cependant Hugo lève ses bras
chargés de fers, et prie son père de l'écouler un moment : Azo sans
il n'est plus temps de rien cacher; elles fonl connaître les moin- répondre
dres détails qui confirment la vérité de leur récit, et bientôt le «oaur ne repousse pas sa demande.
el l'oi-eille d'Azo, torturés par ces révélations, n'ont rien de plus à à ton « Tu ne dois pas penser que je craigne la morl... car tu m'as vu
côté, tout rouge de carnage, chevaucher à travers la bataille:
subir. tu lésais, elle ne fut pas oisive entre mes mains, cette épée que les
IX. esclaves Viennent de m'arracherbrutalement, et elle a versé pour la
cause plus de sang que la bâche n'en fera couler. Tu m'as donné
Il n'était point homme à souffrir les délais : dans la grande salle la vie; lu peux la reprendre : c'esl un don pour lequel je ne le dois
du palais, le chef de l'antique maison d'iîsle est assis sursoit Irône rien. D'ailleurs, je n'ai point oublié les injures de ma mère, son
de justice : ses nobles el ses gardes l'entourent, et devant lui sont amour méprisé et son nom flétri, cl l'héritage de boule légué à son
les' deux coupables, tous deux jeunes... el elle la plus belle des enfant : mais elle esl dans ce tombeau où Ion fils. Ion rival, va
femmes. Lui, n'a plus son épée, et ses mains sont enchaînées bientôt la rejoindre. Son coeur brisé, ma tôle séparée du tronc,
O Christ! faut-il qu'un fils paraisse en cet état devanl son \mpi viendront parmi les morls témoigner pour toi, et dire combi'Mi tu
Oui, Hugo doit se présenter ainsi devant l'aiileur de ses j$uj*s, fus fidèle amant, père tondre. Je l'ai outragé, il esl vrai ; mais ce
écouter lu sentence que prononcera sa bouche irritée, el prêter fui outrage pour outrage : celle femme que tu appelles ton épouse,
l'oreilleau récil de sa honte ! lït néanmoins il lie paraiI pas accablé, . seconde victime de ton orgueil, lu sais qu'elle me fut longtemps
quoique jusque-là sa voix soit restée ^éilè. ' ' N
;
destinée. Tu vis, tu convoitas ses charmes, et pour prouver que je
| ne pouvais aspïrei* j'usqu'à elle, lu alléguas ton propre crime,
nia
naissance : j'étais, moi, un époux indigne de sa couche, pourquoi?
X. I
parce que je lié pou.yijjs réclamer les droits d'un héritier légitime,
ni m'asseoir par droit'dc naissance sur le trône de la maison dlisie.
Tranquille, pâle, silencieuse, Parisina attend soji^rrêt. ,Q;ue son El pourtant, si j'avais encore quelques étés à vivre, mou nom, cou-
sorl esl changé! Toui-à-1'heure encore l'expression de sopr regard ! 'yert'd'une gloire qui n'appartiendrait qu'à lui, pourrait éclipser ce
répandait la joie dans la salle brillante où les plus nobjes seigneurs ! nom si superbe. J'eus .une épée... j'ai un coeur capable de conqué-
étaient fiers île la servir; où les plus 'belles s'efforçaient d'imiler sa ; rir u\n ,cjm;i,c,r aussi noljiss'qiie tous ceux qui jamais s'etalèrcnl sur les
douce voix, son charmant maintien, et à ieproduire dans leur pol-t i JjÇles couronnées de tas aïeux. Les plus brillants éperons de che-
ei leurs manières les grâces de leur lici.nc. Alors si cet oj-il eut versé valier ne soiil pas toujours portés par ceux dont la naissance est
.éhiiicés ," mille épées la plus haute; elles miens ont souvent lancé mon coursier
une seule larme, mille guerriers se seraient, fluei:elJç.
vexiger Maintenant .des chefs et des princes les plus fiers alors que je chargeais en ..vatil
seraient sorlies du fourreau pour sa l'en-
qu est elle devenue?qu'est devenu le mondé a ;sou'égaiid'? ï?eul- ' jicmi à
ce cri triomphant « lîsle cl ,
victoire! » Je n'essuierai poinl
elle encore commander, cl qui voudra lui pj'ci.r? ïous^ mabyienaivi, ' de pallier un crime ; je ne. te supplierai pas pour rachetai* quelques
silencieux el comme indifférents, les j.éuk IbaisBès,'ïë'.ïib'iïï'soiïibrè, jours, quelques heures rapides qui, après tout, passeront aussi bi n
l'air glacial, les bras croisés sur la poilrîrîc, cachent'à peine l'ex-
sur ma cendre sans être comptés : un délire comme celui do mon
pression de leur mépris : tels se mo'nu'.ent.ses chevaliers, ses dames, pa-sé né pouvait être durable; il ne l'a pas élé. Quoique ma nais-
la cour entière : el lui, le chevalier de soiï 'choix, lui idont la iMiJce i sauce ;et iuon nom ne fussent pas irréprochables, et que ton aris-
en arrêt n'eût attendu qu'un ordre de ses yeux, lin qui, libre un tocratique orgueil dédaignai d'abriter une existence telle que la
seul moment, serait mort ou l'aurait délivrée, il esl là, enchaîné mienne, cependant on peut trouver sur ma l'ace quelques traits qui
auprès d'elle : il ne voit pas les yeux gonflés el humides de l'épouse rappellent ceux de mon père, et quant à mon âmc.l. c'est la tienne.
de son père pleurant pour son amnl plus encore que pour elle- De loi, je tiens ce coeur indomptable; de loi...' eh bien! qui té l'ait
même ; il ne voit pas ces paupières... où des veines d'un violel len- tressaillir?... deloi, lavigueur de mon bras, la flamme -le mon cer-
dre errant sous la neige la plus pure appelaientnaguère le baiser... veau... Tu ne m'as point seulement donné la vie, mais lo'u.t ce qui
il ne les voit pas, brûlant d'un éclat livide, comprimer plutôt que pouvait faire de moi un autre loi-môme. Vois l'ouvrage de ion cou-
voiler des regards appesantis , immobiles, dans lesquels la douleur pable amour : il l'a puni en te donnant, un fils trop semblable à loi!
accumule larme après larme. Mon âme n'esl point celle d un bâtard : comme la tienne, elleabuorrc
XL loute espèce de tyrannie : el quant au souffle que je respire, ce
don passager que tu vas reprendre si vite, je n'en ai jamais fait plus
de cas que lu n'en faisais de la propre vie quand, le casque au
lït lui aussi, il pleurerait sur elle, s'il ne se sentait observé front, côle à côle nous affrontions la bataille, et faisions voler nos
de toutes parts : sa douleur, s'il en éprouvait, paraissait dormir coursiers par dessus ,
les cadavres. Le passé n est rien, et bientôt
nu-dedans de lui ; son front sombre se tenait levé. Quelle que l'avenir doit rejoindre le passé; toutefois, je voudrais êlre morl en
fût l'affliction qui déchirait son âme, il ne voulail point s'humilier de instants bien aies causé le malheur de ma
ces : car, que tu
devant la foule ; et pourtant il n'osail tourner les yeux vers la com- un mère, bien que tu m'aies ravi la fiancée qui m'était destinée, je sens
pagne de ses malheurs, lin se représentant les heures du passé, que lu es encore mon père; et quelque dur et cruel que soit Ion
son crime, son amour, ses fers, la vengeance d'un père, la haine arrêt, je ne puis le trouver injuste, même venant de toi. Né dans le
des gens de bien , son deslin ici-bas et ailleurs et son destin à péché, morl dans l'infamie, ma vie doit finir comme elle com-
il
elle!... oh! n'osait jeter un regard sur ce front que la mort sem- mencé : ie fils a failli, comme avait failli le père, et dans un aseul lu
blait avoir frappé; car il craignait que sou coeur, se révoltant en punis tous les deux. Devant les hommes, mon crime peut sembler
lui, ne Je forçât de dévoiler ses remords pour tous les maux qu'il le plus grand ; mais que Dieu juge entre nous! »
avait faits.
XII.
XV.
Azo prit la parole : « Hier encore une épouse et un fils faisaient
mon orgueil : le matin a dissipé ce rêve; avant la fin du jour, je Il dit; et en croisant ses bras, il fil résonner les /ers dont ils
OEUVRES CQiMPLËTES DE LORD pYROT-j. 131

étaient chargés; et parmi Ipus les chefs rangés autour de la salle, neaux... C'est fait: elle est tombée sous le ciseau. Le vêtement qu'il
ni
jl'n'en fut p<is un qui ne senlîL ses oreilles blessées du èliqiièlis de portail.
pc l'éçharpc que Parisina lui a donnée... ne doivent pas le
chaînés. Mais bientôt tous'les regards se reportèrent .
dans la tombe. 11 faul qu'il les quitte, et qu'un mouchoir lui
ccs lugubres beauté, sur la trisie Parisina... Pouvait-elle bien
parer
pf
fatale
sur «elleainsi
bande les yeux : mais non... sa fierté repousse ce dernier outrage.
bi
écouler la condamnation de"son amant! Elle élail là, disions- Si sentiméhls, jusque-la'comprimés sous l'expression d'un profond
Ses
nous, pâle el immobile, elle, là cause vivante'de là perle d'Hugo : dédain, se'réveillent'à dçnii' au moment où la main (Ju bourreau
d<

scs <,eux
fixes, niais tout ouverts, égarés,' ne s'étaient pas'délournes s'avance
s'; pour couvrir ces yeux, comme s;'i|s étaient incapables de
mie'seule fois; pas une seule fois> ses'paupières charmatiles n'a- regarder
i't la mort en face! « Non... à toi tout mon sang coupable
vaient voilé ses regards; mais autour de leurs prunelles (l'azui* le
cercle blanc s'agrandissait saris n mains sont' enchaînées... mais
mes je yeux mourir avec les yeux
cesse... Elle était là, le regard vi- ai moins libres...U Frappé! »
au Et en parlant ainsi, il pose sa tète
Ircux comme si le sang se fût glacé dans ses veines. Mais d'instant si le
sur billot ;et au moment même où il prononcé ce dernier mot :
en instant 'une grosseLlarmc, lehleinè'nramassée,glissait de ses «'Frappe'!'»
« l'acte»' brillé et s'abat... U têle roule et le Irmic
blanches paupières'lé long" de leurs franges sombres : spectacle béant,
b .
défiguré et palpitant encore, roule clans la poussière qui boit
qu'on ne peut décrire! Ceux qui la Virent s'étonnèrent que de pa- h pluie de'sang'sortie de toutes ses veines. Ses yeux et ses lèvres
la
teilles larmes pussent tomberd'un oeil humain. Elle essaya de parler : rfix-îii't
roulent et s'agitent un moment d'une manière çonvulsïve puis se
!
la parole imparfaite s'arrêta dans sa gorge enflammée, et pourtant fi pour jamais. 11 est mort, comme doit mourir l'homme , qui
a
il semblait que, dans ce gémisse uent sourd tout son coeur eût fait failli,
fi sans ostentation , sans vaine parade; il s'est agenouillé el a
!
effort pour sortir. On n'entendit plus rien..., elle essaya encore et prié
p humblement sans dédaigner l'assistanced'un prèlrc. sans déses-
, pérer
sa voix éclata soudain en un cri prolongé ; puis elle tomba sur le p de l'indulgence divine. Agenouillé 'devant le prieur, son coeur
sol comme une pierre, une statue renversée de sa base, comme un s'était
s dépouillé de tout sentiment terrestre : son père courroucé...
objet qui n'a jamais eu vie... image digne du tombeau de l'épouse s amante'même, qu'élaienl-ilspour lui dans un pareil moment?
son
tl'Azo... mais bien différente delà femme coupable et pleine d'Une ï reproché, ni désespoir .. pas une penséequi ne fût pour le ciel,
Ni
existence exubérante, poussée au crime par chacune de ses passions j un niôt'qui ne fût une prière... sauf le peu de paroles qui lui
pas
comme par un aiguillon irrésistible, mais incapable de supporter son échappèrent,
« quand présentant sa lête à la hache du bourreau il
,
désespoir et la révélation de ses fautes. Pourtantelle vivait encore... réclama
i le droil de voir venir la mort, seuls adieux qu'il laissa aux
.

cl trop vite on la fit revenir de cet évanouissementsemblable à la I témoins de son supplice.


morl. Mais sa raison rie revint pas... tous ses sens avaient été pro-
fondément agiles par de violentes secousses : comme un arc'détendu XVIII.
par la pluie ne lance qu'au hasard des flèches toujours déviées, lès
libres délicates de son cerveau n'envoyaient plus que des pensées Silencieux comme ces lèvres que la mort venait de fermer, lous
errantes el sans suite. Pour elle, plus de passé; l'avenir n'était que les
1 spectateurs retinrent"leur soufflé : mais un frisson électrique, se
ténèbres semées d'horribles lueurs pareilles à ces éclairs qui, une communiquant
< d'homme à homme, parcourut la foule jusqu'aux
nuii d'orage, tombentde temps en temps sur le sentier désert. Frap- irangs les plus reculés, au moment où la hache meurtrière descendit
péc do lei'r ur, elle sentait qu'un acle coupable pesait sur son âme, isur celui dont la yje et l'amour avaient une tel!c"fin: U y eut un
fardeau lourd et glacé; elle sentait qu'il y avait là du crime cl de la. murmure,
i celui des soupirsipicchacun étouffait dans sa poitrine;
liuiiie; que quelqu un devait mourir. mais qui? Elle l'avait oublié. mais mil autre''bruit ne se fit entendre avcc"céîui'delà hilehe, qui
Ktail-clle encore vivante? était-ce bien .
la terre qu'elle avait soits résonna lugubrement et avec force en frappant s ir le billol... nul
ses pieds, le ciel sur sa lôlc, les hommes autour d'elle; ou autre bruit, sauf un seul... Quel est ce cri déchirait' qui fend l'air,
bien élaient-cc des démons qui la regardaient avec des yeux mena- ce cri sauvage, insensé;"pareil à celui d'une mère qui voit un coup
çants, elle qui ne rencontrait naguère que des regards et des sou- soudain lui enlever son enfant? Ces accents moulent vers le ciel,
rires sympathiques?Toutétait vague et confus dausson esprit, chaos comme ceux d'une âme en proie à d'éternels tourments. C'csl d'une
tliscord d'espérances et do craintes insensées. Partagée entre le rire des fenêtres à jalousies du palais d'Az'o qu'est parlie celle voix ef-
cl les pleurs, et poussant ces deux sentiments jusqu'au délire elle frayante; et tous les regards se sont portés de ce côté : niais on ne
,
se déballait dans un rêve convulsif : oh! c'est vainement qu'elle voit, on. n'entend plus rien. C'étail.un cri de femme, cl jamais le
tentera de se réveiller. désespoir n'en"poussa de plus terrible,' et ceux qui l'entendirent
souhaitèrent par pitié que ce fût le dernier.
XV.
Les cloches du couvent, se balançant dans la vieille tour, font en- XIX.
tendre un lent el monotone tintement"; qui retentit douloureuse-
ment dans les coeurs. Ecoutez ecl hymne religieux. celui qu'on Hugo n'esl plus et depuis ce jour Parisina n'a plus reparu dans
entonne pour les morls ou pour ceux qui le seront bientôt. .
C'est le palais ni dans les, jardins : son nom comme si elle n'avaii jamais
pour une âme qui va prendre son vol que ce chant funèbre s'élève, existé est banni de toiiiés les'boùclies,,
pareil à ces mo's que s'in-
,
et que la cloche sonne : un homme touche au terme de sa vie mor- terdit la décence. Personne "'n'entendit jamais le prince Azo men-
telle ; il est agenouillé aux pieds d'un moine, sur la terre nue et tionner son épouse ou son fils; nul tombeau, nulle inscription ne
froide... Chose douloureuse à'dire et déchirante avoir, le billot est consacra leur mémoire : on ne les inhuma pas en lerre sainte, c'est
'levant lui, les gardes l'entourent; le bourreau est là, prêt à frapor,; du moins ce dont on est certain quant au chevalier mis à morl. .liais
le bras nu pour que le. coup soil prompt et sûr.'Il examine le Iran- le destin de Parisina est resté caché, comme la poussière d'un mort
cliîiiit île la haché qu'il a aiguisée tout exprès El cependant la foule sous les planches du cercueil. Alla-l-clle habiter un couvent et se
silencieuse se rassemble en un cercle pour voir un fils mourir par frayer une route pénible vers le ciel, par des années de pénitence
l'ordre de son père. et dé remords, par là discipline, le jeûne et les nuils sans sommeil*'
ou bien niourul-cllè par le poison ou le poignard en punition de
XVI. son audacieuse et criminelle passion ? ou enfin succombant à de
moins longues tortures, le coup soudain qu'elle , vit
porter par le
C'est une heure pleine de charmes que celle qui précède le bourreau trancha-t-il sa vie avec celle de sou amant, et la pilié
cher du soleil dans l'appareil de ses plus beaux cou- du
rayons, elle semble
3 ciel permit-elle qu'avec son coeur brisé se brisai son existence? Nui
se railler de la. tragédie qui se prépare. Les feux du' soir tombent eni ne le sut, cl nul ne pourra jamais le savoir : mais quelle qu'ail été
plein sur la tête dévouée d'Hugo, pendant qu'il fait moine sa\
dernière confes-sion et qu'avec une sainte contrition, an sa fin ici-bas, sa vie se termina comme la vie commence toujours...
il déplore lee dans là douleur.
crime qui l'a fait condamner
,
et reçoit, humblement prosterné, l'ab-
solution qui efface de mortelles souillures. Un'
rayon glisse r
celle lête inclinée et pensive, sur ces cheveux châtains dont sur
XX.
less
boucles couvrent en partie son mais ce rayon brille encoree Azo trouva une autre épouse, et de braves fijs grandirent à ses
'dus sur la hache qui, placée près denu;
cou
lui, y répond par un vif maiss côtés; mais nul beau et Vaillant comme celui que dévorait la tombe :
lugubre reflet. Oh ! que celte heure suprême estamère ! elle s'ils le furent, il ne laissa tomber sur leur mérite que des regards
a pour
les plus insensibles
un frisson de terreur : le crime esl odieux : l'ar-r froids et distraits ou Vie le reconnut qu'avec un soupir étouffé.
rêt est juste et pourtant le supplice fait frémir. Mais jamais une larme,
: n'humecta sa joue; jamais un sourire n'é-
gaya son front : el sur ce front large et puissant se gravèrent les
rides de la pensée, ces sillons que le soc brûlant de la douleur creuse
XVII. prématurément, ces cicatrices de l'âme mutilée que les guerres de
l'âme laissent après elles. Pour lui plus de joie ou de douleur : rien
H a dit et terminé ses dernières prières, le fils traître à son père,i, ici-bas que des nuits sans sommeil, des jours insupportables, une
ïunanl audacieux : son rosaire est achevé ses péchés avoués, ses 3s âme morte au blâme où à là louange un coeur qui se fuyaii lui-
heures touchent à leur dernière minute..., déjà l'a dépouillé de ,
s°n manteau : on va couper sa brune chevelure on le même, ne voulant pas fléchir el né pouvant oublier; un coeur livré
aux brillants an-
i- aux pensées émotions les plus intenses au moment même où
, aux
132 LES VEILLEES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

il semblait le plus calme et le plus rigide. La gelée la plus forte ne une larme de tes yeux attendris (1). Nos âmes étaient de niveau
durcit le fleuve qu'à sa surface; l'onde se conserve toujours au- la différencede nos destinées était oubliée dans ce moment si douxç|
;
dessous vive el courante, el ne pourrait cesser de l'être. Ainsi ce que l'orgueil ose en faire un sujet de reproche!
coeur, sous une couche de glace, était toujoursassailli par des pensées Tout maintenant, tout est triste et sombre. Nul sourire d'un
que la nature y avait enracinées trop profondément pour qu'il pût amour décevant ne peut ranimer dans mes veines leur chaleur ac-
les bannir comme il bannissait les larmes. Lorsque, faisant effort coutumée, ni me rendre les pulsations de la vie : l'espérancememt
sur nous-mêmes, nous arrêtons au passage ces eaux vives du coeur, d'une gloire à venir, les couronnes imaginairesdont elle ornerai)
nous ne les tarissons pas pour cela; ces larmes refoulées retour- ma têle ne peuvent réveiller mon épuisement el ma langueur. Aprti
nent à leur source, et là, dans un cristal plus pur, dans un lit plus une carrière bien courte et sans gloire, je vais cacher ma face dans
profond, elles demeurentinaperçues, non épanchées, mais jamais la poussière, et me mêler à la foule des morts.
glacées, et mieux senties au-dedaiis quand elles se révèlentle moins. O gloire 1 qui fus la divinité de mon coeur, heureux celui à qui in
Agile intéiicuremcnl par des retours de tendresse pour ceux qu'il daignes sourire! Embrasé, par les feux, il peut braver les dards
avait fait périr, impuissantà-combler le vide solitaire qui faisait son émoussés de la morl; mais moi, le spectre affreux me fait signe. i|e
tourment, n'espérant pas les retrouver dans ce séjour où les âmes quitter la terre en laissant un nom ignoré, une naissance que per-
s'unissent pour partager une félicité éternelle, sûr en lui-même qu'il sonne n'a remarquée , une vie qui n'est qu'un drame court et vul-
n'avait fait que porter un juste arrêt, qu'eux-mêmes avaient fait gaire. Confondu dans la foule, je vois toutes mes espérances s en-
leur malheur, Azo n'en eut pas moins une vieillesse misérable. velopper dans un linceul, ma destinée s'engloutir dans les flots du
Quand quelques branches sont pourries, si on les élague habile- Lélhé.
ment, on peut rendre à l'arbre toute sa vigueur, et le reste du Quand je dormiraioublié sous le sol, au scinde l'argile queje l'on-
feuillage peut reverdir, refleurir dans sa fraîcheur et sa liberté : lais naguère dans mes jeux enfantins, pour toute marque de pitié,
mais quand la foudre en furie a écrasé, incendié tous les rameaux Ij la couche étroite où reposera ma têle n'obtiendra que les goultcs
à la fois, le tronc massif n'est plus lui-même qu'une ruine, el jamais | d'eau versées par le ciel nocturne ou la nue orageuse. Les yens
on n'y voit poindre une feuille. i
d'aucun mortel ne viendront humecter d'une larme la noire pien*
tumulaire marquée d'un nom inconnu.
Oubliedonc ce monde, à mon âme inquiète : tourne tes pensées
vers le ciel : c'est là que bientôt lu dois diriger ton vol, si les er-
FIN DE PARISINA. reur* obtiennent leur pardon. Etrangère aux vaines dévotions cl
aux rêveries des sectaires, proslerne-loi devant le trône du Toul-
Puissant : adresse-lui tes humbles prières. Miséricordieux et juste,
il ne rejettera pas un fils de la poussière, le plus chétif objet de sa
sollicitude.
! Père de la lumière, c'est toi que j'implore ! mon âme est remplie
POÉSIES DIVERSES. ;
i
de ténèbres : toi qui vois même la chute du passereau, détourne
de moi la mort du péché. Toi qui guides l'étoile errante, qui calmes
la guerre des éléments, qui as pour manteau le firmament immense,
daigne me pardonner mes pensées, mes paroles, toutes mes fautes;
et puisque je dois cesser de vivre, apprends-moi à mourir.

L'ADIEU (1807). A UNI* JEUNE FILLE TROP VAINE.

Adieu, colline où les joies de l'enfance m'ont couronné de roses, j Jeune imprudente! pourquoi révéler ce qui ne fut dit que pour
où la science appelle l'écolier paresseux pour lui dispenser ses Iré- | ton oreille? pourquoi détruire ainsi ton propre repos et te creuser
sors; adieu, amis ou ennemis de mon jeune Age, compagnons de i; une source de larmes?
mes premiers plaisirs, de mes premières peines, nous ne parcourrons j! Ohl tu pleureras, indiscrète enfant, pendant que souriront en
plus ensemble les sentiers de l'Ida : bientôt je descendrai dans la ' secret tesennemisjaloux; tu pleureras d'avoir répète ces paroles légr
sombre demeure où l'on dort du sommeil éternel, dans une nuit ]', rcs, que l'on ne t'avait dites que pour te perdre.
sans matin. jJ Fille vaincI les jours d'affliction sont proches si tu crois aux
Adieu, vénérables et royales demeures, tours qui vous élevez dans ; propos d'imberbes étourdis. Oh! fuis les pièges de la tentation-,
la vallée de Granta, où régnent l'éludeen robe noire et la pâle mé- crainsd'être la proie d'un corrupteur habile.
lancolie. Joyeux camarades de mes plaisirs, habitants du classique Tu vas donc répéter, avec un orgueil d'enfant, les discours que
séjour qui domine les rives verdoyantes du Cam, recevez mes adieux de jeunes hommes tiennent pour te tromper? ah! Ion repos tes
pendant que la mémoire me reste encore ; car bientôt, immolés sur espérances, ta vie, tout est perdu si lu as le malheur de les croire. ,

l'autel de l'oubli, ces souvenirs s'effaceront. | Pendant qu'au milieu de tes compagnes tu répèles ces doux cn-
Adieu, montagnes de la contrée qui a vu grandir mes jeunesi tretiens, ne remarques-lu pas sur leurs lèvres ces sourires ironi-
ans, où le Lochnagarr, avec ses neiges sublimes, élève son front ques que la duplicité voudrait en vain dissimuler?
géant. Pourquoi, régions du nord, mon enfance alla-t-elle s'égarer• '- Couvre de pareilles choses du voile du silence, et n'appelle pas
loin de vous parmi les enfants de l'orgueil? Pourquoi ai-je échangé: sur toi les regiirds du public : quelle vierge modeste peut sans rougir
contre les demeures de l'homme du sud ma caverne des Highiands, ' répéter les adulations d'un fat?
les sombres bruyères de Marr et les flots limpides de la Dee? |j Un écolier lui-même se rira de celle qui redit à tout propos les
Manoir de mes pères, adieu pour longtemps!... mais pourquoi tej compliments qu'on lui fait, cl qui, voulant bien croire que le ciel
dire adieu ? L'écho de tes voûtes répétera mon glas de mort ; tes3 est dans ses yeux, esl Irop aveugle cependant pour démêler l'im-
tours contemplerontma tombe. La voix défaillante qui a chaule tai posture.
ruine et ta gloire passée ne peut plus faire entendre ses naïfs ac- Car celle qui prend plaisir à révéler tous ces riens amoureux doit
cents ; mais la lyre a gardé ses cordes , et quelquefois le soufflede3 croire tout ce qu'on lui dit et tout ce qu'on lui écrit, tout ce que
la brise y éveillera les sons mourants de l'éolienneharmonie.- sa vanité l'empêche de cacher.
Campagnes qui entourez la rustiquechaumière, pendant que je3 Change donc de roule, si tu mets quelque prix à l'empire de m
respire encore, adieu ! vous n'êtes point oubliées, et votre souvenirr beaulé : ce n'est pas la jalousie qui me fait parler. Celle que la na-
m'est cher. Rivière qui m'as vu souvent, pendant les ardeurs dui ture fit si vaine, je puis en avoir pitié, mais je ne saurais l'aimer.
midi, m'élancerde ton rivage et fendre d'un bras jeune et agile tess
ondes frémissanles, les flots ne baigneront plus ces membres au-
jourd'hui sans activité et sans force.
Dois-jc oublier ici le lieu le plus cher à mon coeur? Des rochers
se dressent, des fleuves coulent entre moi et ce séjour que l'amour r ANNA.
a sanctifié pour moi; et pourtant, ô Mary! ta beauté m'apparaîtt .
dans tout son éclat, comme naguère dans ces rêves enchanteurs s O Annal vous avez été bien coupable envers moi : j'ai cru qu'au-
que faisait naître Ion sourire. Jusqu'au moment où les lentes dou- cune expiation ne pourrait désarmer ma colère : mais la femme est
leurs qui me consument abandonneront leur proie à la morl, tonn créée pour nous dominer comme pour nous tromper... je vous ai
image ne saurait s'effacer de mon âme. revue, et je vous ai presque pardonné.
Et toi, tendre ami, dont la douce affection fait vibrer encore les
is J'avais juré que vous n'occuperiez plus ma pensée, et pourtant
fibres de mon coeur, combien ton amitié.était au-dessus de ce que e un seul jour de séparation me parut long. Quand nous nous ren-
la parole peut exprimer! Je porte encore dans mon sein celle pierre •e
consacrée, gage de la tendresse la plus pure, que mouilla naguère e (1) Voyez, dans les Heures de loisir, la Cornaline.
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON. 133

outrâmes, je résolus de vous observer... votre sourire me démon- mées,


m combien ma voix esl faible! En présence d'héroïques exploits,
in bientôt que tout soupçon serait injuste. qi mon ardeur poétique paraîtrait tiède !
que
J'avais juré, dans mon premier transport, d'avoir pour vous dé- Non! mes doigts ne demanderont point de nouveaux accords à
ormois le plus froid mépris. Je vous revis; mon courroux se changea ma lyre : qu'elle réponde d'elle-même au souille qui la sollicite...
m
ii
admiration, et mainlenant tout mon désir, lout mon espoir est to 'se lait : cessons de vains efforts. Ceux qui l'ont entendue me
tout
le reconquérir votre coeur. Ïiardonneront
pi le passé, sachant que ses murmures ont vibré pour
Contre une beauté pareille à la vôtre, toute lutte est vaine ! c'est laa dernière fois.
ourquoi je m'humilie devant vous en sollicitant mon pardon... et Son errante et irrégulière mélodie sera bientôt oubliée, mainte-
pour terminer d'un seul mot ces inutiles querelles, irahissez-moi, nant
n; que j'ai dit adieu à mes premières amitiés, à mes premières
dirai-jc, ma douce Anna, quand je cesserai de vous adorer. amours!
ai Oh! mille fois bénie eût été ma destinée, mille fois heu-
reux mon partage, si mon premier chant d'amour, qui était le plus
r<
tendre, eût aussi été le dernier!
_ te
Adieu, ma jeune musc, puisque maintenant nous ne devons plus
revoir; si nos chants ont été faibles, du moins ils ont été peu
n
nous
A LA MÊME.
nombreux
n : espérons que ces quelquesvers pourrontparaître doux ..
ces
Ci vers qui mettent le sceau à notre adieu éternel.
Oh ! ne dites point, douce Anna, que, par un décret du destinj
le coeur qui vous adore devait chercher à briser ses liens. C'eût été
pour moi un décret terrible que celui qui m'eût pour toujours en-
levé à l'amour et à la beauté. LE CHÊNE DE NEWSTEAn (1).
Voire froideur, fille charmante, telle esl la destinée qui seule
m'ordonnad'imposer silence à ma tendre admiration ; ce fut elle qui Jeune arbre, quand mes mains t'ont planté, j'espérais que tes
détruisit tout mon espoir et tous mes voeux, jusqu'au jour où un jours
:, seraient plus nombreux que les miens, que ton épais feuillage
sourire me rendit à mon ravissement. s'étendrait
s au loin à l'enlour, et que le lierre couvrirait ton tronc
Comme dans une forêt, le chêne et le lierre entrelacés doivent de
^ son manteau.
braver la fureur des tempêles, ainsi ma vie et mon amour ont été Tel était mon espoir, quand, aux jours de mon enfance, je te
destinés par la nature à fleurir également ou à finir ensemble. ,
voyais avec orgueil croître sur le sol où ont vécu mes pères. Ils sont
Ne dites donc pas, douce Anna, que, par un décret du destin, passés
.j ces jours, et j'arrose ta tige de mes larmes : les ronces qui
votre amant devait vous dire un éternel adieu ; tant que le destin l'entourent ne peuvent me cacher ton déclin.
permettra encore à ce coeur de battre, mon âme el ma vie seront Je l'ai quitté, ô mon chêne ! et depuis cette heure fatale un étran-
absorbées en vous.
ger
. a vécu dans le manoir de mes aïeux ; lant que je n'aurai point
1l'âge d'homme, je ne pourrai rien ici : tout y dépend de celui dont
_ 1 négligence a failli causer ta morl.
la
Oh ! tu étais bien fort ! maintenant même il suffirait de quelques
L'ÉVENTAIL. soins
i pour raviver ta jeune tête, et cicatriser doucement tes bles-
îsures : mais tu n'étais point destiné à trouver ici de l'affection...
*que pouvait sentir pour toi un étranger?
Dans un coeur encore sensible comme il le fut autrefois, cetéven- Ne t'incline point ainsi, ô mon chêne; relève un moment la tête :
laileût pu rallumer la flamme ; mais aujourd'hui ce coeur ne peut '
s'attendrir, parce qu'il n'est plus le même.
| avant
', que notre globe ailcirculé deux fois autour de l'astre glorieux
Lorsqu'un feu est prêt à s'éteindre, ce qui en redoublait l'activité,
•j
i qui
! nous éclaire, mon adolescence aura compléta ses années d'é-
ce qui le faisait brûler avec plus d'éclat, ne fait qu'en dissiper les
preuve, et, sous la main de* ton maître, tu reprendras les verdoyants
dernières étincelles. sourires.
'. '
Vis donc, ômon chêne; lève ton front comme une tour au-des-
Plus d'un jouvenceau, plus d'une jeune fille en a mémoire ; il en j

est ainsi des feux de l'amour, alors que toute espérance meurt et
: sus des herbes parasites qui entravent In croissance et hâtent ton
déclin ; car lu as encore au coeur des germes de jeunesse et de vie,
que disparaît la dernière lueur expirante. .
et les rameaux peuvent encore se développer dans toute leur
Le brasier réel, quoiqu'il n'y reste plus une étincelle, une main
soigneuse peut le rallumer. Hélas ! bien différent esl l'autre : nul n'a beauté.
la puissance de lui rendre ni lumière, ni chaleur.
Oui! lu vivras pour des années de maturité cl quand je serai
couché dans les caveaux delà mort, tu braveras , les outrages du
Ou si par hasard celui-ci se réveille, si la flamme n'en est pas
étouffée pour toujours, c'est sur un aulrc objet (ainsi l'ordonne la i, temps et le souffle glacé des hivers, et pendant des siècles les rayons
capricieuse destinée) qu'il répand sa première chaleur. du jour brilleront dans ton feuillage. *
Pendant des siècles tes rameaux se balanceront doucement sur
le cercueilde ton maille qu'ils couvriront comme une lente ;el pen-
dant qu'ainsi ton feuillage abritera gracieusement sa tombe, un
successeurde ses droits s'étendra sous ton ombre.
Quand, entouré de ses enfants, il visitera ce lieu, il leur dira
ADIEUX A LA MUSE. tout bas de marcher doucement. Obi sans doute, je vivrai toujours
dans leur mémoire : le souvenir consacre la cendre des morts.
Divinité qui régnas
sur les premiers jours de mon adolescence, « C'est ici, diront-ils, que , tout brillant de vie et de santé, il est
jeune enfant de l'imagination, il esl temps de nous séparer : que venu exhaler les simples chanta de sa jeunesse; et c'est ici qu'il
la brise emportedonc ce chant qui sera le dernier, cette effusion de doit dormir, jusqu'aujour où le temps se perdra dans l'élernité. »
mon coeur, la plus tiède qui s'en soit échappée.
coeur, insensible maintenant à l'enthousiasme, imposera
Ce
silence à tes accents désordonnés et ne te demandera plus de chants ;
les sentiments de ma première jeunesse, qui avaient soutenu Ion
essor, se sont envolés au loin sur les ailes de l'apathie. VISITE A IIABllOW.
Quelque simples que fussent les sujets qui inspiraient ma lyre
inhabile, ces sujets mêmes ont disparu pour toujours; les yeux qui Ici, les yeux de l'étranger trouvaient naguère quelques souvenirs
faisaient naître mes rêves ont cessé de briller : mes visions se sont tracés en simples caractères : ce n'étaientquepeudemots...el pour-
envolées, hélas ! pour ne plus revenir ! tant la main du Ressentiment a voulu les faire disparaître.
Quand on a épuisé le nectar qui riait dans la coupe, tout effort; Elle y fit de profondes incisions : mais cela ne suffit point pour
serait inutile pour prolongerla joie du festin! Quand elle est froide, les effacer... les caractères étaient encore si visibles qu'un jour l'A-
cette beauté qui vivait dans mon âme, par quelle magie l'imaginationi milié étant de retour y jeta les yeux, et que soudain les mots
Pourrait-elle prolonger mes chants ? furent, reconnus par la Mémoire
, charmée.
Dans leur solitude, mes lèvres peuvenUclles parler d'amour, etL Le Repentir les rétablit dans leur premier état ; le Pardon y joi-
de baisers et de sourires auxquels il leur faut dire adieu? Peuvent- gnit son doux aveu et l'inscription reparut si belle que l'Amitié se
elles s'enlrelenir avec délices des heures qui se sont envolées? Oh!! persuada que c'était toujours la même.
"on ; car ces heures ne peuvent revenir. 11 en serait encore ainsi : mais, hélas ! malgré tous les efforts de
Peuvent-elles parler des amis pour qui seuls je voulais vivre ? Ah ! l'Espérance et les larmes de l'Amitié, l'Orgueil accourut, et 1 in-
siiusdoutej'amiléennobliraitmeschants! m'ais comment trouverais- scription disparut pour toujours.
jepour les leur envoyer des accents sympathiques,lorsque je puisai
Peine espérerde les revoir? (1) Cet arbre fut planté par Byron en 1798. Le colonel Wildman, pro-
Puis-je chanter les grandes actions de mes pères en.élevant less priétaire actuel du domaine, ert a pris soin, et on le montre encore aux
sons de ma lyre à la hauteur de leur gloire ? Pour de telles renom- étrangers, comme le mûrier de Shakspeare, et le saule de Pope.
m LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

mainlenant que mes jours s'écoulent lents el monotones, mes peu-


(t). sées, comme les hirondelles, rasent la surface des mers, el, voyageur
A MIN FILS ai!é et vagabond, m'emportent de nouveau à travers les cieux et le5
campagnes. Voilà ce qui fait que ma. muse s'éveille et que souvent,
Cette blonde chevelure, ces beaux yeux bleus, brillants comme trop souvent, j'invite le petit, nombre de ceux qui peuvent souffrir
ceux de ta mère ; ces lèvres roses, ce sourire qui se.joue dans leurs
.
mes chants à me sujvre dans mes courses lointaines. Etranger,
fossettes et qui ray.it le coeur, lout cela me rappelle un bonheur qui veux-tu m'accompagnermaintenant et l'asseoir avec moi au sommet
n'e4 plus, et louche le coeur.de ton père, ô mon lils! de l'Àcro-Corinlhc?
El tu balbuties déjà le nom de ton père! Ah, William! que ce
nom nq t'appartient-ilégalement, et aucun remords... mais écar- I.
tons ces tristes souvenirs Ma sollicitude t'assurera le repos;
l'ombre de la mère sourira joyeuse,et me pardonnera lout le passé, Bien des années, bien des siècles ont passé sur Corinthe, avec
ô mon fils! le souffle de la lempêle el de la guerre ; el pourtant elle resta cncnr-i
Le irazon a recouvert son humble lombeau, el tu as pressé, le debout, forteresse des derniers défenseurs de la liberté. La fureur
,
sein d'une étrangère,: le mépris du monde peut insulter à ta nais- des ouragans, le choc des tremblements de terre, ont laissé intact
sance, el t'accorde à peine un nom ici-bas; mais il est un espoir son roc chenu, clef d'une contrée qui. toute déchue qu'elle esl.
que le monde ne peut détruire le coeur d'un père esl à loi, ô élale encore sa fierté du haut de celte colline; limite placée entre
mon fils! deux mers qui, roulant de chaque côté leurs Ilots courroucés, connue
Eh quoi 1 parce que le monde est insensible et barbare, irai-je si elles voulaient se rencontrer el se combattre, s'arrêtent pourlaiii
fouler aux pieds les droits sacrés de la nature? Non non dût à ses pieds et y déposent leur colère. Mais si tout le sang versé sous
leur morale me blâmer, je te salue, cher enfant de l'amour, beau ses remparts,"depuis le jour où Timoléon fit couler celui d'un frère,
,
chérubin gage de jeunesse cl de bonheur un père protège ton jusqu'au jour qui éclaira la déroute du tyran de la Perse, si tout ce
berceau, ,ô mon fils! sang pouvait jaillir lout-à-coup de la terre qui s'en esl abreuvée,
Oh ! avant, queTâge ail ridé nies traits, avant que le sablier de celte mer, empourprée, aurait bientôt franchi l'inutile barrière ilij
ma vie se soit vidé à moitié, qu'il me sera doux de reconnaître tout l'isthme ; ou bien si l'on pouvait réunir les ossements «le lous ceux
à la fois en,toi un frère et un enfant; el de consacrer le déclin de qui y furent immolés, celle pyramide s'élèverait sous ce ciel trans-
mes ans à m'acquillerde ce qui t'est dû , ô mon lils! parent plus imposante que l'Acropole môme, bien que celle-ci sem-
Tout jeune et imprudent qu'est ton père, cela ne diminue point ble caresser les nuages de son front couronné de lours.
son affection pour toi; el lors même que lu lui serais moin.s cher,
lant que l'image d'Hélène sera vivante en toi, ce.çoeiir, palpitant au
souvenir de sa félicité passée, n'en abandonnera jamais le gage, IL
ô mon fils!
Sur les sombres sommets du Cilhéron brille l'éclat de deux fais
dix mille lances; cl plus bas, dans loute retendue de la plaine de
l'isthme, de l'une à l'autre mer, les lentes sont dressées, le croissant
brille sur les lignes guerrières des musulmans. Là s'avancent les
noirs escadrons des spahis, sous le commandement des pachas bar-
bus;
I aussi loin que la vue peut s'étendre, la plage esl couverte de
cohortes
i en turban; là s'agenouille le chameau de l'Arabe; ici le
LE Tarlarc fait caracoler son coursier; lé Turcoman a quitté ses trou-
peaux iiour ceindre le cimeterre ; le tonnerre de l'artillerie fait taire
1
1 mugissement des (lois. La tranchée se creuse; le souffledu canon
le
SIEGE DE CORINTHE. donne des ailes au globe mortel qui vole au loin en sifilanl. cl va
arracher des fragmentsdu mur qui s'écroule sous le poids du boulel.
De leur côté, les défenseurs du rempart répondent par un feu ra-
pide el redoutable aux sommationsdes infidèles : les cieux se voi-
lent de fumée, et la plaine est obscurcie d'un nuage de poussière.

III.
Mais celui qui se lient le plus près des murs et en presse la chute
En l'an de grâce mil huit cent dix (1), nous formions une joyeusei plus
avec le le d'ardeur, plus versé dans la science funeste de la guerre
compagnie, chevauchant par terre ou voguant sur l'Océan, Oh!!
,
que ne sont ordinairement les fils d'Othman, et d'un courage
nous savions égayer le chemin traversant les rivières à gué, gra- aussi fier que le fui jamais un chef triomphantsur le champ du ear-
vissant les hautes, collines, nous né donnions pas un jour de repos-i nage; celui qu'on voit éperonncr son coursier écumantde rang en
à nos montures;.qu'une caverne ou un hangar nous servît d'asile, rang et d'exploits en exploits, repoussant les sorties des assiégés cl
nous trouvions un profond sommeil sur là couché la plus nue; en-- ralliant les musulmans en fuite ; celui qui, en lace d'une bai Ici ic
veloppés dans une grossière capote de matelot, sur le plancher plusi bien défendue et jusque-là imprenable, met vivement pied à terre
rude encore de noire barque agile, ou étendus sur la grève, ett pour rendre une nouvelle vigueur aux soldais dont l'ardeur se ra-
n'ayant pour oreillers que les selles de nos chevaux, nous nous ré-- ienlit; le premier, le plus intrépide des guerriers dont s'enorgueillit
veillions le malin frais el dispos. Libres daiis nos pensées et danss l'armée du sultan de Stamboul, soil qu'il conduise ses soldais à l'en-
nos paroles, nous avions la santé, nous avions l'espérance: les fa- nemi, qu'il ajuste le tube meurtrier, qu'il mette sa lance en arrêt mi
tigues et les contrariétés des voyages, mais jamais de chagrin. Nous3 fasse décrire un cercle à son formidable cimeterre... celui-là, c'est
avions parmi nous des gens de toule langue, île toute religion;; Àlp, le renégat de l'Adriatique.
quelques-unsdisaient leur chapelet : les uns tenaient à la Mosquée,
d'autres à l'Eglise, et d'autres encore, si je ne me trompe, ne te-
naient à rien du tout. En somme, on eût longtemps cherché parr IV.
tout Je monde sans trouver une réunion plus mélangée el pluss
joyeuse. Il est né à Venise, d'une famille illustre, et s'est d'abord montre
Mais quelques-uns sont morts, d'autres ont disparu ; ceux-là sontt digne de ses pères; mais mainlenant exilé de sa patrie, il dirige
dispersés et solitaires; ceux-ci ont rejointles révoltés sur les colliness contré ses concitoyens ces armes dont ils lui ont enseigné 1 usage, el
qui dominent les vallées de l'Epïre, lieux où là libellé réunit en-- son front rasé a ceinl le turban. Après mille vicis-itud'ès, Corinlhc
core ses défenseurs et venge dans le sang les maux de l'oppression; comme le reste, de la Grèce, était passée sous les lois de Venise; et
d'autres encore sont dans des contrées lointaines; les moins nom- là, devanl ses remparts,'dansles rangs des ennemis dé Venise et
breux enfin ont revu leur patrie où ils mènent une vie inquiète et îl de la Grèce, Alp combattait avec toute l'ardeur d'un fervent né'>-
agitée* mais jamais, ô jamais nous ne pourrons nous réunir pour u' phylc qui sent bouillonnerdans son coeur le souvenir de mille ou-
nous réjouir et voyager ensemble ! trages. Polir lui, sa patrie avait cessé de mériter ce titre don! cil*
Ces rudes journées se sont rapidement et gaîment passées; et 8t se glorifiait autrefois, ce litre dé « Venise la libre ; » et dans le palaisla
de Saint-Marc, des délateurs anonymes avaient confié pendant
nuit, à la Gueule de lion, une accusation contre lui qu'il n'avait p1'
(1) 11 ne paraît pas que Byron ait jamais eu de lils naturel : celte pièce
'<1
repousser : il avait eu lé temps de sauver sa vie par la fuite , pour
de vers.reposedo.nç.surfine-hypothèse, ou bien le poète s'y est identifié
avec les sentiments d'uil tiers. -
1<J
en passer le resta dans les combats, montrant à son pays qi'°'
(t) 'Ce poème fut écrit à la fin de 18tb et publié à Londres en janvier
.,, , er homme il avàîl perdu, abaissant la croix devant le croissant cl »e
1816. j cherchant plus que la vengeance ou la mort.
UEÛVKES COMPLÈTES !)E LORD RYRON. 135

i nans; espoir de,l'année, appelésà tort « les enfants perdus, » mé-


! •risanl jusqu'à la
pensée de la mort, ils s'ouvrent un pas-age à
v. de cimeterre,
[iieile monteront les ou
loups paveiu de leurs cadavres la roule par la-
i
braves qui les suivent, prenant pour marche-
Coumourgi... ce guerrier dont la fin orna le triomphed'Eugène, lied le dernier qui tombe.
alors que sur la plaine sanglante de Carlowilz, le dernier cl le plus
redoutable des vaincus, il mourut sans regretter la vie, mais en XL
maudissant la victoire des chrétiens : Coumourgi.... hélas ! la gloire
de re dernier conquérant de la Grèce né dbitçTlepasdurer, jusqu'à Il estminuit: le disque entier de la lune répand sa froide clarté
ce que des mains chrétiennes aient rendu aux Grecs
la liberté que mr le front sombre des montagnes; la mer roule ses flots bleus;
Venise leur avait donnée auparavant? IJn siècle s'est écoulé jusqu'à les cieux, également bleus, s'éicndent comme un autre océan sus-
nous depuis qu'il a rétabli la domination musulmane, el alors il pendu là-haut, tout parsemé de ces îles de lumière qui rayonnent
commandait l'armée musulmane, el avait confié le commandement d'un éclat si naïf cl si pur. Ah! quel homme, après les avoir con-
de son avanl-gardc au renégat Alp, qui justifiait celle confiance templées peut, sans un soupir de regret, rebaisser les yeux vers la
par plus d'une cité mise de niveau avec le sol, et qui, par plus d'un terre, et ne point désirer des ailes pour prendre son vol, et s'aller
exploit sanglant, avait prouvé combien il était affermi dans sa nou- confondre dans leurs éternelles clarlés? Les.vagues des deux mers
velle croyance. reposent calmes et transparentes; à peine leur sommet écumeux
ébr'anle-t-il les cailloux delà plage, el leur murmure est doux comme
VI. celui du ruisseau. Les vents se reposent mollement assoupis sur les
vagues : les bannières pendent cl s'enrouientlenlemenl le long de
Les remparts commencent à faiblir ; l'artillerie les foudroie sans leurs hampes, au sommet desquelles brille le croissant. Rien n'in-
relâche : une pluie incessante de boulets va des batteries aux cré- terrompt, le profond silence, si ce n'esl la voix de la sentinelle ré-
neaux ; les couleuvrim-s échauffées résonnent comme autant de ton- pétant son signal, le coursier qui hennit et frissonne, et l'écho de
11-ries; çà cl là un édifice craque, embrasé par l'explosion de la la montagne^qui répond à ces bruits. Mais lé vaste murmure de
bombe, cl au moment où il s'écroule sous le souffle volcanique du celte armée barbare s'étendit d'une côte à l'autre, comme le fré-
projectile qui éclata, la flamme s'en échappe en colonnes rbtigéjHres missement du feuillage, quand on ouït la voix du muezzin reten-
qui'se tordent dans I air, où, dispersée en innombrable^Vitalj$res, tir au milieu des airs pour appeler à la prière de minuit : il s'é-
\a éleiudre dans les cieux ses terrestres étoiles : les nuages de mhiée leva sur la plaine ce chant cadencé et plaintif, comme le chanl de
viennent s'ajouter aux brouillards du ciel déjà sombre et forment quelque esprit de la solitude : il y avait dans son harmonie quelque
une immense almosphèresulfureuse, impénétrable aux rayons du chose de tristement doux, comme celle des cordes d'une harpe ef-
soleil. fleurées par le veut, qui en lire de longs accords dépour.us de
rhythnVe, que l'art humain lie pourrait reproduire. Les assiégés
VII. cr'U'renl; du sein dé leurs remparts, enlendre un cri prophétique
leur annoncer leur défaite; ils en recevaient je ne sais quelle im-
Jlais ce n'esl point seulement une vengeance longtemps différée pression lugubre el terrible, frisson inexplicable et subit qui com-
qui anime Alp le renégat, lorsqu'il apprend i'roideïiieht aux guer- Îrtim'èiih instant les mouvements du coeur, pour le laisser balire
rieis musulmansà s'ouvrir la brèche promise à leur courage: dans )ienlôt plus rapide, comme honteux de cet étrange sentiment par
ers mors est renfermée une jeune fille; et son espoir esl de la cônquê- lequel, Il s'est laissé maîtriser. Tel est encore le tressaillement que
rirsiiiislccousenleinculd'un père inexorable,qui déjà la lui a refusée, produit en nous je glas d'une cloche funèbre, n'annonçàl-il que la
abirs qu'Alp, sous son nom chrétien, aspirait à sa main virginale. irio'rt d'ùh inconnu.
Kndes temps plus heureux, quand son âmes'ouvrail à la joie, quand
f' reproche de trahison ne pesait point sur lui, il était le plus gai XII.
des jeunes gens que le carnaval eût vu briller dans les gondolés oU.a
la daose ; il avait donné les plus douces sérénades qui jamais e'us- Làleiile d'Alp est dressée sur le rivage : les bruits ont expiré; lu
snii retenti à minuit sur les flots de l'Adriatique pour charmer les prière esl dite. Déjà les sentinelles sont posées, la ronde de nuit est
lieauiés de l'Italie. terminée, loùs les ordres sont donnés el accomplis : encore une
nuil d'anxiété, et demain,l'a vengeance et l'amour peuvent payer
VIII. toutes ses doul'éuji-B, en le dédommageant même d'un si long retard.
Il ne lui reste plus que quelques heures, et il a besoin de repos
ICI beaucoup pensèrent que le coeur de la belle rraiiecsca s'élait pour retrouver les forces nécessaires à tant de sanglants exploits :
rendu: car depuis ce temps sa main, recherchée par de nombreux mais les pensées se pressent dans son âme comme des vagues agi-
iidioirutaurs, n'avait élé accordée à aucun, el demeurait libre des $es; 11.est seiiilJui irtilioudé celte armée; lui seul n'est point en-
rliiiines de l'Eglise; el quand les flols de l'Adriatique eurent porté M'ïnmé'dè ce fanatisme impuljenl d'arborer le croissant au-dessus de
I'* jeune Lanciotto aux bords musulmans, là vierge devint
pen- là 'croix et faisaùt bon mavchô de la vie, puisque le paradis l'at-
sive et pâle, ci ses lèvres perdirent leur sourire accôut'uniej on m tend avec j'amou);,jjnmo'rle) d'e ses houris. Il ne sent pas non plus
'il plus souvent au confessionnal, moins aux bals et aux le^é's :.oii céWé h'r.àlànVè jëxâltitioh dû patriote qui prodigueson sang et brave
•<i elle paraissait
aux réunions, ses yeux baissés dédaignaient.d'yfcinb- lë% fàlig&és ptar .(léfè'rt.drjè le sol natal. Il est seul, renégat armé
j'isiner les coeurs : ses regards étaient distraits, sa parure 'nioîïis côyiVre un pays'qù'iVâ Vi'àfii ; il esl seul au milieu de sa troupe, sans
brillante; sa voix n'égayait plus les chaiis iïs; ses pas, quoique 1er pouvoir jçom'pjéï' sur un coeur on sur un bras fidèle : on le suit,
l'ers encore, glissaient moins rapides parmi ces couplés iicmïmVqui "parce qu'il est brave, parce qu'il peut conquérir et distribuer un
vu*.aient à regret l'aurore interrompre leurs danses. riche butin ; on lui obéil, car il sait plier el gouverner les volontés
du vulgaire : mais son origine chrétienne lui est toujours reprochée
comme une sorlc de crime. On lui envie jusqu'à celte gloire par-
IX. jure qu'il a conquise sous un nom musulman ; el on n'a pas oublié
que ce chef, aujourd'hui redouté de l'ennemi, fut autrefois un Na-
Minotli avait élé envoyé par l'Etal pour défendre le territoire que zaréen redoutable pour le croissant. Ces vulgaires soldats ne savent
les généraux de Venise avaient enlevé
aux musulmans, à l'époque
eu Sobieski abaissa l'orgueil du croissant sous les murs de Rude et
pas jusqu'où peul descendre l'orgueil d'un coeur qui a vu ses .sen-
timents déçus el flétris; ils ne savent pas de quelle haine peul brû-
'nix bords du Danube, territoire qui s'élendail depuis le golfe de ler une âme qui a dépouillé sa douceur naturelle pour un faroucl'c
fuiras jusqu'au détroit de l'Eubée. Investi des pouvoirs du doge, il endurcissement, ni ce que peul réellement le zèle faux et fatal
él»il venu en établir le siège dans les remparts de Corinthe. alors de ceux auquels la vengeanceseule a dicté une croyance .nouvelle.
que la paix, longtemps exilée de la Grèce, semblait lui sourire de 11 les gouverne.... on peut gouverner les pires des hommes, quand
nom eau, et avant que la perfidie eût violé une trêve qui l'avait af- on ose toujours marcher devant eux : tel est l'empire du lion sur
franchie du joug infidèle. Sou aimable fille l'avait accompagné; cl le chacal. celui-ci indique la proie; le roi des forêts l'immole; puis
jamais beauté plus ravissante n'avait paru sur ce rivage, depuis le la cohue glapissante accourt se gorger des débris de la victoire.
temps où l'épouse deMénélas, abandonnantson prince et sa patrie,
«iqn-il à la terre quels désastres un amour illégitime peut entraîner
>l sa suite. XIII.
X. Alp sent sa tête qui brûle d'une ardeur fébrile, son coeur qui bat
avec une rapidité convulsive; en vain, pour appeler le repos, il se
Le mur est en ru<nés : la brèche esl ouverte : demain,
aux pre- retourne sur sa couche; dès qu'il sommeille, un bruit intérieur, un
miers rayons du jour, l'assaut redoutable se fraiera tressaillement soudain ie réveille avec un poids sur le coeur. Le tur-
un chemin à Ira-
"•erscc.s masses disjointes. Tous les postes sont assignés d'avance; ban écrase son front brûlant, la coite de mailles pèse comme du
e'i tôle, se place une avant-garde d'élite de Tariares el de musul- plomb sur sa poitrine, et pourtant il a souvent et longtemps Uoruii
136 LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

tout armé sans couche ni pavillon : la terre nue étaitplus dure que alors inutiles. Ils tombèrent martyrs, mais martyrs immortels : et
son lit de soldat; un ciel inclément était moins propre au sommeil maintenant la brise même semble soupirer leurs noms, les eaux le
que l'abri qu'il a aujourd'hui. Il ne peut dormir ; il ne peut attendre répèlent dans leur murmure; les bois sont peuplés de leur renom,
le jour dans sa tente : il sort et-va se promener le long du rivage mée; la colonne solitaire, muetteet grisâlre, réclame avec leur sainte
où des milliers d'hommes dorment paisiblement sur la grève. Ils poussière un droit de parenté; leurs ombres voltigent autour de la
n'ont rien pour appuyer leur tête; leurs périls sont plus grands, montagne obscure, leur mémoire brille dans l'onde limpide des
plus rudes leurs fatigues, et ils dorment! Pourquoidonc, lui. ne dor- sources; le plus humble ruisseau, le plus puissant fleuve rouleront
mirait-il pas comme le dernier d'entre eux? Ils rêvent non de ter- à jamais avec leurs ondes la renommée de ces héros. En dépit du
reur, mais du butin qu'ils espèrent ; et pendant que tous ces hom- joug qui pèse sur elle, c'est à eux et à leur gloire que celte terre ap.
mes goûtant une nuit de sommeil, leur dernière nuit peut-être, lui, parlient encore : son nom est encore un mot d'ordre qui réveille le
tout seul, il promène au'hasard sa veille douloureuseet porte envie monde. Quand l'homme vent accomplir une action virile, il se tourne
à ceux qu'il contemple. vers la Grèce ; prenant son souvenir pour sanction, H s'apprêle à
marcher sur la tête des tyrans ; et c'est après l'avoir contemplée
qu'il court à la morl ou
XIV. à la liberté.
Cependant,il sent son
âme un peu soulagée XVI.
par la fraîcheur de la
nuit. L'air silencieux, Alp continue à rêver
froid mais calme, baigne silencieux sur la plage,
son front d'un baume jouissant de la fraîcheur
élhéré. Derrière lui est de la nuit. Elle n'a ni
le camp... sous ses yeux flux ni reflux celle mer
le golfe de Lépante étale intérieure, qui roule éter-
ses baies nombreuses et nellement toujours la
sesreplissinueux ; etplus même;et les, plus terri-
haut sont les sommets bles de ses vagues, dans
couverts de neige des leur fureur la plus sau-
montagnes de Delphes, vage, empiètent à peine
neige immuable, éter- d'une verge sur la limite
nelle, la même qui. res- de la terre; la lune im-
pectée par des milliers puissante les voit s'agiter
d'étés, brilla toujours sur librement sans se soucier
ces rochers, le long du de son cours : calmes ou
golfeet sousec beau ciel : turbulentes, au large ou
ellenese fond pas comme dans la baie, elle n'a au-
l'homme sous l'effort du cun empire sur leurs
temps. Le tyran et l'es- mouvements. Le rocher,
clave disparaissent et ne découvert jusqu'à sa base
peuventresleraux rayons el respecté par les flots,
du soleil ; mais ce voile plane sur la lame mugis-
blanc, que le voyageur sante qui ne vient pas le
salue sur le sommet des toucher : cl l'on aperçoit
montagnes, ce voile si au bas de la plage une
léger, si fragile, pendant frange d'écume sur une
que la tour s'écroule, que même ligne marquée de-
l'arbre est déraciné par puis dessiècles : un étroit
l'ouragan, il continue à ruban de sable jaune lu
briller sur ses rocheuses sépare du verl gazon qui
citadelles. La neige prend couvre la partie plus re-
la forme des pics qu'elle culée du rivage.
recouvreelallein l la hau- En se promenant le
teur des nuages : on di- long de la grève, Alp s'é-
rait un drap mortuaire tait approchéà portée de
jelélàpar la Liberté alors carabine des remparts
qu'elle s'exila de sa terre assiégés : mais les chré-
chérie planant pour la tiens ne l'avaicnl point
, fois
dernière sur les lieux aperçu ; sans cela com-
où son génie avait parlé ment aurait-il pu échap-
par la voix des poètes : per à leur feu ? Des traî-
a chaque pas elle con- tres s'étaient-ils glissés
templait des campagnes parmi eux ! ou leurs bras
dévastées, des autels en C'est Alp ! le renégat de l'Adriatique. s'ôtaienl-ils engourdis,
ruines, el en montrant leurs coeurs glacés? Je
à des coeurs découragés l'ignore : mais sur leurs
ces glorieux monuments murailles on ne vit bril-
du passé, elle essayait de ler aucune amorce; ou
les rappelerà son culte : inutilesellorls ! Il faulatlcndrequedc meil- n'entendit pas une balle siffler, quoiqu'il se tînt sous le feu du bas-
leurs jours aient lui et qu'il se soit levé de nouveau ce soleil non lion qui flanquaitla porta du rivage, el qu'il pût entendre la voix de la
encore oublié, qui éclaira la fuite des Perses et vitsourirele Spartiate sentinelle et presque dislinguerles paroles d'humeur qui lui cchap;
expirant. paient, en se promcnanldelong en large d'un pasrégulier sur le pavé
sonore. 11 vit au pied des murailles des chiens décharnés faire aux
XV. dépens des morls leur hideux festin et se gorger en grognant du débris
des carcasses et des membres. Trop occupés pour aboyer après lui,
En dépit de sa trahison et de ses crimes, Alp est de ceux qui n'ont comme on détache l'envelopped'une figue mûre, ils avaient enlevé
point oublié ces glorieux temps, et pendant qu'il erre ainsi dans la la peau du crâne d'un Tarlare elil enlendait crier leurs crocssurle
nuit, pendant que, méditant sur le présent et le passé, il évoque le crâne qui échappait à leurs mâchoires fatiguées. Rongeantno ichalam-
souvenir des morts glorieux qui ont versé ici même leur sang pour mcnllcs os des morts,à peinepouvaient-ils se souleversurle théâtre
une meilleure cause, il sent combien elle sera vaine el souillée la de leur banquettant, pour se dédommager d'un longjeûne, ils avaient
gloire du chrétien parjure qui, l'épée à la main, conduit une horde bien profité de la pâture que leur avait préparée la bataille. Alp re-
en turban et dirige une attaque dont le succèssérail un crime. Tels connut aux turbans qui avaient roulé sur le sable que là étaient'
n'étaient pas ces héros auxquels son imagination rend la vie, ces les cadavres des plus braves de sa troupe. Les châles de leur coif-
guerriers dont la cendre dort autour de lui : leurs phalanges com- fure étaient verts el cramoisis; chaque têle n'avait qu'une longi"
battirent sur cette-même plaine, dont les boulevards n'étaient pas mèchede cheveux, tout le reste était rasé et nu : les crânes étaient
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON. 137

,ntre les dents des chiens sauvages,et des fragments de la chevelure tombaient immobiles : immobiles encore étaient les feuilles sur les
s'enlaçaient autour de leurs mâchoires. Mais tout près du rivage, hauteurs du Cilhéron ; et pas un souffle n'arrivait jusqu'à sa joue :
ni bord
du golfe, un vautour battait des ailes pour écarter un loup que voulait dire le léger bruit qu'il avait entendu... Tout-à-coup, en
icconru des montagnes et que la présence des chiens empêchait Be tournant vers la gauche... ses yeux ne le trompent-ilspas? là
je prendre sa part de la curée humaine : toutefois, il s'étaitemparé est assise une femme jeune et brillante de beauté 1
"'un quartier de cheval que les oiseaux de proie becquetaient sur
les sables de la baie.
XX.
XVII.
Il tressaille, plus effrayé que si un ennemi en armes était près de
Alp détourna la vue de cet horrible spectacle : jamais, au milieu lui. « Dieu de mes pères! que vois je? qui es-tu? et que viens-tu
des combats, sa fermeté n'avait été ébranlée : maisil supportait la faire si près d'un camp? » Sa main tremblante se refuse à tracer le
nu» d'un Guerrier exnirant
baienédans les flots de son sang encore signe du chrétien, le signe d'une foi au'il n'a plus : il allait y recou-
chaud, dévoré par la soif rir dans cette heure d e-
de l'agonie et se débat- pouvante : mais sa con-
tanl en vain contre le tré- science lui en ôle la force.
11 regarde,-il voit : il re-
pas, plus aisément qu'il •
nepouvailcontcmplerces connaîtec visage si beau,
morlspourcjui louledou- celle taille si gracieuse ;
Icur a cesse et qui n'of- c'eslFrancescaquiestprès
frent déjà plus qu'une de lui ; la vierge qui au-
masseputride. Sous quel- rait pu être sa fiancée!
que face que se présenta Les couleurs de la rose
la mort, il y adans l'heure sonlencore sur ses jouet,
du péril je ne sais quoi mêlées àdes teintesmoins
qui exalte l'orgueil ; car vives : mais où est Je
la renommée est là pour charme mobile de ses
publier les noms de ceux douces lèvres : il a dis-
qui succombent, et les paru, ce sourire qui en
regards de l'honneurcon- vivifiaitl'incarnat. Lecal-
templent vos exploita; me océan qui s'élend là-
mais quand tout esl fini, bas a moins d'azur que
il y a quelque chosed'hu- ses yeux ; mais ils sont
miliant pour l'homme à immobiles comme ses
fouler encore le champ froides vagues, et leur
de bataille longtemps regard, quoique brillant,
piétiné etjonché de morts est glacé. Une robe légè-
privés de sépulture, à re, presse sa taille el laisse
voir les vers de la terre, ii découvert son sein é-
les oiseaux de l'air, les blouissant : à travers les
bêtes des forêls y accou- flols de sa noire cheve-
rir de toutes parts : re lure, qui tombe flottante
gardant l'homme comme sur ses épaules, ou aper-
leur proie, et se réjouis- çoit ses bras nus blancs
,
sant de son trépas. et arrondis : et avant de
répondre, elle ' lève sa
main vers le ciel : hélas !
XVIII. une main si pâle et si
transparente qu'on eût
Non loin de là sont les pu voir la lune briller à
ruines d'un temple cons- travers.
Irtiit par des mains dès
loiiglempsouhliées;deux XXI.
ou trois colonnes, et de
nombreux fragments de « Je viens , du lieu de
marbre et de granil que mon repos, trouver celui
le gazon recouvre ! Sois que j'aime le plus au
maudit, ô temps! Tu n'é- monde afin que je sois
heureuse ,
i'urgneras pas plus les et qu'il soit bé-
choses à venir que tu n'as ni. J'ai passéà travers les
épargné les autres : sois gardes : j'ai franchi les
mauditl lu ne laisses ja- portes, les remparts : à
mais subsistai* du passé travers les ennemis et
que ce qu'il en faul pour Il était assez robuste pour le disputer aux plus jeunes guerriers. tous les obstacles, je suis
luire déplorer cequi fui et arrivée sans crainte jus-
ce qui sera. Ce que nous qu'à toi. On dit que le
avons vu, nos filsle ver- lion se détourne et s'en-
ront: débris des choses fuità l'aspect d'unevierge
qui ont disparu, fragments de pierre, dresses par des créatures fière de sa pureté; le Toul-Puissanl, qui protège ainsi l'innocence
J'iirgile. contre le tyran des forêts, a étendu sur moi sa bonté et m'a déro-
bée de même aux mains des infidèles. Je viens... et si je viens en
XIX. vain, jamais, oh! jamais, nous ne nous reverrons! Tu as commis
un horrible forfait, en abandonnant la croyance de les pères; mais
U s'assit sur la base d'une colonne, en passant sa main
celle sur son foule aux pieds le turban, fais le signe de la croix , et sois à moi pour
n'ont : son altitude penchée était d'un homme plongé dans toujours : efface de ton coeur.une noire souillure,-et demain nous
une profonde rêverie; sa têle retombait sur sa poitrine brûlante, serons unis pour ne plus nous quitter.
agitée, oppressée; et ses doigtsfrappaientconvulsivementson front,
comme on voit la main errer sur le clavier d'ivoire avant qu'elle Et où dresser notre couche nuptiale? au milieu des mourants
a't saisi l'es cordes du ton qu'elle en veut tirer. 11 était là, —
dans sa et des morts? Car demain nous livrons au meurtre et à la flamme
inorne Iristesse, quand lout-à-coup il entendit soupirer le vent de la et les chrétiens el leur aulels. Demain au lever de l'aurore,j'en ai
"uit. Elail-ce bien le vent qui, soufflant à travers les feules de quel- fait le serment, nul ne sera épargné, hors toi et les tiens mais'loi,
:
que rocher, exhalaitee gémissementdoux et plaintif. Il leva la têle, je te transporterai dans un séjour de délices, où nos mains seront
!' regarda la
mer... elle était unie comme une glace; il regarda les unies et où nous oublierons nos douleurs. Là tu seras mon épouse,
j°')gues herbes... pas une feuille ne remuait. D'où pouvait-il donc après
que j'aurai abaissé l'orgueil de Venise, après que ses fils ab-
''enir ce bruit si doux ? Il regarda les bannières : leurs longs plis re- horrés auront senti la pesanteur de ce bras qu'ils voulaient avilir;
138 LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

après que j'aurai châtié àvcp un fouet de scorpions ceux que le vice hi lame de son cimeterre ; le khan el les pachas sont tous à leur o
el l'envie ont faits mes ennemis. pIOSIC, elle visir, en personne, esl à la tôle de l'armée. Quand h. h
Elle posa une main: sur la sienne..... quoique la pression fût lé- coulcuvrine donnera le signal, en avant! que personne ne resic 1'
gère,
. elle porta un frisson jusqu'à là moelle de ses os, glaça son coeur yiva'nl dans Coriulhe... pas un prêtreà ses autels, pas un chef dans i
et le rendit immobile. Quelque faible quefûl cette main si mortalle- &es palais, un foyer dans ses demeures, une pierre sur ses murs v
ment froide, il lui élail impossible des'en dégager; jamais l'étreinte I)ieu el le prophète! Allez! que ce cri redoutable monte jusqu'aux
d'un objet si cher n'avait porté dans ses veines ce scnlimenl de ter- c:ieux. «La brèche est là qui nous offre un passage: les échelles soin
renr, car il scnlil tout son sang se glacer sous ces beaux doigts p(lètes; vos mains tiennent la poignée de vos sabres : qui pourrait
blancs, milices cl effilés. L'ardeur fiévreuse de son front disparut, v'ous arrêter? Celui qui, le premier, abattra la croix rouge, verra
son coeur devint froid et immobile comme un marbre, lorsque por- clomblcrses plus .chers désirs; qu'il demande, il obtiendra!» Ainsi
tant les yeux sur ce visage bien aimé, il le vit si différent de ce qu'il larle Coumourgi, 1 indomptable visir ; on lui répond en brandissant
r. I
l'avaitconnu : plus pâleencorcqueblanc... il n'étaitplus illuminé par j es sabres et les lances; et milta voix fonl entendre les cris d'une
ce rayon de l'intelligence qui jadis en animait tous les traits, comme j oie belliqueuse. Silence!... Attention au signal ! Feu !
. .. i
des vagues qui éiincelleiil sous un beau soleil : ses lèvres avaient le <
calme, l'immobilité de la morl; les paroles en sortaient sans êlre
poussées par aucun souffle; nulle respiration ne soulevait son sein, XX11L
el le sang ne' semblait plus battre dans ses veines. Bien que ses yeux
fussent brillants, leurs paupières étaient fixes et leur regard était Tels des loups se précipitent en aveugles sur un buffle : le puis-
étrange, inaltérable, comme celuides êtres dont le sommeil esl sans fsant animal mugit avec fureur; ses yeux jettent des flammes : mal.
repos et qui se promènent dans un rêve inquiet : on eût dit un de lheur au premier qui ose affronter sa rage! -es sabots redoutables
ces personnages d'une tapisserie, lugubrement agilée par le souffle le
| pétrissent sur le sol; ses cornes en sanglaniées le font voler dans
de la bise, dans une soirée d'hiver, quand la lampe mourante ne les airs : tels les musulmans s'avancent contre le rempart, et ainsi
jclie plus qu'une tremblante clarté : formes inanimées, mais offrant sont repousses les premiers assaillants. Le boulet brise les cuirasse;
l'apparence de la vie. cl par cela même terribles à voir, qui. dans comme le verre, traverse les poitrines qu'elles recouvrent el disperse
l'obscurité, semblent prêles à descendre des sombres miiViflllès. où les membres des guerriers sur le sol qu'il laboure profondément;
citas se tiennent menaçantes, balancées r i et là et ballolée'spar le des rangs entiers sont couchés sur la plaine comme l'herbe de lj
souffle qui agite les plis de l'étoffe. prairie sur la fin du jour, quand le faucheur a terminé sa làelic:
« Si lu. ne cèdes pour l'amour de moi, que ce soit du nibins pqiir tant, le carnage est terrible parmi les premiers qui se présentent sur
l'amour du ciel. Je ta le dis encore... arrache ce turban d'e loi) frlSnt la brèche.
infidèle et jure d'épargner les enfants de celte patrie que tu outra-
ges, sinon lu es perdu pour jamais, et lu ne verras plus;'.. je,.'no tjil XXIV.
pas la terre : elle n'esl plus rien pour nous... mais le,ciel et mtii-
même. Si lu m'accordes ma demande, bien que tu aies on,sort fu- Quand les hautes marées assiègent les rochers du rivage on te
neste à subir, ce moment terrible peut effacer à demi ton. Forfait, tël voit en détacher d'énormes fragments sapés par leur attaques , in-
les portes de la miséricorde peuvent s'ouvrir pour toi,: triais si lu ccssanlcs. jusqu'à ce que ces masses blanchâtres s'écroulent avec
diffères un moment de plus, lu subiras la malédiction de Celui que le fracas du tonnerre, ou avec le bruit que produisent dans les val-
tu as renié ; lève encore un regard vers lecicl, et vois, si tu persistes, lons des Alpes les neigeuses avalanches : ainsi les défenseurs deCn-
son amolli* se fermer à jamais pour loi. Tu aperçois un léger n liage rhithe, épuisés el poussés à bout, finissent par succomber aux as-
auprès de la lune... Il marche el bientôt il l'aura dépassée, Lors- sauts continus cl répétés de la uiullitude des musulmans. Ils seircnl
que ce voile de vapeurs aura cessé de nous dérober, le disque liril- leurs Vijiigs devanl l'armée des infidèles et tombent par niasses, fur
liint, si ton coeur nos'csl pas changé en loi inème, alors. DÏeù et les bon Ire 1er, pied contre pied. Sur le champ de bataille, ta mort seul''
hommes seront vengés; terrible sera ton destin, plus terrible encore è&l muette; les coups de tranchant ou du pointe, les détanalions
ton immortalité de douleurs. » dés mousquets les prières des vaincus, les cris de triomphe des
aux décharges de l'arlillcrie. Les villes loin-
,
Alp leva les yeux ; il vil dans le ciel le sigije .indiqué,;, maïs stttt yainqueiirs se mêlent
coeur était gonflé, égaré par un profond'cl .iWdoinplabl.fro'rjgùëit : laines qui entendent ce bruit se demandant quel peut êlre le suri
celle fatale passion, la première qui eût dnihiWc en lui, rptilaii epinine. de la bataille, si la victoire est de leur côté ou de celui des enne-
un torrent sur tous ses autres sentiments. Lui, demahtieiuiVer'ci! lui, niis, et si elles doivent pleurer ou se réjouir en écoutant celle vais
se laisser troubler par les discours insensés d'une jeuile filié timide.! àpla.'\ïcïlrùcti->h',qiui rugit à travers les collines el remplit leurs échus
lui, que Venise outragea, jurer d'épurgn;çr ses enfants, dévoués à dçxôWs (érribïfe'si et inaccoutumés. Ce jour-là, on l'entendit de Su-
la tombe ! Non ! dûl ce nuage, plus terribta que le tonnerre, êlre lainine et de M'égare, et même, assure-l-on, de la rade du l'irée.
destiné à le foudroyer... Non I qu'il éclate!
Sans répondre un mot, il fixe sur le nuage un.regard . . ,,, ^
altéiiuT:
. ïl
observe sa marche... le nuage est passé; )è disque entier tie la.luhe XXV.
brille à son regard, el il dit : « Quel que soit, mon Mesliftj je rie sais
point changer... 11 esl trop lard! Dans l'orage, lé roseau plie et Depuis ïa '^oinlc.jiïs'qiïà la garde, les épées e! hs sabres s Mil rou-
tremble, puis il se relève : l'arbre rompt. Ce que Venise m'a l'ail,, gis de sans,*; mais In ville est prise et le pillage commence : c'est In
je dois l'être, son ennemi en tout, sauf dans 1 amour, que'j'ai 'pour secondé phase du.carnage. Des cris plus perçants s'élèvent des mai-
loi; mais lu es en sûreté. Oh ! fuis avec tnoil & VîVi parlant ainsi, il sons saccagées: entendez-vous les pas des fuyards clapoter dans les
se retourne; mais elle n'esl plus là! rien auprès de lui, sauf la co- rues où ils glissent dans le sang? Çà et là, aux endroits où s'otlïe
lonne de marbre. S'esl-ellc enfoncée dans le sol on évanouie dans une position favorable, des groupes de dix ou douze hommes déses-
l'air? 11 ne sait; il n'a rien vu... mais rien auprès de lui ! pérés, s'arrêtent, l'ont face en arrière, el, adossi'.s à une muraille.
arrêtent l'ennemi ou meurent en combattant.
Parmi eux on remarque un vieillard... ses cheveux ont blanchi,
XX11. mais son bras de vétéran a encore toute sa force : il a vaillamment
soutenu le poids de la journée, el les cadavres forment un demi-
La nuit s'est écoulée, et le soleil resplendit comme pour un jour cercle autour de lui ; aucune blessure ne l'a encore atteint, cl tout
de fêle. Le malin se dégage léger el brillant do son manteau gri- en reculant, il continue de combattre et ne se laisse pas entourer-
sâtre, et midi luira sur une chaude journée. Knlcndcz-vous la trom- Sous son corselet brillant, d'anciens combats ont laissé plus d'une
pette et le tambour et les sons lugubres du clairon des barbares, le cicatrice; mais toutes les blessures qu'on pourrait trouver sur s»n
frémissement des bannières qui s'agitent en rejoignant les batail- corps sont d'une date antérieure. Peu déjeunesguerrierspourraient
lons, le hennissement des coursiers et le bruissement de la multi- lutter contre le liras de fer du vieillard; el les ennemis auxquels il
tude; le cliquetis de l'acier et les cris : « Aux armes! aux armes ! » tient lête à lui seul sont plus nombreux que les cheveux déjà éelair-
Les queues de cheval sont dressées en l'air, et l'cpée sort du four- cis de sa tête argentée Son sabre se promène de droite et do gauche-
reau : les rangs se forment et n'attendent plus que le signal. Tar- A la suite de ce jour, plus d'une mère ottomane pleurera des fils qui
tarcs, spahis, Turcomans, abillcz vos tentes, el marchez à l'avant- n'étaient pas nés encore quand, pour la première fois, il trempa son
garde; montez à cheval et donnez de 1 éperon ; battez là plaine afin glaive dans le sang infidèle; alors, il n'avait "pas vingt ans. Il ciîl
de couper toute retraite aux fuyards qui sortiront de la place, et que. pu être le père de tous ceux qui, dans ce dernier combat, tombère»1
jeune ou vieux, aucun chrétien ne puisse s'échapper, pendant que sous ses coups; car, ayant perdu lui-même un fils, sa rage semblait
l'infanterie, s'avançant en massés, teindra de sang la brèche où elle; i s'attachera faire àulahl qu'il pouvait d'ennemis affligés
comme lui;
se lera passage. Les coursiers sont bridés el hennissent sous la main et depuis le jour où, au combal des Dardanelles, ce fils unique avait
qui lient les rênes, leurs tètes recourbées sur le poitrail, leurs cri- i perdu la vie, le bras lerriblc du père avait inimoléà
ses mânes plu-
nières flottant au * eut, cl leurs mors loul blancs d'écume Les lancesi qu'une hécatombe humaine. Si les ombres de ceux qui ns sont pli|=
sont en arrêt, les mèches allumées, les canons pointés, lout prèlsài peuvent êlre apaisées par le carnage, l'ombre de Palroclc puise r*
tonner et à renverser les murailles déjà entamées. Les janissairesi jouir de moins de victimes que celle du fils de .Mino'lti, morl dans
forment leurs phalanges. Alp est à leur lèlc ; son bras est nu commes i les
lieux où l'Asie se sépare de l'Europe. 11 lui iuliuiné sur ce rivage
OEUVRES COMPLÈTES DE L01Û> «YRON. 139

plusieurs mille ans auparavant, des milliers de guerriers ont foule et la fureur s'accroissent sans cesse, continuent de s'avancer
fo
i,
onvé leur tombeau. Que rcslc-l-il d'eux pour nous dire où ils rc- av tant de force et d'ardeur que leur nombre même leur interdit
avec
osent el comment ils ont succombé? Pas même une pierre sur te là retraite. Une seule rue fort étroite conduit au lieu où se défen-
MOU de leur fosse; pas un osssmenl dans
leur tombe; mais ils vi- dent encore, les chrétiens, et si les plus avancés çè-lent à la Irayeur,
de
BIII dans des chants qui donnent
l'immortalité. ç'est.en ivain qu'ils tenteraient de fuir,à travers celte épaisse co-
c'i
lonne
lo : il faut
combattre bu mourir. Us; meurent: mais avant que
leurs,
le yeux soient,.fermés, des .vengeurss'élèvent sur leurs cadavres;
XXVI. de nouveaux combattants viennent, furieux remplir.les rangs iclair-
di
ci où ils tombent à leur four, Hélas! les bras des chrétiens com-
cîs
licoiilez ces cris d'Allah! voici venir une troupe des musulmans in mencent à se fatiguer cl à faiblir en face de pes attaques saqs cesse
braves: celui qui marche ,à leiir.lr'le a. le bras nu,,et les renouvelées : les Ottomans sont
arrivés à la porté; sa ojasse d'ai-
•s plus ri
oups de ce bras nerveux sont rapides, impitoyables; découvert jùsr ri .
rain résise encore, et toujours, de toutes, les.moindres fentes, par-
n'a l'épaule, il montre la route du carnage ;. c'est par ià que ce te des halles meurtrières, de toutes tes fenêtres en débris .sortant
tent
bel' se distingue dans les combats. D'autres guerriers offrent à l'en7 di décharges dp,la flamme.sulfureuse..Mais Iç pqrtai)(,çhaiiçelle et
des
iciai l'appât d'une plus riche dépouille,; maint cimeterre a une plus plie,
p. l'airain cède., les gonds., crient... la porté.,s'ebranhî, elle
ii'lie poignée, mais aucun n'a une lame plus souvent rougie. tombe
te ...et tout est fini : Corinthe né peul plus résister; Corinthe
)'aulres ont le front ceint d'un turban plus splendide.... Alp ne se esl ci perdue!
ait reconnaître qu'à son bras blanc el nu : regardez au plus fort
le. la'mêlée et vous l'y verrez ; sur ce rivage, nulle bannière n'est XXX.
plus rapprochée de l'ennemi que la sienne; nul étendard dans toute
armée musulmane n'est plus volontiers suivi pan les. Dehlis, Il Sombre, farouche,et resté seul, Minotti est debout sur les marches
resplendit comme une étoile tombée des cieux. Où apparaît ce bras de d l'autel : au-dessus .de lui brille l'image de la madone, embellie
terrible, les plus braves combattant ou combattaient tout a,riicur.ç; de d teintes célestes, les yeux pleins de -lumière et d'amour . placée
là, les lâches demandent inutilementquartier au Tartare impitoyable; au-dessus
a de l'autel sacré elle doit fixer sur les choses divines les
pensées ,
des fidèles agenouillés qui la voient, l'Enl'uni-Dicu sur ses
là. le héros meurt en silence sans daigner pousser un gémissement, p
ou bien il se soulève sur le sol ensanglanté, et rassemble le peu de genoux,
g sourire doucement à leurs prières comme pour les envoyer
force qui lui resta puur immoler l'ennemi couché près de lui et yvers le ciel. Aujourd'hui, elle sourit encore; elle sourit à travers le
comme lui mourant. carnage
c qui souille la Siiinlç nef. Minolli lève vers elle ,ses regards
affaiblis
a par les aiis : il fait en soupirant le signe de la croix, el prend
XXVII. une
i torche qui brûlait devant l'autel. Alors il reste immobile el si-
lencieux , tandis que les musulmans entrent et s'avancent le 1er et
1
Le vieillard esl toujours debout et intrépide, et devant lui Alp 1 flamme à la main.
la
se Irouve un moment arrête. « Rends-loi, Minolli :'reçois la vie et
sauve celle de ta fille. — Jamais, renégat, jamais ; quand la vie que XXXI.
lu iii'otl'res devrait être éternelle. — Francesea!... ô ma fiancée!...
doit-elle aussi périr victime de ton orgueil?— Elle est en sûreté.
— Les caveaux que recouvrait le pavé de mosaïque renfermaient
Où esl-elle? où est-elle?
— Dans les cieux , qui sonl fermés à ton les
I morts des siècles passés ; leurs noms étaient graves sur la dalle :
une. parjure... loin de toi,el pure de toute lâche. » Un sourire fa- mais
i maintenantle sang empêche de les lin; : les armoiries sculp-
rouebe erre sur les lèvres de Minolli quand il voit Alp chanceler à tées
I les couleurs bizarres des différents marbres veinés, lout cela
.
taché, reluisant de sang, parsemé de tronçons d'épées et de
ses paroles,commesi un coup mortel l'eût frappé. « O Dieu! ctquand esl
i
rsl-elle morte?— La nuit dernière... El je ne pleure point le départ cimiers
i rompus. Sous ce pavé couvert de cadavres, d autres morts
(lu son âme : ainsi aucun rejeton de ma noble race ne sera I esclave reposent
i
glacés dans leurs cercueils rangés en longues lignes à la
de Mnhomel et le lien... Avance donc, traître! » Ce défi est vain : pâle clarté qui perce à travers une grille sombre, ceux-ci se moll-
Alp est déjà avec les morts. Pendant que les paroles de Minolli pé- irent réunis dans leur majesté sombre. Mais la guerre a pénétré
nétraient dans son coeur, plus vengeresses que n'eût élé la pointa dans
i
leurs ténébreuses retraites, et sous les voûtes sépulcrales,
de son glaive, s'il lui eût donné le temps de frapper, du portail auprès dé ces morts décharnés, elle a entassé ses trésors de soufre
(l'une église voisine, longtemps défendue par un petit nombre de el de salpêtre. C'est là.que, pendant un long siégé, les chrétiens
braves qui tentaient une résistancedésespérée, une bulle est partie ont établi leur magasin principal; une traînée de poudre récem-
qui a étendu Alp sur le carreau. Avant que personne ait pu voir la ment préparée y communique : dernière el fatale ressource que
blessure ouverte daiis le crâne de l'infidèle, il tourne sur lui-même Minolli s'esl réservée contre un ennemi désormais irrésistible.
et il tombe pour ne plus se relever : au moment de sa chute, une
flamme, un éclair passe devanl ses yeux, et à celle lueur succèdent
d éternelles ténèbres qui.se répandent dans son cerveau XXXII.
encore
palpitant : il ne lui resta de vie qu'un léger frémissement qui par-
éo, r[ ions ses membres. Ses compagnons le retournent el le niel- Les musulmans avancent; peu de chrétiens combattent encore, et
lent sur le dos; sa poitrine et son front sonl souillés de. poussière eti. ils combattent en vain : faute d'ennemis vivants el pour assouvir
•le sang, cl de ses lèvres sort, déjà épaissi, le liquide qui lout à la soif de vengeance qui s'est éveillée en eux, ces barbares vain-
i
I heure circulait
au plus profond de ses veines : mais son pouls n'ai queurs percent de coups les cadavres, tranchent des tètes sans vie ,
plus un battement; pas un sanglot d'agonie ne sort de sa gorge;; renversent les statues de leurs niclics, dépouillent les chapelles de-
pas un'mol, un soupir un râle, n'annoncent son dernier instant. leurs riches offrandes, et leurs profanesmains se disputant les vases
Avant mémo que sa pensée , pût prier,.il a passé, sans un momentt d'argent que les saints ont consacrés. Us s'avancent vers l'autel
•le repil, sans espoir dans la miséricorde divine, et restant jusqu'au principal quel éblouissant spectacle il offre aux yeux! sur la table
i
"eut... un renégat. . elle, brille
on voit encore la sainte coupe d'or : massive et profonde,
aux yeux des spoliateurs comme un prix,splendide de leur victoire ;
XXVIII. ce matin même elle a contenu le vin consacré changé par le Christ
eu son divin sang, et ses adorateurs l'ont bu au point du jour
Amis et ennemis poussent un cri terrible : les uns de fureur, ett pour, sanctifier leurs âmes avant d'aller au combat quelques
es aunes de joie; puis ils recommencent le combat : les glaives se
e gouttes restent encore au fond du calice. Puis, autour de fautai,
heurtant, les tances sonl dardées en avant ; les coups de taille et dee brillent douze lampes massives, splendide ornement fail du métal
pointe s'échangent cl renversent les guerriers dans la poussière, le plus pur : celte dépouille, c'est la dernière et la plus riche de
"e rue en rue, pas à pas, Minolli dispute à l'ennemi la dernière e toutes.
P"iïion qui lui resta de tous les pays soumis à son commandement :
les débris de sa Iroupe vaillante l'aident de leurs bras el de leur
r XXXIII.
c°urage. On peut encore tapir dans l'église d'où est.parti le coup P
Providentiel qui, en renversant Alp,, a vengé à, demi la chute dee Ils approchent; déjà le premier de la bande étend la main pour
uirinthe : c'est là qu'ils se retirent d'un pas lent, en laissant der- saisir ce trésor, quand le vieux Minolli baisse sa torche, l'approche
'.^''e cUx une Irace de sang, faisant toujours l'ace à l'ennemi, el >l de l'inflammable traînée .. L'explosion a tannéI Tours, caveaux,
Changeant avec lui des coups mortels. Ainsi le chef et ses com- autels, trésors, cadavres musulmans ou chrétiens, tout.ee qui reste
pagnons se joignent aux derniers défenseurs du temple : à l'abri du i-
u ou vivant ou mort esl lancé dans les airs avec le temple en débris,
lM»ssif édifice, ils pourront respirer un moment. el tout se confond dans un affreux mugissement! La ville en ruines,
les remparts renversés, les vagues un moment refoulées vers la
pleine mer, les collines voisines qui, sans être déchirées s'ébran-
XXIX. lent comme par un tremblement de terre; mille objets , informes
emportés vers le ciel dans un tourbillon de flamme et de fuméo par
Oui, un moment bien court! Lés guerriers en turban, dont laa !i le souffle de l'explosion tout annonce au ioin la fin dé Valulie-
140 LES VKILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

acharnée qui trop longtemps a désolé ce rivage. Tout ce qui vivait de l'éclat de l'émeraude : il ne doit pas y avoir une ombre de Iris-
ici-bas semble prendre son vol vers les cieux ; et quand tout re- tesse dans ce qui nous rappelle Ion souvenir.
tombe, des guerriers de haute taille, consumés et amoindris par la Que de jeunes fleurs et un arbre toujours vert croissent sur |e
"flamme, ne sont plus que de ebétifs morceaux de charbon qui jon- sol où tu reposes : mais qu'on n'y voie ni l'if ni le cyprès; pour.
chent la plaine. Les cendres couvrent la terre comme une pluie; quoi porterions-nous le deuil des bienheureux?
quelques débris humains tombent d; ns le golfe qui, en les rece-
vant , dessine mille cercles à sa surface; d'autres n'arrivent que
jusqu'au rivage, ou sont dispersés au loin sur lout l'isthme. Chré-
tiens ou musulmans, que sont-ils? Que leurs mères le disent, si
elles peuvent lesvoir! Oh! lorsqu'ilsdormaient dans leurs berceaux, REGRETS.
,
el que chaquemère contemplaiteh souriant le doux sommeilde son
nourrisson, elle était loin de penser qu'un jour ces membres déli- Quand nous nous sommes quittés, dans le silence et dans les lar-
cats seraient si cruellementdéchirés. Celles qui les ont mis au jour mes, le coeur à demi brisé, pour ne nous retrouver de longtemps, la
ne pourraient maintenant les reconnaître : ce rapide moment n'a joue devintpâle el froide, plus froids encore tes baisers : tristes mo-
laissé aucune trace des formes et de la face humaines, si ce n'est ments qui présageaientla tristesse des moments à venir.
quelque ossemenl ou un crâne brisé. Sur la plage sont aussi re- La rosée du matin descendit glacée sur mon front... je ressentis
tombées et dispersées au loin des solives enflammées; des pierres comme un avertissement de ce que j'éprouve aujourd'hui. Tu as
se sont enfoncées profondément dans la terre, el mille débris fu- rompu tous tes serments,et légère eslhonte. ta renommée: j'entends pro-
mants et noircisgisent de tous côtés. noncer ton nom, et j'en partage la
Tous les êtres vivants qui entendirent cet épouvantable choc dis- Ils te nomment devant moi; et c'est un glas de mort qui retentit
parurentde la contrée : les oiseaux des boiss'envolèrent ; les chiens à mon oreille : tout-à-coup je me sens tressaillir... Oh ! pourquoi me
sauvages s'enfuirent en hurlant el laissant les morts sans sépulture; fus-tu si chère? Ils ne savent pas que je l'ai connue, ceux qui te
les chameaux quittèrent leur gardien ; le boeuf qui labourait dans i connaissent trop bien:.. Oh! longtemps, longtemps ton souvenir
les champs brisa son joug ; le coursier plus rapproché de la ville me suivra, plus amer que je ne puis dire.
s'élança dans la plaine en rompantet la sangle et la bride ; la gre- :| Nous nous sommes vus en secret... Je gémis en silence de voir
nouille dans ses marais fit entendre un coassement plus plein et ' que ton coeur ait pu oublier, ton âme trahir. Si jamais je te revois,
Flus discord ; les loups hurlèrent sur la colline caverneuse, dont après de longues années, comment pourrai-je l'accueillir?... Dans
écho répétait encore le tonnerre de l'explosion; la troupe des le silence et les larmes.
chacals se réunit pour glapir et faire entendreau loin ce cri plaintif
pareil à la fois au vagissement d'un enfant et à la plainte du chien
que l'on frappe ; les ailes subitementétendues et les plumes héris-
sées, l'aigle quitta son aire pour se rapprocher du soleil : à la vue A UN JEUNE AMI.
du nuage qui s'épaississait au-dessous de lui et des flots de fumée
infecte qui venaient l'assaillir il éleva son vol en poussant de
,
Peu d'années se sont écoulées depuisque vous et moi nous fûmes
grands cris. deux amis, du moins de nom ; et la joyeuse sincérité de l'enfance
Ainsi Corinthe fut perdue el conquise. assura la longue durée de ce sentiment.
Mais aujourd'hui, comme moi, vous savez trop qu'il faut souvent
peu de chose pour aliéner un comr ; et qu'après avoir beaucoup
aimé, souvent on croit ne pus avoir aimé du lout.
FIN DU SIÈGE DE CORINTHE. Telle est l'inconstance de noire esprit, telle est la fragilité de nos
premières affections qu'il suffira d'un mois, peut-être d'un jour,
,
pour vous faire changer de nouveau.qui déplorerai jamais la
S'il en est ainsi, ce n'est pas moi perle
d'un tel coeur ; la faille en est, non point à vous, mais à la nature
qui vous a créé si léger.
POESIES DIVERSES. Comme les flots capricieux de l'Océan , les sentiments humains
ont leur flux et leur reflux; qui voudrait se fiera une âme que trou-
blent toujours d'orageuses passions?
Qu'importe qu'élevés ensemble, les jours de notre enfance aient
été des jours de bonheur ! le printemps de ma vie s'est écoulé ra-
(Suite.) pidement; et vous aussi vous avez cessé d'être un enfant.
Au moment où nous prenons congé de la jeunesse pour iiuiis
faire les esclaves d'un monde hypocrite el jaloux, nous disons à la
vérité un long adieu : car ce monde corrompt l'âme la plus nob'c.
Joyeux âge où l'âme en tout est intrépide, si ce n'est dans le
mensonge, où la pensée, se manifestant avant la parole, étincelle
dans un oeil calme cl placide !
11 n'en est plus ainsi dans des années plus mûr; l'homme dès lors
AD1EC (1808). n'est qu'un instrument : l'intérêt domine ses espérances et ses
craintes; sa haine et son amour sont asservis à des règles.
Adieu! si le ciel entend une prière fervente pour le bonheur Enfin nous apprenons à marier nos vices aux vices des insensés
d'aulrui, la mienne ne se perdra pas entièrement dans les airs : qui nous ressemblent, et c'eslà ceux-là, à eux seuls, que nous pro-
mais elle ira porter ton nom par-delàle firmament. Que servirait deï slituons le nom d'amis.
parler, de pleurer, de gémir : oh ! des larmes de sang, arrachées desi Telle est la commune destinée de l'homme : pouvons-nous donc
yeux du coupable qui expire, diraient à peine toutes les douleurss échappera la sottise universelle? dépend-il de nous de renverser
renfermées dans ce mot : adieu... adieu! l'état des choses, et de ne pas être ce que chacun esl à son tour?
Mes lèvres sont muettes, mes yeux sont secs; mais dans mon seini Non ! pour moi, dans toutes les phases de ma vie, mou destin
et dans mon cerveau s'éveillent des tourments qui ne cesserontt s'est montré tellement sombre, j'ai tant de raisons deoù haïr et le
point, une pensée qui ne dormira plus. Mon âme ne daigne pas,, monde et les hommes, que'je me soucie peu du moment je quil-
n'ose pas se plaindre, malgré la révolte intestine de la douleur ett terai la scène.
de la passion. Je sais que nous avons aimé en vain ; je sens Mais vous esprit inconstant et léger, vous brillerez pour vous
comme l'insecte qui étincelle dans l'ombre, mais
,
toutes les douleurs de ce mot : adieu... adieu! éclipser bientôt,
qui ne peut soutenir l'éclat du jour.
Hélas I dans ces lieux que hante la folie, où se rencontrent princes
et parasitas (car sous les lambris des rois, les vices toujours bien-
venus se choient mutuellement),
LE TRÉPAS. On vous voit chaque soir ajouter un papillon de plus au tour-
billon de la foule, et votre coeur frivole se trouve heureux cTapplau-
Brillant soit le séjour de ton âme ! nulle autre plus adorable nee dir à la vanité, de courtiser l'orgueil.
brisa ses chaînes mortelles pour briller dans les sphères des bien- Là, vous volligez de belle en belle, souriant el empressé, comme
heureux. ces mouches qui, dans un brillant parterre, souillent toutes les
Ici-bas, tu atteignais presque à celte divinité que lu vas posséderr fleurs qu'elles goûtent à peine.
pour toujours; et nous pouvons calmer notre douleur en songeant .1 Mais quelle nymphe dites-moi, fera cas d'une flamme qui, sem-
,
blable aux lueurs vaporeuses d'un marais, feu follet de l'amour, va
que ton Dieu est avec toi.
Qu'il te soit léger, le gazon de ta tombe! que sa verdure brillee et vient d'une beauté à l'autre?
.
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON. 141

Quel jeune compagnon , éprouvât-il même pour vous un senti- le connaît doit te quitter avec dégoût 1 Ton amour n'esl qu'impudi-
te
lCul affectueux, osera 1 afficher hautement et rabaisser son mâle ci ; ton amitié, qu'imposture; ton sourire hypocrisie et tes paroles
cilé
l'i'iicil jusqu'à une amitié que le premier sot venu peut partager mensonge.
n Vil par ta nature, n'ayant de noble que ton nom, il
vcc lui ?
n'est
n pas d'animal susceptible d'affection modeste
devanl qui tu ne doives
Arrêtez, pendantqu'il en esttemps encore : n'allezplus jouer parmi rougir.
r. Vous qui rencontrezpar hasardée tombeau, passez
un rôle aussi frivole ; arrachez-vous à cette existence sans votre
v chemin; l'être qu'il honore n'est pas de ceux qui obtiendraient
t foule
ut : soyez quelquechose, tout ce que vous voudrez... mais ne soyez v regrets. Ces pierres couvrent les restes d'un ami ; je n'en a
vos
•as un fat. connu
c qu'un de fidèle.... et c'est ici qu'il repose.
Newstead,30 novembre 1808.

SUR UNE COUPE FORMÉE D'UN CRANE HUMAIN.


REGRETS (1808).
Ne recule point ne crois pas que l'esprit ait quitté cette de-
îeure : vois en moi la seule tète, qui, au rebours d'une cervelle L'homme, exilé des bocages de l'Eden, s'arrêta un moment avant
lumaine, ne donne essor qu'à la joie. ^ franchir le seuil ; tout ce qu'il voyait lui rappelait le souvenir
de
J ai vécu, aimé et bu comme toi : mort, j'ai laissé les autres os ^du passé et lui faisait maudire sa future destinée.
n lerre ; vide-moi sans crainte : tu ne me
fais point injure ; les Mais, après avoir erré dans de lointains climats, il apprit à porter
aisers du ver des tombeaux sont plus tristes que les tiens. sson farde iu de douleur: el lout en donnant un soupir à d'anciens
Mieux vaut renfermer le jus pétillant de la grappe ; mieux vaut j*j
jours, il trouva un soulagement dans l'activitéde sa nouvelle exis-
Ire la coupe où s'abreuventles dieux, que d'offrir la pâture à celte tence.
mmoiide et rampante vermine. C'est ainsi, madame, qu'il en sera de moi, et je ne dois plus voir
Que ce vase, où peut-être quelqueesprit a brillé jadis, brille lui- ,vos charmes ; car en restant près de vous, je soupire après tout ce
même aujourd'hui pour aider celui des autres : hélas! quand une (que j'ai connu naguère.
têle a perdu la cervelle, peut-on mieux la remplacer que par du vin ? Le plus sage est de fuir, afin d'échapper aux piègesde la tenta-
Epuise donc la coupe tant que tu le peux ; quand toi el les liens tion : je ne puis contempler mon paradis sans désirer de l'habiter
vous serez partis, peut-être- vos successeurs vous arracheront-ils encore.
ausi-i à la terre, pour chanter et s'ébattre autour de vos reliques.
lït pourquoi non?... si, pendant le court espace de la vie, ce qui
sort d'une têle d'homme peut produire tant de maux, n'est-ce pas
un sort assez beau pour elle d'être dérobée aux vers et à la cor- SOUVENIR.
ruption pour servir enfin à quelque chose.
Pourquoi me rappeler, me rappeler ces heures si chères, main-
tenantévanouies, où mon âme tout entièrese donnait à toi; heures
qui ne seront oubliées que lorsque le temps aura énervé nos facultés
ÉPOUSE ET MÈRE (4808). vitales, et que toi et moi nous aurons cessé d'être.
Puis-je oublier.... peux-tu oublier, toi-même, comment ton coeur
accélérait ses battements quand ma main se jouait dans l'or de ta
Eh bien! lu es heureuse, et je sens que je devrais l'être aussi; car chevelure 1 Oh I sur mon âme, je te vois encore, avec tes yeux lan-
Ion bonheur est. comme autrefois, ce qui réchauffe mon âme. guissants, ton beau sein doucement agité, et tes lèvres qui, dans
Ton époux est heureux.... et il y a pour moi quelque chose de pé- leur silence, respiraient l'amour !
nible dans le spectacle de sa félicité, mais cela doit passer.... Oh ! Ainsi appuyée sur ma poitrine tes yeux me lançaient un doux
combien mon coeur le haïrait s'il ne t'aimait pas 1 ,
regard, qui réprimait à demi et enflammait les désirs ; et nous nous
La dernière fois que j'ai vu ton enfant chéri, j'ai cru que mon rapprochions encore, encore, et, nos lèvres brûlantes venant à se
coeur jaloux allait se briser; mais quand sa bouche innocente m'a rencontrer, nous nous sentions mourir dans un baiser.
souri, je l'ai embrassé à cause de sa mère. Et alors ces yeux pensifs se fermaient ; el les paupières, en se
Je l'ai embrassé, et j'ai élouiïé mes soupirs en voyant en lui les cherchant l'une l'autre, voilaient leurs globes d'azur, pendant que
traJs paternels ; mais il avait les yeux de sa mère, cl ceux-là étaient les longs cils, projetantleur ombre sur les joues vermeilles, sem-
lout à l'amour el à moi. blaient le plumage d'un corbeau déployé fur la neige.
Adieu Mary ! il faut que je m'éloigne 1 Tant que tu seras heu- Je rêvais la nuit dernière que notre amour était revenu ; et s'il
reuse, je ne me plaindrai pas; mais je ne puis rester aux lieux où1 faut être franc, ce rêve, bien qu'illusoire, était plus doux que si,
tu es : bientôt mon coeur serait encore à toi. dans mes caprices, j'eusse brûlé pour d'autres coeurs, pour des yeux
Je croyais que le temps, que la fierté avaient éteint une flamme1 oui ne brilleront jamais comme les tiens, dans l'enivrante réalité
adolescente, cl il a fallu que je fusse assis à ton côté pour recon- du bonheur.
naître que, sauf l'espérance, mon coeur était toujours le même. Ne me rappelle donc plus, ne me rappelle plus ces heures qui,
lit pourtant j'étais calme : j'ai connu un temps où mon sein eût'
tressailli devant ton regard; mais en ce moment trembler ce sérail pour jamais disparues, peuvent encore inspirer de doux rêves, jus-
qu'à ce que toi el moi nous soyons oubliés, et insensibles comme la
èlrc coupable. Nous nous vîmes, et pas une fibre en moi ne fut1 I pierre funèbre annonçant
agitée. que nous ne serons plus.
le vis tes yeux se fixer sur les miens; et ils n'y découvrirent au-
cun trouble; tu ne pus y lire qu'un seul sentiment, la sombre tran-
•luillilô du désespoir.
Partons! parlons! Ma mémoire ne doit plus évoquer ce rêve de3 LE PASSÉ.
ma jeunesse. Oh! qui me donnera les flots fabuleux du Léthé? ?
Coeur insensé, il faut te taire ou mourir ! 11fut un temps.... qu'ai je besoin de le désigner? nous n'en sau-
rions perdre la mémoire.... II fut un temps où nous sentions l'un
pour I autre ce que j'ai continué à sentir pour toi.
Et depuis ce jour où, pour la première fois, la bouche confessa
SUR LA TOMBE D'UN TERRE-NEUVE.
un amour égal au mien, quoiquebien des douleurs aient déchiré ce
coeur, douleurs que le lien a ignorées et n'a pu ressentir...
Aucune, aucune n'a pénétré si avant que cette pensée : tout cet
Quand un orgueilleux enfant des hommes est rendu à la terre,
amour s'est envolé, fugitif comme ses baisers sans foi ; mais fugitif
inconnu à la gloire, mais élevé par sa naissance, l'art du sculpteurr,
.
dans ton âme seulement.
s épuise en témoignages d'une pompeuse douleur; des urnes cise- Et cependant mon coeur a éprouvé quelque consolation lorsque,
i-
•ces nous apprennentquellescendres elles renferment. Lorsque tout it naguère encore, j'ai entendu ta bouche, avec un accent qu'autrefois
^ fini, on lit sur sa tombe, nonce qu'il fut, mais ce qu'il aurait'dû
û je croyais sincère, rappeler le souvenir du passé,
we. Quant au pauvre chien, notre ami le plus fidèle, le premier à Oui ! femme adorée et pourtant cruelle, dusses-tu ne plus m'aimer
•jous souhailer la bienvenue, le premier à nous défendre, le chien
n jamais, il m'est doux et plus que doux de voir que le souvenir de cet
«ont la sincère affection appartient tout entière à son maître; qui li amour le reste.
"'«vaille, combat, vit et respire pour lui seul; il meurt inhonoré, Oui, c'est pour moi une pensée enivrante, et mon âme désormais
^s mérites sont oubliés, el on lui refuse dans le ciel l'âme qu'il il,
piiiifeslait si bien sur la terre. Cependant l'homme, insecte orgueil- cessera de gémir. Sois maintenant ce que tu voudras, sois ce que
'Cl'x, espère le pardon, et réclame
I- tu voudras dans l'avenir, lu as été complètement, uniquement à
un ciel exclusivement à lui. O
0 moi.
joinme ! faible créature d'un jour, avili par l'oppression ou cor-
rompu par le pouvoir, vile masse de poussière animée, quiconque iè
H<i LES VEILLÉES, LIlTiaiAlHlCS ILLUSl'UliliS.

I INKEL. Je suis fâ^hé d'apprendre pareille chose, car vous savez


que/l'amitié... Ce pauvre apii! Mais je prévoyais que cela fini-
SYMPATHIE. riiît ainsi. Notre amilié est telle que je ne veux rien lire de ce qui <
pourrait la blesser. N'aùriez-vous pas, par hasard là revue dans
,
Tu me pleureras donc quand je ne serai plus! Douce beauté, votre poche?
vcdis-moi ces'mois charmants. Toutefois', s'il t'en côûtè de les re- ''"ÏR'AÇY,"Non; je l'ai laissée jà-bas environnée d'une douzaine
dire, tais-toi : jamais je iïc voudrais l'affliger. '/'' d'auteurs ou amateurs (j'en suis désolé, vraiment, puisqu'il s'agit
'

Mon coeur est brisé et mon espoir éteint, mon sang coule froid d'un ami) ; ils étaient'là se dispiistaiitel se démenant comme qulnnt
dans mes veines; êl-quand j'àurki cessé'deviVrè'',' loi'seule viendras de lutins, et brûlant d'impatience de voir la suite de tout ceci.
gémir au lieu de mou repos INKEL/ Allons les rejoindre.
El pourtant il me semble qu'un rayon de paix brilleà travers le TRACV. Quoi donc ! n'nllcz-vous pas rentrer au cours?
nuage de m'a douleur; el la pensée que Ion coeur a sympathisé avec INKEL. La salle est encombrée; un spectre ne trouverait pas a
le mien suspend un moment mes souffrances- s'y placer. D'ailleurs, notre ami Scamp est aujourd'hui si absurde
Oh! bénies soient tes larmes ! elles'sontprécieuses et doublement TRACV. Coniment pouvez vous le avoir avant de l'avoir cniendii!.
chèresà celui dont les yeux ne peuvent plus en répandre. INKEL. J'èii ai entendu ipU| autant qu'il m'en faut; cl, à vous
Femme adorée, il fut un leinps où mon coeur était chaleureux et parler franchement, ma retraite, a eu pour motif ses absurdités, non
tendre comme le tien; mais la beautéelle-même a cessé de charmer moins que ta chaleur.
un malheureux né pour souffrir. TnAev. Je n'aurai donc pas perdu grand'chose?
El pourtant tu me pleurerasquand je ne serai plus ! Douce beauté, INKEL. Perdu!... uii fatras pareil! j'aimerais mieux inoculer à
redis-moi ces mois charmants. Toutefois, s'il l'en coûta de les redire, ma femme la bave d'un chien enragé que de lui faire entendre deux
lais-loi : jamais je lie voudrais l'affliger. heures durant le galimatias dont il nous inonde, pompé avec ant
d'eflbil, dégorgé avec tant dé peine, que Venez, ne me faites
point parler mal du prochain.
TRACY. Moi ! vous 'aire parler!
INKEL. Oui, vous! je n'ai rien dUjusqu'aumomcnloùvous m'avez
forcé, en disant la vérité.....
TRACV. De parler mal ! est-ce là votre déduction ?
LES INKEL. En niellant ce Scamp à sa juste valeur, je suis l'exemple,
je ne le donne pas. Ce gaijlard-là n'est qu'un imbécile, un impos-
teur, un niais.
BAS-BLEUS. TRACV. El la foule d'aujourd'hui prouve qu'un imbécile en pro-
duit beaucoup d'antres. Mais,' nous deux, nous serons sages.
INKEL. Alors, je vous en prie, relirons-nous.
TIIACT. Je ne demanderais pas mieux, mais
INKEL. Pour vous attirer dans celle serre-chaude il faut qu'il y
EGLOGUES LITTERAIRES. ,
ail pour vous un objcl d'attraction plus vif que Scamp cl la harpe
juive qu'il appelle sa lyre.
TRACY. C'est vrai, je l'avoue : une beauté charmante.
mu' INKEL Une demoiselle?
TRACY. Miss Lilnsl
INKEL. Le bas-bleu? l'héritière?
PREMIERE EGLOGUE. TRACY. L'ange!
INKEL. Le diable! Eh! mon cher! tirez-vous de ce mauvais pas
aussi vite que vous pourrez. Vous, épouser missLilas! ce sérail vous
perdre : c'est un poeie, uii chimiste, un mathématicien.
Londres, devant la porte d'un cours public. TRACY. C'csl un caractèred'ange.
INKEL. Oui, d'angle... Si vous l'épousez, vous ne larderez pas ii
TRACY aborde INKEL. en venir aux gros mots. Je vous dis, mon cher, que c'est un bas-
bleu, aussi bleu que l'éther des cieux.
INKEL. VOUS arrivez trop tard. TIIACT. Est-ce là un motif pour que nous ne puissions nous en-
tesl-cc donc fini?
TRACV. tendre?
INKEL. Non ; el ce ne sera pas fini dans une heure : mais les bancs
s INKEL. Hum! jepuisdiren'avoir jamsiisvulnconcordcrésultard'ini
ressemblentà un parterre tant ils sont bien t'arnis de la fleur deî hyménée avec la science. La dame est si instruite en toute chose,
,
nos beautés, qui en ont fait une mode.Commeon dil les beaux arts,, et si empressée à pénétrer tout ce qui se rattache aux objets scien-
nous appellerons la belle passion celle manie de science dont le3 lifiques, que...
grand monde s'est tout récemmentépris, cl qui a fait de tous noss TIIACY. Quoi?
hommes comme il faut des lecteurs enragés. INKEL. Je ferais peut-être aussi bien de me taire; mais cinq cents
TIIACÏ. Je ne le sais que trop; car j'ai mis à houl ma propre pa- personnes vous diront que vous avez tort.
tience, en m'éludianl à bien étudier tontes vos publications nou- TRACV. VOUS' oubliez que lady Lilas est riche comme une juive.
velles. J'ai lu Vamp et Scamp; Southey,'Wordsvvorlh et compagnie, INKEL. Esl-çe la demoiselle ou les écus de la maman que vous
el tout leur diable de ,
avez en vue?
INKEL. Arrêtez, mon bon ami, savez-vousbien à qui vous parlez?? TnACY. Mon cher, je serai franc avec vous... je poursuis les deux
TRACV. Parfaitement, mon cher; vous êtes connu dans Pater ** pbjels à la fois. La demoiselle est une fort belle fille.
wisiir Ihnv. Vous êtes un auteur, un poète.
dre décrier les muses?-
TRACT.
' :•::':
'INKEL. Et vous imaginez-vous que je puisse de sang froid enten-
i-
Excusez-moi : je n'ai pas en l'intention d'offenser les !S
'"INKEL. Et VOUS ne vous sentez aucune répugnance pour la snc-
cession de son excellente mère, qui, je vous en avertis, m'a loi'1
l'air de vouloir vivre pour le moins autant que vous.
TRACV. Qu'elle vive, et aussi longtemps qu'il lui plaira; je no
neuf soeurs; quoique à vrai dire le nombre de ceux qui 'prêten- demande que le coeur et la main de sa fille,
denlà leur- faveurs...., Mais laissons-là,
ce sujet : je sors tout chaud
d INKEL. Son coeur est dans son encrier; sa main ne sait If ni''
de la boutique dun libraire contre celle d'un pâtissier, en sortee qu'une plume.
que, si je ne trouve pas sur les rayons du bibliopole le livré ië
que TRACY. A propos pourriez-vous me composer quelques KHII-
je cherche, je n'ai qu'à l'aire deux pas pour me rendre chez le voi- i- plels de temps à autre?
sin; car vous savez que lous les auteurs se trouvent dans l'un ouu INK.ÎL. Daiis quel but?
l'autre lieu. Or. je viens de parcourir une critique charmante, leU I- TRACY. VOUS savez, mon cher ami, qu'en prose j'ai, à tout pren-
Icmenlsaupoudréed'esprit, tellement aspergée de grec! volre'airii... dre, un talent fort huiiuélc; mais en vers
vous savez... y est si joliment flagellé que, pour me servir de le IKKÉL. VOUS Çtes terriblement dur, il faut l'avouer.
l'expression des piéiistes, c'est on ne peut ,
plus « rafraîchissant. » TRACY.J'en conviens; ai cependant, au lemps où nous vivons, il
Un mot admirable ! n'y a pas d'appât plus certain pour gagner le coeur des belles, qu'un*
INKEL. C est vrai ; il a quelque chose de si doux et de si pur' ! slaoce ou deux ; et', comme je suis peu au courantde la chose, auriez-
peut-être s'en sert-on un peu trop souvent; les journaux eux-mêmes es vous la bonté'de m'en fournir quelques-unes?
ont fini par l'adopter.... mais n'importe. Vous dites donc"qu'ils ont
nt INKEL. Soiis votre nom?
houspille notre ami! !" TRACY. Sous mon nom. Je les recopierai et les lui glisserai dans
TRACV. Ils ne lui ont pas laissé un lambeau, pas une guenille de le la main pas plus lard qu'au prochain raout.
sa réputation présente ou passée, qui, disent-ils, esl une honte pour
u'r INKEL. Vos'affaires sont-elles donc tellement avancées que vous
le siècle et la nation. puissiez vous hasarder jusque-là?
(OUVRES COMPLÈTES DE LORI) pXRQN H3

TRACY. Comment donc! me croyez-vous subjugué par les yeux


u» bas-bleu-an point de n'oser lui dire en vers ce que j'ç lui ai dit
le moins aussi sublime'? EGLOGDE SECONDE.
a prose, pour est" ainsi, vous n'avez nul besoin
INKEL. Aussi sublime ! s'il en
le ma muse.
' '"
lin appartement chez lady Bluehotlle. — Une table servie.
TIIACV. Mais considérez, mop cher Inkel, qu'il s'agit d'un bas-
ileu- "" ' ''
plus mal ma-
IXKEL. Aussi sublime ! monsieur Tracy , je . n'ai plus rien à vous SIR RICHARD BLUEHOTTLE.seul. Jamais homme ful-il
lire- Tenez-vous-en à In prose./.!', aussi sublime! Mais'.;.'! je vous rié? Imbécile de m'eirc tarit pressé! Voilà ma vie sens - dessus-des-
wduiilc le bon soir. .•..-,.,. sous'eliiion repos'détruit. Mes'jdurs. qui ''s'écoulaient naguère dans
Ï'HACY. Arrêtez, pion cher amj ; songez donc un néant si doux, sont maintenant occupés pendant les douz" heu-
j'ai tort, je
l'avoue; mais, je vous'en prie, failes:mdi les couplets. res du cadran. Que dis-je, douze h<*nres'k.. des vingt qualrc'h'ures;
IXKEL. Aussi sublime! en est-il une seule que je puisse dire à moi? Au milieu de ce tour-
TIIACV. L'expression m'est échappée. billon de promenadesen voiture, de visites, de danses, de dîners, de
INKEL. Cela se peut, monsieur Tracy: mais cela dénote un bien celle manie d'apprendre, d'enseigner, d'écrivailler. de briller datis
mauvais goûl. ' ' ' '"' '' • " ' ! les sciences et les arts, du diable si je puis me distinguer de nia
TRACY. Je le confesse, je le sais, je le reconnais... que faut-il femme;' car , bien que nous soyons deux, je ne sais comment elle
vous dire do plus?
'"'"•'
.' ' >- s'y prend, mais elle a soin en toute chose de montrer que nous ne
INKEL. Je vou- comprends. Vous dépréciez mes talents par d'in- faisons qu'un. Mais ce qui me désespère encore plus que les
sidieuses attaques, jusqu'au moment où vous croyez pouvoir les mémoires à régler chaque semaine (quoique ce point-là me soi! très
faire servir à voire avantage. ' '"'' ' "" douloureux}, c'est celte bande nombreuse, railleuse, médisante,

TUACY. El n'est-ce pas là une prouve que j'en faiscas? d'écrivassiers,de beaux-esprits, de professeurs, blancs, noirs, bleus,
IXKEL. J'avoue qu'en effet cela change l'étal de là question. qui prennent ma maison pour une auberge, et y font bombance à
TIIACY. Je sais ce que je fais; cl vous qui n'êtes pas moins homme mes dépens... car il paraît qu'ici c'est l'hôte qui paie la carie... Nul
du monde que poêle, vous n'aurez pas de peine à comprendre'que agrément! nul loisir! nulle considération pour ce que je souffre,
je n'ai jamais pu avoir rinlcntion d'offenser par mes paroles un rien qu'à entendre un sol jargon qui m'étourditia cervelle, un l-abil
truie Ici que vous, et d'ailleurs un ami. superficiel, pillé dans les revues par l'insipide coterie des bas bleus,
IXKEL. .SUIS douta : je vous ai fait comprendre ce qui est dû à ramassisde gens qui ne savent même pas... Mais, chut, les voici ;
un homme... Mais, venez, donnons-nous une poignée de main. plût à Dieu que je fusse sourd! Cela n'étant pas, je serai muet.
TIIACV Vous saviez, et vous savez, mon cher ami, avec quel cm- ENTRENT : LADY BI>UKIIOTI'LIÏ MISS M LAS, LADY MAJOIONT,
•iressi'iiicntj achète tout ce que vous publiez.
,
MESSIEURS BOTiiKiinv, IN i; 1:1,, TUACY, miss .M V/,AIUN*K, ET
IXKEL. C'est l'alïuiro de mon libraire; je nie soucie fort peu de la AUTRES, AVEC LE PROFESSEUR SCAMP, .ETC., ETC.
vrnte: el, en ell'cl, les meilleurs poèmes commencent toujours par LADY RLUEIIOTTLE. Ah! bonjour, sir Hicliard ; je vous amène quel-
faire peu d'argent ; témoin les épopées du Kenégnl, les drames de ques amis.
l'ol'erby, el moi-même, mon grand poème romantique... SIR RICHARD, à part et après avoir salué. Si ce sont des amis, ce
TIIACY. A eu le succès qu'il méritait : j'en ai lu l'éloge dans la sonl les premiers.
Renie des vieilles filles. LADY BLUEROTTLE. Mais la collation est prêle. Veuillez vous as-
INKEL. Quelle revue? seoir sans cérémonie. M. Scamp, vous êtes l'aligné ; mettaz-votisprès
TIIACY. C'est le journal de Trévoux de l'Angleterre, oeuvre ecclé- de moi. (Tout le monda prend place.)
siastique des jésuites de chez nous. Ne l'avez-vous jamais vue? ' SIR RICHARD, à part. S'il accepte, c'est alors que ses fatigues vont
INKEL (Test un plaisir que j'ai encore à me procurer. | commencer.
TIIACV. En ce cas, dépêchez-vous. LADY HUIEIIOTTLE. M. Tracy,.. lady Bluemont,... miss Lilns, as-
INKEL Pourquoi? seyez-vous , je vous prie ; et vous aussi, "monsieur Botherby.
TIIACY. J'ai entendu dire que l'autre jour ce journal a failli rendre HoTiiEniiY. Madame, j'obéis.
lame. ' ' LADY BLUEROTTLE. Monsieur Inkel, j'ai à vous gronder : vous
IXKEL. lion ! signe qu'il ne manque pas tout-à-fail d'esprit. n'étiez pus au cours.
TIIACY. Certainement. Serez-vous au mont dé la comtesse de INKEL. Excusez-moi,j'y étais; mais la chaleur m'a forcé de sortir
l'iildleconie? au plus bel endroit, hélas! et au moment où
INKEL. J'ai une invitation et je m'y rendrai; mais pour le mo- LADY BLUEROTTLE. Il est vrai qu'on étouffait; mais vous avez
meiil, aussitôt qu'il plaira à l'ami Scamp de descendre de lu lune perdu une bien belle séance.
(«u il va sans douta chercher son esprit égaré), aussitôt, qu'il don- BOTIIEURY. La meilleur des dix.
nera du répit à sa manie professorale, je suis engagé chez lady IJlue- I TRACV. Comment pouvez-vous le savoir? il doil y en avoir en-
liol11o, pour y prendre ma pari d'un souper froid et d'une conversa- : corc deux.
tion instructive; cest une sorte de réunion doiil Scamp esl l'objet, BOTHERBY Parce que je défie daller au-delà des merveilleux ap-
. d'aujourd'hui. La salle
les jours où a lieu son cours : là on lui sert de la laùgue froide et plaudisscnenls en était ébranlée.
*l"s louanges à discrétion. J'avoue, polir ma part/que celle réunion
, INKEL. Oh! si c'est à ce signe qu'il faut s'en rapponer j'accorde
,
un rien de désagréable. Voulez-vous v venir? Miss Lilas y sera. que noire ami Scamp vient d'atteindre aujourd'hui s.in apogée.
TIIACY. Voilà un métal attiaclif. Miss Lilas, permellez-moi de vous servir une aile?
IXKEL. Oui certes... pour la poche. Miss LILAS. Je ne prendrai rien dp plus, monsieur; je vous re-
TIIACY. VOUS devriez encourager ma passion au lieu de la rail- mercie. Qui fera le cours, le printemps prochain?
,
'«'•• > aisallons; car d'après le bruit que j'entends... ROTIIEMIY. Dick Dunder.
IXKEL. VOUS avez raison ; partons avant qu'on ne vienne ici, si INKEL. C'est à-dire, s'il vil encore à celle époque.
"pus ne voulons que ces daines nous tiennent une heure à leur au- Miss LILAS. l£t pourquoi ne vivrait i! pas?
«icnce, exposés à l'interrogatoire cl au côntrè-interrogatoirede tonte INKEL. Par l'unique raison qu'il n'est qu'un sot. Lady Bluemont,
11 troupe des bas-bleus. Diable! les voilà qui arrivent ; je reconnais un verre de Madère?
iii neux llotlicrby, à sa voix de faux-bourdoii,'à sa manière-de par- LADY BLUESIONT. Volontiers.
"r ex cathedra. Oui! c'esl lui-même. Pauvre Scahip! hâte-loi de INKEL. Comment va notre ami Wordsworlh ce trésor des monls
tamr rejoindre .tes amis; sinon "il le paiera de la propre monnaie. de Windcrnière? Rcsle-l-ii fidèle à ses lacs, ,comme les sangsues
IRACY. Il n'y a rien là que de juste; ce sera leçon pour leçon. qu'il chaule avec ceux qui tas pèchent, ainsi qu'Homère chantait
IXKEL. C'est évident. Mais au nom du cié! ! él'uignohs-noûs, si les héros et les rois?
nous voulons éviter ce fléau. Venez,'venez! je pars. LADY BLUEROTTLE. Il vient d'obtenir un emploi.
(INKEL sort.) JNKEL. De laquais?
LADY BLUEMONT. Fi donc! ne profanez pas de vos sarcasmes un
TRACY. Vous avez raison, je vous suis; tout à l'heure, je pourrai nom aussi poétique,
l"'e : *S»c meservavitAiiolto! » Nous allons avoir toule la bande à INKEL. J'ai parlé sans mauvaise intention ; seulement, je plaignais
'"S trousses, bas-bleus, dandys, douairières, scribes en sous-ordre. son maître; certes, le poète des colporteurs peul, saiis déruger',
"us accourant en foule chez lady Bluehotlle pour humecter d'un porter une nouvelle livrée; d'autant plus que ce n'est pas la pre-
'erre de madère leurs gosiers délicats. mière fois qu'il a retourné ses croyances et son habit.
(TRACY sort.) LADY BLUEMONT. Fi donc! vous dis je; si par hasard sir George
vous entendait....
LADY BLUEBOTTLE. Ne faites pas attention à ce que dit notre ami

SIR RICHARD. Mais cet emploi?


•:!
Inkel ; nous savons tous, ma chère, que c'est sa manière de parler..
INKEL. C'esl peut-être comme celui de notre ami Scamp, un em-
I ploi de'professeur. '
\kk LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

LADY BLUEBOTTLE.Pardonnez-moi...il est employé au timbre. Il SCAMP. US ont du mérite, je l'avoue; seulementleur système reste
a été nommé collecteur. inconnu
in par le seul fait de son absurdité.
TH-'CT. Collecteur. INKEL. Pourquoi donc ne pas le dévoiler dans l'une de vos leçons?
SIR RICHARD. Comment? SCAMP. Ce n'est qu'aux temps passés que s'étendent mes attribu-
Miss LILAS. Quoi? tions.
ti>
INKEL. Je penserai souvent à lui en achetant un chapeau neuf, LADY BLUEBOTTLE. Allons, trêve d'aigreur!.... La joie de mon
c'est là que pa> auront ses oeuvres (1). coeur
c< esl de voir le triomphe de la nature sur tout ce qui tient à
LADY BLUEMONT.Monsieur, elles ont pénétré jusqu'au Gange. l'art
l'i : sauvage nature! grand Shakespeare!
INKEL. Je n'irai pas les chercher si loin. —Je puis les avoir chez BOTHERBY. Et à bas Aristole !
Grange (S). LADY BLUEMONT. Sir George pense exactementcomme lady Blue-
LADY BLUBBOTTLE. Obi fil b
bottle; et mylord Soixante-quatorze (l), qui protège notre cher
Miss LILAS. C'esl très mal. b
barde, et qui lui a fait avoir sa place, professe la plus grande estime
LADY BLUEMONT. Vous êtes trop méchant. p
pour le poète qui, chantant les colporteurs et les ânes, a trouve le
BOTHERBY. Très bien ! n
moyen de se passer du Parnasse.
LADY BLUEMONT. Comment, très bien? TRACY. El vous, Scamp?
LADY BLUEBOTTLE.Il n'y attache aucun sens, c'esl sa manière de SCAMP. J'avoue que je suis embarrassé.
parler. INKEL. Ne vous adressez pas à Scamp qui n'est déjà que trop
LADY BLUEMONT. Il devient impoli. fatigué
f' ,
d'écoles anciennes, d'écoles nouvelles, d'écoles de tout
LADT BLUEBOTTLE. Il n'y attache aucun sens, demandez-le lui ggenre et même de ce qui n'est d'aucune école.
plutôt. TRACY. Ce qu'il y a de certain c'est qu'il faut que les uns ou les
LADY BLUEMONT. Dites-moi, je vous prie, monsieur, avez-vous autres ,
soient des imbéciles ; je voudrais bien savoir qui.
a
voulu dire ce que vous avez dit? INKEL. Et moi je ne serais pas fâché de savoir qui ne l'est pas; cela
INKEL. N'y faites pas attention : on sait que ce qu'il pense n'a i
nous épargnerait bien des recherches,
jamais rien de commun avec ce qu'il dit. LADY BLUEBOTTLE. Laissons les épigrammes ! que rien ne vienne
BOTHERBY. Monsieur? entraver
e
.
cet « épanouissementde notre raison, cet essor de l'âme. »
INKEL. Contentez-vous,je vous prie de ce genre de louange ; ( mon cher Botherby) sympathisons!j'éprouve maintenant un le!
O
c'est dans votre intérêt que j'ai parle. , ravissement,
r que je suis prête à m'envoler, tant je me sens élastique
BOTHERBY. En toute humilité, vous m'obligerez de me laisser ce t légère
et légère!
soin. INKEL. Tracy, ouvrez la fenêtre.
INKEL. Ce serait votre perte. Tant que vous vivrez, mon cher . TRACY. Je lui souhaite beaucoup de plaisir.
Botherby, ne vous défendez jamais vous-même, non plus que vos BOTHERBY. AU nom du ciel, mylady Bluebottle, ne comprimez pas
ouvrages: chargez-en un ami. A propos... votre pièce est-ellereçue cette < douce émotion/qu'ilnous est si rarement donné d'éprouversur
à la fin? 1la terre. Laissez-lui un libre cours; c'est une impulsion qui élève
BOTHERBY. A la fin ? inos esprits au-dessus des choses terrestres; c'est le plus sublime
INKEL. C'est que, voyez-vous? je croyais,... c'est-àdire,... des de
< tous les dons; c'est pour lui que le malheureux Prométhée fui
bruits de foyer donnaient à entendre... vous savez que le goûl des enchaîné < sur son roc. C'est la source de toute émotion , la véritable
acleurs est comme ci, comme ça. origine
<
de la sensibilité ; vision du ciel sur la (erre ; gaz de l'ame;
BOTHERBY. Monsieur, le foyer est dans l'enchantement, ainsi faculté
< de saisir les ombres au passage et d'en faire des substances;
que le comité. ien un mot,
quelque chose de divin.
INKEL. Oui certes, vos pièces excitent toujours « la pitié et la INKEL. VOUS verserai-je du vin, mon ami?
peur;» comme disaient les Grecs : « C'est un purgatif pour l'es- BOTHERBY. Je vous remercie; je ne prendrai plus rien d'ici au
prit ; » je doute que vous laissiez après vous quelqu'un qui vous dîner.
égale. INKEL. A propos.... dînez-vous aujourd'hui chez sir Humphry?
BOTHERBY. J'ai écrit le prologue, el me proposais de vous deman-. ,
TRACY. Dites plutôt chez le duc Humphry; c'est plus dans vos
der pour l'épilogue un ragoût assaisonnéà votre manière. habitudes.
INKEL. Il sera toujours temps d'y penser quand on jouera la pièce. INKEL. Cela pouvait être autrefois; mais, mainlenant, nous au-
Les rôles sont-ils distribués? tres écrivains, nous adoptons pour hôte le chevalier de préférenceau
.

BOTHERBY. Les acteurs se les disputent, comme c'est l'habitude duc. La vérité est qu'aujourd nui un. auteur se met tout-à-fait à son
dans ce plus litigieux de tous les arts. aise, et (son éditeur excepté ) dine avec qui bon lui semble. Mais il
LADY BLUEBOTTLE. NOUS nous rendrons tous ensemble à la pre- est près de cinq heures, el il faut que j'aille au parc.
mière représentation. TRACY. J'y ferai un tour avec vous jusqu'à la nuit; et vous, Scamp?
TRACY. Kl vous avez promis l'épilogue, Inkel. SCAMP. Excusez-moi : il faut que je prépare mes notes pour nui
INKEL. Pas lout-à-fait. Cependant, pour soulager notre ami Bo- leçon de la semaineprochaine.
therby, je ferai ce que je pourrai, quoique je sache que j'aurai dou- INKEL. C'est juste. Il faut qu'il prenne garde de ne pas cilcr nu
ble peine. hasard en consultant les « Extraitsélégants » (1).
TRACY. Pourquoi cela? LADY BLUEHOTTLE. Eh bien! levons la séance; mais n'oubliez pas
INKEL. Pour ne pas rester trop au-dessous de ce qui précède. que miss Diddle nousa invités à souper.
BOTERBY. Sous ce rapport, je suis heureux de pouvoir dire que INKEL. Et puis, à deux heures du matin, nous nous réunissons
j'ai l'esprit tranquille. M.-Inkel, le rôle que vous remplissez sur la tous encore pour nous réconforterde science, de sandwiches et de
scène littéraire... Champagne.
INKEL. Laissezlà mon rôle; occupez-vous de ceux de votre pièce; TRACY. Et d'excellente salade de homard!
c'est là votre affaire, à vous. BOTHERBY.Je fais grand cas du souper ; car c'est là que nos sen-
LADY BLUEMONT. Vous êtes, je pense, monsieur, auteur de poésies timents coulent naturellement... c'est alors que nous sentons...
fugitives? INKEL. Rien de plus certain ; le sentiment est alors indubitable-
INKEL. Oui, madame; et quelquefois aussi lecteur très fugitif : ment plus actif : je souhaiteraisqu'il en fût de même de la digestion.
par exemple, il est rare que je me pose sur Wordsworth ou son LADY BLUEBOTTLE.Bah ! ne faites pas attention à cela ; une minute,
ami Southey sans prendre aussitôt ma volée) de sentimentvaut Dieu sait quoi.
LADY BLUEMONT. Monsieur, vous avez le goût trop vulgaire; mais INKEL. Il vaut la peine qu'on le cache, pour lui-même ou pour ses
le temps et la postérité rendront justice à ces grands hommes, et suites.... Mais voici votre carrosse.
reprocheront à notre siècle sa rigueur excessive. SIR RICHARD à part. Je souhaiterais que tous ces gens-là fussent
INKEL. Je ne m'y oppose aucunement, pourvu que je ne sois pas au diable, et mou mariage aussi !
du nombrede ceux qu'atteindra l'épidémie. (Tous sortent.)
LADY BLUEBOTTLE. VOUS douiez peut-être qu'ils puissent jamais
prendre? (î) Le comte de Lonsdale qui, pendantla guerre d'Amérique, offrit i
INKEL. Pas du tout; au contraire. Lcslakistes, en fait de pensions son pays un navire de 74 armé et équipé,
et de places, ont déjà pris el continuerontà prendre... tout ce qu'ilsi (l)^ei5ueÏÏTq&i~esten Angleterrece que sont en France les leçons de M-
Ur/m,h «e M. NÔel., c'est-à-dire un ramassis de fragments poôtiqi"*8
pourront, depuis un denier jusqu'à une guinée. Mais laissons, je trop^èojirius.
vous prie, ce pénible sujet.
y\
~^/.
LADY BLUEMONT. N'importe, monsieur ; le temps marche.
INKEL. Scamp ! ne sentez-vous pas votre bile s'émouvoir ? que
l '^ O
i
r I '. ""-
\ FIN DES BAS-BLEUS.
dites-vous à cela? —- I\ ••- .'

(1)En Angleterre, le timbre légal s'applique à une foule d'objets d'in-


dustrie, tels que les chapeaux, etc.
(2) Célèbre pâtissier et fruitier dans Piccadilly.
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON. I'»»

MÉLODIES HEBRAÏQUES.

LA FEMME.

Elle marche dans sa beauté'.'ipaiidjHéà la nuit des climats sans


mmees et des cieux étoiles : totîtxe qù'orit-de^lus suave la lumière
J46 LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

LES RIVES DU JOURDAIN. LA LARME ET LE SOURIRE.

Sur les rives du Jourdain errent les chameaux de l'Arabe ; sur Je te vis pleurer : une grosse larme apparut brillante sur Ion oeil
les collines de Sion viennent prier les adorateurs'des faux dieux : d'azur, et il me sembla voir sur une violette une goullede rosée. jc
l'adorateur de Baal s'incline sur les sommets de Sinaï... el là... là te vis sourire : auprès de toi le saphir perdrait son éclat : il ne
même... ôDieu! tu laisses dormir ta foudre! saurait égaler ces vivants rayons qui remplirent ton regard.
Là, où ton doigt écrivit sur les tables de pierre; où vint briller, Comme les nuages reçoivent du soleil une teinte harmonieuse et
aux regards de Ion peuple, Ion ombre, l'ombre de ta gloire enve- profonde, que l'ombre du soir qui s'avance peul à peine effacer des
loppée dans son manteau de feu... car toi-même... nul vivant ne cieux; ainsi tes sourires communiquent leur joie pure à l'esprit i0
peut te voir sans mourir! plus sombre : leurs clartés laissent après elle un reflet qui continue
d'éclairer le coeur.
Oii ! faisélinceler ton regard dans les feux de l'éclair ; arrache
la lance de la main tremblante de l'oppresseur. Combien de temps
encore les tyrans fouleront-ils la terre qui t'appartient? Combien LA MORT DU HÉROS.
de temps, ô Dieul ton temple restera-t-il sans adorateurs.
Tes jours sont finis, la renommée commence : les chants de la
patrie racontent les triomphes du fils de son choix, le sang versé
LA FILLE DE JEPHTÊ.
Îiar son épée, les exploits accomplis, les victoires remportées, la
iberté rétablie.
Puisque notre pays, notre Dieu... ô mon père! demandent que ta Tues tombé, mais tant que nous serons libres, tu ne connaîtras pas
fille expire ; puisque ta victoire a été achetée par ton -Voeu, frappe ce la mort : le sang généreux qui est sorti de Ion sein dédaigna d'a-
sein que je dévoile pour toi. breuver la terre : qu'il circule dans nos veines, que ton souffle suit
le nôtre.
La voix de mon deuil s'est tue, les montagnes*ne me voient plus
errer sur leurs pentes : immolée par la main que j'aime, le coup Ton nom, quand nous chargerons l'ennemi, sera notre cri de
sera pour moi sans douleur. guerre-, ta morl, le sujet des chants que nos vierges cnlouncront
' Et n'en doute pas, ô mon pôrel le sang de ta fille est aussi pur
en choeur! Des larmes seraient une insulte à ta gloire : nous ne le
pleurerons pas.
que la bénédiction que j'implore avant de le répandre, que la der-
nière pensée qui me console ici-bas.
Ferme l'oreille aux lamentationsdes vierges de Solyme ; sois in- CHANT DE GUERRE.
flexible comme juge et comme héros! j'ai -gagné,pour toi la grande
bataille ; mon père cl mon pays sont libres. Chefs et guerriers! si la flèche ou l'êpée me frappent quand je
guide au combat l'armée du Seigneur, que mon cadavre, le cadavre
Quand ce sang que tu m'as donné aura jailli de mes veines, d'un roi, n'arrête point votre marche : ensevelissez votreglaive dans
quand la voix que tu aimais sera muette, que mon souvenir soit en- le sein des enfants de Gath.
core ton orgueil, et n'oublie pas que j'ai wiri en mourant!
Toi qui portas mon arc et mon bouclier, si tu vois les soldais do
Saiil reculer devant l'ennemi, étends-moi aussitôt tout sanglant à
tes pieds ! je subirai le destin qu'ils n'osent affronter.
SOUVENIR.
Adieu âmes autres enfants, mais ne nous séparons pas, hérilict
Obeauté ravie dans la fleur, un lourd tombeau ne pèsera point de mon trône, fils de mon coeur! brillant est le diadème, infinie lu
puissance, ou digne d'un roi la mort qui nous attend aujourd'hui.
sur toi ; mais sur ton tertre de gazon fleurirontdes roses, les pre-
' mières de l'année, et le sauvage cyprès y balancera, y jettera son
ombre douce et mélancolique.
Et souvent, surlos flots bleus de cette onde murmurante, la dou- SATJL A ENDOR.
leur viendra pencher sa tête affaiblie : nourrissant sa pensée de I ';
longues rêveries, elle ne quittera ce lieu qu'à regret et y marcherai ] * T«idi>Ml'les«i»ebantémentspeuventévoquer lesmorls, ordonnr
sans bruit, pauvre insensée, comme si le bruit de ses pas pouvaitt I %ïk>n*rei^fc
, prophète d'apparaître devant moi. — Samuel, lève la
troubler les morls. '"• ittte3kore flû tomlieau! O roi, regarde le spectre qui sait l'avenir.
»

— Assez! nous savons que toutes larmes sont vaines , que lai La terre s'enlr'ouvrit : il était debout au milieu d'un nuage de va-
mort n'entend pas nos plaintes, nes'inquiôte pas de nos douleurs.— peurs ; la lumière s'écartait de son linceul et changeait de teinta.
Cela nous empêchera-t-il de nous plaindre ? le regret en pleurcra- La mort était empreinte dans ses yeux fixes et vitreux ; sa main était
t-il moins? Et loi-même... toi, qui me conseilles d'oublier, Ion vi- flétrie et ses veines desséchées; les os de ses pieds, amincis et dé-
sage est pâle et tes yeux sont humides. charnés, brillaient d'une effrayante blancheur. De ces lèvres im-
mobiles, de ce sein que n'agitait aucune respiration il sortit une-
voix creuse comme le vent qui parcourt un souterrain. , Saiil, à
,
celle vue, tomba sur le sol le
comme tombe tout-à-coup chêne ren-
TRISTESSE.
versé par la foudre.

Mon âme est sombre... Oh! hâte-toi de faire résonner la harpe « Pourquoi trouble-t-on mon sommeil? Quel est celui qui évoque
les morts? Est-ce toi, ô roi? Regarde : mes membres sont glacés,
que je puis encore entendre ; que tes. doigts gracieux sollicitent le épuisés de sang; tels seront demain les liens quand tu seras près de
louchant murmure qui caressera mon oreille. S'il reste au fond de^ moi; avant la fin de ce jour qui va naîlrc, tel tu seras, tel sera ton
mon coeurquelque espérance chérie, le charme de tes accords la fera* fils. Adieu! mais seulement pour un jour, puis nous mêlerons nos
resurgir; si mes yeux ont encore une larme, elle coulera, et ne poussières. Toi et le premier de ta race, vous resterez gisanls sur la
brûlera plus mon cerveau.
terre et percés des flèches d'un grand nombre d'arcs ; et le glaive
Mais que ta mélodie soit naïve et grave, que les premiers accenlss qui est à ton côté, la main le dirigera contre ton coeur. Sans coii-
ne respirent point la gaîté : ne l'oublie pas, musicien : il faut que je l ronne, sans vie, sans tête, tomberont le fils et le père, la maison de
pleure ou ce coeur gros de tristesse va éclater; car il a élé abreuvi SaUL
,
de douleur, el depuis longtemps il souffre dans le silence et l'insomî-
nie. Le moment est arrivé où il doit connaître le comble de la souf-f-
france et se briser d'un seul coup... ou céder au charme de l'har-r_ TOUT EST VANITE.
monie.
Gloire, sagesse, amour, puissance étaient mon partage ; je bril-
lais de santé, de jeunesse; les vins les plus exquis rougissaient ni:'
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BlliON. U7

poupe, d'aimables enchanteresses me prodiguaient leurs baisers :


],,s veux
de labeautéétaient le soleil qui réchauffait mon coeur, et je L'ÉTOILE.
peiiiais mon âme se remplir de volupté : tout ce que la terre peut
donner de royale splendeur, tout ce qu'un mortel en peut désirer, Soleil de l'insomnie! aslre mélancolique, dont'le tremblant et
je l'avais. lointain rayon brille à travers les larmes, et rend visibles les ténè-
fouille dans ma mémoire, pour compter les jours que je pour- bres qu'il ne peut dissiper, comme tu ressembles au bonheur dont
,1e
rais consentira revivie, au prix de tout ce que cette vie et cette terre on a le souvenir!
oui de plus séduisant. Nul jour ne s'est levé, nulle heure ne s'est
écoulée, d'un plaisir sans amertume ; et nul joyau ne parait ma Ainsi luit le passé, celte clarté des anciens jours dont les rayons
puissance, qui ne fût douloureux autant que brillant.
impuissantsbrillent sans échauffer ; nocturne flambeau que conlem-
pleladouleur qui veille; lueurdistincle, mais lointaine... claire, mais
L'art et les paroles magiques peuvent rendre inoffensif le serpent froide... oh! bien froide.
des campagnes; mais ce serpent qui s'enlace autour du coeur, oh!
oui pourrait le charmer! Il n'écoute point la voix de la sagesse,
cette harmonie ne l'attire point ; mais son dard perce incessam- ' LE JUIF.
nient l'âme condamnée à l'endurer.
Avec un coeur faux, comme tu le penses, je n'aurais pas eu be-
soin d'errer loin de la Galilée; il suffisait d'abjurer ma croyance
L'AME. pour effacer la malédictionqui est, dis-lu, le crime de ma race.
Si le méchant ne triomphe jamais, alors Dieu est avec loi! Si
Quand un froid fatal saisit cette argile souffrante, diles-moi : l'esclave est seul sujet au péché, lu es aussi pur que libre ! Si l'exilé
l'âme immortelle? Elle ne peut mourir, elle ne peut rester;
où va
mais elle laisse derrière elle son obscure poussière. Alors, dégagée
!
sur la terre est proscrit là-haut, vis dans ta foi ; je veux mourir
dans la mienne.
du corps, suit-elle pas à pas dans les cieux la route de chaque pla-
nète? ou bien remplil-elle à la fois tous les domaines de l'espace, Pour celle foi, j'ai perdu plus que tu ne peux me donner; il le
oeil universel à qui tout se découvre?
sait bien, ce Dieu qui permet que tu prospères. Il tient dans sa main
Eternelle, inaltérable, infinie, pensée invisible, mais voyant tout, mon coeur et mon espérance ; et lu as dans la lien ne ma pairie et
cllcsail pénétrer, elle sait rappeler à sa pensée tout ce que renferment : ma vie que j'abandonne pour le servir.
la terre cl les cieux. Tous ces faibles vestiges du passé que la mé-
moire garde si obscurs, l'âme les embrassed'un vaste coup d'oeil, et
loul ce qui fut lui apparaît à la fois.
REGRETS D'HÉRODE.
Avant l'époque où la création a peuplé la terre, son regard re-
monte à travers le chaos, et, pénétrant aux lieux où le ciel le plus O Mariamne I il saigne maintenant pour toi, le coeur qui fit verser
lointain a pris naissance, elle le suit dans tous ses développements. • Ion sang : le ressentiment se perd dans la douleur, el le remords
Invoquant tout ce que l'avenir doit créer ou détruire, sa vue s'étend succède a la rage. O Mariamne, où es-lu ? Tu ne peux entendre mon
sur tout ce qui sera. Les soleils s'éteignent, les mondes s'écroulent;
,
1 amère défense : ahl si tu le pouvais... lu ine pardonnerais ntiiinlc-
l'âme reste immuable dans son éternité. ! tenant, dût le ciel rester sourd à ma prière.
Au-dessus, de l'amour de l'espoir de la haine ou de la crainte Ainsi elle est morte?... ont-ils donc osé obéir à la frénésie
elle vit et ,
passion ,
siècle fuit elle ,
pure sans : un pour comme une d'un maîlrc jaloux? Ma colère n'a fait que me condamner au déses-
minée de la terre; ses années n'ont que la durée d'un moment. poir : le glaive qui l'a frappée se balance sur ma lèlc. Mais tu n'es
Toujours, toujours, sur toutes choses, à travers toutes choses, vole plus qu'un froid cadavre, ô victime adorée ! et c'esl vainement que
su pensée sans avoir besoin d'ailes : objet innommable, éternel, mon sombre coeur soupire après celle qui plane là-haut, solitaire,
ayant oublié ce que c'est que mourir. en me laissant une vie qui ne vaut pas la peine de la défendre.
Elle n'est plus, celle qui partagea mon diadème; elle est morte,
emportant mon bonheur dans sa tombe; j'ai arraché delà lige de
LA VISION DE RALTIIAZAR. Juda cette fleur dont le calice ne s'épanouissait que pour moi.
A moi le crime, à moi l'enfer , celte éternelle désolation du coeur :
Le roi était sur son Irône; les satrapes remplissaient la salle. oh ! je les ai trop bien méritées, ces tortures qui toujours consument
Mille lampes brillantes éclairaient le splendide festin ; mille coupes
d'or, que Juda considérait comme sacrées (les vases de Jéhovahl),
i sans jamais se consumer elles-mêmes.
contenaient le vin du Gentil qui n'a pas de Dieu. >

cette heure, dans cette salle, les doigts d'une main se montrè-
A
l'onl lout-à-coup sur le mur, où ils écrivaient comme sur le sable : LE DERNIER JOUR OE SOLYJIE.
Relaient des doigls d'homme; et la main isolée parcourait les carac-
tères et les traçait comme une baguette. De la dernière colline qui découvre Ion temple, jadis sacré, je le
contemplai, ô Sion! quand tu tombas au pouvoir de Home : celait
1-cmonarque aperçut ce prodige : il tressaillit et fit cesser les ré- ton dernier soleil qui se couchait, et les flammes de Ion bûcher se
: sa face devint toute pâle, et tremblante sa voix ::
jouissances réfléchirent-dans le dernier regard que je fixai sur les murailles.
« Qu'on fasse venir les hommes de science, les plus sages de laa
terre, et qu'ils expliquent ces mois effrayants qui troublent notree Je cherchai des yeux Ion temple, je cherchai mou pauvre toit, et
royale joie. » un moment j'oubliai mon prochain esclavage; je n'aperçus mes
que le
feu lugubre qui dévorait Ion sanctuaire, et je reportai regards
Les devins de la Chaldée étaient en renom ; mais ici tout leur ant sur mes bi'as enchaînés, qui m'interd saient la vengeance.
échoua,
, et les l^lres inconnues restèrent inexpliquées et toujourss
terribles. Les vieillards de Babylone sont sages et profonds ; mais ic;i Que de fois cette hauteur, d'où je contemplais un si triste spec-
leur prudence fut inutile : ils regardèrent... el n'en surent pas da tacle, avait réfléchi les derniers rayons du soleil, tandis que moi,
vantage. debout à son sommet, je regardais la lumière descendre le long de
la montagne élincelante qui dominait le saint temple.
Un captif dans le pays, un étranger, un jeune homme entendiit
jusordres du roi, et comprit le sens de l'inscription mystérieuse El maintenant, je me trouvais encore sur celle même colline;
fout autour les lampes brillaient; la prophétie était devant 3. mais je lie remarquais pas les lueurs mourantes du crépuscule : ohl
se:s
yeux ; il la lut cette nuit-là... le lendemainprouva qu'elle était vraie3. que n'ai-je vu briller à sa place la clarté des éclairs, et la foudre
éclater sur la tète du vainqueur!
« La tombe de Balthazar est prête ; son royaumea passé ; pesé danis
;l balance, il a élé trouvé léger. Le linceul sera son manteau royal1, Mais les Dieux du payenne profanerontjamais le sanctuaire que
«' pierre funèbre son dais. Le Mède est à ses portes, le Persan sun* Jéhovah n'a point dédaignépour son trôné; et tout dispersé, lout dé-
:on trône. » daignéqu'est ton peuple, ton cullc, ô Père, sera toujours son seul
culte.
U8 LES VEILLEES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

sang,
sa avant que notre main leur enseigne un seul des airs quc
L'EXIL. nous
n« savons.
Ces harpes, avec leurs cordes brisées, sont suspendues au triste
Près des fleuves de Babylone, nous nous sommes assis et nous feuillagedu saule: mortes et muettes, elles seront comme les feuil|es
fe
avons pleuré, nous rappelant ce jour où l'ennemi, rouge de car- mortes
m de l'arbre. Nos mains peuvent être chargées de fers mais
où vous, filles
nage, fit sa proie des hauts lieux de Solyme, ce jour dispersées. ..
de Sion, désolées et tout en pleurs, vous fûtes au loin nos larmes sont libres : elles ne couleront que pour notre Dieu et
ni
notre
n gloire... et pour loi, ô Sionl pour toi I
Pendant que nous regardions tristement le fleuve qui coulait en *
liberté à nos pieds, nos vainqueurs nous ont demandé des chants.
Mais non, jamais l'étranger n'obtiendra ce triomphe? que cette
main soit séchée pour toujours, avant qu'elle fasse résonner ma L'ESPÉRANCE ET LE SOUVENIR.
harpe pour l'ennemi de mon Dieu.
Ils disent que le bonheur c'est l'espérance; mais le véritable
Cette harpe est suspendue au saule. O JérusalemI comme loi elle amour
a attache un grand prix au passé, et la mémoire réveille les
devraitêlrelibre ; et c'est le seul gage de toi que m'ait laissé le jour ^pensées qui nous sonl chères : écloses les premières, elles sont les
qui a éteint ta gloire : non, jamais je ne mêlerai ses accords à la dernières
d à se flétrir.
voix du spoliateur.
Et tout ce que la mémoire aime le plus, c'esl ce que l'espérance a
caressé
c longtemps : et tout ce qu'adora et perdit l'espérance s'est ab-
SENNACI1ÉRIB. sorbé
s dans la mémoire.
Hélas ! lout cela n'est qu'illusion : l'avenir nous séduit de loin :
L'Assyrien s'est rué sur nous, comme le loup sur un troupeau ;
ses cohortes étincelaicnl de poupre et d'or, et leurs lancesbrillaient
nous ne pouvons plus être ce que nous regrettons et n'osons penser
à.-' ce que nous sommes.
comme les étoiles dans la mer, lorsque, la nuit, ses vagues d'azur
se déroulent sur les rivages de Galilée.
Nombreux comme les feuilles des forèls quand l'été déploie sa FIN DBS MÉLODIES HÉBRAÏQUES.
verdure, ses soldais parurent au coucher du soleil avec leurs flot-
tantes bannières ; comme les feuilles des forêts lorsqu'à soufflé
l'automne, le lendemain, ces soldats étaient morts et couchés çà et
là sur la terre.
Car l'ange de la mort déploya ses ailes sur la brise, et, en pas-
sant, il souffla sur la face de l'ennemi; el les yeux des guerriers en- POESIES DIVERSES.
dormis furent élcinls et glacés, et leurs coeurs baltirentcncore une
fois, puis se furent pour jamais.
El là était gisant le coursier, avec ses naseaux grand ouverts; (Suite.)
mais ils n'étaient plus soulevés par le souffle de son orgueil; cl
l'écume de son agonie blanchissaitle gazon, froide comme le grésil
sur le rocher battu des vogues.
Et là était gisant le cavalier, la face pâle et décomposée, la rosée
sur son front el la rouille sur sa cuirasse; et les tentes étaient toutes
silencieuses, les bannières abandonnées, les lances couchées par
LE DÉPART (1809).
terre, les clairons muets.
Et les veuves d'Assur poussent de grands cris de deuil, et dans le C'en est faitl la blanche voile se déroule tremblante, el sur le
temple de Baal les idoles sont brisées; et la puissance des Gentils, mât penché la fraîche brise la gonfle en sifflant. Kl moi, il faut que
sans avoir été frappée par le glaive, s'est fondue comme la neige, je quille le rivage... Pourquoi? parce qu'il n'esl ici qu'une seule
sous le regard du Seigneur. femme que je puisse aimer.
Mais si je pouvais redevenir ce que je fus, revoir les jours que j'ai
vus ; si je pouvais reposer ma fêle sur le sein qui jadis a partagé mes
voeux lesplus ardents, je n'irais pas chercher un autre climat, parce
qu'ici est la seule femme que je puisse aimer.
LA VISION DE JOB. Il y a longtemps que je ne les ai revus, ces yeux qui faisaient
ma joie ou ma peine ; et c'est en vain que j'ai tenté de n'y plus pen-
Un esprit passa devanl moi : je contemplai sans voile la face de ser ; j'ai beau fuir la terre d'Albion , ici est la seule femme que je
l'Immortel. Un profond sommeil était descendu sur tous les yeux : puisseaimer.
les miens seuls étaient ouverts. Et il était là, devant moi, sans Comme la tourterelle solitaire qui a perdu sa compagne, je sens
forme... mais offrant une apparence divine. Le long de mes os, la mon coeur désolé; je regarde autour de moi, et nulle part ma vue
chair effrayée tressaillit; mes cheveux humides je dressèrent sur ne rencontre un sourire affectueux, un visage ami ! Au milieu même
' mon front, el il parla ainsi : de la foule, je suis isolé, car je n'y vois point la seule femme que je
« L'homme est-il plus juste que Dieu? L'homme est-il plus pur puisse aimer.
infaillibles?
que celui qui ne juge pas les séraphins eux-mêmes Je franchirai donc la blanche écume des flots ; j'irai demander une
Créatures d'argile, chétifs habitants de la poussière! un vil insecte patrie à l'étranger. Jusqu'à ce que j'aie oublié une beauté parjure,
vous survit : êtes-vous plus justes que l'insecte! Choses d'un jour! nulle part je ne trouverai le repos ; jamais je ne pourrai secouer
vous êtes flétries avant la nuit, inattentives et aveugles aux rayons le joug de mes sombres pensées : toujours elles se reporteront vers
de la sagesse inutilementprodigués! » * la seule femme que je puisse aimer.
L'être le plus chétif, le plus malheureux trouve un foyer hospi-
talier où la douce amitié et l'amour,plus doux,
encore, viennent sou-
à
rire sa joie ou sympathiser avec sa douleur; mais d'ami oude mai-
VALLÉE.
tresse, je n'en ai point, car il n'est qu'un seul être que je puisse
LA aimer.
Je pars ; mais n'importe où je me réfugie, nul ne s'attendrira
Dans la vallée des eaux, nous avons pleuré sur le jour où l'armée sur moi, nul coeur ami ne m'offrira la plus petite place ; et loi-
de l'étranger fit de Sion sa proie, et nos têtes étaient tristement même , toi qui as flétri toutes mes espérances, tu ne me donneras
inclinées sur nos poitrines, et nos coeurs étaient gros du désir de la pas un soupir, toi, la seule femme que je puisse aimer.
patrie lointaine. Penser sans cesse aux jours qui ne sont plus, à ce que nous som-
mes, à ce que nous avons été, c'en serait assez pour accabler u"
Le chant qu'ils nous ont demandé en vain.... il est resté dans nos coeur plus faible ; mais le mien a résisté au choc; pourtant il Iw'i
âmes, comme le vent qui meurt sur la colline. Ils nous ont dit de I comme il battait naguère, pour la seule femme qu'il puisse aimer.
prendre nos harpes.... mais ils verseront la dernière goutte de notre | Quel est l'objet d'un si tendre amour? C'esl un secret que des
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYttON. 149

nx vulgaires ne sauraient
pénétrer.Quelle cause est venue briser disparaît comme un rayon d'avril. Toi, lu ne peux changer; lu
di:
jie jeu ne affection? Tu le sais mieux que personne; mais il est vieillis... Qui nevieillil pas?... Mais combien il esl peu d'êtres ici-bas
vi
le soleil qui soient constants comme moi, et dontdt le mérite, comme le tien, s'accroisse avec l'âge?
ii d'hommes sous Quand l'amour nous comble de ses faveurs, si un rival s'incline
fi ne voient sur la terre qu'uneseule femmequ'ils puissent aimer,
j'ai essayé des fers d'une autre maîtresse, dont la beauté peut- de devant notre idole terrestre, aussitôt nous voilà jaloux... Qui ne l'est
ré égalait la tienne; je me suis efforcé de l'aimer autant,
mais je pas?...
p: Ovin! tes plaisirs sont exempts d'envie; plus nous som-
sais quel charme insurmontable disait à mon coeur encore sai- m mes nombreux à te savourer, plus grande est notre joie.
;
nul : « Non ! une autre esl la seule que tu puisses aimer. » Quand nous avons passé la saison de la vainejeunesse, c'est à la
H me serait doux d'attacher encore sur toi un long regard et de ci
coupe enfin que nous avons recours. Alors nous trouvons... n'cst-il
bénir dans mon dernier adieu ; mais je ne veux pas que lu pleures pas p* vrai?... que, selon le vieil adage, la vérité n'esl que dans le vin.
niilant que je vais errer sur les flots. Pairie, espérance, jeunesse, Quand la boîte de Pandore fut ouverte sur la terre, el laissa échap-
ii lout perdu I pourtantj'aime encore la seule femme que je puisse per tous les maux, il y resta l'espérance... c'est vrai... mais au fond
pi
mer. di noire coupe nous trouvons mieux que cela : que vaut l'espérance
de
ai prix de l'assurance du bonheur?
au
Vive à jamais la vigne! quand l'été aura fui, notre vieux nectar
réjouira
n nos coeurs. A la vérité, nous mourronsl... Qui ne meurt
LE PAQUEBOT (JUÎII 1809). pas?...
p Mais que nos péchés nous soient pardonnes; et dans le ciel,
llébé ne sera pas oisive.
11

Vivat, ami! vivait nous parlons; l'embargo esl enfin levé! un


ni favorable enfle les voiles; déjà le signal est donné. Entendez-
us le canon du départ? Les clameurs des femmes, les jurements
es matelots, lout nous dit que le moment est venu.
Un drôle =
ienl nous visiter de la part de la douane ; les malles sont ouvertes,
s caisses sont brisées : pas un trou de souris qui ne
soit fouillé,
u milieu du brouhaha, avant qu'il mette à la voile, le beau pa- LA
uebot de Lisbonne.
Nos bateliers détachent les amarres ; toutes les mains ont saisi
rame; on descend les bagages du quai; impatients, nous nous
loignons du rivage. « Prenez garde, celle caisse contient des li-
ueursl... Arrêtez le bateau... je me trouve mal!... Oh, mon
VISION DU JUGEMENT '.
lieu!-.. Vous vous trouvez mal. madame?Par ma foi, ce sera bien
lis quand vous aurez été une heure à bordl » Ainsi vocifèrent tous
•iifcmble, hommes, femmes, dames, messieurs, valets, matelots ;
ous s'agitent, confondus pêle-mêle, entassés comme des harengs;
cl est le bruit et le tintamarre qui régnent autour de nous jusqu'à
,ei|iic nous arrivions à bord du paquebotde Lisbonne.
Nous y voici maintenant. Le brave Kidd est notre capitaine et
oniinande l'équipage; les passagers se blottissentdansleurslils,les i.
ins pour ronfler, les autres pour vomir l« Comment diable I vous
[ipelcz cela une cabine, mais c'est à peine si elle a trois pieds car- Saint Pierre était assis & la porte du ciel : ses clefs étaient rouil-
res; on n'y fourrerait pas la reine des pygmées. Qui diable pourrait lécs, I et la serrure s'ouvrait avec peine, tant il avait eu peu à faire
vivre là-dedans?
— Qui, monsieur? bien des gens. J'ai eu à bord de depuis
t quelque temps; non que la place fût occupée, beaucoup s'en
mon vaisseau jusqu'à vingt nobles gentilshommes à la fois! — Ifallait; mais depuis l'ère française de quatre-vingt-huit, les diables
Vraiment? Comme vous entassez votre monde! Plût à Dieu que avaient i agides pieds, des mains, et avaient vigoureusementpesé sur
vos nobles gentilshommes fussent encore ici ! j'aurais évité la cha- 1 câble, comme disent les matelots... ce qui avait entraîne la plu-
le
leur et lo vacarme de votre excellent navire, le paquebot de Lis- part
] des âmes dans la mauvaise voie.
bonne. »
<i Fletchcrl Murrayl RobertI où êlcs-vous? » Ah! les voilà éten- 11.
dus sur le pont comme dessouches! «Donnez-moila main pour des-
cendre, joyeuxmatelot! —Non, voilà le bout de câble pour les passa- Tous les anges détonnaient et s'étaient enroués à force déchan-
gers et les chiens... » Hobhouse articule d'effroyables jurements en ter, n'ayant presque rien d'aulre à faire, si ce n'est de remonter le
tombant dans les écoutillcs; il vomit à la fois son déjeuner et ses soleil et la lune, de ramener dans son orbite quelque jeune étoile
vers, et nous envoie à tous les diables. « Voilà une stance sur la vagabonde, quelque comète caracolant comme un jeune poulain
maison de Bragance. Donnez-moi...—Une rime? Non! une dans le bleu de l'élher, et brisant une planète d'un coup de sa queue,
lasse d'eau chaude. —Que diable avez-vous donc?

rendre je survivrai à — Miséricorde! comme parfois une baleine folâtre fait chavirer les chaloupes.
|e vais mes poumons, ne pas notre arrivée sur
ce brutal paquebot de Lisbonne. »
111.
linfin, nous Yoilà en route pour la Turquie! Dieu sait quand nous
reviendrons.Un mauvais vent, une noire tempêta, peuvent nous en- Les anges gardiens avaient regagné leur paradis reconnaissant
voyer au fond de l'abîme. Mais comme la vie n'e3t tout au plusi ,
leur impuissance ici bas. On ne s'occupait plus là-haut des af-
qu'une mauvaise plaisanterie (tous les philosophes en conviennent), faires terrestres, si ce n'esl dans le noir bureau de l'ange juge
te qu'il y a de mieux à faire, c'est de rire ; riez donc comme je fais,5 d'instruction qui, voyant se multiplier d'une manière effrayante les
maintenant. Malade ou bien portant, en mer ou à terre, riez de faitscoupables ou calomnieux,avait dépouillé ses deux ailes de toutes
toutes choses, petites ou grandes; boire et rire, qui diable en de-' leurs plumes et se trouvait cependant arriéré dans ses procès-ver-
manderait davantage? Donnez-nous du vin ! on n'en saurait man- baux.
'lucr, même à bord du paquebot de Lisbonne.
IV.
Depuis quelques années la besogne s'était accrue tellement qu'il
s'était vu force, bien à regret sans doute (absolument comme ces
autres chérubins, nos terrestres ministres), de chercher autour de
LE VIN. lui des collaborateurs, et de réclamer l'assistance de ses pairs, si
l'on ne voulait pas qu'il succombâtsous le faix toujours croissantde
Remplissez ma coupe! jamais je n'ai senti comme aujourd'huin
clic ardeur qui porte la joie jusqu'au fond de l'âme. Buvons ! Dansa
e cercle varié de la vie, la coupe pétillante est la seule chose au (i) En 1821, M. Southey,poèle-lauréat de la cour de Saint-James,ayant
publié sous ce titre une apothéose ridicule du roi Georges 111, lord Byron
01j[l de laquelle
on ne trouve pas de déception? entreprit aussitôt la contre-partiede cet ouvrage, qu'il fit paraître sous le
J'ai tour-à-tour essayé de toutes les jouissances; je
me suis »-
t'tnmé an rayon d'un bel oeil noir : j'ai aimé!... qui n'en a fait en- pseudonyme transparent de Çiieuedo Iiediuivus. Son but était à la fois de
a"1?... Mais qui affirmera que le bonheurail existé en luien même
au-i- servirses opinionspolitiques, et de punir lesaitaques que. dans sa préface,
e le poète courtisan,jadis libéral,avait lancéqscontre cequ'il appelait V école
Cll'PS(*ue la passion? satanique, désignant assez clairement par là la tendance du poème do l'il-
.Aux jours delajeunesse, alors
que le coeur, dans son printemps,
,
lustre pair. Une longue polémique s'ensuivit entre les deux écrivains; cl
"ta d'éternelles affections, j'ai eu des amis!... Qui n'en a pas?...' l'on trouvera dans les deux premiers chants de don Juan les préludes
'"s quelle bouche pourra dire qu'un ami est aussi fidèle que toi, *;ô de cotte campagne littéraire, qui se termina, comme de juste, aux dépens
. ^vermeilde
la vigne! ° de celui que Byron appelait le renégat — Georges III, appelé au Irène en
Le coeur d'une maîtresse, 1760, déclaré en démence en 1788, céda dès lois le pouvoir à son fils avec
un enfant peul vous le ravir; l'amitié
lé le titre de régent, el mourut le. 29 janvier 1820.
ISO LES VEILLÉES LITTÊ RAIRES ILLUSTREES.

ses réquisitoires.Six anges et douze sainls lui furent adjoints comme royalesqualités, hormis cette vertu de ménage, vertu extrêmement
secrétaires. rare, la fidélité à une femme laide et méchante ?
V.
C'était un fort joli bureau, du moins pour le ciel; et cependant XIII.
on n'y manquait pas de besogne, lant chaque jour voyait rouler « Dieu sauve le roi ! » C'est une grande économie à Dieu de ne
de chars de conquérants et remettre de royaumes à neuf ; pas de pas prodiguer les rois sur la terre ;-mais s'il lui plaît d'être parcimo-
journée qui n'égorgeât ses six ou sept mille hommes!... Oh! à la nieux à cet égard, qui pourrait aller à l'cnconlrc? Jenesuis pas rie
fin, quand le massacre de Waterloo vint couronner l'oeuvre, les di- ceux qui disent qu'il faudrait en damner le plus grand nombre pos-
vins employés jetèrent leur plume de dégoût... tant cette page était sible : peut-être même suis-je le seul qui ait conçu le faible espoir de
souillée de sang et de poussière. diminuer les maux à venir en limitant prudemment l'éternelle cl
,
brûlante juridiction de l'enfer.
VI.
Ceci soit dit en passant, car il ne m'appartient pas d'enregistrer XIV.
des faits dont les anges ont horreur. Le diable lui-même en celle Je sais qu'une pareille proposition n'est nullement populaire,
circonstance maudit son ouvrage, étant par trop repu de l'infernale qu'elle est blasphématoire; qu'on peut êlre damné pour avoir souhailé
orgie : bien que lui-même eût aiguisé Ions les glaives il en eut que personne ne le soit. Je connais mon catéchisme : je sais que'
presqu'assez pour éteindre sa soif innée du mal... Et ici, nous de- nous sommes baignés dans les plus saines doctrines, au point d'en
vons consigner la seule pensée méritoire de Satan : c'esl qu'il fait Iêtre submergés lout-à-fait ; je sais que l'Eglise d'Angleterre est la
retomber également la responsabilité sur les deux capitaines. I seule qui
ne soit point tombéedans l'abomination, cl que les quelque
deux cents autres églises ont pris une roule diablement mauvaise.
VIL
XV.
Passons par-dessus quelques années d'une paix hypocrite,
dant lesquelles la terre n'a pas élé mieux peuplée, l'enfer l'apen- été Dieu nous soit en aide à tous ; Dieu me soit en aide à moi ! Je
comme de coutume, el le ciel.ne s'est pas rempli du lout : ce sont suis, Dieu le sait, aussi abandonné que le diable peul le désirer, et il
les années du bail des tyrans, acle qui n'a rien de nouveau que n'est pas plus difficile de me damner, qu'il ne l'est d'amener à terre
les noms qui l'ont signé. Ce bail doit-finir un jour : en atten- le poisson qui a mordu depuis longtemps, ou de conduire l'agneau
dant, les susdits tyrans se multiplient avec sept télés et dix cornes à laboucherie; non pourtant que je me croie dignede cette noble et
toutes en un seul rang comme la bête annoncée par saint Jean : immortelle casserole où doit frire presque toute noire race, née pour
mais nos bêtes à nous ont , la
têle moins formidable que les cornes. mourir.
XVI.
VIII.
Donc saint Pierre était assis à la porta du ciel et s'endormait sur
En l'an premierdu second réveil de la liberté, mourulGeorgcslII, ses clefs, quand tout-à-coup il se fit un bruit terrible qu'il n'avait
lequel, sans être un tyran lui-même, fut le bouclier des tyrans, jus- pas entendu depuis longtemps... un bruit semblable au sifflement
qu'au jour où tous ses sens éteints ne lui laissèrent plus ni le soleil du vent, des eaux et de la flamme, en un mot, un mugissementtel
de l'âme, ni le soleil extérieur. Jamais meilleur fermier ne secoua la qu'en peuvent pousser des êtres gigantesques et qui aurait arra-
rosée de ses prairies; jamaisplus mauvais roi ne perdit un royaume! ché une exclamation à tout autre qu'à un saint; mais lui, ayant
Il mourut, mais laissant ses sujets après .lui, la "moitié aussi fous que d'abord tressailli, cligna de l'oeil et se contenta de dire :' « Encore
lui et loul le reste non moins aveugles. une étoile qui file, sans doute ! »
IX. XVII.
11 mourut... Sa mort n'eut pas un grand retenlisscmcnt sur la Mais avant qu'il fût assoupi de nouveau, l'aile droite d'un chéru-
terre; ses funérailles curent quelque éclat : il y eut du velours, des bin vint lui frapper les yeux ; sur quoi saint Pierre ayant bâillé cl
dorures et du bronze à profusion ; mais on n'y vit pas grand'chosc s'élant gratté le nez : « Bienheureux portier, lui dit l'ange, lève-loi,
qui ressemblai à des larmes... sauf celles qu'y versa l'hypocrisie, je ta prie ! » lit en parlant ainsi il déploya des ailes magnifiques qui
car celles-là s'achètent à juste prix : il y eut aussi une dose conve- brillaientde célcstescouleurs,comme sur la terre brille la qu tic d'un
nable d'élégies également achetées; avec accompagnement dei paon. Le saint répondit : « Eh bien 1 de quoi s'agit-il ? Lucifer csl-il
torches, de manteaux de deuil, de bannières, de hérauts d'armes ett de retour pour faire tout ce tapage ? »
lous les débris des vieux us golhiques.
XVIII.
X.
— Non, répondit le chérubin ; maisGeorgcsle Iroisièilie est morl!
C'était un grand mélodrame sépulcral. Entre tous les imbé- Et qu'est-ce que Georges le troisième, dit l'apôtre ? Quel Geor-
ciles dont le troupeau vinlgrossir le corlége, ou simplement le voir ges ? et le troisième de quoi ? — Le roi d'Angleterre, reprit l'ange.
passer, un seul se souciail-il du mort? Tout l'intérêt était concen- Forl bien ! Il ne trouvera pas ici beaucoup de rois pour le cou-
tré dans la pompe funèbre; loul le deuil dans les étoffes noires. doyer dans les rues; mais a-t-il encore sa tôle sur les épaules? cm
Pas une pensée qui perçât au-delà du poêle mortuaire; et quandi le dernier que nous avons vu venir a eu ici quelque difficulté, cl il
on déposa le cercueil magnifique dans le caveau funéraire, cettee ne fût jamais entré dans le séjour de la grâce, s'il ne nous eût jelù
pourriture de quatre-vingts ans, renfermée dans l'or, parut unedé- sa lête à la figure.
rision de l'enfer.
XIX.
XL
«C'était, si je mcrapellebicn,un roi de France. Cette têle, qui n'a
Mêlez donc ce corps à la poussière! Il redeviendrait plus prompte!- vait pu conserver sa couronne terrestre, osa bien à ma face, p ro-
ment ce qu'il doit être un jour, si vous abandonniez ses élément:is tendre à une couronne de martyr... niplus ni moins ,
que la mienne
loul seuls à la ltille qui doit leur frayer un chemin pour retourne]ir Si j'avais eu là mon épée, comme au temps où je coupais dès oreil-
à la lerre, au feu à l'air : tous ces baumes factices corrompenit les, je l'aurais abattu d'un coup ; mais n'ayant que mes clefs au lieu
,
ce qu'a fait la nalure, en le créant nu comme l'argile vulgaire de cess de mon glaive, je me bornai à faire rouler par terre sa tôle qu'il te-
* millions d'hommes qu'on ne transforme pas en momies Et, aiu nailàlamain.
boni du compte, toutes ces drogues ne font que prolonger l'oeuvi*e
de la destruction. XX.
XII. « Aussitôt,il jela des cris si affreux, que lous les sainls accouru
rent et le firent entrer en paradis. Là, il est assis côte à côte près w
11 est mort et la surface de la lerre en a fini avec lui; il essi saint Paul... qui n'est après lout qu'un parvenu! La peau de sai'1!
inhumé ; sauf !e mémoire des pompes funèbres et les hiéroglyphe BS Barthélémy, dont cel i-ei s'est fait dans le ciel un-capuchon, el'(|"|
du style lapidaire, le monde est clos pour lui, à moins qu'il n'aiil a racheté tous ses péchés terrestres en le faisant martyr, n'a paspid"cj«
laissé un testament à l'allemande (1); mais quel esl le procureuJr plus utile à son maître que ne le fut au sien celle vide el slu 5
qui viendra le demandera son lils, son lils en qui revivent toutes sees caboche.
XXL
(1) Georges III était accusé (.l'avoir détruit un testament. île son pèrea
Georges 11; el c'est à cotte, anecdote que V.vron l'ait ici allusion. « Mais s'il eût gardé sa lète sur les épaule.-),
, l'affaire eût pris ui*1,
OEUVRES COMPLETES DE LORD BYRON. *5l

tout autre tournure : la sympathie paraît avoir agi sur les saints franchi
fn le portail, il s'arrêta : devant lui les saints au front chenu
ccllime un enchantement; et c'esl ainsi que le ciel a replacé cette tête el jeunes chérubins (quand je dis jeunes, cela s'applique à leur
elles
imbécile sur le tronc qui la portait. Tout cela peut êlre fort bien : il m et non à leurs années; et je ne voudrais nullement direquils
mine
paraît que c'est ici la coutume d'annuler lout ce qui s'est fait de bon * ne fussent pas plus vieux que saint Pierre, mais seulement qu'ils
ni
sûr la terre. » avaient l'air un peu plus avenant);

XXII.
XXXI.
L'ange répondit : « Pierre, ne faites pas la moue ; le roi qui nous
arrivea la tête à sa place, et le reste aussi ; mais cette tête n'a jamais Chérubins et bienheureux s'inclinèrent devant le puissant ar-
trop su ce qu'elle faisait... C'était une marionnette que des filsd'ar- change, la première des angéliques essences, dont l'aspect élail celui
cl
chai mettaient en mouvement, et on le jugera sans douta comme d' dieu ; mais lui, il n'avaitjamais nourri d'orgueil ; lout grand,
d'un
l0us les autres. Ce n'est point notre affaire, à vous et à moi, de klout élevé qu'il était, jamais il n'eut de pensée que pour le service
nous inquiéter de ces choses : occupons-nous de notre emploi et d son créateur : Michel savait qu'il n'était que le vice-roi des
de
faisons ce qu'on nous ordonne. » cieux.
ci
XXXII.
XXIII.
Michel et l'esprit silencieux et sombre s'abordèrent... Ils se con-
Pendantqu'ils causaient de la sorte, la caravane des anges arrivait naissaient
n mutuellement en bien comme en mal : telle était leur
avec la rapidité d'un ouragan, fendant l'espace, comme le cygne puissance
p qu'aucun d'eux ne pouvait oublier son ami d'autrefois,
fend le cristal d'une onde argentée (soit le Gange, le Nil ou ITndus, » futur ennemi ; el pourtant on lisait dans leurs yeux un noble,
son
la Tamise ou la Tweed). Au milieu d'eux était un vieillard, avec sa immortel el magnanime regret, comme si le deslit), plus que leur
ii
vieille âme, tous deux complètement aveugles. Ils firent halte de- volonté,
v avait donné à leur lutte l'éternité pour terme et les sphères
vant la porte, et placèrent sur un trône de nuages le voyageur, en- I
pour champ clos.
veloppé dans son linceul. XXXIII.
XXIV. Mais ici ils se trouvaient sur un terrain neutre : nous savons par
Mais à l'arrière-gardede cette brillante phalange, un esprit bien le
*
livre de Job qu'il est permis à Salan de faire trois fois l'an, plus
différent d'aspect se balançait sur ses ailes, comme ces nuages por- ou
**
moins, sa visite au palais des cieux ; et que les enfants de Dieu,
leurs de la foudre qui planent sur une côte aride el féconde en nau- comme
* ceux de la poussière, sont tenus de lui faire compagnie :
fiages. Son front ressemblait à la mer secouée par la tempête; des ]nous pourrions démontrer, d'après le même livre, avec quelle poli-
pensées profondes, insondables, gravaient un éternel courroux sur '
tesse est conduite la conversation entre les puissances du bien et
ses traits immortels, el, en se promenantautour de lui, son regard du
' mal... mais cela nous mènerait trop loin.
assombrissait l'espace.
XXV. XXXIV.
En s'approchant, il jeta sur celle porte, que le péché et lui ne D'ailleurs ceci n'est point un traité de théologie, où l'on ait à
franchiront jamais, un coup d'oeil tellement empreint d'une haine examiner, les textes hébreux ou arabes à la main si l'histoire de
,
furnaluiellc, que saint Pierre eût bien voulu ne pas se trouver de-, Job
'{
est une allégorie ou un fait; je ne fais qu'une simple narration ;
hors ; il fit sonner ses clefs à grand bruit et sua dans son apostoli- c'est pourquoi je choisis çàet là les faits qui peuvent le mieux écar-
que peau : comme de jusle, sa transpiration n'était que du divin
ter tout soupçon d'imposture. Tout ce que cet ouvrage contient est
iehor ou toulc autre liqueur éthérée. littéralement vrai, et aussi authentique que le l'ut jamais une vision.

XXVI. XXXV.
Les archanges eux-mêmes se serrèrent les uns contre les autres, Donc les deux esprits se trouvaient sur un terrain neutre devant
comme des oiseaux quand plane le faucon ; ils sentirent la peur les la porte du ciel. On peut comparer au seuil d'un palais oriental ce
gagner jusqu'au bout de leurs plumes, el ils formèrent un cerclepa- lieu où se débat le grand procès de la morl et d'où les âmes, sont
reil au baudrier d'Orion,autour du pauvre vieux bonhomme qui sa- expédiées vers l'un ou l'autre monde ; c'est pourquoi Michel et son
vait h peine où ses guides le menaient, bien qu'ils traitassent avec antagoniste prirent un air fort civil : bien qu'elles ne se donnassent
égard lus mânes royaux ; car nous savons, par bons et sûrs rensei- point le baiser de paix, son altesse de ténèbres et son altesse de
gnements, que lous les anges sont tories. lumière échangèrentun regard très courtois.

XXVII. XXXVL
Comme les choses en étaient là, soudain la porte s'ouvrit, et l'é- L'archange salua, non comme un de nos modernes dandies,
clat de ses gonds flamboyants jeta dans l'espace une immense mais à l'orientale et en s'inclinant gracieusement, appuyant une
flamme de fcinles variées, qui s'étendit même jusqu'à notre imper- main radieuse sur l'endroit où chez les honnêtes gens on suppose
ceptible planète, et couronna son pôle nord des franges d'une qu'est la place du coeur. Il semblait avoir affaire à un égal qu'il
nouvelle aurore boréale, la même que l'équipage du capitaine Parry traitait avec bienveillance, mais sans servilité. Pour Satan, il ac-
•'perçut dans le délroit de Melville, où il était entouré par les cueillit son ancien ami avec plus de hauteur, comme ferait un vieux
glaces. Caslillan aussi pauvre que noble, à l'égard d'un riche citadin éclos
XXVIII. comme un champignon.
XXXVII.
Et de la porte ouverte sortit tout radieux un êlre de lumière, un
être puissant et beau couronné de gloire, comme la bannière qui •
11 se contenta d'incliner légèrement son front infernal : puis le
flollc victorieuse après, un combat dont le monde relevant aussitôt, il parut se préparer à revendiquer son droit, à
Mes tristes comparaisons abondent naturellement
a élé le prix '_ tort ou à raison, en établissant que le roi Georges ne devait en au-
en images ter-
restres; car ici-bas une nuit matérielle obscurcit nos plus pures con- cune façon être exemple du supplice éternel, pas plus que ,lant
ccpiions : Jeanne Southcote et ce fou de Robert Southey sont seuls~ d'autres'rois que l'histoire mentionne, lesquels étaient doués de
exceptés de la règle. 5 plus de sens et dé coeur, et qui depuis longtemps ont pavé l'enfer
de leurs bonnes intentions.
XXIX.
Cette figure était l'archange Michel : lout le monde sait comment XXXVHI. j
.
sont faits tas anges et les archanges, puisqu'il n'est guère d'écrivail- Michel commença : « Quels droits peux-lu l'aire valoir sur cet
leiirs qui n'eu aient
démons jusqu'au princeau moins un à mettre eu scène, depuis le roi dess homme maintenant mort et amené devant le Seigneur? quel mal
, depuis le
des milices célestes ; on en voit aussi danss a-t-il fait commencement de sa carrière mortelle pour ap-
maint tableau d'église, bien que, je dois l'avouer, ceux-ci ré- puyer tes prétentions sur lui? Parle ; et si ta réclamation est juste,
ne
pondent guère à l'idée que nous nous faisons des espri'.s immortels; fais ta volonté : si, dans le cours de sa vie terrestre, il a grande-
mais je laisse aux connaisseurs le soin d'expliquer les vertus ; ment failli à ses devoirs commeroi el comme homme,, prouve-le et
et,t
qualités des véritables anges. il est à toi; sinon qu'il entre.
XXX. XXXIX.
Michel, au vol immense s'avança dans si gloire et farce
noble ouvrage de celui d'où dérive
,
toute force
sa
et toute gloire; , — Michel, répondit le Prince de l'air, sur le seuil même de celui
ayantt que tu sers, je viens réclamer mon sujet : je démontrerai qu'ayant
152 LES VEILLÉES LITTÉRAIRESILLUSTRÉES.

élé mon adorateur dans la chair, il doit l'être.en esprit, quelque peuples comme les individus, ses sujets comme les étrangers, dès
intérêt que tu lui portes, ainsi que les tiens, sous prétexte que ni qu'ils proféraient le mol de liberté, ont trouvé dans Georges l|[
le vin ni la luxure n'ont été ses faiblesses; car sur le trône, com- leur premier adversaire. Quel est le roi dont le règne fut souillé
mandantà des millions d'hommes, il a tout fait pour me servir. d'autant de calamités publiques et privées? J'accorde sa continence
et sa sobriété ; j'accorde ces vertus neutres qui manquent à la plu.
XL. part des monarques ;
XLVI.
« Regarde notre terre, ou plutôt la mienne : jadis elle apparte-
nait davantage à ton maître ; mais je ne m'enorgueillis pas de la « Je sais qu'il fut époux constant, assez bon père, maître sup.
conquête de celte pauvre planète; hélas! celui que tu sers ne doit portable. Tout cela est beaucoup, particulièrement sur un trône
pas m'envier mon lot : avec toutes ces myriadesde mondes brillants de même que la tempérance est plus méritoire à la table d'Apiciug
qui circulent autour de lui et l'adorent, il aurait pu oublier celle qu'au souper d'un anachorète. Je lui concède tout ce que les plus
chétive création d'êtres misérables : selon moi, peu d'entre eux bienveillantspeuvent luiconcéder : mais lout cela était bien pour lui
mentent delre damnes, non pour ces millions
à l'exception de leurs d'hommesqui trouvèrent
rois. toujours en lui un di-
XLI. gne soutien de l'opprcs
sion.
« Ceux-ci même, je XLVIl.
ne les réclame que com-
me une sorte de redevan- « Le Nouveau-Monde
ce pour établir mon droit secouasonjoug;l'ancien
de suzeraineté : et lors hémisphère gémit encore
même que je voudrais sous le poids des maux
m'occuper des autres, ce que lui clIcssicnsont pré-
sérail, vous le savez, un parés s'ils ne les ont ac-
soiu superflu : vu leur dé- complis : il laissesur plus
pravation,Penfern'arien d'un trône des héritiers
.
de mieux à faire que de de ses vices sans aucu-
les abandonner à eux- ne de ces vertus timides
mêmes : tel est l'état de qui ont parlé pour lui.
démence cl de crime où Qu'ils tremblent, ces fai-
les plonge une malédic- néants qui dorment, ou
tion innée, que le ciel ne ces despotes qui veillent
peut les rendre meilleurs, sur les trônes delà terre,
ni moi les rendre pires. ayanloubliéuneleçonqui
leur sera don née de nou-
XL». veau !
XLVI1I.
« Regarde la terre, di-
sais-je et dis-je encore : « Cinq millions de chré-
à l'époque ou ce vieux tiens primitifs, profes-
aveugle, insensé, débile, sant la foi qui fail votre
chélif et pauvre vermis- grandeur sur la lerre, à
seau , commença de ré- vous autres habitants du
gner dans la fleur et l'é- ciel, imploraientunepor-
clat de sa jeunesse, le lion de ce vaste tout qu'ils
monde et lui étaient tout posséduicnlautrefois...la
autres qu'aujourd'hui : liberté d'adorer, non pas
une grande portion delà seulement votre Sei-
lerre et toule l'étendue gneur, mais vous, Michel,
de l'Océan le reconnais- et vous aussi, saint pier-
saient pour roi; à travers re ! Il faut que vos âmes
plus d'une tempête, ses soient bien froides, si vous
îles avaient surnagé sur n'abhorrez pas celui qui
l'abîme du temps ; car les ne voulut jamais accor-
mà'es vertus y avaient der aux catholiques les
établi leur séjour. privilèges d'un peuple
chrétien.
XL1II. XL1X.

« Jeune, il obtint le « Je me trompe! illctu


sceptre; il ne l'a quille L'ombre s'avança, ligure grande, mince, avec des cheveux gris. permit de prier Dieu; mais
que vieux : voyez dans il leur refusa ce qui en
quel état il a trouvé son était la conséquence, une
royaume , dans quel état loi qui les aurait places
il l'a laissé; lisez les an- surle mêmepied que ceux
nales de son règne... qui ne révèrent pas les
voycz-ledabordconfiantle gouvernail a un favori ; voyez croître dans saints. » Sur ces mots, saintPierre tressaillit sur son siège, se leva cl
son coeur lasoifdel'or, ce vice du mendiant, qui ne dominejamais que s'écria : « Vous pouvezemmener le prévenu : avant quej'ouvre les per-
sur les coeurs les plus vils; et quant au reste , jetez les yeu,\ sur tes du paradis à ce mécréant, lant que je serai portier, puissé-jo
l'Amérique el sur la France. être damné moi-même.
XL1V. L.
«Ala vérité , du copimencement à la fin, il ne fut qu'un instru- « Sur ma parole I j'aimerais mieux échanger mes fonctions contre
ment (déjà j'ai sous la main tous ceux qui l'ont mis en oeuvre) ; mais celles de Cerbère, lesquelles certes ne sont point une sinécure, (pie
il
comme instrument faut qu'il soit brûlé. Dans tous les siècles pas- de voir ce royal fanatique, cet échappé de Bedlam, vagabonderdans
sés depuis que le genre humain a subi le joug des monarques, les champs azurés du ciel! — Oui, Pierre! répliqua Satan : vous
dans, toutes les sanglantes annales du crime et du carnage , cher- avez raison de ressentir les injures faites à vos partisans, et p.iur
chez le plus mauvais élève qu'ait produil l'école des Césars, el citez- peu que vous soyez disposé à l'échange en question, je lâcherai
moi un règne plus inondé de sang, plus encombré de cadavres. d'embaucher notre Cerbère pour voire paradis. »
XLV. Ll.

« Toujours il a fait la guerre à la liberté et aux hommes libres : les Ici Michel s'interposa : « Brave saint 1 dit-il ; el vous, diable, pa?
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON. 153

«ivite, je vous prie : vous dépassez tous deux les bornes de la dis- d'une demi-couronne : il m'est arrivé quelquefois sur lapoint mer Egée
crétion. Saint Pierre , vous êtes ordinairement plus civil : Satan ! d'en voir autant dans le ciel avant une bourrasque. Le s'ap-
excusez la chaleur de ses expressions, et le torl qu'il a de s'abaisser procha,et cn grossissant prit une autre forme : on eût dit un quelle
navire
du vulgaire : les saints eux-mêmes s'oublient quelqufois aérien qui voguait et gouvernait ou était gouverné (je ne sais
au niveau plus dire? grammaticaleconvenable à dernière phrase,
cn face
d'un tribunal. Avez-vous quelque chose de a — est la tournure cette
j{0n. — Alors, je vous prierai de faire comparoirvos témoins. » qui fait bégayer ma stance...
LV1II.
LU.
Mais prenez celle que vous voudrez). Et enfin ce navire devint
Aussitôt Satan se tourna et fit un signe de sa main basanée ; l'é- une nuée; et c'était en effet... une nuée de témoins. Mais quelle
lectricité de son geste se communiqua aux nuages plus rapidement nuée! jamais armée de sauterelles ne parut sur la terre aussi nom-
nue nous ne pouvons le concevoir, quoique souvent il nous arrive breuse que celte arméed'esprits : leurs myriades obscurcissaientl'es-
de voir Satan dans nos propres cieux : le tonnerre infernal ébranla pace ; leurs cris bruyants et divers étaientpareilsà ceux des oies sau-
les mers et les continents vages (si t on peui com-
dans chacune des planè- parer des nations à des
tes, et les batteries de oies); et c'était bien là
j'en fer déchargèren t toute que l'on pouvait dire :
ccllcartilleriedontMillon « L'enfer est déchaîné. »
a parlé comme d'une
des
plus sublimes inventions LIX.
du roi des ténèbres.
Là le gros John Bull
LUI. exhalaitun énergiquej u-
ron et fulminait ses dam-
C'était un signal pour nations accoutumées :
ces âmes réprouvées dont plus loin Paddv baragoui-
la funcslc puissances'é- nait son « Jésus ! » —
tend au-delà des limites «Que voulez-vous? » di-
des mondes passés, pré- sait l'Ecossais flegmati-
sents ou à venir : aucun que; l'ombre française
poste spécial ne leur est blasphémait en certains
assigné par les contrôles termes que je ne puis
de l'enfer ; elles peuvent transcrire, mais que le
errer librement partout premier cocher venu vous
où leur goût et leurs af- répétera; enfin du sein
faires les entraînent, par- de ce vacarme, on en-
tout où elles trouvent une tendait la voix de Jona-
proie... ce qui ne les em- than (1) qui disait : « Je
pêche pasd'êtredamnées. crois que notre président
va se mettre en guerre. »
L1V.
LX.
Elles sonl flores, com-
me on peut le croire, Il y avait en outre des
Espagnols,
d'un pareil privilège: c'est des Hollan-
une sorte d'ordrede che- dais des Danois ; enfin
,
uilcric, uneclefdccham- c'était une cohue uni-
licllan attachée au basde verselled'ombres, de tous
leurs reins, ou comme lesclimats,depuisO-Taïli
iinecntrée de faveur par jusqu'aux plaines de Sa-
l'escalier dérobé, ou enfin lisbury, de toutes pro-
loul autre privilège ma- fessions, de tout âge et
çonnique de ce genre, de lous métiers, prêtes
j'emprunte mes compa- à témoignersousserment
raisons à la poussière, contre le règne de ce bon
n'étant que poussière roi, aussi hostiles à son
moi-même. Que les es- égard qu'au jeu de cartes
prits dont je parle ne les trèfles le sont aux pi-
s'ollcnscnt pas de la bas- ques; toutes appelées à
sesse de ces similitudes : ce grand procès criminel,
nous savons que leurs pour voir si les rois ne
fondions sont bien au- peuvent pas être damnés
dessus de tout cela. Il commença à lire les trois premiers vers de son poème. comme vous et moi.
LV. LXI.
Quand l'immense si- Quand Michel aperçut
gnal eut couru du ciel à cette multitude, il devint
1 enter, distance environ dix millions de fois plus grande que celle d'abord aussi pâle que peuvent l'être les anges ; puis son visage
«luisépare la terre du soleil. Or, on suppute, à une seconde près, prit toutes les couleurs , semblable à un crépuscule d'Italie, à une
? temps que resta en roule chacun îles rayons qui, trois fois queue-de paon, ou à la lumière du soleil couchant qui traverse la
a,i, quand l'été n'est point trop sévère disperse les brouil- rosace gothique d'une vieille abbaye, ou à une truite encore fraî-
Mds de Londres et dore les girouettes, ,
ces obscurs fanaux de la che, ou à l'éclair brillant à l'horizon pendant la nuit, ou à l'humide
'ande ville; arc-en-ciel, ou à une grande revue de trente régiments habillés
LVL de rouge, de vert et de bleu.
Donc, je puis dire le temps de trajet...ce fut
ce une demi-minute. IXII.

ii'
c sais que les rayons du soleil sont plus lents à faire leur paquet
',» se mettre en route; mais leur télégraphie est moins perfection- Alors il adressa la parole à Satan : « Comment donc... mon bon
«;e et ils ne pourraient jouter contre les courriers de Satan
vieil ami, car je vous considère toujours comme tel ; bien que la
reve-
a|d chez eux à toute vitesse. Il faudrait plusieursannées à chaque différence des partis nous oblige à nous tenir sur la réserve et
"Jeu du soleil pour faire ce qui, au diable, ne demande qu'un même à nous combattre,je n'ai jamais vu en vous un ennemi per-
iislant. -i sonnel; notre dissidence est toute politique, et quoi qu'il puisse
LV1I.
(1) Jonathan, l'Américain; comme John Bull, l'Anglais, et Pad'.hj,
* 1 extrémité de l'espace apparut une petite tache de la grandeur rtrlanda's.
154 LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

advenir là-bas, vous connaissez l'estime que je vous porte et qui plauvre diable comme moi, qui n'avais pas un sou vaillant; mais le
me fait regreller les erreurs dans lesquelles il vous arrive de hdame eu doit retomber bien moins sur lui que sur Bute el Graflon
tomber... eiît je ne voudrais pas le voir puni maintenant pour les fautes de
LX1II. dtaux hommes qui sonl damnés depuis longtemps, et qui figurent
eencore mainlenant eu enfer : pour moi je lui ai pardonné, et je
« Comment donc, mon cher Lucifer, avez-vous pu prendre aussi vvote pour que dans le ciel il jouisse de Vltabeas corpus.
mal ce que je vous ai dit de l'appel de vos témoins? Mon intention
n'a pas élé de vous faire amener ici la moitié de la terre et de l'en- LXXII.
fer; lout cela est superflu, puisqu'il suffitde la déposition véridique
de deux témoins probes et honnêtes; nous perdons noire temps... —Wilkes,dit le diable, je vous comprends : vous étiez déjà cour-
iflic dis-je? notre éternité, enlre l'accusation et la défense : et si tisan
t à demi quand la mort est venue vous surprendre, et vous pa-
nous voulons entendre l'une et l'autre, nous allons mettre notre raissez
r croire qu'il n'y aurait pas de mal à le devenir lout-à-fait
immortalité au supplice. » après
£ avoir passé la barque à Charon; vous oubliez que le règne de
LXIV. (Georges est fini : quoi qu'il advienne, il ne sera plus souverain :
ivous avez perdu vos peines, car tout au plus sera-t-H voire voisin,
Satan répondit : « La chose m'est indifférente au point de vue
personnel : je puis me procurer cinquante âmes préférablesà celle- LXXIIL
ci avec beaucoup moinsde peine que nous n'en avons déjà pris; si
j'ai traité avec vous la question qui concerne sa défunte majesté « Auresta, j'ai su à quoi m'en tenir du jour où je vous ai vu,
d'Angleterre, c'est seulement pour la forme : vous en pouvez dis- avec
i votre air goguenard, rôder el chuchoter autour de la broche où
poser : Dieu sait que j'ai là-bas autant de rois qu'il m'en faut. » Déliai,
! qui était de service,arrosait William Pilt, son élève, avec la
graisse
i
de Fox ; je l'ai su, et je me suis dit : Ce gaillard-là, jus-
LXV. que dans l'enfer, médite de mauvais tours: je le ferai bâillonner...
conformément à l'un de ses propres bills.
Ainsi parla le démon, traité naguère de mulliface par le multi-
graphe Southey. « En ce cas nous appellerons une couple de per- LXXIY.
sonnes parmi les myriades rangées autour de nous, et nous nous
dispenserons d'enlendre le reste, reprit Michel. Qui aura le privi- Appelez Junius » (l) ! A ce nom un esprit sortit de la foule
«
lège de parler le premier ? Il y a de quoi choisir... Qui appellerons- et il se manifestaune curiosité générale ; en sorte que les ombres
nous ? » Et Satan répondit : « Il n'en manque pas; mais vous pou- elles-mêmes cessèrent de se mouvoir à leur aise, en glissant à Ira-
vez choisirJohn Wilkes, tout comme un autre. » vers les airs, mais elles se trouvèrent toutes pressées, entassées
(bien inutilement comme on verra) se comprimant mutuellement
, vessies gonflées de
LXVI. des mains et des genoux comme des vent, ou,
ce qui esl plus triste le
encore, comme ventre d'un homme qui a
Aussitôt on vit sortir de la foule un esprit à l'aspect original, l'air la colique.
gai, l'oeil éveillé, revêtu d'un costume toul-à-Iait suranné; cardans LXXV.
l'autre monde on garde longtemps les modes de celui-ci : tous les
costumes, à partir d'Adam, s'y trouvent réunis, bons ou mauvais, L'ombre s'avance... figuregrande, mince, avec des cheveux gris,
depuis la feuille de figuier de notre mère Eve jusqu'aujupon mo- et qui semblait n'avoir été déjà qu'une ombre sur la terre : ses
derne qui ne couvre guère plus. mouvements étaient prompts, son air annonçait la vigueur, mais
rien n'indiquait son origine ou sa naissance ; tantôt elle se rape-
LXV11. tissait, tantôt elle grandissait de nouveau, prenant un instant l'air
de la tristesse, et le moment d'après celui d'une joie sauvage : mais
Le fantôme promena ses regards sur la foule assemblée et s'é- si vous examiniez ses traits, ils changeaient à chaque instant, sans
cria : « Mes amis de toutes les sphères, nous risquons un rhume au s'arrêter jamais en une expression fixe.
milieu de ces nuages; c'est pourquoi dépêchons notre affaire. Pour-
quoi celle convocation générale? Si ces gens quejc vois revêtusd'un LXXV1.
suaire sont de francs lenancieVs, si leurs cris ont pour objet une
élection, vous avez en moi un candidat qui n'a jamais retournéson Plus les autres spectres l'examinaient attentivement, moins ils
babil; saint Pierre, puis-je compter sur votre voix? pouvaient reconnaître à qui avait appartenu celle figure : le diable
lui-même semblait embarrassé de cette énigme. Dans cet être in-
Lxvin. connu, tout changeait comme un songe, tantôt dans un sens, tanli'il
dans l'autre ; plusieurs •ersonnes dans la foule juraient qu'elles le
— Monsieur, répliqua Michel, vous vous méprenez fort : les connaissaient parfaitement : celui-ci affirmait par serment que c'é-
choses dont vous parlez appartiennent à une vie antérieure; celles tait son père, à quoi celui-là répondait que pour sûr c'était le frère
qui nous occupent ici ont un caractère plus auguste. Vous voyez un du cousin de sa mère.
tribunal formé pour juger les rois; maintenant vous devez être au LXXV11.
fait. —Alors je suppose, dit Wilkes, que ces messieursqui ont des
ailes sonl des chérubins; et celte c^nie que j'aperçois là-bas res- Un autre prétendait que c'était un due ou un chevalier, un ora-
semble terriblement à Georges III, seulement elle m'e paraît un peu teur célèbre, un légiste ou un prêtre, un nabab ou un accoucheur.
plus vieille... Dieu me pardonne 1 est-il donc aveugle? Mais le mystérieux personnage changeait de physionomie au moins
aussi souvent que les observateurschangeaient d'hypothèse, lliea
LX1X. qu il fût là, exposé en plein à tous les regards, l'embarras ne faisait
que s'accroître. C'était une complète fantasmagorie,tant l'objet était
— Comme vous voyez; et son sort dépend de ses actes, répond volatil etdiïphane.
l'ange. Si vous avez quelque accusation à porter contre lui, la LXXVIII.
tombe permet au plus humble mendiant de se lever en témoignage
en face des lôles les plus superbes. — H y a des gens, dit Wilkes, A peine venait-on de déclarer que c'était un tel : presto! il se
qui, pour prendre celle liberté, n'attendent pas que leur adversaire trouvait être un autre, et à peine ce changement était-il cH'cclue
ait revêtu son manteau de plomb... et pour mon compte, je lui ai qu'il variait encore; il passait si rapidement d'un aspect à un a -Ire
dit ma penséeà la face du soleil. que sa mère elle-même, si toutefois il en avait une, n'eût pu re-
connaître son fils; tant qu'à la fin on se fatiguait, au lieu de se di-
LXX. vertir, en cherchant à pénétrer ce masque de fer épistolairc.

— Répétez donc, un peu au-dessusdu soleil, ce que vous avez LXX1X.


à lui reprocher, répond l'archange. — Quoi donc ! répliqua l'es-
prit , maintenant que nos vieux comptes sonl réglés, irai-je dé- En effet, il lui arrivaitquelquefois,comme à Cerbère,d'êtrel'excel-
«
troj3
poser contre lui? Non, ma foi. D'ailleurs sur la fin je l'ai battu com- messieurs à la fois, » ainsi que s'exprime ingénieusement
pléleincnt, lui, ses lords el ses communes: je ne veux pas réveiller lente mislriss Malaprop (2); et l'instant d'après vous auriez I111
dans le ciel nos anciennesquerelles, vu que sa conduite n'a rien eu croire qu'il n'en était pas même un seul. Tantôt de nombreu*.
que de 1res naturel chez un prince.
j {') Les Lettres de Jwiius, pamphlet politique anonyme, qui fut alti'il>1K;
LXXI. i à une foule d'écrivains et hommes d'État, parmi lesquels les conjeclui'1'*
' les plus probables su sont arrêtées sur sir Philip Francis, mort en ISI»-
« Sans douta il était à la fois stupide et méchant d'opprimer un I (2) Personnage de VÉcole de la médisance, comédie de Slièridan, .
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD RYRON. 453

myons lui formaient une auréole; tantôt une épaisse vapeur, pa- pas la peine d'occuper vos ailes à convoyerpareille marchandise, le
pi
ccille aux brouillards de Londres, le dérobait à la vue. Selon l'ima- pauvre
pi malheureux fût venu nous trouver de lui-même, sans nous
cination des gens, c'était Burke, c'était Tooke, el très souvent il donner
di l'embarras du transport.
passait pour sir Philip Francis.
LXXXIX.
LXXX.
qu'il a fait. — Ce qu'il a fait!
« Mais puisque le voilà, voyons ce
J'ai aussi mon hypothèse elle m'appartient exclusivement; je s'écrie
s' Asmodée; il anticipe sur la besogne qui nous occupe main-
ne l'ai jamais mise au jour jusqu'à présent, de peur de faire tort à tenant,
t< et griffonnecomme s'il élait secrétairegénéral du bureau des
quelqu'un de ceux qui entourent le trône, à un ministre ou a un ddestinées. Quand un âne de cette espèce prend la parole, comme
pair surqui pourraitretomberle blâme : c'est... ô public bénévole, celui
c de Baîaam, qui peut prévoir jusqu'où il portera l'impudence.
prêtez l'oreille 1... c'est que l'être appeléjusqu'ici Juniusn'était réel- qu'il peut avoir à nous dire; vous sa-
— Ecoutons, dit Michel, ce d'en
lement,, véritablement personne. vvez que nous sommes tenus agir ainsi dans tous les cas. »
LXXXl. XC.
Je ne vois pas pourquoides lettres ne pourraientêtre écrites sans Aussitôt le barde, joyeux de trouver un auditoire, ce qui lui ar-
niain, puisque nousen voyons tous les jours qui s'écrivent sans tète: rivait
r rarement sur la terre, se mit à tousser, moucher, cracher,
et nous savons aussi que cette dernière condition n'est nullement j donnerdes
pour à sa voix celte intonation lugubre et solennelle, trop
indispensablepour faire des livres. En vérité, tant qu'on ne se sera lbien connue malheureuxauditeurs que les poètes tiennent sous
pas accordé sur celui à qui revient l'honneur de cet ouvrage, cette 1leur coupe quand une fois ils ont lâché la bonde à leurs vers ; mais
question sera comme celle du Niger; et l'univers, mystifié, ne pourra i se sentit arrêté tout court par son premier hexamètre, qui ne put
il
guère affirmer que le fleuve ait une embouchure et le livre un au- ffairealler un seul de ses pieds goutteux.
leur. t
LXXXII. XCI.
« Qui es-tu et qu'es-lu? dit l'archange. — A cet égard, tu peux El avant que pour éperonner ses dactyles chancelants, il eût pu
consulter la première page du volume, répondit celte superbe ombre entonner une manière de récitatif, on entendit un long murmure
<
d'une ombre : après avoir su garder mon secret pendant un demi- d'effroi
« circuler dans les rangs des chérubins et des séraphins ; Mi-
siècle, je n'ai guère envie de le révéler maintenant. As-tu, pour- chel s'empressa de se lever, avant d'avoir pu saisir un mot de lous
Michel, —
quelque chose à reprocher au roi Georges, quelque (
suivit
fait à produire contre lui? » Junius répondit : « Vous ferez mieux de
ces
( vers si longuement échafaudés, et s'écria : « Pour l'amour de
Dieu ! l'ami, arrêtez I 11 vaudrait mieux... Aroi» di, non homines.....
lui demander sa réponse à ma lettre... Vous connaissez le passage entier » (1).
LXXX1II. XCII.
« Les accusations que j'ai consignées après mûre information Ce fut alors un tumulte général parmi la foule qui paraissait dé-
survivront au bronze de son épilaphc et de sa tombe. —Mais ne te tester cordialement toute espèce de vers; comme de raison, les an-
reproches-tu pas, dit Michel, quelque exagération, quelque alléga-
tion qui, fausse, déciderait ton arrêt, el véritable, le sien? Tu as
ges avaient du chant par-dessusla tête lorsqu'ils étaient de service ;
et les ombres de la dernière génération cn avaient trop entendu de
clé souvent trop amer, n'est-ce pas dans l'emportement de ta co- leur vivant et tout récemment encore, pour rechercher l'occasion
, d'un
lère? — Ma colère! s'écria le fantôme ton sombre; j'aimais ma d'en ouïr davantage. Le monarque, qui était resté muet jusque-là,
pairie et je haïssais cet homme. s'écria tout-à-coup« : Quoi donc ! quoi donc I Pye (2) est-il de retour ?
t
Je n'en veux plus!... je n'en veux plus! »
LXXXIV.
XC1II.
« Ce que j'ai écrit, je l'ai écrit : que la responsabilité tombe sur
ma têle ou sur la sienne ! » Ainsi parla le vieux pamphlétaire qui La confusion redouble; une toux universelle ébranle les cieux,
prenait pour devise : « Nominis umbra; » et en même temps il se comme dans un débat parlementaire, alors que Castlereagh a parlé
dissipa cn céleste fumée. Alors Satan dil à Michel : « N'oublie pas trop longtemps (il en était ainsi du moins avant qu'il fût ministre
d'appeler Georges Washington, John llorne-Tooke et Franklin. » d'Etal : mainlenant les esclaves l'écoulenl). Quelques-uns crient :
Mais cn ce momenton entendit crier : a Place! place! sans qu'un
» « A la porte! a la porte! » comme
dans les petits théâtres; si bien
seul spectre bougeât. comme étant lui-
que, poussé à bout, le poète supplie saint Pierre,de
LXXXV. même écrivain, d'intervenir au moins en faveur sa prose.
Enfin, à force de pousser, de jouer des coudes, et avec l'aide desi XCIV.
chérubins chargés de ce service, le diable Asmodée se fit jour jus-
qu'au tribunal : son voyage semblait lui avoir coûté quelquepeine. Le drôle n'avait pas trop mauvaise mine : son visage tenait beau-
Quand il ont jelé bas le fardeau qu'il portait, « Qu'est-ceci? s'écria
i coup du vautour; un nez crochu et un oeil de faucon donnaient un
Michel ; comment donc? mais ce n'est pas une ombre !

dit Asmodée; mais c'en sera bientôt une si vous me laissez
Je le sais, air piquant et une sorte île grâce tranchante à une physionomie
faire. , dont l'ensemble, quoiqu'un peu trop grave, n'était pas à beaucoup
près aussi laid que son principal vice : mais celui-là élait absolu-
LXXXVI. ment incurable : c'était une véritable nionomanie de suicide par la
poésie.
Diable soit du Renégat ! Il est tellement lourd que je me suis'
«
I
XCV.
foulé 1 aile gauche. Il semblait avoir quelqu'un de ses
ouvragesi
pendu à son cou. Mais au fait ! en planant sur les précipices dui Alors Michel souffla dans sa trompette, et fit taire le bruit par un
Skiddaw (où il pleuvait comme de coutume), je vis, bien loin bruit encore plus grand, comme la chose se fait quelquefois sur la
au-
dessous de moi, briller un bout de chandelle.... m'abattant aussitôt, terre : hormis quelques murmures qui interrompront çà et là le res-
je'surpris ce drôle rédigeant un libelle qui outrageait l'histoire non1, pectueux silence, peu de voix essaieront de s'élever encore après
moins que la sainte Bible avoir été entièrement dominées. Le poète put donc enfin plaider
LXXXV1I. sa mauvaise cause, de l'air d'un homme fort content de lui-môme.
«La première esl l'écriture du diable et l'autre est la vôlre, mon» XCYI.
bon Michel ; vous comprenez que l'affaire nous concerne tous éga-
lement. Je l'ai happé tel que vous le voyez là el l'ai apporté ici II dit... (je ne donne que ta sommaire)... il dit qu'en écrivant il
5' être jugé sommairement. J'ai été peut-êlre dix minutes
pourr
en l'air... n'avait point mauvaise intention : c'était sa manie de traiter ainsi
î'n quart d'heure lout au plus : je gageraisque sa femme esl encoree tous les sujets; c'était ainsi d'ailleurs qu'il gagnait son pain en
i prendre son thé. » ayaut soin de le beurrer des deux côtés; ce serait abuser des mo-
LXXXVIII.
Satan prit la parole : « Je connais cet homme depuis long-
Ici (t) On peut se contenter, dit Horace, d'être un jurisconsulte, un avocat
lcil1ps, dit-il, et ce n'est pas d'hier que je l'attends ici " passable.... mais les poètes! Ni les hommes, ni lés dieux.... ne leur per-
; on trouve-
î_ ] mettent la médiocrité.
ta'l difficilement un drôle plusslupide et en même temps plus vainn i (2) Poète lauréat, prédécesseur de Southey ; il mourut cn 1813 et ses
;ii"i3 sa petite sphère; mais certes, mon cher Asmodée, ce n'était it odes et sou épopéed'Alfred sont oubliées depuis longtemps. ,

156 LES VEILLEES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

ments de l'assemblée (il se flattait beaucoup) que de nommer ses comme un livre ennuyeux sur les rayons d'une bibliothèque, il nié-
quelque Vision ; car le diable s'est
ouvrages, dont la simple énumérationemploieraitplus d'un jour. Il dite de barbouiller quelque Vie ou
fait puritain.
n'en citerait que les plus remarquables: « Wat Tyler... Blenheim. .
Waterloo. » CVI.
XCV1I.
Quant au reste, pour en venir à la conclusion de ce songe véri-
Il avait écrit l'éloge d'un régicide; il avait écrit l'éloge de tous les dique, j'ai perdu le télescope qui garantissait ma vue de toute illu-
rois du monde; il avait écrit largement, abondamment pour les ré- sion, et me révélait tout ce que j'ai révélé à mon tour. Tout ce que
publiques, puis contre ces mêmes républiques, avec plus d'amer- je visde plus, à travers la confusion du dernier moment, c'est que le ie
tumeque jamais: il s'était faitun jour l'apôtre de la «Pantisocratie,» roi Georges tout seul parvenaità se faufiler dans le ciel ; etquand
système plus ingénieux que moral : puis il était devenu ardent tumulte fut entièrementapaisé, je le laissai méditant sur le centième
anti-Jacobin, ayant retourné son habit, et prêt à retournersa peau. psaume.
XCVI1L FIN DE ftA VISION DU JUGEMENT.
Il avait, dans ses poèmes, déclamé contre les batailles, puis il en
avait célébré la gloire ; il avait parlé de la critique des journaux
comme d'un « métier impitoyable »: puisilétait devenu lui-même le
plus vil et le plus rampant des critiques... Nourri, payé et protégé
par ceux-là même qui avaient attaqué sa muse et sa moralité : il
avait écrit des vers blancs et de la prose plus blanche encore, et
beaucoup plus de l'un et de l'autre que personne ne saurait croire. POESIES DIVERSES.
XCIX.
Il avait écrit la vie de Wesley Ici, se tournantvers Satan : (Suite.)
« Monsieur, dit-il, je suis prêt à écrire la vôtre:deux volumes in-8o,
élégammentreliés, avec notes et préface, tout ce qui allèchele pieux
acheteur : et il n'y a point à douter du succès, car je suis en po-
sition de choisir moi-même mes critiques : fournissez-moidonc les
documents nécessaires, afin que je puisse vous ajouter à la liste de
mes sainls. »
C. STANCES.
Satan s'inclinaet gardale silence. «Eh bien t si par une louable
modestie vous refusez mes offres, qu'en dit Michel? Il est peu de L'enchantement est rompu; le charme est envolé! telle est la
.mémoires qu'on puisse rendre plus divins. Ma plume peut se prêter fièvre capricieuse de la vie : nous sourions comme des insensés,
à tout : elle n'est plus tout-à-fait neuve, mais elle vous rendrait quand nous devrions gémir ; le délire est encore la plus douce des
brillant comme votre trompette. Pour le dire en passant, la mienne tromperies qui nous assiègent.
est d'un airain plus dur et a autant de son que la voire. Chaque intervalle lucide de la pensée ramène les maux que la
Nature a écrits elle-même sur noire livre de vie; et quiconque agit
CI. en sage doit vivre comme sont inoris les saints, cn martyr.
« Mais à propos de trompette, voilà ma Vision ! Vous allez être
juges; oui, vous tous : mon jugement guidera le vôtre, et ma sa-
gesse va décider qui doit entrer au ciel ou tomber en enfer. Je (mai 1809).
règle toutes ces choses par intuition, présent, passé ou avenir; ciel, SESTOS ET ADYOOS
enfer et tout le reste. Comme Alphonse, ce savant monarque, je me
sens capable, quand je vois double, d'épargnerà la Divinité bien «MLéandre, chaque nuit, pendantle sombre el froid décembre,
des embarras. » traversait les flots, ô large Uellcspont (quelle jeune fille n'en con-
Cil. naît point l'histoire?)...
Si, pendant que mugissait la tempête hibernale, il nageait vers
Il cessa de parler et tira de sa poche un manuscrit. Tout ce que son amante, sans se laisser arrêter par aucune crainte, et si le cou-
purent lui dire les diables, les saints et les anges fut inutile : rien rant était aussi violent qu'aujourd'hui,ô Vénus! que je plains les deux
n'arrêta le lorrenl : il lut donc les trois premiers vers ; mais au amants!
quatrième,toute l'armée spirituelleavaitdisparu, exhalant une va- i
Pour moi, enfant chétif el dégénéré des âges modernes, quoique
riété infinie de parfums, les uns d'ambroisie,les autres de soufre : j'aie fait ce trajet dans ta doux mois de mai, j'ai peine à détendre
tout avait fui avec la rapidité de l'éclair devant ses « mélodieux mes membres humides, etje croisavoir accompli un difficile exploit.
accords. »
,
Mais selon l'incertaine chronique, quand Léandre traversait le
,
CUL rapide courant pour trouver une amante... et quelle douce récom-
pense 1 il étail animé par l'amour : moi je n'avais pour but que la
Ces grands vers héroïques opérèrent comme un charme; les anges gloire.
se bouchèrentles oreilles et déployèrentleurs ailes; les diables as- Il serait difficile de dire lequel de nous réussit : pauvres mortels,
sourdis se sauvèrent en hurlant dans l'enfer ; les ombres, en grom- ! les dieux se jouent ainsi de nous!
il perdit ses efforts; moi, j'en
melant, s'enfuirent vers leurs domaines (car on ne sait pas encore 1 fus pour ma bravade : il se noya, et j'attrapai la fièvre..

bien précisément en quel lieu elles habitent, el je laisse à chacun


son opinion sur ces matières) ; Michel voulut recourir à sa trom-
pette... mais, hélas! ses dents étaient agacées, et il ne put souf(Ici
dans l'instrument. CHANT GREC.
C1V.

Saint Pierre, connu depuis longtemps pour un saint un peu vif Vierge d'Athènes,.avant que nous nous quittions, rends-moi, oh!
leva ses clefs, etau cinquième vers il abattit d'un coup le poète, qu rends-moi mon coeur! ou puisque ce coeur a quitté mon sein, garde-
alla tomber dans son lac, commeun nouveau Phaélon, mais beau le maintenantel prends aussi le reste: écoute mes voeux a\anl que je
coup plus à son aise, car il ne s'y noya pas : une autre trame avai te quitte : Zoê mou sas agapà (i)l
élé filée par les Destinées pour la couronne finale du lauréat; 01 Par ces boucles de ta flottante chevelure, abandonnéesà tous les
la lui appliquera le jour où ta réforme triompheraen Angleterre ot vents de la mer d'Egée : par ces cils dont la frange de jais caresse
ailleurs. amoureusementla fleur de tes joues ; par ces yeux vifs comme ceux
CV. de la gazelle : Zoê mou sas aga-pô!
Par ces lèvres que je brûle d'effleurer, par celte taille que presse
D'abord, il alla au fond... comme ses ouvrages; mais bientôt i ta ceinture, par ces fleurs qui te disent ce que les paroles ne pour-
revint sur l'eau... comme cela lui arrive toujours; car. par sa cor raient exprimer aussi bien, par toutes les joies et les peines de
ruplion même, toute chose corrompue devientlégère comme le liège l'amour : Zoê mou sas agapô!
légère comme le sylphe, comme le feu follet quivolligcà lasurfac
d'un marais. Maintenantsans doute, réfugié dans sa tanière, trisb (1) Ma vie. je t'aime.
OEOVRES COMPLÈTES DE LORD HYRON. 157

Vierge d'Athènes, je pars *. pense à moi, douce fille, quand lu te que les éléments épuisent sur moi leur fur"«r, chère Florence, où
q1
erras seule. Quoique je coure à Stamboul, Athènes gardera mon ei es-tu?
loeur et mon âme. Et jamais je ne cesserai de l'aimer, non ! Zvé Tu n'es plus sur leB flots... non... ton navire est depuis Irop
nousasagapô! longtemps
1< en route. Oh! que l'orage, dont les torrents m'inondent,
n courbe d'autre tête que la mienne!
ne
Le rapide sirocco soufflait fortement la dernière fois que j'ai
pressé
P tes lèvres; et depuis ce jour, il a Bans cesse soulevé autour
SUR UN ALBUM. d ton brave vaisseau les vagues écumeuses!
de
Certes maintenant, tu es en sûreté; tu as atteint depuis long-
Sur la froide pierre d'un tombeau un nom arrête les yeux du pas- temps
ti les rivages d'Espagne; je m'affligerais de penser, que tes
siint: ainsi quand lu jetteras les yeux sur celte page, puisse le mien charmes
c peuvent être exposés aux fureurs d'une pareille tempête.
fixer ton regard et la pensée! Et tandis que ton image m'est présente au milieu du péril el des
l
Et chaque fois que tu viendrasàlirece nom, pense à moi, comme ténèbres, telle que je te vis dans ces heures de plaisir dont la musi-
on pense aux morts ; et dis-toi que mon coeur est là, inhumé tout que q et la gaîté hâtaient la fuite
entier. Peut-être que toi-même, dans les blanches murailles de Cadix,
s toutefois Cadix est libre encore, à travers tes jalousies, tu regardes
si
"~ la
1 mer bleuâtre t
Et alors ta pensée, se reportant vers ces lies de Calypso (1), qu'un
A FLORENCE (Malte, 1809). doux
( passé t'a rendues chères, à les autres amis, lu donnes mille
sourires,
E et à moi un soupir seulement.
Quand je quittai la rive, la rive lointaine où je suis né, j'aurais ! En ce moment, le cercle de tes admirateursobserve la pâleur de
eu peine à croire, madame,
qu'un jour viendrait où je pleurerais tton visage; il épie dans tes yeux une larme à demi formée, un fu-
gitif éclair de gracieusemélancolie...
encore en quittant un autre rivage. (
lit pourtant, ici, dans cette île stérile où s'affaisse la nature épui- Mais aussitôt lu souris de nouveau; tu te dérobes en rougissant
sée, où vous êtes la seule qu'on voie sourire , c'est avec effroi que aux
' railleries d'un fat, n'osant avouerque tu as pensé un seul in-
j'envisagel'instant du départ. stant
i à celui qui ne cesse de penser à toi.
Quoique loin des falaises escarpées d'Albion et séparé d'elles par Hélas! sourires ou soupirs ne peuvent rien pour deux coeurs sé-
le bleuâtre Océan, encore quelques saisons écoulées, et peut-être parés
] et gémissant de l'être; et pourtant, à travers monts el mers,
je reverrai ses rochers. . imon âme éplorée cherche à rejoindre la tienne.
Mais n'importe où m'entraîne ma course vagabonde ; que j'erre
sous des climats brûlants, que je parcoure les mers, ou que le temps
me rende à ma patrie, mes yeux ne se fixeront plus sur vous :
Sur vous qui réunissez tous les charmes capables d'émouvoir les
coeurs les plus indifférents; qu'on ne peut Yoir sans admiration LE GOLFE D'AMDRACIE.
cl... pardonnez-moice mot... sans amour.
Pardonnez-leà celui qui ne pourra plus désormais vous offenser Du haut d'un ciel sans nuage, la lune verse sa lumière argentée
en le prononçant; et si je ne dois pas prétendre à posséder sur le golfe d'Aclium, sur ces flots où, pour une reine égyptienne,
votre coeur, croyez-moi ce que je suis en effet, votre .ami. l'ancien inonde fut conquis et perdu.
lit quel est le froid mortel qui, après vous avoir vue, aimablevoya- Et maintenant, mes regards se promènent sur ces ondes d'azur,
geuse! ne sentirait pas comme je sens, et ne serait pas pour vous où tant de Romains ont trouvé un tombeau, où un'soldat ambitieux
ce que lout homme doit être... l'ami de la beauté malheureuse ? abandonna sa couronne vacillante pour suivre une femme.
Qui pourrait jamais croire que celte tête charmante a traversé Florence! tu es belle et je suis jeune, et mon amour pour loi
tant de routes périlleuses, a bravé la tempête à l'aile meurtrière, et égale tous les amours chantés par les poètes, depuis que la lyre
s'esldérobée à la vengeance d'un tyran? d'Orphéearracha Eurydice aux enfers I
O madame, quand je verrai les murs où s'élevait autrefois la Charmante Florence, c'était un heureux temps que celui où l'on
libre lîyzance, et où maintenant Stamboulétale ses palais orientaux, risquait un monde contre deux beaux yeux ! Si la poésie avait à sa
siège de la tyrannie musulmane; disposition des mondes au lieu de rimes les charmes pourraient
Quelque importancequ'ait cette cité glorieuse dans les annales du susciter de nouveaux Antoines. ,
monde, elle aura devant mes yeux un litre plus cher, comme vous Quoique le destin ne permette plus que de pareilles parties se
ayant donné le jour. jouent, néanmoins, j'en jure par les yeux el les boucles de ta che-
Kl s'il faut maintenant que je vous dise adieu, quand mes yeux velure, si je ne puis perdre un monde pour toi, je ne voudrais pas
verront ce merveilleux tableau, il me sera doux, ne pouvant vivre ,

te perdre pour un monde.
où vous êtes, de vivre où vous avez vécu.

SOUS UN PORTRAIT.

PENDANTUN OIlAGE. Cher objet d'une tendresse déçue! si tout me sépare aujourd'hui
de l'amour et de toi, pour me faii-c paraître le désespoirmoins amer,
Il est humide et glacé, le vent des nuits, au milieu des montagnes il me reste ton image et mes larmes. On dit que le temps peul user
ilu Pinde ; et la nue irritée fait pleuvoir sur nos (êtes la vengeance la douleur; mais je sais que cela ne saurait être vrai, car la mort
du ciel. de mes espérances a rendu mes souvenirs immortels.
Nosguides nous ont quilles; nul espoir ne reste, et d'éblouis-
sants éclairs ne nous montrent que les rochers qui interceptent
noire marche, ou le torrent écumeuxdont ils dorent les flots.
N'est-ce pas une cabane que je viens d'apercevoirà la lueur de la
foudre?... Oh! que cet abri s'offrirait à propos1 Mais non, ce n'est INSCRIPTION.
lu'un tombeau musulman.
A. travers le bruit de la cascade mugissante, j'entends une voix
(iui crie*, c'est la voix de mon compatriote fatigué, qui invoque
Lecteur bénévole,ris ou pleure,comme il te plaira; ci-gît Harold.
par : est son épilaphe? — Si tu ne cherches que cela,
— Mais où doncWestminster
son nom notre lointaine Angleterre.
Un coup de fusil! vient-il d'un ennemi ou d'un ami?... Encore
ji
tu peux aller à : là tu en verras mille qui peuvent
fn! c'est pour annoncer au paysan des montagnes que des voya-
\' servir pour Haroldaussi bien que pour toi.
j
Seurs l'invitent à descendre pour les conduire à sa demeure. i
!i
Oh ! qui oserait, par une nuit semblable, s'aventurerdans la soli- i
nue? Au milieu des mugissements du tonnerre, qui pourrait en- ii
tondre notre signal de détresse?
El qui, entendant nos cris, voudra quitter son repos LE DÉPART.
tenter une marche périlleuse? Ne croira-t-il pas, dans pour
•ncuis nocturnes, reconnaître les signaux des brigands
ces cla- Beauté chérie, le baiser que la bouche a déposé sur la mienne y
pagne?
en cam- ;i restera jusqu'à ce que de plus heureux jours me permettent de ie
'-es nuages crèvent; le ciel est sillonné de flammes scène im- rendre intact à tes lèvres.
:
posante et terrible! l'orage accroît sa violence; pourtant Le tendre regard que lu fais rayonner en cet instant peut liredans
en un pa-
IC|1 instant, une pensée aie pouvoir d'échauffer encore mon sein.
1 endant que j'erre ainsi à travers les rochers el les bois, pendant (t) Les lies Ioniennes.
158 LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

mes yeux un amour égal au tien ; les pleurs qui mouillent la pau- rances là-haut, parle-moi... parle-moi de lout autre chose que d'a-
rai
pière, ce n'est pas mon inconstancequi les fait couler. mour.
mi
Je ne le demande pas un gage qui puisse me consoler loin de lous Il serait trop long de raconter, il esl inutile d'entendre l'histoire
les regards; un souvenir de toi n'esl pas nécessaire au coeur dont d'un homme qui dédaigne les larmes ; et rarement elle pourra
d'i
toutes les pensées t'appartiennent. émouvoir des coeurs moins éprouvés. Mais le mien a souffert plus
en
Je n'aurai pas besoin d'écrire; pour le peindre l'état de mon âme, que la patience d'un philosophe ne pourrait peindre. J'ai vu ma
qu
ma plume serait trop faible I Que pourraient d'inutiles paroles, à fiancée devenir la fiancée d'un autre... Je l'ai vue assise à côté d'un
fiï
moins que le coeur ne sût parler I éf
époux, j'ai vu l'enfant qu'elle lui avait donné sourire comme sa
La nuit, le jour, dans l'une et l'autre fortune, ce coeur, désormais mère
m et moi nous avons souri l'un à l'autre, aux jours de la jeunesse,
enchaîné, garderai'amourqu'ildoilcacher,etteregrettera en silence, tendre
te et pure alors comme cet enfant... J'ai vu les yeux de celle
! femme me demander avec une froide indifférence si j'éprouvais
fe
quelque douleur secrôle.... J'ai su jouer mon rôle, et mon visage
T
_ a démenti mon coeur; je lui ai rendu son regard glacial.... cl
cependant
ci je me sentais encore l'esclave de celle femme... enfin
MALTE. j'ai
j'j embrassé, comme sans dessein cel enfant, qui eût dû être le
mien, ,
et les caresses que je lui prodiguais montraient assez que le
in
Adieu, plaisirs de La Valette! Adieu, sirocco, soleil et sueurs! ,temps
,t€ n'avail rien changé à mon amour.
Adieu, palais dont j'ai rarement franchi le seuil! Adieu, maisons où Mais n'en parlons plus... je ne veux plus gémir, el ne fuirai plus
j'ai eu le courage de pénétrer ! Adieu, maudites rues en façon d'es- vers les rivages de l'Orient; la société des hommes convient à un
vi
calier, qu'on ne gravil qu'en jurant! Adieu, négociants "aux fré- cerveau préoccupé : je veux de nouveau me réfugier dans le monde.
ci
quentes faillites! Adieu, canaille toujours moqueuse! Adieu, pa- Mais
51 si quelque jour, quand sera fané le prinlcinpsde l'Angleterre,
quebots... qui n'apportez point de lettres ! Adieu, imbéciles...qui ti entends parler d'un homme dont les sombres forfaits rivalisent
tu
singez l'élégance! Adieu, quarantaine maudite qui m'as donné la aavec les plus hideux de l'époque, d'un homme sur qui ne peuvent
fièvre et le spleen ! Adieu, théâtre où l'on bâille ! Adieu, danseurs rien
ri la pitié ni l'amour, ni l'espoir de la gloire, ni les louanges des
de Son Excellence! Adieu, pauvre Pierre... qui, sans qu'il y eût de g
gens de bien ; qui, dans l'orgueil de sa farouche ambition, ne recu-
ta faute, ne pus jamais apprendre à valser à un colonel ! Adieu , lera
h pcut-ôlre pas devant le sang; d'un homme que l'histoire ran-
femmes pélrics de grâce ! Adieu, habits rouges et faces plus rouges gera
g un jour parmi les plus redoutables anarchistes du siècle
encore! Adieu aux airs importants de quiconquese pavane en uni- r
reconnais alors cel homme... réfléchis, et voyant l'effet, n'oublie
forme! Je vais... Dieu sait quand et pourquoi... revoir des villes en- pas
p la cause.
fumées,des cieux nuageux, deschoses (à dire vrai) tout aussi laides... abbaye de Neivstead, 11 octobre 1811.
mais d'une laideur différente.
Adieu à tout cela; mais je ne vous dis pas adieu, à vous fils
triomphantsde la plaine azurée! car l'un et l'autre rivage de , l'A-
driatique, les morts glorieuses, les flottes anéanties, la nuit avec ses
bals el ses sourires, le jour avec ses gais repas, vous proclament A THYRZA (18H) (1).
vainqueurs en plaisirs comme cn guerre! Pardonnez au babillage
de ma musc, et acceptez mes vers... je les donne gratis. Sans une pierre qui indique le lieu de ta sépulture et dise ce que
Venons-en maintenantà notre bonne hôtesse, à mistriss Fraser. la
1 vérité avouerait, oubliée de tous, sauf peut-être de moi, hélas!
Vous croyez sans doute que je vais chanter ses louanges ; cl, cn où
c ont-ils déposé la cendre ?
effet, si j'avais là vanité de croire que mon éloge vaut une goulte Séparé de loi par les mers el de nombreux rivages, je l'ai aimée
d'encre, un vers ou deux ne me coûteraient guère, d'autant en
« vain; mon passé, mon avenir, se reportaient vers toi, et tendaient
plus qu'ici il n'y a pas à flatter. Mais elle se contentera de briller .'à nous réunir.... Non, jamais, jamais plus.
dans des éloges préférables aux miens,avec un air enjoué, un coeur Si le sort l'avait permis... une parole, un regard me disant douce-
sincère, et l'aisance du bon ton sans son art factice. Ses heures iment : « Nous nous quittons amis, » auraient fait supporter à mon
peuvent couler gaîment sans l'aide de mes rimes insignifiantes. iâme avec moins de douleur la délivrance de la tienne.
Et maintenant, ô Malle ! petite serre chaude militaire, puisque tu Puisque la mort te préparait une agonie douce elsans souffrances,
nous liens encore dans tes murs, je ne te dirai rien d'impoli, je ne n'as-lu
t donc pas regretté l'absence de celui que tu ne verras plus,
t'enverrai pas à lous les diables; mais , mettant la têle a l'ombra- qui
i te portait et te porte encore dans son coeur?
sure de ma casemate, je demanderai à quoi bon un semblable lieu ? Oh ! qui eût mieux veillé près de loi ? qui plus pieusement eût
' Puis, rentrant dans mon trou solitaire, je recommence à griffonner, observé
< ton regard pâlissant, dans ce moment terrible qui précède
ou j'ouvre un livre, ou bien je profile du moment pour prendre la mort, alors que la tristesse étoull'c ses gémissements jusqu'à ce
une médecine (deux cuillerées par heure selon l'ordonnance). Je que tout soil fini?
préfère mon bonnet de nuit à un castor, et remercie les dieux Mais du moment où lu aurais été affranchie des maux de ce
.
d'avoir attrapé la fièvre. monde, les larmes de ma tendresse, se faisant un passage, eussent
coulé en abondance.... comme elles coulent mainlenant.
El comment ne pleurerais-je pas, quand je me rappelle combien
de fois, avant mon absence passagère dans ces tours aujourd'hui
FRAGMENT (18H). désertes pour moi, nous avons confondu ,
nos témoignages d'al-
feclion ?
Infortuné Divcsl dans un momenlfiilal, lu fus assez insensé pourr A nous alors le regard aperçu de nous seuls ; le sourire que nul
méconnaître la voix delà naturel Naguère favori de la Fortune, lui autre ne comprenait ; le langage à demi articulé de deux coeurs
n'éprouves plus maintenant que ses rigueurs; le vase de courroux t amis; l'étreinte de deux mains frémissantes!
s'est brisé sur la lôte orgueilleuse. Le premier en lajent, un génie,, A nous le baiser innocent et pur qui commandait à l'amour de
en richesse, comme il se leva brillant, ton beau malin ! Mais la soiff réprimer tout désir plus brûlant : car les yeux annonçaient une
d'un crime, et d'un crime sans nom, esl venue le visiter, el voilài âme si chaste, que la passion elle-même eût rougi d'en demander
que le midi de ta viedoil s'écoulerdans le mépris et dans la solitudee davantage !
forcée, le pire de tous les supplices ! Et cet accent qui me rappelait à la joie, quand, bien différent de
toi, je me sentais dispose à la tristesse ! et ces chants que la voix
rendait célestes, mais qui dans toute autre bouche me sont indiffé-
rents 1
Le gage d'amour que nous portions, je le porte encore ; mais où
A UN AMI. est le tien?... Hélas! où es-tu toi-même? Le malheur a souvent
pesé sur moi, mais c'est la première fois que je ploie sous le faix-
« Bannis le noir chagrin ! » me dis-lu. Eh bien ! que telle soit taa Tu as bien fait de partir au printempsde la vie, nie laissant vider
devise dans tes joyeux ébats! et peut être aussi la mienne, dans ces is seul la coupe des douleurs. Si dans la tombe il n'est que le repos,
nuits bachiques, au sein de ces orgiaques délices par lesquelles les is je ne désire pas ta revoir sur la lerre.
enfants du désespoir bercent leur coeur attristé et « bannissent lee Mais si dans un monde meilleur les vertus ont un séjour p'uS
chagrin. » Mais à l'heure matinale, quand la réflexion arrive, quand d digne d'elles, fais-moi part d'une portion de ta félicité pour m'ai"
le présent, le passé, l'avenir, s'assombrissent, quand je vois tout ce
:e radier à mes angoisses ici-bas.
que j'aimai ou changé ou.... oh! ne vient point offrir cette amère•e Apprends-moi..,,ô leçon que je ne devais pas silôt recevoir d"
ironie comme un remède aux maux de celui dont toutes les pen- i- toi!... apprends-moi la résignation, soit pour pardonner, soil pouf
sées.... Mais laissons-là ce sujet.... Tu sais que je ne suis pas ce :e
que j'étais. Mais avant lout, si lu veux occuper une place dans unn (t) Celte pièce et les quatre suivantes sont consacrées à une beauté q".
coeur qui ne fut jamais froid, par lout ce que les hommes révèrent, ,') i! est restée inconnue : l'ensemble de ces poésies ot do quelques autres 1"
par lout ce qui est cher à Ion âme, par tes joies ici-bas, les espô-
i- !
1 portent la môme date est livré aux conjectiu'esdu lecteur.
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON. 1S9

demander le pardon. Il élait si pur, cet amour que tu avais pour moi Comptez les heures de joie que vous avez connues; comptez les
sur la lerre, que
j'espère quelquefois le retrouver dans le ciel. jours
j exempts de souffrance : quelque chose que vousayez élé, vous
verrez qu'il vaut mieux ne pas être.

STANCES.
STANCES.
Encore un effort, et je suis délivré des tourments qui déchirent
mon coeur ; encore un dernier el long soupir à l'amour et à loi, puis
Tais-toi ! tais-toi, ô chanson qui m'affliges I Ces sons naguère
,jn me jette de nouveau dans le tourbillon de la vie. Il me plaît pour moi pleins de charmes, qu'ils cessent, ou je fuis de ces lieux,
niiiintenant de me mêler à une société autrefois sans charme pour car je n'ose plus les entendre. Ils me rappellent des jours plus bril-
moi : après avoir vu s'envoler lotîtes mes joies d'ici-bas, quels cha- lants; mais faites taire celle harmonie, car mainlenant, hélas! je
uvins peuvent m'affectai* désormais? ne puis ni ne dois arrêter ma pensée sur ce que je suis, sur ce que
Apportez-moi donc du vin, servez le banquet; l'homme ne fut je fus.
pas créé pour vivre seul. Je veux êlre encore l'être léger, frivole, La voix qui rendait si doux ces accords est éteinte désormais, et
i|iii sourit à tout le monde et ne pleure avec personne. Il n'en était leur charme est envolé ; maintenant leurs sons les plus suaves me
pas ainsi dans des jours plus chers, il n'en eût jamais été ainsi: mais semblent un chant de deuil entonne pour les morts. Oui, ThyrzaI
lu as pris ton vol loin de moi , et lu m'as laissé ici-bas solitaire ; oui, ils me parlent de toi, cendre adorée, puisque tu n'es plus que
tu n'es plus qu'un néant, et tout est néant pour moi. cendre; et. tout ce qu'ils avaient autrefoisd'harmonie est pire qu'une
.liais vainement ma lyre affecte un ton léger; le sourire que la discordance à mon coeur.
douleur veut feindre fait un ironique contraste avec ce qu'il recouvre: Tout s'est tû... mais à mon oreille la vibration résonne encore ;
on dirait des roses sur un sépulcre. En vain de joyeux compagnons j'entends une voix que je ne voudrais pas entendre, une voix qui
de bible, la coupe à la main, écartent un moment le sentiment de devrait être muette: mais souvent elle vient faire tressaillir mou
nies maux; en vain le plaisir enflamme une ivresse insensée, le âme incertaine. Cette douce mélodie me suit jusque dans mon som-
coeur... le coeur est toujours solitaire! meil : je m'éveille et je l'écoute encore, bien que mon rêve soit dis-
Combien de fois, dans la solitude d'une belle nuit, je me suis sipé.
plu à contempler l'azur du firmament! car je pensais qu'à celle Douce Thyrza ! dans ma veille comme dans mon sommeil, lu n'es
heure la même lumière céleste se réfléchissait dans son oeil pensif! plus maintenant qu'un rêve enchanteur; une étoile qui, après s'être
Souvent à l'heure de minuit, sur les Ilots île la mer Egée, j'ai dit à réfléchie tremblante sur les flots, a dérobe à nos yeux son gracieux
l'astre : « En ce moment Thyrza ta regarde. » — Hélas ! les rayons rayon. Mais le voyageur engagé dans le sombre sentier de la vie,
de la lune éclairaient la tombe de Thyrza! alors que le ciel s'est voilé dans son courroux, regrettera longtemps
Enchaîné par la fièvre sur un lit sans sommeil, alors qu'un- feu le rayon évanoui qui répandait la gaîté sur son chemin.
brûlant coulait dans mes veines, « Ce qui me console, » disais-
jc, «c'est que Thyrza ignore mes souffrances. » Pour l'esclave usé
par les ans, la liberté est un don inutile; c'est cn vain que la na-
ture compatissante m'a rappelé à la vie, puisque Thyrza ne vit
plus! A LA PRINCESSE CHARLOTTE (1812).
Gage reçu de Thyrza dans des jours meilleurs, à l'aurore de ma
vie et de mon amour! combien lu es changea mes yeux! com- Pleure, fille des rois! pleure la honte d'un monarque et la déca-
bien le temps l'a coloré des teintes de la douleur! Le coeur qui s'est denced'un royaume ! heureuse si chacune de les larmes pouvait effa-
donné avec toi a cessé de battre... Ah! que n'en esl-il de môme du cer un des crimes de Ion père
mien ! Froid comme peuvent l'être les morts, il sent encore, il souffre Pleure... car les larmes sont celles de la vertu ; elles seront pro-
un sein de sa torpeur. pices à ces îles souffrantes ; puisse chacune d'elles être payée un
Don d'amertume et de délice, gage douloureux et cher à moni jour par un sourire du peuple!
Ame 1 oh ! garde mou amour pur de toute atteinte, ou brise ce coeur
contre lequel je le presse ! Les années tempèrent l'amour, elles ne
l'éleignent pas; il devient plus suint encore quand l'espérance s'est
envoléeI Oh! que sonl des milliers d'affections vivantes cn regardl
de celle jiui ne peut se détacher des morts! LA CHAÎNE ET LE LUTH.

La chaîne que je tedonnai était belle, le luth que j'y joignis avait
des sons harmonieux; le coeur qui offrit ces deux gages était sin-
cère, et ne méritait pas le sort qu'il a éprouvé.
EUTIIANASIA (i). A ces dons un charme secret était attaché pour me faire connaî-
tre ta fidélité cn mon absence, cl ils ont bien rempli leur devoir...
Quand le temps amènera ce sommeil sans'rêvcs qui berce les ha- Hélas! ils n'ont pu l'apprendre le lien.
bitants de la tombe, Dieu de l'Oubli, puissent tes ailes languissantess La chaîne était formée d'anneaux solides, mais qui ne devaient
Iloller doucement sur mon lit de mort!
l'oint d'amis ou d'héritiers pour pleurer ou hâter de leurs voeuxx pas résister au contact d'une main étrangère; le luth devait rester
mélodieux jusqu'au moment où lu le trouverais tel aux mains d'un
mon dernier soupir; point de femme,les cheveux épars, qui éprouve e autre.
ou simule une douleur de circonstance! Un autre a détaché de Ion cou celte chaîne tombée en morceaux
Que je descende silencieux dans la tombe, l'accompagnement it sous sa main; un autre a entendu ce luth lui refuser ses sons : que
«tiin deuil officieux : je ne veux pas interrompre
sans
un seul instant dee celui-là remonte les cordes et réunisse les anneaux.
J°ie, ni causer un seul mouvement d'inquiétude à l'amitié. Quand lu changeas, ils changèrent aussi; la chaîne est brisée, le
L'amour seul, si toutefois l'amour dans un pareil moment était it luth est muèl, tout est fini... Adieu à eux et à toi... adieu au coeur
capable d'un magnanime effort pour étouffer d'inutiles soupirs, l'a-
i- faux, à la chaîne fragile, au luth silencieux !
mour pourrait une dernière fois signaler son triomphe dans celle
«lin survit et dans celui qui meurt.
e
Il me serait doux, ma Psyché, de contempler jusqu'au dernier
."islant !r
les traits toujours sereins ; oubliant alors les convulsions 's
u"ja éteintes de l'agonie, la douleur elle-même pourrait le sourire. SUR LE POEME DE ROGERS : LES PLAISIRS DE LA MEMOIRE.
B-
5Iais ce voeu est inutile; le coeur de la beauté
se relrôcil pour 11*
fous à mesure que s'amoindrit notre souffle; et larmes que la Absent ou présent, mon ami, un charmemagique s'attache à toi;
ces
"'iiime répand à volonté nous trompent dans la vie et nouséner- c'est
,c»l au moment de la mort. r- ce que peuvent certifier tous ceux qui, comme moi, jouissent
Qu'elle soit donc solitaire, celle heure suprême qui m'attend tour-à-tour de ton entretien et de la lecture de tes chants.
I ; Mais quand viendra l'heure redoutée, toujours trop hâtive pour
u elle passe sans un regret, sans gémissement. En
un
milliers d'hommes, la mort a été douce, la douleur passagère
effet, des
pour es l'amitié ; quand la Mémoire, pensive sur la tombe de son poêle, pleu-
même nulle. )u rera la perle de ce qu'il y avait en toi de mortel ;
ou
Avec quel amour elle reconnaîtra l'hommage offert par loi sur
~7 °,*i-> mais mourir, et aller, hélas !... Eh bien ! aller où lous
us ses autels : dans les siècles à venir, elle unira pour jamais son nom
s mi ailes, où tous iront jour redevenir—
un !
«"• naître à la vie et à la douleur vivante!
ce rien que j'étais avantnt i au tien.
(1) Mot
grec qui signifie mort heureuse.
160 LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

la foule, rendue furieuse prr des siècles d'aridité, se rue à grands


cris,
ci fallût-il passer sur des cadavres, pour saisir la coupe qu'on lui
présente : car dans celte coupe les peuples boiront l'oubli d'une
ODE A VENISE. P.'

;attelés
chaîne pesante et douloureuse, sous laquelle ils ont été longtemps
pour labourer le sable... ou leurs si labeurs
ont croître
fait le
grain doré, n'a pas élé pour eux, courbés qu'ils étaient
ce sous le
joug ; et leurs palais endurcis n'ont ruminé que l'herbe de la dou-
k Oui, ce petit nombre d'espritsjustes, en dépit de quelques for-
leur.
faits qu'ils abhorrent, n'ont point confondu avec leur cause sacrée
Cl écarts passagers des lois de la nature, qui, pareils à la peste et
ces
i
aux tremblementsde terre, frappent momentanément,et passent,
ai
laissant à la terre le soin de reparer à' l'aide de quelques saisons]
de quelques étés, le dommage produit, et d'enfanter encore des
O Venise! Venise! quand tes palais de marbre seront de niveau villes
v: el des générations d'hommes, toutes égalementbelles, parce
avec les flots, on entendra le cri des nations sur les ruines de les 9 toutes seront également libres... car, ô tyrannie 1 pas un seul
que
palais, el une grande lamentation sur les rivagesde la mer agitée. boulon
u n'y fleurira pour toi.
Si moi, pèlerin du Nord, je pleure sur ta ruine, que te doivent
donc tes enfants?.. Tout, excepté des larmes! et pourtant ils se III.
contentent de murmurer dans leur sommeil. Quel.contraste:avec
lturs pères 1 Ils sont à eux ce que le verdâtre limon délaissé par la ' Gloire,puissance,liberté 1 divine triade! oh ! comme, aux jours
mer est à la vague impétueuse qui sépare le matelot.de son navire. d'autrefois,
•?, vous planiez majestueusement sur ces tours! Alors Vc-
Lès voyez-vous ramper comme des crabes, dans leurs ruelles, bâties : nise
n excitaitl'envie des nations : une ligue formée des plus puissantes
sur pilotis! 0 douleur! faut-il que lant de saisons n'aient pu mûrir put vaincre son génie, mais l'éteindre... Tous s'intéressèrent
àa sa destinée : les monarques,non
I1
qu'une moisson pareille! De treize siècles de.richesse et de gloire, admis à ses banquets, connurent cl
il ne reste que de la poussière et des larmes; tous les monuments chérirent
c leur noble hôtesse, et ne la purent haïr après l'avoir
que rencontre l'étranger, églises, palais ; colonnes, le saluent d'un abaissée.
a Les multitudes sentirent comme les rois, car depuis des
air de deuil; le Lion lui-même semble dompté, et le bruit rau'que du siècles
s elle était l'objet du culte des voyageurs de tous les pays : ses
tambour des Barbares frappe chaquejour l'écho de ses dissonnances erreurs
c même avaient un charme, et n'étaient que les filles de l'a-
monotones : écho qui jadis, au lieu de.cetle voix des tyrans, sur ces *mour ; elle ne s'abreuvait point de sang, elle ne s'engraissait point
vagues doucement onduleuses, berçant au clair de lune leur nuée * cadavres, mais elle portail là joie partout où s'étendaient ses
de
de gondoles, ne répétait que d'harmonieux concerts",- que le. mur- conquêtes
«? inoffensives,: car ses armes avaient fait triompher la croix
mure empressé d'une foule de joyeusescréatures dont le plus grand qui
«i sanctifiait ses bannières protectrices, sans cesse interposées
Ï«éclié était un coeur qui battait trop.vite,- une exubérance de bon- entre
* la terre et l'infidèle croissant ; et si l'on vit ce fatal emblème
leur. L'âge seul, hélas ! peut détourner lé cours de ce torrent de pâlir
1 et décroître, l'Europe le doit à la cité qu'elle a chargée de
douces sensations, de voluptés luxuriantes, qui circuleavec le sang! chaînes...
« N'entendcz-vouspas le bruit da ces fers, ô vous qui vous
Mais ces aimables légèretés valent mieux gue les sombres erreurs, 1parez du nom de liberté, dûi aux luttes glorieuses de la reine des
deuil des nations dans leur dernière décrépitude, alors que le vice mers?
] Hélas! elle partage avec vous une douleur commune, cl,
marche à découvert en étalant ses:plaies:hideuses; que la gaîté flétrie
' du titre'de royaume, sous la domination d'un vainqueur, elle
devient démence et sourit en égorgeant; que l'espérance n'estqu'un a pu apprendre ce que tous savent... et nous, Anglais, plus que
délai trompeur, éclair de vie qui luil au malade un instant avant la personne.....
1 sous quels termes dorés les tyrans abusent des nations.
mort. A cette heure en effet, la faiblesse, dernier et mortel refuge de
la souffrance,l'insensibilité physique, tristé.cqmmencementde cette
lutte froide el vacillante où la mort doit triompher, se glissentdans IV.
tout le corps, veine à veine, pulsation pai\pulsalion. El toutefois lu
.chair accablée de tortures trouve un soulagement dans cet état de Le nom de République a. été effacé des trois quarts de ce malheu-
torpeur, et prend pour la liberté le silence de ses chaînes... et voilà ,
reux globe; Venise est écrasée; la Hollande daigne reconnaître un
le moribond qui parle encore de vivre, et de ses esprits renais- sceptre, cl endurer la pompe royale ; si le Suisse, libre encore,
sants... bien qu'il se sente encore un peu faible... el de l'air pur pàrcoiirl'ses montagnes indépendantes, ce n'est que pour un temps
qu'il ira bientôt respirer. Mais, tout en parlant, il ne voit pas que bien court : car depuis peu, la tyrannie esl devenue habile : elle
l'haleine lui manque, que ses doigts amaigris ne sentent plus ce choisit ses moments pour étouffer, sous son pied les dernières étin-
qu'ils touchent. Cependant un nuage s'étend sur sa vue ; l'appar- celles qui couvent dans nos cendres. 11 est, par-delà l'Océan, un
tement tourne devant ses yeux éblouis; des ombres fantastiques grand pays.où une population vigoureuse est nourrie dans le culte
qu'il s'efforce en vain de saisir, voltigent et brillent autour de. lui,, delà liberté, pour laquelle ses pères ont combattu, afin de lui
jusqu'à ce qu'enfin sa voix étouffée expire dans un dernier râle :,; léguer cet héritage du.coeur et de la main, cette distinction glo-
alors, lout n'est plus que glace et ténèbres la terre redevientt rieuse entre le resta des nàlions, lesquelles s'inclinent à un signe
pour nous ce qu'elle était un moment avant notre naissance. du monarque, comme si le sceptre slupide élait une baguette ma-
gique,- donnant la science incarnée. Seul, ce grand peuple lève
d'un air de défi, sur les flots lointains de l'Atlantique, un front libre
IL et fier, indompté et sublime! il a montré à ses aînés, nouveaux
Esaiis, que le pavillon orgueilleuxqui flotte en signe de défense sur
Point d'espoir pour les nations !... Parcourez les annales de plu- le dernier des rochers d'Albion peut s'abaisser devant des bras vail-
sieurs milliers d'années : les vicissitudes journalières, le flux et le» lants, qui croient acheter leurs droits bon marché en les payant
reflux des siècles qui se suivent, le retour éternel du passé dans le3 avec du sang Oui, mieux vaut cette destinée! dût le sang des
présent; tout cela ne nous a rien ou presque rien appris : nous3 hommes couler comme un fleuve; qu'il coule, qu'il déborde, plutôt
continuonsà nous appuyer sur des roseaux qui se brisent sous notre8 que de ramper lâchement dans nos veines, à travers mille canaux
poids ; nous épuisons nos forces à frapper dans le vide : car c'estt oisifs, chargé d'entraves comme ces eaux que compriment les di-
notre propre nature qui nous met à bas : ils nous valent certes3 gués et les écluses, et pareil dans ses mouvements à un malade qui
bien, ces animaux que nous immolons à toute heure en hécatombeB se lève endormi, fait trois pas et tombe Plutôt que de croupit'
pour alimenter nos festins ; il faut qu'ils aillent où les mène leurr dans nos marais, mieux vaut reposer où les Spartiates immolés
conducteur... c'est-à-dire à la mort. Et vous, hommes qui, pour laj sont libres encore , dans leur glorieux ossuaire des Thermopyles...
cause des rois, versez voire sang comme de l'eau, qu'ont-ils donné*, Mieux vaut aussi franchir l:abîme des mers, tracer un sillon de plus
en retour à vos enfants? Un héritage de servitude et de malheur,j dans l'Océan, ajouter une âme à celles qui animaient nos pères, et
un aveugle esclavage, avec des coups pour salaire. Eh quoi! n'est-il
pasencore assez fumant de sueurs et de travail, le soc de la charrue
/#-H-'£\
un houime-libre à ton peuple, ô indépendante Amérique!
sur lequel un arrêt injuste vousconda.mneàtrébucher, fiers de don--
ner cette preuve de votre fidélité de sujets, baisant la main qui vousS / v_- /
l~~; j.) \'..-\
conduit à d'épuisanls labeurs, et vous glorifiant de fouler les sil-; -,
j 'J_fJN ,
DE LODE A VENISE.
lons engraisses par vous. Oh! qu'une source bien différente a pro-
duit lout ce que vos pères vous ont laissé, lout ce que le temps vous
a légué de libre et l'histoire^de sublime! Vous voyez et lisez ; vous
admirez et soupirez, et pourtant vous vous laissez accabler, immo-
ler! sauf un petit nombre d'esprits, qui ne se sont point laissé
ébranler dans leurs convictions par les crimes soudains accomplis
au bruit des bastilles foudrovées, quand tous sont égarés par la soif
des eaux délicieuses qui jaillissent de la source de ta liberté ; quand
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON. 1GI

DON JUAN.

DÉDICACE (1).

I.
1C2 LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

fides, en appolait au temps pour le venger ; si le temps en effet, ce là ne font pas mon affaire ; je prendrai donc noire ancien ami d-ui !'
grand vengeur, a dévoué, à, iîexécrntion les persécuteursdu grand Jn
Juan. Nous l'avons, tous. vu$ dan? la pantomime,envoyé au diable "
poète, el fait do son nom l'équivalent de sublime; c'est que lui, un peu avant son temps.
un '<
dans ses chants, il n'a pas vendu son âme au mensonge, qu'il n,'a il cl
d
pas mis son talent au service du crime ; qu'après avoir flétri le père,
il n'a pas encensé le fils et qu'enfin il est mort comme il a vécu, Vernon, Cumberland le bouclier, Wolfe, Hawlce, le prince Fer- cl
l'eunemi des tyrans. , dinand,
di Granby, Burgoyne, Keppel, Howe (1), soit en bien, soil e-i
XL mal,
m ont fait parler d'eux tOttrrà.-touf t et ont servi d'enseigne,
comme aujourd'hui Wellington : ils défilent l'un après l'auliv
co
Ah 1 si le vieil aveugle, sortant de sa tombe, nouveau Samuel, comme les rois de Banquo, lous enfants de la gloire, «.les neuf
ce
venait glacer le sang des rois par ses prophéties ; ou s'il pouvait marcassins
m d'une même laie, » comme dit Shakespeare. La France "
revivre blanchi par l'âge el le malheur, avec ses yeux sans regard aussi
ai a eu Bonaparte cl Dumouriez, dont le souvenir est consigné '«

el ses filles sans coeur, épuisé, pâle, indigent... croyez-vous qu'il dans
di le Moniteur el autres journaux. s
adoreraitun sultan,lui; croyez-vous qu'il plierait devant un Caslle- r
reagh, un eunuque intellectuel ? m. '
X" Barnavc, Brissot, Condorcel,'Mirabeau,Pélion, Clootz, Danton,
1
Marat, La Fayette, ont élé célèbres parmi les Français, personne
Scélérat au coeur glacé, au doucereux visage, aux manières pàtft- ij'*p ignore : il en est d'autres encore dont le souvenir n'esl pas
j-• il
fines ! il a trempé dans le sang de l'Irlande ses mains jeun*8 et éWiat : Joubert, Hoche, Marceau, Lanncs, Desaix, Morcau (ï), et
t.
délicates ; puis sa soif de carnage voulant un plus vaste théâjtc, il l:iH> d'autres militaires, 1res remarquables.dansleur temps mais
li j
est venu s'abreuver sur nos rivages. Vulgaire instrument â* la
i
d
doit*, lés noms s'arrangent mal dans mes vers.
tyrannie, il a tout juste assez de talent pour faire durer la eh ait* que :
d'autres ont rivée, et pour présenter le poison préparé par d'autres (! IV.
mains.
XIII.
,
i
Pour la Grande-Bretagne, Nelson fut longtemps le dieu de h
I1
S guerre : il devrait l'être encore, mais le courant a changé.: on ne
Comme orateur, c'est un fatras si iueffablement, si véritable- ' parle
j plus de TraJfelgar, paisiblement inhumé avec son héros. Main-
mentslupide, que ses plus grossiers flatteui s mêmo.&'éi#ntje louer,, ttenant l'arlnéig 8*ule est populaire, ce qui ne fait pas le compta des
cl que ses ennemis, c'est-à-dire tous les peuples, à$ wgêent même! marins
i :.
d'ailleurs le prince, dans sa prédilection pour le service
pas. en rire. Pas une étincelle ne jaillit, fût-ceforlaWlIScnt, de ceit* ' d»
< terre, a oublié IçsDuncan, les Nelson, les Howe el les Jervis.
meule d'Ixion qui tourne et tourne sans ceseèt oAtanit au monde ,
l'exemple de tortures sans fin, et le spécimen du moù*«ment per- V.
pélucl. :,
i
xiv. j! De brayefc guerriers mit vécu avant Agamemnon et depuis ce
roi ,
des rois-or» en a vu dft 1res vaillants cl de très sages
j! ' qui lui
Gâcheur, même dans son dégoûtant métier, il. & b«KMâ ravauder, ressemblaientbeaucoup, i-àiisêtre identiquement les mômes. Mais,
rapetasser, il laisse toujours quelque itiiià. dont se* *ÉiMtre8 s'épou- ils n'ont brille dans l,ès vers d'aucun poète, el c'est pourquoi ils sonl
. vantent <&$. pensées à oubliés.., Je- né fais de procès à personne, mais je ne trouve pas un
: ce sonl des Etats à mellre tfcitt. le joug^
comprimer, une conspiration ou lin c^timft à (irgiïhMr. A lui de héros dans lé sièelè présent qui puisse convenir à mon poème (je
forger des mcnoltes à tout le genre huinujs^ fwuner l'esclavage, 10- veux dire a celui que j'entame}; donc, comme je l'ai dit, je pren-
mcllre les vieilles chaîncB à neuf, et nwwir pour salaire la bain» drai inoo Mai don Juan.
de Dieu et des hommes. VI.
XV.
La plupart, des poètes épiques se jettent tout d'abord m médias
S'il faut juger du corps par l'inleIti(Wil# j énervé iusqtt^ IA tes (Horace fait de ce précepte 10 grand chemin de l'épopée) ; puis
il.
i|
moelle de ses os, cet être neutre n'a que «MMMI |uts. servfib ^Ifièéf? j; «juand• CQltt leur convient, le héros raconte les événements uni
vir : car il s'imagine que la chaîne qu'il, pjt^ peut *op»êflii à «js ;; ^ttlfirécédé : il fait ce îécit en manière d'épisode, après diucr.
hommes. Nouvel Eutropc d'une foule dé maîtres, atv<iùgbï àtt ÎW- j: TOfiîMjiidémèht.assisauprès dé. sa maîtresse, dans quelque charmant
rile comme à la liberté, à la science et à l'esprit ; ne ofAlgnàM ttWj, j séjour, tel qu'un palais, un jardin, le paradis, ou une grotte qui
parce que la crainte est encore un sentiment :. son coiif»(|ft ttr£tt)#.; "' wui d* Vide-boiitallle à l'heureux couple.
est stagnant comme un vice.
XVI. VIL
De quel côté me tourner pour ne point voir sa tyraijni* (#&jr-À.|. i: • ©fis.fc là méthode en usage, mais ce n'est pas la mienne. J'aime à
ne me la fera jamais sentir)?... Italie) ton âme ioffl4iB.è., liaStfe i tttttMÉM.cer par le commencement : la régularité de mon. plan
ment réveillée, fléchit sous le mensonge que celte machiné d Kiaii i ni Interdit comme une faille capitale toute divagation, et dût mon
a soufflé sur toil ah! le bruit de tes chaînes et les récentes blessu- premier vers me coûter une heure, je débuterai par vous dircquel-
res de l'Irlande trouveront une voix, une langue, et parleront plus; que chose du père de don Juan, et môme de sa mère, si cela ne
haut que moi. Grâce à cet homme, l'Europe a encore des esclaves, vous déplaît pas.
des alliés, des rois, des. armées, et Southey pour chanter le tout en1 VIII.
vers détestables.
XVII. H était né à Séville, agréable cité, célèbre par ses et se*
femmes. Qui n'a pas vu Séville est bien à plaindre : oranges
le proverbe le
Sur ce, baronnet-lauréat,je le dédie ce poème simple et sans art.. dit, et je suis tout-à-fait de son avis; de toutes les villes dïï«pa-
Si je ne prêche point en vers adulateurs, c'est que, vois-tu ? j'aii gne, il n'en est point de plus jolie, si ce n'est peut - être Cadix
gardé mon uniforme,bleu et jaune (1) ; mon éducation politique estt mais nous verrons bientôt celle-ci. Les parents dé don Juan ba-
encore à faire ; et puis l'apostasie est tellement à la mode, qu'il y ax bilaient sur le bord du fleuve, du noble fleuve appelé le Guadal-
quelque honneur à entreprendre celle tâche herculéenne de con- quivir.
server sa foi : n'esl-il pas vrai, mon tory, mon ultra-renégat? IX.
Son père avait nom José... don José, comme de juste, véritable

(\) L'amiral Vernon se distingua à la prise de Porlo-Bello, et mourut


CHANT PREMIER. Gn,"5?-rLe mic de Cumberlaiid, second lils de Georges II, délit die-
vaber à Culloden, en 1746. — Wolfe fut lue en prenant Québec leJTS'J.
en
— L amiral Hawke détruisit à Brest la flotte française, qui se préparait i
L envahir la Grande-Bretagne; il mourut en 1781. —Ferdinand, duo il»
Brunswick, chassa les Français de la Hésse en 17fi2. i
J'ai besoin d'un héros, besoin peu commun dans un iemps où Ù Gr.an,t;y se signala contre les Stuarts en 1745. — e marquis de
— Le général Bursovne
chaque année, chaque mois, en produit un nouveau, lequel sub- prit rteondoroga en Amérique, niais fut forcé de rendre gêné»!
sista jusqu'au moment où ses réclames ayant encombré les gazelles,> Gales et à Lal'nyctle. — L'amiral Keppel combattitse la Hotte au française à
le siècle s'aperçoit que ce n'est pas là le véritable héros. Ces gens- Us4and, çn 1778, avec nii succès contesté. Lord Howe battit là flotte
5 Iraiieaise le 1"juin 1791. —
(2) Il fallait, une note pour illustrer les noms des grands hommes an-
(1) Couleurs de Fox et des wighs à cette époque. glais; les nôtres n'ont pas bcsoin.de. e<; secours.
ÔÎUVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON. 101

algo, sans une goutté de sang juif ou mauresque dans les veines : moindres
nu mouvementsétaient aussi précis que ceux de la meilleure
aisnit remonter son origine aussi haut que les plus gothiquesdé piï d'horlogerie sortie des ateliers d'Harrison. Rien sur la terre ne
pièce
s les nobles d'Espagne.
Jamais* meilleur cavalier n'avait enfour- Souvait
po la surpasser en vertus, sauf « ton huile incomparable, » 6
un cheval, ou, y iétant
monté, n'avait quitté la selle : ce José lacassarl

c engendra notre héros, lequel engendra... mais ceci Viendra XVIlL
son temps... Eh bien donc, pour revenir...
Elle était parfaite; mais, hélon! la perfection paraît insipide dans
Y ce monde pervers, oit nos premiers parents apprirent à S'embrasser
i
après leur exil de ce paradis, séjour de paix, diuiioèénéé et de féli-
a mère était une femme très
instruite, versée dans toutes lés \I cil (je voudrais bien savoir ce qu'ils faisaientde leurs douze heures
cité
nches de toutes les sciences connues... ou qui ont un nom dans : pa jour ). C'est pourquoidon Joisé, eu vrai fils d'Eve, allait cueillant
par
langues chrétiennes Ses vertus n'étaient comparables qu'à di
divers fruits çà et là, sans la permission de sa moitié.
i esprit: si bien qu'à se voir ainsi surpassés par elle dans leur
pre spécialité, lés plus, habiles étaient humiliés, et les meilleurs XIX.
me ne pouvaient étouffer un secret mouvement de jalousie.
C'était un caractère insouciant, peu amoureux de la science et
XL d! savants,, aimant à courir partout où il lui plaisait, sans se sou-
des
ci de ce qu'en, dirait sa femme. Le- monde, prenant toujours un
cier
a mémoire était une véritable mine : elle savait par coeur tout malin
m plaisir aux dissensions d'un royaume ou d'un ménagé, disait
lilcron, et la plupart des oeuvres de Lopezde Véga, en sorte que tout bas qu'il avait une maîtresse: quelques-uns lui cn donnaient
le
quelque acteur venait à oublier son rôle, elle pouvait lui servir deux
d< ; mais il n'en faut qu'une pour mettre la discorde au logis.
souffleur : la mnénjotecbnicétait pour elle une science inutile.:
e eût obligé Fenaigle à fermer boutique : car jamais il n'eût pu XX.
'er une mémoire pareille à celle de dona liiez.
Or, dona liiez, en femme, de mérite, avait une haute opinion
XIL i
d'elle-même..: à femme négligée il faut la patience d'un saint. Et à
la vérité liiez était, une sainte par sa moralité; mais elle avait un
Son 4
élude favorite était les mathématiques; . . plus
sa vertu là ddiable de caractère :- elle, mêlait parfois des fictions aux réalités, el
nie, la magnanimité; son esprit (car elle visait quelquefois à r laissait échapper aucune, occasion, d» prendre, son seigneur et
ne
sprit) était le pur sel attique; ses propos sérieux étaient sublimes maître
n en défaut.
siju'à l'obscurité. Bref, en toute chose, j'oserai dire que c'était un ; XXI.
oïlige... Son costume du matin était de basin ; je soir elle portait \
i
la soie, en élé de. la mousseline ou d'autres étoffes qu'il serait ' La chose n'était pas difficile avec un homme souvent en faute, et
scux d'ênuinérer. i se tenant jamais sur ses gardes; et même les plus circonspects
;'. ne
X1IL \ beau faire, ils ont des moments, des heures, des jours d'un tel
ont
abandon qu'on pourrait les assommer d'un coup d'éventail; et les
Elle savait lelatin... c'est-à-dire l'oraisondominicale, elle grec... dames
< frappent quelquefois horriblement fort; l'éventail se trans-
csl-à-dire l'alphabet, j'en pourrais presque répondre. Elle avait 1forme en poignard dans leurs mains, sans qu'on sache trop ni
com-
par-ci par-là quelques romans français, quoiqu'elle ne parlât pas ment,
' ni pourquoi.
>lle langue très purement; quant à son idiome maternel, elle ne XXII. **'
en était guère occupée, et c'est ce qui rendait sa conversation un
udifficile à suivre.Toutes ses penséesétaient des théorèmes,et leur Il est fâcheux que les jeunes savantes se marient toujours avec
pression des problèmes : elle semblait penserque le mystère leur des
< hommes sans éducation, ou des messieursqui, bien nés et bien
'Nierait du relief. élevés, se fatiguent aisément d'une conversation scientifique: je ne
XIV. puis eh dire davantage sur ce sujet, étant un homme tout rond, un
célibataire ; mais.... vous qui avez épousé des beautés intellectuelles,
Ayant du goût pour l'anglais et l'hébreu, elle prétendait trouver dites-le-nous franchement, toutes ces dames ne sont-elles point par-
c1 analogie entre ces deux langues : elle le prouvait par je ne sais venues à porteries culottes?
tieltcs citations des livres sacrés ; mais je laisse le soin d'apprécier
s preuves à ceux qui les ont vues. H est toutefois une observation XXIII.
ne je lui ai entendu faire et qui peut, avoir du bon (chacun d'ail-
Don José et sa femme étaient souvent en querelle. Pourquoi?
urs peut avoir sur ce point l'opinion qu'il, lui plaira). « Chose. c'est ce que personne ne pouvait deviner, quoique bien des gens
range ! disait-elle, le mot hébreu qui signifie je suis (1) est fié- cherchassent à le savoir, (ta n'était ni leur affaire ni la mienne
emment employé en anglais comme sujet du verbe damner. » j'abhorre la curiosité... un vice si bas I Mais s'il est une chose où-.
j'excelle, c'est Part, d'arranger les affaires de tous mes amis, noyant
XV. point, pour ma part, de soucis domestiques.
Il est des femmes qui ne font usage que de leur langue ; pour elle,
n aspect seul était une leçon académique ; chacun de ses yeux unî XXIV.
iinon et son front une.homélie. Elle trouvait en elle-même un di-j
cton r expert sur lous les cas, comme le très regretté sir Samuel Un jour donc je crus devoir intervenir, et ce dans les meilleures:
milly, ce commentateur de nos lois, ce redresseur du gouverne-*. intentions du monde ; mais ils m'a;cueillirentfort mal-; je crois que
eut, dont le suicide fut presque une anomalie ou du moins un" tous les deux avaient le diable au corps; car à partir de ce moment
j
sic exemple de plus pour démontrer que « tout est vanité. » (Le je ne pus trouver ni le, mari ni la femme, au logis, quoique leur
ry a rendu un verdict qui attribuait celte mort à la démence.) portier m'ait avoué depuis.... mais n'importe I Ce qu'il y eut de pire
dans cette affaire,, c'est que le petit Juan, du haut de l'escalier,
XVI.
m'arrosa un jour a Vimproviste d'un seau d'eaux ménagères.
Bief, c'était unearithmétique ambulante : on eût cru voir marcherr XXV.
nouvelles de miss Edgewortb sorties de leur reliure, oit les livres
mistrissTrimmer sur l'éducation,ou enfin « l'épousede Coelebs» ($)>rt; C'était un p3lit frisé, franc vaurien, véritable singe malfaisant dès
•a recherche d'un amant. C'était la morale elle-même
en ..'
pér- sa naissance : ses parents n'étaient d'accord que sur un seul point,
ime, et l'envie ne pouvait trouver en elle la plus petite tache ^ à à. savoir de gâtera qui mieux, mieux ce turbulent mannousel. Au
prendre : elle laissait aux autres femmes les travers de son sexe'.; lieu de se disputer, ils auraient mieux fait d'envoyer ce petit tyran à
'elle n'en avait pas un seul.... et c'est là le pire de tous. ' l'école ou de le fouetterd'importance à la maison, pour lui appren-
dre à se mieux comporter.
XVII. XXVI.
"J1 ! elle était parfaite au-delà de toute comparaison parmi les
.... du
dernes saintes, et tellement au-dessus des tentations BS Don José et dona Inez menaient depuis quelque temps une Vie
malin
m assez malheureuse, chacun d'eux appelant non le divorce, mais la
"''t que son ange gardien, avait abandonné, un poste inutile. Ses
es mort de son conjoint : cependant ils s'observaient en face du monde;
leur conduite élait celle de gens bien élevés, et ils ne donnaient au-
1) Mauvais jeu de mots fondé sur le nom biblique de la divinité je suis
: „j cun signe extérieur de divisions domestiques ; mais enfin, le feu.
i\ »*'*"•"> et sur le juron anglais god damnl longtemps étouffé, éclata, «it leur mésintelligencedevint un fait in-
•v Roman pédantesquemenlmoral de miss Hannah More. contestable.
4Gi LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

Numa (surnommé Pompilius),c'est qu'il avait été mal élevé et qu'il


N
XXVII. et né bilieux.
était
XXXVI.
Car Inez fit venir apothicaireset médecins, et s'efforça de prouver
Quels que fussent ses mérités ou ses torts, l'infortuné avait bien
que son cher mari élait fou ; mais comme il avait des intervalles souffert.
lucides, elle décida ensuite qu'il n'était que méchant. Cependant, sc Avouons-le, puisque cela ne peut plus à présent réjouir ses
quand on lui demanda de soutenir son dire, elle, ne put donner eI ennemis, ce fut pour lui une cruelle épreuve que de se trouver seul
aucune explication, sauf que ses devoirs envers Dieu et les hommes assis
as à son foyer désert, entouré des débris de ses pénates mutilés'.
avaient dicté sa conduite.... et le tout parut fort étrange. ?' n'avait laissé a sa sensibilité ou à son orgueil d'autre choix que
on
la mort ou un ridicule procès.... il prit le parti de mourir.
XXVIII.
XXXVII.
Elle tenait un journal où elle inscrivait toutes les fautes de son
mari : elle ouvrit même certaines cassettes contenant des livres et Don José étant décédé intestat, Juan se vit l'unique héritier de
des lettres, dont on pouvait tirer parti dans l'occasion. Du reste, maisons
n et de terres que, pendant une longue minorité, des mains
elle avait pour elle tout Séville, sans comptersa bonne vieille grand'- capables
Ci sauraient bien mettre à profit. Inez fut la seule tutrice de
mère, laquelle radotait. Les témoins qu'elle avait invoqués se firent s' fils, ce qui était juste et conforme au voeu de la nature ; un fils
son
Sublicistes, avocats, inquisiteurs et juges, les uns pour leur plaisir, unique
V confié aux soins d'une mère veuve est toujours parfaitement
'autres pour satisfaire de vieilles rancunes. élevé.
XXXVIII.
XXIX. La plus sage de toutes les femmes, et de toutes lès veuves aussi,
résolut
r de faire de Juan un véritable prodige, digne de la plus
Et puis celte femme, la meilleure et la plus douce des femmes, haute naissance (son père était de Castille et sa mère d'Aragon):
li
supportait avec tanl de sérénité les chagrins de son époux! Comme elle
c vo dut qu'il devînt un chevalier accompli, en cas que notre
ces matrones de Spartequi, jadis, voyaient tuer leurs maris, el pre- sseigneurle roi se mît en guerre de nouveau. Il apprit donc à monter
naient la noble résolution de ne plus parler d'eux du resta de la àà cheval, à manier l'épée et les armes à feu, et tout ce qu'il faut
vie.... elle entendait sans s'émouvoir toutes les calomnies qui s'é- €enfin pour escalader une forteresse.... ou un couvent de nonnes,
levaient contre lui; elle contemplait son agonie avec un calme si
sublime que de toutesparts on s écriait : «Quelle magnanimité! » XXXIX.
XXX. Mais ce à quoi dona Inez visait par-dessustout, ce dont elle s'as-
surait
f par elle-mêmechaque jour, cn présence des savants profes-
Sans contredit, cette patience de nos amis d'autrefois, quand le sseurs qu'elle payait pour lui, c'est que son éducation
fût strictement
monde nous condamne; montre de la philosophie; ensuite il est as- morale.
' Elle surveillait toutes ses études, dont l'objet lui était préa-
scz agréable de s'entendre appeler magnanime, surtout quand par 1lablement soumis Arts, sciences, rien ne devait rester étranger a
surcroît on arrive à ses fins. Une telle conduite ne rentre nullement don
i Juan : l'histoire naturelle- était seule exceptée.
dans ce que les légistes appellent : malus animus; certes, la ven-
geance exercée personnellement n'est pas une verlu: mais est-ce XL.
ma faute ,à moi, si d'autres vous blessent?
Les langues, cl en particulier les langues mortes; les sciences,cl
XXXI. surtout les sciences abslraites; les arts, ou du moins ceux qui pa-
raissent les plus étrangers à toute application usuelle : tais furent
Et si nos dissentimentsréveillent de vieilles rumeurs, avec l'aide pour lui les objets d'une étude assidue et profonde; mais .on cul
do deux ou trois mensonges qu'on y ajoute, le blâme n'en doit grand soin d'écarter toute lecture un peu libre, lout ce qui pouvait
certes retomber ni sur moi ni sur tout antre.... Ces choses étaient faire allusion à la propagation de l'espèce : tant on craignait la
de notoriété traditionnelle. D'ailleurs, cette résurrection fait ressor- contagion du vice !
tir notre gloire parle contraste, et c'estjustement ce que nous vou- XLI.
lions tous : puis la science en profite.... les scandales morts sont
d'excellents sujets à disséquer. Ce qui devenait quelquefois embarrassant dans ses éludes classi-
ques , c'étaientles impudiquesamours de ces dieux et de ces déesses
qui firent tant de bruit dans les premiers âges du monde, el ne
XXXII. portèrent jamais ni pantalons ni corsels ; ses révérends professeurs
Une réconciliation avait élé tentée par leurs amis, et ensuite par essuyaient parfois de vertes réprimandes, el se donnaient au diable
leurs parents : et tous n'avaient fait qu'empirer les affaires ( il serait pour justifier l'Enéide, l'Iliade ou l'Odyssée ; car dona Inez redou-
difficile dé dire à qui, en pareille occasion, il vaut mieux avoir re- tait la mythologie.
XLII.
cours; je ne saurais dire grand'chose en faveur des amis, ni des pa-
rents non plus). Les gens de loi firent de leur mieux pour obtenir Ovide est un mauvais sujet, comme le prouve la moitié de se-
le divorce; mais à peine avait-on payé quelques frais de part .et poèmes; la morale d'Anacréon est encore pire; on trouverait i
d'autre, quand malheureusement don José mourut. peine dans Catulle un sem\ passage décent ;• je ne crois pas que l'ode
de Sapho soit d'un fort bon exemple, bien que Longin prétende qm
XXXIII. dans aucun autre hymne le sublime ne s'élève sur de plus larges
ailes : mais les chants de Virgile sont purs, à l'exception de celte
Il mourut, et ce fut un malheur, car d'après ce que j'ai pu re- horrible églogue qui commence ainsi • Formosumpastor Cortjdm-
cueillir des juristes les plus experts dans cette partie de la législa-
tion (bien que leur langage soit toujours obscur et circonspect), XLIII.
cette mort vint gâter une cause charmante. Ce fut aussi une perte;
considérable pour la sensibilité publique, qui, en cette occasion, L'irréligieux Lucrèce offre une nourriture trop forte pour i'(
s'était manifestée d'une manière remarquable. ,
jeunes estomacs. Certes, Juvénàl avait un but louable; mais je ij(
puis m'empêcherde croire qu'il eût tort dans ses vers de pousser 1'
XXXIV. franchisejusqu'à la grossièreté. Enfin, quelle personne bien élevée
peut se plaire aux épigrammes nauséabondes de Martial ?
Mais, hélas 1 il mourut, et il emporta dans sa lombe les sensations
s
du public et les honoraires dès gens de loi : sa maison fut vendue, XLIV.
ses domestiques congédiés; un Juif prit l'une de ses maîtresses, un
prêtre l'autre.... du moins on l'assure. J'ai consulté les médecinss Ces épigrammes, Juan les lut dans la meilleure édition expnrgj'
sur sa maladie. D'après eux, il mourut d'une"fièvre lenle qu'ils ap-
pellent
par des savants habiles. Ces censeurs écartent judicieusement "J
tierce, et laissa une veuve qui avait bien quelque chose à see regard de l'écolier les endroits les plus inconvenants; mais <P
reprocher. gnant de trop défigurer le poète par ces omissions, et déploi»11
XXXV. la mutilation qu'ils lui font subir, ils ont soin de réunir tous i-
vers supprimésdans un appendicequi tient lieu d'un index.
Cependant José était un galant homme; je puis le dire, car je l'aid '
bien connu : c'estpourquoije ne reviendraiplus sur ses faiblesses,dontt XLV.
la liste est à peu près épuisée. Si de temps à autre ses passions dé-
passèrent certaines limitas, et furent moins paisibles que celles dee Là au lieu de lès voir éparpillés dans les pages du livre, n0"
,
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON. 165

les trouvons placés sous une seule coupe : ils se présententrangés elle
c aurait poussé des cris); car la précocité était à ses yeux le vice
bel ordre de bataille aux regards de la jeunesse ingénue, espoir 1le plus atroce.
on décide à les LV.
.ie l'avenir, jusqu'à ce qu'un éditeur moins rigide se
renvoyer dans leurs niches respectives, au lieu de les laisser en face
Variai ses nombreuses connaissances, toutes choisies pour leur
l'un de l'autre, comme des statue» du Dieu des jardins, et d'un air
plus indécent encore. 'sagesse et leur dévotion, on Comptaitdona Julia. Dire queJulia était
XLVL
belle,
J ce ne serait donner qu'une faible idée de tous lesselcharmes
qui lui étaient naturels comme le parfum à la fleur, le à l'O-
En outre, le missel (un missel de famille) était orné comme le céan,
' à Vénus sa ceinture, à Cupidon son arc (mais celte dernière
sont souvent les vieuxlivres de messe, et illustré de toutes sortes de
comparaison
' est banale et stupide).
dessins grotesques. Comment ceux qui voyaient toutes ces figures
se caressant sur
la marge pouvaient-ilsfixer leurs regards sur le LVL
texte et s'absorber dans la prière, c'est ce que je ne saurais dire...
Mais la mère de don Juan garda ce livre pour elle, et en donna un
Le noir éclat de son oeil oriental s'accordait avec son origine
autre à son fils. mauresque (car il faut le dire en passant ,'son sang n'était pas pur
espagnol, ce qui cn Espagne, vous le savez, n'est guère moins
XLVII. qu'un péché). Quand tomba l'orgueilleuseGrenade, quand Boabdil
11 lisait, des sermons, on lui en faisait aussi : on lui mettait entre pleura d'être contraint à la fuite, parmi les ancêtres de dona Julia,
à ics uns passèrent en Afrique, d'autres restèrent en Espagne : sa
les mains des homélies, des vies de tous les saints. Aguerri la lec- trisaïeule prit ce dernier parti.
ture de Jérôme et de Clirysostome. de pareilles études ne lui étaient
point pénibles : mais quant aux moyens d'acquérir la foi bu de la
n'est comparableà saint Augustin L-VII.
conserver, aucun de ces auteurs
qui, dans ses délicieuses Confessions, fait envier au lecteur les pé- Elle épousa un hidalgo, dont j'ai oublié la généalogie, et qui
chés du maître.
transmit à sa postérité un sang moins noble qu'il n'aurait dû : ses
XLVIII. ancêtres auraient maudit une pareille alliance, car ils étaient si
aussi était interdit au petit Juan... Je dois convenir que pointilleuxsur cet article, qu'ils vivaient toul-à-fail en famille, épou-
Ce livre
n'avait pas tort... en supposant qu'unepareille éducation sant leurs cousines... et au besoin leurs tantes et leurs nièces : cou-
sa maman tume pernicieuse qui détériore l'espèce, si elle la multiplie.
soil la bonne. Elle le perdait à peine un instant de vue ; ses femmes
do chambre étaient toutes vieilles, et chaque fois qu'elle en prenait
LVIII.
nue nouvelle , on pouvait être assuré d'avance que ce serait un
épouvanlail : c'est une précaution qu'elle prenait du vivant même Ce croisement infidèle renouvela la
de son mari... el je la recommande à taules les femmes. race, gâta la noblesse du
sang, mais améliora beaucoupla chair; car, de la souche la plus ra-
bougrie qu'on connût dans la vieille Espagne, il sortit une branche
XL1X. brillante de fraîcheur et de beauté : les garçons ne furent plus na-
grâce el en sainteté : à six ans c'était bots, les filles ne furent plus laides; maisjedois rapporter un bruit
Le jeune Juan croissait en qui courut, quoique j'eusse bien envie de le taire : on dit que la
n» charmantenfant ; à onze, il promettaitd'avoirla plus jolie figure grand'maman de Julia donna à son mari plus d'enfants de l'amour
qui Tut jamais donnée à l'homme.Il étudiait assidûment, faisait de
constants progrès, et paraissait lancé dans la vraie roule du ciel ; que d'héritiers légitimes.
L1X.
car la moitié de ses journées se passait à l'église, el le reste entre
ses maîtres, son confesseur el sa mère. Quoi qu'il cn soit, la race ne cessa pointde s'améliorer de géné-
ration en génération, tant qu'elle se résuma enfin en un seul fils,
L. lequel laissa une fille unique : ou doit avoir deviné que celle-ci
n'est autre que Julia. dont j'aurai beaucoup à parler; elle était ma
A six ans, disais-jc, c'était un charmant enfant; à douze, un bel liée, charmante, chaste, el avait vingt-trois ans.
adolescent du caractère le plus paisible : dans ses premières an-
nées, son humeur avait été un peu difficile, mais on avait travaillé
à dompter son naturel fougueux, et ces efforts n'avaient point élé LX.
inutiles : du moins, on pouvait s'en daller, et toute la joie de sa
mère était de proclamer combien son jeune philosophe était déjà Ses yeux (je suis fou des beaux yeux) étaient grands et noirs. Us
voilaient à demi leur flamme tant qu'elle gardait le silence, mais
âge, tranquille et studieux. dès qu'elle ouvrait la bouche, à travers leur douce retenue flam-
LL boyait une expression non de colère, mais de fierlé, et plus encore
l'avais des doutes à cet égard, peut-être en ai-jc encore ; mais je
d'amour ; il s'y montrait un sentiment qui n'était pas le désir, mais
qui eût pu devenir tel, si son âme ne l'eût combattu et réprimé
ne veux point devancer l'ordre des faits. J'ai très bien connu son aussitôt.
'ère ;je sais un peu juger les caractères... mais il serait injuste de LXl.
enduro du père au fils, soit en bien, soit en mal. Sa femme cl. lui
(limaient un couple mal assorti... mais j'abhorre la médisance... je' Sa chevelure brillante se bouclait autour d'un front blanc et poli
irolcsle contre toute parole malveillante, même en plaisanterie. où rayonnait l'intelligence; la courbe de ses sourcils était celle de
l'arc-en-ciel; sur sajous empourprée de l'éclat de la jeunesse mon-
LU. •
(aient parfois de transparentes lueurs, comme si l'éclair eût courii
dans ses veines. En somme, elle avait un air et un éclat peu com-
.fonr moi, je ne dis rien... rien... mais j'ajoute seulement... et muns; sa taille élait haute... je délesta les femmes trapues.
»' mes raisons pour cela... que si j'avais un fils unique à élever
cl Dieu soit loue de ce que je n'en ai pas), ce n'est pas avec dona
LXII.
«ez que je l'enfermerais pour n'apprendre que son catéchisme.
,<»>, non... je l'enverraisde bonne heure au collège; car c'esl là que Elle était mariée depuis quelques années à un homme d'une cin-
"i appris ce que je sais. quantaine d'années : ces maris-là foisonnent ; et pourtant, selon
LUI. moi, au lieu d'un mari de cet âge, il serait mieux d'en avoir deux
de vingt-cinq ans, surtout dans les pays voisins du soleil; et main-
Là on apprend... ce n'est paspour m'en faire gloire... je passerai tenant que j'y pense, mi vien in menlc, les femmes de la vertu la
°nc là-dessus, aussi bien que sur le grec que j'ai oublié depuis : plus sauvage préfèrent un époux qui n"a pas la trentaine.
-oisais donc que c'est là... mais verbum sat : il me semble que j'y
1 puisé comme tout le monde, la connaissancede certaines cho-
,
-s-. n'importe lesquelles. Je n'ai jamais élé marié... mais je pense LXIII.
' suis sûr qu'on doit élever ses fils d'une tout autre manière. ' Chose triste, je l'avoue 1 mais toute la faute en est à ce soleil in-
décent qui ne peut laisser en repos notre pauvre argile, mais qui la
LIV. chauffe, la rôti», la brûle, si bien que, nonobstantjeûnes et prières
la chair est fragile et l'âme court à sa perle : ce que les hommes
w jeune Juan était entré dans sa seizième année : grand, beau, appellent galanterie et le ciel adultère est beaucoup plus commun
M'en fluet, mais bien pris, vif comme un page, bien qu'un peu i dans les pays chauds.
<"»s espiègle, tout le monde, excepté sa mère, le regardait
ue comme un homme; mais s'il arrivait à quelqu'un do le'dire
près-
en
l'iesence, elle entrait en fureur et se mordait les lèvres (sans quoi
ji
'
LXIV.
...
Ii Heureux les peuples du Nord, de ces contrées morales par exccl-
166 LES VEILLEES LITTÉRAIRES. ILLUSTRÉES.

lence, où tout est vertu, où l'hiver envoiele péché tout nu grelotter soi transporta se trahissent dans le regard vainement étudie, et
ses
à la porte (ce fut la neige, on le sait, qui mit saint Antoine à la rai- so quelque aspect qu'elle se présente, c'est toujours la même
sous
son) ; où un jury estime la valeur d'une femme, en fixant comme hj
hypocrisie. La froideur ou la bouderie, pt <même le dédain ou la
il lui plaît l'amende imposée au galant, lequel d'ordinaire paie: un haine sont des masques *m'c|le prend fréquemmentet toujours
lis
,
bon prix, parce quec'est un vice commercialet sujet au tarif. trop tard,
tri
LXXIV.
LXV.
Et puis c'étaient des soupirs d'autant plus profondsqu'ils étaient
L'époux de Julia s'appelait Alfonso : c'était xin homme de bonne .comprimés,
ce des regards*la dérobée que le larcin rendait plus doux,
mine pour son âge, qui n'était ni aimé ni délesté de sa femme ; ils u rougeur brûlante sans motif de rougir, un tpembléinenf quand
une
vivaient ensemble, comme lant d'autres, supportant d'un commun 01 s'abordait, une agitation inquiète quand -on s'était quittés : petits
on
accord leurs faibles réciproques, cl n'étant précisément ni un ni préludes
pi de la possession, inséparables d'une passion naissante, et
deux. Cependant Alfonso était jaloux, quoiquesans le laisser voir : qui
qi prouvent combien l'amour est embarrassé quand il s'embarque
car la jalousie n'aime pas les regards du monde. avec
a1 un novice.
LXXV.
LXVI.
Le coeur de la pauvre Julia était dans un état étrange : elle sentit
Julia (je n'ai jamais su pourquoi) était avec dona Inez sur le pied qu'jl
q allait lui échapper,-etrésolut de faire un noble effort pour elle-
de la plus grande intimité ; il n'y avait pas grande sympathie dans même
n et pour son époux, pour son honneur, sa fïcrlé, sa religion
leurs goûts, car Julia n'avaitde sa vie to'uché Une plume : 'certaines e| sa vertu. Sa résolution fut pleine de [grandeur, «l cûlpresqup faii
et
gens disent lout bas (mais, à coup sûr, c'estun mensonge, car la trembler
li un Tarquin : elle imploral'appui de la vierge Marie comme
médisance cherche partout des motifs intéressés)... ils disent donc éétant la plus compétente à juger un cas féminin.
qu'lncz, avant le mariage de don Alfonso, ayait oublié avec lui sa
prudente retenue. LXXVI.
LXVII.
Elle jura de ne plus revoir Juan cl le lendemain elle fit une
Ils ajoutent qu'ayant continué cette liaison qui, avec le temps, visite :à sa mène. Elle portail un regard, d'-attenle vers la porte du
v
était devenue beaucoup plus chaste, Inez avait pris en affection la •salon
*; s : enfin celle porta s'ouvrit, el par la grâce de la sainte
femme (ta son ancien amant; et certainement c'était ce qu'elle avait ^Vierge, ce ne fut point Juan qui entra. Julia en fut reconnaissante,
de mieux à faire. La protection d'une personne aussi sage était t pourtant un peu fâchée.». La porte s'ouvre
et de nouveau... ce ne
flatteuse pour dona Julia, et en même temps c'était un compliment peut
[ être un autre... celle fois c'est bien lui... Non! Je crains bien
adressé au bon goût d'Alfonso ; et si elle ne pouvait (qui le peut ?) t ce soir-là la Vierge n'ait point eu sa part de prières.
que
faire taire tout-à-fait lu médisance, au moins elle lui donnait ainsi
beaucoupmoins de prise. LXXVII.
LXYIII.
Enfin, elle se dit qu'une femme vertueuse doit faire face à la ten-
Je ne saluais dire si Julia fut mise au fait par des étrangers, on tation
t est une-lAphelé-, et qu'aucun
pour la vaincre, que la fuiteeffet
si elle découvrit la chose par ses propres yeux; mais nul ne sut homme
1 ne fera jamais le moindre sur son coeur; c'est-à-dire
qu'elle fût instruite, ou du moins elle n'en laissa jamais rien aper- qu'elle
i n'éprouvera rien au-delà de cette vulgaire préférence, de
cevoir. Pcut-êlre resta-l-cllc dans l'ignorance, peut-être y fut-elle cette
< affection purement fraternelle que nous accordons dans l'oc-
indifférente des l'abord, ou le devint-elle avec le temps. Je ne sais casion -aux gens plus faits que d'autres pour plaire.
<
vraimentqu'eu penser et qu'en dire, tant elle garda bien son secret.
1LXXVIII.
LX1X.
Et vînt-elle par hasard... qui sait? le diable est si fin... vînt-ollc
Elle voyait Juan, et comme c'était un bel enfant, souvent elle lei à découvrir que tout n'est pas cn elle cpmme il doit èfre, el que, si
caressait... il n'y avait là rien que de très naturel, et la chose put elle était libre, tal ou tel amant pourrait lui plaire, eh bien! une
paraître innocenta lorsqu'elle avait vingt ans et lui treize; maisi femme vertueuse pput réprimer de telles pensées, et s'en trouver
quand il cn eut seize et elle vingt-trois, il n'esl pas aussi certain quei meilleure quand elle les a vaincues; et si l'homme la sollicite, elle
leur intimité m'eût fait sourire : ce petit nombre d'années amènes en est quitte pour refuser •: c'est un essai que je recommande aux
de prodigieux changements,particulièrementchez les peuples brûlési jeunes dames.
du soleil. LXX1X.
LXX.
Et puis n'y a-t-il pas ce que l'on nomme l'amour divin, brillant
Certes, ils n'étaient plus les mêmes, quelle qu'en fût la cause : lai et immaculé, pur et sans mélange; amour qui est regardé comme
dame était devenue réservée, le jeune homme timide ; ils s'abor- une vertu par les anges et par les matrones non inoins infail ililes
daient les yeux baissés, la bouche presque muette, et leurs regardss que les anges, amour platonique, parfait, « pareil à celui que je-
peignaient un grand embarras; à coup sûr, bien des gens ne dou- prouve, » se disait Julia. El à coup sûr, elle le pensait; et c'esl
teront pas que dona Julia ne connût fort bien la raison de lout ceci : aussi la pensée que j'aurais voulu lui voir, si j'avais été l'objet de
mais, pour don Juan ,'il ne s'en doutait pas plus qu'on ne peut sec ses célestes rêveries.
faire, sans l'avoir vu, une idée de l'Océan. LXXX.
LXXI. Un tel amour est innocent, et peut exister sans danger cuire
jeunes gens. On peut donner un baiser d'abord sur la main, puis
Toutefois, la froideur même de Julia avait encore quelque chosee sur les lèvres. Pour moi, je suis complètementétranger à tout cela,
de tendre, et ce n'élait qu'avec un doux tremblement que sa petitee mais j'ai .entendu dire que ces libertés forment l'extrême limite de
main se dégageait de celle du jeune homme, lui laissant pour adieuu tout ce qu'un pareil amour peut se permettre : allez au-delà, c'est
une pression pénétrante, mais si suave et si légère , oh ! si légère,
*, un crime ; mais ce n'est pas ma faute... je vous avertis d'avance.
que c'était à peine une réalité : mais jamais baguette magique mar
niée avec tout l'art d'Armide n'opéra un changement pareil à celui !• LXXX1.
que produisait le
sur coeur de Juan cet attouchement fugitif.
L'amour donc, mais l'amour contenu dans les limitas du devoir,
LXXII. telle fut l'innocente détermination adoptée par Julia cn faveur de
doit Juan : sans'douta, pensa-t-elle, ce puissant mobile pourra
En l'abordant, elle ne souriait plus, il est vrai, mais son visage ;e. tournera l'avantage du jeune homme; guidé par la flamme èlhéiéo
exprimait une tristesse plus douce que son sourire. Si son coeur n* d'un autel trop pur pour que jamais s'en obscurcisse l'éclat, quelle
couvait des pensées plus profondes, elle ne les avouait pas, mais is douce persuasion auront les leçons de l'amour et-d'une femme
elles lui devenaient plus chères par la contrainie m'êmp qui les re^ se adorée pour lui apprendre... je "ne sais trop quoi, el Julia ne le
foulait dans son cueur brûlant.' L'inriopence pltaTmêuïe a maijil ar-r- i savait pas davantage.
tifice; elle n'ose pas se fiera l'a franchisp, et l'amour enseignel'liyrh.\!
LXXXII. '
pocrisie % là jeunesse. ." ' j

LXXlll. j Animée de cplte pure résolution, protégée par une armure à tonte
; épreuve, la pureté de son âme ;
sûre désormais de sa force et con-
Mais la passion a beau dissimuler, elle se révèle par son mystère re i| vaincue que son honneur était un roc, une digue insurmontable,dei
même, cpmme le ciel le plus noir présage la plus terrible tempêtaÎ :, '; daler de ce moment elfe se dispensa, on ne peut plus sagement.
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD HYRON. Ifi7

toute incommode contrainte. Mais Julia était-elle à la hauteur' de cqui Je dévorait : il s'y prit du mieux possible à l'égard descnli-
celte lâche, c'est ce que la suite doit nous apprendre. imcnls qu'il ne pouvait réprimer : sans en avoir ja-conscience, jl '
iimita Coleriilge, et se fit métaphysicien.
LXXXI1I.
XCII.
Son plan lui semblait à la fois innocent et d'exécution facile : as-
surément, avec un jeune garçon de seize ans, ta médisance nepou- II médita sur lui-même et sur le inonde, sur l'homme., cet éton-
vnil guère trouver a mordre/ou si elle l'essayait, Julia, convaincue nant
i problème. et «ur les étoiles, se demandant comment djabljC
de la pureté de ses intentions, ne laisserait point troubler la paix tout
t cela s'était produit; puis il pensa aux tremblements de terre,
de son coeur ; une conscience tranquille porte en tout la sérénité. à' la guerre, au circuit de la lune, aux ballons, à tous les obstacles
On a vu en effet des chrétiens se brûler les uns lesautres, persua- t nous dérobent une complota connaissance de l'espace illimité...
qui
dés que les apôtres auraient agi commeeux. et
< enfin il en vint à penser aux beaux yeux de dona Julia,

LXXX1V. XCIII.
si, dans l'intervalle, son mari venait à mourir... mais que le
lit Dans de telles contemplations, la vraie sagesse peut reconnaître
ciel écarte loin d'elle une pareille pensée, même en rêve (et sur des
i
désirs sublimes, des aspirations saintes innéps çjiez qùejguç4>
hommes, ,
mais apprises par la plupart des autres .
ce elle soupirait)!... jamais elle ne survivrait à celle perte si com- 1 qui s'imposent ce
muiie pourtant mais enfin supposé que ce moment arrivât..... tourment
> sans trop savoir pourquoi. Il était étrange qu'une tête
simple supposition inler nos (je devrais dire entre nous, car Julia aussi
i jeune s'inquiélâl des mouvements des cieux : si vous voyez
pensait eri français pour le moment; mais la rime ne vaudrait en
i
Cela l'ouvrage de la philosophie,je ne puis m'empêcherde penser
rien). ique la puberté y aidait beaucoup.
LXXXV. #-
XCIV.
En posant donc cette pure hypothèse, Juan, ayant alors atteint
l'âge d'homme, serait un parli snrtable pour Wne Veuve de condir j 11 méditait sur les feuilles sur les fleurs, et entendait une voix
lion : fût-ce dans sept ans, il ne serait point encore trop lard ; jusr i dans 'toutes les brises; puis il, pensait aux nymphes des bois, et aux

'
que-là, pour continuer la même figure, 'le mal, après tout, ne serajf. ji bosquets éternels où ces déesses descendaient jusqu'au commerce
lins bien grand, car il apprendrait les rudiments de l'amour, Je veut 11 dès tïomnjes : il se trompait de route, il oubliait l'heure ; et quand
piler de cet amour séraphique que l'on faitlh-baut. •
;i
i| regaWlàît à sa montre, il s'étonnait que le Temps, sur ses vieilles
ailes, eûïpu s'enfuir si vite... il s'apercerait aussi qu'il avait man-
que le dîner.
LXXXVI. ;

Sufill pour Julia. Passons à Juan : paoyre petit ! il niftî*>jw»prehail XCV.


l'u-n à s;in élal, el n'en pouvait deyj-m** ïia «anse. Impétueux dans Parfois fl jetait les yeux sur son livre, Iloscan on Garcilasso
ses sentiments comme la Médéc d'i@i^e, il s'émerveillait de ceux comme )$'feuillet soulevé par le vent sous l'oeil qui le parcourt, sur
qui surgissaient cn lui loul-à-coup-jïfiaïs'i! selnit loin de penser que les ptig$s Mystérieuses son âme flottait agitée par sa propre poésie:
ee lut une chose toute naturelle, n'ayant -fîfcn en soi d'alarmant, et elle sémWftft#n de ces esprits sur lesquels les magiciens ont jeté
susceptible, avec un peu de patignàe, de devenir charmante.
un charme et qm\s livrent aux brises de l'air, si nous en croyons
lç> contes de vieille femme.
LXXXVîl..
Silencieux el. pensif, inquiétât i-êveur, abandonnantla maison XCVI.
]
pour le silence des bois, tourmente d'-nne secrèle bless-ifie, «a Cou- C'est ainsi qu'il coulait ses heures solitaires, éprouvant un vide*
leur, comme toutes les douleurs ptofi9ndcs,«e}»J^flïr^^wSî|i mais ne sachant ce qui lui manquait; ni ses rêveries brûlantes, ni
luiitlo. Et moi aussi j'aime la son'iuîie, ou ^«W^i^tJBiawcntan-
so- i'
les chants des poètes ne pouvnicnt lui donnerce que demandait son
dons-nous bien, je veux la solitude du» .SBti^B/fton celle d'un
ermite, et pour grotte il me faut "*! ï»\*em; '"
"'"
âme haletante : un sein où il pût reposer sa lêlé et entendre les
buttcu'icnls d'un coeur amoureux el... plusipurs aqlres clidses en--
: corc, que j'oublie ou que je n'ai pas besoin dp mcnlipnner.
LXXXV1H.
XCVII.
Amour! ton doux trnnsport«n'**$t^p«t'g<smarie
Dans le UYsert des bois à ta sncàraé. : { Ces promenadessolitaires, ces rêveries prolongées, ne pouvaient
C'est là l'heureux empire on toute, ame ravie échapper à la tendre Julia : elle comprit que Juan n'était pas dans
Vient to proclamer Dieu par sa félicité!
son etnt naturel. Mais ce qu'il y a de plus étonnant, c'est que dona
I.ç poêle que je cite (t) n'écrit pas mal j'en excepta pourtant liiez n'importuna point son fils de questions ni de conjectures : ne
:
eet hymen du transport avec la sécurité, lesquels se trouvent mariés voyail-elle rien, ne voulait-elle rien voir, ou comme il arrive à tant
iinns une phrase assez obscure. de gens habiles, ne pouvait-elle rien découvrir?

LXXXIX. XCV11L

L'auteur a voulu sans douta exprimer une vérité qu'accepte le La chose peut paraître étrange, cl pourtant il n'est rien dp plus
>r"i sens général, une chose dont, chacun a
ordinaire : par exemple ,~lês maris dont les moitiés osent outrepasser
I expérience personnelle à savoir
pu on pourra faire les droits écrits de la femme et enfreindre le... quel esl donc le com-
: que personne n'aime à êlre dé-| mandement qu'elles violent (j'en ai oublié le chiffre, et je pense
'"uigé à table ou dans ses amours... je n'en dirai pas plus
I mariage et le transport, choses connues depuis longtemps mais sur le1 qu'on, ne doit jamais citer au hasard, de peur de méprise)? Je (jjsais
;
'l'Jiinl à la sécurité, je la prierai seulement de tirer le verrou. ilonc que lorsque ces messieurs sont jaloux, ils tombent iôujpîûi'S'
dans quelque bévue que leurs femmes ont soin de révélpr.
I XC.
XCIX.
Le pauvre Juan errait au bord des ruisseaux cristallins rêvant
«es choses que la parole ne , dans
peut exprimer. Il s'étendait enfin Un mari véritable est toujours soupçonneux ce qui n'empêche
l'in rie ces asiles feuillus où le liège déploie ses sauvages rameaux.' pas ses soupçons de tomber toujours à'faux : ou, il esl jaloux d'un
l'.esl là que les poètes trouvent des matériaux pour "leurs livres;; honime qui 'ne pense guère à la chose, ou il prête aveuglément les
1e «-si là aussi que parfois nous les lisons, pourvu leur plan cl leur> mains à sa propre disgrâce, en recevant chez, lui quelque ami d'au-'
que
W'Ie nous conviennent, et qu'ils veuillentbien être un peu plus in- tant plus cher qu'il est plus perfide." Ce dernier cas est presque/in-
éligibles que Wordsworth. faillible; et quand l'épouse el l'ami ont pris tout-à-fait taurvolée,
c'est de leur perversité que la dupe s'étonne, et non de sa sottise.
I XCI.
(Juan el non Wordsworth)... il continua de vivre dans cette
11
G.
i
l'unmunion exclusive avec son âme fière, jusqu'à ce que, dans cette3Ï Les parents aussi ont parfois la vue courte -leurs yeux de lynx
fislractinn profonde, son coeur hautain eût modifié en partie le malI n'aperçoivent jamais ce que le monde voit avec une joie maligne, à
j savoir quelle est la maîtresse de tel jeune I entier, quel esl l'amant
1(1) Cnmpbell, Gcrtrudr de Wyoming, cliant II. ! de miss Fanny ; mais enfin une malheureuse escapade vjenl anéantir.
1CS LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

le plan de vingt années, et tont est fini : la mère se désole, le père charme à séduits! En face du précipice immense qui s'ouvrait dç.
jure et se demande pourquoi diable il a procréédes héritiers. vaut elle, immense élait aussi sa foi dans sa propre innocence.
CI. CVIL
Mais Inez avait lant de sollicitude pour son fils, sa vue était si Elle pensait à sa force cl à la jeunesse de don Juan, à ce qu'il y
perspicace, qu'en celle occasion force nous est de lui supposer des a de ridicule dans une excessive pruderie, au triomphe de la vertu
motifs tout particuliers pour abandonner don Juan à celte tenr et de la foi conjugale; puis elle se rappelait les cinquante ans de
talion nouvelle. Quel était ce motif? je ne le dirai point pour don Alfonso : plût au ciel que cette dernière pensée ne lui fût pas
le moment: peut être voulait-elle compléter l'éducation de don venue, car c'esl un chiffre qui plaît à peu demonde, et dans lous les
Juan; peut-être ouvrir les yeux de don Alfonso, trop épris du climats ou glacés ou brûlants, il sonne mal en amour, quoiqu'il
mérite de sa femme. puisse être plus agréable cn finances.
CV11I.
CIL
Si quelqu'un vous dit:
Un jour, un jour d'é- « Je vous ai répété cin-
té...,, l'été est véritable- quante fois, « on se pré-
ment une saison bien pare à vous faire un re-
dangereuse,comme aussi proche, et souvent le re-
le printemps vers les der- proche même suit ces pa-
niers jours de mai ; le so- roles. Si un poète dit:
leil sans nul doute, cn « J'ai composé cinquante
,
esl la cause prédominan- vers, » il vous menace
te; mais quoi qu'il en presque de vous les réci-
soit, on peut dire, sans ter. C'est par bandes de
craintede trahirla vérité, ' cinquante que les voleurs
qu'il est des mois où la commettentleurs crimes.
nalure s'égaie davanta- Il esl bien vrai qu'à cin-
ge.... mars a ses lièvres; quante ans on trouve ra-
mai peut bien avoir ses rement amour pour a-
nymphes. mour, mais il est égale-
ment vrai'que pour cin-
cm. quante louis on peut ache-
ter beaucoup d'amour
C'était donc un jour tout fait.
d'été... le six juin... j'ai-
me à donner les datas C1X.
précises, à indiquer non-
seulement le siècle ot Julia était une femme
l'année, mais encore le d'honneur, vertueuse, fi-
mois; ce sont des sortes dèle et, de plus, elle ai-
de relais où les deslins mait,don Alfonso: elle lit
changent de chevaux, cn intérieurement lous les
faisant changer de ton à serments qu'on adresse
l'histoire, pour reprendre d'ici-bas aux puissances
ensuite leur galop à tra- d'en haut, et jura de ne
vers empires et royau- jamais profanerl'anneau
mes, ne laissant guère qu'elle portait, et de ne
d'autres traces que la pas laisser poindre en elle
chronologie et les lettres le moindredésircontraire
de change que la théolo- à la sagesse; et lout en
• gie tire sur l'éternité. méditant ces résolutions,
el bien d'autres encore,
CIV. elle avaitunc desesmains
négligemment posée sur
C'était le six juin, vers celle de Juan.... pure mé-
six heures et demie, sept prise! elle croyait ne tou-
heures Julia était as- cher que la sienne pro-
sise dans un bosquet, pre.
gracieux comme le plus CX.
gracieux bosquet qui ja-
mais abrita les houris, Sansy penser non plus
dans ce paradispaïen dé- Je ne suis trop ce que Don Juan en pensa ; mais ce qu'il fit, -
elle appuya sa tète su
crit par Mahomet et par vous l'auriez fait comme lui. l'antre main du jeum
Anacréon Moore.... Moo- homme, qui jouait ave
re, à qui furent donnés les boucles de ses che
la lyre et le laurier, et veux; elle avait l'air dis
tous les trophées de la trait d'une personne qn
muse triomphante.... il les a bien gagnés, puissc-t-il les garder lutta contre des pensées qu'elle ne peul comprimer. Certes, c'éla
longtemps ! fort imprudent à la mère de Juan de laisser en tête-à-tête ce coupl
CV. trop charmant, elle qui, pendant tant d'années, avait si bien sur
.. veille son fils.... Ma mère, j'en suis sûr, n'en eût pas fait autant.
Elle était assise, mais non seule; j'ignore comment cetle entre-
vue avait élé amenée, et quand même je le saurais, je ne le dirais CXI.
pas... en toute circonstance,iail faut être discret. Peu imported'ail- Insensiblement la main qui tenait la main de don Juan répond
leurs commentet pourquoi chose était arrivée; mais enfin Julia à la pression de celle-ci, d'une manière douce, mais appréciable
et Juan étaient là face à face.... Quand deux jolies figures sont
ainsi en présence, il serait prudent de fermer les yeux ; mais c'est comme pour lui dire: «Retenez-moi, s'il vous plaît.» Toutefois
bien difficile. nul doute que la seule intention'ne lût de presser ses doigts d'm
pure et platonique étreinte; elle eût reculé avec effroi, comme di
CV1. vant un crapaud ou un aspic, si la pensée lui fût venue qu'elle poi
Qu'elle était belle! L'agitation de son coeur colorait vivement sa vait éveiller uu sentiment dangereux pour une épouse prudent
joue, et pourtant elle ne se croyait point coupable. O amour ! mys- CXII.
térieuse puissance, tu fortifies le faible el tu abats lefort. Combien
elle est habile à se tromper elle-même, la sagesse de ceux que ton Je ne sais ce que don Juan en pensa, mais il fit ce que vous a
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD RYRON. 109

viczfait : ses jeunes lèvres remercièrent celle main par un baiser poète aux goûts fort modestes, il me suffit d'un peu d'amour (c'est
veconnaissant; puis, rougissant de son bonheur même, il s'écarta ma manière de passer le temps) ; je ne demande pas de nouveaux
connue désespéré, semblantcraindre d'avoir mal agi ; l'amour est si plaisirs, car les anciens me suffisent amplement, pourvu qu'ils
timide à sa naissance! Julia rougit, mais non de colère : elle essaya durent.
de parler, mais elle s'arrêta, craignant que la faiblesse de sa voix ne CXIX.
la trahît.
1

CXIII. O Plaisir! lu es en vérité une douce chose, bien que nous soyons
sûrs d'être damnés à cause de toi. A Chaque printemps, je prends la
la lune est dan-
Le soleil disparut et la lune se leva blondissante : résolution de me réformer avant la fin de l'année; mais, je ne sais
poreuse en diable; ceux qui l'ont appelée CHASTE se sont trop comment cela se fait, mon voeu de chasteté à bientôt pris son vol.
1 Pourtant, j'en suis certain,
pressés, ce me semble, d'arrêter leur nomenclature. Le plus long on pourrait l'observer religieusement:
oui' de l'année, le 21 juin lui-même, ne voit pas accomplirla moitié j'en suis triste et honteux, et je compte, l'hiver prochain, être en-
iles actes pervers qu'éclaire, en trois heures, la lune avec son doux
I
fièrement corrigé.
sourire...et pourtant quel cxx.
air modeste elle conser-
ve! Ici ma chastemuse doit
CXIV. prendre une petite liber-
té... Nejetez pas les hauts
11 y a, dans cette heure cris, lecteur plus chaste
du soir, un dangereuxsi- encore;... elle sera bien
lence, un calme qui en- sage ensuite. et d'ail leurs,
page l'âme à s'ouvrir lout il n'y a point ici à se
entière, et ne lui laisse scandaliser : cette liberté
aucun empire sur elle- n'est qu'une licence poé-
même. Cette lumière ar- tique, une petile irrégu-
pentée qui sanctifie l'ar- larité dans le plan de mon
bre et la tourelle, qui ré- ouvrage ; et comme je fais
pand sur lout le paysage grand cas d'Arislotc et de
une beauté et une dou- ses règles, il est juste que
ceur intimes, pénètre en je lui demande pardon
même temps jusqu'au quand il in'arrivede fail-
coeur, où elle jette une lir quelque peu.
langueur amoureuse qui
n'esl pas le repos. CXX1.
cxv. Cette licenceconsiste à
prier le lecteurde ne pas
El Juliaétaitassise près perdre de vue Julia et don
île Juan, à demi enlacée Juan ; mais depuis le six
pur son bras brûlant, et juin (époque fatale, à par-
repoussant àdemi ce bras tir de laquelle tout l'art
qui tremblait comme le du poète échouerait faute
sein qu'il pressait : et cer- de matière), depuis ce
tes, elle ne croyait pas jour, dis-je, il voudra
encore qu'il y eût à cela bien supposer que plu-
le moindre mal, car il lui sieurs mois se sont écou-
eût été facile de dégager les. Prenons que nous
su taille de cette étrein- sommes en novembre ;
te.... puis au fond, cette mais je ne sais pas le
situation avait son char- jour cette date est
me. Alors.... Dieu sait ce moins certaine que les
qui s'en suivit!.... Je ne autres.
l'iiis aller plus loin ; et je CXXII.
suis presque fâché d'avoir
commencé. Nous y reviendrons....
Il est doux, à minuit, sur
CXVI. les flots bleus de l'Adria-
tique argentée par la lu-
0Platon ! Platon ! avec ne, d'entendre les chants
les maudites rêveries et et le bruit des avironsdu
l'empire imaginaire que gondolier, adoucis par la
ton système suppose à distance et planant au-
l'hommesur son coeur in- dessus des eaux ; il est
domptable, lu as frayé la Mais Juan quittait plus d'un objet chéri.
doux de voir se lever l'é-
touteà plus d'immoralité toile du soir ; il est doux
lue toute ta longue li- d'entendre la brise noc-
gnéedes poètes et des turne se glisser de feuille
romanciers Tu n'es en feuille; il est doux de
liiiui imbécile, un charlatan, un fal.... et, de ton vivant même,. contempler l'arc-en-ciel qui, basé sur l'Océan, semble mesurer la
l,i nageais entre deux eaux. rondeur des cieux.
CXVIL CXX11I.
lit la voix de Julia se perdit
.jusqu'au ou ne s'exhala plus qu'en soupirs, Il est doux d'entendre les aboiementsdu chien fidèle saluer avec
moment où il fut trop tard pour parler raison. Alors tas empressement notre approche du logis; il est doux de savoir que
tannes débordèrent de ses yeux charmants des yeux chéris remarqueront notre arrivée et brilleront de joie; il
: plût au ciel qu'elle eût
"'oins de motifs d'en répandre! mais, hélas! qui peul aimer el restai* est doux d'être réveillé par l'alouelte ou bercé par la chute des
^ge? Non qu'aucun remords ne fût venu combattre la tentation : eaux; il y a de la douceur dans le bourdonnement des abeilles, la
Çilc avait lutté faiblement, elle
et. se repentait beaucoup, et en mur-
"uranl bien bas,: «Je ne consentirai jamais!...» elle avait
voix des jeunes filles, le chant des oiseaux, les balbutiementset les
con- premiers mois de l'enfance.
sciiu.
. CXXIV.
CXVIH.
Douce est la vendange, quand les grappes pleuvent en désordreet
dit que Xercôs offrit une récompense à qui pourrait lui in-
On
avec une profusion chère à Bacchus, sur le sol humide de leur jus
c'Her un nouveau plaisir. A mon avis,
sa majesté demandait là
'"e chose fort difficile, et qui lui aurait coûté
pourpré ; douce et joyeuse est la champêtrepromenadequi nous dé-
des trésors. Pour moi, robe au fracas de la ville; douce à l'oeil de l'avare est la vue de ses
170 LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

monceaux d'or; douce est an coeur d'un père la naissance d'un pre- ci monde sublime, le plaisir soit un péché et quelquefois même le
ce
mier enfant; douce est la vengeance... surtout aux femnies, une péphp
p un plaisir. Peu de mortels savent le but vers lequel ils mar-
ville à piller aux-soldats, la part de prise aux marins. chent, mais que ce soit la gloire, la puissance, l'amonr ou la richesse
cl
les sentiers sont embarrassés et confus, et, arrivé au bout delà car-
U
CXXV. ,
'

rière,
ri on meurt, comme vous savez... el alors...
Doux esl un héritage, et surtout«elui qu'amène le décès inattendu CXXXIV.
d e quelquevieille douairière, ou d'un oncle ayan t complétésa soixante-
ilixième année, après nous avoir fait attendre trop longtemps, à Eh bien 1 alors,quoi?... Je n'en sais rien, ni vous non plus; ainsi
nous autres jeunes gens, des titres, desécusou une maison decamr bbonne nuit. Revenonsà notre histoire.- C'était au moisile novembre,
pagne : car eps vieilles gens semblent toujours prêts à rendre l'âme, lorsque
li déjà 'es beaux jours sont rares, que les montagnescommen-
mais ils onl un corps «solide, que l'héritier voit s'ameuter autour ccent à blanchir à l'horizon el mettant un capuchon dp neige par-
de lui lous les Israélites porteurs de ses lettres de change après décès, dessus
d leur manteau d'azur; que la mer bouillonne autour des pro-
montoires,
r que la vague bruyante se brise contre le rocher, et que le
CXXVI. soleil,
s en astre sage et rangé, se couche à cinq heures.
Il est doux de gagner ses lauriers, n'importe comment, par la cxxxv.
plu me ou par l'épée; une réconciliation est douce, et quelquefois aussi
une querelle, surtout quand elle nous débarrasse d'un ami ïmpor- ;
Il faisait, comme disent les watchmen, une nuit de brouillards;
tun : le vin vieux est doux en bouteilles et l'aie en tonneau. ïï nous { point
j de lune, point d'étoiles : le vent ne se faisait entendre que par
est doux de prendre, contre le monde «ntier, la défense d'Un être : soudaines
f houffées; maint foyer brillait encore, el le bois amoncelé
sans appui, et plus doux encore de revoir l'asile de notre enfance, : jy brûlait en pétillant sous les yeux de la famille assemblée. U y »
que l'on n'oubliejamais, bien qu'on y soit oublié. dans
< celte clarté quelque chose d'aussi gai qu'un ciel d'été sans
: nuage
1 : j'aime fort pour ma part le coin du feu, les grillons et ce
CXXVIl. qui
' s'ensuit Î une salade de homard, le Champagne et la causerie.
Mais plus doux que ceci, que cela, que toute chose ou monde, est- GXXXVI.
un premier amour, une première passion... Seul, il survit à $»,''.
-comme dans l'esprit d'Adam le souvenir de sa chute : le fru'U 3$ Il était minuit... dona Julia se trouvait au lit et dormait, du moins
l'arbre de la science a été cueilli; tout est connu, et la vie n'a|À§i c'«st probable... quand tout-à-coup elle entend à sa porte un bruit
rien qui mérite un souvenir, rien qui approche de ce pécbi ^yjît, 1
i i éveiller les morts, s'ils n'étaient lous déjà réveillés, comme les li-
:
a
que la fable a sans doute désigné sous le symbole du crjinêïrÀftar*- 1 vres nous l'apprewnent, en ajoutant qu'ils le seront encore au moins
donnablé de Promèthée ravissant pour nous le tett céljsîÈÉ£ «ne fois... -La porte élait fermée au verrou : un poing y frappait vi-
vement et une voix criait : « Madame! madame!... sitt... silt! »
CXXV1II. i|
1

CXXXVII.
fi
L'homme, étrange animal, fait un usage étrantfjj§! ff|tpt<6 îsf
des ails auxquels il esl propre : il aime surtout^ ttftffftf^f«es.<ty~ s-, madame... voici mon maître, avec
« An nom du ciel, madame...
lents par quelque invention nouvelle. Nous \ivOfi8 da^**iffli*iq$i& 3i la moitié de la ville à ses trousses Vit-on- jamais pareille cnla-
où toutes les idées bizarres ont le champ libre, où-lo^feî le* inyi&n- 3
|f
| «trophej! >ce TI'«Si point ma. faute je faisais bonne garde... Alerte!
lions trouvent leurs chalands. Commencezd'abord p^r vMt^, «, !> llrcï le verrou un peu plus vite..... ils montent l'escalier; en un chu
si vous y perdez vos peines, l'imposture vous offre US wboWOb'éCer- wtéii lisseront ici : peut-être trouvcra-t-il moyen de fuir sans
tain. '';'' doute, In fenêtre n'est pas tellement haute 1... »
CXX1X.
'" ii 'y
'; CXXXV1II.
Combien n'avons-nous pas vu de découvertes contradictoires ]
(signes certains du génie et d'une bourse vide) : l'nn invente des ne» - Cependantdon Alfonso était arrivé avec des torches, des omis et
artificiels, un autre la guillotine; celui-ci vous briseless os, oplui-îï un grand nombre de domestiques : la plupart de ces gens-là étaient
les remet cn place; mais il faut avouer qu'un salutaireïpontae-poips : depûislonglemp8ii»i»irÏBs7,çl:parconséquentne se faisaient pas grand
aux fusées à la Congrève se trouve dans la vaccine, laquelle,"nptir !' scrupule de IroubtW «^sommeild'une femme perverse, qui osai! en
.
payer de tribut qu'on doit à une vieille maladie, en emprunta juix ; cachette charger 'ft'tin trtëte ornement le front de son mari : les
vaches une toute nouvelle. \ exemples de cette na'Wre.«pnt contagieux ; si l'on n'en punissait une,
cxxx. ': toutes les autres en feraient autant.
On a fait avec des pommes de teri'ej'ipain à peu près passable. exxxix.
Le galvanisme a fait grimacer quelques cadavres; mais il n'a pas
aussi bien fonctionné que le premier «japareil de la Société humu- Je ne saurais dins comment ni pourquoi le soupçon élait entré
nitaire, au moyen duquel les gens^nïflps^spijy^iès gratis. Combien dans la tetè dé don Alïotiso'; mais pour un cavalier de sa condition,
.
de nouvelles et merveilleuses machiffesçntfëçemrneiitremplacé les il était de très mauvais goût de venir ainsi, sans un mot d'avertis-
fil eu ses! On dit que nous avons été débarrassés naguère de la pe- sement, tenir audience autour-du lit de sa femme, convoquant des
titeTvérole, et peut-êlre l'aînée va-t-elle disparaîtreà son tour. laquais armés de pistolets et d'épéespour démontrer qu'il était... ce
qu'il redoutait le plus d'être.
CXXXl. CXL.
Celle-ci, on le sait, vient de l'Amérique, où sans douta elle re- Pauvre dona Julia! réveillée comme cn sursaut (remarquez bien!-
tournera :1a population s'y multiplie à tel point qu'il est bien temps je ne dis poinPqu'elle ne dormait pas), elle se mit à jeler des cris,
de l'arrêter, comme en Europe, par la guerre, la peste, la famine ou à bâiller, à pleurer. Sa suivante Antonia, qui n'était pas novice, se
tout autre nioyen qui puisse y répandre la civilisation : ces fléaux y hâta de jeter les couvertures du lit en un monceau, comme si elie
seront-ilsplus terribles que le prétendu mal américain ne l'a été chez venait d'en sortir elle-même : je ne puis dire pourquoi elle mettait
nous? tant d'importanceà prouver que sa maîtresse n'avait pas couche
CXXXII. !I seule.
|
CXLI.
Nous sommes au siècle des inventions brevetées pour la destruc-
tion des corps et le salut des âmes, toutes propagées avec les meil-• j Julia la maîtresse, et Antonia la suivante, avaient l'air de dcn*:
leures intentions. Nous avons la lampe de sûreté de sir Humphry' j
pauvres innocentes créatures qui, ayant peur des revenants el encore
JDavy, à l'aide de laquelle on peut exploiter sans danger lès mines5 j plus des voleurs, avaient pensé que deux femmes imposeraient à u"
dp charbon pourvu qu'on observe les précautions indiquées par j homme, et en conséquence s'étaient couchéesdoucement côteàcùtc
l'inventeur. Les voyages à Tombouctou et les expéditions aux pôles5• : pendant l'absence du mari, jusqu'à l'heure où l'infidèle reviendrait
sont encore des moyens d'être utile à l'humanité, qui valent peut-• | en disant : « Ma chère, je suis le premier qui aie quitté la partie. »
être bien le massacre de Waterloo. I
I CXLI1.
CXXXIIl.
I Enfin, Julia retrouva la voix, et s'écria : nom du ciel, de»
« Au
L'homme est un phénomène, un être incompréhensible, merveil-- : Alfoiiso, que me voulez-vous? quelle folié vous prend? Oh! <luc.1!*
eu x au-deli). dp toute merveille ; c'est pourtant dommage que, dans3 suis-je morte plutôt que d'être la proie d'un loi monstre 1 C_ue signiuo
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BVRON. 171

celte violence au milieu de la nuit? Est-ce un cas d'ivrognerie ou


un accès d'humeur?
Osez-vous bien me soupçonner, moi, que la CLI.
seule pensée d'une faute tuerait? Allons, fouillez ma chambre! -r-
C'est ce que je vais faire! » répondit Alfonso. « Calait donc là îê motif dp ce -départ si prompt, sous prétexta
d'affairesindispensables
Ci i avec votre procureur, ce roi des drôles, qu;i
CXLIII. I? vois là loul déconcerte et intimement convaincu de sa sottise?
je
Quoique je vous méprise tous deux, il esl à mes yeux le plus cou-
Il .chercha, ils cherchèrent; ils visitèrent tout : cabinet,'garde- pable sa conduite est sans excuse, car certes il n'a clé guidé que
P!
robe, armoires, embrasures de fenêtre; et ils trouvèrent beaucoup 1)! l'appât d'un vil salaire, et non par l'intérêt qu'il porte à vpus
par
de linge, de déntellesî grand nombrede poirés de bas, de pantoufles, où à moi.
P!
brosses, de peignes, enfin un assortiment complet de tout ce qui CLIL
de. .
sert aux belles dames pour entretenir leur beauté et la propreté de est Venu ici pour dresspr un procès-verbàL,au nota du ciel !
« 'S'il
leur corps : ils piquèrentde la pointa de leurs èpées les tapisseries J, procède à sa besogne. Vous avez mis l'appartementdans un bel
qu'il
,&|
cl les rideaux, et blessèrent quelques volets et plusieurs tablettes. étall Voilà une plume et de l'encre à voire disposition mon-
,
sieur : prenez bonne noie de toutes choses; je ne veux pas que
si vous
CXLIV. soyez
S( payé pour rien mais, comme ma femme de chambre est
Ils cherchèrent sous le lit, et y trouvèrent... n'importe quoi... ce I \à moitié nue, faites sortir vos espions, je vous prie. — Oh ! s'écria
Antonia en sanglotant, jp leur arracherais les yeux à tous!
n'était pas cp qu'ils voulaient. Ils ouvrirent,les croisées, pour voir I
si le sol ne portait pas des empreintes de pas ; mais cet examen ne I
leur apprit rien, et alors ils se regardèrentles uns les autres : chose CLIII.
étrange, oubli que je ne puis m'expliquer, de tous ces chercheurs, —Voilà le cabinet, voilà la toiletta, voilà l'antichambre... fouillez
Ut, aussi bien que
pas un ne s'avisa de jeter un coup d'oeil dans le du;. haut en bas : voici le sopha elle grand fauteuil, etlà cheminée...
dessous. retraite propice aux galants'. J'ai besoin de dormir : vous m'obligerez
CXLV. ' ddonc de ne plus faire de bruit, jusqu'à ce que vous ayez découvert
Durant ces perquisitions, la langue de Julia n'était point endor-
la cachette mystérieuse de ce trésor insaisissable... et quand vous
jl'aurez trouvé, vous me procurerez à mon tour le plaisir de le voir.
mie. « Oui, cherchez., pt cherchez encore, criait-elle; accumulez in-
sulte sur insulte, outrage sur outrage 1 Est-ce donc pour cela que
CL1V,
mes parents m'ont mariée, pour cela que j'aiqu'Alfonso;
si longtemps souffert
à mes côtés, .sans me plaindre, un époux tel maisje ne
l'endurerai plus désormais, el je ne resterai point dans ce logis, s'il
Et maintenant, hidalgo ! que vous avez jeté le soupçon sur moi,
«
etîalarme
' dans lofil 'le quartier, soyez assez bon pour me dire quoi
y a encore en Espagne des lois et des hommes de loi. esl l'homme que vous cherchez. Comment le nommez-vous ? quel
j son rang? qu'on me le montre
est j'espère qu'il est jeune et
CXLVL gentil?... esl-il de belle taille? Dites-le-moi... et soyez assuré que
Non, don Alfonso! vous n'êtes plus mon mari, si jamais vous
puisque
j vous avez ainsi terni mon honneur, du moins ce n'aura pas.
« été en vain.
avez, mérité ce nom. Est-ce-là une conduite, à votre âge... car vous CLV.
ave/, la soixantaine... cinquante ou soixante, c'est toujours la même
chose... esl-il sage et convenable de venir sans raison élever dps « Du moins,il n'a peut-être pas soixante ans : à cet âge, il ser
griefs contre l'honneur d'une femme vertueuse? Ingrat, parjure, trop "vieux pour être 'tué et pour exciter les craintes jalouses d'un
barbare don Alfonso! comment avez-vous pu croire que votre épouse époux qui est lui-même si jeune Antonia1! donnez-moi un verre
subirait un pareil traitement? ,
d'eau... J'ai véritablement honte de mes'larmes: elles sonVindigncs
CXLV1I. de la fillede mon père. Et loi, ma mère, ah ! lu étais loin de prévoir,
en me donnant le jour, que je tomberais au pouvoir d'un tel
Est-ce pour cela que j'ai dédaigné d'user des privilèges de mon
« monstre.
sexe? que j'ai choisi un confesseur tellement vieux et "sourd, que CLV1.
nulle autre ne l'eût supporté? Ah! jamais il n'a eu de motifs pour
me réprimander, et mon innocence l'étonnait tellement, qu'il a ton-
Peut-être estree d'Antoniaque vous êtes jaloux : vous avez vu
«
jours douté que je fusse mariée... Ah 1 saint père, quel chagrin pour , qu'elle dormait à mon côté quand vousavez fait irruption avec votre
vqus que l'accusation dont on m'accable ! bande. Regardez où vous voudrez— nous m'avonsTien à Cacher,
monsieur-; seulement une autre fois vous nous préviendrez, je l'es-
CXLV1II. père. ou par décence, vous attendrez un moment à la porte, afin
,
que nous nous mettions en état de recevoir une si nombreuse el si
« Est-ce pour cela que je n'ai point voulu me choisir un Corlejo bonne compagnie.
parmi la jeunesse de Séville? pour cela que je-n'allais presque nulle CLV1I.
part, si ce n'est aux combats de taureaux, a la -messe, au spectacle,
aux réunions et aux bals? Est-ce pour cela que, sans examiner ce Et maintenant, monsieur, j'ai fini, et je n'ajoute plus rien : le
«
qu'étaient mes adorateurs, je les ai tous éconduits... au point d'èlre peu que j'ai dit montrera qu'un coeur innocent pculgémir en silence
impolie à leur égard, et «de forcer le général comte O'Reilly (4), qui sur des torts qu'il a bonté de dévoiler. Je vous livre à volré con-
science : elle vousjdemanderaun jour pourquoi vous m'avez traitée
a pris Alger, à déclarer partout que j'en ai mal usé avec lui?
ainsi. Dieu veuille que vous ne ressentiez pas alors le plus amer des
CXLIX. chagrins!..J Antonia! où est mon mouchoir de poche? »

« Le -musico Cazzani n'a-t-il pas, six mois durant, chanté vaine- ;


CLVI1I.
ment à la porte de mon coeur? bon compatriote, le comte'Corniani, i
iiem'a^t-il pas proclamée-la seule femme vertueuse de l'Espagne? !
i Elle dit, et se rejettesur son oreiller: elle est pâle, scsyeuxnoirs
N!ai-je pas encore à citer -un grand nombre de Russes et d'Anglais : !j brillent à travers les larmes, comme un ciel d'éclairs et de pluie; ses
le comte Strongstroganoff 'que j'ai désolé, et lord .Mountcoffee- longs cheveux, retombant en voile, ombragent In blancheur de ses
House, ce pair irlandaisqui, Tan dernier, s'est tué pour l'amourde joues : leurs boucles noires voudraient 'en vain cacher ses iépaules
moi à force de boire. éblouissantes dont elle font ressortir la neige ; ses lèvrescharmâmes
CL. sont cnlr'ouverles et le battement de son coeur se fait entendre plus
haut que son haleine.
N'ai-je pas eu à mes pieds deux évoques, le duc d'Ichar et don
« CL1X.
FcrnandN-unez? Est-ce ainsi que l'on traiteune femme fidèle?Quel
quartier de la-lune avons-nous donc? Quelle modération vous 'em- Le'senor don-Alfonso restait tout confus : Antonia marchait cù et
pêche de me battre? je vous en sais gré : l'occasion est si belle là dans ta chambrp en désordre, et le nez en l'air, jetait des regards
Oh ! le vaillant homme! avec vosépées nues et vos pistolets armés, de colère sur son maîtr-e et ses myrmidous, parmi -lesquels il n'y en
dites-moi, ne-faites-vous pas belle ligure? avait aucun qui s amusât, le procureur excepté. Celui-ci, nouvel
Açhate, .fidèle jusqu'à la mort, pourvu qu'il y eûl maille à partir,
(I) Dona Julia se trompe : le comte O'Reilly ne prit pas Alger; mais' ne s'inquiétait guèreidu reste, -.sachant que-ila décision appartient
Alger faillit le prendre. Lui, son armée et sa flotte se retirèrentavec de
drait aux tribunaux.
grandes pertes et fort peu de gloire, en 1775. Alger brava Charles-Quint, CLX.
i.ouis XIV, tes Anglais et les Hollandais : il était réservé-à la France mo-
derne de détruire ce nid de pirates. Les narines au vent, il restaitimmobile; ses petits yeux suivaient
172 LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.
.

tous les1mouvements d'Antonia, et toute son attitude était pleine de gédié


g( sa sotte compagnie. Antonia fit appel à toutes ses facultés in-
soupçon. Il avait peu de souci desréputations-, pourvu qu'une pour- ventives,
v< maiselle ne put trouver le moindre expédient... Comment
suite ou une action pût êlre intentée, la jeunesse el la beauté ne le donc parer cette nouvelle attaque? Puis bientôt le jour allait pa-
d<
touchaientguère, et il n'ajoutait jamais foi aux dénégations,Mtaoins raître.
r; La suivante était aux abois; la maîtresse ne soufflait pas le
qu'elles ne fussent appuyées par des témoins compétents... vrais mot,
ir mais ses lèvres pâles s'imprimaientsur les joues de son amant.
ou faux.
CLXI. CLXX.
Cependant don Alfonso se tenait là les yeux baissés, et à dire Ses lèvres à lui allèrent au-devant de celles de Julia; ses main?
vrai, il faisait une sotte figure : après avoir fouillé dans tous les s'occupèrent
s' à rassembler les boucles de ses cheveux épars : en ce
coins, après avoir traité une jeune femme avec la dernièrerigueur, moment
n même, ils ne pouvaient commander à leur passion.et
il navaitrien gagné,sauf les reproches qu'il s'adressaità lui-même, bliaient
b à demi leur position désespérée. La patience d'Antoniaou- n'y
par-dessus lous les traits que sa moitié avait fait tomber sur lui avec : put
p tenir davantage : « Allons allons, dit elle lout bas mais d'un
tant de vigueur pendant une demi-heureentière, rapides, lourds et t irrité ; nous n'avons
ton ,
pas le temps de badiner... il faut que j'en-
pressés comme une pluie d'orage. tferme ce joli monsieur dans le cabinet.
CLXIL CLXXI.
Il balbutiad'abord une excuse à laquelle on ne répondit que par « Veuillez garder vos folies pour une nuit plus tranquille... Qui
des larmes, des sanglots et tous les préludesordinaires d'une attaque |peut avoir mis le maître dans cette humeur? qu'enadviendra-t-il*?...
de nerfs, à savoir des tressaillements, des palpitations, des j
bâille- je suis dans une frayeur!... cepetit drôle a le diable au corps et rien
ments et autres symptômes, au choix du sujet. Alfonso regarda sa de mieux... Voyons, est-ce le moment de rire? tout ceci est-il une
<
femme, et celle de Job lui revint en mémoire; il vit aussi cn per- plaisanterie? ignorez, cela pourrait bien finir par du sang?
spectivelesparentsdeladame,et alors il s'efforça de recueillirtoute Vous perdrez la vie; vousque
i
moi, ma place; ma maîlresse... tout; et cela
sa patience. *'
.
]pour ce visage de fille !
CLXI11. CLXX1I.
il allait parler ou plutôt bégayer; mais la prudente Antonia,avant « Encore, si c'était un vigoureuxcavalier de vi ngt-cinq à Iren ta an s...
que le marteau fût tombé sur l'enclume, l'interrompit par un : « Je (allons! dépêchez-vous)...mais, un enfant, se donner lanld'cm*
vous en prie, monsieur : quittez la chambre et ne dites pas un mol barras! En vérité, madame, jepourm'étonne de votre choix (allons,
de plus, si vous ne voulezfaire mourir ma maîtresse. — Que le diable monsieur, entrez donc)... Le maître ne doit pas être loin. Bien! à
la confonde! » marmottadon Alfonso; mais il en resta là : le temps présent au moins, le voilà sous clef, et pourvu que nous ayons jus-
des paroles était passe. Après avoir jeté un ou deux regards de tra- qu'au matin pour nous concerter... (Juau, il né faut pas vous en-
vers, il fit, sans trop savoir pourquoi, ce qui lui était ordonné. dormir, voyez-vous! ) »
CLXXUI.
CLXlV.
Don Alfonso, en entrant dans la chambre, seul cette fois, in-
Avec lui sortit la force armée' : le procureur s'éloigna le dernier, terrompit la harangue de la fidèle camériste : comme elle faisait
cn manifestant sa répugnance, et s'arrêtant à la porte aussi long- mine de rester, il lui enjoignit de sortir, et clic obéit non sans peiuc;
temps qu'Antouia voulut bien l'y laisser... U n'était pas peu con- après lout, pour le moment, il n'y avait plus de remède, et sa pré-
t rarié de cette étrange et inexplicable lacune dans les faitsde la cause, sence ne pouvait être bonne à rien. Ayant donc jeté sur les deux
faits qui, lout à l'heure encore, avaient un air assez équivoque. époux un long et oblique regard, elle moucha la chandelle, fit une
Pendantqu'il ruminait le cas, la porte se ferma brusquementsur sa révérence et sortit.
face procédurière. CLXXIV.
CLXV.
Après un instant de silence,. Alfonso entama une bizarre apologie
A peine eut-on mis le verrouque... ô lion le lô péché !ô douleur! de sa conduite : « Son intention n'était pas de se justifier... il avait
ô femmes, comment pouvez-vousagir ainsi et conserver votrebonnes « élé fort incivil, pour ne rien dire de plus; mais il avait eu, pour
renommée, à moins qu'on ne soil aveugle en ce monde et dansi « agir ainsi, des raisons suffisantes donl il ne spécifia pas une
l'autre? Rien cependant n'est plus précieux qu'une réputation sansi « seule... » En somme, son discours était un fort bel échantillon de
tache! Mais continuons, car j'ai encore beaucoup à dire. Vous saurezs ce genre de rhétorique que les savants appellentCoq-à-l'âne. 0
donc, et c'esl avec une profonde répugnancequeje dois vous le dé-
clarer, vous saurez que le jeune Juan à moitié élouffé sortit tout-à- CLXXV.
coup du lit.
CLXVI. Julia ne dit rien, quoiqu'elle eût une réponse toujours prête, un
moyen de laquelle une femme qui connaît le faible de son mari peut
On l'avaitcaché... je ne prétends pas dire commentet je ne sauraiss en un instant changer le jeu : il suffit pour cela de quelques mois
décrire parfaitement l'endroit... Souple, fluet et facile à pelotonner, placés à propos qui, ne fussent-ils qu'une pure invention, ont pour
il pouvait certes tenir dans un étroit espace, rond ou carré; mais jee, effet sinon de clore la discussion, du moins de la calmer. Ce moyen
ne le plaindrais pas, lors même qu'il aurait été suffoque par cecou- consiste à rétorquer fermement l'accusation, et pour un amant qu'on
ple charmant; certes il valait mieux mourirainsi que d'être noyé, soupçonne, reprocher trois maîtresses.
comme cet ivrogne de Clarence, dans un tonneau de malvoisie. ,
CLXXV1.
CLXVII.
Julia, en effet, avait beau champ ; car les amours d'Alfonso avec
Je ne le plaindrais-pas, en second lieu, parce qu'il n'avait quee liiez n'étaient point un mystère : peut-être le sentiment de sa faute
faire de commettre un péché réprouvé par le ciel, puni par les loiss la troublait-il... maiscela ne se peut : on sait qu'une femme ne man-.
humaines. C'était du reste commencer de bonne heure: mais à seizee que jamais d'excuses... peut-être son silence venait-il seulement
ans la conscience est plus élastique qu'à soixante, alors que réca- d'un scrupule de délicatesse : elle craignait de blesser l'oreille de don
pitulant nos vieilles dettes,el faisantlecompte du mal, nous trouvons
s Juan, qui avait fort à coeur la réputation de sa mère.
cn faveur du diable une diabolique balance.
CLXXVII.
CLXV1II.
U pouvait y avoir encore un autre motif, et cela en ferait deux :
Je ne sais comment vous peindre la position du jeune séducleur.r. Alfonso n'avait rien dit qui pût s'appliquer à don Juan : il avait
Il est écrit dans les annales hébraïques que les médecins, laissant it parlé en homme jaloux, mais il n'avait pas conclu par le nom de
là pilules etpotions, ordonnèrent au vieux roi David, dont le sang l'amant heureux, el celui-ci restait caché dans les prémisses de son
g.
coulait trop lentement, l'application d'une belle jeune fille en guise
le raisonnement. A vrai dire, sa pensée n'en cherchait qu'avec plus
de vésicatoire ; et l'on assure que le remède produisit les plus heu-i- d'acharnement à percer ce mystère ; dans cet état de choses, parler
reux effets; peut-être fut-il appliqué d'une manière différente dans is d'Inez, ce serait offrir Juan àl'espril d'Alfonso.
les deux cas, car David lui dut la vie et Juan faillit en mourir.
CLXXVI IL
CLX1X.
Sur ces points délicats, il suffit de l'indication la plus légère,
Que faire? Alfonso va revenir sur ses pas aussitôt qu'il aura con-
i- le silence est le plus sûr ; d'ailleurs les femmes ont un lael (celle
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON. 173

xpression moderne me paraît assez pauvre, mais j'en ai besoin contre


ce la porte; des débris de vêlements épais sur le sol,,du sang,
oui* mon vers)... un tact, dis-je, qui, sous la pression
d'un inler- di traces de pas, et puis c'était tout. Juan gagna l'issue du jardin,
des
ogatoire, leur enseigne à se tenir à distance de la question : ces trouva la clef dans la serrure, et se défiant des gens du dedans,
tr
haï-mantes créatures savent mentir avec grâce, et rien au monde ne ferma la porte sur eux;
fe
eur sied mieux. CLXXXVIH.
CLXXIX.
Ici se termine mon premier chant... Qu'est-il besoin de ebanter
Elles rougissent, et nous les croyons : moi, du moins, c'est ainsi ou de dire que Juan, complètement nu mais favorisé par la nuit,
01
que j'ai toujours fait. Insister esl la plupart du temps inutile, car qui
q1 souvent place fort mal ses faveurs, trouva son chemin el re-
alors leur éloquence devient prodigue de paroles ; et lorsqu'enfin ggagna sa demeure dans un singulier état. L'amusantscandale qui
elles sont hors d'haleine, elles soupirent, elles baissent leurs yeux s'éleva le lendemain, les propos qui circulèrent pendant neuf jours
s'
languissants, laissant tomber une larme ou deux, et alors nous ce- e la demande en divorce formée par Alfonso, tout cela, comme de
et
(Ions; et alors... alors... on se met à table et l'on soupe. raison,
ri fut inséré dans les journaux anglais.

CLXXX. CLXXXIX.
Alfonso termina son apologie, et implora son pardon, que Julia Si vous êtes curieux de connaître à fond l'affaire, les dépositions.
ne voulut ni refuser ni accorder entièrement : elle y mit des condi- Iles
h noms des témoins, les plaidoiries pour ou contre, el le reste : il
lions qui lui semblèrent très dures, le privant obstinémentde quel- I y a plusieursversions bien différentes entre elles, mais, toutes sont
ques bagatelles qu'il sollicitait. U était là comme Adam aux portes fort
f< amusantes ; la plus exacte est celle du sténographe Gurney, qui
de son paradis, tourmenté par d'inutiles regrets : il la suppliait de fi tout exprès le voyage de Madrid.
fit
ne plus lui garder rigueur, quand, tout-à-coup, ses pieds heurtèrent
une paire de souliers. CXC.
CLXXXL
Mais dona Inez, pour faire diversion au scandale le plus énorme
Une paire de souliers!... qu'est-ce que cela faisait? pas grand'- qui
q eût été l'entretien de l'Espagne, depuis bien des siècles et à
chose, s'ils étaient faits pour le pied mignon d'une dame ; mais (je partir
j au moins de la retraite des Vandales, fit voeu d'abord (et
ne saurais vous dire combien cet aveu me coûte) ceux-ci étaient de tbrûler,
tous les voeux qu'elle avait faits jusque-là, elle les avait tenus) de
proportion masculine ; les voir, les ramasser fut l'affaire d'un mo- 1 cn l'honneur de la vierge Marie, plusieurs livres de cierges;
ment... Ah! miséricorde 1 mes dents commencent à claquer, mon Suis,
i d'après l'avis de quelques vieilles matrones, elle envoya son
sang se glace... Alfonso commença par examiner attentivement la f ls à Cadix pour s'y embarquer.
tonne de la chaussure, puis il entra dans un nouvel accès de fureur.
CXCI.
CLXXXIl.
Ellevoulaitqu'ilvoyageâtpar terre et par mer dans toutes les pnrl ies
Il sortit pour aller chercher son épée ; et aussitôt Julia courut < l'Europe, pour réformer ses principes de morale et s'en faire une
de
au cabinet : « Fuyez, Juan, fuyez! au nom du ciel... pas un mot... toute
t nouvelle, surtoul en France et en Italie : c'est du moins ce que -
la porte est ouverte... vous pouvez gagner le corridor par où vous font
I beaucoup do gens. Julia fut enfermée dans un couvent ; sa dou-
avez passé si souvent : voici la clef du jardin... fuyez! fuyez!... Ileur fut grande-,mais peut-être jugera-t-on mieux de ses sentiments,
adieu!... vite, vite!... j'entends le pas précipité d'Alfonso... il ne en
< lisant sa lettre que nous allons transcrire.
fait pas encore jour... il n'y a personne dans la rue. » I
1
CXCI1.
CLXXXIII.
« On me dit que c'est une chose décidée: vous partez ; ce parti est
Nul ne pourrait dire que l'avis fût mauvais; son unique défaut sage...
t il est convenable, mais il n'en est pas moins pénible pour
élait de venir trop tard ; l'expérience s'achète d'ordinaire à ce p:ix, imoi. Il ne me reste plus de droits sur votre jeune coeur : le mien
sorte de taxe personnelle imposée par le destin. En un moment, seul
i est victime, et il consentirait à l'être encore; un excès d'a-
Juan eut gagné la porta de l'appartement, et bientôt il aurait at- :mour a
été mon seul artifice..... Je vous écris à la hâté, et la tache
teint celle du jardin : mais il rencontra don Alfonso en robe de que
< vous verrez sur ce papier ne vient pas de ce que vous pour-
chambre, lequel le menaça de Je tuer... et sur ce Juan, d'un rez croire : mes yeux brûlent et me font mal, mais ils n'ont pas de
coup de poing, l'êtendit à terre. larmes.
CXCIII.
CLXXXIV.
« Je vous ai aimé, je vous aime encore : à cet amour j'ai immolé
La lutta fut terrible... la lumière s'éteignit; Antonia criait : mon rang, ma fortune, le ciel, l'estime du monde et la mienne; et
« Au viol ! » et Julia : « Au feu ! » mais pas un domestique ne bou- cependant je ne puis regretter ce qu'il m'a coûté, tant je chéris
gea pour se jeter dans la mêlée. Alfonso, battu à souhait, jurait encore le souvenir de mon rêve : toutefois si je parle de ma faute,
fortet ferme qu'il aurait vengeance cette nuit même ; Juan, de son ce n'est pas que je m'en fasse gloire ; personne ne peut me juger
côté, blasphémait une octave plus haut: son sang s'était allumé; plus sévèrement que je ne méjuge moi-même: je trace ces lignes
malgré sa jeunesse, c'était un vrai Tarlare, point du tout disposé uniquementparce que je ne puis rester en repos... je n'ai rien à vous
au rôle de martyr. reprocher, ni à vous demander.
CLXXXV.
CXCIV.
L'épée d'Alfonsoétait tombée à terre avant qu'il pût la mettre au
clair, et les deux combattants continuèrent à se servir de leursi i

« L'amour n'est qu'un hors-d'oeuvredans la vie de l'homme; pour


armes naturelles; par bonheur, Juan n'aperçut point le fer; car la femme c'est l'existence entière ; la cour, les campa, l'église, les
il était fort peu maître de lui-même, et s'il eût pu s'en saisir, voyages, le commercevous occupent : l'épée, la robe, la richesse,
c'en élait fait ici-bas d'Alfonso. O femmes, songez à la vie de vosi la gloire vous offrent des buts divers, et il est peu de coeurs qui ré-
maris, de vos amants; ne vous faites pas doublement veuves I sistent à de telles diversions.Au lieu de toutes ces ressources, nous
n'en avons qu'une : aimer dé nouveau et de nouveau nous perdre.
CLXXXV1.
CXCV.
Alfonso avait empoigné son ennemi pour le retenir; Juan étran-
glait Alfonso pour se débarrasser de lui ; le sang commençait à « Vous marcherez au milieu des plaisirs et des jouissances de l'or-
i
couler (par le nez, il est vrai). Enfin, au moment où la lutte faiblis- gueil ; bien des fois vous aimerez et vous serez aimé : tout est fini
Mil, Juan réussit à se dégager par un coup un peu rude ; mais ilI pour moi sur le terre ; il ne me reste plus qu'à renfermer dans le
miten pièces son unique vêtement,et il prit la fuite, commeJoseph, fond de mon coeur, pendant quelquesannées, ma honte et ma dou-
cti le laissant après lui : je soupçonne que là se borne la ressem-, leur profonde : ce tourment, je puis le supporter; mais je ne puis
blance entre les deux personnages*. bannir la passion qui me dévore toujours... Adieu donc... pardon-
nez-moi, aimez-moi...Non, ce mot est vain maintenant... mais qu'il
CLXXXVII. reste.
lïnfln on apporta de la lumière ; laquais et servantes accoururent, CXCVI.
e[ un. étrange spectacle s'offrit à leurs yeux : Antonia dans une n'a été que faiblesse ; il est encore le même : iime
«laque de nerfs, Julia évanouie, Alfonso hors d'haleine, s'appuyantet « Mon coeur
semble pourtant que je pourrai dominer mes esprits ; mon sang
M* LÈS VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

se précipite.encore quoique ma pensée sojt


fixée, comme les vagues fou désespéré, le second toujours ivre et le troisième affecté et ver-
foi
roulent encore sous' le vent qui à cessé de souffler; Mon coeur est beux : il est difficile de rivaliser avec Crabbe ; l'hippocrènede Camp-
f bei
celui d'uné femme : il ne peut oublier... Follement aveuglé à tout, bell est à peu près a sec ; tu ne déroberas rien à llogers el ne coin-
|ï bel
une seule image exceptée, comme l'aiguille en se balançant cherché Ij| mettras
rai point.;, de légèretés avec la muse de Moore.
le pôle immobile, ainsi mon tendre, coeur oscille auteur d'une seule ;
idée. j CCVI.
CXCVII. \,'Tu
, né convoiteras pas 1% muse de Sotheby, ni son Pégase, n\
« Je n'ai plus rien à dire, el j'hésite à quitter la plume ; je n'ose ;! aucune
au chose qui soit à lui ; lu ne porteras pas de faux témoignage
mettre à ce billet mon cachet bien connu» etpourtant je le pourrais co comme font les bas-bleus (il est au moins,une de ces. personnes-là
saiis inconvénient.;! moii malheur ne; peut plus 9'accroltrë. Je n'au-- ; qui qu est très adonnée, à. ce vice), ; bref tu n'écriras que des. chos«s
rais point vécu jusqu'à ce jour, sila douleur luait. La mortdédaigne |j qui qu me plaisent : c'est là le fond de toute critique et l'on peut baiser
de frapper l'infortunéequi courrait volonttersau-devantdesescoups; ! ou non la férule,.-.; comme, on voudra; mais celui qui subsliendra
je dois survivre même à ce dernier adieu et supporter la vie en ' de le faire, par le ciel, je la lui ferai sentir!
vous aimant et en priant pour vous. »
CCVII.
cxcviii.
Si quelques lecteurs s'avisaientde prétendre que cette histoire
Elle écrivit ce billet sûr du papier à tranché dorée, avec une jolie, :; n'est pas morale, je les prierai d'abord de no pas crier avant, d'être
n'
petite plumé de corbéëu toute--neuve ; sa petite main blanche trem- réellement blessés ; puis^ je les inviterai à relire tout l'ouvrage et

blait comme l'aiguille magnétique et put & peiné'approcherta cire ni Verrons s'ils osent soutenir (mais personne certainementn'aura
nous.
de la lumière, et pourtant il ne lui échappa point une larme. Le un pareil front), s'ils osent souleniitj dis-je, que ce n'est pas un récit
ui
cachet portail un héliotrope gravé, sur une cornalineblanche, avec tout-à-fail
t« moral quoique fort gai. D'ailleurs, je me. propose de mon-
celle devise : « Elle vous suit partout ; » la cire était superfine et du tr dans le chant douzième, le lieu même où vont les méchants.
trer,
plus beau vermillon.
CXC1X. CCVIH.
Telle fut la première aventure de don Juan : dois-je poursuivre le Si, après tout, il se-.trouve des. gens assez aveuglés sur leur propre
récit des autres? c'est au public d'en décider : nous verrons l'accueil intérêt
il pour mépriser cet avertissement, assez égarés par le travers
que recevra ce premier essai. La faveur du public est comme une d leur esprit pour n'en pas: croire; mes versi et taurs. propres yeux,
' de.

plume au chapeau d'un auteur, et son caprice- ne fait jamais grand e pour répéter qu'ils ne peuvent trouver la morale de ce poème ; je
et
mal : s'il nous accorde son approbation, peut-être dans un an lui leur
li déclare, s'ilsappartiennent au clergé,qu'ils en oui menti; et si
offrirons-nous la suite. cette
c remarque est faite par des officiers ou critiques, je leur dirai
CC. qu'ils...
«I qu'ils sont dans l'erreur;
Mon poème est une épopée, et j'entends la diviser en douze livres, CC1X.
qui contiendront successivement des récits d'amour et de guerre,
une terrible tempête, un dénombrementdé vaisseaux,de généraux Je compte sur l'approbation du public, et prie les lecteurs de m'en
et de monarquesactuellementrégnants, personnagestout nouveaux; croire
c sur parole, quaiit au dessein moral que je. m'efforco de conci-
corail
les épisodes seront au nombre de trois; j'ai sur le métier un panorama lier
1 avec leur amusement(comme on donne un hochet de au
de l'enfer à la manière de Virgile et d'Homère, afin de justifier mon> marmot
i qui fait ses dents) ; en attendant, ils voudront bien sans
titre d'épique. doute
< ne point perdre de vue mes prétentions à la palme épique :
CCI. « peur que la prudence de quelques-unsne se montrât
de récalcitrante,
j'ai gagné à prix d'argent « la Revue de ma grand'mère » c'csl-
1à-dire le Recueil intitulé the British
Toutes ces choses paraîtront eh temps et lieu, d'une manière! « ».
strictement conforme aux règles d'Aristotc, ce vade-meettm du véri-
table sublime, qui produit tant de poètes- et quelques imbéciles; ccx.
Les poètes prosaïques aiment les vers blancs; moi, je suis épris deJ
la rime: les bons ouvriers ne se plaignent jamais de leurs-outils. Mon envoi était contenu dans une lettre adressée à l'éditeur qui,
J'ai à ma disposition de nouvelles machines mythologiques et uni par le retour du courrier, m'adressa les remerciments d'usagé... Il
merveilleux qui formera une décoration magnifique. me doit un bel article; cependant, s'il lui prenait fantaisie de man-
quer à sa promesse , et de mettre ma douce musc sur ta gril, s'il
CC1I. niait avoir reçu mon cadeau et couvrait ses pages du jus amer de la
noix de galle'au lieu de miel, tout ce que je pourraisdire, c'est..
Iln'y a qu'une légère différence entre moi et les confrères quiil qu'il a pris mon argent (1).
m'ont précédé dans la route de l'épopée, et je crois que, sur ce point,> eexi.
loul l'avantage est de mon Côté (non que je n'aie encore quelques 8
mérites en propre, mais celui-ci ressortira d'une manière toute spé- •- Je pense qu'à l'aidede cette nouvelle sainte alliance,je suis assuré
ciale) : ces messieurs brodent tellement leur sujet que c'est une e de la faveur du publie et puis défier tous les autres magasins lillé-
grande affaire de retrouver son chemin à travers leur labyrinthe dee raires ou scientifiques, quotidiens, mensuels ou trimestriels; du
fables, tandis que mon récit est vrai dans ses moindres détails, reste, je n'ai pas essayé d'augmenter le nombre de leurs clients,
parce que l'on m'a dit que je n'y pourrais rien gagner et que VEdin-
burg-lieview
CCI11. et la Quarterly font un véritable martyr de lout auteur
qui se prononcecontre, elles.
Si quelqu'un en doute, je puis faire appel à l'histoire, à la tradi-
£ CCXII.
tion, aux faits, aux journaux, dont tout le monda connaît la véracité,
à des drames en cinq actes et à dés opéras en trois : tous ces, témoi^ l". «Non ègp hoc ferrem, calidajuveiita, Consule Phmco»(3), a dit
gnages confirmeront mes dires; mais ce qui doit surtout déterminer?r llorace, et je le dis comme lui : par celte citation je veux donner à
la confiance de mes lecteurs, c'est que moi-même et plusieurs per- r" entendre qu'il y à six ôU sept bonnes' années, longtemps aVânt que
sonnes vivant encore à Séville, nous avons vu de nos propre»
99 je songeasse à dater mes écrits des bords de la Brouta, j'étais des
la dernière escapade de don Juan enlevé par le diable.
yeux , plus prompts à la riposta et que je n'aurais pas souffert un outrage
dans ma bouillantejeunesse, sous le règne de George III.
CCIV.
Si jamais je m'abaisse jusqu'à la prose, j'écrirai un décalogue CCXIII.
ie
poétique qui, sans mil'doute, éclipsera tons lés précédents: j'enri-'j" -Mais aujourd'hui, à trente.ans mes cheveux grisonnent (je vou-
chirai mon texte dé beaucoupde prësci iplions que tout le mondé dé ,
drais bien savoir commentils seront à quarante; l'autrejour j'ai
ignore, et je porterai lès préceptes au plus haut point de rigueurj" :• songé à prendre perruque); et mon coeur n'est guère plus jeune que
l'ouvrage sera intitulé : « Lofigin le verre à la main, ou Chaque poète
,té
devient son propre Àristofé. »
(1) Le directeur du British-Reviewprit cette malice au sérieux et y r^°
GCV.-
pondit gravement; Byron, heureux de le voir tomber dans le piège ', im-
pliqua sous le pseudonymede Wortley Cli'tte'jbu.cU et mit cueorc una fois
les rieurs ds son côté. *
Tti croiras en Milton en Dryden et en Pope • tu n'exalteras '!'
ni (2) Je n'mirais point supporté cela, lorsque j'étais dans la forgue de 11
,
Wordsworth, ni Coleridge, ni Southey, parce que le premier est
Mit jeunesse, sou? le eonsutat de P'aneus. Od. UK l!I, 14.
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON. 175

Ks cheveux; en un mot, j'ai gaspillé tout, mon élé avant les jours Quand je vois Soulbeylu et Wordsworth compris, je ne puis m'em-
Q
e'niai, el ne use sens plus le feu nécessaire pour batailler ; j'ai dé- pêcher
pî de faire valoir aussi mesdroifs à la gloire... Les premières
1(nisé ma vie, intérêts cl capital, et mon âme, comme autrefois, ne lignes de celle slancc sont-de Southey : pour l'amour de Dieu, lec-
\v,
e croit
plus invincible. teur,
te n'allez pas les croire de moi.
CCXIV.
Jamais, jamais... non, plus jamais, né descendrasur moi,comme
,nc rosée1, celle fraîcheur du coeur qui, de tout ce que nous voyons
[objets aimables ici-bas, extrait des émotions charmantes cl nou- CHANT II.
velles pour les amasser dans noire sein, comme l'abeille erilass,e son
resor dans sa ruche. Sonl-çp donc ces objets extérieurs qui prq--
luiscnt le miel dp nos pensées? Hélas ! cemiel n'était pas en eux, mais L
In n s le pouvoir que nous avions alors de doubler jusqu'au parfum
l'une fleur. O vous! instituteurs de la naïve jeunesse, pédagogues de Hol-
CCXV. lande, de France, d'Angleterre, d'Allemagne et d'Espagne, fouettez
J*
bbien vos élèves en toute occasion : cela régénère le moral, n'importe
Jamais, jamais'...., non, plus jamais, ô mon coeur, tu ne pourras la douleur. C'est en vain que don Juan eut la meilleure des mères
1;
être mon seul inonde, mon univers ! Autrefois tout en toute chose,, ;: e la plus parfaiteéducation, puisqu'il arriva loul de même à perdre
et
m t'isoles maintenant;, lu ne peux plus faire ni ma joie, ni înonsup^
ehvolée pour toujours, el tu es,déyëùft biséh>
!: i ittaôcehèé, et ce, de la plus drôle des manières.
son
lilice: l'illusion s'est j
sihle, sans que j'en vaille peut-être moins pour celaj,!Mijl:^à:^L*^ié^; ; IL
j'ai acquis un certain jugement, seulement Dieu sait ciMnmentil ai !

pu trouver à se
loger. Si On reûtenvoyé dans une école publique, en. troisièmeou même
CCXVL '.- i^ ëftliUif^i^liê^s^l^Mjl^Bâlière
« eût empêché.son imagination de
; sïêcMufleri
S dû moinsL étaffit:élevé dans le nord; il est possible que
J'ai passé le temps d'aimer : désormais les charmes tfurie jeune :
;
î
l'Espagne fasse éiééptfcn; mais l'exception confirme la règle. Un
tille, d'une femme, d'une veuve surtout, n'auront plus le pouvoir de- ;: j
jeune homme de seize ans, devenant la cause d'un divorce, avait de
inelourncrlatêlc... enfin, je nedois plus mener la vie que j'aimeoéé; iquoi intriguer un peu ses, maîtres.
j'ai perdu la crédule espérance d'une mutuelle affection; l'usagé !
copieux du bordeaux m'est également défendu : donc pour me con-
stituer un vice convenable à un bon vieux gentilhomme, je ferai
hien de m'arranger de l'Avarice.
' III.
Po.ur.moi, laébose ne m'intrigue nullement, tout bien considéré:
;
il.. y Mailffiour çéfetbien des raisons : d'abord, sa mère, lamathéma-
CCXVII. liciëhiie, qui n ét4it qu'une... n'importe quoi; son tuteur,, un vieil
âijèi;.
*
un« jolie femme ( cela va de soi-même, autrement la chose
L'ambition fui. mon idole: je l'ai brisée devant lëS; aiilcla dé la -.
i né sérail sans douté pas arrivée)... un inari un peu âgé et pas trop
Douleur cl du Plaisir; et ces deux divinités m'ont laissé maint et :- <
d'accord avec sa jeune femme..; enfin le temps et l'occasion.
maint gage sur lesquels je imis méditer à loisir, l'aï dit;, comme la
tète de bronze du moine Bacon : « Le temps est ; lé, tètaps fut; lé IV.
temps n'est plus. » La brillante jeunesse, cet alchimique trésor, à
clé dissipée par moi de bonne heure... j'ai dépensé moii ece'Ur en Foi tbien ; fwi bien ! Le globe doit tourner sur'son axé et le
passions et mon cerveau en rimes. genre humain tautuer avec lui,, têtes et queues : nous devons vivre
et mourir-,fijire l'ftiuour et payer nos impôts, el tourner la voile au
vent, de qiiéti|ue êôlé qu'il souffle. Le roi nous commande, le méde-
CCXVIII. c^.hOUsdi'ogueï feutre iioussèrmonnc; et c'est ainsi que s'exhale
Où aboutit la gloire? à remplir un, certain espaça dahs des récits Botrc vie, spùffliijiièltttUmoiûr, ivresse, ambition, renommée, guerre,
dévotiftu, poussi^Htiiu «iî peut-être un nom !
peu certains.Quelques-uns la comparant à une Qoljjgié:qu'on gravit !
cl dont le sommet se perd, comme ieét MAtré»; SU sein lies brouillards:
el c'est pour cela que les hommes écrivent; parlent, prêchent;- que V.
les héros tuent, et. que les poètes consument ce qu'ils appellent «leur ;
lampe nocturne : » le loul pour laisser, quand l'original ne sern J'ai dit qu'on avait envoyé Juan à Cadix... jolie ville, dont j'ai
plus que poussière,-un nom, un méchant portrait ou un buste pire i
igardé bon souvenir... c'est l'entrepôt du commerce des colonies
encore. (ce l'était du moins avant que le Pérou apprît à se révolter); et
iI

CCX1X. . puis de si jolies filles... je veux dire de si aimables dartics t leur


seule démarche suffit pour faire battre le coeur : c'est une chose
Que sont les espérances de l'homme ? Un; ancien roi d'È^ypté, ij frappante, q.i*er jet n* puis cependant décrire, et que je ne puis coin-'
(,
Cliéops, éleva la première cl la plus vaste des pyramides,.ji«iisan.li ii l^éjt * itiAiu K^iiÉ*|ftBiius vu rien de pareil.
que c'était juste ce qu'il lui fallait pour faire vïvïé M, ^tèaiëi*»çk ! il. -'-.:.
conserver sa momie; mais quelque rôdeur, fouillant l'édifice, viola VI.
outrageusement son cercueil. Ne comptons donc, ni vous ni moi,
sur aucun monument, puisqu'il ne reste pas une pincée de la cendrei A un coursier arabe ? à un cerf majestueux ? à lin barbe nou-
(le Cliéops. vellement, dompté? à une girafe? à une gazelle? Non! ce n'est
ccxx. : pas cela... El puis leur costume leur voile et leur basqUinp ! Hé-
,
las ! en m'arrêlant sur ces détails, je remplirais presque tout un
Mais, en ami de là vraie philosophie,je me dis souvent : « Hélas II chant... lit puis leurs pieds, leurs chevilles... Le ciel soit, loué de
joui ce qui naît est né pour mourir; toute chair est une herbe dontt ce que je n'ai point de métaphores sous la main, Ainsi, ma prudente
; tu as passé la jeunesse assez agréablement; ett
li) morl fait du foin
muse, soyez sage.
si lu pouvais là reprendre elle arriverait de même à fin... rends
sa ' VIL
donc grâce à ton étoile de,
ce que les choses ne sont pas pires ; lisi
'a Bible, mon ami, et veille sur la bourse. Chaste muse!... Eh bien ! vous le voulez...
.
,...-..'...'
sOitt... Ce voile, re-'f
»
jeté un moment en arrière par une main éblouissan te pendant qu'un
CÇXXL regard irrésistible vous fait pâlir en vous pénétrant jusqu'au fond
du coeur... O terre de soleil et d'amour! si jamais je t'oublie, puissé-
Mais pour le moment, aimable lecteur, et vous acheteur plus ai- je devenir incapable....de dire mes prières... Non , jamais costume
mable encore, permettez que le poète... c'est moi... vous serre B ne fut mieux fait pour lancer des oeillades, à l'exception toutefois, des
Poliment la main. Bonsoir donc, Pt portez-vous bien ! Si nous nous fazzioli de Venise.
s
""tendons nous nous réverrons ; sinon, je n'aurai mis Votree VIII.
K
j'iilicnce à l'épreuve que par ce court échantillon... il serait à SoU-
iiaiter que lant d'autres eussent fait comme moi. Maintenant à notre histoire! Doha Inez avait éiiVoyë son fils à
Cadix, uniquement pour qu'il s'y embarquât ; elle ne voulait pojnt
CÇXXll. qu'il y séjournât. Pourquoi?... Nous laissons au lecteur le soin de
le deviner... On destinait le jeune homme à voyager .sur mer,
." Allez, petit livre ; quittez ma solitude ! je Vous livré aux vagues : comme si un Vaisseau espagnol était une arche de Noe, c'àpaute de
,'a*tcs
voire chemin : si vous fûtes bien inspiré, comme j'ose le le préserver des vices de la terre, et de l'y renvoyer ùn.j'oùr comme
croire, le monde vous trouvera encore après de longues années. e la colombe -messagèrede paix.
»
176 LES VEILLÉES LITTÉRAIRES'ILLUSTRÉES.

IX.
Don Juan, conformément aux ordres de sa mère, dit à son valet
défaire ses malles, puis reçut un sermon et quelque argent. Son
voyage devait durer quatre printemps, et quelle que fût la douleur
d'Inez (car toute séparation est pénible), elle espérait, elle croyait
peut-être qu'il se corrigerait. Elle lui remit aussi une lettre toute
pleine de bons conseils (lettre qu'il ne lut jamais), et deux ou trois
lettres de crédit.
X.
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD RYRON. 177

Hin, entends encore ma voix » Enfin une nausée lui coupa la


arole.
XXL
Il éprouvait celte pesanteur glaciale du coeur ou plutôt de l'esto-*
ac, qui accompagne, hélas!... sansque toute la pharmaciey puisse
d'une
ien. • la perle amante, la trahison d'un ami, la mort d'un objet
liéri, quand nous sentons mourir avec eux une partiede nous-mêmes,
l toutes nos espérancess'éteindre à la fois. Nul doute que son dis-
ours n'eût été encore plus pathétique, si la mer n'eût agi sur lui
oinmc un puissant vomitif.
XXII.
L'amour est une puissance capricieuse : jéj'ai vu, après avoir rc-
178 LES VEILLEES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

joir seraitperdu : et enfin le vieux vaisseau se redressa par un mou- portions


po diminuaient. En vain on interrogeait le télescope... n;
rement plein de violence. voile,
vo ni rivage; rien que la mer houleuse et la nuit qui tombait!
XXXIII. XL1I.
Comme on doit le croire aisément, pendant ces opérations, bien Le temps se refit menaçant.,. La brise fraîchit de nouveau : l'eau.
des n'étaient pas à leur aise : les passagers trouvaient fort pé-
gens .^ dans la cale par l'avant el par l'arrière. Quoique tout cela lut
entra
nible de se voir en danger de morl et de déranger leurs habitudes ; connu de l'équipage, la plupart se montrèrent patients, quelques-
les meilleurs marins eux-mêmes, croyant leur dernier jour venu , uns intrépides, jusqu'au moment où les courroies etnaufragé,
les chaînes des
avaient une tendance à l'insubordination : car on sait qu'en pareil pompes
L furent usées... Dès lors le navire, corps ne sut
cas, ils ne se fonl pas faute d'exiger du grog et même de boire le plus que flotter à la merci des vagues, merci qui ressemble à celle
rhum au tonneau. J(
des hommes durant les guerres civiles.
XXXIV.
XLUI.
' Il n'y a rien, à coup sûr, qui calme les esprits comme
le rhum et
la vraie religion : on cn vil un bel exemple : ceux-ci pillaient, ceux- Alors le charpentier, les larmes aux yeux, pour la première fois
là buvaient, d'autres chantaient des psaumes, les vents faisant le vinl
vi dire au capitaine qu'il ne pouvail rien de plus : c'était un
dessus et la voix rauque des vagues se chargeant de la basse. La homme
j,, avancé en âge, qui longtemps avait parcouru bien des mers
peur avait guéri du mal de mer tous les malheureux passagers ; et orageuses,
0 et s'il pleurait enfin, ce n'était pas la crainte qui mouil-
une étrange confusion de plaintes, de blasphèmes et de prières ré- lait
[£ ses paupières comme celles d'une femme : mais, le malheureux,
pondait en choeur à la mër mugissante. il avait femmeet desenfants, désespoirde ceux qui vont mourir!
une
XXXV. XLIV.
De plus grands malheurs eussent peut-êtrerésulté de ce désordre, Evidemment le vaisseau s'enfonçait de l'avant : alors, toute dis-
n'eût élé notre don Juan, qui, avec un bon sens supérieur à son âge, tinction disparut : les uns recouraient à la prière el promettaient
\\
courut à la soute aux liqueurs, et se plaça devant la porte, «il pis-
jdes cierges à leurs sainls sans irop s'inquiéter pourtant s'ils pour-
tolet dans chaque main. La mort par le feu leur parut plûS terrible raient
r les payer; d'autres ..
regardaient par-dessus le bord ; quelques-
altitude tint en ré'
que par l'eau, et malgré leurs blasphèmes, sonpensaient uns
v s'occupaient à mettre les chaloupes en mer; cl il y en eut un
spect tous ces matelotsqui, avant de sombrer, qu'il serait qui
c demanda l'absolution à Pedrillo, lequel, dans son trouble, l'en-
convenable de mourir bien soûls. ivoya au diable.
XLV.
XXXVI.
Lés uns s'attachèrentdans leurs hamacs, d'autres revêtirent leurs
« Donnez-nous encore du grog, criaient-ils; car lôttl sera fini plus
» beaux habits comme pour se rendre à une fêle : ceux-ci mau-
Îiour nous dans une heure. — Non, répondit Juan, il est vrai que dissaient le jour qui les avait vus naître, grinçaient des dents, hur-
{

a mort nous attend Vous el moi;


maismouronsdumoinsen hommes1 j
laieht et s'arrachaient les cheveux ; ceux-là continuaient à travailler
et ne nous laissons point aller comme des brutes. » fît il garda son tomme
, au commencement de la tempêta, faisant descendre les
eût
poste sans que personne osât venir au-devant du coup. Il n'ysolli- canots et bien convaincus qu'un bon bateau peut tenir contre une
pas jusqu'à Pedrillo, son très révérend précepteur, qui ayant (
mer houleuse, si les vagues ne le prennent pas contre le vent.
cite un peu de rhum, vit sa demande rejetée.
XLVL
XXXVII.
Le pire dans leur condition, c'est qu'après plusieurs jours passés
Le bon vieillard avait complètement perdu la tête, et sô livrait à1 dans une extrême détresse, il leur était difficile de trouver despro-
de bruyantes cl pieuses lamentations; il confessait tous ses péchés' Visions suffisantes pour alléger les longues souffrances qui les me-
cl faisait un dernier et irrévocable voeu de réforme ; ce péfil passé,' naçaient. Les hommes, même lorsqu'ils vont mourir, répugnent mi
il jurait bien de ne plus quitter, à quelqueprix que ce fût, Ses Occu- sentiment de la faim : le mauvais temps avait avarié les vivres ; deux
pations académiques et le cloître de la classique Salamanque, pourr tonneaux de biscuit et un baril de beurre, ce fui lout ce dont on put
suivre en Suncho Pança les pas d'un chercheur d'aventurés. garnir le cotre.
XLVH.
XXXY1II.
Mais on parvint àmettre dans la grande chaloupe quelques livres
Mais un éclair d'espérance vint luire encore : le jour partit el leu de pain gâlé par l'humidité, une caisse d'eau contenant environ
vent s'apaisa; les mais étaient perdus, la Voie d'eau augmentait : vingt gallons, et six_ bouteilles de vin. On lira de l'culrc-pont
lout autour des bas-fonds, mais nulle part lé rivage; cependant lee Une certaine quantité de boeuf ; on trouva encore un morceau de
navire se maintenait et surnageait encore. On essayade nouveau les IS porc à peine suffisant pour une collation : joignez-y huit gallons de
pompes, et quoique tous les efforts précédents Semblassent en piirc0 rhum dans un petit baril,
perle, un rayon de soleil suffit pour ramener quelques mains auxx
leviers : les plus forts pompèrent ; les autres assemblèrent des dé- XLVIII.
bris dévoiles. Le canot et la pinasse avaient été brisés dès le commencement
XXXIX. de la tourmente, el la grande chaloupe était en assez, mauvais étal,
On passa cette toile sous la quille du navire, el pour un moment lt n'ayant pour voile que deux couvertures de lit el pour mât qu'un
aviron, que fort heureusement un mousse y avait jeté par dessus le
on en obtint quelque effet; mais avec une voie d'eau el pas un boni (l bord. En somme, les deux embarcations ne pouvaient contenir lu
de mât, plus un lambeau de voile, que pouvait-on espérer? Néan- ,_
s^ moitié de l'équipage et des passagers, et encore moins les provisions
moins, ce qu'il y a de mieux, c'est de lutter jusqu'au bout; il n'est nécessaires.
jamais trop tard pour se trouver naufragé sans ressources....el bien ,n
XL1X.
que l'homme ne meure qu'une fois, il n'est pas drôle de mourir dans
is
le golfe de Lion. Celait l'heure du crépuscule ; et le jour sans soleil s'abaissa sur le
XL. déserl des eaux, comme un voile qui, si on l'écartait, no laisserait
voir que les traits sombresde la haine, masquée pour mieux atlcin-
C'est là en effet qtie les vents et les vagues les avaient poussés, g dre sa victime. Ainsi s'offrit la nuit à leurs regards désespérés, jc-
les ramenant, les éloignant contre leur volonté ; car ils avaient dû ju iI
j lant son ombre froide sur leurs pâles visages et sur l'abîme désolé;
renoncer à diriger le bâtiment, et ils n'avaient pas encore eu un ln douze jours ils avaient eu pour compagne la l'erreur, et maintenant
jour tranquille, où ils pussent prendre du el
repos se faire mât
un at ;
'
la Mort était devant eux.
de ressource et un gouvernail : nul ne pouvait répondre qu'il res-
s"
„ ,i
tarait une heure à flot, ce navire qui pourtant surnageait encorepar ar |, L.
bonheur, mais non pas aussi bien qu'un canard.
tI On avait tenté de construire un radeau, avec peu d'espoir qu'il
XL1.
I pûl se soutenir sur cette mer agilée : informe essai qui aurait pj
prêter à rire, s'il eût été possible de lire dans une pareille posilio», à
Le vent, peut-être, avait un peu diminué; mais lé vaisseau souf-
if- .
j
moins que ce ne fûl la gaîlé de gens qui ont trop bu, gaîté horrible
frait trop pour se maintenir longtemps. Par-dèssus tous les autres
'es et insensée, moitié épilepliquê, moitié hystérique... Leur délivrance
le
maux , manque d'èau potable se faisait vivement sentir, et les
les '. eût été Un mit-àclct
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON. 179

détendait quand on se trouvait dans le creux des vagues; chaque


di
Ll. J° qu'au contraire on était reporté sur leur crête, là régnait une
fois
brise qu'il eût élé dangereux de prendre tout entière. Chaque lame
bi
A huit heures et demie, on jeta par-dessusbord, vergues, cages à déferlait sur la proue, et les mouillait sans leur laisser un instant
di
iules, espars, lout ce qui pouvait offrir aux marins une chance de repos : si bien que leurs membres et leurs espérances étaient
de
se tenir à flot, et de prolonger une lutte inutile. 11 n'y avait au également à froid... Le petit cotre ne tarda pas à sombrer.
ég
el les
d'autre clarté qu'un petit nombre d'étoiles : embarcations
éloignèrent surchargées de monde ; alors le navire donna un coup LX1.
talon, encore une
fit embardée, et, plongeant la tête la pre-
3
ière... s'enfonça tout entier. Ainsi périrentencore neuf personnes. La chaloupe se maintenait
LU. au-dessusdes
a' flots : un aviron lui servait de mât ; deux couvertures
cousues
ci ensemble et fortement attachées à ce morceau de bois fai-
Alors monta de la mer au ciel un cri terrible d'adieu... les pol- saient
su assez mal l'office de voile. Bien que la moindre vague me-
ons seuls criaient; les braves restaient silencieux. Quelques-uns naçât
n; de remplir le frôle canot, et que le péril fût plus grand que
clancèrcnldansles flots en poussantd'horribleshurlemenls, comme jamais,
js ils donnèrent un regret à ceux qui avaient péri avec le
our aller au-devantde leur tombe : la mer s'entr'ouvrit en cercle cotre....
Ci ainsi qu'aux caisses de biscuit et au baril de beurre.
oinme un enfer, el avec lui le navire aspira en sombrant les vagues
aurbillonnantes, comme un homme qui lutte avec son ennemi, et LX1I.
ui cherche à l'étrangler avant de mourir.
embrasé, indice certain de la durée de
Le soleil se leva rouge et
l£ tempête : s'abandonner au vent jusqu'au retour du beau temps,
la
LUI.
c'est
c tout ce qu'il y avail à faire. Quelques cuillerées de rhum et de
Ce fut d'abord une clameur universelle, plus bruyante que le vin
v avec un peu de pain avarié par l'humidité furent distribuées aux
iruyant Océan, pareille au fracas du tonnerre répété par les échos: malheureux
n navigateurs, qui commençaient à tomber épuisés, et
mis tout redevint silencieux, sauf les vents mugissants el les vagues qui,
q pour la plupart, avaient leurs vêteinenls en lambeaux.
nexorables; seulement, par intervalles, on entendait, parmi une
igitation convulsive de l'onde le cri solitaire, la clameur étouffée LXI1I.
,
île quelque robuste nageur à l'agonie.
Ils étaient trente, entassés dans un espace qui leur permettait à
LIV. peine
I de remuer : pour remédier à cet inconvénient, ils convinrent
<ju'à
H tour de rôle une moitié resterait debout, bien qu'engourdie
Les bateaux, nous l'avons dit, avaient déjà pris le large, et une r l'incessante pluie des vagues, pendant que l'autre moitié pour-
par
pat-lie de l'éuuipage y était entassée. Cependant les fugitifs n'avaient r se coucher un peu abritée parle reste : ainsi grelottant, comme
rait
guère plus d espoir qu'auparavant ; car le vent soufflait avec tant de j un accès de fièvre tierce, ils continuaient d'occuper leur barque,
par
lurce, qu'il élait bien difficile d'aborder à quelque riv;ige : puis, n'ayant
i que le firmament pour manteau.
quoique bien réduits, ils étaient encore trop nombreux : en quittant
le vaisseau, on avait compté neuf hommes dans le cotre, et trente LX1V.
dans la chaloupe.
LV. Un fait certain , c'est que le désir de vivre prolonge la vie. Les
médecins ont observé que les malades, lorsqu'ils ne sont tour-
Tout le reste avait péri ; près de deux cenlsâines avaient pris congé mentés
• ni par des femmes ni par des amis, survivent à des cas
îleleurs corps ; et ce qu'il y a de plus terrible, hélas 1 quand l'Océan ilout-à-fait désespérés, uniquement parce que l'espérance leur reste
englouti^des catholiques, il leur faut attendre plusieurs semaines encore, el que les funestes ciseaux d'Alropos ne viennent pas briller
avant qu'une messe enlève un seul charbon de leur brasier dans le
<
devant
i
leurs yeux. Le plus grand ennemi de la longévité, c'est donc
purgatoire : en effet, jusqu'à ce que les gens sachent au juste ce le
j désespoir : il abrège épouvantablement les misères humaines,
qui s'est passé, ils ne sonl pas disposés à donner leur argent pour les
morts... et il en coûte trois francs pour chaque messequ'on fait dire. LXV.
LYI. On prétend que les personnes dont les rentes sont viagèresvivent
plus longtemps que d'autres... pourquoi ? Dieu seul lesail, à moins
Juan trouva place dans la chaloupe, et réussit à y faire entrer
Pedrillo : ils semblaient avoir changé de rôle ; car Juan avait cet que ce ne soit pour faire enrager ceux qui servent la rente... cepen-
air de supériorité que donne le coffrage, pendant que les deux yeux
dant la chose est tellement vraie, qu'il cn est, je crois, qui ne sont
jamais morts. De tous les créanciers, les juifs sont les pires, et
ilu pauvre Pedrillo pleuraient le sort pitoyable de leur maître. c'est là leur manière de placer leurs fonds. Dans mon jeune temps,
Quant à Battisla (par abréviation Tita), il était mort à force de boire ils m'ont fait ainsi des avances remboursées à grand'peine.
de l'eau-de-vie.
LVII. LXVI.
11 essaya aussi de sauver Pedro, son autre valet, mais la même Ainsi, des gens abandonnés sur une barque sans pont, en pleine
cause le perdit : il élait tellement ivre qu'en voulant entrer dans le[
cotre il tomba à la mer, el trouva ainsi la mort dans l'eau mêlée! mer, vivent de leur seul amour pour la vie : ils supportent plus de
•le vin. Quelque peu éloigné qu'il fût, on ne put le repêcher, maux qu'on ne saurait croire ou même imaginer, el résistent comme
parce1 des rocs aux assauts de la tempêta. Les souffrancesont été le lot du
que la mer grossissait à chaque minute... et que le bateau s'en- marin, depuis l'époque où Noé, nvec son arche, croisait partout sur
combrait de monde.
les ondes... il faut convenir que l'éiuipage et la cargaison n'étaient
LVIII. pas mal étranges : il en fut encore ainside l'Argo, ce premier flibus-
Juan avait un vieil épagneul de la petite espèce qui avail appar- tier de l'ancienne Grèce.
tenu à son père don José, et qu'il aimait, comme ,vous pensez; car• LXVII.
nos souvenirs s'attachent tendrement à de pareils gages. Le pauvre
animal se tenait en hurlant sur le bord du navire, sentant bien[ Maisl'hommeestunanimalcarnivore:illuifautsesrepas, au moins
(car les chiens ont le nez prophétique) que le navire allait sombrer
: un par jour. Il ne peut, comme les bécasses, se nourrir par succion :
Juan le prit, le lança dans la chaloupe et y sauta après lui. mais, comme le requin ou le tigre, il doit avoir sa proie. Bien que
- sa constitution analomique puisse, cn rechignantétablissent
un peu, supporter
LIX. la diète végétale, néanmoins nos travailleurs comme
chose incontestable que le boeuf, le mouton et le veau sont beau-
11 prit
sur lui tout l'argent qu'il put, et en remplit aussi les po- coup moins indigestes.
ches de Pedrillo, qui s'y prêta machinalement, ne sachant lui- LXVIII.
même que dire et que faire, et tout occupé d'une terreur que chaque e
vaguc augmentait. Quant à Juan, comptant qu'il y avait encore dess Ainsi pensait notre malheureux équipage. Le troisième jour, un
chances d'échapper, et qu'il n'est point de maux sans remède, ild calme survint, qui renouvela d'abord les forces des naufragés, et
embarqua, comme on l'a vu, son précepteur et son chien. répandit comme un baume dans leurs membres fatigués : ils s'en-
dormirent comme des tortues bercées sur l'azur de l'Océan ; mais en
LX. Ise réveillant, ils ressentirent une défaillancesoudaine, et se jetèrent
sur leurs provisions dans l'emportement de la faim, au lieu de les
La nuit fut mauvaise et levpnt tellement violent, que la voile se I ménager avec la prudence convenable.
4gO LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

requins
rec qui suivaient l'embarcation... les matelots mangèrent le
LXIX. reste du pauvre Pedrillo.
res
LXXV1II.
La suite élait facile à prévoir... ils mangèrenttout ce qu'ils avaient,
burent tout leur vin , en dépit des remontrances : et alors... que Us
' en mangèrent, hormis trois ou quatre, un peu moins friands
leur restait-il pour dîner le lendemain? Insensés! ils espéraient que de nourriture animale : à ceux-ci il faut ajouter don Juan qui,
le vent se lèverait et les pousserait vers le rivage : espérances ma-ayant
ay déjà refusé de goûter de son épagnenl, ne devait pas avoir
gnifiques! mais comme ils n'avaient qu'un aviron et un aviron bienmainlenant
mi beaucoup plus d'appélit: on ne devait pas penser que,
fragile, ils eussent élé plus sensés en ménageant leurs vivres. même
mi dans celte extrémité, il dînât avec les autres aux dépens de
so pasteur et maître.
son
LXX. LXXIX.
Le quatrième jour parut ; mais pas un souffle d'air ; l'Océandor- Il fit bien de s'abstenir, car les suites du repas furcnl terribles :
mait comme un enfant à la mamelle. Le cinquième jour parut, et ceux qui s'étaient montrés les plus voraces tombèrent dans un dé-
ce
leur barque flottaitencore sur les mêmes flots : la mer el les cieux lire furieux... Grand Dieu ! quels blasphèmes! on les vit écumerct
lit
étaient bleus, clairs et paisibles...Que faire avec leur unique aviron se rouler par terre, agités d'étranges convulsions ; boire de l'eau
(que n'en avaient-ih^au moins une paire!)?Cependantla faim devint de di la mer comme ils eussent bu celle du ruisseau des montagnes,
une rage; et, en conséquence, l'épagneul de don Juan, malgré les se déchirer, grincer des dents, hurler, crier, jurer, et mourir dé-
se
supplicationsde son maître, fut mis a mort et distribué en rations. sespérés
se avec un rire d'hyène.
LXXI. LXXX.
Le sixième jour, on vécut dés abats de la bête ; et don Juan, qui Ce juste châtiment réduisit beaucoup leur nombre ; quant à ceux
avait refuséjusque-là de prendre sa pari d'un animal cher à son qQ survécurent, Dieu sait à quoi ils étaient réduits eux-mêmes.
qui
père défunt, maintenant les mâchoires crispées par une faim de Quelques-unsavaient perdu la mémoire , plus heureux certes que
vautour, non sans quelques remords, et après avoir fait quelques ceux
ci qui avaient encore la conscience de leurs maux ; mais d'autres
difficultés, accepta enfin comme une grande faveur une des pattes méditaient
n une dissection nouvelle, sans être corrigés par l'exem-
antérieures de l'animal : il en donna moitié à Pedrillo, et celui-ci ple
p de ceux qui avaient péri sous leurs yeux, au milieu des tortures
dévora sa part, lout en regrettant de ne pas avoir l'autre patte. d la rage, après avoir assouvi leur faim d'une manière impie.
de

LXX1I. LXXXI.
Le septième jour... point de vent... Le soleil embrasé grillait et JI Ils jetèrent alors les yeux sur le contre- maître, comme le plus
dévoraitleur peau, el ils gisaientsur les flots, immobilescomme des ggras de l'équipage; mais, outre son extrêmerépugnance pour une
cadavres. Nul espoir que la brise, et la brise ne venait pas. Ils je- pareille fin, cet homme fit valoir pour s'en exempter diverses autres
j:
laienl les uns sur les autres des regards farouches. Eau, vin, vivres, raisons
r : depuis peu d'abord il élait indisposé , et ce qui le sauva
tout était épuisé. Alors, quoiqu'ils restassent silencieux, vous eus- surtout,
s ce fut un petit cadeau qui lui avait été fait à Cadix, par une
siez vu reluiredans leurs yeux de loup des appétits de cannibale. souscription
s générale des dames de l'endroit.
LXXIII. LXXX1I. ^
Enfin, l'un d'eux chuchota dans l'oreille de son voisin, lequel1 II restait encore quelque chose du pauvre Pedrillo, mais on mé-
parla tout bas au sien, el bientôtla choseeutfait la ronde: alors s'élevai nageait celte ressource : les uns n'osaient y toucher ; d'autres rele-
un sourd murmure, un sinistre accent de désespoir et de fureur;; liaient leur appétit ou n'en faisaient de temps en temps qu'une lé-
dans la pensée de son compagnon, chaque malheureux avait re- gère collation : quant à don Juan, il s'en abstint complètement,et
connu la sienne, comprimée jusque-là. Alors on parla loul haut dee trompa sa faim en mâchant un morceau de plomb ou de bambou.
lois de chair et de sang : qui mourrait pour nourrir ses semblables ? A la fin, les naufragésprirent une couple d'oiseaux de mer, et dès
lors ils cessèrent de manger de la chair humaine.
LXX1V.
LXXXlll.
Mais avant d'en venir à cette extrémité, on se partagea ce jour-là
u
quelquescasquettesde cuir, el les restes des souliers. Puis chacunn Si le destin de Pedrillo vous révolte, rappelez-vous qu'Hugolin,
promena autour de soi un regard désespéré, et nul n'était disposé à après avoir terminé poliment son récit, se remet à ronger le crâne
s'offrir pour victime. Enfin on résolut de tirer au sort; et pour pré-
i- de son grand ennemi. Si donc on mange cn enfer ceux que l'on
parer les billets,quels malériauxemploya-t-on... mamuseen frémit... déteste, à plus forte raison peut-on dîner de ses amis quand on esl
comme on n'avait point de papier, faute de mieux, on prit à don n naufragé et que les provisions deviennent rares, sans en êlre beau-
Juan, de vive force, la lettre de Julia. coup plus horrible que le Dante.
LXXV. LXXXIV.
Les billets sont faits, marqués, mêlés et tirés dans un silence
:e Dans la même nuit, il tomba une ondée après laquelle leurs bou-
d'horreur, et pour un moment leur distribution réprime jusqu'àà ches aspiraient aussi vivement que les crevasses de la terre dessé-
cette faim sauvage qui, pareille au vautour de Prométhée avait ii! chée par les chaleurs de l'été. Pour savoir ce que vaut réellement
,
commandé cette abomination. Personneen particulierne l'avait la bonne eau, il faut en avoir souffert la privation : si vous aviez
pro-
o-
posée ou combinée; les besoins impérieuxde la nature les avaient
ni voyagé en Turquie ou en Espagne, si vous vous étiez trouvé en
poussés à celte résolution dans laquelle personne ne pouvait de-
e- pleine mer avec un équipage sans provisions, si vous aviez entendu
,
meurer neutre... Le sort tomba sur l'infortuné précepteur. dans le désert la clochette du chameau, vous vous seriez souhaité
vous-même... dans l'asile de la vérité au fond d'un puits.
LXXVI. ..
LXXXV.
Tout ce qu'il demanda. ce fut d'être saigné à blanc : le chirur- ir-
gien avaitpris sa Irousse et il saigna Pedrillo, lequel expira si tran-
n- La pluie tombait par torrents, mais les malheureux n'en souf-
quillement qu'on eût difficilement reconnu le moment où il avait lil fraient pas moins; enfin ils trouvèrent un lambeau de toile, itanl
cessé de vivre. Il mourut, comme il était né dans la religion ca- a- ils se servirent comme d'une éponge; et quand ils l'eurent suffi-
tholique : ainsi la plupart des hommes meurent , dans la foi de samment humecté, ils le tordirent pour en exprimer l'eau; cl bien
leurs pères. Il baisa d'abord un petit crucifix puis il présenta la qu'un terrassier altéré eût fait peu de cas de ce triste breuvageen
veine jugulaire et le poignet. ,
face d'un plein pot de porter, il leur sembla que jamais ils n'avaient
savouré jusque-làle plaisir d'étan cher leur soif.
Lxxvn.
Le chirurgien pour ses honoraires, qu'on ne pouvait lui payer LXXXVI.
*er
autrement,eut le, choix du premier morceau; mais, tourmente sur- ir- Leurs lèvres desséchées, chargées de crevasses saignantes, aspi-
tout par la soif, il préféra une gorgée du sang qui jaillissait de la rèrent cette boisson, comme si c'eût été du nectar; leurs gosiers
veine. Une partie du cadavre fut distribuée, une autre fut jetéei à I étaient des fours; leurs langues étaient gonflées
et noires conm'e
la mer; les intestins, la cervelle et autres débris régalèrent deux j| celle du mauvais riche qui, enfer, mendiaitvainement de la
ux en
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON. 181

pitié du mendiant une goutte de rosée pour qui eût été


un lui avant- é la colombe même de l'arche de Noé, qui, de retour de son heu-
été
Lût du ciel... Si la chose esl vraie, il faut avouer que certains r
reuse exploration, se fût trouvée en ce moment sur leur route, nos
chrétiens ont une foi bien confortable. hhommes l'eussent certainement mangée, et sa branche d'olivier
aavec elle.
LXXXV1I. XCVI.
Dans la lugubre troupe, il se trouvait deux pères, chacun ayant Dans la nuit, le vent se remit à souffler, mais avec moins de vio-
son fils près de lui : l'un de ces jeunes hommes semblait-plus ro-
lence
h : les étoiles brillèrent, et la barque continuait de faire roule;
buste et plus intrépide que l'autre ; cependant il mourut le premier; maisils
n étaient tellementépuisés qu'ils ne savaient ni où ils étaient,
quand il eut expire, un matelot, placé auprèsdu mourant, l'annonça ni
r ce qu'ils faisaient. Les uns s'imaginaientvoir la terre ; les autres
au père ; mais celui-ci, jetant un regard sur le cadavre, dit seule- disaient
d : « Non! » À chaque instant des bancs de brouillardsles
nient : « La volonté du ciel soit faite ; je n'y peux rien ! » puis il le Iétaient
i< dans l'erreur quelques-unsjuraient qu'ils entendaient le
vit jeter à la mer, sans une larme, sans un gémissement.
..
biruit des brisants, d'autres celui du canon, et à un certain moment
tous partagèrent cette dernière illusion.
LXXXVIII.
XCVII.
L'autre vieillard avait un fils moins vigoureux, à la peau douce,
aux traits délicats; néanmoins le jeune homme résista longtemps Quand l'aubè parut, la brise était tombée : tout-à-coup l'homme
et supporta le sort commun avec patience el résignation; il parlait i quart héla el s'écria en jurant que si ce n'était pas la lerre qui
de
peu, et souriait de temps à autre pour alléger le poids qu'il voyait s'élevait
s sous les rayons du soleil, il consentait à ne la revoir de sa
s'accumuler sur le coeur de son père, avec la pensée profonde et vie
* : sur quoi les autres se frottèrent les yeux, et virent ou crurent
mortelle qu'il faudrait bientôt se séparer. voir
"< une baie. Ils dirigèrent donc leur course vers le rivage ; car
c'était
( bien le rivage qui peu à peu se montra plus distinct, escarpe
LXXXIX. * palpable à la vue.
et
XCVIII.
Penché sur son fils, le père tenait sans cesse ses yeux fixés
sur les traits du jeune homme : il essuyait l'écume de ses lèvres Et alorsplusieursfondirent en larmes ; d'autres, regardantd'un air
: pilles cl le contemplait immobile ; et quand la pluie longtemps dé- stupéfié,
t ne pouvaient encore distinguerleurs espérances de leurs
siréc vint enfin à tomber, quand ces yeux, déjà presque vitreux et craintes
' et semblaient n'avoir souci de rien; bien peu priaient...
; voilés par la mort, brillèrent un instant et semblèrent se ranimer, pour
! la première fois depuis bien des années... et au fond de la
il exprima d'un linge mouille quelques gouttes de pluie dans la chaloupe,
' trois hommes dormaient : on les*secoua par la main et
bouche de son fils mourant... mais ce fut en vain. 1 tète, afin de les réveiller, mais cn les trouva morts.
la
XC. XCIX.
Le pauvre enfant expira... lepère garda le corps dans ses bras et La veille, nos navigateurs avaient rencontré, profondémenten-
i le contempla longtemps; mais lorsqu'enfin la mort fut certaine, dormie à la surface de la mer, une tortue de l'espèce appelée Bec
' qu'il sentit ce fardeau inanimé se raidir sur son coeur, sans une pul- de faucon, et en avançant doucementleurs bras, ils avaient eu le
' sation, sans un espoir, son regard avide ne put plus se détacher du bonheur de la prendre : cette chasse leur donna un jour d'exis-
cadavrejusqu'au moment où il fut jeté dans les vagues qui l'englou- tence, et, ce qui est plus précieux, releva leur couragemoral. Ils pen-
tirent : alors il s'affaissa lui-même, frissonnant et muet, ne don- sèrent qu'au milieu de tels périls, il avait fallu quelque chose de
nant plus d'autre signe de vie que le tremblement de ses membres. plus que le hasard pour leur offrir de pareils moyens de délivrance.
XCI. C.
Alors brilla au-dessus de leurs tètes un arc-en-ciel, qui, se des- La terre présentait une côte âpre et rocheuse, et les montagnes
sinant parmi les nuages pluvieux, projeta sur la mer sombre une grandissaient à mesure qu'ils s'approchaient portés par le courant.
immense voûte dont les bases lumineuses s'appuyaient sur l'azur Ils se perdaient en conjectures; car nul ne savait vers quelles terres
flottant. Dans le segment embrassé par l'arc, lout paraissaitplus les flots les avaient portés, tant les vents avaienlété variables. Ceux-
brillant que le ciel extérieur : bientôt les teintes irisées s'élargirent
;
ci pensaientreconnaître le mont Etna, d'autres les montagnes de
et flottèrent comme une bannière ondoyante; la courbe n'apparut ' Candie, Chypre, Rhodes ou d'autres îles.
:
plus que par portions, el s'évanouitaux yeux affaiblis des naufragés.
CI.
XC1J.
Cependant le courant, aidé de la brise qui s'élevait, poussait tou-
Il avait changé, ce céleste caméléon, enfant aérien des vapeurs jours vers le rivage désiré leur barque chargée comme celle de
el du soleil, né dans la pourpre bercé dans le vermillon baptisé , réduit à
Charon, de spectres tristes et pâles : l'équipage était
i
, , quatre
dans l'or, cmmaillolté dans des langes obscurs, brillant comme un vivants, avec lesquels se trouvaient trois cadavres qu'ils n'avaient
croissant sur le pavillon turc, et fondant toutes ses nuances en une point eu la force de jeter à la mer comme les premiers, bien que
seule, comme un oeil poché dans une rixe toute récente (car force les deux requins eussent continué ,de les suivre, en se jouant au-
nous est quelquefoisdeboxer sans masque). tour de la barque el leur jetant l'écume salée à la face.
XCIII. CIL
Nos pauvres marins y virent un bon augure : il est quelquefois
,
Famine, désespoir, froid, soif, chaleur, avaient lour-à-tour exercé
utile de penser ainsi ; c'était une vieille coutume des Grecs et des! sur eux leurs ravages et les avaient amaigris au point qu'une mère
Romains, qui peut produire beaucoup de bien quand il s'agit de
re- ! n'aurait pu reconnaître son fils parmi les squelettes de cet équipage
lever le courage des masses : et certes personne n'avait plus besoin fantastique. Glacés pendant la nuit, brûlés le jour, ils avaient péri
; que nos gens d'être encouragés; aussi cet arc-en-ciel fut-il pour l'un après l'autre et s'étaient réduits à ce petit nombre; mais leur
eux l'emblème de l'espérance... un vrai kaléidoscope céleste. fléau fut surtout l'espèce de suicide qu'ils s'infligèrent en chassant
Pedrillo de leurs intestins à force d'eau salée.
XCIV.
CUL
Presqueau même moment, un bel oiseau blanc, aux longs pieds,
ayantà peu près la grosseur et le plumage d'une colombe, et sans doute\ En approchant de la terre qui s'offrait sous un aspect inégal, ils
jelé hors de sa route, passa et repassa devant leurs aspirèrentla fraîcheur de la verdure qui se balançait en panaches on-
yeux, essaya
même de se percher sur le mât,bienqu'il vît et entendil les hommesl doyants et embaumait les airs : c'était pour le"urs yeux endoloris
dans la chaloupe de cette manière, il alla et vint, et voltigea autourj comme un écran qui s'interposait entre eux et ces vagues élince-
:
d'eux jusqu'à la tombée de la nuit... ceci leur parut lantes ou ce ciel brûlant et nu : ô bien venu tout objet qui pou-
i
leur encore un meil-
augure. vait effacerde leur vue cet abîmesalé, cet abîme immense, effrayant,
; XCV. éternel I
Mais ici je dois faire observer que l'oiseau de promission fit toutt CIV.
aussi bien de ne pas se poser, car la barque agitée par le roulis Le rivage semblait désert, dépourvu de toute trace d'habitation
offrait un juchoir un s
; peu moinsstable qu'une église ; et quand c'eûtt humaine et entouré de vagues formidables : mais une ardeur insen-
182 LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

sée les poussait vers la terre : ils poursuivirent leur roule, quoique chaleur
I ch* de cette jeune main rappelait ses esprits des portes de la
les brisants retentissentdroit en face d'eux : un récif les séparait du morl;
me elle bassinait ses tempes glacées, cherchait à rappeler le sang
rivage el montrait à la surface de l'onde ses bouillonnements el son dans ses veines : et enfin un faible soupir vint répondre à ce doux
dai
écume bondissante; mais ne trouvant pas un endroit plus propice, contact,
coi à ces soins et à ces efforts aussi tendres qu'inquiets.
ils lancèrent leur chaloupe vers la rive et la mirent en pièces.
cxrv.
CV.
Alors elle lui présenta un cordial, et jeta un manteau sur ses
Mais Juan avait longtemps baigné ses jeunes membres dans les membres
m< presque nus : le beau bras de la jeune fille souleva cette
ondes natales du Guaitalquivir ; il avait appris à se jouer dans ces têt qui s abandonnait à lui, et une joue transparente, chaude et
tête
ondes charmantes, et ce talent lui avait été souvent utile ; on aurait pure, servit d'oreiller à ce front couvert des pâleurs du trépas : puis
pu
difficilemen trouvé un nageur plushabile.Peut-être eût-il été capable elle exprima de sa chevelure l'onde amère dont la tempête l'avait si
ell
de franchir l'ilellespont comme nous avons fait, Léandre, M. Eken- longtemps humectée, épiant avec inquiétude chaque mouvement
loi
head el moi, exploit dont nous n'avons pas été peu fiers. convulsif
co qui arrachait un soupir au pauvre naufrage.... et à elle en
même
m temps.
CVI. CXY.
Ainsi, malgré sa faiblesse, sa maigreur, la raideur de son corps, Aidée d'une suivante, jeune aussi, mais son aînée, au front moins
il sut agiter encore ses membresjuvéniles et lutter conlre la vague intelligent
in et aux traits moins délicats, l'aimable fille transporta le
rapide afin de gagner avant la nuit la rive escarpée el aride qui se naufragé
ni dans la grotte. Là elles allumèrent du feu, et à la lueur des
trouvait devant lui. Le plus grand danger qu'il courut provint d'un flammes, parmi ces rochers que n'avaitjamais vus le soleil, la jeune
fli
requin qui emporta un de ses compagnons par la cuisse ; quant aux vierge,
vi ou n'importe ce qu'elle élait, se dessinadistinctementgrande
deux autres, ils ne savaient pas nager, ainsi nul autre que notre et belle.
héros ne parvint au rivage. CXVI.
CVI1.
Son front était orné de pièces d'or qui brillaient parmi ses che-
Et encore n'y fût-il- point parvenu sans le secours de l'aviron qui, veux châtains, ses cheveux bouclés, dont les plus longs anneaux re-
v<
providentiellement,se trouva lancé sous sa main au moment juste tombaient cn tresses sur ses épaules, et quoique sa taille fût des
t<
où ses bras affaiblis ne pouvaient plus fendre les vagues et où l'onde plus
p hautes que comporte la beauté féminine, ils descendaient
allait le submerger :, il s'en saisit, s'y attacha malgré la violence ppresque jusqu'à ses talons. On remarquait dans son air quelque
des lames : el enfin tour-à-tour nageant, marchant dans l'eau et chose
c! qui annonçait l'habitude du commandement,et qui annonçai!
grimpant, il parvint à s'arracher aux flots, pour rouler à demi mort u dame d'un certain rang.
une
sur la grève. CXVII.
CVIII.
cheveux, ai-je dit, étaient châtains ; maïs elle avait les yeux-
Ses
Là, hors d'haleine, il enfonça solidement ses ongles dans le sable, noirs
n comme la mort et des cils de la même couleur : c'étaient de
de peur que la vague qui ne l'avait laissé échapper qu'à regrel, en ces
c longs cils qui, sous leur ombre soyeuse, recèlent une attraction
revenant sur ses pas, ne le ramenât dans son insatiable tombeau. Il Isi
s puissante; car de dessous leur frange noire, le regard est dardé
demeura ainsi élendu à l'endroit où l'onde l'avait jeté, à l'entrée I plus
[ rapide et plus perçant que la flèche: c'est le serpent longtemps
d'une grotte creusée dans le roc, ayant tout juste encore assez du vie I enroule
c qui loul-à-coup se développe dans toute sa longueur, el
,
pour sentir ses douleurs el penser que ce qui avait élé sauvé de lui révèle
i à la fois sou venin et sa force.
l'avait élé peut-être en vain.
C1X. CXVIll.
Avec de lents et douloureuxefforts, il parvint à se lever, mais 11 Son front était blanc et assez bas; les couleurs pures de ses joues
retomba aussitôt sur ses genoux saignants el ses mains convulsives ; iressemblaient à cette teinte de rose que le soleil déjà couché lègue
et alors il chercha des yeux ceux qui avaient élé si longtemps sesi iau crépuscule ; sa petite lèvre supérieure.... lèvre enchanteresse!
compagnons sur les flots ; mais aucun d'eux n'apparut pour par- 3ui
i faisait soupireraprôsqu'on l'avait vue ; car clleeût pu servirde mo-
tager ses souffrances, sauf un seul : c'était le cadavre d'un des trois i
èlc aux statuaires.... race d'imposteurs, lout bien considéré: j'ai vu
matelots qui étaient morts de faim deux jours auparavant; l'infor- des
i
femmes vivantes et palpables, dont la beauté réelle surpassait
tuné venait de trouver un lieu de repos sur une plage déserta el in- de beaucoup leur idéal de pierre.
connue. CXIX.
CX.
Je vais vous dire pourquoi je parle ainsi; car il ne serait pas juste
En le regardant, il sentit son cerveau s'agiter avec la rapidité dui de railler sans un motif plausible : j'ai connu une dame irlandaise
vertige, el il s'étendit de nouveau sur le sol : dans cette position, lai dont te buste n'a jamais élé reproduit d'une manière satisfaisante,
plage lui semblait tourner autour de lui, et il perdit connaissance. bien qu'elle eût souvent posé comme modèle ; et si jamais elle doit
U était couché sur le côté, et sa main humide serrait encore l'avi- céder au temps inexorable, si la nature lui imprime les rides de
ron qui avait servi de mût à la barque : comme un lis flétri, sess l'âge, ainsi sera détruit un type que jamais la pensée humaine n'a
formes sveltes el ses traits pâles offraient un spectacle aussi tou- dépassé, qu'encore moins le ciseau humain a su copier.
chant qu'en offrit jamais rue créature d'argile.
cxx.
CXI.
Telle était la dame de la grotte ; sa toilette différait beaucoup du
Combien de temps Juan resta-t il dans celle froide léthargie? il costumeespagnol; elle était plus simple, mais les couleurs en étaient
ne le sut jamais, car la terre avait disparu pour lui, et le temps is moinssévères; car, vous le savez, les Espagnoles, lorsqu'ellesdoivent
n'avait plus ni nuit ni jour pour son sang congelé, pour ses facul- sortir,bannissent de leurs vêtementstoute teinte éclatante; eteepen-
tés engourdies. Comment ensuite se dissipa ce piofond évanouisse- i- dant quand elles fonl flotter autourd'ellesla basquine et la mantille
ment ? il l'ignora aussi jusqu'au moment où les mouvementsde ses •s (mode qui, je l'espère, ne passera jamais), elles ont un air à la fois
membresendoloris, le battement retentissant de ses veines, lui fi- i- mystique et folâtre,
rent sentir son retour à la vie : car la mort, quoique vaincue, luttait
it CXXI.
encore en le quittant.
CXI1. Mais il n'en élait pas ainsi de notre demoiselle : sa robe élaii
d'un fin tissu et de couleurs variées : parmi ses cheveux, nngligcin-
Jl ouvrit les, yeux et les ferma de nouveau ; car tout était pour lui
ui ment bouclés autour de son visage, l'or et les pierreries brillaient ii
doute et vertige; il pensa qu'il était encore dans le bateau, mais is profusion ; sa ceinture étincelait ; son voile était de la plus riche
qu'il s'était seulement assoupi : le désespoir le saisit de nouveau, el dentelle, et mainte pierre précieuse brillait à sa petite main ; mais
il regretta que ce sommeil n'eût point été celui de la mort : puis le chose lout-à-faitinconvenante I ses petits pieds de neige avaient des
sentiment lui revint, el ses yeux incertains, se rouvrant de nouveau',u', pantoufles et point de bas.
entrevirent les traits aimables d'une beauté de dix-sept ans. CXXII.
CXIII. Le costume de l'autre femme était à peu près semblable, mais
beaucoup moins riche : elle n'avait pas autant de joyaux propres à
Elle était toute penchée sur lui, el sa petite bouche semblait inter-
r- fixer le regard ; dans ses cheveux on ne voyait que des pièces
roger l'haleine du pauvre moribond : elle le caressait, et la douce ce
! d'argent destinées à former sa dot ,; son voile, de forme pareille,
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD RYRON. 183

(Hait moins fin ; son air qiioiqu'assuré élait moins libre; sa cheve- barrières du ciel (si nous en croyons saint Paul, ta charité est le
bi
lure plus épaisse, mais moins longue; ses yeux aussi noirs, mais droit de péage que l'on acquitte là-haut).
di
plus mutins el moins grands.
CXXI1L CXXXIL
lit toutes deux servaient Juan, lui offraient de la nourriture, des Elles allumèrent du feu comme elles purent, avec tas matériaux
vêtements, et avaient pour lui ces douces attentions, qui, je dois recueillis
n dans la baie.... des débris de planches et de rames tom-
l'avouer, sont un produit purement féminin , et savent se montrer h
bant presqu'en poussière : il y avait si longtemps qu'ils étaient là,
sous mille formes délicates : elles firent un, excellent consommé; qu'un
q mât tout entier se trouvait réduit aux dimensions d'une bé-
c'est un nicls que la poésie mentionne rarement, mais qui n'en est quille;
q mais, par la grâce de Dieu, les naufrages étaient tellement
nas nuins le meilleur qu'on ait préparé, depuis le jour où l'Achille fréquents
fi sur celle côle, qu'on y eût trouvé de quoi entretenir vingt
(l'Homère apprêta le dîner de ses hôtes. feux
f< pour un.
.
CXXXIIL
CXX1V.
Juan eut un lit de fourrures et une pelisse; car Haïdée s'était dé-
Il faul que je vous dise ce que c'était que ce couple de femelles, pouillée
p des zibelines qui ornaient ses robes pour en former sa
afin que vous n'alliez pas les prendre pour des princesses déguisées : couche,
c et afin qu'il fût plus à l'aise et plus chaudement, en cas
d'ailleurs je bais lout mystère, ainsi que ces trappes et ces méprises qu'il
q vînt à s'éveiller, la jeune Grecque et sa suivante lui laissèrent
ci fort du goût de nos poêles modernes : en somme, ces deux jeunes chacune
c un jupon, promettant de venir le revoir à la pointe du
filles vont paraître à vos regards curieux ce qu'elles étaient en effet, jour,
j et de lui apporter pour son déjeuner des oeufs, du café, du
la maîtresse et la suivante : ta première était la fille unique d'un pain
J et du poisson.
vieillard, qui vivait sur la mer. CXXXIV.
cxxv. - Elles le laissèrent ainsi à son repos solitaire. Il dormit comme un
sabot,
s ou comme les morts qui dorment enfin, mais peut-être (Dieu
Il avait été pêcheur dans sa jeunesse, et c'était bien encore une seul
s le sait) d'un sommeil qui n'est que provisoire : nulle vision de
sorte de pêcheur; mais il avait rattaché à ses entreprises maritimes tses maux passés ne vint se glisser dans sa tête doucement bercée;
(pielques autres spéculations d'une nature peut-être moins hono- i ne fut point agité par un de ces rêves maudits qui viennent nous
il
rable : un peu de contrebande et quelque piraterie avaient fait offrir
< l'importune image d'un temps qui n'est plus, jusqu'au mo-
passer d'un grand nombre de mains dans les siennes un million de ment
i où l'oeil abusé se rouvre loul chargé de larmes.
piastres mal acquises
CXXVI. CXXXV.
Celait donc un pêcheur... niais un pêcheur d'hommes, comme Juan dormit d'un sommeil sans rêves... Mais la vierge qui avail
l'apôtre Pierre.... il allait de temps en temps à la pêche des vais- fait pour sa léte un moelleux coussin avant de quitter la caverne,
,
seaux marchandségarés, et en prenait quelquefois autant qu'il vou- jeta
; un dernier regard sur lui et s'arrêta, croyant qu'il l'appelait. II
luit ; il confisquait les cargaisons. Le marché aux esclaves lui rap- donnait ; mais plie pensa (le coeur a ses méprises comme ta langue
portait aussi quelque profit, et il approvisionnait de précieuses et la plume) qu'il avait prononcé son nom mais elle oubliait
marchandises cette branche du commerce turc, dans laquelle il y a, que, ce nom, le naufragé l'ignorait encore.
sans contredit, beaucoup à gagner.
C XXXVI.
CXXVII.
Toute pensive, elle retourna chez son père, prescrivant un silence
Cet homme élait grec, et, dans son île (une des plus petites eldes absolu à Zné, qui, plus âgée que sa maîtresse d'un an ou deux,
plus sauvages d'entre les Cyclades), il s'était construit, du produit savait mieux qu'elle ce que tout cela signifiait : un an ou deux,
de ses iiiéfnils, une très jolie maison, où il vivait lout-à-fail à son c'est un siècle quand le temps est mis à profil, el Zoé avait employé
aise. Dieu sait tout l'or qu'il avail [iris el tout le song qu'il avait le sien, comme font la plupart des femmes, à se procurer ce genre
versé, car le vieillard, ne vous déplaise, n'était pas un saint; maisi de connaissances utiles qui s'enseignent au bon vieux collège de
je sais,moi, que sa maison était spacieuse, pleine de sculptures, de la nature.
peintures et de dorures dans le goût barbaresque. CXXXVII.
CXXVIII. L'aurore parut, et trouva don Juan encore profondément en-
dormi dans sa grotte, où rien ne venait interrompre son repos, le
Il avail une fille, nommée Hantée, la plus rjche héritière des îles3 murmure du ruisseau voisin, les rayons naissants du soleil exclu
du Levant, et si belle, cn outre, que sa dot n'était rien au prix des de cet asile, ne le réveillèrent point, et il put dormir loul son saoul :
ses sourires : encore éloignée de ses vingt an», comme un arbrei et, en effet, il en avait bien besoin ; car nul n'a plus souffert... ses
charmant, elle croissait dans sa beauté de femme, et déjà elle avaitl maux étaient comparables à ceux qui sont décrits dans la relation
ccondiiil en passant maint adorateur, pour apprendre à en accueilliri' dp mon cher grand-papa (1).
bientôt un plus aimable. CXXXVIII.
CXX1X.
Tel ne fut pointlesommeil d'IIaïdéc : elle se retourna et s'agita sur
jour^là même, au coucher du soleil, elle se promenait sur lai
Ce sa couche, el se réveilla plusieurs fois en sursaut, rêvant dé mille
grève au pied de la falaise el c'esl ainsi qu'elle avait trouvé doni naufrages sur les débris desquels ses pas trébuchaient et de corps
,
Juan, dans un état d'insensibilité... pas tout-à-fait mort, mais peui charmants étendus sur la plage : elle appela sa suivante de si lionne
s'en fallait.... presque anéanti par la faim et à moitié noyé. Il étaitt heure que celle-ci en grogna, et mit cn l'air lous les vieux esclaves
nu. cl celle vue la blessa, comme de raison ; cependant elle se crutt de son père, lesquels jurèrent dans leurs divers idiomes... en ar-
obligée par les lois de l'humanilé de soulager, autant qu'il était eni ménien en turc et en grec... ne sachant que penser d'un tel ca-
elle, un étranger qui se mourail, et qui avait la peau si blanche. price. ,
CXXXIX.
CXXX.
Mais elle était debout, et il fallut que tout te monde l'imitât; sous
Mais leconduire chez son père, pe n'étaitpas le m.eilleurmoyende le e je ne sais quel prétexte relatif au soleil, dont le lever et le coucher
sauver : c'était plutôt livrer la souris au chai, ou mettre au cercueil
il rendent les cieux si beaux. C'est en effet un spectacle magnifique
un homme en léthargie; il y avait dans le bon vieillard une si forte e que celui du brillant l'hébus surgissant à l'horizon, alors que les
dose de ce que les Grecs appellent nous (prudence), il ressemblait
it montagnes sont encore humides de vapeurs, que tous les oiseaux
si peu aux Arabes, ces brigands pleins de loyauté, qu'il pût com>-
* sont éveillés avec lui, et que la terre rejette les ténèbres comme
Menée par guéiir l'étranger, pour le vendre aussitôt guéri. un vêlement de deuil porte pour un mari... ou pour quelque sem-
blable animal.
CXXXI CXI,,
fiaïilée fut donc de l'avis de sa suivante (uns vierge en croit tou-
i- Je disais donc que le soleil offre un magnifique spectacle : je l'ai
jours sa suivante) et pensa qu'il valait mieux l'abriter pour le
, mo-
"tent dans la grotte; et lorsqu'cnfin Juan ouvrit ses beaux yeux K (1) Compte-rendu de l'expédition autour du globe de l'honorable John
j">h's, la charité des deux jeunes femmes s'accrut à l'égard de leur
u* Dyron, commodore, en 174U, publiée à -Londres en 1768. Voir nolre://'*-
llôle, et leur compassion s'exalta au point de leur ouvrir à demi les toire des voyages.
*s (Noie de l'éditeur.)
184 LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

vu se lever bien souvent, et dernièrement encore je suis resté de- miel et du vin de Scio... et tout cela par pur amour, el non p0Uf
bout à cet effet pendant toute la nuit, ce qui, disent les médecins, de l'argent. i
abrège l'existence ; vous tous donc qui désirez ménager votre santé CXLVI.
et votre bourse, commencez votre journée à la pointe du jour, et
quand à quatre-vingts ans on vous mettra au cercueil, faites graver Quand les oeufs el le café Turent prêts, Zoé voulut éveiller Juan.
sur la plaque que vous vous leviez à quatre heures. mais la petite main d'Haïdée l'arrêlad'ungeste rapide, et sans parler^
son doigt posé sur sa lèvre fit un signe que la suivante comprit. [_c'
CXLI. premier déjeuner étant refroidi, il fallut en préparer un second,
car ce sommeil semblait ne devoir jamais finir. *
Haïdêe vit donc l'aurore face à face, et la sienne était la plus fraî-
che des deux, bien qu'une impatience fébrile l'eût colorée de tout CXLVII.
le sang qui affluait du coeur au cerveau et qui, dans ce trajet, se
,
détournait pour rougir la joue : tel un torrent des Alpes, rencon- Il reposait toujours,et sur ses joues amaigries se jouait une rou-
trant la base d'une mon- geur fébrile, comme 1<.S
tagne , s'arrête devant derniers feux du jour sur
cette barrière et forme un les sommets neigeux de-
lac dont les eaux s'éten- montagnes lointaines :
dent en cercle ; ou telle l'empreinte de la souK
la mer Rouge... mais le france était encore sut
golfe Arabique n'esl pas son front dont les veines
rouge. d'azur semblaient afin'.
CXLII. blies et voilées ; les bou-
cles de sa noire cheve-
La jeune insulaire des- lure étaient encore cluir.
cendit la falaise, et d'un gées de l'écume amèieut
Îias léger s'approcha de des vapeurs de la voûte.
a grotte, pendant que
le soleil l'accueillait du CXLVIII.
sourire de ses premiers
rayons, et que la nais- Elle restait penchée sur
sante aurore imprimait lui, et il reposait au-des- '
sur ses lèvres un humide sous d'elle, tranquille
baiser, car elle la prenait comme l'enfanl sur le
pour sa soeur : c'est une sein maternel; affaissé
méprise dans laquelle comme le feuillage du
vous seriez tombé vous- saule quand les vents re-
même si vous les aviez tiennent leur haleine;
, calme comme les profon-
vues toutes deux ; quoi-
que la jeune mortelle, deurs de l'Océan cn re-
aussi fraîche et aussi belle pos, beau comme la rose
que la déesse, eût sur 3ui ferme une guirlande,
celle-ci l'avantage de ne oux comme le jeune cy-
pas être tout-à-fait aé-~ gne dans son nid : bref,
rie n ne. c'était un fort joli gar-
CXLIII. çon... un peu jauni par
ses souffrances.
Et lorsque Haïdée en-
tra timidement, mais d'un CXLIX.
pas rapide, dans la grot-
te, elle vit aussitôt que Il s'éveilla et regarda,
Juan avait dormi du pai- et il se serait rendormi;
sible sommeil d'un en- mais le chai niant visage
fant ; alors elle s'arrêta que rencontrèrent ses
comme immobile d'effroi yeux leur défendit de se
(car il y a dans le som- fermer, quoique la fati-
meil quelque chose d'ef- gue el la peine lui eus-
frayant) ; ensuite elle s'a- sent encore fait du som-
vança doucement sur la meil un plaisir. En effet,
pointe des pieds, et le don Juan n'avait jamais
couvrit plus chaudement vu avec indifférence le
pour le défendre de l'air visage d'une femme, si
trop vif du matin ; puis Dans ce moment ils étaient divertis par leur suite. bien qu'en faisant sa priè-
elle se pencha sur lui, si- re il détournait les yeux
lencieuse comme la mort, des sainls renfrognés, des
et l'on eût dit que ses lè- martyrsbarbus,pour con-
vres muettes buvaient templer la douce image
l'haleinepresque insensi- de la vierge Marie.
ble du jeune homme.
CXL1V. CL.
Comme un ange s'incline sur le lit de mort du juste, ainsi elle Il se leva donc sur le coude et regarda la dame sur les joues
s'inclinait sur lui; et l'adolescentnaufragécontinuait de reposer de qui la pâleur luttait contre, l'incarnat de la rose : elle fit un
tranquillependant sur lui planait une atmosphère de paix et de effort pour parler; ses yeux étaient éloquents, mais les mots lui ve-
silence. CependantqueZoé faisait frire des oeufs; car, après tout, le naient difficilement: néanmoinselle parvint à lui dire en grec mo-
jeune couple aurait sans doute besoin de déjeuner... et pour pré- derne fort pur, avec l'accent grave et doux de l'Ionie, qu'il était
venir leur désir, elle avait tiré les provisions du pauier. encore faible, et qu'il ne devait pas parler, mais manger.
CXLV. CLI.
Zoé savait que les meilleurs sentiments ne dispensent pas de De tout cela Juan ne pouvait comprendre un seul mot, vu
manger, el qu'un jeune naufragé doit avoir bon appétit; de plus, qu'il n'était pas grec ; mais il avait de l'oreille, el la voix de la
étant moins amoureuse, elle bâillaitun peu, et se sentait frissonner jeune fille était le gazouillement d'un oiseau, si douce, si suave,
au voisinage de la mer : c'est pourquoi elle se mit à faire cuire leur si claire et si délicatement articulée, que jamais on n'entend''
petit déjeuner ; je ne crois pas qu'elle leur ait offert du thé ; mais musique plus belle et plus simple : c'était une de ces vibration-'
elle avait des oeufs, des fruits, du café, du pain, du poisson, du auxquelles nos larmes font écho, sans que nous puissions dire
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON. 18>>

ourquoi... un de ces accents irrésistibles dans lesquels trône la élait passablementcru : il vit trois ou quatre objels pour lesquels il
nélodie. loua le Seigneur,et toujours déchiré du vautour de la faim, il tomba
CLII. sur tout ce qu'on lui offrait comme aurait fait un prêtre, un requin,
un aldcrman ou un brochet.
Et Juan promenait ses regards autour de lui comme un homme CLV1II.
ivcillépar les sons d'un orgue lointain, doutant s'il ne rêve pas Il mangea et fut servi à souhait; etHaïdée, qui le veillait comme
ncore, jusqu'au moment où le charme est rompu par la voix du
ivalchman, ou par quelque autre réalitéde ce genre, telle qu'un mau- une mère, lui aurait laissé franchir toutes les bornes-, car elle sou-
lit valet trop matinal qui vient frapperà la porte. Ce dernier bruit riait de voir un tel appétitdans un jeune homme qu'elleavait cru mort ;
urlout est fort déplaisantpour moi qui aime à sommeiller le matin.... mais Zoé, plus expérimentéequesa maîtresse, savait (uniquement par
à
.ar la nuit, les étoiles el les femmes se montrent leur point vue
de tradition, car elle n'avaitjamais lu ) que les gens affamés ne doivent
prendre leurs aliments que lentement et cuillerée par cuillerée,
e plus avantageux.
I sans quoi ils crèvent infailliblement.
CLI1I. CLIX.
Ce qui lira surloutJuan Elle pritdoncla liberté
deson rêve, ou de son de faire comprendreplu-
sommeil si l'on veut, ce tôt par actions que par
fui l'appétit prodigieux discours attendu l'ur-
,
qu'il se sentit* sans doute gence du cas, que le jeu-
le fumet de la cuisine de ne monsieurdont le sort
Zoé parvint à son odo- avail arraché si malin sa
ral ; la vue du feu qu'elle maîtresseà son lit, pour
cntrclenaitàgenouxpour l'attirer sur le rivage, de-
apprêter son déjeuner vait laisser là son assiet-
acheva de le réveiller, et te, s'il ne voulait mourir
lui fil penser à prendre sur la place elle lut.
de la nourriture, et sur- enleva donc le plat, et
tout à manger un beef- refusa de lui donner un
stcak. morceau de plus, disant
CL1V. qu'il avait déjà mangé de
quoi incommoder un che-
Mais le boeuf est rare val.
dans ces îles; ou y trouve CLX.
sans difficultéde la vian-
dedechèvre,du chevreau Ensuite,comme il était
el du moulon ; et quand nu , sauf un caleçon dé-
sourit un jour de fêle, chiré et à peine décent,
les habitants mettent une elles se mirent à l'ouvra-
grosse pièce à leurs bro- ge , jetèrent au feu ses
ches barbares; mais cela guenilles et l'habillèrent,
n'arrive qu'à de longs in- pour le moment, à la tur-
tervalles ; car plusieurs de que ou à la grecque
ces retraites ne sont que en omettant néanmoins,
des îlots rocheux où l'on ce qui n'importailguère,
trouveà peineunc butte : le turban, les babouches,
d'autres sonl agréables el les pistolets et le poi-
fertiles : parmi ces der- gnard... Elles le vêtirent
nières
,
celle d'Haïdée, au complet et à neuf, sauf
liien que peu étendue, quelques reprises, d'une
élait une des plus riches. chemise blanche et d'une
immense paire de culot-
CLV. tes.
CLXI.
lui disant que le boeuf
y esl rare, je ne puis Alors la belle Haïdée
m'empôchcr de songer à essaya d'entamer la con-
lu vieille fable du ftlino- versation ; mais Juan ne
laure... fable dont à bon put saisir un mot; bien
droit se scandalisent nos qu'il fût si attentif que,
moralistes modernes Le vieillard restait impénétrable.
dans son empressement,
condamnant le mauvais, la jeune Grecque ne son-
goût de la royale dame geait point à s'arrêter; et
ù,ui déguise
se en vache... comme il ne l'interrom-
el jo pense que, sous le ' pait point, elle parlait de
'oile de l'allégorie, on plus en plus vite à son
Peut y trouver un type protégé, a son ami; tant
historique : c'esttoutsim- qu'enfin ayant fait une
l'iement que Pasiphae encourageait relève du bétail, clans le but pause pour reprendre haleine, elle s aperçut quil ne comprenait
d'exciter les appétils guerroyantsdes Cretois; point le romaïque.
CLX1I.
CLV1.
En conséquence, elle eut recours aux signes de tête, aux gestes,
Car tout le monde sait que les Anglais se nourrissent de boeuf.... aux sourires, aux éclairs d'un oeil expressif; elle lisait dans le seul
, ne dirai rien de la bière
je : ce liquide ne rentre pas dans mon suje livre à son usage, dans les traits de son beau visage, et y trouvait
e' n'a que faire ici : on sait, en outre que lesdits Anglais aiment
beaucoup la guerre... plaisir un peu ,coûteux.... comme tous les par sympathie l'éloquenteréponse dans laquelle l'âme se dévoile,
dardant toute une longue suite de pensées, dans un seul et rapide
Puisirs; tels étaient aussi les habitants de la Crète.... d'où je con- regard : ainsi chaque coup d'oeil exprimait pour elle tout un monde
nus que boeuf et bataille furent dus à la princesse eu question. de choses et de mots qu'elle savait interpréter.
CLVI1. CLXIII.
Mais revenons.... Le débile
Juan avait donc appuyé sa tète sur Bientôt, à l'aide du doigt et des yeux, répétant les mots après elle,
et contemplait un spectacle dont il n'avait point joui
s.01»coude, il prit une première leçon dans la langue de sa protectrice : sans
wpuis longtemps ; car tout ce qu'il avait mangé dans la barque doute il s'occupait plus des regards que des paroles ; de même que
186 LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

celui qui étudie l'astronomie avec ardeur regarde plus souvent les
éloilesque son livre. Ainsi Juan apprit son alpha, bêta, dans lesyeux CLXXÏ1I.
d Haïdée, mieux qu'il n'eût fait dans des caractères gravés. C'était un si grand plaisir de le voir, une telle expansion de l'exig. "
((

CLXIV. tenccdeconlempler avec lui la nature, de Iressaillirsoussoncontact *


l.e
d'observer
d son sommeil, de le voir s'éveiller! Vivre toujours avec '
Il esl doux d'apprendre une langue étrangère des lèvres et des h lui, c'eût élé trop de bonheur; cependant elle frémissait à l'idée dc '
yeux d'une femme... c'est-à-dire quand maître el disciple sont tous - s' s'en séparer : c'était son bien, le trésor que l'Océan lui avait jeu;
deux jeunes : tel est, du moins, le cas où je me suis trouvé. Elles ri riche débris d'un naufrage... son premier amour et le dernier.
sourient si bien quand on réussit ; elles sourient encore plus quand
on se trompe; puis viennent des serrements de main, peut-être CLXXIV. ,
même un chaste baiser... c'esl ainsi que j'ai appris le peu que je sais: Une lune suivit ainsi son cours, etla belle Haïdée visitait chaque
CLXV. \
jour son jeune ami, prenant toutefois lant de précautions, qu'il put '
rester ignoré dans sa retraite souterraine, linfin, le père se remit en
C'esl-à-direquelques mois d'espagnol,deturc et de grec; d'italien, nmer pour rejoindre certains navires marchands ; son but n'était pas.
pas du toul, n'ayant eu personne pour cela; pour l'anglais, je ne comme c aux temps fabuleux, d'enlever une Io, mais de s'emparer de
puis me flatter de le parler bien ayant appris celle langue surtout trois l vaisseaux ragusains frétés pour Scio.
,
dans les sermonnaires, Barrow, Soulh, Tillotson, que je relis cha-
que semaine, ainsi que Blair, et qui sonl, en prose, les plus hauts CLXXV.
modèles d'éloquencereligieuse.... D'ailleurs je déteste vos poètes et Ce fut pour elle la liberté, car elle n'avait plus sa mère : ainsi son
n'en lis pas un seul. père étant absent, elle se trouva libre comme une femme marii'<c
CLXVI. 1
ou comme toute autre créature femelle qui peut aller où il lui plaît.
Quant aux dames, je n'ai rien à en dire, échappé que je suis du A J l'abri même de l'iraportunilé d'un frère, elle était la plus libre
monde de la fashion, où j'ai eu mon temps comme tant d'autres des < beautés qui se sonl jamais regardéesdans un miroir : cette com-
vauriens,et où je puis avoir eu une passion à mon tour... Mais ainsi paraisons'applique
1 aux pays chrétiens, où les femmes sont rarement
que bien d'autres choses, j'ai oublié tout cela; j'ai oublié aussi tous ttenues en chartre privée.
ces sols à la mode, à qui je pourra's faire sentir ma férule : enne- CLXXVI.
mis, amis, hommes, femmes, ne sont plus rien pour moi que des
rêves de ce qui fut, de ce qui ne sera plus jamais. Alors elle prolongea ses visites et ses causeriss (car il fallait bien
causer).
< Il en savait assez déjà pour proposer une promenade... et,
CLXYII. en effet, il était rarement sorti depuis le jour où on l'avait trouvé
couché la grève tout brisé el humide, comme une jeune fleur
Revenons à notre héros. Il entendit de nouveaux mots, et bientôt : arrachéesur dc sa lige... ils se promenèrent donc dans l'après-midi et
il les répéta ; mais il est des sentiments, universels comme le soleil, ! virent le soleil
qui ne pouvaient pas plus être renfermésdans son coeur qu'ils ne le ;I se coucher en opposition avec la lune.
sont dans celui d'une nonne : il était amoureux... vous 1 auriez élé jj CLXXV1I.
comme lui... d'une jeune bienfaitrice... elle lui rendit cet amour, I
comme cela se voit bien souvent. C'était une côle sauvageet battue de la mer : en haut une falaise
escarpée, en bas une large grève sablonneuse, défendue par des
CLXV1II. j bas-fonds el des récifs, comme par une avaul-garde : çà el là s'ou-
Dès l'aube... heure un peu matinale pour don Juan, qui aimait ' rarement
| vrait
une crique, asiie propice à la barque battue par la leinpète. Là,
h dormir, elle se rendait a la grotte, uniquement pour voir son oi- I| se taisait le mugissement des vagues menaçantes,
mort,"
hormis

seau reposer dans son nid; el elle se niellait à effleurer les boucles
rar ces longs jours d'été où, sous un calme de la surface de
Océan luit comme celle d'un lac.
de ses cheveux sans interrompre le sommeil de son hôte, caressant
de sa douce haleine la joue cl la bouche du dormeur, comme lé vent CLXXVHI.
du midi caresse un parterre de roses.
L'écume légère qui s'étalait sur la plage n'était guère plus forte
CLXIX, que la mousse du Champagne, quand on voil s'élever jusqu'aux bords
du verre cette liqueur étincelante, pluie du coeur, rosée printanièie
Et à chaque nouvelle aurore, le jeune homme prenait des cou- dc l'Ame! Peu de choses valent le vin vieux qu'on prêche lanl qu'on
leurs plus fraîches ; chaque jour marquait un progrèsdans sa con- •ji voudra (d'autant qu'on prêchera en vain): ! à ce soir le vin et les
valcscence; loul allait au mieux, car la santé plaît dans le corps !; femmes, le* rires et la joie; à demain les serinons et l'eau de Seltz!
humain, outre qu'elle esl l'essence du véritable amour : lasanlé et :
l'oisiveté font, sur la flamme d'une passion, l'effet de l'huile et de CLXXIX.
la poudre ; on doit aussi de bons procédés à Cérès et à Baccbus, sans
lesquels Vénus ne nous lourmenterait pas longtemps. L'homme, animal raisonnable, doit s'enivrer; le meilleur du la
vie n'est qu'une ivresse : la gloire, le vin, l'amour et l'or, voilà les
CLXX. buis de l'espérance pour lous les hommes et toutes les nations; sans
pareille sève, combien serait pauvre et stérile cet arbre étrange
Pendant que Vénus remplit le coeur (sans le coeur en vérité, l'a- une de la vie, si fertile parfois I Mais j'y reviens : enivrez-vous,et quand
mour, quoique toujours une bonne chose, n'est pas aussi bon de
moitié), Cérès nous présente un plat de vermicelle... car l'amour a vous vous réveillerez avec le mal de tète, voici ce que vous aurez à
faire :
besoin de soutien, comme la chair el le sang... et de son côlé CLXXX.
Baccbus nous verse du vin ou nous offre une gelée. Les oeufs, les
huîtres sont aussi des mets chers à l'amour; mais qui, là-haul, se Sonnez voire valet : dites-lui de vous apporter promplementdu
charge de nous les fournir? le ciel seul le sait : ce peut être Neptune, vin de Hocheim et de l'eau de Sellz, el alors vous connaîtrez un
Pan ou Jupiter. plaisir digne du grand roi Xercès; car, ni le délicieux sorbet à la
CLXXI. neige, ni la première goutte puisée à la source du désert, ni le bour-
colore comme un soleil couchant, après de longues fatigues
Quand Juan s'éveillait, il trouvait une foule de bonnes choses1 gogne de voyages, d'ennuis, d'amour ou de guerre, ne sauraient égale'
toutes prêles, un bain, son déjeuner et les deux plus beaux yeux; celte rasade de vin du Rhin et d'eau de Sellz.
qui aient jamais fait battre un coeur de jeune homme, sans compter
ceux de la suivante, fort jolis aussi, dans des dimensions plus mo-' CLXXXI.
destes... Mais j'ai déjà parlé de tout cela, et les répétitions sontt
ennuyeuses et maladroites... Eh bien I Juan, après un bain de mer,, La côte.... il me semble que c'était la côte que je décrivais toul ,a
revenait toujours au café el à son Haïdée. l'heure... oui, c'étaitla côle; eh bien! elle paraissaitalors aussi calm*
que le ciel; les sables dormaient immobiles, les vagues bleuesdu, se
CLXXII. taisaient; tout était silence, sauf le cri de la mouette, le bond
dauphin et le léger bruit de quelque petit flot contrarié par un n>c
Tous deux étaient si jeunes, Haïdée élait tellement innocente, quei ou un récif, et se révoltant contre l'obstacle qu'il mouillait à peine
le bain était pour eux une chose sans conséquence : Juan lui sem-
blait l'être dont depuis deux ans elle avait rêvé chaque nuit, quel- CLXXXII.
que chose à aimer, un mortel envoyé pour la rendre heureuse et
pour èlre heureux pur elle : lous ceux qui aspirent à la félicité doi- Ils erraient donc hors de leur asile, en l'absence du père, quij1;
vent la partager... le bonheur esl un êlre jumeau. l'ai dit, élait parti pour une expédition ; et la jeune fille n'avait i"
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON. 187

i..e
ni frère, ni surveillantd'aucune espèce, à l'exception dc Zoé, contre celui de son bien-aimê, se dit que désormaisl'un ne pourrait
co
• se
présentant chaque jour au lever du soleil pour prendre les pli battre sans l'autre.
plus
dî'es de sa maîtresse, croyait n'avoir pas d'autre mission que son CXCII.
rvice journalier, et se bornait à lui apporter de l'eau chaude, à Hélas! ils étaient si jeunes, si beaux, si seuls, si aimants, si fai-
-sser ses longs cheveux et à lui demander de temps en temps ses ^i
bles! puis c'était l'heure où le coeur est toujours plein, où n'ayant
hes de rebut. „i
plus
ÎJj aucun pouvoir sur lui-même il pousse à des actes que l'éternité
CLXXXIH.
ne saurait effacer, mais dont elle punit, dit-on, chaque instant par
C'était l'heure où se répand la fraîcheur, quand le disque rouge les tourments infinis du brasier infernal... supplice réservé d'avance
Jei
soleil descend derrière la colline azurée, qui alors semble la li- àa tous ceux qui s'avisent de causer à leur semblable de la peine ou
,
itc du monde, entourant la nature d'ombre, de silence et de repos.
du
di plaisir.
M
montagnes lointaines s'arrondissaient d'un côté en croissant, CXCIII.
,1e l'autre la mer s'étendait calme et profonde : en haut planait Pauvre Juan! paqvre Haïdéel ils s'aimaient tant et ils étaient si
a
ciel rosé, dans lequel une étoile brillait comme un oeil isolé. aimables
a- !.. Depuis nos premiers parents, jamais couple aussi beau
n'avait
S, risqué la damnation éternelle. Haïdée, dévote autant que
CLXXXIV. belle, avait sans nul doute entendu parler de l'empire du démon, et
Ils erraient donc la main dans la main, foulant aux pieds les ga- de
<•' l'enfer et du purgatoire...mais elle oublia tout cela juste au mo-
ment où il lui eût fallu s'en souvenir.
ils polis, les coquillages el le sable uni et dur. Ils pénétrèrentdans n
ls antiques et
sauvages retraitas creusées par les tempêtes et façon-
ces, comme par la main de l'art, en salles, en cellules aux voûtes
CXCIV.
c cristaux : là, ils se reposèrent, et, les
bras enlacés, ils s'aban- regardent, et leurs yeux brillent à la clarté de la lune : le
Ils se
onnerentaux charmesprofonds du crépusculeempourpré. beau
j, liras blanc d'Haïdée presse la tête de Juan ; le bras de Juan
enlace la taille de la jeune fille et se perd à moitié dans les (lois de
CLXXXV. s longue chevelure. Assise sur les genoux de son ami, ils boivent
sa
Ils regardaientle ciel, dont la flottante splendeur s'étalait, comme mutuellement
r leurs soupirs, qui enfin ne forment plus qu'un mur-
océan rosé, cn nappes vastes et brillantes ; ils regardaient la mer, mure
n confus : on les prendrait pour un groupe antique, demi-nu,
m
nii élincclait à
leurs pieds, et du sein de laquelle la lune commen- où
° brillent à la l'ois l'amour, la nature el le ciseaudes Grecs.
•ail à élever son disque qui s'arrondissait à vue d'oeil ; ils écoulaient
des vagues elle murmure de la brise... enfin, ils vi- CXCV.
c clapotement
ent leurs yeux noirs se darder mutuellement des flammes el à Et quand, après ces moments d'ivresse profonde et brûlante, Juan
«elle vue leurs lèvres s'approchèrent el s'unirent dans un baiser. s'abandonna
s au sommeil entre ses bras, elle ne s'endormit pas :
d'une tendre, mais énergique étreinte, elle tint la tête de son amant
CLXXXVL appuyée
{ sur les trésors de son sein! Par intervalles, elle jetait un
regard
' vers le ciel, puis sur la joue pâle que son sein réchauffait,
Un long, long baiser un baiser de jeunesse et d'amour et de qu'elle pressait sur son coeur débordant de joie et palpitant au sou-
beauté, trois rayons concentrés cn un seul foyer el allumés par le
du ciel de baisers qui n'appartiennentqu'aux premiers venir de tout ce qu'elle avail accordé, de tout ce qu'elle accordait
; un
1
[en ces
beaux jours, alors que le coeur, l'ômc cl les sens se meuvent de con- encore.
cert, que le sang est une lave, le pouls un volcan, chaque baiser un CXCVI.
ébranlement du coeur tout entier... car, si je ne me trompe, la force Le nouveau-né qui regarde une lumière, l'enfant qui puise sa vie
' un baiser se mesure à sa longueur. à lu mamelle, le dévot au moment de l'élévation de l'hostie, l'Arabe
accueillant un hôte étranger, le marin qui voit sa prise baisser pa-
CLXXXVI1. villon, l'avare qui comble son coffre-fort déjà plein, éprouvent
Par longueur, j'entends la durée : or, le leur dura Dieu sait certes un ravissement; mais ils ne sonl point réellement heureux
{nubien !... sans doute ils n'en firent point le calcul; s'ils l'avaient comme on l'est quand on voit dormir l'objet qu'on aime.
ait, ils n'auraient pu prolonger une seule seconde la somme de
CXCVII.
curs sensations. Us ne s'étaient pas parlé, mais ils s'étaient sentis
llirés l'un vers l'autre, comme si leurs àincs et leurs lèvres se fus- Car il repose avec tant de calme, cet être bien-aimé! tout ce qu'il
ent appelées; et, une fois réunies, elles s'attachèrent comme des; a dc vie se confond avec la nôtre : il est là, gracieux, immobile,
killcs qui essaiment.... leurs coeurs étaient les fleurs d'où prove- sans défense, insensible, ne se doutant pas de la félicité qu il donne.
ait leur miel. Toul ce qu'il a senti ou fait sentir, infligé ou subi, est enseveli dans
CLXXXVIII. des profondeurs impénétrables au regard : là repose l'objet aimé
Ils étaient seuls, mais non comme ceux qui, s'enfermant dans avec toutes ses erreurs et tousses charmes, comme la morl sans son
'' épouvante.
ipe chambre, se croient dans !a solitude : la mer silencieuse, la baie
«fléchissant les étoiles, l'éclat du soir qui allait s'afl'aiblissanl, les CXCVIII.
ailles muets el les cavernes humides qui les entouraient, tout les
s
La jeune Grecque contemplait ainsi son amant... el, seule avec
«gageait à se presser l'un contre l'autre, comme s'il n'y avait sous3 l'amour, la nuit et l'Océan, son âme succombait à leur triple in-
d ciel d'autre vie que la leur, et que celle vie ne dût jamais finir. fluence. Parmi les sables arides et les rocs sauvages, elle et son
jeune naufragé avaient choisi leur amoureux asile : là, rien ne pou-
CLXXX1X. vait venir troubler leur tendresse, et ces innombrables étoiles, qui
remplissaientl'espace azuré, n'éclairaient aucune félici lé comparable
Ils ne craignaient point d'être vus, d'être entendus sur celte plagee à celle qui éclatait sur le visage d'Haïdée.
olilaire; la nuit ne leur causait nul effroi. Ils étaient entièrement
'ijn à l'autre
: n'ayant que des mois entrecoupés, ils y trouvaientI CXCIX.
léanmoins un langage ; les paroles de feu que dicte la passion étaientt
emplacées pour eux par un soupir, fidèle interprète de cet oracle dee Ilelas ! l'amour des femmes ! on le sait, c'est une douce et terrible
a nature..t un premier amour... unique héritage qu'après
sa chutee chose : toute leur destinée dépend de cet unique dé, et si elles per-
've a laissé à
ses filles. dent, ia vie n'a plus à leur offrir que le tableau railleur du passé;
CXC. c'est pourquoi leur vengeanceest comme le bond du tigre, mortelle,
prompte, écrasante; et en même temps elles ressentent de leur côlé
Haïdée ne parla point de scrupules, ne demanda et
ne fit point dee des tortures non moins réelles : ce qu'elles infligent, elles le subis-
ffmenls; elle n'avait jamais entendu parler d'engagements et dee sent.
l'omesses de mariage, ou des périls auxquels s'expose une jeune e CC.
"« qui aime ; elle était telle que pouvait la faire une complète igno-
a'ice, et, comme un jeune oiseau, elle volait vers son jeune ami
J" Elles ont raison ; car l'homme, souvent injuste envers l'homme,
1: l'est toujours envers la femme : le môme sort est réservé à toutes;
1(lce de
mensonge ne lui étant jamais venue, elle ne savait même 10 elles ne peuvent compter que sur la trahison ; exercées à tenir leurs
& implorer la constance.
émotions secrètes, leurs coeurs pleins d'amour caressent une secrète
CXCI. idole, jusqu'à ce que l'opulence les convoite et achète leur main...
Elle aimait et était aimée... elle adorait el élait adorée et alors que leur rcsle-t-il? un époux insouciant, puis un amant
? loi de la nature, leurs âmes passionnées, absorbées
:
l'une dans
n
suivant déloyal ; puis la toilette, les enfants, la dévotion, et tout est dit.
"l'ti'c, eussent expiré dans celle ivresse, si des âmes pouvaient
°urir... Mais par degrés leurs sens se ranimèrent pour succomber "r CCI'
e nouveau et renaître
encore; el Haïdée, sentant bat Ire son coeur n* Les unes prennent un amant,d'autres des liqueurs nu unlivrcde
188 LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

messe ; celles-ci s'occupent de leur ménage, celles - là se livrent à air tout-à-fait grec, quoiqu'elle eût pris le coslumc d'une bcaui$ **
la dissipation. On cn voit qui abandonnent leurs maris, mais qui vénitienne.
véi f
ne fonl que changer de soucis; car elles perdent les avantages d'une CCXI. •
position honorable, et une pareille équipée améliore rarement leurs p
affaires : dans l'ennuyeux palais comme dans l'infectecabane, leur «Arrête! » Et je m'arrêtai Mais à notre propos! Ce que los
situation esl toujours fausse. Quelques-unes ensuite font le diable boitlmes
,"° appellent inconstancen'est rien de plus que la juste adnii.
à quatre ; et alors elles écrivent une nouvelle. ration
F due à l'èlre privilégié en qui la nature prodigue jeunesse (\
beauté : el de même que nous adorons presque dans sa niche une
CC1L magnifique
"J- statue, cette sorte d'adoration de la réalité est loul sim-
plement un sentiment plus vif du beau idéal.
pli
Haïdée, la fiancée de la nature, ignorait tout cela. Enfant de la
passion, née sous un ciel où le soleil darde une triple lumière, et CCXII. '
rend tout brûlant, jusqu'au baiserdeses filles à l'oeil de gazelle, elle
n'était faite que pour aimer, que pour se donner toul entière à C'est la perception du beau, une magnifique extension de nos fa.
l'objet dç son choix : d'ailleurs ce qu'on pouvait dire ou faire n'é- cultes,
cli un sentimentplatonique, universel, merveilleux, ayant sa
tait rien pour elle. Hors de là, elle n'avaitrien à craindre, à espé- source dans les astres, tamisé par le firmament, et sans lequel la
so
rer, à souhaiter : son coeur ne battait que d'un côté. Y} serait fort insipide : bref, c'est l'usage de nos deux yeux, avec
vie
l'addition d'un ou deux sens inférieurs, uniquementpour nous rap-
CCII1. peler que la chair est inflammable.

Oh ! ces battements accélérés du coeur, combien ils nous coûtent CCXIII.


cher 1 et cependant ils sont si doux dans leur cause et dans leurs
effets ! La sagesse, toujours aux aguets pour dépouiller la joie de Après tout, c'est un sentiment pénible et involontaire; en effet,
ses alchimiques mystères, et pour redire de bonnes vérités; la sa- si
Sl nous pouvions toujours trouver dans la même femmedes attraits
gesse , dis-je, et la conscience aussi ont une rude tâche pour nous aussi
ai triomphants que le jour où elle nous apparut comme une
faire comprendre toutes leurs bonnes vieilles maximes... si bonnes, autre
a Eve, cela nous épargnerait certainement bien des peines de
en effet, que je me demande comment Castlereagh ne les a pas coeur
*? et bien des shillings (car il faut posséder à tout prix, ou souf-
frappées d'un impôt. " ; et puis si la même femme plaisait toujours, comme cela serait
frir)
CCIV. sain
£; pour le coeur... et pour le foicl
C'en est fait... leurs coeurs se sont engagés sur ce rivage solitaire : CCX1V.
les étoiles, flambeaux de leur hymen ont versé leur belle lumière
sur ce couple si beau ; ils ont eu l'Océan ,
pour témoin, la caverne Le coeur ressemble au firmament-, comme lui, il fait partie des
pour couche nuptiale; sanctifiée par leurs propres sentiments, leur ccieux, et comme lui il change nuit et jour : les nuages et le ton-
union n'a eu d'autre prêtre que la solitude : ils sont époux, cl ils nerre
r le traversent, les ténèbres et la destruction planent dans son
sont heureux; car à leursjeunes regards, chacun d'eux est un ange sein
s ; mais après avoir été sillonné par la foudre, transpercé, déchiré,
et la terre un paradis. ses
s tempêtes se résolvent en quelques gouttes d'eau : les yeux ré-
CCV. pandent
I le sang du coeur qui s'est changé en Jarmes, c'est ce qui
constitue
c le climat tout anglais de notre existence.
O amoiu*! toi de qui le grand César se fit le courtisan, Titus le
maître Antoine l'esclave Horace et Catulle les interprètes, Ovide• CCXV.
,
le précepteur, ,
Sapho la femme savante (puissent la suivre dans sa
tombe liquide toutes celles qui voudraient l'imiter!... le promontoire, Le foie est le lazaret dc la bile, mais rarement il remplit bien ses
dc Leucade domine encore les flots)... ô amour! si nous ne pou-' fonctions
. ; car la première passion y séjourne si longtemps que
vons l'appeler diable, du moins tu es le dieu du mal. toutes
' les autres s'y rattachent et s'y enlacent, comme des noeuds
dc vipère au fond d'un fumier : on y trouve la rage, la crainte, la
CCVI. haine,
' la jalousie, le ressentiment, le remords; si bien que lous les
maux rcssorlcnt de ce foyer intérieur comme les tremblements dc
i
Tu rends précaire la chasteté du lien conjugal, cl tu te joues eni terre viennent du feu caché qu'on nomme « feu central. »
riant du front des plus grands hommes : César et Pompée, Maho-
met, Bélisaire, ont donné bien de l'occupation à la plume dc Clio ; CCXVI.
leur vie et leur fortune ont subi bien des vicissitudes ; l'avenir neB
verra plus leurs pareils : et pourtant tous les quatre eurent troiss Mais je ne poursuivrai pas cette dissection anatomique : j'ai com-
points en commun : ils furent héros, conquérants et cocus. plété deux cents el quelques stances comme en premier lieu ; et
c'esl à peu près le nombre que je donnerai à chacun dc mes douze
CCV11. ou de mes vingt-quatre chants. Je pose donc la plume el fais ma
révérence, laissant à don Juan el à Haïdée le soin dc plaider pour
Tu as tes philosophes : par exemple, Epicure el Àristippe,vrais3 leur compte devant ceux qui daignerontme lire.
matérialistes qui veulent nous entraîner à l'immoralité par dess
théories fort aisées à met lie en pratique; si seulement ils pouvaientt
nous assurer contre le diable, combien leurs maximes seraient il
agréables, bien qu'elles ne soient pus tout-à-fait neuves! « Mangez,
buvez, aimez; que vous importe le reste? » disait le royal philoso-1 CHANT III.
phe Sardanapale.
CCVIII.
I.
Mais Juan! avait-il donc entièrement oublié Julia? et devait-il
l'oublier si tôt? J'avoue que pour moi la question me paraît embar-
r. Salut, muse ! et extera... Nous avons laissé Juan endormi, ayant
rassante ; mais sans doute c'est la lune qui produit en nous cette te pour oreiller un sein blanc et heureux, veillé par des yeux qui
inconstance, et toutes les fois qu'un penchant nouveau fait battre e n'ont jamais connu les larmes, aimé par un jeune coeur Irop plein
notre coeur, c'est son ouvrage ; sans quoi, comment diable se ferait-
[_ de sa félicité pour sentir le poison qui se glissait parmi celte joie, el
Il que de nouveaux traits ont tant de charmes pour nous, pauvres ;g pour savoir que le beau dormeur était un ennemi de son repos,
créatures humaines? un monstre qui, souillant tout le cours d'une vie jusque-là inno-
CC1X. cente, changerait en larmes le plus pur sang de ce coeur si pur.
Je hais l'inconstance... je méprise, je déteste, j'abhorre, je con-
i- IL
damne, j'abjure le mortel si bien pétri de vif-argent que son coeurn*
ne peut conserver aucune empreinte permanente.L'amour, l'amour ir O amour! d'où vient donc que, dans ce bas monde, il est si fatal
constant a-été constamment mon hôte; et pourtant la nuit dernière, e, d'être aimé? Pourquoi à tes bouquets chéris entrelaces-tu des bran-
à un bal masqué, je rencontrai la plusjolie créature, fraîchement dé-
é- ches de cyprès? Pourquoi ton plus fidèle interprète est-il un sou-
barquée de Milan, dont la vue me fit éprouver des sensations de scé-
é- pir ? La femme qui aime les parfums cueille des fleurs et les place
lérat. sur son sein où elles vont mourir. Ainsi, ces frêles créatures,
CCX. objets de notre adoration, nous les pressons sur notre coeur où elles
Mais bientôt la philosophie vint à mon aide, et me dit lout bas» : trouvent la mort.
à tes liens sacrés ! — J'y songerai, ma chère philosophie, III.
« Songe e,
répondis-je. Mais quelles dents! et quels yeux ô ciel! je vais seu-
u- Dans sa première passion, la femme aime amant; dans
lement m'informer si elle est femme ou demoiselle, ou ni l'un ni toutes les autres, ce qu'elle aime, c'est l'amourson
,
: l'amour devient
l'autre pure curiosité! — Arrête ! » me crja la philosophie d'un |
I
in une habitude dont elle ne peut se défaire, et dans laquelle elle est
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON. 189

l'aise comme dans un gant un peu large; vous vous en convain- vo unis conjugalement; auquel cas, veuillez fermerle livre qui ra-
voir
la mettant à l'épreuve. D'abord un seul homme a le privi- conte
co l'histoire de ce couple égaré, avant que les conséquences
ez cn deviennent trop graves : il est dangereux de lire un récit d'illégi-
„c
d'émouvoir son coeur ; plus tard, elle préfère l'homme au de
Juicl, trouvant que les additions ne l'embarrassent guère. times
lin amours.
XIII.
IV. Néanmoins ils étaient heureux heureux dans l'illicite satis-
Je ne sais si c'est la faute des hommes ou la leur ; mais ce qui faction
fai de leurs désirs innocents ; mais redoublant d'imprudence à
;l certain, c'est qu'une
femme que l'on plante là... à moins qu'elle chaque nouvelle entrevue, Haïdée oublia que l'île appartenait à son
ch
jette dans la dévotion pour le leste de ses jours après un père. Quand nous avons ce qui nous plaît,il nousestdurde nous cn

e se
èïai convenable, demande a être courtisée ; sans doute c'est à sa priver,
pr du moins dans les premiers temps et avant que la satiété soit
remière affaire d'amour que son coeur s'est donné tout de bon ; venue;
ve elle faisait doncde fréquentes visites à la grotte et ne voulait
cpcndanl certaines prétendent n'en avoir eu aucune, mais celles pas perdre une seule heure, tant que durait la croisière de son cher
pr
,ii en ont eu ne s'en tiennent jamais à la première. papa le corsaire.
pe
XIV.
V. Quant à celui-ci, on ne doit point trouver trop étrange sa
Triste et redoutable indice de la fragilité, de la folie, de la per- manière
m de lever des fonds, bien qu'il n'épargnât aucun pavillon;
.ersilc humaine ! l'amour et le mariage, bien que nés tous deux car changez son titre en celui de premier ministre, et ses pillages
c;
lous le même climat, sont rarement réunis le mariage provient
: ne seront plus qu'un impôt; mais lui, plus modeste, menait moins
ni
le l'amour, comme le vinaigre du vin ; c'est le breuvagedes gens grand
gi train ; il faisait un plus honnête métier, et poursuivant ses
;obres, breuvage peu agréable et âpre, à qui le temps a fait perdre voyages
vi en pleine mer, il n'exerçait que comme procureur
son céleste bouquet, pour
le transformer en une vulgaire boisson maritime.
n
je ménage. XV.
VI.
Le bon vieux gentilhomme avait été retenu par les vents et les
11 y a une sorte d'opposition entre le premier et le second état de puis par des captures importantes; et dans l'espoir d'en
vagues,
y
la femme : on emploie avec elle une flatterie peu honorable jusqu'au rencontrer
y, d'autres, il étail resté en mer, bien qu'une couple de
moment trop tardif où la vérité apparaît... Que faire alors, sinon se rafales
r eussent tempéré sa joie en faisant sombrerl'unedeses prises.
désespérer? Les mêmes choses changent si vite de nom ! par exem- i avait enchaîné ses prisonniers, les avait divisés par lots et nu-
Il
pie, la passion, applaudie dans l'amant, n'est plus chez le mari mérotés
n comme les chapitres d'un livre : tous avaient des menottes
nue faiblesse conjugale. e des colliers, et il les estimait de dix à cent dollars par tête.
et
VIL
Lcshommesdeviennent honteux d'être si tendres ; puis ils se fati- XVI.
guent quelquefois, très rarement, comme de raison ; et alors ils se Il se défit de quelques-unsà la hauteur du cap Matapan, chez ses
relâchent de leurs soins : les mêmes choses ne peuventêtre toujours alliés les Maïnotes ; il en vendit d'autres à ses correspondants de
admirées, cl pourtant, « clause expresse du contrat, » les deux con- f'i
Tunis, et parmi ceux-là un vieillard, ne trouvant point d'acheteur,
joints ne peuvent être séparés que par la mort de l'un d'entre eux. jfut jeté à la mer ; les plus riches furent mis à la cale comme pouvant
Désolante pensée! perdre l'épouse qui était l'ornement de nos jours
rapporter
, plus tard de bonnes rançons, et enfin lout le reste fut en-
et faire prendre le deuil à notre livrée. chaîné indistinctement, vu que pour les esclaves vulgaires il avait
(
VIII. '
reçu une commandeconsidérabledu dey de Tripoli.
Il faut convenir qu'il y a dans la vie domestiquecertaineschoses XVII.
qui sont l'antithèse de la passion : les romans nous peignent en pied
toutes les phases amoureuses, mais i!s ne nous donnent qu'en buste
de même deses marchandisescl lesvenditendétaildans
11 disposa
le |iorlrailjlu mariage :' car nul ne s'inquièle des cajoleries malri- divers
'
marchésdu Levant: toutefois il réserva une certaine portion
monii.les;pàslapliispetitepointede scandaledans un baiser d'époux: du
' butin, des articles de choix pour la toilette féminine, des étoffes
croyez-vous que si Laure eût élé la femmede Pétrarque, il eût passé
de
!
France , des dentelles , des épingles à coiffer, des cure dents,
sa vie à lui faire des sonnets? une théière, un plateau , des guitares et des castagnettes,tous objets
mis à part de la masse des dépouilles et volés pour sa fille par le
IX. meilleur des pères.
'foule tragédie se termine par une morl, toute comédie par un XVIII.
mariage : dans l'un et l'autre cas la suite est laissée à la foi des Il choisit aussi, parmi un grand nombre d'animaux conquis, un
,
spectateurs ; les poètes craignent que leurs descriptionsne donnent singe, un mâtin de Hollande, une guenon, deux perroquets, une
une idée ou fausse ou trop mesquinede ces dcuxexistencesullérieures, chatte de Perse avec ses petits, ctun chien terrier qui avait appartenu
dans lesquelles eux-mêmes trouveraient plus tard la punitiondcleur à un Anglais : son maître étant morl sur la côle d'Ithaque, des
fiiiite : laissant donc à chacune des conditions son prêtre ctson livre
de messe, ils ne parlent plus ni de la Mort ni dc la Dame (1).
i paysans avaient nourri la pauvre hèle. Pour mettre en sûreté loul
ce bétail, par le grand vent qu'il faisait, il l'avait enfermé pêle-mêle
dans une grande cage d'osier.
X. XIX.
Deux auteurs seulement, autant qu'il m'en souvienne,ont chanté
[
le ciel et l'enfer ou le mariage : ces deux auteurs sont Dante el Mil- Dès qu'il eut mis ordre à ses affaires maritimes, et dépêché de
ton et tous deux souffrirent dans leurs affections conjugales : quei- côté et d'autre des croiseurs isolés, son vaisseau demandant quelques
i|ue faute de conduite, quelque contrariété de caractères ruina la, réparations, il fit voile vers l'île où son aimable fille continuait son
paix de leur union (et pour cela il faut souvent peu de chose) : oeuvre hospitalière; mais comme cette partie de la côle élait basse et
j
niais la Béatrice de Dante et l'Eve de Milton n'ont pas été peintes nue, el en outre défendue par des récifs qui s'étendaient à plusieurs
d'après leurs moitiés, cela se voit aisément. milles en mer, le port élait silué de l'autre côté.

XL XX.
Des critiques assurent que, sous ce nom de Béatrice, Dante a voulua II y débarqua sans retard, vu qu'il ne s'y trouvait ni douane, ni
désigner la Théologie et non pas sa maîtresse florentine
en 1 (2). quarantaine pour lui faire d'impertinentesquestions sur le temps
four moi, tout en priant d'excuser la hardiesse de mon opinion,jee qu'il avait été en mer et les lieux qu'il avait visités : il quitta son
crois que c'est là une pure vision du commentateur; il eût fallu au u navire en laissant des ordres pour qu'on le mil dès le lendemain
moins qu'il eût du fait une certitude personnelle, ou qu'il appuyât tt en carénage, el qu'on s'occupât de le radouber : çn sorte que lous les
son dire sur de bonnes raisons : mon avis à moi est que, dans ses s bras furent aussitôt et activement à l'oeuvre pour mettre à lerre les
plus mystiques abstractions, Dante a voulu personnifier les
nia- marchandises, le lest, les canons et le numéraire.
Uiématiques.
XII. XXI.
Haïdée et Juan n'étaient point mariés, mais c'était leur faute, non
n Parvenu au sommet d'une colline d'où l'on découvrait les blan-
'a mienne ; il ne serait donc juste en aucune façon, chaste lecteur, ches murailles de sa demeure, il s'arrêta
.

•le rejeter le blâme sur moi, à moins que vous n'eussiez préféré les
r, .... Etranges
remplissent le coeur après une course errante
émotionsqui
! Inquiétudessur l'état
;s
où vont se trouver toutes choses, amour pour la plupart des noires,
(1) Allusion à la vieille ballade anglaise Dealh and the Lady. craintes pour quelques uns; sentiments qui remontent le cours des
(.*) La Béatrice de Dante était une Portinari. années disparueset reportent nos coeurs à leur point de départ!
190 LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTREES.

i
XXII. XXXI. '
I
Pour les maris ou les pères, après un long voyage par terre ou Ici, des réunions de joyeux amis, assis les jambes croisées autour
par eau , l'approche du logis doit naturellementinspirer quelques de plateaux commençaient à dîner : on voyait des pilaws cl dCs
des
, i
doutes chose sérieuse que les femmes dans une famille (nul plus m de toute espèce, dès flaconsde vins de Samos et de Chio, cl ie
mets
que moi n'a de confiance dans le beau sexe, nul ne l'admire da- sorbet
so rafraîchi dans des vases poreux; le dessert [tendait à la treille
vantage mais il déteste la flatterie, c'est pourquoi je ne flatte au-dessus
ai de leurs têtes, el s'inclinant sur eux, l'orange et la gre.
jamais ) ! dans l'absence du maître, les femmes deviennent plus nade
ni laissaient tomber leurs onctueux trésors.
îu-ées, el quelquefois les filles se font enlever par un laquais.
XXXII.
XXIII.
Une bande d'enfants, entourant un bouc blanc comme la neige.
Un brave homme, à son retour, peut ne pas avoir le bonheur ornaient 01 de fleurs ses cornes vénérables; paisible comme un agneau
d'Ulysse: toutes les femmes délaissées ne pleurent pas l'absence de non n sevré, le patriarche du troupeau,avec une docilité majestueuse
leur maître el ne montrent pas l'éloignement dc Pénélope pour les ir
inclinait gracieusement sa tête pacifique; il mangeait dans la main'
baisers de leurs adorateurs : il y a chance pour qu'il trouve une belle baissait
b le front cn se jouant, comme s'il voulait frapper ; puis il cé-
urne érigée à sa mémoire et deux ou trois jeunes demoiselles ddait aux petites mains d'enfant qui le ramenaient en arrière.
nées du fait d'un ami qui s'est emparé de sa femme et de ses biens...
Argus (l) lui même accourt parfois lui mordre ses fonds de XXXIII.
culottes.
XXIV. Leurs profils classiques, leurs brillants costumes, leurs grands
yyeux noirs, leurs joues douces et riantes, rouges comme des gre-
Est-il célibataire ; sa belle fiancée aura épousé quelque riche nades r entr'ouverles; leurs longues chevelures, le geste qui en-
avare ; mais il doit s'en féliciter, car la brouille peut se mettre dans chante
c ,
le regard qui parle l'innocence charme divin de l'heu-
l'heureux ménage, et la dame étant mieux avisée, il pourra re- rreuse enfance , ,
: tout cela faisait de ces petits Grecs un tableau
prendre, cn qualité de cavalier servant, son amoureux office,ou bien complet
c ; un spectateur philosophe eût soupiré... en songeant qu'ils
i
lui montrer son mépris, et non content dc gémir en secret, écrire des deviendraient hommes.
odes sur l'inconstancedes femmes. XXXIV.
XXV. Ailleurs, un nain bouffon occupait le milieu d'un cercle de pai-
£sibles fumeurs cn cheveux blancs, et leur contait des histoires de
El vous, messieurs, qui avez déjà quelque chaste liaison dc cette trésors
t mystérieux trouvés dans des vallées écartées, de merveilleu-
nature... je veux dire une honnête amitié avec une femme mariée... sses réparties faites par des plaisants arabes de charmes pour faire
la seule des relations enlre personnes de différent sexe que l'on dc
(
,
l'or et guérir de cruelles maladies, de rocs enchantés qui s'ou-
ait vue durer, de tous les attachements le plus solide, et en un vrent
i devant un mot cabalistique, de magiciennes qui, d'un geste,
mot le véritable hvménée (l'autre n'étant que le chaperon)... mal- changent
( leursmaris en bêtes... ceci n'est plus un conte.
gré lout cela, ne restez pas trop longtemps en voyage ; j'ai connu
des absents dont on se moquait quatre fois par jour. XXXV.
XXVI. ne manquait pas d'innocentes récréations pour l'esprit ou
11
. les sens: chants, danses, vin, musique, contes persans, lous passe-
1

Lnmbro, notre procureur maritime, homme beaucoup moins' temps agréables autant qu'irrépréhensibles; mais Lambro vil lout
expérimenté sur terre que sur l'Océan en apercevant la fumée de! cela dc mauvais oeil, mécontent de pareilles profusions faites cn
,
son loit, se sentit joyeux; mais comme il n'était pas fort en méta- son absence, et redoutant ce comble des calamités humaines, le
physique, il n'aurait pu dire ni les raisons de sa gaîté, ni celles dc' grossissement de ses comptes hebdomadaires.
toute autre émotion forte : il aimail son enfant cl aurait pleuré sa
perte, sans pouvoir, mieux qu'un philosophe, expliquer pourquoi. XXXVI.
XXVII. Hélas! qu'est-ce que l'homme? Quels périls environnent le mor-
tel le [dus heureux, même après son dîner !... Un jour d'or sur un
Il vil ses blanches murailles briller au soleil, les arbres dc son» siècle de fer, c'est lout ce qu'accorde l'existence au pécheur le plus
jardin étaler leur ombre et leur verdure ; il entendit le léger mur- favorisé ; le plaisir, surtout quand il chante, est une sirène qui at-
mure de son ruisseau, l'aboiement lointain dc son chien, et, à Ira- tire lejeunc novice pour l'écorcher loul vif. Lambro tombait au ban-
aperçut des figures cn mouve-
vers le sombre et frais ombrage, ilOrient" quet de ses gens, comme une couvcrlure humide tombe surle feu.
ment, des armes élincclanlcs (en tout le monde esl armé)
el des vêlements aux couleurs variées, brillants comme des pa- XXXVII.
pillons.
XXVHI. Naturellementéconome de paroles cl se faisant une joie de sur-
prendre sa fille (comme il aimail à surprendre les hommes, mais
A mesure qu'il s'approchait, surpris de tous ces indices inaccou-
i- ceux-ci l'épée à la main), il n'avait point envoyé d'exprès pour
tumés d'oisiveté, il entendit... hélas 1 non pas l'harmonie dessphères is prévenir de son arrivée; en sorte que personne lie bougea: il resta
célestes mais les sons profanes et terrestres d'un violon. H crut un n donc longtemps à s'assurer que ses yeux ne le trompaient pus,
,
instant que oreilles le trompaient, la d'un pareil concert
ri
ses cause beaucoup plus surpris que charmé de voir chez lui si bonne cl si
étant au-dessus de loul ce qu'il pouvait imaginer : il distingua aussi ai nombreuse compagnie.
une flûte, un tambour, et peu après des éclats de rire de l'espèce
:e XXXVHI.
la moins orientale.
XXIX. It ne savait pas (voyez comme on ment) qu'un faux rapport, pro-
Il descendu rapidementla colline; puis écartant le feuillage pour pagé surtout par les Grecs, l'avait fait passer pour morl (pareilles
,'
regarder sur la pelouse, entre autres indices dc réjouissance, il vit gens ne meurent jamais) et avait mis sa maison en deuil pendant
plusieurs semaines... mais maintenant les yeux étaient secs aussi
une troupe de ses domestiques occupés à danser, comme des der-' bien que les lèvres; la fraîcheur était revenue aux joues d'Haïdée,
viches qui pivotent sur eux-mêmes; il reconnut la danse pyrrhique,
celle danse martiale si chère aux Levantins. ' et ses larmes ayant reflué vers leur source, elle s'était mise à la lèlc
de la maison.
XXXIX.
XXX.
| là tous ces plats de riz et dc viande ces danses, ce vin, ce
De
Plus loin, était un groupe de jeunes Grecques, dont la première re ,
violon, qui faisaient dc l'île un'séjour de délices; tous les domesli-
ella plus grande agitait en l'air un mouchoir blanc: elles dansaient
"* ques passaient le temps à boire ou à ne rien faire, genre de vie qui
enchaînées comme un collier de perles, el la main dans la mainV>; leur elail infiniment agréable. L'hospitalité de Lambro n'était rien,
on voyait flotter sur leurs cous blancs les boucles ondoyantes *"ede comparée à l'emploi qu'llaïdée faisait de ses Irésois: c'était clon-
leurs cheveux châtains (dont la moindre eût suffi pour ''*
rendre nant comme toutes choses s'amélioraient sous sa direction , sans
fous dix poètes); celle qui conduisait la danse chantait: ta choeurur qu'un seul de ses moments fût dérobé à l'amour.
virginal accompagnait du pied et dc la voix , et bondissait en *
cadence. ' XL.
(1) Argus, chien d'Ulysse, meurt cn reconnaissant son maître;
re; Peut-être croirez-vous qu'en tombant au milieu de celte fêle, lç
Odyssée, xvii. I maître du logis enlra en fureur; et en effet, il n'y avait pas de quoi
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON. 191

attendez-vousà quelque soudaine l'amour paternel plaidait dans son coeur en faveur d'Haïdée , c'est
l't
c fort content; peut-être vous moins, plus que je ne saurais dire, mais à coup sûr un homme réputé dé-
pi
dence, le fouet, la torture, prison loul au
la pour appren-
à ses gens une meilleure discipline; peut-être enfin supposez- funt devait voir là une étrange manière de porter son deuil.
fu
B
us que, recourant aux grands moyens, il montra les royaux
nchaiils d'un pirate. L.
XLI. Si tous les morlspouvaientrevenir à la vie (ce qu'à Dieu ne plaise!),
lîh bien ! vous vous trompez : c'était l'homme le plus doux dans ou seulement quelques-uns, ou bien un grand nombre : soit un
oi
s manières
qui eût jamais armé un navire en course, ou coupé la mari
ni ou une femme (les exemples tirés de la vie conjugale ne sonl
irge à son prochain ; sous ses dehors d'homme bien élevé,
jamais pas plus mauvais que d'autres), quelles qu'eussent été leurs an-
pi
,us n'eussiez
deviné sa pensée véritable ; nul courtisan ne l'eût ciennes tempêtes, nul doute que leur ciel ne devînt plus orageux
ci
talé en hypocrisie et rarement femme cn recèle autant sous son
, cencore. Autant de larmes versées sur la tombe d'un conjoint, autant
îtillon : quel dommagequ'il aimât la variété d'une vie aventureuse! sans doute en amènerait sa résurrection.
si
jcllc perte pour le beau monde!
LI.
XL1I.
Il entra dans cette demeure, où il avait cessé d'être chez lui !
S'élant avancé vers les dîneurs les plus rapprochés, il frappa épreuve
é pénible au coeur dc l'homme et plus dure à supporter peut-
épaule du premier convive qui lui tomba sous la main ; et avec un êêtre que les tortures morales du lit de mort : trouver la pierre de
eilain sourire qui, pour le dire en passant, n'annonçait rien de notre
r foyer changée en marbre minutaire, et sur ces dalles refroi-
on, il lui demanda ce que signifiaient ces réjouissances. Le Grec dies
d voir pâles el dispersées les cendres de nos espérances : c'esl là
viné auquel il s'adressait, beaucoup trop gai déjà pour deviner la iune douleur profonde, que le célibat ne saurait comprendre.
[ualité du questionneur, remplit un verre de vin ;
LU.
XLIII.
Il entra dans cette demeure, où il avait cessé d'être chez lui; car,
Puis sans tourner la tête, il lui présenta par-dessus son épaule la sans des coeurs aimants, il n'est point de chez soi... et en passant
E
•niipc pleine jusqu'au bord, cn disant d'un air bachique : « On s'al- son
$ propre seuil sans y être accueilli. il se sentit seul an monde.
ère à parler; je n'ai point de temps à perdre. » Un autre ajouta, C'est
< là qu'il avail longtemps habité, là que le temps avait compté
von sans maint hoquet: « Notre vieux maître est mort: adressez- ses jours paisibles ; là son coeur usé, ses yeux
jle petit nombre de

nous à noire maîtresse qui est son héritière.— Notre maîtresse! re- aiguisés par la rusé, s'étaient attendris sur l'innocence de cette douce
I

|nit un troisième... notre maîtresse!... bah 1... vous vonlez dire no- enfant,
i
sanctuaire de tout ceque son âme avait gardéde pur.
tic maître... non pas l'ancien , mais le nouveau. »
LUI.
XLIV.
Celait un homme d'un caractère étrange, de manières douces,
Ces drôles, étant nouveauxvenus, ne savaient pas à qui ils avaient quoique d'humeursauvage, modéré dans toutes ses habitudes, tem-
afl'airc... Le visage de Lambro se rembrunit: un nuage sombre passa pérant dans ses plaisirs comme dans sas repas, prompt à sentir,
momentanémentsur son regard ; mais il réussit à réprimer poliment ferme à supporter; fait, sinon pour le bien absolu, du moins pour
l'expression de ce qu'il éprouvait, et faisant un effort pour repren- quelque chose (le meilleur : les injures de sa patrie et son impuis-
dre son sourire, il pria l'un d'eux de lui dire le nom cl la qualité dc sance à la sauver, en le perçant au coeur, d'esclave en avaient fait
ce nouveau patron qui, suivant toute apparence, avait fait passer un marchand d'hommes,
Haïdée à l'état de dame. LIV.
XLV.
L'amour du pouvoir et le rapide accroissementde ses richesses,
« Je ne sais, dit le valet, comment l'endurcissement produit par une longue habitude, les dangers au
il se nomme, ni ce qu'il est,
ni d'où il vient... et je m'en inquiète peu : ce que je sais, c'est que sein desquels il avait vieilli, sa clémence souvent payée d'ingrati-
voilà un chapon rôti bien en graisse, et que jamais meilleur vin tude les scène» auxquelles il avait ace uituinô ses yeux les mers
n'arrosa meilleure chère; si vous n'êtes point satisfait dc ces ren- ,
terribles ,
et sos terribles compagnons avaient fait de lui un homme
seignements adressez-vous à mon voisin que voici : il vous dira implacable pour ses ennemis, indispensable à ses alliés, redoutable
le bien comme , le mal,
car nul plus que lui n'aime à s'écouter. » à qui le rencontrait.
LV.
XLVI.
Mais un reste de l'antique génie de la Grèce faisait luire dans son
J'ai dit que Lambro était la patience même ; ot certes en Cottes âme quelques rayons de cet héroïsme qui jadis guida ses ancêtres à
occasion, il montra un savoir-vivre qu'aurait pu à peine déployer les Colchos, a la conquête dc la Toison d'or : h la vérité, il n'était pas
pins poli des enfants de la France, l'exempta des nations : il sup- épris d'un violent amour pour la paix... hélas! sa patrie n'offrait
porta gravement ces sarcasmes intimes, les inquiétudes et les plaiesi aucune roule vers la gloire; cl pour venger son abaissement, il
saignantes de son coeur, et les insultes de Cel gloutons servîtes qui, avait juré haine au monde et guerre à toutes les nations.
n'en perdaient pas un coup de dent. ,
LVI.
XLVII.
En outre, l'influence du climat avait versé dans son âme quelque
Or, dans un hommehabitué à commander,à dire aux gens : allez, chose de l'élégance ionienne, qui se manifestait souvent à son
,
venez et revenez, et àse voir obéi au doigt et à l'oeil... qu'il s'agît dcB insu : le gnùl avec lequel il avail choisi sa demeure, son amour
la morl ou des fers... il peut sembler étrange de voir des manières s pour la musique et les scènes sublimes de la nalu'-c, le plaisir qu'il
douces el polies: cependant pareilles choses arrivent sans que jee prenait à écouler le murmure du ruisseau cristallin ou à contem-
puisse dire pourquoi : mais l'homme qui a sur lui-même un tel em- pler les fleurs, lout cela élait comme une rosée qui rafraîchissait son
pile esl propre à gouverner presque autant qu'un Guelfe (1). âme dans ses heures les plus calmes.
XLVI1I. LYII.
Non qu'il ne fût parfois un peu vif, mais jamais dans les occa- Mais tout ce qu'il avait d'amour s'était concentré sur cette fille
sions graves et sérieuses : alors, calme, concentré, silencieux etil bien-aimée; cel unique objet avait tenu son coeur accessible à de
'Nil, il se tenait replié sur lui-même comme un serpent dans les s doux sentiments, au milieu des scènes sanglantes dans les nielles
iiojs : chez lui la parole n'amenait pas l'action • une fois sa colère
c il avait été acteur ou témoin ; affection solitaire et pure, qui en se
Mlialéc, il ne répandait pas le sang ; mais son silence était funeste, ,
brisant, devait tarir dans son coeur la source lactée des tendresses
i
et son premier coup laissait peu à faire au second. humaines, et faire de lui un Polyphèmc, aveugle et furieux.
XLIX. LYI1I.
'1 ne fit plus de questions, el s'avança vers la maison
par dess La tigresse privée de ses petits, parcourant pleine de rage ses
Passages dérobés; en sorte que le peu de gens qu'il rencontra a forcis de bambous, est la terreur du berger et du troupeau; l'O-
tuent à peine attention à lui, tant ils étaient loin de l'attendre. Si
si céan, quand ses vagues écumeuscs se livrent la guerre, est redou-
table pour le vaisseau voisin de recueil ; mais ces fureurs trop vio-
.Â'iLa maison de Brunswick, régnante en Angleterre, remonte à ientes, s'épuisanl par leurs propres chocs, se calment plus vite que
''«/de Bavière, dont les partisans prirent le nom dé guelfes dans les
;s la colère inflexible, solitaire, profonde el muette d'un coeur éner-
«"erres civiles d'Italie (1138). gique, et surtout du coeur d'un père.
192 LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

LIX. LXV.
Il est dur, quoique la chose ne soit pas rare, dc voir nos enfants Cesinscriptionssur les murs, très communesdansl'Orient, sont <ies
se soustraireà notre autorilé... Au moment où la vieillesse s'avance espècesde moniteursdestinés à remplacerles têtes de mort au mi|ieu
insensiblement vers nous, où des nuages obscurcissentnotre cou- des banquets deMemphis, ou les terribles paroles qui épouvantèrent
chant, ceux en qui nous aimions à retrouver nos beaux jours, ces Ballhazar dans la salle du festin, el lui annoncèrent la perte de son
autres nous-mêmes,refaits d'une plus pure argile, ils nous quittent royaume. Mais les sages auront beau épancher les trésors de leur
poliment, nous laissant toutefois en bonne compagnie, avec la science, vous trouverez toujours au fond que le plus austère de
goutte el la gravelle. tous les moralistes, c'esl le plaisir.
LX.
Pourtant, c'estune belle chose qu'une belle famille (pourvu qu'on LVXI.
ne nous amène pas les enfants après le dîner) ; il est beau dc voir Une beaulé devenue éliaue à la fin de la saison, un grand cénin
une mère nourrir ses en- qui s'est tue d'un excès
fants (si pourtant cela ne de boisson, un libertin
la maigrit pas). Comme devenu méthodiste ou é-
des chérubins à l'autel, clcctique (car tels sont leS
ils viennent se grouper noms sous lesquels de
autour du foyer... spec- pareilles gens aiment à
tacle qui toucheraitl'âme prier), mais surtout un
du plus déterminé pé- alderman frappé d'apo-
cheur! Une mère de fa- plexie ce son lia des ex-
mille, entourée descs fil- emples, qui vous suffo-
les ou dc ses nièces, brille quent... et qui démon-
comme une guinée parmi trent que les veilles pro-
des pièces de sept shil- longées, le vin etl'amour,
lings. n'offrent pas moins de
LXI. dangers que la table.
Le vieux Lambro entra
donc
.
inaperçu par une LXVII.
porte dérobée : il élait Haïdée cl Juan avaient
soir quand il se trouva au leurs pieds posés sur un
sein dc sa demeure. Ce- tapis de salin cramoisi,
pendant la dame cl son bordé de bleu pâle ; leur
amant étaient à table, sopha occupait trois co-
dans l'éclat dc leur beauté tés dc l'appartement, cl
et dc leur gloire : devant paraissait loul neuf; les
eux se trouvait une ta- coussins, qui n'auraient
ble incrustée d'ivoire point déparé un trône,
splendidement servie, et, étaient en velours écai-
lout autour se tenaient late : de leur centre é-
rangées de belles escla- blouissanl un soleil d'or,
ves : la vaisselle était d'or relevé en bosse, faisait
et d'argent, incrustée de jaillir dc. ses.rayons arti-
pierreries; la nacre et le . ficiels une lumière pareil-
corail en étaient les ma- le à celle de l'astre à son
tières les moins précieu- raidi.
ses. LXVHI.
LX1I. Le cristal el le marbre,
Le dîner se composait la vaisselle plate el la por-
d'une centaine dc plais ; celaine étalaient partout
on y voyait des mets de leur splendeur; le car-
toute sorte : de l'agneau reau était couvert de nat-
aux pistaches, des sou- tes indiennes et de lapis
pes au safran , des ris de Perse que l'on s'in-
de veau... les poissons dignait de salir : des ga-
étaient des plus beaux zelles et des chais, des
qu'eûtjamais pris le filet, nains, des esclaves noirs,
et accommodés de ma- et cenl autres pareilles
nière à satisfaire la sen- créatures, gagnant leur
sualité sybarite. La bois- pain en qualité de minis-
son consistait cn divers Le harpiste vint et accorda son instrument. tres et de favoris (c'est-
sorbets de raisin, d'oran- à-dire au prix de leur dé-
ge et de jus de grenade gradation), abondaient
exprimé a travers l'écor- là, aussi nombreux que
ce , ce qui lui donne un dans une cour ou une
goût plus délicat. foire.
LAIll. LX1A.
Tous ces rafraîchissements étaient rangés en cercle, chacun dans On n'avait pas épargné les beaux miroirs et les tables élaicnl
,
son aiguière de cristal ; des fruits, des gâteaux de dalles, terminè- en général d'ebène incrusté de nacre ou d'ivoire; d'autres, faites
d'écaillé de tortue ou de bois précieux étaient ornées dc ciselures
rent le repas; puis on servit la fève de moka, tout ce que l'Arabie
Î'ieut offrir de plus délicieux dans de petites tasses de belle porce-
, des
d'or ou d'argent : par ordre des maîtres,, la plupart élaicnl couvertes
ainede la Chine, portées par soucoupes de filigrane d'or, pour de mets, de sorbels glacés et de vins... que l'on tenait prêls à toute
garantir la main de la chaleur du liquide : on avait l'ail bouillir avec heure pour tous les survenants.
le café du girofle, de la candie et du safran, ce qui, selon moi, ne
peut que le gâter. LXX.
LX1V.
Parmi tous les costumes, je me bornerai à celui d'Haïdée : elle
La salle était tendued'une tapisserie formée de panneaux de velours portail deux jélicks (1) : l'un élait d'un jaune pâle; sous sa chemise
de teintes différentes, damassés et brochés de fleurs de soie : tout nuancée d'azur, de couleur d'oeillet et de blanc, son sein se soule-
autour régnait une bordure jaune; celle du haut offrait dans une vait comme deux petites vagues ; le second jélick, ayant pour bou-
riche et délicate broderie bleue et en caractères lilas de gracieuses tons des perles aussi grosses que des pois, élincelail d'or et de
sentences persanes, tirées des poètaà ou des moralistes, qui valent
mieux que les poètes. (1) Sorte de robe ouverte cn peignoir.
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD RYRON. 193

iioiirpre; et la gaze blanche rayée qui formait sa ceinture flottait


autour d'elle comme flolle autour de la lune un nuage diaphane. LXXVIt.
Juan avait un châle noir et or, avec un manteau blanc d'unlissu
LXXI. si transparent, qu'on pouvaitvoir, à travers , briller les pierreries,
Un large bracelet d'or pressait chacun de ses bras charmants : il élincelantes comme les petites étoiles qui se montrent dans la voie
n'avait pas de fermoir, car le métal cn élait si pur que la main lactée : son turban roulé en plis gracieux était orné d'une aigrette
l'élargissait elle rétrécissait sans effort : le bras qu'il ornait lui ser- d'émeraudeporlantdcschevcux d'Haïdée,et surmonlantuncroissant
vait dc moule, ce bras si beau que ses contours semblaient un radieux qui jetait une lumière incessante et mobile.
charme dont le joyau craignait de se séparer : jamais plus précieux LXXVIII.
métal ne pressa une peau plus blanche.
En ce moment leur suite essayait de les divertir : des nains, des
LXXII. danseuses, des eunuques noirs et un poètecomplétaientleur nouvel
Comme souveraine du territoire où elle succédait à son père, établissement. Ce dernier avait beaucoup dc célébrité et se plaisait
une plaque dc ce même a en mire paraue : ses
or, enroulée autour dc vers manquaient rare-
son cou-de-pied, annon-
ment du nombre de pieds
çait sa dignité ; douze
anneaux brillaient à ses/
/ nécessaire
au sujet, il
et quant
ne tombait
doigts; sa chevelure s'é-/-~ guère au-dessous : payé
loilail dc pierreries ; le - pour la satire ou la flatte-
clair tissu de son voileV-
étaii retenu sous le sein \ rie , « il lirait parti de la
matière, » comme dit le
psalmiste.
par un splendide noeud
de perles dont on oserait
à peine énoncerla valeur; LXXIX.
ses larges pantalons turcs, Après avoir longtemps
de soie orange, flottaient vanté le présent et déni-
belle cheville
sur la [dus gré le passé, contraire-
lu monde. ment à l'excellent el an-
LXXHÏ.
tique usage, il avail fini
par devenir un véritable
Les vagues de ses longs anti-jacobinoriental,pré-
cheveux châtains tom- férant manger un simple
i
' liaient en ondes jusqu'à pudding plutôt que de
ses talons, comme un voir ses vers privés de
torrent des Alpes que le toute récompense. Eu
teint dc ses lueurs
soleil effet, pendant quelques
matinales... Etalés cn li- années , alors que ses
bellé, ils cacheraienten- chants avaient une cou-
lièrcincnl sa personne, leur d'indépendance, sa
et maintenant ils sem- destinée avait été bien
blent s'indigner contre sombre; mais alors il
le réseau de soie qui les chantait le sultan et le
relient, et cherchent à pacha, avec la sincérité
briser leurs entraves cha- de Southey.
que fois qu'un zéphyr
vient de ses jeunes ailes LXXX.
lui faire un éventail. C'était un homme qui
avait vu dc nombreux
LXX1V. changements et qui lui-
Haïdée créait autour même changeait toujours
d'elle une atmosphère dc avec l'exactitude- de l'ai-
vie; l'air même semblait guille aimantée: son é-
plus léger, éclairé par ses toile polaire étant non
regards : tant ils étaient pas un astre fixe, mais
suaves et beaux, pleins un dc ceux qui se dépla-
île lout ce que nous pou- cent , il savait l'art de
vons imaginer dc céleste, cajoler à propos : sa bas-
purs comme Psyché avant sesse même l'avait déro-
qu'elle devînt femme bé à la vengeance; et
lion purs même pour les comme il avail une cer-
liens terrestres les plus taine facilité ( sauf quand
Et ils s'éloignèrent aussi vile qu'ils purent.
purs : en son irrésistible on le nourrissait mal),
présence, on scntail que il mentait de manière
l'on pourrait s'agenouil- à gagner sa pension
ler sans idolâtrie. de poète lauréat.
LXXW LXXX1.
Ses cils, noirscomme la nuit, élaicnl teints cependant,d'après la Mais il ne manquait pas dc génie or, quand un dc ces retour-
coutume du pays, maissansutilité; car ses grands veux noirs, sous leur ncurs d'habils en est là, le vates i?-ritabilis a grand soin qu'il ne se
""ire frange, se moquaient, brillants rebelles, de celle impuissante passe jamais une lune sans qu'on parle de lui : un honnête homme
'eclierclie, et pour s'en venger déployaient toute leur native splen- même n'est pas fâché de se voir l'objet dc l'attention publique. ...
deur. Ses ongles étaient colorés par le henna; mais ici encore l'art mais il est temps de revenir à mon sujet voyons— où cn élais-
j'Viul vu échouer sa puissance; car il n'avait rien pu ajouter à leur je ah! au troisième chant et à l'aimable couple je
belle couleur de rose. parlais de leurs amours, de leurs fêtes, de leur demeure, de leur
costume et de leur manière de vivredans cette île.
LXXVI.
1-e henna doit êlre appliqué en teinte très foncée pour faire res- LXXXH.
sortir la blanchejr de la peau ; mais celle d'Haïdée n'avait pas besoin Ce poète, caméléon fieffé, n'en élait pas moinsun drôle fort agréable
''ail pareil secours: jamais l'aurore n'éclaira des cimes d'un blanc en compagnie ; il s'étail vu choyé à plus d'une table d'hommes, où,
''«s céleste ; devant elle l'oeil pouvait douter s'il était bien éveillé, entre deux vins, il faisait des harangues; et bien que les convives
j'iiil elle avait l'air d'une vision : Shakespeare aussi dit qu'il comprissent rarement ce qu'il disait, ils lui décernaient cependant,
y a folie
,l vouloir o dorer l'or raffiné ou peindre le lis...
» au milieu des hoquets ou des beuglements, ce tribut glorieux des
PAIÏIS, — Imp. I.ACùlli cl C*. rue Soufflet, 10, 13
194 LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

applaudissements populaires, dont la cause véritable n'est jamais nous répondent :


no Qu'une seule lêle vivante se lève , une seule...,
«
connue de celui môme qui les fait naître. el nous venons , nous venons! » Les vivantsseuls sonl muels.
LXXXIII. 9.
Maintenant, admis dans la haute société, ayant glané cà et là dans Toul est vain! loul esl vain! faisonsreten'ir d'autres cordes. Rem.
ses voyages quelques bribes sur la liberté, il pensa qiie dans celle plissez pli la coupe dc vin de Samos! laissez les combats aux hordes
île solitaire, entre amis, il pouvait, sans exciter d'émeute, pour turques lu ,
et ne versez d'autre sang que celui des vignes de Scio!
faire diversion et se dédommager dc ses longs mensonges il pou- Ecoutons E< ! à cet ignoble appel, aussitôt répond el se lève l'ardensi.
vait, dis-je , chanter comme il avait chanté dans sa jeunesse cha- ha
, j bacchanale.
leureuse, el conclure un court armistice avec la vérité. 10.
Vous avez encore la danse pyrrhique : qu'est devenue la plia.
LXXXIV. lange
]a de Pyrrhus? De ces deux exemples, pourquoi oubliez-vous lu,
11 avait voyagé parmi les Arabes, le* Turcs et les Francs, el
con- 1" plus noble el le plus mâle? Vous avez encore les caractères qiic
naissait l'amour-propre national des différents peuples; ayant vécu v< vous a légués Cadmus... croyez-vousqu'il lesdestinâtà des esclaves?
avec des personnes de tout rang, il avail quelque chose de prèl en
toute occasion, ce qui lui avait valu quelques cadeaux cl de nom- H.
breux remercîmenls. Il variait assez habilement ses adulations Remplissez la coupe devin de Samos! nous ne voulons pluswlc
et « vivre à Home comme les Romains, » élait une règle de conduite pareils p; souvenirs; ce vin divinisa les chants d'Anacréon. Anacréon
qu'il observait en Grèce. servit...
s( mais il servit Polycrale... un tyran sans doute; mais alors
LXXXV. n maîtres, au moins, étaient nos concitoyens.
nos
Aussi, quand on le priait de chanter, servait-il à chaque nation
quelque chose de national : peu lui importait que ce fût : 6'orf save 12.
thcklng ou bien Ça ira; il ne consultait que l'à-propos : sa muse Le fyran de la Chersonèse fut le plus fidèle et le plus brave ami
lirait parti dc tout ,* depuis le l£ia«|iie enthousiasme jusqu'au ratio- dde la liberté; ce tyran éiail Milliade! oh! que n'avons-nous encore
nalismc le plus prosaïque ; si Pindare a chanté des courses de che- un u despote comme lui ! de pareilles chaînes seraient indissolubles.
vaux, qui lui défendait d'être aussi souple que Pindare?
13.
LXXXV1. Remplissez la coupe de vin de Samos! Sur les rochers dc Suli,
En France, par exemple, il eût écrit une chanson ; cn Angle- sur s les rives de Parga, existent encore les débris de la race que les
terre, une légende en six chants formant un in-quarto ; cn lîspagne 1 mères >' doriennes ont portes dans leurs flancs; et la peut-être exislo-
ou en Portugal, il eût fait une ballade ou une romance sur la der- tt-il des rejetons que le sang des Héraclidcs ne désavouerait pas.
nière guerre ; en Allemagne, il se fût pavané sur le Pégase du vieux
Ga;ihe ( voyez ce qu'en dit madame dc Staël ) ; en Italie il eût singé 14. '
les iréccntisles ; en Grèce enfin, il vous eût chanté un hymne dans Ne comptez pas sur les Francs pour voire délivrance : ils ont un
le goût de celui-ci : roi
i qui achète et qui vend : c'est dans les glaives des enfants du
1pays dans les bataillons des enfants du pays, que
*• le courage doit
,
lies dc Ja Grèce! îles de la Grèce ! où aima el chanta la brûlante mettre son espoir.
Sapho où fleurirent les mis de la guerre et dc la paix où s'éleva 15.
, ,
Délos, où naquit Phébus! Un éternel élé vous dore toujours, mais Remplissez la coupe dc vin de Samos ! Nos vierges dansent sous
voire soleil seul vous est resté. l'ombrage...
I je vois briller leurs beaux yeux noirs; niais en contem-
2. plant
, ces jeunes et charmantes femmes , je sens mes yeux, à moi,
La musede Scio, la muse dc Téos(l), la harpe deshéros, le luth se ' remplir de larmes brûlantes : car je pense que
de tels seins nour-
desumanls.onltrouvéailleurs lagloirequevosrivages leur refusent : riront ' des esclaves.
la terre natale a seule oublié des chants que répètent les échos de 16.
l'Occident, par-delà ce que vos pèrcsappolaiontles«Ilcsdesheureux.» Conduisez-moi sur les rochers dc marbre de Sunium : là les va
gues cl moi nous mêlerons nos gémissements sans êlre cnlendu<:
3. là, comme le cygne je veux chauler el mourir : un pays d'escla* rs
Lcsommetdcsmontagncsvoit Marathon, et Marathon voit la mer. ne sera jamais ma , patrie Brisez sur ta sol la coupe de vin île
Là, rêvant seul un jour, je me suis dit que la Grèce pourrait être. Samos !
libre encore ; car debout sur les tombes des Persans, je*ie pouvais, LXXXVII.
me croire esclave. Ainsi chanta, ou du moins ainsi aurait voulu , aurait dû chauler
4 en vers passables noire Grec moderne : s'il n'égalait Orphée, ce cliau-
Un roi était assis sur le rocher dominant Snlaminc, la fille de lai Ire des premiers jours, du moins, pour noire époque, on petit
mer : à ses pieds étaient des milliers de vaisseaux , des peuples des faire beaucoup plus mal : bons ou mauvais, ses vemnonlraioniune
guerriers— lout cela était à Jui! Il les avait comptés à In pointeB certaine sensibilité, el sentir pour un poète, c'est éveiller le senti-
du jour quand le soleil se coucha, où étniont-ils? montchez autrui. Mais quels menteurs que ces poêles! ils revêtent
toutes les couleurs, comme les mains des teinturiers.
S.
Où sont-ils*? où es-tu toi-même, ô ma pairie? Sur Ion rivage si- LXXXVtll.
lencieux l'hymne héroïque ne résonne plus. Le coeur des héros an Mais les mots sont les choses, et une petite goutte d'encre, lom-
cessé dc battre! Faut il que la lyre, si longtemps divine descendee haut sur une pensée comme la rosée, produit ce qui fera penser des
,
à des mains telles que les miennes. milliers, pcnl-êlrc (les millions d'hommes. Chose étrange! quelques
caractères tracés pour remplacer le discours peuvent, former un an-
(i. neau durable dans la chaîne des siècles. A quelles chéiivcs propor-
Bien qu'enchaîné parmi une race esclave, c'esl quelque chose
c lions le temps réduit l'homme fragile, si un morceau de papier.. ••
encore, dans celle disette de gloire, de sentir pendant queresle-t-il
je chaulec un chiffon comme celui-ci, lui survit à lui-même, à sa tombe et à
une patriotiquepudeur me montera la face; ici
car que à
;. lout ce qui lui appartient.
faire au poète? A rougir pour lesGrecs, à pleurer sur la Grèce. LXXX1X.
,.
Ses os sont devenus poussière, sa tombe a disparu , ses litres, si
7. race, sa nation même , sont réduits aune date dans les faste?
Suffit-il de pleurer sur des jours plus heureux? Suffit-il de rou-
i- chronologiques : mais alors quelque vieux manuscrit, oublié depuis
gir? Nos pères versaient leur sang. O terre, entr'ouvre-loi et longtemps, une inscription trouvée dans remplacement d'une w-
rends-nous quelque chose de nos vieux Spartiates! Sur les Trois- s- serne, ou en creusant quelque fosse d'aisance, peuvent toul-à-coiip
cenls donne-nous seulementtrois guerriers pour fairede nouvelles
ÎS révéler son nom, et en faire un monument précieux.
Thermopyles. j
8. j XC.
Eh quoi 1 encore le silence! le silence toujours! obi non! les
es H y a longtemps que la gloire excite le sourire des sages, c'e?1
voix des morts résonnent comme la chute dun torrent lointain cl ,
quelque chose, etee n'es! rien : des mots, une illusion , un souffle-

i
dépendant plus du style de l'historien que du nom que le lié''05
(1) Homère et Anacréon.
i
i laisse après lui. Troie doit à Homère ce que le whist doit à son i»'
OEUVKES COMPLÈTES DE LORD RYRON. 1->J

veilleur. Le siècle aelucl commençaità perdre dc vue l'excellence pourrait-il


[ pas invoquer le secours de son IUTOS le voiluricr, ou
du grand Maiiborough dans l'art d'assommer les gens : heureuse- jprier Médôe de lui prêter un île ses dragons? ou s'il trouve celle
nient l'archidiacre Coxe vient de publier sa vie. imoulure trop classique pour son esprit vulgaire, s'il craint de se
casser
( le cou avec un pareil bidet, el qu'il veuille absolument mon-
XCL tter vers la lune, le pauvre diable ne peul-il demander un ballon?
Milton est, pensions-nous,le prince des poètes... un peu lourd,
C.
sans en être moins divin; homme indépendant en son temps,
instruit, pieux, tempérant en amour et à table ; mais le soin d'écrire Des colporteurs! des bateaux! des charrettes! Ombres de Pope et
sa vie étant échu à Johnson , nous apprenons que ce grand-prêtre de
' Dryden, cn sommes-nous venus là? Faut-il qu'un pareil tairas,
des neuf soeurs reçut le fouet au collège, fut un père très dur, et un non-seulementéchappe ou mépris, mais flotte comme l'écume à la
mauvais mari; car la première mislriss Milton déserta le logis. face du vaste abîme? que ces Jack Cadcs (I) du bon sens et de la
poésie puissent siffler sur vos tombeaux? que l'auteur de l'clcr Bell
XCII. viennent insulter à la main qui crayonna Acbilophel (2).
Certes ce sont là des faits pleins d'intérêt, comme le braconnage
île Shakespeare, la vénalité dc lord Bacon la jeunesse de Titus cl CI.
les premières prouesses de César, le caractère, de Hurns (si bien A noire histoire! Le banquet était fini ; les esclaves, les nains et
dccril par le docteur Curric), cl enfin les fredaines de Cromwell... les jeunes danseuses s'étaient retirés. Les contes arabes et les clrmls
mais bien que la'vérité exige des écrivains celte exactitude dc dé- du poète avaient cessé : les dernierssoiis joyeux venaient d'expirer.
tails, comme essentielleà l'histoire de leur héros, tout cela ne con- La dame cl son amant, restés seuls, admiraient les teintes rosées
tribue guère à leur gloire. du soir. Ave Maria! sur la terre et les flots, la plus célestedes heures,
XCIII. ô Marie, esl digne de loi !
Tout le monde n'est pas moraliste comme Southey, alors qu'il CIL
prêchait à l'univers sa Pantisocralic ; ou comme Wordsworth qui, Ave Maria! bénie soit celle heure! bénis soient le temps, le cli-
avant d "êlre employé de l'excise el salarié dc l'Etat, assaisonnait de mat, le lieu, où si souvent j'ai senti dans lout son charme cc'tc
démocratie ses poèmes dc colporteur; ou comme Colcridgc, long- heure, si belle et si doucedescendre sur la terre ! Cependant la cloche
temps avant que sa plume volage défendit, dans le Sforning-Post, sonore se balançait dans la tour lointaine, les mourantes vibrations
principes aristocratiques; alors que lui et Southey, suivant la
les de l'hymne du soir flottaient vers les cieux ; aucun souffle n'agitait
même voie, épousaient deux marchandes de modes à Bath. les vapeurs rosées répandues dans l'air, cl néanmoins les feuilles
de la forêt frémissaient comme pour se joindre aux chants sacrés.
XCIY.
Ces noms-là maintenant sentent le pilori; c'est le Botany-lîay de cm,
la géographie morale: leurs trahisons loyalistes, leur m (leur de re- Ave Maria! c'est l'heure de la prière!... Ave Maria! c'esl l'heure
négats, serviront d'excellent fumier à leurs biographies un peu dc l'amour!... Ave Maria! permets, ô Marie que nos âmes s'élèvent
arides. Le dernier in-quarto de Wordsworth, soit dit cn passant, vers ton fils et toi! Ave Maria! qu'il est beau ce visage! qu'ils sont
est le [dus gros qu'on ait encore vu depuis l'origine de la typogra- beaux ces yeux baissés sous les ailes de la ColombeToulo Puissante!
phie; c'est un poème soporifique et frigorifique, intitulé l'Iixcursion, Qu'importa qu'une image peinte frappe seule nos regards non,
écrit d'un style que j'ai en horreur. cette image n'est point une idole... c'esl la réalité.
xcv. CIV.
Là, il élève une digue formidable entre son intelligence el celle Des cnsuisles charitables ont la boulé de dire dans des pamphlets
des autres;'mais les poèmes de Wordsworth el do
ses sectateurs, anonymes que je n'ai pas dc piété. Mais dites à ces gens-là de. se
comme le Sliiloh dc Johanna Soulhcole (I) cl sa secte, sont choses mettre en prières avec moi, et vous verrez qui île nous connaît le
qui maintenant ne rrappenl pas l'attention publique. lanlesl
treint le nombre des élus. Ces deux virginités surannées, res- meilleur el le plus court chemin pour arriver au ciel. Mes autels, à -
. desquelles
moi, ce sont les montagnes, l'Océan, la terre, les cieux, les étoiles...
on attendait un dieu, n'étaient qu'enflées d'hydropisic. ces émanations du grand Tout qui a produit l'unie, cl auquel lame
doit retourner.
XCVI. CV.
Mais il faut revenir à mon histoire j'avoue
:
c'en la manie des digressions... je laisse que si j'ai un défaut, Heure charmante du crépusculeI... Ombreuse solitude des forêts
mon lecteur marcher toutt
seul, lundis que je ne livre à d'interminables
de pins, rivages silencieux de l'anlique «avenue, où l'Adriatique
monologues; maisi promenait jadis ses Ilots, où s'élevait la dernière forteresse des Cé-
ce sonl là mes discours du trône, qui ajournent les affaires à lai sarsl ô bois toujours verts que consacraient pour moi la plume de
prochaine session; oubliant que chacune de mes omissions est Boccacc cl la lyre de Dryden, oh! combien je vous aimais, vous et
perle pour l'univers unei l'heure
lacunes de l'Ariosle.
une perle moins grande toutefois que lesi charmante du crépuscule!
XCVH. CVI.
Je le sais ce que nos voisins appellent longueurs (nous autres La voix perçante des cigales, ces habitantes des pins, dont la vie
,
Anglais n'avons s
pas le mol, mais nous possédons la chose dans une! d'un été n'est qu'une perpétuelle chanson, éveillait seule les échos...
rare perfection, assurés que nous sommes d'avoir tous les prin- seule avec les pas de mou coursier ou les miens et la cloche du soir
temps un poème épique de Bob Soulbey); ces longueurs, dis-je, qui tintait à travers le feuillage; te fantôme-chasseur de la famille
ne;
sont pas précisément ce qu'il y a de plus propre à charmer le lec-
teur; mais il ne me serait pas difficile de
d'Onesti, sa meute infernale, leur poursuite, el celte troupe de
quelquess jeunes beautés qui apprirent par cel exemple à ne pas fuir un amant
exemples que le principal ingrédient dc l'épopée, c'eslpar
prouver
l'ennui. sincère lous ces objets passaient comme des ombres devanl les
XCVIII.
yeux de mon imagination (3).
CVH.
Horace nous l'apprend : « Homère dort quelquefois; mais llespérus' que dc biens lu nous apportes
lui nous savons que Wordsworth quelquefois veille, » sanss O tu rends sou loit
pour montrer r domestique à l'homme fatigué, te repas du soirà celui qui a f.iim,
lu'cc quelle complaisance il se Iraine autour de
elicrs voiluriers (2). H demande ses lacs avec sess au jeune oiseau l'abri de l'aile maternelle, aux taureaux harassés
« un bateau » pour naviguer surr l'étable accoutumée : tout ce qu'il y a de paix autour du foyer, lout
ydiimc. de l'Océan?— Non pas, mais de l'air. Puis il imploree
(|e nouveau petit bateau, ce que nos pénates protègent de plus cher, Ion heure de repos le
« un » et il dépense une nier de salive e rassemble autour dc nous; tu rends aussi l'enfant à la mamelle dc
l'i'iir le mettre à flot.
XCIX. sa mère.
CV1II.
S'il lui faut absolument
'egase, trop rétif, se laissevoyager par les plaines élhérées, el quee Heure suave! tu éveilles les regrets el lu attendris l'âme du voya-
difficilement atteler à sa charrcllc nee geur lancé sur l'Océan, ta jour même où il a élé séparé des amis qui
.
fanatique on intrigante, qui s'annonçait comme la mère d'un second
(I)
d (1) Célèbre démagogue du règne de llemi VI. Voyez Shakespeare,
Messie iSliiluh), et quicut jusqu'à cent
P°n<l:inl nue dizaine d'années, jusqu'à
mille sectateurs. Kilo lit des dupes
is Henri VI, 2" part., acte 't.
sa morl qui eut lieu eu 18i<i. (S) Personnage satirique d'un poème célèbre de Dryden, qui, si l'on en
'ï) Uorrtsworlli, poète lakisl'c, lit paraître, en 1819, un poème intilulii I'I croyail Wordsworth, serait complètement tombé cn oubli.
" Henpmiiu le charretier. Q.i.nH bateaux,ils loul allusion à un pas-
» aux i- (">) Allusions à un épisode du poème de Dryden : « Tnéodorc el Ho-
afio de « Peter Bell le colporteur,
» autre ouvrage du mémo auteur. i noria. »
196 LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

lui sont chers. Tu remplis d'amour le pèlerin quand il tressaille en I don Quichotte qu'aujourd'hui ; son génie se délecta dans les sujets
di
son chemin, écoulant au loin la cloche du soir qui semble pleurer le fa
favoris de son époque : loyaux chevaliers, chastes dames, géants
déclin du jour: est-ce là une illusion que la raison dédaigne? Ah! énormes, rois despotes; mais sauf ces derniers, loul cela élanl
éi
sans doute, rien ne meurl sans qu'e quelque chose le pleure. passé
pt dc mode, j'ai dû choisir un sujet plus moderne.
CIX. VIL
Quand Néron fut tombé, par le plus juste décret qui ail jamais Commentl'ai-jc traité, c'est ce que j'ignore; pas mieux peut-êlre
détruit le destructeur, au milieu des acclamationsde Rome délivrée, que ne m'ont traité ceux qui m'ont imputé des desseins
q) basés non
dc3 nations affranchies el du monde ivre de joie, des mains invisibles St ce qu'ils ont vu , mais sur ce qu'ils souhaitaient
sur de voir. Mais
vinrent semer des fleurs sur sa tombe : humble souvenir d'un coeur cela leur fait plaisir, soit! Nous vivons dans un temps d'indépen-
ci
faible, mais reconnaissantd'une heure d'humanité dérobée à l'en- dance,
di et les pensées sonl libres; cependant Apollon me tire par
ivrcmcnl du pouvoir. l'oreille, et m'ordonne de reprendre mon histoire.
p,
CX.
qu'a de commun Néron, VIII.
Me voilà retombé dans les digressions :
ou tout autre bouffon impérial de son espèce, avec les fails et gestes Le jeune Juan et sa bien-aimée avaient été laissés à la douce so-
de mon héros?... ttien dc plus, certes, que les habitants de ta lune, ciété
c] de leurs coeurs; l'impitoyable Temps lui-même ne pouvait
dignes émules de pareils fous. 11 faut que mon imaginalive soit des- sans peine frapper de sa rude faulx des êtres aussi tendres. Ennemi
cendue jusqu'à zéro et que je sois, en poésie, tombé au niveau des j
S1
de l'amour, il gémissait néanmoins de voir la fuite des_ heures nui
« cuillers de bois » (tel est le sobriquetdont, à Cambridge, nous af- j, restaient; cl pourtant ils ne pouvaient être destinés à vieillir;
leur
fublions ceux qui n'atteignaient qu'au dernier rang universitaire), i \\ devaient mourir dans leur aimable printemps, avant qu'un seul
ils
charme,
c une seule espérance, se fussent envolés.
CXI.
Cette marche ennuyeuse ne prendra jamais, je le sens... c'est IX.
quelque chose de trop épique. Aussi cn me recopiant, de ce chant I Leurs visages n'étaient pas faits pour porter des rides, leur sang
beaucoup trop allongé j'en ferai deux. A moins que je ne l'avoue généreux
„ pour se figer, leurs coeurj énergiques pour défaillir; dc
moi-même, personne ne soupçonnera la chose, sauf un petit nom- blancs cheveux ne devaient point couvrir leurs tètes; mais, pa-
••
bre d'hommesd'expérience; et alors je la poserai comme uneamé- reille
r aux climats qui ne connaissent ni la neige ni les frimas, leur
lioralion : je prouverai que telle esl l'opinion du roi des critiques; vie , devait être un seul élé : la foudre pouvait les frapper cl les rc-
Péri

-
voyez Arislole, passitn, Pointillés, Ii f;duire en cendres; mais se traîner dans la longue et tortueuse car-
rière d'un déclin monotone... tel ne devait point êlre leur sort : il
y avait en eux trop peu d'argile.
X.
CHANT IV. Ils étaient seuls encore une fois : pour eux, c'était un antre
Eden
1 ; ils ne s'ennuyaient jamais que quand ils ne se voyaient pas.
rivière
!L'arbre que la hache a séparé de ses racines séculaires, la
1 dont la
intercepte source, l'enfant arraché soudain el pour tou-
Itien de si difficile en poésie qu'un commencement, si ce n'est jours on du giron et du sein maternels, dépériraient moins prompte-
peut-être la fin; car souvent, au moment même où Pégase va tou- ment que ces deux amants séparés l'un de l'autrcMlélas! il n'esl
cher le but, il se foule une aile, et nous dégringolons comme Lu- pas d'instinct aussi sûr que celui du coeur
cifer quand ses crimes le firent chasser des cieux ; notre péché est
le môme que lésion, et lout aussi difficileà corriger... car ce péché XL
c'est l'orgueil qui pousse noire âme à prendre trop haut son essor.
Du coeur qui peut se briser. O heureux , trois fois heureux,
IL ceux qui, formés de matière fragile, précieuse porcelaine premi-'ie en com-
paraison de la grossière argile humaine, se brisent à la
Mais le temps qui remet foutes choses à leur niveau , le temps i, chute I Ceux-là
l'adversité ,
cuisante apprendront enfin à l'homme et, ne verront pas les jours s'enchaîner aux jours danslu
cl nous l'année monotone, et toul ce qu'il faut supportai* sans jamais
nous plaisons à l'espérer, au diable lui-même que ni l'un ni dire; car l'étrange principe de la vie a souvent ses racines plus
l'autre n'ont l'intelligence bien vaste. Tant que les chauds désirs j: profondes dans ceux-là mêmes qui souhaitent ta plus de mourir.
de la jeunesse bouillonnent dans nos veines, nous ignorons cela... '
le sang coule Irop rapide; mais quand le torrent s'élargil en appro- I XII.
chant de l'Océan, nous revenons sur les émotions passées.
« Ils meurent jeunes, ceux qui sont aimés des dieux, » a dit nu
III. ancien ; et par là, ils échappent à bien des morts : la morl des amis,
Dans mon jeune âge, je me croyais un habile garçon, et je sou- jeunesse, et ce qui tue plus encore, la morl de l'amitié, dc l'amour , de lu
haitais que les autres prissent de moi la môme opinion : c'est cei[ puisque ledesilencieux lout ce qui vit en nous, le souffle seul excepte, lit
qui arriva quand je fus plus mûr; et d'autres esprits reconnurent' échappé le plus longtemps rivage attend à la fin ceux inèine qui oui
alors ma supériorité; maintenant, dans la saison des feuilles mor- prématurée aux Iraits du vieil archer, celte mort
tes , mon imagination énervée replie ses ailes ; et la triste vérité, que les hommes déplorent est pcul-êlre un bienfait.
planant sur mon pupitre, transforme le romantique en burlesque. XIII.
IV. Haïdée et don Juan ne pensaientpoint aux morls. Le ciel, la terre
Si je ris des choses mortelles,c'est pour ne pas en pleurer ; et sii et l'air semblaientcréés pour eux, et ils n'accusaient le temps que de
je pleure, c'.est que notre nature ne peul pas toujours se maintenirr fuir trop vite. Ils ne reconnaissaient en eux-mêmes rien à blâmer;
dans un état d'apathie ; car il nous faut plonger nos coeurs dans less chacunétinceler d'eux élait le miroir dc l'antre : ils voyaient mutuellement
profondeurs de l'oubli avant que s'assoupissent les idées qui nouss la joie l'amourcomme un diamant au fond de leurs yeux noirs,
blessent le plus : Thélis baptisadans ta Styx son fils né d'un mortel;; reflet de qu'échangeaient leurs regards.
une mère mortelle ferait mieuxde choisir le Léthé. XIV.
V. La douce pression,le contact frémissant, le moindre regard mieux
Certains hommes m'ont accusé d'étranges desseins contre less compris que des paroles, et disant lout sans jamais pouvoir trop en
croyances et la morale du pays : ils affirment qu'on en trouve laa dire; un langage pareil à celui des oiseaux , connu des deux amants
preuve dans chaque ligne de ce poème ; je n'ai pas la prétention dee seuls, ou du moins paraissant tel, car il n'a de sens que pour eux;
nie comprendre parfaitement moi-même quand je me pique dee doux accents, propos enfantins qui sembleraientabsurdes à qui «c
faire du beau ; mais le fait est que je n'ai point de plan, si ce n'est
st tes a jamais entendus, ou a cessé de les entendre :
d'avoir un moment de gaîlé , mot nouveau dans mon vocabulaire.
XV.
VI. Ils avaient tout cela ; car ils étaient encore enfants, cl ils l'an*
e raient toujours été : ils n'étaient pas créés pour jouerdeux
Au lecteur charitable de notre froid climat, celte manière d'écrire un rôle :>ciu
êtres m-s
pourra paraître exotique : Pulci fut le père de celle poésie demi- i- sur l'ennuyeuse scène du monde réel; mais comme
sérieuse, et il chanta dans un temps où la chevalerie était plusis j de la même source limpide, la nymphe et son ondin bien aimé,
i's
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD RYRON. 197

devaient passer leur existence invisible dans le sein des eaux et leure : il y a des gens qui préfèrent le vin... et ils n'ont pas tout-
Ici
parmi les fleurs, sans connaître le poids des heures humaines. à-
à-fail fort. J'ai essayé de l'un et de l'autre : si vous voulez pren-
dre un parti, choisissez entre le mal dc tête cl tes tourments du coeur.
XVI.
XXV.
Les lunes changeantes avaient passé sur leurs têtes et les avaient
trouvés non changés, ces enfants pour lesquelsleurs brillants levers Selon le choix que vous ferez, vous aurez à subir la femme ou le
avaient éclairé des joies telles qu'elles cn voyaient rarement dans vi deux maladies qui sonl un impôt sur nos joies ; mais je serais
vin,
toul leur cours. Ce n'étaient pas de ces vains plaisirs qui s'amor- et peine de dire laquelle vaut le mieux. Si j'ayaisà donner un avis,
en
tissent par la satiété ; car leurs esprits généreux n'étaient point as- je trouverais des deux côtés d'excellentes raisons el je déciderais
servis au seul lien des sens ; et celécueil de l'amour, la possession, alors,
al sans faire tort à l'une ou à l'autre, qu'il est moins dange-
élait pour eux un charme de plus ajouté à la tendresse. reux
rc de se les donner toules deux que de n'en avoir aucune.
XVII. XXVI.
O belle tendresse! et rare autant que belle! Mais ils s'aimaient Juan et Haïdée se regardaient, les yeux humides d'une muette
de cet amour où l'âme s'absorbe avec délices, quand elle a pris le tendresseoù
te venaient se confondre tous les sentiments d'ami, d'en-
vieux inonde en dégoût, fatiguée qu'elle esl de ses bruits et de ses fant, d amant, dc frère, tout ce que peuvent réunir et peindre deux
fa
tableaux monotones, de ses intrigues, dc ses aventures vulgaires, coeurs
ci purs qui s'épanchent l'un dans l'autre et qui aiment trop,
petites passions, mariages, enlèvements, où la torche de l'hymen ne mais
n ne peuvent aimer moins ; et qui sanctifient presque cet excès
fait que signaler une prostituée de plus, dont l'époux seul ignore si doux par un immensedésir et un immense pouvoir de se donner
si
l'infamie. mutuellement
n le bonheur.
XVIII. XXVII.
Dures paroles! dures vérités! vérités que beaucoup ont éprou- Confondus dans les bras l'un de l'autre, coeur contre coeur, pour-
vées! Mais assez!... Le couple charmant et fidèle qui ne trouvait quoi
q ne moururent-ils pas alors?... Ils avaient trop longtemps
jamais une seule heure trop lente, à quoi devait-il, cet affranchisse- vécu,
v si jamais venait le moment où ils devraient vivre séparés : les
nient de toul souci? A ces sentiments innés el propres à la jeu- années
a ne pouvaient leur apporter que des regrets et des douleurs.
liesse, que tous ont connus ici-bas ; qui s'éteignent dans les autres l monde n'était pas fait pour eux : ses artifices n'avaient rien de
Le
hommes, mais qui, chez eux, restaient adhérents à leur être, sen- ccommun avec deux êtres passionnés comme un hymne de Sapho.
limenls que, nous autres grossiers mortels nous appelons roma- 1L'amour était né avec eux, et si profondément mêlé avec leur na-
,
nesques, et que nous envions tout cn les taxant de folie. Iture, que ce n'était plus un sentiment... c'était leur essence même.
XIX. XXVIII.
Dans les autres hommes, c'est un état factice, un rêve prove- Ils élaicnl faits pour vivre ensemble au fond des bois, invisibles
nant d'un excès de jeunesse ou de lecture, el pareil à ceux que comme
c chante le rossignol, et non pour habiter ces solitudes peu-
donne l'opium ; mais c'était pour eux la nature ou ta destinée : les plées
[ qu'on nomme le monde, habitacles de la haine, du vice et des
romans n'avaient point surexcité leurs jeunes coeurs, car lu science soucis.
s Toute créature née libre ne se plaît-elle pas à vivre soli-
d'Haïdée n'allait pas si loin, el Juan avait élé saintement élevé : si taire?
I Les oiseaux dont le chant est le plus doux vivent par cou-
bien que leurs amours n'étaient pas plus raisonnes que ceux des ple
] ; l'aigle plane seul ; la mouette el le corbeau se jettent par ban-
rossignols ou des tourterelles. des
i sur les cadavres, absolument comme les hommes.
XX. XXIX.
Ils contemplaient le coucher dusoleil, heure douce à tous les Joue contre joue, doux oreiller, dans un sommeil plein d'amour,
yeux, mais surtout aux leurs; car celle heure les avait faits ce Haïdée et Juan faisaient la sieste torpeur suave, mais légère ; car
,
qu ils étaient. C'est de ce firmament occidental que l'amour était de moments en moments Juan tressaillait et un frémissement par-
descendu pour les vaincre, alors que le bonheur fut leur unique courait tous ses membres ; puis les douces lèvres d'Haïdée murmu-
'
douaire, et que le crépuscule les vit unis l'un à l'autre d'une chaîne raient, comme un ruisseau, une musique sans paroles, et ses traits
passionnée. Epris l'un de l'autre, ils s'éprenaient également de charmants étaient agités par son rêve, commeles pétales d'une rose
toute chose qui leur rappelait un passé aussi cher que le présent. i par le souffle dc la brise ;
XXX.
XXI. Ou, comme dans une vallée des Alpes se ride la surface d'une
Je ne sais pourquoi, mais à cette heure du soir, pendant qu'ils eau profonde et limpide effleurée par le vent. Ainsi Haïdée cédait à
contemplaient l'horizon, un tremblement soudain les paisit, et tra- l'influencedu songe, ce mystérieux usurpateur de l'intelligence, qui
versa la félicité dc leurs coeurs, comme le vent qui effleure les cor- nous soumet à ses lois absolues et aux caprices effrénés de l'âme
des d'une harpe, ou qui passe surune flamme.Ainsi un secret physique; étrange existence (car c'est encore exister), sentir en
sentiment se glissa dans leurs coeurs et tira de la poitrine de pres-
Juani l'absence des sens, et voir les yeux fermés !
nu faible et lent soupir, tandis qu'une larme, la première depuis
son amour, parut dans les yeux d'Haïdée. XXXI.
XXII. Dans son rêve, elle était seule sur le bord de la mer et enchaînée
à un rocher-, elle ne savait comment cela se faisait, mais elle ne
Ces grands yeux noirs el pleins d'une prophétique terreur sem- pouvait se détacher de ce lieu, et le mugissementdes flots augmen-
blèrent se dilater et suivre le déclin du soleil lointain, comme sii tait, et les vagues s'élevaient autour d'elle, terribles, menaçantes,
son disque large et brillant allait emporter avec lui leur dernier jourr et elles dépassaient sa lèvre supérieure de manière à lui couper la
de bonheur. Juan regardait Haïdée cl semblait l'interroger respiration ; et bientôt elles rugirent écumanlcs au-dessus de sa
destin... il se sentait îrislc ; mais, n'ayant aucune cause de sur soni
tris- tête : allières et courroucées, chacune d'elles semblait devoir l'écra-
tesse, son regard demandait à son amie l'excuse d'un sentimentl ser, cl pourtant elle ne pouvait mourir.
sans motif,, ou du moins difficile à expliquer.
XXXII.
XXIII.
Enfin... elle fut délivrée de ce supplice; et alors elle marcha, les
1511e se tourna vers lui et sourit, mais dc pieds tout saignants, sur la pointe des roches tranchantes ; elle tré-
ce sourire qui n'éveille
e
pas celui des autres; puis regarda d'un autre côté. Quel que fût lee bûchait presque à chaque pas, et devant elle roulait, enveloppé d'un
sentiment qui l'avait agilée, il fut rapidement dompté par sa pru- linceul, un objet qu'elle se sentait forcée de poursuivre malgré
dence ou son orgueil; et lorsque don Juan... en badinant pcul-
èlre... parla de celte impression mutuelle, elle répondit sa frayeur: c'était quelque chose dc blanc et d'indistinct, qui fuyait
S'il de-
vait en être ainsi... mais non ; cela ne se peul... ou du «moins je
: son regard el son étreinte; car elle s'efforçait dc le reconnaître et
e de le saisir, et elle le poursuivait en courant ; mais, au moment où
ne survivrais pas pour en êlre témoin. » elle étendait la main, il lui échappait toujours.
XXIV. XXXIII.
Juan voulut l'interroger encore ; mais elle pressa ses lèvres con-
i- Le rêve changea de nouveau... elle se trouvait dans une grotte
tre celles du jeune homme pour le réduire au silence, et môme dont les parois étaient tapissées de stalactites, vaste salle, ouvrage
en
temps peur bannir de son coeur le fatal augure, en lui opposant ic
ce
:e des siècles et sculptée par l'Océan , que baignaient les vagues el où
tendre baiser. Sans nul doute, dc toutes les méthodes, c'est la meil-
1- se reliraient les veaux marins, Sa chevelure élait ruisselante; les
198 LES VF.ILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

noires prunelles de ses yeux se fondaient en larmes qui, tombant


goultc à goulte sur les rochers .aigus, s'y cristallisaient soudain... XL1II.
XXXIV. Une minute auparavant, elle n'était que larmes, que tendresse,
qu'enfance;
qi mais maintenant, se redressant pour défier toute crainte
Et à ses pieds, humide, froid el sans vie, pâle comme l'écume humaine,
h pâle, immobile, inébranlable, elle appelait le coup là al.
qui couvrait son front livide el qu'elle s'efforçait en vain d'essuyer D'une taille supérieure à son sexe, et môme à quelques hommes,
D
(soins si doux naguère, si vains aujourd'hui), à ses pieds gisait elle se grandissait dc toute sa hauteur, comme pour offrir un but
e'
Juan ; et rien ne pouvait ranimer les battements de son coeur éteint. plus
P facile; elle fixait sur son père un oeil assuré... mais elle n'es-
cl le glas funèbre de la vague résonnait à son oreille comme le sayait
si pas d'arrêter son bras.
chaut d'une sirène: el ce rêve si court lui semblait une longue vie. XLIV.
XXXV. Il la regardait; elle le regardait : étrange ressemblance! c'étail la
El en regardant le mort, elle crut voir sa physionomie s'effacer nmême expression, la même sérénité sauvage, presque les mêmes
yyeux, grands et noirs, se dardant mutuellement des flammes; car
pour se changer en une autre... semblable à celle dc son père; e aussi était capable de se venger, quand elle en aurait un mo
elle
chaque Irait qui se dessinait rappelait de plus en plus l'aspecl de tif...
ti vraie lionne, bien qu'apprivoisée. En face de son père, te sang
Lambro... avec son regard pénétrant el la pureté de son profil paternel
p bouillonnaitdans ses veines el ne démentait pas sa race.
grec... Elle tressaille; elle s'éveille, cl que voit-elle?... Puissances
du ciel! quel est ce regard sinistre qu'ont rencontré ses yeux?... I
XLV.
c'esl... c'est le regard de son père... fixé sur elle et sur Juan.
J'ai dit qu'ils se ressemblaient par les traits et la taille, ne diffé-
XXXVI. »rant que par le sexe et l'âge; jusque dans la délicatesse de leurs
mains
I il y avait celle conformité, indice d'un môme sang; cl à les
Elle jette un cri, se lève, puis retombe avec un autre cri, voir ainsi. cn face l'un de l'autre, pleins d'une animosité implaca-
Idée de joie et dc douleu**, d'espérance et d'effroi : eh quoi ! acca-
i
celui ble,
1 quand des larmes de joie cl de douces sensations auraient dû
qu'elle croyait enseveli dans les abîmes dc l'Océan, elle le voit se signalerleur
s rencontre, on peut reconnaître ce que sont les passions
lever d'entre les morts, et peut-être pour causer le trépas d'un être poussées
| à leur dernier terme.
trop chéri. Certes, Haïdée aimait bien son père, el pourtant, ce fut
pour elle un de ces moments terribles... j'en ai vu de semblables... XLY1.
dont je ne dois pas réveiller le souvenir. Le père hésita un moment; puis il abaissa son arme el la remit
ài sa ceinture; mais il demeura immobile, les yeux fixés sur sa fille,
XXXVII. comme pour lire dans son âme. « Ce n'est pas moi, dit-il enfin ; ce
Au cri douloureux d'Haïdée, Juan s'élança la recul dans soi bras, n'est pas moi qui ai cherché la perte de cet étranger; ce n'esl pas
et saisit son sabre suspendu à la muraille', brillant
, moi qui ai créé cette désolation; peu d'hommes supporteraient un
dc l'aire tomber pareil outrage, et s'abstiendraient de répandre le sang : mais j'ac-
la
sa vengeance sur cause de tout ce désordre. Lambro qui, jusqu'à complirai mon devoir... Quant à ce que tu as lait des tiens, le pré-
ce moment, avail gardé le silence, sourit d'un air de mépris, en di- sent révèle le passé.
sant : « A portée de ma voix mille cimeterres n'attendent qu'un mot XLV1I.
pour frapper : à bas, jeune homme! à bas cette épée impuis-
sante ! » «Qu'il dépose son arme, ou par la tôle de mon père, la sienne
XXXVIII. va rouler devant loi comme une boule! » En achevant ces mois, il
Haïdée, l'enlaçant de ses bras : «Juan ! c'est... c'est Lambro... prit son sifflet et en tira un son aigu; un autre son pareil lui ré-
c'esl mon père, s'écria-t-clle. Fléchis avec moi le genou... il nous pondit, et nu môme instant.une vingtaine de ses hommes, armés
pardonnera... il ne pourra résister. ô mon père bien aimé, dans jusqu'au turban, s'élancèrent cn désordre, mais conduits par un
cette agonie de douleurs mêlées de joie,
. chef : il leur donna cet ordre : « Arrêtez ce Franc ou tuez-le! »
au moment où je baise avec
ivresse le bord do ton manteau, se peul-il qu'un doute se môle à XLYI1I.
mon allégresse filiale ? Fais dc moi ce que tu voudras; mais épargne
cet enfant. » En môme temps, par un mouvement soudain, il attira sa fille it
XXXIX. lui, et pendant qu'il la retenait, ses gens s'interposèrent entre elle
Allier, impénétrable, le vieillard restait immobile : le calme était et Juan. En vain elle s'efforça de se dégager de l'étreinte de son
père. Alors la bande des pirates, telle qu'un aspic longtemps irrité,
dans sa voix, le calme dans son regard... ce qui n'était pas toujours s'élança sur sa proie... Le premier, cependant, ne l'atteignit point,
chez lui l'indice de l'humeur la plus paisible ; il jeta les yeux sur sa et tomba lui-même, l'épaule droite presque séparée du tronc.
fille, mais ne lui répondit pas ; puis, il se tourna vers Juan, sur les
joues duquel le sang se montrait et disparaissait lour-à-lour, décidé XLIX.
qu'il était à périr du moins les armes à la main, et prêta s'élancer
sur le premier qui viendrait à la voix du pirate. Le second eut la joue fendue cn deux ; mais le troisième, vieux
sabreur plein de sang-froid, reçut tes coups sur son coutelas, pui-
XL. se fendit vigoureusement à son tour; si bien qu'en un clin d'ceil
son homme fut hors de combat el à ses pieds, perdant un ruis-
« Jeune homme, ton épée I » dit encore une fois Lambro. « Jamais ! seau dc sang par deux rouges et profondes blessures, l'une au bras
répliqua Juan tant que ce bras sera libre. » Le vieillard pâlit, mais el l'autre à la tôle.
mu dc crainte,, et tirant un pistolet de sa cciulure, il reprit : « Eh L.
bien donc, que Ion sang retombe sur ta têle ! » Puis il examina fort
attentivementla pierre, comme pour s'assurer qu'elle élail en bon Alors on le garrotta sur la place et on l'emporta hors de l'appar-
état... car il en avail fait usage depuis peu... après quoi il mil tran- tement : sur un signe du vieux Lambro, il fut conduit au rivage où
quillement le pouce sur le chien. se trouvaient quelques navires prêts à nietlre à la voile dans la nuit.
Ils le jetèrentdans un canot, cl faisant force d'avirons, atteignirent
XLI. les galiotes à l'ancre : alors ils le déposèrent dans un de ces bâti-
ments, l'enfermèrent sous les écoulilles et le recommandèrent spé-
sonne étrangement à l'oreille, le bruit sec d'un pistolet qu'oni
Il cialeinent aux hommes de quart.
arme quand vous savez que, l'instant d'après, il va viser votre per-
sunne, à douze pas, plus ou moins : distance, convenable el qui n'eslI LI.
point trop rapprochée, si vous avez pour adversaire un ancien ami;j
Le monde esl plein d'étranges vicissitudes, et voici une fort
mais quand on a c.-suyé le feu une ou deux fois, l'oreille devient désagréable : un gentilhomme pourvu des dons deenla fortune, de la
plus irlandaise, c'est-à-dire moins délicate. beauté, jouissant dc toutes les délices
jeunesse el de la de la vie, au
moment où il y pense lé moins, se voit loul-à-coup embarqué,
XI11. blessé et enchaîné de manière à ne pouvoir faire un mouvement ;
Lambro mil en joue : un instant de plus niellait fin à ce poèmee cl lout cela parce qu'une jeune fille est tombée amoureuse de lui.
el aux jours de don Juan, quand Haïdée se jeta devant son amant, LU.
el, aussi résolue que son père : « C'est sur moi, s'écria-l-clle, quec
la morl doit descendre!... La taule est à moi seule ; il a été jeté surr Force m'esl dc le laisser là , car je deviens pathétique, excilé que
ee fatal rivage... qu'il ne cherchait pas. Je lui ai engagé ma foi; jec je suis par la nymphe chinoise des larmes, le Ihé vert, nymphe qui,
l'aime... je mourrai avec lui. .le connais depuis longtemps voirec pour les facultés prophétiques, eu remontrerait à Cassandre mémo;
caractère inflexible ; connaissez celui de votre fille. » I
car si mes pures libations excèdent le nombre trois, je sens mou
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD RYRON. 199

uni* se remplir d'une telle sympathie, que je suis obligé d'avoir re-
mis au noir bobéa. C'est dommage que le vin soil si
délétère, LXI.
ir le
thé cl le café nous laissent beaucoup trop sérieux... La passion dominante s'y retrouvait encore, comme dans le
LUI. marbre
™ travaillé pur le plus habile ciseau, mais avec cette immobi-
*
b que le inarbre imprime à la beauté de Vénus, éternellement
lité
A moins qu'ils ne soient modifiés par toi, ôCognac!douce naïade b
belle, aux immortelles douleurs du Laccoon. ou à ce gladiateur qui
dc Phlégélon ! Ah ! pourquoi faut-il que tu attaques si u. cessera jamais de mourir. L'énergique imitation
ne de la vie est
es eaux
mollement le foie,et que,comme tant d'autres nymphes, lu rendes toute
(c la gloire de ces chefs-d'oeuvre; et pourtant on n'y reconnaît
s amants malades? J'aurais volontiers recours à un punch léger; p; la vie, car ils sont toujours les mêmes.
pas
le rack (1) (dans toutes les acceptions du mot), chaque fois que
iais
en remplis jusqu'au bord ma coupe nocturne,
m'éveille le lende- LXII.
lain matin avec son homonyme.
Elle s'éveilla enfin non comme s'éveillent ceux qui ont dormi,
LIV. mais
n plutôt comme les, morts; car la vie semblait en elle quelque
chose
e de nouveau, une sensation étrange qu'elle recevait involon-
.le laisse donc pour le moment don Juan vivant mais non pas |(tairement, les objets frappaient sa vue, mais ne disaient rien à sa
irécisémcnt sain et sauf; car le pauvre diable était grièvement ,Jmémoire; et cependant un poids douloureux accablait son coeur,
ilcssé ; mais ses douleurs corporelles pouvaient-elles égaler la moi- qui,
„ fidèle à ses premières émotions, lui ramenait le sentiment de
ié des lorl tires qui faisaient boidir convulsivementle de
coeur son sses maux, sans lui rappelerleur cause. Les Furies lui laissaient un
laïdec? Elle n'était pas dc ces femmes qui pleurent, se désolent, moment ,: de repos.
l'emportent, et bientôt après se calment, subjuguées par leur cn- LXIII.
oitragc : sa mère était une Mauresque de Fez, pays où tout est
lîden ou désert. Iîllc promenait un oeil vague sur les visages'-qui l'entouraient, et
LV. regardait
r les objets sans les reconnaître; ciié'VOyait qu'on la veillait
d'ambre sans
^ demander pourquoi, et ne faisait aucune': attention aux per-
Là, l'olivier majestueux fait pleuvoir ses flots dans des assises à son chevet ; bien qu'elle ne parlât pas, elle n'avait
de marbre; là, les grains les fleurs et les fruits jaillissent sonnes
J
bassins
,
inondé là aussi plus d'un pas
j perdu la parole; pas un soupir ne soulageait sa pensée; un si-
de la le
terre, cl pays en esl : mais croît lence cl une vive causerie furent vaineiiieftt-essayés par ceux
arbre à poison ; là, minuit entend le rugissement du lion, et des dé- !qui lamorne servaient; sa respiration seule indiquait'qu'ellen'appartenait
scrls sans fin brûlent le pied du chameau ou, soulevant leurs va-
lues sablonneuses, engloutissent la caravanesans défense.Tel yest
' à la tombe.
pas
LXIV.
icsol el tel le coeur de l'homme.
Ses femmes attendaient ses ordres, mais elle ne les remarquait
LVL ,pas ; son père veillait
près d'elle, elle détournait de lui ses regards;
elle reconnaissait ni les êtres, ni les lieux qui lui avaient élé le
L'Afrique appartient toute au soleil, et comme le terrain même, 'plusne chers la faisait d'un appartement à un autre ; elle
l'argile humaine y est embrasée; puissant pour le bien et pour le ]s'y prêtait : on douceur,passer mais la mémoire ne revenait p uni. Mais
mai, brûlant dès sa naissance, le sang mauresque est soumis à ! avec
enfin ses yeux, qu'on essayait de rappeler aux pensées d'autrefois,
l'influence de l'astre radieux, cl les fruits qu'il enfante ressemblent [s'animèrent lout-a-coup d'une terrible expression.
à ceux du sol. La mère d'Haïdée eut pour dot la bcauié et l'amour;
mais dans ses grands yeux noirs on voyait la profondeénergie dc la
passion, bien qu'endormie, comme le bon près d'une source.
LXV.
Alors un esclave lui proposa d'écouter une harpe ; le harpiste vint
LV1I. et accorda son instrument; aux premières notes irregulières et per-
Sa fille, formée d'un rayon plus doux, pareille à ces nuages çantes, elle jeta sur lui un regard élincclant, puis elle se tourna
pensées douloureuses
il'argenl qui dans un ciel d'été étalent leur paisible blancheur jus- vers la muraille, comme pour combattre les
(|u'au moment où, s'étanl chargés lentement dc foudres, ils pro- qui tourmentaient son coeur, lit le musicien, d'une voix, basse et
mènent sur la terre l'effroi et dans l'air la tempêta; sa fille, dis-je, lente, commença un chant insulaire, un chant des anciensjours de
avait parcouru jusqu'à ce jour une voie riante et unie : mais exaltée la Grèce, avant*que la tyrannie s'y fût affermie.
par la passion et le désespoir, le feu de ses veines numides fil
explosion comme le Simoun déchaîné sur la plaine qu'il dévore. LXVI.
,
Aussitôt les doigts pâles et amaigris d'Haïdée battirent sur la mu-
LVI1I. raille la mesure du vieil air. Le chanteur changea de sujet et cha la
Le dernier objet qui avait frappé ses regards, c'était Juan,blessé, l'amour:à ce nom redoutable, tous les souvenirs de la malade s'é-
abattu et captif : son sang coulait à (lois sur ce parquet que tout à veillèrent ; soudain brilla devanl elle le rêve de ce qu'elle avail élé,
l'heure encore il foulait, rayonnant dc beauté et loul à son amour: de ce qu'elle était, si c'est être que de traîner une pareille exis-
luilà eu qu'elle vil un instant, puis elle ne vit plus rien... en pous- tence : les nuages qui pesaient sur son cerveau se fondirent en un
sant un sanglot convu'sif, elle cessa de se débattre; cl, comme un torrent dc larmes, comme les brouillards des montagnes se résol-
cèdre abattu par la cognée elle lomba toul-à-coup dans les bras
,
vent cn pluie.
'le son père, qui jusque-là pouvait à peine la contenir. LXVII.

L1X. Consolation fugitive! vain soulagement!...la pensée revint trop


brusquement et agita son cerveau jusqu'au délire : elle se leva
Une veine s'était rompue, el ses lèvres pures et vermeilles s'é- comme si elle n'eût jamais élé. malade, cl courut sur tous ceux
l'iienl souillées tout-à-coup d'un sang noir; sa lèle se penchait qu'elle rencontra comme sur des ennemis; mais on ne l'entendit
canine un lis surchargé de pluie. On appela ses femmes, qui. les point articuler une parole ou pousser un cri, môme quand le pa-
veux baignés de larmes, portèrent leur maîtresse, sur sa couche : roxysme approcha de sa fin... sa démence n'allait pas jusqu'à l'ex-
elles mirent en oeuvre leurs herbes et leurs cordiaux ; mais le mal I
travagance des paroles, même quand on la contrariait à dessein.
lut rebelle à lous les soins ; il semblait que la vie ne pût la garder
ni la morl ta détruire. ' LXVHI.
LX.
Pourtant elle mollirait parfois une lueur de connaissance : rien
Hllc resta plusieurs jours dans le même état : glacée, elle n'a- put lui faire regarder la figure de son père, bien qu'elle fixât des
ne
git pourtant rien de livide, et ses lôvrcsavaienlconservé leur teinte regards animés sur tous les autres objels sans pouvoir jamais en
vermeille; son coeur ne battait plus, el cependant la mort semblait reconnaître aucun. Klle refusait de manger et de s'habiller; rien
encore absente; nul signe hideux ne donnait la certitude de ta n'avait pu l'y résoudre. Ni le changement de lieu, ni le temps, ni
"uni; la corruption ne venait pas détruire les dernières espérances; les soins, ni les secours de l'art n'avaient pu procurer le sommeil à
<» contemplant ces traits si doux, on y puisaitde nouvellespensées
ses sens... elle semblait avoir perdu ta faculté même de dormir.
'«s vie car ils semblaient encore pleinsd'âme.
,
I.X1X.
'1) Ce mot est d'abord en anglais comme on français le nom d'une sorte Douze jours et douze nuits elle languit ainsi : enfin, sans un gé-
ilVau-ilc-vio l'aile avec du riz;j\v plus il signifie on anglais tourment, Imissement,
torture; c'esl sur quoi repose le jeu de mots qui termine la slance. On un soupir, un regard pour indiquer l'agonie finale, son
l'eui trouver encore dans la parenthèse une allusion au paronyme de ee âme la quitta. Ceux qui étaient le plus près d'elle ne purent aper-
lïiotiafe, qui vont (lire râteau el vaurien. Du reste Bvron el la plupart cevoir 1 instant précis de la mort ; ils ne la reconnurent qu'au voile
'c,s traducteurs disent synonyme, quoique le sens demande homonyme. I
terne el sombre qui se déroula lentement sur ses traits gracinix, et
20© LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

qui enfin frappad'une ombre vitreuse ses yeux... si beaux, si noirs !...
Oh! briller d'un tel éclat... et puis s'éteindre 1 LXXVI.
LXX. Là, sur la vaste colline où sont disperséesquelques Imites, entre
Elle mourut, mais non pas seule : elle portait dans son sein un rilellespont et la mer, repose dans sa tombe le brave des braves,
second principe de vie, un enfant du péché, qui eût pu éclore Achille... du moins on le dit (Bryant assure le contraire) ; plus loîii
créature innocente et belle, mais qui termina sa courte existence dans la plaine s'élève, vaste et allier, le tumiilus... de quel héros?
Les dieux le savent : de Patroclc, peut-ôlre, d'Ajax ou dc l'rotcsilas,
avant d'avoir vu la lumière, et, sans avoir vécu, descendit dans la héros qui, s ils étaient vivants, nous égorgeraient encore.
tombe où giscnl, flétris par le même souffle, la tige cl le rameau : et
vainementles rosées du ciel tombent sur celle fleur saignante et sur LXXV1I.
ce fruit desséché dc l'amour.
LXXI. Des monticules où l'on ne trouve ni un marbre, ni une inscrip-
Ainsi elle vécut ainsi elle mourut; la douleur ni la honte ne tion, une plaine vaste et inculte, ceintedc montagnes; dans le loin-
sauraient plus t atteindre. tain Hua toujours |c
Elle n'était pas faite pour même, et ,le vieux Sca-
traîner des années el des mandre, si toutefois c'est
mois ce fardeau des dou- lui. Encoreaujourd'huicc
leurs intimes, que des théâtre semble fait pour
coeurs plus froids savent la gloire cent mille
porter jusqu'à ce que la hommes pourraient s'y
vieillesse les mette au battre à leur aise. Mais
tombeau.Courte, mais ra- où je cherchais les murs
vissante,fut la carrièrede d'Hion, là broute la bre-
ses jours et dc son bon- bis paisible et rampe la
heur... bonheur qui n'eût tortue.
pu se concilier avec une LXXVIII.
longue destinée.Elledort
paisible sur le rivage dc la Des troupes de chevaux
mer, qu'elle aimait tant I en liberté ; çà cl là quel-
ques petits hameaux, aux
LXXII. noms modernes et barba-
Son île est maintenant res ; des bergers, peu sem-
abandonnée et stérile : les blablesà Paris, accourant
demeures détruites,- les pour contempler un mo-
habitants dispersés;il n'y ment celte jeunesse euro-
péen ne que des souvenirs
reste que la tombe d'Haï- dc collège amènent sut
dée et celle de son père, les bords où fut Troie;
cl rien d'extérieur ne ré-
vèle une argile humaine: un Turc, son chapelet à
vous ne pourriez recon-
la main , sa pipe, à 1;
naître l'endroit où repose bouche cl fort occupé d<
une créature si belle ; ses dévotions : voilà ci
nulle pierre n'est là pour que j'ai trouvé cn Pliry
apprendre, nulle langue gic... mais pour dcsPlny
giens, du diable si j'en a
pour raconter ce qui fut-, vu un seul.
nul glas funèbre, si ce
n'est la voix profonde des LXXIX.
mers, ne plane sur la
belle enfant des Cyclades. Ici, don Juan, ayan
pu quitter sa triste cahi
LXX11I. ne, vil qu'il élait esclave
11 contempla d'un oe
Mais plus d'une vierge
grecque soupire en répé- morne les vastes plaine
d'azur où se projeta
tant son nom dans un l'ombre des héroïqui
chant d'amour ; plus d'un tombeaux. Affaibli par 1
insulaire abrège la lon-
gueur des veillées en ra- perle de son sang, à pe
contant l'histoire de son ne put-il articuler que
père : il avait la valeur, ques questions : les ri
elle avait la beauté ; si ponses ne lui apprirci
elle aimaimprudemment, rien de satisfaisant si
elle paya sa faute de sa Avant d'entrer, Baba s'arrêta pour donner quelques avis à Juan. le passé cl le préseul.
vie... de pareilles erreurs LXXX.
coûtant toujours cher ;
que nul cependant ne se Quelques-uns de s
flatte d'éviter le danger, compagnons de caplivi
car l'amour se vengera étaient italiens : il app
tôt ou lard. d eux leur histoire, qui était des plus singulières, t. était une trou
LXXIV. de chanteurs, tous régulièrement élevés dans celte profession;
Mais quittons ce sujet, qui devient trop triste, ils allaient jouer l'opéra en Sicile, lorsque sortant de Livournc
et laissons de côté avaient élé, non point attaqués par un pirate, mais vendus à i
cette page douloureuse : je ne me niais guère à décrire la folie;
je crains d'en paraître moi-même légèrement atteint... D'ailleurs,car
je prix trop modique par leur imprésario lui-même.
n'ai rien de plus à dire sur ce chapitre; et comme ma muse est un
capricieux lutin, nous allons nous remettre en mer et suivre un LXXXI.
autre sillage avec don Juan, que nous avons laissé à demi mort quel- L'un d'eux, le buffo de la troupe, fit part à don Juan de leurc
ques stances plus haut. rieuse aventure; car, bien que destiné au marché turc, ce pauv
LXXV. diable avail conservé sa gaîlé, au moins en masque. Le petit honu
Blessé, enchaîné, confiné, emprisonné, claquemuré, plusieurs paraissait cn fort bonne humeur; il portait gaîmcnl sa mauvai
jours el plusieurs nuits s'écoulèrent avant qu'il pût se rendre compte fortune et se montrait beaucoup plus résigné que ta prima donna
du passé; el quand la mémoire lui revint, il sévit en pleine mer, le lenor.
courant sous le vent, à raison de six noeuds à l'heure et ayant à la LXXX1L
proue les rivages d'Hion. Dans toute autre occasion, il eût pris plaisir raconta en peu de mois la mésaventure de sa troupe : « No
Il
à les voir, mais alors le cap Sigée n'eut guère de charme pour lui. machiavélique imprésario, dit-il, lorsque nous fûmes à la haute
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON. 201

de je ne sais quel promontoire, fit des signaux pour héler un brick l'année dernière' à la foire dc Lugo ; mais l'an prochain, je serai en-
inconnu. Corpodi Caio Mario! nous fûmes transférés en un clin gagé pour y chanter... allez-y.
(l'oeil à son bord sans un seul scudo di salario; mais si le sultan a
du goût pour la musique, nous aurons bientôt rétabli nos affaires.
LXXX1X.
«Mais j'oubliais noire baryton, un garçon qui est bien, maiscrevant
LXXXIII. d'amour-propre: des gestes peu gracieux, pas l'ombre de science,
«La prima donna, quoique d'un certain âge, fatiguée par une vie une voix peu étendue et assez rude; il est toujours mécontent de
d'aventures, et sujette au rhume quand la salle n'est pas pleine, a son lot, et c'est à peine s'il serait bon pour chanter dans les rues.
Dans les rôles d'amoureux, pour mieux exprimer sa passion, n'ayant
quelques bonnes cordes; ensuite la femme du ténor, sans avoir de point de coeur à montrer, il montre ses dents. »
voix, est assez gentille : le dernier carnaval, elle a fait grand bruit
à Bologne, en enlevant à une vieille princesseromaine son amant, XC.
le comte César Cicogna. Le récit éloquent dc Raucocanli fut interrompu par les pirates
LXXXIV. qui, à heures fixes, ve-
naient faire rentrer tous
« El puis nous avons les captifsdans leurs tris-
les danseuses : d'abord la tes cabanons. Chacun de
Nini, qui a plus d'une ces malheureux jeta un
manière de gagner son triste regard sur les va-
argent ; puis cette coqui- gues qui, leflétant l'azur
ne de Pelegrini... la pe- du ciel dans leur sein
tite rieuse, a fait aussi ess d'azur, dansaient libres
affaires au carnaval, cn et joyeuses aux rayons
y gagnant au moins cinq du soleil ; puis ils disparu-
cents bonszecchini; mais rent un à un par les ecou-
elle est si dépensière, qu'il lilles.
ne lui reste pas mainle- XCI.
nant un paolo; enfin il
, Le lendemain, ils é-
y a la Grotescu... quelle laicnt dans les Dardanel-
danseuse! Partout où les
hommes ont une âme ou les, attendant le finmin
de Sa Hautessé ( le plus
un corps, elle fera son impératifde lous les talis-
chemin !
mans souverains,cl celui
LXXXV. dont on se passe le plus
volontiers quand on
,
« Quant aux figuran- peut); là ilsapprirentque,
tes, elles ressemblent à pour mieux s'assurer
toute celte clique : par ci d'eux dans leurs cellules
par-là, une jolie poupée navales, on les allait en-
qui pourra donner dans chaîner par couples, fem-
l'oeil; le reste est à peine me à femme, homme à
bon pour la foire. H en homme avant dc les
est une cependant qui, conduire, au marché de
bien que trop grande et Conslanlinople.
raide comme une pique,
a pourtant un air senti- XCIL
mental qui pourrait la
mener loin ; mais sa danse
11 paraît que lorsque
manque dc vigueur; avec cet arrangement se fit,
sa taille et sa figure,c'est
les femmes se trouvèrent
vraiment grand domma- en nombre impair, et les
ge! hommes également (on
LXXXVL avait d'abord hésité à ran-
ger le soprano dans le
«Pourles hommes, ce sexe masculin ; mais, a-
n'esl ni bien ni mal: le mu- près quelque discussion,
si'con'est qu'une vieille on l'avait mis du côlé fé-
casserole fêlée: mais vu minin, cn manière d'é-
sesqualités spéciales il claireur). Il fallut donc
,
pourra montrer sa face enchaîner ensemble un
dans le sérail et s'y faire homme et une femme,
agréer comme domesti- et le hasard voulu! que
que. Je n'ai pas d'ailleurs C'était une épreuve embarrassante, comme Juaii le reconnut cet homme fût don Juan,
grande confiance en son qui... chose fort embar-
chant : parmi ces êtres rassante à son âge... se
du sexe neutre, que le vit appareillé avec une
Pape arrange dc la sorte bacchante au visage ver-
en les prenant tout petits, meil.
en trouverait uuiicuemeni trois gosiers panaus. XCHI.
LXXXVII. Malheureusement,avec Raucocanlifut attaché le ténor : ils se haïs-
saient comme on ne se bail qu'au théâtre, et chacun maudissait en-
« La voix du ténor est gâtée par l'affectation, et quant à la basse, core plus un tel voisinage qu'il ne se plaignait de sa destinée -.dans
la brute
ne sait que beugler; c'est un ignorant qui n"a pas reçu la leur mauvaise humeur, ils se querellèrent au lieu de prendre leur
moindre éducation musicale, qui chantesansâme,hors de la mesure mal en patience; si bien qu'en jurant à l'cnvi, chacun se mil à tirer
d du ton ; mais comme il est cousin de la prima donna, laquelle la chaîne de son côté, y/rendes ambo, c'est-à-dire tous deux fort
* juré qu'il avait la voix sonore et moelleuse, on l'a engagé, bien mauvaisdrôles.
qu'à l'entendre vous diriez un âne qui s'exerce au récitatif. XC1V.
LXXXVIH. La compagne de Juan était une Romagnole, élevée dans la
che d'Ancone; outre plusieurs autres perfections indispensablesmar-
dans
« 11 ne m'appartient pas de parler de mon faible mérite. Quoique une prima donna, celle-ci avait des yeuxqui pénétraient au fond de
jeune,
,
on voit à votre air, monsieur, que vous avez voyagé, et qu'en l'âme... des yeux élincclanls, aussi noirs el aussi brûlants
conséquence l'opéra ne doit pas être pour vous chose nouvelle. Sans qu'un
charbon ; et à travers le clair tissu de sa peau de brunctlc, on voyait
doute,
,\ vous avezentendu parler de llaucocanti?... c'est moi-même; briller un grand désir de plaire... qualité fort attrayante, surtout
u'i jour viendra où peut-être vous m'entendrez. Vous n'étiez lorsqu'à la volonté se joint la puissance.
pas
202 LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

Dante. Une petite coupole, plus élégante que majestueuse, les pro-
D;
XCV. tège ; mais ici on révère la tombe du poète, et non le monument

du guerrier. Un temps viendra où, partageant la même ruine, le
Mais tout cela élail perdu pour notre héros, car la sombre douleur trophéedu
tr conquérantel les pagesdel'écrivaindisparaîtront,comme
paralysait tous ses sens. Les yeux dc lu belle cantatrice avaient beau m disparu les chants et les combats antérieurs à la mort du fils
ont
lancer des éclairs, ils ne rencontraient qu'un morne regard. Ainsi jde Pelée et à la naissance d'Homère.
attachés ensemble, ni la main de la dame, qui naturellementtou-
chait la sienne, ni aucune autre partie de ce corps charmant ( et CV.
quelques-unes étaient irrésistibles)... rien, dis-je, ne pouvait agiter
son pouls, ni ébranler sa foi... peut-être sa récente blessure y aidail- Cette colonne fut cimentée dc sang humain ; cette colonne est
clle un peu. souillée
s< d'humaines immondices, comme si par ces souillures h
XCVI. paysan grossier voulait témoigner son mépris pour le monument.
pi
N'importa ! il ne faut jamais scruter trop avant, mais les faits sonl
Voilà
V comme on traite un trophée; voila comme devraient toujours
. regrettes ces limiers de la guerre dont l'instinct de sang et de
être
des faits : nul chevalier ne saurait êlre plus fidèle; nulle amante ne gloire
„~ a fait connaître à la lerre des souffrances que le Dante n'a
saurait désirer plus de constance : nous cn laisserons de côté les vues que dans l'enfer.
preuves, sauf une ou deux. On dit que « nul ne peut lenir du feu CVI.
dans sa main en pensant aux neiges du Caucase ;» bien peu te pour-
raient en effel; cependant l'épreuve de don Juan était encore plus Cependant il y aura encore des poètes. Quoique la gloire ne soil
difficile, et il en sortit vainqueur. qque fumée, celte fumée flatte la pensée humaine comme l'en-
ccens le plus pur, et le sentiment inquiet qui inspira les premiers
XCVII. vvers demandera toujours ce qu'alors il demandait, le même
que les vagues finissent par se briser sur la plage, de même les
Ici, je pourrais entamer une chaste description , ayant résisté à J
passions, poussées à leur extrême limite, éclatent cn poésie; car la
plus d'une tentation dans ma jeunesse ; mais plusieurs personnes, j
poésie n'est que passion : il en élail ainsi du moins avant qu'elle
ni'a-l-on dit, me reprochent d'avoir mis trop dc vérité dans mes •
devînt une mode.
deux premiers chants : je me hâterai donc de faire sortir don Juan *•
CV1I.
du vaisseau, mon éditeur m'ayanl déclaré qu'il est plus tacite dc
faire passer un chameau par le trou d'une aiguillé que de faire ad- Si, dans le cours d'une vie à la fois aventureuseet contempla-
mettre dans une famille anglaise les deux chants en question. tive,
I en partageant, chemin faisant, toutes les passions de l'huma-
nité,
i certains hommes acquièrent la profonde el douloureuse faculté
XCVI1I. de
<
réfléchir leur image comme dans une glace avec des couleur.*
céder, et je renvoie le lecteur aux aussi
! vraies que celles de la vie; pcul-ô're ferez-vous sageineiil de
Cela m'importe peu ; j'aime ii
leur interdire d'étaler ces dangereux fantômes; mais, à mon avis,
pages irréprochables de Smollelt, Prior, l'Arioste, Fielding, qui vous aurez gâté un beau poème.
pourtant disent d'étranges choses pour un siècle si chatouilleux.
Autrefois, je maniais la plume avec une incroyable ardeur, et je me CVI11.
plaisais dans la guerre poétique : je me rappelle le temps où toute
cette hypocrisie eût provoqué des remarques dont je m'abstiens. O vous qui faites la fortune des livres, charitables cl azurées
Créatures du deuxième sexe, dont les doux regards se chargent de
XCIX. couronner les poèmes nouveaux, ne ni'accorderez-vous pas votre
imprimatur? Quoi! me condamnerez-vous à passer oublié dans la
Comme les enfants, j'aimais alors le tapage; mais aujourd'hui le boutique du pâtissier, cette Cornouaille où l'on pille les naufragés
préfère rester en paix, et laisser loul ce bruit à la populace litté- du Parnasse?... Ah ! faut-il que je sois le seul ménestrel non admis
raire. Soil que la gloire de incs-vers doive s'éteindre avant que se a goûter votre thé castalicn !
dessèche la main qui les traça, soit qu'elle fasse un bail do quel-
ques siècles, le gazon de mu lombo croîtra tout aussi bien aux sou- C1X.
pirs de la brise nocturne, cl non pus d'une chanson, Eh quoi ! auraisje cessé d'être « le lion du jour, » un poète de
bals, un bouffon dc salon, un enfant gâté littéraire? ÎS'c m'enlen-
C. dra-l-on plus, accablé de compliments insipides , .répéter, comme
Pour ces poètes qui sont venus jusqu'à nous à traversin distancei le sansonnet d'Yorick : « Je ne puis m'en aller! » En ce cas, je
des temps et la différence des langues, pour ces nourrissonsdo lai vais, comme le poète Wordsworth, furieux de ne plus trouver de
gloire, lu vie d'ici-bas semble être la moindre portion de l'exis- lecteurs, m'écrier qu'il n'y n plus de goûl, et que la gloire n'est
tence : quand vingt siècles s'accumulent sur un nom, c'esl comme> qu'une loterie, tirée par une douzaines de misses en jupons bleus.
une boule de neige qui se grossit de chaque flocon qu'elle rencon-
tre, cl continue à rouler jusqu'à ce qu'elle devienne peut-être uneJ CX.
montagne glacée : mais après tout, ce n'est que dc la neige. Oh! « si profondément,si obscurément, si admirablementbleues!»
CL comme l'a dit du ciel je ne sais quel poète, et comme je le dis de
vous, ô doctes dames; on rapporte que vos bas môme sont bleus
Tous ces grands noms ne sont rien que de vains mots; l'amourr Dieu) sait pourquoi ; car j'ai rarement eu l'occasion d'en voir de celle
dc la gloire n'est qu'une frivole convoitise, trop souvent fatale danss couleur)...bleus comme la jarretière qui orne avec sérénité la jambe
son délire à ceux qui voudraient soustraire leur poussière à la de- gauche d'un patricien au bal de la cour, ou au lever du roi.
struction; tandis que rien ici-bas ne doit êlre, «jusqu'à la venuee
du Juste, » qu'un perpétuel changement. Mes pieds ont foulé lan CXI.
cendre d'Achille, et j'ai entendu douter dc Troie; un jour on dou- Pourtant, il est parmi vous d'angéliques créatures... mais le temps
tera dc Home. n'est plus où nous lisions ensemble , vous mes stances, cl moi,
CH.
amant rimailleur, l'expression de vos traits charmants; et... nuis
Les générations des morts se balaient successivement; la tombee n'importe ! tout cela est passé. Pourtant je ne dédaigne pas les es-
hérite dc la tombe, jusqu'à ce que la mémoire d'une époque ailil prits cultivés, car souvent ils recèlent un monde de vertus : je con-
disparu clqu'elle ait élé ensevelie pour faire place à salifie. Où sont
it nais une dame de celle école azurée , la femme la plus aimable, la
les épilapbes qu'ont lues nos pères, à l'exception d'un pelil nombree plus chaste , la meilleure... mais au fond une vraie sotte,
glanées dans les ténèbres du sépulcre, parmi tant d'êlrcs innom-
i-
brables qui ont perdu leur nom dans la mort uni erselle ? CXII.
cm. Humboldt, « le premier des voyageurs, » mais non le dernier, si
nous en croyons des rapports récents, a inventé, sous un nom que
déciw-
Chaque après-midi, en me promenant à cheval, je passe devant >t j'ai oublié, comme j'ai oublié aussi la date de celte sublime
le lieu où lomba dans sa gloire un héros enfant, qui vécut trop
>p verte, a inventé, dis-je un instrument aérien (1), destiné à con-
,
longtemps pour le genre humain , mais qui mourut trop tôt pour u* stater l'état de l'atmosphère en mesurant « 1 intensité du bleu. »
l'humaine vanité , le jeune Gaston de Foix. Une colonne brisée, s, O lady Daphné ! permettez que je vous mesure !
taillée avec un certain goût, mais dont l'abandon accélère la ruine,
raconte le carnage de Ravenne, pendant que des immondices el des 38 CXHI.
herbes parasites s'accumulent à sa base. Mais à noire récit... Le vaisseau, chargé d'esclaves destines à êlrs
I vendus dans la capitale, après les préliminaires d'usage, jeta l'ancre
C1V.
Je passe ci aque jour devant le lieu où reposent les restes de (1) Le cyauometre.
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD RYRON. 203

3
les murs du sérail : sa cargaison étant saine et exemple de
te. fut loul entière débarquée el amenée au marché, et là, avec V.
Géorgiennes, des Russes et des Circassicnnes , mise en venta ILe vent balayait les eaux de l'Euxin, et la vague allait se briser
remplir divers offices et satisfaire diverses passions.
u* fumante
fun sur les Symplégudes azurées. Quel coup d'oeil, lors pie,
tranquillement assis sur la tombe du Géant, on suit la marche ita
CXIV. ccs flols qui roulent entre les rives du Bosphore, baignantà la fois
ces
iiclq'ics-unesmontèrent fort haut : on donna quinze cents dol- l'Europe
iE et l'Asie ! De toutes les mers où le voyageurattrape des nau-
s d'une jeune Circassicnnc, fille charmante et garantie vierge : scc nulle n'offre des brisants plus dangereux que l'Euxin.
sées,
beauté, cn lui prodiguant ses couleurs les plus brillantes, l'avait
éc de célestes attraits. L'adjudication désappointa certains en- VI.
•risseurs qui avaient élé jusqu'à onze cenls dollars; mais quand iC'était un de ces jours pâles cl piquants qui signalentle commen-
lire dépassa ce taux ils virent que c'était pour le compte du
, cement
cel de l'automne quand ies nuits sont égales aux jours, mais
tan et se retirèrent aussitôt. les jours peu semblablesentre eux; à cette époque les Parquescou-

'
,
[0I brusquement te fil de la vie des marins; tes le
pent
ne npèlesbruyantci
CXV. soulèvent les flols sur les mers et le repentir dans les coeurs. Les
Douze négresses de Nubie s'élevèrent à un prix qu'elles n'auraient
marins promettent d'amender leur vie, el ils n'en font rien; car
liai atteint sur le marché des Indes occidentales, bien que Wil-
noyés,
no ils ne le peuvent; sauvés, ils n'y pensent plus.
rforec ail fait doubler la valeur des noirs depuis l'abolition dc la
liic; cl il n'y a rien là qui doive élonucr, car le vice esl toujours VIL
us magnifique qu'un roi : les vertus, el môme la plus sublime dc On voyait rangée sur le marché une foule tremblante d'esclaves,
nies, la charité,sont essentiellementéconomes... Le vice n'épar- de loutc nation, de tout âge el de loul sexe. Chaque groupe, avec
ie rien quand il s'agit d'une rareté. so marchand, occupait une place distincte. Pauvres gens! leur
son
bonne
bi mine élait tristement changée! Tons, à l'exception des Noirs,
CXVI.. semblaient
sc regretteramèrement leurs amis, leur patrie et la liberté.
Mais quant à la destinée ultérieure de cette jeune troupe, corn- V Nègres molliraient plus de philosophie, étant accoutumés sans
Les
doute à l'esclavage, comme l'anguille à être écorchée.
eut les uns furent achetés par des pachas, d'autres par îles juifs ;
miment ceux-ci furent obligés à se courber sous des fardeaux,
nilis que ceux-là, en qualité de renégats, furent promus à divers VIII.
iinuiaiidcnicnts, pendant que les femmes étaient tristement grou- Juan élait jeune et plein d'espoir et dc santé, comme on l'est à
pes ensemble, faisant des voeux pour n'ôtre pas choisies par un son
s< âge : j'avouerai pourtant qu'il avait l'air un peu tris'.e, cl que
izir trop vieux, et sc voyant acheter une à une, pour faire une d temps à autre une larme lui échappait furtivement; peut-être la
de
îaitrcssc, une quatrièmefemme, ou une victime perte
p de son sang avait-elle abattu ses esprits. Et puisse voir ravir
son
Si bien, sa maîtresse, une habitation splendide, pour être vendu
CXVII. à l'encan parmi des Tartarcs!
Toul cela doit êlre réservé pour la suite du poème. J'ajournerai, IX.
MX la n ôme discrétion , quelque Tàchcux que cela soil, le récit C'en était assez pour ébranler l'âme d'un stoïque; néanmoins au
les aventure-; dc mon héros, vu que ce chant est déjà trop long.
lé caractère de' total,
. l'attitude de notre héros était calme. Sa personne et la spleii-
i> sais combien les redites sonl ennuyeuses, mais deur
. de son vêlement, dont on voyait briller quelques restes, atti-
lia .muse ne me permet pas d'eu faire moins : je dois donc ren- raient sur lui les regards et faisaient deviner un homme au-dessus
".HT lu continuation de don Juan à ce que, dans Ossian, on nom- J vulgaire; cl puis, malgré sa pâleur, il élait si beau; el puis... on
du
icrail le cinquième duan,
comptait sur une rançon.
X.
La place, semblable à un jeu dc trictrac, quoique plus irréguliè-
rement
! bigarrée, élail parsemée de groupes blancs cl noirs, exposés
CHANT V. en vente. Quelques acheteurs choisissaient le jais; d'autres préfé-
raient
' la couleur pâle. Un homme dc trente ans, robuste cl bien
taillé, portant la résolution dans ses yeux d'un gris sombre, se te-
I. nait près de don Juan, attendantqu'on vînt l'acheter.
Quand les poètes erotiqueschaulent leurs amours en vers liquides,
':
caressants et mcllillus , el accouplent leurs rimes comme Vénus nt- xi.
Mle ses colombes, ils ne songenl guère au mal qu'ils peuvent faire: Il avait l'air anglais; car il avait de la carrure, un teint blanc et
l'ius leur succès est grand, plus il peut devenir funeste; les coloré, de belles dents, des cheveux bouclés d'un brun foncé un
l'Ovide en sonl un exemple, el Plutarque lui-même, jugé sévère-
vers
's
'•-
.
front ouvert, où la pensée, le travail ou l'étude avaient laissé quel-
ment, n'est que le platonique corrupteur de la postérité.
ques inarques dc soucis. Un bandage taché de sang soutenait un
de ses bras; enfin, il y avait dans son altitude un tel sang froid
IL qu'un simple spectateur eu eûl à peine montré davantage. ,

Je dénonce en conséquence toul ouvrage erotique, ceux-là seule-


nicnl cxccplés qui sont écrits de manière à n'offrir aucun attrait,
r xii.
si pies, terre
a lerre, concis et peu propres à séduire; attachant:lt Mais voyant près de lui un jeune garçon qui montrait lant de
«ne leçon à chaque faute, composés pour instruire plutôt que pour"' coeur, bien que pour l'heure fléchissant soûs le poids d'une destinée
l'I'iiro, el attaquant toutes les liassions lour-à-tour. Aussi, à moins
lue mon Pégase ne se trouve mal ferré, le présent poème sera un
ls propre à faire plier même des hommes, il ne larda pas à manih-ster
modèle de morale.
111 une brusque compassion. Lui-même semblait regarder, sa mésaven-
ture comme une de ces mille circonstances qui se rencontrentdans
III. la vie cl n'ont rien que de très ordinaire.
Les rives d'Europe et d'Asie, toutes parseméesde palais; le fleuve
Il
wéiuiiquc portant çà el là un vaisseau de guerre, la coupole de XIII.
•^iule-Sophie, élincclanta d'or; les bois de cyprès, les sommets
"l'iiichissanls de l'Olympe, les douze îles; un tableau enfin plus
ils « Mon fils, dit-il, dans toute celte bande de Géorgiens, de Russes,
us de Nubiens el de je ne sais quoi encore, tous pauvres diables qui
'""Kuilique que je ne saurais le rêver, et encore moins le décrire,e,
*eilù ce qui charmait lant la charmante Marie Monlagu. ne diffèrent entre tux que par la couleur dc leur peau et avec les-
quels le hasard nous a confondus, il n'y a, ce me semble, de gens
IV. comme il faut que vous elmoi; faisons donc connaissance, ainsi
que nous le devons. Si je pouvais vous offrir quelque consolation ,
l'ai une passion pour ce nom de Marie; jadis il faisait sur moij ce serait un vrai plaisir. De quel pays êles-vous, s'il vous plaît ? »
'eflet d'un son magique, et maintenant encore il évoque à demi £! xiv.
foiis ma pensée
ces royaumes dc féerie où je voyais ce qui ne de-
v:'t jamais cire. Tous mes sentiments ont changé, mais celui-là -là Juan répondit: « Je suis Espagnol ; » cl l'étranger reprit : «Je
™;iii!*ca le dernier : c'est un charme dont je no suis pas tout affran- pensais bien en effet, que vous ne pouviez être Grec ; ces chiens
in-
**".• Mais voilà que je deviens triste... je laisse refroidir une histoire
ire serviles n'ont, pas tant, de fierté dans le regard 1 a foi tune vous a
'l1!l ne doit
pas être coulée sur un ton pa'héliqu». joué un joli tour; mais c'esl ainsi qu'elle agilavic lous les boni-
B04 LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

mes, jusqu'à ce qu'elle les ait éprouvés. Que cela ne vous inquiète...
elle changera peut-être la semaine prochaine, elle m'a traité comme XXIV.
vous, sauf que ses caprices n'ont rien de nouveau pour moi.
— Plût au ciel que nous fussions maîtresdès à présent, ne fût-ce
xv 1u< pour appliquer à nos amis les païens que voici la leçon qu'ip
que
A¥" noi donnent! s'écria Juan cn étouffant un douloureux soupir; Q-Kt
nous
— Monsieur, dit Juan, oserais-je vous demander ce qui vous a soit cn aide à celui que la fortune envoie à pareille école! Celi
soii
conduit ici.—Oh! rien d'extraordinaire... six Tartares et une viendra —
vie en son temps, répliqual'étranger ; et peut-être verrons-nou's
chaîne...— Mais ce que je désirais savoir, si la demande n'est pas ici même notre situation s'éctaircir. En attendant (ce vieil eunimu,,
indiscrète, c'est comment vous esl arrive un pareil destin ? — J'ai noir
noi semble nous examiner), je voudrais bien qu'on vînt nous acheter!
servi quelques mois et en divers lieux dans l'armée russe, et der-
nièrement faisant le siège d'une ville, par ordre de Souvaroff, en XXV.
voulant prendre Widdin, je me suis vu pris moi-même.
« Maisaprès'tout, qu'est notre étal actuel ? Il est fâcheux et pourrait
XVI ê,t plus agréable... Tel est le destin de tous les hommes : la p|u.
être
AVI. part
pa et surtout les grands sont esclaves de leurs passions, de leurs
— N'avez vous point des amis? —J'en ai eu... mais Dieu en soit caprices,
ca| de tout; la société elle-même, qui devrait produire
loué, je n'ai pas entendu parler d'eux depuis quelque temps. Main- no la bienveillance, détruit le peu que nous en avions, ne sym-
nous en
tenant que j'ai répondu sans difficulté à toutes vos questions, j'ai- pathiser
pa avec personne est le véritable système social des sloïques
tends de vous une égale complaisance. — Hélas! dit Juan, ce serait mondains...
mi hommes sans coeur. »
une triste histoire, et bien longue surtout. — Oh! s'il en est ainsi,
vous avez doublement raison de vous taire : une histoire lugubre XXVI.
attriste bien davantage quand elle dure longtemps. En ce moment, un vieux nègre du genre neutre ou du troisième
XVII. sexe
*ee s'avança, et lorgnant les captifs, parut examiner leur extérieur
leur âge et leurs facultés, comme pour s'assurer s'ils convenaient i
« Mais ne vous découragez pas : à votre âge la fortune, bien que ta cage qu'il leur destinait. Certes, un amant lorgne de bien pressa
la
passablement inconstante, ne vous laissera pas longtemps dans un belle, le maquignon un cheval, le tailleur sa pièce de drap, un
b(
avo-
tel embarras, attendu qu'elle n'est pas votre femme. D'ailleurs, von- cat ses honoraires, un garde-clefs son prisonnier ;
es
loir lutter contre son destin, ce serait comme si l'épée voulait com-
battre la faucille. Les hommessont le jouet des circonstances quand XXVII.
les circonstances semblent le jouet des hommes. Mais c'est de plus près encore qu'un acheteur examine l'esclave
XVIII. qu'il
u' a en vue. Chose bien flatteuse que d'acheter son semblable!
D'ailleurs chacun de nous est à vendre au point de vue de ses pas-
— Ce n'est pas, dit Juan, sur ma condition présente que je gémis, sions
si ; et eclies-ci sont multiformes : les uns sc vendent à un beau
mais sur le passé... J'aimais unejeune fille... » H s'arrêta, et son oeil visage, d'autres à
v. un chef
belliqueux, d'autres à une place ; chacun
se remplit de tristesse; une larme isolée s'arrêta un moment au bord selon
si son âge et son caractère. La plupart ne se livrent qu'argent
de ses cils, puis lomba. « Mais, comme je le disais, ce n'esl point comptant;
a mais lous ont leur tarif: une couronne ou un soufflet.
mon sort actuel que je déplore, car j'ai supporté des détresses aux-
quelles les plus robustes ont succombé. XXVIII.
L'eunuque Jcs ayant étudiés avec soin, se tourne vers le marchand
XIX. ctsc meta débattre les prix, d'abord pour un seul, puis pour tous
c
« Ce n'étaient laque les dangers dc la mer. Mais ce dernier coup... » les
1 deux : ils chicanent, contestent, jureiitmêmc... oui, ils jurent...
Ici il s'arrêta encore, et détourna la tête. « Ah ! lui dit son ami, je ccomme s'ils se trouvaient à une foire chrétienne, marchandant un
me doutais bien qu'une femme allait paraître dans celle affaire : ce l
boeuf, un âne, un agneau ou un chevreau ; on dirait un combat, au
sont là des objets qui réclament une tendre larme, telle que j'ent bruit
1 qu'ils font pour cet attelage magnifique de bétail humain.
verserais moi-même si j'étais à votre place. J'ai pleuré le jour oùinai
première femme est morte, et quand ma seconde m'a planté là. XXIX.
XX. Enfin, on ne les entend plus que grommeler; la bourse s'ouvre
bien
, à regret; ils retournent chaque pièce d'argent, jettent les unis
« Ma troisième... —Votre troisième 1 s'écria don Juan cn se re- |
pour les faire résonner, et pèsent les autres dans leur main, cou-
tournant vers lui; vous avez à peine trente ans, et vous avez troiss fondent
I innocemment les paras avec les sequins, jusqu'à ce que la
femmes ! — Non, je n'en ai plus que deux sur la terre : sans douteB somme
s exacte soit comptée : alors le marchand signe un reçu dans
une personne mariée trois fois n'est pas chose si surprenante ! — les
I règles; puis il se sent libre enfin de songer au dîner.
Eli bien! votre troisième, dit Juan, que fit-elle: elle ne vous a pas 3
quittée, comme l'autre. n'est-ce pas, monsieur? — Non certes. — XXX.
.
Eh bien ? — C'est moi qui l'ai quittée.
Je voudrais bien savoir s'il eut bon appétit, ou, dans le cas aflir-
XXI. malif, si sa digestion fut bonne : il me semble qu'à table il dut lui
venir d'étranges pensées, el que sa conscience dut lui faire de nu-
— Vous prenez les choses froidement, dit Juan. — Bah! reprit it rieuses questions sur l'étendue de ce droit divin en vertu duquel il
l'autre, que voulez-vous qu'on fasse? Il y a encore bien des arcs- vendaitlachair elle sang des hommes. Quand notre dîner nous pèse,
en-ciel dans votre firmament, mais tous les miens ont disparu. Touss c'est peut-être, selon moi, de nos vingt-quatre heures de misères, la
les hommes commencent la vie avec des sentimentschaleureux, des s plus pénible et la plus sombre.
espérances magnifiques; mais le lemps décolore peu à peu toutes !S
nos illusions, et chaque année quelqu'une de nos grandes déceptions
s XXXI.
dépouille sa peau brillante, comme fait le serpent. Voltaire dit Non!... Il nous rapporte que Candide trouvait
XXII. jamais la vie plus supportable qu'après ses repas il ne tort..- si
l'homme n'est point un porc, la réplélion doit ajouter :à a soull'iau-
ses
« Ilestvraiqu'elleen prend une autre plus fraîche et plus brillante;
Î; ces, sauf pourtant quand il est ivre; car alors la tête lui tourne cl Ici
mais au bout de l'année, celte peau doit avoir la destinée de toute te cerveau ne pèse point surlui. Au sujet de la nourriture je pense,
chair; quelquefois même elle ne dure qu'une semaine ou deux,.. avec le fils dc Philippe ou plutôt d'Ammon (car il n'avait point
, assez
L'amouresl le premier filet qui tend pour nous ses mailles homicidesi;; d'un monde ni d'un père) ;
l'ambition, l'avarice, la vengeance, la gloire, forment la glu qui l\
garnit les pièges éclatants où nous voltigeons dans nos derniersjours. XXXII.
Je pense, dis-je, avec Alexandre, que l'action de manger, ainsi
XXIII. qu'une ou deux autres fonctions vitales, nous fait doublement sentit
est bel et bon, el peut être vrai, dit Juan ; mais je notre condition mortelle; si un rôti, un ragoût, du poisson, un P,J"
— Tout celaquoi .I
cela peut améliorer votre condition et la mienne. tage, escortés de quelque entremets, peuvent nous donner une sen-
ne vois pas en sation de plaisir ou de peine, qui osera s'enorgueillir d'une inlelli-
— Nullement, répliqua l'autre; mais vous conviendrez avec moi
:
qu'en mettant les choses à leur véritable point de vue, on finit du j gence dont l'usage dépend ainsi des sucs gastriques.
moins par les connaître; par exemple, nous savons maintenant ce II
que c'est que l'esclavage, el notre infortune nous apprendra à mieux XXXIII.
nous conduire quand nous serons maîtres. L'autre soir (vendredi dernier)... ceci est un fait réel, et non une
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON. 205

invention poétique... je venais de passer mon pardessus; mon cha-


.,(,.10 et mes ganls
étaient encore sur la table... j'entendis un coup XLIII.
[le
feu. - - Huit heures étaient à peine sonnées... je courus aussi vite Donc, pendant qu'ils marchaient, il vint à don Juan une idée,
je pus, et je trouvai le commandant de la place étendu dans la qu'il la même pensée
-DO
respirant à peine. ' communiqua lout bas à son compagnon
rUc cl nous serait venue à vous et à moi en pareille occurrence. « Il me
XXXIV. semble,
sc dit-il, qu'il n'y aurait pas grand mal à frapper un coup
pauvre camarade! pour je ne sais quelle raison, sans doute fort pour
IJ' nous rendre libres : assommer ce vieux mauricaud el prendre
qu'aise, on lui avait tiré cinq quartiers de balle, el on l'avait laissé ai champ... ce serait vite fait.
du
là mourir sur le pavé. Je le fis transporter chez moi et monter dans XL1V.
11,011
appartement : on le déshabilla ; on l'examina... Mais à quoi bon
ccs
détails ? Tous les soins furent inutiles : il était mort... victime de —Fort bien, répondit l'autre, mais après? Comment sortir d'ici?
quelque haine italienne et tué par cinq projectiles partis d'un vieux car du diable si je sais comment nous y sommes venus. Puis, cn
ci
canon de fusil. supposant que nous fussions dehors, notre peau sauve du sort de
si
XXXV. saint
si Barthélémy, demain nous verrait dans quelque autre caverne,
et plus mal que nous n'avons été jusqu'ici; d ailleurs j'ai faim, et,
Je le regardai ; car je le connaissais fort bien. J'ai vu bien des ca- c
comme Esaii, je vendrais mon droit d'aînesse pour un beef-slcak.
dnvres, mais jamais aucun dont les traits, après un coup aussi im-
prévu, parussent aussi calmes : l'estomac, le coeur el le foie atteints, XLV.
on
eût pensé qu'il dormait ; le sang s'élant épanché à l'intérieur, on
ne voyait
au-dehors aucune trace hideuse de blessures, el c'est à « Nous devons être dans le voisinage de quelquehabitation ;car
peine si l'on pouvait croire qu'il fût mort. En le contemplant, je b sécurité de ce vieux noir, s'avançant avec deux captifs dans une
la
pensais ou disais : route
r aussi élrange, montre qu'il compte que ses amis ne dorment
XXXVI. p : un seul cri nous les attirerait tous sur les bras ; il est donc bon
pas
donc là la mort? Qu'est-ce que la mort ou la vie? d'y regarder à deux fois avant de risquer le saut... Et voyez où ce
« Rsl-ce sentier
s nous a conduits : par Jupiter! voilà un beau palais!... et
Parle (mais il ne parle pas)! Eveil!c-toi (mais il dormail toujours) ! t illuminé encore!»
lout
Hier encore, quel souffle élait plus puissant? Mille guerriers trem- XLVI.
liliiienl devanl sa parole : comme le centurion, il disait : Va ! et l'on
allait, Viens! cl l'on venait. La trompette et le clairon étaient muets C'était cn effet un vaste édifice qui s'étendait devant eux : la fa-
jusqu'à ce qu'il eût parlé... et maintenant un tambour voilé d'un çade
ï en était surchargéede peintures et de dorures, selon l'usage
crêpe est toul ce qui lui reste. turc...
t Faste d'assez mauvais goût; car ils sonl peu habiles dans les
mis qui jadis ont pris naissance dans celte môme contrée. Toutes
XXXVII. les
I villas, sur les rives du Bosphore, ressemblentà des écrans nou-
vellement peints, ou à une jolie décoration d'opéra.
lïl ceux qui naguèreattendaient ses ordres avec respect, vinrent
en foule, dans leur rude douleur, se ranger autour dc sa couche, et XLVII.
jeter encore un regard sur celle argile glorieuse qui avait saigné
pour la dernière fois, mais non pour la première, lit finir ainsi! lui Et à mesure qu'ils approchaient, l'agréable lumet des ragoûts,
qui lant de fois avait vu fuir les ennemis dc Napoléon !... lui le pre- des
< rôtis, des pilaus, choses qui frappent vivement un mortel affamé,
inicrà la charge ou à l'assaut, assassiné dans les rues d'une ville. vint réprimer les farouches intentions de don Juan, et l'engager à
se
j conduire civilement. Son ami, joignant à ce qu'il avait dit une
XXXVIII. clause conditionnelle, reprit : « Au nom du ciel, tâchons d'abord
d'avoir à souper; puis, si vous voulez encore du tapage, je suis
Auprès de ses nouvelles blessures on voyait les cicatrices des an- votre homme. »
ciennes, cas honorables cicatrices qui avaient fait sa gloire; et ce XLVHI.
spectacle offrait un horrible contraste... Mais laissons là ce sujet :
ces choses demandent peul-ôlre plus d'attention que je ne leur en On conseille de faire appel aux passions des hommes, à leur sen-
puis donner. Je le regardai fixement, comme souvent j'ai regardé sibilité ou à leur raison : ce dernier moyen n'a jamais élé fort à la
descadavres, espérant tirer de la morl quelque chose qui pût confir- mode, car la passion ne fail nul cas du raisonnement. Quelques
mer, ébranler ou créer une foi quelconque. orateursont recours aux larmes, d'autres à de bons coups de férule :
tous s'accordent à nous assommer d'arguments qu'ils considèrent
XXXIX. comme leur fort; mais nul ne songe à être bref.
Mais fout était mystère. Nous sommes ici; et nous allons là... XL1X.
Mais où? Cinq morceaux de plomb, ou trois, ou deux, ou même un
seul, nous envoient bien loin. Ce sang ne se forme-l-il donc que Mais je tombe encore dans les digressions... De tous les moyens
pour être répandu? Chaque élément pcul-il donc décomposer les de persuasion (quoique je reconnaisse le pouvoir de l'éloquence, de
ui'ilres? L'air, la terre, l'eau, le feu, subsistent... cl nous mourons, l'or, dc la beauté, de la flatterie, des menaces, d'un shilling même),
nous, donl l'intelligencepénètre toutes choses. Mais laissons cela. il n'en est pus de plus sûr, par moments, déplus propre à maîtriser
les meilleurs sentiments de l'homme, lesquels deviennent de jour
XL. cn jour plus susceptibles, comme nous le voyons tous, que ce glas
l/ucheleur de Juan el de sa nouvelle connaissance conduisit ses magique el irrésistible, ce tocsin de l'âme... ia cloche du dîner.
•inquisitions vers une barque dorée, s'y plaça avec eux; et le bateau L.
s'éloigna de toule la vitesse des rames et dû courant. Les deux es-
claves avaient l'air de gens qu'on mène nu supplice et cherchant La Turquie n'a pas dc cloches, cl pourtant on y dîne. Juan et
ee qu'il peul y avoir après, quand la caïque s'arrêta dans une petite son ami n'entendirent pas de signal chrétien appeler les convives ;
•'mse, au pied d'un mur par-dessus lequel apparaissait la cime de ils ne virent poinl une longue file dc laquais introduire ceux - ci
liants cyprès à l'éternelle verdure. dans la salle du festin ; mais ils sentirent le rôti, ils virent briller
un immense foyer, et les cuisiniers, les bras nus, aller et venir çà
XLI. cl là , et ils jetèrent autour d'eux le regard de l'appétit.
leur conducteur ayant frappé au guichet d'une petite porte de|
Là,
LI.
fer,elle s'ouvrit et il les conduisit à l'intérieur, d'abord par un taillis
flanqué de grands arbres. Ils faillirent y perdre leur roule, et ne mar- Abandonnantalors toute idée de résistance, ils suivirent de près
chaient qu'en tâtonnant, car la nuit était tombée avant qu'ils eussentt leur sombre guide, qui ne songeait guère au péril que venait dc
abordé au rivage. L'eunuque avail fait un signe aux rameurs, quii courir sa frêle existence; il'leur fit signe dc rester un peu en arrière;
avaient repris le large en silence. il frappa ensuite à une porte qui s'ouvrit toute grande, et leur
montra une salle vaste et magnifique où s'étalait toute la pompe
XL1I. asiatique des Ottomans.
Pendant qu'ils se frayaientune roule tortueuse à travers des bos- LU.
quets d'orangers, dc jasmin, et de divers arbustes dont je pourraiss Je ne décrirai pas : la description est pourtant mon fort, mais
tans parler longuement; attendu que si nous n'avons pas dans leÎ dans notre brillante époque, il n'est pas d'esprit à l'envers qui, pour
Nord une grande profusion de plantesorientales et autres, du moins décrire son merveilleux voyage à quelque cour étrangère, n'enfanta
dans ces derniers temps, nos écrivaillcurs se sont avisés d'en culti-3 C'est ta ruine de son édi-
son in-quarto el ne quête vos éloges
ver des plates-bandes toul entières dans leurs ouvrages, et cela dé- teur ; mais pour lui c'est un plaisir. D'ailleurs 1a nature, de mille
liais qu'un poète a voyagé chez les Turcs manières tourmentée, se résigne avec une patience exemplaire aux
20T* LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLDSTRÉES.

guide* du voyageur, aux poèmes de grande roule, lours d'Europe,


esquisses et illustrations. LXII.
LUI.
Mais reprenons S'il arrivait (que ne peut -il arriver à l'hcun
Çà et là dans cette salle, quelques couples, assis les jambes croi- qu'il
qi est?) que
....
des mécréants, par ignorance ou par en'ôtemcnt,
1'
f,
secs, jouaient aux échecs; d'autres personnes causaient par mo- „j
nusyllabcs ; d'autres encore semblaient toul occupées d'admirer leur
voulussent
va pas reconnaître l'emplacement de cellcmême Babel (||'Cll j

que Clnudius ftich, écuyer, en possède quelques briques au SUJQ


qi C
propre costume; plusieurs fumaient dans des pipes superbes, or- desquelles
de il vient d'écrire deux mémoires); si. dis-je, ces gens-l'i n"3 s
nées de bocaux d'ambre plus ou moins précieux ; quelques-uns se voulaient
vi pas ajouter foi au témoignagedes Juifs, ces incrédules
promenaient; ceux-ci dormaient, ceux-là se préparaient a bien que nous devons croire, bien qu'ils ne nous croient pas :
qi
souper a l'aide d'un petit verre de rhum.
LXIII.
LIV. v
Qu'ils se rappellent du moins avec quelle élégante concision ll0, é
Lorsque l'eunuque noir entra suivi des deux infidèles qu'il avait
achetés, les promeneurs levèrent les yeux un moment sans ralentir r. a peint la folie architecturale de ces hommes qui, oubliant]e
race c
grand
g lieu de repos, se livrent lout entiers à la vanité de construire"
leur pas ; maisceux qui étaient assis ne bougèrent nullement : un I
„nous savons où lout doit aboutir, hommes et choses : morale triste
ou deux regardèrent les captifs en face, comme on regarde un che-
(

val pour en deviner le prix ; quelques-uns de leur place firent au comme toutes les morales; et le sepulcri immemor struis domos
Cl
rappelle que nous bâtissons des demeures quand nous ne devrions
r.
noir un signe de tête, mais personne ne lui adressa la parole.
songer qu'à la tombe.
Sl

LV. LXIV.
Il leur fit traverser la salle, puis sans s'arrêter, les conduisit par Enfin nos gens arrivèrent dans une partie retirée du palais, o'i
, l'écho semblait se réveiller d'un long sommeil. Quoique ce lieu fût
une enfilade d'appartements magnifiques, mais silencieux sauf un
, résou-
1'
seul, où le bruit d'un jet d'eau dans un bassin de marbre rrempli de loul ce qu'on peut désirer, ce qui frappait surtout, c'était
nuit au milieu d'une triste obscurité; excepté encore quand une 1I dde voirrassembléstant d'objets qui ne servaient à personne : là l'opn.
porta ou une jalousie enlr'ouverie laissail voir une tète de femme, I 1lcnce s'était épuisée à encombrer de meubles un délicieux séjour où
dont l'oeil noir et curieux cherchaitla causede ce bruit inaccoutumé. 1la nature élonnéecherchait en vain ce que lui voulait l'art.

LVI. LXV.

Quelques lampes mourantes, suspendues aux lambris élevés, Cette pièce semblait n'être que la première d'une longue enfilade.
donnaient assez de lumière pour éclairer la marche des captifs et d'appartements
t qui conduisait Dieu sait où ; cl toutefois, dès l'en-
do leur guide, mais non assez pour montrer dans toute leur splen- trée,
t les meubles y élaicnl d'une extrême richesse : des sophns si
deur les chambres impériales. Peut-êlre n'y a-l-il rien... je ne dirai précieux,
] que c'était presque un péché dc s'y asseoir ; des lapis d'un
pas qui effraie, mais qui attriste plus, soit de nuit, soit de jour, ttravail si rare, qu'on se prenait à souhaiter de pouvoirglisser dessus
qu'une salle immense, sans un être vivant pour rompre l'inaniina- comme un poisson doré.
<
lion dc cette, splendeur.
LVII. LXVI.
Deux ou trois personnes semblent si peu de chose! une seule n'est Le nègre, daignant à peine jelcr un coup d'oeil sur ce qui plon-
rien Dans les déserts, dans les forêts, parmita foule ou sur le rivage geait
I ses deux compagnons dans l'admiration, foulait sans scrupule
des mers, là nous savons que la solitude a développé sa puissance ces
' étoffes que leurs pieds craignaient presque de souiller, comme
et qu'elle a établi son règne éternel ; mais dans une vaste salle, une si c'eût été la voie lactée avec toutes ses étoiles. Enfin, étendant la
galerie immense, soil moderne, soit antique, nous sentons descen- main vers un certain buffet, niché là dans ce coin que vous voyez...
dre une sensation dc mort sur cet homme qui occupe seul un espace ou si vous ne le voyez pas, ce n'esl pas ma fauta...
destiné à tant d'hommes.
LVII1. LXVII.
Par une nuit d'hiver, un petit salon bien propre cl commode Car je tiens à être clair... le nègre, dis-je, ayant ouvert ce mculile,
un livre, un ami ou une femme entièrement libre, un verre de bor-, cn lira une quantité de vêlements propres à mettre sur te dos du
deaux, des sandwichs et un bon appétit, voilà ce qu'il faut pour musulman du plus haut pacage. La variété n'y manquait pas;
mais bien qu'il eût dc quoi choisir, il crut à propos d'indiqué:' lui-
passer une soirée anglaise; quoique ce ne soit pas, à beaucoup{ même le costume convenable aux chrétiens qu'il avait achetés.
[uès, aussi imposant qu'un théâtre éclairé au gaz Pour moi, je
passe mes soirées solitaires dans dc longues galeries, et c'est pour-
quoi je suis si triste. LXVHI.
LIX. Celui qu'il assigna au plus âgé el au plus corpulent des deux fui
Hélas ! l'homme fait de grandes choses qui le rendent petit : j'ap- d'abord un manteau candiote allantjusqu'au genou ; puis un panta-
l'rouve cela dans une église : ce qui parle du ciel ne doit rien avoir lon, non de ceux que l'on fait si étroits qu'ils sonl toujours prêts il
de fragile, tout doit y être solide et durer jusqu'à ce qu'aucune lan- crever, mais d'une ampleur vraiment asiatique : un châle dont Ca-
gue humaine ne puisse en nommer l'auteur; mais depuis la chute,\ chemirc avail fourni le tissu des pantoufles safran un poignard
,
riche el bien à la main, loul, ce qui constitue un dandy
d'Adam de vastes maisons ne conviennent point à l'homme... el de turc.
vastes tombeaux encore moins... La tour de Babel doit, ce nie sem-
ble, lui apprendre celle leçon mieux que je ne pourrais le faire. LXIX.
Pendant que celui-là s'habillait, Baba, leur noir ami, leur fil en-
LX. trevoir les immenses avantages auxquels ils pourraient arriver, s'ils
Babel n'était d'abord qu'un rendez-vous de chasse dc Nemrod : voulaient seulement suivre la roule que la fortune semblait leur
ce fui ensuite une ville célèbre par ses jardins, ses murs et sa mer- montrer clairement : il termina en disant :« Qu'il ne devait pas leur
1
veilleuse opulence ; là régna Nabuchodonosor, le roi des hommes, cacher combien ils amélioreraient leur sort s'ils voulaient comles-
qui, par un beau jour d'été, se mil à brouter le gazon; là Daniel,' cendre à ta circoncision.
apprivoisant les lions dans leur repaire, excita l'admiration el le res-' LXX.
pect des peuples; elle fut illustrée encore par Pyrame ct'fhisbé, et
« Pour lui-même, il se réjouirai! sincèrement de voir en eux
de
par Sémiramis, cette reine calomniée.
vrais croyants, mais il n'en laissail pas moins la chose à leur choix. »
LXI. L'aîné des deux captifs, le remerciant de l'excessive bonté quil
mollirait en leur laissant la décision de cette bagatelle « ne pouvait,
Oui, cette reine méconnue; car de grossierschroniqueurs (et sanss dil-il, exprimer toute son admiration pour les coutumes d'une nation
doute ils se sont pour cela entendus tous ensemble) l'ont accusée e si bien policée.
d'une affection illégitime pour son cheval (l'amour, comirc la reli- £ LXXI.
gion, tombe quelquefois dans l'hérésie). Ce qui a pu donner lieu
à.celle fable monstrueuse, c'eslque probablementon aura écrit cour- « Pour son propre compte, il avait peu d'objections contre une
sier au lieu de courrier : je donnerais gros pour que l'affaire pût ôlre *e pratique aussi ancienne el aussi respectable ; el aprèsavoir sav.iiue
portée chez nous devanl un jury (l). une légère collation pour laquelle il .-o sentait en appétit, il ne dou-
tait pas que quelques heures de réflexion ne lui tissent goûter par-
i_ | faileinent la chose. » — « Vraiment! s'écria vivement le jeune
(t) Allusion à l'affaire de la reine Caroline, accusée de relations inti-
mes avec son courrier Bergami. homme : Que l'on me nielle à mort; qu'on me circoncise la lèteh-
OEUVRKS COMPLET!» DE LOHI) HYRON. 207

gens; mais vous, digne nonne chrétienne, vous allez me suivre.


LXXII. Point de plaisanterie, monsieur! quand je dis une chose, i! faut
Pi
qu'elle
jjjj sc fasse à l'instant. Que craignez-vous! croyez-vous être
«
Qu'on me coupe mille tètes avant —Un moment! reprit dans le repaire d'un lion? Vous êtes dans un palais où le vrai sage
mire, veuillez ne point m'inlcrrompre : vous me faites perdre le '
prend un avant-goût du paradis du prophète.
de mon discours. Monsieur!... comme j'avais l'honneur de vous '
dire, aussitôt que j'aurai soupe, j'examinerai si votre proposition LXXX1I.
il telle que je puisse l'accepter ; pourvu
toutefois que votre execs-
vc bonté me laisse toujours mon libre arbitre. » « Pauvre fou! personne ici ne vous veut du mal, je vous le
ré-
pète.—Tant
P' mieux pour ceux que je rencontrerai, dit Juan; autre-
LXXI1I. ment,
m ils sentiront le poids de mon bras, lequel n'est point encore
Sur ce, Baba sc tourna vers don Juan, el dit : « Ayez la bonté de ?,1 léger que vous pourriez le penser. Je vous obéis jusque-là ; mais
si
j'aurais
V bientôt rompu le charme, si quelqu'un s'avisait de me pren-
ons habiller. » Et il lui montrait un costume qu'une princesse eût
lé charmée de revêtir ; mois ne se sentant pas en humeur de mas- "! pour ce que je parais être. J'espère, dans l'intérêt de tout le
dre
irade, Juan resta muet; delà pointe de son pied chrétien il re- | monde,
™ que ce déguisement ne donnera lieu à aucune méprise.
oussa légèrement ces chiffons, et le vieux nègre ayant ajouté : LXXXIII.
Dépêchez-vous: » il répliqua : « Mon vieux monsieur, je ne suis
oint une dame. —Mauvaise tète! venez el vous verrez, »conclul Baba. Cependant
LXX1V. d Juan se tourna encore vers son camarade, qui, bien qu'un peu
don
—J'ignore ce que vous êtes et ne m'en soucie point, reprit Baba; chagrin, ne pouvait s'empêcher de sourire de cette métamorphose :
nais veuillez faire ce que je vous dis : je n'ai ni temps ni paroles à «" Adieu, s'écrièrent-ils à la fois; ce pays semble fertile cn aventures
icrdrc. — Au moins, dit Juan, je puis vous demander le motif dc neuves et bizarres: l'un sc fait à moitié musulman, l'autre se
déguisement?— Réprimez cette curiosité, dit Baba : tout change
£ en fille, par la puissance non invoquée de ce vieux magi-
:e bizarre cien noir.
s'expliquera sans doute en temps et lieu ; je ne suis pas autorisé a LXXXIV.
,0115 en dire plus.
LXXV. — Adieu, répéta Juan ; si nous ne devonsplus nous rencontrer,
En ce cas, si j'y consens, s'écria encore le jeune homme, je je J vous souhaite un bon appétit. — Adieu ! répliqua l'antre; quelque
— pénible
I que me soit celte séparation, quand nous nous reverrons,
veux bien que — Arrêtez! reprit le nègre, pas dc menace! cette nousaurons bien des choses à nous raconter: ledeslin gonfle la voile,
fierté esl bonne, mais elle pourrait aller trop loin, et vous vous aper- !,

cevrie-f- que nous sommes peu disposés à la plaisanterie,~~Commcnl


force nous est de voguer. Conservez votre honneur, bien qu'ICvc
elle-même ait succombé. — Soyez tranquille,s'écria la vierge suppo-
donc, monsieur! scra-t-il dit que par mon costume j'ai changé de c
le sultan lui-même ne m'enlèvera pas, à moins que Sa Hau-
sexe?—Eh bien ! répliqua Baba en montrant les vêtements étendus sée, *
tesse ne me promette mariage.»
par terre : poussez- moi à bout et j'appellerai des gens qui no vous
laisseront plus de sexe du lout. LXXXV.
LXXVL Sur ces mois ils se séparèrent, chacun sortant par une porte dif-
!férente. Baba conduisit Juan de chambre en chambre, par des ga-
« Je vous offre un fort joli costume ; un costume de femme il est leries resplendissanteset pavées de marbre, jusqu'à un portail gi-
vrai ; mais enfin il y a un motif pour que vous le preniez, =» Eh
(|iioi ! bien que mon âme tout entière sc révolte contre cet attirail
gantesque
' qui élevait de loin dans l'ombre sa masse hardie cl
féminin?... » Puis après un moment dc silence et toul en jurant colossale. L'air était embaumé; ou eût dit qu'ils approchaient d'un
'sanctuaire;
entre ses dents il s'écriait encore : « Que diable voulez-vousque je ! car tout était vaste, calme, odorant et divin.
fusse de celle maudite gaze ? » C'est ainsi que sa bouche profane dé-
signait la plus merveilleuse dentelle qui ait jamais paré le front LXXXVI.
d'une mariée. La porte gigantesque était large, élevée el brillante : elle était de
LXXVII. bronze doré et ciselée curieusement : on y voyait des guerriers
lînsuile, il jura encore ; puis toul cn soupirant, \\ passa un pan- combattre avec furie; ici le vainqueur s'avance avec fierté; là le
talon de soie couleur de chair; puis on lui mit une ceinture virgi- vaincu gît sur ta soj; plus loin des captifs, les yeux baissés, suivent
nale retenant les plis légers d'une chemise aussi blanche que du le char triomphal, et l'on voit à 1 horizon des escadrons en déroule ;
lait; niaisen niellant son jupon, il trébucha, ce qui, ii'lihh.,. comme ce travail paraît plus ancien que l'époque où lu race impériale, trans-
nous disons... ou whilk comme disent les Ecossais (et|a rime, plus plantée de Home, périt avec le dernier Constantin.
impérieuse que les rois, m'oblige à employercette dernière forme)...
LXXXVI1.
LXXVIII, Ce portail massif s'élevait à l'extrémité d'une salle immense : dc
Ce qui {whilk on whiclt, comme il vous plaira) provenaitde son chaque côté élail assis un nain, des plus petits qu'on puisse imagi-
peu d'habitude autant que dc sa maladresse. Pourtant, après bien ner ; ces hideux diablotins semblaient être là pour faire ressortir
du leinps perdu, il parvint enfin à compléter sa toilette : il est vrai par un contraste ridicule l'orgueil quasi-pyramidal de l'énorme
que. le nègre Baba lui prêtait la main de temps à autre, quand une
porte. Le monument déployaitdans toutes ses parties une telle splen-
malencontreusepièce dc vêtement ne voulait pas aller. Enfin, ayant deur que l'on apercevait a peine ces infimes créatures...
passé les deux bras dans les manches d'une robe, il s'arrêta pour
s'examiner des pieds à la tête. LXXXVHI.
Si ce n'est au moment dc marcher sur elles; et alors on reculait
LXXIX. d'horreur devant l'étonnante laideur dc ces deux diminutifs
restait encore une difficulté... ses cheveux n'étaient pas assez
Il d hommes dont la couleur n'était ni le noir, ni le blanc, ni le gris,
Imigs; mais Baba trouva dans l'armoire une telle abondance dc mais un insolite mélange que la plume ne saurait décrire, bien que
finisses tresses que bientôt sa tête, que l'eunuque lui fil d'abord peut-être le pinceau puisse l'imiter. Ces pygmées difformes étaient
peigner el parfumer d'huile fut complètementgarnie selon lu mode en outre sourds et muets. . monstres achetés à un prix monstrueux.
actuelle du pays. Le tout fut orné de picrrciies, pour correspondre
à l'ensemble de la toilette. LXXXIX.
LXXX. Comme ils étaient vigoureux, tout chétifs qu'ils semblaient, et
faisaient parfois des travaux de force, ils avaient pour fondions
Alors, son équipage féminin se trouvant au grand complet, avec: d'ouvrir celte porte, ce qui d'ailleurs leur était facile, car les gonds
l'aide des ciseaux, du fard et des pinces à épiler, il offrit sousi cn élaicnl aussi doux que tes ers de Rogcrs. Ils avaient encore mis •
presque lous les rapports 1 aspect d une jeune- vierge, et Baba s'é- sion, par ci par-là, selon la coutume de l'Orient, de faire avec la
ciia en souriant: «Vous voyez que la transformation esl complète;i corde d'un arc une cravate pour quelque pacha rebelle : car ce sont
cl mainlenant, vous allez me suivre, messieurs... je veux dire, ma- en général des muets à qui l'on donne cet office.
damej. Sur ces mots il frappa deux fois des mains, et en
»
ilniil quatre noirs furent devant lui.
un .?lini
XC.
LXXXI. Us parlaient par signes... c'csl-à-dirc qu'ils ne parlaient pas du
lout. — Pareils à deux incubes, leurs yeux élinrelèrenl quand
«Vous, monsieur, reprit Baba, en faisant signe au plus âgé des3 Baba, en jouant des doigts, leur fit comprendre qu'il fallait ouvrir
Kipiifs, vous daignerez vous mettre à table avec ces quatre bravess i les battants de la porte. Juan éprouva un moment d'effroi quand il
208 LES VEILLEES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

vit ces deux petils hommes diriger sur lui leurs yeux de serpent ir-
rité : on eût dit que leurs regards empoisonnaient, fascinaient. XCVII.
XCI. Son aspect était aussi imposant que la pompe qui l'entourait; elle
Avant d'entrer, Baba s'arrêta pour donner à Juan comme son avait ce genre d'irrésistible beauté que nulle description ne peut
,
guide, quelques légers avis : « Si vous pouviez, lui dit-il, adoucir rendre. J'aime mieux laisser à votre imagination le éoin de s'en
la majesté de démarche masculine, tout n'en serait former l'idée que de l'affaiblir par tout ce que je pourrais dire de
un peu voire
que mieux ; vous devriez aussi (quoique ce ne soit pas grand'chose) ses formes et de ses traits : vous seriez frappé d'aveuglement, si je
pouvais faire ressortir chaque détail; c'est donc fort heureusement
vous balancer un peu moins de droite et de gauche, ce qui pro- et pour vous et pour nri, que l'expression me manque.
duit parfois un effet des plus bizarres... enfin vous pourriez prendre
un air un peu plus modeste. XCVIII.
XCII.
« Ce serait chose prudente ; car ces muets ont des yeux perçants J'ajouterai cependant qu'elle avait atteint l'âge mûr, pouvant être
comme des aiguilles et dans son vingt-sixième
capables de pénétrer à printemps; mais il esl
travers vos jupons. S'ils des beautés auxquelles
venaient à découvrir vo- le temps s'abstient de
tre déguisement, vous toucher, détournant sa
savez que le Bosphore faulx sur de vulgaires
n'est pas loin et qu'il objets ; telle fut Marie,
.
est assez profond; et il reine d'Ecosse. Il est
pourraitadvenirqu'avant vrai que les larmes et les
le lever de l'aurore, vous passions sont.destructri-
et moi nous arrivassions ces : la douleur qui mine
dans la mer de Marmara, sourdementprive la ma-
sans bateau el cousus gicienne de ses pouvoirs
dans des sacs, mode de magiques ; néanmoins il
naviguer dont on ne se est des femmesqui ne de-
fait pas faute ici dans viennent jamais laides :
l'occasion. » exemple, Ninon.
XCIII. XCIX.
Après cet encourage- Elle adressa quelques
ment, il l'introduisit dans mots à ses suivantes,
une pièce plus magnifi- 3ui formaient un choeur
que encore que la précé- e dix ou douze jeunes
dente; les objets somp- filles, foutes vêtues com-
tueux y étaient entassés me don Juan, à qui Baba
dans une telle confusion, avait donné leur unifor-
que l'oeil, ébloui par l'é- me. On les eût prises
clat jaillissant de toutes pour une troupe de nym-
parts, n'y pouvait démê- phes, et elles auraient pu
ler aucun objet distinct : traiter de cousines les
c'était une masse élin- compagnes de Diane, du
celante de pierreries d'or moins quant à l'exté-
et dc joyaux dont on rieur ; au-delà, je ne
semblait avoir fait litière. voudrais rien garantir.
XC1V. C.
La richesse avait fait Elles firent la révéren-
des miracles... le goût ce et se retirèrent, mais
peu de chose. C'est ce non par la porte qui s'é-
qui arrive dans les palais tait ouverte pour Bulm et
de l'Orient, et même dans pour Juan. Celui-ci se
les séjours plus modestes tenait immobile à quel-
des monarques occiden- que distance, admirant
taux ; j'en ai vu six ou loul_ ce qu'il voyait dans
sept, et je puis dire que, cel étrange salon ; el cer-
si l'or et les diamantsn'y tes les chosesétaient bien
jettent pas grand lustre, faites pour lui inspirer la
on y trouve d'ailleurs Nous sommes des captifs échappés du sérail.
surprise et l'admiration,
bien des choses à repren- sentiments qui vont tou-
dre : des groupes de jours de compagnie. Et
mauvaises statues, des ta- je dois foire observer ici
bles, des fauteuils, des que jamais je n'ai com-
tableaux dont la criti- pris la grande félicité du
que demanderait trop de nil admirari.
temps.
XCV. CI.
Dans ce salon impérial, à demi couchée sous un dais, dans toute « Ne rien admirer esl le seul secret qui puisse rendre les hommes
la sécurité d'une reine, reposait une dame. Baba s'arrêta et, s'age- heureux ou les conserver tels, » voilà comment celte maximea élé
nouillant, fit signe à Juan qui, bien que peu habitué à prier, fléchit exprimée, sans vaines fleurs de rhétorique, par Horace d'abord, puis
instinctivementle genou, sc demandant à pari lui ce que lout cela par son traducteur, Crcech, et enfin par Pope empruntant les paroles
signifiait. Cependant Baba resta incliné et courbantla têle jusqu'à de Creech pour les adresser à Murray, son protecteur. Mais si per-
la fin du cérémonial. sonne n'avait rien admiré, Pope el Horace auraient-ils chanté?
XCVI.
Alors la dame, selevantdel'air d'une Vénus qui sort des flols, fixa CIL
sur eux, avec la vivacité d'une gazelle, deux yeux dont l'amoureux Quand toutes ces demoiselles furent sorties, Baba fit signe à Juan
éclat éclipsa celui de foules les pierreries qui l'entouraient; puis d'approcher, et lui dit de s'agenouiller une seconde fois et de baiser
levant un bras aussi blanc que les rayons de la lune, elle fit un le pied de la dame. A cet ordre répété, notre héros indigné se leva
signe à Baba : celui-ci baisa d'abord la frange de sa robe de pour de toute sa hauteur et dit : « Qu'il en étaitbien fâché, mais qu'il n"
pre ; puis il lui parla tout bas en montrant du doigt Juan resté un baiserait jamais dc chaussure, à moins que ce ne fût celle du
peu en arrière. pape. »
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYIION. *209

traits, toute la douceurde ceux du démon, quand il revêtit la forme


CHI. d'un chérubin pour tenter Eve, et nous frayer (Dieu sait comment)
la roule du mal. L'oeil ne pouvait pas plus reprendre dc taches dans
fiaba, ne pouvant supporter cette fierté déplacée, lui fil de vertes beauté que dan» le disque môme du soleil ; et pourtant on y sen-
foniontrnnccs; il le menaça même (mais tout bas) du fatal lacet... sa tait l'absence d'un je ne sais quoi : elle semblait ordonner plutôt
fout fut inutile : Juan n'était pas homme à s'humilier, môme devant qu'accorder.
l'enouse de Mahomet. Il n'y a rien au monde d'aussi puissant que
l'étiquette, dans les appartements royaux ou impériaux, de même CX.
qu'aux courses ou aux bals de province. Quelque chose d'impérial ou d'impérieux jetait pour ainsi dire
C1V. une chaîne autour d'elle : c'est-à-dire qu'à son approche vous sen-
tiez comme une chaîne peser sur votre cou. Or, pour peu que se
Juan restait immobile comme Allas; un monde de paroles rcten- montre le despotisme, le bonheur le plus enivrant semble une souf-
jsHiitàses oreilles, et néanmoins il refusait dc plier; il sentait bouil- france. Notre âme au moins est libre ; en vain nous voudrions con-
lir dans ses veines le sang tre son gre taire olieir tes
de lous ses aïeux castil- sens l'esprit finit par
lans ; el plutôt que de prévaloir.
condescendre à déshono- CXI.
rer sa race, il eût préféré
sentir milleglaives lui ar- Son sourire même, si
racher mille fois la vie. doux qu'il fût, était plein
Enfin voyant qu'il était de hauteur: sa tète saluait
inutile d'insisterà l'égard sans s'incliner ; une vo-
du pied, Baba lui proposa lonté tyrannique perçait
de baiser la main de la jusque dans ses petits
dame. pieds; on eût dit qu'ils
CV. avaient la conscience de
C'était là un honorable son rang et qu'ils étaient
compromis un lieu mi- habitués à marcher sui-
,
toyen de trêve diplomati- des têtes prosternées. En-
que, où l'on pouvait s'a- fin pour compléter sa ma-
boucher sur un pied de jesté, un poignard (c'est
paix. Juan déclara qu'il la coutume nationale)
était prêt à donner toutes brillait à sa ceintureet an-
les marques convenables nonçait en elle l'épouse
de respect, ajoutant que du sultan (et non la mien-
celle-ci élait la plus usi- ne, grâce au ciel )!
tée cl la meilleure ; car
dans loul le Midi la cou- CXII.
tume fait encore un de- « Entendre et obéir, »
voir aux cavaliers de bai- telle avait élé depuis son
ser lu main des dames. berceau la loi de tout ce
qui l'entourait; satisfaire
CVI. toutes ses fantaisies, ré-
Il s'avança donc, quoi- pandre autour d'elle la
que d'assez mauvaisegrâ- joie et la gaité, telle avait
ce; cl pourtant jamais élé l'occupation de ses es-
lèvres ne laissèrent leur claves, et sa volonté était
impression passagère sur qu'il en fût ainsi. Sa nais-
des doigtsplus aristocra- sance était illustre, sa
tiques et plus beaux. La beauté à peine terrestre :
lioucho ne se détache jugez alors si ses capri-
d'une telle main qu'à re- ces devaient connaître un
(jrct; et au lieu d'un bai- terme ; si elle eût élé
ser, elle voudrait en im- chrétienne, je crois que
primerdeux, commevous le mouvement perpétuel
pourrez vous cn convain- serait enfin trouvé.
cre, si la beauté que vous
aimezpermet que sa main CXHI.
vienne cn contact iivec Tout ce qu'elle voyait
votre bouche. Que dis- et désirait, on le lui of-
je! il suffit souvent de la
main d'une belle étran- Les Tucrs faisaient feu comme des diables.
frait ; ce qu'elle ne voyait
gère pour ébranler une pas , mais dont elle sup-
posait l'existence, on le
constance de douze mois. cherchait avec soin et
quand on l'avait trouvé,,
CVII.
la dame examina don on l'achetaità lout prix.
11 n'v avait noint de ter-
Juan de la tête aux pieds ; puis elle dit à Baba de sortir, ordre
que me à ses emplettes ni aux embarras que causaient ses caprices ;
ce dernier exécuta dans le vrai style, en homme habitué à la re- néanmoins il y avait tant dc grâce dans sa tyrannie, que les fem-
traite. Entendant les choses à demi-mot et les prenant toutes du
ban côté, il dit lout bas à don Juan de mes lui pardonnaient lout, excepté son visage.
ne s'effrayer dc rien, lui
adressa un mystérieux sourire, et prit congé, de l'air content d'un CXIV.
'lomme qui vient de faire une bonne action.
Juan le dernier de ses caprices, avait attiré ses regards tandis
CVIII. qu'il se , rendait au marché. Elle avait aussitôt donné ordre de l'a-
cheter Baba, qu'on trouvait toujoursprêt quand il s'agissait de
Dès qu'il eut disparu, ce fut un changement soudain. Je
ne sais faire le, et l'hommequ'il fallait pour ces sortes de transac-
quelles étaient les pensées de la dame, mais
une émotion étrange tions la dameétait
mal,
manquait de prudence, maislui en avait pour deux;
rayonna sur son front : le sang montant à sa joue transparente, :
,
3 colora d'un rouge éclatant comme celui des nuages de l'extrême c'est ce qui expliquele déguisement accepté par Juan avec lant dc
horizon par un couchant d'été dans répugnance.
mélange d'orgueil et de volupté.;
ses grands yeux se peignitun cxv.
CIX. Sa jeunesse et sa beauté favorisèrent la ruse; et si vous me de-
mandez commentl'épouse d'un sultan pouvaithasarder ou méditer
Sus formes avaient toute la molle élégance de
son sexe; ses des fantaisies aus-i étranges, je laisserai la chose à la décision des
PAIIIS. — Imp. I.iCOBliel Ce, rue Soutdol, 16. 14
— «
210 LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

sultanes. Les empereurs ne sont que des maris aux yeux de leurs cl n'articula point un reproche, dernière ressource qu'accepte |-,
che
femmes, cl les rois ou les quasi-rois sonl souvent mystifiés, fierté
fi< d'une femme : elle se leva, et après un moment de chaste hé
sitalion,
si elle se jeta sur son sein en sc pressant contre lui.
CXVL
Mais revenons au point principal. Considérant tous les obstacles CXXVI.
comme vaincus, elle crut montrer beaucoup de condescendance en- C'était une périlleuse épreuve, et Juan le sentit; mais il élait en'.
vers cet esclave, devenu enfin sa propriété , lorsque, sans plus de rassé
r« par la douleur, la colère et l'orgueil. Il se dégagea doucement
préface, elle abaissa sur lui ses yeux bleus où sc confondaientla di bras d'albâtre qui l'entouraient, el (il asseoir à côlé dc lui ];i
des
passion et l'empire, et se contenta de lui dire : « Chrétien, sais-tu dame presque évanouie. Alors se relevant avec fierté, il promena ses
di
aimer? » s'iniaginantque ce peu de mots suffiraientpourl'émouvoir, regards
n autour de l'appartement, puis les reportant froidement sur
Gulbcyaz : « L'aigle captif, dit-il, n'accepte pas de compagne ; et moi
G
CXV1L je
j( ne servirai pas les caprices sensuels d'une sultane.
El cela eût suffi véritablement, en temps et lieu convenables ;
CXXVII.
mais Juan, l'Ame encore pleine d'Haïdée cl de son île, et de ses doux
traits ioniens, sentit le sang chaleureux, qui colorait son visage re- « Tu me demandes si je sais aimer ! Juge combien j'ai dû aimer.,,
fluerjusqu'à son coeur, en comprimer les mouvements, et laisser sur puisque
p je ne t'aime pas. Sous cel ignoble travestissement, la que-
ses joues la pâleur de la neige. Ces paroles le percèrent jusqu'au nouille
n la navette cl les fuseaux peuvent seuls me convenir : IV
, fait
fond de l'âme comme des lances arabes, si bien qu'il ne répondit nmour esl pour lesôlres libres! La splendeurde ce palais nem'é-
mot, mais fondit cn larmes. hlouilpas:
h quelque soit ton pouvoir, apprendsqu'autourd'un trône
CXV1II. les tôles s'inclinent, les genoux fléchissent, les yeux veillent, |ç3
I.
Elle fut vivement choquée, non de voir pleurer, car les femmes mains
" obéissent...les coeurs restent indépendants. »
en usent à volonté ; mais à voir pleurer des hommes, il y a quelque CXXYIII.
chose dc pénible el dc poignant : les larmes d'une femmo attendris-
sent, celles d'un homme brûlent presque comme du plomb fondu ; Vérité vulgaire pour nous, mais non pour cette femmequi n'avail
on dirait que pour les lui arracher, on lui enfonce un dard dans le j
jamais rien entendu dc pareil; elle s'imaginait que le moindre de
coeur : en un mot, c'est là un soulagement, ici une torture. s commandements devait être accueilli avec transport, la lerre n'é-
ses
tant
t faite que pour les rois et les reines. Si le coeur est placé à gau-
CXIX. che
c ou à droite, elle lesavail à peine, tant esl grande la perfection
Elle eût voulu le consoler, mais comment : n'ayant point d'égaux, àJ laquelle la légitimité conduit ses croyants héréditaires, élcvésdans
rien qui jusque-là eût éveillé sa sympalhie,et n'ayant jamais même la conscience de leurs droits royaux sur les hommes.
songé à supporter le moindre chagrin sérieux, sauf quelques petits CXXIX.
soucis boudeurs qui parfois obscurcissaient son front, elle s'élonnait
que si près de ses yeux d'autres yeux pussent pleurer. D'ailleurs, hous l'avons dit, elle élait si belle que, môme dans une
condition
i beaucoup plus humble, elle eût pu partout créer un roi
CXX. iou
faire dég rebelles; et puis il est à présumer qu'elle comptait un
Jpeu sur ses
charmes, car de pareils moyens de succès ne soin guère
Mais la nature donne plus de tact que la grandeur n'en peut étouf-
fer, et quand une sensation forte, môme inconnue, vient 1 émouvoir, mis éll oubli parcelles qui les possèdent! Elle estimait que sabeaulé
ilut donnait Un double droit divin, opinion
le coeur féminin offre un sol favorable à la tendresse. Quelle que soit que je partage à moitié.
leur nation, comme la Samaritaine, elles versent l'huile el le vin CXX.
sur nos blessures. C'esl ainsi que Gulbcyaz, sans savoir pourquoi,
sentit ses yeux s'humecterd'une étrange moiteur. O Vous qui, dfttts voirejeunesse, avez eu à défendre votre chaslelé
Contré les attaques désespérées d'une douairière amoureuse, cl qui,
CXXI. fttiii jours caniculaires, l'avez blessée par vos refus, rappelez-vous,
Mais, comme toute chose, les larmes ont une fin. Poussé à un sou- DU, M VOUS lié lé pouvez, imaginez-vous sa rage; ou bien rcmcllcz-
dain accès de douleur par le ton impératif avec lequel on osait lui voit* éll mémoire tout ce que l'on a écrit ou chanté sur ce sujet; cl
demander s'il savait aimer, Juan rappela bientôt la fermeté dans ses puis Supposez dans le môme cas une beauté jeune cl accomplie.
regards, où celle faiblesse qu'il se reprochait avait mis un nouvel
éclat; et bien que sensible à la beauté, il sc trouva plus accessible CXXXI.
encore au chagrin de ne pas être libre. Suppose».», mais vous avez déjà supposé l'épouse dc Pulipliar,
Phèdre et tous les beaux exemples que l'histoire nous offre dans ce
CXXII. genre ; quel dommage qu'ils soient si peu nombreux ceux que les
Pour la première fois de sa vie, Gulbcyaz se trouva fort embar- poêlés et lès précepteurs citent pour votre instruction, ô jeunesse
rassée, car elle n'avait jamais entendu autour d'elle que des prièresi do l'EuropeI Mais quand vous aurez évoqué ces rares souvenirs,
et des flatteries; et comme d'ailleurs elle risquait sa vie pour se pro*L VOUB n'ouïe»point encore une idée de la fureur de Gulbeyaz.
curer un confortable tèlc-à-lôle avec un jeune novice en amour, CXXX1I.
perdre le temps était pour elle un vrai martyre; cl déjà il s'étaitt
écoulé près d'un quart d'heure. Une tigresse à qui l'on dérobe ses petits, une lionne, ou toulc
nuire intéressante bête de proie, s'offrent naturellement comme
CXXI11. points do comparaison , s'il s'agil de peindre la désolation des
Je profilerai de cette occasion pour indiqueraux amateursle tempss dames quand elles n'en peuvent faire à leur lête; mais quoique jo
précis qu'on accorde cn pareil cas... à savoir dans les pays méri- ne puisse me contenter à moins, ces similitudes n'expriment pas la
dionaux. Chez, nous, on accorde plus de latitude; mais ici le pluss moitié dc ce que je voudrais dire : qu'csl-cc en effel que le chagrin
courl délai forme un grand crime ; ainsi rappelez-vous que l'ex- dc se voir enlever un ou plusieurs enfants, auprès de la douleur de
trême indulgence vous donnejuste dix minutes pour déclarer votree perdre toute espérance d'en avoir.
flamme... une seconde de plus vous perdrait de réputation.
CXXXHI.
CXXIV. L'amour de la progéniture est une loi naturelle, depuis la pan -
Celle de Juan était bonne, et il eût pu la rendre meilleure encore,> Ibère et ses petits jusqu'à la cane et ses canards : rien n'aiguise leur
s'il n'avail eu son Haïdée en tête: chose étrange peut être, il neé bec ou leurs griffes comme une invasion parmi leurs nourrissons et
l'avait poinl encore oubliée, ce qui le faisait paraître excessivement
it leur couvée; et quiconque a vu une nursery anglaise, sait comble"
mal élevé. Gulbeyaz, qui le regardait comme son débiteur pour laa les mères se complaisent aux cris et aux rires de leurs enfants; cl
peine qu'elle avait prise de le faire conduire dans son palais, rougit
it par la force dcl'cffel, on peul juger de l'énergie dc la cause.
d'abord jusqu'au blanc des yeux, puis devint d'une pâleur mortelle,
puis elle reprit ses premièrescouleurs. CXXXIV.
CXXV. Si je vous disais que des éclairs jaillissaient des yeux de Gulbcyaz
ce serait ne rien dire; car ces éclairs étaient perpétuels. Si je dis»''
Enfin, d'un air tout-à-fait impérial, elle posa sa main sur celle du
lu que ses joues se couvrirent des teintes les plus vives, je ferais lort
jeune homme, et fixant sur lui des yeux qui pour persuader n'a- i- au teinturier, tant l'exnression dc sa passion était étrange. Janine
vaient pas besoin d'un empire, elle chercha dans ses regards un in jusqu'à ce jour un seui de ses désirs n'avait élé contrarié; vous
amour qu'elle n'y trouva pas ; son front se rembrunit, mais sa bou- i- même qui savez ce que c'est qu'une femme contrecarrée (el D' 011
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON. 211

lit combien peu l'ignorent), vous no sauriez vous faire une idée de prima)
pi ! impératrice de la terre, qui, d'un seul froncement de vos
dle-ci. sourcils,
se troubleriez l'harmonie des sphères célestes, dont un seul
CXXXV. sourire fait danser de joie toutes les planètes, votre esclave vous ap-
sc
n'être point entré trop lui... un mes-
'j un message... il espèreattention.
porte
Sa fureur ne dura qu'une minute, et ce fut fort heureux... un Le soleil lui-même m'envoie
loincnt de plus l'eût tuée; mais ce peu d'instants suffit pour dévoi- ^ digne de
sage de votre sublime
comme un ses rayons vous annoncer qu'il vient en personne.
,r l'enfer. Bien dc plus sublime qu'un courroux énergique, horri-
lc à voir, mais grandiose à décrire, pareil à l'Océan qui assiège une CXLV.
e ceinte de rochers; les liassions profondes qui flamboyaient dans
ute sa personne en faisaient une tempête incarnée. — Est-ce bien vrai ? s'écria Gulbeyaz ; plût âmes
au ciel qu'il voulût ne
point
P briller avant demain matin! Mais dites femmes de for-
CXXXVI. n la voie lactée. Allez, ma vieille comète; avertissez les étoiles.
mer
Parler de sa rage comme de ces fureurs qu'on voit lous les jours, El loi, chrétien, mêle-toi parmi elles comme tu pourras, et si tu
;
veux que je le pardonne... » Ici elle fut interrompue par un murmure
e serait comparer un orage vulgaire à une trombe. Et cependant confus, puis par une voix qui cria : « Le sultan ! »
lie ne se sentit pas le besoin de prendre la lune comme le bouillant
lolspur, dans notre immortel Shakespeare; sa colère prit un essor CXLVI.
louis élevé, peut-être à cause de la douceur de son sexe el de son
se... d'abord elle eûl volontiers crié comme le roi Lear : « Tue, D'abord vinrent les femmes respectueusementrangées à la file,
ùc, lue!» Mais bientôt sa soif de sang s'éteignit dans les larmes, puis
r les eunuques blancs et noirs de Sa Hautesse : le cortègepouvait
avoir un quart de mille de longueur. Sa majesté avait toujours la
jpolitesse
CXXXVII. de faire annoncer ses visites longtempsà l'avance, surtout
{ soir; car Gulbeyaz sc trouvant la dernière des quatre épouses de
le
Le lout éclata comme un orage et passa de même... et sans pa-
oies... à la vérité elle élail hors d'état de parler. Enfin, elle éprouva
l'empereur, était, comme de raison, la favorite.
a honte naturelle à son sexe, sentiment qui avait élé jusque-là très CXLVII.
aiblecn son coeur, mais qui alors s'épancha librcuent comme l'eau
iar une soudaine issue; car elle se sentait humiliée, et aux personnes Sa Hautesse élait un homme d'un port grave, enturbanné jus-
le son rang l'humiliation est quelquefois profitable. qu'au
i nez et barbu jusqu'aux yeux. Tiré d'une prison pour monter
sur
l! le trône, il avait depuis peu succédé à sou frère, étranglé; c'é-
cxxxvin. tait, dans son genre, un aussi bon monarque que ceux qui se trou-
L'humiliation leur enseignequ'elles sont de chair et de sang; clic vent mentionnés dans les histoires de Cantemir ou de Knollôs, où
,bien peu brillent, à l'exception de Soliman
cm* fait comprendre loul doucement que les autres, quoique d'ar- , la gloire de celte race.
•ilo, ne sonl pas toul-à-fail de boue; que les urnes et les cruches
ont des soeurs également fragiles, oeuvres du môme arl, bonnes ou
CXLVIII.
naiivaises, quoique n'étant [tas nées des mêmes pères cl mères. Elle H se rendait en pompe à la mosquée et faisait ses prières avec une
enseigne... Dieu seul sait tout ce qu'elle peut enseigner ; parfois ses exactitude plus qu'orientale; il abandonnait à son visir toutes les
leçons corrigent, mais du moins elles frappent toujours. affaires dc l'Etal, cl se montrait peu curieux de ce qui le regardait
comme roi. Je ne sais s'il avail quelques soucis domestiques...nul
CXXX1X. procès n'attestait des discordes conjugales; quatre femmes et deux
Sa première pensée fut de couper la tête de don Juan ; la seconde,
fois cinq cents concubines, toutes invisibles, se gouvernaient avec
ùc lui couper seulement... la continuation dc son amitié; la troi- autant de calme qu'une seule reine chrétienne.
sième, de lui demander où il avait élé élevé ; la quatrième, dc ra-
CXLIX.
mener à résipiscence par la raillerie; la cinquième, d'appeler ses
femmes pour se faire mettre au lit ; la sixième, do se poignarder ; Si quelque faux pas se faisait par-ci par-là, on n'entendait guère
la septième, de faire donner le fouet à l'eunuque noir... Mais sa parler de la criminelle el du crime; l'histoire ne passait que par une
grande ressource fut de se rasseoir et dc pleurer comme de raison. seule bouche : le sac cl la mer réglaient tout sans délai, et gar-
daient bien le secret. Le public n'en savait pas plus que n'en sait
CXL. ce papier : nul scandale ne faisait dc la presse un fléau... La morale
à se poignarder, mais il y avait un inconvé-
lillc songea, dis-je, s'en trouvait mieux, et les poissons n'en étaient pas plus mal.
nient c'esl qu'elle avait le poignard sous la main ; car les corsets
,
oiii-nlànx ne sonl pas rembourrés, de sorte qu'un poignard les tra- CL.
verse pour peu que l'on frappe. Elle songea aussi à faire mourir Le sultan voyait de ses yeux que la lune est ronde, et tenait pour
Juan ; niais le pauvre garçon ! bien qu'il le méritât pour sa froideur, également certain que la lerre esl carrée, car il avail fait un voyage
iui couper la lète n'était'pas le plus sûr moyen d'arriver au but... de cinquante milles et n'avail vu aucun indice qui lui prouvât
c'est-à-dire à son coeur. qu'elle esl circulaire. De plus, son empire était sans limites; il est
CXLI. vrai que la paix en était un peu troublée çà et là par des rébellions
Juan fut ému : il avait pris son parti d'être empalé ou coupé en dc pachas ou les invasions des Giaours; mais les ennemis ne ve-
morceaux pour servir de nourriture aux chiens, ou mis à morl avec
naient jamais jusqu'aux Sept-Tours...
îles tourments raffinés, ou jeté aux lions, ou donné en amorce aux
laissons; el il s'était héroïquement résigné à lout cela plutôt que CL1.
'le [lécher... à moins que ce ne fût de sa propre volonté ; mais toutes Si ce n'est dans la personne de leurs ambassadeurs, qu'on y lo-
tes grandes résolutions contre la morl se fondirent comme de la geait dès que la guerre éclatait, conformément au véritable droit
neige devant les pleurs d'une femme. des gens, qui ne saurait vouloir que ces misérables, n'ayant jamais
tenu une épée dans leurs sales mains diplomatiques, pussent exha-
CXL1I. ler leur fiel, semer les discordes et arranger tranquillement leurs
De même que certain personnage de comédie sent son courage', mensonges, affublés du nom de dépêches, sans courir même le ris-
lui glisser des mains, ainsi la vertu de Juan eut
son reflux ; je ne que de voir roussir un de leurs favoris noircis à l'encre.
s;iis comment. D'abord il s'étonna de ses refus, puis il
il
se demanda\ CLII.
si l'affaire pourrait
encore s'arranger; ensuite s'accusa de trop de
sauvagerie, comme un moine qui regrette son voeu, ou une femmei II avail cinquante filles el quatre douzaines de fils : quant aux
s"ii serinent, ce qui, généralement, aboutit à une légère infractioni premières, dès qu'elles étaient grandes, on les confinait dans un pa-
fois deux promesses. lais où elles vivaient comme des nonnes, jusqu'à ce qu'un pacha,
CXL11I. envoyé en mission, épousât celte dont le tour était venu, bien que
donc à balbutier quelques excuses; mais cn pareil cas lesjj3
Il se mil parfois elle n'eût pas plus de six ans... La chose peut paraître hi-
mois ne suffisent point, quand même vous auriez recours aux plus zarre, mais elle est vraie; la raison en est que le pacha est tenu de
'"M chants des muscs, au jargon fashionablc des dandics ou à toutess faire un cadeau à son beau-père.
les métaphores donlCastlcreagh fait abus. Au
moment môme où uni CLI1I.
'"fuiissant sourire commençait à le flatter de l'espoir d'un pardon,
"ni* avant qu'il osât s'aventurer plus loin, te vieux Baba entra J Les fils étaient retenus en prison, jusqu'à ce qu'ils fussent d'âge
un à ceindre le lacet ou le diadème... les destins seuls savaient lequel
'El1 brusquement.
CXLIV. des deux; en attendant, on leur donnait une éducation toute prin-
cicre, comme leur conduitel'a toujours prouvé, si bien que l'héritier
" lïpouse du soleil el soeur de la lune (ce fui ainsi qu'il s'ex- présomptifétait également digne de la potence el du trône.
212 LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

layer les étoiles du firmament plutôt que de n'être pas libre comnie
J«3
CLIV. les vagues... une pareille femme serait le diable (si toutefois il en
lei
existe un), et pourtant elle ferait des milliers de Manichéens.
Sa Majesté salua sa quatrième épouse avec tout le cérémonial de
son rang : celle-ciéclaircilses yeuxbrillants et se fit un front riant, IV.
comme il convient à une femme qui vient dc jouer un tour à son
mari. En pareil cas, on est tenue de paraître doublement attachée à Trônes, mondes et caetera, sont si souvent bouleversés par l'am-
la foi conjugale, pour sauver le crédit d'une banque en faillite; bition
bi la plus vulgaire, que si la passion se mêle de les mettre sens
aucun époux ne reçoit un accueil aussi cordial que celui qui vient dessus
di dessous, nous oublions volontiers, ou du moins nous par-
d'être mis au rang des bienheureux. ddonnons ces écarts de l'amour. Si l'on a gardé quelque bon sou.
vvenir d'Antoine, ce n'est pas à cause de ses conquêtes; mais Aclium
CLV. perdu
p; pour les beaux yeux de Cléopâtre contrebalance toutes les
victoires de César.
Sa Hautesse, promenantautour d'elle ses grands yeux noirs, et, V1
selon son habitude, les arrêtantsur chaque jeune fille, aperçut parmi V.
elles notre héros déguisé, ce qui ne lui causa ni surprise ni mécon- Il mourut à cinquante ans pour une reine dc quarante : je suis
tentement; mais s'adressanl d'un air calme et posé a Gulbcyaz qui fâché qu'ils n'aient pas eu quinze et vingt ans, car, à cet âge, les
jjj
s'efforçait de comprimer un soupir : a Je vois, dit-il, que vous avez richesses,
r* les royaumes, les mondes, ne sont qu'un jeu Je nie
acheté encore une esclave -, c'est dommage qu'une simple chrétienne souviens
s( du temps où, pour faire ma cour, quoique je n'eusse pas
puisse êlre aussi jolie. » bbeaucoup de mondes à perdre, je donnais tout ce que j'avais... un
CLVI. | coeur
ci : du train dont le monde allait, ce que je donnais valait mi
Ce compliment, qui attira tous les yeux sur la nouvelle emplette II monde,
n car des inondes entiers ne pourront jamais me rendre ces
de Baba, la fit rougir et trembler. Ses compagnes, de leur côté, se I purs
P sentiments disparus pour toujours.
crurent perdues. O MahometI Sa Majesté pouvait-elle faire tant d'at- VI.
tention à une Giaour, tandis qu'à peine un mot sorti des lèvres im-
périales avait été adressé à une d'elles ! Ce fut une agitation, un C'était le denier de l'adolescent, et peut-être, comme celui dc la
chuchotementgénéral; mais l'étiquette ne permettaitpoint les ri- veuve,
v il en sera tenu compte dans un autre monde, sinon dans
canements. celui-ci
c ; mais que ces choses-là aient ou non leur mérite, tous ccuv
CLVII. qui
q ont aimé ou qui aiment encore avoueront que la vie n'a rien
Les Turcs ont raison... du moins cn certains cas... d'enfermer 1 qu'on puisse leur comparer. Dieu est l'amour, dit-on, et l'amour
les femmes, parce que, malheureusement,dans ces climats dange- est ou du moins il l'était avant que la face de la terre lût
'ridéeDieu, les
réux, leur chasteté n'a point celte qualité astringente qui, dans le • par péchés et les larmes de... Consultezla chronologie.
Nord, prévient un libertinageprécoce, et rend notre neige moins
VIL
pure que nos moeurs. Le soleil, qui chaque année fait disparaître les
glaces du pôle, produit sur le vice un effet tout contraire. Nous avons laissé noire héros et notre troisième héroïne dans
une
] position plus embarrassante qu'extraordinaire,car les hommes
CLVIII. risquent parfois leur peau pour ce funeste tentateur, une femme
C'est pourquoi les Orientaux sont extrêmement rigides. Chez eux défendue
' : les sultans abhorrent par trop cette sorte de péché, el
mariage et cadenas sont synonymes, avec cette différence que le ne : s'accordent nullement avec le sage Romain, l'héroïque, stoïque
premier, une fois crocheté, ne peut plus êlre remis dans son pre- et ' sentencieux Caton, qui prêta sa femme
à son ami Hortenlius.
mier état, gâté qu'il est comme une pièce de bordeaux entamée.
Mais la faute en est à leur polygamie : pourquoi aussi ne pas sou- VIII.
der pour la vie deux âmes vertueuses pour en composer ce Cen- Je sais que Gulbeyaz était très coupable ; je l'avoue, je le déplore,
taure moral appelé mari et femmeT je ta condamne; mais je déteste toute fiction, même dans la poésie,
et je dois dire la vérité, dût-on m'en blâmer. Sa raison étant faible
CL1X. et ses passions violentes, elle pensa que le coeur dc son époux (eût-
Ici s'arrête notre chronique; nous allons donc faire halte, non que elle même le droit de le revendiquer tout entier) était à peine suf-
la matière nous manque; mais, conformément aux anciennes règles| lisant pour elle; car il avait cinquante-cinqans et quinze cents
épiques, il est temps de carguer les voiles et de mettre nos rimes ài, concubines.
l'ancre. Pourvu que ce cinquième chant obtienne le succès qu'il IX.
mérite, le sixième atteindra au sublime. En attendant, puisque Ho- Je ne suis pas, comme Cassio (1), un mathématicien, mais il an-
mère dort quelquefois, vous excuserez ma muse si elle prend un1 pert de la théorie enseignée par les livres et résumée avec une pré-
petit somme. cision féminine, qu'en faisant entrer cn ligne dc compte l'âge île
Sa Hautesse, la belle sultane devait mourir d'inanition ; car si le
sultan était juste envers toutes ses amantes, elle ne pouvait récla-
mer que la quinze-centième partie de ce qui doit être possédé en
CHANT VI. monopole, un coeur.
X.
I. On observe que les femmes sont litigieuses, quant aux objets de
« Il est dans les affaires des hommes un instant où, profilantdeB possession légale; les dévotes surtout, car à leurs yeux la trans-
la marée montante (t)... » Vous savez le reste, cl la plupart de nouss gression est double. Elles nous assiègent de procès et de poursuites,
ont éprouvé parfois la vérité de cette observation ; quoique bienx comme chaque session des tribunaux cn fait foi, pour peu qu'elles
Keu aient su saisir le moment avant qu'il fût passé sans retour. soupçonnent qu'une autre ait part dans un bien dont la loi les l'ail
lais nul doute que tout ne soit pour le mieux... ou peut s'enn seules propriétaires,
convaincre en considérant la fin quand les choses sont au pire, c'estil XL
alors qu'elles reprennent une meilleure face.
Or, si pareille chose a lieu dans un pays chrétien, les païenne5
IL aussi, avec moins dc latitude, sont sujettes à prendre les choses île
haut, à se donner ce que les monarques appellent une attitude im-
De même, il est dans les affaires des femmes un instant où, pro-
i- posante, et à combattre de pied ferme pour leurs droits conjugau*t
fitant dc la marée montante, on arrive... Dieu sait où : il faudrait
il quand leurs seigneurs el maris les traitent en ingrats; et qnali"*
d'habiles navigateurs pour indiquer exactement sur la carte lous is femmes ayant nécessairement de quadruples droits, l'Euphrate»
les courants de celte mer capricieuse : les rêveries dc Jacob Boehme
le ses scènes de jalousie aussi bien que la Tamise.
n'ont rien de comparable à ses tourbillons el à ses remous. Les la
hommes avec leurs tètes réfléchissent à ceci et à cela, les femmes ÎS XII.
avcclcur3coeurs songent... Dieu sait à quoi !
Gulbeyaz élait la quatrième, et comme je l'ai dit, la favorite'
III. mais qu'est-ce qu'une faveur enlre quatre? La polygamie est e
effet à redouter, non comme un péché, mais comme un ennui; u
Et néanmoins une femme impétueuse, opiniâtre, entière et enm homme sage, uni à une femme toute simple, trouvera difficilcnien,
même temps jeune belle, intrépide, capable de risquer un trône,
e, assez dc philosophie pour en supporter un plus grand nombre, «l
,
un monde, l'univers entier pour être aimée à sa manière; de ba-
i-
(t) Personnage dont parle Othello dans la tragédie de ce nom parS»8
(1) Shakespeare,Jules César, IV, 3. kespeare.
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD RYRON. 2i3

noins d'être mnhomélan, personne ne voudra prendre pour couche


mptiale le gigantesque « lit de Ware » (t). XXII.
Moi, je suis philosophe : que tout aille au diable, billets, bêtes
XIII. et gens et... mais non, non pas la femme! Une bonne et franche
Sa Hautesse, le plus sublime des hommes (litre qu'on lui donnait malédiction
m suffit pour exhaler ma bile ; alors mon stoïcisme n'a
onime on le donne à tous les monarques jusqu'au moment où ils P' rien qu'il doive appeler douleur ou peine, et je puis consa-
plus
ont livrés aux vers, ces jacobins affamés qui se sont repus des rois cr mon âme toul entière aux travaux de la pensée ; mais qu'est-
crer
plus superbes), Sa Hautesse jeta les yeux sur les charmes de ce donc que la pensée et l'âme, leur origine, leur développement...
ce
Di ! que le diable les emporte toutes deux 1
es Bah
"ulbeyaz, s'altendanl à un accueil d'amant, ou ce qui revient au
lèinc, à un accueil à l'écossaise.
XXIII.
XIV. Quand on a bien maudit toutes choses, on se sent à son aise,
Ici nous devons distinguer ; car, bien que les baisers, les douces comme
ci lorsqu'ona lula malédiction d'Athanase qui a tant de charmes
aroles, les embrassemenls et le reste puissent simuler ce qui n'est P pour le vrai croyant : je doute que personne en pût adresser une
ps, ce sont choses qu'on prend et qu'on ôte comme un chapeau, pire
P à son plus mortel ennemi prosterné à ses pieds, tant elle est
I solennelle, positive et nettement formulée ; elle brille_ dans nos
I
ou plutôt comme les bonnets que porte le beau sexe : parure dont J si
on se décore, mais qui ne fait pas plus partie de la tête que les ca-
j livres
" de prières, comme l'arc-cn-ciel dans l'air qui s'éclaircitl
resscs ne font partie du coeur.
XXIV.
XV.
Gulbcyaz et son époux dormaient, ou du moins l'un d'eux était
Rougeur légère, doux tremblement, calme expression de féminine endormi
c Oh ! que la nuit est longue pour l'épouse adultère qui
extase, manifestée moins par les yeux que par les paupières, qui ..
brûle pour quelque jeune bachelier: sur sa couche douloureuse,
jj
s'abaissentpour ajouter au bonheur le charme du mystère : voilà pour elle
e soupire après la grisâtre clarté du matin, épie longtemps en
une âme discrète les vrais gages dc l'amour quand il siège sur son vain
v ses premiers rayons à travers les jalousies obscures, s'agite,
trône le plus doux, le coeur d'une femme sincère... car un excèsde s retourne, s'assoupit, se ranime et tremble surtout d'éveiller son
sc
chaleur ou de froid détruit complètement le charme. ttrop légitime compagnonde lit.
XVI. XXV.
Si celle extrême chaleur esl fausse, elle est pire que la réalité ; Pareilles femmes se trouvent sous le ciel, et même sous le ciel
vraie, c'est un feu qui ne saurait longtempsdurer : personne, en «d'un lit à quatre colonnes cl à rideaux de soie, où lés riches et
cll'cl, si ce n'esl dans la premièrejeunesse, ne voudrait se fier aux 1leurs moitiés reposent entre des draps aussi blancs que la neige
seuls désirs, engagement précaire, sujet à être transféré au premier chassée
i dans les airs, comme disent les poètes- Fort bien ! c'est un
qui l'achète pour un misérable escompte; d'un autre côté, vos fem- jeu
j dc hasard que le mariage. Gulbeyaz était impératrice, mais
mes par trop froides me semblent de vraies sottes. peut-être
I aussi malheureuse que la femme d'un paysan.
XVII. XXVI.
C'cst-à-dirc que nous ne pouvons leur pardonner leur mauvais Sous son déguisementféminin, don Juan, confondudans le long
«lût, car les amants, empressés ou tardifs, sc plaisent à entendre cortège des demoiselles d'honneur, s'était incliné avec elles devant
l'aveu d'une tendre flamme : eussent-ils pour maîtresse la concubine Ile
I regard impérial. Au signal accoutumé, toutes avaient repris te
île neige du bienheureux François, ils voudraient voir brûler cn ciiemin dc leurs chambres, dans ces longues galeries du sérail où
elle une passion sentimentale. En un mot, la maxime de la gent I reposaient tant de corps charmants. Là des milliers de
coeurs as-
amoureuse doit être celle d'Horace : medio tu tutissimus ibis. piraient à l'amour, comme l'oiseaucaptif au grand air de la liberté.
XVIII. XXVII.
Le mot tu est dc trop, mais qu'il reste; le vers l'exige, c'est-h- J'aime le beau sexe, et souvent j'ai élé tenté de retourner le voeu
ilirc le vers anglais, et non l'antique hexamètre; mais après tout, de ce tyran qui souhaitait que le genre humain n'eût qu'une têle
il n'y a dans le mien ni rime ni mesure il était difficile de le faire afin de l'abattre d'un seul coup. Mon désir est également gigan-
;
plus mauvais, et il n'est là que pour terminer l'octave. La prosodie[
,
tesque, mais moins dépravé et cn somme plus tendre que cruel : ce
ne peut l'avouer; mais traduisez-le, et vous y trouverezla morale.
serait (ou plutôt c'était, dans mon adolescence) que toutes les
femmes n'eussent qu'une seule bouche de rose, afin de les baiser
XIX. toutes à la fois du nord au midi.
Si la belle Gulbeyaz outra un peu son rôle, je l'ignore... En loutt XXVIII.
cas, elle réussit; et le succès est beaucoup cn toutes choses, aussi1 O trop heureux Briaréc ! de posséder tant de têtes cl tant de bras,
liicn cn affaires de coeur qu'en toul autre article de la toilette fémi-
nine. L'égoïsme, dans l'homme, dépasse d'ailleurs tout l'art des si lu avais tout le reste en même proportion... Mais ma musc rc-
femmes; elles mentent, nous mentons, tout le monde ment, ce qui? culc à la pensée d'être la fiancée d'un Titan ou de voyager en Pa-
n'empêche pas d'aimer; el jusqu'ici nulle vertu, si ce n'est le jeûne
1 lagonie : retournons donc à Lilliput, el guidons notre héros dans le
absolu,
e
n'a pu arrêter le plus terrible de tous les vices... l'amour de labyrinthed'amour où nous l'avons laissé toul à l'heure.
la propagation. XXIX.
XX.
Au signal donné, il se joignit donc au cortège des charmantes
baissons reposer ce royal couple : un lit n'est pas un trône, et
il odalisques et sortit avec elles. Malgré les périls imminents qu'il
peut-être dormaient-ils, rêvant de joie ou de douleur. Cependantit courait, et bien que les conséquences dc pareilles escapades soient
ues espérances de joie déçues sont les douleurs les plus profondes;s pires que lous les dommages-intérêts que l'on paie dans la morale
lue puisse supporter l'humaine argile. Nos moindres afflictions sont
it Angleterre,où c'est une affaire de tarif, il ne pouvait s'empêcher
celles qui nous font pleurer
; ce qui use l'âme, ce sont les petitsls tout en marchant de jeter un coup d'ceil par-ci par-là sur leurs
chagrins journaliers,tombant sur elle goutte à goutte, l'eau charmes, et de lorgner ou leur sein ou leur taille.
comme u
sur la pierre.
XXI. XXX.
Une femme acariâtre, un fils morose, un billet Toutefois, il n'oublia point son rôle... Le cortège virginal conti-
"jSié ou escompté à
non acquitté, pro-^ nuait de s'avancer le long des galeries et de salle en salle, dans un
un taux excessif; un enfant maussade, un
c|iieii malade, un cheval favori qui devient boiteux ordre tout-à-fait édifiant, flanqué par des eunuques, et ayant en
v°iis le montez; une méchantedouairièrefaisant
au moment où• tôle une matrone chargée dc maintenir la discipline dans les rangs
'l« elle encore, lequel
un testamentpire femelles et d'empêcher que personne ne s'écarlât ou n'ouvrît la
vous laisse en moins la somme sur laquelle,
bouche sans sa permission.On l'appelait : « La mère des Vierges. »
\?us comptiez... ce sont là des bagatelles, et cependant j'ai
u nommes qui n'en fussent affectés. vu peu
!U
XXXI.
,.
(1) Dans une auberge dc la ville de Ware se trouve
encore le fameux
lx J'ignore si en effet elle était «mère » et si celles qui la nommaient
; ne douze pieds sur douze auquel Shakespeare fait allusion dans si ainsi étaient « vierges » ; mais au sérail tel est son titre, venu je ne
'«" des Rois. sais d'où, mais aussi bon qu'un autre ; vous pourrezle muver dans
214 LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

Cantcmir ou Totl Ses fonctions consistaientà écarter ou ù répri- i


mer lout penchant dangereux parmi quinze cents jeunes filles el à XLI.
les punir quand elles étaient en faute. Lolah était brune et ardente comme l'Inde. Katinka était
Géorgienne au teint blanc et rose, avec de grands yeux bleus,une
G la
XXXII. main elle bras bien faits, et des pieds si mignons qu'ils semblaient
ra
Excellente sinécure sans doute ! rendue surtout plus commode à peine faits pour marcher, mais plutôt pour effleurer la terre. Au
parfabsencede toul autre homme que le sultan... lequel, avec l'aide contraire,
ci les charmes de Doudou n'avaient pas de meilleur cadre
de cette matrone et celui des gardes, des verrous, des murailles el qu'un
qi lit, vu leur caractère d'embonpoint, de langueur cl d'indo-
d'un léger exemple par-ci par-là, rien que pour faire peur au reste, lence ; mais elle était d'une beauté à rendre fou.
le
réussissait à maintenir dans cet asile de beautés une atmosphère
aussi froide que celle d'un couvent d'Italie, où toutes les passions XLII.
n'ont, hélas! qu'une seule issue. Doudou semblait une Vénus endormie, quoique très propre à
XXXIII. tuer
{J le sommeil de ceux qui contemplaient le merveilleux incarnat
de sa joue, son front attique ou son nez digne de Phidias. Ses
Et quelle est cette issue? La dévotion, cela va de soi... comment formes
f( offraient peu d'angles, il esl vrai ; elle aurait pu êlre plus
peut-on faire une pareille demande?... Mais poursuivons: comme sveltc
s^ sans y rien perdre; mais après loul, il eût élé difficile de
je le disais, cette brillante file de jeunes femmes de tous les pays, rien retrancher en elle, sans affaiblir aucun de ses charmes.
ri
soumises à la volontéd'un seul homme, s'avançait d'un pas lent el
majestueux, d'un air virginal et mélancolique", comme des nénu- XL1II.
phars flottants sur un ruisseau ou plutôt sur un lac... car les ruis- Elle n'était pas excessivement vive, mais elle s'insinuait dans
seaux ne coulent pas assez lentement. votre
v âme comme l'aube d'un jour de mai; ses yeux n'étaient pas
éblouissants,
I mais à demi-clos, ils captivaientdoucement ceux qui
XXXIV. les contemplaient : on eût dit (comparaison tout-à-fait neuve) que
Mais lorsqu'elles furent arrivées dans leurs appartements, là, récemment
r tirée du marbre, comme la statue dc Pygtnalion, la
comme des oiseaux, des écoliers ou des habitants de Bedlam qui f
femme s'épanouissait timidementà la vie.
ont la clefdes champs, comme les vagues à la marée haute, ou des
femmes en général affranchies de leurs entraves (qui après tout ne XLIV.
servent pas à grand'chose),ou enfin comme des Irlandais à la foire, Lolah demanda le nom dc l'étrangère. « Juanna. —Oh! c'est un
leurs gardiens étant partis et une sorte de trêve se faisant entre jfort joli nom. » A son tour Katinka voulut savoir d'où elle venait.
elles et leur esclavage, citasse mirent à chanter, à danser, à bavai'-
der, à rire et à folâtrer. «c D'Espagne.—Mais où est 1'(Espagne?—Nefaites point dc ces sottes
questions,
( dil Lolah d'un ton un peu dur à la pauvre Katinka; cl
XXXV. n'étalez pas ainsi votre ignorancegéorgienne : fi ! l'Espagne est une
Leur babil, comme de raison, roula principalementsur leur nou- île, près du Maroc, entre l'Egypte el Tanger. »
velle compagne,sur sa taille, ses cheveux, son air, toute sa per- XLV.
sonne enfin. Quelques-unesétaient d'avis que sa robe ne lui allait
pas bien ou s'étonnaient qu'elle n'eût pas de boucles d'oreilles; Doudou ne dil rien, mais elle s'assit près de Juanna, jouant avec
celles-ci prétendaient qu'elle approchait de l'été de la vie, celles-là son voile et ses cheveux; puis la regardant fixement, elle soupira,
qu'elle était encore dans son printemps; certaines la trouvaient comme si elle eût plaint la gentille européenned'être là sans ami el
un peu masculinedans sa taille, pendantque d'autres auraient voulu sans guide, et toute confuse de l'étonneinenl général qui, en lout
qu'elle le fût en toute chose. pays, accueille les malheureuxétrangers avec de charitablesobser-
vations sur leur air et leur physionomie.
XXXVI.
Mais, personnene doutait qu'elle ne fût ce qu'annonçait son cos- XLVI.
tume, à savoir une demoiselle au teint clair, fraîche, excessive- Mais en ce moment la mère des vierges s'approcha cl dit : « Mes-
ment bien faite et comparable aux plus séduisantesGéorgiennes: dames, il esl temps d'aller se coucher. Je ne sais trop que faire de
elles s'étonnèrent aussi que Gulbeyaz fût assez simple pour acheter vous, ma chère, ajouta-t-cllc cn s'adrcssanl à Juanna : votre arrivée
des esclaves qui (Sa Hautesse venant à se lasser dc son épouse) n'était pointattendue, et lous lcslits sont occupés ; vous pourrez par-
pourraient partager son Irône, sa puissance et lout le reste. tager le mien, mais demain, de bonne heure, tout sera disposécon-
venablement pour vous. »
XXXVII. XLVII.
Mais chose étonnante ! dans celte réunion virginale, quoique la Lolah intervint : « Maman dit-elle, vous savez que vous n'avez
néophytefût assez belle pour exciter leur dépit, après le premier ,
pas le sommeil très bon : je ne souffrirai pas que vous soyez dé-
examen, elles trouvèrent en elle beaucoup moins à reprendre qu'il rangée de la sorte; je prendrai Juanna avec moi; nous sommes
n'est d'usage parmi le beau sexe, soit païen, soit chrétien, pour qui minces toutes deux et tiendrons moins de place... Ne dites pas non :
la nouvelle venue est toujours « la plus laide créature du monde. » c'est moi qui prendrai soin de votre nouvelle pupille. » Mais Ka-
tinka l'interrompit : elle avait aussi de la compassion el un lit.
XXXVIII.
XLVI11.
Et cependant, elles avaient, comme les autres, leurs petites ja-
lousies; mais ici, soit qu'il existe en effet des sympathies involon- « D'ailleurs, ajoula-t-elle, je déleste de coucher seule. » La ma-
taires et irrésistibles, soit par loul autre motif, sans avoir pu soup- trone fronça le sourcil : « Pourquoi cela? — Par crainte des reve-
çonner son déguisement, elles éprouvèrent toutes une sorte d'at- nants; je crois voir un fantôme dans chacune des colonnes du lit;
traction, comme le magnétisme, le diabolisme ou tout ce qu'il vous; et puis j'ai des rêves affreux de guebres de giaours, de ginns cl de
plaira... nous ne disputerons pas sur le mot. goules. — Entre vous et vos rêves, répliqua la dame, je craindrais
que Juanna ne pût ni rêver ni dormir.
XXXIX.
Mais, à coup sûr, elles ressentirent pour leur nouvelle com- XL1X.
pagne 'quelque chose de plus nouveau encore : une sorte d'amitiéj « Vous donc, Lolah, vous continuerez à dormir seule, pour nij-
vive, sentimentale et pure, qui leur faisait désirer à toutes de l'avoirr sons qu'il est inutile d'expliquer; vous dc même, Katinka, jusqua
pour soeur, sauf certaines qui auraient voulu avoir un frère abso- nouvel ordre : je mettraiJuanna avec Doudou, qui estune fille tran-
lument comme elle, un frère que, dans leur pays, la douce Cir- quille inoffensive, silencieuse, modeste, et qui ne passera pas la
cassie, elles eussent préféré au pacha ou au.padisha lui-même. nuit à, s'agiter et à babiller. Qu'en dites-vous, mon enfanl?.-'"
Doudou ne dit rien, car ses facultés étaient toutes silencieuses.
XL.
Parmi celles qui étaient le plus disposées à celte amitié sentimen- L.
tale, il y en avail trois surtout : Lolah, Katinka et Doudou. Pourr Mais elle seleva, baisa la matrone sur le front, entre les ilcu*»
épargner les longueurs el les descriptions, je dirai que, d'après less yeux, Lolah et Katinka sur les deux joues; puis inclinant légère;
rapports les plus authentiques , elles étaient belles autant qu'on11 ment la tète (les révérences ne sont en usage ni chez les Turcs m
peut l'être, bien qu'à des degrés divers ; elles différaient, en outre,:, chez les Grecs),elleprit Juanna par la main pour la conduire à 1 en-
de taille, d'âge, de couleur, de patrie; mais toutes trois se ren- droit où elles devaient dormir.ensemble, laissant à leur dépit ses
contraientdans leur admiration pour leur nouvelle connaissance. deux compagnes, qui néanmoins se taisaient par ivspcct.
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD RYRON. 215

c'était
c'i comme le faon qui, cn bondissant sur les bords du lac, y
LI vo passer rapidement son image, et revient sur ses pas pour ad-
voit
mirer
'n ce-nouvel habitant de l'onde.
Le dortoir (appelé en turc oda) était une pièce spacieuse; ,le long
des murs élaicnl rangés des lils, des toilettes... el bien
d'autres LXI.
0|ijetsque je pourrais décrire, car j'ai tout vu. Il suffit de dire que
rien n'y manquait : c'était en somme un appartement magnifique- Elle quitta donc, l'une après l'autre, toutes les parties de son vê-
ment meublé, pourvu de tout ce que les dames peuvent désirer, lement;
te mais ce ne fut pas sans avoir d'abord offert son aide à la
sauf un ou deux objets; et encore ceux-là se trouvaient-ils plus à belle
bi Juanna, qui, par excès de modestie, n'accepta point celle obli-
leur portée qu'elles ne s'en doutaient. geance.
g< La chose passa ainsi, car elle ne pouvait faire moins: ce-
pendant
'!' elle paya un peu cher cette politesse, en se piquant les
LU. doigts
di avec ces maudites épingles, qui furent inventées sans doute
ppour nos péchés
Doudou nous l'avons dit, était une douce créature
, qui séduisait
LXII.
,
saiis éblouir : elle avait les traits les plus réguliers du monde, de
ces traits que les peintres ne peuvent saisir aisément, tandis qu'ils Et qui font d'une femme une espèce de porc-épic, qu'on ne doit
attrapent du premier coup les visages qui pèchent contre les point
p loucher sans précaution. Hedoiitez-lcs surtout, ô vous que le
importions, ces brusques ébauches de la nalure remplies d'exprès- destin
d réserve, comme cela m'est arrivé dans ma jeunesse, à servir
fion bonne ou mauvaise, qui frappent à la première vue, el dont de femme de chambre à une dame... enfant, je fis de mon mieux,
([
la reproduction, agréable ou non, est toujours ressemblante. c l'habillai pour un bal masqué; j'enfonçai les épinglesen nombre
et
suffijant,
s mais pas toujours à leur véritable place.
LUI,
C'était un suave paysage plein d'harmonie, de calme et de repos, LX11I.
luxuriant et fleuri, revêtu de celle gaîlé sans éclat qui, si elle n'est Mais les gens sages traiteront toul cela de futilités, et j'aime la
pas le bonheur, en approche beaucoup plus que toutes nos
grandes psagesse) plus qu'elle ne m'aime ; j'ai une tendance à philosopher sur
liassions cl loul ce que certaines gens qualifientde sublime. Je vou- j » sur pu tyran, sur un arbre... ce qui n'empêchepas la Science,
tout
lirais les voir en essayer : j'ai vu les tempêtes dc l'Océan et celles, ceiçe
f vierge immaculée,de continuer à me fuir. Que sommes-nous?
île la femme, el j'ai plaint les amants plus que les matelots. d( oii venons-nous ? quelle sera noire existence ultérieure? qu'est
notre
j existence présente?... Toutes questions insolubles el qui,
LIV. pourtant, reviennent sans cesse.
Doudou était rêveuse plutôt que mélancolique sérieuse plufôj
pensive, et par-dessus tout" d'une inaltérable, sérénité; il LXIV.
que |ip
Femhlait pus que jusque-là ses pensées eussent cessé un mouipiif Uji silencp profond régnait dans l'appartement ; les lampes, espa-
d'èire chastes ! Chose étrange, belle et à dix-sept ans, elle paraissait cées entre elles , ne jetaient qu'une lumière incertaine, et ta som-
ignorer si elle était blonde ou brune, petite ou grande : elle n'avait
(
jmeil planait
sur les formes charmantes des belles habitantes de ces
jamais songé à sa personne. jjioux. Si dos esprits reviennent de l'autre monde, c'est ici qu'ils de-

LV. vrojeiil errer dans leur appareil le plus aérien. Dans cette charmante
(Jjyersjou à jours promenadessépulcrales, ils feraient preuve d'un
C'est pourquoi elle était douce et bonne comme l'âge d'or (époque i
meilleur goût qu'en continuant dc hanter leurs vieilles ruines.
où l'or était inconnu ce qui lui a valu son nom ; de mênig qu'on à
, luctis de
dérivé très habilement non lucere, appelant les cjipses non LXV.
on raison de ce qui esl, mais en raison de ce qui n'est pas, C'esl un
suie devenu très commun dans ce siècle dopHe. diable peu! bien Là reposait un cercle nombreux de beautés, pareilles à des fleurs
,
iléeomposer le métal, sans jamais le déterminer,..,, différentes dc teintes, de patrie, d'nttiludc, transplantées dans une
terre lointaine, où elles croissent à grands frais, à force de soins et
LVI. de chaleur. L'une avec su chevelure châtaine, nouée négligemment,
et son beau front doucement incliné, comme le fruit qui se balance
Je pense que ce pourrait être dc l'airain de Corinthe, mélange de ail ranieuu, sommeillait avec une respiration calme, et ses lèvres
tous les métaux, mais où le bronze dominait). Léptour indujgpnl! cnlr'ouv'erlcs laissaient voir de blanches perles.
lassez-moi cette longueparenthèse : je n'ai pu |a p|prp plus tôt, par
le salut de mon âme. Mettez mes fautes (ta|is (a catégorie des vôtres; LXVI.
c'est à-dire accordez-leur l'interprétation la p|usfaypi'a|)|p,..viiqs n'y
(ousentez pas... peu m'importe! je n'en forai paj nipips à ma tête. L'autre, dans un rêve brûlant et délicieux, appuyait sur un bras
rond et blanc sa joue rougissante; et les boucles abondantes de sa
LV|I. noire chevelure se rassemblaientsur son front. Souriant au milieu
de son rêve, comme la lune qui perce un nuage, elle découvrait la
11 est temps dc revenir à notre shnple répit* m'y voilà... Doudou,
moitié dc ses charmesen s'agilant sous son linceul de neige. Ou eût
avec une amabilité sans affectation conduisit Juan ou Juanna danss
i
, dit que mille beautés secrètes profilaient de l'heure discrète do la
Ions les détours de ce labyrinthe féminin, e( luj décrivit chaque
!
tiiilroit (choseétrange!) en 1res peu dé paroles.Je n'ai qu'une eom-
nuit, pour se montrer timidementà la lumière...
lwaison encore est-elle absurde pour peindre une femme éco- LXVIL
, ,
'"micdc paroles : c'esl un tonnerre muet.
N'y a-t-il point là contradiction? non , sans doute : il élait nuit;
LVIII. mais, comme je l'ai dil, ta salle était éclairée par des lampes. Une
troisième, dans ses traits pâles, offrait l'image de la douleur enihir-
fuis, causant avec elle (je dis elle, parce que Juan était encore dui mie. Aux soulèvements de son sein, on voyait qu'elle rêvait d'un
'"'ire épicène, en apparence du moins, ce qui est un correctif né- lointain rivage chéri el regretté; el des larmes glissaientlentement
fcsairc), Doudou lui donna un aperçu des coutumes de l'Orient cll à travers les franges noires de ses cils, comme la rosée de la nuit
«la chaste intégrité des lois de ce pays, en vertu desquelles pluss brille sur les sombres rameaux d'un cyprès.
Jiiucm est nombreux, plus strictes deviennent les obligationss
'."
finales des beautés surnuméraires. LXV1II.
L1X. Une quatrième, immobile comme une statue de marbre, dormait
d'un sommeil profond, muet, sans respiration ; blanche , froide et
l'iiis elle posa chastement ses lèvres sur la joue de Juanna. Dou-
"" aimait beaucoup à baiser... à quoi,
pure comme un ruisseau glacé, ou le minaret de neige d'un pic des
sans doute, nul ne peulil Alpes, ou l'épouse de Lolh changée en sel... ou lout ce qu'il vous
"'"ver à redire car c'est un plaisir fort doux pourvu qu'il soil in- plaira... Voilà un monceau dc comparaisons; choisissez et prenez...
, femmes
lflÇeiu.; et entre un baiser ne signifie rien, si ce n'estil ou conlcnlez-vousd'une ligure de femme sculptée sur une tombe.
'!elles n'ont pour le moment rien dc mieux ou de plus nouveau à
"ie. Ilaise rime avec aise, en réalité comme en vers... Plût au ciel
il LXIX.
11'1 n'en résultaijamais de plus tristes conséquences!
Mais cn voilà une cinquième... qu'est-ce? une dame «d'un cer-
LX. tain âge, » ce qui veut dire certainement âgée... j'ignore de com-
bien d'années n'ayant jamais compté pour une femme au-delà de
"mis la sécurité de l'innocence, elle se déshabilla, ce qui lui
îi ,
dix-neuf; enfin, elle était là qui dormait, un peu moins belle
"'a pas grande peine : enfant dc la nature, elle était vêlucnesans
is qu'avant celle désolante période qui met à la retraite hommes et
•Si parfois il lui arrivait de jeter un coup d'oeil à son miroir, femmes, cl les envoie méditer sur leurs péchés et sur eux-mêmes.
,
216 LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

LXX. LXXVI.
Mais Doudou, pendant ce temps-là, comment dormait-elle? com- Et au milieu, croissait une pomme d'or... une reinette d'une
ment rêvait-elle? c'esl ce que les recherches les plus exactes n'ont grosseur prodigieuse... mais suspendue à une trop grande hauteur.
pu me faire découvrir, et je ne voudrais pas ajouter un mol qui ne Elle la contempla d'un oeil avide; puis elle sc mil à jeter des pierres
fût vrai. Mais vers la moitié de la nuit, à l'heure où la lumière des et loul ce qui lui tombait sous la main, pour faire tomber ce fruit
lampes bleuit el vacille, où les fantômes planent ou semblent pla- qui s'obstinait méchamment à ne pas quitter le rameau où il se ha.
ner aux regards de ceux qui aiment pareille société, soudain Dou- lançait à ses yeux, toujours à une hauteur effrayante.
dou pousse un cri...
LXXI. LXXVII.
Un cri si aigu, que toute l'oda s'éveilla cn sursaut et dans une Tout-à-coup, lorsqu'elle n'en espérait plus rien, il tomba de lui-
confusion générale. De tous les points de la salle, matrones, vierges, même à ses pieds. Son premier mouvement fut de sc baisser, de li<
el celles dont ou ne pou- ramasser et d y porter 1»
vait dire qu'elles fussent dent ; mais au moment
l'une ou l'autre, accou- où ses jeunes lèvres s'ou-
rurent en foule, se pous- vraient pour presser le
sant, comme les vagues fruit d'or de son rêve, il
de l'Océan, toutes trem- en sortit une abeille qui
blantes, étonnées, et ne lui enfonça son dard au
sachant pas plus que moi fond du coeur ; et alors...
comment la paisible clleavaitpoussé un grand
Doudou avait pu s'éveil- cri et s'était éveillée en
ler si brusquement. sursaut.
LXXII. LXXVIII.
Elle était effectivement Elle fil ce récit avec
bien éveillée ; autour dc une sorte de confusion
son lit accouraient, el d'embarras, ce qu'on
d'un pas léger, mais pré- éprouve ordinairement
cipité, toutes ses compa- après un rêve pénible,
gnes avec leurs robes de quand on n'a personne
nuil flottantes, tes che- autour de soi pour en
veux epars, le regard cu- démontrer l'illusion et
rieux, le sein, les bras et l'extravagance.J'en ai vu
les pieds nus, et plus bril- de singuliers qui sem-
lants qu'aucun météore blaient avoir un sens réel-
enfante parle pôle... El- lement prophétique, el
les s'informèrent dc la offrir une «étrange coïn-
cause de son effroi, car cidence, » selon l'expres-
elle semblait agitée, con- sion cn usage dc nos
fuse, épouvantée; ses jours (I).
yeux étaient dilatés el ses
joues plus rouges encore LXXIX.
que de coutume. Les odalisques, qui a-
vaient redouté quelque
LXXHI. grand malheur, commen-
Mais ce qui est surpre- cèrent, comme on fail u-
près une fausse alarme,
nant... el ce qui montre
tout ce que vaut un bon a gronder un peu Dou-
dou d'avoir trouble pour
somme... Juanna dor- rien leur sommeil. La
mait profondément; ja- matrone aussi, courmii
mais époux ne ronfla cée d'avoir quitté son li
d'aussi bon coeur auprès bien chaud pour cnleu
de sa légitimemoitié. Les dre le récit d'un lève
clameurs ne purent la réprimanda la pauvre lil
tirer dc cet état de béati- le, qui se contenta il
tude; il fallut la secouer, soupireren disant qu'ell
du moins on le dit ; alors était bien fâchée d'tivoi
enfin elfe ouvrit de crié.
grands yeux et bâillad'un
air dc modeste surprise. U était donc sur les remparts. LXXX.
LXX1V.
J'ai entendu conte
«
des histoires d'un co([
Alors commença une d'un taureau; mais pou
stricteinvestigation.Com- un rêve où il ne s'ag
meloutesparlaienlàlafoiselplusqu'unefois chacune,exprimantleurs que d'une pomme et d'une abeille, interrompre notre repos naïui
conjectures et leur étonnement, et demandant le récit de ce qui et faire lever l'oda lout entière a trois heures et demie du mal'»
s'était passé, un homme d'esprit et un sot eussent élé également certes, il y a de quoi nous faire penser que la lune est dans so
embarrassés de répondre d'une manière intelligible.Doudou n'avait plein. Assurément, vous n'êtes pas tout-à-fait bien, mon enfui",
jamais passé pour manquer de sens ; mais n'étant pas « orateur Nous verrons ce que dira demain de cette vision hystérique le m
comme Brutus» (f), on ne put d'abord en tirer aucune explication, decin de Sa Hautesse.
LXXV.
LXXXI.
Enfin, elle dit que, dormant profondément, elle avait rêvé qu'elle " Et cette pauvre Juanna, encore, la première nuit que cçtlo «
sc promenait dans une forêt ..une forêt obscure, comme celle où
. Passe c1,,,cz !10us* av011' *°n *'e1l)0S trouble par une leHeu
fa,lt
se trouva Dante à mi-chemin de la vie, à l'âge où tous les hommes
deviennent bons, où les dames, couronnées de vertu sont moins
m«u,\!'
- J,ava,s ?'« convenable de ne pas faire Ç°uche. -
«--J? Jeuue étrangère et je croyais qu elle passerait une bon
exposées à ce que leurs amants leur manquent de respect. , 11 lui luu.t avcc y°,us I" 1 ctes la P.!us «Janquillo de toutes; mais t<
>
semblait que cette forêt était pleine de fruits magnifiqueset d'arbres mainlenant la confier aux soins de Lolah, bien que son lil
à végétation vigoureuseet à larges racines. moins laige.
(1) Paroles d'Antoine dans le Jules César de Shakespeorc. (I ) Bans le procès de la veine Caroline.
OEOVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON. 217

autres ; ce qui est très naturel, leur nombre étant trop grand pour
LXXXII. qu'on puisse les fla'.tu* tous.
A cette proposition, les yeux de Lolah brillèrent; mais la pau- LXXXIX.
vre Doudou, avec de grossçs larmes, causées par son rêve ou par La sultane quitta donc un lit magnifique, plus douillet que celui
la réprimande, demanda en grâce le pardon dc celte première faute, du douillet Sybarite, dont la peau délicate ne pouvait supportersous
ajoutant, d'une voix douce et suppliante, qu'on voulût bien au lui le pli d'une feuille de rose. Elle sc leva si belle, que l'art de la
liioins laisser Juanna auprès d'elle, et qu'à l'avenir elle garderait toilette ne pouvait rien pour elle, quoique pâlie par les luttes entre
ses rêves pour elle seule. l'amour et son orgueil. D'ailleurs sa funeste passion l'agitait à tel
LXXXII1. point, qu'elle ne donna même pas un coup d'oeil au miroir.
D'ailleurs elle promettait de ne plus rêver désormais ou du moins
de ne plus rêver si haut... elle ne comprenait pas comment elle avait XC.
crié... c'était une sotte idée, un mouvement nerveux, ou même A peu près à la même heure, peut-être un peu plus tard, se leva
elle devait 1 avouer, une ,
complète hallucination et son illustre époux, subli-
me possesseur de trente
un juste objetde moque- royaumes etd'une femme
vie... Mais elle se sentait qui l'avait en horreur...
abattue : dans quelques Mais dans ce climat (du
heures elle aurait sur- moins pour ceux à qui
monté celte faiblesse et leur bien permet de tenir
serait tout-à-fail rétablie.
au complet la cargaison
conjugale), cette circon-
LXXXIV. stanceeslbeaucoup moins
Ici Juanna intervint importante que dans les
charitablement, disant pays où deux femmes
qu'elle se trouvait fort forment un chargement
bien où elle élail, comme prohibé.
le prouvait son profond XCI.
sommeil au moment mê-
me où un bruit pareil à Il ne prenait pas grand
celui du tocsin résonnait souci à cet égard ni mê-
de lous côtés; elle ne se me à lout autre. En sa
sentait nullement dispo- qualité d'homme, il lui
sée à quitter son aimable fallait sous la main une
compagne, laquelle n'a- jolie femme, comme à tel
vait d'autre lort que d'a- il faut un éventail ; c'est
voir mal rêvé. pourquoi il avait une ri-
che provision de Circas-
LXXXV. siennes pour s'amuserau
Tandisque Juanna par- sortir du divan. Toutefois
lait ainsi, Doudou se dé-
il éprouvait depuis peu,
tourna et cacha son vi- pour les charmes de son
épouse, je ne sais quel
sage dans le sein de sa accès d'amour ou dc de-
compagne; on ne voyait voir.
plus que son cou, qui cn XCH.
ce moment avait la cou-
leur d'un bouton de rose. H se leva donc, et a-
Je ne saurais dire pour- près les ablutions com-
quoi elle rougit, ni expli- mandées par les usages
quer cette interruption de l'Orient, ayant termi-
du repos général ; mais né ses prières el autres
à coup sûr mon récit a évolutions pieuses, il prit
Imita la véracité qui rè- au moi us six tasses dc ca-
gne dans ceux de nuire fé, puis alla savoir des
époque. nouvellesdesRusscs,dont
les victoire*, s'étaient ré-
LXXXVI.
cemment multipliéessous
Donc, disons leur bon- le règne de Catherine,
ne nuit... ou si vous l'ai- celle que la gloire procla-
mez mieux bonjour... car me encore la plus gran-
le coq avait chanté et la de des souveraines el des
lumière commençaità do- câlins.
rer les monts asiatiques. Il balafra la cuisse de l'un et fendit l'épaule de l'autre. XCIII.
Le. croissant de la mos-
quée brillait aux regards O toi, grand et légiti-
ilelalonguecaravanequi, me Alexandre, fils de son
fils, que cette dernière c-
sous la fraîcheur de la pithèle ne t'offense point,
i osée maunaie, lournaii lentement les pentes dc cette ceinture
cheuse de l'Asie aux lieux où le Kaff domine ro- si elle arrivejusqu'à toi !... Et cn effet, de nos jours, les vers vont
, sur les campagnes presque jusqu'à Petersbourg, et grâce à leur redoutable impulsion,
* °
îles Kurdes.
les vagues gigantesques du fleuve de la liberté vont mêler leur
LXXXV11. murmure aux mugissements de la Baltique Pourvu que lu sois
Au premier rayon ou plutôt à la première lueur grisâtre du le fils de ton père, c'est tout ce qu'il me faut à moi.
tai, Gulbeyaz quitta sa couche inquiète : pâte comme la passion ma-
cette heure, le coeur brisé elle mit son manteau,
à XCIV.
, ses bijoux, son
voile Le rossignol exhalant son chant de tristesse, le sein percé, dit Appeler les gens fils de l'amour ou proclamer leurs mères les
m table, d une epinc cruelle, est plus léger de antipodes de Timon ce haïsscur du ,
coeur et de voix que , genre humain, ce serait une
ces cires passionnes auteurs insensés de leurs honte, une calomnie ou lout ce qu'il peut plaire à la rime ; mais
, propres maux. les aïeux sont le gibier de l'histoire, el si le faux pas d'une dame
LXXXVIH. imprimait un sceau de réprobation sur toutes les générations ulté-
Et voilà justement la morale de celte composition, si l'on rieures je voudrais bien savoir quelle généalogie pourrait mon-
s attacher au véritable sens; mais les lecteurs charitables
voulait trer les ,gens les plus fiers de leur naissance.
e don de fermer a la lumière leurs
ont tous
organes visuels, tandis que
'es charitables écrivains se plaisent à s'élever les
xcv.
uns contre tas Si Catherine et le sultan avaientcompris leurs vrais intérêts, chose
2t8 LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSRTÉES.

dont les rois se doutent rarement jusqu'à ce que de rudes leçons pérorerait
pi encore, débitant foulcslcsréponscsquiluiseraientvenue.?
viennent la leur apprendre,il yavait un moyen, peut-être hasardeux, par la tête, tant était profonde l'angoisse qui serrait comme un
ni
de terminer leur différend sans l'aide des princes et des plénipo- élan le front de Gulbeyaz
et mais les joues de la dame prirent une
tentiaires : c'était dc renvoyer , elle ses gardes , lui son harem , et teinte
te cendrée; ses oreilles tintèrent, la.tête lui lonrna comme si elle
quant au reste, de s'aboucher et de s'arranger à l'amiable. ci reçu un coup violent; ella rosée des peines du coeur coula ra-
eût
pide
pi et glacée sur son beau front, comme tombe sur un lis la rosée
XCVI. d malin.
du
CVI.
Mais dans l'état actuel, Sa Hautesse élail obligée de tenir conseil
chaque jour sur les moyens de résister à celle belliqueuse mégère, Bien qu'elle no fût pas du nombredes femmes à évanouissements.
celte moderne amazone, cette reine des coquines; et la perplexité Baba crut qu'elle allait perdre connaissance, en quoi il se trompa..'
B
était grande parmi les colonnes de l'Etal; car les affaires pèsent cce n'était qu'une convulsion passagère, mais qu'aucune parole ne
quelquefois d'un poids un peu lourd sur les épaules de ceux qui saurait
si décrire. Nous avons lous entendu nommer, cl quelques-uns
n'ont pas la ressource d'établir un nouvel impôt. connaissent
c par expérience cel anéantissement total qu'on éprouve
cen face d'événements lout-à-fail surnaturels : Gulbeyaz sentit
XCVII. dans
«J celte courte agonie ce qu'elle n'aurait jamais pu exprimer
çcomment le pourrais-je, moi?
Cependant Gulbcyaz, quand le sultan fut parti, se retira dans son
boudoir, lieu charmant pour l'amour ou le déjeuner : lieu retiré, CVII.
commode, solitaire, pourvu de lous les agréments qui embellissent
ces joyeux réduits... Mainte pierre précieuse étincelait sur les lam- Elle resta un moment, comme la pythonisse sur son trépied, tor-
bris, maint vase de porcelaine contenait des fleurs etn prison liées, turée,
I assiégéede ces inspirations qu'enfantela détresse munie, alors
captives qui charment les heures d'un captif. que
c toutes les fibres du coeur sont violemment tirées en divers sens
1
comme par des chevaux indomptés. Puis d'instant en instant ses for-
XCVIII. (ces diminuèrent, son énergie s'affaiblit: elle retomba lentement sur
La nacre, le porphyre el le marbre décoraient à l'envj ce somp- son siège el appuya sa têle convulsive sur ses genoux tremblants.
tueux séjour. On entendait au-dchors le gazouillement des oiseaux, CVIII.
cl les vitraux peints qui éclairaient celte retraite enchantéecoloraient i
de nuances variées tous les rayons du jour... Mais toute description Son visage élailcaché; sa chevelure retombanten longues tresses, "
reste au-dessous de l'effet réel : il vaut donc mieux ne point trop pareilles
j aux rameaux*du saule pleureur, balayait le marbre devanl
insister sur les détails; une esquisse suffil l'imaginationdu lec- te siège ou plutôt le sofa (car c'était une basse et moelleuse otto-
teur fera le reste. mîiie, tente garnie de coussins). Un sombre désespoir soulevait cl
XCIX. abaissait son sein, pareil h la vague qui se précipite sur une côle, où
C'est là qu'elle fit venir Baba, lui redemanda don Juan et l'inter- dep rochers arrêtent sa course cn recevant ses assauts.
,
rogea sur ce qui s'était passé depuis le départ des odalisques. Elle C1X.
voulut savoir si le jeune homme avail partagé leur appartement, si
toute chose avail élé conduite convenablementet s'il était resté dé- Sa tête se penchait en avant, et ses longs cheveux tombants dé- 1
guisé elinconnu comme il devait l'être. Mais ce qu'elle exigeait qu'on rotation! ses traits mieux que n'eût l'ail un voile ; sur l'ottomane
lui apprît avant tout, c'était où et comment i! avait passe la nuit. reposait une de ses mains, inanimée, blanche comme la cire ou .

C. comme l'albâtre. Que ne suis-je peintre pour grouper lout ce qu'un


poêle doit onuinérer longuement! Que n'ai-jc des couleurs nu lieu ,

Baba répondit avec un certain embarras à ce long catéchisme, de paroles! mais les paroles sont des leinles qui pourront toujours i
dans lequel les questions étaient plus faciles à faire que les répoiip servir d'esquisse ou d'indices. [

ses «11 avail fait son possible, dit-il, pour accomplirlatâche pre^
scrile.» Néanmoins on voyait qu'il cachail un poinlj cl son hésitation CX.
le trahissait plus qu'elle ne le masquait. Il sc grattait l'orejlta infail- Baba, qui savaitpar expérience quand il fallait parler ou sc taire, 1
lible recours des gens embarrassés. t
li'opvrit point |a bouche, attendant que la crise lui passée, cl n'o-
CI. sant contrarier pi les paroles ni le silence dc sa maîtresse, tëiifin
Ielle se leva cl parcourut la chambreà pus lents, mais toujours silen-
Gulbeyaz n'était pas un modèle dc patience, et qu'il s'agît de paro- I cieuse; et son front s'éclaircit, mais son regard demeura troublé :
les ou d'actes, elle ne savait pas attendre;dans lout genre de con- 1 le vent tombé, la mer é(ajt encore houleuse.
versation elle exigeait qu'on fût prompt à la réplique. Lorsqu'elle vit
Baba broncher comme un vieux cheval, elle l'embarrassa par de CXI.
nouvelles questions; et comme les paroles du pauvre eunuque de- Elle s'arrêta et releva la tète pour parler... mais elle sc retint
venaient de plus en plus décousues, le visage de la dame s'enflam- puis se remit a marcher, tantôt d'un pas précipité, laniôt
ma; ses yeux étincclèrenl, les veines d'azur de son front sc gonflé^- encore,lentement; ce qui est généralementl'indiccd'nne profonde émotion...
rcnl et se rembrunirent. On pourrait deviner un sentiment dans chaque pas de l'homme,
CIL
comme Sallusle l'a observé dans Catilina, qui, agile par les démons
Quand Baba reconnut ces symptômes qui ne lui présageaient rien de toutes les passions, trahissait leurs combats par sa démarche.
de hou, il la supplia de se calmer et dc l'entendre jusqu'au bout...
ce qu'il allait raconter, il n'avait point clé maître dc l'empêcher : CX1I.
alors il avoua enfin que Juan avait été confié aux soins de Doudou, Gulbeyaz enfin s'arrêta, et faisant signe à l'eunuque : « Esclave!
comme nous l'avons raconté; mais il répéta que ce n'était pas saI amène les deux esclaves ! » dit-elle d'une voix basse, mais que baba
faute, el le jura par le Koran el le chameau sacré de Mahomet.
ne se sentit pas d'humeur à braver. Pourtant il tressaillit, mani-
cm. festa quelque hésitation et (quoiqu'il eùl parfaitement compris) sup-
plia Sa Hautesse de vouloir bien lui dire quels esclaves elle enlcn-
« La matrone de l'oda, seule chargée de la discipline du harem,, dait désigner, dans la crainte d'une méprise nouvelle.
avait loul réglé elle môme, aussitôt que les jeunes filles étaient ren-
trées dans leur appartement, car c'est à la porte de ce lieu que s'ar- CX1II.
rêtaient les fonctions de Baba; el lui (le susdit Baba) n'avait pas5
osé en ce momentpousserles précautions plus loin, de crainte d'ex- « La Géorgienne et son amant! » réponditl'impériale épouse
citer des soupçons qui auraient empiré les choses. puis elle ajouta : « Que le bateau soil prêt vers la porte secrète du
sérail! tu sais le reste. » En dépit de son amour offensé et de sui
CIV. orgueil féroce, ces paroles avaient peine à sortir dc sa bouche ; Baba
le remarqua, non sans une satisfaction secrète, et la conjura, par
«11 espérait, il était même sûr que Juan ne s'était pas trahi. On nee tous les poils delà barbe de Mahomet, de révoquer cet ordre.
pouvait douter que sa conduite n'eût été pure, vu qu'un aele insenséé
ou imprudent non-seulement eût compromis sa sûrelé, mais l'eûtt CXIV.
fait mettre dans un sac et jeter à la mer » Ainsi Baba parla dcc
tout, sauf du rêve de Doudou, qui n'était pas un jeu. «Entendre, c'est obéir, dit-il; néanmoins,sultane, songe/, ans
conséquences. Non que je ne sois prêt à exécuter vos ordres, dans
CV. leur sens môme le plus rigoureux ; mais lant do précipitation peul
avoir des suites funestes, même pour vous ; je no parle pas de
11 laissa discrètement ce tait de côté el continua de pérorer IlII votre ruine personnelle,en cas d'une découverte prématurée...
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD RYRON. 219

CXV. IV.
ne s'agit que de vos propres sentiments. Lors même que cet
« H
Swift, Machiavel, Larochefoucauld, Fénelon Luther et Platon
(freux secret resterait enseveli sous les vagues qui, dans leurs fu- Tillolson,
Ti Wesley el Rousseau, lesquels savaient, que la vie ne vaut,
estes abîmes, recouvrent déjà tant de coeurs jadis palpitants d'à- pt une patate. S'il en est ainsi, ce n'est ni leur faute, ni la mienne..,
pas
iour... vous aimez ce jeune homme, ce nouvel hôte du sérail, et pour
pi ma part je ne prétends point êlre un Caton, ni même un Dio-
i vous employez ce remède violent excusez ma franchise, mais gène.
g< Nous vivons cl nous mourons, mais lequel vaut le mieux?
s vous assure que
le tuer n'est pas le moyen de vous guérir. vous ne le savez pas plus que moi.
v<

CXV1. V.
El que sais-tu de l'amour et du sentiment !... Sors, misérable!
«
Socratedisait : « Tout ce que nous savons, c'est que nous ne sa-
écrie-t-clle, les yeux enflammés de fureur... Sors, et cours exécu- vons rien.» Belle science vraiment, qui rabaisse au niveau d'un âne
vi
cr nies ordres.
»'l'aba disparut sans pousser plus loin ses remon- tous les sages passés, présents el futurs. Newton, celte intelligence
le
rances car il savait que ce sérail se faire son propre bourreau; et proverbiale,
p déclarait hélas! dans toul l'éclat doses récentes dé-
,
lien
, désirât
qu'il vivement sortir de ce mauvais pas sans qu'il en couvertes, qu'il se considérait»
ci comme un enfant ramassant des co-
ésullâl aucun mal pour personne, cependant il faisait encore plus quillages
q au bord de ce vaste océan, la vérité. »
le cas de son propre cou que de celui des autres.
VI.
CXVII. Tout est vanité,» dit l'Ecclésiaste... La plupart des prédicateurs
«
11 courut donc remplir sa mission
, non sans murmurer et gro- modernes
n en disent autant, ou le prouvent par leur manière de
suer, cn bon langage turc, contre les femmes de toute condition, ppratiquer le véritable christianisme ; bref, c'esl une vérité que tous
mais surtout contre les sultanes el leurs manières de faire, leur oh- connaissent
c ou ne tarderont pa- à connaître. Et dans ce vide uni-
slinalion, leur orgueil cl leurs caprices, leur manie dc ne pas savoir versel
v confessé par les saints, les sages, les prêtres el les poètes,
deux jours de suite ce qu'elles veulent, les tourments qu'elles don- moi
i seul je devrai m'abslenir de proclamer le néant dc la vie !
lient, leur immoralité: loules choses qui chaque jour lui faisaient
liénir son étal neutre. VII.
CXVIII. Chiens ou hommes!... car c'est vousflalter que de vous appeler
11 appela ses confrères à son aide, et envoya l'un d'eux avertir le
chiens
( (les chiens valent mieux que vous) libre à vous do lire
jeune couple de se parer sans délai, surtout de se peigner avec le ou
( de ne pas lire l'ouvrage dans lequel j'essaie de vous montrer ce
plus grand soin, pour paraître devant l'impératrice qui s'était infor- que
*
vous êtes. De môme que les hurlements des loups n'arrêtent
niée d'eux avec la plus vive sollicitude. Sur quoi Doudou parut point
1 le cours de la lune, ma muse ne voilera pas pour vous un i ayon
surprise cl Juan tout songeur ; mais bon gré mal gré il fallait obéir. ' son auréole
de hurlez donc votre impuissante rage, pendant
que sa lumière argentée luit sur vos voies ténébreuses.
CXIX.
VIII.
Et ici je les laisse se préparer pour l'audience impériale. Quant
ii savoir si Gulbeyaz sc montra miséricordieuse envers tous deux « Les farouches amours et les guerres perfides » (je ne sais si je
cite textuellement... n'importe, c'est à peu près le sens, j'en suis
ou sc débarrassa do l'un et dc l'autre, comme ont fait, dans leur j
sûr), voilà ce que je chante, el je vais de ce pas canonner une ville
colère, d'autres dames dc son pays c'est une chose que je pour- ''
vais décider aussi facilement que je puis observer dans quelle direc- qui soutint un siège fameux, et fut attaquée par terre el pur nier
tion s'envole une plume ou un cheveu ; mais à Dieu ne plaise que par SouvarolT, en anglais Suwarrow, lequel aimait le sang comme
j'anticipe sur le cours d'un caprice féminin. un aldcrman aime lu moelle.
IX.
CXX. Celte forteresse est nommée Ismaïl ; elle est située sur la rive
Avec force voeux pour les deux jeunes gens, mais dans le doute gauche du bras gauche du Danube. La ville, bâtie à l'orientale,
de les voir se tirer d'affaire, je les quitte pour combiner une antre comptait comme place forte du premier rang et doit compter encore
pa'lie dc celte histoire; car il faut bien varier de temps cn temps les ainsi, à moins qu'on ne l'ait démantelée, ce qui est un jeu habituel
mets dc ce festin. Espérons que don Juan échappera aux poissons, de nos conquérants, liile est h peu près à quatre-vingts verstes de
quelque étrange et peu sûre quescinhlc sa position actuelle. Comme la mer, et a trois mille toises dc tour.
de pareillesdigressions sont permises aux poètes, ma musc va s'oc-
cuper un peu d'affaires militaires. X.
Dans l'enceinte des fortifications, se trouve compris un faubourg
situé à gauche delà ville, sur une hauteur qui la commande. Autour
de celte colline, un Grec avail l'ail placer des palissades perpendicu-
lairementsur le parapet, de manière à entraver le feu des assiégés
CHANT VII. et à favoriser celui dc l'ennemi.
XL
On peut juger par là de l'habileté dc cel autre Vauban. Mais les
O amour! ô gloire! qu'ètes-vous donc, vous qui voltigez sans fossés élaicnl profonds comme l'Océan, et les remparts plus hauts
cesse autour de nous, et vous posez si rarement? Les cieux polaires que vous ne voudriez vous voir pendre. Toutefois, on avait négligé
n'ont point de météore plus sublime et plus passager. Engourdis, plus d'une mesure de défense (excusez, je vous prie, ce jargon d'in-
tm:liainc3 à la terre glacée, nous levons les regards vers ces deux génieur): il n'y avait ni ouvrage avancé, ni chemin couvert, pour
lueurs charmantes : elles prennent mille et mille couleurs, puis dire au moins à l'ennemi : « On ne passe pas. »
i
nous laissent poursuivre notre route à travers les frimas.
XII.
H.
Néanmoins un bastion de pierre, à gorge étroite, ayant des murs
Ce qu'elles sont, ce poème l'est aussi, poème indéfinissable ett aussi épais que beaucoup de crânes contemporains; deux batteries
toujours changeant, aurore boréale versifiée, éclairant un climatt armées, comme notre saint Georges, de. pied en cap, l'une casema-
désert et glacé. Quand nous savons ce téc et l'autre à barbette, défendaient d'une manière formidable les
que nous sommes lous, nous3
sommes réduits à gémir sur nous-mêmes; je me flatte néanmoins 3 abords du fleuve; et du côté droit de la ville, vingt-deux pièces de
[l'i'il ne saurait y avoir grand mal à rire de toutes choses;
bout du compte, qu'est-ce que tout... sinon car, aui canon hérissaient de leurs terribles gueules un cavalier haut de
une parade? quarante pieds.
XIII.
III.
Mais du côlé du fleuve, la ville était entièrement ouverte, les
On m'accuse, moi, le présent auteur du présent poème, de... jee Turcs ne vouvanl point se persuader qu'un vaisseau russe pûl jamais
ne sais trop quoi... d'une tendance à ravaler et à tourner en ridi- remonter te Danube. Ils restèrent dans celte, conviction jusqu'au
cule les facultés dc l'homme, ses vertus cl tout le reste; et moment où ils furent attaqués par là ; ci quand il était trop lard
on mee
'e reproche en termes passablement durs. Bon Dieu ! comment t
Comprendre ce qu'on veut! Je n'en dis pas plus que n'en ont dit
pour réparer leur faute. Mais comme il n'était guère possible de
liante, Salomon et Cervantes...
it passer le Danube à gué, ils regardèrent la Houille moscovite en se
contentant décrier . « Allah! Bismillah ! »
220 LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTREES.

XIV. XXIII.
Les Russes étaient prêts à donner l'assaut; mais, ô déesses de la Les Russes avaient établi des batteries sur l'île située en facf
guerre et de la gloire! comment parvicndrai-je à écrire le nom de d
d'Ismaïl, et en ce ils avaient deux buts : le premier , de bombai-,
lous ces Cosaques, qui seraient immortels, si quelqu'un pouvait d la place et d'en abattre les édifices publics et particuliers-
der
raconter leurs exploits? HélasI sans cela, que manque-t-il à leur n'importe
n combien de pauvres diables y perdraient la vie ! 11 est
renommée? Achille lui-même n'était ni plus terrible d'aspect, ni vrai
v de dire que la configuration de la ville devait suggérer cette
plus dégouttant de sang que des milliers d'hommes de celte nation idée
i< : elle élait bâtie en amphithéâtre, et chaque habitation pré-
récemment policée, dont les noms n'auraient besoin que de pou- sentait
si aux bombes un but extrêmementcommode.
voir être prononcés.
XV. XXIV.
Toutefois, j'en citerai quelques-uns, ne fût-ce que pour ajouter Le second objet était de profiter d'un moment de consternation
à l'euphonie du vers anglais. Là étaient Strongenoffet Stroknoff, générale
g pour attaquer la flottille turque qui était près dc là, pais'.
Meknop,Sergelwow, Arsniew le Grec, Tschitsshakoff,Roguenoff et ï
Vilement à l'ancre. Mais un troisième motif, et le plus plausible,
Chokenoff, et autres dont les noms sonl arméschacun de douze con- était
é d'effrayer les Turcs el de les amener à capituler, idée qui
sonnes. J'en trouverais encore bien d'autres, si je voulais fouiller j
passe quelquefois dans la têle des guerriers, à moins qu'ils ne
plus avant dans les gazettes ; mais il paraît que la Gloire, celte capri- soient
s acharnes comme des bouledogues.
cicuse catin, a dc l'oreille en sa qualité de trompette.
XXV.
XVI. Une mauvaise et trop commune habitude, celle de mépriser l'en
De là vient qu'elle ne peut faire entrer dans un vers ces syllabes nemi
i que l'on combat, causa la mort de Tchitchitzkoff et de Smith.
discordantes qui forment des noms à Moscou. Il s'en trouvait néan- Un
! de moins parmi ces dix-neuf valeureux Smith dont nous avons
moins d'aussi dignes de mémoire que jamais vierge le fut du ca- parlé
] lout à 1 heure ; mais ce nom s'ajoute si souvent au litre de
rilion nuptial : sons harmonieux, appropriés à la péroraison que monsieur
i et dc madame,qu'on serait tenté de croire que le premier
fait Londonderrypour traîner une séance en longueur. Dc tous ces qui
i le porta fut Adam.
noms finissant en « ischskin, ousekin, iffskchy, ouski, «je ne cite- XXVI.
rai que le seul llousamouski ; Les batteries russes avaient élé faites à la hâte, et leur construc-
XVII. tion était imparfaite. Ainsi la même cause qui fait qu'un vers n'a
Puis Scherematoff et Chrcmatoff, Koklophli, Koclobski, Kourakin pas tous ses pieds, ou qui rembrunit la figure de Longman et dc
John Murray quand un livre nouveau ne s'écoule pas aussi rapi-
et Mouskin-Pouskin, tous hommes d'action et des plus braves qui dement que le, désirerait l'éditeur; celle même cause peut aussi re-
aient jamais défié un ennemi cn lui passant le sabre à travers le tarder pour un temps ce que l'histoire appelle tantôt meurtre cl
corps ; se souciant peu de Mahomet ou du mufti, et si le parchemin tantôt gloire.
renchérissait, prêts à taire servir ta peau dc ces gens-là, faute dc XXVII.
mieux, à remplacer celle dc leurs timbales.
Soit ignorance de l'ingénieur, soit précipitation ou gaspillage,
XVIII. soit cupidité dc quelque entrepreneur qui avait voulu sauver son
Il y avait aussi des étrangers de grand renom de divers pays, et âme cn fraudant cn matière d'homicide , peu importe; mais il esl
certain que les deux nouvelles batteries n'avaient point la solidité
tous volontaires, ne combattant ni pour leur pairie ni pour leur nécessaire : ou elles manquaient leurs coups, ou l'ennemi ne les
souverain,mais visant à êlre un jour brigadiers, et aussi à jouir du manquait pas; et par l'un ou l'autre motif, la liste des tués s'allon-
sac d'une ville, divertissement fort agréable pour la jeunesse. geait considérablement.
Parmi eux sc trouvaient quelques Anglais fort solides, seize Thomp- XXVIII.
son et dix-neuf Smith.
XIX. Des dislances mal calculées firent échouer toutes les opérations
Il y avait Jack Thompson et Bill Thompson ; le reste des Thomp-\ navales; (rois brûlots perdirent leur aimable existence avant d'ar-
river à destination ; on se pressa trop d'allumer la mèche , et rien
son avail pour prénom Jcmmy, d'après le grand poète (1) ; je ne: ne put remédier à celte bévue. Ils brûlèrent au milieu du fleuve;
sais s'ils avaient blason cl cimier, mais avec un tel parrain, on'
neut s'en passer. Parmi les Smith , on comptait trois Pierre ; mais et quoiqu'il fit déjà jour, les Turcs n'eu furent pas éveillés.
le meilleur de lous, pour porter ou parer vigoureusement un coup, XXIX.
était ce Smith si renommé depuis « dans lus campagnes d'Halifax ;»I
alors il servait les Tartares (2). A sept heures, toutefois, ils se levèrent, et virent la flottille russe
XX. qui commençait son mouvement. H en élait neuf lorsque, s'avau-
çant toujours avec résolution, les vaisseaux se trouvèrent à une
Les autres étaient des Jack, des Gill, des Will et des Bill (3) ; maiss encablure des remparts d'Ismaïl, et ouvrirent une canonnade) qui
quand .j'aurai ajouté que l'aîné des Jack Smith élait né dans less leur fut rendue, j'ose dire, avec usure), accompagnée d'un l'eu de
montagnesdu Cumbcrland, et que son père était un honnête for- mousqueterie el de mitraille, ainsi que de bombes et de projectiles
geron , j'aurai dit tout ce que je sais d'un nom qui remplit troiss de toute forme cl de toul calibre.
lignes dans l'annonce de la prise de Schmacksmith, village dess
plaines de la Moldavie, où il mourut, immortel dans un bulletin. XXX.
XXI. La flotte soutint le feu des Turcs pendant six heures sans inter-
ruption cl secondée par les batteries de lerre, elle fit jouer son
Je voudrais bien savoir (quoique Mars soit un dieu dont je faiss artillerie, avec une grande précision. Enfin on reconnut que la ea-
grand cas) si le nom d'un homme dans un bulletin peut compenser r nonnade seule ne suffisait pas pour réduire la place, elà une heure,
la balle qu'il reçoit dans le corps. J'espère qu'on ne me fera pass le signal dc la retraite fut donné. Une barque sauta; une chaloupe
un crime de cette question : bien que je ne sois qu'un esprit sim-i- dériva près des fortifications, et fut prise par les Turcs,
ple il me semble qu'un certain Shakespearea mis la même penséee
dans, la bouche d'un personnage de ces drames favoris, avec l'esprit
il XXXI.
desquels tant de gens se font une renommée. Les musulmansavaient perdu aussi hommes et vaisseaux ; mais
XX11.
quand ils virent l'ennemi se retirer, leurs delhis se jetèrent dans dc
petites barques, poursuivirentles Russes, les incommodèrentpar
Il y avait aussi des Français, brillants de bravoure, de jeunesse et
3t un feu bien nourri, et tentèrent même une descente. Mais là ils
de gaîlé ; mais je suis trop bon patriote pour citer leurs noms gau-i- échouèrent : le comte de Damas les rejeta pêle-mêle dans le fleuve,
lois à propos d'une glorieuse journée ; j'aimerais mieux dire sur ir avec un carnage de quoi remplir une gazette.
eux dix mensonges qu'un mot de vérité... La vérité en est
ce cas st
trahison envers le pays, et sont abhorrés comme traîtres ceux qui, i, XXXII.
en anglais, parlent des Français autrement que pour montrer com-
l~
ment la paix doit faire de John Bull l'ennemi de son voisin. « Si je voulais rapporter, dit l'historien lout ce que les Russes
firent de mémorable dans celle journée, il, me faudrait employer
(1) James Thompson, autour des Saisons. plusieurs volumes, et encore laisserais-je bien des choses de côte. »
(2) Ce Smitb est un personnage d'une farce intitulée : Love langhs ai
%t
Cela dit, il n'en parle plus ; mais il fait sa cour aux étrangers de
Lochsmiths distinction présents à ce combat : de Ligne, Langeron et Damas,
(3) Formes familières des prénoms Jean, Gilles et Guillaume. noms des plus grands que la Gloire ait inscrits dans ses fastes.
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD RYRON. 221

les Turcs furent étrangement désappointés, eux qui tout en abhor-


XXXIII. rar le porc tenaient beaucoup à sauver leur lard.
rant
Cet exemple nous montre ce que c'esl que la gloire : combien XL1II.
je, lecteurs vulgaires en effet ignorent même que ces trois « preux
jlievaliers » aientjamais vécu (et ils vivent encore, sans doute) ! La En
I effet, le seize, on vit venir de loin deux cavaliers courant au
renommée s'atteint ou se manque d'un coup ; il y a du bonheur grand
grc galop : on les prit d'abord pour deux Cosaques ; car leur ba-
lusque dans la gloire, c'est un fait. Il est vrai que les mémoires du
gageétail
gai léger, ils n'avaicntquetroischemisesàeuxdeux ctilsétaient
mince de Ligne ont ent'rouvert pour lui le rideau de l'oubli.
I montés
me sur des chevaux de l'Ukraine. Enfin, lorsqu'on put distinguer
1 I de plus près ces deux hommes si simples, on reconnut Souvaroff
XXXIV. I
et son guide.
XLÏV.
Voilà donc des hommes qui ont vaillamment combattu, et se
ont conduits en héros; mais perdus dans la multiplicitéd'événe- Grande joie aujourd'hui à LondresI » s'écrient des sols fieffés,
«
ments semblables, on trouve rarement leurs noms, on les cherche ch
chaque fois que cette capitale a grande illumination, de toutes les
plus rarement encore. Ainsi la meilleure renomméesubit de tristes fascinations la plus puissante sur John Bull, ce grand videur de
fas
mutilations el s'éteint plus tôt qu'elle ne devrait : sur chaque bul- bouteilles.
bo Pourvu que les rues soient garnies de verres de couleurs,
letin de nos batailles je vous défie de vous rappeler dix noms. ce sage (le susdit John) livre à discrétion sa bourse, son âme, sa
, raison
ra et même sa déraison, pour satisfaire, comme une grosse
XXXV. phalène, cet unique goût qu'il a pour les chandelles.
pli
En somme, cette dernière attaque, bien que glorieuse, montra XLV.
qu'il y avait quelque part quelque chose qui manquait, et l'amiral
llibas (fort connu dans l'histoire russe) conseilla fortement un as- U n'a plus que fairemaintenant « de damner ses yeux, » car ils
saut. Jeunes et vieux combattirent cette proposition,qui enfanta un
.
sont
so bien damnés ; ce jurement célèbre n'a plus pour le diable
débat ; mais il faut que je me borne, car si je rapportais le discours ai
aucune valeur, car John depuis peu a tout-à-fait perdu la vue. H
de chaque guerrier, peu de lecteurs voudraient monter à la brèche. appelle
a| les dettes une richesse et les impôts un paradis; la famine,
épouvantable
«I squelette, a beau le regarder en lace, il ne la voit pas
XXXVI. 01 il jure qu'elle est fille de Cérès.
ou
U y avait un homme, si toutefois c'était un homme... non que sa XLVI.
virilité pût être mise cn question ; car s'il n'eût pas été un Hercule,
sa carrière , lorsqu'il élait jeune, eût été aussi courte que le fut sa Mais à mon
histoir... Grande joie dans le camp! Joie au Russe,
dernière maladie, causée par une indigestion, alors que, pâle, ai Tarlare,à l'Anglais, au Français, au Cosaque, sur lesquels Sou-
au
épuisé, il mourut au pied d'un arbre, sur le sol dc la province autre- varoff
v; est venu luire comme un'bcc de gaz, présage d'un brillant
fuis fertile qu'il avait ravagée, et qui le maudissait. Ainsi la saute- assaut.
a Tel le feu follet, aux bords des marais humides, conduit
relie meurt sur le champ qu'a flétri son passage. h voyageur dans une fondrière: tel le feld-maréchalcourait ça et là,
le
vacillantmétéore
v ; et ceux qui le voyaient le suivaient, n'importe où.
XXXVII.
C'était Potemkin, grand homme dans un temps où la grandeur XLVIL
élait le prix dc l'homicide et de la débauche; si les décorations et Alors certes les choses prirent une face différente : il y eut de
les litres donnaient des droits à la gloire, la sienne eût égalé la 1l'enthousiasme et force acclamations; la flotte et le camp saluèrent
moitié dc sa fortune. Cet heureux gaillard, haut de six pieds, fit d'une
<] manière toute gracieuse, el lout annonça un brillant succès.
iiaitrè un caprice proportionne à sa taille dans le coeur dc la sou- IL'armée vint s'établir à une portée de canon'de la place; on con-
verainc des Busses, laquelle mesurait les hommesainsi qu'on me- struisit
s des échelles ; on répara les anciens travaux ; on cn fit de
sure un clocher. nouveaux
i ; on prépara des fascines et toutes sortes d'engins phi-
XXXVIII. lanthropiques.
1

Pendant qu'on était dans l'indécision, Ribas envoya un courrier XLVIH.


au prince, et réussit à faire régler les choses comme il l'entendait. L'esprit d'un seul homme imprime à la foule une direction géné-
le ne puis dire comment il plaida sa cause; mais il eut bientôtt raie:
i ainsi roulent les vagues sous le souffle d'une même brise;
lieu d'être satisfait. Cependanton poussait les travaux des batteries, ainsi marche le troupeau protégé pat le taureau, où un aveugle
,
el bientôt sur le bord du Danube, quatre-vingts pièces de canoni
,
guidé par son chien ; ainsi les moulons qui vont au pâturage sui-
ouvrirent un feu redoutable, auquel la ville répondit fort bien. vent le tintement de la clochette portée par le bélier ; tel est l'em-
pire des hommes puissants sur les petits.
XXXIX.
Mais re treize décembre,lorsque déjà une partie des troupes étaitt XLlX-
embarquée et qu'on allait lever le siège, un courrier venu à franc c Tout le camp retentissait de cris de joie : vous ensniez dit qu'ils
élricr ranima le courage de lous les aspirants à la gloire dc ga- allaient lous à la noce (la métaphore est bonne, je crois, combat el
zelles, de tous les dilettanti dans l'art de la guerre. Ses dépêches,
i, mariage amenant lous deux du mic-mac) ; le dernier goujat lui-
conçues en termes éloquents, annonçaient la nomination au coin- - j1 même sentait redoubler son ardeur pour le danger et le pillage. Et
mandement de l'armée d'un autre amant des batailles, le feld-ma- pourquoi? parce qu'un petit homme, vieux et bizarre presquecn
réchal Souvaroff. haillons, était venu prendre le commandement. ,
XL.
La lettre du prince à ce mêmemaréchalserait une lettre Spartiate, L'
si la cause à servir eût élé digne d'un noble coeur, comme la défense
e Mais la chose élait ainsi. Tous les préparatifs se firent activement:
>le la liberté, de la-patrie ou des lois. Mais l'unique mobile étantit le premierdétachement, divisé en trois colonnes, n'attendait que le
l'ambition jalouse de porter son front superbe au-dessus de tous îs signal pour s'élancer sur l'ennemi ; la seconde attaque devait se
les fronts, l'épîlre n'a d'autre mérite que celui d'un style vrai- i- faire par trois attires colonnes, animées d'une soif de gloire qu'une
ment laconique: « Vous prendrez Ismaïl, à tout prix ». mer de carnage pouvait seule étancher; la troisième, sur deux co-
lonnes, aurait lieu par eau.
XLI.
LI.
Dieu dit : « Que la lumière soil !» et la lumière fut. « Que le sang
JS
coule!» dit l'homme, et il en voit coulcrune mer. ho fiât Ao Potem- On construisit encore de nouvelles batteries et on tint un con-
7
Mn, cet enfant gâté dc la nuit (car le jour ne vit jamais ses mérites) seil de guerre. Comme il arrive quelquefois dans les grandes ex-
"l Irémités, on y vil régner l'unanimité, si rare dans les assemblées de
pouvait produireplus de maux en une heure, que n'en eussent réparé
l'ente étés brillants, aussi beaux même que ceux qui mûrirent Ile ce genre; et toute difficulté ayant disparu, on put voir l'astre de la
fruit d'Ëden; car la guerre coupe tout, branches et racines. gloire poindre à l'horizon dans toute sa splendeur, pendant que
Souvaroff, déterminé à la conquérir, enseignait à ses recrues le
XLII. maniement dc la baïonnette.
Nos amis les Turcs, dont les bruyants allahs commençaient à L"*
allier la retraite des Russes, éprouvèrent un damnable mécompte. te. C'est un fait avéré que, commandant cn chef, il ne dédaignait
{"» est généralement prompt à croire qu'on les ennemisbattu
a (ou
ou pas de faire manoeuvrer en personne ses lourdauds de conscrisl.
'latins, si vous insistez sur la règle du participe, chose dont je ne trouvant ainsi le temps dc remplir les fonctions de caporal. En-
m'occupe jamais dans le feu de la composition). Je disais donc que ue seigner l'exercice aux jeunes soldats, c'est accoutumer une jeune
222 LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

salamandre à_ manger du feu de bonne grâce : il leur montrait à 1 près avoir enduré tant de maux, vousne soyez leprcniicrà loihbcr
pr
mouler une échelle (qui no ressemblait pas à celle de Jacob) et à sur l'ennemi. El ce jeune gaillard au menton imberbeet aux vê-
su
franchir un fossé. tements
tel déchirés, à quoi peut-il être bon? — Ma foi, général, s'il
LUI. ré
réussit en guerre commeen amour, c'esl lui qui doil monter le pre-
Il fil aussi habiller des fascines comme deshommes, avec des lur- ml à l'assaut.
mier
bans, des cimeterres et des poignards, et fit tomber à la baïonnette LXHI.
sur ces mannequinscomme sur dc véritables Turcs. Quand les con- — Qu'il le fasse, s'il l'ose. » Ici Juan s'inclina aussi profondé-
scrits furent bien exercés à ces combats simulés, il les jugea pro- ment
m que le compliment le méritait. Souvarolf continua : « Par un
près à donner l'assaut aux remparts. Les habiles en rirent et en décret
dé de la Providence, c'esl votre ancien régiment qui, demain ou
plaisantèrent: il les laissa dire et prit la ville. ce soir peut-être, doit marcher à la brèche. J'ai promis à plusieurs
saints
sa que bientôt la charrue cl la herse passeront sur ce qui fulls-
LIV. mail,
m sans être arrêtées parla plus superbe de ses mosquées.
Tel élait l'état des choses à la veille de l'assaut. Tout le camp
était plongé dans un sombre repos, ce que l'on aura peut-être peine LXIV.
à concevoir : cependant des hommes résolus à lout braver sont si- « Maintenant donc, enfants, à la gloire ! Cela dit, il se tourna
»
lencieux une fois qu'ils pensent que tout est préparé. Il y avail vi sa troupe et se remit à commander l'exercice dans le russe le
vers
donc peu de bruil; les uns pensaient à leurs foyersel à leurs amis, pi classique, jusqu'à ce que lous ces coeurs héroïques brûlassent
plus
les autres à eux-mêmes et au sort qui les attendait. également
éj pour la victoire cl le pillage. On eût dil que du haut de
la chaire, un prédicateur, méprisant noblement tous les biens de la
la
LV. terre,
te sauf les dîmes, les exhortait à immoler des païens qui avaient
Souvaroffétait sur le qui-vive, inspectant, exerçant, commandant, l'audace de résister aux armées d'une impératricechrétienne.
plaisantant, méditant; car c'était le plus extraordinaire des hom- LXV.
mes: héros, bouffon, moitié diable et moitié fange; il priait, instrui-
sait, ravageait, pillait; tantôt Mars, tantôt Momus, et la veille d'un Johnson qui, par ce long entretien, comprit qu'il était dans les
assaut, Arlequin en uniforme. bonnes
b grâces du général, prit la liberté d'adresser la parole àSou-
LVI. I
varolï, bien qu'il le vit loul animé et absorbé dc nouveau dans sou
amusement favori. « Je suis 1res reconnaissant que vous nous ac-
ho jour qui précéda l'attaque, comme ce grand conquérant cordiez c ainsi l'honneur de mourir des premiers; mais si vous dai-
jouait encore au caporal cn exerçant ses conscrits, quelques Cosa- gniez g nous assigner explicitement noire poste, mon ami et moi nous
ques, rôdant comme des» faucons" autour d'une colline, rencontré- ssaurions ce que nous avons à faire.
rcnl à la tombée de la nuit une troupe d'individus, donl l'un parlait
leur langue... bien ou mal, n'importa: c'était beaucoup que de se LXVI.
faire comprendre. A sa voix, à ses discours ou à ses manières, ils occupé, cl j'oubliais. Eh bien, vous rejoin-
reconnurent qu'il avait servi sous leurs drapeaux. -r- C'est juste! j'étais
drez
, votre ancien régiment, qui doit être en ce momcnl de service.
LVII. IHolà! KalskoiV (il appela un officierd'ordonnance polonais)... con-
duisez monsieur à son poste, je veux dire au régiment de Nikolaïew.
Sur sa demande donc, ils le conduisirent aussitôt avec ses coin- Le I jeune étranger peut restai* avec moi ; c'est un beau garçon, Ou
pagnons au quartier-général.Le costume des nouveaux-venusétait enverra c les femmes avec le reste du bagage ou à l'ambulance. »
musulman; mais il élail lacile dc voir que ce n'était qu'un dégui-
sement, cl sous ta veste turque perçait la qualité dc chrétiens. Ce LXVH.
n'est pas la première fois que la grâce intérieure se couvre ainsi
d'une pompe barbare, source parfois des plus étrangesméprises. Mais ici commença une espèce dc scène : les dames qui
n'étaient pas accoutumées à ce qu'on disposât d'elles aussi mililai-
LVIIL ramenl,
' bien que leur éducation du harem leur eût enseigné la plus
vraie des doctrines, l'obéissance passive... les dames levèrent alors
Souvaroff, qui était cn manches de chemise, devanl une corn- la ] tête, les yeux enflammés et pleins de larmes; et comme la poule
pagniede Culmoiiks, commandant la manoeuvre, criant, plaisan- étend i ses ailes sur sa jeune couvée, elles étendirent leurs bras...
lant, jurant contre les lambins, et faisant une leçon complète sui-
te noble art de tuer les hommes... car ce grand philosophe, ne vo- LXVIII.
yant dans l'humaine argile que de la boue, inculquait ainsi ses Vers les deux braves ainsi reconnus et honorés par le plus grand
maximes, prouvant à toute intelligence martiale que la mort sur le
champ de bataille vaut une pension de retraite... capitaine qui ail peuplé l'enfer dc héros immolés, ou plongé une
province, un royaume entier dans le deuil. O mortels insensés.
LIX. pour qui l'expérience esl vaine ! O laurier! glorieux cn effet, si pour
une seule feuille dc cet arbre que l'on dit immortel, il doit couler,
Quand Souvaroff vit cette troupe de Cosaques avec leur cap- sans cesse et sans reflux, une mer dc sang et de larmes.
ture, il dirigea vers eux ses yeux perçants, que recouvrait presque i
son front sombre : « D'où venez-vous? — De Constanlinoplc : nousi LXIX.
étions captifs et nous nous sommes échappés. — Qui êtes-vous?
Ce Ce dialogue élail laconique, l'homme Souvaroff, qui n'avait guère égard aux larmes, ni de sympathie
que vous voyez. car
— »
interrogé savait à qui il parlait el se montrait économe de mots. ' pour le sang, ne vil pourtant pas sans une ombre de sensibililé ces
femmes les cheveux épars, en proie à de sincèresdouleurs. Car bien
LX. que l'habitude endurcisse contre les souffrances de millions d'hom-
mes les coeurs de ceux qui font métier du carnage, parfois une dou-
« Vos noms? — Le mien est Johnson, et celui de mon canaradei leur isolée touchera môme des héros et Souvaroff en était un.
Juan; les deux autres sont des femmes, et le troisième n'est ni L

femme ni homme. » Le général jeta sur la troupe un regard rapide! LXX.


el reprit : « J'ai déjà entendu voire nom, à vous; mais celui-ci m'est' prendre
inconnu. C'est une sottise d'avoir amené ici les trois autres per-[ « Parbleu! Johnson, dit-il du Ion le plus doux que puisse
Calmouk comment diable avez-vous pu amener ici des fem-
sonnes; mais n'importe. Je crois vous avoir vu dans le régiment de un ,
mes ? On leur donnera lous les soins possibles cl on les conduira
Nikolaicw. — Précisément.
jusqu'aux charriols : là seulement elles peuvent être en sùreie.
LXI. Vous auriez dû savoir que celte espèce de bagage ne cou vient pas ici;
Vous étiez à Widdin? Oui. Vous conduisiez l'attaque?
»
à moins qu'ils n'aient un an de ménage, je hais les conscrits maries.
— — —
— C'esl vrai. — Que vous est-il arrivé ensuite? — Je le sais à pei-j LXXI.
ne. — Vous fûtes le premier sur la brèche ? — Du moins je n'ai
pas clé lent à suivre ceux qui pouvaient y être arrivés. — Ett — N'en déplaise à Voire Excellence, répondit l'Anglais, ce sont
après ? — Une balle m'élcndil sur te dos, et je fus fait prisonnier. — les femmes d autrui et non les noires. Je suis trop au l'ail du scr-
Vous serez vengé; car la ville que nous assiégeons est deux foiss vice pour enfreindre les lois militaires, en menant une femme a
aussi forte que celle dont les défenseurs vous ont blessé. moi dans un camp, el je sais que rien n'inquiète le coeur d'un héros,
comme de laisser dans l'embarras une petite famille.
LXII.
LXXII.
« Où voulez-vouscombattre? — Où vous voudrez. — Je sais que
vous vous plaisez dans les coups désespérés, eljc ne doute pas qu'a- « Mais vous voyez ici deux dames turques qui, ainsi que leur
il°"
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD RYRON. 223

icsliquc, après avoir favorisé notre fuite, nous ont accompagnés


iius ce déguisementàtravers mille périls. Pour moi, ce genre de vie LXXXII.
'est pas nouveau; pour elles, pauvres créatures, c'est un pas fort O vous, grands bulletins dc Bonaparte! ô vous, listes moins lon-
cnihlc. C'est pourquoi, si vous voulez que je combatte le coeur li-
gues et moins pompeuses dc ceux qu'il avait fait tuer ou blesser!
rc, je demande qu'elles soient traitées avec égard. » °ombre dc Léonidas, qui combattiez si vaillamment, alors que ma
LXXIII. pauvre Grèce était, comme aujourd'hui, cernée par ses ennemis!
V
ôo commentairesdc César ! ombres glorieuses, pour que je ne reste
Cependant, les deux pauvres filles les yeux baignés de larmes, point
p court, prêtez à ma muse une portion des teintes si belles, si
emblaienl ne savoir quelle confiance, accorder à leurs protecteurs. lï
fugitives, de votre mourant crépuscule.
.eur surprise était aussi grande, aussi juste môme que leur douleur,
n voyant un
vieillard à l'air plus fou que sage simplement velu, LXXXIII.
(Uiverl de poussière, habit bas, avec un gilet , malpropre; cn le Quand j'appelle «mourante» l'immortalitéguerrière, je veux dire
'oyanl, dis-je, plus redouté que tous les sultans du monde.
que chaque siècle, chaque année cl presque chaque jour est mal-
LXXIV. £heureusement forcé de faire éclore quelque héros à la mamelle :
or, lorsque nous venons à calculer la somme des actes les plus pro-
En effet, comme elles le pouvaient lire dans ses yeux, tout sem- fitables
fi à la félicité humaine, ce héros n'est plus qu'un boucher en
liait obéir à son moindre signe. Or, accoutumées qu'elles étaient à gros
g qui fait tourner les jeunes têtes.
onsidérer le sultan comme une sorte de dieu, à le voir, resplen-
lissant de pierreries, se prélasser dans toute la pompe du pouvoir LXXXIV.
wreil au paon, ce royal oiseau dont la queue est un diadème; elles Médailles,grades, rubans, dentelles,broderies,écarlate, sonl d'im-
îe se figuraient pas qu'un mailrc pût se passer de cel appareil. mortels appendices du guerrier immortel, comme la pourpre esl in-
LXXV. hérente
}: à la prostituéede Uabylone. Un uniforme est pour les ado-
lescents ce qu'esl pour les femmes un éventail ; il n'est pus de gou-
John Johnson, voyant leur extrême embarras, bien que peu versé j en habit rouge qui ne se croie le premier dans les rangs de la
jat
buis les sentiments des femmes dc l'Orient, essaya de les consoler gloire.
f Mais la gloire est la gloire ; et si vous voulez savoir ce que
ISII manière. Don Juan, plus facile à émouvoir, jura qu'elles le re- c'est...
( demandez-le au pourceau qui voit le vent (1) !
terraient à la pointe du jour ou que foule l'année russe s'en re-
|ienlirail. Chose étrange! elles, se trouvèrent consolées par celte pro- LXXXV.
messe... L'exagérationplaît aux femmes. sent, et quelques-uns disent qu'il le voit, parce
Du moins il le
LXXVI. qu'il
\ court devant lui comme un pourceau qu'il est; ou si la rudesse
de cette expressionvous déplaît, je dirai qu'il file sons le vent comme
Après beaucoup de larmes, dc soupirs et quelques baisers, ils sc un
i brick, un schooncr, ou... Mais il est temps dc terminer ce chant,
.«parèrcnlpoui' le moment. Les fouîmes allaient attendre, selon que avant que ma muse ne se sente fatiguée; le suivant sonnera un
l'artillerie porterait plus ou moins juste ce résultai que les sages «
branle
1 à mettre tout le monde sur pied, comme le bourdon d'un
nomment chance, Providence on destin , (l'incertitude est un des clocher
i de village.
nombreux bienfaits du ciel, c'esl une hypothèque sur les domaines LXXXVI.
de l'humanité). De leur côté, leurs bien-aimés devaient s'armer pour
brûler une ville qui ne leur avait jamais fait dc mal. Ecoulez, dans le silence de la nuit froide et sévère, le murmure
des bataillons qui formentleurs rangs. Voyez ! des masses sombres
LXXVII. sc
\ glissent comme des ombres iloltanlcs le long des remparts assié-
gés, cl sur la rive du fleuve hérissée d'armes, tandis que la lueur
i
Souvaroff, toi quit ne voyais les choses qu'en gros, trop rude incertaine des étoiles pointe à travers les vapeurs épaisses qui se
pour les comprendre en détail; toi qui ne faisais pas plus de cas de la déroulent en pittoresques flocons... liicnlôt la fumée de renier va
vie que d'un fétu, pas plus d'attention aux gémissements d'un peu- couvrir
i tous ces lieux d'un manteau plus ténébreux !
[île en deuil qu'au souffle du vent, cl pourvu que la victoire le res-
tai ne le souciais pas plus de la perle de ton armée que la femme LXXXV11.
elles amis de Job ne s'affligeaient des maux du patriarche... Sou-
varoff, qu'étail-cc pour loi que les sanglotsdc ces deux femmes? Arrêtons-nousici pour un moment... imitons celle pause terrible
qui, séparant la vie de la mort, glace les coeurs de ces hommes
LXXVIII. dont plusieurs milliers respirent leur dernier souffle. Un moment...
et tout se montrera plein de vie; la marche! la charge! les cris des
ilien ! —Cependant l'oeuvre dc gloire se continuait parles pré- deux croyances rivales : hourra! Allah I... puis un moment de
l'araiil's d'une canonnade, aussi terrible que l'eût été celte d'Hion, plus... et ce sera le cri de mort étouffé dans le rugissement de la
si Homère avait
connu les mortiers. Mais ici, au lieu de luer le fils bataille.
dcl'riaiii, nous ne pouvons décrire qu'escalades, bombes, tambours,
Muons, bastions, batteries, baïonnettes el balles : mots rudes qui
«corehenl le gosier délicat de la muse.
CHANT VIII.
LXXIX.
0loi,éternel Homère! qui sus charmer toutes les oreilles, hélas! sou- I.
"ul longucs,( tous les siècles, hélas! si courls rien qu'en maniant
''un bras poétique des armes dont les hommes, ne feront plus usu- O sang et tonnerre! ô sang et blessures! Voilà des jurements
re, h moins que la poudre à canon ne se montre beaucoup moins
" bien vulgaires, à votre sens, ô trop méticuleux lecteur; voilà d'é-
meiiiiiiôreque ne le souhaitent toutes les cours aujourd'hui liguées, pouvanlables dissonnaiiccs I H n'esl que trop vrai-; pourtant c'est
l
e<|iilre la jeune liberté... mais elles ne trouveront pas dans la liberté la seule explicationdu rêve de la gloire, et comme ce sont là les
U|ie nouvelle Troie ;
J objets donl va s'occuper ma nuise sincère, comme ils font le sujet
de ses chants, ils doivent aussi l'inspirer. Qu'on dise Mars, Bellone,
LXXX. comme on voudra... c'est toujours la guerre.
0 toi, éternel Homère! j'ai maintenant à décrire un siège où plus
11"(mimes furent immolés
ï
et avec des engins plus redoutables et
N- (les coups plus prompts, que dans cette campagne dont ta
ga- Toul était prêt... le feu, le glaive, les hommes destinés à manier
'ffiUe grecque
a rendu compte... Et cependant je dois reconnaître,> ces fléaux redoutables. L'armée, comme un lion qui sort de sa ta-
Winme loul le monde, que vouloir rivaliser avec toi seraitaussi in-
cisé à moi, qu'à un ruisseau de lutter avec l'Océan : ce qui n'em- nière, s'avança, les nerfs el les muscles lendus p mr te carnage...
l'i'clie que nous autres modernes, hydre humaine, sortant de son marais pour souiller la destruction
nous ne vous égalions cn fait dee sur sa voie tortueuse, ayant pour lûtes (les héros, lèles qui, à peine
C!|i'iiage...
coupées, étaient aussilôt remplacées par d'autres.
LXXXI.
Xon de
carnage poétique, mais de carnage réel : et le réel c'esl la III.
Cl'ile, ce grand desideratum, dont il faut pourtant négliger qucl- '.- L'histoire ne peut prendre les choses qu'en gros; mais si nous
I'U cj10?ei quelque fidèle et minutieuse que soit la muse dans ses is les connaissions en détail, peut-être, en balançant le profit et la
jseriptions. Maintenantla ville va être attaquée; dc grandes actions is perle, rabattrions-nous un peu du mérite de la" guerre; peul-ôlrc
J^j'uiicnl... comment les raconter?Ames des généraux immortels,
"-'hus n'attend que vos dépêches
pour en colorer ses rayons. (1) Figure empruntée aux psaumes.
224 LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

verrions-nous qu'acheterà prix d'or certainesconquêtes, c'est paver I


bien cher un vain fantôme. 11 y a plus de véritablegloire à sécher I XIII.
i
une larme qu'à répandre des mers de sang. Là, toutes les tortures variées, accumulées, au point que les
h0
hommes s'endurcissent en présence de ces innombrables douleurs
IV qui frappent partout leurs regards... là, les voix gémissantes, ]es
El pourquoi ? parce que la première de ces gloires procure le membres
nl< qui se tordentdans la poussière, l'oeil entièrementblanc,
'contentementde soi-même, tandis.quel'autre, avec tout son éclat, retourné dans son orbite... Voilà la récompense de milliers de soù
r*îl
ses acclamations, ses arcs-de-friomphe, ses pensions payées par "-1 pendant que d'autres gagneront un ruban sur la poitrine I
dats,
un peuple, peut-être affamé; avec les titres pompeux et les dignités XIV.
qu'elle prodigue, peut bien exciter l'admiration des âmes corrom-
pues; mais après tout, si l'on ne combat point pour la liberté, Et pourtant, j'aime la gloire... la gloire, c'esl magnifique... Son.
elle n'est qu'un vain bruit par lequel l'homicideessaie de s'étourdir. ge combien il est doux, sur vos vieux jours, d'être entretenu aux
gez
fri de votre bon roi. Une modique pension ébranle la vertu de
frais
V. plus d'un sage ; et, ce qui vaut mieux encore, les héros sont néces-
pi
Telle est, telle sera toujours la gloire des armes; telle n'est pas saires
s* pour que les bardes aient quelque chose à chanter. Ainsi, le
celle d'un Léoriidas et d'un Washington ; chacun de leurs champs plaisir
P' dé voir nos guerres revivre dans des vers immortels, outre
de bataille est un sanctuaire qui parle de nations sauvées et non de ,a jouissance de la demi-solde pendant le reste de nos jours, voilà
la
mondes dévastés. Comme ces mots résonnentdoucementà l'oreille! ce qui nous pousse à détruire nos semblables.
ce
Pendant que le nom d'un conquérant vulgaire excitera l'élonne- XV.
ment et la stupeur.des âmes servîtes et vaines, ces noms glorieux
serviront de mot de ralliement pour affranchir le monde. Quelques troupes, qui avaient déjà pris terre, se portèrent sur la
droite pour s'emparer d'une batterie; d'autres, débarquées plus bas,
di
VI. se mirent à l'oeuvre non moins promptement. C'étaient des grena-
se
La nuit était sombre : un épais brouillard ne laissait entrevoir diers : ils grimpèrent un à un aussi gaîment que des enfants qui
,
que là flamme de l'artillerie qui ceignait l'horizon d'un nuage dc moulent
": sur le giron de leur mère, et escaladèrentle retranchement
feu et se réfléchissait dans les eaux du Danube... miroir de l'enfer! e la palissade, avec autant d'ordre que s'ils eussent été à la parade.
et
Le rugissementdes volées de canon et les longs et profonds reten-
tissements qui se succédaient coup sur coup assourdissaient l'o- XVI.
reille plus que n'eût fait le tonnerre; car les foudres du ciel frap- C'était une manoeuvre admirable, car le feu était si vif, que si le
pent peu... celles de l'homme font des millions de cadavres. \
Vésuve, outre sa lave, était charge de toutes sortes de projectiles
infernaux,
il il ne pourrait faire plus dc ravages. Le tiers des officiers
VII. t
tomba sur la place, début qui élait loin de promettre la victoire à
La colonne d'assaut avait à peine dépassé les batteries de quel- la
': troupe : quand le chasseur tombe, les chiens sont en défaut.
ques toises, quand les musulmans, irrités, se levèrent enfin el ré- XVII.
pondirent aux tonnerres des chrétiens par une voix non moins ter-
rible. Alors un vaste incendie envahit l'air, la lerre cl les flols ; le Mais ici je laisse les affaires générales pour suivre don Juan : il
sol parut trembler sous ce bruit effroyable, pendant que toute la faut
f qu'il gagne ses lauriers à part; car nommer l'un après l'autre
ligne des remparts pétillait de feux, pareilleà l'Etna quand l'inquiet cinquante
< mille héros, bien qu'ils aient tous également droit à une
Titan s'agite dans ses cavernes., stanec
$ ou à une élégie, cela formerait un lexique de gloire un peu
Ilong, et bien pis, ce serait allonger beaucoup notre histoire.
VIII.
Au même instant s'éleva un redoutable cri d'Allah! qui, non XVIII.
moins bruyant que la voix des foudres meurtrières, jetait à l'ennemi Force nous est donc d'abandonner le plus grand nombre à la ga-
un défi orgueilleux. AllahI répétèrent la ville, le fleuve et le ri- zelle... qui, sans nul doute, a rendu justice à tous ces morts, dor-
vage; el dans les nuages étendus comme un dais sur les combat- mant d'un glorieux sommeil dans les fossés, dans la plaine, partout
tants, on entenditvibrer le nom dc l'Eternel. Ecoulez : à travers toust où ils ont senti pour la dernière fois l'argile appesantirleurs âmes...
les bruits un seul cri domine : « Allah ! Allah I hu ! » Trois fois heureux celui dont le nom a été bien orthographiédans
la dépêche I J'ai connu un homme dont la mort fut annoncée sous
IX. le nom de Grove; et il s'appelait Grose !
Toutes les colonnes s'étaient mises en mouvement ; mais celles5
qui attaquaient par eau virent leurs soldats tomber comme des XIV
feuilles, bien que commandées par Arseniew, ce fils du carnage, Juan et Johnson sc joignirent à l'un des corps d'attaque, et com-
brave comme le premier qui affronta jamais la bombe et le boulet., battirent de leur mieux, ne sachant où ils étaient et encore moins
« Le carnage, dit Wordsworth, est fils dc Dieu;» il est donc frèrec où ils allaient. N'importa I ils continuaient d'avancer, foulant des
du Christ, et il sc conduisit alors comme dans la Terre-Sainte. cadavres sous leurs pieds, tirant, frappant d'estoc et de taille, sniiiil
et bouillant, mais au total assez peu avares de leur vie pour méri-
X. ter à eux deux un magnifique bulletin.
I
Le prince de Ligne fut blessé au genou ; le duc de Richelieu reçut
XX.
une balle entre son chapeau et son crâne, et ni l'un ni l'autre "nee
fut percé, ce qui prouveque celte tête élait la plus aristocratique duu C'est ainsi qu'ils se vautrèrent dans la fange sanglante dc CM
monde. De fait la balle ne pouvait cn vouloir à une caboche toutec millions de morls et de mourants... Parfois ils gagnaient une toise
légitimiste: « Poussière sur poussière!» dit-on... pourquoi pas
»s ou deux de terrain, ce qui les rapprochaitd'un certain angle île
plomb sur plomb ? muraille que tout le inonde s'efforçait d'atteindre; d'autres fois re-
XL pousses par un feu bien nourri, qui'lombait comme si l'enfer cil
envoyé sa pluie pour celle des cieux, ils trébuchaient en recula»1
Le général Markow, brigadier, insistait pour qu'on emportât «le .
prince » quand lant de milliers d'autres gémissaient et mouraient ut. sur un camarade blessé qui se débattait dans son sang,
auprès ,
de lui... tous gens de rien, qui pouvaient sc tordre dé-
et se &- XXI.
battre et implorer une goutte d'eau, sans trouver une oreille qui ne
ie
fût pas sourde... Le général Markow, qui témoignait ainsi de sa C'était la première affaire de Juan ; et après une nuit passéesou
sympathie pour un haut rang, reçutune leçon propreà lui inspirer er les armes, après une marche silencieuse dans les ténèbres glacées
un sentiment plus large : un coup de feu lui cassa la jambe. où le courage n'est pas aussi bouillant quesous un arc-de-lriom[)li|!>
il avait peut-être longtemps grelotté,bâillé et appelé le jour, en jcj
XU. tant un regard sur les nuages épais et monotones qui raidissaicii'
le ciel Mais, malgré lout cela, il ne songea point à lâcher pic'
Trois cents bouches à feu vomirent leur émélique, et trente mille..
mousquets lancèrent leurs pilules, dru comme grêle, en guise de
dc XXII.
diurétique sanguin. 0 mortalité! lu as tes bulletins mensuels, tes GS
pestes, tes famines, tes médecins, ce qui n'empêche pas les maux nx Au fait, c'était impossible..... Et quand même il l'eût fait? On s
présents, passés et futurs,de tinter à nos oreilles comme cet insecte
;te vu et l'on voit encore des héros qui n'ont pas mieux débuté :
Ff;
qui perce le bois et qu'on appelle l'horloge de la mort... mais tout
mt déric-le-Grand daigna prendre la fuite à Mohvitz, pour la preniief<
cela n'est rien auprès des horreurs d'un champ de bataille. et la dernière fois ; car ainsi qu'un cheval, un faucon , une je1""
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD RYRON. 225

épouse, la plupart des hommes, après une chaude épreuve, sc rom-


Jcnl à leur nouveau métier et combattent comme des diables pour XXIX.
leur solde leur opinion.
ou Juan, qui n'avait pointde bouclier à prendre et qui n'était pas un
XXIII. César, mais un beau jeune homme qui se battait sans savoir pour-
quoi ; Juan, se voyant dans celte passe difficile, s'arrêta une mi-
Juan était ce qu'Erinappelle, dans son langage sublime, l'ancien nute, et peut-être aurait-il dû s'arrêter plus longtemps; puis pareil
erscou l'irlandais, qui pourrait bien être le punique (les antiquai- à un âne... ne vous scandalisez pas, modeste lecteur; puisque le
res, qui savent régler le temps, comme le temps règle toutes choses, grand Homère a trouvé cette comparaison bonne pour Ajax, Juan
romaines, grecques, runiques, prétendent que la langue irlandaise peut s'en contenter mieux que d'une neuve...
est concitoyenned'Annibal et se revêt encore de l'alphabet tyrien,
importé à Carthagc par Didon ; opinion rationnelle comme toute XXX.
autre, mais nullement nalionalç)-t7~r^TT^^
Donc, pareil à un âne, il marcha, et, chose plus étrange, il ne re-
XXIV. gardapasenarrière;mais
Juan était ce que, dans / voyant briller devant lui,
cette langue, on appelle
comme le jour sur la
• montagne, un feu suffi-
une « essence de jeunes- sant pour aveugler ceux
se, » un êlre d'impulsion, qui n'aiment pus à voir
un enfant de poésie, tan- un combat, il cherchas'il
tôt nageantdans le senti-
ment, ou, si vous l'aimez ne pourrait pas rejoindre
les bataillons décimés.
mieux, dans la sensation
de la volupté; puis s'il s'a-
gissait de tuer en aussi
XXXI.
lionne compagnie que N'apercevant plus le
celle qui se presse d'ordi- commandant de son pro-
naire aux batailles, aux pre corps, ni le corps lui-
sièges cl autres récréa- même qui avait complè-
tions de ce genre, saisis- tement disparu Dieu
sanlavecun égal empres- sait comment (je ne me
sement celle occasion charge pas d'expliquer
d'occuper ses loisirs; tout ce qui, dans l'his-
toire, offre une couleur
XXV. suspecte ; cependant, on
m'accordera ce point : il
liais cela toujours sans n'était pasélonnantqu'un
malice : s'il faisait l'amour tout jeune homme, épris
ou la guerre, c'était, com- delà gloire,marchâtdroit
me on dit, avec « les meil- devant lui sans plus sc
leures intentions, »
celle soucier de son régiment
carie d'atout que nous que d'une prise de ta-
montrons tous pour nous bac)...
tirer d'affaire. Hommes.
d'Iïtat héros câlins XXXII.
hommes , de loi,
.
si l'on, N'apercevant donc ni
s'informe de leurs actes, commandantni comman-
siivenl parer l'attaque cn dés laissé à lui-même
protestant de leurs bon- ,
comme un jeune héritier,
nes intentions; quel dom- libre d'aller tout seul
mage que l'enfer en soit il ne savait où ; comme le
pavé!
voyageursuit le feu follet
XXVI. à travers marais el fon-
Je me suis demandé drières ou comme des
quelquefois si le pavé de marins , naufragés se ré-
fugient dans la hultc la
l'enfer cn admettant plus proche; ainsi Juan,
que telle en soit !a matiè- suivant l'honneur et son
re... ne doit pas être au-
jourd'hui complètement nez, s'élança vers la mê-
lée.
usé, non par le nombre XXXHf.
île ceux
que leurs bonnes
mentions ont sauvés Il ne savaitoù il était et
niais par la masse qui des-, ne s'en inquiétait guère :
Mais le Khan ne voulait pas être pris.
tend là-bas sans être car il était ébloui, frappé
munie de ces matériaux de vertige; la foudre cir-
lui nivelaientel aplanis- culait dans ses veines
saient autrefois cette rue il était sous l'influencede
sulfureuse qui doit si la situation, comme il ar-
,
nieii ressembler à notre Pall-Mall. rive aux imaginationsardentes. Ayant observe le cote ou le feu le
plus vif se faisait voir el entendre, où le canon faisait retentir ses
XXVII. détonations les plus bruyantes, ce fut là qu'il courut, pendant que
Juan, par une de ces occurrences étranges qui séparent souvenl la lerre et le ciel étaient ébranlés par ta découverte humanitaire,
>eguerrier du guerrier dans leur hideuse carrière, comme elles sé- ô Bacon, ta plus savant des moines.
parent la plus chaste des femmes de son constant époux tout juste
après un and'hyménée; Juan, par un de ces singuliers caprices XXXIV.
•t"*la fortune, fui saisi d'un étonnement soudain lorsque après Comme il courait ainsi, il tombadans ce qui avait formé naguère
"ne vive mousquetade, il se trouva seul, loin de , compagnons la deuxième colonne sous les ordres du général Lascy, Ce
lui battaient en retraite.
ses corp.i
avait été réduit, comme plus d'un gros livre, à un élégant extrait
XXVIII. d'héroïsme. Juan, d'un air solennel, prit place parmi les survi-
Je ne sais comment fit la chose... 11
se vants qui, faisant bonne contenance, continuaient à tirer sur les
se peut que le plus grand glacis.
".ombre fût tué blessé, et le reste eût fait demi-tour à droite;
'"constance quiouembarrassaqueCésar lui-même, quand à la vue de XXXV.
j°ule son armée, si
courageusepourtant, il fut forcé de prendre un
"oiiclier el de ramener les Romains
Précisément à ce moment critique arriva aussi Johnson qui
,
au combat. « avail battu en retraite, » comme on dit quand les gens se sauvent,
PARIS.— linp. LACOURet C*, rue SoufQol,16. 18
221» LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

plutôt que de se jeter dans celle gueule de destruction qui conduit meilleur
nu choix, de ceux qui avaient élé les premiers à montrer sur
a l'antre du diable. Mais Johnson élail un habile soldai qui savait .le
le parapet leur face guerrière, ou dc ceux qui avaient cru plUs
revenir à propos à la charge el n'employait la fuite que comme un brave
. br de rester exposés au feu.
courageux stratagème.
XXXVI. XLVI.
11 vil que tous les hommes de son corps étaient ou morls ou mou- Mais ceux qui avaient escaladé virent leur audace favorisée par
vants , à l'exception dc don Juan, vrai novice dont la valeur virgi- J" hasard ou une bévue. Dans son ignorance, le Cohorn grec ou
un
nale ne songeaitpoint à la fuite. En effet, l'ignorance du danger, ,u avail établi ses palissades d'une manière qui paraîtrait éton-
turc
comme l'iunocencc comptant sur ses propres forces, inspire à ses nante
ni dans les forteresses des Pays-Bas ou de France (qui elles-
élus une insouciante sécurité. Dans celte situation, Johnson re- mêmes
™ doivent baisser pavillon devant noire Gibraltar) : obstacle
broussa chemin un moment, seulement pour rallier ceux qui s'é- judicieusement posé au beau milieu du susdit parapet.
Ju
Inient enrhumés dans les ombres dc la vallée de la Mort.
XLVII.
XXXVII. En sorte qu'il y avait de chaque côté neuf h dix pas de terrain
Et là , un peu à l'abri des balles que faisaient pleuvoir bastions, s' lequel on pouvait se tenir, avantage très grand pour nos gens,
sur
batteries, parapets, remparts, murs, fenêtres, maisons... cardans pour
P ceux-là du moins qui élaicnl restés vivants, et qui avaient
toute cette grande ville, serrée de près par une armée chrétienne, ainsi
«^ la faculté de se mettre en ligue et de recommencer le combat.
il n'y avail pas jusque-là un seul pouce dc terrain qui ne se défendît Ce
C qui leur fut aussi fort utile c'est qu'ils purent renverser d'un
,
comme un diable... là , il trouva un certain nombre de chasseurs, coup dc [lied les palissades, qui ne s'élevaient guère plus haut que
Çt'
dispersés par la résistance du gibier qu'ilsavaient attaqué. '
l'herbe d'un pré.
XLVIII.
XXXVIII. Parmi les premiers... je ne dis pas le premier, car les questions
11 les appela; el, chose étrange, ils vinrent à son appel, différents de
d priorité en pareille occasion peuvent soulever dc funestes que-
cn cela des esprits du vaste abîme, lesquels sc laissent invoquer relles
r entre amis aussi bien qu'entre alliés : bien hardi serait le
longtemps, dil Holspur, avant de quitter leurs retraites. Leurs mo- Breton
I! qui viendrait mettre à l'épreuvela patience de John Bull en
tifs pour obéir étaient l'incertitude, la honte de paraître avoir peur osant
o lui dire que Wellington a élé battu à Waterloo... et en ell'el
d'une halle ou d'une bombe, et ce singulier instinct qui tait qu'à la c'est
c ce qu'affirment les Prussiens.
guerre cl en religion, les hommes suivent comme des troupeaux le
chef qui les guide. XLIX.
XXXIX. Ils ajoutent que si Bluchcr, Bulow, Gncisenau, el je ne sais
Par Jupiter! c'était un brave gaillard que ce Johnson ; et bien combien
J de gens en ait et en ow n'étaient pas venus à temps jeter
que son nom sonne moins harmonieusement que ceux d'Ajax et 'la terreur dans l'âme des Français, qui continuaient à combattre
d'Achille, on ne verra pas de sitôt son égal sous le soleil. 11 tuait son (comme des tigres affamés, le duc dc Wellington aurait cessé d'étaler
homme aussi tranquillement que souffle la mousson, ce vent qui, ses
£ ordres, comme de recevoir ses pensions, les plus lourdes que
pendant des mois entiers, reste invariable : rarement on voyait la mentionne
' notre histoire.
moindrealtération dans ses lrails,son teint ou ses muscles, et sons L.
bruit il faisait beaucoup de besogne. Mais n'importe! Dieu sauve le roi ! et les rois ; car s'il ne
XL.
veille
i sur eux, je doute que les hommes les gardent longtemps
Je crois entendre un petil oiseau qui chante que dans pou le peuple
11 ne s'était donc sauvé qu'avec réflexion, sachant bien que sur sera
i le plus fort : il n'est pas de rosso qui ne rue quand le harnais
les derrières il trouverait d'autres combattants lout disposés à se lui entre dans les chairs, et la fait souffrir plus que ne le permet le
débarrasserde ces appréhensionsimportunes, qui, comme des vents, règlement des postes...et la populace finit par ne plus imiter la pa
troublent partais des estomacs héroïques. Bien que souvent leurs tience de Job.
paupières se ferment prématurément, lous les héros ne sont pas LI.
aveugles ; mais s'ils rencontrent face à face une mort infaillible, ils D'abord elle murmure, puis elle jure; puis, comme David, elle
reculent de quelques pas, seulement pour reprendre haleine. lance au géant les cailloux du ruisseau ; enfin elle a recours aux
XL1. armes que saisissent les hommes quand te désespoir a aigri leurs
Johnson, disons-nous, n'avail reculé que pour revenir,avec beau- coeurs. Alors vient la véritable guerre : je serais tenté de dire « tant
pis! » si je n'avais reconnu qu'une révolution seule peut épargner
coup d'autres guerriers, vers ce sombre rivage qu'Hamlet nous a notre globe toutes les souillures de l'enfer.
peint comme un si redoutable trajet. Mais cela ne donnait pas grand
souci à notre homme : son âme àgil sur les vivants avec la puis- LU.
sance du fil galvaniquequi ranime les morls, cl les ramena au mi- Mais continuons... Je disais donc que, non pas le premier, niais
lieu du feu le plus violent.
XLI1. un des premiers, notre petit ami don Juan escalada les murs d'Is-
maïl, comme s'il eût élé élevé au milieu de pareilles scènes lit
Mille diables ! ils trouvèrent une seconde fois ce qui la première pourtant celle-ci était tout-à-fail nouvelle pour lui, el je présume
leur avait paru assez terrible pour s'y dérober par la fuite. Malgréii pour beaucoup d'autres. Quelque* généreuse que fût sa nature,
tout ce qu'on dit de la gloire cl tous'ces immortels lieux communsi aussi chaleureux par le coeur qu'efféminé par les traits, il était dé-
qui conduisent un régi m en l à la morl (sans compter la paie, lei voré de la soif dc la gloire, soif qui pénètre le coeur de part en pari.
shilling quotidien, qui fail aussi le soldat).... ils retrouvèrent,dis-je,
le même accueil, qui lit deviner aux uns et connaître aux autres; LUI.
l'approche de l'enfer. El il élail là, cel enfant qui jamais n'avail cessé d'appuyer sa
XL11I. poitrine sur le sein d'une femme : homme dans loul le reste, celle
Tlslomhèient dru comme les moissons sous la grêle, l'herbe sous place élail pour lui l'Elysée; il cûl înônic résisté à cette éprouve
la (aulx,ou tablé sous la faucille, nouvelle preuve do colle vérité re-. délicate que Uousseau indique à la beaulé inquiète : « Observez
battue, que la vie est le plus fragile objel des désirs de l'homme. votre amant quand il sorl de vos bras. » Juan n'en sortait jamais
Les batteries turques, pareilles à un fléau ou au poing d'un habilej lant qu'il y trouvait des charmes...
boxeur, firent une horrible capilotade des plus braves soldais : ilss LIV.
eurent la tôle cassée avant d'avoir pu armer leur fusil.
A moins qu'il n'y fût forcé par les deslins ou les flols ou le3
,
XLIV. vents, ou par des parents, ce qui rcvicnlau même. Mais maintenant
Les Turcs, protégés par les traverses el les flancs du bastion voi- il élail là... dans une crise où lous les liens dc l'humanité doivent
sin tiraient cn vrais diables el enlevaient des rangs tout entiers, céder au fer et à la flamme; et lui. dont le corps môme élail lout
, âme, jouet de ce sort qui courbe les têtes les plusfières, près*6
comme lèvent balaie l'écume des vagues. Néanmoins, Dieu sait{
pourquoi, le destin qui nivelle sous ses changeants caprices less par le temps cl les faits, le voilà parti comme un coursier pur-sanï
cités, les nations, les
,
mondes, voulut qu'au milieu de celte sulfu- qui sent l'éperon.
reuse orgie, Johnson et le petit nombre de ceux qui n'avaient pas LV.
-
décampé gagnassent le talus intérieur du rempart. Il ne se connaissait plus on face d'une résistance, comme1-
chasseur devant une barrière à cinq traverses, ou devant une gril";
XLV. élevée, cas où l'existence de nos jeunes Anglais dépend de leur
D'abord un, deux, puis cinq, six, une douzaine escaladèrent t poids, le plus léger courant le moins de risques. Dc loin il ablioi',-
proinplcmenl, car il y allait de la vie : des torrents de flamme,:, rail la cruaulé, comme tous les hommes abhorrent le sang, jusqU'J
comme dc la poix ou de la résine, étaient dardés d'en haut cl d'enu ce qu'ils soient échauffés el alors môme Juan sentait le sieu se
bas, si bien qu'il était difficile de décider lesquels avaient fuit lele figer s'il entendait un gémissement douloureux.
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYKON. 227

de la nature ou de l'homme : la libre forêt les avait reçus libres,


LVI. cil les gardait libres cl frais comme ses arbres et ses torrents.
elle
Le général Lascy, serré de près, voyant arriver si à proposa son LXVI.
lide une centaine" de jeunes gaillards déterminés qui semblaient
omber de la lune, remercia don Juan qui élait le plus près de lui,
Ils étaient grands, forts et agiles, comme ne le seront jamais les
s'a- chétifs cl pâtes avortons des villes; car jamais les soucis ni l'avidité
•l ajouta qu'il espérait que la ville serait bientôt prise, croyant
CM
n'avaient
n• attristé leurs pensées. Les bois verdoyantsétaient leur hé-
icsscr, non à quelque « pauvre besogneux , » comme dit Pislol, '.vieillessel'affaissement
ritage; Je leurs facultés ne leur annonçait pas une
nais à quelque jeune Livonicn. précoce ; la mode ne faisait pas d'eux les singes dc ses
LVII. caprices;
ca ils étaient simples et non sauvages, el leurs carabines au
Comme le général lui parlait en allemand, Juan, qui savait cette coup certain dédaignaient de puériles querelles.
co
aligne ni plus ni moins que le sanscrit, s'inclina pour toute réponse LXVII.
levant son supérieur; car, voyant un homme décoré de'rubans Le travail remplissait leurs jours et le repos leurs nuits; l'allé-
ic-irs el bleus, dc crachats, de médailles el tenant à la main une
•pée
,
sanglante, qui lui adressait la parole d'un ton de rcmercîmenl, gresse était la compagne dc leurs travaux. Ni trop nombreux ni
Sr
I reconnut un officier de haut rang.
j 1' disséminés,la corruptionn'avait pu pénétrer dans leurs coeurs :
trop
ta débauche el ses aiguillons, le luxe et ses embarras, ne faisaient
LVI1I. point
I>< leur proie des libres forestiers. Elles étaient sereines sans
L'entretien dure peu entre gens qui ne parlent pas la môme lan- tristesse,
lr leurs vastes solitudes.
pic-, cl puis, en temps de guerre, à la prise d'une ville, quand maint LXVIII.
iri de douleur vient couper le dialogue, quand mainte énormijé se Assez sur la nature ! Maintenant pour varier, nous revenons à
cmnmel dans l'intervalle d'une parole à l'autre, quand pareil au les immenses délices, ô..civilisation! nous revenons aux aimables
d'alarme arrive à l'oreille un concert de soupirs, de gémisse-
liicsin ™
conséquences des grandes sociétés : la guerre, la peste, le despo-
monts, de clameurs, dc hurlements, de prières..... dans un tel mo- j?
tisme, la soif dc la célébrité, les millions d'hommes que tuent les
ment, il ne saurait y avoir beaucoup de conversation. "
soldais pour gagner leurs rations, le boudoir d'une impératricesexa-
LIX. génaire,
g et la prise d'Ismaïl pour assaisonner ses plaisirs.
Aussi ce que nous avons rapporté en deux longues stances tint à LX1X.
|ieinc une minute ; mais cette courte minute embrassa tous les for- La place était forcée ; une seule colonne se fraya d'abord sa voie
faitsimaginables. L'artillerie elle-même, dominée par le fracas, sanglante;
sembla muette : vous auriez entendu le chant d'une linotte aussi qi
j. une seconde la suivit. La baïonnette impitoyable, l'épée
flamboyante, sc heurtent contre le cimeterre ; et dans le lointain
facilement que le tonnerre même au milieu de ce bruit universel, s'élèvent les cris accusateurs dc l'enfant et dc la mère. lit cepen-
voix déchirante de la nature humaine à l'agonie. j des nuages sulfureux chargeaient de plus en plus l'haleine dû
dant
LX. matin
n et celle de l'homme, aux lieux où le Turc, fou de désespoir,
disputait encore pied à pied te sol de la cité.
La place était forcée. O Eternité! « Dieu fil les champs et
llioiunie a fait les villes, » a dit Cowpcr...Je suis à peu près dc son LXX.
avis, quand je vois dans la poussière Rome Babylonc Tyr, Car- Koulousoff, le môme qui plus tard (tant soit peu secondé par la
, ,
tilage, Ninivc, ces cités dont loul le monde connaît l'existence, el neige cl la gelée) refoula Napoléon dans sa roule audacieuse et
tant d'autres dont le nom n'est plus; el méditant sur le présent et sanglante; Koulousoff sc vit lui-même refoulé. C'était un joyeux
le passé, je commence à croire que nous finirons par retourner e"
ilans les bois. compagnon: cn face do ses amis comme de ses ennemis, il avait
LXI. j.toujours le mot pour rire, alors même qu'il y allait de la vie cl de
la victoire. Mais ici ses bons mots n'eurent aucun succès...
Si l'on excepte d'abord Sylta, ce lueur d'hommes qui, dans sa
vie comme dans sa mort, fui, dit-on, le mortel heureux par ex- LXXI.
cellence, et qui d'ailleurs porte un de ces grands noms qui éblouis- Car s'étanl jeté dans un fossé, où le suivirent aussitôt quelques
sent ; de lous les hommes le plus heureux fut, sans contredit, le grenadiers
| qui teignirent la fange de leur sang, il parvint en grim-
général Boon, ce forestier du Kcnlucky; car sans avoir versé I
pant
i jusqu'au parapet; mais la chose n'alla pas plus loin car les
d'autre sang que celui des ours cl des daims, il coula dans les musulmans les rejetèrent tous dans le tassé. Parmi ceux qui , péri-
|irofondours des bois les jours innocents d'une verte vieillesse. rent cn celle occasion, on regretta beaucoup le général Kibeaupierre.
LX1I. LXXII.
Le crime n'approcha point de lui le crime n'esl point enfant Heureusement une troupe russe, emportée par le courant, avail
île la solitude. La santé ne l'abandonna pas... car elle se plaît aux débarqué sans savoir où, et ne pouvant trouver sa roule, elle
lieux que des pas ont rarement foulés : si les hommes ne l'y vont avait erré çà et là comme dans un rêve, lorsqu'à la pointe du jour
pas chercher, s'ils préfèrent la morl à la vie, il faut le leur pardon- elle arriva dans cet endroit qui lui parut offrir une issue... Sans ccia, le
ner, retenus qu'ils sont dans leur prison murée par une habitude brave et joyeux Koulousoff serait reste sans doute où sont encore les
qu'ils abhorrent au fond dc leurs coeurs. Il est à noter, dans le cas trois quarts de sa colonne.
liunnépour exemple,que le général Boon, toujours chassant, devint LXXIH.
minage aire. En longeant le rempart, après avoir pris le cavalier, au moment
LX11I. môme où les soldats de Koutousoff, découragés, commençaientà
lil chose plus remarquable, il a laissé après lui un nom que d'au- prendre, comme les caméléons, une légère teinte de peur, celle
Ires s'efforcent vainement d'obtenir cn décimant leurs semblables, môme troupe ouvrit la porte appelée Kilia à ces héros désappointés,
et non-seulement un nom fameux, mais celle honorablerenommée, ', qui restaient cois et honteux, glissant dans une fange auparavant
sans laquelle ta gloire n'esl qu'un refrain de taverne... uncrenom- glacée et maintenant transformée en un marais de sang humain.
inée simple, pure, l'antipode de la honte, inattaquable à la haine et
à l'envie. Vivant en ermite, mais en ermite actif, il fut jusque dans LXX1V.

s» vieillesse l'enfant de la nature. O Pope, ô Virgile, ce fut voire Les Kozaks ou, si vous l'aimez mieux, les Cosaques (je ne me
solitaire devenu sauvage. ' pique
LXIV. pas beaucoup d'une orthographe exacte, pourvu que j'évite
les grosses erreurs de faits en statistique, tactique, politique et
A. la vérité, il évitait le contact même de ses concitoyens. Alors géographie)... les Cosaques, dis-jc, servant à cheval et fort médiocre-
s
'(«'ils vinrent bâtir sous ses arbres chéris, il se transporta quelques s nient experts dans la topographie des forteresses , mais combattant
centaines de lieues plus loin pour trouver des lieux où il y eûtt partout où leurs chefs l'ordonnent, furent tous taillés en pièces.
iiiuins de maisons et plus d'espace libre. L'inconvénienl de la civi-
lisation esl dans la difficulté de plaire ~c
aux autres el de sc plaire avec LXXV.
t[K. Quant aux individus, il leur mollirait toute la bienveillance e Leurcolonne, foudroyéepar tas batteries turques, était néanmoins
•lu'on peul trouver dans un homme. arrivée sur le rempart, cl déjà ils se flattaient de piller la ville sans
plus d'empêchement; mais, comme il peul arriver aux plus braves,
LXV. ils s'abusaient étrangement... Les Turcs feignirentd'abord de lâcher
D'ailleurs il n'était pas tout-à-fait seul : autour de lui croissaitX [>ied, uniquement pour les attirer entre les angles de deuxbastions,
""e tribu d'enfanls de la forêt et de la chasse, ayant devant elle e d'où ils tombèrent sur ces chrétiens présomptueux.
"n inonde nouvellementappelé à la vie el toujours nouveau. La
t'iierre ni le chagrin n'avaient laissé leurs traces sur ces fronts ,s LXXVI.
^eiupts (ie rides, el nul vestige de douleur n'avait marqué la face ie Ainsi prison queue, ces malheureux Cosaques furent louséehar-
228 LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

pés à la pointe du jour. Forcés dc résilier avant terme le bail de


leur vie, ils périrent du moins sans trembler, et leurs cadavres LXXXV1I.
amoncelés servirent dc degrés au lieutenant-colonel Ycsouskoï, La
] ville esl prise, mais non rendue!... Non! pas un musulman
pour traverser le fossé avec le brave bataillondc Polouski. n'8 livré son épée : le sang peut couler comme les flots du Da-
n'a
"" coulent au pied des murs de la ville ; mais ni acte
nube ni parole
LXXVH. n'annonce la crainte de la morl ou dc l'ennemi. En vain le Mns.
tua de sa main lous lesTurcs qu'il rencontra;
Ce vaillant guerrier covite qui s'avance pousse des hurlements de victoire... le dernier
co'
mais i! ne put les manger, car il fut immolé à son tour par quel- soupirdu
soi vainqueur répond à celui du vaincu.
ques musulmans, qui persistaient encore à ne pas laisser brûler LXXXVIH.
leur ville sans résistance. Les remparts étaient emportés; maison
ne pouvait, encore prévoir à laquelle des deux armées resterait la La baïonnette perce et le sabre tranche ; de tous côtes d'innom-
victoire. On rendait coup pour coup; on disputait le terrain pied à br
brables existences humaines sont détruites: comme l'année expi-
pied, les uns ne voulant pas céder, ni les autres retourner. ra disperse les feuilles rougeâtres, alors que la forêt dépouillée
rante
s'incline
s'i et gémit sous le souffle des vents glacés. Telles sont ha
LXXVIII. souffrances
so de celte cité populeuse, maintenant nue et veuve des
Une nuire colonne encore éprouva de grandes pertes... Et ici m meilleurs el des plus chers de ses enfants: elle tombe, mais en dé-
nous remarquemis avec l'historien qu'on devrait munir d'un petit bv bris vastes et imposants, comme tombe un chêne avec les mille
nombre de cartouches les soldats destinés aux exploits les plus hivers hi entassés sur sa tête.
glorieux : en effet, quand à
il faut en venir la baïonnette el emporter LXXX1X.
l'obstacle de vive force, il arrive souvent que pour épargner leur Sujet terrible!... mais ce n'est point ma mission d'exciter long-
sang, se ils bornent à échanger des coups de feu à une distance
.temps la terreur : car trouvant dans la nature humaine un mé-
ridicule. J
,, dc bien, de mal et de tout ce qu'il y a de pire, source égale-
lange
LXXIX. ment féconde dc mélancolie et de gaîlé, si l'on louche Irop long-
La colonne du général Mekuop (sans le général lui-même, qui, ic temps la même corde, on risque d'endormir les gens... Que cela
étant mal secondé, avait été lue quelque temps auparavant) parvint p plaise ou non aux amis et aux ennemis, je peins ie monde exacte-
enfin à opérer sa jonction avec ceux qui avaient osé escalader ce ment w comme il est.
rempart, qui toujours vomissait la mort; et malgré la sublime XC.
opiniâtreté des Turcs, le bastion défendu par le séraskier fut em- IUne bonne action au milieu de font de crimes est « toul-à fait
porté au prix dc sacrifices considérables. rafraîchissante, » pour me servir de l'expression affectée de notre
LXXX. é
époque pharisaïque,doucereusecomme le lail el l'ambroisie. Celte
Juan et Johnson cl quelques volontaires s'avancèrent les pre- anecdote jî pourra tempérer des vers un peu trop échauffés au feu
miers vers le chef turect lui offrirent quartier, mot qui sonne mal d" es conquêtes el desileurs conséquences, qui font dc la poésie épi-
aux oreilles d'un séraskier, ou qui du moins ne sembla pas du que ' un amusement rare et si précieux.
goût de ce vaillant Tartaro. Il mourut digne des larmes de sa patrie, XC1.
sauvage martyr du devoir militaire. Un Anglais, officier de marine,
qui voulait le faire prisonnier, fut envoyé dans l'autre inonde; Sur un bastion conquis , où gisaient des milliers des morls, des
cadavres encore chauds de femmes massacrées, qui avaient inutile-
LXXXI. ment
« cherché un refuge dans ce lieu, offraient un spectacle qu'un
Car l'unique réponse à sa proposition fut un coup de pistolet quii êlre ! sensible ne pouvait voir sans pâlir et frissonner. Cependant,
belle le beau mois de mai, une jeune fille de dix ans sc bais-
retendit raide mort ; sur quoi les autres chrétiens, sans plus de, ;sait comme
délai, mirent en oeuvre l'acier et le plomb... les deux métaux les;' et cherchaità cacher ses petits membres, tout palpitants, parmi
plus ulilf s en pareille circonstance. Pas une tête ne fut épargnée... ces ' corps endormis dans un sanglant repos.
trois mille musulmans périrent dans cet endroit, et le séraskierr XCH.
tomba percé de seize coups de baïonnette.
Deux horribles Cosaques, l'oeil en feu elle sabre à ta main, pour-
LXXXI1. suivaient celle cnfnnl:comparésàceshommes, l'animal le plus brute
La ville est prise... mais seulement portion à portion... La mort. des déserts dc la Sibérie a des sentiments purs et polis comme un
s'enivre de sang : pas une rue où quelque «put* généreux ne lutta diamant, l'ours est civilisé, le loup plein de douceur, lit de cela qui
jusqu'au dernier moment, en défendant ceux pour lesquels il va' devons-nous accuser? La nature, ou les souverains qui mettent
tout cn usage pour façonner leurs sujets à la destruction ?
cesser dc battre. La guerre même a oublié son art destructeur
pour ne se souvenir que de sa nature plus destructrice encore, etj1 XC11I.
l'ardeur du carnage, comme le limon du Nil fécondé parle soleil, Leurs sabres étincelaicnt au-dessus de sa pauvre petite tète, sur
engendre de monstrueux exemples de lous les crimes. '
laquelle de blonds cheveux se dressaient d'épouvante : sa face était
LXXXHI. cachée parmi tes cadavres. Dès que Juan aperçut cet affreux spec-
Un officier russe, marchant d'un pas martial sur un monceau dc tacle, je ne répéterai pas ce qu'il dit, de peur de blesser les oreilles
i
mais ce qu'il fil fui de tomber sur le dos des brigands : cl
morls, sc sentit saisir forlcmcnl au talon, comme par la dent du délicates;

serpent,dont Eve a légué à sa postérité le privilège de sentir la mor- tel est le meilleur raisonnement à employer avec des Cosaques.
,_ j
sure. En vain il secoua le pied, jura, sc débattit lout saignant et et XCIV.
appela nu secours en hurlant comme un loup affamé... les dents | Il taillada la hanche de l'un, fendit l'épaule de l'autre, el les en-
conservèrent leur étreinte acharnée.
voya tout hurlants exhaler leur douleur et leur rage impuissante,et
LXXXIV. chercher des chirurgiens pour panser leurs blessures trop bien mé-
C'est qu'un musulmanmourant, ayant senti sur lui le pied d'un ritées. Et cependant don Juan, devenu plus calme et promenant s*
ennemi, l'avait saisi et avail mordu ce tendon si délicat, que la muse regards sur tous ces visages pâles et sanglants, lirait sa jeune (!ii[>-
antique ou quelque bel esprit moderne a baptisé du nom d'Achille. tive du monceau de cadavres qui allait être son tombeau.
g
Les dents s'étaient rejointes à travers le talon, cl elles ne l'abandon-™- xcv.
nèrent plus, même quand la vie les quitta... car on dil (mais c'est ' Elle était aussi froide
sans douta un mensonge) que la lôte séparée du tronc adhérait en- un léger sillon de sangque ces corps sans vie , et sur son visu?' 1
annonçait combien il s'en était peu fallu
core à la jambe vivante. qu'elle ne partageât la destinée "de toute sa race; car te même c»u»
LXXXV. qui venait d'immoler sa mère avait effleuré son front, ety avait lais* 1
Quoi qu'il en soit, il est certain que l'officier russe resta boiteuxax une trace de pourpre, dernier lien avec ceux qu'elle avait ointe-*-
toute sa vie. Le chirurgien du régiment ne sut point guérir son
311 Mais elle n'avait poinl d'autre mal, et ouvrant ses grands yeux, clic
malade cl fut peut-être plus à blâmer que cet ennemi invétéré, dont nt regarda Juan avec une sorte d'égarement.
la tête se montra si obstinée, qu'étant coupée elle ne lâcha sa proielie
qu'à regret. XCVI.
LXXXYI. Leurs regards sc rencontrèrent également dilatés : dans ceux uj
Jusque-là le fait est vrai... et le devoir du poète est d'échapper i* à Juan on lisait la douleur el la satisfaction, l'espoir et la crainte ; :J
la fiction toutes les fois qu'il le peut ; car il n'y a pas grand art à ta joie d'avoirsauvéla jeune fille se mêlait l'appréhensiondequchl"1,
laisser la poésie plus libre que la prose du joug de la vérité,. à péril pour sa protégée ; ses yeux à elle, fixés par la terreur, avaiej'
moins qu'il ne s'agisse uniquement deecqu'on appellele style poéti- ,
li- cette sorte d'éclat qui suit une défaillance ; son visage pur, Irurisjja-
que ou que l'on ne soit possédé de cet insatiable appélit"dc men- n- renl, pâle et pourtant radieux, ressemblait à un vase d'all',»|C'
songe dont Satan se sert COUKS* d'amorce pour pêcher les âmes. 3. éclairé en dedans.
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD RYRON. 220

XCVIl. CVII.
En cet instant arriva John Johnson (je ne dis point Jack, parce Mais lui ne voulait pas être pris, et à toutes les propositions qu'on
ne cette appellation sérailvulgaire et froide, dans une occasion aussi
lui faisait, il répondait en moissonnant les chrétiens à droite et à
lu
rave que la prise d'une ville). Donc Johnson arriva, suivi de plu- gauche
ga comme Charles dc Suède à Bcnder. Ses cinq vaillants fils
centaines d'hommes, et s'écriant : « Juan ! Juan ! allons, mon dé ,
défiaient pareillement l'ennemi ; sur quoi la pitié russe finit par
leurs
niant ! prenez votre courage à deux mains; je gage Moscou con- devenir moins tendre : car celte vertu, dc même que la patiencedes
de
re un dollar que vous et moi nous gagnerons le collier de saint
hommes, est sujette à s'oublier à la moindre provocation.
h<
Jcoi'ges.
XCVIII. CVIII.
« Le
séraskier est abattu, mais le bastion de pierre tient encore : En dépit de Johnson et de Juan, qui prodiguaient tonte leur phra-
.'est-là qu'est assis le vieux pacha parmi des centaines dc cadavres, séologie
se orientale, le suppliant au nom du ciel de calmer un peu sa
muant tranquillement sa pipe au bruit de notre artillerie et de la fureur guerrière afin de leur fournir une excuse pour épargner un
fu
demie. On dit que nos morts sont empilés à hauteur d'homme au- ennemi aussi acharné, il continuait à s'escrimer comme un docteur
ei
lour de la batterie; mais elle n'eu continue pas moins son feu et en théologie discutant avec des sceptiques; cl tout en jurant il frap-
ci
crache autant de mitraille qu'une vigne a de grappes de raisin. pait
p; sur ses amis, comme les petitsenfants battent leur nourrice.
XCIX. C1X.
« Venez donc avec moi! » Mais Juan répondit : « Regardez cette Il blessa même, quoique légèrement, Juan el Johnson ; sur quoi,
nfaiit... je l'ai sauvée , je ne dois pas laisser sa vie exposée a de le premier en soupirant, l'autre avec un juron, ils tombèrent sur le
nouveaux périls ; mais indiquez-moi quelque lieu sûr où elle puisse sultan furibond. Tous leurs compagnons,mortellementirrités contre
calmer sa douleur et son effroi, et je vous suis. » Sur quoi Johnson
jeta un coup d'oeil autour dc lui, haussa les épaules, chiffonna sa
un infidèle aussi têtu, se précipitèrent pèle-mêle sur lui et ses fils
manche cl son col de soie noire... et répondit : «Vous avez raison : comme une averse ; cl ceux-ci la reçurent comme une plaine de
sable...
pauvre créature 1 que faire? je ne trouve rien. CX.
C. Qui boit et qui est encore altérée. Enfin ils succombèrent... Le
ait à faire, je la second des enfants tomba percé d'une balle, ; le troisième fut sabré;
— Eh bien ! dil Juan, quelque qu'il y
chose ne s
quitterai pas que sa vie ne soil assurée beaucoup plus que la nôtre. le le plus chéri des cinq, périt par la baïonnette; le cin-
' quatrième, élevé
Je ne répondrais d'aucune des trois, répliqua Johnson ; mais du quième
f qui, par une mère chrétienne, avait élé négligé et

moins vous pourriez mourir glorieusement. — Je souffrirai tout ce maltraité
' de toutes les manières, à cause de sa difformité, n'en mou-
ijiiil faudra ; mais je n'abandonnerai pas celte enfant, qui est orphe- ' pas avec moins d'ardeur pour le père qui rougissait de l'avoir
rut
line et qui sera ma îîlle. engendré.
*
CI. CXI.
Juan, dit Johnson, nous n'avons pas de temps à perdre : l'en- L'aîné était un vrai et indomptable Tartare contempteur des
— «Nazaréens, autant que le fut jamais martyr élu ,par Mahomet, il ne
fanI esl jolie... très jolie... je n'ai jamais vu de pareils yeux... mais '
t'cuiilez ! il faut choisir cuire voire honneur cl vos sentiments, votre voyait que les vierges aux yeux noirs et aux voiles verts, qui, dans le
«luire et voire compassion. Ecoutez comme le fracas augmente!... paradis,
I ornent la couche de ceux qui sonl morls ici-bas cn refu-
|i(>inl d'excuse valable dans une ville livrée au pillage. Je serais dé- sant
! de se rendre; et lorsqu'une fois on lésa vues, ces houris,
mie de marcher sans vous ; mais par Dieu ! nous arriverons trop comme
'
tant d'autres jolies créatures, font de vous ce qu'elles veu-
lard pour frapper les premiers coups. » lent, grâce à leurs charmants minois.
CIL CXIl.
Mais Juan restait inébranlable. Enfin Johnson,qui réellementl'ai- Ce qu'il leur plut de faire du jeune khan dans le ciel, je l'ignore
mait à sa manière, choisit soigneusement parmi son monde ceux et ne prétends point le deviner; mais sans contredit, elles préfèrent
qu ilcrut les moins portés au pillage. H leur jura que s'il arrivait un beau jeune homme à des héros vieux et rébarbatifs; et cela est
lf moindre mal à reniant, ils seraient tous fusillés le lendemain ; bien naturel. C'est pour cela sans doute qu'en promenant nos re-
mais que s'ils la rendaient saine et sauve, ils recevraient au inoins gards sur l'effrayante dévastation d'un champ dc bataille, pour un
cinquante roubles vétéran aux traits fatigués et vieillis, nousy trouvons dix mille jeu-
cm. nes et beaux petits-maîtres, baignés dans leur sang.
Sans compter leur part de butin, qui serait la même que celle de CXI11.
leurs camarades. Alors Juan consentit à marcher sous les foudres1 Et puis ces houris prennent naturellement plaisir à escamoter les
qui à chaque pas éclaircissaientles rangs des soldais; ce qui n'em-
[iiVliuil pas lcssiirvivanls de s'avancer avec ardeur... Pourquoi s'en nouveaux mariés, avant que les heures d'hyménée nient formé leur
étonner? Ils étaient échauffés par l'espoir du gain, chose qui se voit| ronde, avant que se soil assombrie la deuxième lune, si triste;
'"lis les jours il n'y a pas dc héros qui veuille se borner à sa*1 avant que soil venu le temps du froid repentir et que les époux
ilemi-solde. aient quelquefois regretté le célibat. Les vierges célestes sc hâ-
CIV.
tent donc, on peut le penser , d'accaparer les fruits de ces Heurs
éphémères.
Voilà ce qu'est la victoire! voilà ce que sont leshommes! du moins3 CX1V.
les neuf dixièmes dc ceux que nous qualifions ainsi... Ou les voies3 C'est ainsi que le jeune khan, l'oeil fixé sur les houris, ne pensa
île pien sont bien étranges,
ou il doit y avoir un autre nom pour la1 point aux charmes de ses quatre jeunes épouses ; mais courut cn
iiuiilié de ceux que nous rangeons parmi les créatures humaines. brave au-devant de sa première nuit de paradis. En somme, notre-
'lais
revenons à notre sujet. Un brave khan tartare... ou sultanI
[comme l'appelle l'historien (t) à la prose duquel je subordonneB croyance plus éclairée a beau railler celle-là, ces vierges aux yeux
mon humble poésie) ne voulait se rendre à aucune condition.
noirs font combattre les musulmans comme s'il n'existait qu'un
seul ciel ; tandis que, si nous devons croire tout ce qu'on nous dit du
CV. ciel et de l'enfer il doit y en avoir au moins six ou sept.
,
Mais entouré de cinq fils pleins de vaillance (tel est le résultat dcc CXV.
j'i polygamie : elle vous produit des guerriers par centaines; onII
"en a pas autant dans les pays où la loi poursuit le prétendu cri- L'attrayante vision brillait si vivement à ses regards, qu'au mo-
me (le bigamie), il ne voulait pas admettre la prise de la ville, tant ~ ment môme où le 1er d'une lance pénétra dans son coeur, il s'écria :
I» il restait encore au courage l'appui d'un seul brin d'herbe... Esl- « Allah ! » et vit le voile qui cache les mystèresdu paradis s'écarter
devant lui. La brillante éternité, pure de tout nuage, sc leva sur son
'?. le lils de Priant, de Pelée ou de Jupiter que je mets ici
en scène?" âme comme une aurore immortelle; les prophètes, les houris, les
™ l'un ni l'autre... mais un bon, simple cl calme vieillard.
anges, les saints, lui apparurent groupés dans une voluptueuseau-
CVI. réole... et alors il mourut...
I' s'agissait de le
prendre. Les vrais braves, quand ils voient des CXVI.
.
"'•ives comme eux accablés par le sort, se sentent émus du désir il- 11 portait sur son visage l'expressiond'un ravissement divin... Le
'Ç les protéger et de les gens-là mélange bon vieux khan avait depuis longtemps cessé de voir les houris, et
sauver... ces sont un dee
iieie féroce et de demi-dieu... tantôt furieux la n'avail plus guère d'yeux que pour sa florissantepostérité, qui crois-
t'^anlc, tantôt accessibles h la pitié. Connuecomme vague mu-t-
le chêne robuste se
,e sait glorieusement autour de lui comme une forêt de cèdres. Quand
«'lance quelquefois au souille de la brise d'été, de même la il vit le dernier héros de sa race tomber comme un arbre sous la
l'iission émeut les âmes les plus farouches.
com-i-
hache et couvrir la lerre de son tronc il cessa un moment de coin-
,
bailre et fixa ses yeux sur ce brave immolé, le premier cl te dernier
d) Le. duc de Uicbclieu, Histoire delà nouvelle Russie. de ses fils.
230 LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

CXVII. CXXVII.
Les soldats, le voyant abaisserla pointe de son cimeterre, s'arrê- Mais terminons sur ce sujet. C'en élait fait d'Ismaïl... Malheu-
tèrent, disposés à lui faire quartier au cas où il ne repousseraitpoint reuse
re ville ! l'incendie de ses tours brillait au loin sur le Damihg
leur offre comme devant. Il ne fit attention ni à leurs signes ni à qi roulait des flols rougis de sang. On entendait encore l'affreux
qui
cette suspension d'armes. Son coeur semblait arraché de son sein , hurlement
lu dc guerre et les cris aigus des victimes; mais les détona-
et pour la première fois il trembla comme un roseau, en promenant tions étaient à chaque instant plus faibles. De quarante mille ce-m.
ti<

ses regards sur ses enfants expirés, el en se disant, bien qu'il eût battants
hi qui avaient défendu ces remparts,quelques centaines respi-
pris congé de la vie... «Je suis seul ! » raient
rt encore... le reste étaient silencieux.
CXVIII. CXXVHI.
Mais ce ne fut qu'une émotion passagère... d'un bond il se préci- Néanmoins, il est un point sur lequel nous devons rendre jus-
Îiita la poitrine en avant sur le fer des Russes, avec l'insouciancedc tice aux soldats russes : je veux parler d'une vertu fort à la mode
li
a phalène qui vient plonger ses ailes dans la lumière où elle meurt. p le temps qui court, et à ce titre digne de commémoration; |e
par
Pour obtenir un trépas plus prompt, il appuya fortement sur les sujet
s csldelical, et délicate sera ma phrase... Peut-être la rigueur
baïonnettes qui avaient percé ses fils cl jetant sur eux un regard dde la saison, les longs campements au coeur de l'hiver, le manque
,
presque éteint, il exhala son âme d'un seui coup par une affreuse dde repos et de vivres, les avaient-ils rendus chastes... mais enfin iis
blessure. violèrent
v fort peu.
CXIX. CXXIX.
Chose étrange! ces soldats, rudes et farouches, qui, dans leur san- Ils tuèrent beaucoup et pillèrent encore plus ; il y eut pourtant
glante carrière, n'épargnaient ni le sexe ni l'âge, quand ils virent bien
1 aussi par-ci par-là quelque violence d'un autre genre.. bref,
ce vieillard percé d'outre en outre, gisant a leurs pieds auprès de rien
r de comparable aux excès que commettent les Français, celle
ses enfants, touchés de l'héroïsme de leur victime, ils ressentirent nation
i dissipée, quand ils prennent une ville d'assaut. Je ne puis
un moment d'émotion. Bien qu'aucune larme ne mouillâtleurs yeux assigner
r à cela d'autre cause que le froid el la commisération ; niais
enflammés et sanglants, ils sc sentirent forcés d'honorer ce coura- ttoutes les dames, quelques centaines exceptées, restèrent presque
geux mépris dc la vie. aussi
' vierges qu'auparavant.
CXX. cxxx.
Le bastion do pierre continuait son feu, et le principal pacha y Il se commit en outre, dans les ténèbres, quelques étranges nié-
gardait tranquillement son poste. Vingt fois il obligea les Russes à |prises qui prouvaient l'absence de lanternes ou de goût.,, et en ef-
ifet la fumée était si épaisse
sc retirer, et brava les assauts dc toute leur armée. A la fin, il dai- que l'on avait peine à distinguerun ami
gna s'enquérir si le reste de la cité tenait encore bon ; et quand il d'un
i ennemi. D'ailleurs, la précipitation fait naître, quoique rare-
apprit que l'ennemi en étail maître, il envoya un bey porter sa ré- ment,
i ces quiproquo, alors môme qu'une faible clarté semble de-
ponsc à la sommation de Ribas. voir garantir les chastetés vénérables. Au fait, six vieilles filles
dc soixante-dix ans furent déflorées par six grenadiers.
CXXI.
En attendant, il était assis, les jambes croisées sur un petit tapis, CXXXI.
cl fumnit sa pipe avec le plus grand sang-froid, parmi les ruines Mais tout compté, laconlinence des vainqueurs fut grande; il y eut
embrasées. Troie ne vit rien d'égal au spectacle qui sc déployait au- même plus d'un désappointementparmi certainesprudes sur le dé-
tour de lui, et cependant rien ne semblait émouvoir son stoïcisme clin, qui, sentant les inconvénientsdu bienheureux célibat, étaient
guerrier, son impassible philosophie. Sc caressant lentement la d'avance résignées (puisque ce n'était pas leur faute, mais celle ilu
barbe, il exhalait l'ambrosiaqueencens du tabac, comme s'il avait destin) à bien porter leur croix et à conlractcrunc sorte dc mariage
trois vies aussi bien que trois queues. à la sabine, exempt de frais et de délais conjugaux.
CXXI1. CXXXH.
Au moment du désastre, on entendit aussi la voix dc quelques
La ville est prise... peu importequ'il sc rende, lui et son bastion : commères d'un âge mûr, veuves de quarante ans, oiseaux las de
son opiniâtre valeur est désormais inutile. Ismaïl n'exista plus ! leur cage. Elles demandaient « pourquoi l'on ne violait pas encore.»
Déjà 1 arc argenté du croissant est abattu ; à sa place brille la croix, Mais dans cette soif dominante demeiirlre et de pillage, il n'y avail
rouge dc sang, mais non d'un sang rédempteur. Comme la lune qui\
:
guère place pour des péchés superflus.... si ces dames échappèrent
sc réfléchit dans l'eau, la flamme des rues embrasées est répétée ou non, c'est une question qui n'est point éclaircie. J'aime à croire
dans le sang, dans une mer de carnage. l'affirmative.
CXXHI. CXXX1II.
Tous les excès devant lesquels la pensée recule; tout ce que lat Souwarow élail donc vainqueur... digne émule dans son métier
chair peut commettre de coupable; tout ce que nous avons vu, ouï, de Tamerlan et dc Gengiskan. Tandis que sous ses yeux les mos-
rêvé des misères de l'homme ; tout ce que feraitle diable s'il tombaitt quées et les maisons se consumaient comme du chaume, et que le
complètementcn démence; toul ce que la plume est impuissanteàx canon ralentissaità peine ses coups, il traça, d'une main sanglante,
exprimer; lout ce que savent les hôtes de l'enfer, ou, chose nont sa première dépêche. En voici les termes textuels : « Gloire à Dieu
moins affreuse, tout ce qu'osent les tyrans... ces fléaux {comme on1 el u l'impératrice ! » ( Puissances éternelles! voir de tels noms ac-
l'a vu déjà et le verra encore) étaient déchaînés à la fois. colés!) « Ismaïl esl à nous. »
CXXXI V.
CXX1V. Il me semble que depuis le fameux «Mené, Tekcl, Upharsin,"
Si l'on vit briller çà et là quelquelueur fugitive de pitié ; si quel- ce sonl là les mots les plus épouvantables qu'ait jamais tracés une
que noble coeur, brisant son joug sanguinaire, pul sauver un jolili main ou une plume. Dieu me pardonne ! je suis peu théologien. ••&
enfant, une couple dc vieillards...qu'est-ce que cela, dans une villec que lut Daniel était l'expression abrégée, sévère et sublime de lu
anéantie avec ses milliers d'affections, de liens cl de devoirs? Ba- volonté du Seigneur; le prophète ne plaisanta pas sur le destin de'|
dauds de Londres, muscadins dc Paris, voyez quel pieux passe- i- nations... mais ce bel espril russe sut, comme Néron, versifier sur]
temps que la guerre. une ville en flammes.
CXXV. CXXXV.
Voyez au prix de combien de misère et de crimes on achète le le 11 écrivit cette mélodie septentrionale, et la mil en musique avec
plaisir de lire une gazette-, ou si ces choses ne vous touchent pas, i, accompagnement dc cris de douleur cl de gémissements, méb'dii
songez qu'un jour les mêmes maux peuvent vous atteindre, fin at-
t- que bien peu chanteront,je l'espère , mais que personne n'ou-
tendant, les impôts, Casliercâgh et la dette sont des enseignements ts bliera... car, si je le puis, j'apprendrai aux pierresà so lever conlre
qui valent bien des sermons ou des vers. Interrogez votre propre re les tyrans de la terre. Qu'il ne soil pas dil que nous rampions mi-
coeur et l'histoire actuelle de l'Irlande, puis lâchez d'engraisser sa
sa core devant les trônes... El vous... enfants de nos entanls, rap-
famine avec la gloire de Welleslcy. pelez-vous que nous vous avons fait voir ce qu'étaient les choses
avant l'heure dc la liberté du monde.
CXXVI.
Néanmoins, pour un peuple patriote qui aime tant son pays et CXXXVI.
son roi, il est un sujet d'exaltation sublime... Portez-le, muses, sur;r Celte heure, nous ne la verrons pas, mais vous la verrez;cl
vos plus brillantes ailes ! En vain la désolation, sauterelle redouta-
i- comme dans votre joyeux millennium, vous pourrez à peine ajoute'
ble, dépouillera vos plaines verdoyantes el dévorera vos moissons, s, foi aux faits dont nous sommes témoins, j'ai cru devoir vous I*
jamais la disette n'approcheradu trône... L'Irlande peut mourir dc
:1c décrire; mais puisse avec eux périr leur mémoire!... Toutefois, s
faim, le grand George pèse trois cents livres. leur souvenir parvient jusqu'à vous, méprisez-les encore plus qi"
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD RYRON. 231

vous ne mépriserez les sauvages des premiers jours, qui peignaient IV.
leurs membres nus, mais ne les peignaient pas'avec du sang.
Vous êtes « le premier de tous les coupe-jarrels... » Pourquoi
CXXXVII. ttressaillir? L'expression est de Shakespeare, cl elle esl bien appli-
Et lorsque les historiens vous parleront des trônes el de ceux quée.
q La guerre n'esl autre chose que l'art de brûler la cervelle aux
qui les occupaient, écoutez-les avec le senlinicnl que nous éprou- ggens, ou de leur couper la gorge, à moins que la cause ne soil sanc-
vous en contemplant les ossements du mammouth et en nous dc- tionnée
t par le bon droit. Si vous avez, une fois en votre vie, agi
mandant ce qu'était donc cel ancien monde qui a vu de tels êtres; d'une
i manière généreuse, c'est ce que décidera le monde, et non
ou bien cn voyant, sur des [lierres égyptiennes, ces hiéroglyphes, iun des maîtres du inonde; et pour mon compte, je serais charmé
agréables énigmes léguées à l'avenir, cl cn nous incitant l'esprit à d'apprendre
i à qui a profilé Waterloo, sinon à vous et aux vôtres.
là torture pour deviner ce que heureusement nous ne connaîtrons
jamais, pas plus que la véritable destination d'une pyramide. V.
Je ne suis point flatteur... Vous avez été rassasié de flatterie : on
CXXXV1II. prétend
, que vous l'aimez, el il n'y a rien là d'étonnant. Celui dont
Lecteur, j'ai tenu ma parole... du moins quanta ce que j'avais 1 vie n'a élé qu'assauts et batailles peul bien à la fin être un
la peu
promis dans le premier chanl. Vous avez eu maintenant des es- 1fatigué du tonnerre ; cl avalant l'élogebeaucoupplus volontiers que
(plisses d'amour, dc tempêtes, de voyages cl de combats, toutes forl la
I satire, il aime naturellement à s'entendre louer de toutes ses bé-
soignées, vous en conviendrez, et lout-à-fail épiques, si la simple vues heureuses. On lui plaît en l'appelant : « Sauveur des nations,»
vérité mérite cette épilhète; car j'ai employé beaucoup moins de bien
1 qu'elles ne soient pas encore sauvées, el « libérateur de l'Eu-
déguisementsque mes devanciers.Je chaule'sans art, mais de temps rope,
i » encore esclave.
li autre Phébus daigne me prêter une corde. VI.
CXXXIX. J'ai fini. Maintenant, allez dîner dans la vaisselle plate dont le
prince du Brésil vous a fait cadeau, et envoyez à la sentinelle placée
El dc cette corde je sais tirer lour-à-tour des sons graves, mor- a; votre porte une tranche ou deux des meilleurs morceaux ilde votre
liants ou joyeux. Quant à ce qui advint ou peut advenir du héros table. Le pauvre diable a combattu ; mais dc longtemps n'a été
de celte grande énigme poétique, je pourrais vous le dire s'il le fal- si bien nourri. On dil aussi que le peuple a faim... Nul doute que
lait absolument, mais fatigué de battre en brèche les murs obstinés vous ne méritiez voire ration , mais veuilles en donner quelques
d Ismaïl, il me convient de m'arrèter au beau milieu du récit, pen- miettes à ce peuple affamé.
dant que Juan est en roule pour porter la dépêche que tout Pélers- VIL
liourg attend avec impatience. Je ne prétends poinlm'érigeren censeur... Un aussi grand homme
CXL.
On lui conféra cet honneur spécial, parce qu'il avait fait preuve
que vous, mylord duc, est bien au-dessusde toute réflexion maligne.
El puis les moeurs romaines du temps de Cincinnalus sont peu en
également de courage et d'humanité... Celte dernière vertu plaît aux rapport avec l'histoire moderne : en qualité d'Irlandais, vous aimez
hommes, quand iis se reposent un instant des barbaries que la va- les pommes de terre : soil! mais ce n'est point une raison pour en
nité leur a lait commettre. On applaudit Juan d'avoir sauve sa jeune diriger la culture; et un demi-million (sterling) pour votre ferme
captive au milieu de la sauvage démence du carnage... cl j'estime sabine, c'est un peu cher... soit dit sans vous blesser.
qu'il fui plus satisfait de cette action que de l'ordre dc saint WJadi-
inir, qui lui fut décerné. VIII.
CXLI. Les grands hommes ont toujours dédaigné les grandes récompen-
L'orpheline musulmane partit avec son protecteur, car elle élait ses. Epaminondas sauva Thcbcs, et mourut sans laisser même de
sans foyer, sans parents, sans appui ; tous les siens, comme In quoi payer ses funérailles. Georges Washington reçut des remer-
triste famille d'Hector, avaient péri sur les champs de bataille ou cînicnls cl rien de plus, si l'on ne compte pas la gloire pure, et que
aux remparts ; le lieu même de sa naissance n'était plus que le spec- peu d'hommes ont obtenue, d'avoir affranchi sa patrie. Pilt avait
tre d'une ville : on n'y entendait plus la \oix du muezzin appeler à aussi son orgueil, elce ministre à l'unie fière est célèbre pour avoir
la prière!... Juan pleura sur elle, lil voeu de la proléger et tint sa ruiné la Grande-Bretagne... gratis.
promusse.
IX.
Napoléon excepté, nul mortel n'eut l'occasion aussi belle et n'en
fit plus mauvais usage. Vous pouviez affranchirl'Europe dc la ligue
CHANT IX. des tyrans et vous faire bénir de rivage en rivage ; et maintenant...
I. que signifie votre gloire? Faut-il que la musc vous en donne le Ion?
Maintenant que les vaines acclamations delà populacese sonl tues,
O Wellington (ou Vilainlon... car la renommée a deux manières allez l'entendre dans les cris de voire pairie affamée! Regardez le
de prononcer ces syllabes héroïques : les Français, ne pouvant ra- monde, et maudissez vos victoires.
baisser ce grand nom par leurs exploits, en ont fait un facétieux ca-
leinbourg... victorieux ou vaincus on les entendra toujours rire).... X.
vous avez obtenu dc grosses pensions cl de longues louanges : si Comme dans ces nouveaux chants il est question d'exploits guer-
quelqu'un s'avisait de contester votre gloire, l'humanité se lèverait, riers, c'esl à vous ([ue la musc sincère adresse des vérités que vous
el d'une voix tonnante, s'écrierait : «Ncy »(l)l ne lirez pas dans les gazelles, mais qui doivent être proclaméessans
salaire : il esl temps dc rapprendre à la clique mercenaire, qui s'en-
II. :• graisse du sang el des dettes du pays. Vous avez fait de grandes
•le pense que vous ne vous êtes pas très loyalementconduit, à l'é- choses, mylord; mais n'ayant pas l'âme grande, vous avez laissé de
gard dcKinnaird, dans l'affaire Marinel (2). ll'faul avouer que le tour côle les plus grandes... el l'humanité.
esl indigne et que, -ranime beaucoup d'autres anecdotes, le récit eu
figurerait mal sur votre tombe dans la vieille abbaye de Westmins- XL
ter. Quant au reste, cela ne vaut pas la peine d'en parler: ce sont La morl se rit... (allez méditer sur ce squelette, emblème sous le-
îles histoires bonnes pour la table à thé; niais bien que le chiffre de quel les hommes figurent la chose inconnue qui cache le monde
'os années s'approche rapidement de zéro, par le fait Votre Grâce passé, ce monde semblable à un soleil qui s'est couché pour briller
n'est encore qu'un jeune héros. peut-être ailleurs en un printemps radieux)... la mort se rit de tout
III. ce qui vous tait pleurer. Regardez col incessant cpouvanlail de tons
Quoique l'Angleterre vous doive tant (cl vous paie ce qu'elle vous !
les hommes, dont le dard menaçant, bien que dans son fourreau,
<l')it), l'Europe, sans contredit, vous doit bien plus encore: ' i change la vie en terreur.
vous1 XII.
ayez raffermi la béquille de la légitimité, appui qui, de noire temps,
ji'esl plus aussi sûr qu'autrefois. Les Espagnols les Français et les; Remarquez comme le fantôme rit et insulte à lout ce que vous
hollandais ont vu el senti avec quelle vigueur, vous restaurez ; el[ êtes! et pourtant ce que vous ôlcs, il le fut lui-même. Il ne rit pas
Waterloo a rendu le monde votre débiteur seulement vos bardes; « de l'une à l'autre oreille, » car d'oreilles, il n'en pas : ta vieux
auraient dû chanter un peu mieux vos victoires. spcclrc a depuis longtemps cessé d'entendre, el pourtant il sourit.
El lorsque , paraissant éloigné ou voisin , il arrache à l'homme ce
(1) On trouve dans le texte nay (non), et cn note : « Ne faut-il pas lire. manteau, bien plus précieux que l'ouvrage du tailleur, sa peau née
•Vi/? n C'est une allusion à l'assassinat du maréchal Ncy, par la Cham-
bre, des Pairs, malgré la capitulation signée Wellington el Davnust.
avec la chair, sa peau blanche, noire ou cuivrée... les vieux os du
squelette font la grimace.
(*2) Lord Kinnaird, grand admirateur dn Napoléon, recul
en 1810 l'ordre' XIII.
«'i quitter le territoire français : on essaya ensuite d'à l'impliquer dans
"«prétendu proj.H d'attentat contre, les jouis du duc, avec un nommé3 Elle rit donc la mort! — Triste gaîlél mais la chose est ainsi.
iliirinct, qu'il avait connu Sx Bruxelles et qui fut acquitté pur le jury. ICI. ce' exemple de sa supérieure, pourquoi la vie ne l'imiterait-elle
232 LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

pas ? Pourquoi ne foulerait-elle pas sous ses pieds, avec un sourire, quadrupèdes êl les oiseaux. « La Providence s'occupe de la chute
tous ces riens éphémères, véritables bulles d'eau d'un océan beau- même d'un passereau, » quoique nous ne voyions pas quel crime il
coup moins vaste que l'éternel déluge, quiengloutit soleils et rayons, a pu commettre ; peut-être élait-il perché sur l'arbre dont le fruîi
mondes et atomes, siècles et heures? fut convoité par Eve.
XIV. XX.
« Etre ou n'être pas, voilàla question, » dit Shakespeare, qui est O dieux immortels ! qu'est-ce que la théogonie ? Et toi aussi
maintenant fort à la mode. Je ne suis ni Alexandre ni Epheslion, et homme morlel, qu'est-ce que la philanthropie ? O monde, qui fus
je n'ai jamais été très passionné pour la gloire abstraite; mais je et qui es, qu'est-ce que la cosmogonie ? Certaines gens m'ont ac.
préfère de beaucoup une bonne digestion au cancer de Bonaparte... cusé d'être misanthrope; et cependant je ne sais pas plus ce qu'ils
Quand même je pourrais, à travers cinquantetriomphes, m'élancerà veulent dire que ne le sait l'acajou de mon pupitre. Je comprends
l'infamie ou à la gloire, sans un bon estomac, à quoi me servirait la lycnnlhropie : car sans transformation, pour la cause la plus lé-
un grand nom. gère, l'homme se transforme en loup.
XXI.
XV.
dura messoru.m Mais moi, le plus doux
« O des hommes, comme Moï-
ilial »— « O robustes
entrailles des moisson- se ou Mélanchthon ; moi
qui n'ai jamais rien fait
neurs. » Je traduis dans d'excessivement malveil-
l'intérêt incontestable de
lant...etqui (sanspouvoir
ceux qui connaissent l'in- m'empêcher, de temps à
digestion supplice in-
terne qui fait couler tout nuire, de suivre les pen-
le Styx dans ce petit or- chantsdu corps ou de l'es-
ganequ'onappelle le taie. prit) ai toujourséléenclin
I .es sueurs du paysan va- a l'indulgence...pourquoi
lent le domaine dc son m'appellent-ils misan-
seigneur : que l'un tra- thrope? C'est parce
vaille pour son pain qu'ils me baissent el non
que l'autre pressure pour parce que je les hais
toucher sesrevenus, celui Restons-en là.
qui dort le mieux est cn
XXII.
somme le plus heureux.
Il est temps de pousser
XVI. cn avant notre excellent
«Etre ou n'être pas!.. » poème... car je soutiens
Avant de décider, je se- qu'il est excellent, tant
rais bien aise de savoir ce pour le corps de l'ouvrage
que c'est que d'être. Il esl que [mur l'entrée cn ma-
vrai que nous raisonnons tière, bien que l'un el l'au-
à tort cl à travers; el com- tre soient jusqu'ici fort
me nous voyons quelque mal compris... Mais plus
chose, nous en concluons tard la vérité sc fera jour
que nous voyons toul. et paraîtra dans sa plus
Pour ma part, je ne me sublime altitude: jusque-
rangerai d'aucun parti, là, je dois me contenter
tant que je ne verrai tous de partager ses charmes
les partis d'accord. Mais et son exil.
uu fond, je suis quelque-
fois tenté dc croire que la XXIII.
viec'est la mort môme, au
lieu de n'êtrequ'une sim- Nous avons laissé no-
ple affaire de respiration. ire héros (et le vôtre aus-
si, je m'en flatte, ami lec-
XVII. teur) sur le chemin dc la
capitale des rustres poli-
« Que scais-jc ? » était cés par l'immortel Pierre,
la devise de Montaigne , lesquels jusqu'à présent
ainsi que des premiers
académiciens; undeleurs se sont montrés plus bra-
axiomes favoris était que ves que spirituels. Je sais
toute la science de l'hom- que son puissant empire
est l'objetdc bien des flat-
me ne peut aboutir qu'au teries, même de celles de
doute. II.n'existe pas de Voyez Juan devenu lieutenant d'artillerie. Voltaire, et c'est domma-
certitude cela est aussi
,
clair qu'aucune des con- ge. Pour moi, je vois dans
ditions dc notre existen- un autocrate, non pas un
barbare mais quelque
ce. Nous savons si peu ce chose de, bien pire.
que nous faisons dans ce
monde, que je doute si le doute lui-même est bien l'action dc douter. XXIV.
XVIII. El je ferai la guerre, en paroles du moins (cl si ma bonne fortune
le voulait, en actions aussi), à quiconque fait la guerre à la pensée..-
Peut-être est-il doux de flotter, comme Pyrrhon, sur une mer de Or, de tous les ennemis dc la pensée, les plus cruels dc beaucoup
conjectuics : niais qu'arrivera-t-il si la voile fait chavirer le bateau ? sont et furent toujours les tyrans et les sycophanlcs. Je ne sais a
Vos sages ne connaissent pas grand'chose à la navigation ; nager qui restera la victoire ; et quand je le saurais, ce ne serait pas un
longtemps dans l'abîme de la pensée esl d'ailleurs un exercice fati- obstacle à ma haine franche, complète, invétérée, envers toul des-
gant : une station calme, dans des eaux basses, auprès du rivage, potisme chez toutes les nations.
où l'on puisse, en sc baissant, ramasser quelques jolies coquilles, XXV.
voilà ce qu'il y a de préférable pour des baigneurs prudents. Ce n'est pas qne j'adule le peuple : il y a, sans moi, assez do
démagoguesel de mécréants pour abattre tous les clochers et mettre
XIX. à la place quelque sottise dc leur façon. Savoir s'ils sèment le scep-
« Mais le ciel, dit Cassio, est au-dessus de tout... Ne
parlons donc ticisme pour recueillir l'enfer, comme le prétend le dogme un peu
plus de cela, et faisons notre prière. » Nous avons nos aines à sau- dur des chrétiens, je l'ignore je désire que les hommes soient
ver depuis le faux pas d'Eve el la chute d'Adam, qui entraîna tout libres, aussi bien du joug de la populace que de celui des rois... du
le genre humain dans le tombeau, sans compter les poissons, les vôtre comme du mien.
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD RYRON. "~ ' 233

XXVI.
Par là, n'étant d'aucun parti, je vais néccssairemenl offenser
tous les partis N'importe ! mes paroles du moins sont plus sin-
cères et plus franches que si je cherchais à voguer avec le vent.
Celui qui n'a rien à gagner a peu besoin d'artifice ; celui qui ne
prétend être ni oppresseur ni opprimé peut sc donner ses coudées
franches Et ainsi ferai-je, sans jamais joindre ma voix aux cris du
chacal de l'esclavage.
XXVII.
234. LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

titans, des géants, gaillards qui avaient quelquescentainesde pieds,


pour ne pas dire de milles, et même à propos des mammouths et XLIX.
des crocodilesailés. Aimables dames, si vous voulez savoir le sens exact dc celle ex-
XXXIX. pression
pi' diplomatique, allez entendre l'orateur irlandais, le marquis
Jugez donc, si alors on venait à déterrer Georges IV ! avec quel de Londonderry ; et de cet étrange flux de paroles toutes débitées
dc
clonnement les habitants de ce nouvel orient se demanderaient où à la file que personne ne comprend, et auquel lous les serviles
dc pareils animaux pouvaient trouver leur souper!... Car, eux-mê- obéissent,
ol peut-être lircrez-vous quelque plaisant non-sens; car
mes, ils n'auront que des proportions minimes: les mondes avortent c'est là lout ce qu'offre à glaner cette moisson pâle et vide.
c'i
quand ils enfantenttrop fréquemment,etaprès avoir longtemps fati-
gué le même matériel... Les hommes ne sont que les vers du sépul- L.
cre de quelque univers colossal. Mais j'espère pouvoir m'expliquer
sans l'aide dc cette inexplica-
XL. ble
bl bête de proie... ce sphinx dont les paroles seraienttoujours une
Celte jeune humanité, fraîchement chassée de quelque paradis, énigme, si ses actes ne se chargeaient chaque jour de les commen-
et condamnée à labourer, bêcher, suer, se démener, planter, re- ter
^'.c ce monstrueux hiéroglyphe ce long crachai dc sang et
cueillir, filer, moudre, semer, jusqu'à ce que tous les arts soient * boue
de cette masse de plomb qu'on appelle Casllereagh! A
ce
découverts, et particulièrement l'art de la guerre et celui dc Fini- propos, je vais vous raconter une anecdote qui heureusement esl
P
pût... quand elle contempleraces grandes reliques, n'y vcrra-t-ellc courte
Cl el légère.
parles monstres de son nouveaumuséum? LI.
Une douce Anglaise demandait à une Italienne quelles étaient les
XL1. fonctions positives et officielles dc cet étrange personnagodonlcer-
f<

Mais j'ai le défaut de trop donner dans la métaphysique : « Le taines femmes fonl cas, qu'on voit rôder autour des dames mariées,
temps est sorti de ses gonds » (comme dit Hamlct), et moi aussi ; Jt qu'on nomme cavalièresurvente, sorte de Pygmalion réchauffant
et
j'oublie que ce poème est essentiellement badin, cl m'égare dans des statues (hélas! je le crains) sous le feu de son génie. La dame,
des matières un peu arides. Je n'arrête jamais à l'avance ce que je pressée
P de s'expliquer, répondit : « Madame, cela prêle aux sup-
dirai, et celte manière esi vraiment trop poétique! On doit savoir positions.
P »
pourquoi et dans quel but on écrit ; mais, note ou texte, quand j'é- LU.
cris un mot, je ne sais jamais celui qui va suivre. C'est ainsi que je réclame de vous l'interprétation la plus chari-
ttable el la plus chaste, au sujet des attributionsdu favori impérial.
XLII. C'était un poste élevé, le plus élevé dans l'Etat par le fait, sinon
C

Si bien que j'erre au hasard, tantôt racontant, tantôt dissertant: par


f; le rang; et le simple soupçon de sc voir donner un successeur
mais il est temps dc redevenir narrateur. J'ai laissé don Juan à devait inquiéter le titulaire actuel, alors qu'une paire de larges
L.
l'allure dc ses chevaux ; maintenant nous allons faire du chemin cn épaules
e suffisait pour faire hausser les actions du porteur.
peu dc temps. Je ne m'arrêterai pas aux détails de son voyage; LUI.
nous avons eu depuis peu tant de relations de touristes {'Sup- Juan , comme je l'ai dit, fut d'abord un bel adolescent ; puis il
posez donc que Juan esta Pelershourg, et figurez-vous cette agréable garda, dans la saison virile, avec sa barbe, ses favoris , clc., celle
capitale de neiges peintes. ïfleur
XLIII. ] de beauté, ce charme du berger Paris qui reiivcr.-a la vieille
Hion cl fonda la cour des divorces. J'ai compulsé en effet l'histoire
Représentez-vous Juan dans un salon bien garni dc monde ; lui- épineuse des séparations conjugales,.
et je me suis assuré que Troie
même vêtu d'un bel uniforme : habit écarlatc, revers noirs, cha- (
offre la première action en dommagesdont il soit l'ail mention.
peau à trois cornes avec un long panache, flollantcommc des voiles
(

déchirées par l'orage; culottes brillantescomme la topaze d'Ecosse, L1V.


cl faites dc Casimir jaune probablement; bas do soie blanc do lait Et Catherine, qui aimait toutes choses au monde (sauf son mari
bien tirés sur une jambe moulée qui les fait ressortir. parti pour sa dernière demeure), et qui passait pour admirer beau-
XLIV. coup ces gigantesques cavaliers, abhorrés des dames au goùl délicat,
avait néanmoins une touche de sentiment ; celui qu'elle avail le
Représentez-le l'épée au côté, le chapeau à la main, beau dc plus adoré élail le regretté Lanskoï, amant d'assez dc valeur pour lui
jeunesse, de gloire, el des efforts du tailleur du régiment, ce grand collier bien des larmes, et qui n'eût fait néanmoins qu'un médiocre
enchanteur qui, d'un coup desa baguette, fait naître la grâce cl pâlir gronudier.
la nature étonnée de voir combien l'art peut faire ressortir son
ouvrage (quand toutefois il n'enchaîne pus nos membres comme
dans une geôle). Voyez Juan sur son piédestal : on dirait l'Amour
10dcloi,la mortl
I
I
LV.
teterrima belli causa (t)!... porte indescriptible dc la vie
et d'où
loi sortons eloù
nous cuirons... je cher-
nous
transformé en lieutenant d'artillerie. cherais longtemps et en vain pourquoi Imitas les l'unes doivent être
retrempées dans la source éternelle... Comment l'homme est loinlié,
XLV. je l'ignore, puisquo l'arbre dc la science a perdu ses premiers fruits;
Son bandeau, s'abaissant, a formé une cravata; ses ailes se sontt mais comment depuis lors l'homme tombe et s'élève, c'esl incon-
repliées en forme d'épauletlcs ; son carquois s'est réduit en uni lestablcmcnl loi qui cn décides.
fourreau dc sabre, et ses flèches. sous la forme d'une petite épée,
sonl aussi pointues que jamais; son arc s'csl changé cn un clin-L LVI.
peau à cornes;'et pourtant la. ressemblance est encore frappante, Il en esl qui l'appellent « la pire cause de toutes les guerres; »
el pour ne pas les confondre, Psyché devrait êlre plus habile queB moi je soutiens que lu en es la meilleure ; car, après loul, c'est dc lui
bien des épouses tombées dans des méprises lout aussi soltcs. que nous venons, à loi que nous allons, cl lu vaux bien qu'on ren-
XLVI. verseun rempart ou qu'on ravage un monde; puis nul uo peul nier
(pic tu repeuples les mondes petits el grands. Avec loi seule, vie «a
Les courtisans ouvrirent dc grands yeux ; les dames chuchotè- sans toi, loul resterait stationnairc sur celle aride terre do lu
rent, et l'impératrice sourit ; le favori régnant fronça le sourcil... J'aiti dont tu es l'océan.
loul-à-fail oublié qui était alors en fonctions; car le nombre élail il LV1I.
grand dc ceux qui avaient occupé à tour de rôle cel emploi difficile, !> Catherine qui était le grand épiloiné de celle grande cause de
(iepuis que Sa Majcslé régnait seule ; mais en général, c'étaient dec ,
guerre, de paix, dc tout ce qu'il vous plaira (comme c'est la cause
robustes gaillards de six pieds de haut, lous fails pour rendre jaloux xde tout ce qui est, vous pouvez choisir)... Catherine, dis-je, vil nvre
uiil'ulagon. plaisir le beau messager, sur le panache duquel planait la victoire;
XLVII. el lorsqu'il fléchit le genou devant elle en lui présentant 1a dépêche,
Juan ne leur ressemblait guère : il élait svelle et fluel, pudibond
d elle oublia un moment dc rompre le sceau.
cl imberbe; pourtant il avait quelque chose dans sa tournure el ?!
plus encore dans ses yeux, qui disait que sons l'enveloppe d'un sé- LVIII.
raphin il y avait un homme. D'ailleurs un adolescent plaisail quel- L- Puis, se rappelant l'impératrice, sans pourtant perdre de vue In
quefois à l'impératrice : elle venait d'enterrer le beau Lanskoï. femme (qui composait au moins tes trois quarts de ce grand loufi
elle ouvrit la lettre d'un air qui intrigua la cour ; car tous les re-
XLV11I. gards l'épiaient avec inquiétude : enfin un royal sourircannonçale
11 n'est donc pas étonnant que Momonoff, Ycrmoloff, Schcrhatoff, ff, beau temps pour le reste du jour. Bien qu'un peu large, sa ligure
le élail noble, ses yeux beaux, sa bouche gracieuse.
ou toul autre en off, craignissent de voir Sa -Majcslé accueillir une
flamme nouvelle dans son coeur, qui n'était pas des plus sauvages, s,
pensée suffisante pour rembrunir l'aspect dc celui qui, selon le lan-
n- (t ) Source, terrible do tonte, guerre, Voyez Uorat., sat .1,3, «fi/. »<"'
gage officiel, occupait alors « ce haut poste de confiance. » etepurg.
OEUVRES COMPLÈTES DE LORI) RYRON. 235

L1X. LX1X.
Grande fut sa joie, grandes furent ses joies plutôt : d'abord, une D'ailleurs, il était à cet âge heureux où toutes les femmes ont
ville prise, trente mille hommes tués. La gloire et le triomphe res- ppour nous le même Age... alors que nous nous engageons sans re-
piundirenl dans ses traits, comme un lever du soleil sur les mers garder
g à rien intrépides comme Daniel dans la fosse aux lions,
,
île l'Inde orientale. Ceci étancha-t-il la soif de son ambition?... les ppourvu que nous puissionsamortir les feux de notre soleil au pre-
déserts de l'Arabie boivent en vain une pluie d'été : comme la rosée mier océan comme les rayons de Phébus s'éteignent dans
humecte à peine le sable aride, dans tout le sang qu'on lui offre, ïl'onde salée,venu,
i]
ou plutôt dans le sein de Télhys,
l'ambition ne trouve que dc quoi se laver les mains.
LXX.
LX. Et Catherine (ceci est tout en sa faveur), bien que hautaine el
Sa secondejoie fut pour l'imagination : elle sourit aux folles sanguinaire,
s offrait dans sa passion fugitive quelque chose de llat-
limes de Souvaroff, renfermant dans un couplet russe assez fade tcur.
t En effet, chacun dc ses amants était une sorte de roi taillé sur
un article de gazelle concernant les milliers d'hommes qu'il avait t patron d'amour; un royal époux en toute chose, sauf l'anneau
un
tués. La troisième fut assez féminine pour affaiblir l'horreur qui c mariage ; et comme c'est là ce qu'il y a de plus diabolique dans
de
circule naturellement dans nos veines quand des êtres qu'on nomme l
l'hymen on semblait avoir le miel de l'abeille sans son aiguillon.
souverains jugent à propos de tuer, et que des généraux n'y voient ,
qu'une plaisanterie. LXXI.
LXI. Ajoutez la beauté féminineà son midi, des yeux bleus ou gris...
Les deux premiers sentiments eurent leur expression complète, (Ceux-ci
( quand ils ont dc l'âme valent les autres, et peut-être mieux,
el animèrent d'abord ses yeux, puis sa bouche. Toute la cour prit comme
, le prouvent les meilleurs exemples : Napoléon et Marie,
aussitôt son air le plus riant, comme des fleurs arrosées après une reine d'Ecosse, assurent à celle couleur une supériorité décidée,
,
longue sécheresse; mais quand Sa Majesté, qui aimail presque au- consacrée
, encore par Pallas, trop sage pour avoir des yeux noirs
tant la vue d'un beau jeune homme que celle d'une heureuse ou
i bleus.)
dépêche, laissa tomber un regard bienveillantsur le lieutenant pro- LXXII.
slcrnc à ses pieds, tout le monde fut dans l'attente. Son doux sourire sa taille alors majestueuse son embonpoint,
, ,
LXII. son impériale condescendance, cette préférence accordée à un ado-
Bien qu'un peu corpulente, bouillante el féroce quand elle était lescent sur des hommes d'une toul autre taille (gaillards qu'eût
pensionnés Messalinc), celte fleurde vie devenuefruit mûr cl savou-
en colère, en revanche, quand elle élait contente, elle avait une de
ces nobles figures qu'aiment à voir ceux qui, étant encore dans
reux , avec d'autres extras qu'il esl inutile dc mentionner.... tous
toute leur vigueur, recherchent une beauté fraîche, mûre et pleine ces avantages, ou même un seul d'entre eux, suffisaient pour flatter
de suc. Elle savait rendre avec usure un amoureux regard, cl à son
la vanité d'un jeune homme.
tour elle exigeait rigoureusement le paiement à vue des créances LXXIII.
de Cupidon, sans admettre la moindre déduction. Cela suffit, car l'amour n'est que vanité, égoïsme perpétuel ou
complote démence esprit de vertige, cherchant à s'identifier avec
LXIII. , beauté
le néant fragile de la ; et ce dernier point constitue l'essence
Ce dernier point, bien que de mise quelquefois, n'était pas ici môme do la passion d'où certains philosophes ont pris que l'amour
très nécessaire; car on assure qu'elle avait de l'attrait, et qu'elle ,
est le principe de l'univers.
élail douce malgré son air farouche; d'ailleurs elle traitait on ne
peul mieux , ses favoris. Une fois que vous aviez franchi l'enceinte
LXXIV.
île son boudoir, votre fortune élait en bon train; car, tout cn plon- Outre l'amour platonique, outre l'amour de Dieu, l'amour senti-
geant les nations dans le veuvage, elle aimait l'homme individu. mental, l'amour d'un couple fidèle (la rime me demande « tourte-
relle » la rime, ce bon vieux bateau à vapeur qui remorque les vers
, la raison
LXIV. contre car la raison n'a jamais été camarade avec la
Chose étrange que l'hommeI el plus étrange encore la femmo! rime et s'est toujours beaucoupplus occupée du contenu que de
Quel tourbillon que sa tête! quel abîme profond et dangereux que l'harmonie) outre tous ces prétendus amours, il y a ce qu'on
smi coeur et le reste. Epouse ou veuve, vierge ou mère, sa volonté nomme les sens...
change comme le vent ; ce qu'elle a dit ou fait ne signifie rien à LXXV.
l'égard de ce qu'elle dira ou fera... Tout cela est bien vieux, el pour- Les sens mouvements, désirs d'amélioration matérielle, par
lanl c'esl toujours nouveau. lesquels lous les corps aspirent à quitter leur sablonnièrc pour sc
LXV. confondre avec une déesse; car telles, sans contredit, sont tomes
O Catherine ! (car, cn fait d'amour comme de guerre, c'est par tes femmes au premier abord. Admirable moment, lièvre étrange
exclamation qu'il faut parler de loi)... quels singuliers rapports qui précède le langoureux désordre de notre être! curieux procédé
unissent entre elles ces pensées humaines qui se heurtent dans leur en somme pour revêtir les âmes de leur enveloppe d'argile.
cours! Les tiennes en ce moment étaient divisées en catégories dis-
tinctes. Ce qui occupait toute Ion imagination c'était d'abord la LXXV1.
,
luise d'Ismaïl, puis la glorieuse fournée de nouveaux chevaliers, La plus noble espèce d'amour, c'est l'amour platonique, pour
cl troisièmement celui qui t'apportait la dépêche. commencer comme pour finir; puis vient celui qu'on peut baptiser
l'amour canonique , parce que le clergé la pris dans ses attribu-
LXV1. tions. La troisième espèce à noter dans notre chronique comme
Shakespeare nous parle du « héraut Mercure abattant son vol sur étant en vigueur dans tout pays chrétien c'est lorsque dc chastes
une montagne qui baise le ciel ; » et sons douta quelque vision dc matrones ajoutent à leurs autres liens ce, qu'on peut appeler un
ce genre traversa l'esprit de Sa Majesté, pendant que son jeune
[ mariage déguisé.
messager élail agenouillé devant elle. 11 est vrai que la montagne; LXXVH.
était bien haute pour qu'un lieutenant s'aventurât à la gravir; mais Assez d'analyse !... notre histoire doit s'expliquerpar elle-même.
l'ait a su aplanir jusqu'aux sommets du Simplon et Dieu aidant,; La souveraine sc sentit enflammée, el Juan extrêmement flatté de
avec la jeunesse et la santé, tous les baisers sont des, baisers du ciel., Les mois une fois écrits, je ne
cet amour ou de celle paillardise
puis perdre mon temps à les biffer... Or ces deux sentiments sonl
LXVII. tellement mêlés dans la poussière humaine qu'on ne peut en nom-
Pa Majesté baisse les yeux; le jeune homme lève les siens, ett mer un sans les indiquer tous deux; mais cn ceci la puissante im-
voilà qu'ils sont amoureux... clic de sa figure, de sa grâce et de jei pératrice de Russie agissait comme une simple griselte.
ne sais quoi encore ; car ta coupe de Cupidon enivre dès la première 3
gorgée, quintessence de laudanum qui porte sur-le-champ à la tête, LXXVIH.
sans le vil expédient des rasades à plein verre; et l'amourhoileltaritt Ce fut dans toute la cour un long chucholtement : toutes les lè-
toutes les sources de la vie... sauf les larmes. vres se collaient aux oreilles. A ce spectacle , les rides des vieilles
daines se crispèrent; les jeunes femmes se lancèrent mutuellement
LXVI1I. des clins d'uni, cl tandis que les regards parlaient ainsi, toutes ces
Lui, de son côté, s'il ne fui pas épris d'amour, éprouva une pas- bouches charmantes s'efforçaient de sourire ; mais bien des humes
sion non moins impérieuse, l'amour-propre : instinct par lequel,, de jalousie étaient prêtes à "monteraux yeux de l'assistance.
si une personne qui semble au-dessus de nous, une cantatrice, une°
danseuse à la mode, une duchesse, princesse ou impératrice, LXX1X.
daigne nous tirer de la foule, et faire éclater envers Les ambassadeurs de toutes les puissances s'informèrent de ce
nous une c
l'i'édilcclion vive, bien que peu raisonnée, nous concevons dee nouveau jeune homme qui promettait délie grand dans peu d'heu-
nous-mêmes une très bonne opinion. res, ce qui est bien prompt, quoique la vie nul si courte. Déjà ils
236 LES VEILLÉES LlTTÉItAIRES ILLUSTRÉES.

voyaient les roubles tomber dans ses coffres en pluie argentine et l'océan dc l'éternité : le mugissement des vagues n'a point effrayé
l'o
pressée, sans compter les décorations cl les paysans par milliers, ma nacelle frôle et légère, mais encore capable dc tenir la mer: et,
mi
LXXX. commebien des esquifs, elle navigue où des vaisseaux on l coulé bas!
co
Catherine était généreuse... toutes ces femmes-là le sonl. L'amour, V.
qui ouvre les portes du coeur et toutes les voies qui peuvent y con- Nous avons laissé Juan, notre héros, dansla fleur du favoritisme,
duire, de près ou de loin, d'en haut, d'en bas, roules ou traverses... mais m n'en sentant pas encore les épines honteuses. El à Dieu né
l'amour (bien qu'elle eût une maudite passion pour la guerre, el plaise pi que mes muses (car j'en ai plus d'une à ma disposition) s'a-
qu'elle ne fût pas la meilleure des épouses, à moins que nous n'ac- venturent
vc à le suivre au-delà.du salon : il suffit que la fortune le
cordions ce titre à Clytemneslre... hasll aulicu dedeux époux Irai- trouve In rayonnant de jeunesse, dc vigueur, dc beauté et de toul ce
nanl leur chaîne, peut-être vaut-il mieux qu'il en meure un)... qui,
qi pour un moment, fixe la jouissance el lui ravit ses ailes.
LXX XL VI.
Conduite par l'amour, Catherine avait fait la fortune de chacun Mais bientôt ccsailes repoussent, el l'oiseau quitte son nid. « Oh!
dc ses amants : en quoi elle différait de noire demi-chaste Elisa- dil di le Psalmisle, que n'ai-]c le vol de la colombe pour fuir et cher-
bel h, dont l'avarice répugnait à toute espèce de débours, si l'his- cher cl le repos ! » Quel homme, sc rappelant ses jeunes années cl ses
toire, celle menteuse fieffée, a dit vrai; et quand il serait avéré que je
jeunes amours... bien qu'il n'ait plus maintenant qu'une tète blan-
la douleur d'avoir mis à mort un favori abrégea sa vieillesse, sa chie, cl un coeur flétri, une imagination éteinte el limitée à la sphère.
coquetterie lâche el ambiguë, sa plaie ladrerie, font la honte de son de
d< ses yeux obscurcis quel homme n'aimerait mieux soupirer
de
sexe et son rang. commeson
et fils que de tousser comme son grand-père !
LXXXII.
VII.
Le lever impérial terminé, et le cercle dissous, on se mêla, et les
ambassadeurs dc toutes les nations sc pressèrent autour du jeune Bah! les soupirs s'apaisent, et les pleurs, même ceux d'une
hom i c pour lui offrir leurs félicitations; il se sentit aussi effleuré veuve,
Vl sc tarissent comme l'Arno, dont le filet d'eau fait honte à lu
par les robes dc soie de ces gentilles dames qui se font un plaisir masse '} des flolsjaunûlrcsel profonds qui, cn hiver, menacent d'inon-
dc spéculer sur les jolies ligures, surtout quand elles conduisentà der le pays : telle est la différence qu'apportent quelques mois. On
dc hauts emplois. pourrait
P croire que la douleur est un champ fécond qui jamais ne
LXXX1H. reste
j'1 en jachère, et c'est vrai; seulement les charrues changent de
laboureurs, el les nouveaux sillonnent à leur tour le sol en croyant
Juan, qui, sans trop savoir pourquoi, se voyait l'objet de Fat- .!y semer le plaisir.
ton lion générale, répondit en s'inclinant avec grâce, comme s'il fût } VIII.
né pour te métier de ministre. Quoique modeste, sur son front tou-
jours calme, la nature avail écrit « homme bieu né. » H parlait peu, Cependant la toux arrive quand les soupirs s'en vont... et quel-
mais toujours à propos, et ses gestes flottaient avec grâce autour de quefois
1 même sans que les soupirs aient cessé; car souvent ceux-ci
lui comme les plis d'un drapeau. amènent
a celle-là avant que le front, uni connue la surface d'un lac,
ail été sillonné d'une seule ride, avant que le soleil dc la vie soil
LXXX1V. arrivé
a à la dixième heure. El tandis qu'une rougeur fébrile cl pas-
Un ordre de Sa Majesté confia le jeune lieutenant aux soins bien- s sagère colore, comme un couchant d'été, la joue qui semble trop
veillants des dignitaires de la cour. Le monde se montrait pour lui }pure pour n'être que de l'argile, des milliers d'hommes brillent,
très courtois (il en agit souvent ainsi au premier abord : la jeunesse faiment, espèrent et meurent Que ceux-là sont heureux!
ferait bien de ne pas l'oublier) : telle aussi se montra miss ProtiisnIT IX.
que ses fonctions avaient l'ail nommer « l'éprouvcusc, » ternie que Juan n'était pas destiné à mourir si tôt. Nous l'avons laissé dans
lti musc ne peul expliquer.
LXXXV. . foyer dc ces prospérités que l'on doit à la faveur de la lune ou
le
;
au caprice des dames... prospérités éphémères peut-être; mais qui
Ce fut avec elle comme son devoir l'exigeait, que don Juan se ]
relira... Je vais cn ,faire autant, jusqu'à ce que mon Pégase soit las dédaignerait le mois dc juin uniquement parce que décembre doil
de toucher la lerre. Nous venons île prendre pied sur une dc ces venir avec son souffle glacé? Mieux vaut encore accueillir le bien-
montagnes qui baisent le ciel; montagne si élevée que je sens la j
faisant rayon, cl faire provision de chaleur pour l'hiver.
tête qui ir c tourne, el mes idées qui tourbillonnent comme les ailes X.
d'un moulin. Mes nerfs et mon cerveau sont avertis qu'il est temps D'ailleurs il avait des qualités capables dc fixer les dames entre
de conduire ma monture au petit pas dans quelque sentier vert. deux âges plus encore que les jeunes : les premières savent de quoi
il s'agit, tandis que vos poulettes, à peine cmplumées, connaissent
toul juste des passions ce qu'elles en ont lu dans les poètes ou rêvé.
par un tour de leur imagination , dans des visions du ciel, cclt-i
CHANT X. patrie de l'amour. Il cn esl qui comptent l'âge des femmes par le
nombre de leurs soleils ou de leurs années; je serais plutôt d'avis
I. que la lune doit marquer les dates de ces chères créatures.
Newton, voyant tomber une pomme, cl distrait toul-à-conp de, XL
ses méditations, trouva dans ce léger incident, dit-on (car je ne ré- Pourquoi?... parce qu'elle esl à la fois inconstante el chaste, .le
ponds ici-bas des opinions ou des calculs d'aucun sage), le moyeni ne connais pas d'autre raison, bien que des gens soupçonneux,
de prouver que la lerre tournait en vertu d'un principe lout naturel, toujours prêts à blâmer puissent m'en imputer d'autres ; ce qui
qu'il appela Gravitation ; et depuis Adam, Newton est le seul mortel1 ,
n'esl pas juste cl ne fait pas l'éloge « de leur cnraclère ou de leur
qui ail su tirer parti de ia chute d'une pomme. goût, >< comme l'écrit mon ami Jeffrey en prenant un air!... tou-
tefois, je le lui pardonne,elj'cspère qu il se te pardonnera... sinon,
H. raison de plus pour que je sois indulgent.
Parla pomme l'homme est tombé, et parla pomme il s'est élevé,
si ce fait est vrai ; car nous devons considérerla route frayée par;. XII.
Isaac Newton à travers le champ des étoiles comme une compen- D'anciens ennemis devenus amis devraient continuer à l'être...
sation aux malheurs de l'humanité. Depuis, l'homme a brillé parr C'est un point d'honneur, et je ne sache rien qui puisse justifier un
l'invention de toutes sortes de mécaniques, et le temps n'esl paslS retour à la haine : dût-elle éiendreses cent bras cl ses cent jambes.
loin où la vapeur le conduirajusque dans la lune. je la fuirais comme l'ail ou la peste, el elle ne m'atteindrait pas
Les anciennes maîtresses, les nouvelles épouses, deviennent no*
III. plus cruels fléaux : des ennemis réconciliés doivent dédaigner de
El pourquoi cet exorde ?... Voici : à l'instant même, en prenant
,t se liguer avec elles;
celte misérable feuille de papier, un noble enthousiasme m'a en- ,_
XIII.
flammé, et mon âme a fait une cabriole; et quoique bien inférieur,i*, Ce serait la pire des désertions... Un renégat, le fourbe South"?'
je l'avoue, à ceux qui, par le moyen des lunettes et de la vapeur,r, lui-même, ce mensonge incarné, rougirait de rentrer dans le camp
découvrent des étoiles et vont contre le vent, je veux essayer d'enn des réformateurs qu'il a quitté pour l'éluhlc du poète lauréat, p
faire autant à l'aide de la poésie. l'Islande aux Rarbndes, de l'Ecosse à l'Italie, n'esl point honnête
homme celui qui tourne au moindre vent, ou saisit pour accable
IV.
un émule le moment où celui-ci cesse de plaire.
l'ai vogué et je vogue encore contre le vent; mais quant aux al
étoiles, j'avoue que mon télescope est un peu terne ; du moins j'ai XIV.
quitté le rivage vulgaire, et, perdant la terre de vue, je sillonne
îc Le critique et l'homme de loi ne voient de la littérature et de ia
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD RYRON. 237

vie que le côté honteux; rien ne leur demeure inconnu, mais ils non à la chair; et les rides, satanées démocrates, ne savent poinl
ne
passent beaucoup de choses sous silence. Tandis que. le commun des flatter.
lia
iKiinnies vieillit dans l'ignorance, le mémoiredu légiste esl comme
XXV.
|c scalpel du chirurgien : il dissèque les entrailles d'une question , Le trépas, ce souverain des souverains, est cn même temps le
cl lous les organes par où elle se digère. Gracchus
Gi de l'humanité: sous le niveau de ses lois agraires,
xv ri
l'homme opulent qui festoie, combat, rugit el s'enivre, est l'égal
du pauvre diable qui n'a jamais possédé un pouce deterrain ; et lous
Un homme de loi est un ramoneur moral, et c est pour cela deux
,]( sonl réduits à quelquespieds dc lerre où le gazon,pour verdir,
nifil e* si sale. L'éternelle suie lui communique une couleur dont j( attendre la corruption.
doit
il ne saurait se défaire cn changeant de linge : au moins
vingt-neuf XXVI.
fuis sur trente, conservela sombre teinture du noir envahisseur.
il Il vivait (non le trépas, mais Juan) dans un tourbillon de prodiga-
[1 n'en est pas ainsi de vous, je le confesse : vous portez votre
robe lités,
,.( de tumulte, de splendeur, dc pompe chatoyante, cn ce gai
comme César portait sa toge. g
climat
„i des peaux d'ours noires et touli'ues... lesquelles (soit dit mal-
XVI. gré ma répugnance pour les propos un peu durs), au momenl où
Cher Jeffrey, jadis mon ennemi le plus redouté (autant que les l'on y pense le moins, percent à travers « la pourpre et le lin, » plus
p,
vers et la critique peuvent diviser ici-bas de chétives marionnettes convenablcsàla
c, grande prostituéede Babylonc qu'à celle des Uussics,
comme nous), tous nos petits dissentiments, les miens du moins, et neutralisent tout l'effet de cet étalage d'écarlate.
ei
sont terminés. Je bois aux jours d'autrefois, Auld lang si/ne! Je n'ai
jamais vu voire personne, peut-être ne la verrai-je jamais ; mais au XXVII.
total vous avez agi noblement, je l'avoue du fond du coeur. Cel état, nous ne le décrirons pas : nous pourrions cn parler par
XVII.
ouï-dire
° ou par réminiscence; mais, parvenu aux approches de cette
obscure foret dont parle le Dante, horrible équinoxe, odieuse hi-
Et quand j'emploie l'expression écossaise Auld fangsyne, ce seclion
gl dc la vie humaine, auberge à mi-chemin, hutte grossière, au
n'esl pas à vous que je l'adresse... et j'en suis fiché pour moi ; car. sortir
s, de laquelle les voyageurs prudents conduisent lentement les
de tous les habitants de votre lière cité, vous êtes, après Scott, celui chevaux
c de poste de la vie sur la frontièrearide de la vieillesse, el sc
avec lequel je trinquerais le plus volontiers. Je ne sais pourquoi .. retournent
r pour donner à la jeunesse une dernière larme
•ii'iil-êlrc est- sc un caprice d'écolier... mais enfin je suis à demi
'•'rossais de naissance cl tout-à-fail Ecossais d'éducation, cl lout XXVIII.
mou coeur reflue à mon cerveau... Je ne décrirai pas... c'est-à-dire si je puis m'en empêcher; je ne
I
ferai point de réflexions... c'est-à-dire si je puis chasser celles qui
XVIII.
me poursuiventà travers cet abîme, ce bizarre labyrinthe... comme
Quand avec Auld long syne reviennent à ma mémoire et l'E- | petil chien collé à la mamelle, ou comme l'algue marine adhé-
le
cosse, et ses plaids, cl ses sn'oods, et ses collines bleuâtres, ses eaux rente
i au rocher, ou comme la lèvre amoureuse aspirant son premier
limpides, la Dec, le Don, les noirs parapets du ponl dc Balgounie Ibaiser... Mais, je l'ai dit, je ne veux point philosopher, et je veux
,
lous les sentiments de mon premier âge, lous les rêves si doux que être
i lu.
je rêvais alors, chacun enveloppé de son vêtement spécial comme XXIX.
les descendants de Ftanquo dans mon enfantine illusion, il me Juan, au lieu de courtiserla cour, était lui-même courtisé... chose
semble voir flotter devant moi l'image dc mon enfance. Doux reflet qui arrive rarement. 111c devait cn partie à sa jeunesse, en partie à
(
îles jours d'autrefois !
xix. ,; réputation dc bravoure, et aussi à cette sève de vie qui éclatait
sa
en lui comme dans un coursier dc pur sang, il devait beaucoup
Vous vous en souvenez, il fut un temps où, jeune et irritable, aussi
i à sa mise, qui faisait ressortir sa beauté comme des nuages de
ilans un accès dc verve el de colère, je raillai les Ecossais pour leur pourpre
| parent le soleil... mais il était surtout redevable à une
prouver mon ressentiment el ma puissance; mais c'est vainement vieille femme et au poste qu'il occupait.
qu'on se permet dc pareilles sorties; elles ne peuvent étouffer la |
jeunesse et la fraîcheur dc nos premiers sentiments: j'ébréchai en XXX.
moi l'Ecossais; je ne le tuai pas el j'aime toujours le pays « des 11 écrivit en Espagne; et tous ses proches parents, voyant qu'il
,
montagnes et des torrents. » était cn voie de succès el à même de placer ses cousins, lui répon-
XX. dirent courrier par courrier. Plusieurs se préparèrent à émigrer ; et
Don Juan, qui était positif et idéal... ce qui est à peu près la lout en prenant des glaces, on les entendit déclarer qu'avec l'addi-
inniic chose, car ce que l'homme pense existe, el le penseur lui- tion d'une légère pelisse, leclimal dc Madrid cl celui dc Moscou
même est moins réel que son idée, l'âme ne pouvant jamais périr étaient absolument les mêmes.
mais réagissant contre le corps. El pourtant on éprouve un certaini XXXI.
embarras quand, au bord de cel abîme appelé l'éternité, on ouvre' Sa mère aussi, dona Inez, voyant qu'au Heu dc tirer sur son ban-
île grands yeux, ne sachant rien de ce qu il y a ici ou là-bas.
quier , il allégeait son compte de plus cn plus, ce qui prouvait
XXI. qu'il avait mis à ses dépenses des bornes salutaires... dona Inez
1! devint un Husse très policé... Comment? nous no le dirons pas;
lui répondit « qu'elle était charmée de ta voir dégagé du joug des
plaisirs que recherche une jeunesse insensée, l'unique preuve que
litiurquoi? il est inutile de le dire. Peu de jeunes âmes sonl capables;' l'homme puisse donner de son bon sens étant l'économie.
de résister à la [dus légère tentation qui se rencontre sur leur route ;
mais sa tentation à lui, se présentait sur un coussin moelleux, XXXII.
feue de servir de , siège d'honneur à
un monarque: de joyeuses*
demoiselles, des danses, des festins et dc l'argent comptant chan- « Elle le recommandait aussi à Dieu, ainsi qu'au fils de Dieu et
geaient pour lui un pays de glace en paradis, et l'hiver en été.
à sa mère, l'avertissait de se tenir en garde contre le culte grec, qui
blesse les opinions catholiques. Mais en même temps, elle lui disait
XXII. d'étouffer'toute manifestationextérieure de répugnance, cela pou-
La faveur de l'impératrice était pleine d'agréments, et bien que laa vant êlre vu de mauvais oeil à l'étranger. Du resta elle lui annonçait
lâche fût un peu rude, à l'âge de Juan on pouvait s'en tirer avec qu'il avait un petit frère né d'un second lit, et surtout elle louait
c l'amour maternel de l'impératrice.
li'iiincur. Il croissait donc comme un arbre verdoyant, égalementt
propre à la tendresse, à la guerre et à l'ambition, divinités qui ré-'- XXXIII.
compensent les plus fortunés dc leurs adorateurs jusqu'au moment
jn'i les ennuis du vieil âge font préférer à quelques-uns l'agent de
P « Elle approuvaitvivement une souveraine qui donnait de l'avan-
'i circulation des richesses. cement aux jeunesgens, attendu que l'âge et mieux encore la nation
XXIII. et le climat prévenaient tout scandale... En Espagne, elle eût pu en
A celte époque, comme on a pu le prévoir, entraîné par sa jeu-
être quelque peu contrariée; mais dans un pays où le thermomètre
nesse et par de dangereux exemples, don Juan devint sans doute
'" descendait à dix degrés, à cinq, à un, à zéro, elle ne pouvait
e croire que la vertu dégelât avant la rivière. »
"" peu dissipé : disposition fâcheuse, car non-seulementelle déflore
""s sentiments, mais, se liant à tous les vices de la fragile humanité, i, XXXIV.
'•'Hç
nous rend égoïstes et porte nos âmes à se renfermer des
comme is O hypocrisie! que n'ai-je une force de quarante ministres an-
'mitres dans leur coquille.
glicans pour célébrer tes louanges! Que ne puis-je faire entendre
XXIV. ton honneur un hymne bruyant comme les vertus que lu vantes
l'assons cela. Nous passerons aussi la marche ordinaire d'une en
"iliigue le loul. haut et que tu ne pratiques pas ! Que n'ai-je ta trompette des
,
entre gens de conditions aussi inégales qu'un jeune lieulc- c- chérubins ou le cornet acoustique dans lequel ma bonne vieille
'jji'H et une reine qui, sans êlre vieille, n'a plus sa douce royauté dcle tante trouva un paisible sujet de consolation, lorsque ses lunettes
•«x-sept ans. Les rois peuvent commanderà la matière brute, mais is devenant troubles l'empêchèrentde lire son missel 1
238 LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

dde la sanlé ne jetaient sur ses joues amaigries que de rares el va-
XXXV. cillants reflets; loul cela inquiétait la Faculté
ci qui déclara qu'il
Elle n'était pas hypocrite, du moins, la pauvre chère âme; fallait
f; voyager.
mais elle gagna le ciel aussi loyalement qu'aucun des élus inscrits XL1V.
sur ce registre où sont répartis, pour le jour du jugement, lous les Le climal était trop froid, dirent les docteurs, pour qu'une piaule
fiefs célestes: sorte dc doomsday-book, semblable à celui que Guil-
laiinie-Jc-Conquéranl composa'pour rémunérer ses compagnons
j
du Midi pût y fleurir. Cette opinion fil faire la grimace à la chaste
ç
Catherine qui d'abord se révolta conlrel'idée de perdre son mignon;
d'armes, alors qu'il distribuait les propriétés d'autrui à quelque mais
n lorsqu'elle vit l'éclat de ses yeux sc ternir, el lui-même s'a-
soixante mille nouveaux chevaliers. battre
b comme un aigle dont on a coupé les ailes, elle résolut de
ll'envoyer en mission, avec une pompe digne de son rang.
XXXVI.
Je ne puis m'en plaindre, moi dont les ancêtres, Erneis, Radul- XLV.
phus, y furent compris...Quarante-huitmanoirs(si ma mémoire ne Il y avail alors je ne sais quel point en discussion, un traité à
me trompe) furent leur récompense pour avoir suivi les bannières conclure entre le cabinet anglais el celui de Pelersbourg; la négo-
de Guillaume. Je dois convenir qu'il nétait pas juste de dépouiller cciation était soutenue de part el d'autre avec tous les artifices que
les Saxonsde leurs peaux (1) comme auraient fait des tanneurs : tou- cles \ grandes puissances emploient en pareil cas. C'était à propos de
lefois les nouveaux possesseurs ayant employé leurs revenus à jla navigation de la Baltique, du commerce de peaux, d'huile de ba-
fonder des églises, cet usage sans doute légitime leur droit. j
leine et de suif, el des droits maritimes que l'Angleterre regarde
XXXVII. toujours
• comme son uli possidelis.
L'aimable Juan sc maintenait dans sa fleur ; pourtant il éprouvait XLVI.
parfois ce qu'éprouvent d'autres plantes appelées sensilives, qui De sorte que Catherine, qui s'entendait à pourvoir ses favoris,
fuient le toucher, comme les monarques fuient les vers autres confia cette mission confidentielle à Juan, dans le double but de
gelées austères, aspirait-il (
que ceux dc Southey. Peut-être, sous les déployer sa royale splendeur, cl dc récompenser les servicesde noire
vers un climat où les fleuves n'attendissent pas le premier mai pour héros.
(
| Le lendemain il fut admis à baiserla main dc sa souveraine,
dissoudre leur glace ; peut-être en dépit du devoir, dans les vastes recul
bras dc la monarchie, soupirait-il après la beauté. ses instructions, et partit comblé de présents et d'honneurs
qui
( montraient lout le discernement dc la dispensatrice.
XXXVIII. XLVIl.
Peut-être mais laissons de côté les peut-être : il ne faut pas elle avait du bonheur, el le bonheur esl tout. En général,
chercher longtemps les causes anciennes ou récentes; le ver ron- lesMais reines ont un gouvernement prospère • caprice de la fortune
geur s'attache aux joues les plus fraîches cl les plus belles, comme
il achève dc dévorer desformes déjà flétries. Le souci, hôte soigneux, assez difficile ù expliquer. Mais continuons. Catherine élail sui-
te retour, et année climulérique la tourmentait autant qu'a-
apporte toutes les semaines son mémoire,el nous avons beau tem- vait fait son son adolescence ; et bien que sa dignité lui interdît la
pêter, il tant le solder après tout ; six jours s'écoulentpaisiblement, plainte, le dépari de Juan l'affecta point
le septième amènera le spleen ou un créancier. au que, dans le premier
moinenl, elle ne pul lui trouver un successeur convenable.
XXXIX. XLV1II.
Bref, il tomba malade je ne sais comment. L'impératrice fut Mais le temps est un grand consolateur : vingt-quatre heures
alarmée, et son médecin (le même qui avail assisté Pierre) trouva de solitude cl deux fois ce nombre dc candidats sollicitant lu
que son pouls, quoique très vivant, battait dc manière à augurer la place vacante procurèrent à Catherine, pour la nuil suivante,
mort, et annonçait une disposition fébrile : sur quoi la cour fut un paisible sommeil... non qu'elle se proposât de précipiter
bouleversée, la* souveraine épouvantée, et toutes les médecines
doublées. son choix, ou que la quantitél'embarrassât; mais, ne voulant se
décider qu'avec la maturité convenable, elle laissa la lice ouverte à
XL. leur émulation.
Mystérieuxfurent lescbuchollemcnls,nombreuseslcsconjcclurcs. XLIX.
Les uns dirent que don Juan avait élé empoisonné par Polemkin ; Pendant que ce poste d'honneur estvacant pour un jour ou deux,
d'autres parlèrent dc certaines tumeurs, d'épuisement ou d'indis- la bonté lecteur, de monter avec notre jeune héros dans la
positions analogues; d'autres prétendirent que c'était une concoc- ayez
voilure ,
qui l'entraîne loin de Pelersbourg. Une excellente calèche,
tion d'humeurs qui bientôt sc communiquerait au sang; enfin il
s'en trouva pour affirmer que c'élait tout simplement «la suite des ayant eu jadis la gloire d'étaler les armoiries dc la belle czarins,
fatigues de la dernière campagne. » alors que, nouvelle Ipbigénie, elle se rendait en Tauridc, fut don-
née à son favori, dont elle porta désormais le blason,
XLI. L.
Voici une ordonnanceentre beaucoup d'autres : Un bouledogue, un bouvreuil et une hermine, tous favoris de
i-t. Sodie sulphat
Mannx oplim.
Aq. fervent
Tinct. sennes. . .
........
......
.• 5 vj.
3 fi.
% i (5.
3 ij.
don Juan ; car (de plus sages que moi en détermineront la rai-
son) il avait une sorte d'inclination ou de faiblesse pour ce que
bien des gens considèrent comme une incommode vermine, Ici
animaux vivants : jamais vierge de soixante ans ne montra un pen-
J/attstus... chant plus décidé pour les chats et les oiseaux, cl cependant il n'était
Ici le chirurgien intervint, et lui appliqua les ventouses ; puis, nou- ni vieux ni vierge...
velles ordonnances qui eussent élé bien plus longues, si Juan ne. LI.
s'y fût opposé : Ces divers animaux, dis-je, occupaient chacun leur poste res-
il). Pulv. com. ipecacaanhui
pectif; dans d'autres voilures se tenaient les valelsel les secrétaire5;
gr. iij. mais à côlé dc Juan élait la petite Leila, qu'il avait arrachée nu*.
ii!. Jlolits potassx suiphuret. sumendus, et haustus ter in1 sabres cosaques dans l'immense carnage d'Ismaïl. Quoique m»
die capiendus. muse vagabonde aime à prendre lous les tons, elle n'a point oublie
XL1I. celte enfant, perle pure et vivante.
C'est ainsi que les médecins nous guérissent ou nous tuentsec*-»-
s' L1L
dîtm arlem. Nous en raillons quand nous nous portons bien... mais
sommes-nousmalades, nous les envoyons chercher, sans avoir laa Pauvre petite ! elle était aussi belle que,, docile, et avait le carac-
moindre envie de rire : nous-voyanl lout près de cet hiatus maximee 1ère doux et sérieux qualité aussi rare parmi les êtres vivants,
dépendus, qui ne peul se combler qu'avec de la terre el une bêche,, qu'un homme fossile au, milieu dc les antiques mammouths, ô grain
nous y laisser tomber de bonnegrâce, nous importunons Cuvier! Son ignorance élait peu propre à lutter contre ce moud
au lieu de s écrasant où tous sont condamnés à faillir ; mais elle n'avait encor
le doux Baillie ou le bon Abernelhy.
que dix ans; elle élail donc tranquille, sans savoir pourquoi.
XLI1I.
L11L
Juan refusa d'obéir au congé qui lui était signifié , et bien que laa
mort le menaçai d'une expulsion des lieux, sa jeunesse et sa con-!_ Don Juan l'aimait et en élail aimé d'une affection telle qu'il n ci
stitution prirent le dessus, et envoyèrent les docteurs d'un autree exista jamais cuire frère, père, soeur ou fille. Je ne puis dire posj
côlé. Cependant son étal demeurait encore précaire ; les couleurs ,s
tivcincnt ce que c'était : il n'était pas assez vieux pour éprouver!
sentiment paternel, cl la tendresse fraternelle ne pouvait non ph'
(1) Ilydes, ce qui signifie il la fois peaux et certaines mesures de terre
<a
l'émouvoir car il n'avait jamais en dc sieur. Ahl s'il en avait 6
,
saxonnes, une,, quel tourment que d'en être séparéI
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD RYRON. 23*5

le chauffage qu'un gouvernement charitable lui ait laissé, cela


LIV. semble,
se cn vérité, bien cruel.
Encore moins élait-ce un amour sensuel ; car il n'était pas dc LX1V.
ces vieux débauchés qui recherchent le fruit vert pour fouetter dans Là, il s'embarqua, et déployant sa voile, son navirebondissant vo-
leurs veines le sang endormi (comme les acides réveillent un alcali
latent), el bien que sa jeunesse n'eût pas été des plus chastes (telle £' vers l'île des hommes libres, vers laquelle le poussait le souffle
gua
est l'oeuvre dc notre planète), le platonisme le plus pur faisait le
impatient
>•] d'une bonne brise. L'écume jaillit au loin ; la proue fen-
fond de tous ses sentiments... seulement il lui arrivait de l'oublier. dit
«' Fonde salée, cl le mal de mer fil pâlir plus d'un passager ; mais
Juan, amariné comme il devait l'être par ses précédents voyages,
LV. «resta debout, regardant passer les navires et cherchant à découvrir
n'y avait pas de tentation à redouter : il aimait l'orpheline
Ici il
de
"' loin les falaises de l'Angleterre.
qu'il avait sauvée, comme les patriotes, parfois, aiment une nation;
puis il se disail avec orgueil que c'était à lui qu'elle devait de LXV.
et
n'être point esclave... sans compter qu'avec le secours de l'Eglise, Enfin elles s'élevèrent, comme une blanche muraille, à l'horizon
il pourrait êlre l'instrument du salut de celte jeune âme. Mais ici dde la mer bleuâtre; et don Juan éprouva ce qu'éprouvent vivement
nous noterons une circonstance bizarre, c'est que la petite Turque les
*( étrangers mômes, au premier aspect de la ceinture calcaire
no voulait point se laisser convertir.
dd'Albion... une sorte d'orgueil dc se trouver au milieu dc ces fiers
hboutiquiers qui expédient leurs marchandises el leurs décrets de
LVI. l'un à l'autre pôle, et soumettent les flots à leur payer tribut.
1*

Il étail étrange que ses impressions religieuses eussent survécu


LXVI.
un changement de sa destinée, à travers des scènes de terreur et de
cjrnagc ; mais quoique trois évoques eussent entrepris de lui dé- Je n'ai pas de puissants motifs pour aimer ce coin de terre, qui
montrer son erreur, clic mon Ira pour l'eau sainte une aversion contient
c ce qui aurait pu êlre la plus noble des nations; mais bien
décidée ; elle no voulut pas entendre non plus parler de confession, que
t] je lui doive ma naissancecl rien dc plus, j'éprouve un mélange
pinil-èlrc parce qu'elle n'avail rien à confesser : peu importe ! L'E- de
il regret et de vénération pour sa gloire mourante et ses vertus
glise perdit son latin, cl clic continua dc croire au prophète. passées.
I Sept années d'absence (la durée ordinaire de la déporta-
lion) suffisent pour éteindre les vieux ressentiments, quand on
LV1I. i sa patrie s'en aller au diable.
voit
Le seul chrétien qu'elfe pût supporter était Juan : il semblait lui
tenir lieu de la famille el des amis qu'elle avait perdus. Pour lui, il LXVII.
devait aimer celle qu'il protégeait. Ainsi s'était formé ce couple sin- Ah ! si elle pouvait savoir pleinement, et sans restriction, com-
i-'iilier, d'un tuteur si jeune cl d'une pupille que rien ne rattachait bien
' maintenant son grand nom esl partout abhorré; de quels voeux
à lui, ni la patrie, ni l'âge, ni la parenté; cl toutefois celle ab- ardents
j la lerre appelle la catastrophe qui livrera son sein nu à la
sence de tiens rendait leur attachement plus tendre. fureur
' du glaive; combien toutes les nations regardent comme leur
plus cruelle ennemie, et pire encore, l'amie perfide qu'elles ado-
LVI1I. raient
i autrefois el qui, après avoir appelé le genre humain à la li-
Ils traversèrent la Pologne et Varsovie, célèbres par leurs mines berté,
' voudrait aujourd'hui enchaîner jusqu'à la pensée I
ilcsc! el leurs jougs dc fer ; puis la Courtaude, témoin de celle farce
fameuse qui valut à ses ducs le nom disgracieux de Biron (1). C'est LXVI II.
le inènie pays que traversa le Mars moderne, alors que, guidé par la Sc vantcra-l-clle d'être libre, elle qui n'esl que la première entre
(doirc, celle sirène décevante, il alla perdre à Moscou, en un mois les esclaves? Les nations sonteaplives... mais le geôlier, qu'esl-il?...
li'liivcr, vingt années de conquêtes, cl les grenadiers de
sa garde. Victime lui-même des verrous et des barreaux. Le triste privilège
dc tourner la clef sur le prisonnier est-ce la liberté? Celui qui
L1X. veille sur la chaîne, ceux qui la portent, sont également privés dc
Qu'on ne voie pas dans cette dernière phrase l'opposé dc la figure la jouissance de l'air et dc la terre.
île rhétoriqueappelée gradation : «O nia garde! ma vieille garde!
» LX1.X.
s'éc-ïait le dieu d'argile. Quel spectacle 1 Jupiter tonnant qui suc-
combe sous Caslloreagli ! lu gloire morfondue sous la neige! Mais Don Juan, comme prémices des beautés d'Albion, vit les collines,
si nous voulons nous réchauffer en passant par la Pologne, nous cher Douvres, ton port el Ion hôtel, la douane avec ses mille attri-
avons là le nom dc Kosciusko, qui peut, comme l'Héclu, inirc jaillir butions, ses exactions compliquées, les garçons d'auberge courant
des feux au milieu des glaces. à perdre haleine à chaque coup de sonnette *, tes paquebots, dont
LX. lous les passagers servent de proie aux gens de terre et de mer, et
enfin, ce qui n'est pas le moins frappant pour l'étranger inexpéri-
Après la Pologne, ils traversèrent la vieille Prusse et sa capitale menté, tes longs mémoires qui n'admcllenl aucune réduction.
Kii-nigshcrg, qui, outre quelques mines de 1er, dc plomb et de cui-
' ie, se glorifie depuis peu du célèbre professeur Kant. Juan qui se LXX.
,
«niciait de la philosophie comme d'une prise de tabac, poursuivit Juan bien qu'insouciant, jeune, magnifique, riche en roubles,
si routa à travers l'Allemagne, ce pays aux populationsattardées, ,
cn diamants, espèces et crédit, et ne restreignant guère ses dé-
liant les princes éperonnent plus leurs sujets que les postillons n'é-
|icronncnt leurs chevaux. penses hebdomadaires, ne laissa pas dc s'étonner un peu, et paya
toutefois... après que son majordome, Grec subtil et matois, cul'lu
LXI. et additionné devant lui le formidable grimoire. Mais comme on
Do là, par Berlin, Dresde cl autres lieux ils atteignirent enfui les respire dans ce pays un air libre, quoique rarement échauffe par le
,
liliin couronné de créneaux. Glorieux sites gothiques! soleil, cela vaut bien quelque argent.
combien vousi
frappez toutes les imaginations, sans en excepter la mienne ! Un'
'nui' grisâtre, une ruine couronnée de verdure, une pique rouillée, LXXI.
l'uit franchira mon âme la ligne équinoxiale qui sépare le présentt Qu'on attelle les chevaux ! En route pour Canlorbury! Foulons,
d» passé, après qu'elle plané
a un peu sur celte fantastique limite. foulons te macadam cl faisons voler la boue de lous côtes ! Honrrah !
LXIL avec quelle célérilélile la poste! Ce n'est pas comme dans la lente Al-
lemagne, où les chevaux barbotent dans la fange, comme s'ils vous
Mais Juan continua sa route par Manheim et Bonn, que domine3 menaient enterrer ; sans compter les haltes des postillons pour se
'*> Diachenfels, pareil à un spectre de ces temps féodaux qui sonl l gorger de sclmapps... maudils coquins, sur lesquels les ver/luchler
four jamais disparus, el sur lesquels je n'ai pas le temps de m'arrè- ne font pas plus d'effet que la foudre sur un paratonnerre.
'j-'i' aujourd'hui. Dc là il
sc dirigea Cologne, ville qui offre à
l'observateur les ossements de onzevers mille virginités, le plus grand]* LXXII,
«ombre qu'on en ait jamais vu sous une enveloppe de chair. Or, il n'y a rien qui fouette les esprits, qui fasse sur le sang l'effet
du cayenne dans les sauces, comme de courir ventre à terre...
LX11I. n'importe où, pourvu qu'on aille vite, et seulement pour le plaisir
Fuis il visita La Haye el Hclvoelsluys en Hollande, celle humide de courir ; car, moins on a de motifs dc sc presser, plus grand esl le
e
imiiie des canaux et des canards, où le genièvre parfume cette li- charme d'atteindre le but de tout voyage... qui esl de voyager.
'ineiir pétillante quitient lieu de richesses au pauvre. Les sénats et
lcs philosophes
, en ont condamné l'usage .. mais refuser au peuplec LXXIII.
l!'i cordial qui, souvent, est à lui seul lout le vêtement, le vivre Canterbury, ils virent la cathédrale.Le heaume du prince Noir
s
ett A
el la dalle rougic du sang de Beckct leur furent montrés, selon l'u-
''' Hircin (ils d'un pivsan courlandais et devenu favori de l'hnpéra-
,
sage, par ta bedeau, avec son air habituel de cérémonieuse indiffé-
,'"''•Aiiiic, ,pi-it, eu I73i>ï le nom el les armes des Biron de France. ;', runce... Voilà encore, ami lecteur, un exemple de ce qu'est la gloire,
210 LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

Tout vient aboutir à un casque rouillé, à des ossements mécon- tait la richesse du monde (richesse d'impôts et de papier). Les noirs
lai
naissables, à moitié dissous dans la soude et la magnésie, si bien nuages qui pesaient sur la ville, éteignant le soleil ainsi qu'on éteint
ni
qu'il ne reste plus dc l'humanité qu'une potion amèrc. ur chandelle, ne paraissaient à ses yeux qu'une atmosphère na-
une
turelle
tu extrêmement saine, bien que rarement claire.
LXXIV. ,
Naturellement ces reliques produisirentsur Juan un effet sublime: LXXXIV.
mille Crécy lui apparurent, quand il vil ce cimier qui ne s'était 11s'arrêta, et ainsi ferai-je, comme un vaisseau de guerre au mo-
abaissé que sous les coups du temps. 11 ne put contempler sans un ment
m de lâcher sa bordée. Tout à l'heure, mes chers compatriotes
religieux respect la tombe dc ce prêtre hardi qui périt en essayant nous
n< renouvellerons connaissance : j'essaierai alors de vous dire'
de dompter les rois: ces rois qui, aujourd'hui, du moins, sont tenus quelques
qi vérités qui, justement parce que ce sont des vérités, ne
de parler de lois avant d'égorger. La petite Leila regarda el demanda vous
vi paraîtront pas telles. Je serai pour vous ce que mistress Fry
pourquoi on avait élevé un pareil édifice. été pour les prisons; armé d'un balai bien moelleux, je.nettoieraia
et
V( salons et purgerai vos murs de quelques toiles d'araignée.
vos
LXXV.
Quand on lui apprit que c'était «la maison de Dieu,» elle dit LXXXV.
3u'il était fort bien logé; mais elle s'étonna qu'il souffrit dans sa O mistress Fry ! qu'allez-vous faire à Newgate ? A quoi bon ser-
emcure des infidèles, ces cruels Nazaréens qui avaient abattu ses monner
in de pauvres mécréants ? Pourquoi ne pas commencer par
saints temples au pays des vrais croyants... et son front enfantin Carlton-House (l) et quelques autres hôtels? Essayez votre savoir-
C
se voila d'un nuage de douleur à la pc* s':e que Mahomet eût pu faire sur le péché endurci et couronné. Réformer le peuple est une
fc
renoncer à une si noble mosquée, perle jetée aux pourceaux. absurdité,
a! un pur bavardage de philanthrope, si vous ne réformez
d'abord ses maîtres... Fi donc! je vous croyais plus de religion que
LXXVI. cela,
ci mistress Fry !
En avant ! en avant ! à travers ces prairies cultivées comme un LXXXVI.
jardin ce paradis de houblon el dc fruits magnifiques-, car, après Apprenez à ces sexagénaires la convenance dc leur âge; gué-
,
des années dc voyage dans des terres plus chaudes, mais moins fé- rissez-lesde
rj] la manie des voyages d'apparat ainsi que des costumes
condes, un champ de verdure esl pour lo poète un spectacle qui lui hongrois ou écossais. Dites-leur que la jeunesse une fois partie no
fait pardonner l'absence de ces sites plus sublimes qui réunissent à revient
r plus, que les vivat soudoyés ne réparent pas les malheurs
la fois vignes, oliviers, précipices, glaciers, volcans et orangers. d'un
<] pays; dites-leur que sir William Curtisest un ennuyeux per-
LXXVII. sonnage,
* trop stupide pour les plus slupides excès, Falslaff sans
esprit d'un Hal {%) grisonnant, un fou dont lés grelots sont muets.
El quand je pense à un pot dc bière., mais je. ne veux .pas m'at-
tendrir!... Fouettez donc, postillons!... Pendant que les hardis LXXXV1I.
garçons éperonnaient leurs chevaux qui dévoraient l'espace, Juan Dites-leur, quoiqu'il soil peut-être trop tard, que sur le déclin
admirait ces routes fréquentées par une population nombreuse et d'une
( vie usée, avec un corps ruiné, bouffi et blasé, viser vaine-
libre, le plus cher de' lous les pays, dans toutes les acceptions du ment
t à la grandeur, cela ne vaut pas la bonté; ajoutez que les
mot, pour l'étranger comme pour l'indigène, si l'on cn excepte meilleurs
i rois ont toujours vécu le plus simplement. Dites-leur,
quelques imbécillcsqui, en ce moment, regimbent contre l'aiguillon enfin...
( Mais vous ne direz rien, el j'ai assez babillé pour le mo-
cl n'attrapent pour leurs peines que de nouvelles piqûres. ment;
| bientôt, pourtant, je tonnerai comme le corde Roland au
LXXVHl. 'combat de Roncevaux.
Quellechose délicieuse qu'une route à barrières! elle est si douce,
si unie! on rase la terre comme l'aigle, étendant ses vastes ailes,
peut à peine raser les champs de l'espace. Si.dc pareils chemins CHANT XI.
eussent élé tracés du temps de Phaéthbn, le dieu de la lumière eût
dit à son fils dc satisfaire sa fantaisie en prenant la malle d'York...
Mais pendant qu'on avance, surgit amari aliquid (1)... le péage. I.
Quand l'évêque Berkeley disait : « La matière n'existe pas » (cl
LXXIX. il prouvait son dire)... la matière de son discours ne méritait guère
Hélas! combien tout paiement est douloureux t Prenez la vie des d'attention. On prétend qu'il serait impossible de réfuter son sys-

';'
hommes, prenez leurs femmes , prenez l'ont, hormis lçuï .bourse. tème; qu'il est trop subtil pour le cerveau humain le plus aérien;
Comme Machiavel le démontre aux gens vêtus dé pourpre, c'est lei et cependant qui peut y.ajouter foi? je réduirais en poudre toul
moyen le plus prompt de s'attirer des malédictions unanimes. Oni ce qui est matière, même la pierre, le plomb el le diamant, pour
bail un meurtrier beaucoup moins qu'un convoitcur de cet aimables prouver que le monde n'est qu'esprit; et je porterais encore ma tèle,
métal, que chacun aime tant à choyer. Egorgez la'famille d'uni loul cil niant que j'en aie une.
homme, el il pourra le pardonner; mais gardez-vous bien de porter ,
II.
la main à sa poche.
LXXX. Quelle sublime découverte que de faire du monde un moi uni-
versel et de soutenir que tout est idéal, que tout est nous-mêmes!
Ainsi disait le Florentin : monarques, écoulez votre précepteur. Je gage l'univers entier (quoi qu'il puisse être), qu'une pareille
Au moment où le jour commençait à décliner et à s'assombrir,'
Juan se trouva au sommet dc cette haute colline, qui plane avec or-" croyance n'a rien d'hérétique. O doute ! Si tu es le doute pour
lequel certaines gens te prennent, bien que moi-même j'en doute
gueil ou mépris sur la grande cilé. Si vous avez dans vos veinés fort ; ô seul prisme des rayons de la vérité, ne me gale point ma
une étincelle de l'esprit du cockney, souriez ou pleurez, selon que gorgée de spiritualisme, cette eou-de-vie du ciel, que toutefois no-
vous prenez les choses... Fiers Bretons, voici Sbooler's-Hill. tre têle ne supporte qu'avec peine.
LXXXI.
III.
Le soleil disparut ; la fumée s'éleva comme d'un volcan à demi De temps en temps arrive l'indigestion (qui n'est pas le plus svcllc
éteint, couvrant un espace qui mérite bien le nom de « salon dua Ariel); elle vient opposer à noire ambitieux essor une autre dilïï-
diable », que lui ont donné quelques-uns. Bien que ce ne fût pas làjtJj ' culte. Et qui après tout contrarie ma croyance à l'esprit, ces'
ville natale, et qu'il n'appartînt pas à celle race d'hommes, Juan ce
sa que.le regard de l'homme s'arrêter nulle part sans y aper-
éprouva un sentiment de vénération pour celte terre, mère de fils cevoir la confusion des ne peut
races, des sexes, de tous les êtres, des étoi-
vaillants qui ont égorgé la moitiédu monde et tenté d'effrayer l'autre. les même et cette merveilleuse énigme, le inonde, qui, au pis-aller,
LXXXII. est encore une magnifique méprise...
Un énorme amas de briques, de fumée, de navires, masse fan- le IV'
geuse et sombre, s'étendant à perle de vue; çà el là une voile se
jp S'il est l'oeuvre du hasard, cela est ainsi; et mieux encore, s'il f"'
montrant un instant au regard, pour se perdre dans une forêt de créé comme il est dit dans l'ancien texte... Dans la crainte d'arrivé
mâts; d'innombrablesclochers levant la tête au-dessus de leur dais
jg
à cette conclusion, nous ne dirons rien contre ce qui est écrit : lii6."
charbonneux; une gigantesque et sombre coupole, semblable à la la
des gens regardent cela commedangereux.Ils ont raison : notre vit
calotte d'un fou... voilà la ville de Londres. est trop courte pour discuter sur des points que personne ne pourri
LXXXIII. jamais résoudre, et que tout le monde doit voir un jour éclaircis-'
Mais Juan ne la vit pas ainsi. Dans chaque tourbillon de fumée,
B
un jour du moins tout le monde dormira tranquille.
il crut voir la magique vapeur d'un fourneau d'alchimiste d'où sor-
r-
1(1) Alors la résidence royale.dans le Henri IV de Shakespeare.
ti) Voici venir quelque chose d'amer. <i) Henri, prince de Galles,
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD RYRON. m
buscade. Ils l'avaient aperçu flânant derrière sa voiture ; et en
V. garçons avisés , pour aller en reconnaissance ils avaient profité de
Je ferai donc trêve à toulc discussion métaphysiquequi n'embrasse l'heure opportune où l'imprudent voyageur , attardé sur la route, à
pas un cercle déterminé : si je conviens que tout ce qui est est, moins qu'il sache manier une arme, se trouve exposé dans cette
[appelle cela parler clair et net au suprême degré. En vérité, île opulentene
à perdre la vie ainsi que ses culottes.
depuis peu, je suis devenu un peu phthisique : je n'en sais point la
XII.
cause... l'air peut-être; mais quand je souffre des accès de cette
maladie, je deviens beaucoupplus orthodoxe. Juan ne connaissait de la langue anglaise que le fameux shibbo-
letli : « God damn ! » encore l'avait-il entendu si rarement, qu'il le
VI. prenait quelquefois pour le « salam, » le « Dieu vous bénisse » du
La première attaque me prouva sur-le-champ l'existence de la pays. Et cette idée n'était pas trop absurde ; car moi, qui suis à moi-
Divinité (ce dont je n'ai jamajS"d«»lé,non plus que du diable); la tié anglais (pour mon malheur),je puis dire n'avoir jamais entendu
«coude, la mystique virgiiiHé<5flMàneNatroisième,l'oriciue com- un de mes compatriotessouhaitera quelqu'un la protectionduciel,
munément assignée au/<V si ce n est cn ces termes.
niai ; la quatrième établit^
toute la Trinité sur uneT
XIII.
base tellement inconlcj*^: Néanmoins, il comprit
table, que je souhaitai diC^ aussitôt le geste, et com-
votement que lestrois fusv:?" me il était tant soit peu
seul quatre,à Feffetd'èlreX^ prompt et emporté, il tira
encore meilleur croyant. • un pistolet de dessous sa
veste,et le déchargeadans
VII. le ventre d'un des assail-
A notre sujet.L'homme lants Celui-citomba,
qui du haut dc FAcropo- comme un boeuf sc roule
lis a contempléFAltiquc ; dans son pâturage : et pa-
celui qui a côtoyé le riva- taugeant dans sa fange
ge où s'élève la pittores- natale, il beugla à son ca-
que Conslantinople,qui a marade ou subordonné le
ru Tombouctou , ou pris plus proche: « O Jack! me
du thé dans la métropole voilà expédié par ce san-
de porcelainedc la Chine guinaire Français ! »
aux petits yeux, ou qui
s'est assis parmi les rui nés XIV.
de briques dc Ninive, ce- Sur quoi Jack et les
lui-là pourra bien ne pas siensdécampèrcntauplus
concevoir au premier a- vite, et les gens de notre
bord une grande idée dc héros, éparpillés à quel-
Londres... mais à un an que distance, accouru-
de là, demandez-lui ce rent, tout surpris dc ce
qu'il en pense. qui venait d'arriver el of-
frant comme de coutu-
VIII. ,
me, leur tardive assistan-
Don Juan était arrivé ce. Juàn, voyant le ci-de-
au sommet de Shooler's- vant « favori dc la lune »
II il L : heure du jour, le saigner si abondamment
coucher du soleil ; lieu dc que la vie semblaits'écou-
la scène, la hauteur d'où lerdcsesveines, demanda
l'on découvre cette vallée desbandagcscldclachnr-
du bien et du mal, où les pie, et regretta d'avoir élé
viiesdelaville fermentent si prompt à lâcher la dé-
en pleine activité. Autour lente.
de lui, lout était calme el XV.
silencieux ; il n'entendait «Peut-être, pensa-l-il.
quelcbruitdcsrouestour- est-ce la coutumedu pays
nant sur leur axe, et ce d'accueillirainsi les étran-
bourdonnement sembla- gers : je me rappellemême
ble à celui des abeilles, avoir vu des aubergistes
ce murmure confus, pé- qui cn agissentde même,
tillement d'écume qui sauf qu'ils vous volent a-
s'exhale au-dessus des vil- vec un profond salut, au
les en ébullilion. lieu d'une épée nue et
Le climat était trop froid, dirent les docteurs. d'un air farouche. Mais
IX. que faire? Je ne puis lais-
f>on Juan, dis-je, ab- ser cet homme expirant
sorbé dans sa contempla- sur la route. Relevez-le
lion, suivait à pied sa voi- donc, je vous aiderai à le
lure au sommetde la col- porter. »
une; et plein u admiration pour un peuple aussi grand il donnait XVI.
carrière au sentiment qu'il ne pouvait comprimer. « Ici, donc, s'é-
criail-il, la liberté a établi soh empire ; ici retentit la voix du peu- Mais avant qu'ils pussent remplir ce pieux office, le mourant s'é-
ple ; les tortures, les prisons l'inquisition peuvent l'étouffer ; cria : « Laissez-moi ! j'ai mon affaire. Oh 1 un verre de genièvre!
, populaire, , ne Nous avons manqué noire coup : qu'on me laisse mourir où je
elle ressuscite à chaque réunion à chaque nouvelle élec- suis! » Cependant l'aliment de la vie manquait au coeur; le sang
tion.
X. ne tombait plus que par gouttes épaisses et noires, et ta respiration
était pénible. Il détacha une cravate de son cou gonflé, et cn dé-
« Ici sont des épouses chastes, des existencespures ; ici l'on ne paie criant : « Donnez ceci à Sally! » il mourut.
lue ce qu'on veut ; et si les choses y sont chères, c'est que chacun
Hune à jeter l'argent par les fenêtres pour monlrcr l'importance de
son revenu. Ici les lois sont inviolables; nul ne tend des embûches XVII.
•m voyageur ; toutes les routes sont sûres. Ici...
» Il fut inlerrom- Le mouchoir teint de sang tomba aux pieds de don Juan : • il ne
l'u par la vue d'un couteau, accompagné d'un
: « Damn your
comprenait guère pourquoi cet objet lui était ainsi jeté, ni ce que
v'jes! la bourse ou la vie ! » signifiait l'adieu du brigand. Le pauvre Tom avait été par la ville
XI. un élégant escroc, un roué fini, un vrai fendant, un éclabousseur,
Ces accentsd'hommelibre provenaient de quatre coquins un petit-maître,jusqu'au moment où les caries ayant tourné contre
en em- lui, il s'était vu mettre à sec d'abord les poches puis les veines.
l'Aïus. — Iui|i. LACOVH el C*, ruu Sonfdol, m. 16
242 LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

éclairé;
éc et quand ils le devinrent... à la corde de leurs lanternes, nu
XVIII. li' de réverbères, ils attachèrentles traîtres.
lieu
Noire voyageur, ayant fait de son mieux dans celle occurrence, XXVII.
aussitôt que l'enquête du coroner le lui permit, poursuivit tran-
quillement sa route vers la capitale, trouvant un peu dur qu'en Une file d'aristocrates, ainsi suspendus le long des rues, peut
douze heures el sur un trajet forl court, il eût élé obligé pour sa dé- illuminer
il le genre humain, comme aussi les châteaux convertis en
fensc de tuer un homme libre : ceci lui donna un lieu à songer. feux
fc de joie; mais les gens à vue basse préfèrent l'ancienne façon ;
l'autre
F ressemble à du phosphore sur un linceul, véritable feu follet
XIX. q inquiète et fail peur, mais qui n'est point assez paisible.
qui
Le personnageainsi envoyé dans l'antre monde avait fail du bruit XXVIII.
dans son temps. Qui dans une échauiïburéc savait mieux que Tom
mettre le feu aux éloupes? Qui savait plus à propos se retirer dans Londres est tellement bien éclairé, que si Diogène se remettait ù
la cambu.-c ou sc faufiler au poulailler, enfoncer un gonsc à la bai hc chercher
c son honnête homme, el ne le trouvait pas dans les races i|j.
delà rousse, ou travaillersur le grand trimai* ? Qui dans une noce, verses
v qui peuplent celle cité colossale, ce ne serait pas faute di>
avec Sally aux yeux noirs, était mieux ficelé, plus chouette el fui- lanternes.
I: J'ai fait ce que j'ai pu, pendant le voyage de la vie, pour
sait mieux son esbrouffe (l)? trouver ce trésor inconnu ; mais cn fait d'honnêtes gens je ne vois
li
XX. partout
P que des procureurs.
Mais Tom n'est plus... ne parlons plus de Tom. 11 faut que les XXIX.
héros meurent; et par une bénédiction du ciel, la plupart d'entre eux Sur le pavé retentissant, remontant Pall-Mall à travers les voi-
gagnent de bonne heure le dernier gtte. Salut, Tamise! salut ! Sur tures
( cl la foule, qui commençait pourtant a s'éclnircir, a celte
tes bords le char de don Juan roule avec fracas, en suivant une |heure où le marteau tonnant rompt le long silence dos portes 1er-
roule où il n'esl guère possible de s'.égarer, à travers Kenninglon niées
, aux créanciers, cl où la table du dîner reçoit à l'entrée de l,i
et plusieursautres lieux en Ion, qui noug fonl désirer d'arriver cn- unit
, une société choisie... don Juan, noire jeunepéeheurdiplomate,
fin à ta véritable toit'» (2)... poursuivit
, sa route cl passa devanl quelques palais, devant celui de
XXI. iSaint-James el les maisons de jeu de ce quartier.
A travers des grooes ou bosquets, ainsi nommés parce qu'ilssont
dépourvus d'arbres (comme tucus dc l'absence de lumière); des sites XXX.
appelés Mounl-Pleasant,par la raison qu'ils n'offrent rien qui soil ca- On arrive enfin ù l'hôtel. De la porte d'entrée débouche une nuée
pable de plaire cl fort peu de chose iiuo l'on doive gravir; dc petites de
i valets cn somptueuse livrée; toul autour se range, ta l'unie, y
boîtes de briques qui semblent destinées à recevoir la poussière, avec compris,
i comme d'usage, quelques douzaines de ces pédestres nym-
l'inscription « à louer » sur chaque porte; des rows modestement phes dc Pnpbos qui abondent dans les rues dc la [indique Londres,
appelés Paradis (3), et. qu'Evccûlquitléasans beaucoup de regret... dès
> que le jour a fait place à la nuil ; chose commode mais im-
morale, que l'on juge, comme Mnllhus, apte à propager le goût du
XXII. mariage... Mais voici don Juan qui descend dc voilure.
A travers des voitures, des charrettes, des barrières encombrées,
tourbillon de mugissoincnl do voix, une confusion gé- XXXI.
un roues, un
nérale ; ici des tavernes vous invitant à prendre une pinte de bière Il cnlrc dans un des séjours les plus confortables, surtout pour
d'absinthe, là des malles-postes ruyant avec la vitesse d'une illu- les étrangers, el spécialement pour ces enfants de In faveur ou de
sion ; des barbiers étalant aux fenêtresdo leur boutique des têtes dé la fortune, qui ne se plaignent jamais des pelils item d'un mémoire.
bois chargées de perruques; l'allumeur dc lanternes versant lente- Dans cet antre, où viennent expirer cent roueries diplomatique-.,
ment son huile dans le récipient du sa lampe vacillante (car à celte habile maint envoyé jusqu'au jour où il établit sa résidence dans
époque, nous n'en étions pus eneoro au gaz)... quelque square opulent et fuit blasonncr son nom sur la porte en
lot 1res de bronze.
XXIII. XXXII.
C'est à travers tous ces obstacles et bien d'autres encore que le Juan, dont la mission était délicate et fondée sur des relations
voyageur s'approche de la puissante Bubylonc, Qu'il soil à cheval, privées bien que d'intérêt public, ne portait aucun lilre qui |>ùl
en chaise de poste ou cn carrosse, toutes les roules se ressemblent, trahir son but précis. On savait seulement que, chargé d'une négo-
à peu d'exceptions près. Je pourrais m'étandre davantage ; mais je ciation secrète, venait dc débarquer sur nos rivages un étranger de
ne veux pas empiéter sur les privilèges du Guide du voyageur. Le1 distinction jeune, beau, accompli, et qui passait (njoutail-on loul
soleil élait couché depuis quelque temps ol le crépuscule touchait à1 ,
bas) pour avoir tourné la tôle à sa souveraine.
la nuit, quand nos gens traversèrentle pont.
XXXI11.
XXIV. En outre, le bruit do certaines aventures étranges, dc ses comlials
11 y a quelque chose de doux à l'oreille dans le murmure de la1 et de ses amours l'avait précédé; et comiiie les tètes romantique;
Tamise, qui revendique un instant l'honneur dû à son onde, bien1 sonldcs peinlresoxpédilifs, surloulcellesdesAnglaises,qui volonlier?
que sa voix s'entende à peine nu milieu dos jurements multipliés. se donnent carrière et franchissent les limites de la saine raison,
L'éclairage régulier et brillnnl de Westminster, la largeur des trot- Juan sc trouva loul-â-fait à la mode: ce qui chez des êtres pens.inls
toirs el celle basilique que hante le spectre dc la gloire... (ta gloire3 tient lieu de passion.
elle-même, sous l'image dc la lune, illumine l'édifice de ses pâles3 XXXIV.
rayons...) lout cela fait de'celte partie de l'iled'Albion une sorte de3 Je ne veux pas dire que l'on soil pour cela sans passion , hion
lieu consacré.
XXV. au contraire; seulement elle est dans la lèlc ; niais comme les <'»ii-
séquenecs en soûl aussi brillantes que si le couir agissait, que fail.
Les forêts des Druides ont disparu... tant mieux. Slone-llcnge
e après loul, le siège des méditations féminines? Pourvu qu'"11
n'est pas un monument de celte époque... mais alors que diablea arrive sûrement au but, il n'importe que ce soit par le chemin
Slone-llcnge peut-il être? lîedlam existe encore avec ses chaîness de ta lèlc ou par celui du coeur.
prudentes, afin que les fous ne mordent pas ceux qui les visitent;é
le banc du roi condamne plus d'un débiteur; Mansion-House XXXV.
aussi (bien que certaines gens cn raillent) me semble à moi un édi- Juan présenta, en main propre cl à qui de droit, ses lettres'le
fice un peu lourd mais grandiose ; mais l'abbaye dc Westminsterr créance russes, et fut reçu avec toutes les démonstrations ublig.'*'
vaut à elle seule lout le reste. par ceux qui gouvernent au mode impératif, lesquels, voyant un
XXVI. adolescent au doux visage, pensèrent (ce qui dans les affaires d'Hln'
La file de lumières qui s'étend vers Charing-Cross, Pall-Mall et\. t esl l'essentiel, qu'ils mouraient dedans ce beau jeune homme,
plus loin encore, jette un éclat éblouissant: ce serait comparer l'or comme on voit le faucon lier le chantre du bocage.
à la bouc que de mettre cel éclairage en parallèle avec celui dess XXXVI.
villes du continent, quand la nuit dédaigne dc leur prêter d'autres 'S
En quoi ils se trompaient, chose ordinaire aux vieillards. Mais
'
. plu
i 3
feux. Acclte époque, les Français n'étaient point encore un peuple c
tard nous reparleronsdc cela, ou si nous n'en parlons pas, ce sera
parce que nous avons une pauvre idée des hommes d'lil al cl u«
cepcndai»
(1) La stanco originale est cn argot anglais, te traducteur a cherché îles
|s leur double visage : gens qui vivent de mensonge et
équivalents que tout le momie comprendra, vu les progrès récents de la n'osent poini mentir hardiment... au contraire. Ce que j'aime daij*
langue et de la civilisation. les femmes, c'est que, ne voulant ou ne pouvant faire nuire eli;*1-
(2) Town, la ville, Londres. cst
(3) l'aradise rou- (littéralement,rangée de maisons), nom d'une rue
io que mentir, elles s'en acquill *nl si bien, que la vérité même u
dc Londres. que mensonge auprès dc leurs paroles.
OEUVRES COMPLETES DE LORD BYRON. 2W

snecter un certain décorum , el double en lout cas l'horreur du pc-


sn
XXXVII. clié... et qui pis est les embarras.
cli
El après loul, qu'est-cequ'un mensonge? la vérilésous le masque : XLVII.
1 je défie historiens,héros, légistes, prêtres, d'articuler un fail pur Mais Juan étaitbachelier... ès-aris, es-coeurs: il dansait, chantait,
e tout mensonge. L'ombre seule de la vérité vraie ferait
disparaî-
avail un air aussi sentimental que la plus suave mélodie de Mozart.
re annales, révélations, poésie el prophéties... à moins que j.
Il était gai ou triste à propos, sans boutades ni caprices ; et quoi-
elles ci n'eussent une date antérieure de quelques années aux
événements annoncés. q :c jeune, il avait vu le monde... spectacle curieux, bien différent
j
de ce qu'on en écrit.
XXXVIII. XLVIII.
Loués soient tous les menteurs et tous les mensonges!Qui pourrait
iiaintcnant taxer de misanthropie ma muse complaisante? Elle sa vue, les vierges rougirent; les joues des dames mariées se
A
couvrirentd'un incarnat moins fugitif: car le fard el les visages
c(
m ton ne le Te.Deum pour ta mondeentier, et son front rougil pour fardés
p(l sont deux objets qu'on trouve sur les bords de la Tamise. La
•eux qui ne rougissent plus... Mais il ne sert ù rien de gémir: in- jeunesse
:c et la cérusc firent valoir sur son coeur leurs droits accou-
rliuons-nous comme les autres, baisons les mains, les pieds ou tumés,
(, ces droits qu'un homme comme il faut ne peut jamais mé-
[ouïe autre partie du corps dc Lurs majestés, d'après l'excellent connaître
exemple do la « verte Erin,» dont le trèfle me paraît un peu flétri. Cl : les filles admirèrent sa toilette ; les pieuses mamans s'in-
formèrent de ses revenus et demandèrent s'il était fils unique.
r(

XXXIX. XL1X.
Don Juan fut présenté: son costume cl sa bonne mine excitèrent Les marchandesde modes qui fournissent les « misses à drape-
l'admiration générale... je ne sais lequel des deux fut le plus ad- rie
r n (t) pendant toute la saison, à condition d'être payées avant
miré. Ce qu'on remarqua beaucoup aussi, ce fut un diamant nions- que
q les derniers baisers de la lune de miel se soient évanouis dans
Iriieux dont Catherine, comme l'apprit le public, lui avait fait ca- l'éclat
y du croissant, regardèrent cette initiation d'un riche étranger
dans un moment d'ivresse (fermentationardente d'amour ou
di'iui comme
c une occasion à saisir, cl donnèrent une telle extension à
d'alcool}... et à vrai dire, il l'avait bien gagné. leur crédit que plus lard maint époux cul à gémir... cl à payer.
[i

XL. L.
Outre les ministres et leurs subalternes, tenus d'être courtois Les bleues, cette tribu d'âmes tendres qu'un sonnet fait soupirer
envers les diplomates accrédités par tes souverains qui branlent «i qui garnissent des pages de la dernière revue l'intérieur de
el
iliins le manche, tant que leur royale énigme n'esl pus mise au clair, [leur têle et de. leurs chapeaux, s'avancèrent dans tout l'éclat de
les commis eiix-inènies, ces sales ruisseaux de l'hôtel ministériel jleur
azur. Elles estropièrent le français et l'espagnol, firent à Juan
iloiit l'infecte corruption fait des rivières, furent à peine assez im- t ou deux questions sur les nouveautéslittéraires de son pays,
une
polis pour leurs appointements. voulurent savoir, du russe ou du castillan, quelle élait la langue la
i
plus douce, et si, dans ses voyages, il avait vu llion.
XLI. -
Car nul doute qu'ils ne soient payés pour être insolents, vu que LI.
telle esl leur occupation journalière dans les coûteux départements Juan, homme un peu superficiel et qui cn littérature n'était pas
de la paix ou de la guerre. En doutez-vous? demandez à votre toujours
| prêt à ferrailler, se voyant interrogé par ce docte jury do
voisin si, lorsqu'il s'est présen té (corvée assommante) pour un passe- matrones,
i ne savait trop que répondre. Ses travauxguerriers, amou-
|iiirloii pour toute autre entrave à la liberté, il n'a pas trouvé dans reux
j ou officiels, son application toute particulière à la danse
cette race de mangeursde budgets, dc chiens couchantsdu ministère, l'avaient
| tenu éloigné des rives de l'Hippocrône, qui maintenant lui
les plus incivils des drôles. paraissaientbleues, de vertes qu'il les croyait.
I
XL1I.
Mais Juan fut accueilli « avec beaucoup d'empressement;» je LU.
suis forcé d'emprunter culte expression raffinée à nos proches voi- Toutefois il répondit au hasard avec une confiance modeste el
sins chez lesquels il existe une marche toute tracée, comme celle une calme assurance, quMircnl prendre ses dires pour de savantes
du jeu d'échecs, dans la joie comme dans la douleur, non-seule- élucubralions
' el des arguments de bon aloi. Une femme prodige,
ment pour la parole mais aussi pour la plume. L'insulaire semble miss Araminte Smith qui à seize ans avait traduit « l'Hercule fu-
,
plus franc el plus ouvert que l'homme du continent... comme si la rieux, » cl ce d'un furieux style, lui faisant le meilleur visage pos-
marée (exemple, le marché nu poisson) rendait même la langueplus sible, nota les réponsesde Juan dans son album.
libre.
XL1II. LUI.
Kl pourtant i! y a dans le damn me dos Anglais quelque chose Juan, comme dc raison, savait plusieurslangues; et il s'en servait
il'altiquc: vos jurons continentaux sont lous incontinents et adroitement pour sauver sa réputation auprès de ces beautéslettrées,
mil Irait ;'i des objets qu'aucune bouche aristocratique ne voudrait
qui regrettaient néanmoins qu'il ne fil pris de vers. Il ne lui man-
«'minier. Aussi moi-même je me tairai sur ce sujet, vu que je ne
quait auprès d'elles que ce talent pour l'élever jusqu'au sublime:
l'iéiends ni coiumvtlrc un schisme cn politesse, ni articuler des Lady Kilz-Frisky cl miss Maivia îMannish brûlaient toutes deux do
sous incongrus... mais Damn me, bien qu'un peu hardi, a je ne
l'entendre chanter en espagnol.
Msquui d'élhéré... c'esl le plate,tisme du blasphème, la quintes- LIV.
sence du juron. En somme, il réussit assez bien, et fut admis connue aspirant
XL1V. dans toutes les coteries, aux grandes assemblées comme cn petit
"ourla grossière franchise, l'Anglais peul rester chez lui : pour comité; cl là il vit passer devant lui, comme dans le miroir dc F.in-
la mi'iiesse,
vraie ou fausse (et la première commence ù se fairei quo, les dix mille auteurs vivants, tel étant à peu près leur nombre,
'•re,, il féru bien de traverser la profondeur des flols azurés cl lai el aussi les quatre-vingts « premiers poètes de l'époque, » attendu
iii'iuclib écume, l'une emblème parfois dc ce qu'il quitte, l'autre: qu'il n'est pas de cbélive revue qui ne puisse montrer le sien.
Millième presque certain de ce qu'il va trouver. Toutefois ce n'esti
l'as le moment de bavarder sur des généralités: les poèmes doivent [ LV.
se renfermer dans leur unilé, comme le mien par exemple. Tous les dix ans, le premier poète de l'époque, comme le cham-
XLV. pion du pugilat, est obligé de soutenir son litre, bien que ce soil
chose imaginaire. Moi-même, entièrementà mon insu, et sans avoir
Ilans le grand monde (c'est-à-dire dans le plus mauvais et le plus5 ambitionné le rang de roi des fous... j'ai longtemps passé pour le
••«•idciilnl desquartiers ile la ville, là où résident environ quatre grand Napoléon de l'empire de la rime.
aille individus élevés, non dc manière à se montrer plus sages ouJ
Plus spirituels que te reste, mais LV1.
pour rester debout quand less
mitres sonl au lil et pour prendre l'humanité en pitié) ; dans cee Mais Juan a été mon Moscou, Falicro mon Leipsick, et Caïn sem-
monde-là, Juan, cn sa qualité dc patricien de vieille souche, futt ble devoir être mon Waterloo. La Belle Alliance des fats, qui était
"'ci' accueilli par 'es personnes distinguées. tombée à zéro, peut sc relever mainlenant que ta lion esl abattu ;
niais je tomberai du moins comme est tombé le héros. Je ne veux
XLYI.
11 était
pas régner du toul ou je veux régner en monarque, et je mourrai
garçon, circonstanceimportante aux yeux des demoiselles captif dans quelque île solitaire : là j'aurai pour tourne clefs pour
*-' desdames: cela flatte les espérance;' matrimonialesdes premiô-s lludson-Lowe, Southey, ce grand tourne-casaque. ,
'ps; et pour les autres (à moins que l'amour ou la fierté
ne les rc-
'Çiineni), la chose n'est point non plus sans importance. Une in-
''guo est une épine dans le flanc d'un galant marié; elle doit (!) firapery misses, expression lout anglaise qui avait cours, ainsi que la
re spéculation qu'elle expri-n-*, ne 1811 à ISlâ.
2M. LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTREES.

C'est
C alors que brillent les réverbères, que tourbillonnent les roues
LVII. alors
al à travers rues et squares, volent et résonnent les carrosses'•
Avant moi sir Walter-Scott ; Moore et Campbell avant et après! vrais météores attelés ; alors sur le parquet la craie imite la pein!
J"
mais maintenant, transformées en saintes, les muses sonl tenues ture; les guirlandes sc déploient sur les lambris; les tonnerres de
j*
d'errer sur la montagne de Sion avec des poètes ecclésiastiques ou bronze ébranlent les portes, qui s'ouvrent pour un millier de per-
sonnes, le petit nombre des élus de ce paradis terrestre d'or moulu.
peu s'en faut : le pas de Pégase est devenu un amble psalmodique 8I

sous le révérend Howlev ; et ce vieux Pistolet (1) moderne (du moins LXVII.
par la crosse) a donne des éebasses à sa glorieuse monture.
Là se tient la noble hôtesse; elle ne cède point après trois mille
LVIII. révérences.
r La valse, la seule danse qui ouvre l'intelligence des jeu-
Il y a encore l'aimable Eupbuèsqui, dit-on, s'annonce comme r filles, a son trône dans ce sanctuaire et y fait adorer jusqu'à sCs
nes
étant mon Sosie moral (2) ; peut-être trouvera-t-il un jour quelque défauts.
à Salon, chambre, grande salle, tout est plein, toul déborde
difficulté à soutenir à la fois ces deux caractères ou l'un des deux e les derniers venus font queue sur l'escalier avec les royales al-
et
seulement. 11 en est qui décernent le sceptre à 'Coleridge; Words- ttesses, chacun gagnant un pouce de terrain à la fois.
worlh a ses partisans, au nombre de deux ou trois; et Savage Lan-
dor, un béotien braillard, n'a-t-il pas pris pour un cygne ce mé- LXVIII.
chant oison qu'on appelle Soulhey? Trois fois heureux celui qui, après avoir jeté un coup d'oeil
sur
s celle belle compagnie,pcut.s'emparcr d'un coin, d'une porte en
LIX. dedans,
< ou d'un boudoir au-dehors.Là, s'inslallant comme un petit
John Keats, tué par la critique au moment où il promettait quel- 1Trilby, il peut tout contempler en homme triste, moqueur, approba-

que chose de grand sinon d'intelligible, avait, sans grec, réussi de- teur
I ou simple spectateur, bâillant quand la nuit s'avance.
puis peu à parler des dieux commeon peut supposer qu'ils auraient
parlé eux-mêmes. Pauvre garçon 1 il fut bien trisle son destin. Chose LXIX.
étrange que l'intelligence! particule ignée qui sc laisse éteindre par Mais celui qui, comme don Juan a pris un rôle actif, doit navi-
un article de journal. guer
I avec précaution au milieu dc ,celle mer étincelante de pierre-
LX. ries,
i de plumes, dc perles et de soie, jusqu'à l'endroit où sa plaee
Elle esl longue la liste des vivants et des morls qui aspirent à ce est
!
marquée: tantôt s'allanguissanl à la suave harmonie d'une valse,
but qu'aucun n'atteindra... Nul du moins ne connaîtra enfin le tantôt d'un pas plus fier et d'un jarret digne de Mercure, se signa-
vainqueur; car avant que le temps ait rendu son dernier arrêt, lant où la Science elle-même a formé son quadrille.
l'herbe croîtra au-dessus de leurs cerveauxconsuméset dc leurs cen- LXX.
dres froides. Autant que j'en puis juger, leurs chances ne sont pas S'il ne danse pas, cl qu'il ail des vues plus hautes sur une riche
grandes... ils sont trop nombreux, comme ces trente tyrans pos- héritière ou sur la femme de son voisin, qu'il n'ait garde de laisser
tiches dont Rome dégénérée a vu salir ses annales.
percer trop clairement ses intentions. Plus d'un galant trop pressé
LXI. s'est repenti de sa précipitation: l'impatience esl un guide tompeur,
Nous en sommes au fias-Empire littéraire : ce sonl les bandes parmi des gens éminemment réfléchis et qui mettent do la circon-
prétoriennes qui gouvernent. Terrible métier, pareil à celui de spection jusque dans leurs folies.
l'hommequi, suspendu aux rochers à pic, recueille la crisle marine 1 LXXI.
terrible métier que d'être réduit à caresser et à flatter une solda- Mais tâchez de vous placer à côlé d'elle à souper; ou si vous
tesque insolente. Pour moi, si j'étais en Angleterre et cn verve sati- ,
rique, j'essaierais de mesurer mes forces contre ces janissaires et avez été prévenu, mettez-vous en face et jouez de la prunelle... 0
de leur montrer ce que c'est qu'une lutte intellectuelle. moments d'ambroisie I dont l'idée envahit toute l'intelligence : sorte
dc lutin sentimental que la mémoire porte incessammenten croupe;
LXII. ombre des plaisirs d'autrefois, maintenant évanouis I Des âmes ten-
Je me flatte de connaître un coup ou deux qui les forceraient à dres ont peine à redire quel flux et reflux d'espérances et de crain-
découvrir leur flanc... Mais je ne veux pas perdre mon temps à tes peut soulever un seul bal.
m'occuper d'aussi menu fretin : au fond, je n'ai pas la bile néces- LXXII.
saire ; mon caractèren'est point porté à la rigueur, et le témoignage Mais ces avis prudents ne s'adressent qu'au commun des mortels,
le plus fort du mécontentement de ma muse est un sourire; puis tenus d'être dans leurs poursuites circonspects et vigilants, car un
elle lire une courte révérence à la mode, et s'éloigne bien certaine mot de trop ou de inoins peut bouleverser tous leurs plans. Je ne
de n'avoir fail aucun mal. parle pas au petit nombre ou au grand nombre (car la dose quel-
LXII1. quefois varie) de ceux à qui leur bonne mine, surtout quand elle esl
Mon Juan, que j'ai laissé en grand péril, au milieu des poètes du nouvelle, leur célébrité, leur réputation d'esprit, dc valeur, de raison
jour et des bas-bleus, traversa, non sans quelque profit, ce champ> ou de déraison, donnent licence de faire ce qu'il leur plaît.
si stérile. Fatigué à temps, il s'éloigna, avant d'avoir été trop mal-
traité, d'un théâtre où il n'était ni le moindre ni le dernier ; alors ili LXXIH.
s'éleva dans une sphère plus gaie et prit place parmi les hautes in- Notre héros, en sa qualité dc héros, jeune, beau, noble, riche,
telligences de l'époque cn vrai fils du soleil, non comme une vapeur, célèbre el de plus étranger, dut, comme tout autre captif, payer s:i
mais comme un rayon. rançon avant d'échapper aux nombreux dangers qui assiègent un
LX1V. honime en vue. En fait de fléaux et d'ennuis, quelques personnes
Il consacrait sa matinée aux affaires... et disséquées, ce n'étaient, citent la poésie, une maison en désarroi, la laideur, la maladie : je
comme toutes les affaires, que des riens laborieuxqui engendrent lui
, voudrais que ces gens-là connussent la vie de nos lords en herbe.
lassilude, ce vêtement empoisonnéqui pèse sur nous comme la tu-[
nique dc Nessus, nous étend épuisés sur notre sopha, et nous fail LXX IV.
parler avec une languissante horreur de notre dégoût pour touteB Ils sont jeunes, mais n'ont point dc jeunesse... ils l'ont devancée;
espèce de travail, s'il ne s'agissait du bien de la patrie... laquelle2 beaux mais usés, riches sans un sou, leur vigueur se dissipe au
n'en va pas mieux pour cela, quoiqu'il cn soit grandement temps. hasard. Un juif leur avance des fonds et leur fortune va tout en-
tière à un juif. L'un et l'autre sénat voient leurs votes nocturnes
LXV. partagés entre les suppôts d'un tyran et la bande d'un tribun ; ci
Ses après-midi se passaient cn visites, en collations, à flâner, àa quand ils ont bien voté, dîné, bu, joué et paillarde, le caveau delà
boxer ; et vers le soir il montait à cheval pour faire le tour de cess famille s'ouvre pour recevoir un lord de plus.
caisses végétales que l'on appelle « parcs » et qui ne contiennent LXXV.
pas assez de fruits ou de fleurs pour le repas d'une abeille ; maiss
après tout, ces bosquets, comme dit Moore, sont le seul endroit oùù « Ou est le inonde ! » s'écriait Young à l'âge de quatre-vingts
la beauté fashionable puisse faire connaissance avec le grand air. ans... « Où est le monde au milieu duquel je suis né? » Hélas! où
est le monde d'il y a huit ans? Il était là... je le cherche... il a dis-
LXVI. paru, comme un globe de verre brisé, réduit en poudre, évanoui,
Puis vient la toilette, puis le dîner ; puis le beau monde s'éveille! invisible. Hommesd'Elat,capitaines, orateurs,reines,patriotes, rois
et dandies... tout est parti sur l'aile des vents.
(1) Pislol est un personnage comique du Henri IV de ShakespeareS; LXXVI.
quant à Rowley, peut-être faut-it reconnaître ici Chatterton qui, sous lec. Où esl Napoléon-le-Grand? Dieu le sait. Où est Castlercagh-h1-
pseudonyme dc ce vieux moine, a publié des poésies anglo-saxonnes.
2) M. Kryan, auteur d'esquisses dramatiquespubliées sous le nom de le Petit? Demandez-le au diable. Où sontGraltan, Curran, Sheridan.
llarrv Coruwall, a été qualifié par un critique de Byron moral. tous ceux qui enchaînaient le barreau ou le sénat à la magie de
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD RYRON. 2*5

,,„! parole? Où est la malheureuse reine avec toutes ses douleurs? LXXXVI.
l)fi est sa fille,bien-aimée de
la nos îles ? Où sont les saints mar-
les cinq pour cent? Et où... oui, où diable sont les fermages? Comment faire pour raconter dans les chants suivants ce qui
ias
J "' advint à mon héros, au sein dc ce pays faussement prôné comme
ai
LXXVII. éminemment
é moral ?... Mais je m'arrête, car il ne me convient pas
Où estDrummel?...Enfoncé.Où est Long-Pole Wellesley?... Des-
d'écrire
d une atlantide (1) ; mais il serait bon de convenir une fois
ociidu. Où sonl Whitbread,Romilly, Georges III... et le testament de pour toutes, mes chers compatriotes,que vous n'êtes point une na-
P.
cedernier (qui neserapas de sitôt déchiffré)? Puis où est GeordylV, * morale : vous le savez sans l'avis d'un poète trop sincère.
tion
n0ne paon impérial? Il est allé en Ecosse, se faire jouer sur le LXXXVII.
violon l'air : « Gratte-moi,je te gratterai.» Voilà six mois que se pré- Ce que Juan vit et ce qui lui arriva, je le dirai plus tard, sans
parc cette scène de royal prurit et de
chatouillementroyaliste.
sortir bien entendu des limites imposées par la décence. N'oubliez
LXXVIII. pas
P d'ailleurs que cet ouvrage est une pure fiction, et qu'il n'y est
question
^ ni de moi ni des miens, ce qui n'empècbera pas maint
Où est mylord un tel? et mylady une telle? et les honorables scribe de découvrir, dans les moindres tournures dc phrase , des
mislresses et misses?... Quelques-unes mises à la réforme comme allusions
a auxquellesje n'ai jamais songé. Ne douiez cependant pas
un vieux chapeau d'opéra, mariées, démariées, remariées. Où sont ^d'une chose : quand je veux parler, je n'insinue pas, je nomme.
les acclamations de Dublin... et les sifflets de Londres? Où sont les
Grenville?... Girouettes, comme de coutume... Et nos amis les LXXXVIII.
whigs? Au point juste où ils en étaient. Si Juan épousa la troisième ou la quatrième fille de quelque pru-
LXXIX. dente
\ comtesse en quête de maris, ou si choisissant quelque vierge
mieux douée (à savoir des faveurs matrimonialesde la fortune) , il
Où sont les lady Caroline el Frances?... Divorcées ou plaidant s mil à travailler régulièrement à la population du globe, dont
se
pour l'être. Brillantesannales, où l'on trouve la liste des raoûls et notre
i légitime et redoutable hymen est la source... ou s'il se vit
des bals... Morning-Posl,seul mémorialdes panneaux brisésdc nos attaqué
; en justice pour avoir trop disséminé ses hommages...
équipages et de toutes les fantaisies de la mode... dites-nous quelles
ondes remplissentaujourd'hui ces canaux. Les uns meurent, d'au- LXXXIX.
tres s'échappent; quelques-uns languissent sur le continent, parce C'esl ce que le temps nous dévoilera. Tel que tu es, pars, ô
que la rigueur du temps leur a laissé à peine un seul tenancier. imon poème! Je gage ton contenu, contre la même quantité de vers,
!que lu seras attaqué autant qu'ouvrage sublime le
fut jamais, par
LXXX. Iceux qui se plaisent à dire que le blanc esl noir. Tant mieux!... je
Quelques-uns, qui baissaient pavillon devant certains ducs pru- puis être seul contre lous , mais je n'échangerais pas mes libres
dents, ont fini par embrasser le parti dc leurs frères cadets (l) ; des pensées contre un trône.
héritières ont mordu à l'hameçon d'un roué; des viergessont deve-
nues épouses ou sesont contentéesd'être mères; d'autres ont perdu
leur fraîcheur et leurs charmes ; bref, ce sont des changementsà ne
pas finir. 11 n'y a dans tout cela rien d'étrange, mais ce qui l'est un CHANT XII.
peu plus,c'esll'extraordinairerapidité de ces mutationssi ordinaires.
I.
LXXXI.
Le moyen-âge le plus barbare est le moyen-âge de l'homme;
Ne me parlez pas de vivre soixante-dix ans; en sept ans j'ai vu, c'esl, je ne saurais dire quoi : nous flottons alors entre la sagesse et
depuis le monarque jusqu'au plus humbleindividuqui soit sous le la folie , sans savoir ce que nous voulons. Celte période de la vie
ciel, plus de changementsqu'il n'en faudrait pour remplir honnête- ressemble à une page sur vélin, en lettres gothiques: nos cheveux
ment l'espace d'un siècle. Je savais que rien n'est durable ici-bas; grisonnent ; nous ne sommes plus ce- que nous étions.
mais le changement lui-même est devenu trop changeant : il n'y a
rien dc permanent dans la nature humaine, si ce n'est les whigs qui II.
n arriventjamais au pouvoir. Trop vieux pour la jeunesse... tropjcunes, à trente-cinqans, pour
LXXXII. nous amuser avec les enfants ou thésauriser avec les sexagénaires,-
J'ai vu Napoléon, qui semblait un vrai Jupiter, tombercomme Sa- on peut s'étonner quec'est nous vivions encore ; mais comme dc fait
mourons pas,
turne. J'ai vu un duc (peu importe lequel) devenir un homme d'Etal nous nesubsiste,bien un vrai fléau que cette époque. Certain-
plus sliipide, s'il est possible, que sa face dc carton. Mais il est temps amour qu'il soit trop tard pour prendre femme ; quant
au reste, l'illusion a disparu et 1 amour de l'or, noire idéal le plus
que je hisse un autre pavillon et que je vogue sur d'autres mers...
;
J'ai vu... et j'en frémis... le roi sifflé, puis applaudi: je ne prétends pur, ne brille encore qu'à son aurore.
pas décider lequel était le plusjuste. III.
LXXXII1. Métaldivin ! pourquoi appelons-nousles avares misérables(2) ? A
J'ai vu les propriétairesn'avoir plus un liard à eux ; j'ai vu Joanna eux les voluptés toujours nouvelles; à eux la seule ancre dc salut,
Soulhcole... j'ai vu la chambre des communes transformée en une le seul câble-chaîne qui retienne tous les autres plaisirs, petits ou
grands.
machine à impôts... J'ai vu le triste procès de la feue reine... J'ai vu prisez Vous qui ne voyez qu'à table l'homme d'épargne, qui mé-
des couronnessur la têtedes fous... J'ai vu un congrès ne faireque son sobre dîner comme n'étant pas môme un repas el vous
des bassesses... J'ai vu des nations, comme des ânes surchargés,jeter
étonnez que le riche puisse tomber ainsi dans la parcimonie, vous
bas leurs fardeaux... c'est-à-dire leurs maîtres. ne savez pas quelles ineffables joies peut donner chaque rognure de
fromagequ'on économise.
LXXXIV. IV.
J'ai vu de petits poètes et de grands prosateurs, et des orateursj L'amour ou la luxure ruine le tempérament,et le vin plus encore;
interminables... mais non pas étemels ; j'ai vu les fonds publics lut- l'ambition épuise, le jeu ne procure que des pertes : mais amasser
tant contre les maisons et les terres ; j'ai vu les propriétaires fon- de l'argent, lentement d'abord, puis plus vite, ajouter toujours
ciers devenirclabaudeurs; j'ai vu le peuple foulé comme du sable. quelque chose à son trésor, à travers tous les mécomptes insépara-
par des esclaves à cheval ; j'ai vu les liqueursfermentées échangées 3
oies des choses de ce monde, voilà qui l'emporte sur tout. Roi des
par John Bull contre des « boissons légères » ; j'ai vu enfin Johni métaux, jeta préfère encore au papier, qui fait du crédit d'une ban-
Dull à moitié convaincuqu'il n'est qu'un sot. que un bateau à vapeur.
V.
LXXXV. Qui tient la balance du monde? qui domine les congrès royalistes
Mais carpe diem, ôJuan, carpe, carpe{î)\ Demain verra une au- ou libéraux?Qui soulève, ô Espagne, tes patriotessanschemise(les-
tre race aussi gaie, aussi éphémère el dévorée par les mêmes har- quels font tant crier et jaser les gazettes de la vieille Europe)? Qui
pies. « La vie est un pauvre drame, » dit Shakespeare ; en ce cas, lient l'ancien et le nouveau monde en peine ou en joie ? Qui graisse
jouez votre rôle, manants! et surtout veillez beaucoup moins à ce>* les ressorts de toute politique ? Qui semble l'ombre audacieuse de
•lue vous faites qu'à ce que vous dites : soyez hypocrites, soyez cir- Bonaparte?... Le juif Rothschild et son confrère chrétien, llaring.
-
conspects, soyez toujours, non tels que vous paraissez, mais tels que
vous voyez les autres. VI.
Tels sont, avec le libéral Lafilte, les vrais souverainsde l'Europe.
(1) Allusion à Wellesley le whig et à son frère Wellington, chef dess
tories (1) Titre d'un ouvrage satiriquede mistress Manlcy.
(2) Profite des instants, Horace. (2) En anglais miser veut dire avare.
240 LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

Un emprunt n'est point seulement une spéculation : il affermit un


peuple ou renverse un trône. Les républiques elles-mêmes suivent XVI.
le torrent : les coupons de Colombie ont des porteurs connus à la Or,
( à moins que « la cour, les camps et l'humble séjour » ne se
Bourse, et ton sol d'argent lui-môme, ô Pérou se fait escompter m
recrutent absolument que de maris fidèles, n'ayant jamais convoité
,
par un juif. le
ie bien du voisin, je dis que le vers en question est un lapsus
lami; ce qui ne laisse pas d'être singulierdans mon buan cameradueu-
Pourquoi donc appelerl'avaremisérable1 disais-jctout à l'beure : Scott,
Se si célèbre pour sa moralité que mon ami Jeffrey me l'oll'raii
sa vie est frugale, chose qu'on a toujours louée dans un saint ou un en exemple... On vient d'en voir un échantillon.
cynique ; ce même motif assurerait la canonisation d'un ermite;
pourquoi donc blâmer les austérités de l'opulence ?... Parce que, XVII.
dites-vous, rien ne lui impose une pareille épreuve... C'est en quoi Fort bien, si je ne réussis pas maintenant, du moins j'ai réussi
son abnégation est surtout méritoire. cl cela me suffit. J'ai réussi dans ma jeunesse, seule époque de la
VIII. vie où l'on ait affaire de succès; et les miens m'ont VJIU ce que

j'ambitionnais le plus : je n'ai pas besoin de le dire... ce prix, quel
L'avare seul est poète reflétée d'un morceau d'or à Vautre, sa ,jt fût, je l'ai obtenu. Il est vrai que depuis peu j'ai porté la
qu'il
passion pure se délecte dans la possession de ces trésors, dont la peine
pC de mes triomphes; mais je n'ai point appris à les maudire.
seule espérance pousse les nations à franchir l'abîme des mers :
Pour lui les lingots d'or projettent leurs rayons hors de la mine XVIII.
obscure; sur lui le diamant réfléchit ses feux éblouissants, taudis
qu'à ses regards charmés les doux rayons de l'émeraude tempèrent Ce procès en chancellerie... cet appel à une future argile, à des
l'éclat des autres pierreries. êtres
^
c qui ne sont pas nés encore, et que sur la foi de leurs facultés
IX. procréatrices,certaines
P' gens baptisent du nom de postérité me
semble
Sf comme appui un roseau bien fragile ; car certes la posté-
Les terres des deux hémisphères sonl à lui : le navire parti de rité
rj ne connaîtra pas plus ces gens-là qu'ils ne la conniitronl.
Ccylan, de l'Inde ou du Cathay lointain, apporte pour lui seul des
produits embaumés ; les roules gémissent sous le poids de ses chars XIX.
comblés des présents de Cérôs, et pour lui la vigne rougit comme Mais moi-même je suis la postérité... et vous l'êtes aussi ; et qui
les lèvres de l'aurore ; ses celliers mêmes pourraient servir de de-
sont ceux dont nous nous souvenons? Il n'y en a pas cent. Si cha-
meure aux rois, tandis que lui, sourd aux appels des sens, corn- cun écrivait les noms qu'il se rappelle , le dixième ou le vingtième
mande en maître, souverain intellectuel de toute chose. seraitestropié; Plutarque même, dans ses vies, n'en a recueilli qu'un
gl
X. petil
V nombre, el encore nos critiques ont-ils tonné à ce propos ; el
Peut-ètrca-t-il conçu de vastes projets : il veut fonder un collège, au dix-neuvième siècle, Mitford, avec une franchise toute grecque,
donne
, un démenti au bon vieux Grec.
une course de chevaux, un hôpital, une église et laisser après
lui quelque monument surmonté de sa mince effigie. PeuJ-être a- XX.
t-il projeté d'affranchirle genre humain à l'aide de ces métaux qui
l'avilissent; peut-être enfin ambitionnc-l-ilseulement d'êlvele plus Bonnes gens de tout étage, bénévoles lecteurs, auteurs impitoya-
opulent du pays, et de s'absorber dans les voluptés du calcul. bles,
. sachez que, dans ce douzième chant, je me propose d'être
aussi
, sérieux que si j'écrivais sous l'oeil de Malthus et de Wilher-
XI. |
force... Ce dernier, qui vaut à lui seul un million de conquérants,
Mais que ce soient tous ces motifs ou l'un d'eux seulement, ou aj tenté d'affrancliiries noirs; tandis que Wellington enchaîne les
tout aulre encore, qui constituent le principe d'action du thésauri- blancs... Quanta Malthus, il fait la chose contre laquelle il écrit.
seur , les insensés appelleront sa passion une maladie. Et In leur, XXL
qu'est-elledonc ? Examinezchacun do leurs actes : guerres, festins, Je suis sérieux... tous les hommes le sont sur le papier; et qui
amours loul cela procure-t-il à l'individu plus de bonheur que m'empêcherailde fabriquer aussi mon système, et de présenter au
n'en donne le calcul minutieux des moindres fractions? en résulte-
l-il plus d'utilité pour l'espèce? Pauvre avare! Que les héritiers du soleil
;
'', mon petil lumignon ? Le genre humain semble maintenant
dissipateur elles tiens décident entre eux lequel fut le plus sage. absorbé
j
dans ses méditations sur les constitutions et les bateaux à
vapeur, le tout également vaporeux ; cl entre temps les sages écri-
XII. vent contre toute procréation, à moins que l'homme ne calcule ses
Qu'ils sont beaux ces rouleaux d'or! Qu'il est ravissant co coffre- moyens pour nourrir les marmots, quand sa femme les aura sevrés :
fort contenant des lingots, des sacs de dollars, des monnaies (nonI ô noble, ô romantique calcul I
de vieux conquérants, dont les têtes et les armoiries pèsent moins XXII.
encore que le mince mêlai où elles brillent), mais d'or de bon aloi, Pour moi, je que la « philo-génilivilé » (voilà un mot loul-
qui conservent, entourée d'un radieux exergue, quelque face ré-> à-fait selon monpense bien qu'il en existe un beaucoup plus court,
gnante moderne, bien réelle, bien slupide , sterling enfin.,. Ouil' si la politesse necoeur, défendait de s'en servir, et je suis résolu de ne
l'argent comptant est la lampe d'Aladin. • rien dire de répréhensiblc)... je pense , dis-je, que la philo-génili-
vilé devrait rencontrer chez les hommes un peu plus d'indulgence.
XIII.
A la cour, dans les camps, aux bois, humble séjour, XXIll.
L'amour règne en despote, et le ciel n'est l'amour. A nos affaires maintenant... O mon aimable Juan ! te voilà donc
Ainsi chante le poète, et il lui serait difficile de prouver sona à Londres, dans ce lieu charmant où se brassent chaque jour tmis
dire (comme généralement en toute matière poétique). Peut-êtree les maux qui peuvent atteindre la bouillante jeunesse dans sa cours'',
l'auteur a-l-il raison en ce qui concerne « l'humble séjour, > qui auu aventureuse. Il est vrai que tu n'entres pas, loi, dans une nouvelle
inoins rime avec « amour; » mais je suis fort enclin à douter (ail- i_
carrière; que tu n'es point novice dans ces poursuites fougueuses
lant que les propriétairesdoutent de leurs fermages) que » la courr du jeune îlge ; mais lu te trouves dans un pays nouveau que les
et les camps » aient des dispositions aussi sentimentales. étrangers ne peuvenl.jamais bien comprendre.
XIV. XXIV.
Mais à défaut de l'amour, c'est l'argent, et l'argent seul qui y En consultant tant soit peu la diversité des climats, le chaud et
règne. L'argent règne dans les bois CL les abat qui plus est sans le froid les tempéraments ardenls ou calmes, je pourrais comme
IS
,
argent les camps seraient mal peuples, et il n'y aurait pas de ,cour; un primat,, lancer mes mandements sur- l'étal social du , reste de
pans argent Malthus nous prescrit de ne pas prendre femme. Ainsi s'i l'Kui'ope; mais ù Grande-Bretagne,de îous les pays où pénèlrc la
.
l'amour, le despote est dominé par l'argent, comme les marées 5S muse lu es celui sur lequel i! est le plus difficile'de rimer.. Tous les
II
sont gouvernées par la vierge Cynlhie. Quant à ceci : « Le ciel c'est pays ont leurs « lions; » mais toi tu es une superbe ménagerie.
l'amour, » pourquoi ne pas dire aussi le miel c'est la cire ? Le ciel
ul
n'est pas l'amour; le ciel est le mariage. XX '.
iVais je suis dégoûté de politique. Paulo majora cantimus (')•
XV. Juan, peu curieux de tomber dans un piège, avait effleuré la gl"Ç0
Toul amour n'csl-il pas interdit i sauf dans le mariage? Celui-ci
cj comme un habile patineur ; quand il s'ennuyait de ce jeu , il l'olà-
est bien une sorte amour en ell'el ; et pourtant les deux mots n'ont
d ni Irait sans se compromettre avec quelqu'une de ces belles créatures
jamais désigné la même idée; l'amour peut et devrait toujours r8 qui mettent leur orgueil a vous taulalher innocemment, et dôlcs-
coexister avec le mariage mais le mariage peut aussi exister sans is lent tout dans le vice, sa::t sa réputation:
, publication de bans c'est un crime
amour. Quant à l'amour sans , îe
el une honte, et il devrait preudie un tout autre nom. (1) Chantons des chose» un peu plus élevées. Virgile.
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD RYRON. 2W

temps
ti viendra sans doute où elle regrettera de n'avoir pas saisi une
XXVI. si bonne occasion ; mais la vieille marquise avait machiné quelque
Mais elles sont en petit nombre, cl finissent toujours par quelque p ; demain au raoul j'en veux dire un mot à Auria : après tout, le
plan
diabolique escapade qui prouve que les consciences les plus pures ji
pauvre Frédéric pourra trouver mieux Dites-moi, avez-vous lu
peuvent se tromper de roule dans les sentiers neigeux de la vertu , 1; réponse qu'elle a faite à sa lettre? »
la
et alors on s'étonne, comme si une nouvelle ùnesse venait de
parler
à llalaam. cl les propos subtils comme le vif argent courent lan-
de XXXVI.
gups en oreilles, et tout se termine (remarquez-le bien) par celte De pimpants uniformes, des blasons couronnés sont dédaignés
l'éllexion charitable : « Qui l'eût cru ? » tour-à-tour,
t jusqu'à ce que l'heure arrive après des perles irrépa-
rables
il de temps, de coeurs el de paris en faveur des plus habiles râ-
XXVII. Ileurs de dots opulentes : alors la gentille créature prend pour
La petite Leïla, avec ses yeux orientaux, son asiatique tacilurnité éépoux un militaire, un écrivain ou un maquignon, et l'escouade des
(qui voyait toutes les choses d'Occident avec peu de surprise, grand ypauvres dédaignés se console en voyant ce triste choix.
sujet de surprise à son tour pour les gens de condition qui s'ima-
rinent que toute nouveauté est un papillon livré à la poursuite des XXXVII.
oisifs) ; Lcila, avec sa figure charmante et son histoire romanesque, Parfois en effet, cédant de guerre lasse aux importunifés, la
devint une sorte de mystère fashionable. jeune
j personne acccple un poursuivant de longue date, ou bien
(ce qui peut-être arrive plus rarement) elle tombe en partage à un
XXVIII. ]homme qui ne la recherchait nullement. Un veuf maussade, ayant
Les femmes se montrèrent partagées d'opinion... selon la cou- passé
] la quarantaine, est sûr (si l'on peut conclure d'après les
iiimcdu beau sexe dans les grandes comme dans les petiteschoses. exemples)
i de gagner le gros lot; et de quelque manière qu'il l'ait
N'allez pas croire, séduisantes créatures, que mon dessein soil de obtenu,
( je ne vois là rien de plus étrange que dans l'autre loterie.
vous calomnier eu masse... je vous ai toujours plus aimées que je
n'en ai l'air; mais comme je suis devenu moral, je dois vous accuser XXXVIII.
toutes de parler beaucoup plus qu'il ne faut. Ce fut donc alors Moi-même... (c'est un exemple moderne de plus, et en vérité,
parmi vous une émotiou générale à propos de l'éducation de Leïla. c'est dommage, grand dommage que ce soil vrai) je me suis vu
choisi entre vingt adorateurs, quoique je fusse plus avancé en âge
XXIX. qu'en sagesse. Je m'étais bien réformé avant que l'hymen fit un
Vous étiez d'accord sur un point... et vous aviez raison en cela : seul être de ceux qui bientôt devaient redevenir deux, et néan-
c'est qu'une jeune et gracieuse enfant, belle commeson pays natal, moins je ne démentirai pas le généreux public, qui déclara que la
transplantée sur de lointains rivages dernier boulon de sa race, jeune dame avait fait un choix monstrueux.
quand même notre don Juan resterait, maître de lui pendant cinq,
quatre , trois ou deux ans, sérail, beaucoup mieux élevée sous les XXXIX.
yeux de pairesscs ayant passé lo temps des folies. Oh! pardonnez-moi mes digressions... ou du moins ne jetez pas
le livre! Je ne disserte jamais que dans un but moral ; c'est le bé-
XXX. nédicité avant le repas. Comme une vieille tante, un ami ennuyeux,
Ce fut donc une généreuse émulation, une concurrence univer- un tuteur rigide ou un prêtre zélé, ma musc se propose, dans ses
selle à qui entreprendrait l'éducation do l'orpheline. Comme .liiuu exhortations, de réformer tout le monde, en loul Hiinps cl en tout
était une personne de haut rang, c'eût été lui faire injure que parler lieu : c'est ce qui donne à mon Pégase cette allure solennelle.
île souscription ou de pétition ; mais il se forma un comité com-
posé île seize douairières el de dix savantes célibataires, dont l'his- XL.
toire appartient au moyen-âge de llallam ; Mais main tenant je vais devenir immoral : je me propose de
montrer les choses telles qu'elles sont, et non lellos qu'elles dc-
XXXI. vraienlôlro; car, je l'avoue, à moins do voir clairement la réalité,
Plus deux ou trois épouses dolentes, séparées do leur mari sans nous ne tirerons jamais parti de celle vertueuse charrue qui glisse
qu'un seul fruit parât leur rameau desséche. Ces daines'demandè- sur notre sol , égralignant à peine la noire argile l'innée par le
rent à former la jeune fille et à la produire... c'est le mol consacré vice, dans l'unique intention do maintenir lo prix de son blé.
pour exprimer la présentation d'une vierge dans un raoul où ellei
vient étaler sa première rougeur et ses perieclions; el je vous assure XL!.
que la première « saison » d'une jeune fille a toute ia douceur du Mais nous disposerons d'abord de la petile Leïla; car elle était
miel vierge, surtout quand elle a des espèces. jeune cl pure comme l'aube d'un beau jour, ou, comme ce vieux
terme de comparaison la neige, qui est en réalité plus pure qu'a-
XXXII. gréable. Semblable à bien des gens que loul le inonde connaît,
Voyez tous les indigents el honorables messieurs, les lords aux; don Juan fut charmé de trouver pour sa jeune protégée une ver-
rondes percés, les dandies sans ressource, les mères vigilantes, lest tueuse protectrice; car la liberté lui eût élé peu profitable.
soeurs attentives (car les sueurs, pour le dire en passant, quand elles!
siint habiles, réussissent mieux que les hommes de la famille à ci- XLIL
menter ces unions où l'or reluit) ; voyez Ions ces gens-là, semblables; Kn outre, il avait compris qu'il n'était pas fait pour le rôle de
à des mouchesqui bourdonnent autour d'un pain do sucre, dresser[ tuteur (je voudrais que certains antres lissent la même découverte);
rapidement leurs batteries autour do la fortune personnifiée dansi il n'était pas fâché de rester neutre eu semblable matière ; car les
celte jeune personne, et l'enivrer de valses el do Huileries 1 fautes des pupilles rejaillissent sur ceux qui les dirigent. Lors doue
qu'il vil tant de vénérables dames solliciter l'honneur d'apprivoiser
XXX111.
su petite sauvage d'Asie, d'après l'avis de la « Société pour la sup-
Chaque tante, chaque cousine a sa spéculation; quedis-je? less pression du vice, » il fixa son choix sur lady Piuehbeck.
(lames mariées niellent quelquefoisdans la passion un tel désinté-
ressement que j'en ai vu courtiser une héritière pour le compte de
j XL1II.
leur amant. 'J'aniiene! Telles sont les vertus du grand monde danss Elle était vieille... mais elle avait été très jeune; elle élait ver-
fuite île fortunée où l'on se lire d'affaire par Dover ou par do- tueuse... cll'avait toujourséle,je pense; et pourtant le inonde'cstsi
"'(') (t) Et souvent la pauvre fille riche, objet de ces sollicitudes, médisant que... Mais j'ai l'oreille trop chaste pour accueillir une
eu est à regretter que son père n'ait pas laissé d'héritiers mâles. , seule syllabe réprchensible; dans le fait, rien ne m'afflige comme
le caquelage, celte abominable pâture ruminée par lo bétail humain.
XXXIV,
Les unes sont bientôt dans le sac, les autres rejettent trois dou- XL1V.
zaines d'aspirants. 11 est beau de les voir semant autour d'elles less D'ailleurs j'ai remarqué (notez qu'en matières décentes j'étais
lefus, et désappointant mainte cousine irritée amies du parti pro- autrefois un passable observateur); j'ai remarque, dis-je, et à
,
posé, lesquelles commencent à formuler ces accusations moins d'être un sot chacun a pu en faire autant, que les daines qui
: « Si miss
s
mie telle n'avait pas l'intention de prendre le pauvre Frédéric, se sont émancipées dans leur jeunesse, oulre leur connaissance du
pourquoi a-lelle consenti à lire ses billets? pourquoi valser avec , monde et la conscience qu'elles ont des funestes conséquences
c
lui ? pourquoi, je vous prie, dire oui hier soir, el non ce matin ? d'un faux pas, sont habiles à prémunir contre des dangers que
XXXV. ne connaîtrontjamais des âmes inaccessibles à toute passion.
«Pourquoi?... pourquoi?... D'ailleurs Fritz lui était véritable- XLV.
ment attaché ; ce n'était pas po.ur sa fortune, il en a bien assez. Un
n Pendant que la prude rigide dédommage sa vertu eu raillant les
passions qu'elle ignore et qu'elle envie, cherchant beaucoup moins
(I) Jeu de mois intraduisible sur Dover, ville, et dower, dot. à vous sauver qu'à vous nuire et même à vous discréditer aux yeux
2V8 LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

du monde... la femme expérimentée est indulgente; elle gagne comme se transmet le yacht du lord maire, ou comparaison plus
votre confiance par de douces paroles, vous conjure de réfléchir poétique, comme la conque de Cythérce.
avant de vous lancer et vous explique en détail le début, la fin et
le milieu de cette grande énigme, l'épopée de l'amour. LU.
J'appelle cela transmission, car il est un niveau flottant de talents
XLVI. et de grâces qui passe de miss en miss, selon les plis du cerveau
Soit par celte raison, soit qu'elles aient plus de vigilance en et la courbe de l'échiné. Les unes valsent, d'autres dessinent-
sentant davantage le besoin, je crois qu'on peut affirmer, d'après celles-ci sondent l'abîme de la métaphysique,celles-là se bornent
l'exemple de bien des familles, que les jeunes personnes dont les à la musique; les plus modérées brillent par l'esprit, pendant que
mères ont connu le monde par expérience, et non par les livres d'autresont le génie enclin aux attaques nerveuses.
seuls, sont plus propres à figurer au marché de l'hymen, à ce
Smithfield des vestales, qu'étant été élevées par des prudes sans LUI.
coeur. Mais que les nerfs, l'esprit, le piano, la théologie, les arls ou les
XLVII. corsets constituent pour
le moment l'hameçonpré-
J'ai dit que lady Pinch- senté aux gentlemen ou
beck avait fait parler d'el-
le... de quelle femme n'a- aux lords légitimes, l'an-
née expirante transmet
t-on pas parlé pour peu son bagage à celle qui
qu'elle fût jeune et jolie? naît ; les regards des hom-
Mais le fantômede la mé-
disance avait cessé de rô- mes et les éloges dus à la
suprême élégance et ce-
der autour d'elle : on ne tera sont réclames par de
la citait plus que pour son nouvellesfournéesde ves-
esprit et son amabilité, et tales toutes créatures
l'on avaitretenuplusieurs
de ses bons mots ; puiselle sans pareilles, qui ne de-
était humaine et charita- mandentqu'à s'appareil-
ler.
ble, et passait (du moins
dans les dernières an nées LIV.
de sa vie) pourune épouse Maintenantj'en viens à
exemplaire. mon poème. On trouvera
peut-être bizarre, sinon
XLVI1I. tout-à-fait neuf, que de-
Allièrc dans les hauts puis le premier chant jus-
cercles, affable dans le qu'ici, je n'aie pas enco-
sien, elle réprimandait re véritablement entamé
doucement la jeunesse, mon sujet : ces douze pre-
toutes les fois que celle-ci miers livres ne sont que
montrait une funeste dis- de simples fioritures, des
position à l'erreur ; c'est- préludes, pour essayer
à-dire qu'cllela répriman- une ou deux cordes de ma
dait chaque jour : on ne lyre ou pour en raffermir
saurait dire tout le bien les chevilles ; cela fait,
qu'elle faisait ; du moins vous allez entendre l'ou-
le rapporter serait allon- verture.
ger beaucoup mon récit. LV.
Bref la petite orpheline
d'Orient lui avait inspiré muses se soucient,
Mes
un intérêtsansceBsecrois- comme d'une pincée de
colophane, de ce qu'on
sant.
XL1X.
nomme succès ou insuc-
cès : de pareilles pensées
Juan était également sont tout-à-fait au-des-
dans ses bonnes grâces, sous du vol qu'elles ont
parce qu'au fond elle lui pris ; leur but est de don-
croyait un bon coeur, un ner « une grande leçon
peu gâté mais non totale- morale. » Je croyais, en
ment corrompu, ce qui commençant, qu'environ
certes était surprenant, si deux douzainesde chants
l'on considère les vicissi- suffiraient ; mais à la re-
tudes qu'il avait subies et quête d'Apollon, si mon
dont il pouvait à peine se Pégase n'est pas éreinlé,
rendrecompte.Ce qui au- 11s virent Berlin, Dresde, jusqu'à ce qu'ils fussent arrivés sur les je pourrai bien sans effort
rait suffi pour en perdre châlelées Rhin.
atteindre la centaine.
tant d'autres n'avait point rives du
eu cet effet sur lui, du LVI.
moins complètement Don Juan vit ce micros-
car dès sajeunesseilavait come sur échasses qu'on
passépar trop d'épreuves pour qu'aucunepût le surprendre. appelle le grand monde, et qui est certes le plus petit, bien que le
plus haut juché : mais de même que le glaive a une poignée qui
L. accroît sa puissance homicide, de même le monde inférieur doit
De pareilles vicissitudes vont bien à la jeunesse ; viennent-elles toujours obéir au monde supérieur, lequel est du premier la poi-
dans un âge plus mûr, on s'en prend à la destinée, et l'on s'étonne gnée, la lune, le soleil, le gaz, la chandelle à deux liards.
que la Providence ne soit pas plus sage. L'adversité est la première LVII.
route du vrai : celui qui a connu la guerre, les tempêtes ou les fu-
reurs de la femme, qu'il compte dix-huit ou quatre-vingts hivers, Il avait beaucoup d'amis ayant femme, et se trouvait bien vu
a conquis l'inestimableexpérience. des deux conjoints, jusqu'à ce degré d'amilié qui peut s'accepterou
non, sans qu'il en résulte ni bien ni mal, ces relations n'ayant
LI. d'aulre but que d'employer les carrosses des gens du monde el de
Jusqu'à quel point il en profite, c'est une autre question... Notre les réunir el d'avoir des soirées par billets d'invitation. Grâce aux
héros vit avec joie sa petite protégée en sûreté sous l'aile d'une mascarades, aux fêtes et aux bals, pour la première saison, cette vie
damedont la fille cadelte était depuis longtemps mariée et par con- a son charme. LV1II.
séquent loin de la maison, ce qui permettait à la mère de transférer
à une autre toutes les perfections dont elle avait orné sa progéniture, Avec un nom et de la fortune, un jeune célibataire a un rôlecm-
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD RYRON. 249

arrassant à jouer ; car la bonne société n'est qu'un jeu que l'on dent rarement du destin d'une femme {c'est là, ô voyageur, une
eut comparer au « jeu royal de l'oie, » où chacun a un but distinct, vérité que tu apprends aisément)... mais dans la vieille Angleterre,
„ objet en vue ou un
plan à dresser... les demoiselles cherchent si une jeune épouse manque à ses devoirs, pauvre créature 1 la faute
se doubler, les femmes mariées à éviter bien de la peine aux d'Eve n'était rien auprès de la sienne.
eunes filles. LXV.
L1X.
Je ne dis pas que cela soil général ; mais on en voit des exemples. Car c'est un pays de cancans et de bassesse, de gazettes et de
)uclques vierges néanmoins se tiennent droites comme des peu- procès, où un jeune couple ne peut se lier d'amitié sans que le monde
iliers, avec de bons principes pour racines; mais beaucoup ont une fasse tapage. Puis vient le jeu vulgaire de ces damnés dommages et
nctliodc plus réticulairc... et « pèchent aux hommes » comme des intérêts. Un arrêt... douloureux pour qui le provoque... forme un
lirènes mélodieuses. Parlez six fois à la même demoiselle, el vous trisle complément aux romantiques hommages; sans compter ces
agréables harangues des avocats, et ces dépositionsde témoins qui
pouvez commander les habits de noce. divertissent les lecteurs.
LX. LXVl.
Peut-être recevrez-vous Mais c'est un péige où
une lettre de la mère pour ne tombent que de sim-
vous dire que les senti- ples débutantes; un léger
ments de sa fille ont été vernis d'hypocrisie a sau-
surpris ; peut-êtreun frère vé la réputation d'innom-
à carrure, à corset et à fa- brables pécheresses de
voris,vicndra-t-ilvous de- haut parage les plus
mander « quellessont vos ,
charmantes oligarques de
intentions. » De manière noire gynocratie. On peut
ou d'autre le coeur de la les voir à tous les bals et à
vierge attend votre main; tous les dîners, parmi la
cl louché de pilié pour fleur de noire noblesse,
elle el pour vous-même, toujours aimables, gra-
vous ajouterez un nom à cieuses charitables et
la liste des cures matri- chastes , c'est qu'elles
moniales. ont du tact aussi bien que
LXI. du goût.
J'ai vu bâcler ainsi une LXVII.
douzaine de mariages, Juan, qui n'était plus
dont plusieurs de la plus un novice, avait encore
limite volée. J'ai connu une autre sauvegarde : il
aussi de jeunes hommes était dégoûté non, ce
ipii... dédaignant de dis- n'est pas dégoûté que je
cuter des prétentions veux dire... mais il avait
qu'ils n'avaient jamais pris une telle dose d'a-
songé à manifester, et ne mour de premièrequalité,
se laissant effrayer ni par que son coeur était devenu
des caquetsde femmes, ni moins scnsible.Voilàtout
par une paire de mousta- ce que je voulais dire,
ches, sont restés seuls et sans déprécier en aucune
tranquilles et ont vécu façon l'île aux blanches
ainsi que la belle incon-, falaises, aux blanches é-
solable beaucoup plus paules, aux yeux bleus,
heureux, que si l'hymen aux bas plus bleus en-
cul joint leurs destinées. core ; terre de dîmes, de
LXII. taxes, de créanciers et de
porlcs bruyantes.
11 existe aussi chaque
soir, pour les novices, LXV11I.
un péril... moins grand, Mais du sein des con-
il est vrai, que l'amour trées romanesques, où
el le mariage, mais qu'il c'csl la mort et non un
n'en faut pas moins évi- procès que la passion doit
ter : c'est Mon inten- affronter, et où la passion
tion n'est point et n'a elle-même a une poinle
jamais été de déprécier de délire, Juan trans-
l'apparence de la vertu, Don Juan vit les premières beautés d'Albion. porté encore jeune , dans
même dans les gens vi-
cieux elle leur donne une société où l'amour
n'esl guère qu'une affaire
au moins la grâce exté- de mode, lui trouvait un
rieure Je veux seule- caractère moitié mercan-
ment signalercelte espèce tileetmoiliépédantesque,
amphibie de courtisanes quelque estime qu'il pût
couleur de rose, c esl-à-dirc ni blanches ni rouges. avoir d'ailleurs pour celle nation toule morale. En outre (hélas!
LXI1I.
pardonnez-lui et plaignez son manque de goût), il n'y trouva pas
d'abord les femmes jolies.
Telle est la froide coquette qui ne sail pas dire non ! et ne veul
« » LXIX.
l'as dire « oui ! » mais qui vous laisse au large et sous le vent, jus-
'pi'à ce que la brise commence à fraîchir, puis rit
sous cape du Je dis : « d'abord»... car il reconnut à la fin, mais par degrés,
naufrage de voire coeur. Telle est la source de tout un monde de qu'elles l'emportent de beaucoup sur les beautés les plus brillantes
'railleurs sentimentales ; voilà ce qui, chaque année, plonge de nou- que fait éclore l'astre d'Orient : nouvelle preuve du danger de juger
veaux Werthers dans une tombe prématurée. Mais tout cela n'est à la légère ; et pourtant, s'il manquait de goût, ce n'est point faute
Vf un innocent badinage;
ce n'est pas tout-à-fait de l'adultère, d'expérience... la vérité est, si les hommes voulaient en convenir,
cest seulement de l'adultération. que les nouveautés plaisent moins qu'elles ne frappent.
LXIV. LXX.
Grands dieux ! que je deviens bavard ! Jasons donc. Le péril qui Bien qu'ayant voyagé, je n'ai jamais eu le bonheur de remonter
V|ent après celui-là, mais le plus redoutable, à
,
'14e' sans égard pour l'Eglise et l'Etal,
mon avis, c'est lors- ces fleuves insaisissables de la noire Afrique, le Nil ou le Niger,
une femme mariée fait ou se jusqu'à l'inabordable Tombouctou,lieux où la géographie ne trouve
l!l|sse faire sérieusement l'amour. A l'étranger,
ces accidents déci- personne qui veuille lui offrir une carie fidèle... car l'Europe Iracc
280 LES VEILLÉKS LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

en Afrique son sillon comme un boeuf paresseux; mais si j'avais LXXXI.


n'était pas casuisle et n'avait point inédite les lcenns
élé à ïombouciou, on m'y eût sans doute appris que le noir est la Mais Juan
,
couleur de la beauté. morales
n données au genre humain ; d'ailleurs, de plusieurs ceniUj.
LXXI. nnés qu'il avait vues, il n'avait pas rencontré une seule femme coin,
Et cela est, en effet. Je ne jurerais pas que le noir c=l blanc; mais plétementà
p son goût. Comme il était un peu blasé, rien d'étonnant
je soupçonne qu'au fond le'blanc est noir, el qu'il n'y a là qu'une à ce que son coeur fût maintenant plus difficile à entamer : WKn
question d'optique Interrogez un aveugle, le meilleurjuge en celle qque ses succès ne l'eussent pas rendu vain, sa sensibilité était évi-
matière. Vous ntlaqucrcz peut-êlrc celle nouvelle thèse... mais j'ai ddemment amortie.
raison ; et si j'ai tort, je ne me rendrai qu'à la dernière extrémité. LXXXII.
Il n'est pour l'aveugle ni huit, ni aurore; mais pour lui tout est En outre, de nouveaux spectacles avaient distrait son attention •
noir; et vous, que voyez-vous?... Une douteuse étincelle. i avait visité le parlement el maint autre lieu ; il avait assisté dans
il
LXXII. )une place privilégiée aux débats nocturnes où fulminaient des voix
éloquentes maintenant muettes, alors que le monde entier fixait ses
Mais me voilà retombé dans la métaphysique, ce labyrinthedont regards
r sur nos lumières du Nord dont l'éclat brillait jusqu'au pOi,.
le fil est de la même nature que tous les remèdes pour la guérison jIl avait aussi de temps en temps pris place derrière le trône; mais
des plilliisiqucs, ces brillantes phalènes qu'on voit voltiger autour Grey
j- n'était pas encore, et Chatham n'était plus.
d'une flamme expirante. Celle réflexion me ramène au physique
pur el simple, et aux charmes d'une beauté étrangère, comparés à LXXX1II.
ces perles pures et précieuses, véritables étés polaires, tout soleil, Toutefois, il avait vu, à la clôture de la session, ce spectacle ma-
non sans quelque glace. j
jestueux, quand la nation est vraiment libre, ce spectacle d'un i-ui
LXXIH. siégeant
s sur son trône constitutionnel, ce trône le plus glorieux de
Ou plutôt disonsque ce sont de vertueuses sirènes, belles au-des- tous,
I bien que cette vérité doive être méconnue des despotes, jus-
sus de la ceinture, mais finissant en poissons non qu'il ne s'en qu'au
i jour où les progrès de la liberté auront complété leur éduca-
trouve un certain nombre douées d'un respect fort honnête pour tion.
I Ce qui, dans un tel spectacle, frappe les yeux elle coeur, ce
leur propre'volonté. Comme les Russes au sortir d'un bain chaud n'est
i pas la seule splendeur... c'est ia confiance du peuple.
se roulent dans la neige, elles sont vertueuses au fond, alors même LXXXIV.
qu'elles s'abandonnent au vice ; elles s'échauffent dans de volup-
tueux écarts, mais ont toujours en réserve le repentir. Là, il vit aussi (quel qu'il puisse être aujourd'hui) un prince
alors le prince des princes, riche d'espérances à la fleur de l'âge'
, magique. b:eil
LXX1V. el déployant jusque dans ses saluls une fascination
Mais ceci n'a rien de commun avec leur extérieur. Je disais donc que le signe de la royauté fût écrit sur son front, il avait alors le
qu'au premier abord, Juan ne les avait pas trouvées jolrcs; car une mérite, rare en tout pays, d'être de la tôle aux pieds, et sans mé-
belle Anglaise cache la moitié de ses attraits... sans doute par cha- lange de fatuité, le type d'un gentleman accompli.
rité... elle aime mieux se glisser paisiblement dans voire coeur que
de le prendre d'assaut, comme on s'empare d'une ville ennemie; LXXXV.
mais une fois qu'elle est dans la place (si vous doutez du l'ait, es- Juan fut reçu, comme on l'a vu, dans la meilleure société; el
sayez-en, je vous prie), elle la garde pour vous en fidèle alliée. alors il lui advint ce qui, je le crains, arrive trop souvent, quelque
modéré el paisible que l'on soil... ses talents, son charmant carac-
LXXV. tère, son air complètementdistingué, l'exposèrent naturellement ;i
Elle n'a point la démarche du coursier arabe, ou de la jeune An* des tentations, bien qu'il évitât avec soin toute occasion.
dalouse revenant de la messe; elle n'a point dans sa toiletlc l'élé-
gance française, et la flamme ausonienne ne brûle pas dans son LXXXVI.
regard; sa voix, bien que douce, n'est point faite pour gazouiller Mais quelles tentations où, avec qui, quand et pourquoi? Ce
,
ces airs de bramira (auxquelsje m'arcouluinoà peine, quoique j'aie sont deS questions auxquelles je ne puis répondre h la lutte; cl
passé sept années en Italie, cl que j'aie ou que j'aie eu autrefois comme cet ouvrage a un but moral, quoi qu'on en dise, il est pro-
l'oreille assez musicale)... bable que ICB yeux d'aucun de mes lecteurs ne resteront secs; car
LXXVI. je harcellerai leur sensibilité jusque dans ses derniers retranche-
Elle ne saurait faire ces choses, non plus qu'une ou deux autres, ments, et j'élèverai, en fait de pathétique, le monument colossal,
avec celle aisance el ce piquanl qui sont si sûrs de plaire pour que le fils de Philippe se proposait de tailler dans le mont Athos.
donner au diable ce qui lui revient. Elle est un peu moins prodigue LXXXV1L
de sourires, el ne va pas jusqu'au bout dans nue seule entrevue Ici finit le douzième chant de notre introduction. Quand le corps
(chose pourtant 1res louable comme épargnant beaucoup de temps
du poèmo sera commencé, vous le trouverez loul différent de n
cl de Irncns)... mais quoique le terrain exige du lumps et des soins, qu'on en dit ; à présent le plan su mûrit encore. Je ne puis, lecteur,
étant bien cultivé, il peut vous payer avec usure.
vous contraindre à poursuivre; c'est votre allai réel non la mienne:
LXXV1L un homme qui se respecte ne doil ni braver ni craindre.
El en effet, s'il lui arrive de s'éprendre d'une belle passion, je LXXXVHl.
vous assure que c'est une chose fort sérieuse : neuf fois sur dix ce Et si ma foudre fait long feu quelquefois, rappelez-vous, lecteur.
sera caprice, mode, coquetterie, envie déprimer, orgueil d'un en-
fant tout fier de sa ceinture neuve, ou désir de faire saigner le coeur que je vous ai donné la plus terrible des tempêtes, el la plus bulle
d'une rivale; mais la dixième fois ce sera une trombe, et dans ces des batailles qu'on ait jamais brassées ù l'aide des éléments et iln
cas, il n'est rien dont ces dames ne soient capables. sang, sans compter le plus sublime dis... Dieu sait quelles choses j'v
ai misesencore! un usurier n'en saurait exiger davantage. Mais inmi
LXXVII1. meilleur chant, après celui qui traitera de l'astronomie, sera cons.i-
La raison en est évidente : s'il survient un éclat, elles sont ban- crô a l'économie politique.
nies de leur caste et deviennent des parias ; et lorsque la loi, dansi LXXX1X.
ses susccpiibililés . a rempli les gazelles de mille commentaires, la C'est par la maintenant qu'on arrive à la popularité; aujourd'li'ù
société, cette porcelaine sans défaut (l'hypocrite!) les rejette de son qu'il reste à peine un échalas à la haie du domaine public, onsei;
sein comme Marius, el les envoie s'asseoir sur les ruines de leur gner au peuple le moyen de la franchir , c'est faire acte de charilu
faute ; car la réputation est une Carthage qu'on ne rebâtit point. patriotique. Mon plan (mais je le tiens seerel, ne fût-ce que \rx\t
LXX1X. me singulariser), mon plan sera très certainementgoûté. nationale,
En atten-
Peut-être doit-il en être ainsi... c'esl le commentaire de ce pas- dant., lisez tous les écrits des amortisseurs de la délie
sage de l'Evangile : « Ne péchez plus , el que vos péchés vous soientL et dites-moi ce que vous pensez de ces grands penseurs.
remis. »... Mais à cet égard , je laisse les saints solder entre eux
leurs comptes. A l'étranger, quoique certainement on ait grandI —
tort, une femme qui a failli trouve une porte ouverte pour revenir
à la vertu... comme on appelle celle dame qui devrait toujours être CHANT XI1L
accessible à tout le monde.
LXXX.
Pour moi, je laisse la question où je la trouve, sachant qu'une; 1-
.
vertu si susceptible n'aboutit qu'à rendre les gens mille fois plus5 Maintenant j'entends être grave il le faut bien puisque <l|!
,
indifférents à son égard, et à leur faire moins peur du péché-r<> lui- nos jours le rire paraît une arme dangereuse. On l'ail un crime »
même que de sa publicité. Quant à la chasteté, toutes les \oh. la vertu d'une plaisanteriequ'elle aura lancée contre le vice , et'*
méritées par les plus rigoureux légistes n'y contraindront jamaiss critique la considcrecominedeslruclrice.D'ailleurs , let'.'islc est une
personne; elles ne foni qu'aggraver le crime qu'elles n'ont pui source do sublime, bien qu'un peu faliganl lorsqu'il se proloiip 1:
empêcher en jetant dans le désespoir des coupables qui peut-êtree mon poème va donc prendre l'aspccl imposant cl solennel du'!
se seraient repentis. temple réduit à une seule colonne.
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD RVRON. 231

II. destinée, excellente excuse pour notre volonté), et nos jeunes gens
Lady Adeline Amundeville (vieux nom normand que peuvent rc- y furent pris... Comment auraient-ils pu échapper, je l'ignore : car
Irouvcr dans les généalogiesceux qui explorent les derniers champs je ne suis pas OEdipe, et la vie est un Sphinx.
de ce terrain gothique) élail de haut lignage, riche des biens que ' XIII.
son père lui avait laissés, et belle même dans cette île où la beauté Je raconte l'histoire comme elle m'a élé racontée, et ne me per-
abonde, dans cette Angleterre regardée avec raison par les pa- mets pas de hasarder une solution : « Davus sum. » Revenons main-
triotes comme le sol qui produit des modèles en corps el en âmes. tenant au couple en question. La charmante Adeline, au milieu du
III- gai bourdonnement du monde, était la reine abeille, le miroir de
Je ne contesterai pas, ce n'est pas mon affaire; je laisse à ces tout ce qu'il y a d'élégant : ses charmes faisaient parler tous las
(reiis leur goûl qui esl sans doute le meilleur. Des yeux sont des
hommes el rendaient toules les femmes muettes. Cette dernière cir-
veux, el qu'ils soient bleus ou noirs, peu importe, pourvu qu'ils constance était un miracle: il ne s'est point renouvelé depuis.
'remplissent leur but; c'est sottise que disputer sur la couleur : les XIV.
plus tendres doivent l'emporter. Le beau sexe doit toujours êlre Elle était chaste à désespérer l'envie, el mariée à un homme
beau, el nul homme, avant trente ans, ne doit supposer qu'il qu'elle aimait... homme connu dans les conseils de la nation, froid
existe au inonde une femme laide. el loul-à-fait anglais ; imperturbable, bien qu'il sût agir avec vi-
IV. gueur au besoin, fier de lui-même et de sa femme : le monde ne
Et après cette époque sereine et tant soit peu stupids, cet en- pouvait rien articuler contre eux, et tous deux paraissaient tran-
nuyeux passage à des jours loul-à-fail calmes , où notre lune n'est quilles, elle dans sa vertu, lui dans sa hauteur.
plus dans son plein, nous pouvons nous aventurer à critiquer ou à XV.
louer; car l'indifférence commence à endormir nos passions, et Il advint que des affaires diplomatiquesmirent fréquemment le
nous marchons dans les voies de la sagesse ; tournure et visage nous lord en relation avec don Juan dans l'exercice de leurs fonctions
disent qu'il est temps de céder la place aux plus jeunes. respectives. Bien que réservé, et peu sujet à se laisser prendre à
V. des dehors spécieux, la jeunesse de Juan sa patience, ses talents,
,
firent impression sur cet esprit allier, et jetèrent les bases de celle
esl des hommes, je le sais , qui voudraient reculer cette ère de
11
la vie, résignant à regret leur poste, comme les gens cil place; eslime qui finit par faire de deux hommes deux amis.
mais c'est pure illusion, car ils ont passé l'équaleur de la vie. Il XVI.
leur reste encore le bordeaux el le madère pour arroser la sécheresse Lord Henry, circonspect comme on pouvait l'attendre de sa ré-
du déclin ; ils ont aussi pour consolation les réunions de comté, le
parlement, la dette publique, et je ne sais quoi encore. serve et de son orgueil, était lent à juger les hommes... mais son
jugement une fois porté sur un ami ou un ennemi, juste ou injuste,
VI. avait toute l'opiniâtreté de l'orgueil, dont le Ilot impérieux né con-
Puis, n'ont-ils pas la religion, la réforme, la paix, la guerre les naît point do reflux, et dans son amour comme dans sa haine, n'a
,
impôts, el ce qu'on appelle la Nation, la lutte à qui sera choisi pour d'autre guide que son bon plaisir.
pilote dans la tempête, les spéculations agricoles el financières ? XVII.
N'ont-ils pas les joies d'une mutuelle haine, pour entretenir leur En conséquence, ses amitiés aussi bien que ses aversions,
ardeur et occuper la place de l'amour qui n'est qu'une hallucina- souvent très fondées,
tion ? Or, la haine est certainement le plus durable des plaisirs : on ce qui le confirmait encore davantage
dans ses préventions, étaient irrévocablesconnue les lois des Perses
se presse d'aimer, on su déleste à loisir. el des Mèdes. Il n'avait pas dans ses sentiments ces étranges accès
VU. des affections communes, dans lesquels on se désespère de ce dunl
Ce bourru de Johnson, grand moraliste déclarait ouvertement on devrait sourire, véritable lièvre tierce.
« qu'il aimait un franc haïsseur»... C'est la, seule vérité dont on ait XVIII.
Tait l'aveu depuis mille ans. Peut-être n'était-ce qu'une boutade de
«11 n'est pas donné aux mortels de commander le succès; mais
col élégant vieillard... Pour moi, je ne suis qu'un simple spectateur, fais plus, Sempronius, ne le mérite pas » (t) ; et crois-moi, lu ne
et je promène mes regards sur les palais et les chaumières, à peu l'obtiendras pas moins. Sois circonspect, épi : l'occasion, cl mets-la
près comme le Méphistophélôs de Goethe.
toujours à profit; cède doucement quand la pression est Irop forle.
VIII. Quant à la conscience, sache seulement 1 aguerrir : comme un che-
je ne fais d'excès ni dans l'amour ni dans la haine, quoi-
Mais val de course convenablementdressé, connue un boxeur bien pré-
qu'il n'enait pas toujours été ainsi. Si je raille quelquefois, c'est paré, elle fera ensuite de grands efforts sans fatigue.
que je ne puis m'en empêcher, cl que de temps à nuire mon vers XIX.
s'en accommode. Je ne demanderais pas mieux que de redresser Lord Henry aimait à primer : il en esl ainsi de la plupart des
les torts des hommes, et au lien de punir leurs crimes, je tenterais
de les réprimer, si Cervantes, dans sa trop véridique histoire de
hommes, grands ou petits; les plus chélil's trouvent encore un in-
(Ion Quichotte, n'avait démontré l'inutilité de pareils efforts.
férieur, ils le pensent du moins, sur lequel ils exercent leur domi-
nation ; car rien n'est plus lourd à porter que l'orgueil solitaire :
IX. c'est un poids accablant dont on se décharge généreusement sur les
De toutes les histoires, c'est la plus Irisle... d'autant plus Irislc autres, tout en continuant soi-même de faire route à cheval.
qu'elle fait sourire; son héros est dans le vrai, el ne veut que le
droit : dompter les méchants, voilà son seul objet ; combattre h forces XX.
inégales, voilà sa récompense; sa vertu seule constitue sa folie. L'égal de Juan par la naissance, le rang et la fortune, il ne pou-
vait réclamer ici aucune prééminence; il remportait par l'âge, el
Mais c'est un douloureux spectacle que celui de ses aventures aussi, croyail-il, par la supériorité de sa patrie... car les fiers llrelons
cl plus douloureuse encore est la morale que cette épopée de la
réalité enseigne à tout ce qui pense. ont la liberté de la langue el de la plume, liberté à laquelle visent
toutes les nations modernes. Et lord Henry était grand orateur, peu
X. de membres de la Chambre prolongeaient plus lard les débats.
Ucdresser les injures, venger les opprimes secourir la beauté
exterminer la félonie, lutter seul contre la ligue, des forts, affran-, XXI.
chir du joug étranger les nations sans défense... hélas ! faut-il donc C'étaient là désavantages; et puis il se croyait... c'était son faible
que de nobles desseins soient comme de vieilles ballades, destinés;
peut-être, mais il n'y avait pas grand mal" à cela... il se croyait
seulement à fournir matière à l'imagination, une plaisanterie, une mieux (pie personne au l'ail des mystères de cour, ayant été mi-
cnigiue, un moyen bon ou mauvais d'arriver a la gloire? Et So- nistre. 11 aimait à enseigner ce qu'il avait appris ; i! brillait surtout
ciale lui-même ne serait-il que le don Quichotte de la sagesse?
lorsque la politique s'embrouillait; en un mol, il réunissait toules
les qualités, patriote toujours, homme d'Etat souvent.
XL
La chevalerieespagnoledisparut devant la raillerie de Cervantes; XXH.
Il aimait pour sa gravilé le charmant Espagnol ; peu s'en fallait
j1 suffit de
son rire pour abattre le bras droit de sa patrie... Depuis. qu'il ne l'honorât pour sa docilité tant le jeune homme sivait
luis, les hcros ont été rares en Espagne. Tant que le monde fut ,
pais delà vaillance romanesque, il céda la palme à sa brillante pha-; condescendreavec douceur et contredire avec une noble humilité.
''uijio : l'oeuvre de Cervantes a donc eu un résultat funeste, et toute Notre lord connaissait le monde, et ne vuyaU aucune dépravation
sa gloire a été chèrement payée par la ruine de sa patrie. dans des fautes qui souvent indiquent la fertiliiô du sol, pourvu que
\o- Mauvaises herbes ne survivent pas à la première récolte.
xu.
Me voici encore dans mes vieilles lunes... les
digressions; et elles.
""'"' ' XXI1L
me font oublier lady Adeline Amundeville, la plus fatale beauté Et puis ils s'entrenaient ensemble de Madrid, de Constantinople,
•l«e Juan eût jamais rencontrée, bien qu'elle ne fût ni méchante' (1) Citation tronquée duCaton ifAildissoii.qiiidit; «Faisons plus, Seiu-
'»>perfide; niais le piège fui tendu par la passion et la destinée (lai promus, tachons de le mériter.»
%3 LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

cl autres lieux lointains, où les gens font toujours ce qu'on leur XXXIV.
ordonne, ou s'ils font ce qu'ils ne devraient pas, le font avec une Commede raison on remarquait encore dans les manières d'A-
grâce étrangère. Ils causaient aussi de chevaux : Henry, comme delinc
d cette politesse, calme et toute patricienne qui, dans l'expres-
la plupart des Anglais, était bon écuyer, et grand amateur des sion
si des sentiments de la nature, ne dépasse jamais la ligne êquU
courses; el Juan, véritable Andaloux, savait conduire un cheval, noxiale.
n Ainsi, un mandarin ne trouve rien de beau... du moins
comme les despotes un Russe. son air ne laissejamais deviner que les objets qui frappent sa vue
si
XXIV. puissent
D lui plaire beaucoup. Peut-être avons-nous emprunté cela
des Chinois...
Ainsi s'accrut leur intimité, dans les raoutg de la noblesse, aux XXXV.
dîners diplomatiques,ou à d'autres encore; car don Juan, comme Peut-être l'avons-nous pris d'Horace : le nil admîrari élait pour
un frère de haut grade dans leur franc-maçonnerie,était bien avec ~j « l'art d'être heureux, » art sur lequel les
lui artistes ne sont point
les ministériels hors de place ou en placé. Sur ses talents Henry d'accord, et qui ne témoigne pas de leur succès. Toutefois, il est
n'avait aucun doute; ses manières révélaient lefilsd'unc noble mère, ?
et chacun aime à faire preuve d'hospitalité envers un homme aussi " de se montrer prudent ; certes l'indifférence ne fait point de
bon
malheureux;et dans la bonne société, un fol enthousiasmene paraît
bien élevé que bien né. qu'une
q„ ivresse morale.
XXV. XXXVI.
Au square Trois-Etoilcs... car ce serait violer toutes les conve- Mais Adeline n'était pas indifférente; car (un lieu commun main-
nances que de nommer les rues : les hommes sont si médisants, tenant!),
.' de même que sous la neige un volcan couve la lave... et
si portés à semer l'ivraie parmi le bon grain d'un auteur, si em- caetera... Faut-il continuer? non : je déteste de courir après une
pressés de recueillir des allusions particulièreset peu honorables, ~i

auxquelles on ne pensait pas! C'est pourquoi je prends la précaution Ïmétaphore usée; laissonsdonc là le volcan , si souvent employé.
Pauvre
' volcan I combien de fois, moi et tant d'autres, nous l'avons
de déclarer que l'hôtel de lord Henry était dans le square Trois- attisé jusqu'à ce que la fumée en devînt suffocante.
Etoiles. a
XXVI. XXXVII.
Il y a encore une autre raison délicate qui m'impose l'anonyme J'ai une autre comparaisonsous la main... que vous semble d'une
au sujet des squares et des rues : il ne se passe guère une saison bouteille
I de Champagne? Le froid l'a réduite en une glace vineuse,
< a laissé liquides quelques gouttes de la
qui ne voie une trahison domestique frapper au coeur quelquegrande et rosée immortelle ; car, au
famille... sorte de sujets que la médisance se plaît à mettre sur le centre
< même, il reste encore un verre d'un liquide inestimable plus
tapis. Or, à moinsde connaître d'avance les squares les plus chastes, énergique
< que tout ce qu'a jamais distillé dans sa luxuriante matu-
il pourrait m'arriverpar mégarde de tomber sur une des résidences rité
i la grappe la plus généreuse.
frappées par le fléau. XXXVIII.
XXVII. C'est tout l'esprit de la liqueur réduit à sa quintessence.Ainsi, les
Il est vrai que je puis choisir Piccadilly, endroit où les pecca- {ihysionomiesles plus froides peuvent, sous un aspect glacial, recé-
dilles sont inconnues; mais bonnes ou mauvaises, j'ai mes raisons
er un secret nectar. Le nombre de ces personnes est grand... mais
pour laisser là ce sanctuaire de pureté. Je ne veux donc désigner je n'ai en vue que celle qui m'inspire ces leçons morales, antique
nominativement ni square, ni rue, ni place, jusqu'à ce que j'aie
trouvé un lieu qui ne soit connu par rien de déshonnête, un vrai
•domaine de la
muse. Ces caractères froids sont inappréciables, une
fois qu'on a brisé leur glace maudite.
temple de Vesta où règne l'innocence du coeur : tels sont mais
j'ai perdu la carte de Londres. XXXIX.
XXVIII. Après tout, c'est une sorte de passagedu nord-ouest pour péné-
Donc à l'hôtel de lord Henry, square Trois-Etoiles, Juan était un trer dans l'Inde brûlante de l'âme ; et de même que les habiles na-
hôte bien venu, recherché même; comme l'était aussi maint reje- vigateurs chargés de celte mission n'ont point encore exploré le
Ïiôle d'une manière exacte (bien que les efforts de Parry soient d'un
ton de nobles souches, et d'autres qui n'avaient pour blason que
leur talent, ou leur richesse, laquelle est partout un excellent pas- leureux augure), de même ici les galants risquent d'échouer; car si
le pôle est fermé par les glaces, c'est un voyage ou même un vais-
seport, ou encore la mode qui, a vrai dire, est la meilleuredes re-
commandations; une mise recherchée l'emporte sur tout le reste. seau perdu.
XL.
XXIX. Les jeunes novices feront bien de commencer par croiser paisi-
« Il y a sûreté dans la multitudedes conseillers, » dit gravement blement sur l'océan de la femme; quant à ceux qui n'en sont pas
Salomon, ou du moins on le lui fait dire Et, en effet, nous en à leur début, ils doivent avoir le bon sens de gagner le port, avant
voyons la preuve dans les sénats, au barreau, dans les luttes de la que le Temps, déployant son pavillon gris, leur fasse leleprétérit signal
parole, partout où peut se déployer la sagesse collective; et telle est d'amener ; avant qu'il faille conjuguer le tristefuinuts,
aussi la cause de l'opulence et de la félicité actuelles de la Grande- de toutes choses ; avant que le fil aminci de la vie achève de se dé-
Bretagne. rouler entre l'héritier avide et la goutte rongeuse.
XXX. XLI.
Si donc pour les hommes « il y a sûreté dans la multitudedes Mais il faut bien le ciel s'amuse; à la vérité, ses amusements
conseillers, » de même pour le beau sexe une société nombreuse sont que
empêche la vertu de s'endormir; ou si elle vient à chanceler, elle dise de parfois cruels... n'importe! le monde mérite, au total, qu'on
lui (ne fût-ce que par manière de consolation) que tout y
trouvera difficile de faire un choix... la variété même deviendraun est pour le mieux. La maudite doctrine des Persans, celle des deux
obstacle. Au milieu d'un grand nombre d'écueils, nous redoublons principes laisse après elle plus de doutes que toute autre doctrine
de précautionscontre le naufrage;et il en est ainsi des femmes : dût qui ait jamais , embarrassé la foi dans notre âme, ou qui l'ait tyran-
leur amour-propre s'en offenser, y ail sûretédans une foule de fats nisée au-dehors.
XXXI. XL1I.
Mais Adeline n'avait pas le moins du monde besoin d'un tel bou- L'hiver anglais... se terminant en juillet pour recommencer en
clier, qui laisse peu de mérite à la vertu proprement dite, ou à la août... venait de finir. A celte époque, paradis des postillons, les
bonne éducation. Sa principale ressource était dans sa noble fierté roues tourbillonnent, les roules sont sillonnées à l'est, à l'ouest,
qui mettait le genre humain à son véritable prix; quanta la coquet- au nord, au sud. Mais qui plaint les chevaux de poste? L'homme
terie elle en dédaignait l'usage. Sûre de l'admiration qui l'entou- s'apitoie sur lui-même ou sur son fils, pourvu toutefois qu'au col-
,
rait, elle n'en était que faiblementémue : c'était une possession de lège le susdit fils n'ait pas amassé plus de dettes que de science.
tous les jours. XLIII.
XXXII. L'hiver de Londres, disais-je, finit en juillet, quelquefois plus
Envers tous elle était polie sans affectation; à quelques-unselle! lard. En ce;i je ne me trompe pas: quelques autres méprises que
témoignait celle attention qui flatte, mais sans laisser après elle la1 l'on puisse mettre sur mon compte, je dois proclamer que ma musc
•moindre trace dont une épouse ou une vierge ait à rougir, douce entend la météorologie ; car le parlement est notre baromètre.Que
et généreuse courtoisie envers le mérite réel ou supposé, suffisante' les radicaux s'attaquent tant qu'ils voudront au reste de ses actes,
pour consoler l'homme célèbre des ennuis de la célébrité. les sessions qu'il tient forment notre seul almanach.
XXXIII. XLIV.
Car, sous tous les rapports, et à peu d'exceptionsprès, la célé- Quand son vif-argent descend à zéro... aussitôt, tout se remue:
brité est un bien triste et ennuyeuxapanage. Contemplez les ombres3 carrosses, chevaux, malles, bagages, équipages. Heureux qui peut
de ces hommes hors ligne qui furent ou sont encore les marion- obtenir des chevaux. Les barrières sont enveloppées d'un nuage d'ar-
nettes de la gloire, la gloire de la persécution; contemplez mêmeî dente poussière; les parcs publics sont veufs de la brillante chevalc-
les plus favorisés, et à travers l'auréole, reflet d'un soleil couchantt rie de notre âge ; et les fournisseurs, avec de longs mémoires et dos
qui entoure ces fronts couronnés de lauriers, que reconnaissez- faces plus longues encore... soupirent en voyant les postillons se
vous?... un nuage doré. succéder comme autant d'éclairs.
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON. 253

XLV. tres vieux monastère, et aujourd'hui résidence plus vieille encore...


Irt
Eux et leurs mémoires, Arcades ambo, sont renvoyés , aux calendes son architecture offre un rare et splendide mélange des divers styles
so
rrccqucs de la session prochaine. Hélas 1 privés de l'argent comp- gothiques,
go auquel, de l'aven de tousles artistes, peu de monuments
'ant qu'ils attendaient, quel espoir leur reste? La possessioncom- sont comparer. Peut-être la partie habitable est-elle située un peu
so à
de l'espoir d'être payés, ou un billet généreusementaccordé à
,ilêic In bas; car les moines l'avaient adossée à une colline, pour que
trop
longue échéance... jusqu'à ce qu'ils le fassent renouveler... puis leur dévotion fût à l'abri du vent.
lei
escompté à perte ; plus la consolation d'avoir un peu charge les
LVI.
comptes. L'édifice esl encadré dans un heureux vallon couronné de grands
XLVI. bois, parmi lesquels, semblable à Caractacus ralliant son armée, le
b(
Bagatelles! assis dans son carrosse auprès de mylady, mylord cj
chêne druidique dresse ses vastes bras contre les éclats de la
salue de la tête, et l'on part au grand galop. Des relais 1 des relais ! foudre. De l'abri de son feuillage on voit sortir, dès que le jour
j.Q
cric- t-on de toutes parts ; et les chevaux sont changés aussi vite que s'éveille,
g, les fauves habitants des forêts; le cerf à l'altière ramure,
les coeurs après le mariage. L'obséquieux aubergiste a rendu la '
suivi de son troupeau, s'y vient désaltérerà l'onde d'une source qui
monnaie; les postillons sont contents de leur pour-boire; mais gazouille
avant que les roues recommencent à tourner en sifflant, le garçon b' comme un oiseau.
LVII.
décurie vient demander à son tour qu'on ne l'oublie pas. Devant le château s'étend un lac limpide, large, transparent et
XLVII. profond
p : l'onde en est renouvelée par une rivière dont les flots se
Accordé! le valet, ce gentleman au service des lords et des gent- calment
c; en traversant la nappe paisible. Dans les buissons cl les
lemen, monte sur le siège de derrière avec mademoiselle la femme joncs
j< de la rive, la sarcelle fait son nid bercé par l'élément liquide.
de chambre de madame, esprit et toilette à tournures, mais plus La
L forêt descend en pentejusque sur ses bords et miredans les Ilots
inndeslc que ne saurait l'exprimer la plume d'un poète... « Cosi ssa face verdoyante.
viaggiano i rieehi» (1). (Excusez s'il m'échappe par-ci par-là quel- LVIII.
ques mots étrangers, quand ce ne sérail que pour montrer que j'ai Au sortir du lac, la rivière s'élance dans un abîme profond, en
voyagé : car à quoi servirait de voyager, je vous prie ?) cascade
c écumeuse,élineelante. Puis ce fracas fait place a des bruits
XLVIII.
moins
" retentissants: comme un enfant qui s'apaise,l'onde transfor-
mée en ruisseau glisse à petits filets, qui poursuivent leurs cours,
L'hiver de Londres et l'été de la campagne louchaient à leur fin. tantôt brillant à la face des cieux, tantôt cachant leurs détoursdans
Quand la nature porte le vêtement qui lui sied le mieux, peut-être j
j bois; ici transparents, plus loin azurés, selon les ombres que les
les
est-il dommage de perdre les plus beaux mois de l'année à suer cieux leur envoient.
dans une ville, el d'attendreque le rossignol soit devenu muet, pen- LIX.
dant qu'on écoute des débalsaussi peu raisonnables que spirituels... Une part glorieuse du gothique édifice, débris d'une église jadis
Il est vrai que, sauf les grouses, on ne trouve rien à chasser avant
septembre. (consacrée au culte romain, s'élevait un peu à l'écart: c'était une
XL1X.
voûte
j. grandiosequi, sous ses bas-côtés, avait autrefois abrité de nom-
J'ai fini ma tirade. Le monde était parti; les quatre mille individus breuses chapelles ; celles-ci avaient disparu, et c'était une perte
jpour l'art; mais la voûte se déployaitencore majestueuse et sombre
pour qui la terre esl faite avaient disparu pour chercher ce qu'ils au-dessus du sol, et en contemplant celle arche vénérable, le coeur
appellent la solitude, c'est-à-dire avec chacun trente valets d'ap- ]
le plus rude se sentait ému.
parât, cl autant ou même plus de visiteurs qu'attend chaque jour LX.
leur couvert. Que nul n'accuse l'hospitalité de la vieille Angleterre : Dans des niches, vers le sommet de la façade, on voyait autrefois
la qualité se compense par la qualité.
douze saints de pierre : ils avaient été renversés, non lors de l'ex-
L. pulsion des moines, mais dans la guerre qui détrôna Charles Stuart,
Lord Henry cl lady Adeline, imitant l'exemplede leurs pairs, les quand chaque maison était une forteresse, comme nous l'apprennent
membres de la pairie, se rendirent à une magnifique résidence, une les annales des races illustres détruites à celte époque... races de
llahcl gothique, vieille de mille ans. Nul ne pouvait se vanter d'une braves cavaliers vainement dévoués à ceux qui ne surent ni abdi-
plus longue généalogie; aucune race n'avait brillé de plus dei quer ni-régner.
héros et de beautés. Des chênes, aussi vieux que leur famille, par- LXI.
laient de leurs aïeux: chaque arbre signalait une tombe. Dans une niche plus élevée encore, seule, mais couronnée, la
Ll.
mère virginale de l'Knfant-Dieu, tenant son fils dans ses bras bien-
Dans tous les journaux, un paragraphe annonça leur départ,
heureux, promenait ses regards autour d'elle : au milieu de la dé-
Telle esl la gloire moderne : c'est dommage qu'elle ne tienne qu'à'| vastalion générale, le hasardl'avaitépargnée ; on eût dit qu'elle sanc-
lifiait le terrain d'à l'entour. Peut-être n'est-ce qu'une faiblesse
un avis au lecteur ou quelque chose de semblable; avant que l'encre superstitieuse,mais la plus chélive relique d'un culte éveille de céles-
soil sèche, le nom est oublié. Le Morning-Post fut le premier à pro-
clamer la nouvelle : «Aujourd'hui sont partis pour leur résidence à1 tes pensées.
LXIL
la campagne, lord H. Amundeville et lady A. »
LU.
IAu centre, dansun enfoncement,on voit une large fenêtre, veuve
de ses verres aux mille couleurs que traversait jadis les glorieux
« On nous assure que l'opulent propriétaire se propose de rece- rayons du soleil, brillants comme des ailes de séraphins. Elle esl
I
voir cet automne une société choisie et nombreuse de ses nobles maintenant béante et désolée : à travers ses meneaux ciselés la brise
»
amis; nous tenons de source certaine que le duc deD. doit ypasser r mugit ou soupire; et souvent le hibou fait entendre son hymne fu-
la saison de la chasse, avec beaucoup d'autres personnages illustres s nèbre dans ce choeur muet, où les alléluia ont expiré comme un feu
de la noblesse ou de la fashion, ainsi qu'un étranger de haute dis- :- qu'on éteint.
tinction chargé par la Russie d'une mission secrète. » LXHI.
Mais à l'heure de minuit, quand la pleine lune est au zénith,
LUI.
On voit par là... (en effet, qui peut douter du Alorning-Post ? Ses8 quand le vent souffle d'un certain point du ciel, on entend gémir
articles ressemblent aux trente-neuf articles de la foi anglicane).... je ne sais quel son étrange et surnaturel, bien qu'harmonieux...
on voit, dis-je, que notre joyeux Hispano-Russe était appelé à briller • un accent mourant traverse l'archecolossale, et s'élève et s'abaisse
tics reflets de la splendeurde son hôte, avec ceux qui selon Pope, tour-à-tour. Selon les uns, c'est l'écho lointain de la cataracte
« étant fort audacieux, parviennent à dîner. » Fait bizarre, mais
.'ls rapporté par le vent de la nuit et harmonisé par les vieux murs du
vrai, pendant la dernière guerre, la liste de ces dîners tenait plus choeur.
1S LXIV.
de place dans les gazelles que celle des tués et des blessé3.
D'autres
( pensent qu'un esprit enfanté par la tombe et les ruines
LIV. a donné à ces rudes débris une voix magique : ainsi la statue de
Cela se rédigeait ainsi : « Jeudi dernier, il y a eu un grand dîner;
r; Memnon, échauffée par les rayons du soleil d'Egypte, faisait enten-
présents: les lords A. B. C. » es dre à l'aurore une vibration mélodieuse. Triste mais sereine, celte
Ici les noms des com les et des
(lacs étaient annoncés avec non ... moins de pompe que celui d'un voix plane au-dessus des arbres et des tours. La cause, je l'ignore e
général victorieux. Puis, un peu plus bas, dans la même m
colonne : ne saurais la dire; mais le fait est constant... Je l'ai entendue cette-
« Falmoulh: Nous avons eu ici dernièrement le régiment de Rôyal- il- voix... trop entenduepeut-être,
Ualafre, si connu par ses exploits et qui a fait, dans la dernière LXV.
re
action, des perles si regrettables; les postes vacants sont remplis... Au milieu de la cour murmurait une fontaine gothique, symé-
« Voir la gazette del'armée. » trique dans son ensemble, mais ornée de sculptures bizarres; c'é-
LV. taient des figures étranges comme celles d'hommes -masqués : ici
Le noble couple est parti pour Norman Abbey (2). Jadis vieux.
x. un monstre et là-bas un saint. L'eau jaillissait par des bouches de
(1) Ainsi voyagent les riches. cien domaine de la famille du poète, dont le parc est maintenantpartagé
(2) La description qui va suivre est celle de l'abbaye de Newstead, an-
n- en plusieurs fermes.
2V+ LES VEILLÉES LITTERAIRES ILLUSTRÉES.

granit toutes grimaçantes el retombaitdans des bassins où sa force de Bacclms rougir le long des sentiers et y suspendre en festons la
de
se dissipait an milieu de petites bulles d'écume, images de la vainc grappe
gr vermeille, comme dans les climats chers au soleil et a la
gloire de l'homme cl de ses soucis plus vains encore. poésie;
P< mais il sait néanmoins se faire à prix d'argent un choix des
LXVL
meilleurs
J!1 vins, tels que le léger bordeaux et l'énergique madère. Si
l'Angleterre
lJ déplore sa stérilité, le meilleurvignoble est un cellier.
Le manoir lui-même était vaste et vénérable. Il avait conservé r
plus que d'autres édifices du môme genre son caractère monastique; LXXVII.
on voyait encore debout le cloître, les cellules, el, je crois aussi, le S'il manqucàsondéclin cette sérénité, par laquelle l'automne nié.
réfectoire : une petite chapelle, d'un goût exquis, demeuraitintacte ridional semble résigner son pouvoir à un secondprintemps plutôt
ri
et décorail la scène. Le reste avait été reconstruit, remplacé ou dé- qu'à
q] l'hiver triste et sombre... celle saison a du moins dans l'in-
truil, et rappelait plus le baron que le moine.- térieur
l< des maisons une mine abondante de conforls... le feu de
charbon de terre « les prémices de l'année! » Au dehors nos cam-
"!
LXVH. peuvent rivaliser avec loules les autres en fécondité, et |c
De vastes salles, de longues galeries, des chambrés spacieuses, pagnes
réunies par un art peu scrupuleuxdans le mariage des genres, pou- vert qui leur manque c;t compensé par le jaune.
*,

vaient choquer un connaisseur; mais l'ensemble irrégulicrdans ses LXXVIII.


parties n'en laissait pas moins dans l'esprit une impression gran- Quanta l'efféminée villeggialure... non moins riche en gibier à
diose, pour ceux du moins qui ont des yeux dans le coeur. Nous ccornes qu'en limiers... elle a la chasse si pleine d'animation qu'un
admirons un géant à cause de sa stature et nous ne demandons dévot
il serait tenté de jeter le rosaire pour se joindre à la troupe
pas si la nature avouerait toutes les proportions de ses membres. jjoyeuse. En la voyant, Ncmrod lui-môme quitterait les plaines de
LXVIII.
l'Assyrie
! el prendrait pour un temps la jaquette du chasseur bri-
tannique. Si les parcs anglais n'ont pus de bêles noires ou sangliers,
Sur les murs, dans des cadres assez bien conservés, brillaient des !
barons de fer, auxquels succédait une longue el galante série de ' ont, par compensation, une réserve de bêtes apprivoisées qu'on
ils
devrait
( bien chasser.
comtes parés de soie el de l'ordre de la Jarretière ; on y voyait aussi LXXIX.
mainte lady Marie dans toute sa fraîcheur virginale, avec ses longs Les nobles hôtes réunis à l'Abbaye étaient... donnons le pas au
cheveux blonds; des comtesses d'un âge plus mûr en robe garnie
de perles ; el quelques beautés du xvnc siècle drapées de manière
beau
,] sexe... la duchesse de Fitz-Fullke, la comtesse Crabby, lady
Boiiibazeen,
Scilly, ladyllusey, miss Eclat, miss miss Macslay, miss
à nous permettre de les admirer librement. !
O'Tabhy, pins mislress Rabbi, la du riche banquier, et enfin
squaw
LX1X. ]l'honorable mislress Sleep, qu'on eût prise pour un blanc agneau,
On y voyait aussi, revêtus de leur formidable hermine, des juges mais
] qui n'était qu'une brebis noire (1);
dont le visage ne pouvait guèreinspirerde confianecauxaccuséscl leur LXXX.
l'aire espérer que dans le jugement de leurs seigneuries le droit pas- Avec d'autres comtesses Irois étoiles, mais loules du haut parage,
serait avant le pouvoir ; des évoques qui n'avaient pas laisse un ser- à la fois la lie et l'élite des réunions, nous arrivant pieuses el puri-
mon , des procureurs généraux dont l'esprit redoutable rappelait fiées de leur brouillardnatal, commel'eau sortantdu filtre ou comme
beaucoup plus la chambre étoiléc que Yltabeas corpus. le papier converti en or par la banque. N'importe comment on
LXX. pourquoi, le passe-port couvre tout le passé; car la bonne société
Des capitaines les uns couverts de leur armure, nés dans ces
: ne se dislingue pas moins par la tolérance que par la piété...
siècles de fer, où le plomb n'avait pas encore pris le dessus; les au- LXXXL
tres en perruques dans le goût martial de Murlborough, douze fois C'esl-à-direjusqu'à un certain point, lequel point offre la plus
plus vastes que celles de notre race dégénérée; des hobereaux avec grande difficulté de toute la ponctuation. Les apparences semblent
leurs verges blanches ou leurs clefs d'or ; des Nemrods dont le former le pivot sur lequel tourne tout le beau monde; el pourvu
coursier tenait à peine dans le cadre, et çà et là quelques farou- qu'il n'y ait pas d'explosion, qu'on n'entende pas le cri : « Arrête/,
ches patriotes devenus tels pour n'avoir'puoblcnir une place. sorcière I » chaque Médée a son Jason, et pour citer Horace : Omm
LXXI. lu/il ptmetum quie miscuit utile dulci (2).
Mais de distance en distance, pour délasser le regard fatigué de LXXXH.
loules ces gloires héréditaires, apparaissait un Carlo Dolcc ou un Je ne puis déterminer exactement celle règle de juslicc, qui so
Titien, ou un groupe sauvage du sauvage Salvalor ; là dansaient rapproche un peu de la loterie. J'ai vu une femme vertueuse
des enfants de l'Albanc, ici brillait la mer revêtue par Vcrnel de ses! loul-a-l'ait écrasée par la seule influence d'une coterie; j'ai vu
océaniques clartés; plus loin l'effroi dominait dans ces scènes! aussi une malronc fort équivoque se rouvrir bravoment un chemin
pieuses pour lesquelles l'EspagnoIel a trempé ses pinceaux dans le dunslc monde à force de machinations, y briller comme la canicule
sang des martyrs. dans les cieux, cl en être quille pour quelques railleries.
LXX1I.
Claude Lorrain étalait ses délicieux paysages; Rembrandt faisaitL LXXXIII.
rivaliser ses ténèbres avec la lumière ; Caravagc répandait ses som- J'en ai vu plus que je n'en dirai... Mais voyons ce que devient
bres teintes sur la maigre el stoïque figure de quelque anachorète... notre villeggialure. La réunion se composaitde'trentc-trois individus
Mais voici Tenicrs qui égaie nos regards par des scènes bachiques : de la caste supérieure... les brahmincs du grand genre. J'en ai
la vue de ses larges gobelets m'altère comme un Danois ou un Hol- nommé quelques-uns, non les premiersen rang, «ayant choisi au ha-
landais... holà! qu'on m'apporte une bouteillede vin du llhin. sard selon le besoin de la rime. Pour rehausser l'ensemble, on j
LXX11I. avait, mêlé un certain nombreà'absentéistes irlandais (3),
O lecteur! si vous savez lire... et remarquez que l'art d'épeler oui LXXX1V.
même d'assembler les syllabes ne suffit pas pour constituer un lec- On y voyait Parolles, ce spadassin légal qui n'accepte pour chani|
teur; il faut encore des qualités dont vous et moi nous avons égale- de bataille que le barreau cl le sénat, lnvitéùse rendre sur un nul»
ment besoin. 11 faut d'abord commencer par le commencementt lorrain, il se montre plus disposé a la discussion qu'au combat. 1
(bien que la condition soil un peu dure) ; secondement, continuer;; y avait le jeune poète llackrhymc, aslre nouvellement lové et fa-
bril-
troisièmement, si l'on a commencé par la fin, finir au moins par leB Innt depuis six semaines; puis lord Pyrrho, ce libre-penseur
commencement. meux, et enfin sir John Potiledeep, ce buveur puissant (4).
LXXIV. LXXXV.
Mais, lecteur, tu as fait, depuis quelque temps, preuve de grandee 11 y avait le duc de Dash qui était un duc mais duc «le1
patience, tandis que moi, je me suis mis à décrire tant de bâtimentss , pairs
pieds à la tête. Il y avait douze comme ceux de Charlcmagnc-
et de domaines que Phcbus a dû nie prendre pour un huissierpri- tcllcmcnl pairs de figure et d'intelligence, que, par les yeux ni p»
seur. Tels furent les poêles dès les temps de les plus reculés : nouss les oreilles, il n'y avait pas moyen de les prendre pour des gen
le voyons dans Homère par son catalogue vaisseaux ; mais un"
comme toul |c monde. Il y avait les six misses llawbold char
auteur moderne doit êlrc plus modéré... je le ferai donc grâce du mo-'" manies personnes, toul gosier et sentiment, dont le coeur visait bic
bilier et de la vaisselle plate. moins à un couvent qu'à une couronne de comtesse (u).
LXXV.
L'automne vint avec ses fruits mûrs, et pour jouir de ses douceurs LXXXVI.
s II y avait quatre honorables messieurs, à qui une pareille quai'
arrivèrent les hôles attendus. Les blés sont coupés; le gibier abonde 3
dans les terres du domaine; le chien d'arrêt bal les taillis ; le chas-
'" (1) Cette slance ne contient que des noms forgésqui s'expliquentpar1(
seur l'accompagne en veste brune : il vise avec un oeil de lynx, sa a mots anglais : folk, monde ; crub, chèvre; sillu, sot ; busy, affairé ; s'"!
carnassière se remplit et aussi la liste de ses exploits. Ah ! perdrix,
c, corset ; lobby, étoffe do soie ; rabbi, rabbin ; sleûp, sommeil.
couleur noisette! ah! brillants faisans! et vous, braconniers... pre-
s- (2i Celle-là réussit de tout point qui réunit l'utile à l'agréable.
garde! la chasse n'est pas laite pour les vilains. (3) Grands propriétaires de l'Irlande par droit de conquête:ils mange'
nez leurs lewnns an-dohnrs et sont la principale cause de la ruine du pavs.
LXXVI. (4) Pettledeep,
KncA-c/i}y.-ii<!,lilléralcnriftiil,Tormrc-rimo; Phite-prolbml
Un automne anglais n'a pas de vignes : il ne voit pas le pampre
'e (5) Dash embarras; ratv, cru; bokl, hardi.
,
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON. 2S5

fiealion convenait mieux dans le sens politique qu'autrement; il y J'ai gardé depuis ma jeunesse une impression profonde des paroles
J"
avail le preux chevalier de la Uuse, que la France et la fortune de mislress Adams, lorsqu'elle s'écrie que « c'est un blasphème de
di
avaient daigné expédier sur nos rivages, et dont le principal et parler
p: des Ecrituresailleursqu'à l'Eglise » (I).
iiinll'ensif talent élail d'amuser la compagnie mais les clubs trou-
; xcvn.
vaient la plaisanterie un peu sérieuse ; car il était si aimable que Glanons toujours ce que nous pourrons dans co siècle de paille,
les dés eux-mêmes semblaient sous le charme de ses reparties. j
dussions-nous ne point récolter de farine. Je ne dois pas omettre
LXXXVII. dans
d ma liste l'homme de la conversation, Kit-Cat, le célèbre cau-
Il y avait Richard Dubious, le métaphysicien , grand ami de la seur si qui, tous les matins, inscrivait sur son carnet ce qu'il dirait le
philosophie et des bons dîners; Angle, le soi-disantmathématicien; soir.
s< «Ecoule, oh! écoule! — Hélas! pauvre ombre»(2)! Quel désap-
sir Henry Silvercup , tant de fois vainqueur aux courses ; le rêvé- pointement
p attend ceux qui ont étudié leurs bons mots !
rend Hodomont Precisian, ennemi du pécheur, bien plus que du
péché ; cl lord Auguste Filz-Plantagenel, bon à loul, mais princi- XCVIH.
D'abord, il leur faut, par toutes sortes de détours, amener la
niilcmcnl aux gageures. conversation à portée de leur ingénieuse pointe; secondement,ils
1 LXXXVIH. P
Jj
Il y avail Jack Jargon, le colossal officier aux gardes, et le gêné-
doivent ne laisser échapper aucune occasion, ne pas céder à leurs
interlocuteurs
j un pouce de terrain , mais en prendre pour eux un
rai Fireface, fameux dans toute sorte de campagnes, grand tacticien bon pied... et faire une grande scnsalion
j, s'il est possible; troisiè-
ei non moins grand sabreur, qui, dans la dernière guerre, avait mement, ils sont tenus de ,
dérouter quand un adroit cau-
mange plus d'Yankees qu'il n'en avail lue; puis ce farceur de juge seur
,. ne pas se
s les entreprend, mais de toujours avoir le dernier mot, qui né-
du pays de Galles, Jeflèrics Hardsman (I), si bien pénétré do ses cessairement le meilleur.
austères devoirs que lorsqu'un coupable venait entendre son arrêt, c est
XCIX.
il avait pour consolation un quolibel de son juge. Les maîtresdu logis étaient lord Henry et lady Adeline ; les per-
LXXXIX. sonnes
î dont nous avons esquissé les portraits étaienlleurs visiteurs.
C'est un véritable échiquier que la bonne compagnie ;on y trouve 1La tablo eût pu tenter môme des ombres attirées au-delà du Slyx
des rois, des reines, des évoques, des chevaliers, des roôks, des iÎiar ces banquet* substantiels- Je n'appuierai pas Riir les ragoûts et
pions (2); le monde est un jeu : je lui trouve quelque rapport avec I
es rôtis , bion que toule l'histoire de l'humanité atteste que depuis
le joyeux Polichinelle. Ma musc esl un vrai papillon ; elle n'a que la I pomme d'Eve, le bonheur de l'homme, ce pécheur affamé, dépend
des ailes et point de dard, et voltige sans but dans Cellier, se po- 1beaucoup de son dinor.
saut rarement... Si elle était seulement un frelon il y a des vicos C.
IIIIÎ s'en trouveraientmal. , Témoin la terre « où coulaient le lait el le miel, » offerte en per-
XC. spective
i aux Israélites affamés ; à quoi nous avons ajouté depuis
J'avais oublié... mais il ne faut rien oublier... un orateur, le der- l'amour de l'argent, le seul plaisir qui récompense la peine qu'on
nier de la session, qui avail prononcé un discours fort proprement prend pour l'obtenir. La jeunesse
écrit, sa première et virginale invasion dans les débats parlemen- jours sans soleil ; nous
se fane, cl laisse après elle des
nous lassons des maîtresses et des parasites;
taires ; les journaux retentissaient encore de son début, qui avait mais, ô céleslo métal ! qui consentirait à le perdre?... Celui-làseul
l'ait une profonde impression, et passait, comme on le dit de toute qui ne peut plus user ni même abuser de toi.
chose nouvelle, pour « le meilleur discours que l'on eûtjamais fuit.»
CI.
XCI. Les messieurs se levaientle matin pour aller chasser au tir ou au
Fier des « écoulez! » qu'il avait obtenus, fier aussi de son vote courre : les jeunos parce qu'ils aimaient cet exercice, la première
el de la perle de sa virginité oratoire, lier de sa science (qui suffi- choso dont s'éprenne ,
un adolescent après les jeux cl le fruit ; les
sait tout juste pour lui fournir des citations), il s'ébattait dans sa hommes mûrs, pour abréger la journée; car Vciinui est un produit
j-'loire cicéronienno ; avec une mémoire de mois, avec l'esprit dû du sol anglais, bien qu'il n'ait point de nom précis dans la langue
quolibet et de l'ancrdole. ayant quelque mérite et plus d'effronte- anglaise..... A défaut du mot, nous avons la chose, cl laissons au
rie, cet orgueil du pays élail venu visiter la campagne du pays. français lo soin d'exprimerce formidable bùillemcntfyucle sommeil
XCH. n'apûiso point.
Il y avait, aussi deux beaux esprits, généralementproclamés fols, CIL
l.niiiibow d'Irlande et Slrongbow d'Ecosse, tous deux avocats et Los vieillards parcouraient la bibliothèque, bouleversaient les
hommes bien élevés; mais Slrongbow avait plus de poli. Longbow livres, ou critiquaient les tableaux; d'autres fois ils arpentaient
t'Iiiii doué d'une imagination ardenteetsuperbo comme un coursier piteusement les jardins, faisant quelques incursions dans la serre-
de race ; par malheur, il suffisait d'uno patato pour le fnire bron- chaude; ou bien ils montaient un bidet au trot pacifique, ou lisaient
cher... tandis que les meilleurs traits do Slrongbow n'auraient pas leurs journaux du matin, ou enfin, fixant sur lu pendule un regard
été indignes de Caton.
!
impatient, Agés déjà do soixante ans, ils auraient voulu être de six
XCHL heures plus vieux.
Slrongbow élail comme un clavecin récomment ncoordô, mais cm.
Longbow avait la sauvage harmonie d'une harpe éoliennc que les Mais personne ne se gônolt; le signal de la réunion générale était
lents du ciel font vibrer en lui arrachant des accords ou voilés ou donné par la cloche du dîner ; jusque-là tous étaient maîtres de leur
perçants. Dans l'élocution de Slrongbow, vous n'auriezpoint trouvéj temps, et libres de passer soit en société, soit dans In solitude ces
un "mol à changer; les phrases de Longbow prêtaient quelquefois, .
heures que si peu de gens savent employer. Chacun se levait à son
à lu critique tous deux hommes d'esprit,l'un
:
heure, donnait à sa loilelle loul le temps qu'il voulait, et déjeunait
pur sa nature, l'autre, quand, où
pur l'éducation ; le coeur, la tête. ; et comment il lui plaisait.
XC1V. |I C1V.
Si cel assemblage vous semble hétérogène pour une réunion à, |! Les dames... les unes fardées les autres un peu pâles... affron-
,
taicnl comme elles pouvaient le regard du jour. Jolies, elles fai-
Iti campagne, n'oubliez pas qu'un échantillon de chaque classe estt j!
l'i'él'érable à un insipide tètc-à-lôle. Hélas ! ils sont passés, les beaux. j saient une promenade à pied ou à cheval; laides, elles lisaient,
j
jours de la comédie, alors que les sots de Congrève rivalisaient avec^ !I coulaient des histoires, chantaient, répétaient la dernière conlre-
lis bêtes de Molière ! La société a été tellement nivelée ; danse venue de l'étranger, discutaient la mode prochaine, réglaient
que les i•
jj la forme des chapeaux d'après le dernier code, ou enfin Ijarbouit-
moeurs comme les costumes sont partout les mêmes.
j laient douze feuilles de papier pour imposer une nouvelle délie à
XCY. ; chacun de leurs correspondants.
Nos ridicules sont rejetés sur le dernier plan... et ce sont des ri- •!
j
iliculcsbien tristes; cl puis les professions n'ont plus rien qui les; i cv.
ffiraclérise; l'arbre de la sottise n'offreplus de fruits à cueillir : ce, j: Quelques-unes avaient des amants absents; toutes avaient des
"est pas que les sols n'abondent, mais ils sont stériles, et ne valent[ jj amis. La terre et peut-être aussi le ciel n'ont rien de comparable à
r/isla peine de la récolle. La société est maintenant une horde civi- une lettre de femme... car elle ne conclut jamais. J'aime le mystère
"ste, formée de deux puissantes tribus : ennuyeux, ennuyés. iS d'une missive féminine, qui, comme un article de foi, ne dit jamais
: tout ce qu'elle veut dire... Quand vous répondrez à une pareille
XCVI. lettre, je vous conseille d'être sur vos gardes.
Mais de fermiers devenus glaneurs, nous ramassons les épis
'I déjà battus de la vérité. Ahl cher lecteur, dans la récolterares dess
j
!i CVL
, rtiosts sensées,
soyez Booz, et moi, je serai la modeste Rulh Jej, |i Et puis, on avait des billards, des caries, mais point de dés
continuerais l'allégorie; mais l'Ecriture sainte est chose interdite, ji excepté dans les clubs, un homme qui se respecte ne joue jamais...
! des bateaux quand il y avait de l'eau, des patins quand il gelait, el
(1) Fireface, face feu ; hardsman, homme dur. 1 que les jours embaumésavaient fait place à lartule froidure ; enfin la
,'-1 Aux éihccs, an les Anglais nomment évoques ce que nous appelonsS
['"*'; les tours ils les appellent rocks, c,a qui veut dire à la fois ;•
rocss t! (1) Dans Joseph Andrews, roman de Fielding.
''inni!' mi disait autrefois eu français d'où roquer) r-t fripuus. \ l*i)Voyez ['llumlel de Shakespeare.
2i>6 LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

Îlèche à la ligne, ce vice solitaire,quoi que puissechanter ou dire votre


saac Walton,vieux fat, cruel autant que ridicule,qui mériterait bien
d'avoir un hameçondansle gosier, avec une pelile truite pour le tirer.
CVII.
Le soir ramenait la table et le vin, la conversation, le duo chanté
par des voix plus ou moins divines (le seul souvenir m'en fait mal
a la tète el au coeur). Des misses Rawbold, qualre brillaient surtout
la
dans chansonnette; mais les deux cadettespréféraient la harpe...
parce qu'aux charmes de la musique elles joignaient de gracieuses
épaules, et des bras et des mains d'une blancheur éclatante.
CVIII.
Parfois la danse offrait l'occasion de faire admirer des tailles de
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON. 257
j
lez une paille en l'air, et vous verrez de quel côté le vent souffle. » i
Or, la poésie, c'est une paille emportée par le souffle humain, dans I
]a direction que lui imprimel'esprit; c'est uncerf-volantqui plane
entre la vie la
et mort, une ombre que l'âme aventureuse projette
derrière elle; et ma poésie à moi, c'est une bulle d'air enflée, non
pour m'en faire gloire, mais pour jouer comme joue un enfant.
IX.
238 v
LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

ressemblancedu portrait de la haute société? C'est qu'en effet elle XXXI.


n'offre pas grand'chose à décrire. Juan, et.sous Ce rapport du moins il ressemblait aux saints... Juan
XXI. était tout à tous sans distinction de classe : il se trouvait heureux
jj!
llattd ignàra loqiiur, ce sonl là des Migre,, qitàrumpars païva dans
CJ
les canins, abord d'Un navire, Sous lé chaume ou dans le5
fui (1), mais pourtant une part réelle. Or, je tracerais plus facile- cours. Doué d'un de ces caractères heureux i|ui font rarement dé-
faut, il prenait moddstetriènt sa pàrldestraValixou dés plaisirs. Sans
fg
ménl l'esquisse d'un harem, d'une bataillé, d'Un naufrage ou d'une fatuité,
pa il savait se faire bien venir de loules les femmes.
histoire du coeur que je né peindrais Ces choses-là. D'ailleurs je dé-
lire m'en dispenser pour des raisons qu'il me convient de gai'der XXXII.
secrètes. V<etabo-Cereris Sacrum qui vulgarit (2)..; ce qui signifie Une chasse au renard est, pour l'étranger, une chose assez eviti-
que le vulgaire ne doit pas les connaître. qque. H y court deux dangers, d'abord de tomber, puis des'enteu-
xxn. die plaisanter sur sa maladresse ; mais Juan, connaissant de longue
C'estdonc chose convenue : ce que je jette sur ce papier est 4idéal, imain j n
les déserts t les franchissait comme un hva\)ç qui court à la
affaibli, dénaturé, comme une histoire des francs-maçons, el n'a | vvengeance, et soit qu'il nîonlâi un cheval de bataille, de course ou
pas plus de l'apport avec la réalité que le voyage du capitaine Porry de j louage, l'animal savait qu'il portail son maître.
avec celui de Jason. Le grand secret ne doit pas être vu de tout le xxxni.
mondé; ma musique a de mystiquesdiapasons, el contient beau- El maintenant entré dans celte nouvelle carrière, il s'y faisait iip.
coup de choses que les initiés seuls peuvent apprécier. plaudir
p en bravant haies, fossés, barrières et grilles, ne balançant
XXIII. {jamais devant l'obstacle, ne faisant que peu de faux pas cts'inipa-
Hélas! les mondes se perdent tientanl seulement lorsqu'on perdait la {liste. H viola, il est vrai,
et la femme, depuis qu'elle a quelques-uns des statuts de la chasse ( car le plus sage peut faillir)',
perdu le monde (tradition plus vraie que galante, à laquelle on tient Jlança de à autre son cheval parmi lés chiens, et moine passa
comme article de foi), n'a pas tpul-à-fail renoncé à des hitbltiideS une" fois temps
analogues. Triste esclave de l'usage! violentée, asservie( vltjlilûë l sur le corps de quelques gentilshommes campagnards.
quand elle a tort, et souvent martyre quand elle a raison, condam- XXXIV.
née aux douleurs de l'enfantement, comme les hommes pour leurs Mais à cela près, lui et son cheval s'acquittèrent de leur tâche à
péchés ont été soumis à la nécessité de se faire la barbe.i* 1l'admiration de lous; les squires s'élonuèrcnl qu'un étranger eût

xx,v-
Fléau quotidien, qui, pris en somme, équivaut.
\
à l'accouchement. Cru
tant
! de mérite; les paysans s'écrièrent : « Du diantre ! qui l'aurait
! » Les Ncstors de la génération chassante le louèrent en ju-

Mais quant aux femmes, qui peut pénétrer les souffrances réelles rant, ,
Itii-itlême
el ressentirent une étincelle de leur premier feu; le veneur
de leur condition ? L'homme, jusque dans sa sympathie pour' elles,
j grimaça un sourire, et dit qu'il valait presque un piqueur.
montre, beaucoup d'égoïsme, et encore plus de méfianrjth Amour, XXXV.
vertu, beauté, talents, n'aboutissent qu'à faire d'elles dès ménagè- Tels furbtit ses trophées... non des boucliers el des lances, mais
res chargées d'accroître la population, des fossés franchis des haies crevées, el parfois des queues de
i
, re-
nard. Pourtant, et ici, véritable Anglais, je né puis défendre
xxv. d'une patriotique
en
rougeur... il fut intérieurement de
me
l'avis de Clies-
Tout cela serait bel et bon, cl ne saurait être mieux', mais ce rôle
même est difficile, Dieu le suit! tant sonl nombreuses les afflictions buissons vallées (ertieldj qui, le lendemain d'une longue chasse à travers collines.
qui assiègent la femme depuis sa naissance; tant est faible la distinc- j el le reste, tout bon cavalier qu'il était, demanda
tion entre ses amis el ses ennemis. La dorure de ses chaînes s'use naïvement « si jamais homme avail chassé deux fois. »
si vite que... Demandez à la première venue, pourvu ipi'oiie ail XXXVI.
trente ans, ce qu'elle aimerait mieux être, homme ou femme, sim- Il possédait surtout une qualité assez rare après une chasse ; chez
ple écolier ou reine? lès gens qui se sont levés avant que le coq eût averti le joui' pares-
XXVI. seux de décembre de commencer sa triste carrière... il avait, dis-je,
« L'influencedu cotillon ! » voilà un grave reproche auquel une dualité assez rare et surtout agréable aux femmes, qui, dans
draient échapper ceux môme qui subissent celte lhtiueh?ëi vou- Maisi leur doux et coulant babil, veulent un auditeur, saint ou pécheur.
comme c'est sous le cotillon que nous arrivons dansée mondé parmii n'Importe... c'est qu'il ne s'endormait pas après dîner.
les cahots du liacre de la vie, je déclare que pouf mon compte je3
vénère ce vêlement féminin... vêlement mystérieusement sublime, XXXVll.
qu'il soil de bure, de soie ou de basin. » Mais, sémillant et léger, toujours sur le qui-vive, il prenait une
part brillante a là conversation, égayant toujours ce qu'avan-
XXVII. çaient ces dames, et recherchant les sujets d'entretien les plus en
Je le respecte infiniment,je l'ai môme adoré dans me-ii jeune âge, vogue. Tantôt grave, tantôt gai, jamais lourd ni impertinent; se
ce voile chaste cl sacré, qui, pareil au coffre-fort de l'avare , re-, bornant à rire sous cape... le rusé coquin I... il ne relevait jamais
couvre un trésor, et n'attire que davantage par tout ce qu'il nouss une bévue... bref, il n'y eut oneque de plus habile écouteur
cache fourreau d'or qui renferme un glaive de Damas, leltree
d'amour au sceau mystérieux, remèdeà toutes les douleurs... peut- XXXVIII.
El puis il dansait... lous les étrangers l'emportent sur le sérieux
on souffrir en face d'Un cotillon et d'une cheville bien tournée? anglais dans l'éloquence de la pantomime.... il dansait, dis-je, Fort
XXVIII. bien, avec expression cl aussi avec bon sens... point indispensable
Et par un jour silencieux et triste, quand par exemple souffle. e. dans l'art de remuer les pieds; sans prétention théâtrale, non en
,
le sirocco quand la mer elle-même parait sombre malgré l'écume ,
, c maître de ballet qui exerce ses nymphes, mais en vrai gentleman.
de ses flots, que l'onde du fleuve coule pesamment, el que dans lee
ciel règne ce vieux Ion grisâtre lugubie cl monastique, antithèse XXXIX.
des rayons lumineux... alors même , il
esl agréable de jeter un coup
:C Ses pas étaient chastes et renfermés dans les limites du goût, cl
P toute sa personne portait un cachet d'élégance; comme la légère
d'oeil en passant sur quelquejolie paysanne.
Camille, c'est à peine s'il effleurait le sol, cl il contenait sa vigueur
XXIX. plus qu'il ne la déployait. Puis il avail l'oreille juste et ses mou-
Nous avons laissé nos héros et nos héroïnes dans ce beau pays, , ,
s, vements classiques, irréprochables, le plaçaienthors ligne : il
brillait
dont le climat est tout-à-fail indépendant des signes du zodiaque, s, comme un boléro personnifié;
bien qu'il présente aux poêles le plus de difficulté, attendu que le XL.
soleil, les étoiles et tout ce qu'il y a de brillant, que tout cela, i, Ou comme l'une des Heures fuyant devant l'Aurore, dans cette
dis-je, y oll're le plus souvent 1 aspect triste et maussade d'un créan- i- fameuse fresque du (Guide qui, à elle seule, vaudrait un voyagea
cier..!., car alors le ciel est véritablement aiujlais, Rome, quand même il n'y resterait plus un débris du trône Unique
xxx. dé l'ancien monde. Chez lui, le «tout ensemble» était empreint
Une vie loul intérieure est peu poétique; et dehors on à les dé ce gràcièlix el suave idéal qu'on rencontre rarementet qu'on ne
?s saurait décrire car les mots manquent dfc Couleur.
averses, les brouillards él le givre, avec lesquels je serais incapable
de brasser une pastorale. Quoi qu'il en soit, un poêle doit sur- '- *LL
monter tous les obstacles, petits ou grands. Eh galant ou en per- r- Rien d'étonnant dès lors qu'il fût recherche i et qu'on l'admirai
fectionnant son ouvrage, il faut qu'il marche vers la fin el qu'il 'il comme un Cupidon devenu homme, un peu gâté, mais pas fat; du
,
travaille comme un esprit sur la matière, quelquefois également ni moins il savait dissimuler sa vanité. 11 était doué d'un tel tact, qu il
contrarié par le feu et par l'eau. savait également charmer les beautés chastes el celles qui sonl au-
trement inspirées. La duchesse de Filz-Fulke, qui aimait à tracasser,
(1) Je parle de choses à moi connues; ce sont là des bagatelles auxquelles
j'ai pris une petite part. Lambeauxde Virgile arrangés parle poète anglais.
(2) Je ne permettrai point à celui qui a divulgué les mystères de Gé-
rés de demeurer sous mon toit, etc. Horace, od. in, 2.
les
t lui fil la première quelques agaceries.
XL1I.
C'était une belle'blonde, un peu mûre, désirable, distinguée, , <'
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON. 250

qui, pendant plusieurs hivers, avait brillé dans le grand monde. Je I LUI.
crois devoir taire ce qu'on rapportait de Ses faits el gestes, car ce se- Celle époque petit être fixée un peu avant trente ans..... soit à
rait un sujet chatouilleux, outre qu'il pouvoil y avoir du faux dans vingt-sept;
vi car jamais elle né fut dépassée par la femme la plus
ce qu'on en rapportait. Sa
dernière fantaisie avait été de se lier à la slricte
si en chronologie el en vertu, tant qu'elle pul encore pas-
vie à la mort avec lord Auguste Filz-Plantagcnct. ser pour jeune. O Temps! pourquoi donc ne t'arrêtes-lu pas? Ta
se
faulx, salie par là rouille, devrait assurément cesser de couper et
fa
XLHI. de trancher; aiguisc-la, marche avec plus de précaution, ne fût-ce
dl
La figure de ce noble personnage se rembrunit un peu en voyant que pour conserver la réputation de faucheur.
qi
le nouveau trait de coquetterie dont Juan était l'objet; mais un
muant doit tolérer ces petites licences, simples privilèges de la cor- L1V.
poration féminine. Malheur à l'homme qui hasarde une remon- Mais Adeline étail loin de cet âge donl la maturité est amère
,
irance! il ne réussit qu'à précipiter un dénoûment désagréable, après
a toul. Ce qui la rendait sage, c'était plutôt l'expérience; car
mais commun à ceux qui comptent sur la femme. e avait vu le inonde et subi ses épreuves, comme je l'ai dit... à je
elle
vingt-
"ne sais quelle page : ma muse dédaigne les renvois. Mais deannées.
XLIV. sept ôlezsix, et vousaurez et avec surcroît le nombre de ses
Le cerclesourit, puis chuchota, puis décocha quelques traits : les
misses se rengorgèrent, les matrones froncèrent le sourcil ; quelques- LV.
unes espéraient que les choses n'iraient pas aussi loin qu'on le crai- A seize ans, on la produisit dans le monde. Présentée, prônée,
gnait, d'aulres ne pouvaient croire qu'il y eût de telles femmes au elle
c mit en émoi toutes les couronnes do comte. A dix-sept, le
monde. Celles-ci ne croyaientjamais la moitié de ce qu'elles enten- monde
n continua de se laisser charmer par la nouvelle Vénus sortie
liaient dire ; plusieurs enfin plaignirent sincèrement ce pauvre lord d son brillant océan; à dix-huit, bien qu'une hécatombe de sou-
de
Auguste Fitz Plantagenet. pirants
I palpitât d'adoration à ses pieds, elle avait consenti à créer
XLV. c nouvel Adam, appelé « le plus heureux des hommes. »
ce
Mais ce qu'il y a de singulier,-personne ne prononça même le
LVI.
nom du duc, qui cependant, on aurait pu le croire, élail bien pour Depuis lors, elle avait rayonné durant trois brillants hivers, ad-
quelque chose dans 1 affaire. A la vérité, il était absent, et il passait mirée adorée, mais en même temps si régulière dans sa conduite,
pour ne demander jamais, en ce qui concernait sa femme, ni où,
r i
ni quand, ni qu'est-ce; et s'il tolérait ses licences, nul n'avait le que,
J! dédaignant le Voile de la circonspection, elle avait mis en dé-
droit de s'en scandaliser. Leur union élail de cette espèce, la uieil-
faut la médisance la plus subtile. Dans ce marbre parfait, nul n'avait
pu découvrir la plus légère tache. Après son mariage, elle avait
leure de toutes assurément où l'on ne se rapproche jamais, el où, T
aussi trouvé un moment pour faire un héritier et une fausse couche.
par conséquent, il n'y a pas lieu de se détacher.
a

XLVI. LVH.
Oh! comment ai-je pu trouver uti vers si cruel!... Enflam-
Autour d'elle voltigeaient empressées toules les mouches lui-
niée d'un amour abstrait de la vertu, ma Diane d'Epbèse, lady Ade-
santes,
t' ces insectes brillants des nuits de Londres; mais nul d'entre
line, regarda bientôt comme trop libre la conduite de la duchesse. eux n'avait un dard qui put l'atteindre... elle était hors de la portée
Regrettant beaucoup qu'elle lut entrée dans une aussi mauvaise ' vol d'un fat. Peut-être appelait - elle de ses voeux un aspirant
du
plus hardi ; mais quels que fussent ses désirs, sa conduite était irré-
voie, elle mil plus de froideur dans ses politesses : son front devint qu'elle eu soit rede-
jprochable; et pourvu qu'une femme Soit sage,
pâle et grave, en voyant dans son amie cette fragilité, qui offreaux vable à sa froideur, à son orgueil ou à sa vertu, il n'importé!
amis une belle occasion de s'émouvoir.
LVllI.
XLVII. Je déteste la recherche des motifs, comme je déleste une bou-
Dans ce détestablemonde, il n'y a rien comme là sympathie : elle teille trop lente qui se fait attendre aux mains du maître de la
sied si bien à l'âme et au visage! elle donne une suave harmonie maison, laissant les gosiers arides appeler en vain le bordeaux,sur-
aux soupirs, et revêt la douce amitié d'une robe de dentelles. Sans tout quand la politique est en jeu. Je déteste celle recherche comme
un ami, que deviendrait l'humanité ? Qui relèverait nos fautes avec je detesto Un troupeau de boeufs qui fait tourbillonner lu poussière,
grâce? Qui nous consolerait par un : « Il fallait y regarder à deux
l'ois ! Ah ! si vous aviez écoute mon avis ! »
ou un long raisonnement; ou une ode de lauréat, ou le vote appro-
balif d'un pair servile.
XLVIH. LIX.
O Job ! tu avais deux amis : un seul est bien assez, surtout dans Il est triste de fouiller les racines des choses, tant elles sonl mê-
une mauvaise passe; ce sonl d'inhabiles pilules par un temps d'o- lées à la terre ; poui'vu que les rameaux de l'arbre déploient une
rage, des médecins moins remarquables par leurs cures que par leurs riclio verdure, peu m'importe qu'un gland en soil l'origine. Si l'on
honoraires. Ah I ne vous plaignez pas si votre ami se détache de remontait à la Source Secrète de toutes les actions, on y trouverait
vous, comme los feuilles de l'arbre à lu première brise ; quand, de en clïet un certain plaisir mélancolique; mais ce n'est pas à présent
manière ou d'autre, vos affaires seront rétablies, allez au café et mon affaire, et je vous renvoie au sage Oxenstiern.
prenez-en un autre. LX-
XL1X.
Dans l'intention bienveillanted'évilerun éclat tant à la duchesse
Mais telle n'est pas ma maxime; sans quoi, je me serais épargné qu'au diplomate, lady Adeline, dès qu'elle vit que, selon toute ap-
quelques peines de coeur. N'importe 1... je ne voudrais pas être une parence, Juan ne résisterait pas (car les étrangers ignorent qu'en
tortue abritéedans son inflexible écaillé à l'épreuve des Ilots el des Angleterre un faux-pas a des conséquences beaucoup plus sérieuses
éléments. Mieux vaut,après loul, avoir éprouvé et vu ce que l'hu-
manité peut el ne peut pas supporter : cela donne du discernement que dans les pays privés d'un jury ad hoc):..
aux âmes sensibles. LXI.
L. Lady Adeline, disons-nous, résolut d'adopter les mesures néces-
Si quelque chose est plus horrible que les plus affreux accents de saires pour arrêter les progrès de cette triste erreur. C'était sans
la douleur, plus sinistre que le chant du hibou oii le Silflementdei doute bien de la simplicité; mais l'innocence est hardie jusque sur
la brise nocturne, c'est celle phrase lugubre : Je vous l'avais bien
« le bûcher; peu défiante dans le monde, elle n'a pas besoin de ces
i
(lit, » prononcée par des amis, ces prophètesdu passé, qui, au lieui retranchements élevés à l'usage des dames dont la vertu consiste à
île vous montrer ce que vous devriez faire maintenant, avouentt ne jamais se montrer à découvert.
qu'ils ont prévu votre chute el vous consolent par un long mémo-
randum de vieilles histoires. LXH.
LI. Ce n'est pas qu'elle appréhendâtde fâcheuses conséquences. Sa
La calme sévérité de lady Adeline Grâce était un mari fort endurant ; on ne pouvait présumer qu'il fît
.
ne se bornait pas à s'intéresser
,ason amie, dont la réputation en face de la postérité lui semblait une scène, et allât grossir la foule des clients de la Cour des sépa-
.
plus que douteuse, à moins qu'elle ne réformât sa conduite; mais rations ; mais elle redoutait d'àbôrd la magie du talisman de la du-
elle étendait sur Juan lui-môme son jugement auslère où se mêlait, chesse, puis une querellé entre le jeune étranger et lord Augusle
ftla vérité la compassion la plus pure : elle se sentait doucement .
Fitz-Planlàgenct, qui commençait a prendre ombrage.
touchée de son inexpérience el de sa jeunesse; car elle èlait sona LX1II.
aînée de six semaines. D'ailleurs, la duchesse passait pour intrigante et tant soit peu
Lll. capable de méchancetés dans la sphère amoureuse. C'était un de
Cet avantage de quarante jours (avantage réel, car elle n'étaitil ces jolis et précieux fléaux qui tourmententun amant de leurs ten-
point de celles qui ont à redouter l'énuméraiion de leurs années) ; dres et doux caprices ; qui chaque jour d'une délicieuse année
cct avantage, dis-je, lui donnait le droit d'éprouver une mater- savent créer un sujet dé querelle quand elles n'eu ont pas un
nelle sollicitude pour l'éducation d'un jeune gentleman, bien qu'elle
e tout prêt, nous fascinant, nous torturant, selon que leur coeur
'ut encore loin de celle année fatale qui, dans l'âge des femmes,i, est de flamme ou de glace, et, ce qu'il y a de pis, ne nous lâchant
°n résume plusieurs en elle. jamais.
260 LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

LXIV. boi
boussole, elles courent sous le vent par une mer houleuse; et quand,
Celait une femme à tourner la tête d'un jeune homme, et à faire après
api bien des chocs, elles atteignent le rivage, ce rivage n'est
de lui un Werther en fin de compte. Rien d'étonnant alors à ce souvent
sou qu'un rocher.
qu'une âme plus pure redoutât pour son ami une liaison de cette LXXV.
sorte : mieux vaut cent fois être marié ou morl que de vivre avec un 1Il est une fleur nommée a l'amour dans l'oisiveté
» (I) : voyez à ce
coeur qu'une femme se plaît à déchirer. Avant de prendre son élan, sujet le jardin toujours riant de Shakespeare... Je ne veux point
suj
il est à propos de réfléchir et de voir si une bonne forlunesera réel- affaiblir
aff son admirable description, et je demande pardon à ce dieu
lement bonne. britannique si, dans ma poétique disette, je touche à une seule
bri
LXV. fleur de son parterre; mais quoiquela plante soit différente, je m'é-
fie
Et d'abord, dans la plénitude de son coeur, qui .était ou croyait I crie avec le Français-SuisseRousseau : « Voilà la pervenche ! »
cri
èlre étranger à tout artifice, elle prit de temps à autre son mari à
part, le priant de donner des conseils à Juan. Lord Henry se mit à LXXVI.
sourire de la simplicité de ses plans pour arracher son jeune ami Eurêka ! je l'ai trouvé ! je veux dire, non que l'amour soit l'oisi-
aux pièges de la sirène ; il répondit en homme d'Etat ou en pro- veté
ve , mais que l'oisiveté est un accessoire obligé de l'amour, au-
phèle, à quoi elle ne put rien comprendre. îai que j'en puis juger. Le travail forcé est un mauvais entremet-
tant
teur. Depuis 1 époque où le navire Argo, qui n'était qu'un vaisseau
LXVI. marchand,
m après tout, prit Médée pour subrécargue, on ne citerait
En premier lieu, «il ne se mêlaitjamais des affaires de personne, guère
gi de gens d'affaires qui aient fait preuve d'une grande passion.
à l'exception de celles du roi; » ensuile, « en pareille matière, il ne
jugeait jamais sur les apparences, à moins de fortes raisons; » troi- LXXVH.
sièmement « Juan avait plus de cervelle que de barbe au menton, Beatus Ute qui procul negotiis (2), a dit Horace. En cela le plus
el ne devait, pas être mené à la lisière ; » elquatrièmemenl,« il était grand
S1 des petits poètes se trompe ; celte autre maxime : noscitur «
rare qu'un bon conseil produisit quelque chose de bon. » sociis
sc (3), vient beaucoup plus à propos, et encore est-elle parfois
LXVII.
trop rigoureuse; maisje dirai à sa barbe : Quels que soient leur rang
è"!

En conséquence, et sans doute pour confirmer la vérité de ce et leur état, trois fois heureux ceux qui ont une occupation1
dernier axiome, il conseilla lui-même à sa femme de laisser les LXXVI1I.
parties à elles-mêmes... autant du moins que la bienséance le per- Adam échangea son paradis contre le labourage; Eve travailla en
mettait, ajoutant que le temps corrigeraitles défauts de l'âge ; que les modes
u avec des feuilles de figuier... c'est, si je ne me trompe, la
jeunes gens font rarement des voeux monastiques ; que l'opposition première
P connaissance que, selon l'Eglise, on ait tirée de cet arbre
ne fait que resserrer des noeuds... Mais ici un messager lui apporta si savant. Dès lors, il est facile de démontrer que la plupart des
si
des dépêches. n
maux qui affligent les humains, et plus encore les femmes, pro-
LXVIH. viennent
v de ce qu'on n'emploie pas quelques heures à travailler
Et comme il faisait partie de ce qu'on nomme le conseil privé pour
P rendre les autres plus agréables.
lord Henry regagna son cabinet, afin de léguer à quelque futur,
Tite-Live le soin de raconter comment il avait réduit la dette na- LXXIX.
tionale; et si je n'insère pas ici tout au long le contenu des dépê- De là vient que la vie du grand monde n'est souvent qu'un vide
ches en question, c'est que je ne les connais pas encore ; mais je affreux,
j? une torture de plaisirs, tellement que nous sommesréduits
les consignerai dans un court appendice qui prendra place entre à*, inventer quelque chose pour nous contrarier. Les poètes peuvent
mon épopée et l'index. chanter
5 ce que bon leur semble sur le contentement ; le mot ton-
te»*,
f expliqué son origine, signifie rassasié ; de là proviennent
LXIX.
Mais avant de sortir, il ajouta encore une légère remarque, un ou
les souffrancespar
du sentiment, les diables bleus cl les bas-bleus, el
jles romans mis en action comme des contre-danses.
deux de ces honnêtes lieux communs qui ont cours dans la conver-
sation, et qui, sans avoir rien de neuf, passent cependant faute de LXXX.
mieux. Puis il ouvrit son paquet pour voir ce quec'élait, et y ayant Je déclare et fais serment que je n'ai jamais lu de romans com-
jeté un coup d'oeil à la hâte, il se retira ; et en parlant il embrassa parables
] à ceux que j'ai vus ; et si jamais il m'arrive de les commu-
tranquillementAdeline, comme on embrasse non une jeune épouse, niquer
i au public, bien des gens refuseront d'en admettre la réalité.
mais une jeune soeur. Mais
] je n'ai point cette intention et ne l'ai jamais eue; il est des
LXX. vérités qu'il faut garder sous le boisseau, surtout lorsqu'elles cou-
C'était un homme d'honneur, à la fois bon et froid, fier de sai rent
i risque de passer pour des mensonges :
naissance, lier de tout ce qui le concernait; un esprit précieux pour .
le conseil d'Etat, une de ces figures taillées pour marcher devant LXXXI.
le roi ; grand majestueux, fait pour guider le cortège des courti- « Une huître, dit Sheridan, peut èlre malheureuse en amour.»
sans , le jour ,de la naissance royale., en étalant ses cordons et ses* Et pourquoi? parce qu'elle se morfond oisive dans sa coquille, cl
crachats, vrai modèle d'un chambellan... et c'est aussi le poste que qu'elle exhale solitairement ses soupirs sous-marins, à peu près
je lui donnerai en montant sur le trône. '" commeun moine dans sa cellule; et à propos de moines, leur piété
n'a pu que difficilement cohabiter avec la paresse; ces végétaux de
LXXI. la foi catholique sont très sujets à monter en graine.
Mais il lui manquait quelque chose après tout... je ne sais quoi,
et par conséquent je ne puis le dire peut-être ce que les joliesI* LXXXU.
femmes, douces créatures, appellent de l'âme. Certes, ce n'était pas O Wilberforcc I ô célébrité noire, dont on ne saurait Irop chan-
le corps; il était bien proportionné, droit comme un peuplier ouII ter ou proclamer le mérite, tu as jeté bas un immense colosse! ù
un pieu; un bel homme enfin, celle humaine merveille; et dansf moral Washington de l'Afrique! Mais je l'avoue, il est une autre
toutes les circonstances, en guerre nomme en amour, il avait gardé petite tâche, que tu devrais bien accomplir, par un de ces longs
la ligne perpendiculaire. jours d'été. Il s'agit de rendre à l'autre moitié de l'humanité ses
LXXII. droits qu'on lui a ravis : tu as affranchi les noirs... aujourd'hui,je
Enfin il lui manquait, comme je l'ai dit, cet indéfinissable je t'en conjure, enferme quelques blancs.
ne sais quoi, qui, autant que je sache, pourrait bien être l'originee LXXXIII.
de l'Iliade d'Homère, puisque c'est cela qui conduisit l'Eve des s Enferme Alexandre, ce batailleur au front chauve, envoie au Se-
Grecs, Hélène, de son lit sparliate à celui du Troyen, bien qu'au u négal la trinité de la sainte-alliance : apprends-leur que « la sauce de
total, le jeune Dardanienfût sans doutede beaucoupinférieur au roi )i l'oie est bonne pour l'oison, » et demande-leur comment ils Irou-
Ménélas... Mais c'est par de pareilles raisons que cet-laines femmes
is vent l'esclavage. Enferme toutes ces salamandres héroïques qui man-
nous trahissent. - gent du feu gralis (car leur solde est peu de chose ) ; enferme... non
LXX1II. le roi, mais son pavillon de Brighton, ou il nous en coûtera un
est une chose embarrassante et bien faite pour nous intriguer,
11
r, autre million.
à moins que, comme le sage Tirésias, nous n'ayons éprouvé, par ir LXXX1V.
une double expérience, la différence des sexes* : ni l'un ni l'autre ré Enferme loul le reste du monde, mets Bedlam en liberté, et peul-
des deux ne peut dire comment il voudrait être aimé. Le sensuel ne le être seras-tu surpris de voir toutes choses marcher exactement
nous attache que pour un temps assez court; le sentimental se vante le comme elles marchent maintenant avec les gens soi-disant sains
d'être inattaquable; mais tous deux réunis forment une sorte de le d'esprit. C'est ce que je prouverais sans le moindre doute, si les
centaure, sur le dos duquel il n'est pas prudent de s'aventurer. hommes avaient seulement l'ombre du sens commun;mais,hélas 1
LXXIV. jusqu'à ce que j'aie trouvé ce point d'appui, je fais comme Arcl»-
Ce que le beau sexe ne cesse de chercher, c'est quelque chose qui, .
mède, et laisse la terre où elle est.
le tienne lieu de n,
pour coeur, toul; mais ce vide, comment le com- J" (1) Shakespeare, Songe d'une nuit d'été, n, 2.
bler ? Là gît la difficulté... et c'est là que se montre la faiblesse de
J^ (2) Heureux qui loin des affaires, etc. Epod. 2.
ces dames. Frêles navigateurs, à la merci des flots, sans carte ni (S) Dis-moi qui tu liâmes, etc.
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON. 2(5i

LXXXV. être prouvé au besoin ) qui sont restées fidèles dans la bonne et
et
Notre aimable Adeline avait un défaut... son coeur était vacant, mauvaise
m fortune, sur le sol natal comme à l'étranger, beaucoup
liien que ce fût une habitation splendide; comme elle n'avait trouvé Slus fidèles que ne le fut jamais l'amour... Elles ne m'ont pas aban-
pi
pcrson ne qui demandât qu'on le lui ouvrît, sa conduite avait été par- d<onné quand l'injustice me foulait aux pieds; la calomnie n'a pu
failemcnt régulière. Une âme molle et flottante fera plutôt naufrage les éloigner de moi ; en mon absence, elles ont combattu et com-
le
qu'une âme énergique; mais quand celle-ci travailleelle-même à sa battent
bi encore pour moi, bravant le serpent du monde el ses son-
ruine, elle s'écroule avec une commotion intérieure.pareille à un nettes
m bruyantes.
liemblementde terre. «»
«i XCV1I.
LXXXVI. Si don Juan el la chaste Adeline devinrentamis dans ce sens ou
Elle aimait son époux, ou du moins elle croyait l'aimer ; mais cet dans
d; tout autre, c'est ce qui sera examiné plustard, je présume; quant
amour lui coûtait un effort; tâche pénible! c'est rouler le rocher de à présent, je ne suis pas fâché d'avoir un prétexte pour les laisser
Sisyphe, que de vouloir imprimer à nos sentiments une direction e perspective, attendu que cela produit bon effet, et lient en sus-
en
contraire à la pente du sol. Elle n'avait aucun sujet de plainte ou ppens le lecteur curieux ; ce qui, pour les livres et les femmes, est le
de reproche, point de querelles ou de brouilles domestiques. Cette meilleur
n appâtà mettre à l'hameçon.
union était un vrai modèle, sereine et noble... mais froide. XCVIII.
LXXXVII. S'ils se promenèrent à pied ou à cheval, ou étudièrent l'espagnol
Il n'y avait pas entre eux disproportiond'âge, mais différencede ppour lire don Quichottedans l'original, plaisir qui éclipse tous les
caractères; néanmoins, ils ne se heurtaient jamais; ils fonction- autres;
a si leur conversation roulait sur les choses sérieuses ou sur
liaient chacun'dans sa sphère comme deux astres unis, ou comme celles
c qu'on appelle frivoles ; ce sont des détails que je dois ren-
le Rhône traversantles eaux du Léman alors que le fleuve et le lac voyer
v au chant suivant, où je dirai peut-être quelque chose de toul
se montrent à la fois confondus et distincts : le premier, promenant cela,
c en déployant à ma manière un talent considérable.
ses flots bleus au sein de l'onde pacifique et cristalline, qui semble XC1X.
vouloir endormir le fleuve enfant, son jeune nourrisson. Je supplie qu'on veuille bien ne pas anticiper sur les événements;
LXXXVIII. o s'exposerait à porter des jugements inexacts sur la belle Adeline
on
Or, quand une fois elle s'intéressait à une chose, quelque con- et c sur Juan, sur le dernier principalement. Au reste, je prendrai
fiance qu'elle eût dans la pureté de ses intentions, alors ses imprcs- ' un
u Ion beaucoup plus sérieux que je n'ai fait jusqu'ici dans cette
sions devenaient beaucoup plus puissantes qu'elle ne Pavait prévu, épique é satire. Il n'est pas du tout certain qu'Adelincct Juan seront
et comme Un fleuve qui s'enfle dans son cours, elles envahissaient faibles;
f mais s'ils le sont, tant pis pour eux.
son âme entière : résultat d'autant plus certain que son coeur n'é- C.
tait pas facile à émouvoir. Mais lés grandes choses naissent des petites... Croiriez-vous, par
LXXXIX.
Mais une fois qu'il était pris, elle se trouvait possédée de ce secret exemple,
c que, dans ma jeunesse, la passion la plus dangereuse qui
démon à double nature, et pour cela doublement nommé... on l'ap- ait s jamais conduit un homme et une femme au bord du précipice
pelle fermeté dans les héros, les rois et les marins c'est-à-dire J
naquit d'une circonstance si frivole, qu'on n'y eût jamais deviné
quand ils réussissent; mais on le blâme sans réserve comme , obsti- le liendesdune situation pareille? Vous ne devineriez pas, je vous
nation, dans les hommes et dans les femmes, quand leur triomphe gage f millions... Eh bien ! celle passion eut pour origine une in-
cl leur étoile perdent leur éclat. Un casuisle eu morale serait cm- 'nocente partie de billard.
barrasse de fixer les vraies limites. CI.
La chose est étrange, mais vraie; car la vérité est toujours
XC. étrange,
i plus étrange que la fiction. Si l'on pouvait la révéler tout
Bonapartevainqueur à Waterloo, c'eût été fermeté; vaincu, c'est entière, i combien les romans gagneraient au change! sous quel dif-
obstination. Faut-il donc que l'événement seul décide ? Je laisse aux férent
I point de vue les hommes envisageraient le inonde ! que de
à
esprits sagaces tracer la ligne de démarcation lo
entre faux et le foisl le vice el la vertu prendraient la place l'un de l'autre ! Que se-
vrai. Pour moi, je reviens à lady Adeline,qui était aussi une héroïne irait le Nouveau-Monde, si quelque Colomb de l'océan moral mon-
dans son genre. trait
i aux hommes l'antipode de leurs âmes?
XCI.
Elle ne connaissait pas son propre coeur, comment le connaîlrais- CIL
je, moi? Je ne pense pas qu'elle fût alors amoureuse de Juan; si Que de vastes cavernes el de déserts stériles se découvriraient
cela eût été, elle aurait eu la force de fuir cette impression déli- alors dans l'âme humaine! Que de montagnes de glace dans les
rante, nouvelle encore pour ses sens. Elle n'avait pour lui qu'une coeurs des puissants, avec l'égoïsmeau centre pour pôlcl Quels an-
sympathie ordinaire (illusoire ou non, je n'en sais rien), parce qu'elle thropophages sont les neuf dixièmes de ceux qui gouvernent les
croyait en danger l'ami de son mari, jeune et loin des siens. empires! Les choses s'appelant enfin par leur vrai nom, César lui-
même aurait honte de la gloire.
XC1I.
' Elle était ou croyait être son amie... non de celle amitié ridicule,
de ce platonisme romanesque qui égare si souvent les femmes quand
elles n'ont étudié le sentiment qu'en France et en Allemagne, ces CHANT XV.
pays où l'on se donne de purs baisers. Adeline n'élait pas femme
à s'avancer jusque-là; mais celte amitié que l'homme ressent pour I.
l'homme, elle en était aussi capable que femme le fui jamais.
Ma foi!... ce qui devait suivre m'échappe. N'importe, ce qui sui-
XC11I. vra sera tout aussi riche d'espérances et de souvenirs que si la
Nul doute que là, comme dans les liens du sang, la secrète in- pensée mystérieuse eût coulé à pleins bords. Toute la vie mortelle
fluence du sexe ne fasse sentir son innocent pouvoir. Quand l'atta- n'est qu'interjections : un oh! ou un ah! de joie ou de douleur;
chement est dégagé de toute passion, ce fléau de l'amitié, et que lai un ah ! ah I ou Un bahl... ou un bâillement, ou un fi ! et peut-êlre
nature des sentiments réciproques est bien comprise; quand on n'ai celle dernière exclamationest-elle la plus vraie de toutes.
jamais été et ne veut jamais être amants, la terre n'offre point d'a-
mitié comparable à celle de la femme. H.
Mais le tout n'est qu'une syncope ou un sanglot, emblèmes
• XC1V. de l'émotion, cette grande antithèse de l'immense ennui. L'émolion
L'amour porte dans son sein le germe du changement; et com- est comme un bouillon écumeux qui vient se briser à la surface
ment n'en serait-il pas ainsi? Toutes les analogies naturelles nous3 monotone de l'océan de la vie, océan qui, selon moi, est une image
montrent que les choses violentes arrivent promptement à leurt de l'éternité , ou du moins sa miniature. L'émotion donne à l'âme
terme. Serait-il possible que l'éclair sillonnât perpétuellement leJ des jouissances exquises en montrant des choses invisibles à l'oeil.
ciel? Il me semble que le nom même de l'amour en dit assez : la*
Passion tendre peut-elle être résistante? m.
Oh t combien elle est préférable au soupir étouffé qui se corrode
XCV. dans les cavernes du coeur, couvrant le visaged'un masque de Iran-
Hélas! l'expérience nous apprend (je répète simplement ce quee quillité, et Irànsformantla nature humaine en art. Peu d'hommes
j'ai
, enlendu dire ) combien il est rare que les amants n'aient pointt osent montrer ce qu'ils ont dans la pensée de meilleur ou de pire :
à regretter la passion, qui fit de Salomon un niais. J'ai
vu des épouses toujours la dissimulation réserve un coin ; el c'est pour cela que
(pour ne pas perdre de vue l'état conjugal, le meilleur ou le
s
pire
e
la fiction est ce qui passe se
le plus aisément.
'le tous) qui étaient la perle des femmes, el qui faisaient le mal-
heur de. deux existences au moins. IV.
Ah ! qui peut dire, ou plutôt qui ne se rappelle, sans le dire, les
XCVI.
J'ai vu aussi des amies ( le fait est bizarre, mais vrai, et pourrait
erreurs des passions? Celui qui boit l'oubli jusqu'à la lie, celui
it même qui s'enivre grossièrement, a de tristes vapeurs pour miroir
262 LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

du matin. En vain, il semble flotter sur l'onde du Léthé, il ne peut sa conversation; fier avec les fiers, mais d'une fierté polie, de ni»,
y noyer- ses tressaillements ot ses terreurs. Au fond do celle coupe nière à leur faire sentir qu'il connaissait son propre rang et |c
ni'
do rubis que tiont sa main tremblante, le Temps laisse un dépôt de leur...
lei ne cherchant jamais à primer, il ne souffrait ni ne revendi-
son sable le plus noir. quait
qu de supériorité.
V. XVI.
Et quant à l'amour ô amour! Continuons. Lady Adeline Tout ceci avec les hommes : avec les femmes, il était ce qu'elles
Amundeville... voilà, j'espère, le plus joli nom qu'un lecteur puisse voulaient
vo qu'il fût; et pour cela, on peut s'en rapporter à leur ima-
désirer : aussi vient-il se percher harmonieusement sur ma plume gination ; pourvu que l'esquisse soit passable, elles achèvent le ta-
gi
sonore. Il y a de la musique dans les soupirs d'un roseau, dans le bleau... etverbumsat. Dès que leur fantaisie s'attache à un objet,
bl
murmure d'un ruisseau ; il y a de la musique en tout, si l'homme a mélancolique
m ou agréable, elles lo transfigurent plus brillamment
l'oreille pour la saisir : notre terre esl un écho des sphères. que n'oût fait Raphaël.
qi
XVII.
VI. Adeline, juge peu profond des caractères, était sujette à leur
Lady Adeline, très honorable et très honoréedame, courut risque prêter des couleurs de sa façon : c'est ainsi que dans leur bienveil-
de le devenir un peu moins; car... je suis vraiment désolé de le p|
lance s'égarent les bons, aussi bien que les sages, comme on l'a vu
j8
dire... peu de personnes du beau sexe sont stables dans leurs opi- fréquemment.
j(, L'expérience est la première des philosophies ; mais
nions. Elles diffèrentd'elles-mêmes, comme le vin dément son éli- c'est la plus triste de toutes, et les sages persécutésn'enscignçntquc
c-
quette lorsqu'on l'a décanté... le vin et la femme, jusqu'à ce qu'ils folie
j( en oubliant qu'il existe des fous.
aient vieilli, sont susceptibles d'adultération.
XVIII.
VII. N'esl-il pas vrai, grand Locke? et toi, Bacon, plus grand encore?
Mais Adeline était du meilleur cru, la plus pure essence de la fDivin Socrate, et loi, être plus divin encore, dont le sort est d'être
grappe; elle était brillante comme un napoléon sortant de la mon- toujours
t, méconnu par l'homme, et dont la pure doctrine a servi de
unie, ou comme un diamant richement monté : c'était une page sanction
s à toutes les iniquités? Toi qui rachetas un monde que les
blancheoù le Temps devait hésiter à imprimer son chiffre, et pour |jbigots devaient bouleverser de nouveau, dis-nous quelle fut la ré-
elle la nature eût pu oublier sa dette... la nature, le seul créancier ccompense de les travaux ? Nous pourrions remplir des volumes
qui ait le bonheur de trouver tous ses débiteurs solvables. d'exemples
<]
; mais nous les livrons à la consciencedes peuples.
_
VIII. XIX.
O Mort! le plus dur de lous les créanciers! lu frappes journelle- Je m'établis sur un plus humble promontoire, d'où je contemple
ment à nos portes: d'abord uu coup modeste, comme un humble ] vie avec ses infinies variétés : sans grand souci do ce qu'à toit
la
marchand alors que tout pâle il s'approche d'un débiteur opulent on nomme la gloire, j'alimente mes rêveries en promenant mes re-
qu'il veut ,prendre par la sape; mais fréquemment repoussé, la', (
gards
, sur mille objets divers, en rapport ou non avec le sujet de
patience à la fin l'abandonne : il s'avance exaspéré, et, s'il met le celte
, histoire, et versifiant sans effort, je laisse aller mon vers
pied chez vous, insiste en termes peu courtoispour avoir de l'argent je causerais avec le premier venu, dans une promenade à
eomplant, ou un billet sur votre banquier. comme
(
pied
, ou a cheval.
IX. XX.
Prends ce que tu voudras, ô Mort, mais épargne un peu la faible Ce genre de poésie aventurière n'exige pas grand talent, je le
beauté ! Elle est si rare, et lu as tanl d'autres pro'cs ! Qu'importe sais
'• ; mais il y faut une facilité de conversation capable de faire
que de temps à autre, le pied lui glisse dans le sentier du devoir? passer une heure par-ci par-là. Ce dont je suis sûr au moins, c'est
c'est une raison de plus pour suspendre les coups. Squelette glou- qu'on ne trouvera aucune trace de servilité dans celle soniurie
ton! avec des nations entières pour pâture, ne saurais-tu montrer saccadée, qui carillonne sur le premier sujet venu, ancien ou nou-
un peu de civilité et de modestie?Supprime quelques-unes des ma- veau, sans autre règle que l'inspiration Ao'Yimprovvisatore.
ladies du beau sexe et prends autant de héros qu'il plaira au ciel. XXI.
,
X. « Malbo, a écrit Martial, vise à dire loules choses magnifiquc-
La belle Adeline, qui mettait d'autant plus de vivacité dans sesi ment... Dis quelquefois bien, ô Malho ; dis passablement, et même
affections qu'elle n'était pas, comme certains d'entre nous, prompte> quelquefois dis mal. » Le premier esl peut-être plus qu'un mortel
à s'enflammer, ou que du moinselleavail trop de fierté pour se l'a- ne peut faire; le second est faisable d'une manière triste ou gaie;
vouer à elle-même (ce sonl là des points que nous ne discuterons| le troisième est un ternie auquel il esl bien difficile de s'arrêter;
pas à présent)... Adeline abandonnaitsans réserve sa tète cl son, quant au quatrième, chaque jour nous l'entendons, le voyons, et le
coeur à ce qu'elle regardait commeun sentiment innocent. pratiquonsaussi : le tout ensemble esl ce que je voudrais servir dans
XI. ce pol-pourri.
XXII.
Le bruit public, celle vivante gazelle, avait porté jusqu'à elle, Espérance modeste, mais la modestie est mon fort et l'orgueil
en les défigurant, quelques traits de l'histoire de Juan; mais les>3 mon faible... Continuonsde chevaucherà l'aventure. Dans ma pre-
femmes traitent ces erreurs avec plus d'indulgence que nous au- mière idée, ce poème devait être court ; mais maintenant je ne snu-
tres, hommes rigides; d'ailleurs, depuis qu'il était en Angleterre, sa1 rais dire où il s'arrêtera. Nul doute que si j'avais voulu faire ma
conduite avait été plus régulière et son esprit s'était armé d'une}
,
plus mâle vigueur; car il possédait, cour à la critique, ou saluer le soleil couchant de toutes les tyran-
comme Alcibiade, l'art de s'ac- nies je n'eusse été plus concis... mais je suis né pour l'opposition.
commoder à tous les climats. ,
XII. XXIII.
11 est vrai qu'en cela je prends toujours le parti du plus faible;
Ce qui rendait ses manières si séduisantes, c'était pout-èlre pré-
cisément qu'il ne paraissait jamais désireux de séduire; en lui, rien1 en sorte que si ces hommes qui se prélassent aujourd'hui dans la
d'affecté, d'étudié, rien qui décelât la fatuité, ou des intentions dee plénitude de leur orgueil venaient toiit-à-coupà tomber, il pourrait
conquête ; nul abus de ses moyens de plaire ne venait nuire à sess bien m'arriver de rire d'abord de leur chute ; mais je crois que je
succès. Ce n'était point un de ces Cupidons effrénés qui semblent' changerais de camp et me jetterais dans l'ullra-royalismé , car je
dire : « Résistez-moi si vous pouvez ; .» condition qui l'ail un dandy hais tout despotisme, môme celui de la démocratie.
y
en annulant l'homme. XXIV.
XIII, Je crois que j'eusse fait un époux passable, si je n'avais jamais
Ces gens-là ont lorf... telle n'est pas la manière de s'y prendre; connu les douceurs du mariage; je crois que j'aurais fait des voeux
et ils en conviendraient eux-mêmes, s'ils voulaient être sincères. .' monastiques,n'élaient certains préjugésàmoi particuliers: et jamais
Mais défaut ou talent, ce n'étaii pas celui de don Juan ; ses manières je ne me serais heurté la tête contre une rime, jamais je n'aurais
!s
étaient ù lui seul; il était de bonne foi,., du moins on n'en pouvait jt à ce métier usé mon cerveau et outragé la grammaire, si certain
douter eh l'écoulant. Le diable n'a pas dans tout son carquois unee pédant ne. m'eût jadis interdit le commerce des muscs.
flèche qui aille droit au coeur comme une voix douce el sonore. XXV.
XIV. « Laissez aller! » Je chante les chevalierset les dames, tels que
Naturellement affable, sa parole et son air écartaient le soupçon. ,,1
l'époque me les fournit. C'est un essor qui, au premier coup d'oeil,
Son regard, sans être timide, semblait plutôt se dérober que déve- ne semble pas exiger des ailes bien vigoureuses, emplumées pi»'
nir agressif; peut-être n'était-il pas suffisamment assuré; mais jg Longin ou le philosophe- de Slagire : pourvu que les proportions
parfois la modestie, comme la vertu trouve sa récompense en elle- B.
soient bien observées, la difficulté consiste à revêtir d'un colons
même el l'absence de toute prétention ,
peut mener plus loin qu'il j] naturel des moeurs artificielles, et à tirer le général du particulier.
,
n'est besoin de le dire. XXVI.
XV. Autrefois les hommes faisaient les moeurs, tandis que. mninlc-
Calme, accompli, gai sans turbulence, insinuant sans flatterie, e, nanl ce sont les moeurs qui font les hommes... parqués comme des
observant les travers de la foule, mais n'en laissant rien percer dans
is troupeaux et tondus de môme dans leur bercail, du moins quatre
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BY-RON* 263

ving(-dix-neuf sur cent- Or, cela doit en lout cas refroidirla verve pagation ; et cellcrci, après tout, prend un si merveilleux dévelop-
pa
,|es auteurs, qui n'ont d'autre ressource que de peindre des époques pement,
pe que la moitié' de ses produits s'écoule par l'émigration ,
déjà mieux représentées, ou de se contenter du présent avec son tri
trislc résultat des passions et des pommes de terre... deux mau-
costume monotone. vaises
va herbes qui embarrassent beaucoup nos Calons économistes.
XXVII.
Nous ferons de notre mieux pour nous tirer d'affaire.-, En avant, XXXVIII.
camuse! en avant! Si vous ne volez point, allez volelont; et ne pou- Adeline avait-ellelu Mallbus? Je ne saurais le dire. Elle eût bien
fait de le lire : son livre n'est qu'une paraphrase du onzième com-
mj
vaut être sublitpe, soyez cinglante ou rigide, comme les édits de mandement, qui dit: « Tu n'épouseras pas... » désavantageuse-
nos hommes d'Etat. H est impossible que nous ne trouvions pas |
ment. 11 n'entre pas dans mon plan de discuter ses vues ni de corn?*
quelque chose qui nous paie de nos recherches : i) sufiit à Colomb '

il'un entier, d'une brigantine ou d'une pinasse, pour découvrir un


menler les mots tracés, comme on dit, par « une main si émir-
monde, alors que l'Amérique élail comme si elle n'était pas. nente; » mais certes sa doctrine conduit à la vie ascétique, el fait
du
i mariage une question de calcul.
XXVHI. XXXIX.
Adeline, en se pénétrant chaque jour davantage et du mérite de Mais Adeline, présumant que Juan avait une fortune suffisante,
Juan el des dangers de sa situation, éprouvait pour ce jeune homme ou qu'il se ferait assurer un revenu à lui en cas de séparation lé-
01
un intérêt sans cesse croissant: d'abord, c'était une sensation nou- gale...
„. car. somme toute, il peut arriver que le fiancé, après a' oir
relie, puis elle trouvait en son ami un air de complète innocence, ce Jj|
dûment épousé, rétrograde quelque peu dans la danse du mariage
qui est pour l'innocence elle-même une terrible tentation... Toute- (sujet propre à faire la réputation d'un peintre, digne pendant delà
/g
[ois, comme en généra! les femmes déleslenl les demi-mesures, elle Dajigejje la mort $}e Hplbejn.., au l'ait, c'est la même chose)...
Q
se mit à réfléchir au moyen de sauver l'âme de (ion Juap*
XL-
XXIX. Adeline, disjoiiB-nous,.- décida je mariage de don Juan... c'est-à-
Elle croyait à l'efficacité des conseils, comme tous ceux qui en ddire le décida dans sa stigésse, et c'est assez pour une femme. Mais
donnent et en reçoivent gratis ; mjrcluiiidiscj'fiflj le prix courant, à qui le marier? Il y avait la sage miss Rcading, miss Raw, miss
mène à son taux le plus élevé, consiste en légers remercîments. Flaw,
p miss Showman et miss Khowman, et les deux belles cohé-
Après y avoir réfléchi à deux fojs, ejje décida moralement que ritières Gitlbedding(i). C'étaient là des partis on ne peut plus sor-
ri
pour la moralité la meilleure condition est le marjflge ; et celte ques- tables et qui, convenablement montés, comme des montres, iraient
t;
liciii résolue, elle conseilla très sérieusenipnt a JÙan de se «parier.
eensuite fort bien.
XXX " XLI.
Juan répondit, avec toute la défpretjce convenable, qu'il se Il y avait miss Kfillpond (2), calme et unie comme une mer d'élé.
«cillait une prédilection pour ce lieiii; mais que ppur le moment, (
C'était une fille unique, incomparable trésor; elle semblait une vé-
m l'état parliculier de ses affaires, il se présentait quelques difli-
cullés, soil par la nature de son choix, soit par !.a position de la
'ritable
, crème d'égalité p'ânie, jusqu'au moment où l'on écartait la
surface... alors là-dessou/s ou découvrait un mélange de lait et
personne à laquelle ses vouix pourraient s'adiV&scr; qu'en un mot,
d'eau,
, et peiil-êlrei aussj une légère teinte dp bleu qu'im-
il épouserait volontiers certaine l'emjne, si çjle n'était déjà mariée. porte ? L'amour est
J,
tdpagejir ; mais le mariage a besoin de repos,
et étant sujet à la cpnsompijpn, la diète laciee lui convient.
XXXI. XMI.
Après le choix d'un parti pour elle-même pu pour ses filles, ses
frères, ses soeurs, ses cousins et ses pprenls, qu'elle classe comme Puis il y avait miss Audnçia Shpeslring (3), pimpante cl riche
îles livres sur une tablette, il n'y a rien donf'u'n'p fpnimeuime aulanl demoiselle, dont le coeur visajt jt un crachai ou à un cordon bleu ;
à se mêler que des mariages quelconques; Àertes PC n'est
mais soit que les duos anglais; fussent devenus rares, soit qu'elle
pas un n'eût pas touché la véritable Cprde avec laquelle de pareilles sirènes
péclié, mais plutôt un préservii|jf; et c'est, )j) saps doute la raison
du pourquoi. ' ' " * attirent nos grands seigneurs, c|)p s'accommodad'un cadetétranger,
' '
XXXII. ' Russe ou un Turc... l'un vaut l'autre.
un
Mais toute femme chaste a nécessairement dans la tête quelque XLHf.
drame, où les unités conjugales son).pjiscryépsà table ou au lit Enfin, il y avait..-mais sj je epnlinuc, j ai peur que les dames
aussi scrupuleusement que celles d-Arislojé, Ijljpn que parfois il n'interrompent
i leur leclure... 11 y avait aussi une féerique beauté
n'en résulte que des mélodrames ou des pantpjnijnes hp^flonnes. du
i plus haut rang et supérieure enepre à son rang : Aurora Raby,
XXXIII. jeune étoile qui cpjnmp|jçajl à briller sur la vie, image trop pure
En général, elles ont en réserve un fils unique, héritier d'une

pour un pareil mirpir, çréfttupe adorable, a peine formée o;i mode-
immense fortune, un ami de haut parage, un gai sir John ou un lée, rose qui n'avait pas enepre déployé ses pins riches pétales.
i;ravc lord George, menacés de mourir sans ppslérilé et de la|S8ej>
*HYf"
s'éteindre avec eux une antique race, à moins qu'un mariage nes Riche, noble, mais pridjelipe" et fi|jo unique, elle avait ele confiée
soutienne leur avenir et leur moralité ; el d'un autre çôfé, él|pgI h des tuteurs bons etbieh¥ei||a|)i^;Plpouriantilyavaitencorcdans
ont sous la main un riche assortiment de florissantes fiancées. sjqn asped quelque çhpsp ijp lrjs|p ef d'isolé. Lé sang n'est pas de
f'pajj j py rctrouverpp§rnpi|8
(jpg affections de jeunesse pareilles à
XXXIV. pe'ijuB la" niprt a rpjnjiu a|prs que laissés seuls, hélas ! nous sen-
Ainsi elles choisissent habilement à celui-ci une héritière, à celuir ,
là une beauté; pour l'un une cantatrice accomplie, [ tons clans nps palajs fjcjfiS fJ/ftlfli °,M"'' nolls manque un foyer, et
pour l'autre unel que nps liens !,és plus phprs npijs 8attachent à la tombe.
compagne tout entière à ses devoirs. Elles olïrcnl également une
•lame dont les perfections valent à elles seules
un trésor; elles eni XLV.
recommandent une seconde à cause de l'excellencede ses relationss Enfant par l'âge el plus enfantine encore par son extérieur, elle
•le famille, une troisième
comme un choix contre lequel il n'y ai avait dans les yeux je ne sais quoi de sublime qui les faisait bril-
rien à objecter. ler mélancoliquement, comme brillent ceux dés séraphins. Toute
XXXV. jeunesse, elle semblait hors de l'atleinle du temps; radieuse et
Quand l'harmoniste Rapp, dans son harmonieuse colonie, mitt grave... comme si elle cùl plaint l'homme déchu; triste... mais
l'embargo sur le mariage (colonie qui continue d'être singulière- d'une faute qui n'était
pas la sienne, on eût dit qu'assise à la porte
ment florissante parce qu'elle ne procrée pas plus de bouchess d'Eden, elle pleurait sur ceux qui ne reviendront plus.
qu'elle n'en peut ,nourrir, sans recourir cependant à ces doulou-
reux sacrifices qui compriment le p|us impérieux penchant de la* XLVI.
nature), pourquoi donc a-t-il appelé «Harmonie» une société sans El puis elle était catholiquesincère, austère même autant que le
s permettait la tendresse (le son coeur • et ce culte déchu lui et ait plus cher
mariage?
XXXVI. par cela même pciil-ê|re qu'il était décliu. Ses aïeux, fiers dé leurs
11 faut qu'il ail voulu exploits, avaient toujours refuséde fléchirdeyant le pouvoir nouveau ;
se moquer ou de l'harmonie ou du mariage, J' la dernière de la race, elle gardait fidèlementle dépôt de leur vieille
«n établissant entre eux ce singulier divorce. Mais que ce soit en
Allemagne ou ailleurs que le réyérpnd Rapp a puisé celle doctrine, n croyance et de leurs vieilles affections.
<m assure que sa secte est riche, pieuse ci 4
le dire d'aucune des nôtres, bien
pure, plus qu'pp ne peu), XLVII.
que epllcs-ci se livrent à la pro- Au regard qu'plle jetait sur ce monde qu'elle connaissait à peine,
'iwtituiion, ep m'étonnant qu'on ait pu l'apcepler.
XXXVII.
•.-
pagation sur une plus vaste échpîle. Je blâmé son titre, noii sonH
>-
on voyait qu'elle ne désirait pas le connaître davantage; silenr
çjeuse, solitaire, comme croît une fleur, elle conservait son coeur
Mais Rapp est l'opposé des zélées matrones qui, dépit de Mal- (!) Noms significatifs formés de Read, lire; Raw, nu, Flaw, fêlure,
en
Hnis, favorisent la multiplication de l'espèce; professeurs dans
d" Show, ostentation, Know, savoir; GUI, doré, Befl, lit.
cet
et (-2) Millpund, étang du moulin.
'"'l prolifique, elles palron.isciU toules les voies décentes .de la .
(3) Shoeslrinn, cordon de soulwr.
pro-
o-
26!» LES VEILLEES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

serein dans une sphère à lui. 11y avail ui\e sorte de respect reli- sie que je sache... mais cessons de poursuivre ainsi à la piste lcs
gieux dans les hommages qu'on lui rendait; son âme semblait assise feux, follets de l'esprit humain. Ce n'était pas... hélas! il est plus dif-
sur un trône à part et forte de sa propre force... chose étrange dans ficile de dire ce que c'était.
un èlre si jeune ! LV.
XLVI1I. La pauvre Aurora était loin de soupçonner qu'elle fût le sujet
Or, il arriva que, dans le catalogued'Adeline, Aurora fut omise, d'une discussion de ce genre. Elleétait chez Adeline comme invitée:
bien quesa naissanceet sa fortunel'eussent placéedansl'opinion bien vague charmante et plus pure de ce brillant fleuve de grandeur ei
au-dessus des enchanteressesque nous avons déjà citées ; sa beauté, de jeunesse, qui coulait pour un moment sous l'éclat passager des
non plus, ne pouvait s'opposer à ce qu'on la mentionnât comme riche rayons du temps. Si elle avail connu ces propos, elle eût souri avec
de maintevertu et digne d'attirer l'attentionde tout célibatairedésireux calme... tant ou si peu il y avail en elle de la nature de l'enfant!
de doubler sou existence.
XL1X. LVI.
Cette omission, comme celle du buste de Brutos dans le cortège L'air hautain el délibéréd'Adeline ne lui en imposaitpas : elle la
ne iihere, excita naturel- voyait resplendir a peu
lement relonnement.de près comme elle eûl vu
notre héros. Il l'exprima brillerun verluisant, pujs
moitié riant,, moitié sé- elle reportait ses regards
rieux ; sur quoi Adeline vers les astres pour leur
répondit avec une sorte demander de plus divins
de dédain; et d'un air im- rayons. Juan était un être
périeux, pour ne pas dire qu'elle ne pouvait devi.
plus, elle demanda « ce lier; toutefoiselle n'était
qu'il avait trouvé d'ex- nullementéblouiepar le-
traordinaire dans une cIatdecemétéore,attendu
bambine affectée, silen- qu'elle ne plaçait pas sa
cieuse et froide, comme confiance dans les traits
celte Aurora Raby. » du visage.
L. LVII.
Juan répondit : « qu'el- Sa réputation même...
le était catholiquecomme car il avait ce genre de
lui, et par conséquent lui renommée qui fait par-
convenaitmieux que tou- fois le diable parmi les
te autre; car il ne doutait femmes, masse hétérogè-
pas que sa mère ne tom- ne de blâme glorieux,
bât malade et que le pape mélange de demi-vertus
ne fulminât son excom- avec des vices entiers,
munication, si... » Mais défauts qui plaisent par
Adeline, qui semblait a- leur vivacité,folies si bril-
voir fort à coeur d'inocu- lamment attifées qu'el-
.
ler aux autres ses pro- les éblouissent: sur la
pres opinions, répéta, cire de la jeune fille de
selon l'usage, les mêmes pareils cachets ne fai-
raisons qu'elle avait déjà saien l aucuneimpression,
fait valoir. tant elle avait de froideur
LI. et de sagesse.
Et pourquoi non ? Une LVIII.
raison raisonnable, si elle
est bonne, n'en devient Juan ne comprenait
rien à ce caractère... ce-
pas pire pour être répé- lait une âme fière mais
tée; si elle est mauvaise, ,
différente de celle llaïdcc
ce qu'il ya certainement qu'il avaitperdue. Lajcu-
de mieuxàfaire, c'estd'en neinsulaire,élevéesurlci
rebattre les oreilles; la bords solitaires de 10
concision lui fait perdre céan, plus chaleureuse
beaucoup de sa force,
tandis qu'en insistant à aussi ravissante et noi
moins sincère, était l'en-
proposou hors de propos, fant de la nature; telle
on finit par convaincre n'était point, telle n'au
tout le monde, même en rait point vouluêtre Au-
politique; ou, ce qui re-
vient au même, l'adver- rora : la même différend
saire se rend de guerre existe entre une fleur e
lasse. Pourvu qu'on ar- Devant le château s'étendait un lac limpide. un diamant.
rive au but, qu'importe L1X.
la roule? Ayant produit celti
LIL comparaison sublime
PourquoiAdeline avait je puis, ce me semble
conçu cette légère prévention car celait certainement une pré- poursuivre mon récit, et, comme dit mon ami Scott, « pousser moi
vention... contre une créature aussi exempte de vice que la sainteté cri de guerre: » Scott! le superlatif 4e mes comparatifs; Scoitqi!
même, et joignant à cela tous les charmes du corps et du visage : sait peindre les chevalierschrétiens ou sarrasins, le serf, le seigneu
cela me paraît une question beaucoup trop délicate... Adeline était el l'homme, avec un lalent qui serait sans rival, si le monde n'avai
d'un caractère généreux, mais la nature est la nature, et a plus de pas eu un Shakespeareet un Voltaire.
caprices que je n'ai le temps ou la volonté d'en énumérer. LX.
LUI. Je puis, dis-je, en suivant ma façon légère, continuer de m
Peut-êtren'aimait-ellepasl'aird'indifférenceaveclequelAurora re- jouer à la surface de l'humanité.Je décris le monde et me souci
gardait ces futilitésqui font lesdélicesdela plupart des jeunes person- fort peu que le monde me lise ; du moins je ne veux point à c
nes; car il est peu de choses qui blessentplus profondémentles hom- prix épargner sa vanité. Ma muse, m'a créé el me créera probable
mes, etles femmesaussi, s'il nous est permisde ledire, que de voir leur ment de nombreux ennemis ; quand je commençai, je m'empêcli me doutf
génie ainsi dominé, par des gens qui les mettent à leur juste valeur. qu'il en serait ainsi... maintenantje le sais, ce qui ne
LIV. point d'être ou d'avoir été un poète assez joli.
Ce n'était pas envie... Adeline en était incapable. Ce n'était pas LXI.
mépris... il ne pouvait atteindre une personne dont le plus grand Entre Adeline et don Juan, la conférence eut parmi ses doucem
défaut élail d'offrir trop peu de prise au blâme. Ce n'était pas jalou- une certaine dose d'acide... car myladyétaitentière ; mais avant qu
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON. 26S

icschoses pussent se gâter entièrement ou s'arranger, la cloche


.fcenline sonna, non le dîner, mais cette heure appelée demi-heure,
accordée à la toilette, bien que ces damessoient assez peu vêtues pour
conleuter d'un moindre délai.
'î(!

LXII.
Maintenant de grands exploits allaient s'accomplir à table, avec
la
vaisselle massive pour armure, les couteaux et les fourchettes
pour armes offensives. Mais depuis Homère (ses festins ne sont pas
ja moins belle portion de
ses ouvrages) quelle muse est capable de
déployer la carte d'un de nos dîners où les soupes, les sauces et
même un seul ragoût, renferment plus de mystérieuses recettes que
n'en mirentjamais en oeuvre, sorcières, courtisanes ou médecins.
266 LES VEILLEES LITTÉRAIRESILLUSTRÉES.

l'encourager à briller ; car Adeline ne lui adressait que rarement LXXXVII.


la parole et d'un oeil pénétrant semblait lire au fond de sa pensée. El remarquez ceci : toutes les fois qu'il m'arrive d'énoncer deux
LXXVI. opinions
«p qui, au premier abord, semblent se contredire, la se-
Je suis parfois lenlé de croire que les yeux onl des oreilles; ce conde
co est la meilleure. Peut-être en ai-je encore dans quelque
qu'il y a de certain, c'ésl que, hors de la portée de l'ouïe, les fcm-
,
I co une troisième, ou peut-être n'en ai-je pas du toul... ce qui
coin
semble une mauvaise plaisanterie; mais si un écrivain était com.
mes , ces charmantes créatures, saisissent mille choses ardues. B<j'
plélemenl
P logique, comment pourrait-il peindre ce qui est?
Comme celle mystérieuseharmonie des sphères qui résonne si puis-?
samment, et que les anges seuls entendent, il y a, chose étonnante, LXXXVIIL
de longs dialogues que le beau sexe parvient à saisir... bien qu'un Si les gens se contredisent, puis-je faire autrement que de les
seul mol n'en puisse frapper les oreilles vulgaires. contredire?,..
co Mais c'est faux: je ne l'ai jamais fait, je ne le ferai
LXXVH. jamais.
Ja. Et comment le pourrais-je? qui dou(e de loul ne peut rien
Aurora gardait cette ipdifférence qui pique à bon droit un preux nier.
ni Il est possible que la vérité sorte d'une source limpide ; niais
chevalier. De Ipulps les offenses, la plus vive consiste à nous laisser se flots sont troubles et coulent par tant de canaux contradictoires
ses
eplendrc que nous ne valons pas un moment d'attention. Or, Juan, que force lui est souvent de naviguer sur les eaux de la fiction. '
1l
sans avoir les prétentions d'un fat, n'était pas très charmé de se LXXXIX.
voir, comme un maljieureux navire , pris entre les glaces, et ce, Apologue, fable, poésie, parabole, tont'çclacsl faux, mais peut
après tous Ips excellents avis qu'il avait reçus. être
et rendu vrai par ceux qui répandent cette semence sur un sol
LXXV1IL bien
bj préparé. Que ne peut la fable ! on dit qu'elle rend la réalité
A ses aimables riens point de réponse, autre que ces mots in- plus supportable; mais qu'est-ce que la réalité? qui en a le crité-
P)
signifiants commandés par la politesse. Aurora tournait à peincles nrium ? Est-ce la philosophie ? Non ; elle rejette trop de choses. La
religion?
rt Oui; mais dé loutes.ses secles, laquelle?
yeux de son côlé, et son sourire n'aurait pu satisfaire la vanité la
moins exigeante. Etait-ce orgueil, modestie, préoccupation, stupi- XC.
dité? Le ciel lo sait! mais les yeux malicieux d'Adeline clincclaient Plusieurs millions d'hommes doivent avoir tort, c'est -évident:
de joie en voyant se vérifier ses prophéties;.. peut-être
p finira-l-pn par découvrir que lous avaient raison. Dicii
LXXIX. "
nous soit en aide! Puisque dans noire pèlerinage il nous est enjoint
Ils semblaient exprimer ces mots : «Je vous l'avais bien dit! » de tenir toujours brillants nps saints luminaires, il est temps qu'il
li
sorte-de triomphe que je ne recommande à personne, ljn effet, surgisse
si quelque nouveau prophète. En quelques milliers d'années,
comme je l'ai-vu et lu , en matière d'amour ou d amitié, un pareil
les
M
opinions s'usent, si.jp ciel n'y fait quelques réparations.
reproché peut piquer un homme au vif, et l'engager par amour- XCI.
propre à pousser au sérieux ce qui n'était qu'une plaisanterie, Eh bien! me voilà ciieprel pourquoi m'entorliller ainsi dans h
LXXX. métaphysique?
' Nul ne (jijWHJIe plus que moi touie sorte de contro-
C'est ainsi que Juan fut amené à témoigner à sa jeuno voisine ^verse ; et néanmoins, lp|ie est ma folie ou ma destinée, que je vais
quelques attentions légères, mais exquises, loul juste ce qu'il en toujours
J me heurter la |êie quelque part à propos du présent, de
fiUlailppursefairccomprcndrcd'unefeinmeintelligente. Alatin,Au* l'avenir
' ou du pa.-sé, l'ourlantjp n'en veux ni an Troyen ni au 'i'j--
rprà (ainsi ledit l'histoire) affranchit ses pensées de leur douce piï- rien,
r ayant été é|eyé dans la doctrine des presbytériens modères.
son au point, sinon d'écouter, au moins de sourire une foison deux. XCH.
LXXXI. Mais bien que je ne metye/d/emportement ni dans ma théologie,
Des réponses elle passa aux questions : chez elle, cela élail rare; < dans ma
ni niilanhysjque, pp politique mon devoir est de faire
cl Adeline, qui jusque-là avait cru voir ses prédictions se conlir- comprendre
< à jpl|n Bjïïl quelque chose, de la situation de ce lias
mer, eut à craindre que la glace, en se fontlunt, ne réypjâl une co- jmonder Mon sang bpuillonpe dans mes veines comme les eaux île
quelle... tant il est difficile, dil-on, d'enipôehprles extrêmes de se l'Hécla,
! quand je VPls les peuples permettre à ces misérables sou-
joindre! Mais celle prévoyanceélail trop subtile .'< tel n'était point le verains
' d enfreindre les lois.
caractère d'Aurora. XCIH.
La politique, l'administration et la piélésont des sujets que j'aborde
LXXX1I. quelquefois, npiiTseplenienl pour varier mon ouvrage, mais dans
Mais Juan avait une sorte do charme fuscinaleur, et sa fière bu- ,
un but d'utilité mprale;car ma mission est d'accommoder la société
milité, si l'on peut allier ces mots, montrait pour chaque mot ma- .
çl de farcir de sauge fifjlïp pip IFPP faisandée. Et maintenant que je
giqqc sorti dé la bouche d'une feminp auiant du déférence que si suis à peu prèsep plaide servir chacun selon ses goûts, je vais es-
,

c'eût été un décret. Doué d un lact exquis, il savujl à propos èlre sayer du surnaturel.
grave pu gai ', réservé ou libre ; il avait 1 art d'obliger les gens à se xqiv,
livrer sans leur laisser voir où il voulait en ye||jr. Je laisse donc de côté toute argumentation , et je déclare posili-
LXXXIII. vement qu'à l'avenir aucune tentation ne pourra me détourner fol-
Aurora , dans son indifférence, 1 avait d'abord confondu avec lai lemenl démon but- En fait, je n'ai jamais compris ce que veulent
foule des flatteurs, bien qu'elle le jugeât plus sensé que le vulgaire! dire ceux qui prétendent 'lue les entreliens de nia musc ont quclqu
des babillards... mais bientôt elle ressentit peu à peu 1 influence dpi chose dp dangereux,..,je la crois aussi inofl'ensive que d'autres qui
celte (laiterie qui séduit les âmes fières plutôt par des marques des su donnent plus de mal pour être moins attrayantes.
déférence que pur des compliments , el qui pour plaire va jusqy'ai ' XCV.
employer une contradiction délicate. Lecteur renfrogné! vîles-vous jamais un rpvcnant? non ; mai
LXXX1V. vous avez entendu dire... je comprends... ChiliI ne regrettez pas
Et puis il avait si bonne mine! Ceci était un point reconnui le temps perdu ; car c'est un plaisir que vous avez encore en ré-
parmi lés femmes nem. con. (1), ce qui, je suis fâché de le dire, chezt serve; et ne croyez pas que je veuille me moquer de ces choses-li;
tes lemmes mariéesconduit souvent au crim. con (2)... mais c'est un» et dessécher par le ridicule celte source du sublime et du mysté-
cas que nous abandonnons au jury. Or, q oique nous sachions de- rieux : pour raisons à moi connues, ma croyance est sérieuse.
puis longtemps que la mine est trompeuse , et l'a toujours été, dee XCVI.
manière ou d'autre, un extérieur avantageux l'ait toujours pluss Vous riez?... A votre aise; je n'en ferai rien, moi : il faut q"1
d'impression que le meilleur des livres. mon rire soit sincère; je n'en ai pas d'autre. Je disais donc que,
LXXXV. selon ma ferme conviplion, il esl un lieu hanté par les revenants..
Aurora, qui avait plus étudié les livres que les physionomies,était il Quel esl ce. lieu ? je ne l'indiquerai pas ; car je voudrais que le suit
fort jeune quoique très sagej, el admirait plus volontiers Minerve e venir en fùl anéanti. « Des ombres peuvent jeter l'effroi dans l'art
que les Grâces, particulièrement sur pne page imprimée, niais laa de Kichard. » En un mot, j'aj sur ce sujet des scrupules.
vertu elle-même a beau serrer ses lacets, elle n'a le
pus corset na- l" XCVII.
turel dp la prudentp vieillesse ; et Soprate, ce modèle du devoir, ''> La nuit... (c'est la nuit que je chante... parfois hibou, et par-;
avouait pour la beauté un'penchant discret, mais réel. par-)à rossignol).,, la nuit est sombre, et l'oiseau de Minerve f*
LXXXVL retentir autour de moi son hymne discordant; du haut des anliq"'
C'est ainsi qu'à seize ans, une jeune fille esl socratique, mais en in liinibiïs, de vieux portraits jettent sur moi un regard menaçant-
toute innocence .comme Sacrale lui-même ; el en vérité, si le su- i- Plût au ciel qu'ils eussent un air moins terrible! Les cendres m"
blime philosophe , d'Athènes avait à soixante-dix ans des fantaisies es ranles s'ôleigneht peu à peu dans Pâtre je commence à croti
comme celles que I laton mentionne dans ses Dialogues, je vois
ne is que j'ai trop prolongé ma veille.
pas eu qupi elles déplairaient dans une vierge... toujours , notpz-le le XCVIII.
bipii, dans les limites de la modestie ; c'est mon sine auâ non. i C'est pourquoi, bien que n'aie point pour habitude
je de rim
(t) tiemine coniradicenle, à l'unanimité, !
en pleinjour...sentant quelques frissons noplurues,je remetsprudci
(2) Criminal conversation, adultère.
j
ment à demain midi le soin de traiter un sujet qui, hélas!, n'ev
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON, 267

„e à mes yeux que des ombres..... Mais il faut que ypus ayez été procure
pn aucun; ou...à rien que je connaisse, si ce n'est àlui-même.
1I1S
la situation où je me suis vu, avant que vous puissiez me taxer Te est le coeur humain : nul parallèle n'en saurait donner une idée
Tel
!, superstition. vraie..,,
vn lellé aussi l'antique pourpre lyrienne, dont nul ne peut dire
XCIX. si sa teinture provenait d'un coquillage ou de la cochenille. Ainsi
l,a vie est une étoile qui plane à l'horizon sur les limites des périsse
pé jusqu'au dernier lambeau la robe des tyrans !
eux
mondes, entre la nuit et l'aurore. Combien peu .nous savons XI.
(. que
nous sommes1 Combien moins encore ce que nous serons ! Après le supplice de s'habiller pour un raout ou un bal, vient
), flot éternel du temps continue à rouler, et enporte au loin nos celui de se déshabiller ; parfois notre robe de chambre pèse sur
cc
Ailles d'air : quand l'une crève, une autre pour la remplacer se dé- nouscomme celle deNessus et nous rappelle des pensées aussi jaunes
n(
jche de l'écume des siècles; el cependant les tombeaux des em- (., l'ambre, mais un peu moins limpides, Titus s'écriail : « J'ai
que
îircs s'élèventçà et là
comme des vagues passagères. perdu
p, un jour! » D" fouies les nuits et de tous les jours que la plu-

_ P! des hommes peuvent se rappeler (el, pour ma part, j'ai eu des
part
unes et des autres qui n'étaient point à dédaigner), je serais curieux
ui
de savoir combien n'ont pas été perdus.
CHANT XVI.
XII.
I. Juan, en se retirant chez lui, se sentit agité, embarrassé, compro-
I.csanciens Perses enseignaient à leurs enfants trois choses uli- j* :il trouvait les yeux d'Aurora Raby plus brillants qu'Adeline ne
mis
|eS: tirer de l'arc, monter à cheval, dire la vérité. Ainsi fut élevé 'c lui avait dit (résultat ordinaire des conseils]. S'il avait connu
le
'vrus, lé meilleur des rois... et ce mode d'éducation est adopté exactement
c: son état, il se fût probablement mis à philosopher :
mm- la jeunesse
moderne. Nos jeunes gens ont un arc, générale- grande
P ressource pour tout lp monde et qui ne fait jamais faute au
ment à deux cordes ; ils montent un cheval, sans pitié comme sans
besoin.
" Juan ne pouvait que soupirer.
eur; peut-être excellentes un peu moins à dire la vérité ; mais, XIH.
«i
revanche, ils courbent l'arc... de leur pclùnp, beaucoup mieux Il soupira... Une seconde ressource, c'est la pleine lune, cet en-
mon ne fit jamais. trepôt
ti de tous les soupirs; et heureusement son chaste disque bril-
1
IL h d'une clarté aussi pure que le permet ce climat. Or, le coeur de
lait
La cause de cet effet ou de ce défaut... car « cet effet défectueux
f Juan
J était au diapason convenable pour la saluer de l'apostrophe :
unie cause... » je n'ai pas le loisir de la rechercher; mais je dois « O loi ! » cc tutoiement de Pégoïsmc amoureux.
Jirc une chose à ma louange : de toules les muscs que je me rap- XIV.
pelle, la mienne, quelles que soient ses folies et ses faiblesses en Mais amant, poète, astronome, berger, laboureur, quiconque a des
(l'ilaines matières, est sans contredit la plus sincère qui ait jamais ,
yeux ne peut contempler cet astre de la nuit sans tomber dans une
exploité la fiction.
csorte de rêverie ; de là nous viennent de grandes pensées (parfois
III. aussi
, un rhume, si je no me trompe); d'importants secrets sonl
lit comme elle traite de lotit et ne bal en retraite devant quoi que confiés
( à cet errant flambeau : il soumet à son influence et les ma-
ce soit, -celte
épopée contiendra un fouillis de conceptions des plus rées
, de l'Océan el le cervoau dos mortels el aussi ieurs coeurs.
rares, que vous chercheriez en vain ailleurs. Il est vrai qu'à son XV.
miel se mêle quelque amertume, maisdans une proportion si légère
s'étonner d'en trouver Juan se sentait pensif et plus disposé à la contemplation qu'au
que l'on ne peut s'en plaindre, maisqu'on doit sommeil. Dans sa chambre gothique, les llois du lac lui envoyaient
si peu, vu que cette histoire parle « de rebits cunctis et quibusdam
(
j
tWfff.»
leur liquide murmure tout plein du charme mystérieux de la nuit :
ÏV. BOUS
, sa fenêtre se balançait un saule, et il restait immobile, contem-
Mais de toutes les vérités qu'elle a dites, la plus vraie est celle plant
'
la cascade tantôt brillante, tantôt perdue dans l'ombre.
qu'olle va dire. J'ai fait entendre qu'il s'agissail d'une histoire de. XVI.
Sur sa table ou sur sa toilette je ne puis dire laquelle (pour un
revenant... Eh bien! ensuite? Je sais seulement que In chose est1
toiistanle. Avcz-vousexploré les limites? 11 est temps que nos dou- fait je suis scrupuleux au dernier point)... une lampe brillait d'une
leurs imberbessoient réduits au silence comme autrefois les scepti- vive clarté, et lui éloit appuyé contre une niche, où l'on voyait encore
ques qui ne croyaient pas Colomb.
maint ornementgothique, des pierres ciselées, des vitraux peints et
V. tout ce que le temps avait épargné du luxe de nos pères.
Certaines gens nous donnent comme authentiques la chronique; XVII.
te Turpin ou celle de Geoffry, auteurs dont la supériorité histori-
1 Puis, comme la nuit était belle, quoique froide, il ouvrit la porte
que brille surtout en fait de miracles. Mais la priorité appartientt
de sa chambre, et s'avança dans une longue et sombre galerie garnie
tsMMiliellemenlà saint Augustin lequel ordonne à tous de croireQ de vieux tableaux de grand prix représentant des chevaliers et des
,
l'impossible. Equivoques, arguties, ergotages, il répond à tout par,. dames héroïques et chastes comme doivent l'être infailliblement
,
les gens de haut lignage. Mais,
son : « quia impossibile. » * vus à une lueur douteuse, les por-
VI. traits des morts ont je ne sais quoi de sépuçral et de lamentable,
Donc, mortels, gardez-vousd'épiloguer ; croyez... Si la chose eslil XVIII.
improbable, il faut croire... si elle est impossible, raison de plus : Sous les rayons de la lune, ces images de saints et de farouches
tons tous les cas, il faut admettre les choses de confiance. Je ne e chevaliers paraissent vivre, et pendant que vous vous tournez de
parle point dans un sens profane, pour révoquer en doute cess côté et d'autre au faible écho de vos propres pas, il vous semble
saintsmystères que tout homme sage et juste admet comme parole e que des voix s'élèvent du tombeau et que des ombres fantastiques
'l'évangile, et qui, plus ils sont controversés, plus ils s'enracinent
il se détachent des cadres comme pour vous demander de quel droit
profondément, ce qui esl le caractère de loutp vérité, vous osez veiller en ce lieu, où toul doit dormir, sauf la mort.
VIL '
XIX. "
veux seulement faire remarquer, après Johnson , que depuis
•le
s El le pâle sourire des habitants du cercueil, charme des anciens
six mille
ans environ, Iputes les nations ont cru que par intervalles is jours, semble se ranimera là lueur des astres do la nuit ; leur che-
tu habitant de la tombe revient nous visiter; et ce qu'il y a d'étrange
e velure enfermée dans la tombe ruisselle à flots sur la toile; leurs
'n cette étrange matière, malgré toul ce que la raison oppose à yeux fixés sur les vôtres brillent comme les yeux d'un rêve ou
«ne telle croyance, quelque chqse de plus puissant encore cornbat il comme des stalactites au fond de quelque caverne; mais la mort
PMir elle nie maintenant qui voudra! est empreinte dans leurs mélancoliques rayons.

VIII. XX.
Ledîner était fini, ainsi que la soirée : le souper terminé de le Juan rêvait à tout ce qui change ici-bas, ou il rêvait à sa maîtresse,
fiènio, les dames suffisammentadmirées, les convives s'étaient c'est synonyme; et nul bruit; hormis l'écho de ses soupirs ou de ses
re-
s-
jiiés
un à un,,, les chants avaient cessé et la danse avait pris fin ; pas, ne troublait le silence lugubre de l'antique manoir ; quand tout-
'* dernière robe
transparente plait partie... évanouie , coinnie ces
!S à-coup, il entendit ou crut entendre prèsde lui un être surnaturel...
"nages vaporeux qui se perdent dans le firmament, et rien ne bril-
1- peut-être élaiUçe une souris, car îp frôlement aigu de ce petil ani-
«ilplus dans le salon sauf les bougies mourantes... et la lune qui
ui mal derripre une tapisserie a souvent intrigué bjcp du monde.
totnmencait à ,
poindre. XXI.
IX. Ce n'était pas une souris; mais, ô surprise! un moine, affublé
,'e moment où s'éyapqre une joyeuse journée ressemble au der-
'"" d'un capuchon et d'une robe noire et portant un rosaire tantôt Se
'Jw verre (le chanipagne, privé de la mousse çjui égayait sa rasade montrait au clair de la lune tanlôt disparaissait dans l'ombre ,
J"'ginale, H ressemble encore à un système qu escorte le doute, >e , : il
Unie vague délaissée par la tempête et que n'anime plus le vent;qu
m s'avançait par des mouvements étranges niais silencieux : ses vê-
tements seuls produisaient un léger bruit ,
: il glissait lentement
'
x- comme une ombre, et en passant près de. |uan sans s'arrêter, il lui
On à une potion opiacée qui procure qp repos troublé ou n'en
:n lança un regard éiincelanl,
268 LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

XXII. disposé à parler de son mal, on pouvaitcroire que s'il avait besoin '
di
Juan resta pétrifié. 11 avait bien entendu quelques mois sur un de de quelque chose, ce n'était pas du docteur. '
spectre qui hantait autrefois ces appartements; mais , comme bien XXXIV. j
d autres, il n'avait vu là qu'un de ces bruits qui s'attachent à de Lord Henry, ayant expédié son chocolat ainsi que les rôties doiu
tels lieux, monnaie de la superstition vulgaire. A-t-il bien vu, en il j) s'était plaint, remarqua que Juan n'avait pas son air animé;
effet? ou n'était-ce qu'une vapeur? dont
^( il s'étonnait, vu que le temps n'était pas à la pluie. Puisccj|
XXIII. adressa
at la parole à la duchesse, il lui demanda si elle avait reçu
Une fois, deux fois, trois fois, il repassa... cet enfant de Pair, de la depuis
de peu des nouvelles du duc Sa Grâce la duchesse répondit qùc i
terre, du ciel ou de l'autre séjour. Juan fixa sur lui ses yeux éton- Sa Si Grâce le duc avait éprouvé quelques légères attaques de goutte ,'

nés, sans pouvoir parler ni remuer ; mais il resta immobile, comme cette ce rouillequi s'attache aux gonds de l'aristocratie. ' !

une statue sur sa base ; il sentit ses cheveux s'enlacer autour de ses XXXV.
tempescomme des noeuds de serpents : il voulut interroger le révé- Alors Henry, se tournant vers Juan, lui adressa quelques mots de
rend personnage; mais sa langue lui refusa des paroles. condoléance.
C( « A vous voir, lui dit-il, on croirait que votre som-
XXIV. "Juan a été troublé
meil par le Moine Noir. — Quel moine? » demanda
La troisième fois, après une pauseplus longue encore, le fantôme .' avec un effort pour prendre un air calme ou indifférent ; mai;
disparut.... Mais où était-il passé? La galerie s'étendait au loin, et, il " ne put s'empêcherde devenir encore plus pâle.
sous ce rapport, il n'y avait là rien de surnaturel : de nombreuses XXXVI.
portes pouvaient, sans contrarier les lois physiques, donner passage « Comment ! n'avez-vous jamais entendu parler du Moine Noir
a des corps petits ou grands : mais Juan ne put constater par la- le
le spectre de ce château? — Jamais, en vérité. — Eh bien ! la rel
quelle de ces issues le spectre avait paru s'évaporer. nommée...
n mais vous savez qu'elle ment quelquefois, raconte une
XXV. vieille
) histoire que vous apprendrez plustard. Soilqu'avecle temps le
11 resta immobile... combien de temps? il n'aurait pu le dire; fantôme ait perdu de sa liardiesse, soit que nos aieux eussent pour
mais ce temps lui parut un siècle... et il attendait toujours, impuis- voir v de tels objets des yeux un peu meilleurs que les nôtres, les vi-
sant à se mouvoir, les yeux fixés sur l'endroit où le fantôme lui sites sl du moine ont été plus rares depuis quelque temps.
avait d'abord apparu; puis, peu à peu, il reprit l'usagede ses facul- XXXVII.
tés. Il lui sembla qu'il avait eu un rêve, mais il ne s'éveillait pas : « La dernière eut lieu...—Je vous prie, interrompitAdeline (qui,
il dut croire qu'il n'avait point dormi, et se relira dans sa cham- hles yeux fixés sur don Juan, observait le changement de ses traits'
bre dépouilléde la moitié de ses forces. e conjecturait déjà qu'entre son trouble et la légende, il existait uii
et
XXVI. secret
s rapport)... je vous prie, si votre intention esl de plaisanter,
Tout y élait dans l'état où il l'avait laissé : la lampe continuait à veuillez y choisir, pour le moment, quelque autre sujet ; car l'histoire
brûler et sa flamme n'était pas bleue comme il arrive aux flam- cen question a été souvent contée, et n'a pas gagné beaucoup en
beaux bien, élevés qui sympathisent avec l'arrivée des esprits : il se vieillissant. y
frotta les yeux el ils ne lui refusèrent pas leur office : il prit un XXXVIII.
vieux journal et le parcourut facilement;il trouva un article où l'on — Plaisanter 1 s'écria lord Henry; mais vous savez bien, Ade-
attaquait le roi el un long éloge du cirage patenté. line,
\ que nous-mêmes... c'était dans notre lune de miel... nous
XXVII. avons
\ vu...— N'importe1 il y a de cela si longtemps! Mais tenez,
voici votre histoire en musique. » Alors, gracieuse comme Diane
Cela sentait notre monde matériel; néanmoins sa main trem- quand elle tend son arc, elle prit sa harpe, dont les cordes à peine
blait... Il ferma sa porte, il se déshabilla, et se mit au lit sans trop se (touchées \ résonnèrent harmonieusement,et d'un ton plaintif, clic se
presser. Là, mollement appuyé sur son oreiller, son imagination mit j à jouer l'air : « Il élait un moine gris. »
repassa ce qu'il avait vu : et quoique ce souvenir n'eût point
les vertus de l'opium, le sommeil le gagna peu à peu. XXXIX.
« Ah! veuillez y joindre, dit Henry, les paroles que vous avez
XXVIII. composées ; car Adeline est à moitié poète, » ajouta-t-il avec un
Juan s'éveilla de bonne heure ; et, comme on peut croire, réflé- (sourire, en se tournant vers le reste de la société. Comme de rai-
chit à celte visite ou à cette vision, se demandant s'il ne serait pas ,\son, chacun s'empressa d'exprimer poliment le désir de voir dé-
utile d'en parler, au risque de s'entendre railler sur sa superstition. ployer trois talents à la fois ; car il n'y en avait pas moins : la voix,
Plus il y pensait, plus augmentait sa perplexité : en ce moment, les paroles et l'instrument, et pareille réunion ne pouvait se trou-
son valet, serviteur très exact vu l'exigence du maître, vint frapper ver dans une sotte.
pour l'avertir qu'il élait temps de s'habiller. XL.
XXIX. Après quelques instants d'une charmante hésitation, autre magie
Il s'habilla : comme tous les jeunes gens, il soignait habituelle- de ces magiciennesqui, je ne saurais vous dire pourquoi, semblent
ment sa toilette ; mais ce malin-là il y consacra moins de temps qu'à obligées à celte petite feinte, la belle Adeline baissa d'abord les
l'ordinaire; il eut bientôt abandonné son miroir; ses cheveux tom- yeux; puis, s'animanl loul-à-coup, maria sa douce voix aux sons
baient négligemment sur son front; ses vêlements n'avaient pas lei de sa harpe, et mit dans son chant beaucoup de simplicité, mérite
pli accoutumé, et le noeud gordien de sa cravate était hors de son qui, pour être peu prôné, n'en est pas moins précieux.
axe presque de l'épaisseur d'un cheveu. \.
XXX. « Gardez-vous du Moine Noir qui, s'asseyant sur la pierre de l'ab-
Etant descendu au salon , il s'assit tout pensif devant une tassei baye normande, murmure ses prières aux brises de minuit et dil
de thé, ce dont il ne se fût peut-être pas aperçu si le vase n'avaitt les messes des jours qui ne sonl plus. Quand le lord des monta-
été brûlant, ce qui le força de recourir à sa cuiller : il élait telle- gnes, Amundeville, fit sa proie de l'église normande et en chassa
ment distrait, qu'il ne devait point paraître dans son assiette ordi- les moines, un seul frère refusa toujours de partir.
naire. Adeline la première s'en aperçut... mais elle ne put deviner 2.
la cause de son trouble. De la volonté du roi Henri, il vient avec toutes ses forces
« par
XXXI. faire des biens de l'église sa propriété laïque ; armé du glaive et île
Elle le regarda, remarqua sa pâleur, et elle-même pâlit; puis elle5 la torche, il renversera les murs si quelqu'un lui résiste. Un moine
baissa tout-à-couples yeux et murmura quelques mots que l'histoire3 II reste : rien ne peut le chasser ou l'enchaîner ; car ses membres ne
ne m'a pas rapportés. Lord Henry dit que sa rôtie étaitmal beurrée;i II semblent pas faits d'argile. On le voit sous le porche, on le voit
la duchesse de Fitz-Fulke jouait avec son voile et regardait Juan1 dans l'église ; mais ce n'est que la nuit qu'il se montre.
sans prononcer une parole ; AuroraRaby, fixant sur lui ses grands 3.
yeux noirs, l'examinait avec une surprise calme. Vient-il pour le bien, vient-il pour le mal ? Je ne saurais le dire ;
«
XXXII. mais, nuit el jour, il habite le manoir d'Amundeville. Quand les
Mais, voyant qu'il restait froid el silencieux et que toul le monde e lords se marient, il se glisse, dit-on, le soir près du lit nuptial ; et
s'en étonnait plus ou moins, la belle Adeline lui demanda « s'il nee l'on lient pour certain qu'il se présente aussi à leur lit de moi'li
se sentait pas bien. » Juan tressaillit el répondit : « Si fait... non... mais non pour pleurer.
peut-être... oui. » Le médecin de la famille était un fort habile pra- *T 4.
ticien, et comme il se trouvait là , il voulut lui tâter le pouls, mais 18
« Quand naît un héritier, on l'entend gémir ; et lorsqu'un malheur
Juàn s'écria : « qu'il se portait parfaitement.» menace cette ancienne lignée, à la pâle clarté de la lune on le voit
XXXIII. errer de salle en salle. On voit sa taille etbrillent non ses traits toujours
« Parfaitement... oui... non »... Ces réponsesétaient peu claires; i;
abrités par son capuchon ; mais ses yeux entre les plis,cl
mais, quoiqu'elles pussent paraître incohérentes, son aspect était il ce sonl les yeux d'un spectre.
d'accord avec leur apparente contradiction : un malaise étrange li
lui 5.
..
ôtait sa vivacité habituelle ; quant au reste, comme il semblait peu u « Gardez-vous du Moine Noir, il est toujours le maître ici ; cal "
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON. 269

ill'héritier de l'église, quel que soit le possesseur laïque. Le jour, le plus assurés de son approbation, c'étaient les sonnets et les
mundeville est le seigneur, mais le moine a son tour la nuit ; ni bouts-rimés adressés à sa personne.
bo
;n ni banquet ne sauraient exciter un vassal à méconnaître les LI.
roits du moine. difficile d'indiquerle but auquel visait Adeline en chan-
11 serait
6. jjj, celle ballade, comme pour indiquer la cause qu'elle-mêmeattri-
tant
« Ne
lui parlez pas quand il se promène à grands pas dans la salle, ^
buait à L'émotion nerveuse de Juan. Peut-être ne se proposait-elle
lil ne vous dira rien non plus; il glisse lentementdans sonman- que de dissiper, en riant, sa terreur supposée; peut-être voulait-
au comme la rosée sur le gazon. Merci du ciell Dieu soit en aide J*n
elle l'augmenter encore. Dans quelle intention? je ne saurais le
u Moine Noir ; propice ou funeste, quelle que soit sa prière, prions
our le repos de son âme. »
^
dire... du moins- pour la minute.
XL1. LIL
Adeline se tut el les cordes frémissantes s'arrêtèrent sous les Dans tous les cas, cet expédient r eut pour effet de rendre à don
loigls qui les animaienl. Il se fit alors ce silence que garde un mo- Juan
Ju la pleine possession de lui-même, condition essentielle aux
nent l'auditoire quand le chant a cessé ; puis, comme la politesse él qui veulent se maintenir au diapason de leur cercle, article
élus
ordonne, toul le cercle admire et applaudit le chant, le goût, l'ac- su lequel on ne saurait être trop circonspect. Que ce soit le persif-
sur
ompagneinent, au grand embarras de la timide exécutante. flage
fil ou la piété qui donne le ton, sachez vous affubler du manteau
XLII.
J d'hypocrisie le plus à la mode, sous peine d'encourirle mortel dé-
plaisirde la gynocratie.
La belle Adeline ne paraissait pas attacher le moindre prix à ce l LUI.
latent ; elle semblait ne le considérer que comme le passe-temps Juan commença donc à se remettre'; et. sans plus d'explication,
d'un jour inoccupé, et ne le cultiver par instants que pour son ^
propre plaisir. Toutefois, de temps en temps, sans afficher la
il se mit à lancer sur ce sujet mainte facétie. Sa Grâce saisit aussi
occasion pour hasarder quelques saillies du même genre ;
moindre prétention, ce qui n'en excluait pas une certaine dose, elle cette mais elle exprima ,
daignait, avec un orgueilleux sourire, condescendre à montrer ce R en même temps le désir d'entendre un récit plus
qu'elle eût
pu faire si à ses yeux la chose en avait valu la peine.
j détaillé des singulières façons d'agir de ce moine mystérieux et de
ses
S| faits et gestes à l'occasion des mariages et des morts de, la fa-
XL11I. mille
n actuelle.
Or, ceci (je vous le dis tout bas) c'était... pardonnez-moi cette LIV.
comparaison pêdantesque.-.. c'était fouler aux pieds l'orgueil de A cet égard, on ne pouvait guère lui en apprendre plus qu'il
Plalon, avec un orgueil plus grand encore, comme fit le Cynique en n n'en a été dit ci-dessus; le tout passa, selon 1 usage, auprès de
pareille occasion, croyant mortifier beaucoup le sage et soulever
philosophique sa quelques-uns
q comme pure superstition,pendant que d'autres, à qui
colère pour un tapis gâté ; mais l'abeille attique les h revenants inspiraient plus d'effroi, admettaient presque l'étrange
trouva dans sa répartie une consolationsuffisante. t
tradition. Beaucoup de choses furent dites pour et contre ; mais
XLIV.
I
Juan , toutes les fois qu'on l'interrogeait sur la vision à laquelle on
Ainsi, en faisant avec aisance et quand il lui plaisait ce que les dait de manière
attribuait son trouble(bien qu'il n'en fût pas convenu), Juan répon-
dilcltanli font avec beaucoup d'étalage, Adeline éclipsait leur de- t
à dérouter toutes les conjectures.
mi-profession ; car le talent musical devient tel quand on en fait LV.
trop souvent parade, et c'est ce dont conviendront tous ceux qui Cependant, il élait une heure de l'après-midi, et la compagnie
ont entendu miss ceci ou miss cela, ou lady une telle donner une songeait
s à se séparer : les uns allaient se livrer à divers passe-
représentationpour plaire à la compagnie ou à leur mère. Itemps d'autres n'allaient rien faire; ceux-ci s'étonnaient qu'il fût
,
XLY. jencore si lot, ceux-là qu'il fût déjà si tard. Ajoutez qu'une magni-
Oh I les longues soirées de duos el de trios I admirations et spé- fique course devaitavoir lieu, sur les terres de mylord, entre quel-
dilations ! les mamma mia et les amor mio, les tanti paipitl, les |ques lévriers et un jeune cheval de noble race dressé à franchir la
lascia mi et les roucoulants addio! à quoi noire nation, la plus barrière. Plusieurs des invités allèrent y assister.
musicale de toutes, joint pour charmer l'oreille les tu mi chamas LVI.
du Portugal, de peur que l'Italie ne lui fasse défaut. En outre, un marchand de tableauxavait apporté un beau Titien,
XLVI. garanti original, tellement précieux que son possesseur ne voulait
Les airs de bravoure italiens... comme aussi les simples ballades le vendre à aucun prix, quoiqu'il fût convoite par tous les souve-
nationales de la vaste Erin el des grisâtres montagnes d'Ecosse, ces rains de l'Europe. Le roi lui-mêmel'avait marchandé; mais la liste
chants qui évoquent le Lochaber aux regards du voyageur errant civile, qu'il daigne accepter gracieusement pour obliger ses sujets,
au loin sur les continents ou les îles de l'Atlantique, ces calentures lui avait paru insuffisante pour cet achat, dans ce temps où l'impôt
musicales qui font rêver au montagnard la patrie qu'il ne reverra est si léger.
plus que dans de pareilles visions... tels étaient les morceaux dans LVII.
lesquels Adeline excellait. Mais lord Henry étant un connaisseur... l'ami des artistes, sinon
XLVII. des arts, le marchand,guidé par les motifs les plus classiques et les
Elle avait aussi une légère teinte de bleu, savait faire des vers el\ plus purs (à tel point que si ses besoins eussent été moins pressants,
en composait plus qu'elle n'en écrivait ; elle faisait aussi dans l'oc- il eût fait cadeau de son tableau à mylord, tant il se tenait honoré
casion des épigrammes contre ses amis, comme c'est un devoir pour de son patronage); le marchand, dis-je, avait apporté le capo d'o-
chacun. Toutefois, elle était loin de celte teinte d'azur foncé, deve- pera, non pour le vendre, mais pour le soumettre au jugement
nue la couleur à la mode ; elle avait la faiblesse de trouver que Pope. d'un Mécène... connu pour infaillible.
était un grand poète et qui, pis est, n'avait
pas honte de le dire. LVIII.
XLV1II. Il y avait de plus un moderneGoth, j'entends un de ces gothiques
Aurora, puisque nous en sommes sur le goût, ce thermomètre» maçons de Babel qu'on nomme architecte, venu pour visiter ces mu-
d'après lequel on classe aujourd'hui lous les individus Aurora, railles grisâtres qui, malgré leur épaisseur, pouvaient avoir besoin
si je
ne me trompe, était plus shakespearienne. Elle vivait davan-, de quelques réparations. Après avoir fouillé dans tous les sens, cet
tage dans les mondes situés par-delà les inextricables solitudes de B
homme présenta un plan pour ériger de nouveaux bâtiments dans
celui-ci ; car il y avail en elle une sensibilité capable d'embras- le style le plus correct, en jetant bas le vieil édifice ce qu'il appe-
ser des pensées illimitées, profondes comme l'espace et silencieu- lait une restauration. ,
ses comme lui. LIX.
XLIX. Cela ne coûterait qu'une bagatelle (vieille chanson qui a pour re-
H n'en était pas ainsi de Sa Grâce, pleine de grâce mais
peu enn frain quelques milliers de guinées, si l'on fredonne longtemps le
,
Mat de grâce, la duchesse de Filz-Fulke, cette Hébé déjà mûre, dont il même air) ; on serait dédommagé des frais par la possession d'un
l'esprit, en supposant qu'elle en eût, élail tout entier
sur son vi- édifice non moinssublime que durable, qui manifesterait glorieuse-
sage ; et c'est là l'esprit le plus fascinateur qu'il y ait au monde.
!. ment le bon goût de lord Henry, et ferait briller d'âge en âge les
On pouvait
y discerner aussi un léger penchant à la méchanceté... hardiesses du style gothique exécutées avec l'argent anglais.
nais bagatelleI peu de femmes sont créées sans quelque aimable
''vain de ce genre: il ne faut ,e LX.
pas qu'ici-bas l'on se croiedans le ciel. 11 y avait encore au château deux hommes de loi, occupés d'un
L. emprunt sur hypothèque que lord Henry voulait contracter pour
Je n'ai pas entendu dire qu'elle fût plus ou moins poétique faire quelque nouvelle acquisition. Ils devaient aussi préparer les
Pédant elle a été vue lisant le « Guide de Bath » et les Trion*- ; ce-
i-
« i* pièces de deux procès, l'un pour des redevances seigneuriales, Pau
Phes d'Hayley. Or,
» ce dernier ouvrage lui parut réellement pathé- 5- tre relatif aux dîmes, véritables brandons de discorde, qui enflam-
]((ue; car, disait-elle, son caractère avait été tant de fois misa à ment la religion au point de lui faire jeter son gage de bataille. Il y
'épreuve, que le barde avail prophétisé toutes les traverses de avait un boeuf, un porc et un laboureur, concurrents pour les prix
Vle depuis son mariage. Mais de tous les vers, ceux qui étaient
sa
sa
ni agricolesétablis par lord Henry dans sa ferme Sabine.
27J LES VEILLÉES LITTÉRAIRES lLLtiSÏHËÈS.

LXI. circonspect et tout à tous. Aux uns il distribuait dés civilités, „u


cit
11 y avail deux braconniers pris dtiiis un piégé à lbUp et destinés autres
au des services, à lous dés promesses...et la somme de ces der.
à passer leur convalescence en prison. Il y avait une jeune pay- bières
ni commençait à monter assez haut, leur accumulation n'étanî
saune en petit bonnet et en manteau écarlale (je n'en puis souffrir point
pc entrée dans ses calculs; mais tenant les unes, violant les ail.
la vue parce que.,, parce que; dans ma jeunesse,j'ai eu le malheur tr sa parole au lolal valait celle d'un aatre.
1res,
de... Mais heureusement que, depuis ce temps-là, j'ai eu rarement LXXH.
des indemnités à payer à lu paroisse). Hélas! co manteau écarlale,
enlr'ouvert par Une main impitoyable, présente le problème d'un « Ami de la liberté cl des francs tenanciers... également ami ,]„
être double. gouvernement
§, il se flattait de tenir le juste milieu entre l'amour
LXli. * places el le patriotisme bien qu'il occupât, malgré lui, p0lJr
des
Un dévidoir dans une bouteille offre un mystère: on se demande se conformer au bon plaisir de son souverain (et en dépil de son
£incapacité,
comment il est entré él comment il Sortira; c'est pourquoi j'ahan- ajoutait-il modestement pour répondre auxraillcrjcs
donne cet échantillon d'histoire naturelle à ceux qu'oécUpe la soltt^ des
* démocrates); bien qu'il occupât, dis-je, quelques sinécures
lion des problèmes. Je constaterai seulement que lord Henry était qu'il
q eût voulu voir abolir, si leur destruction ne deVait pas entrai'
juge de paix, et que, sous mandât d'amener, lé cohstable Scout [{) ner celle de toutes les lois'.
avait saisi la délinquante pour délit dé braconnage sur les domaines LXXIH.
de là nature» « Il étaii « libre d'avouer »... (d'où vient celte locution? Est-ell
LXIII. anglaise?
_' Non, elle n'est que parlementaire); il avouait, disons
Or, les juges de paix sont appelés à connaître des méfaits de tout nous, que de nos jours l'esprit d'innovation a fait plus de progrè
genre, el à garantir le gibier et ltt moralité du pays contre les ca- j| dans lé siècle dernier. H ne consentiraitjamais à poursuivreI
que
priées dé ceux qui n'ont pas lé permis nécessaire; et ces deux gloire par une rôlilé factieuse, bien qu'il fût prèl à toul sacrifier a
Fbien public
articles, après les dîmes cl les baux, sonl peut-être ceux qui don- ; quant à ses emplois, tout ce qu'il pouvait dire, ces
nenl le plus d'embarras : conserver ihtàclcs les perdrix elles jolies que
^ là fatigué en était plus grande que les profits.
filles esl une lâche qui intrigue le tribunal le plus consciencieux. LXXIV.
LXIV. « Le ciel el ses amis savaient que le bonheur de la vie privé
avait
a toujours été l'unique but de son ambition ; mais pouvait-j
La délinquante en question élait extrêmement pâle, pâle comme abandonner
si elle eût mis du blanc; car ses joues étaient naturellement rou- a son roi dans Ces temps de discordes qui menaçaient 1
pays
pJ, d'une ruine complète, alors que le sanglant couteau de la dé
ges , ainsi que les grandes dames les ont blanches , du moins au màgogie s'apprêlail à trancher do part en part ( infernale bouche
sortir du lit. Peut-être était-elle honteuse de sa faiblesse, la pauvre r le noeud gordien ou géorgien, qui lie ensemble les communes
rie)
enfant! car née et élevée au village » dans son immoralité, elle ne j lords et le roi;
les
savait que pâlir... la rougeur est faite pour les gens de qualité. LXXV.
LXV. « Dûl-on, pour lui enlever son poste dans la liste civile, descen
Dans un coin dé soii oeil noir brillant, timidement baissé et pour- t dans la civique arène et la lui disputer avec le dernier achar
dre
tant espiègle, s'élail arrêtée Une larme, que la pauvre fille de temps nement,
] il était résolu de lé garder à moins d'être dûment démis
à autre tâchait d'essuyer, car ce n'était pas une pleureuse senti- sionhé
j ou renvoyé ; quant aux profils, il y tciiail fort peu et laissai
mentale, faisant parade du sa sensibilité. Elle n'avait pas non plus à< d'autres lé soin de les recueillir. Mais, si jamais Venait le jour o
cette insolence qui répond au mépris par le mépris; mais deboutet i n'y aurait plus d'emplois, le pays seul aurait à lé regretter ; com
il
toute tremblante dans sa patiente douleur elle attendait qu'on ment,
j éii ciïet, pourrait-il marcher ? L'expliqué qui pourra ! Pou
l'interrogeât. , , 'lui, il était fier du nom d'Anglais.
LXVL LXXVI.
Naturellement, ces divers groupes étaient répartis . en divers
.. én- « Il élail indépendant,lui,beaucoup plus que ceux qui ne sonl pa
dioits du château et à distance du salon des dames : les hommes de payés pour l'être, de même que, dans le métier de la guerre el du li
loi dans le cnbincl; le porc, le laboureur, les braconniers, en plein 'bertinuge, les simples soldais elles prêtresses de la Vénus vulgui
air; les gens venus de la ville, à savoir l'architecte cl le marchand, ont Une supériorité marquée sur les personnes qui n'en font pas leu
]
chacun à son poste, aussi affaires qu'un général qui, relire dans sa étal... » Ainsi devant la foule, les hommes politiques aiment as
tente, y rédige ses dépêchés; el là, ils se livraient avec orgueil à ,
donner de l'importance,comme des laquais devant un mendiant.
leurs brillantes spéculations. ,

LXVll. LXXVIL
Mais là pauvre fille était reléguée dans la grande salle, pendant Toiit cela (sauf la dernière stançc), Henry le proclamait et le peu
que Scout, le gardien des fragilités de la paroisse, discutait les mé^ sait. Je n'en dirai pas davantage...j'en ai trop dit; car il n'est pas und
rites d un pot de double aie très morale (il avait en horreur cc qu'on[ lu, sur les husliiigs ou hors des nusiing
nous qui n'ail entendu ouindépendante
le cu'ur libéral ou la tôle du candidat officiel s'épan
appelle la petite bière). Elle attendait que monsieur le juge, rap- à
pelant sa bienveillante attention sur sa'Vraie'juridiction , désignât,' cher èi) idées peu près semblables. Je ne loucherai plus à cc si
point embarrassant pour la plupart des filles, le père d'un enfant. jet... la cloche du dîner a sonné ; le bénédicité esl dit : j'aurais d
le chanter.
LXV1I1. LXXVIII.
Vous voyez que, sans compter ses chiens el ses chevaux, lordI Mais je suis arrivé trop lard el j'en dois mfcs excuses. Celait u
Henry manquait pas d'occupation. On était aussi fort i
affairé grand banquet, tel que ceux dont Albion se gloi'iliâitjadis... coimii
dans'lesnecuisines pour lu préparation d'un grand repas à deux ser- si l'augé d'un glouton élait un spectacle bien magnifique à voi
vices; car, en raison de leur rang cl de lcUr position, les hommess Mais c'était un festin public, une réception générale; grande fom
qui possèdent dans les comtés de grandes fortunes territoriales,, grand ennui, des convives échauffés et des plats refroidis; main
quoiqu'ils ne tiennent pas précisément cc qu'on appelle table ou-- :, profusion force cérémonie, peu de gaîté : personne qui ne fût ho
verte, ont néanmoins des joute de gala pôUr tout le monde. ,
de sa sphère.
LXX1X.
LXIX.
Une fois par semaine ou tous les quinze
, jours, sans invitation
, Les squires' se montraient familièrement Cérémonieux, les lor
„ et les làdiés orgueilleusement affables ; les domestiques eux-iném
(c'est cc que signifie une invitation générale), tous les gentilshom-,. étaient embarrassés
mes campagnards, squires ou chevaliers, peuvent se présenter sansg craindre de compromettre en présentant les assiettes... et semblait
leur dignité en quittant leur imposa"
carte, prendre place au large banquet, se délecter dans ce qu'il vy? station près du buffet. Toutefois, leurs maîtres, ils n'avaic
a de plus fashionable en vins et en conversations, et (cest là en ef- garde de mécontenter personne ; comme car la moindre impolitesse pouvi
fet YiAhme qui forme cette grande jonction ) s'entretenir de la der- „ coûter au maître et au valet.,, leur place,
nière élection et surtout de la prochaine.
LXX.
i-xxx.
Il y avait là Un certain nombre d'intrépides chasseurs et d'haï)'
(
Lord Henry était Un grand faiseur d'élections , minant les bourgs '^ cavaliers, dont lés chiens n'étaient jamais défaut, dont les i
pourris, comme ferait urt rat ou un lapin; m,iis les candidatures I vr'iers ne mangeaient jamais lé gibier. H y en aussi des lircu
des comtés lui coûtaient un peu plus cher, parce que son voisin jg le^ de première fo-rçè, devrais septembriseurs,avait les premiers hors
f comle écossais de Giflgabbit exerçait, dans la même sphère que Jj lit, les derniers à la poursuite de la pauvre perdrix abritée sous
lui, une influence anglaise, et que son fils^ l'honorable llichard. chaume du sillon. 11 y avait de corpulents ecclésiastiques, lovw
Dicédrabbit représentait au parlement l'intérêt opposé (c'est-à- K_.
de dîmes, faiseurs de bons mariages, et chantant moins de psaun
dire le même intérêt égoïste, différemment dirigé).
»
que de joyeux refrains.
LXXl. LXXXl.
i,
C'est pourquoi, dans son èbtnlé , lord Hchfy se montrait poli, H y avait encore plusieurs farceurs dé campagne ; puis, lie'1
| quelques exilés de la ville, réduits à regarder le gazon au lieu
(t) Scout, furet.
I pavés, et à se lever à neuf heures du matin au lieu de onze. 0 »
OEUVRES COMPLÈTES DE LOftD BYRON. 271

l,cur! c'est ce jour môme qu'il m'arriva de me trouver assis à côte traits. Or, il prit réellement ceci du mauvais côté ; daits ceux qui
tr
de cet assommant fils du ciel, dé ce pliissanlprédicateur. Peter
Pith, sourient rarement, lé sourire trahit un puissant motif extérieur, et
so
le licl esprit le plus bruyant qui m'ait jamais rendu sourd. ce sourire d'Aurora n'avait rien de ce qui éveille l'espérance ou l'a-
ce
LXXXIL mour : on n'y voyait aucun de ces pièges q^ue certaines gens décou-
"J
vrent dans le sourire des dames.
Je l'avais connu à Londres, dans ses beaux jours, brillant dîneur
XCIIL
lien que simple desservant ; il n'essayait pas un bon mot qui ne Celait seulement un sourire calmé et Contemplatif,empreint d'une
futapplaudi; mais bientôt (ô Providence, merveilleuses sont les
voies! Qui pourrait l'accuser de parcimonie dans tes dons?) un certaine
c( expression de surprise et dé pitié. A cette vue4 Juan rougit de
avancement rapide et sûr lui donna, pour exorciser le diable qui dépilj
*' ce qui était très peu sâgeet encoremoinsspiritueh puisqu'il avait
plane sur Lincoln, un gras et marécageux vicariat, le dispensant di moins conquis l'attention de la belle^ lé plus important des ou-
du
de tout souci pour l'avenir.
vragés
*' avancésde la place, comme Juàn l'aurait compris, si toul son
LXXXIH. » sens n'avait été mis en déroute par l'apparition nocturne.
bon
Ses quolibets étaient des sermons et ses sermons des quolibets ; XC1V.
mais les uns cl les autres se perdaient dans les marais car l'esprit Mais, cc qui étail de mauvais augure, Aurora ne rougit pas de
,
n'a pas grande prise sur des gens fiévreux. Des oreilles avides el son côlê, èl né parut éprouver aucun embarras; tout au contraire ,
si
des plumes slénographiqucs ne recueillaient plus lejoyeux bon son air était, comme dé coutume, calme sans sévérité. Elle détourna
si
mol ou l'heureux persifïlage ; le pauvre prêtre se vit réduit au sens h yeux mais ne lés baissa pas, et en même temps elle pâlit uii
les
commun ou à de longs, grossiers et bruyants efforts pour arracher peu...
p De quoi ? d'inquiétude? Je né sais ; mais elle n'avait jamais
un gros rire à l'épais vulgaire. beaucoup
b de couleurs... son teint, rarement animé, était toujours
LXXXIV. transparent
Il comme lés mers profondes sotis un soleil radieux.
y a une différence, dit la chanson, entre une mendiante et une
11 XCV.
reine, ou plutôt il y avait (car de mémoire d'homme, nous avons Pour Adeline, la gloire l'occupait tout entière ; surveillant tout,
vu que la plusmnllrailéedesdcux n'était pas 11 mendiante... mais ne jdéployant tous ses enchantements, affuble envers tous* les Consom-
parlons pas des affaires d'Etal) ; il y a une différence entre un évô- mateurs de poisson, de volaille et de gibier, elle mêlait la dignité à
,
que et un dnyen, entre la faïence et la vaisselle plate, entre le boeuf j courtoisie, comme doivent lé faire toutes celles qui (surtout vers
la
anglais el le brouet Spartiate... bien que l'un et l'autre aient nourri jla fin de la sixième année pàrlcmci'laire) visent à ce que leur mari, .
des héros-, leur
i fils ou leur parent, vogue sain et sauf à travers les écueils des
LXXXV. réélections.
la plus grande se trouve entre la
Mais de loules les différences ,
, XCVI.
campagne et la ville. Cette mérite de tout point la préfé-
dernière Bien qu'au total, cette conduite fût convenable et conforme à l'u-
rence des gens qui ont peu de ressources en eux-mêmes, et ne sage,
< quand les regards dé Juan s'arrêlèrent sur Adéliné s'ncquit-
pensent, n'agissent, ne sentent qu'en rapport avec quelque petit plan \
tanl de son grand rôle avec autant de facilité qu'elle eût fait une
d'intérêt ou d'ambition, apanage commun de lous les rangs. contredanse,
( et ne trahissant de temps en temps son âme que par un
LXXXVI. obliqué
: et presque imperceptible regard, soit d'ennui, soit de mépris,
Mais en avant! les volages amours languissent dans les longs fes- il
] se
demanda s'il y avail «ans cette femme quelque chose dé réel...
tins cl parmi de trop nombreux convives. Cependant un léger repas XCVII.
en commun fuit qu'on s'àime plus encore ; car, nous le savons de- Tant elle jouail admirablement tous les rôles , avec celle versa-
puis notre sixième, Bàcchus et Cérôs sonl de longue date amis de tilité animée que beaucoup de gens prennent pour absence de
li vivifiante Vénus, qui leur doit le Champagne el les truffés : la tem- coeur. Ils se trompent... ce n'est autre chose que cc qu'on appelle
pérance la charme, mais un long jeûne lui fuit peur. mobilité, fruit du tempérament cl non de l'art, comme on pourrait
LXXXVII. le croire; c'est quelque chose de faux... et de vrai éii même temps,
Tristement se passa le grand dîner du jour, et Juârt prit place, car assurément ceux-là sont les plus sincèresque les objets les plus
proches affectent le plus vivement.
suis savoir où, distrait et confus au milieu de la confusion et comme
cloué sur sa chaise. Couteaux et fourchellcs tintaient autour de lui XCVII L
comme dans une mêlée; et il restait étranger à tout ce qui se pas- C'csl cc qui créé lès àCIcUrs, les artistes, lés romanciers, des hé-
ail, lorsqu'un convive exprima en grognant le désir, déjà deux ros rarement... dés sagesdés jamais; mais bien dés discoureursparle-
lois incntéiidu, d'avoir un
peu de poisson. mentaires, des poètes, diplomates cl des danseurs; peu de
grandeur, bcâucoupd'hnbîleté;maint orateur, mais moins dé finan-
LXXXVHI. ciers bien que depuis un certain nombre d'années, tous lès chan-
A. la troisième publication de
ce ban, Juan tressaillit, et, remar- , de l'échiquier essaient de
celiers se dispenser dés rigueurs do 11a-
quant sur lous lès visages un sourire qui aboutissait en grimace, il rèine,et fassent de la rhétorique avec des chiffres.
rougit et pâlit tour-à-tour. S'cmpressnnt de 'découper (car il n'y a
tien qui mortifie plus un homme d'esprit que le rire d'Un sot), il fil XCIX.
ils sonl les poètes de l'arithmétique^ces hommes qui, sans aller
w poisson uhe large entaille; et sa précipitation était telle qu'avant
de pouvoir s'en.rendre muîtie, il avail comblé les jusqu'à prouver que deux el deux font cinq, comme ils le pourraient
voeux de son1
toisin en lui servant la moiliéwd'nn turbot. en loule modestie, oui néanmoins démontré clairement que quatre
font trois i si l'on en juge par ce qu'ils prennent et parce qu'ils
LXXX1X. paient. L'amortissement, cet océan sans fond, le moins liquidé de
La méprise n'avait rien de fâcheux, le pétitionnaire étant tous les liquides, engloutit loul cc qu'il reçoit, et ne laisse de flot-
uni
amaleuii ; mais les autres, a qui il restait à peine un tiers du pois- tant que la dette,
on, montrèrent beaucoup de mauvaise humeur, et certes il y avaitt C.
«cipioi. Ils se demandèrent comment lord Henry pouvait souffrir Pendant qu'Adeline prodiguait ses airs et ses grâces, la belle Filz-
:
>sa table un jeune homme aussi absurde; et ceci, joinl à son igno- Fulke semblait fort à son aise. Trop bien élevée pourse moquer des
rance du taux de la baisse des avoines au dernier marché, coûta gens eii face, partout ses yeux bleus et riants saisissaient au vol les
i
«s votes à son liôlé. ridicules... ce miel dés abeilles fashiôhablés... trésor de malignes
XC" jouissances : telle était pour le moment sa charitable occupation.
„»s •ignoraient,
• sans quoi ils eussent éprouvé pour lui quelque3 CI.
""passion, que la huit dernière il avait vu un esprit: prologue peui Cependant le jour finit comme doivent finir loUs lès jôhrs : lé soir
-1;harmonie avec cette vulgaire compagnie enfoncée dans'la ma- s'écoula de môme, et le café fut servi. On annonçalés voilures ; les
*te,etenfoncée à tel poinl que, sans savoir de quoi l'on devait s'é- dames se levèrent, et faisant la révérence comme' on la fait en pro-
'uiner le plus* on se demandait(question assez singulière) commentt
e pareils
vince, elles se retirèrent.' Après lès saluls lès moins fashionables,
corps pouvaient loger des âméSj et comment des âmes8 leurs dociles époux en firent autant, charmés dé leur dîner et de
itivaienl être logées dans de pareils corps.. leur hôte, mais enchantés surtout de lady Adeline.
XCI. cii.
,.nais
. ce qui l'intriguait plus Les uns louaient sa beauté, d'autres sa grâce exquise, sa cordiale
que les sourires et les regards d'é-
""nement de lous les squires et de toules les squirésses, émerveil-I- politesse, dont la sincérité étail écrite dans tous les traits de sa face
j? «e sou air distrait, d'autant plus que sa vivacité auprès des :s radieuse de vérité. Oui, elle était véritablement digne de son haut
fies était en réputalion dans les étroites limites de ce cercle dee rang! nul né pouvait lui envier un bonheur si bien mérité. Et puis
lnl>agne... (car les plus futiles circonstances de ce qui sa toilette... quelle belle simplicité ; avec quel soin et quel goût sa
se passait
il
les domaines de mylord fournissaientd'excellents sujets de
con-
i- taille était ajustée!
dition à ses inférieurs)... cm.
XCII.
„ r111!. l'inlriguait, dis-je, c'est qu'il avait surpris les
En ce moment même la charinanlé Adeline achevait de mériter
%f yeux d'Au-
i- ces éloges, en se dédommageant de tous ses efforts hospitaliers,
1 « uxes sur les siens el quelque chose comme un sourire sur ses is de toules ses phrases caressantes dans une cohVersalion des plus
,
£72 LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

édifiantes qui roulait sur la mine cl la tournure des hôtes congé- CX1V.
diés, de leurs familles et de leurs derniers cousins ; sur leurs hideuses Ce furent d'abord des sons comme ceux qu'un doigt humide lire
moitiés, l'horrible aspect de leur personne et de leur mise, et l'a- d'un
d verre, sons qui agacent et font frémir; puis un léger bruisse-
bominable difformité de leurs coiffures. ment
n comme celui de la pluie portée par le vent nocturne, ou plutôt
CIV.
d'une
<J rosée surnaturelle. L'oreille de Juan perçoit ces bruits et bout-.
. la compagnie
Néanmoins elle parlait peu... seulementle reste de donne,
" hélas! car c'est chose sérieuse que l'immatériel ! si bien
s'épanouissait en une averse d'épigrammes; mais c'était précisé- que ceux qui croient le plus sérieusement aux âmes immortelles
*}
redoutent de les voir tête à tête.
ment pour amener ce résultat qu'elle parlait. Comme les « demi- CXV.
éloges » d'Addison équivalaieht à une satire, les siens ne servaient Ses yeux étaient-ils bien ouverts?... Oui I et sa bouche aussi. En
qu'à donner le signal des quolibets, accompagnementpareil à la effet, la surprise a le pouvoirde nous rendremuets, en laissant toute,
musique du mélodrame. Combien il est doux de prendre la défense *fois la porte qui livre passage à l'éloquence aussi complètement
d'un ami absentI je ne demande aux miens qu'une chose, c'est... *
de ne pas me défendre. ouverte que si un long discours allait en sortir. De plus en plUs
CV. ?s'approchait ce bruit, terrible au tympan d'un mortel. Comme je
n'y eut que deux exceptions à ce feu roulant de plaisanteries l'ai
* dit, ses yeux étaient ouverts et sa bouche également. Qu'est-ce
11
dirigé contre les absents : Aurora, avec son air serein et placide ; qui s'ouvrit ensuite ?.. la porte.
CXVI.
et Juan qui, ordinairement un des premiers à faire dé joyeuses re- Elle s'ouvrit avec un craquementinfernal, comme celle de l'enfer
marques sur ce qu'il avait vu ou entendu,' restait silencieux' et privé «' Lasciate ogni speraésa,tvoi che'ntratel » Les gonds semblaient
de son animation habituelle. En vain, il entendait les'autresrailler
impitoyablement, il ne prenait aucune part à" leurs saillies. prendre
J une voix terrible comme ce vers du Dante, ou comm
" *
cette stance, ou... mais toute parole est faible, en semblable matière:
CVI. iil suffit d'une ombre pour épouvanter un héros.... En effet, nu
Notre héros entrevoyait à la vérité, dans l'attitude d'Aurora, une peut
j la substance comparée à un esprit? et pourquoi la malie
approbation de son silence; peut-être attribuait-elle à' tort' la con-
absents,
ttremblc-l-elle à son approche ?..
duite du jeune homme à cette charité que nous devons aux "V ' "•'" ' ' - -CXVII.
mais que nous leur accordons rarement, et ne voulait-elle pas Là porte s'ouvrit toute grande, non pas rapidement... mais ave
pousser son examen plus loin! Quoi qu'il en fût, Juan, siléneieu- ]la lenteur du vol pesant des mouettes... puis les battants revinren
sèment assisdans son coin, plongé dans une rêverie qui lui
ne per- sur j eux-mêmes, sans toutefois se fermer... Us restèrent enlr'ou
mettait guère de jouer le rôle d'observateur, "vil toujours' cela:, et verts, i laissant passage à de grandes ombres projetées sur la lu
fut bien aise de l'avoir vu. ,--... mière que répandaient les flambeaux de Juan ; car il en avait deu
Le fantôme lui avait été bienutile ,
GVil..,, en le
,-.•-..,...•.,,.
rendant silencieux comme encore
,
qui
i
i
éclairaient assezbien; et sur le seuil de la porte, obscurcissait
l'obscurité le moine noir se tenait debout, caché sous so
lui, si, par la suite, cela devait lui concilier le suffrage qu'il am- lugubre ; capuchon;, - - •• '
bitionnail le plus. Et sans nul doute,A.urora renouvelait en lui des CXVIIL
sentiments qui depuis peu s'ê^^hlpéiifdusQuémôussés, sentiments Don Juan tressaillit, comme la nuit précédente, mais, fatigué d
qui, classésdans l'idéal, sont tellement divins que je ne puis m'ém- tressaillir, .l'idée lui vint quMl.'pourrait bien s'être mépris. Puisi
pêcher de les croire réels... '.'.'.'..''.'. eut. honte-d'une pareille méprise : son fantôme intérieur comme»
..'CVIII: çait' à s'éveilleren lui et à réprimer le tremblement de ses mem
C'est l'amour de choses plus hautes et de jours plus purs, l'espé- lires.... cn;lui faisant entendre que tout considéré une âme ctu
rance illimitée; la céleste ignorance.de ce qu'on appelle le monde : corps réunis valaient bien une âme sans corps.
et des voies du monde ; celle félicilé puisée dans un regard et va-
lant tout l'orgueil et toute la gloire qui enflamment le genre hu- CXIX.
main; ce bonheur de sentir son coeur ,s!âbs6rber dans une existence Alors, son effroi sc^changea,eii courroux, et son courroux n'éla
qui lui esl propre, et dont cependant un autre coeur est le centre'. Juan,' pas tendre: il se.lève; il s'avance...L'ombre bat en retraite; ma
brûlant maintenant d'éclaircir la vérité, poursuitle fantôme
CÏX. -"'" '.''
son .sang, n'est plus glacé, mais brûlant; il a résolu d'éclaircir
Quel homme ayant de la mémoire et ayant eu un.coeur, ne s'écrie mystère à ses risqués et périls, en lui portant une botte en qua
avec un soupir: «Hélas! hélas ! Cythérée I » Oui, l'astre de Vénus ou en tierce. Le fantôme s'arrête, fait un geste menaçant, puis
s'efface comme celui de Diane ; il s'éclipse rayon à rayon, comme retirejusqu'à fanlique muraille, contre laquelle Use tient immohi
le temps année par année. Anacrepu seul a pu enlacer un myrte comme un marbre.
toujoursvertàlaflèchenon émoussée d'Eros;mâis bien que lu nous CXX.
aies joué plus d'un tour, nous ne t'en révérons pas moins, àtoià Juan.étend un bras... Puissances éternelles! il n'a touché
f'enus genitrix! ''„'.-'
.CX.."-
'•'' âme ni corps, mais seulement le mur, sur lequel les rayons de
lune, tombaient en pluie d'argent, découpés par les ornements de
Et le coeur plein de sentiments sublimes, ces vagues qui s'enflent galerie. Il frémit; comme frémit sans doute l'homme le plus brai
et se déroulent entre ce monde et les mondes supérieurs, don Juan, lorsqu'il ne peut définir l'objet de sa terreur. Chose étrange : l'a
quand minuit, ramena l'heure de l'oreiller, alla regagner le sien, parence d'un simple revenant cause»plusd'effroi que la réalité d'u
moins pour dormir que pour se livrer à ses pensées. Au lieu de armée toul entière ! t,
pavois, des saules se balançaient sur sa couche; il se mit à rêver, se CXXI.
complaisant dans ces douces amertumesqui bannissent le sommeil', Cependant l'ombre était toujours là; ses yeux bleus étineelaie
lesquelles les du monde ont sourire d'ironie pen-
et pour gens un avec un éclat bien changeant pour les yeux pétrifiés d'unlion mor
dant que les jeunes gens eu pleurent. puis la tombe lui avait laissé encore quelque chose de :
CXI. fantôme avail une haleine d'une suavité remarquable. Une bon
La nuit ressemblait à la précédente. 11 était déshabillé, n'ayant t égarée de ses cheveux montrait que le moine avait été blond ; enl
lèvres de corail, on vit briller deux rangs de perles, au m
sur lui que sa robe de chambre, ce qui est encore un déshabillé,i deux où, s'échappant d'un nuage grisâtre, la lune vint percer
sans culotteet sans veste ; enfin il aurait pu difficilementêtre moins ment
vêtu ; mais attendant la visite du spectre, il s'assit dans une dispo- travers le linceul de lierre qui encadrait la fenêtre.
sition d'esprit difficile à rendre pour ceux qui n'ont point eu cesJ CXX1I.
sortes d'apparitions : sans doute le fantômeallait se livrer à quelque Intrigué, mais toujours curieux, Juan étend l'autre bras... m
nouvelle fantaisie. veille sur merveille 1 sa main rencontre un sein dont l'élastique f
CXII. mêlé la repousse, cl qui bal comme animé par un coeur chaud et
Longtemps il prêta l'oreille en vain... Mais chut! qu'est-ce ci? Jt1 vant Alors il reconnut, comme il arrive.dans mainte épreuv
vois... je vois... ph! non... ce n'est pas... pourtant c'est... Puis-
célestes le... Pouah! le chat! diable confonde que la première fois il s'étail lourdement.mépris, et que, dansI)
sances ! c'est le... Le ? trouble, au lieu de l'objet qu'il cherchait il n'avait dirigé son
ce pas furlif, si semblable à la démarche légère d'un esprit ou à
l que vers la muraille.
celle d'une miss amoureuse qui se glisse sur la pointe des pieds à* CXXHI.
son premier rendez-vous,'redoutant le chastecri de sa chaussure. ' Le fantôme, si fantôme il y avait, semblait bien l'âme la p
CXIII. charmante qui se fût jamais fourrée sous un saint capuchon :
Encore!... Qu'est-ce? le vent? Non, non... cette fois c'est bien lee menton à fosselle, un cou d'ivoire, annonçaient quelque c!i
noir«^o*BÎi£reiit
moine noir de la veille avec sa démarche effrayante,régulièrecommee comme de la chair et du sang. Froc et capuchon
des vers rimes, et beaucoup plus encore (par les vers qui courent au- faut-il le dire? laissèrent voir, dans toute la beauté^de' sa vôlui)hle
jourd'hui). Au milieu des ombres et de la nuit sublime, à l'heure oùù mais nullement gigantesque personne, le speçtte'clc /~
Sa fdcêtife
un profond
sommeil plane sur les vivants, quand les ténèbres étoi- i- Grâce... la duchesse de Filz-Fulke.
léës entourent le monde comme une ceinture parsemée de pierre-" FIN 1»E DON JUAN. —V
I
ries... le moine vient encore glacer le sang dans les veines de Juan.
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON. \, 273

l'Allemagne et à ses altesses sérénissimes, qui nous doivent des


LA VALSE millions, ne devons-nous pas notre reine? Que ne lui devons-nous
pas encore, à cette Allemagne, si prodigue de ses Brunswickset
de ses princesses ; à celle Allemagne qui, pour payer notre sang
. roturier, nous a donné un sang royal, tiré de la race pure dès leu-
toniques haras; qui enfin et quels torts un tel cadeau n'efface-
rait-il pas?., nous a envoyé une douzainede ducs, quelques rois,
une reine... et la Valse.
Mais laissons en paix l'Allemagne, son empereur et sa diète,
Muse aux pieds pétillants d'étincelles, toi, dont le magique pou- soumisaujourd'hui aux caprices de Bonaparte.Retournons à notre
voir, naguère limité aux jambes,_£étend maintenant aux bras; sujet... O muse de l'agilité ! dis-nous commentla Valse se frayaune
Tcrpsichore! trop longtempsvétiutèe"îtesee...car ce terme était route vers les terres d'Albion.
pour toi une injure bPiU^idteormai^Nle ton éclat impas- Poussée par l'haleine des vents hyperboréens hors du port de
sible ô la moins vestale A Hambourg,à lêpoqueoù
des
,neuf
soeurs /;
Loin Hambourgnous envoyait
de toi et des tiens l'épi- ~ I
encore ses lettres, avant
lliètc de prude; raillée, \~ que la malencontreuse
niais triomphante; atta- y Renommée, forcéede gra-
quée, mais non vaincue ^ vir les neiges de Gotlen-
par ia médisance tes burg, y restât engourdie
,
pieds doivent triompher par le froid, ou, se ré-
en voltigeant,pourvuque veillant en sursaut, ap-
les jupes ne soient que provisionnâtde menson-
(l'une longueur raison- ges le marché d'Heligo-
nable; ton sein, s'il est land ; alors que Moskou
assez découvert, peut se encore intact avait des
passer debouclier; ouvre nouvellesànousenvoyer,
le bal, entre en campagne et n'avait pas dû sa des-
sans armure, et à l'abri truction par le feu à une
de presque tous les gen- main amie... ellearriva...
res d'attaque, reconnais, là Valse arriva, et avec
malgré sa naissance,un elle arrivèrent des pa-
peu équivoque, reconnais
. quets de véridiquesdépê-
ia Valse pour ta fille/ ches et de gazettes égale-
Salut, nymphe agile !... ment véridiques. Là bril-
lejeune hussardaux noirs lait, entre autres, le bien-
favoris, voué à Ibn culte heureux bulletin d'Aus-
comme à celui de la guer- terlitz, qui peut le dispu-
re, te consacre ses nuits, ter au Moniteur et au Mor-
malgré bottes, éperons et ning-Post;là se trouvaient
le reste, spectacle unique aussi, écrasés sous le
depuis qu'Orphée appri- poids de la glorieuse nou-
voisa ses bêles! Valse in- velle, dix drames et qua-
spiratrice,'salùl1 Tu vis rante romans de Kotze-
sous tés bannières un mo- bue, les lettres d'un char-
derne, héroscombattreen gé d'affaires, les oeuvres
llionneur de la mode, de six compositeurs,des
alors que sur les bruyères ballots de livres des foi-
d'Uounslow,rivalisantla res de Francfortet de Lei-
gloire deWellesley, il mit Ssig; quatre volumes de
en joue; lira et manqua lèiner sur la femme, afin
son homme; mais'attei- d'assurer un bon vent au
gnit son but. Salut, musc navire, comme le prati-
mobile, à qui nos belles quent lessorcières lapon-
donnentde leur personne nes ; le volume le plus
tout ce qu'elles peuvent -
lourd de Brunck pour
donner, nous laissant servir de lest, cl comme
prendre le reste. Oh! que •' contre-poids un autre de
n'ai-je le talent facile de Hcyne, le plus mince
Busby ou de Fitz, tout qu'on avait pu trouver,
le royalisme du premier, crainte de faire sombrer
tout l'esprit du second, le navire.
pour énergiser (comme La Valse.
Portant cettecargaison
on dit) le sujet que je et son aimablepassagère,
traite, et rendre un digne la délicieuse Valse, en
hommage à Bélialel à sa quête d'un partner le
danse. fortuné navireabordales,
Valse impériale, im-- côtes désirées, el autour
portée des bords du Rhin, fleuve renommé pour ses produits héral- delui s'asscublèrent les filles du pays. Ni le pudique David, quand
diques et viticolcs, puisses-tu rester longtemps affranchie de tout il dansa devant l'arche ce grand pas seul qui donna tant à causer ;
droit de douane, et remporter même sur le vin de Hocheim! Sous ni ce fol amoureux dé don Quichotte, quand Sancho lui fit remar-
plus d'un rapport, vos qualités peuvent se comparer : il comble le quer que son fandango dépassait un peu les bornes ; ni la douce
vide de nos caves; tu remplis ceux de la population. C'est à la tète Hérodiade quand, pour prix de ses charmes vainqueurs et de ses
qu'il s'adresse; ton art plus subtil se contenlede porter l'ivresse au pas gracieux, elle obtint une tête; ni Cléopâtre sur le tillac de sa
coeur : lu fais couler dans nos veines ton doux poison,'dans nos sens galère, n'exposèrent aux regards tant de jambe et plus de poitrine
de voluptueux désirs. que tu ne nous en montras, ô Valse ambrosiaque, quand la lune
O Allemagnel l'ombre du divin Pilt m'en est témoin, que de le vit pour la-première fois pirouetter aux accords d'un air saxon.
choses tu nous a données avant que la maudite confédération l'eût O vous, maris de dix ans d'hymenée, dont le front douloureux
livrée aux Français, pour ne plus nous laisser que les dettes et tes s'orne tous les douze mois des dons d'une épouse ; et vous qui
danses. Dépouillés des subsides du Hanovre, nous te bénissons en- comptez neuf années de moins de bonheur conjugal, et donl la tète
il
core... car nous reste Georges III, le meilleur de nos monar- ne porte encore que les bourgeons naissants des rameaux qui un
ques: ô roi, Ion dernier, mais non ton moindre titre à notre recon- • jour la décoreront avec les ornements additionnels, soit de cuivre
laissance, est d'avoir gracieusement engendré Georges IV! A domestique, soit d'or décerné par les tribunaux ; vous aussi, ma-
trones , toujours si empressées à entraver le mariage d'un fils, à
(1) Publié en 1812. conclure celui d'une fille ; vous, enfants de ceux que le hasard vous
l'Aiiis. — Imp. LACOUKel C, rue SonNol, 18. 18
;
274 LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES-
w<

accorde pour pères.,, fils toujours de vos mères, et parfois aussi'do sente
s à son contact. Voyez avec quelle ivresse ils saulillenl sur le
leurs époux ; et vous enfin, célibataires, qui obtenez une vie de parquet
] orné à la craie; une main de la dame repose sur la hanche
tourments ou huit jours de plaisir, selon que, guidés par l'hymen jÎirincière, l'autre se pc-se.avcc une affection toute loyale sur l'éga-
ou par l'amour, vousprenez une épouse ou enlevez celle d'un au-, 1ement princière épaule ; ainsi le» deux partners s'avancent ou
lie... c'est pour tous et chacun que vient l'aimable étrangère, et s'arrêtent
s face à face ; les pieds peuvent se reposer, mais les mains
son nom retentit dans toutes les salles.de bal. restent
i à leur poste. Les couples se succèdent selon leur rang : |e
O Valse séduisante !<.. devant ta ravissante mélodie que la gigue comte
c de 1*Astérisque et lady -Trois-Eloiles; sir un tel... enfin tous
irlandaise et le rigaudon antique baissent humblement pavillon. Ai- ces
c favoris de lal'ashion dont vous trouverez les bienheureux noms
rière les réels d'Ecosse; et toi, gaie contredanse, abandonne-lui le dans
( le Morning-Post; ou bien s'il est trop lard pour consulter celle
gouvernement de tous cescapricieux petits pieds! La Valse, la Valse feuille
1 impartiale, voyez le registre de la Cour des séparations à six
seule réclame tout à la fois et nps jambes el nos bras ; libérale, des mois
i de date du bal en question. C'esl ainsi que tous, suivant un
pieds, elle est prodigue des mains : elle leur permet de se promet mouvement
i plus ou moins vif, subissent la douce influence d'un
ner librementen plein public, où jamais auparavant... Mais, je vous contact enivrant •. d'où vient que Pou se demande avec certain Turc
<
en prie, éloignez un peu les lumières. Ces bougies me paraissent pudibond
] : « Si rien ne suit tous ces attouchements. » Tu as raison,
jeter trop loin leur clarté, ou peut-être c'esl moi qui suis trop près, lion
i né le Mirza... tu peux en croire mes vers... quelque chose suivra
Je ne me trompe pas, la Valse me dit tout bas : « Mes pas glissanls en
; temps et lieu : le sein qui s'est livré ainsi publiquement à un
ne .s'exécutent jamais mieux que dans l'ombre. » Mais ici la Muse homme lui résiste ensuite dans le tête-à-tête... s'il le peut.
s'arrêtedevant le décorum, et prête à la Valse son plus ample jupon. O vous qui jadis aimâtes nos grand'mères, Filz-Palrick, Shcridan
Voyageurs de toutes: les époques, in-quarto publiés sur tous les et tant d'aulresl et loi, ô mon prince, que ton goûl el Ion bon
pays! dites, la lourde ronde de la monotone romaïque, les frétil- tilaisir portent à aimer encore l'aimable beauté! ombre de Quecns-
lements du fandango, ou les bonds du boléro ; les séduisantes atti- mry, juge expert en ces matières, et à qui Satan peut bien per-
tudes des aimés de l'Egypte; les cabrioles que l'habitant de la Co- mettre de mettre le ne» au vent pour une seule nuit ; dites... si ja-
lombie accompagne de son cri de guerre, qu'est-ce que tout cela mais dans vos jours de délire, la baguette d'Asmodéeopéra pour
auprès de la valse? Depuis le froid Kamlschalka jusqu'au cap de vous , un pareil prodige, un prodige capable d'aider léclosion des
Bonne-Espérance, quelle danse peut-on encore supporter après jeunes idées, de porter la rougeurau visage, la langueur aux yeux,
elle? Non! depuis Morier jusqu'à Galt, il n'est pas de touriste qui le trouble au coeur, la foudre dans tout noire être, cl au-dehors des
ne consacre au moins un paragrapheà la Valse. désirs à moitié exprimés, une flamme qui se déguise à peine. Oh!
Ombres de ces beautés dont le règne, commencé avec celui de certes, la nature excitée livre au coeur mille assauts redoutables....
Georges III, s'est terminé longtemps avant celui-ci, bien que vous cl le coeur ainsi tenté, qui peut répondre du reste?
reviviez dans les filles de vos filles, quittez le plomb du cercueil, et Mais vous, dont la pensée ne s'est jamais arrêtée sur cc que sont
renaissez en personne. Que vos fantômes repeuplent (a salle de bal ; ou devraient être nos moeurs; vous qui désirez sagement cueillir
croyez-moi; le paradis des fous est insipide en comparaison do les beautés qui ont frappé vos yeux, dites-moi... ces beautés, en
celui que vous avez perdu. La poudre perfide ne déguise plus l'âge faites-vous donc si bon marché aux autres? Toules chaudes du
des gens; de raides corsets ne blessent plus les doigts entrepre- contact dos mains qui ont librement exploré les contours de la
nants (cette,cuirasse a passé à des êtres ambigus, chèvres par le taille légère ou du sein palpitant, quel charme pourriez-vous leur
visage, femmes par le corps) ; maintenant une jeune fille ne s'éva- trouver au sortir de cette étreinte lascive cl de ces attouchements
nouit plus quand on la serre de trop près ; mais plus elle est cares- effrénés? Renoncez donc à l'espoir le plus cher à l'amour, celui de
sée plus elle devient caressante; la corne de cerf et les sels sont
, presser une main qui n'a été pressée ainsi par personne ; de fixer
devenus inutiles : le cordial souverain, la valse, a tout détrôné. vos regards sur des yeux qui u ont jamais rencontré sans un senti-
Valse enchanteresse ! en vain dans ta patrie, Werther luU ment pénible le regard brûlant d'un autre homme. Votre bouche
même t'a baptisée du nom de prostituée; Werther... assez enclin pourra-t-elle convoiter encore ces lèvres, que lous ont pu appro-
pourtant au vice décent, mais passionné et non libertin, ébloui cher d'asseïprès, sinon pour les toucher, du moins pour leur ôler leur
mais non aveuglé... en vain la douce Gcnlis, dans sa querelle avec. pureté. Si c'est là la femme que vous aimiez... ah! renoncez à l'ai-
Staël, .a voulu le proscrire des bals parisiens ; la mode te rend nom- mer, ou du moins faites comme elle, et prodiguez vos caresses à
mago, depuis les comtessesjusqu'aux reinea, et les valets valsent cent objets divers : son coeur s'en est allé avec ses faveurs, cl avec
dans l'antichambreavec les suivantes; ton cercle magique s'élargit le coeur t'en ira le peu qui lui restait à donner.
de. plus en plus, il tourne tourne toujours, el (ait tourner au 0 Valse voluptueuse! quel blasphème ai-je osé prononcer! Ton
moins nos cervelles. Il n'est pas jusqu'au lourd bourgeois qui n'es- poète a oublia qu'il devait chanter tes louanges. Pardonne, Terpsi-
saie de bondiravec loi, et nos cockneys pratiquentcelte danse dont chore!,,, ma femmevalse maintenantà tous les bals, et mes filles y
ils ne sauraient prononcer le nom. Grands dieux! et moi -même, valseront bientôt; mon fila (arrêtons-nous dans ces investigations
un pareil sujet m'exalte, et dans ces vers consacrés à, la Valse, la inutiles.,, lies pelits accidenta ne doivent jamais transpirer : dans
rime trouve facilement son partner. quelques siècles notre arbre généalogique portera pour lui comme
lit quel heureux temps la Valse choisit pour son début! la cour, pour moi un rameau également vert) Pour faire réparation à
lo régent, toul était neuf comme elle : nouveau visage pour les I*
noire nom, Valse me donnera dot descendants dans les héritiers
amis, nouvelles récompenses pour les ennemis, nouveaux unifor- de tous les amisde mon fila.
mes pour la garde royale, nouvelles lois pour faire pendre les co-
quins qui demandaient du pain, nouvelle monnaie (plus que nou-
velle, inconnue) pour aller joindre celle qui est partie; nouvelles wm m IA VALSÉ.
victoires... que nous n'en prisons pas moins, quoique nos généraux
s'étonnent de leurs propres succès; nouvelles guerres, car les an-
ciennes nous ont si bien réussi que les survivants envient ceux qui
6ont morts; nouvelles maîtresses... je veux dire vieilles... et pour-
tant quoiquevieilles, il y a dans la manière de les présenterquelque
chose de tout-à-fuit nouveau. Enfin, sauf quelques vieux tours de LA
passe-passe, tout élait neuf, entièrement neuf : meubles, linge,
balais, choses et gens; nouveaux rubans, nouvelles livrées nou-
velles troupes, nouveaux habits retournés du bleu au rouge., C'est MALEDICTION DE MINERVE".
ainsi que la musenousreprésenteleschoses: ma chèremislressRobin-
son (i), qu'en dites-vous? Tel élait le temps où la Valse pouvait le
mieux faire son chemin ; telle élait cette époque du nouveau règne,
à laquelle aucune; autre jusque-là n'avait ressemblé. Les paniers
ne sont plus, les jupons ne sont que peu de chose ; la morale et le
menuet, la vertu et les corsets, et la poudre menteuse, ont fait
leur temps.. :
..
Le bal commence;., les honneurs du logis étant convenablement Des murs du temple de Paîlas, j'observais la beauté du pay-
faits par la maîtresse de la maison ou par sa fille, quelque altesse, sage et de la mer, seul, sans amis, sur le magique rivage de l'Atti-
soit royale, soit sérénïssime > ayant la grâce aimable du duc de que, dont les artistes elles héros ne vivent plus que dans les chants
Kent, ou l'air grave de Glocester, ouvre le bal avec la dame com- des poêles. Pendant que mes regards erraient sur cet incomparable-
plaisante dont la rougeur eût pu jadis s'attribuer à la modestie. A édifice, sacré pour les dieux cl mutilé-par l'homme, le passé rcs-
surgissait devant moi ; le présent cessait d'exister, et la Grèce rede-
l'endroit où le vêtement laisse la gorge libre, et où l'on supposait venait l'unique patrie de la gloire.
autrefois qu'était le coeur , vers les confins de la taille qu'on lui
abandonne, la main du premier venu peut errer sans obstacle, et (t) En tête de cette satire datée d'Athènes, 17 mars 1811, l'auteur avait
à son four j la main de la danseuse peut saisir tout ce qui se pré- mis d'abord les cinquante-quatrepremiers ves du IIIe chant du Cor-
saire. Il était inutile de répéter ici la traduction déjà donnée, à la page «
• (1) Maîtresse du régent. de la présente édition.
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON. 275

j.es heures s'écotilaicnl,cl le disque de Diane avail parcouru dans forfait,


fo sur lui et sur toute sa postérilé. Que dans ses fils, slupides
.c beau
ciel la moitié de sa carrière; et cependant je parcourais comme
cc leur père, on ne voie pas luire une seule étincelle d'intelli-
ans me lasser ce temple désert consacré aux dieux, qui ont fui sans gence. Si l'un d'eux s'avise de montrer quelque esprit el de démen-
gi
retour, mais principalement à toi, Pallas! La lumière de l'astre tir la race paternelle , c'eBt un bâtard, issu d'un sang plus géné-
fit
nocturne, rompue par les colonnes, tombait plus mélancoliqueet reux. Qu'Elgin continue à bavarder avec ses artistes mercenaires,
rt
plus belle sur le marbre glacé, pendant que le bruit de mes pas, et que les éloges de la sottise le dédommagent de nia haine. Ils
el
semblable à un écho de mort, faisait frissonner mon coeur solitaire, exalteront longtemps encore le goût de leur patron lui dont l'in-
e:
Plongé dans mes pensées, je cherchais,à l'aide de ces débris du stinct
si le plus noble, l'instinct natal, est de vendre, le fruit de ses
naufrage de la Grèce, à ranimer les souvenirs de ses intrépides en- vols,
vi et... que la honte inscrive ce jour dans ses annales... de con-
fants, quand soudain une forme gigantesque s'avança devant moi : stituer l'Etat receleur du prodUil.de ses brigandages. Cependant le
si
et Pallas m'abordadans son propre temple I complaisant
c West, West, ce vieux radoteur, le dernier des bar-
Oui, c'était Minerve elle-même, mais combien différente de celle b
bouilleurs de l'Europe et le meilleur que possède l'Angleterre,
Pallas qui parut en armes dans les champs dardaniens, ou de viendra
v do sa main tremblante retourner chacun de ces modèles,
celle qui se révéla sous le ciseau de Phidias. PIUB de terreurs sur eet à quatre-vingts ans il reconnaîtra en face d'eux qu'il n'est qu'un
POU front
redoutable; l'inutile égide ne portait plus la Gorgone; é
écolier. Qu'on rassemble tous les boxeurs de Saint-Gilles, afin de
son casque élait bosselé, et sa lance en débris semblait faible et inof- c
comparer la nature avec l'art ! Pendant que des rustres grossiers
fciisive même à des yeux mortels. La branche d'olivier, qu'elle dai- aadmirent avec un étonnement stupide la « boutique de pierres » de
gnail tenir encore, tremblaitet se flétrissait dans sa main ; el ses Sa S Seigneurie, on verra la porle encombrée par la foule bruyante-
grands yeux bleus, hélas ! les plus beaux encore de l'Olympe, des
d fats, qui viendront y flâner ou se donner des airs méditatifs,
étaient baignés de célestes pleurs. Son hibou voltigeait lentemcnl 1lorgner ou babiller. Puis mainte vierge languissante jettera en
autour de son cimier brisé, exprimant par ses cris lugubres la dou- soupirant s un regard curieux sur les statues gigantesques; affectant
leur de la déesse. t promener dans la salle un coup d'oeil distrait, elle ne remarque
de
« Mortel (cc fut ainsi qu'elle
parla), la honte qui colore ion visage pas I moins les larges épaules cl les formes puissantes, déplore la
m'annonce que tu es Anglais, nom jadis glorieuxd'un peuple, alors < différence de cc qui fut à ce qui est, et s'écrie : « Ces Grecs étaient
le premier en puissanceet en liberté, maintenant abaissé dans l'es- vraiment
' fort bien I » el comparant tout bas ces hommes-là avec
lime du monde et surtout dans la mienne : désormais on trouvera ceux < qui l'entourent, elle envie à Laïs lès pctils-maîtres de l'Atli-
Pallas à la lêle de ses ennemis. Veux-tu savoir la cause de ces mé- (que. Quand une moderne beauté trouvcra-t-elle de pareils adora-
(iris ? Regarde aulour dé toi. Ici, malgré les ravages de la guerre el teurs? I Hélas! il s'en faut que sir Henry soit un Hercule 1 Et
du feu, j'ai vu expirer mainte tyrannie. Après les Turcs et les enfin,
i au milieu de la foulé ébahie, il se trouvera peut-être un
Ootlis, il a fallu que ton pays envoyât ici un spoliateur qui les sur- !spectateur honnête qui, regardant en silence ces nobles débris avec
passa lous. Regarde ce temple vide et profané; compte les débris douleur < et indignation, admirera l'objet volé en abhorrant le vo-
qui en restent encore : ces pierres furent placées par Cécrops, ces 1leur. Oh I que s'acharnantà
sa vie et ne pardonnant pas même à sa
sculptures par Périclès : cette partie fut élevée par Adrien, quand poussière, ] la haine soit le prix de sa rapacité sacrilège! Que la ven-
déjà l'art pleurait sa décadence. Ce que je dois encore à d'autres, geance
i qui le suivra par-delà le tombeau enchaîne son nom à ce-
ma reconnaissancele proclame; sache qu'Alaric et Elgin ont fait lui de l'insensé incendiaire d'Ephèse ; Ërostrate, Elgin, brilleront
le reste. Afin que personne n'ignore de quel pays est venu le spo- ensemble dans les pages brûlantes de la satire : une égaie malédic-
liateur, la muraille indignée porle son nom odieux ; c'est ainsi que tion attend les deux grands coupables, dont le dernier peut-êtreest
Pallas reconnaissante protège la gloire d'Elgin : là-bas son nom plus infâme que son devancier.
,
là-haut son ouvrage. Que les mêmes honneurs soient ici décernés « Qu'il reste donc debout dans les siècles à venir, immobilestatue,
nu roi des Goths et au pair écossais. Le premier fonda son droit sur sur le piédestal du mépris. Mais ce n'est pas lui seul que doit at-
la victoire ; le second n eut aucun droit, il déroba lâchement ce que teindre ma vengeance; elle s'étendra sur l'avenir de ta patrie, dont
île moins barbares avaient conquis. Ainsi, quand le lion abandonne ce monstre n'a fait qu'imiter les exemples. Vois la flamme qui s'é-
son sanglant festin, le loup arriveaprès lui ; puis vientle lâche chacal; lève du sein de la Baltique, et ce vieil allié qui maudit une attaque
les premiers se sonl repus de la chair et du sang de la victime, le der- perfide. Pallas n'a pas prêté son aide à de tels forfaits, elle n'a pas
nier, vil esclave, se contente de ronger tranquillement les os. Ce- rompu le pacte qu'elle-même avait sanctionné. Elle s'éloigna de
pendant les dieux sont justes, el les crimes ne restent pas impunis. ces conseils coupables, de ce combat déloyal ; mais elle laissa der-
Vois cc qu'Elgin a gagné et ce qu'il a perdu ! Un autre nom, uni nu rière elle son égide à la tète de Gorgone, don fatal qui pétrifia tous
sien (< ), déshonoremon temple: Diane dédaigned'éclairer cet endroit vos amis, et grâce auquel Albion resta seule au milieu de la haine
de ses rayons ! Les injures de Pallas ne sont pas restées impunies, universelle.
et Vénus s'est chargée d'une partie de sa vengeance. » « Regarde l'Orient, où les fils basanés du Gange ébranlent dans
La déesse se tut un moment. Alors j'osai répondre et j'essayai ses fondements votre tyrannique empire. Vois 1 la rébellion lève
de calmer le ressentiment qui élincclail dans ses yeux : «Pille de sa tête sinistre, et la Némésis de l'Inde s'apprête à venger ses elle fils
Jupiter ! au nom de la Grande-Bretagne outragée, permets qu'un immolés : elle veut que l'indus roule des ondes sanglantes ; car
île ses fils désavoue un tel acte. N'accuse pas l'Angleterre; elle ne réclame du Nord une longue dette de sang. Ainsi puissiez-vous pé-
le reconnaît pas pour son enfant ; non, Pallas-Athènô, ton spolia- rir tous!... Quand Pallas vous donna vos privilèges d'hommes li-
teur appartient à l'Ecosse. Veux-tu savoir la différence ? Du haut bres, elle vous interdit de faire des esclaves.
îles tours de Phylè, regarde la Béotie... notre Béolie à nous, c'est la « Contemple maintenant l'Espagne Mlle que les Anglais l'ont
Çalédonic. Je le sais trop bien, sur ce pays bâtard, la Sagesse n'eut faite... Elle presse la inain qu'elle abhorre; elle là presse pour-
jamais d'empire ; sol stérile où les germes semés par la nature rés- tant, et vous repousse des portes de ses villes. J'en atteste Darossà!
ina stériles ou ne produisent que des fruits avortés, le chardon elle peut nous dire à quelle patrie appartenaient les braves qui ont
i|iii couvre celte terre avare est l'emblème de tous les hommes qui combattu et qui sont morts dans ses plaines. 11 est vrai que la Lu-
lui doivent le jour ; terre de bassesses, de sophismes et de brouil- sitanie, fidèle el généreuse alliée, fournit quelques combattants et
lards, inaccessible à toute influence généreuse. Chaque brise exha- parfois quelques fuyards. 0 champs glorieux ! bravement vaincu
lée de ses montagnes brumeuses ou de ses froids marécages imprè- par la famine, pour la première fois le Français recule, et tout est
gne de lourdes vapeurs tous les cerveaux humides, qui se déversent dit ; mais Pallas vous a-t-elle appris qu'une retraite de l'ennemi est
ensuite au-dehors, fangeux comme leur sol et froids comme leurs une compensationsuffisante pour trois longues olympiades de revers?
neiges. Mille plans conçus par l'étourderie et l'orgueil dispersent au; « Enfin, jette les yeux à l'intérieur. C'est un spectacle, ô Anglais!
luiu celte race spéculatrice. A l'est, à l'ouest, ils vont partout, ex- sur lequel vous n'aimez point à fixer vos regards. Vous y trouvez
fe|ilé au nord, en quête de gains illégitimes. Ainsi, maudits soient le farouche sourire du désespoir ; la tristesse habile votre métro-
le jour et l'année de
sa venue ! un Picte est venu ici jouer le rôle de pole. En vain l'orgie y fait entendre ses hurlements, la famine y
\'ilcur. Cependantla Calédonie s'honore de quelques hommes de me- tombe épuisée et le brigandage y rôde en poursuivant sa proie.
nte, de même que laslupidc Béolie a donné le jour à Pindare. Puisse Chacun y déplore des perles plus ou moins grandes ; l'avare ne re-
'B l'clil nombre de ses poêles et de ses braves, citoyens de l'univers
i doute plus rien, car on ne lui a rien laissé à perdre. Bienheureux pa-
11 vainqueurs du tombeau,
secouer la sordide poussière d'une tellei pier-monnaie 1 qui osera chanter tes louanges? 11 pèse comme un
Ijalrie cl briller parmi les enfants des climats plus heureux. Jadis, plomb fatal sur les ailes fatiguées de la corruption ; cependant Pallas
''ans une ville coupable, il eût suffi de dix noms pour sauver une! ,
a tiré par l'oreille chaque premier minisire, mais ils ne daignent
l|lce infâme. écouler ni les dieux ni les hommes. Un seul, rougissant de-voir
— Mortel, reprit la vierge aux yeux bleus, je veux te parler en- l'Etat en faillite, invoque le secours de Pallas... mais il l'invoque
?0|c ; tu porteras mes décrets à ta rive natale. Toute déchue que3 trop tard ; il raffole d'un fat et s'humilie devant ce Mentor, qui ja-
|c suis, je puis encore retirer mes inspirations à des pays tels quei mais n'eut rien de commun avec Minerve. Enfin, le sénat entend
lc tien, et là Ecoute donc silence l'irré- la voix de cet homme qui n'avait jamais parlé devant lui, présomp-
ce sera ma vengeance. en
v°calile arrêt de Pallas ; écoute et crois, le temps révélera le resle. tueux naguère, purement absurde aujourd'hui. Ainsi l'on yit autre-
« Ma première malédiction tombera sur la tête de l'auteur de cee fois la sage nation des grenouilles jurer foi et obéissance au roi
Soliveau : l'Angleterre a fait choix de ce noble crétin, comme jadis
(t) Celui d'une personne qu'alors on appelait lady Elgin. l'Egypte prit un ognon pour dieu.
27G LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

« Adieu 1 jouissezdes moments qui vous restent; élreignez l'om- un i hommesupérieur, qui, en prenant tout le soin possible pour
bre de votre puissance évanouie ; méditez sur l'écroulementde vos n'être i point remarqué, n'en restait pas moins remarquable. PlUu
projets les plus chers ; votre force n'est plus qu'un mot, votre fac- tard, I j'avais cultivé sa connaissanceet brigué son amitié; mais cr
tice opulence un rêve. Il est parti, cet or que vous enviait l'univers, dernier
< point paraissaitdifficile à obtenir : quelles que pussent avoi$
et le peu qui vous en reste des pirates en trafiquent. Les guerriers été < ses affections, elles semblaientmaintenant les unes éteintes, le
automates achetés en tout pays ne viennent plus s'enrôler en foule autres i concentrées. J'avais eu fréquemment l'occasion d'observer
dans vos rangs mercenaires. Sur le quai désert, le marchand oisif qu'il < sentaitvivement et que, capable de dominer ses sentiments, il
contempletristement ses ballots,qu'aucun navire ne vient chercher; ne :
l'était pas de les déroberentièrementà l'observation.Toutefois, il
ou voit revenir les marchandises qui, repoussées par l'étranger, savaitdonner t à une passion l'apparence d'une autre, de Borte qu'il
vont pourrir sur la rive encombrée. L'artisan affame brise son me- était < difficile de démêler ce qui se passait en lui; et l'expression de
lier qui se rouille, et son désespoir s'apprête à lutter contre une ses i traits variait si rapidement qu'on eût tenté sans succès de re-
catastrophe imminente. Dans le sénat de cet Etat qui s'affaisse, monter à la source de ses émotions. Il était évidemment en proie à
qu'on me montre l'homme dont les conseils ont quelque poids ; quelque chagrin incurable ; mais si ce chagrin provenait de l'am-
non, il n'est plus une seule voix puissante dans cette enceinte où bition, de l'amour, du remords,du regret ou de plusieurs de ces
tempérament maladif, c'est
régna la parole. Les factions même n'ont plus de succès dans ce causes réunies, ou simplement d'un
Ïiays où ellesdominaient tour-à-tour; et cependant des sectes riva- ce que je ne pus découvrir. Là où il y a mystère, on suppose géné-
es bouleversent cette lie soeur de P Angleterre, et d'une main fana- ralementle mal. Eh bienl je ne sais comment cela se faisait : il y
mystérieux,
tique, chacune à son tour y allume la flamme des bûchers. avait certainement en lui quelquechose de et cependant
« C'en est fait, tout est dit; puisque Pallas vous avertit en vain, je répugnais à croire qu'il y eut quelque chose à blâmer.
les furies vont saisir le sceptre qu'elle abdique; elles promèneront Mes avances étaient reçues avec beaucoup de froideur; mais j'é-
sur toul le royaume leurs torches embrasées, et leurs mains farou- tais jeune, peu facile à décourager, et à la fin je réussis à établir
ches déchireront ses entrailles. Mais il reste encore à franchir une entre nous, à un certain degré, ces relations banales, cette con-
crise convulsive : la Gaule doit pleurer encore avant qu'Albion fiance qui se borne aux choses de tous les jours, créée et cimentée
porte ses chaînes. La pompe et les étendards de la guerre, l'éclat par la similitude des occupations et la fréquence des occasions de
des légions, ces brillants uniformes auxquels sourit la sévère Bel- rencontre, rapports qui s'appellent intimité ou amitié, selon les
lonc ; les sons cuivrés du clairon, le roulement belliqueuxdu tam- idées qu'on attache à ces termes.
bour, qui de loin défie l'ennemi; i'impéluositédu héros qui s'élance Darvell avait déjà beaucoup voyagé, et ce fut à lui que je m'a-
à la voix de son pays, la gloire qui consacre sa mort: tout cela dressai pour les renseignementsnécessaires à l'accomplissement de
enivre un jeune coeur de délices imaginaires, et lui fait anticiper mon projet. Je désirais secrètement qu'il consentit à m'accompa-
sur le moment où il pourra s'enivrer a son tour de la joie des ba- gner. C'était aussi une espérance plausible, fondée sur la sombre
tailles. Mais apprends ce que peut-être tu ignores : ils sont à bon agitation que j'avais observée en lui, sur l'animation avec laquelle
marché les lauriers qui ne coulent que la mort; ce n'est pas dans il parlait des succès de la vie aventureuse et sur son apparente in-
le combat que le carnage se délecte le plus, un jour de bataille est différence quant à tout ce qui concerne l'existencecasanière.Je mis
son jour de merci; mais quand la victoire a prononcé, quand le d'abord ce désir en avant d'une manièreprévue détournée ; puis je l'expri-
terrain est conquis tout inondé de sang : c'est alors que son heure mai formellement.Sa réponse, bien que en partie, me causa
est venue. Vous ne connaissez encore que de nom ses exploitsles toute la joie de la surprise...il consentait; et après les arrangements
plus réels : les paysans massacrés, les femmes déshonorées,les dé- nécessaires, nous commençâmes nos voyages.
meures livrées au pillage, les moissons détruites : souffrances bien Après avoir parcouru diverses contrées du midi de l'Europe, nous
dures pour des âmes indépendantes. De quel oeil vos bourgeois fu- nous dirigeâmes vers l'Orient, notre destination primitive, et ce fut
gitifs verront-ils, des collines lointaines, l'incendie dévorer leurs à noire arrivée dans ces régions qu'arrival'incident qui fait le sujet
villes, et des colonnes de flammes jeter sur la Tamise épouvantée de cette histoire.
leurs rougefttres reilets? Ne t'en indigne pas, Albion ; car elle l'ap- D'après tout son extérieur, Darvell devait avoir été dans sa jeu-
partenait la torche qui, des bords du Tage à ceux du Rhin, alluma nesse extrêmement robuste ; mais depuis quelque temps sa consti-
de semblablesbûchers. Le jour où ces calamités viendront fondre tution s'était graduellement altérée, sans qu'on vit en lui les sym-
sur tes rivages maudits, cherche dans ton coeur si d'autres plus que 8tomes d'une maladie déterminée. Il n'avait ni toux ni autres signes
toi les avaient méritées. Sang pour sang, c'est la loi du ciel et de e consomption : pourtant il s'affaiblissait de jour en jour. Tem-
la terre ; et qui a suscité la querelle doit vainement en regretterles pérant d'habitude, il ne se refusait point aux fatigues et ne s'en
suites. » plaignait jamais. 11 devenait de plus en plus silencieux et sujetaux
insomnies; enfin l'altération de sa santé devint telle que j'en lus
FIN DE LA MALÉDICTION DB MINERVE. tout-à-fait alarmé pour sa vie.
A notre arrivée a Smyrne, nous avions projeté une excursion aux
ruines d'Ephèse et de Sardes ; j'essayai de 1 en dissuader, tant que
sa santé ne serait point rétablie... mais ce fut en vain. On voyait
sur son esprit je ne sais quel poids, dans ses manières, je ne sais
quelle solennité qui s'accordait peu avec son empressementà faire
LE VAMPIRE. cette partie de plaisir, peu convenable,selon moi, pour un valétu-
dinaire. Nous partîmes, accompagnés seulement d'un chameau cl
d'un janissaire.
Ayantlaisséderrière nous les campagnes fertiles de Smyrne, nous
étionsparvenusà moitiéchemin, et nous entrions dans ces lieux sau-
FRAGMENT (EN PROSE) COMPOSÉ EN 1816. vages et déserts qui, à traversles marais el les défilés, conduisentans
quelques buttes assises sur les ruines : triples ruines du temple de
Diane, des églises chrétiennes et même des mosquées turques. Là,
l'affaissement rapide des forcesde mon compagnonde voyage nous
obligea de faire halte dans un cimetière turc dont les tombes sur-
montées de turbans formaient le seul indice de l'existence humaine
Dans l'année 17..., ayant formé le projet d'un voyage dans dess qui eût subsistédans ce désert. Nous avions laissé à quelquesheures
contrées jusqu'alors peu fréquentées des touristes.je partis, aceom- derrière nous.le seul caravansérailque nous eussionsrencontré. On
pagné d'un ami, que je désignerai sous le nom d'Auguste Darvell. n'apercevaitnulle part le moindre vestige de village ou même il(

11 avait quelques.années de plus que moi; c'était un


homme d'unee chaumière, et « la cité des morts » semblait le seul asile offert à
fortune considérable et d'une ancienne famille, avantages que sess mon malheureux ami quibientôt serait sans doute le dernier de ses
talents remarquables l'empêchaientde mettre ou trop haut ou tropp habitants.
bas. Certaines circonstances de sa vie privée avaient attiré sur luii Je cherchai autour de moi une place où il pût reposer convena-
mon attention et m'avaient même inspiré à son égard une estimee blement. Contrairement à la disposition ordinaire des cimetière:
que ne pouvaient étouffer niqui e mahométans, celui-ci n'avait que des cyprès peu nombreuxplupart
la réserve de Ses manières, ni certaine et sé-
agitation qu'il manifestait et semblaitparfois toucher aux limi- parés par de grands intervalles : les tombes étaient pour la
tes dela folie. mutilées ou consumées par le temps. Sur l'une des plus considéra-
J'étais entré de bonne heure dans le monde, mais mon intimité é blés de ces pierres el à l'abri d'un des cyprès les plus beaux, nou;
récente ; nous avions été élevés aux mêmes
avec lui était d'une dateuniversité, ss plaçâmes Darvell qui se soutenait avec peine, à moitié assis et i
écoles et dans la même mais il en était sorti avant moi,
i, moitié couché. Il demandade l'eau : je doutais qu'on en pût trouver;
et se trouvait déjà parfaitement initié aux mystères de ce qu'on ap-i- mais je me préparai àen aller chercheravec unsenlimentdecraint
pelle la société, que j'en étais encore à mon noviciat. Sur les bancs !s et de découragement.Il me fit signe de rester, et, se tournant ver
du collège j'avais déjà entendu beaucoupparler de Darvell, et bienn Suleiman, notre janissaire, assis à côtéSuleiman, de nous, et fumant sa pipe '[
trouvasse des contradictions in- pluspaisiblementdu monde, il lui dit : verbanasu{&yv<>t
que dans cc qu'on disait de lui je facile it lez-moi de 1 eau). Puis, il décrivit avec les plus grands détails l'cndro
de voir qu'au tolal c'était
conciliables, il m'élait cependant
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON. 277

où l'on en pourrait trouver : c'était un petit puits pour leschameaux, ddans le sol un peu moins stérile qui nous entourait, et les plaçâmes
à quelques centaines de pas sur la droite. Le janissaire obéit. s la tombe.
sur
Comment savez-vouscela?dis-je à Darvell. Entre l'élonnement et la douleur, j'étais sans larmes
«
— D'après la nature du lieu où nousnous trouvons, répondit-il:
vous devez voir que cet endroit a été autrefois habité, et il n'aurait
pu l'être sans eau. D'ailleurs,
j'ai déjà visité ce canton.
l'avez
— Vousparlé?
déjà visité? comment se fait-il que vous ne m'en FIN DU FRAGMENTDU VAMPIRE.
ayez pas Et que pouviez-vous faire dans un lieu où personne
ne resterait un moment sans y être
obligé ? »
je
A cette question, ne reçus point de réponse. En ce moment =
Suleiman revint avec l'eau, laissant le chameau et les chevaux à la
fontaine. Lorsque Darvell eut étanchésa soif, il parut se ranimer un
instant, el j'espérai que nous pourrions poursuivre notre route ou
du moins revenir sur nos pas, et j'ouvris ce dernier avis. Il garda
POESIES DIVERSES.
le silence et sembla recueillir ses forces et ses idées ; puis il dit :
« C'est ici le terme de mon voyage et
de ma vie. Je suis venu ici
pour mourir; mais j'ai à vous faire une demande, un
commande-
(Suile.)
ment : car tel doit être le caractère de mes suprêmes paroles
Oliéirez-vous?
— Sans nul doute ; mais ayez meilleur espoir.
—Je n'ai d'espoir, de désir que celui-ci... Cachezma mort àtoulc
créature humaine.
nécessaire ; vous vous réta-
— J'espère que la chose ne sera pas
blirez, et... STANCES.
! il en doit êlre ainsi ; promettez-le I
— Silence le promets.
— Je Jurez-le tout qui... ( ici il me dicta le serment le plus
Heu! quanto minus estcum reliquisversari, quam
— par ce tui meminissc (1) ! SIIENSTONE.
solennel).
— Il n'est pas besoin de cette formule; j'accomplirai votre de- Tu n'es donc plus, toi qu'on vit si jeuno et si belle, avec des for-
mande ; et douler de moi, cc serait...
11 n'en peut être autrement ; il faut que vous juriez. »
mes si suaves, des charmes si rares, trop tôt rendusà la terre ! Bien
— peut-être la foule marche insouciante et joyeuse sur le gazon
Je fis le serment : ma complaisance parut le soulager. Il ôta de que te recouvre, il est des yeux qui ne pourraient se fixer un seul
MII doigt un anneau, sur lequel
étaient gravés des caractères ara- qui instant
bes, et me le présenta en continuant ainsi :
sur cette tombe.
Je ne demanderai pas où tu reposes, je ne regarderai pas la place;
« Le neuvième jour d'un mois, à midi précis (n'importe le mois
, qu'il y croisse des fleurs ou des herbes parasites, je ne les verrai
mais le jour est de rigueur), vous jetterez cet anneau dans les pas. Je le sais, et c'est assez pour moi : tout cc que j'ai aimé, tout
foinrcs salées de la baie d'Eleusis. Le jour suivant à la même ce que je devais aimer longtemps encore, pourrit comme l'argile la
heure, vous vous rendrez au milieu des ruines du temple de Cérès, plus vulgaire; je n'ai pas besoin qu'une pierre me dise que l'objet
cl vous y attendrez une heure. de tant d'amour n'était que néant.
— Pourquoi? Et pourtant, jusqu'à la fin ma tendresse fut aussi fervente que la

le
Vous verrez. tienne, toi que le passé n'a point vue changer, et qui ne peux plus
— Le neuvième jour du mois, dites-vous ? changer maintenant. Une fois que le sceau de la mort a sanctifié
— Le neuvième. » l'amour, l'âge ne peut le refroidir, un rival l'enlever, l'imposture le
Comme je lui faisais observer que nous étions maintenant au désavouer; et lu ne peux plus voir en moi de loris, do fautes ou
neuvième jour du mois, sa physionomie s'altéra et il cessade parler. d'inconstance.
Au moment où il se couchait tout-à-fait, dans un étal de faiblesse Les beaux jours de la vie ont été partagés entre nous ; les Jours
évidemment croissant, une cigogne, tenant un serpent dans son mauvais demeurent à moi seul. Le soleil qui vivifie, l'orage qui
kc, vint se percher sur une tombe à quelques pas de nous, et, sans gronde, tout cela n'est plus rien pour toi. Le silence de ce sommeil
dévorer sa proie,parut,nousconsidéreraltentivement.Jenesais quelle sans rêves, je l'envie trop pour le déplorer; cl je ne me plaindrai
idée me dit de la chasser; mais celle tentative fut inutile : elle dé- pas que la mort ait ravi tout d'un coup ces charmes dont peut-être
crivit quelques cercles dans l'air, et s'abattit précisément au même j'eusse suivi le lent dépérissement.
endroit. Darvell me la montra du doigt et sourit. Il parla... je ne La fleur la plus brillante a le plus court destin ; si elle n'est point
sais si ce fut à lui-même ou à moi-même... mais je n'entendis que détachée de sa tige dans l'éclat de sa beauté, ses pétales tombent
ces paroles. l'un après l'autre; et c'est un spectacle moins douloureuxde la voir
« C'est bien 1 cueilliraujourd'hui que de la regarder demain se flétrir et s'effeuiller
Qu'est-ce qui est bien ? Que voulez-vous dire ? lentement. Nul oeil mortel peut suivre sans déplaisir le passage

11 n'importe! Il faudra m'enterrer ici, ce soir, à l'endroit de la beauté à la laideur. ne

même où cet oiseau est maintenant posé. Vous connaissez le reste Je ne sais si j'aurais pu supporter la vue du déclin de tes char-
te mes volontés. »
mes la nuit eut été plus sombre après une telle aurore. Mais le
Alors il me donna différentes instructions sur les moyens les jour; s'est passé sans un nuage, el tu fus belle jusqu'àla fin; tu t'es
plus efficaces de cacher sa mort. Après qu'il eut terminé il ajouta : éteinte, et non flétrie, comme ces étoiles détachées des cieux, qui
« Vous voyez cet oiseau? ne sont jamais plus brillantes que dans leur chute.
— Certainement. Si je pouvais pleurer comme je pleurais autrefois, mes larmes
— Et le serpent qui se
débatdans son bec ? couleraient en pensant que je n'étais pas à ton chevet pour te veiller
— Sans doute. Il n'y là
a rien d'extraordinaire. C'est sa proie na- à tes derniers moments, pour contempler (ô tendresse!) tes Irails
Uirelle ; mais il est étrangequ'il ne la dévore pas. si doux et si purs, pour te serrer affectueusement dans mes bras,
—Il n'est pas temps encore,» répondit-il d'une voixfaible et avec pour soutenir ta tête mourante, pour te témoigner, bien qu'inuti-
ta sourire lugubre. lement, cet amour que ni toi ni moi ne devons plus éprouver.
Pendant qu'il parlait, la cigogne s'envola. Mes yeux la suivirent Bien que tu m'aies laissé libre parmi las objets les plus doux que
Jn moment, à peine le temps nécessaire pour compter jusqu'à dix. la terre garde encore, les posséder lous sérail bonheur moin-
'«sentis le poids de Darvell devenir plus lourd sur mon épaule, et dre que ton seul souvenir! Tout ce qui de toi ne un pouvaitmourir,du
'l'étant retourné pour jeter un regard sur son visage, je m'aperçus sein de l'éternité terrible el sombre, loul cela revient à moi ; et rien
Ml était mort. Je fus saisi d'un mouvement étrange à ce soudain n'égale mon amourpour la morte, si ce n'est l'amour que j'eus pour
fenoûmenl, dont il ne me fut bientôt plus possible de douter. En la vivante.
luelques moments son visage devint presque noir. J'aurais attribué
"i poison un changement aussi rapide, s'il avait pu en prendre à
"ton insu. Le jour élait sur son déclin; le corps se décomposait ra-
Wemcnt el il ne restaitplus qu'à remplir le voeu du mourant. A STANCES.
'jtide de l'yatagan de Suleiman et de mon propre sabre, nous
creu-
?mes une fosse à l'endroit indiqué par Darvell.La terre était facile Si parfois, dans les habitations des hommes, ton image disparaît
'remuer, ayant déjà reçu la dépouille de quelque musulman. Nous de mon coeur, ton ombre adorée se présente à moi dans la solitude
:
'çusâmes aussi profondément que le temps nous le permettait, et
pelant la terre aride sur tout cc qui restait de l'être singulier que (t) Oh! combien il est moins doux de converser avec les autres que de
°us venions de perdre, nous coupâmes quelques carrés de gazon se souvenirde toi}
278 LES VEILLEES LITTÉRAIRES ILLUSTREES.

à celte heure de tristesse et dé silence, j'évoque ton souvenir, et ma Ah ! je me prends à sourire en pensant combien vains seront les
douleur peut exhaler en secret une plainte cachée à tous les regards, efforts, quand tous les coups de ta rage viendront se briser
el sur
Oh! pardonne, si pour un moment j'accorde au monde une une pierre sans nom.
ui
pensée qui t'apparlient tout entière ; si, tout en me condamnant
moi-même, je semble sourire, et parais infidèle à ta mémoire! Ne
crois pas qu'elle me soit moins chère, parce que je parais gémir
moins ; je ne voudrais pas que des êtres vulgaires entendissent un 6TANCES.
seul des soupirs qui ne sont adressés qu'à toi.
Si j'effleure la coupe joyeuse, ce n'est pas pour bannir mes cha- Tu n'es point perfide, mais légère envers ceux que tu as si ion.
grins; elle devrait contenir un breuvage plus puissant, la coupe ddrémeutaimés; les larmes que lu fais couler, celte pensée les rend
d'oubii destinée au désespoir. Quand même l'onde du Léthé me se- doublement
d amères ; c'est là ce qui brise le coeur que lu outrages •
rait offerte pour affranchir mon âme de ses orageuses visions, je tu ti aimes trop bien, tu quittes trop tôt. '
briserais contre terre la coupedélicieuse, si elle devait l'enlever une Le coeur méprise la femme toute déloyale ; il oublie la perfide ci
seule de nies pensées. s perfidie; mais celle qui ne dissimuleaucune de ses pensées, dont
sa
Car si tu étais bannie de mon âme, qui pourrait en remplir le vide? l'amour
1' est aussi vrai qu'il est doux, quand celle-là devient incon-
El qui resterait ici-bas pour honorer Ion urne abandonnée? Non , stante, s le coeur éprouve alors ce que le mien vient d'éprouver.
non, ma douleur s'enorgueillitde remplir ce cher et dernier devoir; Rêver de joie et s'éveiller à la douleur, c'est le sort de toul e&
dut le reste des hommes l'oublier, c'est à moi de garder ton sou- qui (| aime, de tout ce qui vit; el si le malin, nous en voulons à noire
venir. imagination
i de nous avoir déçus, même en rêve, pour laisser
Va, je sais bien que lu en aurais fait autant pour celui que nul notre
i âme plus trisle après le réveil....
maintenant ne doit pleurer à son départ de celle terre, où il n'était Que doivent-ils donc sentir, ceux qu'enflamma non pas une illu-
aimé que de toi seule. Hélas! je sens que ta tendresse était un bien- sion
s mensongère, mais la plus vraie, la plus tendre des passions?
fait qui ne m'était pas destiné; lu ressemblais à
trop une vision des Tant
'J de sincérité! puis un changement si prompt el si douloureux!
cieux pour qu'un terrestre amour pût le mériter. Ah!
1 sans doule, ma peine n'est qu'imaginaire; j'ai réellementgoùlc
le bonheur, et j'ai rêvé ton inconstance.

LA CORNALINE BRISÉE (181%) (i).


A UNE DAME.
Image d'un coeur malheureux! se peut - il que tu te sois ainsi
brisée! Tant d'années de sollicitude pour ton ancien maître et pour «L'origine de l'amour!»—Pourquoi me faire cette queslioucruelle,
loi ont-ellesdonc été employées en vain ? quand
i vous pouvez lire dans lous les yeux qu'il prend naissance
Mais chacun de les fragments est précieux pour moi, et la moin- dès
i qu'on vous voit?
dre parcelle m'est chère; car celui qui te porta sait que tu es un Mais si vous voulez connaître sa fin, mon coeur me dit, mes crain-
fidèle emblème de son propre coeur. tes prévoient trop qu'après avoir langui longiemps dans le silence
el la douleur, il cessera de vivre... lorsque j'aurai cessé d'être.

A UNE FEMME.
STANCES.
Que je me souvienne de toi! que je m'en souvienne! Oui, tant
que le Lélhé n'aura point éteint le flambeau brûlant de ma vie, Rappelle-toi celui qui, soumis par la passion à une épreuve re-
ma bon le et mes remords remonteront vers toi et te poursuivront doutable, n'y a>point succombé; rappelle-toi celle heure périlleuse
comme les rêves de la fièvre. où nul n'a failli, quoique tous deux aimés.
Que je me souvienne de toi! oui, n'en doule pas : el ton époux Ce sein palpitant, cet oeil humide, ne m'invitaient que trop à être
non plus ne t'oubliera pas, toi qui fus pour lui une femme perfide heureux; la douce prière, tes soupiis suppliants réprimèrent ce désir
et pour moi un démon. insensé.
Oh ! laisse-moi sentir tout ce que j'ai perdu en te préservant des
reproches dé la conscience ; laisse-moi rougir de ce qu'il m'en a
coûté pour épargner à la vie d'inutiles remords.
AU TEMPS. Ne l'oublie pas quand la langue de la médisance chuchotera son
blâme pour nuire au coeur qui t'aime, et noircir un nom déjà flétri
O Temps) dont l'aile capricieuse, tantôt lente, tantôt rapide, em- par elle.
porte les heures changeantes; qui, suivant les pas tardifs de noire Quelle qu'ait été ma conduite avec d'autres, n'oublie pas que
hiver ou la fuite agile de notre printemps, nous traînes ou nous tu m'as vu réprimer toute pensée égoïste; maintenant encore, je
ravis vers la mort, bénis la pureté de ton âme, niainlenanl, dans la solitude de la nuit.
Je te salue! toi qui me prodiguas à ma naissanceces dons appré- O Dieu! si nous avions pu nous rencontrer plus loi, tous deus
ciés de tous ceux qui t'apprécient ; ton poids me semble moins pe- aussi tendres, et loi plus libre, toi pouvant aimer sans crime, el, moi,
sant depuis que je suis seul à le porter. me trouver moins indigne de tou amour!
Je ne voudrais pas qu'un coeur aimant prît sa part des jours amers Puisse, comme autrefois, la vie s'écouler loin du monde et de son
que tu m'as faits; et je le pardonne, puisque lu as donné pour par- éclat trompeur ; el, ce moment trop amer une fois passé, puisse
ceux que j'aimais le ciel ou du inoins le repos.
tage à tousqu'ils cette épreuve être pour loi la dernière !
Pourvu dorment en paix ou qu'ils soient heureux, tes ri- Mon coeur, hélas! trop longtemps perverti, perdu lui-même au
gueurs m'assiégeront en vain ; je ne te dois que des années, et sein du monde, t'entraîneraitpeut-êtredans sa ruine; en te revoyant
c'est une dette que j'ai déjà acquittée en douleurs. parmi la foule brillante,' un espoir présomptueuxpourrait m'égarer.
D'ailleurs ces douleurs mêmes n'ont pas été sans compensation Abandonne ce monde à ceux qui me ressemblent, et donl lj
je sentais la puissance, et pourtant je t'oubliais; l'activité de la,L malheur ou la félicité n'importent à personne; quille un théâtre où
souffranceretarde le courfdes heures, mais ne les comple pas. les âmes sensibles sont condamnées a succomber,
Au sein du bonheur, j'ai soupiré en songeant que ta fuite nei Si jeune, si belle, si tendre, pure comme on l'est dans une pro-
larderait pas à se ralentir: tu pouvais jeter un nuage sur ma joie,, fonde retraite, par cc qui s'est passé ici, tu peux deviner ce que là-
mais tu ne pouvais ajouter une ombre à ma douleur. bas Ion coeur aurait à souffrir.
Toute lugubre et sombre qu'était mon atmosphère, mon âme yr Oh! pardonne-moi les larmes suppliantes que ma démence M
était acclimatée; une seule étoile scintillait à mes regards, et jej couler de tes yeux adorés, et que la vertu n'a pas répandues en
voyais à sa lueur que lu n'étais pas... l'élernilé. vain! Désormais, je ne veux plus t'en coûter une seule.
Ce rayon a disparu, et maintenant tu es pour moi un néant, un» Quoiqu'une profonde douleur s'attache pour moi à la pensée que
rôle dont on maudit les insipides détails, dont toul le monde re- nous ne devons peul-èlrc plus nous revoir , ce cruel arrêt, je If
grette d'èlre chargé, et que tout le monde répète. mérite, et ma sentence me paraît presque douce.
11 est pourtant dans ce drame une scène que lu ne peux Ï Mais si je t'avais moins aimée mon coeur t'aurait fait moins «j
,
sacrifices; en te quittant, i! n'a pas éprouvé la moitié de cc qu'i-
gâter : ejest lorsque n'ayanl plus souci de ta fuite ou de la lenteur,
nous laissons gronder sur d'autres l'orage qu'un sommeil profondci, eût ressenti si un crime l'eûl donnée à moi.
ne nous permet plus d'entendre.
(I) Voyez la Cornaline, page 23.
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD RYRON. «9
enregistrées
en dans les annales des siècles, depuis César le redouté
A GEORGES IV (I).
jusqu'à
ju Georges le méprisé !
Mels ton uniforme, 6 Firtgâl! O'Conhell, proclame les perfections
de ton maître!... el persuade à la patrie qu'un dëmi-siècle de mé-
de
Etre le père de l'orphelin, tendre In main du haut du trône , cl pris pi fui une erreur de l'opinion. « Henri, comme dit Falslaff, est
relever le fils de celui qui mourut autrefois en combattant contre bien bi le plus mauvais sujet et le plus charmant prince qui soit au
les pères, c'esl être véritablement roi, c'est transformer l'envie en monde.
m »
louanges ineffables. Renvoie les gardes, confie-loi à de tels actes; Ton aune de ruban bleu, ô Fingal! fera-t-elle tomber les fers
quelles mainsse lèveront, sinon pour te bénir?O roi, n'était-il pas de d< plusieurs millions de catholiques ; ou plutôt ce ruban ne forme-
facile cl n'esl-il pas doux de te faire aimer et de te rendre tout l-i pas pour loi Une chaîne plus étroite encore que celles de tous les
l-il
puissant par la clémence? Maintenant ta souverainclé est plus ab- esclaves es qui maintenant saluent de leurs hymnes le déserteur de
solue que jamais; tu règnes en despote sur un peuple libre, et cc leur
le cause".
ne sont pas nos bras, mais nos coeurs que lu enchaînes.
ï Oui! bâtissez-lui une demeure! que chacun apporte son obole!
jusqu'à ce que, nouvelle Babel, s'élève le royal édifice! Que tes men-
diants cl tes ilotes .réunissent leur pitance... et donnent un palais
ci retour d'un dépôt de mendicité ou d'une prison.
en
Servez, servez pour Vitcllius, le royal repas; que le despote
L'AVATAR IRLANDAIS. glouton
g en ail jusqu'à la gorge! et que les hurlements de ses
ivrognes le proclament le quatrième des imbéciles tyrans du nom
il
Avant que la fille de Brunswick soit refroidie dans son cercueil, de d Georges I
el pondant que les vagues portent ses cendres vers sa patrie, Que les tables gémissent sous le poids des mets! qu'elles gémis-
(Jcorgcs-lc-Triomphanl s'avance sur les flots vers l'île bien-aimée sent s comme gémit ton peuple depuis des siècles de malheur! Que le
qu'il chérit coram,'. il chérissait son épouse. y coule à flots autour du trône de ce vieux Silène, comme le sang
vin
A la vérité, ils ne sont plus, les grands hommes qui ont signalé ii irlandais a coulé et doit couler encore*
cette ère de gloire si brillante et si courte, arc-en-ciel de la liberté, Mais que le monarque ne soit pas ta seule idole, ô Erin ! con-
cc pblit nombre d'années dérobées a des siècles d'esclavage et pen- t' temple à sa droite le moderne Sôjan! Ton Castlcrcugh! àli ! garde-
dont lesquelles l'Irlande n'eut à pleurer ni la trahison ni la ruine. Ile pour toi seule, ce misérabledont le nom n'a.jamais été prononcé
A la vérité, les chaînes du catholique résonnent sur ses haillons; q accompagné de malédictions el de railleries!
qu
le château est encore debout ; mais le sénat n'est plus, et la famine, Seule aujourd'hui, et pour la première fois, l'île qui devait rou-
qui habitait les montagnes asservies, étend son empire jusqu'au gir
g de lui avoir donné naissance, comme le sa»g qu'il a fait verser
rivage désolé. aï rougi ses sillons, l'Irlande semble fière du rcplilc sorti de ses en-
Jusqu'au rivage désolé... où l'émigranl s'arrête un moment pour ltrailles, et, pour prix de ses assassinats,lui prodigueles acclamations
contempler sa terro natale avant de la quitter pour toujours. Ses et t les sourires.
larmes arrosent la chaîne qu'il vient de briser car la prison qu'il Sans un seul rayon du génie de sa patrie, sans l'imagination, le
quille est le lieu de sa naissance. , l'enthousiasmede ses fils, sa lâcheté devrait forcer Erin à
courage,
<
Mais il vient! il vient! le Messie de la royauté, semblable à un < douter qu'elle ait donné le jour à un être aussi vil.
énorme Léviathan poussé par les vagues! recevez-le donc comme Sinon qu'elle cesse de s'enorgueillir de ce proverbe qui pro-
il convientd'accueillir un tel hôte, avec une légion dé cuisiniers cl clamé
< que sur lé sol d'Erin aucun reptile ne peut naître. Voyez-
une armée d'esclaves! vous
' le serpent mi sang de glace el tout gonflé de venin réchauffer
Il vient, dans le vert printemps de ses soixante années, jouer seianneaux
t dan» le sein d'un roi!
son rôle de roi parmi ta pompe qui se préparc. Mais vivo à jamais le Crié, bois, mange et adule ô Erin ! Le malheur et lu tyrannie
trèllc dont il esl paré, et puisse lo printemps dont il porte l'insignoi t l'avaient déjà mlfM bien bas; ,mais l'accueil que tu fais aux tyrans
à son chapeau passer a son coeur. t'a
' fait descendre encore au-dessous.
Ah ! si cc coeur depuis longtemps flétri pouvait reverdir ; s'il y' Mot) humble Voix s'éleva pour défendre tes droits; mon vote
surgissait une source nouvelle de nobles affections, ô Irlande, lai d'homme libre fut donné à Ion affranchissement; ce bras, quoique
liberté le pardonnerait ces danses sous le poids de les chaînes ett faible, se fût armé pour ta querelle, et co coeur flétri avait encore un
ces acclamations d'esclaves qui attristent le ciel. battement pour toi.
Est-ce démence ou bassesse? fût-il Dieu lui-même.... au lieui Oui, je l aimais, cl j'aimais les tiens, bien que tu ne sois pas ma
d'être un homme fait de la plus grossière argile, avec plus de vicesi terre natals4, j'*' connu, parmi tés fils, do nobles coeurs et de
au coeur qu'il n'a de rides au front, ion dévoûment servile lui fe- grandes itmeé, et j'ai pleuré avec le monde entier siir la tombe des
rait houle, et il s'éloignerait. patriotes irlandais; mais maintenant je ne les pleure plus.
Oui, va : hurle à sa suite ! Que tes orateurs torturent leur imagi- Car ils dorment heureux loin do loi dans leurs sépultures, les
nation pour caresser son orgueil!.»» Ce n'était pas ainsi que, sur less Grotlan, IcsCurfan, les Shéridan, tous ces chefs longtemps illustrés
ruinesde la liberté, l'âme indignée de ton Grattan faisait éclater lesg dans la guerre de l'éloquence, qui, s'ils n'ont pas retarde ta chute,
foudres de sa parole. l'ont du moins honorée,
O glorieux Grattan ! le meilleur entre les bons! si simple dé é Oui, ils sont heureux sous la froide pierre de .leurs tombeaux an-
coeur, si sublime dans tout reste!
le doué de tout ce qui manquait àîi glais ! Leurs ombres ne s'éveilleront pas aux clameurs qu'aujour-
Démosthônes, son rival ou son vainqueur dans tout le reslô. d'hui tu exhales, el lo gazon qui recouvre leur libre argile ne sera
Lorsque Tullius brilla dans Borne, quoiqu'il n'eût point d'égaux pas foulé par des oppresseursadulés et des esclaves qui baisent leurs
d'aulrcs l'avaient précédé, l'oeuvre étail commencée*.. Mais Grattana, chaînes.
sortit comme un Dieu de la tombe des âges : le premier, le dernier;; Jusqu'à ce jour, j'avais porté envie à tes fils et à Ion rivage,
le sauveur, l'unique. bien que leurs vertus fussent proscrites leurs libertés anéanties; il
!t eut le talent d'Orphée pour toucher les brutes, et le feu de l'ro- y avail jadis je ne sais quoi de si chaleureux ,
et de si noble dans un
niélhée pour animer le genre humain ; la tyrannie elle-même enn coeur irlandais, que vraiment je porle envie à tes morts !
l'écoulant, se sentit émue ou resta muette, et la corruption recula ,
a Si quelque chose peut élouffcr un instant mon mépris pour une
terrifiée devant le regard de son génie. nation servile malgré ses blessures encore saignantes, une nation
Mais revenons aux despotes et aux esclaves! aux banquets offerts Ij qui, foulée
Is aux pieds comme le ver, ne se -rcioui'ne pas contre le
par la famine I aux réjouissances dont la douleur fait les frais! i ! pied qui l'écrase, c'est la gloire de Graltan et le génie de Moorc !
L'accueil de la vraie liberté est simple et modeste; mais l'esclavage ;e
fxlravague dans ses démonstrations, quand une semaine de satur-
nales vient à relâcher sa chaîne. •*•
.
L'indigente splendeur que ta laissée ton naufrage va décorer le le
ptilais du monarque (comme le banqueroutier cherche à cacher ÎMI'HOMI'XU.
nii ne sous un étalage de luxe). Erin, voici ton maître ! embrasse ses
sa
,a
ÎS
penoux ! Dépose tes bénédictions aux pieds de celui qui le refuse se Quand le chagrin qui a son siège dans mon coeur projette plus
lis siennes. haul son ombre mélancolique, Hotte sur les traits changeants de
Ah! si un jour, en désespoir de cause, la liberté esl obtenue do lo visage, obscurcit mon front el remplit mes yeux de larmes,
Inrce, si l'idole de bronze s'aperçoit que ses pieds sont d'argile, la mon ami, que cette tristesse ne t'inquiète pas, elle tombera bien lot
terreur ou la politique auront arraché ce que les rois ne donnent ni d'elle-même. Mes pensées connaissent irop bien leur prison ; après
jamais qu'à la manière des loups abandonnant leur proie.
Chaque animal a sa nature, celle d'un roi est de régner
une excursion passagère, elles repren nent le chemin de mon coeur,
Hégncr ! co seul mol comprend la
el rentrent dans leur cellule silencieuse.
cause de toutes les malédictions
us

(1) A propos de l'annulation par co monarque de l'arrêt d'oxil qui


sait sur la famille Fitgcruld, depuis les guerres civiles du prétendant.po-
280 LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

coeur avait de beaucoup devancé son âge ; et à ses yeux il n'y avait
LE RÊVE'. sur la terre qu'un visage aimé, un visage qui en ce moment l'éclai-
rait de ses rayons. 11 l'avait contemplé de manière que l'empreinte
en restât ineffaçabledans son coeur : il ne vivait, ne respirait qu'en
elle ; elle était sa voix. Il ne lui parlait pas ; mais dès qu'elle parlait,
tout en lui s'ébranlait. Elle élait sa vue, car ses yeux suivaient les
regards de la jeune fille, et ne voyaientque par eux : c'étaient eux
qui pour lui coloraient lous les objets. Il avait cessé de vivre en lui-
même ; elle élait sa vie, l'océan ou venait aboutir le cours de toules
Notre vie est double; le sommeil a son monde propre : monde ses pensées ; au son de celle voix, au contact de cette main, son
limitrophe entre ce que nousnommons à torl la mort et l'existence. sang montait ou refluait, el ses joues changeaienttumultueusement
Oui, le sommeil a son monde propre, vaste domaine d'une fantas- de couleur... sans que son coeur comprit la cause de cette agonie.
tique réalité; dans leur développement les rêves respirent : ils ont Mais elle ne partageait pas ses tendres sentiments : ses soupirs n'é-
des larmes des tour- taient pas pour lui : elle
,
ments, des accès de joie; voyait en lui un frère...
ils laissent au réveil un et pas davantage. C'était
poids sur la pensée, cl en beaucoup, à la vérité;
même temps ils enlèvent car elle n'avait point de
un poids aux fatigues du frère, si ce n'est celui à
jour. Ils partagent notre qui son amitié enfantine
être, ils deviennent une avait donné cc nom. Elle
portion de nous-mêmes était l'unique rejeton
et de noire temps.Cesout d'ujc race antique et ho-
les messagers de l'éterni- norée : litre qui à la fois
té : ils passent en nous plaisait et déplaisaità son
comme des esprits du jeune ami. Et pourquoi?
Ïiassé, ils parlent comme Le temps lelui apprit dou-
es sibylles de l'avenir; loureusement Quand
ils exercent sur nous un elle en aima un autre
pouvoir, une tyrannie de En cc momentmême,elle
plaisir et de douleur ; ils en aimait un autre; et
de
font nous cc que nous elle était debout au som-
n'étions pas... ce qu'ils met de cette colline, re-
veulent ; ils nous font gardant au loin si le cour-
trembler devant des vi- sier de son amant volait
sionséteintes,etredouter au gré de son impatience.
des ombres évanouies I...
Evanouies1 le sont-elles
en effet? le passé est-il
autre chose qu'une om- Un changement arriva
bre? Et qu'est-ce qu'une dans l'esprit de mon rêve.
ombre? Un produit de
l'esprit...L'âmepeutdonc Je vis un vieux manoir,
produiredes substances; et au pied de ses murail-
cl les mondes qu'elle a les un coursier tout sellé.
créés, elle peut les peu- Dans un antique oratoire
pler d'êtres plus brillants se trouvait le jeune hom-
que tout ce qui a jamais me dont j'ai parlé 11
existé; elle peut animer élait seul et pâle, et se
des formes qui survivront Îiromenait de long en
à toute chair. arge: bientôt il s'assit,
Je voudrais me retracer prit une plume et traça
une vision que j'ai rêvée des mots que je ne pus
peut-être en dormant distinguer ; puis il ap-
car une pensée, une pen- puya sur ses mains sa
sée du sommeil peut em- tête inclinée, et parut en
brasserdesannéeset con- proie à une agitation con-
denser toute une longue vulsive... Tout-à-coup il
vie dans une heure. se leva, et de ses dents et
de ses mains tremblantes
il déchira ce qu'il avail
écrit; mais il ne versa pas
Je vis deux êtres dans de larmes enfin il se
tout l'éclat de la jeunes- C'était là que jo voyais un jeune homme et une jeune fille. calma, et une sorte de re-
se; ils étaient sur une pos parut sur son front.
agréable colline à la En ce moment, la femme
pente douce et toute ,
ver- qu'il aimait entra : son
doyante la dernière visaee étail serein: elle
,
dune longue chaîne quelle terminait comme un promontoire, souriait, el cependant elle savait qu'elle était aimée de lui elle
sauf qu il n'y avait point d'océan pour en laver la hase, mais un savait, c'esl une chose qui s'apprend vite, que dans coeur dele
car
vivant paysago , une mer d'arbres et de moissons, au sein de ce jeune homme était tombée une ombre épaisse, el elle voyait
laquelle on voyait les habitations des hommes dispersées cà et là, qu'il était malheureux mais elle ne voyait pas tout. Il se leva el
;
el des filets ondoyants de fumée s'élever de leurs toits rustiques. lui prit la main avec une froide douceur cet instant, d'ineffa-
Cette colline était couronnéed'un diadème d'arbres rangés en cercle, bles pensées peignirent dans les traits: deenl'infortuné comme sui-
se
non par un caprice de la nature, mais par celui de l'homme. Ces des tablettes, puis leur trace disparut ainsi qu'elle s'était formée. Il
deux êtres, une jeune fille et un adolescent, étaient là qui contem- laissa tomber la main qu'il tenait et s'éloigna d'un pas lent ; mais
plaient, elle ce spectacle beau comme sa beauté, lui... oh ! lui ne ce n'était pas un adieu qu'il venait de lui dire, car ils se séparèrent
voyait qu'elle. Et lous deux étaient jeunes, et l'une élail belle ; et avec mutuel sourire. Alors il franchit la porte massive du gothi-
tous deux étaient un
jeunes, mais non de la même jeunesse. Comme que manoir, et, montant sur son coursier, il se mil en roule... et
la lune riante au bord de l'horizon, la vierge touchait au moment jamais plus il ne repassa le seuil antique.
d'être femme; l'adolescent avait quelques étés de moins, mais son
(IJ Pour l'intelligence complète de ce morceau, nu des chefs -d'oeuvre Un changement arriva dans l'espril de mon rêve.
du poète, composé à Diodati, en 1816, il est bon de consulter la Notice
sur la vie de lord Byron en lèle de cc volume: L'adolescent élait devenu homme : dans les solitudes des climats
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD ItVRON. 281

lants il s'était fait une patrie, elson âme s'abreuvaitdes rayons I| Un changement arriva dans l'esprit de mon rêve.
leur soleil. Des hommes à figure étrange et basanée l'entou-
ml; lui-même n'était plus ce qu'il avait été : il errait de mer en La femme qu'il aimait... ohl comme elle était changée sous les
r, de rivage en rivage. Une foule d'images diverses se pressaient coups du mal de l'âme ! Son intelligence avait quitté sa demeure, et
our de moi comme des vagues, mais dans toutes ildu se retrouvait; ses yeux n'avaient plus leur éclat accoutumé, quoique son regard
a dernière me le fit voir se reposant de la chaleur midi, cou- n'eût rien de terreslre. Elle était devenue la reine d'un fantastique
parmi des colonnesabattues, à l'ombre de murs en ruines sur- empire : ses pensées étaient des combinaisons sans suite; des for-
anl aux noms de ceux dont ils étaient l'ouvrage ; il dormait. Non mes impalpables et inaperçues de tous les yeux étaient familières
debout, et près d'une source aux siens. C'est lace que le'monde appellefolie; maisles sages sont
n de là des chameaux paissaient possédés d'une démence bien plus profonde ; et c'est un don redou-
ientatlachés de nobles coursiers : un homme veillait portant une
ie flottante, tandis qu'autour de lui sommeillaitle reste de sa table que le regard du mélancoliquedélire. Qu'est-ce autre chose
liu. Et sur leur têle se déployait le dais du firmament bleu et que le télescope de la vérilé, qui dépouille la distance de ses illu-
îs nuage, d'une transparence si belle el si pure que dans le ciel sions, nous montre la vie de près et dans toute sa nudité, et rend
su seul élait visible. trop réelle la froide réa-
lité.

Un changement arriva
Un changement arriva
us l'espritde mon rêve. dans l'espritde mon rêve.
La femme, objetde son
mur, était devenue l'é- Le pèlerin était seul
iiisc d'un autre qui ne comme auparavant ; les
limait pas mieux que êtres qui l'entouraient
eût fait le proscrit. Elle tout à l'heure étaient par-
ail dans son pays natal, tis, ou en guerre avec lui;
ins sa patrie à elle, à il était en butte aux traits
illc lieues de la pairie de la flétrissure et du dé-
ic lui s'était créée : là sespoir, assiégé par la
le vivait entourée d'une haine et la chicane ; la
inlure de beaux en- douleur étaitmêlée à tous
nls, filles et garçons... ses aliments; et enfin,
ais quoi 1 ses * traits comme cet ancien roi du
nient révolus d'une Pont, les poisons étaient
linlc de douleur, reflet devenus pour lui une
Lirable de luttes in té- nourriture, et avaient
cures : son oeil inquiet perdu tout pouvoir sur
imblnit abattu comme ses organes : il vivait de
sa paupière eût été ce qui eût donné la mort
liargéede larmes qu'elle à d'autres hommes, il
e pouvait répandre, avait pris pour amis les
luellc pouvait ôlrc sa montagnes; il conversait
ci ne? Elle possédait avec les étoiles et l'âme
jut ce qu'elle aimait, et vivantede l'univers, et ils
clui qui l'avait tant ai- lui enseignaient la magie
lée n'était pas là pour de leurs mystères ; pour
roublerpar de coupables lui, le livre de la nuit était
spérances, de criminels tout grand ouvert, et les
lésirs ou une affliction voix du profond abîme
nal réprimée, la pureté lui révélaient une mer-
le ses pensées. Quelle veille, un secret Qu'il
louvait être sa peine?... en soit donc ainsi 1
511e ne l'avait point ai-
îié; elle ne lui avait ja-
unis donné lieu de se
croire aimé: il ne pouvait Mon rêve était fini : il
loue être pour rien dans n'y arriva plus aucun
le chagrin qui rongeai! changement.
l'âme de cette femme... il
ne pouvait être pour elle C'étaitun rêve d'un or-
un spectre du passé. dre étrange que celui qui
me retraçait ainsi, pres-
que comme une réalité,
Un changement arriva les destinéesde ces deux
dans l'esprit de mon rêve. Lcs Ténèbres. créatures... l'une abou-
tissant à la folie... toutes
Le pèlerin était de re- deux au malheur.
Iniir Je le vis debout
devant un autel une
charmante fiancée élait près de lui. La figure de la jeune fille était
belle mais ce n'était pas l'étoile qui avait lui sur l'adolescent,

LES TENEBRES.
, qu'il élailà l'autel,
l'aidant sou front prit le même aspect; il éprouva
le même tremblementconvulsifqui l'avait agile dans la solitudede
l'antique oratoire; et puis, comme alors d'ineffables pensées se
«oignirent sur les traits de l'infortuné comme sur des tablettes...
puis leur trace disparutainsi qu'elle s'élail formée ; et il parut calme
et tranquille;et il prononça les voeux nécessaires, mais il n'entendit
pas ses propres paroles, et tous les objets tournèrent autour de lui.
bès lors il ne vit plus ni ce qui était, ni ce qui aurait dû être... mais J'eus un rêve qui n'était pas toul-à-fait un rêve.
le vieux manoir, et la grande salle accoutumée, et les chambres
[lu'il se rappelait encore, et la place, le jour, l'heure, le soleil et L'éclat du soleil était éteint, et les étoiles erraient pâlissantes
l'ombre, tout ce qui se rattachaità ce lieu et à celte heure, et enfin dans l'espace éternel, dépouillées de leurs rayons et de toute direc-
celle que son destin lui avait assignée : toutes ces choses lui revinrent tion fixe ; et la terre glacée flottait aveugle et noire dans l'air que
en mémoire, et se placèrent entre la lumière el lui. Que lui voulaient- la lune n'éclairait pas. Le matin venait, s'en allait... et revenait
sllcs en un pareil moment? sans amener le jour. Dans la terreur de cette désolation, les liotames
I avaient oublié leurs passions, et tous les coeurs glacés étaient absur-
282 LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

liés dans une prière égoïste pour le retour de la lumière. Ils vi- tenant
I je te confie, agitées comme les vagues, impétueuses comme
valent autour de grands feux allumés ; el les trônes, les palais des ton I cours.
rois, les cabanes, les habitationsde toute espèce,étaient brûlés pour Que dis-je 1 lo miroir de mon coeur? Ton onde n'esl-ellc pas
éclairer les ténèbres; les villes étaient livrées aux flammes, et les puissante,
j rapide el sombre ? Tu es ce que furentet ce que sonl mes
hommes se rassemblaient autour de leurs demeures embrasées pour sentiments; E et ce que lu es, mes passions l'ont été longtemps.
contempler encore une fois la face de leurs semblables. Heureux Peut-être le temps les a-t-il un peu calmées... mais non pour
ceux qui vivaient dans le. voisinage des volcans, flambeaux naturels toujours.
I Tu franchis tes rives, fleuve ami du poète! et pendant
des montagnes ! Un effroyable espoir élail tout cc qui restait au quelque i temps tes flots en ébullilion débordent, puis rentrent dans
monde. On avait mis leleu aux:iforêtB.,.. mais d'heure en heure on leur 1 lit; les miens se sonl calmés et ont disparu.
les voyait tomber el disparaître.!-.'»;|es.troncs pétillants s'éteignaient Ils ont laissé après eux des ruines; et maintenant nous avons
en craquant et tout redevenait noir»,A/celte lueur pleine de déses- repris t notre ancien cours : toi pour aller te réunir à l'Océan
poir, qui tombait sur eux en éclairs capricieux;, la.face des hommes moi i pour aimer celle que je ne devais pas aimer.
prenait un aspect étranger à la terre'. Les uns, étendus sur lé sol, Ces flols que j'admire couleront sous les murs de sa cilé natale, et
cachaientleurs yeux et pleuraient ; d'autres appuyaient leur menton murmurerontà ses pieds : ses yeux te contempleront à l'heure où,
sur leurs poings fermes avec un sourire de rage ; les autres enfin fuyant les chaleursde l'été, elle viendra respirer l'air du soir.
couraient çà et là, alimentaient les bûchers funèbres et regardaient Elle te regardera... et plein de cette pensée, je t'ai regardé ; cl
avec l'inquiétude de la démence le ciel monotone, étendu comme depuis ce moment, ne séparant plus son souvenir de toi, je n'ai pu
un drap mortuaire sur le cadavre du monde; puis ils se roulaient penser à tes ondes» je n'ai pu les nommer ni les voir, sans un
dans la poussière en blasphémant, grinçaientdes dents et hurlaient. soupir pour elle I
Les oiseaux effrayésjetaient des cris, et rasaient la terre en agitant Ses yeux brillants se réfléchiront dans les dois... oui! ils verront
leurs uilcs inutiles ; les animaux les plus sauvages étalent deve- celle même vague que je Vois maintenant, vague fortunée! mes
nus timides el tremblants; et lés vipères rampaient entrelacées au yeux ne l'apercevront plus» même en rêve, repassant devant moi.
milieu de la foule : elles sifflaient mais ne mordaient pas... on les Le flot qui emporte mes larmes ne reviendra plus ; rcvicndra-i-
tuait pour les manger. Bientôt la guerre, qui s'était longtemps Çllê, celle que ce flot va rejoindre?... Eridanl tous deux nous fou-
reposée, revint se gorger de carnage : un repas s'achetait avec du lons lés rives, tous détiX nous errons sur les bords , moi près de
sang ; puis chacun à part, d'un air sombre, rassasiait son appétit fa* ta source, elle vers l'Océan sépare,
aux flots bleus.
rouelie- Plus d'amour, la lerre entière n'avait plus qu'une pensée... Mais ce qui nous ce n'est ni la distance des lieux ni lu
la mort, el une mort immédiate et sans gloire. Tous sentaient la profondeur des vagues, c'est la barrière d'une destinée différente,
famine leur ronger les entrailles : les hommes mouraient. el leurs Aussi différenteque les climats qui nous ont donné le jour.
os comme leur chair restaient sans sépulture: maigrelet décharnés, Un étranger s'est épris d'amour pour la dame de ces bords, lui,
ils se dévoraient entre eux. Les chiens même attaquaient leurs maî- né bien loin par-delà les montagnes ; mais son sang est loul méri-
tres, tous, un seul excepté : celui-là, fidèle à un cadavre, en écarta dional, comme s'il n'avait jamais ressenti le souffle des autans qui
les oiseaux, les bêles de proie et lès hommes affamés, jusqu'à ce glacent tes mers du pôle.
que le besoin les eût fail succomber eux-mêmes, ou que d autres quitté Oui, mon sang est tout méridional; sans quoi je n'aurais pas
morts tombant auprès d'eux offrissent une proie à leurs mâchoires ma patrie et je ne serais pas, après lant de douleurs que l'ou-
débiles. Lui-même ne chercha aucun aliment j mais exhalant uh bli n'effacera jamais, redevenu l'esclave de l'amour ou loul au
hurlement plaintif et prolongé, suivi d'un Cri rapide d'angoisse, moins de loi.
léchant la main qui ne lui répondait plus par des caresses, il mou- C'est en vain que j'essaierais de lutter... je consens à mourir
rut. Peu à peu la famine moissonna ta foule. D'une cité populeuse jeune. Que je vive comme j'ai vécu, que j'aime comme j'ai aimé ;
deux hommes seulement survivaient et ces hommes étaient enne- si je redeviens poussière, moi que la poussière enfanta, alors du
mis. Ils s'approchèrent tous deux des cendres mourantes d'un au- moins rien ne poura plus m'émouvoir.
tel, où, pour un usage sacrilège, on avait entassé tinê foule de choses
saintes i transis do froid de leurs mains glacées de squelette, ils
, cendres
remuèrent et grattèrent les encore ehaudes ; et leur faible
souffle, s'efforçant pour retrouverun peu de vie, parvint à soulever CHANSON.
une flamme qui semblait une raillerie de la mort. Cette lueur s'é-
tanl un peu augmentée, ils levèrent les yeux l'un vers l'autre, se Si le fleuve de l'amour devait couler sans fin si le temps ne
virent., jetèrent un cri et moururent tous deux... ils moururent pouvait rien sur lui, nul autre plaisir ne vaudrait celui-là ,
; cl nom
épouvantés mutuellement de leur laideur, chacun d'eux ignorant chéririons notre chaîne comme un trésor. Mais puisque nos soupir*
quel élait celui sur le front duquel il avail lu cc mot gravé par le amoureux ne durent pas jusqu'audernier souffle, puisque, fait pour
doigt de la famine : « Maudit 1 » Le monde élail désert ; les conti- voler, l'amour a des ailes cmplumée» , aimons pendant une suisoi
nents populeux el puissants n'étaient plus qu'une masse inerte, où et que celle saison soit le printemps.
il n'y avail ni saisons ni plantes ni arbres, ni hommes , ni vie Quand des amants se quittent, leur coeur se brise de douleur
, , durcie. tout espoir esl perdu; ils croient n'avoir plus qu'à mourir. Quclquei
d'aucune espèce... une masse de morl, un chaos d'argile
Les fleuves, les lacs, l'Océan étaient immobiles, et rien ne remuait années plus tard, oh ! comme lia verraient d'un air froid l'objd
dans leurs profondeurs silencieuses; les navires sans équipage pour lequel ils soupirent! Enchaînée l'un à l'aulre dans toules le:
pourrissaient à la mer, et leurs mâts tombaient par morceaux : ài saisons, ils dépouillent plume à plume les ailes de l'amour... de
mesure qu'ils tombaient, ils s'endormaient sur l'animé que rien ne. i lors il ne s'envole plus; mais, privé de son plumage, il grcloll
soulevail plus. Les vagues étaient mortes ; les marées étaient danst tristement s son printemps est passé.
la tombe où la lune, leur reine les avait précédées; les vents s'é- Comme un Chef de faction, le mouvement est sa vie. Toul pael:
,
taient amortis dans l'air immobile, cl les nuages avaient disparu. obligatoire qui restreint sa puissance obscurcit sa gloire : il quidi
Les Ténèbres n'avaient plus besoin de leur aide... Les Ténèbress dédaigneusementun territoire où il ne règne plus en despote. Il u
étaient tout l'univers ! peut rester slationnaire;il faut qu'enseignes déployées, ajoutant clin
que jour à son pouvoir , il marche sans cesse en avant ; le rc|>r
FIN DES TÉNÈBRES. l'accable, la retraite le tue : l'amour ne se contente pas d'un Irôn
dégradé.
=
Amants passionnés, n'altendez pas que les an néess'écoulent pot
vous éveiller ensuite comme d'un songe, alors que, vous rcprii
chant avec des paroles de raillerie et de colère vos imperfection
POESIES DIVERSES. mutuelles, vous serez hideux l'un à l'aulre. Quand la passion com
mais subsiste encore, n'attendez pas que les coi
menée à décliner,
trariélés aient aciievé de la flétrir : dès que l'amour décioît, se
règne est terminé... séparez-vous donc en franche amitié, et dilei
(Suite.) vous bonsoir 1
Ainsi votre affection laissera en vous des souvenirs pleins <
charmes : vous n'aurez pas attendu que, fatigués ou aigris, vos pt
sious se soient émoussées par la satiélé. Vos derniers baisers n'ai
ront pas laissé de froides traces... vos trails auront conservé le
A L'ÉBIDAN. expression affectueuse, et vos yeux, miroir de vos douces erreur
réfléchiront un bonheur qui, pour èlre le dernier, n'en sera pi
Fleuve qui baignes les murs de l'antique cité qu'habite la dame le moins suave.
de mon amour, pendant qu'elle se promène sur les bords, et que te Les séparations, il est vrai, demandent plus que de la patienci
peut-être elle reporte vers moi un souvenir faible et passager ; quels désespoirs n'onl-elles point fail naître! Mais, en s'obstinai
Que ton onde vaste el profonde n'esl-clle le miroir de mon n que fait-on , sinon enchaîner des coeurs qui, une fois refroidis,
coeur, afin qu" ses yeux y puissentlire les mille pensées que main- i- heurtent contre les barreaux de leur cage. Le temps engourdit 1
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON. 283

nionr, la continuité le détruit ; cnfanl ailé, il veut des coeurs jeunes air
ainsi Je crois que l'homme dont vous parlez, elqui repose dans
: «
comme lui; il y a pour nous une douleur plus vive, mais plus courte, à cet tombe à part, fut dans son temps un écrivain fameux; c'esl
cette
sevrer nos joies qu'à les user. Ïiourquoi
po les voyageurs se détournent de leur route pour lui rendre
— hoîonncur... et me donner à moi ce qui plaît à leurs seigneuries. »
Sur quoi, on ne peut plus satisfait, je lirai d'un coin avare de
STANCES. mi poche certaines pièces d'argent, que je donnai comme par force
ma
àà«cet homme, bien qu'une pareille dépense me gênât.
Je n'ose prononcer ton nom ; je n'ose en tracer les caractères; Je vous vois sourire, ô profanes! parce que je vous'dis tout sim-
sons douloureux, coupable renommée ! mais la larme brûlante qui plement
pli la vérité. Vous êtes insensés et non moi..... car je'méditai
maintenant sillonne ma joue révèle les profondespensées qui habi- avec un intérêt profond et les yeux humides celle homélie naturelle
av
lent cc silence du coeur. du vieux fossoyeur, dans laquelle se trouvaient confondus l'obscu-
Elles furent trop courtes pour notre passion, trop longues pour rité cl la renommée, la gloire el le néant.
ni
notre repos, ces heures dont jamais nous ne pourrons oublier l'a-
mertume et la joie. On se repenl, on se rétracte;,' on veut briser sa
chaîne... on ne sait que rcvoler l'un vers l'autre.
Oh ! à loi la joie, a moi les remords ! Pardonne-moi, beauté ado- rnOMÉTIIEE.
rée! oublie-moi si lu veux... mais ce coeur qui l'appartient mourra
sans s'être souillé : il ne sera pas brisé par la main de l'homme... O Titan ! à les yeux immortels les souffrances de la race hu-
,
loi seule as ce pouvoir sur lui. maine,
m vues dans leur triste réalité, ne furent pas, comme pour
Dans sa plus sombre amertume , mon âme, farouche envers les le dieux, un objet de dédain. Quelle fut la récompense de ta
les
superbes, sera humble envers toi. Nos jours coulent aussi rapides boulé? Une souffrance muette, immense : le rocher, le vautour et
b<

cl nos moments plus doux quand tu es à mon côté que si nous la chaîne, tout ce que les coeurs fiers peuvent ressentir d'angoisses,
la
avions le monde à nos pieds. les tortures qu'ils cachent, le sentiment intolérable de la douleur
le
Un soupir de ta douleur, un regard de Ion amour, peuvent me q ne parle que dans la solitude, craignant encore que le ciel ne
qui
changer ou me fixer, me récompenser ou me punir. Des êtres sans l'écoulé,
1' et attendant pour gémir que sa voix n'ait point d'échos.
coeur s'étonneront de mes sacrifices : tes lèvres répondront, non O Titan Muas connu la lutte entre la souffranceet la volonté-,cette
pas à leurs discours, mais à mes lèvres. lutte
li qui torture quand elle ne lue pas; etdc ciel inexorable, la sourde
tyrannie
l; du destin, le principe de haino qui gouverne le monde el
— qui
q crée pour son plaisir des êtres qu'il pourraitanéantir...cc Dieu,
enfin,
c t'a refusé jusqu'à la faveur de mourir. Le don malheureux de
STANCES. l'éternité
1 fut ton partage, et tu l'as dignement supporté. Tout ce
que
C
le maître du tonnerre put arracher de toi fui la menace de
Entre les joies que le monde nous donne, il n'en est point de 1lui voir éprouver quelque jour un supplice pareil au tien... Comment?
comparable à celles qu'il nous ôle quand l'éclat de nos jeunes pen- c'est
t ce que tu prévoyais, et ce que tu ne voulus pas lui révéler
sées s'efface dans le triste déclin du sentiment : au printemps de la ipour le fléchir. C est pourquoi ton silence fut son arrêt, et dans son
vie, ce n'est pas seulement la fraîcheur de la joue qui s'éteint irop iâme s'éleva un repentir inutile et un douloureux effroi, si mal dis-
vite, mais la fleur même de l'âme est passée que la jeunesse duré simulé
s que les foudres tremblèrentdans sa main.
toujours. Ton crime tout divin fut d'être bon, de diminuer, par tes ensei-
Alors ce petit nombre d'esprits qui surnagent encore après le gnements,
j la somme des humainesmisères, et d'apprendreà l'homme
naufrage du bonheur, sont poussés sur les écueils du crime ou en- qu'il
i doit puiser sa force dans son âme. Mais bien qu'arrêté dans
traînés dans l'océan des vices : leur boussole est perdue, ou son ton
1 oeuvre par la puissance d'en haut? ton énergie patiente, ta fer-
aiguille leur montre vainement le rivage que n'atteindrajamais leur meté et la résistance de ton esprit inébranlable aux efforts réunis
nef fracassée. de la terre et du ciel, nous ont légué une grande leçon : lu es pour
Puis le froid mortel de l'âme s'abat sur nous comme la mort elle- les mortels le symbole de leur deslinelde leur énergie. Commetoi,
même : elle ne peut ressentir les maux d'autrui, elle n'ose songer l'homme est en partie divin, onde trouble dont la source est' pure;
aux siens : celte froide torpeur a saisi la source de nos larmes, ett el il peut partiellement prévoir sa funèbre destinée, connaître sa
si l'oeil brille encore, c'esl la glace qui lui donne cet éclat. misère, sa force de résistance ot le malheur constant de sa triste
En vain les lèvres laissent échapper abondamment les éclairs de) vie. Mais aussi, il sait qu'à tous ses maux l'âme humaine peut oppo-
l'esprit ; en vain la gaîlé cherche à distraire le coeur durant ces heuresi ser sa propre force... forcé égale à toutes les douleurs, volonté ,
de la nuit qui ne donnent plus le repos : la guirlande dont le lierre3 ferme, conscience profondequi, au sein des tortures, sait se décerner
environne la tourelle en ruines la revèl au-dehors de verdure et de3 à elle-même son intime récompense, délie et triomphe, et se l'ail '
fraîcheur, mais au-dedans cc ne sont que des débris grisâtres. de la mort une victoire.
Obi si je pouvais sentir comme j'ai senti, ôlrecc que je fus, pleu-
rer sur tout cc qui n'estplus commeje pleurais autrefois : de mêmee
qu'au désert la source la plus saumàlre paraîl douce, ainsi cou- FRAGMENT.
leraient pour moi ces larmes dans la froide el stérile solitude dee
la vie. Si jo pouvais remonter le fleuve do mes ans jusqu'à la première
source des sourires et des larmes, je ne voudrais pas descendre
de nouveau son cours heure par heure, entre des rives croulantes
LE TOMBEAU DE C1IUHC1IILL (1). et des fleurs desséchées, pour arriver enfin, comme maintenant, à le
voir couler et se perdre dans la foule des ondes inconnues.
J'élaisprès delà tombe d'un homme qui, comèle éphémère, n'aa . . .
brillé qu'une saison : c'était la plus humble des sépultures, et pour- Qu'est-ce que la mort?... le repos du coeur; un loul dont nous . .
tant je contemplais avec un sentiment de douleur et de respect cee faisons partie : car la vie n'est qu'une vision. Il n'y a de vie pour
gazon négligé, cette pierre silencieuse, où élail gravé un nom con- moi que les êtres vivants qui tombent sous ma vue; et cela étant...
fondu avec les noms inconnus épars autour de lui sans que per- les absents sont les morts, qui viennent troubler' notre tranquillité,
sonne vînt les lire; et je demandai au jardinier de cc lugubre par- étendre autour de nous un lugubrelinceul, et mêler de douloureux
terre pourquoi les étrangers venaient à l'occasion de celle seule souvenirs à nos heures de repos.
le
plante fatiguer sa mémoire, et l'obliger à remonter dans la nuit it Les absents sonl les morts... car ils sont froids, et ne peuvent
épaisse d'un demi-siècle. 11 me répondit ainsi : « Ma foi ! je ne sais redevenir ce que nous les avons vus; ils sont changés et tris-
is
comment tant de voyageurs se font pèlerins : ce mort date d'avant tes... Ou si ceux qu'on n'oublie point n'ont pas tout oublié, qu'im-
tt
, mon entrée en fonctions, et ce n'est pas moi qui ai creusé sa tombe.»
»porte, puisqu'ils sont séparés de nous, que la barrière qui nous sé-
Est-ce donc la tout? pensai-je et nous déchirons le voile doo
pare soit l'onde ou la terre? c'esl peul-èlre l'une et l'aulre; mais
l'immortalité! et nous ambitionnonsje ne sais quel honneur et quel îl
cette séparation doit cesser dans l'union sombre de ^l'insensible
éclat dans les âges à venir pour essuyer un pareil dédain ! et si lot )t
poussière.
0
encore, un tel résultat I Les hôtes souterrains de noire globe ne sont-ils que la décompo-
Comme je réfléchissais ainsi, l'architecte de tout ce que foulent nos
)s sition confuse de millions d'êtres redevenus argile, les cendres
,.
pas (car la terre n'esl qu'une vaste tombe) essaya d'extraire quel- I- de milliers de siècles, dispersés partout où l'homme aqueporté ou por-
que souvenir de cette argile dont le mélange pourrait embarrasser îr lera ses pas? ou bien habitent-ils leurs cités silencieuses, chacun
'a pensée d'un Newton, n'était que toute vie doit aboutir à une le dans sa cellule solitaire? ont-ils un langage à eux? ont-ils le sen-
s
vie unique, dont celle-ci est le rêve. Soudain, comme s'il eût it timent de cette existence dépourvue de souffle... sombre et intense,
saisi dans sa mémoire le crépuscule d'un ancien soleil, il parla la comme la solitude de l'heure de minuit ? O terre ! où sont ceux qui
t',
ne sont plus? et pourquoi sonl-ils ués? Les morts sont tes héritiers,
-e (1) Poète satirique anglais mort et enterré à Florence. Cette pièce,
», et nous, nous ne sommes que des bulles d'air à ta surface. La clef
composée en 1810, esl dans la manière de Wordsworth. de les profondeurs est dans la tombe, porte d'ébène de les cavernes
284 LES VEILLÉES LITTÉRAIRESILLUSTRÉES.

populeuses. Oh ! que ne puis-jc y errer en esprit, contempler nos ait versé le remords à grands flots, avant que des feux inextingui-
éléments transformésen des choses sans nom, sonder ces myslé- ble dévorent un coeur qui depuis longtemps a perdu l'espérance.
bles
rieuses merveilles, et pénétrer l'essence des grandes Ames qui ne Cessons
< de nous abuser l'un et l'autre, et garde-toi de tromper
sont plus. dei coeurs qui valent mieux que le mien : ah I si ce malheur arri-
des
— vai où pourrais-tu fuir un sorl comme le nôtre, une honte comme
vait,
la tienne? S'il est une colère divine, s'il est des châtiments après
A LA COMTESSE DE BLESS1NGTON (1819). celte vie, notre amour ne doit plus garder d'espérance: entre nous
CCI
toi pensée est un crime, et tout crime est la mort.
toute
Vous m'avez demandé des vers, requête qu'un poète ne peut re-
jeter; mais mon Hippocrène n'était quemon coeur, et les sentiments
qui en étaientl'onde sont taris. _
Si j'étais encore ce que je fus, j'aurais célébré ces charmes que
le pinceau de Lawrence a fixés sur la toile; mais le chant expire-
rait entre mes lèvres, cl le sujet est trop doux pour ma lyre.
POESIES
_.
D NAPOLEONIENNES.
Toul de feu jadis, je ne suis plus que cendre, el dans mon sein
la poésie est morte : ce que j'aimais, je dois me contenter de l'admi-
rer, et mon coeur a blanchi comme maletête.
Ma vie ne compte point par années : temps agit sur moi comme
une charrue sur la plaine, el mon front n'a pas un sillon qui ne WATERLOO (1).
soit aussi profond dans mon âme.
Nous ne te maudissons pas, Waterloo! bien que le sang de la
~~ liberté
lil ait arrosé les plaines. C'est là qu'il fut versé ; mais la lerre
A JESSY (1). ne
nJ l'a point bu : jaillissant de lous ces cadavres comme une trombe
de l'Océan, il s'élève dans les airs où va le rejoindrele sang de La-
bédoyère et celui du brave des braves. Il s'étend sur le ciel en
une trame mystérieuse, étroitement unie à la trame de ma
JJJ
Il est
vie, tellementque l'inexorable ciseau de la destinée doit les trancher JJ nuage rougeâlrc, qui retournera aux lieux d'où il est sorti :
un
quand il sera chargé, il éclatera tout-à-coup.Jamais tonnerre n'a
toules deux ou n'en trancher aucune. j*
retenti comme celui qui ébranlerale monde; jamaiséclair n'a brillé
Il esl une forme enchanteresse, sur laquelle, bien des fois, mes
comme celui qui sillonnera le ciel, pareil à l'étoiled'Absinthe, pré-
yeux se sont arrêtés avec délices ; le jour, elle fait leur joie, et la J autrefois par le prophète, qui doit répandre sur la lerre une
dite
nuit, des rêves la leur rendent encore. pluie de flamme et changer les rivières en sang.
Il est une voix dont lesaccentscxcilentdans mon sein de tels ra- P
visscnicnts, queje ne prêterais pas l'oreille aux choeurs deschérubins, Le chef puissant est tombé, mais non pas sous vos coups, vain-
queurs de Waterloo! Quand le soldat citoyen ne commandait à ses
si celle voix ne s'y mêlait. V
Il esl des traits dont la rougeur trahit des secrcls de tendresse... égaux,
^ aux fils de la liberté, que pour les conduire aux lieux où sou-
mais qui, pâlissant dans un tendre adieu, annoncent plus d'amour ': la gloire, parmi tous les despotes coalisés qui pouvait se me-
riait
que les mots n'en pourraient exprimer. surer
?, avec le jeune capitaine? Qui pouvait se vanter d'avoir vaincu
elle,
11 est des lèvres que les miennes onl pressées el que d'autres n'a-
la' France, avant que la tyrannie régnât seule sur avant qu'ai-
guilloiiiié par l'ambition le héros s'abaissâtjusqu'au roi? Alors il
voient jamais effleurées : elles ont juré de faire à jamais mon bon- ïJtomba Périsse comme lui tout homme qui prétend asservir
heur; et les miennes... les miennesleur ont rendu la pareille. l'homme!
Il est un sein chéri, tout à moi, qui souvent a bercé ma tèle
souffrante, une bouche qui ne sourit que pour moi, un oeil dont les Et toi aussi, guerrier au blanc panache, toi à qui ton propre
larmes coulent toujours avec les miennes. royaume
J a refusé un tombeau! mieux eût valu pour toi guider en-
Il est deux coeurs dont les mouvements s'accordent en un tel core
! les bataillons de la France contre des armées d'esclaves mer-
unisson, si doux et si parfait, que tous deux doivent arriver à cenaires, que de le livrer à la mort et à la honte pour un misérable
l'ivresse ou cesser de battre en même temps. titre de roi, comme celui que le despotede Naples vient d'acheterau
H esl deux âmes dont le cours égal suit une marche si calme et
prix de ton sang. Ah! quand tu lançais ton cheval de bataille au mi-
si douce que, si cllesse séparent... Elles, se séparer ! elles ne le peu- lieu des rangs ennemis, comme un fleuve qui franchit ses rives,
vent : ces deux âmes n'en font qu'une. pendant qu'autour de toi volaient en éclats les casques pourfendus
et les glaives brisés ; qu'alors tu étais loin de prévoir le sort qui l'at-
tendait! Cet orgueilleux panache est donc tombé sous les coups
flétrissantsd'un esclave ? Il fut un temps où, pareil à la lune qui con-
A LADY CAROLINE LAMB. duit l'Océan, cc panache ondoyaitdans l'air, et ralliait les combat-
tants, à travers la nuit créée par les flots noirs et sulfureux de la
fumée batailles, le soldat cherchait du regard ce cimier inspi-
Oses-tud irequeje n'ai rien senti,quandtu me fus ainsiravie ! Ne sais- rateur, des et, le voyantbriller au premier rang, il sentait ranimer son
tu pas avccquellcivresseje me suis attaché à ce songe ininterrompu1 Aux lieux où l'agonie do la mort était la plus rapide, où
qui me parlait de toi? Mais un amour comme le nôtre ne peut ja-'x courage. le plus les débris de la bataille, sous le premier éten-
mais exister sur la terre: je dois apprendre à l'estimer moins haut;| s'entassaient
dard de l'aigle à la crête brûlante (oh ! cet aigle porte par la nue ora-
comme tu m'as fui, je dois te fuir et changer ce coeur que lu ne' geuse. et tout resplendissantdes rayons de la victoire, qui alors eût
peux rendre heureux. arrêter son vol?)... quand les lignes ennemies ouvraient une
On te dira, Clara, que récemment j'ai semblé adorer d'autres* pu
charmes, que l'on ne m'a pas vu soupirant et soucieux comme jeî Murât guider brèche ou se débandaient dans la plaine ; là on élait sûr do voir
devais l'être, quand je fus privé de ta vue ; ô Clara I cet effort pourf de bataille
la charge ; là Waterloo ne l'a pas vu, et nul champ
détruire ce que tu avais trop bien opéré en moi, ce masque porté? le
ne reverra plus.
L'invasion s'avance sur nos gloires éclipsées; la Victoire pleure
devant la foule médisante, cette trahison... ce n'était que fidélitée
envers toi. sur ses arcs-dc-triomphe détruits... mais que la liberté se réjouisse!
Je n'ai point pleuré durant ton absenee, je n'ai point affiché lee que glaive, son coeur éclate dans sa voix! car la main sur la poignée de
son elle sera doublement adorée. Deux fois la France a reçu
sombre aspect de la douleur;mais j'ai demandé à la foule des fem- leçon morale, chèrement achetée : elle sait maintenant que
l" une
mes ce queje ne pouvais trouver qu'en une seule (faut-il le la nom- son salut ne s'appuie pas sur un trône occupé par un Capet ou un
mer ?). C'est un effort que je devais aux tiens, à loi, aux hommes ^ Napoléon ; mais sur l'égalité des droits et des lois, sur l'union des
et à Dieu, de comprimer, d'étouffer une coupable ardeur avant lt coeurs et des bras dans la défense d'une grande cause... dans la dé-
qu'elle m'eût pousse dans le sentier du crime. fense de cette liberté que Dieu a répartie avec le soufflcdel'existence
Mais puisque mon coeur n'a pu s'épurer entièrement, puisque le e à tout qui vit sous le ciel, de cette liberté que le crime voudrait
vautour
.
ne cesse de le ronger, qu'au moins les tourments soient effacerce de la terre, en semant, comme le sable, d'une main con-
pour moi seuls et qu'ils ne puissent t'atteindre, ô loi, qui m'es si 'l. vulsive et prodigue la richesse des nations, et versant le sang comme
chère. O Clara, séparons-nous innocents, et je lâcherai, n'importe
* de l'eau dans un impérial océan de carnage.
comment, d'éviter le trait qui me menace : le crime ne doit pas at- '" Mais le coeur et l'intelligence, et la voix de l'humanité s'élèveront
teindre une créature telle que toi. de concert et qui peut résister à celte glorieuse alliance? 11 est
C'est une tâche dans laquelle tu dois m'aider, noble exercice de .le
passé le temps où l'épée subjuguait. L'homme peut mourir...l'âme
ton pouvoir. Bannis-moi donc de ces lieux, c'est tout ce que je de- '~
mande; bannis-moi avant que le temps ait marqué une heure plus se renouvelle; même dans ce monde de soucis et de bassesse, la
ls liberté ne manquera jamais d'héritiers : des millions d'hommes no
coupable; avant que la coupe de colère, suspendue sur ma tête, y
(1) Byron a donné cette pièce et les trois suivantes comme traduites (lu
(t) On suppose que cette pièce fut adressée à lady Byron, peu de temps
ps français; mais on a tout lieu de croire que ce n'était qu'une ruse de
avant la fataleséparation. guerre et qu'elles sont originales.
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON, 2S3

respirent que pour s'approprier son éternel esprit. Quand elle as- contre
c les éléments!... l'aigle, donl le regard fut alors fasciné et
semblerade nouveau ses armées, forcés de croire en elle, les tyrans troublé,
t planerait encore l'oeil fixé snr le soleil de la victoire.
trembleront. Qu'ils rient de celte menace qui leur paraîtvaine I des Adieu, France ! mais si un jour la liberté revient visiter tes riva-
larmes de sang n'en couleront pas moins. t
ges, alors souviens-loi de moi... la violette croît encore au fond de
tes vallées : flétrie, tes pleurs peuvent la faire refleurir... alors, alors
— je
j pourrai braver les armées qui nous entoureront, et ton coeur
1pourra se réveiller et bondir à ma voix. Dans la chaîne qui nous
ADIEUX D'UN SOLDAT, Iretient captifs, il est des anneaux qui peuvent se rompre : quand ils
tomberont,
t tourne-loi vers moi et rappelle le chef que tu avais
Faut-il donc que tu parles, ô mon glorieux chef, séparé du petit choisi. (
nombre de ceux qui te sont restés fidèles? Qui dira la douleur du
guerrier et le délire d'un long adieu ? L'amour de la femme, le dé-
vouaient de l'amitié, quel qu'ait été sur moi leur empire, ne sont ODE A NAPOLÉON BONAPARTE (t).
rien auprès de ce que j'éprouve, auprès de la foi d'un soldat.
Idole des âmes militaires, sans rival dan S les batailles, lu ne fus C'en est fait!... Hier encore roi, armé pour combattreles rois....
jamais plus grand qu'aujourd'hui. Beaucoup ont pu gouverner le aujourd'hui i lu n'es plus qu'une chose sans nom : tant lu es bas
inonde, seul aucun revers ne t'a courbé. Longtemps à tes côtés, j'ai tombé... I et cependant tu vis! Est-ce donc là le possesseur de mille
affronté la mort et porté envie à ceux qui tombaient, quand leurs trônes, I celui qui couvrait la terre des ossements de ses ennemis; et
derniers cris bénissaient celui qu'ils suivaient si bien. comment
i peut-il ainsi se survivre à lui-même? Depuis cet ange re-
Que n'ai-je partagé leur froide tombe1 je ne verrais pas les lâches belle,1 vaine étoile du matin, nul homme, nul démon n'est tombé
terreurs de tes ennemis oser à peine laisser un seul homme auprès de i si haut.
de loi dans la crainte que cet homme ne brise tes fers! Oh! même Insensé! pourquoi te faire le fléau de tes semblables, qui fléchis-
sous la voûte d'un cachot, toutes les chaînes me seraient légères, jI saient ! si humblementle genou devant toi? Devenu aveugle à force
si j'y pouvais contempler ton âme indomptée. de te contempler toi-même, tu dessillas les yeux du reste des hommes.
Ce prétendu vainqueur, sourd à la prière de notre fidélité, si sa Armé d'une force incontestée capable encore de tout sauver
gloire d'emprunt venait à pâlir, s'il rentrait dans son obscurité na- une tombe est le seul présent que lu aiesfait à ceux qui t'adoraient;
tale, ses flatteurs actuels viendraient-ils la partager avec lui? Et et ta chute seule a pu apprendre aux hommes combien l'ambition
s'il possédait maintenant cet empire du monde que tu abdiques avec cache de petitesse.
tant de sérénité, achèterait-il avec ce trône des coeurs comme ceux Merci de celte leçon 1... elle en apprendra plus aux guerriers à
que tu possèdes encore? venir que toutes les prédicationspassées ou futures d'une superbe
O mon chef, mon roi, mon ami, adieu! Jamais je n'avais fléchi philosophie. Il est rompu sans retour le charme qui fascinait l'es-
le genou ; jamais je n'avais supplié mon souverain comme je sup- prit des hommes et leur faisait adorer ces idoles dont le sceptre est
plie aujourd'hui ses ennemis: tout cc queje demande, c'est de par- un sabre, idoles au front d'airain et aux pieds d'argile.
lager ses périls à venir, et de rester à ses côtés dans la chute, l'exil L'orgueil du triomphe, les joies de la bataille, la voix de la vic-
cl la tombe. toire, cette voix qui fait trembler la terre et qui était le souffle de la
vie ; i'épéo, le sceptre, cette dominationsous laquelle pliaient tous les
hommes atteints du prestige de ta renommée... tout cela est brisé 1
A L'ÉTOILE DE LA LÉGION-D'HONNEUR. Ténébreux génie I quel tourment pour toi que la mémoire !
Le désolateur désolé! le vainqueurvaincul l'arbitre du destindes
Etoile des braves, dont les rayons ont versé tant de gloire sur les peuples suppliant pour lui-même! Est-ce un reste de tes espérances
vivants el les morts... prestige radieux et adoré , que saluaient des impériales qui te tait supporter avec calme un tel changement, ou
millions d'hommes en courant aux armes... éclatant météore d'o- serait-ce la seule crainte de la mort? Mourir souverain... ou vivre
rigine immortelle, pourquoil'élever dans les cieux, pour t'éleindrc esclave... ton choix montre un ignoble courage I
sur la terre ? L'athlète qui jadis voulut fendre un chêne de ses mains ne son-
Les âmes des héros immolés formaient les rayons ; l'éternité res- geait pas à l'élasticité de l'arbre! Enchaîné au tronc fatal... seul
plendissait dans ton auréole ; au ciel la gloire, l'honneur ici - bas dans la forêt... quel regard désespéré ne dut-il pas jeter autour de
composaient l'harmonie de ta sphère martiale, et ta lumière brillait lui? Dans l'enivrement de ta puissance, tu as agi comme Milon, cl
aux regards humains comme un volcan dans les cieux. ton sort a été encore plus funeste : il mourut dévoré par les bêles
Un fleuve de sang roulait comme la vague, et ses flots balayaient féroces, et toi tu dévoreras ton propre coeur.
les empires : pendant que tu répandais tes clartés à travers l'es- Rassasié du sang de Borne, Sylla jeta son poignard, et, plein de sa
pace , au-dessous de loi la terre tremblait sur sa base, et le soleil, sauvage grandeur, osa rentrer dans ses foyers domestiques. Il l'osa,
pi'ilc et découronné, t'abandonnait l'empire des cieux. inspiré par son profondmépris pour les hommes qui avaient souffert
Un arc-en-cielt'avait précédé et avait grandi avec toi, étalant les un tel joug et qui lui laissaient un tel sort. L'heurela plus glorieuse
trois brillantes et divines couleurs qui ornent ce signe céleste : la de sa vie fut celle où il abdiqua une puissance que lui seul avait
main de la liberté les avait nuancées comme les reflets d'une perle fondée.
immortelle. Le monarque espagnol, quand le pouvoir eut perdu pour lui son
Une teinte élail empruntée aux rayons brûlants du soleil, une ivresse et son charme, échangea sa couronne contre des chapelets, un
autre à l'azur foncé des yeux d'un séraphin, la troisième au voile empire contre une cellule ; exact à compterles grains de son rosaire,
Liane et radieux d'un pur esprit. Les trois couleurs réuniesétaient subtil dans les disputes théologiques, il tomba dans le plus trivial
comme le tissu d'un eélesle rêve. radotage : mieux eût valu pour lui n'avoir jamais connu ni les
Etoile des braves, tes rayons pâlissent, et les ténèbres vont de reliques des moines, ni le trône du despote.
nouveau prévaloir. Mais, ô arc-en-ciel des hommes libres, nos lar- Mais toi, c'est forcément que la foudre est arrachée de ta main...
mes et notre sang couleront pour toi. Si ta brillante promesse s'é- Tu le quittas trop tard, ce pouvoir souverain auquel s'attachait ta
vanouit, notre vie n'est plus alors qu'un fardeau d'argile. faiblesse : tout mauvais génie que lu es, le coeur se sent saisi de pitié
Alors les pas de la Liberté sanctifient les silencieusesdemeures en voyant le tien se laisser abattre de la sorte, en songeant que le
des morts ; car ils sonl beaux dans le trépas ceux qui tombentfière- monde, cette oeuvre admirable de Dieu, a servi de marchepied à un
ment dans ses rangs; etbienlôt, ô Déesse! puissions-nousêtre pour être aussi faible I
jamais avec eux et avec toi ! Et la terre a prodigué son sang pour un homme aussi avare du
sien! Et les monarques, courbant devantlui un genou tremblant
lui ont rendu grâce de leur avoir conservé leur trône. O liberté ,!
ADIEUX DE NAPOLÉON. nous devonscomprendrece que tu vaux quand nous voyons tes plus
puissants ennemis se montrer aussi débilestOhl puissent les tyrans
Adieu au pays qui vit le funèbre éclat de ma gloire se lever et ne laisser jamais après eux un nom plus brillant et capabled'égarer
répandre son nom sur la terre, comme un vaste ombrage ! Ce pays l'humanité.
m'abandonne maintenant ; mais les pages de son histoire les plus Tes actes funestes sont écrits en caractères de sang, et ce n'est
,
brillantes comme les plus sombres, seront pleines de ma renommée.
J'ai fait la guerre au monde; et s'il m'a vaincu, c'est que le météore (l) En janvier 18U, lors de la publication du Corsaire,Byron avait dé-
fies conquêtes m'avait entraîné trop loin. J'ai lutté contre les na- claré que son intentionpositive était de quitter pour longtemps la poésie,
tions qui, dans ma solitude, me redoutent encore, unique et dernier et le 9 avril au matin il écrivait encore : a Plus de vers désormais; j'ai
captif entre des millions de guerriers. donné ma démission; je ne veux plus danser sur les planches. » Le soir,
Adieu, France! quand ton diadème eut ceint mon front, je te fisl un supplément à la Gazette officielle annonça l'abdication de Fontaine-
;a merveille et la perle de la terre... mais ta faiblesse ordonne que[
bleau, et le poète rompit son voeu le lendemain matin en composant cette
ode qui fut aussitôt publiée, mais sans son nom. On lit sur ses tablettes :
le te laisse comme je t'ai trouvée, déshéritée de ta gloire et déchue 10 avril, Boxé une heure. — Ecrit une ode à N. B. — Becopié cette ode.
lJe la vertu. Oh ! que n'ai-je encore ces vétérans qui, vainqueurs • «
1 Mangé six biscuits et bu quatre bouteilles d'eau de Seltz. — Perdu le
('«ns toules mes batailles, sont tombés sans fruit dans une lutte! — reste de la journée.»
âSG LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

point en vain qu'ils sonl écrits de la sorte... Tes triomphes nous rap- Cependant, ne t'abuse pas, l'amour peut s'affaisser par nn lent
pellent une gloire qui n'est plus et en font ressortir les taches. Si tu déclin
i ; mais des coeurs ne peuvent pas aussi brusquement s'arra-
étais mort en homme de coeur, un nouveau Napoléon pourrait sur- cher
' l'un à l'autre.
gir encore pour la honte de l'humanité... mais qui voudrait s'élever La vie anime encore le lien... Quoique saignant, le mien bal en-
a la hauteur du soleil pour s'abaisser ainsi dans une nuit sans core; et l'éternelle pensée qui le lorlure, c'est que jamais nous ne
étoiles, pourrons nous revoir.
Pesez la cendre du héros:elle est légère comme la communear- Il y a plus de douleurs dans ces paroles que dans les larmes ver-
gile : les bassins de ta balance, ô mort, mesurent équitablcmcnt sées sur les morts. Tous deux nous vivrons, mais chaque malin
loul ce qui a passé sur la lerre; et pouiiaut, il semble qu'une plus ' nous réveillera sur une couche veuve.
noble étincelle devraitanimer ces vivantes grandeurs qui éblouissent Et quand lu chercheras des consolations autour de loi, quand
cl frappent d'épouvante; il semble que le mépris ne devrait pas se les premiers accents s'échapperont de la bouche de noire fille, lui
jouer ainsi d'eux, ces conquérants de la terre. apprendras-tu à dire : <« Mon père ! » alors que la protection d'un
Où donc csl-elle, cette pâle fleur del'orgueilleuseAutriche, celle père lui est ôtêc?
qui est encore ton impériale épouse? Comment son coeur a-t-il sup- Quand ses petitesmains te presseront, quand ses lèvres touche-
porté celle douloureuse épreuve? Est-elle toujoursà les côtés? Doit- ront les tiennes, pense à celui dont la prière te bénira; pense à ce-
elle aussi courber le front, doit-elle partager le tardif repentir, le lui que ton amour eût comblé.
long désespoir de l'homicide détrôné? Oh! si elle t'aime encore, Si les traits de l'enfant ressemblentà mes traits, que tu ne rever-
garde précieusementce joyau : il vaut à lui seul Ion diadème dis- ras plus, alors lu sentiras doucement trembler ton coeur, cl ses
paru. battements seront encore pour moi.
Hâle-loi de gagner Ion île sombre, et de là contemplela mer : Tu connais peul-êlrc lous mes torts ; loul mon délire, nul ne le
cet élément peut braver ton sourire... il n'a jamais subi ton joug ; peut connaître : quoique flétries, loules mes espérances seront par-
ou bien, parcours lentement le rivage où ta main oisive écrira sur le tout avec loi.
sable que la terre aussi esl enfin libre el que le pédagogue de Co- Chacun de mes sentiments a été troublé : ma fierté, que le monde
rinthe t'a transmis sa destinée entier n'eûl point fait plier, s'abaisse devant toi; mon Ame elle-
Nouveau Timour! enfermédans la cage de son captif (1), quelles même, abandonnée par toi, m'abandonne.
pensées vont occupersa rage dans cette étroite prison?... Une seule: Mais c'en esl fail... toute parole est inutile, et surtout de nia
« Le monde fut à moi ! » A moins que comme le monarque de Ba- pari; mais ifbus ne pouvons brider la pensée, elle s'échappe malgré
bylone il n'ait perdu la raison en même temps que le sceptre, la nous.
vie terrestre ne pourra retenir longtemps cet esprit dont le vol s'é- Adieu 1 ainsi séparé de loi, ayant vu briser mes liens les plus
tendit si loin... si longtemps obéi... si peu digne de l'être! chers, brûlé au coeur, solitaire et flétri, à peine pourrai-jc mourir
Ou pareil à celui qui déroba le feu céleste (2), sauras-tu affronter davantage.
ton destin, et, impardonné comme lui, partager son vautour et son
roc! l'uni par la justice divine, maudit par l'homme, tu dernière ac-
tion, quoiqu'elle ne soit pus la plus coupable de ta vie, excite la ESQUISSE (I).
raillerie de Satan : dans sa chute, le ténébreux archange garde du
moins son orgueil, el, s'il eûtélé mortel, il aurait su mourir. Née au grcnier,élevéeà la cuisine,ensuitepromue en grade etappe-
11 fut un jour... il fut une heure, où la lerre appartenaità la France
lée à orner la tête de sa maîtresse, puis (pour quelque service ano-
cl la France à loi... où l'abdication de cet immense pouvoir, abdica- nyme et indiqué seulement par le salaire)... élevée de la toilette à la
tion volontaire el non dictée par la satiété, t'eûl conféré une gloire table de ses maîtres, où, derrière sa chaise, des gens qui valent mieux
plus pure que celle qui s'attache au nom de Mareugo, el eût cou- qu'elle s'étonnent deelle la servir : d'un oeil impassible,d'un front qui
ronné ton déclin d'un radieux éclat dans le long crépuscule des ne sait pasprêle rougir, dîne dans l'assiette qu'autrefois elle lavait.
âges, malgré quelques nuages de crime. Toujours h conter une histoire ou à faire un mensonge, con-
Riais non ! il faut que tu sois roi el que lu revêles la pourpre, comme fidente née, espion universel... et qui pourrait,
grand Dieu! deviner
si ce puéril accoutrementpouvait dans Ion coeur étouffer le souvenir! toutes ses fondions?... première gouvernante d'une fille unique,
Où sonl ces oripeaux maintenant fanés? où sonl les vains colifichets elle sut montrer à lire à l'enfant, et le sut si bien que, par la même
occasion, elle apprit elle-même à épeler. Bientôt elle fil de grands
que. lu aimais tant à porter : l'étoile, le cordon, le cimier? Enfant progrès dans l'écriture, comme l'atteste mainle calomnie anonyme
gâté de l'empire! dis-moi, tous tes jouets le sont ils enlevés?
Quand l'oeil contemple les grands de la lerre, en est-il un seul fort proprement tracée. Ce que ses artifices eussent fait enfin de sa
pupille, personne ne saurait le dire... heureusement, le coeur se
sur lequel il se puisse reposer,qui, ncbrillepasd'unccoupable gloire, trouva sauvé par une âme hante, par une âme dont la droiture ne
el ne soit pas un digne objet de mépris? Oui, il en esl un... le pre- pouvait être égarée, et qui cherchait haletantela vérité qu'on ne lui
mier, le dernier. ... le plus grand de lous, le Cincinnalusdc l'Occi- fut déjouée dans ses calculs par cette in-
dent, ce Washington, que l'envie n'osa jamais attaquer, mais dont offrait pas. La corruption qui hébéter par la flatterie, aveu-
elle légua le nom à l'humanité pour la faire rougir de ce qu'elle n'a- telligencelanaïve, ne se laissa pas
vait jamais enfanté son pareil. gler par bassesse, infecter par mensonge, souiller par la con-
le
tagion énerver par la faiblesse, ni gâter par l'exemple. Maîtresse
,
de la science, la jeune fille ne fut point tentée de regarder en pitié
de plus humbles talents; l'esprit ne lui inspira point d'orgueil, la
beauté ne la rendit pas vaine, la fortune ne put la changer, l'ambi-
tion l'exalter, la passion la vaincre, ni la vertu l'armer d'austérité...
POESIES INTIMES. du moins jusqu'à ce jour Dans sa noble sérénité, lapins pure de
son sexe, il ne lui manque qu'une douce faiblesse, celle de pardon-
ner : trop vivement irritée contre des fautes que son âme ne doit
jamais connaître, elle croit qu'ici-bas tout le monde peut lui res-
miBB» sembler. Ennemie de tous les vices, elle n'est cependant pas toul-
à-fait l'amie de la vertu ; car la vertu pardonne à ceux qu'elle vou-
L'ADIEU. — A LADY BTRON (17 mars 1816). drait corriger.
Mais revenonsau sujet... je me suis trop écarté^ du, funeste thème
Adieu! si ce doit être pour toujours, eh bien! pour toujours, de ce chant véridique. Quoique toutes ses fonctions premières aient
adieu ! Quand lu serais inexorable,jamais ce coeur ne se révoltera cessé, elle gouverne maintenant le cercle qu'elle servaitguère. Si les
contre toi. mères, on ne sait pourquoi, tremblent devant elle ; si les filles la re-
Que n'ésl-il nu devant loi, cc coeur où si souvent reposa ta tête, doutent dans l'intérêt de leurs mères ; si d'anciennes habitudes, ces
alors que descendait sur toi ce paisible sommeil que lu ne connaî- liens mensongers qui enchaînent parfois les esprits les plus élevés
tras plus désormais ! aux plus vils... si toules ces choses ont pu lui conférer le pouvoir
Que rie peut-il dévoiler ses plus intimes pensées, ce coeur, ouvert; d'infiltrer'trop profondémentl'essence empoisonnée de ses ressen-
à tes regards ! lu avouerais alors qu'il n'était pas bien de le dédai- timents mortels; si, comme un serpent, elle se glisse dans voire
gner ainsi. demeure jusqu'à ce que les traces d'une bave impure dévoilent sa
Si le monde t'approuve en cela, s'il sourit aux coups que tu mes marche rampante; si, comme une vipère, elle s'enlace à un coeur
portes, c'est une offense pour toi que ces louanges fondées sur lesi sans tache, pour y laisser son venin : pourquoi s'étonner que celte
maux d'autrui. sorcière haineuse, toujours à la recherche des secrets moyens do
Bien des fautes ont gâté ma nature ; mais pour m'infliger unes nuire, travaille à faire des lieux qu'elle habite un pandéniouium,
blessure incurable, n'était-il point d'autre bras que celui qui mei un enfer domestique où, nouvelle Héeate, elle puisse régner? lia-
pressaitnaguère? bile à faire ressortir les nuances de la calomnie à l'aide du bien-
(1) Bajazot 1er,empereur des Turcs, fut enfermé dans une cage do fer,, (1) Byron a flétri dans ces vers l'influence subalterne qu'il accusaittéto
de
par ordre de Timour-Lenk ou Tamerlau, en 1403. lui avoir enlevé te coeur de sa femme Voyez la notice sur sa vie en
(2) l'roinéihée. de cc volume.
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON. âS7

cillant mensonge des demi-mots, en mêlant le vrai au faux, l'ironie tant


U d'autres découvraient dans ma conduite. Tu connaissais ma
u sourire, un fil de candeur dans une trame d'imposture, elle sait douleur, et pourtant lu n'hésitas pas à la partager, et l'affection que
d<
rendre un air de brusquerie affectée pour déguiser les plans de peignait
p mon âme, je ne l'ai jamais trouvée qu'en loi.
on âme endurcie, de son co;ur glacé. Elle a des lèvres menteuses, Quand la nature sourit autour de moi, dernier sourire qui ré-
n visage formé à la dissimulation, d'où Je sentimentesl exilé, el où pponde au mien, je ne puis croire qu'il me trompe, celui-là, parce
c peint la moquerie pour ceux qui sentent. Joignez à cela un mas- qu'il
q me rappelleton sourire! lit quand les vents sont en guerre avec
nc que désavouerait la Gorgone, une peau de parchemin et des l'Océan, comme le sont avec moi les coeurs en qui je croyais, si les
1'
eux de pierre. Voyez comme son sang jaunâtre monte à sa joue vagues
v me font éprouver une émotion, c'est parce qu'elles m'en-
iour s'y épaissir en boue stagnante; voyez-le remplir des canaux Iraîncnt loin de toi.
li
emblablesà la cuirasse orangée du mille-pieds, ou à la verte écaille Bien que j'aie vu se briser le rocher où s'appuyait mon dernier
lu scorpion... car nous ne pouvons trouver que chez les reptiles espoir,
e et que ses débris aient disparu dans les flots, bien que je
les couleurs qui conviennent à cette âme ou a ce visage... Voyez ssente que mon coeur est une proie livrée à la souffrance; il ne lui
es traits, miroir fidèle où son esprit se reflète. Yoilà son portrait : cédera
c pasen esclave. Si plus d'une douleur me poursuit, on pourra
ie croyez point qu'il soil chargé... pas un coup de pinceau qu'on m'écraser,
i: non me mépriser; me torturer et non me vraincre : cc
ie puisserenforcerencore 1 Ainsi la fit la nature, ou plutôt les gros- n'est
r point à mes ennemis que je pense, ce n'est qu'à toi.
iiers manoeuvres que la nature emploie quelquefois, et qui, après Mortelle, tu ne m'as pas trompé... femme, tu ne m'as pas aban-
lue leur maîtresse eut abandonné l'ouvrage, se mirent à créer ce donné;
i aimée, lu n'as point voulu me faire souffrir; calomniée, tu
nonslre... véritable canicule de cc petit ciel où, sous son influence, n'as
i point chancelé... estimée de tous, lu n'as point désavoué le
lout se flétrit el meurt. prosefit:
I si lu parlais, ce n'était point pour me fuir. Tu me surveil-
O misérable! qui n'as point de larmes... point de pensée, si ce lais,
1 mais non pour diffamer ma vie, et ce n'était point pour laisser
n'est de joie, en contemplant la ruine que lu as préparée... un ]parler l'imposture que lu te taisais, toi !
temps viendra, et ce temps n'esl pas loin, où lu ressentiras plus de Cependant, je n'ai ni blâme ni mépris pour le monde, pour celle
souffrances que tu n'en infliges maintenant ; où lu t'apiloieras en jguerre de lous contre un seul... Mon âme n'étail point l'aile pour
vain sur ton égoïste individu ; où tu le tordras, en hurlant de dou- 1l'apprécier, et
ce fui folie à moi de nc pas m'en éloigner plus lôt_ :
leur, sans avoir personne pour le plaindre. Puisse l'énergique ma- s celte erreur m'a coûté cher, plus cher que je ne pouvais le pré-
si
léiliction des affections brisées retomber sur Ion coeur, cl la foudre voir, du moins, malgré toul ce qu'elle m'a fail perdre, elle n'a pu
allumée par tes mains le consumer lout entier ! Puisse'la lèpre de me
i priver de toi.
Ion âme te rendre aussi infecte à toi-même qu'au genre humain . a péri mon passé, j'ai pu tirer une leçon j'ai
De ce naufrage où :
jusqu'à ce que ton égoïsme se replie sur toi en haine noire, telle, appris
i que ce qui m'étail le plus cher méritait le plus d'être aimé.
que lu la créerais pour autrui ; jusqu'à ce que ton coeur de rocher Il
] est pour moi une
source jaillissante au désert; un arbre reste en-
se calcine el devienne cendre, el que Ion âme se vautre dans les hi- core
i dans mon domaine inculte; un oiseau chante dans ma solitude,
deux débris de son enveloppe. Oh I puisse la tombe être sans som- et son chant me parle de toi.
meil, comme la couche... cette couche veuve et brûlanle que tu as
dressée pour nous. Alors, quand tu voudras fatiguer le ciel de tes
prières, regarde les victimes terrestres, el désespère ! désespère jus- ÉPÎTWÎ A AUGUSTA.
que dans la mort!... El lorsque tu pourriras, les vers même du tom-
beau périront sur Ion argile venimeuse. Sans l'amour que j'ai porté, Ma soeur, ma bien-aimée soeur (s'il est un nom plus cher et plus
et que je dois porter encore à celle dont la perversité voulut briser pur, ce nom devrait être le tien) 1 des montagnes et des mers nous
tous les liens... ton nom... ton nom parmi les hommes serait ntlaché
séparent; mais ce nesont pas des pleurs que je demandé : il me faut
nar moi, devant lous, au pilori de la honte; là, exaltée au-dessus do une tendresse qui réponde à la mienne. Quelque lieu que j'habite,
les pareilles, inoins abhorrées que loi, lu pourrirais dans une éter- pour moi lu es toujours la même: il reste deux buts à ma destinée,
nelle infamie. un monde à parcourir, un foyer à revoir avec toi.
L'un est peu de chose... le dernier, si je l'avais, serait mon port
de félicité; mais lu as d'autres devoirs, d'autres liens queje ne vou-
A MA SOEUn AUGUSTA.
drais point affaiblir. Un sort étrange esl échu au fils de ton père,
sort irrévocable et dont rien ne peut adoucir la rigueur. Le destin
Autour de moi tout était lugubre et sombre:, la raison voilait à de notre aïeul (1) se trouve renversé pour moi : il n'eut point de
ileini sa lueur; l'espérance laissait percera peine une mourante repos sur l'Océan, je n'en ai point sur le rivage.
étincelle, qui m'égarail de plus en plus dans ma roule solitaire. Si j'ai recueilli sur un autre élément mon héritage de tempêtes ;
C'était une nuit profonde de l'esprit, celle lutte intérieure de si, parmi des écueils périlleux que je n'avais pu prévoir, j'ai sou-
l'âme où, craignant d'être accusés de trop de bienveillance, les fai- tenu ma part de chocs et de désastres, la faille en fut à moi. Je
llies désespèrent cl lesvcoeurs froids s'éloignent. n'essaierai pas d'abriter mes erreurs derrière le sophistique para-
Ma fortune avait changé: l'amour s'élail envolé et les traits de la doxe: j'ai moi-même été l'adroit complice de ma chute et le pilota
liiiine pleinaient serrés cl rapides... Alors tu fus l'étoile solitaire zélé de mon propre naufrage.
i|ui se leva pour moi et nc cessa plus de m'éclaircr. A moi la faute, a moi le châtiment. Toute ma vie n'a élé qu'une
O bénie soit ta constante lumière, qui veilla sur moi comme le lutte, depuis le jour qui, en me donnant l'être, m'a donné en même
regard d'un séraphin, et qui, s'inlerposant entre moi et la nuit, con- temps ce qui devait empoisonnerce présent... une destinée ou une
tinua de luire doucement sur ma tête. ,
volonté, qui tendait à m'égarer. Et parfois, le combat m'a semblé trop
Kl quand vint le nuage qui tenta d'obscurcir les rayons, doux rude, et la pensée m'est venue de briser mes liens d'argile; mais
iislre! tu redoublas l'éclat de ta pure flamme et chassas bien loin aujourd'hui je me résigne à vivre encore, nc fût-ce que pour voir co
les ténèbres. qui peut arriver.
Que ton génie plane toujours sur le mien, lui apprenne à résister J'ai survécu à des royaumes et à des empires, et pourtant je ne
cl à souffrir. Il y a plus de puissance dans
une seule de tes douces- suis pas vieux; et quand je songe à tout cela, je vois se dissoudre
pui-olcs que dans le blâme de loul un monde. la chétive écume de mes propres tempêtes, de ces années orageuses
Tu fus pour moi comme un arbre chéri que les vents courbentl agitées comme les vagues sauvages d'une baie exposée aux vents :
MUS le briser, et qui, fidèle clans ses affections, balance son feuil- quelque chose alors je ne sais quoi... m'inspire un esprit de rési-
lage sur une tombe. gnation. La douleur..ne s'acquiertjamais inutilement, ne fût-ce que
Les autans peuventmugir, les cieux épancher leurs torrents, on
i pour en sonder la nature.
l'a vue, on le verra encore, inébranlable
au milieu de l'orage, m'a- Peut-être au-dçdans de moi surgit un sentiment de fierté blessée,
liiiter de feuilles qui pleurent. ou ce froid désespoir qu'enfante l'habitude du malheur... peut-êlre
Mais, toi et les liens, vous ne vous flétrirez point, quel que soitt aussi (comme les mouvements de l'âme dépendent quelquefois de
le destin qui cette cause, et commesous une armure plus légère on peut suppor-
me tombe en partage ; car le ciel récompensera par,.
un beau soleil les coeurs bienveillants, elle lien par-dessus lous. ter davantage), peut-être, dis-je, un ciel plus clément, un air plus
Qu'ils se brisent donc, tous les liens de l'amour déçu... les tiens
s pur, m'ont-ils donné un calme étrange, qui n'appartiendrait pas
ne se briseront jamais ; ton coeur est aussi constantque sensible, ell même à uue destinée plus paisible.
ton âme, quoique douce, reste inébranlable. Parfois, je sens presque comme j'ai senti dans mon heureuse
Telle je te trouvai quand tout parut fixé pour moi, et telle je te \ enfance : les arbres, les fleurs, les ruisseaux des lieux que j'habi-
jrouve encore; et puisque je rencontre e
encore une amitié pareille,' tais, avant que ma jeune âme eût élé sacrifiée aux livres, m'appa-
«t terre ne peut être un désert, même pour moi. raissenl comme autrefois; cc sonl des amis quemon coeur reconnaît
en s'attendrissanl, el même par moments il me semble entrevoir
quelque objet vivant que je pourrais aimer... mais nul comme toi.
Ici les paysages des Alpes fournissent un alimenta la contempla-
A LA MÊME.
En vain il s'est couché le soleil de mes jours, en vain l'étoile de it) L'amiral Byron no fitjamais un voyage qui no fût contrario par les
'«on sort a pâli, ton coeur indulgent a refusé de voir les loris c éléments; aussi les matelots t'avaient-ils surnommé « Jack-Tempcte.»
quee Voyez Vllistoire des Voyages publiée par l'éditeur des Veillées littéraires,
S88 LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

lion... Si l'on se contente d'admirer, c'est un sentiment qui s'épuise toi, en restant implacable, qu'avais-tu à craindre... protégée par ta
toi
bientôt ; mais ces tableaux inspirent quelque chose de plus élevé, faiblesse et par mon amour, qui ne t'a fait que trop de concessions
fail
Etre seul ici, ce n'est point èlre malheureux, car j'y vois les objets et qui, en considération de toi, épargna longtemps ceux qui ne
qui nie plaisent le plus ; et surtout je puis contemplerun lac plus mi
méritaient pas d'être épargnés?... Ainsi, ma ridicule indulgence, la
charmant encore, mais non plus cher que notre lac d'autrefois. créance
cri que. t'accordait le"monde, la folle renommée de ma jeu-
Oh! si seulement tu élais avec moi!... mais je suis dupe de mes nesse orageuse... des choses qui n'élaient pas et d'autres choses qui
ne
propres désirs, et j'oublie que la solitude tant vantée lout à l'heure soi réellement... voilà les bases sur lesquelles tu as fondé un mo-
sont
perd tout son prix par ce regret unique. Peut-être en est-il d'autres nument cimenlé par le crime. Clytemncstre morale de Ion époux,
nu
que je ne montre point... je ne suis point de ceux qui aiment à se tu as immolé, d'un glaive dont je ne me défiais pas, réputation^
plaindre, et néanmoins je sens le reflux du coeur qui l'emporte pa , espérance et jusqu'à celle vie meilleure, qui, sans ta froide
paix
sur ma philosophie, et qui fait monter les larmes jusqu'à mes yeux trahison
in ,
eût pu resurgir encore du tombeau de nos dissentiments
émus. et trouver un plus noble devoir que celui de nous séparer. Mais tu
Je t'ai rappelé notre lac tant aimé, voisin du vieux manoir qui as fail un vice de les vertus, tu en as froidement trafiqué en vue de
peut-être cessera de m'appartenir. Le Léman est bien beau, mais ta colère présente et de l'or qui luisait dans l'avenir... et tu as
ne crois pas que je perde le doux souvenird'un rivage plus cher. 11 acheté
ac à lout prix la sympathied'aulrui. Ainsi entrée dans des voies
faudra que le tempsait cruellement dévasté ma mémoire avant que, to
tortueuses, celte sincérité, orgueil de ta jeunesse, cessa d'être la
lui ou toi, je cesse de vous voir comme présents à mes yeux. Et compagne ; cl parfois, avec un coeur ignorant de ses proprescrimes:
cc
néanmoins, comme tout ce que j'ai aimé, ces objets sont loin de l'imposture,
l'i les assertions inconciliables, l'équivoque, les pensées
moi, ou je leur ai dit un éternel adieu. familières aux esprits à double face, le coup d'oeil adroit qui saii
fa
Le monde entier se déroule devant moi : ce que je demande à la mentir
m en silence, les prétextes tirés de la prudence et de ses avan-
nature, elle ne peut me le refuser; je ne veux que me réchauffer tages,
la l'acquiescement à tout ce qui, de manière ou d'aulre, con-
au soleil de son été, participer au calme de son ciel, voir sans mas- duit
di au terme désiré... lout fut admis par la philosophie. Les moyens
que son doux visage, et ne jamais le contempler d'un oeil apathique, étaient
et dignes du but : et le but est atteint. Je n'aurais jamais fait
Elle fut ma première amie, et maintenant elle sera ma soeur... jus- envers
ei toi ce que tu m'as fait.
qu'à ce que je te revoie.
Je puis étouffer tous mes sentiments, sauf celui-ci, que je ne
voudrais pas éteindre en moi... car je contemple enfin des sites pa- A MON OHEILLEU (1).
reils à ceux parmi lesquels commença nia vie, les premières scènes Solitaire oreiller, ô mon oreiller solitaire ! où donc est mon
de mon existence, les seules qui me'conviennent. Ah ! si de bonne
heure j'avais appris à fuir la foule, j'eusse été meilleur que je nc amant? * mon amant, où donc est-il ? N'est-ce pas sabnvquc que j'a-
suis à présent : les passions qui m'ont déchiré seraient restées en- perçois milieu de mes tristes rêves, là-bas, tout là-bas, seule
errante au
|j.
sur les flots.
dormics : je n'aurais pas souffert, et toi, tu n'aurais pas pleuré. •
Je n'avais rien à démêler avec une fausse ambition ; peu avec l'a- tète Solitaireoreiller, ô mon oreiller solitaireI pourquoi faut-il que nia
souffrante seule où a reposé son beau front ? Comme la
mour, cl bien moins encore avec la gloire; et cependant ces trois .,j(longue nuit se repose traîne lentement sans amour! Ma tôle s'incline sur
penchants sont venus à moi sans que je les eusse cherchés : ils ont toi
grandi en moi, el ils ont fail de moi tout ce qu'il est en leur pou- , Solitaire comme le saule des tombeaux.
voir de faire... un nom. Pourtant ce n'était pas là cc que je cher- oreiller, oreiller triste et solitaire ! en retour des pleurs
chais. Mais toul esl fini je suis une unité de plus à joindre aux que je répands sur toi dans mes veilles, donne-moide tendres rêves
millions de dupes qui ont vécu avant moi.
-
pour empêcher mon coeur de se briser. Oh ! que je ne meure pas
Quant à l'avenir, celui du monde me tourmente peu ; je me suis ' Alors,
survécu'plus
. d'un jour à moi-même, ayant survécu a tant de choses I "
I.•
avant de l'avoir vu revenir au rivage.
ô mon oreiller, lu ne seras plus solitaire: ces bras le pres-
du passé : mes années n'ont point été un sommeil; elles ont élé la I seront encore sur mon coeur, puis, si lu le veux, j'expirerai de joie.
proie de veilles incessantes; les accidents de ma vie auraient pu oreiller Mais
, que je puisse le revoir, que mon âme nc soit plus seule, ô mon
remplir un quart de siècle, avant que j'eusse vu s'écouler le quart solitaire !
de celte durée.
Ce qui me reste encore à vivre, je m'y résigne volontiers, et je nc LA TRENTE-SIXIÈME ANNÉE.
suis même pas sans reconnaissance pour le passé... car au milieu
de mes innombrablesagitations, il s'est glissé parfois des moments Missolonghi, îî janvier 1824 (3).
de bonheur : pour le présent enfin, je ne veux pas étouffer davan-
11 est temps que ce coeur cesse de s'émouvoir, puisqu'il a cessé
tage mes sentiments... Et avec tout cela je ne cacherai pas queje
,
puis encore, en jetant les yeux autour de moi, adorer la nature de toucher les autres ; et pourtant, quoique ne pouvant plus èlre
d'un coeur reconnaissant. aimé, je veux aimer encore.
Pour toi, ma soeur unique et bien-aimée, je sais que je puis Mes jours sont un feuillage jauni ; les fleurs et les fruits de l'a-
compter sur ton coeur, comme toi sur le mien : toi et moi, nous,' mour ont disparu : la douleur seule, ver rongeur, cancer dévorant,
avons été et sommes encore des êtres qui ne peuvent renoncer l'un estLeresiée feu
avec moi.
qui dévore mon sein esl solitaire comme une île volca-
à l'autre. Réunis ou séparés, peu importe, depuis le commence-
ment de la vie jusqu'à son long déclin nous sommes enlacés... nique. C'est un bûcher funéraire où nul flambeau nc vient cm-
vienne la mort lente ou rapide, notre premier , lien durera encorej prunter sa clarté.
le dernier. L'espoir, la crainte, les soucis jaloux , l'enthousiaste douleur et
l'enthousiaste puissance que nous donne l'amour, rien de tout cela
n'est plus mon partage : il ne me reste que sa chaîne.
Mais ce n'est pas ici et maintenant, que de telles pensées doivent
SUR LA MALADIE DE LADY uvnoN (septembre 1816).
toucher mon âme, quand la gloire s'apprête à fermer le cercueil
Tu as été triste... et je n'étais pas avec toi ! Tu as été malade, etje du héros ou à couronner son front.
n'élais pas là! Pourtant, je croyais que la sanlé el la joie seules pou-l" Epées, drapeaux, champs de bataille, et la gloire el la Grèce,
vaient être où je ne suis pas... et ici la souffrance el le chagrin ! En11 voilà ce qui s'offre autour de moi ! Le Spartiate rapporté sur son
est-il donc ainsi ?... lien est comme je l'avais prédit, et l'avenir sera bouclier n'était pas plus libre que je ne dois l'être.
pire encore; car l'âme se replie sur elle môme, et le coeur, après son11 8 Eveille-toi... ce n'est point à la Grèce que je parle, car elle no
naufrage, reste glacé, rassemblantlaborieusement ses débris épars.5" dort plus... éveille-toi, ô mon âme: je dois me rappeler d'où vient
Ce n'est pas dans la tempête ou dans la lutte que nous nous sentons ce sang que lu animes et frapper en songeant à mes pères.
écrasés et que nous souhaitons de ne plus l'être ; c'est sur le rivage, Foule aux pieds ces passions qui revivent en toi, ô faible liuma-
,
J> nité! Désormais que te fait la beauté? que l'importent ses sourires
où règne maintenant le silence, et quand tout est perdu sauf une
vie insignifianteet courte.
10
ou ses dédains?
Je suis trop bien vengé 1... mais c'était mon droit : quelles que Si tu regrettes la jeunesse, pourquoi vivre davantage? c'est ici
fussent mes fautes, tu n'étais pas envoyée comme une Némésisavec Ie le digne théâtre d'une mort honorable... Au combat donc, et sache
îc mourir à propos!
la mission de me punir... le ciel ne pouvait avoir fait choix d'un in I
instrument si rapproché de mon coeur. Miséricorde est accordée aux Va chercher... ce que l'on trouve plus souvent encore qu'on ne
miséricordieux !... si tu as été charitable, charité te sera faite au- IX j le cherche;
1 va chercher le tombeau d'un soldat, le seul qui le con-
1." 1 vienne. Regarde autour de loi, choisis la place, et repose.
jourd'hui. Tes nuils ne sont plus le domaine du sommeil... Oui,
certains peuvent te flatter, mais tu sentiras une intime agonie qui ul (1) Lord Byron écrivit ces stances un peu iva U son départ pour la
ne peut guérir, car tu as pour oreiller une malédiction trop pro- °~ Grèce. Elles devaient èlre chantées sur l'air iudou Alla malla punca, q"0
fonde. Tu as semé dans ma douleur, cl lu as à recueillir une amère rc la comtesse Guiccioli aimait beaucoup.
moisson de maux aussi réels que les miens. J'ai eu bien des enne- e- (2) Trois mois environ avant la moH de l'autour, qui eut 1Ku _ t"
mis, mais aucun comme toi ; car envers les autres je puis me dé- é- 19 avril suivant.
fendre el me venger, ou je puis changer leurhaine en amilié ; mais liS FIN DlïS POÉSIES.
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD RYRON. £8»

au nom des droits d'un être qui ne meurt pas... ieve/.-vous! parais-
sez... paraissez!
MANFRED Ah! ah! pas encore! Eh bien doue! Esprits de la terre et de l'air,
vous ne m'éluderez pas ainsi. Par une puissance plus grande que
toutes celles que j'ai déjà nommées, par ce charme irrésistible qui
POÈME DRAMATIQUE EN TROIS ACTES. a pris naissance dans une étoile condamnée, débris brûlant d'un
monde détruit, enfer errant dans l'éternel espace; par la terrible
malédiction qui pèse sur mon âme, par la pensée qui est en moi et
-•••" autour de moi, je vous sommede m'obéir : paraissez! (On voit bril-
PERSONNAGES. ler mie étoile à l'extrémité la plus sombre de la galerie ; elle
reste immobile, et l'on entendchanter.)
JANFRED. — ON CHASSEUR DE CHAMOIS. — L'ABBÉ DE SA1NT-MAU- PREMIER GÉNIE.—Mortel! à la voix j'ai quille mon palais élevé
BICE. — MANUEL. — HERMANN. — LA FÉE DÉS ALPES. — Auni- dans les nuages, que le crépuscule a bâti de son souffle, et que le
MANE. NÉMESIS. couchantu elecolored u-
LES DESTINÉES. —GÉ- ne teinte de pourpre et
NIES, etc. d'azurbroyéetouie-xprès.
Capable encore de résister
La scène est dans les llau- à tes ordres,je suisaccou-
es-Alpes : partie au château
leManfrcii, partie dans les ru néanmoins, porté sur
nontagnes. le rayon d'une étoile ; j'ai
obéi à tes conjurations.
Mortel,fais-moiconnaître
tes volontés !
%CTE PREMIKR. SECOND GÉNIE. — Le
mont Blanc est le roi des
SCÈNE PREMIÈRE. montagnes ; elles l'ont
Une galerie gothique. — couronné ily a longtemps
Minuit. sur un trône de rochers,
avec un manteau de nua-
MANFRED, SCld. ges et un diadème de nei-
Il faut remplir ma lam - ges. Il a les. forêts pour
pc; encore ne durera-l- ceinture, et sa main tient
clle pas aussi longtemps uneavalancbe;maisavant
que ma veille. Mon assou-
de tomber, le foudroyant
pissement... quand je projectile doit attendre
m'assoupis... n'est pas un mon commandement.La
sommeil : cc n'est qu'une masse froide et mobile du
continuation de ma pen- glacier s'avance chaque
sée, incessante, irrésisti- jour ; mais c'est moi qui
ble alors. Moncreur veille lui permetsde passerou-
toujours ; mes yeux ne se tre , ou qui l'arrête avec
ferment que pour regar- ses glaçons. Génie de ces
der intérieurement; et hauts lieux, je puis faire
pourlanlje vis, elj'ai l'as- trembler la montagne, et
pect d'un homme vivant. la secouer jusque dans sa
Mais la douleur devrait base caverneuse Mais
instruire le sage; souf- loi, que me veux-tu?
frir, c'estconnaître: ceux TROISIÈME GÉNIE.
qui savcntlcplusont aussi Danslcs profondeurs — azu-
le plus à gémir sur la fa- rées des Ilots, où lu vague
tale véri lé; l'arbre de la est tranquille, où le vent
science n'est pas l'arbre est inconnu, où ville scr-
île la vie. J'ai essayé la penldesmers, où lasirène
philosophie,la science,les pare de coquillagessaver-
sources du merveilleux, te chevelure, ton évoca-
la sagesse du monde, et tion a retcnli comme l'o-
mon esprit a en lui la for- rage sur la face des eaux.
ce nécessaire pour s'ap- Dans mon paisible palais.
proprier de pareils élé- de corail, l'écho me l'a
ments : à quoi loul cela portée... Je suis le génie
me sert-il? J'ai fait du de l'Océan, fais-moi con-
bien aux hommes, et j'ai naître tes désirs 1
trouvé du bon même par- QUATRIÈME GÉNIE.
Si c'est vivre que de porter un désert aride dans son coeur —
Aux lieux où le tremble-
mi les hommes : à quoi ...
cela m'a-t-il servi? J'ai mentde terre endormire-
eu des ennemis, nul d'en- pose surun oreilierde feu,
treeux ne m'a vaincu , où bouillonnent des lacs
beaucoup sont tombésde- de bitume, où les racines
vant moi : à quoi celama-t-il servi'?... Bien ou mal, vie, facultés, des Andes s'enfoncent autant dans la terre que leurs sommets s e-
Passions, tout ce queje retrouve dans les autres êtres a été pour moi lèvent vers le ciel, ta voix est venue jusqu'à moi, et pour obéir à
comme la pluie sur le sable, depuis cette heure à laquelle je ne tes ordres, j'ai quitté le lieu natal Ton charme m'a subjugué,
Puis donner un nom. Je ne redoute rien, et c'esl pour moi une ma- que ta volonté me guide.
lédiction de n'avoir aucune crainte naturelle, aucune palpitation CINQUIÈME GÉNIE. — Le vent est mon coursier; c'est moi qui al-
d'incertitude, de ne sentir battre dans mon coeur ni désir, ni espoir, lume l'orage; l'ouragan que je viens de quitter est encore brûlant
!ii un reste d'amour
pour personne sur la terre. Maintenant, à des feux de la foudre; pour venir plus vite vers loi, j'ai franchi la
l'oeuvre ! terre el les mers sur l'aile de l'aquilon ; la flotte que j'ai rencon-
Puissances mystérieuses 1 Esprits de l'univers illimité! vous que trée voguait paisiblement: elle doit sombrer avant que la nuit soit
j'ai
., cherchés dans les ténèbres et la lumière
; vous qui en un instant écoulée.
parcourez la terre, revêtus d'une essence plus subtile... vous dont SIXIÈME GÉNIE. — Ma demeure est l'ombre de la nuit, pour-
'a demeure est
au sommet des monts inaccessibles, à qui les ca- quoi ta magie m'inflige-t-ellele supplice de la lumière?
yernes de la terre et de l'Océan sont des lieux familiers... je vous SEPTIÈME GÉNIE. — L'étoile qui règle la destinée a vu son cours
6voque par le charme écrit, qui me donne autorité sur vous : levez- réglé par moi avant la naissance de la terre : jamais astre plus frais
v°iis, paraissez!... et plus beau n'accomplit sa révolution autour du soleil ; sa marche
Us ne viennent pas encore. Maintenant, par la voix de celui qui était libre et régulière ; l'espace ne comptait pas dans son sein d'é-
'si le premier parmi vous... par ce signe qui vous fait trembler... toile plus charmante. Une heure fatale survint, et elle ne fut plus
l'AIllâ. — lllip. lACOURetC*, l'He SOuftloI, 111.
19
290 LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.
.
. . . ~~—.
qu'une masse .errantede flammes informes, une comètevagabonde, Sans me voir passer à les côtés, les yeux me reconnaîtrontpour
une malédiction, une menace suspendue sur l'univers, continuant ui objet qui a élé et dojl êlp prps de toi ; el lo.rsquc, agité par ulle
un
à rouler par sa. propre force, sans orbite, sans direction, brillante terreur intime, lu jô.urriçras la lê\e en, arrière, \u t'étonneras de uc
le
difformité du firmament, monstruositédans les régions du ciel ! Et pi me voir comme Ion ombre attaché sur les pas; et ce pouvoir
pas
toi, né sous son influence... toi, vermisseau auquel j'obéis, et que qi pèsera sur loi, lu seras condamné à dissimuler sa présence.
qui
je méprise..... un pouvoir qui n'est pas le lien, mais qui l'a été Un liiytlvme cl des accents magiques to.nl frappé d'une malédic-
prêté pour me soumettre, nié force de descendre un instant en ce tion, et un génie de l'air t'a enlacédans un piège. Il y a dans le
li
lieu confondu avec ces génies pusillanimes qui courbent le front vent
v< une voix qui le défendra de te réjouir ; et la nuit le refusera
,
devantle tien, et de converser avec un être aussi chélif... Fils de la le repos qu'elle verse dans le firmament, le jour aura pour toi un
le
poussière, que veux-tu de moi ? soleii
si qui le fera désirer sa fin.
LES SEPT GÉNIES. — La terre, l'océan, l'air, la nuit, les monta- De tes larmes menteuses j'ai distillé une essence lélbifôre ; j'aj
gnes, les vents, ton étoile , attendent ton signal et tes ordres, fils lire de ton coiur un sang noir puisé à sa plus noire source; j'aj
li
de la poussière. A ta demande, tous ces génies sont accourusdevanl ddérobé le serpent qui hantait ton sourire, cl y roulait ses anneain
toi : — que veux-tu de nous ? Parle, fils des mortels I c
comme dans un buisson ; j'ai pris sur les lèvres le charme qui don-
MANFRED. — L'oubli. nait
r\ à tous ces venins leurs effets les plus malfaisants : et après avoir
LE PREMIER GÉNIE. — de quoi ? De qui ? pourquoi ? fait l'essai de lous les poisons connus, j'ai trouvé que le plus éner-
fi
MANFRED. — De ce qui est au-dedans de moi, lisez-le ; vous le gique
g était le lien.
savez , et je ne puis le dire. Par ton coeur froid et ton sourire de serpent, par l'abîme sans
LE GÉNIE. — Nous pouvons te donner ce que nous'possédons... - f
fond de ta fourberie, par les yeux qu'anime si bien un semblant ^
Demande-nous des sujets, le souverain pouvoir, l'empire d'une \
vertu, par l'hypocrisie de ton âme toujours close, par la perfection
partie de la terre "ou de la lerre entière, un signe par lequel lu dé tes artifices qui ont réussi à faire croire que tu avais un coeur
cl

puisses commander aux éléments.; chacune de ces. choses ou toutes humain,


1 par les délices que le font éprouver les douleurs d'aulrni,
ensemble deviendront Ion partage. par
I ta confraternité avec Caïn, je lé condamne à trouver en toi-
MANFRED. — L'o.ubli! l'oubli de moi-même! Ne pouvez-vouspas, même
i ton enfer.
de tous ces domaines mystérieux que vous m'offrez avec tant de Sur la lôle je verse le vase de malédiction qui te dévoue à cetti;
prodigalité, m'.cxtraire ce que je demande? épreuve;
( la destinéesera de ne pouvoir ni dortnïr, ni mourir: lu
LE GÉNIE. —-Cela n'est point dans notre essence, dans noire verras
^ sans cesse la mort auprès de toi pour la désirer, niais aussi
pouvoir. Mais lu peux mourir. ] ourla craindre. Tiens : voilà que déjà le charme a opéré aulour
S
MANFRED. —- La niorl me donnera-t-elle l'oubli? < e loi, el une
chaîne silencieuse pèse sur Ion âme ; ton coeur cl Ion
LÉ GÉNIE.
—- Nous sommes
immorlels,"et nous n'oublions pas ; cerveau tout ensemble plient sous l'arrêt fatal; maintenant la déca-
<
nous sommes éternels, le passé nous est présent commel'avenir. Tu dence
i est commencée.
as noire réponse. SCÈNE II.
MANFRED.
— Vous vous raillez de moi \ mais le pouvoir qui vous
amène ici vous a mis à ma disposition. EsclavesI ne vous jouez pas
de ma volonté! l'âme, l'esprit, l'étincelle de Prbmélbée, l'éclair Le mont Jung-Frau. Lo point du jour.
de mon être enfin, est aussi brillant^ aussi perçant, et d'une aussi
grande portée que le vôtre, el, bien qu'emprisonné dans son argile, UANFRED,.seul sur les rochers.
fl ne vous.céderapoint. Répondez, QU yous apprendrez à me coiir
naître! -
'' ' ' Les Esprits que j'avais évoquésm'abandonnent...les charmes que
Lu GÉNIE. —Nous répondrons comme nous avons répondu; les j'ai tant étudies m'ont déçu... le remède sur lequel je complais me.
propres paroles contiennent notre réponse. torture ; je lié veux plus recourir à ces êtres surnaturels : leur puis-
MANFRED. —: Que voulez-vous dire? s'étend point au passé, cl l'avenir, tant que le' passé ne
sance neenglouti
LE GÉNIE.— Si, comme tu le prétends, ton essence est semblable sJMfà. pas dans les ténèbres, je n'ai que faire dé le chercher.
à la nôtre, nous avons répondu qyatj$ nous l'avons dit : Ce que les ^7 (V terre !' ô ma mère ! et loi, jour qui commences à poindre ; et
mortels appellent la mort n'a rien dç communavec nous. vous, montagnes, pourquoi donc êles-voussi belles?.le ne de nuis vous
MANFnED. —C'est donc en vain que je vous ai fait venir de vos ajui'çu'.. OEil brillant de l'univers, ouvert sur tous, source délices
sphères? Vous ne pouvez, vous nc voulez pas venir à mon aide? |ipjUt?'tp,us, tu ne luis pbi'iii sur mon coeur. Rochers, sur le bord de.s-
" LE GÉNIE. —Parlé! ce que nous possédons est à toi; nçtyf \e! guefs. je suis debout, ayant à mes pieds le lit du torronl el les hauts
l'offrons; réfléchis avant de nous congédier; tu peux doma^ere^ pjns qui le couvrent, et qui do cette dislanceétourdissante, semblent
core : l'empire, la puissance, la force et de longs jours.
L
5çs arbrisseaux.... il suffirait d'un élan, d'un pas, d'une impulsion.
MANFUED. — Maudits! qu'ai-jc à faire de jours? \çi miens n'o.u^\ ]: d'un souffle pour me brise'- sur ce lit pierreux et reposer ensuite..
déjà que trop duré... Arrière ! Partez I Pourquoi $onç hésiter? J'éprouve le désir de me précipiter île ceili
LE' GÉNIE. — Réfléchis encore pendant que nous sommes ici, liauteviç, et p'ourtanl je n'en fais rien; je vois le péril, el je ne rc-
,
nous voudrions le servir. Songes-y bien. N'y a-t-il aucun autre doni ç^e pas; mon çerY.eau a lc'vertigc et mon pied est ferme: je ne sai:
i

«pic nous puissions rendre digne de toi ? quel pouvoh;;'^'^rr^te et me condamne à vivre, si toutefois c'esl
MANFUED.—Aucun. Pourtant, arrêtez un moment encore ; avantl yiv.ro que «je P,ôr\çf en moi celle stérilité de coeur, el de n'être plut
que nous nous séparions, je désire vous voir face à face. J'eiitéiidsi que le ^ép.ulciVd.é ifloii iïiïie; car j'ai cessé d'être justifié à nies pie
vos voix, mélancoliquesel douces comme une symphonie qui glisses pies yçut.i. feiji«u'^ ïntirniité dû mal. ((M aigle prisse au fond]
sur les eaux, et je vois distinctement une grande étoile,seulbrillanié.'çtt '' J^o,n^*nà^i^n|-"(lés.airçltoi dont l'aile rapide fend les nuages,
immobile. Montrez-vous à moi tels que vous'êtes",'un où tous3 donl'lé vôï audacieux dépasse toutes les hauteurs lu fais bien il
ensemble, sous vos formes accoutumées. l'approcher de moi. Déjà je devrais être ta proie, et, servir de pftliui
LE GÉNIE.—Nous n'avons poinl de forme aulrc que les éléments s à tes aiglons. Ah ! maintenant, lu t'éloignes à une distance ou moi
dont nous sommes l'âme et le principe; mais choisis une figures oeil ne peut te suivre; mais le lien pénètre à travers l'espace. . Oli
quelconque, c'est sous celle-là que nous paraîtrons. que c'esl beaul comme tout est beau dans ce monde visible, qu!
MANFRED. — Je n'ai pas de choix a faire; nulle figure sur la terree est magnifique en lui-mômeet dans toutes ses manifestations! M;i
ne m'est hideuse ou belle. Que le plus puissant d'entre vous revêtee nous, ses prétendus souverains, nous, moitié poussière,moitié dieu!
celle qu'il jugera convenable. Allons! également incapables de descendre et de monter, notre essem
LE SEPTIÈME GÉNIE, paraissant sous la forme d'une belle femme'. mixtejellele Iroubledans les élémentsde cclunivers; cl, placés cul'

Regardé !'" de vils besoinset des désirs superbes, nous respirons à la fois la d«
MANFRED.—: O Dieu ! s'il en est ainsi, et si lu n'es ni une rail- gradation et l'orgueil, jusqu'au moment où notre mortalité préch
lcricni l'illusion d'un cerveau en démence, je puis èlre le plus heu-i- mine; alors les hommes deviennent ce qu'ils ne s'avouent pas(C
reux des hommes. Je le presserai dans mes bras, et nous serons en-i- eux-mêmes, ce la,qu'ils n'osent se confier les uns aux aulres.
core...;.. (L'apparition s'évanouit.) Mon coeur se brise. {Manfred :l entend de loin pâle d'un berger.)
tbinbe sa,ns mouvement. — On entend une voix qui chaule ce qui u Mais quelle douce mélodie ! ô simples accenls du chalumeau d:
SÙU:) montagnes! .. Ici la vie des pasteurs et des patriarches n'est pas m
À l'heure où la lune brille
.
sur les vagues, le ver-luisanl dans lee fable. La flûte mêle ses sons au doux bi;uil des clochettes du troi
gazon, le météore sur les tombeaux,le feu-follet dans le marécage;; peau; mon âme semble en aspirer les échos. Oh! que ne suis-
à l'heure où filent les étoiles tombantes, où l'écho répèle la voixx l'âme invisible d'un son, voix vivante, souffle harmonieux, joui
dû hibou, où lés feuilles se taisent dans l'ombre de la colline, alors s sauce incorporelle, afin de naître et de mouriravec la douce in loin
mon âme planera sur la tienne avec un pouvoir et avec un signe. lion qui sérail tout mon être! (Un CHASSEUR de chamois arrive*
Au sein du plus profond sommeil, ton esprit nc dormira pas ; il bas de la montagne.)
est des ombres qui ne peuvent disparaître, des pensées que tu nc iC LE CHASSEUR. — C'est par ici que le chamois a bondi, ses pii
peux bannir. En verlu d'un pouvoir que lu ignores, tu ne peux ja- i- agiles ont trompe mon adresse; vingt mes profilsd'aujourd'hui ne pa
mais être seul; enveloppé comme dans un linceul, emprisonneclans is r'onl pas un travail où je risque fois de nie rompre lo ce
un nuage, lu seras à jamais l'esprit de mon chanl magique. Que vois-je ? Cet homme n'esl pas de noire profession ; et ccp«
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON. 291

(Ijinl i! esl arrivé à une hauteur «m'entre tous nos montagnards les saux ; mais les sentiers qui mènent de nos montagnes à leurs portes
st
meilleurs chasseurs peuventseuls atteindre. 11 est richement velu; m sont familières depuis mon enfance. Lequel de ces châteaux est
me
son aspect est imposant, et, à en juger «}'ici, il porle dans son air le tien?
le
joute la fierté d'un paysan né libre..'. 11 faut l'examiner déplus près. MANFRED.— Peu importe!
MANFRED,sans le vd,ir. •— Blanchir ainsi dans la douleur comme LE CHASSEUR.— Eh bien! excuse mes questions indiscrètes, el
ccs pins flétris par Phi ver dépouillés d'écorçe et de branchés, troncs nreprends un peu de galle. Allons, goûte mon vin : il est vieux;
j
foudroyés sur Une racinem^udite,qui n'alimente plus «ju'une ruine! p d'une fois, il à dégelé le sang de mes veines au milieu de nos
plus
Etre ainsi, éternellement ainsi... el avoir été autrement. Voir mon glaciers,-
g qu'aujourd'hui il en fasse autant pour toi... Allons, fais-
front sillonné par des rides qu'y ont creusées non les années, mais n raison.
moi
des moments... des heures douloureusesqui ont été des siècles..... MANFRED.—Arrière! arrière! sur les bords de celte coupe, il y
des heures auxquellesje Survis O Vous, rochers de glace! ava- a du sang! La terre ne le boirâ-t-el!é donc jamais!
lanches qu'un, souffle peut précipiter comme des montagnes crou- i.E: CHASSEUR.— Que veux-tu dire? ta raison t'abandonne.
lantes , tombez ! écrasez-moi ! J'entends au-dessus de ma tête et à IÀNFRED.
— Je tè dis que c'est du sang..... mon sang à moi!neu- la
nies pieds le fracas de vos bonds redoutables,mais vous passez sans s
source pure qui coulaitdans les veinés dé mon père et dans les
nfatléindre, vous allez frapper des êlres qui voudraient vivre en- tres.;
ti quand nous étions jeunes et que nous n'avions qu'un coeur,
corc, la jeune'forêt au verdoyant feuillage, le hameau du villageois unous aimant comme nous n'aurions pas. dû nous aimer : alors ce
inoffensif..... sang
s a élé versé; mais il s'élève aujourd'huicontre moi; il rougît
LE CHASSEUR.—:Les vapeurs commencent à s'élever du sein de les nuages qui me ferment l'entrée du ciel, du ciel où elle n'est
li
la vallée ; je vais l'avertir de descendre, sans quoi il risque de per- pas,
p où je né serai jamais!
drc à la fois et sa roule et la vie. Lg CHASSEUR.-^- Homme aux paroles étranges, dévoré par quel-
MANFRED.— Les vapeurs tourbillonnent autour des glaciers; les qque remords délirant qui peuple pour toi le vide, quelles que soient
nuages montent sous mes pieds en flocons blancs et sulfureux: on t terreurs et tes souffrances, il est encore pouf toi des consola-
tes
dirait les flots écumeux de la mer infernale qui se brisent sur un ltions dans l'aide des hommes pieux, dans une religieuse patience.
rivage où les damnés sont entassés, comme les cailloux de cette MANFRED.T— La patience! la patience! arrière!... Ce mot fui créé
horrible grève... Le vertige me. saisit. Ipour les bêtes de somme, non pour l'aigle au vol indépendant.
LE CHASSEUR. — Il faut l'aborder avec précaution : le bruit sou- IPrêche la patience à des mortels dé ton argile; je ne suis point «le
dain de mes pas peut le surprendre; et il semble chancelerdéjà. Ila race.
MANFRED.—;Dés montagnes se sont écroulées, laissant un vide LE CHASSEUR.— J'en rends grâce au ciel ; je ne voudrais lias être
dans les nuages, faisant tressaillir sous le choc les Alpes leurs de
« la tienne pour la libre renommée d'un Guillaume Tell; mais
sieurs, remplissant les vertes vallées des débris de leur chute, in- quel
« que soit tqn mal, il faut l'endurer, et ces sauvages frémisse-
IciTompant le cours des rivières par un obstacle soudain, qui dis- iments sont inutiles.
perse leurs eaux en poussière liquide el oblige leurs sources à se MANFIIED.—Ne l'ai-je point enduré?... Regarde-moi... je vis.
tracer un nouveau cours. Ainsi en est-il advenu, dans sa vieillesse, LE CHASSEUR.— C'est Un état convulsif : ce n'est pas la Vie régu-
au mont Rosemberg... que n'élais-je dessous! 1lière de la santé.
LE CHASSEUR.— Eh! l'amiI prends garde: un pas de plus peut MANFRED.— Je te dis, homme des montagnes, que j'ai vécu
l'être fatal!... Pour l'amour de celui qui t'a créé, ne reste pas sur 1bien des années, et de longues années; mais elles
ne sont rien
le bord de cc précipice! ' maintenant,
i
en comparaison de celles qu'il me reslc à yivre : des
MANFRED sans l'entendre.— C'eût élé pour moi une tombe siècles...
i des siècles... l'espace et l'éternité... et le sentiment de
convenable :, à cette profondeur, mes os, eussent reposé en paix ; 1l'existence avec une soif ardente de la mort, soif qui
ne sera ja-
ils n'auraient pas été disséminés sur les rpes, jouet des vents mais
i étanchée!
ainsi qu'ils le seront quand je me serai précipite d'ici..... Adieu,, LE ciiASSEun.— Mais c'est à peine si ton front porte l'empreinte
vaste ciel, qui t'ouvres sur ma tôle; pe me regarde pas de cet air de
<
l'âge mûr; et je suis de beauéoup ton aîné.
de reproche lu n'as pas élé fait pour moi O terre! recois ces MANFRED.— Penses-tu donc que l'existence se compte parla
atomes! (Au moment où Manfred va se précipiter, le chasseur durée? Cela n'esl vrai qu'en apparence; mais nos actions, voilà nos
le saisit et le retient.) époques. Les miennes ont rendu mes nuits et mes jours impérissa-
LE CHASSEUR.— Arrête, insensé! si la vie l'est à charge, cc n'est bles, illimités, uniformes comme les grains «le sable du rivage:
point une raison pour souiller de ton sang coupable la pureté de innombrables atomes d'un désert froid et stérile, sur lequel les va-
nos vallées; viens avec moi... je ne le lâcherai pas. gues viennent se briser, mais où rien nc reste que des squelettes,
MANFRED:— Je sens mon coeur défaillir... ne me serre pas tant... des débris de naufrages, des fragments de rochers et des algues
je ne suis que faiblesse; les montagnes tournent rapidement amères.
au-
tour de moi; je n'y vois plus... Qui es-tu? LE ciiASSEun.—-Hélas! il est fou... je ne dois pas le quitter.
LE GIIASSEUR.—r Je. le le dirtù plus tard..... viens avec moi : les MANFRED. — Plût au ciel que je fusse fou !.... car alors toules les
nuages s'amoncellent. Bien! appuie-toi sur mon bras... pose ici le choses que je vois nc seraient plus que le rêve d'un insensé.
pied...ici. Prends cc bâton; accroche-toi un instant à cet àrbqste... LE CHASSEUR.—Et quelles sont ces choses que tu vois, ou que
Maintenant, donne-moila main, cl saisis fortement ma ceinture... tu crois voir?
Doucement... bien... dans une heure, nous serons au chalet... MANFRED.— Je le vois., et je me vois... toi, paysan des Alpes...
Viens, nous trouverons bientôt un terrain plus sûr et une sorte de les humbles, vertus, ton toit hospitalier, ton âme patiente, pieuse,
soutier creusé par les torrents de l'hiver..... Allons, voilà qui est fière et libre; ton respect de toi-même, entretenu par dès pensées
lticn tu étais né pour faire un chasseur... Suis-moi. (Ils con- d'innocence; tes jours de saine vigueur, les nuits de sommeil; tes
t'aweiU de descendre péniblement les rochers.) travaux ennoblis par des dangers exempts de crimes; l'espérance
d'une vieillesse heureuse, puis d'une tombe tranquille, avec une
croix et des fleurs sur son vert gazon, et l'amour de tes enfants pour
épitaphe : voilà ce queje vois..... puis je regarde au-dedansde moi-
même et j'y trouve..... n'importe quoi! Bien longtemps avant cela,
ACTE II. la douleur avail déjà sillonné mon âme.
LE CHASSEUR.— Voudrais-tu donc échanger ta destinée contre
\
SCÈNE PREMIÈRE. la. mienne?
MANFRED.— Non, mon ami! je ne voudrais point d'un marché
Un chalet au milieu des Alpes Bernoises. qui te serait funeste; je ne voudrais échanger mon destin avec ce-
i
lui «l'aucun être vivant. Ce que je puis supporter dans la vie... et je
,
MANFRED et LE CHASSEUR. DE CHAMOIS. le supporte, quoique misérablement... d'autres ne pourraient l'en-
durer même eii rêve; ils en mourraient dans leur sommeil.
LE CHASSEUR.— Non, demeure encore: tu partiras plus5 LE CHASSEUR.— El avec cela... avec celte tendre sympathie pour
s non
«1]'<1:ton esprit et to.n corps ne sont pas en état de se confier l'uni lès douleurs d'aulrui, se pèul-il «rue le crime ail souille Ion âme^
? l'autre, du moins pour quelques heures; quand tu
o
seras mieux,t Nc me le dis pas. Serait-il possible qu'un homme rempli de pensées
Jc le servirai de guide... mais où irons-nous? si bienveillanteseût immolé ses ennemis à sa vengeance?
u
MANFRED.— 11 n'importe; je connais parfaitement mon chemin, MANFRED. — OÎi ! non non ! mes fureurs sont tombées sur ceux
E' n'ai plus besoin de guide. , qui m'aimaient, sur ceux ,que j'aimais le plus ; je n'ai jamais abattu
!-E CHASSEUR.— Tes
u , l!'uie
vêtements et tes manières-annoncent unee un ennemi, si ce n'est pour ma défense légitime : mes seuls cra-
naissance. Tu es sans doute ,un de ces chefs nombreux dont l brassements ont été funestes.
|S cs châteaux, bâtis sur des rochers, dominent les vallées inférieu- LE CHASSEUR. — Que le ciel te donne le calme ! Que la pénitence
ies,:-- Quel est le manoir où tu règnes en seigneur? De pareilles le rende à loi-même, je prierai pour toi.
!-
^«Mations je ne connais que le dehors ; il est rare s
i, que mon genree MANFRED.. — Je n'en ai pas besoin, mais je puis endurer la pitié,
,
,c vie me conduise dans la plaine, et «me j'aille me réchauffer
u- auu Je pars, il en est temps... Adieu !.,. voilà de l'or; reçois aussi mes
lll'Se foyer de
ces vieilles demeures, ou m'y réjouir avec les vas- ;-
rémcrclments... point de refus, ce que je le donne t'est dû. Nc me
292 LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

suis pas... je connais mon chemin ; la montagne n'offre plus de nées


n« entières, je passai mes nuits dans l'étude de sciences que l'an,
dangers ; je te le répète, ne me suis pas. (Manfred sort.) tiquité seule a connues. A force de temps et de travail, après de
ti«
terribles
te épreuves et des austérités par lesquelles on acquiert tout
pouvoirsur les esprits de l'air et de la terre, de l'espace et de l'infini
Pc
SCENE II. je me familiarisai avec l'éternité : ainsi firent autrefois les mages ci
ce philosophe (t) qui, dans les bains de Gadara, évoqua du sein de
ce
Une vallée au bas des Alpes. Une cataracte. leurs
Ie ondes Eros et Antéros, commeje t'évoque aujourd'hui. Enfin
ai la science s'accrut en moi la soif de la science : je jouis avec
avec
Arrive MANFRED. iv
ivresse de ma puissance et de mes facultés, jusqu'au moment où..,
LA FÉE. — Poursuis.
Pas encore midi!... les rayons du soleil jettent sur le torrent MANFRED. — Oh ! si j'ai prolongé ce récit, si je me suis appe.
un arc brillant de toules les couleurs du ciel ; la masse des eaux sa santi sur l'éloge de ces vains attributs, c'esl que j'approche de la
tombe en nappe d'argent le long du roc perpendiculaire, et ba- pi plaie vive de mon coeur... Mais continuons. Je nc tai parlé ni de
lance ses gerbes d'écume lumineuse, pareilles à la queue de ce père, pi ni de mère, ni de maîtresse, ni d'ami, ni d'aucun des êtres
cheval pâle et gigantesque qui, suivant le Prophète, a la Mort pour ai auxquels j'étais enchaîné par les liens de l'humanité : si ces rela-
cavalier. Nul oeil autre que le mien ne s'abreuve maintenant de tions ti existaient pour moi, elles n'étaient point réelles à mes yeux,
celle vue enchanteresse. Seul dans celte douce retraite, je puis par- pourtant p' il était une femme...
tager avec le génie du lieu l'hommage de ces ondes... Je vais 1 ap- LA FÉE. — Nc rougis point... poursuis.
peler. (Manfredprendquelques gouttes d'eau dans le de
creux sa MANFRED. — Elle me ressemblait. Elle avait, disait on, nies
main, et les jette en l'air en murmurant des paroles viagiques. yyeux, mes cheveux, mes traits, tout, jusqu'au son de ma voix ; mais
Après un moment, la fée des Alpes parait sous l'arc-en-ciel.) tout cela prenait chez elle un caractère plus doux et tempéré par
ti
Viens, Esprit de beauté I avec ta chevelure lumineuse, tes yeux 1;la beauté. Elle avait, comme moi, les goûts errants et solitaires, la
éblouissants de gloire, tes formes qui rappellent les charmes des soif s de connaître les choses cachées, et un esprit capable de com-
plus immatérielles d'entre les filles de la terre, charmes agrandis Îirendre p l'univers. A celaelle joignait des facultés plus paisibles que
dans des proportionsplus que terrestres,et formés de l'essence d'é- 1 es miennes : la pilié, le sourire et les larmes qui me manquaient,
léments plus pursl Sur ton céleste visage brillent les couleurs de et e la tendresse ; mais ce dernier sentiment, je l'éprouvais pour elle.
la jeunesse, ou ce tendre incarnat de la joue d'un enfant endormi IElle avait encore l'humilité, que je n'eus jamais. Ses défauts étaient
sur le sein de sa mère, el bercé par les battements du coeur qui le 1les miens; ses vertus étaient à elle seule. Je l'aimais, et je lui don-
chérit ; ou encore ces teintes rosées que le crépusculed'été laisse nai i la mort...
après lui sur la neige virginale des hauts glaciers, rougeur pudique LA FÉE. — De ta main I
de la terre dans les embrassemenlsdu ciel I L'éclat de tes traits di- MANFRED. — Ce fui l'oeuvre, non de ma main, mais"de mon
vins faitparaître moins brillantl'arc-en-cielqui te couronne! Esprit coeur... « qui brisa le sien : son âme regarda mon âme et se flétrit.
de beauté ! sur ton front calme et pur, dans cette sérénité d'âme I JJ'ai versé du sang, mais cène fut pas celui de ses veines... et pour-
qui à elle seule révèle ton immortalité, je lis que tu pardonnes à I tant f son sang aussi fut répandu... Je le vis couler, et ne pus l'é-
un fils de la terre, quand les puissances les plus mystérieuses dai- 1
lan
l cher.
gnent quelquefois se communiquerà lui ; que tu lui pardonnes de LA FÉE. — Et c'est pour un tel objet..... pour une fille de celle
faire usage des secrets magiques qu'il possède, pour t'évoquer ainsi irace que tu méprises, et au-dessus de laquelle tu voudrais t'élever
et te contempler un moment. en

t'unissantà nous et aux nôtres ; c'est pour elle que tu négliges
LA FÉE. — Fils de la terre! je te connais, commeje connais ceux iles dons de notre science sublime, et retombes dans les liens dégra-
à qui tu dois ton pouvoir ; je te connais pour un homme aux pensées dants < de la nature mortelle. Arrière !
vagabondes,qui a fait tour-à-tour le bien et le mal, extrême en MANFRED. — Fille de l'air) je le le dis, dès ce moment... mais
tous les deux, acceptant el donnant la souffrance. Je t'attendais... des paroics ne sonl qu'un vain souffle; regarde-moi dans mon som-
que veux-tu de moi? meil ou suis-moi des yeux dans mes veilles... viens l'asseoir à mes
MANFRED. — Contempler ta beauté, el rien de plus. Le spectacle côtés,.! ma solitude n'est plus unesolitude; elle est peuplée par les fu-
«lu'offre la face de la lerre m'a rendu insensé, et je me réfugie dans ries. La nuit m'a vu dans son ombre grincer des dents jusqu'à
les mystères qu'elle nous cache; je pénètre jusqu'au séjour des>i l'aurore; le jour m'a vu me maudire jusqu'au coucher du soleil;
esprits qui la gouvernent... mai3 ces esprits ne peuvent rien pour j'ai imploré la démence comme un bienfait, elle m'a été refusée.
moi : je leur ai demandé cc qu'ils n'ont pu me donner, et mainte- J'ai affrontéla mort... parmi la guerre deséléments, les flots se son
nant j'ai cessé de les interroger. écartés de moi, el le péril a passé sans m'atlcindre. La main glacée
LA FÉE.— Est-il un voeu au-dessus du pouvoir des monarquesdei d'un démon impitoyable me retenait par un seul cheveu qui n'a
l'invisible ? jamais voulu se rompre. Je me suis plongé dans les magnificences
MANFRED. —11 en est un ; mais pourquoi le répéter ? Inutile re- de mon imagination... autrefois si riche cl si prodigue ; mais comme
quête! la vague qui reflue sur elle-même, elle m'a rejeté dansle gouffre sans
LA FÉE. — C'est ce que j'ignore : fais-le-moiconnaître. fond de ma pensée. Je me suis plongé dans la société des hommes;
MANFRED. Nouvelle torture «me je vais m'infiiger 1 mais n'im- j'ai cherché l'oubli partout, sauf aux lieux où il se trouve, et c'est cc

porte! ma douleur aura pu s'épancher... Dès ma jeunesse, moni qui me reste à connaître ; les hautes sciences, ces connaissancessur-
esprit ne marchait pas avec les âmes des hommes, et ne regardaitt naturelles, fruit d'une si longue élude, tout cela échoue ici comme
pas la terre avec des yeux humains. La soif de leur ambition n'étaitt un simple art mortel... Je reste dans mon désespoir... et je vis, je
pas la mienne ; le but de leur- existence n'était pas le mien ; mess vis pour toujours.
joies, mes chagrins, mes passions, mon génie, tout faisait de moi»i LA FÉE. — Peut-être en ce point te serai-je ulile.
un étranger parmi eux. Respirant moi-même sous une enveloppe e MANFRED.—Pour l'être, il faut que la puissance évoque les moils
de_chair, je n'avais aucune sympathie pour la chair; et parmi les is ou m'envoie dormir avee eux. Vienne le trépas!..,. N'importe la
créatures d'argile qui m'entouraient, il n'y en avait point Ah ! forme, l'heure et la souffrance, pourvu que ce soit la dernière.
il y en avait une seule !... J'en parlerai tout à l'heure... (// s'arrête 'e LA FÉE. — Cela n'est pas dans mes attributions ; mais si tu veux
un moment.) me jurer obéissance, je puis accomplir Ion voeu.
Je te l'ai dit, je n'étais guère en communion avec les hommes et ît MANFRED.—Jene jurerai rien... moi ; obéir ! et à qui ? aux esprit'
les pensées des hommes. Au contraire, toutes mes joies étaient dans is que je fais comparaître devant moi ? moi, l'esclave de ceux qui fu-
la solitude : j'aimais à respirer l'air raréfié des montagnes couver- '- renl si longtemps à mes ordres ? Jamais.
tes de glace, sur la cime desquelles l'aigle n'ose bâtir son nid, I, LA FÉE. — Est-ce là tout? N'as-tu pas de réponse moins rude à
et dont le granit nu n'est jamais effleuré par l'aile d'un insectei ; me faire? Penses-y encore, et réfléchis avant de rejeler mon offre.
j'aimais à me plonger dans le torrent, à rouler avec le rapide tour- MANFRED. — J'ai dit.
billon de la vague sur les fleuves ou l'Océan : luttes où mes forces is LA FÉE. — Il suffitl Je puis donc me retirer?... Parle !
naissantes s'exaltaient avec délices! J'aimais encore à suivre par ir MANFRED — Retire-toiI (La fée disparait.)
une belle nuit la marche de la lune et le cours brillant des étoiles, s, Jouets du .tempset de nos terreurs, nos jours passent et nous p»s'
ou à saisir dans l'orage les éclairs étincelants, jusqu'à ce que mes îs sons ; et cependant nous vivons , toujours abhorrant la vie et re-
yeux en fussent éblouis ; ou, l'oreille attentive, je suivais le vol des
es doutant la mort. Tant que nous portons ce joug délesté, ce poii»
feuilles éparses, alors que les vents d'automne murmuraient leurs rs sous lequel le coeur se débat, écrasé par les chagrins , palpita"!
chants du soir. Tels étaient mes passe-temps... toujours seuil car ir de douleur ou d'une joie passagère, parmi tous les jours du passe
si un des êtres au nombre desquels je devais me compter (et j'en m et de l'avenir (car dans la vie il n'est pas de présent), peut-il «i
avais honle) se rencontrait sur mon chemin je me sentais redes- 3- être quelques-uns, en est-il un seul où l'âme cesse de souhaiter I»
,
cendrejusqu'à l'homme, et je me retrouvais tout argile. mort! Et néanmoins elle recule devant le trépas, comme en lûw
Souvent mes rêveries solitaires me conduisaientdans les caveaux îx nous craignons le contact de l'eau, bien qu'il suffise de braver *>
de la mort ; et là, par les effets de la destruction, je cherchais à en m première impression
pénétrer les causes : de ces crânes desséehés, de eette poussière re
amoncelée, j'osais tirer de criminelles inductions. Pendant des an- a- ' (1) lamblique : voyez sa vie par Eunapius.
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON. §93

pourtant ma science m'offre encore une ressource : je puis évo- ton: nous avons laissé passer l'heure; montons sur nos nuages.
tons!
quer les morts el leur demander en quoi consiste ce que nous re- (Elles sortent.)
joutons si fort. Au pis aller, j'aurai pour réponse le tombeau, et le SCÈNE IV.
loinbeau n'est rien... Mais si l'on ne répondait pas !... Eh quoi !
Je prophète enseveli bien répondu à la magicienne d'Endor; le
a Le palais d'Ahrimane. Ahrimane sur un globe de feu qui lui sert
ponarque Spartiate a bien obtenu que la vierge de Byzance lui ré- de trône. Les génies rangés en cercle autour de lui.
vélât sa destinée.Il avait, sans le vouloir, immolé celle qu'il aimait,
et mourut impardonné, bien qu'il appelât à son aide le Jupiter des Hymne des GÉNIES.
proscrits, bien que dans Phygalie, par la voix des exorcistes arca-
diens, il suppliât l'ombre indignée dedéposersacolère.oudéfixerun Salutà
S notre maître ! au prince de la terre et de l'air 1 il marche
à
terme sa vengeance. Sa victime lui répondit par des paroles d'un sur les
sui nuées et sur les eaux... il lient dans sa main le sceptre des
sens douteux, mais qui néanmoins reçurent leur accomplissement, élé
éléments ; et ceux-ci à sa voix se dissolvent pour faire place au
Et moi, si je n'avais jamais vécu, celle que j'aime vivrait encore ; cht 1 11 souffle, et la tempête agite l'Océan; il parle, et les
chaos
si je n'avais jamais aimé, celle que j'aime serait encore belle et nuages nu lui répondentpar la voix du tonnerre; il regarde, et les
heureuse; elle ferait le bonheur des autres. Qu'est-ellemaintenant? raj
rayons du soleildisparaissentdevant son regard ; il se meut, la terre
une victime de mes fautes... un objet sur lequel je n'ose arrêter ma tre tremble et se déchire. Les volcans éclatent sous ses pas ; son ombre
pensée... le néant est
peut-être. Dans quelques heures, mes doutes se- est la peste ; les comètes précèdent Sa roule dans les cieux brû-
ront éclaircis... el toutefois je redoute ce queje vais affronter ; jus- lants, lai et devant sa colère, les planètes sont réduites en cendre. La
qu'à présent la vue d'un esprit ne m'avait jamais effrayé, appar- guerre gu lui offre des sacrifices journaliers ; la mort lui paie tribut ; la
tint-il au ciel ou à l'enfer.... Mais voici queje tremble et sens sur vi< lui appartient avec ses innombrables agonies. Notre maître est
vie
mon coeur je ne sais quel froid glacial. Ah I je suis capable d'ac- l'âme l'a de tout ce qui est. (Entrent les destinées et Némésis.)
complir même ce que j'abhorre le plus, et de défier toute humaine PREMIÈRE DESTINÉE. —Gloire à toi, Ahrimane! Ta puissance
frayeur... La nuit approche. Allons! (Il sort) s'accroît
S'Ï sur la lerre; mes soeurs ont exécuté tes ordres, et moi, je
n'ai
n'i pas négligé mon devoir.
SCÈNE III.
DEUXIÈME DESTINÉE.
bons la tête des hommes, — Gloire à toi, Ahrimane I Nous qui cour-
bc nous nous inclinons devant ton trône.
TROISIÈME DESTINÉE. Gloire à toi, Ahrimane,
— nous attendons
La cime du mont Jung-Frau. un
ui signe de ta volonté.
NÉMÉSIS.—Souverain des souverains! nous sommes à toi, et tout
Arrive LA PREMIÈRE DESTINÉE. ce qui vit est partiellement à nous, et presque toutes choses nous

appartiennent
»1 entièrement ; néanmoins pour accroître notrepouvoir
La lune se lève, large, ronde et brillante. Sur ces neiges que le ci en augmentant le tien, notre sollicitude esl nécessaire, et c'est pour-
pied d'un mortel ne foula jamais, nous marchons chaque nuit sans quoi q1 nous sommes vigilantes. Tes derniers commandementsont élé
laisser d'empreinte ; nous parcourons cet océan sauvage, celte r< remplisdans toute leur étendue. (EntreManfred.)
mer de glaces qui scintille; nous effleurons ces rudes brisants, UN GÉNIE. —Qui s'avance ? Un mortel !... Téméraire et vile créa-
semblables à des flots écumeux soulevés par la tempête et que le H turc, fléchis le genou, et adore!
froid aurait subitement congelés trombe liquide réduite à l'im- DEUXIÈME GÉNIE.
— Je connais cet homme : c'est un magicien
mobilité et au silence. Cette cime esearpée et fantastique, façonnée d'une d grande puissance et d'une science formidable.
par quelque tremblement de terre, où s'arrêtent les nuages pour s'y TROISIÈME GÉNIE.
— Fléchis le genou et adore, esclave! Quoi !
reposer en passant ; et cime est consacrée à nos fêles et à nos veil- ne " reconnais-tu pas ton maître et le nôtre? Tremble et obéis I
les Ici j'attends mes soeurs, qui doivent visiter avec moi le palais Tons LES GÉNIES. — Prosterne-toi, prosterne ton argile maudite,
d'Ahrimane, car cette nuit se célèbre notre grande réunion ; je m'é- fils u de la terre ! ou crains les derniers châtiments.
tonne qu'elles n'arrivent pas. MANFRED. — Je connais vos tortures; et néanmoins, tu vois que
Une voix chante dans l'êloignement. — L'usurpateur captif, j
je ne fléchis point.
précipité du trône, gisait immobile, oublié, solitaire : je l'ai éveillé, QUATRIÈME GÉNIE.
— Nous t'apprendrons à fléchir.
j'ai brisé sa chaîne
,
je lui ai donné une armée le tyran règne MANFRED.
— Je ne l'ai que trop appris ; combien de nuils, sur
encore ! H reconnaîtra mes services le
par sang d'un million d'hom- la
1 terre nue, j'ai courbé mon front dans la poussière et couvert ma
mes, par la ruine d'une nation, par sa propre fuite et son long dé- tête « de cendres ! J'ai connu la plénitude de l'humiliation ; car je
sespoir. ime suis affaissé devant mon désespoir, agenouillé devant ma déso-
UNE SECONDE voix.—Le vaisseau voguait, le vaisseau voguait ra- '
lation.
pide ; mais je ne lui ai pas laissé une voile, je ne lui ai pas laissé CINQUIÈME GÉNIE. Oses-tu bien refuser au grand Ahrimane
s —
un mal ; il ne reste plus une planche de la carène ou du pont ; il n'at 'sur son trône ce que toute la terre lui accorde sans l'avoir conlcm-
pas survécu un infortuné pour pleurer son naufrage. J'ai sauvé\ plé ] dans la terreur de sa gloire ? Courbe-toi, te dis-je.
cependant un des marins, en le soutenant sur les flots par une3 MANFRED. — Dis-lui qu'il ait à se courber, lui, devant son supé-
touffe de ses cheveux ; mais celui-là élait bien digne de ma sollici- rieur
: et son maître... devant l'Infini, devant le suprême régulateur
lude : traître sur la lerre, pirate sur l'Océan, je l'ai sauvé afin qu'il1 des choses, devant le Créateur qui ne l'apoinl faitpour êtreadoré...
me préparât le spectacle de calamités nouvelles. qu'il s'agenouille, el je ferai de môme.
LA PREMIÈRE DESTINÉE répondant à ses soeurs. LES GÉNIES. —Ecrasons ce ver de terre! Mettons-le en pièces!
endormie; l'aurore la trouvera , plongée dans les larmes; — La ville est it
lente et:t PREMIÈRE DESTINÉE.—Arrêtez,éloignez-vous! cet homme est à
sinistre, la noire peste s'est étendue sur elle. Des milliers déjà sont it moi. Prince des puissances invisibles! celui-ci n'est pas homme
dans la tombe, des milliers périront encore ; les vivants fuiront les ordinaire .commel'attestentson attitude etsaprésence un lieux;
malades qu'ils devraientsoigner, llicn ne peut arrêter la contagion.
is en ces
i. ses souffrances ont été, comme les nôtres, d'une nature immortelle;
La douleur et le désespoir, la maladie cl l'effroi enveloppent une e sa science, talents et sa volonté se sont élevés aussi haut que
nation entière : heureux ceux qui meurentel ne voient pas ce spec-
ses
l'argile
:- le permet qui emprisonne une essence éthérée; il a pris
tacle de désolation cet ouvrage d'une nuit, cette immolation n son essor au-dessus des habitants de la terre et n'a relire de ses
d'un royaume... cette, oeuvre de mes mains,! tous les siècles me l'ont tt veilles d'autre fruit que de savoir comme nous cette grande vérité :
vu faire, et je la renouvellerai encore. la science n'esl pas le bonheur ; elle ne fait que substituer une igno-
Arrivent LA SECONDE ET LA TROISIÈMEDESTINÉE (elles chantent it rance à une autre. Ce n'esl pas tout : les passions, ces attributs in-
toutes trois ensemble). — Les coeurs des hommes sonl dans nos >s hérenls à la terre et au ciel, dont nulle puissance nul être n'est
mains; leurs tombes nous servent de marche-pied... esclaves à qui li exempt, à partir de l'humble vermisseau; les passions ,
ont trans-
nous donnons le souffle pour le reprendre aussitôt. Fercé son coeur, et ont fait de lui un être si malheureux, que moi,
PREMIÈRE DESTINÉE. Salut! où est Némésis?
— Occupée impitoyable, je pardonne à ceux qui en ont pitié. Cet homme est à
DEUXIÈME DESTINÉE.
— à quelque oeuvre importante; ce ;e moi et à toi aussi peut-être... Quoi qu'il en soit, nul autre esprit dans
que c'est, je l'ignore ; car mes mains étaient en action. cette région n'est au-dessus de lui... nul n'a pouvoir sur son âme.
.
TROISIÈME DESTINÉE.
— La voici. NÉMÉSIS.— Alors que vient-il faire ici ?
PREMIÈRE DESTINÉE. D'où viens-tu donc ? Mes soeurs viennentnt PREMIÈRE DESTINÉE. — Qu'il réponde lui-même.
bien tard cette nuit. — MANFRED. — Vous savez quels mystèresj'ai pénétrés, et sans un
Arrive NÉMÉSIS. — J'étais à réparer des trônes brisés, à ma- s.- pouvoir supérieur, je ne serais pas au milieu de vous ; mais il est
rier des imbéciles, à restaurer des dynasties, à venger les nommes
de leurs ennemis pour les faire repentir ensuite de leur es des pouvoirs plus grands encore, je viens les interroger,
e; NÉMÉSIS. —Que demandes-tu?
à tourmenter les sages, au point de les rendre fous vengeance; à inspirer
; er MANFBED. — Tu ne peux me satisfaire toi-même. Evoque les
aux sots des oracles nouveaux pour gouverner le monde, car les es morts devant moi : c'est à eux que s'adressent mes questions,
vieux commençaient à n'être plus de mise. Les mortels ît-
met- NÉMÉSIS.—Grand Ahrimane, permets-tu que le désir de ce mortel
tent à penser par eux-mêmes, à peser les rois dans leurs se
ba-
a- soit exaucé?
lances et à parler de liberté, c'est-^-dire du fruit défendu Par- AHRIMANE. — Je le permets.
ir-
294 LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES»

NÉMÉSIS. — Qui veux-tu lirer desacendre?


MANFRED. — Un mort sans sépulture : évoque Aslarlé.
NÉMÉSIS. — Ombre ! ou esprit ! quoi que tu sois, quelque portion ACTE III.
qui te reste des formes que tu reçus à ta naissance, de l'enveloppe SCÈNE PREMIÈRE.
d'argile que tu as rendue aux éléments, reviens à la clarté du jour;
reviens telle que lu étais, avec le même Coeur et la même chair dé- Unb salle au château de Mahfréd.
robés un moment aux vers de la tombe. Parais, pafàisl Celui qui
l'envoya là-bas réclame ici la.présence! (La forme d'Astarté s'é- MAKFhËn, HÉnMÀNN.
lève et reste debout au milieu des Génies.)
MANFRED. — Est-ce bien la mort qui paraît? L'incarnat est sur MANFRED.— Quelle heure est-il ?
ses joues; mais, je le vois, ce ne sont pas des couleurs vivantes; HERMANN.— Dans une heure, le soleil se couchera; nous au-
c'est une rougeur maladive, pareille aux teintes que l'automne im- rons
feuilles r une belle soirée.
prime sur les mortes I O Dieu! comment se fait-il que je MANFRED.— Dis-moi : loul est-il disposé selon mes ordres ?
tremble de la regarder?... Aslarlé!..; Non, je ne puis lui parler..;i. HERMANN;—Tout est prêt, monseigneur; voici ia clef et la cas-
Dites-lui qu'elle parle ; que j'attends de sa bouche mon pardon ou selle. s
mon arrêt. MANFRED. — C'est bieh 1 lu peux le retirer. (Hermannsort.) Je
NÉMÉSIS. — Par la puissance qui a brisé pour toi les liens du sens
s en moi un calme, une tranquillité inexplicable, qui, jusqu'à pré-
trépas réponds à celui qui t'interpelle ; réponds à ceux qui l'ont sent
s a manqué dans cc que j'ai connu de la vie ; si je ne savais
fail ,
venir ,
la philosophie est de toutes nos vanités la plus futile, que c'esl
I
Elle que

MANFRED. — garde le silence... et ce silence est plus qu'une le mot le plus vide dont le jargon dé l'école ail jamais déçu nos
réponse. oreilles,
( je croirais que le secret d'or, que l'idéal esl enfin trouvé;
NÉMÉSIS. -r^Mon , pouvoir ne va pas plus loin. Prince de l'air» toi et < que son siège est dans mon âme. Cet
élàt nc peut durer; mais il
seul peux faire davantage : commande-lui de parler. est
< bon de l'avoir connu, nc fût-ce qu'une fois : il agrandit mes pen-
AHRIMANE. — Esprit!... obéis à ce sceptre. sées
s en me donnant un sens nouveau ; et je noterai dans mes ta-
NÉMÉSIS. Muette encore! Elle n'est pas des nôtres: elle ap- blettes 1 qu'un tel sentiment existe. Qui est là? (Entre Hermann.)
parlieni,aux—autres puissances. Mortel! ta demande esl vainc, et HERMANN.— Seigneur, l'abbé de Saint-Mauricedemande à être
nous-mêmes nous sommes sans pouvoir. introduit
i près de vous. (Entre l'abbé de Saint-Maurice.)
MANFRED.
— Entends-moi! entends-moi' Aslarlé, ma bien- L'ABBÉ.
— Que la paix soil avec le comte Manfred!
uimée ! parle-moi : j'ai lant souffert! je souffre tant ; regarde-moi ! MANFRED.— Je le remercie, bon père! sois le bienvenu dans ces
La tombe nc t'a pas changée, et je ne suis pas changé pour loi; murs : ta présence les honore el devient une bénédiction pour ceux
Tu m'as irop aime, et moi je t'ai trop aimée aussi; nous n'étions qui i
les habitent.
pas destinés à nous torturer ainsi l'un l'autre, encore que nous L'ABBÉ.
— Plût au ciel, comte , qu'il en fût ainsi!... Mais je vou-
ayons été bien coupables d'aimer comme nous avons aimé. Dis que drais vous entretenir en particulier.
tu ne me hais pas que je suis puni pour nous deux... «pie lu MANFRED.—Hermann, laisse-nous. (Hermann sort.) Que me
vivras parmi les bienheureux, et que je mourrai, moi. Car jusqu'à veut mon hôte vénérable?
présent tout ce qu'il y a d'odieux ici-bas conspire àme rclcnirduns L'ABBÉ.— J'entre loul droit en matière... mon âge, mon zèle,
ies liens de l'existence, dans une vie qui me fail envisager l'immor- ma profession, mes bonnes intentions excuseront la liberté que
talité avec effroi, comme un avenir identique au passé. Pour moi je prends; je pourrais aussi invoquer noire voisinage, bien que
plus de Je ne sais ni ce que je demande nice que je cherche ; nous nous connaissions peu. 11 court des bruits étranges, auxquels
je sens repos.
uniquement ton existence, la mienne; et il nie serait doux on mêle votre nom, ce nom glorieux depuis des siècles! puisse ce-
d'entendre uncfois encore avant de mourir la voix qui fut mon har- lui «lui le porte aujourd'hui le transmettre sans tache à ses descen-
' liionie... Parle-moi I car je t'ai appelée dans le calme de la nuit : ma dants!
voix a effrayé l'oiseau endormi sous le feuillage silencieux, et j'ai MANFRED.— Poursuis!... j'écoule.
réveillé le loup dans la montagne : j'ai appris aux échos des caver- L'ABBÉ.—On prétend que vous vous livrez a «les éludes inter-
nes à répéter vainement ton nom; et ils m'ont répondu... toul m'a dites aux recherches de l'homme; que vous êtes en rapport avec
répondu, les esprits el les hommes... mais toi, tu es restée muette. les habitants des sombres demeures, cette foule d'esprits malfai-
Oh! maintenant, parle-moi! J'ai veillé plus longtemps que les étoi- sants et impies qui errent dans la Vallée de l'ombre de la mort. Je
les, et mes regards l'ont vainement cherchée dans les cieux. Parle- sais que vous êtes rarement en communication de pensées avec les
moi ! j'ai erré sur la lerre et n'ai rien vu de semblable à loi... Parle- hommes, vos semblables, et que' votre solitude, pour être celled'un
moi! Vois ces démons qui nous entourent... ils sympathisent avec anachorète,n'aurait besoin que d'être sainte.
ma douleur; je ncquand les crains pas, je n'ai de sentiment que pour toi MANFRED.—Et quels sonl ceux qui disent ces choses?
seule. Parle-moi, lu devrais prononcer des paroles de colère... L'AIIIIÉ.— Les frères de mon ordre; les paysans effrayés vos
Dis-moi seulement... n'importe quoi... mais «me je t'entende une propres vassaux...qui vous regardent avec des yeux inquiets. Bref!
fois... une fois encore 1 votre vie même esl en péril.
LE FANTÔME D'ASTARTÉ. — Manfred ! MANFRED.— Qu'on la prenne!
poursuis! toute ma vie s'absorbe dans L'ABBÉ.—Je viens pour sauver, et non pour détruire. Il ne m'ap-
MANFRED*
— Poursuis, c'est bien
les
sons que j'entends... Oh ! oui, sa voix! partient pas de sonder les secrets de voire ftme ; mais si ces rumeurs
LE FANTÔME. — Manfred ! la prochaine journée terminera tes reposent sur quelque vérité, il esl temps encore de reiîuurir à la
maux terrestres. Adieu ! pénitence el au pardon, de vous réconcilier avec la véritable Eglise,
MANFRED. — Un mol encore I Suis-je pardonné? el par l'Eglise avec le ciel.
LE FANTÔME. — Adieu 1 MANFRED — Je te comprends ; voici nia réponse : Quels que
MANFRED. —Dis! nous reverrons-nous? soient, quels que puissent avoir été mes sentiments intimes, c'est
LE FANTÔME. — Adieu ! un secret entre le ciel et moi... je ne choisirai pas un homme pour
MANFRED. — Un mol de pardon ! dis ! tu m'aimes, Aslarlé! médiateur. Ai-je transgressé les lois religieuses? Qu'on le prouve,
LE FANTÔME. — Manfred 1 (Le fantôme d'Astarté disparaît.) et qu'on me punisse!
NÉMÉMS.— Elle est partie, et il n'esl plus possible do la rappeler; L'AIIIIÉ.— Mon fils, cc n'est pas de punition que j'ai parlé, mais
ses paroles s'accompliront. Retourne sur la lerre. de pénitence et de pardon... Nos rites et notre foi me niellent à
UN GÉNIE. —Quelles convulsions 1 quel désespoir! Juste puni- même d'aplanir au pécheur.la voie vers des espérances plus haulcs
tion d'un mortel qui veut connaître les choses placées au-delà des el des pensées meilleures: quant au droit île punir, je ! abandonne
limitesde sa nature. au ciel « La vengeance est à moi seul, » a dit le Seigneur; et
AIJTOE GÉNIE. — Cependant, voyez : il se maîtrise, et soumet sa son serviteur n'est que l'humble écho de celte redoutable parole.
souffrance à sa volonté. Né l'un de nous, c'eût été un esprit d'une MANFRED.—Vieillard! ni le pouvoir des hommes pieux, ni l'effi-
effrayante puissance. cacité de la prière, ni les formes expialriccs de la pénitence, ni la
NÉMÉsis.T-Êst-il encore d'autres questions que tu veuilles adres- contrition..extérieure, ni les jeûnes, ni les souffrances ni plus
ser à notre monarque ou à ses adorateurs? que tout cela, les tortures intimes de ce profond désespoir qui est
MANFRED. — Aucune. le remords sans la crainte de l'enfer .. rien nc peut exorciser l'âme
NÉMÉSIS.
— Alors, adieu pour un temps. indépendante; rien nc peut lui arracher le sentiment énergique de
MANFRED. — Nous nous roveirons donc? Où? sur la terre?... ses propres fautes, de ses crimes, de ses tourments et de sa ven-
soil! où lu voudras. la
Pour faveur qui m'a été accordée,je suis ton geance sur elle-même: point de supplices à venir qui puissent éga-
débiteur. Adieu ! (Manfred sort.) ler la justice que la conscience, en nous condamnant j exerce sur
notre propre coeur.
L'ABBÉ.— Tout cela est bien, car toul cela passera el fera place à
une espérance salutaire/ votre âme pourra s'élever avec une qui calme
assurance vers ce fortuné séjour, où sont admis tous ceux en
ont la ferme volonté ; quelles qu'aient élé leurs terrestreserreurs,
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON. 295

lonrvu que le repentir les ail.expiées. Le commencementde celle ordres ord au coucher du soleil : le voilà qui descend derrière la mon-
.\pialion est dans le sentiment de sa nécessité: parlez, el lous les tagne. tag
jiiscignemenlsde l'Eglise vous seront prodigués; et loul ce que des MANFRED.—
I Vraiment! je vais le regarder. (Manfred s'avance
noires peuvent absoudre vous sera pardonné. vet la fenêtre de t appartement.) Astre glorieux! idole de l'homme
vers
MANFRED.— Quand le sixième empereur de Rome . vit arriver sa encore
cm enfant, de cette race vigoureuse, pure de toute souillure,
in, à la suile «Tune blessure que lui-même p'était faite pour se de ces
géants nés des amours des anges avec un sexe pius beau
joustraire au supplice public, infligé par un sénat naguère son es- qu'eux-mêmes,el qu' qui fit descendre du ciel, descendre sans retour,
ras esprits égarés! Astre glorieux; lu fus adoré.avantqu'eût été du
ré-
tiare, un soldat, ému d'une fidèle-pitié, voulut élanchcr le sang ces vél le mystère de ta création ; le premier, tu annonças la gloire
ijiii jaillissait de la gorge île son empereur; lé Romain expirant te vélé
repoussa, et, jetant sur lui un regard où brillait encore un
rcllet Tout-Puissant;
To lu réjouis au sonimel de leurs montagnes les coeurs
je la puissance impériale : « 11 est trop lard, , lui dil-il; est-ce là de des. dci bergers chaldéens, qui se répandirent en prières devant toi!
la fidélité?» Dii matériel! tu es le représentant dé l'Inconnu, qui t'a choisi
Dieu
L'AIIIIÉ.— Où voulez-vous en venir? .
po son ombre! Etoile souveraine, centre de milliers d'étoiles! de
pour lu
MANFRED — Je réponds avec le homain : « li est trop tard! » rends
rei notre terre habitable , tu ravives les teintes et les coeurs
L'ABBÉ.— H ne saurait jamais être trop lard pour vous réconci- loi cc qui existe sous l'influence
tout de les rayons! Père dés saisons,
lior avec votre âinc, et pour réconciliervotre âme avec le ciel. Ne vous monarque
m« des climats divers, de près ou dé loin, nospensées,
resle-l-il donc plus d'espérance? Je m'en étonne: ceux-là môme qui comme co les traits de nos visages, se colorent à tes feux. Tu le lèves,
désespèrentdu ciel se créent sur la terre des illusions, fragiles ro- lu resplendis , lu te couches dans ta gloire. Adieu! je ne te verrai
seaux auxquels ils se rattachentcomme des hommes qui se noient, plus.
pb Mon premier regard d'amour et d'admiration fut pour loi, re-
MANFRED.— Oui, mon père! je les ai connues, ces illusions ter- ço aussi mon dernier salut : les rayons n'éclairerontaucun mor-
çois
rostres, aux jours de ma jeunesse. Alors, j'éprouvais la noble àm- tel tel à qui le don de la vie ait élé plus fatal. Il est parti : je vais le
liition de m'emparer de ia volonté des hommes, d'éclairer les na- suivre.
su (Manfred sort.)
lions, de m'élever je ne sais à quelle hauteur pour tomber SCÈNE III.
peut-être, mais pour tomber comme la calaractedes montagnes; qiii
bondit des cimes éblouissantes jusque dans les profondeursutVi'à- Les montagnes: A quelque distance, le château dé Manfred. Une
hîme écumeux, et qui «le là fait jaillir encore vers le ciel 'des.rjbl'ôh- terrasse devant une tour. Minuit;
ncs de poussière liquide, nuages, retombant en pluie :
elle gît alors
liicn bas, mais bien puissante encore. Cc temps d'ambition n'est ii
HERMANN; ittANUEL; ET AUTRES DOMESTIQUES DE MANFRED.
plus; mon cs.poir n'était qu'une erreur.
pourquoi ilkhsiÀM. C'est iliten élraiige! chaque nuit, pendant longues
L'AIIIIÉ.
— Et ?
années, il a — poursuivi ses veillés dans cette tour solitaire. J'y suis
MANFRED.— Je n'ai pu plier ma nature; car il doit servit;.Celui ai
qui veul commander. Il faul flatter, supplier, épier les ocënsiôhs, éiilr'êi
ci housy nvohs ibuS, pétiétré plus d'une fois; maisil serait im-
possibië', d'après ëe «ju'èlie contient, déjuger exactement de la na-
so glisser partout, devenir un mensonge vivant, si l'on Veut être

puissant parmi les êlres abjects dont se composent les niiisfc.cs. 'Je ture u «les oçcup^atidils auxquelles ii se livre. Pourtant il y a une
dédaignai dé faire partie d'un troupeau... d'un troupeau uêlbujlsj cllâhibre cl bu personne n'est admis; je donnerais trois années de
ilussé-je en être le chef. Le lion esl seul, cl je suis comme lié libit. më§ Mi gii'gcë poUlf en percer les mystères.
MANUEL; r^1 il pourrait y avoir quelque danger : contente-toi de
L'ABBÉ.— Et pourquoi ne pus vivre et agir comme les ftUtrés
domines?
MANFRED. — Parce que ma nature était antipathique à. celte vie.;
....••© ce que tU sais.
HÉB.MA$N.
— Ah ! Manuel, tu es vieux ; lu as de l'expérience, et
cl pourtantje n'étais pas cruel, car je voulais trouver,un Uesert, rrtnis lit il Bourrais nous en apprendre beaucoup... Depuis combien d'an-
non pas en faire un. Je ressemblais àti sinioûil; jl te VÔij.t Uont
né&'ès-liiici?
H
l'haleine brûle el dévore : il n'habité que lé désert i il lie sbiiulë. tjué MANUEL. —.Avant que le comte Manfred fût né, je servais son
sur des sables stériles, où ne croît nul nlbùsl'e;
il prend ses obéis pèle; ï uiïdùcl —,C'est il rj&semble bien peu.
parmi leurs vagues sauvages et arides; il né cherche personne, M HERMANN. éé qui arrive à beaucoup d'enfants; mais en
personne nc le cherche; mais à lotit ce qu'il rencontre son contact quoi « le père et le fils diffèrent-ils donc tant ?
est mortel. Tel fut le cours de mon existence : il s'est Iroùvé sur MANUEL; il ii'é s'agit pas des Irails du visage ou des formes exT
— dit caractère
mon chemin «les objets qui ne sonl plus. térielii'és
t ;
mais et. des habitudes. Le comte Sigismond
L'AIIIIÉ.— llélus! je commence à craindre «pie vous n'ayeSi point éuiil ï lier, mais gai et franc ; c'était toul à la fois un guerrier et un
de secours à tirer de moi et du saihl ihihiétère. Pourtant ; si jetiiie 1nommé dé. plaisir, il ftê vivait pas tili milieu des livres et dans la soli-
tude Il n'employait pas la iiùlt eh lugubres veilles, mais en festins
encore, je voudrais... 1
jbycùx, ;
MANFRED.— Regarde-moi! Il est sur la terre des hommes «jùi j et il en passait l'es heures plus gaîment que celles du jour,
deviennent vieux dès leur jeunesse et meurent avant le inidi ilè dh.ne l le voyait pas hanter comme un loup les bois et les rochers,
l'âge, sans chercher ccpendnnt la mort violente dit gu'érriei; il en bl i s.'isoier «lés hommes et dé Icùrsi plaisirs. -
est qui succombent au plaisir, d'autres à l'étude ; ceuk-'ci meurent lliîhMÀNN.— Merci «lé iiioj, c'étaient d'heureux temps que ceux-
d'un excès de travail, ceux-là d'ennui ; «lui île maladie , ijlii de dé- là ! Je voudrais éh voir renaître ,de semblablesdans ces vieilles mu-
mence; plusieurs enfin d'un brisement de coeui'j mai qui tue plus; railles ; elles m'ont lout i'àir de lés avoir oubliés.
de monde <|u'on ne pense : elle revêt lotîtes les formes el prend bien MANUEL — Il faudrait d'abord que ces murs changeassent de mai-
îles noms. Rcgarde-inoi t j'ai éprouvé toutes ces choses, cl Une seulei tic.. Oh liérniâiiii 1 J'ai vu d'étranges choses dans leur enceinte,
suffirait pour donner la mort. Ne félonne donc pas «|uc je sois cci ilÉRMANN. —Allons, sois bon enfant ; raconte-m'en quelques-
que je suis, mais bien «pic j'aie jamais pu vivre, du qu'ayant vécu,, unes pour passer lé temps. Je l'ai entendu parler vaguement d'un
je sois encore sur la terre. événement qui esl arrive cruclquc pari de ce côté, dans le voisinage
L'AIIIIÉ.— Ecoulez-moi,cependant... de celle même tour.
MANFRED. — Vieillard! je respecte la profession; je vénère les3 MANUEL. — Je me la rappelle, celle nuit-là 1 c'était peu après le
cheveux blancs; tes intentions me paraissent pieuses; niais les cf- couciicr du soleil, comme qui dirait maintenant, une soirée comme
forls seraient impuissants.Ne m'accuse pas de manquer d'égards pourr celle-ci. Un nuage ruugcàlre cuuronnail la cime île l'Eighcr, lout
loi: c'est dans ton intérêt, et non dans le mien, que j'évite une pareil à celui que nous y voyons ; ils se ressemblent lellemciil que
plus longue conférence... Ai nsi, mon père, adieu ! (Manfred sort.)) pcul-ètro est-ce le même. Le vent élait faible et soufflait par bouf-
L'ABBÉ.— Cet homme aurait pu être une noble créature; il av. fées; la lune, qui se levait, commençaità faire briller la neige des
toute l'énergie qui, d'éléments généreux, aurait produit un bel en- montagnes ; le comte Manfred élail, comme maintenant, renfermé
semble, s'ils eussenl été sagement combinés. Eu leur étal actuel,, dans sa tour ; ce qu'il y faisait, nul ne le sait. Il n'avait avec lui que
c'est un effroyable chaos, un mélange confus de lumière cl d'ombre, ;,
I la seule
compagne de ses rêveries et de ses veilles ; la seule «le tou-
«l'esprit et de. poussière, «le passionset de pensées sublimes, mais li- tes les créatures terrestres qu'il parût aimer, comme, en elfet, les
vrées à une lnlle désordonnée et sans frein tantôt inactives, tun-
, i- liens du sang lui en luisaient un devoir. La comtesse Aslarlé;c'était
lèl destructrices.11 va périr, el pourtant cela ne devrait pas être. Jee sa Chut! qui va là ? (Entre l'abbé de Saint-Maurice.)
veux faire une nouvelle tentative, car de telles âmes méritent bien n L'ABMÉ. est votre maître ?
— Où Là-bas,
d'être rachetées, et mon devoir esl de lout oser dans un but ver- HERMANN. — dans la tour.
tueux. Je le suis... prudence et fermeté! (L'abbé sort.) L'ABBÉ. — J'ai besoin de lui parler.
MANUEL. — impossible ! il est dans une de ses heures de solitude,
SCÈNE II. et nous ne pouvons introduire personne auprès dcluicncc de moment.
L'ABBÉ.
— Je prends sur moi la responsabilité la faute, si c'en
Un autre appartement. est une ; mais il faut que je le voie.
HERMANN. — Vous l'avez déjà vu ce soir.
L'ABBÉ. — Hermann ! je te l'ordonne,; va frapper, el annoncé-
MANFIVEn , HERMANN.
Imoi au comte. ,
HERMANN.— Monseigneur, vous m'avez dit de venir prendre vos
'
HERMANN.— Personne de nous ne l'oserait.
296 LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

L'ABBÉ. —* Eh bien ! je suis dans la nécessité de m'annoncer moi- ' che; ne vous offensez point de l'importunité de mon humble zèle...
même. que la faute retombe sur moi seul et que les effets salutaires des-
MANUEL.
— Mon révérend père, arrêtez, arrêtez, je vous prie ! cendent sur votre tête : je voudrais pouvoir dire dans votre coeur!
L'ABBÉ. — Pourquoi? Oh! ce coeur, si, par mes paroles ou mes prières, je parvenais!
MANUEL.
—Venez par ici, je vous en dirai davantage. le loucher, je ramènerais dans le droit chemin un noble esprit qui
s'est égaré, mais qui n'est pas perdu sans retour.
SCÈNE IV. MANFRED.
— Tu ne me connais pas ; mes jours sont comptés, et
mes actes inscrits ! Retire-toi ; ta présence ici pourrait le devenir
L'intérieur de la tour. fatale..... Sors!
L'ABBÉ.
— Dans ton intention, sans doule, ceci n'est pas une me-
MANFRED, SCUl. nace.
MANFRED. Non certes ; je l'avertis seulement qu'il y a du dan-
Les étoiles brillent ; la lune plane sur les cimes neigeuses des —
ger pour loi à rester ici, el ie voudrais te préserver de tout mal.
montagnes : o speciacie L'ABBÉ.
— Que veux-tu
magnifique!J'aime à pro- dire? '
longer ces entretiens avec MANFRED. — Regarde
la nature ; car le visage là, que vois-tu ?
de la nuit est plus fami-
lier à mes regards que
L'ABBÉ.
— Rien.
MANFRED. — Regarde
celui de l'homme, et la bien, le dis-je Main-
beauté solitaire de son tenant, dis-moi ce que tu
ombre étoilée m'a révélé vois.
la langue d'un antre
monde. Je me rappelle
L'ABBÉ.
devrait me — Un êlrc qui
faire trem-
que, bien jeune encore, bler... maisje nc le crains
pendantmes voyages,par
pas. Je vois sortir «le terre
une semblable nuit, je un spectre sombre et ter-
me trouvaidans l'encein- rible, qui ressemble à une
te du Colisée, au milieu divinité infernale; son vi-
des plus imposants débris sage esl voilé, et des nua-
de la puissante Rome ; les ges sinistres forment son
arbres, qui poussent sur vêlement ; il se tient de-
les arches brisées, balan- bout entre nous deux
çaient leur noir feuillage mais, comme je l'ai dit,je
sur le fond bleu de la ne le crains pas.
nuit, et les étoiles bril- MANFRED. — Tu n'as
laient à travers les fentes aucune raison de le crain-
de la grande ruine. Au dre... il ne te fera pas de
loin, de l'autre côté du mal mais sa vue seule
Tibre, les chiens faisaient peut frapper de paralysie
entendre leurs aboie- les membres affaiblis par
ments; plus près de moi, l'âge. Je le répète re-
le cri prolongé du hibou tire-toi I
s'échappait du palais des L'AIIIIK. — Et moi, je
Césars, et l'appel des réponds
_
: « Jamais ! » je
sentinelles placées sur les veux livrer combat à cc
lointains remparts s'éle- démon... que fait-il ici?
vait et mourait tour-à- MANFRED. Mais... en
lour, apporté la brise —
effet.... que fait-il
par ici?....
légère. Au-delà des brè- je ne l'ai pas mandé
ches pratiquées par le il est venu sans mon or-
temps, quelques cyprès dre.
semblaient border l'hori- L'ARIIÉ. —Hélas ! mor-
zon ; et pourtant ils n'é- tel abandonné ! Quels
taient qu'à une portée de rapports peux-tu avoir
trait. Aux lieux qu'habi- avec de pareils hôtes? Je
taient les Césars, et qu'ha- tremble pour la sûreté;
bitent aujourd'hui les oi- pourquoi ses regards se
seaux de la nuit à la voix- lixcnt-ils sur toi et les
discordante, on n'aper- liens surlui? Ah Ile , voilà
çoit plus que des arbres «lui laisse à découvertson
qui, croissant sur les frag- visage; son front porte
ments des corniches è- Arrête, insensé! encore les cicatrices qu'y
croulées, enlacent leurs laissa la foudre ; dans ses
racines à la pierre du fo- yeux brille l'immortalité
yer impérial ; là, partout de l'enfer. Arrière !
le lierre a usurpé la place • MANFnED.—Parle,Es-
du laurier; les apparte- prit 1 que me veux-lu?
ments «lu grand Jules el les thermes d Auguste, décombres ignores, L'ESPRIT. — Viens 1
sont obstrués par la cendre... Et cependant le cirque, odieux théâtre L'ABBÉ.
— Qui es-tu, être mystérieux?Viensréponds-moi !
des jeux sanglants des gladiateurs le cirque esl toujours debout, L'ESPRIT. — Le génie de cc mortel ! il est temps.
imposant naufrage des ,
siècles, perfection de la ruine I Et loi, MANFRED. — Je suis préparé à tout ; mais je nc reconnais pas le
lune errante, tu brillais sur lout cet ensemble; ta large et suave pouvoir qui m'appelle. Qui t'envoie ici?
clarté adoucissait l'austère rudesse, el les teintes heurtées de ces dé- L'ESPRIT. — Tu le sauras plus tard. Viens! viens!
bris; lu comblais les vides opérés par les siècles, laissant sa beauté MANFRED. J'ai soumis des êtres d'une essence bien supérieure
à ce qui était beau et embellissant le reste. Alors un pieux recueil- à la tienne; — je me suis mesuré avec les maîlres. Va-l'en.
lement saisissait l'âme, et la pensée embrassait dans une adoration L'ESPBIT. — Mortel ! ton heure est arrivée... partons, te dis-je.
silencieuse les grands hommes d'autrefois, ces monarques qui, tout MANFRED. — Je savais et je sais «me mon heure est arrivée ; mais
morts qu'ils sont, ont conservé leur sceptre, et du fond de leurs cc n'est lias h un être tel que toi queje remettrai mon âme. Arrière!
urnes gouvernent encore nos âmes. Celait une nuilcommc celle-ci! je mourrai seul, ainsi que j'ai vécu.
il est étrange que je me la rappelle en cet instant; mais je l'ai tou- L'ESPIIIT. — En ce cas, je vais appeler mes frères. Paraissez !
jours éprouvé, c'est au moment même où la pensée devrait se re- (D'autres esprits surgissent.)
cueillir le plus profondémentqu'elle tente ses excursions les plus L'ABBÉ.
— Arrière, maudits 1 arrière, vous dis-je ! Partout
où^ la
lointaines. (Entre l'abbé de Saint-Maurice.) piété se montre, vous n'avez aucun pouvoir, el je vous somme au
L'ABBÉ.
— Noble seigneur, pardonnez-moi celte seconde démar- nom...
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON. 297

L'ESPRIT. — Vieillard ! nous savons cc que nous sommes ; nous L'ABBÉ.


— Il est parti 1... l'âme a pris son vol loin de la terre...
m naissons notre mission el ton
ministère ; ne prodigue pas les pour aller où? je tremble d'y penser mais il est parti.
lintes paroles, ce sérail en vain : cet homme est condamné. Une
is encore, je le somme de venir. Parlons, parlons ! FIN DE MANFRED.
MANFRED.— Je vous défie tous; quoique je sente mon âme prèle
nie quitter, je vous défie tous ; je ne partirai pas d'ici tant qu'il
ie restera un souffle pour vous exprimer mon
mépris... une ombre
Bforce pour lutter contre vous; tout esprits que vous êtes, vous
LE
e m'arracherez d'ici que morceau par morceau.
L'ESPRIT.— Mortel obstinéà vivre! Le voilà donc ce magicien qui
sait s'élancer dans le monde invisible, el qui se faisait presque
olre égal!... Se peut-il que tu sois si épris de la vie, de celle vie
CIEL ET LA TERRE
ni l'a rendu si misérable 1
MANFRED.— Démon imposteur, tu mens ! ma vie est arrivée à sa
erniôre heure ; je le sais, et je ne voudrais pas racheter de cette MYSTÈRE.
icure un seul moment. Je ne lutte point contre la mort, mais contre
oi et les anges maudits qui l'entourent ; j'ai dû mon pouvoir, non
iiui pacte avec les liens,
nai s à mes connaissances El il arriva... que les fils
de Dieu trouvèrentJcs filles
upérieures, à mes austé- des hommes belles; el ils
•ilés, à mon audace, à prirent pour femmes celles
qui leur plurent.
nos longues veilles, à ma GESÈSE,cit. vi, î,
force intellectuelle et à
la science qu'ont possé- PERSONNAGES.
dée
nos pères, alors que Anges: SAMIASA.—AZA-
la lerre voyait les hom-
mes et les anges marcher ZIEL. — RAPHAËL.
decompagnic, elquenous Hommes : NOÉ. — InAD.
ne vous cédions en rien. — SEM, JAPHET, fils de
le m'appuie sur ma for- Noé.
te... je vous défie... vous
Femmes: ANAH. — AHO-
renie... je vous exècre et LIBAMAH.—CHOEURDES
vous méprise ! ESPRITS DE LA TEnRE.
L'ESPRIT. — Mais les —CHOEURDES MORTELS.
crimes nombreux t'ont
tendu...
MANFUED. — Queêtres
font SCÈNE PREMIÈRE.
mes crimes à des
tels que toi ? doivent-ils Une contrée boisée et mon-
êtrepunis par d'autres. tagneuse près du mont
crimes et par de plus Ararat. Minuit.
grands coupables ? .Re-
tourne dans ton enfer! ANAH AIIOLIBAMAU.
Tu n'as aucun pouvoir ,
sur moi ; cela, je le sens; ANAH.
— Notre père
dort. Voici
lu nc me posséderas ja- l'heure où
mais; cela, je le sais. Ce ceux qui nous aiment des-
que j'ai fait est fait: je
cendent chaque nuit à tra-
porte en moi un supplice vers les sombres nuages
auquel ceux dont tu me qui couronnent le mont
menaces ne peuvent rien Ararat.Commemon coeur
ajimler. L'âme immor- bat!
telle récompense ou pu- AIIOLIBAMAII.
— Com-
ni l elle-même
ses |;.cn- mençons notre invoca-
tecs vertueuses ou cou-
tion."
Miles ; elle est toul à la ANAH.
— Les étoiles ne
fois l'origine et la fin «lu brillent pas encore; je
mal qui vit en elle ; in- tremble.
dépendante des temps cl AHOLIBAMAH.— Et moi
dos lieux
son sens in- aussi; mais ce n'est pas
fime une, fois affranchi de crainte : je ne crains
te ,
liens mortels, n'em- que leur absence.
prunte rien aux choses ANAH.—Masoeur,quoi-
fugitives du monde exté- que j'aime Azaziel plus
rieur ; mais elle s'absor- que... Oh I beaucouptrop!
be dans la souffrance
ou Qu'allais-je dire? mon
je bonheur
que lui donne La Fée des Alpes. coeur devient impie.
^conscience de ses mé- AIIOLIBAMAII. Est-ce

•jies. Tu ne m'as
pas ten- une impiété d'aimer des
&, et lu
ne pouvais me • natures célestes?
'enter; je nc fus jamais ANAH. — Mais, Aholi-
toilupe, je ne deviendrai bamah,j'aime moins Dieu
j!011.'1 ta proie; je fus, el je serai toujours mon propre bourreau, depuis que son ange m'aime. Cela nc saurait être bien; et quoique
jtetirez-vous, démons impuissants! la main de la mort esl étendue je nepense pas mal faire, je sens mille craintes que le bien ne
^r moi, mais non la vôtre. (Les démons disparaissent.) saurait produire.
L'ABBÉ.
— Hélas! comme tu es pâle! tes lèvres sont
décolorées AHOLIBAMAH. — Unis-toi donc à quelque fils de la poussière, tra-
* poitrine se soulève péniblement, ella voix ne forme plus que des vaille et file ; Japhet t'aime depuis longtemps : sois son épouse, et
jons rauques et étouffés... Adresse au ciel tes prières... prie, ne donne le jour à des êtres d'argile!
•iil-ce
que par la pensée... mais lu ne dois point mourir ainsi. ANAH. — Je n'aimerais pas moins Azaziel s'il était mortel ; pour-
MANFRED. —Tout est.fini mes yeux nc t'aperçoiventplus qu'à laut je suis bien aise qu'il ne le soit pas. Ainsi, je ne serai point
"Avers un nuage ; tous les objets semblent flotter* autour de moi, forcée de lui survivre ; et quand je pense que son vol immortel doit
el la. terre osciller
sous mes pas. Adieu ! donne-moi ta main. planer un jour sur le sépulcre de 1 humble fille qui l'adora comme
— Froide, froide! et le coeur aussi... une seule prière!... il adore le Très-Haut, la mort me semble moins terrible. Lui, cepen-
L'ABBÉ.
"elas ! comment te trouves-tu ? dant, je le plains : sa douleur durera des siècles, du moins telle se •
MANFRED. —Vieillard ! il n'esl pas si difficile de mourir. (// expire.) rait la mienne si j'étais le séraphin, et qu'il fût l'être périssable.
298 LES VEILLÉES LITTÉRAmES ILLUSTRÉES.

Aiioi.ifuMAii. — Dis qu'il choisira quelque autre fille de la terre, JAPHET. Mais leur vue me fait du bien... peut-être en ce
— les
el l'aimera comme il aimait Anah. moment
nie elle regarde comme moi. Il me semble qu'un objet si
ANAH. — Si cela devait Être, et qu'elle l'aimât, plutôt le savoir beau
lié! s'embellit encore quand ses regards se fixent sur la beauté
heureux que «le lui couler une seule larme I l'éternelle beauté dés choses immortelles. O Anah!
l'él ' i

AIIOLIBAMAII. — Si je pensais qu'il en fût ainsi de l'amour de Sa- InAD.


]
— Mais elle ne t'aime pas.
miasa, tout séraphin qu'il esl, je le repousserais avee mépris. Mais JAPHET:
— Hélas!
faisons noire invocation. Voici l'heure. IRAD. — Et l'orgueilleuse Aholibamah me dédaigne également. ^

ANAH. — Séraphin ! du sein de la sphère, quelle que soil l'étoile jAPiiEf. —- Je plains aussi ton sort; ' |
qui contienne ta gloire; soit que, dans les éternelles profondeurs des IRAH. — Qu'elle garde son orgueil ; le mien me donne la force de '
cieux tu veilles avec les sept archanges ; soit que, parmi l'espace supporter
,
sii ses mépris; peut-ôlre l'avenir se chargera -1 - il de me
infini, les ailes.brillantes guident des mondes daris léiir "marche, venger: vè
enlenfembl ! jÉMiI.frbnse à celle qui te cliérilt et lors riïênïe qu'elle JAi'iiËf. — Peux-tu trouver de la joie dans une lellc pensée?
ne sérail rien pour toi, songe que tu es tout pour elle. Tu ne con- IRAD.
— Ni joie ni douleur. Je l'aimais sincèrement; je l'aurais
nais pas...et puissent de telles douleursn'être infligées qu'a moi!... plus pli nihié'é encore, si elle m'avait payé «le retour; maintenant je
tu ne connais pas l'amertume des larmes. L'élernilé'compose tes l'abandonne
l'a à dés destinées plus brilinntes, si elle les juge telles.
jours; la beauté sans aurore et sans déclin brille dans tes yeux; tu JAI'HET. — Quelles destinées?
ne peux sentir comme moi -, si ce n'est en amour, et là lu «lois IUAD. — J'ai lieu de croire qu'elle en aime un autre.
avouer que jamais argile plus aimante n'a pleuré sous le ciel. Tu JAPHET. Anah!
parcours l'immensité des mondes; lu contemples la face de celui IRAD. — Non, sa soeur.
qui t'a fail grand, comme a fait de moi l'une
il des moindres créa- JAPHET. — Quel autre?
tures de la race exilée d'Eden ; et cependant, séraphin chéri, en- InAD. — C'esl cc que j'ignore ; mais ses manières, sinon ses pa-
tends-moi! car lu m'as aimée, et je ne voudrais mourir que si tu roles, ro me le disent assez.
m'oubliais. est Il grand l'amour de ceux qui aiment dans le péché JAPHET. A- Soit! mais il n'en est pas ainsi d'Anah : elle n'aime
cl dans là crainte. Pardonne, ô mon séraphin ! pardonneà une fille qï
que son Dieu.
d'Adam de telles pensées, car la douleur est notre élément, el le IRAD. — Que l'importe qui elle aime, si elle ne t'aime pas?
bonheur un" Ëdcti dérobé à notre vue, qùoiqulil vienne parfois se JAPHET. — C'esl vrai; mais j'aime.
mêler à nos rêves. L'heure approche. Parais ! parais , séraphin ! IRAD. —- Et moi aussi, j'aimais.
ni'on Azaziel ! abandonne les étoiles à leur propre lumière. JAPHET. — Et maintenant que lu n'aimes plus, ou crois nc plus
AIIOLIBAMAII. —Samiasa 1 dans quelque partie des célestes ré- aimer,
ai es-tu plus heureux?
gions que lu commandes....', soit que lit cbmbattfes lés fiers esprits IRAD. — Oui.
qui osenl .disputer l'empire à lcpi' créitteUrj,soit «nie tti rappelles JAPHET. — Je le plains.
quelque étoile égarée à travers les espaces dé l'abîme; s'oit que id IRAD. — Je mets l'amertume de tes paroles sur le compte «le la
daignés te mêler aux concerts dés chérubins inférieurs:.. Samiasa, souffrance,
se et je ne voudrais pas sentir comme loi pour plus d'or que
je l'appelle, je fattends et je t'aime, Beaucoup pourront l'adbrcr, n'en h rapporteraient les troupeaux de nos pères, échangés contre le
mais non moi : si lou penchant t'invite à descendre Vers moij dés- ihélal ir dès enfants deCaïn... De l'or! cette poussière jaune, qu'ils
cends et partage mon sort! Quoique je sois formée .d'argile, cl toi essaient
éi de nous offrir en paiement, comme si ce rebut de la lerre
d'une lumière plus brillante que lés rayons du sole!! réfléchis sur pouvait p être l'équivalent du lait, de la laine. de la chair, des fruits,
les ondes d'Eden, ton immortalité iie saurai! payer mon amour d'uti cl de toul cc que produisent nos troupeauxet nos solitudes... Pour-
el
amour plusardenl. U esl en moi un Hlybtt qui, sans pouvoir jibtre suis, briller, si Japhet; adresse tes soupirs aux étoiles, comme les loups hur-
fut allumé, je le sens, à la clarle «lé Dieu et à la lien ne. Eve, lent,
U à laliiiie... Je vais me livrer au repos.
mère, nous a légué la mort et la caducité; mais mbh çepur lés JÀPIIET. Je ferais cohïtilc ibi, si je pouvais reposer.

brave : si celle vie doil prendre fili; éSl-bé une raison pour tjtife hous IRAD. TU ne viens donc pas à nos lentes ?

soyons séparés! Tu es immortel::, tsi moi aussi. Je séiis irioh im- JAPHET. — Non, Irad; je me rends à la caverne qui communique,
mortalité déborder toutes les angoissés et toutes les terreurs. Sera- dit-on, d avec le mondé souterrain, cl livre passage aux esprits inté-
ce une vie de bonheur, je l'ignétè, lé
cl ne veux peint savoir ; cc rieurs r dé la terre quand ils viennent errer sur sa surface.
Secret appartient au Tout-Puissant, qui couvre de imagés lcssources IIIAD.^ Et pourquoi? quepclix-lu faire là?
de nos biens cl de-nos maux ; mais toi et moi, il ne peut jamais JAPHET:
— Je vais chercher dans la sombre tristesse de ce lieu
nous détruire-; il peut nous changer snns notis anéantir : nous som- tin t ùdÔuÊtssëuient à la mienne; la désolation convient à un coeur
mes d'une essence aussi éternelle que la sienne, et s'il nous fuit la désolé: «
guerre, nous lu lui ferons également, Avec toi, je puis tout endurer, IUAD,; — Mais celle,cnVernc offre des dangers. Des bruits et «les
ihêiticiine immortelle douleur; lii h'as pas craint de partager ma vie n|i|itlr'tiibnïi
i élrilhgcs l'bni peuplée de terreurs, .le veux t'y accom-
terrestre, pourquoi rcculerais-jc devant ton éternité? Noii; quand iitipel1.., j
le dard/du serpent devrait percer mbil coeur; quand luséràliun-iiiéme IÂMET: Non, Irad; crbls-hioi, je n'ai aucune mauvaise pen-

semblable au serpent, enlace moi dé tes repliaLeije sÔUrlIr&i; él je sée i
,
,
cl je M ferai lis aucun 'mât.
ne le maudirai pas; cl jeté presseraid'une aussi élicrKlUUé^êtreïhle... IitÀli. F- moins il y a de l'apport entre toi et les êtres malfaisants,
Mais descends ; viens mettre à l'épreuve rajhdilr ll'Ullë IHbrlellei plus ] ils lé JJerbni hostiles : tourne les pas d'un autre côté, ou por-
pour un immortel I Si les cieux contiennent j)jtis ,u,b bilil.llcur que lu.i. mets i «pjé jtft marche avec toi.
n'en peux donner et recevoir ici-bas, dcriiéurij bu tli i&! JAPHET. -A NI l'un ni l'attire, Irad ; je dois aller là-bas, cl y aller
ANAH. — Ma soetir ! ma sieur ! je vois leurs ailés s'ouvrir une voies seul.
lumineuse à travers les ténèbres de la huit. IRAD. — Alors; la paix soit avec loi ! (Irad sort.) t
AiioLiiiAMAii.— Les nuages s'écartent devant etix comme s'ils5
apportaient la lumière du jour. JAiutEtï seïti. — La paix I je l'ai cherchée où elle «levait se trou-
ANAH. — Mais si iiolre père apercevait celle clarté? ver j «itiits l'ainour; cl, u sa place , qu'ai je obtenu ? le trouble «lit
' A1101.111AMA11. — Il croirait que la lune, à la voix dés niagicichs, éoeur , le découragement ; des jours monotones, des nuits que fuit
,
paraît une heure trop loi. le doux sommeil. La paix ! quelle paix! le calme du désespoir, le
ANAH. — Ils viennent! il vieull... Azaziel! silence île la forêt solitaire, interrompu seulement par le souillé île
AuoLiiiAMAit. — Goui'ons ii leur rencontre! Oli ! pendant qu'ilss la lenipètc qui fait gémir les rameaux : tel esl l'étal sombre et agité de
planent là-haiit, que n'ai-je des ailes pour emporter mon âme verss mon aine. La terre esl pervertie ; îles signes el des présages nombreux
Samiasa! annoncent qu'une catastropheterrible menace lesèlres périssables,
ANAH. — Vois! leur présence a éclairé lout le ciel... vois ! sur la a O mon Anah! quand viendra l'heure redoutable, quand s'ouvriront
cime tout à l'heure cachée de l'Arural brille maintenant un doux x les sources de l'abîme, lu aurais trouvé un refuge sur mon cirnr, co
arc-en-ciel aux mille couleurs, trace éblouissante de leur passage!! coeur qui battit vainement pour toi, et qui bâtira plus vaineniHiilen-
Et maintenant, voilà que la nioiitagno redo.ienl obscure derrière 'é core, tandis que le tien... O Dieu ! que ta colère l'épargne ! elle est
eux. pure au milieu des pécheurs, comme une étoile au sein des nuages.
AHOLIBAMAH. — Ils ont touché la lerre, Samiasa! Mon Anah ! combien je t'aurais adorée! mais lu ne l'as pus voulu ;
ANAH. — Mon Azaziel ! (Elles sortent.) cl néanmoins je vomirais le sauver... Je voudrais le voir encore
quand l'Océan sera le tombeau de la terre; quand Lévialban, roi il»
la mer sans rivage et de l'univers liquide, s'étonnera de l'immensité
SCÈNE IL do son empire. (Japhet sort. — Entrent Noé et Seiii.)
II1A1) , .lAl'HKT. NOÉ. — Où est ton frère? où est Japhet?
SEM. — U est parti en «lisantqu'il allait trouver Irad, selon s»
IRAD. — Nc le laisse point abattre : que sert «le promener ainsi (eses coutume; mais je crains qu'il ne se soil dirigé vers les lentes d A"
pas errants, muel (laps la nuit silencieuse, et de lever vers les étoi-
ii- iiah autour desquelles on le voil errer chaque nuilcomme une co-
les les yeux chargés de pleurs? Les astres ne peuvent rien pour toi. oi.
, voltige
iombe autour île son nid dévasté. Peut-être encore a-t-'1
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON. 209

rlé ses pas vers la caverne* qui s'ouvre au coeur de l'Ararat. UN ESPRIT.—Réjotiissons-nous!la race abhorréequi n'a pu conser-
NOÉ. — Que fait-il là? c'est tin lieu mauvais sur cette terre ; où ver son haut rang dans Edcrt ; parce qu'elle a prêté l'oreille à la
v<
ut esl mauvais; car il s'y rassemble des êtres pires encore que les science
se isolée de la puissance; cette race louche à l'heure de sa
mines méchants. Japhet persisteà aimer celte fille d'une race con- mort!
m Ce n'est paslcnleïnenli un à un, que les hommes doivent suc^
innée, celle fille qu'il ne pourrait épouser lors même qu'elle l'aiT comber;
ci là gloire; la douleur, les années, les chagrins «lu coeur; la
jrait, et elle ne l'aime pas: O coeurs malheureux des hommes! marche
n destructivedu temps ne les moissonneront pas. Voici venir
it-il qu'un fils de mon sang, connaissant la perversité de la race lt dernier jour; la terre deviendra un océan -, et; sur l'immensité
leur
nielle des humains, et sachant que son heure s'approche, se livre d vagues, il n'y aura de souffle que celui de la tempête! Les
des
îles sentiments aussi coupables ! Contluis-moi, il faut que nous le aanges fatigueront leurs ailes sans trouver un lieu pour s'abattre:
unions. Pas un rocher ne fera sortir sa cime de ce tombeau liquide, pour
P
SEM. — Ne va pas plus loin, mon' père; je chercherai Japhet. offrir
o un refuge au désespoir, ou signaler l'endroit où il aura.terminé
NOÉ. — Ne crains rien pour moi : les êtres malfaisants ne peu- ssa souffrance après avoir longtemps promené ses regards sur une
ml rien contre l'élu de Jéhovah. Marchons. mer
n sans limites, attendant Un reflux qui ne doit point arriver.
SEM. — Vers les lentes du père des deux soeurs ? Partout sera le vide» partout la destruction ! Un nouvel élément
Y
NOÉ.
— Non, vers la caverne du Caucase; (Noé et Sem sor~ ddominera partout', etcouleurs les enfants abhorrés de la poussière périront
71*.) I
tous. De toutes ces qu'étale là terre, il ne restera plus
qu'un azur sans bornes; plus de montagne pittoresque', plus db
SCÈNE III. plaine
y fertile; les cèdres et les pins lèveront en vain louis cimes.
Tout sera submergé dans l'inondation universelle; l'homme, la
Une caverne et les rochers du Caucase. terre
. et lé feu mourront; le ciel el l'Océan n'offriront plus aux yeux
^dé l'Eternel qu'un espace immense et Sans Vie. Surl'écurtie des îlots,
JAPHET, seul'. qui construira une demeure?
C
Solitudes, qui scmhlez éternelles ; et toi -, caverne insondable et I JAPHET, s'avànçant.— Ce sera mon père! La semence«le la terre
I

ine périra pas; le mal seul sera retranché. Loin d'ici, démons qui
,
sus montagnessi terriblesdans votre beauté; rochers rudes et ma-
I

istueux , arbres gigantesques qui enfoncez vos racines dans la ltriomphez du malheur des hommes, qui hurlez votre hideuse joie
ierre, sur la cime escarpée, où le pied de l'homme ne pourrait alors î que Dieu détruit ce que vous n'osez détruire ! Hâtez-vous «je
iteindre et n'oserait se poser L.,.. Oui, nobles solitudes^ vous sem- fuir! I retournez dans vos antres Souterrains ! Bientôt les vagues vous
lez éternelles! et pourtant, encore quelques heures, et vous serez poursuivront | dans vos profondes retraites, et voire race fatale,
louleversées, ensevelies par la masse des eaux ; elles pénétreront Ilancée au loin dans l'espace, deviendra le misérable jouet de lous
usque dans les dernières profondeurs de cette caverne, qui semble les I vents.
entrée d'un monde souterrain, et les dauphins se joueront dans la L'ESPRIT.—Filsde celui qui doit être sauvé ! quand toiet les tiens
anière du lion! Et l'homme!... ô mes frères! quel autre que moi vous aurez bravé le vaste et terrible élément; quand sera brisée la
ilcurera sur votre tombe universelle? Hélas ! en quoi ai-je mérité Ibarrière de l'abîme, loi et les tiens scivz-vous bons cl heureux?...
le vous survivre ? que deviendront les lieux chéris où je Venais rô- Non! la douleur sera le partage du nouveau monde et de la race
er à mon Anah, alors que j'espérais, et les solitudes sauvages , nouvelle. Devenus moins beaux, les hommes vivront moins long-
nais non moins chères peut-être, où je suis venu depuis exhaler temps que ces glorieux géants qui parcourent le globe dans leur
non désespoir? Se peut-il, grand Dieu! quoi! cc pic orgueilleux orgueil, que ces enfants des amours du ciel avec les vierges de la
In Caucase, dont la cime étineelante ressemble à une étoile loin- terre. Il ne vous restera du passé que les larmes. El n'as-tu donc
iiiine, disparaîtra sous les flois bouillonnants! Le soleil levant ne pas honte de survivre h tes frères , «le toujours manger., boire et
tiendra plus dégager ce sommet allier du sein des flottantes vapeurs ; propager la race? Peux-tu avoir le coeur assez lâché et assez vil
le soir, nous ne verrons plus derrière sa tôle s'abaisser le large dis- pour apprendre l'approchede cette immense destruction sans qu'une
que de l'astre du jour, en laissant sur son front une couronne bril- douleur courageuse l'inspire la résolution d'attendre loi-même les
lante de mille couleurs! H ne sera plus le phare du monde, où les flots dévastateurs, plutôt que de partager Un asile privilégié et de
bâtir la demeure sur la tombe de la terre submergée? Aveugle ,
anges viennent prendre terre, comme au lieu lé plus rapproché des et
îloilcs! Se peut-il «juc ce mot, « jamais plus, » soil fait pour lui ; lâche qui consent à survivre à sa race ! La mienne exècre la tienne,
pour toulc chose, si ce n'est pour nous et les créatures muettest comme appartenant à une autre classe d'êtres; mais nous ne haïs-
réservées par mon père d'après l'ordre de Jéhovah ! Ces créatures; sons pas nos propres frères. 11 n'esl aucun de nous qui n'ait laissé
mon père les sauvera, et moi je n'aurai pas le pouvoir de soustrairei dans le ciel un trône vacant, pour habiter ici dans l'obscurité, plu-
la plus charmante des filles «le la terre à une condamnation quii lot que de dire à ses frères : « Allez souffrir sans moi. » Va, misé-
n'atteindra pas le serpent et sa femelle ; car ils vivront, ces reptiles, rablet vis, et transmets une vie comme la tienne à d'autres misé-
prnir conserver el propager leur espèce , pour siffler et darder leur rables! El quand les flols destructeurs couvriront les ruines qu'ils
,

venin ilnnsquckpie nouveau monde. Oui, un monde doit sortir tbull auront fuites, alors tu porteras envie aux géants patriarches qui ne
ruinant cl humide encore du limoii qui recouvrira le cadavre de) seront plus, lu mépriseras ton père pour leur avoir survécu ; et
celui-ci; sous l'ardeur du soleil, le marais délaissé par les flots amers3 loi-même; tu rougiras d'être son fils! (La voix des Esprits s'élève en
doit redevenir un globe habitable, lequel servira de monument uni- choeur du sei?i de la caverne. )
que et de sépulcre universel h des myriades d'êtres actuellement t CnoEuii DES ESPRITS.—Réjouissons-nousI la voix humaine ne
pleins de viel Que de souille vital arrêté en un jour! Monde en- viendra plus dans les airs interrompre notre joie par ses chants
core jeune et beau, el déjà voué à la destruction,c'est le coeur briséé pieux; les hommesn'adoreront plus; el nous, qui depuis des siècles
que je le contemple pendant ces jours el ces nuits qui sont déjài avons cessé d'adorer le Seigneur, nous verrons périr ces créatures
comptés. Je ne puis te sauver, je rie puis môme sauver celle dontt orgueilleuses de leur chétive argile, el leurs os blanchis, éparpillés
l'amour t'aurait encore embelli pour moi ; mais je suis une portioni dans les cavernes, dans les antres, dans les crevasses des monta-
de ton argile, et je
ne puis penser à la lin prochaine sans éprou- gnes, dernières retraites où l'onde anière les poui suivra. Les ani-
ver O Dieu! Penx-tu bien... (Il s'interrompt. On entend sor- maux eux-mêmes, dans leur désespoir, cesseront de faire la guerre
'/r de la caverne un bruit semblable à un vent violent > puis dess à l'homme et de s'attaquer entre eux : le ligre se couchera pour
klats de lire. Un Esprit parait.) mourir à côlé de l'agneau, comme s'il élait son frère. Toules choses
JAPHET.
— Au nom du bal Très Haut, qui es-tu? redeviendront ce qu'elles étaient, silencieuses él inorganisées,a l'ex-
L'ESPRIT, riant.
— Hal ha !
déplus sainl la
ception du ciel. Seulement, il sera l'ait une courte trêve avec la
JAPHET.
— Par tout ce qu'il y a sur terre, parle. . mort; elle voudra bieii épargner de faibles débris «le la création an-
L'ESPRIT, riant. —liai hal térieure à la condition d'engendrer de nouvelles nations pour la
Parle déluge qui s'approche! par la terre que l'Océanil servir; ces , débris flotteront
JAPHET.
— sur les eaux du déluge , el quand Ces
'ïiengloutirlparl'abîihequi va ouvrir toutes ses sources! par le cield eaux seront retirées, quand la chaleur du soleil aura consolidé le
lui va convertir ses nuages en nouveaux océans ! par le Tout-1'uis- i- sol fumant encore, ils donneront le jour à de nouveaux êtres,
S;mt qui crée et détruit ! fantôme inconnu, vague et terrible, fils des s Alors aussi reviendront les années ; les maladias, les douleurs, les
ombres, parle-moi ! pourquoi ris-tu de cet effroyable rire ? crimes, avec leur cortège d'agitation et de haine, jusqu'au jour...
L'Iispnrr. — Pourquoi pleures-tu? JAPHET,/e.s interrompant. — Jusqu'au jour où la volonté éternelle
JAPHET.
— Je pleure ha!sur la terre et sur tous ses enfants:
(L'Espritdisparaît.)
daignera expliquer ce rêve de biens el de maux, rappeler à lui tous
L'ESPMT.
— Ha! ha! les temps et toiis les êtres, les rassembler sous ses puissantes ailes,
JAPHET.
— Comme ce démon lequel insulte aux torturés du monde, à laa abolir l'enfer, et rendant h la terre régénérée sa beauté primitive
mine prochaine d'un globe sur le soleil viendra luire sans y lui restituer son Edcn dans un paradis sans fin où l'homme ne,
•'oiiver de vie à réchauffer 1 Et cependant la terre dort ! et lout ce e pourra plus succomber, où les démons eux-mêmes, seront jusles!
lu'elle contientdort aussi, à la veille de mourir ! Pourquoi les hom- LES ESPRITS.—Etquand s'acebmpliracelle merveilleuse prophétie?
'oess'éveilleraient-ils^pouraller au devant de la mort ?... Mais quels is JAPHET. - Quand le Rédempteur sera venu, d'abord dans les souf-
*»t ces êtres qui ressemblentà la mort vivante, et parlent commee frances, puis dans sa gloire.
s.''s étaient rtés avant monde expirant? approchent
Us comme ESPRIT..— Eli attendant, co'nliiurz à vôiis débattre sous voire
I UN
ce ie
*is nuages! (Divers Esprits sortait'de la caverne.) \
I chaîne moi telle, jusqu'à cc que lalcnc al \ii.illi. Faites une guerre
300 LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

inutile, el à vous-mêmes, et a l'enfer et au ciel, jusqu'à ce que les AZAZIEL. —Ignores-tu, ou aurais-lu oublié qu'une partie de nos
nuages soient rougis des vapeurs exhalées des champs de bataille, fonctions
fc consiste à veiller sur ce globe?
Nouveaux siècles, nouveaux climats, nouveaux arts, nouveaux JAPHET. — Mais déjà tous les bons anges ont quitté la lerre con-
hommes; mais aussi vieilles larmes, vieux crimes, vieux maux d'au- damnée; les mauvais esprits eux-mêmes fuient le chaos qui s'ap>.
di
trefois. Les mêmes tempêtes morales inonderontl'avenir, comme proche.
pi Anahl Anah! toi que j'ai si vainement el si longtemps
les vagues vont couvrir les tombeaux des géants glorieux. aimée,
ai toi que j'aime encore, pourquoi te promener ainsi avec cet
CHOEURDBSESPRITS.—Frères, réjouissons-nous! mortel, adieuI esprit,
ei en ce moment où nul habitant du ciel ne séjourne ici-bas?
Ecoutez! écoulez! déjà l'on entend la voix lugubre de l'Océan qui ANAH. — Japhet, je ne puis te répondre; cependant pardonne,
s'enfle et gronde; les venls balancentleurs ailes rapides-, les nua- moi. n
ges remplissent leurs réservoirs; les sources de l'abîme vont se dé- JAPHET. —Puisse le ciel, qui bientôt ne pardonnera plus, te par-
chaîner, el les cataractes du ciel s'ouvrir. Et cependant les hommes donner d à toil car la tentation est puissante...
voient ces redoutables présages sans en prendre souci ; leur aveu- AHOLIBAMAH.— Retournevers les frères, fils insolentde Noé! nous
glement continue. Nous entendons des bruits qu'ils ne peuvent en- ne n te connaissons pas.
tendre : la menaçante armée des tonnerres se rassemble, mais sa JAPHET. —Un temps viendrapeut-êtreoù tu me connaîtras mieux
marche est différée de quelques heures ; les bannièros brillent dans et e où ta soeur me retrouvera tel que j'ai toujours élé.
les cieux, mais elles ne sont pas déployées, et le regard perçant SAMIASA.—Fils du patriarche qui fut toujours juste devant Dieu
des Espritspeut seul les apercevoir. Gémis, ô terre, gémis1 tu es plus 3uelles «I que soient tes afflictions ( car tes paroles semblent mêlées
rapprochée de la mort que de ton berceau si récent 1 tremblez, de douleur ei de colère), en quoi Azaziel et moi avons-nous pu te
montagnes,qui allez disparaître sous les flots débordés! les vagues faire f< injure?
viendront assaillir les cimes de vos rochers; et les coquillages, les JAPHET. —Injure llaplus grande de toutes les injures; mais tu as
petits coquillages, les hôtes les plus chétifs de l'Océan , seront dé- raison, r bien que celle femme nc fût comme moi que d'argile, je ne
posés aux lieux où l'aigle couve maintenant ses aiglons... L'aigle !... la 1 méritais pas, je ne pouvais ia mériter. Adieu, Anah ! cc mot, je
quelscris il va faire entendreen planant sur la mer impitoyable1 En l'ai 1 dit souventl mais maintenantje le prononcepour la dernière
vain , il appellera sa naissante famille, la vague envahissante lui fois. f Ange! ou qui que tu sois, as-tu le pouvoir de sauver celte
répondra seule; vainement aussi l'homme lui enviera ses larges beauté... I ces deux beautés sorties de la race de Caïn ?
ailes qui ne le sauveront pas... où pourra-l-il reposer son vol, AZAZIEL. — Les sauver! et de quoi ?
alors qu'à perte de vue l'espace ne lui offrira que l'Océan, son tom- JAPHET. — Se peut-il que vous aussi vous l'ignoriez? Anges!
beau? Frères, réjouissons-nous! élevons les accents de nos voix malheureux i anges 1 vous avez partagé le péché de l'homme, et
surhumaines! Tout mourra, hormis un faible débris de la postérité peut-être ] devez-vous partager aussi son châtiment, ou du moins
de Seth débris soustrait à la mort présente, et réservé à de fu- ma i douleur.
turés douleurs. Mais des filsdcCaïn aucun nc survivra, et toutes ses SAMIASA. — Ta douleur ! C'est la première fois que j'entends un
fillessibelles seront engloutiessousles vaguesdévorantes, ou, flottant fils 1 d'Adam me parler en énigmes.
à la surfacede l'Océan, leurs longs cheveux épars sur les ondes, elles JAPHET. — Ces énigmes, le Très-Haut nc vous les a-l-il pas ex-
accuseront la cruauté du ciel, qui n'a pas voulu épargner des créa- pliquées? Alors c'en est fait de vous et d'elles aussi.
tures si charmantes jusque dans la mort. L'arrêt est prononcé, tous AIIOLIBAMAII.— Eh bien! soit! s'ils aiment comme ils sont aimés,
doivent mourir! el à la clameur universelle des humains succédera ils n'hésiteront pas plus à subir la deslinée des mortels que je ne
l'universel silence1 Fuyons, frères, fuyons! mais réjouissons-nous I reculerais, moi, devant une immortalité de souffrances avec Sa-
nous sommes tombés! ils tombent! ainsi périssent lous les chélifs miasa 1
ennemis du ciel qui reculent devant l'enfer 1 ( Les espritsprennent ANAH. —Ma soeur! ma soeur! ne parle point ainsi.
leur vol et disparaissent.) AZAZIEL. — As-tu peur, mon Anah?
ANAH. —Oui, pour toi! je sacrifierais volontiers ce qui me rest
JAPHET seul.—Dieu a prononcé la sentence delà terre. L'archedc de cette courte vie pour épargner à ton éternité un seul instant d
salut de mon père en était l'annonce; les démonseux-mêmesla pro- douleur.
clament du fond de leurs cavernes; le livre d'Enoch l'a depuislong- JAPHET. — C'est donc pour lui, pour le séraphin que tu m'a
,
temps prédite, dans ses pages muettes dont le silence en dit plus à abandonné! ce n'est rien, si tu n'as pas aussi abandonné ton Dieu
l'esprit que la foudre à l'oreille. El cependant les hommes n'ont car de telles unions entre une mortelle cl un immortel nc sait
point écouté, et ils n'écoutent pas; mais ils marchent aveuglément raient être heureuses ni saintes. Nous avons élé envoyés sur I
à leur destinée, à celle deslinée si prochaine, dont leur stupide in- terre pour travailler et mourir ; et eux , ils furent créés pour servi
crédulité ne s'émeut pas plus que leurs derniers cris n'ébranleront le Très-Hautdans lescieux; mais si celangca le pouvoir de le sauve
la volonté du Très-Haut, ou l'Océan obéissant et sourd qui l'accom- l'heure nc tardera pas à venir où les hommes n'auront de recoin-
plira. Nul signe n'arbore encore sa bannière dansles airs; les nuages que dans une aide céleste.
peu nombreux ont leur apparence accoutumée; le soleil se lèvera ANAH. — Ah ! il prétend nous annoneer la mort.
sur le dernier jour de la terre, comme il se leva sur le quatrième SAMIASA. — La mort, à nous! et à celles qui sont avec nous !
jour de la création, quand Dieu lui commanda luire, el de qu'il fit cet homme nc semblait accablé d'affliction, il me ferait sourire.
briller sa première aurore. Alors sa naissante lumière n'éclaira pas JAPHET. — Si je m'afflige, si je crains, ce n'esl pas pour moi
le père du genre humain (il n'était pas né) mais elle alla éveiller même. Je dois être épargné, non pour mes mérites, mais pour ceu
.avant la prière de l'homme les concerts plus doux des oiseaux, qui, d'un père vertueux, qui a été trouvé assez juste pour sauver ses en
dans le vaste firmament, prennent leur vol comme les anges, et fants. Celle puissance de rédemption, hélas! que n'est-elle pli
comme eux saluent le ciel chaque jour avant les fils d'Adam. grande encore! charmante Plût à Dieu que, par l'échange de ma vie contre II
L'heure de cet hymne matinal approche... déjà l'orient se colore.... sienne, la plus des filles de Caïn pût être admise dan
bientôt les oiseaux vont chanter, et le jour va paraître, comme si l'arche qui recevra les débris de la race de Seth.
la redoutable catastrophe ne devait pas éclater toul a l'heure. Hélas! AHOLIBAMAH.—Et penses-tu que nous, qui sentons couler dan
les oiseaux laisseront tomber sur les ondes leurs ailes fatiguées ; et nos veines ardentes le sang deCaïn, du premier né de l'homme, il
le jour... le jour se lèvera; mais sur quoi?... sur un chaos pareil à Caïn le fort, de Caïn engendré dans le paradis nousconsentioi
celui qui précéda'la lumière, et qui, en se renouvelant, anéantira à nous mêler aux enfants de Seth, du dernier fruit de la vieilles
le temps! car, sans la vie, que sont les heures? Sans Jéhovah l'é- d'Adam? Non, non, quand le salut de toute la terre devrait en d!
ternité elle-même ne serait qu'un vide : sans l'homme, le tempst pendre ! notre race a vécu séparée de la vôtre depuis le commci
meurt, englouti dans cet océan qui n'a point de source.... Que vois- cernent ; il en sera de même dans l'avenir,
je ? des filles de la terre et des fils de l'air ? Non , ce sont tous desi JAPHET. — Ce n'est pas à toi que je m'adressais, Aholibamah!
enfants du ciel, tant ils sont beaux. Je ne puis distinguer leursi ne l'a que trop transmis de son orgueil, celui qui versa le premi
traits ; je ne vois que leurs formes. Avec quelle grâce ils descendentt sang, le sang d'un frère I Mais toi, mon Anah ! laisse-moi t'appel
la montagne grisâtre, dont ils fendent les brouillards! Après les fa- ainsi, bien qu'il me faille renoncera toi; mon Anah! toi laquel qui n
rouches et sombres esprits qui viennent d'exhaler l'hymne impie dui faisquelquefoispenserqu'Abel a laissé une fille pieuse dans
triomphe,leur présence est douce à mon coeur comme une apparitioni il revit, tant tu ressembles peu au reste de faîtière postérité l
d'Eden. Peut-être viennent-ils m'annoncer un délai accordé à notreÎ Caïn, si ce n'est par la beauté.
jeune monde, ce délai que mes prières ont tanl de fois imploré. AHOLIBAMAH, l'interrompant.—Voudrais-tudonc qu'elle ressci
Anah! O Dieu! et avec elle... (Entrent Samiasa,, blât d'âme et de corps à l'ennemi de notre père? Si je le croya
— Ils viennent!...Aholibamah.)
Azaziel, Anah et si je pensais qu'il y eût en elle quelque chose d'Abel!... Relire-t<
fils de Noé ; tu cherches une querelle.
ANAH. Japhet 1 JAPHET. — Fille de Caïn, c'est ce que fit ton père.
SAMIASA. —Quoi! un fils d'Adam 1 AHOLIBAMAH. — Mais il n'a pas tué Seth ; et qu'as-tu à voir «la
AZAZIEL. —Que fait ici l'enfant de la ferre, pendant que toute sa a d'autres actes qui restent entre son Dieu et lui?
race sommeille? JAPHET. —Tu dis vrai ; son Dieu l'a jugé, et je n'aurais pas ri
JAPHET.— Ange 1 que fais-tu toi-mêmesur la lerre quand tu devrais s pelé son action, si tu n'avaistoi-même semblé te glorifier de lui.
être au ciel ? AHOLIBAMAH.—11 fut le père de nos pères, le premier-né
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON. 301

l'homme, le plus fort, le plus har.ti el le plus énergique. Rougirai-je 1 je vois venir le moins sévère de ses messagers, et pourtant celui
de celui à qui nous devons l'être? Regarde les enfants de notre I qu'aucune
qu tentationne peut atteindre. (Entre l'archangeRaphaël.)
race; vois leur stature et leur beauté, leur courage, leur vigueur, le
nombre de leurs jours. RAPHAËL. — Esprits I dont la place est auprès du trône suprême,
JAPHET. — Leurs jours sont comptés. qii faites-vous ici ? Est-ce ainsi que vous observez votre devoir de
que
AHOLIBAMAH. — Soit ! mais tant que durera le soufflequi les anime, séraphins,
se maintenant que l'heure approche où la terre doit être
je me glorifierai dans mes frères et dans mes pères. abandonnéeà elle-même? Retournez offrir, avec les sept élus, le
ab
JAPHET. — Mon père et sa race ne se glorifient que dans leur glorieux
t?' hommage de vos adorations el de vos flammes. Votre place
pieu. Anah ! et toi ? es au ciel.
est
ANAH. — Quoi que notre Dieu ordonne, le Dieu de Seth et de SAMIASA.
— O Raphaël t le premier et le plus beau des enfants
Caïn, je dois obéir, et je m'efforceraid'obéir avec résignation. Mais dt Dieu, depuisquand est-il interdit aux anges de fouler cette lerre,
de
dans celle heure de vengeance universelle, si j'osais demander à qui vit si souvent Jéhovahimprimersur son sol la trace de ses pas?
<P
Dieu quelque chose, ce ne serait pas de survivre seule à toute ma 11.aima
11 cc monde elle créa pour aimer; combien de fois, d'une
famille. Ma soeur t ô ma soeur I que serait le monde, que seraient aile ai joyeuse, nous avons apporté ici ses messages, l'adorant dans
d'autres mondes, que serait l'avenir le plus brillant, sans le passé ses se moindres oeuvres, veillant sur cette planète, la plus jeune de
si doux... sans ton amour... sans l'amour de mon père... sans tous toules, et désireux de maintenir digne de notre maître ce dernier
tt
ces êtres qui semblent nés avec moi, étoiles radieusesd'où descend
produit
P1 de son auguste parole ! Pourquoi nous montrer un front sé-
sur ma ténébreuse existence de douces lumièresqui n'étaient pas en
vère
vi ? pourquoi nous parler de destruction prochaine ?
moi! Aholibamah I oh 1 s'il y a possibilité de pardon, demande-le... RAPHAËL.— Si Samiasa et Azaziel étaient restés à leur poste,
obtiens-le ; je hais la mort s'il faut que lu meures. avec
«J les choeurs des anges, ils auraient vu écrit en lettres de feu le
AHOLIBAMAH. —Eh quoi ! ce rêveur, avec l'arche de son père, cet
dernier décret de Jéhovah, et n'auraient point à s'informer auprès
épouvantailqu'il a construit pour le vulgaire,aurait-il donc effrayé de u, moi de la volonté de leurcréateur; mais l'ignorance accompagne
toujours
" le péché; les lumières des espritseux-mêmes diminuent en
ma soeur? Ne sommes-nous pas aimées par des séraphins? el lors raison de leur orgueil. Alors que tous les bons anges se sont éloi-
même que nous n'aurions pas cet appui, irions-nous placer notre £ gnés
vie sous la protection d'un fils de Noe? Ah I plutôt mille fois... Mais Jj de la terre, vous y êtes restés, mus par d'étranges passions, et
c'est un insensé qui rêve les pires de tous lés rêves, un cerveau que
abaissés
** par désaffections mortelles, pour une mortelle beauté;
les veilles ont échauffé, et dans lequel l'amour rebuté engendre
mais
? jusqu'ici Dieu vous pardonne : il vous rappelle parmi vos égaux
mille funestes visions. Eh ! qui donc ébranlera ces pesantes mon-
irréprochables.
' Parlez! parlez 1 ou restez, et, parce délai, perdez
lagnes, celte terre solide? Qui viendra dire à ces nuages et à ces eaux votre
éternité I
de dépouiller la forme que nous et nos pères leur avons vu revêtir
AZAZIEL.
— El toi, si le séjour de la terre est interdit par le dé-
*cret que nous ignorions jusqu'à ce moment, n'es-tu pas également
sans cesse? Qui le pourra? coupable de te trouver ici ?
JAPHET. — Celui qui les a créés d'une parole.
AIIOLIBAMAII. — Cette parole, qui l'a entendue?
RAPHAËL.
— Je suis devenu pour vous rappeler dans votre sphère,
JAPHET. — L'univers, qui à son ordre s'élança dans la vie. Ah ! au nom tout puissant Dieu même; ses ordres me sont toujours
un sourire de dédain ! Interroge les séraphins, et s'ils ne l'attestent moins
chers, et le devoir queje viens remplir en cc moment ne l'est pas
pas, ce titre ne leur est pas dû. ' pour moi. Jusqu'à présent nous avons foulé ensemble l'éter-
SAMIASA. — Aholibamah, confesse Ion Dieu 1 nel espace ; continuons à parcourir d'un même vol l'empire «les
étoiles.
' La terre, il est vrai, doit mourir I la race de ses fils, rappelée
AIIOLIBAMAII.
— J'ai toujours reconnu celui dont nous sommes dans ses entrailles, doit se flétrir, ainsi qu'un grand nombre des oh- .
l'ouvrage. Samiasa, ton Créateur est le mien ; c'est un Dieu d'à- '
mour, non de douleur.
jetsqui l'embellissent; maiscette lerre ne saurait-elle doncêtre créée
JAPHET. — Hélas! qu'est-ce que l'amour, sinon une douleur?

ou
]
détruite sans qu'il se fasse un vide dans les rangs des immortels,
Celui-là même qui créa la terre dans son amour eut bientôtà s'af- Satan, '
notre frère, est tombé ;,sa volonté hautaine a mieux aimé af-
lligcr sur les premiers habitants qu'il y avait mis. fronter la souffrance qued'adorer encore. Mais, vous, séraphins, purs
AIIOLIBAMAII. — On le dit... jusqu'ici, vous moins puissants que ce premier de tous les anges,
JAPHET. — C'est la vérité. (Entrent Noé et Sem.) rappelez-voussa chute, et voyez si la satisfaction de tenter l'homme
peut compenser la perle du ciel trop tard regretté? Longtemps j'ai
combattu, longtempsje dois combattre encore l'esprit orgueilleux
NOÉ. — Japhet ! Que fais-tu dans ces lieux avec les enfants des' qui ne put supporter la pensée d'avoir été créé, et refusa de recon-
pécheurs? Ne crains-tu pas de partager leur châtiment qui s'ap- naître celui qui l'avait fait briller en face des chérubins comme
proche ? brille un soleil relativement aux astres qu'il régit, éclipsant , même
JAPHET. — Mon père, serait-ce donc un péché que de chercher à1 les archanges placés à sa droite. Je l'aimais Il était si beau! ô
sauver des filles de la terre? Regardez, elles ne sauraient être cri- ciell après son Créateur, qui jamais égala Satan en beauté et en
minelles, puisqu'ellessont dans la compagnie des anges. puissance ! Si l'heure qui le vit faillir pouvait être oubliée jour!..
NOÉ.—Voilà donc ceux qui désertent le trône de Dieu pour choi- Non... ce souhait même est impie. Mais vous! qui n'êtes un point dé-
sir des femmes dans la race de Caïn ; voilà ces fils du ciel qui re- chus encore, que son exemple vous instruise ! L'éternité avec lui,
cherchent les filles de la terre pour leur beauté ! ou avec son Dieu: voilà le choix que vous avez à faire. Satan ne
AZAZIEL. —- Patriarche ! tu 1 as dit. vous a point tentés, vous ; il ne peut tenter les anges placés au-
NOÉ. Malheur, malheur à de telles unions 1 Dieu a établi une
e dessus de ses pièges ; mais l'homme a écoulé sa voix, cl vous celle
barrière— entre le ciel la
et terre, et limité chaque être à son espèce. de la femme La femme est belle; cl la parole du serpent avait
SAMIASA.
— L'homme n'a-t-il pas été fait à l'image de Jéhovah ? moinsdcfascinalionqu'un baiser de la beauté. Le serpent n'a vaincu
Dieu n'aime-t-il pas ce qu'il a fail? et faisons-nous autre chose qu'i-
miter son amour pour ses créatures ? que la poussière, mais la femme fera tomber du ciel de nouveaux
anges violateurs descélestes lois. Fuyez! il en est temps encore.Vous
NOÉ. Je ne suis qu'un homme, et il ne m'appartient pas dee ne pouvez mourir, mais ces filles de la terre mourront ; et vous, le
juger les—hommes, encore moins les fils du ciel ; mais notre Dieu u ciel retentira de vos regrets douloureux pour ces créatures d'argile
ayant daigné se communiquerà moi et me révéler ses jugements, i, périssable, dont la mémoire survivra de beaucoupdans votre im-
j'allcste que dans la conduite des séraphins qui descendentde leurr mortalité au soleil qui leur donna le jour. Songez que votre essence
élernel séjour vers un monde périssable et à la veille de périr, il ne e n'a de commun avec la leur que la faculté de souffrir. Pourquoi
saurait y avoir rien de bon. vous associer aux douleurs qui doivent être le partage des en-
AZAZIEL. — Et si c'était pour les sauver ? fants de la terre... nés pour voir leur existencelabourée par les ans,
NOÉ. — Ce n'est pas vous, quelle que soit votre gloire, qui pour- semée par les chagrins et moissonnée par le trépas, ce maître du
rez sauver ce qu'a condamnél'auteur de cette gloire même. Si votre •e domaine de l'humanité. Lors même que leur vie n eût pas été abré-
mission élait une mission de salut, elle serait générale et ne se bor- gée par la colère de' Dieu, et qu'on les eût laissés se frayer à travers
nerait pas à deux créatures, bien belles en effet, mais néanmoins is des siècles un chemin vers la tombe, ils n'en eussent pas moins été la
condamnées. proie du péché et de la douleur.
JAPHET. —Mon père! Ne dites pas cela.
NOÉ.—Mon fils! mon fils! si lu veux éviter leur châtiment,oublie
AHOLIBAMAH.
— Qu'ils fuient ! j'entends la voix qui annonce que
ie nous devons mourir avant l'âge où sont morls nos patriarches en
qu'elles existent; bientôt elles auront cessé d'être, tandis que loi, tu lu cheveux blancs, et que là-haut un océan est prêt à fondre sur nous,
seras le père d'un monde nouveau el meilleur. pendant qu'ici-bas les eaux de l'âbime s'élèveront, et iront se join-
JAPHET. —Ahl je voudrais mourir avec ce monde et avec elles!! «Ire aux torrents des cieux. Un petit nombre, il paraît, sera seul
NOÉ.
— Tu le mériterais pour une telle pensée ; mais il n'en sera
point ainsi : tu seras sauvé par celui à qui appartient le salut.
ra épargné ; la race de Caïn n'y est point comprise, et c'est vainement
qu'elleimplorerait le Dieu d'Adam. Puisqu'il en est ainsi, ma soeur,
SAMIASA.—Et pourquoilui et toi, et non celles que ton fils préfère re puisque nos supplications ne sauraient obtenir là rémission d'une
* tous deux? seute heure de souffrance, séparons-nous de ce que nous avons
NOÉ. —Adresse celte question à l'èlre qui te fit plus grand que ne adoré ; affrontons les vagues, comme nous affronterionsle glaive,
"mi el les miens, mais également soumis à sa toute-puissance.Mais lis sinon sans émotion, du moins sans peur, gémissant moins sur
U-l LÈS VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

nous que sur ceux qui nous survivront dans un esclavage mortel bronzée bre à l'endroit de l'horizon où naguère se levaient des aurores
ou immortel, et qui, après l'écoulement des ondes, pleureront sur brillantes. lui
les myriades d'êtres qui ne pourront plus pleurer. Fuyez, séraphins, NOÉ.<—Voyez-vous
I luire cel éclair ? c'esl le messager du tonnerre
lointain approche ! partons! partons ! laissons aux éléments leur
vers vos régionsétcrnelles, où il n'y a point de vents qui mugissent, loii ! Il
de vagues qui grondent. Notre Sort, à nous, esl de mourir, lé vôtre criminelle cri: proiel rendons-nous au lieu où notre arche sainte élève
de vivre à jamais; mais laquelle vaut mieux d'uneéleinité de morlou ses flancs protecleursà l'épreuve du naufrage.
d'une vie'éternelle,le Créateur est le seul qui le sache. Obéissez-lui JAPHET.—Omon
J père! arrêtez! n abandonnez pas mon Anah
comme nous lui obéirons. Je ne voudrais pas , pour toute la misé- à la 1 fureur des vagues.
ricorde accordée à la race de Seth, garder vivante cette argile une NOÉ.—Nedevons-nous
] pas leur abandonner tout ce qui respire?
heure de plus que sa volonté ne l'ordonne, ni vous voir perdre une Partons
Pa !
Îiorlion de sa faveur. Fuyez! et quand vos ailes vous emporteront JAPHET. — Je resterai.
oin de ce séjour, songe, Samiasa, que mon amour doit monter avec NOÉ.
— Meurs donc avec eux ! Oses-tu bien lever les yeux vers
toi jusqu'au, ciel I Ah! si, en suivant ton vol, mes yeux restent sans ce ciel prophétique, et vouloir sauver des condamnés contre les-
larmes, c'est que la fiancée d'un ange dédaigne de pleurer... Adieu ! quels qu tout s'unit, dans un irrésistible accord, avec la juste colère «le
Et loi, maintenant, lève-toi, ô mer inexorable! Jéhovah?
Jél
ANAH. Faut-il donc mourir? faut-il donc le perdre aussi, Aza- JAPHET. — La colère et la justice peuvent-elles mareher ensem-

ziel! O mon coeur! mon coeur! les présages étaient vrais! et pour- ble? bl<
tant, lu étais si heureux! le coup, bien que prévu, me frappe NOÉ. —' Blasphémateur 1 oses-tu bien murmurer dans un pareil
commeun trait soudain.N'importe, quitle-moi.Ah!pourquoi?.... mais moment? m
que ne je te retienne pas... fuis! Mes douleurs né peuvent qu'être RAPHAËL.
— Patriarche 1 montre-toi encore père ! désarme ton
courtes ; mais les tiennes seraient éternelles, si tu étais exilé du ciel front fr< : eu «lcpit de sa démence, ton fils vivra. Il nesait ce qu'il dit;
à cause de moi- Tu n'as déjà été que trop bon pour une fille d'A- néanmoins, ni il ne boira pas, parmi des sanglote étouffés, l'écume
dam! notre partage, c'est la douleur. Non-seulement pour nous, àmèredes ai vagues turbulentes; mais, quand son délire sera calmé, il
mais aussi pour les esprits qui n'ont pas dédaigné de notis aimer, il sera se aussi juste que toi ; il ne doit pas périr, comme ces fils du ciel,
el
n'est dans l'avenirque souffrance que honte. Le premier qui nous avec a> les filles des hommes.
enseigna la science fut précipité de son trône d'archange, dans je AHOLIBAMAH.
— La tempête approche ; le ciel et la terre s'unis-
ne sais quel monde inconnu. Et toi, Azaziel! non, tu ne connaîtras sent se pour la destruction de tout ce qui a vie : entre noire force et
pas la douleur à cause de moi Pars! et ne pleure' pas!... Non, lu l'éternelle l'< puissance, la lutte est inégale!
ne peux pleurer ; mais la douleur sans larmes n'en sera que plus SAMIASA. — Mais notre puissance est avec vous ; nous vous em-
poignante; oublie donc celle à qui les flots «le l'Océan destructeur porterons pi dans quelque étoile paisible, où Anah et loi. vous parta-
n'apporterontpoint d'angoisse pareille à celle-ci ! Fuis fuis ! quand gerez
!
g, notre sort ; et si tu ne regrettes pas la terre, nous oublierons i
lu ne seras plus la, il me sera moins difficile de mourir. aussi
ai la perle du ciel.
JAPHET. — Oh! ne dis pas cela! Mon père! et toi noble ar- ANAH. — O tentes de mon père ! ô berceau de ma naissance ! ô
change! dans la pure el austère sérénité de ce front, je lis la misé- montagnes, n forêts ! «uiand vous ne serez plus, qui essuiera mes lar-
ricorde céleste; que ces deux soeurs ne deviennent pas la proie «le mes? n
l'Océan sans rivage ; que notre arche les reçoive, ou je cesserai de AZAZIEL. — L'ange, ton époux. Ne crains rien ; bien «|ue nous
vivre! "
soyons
s, exilés du ciel, il nous reste plus d'un asile d'où nul ne
NOÉ. —Silence! enfant des passions, silence!si tu ne peux maî- pourra
p nous chasser.
triser ton coeur, «pic la bouche du moins n'outrage pas ton Dieul RAPHAËL. — Rebelle! tes paroles sont aussi coupables que les
Vis comme il l'exige meurs, quand il l'ordonnera, meurs de la actes a seront désormais impuissants-; le glaive de feu tiui chassa
mort des justes, cl non comme la race de Caïn. Cesse de l'affliger l'homme 1 du paradis étincelle encore dans la main de l'archange,
ou gémis en silence ; cesse de fatiguer le ciel de tes lamentationsi AZAZIEL. — U ne peut rien sur nous ; adresse à la poussière les
égoïstes. Voudrais-tu que Dieu commît une faute pour loi ? c'en se- menaces n de mort, et parle de glaive à ceux qui ont du sang à ré-
mit une que de changer ses décrets dans le seul intérêt d'une dou- pandre. j: Que sont tes glaives pour «les immortels?
leur-mortelle. Sois homme ! et supporte ce que la race d'Adam doitt RAPHAËL. — Le moment esl venu d'en faire l'épreuve ; lu vas ap-
el peut supporter. prendre enfin combien esl vainc la lulle contre les volontés do ton
JAPHET. — Oui, mon père! Mais, quand tous auront péri, quandI Dieu ; loulc la force était dans ta foi. (On voit arriver des mor-
1

nous resterons seuls flottants sur le désert azuré; quand les vaguesi ttels qui fuient et cherchent un refuge.)
qui nous porteront cacheront dansleurs abîmes notre terre chérie, CHOEUR DKS MORTELS. — Le ciel et la lerre se confondent. Dieu! ô
el, plus chers encore, des amis, des frères silencieux, tous enseveliss Dieu ! qu'avons-nous fait? épargne-nous ! Ecoule ! il n'est pas j usqu'aux
,
I
dans cet abîme sans fond, alors comment arrêter nos larmes et nos3 Ibêles «les forêts qui ne hurlent des prières! le dragon sorl en rain-
cris? pans le silence de la destruction trouverons-nous le repos?? pant \ de son antre, el vient, effrayé, iiioll'ensif, se mêler aux houi-
O Dieu! soyez Dieu ; épargnez pendant qu'il en est temps encore I Ne3 mes;
i les oiseaux remplissent l'air de cris plaintifs! O Jéhovah!
renouvelez point la chute d'Adam. Le genre humain ne se compo- écarte, «
prends en pitié le désespoir du
encore lq verge'de. ta colère' ;supplications,
sait olors que d'un seul couple ; mais les habilanls de la terre sontt monde, i loti ouvrage 1 entends les non de l'homme
tellement multipliés aujourd'hui que les. vagues irritées s'élèveront, seul, t mais de loulc la nature!
que les de
gouttes celte pluie fatale tomberont, moins nombreusess , RAPHAËL. — Adieu, terre! Et vous, malheureux enfants «le la
«pie ne le seraient leurs tombeaux... si la race de Caïn devait même e poussière, je ne puis ni ne dois vous secourir : votre arrêt est porté I
avoir des tombeaux. (Raphaël sort.)
NOÉ. — Silence! présomptueux enfant, chacune de tes paroless '

est un crime. Ange! pardonne au désespoir de ce jeune homme. JAPHET. — Quelques nuages volent comme des vautours poursui- ,
RAPHAËL.
— Séraphins! le langage de ces mortels esl celui de la a vaut leur proie, pendant que d'autres, immobiles ainsi que desvête- ro-
passion ; vous qui êtes ou devez être impassibleset purs, vous pou- chers, attendent l'ordre d'épancher l'océan de leur colère. Un
,
vez retournerau ciel avec moi. ment d'azur ne parera plus le firmament; nulle étoile n'y viendra
SAMIASA. —Nous pouvons aussi n'y point retourner. Nousavons is briller. La mort seule s'est levée dans les cieux : à la place du soleil,
fail notre choix, nous subirons les suites. une clarlé pâle et sépulcrale s'est répandue par toute l'atmosphère
RAPHAËL. — Esl-ce la voire réponse? mourante.
AZAZIEL. — Ce qu'il a dit, je le dis aussi. AZAZIEL.— Viens, Anah! quitte cette, prison, dont les fonde-
RAPHAËL. — Encore! >\ dater de ce moment, dépouillés que e ments sont un chaos : les éléments viennent la rendre à l'état d'où
vous êtes de votre pouvoir,étrangers à voire Dieu,je vous quitte. elle esl sortie; à l'abri de ces. ailes tu seras en sûreté, comme aulre-
JAPHET. — Hélas! où iront-ils? où iront-elles? Ecoutez ! é«;oulcz! '.! fois l'aiglon sous celles de sa mère... Laissons mugir l'universelle
des bruits lugubress'échappent du sein, de la montagne; ils vont il ruine avec tous ses éléments déchaînés! ne t'effraie pas du fracas
en augmentant; il n'y a pas sur toules les hauteurs un seul souffle le de leur lutte bruyante! Nous allons explorer un monde plus bril-
de vent, et cependant les feuilles tombent, les (leurs se détachent, t, lant, un monde où tu respireras le souffle d'une vie aérienne: il
la terre gémit comme sous un poids accablant. est d'autres firmaments que ces nuages sombres. (Azaziel et Stt-
Noiï. — Ecoutez ! écoulez le cri des oiseauxde mer! Leur multi- i- miasa s'envolent et disparaissent avec Anah et Aholibamah.)
tude s'étend comme un nuage dans l'atmosphère assombrie ; ils pla- 1- JAPHET. — Elles sont parties ! cl|es ont disparu au milieu du
nent autour de la montagne, vers-laquelle jamais une aile blanche, e, grand cri du monde abandonné ; et, soil qu'elles vivent, soit qu'elles
humide des flots amers, n'avait osé diriger son essor, môme au mi- ii- meurent avec toute vie sur la lerre, maintenant près de sa fin,
lieu des tempêtes les plus violentes. Ce sera bientôt leur unique ri- i- Anah ! rien désormais nc peut le rendre à mes regards !
vage, après lequel il n'y en aura plus pour eux! CiiOEun DES MORTELS. — O (ils de Noé! pitié pour tes frères I
JAPHET. — Le soleil ! le soleil!' il se lève; mais non avec sa lu- i- Quoi I veux-tu donc de nous laisser tous..! lous livrés à la mort, pen-
mière bienfaisante ; el le cercle noir qui entoure son disque rou- Li- dant qu'au milieu lu guerre des éléments, lu vogueras sans
gcâlre annonce.à la terre que son dernier jour a commencé 1 Les es crainte dans ton arche bénie du Seigneur!
nuages ont gardé les teintes de la nuit, seulement leur couleur est ist UNE MÈRE présentant son enfant à Japhet. — Oh ! prends cet
,
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON. 30â

infant avec loi ! je l'ai mis au monde dans la douleur; mais j'ai
ouri de joie en le voyant suspendu à ma mamelle. Pourquoi est-il
ié? qn'a-l-il fail... mon fils, qui n'a encore goûté que mon lait...
u'a-t-il fait pour mériter la colère de Jéhovah ? Qu'y a-t-il donc MARINO FALIERO.
lans mon sein de si coupable, pour que le ciel et la terre doivent
'armer contre mon enfant, afin d'étouffer sous les vagues son souf-
jle innocent? Sauvé-le, fils de Seth ! ou sois maudit... avee celui
qui t'a créé, ainsi que toute ta race, à laquelle il nous sacrifie.
JAPHET. — Silence! ce n'est pas le temps de maudire, mais de
prier. PERSONNAGES.
CHOEUR DES MORTELS. — De prier ! ! ! Et où montera la prière,
quand les nuages gonflés s'abaissent sur les montagnes, cl y ver- /Hommes : MARINO FALIERO, «loge de Venise.—BERTUCCIO FALIERO,
sent leurs torrents.; quand l'Océan débordé renverse les chaînes de neveu du doge. — LEOM, patricien et sénateur. — BENINTENDB,
rochers qui l'arrêtent, et abreuve jusqu'à la soif des déserts? Mau- président du conseil des Dix.— MICHELSTÉNO, l'un des trois capi
dit soil celui qui te créa, toi et Ion père! Nous savons que nos ma- des Quarante. — ISRAËL BERTUCCIO, commandant de l'arsenal. —
lédictions sonl vaines, il nous faut mourir; mais puisque notre sort PHILIPPE CALENDARO, DAGOLINO BERTRAM, conspirateurs.
Deux seigneurs de la nuit, officiers, de —
la République.— Premier
ne peut être aggravé, pourquoi ferions-nous entendre des hymnes
pieux ? pourquoi fléchirions-nous le genou devant l'implacable citoyen. — Deuxième citoyen. — Troisième citoyen.— VINÇENZO,
Tout-Puissant? après tout, nous n'en mourrons pas moins. S'il a PIETRO, BATTISTA, officiers du palais ducal.
— ANTONIO, domes-
créé la terre, qu'il rougisse de n'avoir fait un monde que pour le tique de LEOM. — Le secrétaire du conseil des Dix. — Gariles,
torturer. Voilà qu'elles accourent les vagues impitoyables 1 elles ac- conspirateurs, citoyens, le conseil des Dix, 11 junte.
courent dans leur fureur ! el leur mugissement fait faire la nature Femmes
i : ANGIOLINA, femme du doge. — MARIANNA, son amie, -r-
pleine de santé cl de vie. Les arbres des forêts contemporains «le Suivanles, etc.
l'Edcn îîés avant qu'Eve apportât au premier homme la science
, La scène est à Venise, en 13b3.
pour dot, ou qu'Adam chaulât son premier hymne d'esclavage, ces
arbres gigantesques, verts encore dans leur vieillesse, les flots ont
dépassé leur cime ; leurs fleurs s'en vont flotter sur l'Océan, qui
monte, monte toujours. En vain nous levons nos regards vers les
cieux; les cieux s'abaissent, se confondent avec les mers, el ca- ACTE PREMIER.
clienl Dieu aux mortels suppliants. Fuis, fils de Noé, fuis! éta-
blis-loi paisible dans lu tenté qui l'a été dressée sur l'Océan ; vois SCÈNE PREMIÈRE.
se balancer sur les eaux les cadavresdes hommes parmi lesquels s'é-
coulèrent tes beaux jours, et à ce spectacle élève vers Jéhovah Une antichambre dans le palais ducal.
l'hymne de ta reconnaissance.
UN MonrEL. — Heureux les morts qui meurent «lans le Sei- PIETIIO, BATTISTA.
gneur! Quoique les eaux couvrent la lerre, c'esl l'oeuvre de sa pa-
role, adorons ses décrets ! 11 me donna la vie : en me l'ôlant, il ne PIETRO. — Le messager n'est-il pas de retour ?
fait que reprendre son bien; cl quand mes yeux devraient se fermer BATTISTA. —Pas encore; j'ai envoyé plusieurs fois le demander
pour jamais, quand ma voix suppliante ne pourrait plusse faire
d'après vos ordres; mais la Seigneurie est encore en conseil, el en-
entendre au pied «le son trône, béni soit le Seigneur pour ce qui gagée dans de longs débats sur l'accusation de Slcno.
est passé, comme pour ce qui esl. Car toute chose est à lui, depuis PIETRO. — Oui trop longs ; c'esl du moins ce que pense le dogo.
la premièrejnsiui'à la, dernière, le temps, l'espace, l'éternité, la vie, BATTISTA. — Comment supporle-t-il cette allenle?
la mort, le vaste domaine du connu, et le champ illimité de l'in- PIETRO.—Avec une patience décommande. Assis devant la tablé
connu. Ce qu'il n, fait, il peut le détruire; irui-jc, pour un léger ducale, couverte de toul le fatras des affaires, pétitions, dépèches,
souffle de vie, blnspliémer et gémir? Non, j'ai vécu dans la foi ; el, jugements, actes, lettres de sursis, rapports, il semble absorbé dans
ilùl l'univers chanceler sur su base, je mourrai dans la foi. ses fondions ; mais à peine entend-il le bruit d'une porte qui s'ouvre,
CHOEUR DUS MORTELS. Où fuir? sur les hautes-montagnes? les
—leurs ou des pas qui s'approchent, ou le murmure d'une voix, il pro-
torrents se précipitent de sommels au-devant de l'Océan, qui mène autour de lui un «cil agité, il se lève de son siège, puis reste
s'avance après avoir submergé les collines, et rempli les profon- immobile, puis se rassied, et fixe les regards sur quelque edit... j'ai
deurs des cavernes. remarqué que depuis une heure il n'a pas tourné un feuillet.
UNE FEMME. Oh! sauvez-moi, sauvez-moi 1 Notre vallée n'est BATTISTA.— On dit que son irritation esl giandc-, et certes Slcno

plus ; mon père et la tente de mon père, mes frères et les troupeaux est bien coupable de l'avoir aussi grossièrement outragé.

de mes frères ; les arbres charmants, qui à midi nous prêtaient leur PIETRO —Oui! si l'offenseur élail un homme pauvre el obscur :
ombre, et d'où le soir s'échappait le doux chant des oiseaux ; le Slcno est patricien ; il est jeune, frivole, brillant el lier.
petit ruisseau qui rafraîchissaitnos verts pâturages : tout a disparu. BATTISTA. — Vous pensez donc qu'il ne sera pas jugé sévè-
Ile matin, quand j'ai gravi la montagne, je me suis retournée pour rement.
bénir ce séjour, et pas une feuille no paraissait prête à tomber... PIETIIO. —Il sulfirailqu'il fût jugé avec équité, mais cc n'esl pas
et maintenant, la place même u disparu. Oh! pourquoi suis-jo à nousd'anliciper sur la sentence des Quarante.
née?... BATTISTA. — La voici... Vinçenzo,quellenouvelle? (Entre l'in-
JAPHET. — Pour mourir, pour mourir jeune, heureuse de nc cenzo.)
pas voir l'universel tombeau, sur lequel je suis condamné à pleu- VINÇENZO. -r~L'affaire est terminée; mais on ne connaît pas en-
rer en vain. Quand lous périssent, pourquoi faut-il queje vive en- la
core sentence. J'ai vu le président sceller le parchemin qui por-
core ? tera au doge le jugement îles Quarante, et je me hâte d'aller lui
annoncer cc message. (Ils sortent.)
Les eaux montent; les hommes fuient de tous côtés; les vagues en attei-
gnent un grand nombre ; le choeur des mortels se disperse cl cherche SCÈNE H.
un refuge dans les montagnes. Japhet reste debout sur un rocher; on
aperçoit l'arche qui flotte dans le lointain et s'avance vers lui. La chambre ducale.
MAiiiKO FALIERO, BERTUCCIO F.\LII:UO.

FIN.
BERTUCCIO.
— Il est impossible que justice ne soil pas faile.
LE DOGE.—Oui, comme l'ont faite les avogadori, qui ont renvoyé
ma plainte aux Quarante,afiuquele coupable fûtjugé par ses pairs,
c'est-à-dire par lui-même.
BERTUCCIO.— Ses pairsn'oseraientle protéger : un pareil acte affai-
blirait toute autorité.
LE DOGE. — Nc connais-tu pas Venise? ne connais-tu pas les'
Quarante? Mais nous allons bien voir.
BERTUCCIO, a Vinçenzo qui entre.
velle? — Eh bien ! quelle nou-
' '
VINÇENZO. Je suis chargé d'annoncer à Voire Altesse que la Cour

a prononcé son arrêt, et qu'aussitôt les formes légales accomplies,
la sentence sera envoyée au doge. Les Quarante saluent le prince de
la République, el le prient d'agréer leurs respects.
304 LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

LE DOGE. — Oui étonnamment respectueux et humbles. La outragé,


c le plus dénué de tout, obligé de mendier son pain, si quel-
sentence esl prononcée, dites-vous? qu'un
q lui en refuse, peut l'obtenir d'un coeur plus humain ; mais
VINÇENZO. Oui, princ*e; le présidentyapposait le sceau quand
— afin celui
e à qui justice est refusée par les hommes dont le devoir est
on m'a mandé, que sans perdre de temps il en fût donne avis d'êlre justes, celui-là est plus indigent que le mendiant qu'on re-
«I
au chef de la République ainsi qu'au plaignant, lous deux réunis ipousse... c'est un esclave... et c'est ce queje suis, ce que lues,
dans la même personne. - c qu'est toute notre maison, à dater de ce moment. Le dernier des
ce
BERTUCCIO.— Avez-vous pu deviner la nature de leur décision ? artisans
s nous montrera au doigt, el le noble hautain peut nous cra-
VINÇENZO. — Non, seigneur; vous connaissezla discrétion habi- cher
< à la face... Où est noire recours ?
tuelle des tribunaux de Venise. BERTUCCIO. — Dans la loi, mon prince.
BERTUCCIO. — Sans doute; mais pour un observateur intelligent LE DOGE, l'interrompant. — Tu vois ce qu'elle a fait pour moi...
et attentif, il y a toujours matière à conjecture: ce sera un chiicho- • J n'ai demandé justicequ'à la loi... j'ai invoqué commejuges
Je ceux
temenl ou un murmure, un air plus ou moins solennel. Les Qua- que
« la loi a institués... souverain, j'en ai appelé à mes sujets, ces
rante ne sont que des hommes, après tout... des hommes estimables, mêmes
i sujets qui m'ont fait souverain, et m'ont donné ainsi un
sages, justes et circonspects,je l'accorde, et discrets comme la tombe double
« droil de l'être. Les privilèges que me confèrent ma charge et
à laquelle ils condamnent le coupable; mais avec toul cela, dans 1leur libre choix, les droits que je liens de ma naissance,
ceux «pic
leurs traits, dans ceux des plus jeunes du moins, un regard serula- j'ai
j acquis par mes services, les honncursdontje suis revêtu mon
leur, un regard comme le vôtre, par. exemple, Vinçenzo, aurait pu grand
|
,
âge, mes cicatrices, mes cheveux blancs, les voyages,- les ira-
lire la sentence avant qu'elle fût prononcée. 'vaux, les périls, les fatigues, le sang et les sueurs de quatre-vingts
VINÇENZO.— Seigneur, j'ai quitté la table sans avoir le temps de années,
i lout cela mis dans la balance contre le plus abominable
remarquer ce qui se passait parmi les juges ; d'ailleurs mou poste outrage,
< la plus grossière insulte, le mépris crimineld'un patricien
auprès de l'accusé, Michel Sténo, m'obligeait vindicatif, toul cela s'est trouvé insuffisant. Dois-je le souffrir?
JLE DOGE, brusquement. — Et quelle était sa contenance, à lui ? BERTUCCIO. Je ne dis pas cela Dans le cas où votre appel
dilés-nous cela. serait —
rejelé, nous trouverons d'autres moyens d'arranger cette
:
VINÇENZO. — Calme, mais non abattu, il attendait avec résigna- affaire.
i
lion l'arrêt quel qu'il pût être... Mais voici qu'on l'apporte à Votre LE DOGE. —Moi! en appeler! es-tu bien le fils de mon frère? un
Altesse pour qu'elle en prenne lecture. (Entre le secrétaire des rejeton
i de la maison des Faliero? le neveu d'un doge? né de ce sang
Quarante.) quia
i déjà donné trois priiicesàVenise? Mais tu dis vrai... nous de-
LE SECRÉTAIRE. — Le haut -tribunal des Quarante envoie ses vons être humbles à présent.
souhaits et ses respectsaudoge Faliero,premier magistrat de Venise, BERTUCCIO. Mon oncle et mon seigneur, votre émotion est trop
et prie Son Altesse de vouloir lire el approuver la sentence pro- grande... j'avoue—
la gravité de l'offense cl l'injustice de ceux qui
noncée contre Michel Sténo, mis en accusation pour des faits rela- n'ont point voulu la punir convenablement; toutefois, ce transport
tés, ainsi que la peine, dans l'écrit que je vous présente. excède la provocation, et même toute provocation. Lésés, nous de-
LE DOGE. —Retirez-vous, et attendez hors de.cet appartement. manderons justice; si elle nous est refusée, nous nous la ferons
(Le secrétaire et Fiticenzo sortent.) Prends cc papier : mes yeux nous-mêmes; mais tout cela sans emportement... La vengeance la -
troublés ne peuvent distinguer les caractères. plus terrible.est fille du silence le plus profond. Je n'ai pas encore
BERTUCCIO. — Du calme, mon cher oncle ; pourquoi tremblez- le tiers de votre âge, j'aime notre maison je vous honore comme
vous ainsi ?... N'en doutez pas, lout ira comme vous le souhaitez. notre chef, comme le guide el le.soutien, de ma jeunesse... mais
LE DOGE.— Lis. bien que je comprenne votre douleur, et que j'entre dans vos res-
BERTUCCIO, lisant.
— «Décrété en conseil,à l'unanimité, que Mi- sentiments, je ne puis voir votre colère, comme les vagues de l'A-
chel Sténo, coupable, de son propre aveu, d'avoir, dans la dernière driatique,s'exhaler en écume dans les airs.
nuit du carnaval, gravésur le 'tronc les paroles'suivantes(1)... LE noGE. — Je te dis... dois-jc donc le le dire... ce que ton père
LE DOGE. — Voudrais-tu les répéter? oserais-lu les répéter?... eût compris avant d'ouïr une seule parole? Es-tu sans âme... sans
loi, un Faliero? Voudrais-tU appuyer sur l'éclatant déshonneur de passion ?... n'as-lu pas le sentiment intime de l'honneur?
notre maison, avilie dans son chef... dans le mince de Venise, la BERTUCCIO. —C'esl la première fois que mon honneur a élé mis
première des cités?... Passe à la sentence. en doute; el de la part de lout. autre ce serait ladernière.
BERTUCCIO.— Excusez-moi, seigneur, j'obéis... (li'continue de LE DOGE. —Tu connais l'offense de ce misérable, de ce lâ-
lire.) « Condamne Michel Sténo à un mois d'arrêts forcés. » che et vindicatif scélérat qui vient d'être absous; il n'a pas craint
LE DOGE. — Poursuis. de déverser son poison infâme sur l'honneur de qui? grand Dieu!
BERTUCCIO.
— Seigneur, c'est loul. sur l'honneur de ma femme; il n'a pas craint d'attaquer cc qu'un
LE DOGE. —Que dis-tu?... C'est tout! csl-ce que je rêve!... C'esl homme a de plus cher et de plus sacré ; et sa lâche calomnie, pas-
faux... Donne-moi ce papier... (// lui arrache le papier et lit.) sant de bouche en bouche,accompagnée de sales et grossiers com-
« Condamne Michel Sleno » Mon neveu, ton bras ! mentaires, ira fournir matière aux cyniquesplaisanteries, aux blas-
BERTUCCIO.
— Revenez à vous, soyez calme; ce transport est phèmes obscènes de la populace; et de leur côté, les nobles, couvrant
sans motif raisonnable... Je vais chercher du secours. le sarcasme du vernis de l'élégance, se répéteront à l'oreille le
LE DOGE. — Arrête... ne bouge pas... c'est passé. conte scandaleux, et approuveront d'un sourire le mensonge qui,
BERTUCCIO. — Je dois convenir avec vous que la peine est trop me ravalant à leur niveau, fail de moi un mari dupé et complai-
légère, comparée à l'offense. Les Quarante ont tort de punir d'un sant, résigné à son déshonneur... que dis-je!... s'en faisant gloire.
châtiment aussi faible un outrage infâme qui retombe sur eux, à BERTUCCIO.— Mais, après tout, c'est un mensonge... vous le sa-
qui vous commandez. Mais la chose n'est pas sans remède : vous vez, et lotit le monde en est convaincu.
pouvez appeler de leur décision à eux-mêmes ou aux avogadori, LE DOGE. — Mon neveu, un Romain illustre dit un jour : « La
qui, voyant «me justice vous est refusée, prendront en main la femme de César ne doit pas être soupçonnée; » et il la répudia.
cause qu'ils avaient déclinée. Ne le pensez-vous pas, mon oncle? .
BERTUCCIO. —C'est vrai; mais à cette époque...
Mais pourquoi restez-vous immobile?vous ne m'entendez pas? ..je LE DOGE. — Quoi donc! ce que n'eût pas souffert un Romain,
vous en conjure, écoutez-moi. un prince de Venise doit le souffrir ? Le vieux Dandolo refusa le
LE VOGE,jetant par terre sa toque ducale, vapour la fouler aux diadèmedes Césars, et porta la toque ducale (il jette par terre son
pieds; mais son neveu l'arrête. — Oh 1 plût au ciel que les Sarrasins bonnet de doge); et moi je foule celte toque à mes pieds, parce
fussent sur la place Saint-Marc! Voilà tout ce «pie je ferais. qu'elle est avilie.
BERTUCCIO. — Au nom du ciel el de tous les saints, monsei- BERTUCCIO. —. Elle l'est en effet.
gneur... LE DOGE. — Elle l'est, elle l'est ! Je n'ai point vengé cette infa-
LE DOGE. — Laisse-moi. Oh ! que les Génois ne sont-ils dans le mie sur la femme innocente que l'on ose calomnier lâchement pour
Sort! Que les Tures, vaincus par moi à Zara, ne sont-ils rangés en avoir épousé un vieillard, parce que ce vieillard était l'ami de son
alaille autour du palais I père et le protecteur de sa maison ; comme s'il n'y avait d'amour
BERTUCCIO.— Voilà des souhaits peu convenables dans la bouchei dans le coeurdes femmes que pour une jeunesse libertine, pourdes
d'un duc de Venise. visages imberbes... Je ne me suis point vengé sur elle; mais j'ai
LE DOGE.—Leduc de Venise! qui esl duc de Venise maintenant?' invoqué contre le calomnialeur la justice de mon pays, cette justice
je veux le voir afin qu'il me rende justice. due à l'homme le plus obscur, ayant une femme dont la fidélité lui
BERTUCCIO. — Si vous oubliez le caractère et les devoirs de votrei est douce, une maison dont le foyer lui est cher, un nom dont
charge, rappelez-vousvoire dignitéd'homme et calmez ce transport. l'honneur est tout pour lui, et qui voit lout cc qu'il aime se flétrir
Leduc de Venise... sous le souffle maudit de la calomnie et de l'outrage.
LE DOGE, l'interrompant. —Il n'y en a pas... c'esl un mot... BERTUCCIO.—Etquelleréparation attendiez-vous donc? Quel châ-
moins qu'un mot, un surnom sans valeur. L'être le plus avili, lésé, timent vouliez-vous qu'on infligeât au coupable?
,
LE DOGE. —La mort ! N'étais-je pas le chef de l'Etat? nem'avait-
(l) Marina Faliero, dalla lella moglie.,.altri lagode, ed egli la manlieue.1 on pas insulté jusque sur mon trône? ne m'avait-on pas rendu la
Marino Faliero,qui a une belle femme... d'autres en jouissent et il l'en-
I risée des hommes qui
me doivent obéissance? n'étais-je pas outrage
tretient. (SANUIO, Vie des Doges.) I
comme époux, avili comme homme, humilié,dégradé comme prince?
OEUVRES COMPLETES DE LORD liYUON. SO")

L'insulle et la Irahison n'élaicnt-ellcs pas accumulées dans un seul


jiclc ? El on laisse vivre l'insolent el le traître ! Ali ! si au lieu (lu
liône du «loge, il eût choisi l'escabelle d'un paysan pour y graver
son outrage, il eût teint de son sang le seuil de la cabane.
BERTUCCIO. — Soyez certain qu'il ne vivra pas au coucher du
soleil... laissez-moi faire, el calmez-vous.
LE DOGE. — Arrête, mon neveu : hier cela eût suffi ; maintenant
je n'en veux plus à cet homme.
IIERTUCCIO. — Que voulez-vous dire? l'offense n'est-elle pas dou-
blée par celte infâme décision que je n'appellerai pas acquittement?
c'esl pire, puisque le même acte constate le délit et l'impunité !
LE DOGE. — L'offense esljletfTflw'~£rKellel, mais ce n'est point
îiar lui : les Quarante ont .décrété'un mois-,d'arrêls... nous devons
306
' m
.
—-

VINÇENZO.— Monseigneur,
tend le bon plaisir de Votre

ISRAËL.—Réparation.
.
~

" '

fussent déjà où toutes doivent aller s'éteindre


''
LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTREES.

livrer Venise et venger mes injures, je croirais avoir vécu, cl aus- ei


sitôt j'irais volonlicrs dormir avec mes pères; s'il n'en doit pas êlre vieux
ainsi, mieux eût valu que sur mes quatre-vingts années soixante
qu'elles n'eussentjamais été, que de m'avoir conduitjusqu'ici pour

(Enti'entFincenzo el Israël Bertuccio.)

? '
le

LE DOGE. — Et de qui l'altendez-vous?


ISRAËL. — De Dieu et du doge.
patron que je vous
Âllesse.
ai annoncé
LE DOGE. — Vinçenzo, laissez-nous... (Fincenzo sort.) Vous, avan- vi
cez... que voulez-vous

LE DOGE. — Hélas ! mon ami, vous vous adressez à ce qu'il y a Cette


at-
en choeur, en se félicitant de n'être pas comme le doge un de ces I
vi

mieux eût valu punition


devenir ce que ces infâmes oppresseurs voudraient faire de moi. liment;
Voyons.,. il y a trois mille hommes de bonnes troupes cantonnées raille,
à...
pi
ti
r^
s?

coup
ci
dresse
d
votre
v<

C
radoteurs qu'on outrage impunément.
ISRAËL. — Esl-il possible? un mois d'arrêts I et c'esl là toute la
de Slcno?
LE DOGE. —Tu as appris l'offense, lu connais maintenant le cliâ-
el lu me demandesjustice, à moi 1 Adresse-loi aux Qua- tj
qui ont prononcé la sentence contre Michel Sténo ; ils agiront
sans doule de même à l'égard de Barbaro.
ISRAËL. — Oh ! si j'osais parler !
LE DOGE. — Parle, je puis lout endurer maintenant.
ISRAËL. —Eh bien ! vous n'avez qu'un mot à dire pour punir el
venger... je nc dis pas mon injure, qui est peu de chose (car un
n'est rien, quelque bonlc qui s'y attache, quand l'injure s'a-
à un êlre aussi chélif que moi ), mais le lâche outrage l'ail -i
dignité et à votre personne.
LE DOGE. — Tu exagères mon pouvoir; qui n'est qu'une fiction.
loque n'a rien de commun avec la couronne d'un monarque;
J
j

de moins respecté et moins influent à Venise ; il faut


de présenter c manteau peut exciter la compassion à aussi juste lilre que les
ce
votre réclamation au conseil. hhaillons d'un mendiant, cl môme plus justement encore ; car lus
ISRAËL. — Démarche inutile; celui qui m'a outragé en fail partie, guenilles
g d'un indigent lui appartiennent, el celles-ci ne sonl que
LE DOGE. —11 du
y a sang sur ta figure... d'où vient il ? prêtées
p à la pauvre marionnette, dont le rôle el la puissance se
ISRAËL. — C'est le mien, el ce n'est pas le premier que j'aie ré- bbornent à porter celte hermine.
pandu pour Venise ; mais c'est le premier qu'une main vénitienne ISRAËL. — Voudriez-vous êlre roi?
ail fail couler : un noble m'a frappé. LE DOGE. — Oui... d'un peuple heureux.
LE DOGE. — Est-il vivant? ISRAËL. —Voudriez-vous être souverain seigneur de Venise ?
ISRAËL. — 11 ne l'eût pas élé longtemps sans l'espoir que j'avais LE DOGE. — Oui, à condition «pie le peuple partageât celle sou-
cl que j'ai encore, que vous, mon prince, soldat comme moi, vous veraineté, v et que ni lui ni moi ne fussions plus les esclaves de celle
protégerez un homme à qui les lois de la discipline et «le Venise hydre
1 gigantesque de l'aristocratiedont les tôles venimeuses exila-
ne permettent pas se de protéger lui-même... Sinon... je n'en dis ient
1 parmi nous des vapeurs pestilentielles.
pas davantage. ISRAËL.— Cependant vous êtes né, vous avez vécu patricien.
LE DOGE. — Mais lu agirais... n'est-ce pas ? LE DOGE.—Pourmon malheur, je suis né tel; mon origine, en
ISRAËL.—Je suis homme, seigneur. i désignant pour être doge, m'a exposé à l'insulte. Mais si j'ai
me
LE DOGE. — Celui qui t'a frappé l'est pareillement. travaillé
I el combattu, c'est pour Venise et les Vénitiens, cl non pour
ISRAËL. — Il en porte le nom, bien pltis, il est noble... du moins le
1 sénat; je n'ai jamais eu en vue que le bien public el ma propre
à Venise ; mais puisqu'il a oublié ma qualité «l'homme, et m'a traité gloire. ( Si j'ai verse mon sang sur les champs de bataille, si j'ai
comme une brute, la brute se rétournera contre lui... le Ver lui- Commandé
« et vaincu, si dans mes négociations j'ai fait conclure ou
même se révolte, dit-on. refuser
i la paix, selon que l'exigeaient les intérêts de mon pays ; si,
LE DOGE. — Parle... son nom, sa famille ! ]pendant près de soixante ahs de services non interrompus,j'ai tra-
ISRAËL. — Barbaro. versé
' les terres et lès mers, c'était pour Venise seule, pour la pairie
LE DOGE. — Quelle a élé la cause ou le prétexte «le cet outrage?
, de
« mes pères et la mienne; je me trouvais suffisamment récom-
ISRAËL. — Je suis commandant dé l'arsenal ; je fais réparer pour pensé
1 lorsque, sur l'azur de ses lagunes, je revoyais de loin briller
le moment quelques galères (pue les Génois ont un peu maltraitées - les faîtes de ses tOurs.blen-aiihées. Mes sueurs el mon sang ne cou-
dans la dernière campagne. Ce matin est venu le noble Barbaro, 'lèrent jamais pour une càslc, pour une secte ou pour une faction
fort en colère «le ce que nos artisans avaient négligé chez lui je né quelconque; mais veux-tu savoir pourquoi j'ai fait tout cela? de-
sais quels travaux frivoles, pour exécuter ceux de l'Eiâl. J'ai osé mande au pélican pourquoi il so déchire le sein : si l'oiseau pouvait
justifier mes hommes... il a levé la main sur moi. Voyez mon sang"! répondre, il dirait qttê C'est pour tous ses enfants, sans en excepter
c'est la première fois qu'il a coulé d'Une manière déshonorante. Un sètll.
LE DOGE. — As-lu servi longtemps ? ; ISRAËL. —Et néanmoins ils vous ont fait duc.
ISRAËL. — Assez longtemps pour me rappeler lo siège.de Zara, et LE DOGE. <"•' C'est vrai ! Jenc le cherchais pas : ces chaînes dorées
pour avoir combattu sous le vainqueur dés Huns, alors mon géné- jUsquc-lu sonf Vétlùes me trouver à mon retour de l'ambassade «le Rome ; cl,
ral, aujourd'hui le doge Faliero. ne m'étantjamais refusé à aucune fatigue, à aucun fardeau
LE DOGE. — Comment! nous sommes camarades?... Je n'ai re- linposépar l'Etat, je crus, malgré mon grand âge, devoir encore
vêtu que depuis peu la robe ducale, et tu as élé nommé çôminnn- ;: accepter cette charge, la plus élevée de toutes en apparence, mais
danl de l'arsenal avant mon retour de Rome ; C'est ce qui fait «jtie ia dernière en effet par les devoirs el les humiliations qu'elle im-
je ne l'ai pas reconnu. A qui dois-tu ce poste ? pose; je t'en prends toi-même à témoin, toi, mon sujet outragé: je
ISRAËL. — Au dernier doge ; je conserve mon ancien grade comme ; 'ho puis oblonir justice.ni poUr toi ni pour moi-même.
patron d'une galère ; mon nouvel emploi m'a été donné eh récom- ISRAËL,-^-Vdlis la ferez vous-même à l'un et à l'autre, si vous
pense de quelques cicatrices (ainsi daignait le dire votre prédéces- le voulez, ainsi qu'à des milliers d'opprimés, qui n'allendcnl qu'un
seur). J'étais loin de m'allcndrc «pie des fonctions dues à la.bien- signal... Voulez-vousle donner?
veillance du chef de l'Etat m'amèneraient un jour devant son LE DOGE. — Tes paroles sont une énigme pour moi.
successeur en suppliant malheureux ISRAËL. — Je vais les rendre claires au péril de ma vie, si vous
LE DOGE. — Es-tu grièvement blessé? daignez me prêter une oreille attentive.
ISRAËL. —D'une manière irréparabledans ma propre estime. LE DOGE. — Poursuis.
LE DOGE. — Parle ouvertement, ne crains rien ; violemment ISRAËL.—Nous ne sommespas les seuls «lans Venisequi se trouvent
outragé comme tu l'es, quelle vengeance voudrais-tu tirer de l'au- lésés, outragés, avilis, foulés aux pieds : la population toul entière gé-
teur de l'outrage ? mit, et comprime avec peine le ressentiment«lèses injures; les trou-
ISRAËL. — Une vengeance que je n'ose indiquer, et que j'obtien- pes étrangères, qu'entretient le sénat, réclament l'arriéré de leur
drai cependant. solde ; les marins nationaux cl les soldats de la milice civique pen-
LE DOGE. — Que viens-tu donc faire ici? sent comme leurs amis ; car quel esl celui d'entre eux dont les frères,
ISRAËL. —Je viens demander justiceà mon général, qui est doge, les enfants, le père, la femme ou la soeur n'ont point été victimes do
et qui ne laissera pas fouler aux pieds l'un de ses vieux soldats. Si l'oppression ou du libertinage des patriciens? La malheureuseissue.
lout autre que Faliero avait occupé le trône, il eût fallu du sang de la guerre contre les Génois, soutenue à l'aide du sang cl des
pour effacer celui-ci. sueurs du peuple, a encore augmenté le mécontentement... Mais
LE DOGE. — Tu viens me demander justice à moi, doge de j'oublie qu'en tenant cc langage, c'esl mon arrêt de mort peul-ètrc
Venise!.et je ne puis le l'accorder; car je ne puis l'obtenir pour queje prononce!
moi-même... 11 n'y a pas une heure qu'on me l'a solennellement LE DOGE. — Après ce «me tu as souffert... lu crains de mourir'?
refusée 1 Alors, lais-loi, continue de vivre, et laisse-loi frapper par ceux pour
ISRAËL. — Que dit Voire Altesse? qui tu as versé Ion sang.
LE DOGE. — Sténo est condamné à un mois d'arrêts forcés. ISRAËL. — Non, je parlerai à loul risque, el si dans le doge de
ISRAËL. — Quoi 1 l'homme qui osa souiller le trône ducal de cesi Venise je dois trouver un délateur, honte et malheur à lui I il y
mots infâmes, dont la honte a frappé toules les oreilles dans Venise?' perdra plus que moi.
LE DOGE. — Sans doule l'écho de l'arsenal les a répétés ; ilsi LE DOGE. —Nc crains rien de ma part, continue !
ont accompagne le marteau tombant en mesure, et fourni un texte! ISIIAEL. — Sachez donc qu'il s'est formé une société de frères qui
«le plaisanterie à l'artisan goguenard ; ils oui mêlé un gai refraini s'assemblent en secret, enchaînés par un serment, coeurs vaillants
au bruit des rames, cl les esclaves de nos galères les ont chantésj cl fidèles, hommes qui oui éprouvé l'une et l'autre fortune, qui de-
OEUVRES COMPLÎ5TES DE LORD BYRON. 307

à bon droit sur le destin de Venise; qui, ISRAËL. — Tard ; mais l'atmosphère est brumeuse el sombre. Le
i longtempsgémissaient sirocco
anl servie sous tous les climats, cl défendue contre les ennemis sii règne.
dehors, sont prêts a la défendre également contre ses ennemis LE DOGE. — A minuit donc, près de l'église où dorment nies pèresj
irieurs. Peu nombreux,ils le sonl assez toutefois pourle but «ju'ils et qui a emprunté son double nom aux apôtres Jean el Paul ; dans
iroposent. Ils ont des armes, des ressources,du coeur, des esperan- l'étroit
l'c canal qui l'avoisine, se glissera silencieuse une gondole à
une foi vive el un courage palient. ui seule rame. Trouve-toi là.
une
ISRAËL. — Je n'y manquerai pas.
,E DOGE. — Q'altendent-ils donc?
,

SRAEL. — L'heure de frapper.


LE DOGE. -7- Maintenant, tu peux te retirer.
ISRAËL. — Je m'éloigne avec l'espoir que Voire Altesse persévérera
,E DOGE, à part. — La cloche de Saint-Marcla sonnera.
SRAEL. — J'ai remis en votre pouvoir ma vie, mou honneur,
dans sa grande résolution. Prince, je prends congé de vous. : (Is-
dt
tes mes espérances terrestres, dans la ferme conviction que des raël
n Bertuccio'sort.)
ures telles que les nôtres, nées de la même cause, produiront LE DOGE, seul.— A minuit, près de l'églisedeSaint-Jean-et-Saint-
c seule et même vengeance. S'il en est ainsi, soyez maintenant
Paul où dorment mes nobles ancêtres, j'irai... quoi faire? tenir con-
P.
s< dans l'ombre avec des seèlérals
seil vulgairesquiconspirent la ruine de
Ire chef... et plus tard notre souverain.
LE DOGE.— Combien êtes-vous? l'Etat.Mesillustres aïeux, parmi lesquels deux doges, ne sortiront-ils
1'
ISRAËL. —Vous aurez ma réponse lorsque j'aurai la vôtre. p de leurs caveaux funèbrespour m'entraîner dans la lombe avec
pas
LE DOGE. — Eh quoi ! des menaces? eux?
e Plût à Dieu! car je reposerais honorablement parmi leurs
ISRAËL. —Non pas, une résolution ! Je me suis livré moi-même; mânes
n honorés. Hélas! je ne dois plus penser à eux, mais à ceux
lis les puits mystérieux creusés sous votre palais, les cellules non v- q
qui m'ont rendu indigne d'un nom aussi glorieux que les noms con-
lins terribles appelées « les toits de plomb » n'ont point de tor- ssulaires gravés sur les marbresde Rome...Ah! ce nom, je lui rendrai
ddans nos annulcstout son ancien luslrc, en immolantà ma vengeance
res qui puissent me faire révéler le nom d'un seul de mes com-
ices; les Pozzi et les Piombi peuvent m'arracher du sang, mais loul ce que Venise a d'infâme, et en donnant la liberté au rcsie..-:
l<

ic délation, jamais.Je franchirais le redoutable ponl des Soupirs.


IHélas! et peut-être aussi le livrcrai-jc aux noires calomnies d'un
yeux de penser que le dernier de mes gémissements serait aussi i
monde qui n'épargne jamais un vaincu, et juge de César ou de Ca-
' dernier répété par l'écho de l'onde slygienne qui coule entre les ttilina par ce qu'il prend pour la pierre de louche du mérite.... le
turreaux et les victimes, baignant à la fois les murs de la prison succès.
s
ceux du palais : des amis me survivraient pour s'entretenirde ma
ort el pour la venger.
LE DOGE. — Si tels sont tes projets, si tel est ton pouvoir, pour-
voi venir ici inc demander une justice que tu vas te faire toi- ACTE II.
lême ?
ISRAËL. — Parce que l'homme qui demande protection à l'aulo- SCÈNE PREMIÈRE.
tô, montrant par la même sa confiance et sa soumission à cette
uloiïté, peut difficilement être soupçonné de conspirer contre elle. Un appartementau palais ducal:
i je m'étais trop humblement résigné à cet outrage, un front cha-
ri'n, des menaces à demi articulées m'auraient bientôt signalé à ANGIOMNA, AIAIUATVNA.
inquisition des Quarante ; mais une plainte bruyante, quelque pas-
ionnée qu'en soit l'expression, n'esl pas à craindre, et inspire peu ANGIOLINA. — Qu'a fait répondre le doge?
c défiance. Puis, oulrc ce motif, j'en avais un aulre. MARIANNA. —Il était pour l'inslunlobligé d'assister à une confé-
LE DOGE. — Et lequel? rence ; mais la séance doit maintenant être terminée; je viens de
ISRAËL. — Le bruit avait couru que le doge était irrité de l'acte. voir les sénateurs s'embarquer ; on aperçoit encore la dernière
Icsavogudori envoyant aux Quarante le jugement de Michel Sleno; gondole glissant à travers la Toule des barques dont les ouux bril-
'avais servi sous vos ordres, je vous honorais, et savais qu'on ne lantes sont parsemées.
rôtis instillerait pas impunément, élanl de ceux qui rendent au tlé- ANGIOLINA. — Plût au ciel qu'il fût de retour! je le trouve bien
:nple le bien ou le mal : je me proposais donc de vous sonder cl de agité depuis peu; le temps, qui n'a point dompté son naturel ar-
oiis exciter à la vengeance. Maintenant vous savez tout, et le péril dent, qui n'a pas même affaibli sa constitutionphysique, soutenue
uiquel je m'expose vous est un garant de la vérité «le mes paroles. merveilleusementpar une âme si active el si inquiète qu'elle consu-
LE DOGE. — Tu as beaucoup hasardé, mais c'est ainsi que l'on merait un corps moinsrobuste... le temps paraît avoir peu de puis-
peut beaucoup gagner; pour moi, je n'ai qu'une réponse à te faire : sance sur ses ressentiments et ses chagrins. Différent d'autres carac-
Ion secret est en sûreté. tères également bouillants, qui, dans le premier emportement de la
ISRAËL. — Et après? passion, exhalent toute leur colère ou leur douleur, tout en lui
LE DOGE. —A moins que tout ne me soit confié, que peux-tu at- porte un cachet d'éternité : ses pensées, ses sentiments, ses pas-
tendre de plus? sions bonnes ou mauvaises n'ont rien de la vieillesse ; el son front
ISRAËL. —Vous pouvez vous fier à qui vous livre sa vie. allier porte les cicatrices de l'âme, la maturité de l'âge el non sadé-
LE DOGE. — Mais il faut que je connaisse votre plan, les noms ett crêpilude. Depuisquelque temps, il est moinscalme que de coutume.
le nombre des conjurés ; alors peut-être consentirai-jc à doubler Que n'cst-il de retour auprès de moil car seule j'ai quelque pouvoir
co nombre et à mûrir vos projets. sur son esprit troublé.
ISRAËL. — Nous sommes assez «le soldais, et vous êtes le seul1 MARIANNA.—11 est vrai, Son Altes3é a été, et avec raison, gran-
nllié que nous désirions. dement blessée par l'audace de Sténo; mais je ne doute pas qu'au
LE DOGE. —Faites-moi au moins connaître vos chefs? moment où nous parlons, le coupable ne soil condamné à expier
ISRAËL. — Je le ferai sur votre assurance formelle de garder loî son offense par un châtiment qui fera respecter l'honneur des fem-
secret. mes cl la noblesse du sang.
LE DOGE. — Quand? où? ANGIOLINA. —L'insulte élait grossière ; mais ce qui m'a vraiment
ISRAËL. — Celle nuit je conduirai à votre appartement deux dess affectée, ce n'est pas la calomnie effrontée «le cet audacieux c'est
,
principaux conjurés; il y aurait péril à en amener un plus grandi son effet; c'est l'impression profonde qu'elle a produite sur l'âme
«le Faliero, celle âme fière, irascible, austère pour tout autre que
nombre. •
LE DOGE. — Arrête! il faut que je réfléchisse,à cela. Si j'allaiss pour moi. Je tremble, quand je réfléchis aux suites.
moi-même au milieu de vous ? MARIANNA.— Assurémentle doge n'a aucun motif de vous soup-
ISRAËL. — Seul ? çonner.
LE DOGE.—Avec mon neveu. ANGIOLINA.—Me soupçonner, moi! Sténo lui-mêmene l'a point
ISRAËL —Non, quand ce serait votre fils. osé. Certes quand il se glissa furtivement, à la clarté de la lune,
,
LE DOGE.— Malheureux! oscs-lu bien parler de mon fils? il est il pour écrire son mensonge , sa conscience dut lui reprocher cette ac-
mort à Sapicnza, les armes à la main, pour cette ingrate République.
s. lion et il put voir dans chaque ombre projetée sur la muraille un
témoin, désapprobateurde
Oh! que n'esl-il vivant, et moi dans le cercueil! ou au moins que c sa lâche action.
'te peut-il revivre avant que je descende dans la tombe 1 je n'aurais is MARIANNA. — Je voudrais qu'iKût sévèrementpuni.
pas besoin de recourir à l'aide équivoque des étrangers ! ANGIOLINA. —11 l'est.
ISRAËL. —11 n'est pas un de ces étrangers, suspects à vos yeux, MARIANNA.
— Quoi donc? la sentence est-elle prononcée? est-il
•lui ne vous porte Une affectionfiliale, pourvu que vous leur gardiez
, condamné ?
iz
li' foi d'un père.- ANGIOLINA.—Je l'ignore;mais il a étésignalô.
LE DOGE.
— Le sort en esl jeté. Où est le rendez-vous? MARIANNA. —Jugez-vousdonc que ce soit unepunition suffisante
ISRAËL.
— A minuit, je viendrai seul cl masqué au lieu que Votre •e pour une telle injure ?
AHesse voudra bien me désigner ; je vous y attendrai pour vous con- 1- ANGIOLINA. —Je ne voudrais pas être juge dans ma propre cause,
duire quelque part où vous recevrez notre hommage el jugerez de le et je ne sais quel degré de châtiment est nécessaire pour faire im-
H«s plans. pression sur dés âmes comme celle de Sleno; mais si le ressenti-
lcve-tclle? ment de l'insulte 110 pénètre pas plus avant dans l'âme de ses juges
LE DOOE.
— A quelle heure la lune se
308 LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

que dans la mienne, ils l'abandonneront,pourtoulepcine, à sa con- rai rait bon de nous l'adjoindre; déjà sans doule Israël s'est assura su
fusion ou à son effronterie. de lui; mais il conviendrait de fl
MARIANNA. Quelque réparation est pourtant due à la vertu PIETRO.—Pardon, seigneur, si j'interromps vos méditations-
_
calomniée. — le noble Bertuccio, voire parenl, m'a chargé de vous demanderune si
ANGIOLINA.
— Qu'est-ce donc que la vertu, si elle a besoin de vie- heure lie où il puisse s'entretenir avec vous.
times, ou s'il faut qu'elle dépende du langage des hommes? Un il- LE DOGE. — Au coucher du soleil... Attends un peu... voyons p
lustre Romain disait en mourant qu'elle n'était qu'un nom : elle dis-lui di de venir à la seconde heure de la nuit. (Pietro sort.) ...
ne serait que cela, en effet, si le souffle de la parole humaine pou- ANGIOLINA.
— Monseigneur! c
vait la faire ou la défaire. LE DOGE. — Ma chère enfant, pardonnez-moi.... pourquoi rester c
MARIANNA. des femmes, cependant, quoique fidèles et ainsi
— Bien profondément ai à l'écart?... je ne vous voyais pas. c
pures, ressentiraient un tel outrage ; el des dames ANGIOLINA.
— Vous étiez plongé dans vos réflexions, et l'homme c
moins rigides, comme il en est beaucoup à Venise demanderaient qui qi vient de s'éloigner pouvait avoir des communications impor-
vslice à grandscris. , tantes à vous faire. Je n'ai pas voulu l'inlerromprepenilantqu'il s'ac- j
ta
ANGIOLINA.—Celaprouve qu'ellespriscntlenom plus que la chose, quittait
qi envers vous de ses devoirs et de ceux du sénat.
Sans doute, les premières regardent la conservation de leur hon- ILE DOGE. — Les devoirs du sénat I vous vous méprenez, mon en- ]
i

neur comme une tâche fort difficile, puisqu'elles veulent le voir I fant, fa c'est nous qui avons envers le sénat des devoirs à remplir!
entouré d'une auréole de gloire ; quant à celles qui ne l'ont point ANGIOLINA.— Je croyais que le duc commandait à Venise. <
gardé, elles en recherchent l'apparence, comme un ornement LE DOGE. — Il y commandera.... Mais laissons cela... occupons-
dont elles se trouvent bien parées; ces personnes vivent dans la nous n de choses plus gaies. Comment vous trouvez-vous? Etes-vous
pensée des autres, et veulent qu'on les croie honnêtes, comme elles sortie? .
si le jour est sombre ; mais le calme de l'onde est favorable à
désirent paraître belles. k promenade en gondole. Avez-vous reçu vos amies, ou la musi-
la
MARIANNA.
— Voilà d'étranges idées pour une dame patricienne, que
ANGIOLINA. — C'étaient celles de mon père, c'est le seul héritage que
q a-t-elle charmé votre matinée solitaire? Parlez, y a-t-il «jucl-
q chose que le doge puisse faire pour vous dans le cercle étroit
qu'il m'ait laissé avec son nom. d son pouvoir? Quelles splendeurs permises , quels honnêtes plai-
«le
MARIANNA.
besoin aviez-vous— Femme d'un prince, du chef de la République, quel si sirs, en société ou seule, pourraientdonner un peu de joie à votre
d'une dot? ;, • c
coeur et le dédommager des heures pénibles passées dans la com-
ANGIOLINA.—Je n'en aurais pas souhaité, lors même que j'eusse pagnie
p d'un vieillard trop souvent consumé de graves soucis? Par-
épousé un simple paysan ; mais je ne sens pas moins combien je lilez, vous serez satisfaite.
dois d'amour et de reconnaissanceà mon père pour nfavoir confiée ANGIOLINA. — Vous êtes toujours si bon pour moi ! je n'ai rien
à l'ami fidèle el dévoué de sa jeunesse, an comte Val di Marino, au- à désirer, ni à demander, si ce n'est de vous voir plus souvent, ci
jourd'hui notre doge. dde vous trouver plus calme.
MARIANNA. —Et avec votre main, a-t-il aussi donné votre coeur? LE DOGE. — Plus calme?
ANGIOLINA. La main n'eût jamais été sans le coeur.
—Néanmoins, ANGIOLINA.—Oui, plus calme, monseigneur... Pourquoi cher-
MARIANNA.
— celte étrange disproportion d'âge, et, c chez-vous la solitude? Pourquoi vous voit-on marcherseul? Pour-
permettez-moi d'ajouter, le peu de conformité de vos caractères, quoi t sur votre visage ces émotions violentes, qui, sans se trahir en-
pourraient faire douter au monde qu'une telle union fût propre à ttièrement, ne laissent que trop percer...
vous donner un bonheur constant et paisible. LE DOGE. — Percer!... quoi?... Que laissent-elles percer?
ANGIOLINA. — Le monde a des pensées mondaines; mais mon ANGIOLINA. — Un coeur mal à l'aise.
coeur s'est toujours renfermé dans le cercle de mes devoirs, qui sont LE DOGE. — Ce n'est rien mon enfant.... mais vous savez quels
nombreux, mais non difficiles. soucis
s journaliers pèsent sur, les chefs de celte malheureuse Répu-
MARIANNA. — L'aimez-vous? 1blique, attaquée au-dehors parles Génois, au-dedans par les mécon-
ANGIOLINA. — J'aime toutes les noblesqualitésqui mêritcnll'affec- tents....
t voilà cc qui me rend plus pensif et moins calme que
lion ; cl j'aimais mon père qui, le premier, m'apprit à distinguer cc d'habitude. i
que nous devons chérir dans autrui, et à comprimer toul ce qui ANGIOLINA. —Ces molifs d'inquiétude existent de longue dale.cl
pourrait abaisser les meilleurs cl les plus purs sentiments de notre c'est depuis peu de jours seulement que je vous vois ainsi. Pardon-
nature. 11 accorda ma main à Faliero: il l'avait connu noble, inez-moi je lis au fond de vos préoccupations quelque chose de
brave, généreux, riche de loules les qualités du soldat, du citoyen, plus que, vos devoirs publies; une longue habitude et des talents
de l'ami ; je l'ai trouvé en tout tel que me l'avait représenté mon tels que les vôtres vous ont rendu ces travaux faciles, el môme né-
père. Ses défauts sont ceux des âmes fières, élevées dans l'habitudei . cessaircs pour nourrir l'énergie de votre âme. Ni les périls intérieurs
du commandement: un excès d'orgueil, des passions impétueuses, ni les hostilités des Etats voisins ne sauraient vous affecter ainsi,
développées par une existence patricienne, au sein des orages de lai vous qu'aucune tempête n'a pu abattre ; vous qui, sur la roule cs-
politique et de la guerre; enfin un vif sentiment de l'honneur qui, carpée du pouvoir, n'avez jamais manqué d'haleine ; qui, arrivé au
renfermé dans de justes limites, est un devoir, mais qui devient un,i sommet, pouvez regarder à vos pieds d'un oeil calme el sans ôprou-
vice lorsqu'on l'exagère; et c'est ce que je redoute e.n lui. Puis il ai ver de vertige. Si les galères de Gènes flottaient dans le port, si In
toujoursété emporté ; mais ce défaut, il le rachètepar une si grandeÎ guerre civile hurlait sur la place Saint-Marc, vous ne seriez pas
noblesse de caractère, que la plus inconstante des républiques luii homme à défaillir; mais vous tomberiez comme vous êtes monté,
a prodigué toutes les hautes charges de l'Etat, depuis sa premièreB en conservant un front inaltérable... Vos émotions actuelles sont
campagnejusqu'à sa dernière ambassade, au retour de laquelle lai d'une nature différente : l'orgueil souffre en vous, cl non le pa-
dignité de doge lui a été décernée. triotisme.
MARIANNA. — Mais antérieurement à ce mariage, votre coeur n'a- LE DOGEJ— L'orgueil!Angiolina; hélas! on ne m'en a pas laissé.
vait-il poinlbattu pour quelque noble et jeune cavalier; ou, depuis,i, ANGIOLINA. —Oui.. ce péché qui a causé la chute des anges, el
n'avez-vous vu personne qui pût prétendre à la main de la fille dee auquel sont exposés surtout les mortels qui se rnpprochcnl do la
Lorédan si celte main étail encore à donner? nature des anges ; les petits ne sont que vains, les grands sont or-
, J'ai répondu
ANGIOLINA. — à votre première question en parlant1 gueilleux...
de mon mariage. LE DOGE. — J'avais l'orgueil de l'honneur de votre honneur,
MARIANNA.
— Et la seconde ? Angiolina, profondément enraciné dans mon, âme!... Mais chan-
ANGIOLINA.
— N'exige pas de réponse. geons de sujet.
MARIANNA.
— Pardonnez-moi si je vous ai offensée. ANGIOLINA.—Obi non!... vous m'avez admise avec bonté au
ANGIOLINA. Ce n'est point du déplaisir que j'éprouve, mais de partage de vos joies; que je ne sois pas exclue de vos afflictions-
l'élonnenent —
le
: j'ignorais qu'il fût permis à un coeur soumis aux x S'il s'agissait d'affaires publiques, vous savez que je n'ai jamais
lois de l'hymen d'arrêter sa pensée sur une autre liaison possible, :, cherché, queje ne chercherai jamais à vous arracher une seule
et de s'occuper d'autre chose que de l'objet de son premier choix. parole; mais vos chagrins sont évidemment d'une nature privée;
MARIANNA. —Ahl ce premier choix, lui-même fait souvent penser sr il m'appartientd'en alléger ou d'en partager le fardeau. Depuis le
que s'il était à refaire, on choisirait plus sagement. jour ou la calomnie insensée de Sténo est venue troubler votre
ANGIOLINA.— Cela se peut. De'telles pensées ne me sont jamais is repos vous êtes bien changé cl je voudrais, par mes soins vous
, , ,
venues. ramener à ce que vous étiez.
MARIANNA.
— Voici le doge.... dois-je me retirer? LE DOGE. —A ce que j'étais!.... vous a-t-on dit la peine pro-
ANGIOLINA. Il vaut peut-être mieux que vous me quittiez il noncée contre Sleno?
semble absorbé—dans ses réflexions... Comme il a l'air préoccupé.
;
(Marianna sort. Entrent le DOGE et PIETRO.)
ANGIOLINA.
— Non. d'arrêls.
LE DOGE. — Un mois
ANGIOLINA. — N'est-ce pas assez?
LE DOGE, se parlant à lui-même.—Hyamainlenantàl'arsenalun in LE DOGE.—Assez!... oui, pour un esclave ivre qui, sous le
certain Philippe Calendaro, qui commande quatre-vingts hommes, s, fouet, murmure contre son maître; mais non pour un imposteur,
et exerce une grande influence sur l'esprit de ses camarades; c'est, ;t, un scélérat qui, froidement et de propos délibéré, vient flétrir rhon-
dil-on, un hommo hardi el populaire, aussi résolu quediscret : il se- e- neur d'une noble dame et d'un prince...
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON. 3053

INGIOLINA. —Un patricien convaincu d'impostureme semblerait souille


sot les cheveux blancs des hommes vicieux, qui leur fait vider
lisamment puni : tmle peine esl légère, comparée à la perte de jusqu'à
jus la lie la coupe des plaisirs poin y trouver un bonheur qui
iiincur. n'c plus ; qui leur fait acheter parmi égoïste hymen quelquejeune
n'est
js DOGE. — De telles gens n'ont point d'honneur; une vie mépri- victime,
vie trop faible pour refuser un honnête établissement, trop
île, voilà tout ce qu'ils ont.... et on la leur laisse! sensible
sei pour ne pas se trouver malheureuse. Tel ne fut pas noire
VNGIOI.INA. — Vous ne voudriez pas, sans doute, qu'il mourût hyménée
hy : je vous laissailibre dans votre choix, el vous confirmâtes
ur celle offense? celui de votre père.
cel
LE DOGE. — Maintenant, non.... puisqu'il est encore vivant, je ANGIOLINA. — Je le fis et je le ferais encore, à la face de la lerre
usens volontiers à le laisser vivre autant qu'il pourra : il a et du ciel ; je n'ai jamais eu de regret pour moi, mais quelquefois
ssé de mériter ia mort; la protection donnée au coupable est la po vous, en songeant aux inquiétudesqui vous agitent.
pour
ndamnulion de ses juges; il est innocent, lui, car à présent son LE DOGE. — Je savais que mon coeur ne s'endurciraitjamais en-
imc est devenu le leur. vc vous ; je savais que ma vie ne vous importunerait pas long-
vers
ANGIOLINA. — Oh ! lout impudent calomniateur qu'il est, si ce temps:
tei libre un jour, la fille démon plus ancien ami, sa digne fille,
une audacieux avait payé de son sang son absurde mensonge , il plus pi riche à la fois et plus formée, dans tout l'éclat de sa beauté de
y aurait plus pour moi un seul moment de- joie ou de sommeil fe femme, éclairée par ces années d'épreuves, héritière du nom et de
lisible. la fortune d'un prince, et, pour prix de quelques tristes années
LE DOGE. — La loi divine n'ordonne-t-elle pas que le sang soit passées
pi aux côtés d'un vieillard, mise à l'abri de tous les efforts que
lyé par le sang? Celui qui calomnie ne tue-t-il pas plus encore pourraient p< soulever contre ses droits les chicanes de la loi et des
ne celui qui poignarde? Quand un homme est frappé, est-ce la parents
p. envieux ; la fille de mon meilleur ami pourrait, dis-je, faire
Liiilcur du coup ou la honte qui s'y attache qui en fait une mur- ui second choix plus convenable sous le rapport de l'âge et non
un
sllc injure ? Les lois humaines ne veulent-elles pas que l'honneur moins m digne de ses affections.
)it vengé par le sang? et ce sang ne coule-t-il pas pour bien ANGIOLINA.—i Seigneur, pour accomplir lous mes devoirs et vous
loins que l'honneur, pour un peu d'or? C'est encore au prix du donner d ma foi, je n'ai consulté que mon coeur et le désir de mon
mig que la loi des nations punit la trahison. N'est-ce rien que père p sanctifié par ses dernières paroles. D'ambitieuses espérances
avoir mis du poison dans ces veines où coulait la santé? N'est-ce ne n troublèrent jamais mes songes; et si jamais arrivait l'heure fu-
ien que d'avoir souillé voire nom et le mien... les deux plus no- neste
n dont vous parlez, je saurais le prouver.
îles de Venise? N'est-ce rien que d'avoir fait d'un prince la risée LE DOGE. — Je vous crois ; je connais votre sincérité. Quant h.
ie son peuple, d'avoir méconnu le respect que le genre humain l'amour, 1' l'amour romanesque, je savais dès ma jeunesse quecc n'é-
iccorde à la jeunesse dans la femme, à la vieillesse dans l'homme, tait li qu'une illusion, jamais je ne l'avais vu durable, mais trop sou-
i l'innocence dans votre sexe, a la dignité dans le nôtre?.... Mais vent
v fatal ; il ne m'avait point séduit dans le feu de l'âge, el ce n'est
:eux qui l'ont épargné devront prendre garde à eux! r maintenant qu'il eût pu me séduire. Vous entourer de respect
pas
ANGIOLINA.—Le ciel nous enjoint do pardonner à nos ennemis. « de tendres attentions, veiller assidûment à votre bonheur, com-
el
LE DOGE. — Le ciel pardonnc-l-il aux siens? Satan a-t-il échappé bler 1 vos innocents désirs, caresser vos vertus, étendre sur vous une
ii la colère éternelle? sollicitude
s inaperçue, et corriger ces petits défauts auxquelsla jeu-
ANGIOLINA. — Ne parlez point avec cet emportement ; Dieu vous inesse est sujette, non pas en les réprimant durement, mais en les
pardonnera comme à vos adversaires. redressant
i peu à peu, afin que votre changement vous semble l'effet
LE DOGE. — Ainsi soit-ill que le ciel leur pardonne! de
i votre libre arbitre; mettre enfin mon orgueil, non dans votre
ANGIOLINA. — El vous, leur pardonnerez-vous? beauté,
I mais dans votre conduite ; vous prodiguer ma confiance...
LE DOUE. — Oui, quand ils seront au ciel. une
i tendresse patriarcale... plutôt qu'un aveugle hommage, tels
ANGIOLINA. — El pas avant ? étaient
( les moyens par où je voulais obtenir voire confiance..
LE DOGE. — Que leur importe mon pnriion, le pardon d'un vieil- ANGIOLINA. — Vous l'avez toujours eue.
lard usé, méprisé, repousse, outragé? qu'importe mon pardon oui LE DOGE. — Je le pense, car eu m'acceptant vous connaissiezla
mon ressentiment, lous lieux impuissants et indignes d'attention ?' disproportionde
i nos âges, et vous ne m'en avez pas moins accepté.
J'ai trop longtemps vécu. mon en- Je ne fondais pas ma confiance sur mes qualités personnelles, et
fant! mon épouse outragée, ... lille parlons-d
Mais autre chose
de Lorédan, le brave, le chevale- cc n'est pas sur elles, ni sur les avantages extérieurs, que je me
resque. Ah! certes, quand ton père l'unissait à son ami, il élail bieni reposerais si j'étais encore dans mon vingt-cinquièmeprintemps;
loin de prévoir qu'il te vouait au déshonneur... hélas! ail déshon- I c'est au sang de Lorédan, ce sang pur qui coulait dans vos veines,
neur non mérité, car lu es sans laclie. Toul attire que le doge étant I c'est h l'âme que Dieu vous a donnée... aux principes transmis
ton époux à Venise, cet outrage, celle flétrissure, cc blasphème ne 1 par voire père... à voire croyance au ciel, à vos douces vertus... à
fussent jamais descendus sur loi. Oh! si jeune, si belle, si ver- I voire foi, a voire honneur, que le mien se confiait.
tueuse, si pure, essuyer cet affront, cl n'être pas vengée!... ANGIOLINA. — Et vous aviez raison! Je vous remercie de cette
ANGIOLINA.— Je suis trop bien vengée, car vous m'aimez cl m'ho- - confiance qui a fortifié mon estime.
norez encore ; el voire confiance ne m'est pas retirée, et toul lec LE DOGE. —Partout où l'honneur est inné, corroboré pas de
monde sait que vous êtes juste et que je suis fidèle. Que puis-jc de- i- sages principes, la fidélité conjugale est assise sur un roe inébran-
mander, que pouvez-vous exiger de plus? lable ; mais où il n'est pas, où fermentent les pensées légères, où la
LE DOGE. —Tout va bien, tout ira peut-être mieux encore ; maisis vanité des plaisirs mondains empoisonne le coeur, ou l'âme est
quoi qu'il arrive, vous, du moins, Angiolina, veuillez être indul- assaillie par les désirs des sens, insensé qui demande des vertus
gente envers ma mémoire. chastes à un sang infecté, quand même le mariage aurait couronné
ANGIOLINA. — Pourquoi me parlez-vous ainsi? la passion la plus ardente. Le dieu de la poésie lui-même revêtant
LE DOGIÏ. — Il n'importe pourquoi; mais quelle que soit l'opinion n toute la beautéde son marbre divin, ouAlcidc, lcdemi-dicu, dans sa
des autres à mon égard, je voudrais garder voire estime maintenant it virilité majestueuse et plus qu'humaine, ne suffiraient point à en-
et après ma mort. chaîner un coeur où manque la vertu. La persévérance constituela
ANGIOLINA.— Pourquoi en douleriez-Yous ? vous a-t-elle jamais is vertu et en est le signe : le vice ne peut se fixer, la vertu ne peut
manqué? changer. La femme qui a succombé une fois succombera toujours ;
LE DOGE. — Approchez, mon enfant ; j'ai quelque chose à vousis il faut au vice de la diversité, tandis que la vertu reste immo-
dire. Voire père était mon ami; les vicissitudes de la fortune le car bile comme le soleil, et tout ce qui se meut autour d'elle tire de sa
rendirentmon obligé pourtpjclques-unsde ces services qui unissent nt présence la vie, la lumière et la gloire.
plus étroitement les coeurs vertueux. Quand, sous le poids de sa ANGIOLINA. — Pensant ainsi, sentant si bien cette vérité dans les
dernière maladie, il désira notre union, ce n'était pas pour s'acquit- t- autres, pourquoi (je vous prie de m'excuser, seigneur), pourquoi
ter env.rs moi : sa loyale amitié m'avait depuis longtemps payé; c; vous abandonner à la plus violente, à la plus fatale des passions?
son but était d'assurer à votre beauté orpheline un honorable abri >ri Pourquoi vos augustes penséessont-elles troublées par une haine
contre les dangers «mi dans ce nid de scorpions assiègent unejeunene implacable contre un être aussi chétif que Sténo?
lille isolée et sans fortune. Je ne pensais point comme lui ; mais je LE DOGE. — Vous êles dans l'erreur, Angiolina. Ce n'est, pas
ne voulus pas contrarier une espérance qui adoucissait ses derniers ira Sténo contre qui s'élève ainsi ma colère; si c'était lui, bientôt...
moments. mais laissons cela.
ANGIOLINA. — Je n'ai pas oublié avec quelle noble délicatesse isc ANGIOLINA. — Quel est donc le motif qui vous affecte si p'rofon-
voiisinedciuandâtes de déclarersi mon jeunecoeurnourrissaitquelque ue dément?
secrète préférence à laquelle j'attachasse mou bonheur, ni l'offre re LE DOGE.— La majestéde Venise violée à la fois dans son prince
'lue vous nie fîtes d'une dot capable de m'égaler aux plus hauts ils et les lois,
partis de Venise; renonçant vous-même à tous les droits que vous us ANGIOLINA. — Hélas! pourquoiprendre la chose ainsi?
limiez des dernières volontés de mon père. LE DOGE. — Cetle peusée me poursuivra jusqu'à Mais reve-
LE DOGE. —Je ne cédai donc pas aux honteux caprices, aux ux nons à notre entrelien. Ayant pesé toutes ces raisons, je vous épou-
appétits libertins d'un vieillard, en convoitant une beauté virginale le, sai. Le monde rendit justice à mes motifs; ma conduite prouva
ces passions je les avais domptées dans ma plus fougueuse jeu- su- qu'il ne se trompait pas, el la vôtre fut au-dessus de lout éloge,
,
nesse ; mou vieil âge n'élail point infecté de celle lèpre de luxure qui lui Vous eûtespleine liberté... respectel confianceabsoluevous furent
I
310 LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

accordés pnr moi et les miens ; bref, issue de ce sang qui donna |
«les princes ù la République cl détrôna des rois aux rives étrangères, j SCÈNE II.
vous vous inoiilràies en lout la première des dames de Venise. I

ANGIOLINA. —Où voulez-vous en venir? Un lieu écarté, près de l'arsenal.


LE DOGE.— A cette conclusion... qu'il a suffi du souffle d'un
scélérat pour flétrir tout cela... un misérable, qui par son impu- ISRAËL BERTUCCIO, PlIIHI'l'U CALKKDARO.
dence, au milieu de notre grande fête, m'avait forcé «le le mettre à
la porte, pour lui apprendre à se conduire convenablement dans le CALENDABO.
— Eh bien! Israël, quel succès a obtenu votre
palais ducal. Un pareil être laissera sur le mur le mortel venin de plainte
pi ?
son coeur plein de fiel, et le poison circulera partout! et l'innocence IsnAEL. — Le plus heureux.
de la femme, l'honneur de l'homme deviendront le jouet du pre- CALENDARO.
— Est-il possible, l'agresseur sera-t-il puni?
mier venu I et le double félon, après avoir insulté la modestie vir- ISUAEL. — Oui.
ginale par un affront grossier fait aux demoiselles de votre suite, en CALENDARO.
— De quelle peine? l'amende ou la prison?
présence de nos gentilshommes, de nos plus nobles daines, se ven- IsnAEL. — La mort !
gera de sa trop juste expulsion en imprimant une publique souil- CALENDARO.
— Vous rêvez sans doute , ou votre intention est du
lure à l'épouse de son souverain, et il sera absous par ses pairs! vous
\< venger vos propres mains, comme je vous le conseillais.
de
ANGIOLINA. —. Mais il a été condamné à l'emprisonnement.
LE DOGE."— Pour de tels êtres, ce n'est la qu'une absolution ; et
ISRAUL.
— C'est cela
abandonner la
! et pour boire une seule gorgée de
ven-
geance,
g grande réparation que nous méditons en fa-
la courte durée de sa prétendue captivité se' passera dans un palais, veur
v de Venise, changer une vie d'espoir en une vie d'exil, écraser
Mais ne parlons pas de lui, c'est de vous maintenantqu'il s'agit. u scorpion cl en laisser mille autres qui perceront de leurs dards
un
ANGIOLINA. —De moi, seigneur? n amis, ma famille, mes compatriotes! non, Calendaro ; les gout-
mes
LE DOGE. —Oui, Angiolina. Ne soyez point surprise; j'ai différé tites de sang que le misérable a fait couler seront payées de lout le
celle communication autant que je l'ai pu ; mais je sens que ma vie sien... s de bien plus encore: nous n'avons pas seulementdes injures
approche de son terme, et je désirerais être assuré que vous suivrez privées p à venger ; cela est bon pour des liassions égoïstes cl des
les instructions consignées dans cet écrit..- (H lui remetunpapicr.) hhommes désespérés; mais cela n'est pas digne de l'exterminateur
Ne craignez rien ; tout est dans voire intérêt : prenez-en lecture des d tyrans.
en temps opportun. CALENDARO. — You3avcz plus de pulience «pic je n'en veux pour
ANGIOLINA. Seigneur,
—honoré pendant comme après votre vie, vous moi-même.
r Si j'avais été présent quand vous avez reçu celle insulte,
serez toujours par moi. Mais puissiez-vous jouir de longs j'aurais j' lue l'homme sur la place, j'aurais succombé dans un vain ef-
jours... plus heureux que ceux-ci! Celte exaltation se calmera, ffort pour contenir ma rage.
et vous redeviendrez ce que vous devez êlre... ce que vous étiez. ISRAËL. — Dieu merci! vous n'étiez pas là... sans quoi tous nos
LE DOGE. — Je serai cc que je dois êlre, ou je ne serai rien, projets
r eussent été entravés : en l'étal actuel des choses, noire- cansi:
Pourtant jamais... oh! non! jamais, jamais, sur le petit nombre s'offre s encore sous un aspccl favorable.
d'heures ou de jours réservés encore a la vieillesse flétrie de Faliero, CALENDARO. — Vous avez vu le doge... que vous a-t-il répondu ?
le repos ne fera luire son doux crépuscule! Jamais Je reflet brûlant ISRAËL. — Qu'il n'y avait point de châtiment pour des hommes
d'un passé qui ne fui pas sans utilité et sans gloire ne se projettera ttels que Barbaro.
sur le soir d'une vie épuisée, pour m'adoucir l'approche du long CALENDARO.—Jevousavais bien dit qu'il n'y avait point de justice
sommeil de la tombe. Il ne me reste que bien peu de choses a de- à; chercher de ce côté.
mander ou à espérer, outre la considération due au sang «pue j'ai ISRAËL. — J'ai du moins réussi à écarter les soupçons par celle
versé, à mes sueurs, aux fatigues «pic mon âme a subies, en ira- manil'cslalioiidccoiifiaiice.
i Si j'avais gardé le silence,* tous les sbires
vaillant à la gloire de mon pays, comme soi» serviteur..-, son ser- auraient i eu l'oeil sur moi, comme sur un homme qui médite une
vileur bien que son chef... J'aurais pu rejoindre mes aïeux avec vengeance silencieuse, solitaire, implacable.
un nom irréprochable et pur comme le leur; mais ce bienfait m'a CALENDARO. — Mais pourquoi ne pas vous adresser au conseil ?
élé refusé... Oh! que nc suis-je mort à Zara! Le doge est un mannequin, et c'est à peine s'il peut obtenir Justine
ANGIOLINA. — C'est là que vous sauvâtes la République; vivez pour lui-même. Pourquoi vous êles-vous présenté à lui ?
ilonc pour la sauver encore; une journée pareille à celle-là serait ISRAËL. — C'esl ce que vous saurez plus tard.
le meilleur châtiment à infliger à vos ennemis, la seule vengeance CALENDARO. — Pourquoi pas maintenant?
«ligne de vous. ISRAËL. — Attendez minuit. Réunissez vos hommes, cl dites à vos
LE DOGE. — Une telle journée ne luit qu'une fois dans un sièele; amis «le tenir leurs compagnies sur le qui-vive... que toul soit prêt
peu s'en faut que ma vie n'ait atteint celte durée,et c'est assez pour pour frapper le coup décisif dans quelques heures peut-être. Nous
moi que la lbrtiincm'aitnccordéune fois ce qu'elle accordé à peine, attendons tlopuis longtemps le momentfavorable ; ce moment, il se
sur une grande diversité de pays et à de longs intervalles, à un peut que le soleil de demain nous le donne; de plus longs délais
seul mortel favorisé. Mais pourquoi parler ainsi? Venise a oublié ce produiraient un double danger. Ayez soin que tous se rendent
jour... dois-je me le rappeler?... Adieu, douce Angiolina! il faut ponctuellement et en armes au lieu du rendez-vous, à l'exception
que je rentre dansmon cabinet : j'ai beaucoup d'occupations... cl le de ceux d'entre les Seize «jui resteront au milieu des troupes pour
temps s'écoule. attendre le signal.
ANGIOLINA. — Rappelez-vous cc que vous fûtes. CALENDARO. — Voilà d'agréables paroles, el qui répandent dans
LE DOUE.—Cc serait en vain ! le souvenir du bonheur n'est plus mes veines une nouvelle vie. Je suis las de lous ces délais, de toules
du bonheur; mais le souvenir des peines est une peine encore.
«jui
ces hésitations ; les jours succèdent aux jours, et chacun d'eux ne
ANGIOLINA.— Du moins, quelque occupation vous presse, je fait qu'ajouter un nouvel anneau à une trop longue chaîne, qu'in-
vous supplié de ne point vous fatiguer. Votre sommeil depuis plu- fliger à nos frères el à nous de nouveaux oulragcs et qu'augmenter
sieurs nuits a élé tellement agité, que c'eùl été vous soulager peut- en conséquence la force et l'orgueil de nos tyrans. Je ne demande
être que de vous éveiller; mais j'espérais «itiela nature finirait par qu'à en venir aux mains avec eux, et peu m'importe le résultat ; ce
dompter les pensées qui vous troublaient ainsi. Une heure de reposi ne pcul être que la mort ou la liberté.
vous rendrait à vos travaux avec une intelligence plus libre, unes ISRAËL. —> Morts ou vivants, nous serons libres! la tombe n'a
vigueur nouvelle. point de chaînes. Toules vos listes sont-elles prêtes, cl les seize
LE DOGE. — Je ne puis dormir je le pourrais je
que ne le de- compagnies sont-elles portées au complet de soixante hommes.
vrais pas; car personne n'eut jamais plus de motifs «le veiller. En- CALENDAHO. — Toules, à l'exception de deux, dans lesquelles il
core un petit nombre de jours et de nuits d'agitation,et je dormiraii manque vingt-cinq hommes.
en paix... mais où?... n'importe. Adieu, mon Angiolina. ISRAËL.—N'importe! nous pouvons nous en passer. Quelles sont
ANGIOLINA.— Souffrez «pie je demeure près de vous.un instant... ces deux compagnies?
un seul instant encore ! je ne puis supporter l'idée de vous laisserr CALENDARO. — Celles de Bertram et du vieux Soranzo, qui lous
ainsi. deux paraissent peu zélés.
LE DOGE. — Viens donc, mon aimable enfant!... Pardonne-moi : ISRAËL.—Votre nature ardentevous fail accuser de tiédeur quicon-
lu étais née pour quelque chose de mieux que partage d'une des-:- que est plus calme et plus posé que vous; mais souvent il n'y a pas
le
linée qui touche à son déclin et s'avance rapidement vers la valléee moins de résolution dans les esprits concentrésquedans ceux qui font
sombre où siège la mort. Quand je ne serai plus... ce sera peut-être e le plus de bruit; ne vous méfiez pas d'eux.
plus tôt encore que mon âge ne l'annonce; car au-dedans, au-de- CALENDARO. — Je ne me méfie pas du vieillard...mais il y a tlaiis
hors, quelque chose se prépare qui peuplera les cimetièresde cellee Bertram une hésitation, une facilité d'impressions fatales à des eii-
ville plus que n'eût jamais fail la pesle ou la guerre... quand je nee Ireprises comme la nôtre. J'ai vu cet homme pleurer comme un cu-
serai plus rien de ce que j'étais, qu'il reste encore parfois sur tess faut sur les maux d'aulrui, sans songer aux siens , quoique pli's
lèvres un nom, dans ta mémoireunc ombre, pour le rappeler celui ii grands; cl, dans une querelle récente, il a semblé sur le point de se
qui te demande, non des larmes, niais un souvenir. Allons, ma fille,:, trouver mal à la vue du sang, quoique ce fût celui d'un vaurien.
le temps.presse. (Ilssortent.) ISRAËL. — Les vrais braves ont le coeur prompt, à s'émouvoir,
les larmes faciles, el leur sensibilité déplore ce que le devoir e.si" 1'
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD KYJION. 311

d'eux. Je connais Bertram depuis longtemps; il n'existe pas sous le di Grecs n'avait point de furie comparable à celle dont les mains
des
ciel une âme plus remplie d'honneur. brûlantes
bi déchirent ses entrailles, jusqu'à le rendre capable de lout
CALENDAHO. — Cela se peut; ce que j'appréhende en lui, c'est oser
os pour satisfaire sa vengeance. Ajoutez à cela un esprit libéral,
moins de la trahison que de la faiblesse ; cependant comme il n'a ni <p voit el déplore l'oppression du peuple, et sympathiseavec ses
qui
maîtresseni femme pour exploitercette mollesse, peut-êtresorlira-t-il souffrances.
se Tout considéré, nous avons besoin d'un tel homme, et
convenablementde l'épreuve. Heureusement il esl orphelin , el n'a il a besoin de nous.
d'amis que nous; une femme et un enfant l'eussent rendu moins CALENDARO. — Et quel rôle vous proposez-vous de lui confier
résolu qu'eux-mêmes. parmi
p: nous?
ISRAËL. — De tels liens ne conviennent pas à des hommes que ISKAEL. —Celui de chef peut-être.
leur destinée appelle à purifier une république corrompue. Nous CALENDARO. — Quoi! vous résigneriez lo commandement?
devons mettre en oubli tous les sentiments hormis un seul... nous ISRAËL.— Sans nul doute; mon but esl de mener noire entre-
nc «levons avoir «Vautres passions que notre dessein, d'autre objet prise
p à bonne fin, et non pas de me frayer la route du pouvoir.
en vue que la patrie; cl le trépas doit nous sembler beau, si le sang Mon
SI expérience, quelques talents et vos suffrages m'ont désigné
de la victime monte vers le ciel cl en fait descendre à jamais la pour
p vous commander, jusquà cc qu'il se présentât un chef plus
liberté. digne;
d si j'ai trouvé l'homme que vous-mêmes vous m'auriez^ pré-
CALENDAHO.—Maissi nous échouons? féré, pensez-vous que l'égoïsmc ou l'amour d'une autorité précaire
f<
ISRAËL.—llsn'cchoucnljnmais,ceux qui meurent dans une grande puissent
p me faire hésiter ; que je rattache à moi seul tous nos inté-
cause ; le billot boit leur sang, leur tôle se dessèche au soleil, leurs r plutôt que de céder la place à un homme mieux
rêts, doué de toutes
membres sont exposés aux portes «les villes, aux créneaux des les qualités d'un chef? Non non Calendaro connaissez mieux
1<
ami; mais vous en jugerez , , ,
Séparons-nous
tours... mais leur esprit vil toujours présent. En vain les années voire
v lous... pour nous
s'écoulent, en vain d'autres victimes subissent le même destin, elles réunir
r à l'heure fixée.
ne l'ont que grossir la pensée unique, intense, qui bientôt fait taire CALENDÀROV
— Digne Israël, je vous ai toujours connu fi.lèle cl
toules les autres, et finit par conduire les peuples à la liberté. Que brave,
11 etiiion coeur ni ma tète n'ont jamais failli aux plans que vous
serions-nous si Brulus n'avait pas vécu? 11 est mort en.combattant aviez
a conçus, four ma part, je ne demande point d'autre chef que
pour l'indépendance de Home, mais il a laissé après lui une leçon vvous ; cc que riosanlis décideronljc l'ignore; mais, «lans loules vos
immortelle... un nom qui esl une vertu et une âme qui renaît"en entreprises
c je suis à Vous comme je l'ai toujours élé... Maintenant
tout temps, partout où les méchants prospèrent,où le peuple devient adieu
a jusqu'à ce que l'heure de minuit nous réunisse. (Ils
,
esclave. Lui et son noble ami furent appelés les derniers Romains, sortent.)
s
Soyons les premiers des véritables A'éniliens, issus du sang de
Rome.
CALENDARO. Si nos ancêtres ont fui devant Attila, s'ils se sont ré-
— îles,
fugiés dans ces où depuis des palais se sont élevés sur «les AC;TE m.
rives arrachées au limon de la mer, ce n'était certes pas pour re- SCÈNE PREM1È11E.
connaître des milliers de despotes. Plutôt fléchir devant le roi
des Huns et avoir un Tarlnre pour maître, que d'obéir à ces Placo
] entre le canal et l'église do Saint-Jean et Saint-Paul, devant la-
vers à soie gonflés d'orgueil. Du moins le barbare était un homme, quelle,on voit une statue équestre. — Une gondole est dans le canal à.
et avail le glaive pour sceptre: ces êtres efféminés et rampants com- quelque distance.
mandent sans armes à nosépées, et nous gouvernent d'un mot, LE DOCI", seul et déguisé.
rumine par un charme magique.
ISRAËL. — Cc charme sera bientôt rompu. Vous dites que toutest Me voici au rendez-vous avant l'heure, heure solennelle, dont le
prêt ; aujourd'hui je n'ai pas l'ail ma ronde accoutumée, et vous signal
t
résonnant sous, la voûte de la nuit devrait communiquera
savez pourquoi; mais votre vigilance aura suppléé à la mienne. Le ces
'
palais une prophétique commotion, faire tressaillir ces marbres
conseil, ayant récemmentdonné l'ordre de redoublerd'efforts pour jusque dans leurs .fondements, et réveiller ceux qui y dorment au
réparer les galères, on s'est servi de ce prétexte et l-'on a introduit moment où un rêvé obscur, mais horrible, les avertit «lu sort qui les
dans l'arsenal un grand nombre des noires, en qualitéd'ouvriersde- menace., Oui,..cité orgueilleuse1 il faut «pie lu sois purgée du sang
là marine, ou comme membres de l'équipage des flottes qui se pré- corrompu qui fait de toi un lazaret de tyrans : celle lâche m'esl im-
parent... Tous sont-ils munis d'armes? posée malgré moi; je ne l'ai pas cherchée; et c'est pourquoi j'ai
CALENDARO.
— Tous ceux du moins qui ont élé jugés dignes de élé puni, car j'ai vu croître, s'étendre sous mes yeux cette pesle
celle marque de confiance; un certain nombre doivent rester dans patricienne, jusqu'au moment où elle est venue m'alteindre moi-
l'ignorancejusqu'au moment de frapper; alors on les armera. Dans même dans ma sécurité; et maintenant lout souillé île celle lèpre ,
la premièrechaleur «le la crise, force leur sera de marcher avec ceux il faut que je lave les taches de la contagion dans les eaux qui gué-
nu milieu desquels ils se trouveront. rissent. Temple majestueux où dorment mes ancêtres, dont les
ISRAËL. — Bien dit. Les avez-vous remarqués, ceux-là? sombres statues projettent leur ombre sur le sol qui nous sépare
CALENDARO. J'en ai pris note à part, et j'ai recommandé aux des morts, où une poignée de cendres est tout ce qu'il reste de tant
chefs d'user de— la même précaution dans leurs compagnies respec- de héros qui ont ébranlé le monde! Temple des saints protecteurs
lives. Autant (pie j'ai pu le voir, nous sommes assez nombreux pour de notre maison! caveaux où reposent deux doges... mes aïeux!
assurerlcsuccès, si l'exéculion a lieu demain ; mais jusque-là, cha- qui moururent l'un sous le fardeau des affaires publiques l'aulre
,
que instant perdu esl une source tic nouveaux périls. sur le champ de bataille ; sépulture d'une longue race de guerriers
ISRAËL. —Que les Seize se rassemblent à l'heure accoutumée, ài el de sages qui m'ont légué leurs grands travaux, leurs blessures et
l'exception de Soranzo, de Nicolelto Blondo et de Marco Giuda, quii leur rang que les tombeaux s'ouvrent, que l'église voie surgir
continueront de veiller à l'arsenal et devront se tenir prêts au signal1 tous ces morts dans son enceinte, et qu'ils sortent eu foule des porti-
convenu. ques en fixant sur moi leurs regards I Je les prends à témoin, ainsi
CALENDARO. — Ils seront à leur poste. que loi, basilique vénérable, des molifsqui m'ont poussé dans cette
ISRAËL. — Que tous les autres viennent au rendez-vous : j'ai uni entreprise... Ils savent que ma seule pensée esl de venger leur no-
étranger à leur présenter. ble sang, leur blason glorieux, leur nom illustre, avilis en moi, non
CALENDARO. — Un étranger? Connaîl-il le secret? par moi, mais par des patriciens ingrats, que nos exploits dcvràicn t
ISRAËL. — Oui. avoir faits nos égaux et non pas nos maîtres... Et toi surtout, brave
CALENDARO. — Kl vous avez osé mettre en péril la vie île voss Ortlclafo, tombé sur ces mêmes champs «le Zara, qui depuis m'ont
amis par votre confiance précipitée dans un homme que nous nej vu vaincre, les hécatombes de les ennemis et des ennemis de Venise,
connaissons pas? que ton descendant a offertes à tes mânes, devaient-elles être ainsi
ISRAËL. — Je n'ai exposé d'autre vie que la mienne... soyez-eni récompensées? Ombres de mes aïeux! daignez me sourire; car ma
certain. C'est un homme(jui,en nous accordant son aide, rend notre3 cause est la vôtre, en tant que les choses de celte vie peuvent vous
succès doublement assure. D'ailleurs, s'il s'y refuse, il n'en esl pass toucher encore... voire gloire, votre ncni sont intéressesà ce débat,
moins en notre pouvoir: il viendra seul avec moi, el ne sauraitl d'où dépendent les destinées do noire race! Que je réussisse, et je
nous échapper. Mais il ne reculera pas.. rendrai celle cité libre cl immortelle, et le nom de notre maison
CALENDARO. — Je n'en pourrai juger que du moment où je le a plus digne de vous dans le présent et dans l'avenir. (Entre Israël
connaîtrai... Est-il de notre classe ? Bertuccio.)
ISRAËL. — Oui, par le sentiment; quoique fils de la grandeur,
c'esl un homme capable d'occuper ou de renverser un Irônc... unn ISRAËL. — Qui va là?
homme «lui a fait de grandes choses, éprouvé de grandes vicissitudes; LE DOGIÎ. — Ami de Venise.
ce n'est point un tyran ,' bien qu'élevé pour la tyrannie. Vaillantt ISRAËL. — C'est lui. Salut! seigneur... vous avez devancé l'heure.
à la guerre, sage ilans les conseils ; noble par sa nature quoique e LE DOGE, T— Je suis prêt à me rendre dans votre assemblée.
lier; aclif, mais pruilenl; avec lout cela, il est tellement,asservi à ISRAËL. — A merveille; je suis fier et charmé de voir tant di
certaines passions, qu'une fois blessé, comme il l'a élé sur un des is confiance et d'ardeur. Ainsi depuis notre dernière entrevue, vos
points les plus sensibles, il devient indomptable. Non, la mytholocicc doutes se sont dissipés?
312 LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

LE DOGE. — Non... mais je me suis décidé à jouer sur cette chance hésitation, à immoler des hommesparsurprise. Néanmoins nedonie
le peu de vie qu'il me reste ; le dé en fut jeté la première fois que je pas de moi; c'est cc sentiment môme, c'est la conscience de ce. qui
prêtai l'oreilleà ta trahison... Ne tressaille point! c'est le mot; je m'a réduit à cette extrémité qui constitue ta meilleure garantie. i|
ne puis accoutumer ma langue à revêtir de noms innocents des ac- n'est point parmi tes complices d'artisan plus outragé, plus ravalé
tes coupables, bien que je sois décidé à les commettre. Quand lu que moi, plus impérieusement poussé à obtenir réparation : ces ty-
es venu tenter ton souverain , et que je t'ai écoulé sans l'envoyer rans infâmes, je les abhorre doublement pour les aclcs qu'il u'jc
en prison, dès ce momentje suis devenu ton complice le plus cri- faut aeeomplir, afin de tirer vengeance des leurs.
minel ; tu peux maintenant, si cela le convient, faire à mon égard ISRAËL. — Partons!... écoulez... l'heure sonne.
ce que j'aurais pu faire au tien. Li; DOGE. —Allons!...allons!... c'est notre glasde mort, ou celui
ISRAËL. — Voilà d'étranges paroles, seigneur, et je ne crois pas de Venise!..- Allons.
les avoir méritées; je ne suis point un espion et nous ne sommes ISRAËL. — Dites plutôt que c'est le carillon de sa liberté triom-
, phante !... par ici... le rendez-vous n'est pas loin. (Ils sortent.)
pas des traîtres.
LE DOGE. — Nous... nousl n'importeI lu as acheté le droit de
dire Nous... Mais venons SCÈNE IL
au fait... Si le succèscou-
ronne celte entreprise, si La maison on. se rassem-
Venise, rendue libre et blent les conspirateurs.
florissante, quand nous
serons descendus au cer- DAGOMNO.—nono.—
cueil, conduit ses généra- BERTRAM. — fr'KIlE-
tions sur nos tombeaux, LE. — TRICVISAKO.—
et, par les petites mains CAMvKItARO. — AN-
«lèses curants, fait semer TOMODELLISRENDE,
des fleurs surla cendrede .
etc., etc.
ses libérateurs, alors les
résultats auront sanctifié CALENDARO en en-
notre action, et dans les trant. ,
annales de l'avenir nous — Tous sont-ils
ici?
serons missur lu ligne des DAGOLINO. Tous, à
deux Brulus; mais, dans l'exception de—trois qui
le cas contraire, si, em- sont à leur poste, et du
ployant des moyens san- notre chef Israël que
glants et la voie des com- nous attendons d'un, ino-
plots, bien que dans un inentà l'autre.
but légitime, nous de-
vions succomber, alors
CALENDARO.
Bertram ? — Où esl
nous serions des traîtres, BERTRAM.— Me voici !
honnête Israël... toicom- CALENDARO. Eles-

me celui qui, il y asixheu- vous parvenu à complé-
res, était Ion souverain,et ter votre compagnie?
maintenant n'est plus que BERTRAM. —J'avais je-
ton complice. té les yeux sur quelques
ISRAËL.—Cc n'esl pas hommes: mais je n'ai pas
le momentde discuter ces osé leur dévoiler le secret
questions, autrement je avant d'êlrc assuré qu'ils
pourrais répondre... Al- méritaient ma confiance.
lons à rassemblée, car ici CALENDARO. —Il n'y a
nous pourrions être ob- rien à leur confier : hors
servés. nous cl nos camarades les
LE DOGE.—Noussom- plus sûrs, nul n'est com-
mes observés el nous l'a- plètement instruit de nos
vons déjà été. intentions. Us se croient
ISRAËL.—Par qui? sa- secrètement engagés au
chons qui nous épie... et service de la Seigneurie
cc poignard... pour châtierquelqucsjeu-
LE DOGE. — Arrête ; ncs nobles plus di-solus
nous n'avons pas ici de que les autres,.et bravant
mortelspour témoins: re- l'autorité des l'ois ; mais
garde de ce côté... que unefoisqu'ilsauront mar-
vois-tu? ché que leurs épôes se-
ISRAËL.—Je ne vois à Marino et son neveu. ront, teintes du coupable
la clarté obscure de la lu- sang des sénateurs les
la
ne que statue colossale plus odieux, ils n'hésite-
d'un guerrier monté sur ront pas à e 11 sacrifierd'au-
un superbe coursier. tres, surtout quand ils
LE DOGE. — Ce guer- verrontleschefs leur don-
rier était un de mes aïeux, ner l'exemple ; et pour ma
et celte statue a élé érigée part, je ferai si bien que,
par la cile que son bras avait deux fois sauvée... Penscs-lu quil soil crainte, soit honte, ils ne s arrêteront pas avant d'avoir tout
nous regarde? exterminé.
ISRAËL.
— Seigneur, ce sont là des illusions; le marbre n'a pas BERTRAM.
— Que dites-vous, tous?
d'yeux. CALENDARO. — Et qui voudriez-vous épargner?
LE DOGE. —Mais la mort en a. Je te dis, Israël, qu'il a dans ces BERTRAM.— Moi, épargner! je n'ai le pouvoir d'épargner per-
objets un esprit qui agit et qui voil, et qui se fait sentir,ybien qu'in- sonne. C'était une simple question: je pensais que, môme parmi ces
visible : el s'il est «mclque charme assez puissant pour réveiller des hommes criminels, il pouvait s'en trouver que leur âge ou leurs
morts , il se trouve dans des actes connue celui que nous allons qualités recommanderaient à la pitié.
accomplir. Crois-tu donc que les âmes des héros de ma race puis- CALENDARO.—Oui! une pitié comme celle que méritent et qu'ob-
sent demeurer en repos pendant que le dernier de leurs descen- tiennent les tronçons séparés de la vipère, alors que, dans la
dants conspire avec des plébéiens
,
au bord môme de leur vénérable dernière énergie de leur venimeuse existence, ils tressaillent con-
tombe- vulsivement au soleil. Moi, en sauver un seul! j'aimerais autant
ISRAËL. — Vous auriez dû faire ces réflexions avant de vous en- épargner un des crocs empoisonnés du serpent : ce sont tous les
gager dans notre grande entreprise... Vous repentez-vous? anneaux d'une môme chaîne; ils nc forment qu'une seule vie, qu'un
LE DOGE. — Non; mais je sens, et continuerai à sentir jusqu'à seul ; ils boivent, mangent et procréent ensemble; ils pren-
la fin. Je ne puis toul-à-coup éteindre une vie glorieuse, rapetisser nentcorps leurs ébats, mentent, oppriment et tuent de concert... qu'il*
ma taille au rôle que je dois jouer maintenant, cl me résoudre, sans meurent doue comme un seul homme!
OEUVRES COMPLÉTHS «E LORD RYRON. 3U

DAGOLINO. — S'il en échappait un seul, il serait aussi dangereux CALENDARO niellant l'épie à lu main. — Arrêtez ! arrêtez ! qui-
,
,pie la totalité ; ce n'est pas leur nombre, qu'on les compte par conque fail un pas vers eux esl mort. Arrêtez! laissez parler Israël...
dizaines ou par milliers, c'esl l'esprit de celle arislocraticqu'il faut Eh quoi I l'épouvante vous a saisis lous, parce qu'un vieillard seul,
déraciner; s'il restait du vieil arbre un seul rejeton vivant, il pren- désarmé, sans défense, esl au milieu de vous ?... Israël, parle ! que
ilrail racine dans le sol, el produirait encore son lugubre feuillage signifie ce myslère?
cl ses fruits amers. Bertram, de la fermeté! ISRAËL.— Qu'ils s'avancent! qu'ils s'immolent eux-mêmes en
CALENDARO.— Prends-y garde, Bertram; j'ai l'oeil sur toi. nous immolant, et consomment leur ingrat suicide! car «le noire
BERTRAM.—Qui se méfie de moi ? vie dépend la leur, avec loule leur fortune et toules leurs espé-
CALENDARO. — Ce n'est pas moi ; car si cela était, lu ne serais pas rances.
ici à nous parler de confiance : c'esl sur ta sensibilité, et non sur la LE DOGE. — Frappez! si j'avais craint la mort, une mort plus ter-
fidélité qu'on a conçu des craintes. rible que celle don l vos épées nous menacent, je nc serais pas ici en
BERTRAM.—Vous qui m'écoulez, vous devriez savoir qui je suis et ce moment... Oh! le noble courage, fils do la crainte, qui s'attaque

coeur sensible, j'en con-


viens, et plusieursd'entre
vousi'ontcprouvé; quant
à ma bravoure,tu dois en
savoir quelque chose, toi,
Calendaro, qui m'as vu à
l'oeuvre; pour peu quà
cet égard il le reste des
doutes, je suis prêt à les
éclaircir en lête à têle
avec toi !
CALENDARO. — Je ne
demande pas mieux, dès
que nous aurons mis à
lin notre entreprise, que
n ulle. querelleparticu-
lière ne doit interrom-
pre.
IIERTRAM.— Je ne suis
point querelleur; mois je
suis homme à pénétrer
dans les rangs de l'enne-
mi aussi avant qu'aucun
de ceux qui m'écoutent;
sans cela m'aurait-ou
choisi pour faire partie
des principaux conjurés?
Cependant j'avouerai ma
faiblesse naturelle, l'idée
d'un massacre général me
fuit tressaillir; la vue du
sang ruisselant sur des
lèlus blanchies nc s'ac-
cordepoint pour moi avec
l'idée d'un triomphe, et
je ne vois aucune gloire
dans la mort infligée à un
ennemi sans défense. Je
sais trop que nous som-
mes forcésd'agir ainsi en-
vers ceux dont les actes
ont soulevé de telles ven-
geances; mais s'il eût été
possible,dans l'intérêt de
notre propre gloire, d'ex-
cepter quelques têtes de
celle proscriptionuniver-
selle, d'épargner à notre
entreprise «juclques ta-
ches de meurtre, afin
qu'elle n'en fût pas com-
plètement souillée, j'a-
voue que cela cûl été d'ac-
cordaveemes sentiments;
et je ne vois rien dans co
voeu qui justifie les sarcasmes ou les soupçons.
DAGOLINO. — Calme-loi, Bertram ; nous' ne le soupçonnons pas ;
aie bon courage c'est notre cause, et non noire volonté, qui exige
«le tels actes : les , eaux pures de la liberté laveront toules ces taches.
(Entrent ISRAËL BERTUCCIO, et le DOGE déguisé.)
DAGOLINO.
— Salut, Israël !
LES CONJURÉS.
— Sois le bien venu ! Brave Israël, tu l'es bien fait
attendre. — Quel est cet étranger!
CALENDARO. —11 est temps de le nonîmer ; nos camarades sont
prêts à l'accueillir comme un frère ; je les ai prévenus que tu avais
conquis un appui a notre cause; ce choix, ayant ton approbation
aura aussi la nôtre, tant est grande notre confiance en tous tes actes.,
Maintenant, qu'il se découvre.
ISIIAEL.
— Etranger, avancez. (Le doge se découvre.)
LES CONJURÉS.
— Aux armes! — Nous sommes trahis, c'est le
«loge !
— Qu'ils meurent tous deux , notre capitaine qui nous livre,
cl le tyran auquel il nous a vendus.
3|4 LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

ici pour donner «le la force même aux forls, pour les stimuler à II bataille autour du palais, dont la cour sera occupée par mon neveu
b:
l'action, cl non pour Combattre avec des armes de femme. Mais I cl les clients de ma maison, lous armés et prêts à bien faire. Quand
et
qu'est-il besoin queje vous stimule? nos griefs privés sont nés des I la cloche sonnera, criez: «Saint-Mare! l'ennemi est dans nos
vices publics de celElat, ni république ni royaume, puisqu'ony cher- eaux. »
ei
cherail inutilement un roi et un peuple; mais qui réunit tous les CALENDAHO.— Je vois maintenant... mais continuez, mon noble
défauts de l'ancienne Sparte, sans sa tempérance et son courage : seigneur.
si
les maîtres de Lacédémone étaient des soldats ; les nôtres sont des LE DOGE. — Tous les patriciens se rendront précipitammentau
sybarites, et nous des ilotes, dont le plus avili, le plus opprimé, c'esl conseil,
c car ils n'oseront pas désobéir au signal terrible qui reten-
moi. Vous êtes réunis pourrenverser cette constitution monstrueuse, tira
li du haut de la tour de leur saint patron : celte moisson, ainsi
ce gouvernement qui n'en est pas un , ce spectre qu'il faut exor- rassemblée,
r; tombera sous le tranchant de nos glaives, comme le blf;
ciseraveedusang. Et alors, nous ramènerons lavérité de la justice; sous
s la faucille. Quant aux retardatairesel aux absents, dans leur
nous ferons fleurir dans une république sincère et libre, non une isolement,
n il nous sera facile d'en avoir raison', après que la ma-
égalité insensée, mais des droits proportionnéscomme les colonnes jorité aura élé mise hors d'état de nuire.
j<
d'un temple qui se prêtent une force mutuelle, et donnent à lout CALENDAIIO.
— Que ce moment n'est-il venu! nous ne frapperons
l'édifice tant, de solidité et de grâce qu'on ne saurait supprimer au- pas
p de main morle.
— Avec votre permission, Calendaro, je répéterai li
cune* partie sans rompre la symétriede l'ensemble. Pour accomplir BERTRAM.
ce grand changement, je demande à me joindre à vous, si vous question
q que j'ai faite avant qu'Israël eût adjoint à notre cause cet
avez confiance en moi; sinon, voilà ma poitrine, frappez!... ma iimportant allié qui, rendant sou succès plus assuré, permet de faire
vie est compromise, et j'aime mieux mourir de la main d'hommes li- Ibriller une lueur de clémence sur une partie do nos victimes...
bres que de vivre un jour de plus pour jouer mon rôle de tyran, dé- Tous
1 les nobles sont-ils condamnés à périr?
légué de la tyrannie. Tel je ne suis point, tel je n'aijamais été... nos CALENDARO. — Tous ceux du moins qui seront rencontrés par
annales en font foi ; j'en appelle à mon gouvernementpassé, dans moi
i ou les miens ; nous aurons pour eux la clémence qu'ils ont etm
bien des contrées cl bien des villes : elles vous diront si j'ai élé un pour
] nous.
oppresseur ou un homme plein de sympathie pour les maux de ses LES CONJURÉS. — Tous! tous! Est-ce le moment de parler de clé-
semblables. Peul-êlre, si j'avais été ce que le sénat voulait que je mence
i ? Quand nous ont-ils témoigné une pitié réelle ou feinte ?
fusse, un mannequin couvert de pourpré et de colifichets, destiné ISRAËL,— Bertram, ta fausse compassion n'est pas seulement tino
à siéger au sein du sénat, comme un souverain en peinture, un Ifolie, c'est encore une injustice envers les camarades et la cause
fléau du peuple, une machine à signer des.sentences, un partisan que
i nous défendons ! Ne vois-tu pas que si nous en épargnons quel-
quand même du sénat et des Quarante, un adversaire «le toute iques-uns, ils ne vivront que-pour venger ceux qui auront suc-
mesure désagréable aux Dix, un flatteur servile du conseil, combé?
>
Et comment distinguer maintenant l'innocent du coupable?
un instrument, une marionnette.;, ils n'eussent jamais pris sous Tous leurs actes sont un.., c'est une émanation unique d'un seul
leur protection le misérable qui m'a outragé. Ce que je souffre, corps! C'est déjà beaueoup que nous laissions la vie à leurs en-
c'est ma sympathie pour le peuple qui me l'a valu; beaucoup fants, je ne sais même pas si ces derniers doivent tous être épargnés
le savent, el ceux qui l'ignorent encore rapprendront quelque indistinctement; le chasseur peut réserver un des petits du tigre,
jour. En attendant, quoi qu'il advienne, je mets au service de votre mais «jui songerait à conserver le père ou la mère, à moins de vou-
entreprise les derniers jours de ma vie..;, mon pouvoir acluel, tel loir périr sous leurs griffes? Toutefois, je me rangerai à l'avis du
quel, non le pouvoir du doge, mais celui d'un homme qui a été doge Faliero; qu'il décide s'il faut en épargner quelques-uns?
grand avant qu'on le ravalât à la dignité de doge, el qui a encore LE DOGE. —Ne me demandez rien... c'est me tenter que de me
du courage et des ressources individuelles. Je joue-sur celte chance poser une semblable question... décidez vous-mêmes.
ma gloire (cl j'ai eu quelque gloire)... ma vie (c'est, ce qu'il y a ISRAËL. — Vous connaissez.leurs vertus beaucoup mieux que.
de moins important,car elle louche à son terme)... mon coeur,;, mes nous, qui n'avons senti que leurs vices publics et l'infâme oppres-
espérances, mon âme entièreI Tel que je suis, je m'offre à vous et sion qui pèse sur nous ; s'il en est un parmi eux qui mérite de
à vos chefs : acceptez ou rejetez en moi un prince qui veut être ci- vivre, prononcez.
toyen ou rien, el qui, pour cela, quitte un trône. LE DOGE. — Le pèrede Dolfino ... était mon ami, Lando combattu
CALENDARO.— Vive Faliero!... Venise sera libre. à mes côtés, Marc Cornaro fut avec moi en ambassade à Gènes:
LES CONJURÉS. — Vive Faliero ! j'ai déjà sauvé la vie de Veniero... la sauverai-je une deuxième fois?
ISRAËL —Camarades! ai-je bien fait ; l'adjonctiond'un tel hommei Plût à Dieu que je pusse les préserver tous et Venise aussi! Tous
ne vaut-elle pas une armée? ces hommes ou leurs pères ont été mes amis, jusqu'au moment où
LE DOGE. — Trêve d'éloges et de félicitationsIsuis-je île? vôtres?' ils sont devenus mes sujets; alors ils se sonl détachés de moi comme
CALENDARO, — Oui, el le premierparmi nous, comme tu l'es dansi des feuilles ingrates se détachent de la fleur sur laquelle a soulïli!
Venise... Sois noire chef et noire général ! l'aquilon, et m'ont laissé là, Jige épineuse, solitaire, flétrie, ne pou-
LE DOGE. — Chef!... général!... j'étais général à Zara, chef ài vaut plus rien abriter. Puisqu'ils m'onl abandonné, qu'ils meurent
Rhodes et à Chypre, prince à Venise ; je ne puis pas descendre... eux-mêmesI
c'est-à-dire, je ne suis pas propre à commander une bandé de... CALENDARO. — Ils ne pourraient exister avec la liberté de Venise.
patriotes. Si j'abdique mes dignités, ce n'est pas pour en revêtir de3 LE DOGE. — Vous, citoyens, quoique vous connaissiez el sentie/,
nouvelles, mais pour être l'égal de mes compagnons. Maintenant aui comme moi l'ensemble de «os communs outrages, néanmoins,
fait : Israël m'a communiqué tout votre plan ; il est hardi, maiss vous ignorez quel poison recèlent les institutions «le Venise, poison
praticable avec mon aide, et l'exécution en doit commencer sur-le- fatal aux sources de la vie, aux liens de l'humanité, à loul ce qu'il
champ. y a de vertueux et de sacré sur la terre. Tous ces hommes étaient
CALENDARO. —Dès que vous voudrez. N'est-ce pas, mes amis?? mes amis ; je les aimais, leur honorable affection me payait de re-
J'ai tout disposé pour frapper un coup subit : quanti sera-ce? tour; nous avionsservict combattu ensemble, eusembleonnousavail
LE DOGE. —Au lever du soleil. YUS sourire et pleurer; nous mettions en commun nos douleurs cl
BERTRAM. —Si loi? nos joies ; les liens du sang et du mariage nous unissaient; nous
LE DOGE. — Si lot?... dites si tard!.'.. Chaque heure accumulee croissions en âge et en honneurs... tout cela fut ainsi jusqu'au mo-
péril sur péril, cl, plus rapidementque jamais, maintenant «pic jee ment où leur propre désir, et non mon ambition, leur fit nailrc
suis réuni à vous. Nc cou naissez-vous pas le conseil et les Dix, less l'idée de me choisir pour leur prince. Dès lors, adieu! adieu les
espions, les précautions des patriciens, qui se méfient de leurs es- souvenirs affectueux, la communauté des pensées! adieu le lien si
claves, cl plus encore du prince dont ils ont fait un esclave ? U faut il doux des vieilles amitiés, par lequel les survivants d'un passé déjà
frapper, vous dis-je, et sans retard, au coeur de l'hydre... et les têtess historique consolent ce peu de jours qui leur restent. Ces vieux ca-
tomberont. marades ne se rencontrent jamais sans voir mutuellement sur leurs
CALENDARO. — Je vous appuierai de toute l'énergie de mon âmee fronts se réfléchir un demi-siècle, sans évoquer une foule d'êtres
et de mon épée ; nos compagnies sont prêtes, composées chacune de e maintenant clans la tombe, qui reviennentparler à leur oreille des
soixante hommes, et par l'ordre d'Israël, toules sont maintenant il jours écoulés, et ne semblent pas lout-a-fait raorls tant que de cette
sous les armes, chacune à son rendez-vous particulier, et dans is vaillante, joyeuse, insouciante et glorieuse bande qui n'avait qu'un
l'attente de quelque grand coup. Que tous se rendent au posle qui ii coeur et qu'une âme, il reste deux vieillards qui ont conservé 1«
leur est assigné ! Seigneur, quel sera le signal ? souffle pour donner un soupir au passé, cl la voix pour parler do
LE DOGE. —Quand vous entendrez sonner la grande cloche de le hauts faits qui, sans eux, n'auraient d'interprètes que le marbre fu-
Saint-Marc, à laquelle on ne peut toucher que par l'ordre spécial il nérairc... Malheur à moi ! malheur à moi !... dois-je donc prendre
du doge (dernier et chélif privilège qu'ils ont conservé à leur ir une résolution si cruelle?
prince)... alors marchez sur Saint-Mare! ISRAËL. — Seigneur, vous vous laissez trop émouvoir ; ce n'esl
ISRAËL.—Etlà?... pas le moment «le penser ù ces choses.
LE DOGE.— Dirigez-vous par des chemins différents; que les ;s LE DOGE. — Encore un instant de patience... Je ne recule pas;
compagnies débouchent sur la place par des points opposés. Répé- î- suivez avec moi les sombres vices de ce gouvernement. Du moment
tez sur votre route que les Génois approchent, qu'on a vu leur ir où je fus doge, cl dans la condition que leur volonté m'avait faite.--
flolle, à'Iu poin'c du jour, se diriger vers le port. Formez-vous en
:n adieu le passé ! je fus mort pour tous, ou plulôl ils cessèrent d'e.\i;"
OEUVRES COMPLÈTES »lî LORD BYRON. 315

cr pour moi ; plus d'amis, plus d'affection, pluséléde vie privée : tout ger des chaînes qu'il ne dépose que pour s'armer contre les
gi autres
l'oppres-
ses frères, afin que l'oppression enfante partout
ne fut enlevé. On ne m'approcha plus, c'eût donner de l'om- peuples
pi
à entreprise... elle est grande, et la
fit de l'hos-
nage; on ne pouvait plus m'aimer... c'était la loi ;deonmoi... sion.
si Revenons, seigneur, noire
ililé contre moi... politique du sénat; on se joua devoir récompenseplus
r< grande encore; mais pourquoi restez-vous immo-
l'un patricien ; je fus lésé... intérêt de l'Etat ; on ne pouvait me b et pensif? U n'y a qu'un moment, vous éliez tout impatience.
bile
rendre justice... fallait-il se rendre suspect? Je devins donc l'esclave LE DOGE. — Le sort en est-il donc jeté ? faut-il qu'ils meurent?
:1e mes propres sujets, en butte à l'inimitié de mes amis. J'eus pour ISRAËL. — Qui?
gardes des espions... au lieu de puissance réelle, des vêlements de LE DOGE. — Ceux qu'unissaient à moi les liens du sang et une
parade... pour toute liberté, du faste... pour conseils, des geôliers... amitié
a cimentée par le temps et des exploits communs : les mem-
pour amis, des inquisiteurs... et pour existence, l'enfer! 11 ne me bres
b du sénat.
restait qu'une source de repos, et ils l'ont empoisonnée! on a brisé ISRAËL. — Vous avez prononcé leur sentence : elle est juste.
sur mon foyer les images de mes chastes pénates, et j'ai vu l'obscé- LE DOGE. — Oui, elle le semble, cl elle l'est en effet pour vous;
nité el la dérision s'asseoir sur leurs autels. vous
v êtes un patriole, un Gracchus plébéien... l'oracle des rebelles,
ISRAËL. — Vous avez été cruellement outragé, et avant qu'une h tribun du peuple... je ne vous blâme pas... vous agissez confor-
le
autre nuit commence, vous serez noblementvengé. mément
u à voire vocation. Us vous ont frappé, opprimé, dégradé, et
LE DOGE. — J'avais lout enduré... je soutirais, mais j'eus pa- r aussi ; mais vous n'avez point conversé avec
moi eux ; vous n'avez
lienec jusqu'au moment qui a fail déborder le vase d'amcrlume jjamais rompu leur pain, goûté de leur sel; vous n'avez point appro-
jusqu'à cct'e dernière et flagrante insulte non-seulement impunie, ché
c leur coupe de vos lèvres; vous n'avez point grandi el vieilli, ri
mais encore sanctionnée. Alors j'ai fait taire toute sympathie an lé- € pleuré avec eux, ou partagé la joie de leurs banquets; vous n'a-
et
rieure, cette sympathie qu'ils avaient étouffée à mon égard depuis vez
v point souri en les voyant sourire, ni échangé avec eux un bien-
longtemps, au moment même où ils prêtaient devant moi le ser- veillant
v accueil; vous n'avez point cru en leur parole; vous ne les
ment de leur fidélité hypocrite! A cet instant même, ils reniaient t
avez point portés, comme moi, dans votre coeur. Mes cheveux sont
leur ami en faisant de lui un souverain, comme des enfants blanchis;
1 il en est de même de ceux des anciens du conseil : je me
qui se fabriquent des jouets pour s'en amuser puis les bri- souviens
s du temps où notre chevelure à lous était noire comme
1l'aile du corbeau; alors nous parcourions ensemble, à la poursuite
ser ! Dès lors, je n'ai plus vu que des sénateurs complotant dans
l'ombre contre le doge; une réciprocité de haine et de crainte s'é- do
« notre proie, la mer couverte d'îles arrachées à la domination du
tablit de part et d'autre : eux, craignant qu'il ne-leur arrachai la musulman
i perfide : puis-jeme résoudre à les voir baignés dans leur
tyrannie ; et lui, abhorrant ses tyrans. C'est pourquoi il n'existe plus sang?
s Dans chaque coup de poignard qui leur sera porté, je croirai
entre ces hommes et moi aucune relation privée; ils n'ont pas le voir
' mon propre suiciile.
droit d'invoquer des liens qu'eux-mêmes ont rompus les pre- ISRAËL.— Doge! doge! cette hésitation serait à peine digne d'un
miers : je ne vois en eux que «les fonctionnaires punissables pour enfant;
i si vous n'êtes pas tombé dans une seconde enfance, rappe-
leurs actes arbitraires... comme tels, qu'il en soit fail justice. lez
I votre fermeté, et ne me faites pas rougir pour vous et pour moi.
CALENDARO. — Et maintenant, il faut agir! Frères, à nos postes; Par le ciel! j'aimerais mieuxsuccomber dans notre entreprise ou y
cl puisse cette nuit être la dernière passée en paroles inutiles! Il renoncer entièrement que de voir l'homme que je vénère descendre
me faut à moi des actions! Au point du jour, la grande cloche de de ses hautes résolutions à de pareilles faiblesses! Vous avez ré-
Saint-Marc me trouvera réveillé. pandu le sang dans les batailles, vous avez vu couler le vôtre et
ISRAËL.— Séparez-vous donc : soyez fermes et vigilants; songez celui des autres ; et vous vous effraieriez de quelques goulles tirées
aux maux que nous endurons, aux droits «pic nous voulons con- «les veines de ces vampires en cheveux blancs, qui ne feront que
quérir. Cc jour et celte nuit auront vu nos derniers périls ! attendez rendre le sang de tant «le milliers d'hommes ilont ils se sont
le signal, et alors, en avant! Je vais rejoindre ma troupe; que cha- gorgés?
cun soit prompt à terminer la lâche qui lui esl assignée. Le doge va LE DOGE. — Soyez indulgent pour moi! vous me verrez marcher
retourner au palais afin de tout préparer pour le coup décisif; sé- du même pas que vous et prendre ma part de tous vos périls; ne
pensez pas que je chancelle dans mu résolution : oh! non! si je
,
parons-nous pour nous réunir biçnlùl au sein de la liberté et de la
gloire. tremble, c'esl par la certitude même de tout ce que je suis décidé à
CALENDARO. — Doge, la première fois que nous nous revoirons, faire. Mais qu'elles passent ces dernières émotions qui n'ont que la
je veux avec la tète de Sleno au boul de cette épée vous offrir mon nuit el vous pour témoins, témoins indifférents; quand le moment
hommage. sera venu , mon rôle sera de sonner le glas de la mort, de frapper
LE DOGE. — Non gardez-le pour le dernier, et nc vous détour- le coup terrible qui dépeuplera plus d'un palais, jettera bas les ar-
nez point pour frapper une proie si cliélive tant qu'un plus noble bres généalogiquesles plus ailiers, dispersera leurs fruits sanglants,
,
gibier ne sera pas abattu ; son offense ne fui que l'ébullilioiidu vice et les frappera de stérilité; je le ferai, je le veux... je le dois... je
el de la corruption générale engendrée par l'aristocratie; il n'cùl l'ai promis et rien ne peut me détourner de ma destinée ; mais je
sans frémir cc que je dois être, ce «me j'ai élé !
,
pu il n'eût point osé la risquer dans des jours meilleurs. Tout ne puis envisager
ressentiment particulier contre lui s'absorbe chez moi dans la pen- Soyez indulgent.
sée de notre grande entreprise. Un esclave m'instille, je demande ISRAËL. — Raffermissez votre âme ; je ne sens point de tels re-
le châtiment du coupable a son maître orgueilleux; si ce dernier mords, et ne les comprends pas. Pourquoi vos résolutions chan-
s'y refuse, l'offense devient sienne, et c'est a lui d'en répondre. geraient-elles? vous avez agi, vous agissez encore en toute liberté.
CALENDARO. — Cependant, comme il esl la cause immédiate de LE DOGE. — Oh ! sans nul doute... vous nc sentez pas de remords,
l'alliance qui donne à noire entreprise une consécrationde plus, jei ni moi non plus; sans quoi... écoute, Israël, je le poignarderais à
lui dois tant de reconnaissance, que je ne serais pas lâché «le le ré- l'instant, pour sauver des milliers de vies, et en te tuant je ne se-
compenser ainsi qu'il le mérite : me le permettez-vous ? rais point homicide... Vous ne sentez pas de remords, vous marchez
LE DOGE. — Vous voudriez couper la main, et moi la tôle; frap- à celte oeuvre de carnage comme si ces patriciens étaient des boeufs
per l'écolier, moi le maître; punir Slcno, moi le sénat. Je ne puis! amenés à vos boucheries. Quand tout sera fini, vous aurez le coeur
songer à «les inimitiés particulières dans la vengeance générale,, content, rùme joyeuse, et vous laverez tranquillement vos mains
universelle qui, semblable au feu du ciel, doit loul dévorer sansi rougics ; mais moi qui, dans cet effroyable massacre, irai plus loin
distinction,,comme en cejour où le lac d'asphalte recouvritles cen- que vous et les vôtres, que n'aurai-je point à voir et à sentir
dres de deux villes. O Dieu ! ô Dieu !... tu dis vrai, Israël, lu as eu raison de me dire
ISRAËL. — A vos postes donc! je reste un moment en arrière pourf que j'agissais par ma libre volonté, et cependant tu le trompes-, car
reconduirele doge jusqu'au lieu de noire rendez-vous, el m'assurerf j'agirai, n'en doute pas... ne crains rien; je serai Ion plus impi-
«lu'aucun espion n'est sur nos traces; de là je cours rejoindre mai toyablc complice! et cependant ce n'est ni à ma libre volonté, ni
troupe qui m'attend sous les armes. à mon sentiment intime que j'obéis lous deux au contraire s'y
CALENDARO. —Adieu donc... jusqu'au point du jour. opposent; mais un enfer est en moi el autour de moi; el, comme
lsiiAiiL. — Adieu ! bon succès ! le démon qui croit el tremble, j'abhorre mon action tout en la com-
LES CONJURÉS. — 11 nc nous manquera pas. — Partons. — Sei- mettant. Parlons ! partons ! cours rejoindre les compagnons: je vais
gneur, adieu. (Les conjurés saluent le doge el Israël Bertuccio,, moi réunir les parlisansdc ma maison ; n'en doule point, la grande
else retirent conduits par Philippe Calendaro.—Le doge et Israëll cloche de Saint-Marc réveillera lout Venise, hormis son sénat
restent.) égorge. Avant que le soleil plane sur l'Adriatique dans toute sa
ISRAËL. — Us sonl a nous! notre réussite esl certaine ; c'estt splendeur, il s'élèvera une voix gémissante, et le mugissement des
maintenant que vous allez être véritablement souverain : vous lé- vagues sera étouffe par le cri du sang !... Ma résolution esl prise...
guerez à l'avenir un nom immortel qui dépassera les plus grandss parlons!
noms : on avait vn des rois frappés par des citoyens libres, des Cé- ISRAËL. — De tout mon coeur! mais, seigneur, tenez en bride
sars immolés, des dictateurs brisés par des mains patriciennes, etit ces mouvements de la passion ; rappelez-vous le traitement que ces
«les patriciens tombant sous le poignard populaire; mais jusqu'à ce e hommes vous ont fait subir; songez que cc sacrifice doit briser les
jour, quel prince a conspiré pour la liberté de son peuple, ou risqué é fers de notre glorieuse cité, et lui procurer des siècles de liberté et
sa vie pour affranchir ses sujets? Loin de là, nos sénateurs sont enn de bonheur. Un tyran véritable dépeuplerait des empires, qu'il n'é-
-LU de complot permanent conlre le peuple, s'occupunt a lui for- piouvcrnil pas l'étrange pitié qui vous a ému ep- faveur de quel-
31G LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

ques traîtres. Cro\cz-moi, une telle pilié serait plus déplacée en- tremble
Ire en poussant la fenêtre défendue p.:ur faire entrer l'amour
core que l'indulgence du sénat pour Sténo. av l'harmonie; la clarté phosphorique que ia raine fail jaillir; le
avec
LE DOGE. — Israël, lu as touché la corde douloureuse qui vibre scintillement des lumières lointaines sur les gondoles qui effleurent
sci
dans mon coeur, en dissonance avec toule la nature... Allons! à no- les
les ondes ; les chants des gondoliers qui se répondent vers pour vers;
tre tâche! (Ilssortent.) une ombre qui, çà et là, obscurcit sur le Riaito le faite brillant d'un
un
palais,
pa ou la pointe d'un obélisque : voilà tout ce qui frappe l'oreille
or la vue dans la cité, fille de l'Océan et reine de la terre... Qu'elle
ou
es bienfaisante et douce cette heure de silence ! ô nuit ! je te rends
est
ACTE IV. grâces,
gr car tu as dissipé ces horriblespressentimentsque je ne pou-
va écarter au milieu de la foule : et maintenant, sous la paisible
vais
SCÈNE PREMIERE. el bénigne influence, je vais trouver ma couche, quoique ce soil
vraiment
vr faire injure à une nuit si belle que de l'employer à dor-
Le palais du patricien Lioni. mir.
m ( On entendfrapper au-dehors.)
Ecoutons! quel est ce bruit? qui peut se présenter chez moi à
LiONi dépose son masque et son manteau; ANTONIO, son pareille
p< heure? (Entre ANTONIO.)
domestique, l'accompagne. ANTONIO.
— Seigneur, un homme qui vient, dit-il, pour affaires
urgentes, implore la faveur d'être introduitprès de vous.
ui
LIONI. — J'ai besoin de repos; celle fête m'a vraiment fatigué; LIONI.— Est-ce un étranger?
c'esl la plus brillante que nous ayons eue depuis plusieurs mois, et ANTONIO.
— Sa figure est cachée sous son manteau, mais sa voix
je ne sais comment elle m'a laissé une impression de tristesse. Un et et sa tournure ne me sonl pas inconnues; je lui ai demandé son
poids douloureux écrasait mon coeur, même au milieu du lourbil- nom, n mais il ne vcul le die qu'à vous: il demande avec instance
ion enivrant de la danse; et bien que j'eusse devant moi la dame qu'on q lui permette de vous parler.
de mon amour, que mon regard se confondît avec son regard, que LIONI. — L'heure de la visita, les instances de cet homme ont
ma main louchât sa main, cc poids m'oppressait, glaçait ma pensée qquelque chose «l'étrange! Cependant il n'y a pas grand danger : ce
et mon sang, et couvrait mon front d'une sueur froide comme celle n'est n pas chez eux qu'on poignarde les nobles, et je ne me connais
de la mort. J'ai essayé, à l'aide d'une gaîlé feinte, de secouer cette pas P d'ennemis à Venise ; néanmoins,il est sage d'userde piveaulion.
impression; lout a été inutile. Au milieu des accords d'une musi- Fais-le F donc entrer : retire-loi, mais appelle quelques-uns de tes ca-
que mélodieuse, les sons lointains d'un glas de mort parvenaient n marades qui se tiendront dans la pièce voisine... Quel p.-ul être cet
distinctement à mon oreille, comme les vagues de l'Adriatique, en bhomme? (Antonio sort et rentre aussitôt accompagné de Bertram,
se brisantconlre le boulevart extérieur du Lido, dominent pendant enveloppé e dans son manteau.)
la nuit 1rs bruits de la cité. Si bien que j'ai quitté la fêle avant
qu'elle lût à l'apogée «le son éclat; cl,je viens demander à ma cou- BERTRAM. — Seigneur Lioni, je n'ai point de temps à perdre ni
che ou des pensées plus calmes, ou l'oubli. Antonio, prends mon vous
, v non plus... faites retirer ce domestique, j'ai à vous parler en
masipie et mon manteau, cl allume la lampe de ma chambre. particulier.
I
ANTONIO. — Oui, seigneur; vous faut-il quelques rafraîchisse- LIONI. — U me semble reconnaître la voix de Bertram sors,
ments? Antonio.
1 (Antonio sort.) Maintenant, étranger, «pic me voulez-vous
LIONI. — Aucun si ce n'est le sommeil, qui ne se laisse point àî celle heure?
, l'obtenir, BERTRAM,se découvrant. — Une faveur, mon noble patron ; vous
commander. J'espère malgré l'agitation que j'éprouve.
(Antonio sort.) Essayons si le grand air calmera mes esprits. La <en avez accordé un grand nombre à votre pauvre client Bertram :
nuit est belle; le vent orageux, qui sou filait de l'Orient, est rentré sajoutez celle ci à loules les autres, et vous le rendrez heureux.
dans son antre, et la lune brille dans toute sa splendeur. Quel si- LIONI.— Tu m'as connu dès noire enfance, toujours prêt à l'être
lence! (Il s'approched'une croisée ouverte.) Et quel contraste avec utile ' et h le procurer dans la condition, lous les avantages aux-
,
le lieu que je viens de quiller, où l'éclat des flambeaux et la lueur quels i un homme de la classe peut légitimement prétendre; je le
plus pâle des lampes d'argent, reflétés sur les tapisseries des murs, promettrais d'avance de l'accorder ce que tu as à me demander si,
répandent sous de vastes galeries une masse éblouissantede lumière considérantl'heure
>
indue et le mode étrange de ta visite, je nc soup-
artificielle, qui montre toutes choses autrement qu'elles ne sont! çonnais quelque motif mystérieux... mais parle... Que t'esl-il arrivé?
C'est là qu'essayant de rappeler le passé, après une heure laboricu- quelque folle el subi'.e querelle? une rasade de trop? une lutte
f cinenl employée à orner son visage des teintes de la jeunesse, aprèsi corps à corps? un coup de poignard?... de ces choses qui arrivent
maint regard jeté sur la glace trop fidèle, la femme que l'âge a mar- tous les jours? Pourvu que lu n'aies pas versé de sang noble, je
quée de son sceau s'élancedans tout l'orgueil de la parure ; se liantt te garantis ta sûreté; mais alors il i'aul l'éloigner, car des amis
à cette lumière trompeuseet indulgente, elle oublie ses années, clL et des parents irrités, dans le premier emportement de la vengeance,
croil qu'on les oublie. La jeunesse, qui n'a pas besoin de ces vainsi sont plus à craindre à Venise «pie les lois,
alours, vient gaspiller sa fraîcheur véritable, sa santé, sa beautéj BERTRAM.— Seigneur, je vous remercie ; mais...
virginale, dans l'atmosphère malsaine d'une foule échauffée parf LIONI.— Mais quoi? lu n'as sans doute pas levé une main lémc-
l'ardeur du plaisir. Elle sacrifie ses heures de repos à ce qu'ellej raire contre un homme de notre ordre? Si cela est, pars, fuis, et ne
prend pour «lu plaisir, et demain les premiers rayons du jour éclai- l'avoue pas...je ne voudrais point ta mort... mais, dans cc cas, mou
reront des joues livides, des yeux éleints, qui avaient encore bieni devoir me défend de te sauver! Quiconque a versé du sang patri-
des années à briller. cien...
La musique, le banquet, la coupe écumante, les roses et leur par- BERTRAM.—Je viens pour sauver du sang patricien, et non pour
fum... les yeux élincelanls, les parures éclalanlcs... ces beaux brass en répandre. J'ai hâte de parler ; chaque minute perdue peut en-
blancs, ces belles chevelures noires avec leurs tresses cl leurss traîner la perte d'une vie ; car le Temps a remplace sa faulx tardive
bracclcls les épaules de cygnes, les colliers, trésors de l'Inde e par une épée à double tranchant, et il va puiser la cendre des sé-
moins éblouissants que les trésors qu'ils entourent; ces robes, pa- pulcres pour remplir sou sablier... Garde-toi de sortir demain !
reilles à de légers nuages qui flottent entre le ciel el nos regards ; cess LIONI. — Que signifie celte menace ?
pieds agaçants, ces petits pieds de sylphides, révélant la symétriee BERTRAM. — N'en cherche pas la signification mais fais ce que
,
secrète du'beau corps qui se termine si bien toute l'illusion dee jeté «lemande en grâce... demain ne bouge pas de ton palais, quels
cet éblouissant tableau, ces enchantements à la fois réels et men- que soient les bruits que tu entendras; quand le mugissementde
songers de l'art et de la nature qui semblaient tournoyer devant it la foule... les clameurs des femmes... les cris des enfants... !e3 gé-
moi ; ces spectacles de la beauté dont s'enivraient mes yeux, commee missemenlsdes hommes... le cliquetis des armes... les roulements
le voyageur altéré boit le mirage trompeur du désert : tout a du tambour... le son aigu du clairon la voix grave des cloches fo-
disparu. Autour de moi les flots et les étoiles qui se reflètent dans is raient entendre à la fois un immense, cri d'alarme ne sors pas
l'Océan, spectacle autre que les torches dont une glace réfléchit laa «me le tocsin n'ait cessé, et même pour sortir, attends mon retour,
lumière ; autour de moi le vaste firmament, qui est à l'espace ce quee LIONI. — Encore une fois, que veux-tu dire ?
l'Océan esta la terre, déroule au loin ses plaines d'azur, rafraîchies is BERTRAM.— Encore une fois, ne me le demande pas; mais pai
par premier squffle du printemps. Dans les cieux, la lune vogue
le le lout ce que lu estimes sacré sur la terre et au ciel, pur les âmes di
calme et belle; elle éclaire de sa lumière paisible ces orgueilleux x tes pères... par l'espérance que tu as de marcher sur leurs traces
palais assis sur les flots. O palais de Venise, à voir vos colonnes de le et de laisser après toi des descendants «lignes d'eux... par tout c(
porphyre, vos façades magnifiques, ornées de marbres orientaux, qu'il y a «le bonheur dans ton passé et Ion avenir... partout cc qui
et rangées le long du vaste canal, on vous prendrait pour autant it, lu as à craindre dans ce monde et dans l'antre... par tous les bien
de trophées glorieux sortis du sein des eaux. Tout est paisille et 3t faits que je te dois et dont je m'acquitte aujourd'hui, reste clie;
doux; aucun son rude ne se fait entendre; el chaque êlre mobile le toi... confie la sûreté à les dieux domesli<nies et à ma parole : ell'
glisse dans l'air comme un esprit aérien. Les sons de la guitare vi- i- te sauvera, si lu fais ce que je conseille...sinon, tu es perdu.
gilante sous le balcon d'une belle adorée; le bruit léger d'une croi- i- I.IONI. — Je me perds en effet dans l'élonnumcnt qui me saisit :
sée qui s'ouvre avec précaution pour faire connaître qu'on écoute; i; assurément lu es dans le délire. Qu'ai-je à craindre ? quels son
une main jeune, délicate, blanche comme la lumière de la lune, qui ni mes ennemis? et si j'en ai, pourquoi es-lu ligué avec eux , loi ? oi
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD RYRON. 317

plutôt pourquoi donc attendre jusqu'à ce moment pour m'avcrlir? Bertram! un tel rôle nc saurait te convenir; il serait beau, vrai-
B
IJERTRAM. — Je ne puis répondre à cela. Sortiras-tu en dépit de ment,
m de te voir porter sur une pique, aux yeux du peuple frisson-
cet avis fidèle? nant
n d'horreur, la tête de celui dont le coeur le fut ouvert ! Et telle
p être ma destinée; car j'en fais ici le serment, quel que soit le
-
LIONI. — Je ne suis pas homme à reculer pour de vaincs mena- peut
ces dont j'ignore le motif. A quelqueheure que le conseil s'assemble, péril
p dont lu me menaces, je sortirai, à moins que lu ne me fasses
je nc serai pas du nombre des absents. connaîtreles
ci motifs el les conséquences de ce qui t'amène ici.
BERTRAM. — Nc me parle point ainsi. Encore une fois, es-tu dé- BERTRAM. — N'cst-il donc aucun moyen de le sauver ? Les mi-
cidé a sortir? nutes
n volent, et la dernière heure va sonner pour loi !... toi! mon
LIONI. — Je le suis, et rien ne peut m'arrêter. seul
si bienfaiteur, mon seul appui dans toutes mes vicissitudes. Ah !
BERTRAM. — Alors, que le ciel ait pilié de ton âme!... adieu!... n fais pas de moi un traître; laisse-moi le sauver... mais épargne
ne
(Il se dispose à s'éloigner.) n
mon honneur.
LIONI. — Arrête... un molif supérieur à ma propre sûreté m'o- LIONI. — Où peut êlre l'honneur dans une ligue de meurtriers?
blige à le rappeler; nous ne devons pas nous quitter ainsi, Bertram : Qui Ç sont les traîtres, sinon ceux qui bouleversent l'Etat?
il y a trop longtemps queje te connais. BERTRAM. — Une conjuration est un contrat d'autant plus sacré
BERTRAM. — Depuis mon enfance, seigneur, vous avez clé mon ppour les coeurs honnêtes, qu'ils ne sont liés que par leur parole. A
protecteur ; à cet âge d'insouciance où le haut rang s'oublie, ou Dion n sens, le traître le plus odieux est celui dont la trahison inlime
plutôt n'a point encore appris ses froides prérogatives , nous avons enfonce e le poignard dans les coeurs qui s'étaient fiés à lui.
vécu ensemble plusieurs années : nous avons souvent mêlé nos LIONI. — Et qui enfoncera le poignard dans le mien ?
jeux, nos sourires el nos larmes. Mon père était le client de voire BERTRAM. — Ce ne sera pas moi. Je pourrais contraindre mon
père; el moi j'étais, pour ainsi dire, le frère nourricier de son fils, tâme à lout, hormis à cela. Tu nc doispas mourir, toi ! Juge combien
Moments heureux 1 oh ! bien différents de celui-ci! Ita vie m'est chère, puisque j'en risque tant d'autres pour elle. Que
LIONI. — Bertram, c'esl toi. qui les as oubliés. dis-je!
c n'ai-je point risqué l'existencesuprême, la liberté des géné-
BERTRAM. — Ni maintenant ni jamais ; quoi qu'il pût arriver, je rations
i à venir, pour ne pas être l'assassin que tu vois en moi? Une
vous aurais sauvé. Quand nous fûmes des hommes, quand vous com- Ifois, une fois encore, je t'en conjure, ne franchis pas le seuil de
mençâtes l'étude des affaires publiques, comme il convenait à votre Iton palais.
rang", d'humbles occupationsdevinrent le partage de l'humble Ber- LIONI. — C'esl en vain... Je sors à l'instant même.
tram ; mais il ne fui cependantpoint oublié par vous, etsi la fortunenc BERTRAM. — Alors périsse Venise plutôt que mon ami ! Je vais
dévoiler... ,
livrer... trahir... détruire!... Oh! quel infâme scélérat
m'a pas été plus favorable, ce n'est pas la faute de celui qui est venu <
fré«|ucmnient à mon aille, et m'a soutenu dans ma lutte avec les cir- je j vais devenir à cause de toi I
constances, torrent qui entraîne le faible. Jamais sang noble n'é- LIONI. — Dis plutôt que tu vas être le sauveur de Ion ami et do
chauffa un coeur plus noble que n'a élé votre coeur à l'égard de l'Etat!... 1 Parle... n'hésite pas; toutes les récompenses, tous les ga-
Bcrlram, du pauvre plébéien. Plût au ciel que les sénateurs, vos ges i que tu réclameras pour ta sûrelé et ton bien-être te seront ac-
collègues, vous ressemblassenttous! cordes.
i Je te promets loules les richesses que l'Etal accorde à ses
LIONI. — Qu'as-tu à dire contre les sénateurs? plus dignes serviteurs; la noblesse même, pourvu que tu le mon-
BERTRAM. — Rien. tres sincère et repentant.
LIONI. — Je sais qu'il esl des esprits farouches cl turbulents qui BERTRAM.— J'ai réfléchi : cela ne se peut... Je t'aime... tu le sais;
complotent dans l'ombre, qui se retirent dans les lieux écartés et ne ma présence ici en est la preuve; mais après avoir rempli mon de-
sortent que la nuit, enveloppés dans leur manteau, pourmaudire la voir envers toi, je dois le remplir envers mon pays. Adieu !... nous
noblesse; des soldats licenciés, des anarchistes mécontents,d'effré- ne devons plus nous revoir dans cette vie!... Adieu!
nés libertins, vils suppôtsde hivernes. Tune hantes point ces gens- LIONI. — Ah! ah!... holà! Antonio! Pedro, gardez la porte : que
là... Depuis quelquelemps, il esl vrai, je t'ai perdu de vue ; mais personne ne passe... Qu'on arrête cel homme [{Entrent ANTONIO
je t'ai connu menant une vie rangée; tu ne le liais qu'avec d'hon- et d'autres domestiquesarmés qui s'emparent de Bertram.)
nêtes gens... la mine élail joviale... que l'est-il donc arrivé? Ton LIONI, continuant- — Qu'il nc lui soil fait aucun mal. Apportez-
oeil creux, tes joues pâles, ton maintien agité, semblent indiquer moi mon épée et mon manteau ! Quatre rames à la gondole I Dépô-
qu'au fond de ta conscience la douleur et la honte se livrent uni chez-vous! (Antonio sort.) Nous irons chez Giovanni Gradenigo .
combat. cl nous enverrons chercher Marco Cornnro... Ne crains rien, Ber-
BERTRAM. — Douleur el honte plutôt à la tyrannie maudite quii tram ; celte violence n'esl pas moins nécessaire à ta sûreté qu'à
infecte jusqu'à l'air'qu'on respire à Venise, el fait délirer les hom-• celle de l'Etat.
mes, comme des pestiférés à l'agonie! BERTRAM. — Où vas-tu me conduire?
LIONI. —Bertram ! quels scélérats l'ont endoctriné ? Ce ne sontt LIONI. — D'abord au conseil des Dix, puis chez le doge.
la ni les discours, ni tes sentiments d'autrefois; quelque misérableÎ BERTRAM.—Chez le doge?
t'a enivré de pensées de révolle. Je ne veux pas que lu le perdesi LIONI.
- •
Assurément. N'est-i! pas le chef de l'Etal?
ainsi Tu étais bon et humain ; tu n'es pas né pour les actes bas- «le BERTRAM.— Peut-être le sera-t-il au lever du soleil...
sesse auxquels le vice el le crime voudraient le conduire ; avoue- LIONI.—Que vcux-lu dire?... Mais nous saurons cela plus tard.
moi lout... lu peux le confier à moi... lu me connais... Je suis Ion'i' BERTRAM. — En as-tu la certitude?
ami, n'esl-ce pas ? le fils unique de l'ami de ton père ; notre affectioni LIONI. — Autant que l'emploi des moyens de douceur nous per-
est un héritage que nous devons transmettre à nos enfants tel que3 mettra «le lout savoir; au cas où ils ne suffiraient pas , tu connais
nous l'avons reçu, ou même en y ajoutant encore : eh bien ! qu'as- les Dix et leur tribunal ; tu sais que Saint-Marc a des cachols, elees
tu donc résolu de faire, que moi je doive te regarder comme uni cachots des tortures!
homme dangereux el, pour éviter la rencontre, me tenir renfermés BERTRAM. — Applique-les donc avant l'aurore qui va bientôt pa-
comme une jeune fille malade? raître... Encore un mot comme celui-là, et tu périras dans les sup-
BERTRAM.—Ne m'interrogez pas; il faut que je parte. plices auxquels tu me crois réservé. (Antonio entre.)
LIONI — El moi que je meure assassiné ! l'aile, n'est-ce pas làk ANTONIO. — La gondole vous attend, seigneur, et lout est prêt.
ce que tu disais, mon cher Bertram ? LIONI. — Veillez sur le prisonnier. Bertram, nous causerons en-
BERTRAM. — Qui parle d'assassiner? ai-je parlé d'assassiner? ? semble en nous rendant au palaisdu magnifico, le sage Gradenigo.
c'esl faux 1 je n'ai pas prononcé un pareil mot. (Ils sortent.)
LIONI.—Tu ne l'as pas prononcé; mais dans Ion oeil sauvage,
si différent de ce queje l'ai connu, je vois reluire l'homicide. Sii SCENE IL
c'est de ma vie qu'il s'agit, prends-la; je suis désarmé el alors
s
pars ! Je ne voudrais pas la tenir de la capricieuse pilié d'êlres pa-i- Le palais ducal; l'appartement du doge.
reilsà loi el à ceux dont tu es l'instrument.
BERTRAM. — Pour épargner ta vie, je mels la mienne en péril; I; IE DOGE ET BERTUCCIO FALIERO.
pour qu'il ne soit pas touché à un seul de les cheveux , j'expose desS
milliers de lêtes, el quelques-unes aussi nobles, plus nobles mêmee LE DOGE. — tous les gens de noire maison sont-ils rassemblés?
que la tienne. BERTUCCIO. — Tous sous les armes attendent le signal dans l'en-
LIONI. — De qui veux-tu parler, Bertram? Quels sont ceux que te ceinte de notre palais de San Paolo. Je viens chercher vos derniers
tes paroles peuvent mettre en danger, ou ceux qui menacent de le ordres.
faire tomber des tètes ? LE DOGE. — Nous aurions dû :-„unir un plus grand nombre de
BERTRAM. — Venise, avec toul ce qu'elle renferme, est une mai- i- vassaux de mon fief de Val di Mari no ; mais il est trop tard,
son en discorde avec elle-même, el ses principaux citoyens périront it BERTUCCIO. — 11 me semble, seigneur, que les choses sont bien
avant le point du jour. mieux ainsi: un rassemblement subit de nos forces eût éveillé les
LIONI. —Nouveaux mystères, mystères terribles! 11 paraît que toi, ii, soupçons . cl, quoique braves et dévoués, les vassauxde ce district
ou moi, ou peut-être tous deux, nous touchonsà notre perte. Expli- i- sont trop grossiers et d'humeur trop bouillante pour conserver
que-loi sans détour, et tu garantis la sûreté elta gloire ; car il est plus
is longtemps la discipline nécessaire, jusqu'à ce que nous en venions
glorieux desauverque de tuer, el surtout de tuer dans l'ombre... Fi, fi, 'aux mains avec nos ennemis.
318 LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

LE DOGE. — C'est vrai ; mais une fois le signal donné, voilà les LE DOGE. — Pars donc; va faire donner le signal, cl au premier
hommes qu'il faut dans une entreprise telle que la nôtre. Ces es- coup
( de cloche, marche sur le palais avec toutes les forces «le noire
claves des villes onl leurs prédilections, leurs antipathies parlicu- maison,
i j'irai t'y rejoindre... Les Seize cl leurs compagnies se met-
Hères, leurs préjugés pour ou contre tel ou tel noble, ce qui peut tront
l en mouvement à In fois el en colonnes séparées... Nc man-
les conduire a dépasser le but, ou à épargner dans un moment où tque pas de prendre position à la porte principale, pour faire main-
la clémence est folie. Les farouches paysans serfs de mon comté basse
1 sur les Dix; nous ne devons nous reposer de ce soin que sur
de Val di Marino, exécuteraientaveuglément, , indistinctement les nous-mêmes... Quanta la lourbe des patriciens, nous pouvons l'a-
i
ordres de leur seigneur. Peu leur importent Marcello ou Cornaro, 1bandonneraux glaives de nos alliés. Rappelle-loi
que le cri de guerre
un Gradenigo ou un Foscari ; ils n'ont point l'habitude de trem- est
< : « Saint-Marc!... Les Génois sont dans le porll aux armes!
blcr devant ces vains noms, ni de respçcler une assemblée civile; Saint-Marc
i et Liberté !... » Maintenant...il faut agir!
il leur faut pour suzerain un chef bardé de fer, et non un magistral BERTUCCIO. Adieu donc, mon oncle! nous nous quittons pour

en hermine. inous revoir libres, ou no nous revoirjamais I
BERTUCCIO.
— Nous sommes assez nombreux ; et quant aux dis- LE DOGE. — Viens, mon cher Bertuccio... queje l'embrasse!...
positionsde nos clients envers le sénat, j'en réponds. 1Hâte-loi, car le jour se lève... Quand lu auras rejoint nos troupes,
LE DOGE.— Eh bien ! les dés sonl jetés ! Mais pour faire la guerre, envoie-moi
« un messager pour me dire comment vont les choses ;
pour un service de campagne, parlez-moi de mes paysans. Je les puis
] fais sonner... fais sonner la cloche d'alarme de Saint-Marc.
ai vus faire pénétrer le soleil dans les rangs des Huns, pendant que (Bertuccio sort.)
vos pâles bourgeois, cachés sous leurs lentes, tremblaientaux airs de LE DOGE, seul. — Il est parli! et chacun doses pas décide d'une
victoire de leurs propres trompettes. S'il y a peu de résistance, vous vie... C'en est fait! maintenant l'ange de la mort plane sur Venise,
verrez ces citoyens devenus lous des lions, comme leur étendard; et
i suspend son vol avant d'épancher le vase de colère, comme l'ai-
mais si la partie devient plus difficile à jouer, vous regretterez avec gle
\ regardant sa proie du haut des airs, cesse un moment d'agiter
moi de n'avoir pas derrière vous une bande de nos campagnards, ,
ailes puissantes puis lout-à-coup fond d'en haut et frappe de
ses
i
,
BERTUCCIO.— Je m'étonne qu'avec ces idées-là, vous vous soyex son bec infaillible... O jour, qui effleures lentement les eaux!
décidé à frapper si lût le coup aécisiL marche!... marche!... je ne veux pas frapper dans l'ombre; j'aime
LE DOGE. — C'est sur-le-champ ou jamais, qu'il faut frapper de mieux m'assurer par mes yeux de la portée des coups. Et vous,
tels coups. Une fois que j'eus domplé la faiblesse et le lâche re- vagues d'azur! je vous ai déjà vues loules rouges du sang des Gé-
mords qui s'attachaientà mon coeur, et voyant que je m'étais laissé nois, des Sarrasins et des Huns, mêlé au sang de Venise, mais de
un instant émouvoir aux souvenirs amollissants du passé, j'eus hâte Venise triomphante; maintenant un seul sang va vous colorer!
d'en venir à l'exécution : d'abord pour ne poinl céder de nouveau à amis ou ennemis, il ne tombera dans ce massacre que des conci-
de pareilles faiblesses, ensuite parce que, si j'en excepte Israël et toyens. Et j'ai vécu jusqu'à quatre-vingts ans pour cela! moi que
Philippe Calendaro, le courage et la fidélité de nos conjurés nc Venise nommait son sauveur! moi, au nom de qui des milliers de
m'étaient pas suffisamment connus. Celle journée peut voir surgir bonnets volaient en l'air, et des milliers de voix s'élevaient vers
'parmi eux un traître contre nous, comme celle d'hier en a suscité le ciel, appelant sur moi ses bénédictions pendant une suite de
mille contre le sénat; mais une fois lancés, une fois l'épce au poing, longues années!... Faut-il queje sois témoin d'un pareil jour! Mais
il leur faudra marcher dans l'intérêt de leur propre salut. Dès Je ce jour marquéd'un signe néfastesera le commencement d'une ère de
premier coup frappé, l'instinct farouche de Caïn, le premier-né, cet bonheur et de gloire. Le doge Dandolo survécutà son quatre-vingt-
instinct comprimé qui fermente toujours dans quelque coin du dixième élé, vainqueur des empires et refusant des couronnes; ;
coeur humain, fera de tous ces hommes des loups furieux. U suffit moi, j'aurai abdiqué un trône et rendu la liberté à ma pairie
à la foule de la vue du sang pour lui en donner la soif, comme la mais, hélas 1 par quels moyens? Une noble fin doit les justifier
première coupe de vin est le préluded'une longue débauche- Quand Que sont quelques gouttes de sang humain?... humain? non... le
ils auront commencé, il sera plus difficile de les arrêter qu'il ne sang des tyrans n'a rien d'humain : ces Molochs incarnés se re-
l'était de les pousser en avant; mais jusque-là il suffit d'une parole, paissent du nôtre, et il est temps de les envoyer eux - mêmes à la
d'une paille, d'une ombre pour changer leurs dispositions Où tombe qu'ilsont tan l peuplée... O monde! ô hommes! qu'êtes-vous?
,
en est la nuit? «lue sont nos plus vertueux projets, qu'il nous faille punir le crime
BERTUCCIO.
— Toul près de sa fin. par le crime, et employer le 1er, comme si la mort n'avait que
LE DOGE. — Alors il est temps de sonner la cloche. Nos hommes cette voie, tandis que peu d'années eussent rendu le glaive superflu!
sont-ils à la tour? Et moi, arrivé sur les limites de ces régions inconnues, faut-il que
BERTUCCIO
— Maintenant, ils doivent y être; mais ils ont ordre j'envoie tant de hérauts pour m'y précéder!... Ne nous arrêtons
d'al tendre, pour sonner, que je sois venu le leur dire de votre part. pas à ces vaincs pensées. (Moment de silence.) Ecoutons! il m'a
LE DOGE.—C'cslbien... L'aube n'éleindra-l-clle donc jamais ces semblé entendre un murmure de voix lointaines et le pas régulier
étoiles qui scintillentencore dans les cieux ? Ma résolution est prise d'une troupe militaire! Cela ne se peut... Le signal n'a pas encore
cl fermement arrêtée, cl l'effort même qu'il m'a fallu faire sur moi sonné... Pourquoi ce relard? Le messager de mon neveu doil êlre
pour me décider à purifier par la flamme cette indigne îépubliquc en route, cl peut-être au moment même où je parle tourne sur ses
a mis plus «le calme dans mon âme. J'ai pleuré, j'ai tremblé à la énormes gonds la porte de la tour où se balance la cloche colos-
pensée de cc funeste devoir; mais maintenant j'ai fait taire loulc ,sale, ce lugubre oracle dont la voix ne résonne que pour la mort
émotion inutile, el comme le pilote d'un vaisseau amiral, je regarde «les princes, ou les périls de l'Etal. Qu'elle exécute son office;
fixement la tempête qui s'approche. Cependant, lccroiras-ln, mon qu'elle fasse entendre pour la dernière fois son tocsin le plus ter-
ami ? il m'en a coûté pour en venir là plus d'efforts qu'au jour où rible, jusqu'à faire trembler sur sa base la robuste lotir! Quoi !
le destin de deux nations allait dépendred'une bataille offerte par silencieuse encore ! J'irais moi-même, si mon poste n'était ici pour
moi, et «lans laquelle des milliers d'hommes devaient infaillible- servir de point de ralliement aux éléments trop divers dont seconi-
ment périr. Oui, pourverser le sang corrompude quelques despotesi posent ces sortes de ligues, et pour relever l'hésitation cl. la fai-
orgueilleux,pouraecomplir un acte qui arcnduTimoléon immortel, blesse en cas de résistance ; car s'il doit y avoir lutte, c'est ici, dans
il m'a fallu plus d'empire sur moi-même que pour affronter les fati- le palais, que le combat sera le plus acharné. C'est ici que je dois
gues et les dangers d'une vie de combats. rester comme chef de l'entreprise... Mais écoulons!... Il vient... i!
BERTUCCIO. — Je suis bien aise de voir votre sagesse ordinaires vient, le messager de mon neveu, du brave Bertuccio... Eli bien!
imposer silence à la fureur qui vous agitait avant que voire partii quelles nouvelles? est-on en marche? loutva-l-il bien?. Ah! qui
.
fût arrêté. vient ici?... Toul esl perdu!... Néanmoins,encore un effort! (En-
LE DOGE. — Je fus toujours ainsi : l'agitation s'empare de moii tre un seigneur de la nuit avec des gardes, etc., etc.)
dans la première formation d'un dessein alors que rien ne vienti
limiterl'empire de la passion ; mais au moment, d'agir, j'ai toujourss LE SEIGNEURDE LA NUIT. — Doge, je t'arrête pour crime de haute
été aussi calme que les cadavres étendus autour de moi. C'est ce; trahison !
que n'ignoraient pas ceux qui m'ont fait cc que je suis; ils ontt LE DOGE. — Moi! ton prince! pour haute trahison?... Qui sonl-
compté sur le pouvoir que j'ai de dompter mes ressentiments unei ils ceux qui osent voiler leur propre trahison sous un Ici ordre?
fois leur première fougue exhalée; mais ils ne savaient pas que3 LE SEIGNEUR exhibant son ordre. — Voici l'ordre du conseil des
,
certains outrages changent en vertu réfléchie cetle môme vengeance 3 Dix.
qui est chez d'aulres une impulsion d'aveugle colère. Dans le som- Lis DOGE.— Où el pourquoi les Dix sont-ils assemblés? Co con-
meil des lois, la justice veille; souvent les âmes indignées fontt scil n'est légal que présidé par le prince , cl cet office est le mien.
servirait bien publie leurs injures particulières, el se justifient ài Je te somme, au nom du lien, de me laisser passer, ou de me con-
elles-mêmes leurs actes Il me semble que le jour commence ài duire à la chambre du conseil.
paraître... n'est-il pas vrai? Regarde, la vue est plus jeune et meil- LE SEIGNEUR. — Due, cela ne se peut : le conseil n'est pas as-
leure que la mienne .. une fraîcheur matinale se répand dans l'air,, semblé dans lo lieu ordinaire de ses séances, mais au couvent de
et, à mes yeux du moins, la mer, vue de celte fenêtre, commencee Saint-Sauveur.
à prendre une teinte grisâtre. LE DOGE.—Tuas donc l'audace de me désobéir? i
BERTUCCIO. — C'est vrai, le jour commence à poindre dans less LE SEIGNEUR. — Je sers l'Etat el le dois servir fidèlement ; j'ai
cieux. pour mandat l'ordre de ceux qui gouvernent.
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON. 319

LE DOGE. — Jusqu'à ce que ce mandai soit revêtu de ma signa- eel qui obtinrent un triomphe annuel ; tandis que Manlius, le vain-
il
me, est. illégal; el dans son application actuelle, c'esl un acte qqueur «les Gaulois, fut précipité du haut de la roche Tarpéienne.
le rébellion. As-lu bien calculé cc que vaut ta vie, que lu oses ainsi LE PREMIER SEIGNEUR. — Il se rendit coupable de trahison et
ssuincr la responsabilité d'un acte illégal? voulut
v usurper la tyrannie.
LE SEIGNEUR. — Mon devoir esl d'agir et non de parler... Je suis _ LE DOGE. — 11 sauva l'Etat, cl voulut réformer cc qu'il avait
nvoyé ici pour garder voire personne, et non pour vous entendre sauvé...
s mais loul cela est inutile... Allons, messieurs, faites votre
l vous juger. - t
oeuvre.
LE DOGE, à part. — Il faut gagner du temps..... pourvu que la LE PREMIER SEIGNEUR. — Noble Bertuccio, il faut que vous pas-
jochc sonne, loul peut encore aller bien. Hâte-loi, Bertuccio!... siez
E dans une autre pièce.
lâlc-toil... bftle-loi!... notre deslinée oscille dans la balance, et BERTUCCIO. —Adieu, mon oncle! J'ignore si nous devons nous
malheur aux vaincus, que ce soit le prince et le peuple, ou le sénat revoir
i dans celle vie; mais on permettra sans doute que nos cen-
;l les esclaves ! (On entend sonner m grosse cloche de Saint-Marc.) dres
« soient réunies.
iîllc sonne! elle parle! (Haut.) Entends-lu, seigneur de la nuit? LE DOGE. — Oui, ainsi que nos âmes, lesquelles feront ce que
lit vous, esclaves, lâches instruments d'un pouvoir mercenaire, notre
i argile n'a pu faire. Les patriciens nc pourront anéantir la
;'csl voire glas de mort!... Sonne, sonne, tocsin redoutable! Main- imémoire de ceux qui ont voulu renverser leur tyrannie, cl dans un
tenant, misérables, par quelle rançon rachclcrez-vous-volrcvie? avenir
i lointain, notre exemple trouvera des imitateurs.
LE SEIGNEUR. —Malédiction! tenez ferme et gardez la porte. Tout
si perdu, si l'on ne réduit bientôt au silence celle cloche terrible.
1 faut que l'officier se soit égaré en route, ou qu'il ail rencontré
pjclquc obstacle. Anselme, marche droit à la tour avec la com-
wgiiic; que le reste demeure ici. (Unepartie des gardes sortent.) ACTE V.
LE DOGE. — Malheureux! si lu tiens encore à ta misérable vie,
implore nia pitié : tuas une heure encore ! Oui! oui! envoie les SCENE PREMIÈRE
lâches sicaires, ils ne reviendront plus.
Lu SEIGNEUR. — Soil; ils mourront en faisant leur devoir, et La salle du conseil «les Dix. Les Dix, plus quelques sénateurs adjoints,
noi aussi. composent la junte destinée à juger Marino Faliero et ses complices.
LE DOGE. — Insensé! l'aigle poursuit une proie plus noble que
loi cl tes myrmidons... vis, pourvu «pie la résistance n'expose point BENINTÉNDE. — Après une démonstration aussi claire do leurs
la tête ; el si une âme aussi obscure peut regarder le soleil en face, crimes, nombreux autant qu'énormes, il ne reste plus qu'à prononcer
connais la liberté. (La cloche cesse de sonner.) sur ces hommes endurcis la sentence de l,a loi; tâche douloureuse
LE SEIGNEUR. — Et loi, lu connaîtras les fers... il a cessé le cou- pour nous, dont le devoir est d'articuler l'arrêt, connue.pour ceux
pable signal qui devaitlancer contre nous la meule populaire... Le qui ont à l'entendre. Hélas! pourquoi faut-il que cette lâche re-
glas de mort a sonné, mais ce n'esl pas pour le sénat. tombe sur moi, et «pie l'époque de ma charge soit souillée, dans les
LE DOGE, après un moment d'attente. —Toul esl silencieux 1 âgesà venir,par cette infâme el criminelle conjuration, ourdie pour
loul esl perdu! renverser un Etatjuste et libre, connu du monde entier comme le
LE SEIGNEUR.—Maintenant,doge ,m'appclleras-lu encore l'esclave boulcvarl des chrétiens contre le Sarrasin el le Grec seliisiiialiijue,
rebelle d'un conseil de révoltés? n'ai-je pas fait mon devoir? contre le sauvage Hun cl le Franc non moins barbare! une ville
LE DOGE. — Silence! Tu as fail un digue exploit: tu as gagné le «lui a ouvert à l'Europe les trésors de l'Inde, le dernier refuge dos
prix du sang et ceux qui remploient le récompenseront ; mais tu Romains contre les vengeances d'Attila, la reine de l'Océan la
,
as élé envoyé ici pour nie garder, et non pour parler, selon ta pro- triomphante rivale de l'orgueilleuse Gènes! c'est pour saper le trône
,

pre remarque. Remplis donc ton office, mais en silence comme lu de cette noble cité, que ces hommes désespérés onl risqué el livré
le dois : étant ton prisonnier, je n'en suis pas moins ton prince- au glaive de la loi leurs misérables vies!... Qu'ils meurent donc!
LE SEIGNEUR. — Je ne voudrais pas manquer au rcspecl dû a ISRAËL. — Nous sommes prêts : c'est un service que nous ont
votre rang : en cela, je YOUS obéirai. rendu vos tortures. Qu'on nous mène à la mort.
LE DOGE, à pari. — A présent, il nc me reste plus qu'à mourir; BENINTÉNDE.— Si vous avez quelque chose à dire qui puisse vous
cl cependant combien près du succès I Je serais tombé avec orgueil obtenir un adoucissement de peine , la junte esl prèle à vous en-
au milieu du triomphe; mais le perdre ainsi! (Entrent des sei- tendre; si vous avez des aveux à faire il en est temps encore, cl
,
gneurs de la nuit avec Bertuccio, prisonnier.) I peut-être
vous profileront-ils.
ISRAËL. — Nous sommes ici pour écouler, et non pour parler.
LE SECOND SEIGNEUR. — Nous avons saisi cc chef des rebelles BENINTÉNDE.— La preuve de vos crimes résulte pleinement des
srirtanl de la tour , par
où l'ordre du doge dont il est porteur, le aveux de vos complices et de loules les circonstances qui viennent
Mgnal avail commencé à sonner. les corroborer ; néanmoins nous voudrions entendre de votre pro-
LE î-iiEMiEii SEIGNEUR. — Tous les passages qui conduisent au pre bouche un aveu complet de voire trahison : sur le bord do ce
palais sont-ils occupés? gouffre redoutable d'où l'on ne revient pas, la vérité seule peut
LE SECOND SEIGNEUR.—Tous... mais il n'en est guère besoin. Les vous profiter sur la lerre et au ciel. Parlez donc ; quel élail voire
chefs sont pris; on en juge déjà quelques-uns... Leurs complices motif? ,

sont dispersés, el plusieurs arrêtés. ISRAËL. — La justice.


BERTUCCIO. — Mon oncle! BENINTENOE — Votre but?
LE DOGE. —11 esl inutile de lutter contre la fortune : la.gloire a ISRAËL. — La liberté.
déserté notre maison. BENINTÉNDE.— Vos paroles sont brèves.
IIERTUCCIO. — Qui l'eût pu croire ?... Ah ! un moment de plus ! ISRAËL. — Comme ce qu'il me reslc de vie : j'ai été élevé pour
LE DOGE. — Un moment eût changé la face des siècles; celui-ci faire un soldat, cl non un sénateur.
nous livre à l'éleniilé. Nous subirons notre sort en hommes dont BENINTÉNDE. — Vous croyez peut -être par ce laconisme irriter
le triomphe ne dépend pas du succès, et dont l'âme, quoi qu'il ad-
vos juges et retarder la sentence.
vienne sait faire face à toules les desliuées. Ne te laisse pas abat- ISRAËL. — Soyez aussi expéditifs que moi ; et sachez que je pré-
,
tre, ce n'est qu'un court passage... Je voudrais partir seul, mais si, fère celle faveur à voire pardon,
chose probable, on nous dépêche ensemble, montrons-nous dignesi BENINTÉNDE. — Est-ce là toul ce que vous avez à répondre au
île nos pères et de nous. tribunal ?
BERTUCCIO. — Mon oncle, je ne vous ferai point rougir. ISRAËL. — Allez demander à vos bourreaux ce que les tortures
LE PREMIER SEIGNEUR. — Nobles Falieri, nous avons l'ordre dei nous onl arraché ; livrez-nous de nouveau à leurs mains. 11 reste à
vous garder dans deux pièces séparées, jusqu'au moment où les notre corps quelques gouttes de sang, et quelque sensibilité à nos
Conseil vous mandera devant lui pour le jugement. membres meurtris; mais vous n'oseriez nous clouer derechef sur
LE DOGE. — Un jugement! Vculenl-ils donc pousser la raillerie! chevalets déjà teinta de notre sang, car vous perdriez le spec-
jusqu'au bout? Qu'ils en agissent avec nous comme nous en au- vos tacle de noire morl que vous voulez donnera esclaves, pour les
rons agi avec eux, sans lant dccéréuionie. C'est un jeu d'homicidei effrayer el consolider leurs fers! D'ailleurs, vos des gémissements ne
mutuel : nous avons jeté le coupa qui mourrait le premier; ils ontl sont pas des paroles, l'agonie n'est pas un assentiment; l'affirma-
gagné; mais leurs dés étaient pipés... Qui a élé notre Judas? tion ne mérite pas créance, si la nature, succombantà l'excès de la
LE PREMIER SEIGNEUR. — Je ne suis pas autorisé à répondre ài douleur, oblige l'âme à un mensonge pour obtenir un court répit...
celle demande. Que prétendez-vous nous infliger, la torture ou la mort*
IIERTUCCIO. J'y répondrai, moi... C'est un certain Bertram, quii BENINTÉNDE. — Quels étaient vos complices?

lîiil
en ce moment des révélations à la junte secrète. ISRAËL. — Le sénat.
LE DOGE.
— Bertram, le Bergamasque! quels vils instruments3 BENINTÉNDE. —Que voulez-vousdire?
peuvent perdre ou sauver! Ce lâche, souillé d'une double trahison, ISRAËL. — Demandez à ce peuple souffrant, que les crimes «le vos
ï!< recueillir des récompenses el des honneurs; l'histoire va le pla-
, patriciens ont poussé au crime.
ccr à côté des oies du Capilole, dont le cri nasillard éveilla Rome BENINTÉNDE. — Vous connaissezle doge ?
320 LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

ISRAËL. — Je combattais sous ses ordres à Zara, pendant que BENINTÉNDE. —Avogadori, failcs comparaître le doge en'pré-
vous étiez ici . occupés à gagner par des discours vos dignités ac- sence du conseil.
se
tuelles ; nous risquions notre vie pendant que vos accusations et UN MEMRRE DE LA JUNTE.
— Et les autres?
vos défenses exposaient simplementla vie des autres; pour le reste, BENINTÉNDE.
— Quand nous aurons prononcé sur le sort de tons
lout Venise connaît son doge par ses grandes actions et les outra- les
le chefs. Quelques-uns se sont enfuis à Chiozza; mais plusieurs
ges du sénat. milliers
m de soldats sont à leur poursuite et les précautions prises
BENINTÉNDE.
— Avez-vous eu des conférences avec lui ? sur
si la terre ferme, ainsi que dans les îles , font espérer que pas un
,
ISRAËL.
— Je suis fatigué de vos questions plus encoreque de vos seul
se n'échappera pour aller en pays étranger exhaler la calomnie
tortures; je vous requiers de passer à la sentence. contre
ci le sénat. (Entre le doge, prisonnier, accompagné de gar-
BENINTÉNDE. — Elle ne tardera pas... El vous, Philippe Calen- d etc.)
des,
daro, qu'avez-vousà objecter contre votre condamnation? Doge, car vous l'êtes encore, et légalement vous devez être con-
CALENDARO.—Je ne fus jamais grand parleur, et maintenant j'ai sidéré
si comme tel jusqu'au moment où l'on dépouillera de la lr>gc
peu de chose à dire qui en vaille la peine. ducale
d celle lête qui n'a pu porter avec une dignité calme une cou-
BENINTÉNDE. — Une nouvelle application à la torture pourrait ronne
ri plus noble que celle d'un empire, mais qui a conspiré la
changer votreton. ruine
ri delà patrie, et médité d'éteindre dans le sang la gloire de
CALENDARO.
— C'est vrai; elle a déjà produit sur moi cet effet ; Venise...
V Les avogadori ont déjà mis sous vos yeux toutes les preu-
mais elle ne changera pas mes paroles, ou si elle le faisait... v qui s'élèvent contre vous, et jamais plus nombreux témoignages
ves
BENINTÉNDE. — Eh bien? n'ont
n parlé pour confondre un coupable. Qu'avez-vous à dire en vo-
CALENDARO.
— Des aveux obtenus sur le chevalet auront-ils quel- ti défense ?
tre
que valeur aux yeux de la loi ? LE DOGE. — Que vous dirai-je. puisque ma défense serait voire
BENINTÉNDE.
— Assurément. condamnation?
c Vous êtes lout à la fois les coupables et les accusa-
CALENDARO.— Quel que soil le coupable signalé par moi ? teurs,
t< les juges et les.bourreaux!... Exercez votre pouvoir.
BENINTÉNDE. — Sans aucun doule, nous le mettrons en juge-
ment,
BENINTÉNDE.
— Vos principaux complices ayant tout avoué, il ne
vvous resle aucun espoir.
CALENDARO.
— Et sa vie dépendra de cc témoignage? LE DOGE. — Et qui sont-ils?
BENINTÉNDE. Pourvu que vos aveux soient complets el
— expli- BENINTÉNDE.
— Ils sont nombreux; mais le premier est devant
cites, il devro^fléfendre sa vie devant noire tribunal. vous,
v au sein de la cour, Bertram de Bergamc Avez-vous quel-
CALENDARO.
— Eii ce cas, président, prends gardéà loi ! car j'en ques
(] questions à lui adresser?
jure par l'éternité qui s'ouvre béante devant moi : c'est toi, et toi LE DOGE regardant Bertram avec mépris. Non.
seul que je dénoncerai,si l'on me remcl à la torture. , —
BENINTÉNDE.
— Deux autres, Israël Bertuccio et Philippe Calen-
Us MEMRRE DE LA JUNTE. — Seigneur président, il serait peut- daro,
t ont avoué leur complicité avec le doge.
êlre convenablede procéder au jugement ; il n'y a plus rien à tirer LE DOGE — Et où sont-ils?
de ces hommes. ' .
BENINTÉNDE. —
'
Malheureux insensés! préparez-vousà une mort
BENINTÉNDE.
— Ils sont dans leur dernière demeure, et rendent
compte
c maintenant au ciel de ce qu'ils ont fait sur la terre.
immédiate. La nature de votre forfait, nos lois, le péril de l'Etat... LE DOGE. — Ah ! il est donc mort, le Brulus plébéien ! et l'ardent
nc vous laissent pas nue heure de'répil... Gardes, conduisez-les sur '(Cassius de l'arsenal, aussi!... Comment ont-ils vu venir leur der-
le balcon aux colonnes rouges, où le doge se place le Jeudi-Gras nière
i heure?
pour assister au combat de taureaux; là, qu'il cii soil fait justice, BENINTÉNDE. —Pensez à làvôlre, qui s'approche ! Ainsi vous re-
et «pie leurs corps suspendus restent sur le lien de'l'exécution ex- fusez,
I de vous défendre?
posés aux regards du peuple!... Puisse le ciel avoir pitié de leurs
,
LE DOGE. — Je nc puis plaider ma cause devant mes inférieurs,
âmes! i je ne vous reconnais pas le droit de me juger : quelle loi vous le
el
LA JUNTE.
— Ainsi soil-il! iconfère?
ISRAËL.
— Adieu, seigneurs! c'esl pour la dernière fois que nous BENINTÉNDE. — Dans les grandes crises, la loi doit être refaite ou
nous trouvons dans le même lieu. corrigée.
i Nos pères n'avaient point établi de peine pour un tel crime,
BENINTÉNDE. — El de pour qu'ils nc tentent de soulever la nui!- comme autrefois à Rome on avait oublié sur les labiés de la loi le
i
titude... gardes, qu'ils soient bâillonnés pour l'exécution... Qu'on châtiment
i
iln parricide. Qui jamais eût pu prévoir que la nature hu-
les emmène! maine serait souillée par l'ailcnlal d'un fils contre son père, d'un
CALENDARO.'—Quoi! nc pourrons-nous môme dire adieu à prince contre son royaume? Voire crime nous a conduit à promul-
un
ami, ou adresser une dernière parole a notre confesseur? guer une loi nouvelle ; précédentétabli à l'avenir contre les grands
BENINTÉNDE. — Un prêtre vous attend dans la pièce voisine; coupables qui tenteraient un jour d» monter à la tyrannie par la
quant à vos amis, cellcentrevuc leur serait pénible, ern'aurait pour voie de la.trahison et qui, non contents de posséder un soupire.
vous aucune utilité. voudraient le convertir,
en un glaive à deux tranchants! La dignité
CALENDARO. — Je savais bien qu'on nous bâillonnait pendant de doge nc vous suffisait-elle pas? Qu'y a-t-il au-ilcssus de la sei-
noire vie, tous ceux du moins qui n'avaient pas le courage de dire gneurie de Venise?
librement leur pensée a loul risque; néanmoins, j'espérais que, LE DOGE.— La seigneurie de Venise! En me la donnant, vous m'a-
dans nos derniers moments, la liberté de la parole, cetlc chélive vez trahi, vous perfides qui siégez ici ! Votre égal par ma nais-
faveur accordée aux mourants, ne nous serait pas refusée, mais sance, voire supérieur par nies actes, vous m'avez enlevé a d'ho-
puisque... norables travaux, aux servions même queje vous rendais dans les
ISRAËL. Laisse-les faire comme ils l'entendenl, brave Calen- contrées lointaines sur l'Océan , sur les champs de bataille, au
daro I Que —nous importent quchpies paroles de plus ou de moins ? sein des métropoles...Vousm'avez choisi pour faire demoi une victime
Mourons sans recevoir d'eux la moindre marque «le faveur; notre couronnée, enchaînée sur l'autel où vous seuls pouviez sacrifier.
sang doit s'en élever contre eux avec plus de force , cl témoigner Mon élection, que j'ignorais...je ne l'avais ni recherchée... ni dé-
contre leur cruauté plus que nc pourrait le faire un volume pro- sirée... ni rêvée... elle vint mè surprendreà Rome, el il me fallut
noncé ou écrit. Notre voix les fait trembler... ils redoutent jusqu'ài obéir; mais à mon arrivée, je vis qu'en addition à la jalouse vigi-
notre silence... Qu'ils vivent en proie à leurs terreurs!... Abandon- lance qui vous a toujours conduits à frustrer, à contrarier les meil-
nons-les à leurs pensées, et que les nôtres ne s'adressent plus qu'aui leures intentions de votre souverain, vous aviez réduit et mutilé
ciell Marchez! nous sommes prêts. le petit nombre de privilèges laissés au doge de Venise; tout cela,
CALENDARO.—Israël, si tu m'avaisvoulu croire, tout ceci ne se- je le supportai, et je le supporterais encore^ si le contact impur de
rait pas arrivé; et ce pâle scélérat, ce lâche Bertram aurait... voire licence n'était venu souiller jusqu'à mes foyers ; et je vois
ISRAËL. —Tais-toi, Calendaro! a quoi bon penser à cela main- parmi vous l'infâme qui m'a outragé, digue membre d'un lel
tenant. tribunal.
BERTRAM. — Hélas 1 j'aurais désiré que vous mourussiez en paixi. BENINTÉNDE, l'interrompant. Michel Sleno esl ici en vertu «le

avec moi... Ce rôle pénible, je ne l'ai point cherché; il m'a été im- sa charge, comme membre des Quarante, les Dix ayant cru devoir
posé. Dites-moi que vous me pardonnez ! Hélas! je ne me pardon- s'adjoindre un certain nombre de sénateurs pour profiler de leurs
nerai jamais à moi-même!... Ne me regardez pas avec colère. lumières dans une affaire aussi importante .et aussi insolite. D'ail-
ISRAËL. — Je meurs et je te pardonne. leurs, par ce motif que. le doge, institué pour prêter main-forte à la
CALENDARO,cracliantde son côté.
— Je meurs el je le méprise ! loi, n'a pas le droit de réclamer contre d'autres citoyens l'applica-
(Les gardes emmènent Israël Bertuccioet Philippe Calendaro.)) tion de ces mêmes institutions que lui-même renie et foule aux
BENINTÉNDE. — Maintenant que nous en avons fini avec ces cri- pieds, il a été fait remise à Sténo de la punition prononcée cou-
minels, il est temps de prononcer la senlen cc du plus grand coupablee tre lui.
que présentent nos annales, du dogeFaliero. Les preuves sont com-i- LE DOGE. — La punition 1 j'aime cent fois mieux le voir siégeant
plètement acquises, les circonstances et la nature de sou crime exi- ici, repaissant ses regards du spectacle de ma mort, que subissant
gent une procédurerapide ; le ferons-nousvenir pour entendre sonn la peine dérisoire à laquelle votre hypocrite juslice l'avait con-
arrêt? damné. Son crime infâme est la pureté même, si je le compare a
LA JUNTE. —Oui! oui! I
votre protection.
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BY'ÏION. 321

que l'illustre doge de Venise, courbé LE DOGE. — La torture! vous m'y avez mis chaque jour depuis
UKNINTIÎNDE. — Se peut-il laissé que je suis doge ; mais si vous voulez y ajouter les douleurs physi-
sous le poids de l'âge et de quinze lustres d'honneurs, se soit
emporter comme un enfant, à tel point que la provocation d'un ques, vous le pouvez ; ces membres affaiblis par l'âge céderont aux
jeune homme ait suffi pour étouffer en lui tout sentiment, toute sa- étreintes du fer, mais il y a dans mon coeur une énergie qui lassera
gesse, tout devoir, toute crainte salutaire ! vos supplices. (Entre UN OFFICIER.)
LE DOGE. —11 suffit d'une étincelle pour allumerun incendie;c'est
la dernière goulle versée qui fait déborder la coupe, et depuis long- L'oFFiciEn. —Nobles vénitiens, la duchesse Faliero demande à
temps la mienne était pleine.Vous opprimiez le prince et le peuple ; êlre admise en présence de la junte.
j'ai voulu affranchirl'un et l'autre, et j'ai échoué dans celle double BENINTÉNDE. — Qu'en pensez-vous, pères conscrits? Devons-
tenlaiive. Si j'avais réussi, j'eusse été récompensé par la gloire, la nous la recevoir?
vengeance', et un nom qui, faisant rivaliser Venise avec la Grèce UN MEMRRE DE LA JUNTE..— Elle peut avoir d'importantes révé-
et Syracuse, m'eût fail prendre place à côté de Gélon et deThrasy- lations à faire : cc motif doit faire accueillir sa demande.
bule... Ayant succombé, je n'ai à recueillir dans le présent que BENINTÉNDE. — Tout le monde est-il de cet avis?
l'infamie et la mort... L'a- Tous. — Oui.
venir me jugera, quand LE DOGE. — Admira-
Venise ne sera plus ou bles lois de Venise I qvi.
sera libre. N'hésitez pas ; admettent le témoignage
je n'aurais point eu de de la femme dans l'espoir
pitié pour vous, je no qu'elle déposera contre
vous en demande pas. son mari ! Quelle gloire
J'ai joué ma vie dans un pour les chastes dames do
coup immense ; j'ai per-
cellenoblecité!Maisoeux
du, prenez cc que j'au- qui siègent dans celle en3
rais pris moi-même. Je ceinte, accoutumés à flé-
nie serais dressé solitaire trir de leurs blasphèmes
parmi vos tombeaux, ac- l'honneur dé3 gens de
courez eu foule autour bien ne font que suivre
du mien : venez le fouler leur , vocation. Mainte-
aux pieds comme vous nant, lâche Sténo, si celte
avez foulécecoeurvivant. femme doit faillir, je te
BENINTÉNDE. — Vous pardonne ta calomnie,
avouez donc votre crime, ton acquittement , ma
cl reconnaissez la justice mort violente et ta misé-
île la cour? rable vie. (Lu DUCHESSE
LE DOGE. — J'avoue entre).
avoir succombé. La for-
tune est femme : depuis BENINTÉNDE. — Mada-
ma jeunesse, clic m'a me, cc tribunal équitable
comblé de ses faveurs; a résolu «le faire droit à
j'ai eu ton, à mon âge votre demande, quelque
île compter encore sur , insolite qu'elle soit. Tout
ses premiers sourires. cc que vous avez a nous
BENINTÉNDE. — Vous dire, nous ('écoulerons
ne contestez donc en rien avec le respect dit à votre
notre équité? rang el à vos vertus. Mais
LE DOGE. —Nobles vé- vous pâlissez ! Qu'on sou-
nitiens! nc me tourmen- tienne Induchesse! qu'on
tez pas de questions; je avance un siège.
suis résigné a toul ; mais ANGIOLINA.
— Cc n'est
je sens encore en moi le qu'une faiblessepassagè-
sang de mes jours meil- re... je suis mieux. Par-
leurs el je ne suis pas donnez-moi...je ne m'as-
doué ,d'une excessive pa- sieds pas en présence do
tience... Epargnez-moi mon prince et de mon
toul interrogatoirequi ne époux, quand lui-même
set viraitqu'à transformer est debout.
un jugeaient en débals. BENINTÉNDE.
— Quel
Mes réponses ne feraient motif
.
vous amène, ma -
que vous offenser et ré- dame ?
jouir vos ennemis, déjà ANGIOLINA .—Desbruits
trop nombreux.Ces murs étranges, mais trop con-
lugubres, que l'on croit firmés par toul ce que
sans échos, ont des oreil- La justice frappe le traître. j'entends et tout ce que
les et même des langues ; je vois, sont arrivés jus-
cl si la vérité n'a pas qu'à moi ; et je viens pour
d'autres moyens de fran- connaître toute l'étendue
chir cette enceinte, vous de mon malheur; par-
qui me condamnez, vous donnez la précipitation
qui me redoutez et m'immolez, vous ne pourrez emporter dans votre de ma démarche. Est-il vrai?... ]e ne puis parler... je ne puis tor-
tombe mes paroles en bien et en mal ; ce secret sera un fardeau mulcr ma question... mais vos yeux qui se détournent, vos fronts
trop pesant pour vos âmes : qu'il dorme donc dans la mienne, à sinistres ont répondu d'avance... O Dieu! ce silence est celui de la
moins que vous ne vouliez attirer sur vous un danger deux fois tombe I
plus grand que celui auquel vous venez d'échapper.Telle serait ma BENINTÉNDE, après un moment de silence. —Madame, épargnez-
défense, si je voulais la rendre fameuse cl lui donner toute la lati- nous, épargnez-vous à vous-mêmela répétition d'unactequi fut pour
tude qu'elle comporte ; car les paroles vraies sont des faits, et les nous un devoir terrible, impérieux, envers le ciel et les hommes!
paroles des mourants leur survivent et quelquefois les vengent. ANGIOLINA. — Parlez toujours; je ne puis, je ne puis... non, je
Laissez les miennes ensevelies, si vous voulez que l'avenir soit à ne puis encore le croire, même à présent. Est-il condamné ?
vous: acceptez ce conseil, et, quoique durant ma vie vous ayez BENINTÉNDE. — Hélas !
souvent soulevé ma colère, laissez-moi mourir en paix; vous pou- ANGIOLINA. — Etait-il donc coupable ?
vez m'accorder celte faveur.... Je ne nie rien, ne me défends en BENINTÉNDE.— Madame! le trouble naturel de vos idées dans un
«'ion, ne vous demanderien : je veux pouvoir garder le silence, et pareil moment rend celte demande excusable; dans tout autre cas,
que la cour prononce son arrêt. • ce serait un délit grave que de former un tel doute contre l'équité
BENINTÉNDE.
— La plénitude de cet aveu nous épargne la dure d'un tribunal suprême. Mais interrogez le doge, et s'il nie en pré-
nécessité d'employer la torture pour vous arracher la vérité tout sence des preuves produites contre lui, croyez-leaussi innocent que
entière. vous-même.
1>AMS. — Imp. I.jcoini <il C", nie Soufllol, 10.
21
322 LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTREES.

ANGIOLINA. — Est-il vrai? mon seigneur... mon souverain... O am amena les Gaulois à Clusium, puis à Rome, qui fut quelque temps pot
vous l'ami de mon pauvre père... vous si grand sur les champs de esclave esc ; l'univers avait supporté les cruautés de Caligula, un gesie j I'
bataille, si sage daiis les conseils, démentez les paroles de cet obscène obs lui coûta la yie; l'injure d'une vierge fit de l'Espagne une 1
homme!... Vous gardezle silence! province
pr< maure, et deux lignes calomnieuses de Sleno auront décimé M'
BENINTÉNDE. — 11 a déjà confessé son crime, el vous voyez que Venise,mis
Ve en péril un sénat huit fois séculaire, détrôné Un prince, 1
maintenant il nc le nie pas. abattu
ab; sa lête découronnée, et forgé de nouveaux fers à un peuple |.e
ANGIOLINA. — Soit : mais il ne doit pas mourir.... Epargnez le gémissant!
géi Commela courtisanequi incendia Persépolis, que le misé- l'ai
peu d'années qui lui restent; la honte et la douleur les réduiront à rai
rable soit fier decel exploit; il le peut... c'est un orgueil digne de lui! tin
un petit nombre de jours! un instant de culpabilité impuissante ne Biais Ma qu'il ne vienne pas insulter par ses prières aux derniers mo- (et
doit pas effacer seize lustres d'actions glorieuses. ménts
nid d'un homme qui, aujourd'hui accuse, fut naguère un héros: rai
BENINTÉNDE. — L'arrêt doit êlre exécuté sans délai el sans ré- r rie de bon nc saurait venir d'une telle source, el de lui nous ne Jo
rien
mission. voulons
vo rien maintenant ni jamais. Nous le laissons à lui-même ;
ANGIOLINA.—Ilesl coupable.... mais la clémence peut encore c'est Ce le laisser dans l'abîme le plus profond de la bassesse humaine.
s'étendre sur lui. Le pardon est fait pour les nommes el non pour les reptiles.... Ii
BENINTÉNDE. — La clémence en cette occasion ne se concilierait t Nous n'avons pour Sténo ni pardon ni colère; les êtres tels que lui co
N(
pas avec la justice. so faits pour darder leur venin, les êlres supérieurs pour souffrir; lit
sont
ANGIOLINA. — Hélas! seigneur, l'bomme qui n'est que juste est e'esl
c'( la loi de la vie. L'homme mordu par la vipère peut bien écraser so
cruel. Qui resterait vivant sur la lerre, si tous étaient jugé3 suivant la bête venimeuse, mais il ne sent point de colère; le reptile a obéi lo
les règles de la justice? à» son instinct, et il est des hommes reptiles dont l'âme esl plus ci
BENINTÉNDE. — Le salut de l'Etal exige son châtiment. rampante
ra que le Ver même de la tombe. p;
ANGIOLINA.— Sujet, il a servi l'Etat; général, il l'a sauvé; souve» LE DOGE, à Beninténde.—SeigneurI achevez ce que vous regardez vi
rain, il l'a gouverné. ' -i -
comme votre devoir.
c< pi
UN MEMRRE nu CONSEIL. — Conspirateur,.il l'a trahi. BENINTÉNDE. Avant
— la de procédera
. l'accomplissement de ce «le- n
ANGIOLINA,
— Sans lui, il n'y aurait point aujourd'hui d'Etat a voir,
vi nous prions princesse de vouloir bien se retirer; il lui sera d
sauver ou à détruire ; el vous , qui prononcez ici la mort de votre trop li douloureuxd'en être témoin. es
libérateur, vous seriez à ramer .dans les galères musulmanes, ou, ANGIOLINA—'Je lésais, mais je dois souffrir tout le reste, car cela
chargés de chaînes, vous travailleriezdans lesminésdes HtWsI fc partie de mon devoir... Je né quitterai point mon mari que je n'y
fait
UN MEMRRE DU CONSEIL.!—Non, madame, il en est quipériraient sois
6< contrainte par la force... Poursuivez, ne craignez point de ma
plutôt que de vivre esclaves! p des cris, des soupirs oti des larmes : dût mon coeur se briser, il
part
ANGIOLINA.
— S'il en esl dans cette enceinte
»
tOî^ tu nHès »»s dtt se si taira.» Parlez, j'ai là quelque chose qui domptera toul.
nombre : les vrais braves sont généreux pour lés vaincus».. N'est-il BENINTÉNDE. — Marine-Faliero, doge de Venise, comle de Val
plus d'espoir? ' d Marin», sénateur, pendant longtemps général de la flollc cl de
di
BENINTÉNDE. — Il n'y en a plus, madame. 1Farinée-, noble Vénitien plus d'une fois chargé par l'Etal des plus
ANGIOLINA, se tournant vers le doge. — Meurs donc» tfàlïerôl hauts
n emplois, écoute ta sentence! Convaincu, par un grand nom-
-
puisqu'il le faut ; meurs comme doit mourir l'ami brè
ue mon perè. Ttt d'Unde témoignages
1 el de preuves, ainsi que par tes propres aveux, \
t'es rendu coupable d'une grande fauté; mais la dureté de Ces « crime we trahison inouï jusqu'à ce jour... tu as encouru la i
hommes l'a justifié plus qu'à demi. Je les aurais implorés... sup- peiné I f
de ttiorL OS bien* seront confisqués au profit de l'Etat ; ton (
plies... comme le mendiant affamé qui demandé du pain.... ma tnom sera rayé de fce*«tttt*lcs : on nc le rappellera que le jour où i
voix en pleurs eût invoqué leur clémence comnlé ils invoqueront tnous célébreronspar de publiquesactions de grâces notre délivrance
celle de Dieu, qui leur répondraainsi qu'ils nie répondent... si cela miraculeuse.
n'eût été indigne de ton nom el du mien , et «î la froide cruauté menUdè
' Ce jouïMà ton nom sera mentionné avec les tremble- !
lèrrc4 la pesté, l'ennemi étranger el le grand ennemi des
i
écrite dans leurs regards lie m'annonçait des c&ure lâches qui se 1homme*; et nous remercieronsannuellement le ciel d'avoir pré-
vengent. Subis donc ta deslinée comme un prince doit la subif. servé
! nos jours et notre patrie de tes complots pervers. La place
LÉ DOGE. — J'ai vécu trop longtemps pour ne pas savoir mourir! où « 'en qualité de doge devait être mis ton portrait, parmi ceux de
ta
Des prières ne feraient pas plus «l'impression sur ces hommes qttès Ités illustres prédécesseurs, sera laissée vide et couverte d'un voile
les bêlements de l'agneau n'en lotit sur le boucher, ou. les pleurei noir; ' «l àu-ttessousseront gravés ces mots : «C'est ici la place de
des matelots sur la vague irritée. Je ne voudrais pas mime tfuire• Marîno Faliero» kléeapitè pour ses crimes. »
vie éternelle, s'il me fallait la tenir des mains de misérable»utett't j'ai[ LE DOGE. — « Ses crimes) » Mais qu'importe? toutes ces précau-
voulu briser' le joug monstrueux. tions seront inutiles. Ce voile noir étendu sur mon nom proscrit, cc
MICHEL STÉNO. — Dogcl J'ai un mot à té dire, ainsi qu'à celtes Voile
' qui cachera Qu semblera cacher mes traits attirera pins les
noble dame, que j'ai tant offensée. Plût au ciel que ma doûleW, regards que les «lille portraits de ces tyrans du, peuple qui élale-
ma boule ou mon repentir pussent anéantir l'inexorable passé! Mais,s ront sur la toile kli'r brillant costume ducal. « Décapité pour ses
disons-nous, du moins, adieu en chrétiens, et séparons-nous enl crimes!... » Quels crimes? Ne Vaudrait-il pas mieux rappeler les
paix. C'est avec un coeur contrit que j'implore> ïrén voire pardon, faits, afin que le «péClatcttrpût approuver la sentence ou du moins
mais votre compassion à tous deux, cl que j'offre à Dieu mes prièress, apprendre le motif de mes actes! Quand il saura qu'un dogé a con-
pour vous, quelque impuissantesqu'ellessoient. spiré, qu'e-n lui dise pourquoi, cela fait partie de votre histoire!
ANGIOLINA. Sage Beninténde, aujourd'hui premier jugé îlee BÉNlN'ttÉlstoÈ. — Le temps se chargera de résoudre cette question
Venise, c'ésl à—vous que je m'adresse > en réponse «Ux paroles queè nos fils jugeromt le jugement de leurs pères que maintenant je;
vient de prononcer cc seigneur. Dites à l'infâme Slcno que les pa- prononce. Comme doge, revêtu du manteau ducal, ,
tu conduit
roles calomnieuses d'un homme tel que lui n'ont jamais excité danss à l'escalier des Géants, théâtre de ton investiture etseras de celle de
le coeur de la lille de Lorédan qu'un sentiment de commisérationn tous nos princes; là, après qu'on t'aura dépouillé de la couronne
pour lui. Je voudrais que lous eussent montré pour ses propos au-i- ducale, lu auras la lôle tranchée ; et que le ciel ait pilié de ton âme !
tant de mépris qu'ils- m'ont inspiré de pilié : je préfère mon hon- LE DOGE. — Est-ce là la sentence de la junte?
neur à mille existences, si elles pouvaient toules se concentrer dans s BENINTÉNDE. — Oui.
la mienne; mais je ne voudrais pas qu'il en coûtai la vie à per-i- LE DOGE. — Je l'accepte...Et quand aura lieu l'cxéeution ?
sonne pour avoir attaqué ce qu'il n'est donné à aucune puissance :e BENINTÉNDE. — Immédiatement.... Fais ta paix avec Dieu : dans
humaine d'atteindre... le sentiment «le la vertu, dont la récompense te une heure, tu seras en sa présence.
est en elle-même et non dans cc qu'on pense d'elle. Pour moi, les ;s LE DOGE. J'y suis déjà, et mon sang montera vers le ciel àvanl
paroles du calomniateur ont été ce «m'est le vent pour le rocher;; les âmes de — ceux qui vont le répandre.... Toutes mes terres sent-
mais... hélas!-... .il est des esprits plus irritables sur lesquels de tels is elles confisquées?
outragés font l'effet de l'ouragan sur les flots ; il est des âmes pour ir BENINTÉNDE. — Elles le sont.Jainsi que les joyaux, les trésors, les
qui l'ombre seule du déshonneur esl une réalité plus terrible que la biens de toute nature, moins deux mille ducals dont tu peux dis-
mort et la malédiction éternelle; des hommes qui ont le tort de s'ef- f-
faroucher à la moindre raillerie du vice et qui, sachant résister à poser. LE DOGE. — Cela est dur ; j'aurais voulu réserver mes terres près
tous les atlrails dé plaisir, a toules les, angoisses de la douleur, r -, de Trévise, que je liens par investiture de Laurence cômte-évêquc
ne peuvent sans effroi voir le moindre souffle ternir le nom superbe je de Cénéda, et qui devaient constituer un fief perpétuel, transmis-
sur lequel ils avaient placé leurs espérances, jaloux de ce nom m sible à mes héritiers ; j'aurais voulu, dis-je , les partager entre ma
comme l'aigle de son aire. Puisse coque nous voyons maintenant, ce ce femme et mes parents, abandonnant à l'Etat mon palais, mes tré-
que nous sentons et souffrons, arrêter à l'avenir ces misérables ca-
:a- sors cl loul ce que je possède à Venise.
lomniateurs, el leur apprendre à ne pas s'attaquer,dans leur dépit, il, BÉNINTENDE.—Tes parents sont eux-mêmes mis au bân dé l'Etat ; I
à des êtresd'un ordre supérieur! Ce n'est pas la première fois qu'il 'il leur chef, Ion neveu, est menaéé d'une accusation capitale. Mais le
a suffi d'un insecte pour mettre lé lion en fureur; une flèche m conseil ajourne ponr le moment toute décision à cet égard : si tu
au
talon fit mordre la poussière au brave des braves; le déshonneur ur veux faire une dotation à ta veuve, ne crains rien, justice lui sera
d'une femme amena la ruine de Troie ; le déshonneur d'une femme ne rendue,
engagea Rome à chasser pour jamais ses rois; un époux outragé gé ANGIOLINA.— Seigneur je nc prendrai point ma part des «le-
,
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON. 323

illcs de mon mari ! sachez qu'à dalcr de cc jour, je me consacre 1 dont la plupart, je le sais, sont vils comme la poussière, et aussi im-
di
icu, et vais chercher un refuge dans le cloître. puissants
p que vils. Ils n'ont rien pu par eux-mêmes... ils n'ont pu
,E DOGE. — Allons! cc moment est pénible, mais il
prendra fin. vaincre
v; cslui qui avait tant de fois vaincu pour eux.
:z-vous quelque chose encore à m'imposer, outre la mon? ANGIOLINA.— Employez le- peu d'instants qui vous restent à dc3
IENINTENDE. — 11 ne te reste plus qu à le confesser et à mourir, penséesplus
p consolantes, et pour prendre votre vol vers les cieux ,
prêtre est revêtu de l'étole; l« glaive est tiré du fourreau; l'un et s
soyez en paix même avec ces misérables.
itrc t'attendent... Mais surtout ne songe point à parler au peuple: LE DOGE. — Je suis en paix. Je la dois, celte paix, à la certitude
3 foule
innombrablese presse autour des portes, mais elles sont qu'un
q jour viendra, où les enfants des enfants de mes bourreaux, où
mées ; lés Dix, les avogadori, la junte et lesprincipaux des Qua- cette
c ville orgueilleuseet ces flots azurés, et tout cc qui fail la gloire
ite assisteront seuls à ton supplice ; ils sont prêts à escorter le t la splendeur de ces rivages, où loul cela ne sera plus que déso-
et
;c. lation
1 et malédiction, où Venise enfin deviendra la risée des peuples,
jz DOGE. — Le doge? iune Carthage, une Tyr, une Babel de l'Océan !
IENINTENDE.—Oui! le doge. Tu as vécu et lu mourras souverain, ANGIOLINA.
— Cessezde parler ainsi : le flot de la colère déborde
oublias la dignité quand tu te ravalasà comploter avec d'obscurs en
« vous jusqu'au dernier moment ; vous vous abusez vous-même,
jpables; nous ne l'oublions pas, nous, et, jusque dans ton châ- « ne pouvez rien contre vos ennemis... Soyez pins calme.
et
lent, nous respectons la dignité du prince. Tes vils complices LE DOGE. — Je suis déjà dans l'éternité : elle se déroule devant
il morts comme meurent des chiens ou des loups; mais toi, tu moi;
i et je vois... d'une manière aussi palpable que je contemple
nberas comme tombe le lion sous les coups des chasseurs, ton
I doux visage pour la dernière fois... je vois les jours dont mes
touré d'hommes qui éprouvent encore pour toi une noble com- prédictions
] menacent ces murs et ceux qui les habitent.
ssion, et déplorent celle mort inévitable, provoquée par la sau- UN GARDE, s'avançant.— Dogede Venise, les Dix attendent Votre
ge fureur, par ta royale audace. Maintenant nous te laissons le Altesse.
;
éparer; sois bref; bientôt nous t'accompagneronsà l'endroit où LE DOGE. Adieu donc, Angiolina!... queje l'embrasseencore...
iguère nous avons été unis à toi comme tes sujets et tes conseillers, Pardonne au—vieillard qui fut pour toi un époux affectueux mais
où maintenantces liens doivent être pourjamais rompus... Gardes! fatal ; chéris ma mémoire. Je n'en aurais pas réclamé autant, pour
cortez le doge jusqu'à son apparlement. ( Tous sortent.) moi si j'eusse véeu; mais maintenant tu peux me juger avec plus
d'indulgence, en voyant que toules mes mauvaises pensées sont
calmées. En outre, de tous les fruits de mes longues années, la
SCENE II. gloire, la richesse, la puissance, un grand nom ; de tous ces fruits
qui, ordinairement,laissent quelque éclat sur la tombe d'un homme,
L'appartement du Doge. il ne me reste rien : pas une parcelled'honneur, d'amitié ou d'estime,
rien dont la fastueuse douleur d'une famille pût extraire seulement
Mî nom?, prisonnier^ IA DUCHESSE. une épitapbe; unehcurcasuflipour déraciner toutemavie antérieure,
el j'ai survécuà tout, excepté a ton coeur, asile de pureté, de bonté,
LE DOGE. — Maintenantque le prêtre est parti, il serait inutile de de douceur,dont la douleur silencieuse,mais sincère, conservera...
rolonger de quelques minutes ma misérable existence; encore une Comme tu pâlis!... Hélas.! elle s'évanouit!... Le pouls cl la respira-
oulcur, celle «le le quitter,et je renverserai le peu de sable «pii reste tion lui manquent!... Gardes I prêtez-moi votre aide... Je ne puis la
ncore de l'heure qui m'a été accordée... Le temps et moi nous laisser en cet état; el cependant, peut-être, vaut-il mieux qu'il en
vons réglé lous nos comptes.
soit ainsi chaque moment d'insensibilité lui épargne une
ANGIOLINA.— Hélas ! cl de tout ceci c'est moi qui suis la cause, torture. Quand elle aura secoué cette mort passagère, je serai avec
n cause innocente Celle
! lugubre union, que tu promis à mon père l'Eternel... Appelezses femmes...Encore un regard !... Que sa main
iu moment de sa mort, elle a
scellé la tienne! est froide !... aussi froide que sera la mienne avant qu'elle ait repris
LE DOGE. — NOD. 11 y avait en moi quelque chose qui me réser- ses sens... Oh! donnez-lui les soins les plus attentifs, et recevez
ait à subir un grand revers ; je m'étonne seulementque le coup <. mes derniers remercîmenls... Maintenant je suis prêt. (Les sui-
iil été suspendu si longtemps; et cependant il m'avait élé prédit. vantes d'Angiolina entrent et entourent leur maitresse évanouie.
ANGIOLINA.— Comment, prédit? — Le Doge sort accompagné des gardes.)
LE DOGE. — Il y a bien longtemps de cela; j'étais jeune, je servais
a République en qualité de podestat et capitaine de la ville de Tré-
iise. Un jour de fête, l'évcque, qui portait le Saint-Sacrement, cx- SCENE III.
lila mon impatienceet ma colère par sa lenteur, et la réponse hau-
taine qu'il fit aux reproches que je lui adressais; je levai sur lui la La cour (lu palais ducal. Les portes extérieures sont fermées pour empê-
cher le peuple d'y pénétrer. — Le doge, revêtu du costume do sa di-
main, le frappai, et le fis tomber à terre avec son fardeau sacré. gnité, s'avance au milieu du conseildes Dix cl «Vautrespatriciens. Il est
S'élant relevé il étendit vers le ciel ses mains tremblantes d'un suivi par des gardes jusqu'au sommet de l'escalier des Géants, c'est lit
, puis, montrant l'hostie sainte qui s'était échappée
pieux courroux, qu'est placé l'exécuteur, son çlaivc à ta main. — En arrivant, un mem-
tic ses mains, il se tourna vers moi : «iUn moment viendra, dit-il, bre du conseil des Dix dépouille la tète du doge de la toque ducale.
où celui que lu as renversé le renversera. La gloire désertera la
maison ; la sagesse abandonnera Ion âme, et dans la pleine matu- LE DOGE. — A dater de cc moment lo doge n'est plus rien, et me
rité de ton esprit, une démence de coeur te saisira; tu seras déchiré voilà enfin redevenu Marine Faliero : c'est quelque chose, bien que
par les passions à une époque de la vie où, chez les autres hommes, ce soit pour un.seul moment. C'est ici que j'ai été couronné : le ciel
les passions s'éteignent ou se transforment en vertus. La majesté de m'en est témoin, je ressens plus de joie à résigner ce brillant jouet,
la vieillesse ne couronnera ta tète que pour la faire tomber; les ce colifichetducal, que je n'en éprouvai à ceindre ce falal ornement,
lionneurs annonceront ta ruine; les cheveux blancs, la honte ; lesi L'UN DES DIX. — Tu trembles, Faliero !
uns et les autres, la mort; mais non cetle mort qui sied au vieil- LE DOGE. — Oui, mais c'est de... vieillesse.
lard. » Ce'disant, il passa son chemin... La prédiction se vérifie. BENINTÉNDE.— Faliero, as-tu à faire au Sénat quelque reeomman-
ANGIOLINA. — Et comment, ainsi averti, ne vous être pas efforcé< 'dation compatible avec nos lois?
de détournercette,fataledeslinée et d'expier votre faute parlapéni- LE DOGE. — Je recommande mon neveu à sa elémence, ma femme
lence. à sa justice ; entre l'Etat et moi tout doit être compensé par ma mort,
LE DOGE. — J'avoue que ces paroles de l'évêque pénétrèrent aui >' et par une telle mort.
fond de mon coeur, tellement que je me les suis souvent rappeléess BENINTÉNDE. — .11 sera fait droit à l'une et à Uautre de ces de-
au milieu du tourbillon de la vie, où elles me faisaient tressaillir ,.
mandes, malgré ton crime inouï.
comme la voixid'un spectre dans un rêve surnaturel ; et je me re- LE DOGE. —Inouï! certes; l'histoire nous présente une foule de
pentis. Mais je n'ai jamais eu pour habitude de reculer en quoi que> i; conspirateurscouronnés, tramant contre le peuple; mais un souve-
ce fût : quel que dût.êlre mon avenir, je ne pouvais le changer, je; rain qui meurt pour le rendre libre,, cela ne s'est vu que deux lois.
ne le craignaispas... Ce m'est pas tout : lu ne peux avoir oublié une3 BENINTÉNDE.— Et quels princes sont morts pour une lelle cause?
circonstance que tout le monde se.rappelle. Le jour de mon (débar- LE DOGE. — Le roi de Sparte elle doge de Venise... Agis et Fa-
quement ici comme «doge, à mon retour de Rome, un brouillardl liero.
épais précéda mon navire, semblable à lacolonne sombre qui mar- BENINTÉNDE. — Te reste-l-il encore quelque chose à dire ou à
chait devantIsraël sortantid'Egypie; en sorteque le pilote perdit sai faire?
'oute, et nous fit aborder entre les piliers de Saint-Marc, où lioni LE DOGE. — Puis-je parler ?
exécute les criminels, au lieu de nous débarquer, selon l'usage, à1 BENINTÉNDE. Tu le peux; mais rappelle-toi que le peuple est
la Riva délia Paglia... Tout Venise frissonnaà ce présage. hors de la .portée—de la voix.
ANGIOLINA.—Ah!que serventmaintenant ces souvenirs? LE DOGE.— Ce n'est plus aux hommes que je m'adresse, mais au
LE DOGE. — J'éprouve une consolation à penser que ces choses s temps et à l'éternité dont je vais faire partie. Eléments, avec qui je
sont l'oeuvre de la destinée; j'aime mieux céder au ciel qu'aux i me confondrai tout à l'heure, que ma voix soit comme une âme
hommes; je me plais à mettre une foi aveugle dans la fatalité, et àil pour vous ! Vagues d'azur, qui portiez ma bannière! vents, qui vous
«oir des instruments d'une puissance supérieure dans ces mortels, jouiez dans ses plis avec amour, qui tant de fois avez enflé ma voile
,
324 LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

cl prêté vos ailes à ma flotte vielorieuse! et toi, terre étrangère, CINQUIÈME CITOYEN.
— Ils onl sagement fait de tenir les grilles
qui as bu ce sang volontairementépanché par plus d'une blessure1 fermées.
fc Si nous avions su avant de venir ce qui allait se passer...
pavés, qui, lout à l'heure, n'absorberez pas le peu qui m'en reste; nous
n< aurions apportéde quoi forcer les portes.
car il montera vers le ciel ! cieux qui le recevrez ! soleil, qui brilles
sur toules ces choses, et loi, qui allumes les soleils et qui les éteins,
SIXIÈME CITOYEN.
— Etes-vous bien sûr qu'il soit mort?
je vous prends tous à témoin! je ne .suis pas innocent... mais ceux- PREMIER CITOYEN.
— J'ai vu l'épée s'abattre... Voyez ! que vient-
là le sont-ils? Je meurs; mais je serai vengé; les siècles lointains ° nous montrer?
on
m'apparaissent flottants sur l'abîme de l'avenir ; el avant que mes
yeux se ferment, il leur est donné de voir le châtiment réservé à Sur
„ le balcon du palais, dont la façade donne sur la place,
celte ville orgueilleuse!... Oui, il couve silencieusement le jour où s'avance un chefdes Dix, tenant à la main un glaive ensanglanté;
la cilô qui éleva un rempart contre Attila courbera la lête lâchement il l'agite (rois fois aux yeux du peuple et dit :
el sans combat, devant un Attila bâtard, sans même verser pour se
défendre autant de sang qu'il en coulera toul à l'heure de ces vieilles La justice a frappé le grand coupable.
veines, épuisées pour la protéger... Elle sera vendue et achetée, el
donnée en apanage à des maîtres qui la mépriseront! D'empire, elle Les grilles s'ouvrent : le peuple se précipite vers l'escalier des
deviendra province, de capitale petite ville, avec des esclaves pour Géants, où l'exécution a eu lieu. Les plus avancéscrient à ceux
sénat, des mendiants pour nobles et un peuple de courtisanes! O qui sont derrière eux :
Venise! quand l'Hébreu occupera tes palais, le Hun les citadelles;
quand le Grec, maître de tes marchés, s'y promènera en souriant; La tête sanglante roule sur les marches de l'escalier des Géants !
quand, le long de les rues étroites, les patriciens mendieront tin pain
amer, et, dans leur honteuse indigence, feront de leur noblesse un (IM toile tombe.)
litre à la compassion! quand le petit nombre de ceux qui auront
conservé les débris de l'héritage de leurs glorieux ancêtres ram-
peront aux pieds du lieutenantbarbare d'un vice-roi, dans ce même FIN DE MAIUNO FALIERO.
palais où ils mirent à mort leur souverain ; quand, se parant d'un
nom illustre déshonore par eux, nés d'une mère adultère, or-
gueilleuse de ses impudiques amours avec le gondolier robuste ou le
soldat étranger, ils se feront gloire de trois générationsde bâtardise; -
quand tes fils, descendus au point !e plus bas dans l'échelle des êtres,
seront cédés aux vaincus par les vainqueurs, qui n'en voudront pas,
méprisés comme lâches par de moins lâches qu'eux, et repousses CAÏN
par les vicieux eux-mêmes pour des vices monstrueux que nul ne
pourra spécifier ni nommer; quand, de l'héritage de Chypre, au-
jourd'hui soumise à ton sceptre, il nc te restera que son infamie
transmise à tes filles, quand tous les maux des Etats conquis s'alla-
chcronl à toi, le vice sans splendeur les plaisirs des sens privés MYSTÈRE TIIIK DE L'ANC IliN -TUSTAMlï NT.
même du brillant relief de l'amour; mais , à la place de cc dernier,
l'habitude d'une débauche grossière, un libertinage sans passion
une impudicité froide et compassée, réduisant en art les faiblesses,
de la nature... quand tous ces fléaux, et d'autres encore, seront Ion
partage; quand le sourire sans joie, les amusements sans plaisir,
la jeunesse sans courage, la vieillesse sans dignité ; quanti la
bassesse et l'impuissance auront fait de toi, ô Venise! le pire des PERSONNAGES.
déserts peuplés; alors, dans le dernier râle de ton agonie au milieu
de tous les suppliées dont tu seras victime, i appelle-loi le mien! Hommes : ADAM. — CAÏN. — ADEL
Caverne de brigands .ivres du sang de leurs princes, enfer au mi- Esprits : UN ANGE DU SEIGNEUR. — LvciFim.
lieu des eaux, Sodomcde l'Océan ! je le dévoue aux «lieux infer- Femmes : EVE. —ADAII.— ZILLAH.
naux, toi et ta race de serpents I (Ici le doge se tourne vers l'exé-
cuteur et lui dit : ) Esclave ! fais Ion métier ! frappe comme je frap-
pais l'ennemi t frappe comme j'aurais frappé ces tyrans! frappe
de toule la force de mon annlhème ! et ne frappe qu'une fois. (Le
doge se jette à genoux, et au moment où l'exécuteur lève son ACT» PREMIER.
glaive, la toile tombe. )
Environs du Paradis.- Lever du soleil.
SCÈNE IV. ADAM, EVE, CAÏN, ABEL, ADAII, ZII.LAH ,
offrant un sacrifice.
La piazza et la piazzelta de Saint-Marc. — Le peuple est rassemblé en
foute autour des grilles du palais ducal, qui sont fermées. ADAM.
— Dieu éternel, infini I sagesse suprême ! toi dont la pa-
role, des lénèbres de l'abîme fit jaillir la lumière sur les eaux...
salut ! Jéhovah ! quand revient , la lumière, salul 1
PiiEMiEn CITOYEN. — J'ai atteint la grille, el je puis distinguer EVE. — Dieu t qui nommas le jour, en séparant le malin cl la
les Dix rangés autour du doge, dans leur costume de cérémonie. nuit, auparavant confondus... qui divisas les flots , et donnas le
SECOND CITOYEN.—Je nc puis, malgré mes efforts, parvenir jus- nom de firmament à une partie «le ton ouvrage, salut !
qu'à toi. Que se passe-t-il ! tâchons au moins d'entendre, puisqu'il A BEL. — Dieu ! qui groupas les éléments pour en composer lu
n'y a que les plus rapproches de la grille qui puissent voir. terre... l'océan... l'air... et le feu ; qui, après avoir créé le jour cl
LE ptOEMiKn CITOYEN. — Un d'eux s'est approché du doge ; voilà la nuit, ainsi que les mondes sur lesquels se répandenlleur lumière
qu'on dépouille sa tête de la toque ducale.... Maintenant il lève les et leur ombre, formas des êtres pour en jouir, les chérir et te chérir
yeux au ciel ; je les vois briller, je vois le mouvement de ses lèvres... toi-même... salut! salut!
Silence!... Silence! Ce n'est qu'un murmure... Maudit éloigne- ADAII. — Dieu éternel t Père de toutes choses ! qui fis ces êtres
ment ! on ne peut comprendre ses paroles ; mais sa voix s'enfle bons et beaux, pour être aimés par-dessus tout, à l'exception de
comme les sourds grondements du tonnerre. Oh ! si nous pouvions toi... permets qu'en t'aimant je les aime aussi... salut! salut!
seulement entendre une phrase I ZILLAH. — O Dieu! qui, protégeantet bénissant toules les oeu-
SECOND CITOYEN. —Silence! peut-être saisirons - nous quelques vres de tes mains , as permis néanmoins au serpent de se glisser
sons.
dans le paradis, et d'en expulser mon père , préserve-nous de tout
mal à venir... salut! salut1
PREMIER CITOYEN. — C'est en vain que je prête l'oreille : je ne ADAM. Caïn, mon fils, mon premier-né, pourquoidemeures-tu
puis l'entendre... Ses cheveux blancs flottent au souffle des vents, muet? —
comme l'écume sur les vagues! Maintenant.. Maintenant il s'a- CAÏN. — Pourquoi parler ?
genouille.... et à présent ils forment un cercle autour de lui, et
— Pour prier.
ADAM.
on n'aperçoit plus rien... Mais je vois l'épée en l'air... Ah ! écou- CAÏN. — N'avez-vous pas prié?
tez ! elle frappe ! (Le peuple murmure.) ADAM. — Oui, et avec ferveur.
TROISIÈME CITOYEN. — Ils onl assassiné celui qui voulait nous CAÏN. — Et d'une voix élevée. Je vous ai entendus.
affranchir. ADAM.
— Et Dieu aussi, je l'espère.
QUATRIÈMECITOYEN. — 11 a toujours élé bon pour le peuple. ABEL, — Qu'il en soit ainsi !
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD RYRON. 325

ADAM. — Mais toi, mon premier-né, lu continues de garder le bécilité


bè d'Adam nous a privés du fruit de l'arbre de vie; tandis que
silence. ps la précipitation de ma mère, le fruit de l'arbre de la scienee fut
par
CAÏN. — 11 esl mieux que je me taise. tr tôt cueilli, et ce fruit, c'esl la mort !
trop
ADAM. — Pourquoi ? LUCIFER. — On fa trompé : lu vivras.
CAÏN. — Je n'ai rien à demander. CAÏN. — Je vis ; mais je vis pour mourir ; el vivant, je nc vois
ADAM. — El rien dont lu doives rendre grâce ! ri qui rende la mort haïssable, si cc n'est une répugnance in-
rien
CAÏN. — Non. née,
m un lâche, mais invincible instinct, que j'abhorre, comme je me
ADAM. —Ne vis-tu pas? méprise,
m et que pourtant je ne puis surmonter.... c'est ainsi que je
CAÏN. — Ne dois-je pas mourir? vis. Plût au ciel que je n'eusse jamais vécut
vi
EVE. —Hélas! voici déjà le fruit défendu qui commence à tom- LUCIFER. — Tu vis, et dois vivre toujours : ne crois pas que ton
ber de l'arbre. . enveloppe
et extérieureet terrestresoit l'existence même... clic cessera
ADAM. — Et nous devons le ramasser. O Dieu 1 pourquoi as-tu d'être,
d' et alors tu ne seras pas moins que tu n'es maintenant,
planté l'arbre de la science? CAÏN. — Pas inoins? et pourquoi pas plus ?
CAÏN.— El pourquoi, vous, n'avez-vouspas cueilli le fruit de l'ar- LUCIFER. — Peut-être seras-tu comme nous sommes.
bre de vie? vous auriez pu alors braver le tyran. CAÏN. — Et qu'êles-vous?
ADAM. — O mon fils! ne blasphème pas : ce sont les paroles du LUCIFER. — Nous sommes éternels.
serpent. CAÏN.
— Etes-vous heureux ?
CAÏN. — Pourquoi pas ? Le serpent a dit vrai ; d'un côté élait l'ar- LUCIFER.
— Nous sommes puissants.
bre de vie; de l'aulre, l'arbre de la science : la science est bonne, CAÏN. — Etes-vous heureux?
et la vie est bonne; en quoi l'une et l'autre réuniesseraient-elles un LUCIFER.
— Non. Et toi, l'es-tu?
mal ?
EVE. — Mon enfant! lu parles comme je parlais dans le péché,
CAÏN.
— Comment le serais-ie ? Regarde-moi.
LUCIFER. —Pauvre argile! Et lu prélcndsètre malheureux ! toi!
avant ta naissance. Que je nc voie pas mon malheur se renouveler CAÏN. — Je le suis... El toi, avec toute la puissance, qu'es lu?
dans le lien. Je me suis rcpenlie. Mon fils ne doit pas tomber ici LUCIFER. — Un Esprit qui voulut remplacer ton Créateur, et qui
dans les pièges qui, au sein du paradis ont perdu ses parents. r l'aurait pas fait ce que tu es.
ne
Contente-loi de ce qui est. Si nous 1 avions ,fait, lu serais heureux au- CAÏN. — Ah! tu ressemblespresqu'à un dieu; et...
jourd'hui... O mon fils! LUCIFER. — Je ne suis pas Dieu. N'ayant pu le devenir, je no
ADAM. —Nos prières sont terminées;séparons-nous. Que chacun voudrais
v pas être autre que je suis. Il a vaincu... qu'il règne I
PC rende à son travail... il n'est pas pénible, bien que nécessaire : GAIN. — Qui ?
la lerre est jeune elle nous donne ses fruits avec bonté et sans LUCIFER. — Le Créateur de ton père et de la terre entière.
beaucoup d'cfforls., CAÏN. — Et du ciel, et de tout ce qu'il contient, comme je l'ai en-
EVE. — Caïn, mon fils, vois ton père content et résigné; fais tendu
t chanter par les séraphins ; c'est cc que répète mon père.
comme lui. (Adam et Eve sortent). LUCIFER. — Us disent... cc qu'ils sont obligés de dire, sous peine
d'être
( ce «lue je suis... ce que tu es... moi, parmi les Esprits; loi,
ZILLAH. — Ne veux-tu pas te calmer, mon frère ? parmi
] les nommes.
AIIEL. — Pourquoi garder sur Ion front celte tristesse, qui doit CAÏN. — Et quoi donc?
<
attirer la colère de l'Eternel? LUCIFER. — Des âmes qui ont le courage d'user de leur immor-
ADAH.—Caïn, mon bien aimé, me regarderas lu donc, moi talité, l «lésâmes qui osent regarder le tyran face à face, dans sa
aussi, d'un air sombre? Itoute-puissance et son éternité, pour lui dire que le mal,son ouvrage,
GAIN. — Non Adah non. Je voudrais être seul un moment. n'est pas un bien ! S'il nous a faits, comme il ledit... ce que j'ignore
Aboi, je souffre au ,
fond ,du coeur, mais cela passera. Précède-moi, et nc crois pas s'il nous a faits, il ne peut nous défaire; nous
mon Irèrc... je ne tarderai pas à te suivre. Et vous aussi '
mes sommes
1 immortels !... Bien plus, il nous a voulus ainsi afin de pou-
m'attendez .
sieurs, ne pas; voire douceur ne méiilc pas un accueil voir nous torturer... . qu'il le fasse! 11 est grand... mais dans sa
luroiichc : je vous suis toul à l'heure. grandeur, il n'esl pas plus heureux que nous dans noire lutte ! La
ADAH. — Si lu lardes, je viendrai le chercher ici. bonté n'eût pas créé le mal ; a-t-il fait autre chose ? Mais qu'il con-
AIIEL. — La paix de Dieu soit avec ton esprit, mon frère! (Abel, tinue de siéger sur son trône solitaire, occupé à créer des mondes
/Allah et Adah sortent.) pour alléger l'éternité qui pèse sur celte immense existence, celle
solitude sans partage. Qu'il entasse planète sur planète, il reste
CAÏN, «<?»{. —Et voilà donc la vie!... le travail. Et pourquoi toujoursseuldans sa tyrannie.infinie, indissoluble. S'ilpouvail s'écra-
travailler? Parce que mon père n'a pas su conserver sa place dans ser lui-même ; ce serait le prodige leplusprécieuxqu'il eût jamais fait :
Kdcn. Qu'avais-je fait, moi ? je n'étais pas né ; je nc demandais pas mais non... qu'il règne, et se multiplie dans fa douleur! Esprits
à naître, el je n'aime pas l'état où celle naissance m'a placé. et hommes, nous sympathisons du moins... et, souffrant de (oncerl
Pourquoi a-t-il cédé au serpent et à la femme ? ou bien, après nous rendons plus supportables nos innombrablessouffrances, cil
avoir cédé, pourquoi en a-t-il élé puni? L'arbre était planté, et les partageant lous entre lous. Mais lui, malheureux dans son élé-
n'étail-il pas pour lui ? Sinon, pourquoi l'avoir placé près de cet ar- vation, livré à l'inquiète activilé de sa misère, il faut qu'il crée et
bre, le plus beau de tous? Ils n'ont à ces questions qu'une réponse? crée encore...
« C'était la volonté du Maître, el le Maître esl bon. » Qu'en sais-je : CAÏN. Tu me parles de choses qui depuis longtemps nagent
l'arec qu'il est tout puissant, s'ensuit-il qu'il soit souverainement dans ma—pensée comme des visions ; je n'ai jamais pu concilier ce
lion ? Je ne juge que par les fails, et ils sonl amers Cependant, que je voyais avec ce que j'entendais. Mon père et ma mère m'en-
il faut que je m'en nourrisse, pour une faute qui n'est pas la tretiennent de serpents, de fruits, d'arbres; je vois les portes de ce
mienne... Que vois-je? un Esprit qui a la forme des anges; néan- qu'ils appellent leur paradis gardées par des chérubins armés d'é-
moins son aspect a quelque chose de plus sévère et de plus triste. pées flamboyantes, qui nous en interdisent l'accès, à eux comme à
Pourquoi donc frémir? Pourquoi le craindre plus que ces autres Es- moi ; je sens le poids d'un travail journalier et d'une pensée inces-
prits célestes, que je vois chaque jour brandir leurs glaives redou- sante ; autour de moi, mes regards se promènent sur un monde où
tables devant lesquels je m'arrête rêveur à l'heure du crépuscule, je semble n'être rien, et je sens naître en moi-même des pensées qui
alors queje viens jeter un coup d'oeil sur ces jardins, mon légitimei semblent capables de dominer toules choses mais je considérais
héritage, et sur les arbres immortels qui couronnent les créneaux ce malheur comme mon partage exclusif... Mon père s'esl résigné à
défendus par les chérubins ? Je n'ai point peur de ces anges armést son abaissement; ma mère a oublié cette soif de science qui lui fit ris-
de feux. Pourquoi celui qui s'approche maintenant m'inspirerait- quer la malédiction éternelle ; mon frère n'est qu'un jeune berger
il de l'effroi ? U me paraît de beaucoup leur supérieur en puissance offrant les prémices de son troupeau à Celui
i par qui ia lerre n'ac-
cl leur égal en beauté; et pourtant il semblé n'être plus aussi beaut corde ses fruits qu'à nos sueurs ; ma soeur Zillah entonne chaque
qu'il l'a été, ou qu'il pourrait l'être. La douleur paraît la moitié des jour un hymne plus matinal que celui des oiseaux; et mon Adah,
son immortalité. L'humanitén'esl donc passcule a souffrir? 11 vient. ma bien-aimée, ne comprend pas tlavantage la pensée qui m'op-
( Entre LUCIFER. ) presse : jusqu'à présent je n'avais rencontré personne dont les
LUCIFER. — Mortel 1 sentiments répondissentaux miens. Soit 1 je vivrai dans la société
CAÏN.
— Esprit, qui es-tu? des Esprits.
LUCIFER. — Le maître des Esprits. LUCIFER. — Et si la nature de ton âme ne t'avait rendu digne
CAÏN. — Et comment se fait-il que tu les quittes pour visiter lai d'une telle société, tu ne me verrais pas maintenant devant toi,
poussière? sous un tel aspect : il eût encoresuffi d'un serpent pour le fasciner!
LUCIFER. — Je connais les pensées de la poussière : j'ai pitié d'ellee CAÏN. — Ah! c'estdonc toi qui as tenté ma mère?
cl de toi. LUCIFER.—-Jene tcnle personne, si cc n'est avec la vérité cet
CAÏN. Comment ! lu connais mes pensées ? bre •
n'élait-ilpos celui de la science? et n'y avait-il pas encore ar-

LUCIFER. — Ce sont les pensées de loul ce qui est digne d'en avoir ;
des
fruits sur l'arbre de vie? Est-ce moi qui lui ai dit de ne pas cueillir
la partie immortelle de toi-même parle en loi. ceux-ci? est-ce moi qui ai placé des objets défendus sous la main
'JAIN. — Quelle partie immortelle? Ceci n'a pas été révélé. L'im- 1 d'êtres innocents el curieux raison de leur innocence même ?
i- , en
326 LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

J'aurais fail de vous des dieux, et celui qui vous a chassés a craint (
CAÏN. — Tant mieux : je ne voudrais pas les voir mourir... elles
lui-même de vous voir « manger des fruits de vie et devenir des sonl si
son douces à mes yeux. Qu'est-ce que la mort? Elle doit être
dieux comme lui. » Sont-ce là ses paroles? lue terrible : je le crains, je le sens; mais cc que c'esl, je ne puis
bien
CAÏN. — Ainsi me les ont répétées ceux qui les ont entendues au le dire
( : nous en sommes lous menacés comme d'un mal, et ceux
bruit de la foudre. qui
qui ont péché et ceux qui n'ont pas péché En quoi consiste ce
LUCIFER. — Qui donc élait le mauvais Esprit? celui qui n'a pas mal
ma ?
voulu vous laisser vivre, ou celui qui vous aurait fait vivre à jamais LUCIFER.
1
— A retourner à la terre.
au sein des joies, et du pouvoir que donne la science? GAIN.
t
— Mais le sentirai-je ?
CAÏN. — Plût au ciel qu'ils eussent cueilli le fruit des deux arbres, LUCIFER. — Comme je ne connais pas la mort, je nc puis le ré-
ou n'eussent louché ni à l'un ni à l'autre! pondre.
po
LUCIFER. — Déjà l'un à
esl vous, l'autre peut encore vous ap- CAÏN. — Si je devenais une-terre insensible, il n'y aurait pas
partenir, grand
gr mal à cela. Plùl à Dieu que je n'eusse jamais été que pous-
CAÏN.— Comment? sière.
sic
LuciFEn. — Montrez-vous ce que vous êtes, par votre résistance. LuciFEn. — Lâche souhait, qui te place au-dessous de ton père;
Rien ne peut éteindre l'âme, si l'âme veut être elle-même, et se ca il désira la science.
car
l'aire le centre de loul cc qui l'cnloure... Elle fut créée pour com- CAÏN. — Mais il ne désira pas la vie; ou alors, que ne cueillait-
mander, il le fruit «le l'arbre de vie?
CAÏN. — Mais as-tu tenté mes parents? LUCIFER. — Il en fut empêché.
LUCIFER.— Moi? pourquoi et comment les aurais-je tentés? GAIN. — Erreur fatale! de n'avoir pas arraché d'abord cc fruit:
CAÏN. — Ils disent que le serpent étail un Esprit. mais
m avant qu'il cueillît la science, il ignorait la mort. Hélas! c'esl
LUCIFER- — Qui le leur a dit ? Cela n'est point écrit là-haut : l'or- à peine maintenant si je sais ce que c'est, el pourtant je la crains...
gueilleux Créateur ne saurait à ce point dénaturer la vérité. Mais J« crains... je nc sais quoi!
Je
les terreurs exagérées de l'homme et sa vanité puérile peuvent LUCIFER. — El moi qui sais toul, je ne crains rien. Tu vois cc
avoir rejeté sa lâche défaite sur la nature spirituelle. Le serpent qu'est la véritable science.
q1
élait le serpent.. et rien de plus; et pourtant il n'était point CAÏN- — Veux-tu m'enseigner toul?
inférieur à ceux qu'il a tentés: sa nature étail «l'argile comme la LUCIFER. — A une condition.
leur-., mais il leur était supérieur en sagesse, puisqu'il triompha CAÏN.— Quelle est-elle?
d'eux, el devina.que la science serait fatale à leurs étroites joies. LUCIFER.—Tu le prosternerasel m'adorerascomme ton Seigneur.
Crois-lu que je veuille revêtir la forme de créatures destinées à CAÏN. — Tu n'es pas le Seigneur que mon père adore ?
mourir? LUCIFER.— Non.
CAÏN. — Mais le serpent avait en lui un démon.
à qui parla sa
GAIN.
— Es-tu son égal ?
LUCIFER. — H ne fit qu'en éveiller un dans ceux LUCIFER. —Non... Je n'ai rien et neveux rien avoir de commun
langue fourchue.Je te le répète : le serpent n'était autre chose qu'un avec
a luil Quelle que soit ma place au-dessus ou au-ilessous de lui,
serpent; demande.aux chérubins qui gardent l'arbre tentateur. i n'est rien «pie je ne préfère à la nécessité de partager ou de ser-
il
Quand mille générations auront passé sur la cendre insensible et vir
v sa puissance. J'existe à pari ; mais je suis grand beaucoup
sur celle des tiens, la race qui habitera le inonde couvrirapeul-êlrc m'adorent;
r de plus nombreux m'adoreront... Sois un des premiers.
la première faute «le l'homme d'un voile fabuleux, el m'attribuera GAIN.—Je n'ai pas encore fléchi le genou devant le Dieu de mon
une forme que je méprise, comme je méprise tout cc qui fléchit de- père,
i quoique mon frère Abel me eonjure souvent de me joindre à
vanl le Créateur intéressé d'êtres qu'il destine à peupler cl aduler Ilui dans ses sacrifices... pourquoi donc m'abaisserais je en ta pré-
su farouche cl solitaire éternité ; mais nous, qui voyons la vérité, sence?
s
nous devons la dire. Tes crédules parents prêtèrent l'oreille à un LUCIFER. — Nc t'es-lu jamais incliné devant lui?
èlre rampant: ils succombèrent. Pour quel motif des Esprits les au- GAIN. — Je te l'ai dit... E!ail-il besoin «le le le dire?
Ta science
raient-ils tentés?qu'y avait-il donc de si attrayant dans les étroitesi profonde
; doit le révéler toules choses.
limites de leur paradis, pour que des Esprits qui embrassent l'es- LUCIFER. — Celui qui ne se courbe pas devant lui s'est courbé
pace... Mais je te parle de choses que lu ignores, en dépit de tont devant
i moi.
arbre de la science. GAIN. —Je nc veux fléchir pour personne,
CAÏN. — Quelle que soit la Bcience dont tu me parles, j'aspire ài LuciFEn. Tu n'en es pas moins mon adorateur : dès que lu ne
la posséder, j'en ai soir, et mon esprit est capable delà comprendre. l'adores pus.—tu es à moi.
LUCIFER. — Auras-tu le courage de la regarder en face? GAIN. — Qu'est-ce donc «ni'êlre à toi?
;
CAÏN. — Mets-moi à l'épreuve. LUCIFER. — Tu le sauras bientôt... et plus tard mieux encore.
LuciFEn. — Oserais-lu regarder la mort? CAÏN.—Fais-moiseulement connaître le mystère de mon être.
GAIN.
— Elle ne s'est point encore montrée ici. LUCIFER. — Suis-moi où je vais te conduire.
LUCIFER.
— Mais loul ici «loit la subir. CAÏN. — Mais il faut que j'aille cultiver la terre... j'ai promis...
GAIN. — Mon père assure que c'est une chose effrayante ; quand I LUCIFER. — Quoi?
son nom est prononcé, ma mère pleure, Abcl lève les yeux au ciel, CAÏN. —. De cueillir les prémices de quelques fruits...
Zillah baisse les siens vers la lerre et murmure une prière, Adah li, LUCIFER. — Pourquoi ?
nie regarde et restemuette. GAIN. — Pour les offrir avec mon frère sur un autel.
LUCIFER. — Et toi ? LUCIFER. — Nc disais-tu pas tout à l'heure que lu n'avais jamais
CAÏN. — D'inexprimables pensées se pressent dans mon coeur et il courbé Ion front devant le Créateur?
le brûlent quand j entendsparler de celle mort toute puissante, qui ii GAIN. 11 est vrai mais j'ai cédé aux sollicitations pressantes
parait inévitable. Pourrais-jc lutter contre elle? En jouant avec lee I d'Abel ; — l'offrande est la sienne... et Adah
lion, dans mou enfance, il m'est arrivé «le le presser jusqu'à ce qu'il il LUCIFER. — Pourquoi hésiles-tu? ..
se dégageât de mon étreinte, el s'enfuît en rugissant. GAIN. — Elle esl ma soeur; nous sommes nés le même jour, du
LUCIFER. —La mort n'a point de forme extérieure; mais elle le môme flanc : ses larmes m'ont arraché cette promesse ; et, plutôt que
absorbera lout ce qui esl-né sur la terre. de la voir pleurer, je puis tout souffrir... lout adorer,
GAIN.
— Ah! je la prenais pour un être : quel autre en effet il
peut LUCIFER. — Suis-moi donc. (Entre AVIM.)
faire de tels maux à des êtres?
LUCIFER. — Demande au Destructeur. ADAH. —Mon frère, je viens te chercher; c'est maintenant noire
GAIN. — A qui? heure de repos et de joie... et nous sommes moins heureux en ton
LUCIFER. —Au Créateur.,. Appelle-le comme tu voudras : il ne lé absence. Tu n'as pas travaillé ce matin, mais j'ai rempli la tâche :
crée que pour détruire. les fruits sont mûrs cl brillants comme la lumière qui les mûrit.
CAÏN. Je l'ignorais; mais j'y ai songé, depuis que j'ai entendu lu Viens.
parler de—la mort. Sans savoir bien ce que c'est, il me semble que îe GAIN. — Ne vois-.tu pas?
ce doit être quelque chose d'horrible. Je l'ai cherchée dans la vaste te ADAH. — Je vois un ange; nous en avons vu plus d'un. Veut-il
solitude de la nuit; et quand je voyais, sous les murs d'Eden, des es partager l'heure de notre repos? Il est le bien-venu.
ombres gigantesques au milieu desquelles les glaives des chéru- u- GAIN. — Mais il n'esl pas comme les anges que nous avons Vus.
bins faisaient luire leurs éclairs, il me semblait que j'allais la voir lir ADAH. — Y en a-l-il donc d'autres? N'importe! il est le bien-
apparaître ; car il s'élevait dans mon coeur un désir, mêlé de crainte, :e, venu comme eux- Ils ont daigné être nos hôles. Veut-il l'être ?
de connaître ce qui nous fait tous trembler; mais rien ne venait;
et alors, détournant l ; GAIN. — Le veux-tu ?
mes yeux fatigués de ce paradis défendu qui lui LuciFEn. — Je te demande d'être lé mien.
fut noire berceau, je les reportais versces clartés qui brillent là-haut,
it, GAIN. — U faut que j'aille avec lui.
dans l'azur, et qui sont si belles; ces clartés aussi doivent-elles les ADAII. — Et lu nous quilles?
mourir? CAÏN. — Oui.
LUCIFER.
— Peut-être.,.., mais elles doivent survivre longtemps
ips ADAH. — Moi aussi?
à loi et aux liens. GAIN.
- Chère Adah'
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON. 327

ADAH. — Laisse-moi l'accompagner. ADAH. —O Caïn! choisis l'amour.


LUCIFER. — Non, cela ne se peul. CAÏN. — Pour toi, mon Adah ! Je nc l'ai pas choisi, il est né avec
ADAH. — Qui es-tu, toi, qui l'imposes entre un coeur et un coeur? moi;
m mais après loi, je n'aime rien.
GAIN. — C'est un dieu. ADAH. — Nos parents?
ADAH. — Gomment le sais-tu? GAIN. — Nous ont-ils aimés, quand ils ont commis la faute qui
CAÏN. — 11 parle comme un dieu. nous
ni a lous expulsés du paradis ?
ADAH. — Ainsi faisait le serpent, cl il mentait. ADAH. — Nous n'étions pas nés alors et quand nous l'aurions
LUCIFER- — Tu te trompes, Adah! L'arbre n'élait-il pas celui élé
éi Caïn ne devrions-nous pas les aimer, ne devrions-nous pas
, ,
de la science? aimer
ai nos enfants ?
ADAH- — Oui... à noire éternelle douleur. CAÏN. —Mon petil Enoch! et sa soeurl Si je pouvais les voirh.eu-
LUCIFER. — Cependant cette douleur même est une science; il nc reux,
r« j'oublierais presque;.... Mais après trois mille générations on
mentait donc pas : s'il vous a perdus, c'est avec la vérité ; et la vé- n l'aura pas oublié! Jamais les hommes ne chériront la mémoire
ne
rilé ilans son essence ne peut êlre que bonne. dde ce père qui enfanta le mal en même temps qu'il enfanta le
ADAH.—Mais tout ce que nous connaissons a produit malheur genre
g humain! Ils ont cueilli le fruit de la science et le péché
travail, et les
sur malheur; notre expulsion, cl la crainte,.cl lel'espérance e non contents de leur malheur, ils nous ont engendrés, moi, loi,;.,
et
sueurs, el la fatigue, le remords de ce qui fui... cl de ce le petit nombre de ceux qui maintenant existent, et toute celle in-
1(
qui n'arrive pas. Caïn! n'accompagne pas cet Esprit, supporte ce nombrable
n multitude, ces millions d'êtres qui doivent venir au
que nous avons supporté, cl aime-moi... Je t'aime. monde,
n pour hériter des douleurs accumulées par les siècles!... Et
LUCIFER. — Plus que ta mère et ton père? ji dois être le père de tels êtres! Ta beauté et Ion amour
je mon
ADAH. — Oui. Est-ce là aussi un péché ? amour
a et ma joie, l'ivresse d'un moment et le calme qui la suit,
LUCIFER. — Non, pas encore. Mais un jour c'en sera un pour vos l ce que nous aimons dans nos entants eldans nous-mêmes,
tout
qu'à
eh
enfants. bien
b ! tout cela ne servira qu'à leur faire traverser, ainsi nous,
ADAH.—Quoi! ma fille nc pourra-l-cllc aimer son frère Enoch ? une
u longue suite d'années de péchés et de douleurs, ou une courte
LUCIFER. — Elle ne pourra l'aimer comme lu aimes Caïn. vie
v d'afflictions entremêlées de rapides instants de plaisir, pour nous
ADAH. — O Dieu! ils ne s'aimeront pas; leur tendresse ne don- conduire
c tous à ce but inconnu la mort! lime semble que
l'arbre de la science n'a pas rempli sa promesse Si nos parents
r.cra pas le jour a des êtres destinés à s'aimer comme eux ? Mon 1
sein ne les a-t-il pas allaités tous deux ? Leur père n'est-il pas né t péché, du moins ils auraient dû connaître loulc la science... et
ont
des mêmes flancs, à la même heure que moi? nc nous sommes- I mystère île la mort. Que savenl-ils?
le qu'ils sont misérables.
1 n'était pas besoin de serpent et de fruits pour nous apprendre
Il
nous pas aimés, et eu multipliant notre êlre n'avoiis-nouS pas niul-
liplié des êtres aimants? Caïn! ne suis pas cet Esprit; il n'est pas cela.
(
îles nôtres. ADAH.—Je ne suis pas malheureuse,Caïn ; et si tu étais heureux...
LUCIFER. — Le péché dont je vous parle n'est pas mon ouvrage, CAÏN. — Sois donc heureuse seule Je ne veux point d'un bon-
et ne saurait être un péché en vous... de quelque manièrequ'on l'eu- heur
1 qui m'humilie moi cl les miens.
visage eu ceux qui vous remplaceront dans votre condition mor- ADAH. — Seule, je ne voudrais ni ne pourraisêtre heureuse ; mais
telle. au
\,
milieu des nôtres il me semble queje pourrais l'èlre, en dépit
ADAH.— Quel est le péché qui n'esl pas un péché en lui-mêmo? de la mort.
Le crime et la vertu peuvent-ils dépendre «les circonstances?...S'il LUCIFER. —• Et lu ne pourrais, dis-tu, 'être heureuse seule?
en est ainsi, nous sommes les esclaves de... ADAH. -r- Seule! ô mon Dieu! qui pourrait, seul, être heureux
LUCIFER. — Des êtres plus grands «jue vous sont esclaves; et de ou bon? Ma solitude me semblerait un péché, si je ne pensais «pie
plus grands qu'eux et vous le seraient également, s'ils ne préféraient je vais bientôt revoir mon époux, mon frère, et nos enfants et nos
l'indépendance, au milieu des tortures, aux lâches faiblesses de l'a- parents,
dulation qui s'exhale en hymnes, en accords de harpes et en LUCIFER, —CependantIon Dieu est seul ; est-il heureuxet bon dans
prières de commande, en face de celui qui est tout puissant, unique- sa solitude ?
ment parce qu'il est tout puissant ; non par amour pour lui, mais ADAH. — Il n'est point seul ; il s'occupe du bonheur des anges et
dansdes vues d'égoïsme el de crainlc. des mortels, et, en répandant la joie , il est heureux lui-même. Eu
ADAH. — La toute-puissance ne peul être «pie la suprême boulé. quoi peut consister le bonheur, si ce n'esl à faire des heureux?
Lui:iFEu.— En fui-il ainsi dansEdcn? LUCIFER. — Interroge ton père, récernmentcxiléd'Eden ; interroge
ADAH. — Esprit mauvais ! ne me lento pas avec ta beauté, lu es fils premier-ué; interroge ton propre coeur : il n'esl pas
plus beau «lue n'était le serpent el tu parais aussi trompeur que son tranquille.
lui
ADAH. — Hélas! non! Et loi es-tu du nombre des habitants
LUCIFER. — Je suis égalementsincère. Demandez à Eve, votre du ciel?
mère : nc possèdc-lclle pas la science du bien et du mal ? LUCIFER. •—. Si je n'en suis pas, demand'es-cn la raison à cctle
ADAH. — O ma mère 1 lu as cueilli un fruit plus latal à la posté-
rité qu'à loi-môme; toi, du moins, lu as passé ta jeunesse au sein du universelle source de bonheur que lu proclames , à cc Créateur si
paradis, dans un commerce innocent et fortuné avec les Esprits bien- grand et si bon de la vie el des êtres vivants ; c'esl son secret, il le
heureux ; mais nous, les enfants, qui n'avons point connu Edcn garde pour lui. Nous sommes tenus de souffrir ; quelques-uns résis-
, lent, et résistent vainement, disent les séraphins, mais la chose vaut
nous sommes entourés de mauvais Esprits qui savent imiter la pa- la peine d'être tentée, puisqu'on n'en est pas mieux pour ne pas
role de Dieu, et se servent, pour nous tenter, de nos pensées cha-
grines ou curieuses... Ainsi tu fus tentée par le serpent, dans l'in- l'essayerdans : il y a dans l'esprit une sagesse qui le dirige vers le vrai,
nocente imprudence et le confiant abandon du bonheur. Je ne puis comme le bleu firmament, vos yeux, a vous, jeunes mortels ,
répondre à l'être immortel qui est là devant moi ; je ne puis le se portent naturellement vers l'étoile qui sourit au lever de l'aurore.
haïr ; je le regarde avec un plaisir mêlé d'effroi, et je ne lo fuis pas. ADAH. — C'esl une belle étoile; je l'aime pour sa beauté.-
Il y a dans son regard une attraction puissante qui fixe mes yeux sui- LUCIFER. — El pourquoi ne pas l'adorer ?
tes siens; mon coeur palpite avec force; il m'effraie et me séduittout ADAH. — Notre père n'adore que l'Invisible.
ensemble, cl je me sens attirée de plus en plus vers lui ! Gain ! LUCIFER. —Mais les symboles de l'Invisible sont ce qu'il y a de
Caïn ! sauve-moide son empire. plus beau parmi les choses visibles; et cette brillante étoile est le
CAÏN. — Que craint mon Adah ! Ce n'esl point un mauvais Esprit. chef de l'armée du firmament.
ADAH. Ce n'est point Dieu ni un des anges de Dieu. J'ai vu les; ADAM.
— Notre père dit qu'il a vu Dieu luwiiême, son
créateur

chérubins et les séraphins; il ne leur ressemble pas. et celui de notre mère.
GAIN.—Mais ily a des Esprits plus élevésencore... les archanges. LUCIFER.— Toi, l'as-tu vu?
ADAH. —Oui, dans ses ouvrages.
LUCIFER.
— Et même de plus élevés que les archanges. LUCIFER. — Mais dans sa personne ?
ADAH. — Oui, mais ceux-là ne sont pas au nombre des bienheu-
reux. ADAH. — Non si ce n'est dans mon père, qui esl l'image même
LUCIFER. Si le bonheur consiste dans l'esclavage... non. de Dieu ; ou dans ses anges qui sont semblables à toi, el plus bril-

ADAH. —J'ai entendu dire que les séraphins sont ceux qui aimentt lanls, quoiqu'on apparence, moins puissants et moins beaux: ils
lç plus... les chérubins ceux qui savenlle plus... celui-ci doit être uni nous apparaissent dans la silencieuse splendeur «l'un beau jour et
chérubin... puisqu'iln'aime pas. sont toute lumière à nos yeux; mais toi, lu-ressembles à une nuit
LUCIFER.
— El si la science supérieure anéantit l'amour, que3 eiherée , alors que de longs nuages blancs se dessinentsur un fond
doit-il être celui qu'on ne peut plus aimer dès qu'on le connaît? S'ill blcu-sombre; et que d'innombrablesétoiles, soleils qui semblent près
est vrai que les chérubins, qui savent tout, aimentle moins, l'amour r d'éclore,parsèment de leur brillante poussière la voûte mvstériensc
«es séraphins ne peut être que «le l'ignorance. Le châtiment qui a du ciel. Elles sont si belles, si nombreuses, si charmantes! sans
puni l'audace de les parents prouve que ces deux choses ne sontt éblouir, elles nous attirent si doucement a elles que je ne puis les
pas compatibles. Choisis entre l'amour et la science... puisqu'il n'yy voir sans que mes yeux se mouillentde larmes ; .et il en esl ainsi de
'> pas d'autre choix. Ton père a déjà choisi; son adoration n'est uuo e toi. Tu parais malheureux; ne nous rends pas malheureux nous-
(1« la crainte. mêmes, el je pleurerai sur toi.
328 LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTREES.

LUCIFER. Ah 1 ces larmes 1 si lu savais que de flots il en sera


répandu ! —
ADAH. — Par moi?
LUCIFER. — Par lous.
ACTE n.
ADAH. — Qui enfin? SCÈNE PREMIÈRE.
LUCIFER. —Des millions de millions... la terre peuplée... la terre
dépeuplée... l'enfer trop peuplé, dont le germe est dans ton flanc.
ADAH. — O Caïo ! cet Esprit nous maudit. L'abîme de l'espace.
CAÏN.
— Laisse-le dire ; je vais le suivie.
ADAH. — Où? et LUCIFER.
CAIN
LUCIFER. Daus un lieu d'où il reviendra vers toi au bout d'une
heure ; mais—durantcette heure, il verra les choses de bien des jours. CAÏN.—Je marche dans l'air, et ne tombe pas; cependantjecrains
ADAH. — Comment cela se peul-il ? de tomber.
LUCIFER.—voire i^rea- LUCIFER.'— Aie con-
• teur, ayant pour maté- fiance en moi; et l'air,
riaux de vieux mondes, dont je suis le prince, te
n'a-t-il pas fait ce monde soutiendra.
nouveau en quelques CAÏN. Le puis-je sans
jours? Et moi, qui l'ai- impiété ?—
dai dans cette oeuvre, ne LUCIFER.— «Crois...cl
puis-je faire voir en une tu ne tomberas pas! Dou-
heure ce qu'il a fait en un tent lu mourras! » Ainsi
grand nombre d'heures serait conçu le décret de
ou détruit en quelques- l'autre Dieu, qui m'ap-
unes? pelle démon devant les
CAÏN.
— Va: je le suis. anges: nom répété par
ADAH.
— Reviendra-t-
il réellement eux à de misérables êtres
daus une qui, nepercevantrienau-
heure? delà de leurs faibles sens,
LUCIFER. — Oui ; avec adorent le mol qui frappe
nous les actions sonl af- leur oreille, et acceptent
franchies du temps ; nous pour bon ou mauvais ce
pouvons condenser l'é- qui, dans leur avilisse-
ternité dans un moment, ment,leur est don né pour
ou faire «l'un moment une tel. Je n'impose pus de
éternité. Notre existence telles lois. A«lorc ou n'a-
n'est pas mesurée comme dore pas tu n'en verras
celle des hommes; mais ,
pas moins les mondes qui
c'est là un mystère. Caïn ! existent par - delà ton
viens avec moi. monde chelif ; et cc n'est
ADAH. — Ucvicndra- pas moi qui, pour punir
t-il? les doutes, te condamne-
LUCIFER. Oui, fem- rai à souffrir après ta
me! H esl — le premier et courte existence. Un jour
le dernier, à 1 exceptiou viendra où, s'avançait!
d'un seul, qui reviendra sur quelques gouttes
de cc lieu ; seul entre lous d'eau, un homme doit dire
les mortels, il le sera ra- à un homme : «Crois eu
mené, pour que ce inonde moi, et marche sur la
lointain, à présent silen- mer ! » et l'homme mar-
cieux et dans l'attente, chent sur les vagues sans
devienne aussi peuplé «me danger. Je ne le dirai pas
le sera celui-ci. de croire en moi, et ne
ADAH. — Où habilcs- ferai pas de ta croyance
lu? une condition de salut.
LUCIFER. —Dans lout Mais, viens, franchis d'un
l'espace. Où serait donc vol égal au mien le gouf-
ma demeure ? Aux lieux fre de l'espace, et je dé-
où réside ton Dieu ou tes ploierai à les yeux con-
«lieux, là je réside aussi, vaincus l'histoire des
il partage avec moi toute mondes passés, présents
chose : la vie et la mort... et à venir.
le temps... l'éternité. le Aboi, je t'en prie, ne feins pas avec moi. GAIN. — Qui que tu
ciel et la terre, el cet .es- sois, dieu ou démon, est-
pace qui n'est ni le ciel ce notre terre que je vois
ni la terre, mais qu'ha- là-bas?
bitent ceux qui ont peu- LUCIFER. Ne rccon-
plé ou peuplerontl'un et nais-lu pas — la poussière
I autre : voilâmes domaines! En sorte qu une partie de son royaume dont ton père fut formé?
est à moi, el que j'en possède un autre qui n'est poinl à lui. Si je CAÏN. Se peut-il ? Ce petit globe bleuâtre qui flotte si loin dans
n'étais pas ce que j'ai «lit, serais-je ici? Ses anges sont à la portée l'élher, —
accompagné d'un autre globe inférieur, semblable a celui
de ta vue. qui éclaire nos nuils terrestres : est-ce là notre paradis ? Où sont
ADAH. — 11 en'était ainsi quand le beau serpent parla pour la
première fois à ma mère. ses murs et ceux qui les gardent?
LUCIFER. — Caïn ! lu as entendu. Si lu as soif de la science, je LUCIFER. — Montre-moi où est situé le paradis.
puis la satisfaire; je ne te ferai goûter à aucun fruit qui puisse te GAIN. — Comment le pourrais-je? pendant que nous avançons
priver d'un seul des biens que le vainqueur t'a laissés. Suis-moi. rapides comme les rayons du soleil, ce globe va toujours en s'amoin-
GAIN. — Esprit, je l'ai promis. ( Lucifer et Caïn sortent. ) drissant, et à mesure qu'il diminue, il se forme autour de lui une
ADAH /es suit en criant : Caïn ! mon frère ! auréole semblable à celle que je voyais briller autour de la plus
, grande des étoiles quand je les contemplaisprès des limites du pa-
radis : il me semble qu'à mesure que nous nous éloignons d'eux,
ces deux sphères se confondent avec les myriadesd'aslres qui nous
entourent, et vont en augmenter le nombre.
LUCIFER. — Et s'il y avait des mondes plus vastes que le tien
,
habile»- if»ï des êtres plus gramls que toi, plus nombreux que les
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON. 329

grains de poussière de ta lerre chélive, tous vivants, touscondamnés ! pensée donne le vertige à mon âme enivrée d'éternité? O Dieu! ô
à mourir, tous malheureux, que dirais-lu ? ! dieuxI ou qui que vous soyez! qu'ils sonl beaux vos ouvrages, ou
GAIN. — Je serais fier de la pensée qui connaîtrait de telles vos manifestations,de quelque nom enfin qu'on doive les nommer \
choses. Puissé-je mourir comme meurent les atomes (si toutefois ils meu-
LUCIFER. — Mais si cette pensée était attachéeà une servile masse rent) ou vous connaître dans votre puissance et dans voire science I
de matière ; si, connaissant de telles choses, aspirant à une science Mes pensées en ce moment ne sont pas indignes de ce que je vois,
plus étendue encore,- Ion être étail asservi aux plus grossiers, aux bien que je ne sois que poussière; Esprit1 il faut que je meure, ou
plusvils besoins, tous dégoûtants et bas ; si la plus exquise de tes que je les voie de plus près.
jouissances n'était qu'une attrayante dégradation, une impure et LUCIFER.— N'en es-tu pas assez près? retourne-toi el regarde la
énervante déception, ayant pour objet de le solliciter à engendrer terre.
de nouvelles âmes et de nouveaux corps, tous prédestinés à êlre CAÏN. — Où est-elle ? Je ne vois rien, si ce n'est une masse d'in-
aussi fragiles et plus malheureux encore?.., nombrables lumières.
CAÏN. — Esprit! je ne connais la mort que comme un héritage LUCIFER. — Regarde par là.
que mes parents m'ont CAÏN. — Je ne puis la
légué en même temps voir.
que la vie, héritage mal- LuciFEn. — Pourtant
heureux autant que j'ai elle brille encore.
, CAÏN. — Cela? là-
pu en juger jusqu'à pré-
sent. Mais si ce que tu bas?
dis est vrai ( et intérieu- LUCIFER. — Oui.
rement une prophétique CAÏN. — Est-il bien
torture me l'atteste), lais- vrai ? J'ai vu les mouches
se-moi mourir ici ; car phosphoriqueset les vers
donner le jour à des êtres luisantsbriller au crépus-
qui doivent souffrir de cule dans les bosquets
longues années, pour sombres et sur le vert
mourir ensuite, cc n'est gazon, et jeter plus de
que propager la mort et lumière que ce monde
multiplier l'homicide. qui les porte.
LUCIFER.—Tune peux LUCIFER. — Tu as vu
mourir tout entier... Il y briller les insectes et les
a en loi quelque chose qui mondes... qu'en penses-
doit survivre au reste. tu?
CAÏN. — L'autre n'en a CAÏN. — Je pense qu'ils
point parlé à mon père, sont beaux, chacun dans
alors qu'il l'a chassé du sa sphère, et que pendant
Paradis avec la mort écri- la nuit qui les fuit res-
te sur son front. Mais ce plendir quelque chose
qu'il y a de mortel en ,
doit guider la mouche
moi peut périr, si avee le phosphorique dans son
reste je deviens sembla- vol, et l'étoile immortelle
ble aux anges. dans son cours.
LUCIFER. — Je suis an- LUCIFER. — Mais qui
ge ; voudrais-tu être eom- ou quoi peut les guider ?
mc moi ? CAÏN. — Fais-le-moi
CAÏN. — Je ne sais ce voir.
(pi e tu es ; j e vois ton pou- LUCIFER. — Oseras-tu
voir, je vois que tu me regarder?
montres des choses qui CAÏN.—Comment puis-
dépassent toute la puis- je savoir ce que j'oserais
sance de mes facultés regarder? Jusqu'à ce mo-
mortelles, et néanmoins ment tu nc m'as rien,
inférieures à mes désirs. montré sur quoi je n'aie
LUCIFER. — El quels osé fixer mes regards.
sonl les désirsassez hum- LUCIFER.— Suis-moi
bles pour habiter avec donc. Veux-tu voir des
des vers une demeure êtres mortels ou immor-
d'argile ? tels ? Quelles sont les
GAIN. — Et qui es-tu, choses qui t'intéressenl
loi qui, en esprit, nour- le plus?
ris un orgueil si haut, toi CAÏN. — Celles que je
qui embrasses la nature vois.
et l'immortalité... et qui Fuite de Caïn. LUCIFER.—Quellessont
uéaiimoinsporteslesceau celles qui auparavant t'in-
de la douleur? téressaient plus encore?
LUCIFER. — Je semble CAÏN. — Les choses que
ce que je suis; c'est pour- je n'ai pas vues et ne
quoi je te demande si tu verrai jamais... les mys-
veux être immortel. tères de la mort.
CAÏN. — Tu as dit que je serais immortel en dépit de moi-même. LUCIFER. — Si je te montrais des êtres qui sont morts, de même
Je lignoraisjusqu'ici...mais puisque celadoit èlre,je veux, heureux «pie je t'en ai fait voir beaucoup qui ne peuvent mourir?
ou malheureux, anticiper sur mon immortalité. CAIN. — Montre-les-moi.
LUCIFER. — Tu l'as déjà fait avant de me voir.
GAIN. —Comment?
LUCIFER.
— En avant donc, sur nos puissantes ailps.
CAIN. — Oh! comme nous fendons l'azur! Les étoiles pâlissent
LUCIFER. — En souffrant. derrière nous! La terre! où esl ma lerre? que je la regarde une fois
CAÏN. — La souffrance doit-elle donc être immortelle? encore, car c'est d'elle que j'ai élé tiré.
LUCIFER. — Nous el les fils nous le saurons. Mais maintenant re- LUCIFER. — Elle est maintenant hors de ta vue; cc n'est plus
garde! N'est-ce pas un magnifique spectacle? dans l'univers qu'un'pointplus imperceptible encore que loi-même
GAIN.—O champsde l'air, dont la beauté surpasse l'imagination; mais ne crois pas pouvoir lui échapper ; tu retourneras bientôt à là,
cl vous, masses innombrables de lumière, qui vous multipliez sans terre et à sa poussière; c'est la condition de ton éternité et de la
cesse à mes yeux 1 qu'êtes-vous ? que sont ces plaines d azur, qu'est mienne.
ce désert sans bornes où vous flotlez comme j'ai vu flotter les GAIN. —Où me conduis-tu?
lénifies sur les fleuveslimpides d'Eden? Votre carrière vous est-elle LUCIFER.—Vers cc qui était avant toi, vers le fantôme d'un momie,
tracée? ou, abandonnéesaux seules lois de vos caprices, errez-vous dont le tien n'est qu'un débris.
dans un univers aérien d'une expansion sans limite... dont la seule GAIN. — Quoi ! il n'est donc pas nouveau ?
330 LES VEILLEES LITTÉRAIRES ILLUSTREES.

LUCIFER. — Pas plus que la vie; et la vie existait avant loi, avant élait é si grand que je les aurais pris pour les brillants habitants de
moi, avant ce qui nous semble plus grand que loi et moi.Beaucoup jcne
ji sais quel ciel incompréhensible, el non pour des globes desti-
d'êtres n'auront pas de fin, et quelques-uns qui prélcn«lent n'avoir nés n eux-mêmes à être habités, si, en les approchant, je n'eusse
pas eu de commencement ont eu une origine aussi chôtive «pie la distingué d une immensité de matière, faite pour servir de demeure h
tienne; des êtres plus puissants se sont éteints pour faire place à des des
d êtres vivants plutôt que pour recevoir elle-mêmela vie. Mais
,
i( lout est obscur ; tout porte l'empreinte du crépuscule : tout an-
êtres infirmes au-delà de ce que nous pouvons iinoginer; car il n'y ici
a jamais eu et il n'y aura éternellement d'immuables que le temps nonce n un jour qui n'esl plus.
et l'espace. Mais l'argile seule, changer c'est mourir; homme
pour
fait d'argile... tu ne peux comprendre que des êtres qui furent ar- paraître
LUCIFER.
— C'est ici le royaume de la mort... Veux-tu la voir
y, ?
gile, et c'est ce que tu vas voir. CAIN. Jusqu'à ce queje sache ce qu'elle est réellement, je II>:
CAIN. — Argile ou esprit... je puis voir loul ce que tu voudras. puis —
répondre;
j mais si elle est ce que j'ai entendu dire par mon
LUCIFER. — En avant donc ! père
r dans ses lamentations sans fin... O Dieu ! je n'ose y pen-
CAIN. — Mais les lumières s'effacent rapidement loin de moi. s ! Maudit soil celui qui inventa la vie qui mène à la mort ! Mau-
ser
Quelques-uneslout à l'heure grossissaient à notre approche, et res- dite i soit la matière slupidc qui, en possession de la vie, ne put la
semblaient à des mondes. conserver
c et la perdit... même pour les innocents !
LUCIFER. — Cc sont effectivementdes mondes. LUCIFER.
— Maudis-tudonc Ion père?
GAIN. — Contiennent-ilsaussi des Edcns? CAIN. — Ne m'a-t-il pas maudit en me donnant le jour ? ne ni'a-
LUCIFER. — Peut-être: l-il
I pas maudit avant ma naissance, en touchant au fruit défendu?
GAIN. — Et des hommes? LUCIFER. — Tu dis vrai : entre ton père et loi la malédiction est
LUCIFER. — Oui ,°ou des êtres plus relevés. mutuelle... Mais tes enfants et ton frère ?
GAIN. — Et des serpents aussi, sans doule ? ,
CAIN. — Ils la partageront avec moi, moi leur père et leur frère!
LUCIFER.—Voudrais-tudonc qu'il s'y trouvât des hommes et Quelle chose m'a-l-on léguée? je leur laisse mon héritage...
point de serpents? Les reptiles qui se tiennent debout sont-ils les ,O vouslautre régions ténébreuses et sans bornes, ombres flottantes d'é-
,
seuls qui aient droit de vivre? fantômes les uns complètement à découvert, d'autres se
normes
]
CAIN. — Comme les lumières s'éloignent! où allons-nous? dessinant
i dans le, vague, et tous imposants el lugubres... qui èlcs
LUCIFER.— Dans le monde des fantômes, dos ombres de ceux qui vous ? êlcs-vous vivants, où avez-vous vécu ?
nc sont plus, ou qui sont encore à naître. LUCIFER. —Ils apparliennent à l'un et à l'autre des deux états.
CAIN. — Mais l'obscurité s'accroît toujours... les étoiles ont CAIN. —Qu'est-ce donc que la morl?
disparu. LUCIFER.—Quoi! celui qui vous a créés n'a-t-il pas dit que c'é-
LUCIFER.—Et cependant tu y vois. tait une autre vie?
CAIN. —Quelle clarté lugubre! Plus de soleil, plus de lune, CAIN.—Jusqu'àprésent il n'a rien dil, si cc n'esl que tous mour-
plus d'étoiles. L'azur pourpré du soir fail place à un sombre ront.
crépuscule, et cependant je vois de vastes masses ; mais elles ne res- LUCIFER. — Peut-être dévoilera-t-il un jour cc secret.
semblent pas aux mondes dont nous nous sommes approchés; ceux- GAIN. — Heureux ce jour-là!
ci, entourés de lumière, paraissaient pleins de vie, même quand LUCIFER.—Oui, heureux! il sera révélé au milieu d'inexpri-
leur radieuse atmosphère s'étail dissipée, et qu'on voyait se dessi- mables agonies,
accrues encore de douleurs éternelles, infligées ii
ner à leur surface les inégalités de leur sol, leurs profondes vallées, d'innombrables myriades d'atomes innocents qui sont encore à
leurs hautes montagnes; quelques-uns jetaient «les étincelles, naître, et
d'autres laissaient apercevoir d'immenses plaines d'eau; d'autres ne recevront la vie que dans ce seul but.
étaient accompagnés de cercles radieux, de lunes flottantes qui GAIN.— Quels sonl ces puissants fantômes queje vois flotter au-
offraient également l'aspect charmant de la lerre... au lieu de cela tour de moi ? ils n'ont pas la forme des intelligences que j'ai vues
tout ici est terreurs et ténèbres. autour de notre regrette et inabordable Eden ; ils n'ont pas non
plus celle de l'homme, telle que je l'ai vue dans Adam dans Abel,
LUCIFER. — Mais tout y est distinct. Tu-désires voir la mort et dans moi, ou dans ma soeur bien-aimée, ou dans mes, entants; cl
des êtres devenus sa proie ? cependant leur aspect, bien «pie différent de celui il s hommes cl
GAIN. — Je nc la cherche pas ; mais, commeje sais qu'elle existe, des anges, annonce des êtres qui, inférieurs à ceux-ci, sont pour-
comme par le péché mon père s'est placé sous son empire, avec tant supérieurs aux premiers. Beaux et lieis, pleins de force, mais
moi-même el lout notre héritage, je ne serais pas fâché d'entrevoir d'une forme inexplicable, ils n'ont ni les ailes «les séraphins, ni les
maintenant ce que je dois contempler forcément un jour: traits de l'homme, ni la forme des animaux les plus forts, et ne res-
LUCIFER. — Regarde. semblentà rien de co qui a vie maintenant : ils égalent en puis-
GAIN. — Je n'aperçois que ténèbres. sance et en beauté les êtres les plus puissants et les plus beaux qui
LUCIFER. — Ces ténèbres existeront'éternellement; mais nous, respirent; el néanmoins ils en différent tellement que c'est à peine
allons en ouvrir les portes. si je puis voir en eux des êtres vivants.
GAIN. — D'énormes tourbillons de vapeurs s'écartent devant LUCIFER. — Cependant ils ont vécu.
CAIN. — Où?
nous... Que signifie cela?
LUCIFER. — Entrons! LUCIFER. — Où lu vis.
GAIN. — Pourrai-je revenir sur mes pas? GAIN. — Quand?
LUCIFER. — Certainement; sans cela, qui peuplerait l'empire de, LUCIFER. — Ils habitaient ce que tu nommes la terre.
la mort? il est désert auprès de ce qu'il sera, grâce à loi et aux '. GAIN. — Adam esl le premier.
liens. LUCIFER. — Oui, de ta race... mais il est Irop peu de chose pour
CAIN.— Les nuages s'écarlcnl de plus en plus, et nous entourenty appartenir à celle-ci.
de leurs vastes cercles. GAIN. — Et eux, «pic sont-ils?
LUCIFER. — Avance ! LUCIFER. — Ce que tu seras.
GAIN. — El loi? CAIN. — Mais qu'onl-ils été ?
LUCIFER. —Nc crains rien... sans moi, lu n'aurais pu sortir des LUCIFER. — Des êtres vivants, élevés, bons, grands et glorieux,
s'/ aussi supérieurs
limites de ton monde. En avant! en avant! (Ils disparaissent en toul à ce que ton père eût jamais pu être dans
dans les nuages.) Eden, que la soixante-millième génération, dans sa triste et froide
dégénérescence, le sera inférieure à loi et à ton fils. Quant à leur
faiblesseactuelle, juges-en d'après la propre chair.
SCÈNE II. CAIN. — Malheureux que je suis! et ils ont péri ?
LUCIFER. — Sur leur terre, comme tu disparaîtras do la liciine.
Jladès (t). GAIN. — Mais la mienne était-elle la leur?
LUCIFER. — Oui.
LUCiiiiR et c\m entrent'. GAIN. — Sans doute, «:e n'était pas daus son état actuel : elle est
GAIN. — Comme ils sont silencieux et vastes, ces momies de té-
trop chétive pour de telles créatures.
nèbres! 11 me semblequ'il y en a plusieurs; et pourlanL ils ont une" LUCIFER. — A la vérité, elle était plus splendide.
population plus nombreuse que celle des globes immenses et lumi- GAIN. — El pour quelle cause est-elle déchue?
neux que j'ai vus nager dans l'air supérieur; le nombre de ceux-ci:i LUCIFER. —Interroge celui qui fait déchoir.
CAIN. — Mais comment !
(1) Nom grec (|ui désigne l'enfer ou le gouffre de la mort. LUCIFER. — Une destruction inexorable, un effroyable désordre
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON. 331

des éléments fit rentrer un monde dans le chaos d'où il était sorti, j dduit à la science la plus sûre. L'arbre disait donc vrai, bien qu'il
Ces choses, quoique rares dans le temps, sont fréquentes dans l'é- édonnât la mort.
ternilé... Avance, et contemple le passé! CAIN— Ces ténébreux royaumes! je les vois; mais je ne puis
CAIN. — Spectacle terrible! les
1 connaître.
LUCIFER: — Et vrai : vois ees spectres ! Il fut un temps où ils LUCIFER. — Parce que ton heure est encore loin, et que la ma-
étaient aussi matériels que toi. ttière ne peut comprendre entièrement l'esprit ; mais, n'est-ce rien
CAIN — Et deviendrai-je comme eux ? c savoir que de telles régions existent?
de
. CAIN. — Nous connaissions déjà l'existence de la morl.
LUCIFER. — Que ton créateur réponde à celte question. Je te
LUCIFER. — Mais vous ne saviez pas ce qu'il y avait par-delà.
montre ce que sont les prédécesseurs ; ce qu'ils furent, lu le sens CAIN.—Je ne le sais pas davantage.
autant que le comporte la faiblesse de tes sentiments, de ton intel-
ligence immortelle et de ta force terrestre. Ce que vous eûtes de LUCIFER. — Tu sais qu'il existe un état, on plusieurs états , par-
commun, c'est la vie ; ce que vous aurez, c'est la mort. Le reste de delà le lien ; et c'est ce que tu ignorais ce matin.
<
vos chélifs attributs esl digne de reptiles engendrés du limon d'un CAIN. — Mais ici tout ne semble qu'ombre et obseurité.
puissant univers, réduit à n'être plus qu'une planète informe, peu- LUCIFER. — Sois satisfait! Tout cela paraîtra plus clair à ton im-
plée d'êtres dont le bonheur devait consister dans l'aveuglement mortalité.
paradis de l'ignorance dont la science était écartée comme un poi-
CAIN. —r Et cet espace liquide, d'un éclatant azur? cette plaine
son. Mais examine ce que sonl ou ce que furent ces êtres supé- flottante qui s'étend à perle de vue, qui semble être de l'eau, et
rieurs, ou, si cc spectacle l'est pénible, retourne sur les pas, et :
'que je prendrais pour le fleuve du paradis, si celle onde n'était
,
reprends la tâche, la culture de la lerre. Je t'y ramènerai sain et
sauf. sans limites, sans rivage, et d'une couleur élhérée... apprends-moi
'•
.
GAIN. — Non : je préfère rester ici.
ce que c'est.
LUCIFER.— H existe sur la lerre des plaines semblables, bien
LUCIFER. — Combien de temps? qu'inférieures à celle-ci; et les enfants"habiterontsur leurs bords...
GAIN. — Toujours ! Puisqu'il faut qu'un jour de la lerre je vienne C'est le fantôme d'un océan.
ici, j'aime autant y rester; je suis las de la poussière... je- préfère CAIN. — On dirait un autre inonde, un soleil liquide. El ces
vivre au milieu des ombres. créatures extraordinaires qui se jouent à sa surface brillante?
LUCIFER. — Cela ne se peut : lu vois maintenant comme une vi-- LUCIFER. — Ce sont ses habitants, les Léviathans d'autrefois.
sion ce qui est une réalite. Pour devenir propre à habiter ce lieu,
CAIN. — Et cet immense serpent, qui, du fond de l'abîme, lève
lu dois passer par où ont passé les êtres que tu vois devant toi...
par les porles de la mort ! son humide crinière et sa vasle lête, dix fois plus haut que le cèdre
le plus élevé ; il semble capable d'envelopper de ses replis l'un de
GAIN. — Par quelle porte sommes-nous donc entrés ?
ces globes que nous venons de voir... N'appurlicnl-il pas à l'espèce
LUCIFER. — Par la mienne! Mais comme tu dois retourner sur la qui roulait ses anneaux sous l'arbre d'Eden ?
terre, mon esprit soutient ton souffle dans ces régions où nul nc LUCIFER. — Eve, la mère, pourrait mieux que moi dire quelle es-
respire que toi. ltcgardc, mais ne songe pas à demeurer ici avant pèce de serpent l'a tenlée.
que ton .heure soil venue. CAIN.— Celui-ci paraît terrible; l'autre sans doule était plus
CAIN. — Et ceux-ci, ne peuvent-ils plus revenir sur la terre? beau.
LUCIFER. — Leur terre est à jamais perdue... Les convulsions LUCIFER. — Ne l'as-lu jamais vu ?
qu'elle a subies l'ont tellement changée, que c'est à peine s'ils
pourraient reconnaître un seul endroit de sa surface nouvelle cl CAIN. — J'en ai vu beaucoup de la même espèce (on me l'a dit
à peine solidifiée. C'était... oh ! quel monde splendidc !.. du moins), mais jamais celui-là précisément qui offrit à ma mère
le fruil fatal.; je n'en ai même jamais vu qui lui fût loul-à-fail
CAIN. —11 l'est encore. Ce n'est pas à la lerre que j'en veux, bien semblable.
que je sois condamné à la cultiver: ce qui m'irrite, c'est de ne
pouvoir m'approprier sans travail ce qu'elle produit de beau ; c'est LUCIFER. — Ton père nc l'a pas vu ?
«le nc pouvoir rassasier mille pensées avides de savoir, ni calmer CAIN. —Non : ce fut ma mère qui vint tenter son époux, après
mes mille craintes de mort el «le vie. avoir été tentée par le reptile.
LUCIFER. — Ce qu'est ton monde, tu le vois ; mais tu ne peux com- LUCIFER. — Homme naïf! toules les fois que tn femme ou les
prendre l'ombre de ce qu'il élait. femmes de tes fils vous induiront dans quelque-tentationnouvelle,
CAIN. — Et ces créatures énormes, ces fantômes qui paraissent vous reconnaitrezcelui par qui d'abord elles auront été tentées.
inférieurs en intelligenceaux êtres que nous venons de voir passer, CAIN. — Ton précepte vient trop tard : le serpent n'a plus de ten-
ils ressemblent un peu aux hôtes sauvagesdes bois de la terre, aux tation à offrir à la femme.
plus gigantesques d'entre ceux qui mugissent la nuit dans la pro- LUCIFER. — Mais il est encore des tentations où la femme peut
fondeur «les forêts ; mais ils sont dix fois plus terribles et plus induire l'homme et l'homme, la femme... Que tes fils y prennent
grands; leur taille dépasse la hauteur des murs d'Eden ; leurs yeux , est généreux,
garde! Mon conseil car il esl principalement donné à
resplendissent comme les glaives flamboyants qui en défendent l'ap- mes dépens ; il est vrai qu'où no le suivra pas, je no hasarde donc
proche ; leurs défenses se projettent comme des arbres dépouilles pas grand'chose.
de leur écorce et de leurs branches... Qu'étaient-ils? CAIN. — Je ne te comprends pas.
LUCIFER. —Ce qu'est le mammouthsur votre terre ; les dépouilles LUCIFER. — Tu n'en es que plus heureux 1... Le monde cl loi
de ceux-ci gisent par myriadesdans ses entrailles.
vous êtes trop jeunes encore. Tu le crois bien criminel et bien mal-
CAIN. — Et aucun ne vit à sa surface ? heureux, n'est-ce pas?
LUCIFER. — Non ; car si la race avait à leur faire la guerre, la CAIN. — Quant au crime, je ne le connais pas; mais pour la
malédiction lancée contre elle serait inutile : vous seriez trop tôt douleur, j'en ai ressenti beaucoup.
anéantis. LUCIFER.—Premier-né de l'homme! ton état acluel de péché...
GAIN. — Mais pourquoi la guerre ? car le crime est dans ton coeur .. de douleur... car lu souffres; cet
LUCIFER. — Tu as oublié la sentence qui chassa ta race d'Eden : élat, c'est Eden, dans toute sa candeur, comparé à ce que lu seras
la guerre avec tous les êtres, la mort pour tous, et pour le plus peut-être bientôt, et ce redoublement de misère où lu te trouveras
grand nombre, les maladies ; tels ont élé les fruits de l'arbre dé- alors sera lui-môme un paradis, comparé à ce que tes descendants
fendu. doivent un jour endurer et faire... Maintenant, retournons sur la
CAIN. — Mais les animaux en ont-ils aussi mangé, qu'ils doivent. terre.
également mourir? CAIN. — Est-ce seulement pour m'apprendre cela que lu m'as
conduit ici ?
LUCIFER. — Votre Créateur vous a dit qu'ils étaient faits pour
LUCIFER. — N'était-ce pas la science que tu cherchais ?
vous comme vous pour lui..; Voudrais-tu que leur sort fût supérieur CAIN. — Oui, comme étant la route du bonheur.
au vôtre? Si Adam n'était pas tombé, ils seraient tous restés debout. LUCIFER. — Si la vérité conduit au bonheur, lu la possèdes.
CAIN. — Hélas ! malheureux êtres ! ils partagent le sort de mon
père, comme ses fils ; et, comme eux, sans avoir mangé leur part^ CAIN. — Alors, le Dieu de mon père a bien fait deprohiber l'ar-
tic la pomme ; comme eux aussi, sans la possession de la science si[ bre falal.
chèrement achetée! L'arbre mentait; car nous ne savons rien. III LUCIFER. —11 eût mieux fait encore «le ne jamais le planter. Mais
promettait la science au prix de la mort, il est vrai ; mais la science• l'ignorance du mal ne préserve pas de ses atteintes ; le fléau n'en
enfin : or, qu'est-ce que l'homme sait? ;
poursuit pas moins son cours, partie intégrante de toules choses.
LUCIFER. — Peut-être la mort conduit-elleà la suprême science : CAIN. — De toutes choses? Non, je ne puis le croire... car j'ai
cl comme de toutes choses c'est la seule qui soit certaine, elle con- soif du bien.
332 LES VEILLEES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

LUCIFER. — Et quels sonl les êtres et les choses qui nc l'ont pas, leurs
1 plus supportables; celle qui, à mes yeux, est plus que moi,
celle soif? Qui désire le mal pour sa propre amertume?... per- parce
r que je l'aime.
sonne... rien! Le mal esl le levain de toute vie, de toute chose LUCIFER.—Tu l'aimes, parce qu'elle est belle comme élait la
inanimée. ,
pomme aux yeux de ta mère ; quand elle cessera de l'être, ton
CAIN. — Dans tous ces globessplendides etinnombrablesque nous iamour cessera comme tout autre penchant.
avons vus briller de loin avant d'entrer dans une région de ra- CAIN.
— Cesser d'être belle ! comment cela se peut-il ?
dieux fantômes, certes le mal ne peut pénétrer : ils sont trop beaux.
LUCIFER. —Tu les as vus de loin.
LUCIFER.
— Avec le temps. -
CAIN.
— Mais le temps s'est écoulé, et, jusqu'à présent, Adam et
CAIN. — Et qu'importe ? la distance ne peut qu'affaiblir leur splcn- ima mère sont beaux encore, moins qu'Adah et les séraphins, mais
deur... Yus de près, ils doivent être plus beaux encore. ttrès beaux cependant.
LUCIFER — Approchedes choses les plus séduisantes de la lerre, LUCIFER. — Tout cela doit s'effacer en eux et en elle.
cl juge de leur beauté en les examinant de près. CAIN. —Je m'en affligerai ; maisje ne com prends pas en quoi cela
CAIN. —-Je l'ai fait... L'objet le plus charmant que je connaisse pourrait
i diminuer mon amour pour elle. Et, quand sa beauté dis-
est- plus charmant encore vu de près. paraîtra,
I il me semble que celui par qui toute beauté fut créée per-
LUCIFER. — Alors ce doit êlre une illusion. Quel est donc cet ob- dra
<
plus que moi en voyant dépérir un si bel ouvrage.
jet qui, vu de près, est encore plus beau à tes yeux que les plus LUCIFER. —Je te plains d'aimer ce qui doit périr.
beaux objets vus de loin ? CAIN. — Et moi, je le plains de ne rien aimer.
CAIN. — Ma soeur Adah... Toutes les étoiles du ciel, l'azur foncé LUCIFER. —Et ton frère... n'est-il pas aussi près de tor coeur?
de la nuit, éclairé par un globe semblable à un esprit ou au monde
d'un esprit; les teintes du crépuscule, le lever radieux du soleil, CAIN.
— Pourquoi pas?
son coucher indescriptible (car, en le voyant descendre à l'horizon, LUCIFER. — Ton père l'aime beaucoup... Ion Dieu également.
mes yeux se baignent de larmes, et je sciis mon coeur flotter dou- CAIN. — Et moi aussi.
cement avec lui vers l'occident, vers son paradis de nuages) ; la fo- LUCIFER. C'est très bien agir, et avec humilité.
rêt ombreuse, le vert bocage, la voix de l'oiseau, qui môle ses chants —
d'amour à ceux des chérubins,quand le jour dore les murs d'Eden CAIN.—Avec humilité 1
de ses derniers rayons : tout cela est moins beau que le visage d'A- LUCIFER.—Il est le second fils de l'homme, et le favori de la
dah, et, pour la contempler, mes regards se détournent du specta- mère.
cle du ciel et de la terre. CAIN.—Qu'il garde celle faveur : le serpent a élé le premier à •
LUCIFER. — Elle est belle autant que peuvent l'être les rejetons l'obtenir. '
de la mortalité fragile dans la première fleur de sa création, les LUCIFER. —El celle de ton père?
fiuilsdcspremiers embrassemenls des auteurs de la race humaine; CAIN. —Que m'importe? ne dois-je pas aimer celui qui est aimé
mais c'esl toujouis une illusion. de tous ?
CAIN —Tu penses ainsi parce que tu n'es pas son frère. Jéhovah... le Seigneur indulgent... ce généreux
LUCIFER. — Et
LUCIFER. — Mortel ! je n'ai de fraternité qu'avec ceux qui Vont créateur du paradis, donl il vous interdit l'entrée... lui aussi, il
pas d'enfants. sourit avec bienveillance à son Abel.
CAIN. — Alors lu ne pourrais en avoir avec nous. CAIN. — Je nc l'ai jamais vu, et j'ignore s'il sourit.
LUCIFER. — Il est possible que la tienne me soit acquise ; maissi LUCIFER. —Mais lu as vu ses anges?
tu possèdes un objet charmant qui surpasse toute beauté à tes yeux, GAIN. — Rarement.
pourquoi es-lu malheureux?
LUCIFER. —Assez, néanmoins, pour être certain de leur affection
CAIN. — Dis-moi pourquoi j'exislc? pourquoi es-tu malheureux frère; sacrifices favorablement accueillis.
loi-même? pourquoi tous les êtres le sont-ils? Celui-là même qui envers ton ses sont
CAIN. — Qu'ils le soient toujours! Pourquoi me parler de ces
nous a faits doit l'être, comme créateur d'êtres malheureux ! En- choses ?
fanter la destruction ne saurait être l'emploi d'un être heureux , el
pourtant mon père le dit toul puissant ; s il est bon, pourquoi donc LUCIFER. — Parce que tu y as déjà pensé.
i; mal existe-t-il? J'ai posé celte question à mon père, il m'a ré- CAIN. — Et quand cela serait, pourquoi rappeler une pensée
pondu que le mal était une route pour arriver au bien. Singulier qui... (Ils'arrête en proie à une violente agitation.) Esprit! nous
bien qui ne peut résulter que de son contraire ! Je vis, il y a quel- sommes ici dans Ion monde, ne parlons pas du mien. Tu as dévoilé
que temps, un agneau piqué par un reptile ; le pauvre animal gi- à mes regards d'étonnantes merveilles; lu m'as fait voir ces êtres
sait écornant auprès de sa mère, dont la douleur s exhalait en vains1 puissants antérieurs à notre race, qui ont foulé une terre dont la
bêlements ; mon père cueillit quelques herbes, et les appliqua sur nôtre n'est qu'un débris; tu m'as montré des myriades de mondes
la blessure : bientôt le pauvre agneau fut rendu à sa vie insou- lumineux, dont le nôtre esl le compagnon obscur et lointain, dans
ciante, et se leva pour téler sa mère qui debout, tremblante de bon- la carrière illimitéede la vie ; tu m'as fait voir des ombres de col èlre
heur, se mil à lécher ses membres ranimés. « Vois, mon fils, me' au nom redouté, que noire père a mis au monde, la mort; tu m'as
dit Adam, comme le bien naît du mal même. » fait voir beaucoup de choses, mais pas lout encore : montre-moi la
LUCIFER. — Que répondis-tu ? demeure de Jéhovah, son paradis spécial... ou bien le lien ; où csl-il ?
GAIN. — Hien, car il est mon père; mais je pensai qu'il eût beau- LUCIFER. — Ici, et dans tout l'espace.
coup mieux valu pour l'animal n'avoir jamais été piqué que d'a- CAIN. — Mais, comme tous les êtres, tu as un séjour qui t'est assi-
cheter le retour de sa vie chétive au prix d'inexprimables douleurs, gné. Nous avons la terre pour demeure; les autres mondes ont aussi
bien qu'allégées par le suc des plantes salutaires. >
leurs habitants; toutes les créatures douées d'une existence tempo-
LUCIFER. — Tu disais qu'entre tous les êtres que tu aimes, tui raire ont leur élément particulier, el tu m'as dil que des êtres qui
préfères celle qui a partagé avec loi le lait de ta mère, et donné leB ont cessé d'être animés du souffle vital ont pareillement le leur;
sien à les enfants? Jéhovah et toi, vous devez avoir le vôlre... vous n'habitez pas en-
CAIN. — Assurément! que serais-je sans elle ? semble?
LUCIFER. — Et que suis-je, moi ? LUCIFER. — Non : nous régnons ensemble ; mais nos demeures
CAIN. — N'aimes-lu rien ? sont distinctes.
LUCIFER. — Ton Dieu, qu'aime-t-il ? CAIN. — Plût au ciel qu'un seul de vous deux existât! Peut-être
CAIN. — Toutes choses, dil mon père ; mais j'avoue que leur ar- que l'unité de but établiraitla concorde entre des éléments qui main-
rangement ici-bas est loin de le prouver. tenant se combattent... Esprits sages el infinis, comme vous l'êles,
LUCIFER. — Ainsi tu ne peux juger si j'aime ou non ; tu ignores comment avez-vous pu vous séparer? N'èles-vous pas des frères par
si je n'observe pas un plan général et vaste, dans lequel les objets votre essence, votre nature et votre gloire ?
particuliers viennent se fondre comme la neige dans les flols d'unn LUCIFER. — N'cs-tu pas le frère d'Abel?
lac. CAIN. — Nous sommes et nous resterons frères ; mais quand même
CAIN. — La neige 1 qu'est-ce que cela? il en serait autrement, l'esprit est-il comme la chair ? peut-il y avoir
LUCIFER. — Estime-loi heureux de ne pas connaître ce que devraa lutte dans le sein de l'infini et de l'immortalité?est-il possible qu'ils
subir ta postérité lointaine; mais continue à jouir de ton climat
it se divisent, et transforment l'espace en un champ de misère?... et
sans hiver. pourquoi?
CAIN. — Mais n'aimes-tupas quelque objet semblable à loi ? LUCIFER. — Pour régner.
LUCIFER.—T'aimes-tu toi-même? CAIN. — Ne m'as-tu pas dit que vous étiez tous deux éternels?
CAIN. — Oui ; mais j'aime davantagecelle qui me rend mes dou- LUCIFER—Oui 1
,-
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD RYRON. 333

CAIN. — El cel azur immense quej'ai parcouru, n'est-il pas sans


limites?
LUCIFER. — Oui ! ACTE in.
CAIN. —Ne pouvcz-vous donc pas régnar tous deux? n'y a-l-il
pas assez d'espace? Pourquoi êtes-vous divisés? La terre, environs d'Eden, comme au premier acte.
LUCIFER. —Nous régnons tous deux.
CAIN. — Mais l'un de vous deux est l'auteur du mal. Entrent CAIN et ADAII.
LUCIFER,— Lequel?
GAIN.—Toi! car si tu peux faire du bien à l'homme, pourquoi ADAU. — Pas de bruit! marche doucement, Caïn I
ne lui en fais-lu pas? '
CAIN. — Volontiers ; mais pourquoi ?
LUCIFER. — Et pourquoi celui qui vous a faits ne s'cst-il pas à l'ombre
chargé de ce soin ? Je ne vous ai pas faits, moi : vous êtes ses créa* ADAH. —Notre petit Enoch dort sur ce lit de feuillage,
turcs, non les miennes. du
"u cyprès.
Laisse donc là créatures, tu appelles CAIN. — Le cyprès! c'esl un arbre de tristesse qui semble pleurer
CAIN.
— ses comme nous ;
Finon, montre-moi ta demeure, ou la sienne. su les objets qu'il couvre de son ombre; quelle raison te l'a fait
sur
LUCIFI R. —Je pourrais le montrer l'une et l'autre; mais un temps
choisir
en pour abriter notre enfant?
viendra où tu habiteras à jamais l'une d'elles. ADAH. — Parce que ses branches, interceptant le soleil, comme
le ferait la nuit, m'ont semblé propres à voiler le repos.
CAIN. — Et pourquoi pas maintenant?
CAÏN. — Oui, le dernier... et le plus long... n'importe... mène-moi
LUCIFER. —C'esl à peine si ton intelligence d'homme esl capable
de saisir avec calme et clarté le peu que je t'ai fait voir, cl lu pré- vers mon fils. (Ils s'approchent de l'enfant.) Qu'il est charmant !
je pur incarnat de ses petitesjoues rivalise avec les feuilles de rose
le
tendrais l'élever jusqu'au grand et double mystère des deux prin- dont
cipes! lu oserais les contempler face à face sur leurs trônes mysté-
. sa couche est semée.
rieux! Poussière! mels des bornes a ton ambition, car tu ne pour- ADAH. —Et ses lèvres, comme elles sont gracieusement enlr'ou-
rais envisager l'un ou l'autre sans mourir I verles
v,' ! Non, pas de baiser maintenant, attends un peu, il va bientôt

CAIN. — Que je meure, pourvu que je les voie.


s'éveiller...
Si
J_. son sommeil de midi ne tardera pas à finir; mais, jus-
que-là, ce serait dommage de le troubler.
LUCIFER. — Voilà bien le fils de cfell'î qui a cueilli la pomme ! Mais CAIN. Tu as raison; jusqu'à son réveil, je contiendrai mon
tu mourrais seulement, et ne les verrais pas; cette vue est réservée coeur. 11 — sourit et dort... Dors et souris, mon enfant, jeune héritier
pour l'autre état. ^ monde presque aussi jeune que toi; dors et souris! Heureux
d'un
GAIN. — Celui île la mort? à
âge, où les heures et les jours rayonnent d'innocence et de joie !
LUCIFEII. — La mort en est le prélude. Toi,
T tu n'as pas cueilli le fruit fatal... tu ne sais pas que lu es nu !
GAIN.—Je la redoute moins depuis «nie je sais qu'elle mène à '- Doit-il venir un temps où tu seras puni pour des fautes qui ne fu-
quelquechose de défini. rent
r' ni les tiennes, ni les miennes? Mais dors maintenant! Un sou-
rire plus vif colore ses joues; et ses paupières brillantes tremblent
LUCIFER. — Maintenant, je vais te ramener sur la lerre pour y abaissées sur ses longs Cils, aussi noirs que le cyprès qui balance sur
multiplier la race d'Adam ; pour manger, boire , travailler, rire , aj(lui son ombrage; et, sous cc rideau entr'ouvert, rit, jusque dans le
pleurer, dormir, cl mourir. sommeil,
s le transparent azur de ses yeux! Sans doute il rêve de
GAIN. — Et dans quel but m'as-tumontré loules ces choses? quoi?
q du paradis!... Oui, rêve de ton paradis, enfant déshérité! ce
LUCIFER. — Ne demandais-lu pas la science? et dans ce que je n'est
r qu'un rêve, car jamais plus, ni toi, ni tes fils, ni tes pères, nul
l'ai fait voir, nc l'ai-je pas appris à le connaître? I
homme n'entrera dans cc lieu de délices 1
GAIN —Hélas! il me semble queje ne suis rien. ADAH. — Cher Caïn 1 ne murmure pas auprès de ton fils ces dou-
LUCIFER. — Et c'est à quoi doit aboutir toute la science hu-
loureux
' regrets du passé; pleureras-tu donc toujours le paradis?
maine : à connaître le néant de la nature mortelle. Transmets cette n'est-il ' donc point en notre pouvoir de nous en créer un autre ?
scienceà tes enfants ; elle leur épargnera bien des maux. CAÏN. —Où?
CAIN.—Esprit orgueilleux 1 tu parles trop fièrement; mais toi- ADAH. — Ici, partoutoù lu voudras : quand tues là, je nesens pas
même, tout superbe que lu es, tu as un maître. l'absence
1 de cet Eden tant regretté. N'ai-je pas mon époux, notre
LUCIFER. — Non ! par le ciel où il règne, par l'immensité des,
enfant,
' notre père, notre frère, Zillah, notre soeur chérie, et notre
mondes cl de la vie dont je pntlage avec lui l'empire... Non ! j'ai un, Eve, enfin, à qui nous devons tant, outre notre naissance?
vainqueur... il est vrai, mais point de maître. U reçoit les hommagesi CAIN. — Oui... la mort est au nombre des bienfaits que nous lui
de lous... mais aucun de moi ; je le combats encore comme je l'aii «levons.
combattu dans le ciel. Pendant toute l'éternité, dans les gouffress ADAH. — Caïn, cet orgueilleux Esprit qui t'a emmené avec lui t'a
impénétrables de la mort, dans les royaumes illimités de l'espace, rendu plus sombre encore. J'avais espéré que les merveilles qu'il
dans l'infini des siècles, tout, toul lui sera disputé par moi. Mondeiî avait promis de te montrer, ces visions des mondes présents et pas-
après monde, étoile après étoile, univers après univers, oscillerontt ses, auraient donné à ton âme le calme de la curiosité satisfaite;
dans la balance : ce grand débat ne pourrait cesser que par l'anéan- mais je vois que ton guide t'a été fatal : cependant, je le remercie,
tissement de l'un des deux! Et qui peut anéantir notre immorla- et peux tout lui pardonner, puisqu'il t'a si tôt rendu à nous.
ilé ou noire mutuelle et implacable haine? En sa qualité de vain- CAÏN. —Sitôl?
queur, il donnera au vaincu le nom de mal; mais de quel bien lui- ADAH.—Tu as été à peine deux heures absent, deux longues
même esl-il l'auteur? Si .j'étais le vainqueur, ses oeuvres seraientj
réputées les seules mauvaises. Et vous, mortels, si jeunes et à peinee heures pour moi, mais deux heures seulementd'après le soleil.
nés à la vie, quels sont les dons qu'il vous a déjà faits? GAIN. — Et pourtant je me suis approché de ce soleil, j'ai vu des
CAIN. — Des dons peu nombreux, et quelques-unsbien amers.
mondes qu'il a éclairés et qu'il n'éclairera plus, et d'autres sur les-
quels il n'a jamais brillé; il me semblait que mon absence avait
LUCIFER. — Retourne donc avec moi sur la lérre, pour y goûter !l duré des années.
le reste des célestes faveurs qu'il te réserve ainsi qu aux tiens. Le
bien cl le mal sont tels par leur propre essence; ils ne doivent pas [g ADAH. — A peine des heures.
leur qualité à celui qui les dispense; si donc ce qu'il vous donne est si CAIN. — En ce cas, l'Esprit fait le temps ou du moins le mesure à
bon... appelez-le bon lui-même; si c'est le mal qui vous vient de le sa manièrepar ce qu'il sent d'agréableou de pénible, de petit ou de
lui, ne me l'attribuez pa« sans en avoir vérifié la source. Jugez, non m grand. J'ai vu les oeuvres immémoriales d'êtres infinis; j'ai effleuré
sur des paroles, fussent-elles prononcées par des Esprits, mais sur ir des mondes éteints; et, en contemplant l'éternité il me semblait
les résultats tels quels de voire existence. Il est un bon résultat que avoir emprunté quelquechose d'elle; mais, maintenant, , je sens de
ae
vous devez à la fatale pomme : c'est voire raison qu'elle ne se nouveau ma petitesse. L'Esprit avait raison de dire que je n'étais
laisse pas dominer par des menaces tyranniques, qu'elle n'accepte I rien.
île
d'.
pas s croyances démenties les
par sens extérieurs et la conscience
ce ADAH.—Pourquoia-t-il dit cela? Jéhovah ne l'a point dit.
inlimc; sachez penser et souffrir... et çrééz-yous, dans votre âme, *> CAIN. — Non : il se contente de faire de nous le néant que nous
un monde à vous... quand le monde du dehors vous fait faute. C'est
ainsi que vous approcherez de la nature spirituelle, él lutterez victo-r~ sommes, et après avoir laissé entrevoir à la poussière Eden et l'im-
10" mortalité, il la réduit de nouveau à n'être plus que poussière...
rieusement contre une terrestre origine. (Ils disparaissent.) Pourquoi?
.
ADAH. —Tu le sais... à cause «le la faute de nos parents.
CAIN. —Que nous fait eette faute, à nous? Ils ont péché, c'est à
eux de mourir.
;m LES VEILLEES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

ADAH. —Ce que lu viens de dire n'est pas bien ; cette pensée ne ABEL. — Je te salue, Caïn ! mon frère, la paix du Seigneur soil
vient pas de toi, mais de l'Esprit qui l'a emmené. Plût au ciel qu'ils avec toi I
av
vécussent, el que j'eusse à mourir pour eux ! GAIN. — Abel, salut!
CAÏN. — J'en dis autant... Pourvu qu'une victime satisfasse l'être ABEL. — Ma soeur m'a dit que tu as eu un entretien secret avec
insatiable; pourvu que ce petit donneur aux joues vermeilles ne un Esprit, et que tu l'as accompagrié bien au-delà du cercle de nos
connaisseni la mort ni les peines humaines, et n'en transmette pas u) promenades.Etait-ce
p, l'un de ces Esprits que nous avons vus si sou-
l'héritage à ceux qui naîtront de lui. vent,
vi et avec qui nous avons conversé, comme nous le ferions avec
ADAH. — Que savons-nous?peut-être quelque jour une expiation notre
ni père ?
de ce genre rachètera notre race... CAIN.
— Non.
Sacrifier l'innocent le coupable, là
est-ce une expia-
— Pourquoi alors l'cnlrclenir avec lui ? c'est peut-être un
CAIN. — pour ABEL.
tion? Nous sommes innocents, nous; qu'avons-nous faits? Pour- ennemi et du Très-Haut...
quoi serions-nous victimes d'une action commise avant notre nais- CAIN. — Et un ami de l'homme. S'est-il montré notre ami, le
sance ? Et comment faudrail-il des victimes pour expier ce péché Très-Haut...
mystérieux et sans nom... si toutefois c'est un péché si grand que j puisque c'est ainsi que tu l'appelles?
«l'aspirer à connaître? AIIEL— Que je l'appelle !... les discours sonl étranges aujour-
ADAH. — Hélas I tu pèches maintenant, mon bien aimé; tes pa-
d'hui, mon frère. Adah, ma soeur, laisse-nous un moment... nous
rôles résonnent comme quelque chose d'impie à mon oreille. avons un sacrifice à faire.
ADAH.—Adieu,mon bien airaé Caïn ; mais d'abord embrasse ton
CAIN. — Alors, abandonne-moi!
fils.
«• Puissent son esprit innocent cl la piété d'Abcl le rendre le calme
ADAH. — Jamais! quand Ion Dieu t'abandonnerait. (Adah sort avec son enfant.)
c la sérénité.
et ,
CAIN. — Dis-moi, qu'y a-t-il là?
ADAH. — Deux autels élevés par notre frère Abcl, pendant ton ABEL. —' Frère, où as-tu été ?
absence, pour y offrir à Dieu un sacrifice après ton retour. CAIN. — Je n'en sais rien.
CAIN.—Elcomment savait-il que je serais disposé à prendre part ABEL.
— Qu'as-tu vu?
aux offrandes que, d'un front humble et soumis , moins d'adora- CAIN.—Les morts; les mystères éternels, illimités, toul puissants,
tion que de crainte, il présente au Créateur pour capter sa bien- écrasants < de l'espace ; les mondes innombrables qui ont existé et
veillancc? qui
, existent ; un tourbillon d'objets, soleils, lunes, terres, roulant
ADAH. — Assurément, il fait bien. autour
î de moi dans leurs sphères avec une fulguranteharmonie, et
CAÏN. — Un seul autel peut suffire : je n'ai point d'offrande. tous
] si étranges, que je me sens incapable de me livrer à un entre-
ADAH. — Les productionsde la terre, les fleurs nouvelles, les fruits,
tien terrestre : laisse-moi, Abel.
sont des offrandes agréables au Seigneur, quand elles sont pré- ABEL. — Quelle lumière brille dans tes yeuxl quelle teinte colore
sentées par un coeur doux el contrit. 'tes joues!... qu'est-ce donc qui résonne dans, ta voix!... que signifie

CAIN.—J'ai travaillé, j'ai cultivé la terreàlasueurde mon front, cela ? !


CAIN. — Cela signifie... je t'en prie, laisse-moi.
conformément à sa malédiction; cela ne suffit-il pas? Pourquoi se-
rais-je doux? parce que j'ai à faire la guerre aux éléments avant AUEL.
— Je ne te quille pas que nous n'ayons prié et sacrifié en-
qu'ils me livrent le pain que nous mangeons? Pourquoi serais-jc re- semble.
connaissant? parce que je suis poussière, el que je dois ramper dans CAIN. — Abel, je t'en prie, sacrifie seul... Jéhovah t'aime. '
la poussière jusqu'à ee que je redevienne poussière ? Si je nc suis ABEL. — Il nous aime tous deux, j'espère I
rien... dois-je offrir pour ccrien des actions de grâces hypocrites, CAIN.— Mais lu es celui qu'il aime le mieux : cela m'est égal ; tu
et mç montrer satisfait de souffrir? De quoi serais-je contrit? du
péché de mon père, déjà expié parée que nous avons tous subi, et es plus propre à son culte que moi ; révère-le donc... mais seul...
du moins, sans moi.
par cc que notre race doit subir encore dans les siècles prédits ? Ce
jiclil enfant qui dort nc se doute pas qu'il porte ABEL. — Mon frère, je mériterais bien peu le nom de fils d'Adam,
en lui le germe du si je
malheur de générationssans nombre ; mieux vaudrait le saisir dans. ne te révérais comme mon aîné ; si, dans le culte que nous
son sommeil, el le briser contre ces rochers que de le laisser vivre rendons à Dieu, je ne l'appelais à prier avec moi, et à me précéder
pour... dans l'exercice de cc sacerdoce... c'est ton droit.
ADAH.—O mon Dieu! ne touche pas à l'enfant... mon enfant 1... GAIN. — Je ne l'ai jamais réclamé.
Ion cnfiinl! ô Caïn ! ABEL. — C'est ce qui m'afflige : je te prie de le faire aujourd'hui;
CAIN. — Ne crains rien ! Pour lous les astres, pour toute la puis- ton âme semble placée sous l'influence de je ne sais quelle illusion
sance qui les dirige, je ne voudiais pas faire éprouver à cet enfantt terrible : cela le calmera.
un contact plus rude que le baiser d'un père ! CAIN.— Non, rien ne peul plus me calmer ; que dis-je! bien que
ADAH. — Pourquoi donc ta parole est-elle si terrible? j'aie vu le calme dans les éléments, mon âme ne l'a jamais connu.
Mon Abel, quitte-moi, ou permets queje te laisse à ton pieux des-
CAÏN.—Je disais que pour lui mieux vaudrait eesser de vivre que' sein.
de causer tant de douleurs à venir ; mais, puisque cette parole te' —Je ne ferai ni l'un ni l'autre ; nous devons remplir no-
contrarie, je dirai seulement... mieux eût valu qu'il ne fût ja- treABEL. tâche : ne me refuse pas.
mais né.
CAIN- — Tu le veux ; et bien soit! que faut-il faire?
ADAH. — Ah ! ne dis pas cela ! Où seraient alors les joies d'une
mère, le bonheur de le veiller, de le nourrir, del'aimer? Doucement!f ABEL. — Choisis l'un de ces autels.
il s'éveille. Cher Enoch! (Elle s'approche 'dé l'enfant.) O Caïn I! GAIN. — Choisis pour moi : à mes yeux, ils ne sont que du gazon
regaidc-le; vois comme il esl plein de vie, de force, de santé, de3 el des pierres.
beauté et de joie! comme il me ressemble... et à loi aussi, quand1 AIIEL.—'Décide loi-même !
lu es paisible ! car alors nous nous ressemblons lous ; n'est-ce pas, GAIN.—J'ai fait.
Caïn ? Mère, père, enfants, nos traits se réfléchissent les uns dans8' ABEL. — C'esl le plus grand ; il te convient comme à l'aîné.
les autres, comme dans l'onde limpide et paisible. Aime-nous donc, Maintenant prépare Ion offrande.
mon cher Caïn ! et aime-loi, pour l'amour de nous ; car nous t'ai->
mons! Vois, comme il rill comme il étend ses petits bras; commeB 'GAIN. — Où est la tienne?
il ouvre tout grands ses yeux Dleus, et les tient fixés sur tes yeux ABEL. — La voici : les prémices du troupeau, humble offrande
pour faire accueil à son père, pendant que tout son corps s'agiteE(, d'un berger.
comme si la joie lui donnait des ailes ! 'Que parles-tu de douleur ? GAIN. — Je n'ai pas de troupeau ; je cultive la terre, et je ne
Les chérubins, qui n'ont pas d'enfants, pourraient envier les jouis- puis offrir que les dons qu'elle accorde à mes sueurs... ses fruits.
sances d'un père. Bénis-le, Caïn! il n'a point encore de paroless (U cueille des fruits.) Les voici dans tout leur éclat et loute leur
pour-te remercier; mais son coeur te remerciera, et le lien aussi. maturité. (Ils disposent leurs autels, et y allument une flamme.)
CAIN. —Enfant!je te bénis, si la bénédiction d'un mortel a quel-
que puissance, si'elle peut te garantir de la malédiction du serpent!I ABEL. — Mon frère, comme l'aîné, offre le premier les prières cl
ADAH. — Elle l'en garantira. La subtilité d'un replile ne saurait •.
les actions de grâces qtii flqjv.ent accompogner le sacrifice.
prévaloir.contrela bénédiction d'un père. CAIN. — Non... je sp.iSjiiovioe dans ces choses; commence., je
C'ÀlN. -^ J'en douté ; mais je'le bénis cependant. t'imiterai... comme je pourrai.
ADAH. — Noire frère vient. ABEL, s'agenouillant. O Dieu ! toi qui nous as créés, qui as mis
GAIN.—Ton frère Abel? poitrines —
dans nos le souffle de vie, et qui nousas bénis; toi qui, après
(Entre ABEL.) le péché de notre père, au lieu de perdre tons ses enfants, comme
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON. 333

II le pouvais, si la miséricorde, dans laquelle lu le complais, n'a- ABEL, se niellant devant lui. —J'aime Dieu be.xuc up plus que
ail tempéré la justice, daignas nous accorder un pardon qui esl un ma vie.
nu
ériluble paradis, vu l'énormilé de nos offenses... Unique roi de la GAIN. Il saisit un tison sur l'autel, et en frappe Abel à la tempe.
uinièrc, source de lout bien, de loulc gloire, de loulc éternité ; loi, —Porte donc ta vie à Ion Dieu, puisqu'il se complaît dans l'immo-
ans qui tout serait mal, et par l'aide de qui rien ne peut faillir, si lation «le la vie.
\a\
:<-;n'est pour quelque utile dessein de
taboulé toute puissante... être ABEL en tombant. — Qu'as-lu fait, mon frère !
nipénélrabie, mais irrésistible...accepte de ton humble serviteur.,du ,
iremicr berger, la fleur du premier troupeau. Cette offrande en GAIN. — Mon frère !
illc-momc n'est rien... quelle offrande pourrait êlre quelque chose AIIEL. O Dieu I reçois ton serviteur, et pardonne à
— son meur-
i les yeux ? accepte-la néanmoins comme
l'hommage de celui qui, . trier,
Ir car il n'a pas su ce qu'il faisait !... Caïn, donne-moi...donne-
e front prosterné dans la poussière d'où il esl sorti, offre cc sacri- moi
m ta main ! et dis à la pauvre Zillah...
lice à la face du ciel, en ton honneur, el à la gloire de Ion nom, CAIN après un moment de stupéfaction. — Ma main ! elle est
; et... comment? ( Long silence. — // promène lentement
ilans tous les siècles des siècles ! rougie ,
rc
GAIN, debout.—Esprit! qui que tu sois, loul puissant, peut-ôlre! se regards autour de lui. )
ses
bon, je 1 ignore; c'est à tes nclcs de le prouver! Jéhovah sur la terre Où suis-je? seuil Où est Abel? où est Caïn? Se peut-il que ce
cl Dieu dans le ciel! peut-être as-tu d'autres noms encore, car les S( moi! Mon frère, éveille-loi!...Pourquoi restes-tu là, gisant sur
soit
attributs semblent aussi nombreuxque tes oeuvres ; si ta faveur peut \c gazon ? ce n'est pas l'heure du sommeil... Pourquoi es:tu si pâle ?
le
s'obtenir par des prières, accepte les nôtres! Si des autels peuvent qu'ns-lu
q, ? tu étais plein de vie ce matin! Abel ! je l'en conjure, ne
mériter la bienveillance, el un sacrifice te fléchir: deux êtres hu- i( joue pas de moi ! Je l'ai frappé trop ruilement; mais le coup ne
le
mains ont élevé pour loi ces autels. Aimes-tu le sang? H y a du sang sera rien. Ah ! pourquoim'as-tu résiste ? Ceci esl une feinte; lu veux
s<
sur l'autel du pasteur, qui fume à ma droite : il a égorgé en Ion lion- m'effrayer...
n Je n'ai porté qu'un coup... un seul coup... Remue,...
neurles premiers-nés de son troupeau, dont les membres palpitants remue
r( donc!... de grâce, un seul mouvement! Là, comme cela...
exhalent vers le ciel l'encens du carnage. Mais si ces fruits au c'est
c bien !... Tu respires!... que je sente ton souffle! O Dieu ! ô
goût suave, aux couleurs vermeilles, doux produits de la clémence Dieu!
rj
des saisons, étalés à la face du soleil qui les a mûris, sur ce gazon ABEL d'une voix faible. — Qui parle de Dieu ?
que le sang n'a point souillé; si ces fruits peuvent te plaire , intacts ,
dans leurs formes et leur vie, pur échantillon de les ouvrages, nulle- " CAIN.
— Ton meurtrier.
ment desliné à faire descendre ton regard sur les nôtres! si un aulel ABEL. — Alors «nie Dieu lui pardonne 1 Caïn, console la pauvre
sans uclimes, un autel non rougi peul attirer ta faveur, regarde Zillah...
Z elle n'a plus qu'un frère maintenant! (Abel meurt.)
celui-ci! Quant à l'homme qui l'a paré, il esl ce que tu l'as fail, et ne CAIN. — Et moi, je n'en ai plus!... Qui m'a ravi mon frère? Ses
demande rien decc qu'on obtient à genoux; s'il est méchant, frappe- yeux
^ sonl ouverts I il n'est donc pas mort? La mort ressemble au
Ici tu es lout puissant • quelle résistance pourrait-il l'opposer? S'il sommeil,
§ cl le sommeil ferme nos paupières; ses lèvres aussi sont
est bon, frappe-le ou épargne-le, comme il te plaira! puisque tout etilr'ouverles
c : il respire donc; et cependant je nc sens point son
repose sur loi, et que le bien et le mal semblent dépendre de la vo- ihaleine... Son coeur I... son coeur! Ah! voyons s'il bail 11 me semble...
lonté... Celle volonté elle-même esl-ellc bonne ou mauvaise? je j
Non !... non ! il faut que ce soit une illusion, ou queje sois devenu
l'ignore, n étant ni toul puissant ni capable déjuger la toutc-puis- jl'habitant d'un autre monde, pire que celui-ci. La terre tourne au-
sauce, mais condamné seulementà subir ses décrets comme je les tour
t de moi,... Qu'est-ce?... son front est humide. (// porte la
ai subis jusqu'ici. {Le feu allumé sur l'autel d'Abel forme une main
, au front à1Abel, puis la regarde.)
colonne de flamme brillante qui monte vers le ciel, pendant qu'un
tourbillon renverse l'autel de Cain et disperse les fruits sur la Et pourtant il n'y a pas île rosée ! c'est du sang... mon sang... le
[sang de mon frère et le mien, cl répandu par moi! Que me sert
terre.) de
ABEL, s'agenouillant.—Omonfrère! àgenoux! Jéhovah est irrité vivre, maintenant que j'ai arraché la vie à ma propre chair ? Mais
j nc se peut pas qu'il soit mort ! Est-ce la mort que le silence? non ;
il
contre toi! il
: reprendra ses sens : veillons auprès de lui. La vie ne saurait
GAIN. — Pourquoi?
ABEL. — Vois tes fruits jetés par terre et dispersés.
èlre
( une chose qu'on puisse détruire si promptoment!... Depuis le
coup il m'a parlé; que lui dirai-je?... mon frère?... Non; il ne ré-
GAIN.—Us viennent de lu terre, qu'ils y retournent! leurs semences, pondra pas à ce nom, car des frères ne se frappent pa3... N'im-
avant que vienne l'été, produiront de verts rejetons. Ton sacrificede porlc,... n'importe... parle-moi! oh! une seule parole de ta douce
chair brûlée reçoit un meilleur accueil ; vois comme le ciel aspire a voix, afin queje puisse supporter encore le son de la mienne.
lui la flamme quand elle est parfumée «le sang. ( ZII.LAH entre. )
AIIEL.— Nc pense pas à la manière dont mon offrande est agréée;
mais prépares-cn une autre avant qu'il soit trop lard. ZILLAH.— J'ai entendu un bruit étrange; qu'est-ce donc?... Eh
GAIN. — Je n'élèverai plus d'autels, el ne souffrirai pas qu'il en ' quoi I Caïn qui veille auprès de mon époux! Que fais-tu là, mon
soil élevé. frère? dort-il? O ciel! (pic signifient cette pâleur el ce sang?...
ABEI., se levant. — Caïn ! que prétends-tu ?
Non, non, ce n'esl pas du sang; qui aurait pu le verser? Abel!
qu'y a-t-il donc?... qui a fait cela?... Il ne remue pas; il ne respire
GAIN. — Jeter bas ce vil appareil qui llatle les nuages, qui portoj plus, et ses mains, que je soulève, retombent inanimées ! Ah I cruel
au ciel parmi des flots de fumée tes stupides prières... cet autel Caïn! comment n'es-tu pas venu à temps pour le défendre? n'im-
teint du sang des agneaux et des chevreaux arrachés au lait maternel porte qui l'ait attaqué lu étais le plus fort, tu devais le jeter entre
pour mourir égorgés ! lui el l'assaillant! Mon, pôrel... Eve!... Adahl... venez! la mort est
AIIEL se plaçant devant lui. — Tu n'en feras rien ! N'ajoutei dans le inonde! (Zillah sort en appelant.)
,
l'impiété des à l'impiété des paroles Cet autel restera
pas actes ! t
dcboul... Il est maintenant consacré par l'immortelle faveur de Jé- CAIN, seul. — Et qui l'a fait venir, cette mort?... Moi! moi, qui
hovah qui a daigné accepter mon offrande. l'abhorrais à tel point, que celte idée empoisonnaitma vie avant
,
GAIN. — Sa faveur ! à lui ! Le sublime plaisir qu'il prend à respirer r que je connusse son aspect... je l'ai amenée ici ,'et j'ai livré-mon
la vapeur des chairs sanglantes peut-il êlre mis en balance avec lai frère à son froid et silencieuxcmbrasscuienl, comme si elle avait
douleur de ces mères qui, par leurs bêlements, appellent encoree besoin démon aide pour revendiquer son inexorable privilège!
leurs nourrissons, ou bien compense-t-il les angoisses des inno- Enfin, je suis réveillé... un rêve funeste m'avait rendu insensé...
centes victimes elles-mêmes sous le pieux couteau?Arrière I Ce mo- mais lui, il ne se réveillera plus! (Arrivent ADAM, EVE,' Ami\et
iiumenl de cruauté ne restera pas debout à la face du soleil, pourr ZILLAH.)
faire honte à la création !
ABEL. — Arrête, mon frère! Tu ne porteras pas une main vio-
ADAM.— Les cris «louloureuxde Zillah m'ont appelé ici Que
lente sur mon autel: si lu veux tenter un autre sacrifice, libre àk vois-jc?... Il n'esl que trop vrai!... mon fils!... mon fils! (A Eve.)
loi. Femme, contemple l'ouvragé du serpent et le lien!
,
, CAIN.—Un autre sacrifice 1 Relire-loi, ou la victime pourrait il EVE.— Oh! ne parle point de cela maintenant; le dard du ser-
bien... pent est dans mon coeur! Mon bien-aimé Abel! Jéhovah! m'ehlcver
ABEL. — Où veux-tu en venir ? mon fils! oh! ce châtiment dépasse le crime!
i GAIN. —Eloigne... éloigne-loi!... Ton Dieu aime le sang!... ADAM.— Qui a commis cet acte affreux?... Parle, Caïn, puisque
prends-y garde !... Eloigne-toi, si tu ne veux qu'il lui en soil offert •t lu étais présent. Est-ce quelque ange ennemi qui ne communique
plus encore. pas avec Jéhovah, ou bien un animal sauvage sorti des forêts?
ABEL. — En son nom tout puissant, je m'interpose entre loi el si EVE.— Ah! un horrible trait de lumière m'apparaît comme la
l'autel «pie sa faveur a honoré. foudre ! Ce tison énorme arraché de l'autel, noirci par la fumée et
GAIN. — Si lu as souci cle la vie, fais-moi place, queje disperse ÎC rouge de...
f: ce gazon sur son sol natal... sinon... ADAM.— Parle, mon fils! parle, assure-nous qu'à notre immense
336 LES VEILLEES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

infortune nous ne devons pas joindre un malheur plus grand en- CAIN.— Plûl au ciel! mais ceux qui me tueront, où sont-ils, sur
core, la terre encore inhabitée?
ADAH.— Parle, Caïn! el dis que ce n'est pas loi! L'ANGE.— Tu as tué ton frère : qui le répond que ton fils ne le
EVE.— C'est lui, je le vois maintenant... il baisse sa tète coupa- donnera pas la mort?
di
ble, el couvre ses yeux féroces de ses mains ensanglantées!
.
ADAH.— Ange de lumière! sois miséricordieux;ne dis pas que
ADAH.— Ma mère, tu l'accuses à tort... Caïn, justifie-toi de celle c< sein douloureux peut i ourrir le meurtrier...
ce
horrible accusation, que la douleur arrache à notre mère. L'ANGE.— Il ne ferait qu'imiter son père; le lait d'Eve n'a-t il
EVE.— Entends-moi. Jéhovah1 que l'éternelle malédiction du pt nourri celui que maintenant lu vois baigné dans les flots de son
pas
serpent soil sur lui 1 II était fait pour la race du reptile plutôt que sang? Le fratricide peul bien engendrer le parricide.. Mais il n'en
s;
pour la nôtre ; que le désespoir remplisse tous ses jours ! que... sera
si pas ainsi... le Seigneur, ton Dieu et le mien, me commande
ADAH.— Arrête ! ne le maudis pas, ma mère : il est ton fils... ne dd'imprimer son sceau sur Gain, afin que nul n'attente à ses jours;
le maudis pas, ma mère : il est mon frère el mon époux ! quiconque
q tuera Caïn attirera sur sa têle une vengeance sept fois
EVE.— Par lui tu n'as plus de frère... Zillah n'a plus d'époux... plus
P terrible. ApprocheI
moi, je n'ai plus de fils!... Pour cela, je le maudis et le bannis GAIN. — Que veux-tu de moi ?
à jamais de ma présence; je brise tous les liens qui nous unis- L'ANGE.— Mettre sur ton front une marque qui le préserve d'être
saient, comme il a brisé ceux de la nature en...O mort! mort! vvictime d'un forfait pareil au tien.
pourquoi ne m'as-tu prise, moi qui t'ai méritée la première? pour- CAIN. — Non, je préfère mourir.
quoi ne me prends-lu pas maintenant? L'ANGE.— Cela ne doit pas èlre. (L'ange met la marque sur le
ADAM.— Eve, que celte douleur naturelle ne t'entraîne pas jus- /front de Cain.)
qu'à l'impiété 1 Un châtiment redoutable nous a été depuis long- CAIN. — Mon fronl brûle, mais moins encore que mon cerveau. {
temps prédit : maintenant qu'il commence, supportons-lehumble- Est-ce
I tout? je suis prêt. j:
ment et que notre Dieu nous trouve soumis à sa volonté sainte. L'ANGE.— Depuis ta naissance, lu as été dur et rebelle, comme
EVE montrant Caïn.—Sa volonté!... dis plutôt la volonté de cet le
1 sol que lu dois désormais cultiver; mais celui que lu
as tué élail
, paisible doux qu'il gardait.
esprit de mort incarné, que j'ai mis au monde pour semer la terre I et comme les troupeaux
de cadavres1... Que loules les malédictions de la vie descendentsur CAIN.— Je suis né trop loi après la chute de nos parenls; le
sa lête ! que ses tortures le chassentdans le désert, comme nous fô- souvenir
! du serpent n'avait point quitté ma mère, et Adam pleurait
meschassés d'Eden,jusqu'à cequ'il soit traité par ses enfants comme encore la perle d'Eden. Je suis ce que je suis; je n'avais point de-
<
il a traité son frère! Puissent les glaives et les ailes des chérubins mandé
' à naître, et je ne me suis pas fait moi-même; mais si je
irrités le poursuivre nuit et jour... des serpents naître sous ses pouvais,
1 au prix de ma mort, rappeler Abel à la vie... Et pourquoi
pas... les fruits de la terre se transformer en cendres dans s'a boïi- non?
: qu'il revienne à la lumière, et que moi je sois étendu là,
chc... le feuillage où il appuiera sa tèlc pour - dormir fourmiller dé sanglant!
! Ainsi, Dieu rendra la vie à celui qu'il aime el m'ôtera le \
scorpions ! Puisse-l-il rêver de sa victime et, à son réveil, trembler fardeau d'une cxislence que je n'ai jamais aimée. [
continuellement devant la mort! Que l'onde limpide se change en L'ANGE.— Qui effacera le meurtre? Ce qui est fait est fail; val \.
sang dès qu'il approchera du bord sa lèvre impure et cruelle! que accomplis la tâche de tes jours, et que tes actes nc ressemblent pas
tous les éléments le repoussent, et que pour lui leurs lois s'inier- à celui-ci! (L'ange disparait.)
verlissenl! Qu'il vivedans les souffrances auxquelles succombent les ADAH.— Il est parti; éloignons-nous: j'entends pleurer notre
autres, et que la mort soit plus qu'une mort pour celui qui, le pre- petil Enoch.
mier, la fit connaître à l'hommeI Hors d'ici, fratricideI Désormais,
cc mot voudra dire Caïn dans toute la suite des générations humai-
CAIN.— Ah! il nc sail guère pourquoi il pleure! el moi,qui ai
versé du sang, je ne puis verser îles larmes! Mais tous les Ilots des
nes, qui te détesteront, quoique leur père! Puisse l'herbe se flétrir quatre fleuves d'Eden nc pourraient laver la souillure de mon unie.
sous tes pas! puissent les bois te refuser leur, ombrage, la terre un Crois-tu que mon enfant veuille encore me regarder?
asile, la poudre un tombeau,le soleil sa lumière,el le ciel son Dieu! ADAH. — Si je pensais qu'il ne le voulût pas, je cesserais tic l'ai-
(Eve s'éloigne.) mer...
ADAM.— Caïn! retire-toi; nous n'habiterons plus ensemble. Pars)I GAIN, l'interrompant.—Non,plus de menaces: il n'y en a eu que
et laisse-moi le soin du mort... Désormais! je suis seul... nous nej trop. Va trouver nos enfants; je lé suis.
devons plus nous revoir ! ADAH.— Je ne veux pas le laisser seul avec le mort; éloignons-
ADAH.— Oh! ne l'abandonne point ainsi, mon père; n'ajoute! nous ensemble.
pas sur sa tête ta malédiction à celle de sa mère ! CAIN.—: O témoin inanimé et éternel, dont le sang, que rien nc
ADAM.— Je ne le maudis pas : que sa malédiction soit en lui- peut faire disparaître, obscurcit la terre et le ciel ! ce que lues
même! Viens, Zillah! maintenant, je l'ignore; mais si tu vois cc que je suis, sans doule
ZILLAH.— Je dois veiller auprès du corps de mon époux. lu pardonnes à celui qui n'aura jamais le pardon de son Dieu ni le
ADAM.— Nous reviendrons quand il sera parti, celui qui nous a pardon de son âmel... Adieu! je ne dois pas, je n'ose pas toucher
préparé ce funeste office : viens, Zillah t mon ouvrage. Moi qui suis sorti des mêmesflancs que loi, qui ai bu
ZILLAH.— Un baiser encore à cette pâle argile, à ces lèvres na- le même lait; qui, tant de fois dans mon enfance, t'ai pressé len-
guère pleines de vie... O mon coeur! mon pauvre coeur! (AdamIJ drcmcnl sur mon sein fraternel : je ne le verrai plus, cl je nc puis
et Zillah s'éloignent en pleurant.) même faire pour toi ce que tu aurais dû faire pour moi... déposer ta
ADAH.— Caïn I tu as entendu : il nous faut partir. Je suis prêle ; dépouille dans son tombeau...le premier destiné à la race mortelle!
nos enfants le seront bientôt. Je porterai Enoch , cl loi sa soeur..) Mais qui l'aura fail creuser, ce tombeau? O terre ! en retour de tous
Partons avant que le soleil descende vers l'horizon, pour ne pas!g les fruits que tu m'as donnés, prends celui-ci... Maintenant, au dé-
traverser le désert sous l'ombre de la nuit... Parle-moi donc, à moi,j sert!
à Ion Ailab!... ADAH, se baissant et imprimant un baiser sur le front d'Abel.—
CAIN.— Laisse-moi I Un sort funeste cl prématuré, ô mon frère, a terminé les jours! De,
ADAH.— Hélas! tous t'ont laissé! tous ceux qui le regrettent, je suis la seule qui ne doive pas pieu-
CAIN.— Et pourquoi restes-tu? ne crains-tu pas d'habiter avec se rer : ma tâche est d'essuyer des larmes, el non d'en verser. Pourtant,
celui qui a fail pareille chose? de lous ceux qui gémissent, nul ne gémit plus douloureusement, et
ADAH. — Je ne crains que de te quitter, quelle que soit mon aver- non-seulementsur toi, mais sur ton meurtrier. Maintenant, Caïn,
sion pour l'acte qui t'a privé d'un frère. Je ne dois pas en parler.
P#
me voilà prêleà porter la moitié de ton fardeau.
Que cet acte reste entre toi el le Dieu tout puissant. CAÏN.— Nous dirigerons notre marche à l'orientd'Edcn ; c'est
UNE voix. — Caïn 1 Caïn ! le côté le plus aride et celui qui me convient le mieux.
ADAH. — Enlends lu celte voix? ADAH.— Conduis-moi! tu seras mon guide; puisse notre Dieu
LA voix. — Caïn ! Caïn ! êlre le tien ! Allons chercher nos enfants.
ADAH. — C'est la voix d'un ange. (L'ANGE du Seigneur entre.) GAIN.— Oh ! celui qui est là gisant n'avait pas d'enfants ! j'ai tari
, \
la source d'une race pacifique, qui aurait embelli son hymen encore
L'ANGE. — Où est ton frère Abel ?
CAIN. — Suis-je le gardien de mon frère ? nouveau, et eût tempéré la farouche ardeur de mon sang par l'u-
nion de mes enfants avec ceux d'Abel. O Abel!
L'ANGE.— Caïn! qu'as-tu fail? La voix du sang de ton frère crie ie ADAH.— La paix soit avec lui!
et monte jusqu'au Seigneur!. . Maintenant, lu es maudit sur la CAÏN.— Mais avec moi!... (Ils s'éloignent.)
terre, qui a bu le sang fraternel versé par ta main coupable ; désor-
r-
mais le sol que lu cultiveras ne cédera plus à tes efforts; désor-r-
mais,, tu vivras en fugitif, et tu promèneras sur la terre une exis-
S- FIN DE CAIN.
tence vagabonde !
ADAH.— Ce châtiment est au-dessus de ses forces. Vois: lu le re-
pousses de la face de la lerre, et la face de Dieu lui sera cachée !
S'il erre en fugitif, le premier qui le rencontrera le tuera.
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON. 337
.

sionnable, et je me ressens encore de ma dernière maladie, dans


laquelle, en veillant à mon chevet, tu as plus souffert que moi.
WERNER JOSÉPHINE. — Te voir rétabli, c'est beaucoup; te voir heureux...
WERNER.—As-tuvu quelqu'un qui le fût ? Laisse-moi être malheu-
reux avec le commun des hommes.
JOSÉPHINE. — Pense à tous ceux qui, dans celle nuit d'orage,
ou frissonnent sous la bise aiguë et la pluie battante, en se courbant
vers la terre, qui ne leur offre d'abri que dans son sein.
WERNER. — Et ce n'est pas là le pire. Qu'importe une chambre
commode? c'esl le repos qui est tout. Les malheureuxdont lu par-
TRAGÉDIE. les, obi, le vent hurle autour d'eux, et la pluie ruisselante les pé-
nètre jusqu'à la moelle. J'ai été soldat, chasseur, voyageur; au-
jourd'hui je suis indigent, et dois connaître par expérience les
privations, dont tu parles.
PERSONNAGES JOSÉPHINE. — N'es-tu pas à l'abri de ces privations?
WERNER.—Oui ; mais de celles-làseulement.
Hommes: —WERNER OU SIBGENDORF.— ULRICH.—STRALENHEIM.— JOSÉHINE. — C'est déjà quelque chose.
IDF-NSTEIN. GABOR. WERNER. — bans Uou-

FniTZ.—IlENDRICn. lij, pour un paysan.
— JOSÉPHINE. L'hom-
— ERIC. — ARNHEIM. —
me qui s'enorgueillitd'u-
— MEISTER. — RODOL- ne noble naissance ,
PHE. — LUDWIG. — Le quand le vent de la for-
prieur ALBERT.
tune l'a poussé sur les
Femmes : — JOSÉPHINE. écueils de la vie, doit-il
— IDA DE STRALEN- méconnaître le bienfait
HEIM. d'un asile que ses habitu-
des de délicatesse lui ren-
Les trois premiers actes dent plus nécessaire en-
se passent sur la frontière core qu'au paysan?
de ta Silêsie. et les deux WERNER. — Ce n'esl
derniers au château dc.Sic-
gciidnrl'. près de Prague. pas cela, tu le sais ; loul
de la cela, nous l'avons sup-
— Kpoquc : La fin (1648). porté, je ne dirai pas avec
guene de trente ans
patience, car seule tu as
été patiente... mais enfin
nous l'avons supporté.
A«;TK lHtEMIER. JOSÉPHINE.—Ehbien !
WERNER. — Quelque
La salle d'honneur d'un chose de plus que nos
château délabré dans le souffrances extérieures
voisinaged'une petitevil- (quoique bien suffisantes
le sur lu frontière nord
de, la Silésic. Une nuit pour déchirer nos âmes)
vient souvent me tortu-
orageuse.
rer, et maintenant plus
JOSÉPHINE.—MonMen- que jamais. Sans celte
ai mû, calme-loi! maladie malencontreuse
W'EiiNEn. — Je suis qui m'a saisi sur cette
calme. frontière inculte, qui a
épuisé tout à la fois mes
JOSÉPHINE.— Envers forces cl mes ressources,
rnoi, oui ; mais non en
toi-même : ta démarche et qui nous laisse... non,
esl précipitée;un homme c'est plus que je n'en
dont le coeur serait tran- puis supporter !... sans
quille ne parcourrait cette circonstance, j'au-
point d'un pas si rapide rais été heureux, ainsi
une chambre étroite com- que toi... J'aurais soute-
me celle-ci. Si c'était un nu la splendeur de mou
jardin, je te croiraisheu- rang... l'honneurde mon
reux. nom... du nom de mon
WERNER. — L'air est père... et surtout...
froid ; la tapisserie laisse JOSÉPHINE, l'interrom-
pénétrer le vent qui l'a- pant.—Mon fils... notre
gite. Mon sang est glacé. fils... notre Ulrich, de-
JOSÉPHINE. — Loin de Gabor. puis longtemps absent,
là. eûtété de nouveau pressé
WERNER, souriant. — dans mes bras, et sa pré-
Voudrais-tudonc qu'il le sence eût rassasié de joie
fût? - le coeur de sa mère. Voilà
JOSÉPHINE. — Je vou- douze ans! il n'en avait
drais lui voir son cours alors que huit... Il était
naturel. beau, il doit l'être encore,
WERNER. — Qu'il circule jusqu'à ce qu'il soit répandu ou arrêté mon Ulrich, mon fils adoré!
dans son cours... peu importe quand. WERNER — J'ai élé souvent poursuivi par la fortune; elle vient
JOSÉPHINE. —Ne suis-je donc plus rien dans ton coeur? de m'alteindre dans un lieu où je ne puis plus résister, où je suis
WARNER. — Tu es tout. malade, pauvre et seul.
JOSÉPHINE. — Gomment peux-tu donc désirer ce qui doit briser JOSÉPHINE —Seul! cher époux 1
le mien ? WERNER. — Ou pire encore... enveloppant loutcc que j'aime
WARNER, s'approclianl d'elle lentement. — Sans toi, j'aurais dans une infortune plus cruelle qu'un isolement complet. Seul,
élé... n'importe quoi... unmélangede beaucoupde bien et de beau-. j'eusse trouvé la fin de toutes choses dans un tombeau sans nom.
Coup de mal. Ce que je suis, tu le sais ; ce que. j'aurais pu ou dû JOSÉPHINE.
— Et je ne t'aurais pas survécu; mais, je t'en con-
èlre, tu ne le sais pas; mais je ne t'en aime pas moins, et rien ne jure, rassure-loi! Nous avons lutté longtemps, et ceux qui combat-
nous séparera. (Il s'éloigne brusquement, puis se rapproche de tent la fortune finissent par triompher d'elle ou par la fatiguer; ils
Joséphine.) . arrivent au but, ou bien ils cessent de ressentir leurs maux Con-
L'orage de la nuit influe peut-être sur moi : je suis trop impres- sole-toi... nous retrouverons noire enfant.
l'Alus. — lui|ir. I.Ac.iini v.r C , rnr S.ntl'llol, 11:
338 LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

lo crois-moi, quand, âgé de vingt-deux ans, je vis mon père


!
WERNER. — Nous étions à la veille de le retrouver, et de nous toi!
voir indemnisés de toulps nos souffrances passées-.... cruelle dé- m'inlcrdire
m sa maison , à moi. le dernier rejeton de tant d'aïeux
douloureux
ceplion ! (e j'étais alors le dernier), j'éprouvai un choc moins
(car i
qu'à voir, malgré leur innocence, mon enfant el la mère de I
JOSÉPHINE- —- Nous nc sommes pas déçus. qi mon
WERNER. — Ne nous trouvons-nouspas sans argent? enfant
et enveloppés dans la proscription que mes fautes ont méritée.
JOSÉPHINE. —Nous n'avons jamais été riches. El cependant, à la première époque, mes passions étaient toutes
El,
WERNER. — J'étais né pour la richesse, le rang, le pouvoir; je des serpents vivants, enlacés autour de moi comme ceux de la Gor-

les ai goûtés; je m'y suis complu; hélas! j'en ai abusé el les ai gone.
g( (On entend frapper rudement à la porte.) f
perdus par le courroux de mon père après une jeunesse extrava- JOSÉPHINE. — Ecoute! I
gante. Mais toutes mes fautes ont été expiées par de longues souf- WERNER. — On frappe I
frances! La mort de mon père m'ouvrait de nouveau une voie libre, JOSÉPHINE. — Qui peut venir à celle heure ? nous atlendons peu
semée toutefois de périls : cc parent maudit, cet êlre froid et ram- de visites.
di
panl, qui depuis si longtempstient ses yeux fixés sur moi , comme WERNER. — La pauvreté n'en reçoit aucune qui ne la rende plus
le serpent sur l'oiseau qu'il fascine,doit m'avoir devancé pour s'ap^- pauvre
p; encore. Eh bien ! je suis préparé. (IFerner met la main
proprier mes droits, et ses usurpations lui auront procuréla fortune d son sein comme pour y chercher une arme)
dans
et le rang d'un prince. JOSÉPHINE. — Oh! ne prends pas cet air sombre. Je vais ouvrir;
JOSÉPHINE. — Qui sait? Peut-être noire fils esl revenu près de ci ne peul être quelque chose d'important dans ce lieu retiré, dans
ce
son aïeul, et a revendiqué la place. celle
Ci contrée inculte... le désert met l'homme à l'abri de l'homme.
WERNEII. —Vain espoir! depuis son étrangedisparition delamai- (Elle
(i va à la porteet l'ouvre. IDENSTEIN entre.)
son de mon père, comme s'il eût voulu hériter de mes fautes, on
n'a eu de lui aucune nouvelle. Je l'avais quitté en le laissant chez IDENSTEIN. — Bonne nuit à ma belle hôtesse el au digne... com-
son aïeul, sur la promesse de ce dernier que sa colère ne s'étendrait ment n vous nommez-vous, mon ami ?
pas jusqu'à la troisième génération; mais on dirait que le ciçl ill* WERNER. —Ne craignez-vous pas d'être indiscret?
flexible veut, dans la personne de mon fils, punir mes propres IDENSTEIN. — Craindre ? parbleu ! je crains en effet. On dirait à
fautes. votre
v air queje demande quelque chose de plus difficile à dire que-
JOSÉPHINE.— J'ai meilleur espoir. Jusqu'à présent, du moins, votre
v nom.
nous avons trompé les poursuites de Slralenheim. WERNEII. — De plus difficile, monsieur !
WERNER. — Nous l'aurions pu sans cette fatale Indisposition , IDENSTEIN. — De plus ou de moins, comme s'il s'agissait de ma-
plus funeste qu'une maladie mortelle; car sans ôter vlé( elle
Ift été riage...
i Au fait, voilà un mois que vous logez dans le château du
tout ce qui en fait la consolation ; en ce moment môme t il nié sêttl» pi'filèe...
} il est vrai que depuis douze ans Son Altesse l'abandonne
ble être environné de toules paris des piègesde et) démon avale .. aux t revenants el aux rats... mais, enfin, c'est un château,... je dis
qui sait, s'il n'a pas suivi notre piste jusqu'ici? (pie
t Voilà un mois que vous logez chez nous, et cependant nous ne
JOSÉPHINE. —11 ne te connaît pas personnellement,et nous avons savon»
i pas encore votre nom. Voyons !
laissé à Hambourg les espions qu'il avait depuis Si longtemps utta^ WlsftNten.
— Mon nom esl Werner.
chés à nos pas. Notre départ inattendu et ton changement lloirt de lbuNtvn;iN. — Un beau nom, ma foi ! aussi beau nom qu'on eu
rendent toute découverte impossible; on nous prend ici potir ce Vit < jamais figurer sur l'enseigne d'une boutique. J'ai au lazaret de
que nous semblonsêtre. 1 Hambourg
| !
un cousin , dont la femme portait ce nom-là. C'esl un
WEMÏER. — Cc que nous semblons être ! dis ce que nous som- officier i de santé; aide-chirurgien, il espère devenir chirurgien un
mes... des mendiants malades, sans avenir même à nos propre jour, J el il a fail des miracles dans sa profession. Vous êtes peut-
yeux... lia! ha! ha! être de la famille de ma cousine?
',
JOSÉPHINE — Hélas! quel rire amer! WERNEII. — De votre cousine?
WERNER. — Qui devinerait, sous cette enveloppe, Vûine allière JOSKPIIINE. — Oui, nous sommes parents éloignés. (Bas à IFer-
du rejeton d'une illustre race? sous cel habit, lilérilicr d'un do- ner.) Tâchons de nous accommoder à l'humeur de cet ennuyeux
maine princier? Qui reconnaîtrait dans cet oeil éleiht et mornei bavard,jusqu'à ce <[uc nous sachions cc qu'il nous veut.
l'orgueil du rang el de la naissance? cl avec cc front hâve, cc vi* IDENSTEIN —J'ensuis vraiment charmé; je m'en doulais, j'a-
sage creusé par la faim, le seigneur de ces châteaux où mille vas* vilis quelque chose dans le coeur qui me le disait C'esl (pie,
saûx trouvent chaque jour une table abondante? voyez-vous, eoufin, le sang n'est pas de l'eau ; et, à propos d'eau,
JoSKi'iiiNE. — Tu ne l'occupais pas de richesses 61 «je (lires, moni il nous faut du vin pour boire à notre plus ample cou naissance : les
Werner, quand lu daignas choisir pour ton épouse la fille étritil» parents doivent êlre amis.
gère d'un exilé errant. WERNER.
— Vous paraissez avoir bien assez bu ; et quand cela
WERNER. — La lille d'un exilé élait un parti sortahlc pour uni nc serait pas, je n'ai piiB du vin à vous offrir, a moins «pie ce ne
fils proscrit; mais j'espérais encore l'élever au rang pour leinielI soil lo vôtre : vous le savez, où vous devriez le savoir. Vous voyez
nous étions nés tous deux. La maison de ton père était illustre,, «pic je SIIIB pauvre et malade, et vous ne voulez pas comprendre«pie
quoique déchue de sa splendeur, et sa noblesse pouvait rivaliserf je dcBircclrc seul ! Mais, au fait, quel motif vous amène?
avec la nôtre. IDENSTEIN, Quel motif pourrait m'amener ?
JOSÉPHINE. — Ton père ne pensait point ainsi, quoiqu'il sûl qhoâ — Je sais quoique je devine ce qui pourra vous
WERNER, ># ne ,
ma famille était noble; mais si mon seul titre auprès de toi avaitl faire sortir.
élé ma naissaucc, je l'aurais considérée uniquement pour ceB JOSÉPHINE, à part.
— Patience, cher Werner.
qu'elle esl. IDENSTEIN.
— Vous ne savez donc pas ce qui esl arrivé ?
WERNER. — El qu'est donc la naissance à lés yeux ?
. JOSÉPHINE. Comment le saurions-nous?

— Cc qu'elle nous a valu... rien.
JOSÉPHINE. IDENST'EIN.
— La rivière a
débordé.
WERNEII.—Comment... rien? JOSÉPHINE.
— Hélas ! pour notre malheur, nous le savons depuis
JOSÉPHINE.
— Ou pire encore; car, dès l'origine, la noblesse duu cin«i jours, puisque c'est le motif tiui nous-retient ici.
sang a été un cancer dans ton coeur; sans elle nous aurions sup- IDENSTEIN. -— Mais ce que vous ne savez pas, c'esl qu'un grand
porté gaîuicnl notre pauvreté, commentas millions île mortels sup- personnage, qui a voulu traverser malgré le couraul et les représen-
portent la leur. Sans ces fantômes de tes ancêtres féodaux , lu au-17 lations de trois postillons, s'est noyé au-dessous du gué, avec cimi
rais pu gagner ton pain comme tant d'autres; ou si cetle nécessitéc chevaux de poste, un singe, un eaniche et un laquais,
t'eût semblé trop dégradante, lu aurais essayé, par le commerce et ïl JOSÉPHINE.
— Pauvres gens ! en ôles-vous bien sûr ?
par d'autres occupations paisibles, de réparer les loris de la for- IDENSTEIN. — Oui, quant au singe, au laquais el aux chevaux
tune. mais jusqu'à présent 011 ignore encore si Son Excellence est rnoi'li
WERNER, ironiquement. — Je serais devenu un bon bourgeois is ou en vie. Ces nobles sont durs en diable à noyer, comme ilqu'il con-
de la ligue lianséalique? excellent! vient à des hommes en place; mais ce qui est certain, c'est *
JOSÉPHINE. — Dans tous les cas, lu es pour moi ce qu'aucun étal al avalé l'eau de l'Oder en assez grande quantité pour faire creve
humble ou élevé ne saurait changer : le premier choix de mon0 deux paysans. En ce moment, un Saxon et un voyageur hongroi
coeur... qui t'a choisi sans connaître de loi autre chose que les dou- 1- qui, au péril de leur vie, l'ont arraché au gouffre des eaux, ont eni
leurs; tanl qu'elles dureront, laisse-moi les consoler ou les parta- i- voyé demander pour lui un logement ou un tombeau, selon qu
ger; quand elles finiront, que les miennes finissent avec elles ou m seîa mort ou vivant.
avec toi. JOSÉPHINE.— lit où le recevrez-vous?Ici, j'espère; si nous pou
WERNER. —Mon bon ange! telle je t'ai toujours trouvée. L'em- 1- Yons être utiles... vous n'avez qu'à parler.
portement , ou plutôt la faiblesse de mon caractère, ne fit jamais js IDENSTEIN. — Ici? non ! mais dans l'appartement même du prince
naître en moi une pensée injurieuse pour loi ou pour les liens. Tu 'u comme il convient à un hôte illustre... Les pièces sont humides
n'as point entravé ma fortune : ma propre nature, celle de ma jeu- i- sans doute, n'ayant pas été habilées depuis douze ans; mais connu
nesse, élait suffisante pour me faire perdre un empire, si un empire re il vient d'un endroit beaucoup plus humide encore, il n'est p*
eût élé mon héritage. Mais maintenant, châtié, dompté, épuisé et probable qu'il s'y enrhume, s'il est encore susceptible de s'enrlm
logédemaii
instruit à me connaître ur nier... el dans le cas contraire, il sera encore plus mal
perdre tout cela pour notre fils et pour
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON. 339

En attendant,j'ai fail allumer du feu, et préparer tout ce qu'il lui WERNER. — L'appartementdestiné à la personne que vous avez
faut au cas qu'il en réchappe. sauvée
s est mieux disposé que celui-ci pour recevoir un malade.
JOSÉPHINE.
— Le pauvre homme! j'espère de lout mon coeur qu'il GAROR.

Je m'étonne que vous ne l'occupiez pas ; car vous pa-
se rétablira. raissez
r êlre d'une santé délicate.
WERNER. — Monsieur l'intendant, avez vous appris son nom? WERNER, brusquement. Monsieur !
- —
(// part à sa femme.) Ma Joséphine. retire-toi : je vais sonder cet GADon.
— Veuillez m'excuser. Ai-je dit quelque chose qui vous
imbécile. (Joséphine sort.) offense
c ?
WERNER. —Rien ; mais nous sommes étrangers l'un à l'autre.
IDENSTEIN. — SOD nom? mon Dieu, qui sait s'il a main tenant un GABOR.— C'esl justement pour cela que nous devons faire con-
nom? H sera temps de le lui demander quand il pourra répondre, r naissance. U me semble avoir entendu dire à notre hôte affairé que
ou bien lorsqu'il faudra le mellrc sur son épitaphe. Toul à l'heure, vous ^ étiez ici passagèrement et par hasard, comme mes compa-
ce me semble, vous trouviez mauvais que je demandasse le nom lgnons el moi-même.
îles gens. WERNER.— C'est vrai.
WERNER. — C'est vrai, vous parlez en homme sage. (Entre GABOR.—Nous ne nous sommes jamais vus, et il est probable que
GABOR.) 'nous ne nous reverrons jamais : en conséquence, je m'élais proposé
d'égayer
« un peu, pour moi du moins, ce vieux donjon-ci, en vous
GABOR. — Si je dérange quelqu'un je lui demande mille par- 1priant
de partager notre repas.
, WERNER. Veuillez m'excuser; ma santé...
dons. —
IDENSTEIN. — Oh! nullement; vous êtes dans le châlcau «lu GABOR.
— Comme il vous plaira. J'ai élé soldat, et peut-être ai-je
prince; cet homme est étranger comme vous : je vous prie «le ne conservé ' des manières un peu brusques.
lias vous gêner. Mais où est Son Excellence, et comment se porle- WiïnNER.
— J'ai servi également., et je sais reconnaître le bon
l-elle? accueil
i militaire.
GADOR. — Son Excellence esl trempée et fatiguée, mais hors GABOR.
— Dans quelle arme ? au service impérial sans doute.
de danger : elle s'est arrêtée pour changer de vêlements, dans une WERNER, d'abord rapidement, puis s'iiilerrompant.— J'ai com-
chaumière où j'ai moi-même quitté les miens pour ceux-ci. Le mandé non, c'est-à-dire j'ai servi; mais il y a de cela bien des
voyageur est presque entièrement remis de son bain, el. sera bien- années, à l'époque où la Bohême prit pour la première fois les ar-
tôt ici. mes contre l'Autriche.
IDENSTEIN. — Holà ! oh ! qu'on se dépêche ! Ici Hermann Weil-
,
GADOR.
milliers de— Tout cela est fini maintenant, et la paix a obligé des
liurg, Pierre, Conrad I (Entrent divers valets auxquels Idenstein braves à chercher, tant bien que mal, des moyens d'exis-
donne des ordres.) tence ; el à dire vrai, quelques-uns ont pris la voie la plus courte.
Un noble seigneur couche celte nuit au château... ayez soin que WERNER. Quelle voie?

lout soit en ordre dans la chambre damassée... entretenez le poêle... — La première qui se présente à eux- Toute la Silésie et
GABOR.
J'irai moi-même au cellier... cl madame Idenstein (c'esl mon épouse, les forêts de la Lusace sont occupées par des bandes d'anciens sol-
étranger) fournira le linge de lit; car, à dire vrai, c'est un article dats, qui prélèvent sur le pays les frais de leur entretien. Les châte-
merveilleusement rare dans l'enceinte de cc château, depuis une lains sont obligés de rester dans leurs manoirs : au-dehors la route
douzaine d'années que Son Altesse l'a quille. Et puis, Son Excel- n'esl pas sûre pour le riche comte ou le fier baron en voyage. Co
lence soupera sans doute? qui me console, c'est que partout où j'irai, je n'ai pas grand' chose
,
GABOR. — Ma foi ! je ne saurais dire; je pense que l'oreiller aura à perdre.
pour notre baigneur plus d'attraits que la table, après le plongeon WERNER. El moi rien du tout.

qu'il a fait dans la rivière ; mais pour que vos provisions ne se GABOR.
— C'est encore plus dur. Vous avez été soldat, dites-vous?
perdent pas, je me propose de souper moi-même, cl j'ai là nu-de- WERNER.— Je l'ai été.
; hors un ami qui fera honneur à votre repas avec tout l'appétit d'un — Vous en avez encore la mine. Tous les soldats sont ou
GABOR.
; voyageur. doivent être camardes, lors môme qu'ils se trouvent ennemis. Quand
IDENSTEIN. — Mais êlcs-vous sûr que Son Excellence quel nos épées sont tirées, il faut qu'cllcssccroisent ; nos mousquets char-
j esl
son nom ? gés, fis doivent être pointés les uns sur les autres; mais quand une
! GABOR. — Je n'en sais rien. trêve, une paix, ou n'importe quoi, fait rentrer l'acier dans le four-
î IDENSTEIN. — Et cependant vous lui avez sauvé la vie. reau, et laisse éteindre la mèche, alors nous sommes frères. Vous
GAIIOII. — J'ai assisté en cela mon ami. êtes pauvre et malade; je ne suis pas riche, mais je me porle bien;
IDENSTEIN. — Voilà qui esl étrange : sauver la vie à un homme je puis me passer de bien des choses, vous paraissez manquer do
qu'on ne connaît pas! ceci (U tire sa bourse) : voulez-vous partager? »
GAIIOII. — Il n'y a rien d'étrange ; car il est des gens que je con- WERNER. — Qui a pu vous faire croire queje fusse un mendiant?
nais si bien, «pic je nc me donnerais pas celle peine-là pour eux. GABOR.
— Yous-mômc, qui avouez en temps de paix que vous
IDENSTEIN. — Diles-moi, mon ami, qui êles-vous? étiez soldat.
i
(IAIIOII. — Ma famille est hongroise. WERNER, le regardant d'un air de méfiance. — Vous ne me
IDENSTEIN. — El vous l'appelez ? connaissez pas?...
GABOR. — Peu importe ! GABOR. —Je ne connais personne, pas même moi : comment con-
IDENSTEIN, à part. — Je crois que tout le monde s'est fail ano- naîlrais-je un homme que j'ai vu à peine un instant?
' njine aujourd'hui, (à Gabor.) Diles-moi, je vous prie, Son Excel- WERNER. — Monsieur, je vous remercie. Voire offre serait géné-
lence a-t-clle une suite nombreuse ? reuse, si elle s'adressait à un ami; faite à un inconnu, elle est
GABOR. — Une suite suffisante. pleine de bienveillance, quoique un peu imprudente; mais je ne
IDENSTEIN. — Quel est le nombre de ses gens ? vous en remercie pas moins, .le suis indigent de fail, sans l'être de
GABOR.
— Je ne les ai pas comptés. C'est le hasard qui nous a profession el quand j'aurai un service de co genre à demander, je
, de préférence à celui qui, le
conduits juste à temps pour retirer Son Excellence par la portièrei m'adresserai premier, m'a offert ce que.
y.
tic son carrosse. de
peu gens obtiennent, même en le demandant. Veuillez in'exeu-
IDENSTEIN.— Oh ! que ne donnernis-jc pas pour sauver un grandI ser. (Werner sort.)
personnage!... Sans doule, vous aurez pour récompense une jolie
somme. GABOR, seul.
— Il m'a l'air d'un bon diable, quoique usé comme
GABOR. — Peut-être. la plupart de ses pareils, par la peine ou le plaisir qui, se disputent •
IDENSTEIN. — A combien croyez-vous pouvoir l'évaluer ? avant le temps les lambeaux de notre vie : je ne sais lacrucilc de ces
GABOR. —Je ne nie suis pas encore mis aux enchères. En alièn- deux causes agil le plus promplcment. Quoi qu'il eu soit, ecl homme
ent, ma meilleure récompense sérail un verre de votre vin dei me semble avoir connu des jours meilleurs; et n'est-ce point le cas
Hochcim un verre, orne de riches grappes et d'emblèmes ba- de quiconque a un passé? Mais voici notre sage intendant qui ap-
chiques, plein jusqu'au bord du vin le plus vieux de votre cellier; eni porte du vin ; en faveur de la coupe, je supporterai l'échanson.
ittour de quoi, au cas où vous seriez en danger de vous noyer, (Entre IDENSTEIN.)
fenre de mort qui, très probablement, ne sera pas le vôtre, je Vous,
I Remets de vous sauver pour rien. Vile, mon ami, et songez que3 IDENSTEIN. —Le voilà, le supernaculum! S'il n'a pas vingt ans,
Nir chaque rasade que je sablerai, une vague de moins coulera surr il n'a pas un jour.
XHrelêtc. GABOR. — L'âge des jeunes femmes et du vieux vin!... et c'est
> IDENSTEIN, à part. — Je n'aime guère cet homme-là, il semblee grand dommage que «ie ces deux choses excellentes, l'une s'amé-
fecret el sec, deux qualités qui ne me conviennent pas du tout. liore par les années, el l'aulre devienne pire. Remplissez jusqu'aux
, Toutefois, il aura du vin si cela nc le déboutonne pas, la curiosité
, ; é bords... Je bois à notre hôtesse !... à votre charmante épouse I
e tte me laissera pas dormir de la nuit. (Idenstein sort.) IDENSTEIN. — Charmante !... fort bien ; vous m'avez l'air de vous
9 '. connaître en vin comme en beauté; néanmoins je vous ferai raison.
- | GABOR, à IFerner. — Cet homme esl l'intendant du chàleau, jee I GABOR. — La femme délicieuse que j'ai rencontrée dans la salle

i r'ésume. L'édifice est beau, mais délabré. I voisine, el qui m'a rendu mon salut avec un air, un port, des yeux,
3M> LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

qui auraient fait honneur à ce château dans les jours les plus bril- IDENSTEIN. — Avec votre permission, monseigneur, il en est un
lanlsdu domaine, bien que sa mise fût adaptée au délabrementac- qui qt prétend ne pas vous être étranger.
tucl de celle demeure... celte femme n'esl-elle pas votre épouse ? WERNER, haut et brusquement.— Qui dil cela? (Tout lemonde
IDENSTEIN. — Je voudrais bien qu'elle le fût ! mais vous vous mé- /e regarde avec surprise.)
le
prenez : c'esl la femme de l'étranger. IDENSTEIN.—Mais personne ne vous parle, el ne parle de vous!
GABOR. — A la voir, on la prendrait pour celle d'un prince. Bien y,
Voici une personne que Son Excellence daignera sans doute recon-
que le temps ait eu sur elle quelque empire, elle conserve encore naître.
nj (// montre Gabor.)
une majestueuse beauté. GABOR.—Je neveux point importuner sa noble mémoire.
IDENSTEIN —Et c'est plus que je n'en puis dire de madame Iden- STRALENIIEIM.— Je penseque c'est l'un de ces étrangers à qui jc
stein, du moins pour la beauté; quant àla majesté, elle a bien quel- dois di monsalul. (Montrant IF'erner.) N'est-cepoint là l'autre? L'état
ques-uns des attributs de celte vertu, attributs dont elle pourrait se où 0i j'étais quand on esl venu à mon secours doit excuser la difficulté
passer... Mais ne vous en inquiétez pasl qi j'éprouve à reconnaître ceux envers qui je suis si redevable.
que
GADOR. — Cela m'est parfaitement égal. Mais qui peut être cet IDENSTEIN. — Lui! non ! monseigneur, il a plus besoin de se-
étranger? Son air esl au-dessus de sa position apparente. cours
ci qu'il n'est capable d'en donner : c'est un pauvre voyageur
IDENSTEIN. — En cela, nous différonsd'opinion. Il est pauvre harasse
n. et malade; il a récemment quille le lit d'où il a cru un
comme Job, et pas tout-à-fait aussi patient ; mais ne je connais de moment
n ne devoir plus se lever.
lui que son nom, encore ne l'ai-je appris que ce soir. STRALENIIEIM. — 11 me semblaitqu'ils étaient deux.
GABOR. — Mais comment est-il venu ici? GABOR. — Nous étions deux, en sffel ; mais un seul, et il est ab-
IDENSTEIN. — Dans une vieille el misérable calèche, il y a envi- a véritablement contribué à secourir Votre Seigneurie : sa
ron un mois ; à peincarrivé, il esl tombé malade, etonl'avuà j
deux
sent
s ,
bonne étoile a voulu qu'il fût le premier. Mon empressementne le
doigts de la mort. 11 aurait bien fait de mourir. cédait
c pas au sien ; mais sa force et sa jeunesse m'ont devancé; ne
GABOR. —Touchante sensibilité!... mais pourquoi aurait-il bien perdez
rJ. donc point vos remercîmenls avec moi. Je me trouve heu-
fait ? reux d'avoir secondé un plus habile.
IDENSTEIN. — Qu'est-ce que la vie quand n'a pas de quoi vi- est-il ?
? est le
on STRALENIIEIM.
— OùMonseigneur, il est resté dans la cabane où
vre 11 sans sou. UN DOMESTIQUE. —
GABOR. — En cc cas, je m'étonne qu'un homme comme vous Votre
i, Excellence s'est reposée une heure : il a dit qu'il serait ici de-,
,
qui paraissez doué d'une si rare prudence, ail reçu dans celte noble main. ,
résidence des hôlcs réduits à un tel dénûment.
t
STRALENIIEIM. — Jusque-là, je ne puis offrir que des remercî-
IDENSTEIN. — C'est vrai ; mais la pitié, le
vous savez, entraîne le menls; ( mais alors...
coeur à faire ces folies; et puis, il faut dire aussi qu'ils possédaient à GABOR. — Je n'en demande pas davantage, el c'est à peine si j'en
cette époque certains objets de prix qui les onl fait vivre jusqu'au mérite | autant. Mon camarade parlera pour lui.
moment actuel; j'ai donc pensé qu'ils pouvaient loger ici loul aussi STRALENIIEIM, à part après avoir fixé ses regards sur IFerner.
bien qu'a la petite taverne, cl j'ai mis a leur disposilition quelques- Cela ne se peut! cependant il faut avoir l'oeil sur lui. Il y a vingt j
délabrées. chassé l'humidité —
unes des chambres les plus Ils ont de ans
i queje ne l'ai rencontré, cl quoique mes agents ne l'aient point:
ces appartements... aussi longtemps, du moins, qu'ils ont pu payer perdu de vue, la prudence m'a fait un devoir de me tenirà distance,
leur uois de chauffage. de
, peur de l'effrayer et de lui faire soupçonner mes plans, l'our-1
GABOR. — Pauvres gens! quoi
, faul-il que j'aie laissé à Hambourg ceux qui auraient pu nïé-
IDENSTEIN. — Oui, excessivement pauvres. claircr ? Jc devrais être déjà le maître de Siegendorf, et j'étais parti
GABOR. — El toutefois peu faits à la pauvreté, si je ne me trompe. àla hâte dans cc but; mais les éléments eux-mêmes paraissent
Où donc allaient-ils? ligués contre moi, et cc débordement subit peut me retenir ici pri-
IDENSTEIN. —Oh! Dieu le sait; peut-être au ciel. 11 y a quelques sonnierjusqu'à cc que... (Ils'arrête, regarde Werner, puis conti-
jours, c'était pour Werner le voyage le plus probable. nue.) Il faut surveiller ecl homme. Si c'est lui, il est tellcmeul
GADOR. —WernerI j'ai entendu cc nom-là; mais c'est peut- changé que son père lui-même, sorti du tombeau, passerait près de
être un nom supposé. lui sans le reconnaître.Dela prudence! la précipitation gâterait loul.
IDENSTEIN. — Vraisemblablement! mais écoulez! on entend le IDENSTEIN. — Votre Seigneurie semble rêveuse ; lui piairail-il de
roulement des roues, et j'aperçois la lumière des torches. Aussi se rendre à son appartement?
sûr qu'il y a une destinée, Son Excellence arrive: il faut que je me STRALENIIEIM. — C'est la fatigue qui me donne cet air abaltu et
rende à mon poste. Ne vous joindrez-vous pas à moi pour l'aider à pensif: j'irai prendre du repos.
descendre de voilure, cl lui présenter à la porte vos humbles de- IDENSTEIN. — La chambre du prince es! prête, avec tous les
voirs? meubles qui lui ont servi lors de son dernier séjour, et qui ont en-,
GABOR.—J'ai retiré cet hommede soncarrosse dans un moment où| core tout leur éclat. (A part.) Ils sont un peu délabrés et humides
il aurait donné sa baronic ou son comté pour éloigner les flots qui1 diable; mais ils font «lel'effet à la lumière, cl c'esl lout ce qu'il
le suffoquaient. 11 a maintenant assez de valets :.tantôt ils se te- en faut pour ces nobles à vingt quartiers : ils peuvent bien coucher au- ,
naient à l'écart, secouant sur la rive leurs oreilles trempées, hur- jourd'hui dans une demeure du genre de celle où ils doivent un
lant tous : Au secours) el n'en offrant aucun. Quant aux devoirs1 jour reposer à jamais.
dont vous parlez... j'ai fait le mien alors, faites le vôtre maintenant. STRALENIIEIM se levant — Bonne nuit, braves gens 1 (.Se tour-,
Allez, cl amenez-nous Son Excellence, en rcmpanl devant elle. nant vers Gabor.) ,
Monsieur, j'espère que demain vous me trou- ;
IDENSTEIN. — Moi ramper Mais je perds le moment au1 verez plus en état de reconnaître vos services. En attendant, jc j
I
diable ! il sera ici, et je n'aurai pas été là-bas. (Idenstein sort à lae I vous serais obligé si vous vouliez bien me tenir compagnie un in- i
haie. — WERNER rentre.) slant dans ma chambre.
GABOR. — Je vous suis.
WERNER, à part. —J'ai entendu un bruit de carrosse el de voix. STRALENIIEIM, après avoir fait quelques pas s'arrête, et appelle
Comme lous les bruils me troublent! (Apercevant Gabor.) Encore• IFerner.
ici! ne serait-ce pas un espion ? L'offre qu'il m'a faitesi subitement, — Mon ami I I
à moi inconnu, n'annonçait-elle pas un secret ennemi ? les amiss' WERNER. — Monsieur ah!
onl moins d'empressement sur ce chapitre.
IDENSTEIN. —Monsieur! mon Dieu! pourquoi ne dites-vous
pas monseigneur ou excellence? Veuillez, monseigneur, excuser
GADOR. — Monsieur, vous scmblez rêveur ; et cependant le mo- le manque d'éducation de ce pauvre homme : il n'est pas accou-
ment n'esl pas propice à la méditation : ces vieux murs vont cesserr. tumé à se trouver en pareille société.
d'être paisibles. 11 vous arrive un baron, un comte, ou quel que soit
STRALENIIEIM,à Idenstein. — Paix ! monsieur l'intendant.
son lilrc, un noble à demi noyé, à qui le village et ses pauvres ha- IDENSTEIN.—Jc suis muet.
bitants montrent plus de respect'que ne lui eu ont témoigné lesg
éléments. STRALENIIEIM,à IFerner. —Etes-vous ici depuis longtemps?
IDENSTEIN, en dehors. —Par icil... par ici, Excellence!... pre- WERNER.—Depuis longtemps?...
nez garde! l'escalier est obscur et tant soil peu délabré; mais si si STRALENIIEIM. —Je désirais une réponse et non un écho.
nous avions attendu un hôte aussi important... Veuillez vous ap- WERNER. — Vous pouvez demander l'un et l'autre à ces murs.
Ïiuyer sur mon bras , monseigneur. ( STRALENIIEIM entre avec \c Je n'ai pas l'habitudede répondre aux gens que je ne connais pas.
DicNSTEiN et des domestiques;les uns font partie de sa suite, >s les STRALENIIEIM. — En vérité ! vous pourriez néanmoins répondre
autres appartiennentau domaine.) poliment a une demande faite avec bienveillance.
WERNER. — Quand j'aurai cette conviction, j'y répondrai de
STRALENIIEIM. — Je me reposerai ici un moment. même.
IDENSTEIN, aux domestiques.—Holà! un siège! (Straleniieim » STRALENIIEIM. — L'intendant m'a dit que vous aviez été retenu
s'assied) ici par une maladie... Si je pouvais vous être utile voyageant
WERNEII, à part. — C'est lui ! dans la même direction ?
STRALENIIEIM. — Je me sens mieux maintenant. Qui sont ees ÎS WERNER, brusquement. — Je ne voyage pas dans la même di-
étrangers? rection.
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON. 341

STRALENIIEIM. — Qu'en savez-vous? vous ignorez quelle route ime faut envoyer à tous risques et à lout prix. Mais je n'ai pas de
jc suis. l'temps à perdre ; bonne nuil ! (Idensteinsort.)
WERNER. Je sais qu'il n'y a qu'un voyage où le riehc
— la _ et le
pauvre suivent même roule. Vous vous êtes écarté de celle voie WERNER. — « A Francfort! » le nuage grossit ! Oui, « le com-
redoutable il y a quelques heures, et moi il y a quelques jours :. mandant
r ! » Cela correspond parfaitement avec les démarches an-
nous suivons deux chemins opposés, quoiqu'ayant une même des- térieures
t de ce froid démon, qui s'interpose entre moi et la maison
filiation. «S mon père. Sans doute, il demande un détachement pour
de me faire
STRALENIIEIM. — Votre langage esl au-dessus de votre position. conduiresecrèlement
« dans quelqueforteresse... Ah! plutôt... (IFer-
WERNER. avec une ironie amère. — Vous croyez ? i regarde autour de lui et saisit un couteau qu'il trouve sur mie
ner
STRALENIIEIM. — Ou du moins au-dessus de ce qu'annonce votre table.)
i Maintenant, du moins,je suis son maître. Ecoulons! on vient !
costume. Qui
(, sait si Straleniieim attendra même le semblant d'autorité dont
WERNER. — Il est heureux que je ne sois pas au-dessous, comme i veut couvrir son coup de main? Il esteenain qu'il me soup-
il
il est arrivé parfois aux gens bien vêtus; mais enfin que me vou- «çonne. Je suis seul, une suite nombreuse l'accompagne ; je suis
lez-vous ? faible,
I il est forl. Il a pour lui la richesse, le nombre, le rang, l'au-
STRALENIIEIM, surpris. ttorité. Moi, je suis sans nom ; ou le mien ne peul qu'amener ma
— Moi ? •
WERNER. — Oui, vous! Vous ne me connaissez pas et vous me ]perte, tant que je ne serai point sur mesdomaines; lui, il est fier de
questionnez ; el vous vous étonnezqueje ne vous réponde pas quand ses
s titres, qui exercent plus d'ascendant dans-cette petite bourgade
j'ignore qui m'interroge. Expliquez ce que vous désirez de moi, et ique parlout ailleurs. Silence ! on approche encore. Pénétrons dans
alors j'éclaircirai vos doutes... ou les miens. 1le secret passage qui communique avec... Non le silence règne...
STRALENIIEIM. — J'ignorais que vous eussiez des motifs pour ,
tmon imagination m'abusait...tout est calme comme dans l'inter-
vous tenir sur la réserve. valle
] redoutable qui s'écoule entre l'éclair et la foudre Je dois
WERNER. — Bien des gens en ont n'en avez-vous pas vous- iimposer silence à mon âme au milieu de ces péris; cependant il
même ? faut
I que je m'engage dans le passage que j'ai découvert et que
STRALENIIEIM. — Aucun qui puisse intéresser un étranger. j'examine
; s'il a pu rester inconnu : il me servira du moins de re-
WERNER. — Pardonnez donc à cet humble étranger, à cet in- fuge pendant quelques heures. (IFerner fait glisser nn panneau
connu, s'il désire rester tel pour un homme qui ne peul avoir rien de
<
boiserie, et sort en le fermantaprès lui. — Entrent GABOR et JO-
de commun avec lui. SÉPHINE.)
STRALENIIEIM. — Monsieur, mon dessein n'est pas de Vous con-
trarier; quelque peu agréable que soil votre humeur, je nc voulais GABOR.
— Où est votre mari ?
que vous rendre service... Mais, bonne nuil! Monsieur l'inten- JOSÉPHINE.
— Jc croyais le trouver ici : il n'y a pas longtemps
dant, précédez-moi. (A Gabor.) Monsieur... m'accompagnez-vous? queje l'ai laissé dans celte chambre ; mai3 ces appartements ont de
(Straleniieim sort avec ses domestiques, Idenstein et Gabor.) nombreusesissues, et il a peut-être accompagné l'intendant.
GABOR. — Le baron a beaucoupquestionné l'intendant au sujet
WERNER, seul.—C'est lui! me voilà pris au piège. Avant mon dé- de votre mari, et, à vous parler franchement, je doule qu'il vous
part de Hambourg , Giulio, son dernier intendant, m'apprit qu'il veuille du bien.
avait obtenu un ordre de l'électeur de Brandebourg pour arrêter JOSÉPHINE. — Hélas 1 qu'y aurait-il de commun entre l'orgueil-
Kruilzer (tel était le nom que je portais) dès qu'il paraîtrait sur la leux et opulent baron et l'inconnu Werner?
frontière. Les privilèges de la ville libre m'ont garanti jusqu'au GABOR.
— C'est ce «pie vous savez mieux que moi.
sortir de ses murs Insensé que je fus de les quitter! mais je JOSÉPHINE. Et d'ailleurs pourquoi vous inléressericz-vous à
— qu'à
croyais que cet humble costume, que cette roulé détournée, au- mon mari plutôt l'homme dont vous avez sauvé les jours?
raient mis en défaut les limiers envoyés à ma poursuite. Que GABOR. — J'ai contribué à sauver ce voyageur quand il élait en
faire? H ne me connaît pas personnellement; et, moi-même, il m'a péril; mais je ne me suis pas engagé à le servir dans des actes
fallu les yeux de la crainte pour le reconnaître au bout de vingt d'oppression. Je connais ces nobles et les mille moyens qu'ils em-
ans ; nous nous étions vus si rarement et si froidement dans notre ploient pour vexer le pauvre. J'en ai fait l'expérience, et mon indi-
jeunesse! Mais ceux qui l'entourent! Je comprends maintenant les gnation s'allume quand je les vois conspirer la ruine du faible...
avances de ce Hongrois, qui sans doule n'est qu'un instrument, c'est là mon seul motif.
qu'un espion île Straleniieim, chargé par lui de me sonder et de JOSÉPHINE. — Il nc serait pas facile de convaincre mon mari do
s'assurer de moi. Sans ressource, malade, pauvre... retenu en outre vos bonnes intentions.
parle fleuve débordé, barrière infranchissablemême pour le riche GABOR. — Est-il donc si soupçonneux?
aidé de tous les moyens que l'or peut procurer... quel espoir me JOSÉPHINE.—11 ne l'était pas' autrefois; mais le temps elle mal-
resle-t-il? U y a une heure, jc trouvais ma position désespérée, et heur l'ont fait tel que vous le voyez.
maintenant elle est telle que le passé me semble un paradis : un GABOR. —J'en suis fâché pour lui : le soupçon, pesante armure,
jour de plus, et je suisdécouvertl... à la veille de rentrer dans mes embarrasse celui qui la porte plus qu'elle ne le'protège, lionne nuit!
honneurs, mes droits, mon héritage; quand il suffirait d'un j'espère le revoir a la pointe du jour. (Gabor sort. — IDENSTEIN
d'or pour me sauver en favorisant ma fuite! (IDENSTEIN entrepeu en rentre accompagnéde quelquespaysans; Joséphinese retire à l'ex-
causant avec FRITZ.) trémité de ta salle.)
FRITZ. — Sur-le-champ. PREMIER PAYSAN. — Mais si je me noie?
IDENSTEIN. — Je vous disque c'est impossible. IDENSTEIN. — Eh bien ! lu seras largement payé pour cela, el je
FRITZ. — Toutefois. il faut le tenter; et si un exprès échoue, il ne doute pas que tu n'aies souvent risqué plus que la noyade pour
faut en envoyer d'autres, jusqu'à ce «pj'on reçoive la réponse du bien moins.
commandantde Francfort. SECOND PAYSAN. — Mais nos femmes et nos enfants?
IDENSTEIN. — Je ferai ce que je pourrai. IDENSTEIN. —Ne peuvent y perdre, et y gagneront peut-être.
FRITZ. — Souvenez-vous de ne rien épargner ; vous serez payé TROISIÈME PAYSAN. — Je n'en ai point, moi; et jc tenterai l'a-
au décuple. venture.
IDENSTEIN. — Le baron repose-t-il? IDENSTEIN. — C'est bien cela! Voilà un brave garçon digne
FRITZ. — 11 s'est jeté dans un grand fauteuil près du feu, où il de faire un soldat. ,
Je te ferai ,
entrer dans les gardes du prince si tu
sommeille ; il a ordonné qu'on n'entrât pas avant onze heures ; c'est réussis, et en outre tu auras, en belles pièces neuves, bien luisantes,
alors qu'il se mettra au lit. deux Ihalers.
IDENSTEIN — Dans une heure d'ici, j'aurai fait «le mon mieux ' TROISIÈME PAYSAN.— Pas davantage!
pour le servir. IDENSTEIN. — Fi de ton avarice! Comment un vice si bas peut-il
FRITZ. — N'oubliez rien ! (Fritz sort.) s'allier à tanl d'ambition ? Je le dis, l'ami, que deux Ihalers subdi-
visés en petite monnaie constituent un trésor. Est-ce que cinq cent
IDENSTEIN. — Que le diable emporte ces grands personnages ! Ils mille héros ne risquent pas journellement leur vie et leur âme
pensent que toules choses ne sont faites que pour eux. Il me faut pourlc dixième d'un lhaler ? Quand as-tu possédé la moitié de celle
maintenant faire quitter leurs grabats à une demi-douzainede vas- somme ?
saux grelotants, et les envoyer à Francfort en traversant la rivière TROISIÈME PAYSAN.
— Jamais... pourtant il m'en faut trois.
au péril de leur vie. Certes , l'expérience qu'a faite le baron il y a IDENSTEIN. — Ah ! tu oublies, coquin, de qui lu es né le vassal,
quelque» heures aurait dû lui inspirer quelque humanité envers sesi
semblables; mais non : «il le faut! » et lout estdit. Quoi donc!
TROISIÈME PAYSAN.
étranger. — Je suis vassal du prince et non d'un
\ons ici, monsieur Werner? IDENSTEIN. —Maraud! en l'absence du prince, c'esl moi qui suis
WERNER. — Vous avez quitté bien promptemnnt votre noblei ici souverain ; et le baron est une de mes connaissancesparticuliè-
hôte? res, et même un peu mon parent. « Cousin Idenstein m'a-t-il dit,
IDENSTEIN. — 11 sommeille, el semble vouloir ne laisser dormir vous mettrez en réquisition une douzaine de vilains. ,» l'ar consé-
personne. Voila un paquet pour le commandant de Francfort, qu'ilI quent, vilains, en avant!... marchez !... marchez, vous dis-je! et
3i2 LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

si un seul pli de ce paquet est mouillé par les flols de l'Oder, pre- IDENSTEIN.— Oh! faut-il que j'oie vécu pour être témoin d'un pa-
nez-y garde : pour chaque feuille de papier gâtée, une de vos rci jour! L'honneur de notre endroit est perdu à jamais.'
reil
peaux sera convertie en parchemin cl tendue sur un tambour, FRITZ. — Fort bien; mais il s'agit de découvrir le coupable. Le
comme celle de Ziska, afin île battre la générale contre lous les vas- baron ba est déterminé à ne pas perdre cette somme sans faire des re-
saux réfraclaircs qui se refusent à faire l'impossible... Parlez, vers cherches.ch
de terre ! (// soi't en les chassant devant lui.) IDENSTEIN.—Et moi aussi.
FRITZ. — Mais qui soupçonnez-vous?
JOSÉPHINE s'avançant. puis-je fuir le spectacle trop IDENSTEIN. — Qui je soupçonne? lout le monde-: dehors... dt
, — Que ne
fréquent de celte tyrannie féodale exercée sur d'impuissantes vie- dans... da en haut... en bas... lé ciel me soit eu aide!
limes.Ne pouvant rien pour elles, je ne veux pas èlre témoin de FRITZ. — La chambre, n'a-t-elle pas d'autre cnlrée?
leurs souffrances. Ici même , dans celte obscure bourgade, dans ce IDENSTEIN. — Aucune autre.
canton ignoré, on retrouve l'insolence de la médiocrité envers de FRITZ. — En êtés-vous sûr?
plus indigents qu'elle, l'orgueil de la domesticité des nobles à l'é- IDENSTEIN. — Très sûr. J'ai vécu ici «lepuis ma naissance, el s'il
gard d'une classe plus servile encore, et le vice misérable affectant y avait des issues dérobées, je les-aurais vues, ou j'en aurais en-
un fasle en baillons! Quel état de choses 1 Dans ma chère Toscane, jc
tendu parler.
ce pays qu'échauffe un doux soleil, les nobles étaient citoyens et FRITZ. — Alors le voleur doit être un homme qui avait accès
marchands comme les Médicis. Nous avions nos maux; mais .*d; dans l'antichambre.
,
ils ne ressemblaient pas à ceux-ci. La pauvreté n'exclue pas le IDENSTEIN.— Sans aucun doute.
bonheur de nos joyeuses et fertiles vallées; chaque brin d'herbe esl FRITZ. Cc Werner est-il pauvre?
aliment,.et de chaque coule breuvage enchanteur —
un pampre ce IDENSTEIN. — Pauvre comme un cancre. Mais il est logé bien
qui réjouit le coeur île l'homme; c'est là qu'un soleil bienfaisant ra- j0 loin dans l'autre aile, qui n'a aucune communication avec la cham-
renient voilé par les nuages, ou du moins laissant après lui sa cha- j)i bre du baron : ce ne saurait être lui. En outre, je lui ai dit bonsoir
leur pour consoler de l'absence de ses rayons, rend les mortels dans di la grande salle qui est presque à un mille, d'ici, el qui ne
plus heureux, sous un manteau usé ou sous Une robe légère, que les conduit qu'à son appartement; je l'ai quitté au moment mô.iie où
rois! ne le sont sous leur pourpre splendide. Mais les despotes dû c< vol, cet infâme larcin paraît avoir élé commis.
Nord paraissentvouloir imiter le vent glacial de leur climat; leur ce c(
FRITZ. — El cet autre, l'étranger ?
tyrannie pénètre jusque sous les haillons du vassal grelotant pour IDENSTEIN. — Le Hongrois?
lui torturer l'âme comme les frimas lui torturent le corps! El voilà FRITZ. — Celui qui a aidé à repêcher le baron dans l'Oder ?
les souverains parmi lesquels mon mari brûle de prendre place! IDENSTEIN — La chose n'esl pas impossible. Mais, à propos... ne
El telle est la force de son orgueil nobiliaire... qu'il a résisté à vingt pourrait-cc pas êlre quelqu'un de vos gens?
années de traitements tels que pas un père dons une classe plus p FUIT/.. —Comment? nous, monsieur?
humble n'aurait le courage de lesiniligerà son fils! Mais moi, dont IDENSTEIN. — Non... je ne dis pas vous mais quelque valet en
la naissance est aussi noble, j'ai reçu «le lu tendresse paternelle une sous-ordre.
s Vous dites que le baron dormait ,
dans le fauteuil le
leçon bien différente. O mon pèref que ton finie, longtemps éprou- ffauteuil de velours... avec sa robe de chambre brodée ; devant lui
vée ici-bas, et qui maintenant goûte dans le ciel le repos des élus, était la table ; sur la table un pupitre avec des lettres, des papiers
jctlcun regard sur nous el sur notre Ulrich, ce fils dont nous appe- ceet plusieurs rouleaux d'or,, dont un seul a disparu; la porle n'était
Ions impatiemment le retour! J'aime mou fils comme tu m'as ai- pas fermée l'accès en était facile.
niée! Mais que vois-je? Werner, est-ce toi? Est-il possible? En r FRITZ. auMon verrou
bon monsieur, ne soyez pas si prompt; la probité
quel état le voilà I (WERNER entre brusquement, un couteau à la du —
main, par le panneau secret, qu'il ferme précipitamment après \tendant corps qui forme la suite du baron est irréprochable, depuis l'in-
lui.) J jusqu'au marmiton : je nc parle pas des choses honnêtes et
permises, fournitures et mémoires, poids, mesures, office, cave,
WERNEII, qui d'abord ne reconnaît pas sa femme. — Je suis dé- 'sommellerie, de lettres, la
où chacun peut faire de petits profils; comme aussi
couvert! en ce cas, la mort (Lareconnaissant.)Ah ! Joséphine! les dans
! les novls perception des fermages, les provisions,
pourquoi ne reposes-tu pas? pots de vin convenus avec les honnêtes marchands qui fournis-
! que signifie tout cela?
sent nos nobles maîtres ; mais quant à des vols mesquins, à des
JOSÉPHINE.
— Reposer! Mon Dieud'or. —Voilà de l'or... cet or, filouteries directes, nous les méprisons comme nous méprisons nos
WERNEII, montrant un rouleau
Joséphine, nous délivrera d'un donjon délesté. malheureux
\ gages. El puis, si l'un de nos gens avail fait lu chose,
aurait-il eu la simplicitéde s'exposer à la potence pour un seul
JOSÉPHINE.
— Comment l'as-lu ae«uiis?... ce couteau... rouleau?... il aurait fait rafle du tout, et eût enlevé jusqu'au pupi-
WERNER. — Il n'est pas leinl de sang... pas encore!... parlons
rendons-nous à notre chambre. .. tre , qui est portatif.
JOSÉPHINE. — Mais d'où viens-tu? IDENSTEIN. — U y a de la justesse dans ce raisonnement.
FRITZ. —r Non monsieur, soyez-en persuadé, le coupable ne
WERNER.—Ne me ledemandc pas! Songeonsseulement où nous , notre
irons Ceci... ceci nous ouvrira un chemin... (Montrant l'or.) Je; fait point parlie de corps; c'esl quelque petil filou vulgaire,
.. maintenant !
les défie sans génie el sans art.. Toute la question est de savoir qui a pu pé-
nétrer dans la chambre, après le Hongrois et vous.
JOSÉPHINE
— Je n'ose te croire coupable d'un acte qui puisse, IDENSTEIN. — Vous ne me soupçonnez pas, sans doute?
l'imprimer le déshonneur.
WERNEII. — Le déshonneur! FRITZ. —Non, monsieur, j'honore trop vos talents.
JOSÉPHINE. — Je l'ai dit. IDENSTEIN. — Et mes principes, j'espère?
WERNER.— Eloignons-nous; c'est la dernière nuit que nous pas- FRITZ. — Gela va sans dire. Mais à la question! Que reste-t-ilà
sons ici, je l'espère. faire?
JOSÉPHINE. —Et moi je souhaite que ce ne soit pas la pire. IDENSTEIN. — Uien... mais beaucoup à dire. Nous offrirons une
WERNER. — Tu le souhaites! moi je suis sûr. Mais regagnonss récompense; nous remuerons ciel et terre; nous ferons agir la po-
notre chambre. lice (quoiqu'il n'y en ait pas de plus rapprochée que celle de Franc-
JOSÉPHINE. —Encore une question... qu'as-lu fait? fort) ; nous poserons des affiches à la main (car nous n'avons pas
WERNER, d'un air farouche. — Je me suis abstenu de faire cee d'imprimeur) ; et mon clerc se chargera de les lire (car il n'y a
qui aurait lout arrangé pour le mieux; n'y pensons plus ! Partons |! guère ici que lui et moi qui sachions lire) ; nous enverrons nos vas-
déshabiller les mendiants et fouiller les poches vides;
JOSÉPHINE.
— Hélas! pourquoi faut-il queje doute de toi! (Ils s saux pour
sortent.) nous ferons arrêter tous les bohémiens , tous les gens sales et
mal vêtus. Si nous ne mettons pas la main sur le coupable, nous
aurons du moins des prisonniers; el quanl à l'or du baron.... si on
ne le trouve pas, du moins il aura la grande satisfaction d'en dé-
ACTE II. penser deux fois la valeur pour évoquer l'ombrede ce rouleau. Voilà,
j'espère, une cure alchimique
SCÈNE PREMIÈRE. FRITZ. — Le baron en a trouvé une meilleure.
IDENSTEIN. — Oui?
FRITZ. — Dans un immense héritage. Le comte Siegendorf, son
One autre salle du même château.
parent éloigné, est mort près de Prague, dans son château; et
IDENSTEIN entre avec FRITZ et d'autres vassaux. monseigneur va prendre possession du domaine.
IDENSTEIN. — N'y avait-il pas un héritier direct?
IDENSTEIN. — La belle affaire! la superbe affaire! l'honnête af- f- FIUTZ —Poste! oui; mais dès longtemps on l'a perdu de vue,
faire ! un baron volé dans le château d'un prince ! où jamais , jus- 3- et peut-être n'est-il plus de cc monde. Celait un enfant prodigue,
qu'à ce jour, pareil crime n'était arrivé! éloignédepuisvingt ansde son père, lequel a refuséde lucr pour lui
FRITZ. — La chose n'était guère possible, a moins que les vais ne îe le veau gras; par conséquent, s'il vil encore, il doit être dans quel-
dérobassent aux souris quelques lambeaux de tapisserie, que coin occupé à mâcher des cosses de pois. Mais s'il venait à pa-<
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON. 3*3

raîlre, le baron trouverait le moyen de le faire taire : c'esl un grand 1 térêt Ici de ma délie, pour accumuler sur moi de nouvellesobligations
politique, et il a beaucoup d'infiuence daus certaines cours. ju
jusqu'à ce que j'en sois écrasé ! »le paiement.
C'est fort heureux. ULRICH. Attendez pour le dire, que j'en réclame
IDENSTEIN. — — Ainsi, monsieur, puisque vous ne voulez rien
FRITZ. — 11 existe bien, d'ailleurs, un petit-fils que le feu comte STRALENIIEIM. —
avait retiré des mains duprodigue, et élevé comme son héritier ; mais accepter. ac . vous êtes de naissance noble?
sa naissance est douteuse. ULRICH. — Ma famille passe pour telle.
IDENSTEIN. — Comment cela? STRALENIIEIM. — Vos actions le prouvent. Puis-je vous deman-
FRITZ.—Son père avait contracté un mariage d'amour, une sorte der d< votre nom?
de mariage de la main gauche avec la fille aux yeux noirs d'un ULRICH. — Ulrich.
exilé italien, noble aussi, dit-on, mais parti peu sortablc pour une STRALENIIEIM. — Le nom de votre famille ?
maison telle que celle des Siegendorf. Le grand - père vit celte al- ULRICH. — Quand je m'en serai rendu digne, je vous répondrai.
liance avec déplaisir; et quoiqu'il eût pris l'enfant avec lui, il nc STRALENIIEIM, à part. — C'est sans doute un Autrichien que la
voulut jamais revoir ni le père ni la mère. prudence
p oblige à cacher son origine sur ces frontières sauvages,
IDENSTEIN. — Si le jeune homme a du coeur, il peul encore faire °, le nom de son pays est abhorré. (Haut à Fritz el à Idenstein).

valoir ses droils,et filer une trame que votre baron aura de la peine Eh ^ bien ! messieurs, avez-vous réussi dans vos recherches?
à débrouiller. IDENSTEIN. — Passablement, monseigneur.
FRITZ. — Du coeur, il n'en manque pas : on dit qu'il offre un heu- STRALENIIEIM. — Le voleur est donc pris ?
IDENSTEIN. — Mais... pas positivement.
reux mélange des qualités de sa famille... impétueux comme son STRALENIIEIM. — Ou du moins, soupçonné?
père, politique comme son aïeul; mais ce qu'il y a de plus étrange,
c'est qu'il a disparu aussi, il y a quelques mois. IDENSTEIN. — Ah! pour cela oui, très fortementsoupçonné.
STRALENIIEIM. — Qui peut-il èlre?
IDENSTEIN. — Par quel diable ?... IDENSTEIN. — Nc pourriez-vous pas nous le dire, monseigneur?
FRITZ. — Tout juste, le diable seul peut lui avoir mis en tête STRALENIIEIM. — Comment le pourrais-jc, je dormais.
de partir dans un moment aussi critique, à la veille de la mort du IDENSTEIN. — Et moi aussi, ce qui fait que je n'en sais pas plus
vieillard, dont son absence brisa le coeur.
IDENSTEIN.— N'a-t-on assigné aucune cause à ce départ? que Votre Excellence.
STRALENIIEIM. — Imbécile !
FRITZ. — Mille causes diverses, dont peut-être aucune n'est la IDENSTEIN. — Si Votre Seigneurie, qui a été volée, ne reconnaît
véritable. Les uns ont dit qu'il élail allé à la recherche de ses pa- le voleur, comment moi, qui ne l'ai pas été, lo dislingucrais-je
rents; d'autres, qu'il a voulu s'affranchir de la contrainte que lui pas J
parmi de gens? Permettez-moi dédire à Votre Excellence que
imposait le vieillard (mais cela n'esl guère probable, car ce dernier jrien tant
ne peut faire connaître le voleur à ia vue : il ressemble à
en raffolait). Un troisième prétendait qu'il avait été prendre «lu ser- tout le monde, et peut-être a-t-il encore meilleure mine que d'au-
vice dans les armées; mais la paix ayant suivi de près son départ, , Ce n'est qu'à la barre du tribunal et en prison que les gens
il serait maintenant de retour. Un quatrième enfin conjecturait eha-
tres.
,

ritablcmcnl, d'après ce qu'il y avait en lui d'étrange el de myslé- paraisse avisés


' reconnaissent un criminel : que l'homme qui vous a volé y
seulement, et j'en réponds, coupable ou non, sou visage
rieux, que le jeune homme, dans la sauvage exubérance de sa na- lo fera condamner.
ture, élait allé se joindre aux bandes noires qui dévastent la Lusacc, STRALENIIEIM, à Fritz. — Dis-moi, Fritz; qu'a-t-on fait pour se
les montagnes de la Bohême et la Silésie, depuis que la guerre a
fait place à un système de brigandage, chaque troupe ayant son mel Ire sur les traces du voleur ?
FRITZ. — Ma foi, monseigneur, on n'a guère fait jusqu'à présent
chef, et chefs et 'soldats ligués contre le genre humain.
«rue des conjectures,
IDENSTEIN. — Impossible! un jeune héritier, élevé dans le luxe STRALENIIEIM—Sans parler do la perle, qui, je l'avoue, m'nffcclc
et l'opulence, risquer son honneur pour vivre avec des soldats li- en ce moment d'une manière sensible, je désirerais découvrir le
cenciés, des gens sans aveu. coupable par des motifs d'ordre public; car un voleur aussi adroit,
FUIT/.. — Le ciel sait cc qu'il en est ! mais certaines natures sont capable du se faire jour parmi mes gens, de traverser un si grand
tellement imbues d'un goût farouche pour les entreprises hasar- nombre de chambres éclairées el habitées, d'arriver jusqu'à moi
deuses, qu'elles cherchent le péril comme un plaisir. Rien ne' jicndanl mon sommeil, et de me dérober mon or sous mes yeux à
peut civiliser l'Indien ni apprivoiser le tigre, leur enfance fùt-elle1 peine fermés un tel coquin aurait bientôt dévalisé votre bour-
nourrie de lait et «le miel. Après lout vos Wulleiislcin, vos Tilly, gade, monsieur l'intendant.
vos Gustave, vos Banncr, vos Torslenson et vos Weimar n'étaient1 IDENSTEIN. — Cela serait à craindre, s'il y avait ici quelque
que des brigands sur une grande échelle; maintenant qu'ils on dis- chose à prendre,
paru et que la paix est proclamée, ceux qui veulent se livrer aui ULRICH. — De quoi donc s'ugil-il?
même passe-temps doivent agir pour leur compte. Mais voici le ba- STRALENIIEIM. — Vous n'êtes venu nous r'joindre que ce malin
ron avec le Saxon qui a le plus contribué à le sauver, et qui a» et vous ne pouvez pas encore savoir qu'on m'a volé la nuit der-
quille ce malin la chaumière sur les rives de l'Oder. nière.
(STRALENIIEIM entre avec ULRICH.) ULRICH. — J'en ai entendu dire quelque chose en traversant le
vestibule, mais voilà tout.
STRALENIIEIM. —Généreux étranger, en refusant toute récom- STRALENIIEIM. — C'est un étrange événement. Voici l'affaire.
pense, vous me réduisez à ne pouvoir vous payer ma dette mêmeé J'étais endormi dans un fauteuil, ayant devant moi une table sur
paroles et faites rougir de la stérilité de nia reconnais-
en ;
comparée
vous ine
à voire fail moi.
r laquelle il y avait de l'or (en plus grande quantité queje n'eu vou-
sauce, ce que courage a pour drais perdre); un coijuin subtil est parvenu à se faire jour à travers
ULRICH. — Ne parlons plus décela, je vous prie.
STRALENIIEIM. — Mais ne puis-je vous être utile? Vous êles jeune,
mes domestiques et les gens du château , et m'a emporté cent du-
'i cats, queje ne serais pas fâché de retrouver. Voilà tout. Comme je
et voire nature est de celles qui produisent les héros ; vous êless me sens encore faible, voudriez-vous, au service important que vous
bien l'ait, brave : le service que vous m'avez rendu en est la preuve; '\ m'avez rendu hier, en ajouter un autre moins considérable, mais
et sans doute avec des qualités aussi brillantes, vous affronteriez z auquel je mets quelque prix? c'est d'aider ces gens, qui me parais-
les glorieux périls de la guerre comme vous avez bravé la fureur r sent un peu tièdes, à recouvrer mon argent.
des eaux pour sauver un inconnu , d'une
mort imminente. Vous êles'S ULRICH.—Trèsvolontiers, et sans perdre de temps... (A Idenstein.)
né pour la carrière des armes. J'ai servi moi-même, j'occupe unn Venez
grade que je dois à ma naissance et à mes services ; j'ai des amis avec moi, monsieur.
is IDENSTEIN. — On avance rarement les choses avec tant de hâte,
qui seront les vôtres. Il est vrai qu'un intervalle de paix est peu u el...
favorable à une pareille profession; mais avec l'inquiétude qui tra- *" ULRICH. — On les avance bien moins encore en ne bougeant
vaille les esprits, cet élat de choses ne peut être d'une longue du-
rée; après trente ans de combats, la paix n'est qu'une petite guerre l_ pas.-.. Nous causerons en marchant.
"e IDENSTEIN. — Mais...
dont chaque forêt est le théâtre, ce n'est véritablement qu'une trêve .c Ui.iuou. — Montrez-moi l'endroit d'abord.
armée, lin attendant les hostilités sérieuses, vous pourrez obtenir "' FRIT/.. — J'irai avec vous, monsieur, si Son Excellence veut bien
un grade, simple point de départ pour un aulre plus élevé ; et, par u' le permettre.
mon influence, vous ne sauriez manquer d'arriver aux plus hauts is STRALENIIEIM. — Va, el emmène avec loi ce vieil âne.
postes. Je parle du Brandebourg, où je suis en crédit auprès de l'é- B" FRITZ. — Parlons !
lecteur; en Bohême, où nous sommes en cc moment, jc suis étran- 1_ ULRICH, à Idenstein. — Viens, vieil oracle, et lu nous expliqueras
ger comme vous. tes énigmes. (Il sort avec Idenstein et Fritz)
ULRICH. — Je suis saxon, monsieur, comme vous le voyez à mon m
costume, et naturellement je dois mes services à mon souverain; si STRALEKIIEIM, seul. — Voilà un jeune homme résolu, actif,
je décline votre offre, c'est avec le même sentiment qui vous l'a in- a- à l'air militaire ; beau comme Hercule avant lo premier de ses
spirée. travaux! Quand il est en repos, son front révèle des pensées
STRALENIIEIM. — Comment donc ! mais c'esl une véritable usure B ! au-dessus, «le son âge, jusqu'à ce «pic son regard s'anime sous
Je vous dois la vie, et vous mç refusez le moyen d'acquilcr l'in- n- I le regard qui l'interroge. Je voudrais
me l'attacher. J'ai be-.
3W LES VEILLÉES LITTÉIIAIRES ILLUSTRÉES.

soin de quelques esprits de celte trempe ; car il faudra lutter que j'éprouve , en allégeant mon coeur d'une portion de sa longue
qu
pour obtenir cet héritage , et jc ne suis pas homme à IV «telle,
«le la dette du devoir, non de,l'amour, car je n'ai jamais cessé
liandonner sans combat. 11 en est ainsi de ceux qui s'interposent de vous aimer... Pardonnez-moi ce long délai, je n'en suis pas cou-
cuire moi el l'objet de mes désirs. Le jeune prétendant est, dit-on, pable.
pa
plein de coeur ; mais, dans un moment de caprice ou de folie, il a JOSÉPHINE.
— Je le sais; mais je nej'en
puis maintenant m'occuper
disparu laissant à la fortune le soin de défendre ses droits : c'est de sujets de douleur; je doule même si eus jamais : cc transport
bien!... . Le père, que jc suis à la piste depuis quelques années, dé
délicieux les a effacés de ma mémoire!... mon fils! (WERNEIIe»<»'e.)
comme pourrait le faire un limier, sans jamais l'apercevoir , mais
aussi sans jamais perdre sa trace, était parvenu à me mettre en WERNER. — Que vois-je !... encoreun nouveauvisage !
d'faut; mais ici jc le liens, et tout est pour le mieux. Ce doit êlre JOSÉPHINE. —Non, regarde le! Qui est-ce?
lui ! tout me le dil. Oui, cet homme, son aspect, le mystère et l'épo- WERNER. —Un jeune homme queje n'aijamais vu.
que de son arrivée, ce que l'intendant me dit de l'air de dignité et ULRICH, s'agenouillant.— Que vous n'avez pas vu depuis douze
de l'aspect étranger de sa femme, l'antipathie qui s'est manifestée longues
lo années, mon père!
entre nous dès notre première rencontre, comme le lion et le ser- WERNER. — O Dieu !
pent reculent en présence l'un de l'autre, tout m'affermit dans cette JOSÉPHINE.—Il perd connaissance.
opinion. Quoi qu il en soit, nous nous mesurerons. Dans quelques WERNER. — Non, je suis mieux... Ulrich ! (Il l'embrasse.)
heures, l'ordrearrivera deFrancfort, si, comme le temps l'annonce, ULRICH. — Mon père! monsieurde Sicgendorf !
le fleuve ne continue pas à monter. Je metlrai ce prétendu Werner WERNER, tressaillant. — Silence! mon fils; les murs pourraient
eu sûreté dans une prison où il devra faire connaître son état et son entendre
ei ce nom.
nom véritables. Et lors même qu'il ne serait pas ce que je soup- ULRICH. — Eh bien?
çonne, quel mal y aura-t-il après lout? Ce vol lui-même (à part la WERNER. — Eh bien... mais nous parlerons de cela plus lard.
.
perte réelle) est un incidentheureux. Notre homme est pauvre , et Rappelle-toi
R que je ne dois être connu ici «lue sous le nom de Wer-
par conséquent suspect; il est inconnu, et nécessairement sansdé- ner!
n Viens! viens encore dans mes bras! Ah! tu es toul ce que
fense... est vrai que nous n'avons pas de preuve de sa culpabi-
11 j'
j'aurais dû être, toul ce queje n'ai pas élé. Joséphine! non, ce n'est
li le mais quelles preuves a-t-il de son innocence ? Si, sous d'autres ppas la tendresse paternelle qui m'éblonit : si je 1 avais vu au milieu
rapports, c'était un homme indifférent pour moi, je soupçonnerais dde dix mille jeunes gens des plus distingués, mon coeur l'aurait
plutôt le Hongrois, en qui je remarque des choses qui ne* me plai- choisi
c pour mon fils.
sent pas, et qui d'ailleurs, à l'exception de l'intendant, des gens du ULRICH. — Et pourtant, vous ne m'avez pas reconnu!
prince et des miens, a élé seul admisdans mon appartement. WERNER. — Hélas! j'ai dans mon âme quelque chose qui, au pre-
(GABOR entre). mier
n coup d'oeil, ne me laisse voir dans les hommes que le mal.
ULRICH. — Ma mémoire a mieux servi ma tendresse : jc n'ai rien
Eh bien I ami, comment vous trouvez-vous?
GAIIOII. — Comme les gens qui se trouvent bien partout, quand
oublié;
j, et, sous les orgueilleux lambris «le (je ne nomme-
ils ont soupe et dormi n'importe comment... et vous, monseigneur ? rai pas ce lieu, puisque, dites-vous, il y a péril à le faire).... au
milieu des pompes féodales du manoir de mou aïeul, combien de
STIIALENHEIM.— Chez moi, l'article du repos va mieux que celui coucher du soleil, j'ai tourné mes regards vers les monta-
de la bourse; mon auberge va probablement me coûter cher. 'f au
fois,
de la Bohême, et pleuré de voir un autre jour se clore entre
GAIIOR. — J'ai entendu parler de voire perte ; mais c'est une gnes
"j

bagatelle pour vous. vous et moi, séparés par ces hautes barrières ! Elles ne nous sépa-
STRALENIIEIM. — Arous penseriez autrement peut-êlre si vous
reront plus.
WERNER. — Je l'ignore. Sais-tu que mon père a cessé de vivre?
étiez le perdant. ULRICH. — O ciel I je l'avais laissé dans une vieillesse pleine de
GABOR. — Je n'ai jamais eu tant d'argent à ia fois, el je ne puis verdeur, semblable à un chêne chargé d'années, mais opposant en-
par conséquent décider la question. Mais je vous cherchais. Vos core un tronc robuste au choc des éléments, au milieu des jeunes
courriers sonl revenus sur leurs pas... je les ai rencontrés en route.
: il y a décela trois mois a peine.
;arbres qui tombentautour de lui
STRALENIIEIM.— Vous! comment? ' WERNER. Pourquoi l'as-tu «paillé?
Ganon. — A la pointe du jour, j'ai élé voir où en étaient les eaux, —
JOSÉPHINE, embrassant Ulrich. —Peux-tu le lui demander'
impatient que j'étais de continuer mon voyage. Vos messagers se N'est-il
sont trouvés comme moi dans la nécessite d'altendre; et, voyant
, pas ici ?
WERNER. —C'est vrai ! il est allé à la recherche de ses parents
qu'il n'y a pas de remède, jc me résigne au bon plaisir du fleuve. el il les a trouvés, mais comment! et dans quel étal !
STRALENIIEIM.— Les vauriens mériteraient d'être au fond! Pour-' '
ULRICH. — Tout ira mieux. Ce que nous avons à faire, c'es
quoi n'ont-ils pas du moins tenté le passage? jc l'avais ordonné à
lous risques.
d'aller soutenir nos droits ou plutôt les vôtres; car jc renonce i
loulc prétention, à moins que mon aïeul n'ait disposé en ma l'aveu
GABOR. —Si vous aviez pu ordonner aux flots de l'Oder de s'en-' de la plus grande partie de ses biens : dans cc cas, je ferais valut
trouvrir, comme fit Moïse à la mer Bouge, et si l'Oder vous eût
obéi, ils auraient sans doute tenté l'aventure. mes droits pour la forme; mais j'espère qu'il en est autrement, c
STRALENIIEIM.— Il faut que je voie cela; les marauds! les misé- «pie tout vous appartient.
WERNER. — As-tu entendu parler de Straleniieim?
rables 1... mais ils me le paieront! (Straleniieim sort.) ULRICH. — Hier, jc lui ai sauvé la vie; il est ici.
WERNER. —Tu as sauvé le serpent qui nous perdra tous.
GAIIOR, seul.—Voilà bien mon noble, féodal et égoïste baron!.
ULRICH. —Je ne vous comprends pas : ce Straleniieim, qu'a-t-
l'épitoiné de ce qui nous reste des preux chevaliers du bon vieuxK de commun avec nous ?
temps! Hier, il aurait donné ses domaines(s'il eu a), el plus encore, I' WERNER. — Plus de choses que tu ne penses : il revendique l'ht
ses seize quartiers, pour autant d'air qu'il en lient dans une vessie,
!' rilage de mon père; il est notre parent éloigné, notre plus luorii
pendant que, la tête à demi sortie de la porlière de son carrosse sub-'" ennemi.
mergé il se débattait avec les flots; et maintenant, il s'emporte ? ULRICH. — J'entends son
contre ,une demi-douzaine de valels, parce qu'eux aussi tiennent à,l nom pour la première fois. Le comte,
leur vie 1 Mais il a raison, cel attachement est bien étrange de leur est vrai, parlait quelquefois d'un parent qui, dans le cas où la l'gr
pari dans un monde où un pareil homme a le droit de leur fairee.
!r directe viendrait à s'éteindre, pourrait avoir des droils éventuels
lout risquer au gré de son caprice. O monde! tu n'es véritablement sa succession ; mais ses li 1res n'ont jamais élé désignés plus clain
qu'une triste plaisanterie1 (Gabor sort.) ment devant moi. Et qu'importe, d'ailleurs? son droit s'efface di
vant le nôtre.
WERNER. Oui, si nous étions à Prague; mais, ici, il est lot
SCÈNE H, puissant. Il —a tendu ses pièges autour de nous, et si j'ai pu m
soustrairejusqu'à ce jour, c'esl à la fortuneseule que j'en dois rend
L'appariementde Werner dans le château. grâce.
ULRICH. — Vous connaît-il personnellement?
WERNER. — Non ; mais il a des soupçons qui se sont trahis hii
' Entrent JOSÉPHINEet ULUICII. soir; et je ne dpis peut-être ma liberté qu'à son hésitation.
ULRICH — Je pense que vous l'accusez à tort ( pardoimez-m
JOSÉPHINE. — Reste ainsi un moment, que je te regarde encore;!! celle liberté) : Straleniieim n'est pas ce que vous croyez; el, da
Mon Ulrich!... mon bicn-aimél... se peul-il... après douze ans? lous les cas, il m'a des obligations. Je lui ai sauvé lu vie; à ce liir
ULRICH-— Ma bonne mère ! il m'accorde sa confiance. Il a été volé depuis son arrivée ; il i
JOSÉPHINE.—Oui, mon rêve s'est réalisé... que mon fils esl beau!... malade, il est étranger, et, comme tel, n'étant pas capable
au-delà de tout'ce que j'ai désiré! O ciel! reçois les remercîments ts faire lui-môme les recherches nécessaires pour découvrir l'infàii
d'une mère el ses larmes de joie! C'esl bien ton ouvrage!... en un
in qui l'a dévalisé j'ai pris l'engagement de le remplacer en cette c
tel moment, ce n'est pas seulement un fils, c'est un sauveur qui nous
us casion ", et c'est ,là le principal motifqui m'amenaitici ; mais en clu
arrive. I chant l'argent d'un autre, j'ai trouvé moi-même un trésor
ULRICH. —Si un tel bonheur m'est réservé, il doublera l'ivresse vous ai trouvé. ....
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD RYRON. 345

WERNER avec agitation. — Qui a pu l'apprendre à prononcer lement exposé à ses coups? Qui m'assure qu'il ne le connaît pas,
,
ce nom d'infâme? que ses artifices nc t'ont pas amené ici pour t'immoler, ou le plon-
ULRICH. — Quel nom plus noble puis-je donner à des voleurs ger avec tes parents dans un cachol? (Il s'arrête.)
vulgaires? ULRICH. — Achevez achevez !
WERNER. — Qui a pu t'apprendre à flétrir un inconnu d'un stig- WERNER. — Moi, il m'a poursuivi dans tous les temps dans
mate infernal ? toutes les positions, sons tons les noms Pourquoi pas loi ,aussi?
ULRICH. — Je n'obéis qu'à mes propres sentiments quand je qua- Es-tu plus versé dans la connaissancedes hommes ? Il m'a entouré
lifie un malfaiteur d'après ses actes. de pièges a semé sur ma voie des reptiles ; dans ma jeunesse, il
,
WERNER. — Qui t'a dil, enfant longtemps regrellé el que je re- eût suffi de mon mépris pour les écarter de ma présence ; mais au-
trouve pour mon malheur; qui t'a dit que tu pourrais insulter im- jourd'hui mon dédain ne ferait que leur fournir de nouveaux poi-
punément ton père ? sons. Veux-tu m'écouter avec calme? Ulrich 1 Ulrich! Il est des
ULRICH. — J'ai parlé d'un infâme : qu'y a-l-il de commun entre crimes allénués par les circonstances, et des tentations que la na-
un pareil être el mon père? ture ne peut ni maîtriser ni éviter.
WERNER. — Tout! Cet ULRICH
.
Il regarded a-
infàtne est Ion père! bord son père, puis Jo-
JOSÉPHINE.
— O mon séphine. — Ma mère!
fils! ne le crois pas WERNER. — Oui ! je le
Et cependant.... prévoyais ; il no te reste
(La voix lui manque.) plus qu'elle. Moi, j'ai
ULRICH. Il tressaille, perdu à la fois et mon
regarde fixement IFer- père et mon fils.
ner, puis lui dit lente- ( IFerner sort préci-
ment : — Et vous l'a- pitamment.)
vouez ?
WERNER. — Ulrich ULRICH- — Arrêtez!
avant de mépriser ton, JOSÉPHINE, à Ulrich.—
père, apprends à con- Ne le suis pas; attends
naître les hommes. Jeu- que cet orage se soit cal-
ne , impétueux , nouvel- mé. Penses-tu que jc ne
lement entré dans la vie, l'aurais pas suivi moi-
élevé au sein de l'opu- même si cela eût pu le
lence, est-ce à toi de me- soulager ?
surer la force des pas- ULRICH. — Je vous
sions ou les tentations obéis, ma mère, quoi-
du malheur? Attends (ce qu'à regret ; mon pre-
ne sera pas bien long, mier acte nc sera pas un
car le malheur vient, acte de désobéissance.
comme la nuit, d'un pas JOSÉPHINE. — Oh I ton
rapide)... attends que tu père est bon ! nc le con-
aies vu comme moi tes damne pas sur son pro-
espréonces flélries... que pre témoignage ; mais
le chagrin cl la honte crois-en la mère, qui a
soient devenus tes servi- tant souffert avec lui et
teurs , la famine cl la pour lui : tu n'as vu que
pauvreté tes convives, le la surface de son âme ;
désespoir Ion compagnon elle contient de meilleurs
de lit alors, lève-toi, sentiments dans ses pro-
et prononce ! Si jamais fondeurs.
cc jour arrivait pour toi; ULRICH.— Ces princi-
si lu voyais le serpent qui pes n'appartiennent donc
a enlacé de ses replis tout qu à mon père? Ma mère
cc que lu as de plus cher ne les partage pas ?
cl de plus précieux étendu JOSÉPHINE.
— Il ne
et endormi sous tes pas, pensepas lui-même com-
cl les anneaux du reptile me il parle. Hélas ! de
s'interposanl seuls entre longues années de cha-
le bonheur et toi ; si le grin ont altéré sa rai-
hasard mettait en ton son , qui chancelle quel-
pouvoir celui qui ne res- quefois.
[ pire que pour le ravir ULRICH. — Expliquez-
j Ion nom, les biens et la moi dortc clairement les
j vie môme; si tu te voyais prétentions de Stralen-
'
un couteau à la main, la iieim, afin qu'après avoir
nuil te couvrant de son Meurtre de Stralenheiin. tout considéré, je sache
manteau, le sommeil fer- ce que j'ai à lui dire, ou
mant toutes les paupières, que je puisse du moins
même celles de Ion plus vous délivrer de vos pé-
mortel ennemi ; si tout rils actuels. Je prends
l'invitait à lui donner la mort, jusqu'à ce sommeil qui en est ! l'engagement de le faire Que ne suis-je arrivé quelques heures
l'image et que sa mort pût seule le sauver remercie Dieu, alors, plus tôt !
, ! si
, " mon fils content d'un faible larcin , tu te détournes et l'éloi- JOSÉPHINE. — Ah ! plût au ciel !
gnés : c'est ce que j'ai fait. (GABOR et IDENSTEIN entrent avec divers domestiques.)
ULRICH. — Mais
WERNER, brusquement.—Laisse-moi! Je ne puis entendre une GABOR, à Ulrich. — Je vous cherchais, camarade. Voilà donc ma
voix d'homme à peine osé-je écouler la mienne (si toule- récompense?
i fiis c'est encore une voix humaine).... Laisse moi continuer I Tu ULRICH. — Que voulez-vous dire ?
; ne
connais pas cet homme Je le connais, moi. Il est lâche, per- GAIIOR — Corbleu ! suis-je arrivéà mon âge pour cela ? (A Iden
liile, avare. Tu le crois en sûreté parce que lu es jeune et brave ; stein. ) Quant à toi, n'étaient les cheveux gris el la bêtise, je
î mais apprends que nul ne peut se soustraireà la haine implacable IDENSTEIN. — Au secours! ne me louchez pas ! Mettre la main
e
cl à la trahison. Mon plus grand ennemi, Stralcnheim
,
lo{:é dans sur un intciidanl!
ce château, couché dans la chambre du prince, était livré à mon GAIIOR. — Je ne te ferai pas l'honneurde sauver ton cou de la po-
B
poignard! Un instant un léger mouvement la moindre im- tence en t'élranglant de mes propres mains.
Imlsion m'eussent délivré de lui et do toutes mes terreurs sur la IDENSTEIN — Je vous remercie de ce sursis; mais il est des gens
Il était en mon pouvoir.... ma main étail levée.... le fer s est qui en onl plus besoin que moi.
c terre.
létourné de lui et me voila en sa puissance !.... N'es-tu pas éga- ULRICH. — Expliquez-moi celte singulière énigme.
MO LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTREES.

GAIIOII. — Voici le fail : le baron a élé volé, et le digne person- GABOR.


— Monsieur, monsieur, ce n'est pas là de la franchise-
nage que voici a daigné faire tomber sur moi ses bienveillants soup- c'est
c'( une lâche équivoque; vous savez que vos doutes sonl des cer-
çons; moi qu'il a vu hier pour la première fois. titudes
lit pour lous ceux qui vous entourent... 11 y a dans voire voix,
IDENSTEIN. — Fallait-il donc soupçonner mes amis et connais- dans
«la le froncement de vos sourcils une sentence; vous abusez ici
sauces ? Sachez que je hante meilleure compagnie que cela de
de voire pouvoir; mais prenez-y garde! vous ne connaissez pas
GABOR. — Tu ne tarderas pas à hanter la meilleure et la «1er- ce que vous prétendez fouler aux pieds.
celui
nière pour tout le monde, celle des vers du cercueil, méchant STRALENIIEIM.
— Vous menacez !
drôle. (Gabor le saisit.) GABOR. — Moins que vous n'accusez. Vous insinuez contre moi
r
ULRICH, s'interposaiit. — Point de violence ! il esl vieux, désar- l'i
l'imputation la plus lâche. J'y réponds par un avis plein de fran-
nié... contenez-vous, Gabor. chise.
cl
GABOR lâchant Idenstein. — Vous avez raison je suis un sot STRALENIIEIM. Comnie vous l'avez dit, il est vrai que je vous
, , —
«le m'oublicr, parce que des imbéciles me prennent pour un fripon ; dois quelque chose; il paraît que votre intention est de vous pajci- (
d<
c'est un hommage de leur part. p; vos mains.
par
ULIUCH, à Idenstein. — Comment vous trouvez-vous? GAIIOR.
— Ce n'est pas du moins avec votre or. j
IDENSTEIN. — Au secours ! STRALENIIEIM.
— C'est alors en insolence. (A ses gens el à S
lji.i:icii. — Je vous ai secouru, Idenstein. h
Idenstein.) Vous pouvez laisser cet homme : qu'il soit libre de cou- '
IDENSTEIN. — Tuez-le, et j'en conviendrai. limier
li son chemin. Ulrich, adieu. (Straleniieim sort avec Iden- j
GAIIOR. — Je suis calme... je te laisse la vie! slin
si et ses gens.)
IDENSTEIN. — C'est plus qu'on ne fera pour vous, s'il y a des
juges cl des tribunaux en Allemagne. Le baron décidera. GABOR, le suivant. Je le suivrai el... [
ULRICH, l'arrêtant.

GAIIOR. — Te soutient-il dans ton accusation? — Ne faites point un seul pas. ;
IDENSTEIN. T- Certainement. GABOR-
— Qui m'en empêchera? i
GABOR.
— Une autre fois il pourra couler à fond avant que jo ULRICH. — Votre propre raison', après un moment de réflexion. [
,
me baisse pour l'empêcher de se noyer. Mais il vient... (STRALEN- GABOR. —Me fuul-il supporter un tel affront?

IIEIMentre. Gabor va à lui.) ULRICH. — Bah! nous sommes tous obligés de supporter l'arro- ''

Noble seigneur, me voici... gance...


g Les plu» hauts ne peuvent désarmer Satan ni les plus >
STRALENIIEIM. — Eh bien ? humbles
Il ses vice-gérants sur la terre. Je vous ai vu braver
,
les élé-
GABOR. —Avez-vous à me parler? i
ments, el supporter des choses en face desquelles ce ver à soie eût
STRALENIIEIM. — Qu'aurais-je à régler avec vous? changé
c de peau... et il suffira de quelques paroles ironiques pour
GABOR — Vous le savez bien, si le bain d'hier ne vous a paslôé i
vous déconcerter!
lu mémoire. Mais ceci n'est qu'une bagatelle : pour m'expliquor j GAHOII.—-Doîa-jesouffrirqu'on me prenne pour un voleur? Passe
;
plus catégoriquement, jc suis acousé par cet intendant d'avoir pillé encore
« pour un bandit de la forêt... il y a dans ce métier quelque î

votre personne ou votre chambre : l'accusation vient-elle de vous chose


« de. hardi,-., mais dérober l'argent d'un homme endormi !
ou «le lui ? ULRICH. *» Il semblerait donc que vous n'êtes pas coupable?
STRALENIIEIM. — Je n'accuse personne.
GAIIOR. —Alors vous me mettez hors de cause ?
GABOR, = Ài*je Won entendu? vous aussi ?
ULRICH, -*• C'est une simple question.
j
|
STRALENIIEIM. — Je ne suis qui accuser ou mettre hors de cause ; GAROH.-^-AUjuge qui me la ferait, je répondrais: Non!...à vous,
jc sais il peine qui soupçonner. voici nia. réponse. (// met l'épée à la main.)
GAIIOII. — Mais du moins vous pouvea savoir qui vous no devez: ULf.HiH,, tirant la tienne. — Do tout mon coeur.
pas soupçonner. Je suis insulté.... injurié par vos lâches valets, ett Josih-HINP. ^=- Au secours! au secours! au meurtre ! (Joséphine
c'est près' de vous que je réclamo,,, qu'ils apprennent île vous leurr soft eii çfUint^, Cabaret Ulrich se battent; Gabor est désarmé un
devoir 1 Pour cela ils doivent commencer pur chercher le voleurr moment où arrivent STRALENIIEIM, JOSÉPHINE, IDENSTEIN, etc )
parmi eux ; en un, mol, si j'ai un accusateur, qu'il soil digue d'uni
nomme tel que moi. Je suis voire égal. JOSÉPHINE. —- O Dieu puissant! il
Joséphine.
est hors de danger.
STRALENIIEIM. —Vous? SfRALENiiEiit,« — Qui?
GAUOR. — Oui, monsieur, et votre supérieur poul êlre. Mai9 con- JOSÉPHINE;, -^lijon...
tinuez... Il ne s'agit pas de demi-mots, do cuujeolures, ni même,e. ULRICH, l'interrompantuV'un regard, puisse tournant vers Stra-
«lo preuves circonstancielles; jc sais asse» W qil«> j'ai fait pour voua,i, lenheim. —±Tous deux! il n'y a pas grand mal.
cl cc que vous me devez et par consô.iiM«jrtij'aurais attendu, monn STRALENIIEIM, -*- Quelle est la cause «le lout ceci?
paiement sans le prendre, moi-même,- ai volfé or m'avait (enté. Jee ULRICH. -^ Je pensé que c'est vous, baron ; mais puisqu'il n'en
sais aussi que, fussé-je le fripon pour qui l'on me prend, le service ,è esl rien résulté , no vous inquiétez pas... Gabor, voici votre épée.
que jc vous ai rendu tout récemment ne vous permettrait pas deo La première fois qu'il vous arrivera de vous en servir, que ce ne soit
poursuivre ma mort sans déshonorer votre écusson. Mais loul celaa pas contre vos amis. (Ulrich appuie sur ces derniers mots qu'il
n'esl rien , je vous demande justice de vos insolents serviteurs ; joo prononce avec l#rtt(uf et à voix basse.)
demande que votre bouche desavoue lo sanction dont ils prétendent il GABOR. — Je vous remercie, moins pour ma vie que pour votre
couvrir leur impudence ; c'esl bien le moins quo vous deviez à conseil.
voire sauveur. STRALENIIEIM. — Ces querelles doivent avoir une fin.
STRALENIIEIM. — Ce Ion peut être celui de l'innocenée. GABOR, prenant son épée — lilles finiront. Vous m'avez fait tort,
GABOR. — Morbleu ! qui oserait en douter, sinon des coquins qui ni Ulrich plus par vos doutes injurieux que par votre épée ; j'aime-
, sentir celle ci dans mon coeur que de rencontrer
ne l'ont jamais connue. rais mieux
STRALENIIEIM. — Vous vous échauffez, monsieur. le soupçon dans le vôtre. J'aurais pu supporter les absurdes insi-
GAIIOR. — Dois-je me transformer en glaçon sous le souffle de le limitions de ce noble seigneur... l'ignorance et les méfiances slu-
quelques valels et de leur maître? pides font partie de son apanage et dureront plus longtemps que
,
STRALENIIEIM. — Ulrich! vous connaissez cet homme? jo l'ai ai ses domaines... mais je suis de force à lui répondre. Quant à vous,
trouvé dans voire compagnie. vous m'avez vaincu ; une sotte colère m'a poussé à lutter avec vous,
GAIIOR. — Nous vous avons trouvé dans l'Oder, et nous aurions us vous que j'avais vu triompher de plus grands périls que celui de.
dû vous y laisser. mon épée. Nous nous reverrons un jour... mais en amis. (Gabor
STRALENIIEIM. — Je vous offre mes rcmercîmeiits, monsieur. sort.)
GABOR. —Je les ai mérités; mais d'autres peut-êlre m'eussent nt
" accordé davantage si jc vous avais laissé à votre destin. STRALENIIEIM. — Je n'en veux pas endurer davantage! cet ou-
STRALENIIEIM. — Ulrich ! vous connaissez cet homme? trage, ajouté à tous les autres, peut-êlre à son crime, efface le p u
GABOR. — 11 ne me connaît pas plus que vous, s'il ne rend pas as que inéritailson aide trop vanté ; car c'est à vous surtout que je dois
témoignage à mon honneur. la vie. Ulrich, n'ètes-voUs pas blessé?
ULRICH. — Je puis attester votre courage, et même autant que ne ULRICH. — Je n'ai même pas une égratignure.
m'y autorise noire courte liaison, je puis garantir votre honneur. STRALENIIEIM, à Idenstein. — Monsieur l'intendant, prenez vos
STRALENIIEIM. — Alors je suis satisfait. mesures pour vous assurer de cet homme. Je reviens sur ma préeé-
GAIIOR, avec ironie.—Facilement, cerne semble. Qu'y a-t-il donc nc dente indulgence; je veux l'envoyer â Francfort avec une escorte,
dans son affirmation de plus que dans la mienne ? dès que les eaux du fleuve seront baissées.
STRALENIIEIM. — J'ai dil que j'étais satisfait, non que vous étiez icz IDENSTEIN. —M'assurer de lui ! il a encore son épée... il paraît
absous. s'en servir à merveille, c'esl probablement son métier; moi, jo suis
GABOR. — Encore ! suis-je accusé, oui ou non ? dans le civil.
STRALENIIEIM. — Allons donc! vous devenez par trop insolent... t... STRALENIIEIM.— Imbécile!, cette escouade de vassaux qui est sur
Si les circonstances cl la rumeur générale s'élèvent contre vous,
us, vos talons ne suffil-ellepaspour en arrêter une douzainecomniolui?
est-ce ma faute? Ne vous suffit-il pas que je n'intervienne en rien
ien Allons, pariez.
dans ht question de votre culpabilité ou de votre innocence? ULIUCII. baron, je \'ous supplie!
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYHON. 3W

STRALENIIEIM.— Pas un mol! je veux être obéi. lienne, la fille d'un proscrit, et qui vit avec ce Werner «l'amour et
IDENSTEIN.— Allons, puisqu'il le faut absolument... En avant! île privations...
vassaux ! Jc suis voire commandant, et je formerai l'arrière-gartle; ULRICH.
— Ils sonl donc sans enfants ?
un sage général ne doit jamais exposer sa précieuse vie... sur la- STRALENIIEIM. Il y a ou il y avait un
— bâtard que le vieillard,
,
quelle tout repose. J'aime cet article du code de la guerre. (Iden- le grand père (vous savez que la vieillesse est faible) avait pris
stein sort avec les domestiaues.) près de lui pour se réchauffer le coeur sur la route glaciale deau- la
tombe; mais ce jeune homme n'est point un obstacle pour moi., 11
STRALENIIEIM.—Venez, Ulrich. Que fait ici celle femme? Oh ! je s'est enfui, pour aller personne ne sait où; et quand même il serait
la reconnais: c'est l'épouse de l'étranger qui se fait appeler Werner. présent, ses prétentions sont trop peu fondées pour me donner de
ULRICH. — C'est son nom. l'inquiétude... Qu'est-ce qui vous l'ait sourire?
STRALENIIEIM. En vérité ! Votre mari est-il visible, belle dame? ULRICH. — Vos vaines craintes. Un pauvre homme presque en

JOSÉPHINE,
— Qui le demande ? votre pouvoir... un enfant de naissance douteuse, voilà ce qui ef-
STRALENIIEIM- Personne... pour le moment. Mais, Ulrich, j'ai fraie un grand seigneur !

à vous parler en particulier. STRALENIIEIM.
— On doit tout craindre quand on a lout à ga-
ULRICH.
— Je vais me retirer avec vous. gner.
JOSÉPHINE.— Non, vous êles le plus étranger ici; on doit vous ULRICH- — C'est vrai, et c'est pour cela qu'on doit lout faire.
céder la place. (Bas à Ulrich en se retirant.) Ulrich, prends garde! STRALENIIEIM.
— Vous avez touché la corde sensible : puis-je
souviens-toi qu'un seul mol imprudent peut nous perdre. compter sur vous?
ULRICH, bas à Joséphine. Ne craignez rien. (Joséphine sort.) ULRICH. •— H serait trop lard pour en douter.

STRALENIIEIM. Qu'une sotte pilié n'ébranle pas votre âme (car
STRALENIIEIM. — Ulrich, je puis certainement me fier à vous: l'extérieur de cet—
homme esl fait pour attendrir); c'esl un misérable,
vous m'avez sauvé la vie... et de tels services commandent une con- qui peul loul aussi bien êlre l'auteur du vol que le drôle sur qui
fiance illimitée. planent les soupçons, sauf que les circonstances le compromettent
ULRICH. —Parlez. moins; car il est'logé loin d'ici, el sa chambre n'a point de com-
STRALENIIEIM.—Des circonstances mystérieuses, qui datent de munication avec la mienne. A vrai dire, j'ai trop bonne opinion
loin, et sur lesquelles je ne m'expliquerai pas maintenant davan- d'un sang allié au mien pour le croire capable de descendre à un
tage, m'ont rendu cet homme importun... peut-être me sera-t-il pareil acte. D'ailleurs, il a été soldat et il s'est montré brave, quoi-
falal. que trop emporte.
ULRICH. — Qui ? Gabor le Hongrois ? ULRICH. — Et nous savons, monseigneur, que ces gens-là ne dé-
STRALENIIEIM.—Non...ce Werner, avec son faux nom et son pouillent que ceux dont ils oui fait sauter la cervelle, ce qui fait
déguisement. qu'ils en héritent, et ne les volent pas. Les morts, ne sentant plus
ULRICH — Comment cela est-il possible? c'est le plus pauvre en- rien, ne peuvent rien perdre, et par conséquent ne peuvent être
tre lous les pauvres, el la pâle maladie habile encore ses yeux volés ; leur dépouille est un legs, voilà toul.
creux ; cet homme esl dénué de lout. STRALENIIEIM.—Je vois que vous aimez à riro. Eh bien ! me pro-
STRALENIIEIM.—Jc le crois.... mais n'importe... S'il est l'homme mettez-vous d'avoir l'oeil sur cet homme, et de ni'iuslruire de la
que je le soupçonne d'être, el mes appréhensions a cel égard sont moindre tentative qu'il pourrait faire pour s'échapper?
confirmées par lout ce que je vois, jc dois m'assurcr de sa personne ULRICH. Soyez assuré que je serai en sentinelle auprès de lui,
avant douze heures. el «pie vous—nc le surveilleriez pas mieux vous-même.
ULRICH. — Et en quoi cela peut-il me concerner? STUALENHEIM. En retour, je suis eiitièreineiil a vous.
STRALENIIEIM.— J'ai envoyé demander à Francfort, au gouver-

ULRICH.
— J'y compte. (Ils sortent.)
neur qui est mon ami, une force militaire convenable; j'y suis au-
torisé par un ordre de la maison de Brandebourg...mais celte mau-
dite inondation intercepte toute communication, et l'interruption
peut durer encore pendant quelques heures.
ULRICH. — L'eau diminue.
STRALENIIEIM.— Tant mieux.
ACTE III.
ULRICH. — Mais quel intérêt puis-je avoir à cela? SCÈNE PREMIÈRE.
STRALENIIEIM.—Après avoir tant fail pour moi, vous no pouvez
êlre indifférent à cc qui m'est d'une importance plus grande que la
vie que je vous dois. Ayez l'oeil sur cel homme; il m'évite, il sait La salle du premier acte, où se trouve l'issue du corridor.
que maintenant je le connais... surveillez-le, comme vous surveil-
leriez le sanglier réduit aux abois par le chasseur... comme lui, il Entrent WEIMN'EH el u Alton.
l'util qu'il succombe.
ULRICH. — Pourquoi ? GABOR. —Monsieur, je vous ai dil mon histoire. Si vous voulez
STRALENIIEIM.— Il s'interpose entre moi et un magnifique béri- m'accorder un refuge pour quelques heures, c'est bien... sinon j'i-
lage. Oh ! si vous pouviez voir ce superbe domaine ! mais vous le rai tenter fortune ailleurs. ,
verrez. WERNER. — Comment un malheureux tel que moi en peut-il
ULRICH. — Je l'espère. abriter un autre? J'ai besoin moi-même d'un asile, comme le daim,
STRALENIIEIM.—C'est le bien le plus riche delà riche Bohême. poursuivi par les chasseurs, a besoin d'une retraite...
La guerre l'a épargné: il est tellement protégé par la ville forte de Pra. GABOR.— Ou le lion blessé, de sa caverne- Vous m'avez plutôt
gue, que le feu el le glaive l'ont à peine effleuré; on sorte que l'air d'être homme à faire face à vos ennemis, et à éventrer le chas-
maintenant, oulre sa fertilité propre, sa valeur esl doublée par la seur.
comparaison avec les autres terres du pays qui sont entièrement WERNER. —Vous croyez ?
ravagées. ,
GAIIOR.— Jc ne m'en inquiète pas, car je serais nioi-mème fort
ULRICH. — Vous en faites une description enthousiaste. disposé à en faire autanl. Mais voulez-vous me donner un refuge ?
STRALENIIEIM.—Ah ! vous parleriez comme moi si vous pouviez Je suis opprimé comme vous... pauvre comme vous... déshonoré...
le voir... mais vous le verrez, vous dis-je. WERNER, vivement.
ULRICH. — J'en accepte l'augure. Personne.— Qui vous dit que je suis déshonoré ?
GABOR.
— Je n'ai pas dit que vous l'éliez ; je n'ai éla-
STRALENIIEIM.—Demandez-moialors la récompense que vous bli le parallèle que sous le point de vue de la pauvreté ; mais
jugerez digne de vous et des obligations que nous vous aurons, j'allais ajouter, avec vérité : commevous pourriez l'être injustement
moi et les miens. vous-même.
ULRICH.— Ainsi, cet homme isolé, pauvre, malade, cet étranger WERNER. — Encore ! comme moi ?
mourant s'inlerpose entre et
vous ce paradis ( à part) ?... comme GABOR. Ou comme tout autre honnête homme. Que diable vou-
Adam entre le diable et l'Eden. lez-vous?— Sans doute, vous ne me croyez pas coupable de ce lâche
STRALENIIEIM.—C'est cela même. larcin !
ULRICH.—N'a-t-ilaucun droit? WERNER. — Non, non... je nc le puis.
STRALENIIEIM.— Aucun. C'est un enfant prodigue, déshérité, qui, GABOR.— Voilà ce que j'appelle un honnête homme! Quant à
depuis vingt ans, a déshonoré sa race par toute sa conduite, mais votre harpagon d'intendant et à votre noble bouffi lous... tous
surtout par ses relations avec des bourgeois, des boutiquiers, des m'ont soupçonné. Et pourquoi? parce que j'étais plus mal vêtu
marchands et des juifs, et enfin par une certaine alliance... qu'eux, et que mon nom est obscur; cependant si nous avions une
ULRICH. —Il a donc une femme? fenêtre à la poitrine, mon âme s'y montrerait plus hardiment que
STRALENIIEIM.— Vous rougiriez d'avoir une telle mère... Vous la leur : mais voilà ce que c'est... Vous èlcs pauvre el sans appui,
avez vu celle qu'il appelle son épouse ? plus encore que moi-même...
ULRICH. —Ne l'est-ellc pas?
— Qu'en savez-vous?
WEIINER.
3W LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

je dis être sans appui ; si vous me le refusez, je l'aurai mérité. Mais GABOR. — Je m'éclipse.!. Adieu I (Gabor entre dans le passage
vous, qui semblez avoir éprouvé la salutaire amertume de la vie, secret.)
st
votre conscience doit vous apprendre que toul l'or du Nouveau-
Monde ne saurait tenter l'homme qui connaît sa valeur véritable, WERNER seul. — Qu'ai-je fait ? Hélas ! c'esl ce que j'avais fail
à moins (et dans ce cas j'admets le prix de ce métal), à moins qu'on , qui
auparavant
ai fail éprouver maintenant
me toutes ces craintes?
puisse l'obtenir par des moyens qui ne donnent pas le cauchemar, Toutefois,
-p ce sera pour moi une sorte d'expiation d'avoir sauvé cet
WERNER. — Que voulez-vous dire ? homme,
lu dont la perte eûl peut-être empêché la mienne... Ils vien-
GABOR. — Ce que je dis? Je croyais m'être expliqué clairement ; nent, mais ils s'en iront chercher ailleurs ce qui est devant eux.
n(
vous n'êtes pas un voleur... ni moi non plus, et, en honnêtes gens, (IDENSTEIN entre avec les domestiques.)
nous devons nous aider mutuellement.
WERNER. — C'est un monde maudit que celui-ci !
IDENSTEIN. H n'est pas ici. Il a donc disparu par ces fenôlre3
GABOR — 11 en est de même du plus voisin des deux mondes à —
venir, à ce que disent les prêtres ( et ils doivent s'y connaître) ; je ogivales
J* avec le pieux secours des saints représentéssur les vitraux
m'en tiens donc à celui-ci... je suis peu désireux d'endurer le mar- rrouges cl jaunes, carreaux de cristal que chaque souffle de vent
tyre, cl surtout avec une épilaphe de voleur sur ma tombe. Je ne proclame
1 aussi fragiles que toute vie et toute gloire. Quoi qu'il en
soit, il est parti.
vous demande asile que pour une nuit; demain les eaux du fleuve WERNEH. — Qui cherchez-vous?
auront baissé, et, comme la colombe de l'arche, je tenterai le IDENSTEIN. — Un coquin !
passage. WERNER. — Fallait-il donc aller si loin ?
WERNER. — Baissé, dites-vous I peut-on l'espérer? IDF.NSTIÎIN. — Nous cherchonscelui qui a volé le baron.
GABCR. — A midi, on en avait l'espoir.
\\ ERNER. — Alors nous serions sauvés ! WERNER. — Etes-vouscertains de connaître le coupable ?
GABOR. — Eles-vous menacé?
IDENSTEIN.
— Aussi certains que vous êtes là devant nous. Mais
WERNER.— La pauvreté l'est toujours. par
F où a-t-il passé?
GABOR. Je le sais par une longue expérience. Voulez-vous me WERNER. — Qui?

venir en aide? IDENSTEIN. — Celui que nous cherchons.
WERNER. — Quant à voire pauvreté ? WERNER. — Vous voyez qu'il n'est point ici.
IDENSTEIN. — Et cependantnousl'avons vu entrer danscctlc salle.
GABOR. Non... vous n'êtes pas le docteur que je choisirais pour .Eles-vous complices, ou êtes-vous sorciers ?
guérir une—telle maladie, je parle du péril qui me poursuit ; vous WERNER.— J'agis avec franchise; c'esl un crime de sorcellerie
avez un toit, je n'en ai point. Je ne eherche qu'une retraite. aux yeux de bien «les gens.
WERNER.—C'esljuste. Comment serait-il possible qu'un malheu-
IDENSTEIN. —11 esl possible que j'aie, plus lard, une ou deux
reux comme moi possédât de l'or ? questionsà vous adresser; mais pour le moment, nous allons con-
GABOR.
— Honnêtement, à dire vrai, ce serait difficile ; et pourtant tinuer à chercher l'autre.
je serais tenté de vous souhaiter l'or du baron. ,
WERNER. — Vous feriez bien de commencer sur-le-champ votre
WERNER. —Osez-vous insinuer?...
GABOR. —Quoi?
interrogatoire;
.' je puis nc pas êlre toujours aussi patient.
WERNER. — Savez-vous à qui vous parlez ? IDENSTEIN. — Eli bien! jc désirerais savoir si vous n'êtes pas
GABOR.—Non,et je ne suis pas homme à m'en soucier beaucoup. ,l'homme que cherche Straleniieim.
{Onentend du bruit au-dehors.) Ecoutez, ils viennent. WERNER. — Insolent ! N'avcz-vous pas dil qu'il n'était point ici.
, WERNER.—Qui? IDENSTEIN.— Oui; mais il en est un qu'il cherche avec persévé-
GABOR. L'intendant et ses limiers lâchés après moi. Je les at- rance; et peut-être bientôt il se verra investi, à cet effet, d'une
tendrais ; —
mais ce serait en -»ain qu'on espérerait faire entendrerai- autorité supérieure à la sienne et à la mienne. Mais venez, mes
enfants! Dcpèchons-nous ; nous sommes en défaut.
son à de pareilles gens. Où irai-je? Cachez-moi n'importe où. Jc (Idenstein sort avec sa suite. )
vous jure, partout cc qu'il y a de plus sacré, queje suis innocent;
faites ce que vous voudriez qu'on fît pour vous si vous étiez à ma
place. WERNER. — Dans quel labyrinthe m'entraîne ma mystérieuse
WERNER, à part.— O juste Dieu! ton enfer est venu! Suis-je deslinée
' ! Un acte de bassesse m'a été moins falal que le scrupule
encore vivant? qui
' m'a retenu en face d'un crime bien plus grand. Eloigne-toi,
ému: cela témoigne en votre fa- pensée perverse, qui t'élèves dans mon coeurl 11 est trop tard! Jc
GABOR.
— Je vois que vous êles ne veux pas tremper mes mains dans le sang. (ULRICH entre.)
veur. Je pourrai reconnaître cc service.
WERNER. — Ne seriez-vous point un espion de Straleniieim ?
GABOR.— Non certes! et si je l'étais, qu'y a-t-il à espionner ULRICH. — Mon père, je vous danger
cherchais.
,
ici ? Jc me rappelle cependant ses questions sur vous et voire WERNER. — N'y a-t-il pas du pour loi à me parler?
épouse : cela pourrait donnera penser ; mais vous savez mieux que ULRICH. Non ! Slralenheim ignore complètement les liens qui

personne à quoi vous en tenir; pour moi, je suis son plus mortel nous unissent; bien plus, il m'a chargé de surveiller vos actions,
ennemi. me croyant entièrement dévoué à ses intérêts.
WERNER. — Vous ? WERNER.'—Ilne doit pointêtre sincère : c'est un piège qu'il nous
GABOR. — Après le retour dont il a payé le service que j'ai con- tend à lous deux pour prendre du même coup de filet et le père et
tribué à lui rendre, je suis son ennemi : si vous n'êtes pas son ami, le fils.
vous me viendrez en aide. ULRICH. — Pourquoi m'arrèler à toutes ces craintes futiles? pour-
WERNER.— J'y consens. quoisuspendre ma marche devant les incertitudes qui, semblables
GABOR. — Mais comment? à des ronces, s'élèvent sur notre voie? Il faut que je me fraie un
V\ ERNER montrant le panneau. — Il y a là une issue secrète. chemin à travers ces obstacles. Les filets sont bons pour prendre des
Rappelez-vous, je l'ai découverte hasard, je m'en grives et non des aigles. Nous les franchironsou nous les briserons.
que par et que ne
suis servi que pour ma sûreté. WERNER. — Et comment?
GABOR. —Ouvrez-la, et je m'en servirai dans le même but. ULRICH. — Ne devinez-vous pas?
WERNER.— Cette ouverture est pratiquéedans des murs sinueux, WERNER.—Non.
assez épais pour que l'on puisse marcher dans l'intérieur, i
et quii ULRICH. — C'est singulier. La penséene vous en est-elle pas venue
toutefois n'ont rien perdu de leur solidité; on y trouve des cellulesi la nuit dernière ?
et des niches obscures. Je ne sais où aboutit ce passage : vous nes WERNER. — Je ne te comprends pas.
chercherez point à pénétrer trop avant, donnez-m'en votre parole. ULRICH. — Eu ce cas, nous ne nous comprendrons jamais.
GABOR
.—
Cela est inutile. Comment voulez-vous je
que me dirigeî Mais pour changer d'entretien
dans les ténèbres, à travers les détours inconnus d'un labyrinthe3 WERNER. — Pour le reprendre, veux-lu dire : nous parlions des
gothique? moyens de nous mettre eh sûreté,
WERNER. — Prenez toujoursgarde. Qui sait où ce labyrinthe peutt ULRICH. Vous avez raison me voilà sur la roule. Je vois plus
aboutir? Remarquez que je n'en sais rien!... Mais peut-être vouss clairement — ,
ce dont il s'agit, el noire situation m'apparail dans son
conduirait-ildans la chambre de votre ennemi, tant elles sonl singu- vrai jour. Les eaux du fleuve baissent; dans quelques heures les
lièrement construites, ces galeries, ouvrage des Teutons, nos ancê- myrmidons de Straleniieim arriveront de Franefurt; alors vous serez
tres, el d'une époque où l'homme cherchait moins à se forlifierr prisonnier, pire encore peut-êlre, el moi je serai proscrit, el déclaré
contre les éléments que contre ses belliqueux voisins ! N'allez pass bâtard , pour faire place au baron.
au-delà des deux premiers détours ; si vous le faites, quoique jee WERNER. — Et quel remède trouves-tu? J'avais dessein d'em-
n'aie jamais été plus loin, je ne réponds pas des conséquences. ployer cet or pour m'évader ; mais maintenant je n'ose ni m'en
GABOR. —J'en.réponds, moi. Mille remerciinenls. servir ni le laisser \oir à personne et c'est à peine si j'ose moi-
S\ Vous trouverez facilement le ressort de l'autre é
côté même le regarder. Il me semble qu'il , porte mon crime en exergue
ERNER. —
de la porle, et quand vous voudrez revenir, il cédera au plus léger ir au lieu de la marque de l'Etat; età la place de la tête du souverain,
on tact. je crois y voir la mienne ayant pour chevelure des couleuvres sif-
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON. 340

flnnlcs, bouclées autour des tempes, et criant à tous ceux qui m'ap- sans
si plus tarder ! Adieu ! le temps presse ; cependant donnez-moi
proi-henl : Voilà un voleur. votre
v main, mon père !
ULRICH.—Il ne faut pointle montrer, maintenant du moins. Mais WERNER. — Laisse-moi l'embrasser.
prenez cette bague. (// remet un bijou à Werner.) ULRICH. — On peut nous voir : maîtrisez vos émotions jusqu'au
WERNER. — C'est une pierre précieuse. Elle appartenait à mon dernier
<l instant. Tenez-vous à dislance de moi comme d'un ennemi.
père! WERNER.—Maudit soit celui qui nous oblige à étouffer les meil-
ULRICH. — Et comme telle, elle vous appartient maintenant. Ser- leurs
. el les plus doux sentiments de nos coeurs, et dans un pareil
moment
n encore !
vez-vous-en pour gagner l'intendant, afin qu'il mette à votre dis- ULRICH. -Oui, maudissez...cela vous soulagera. Voicil'intendant.
position la vieille calèche et des chevaux, et que vous puissiez partir (^. IDENSTEIN entre.)
avec ma mère au lever du soleil.
WERNER. — Te laisserai-je dans le péril au moment où lu viens Ah! monsieur Idenstein où en êtes-vous? avez-vous attrapé le
de in'êlre rendu? coquin? ,
c
ULRICH. —Ne craignez rien. Il n'y aurait de danger que si nous IDENSTEIN. —Non, ma foi.
disparaissions ensemble : ce serait trahir notre intelligence ULRICH. — Parbleu! il y en a bien d'autres; vous aurez la pro-
L'inondation n'intercepte que la communication directe entre cc chaine fois une chasse plus heureuse. Où est le baron ?
bourg et Francfort; en cela elle nous est favorable. La roule de IDENSTEIN.—Rentré dans son appartement, et puisque j'y pense,
Bohême, quoique partiellement inondée, n'est pas impraticable, et je
. dirai qu'il vous demande avec l'impatience convenable à
quand vous aurez gagné une avance de quelques heures, ceuxqui J vous
son rang.
vous poursuivront y trouveront les mêmes obstacles. La frontière ULRICH. — Les grands seigneurs veulent qu'on leur réponde à
une fois franchie, vous êles sauvé. l'instant,
j comme le coursier qui bondit au coup d'éperon : il est fort
WERNEn. — Mon noble fils ! heureux
I qu'ils aient des chevaux; car il nous faudrait, je le crains,
ULRICH. — Silence! point de transports! nous nous livrerons à traîner
f leur char. comme des rois traînaient celui de Sésostris.
notre joie dans le château de Siegendorf ! Cachez votre or ; montrez IDENSTEIN. — Quel était ce Sésostris?
la bague à Idenstein ; je connais cet homme, j'ai lu à travers son ULRICH. — Un ancien Bohémien... un empereur d'Egypte-
âme. De celte manièredeux buts seront atteints. Straleniieima perdu IDENSTEIN.'—UnEgyptien ou un Bohémien, c'est tout un; car
de l'or, non des bijoux : celte bague ne peut donc être à lui ; et indifféremment ces deux noms. Et ce Sésostris en élait?
(on emploie
d'ailleurs, comment soupçonner son possesseur d'avoir dérobé l'or ULRICH. — On me l'a dit. Mais il faut que je vous quitte... Mon-
du baron, quand il lui eût élé facile de convertircelle bague en une sieur l'intendant, votre serviteur! (A Werner, d'un ton leste.)
somme plus considérable? Ne soyez avec Idenstein ni trop timide
,
Werner, si tel est votre nom, bonsoir! (Ulrich, sort.)
ni trop allier, et il vous servira.
WERNER. —Je suivrai en tout tes instructions. IDENSTEIN —Un charmant homme, bien élevé, cls'cxprimnnt fort
UI.IIICII. — Jc vous .aurais épargné cette démarche. Mais si j'avais bien. H sait se mellre à sa place; avez-vous vu comme il rend à
p ru prendre intérêt à vous, surtout en vous donnant ce joyau pré- chacun ce qui lui est dû?
cieux loul eût été éventé. WERNER. —Je m'en suis aperçu, et j'applaudis à son discerne-
,
WERNER.—Omon ange gardien ! Mais que deviendras-tu en noire ment cl au vôtre.
absence? IDENSTEIN. — C'est bien... c'est très bien. Vous aussi, vous con-
ULRICH.— Slralenheim ignore les liens qui nous unissent ; jc ne naissez votre rang ; et pourtant, jc ne sais pas trop si je le connais,
resterai avec lui qu'un jour ou deux pour endormir les soupçons ; moi.
puis j'irai rejoindre mon père. WERNER, montrant la bague. —Ceci pourrait-il vous aider dans
WERNER. — Pour ne plus nous quitter?
ULRICH. — Peut-êlre; mais du moins, nous nous reverrons une
cette recherche?
, IDENSTEIN. —Comment!... quoi ?... Eh ! une pierre précieuse!
fois encore. WERNER. — Elle est à vous, moyennant une condition.
WERNER.—Omonfils! mon ami! monuniqueenfant! mon sau- IDENSTEIN. — A moi ?... parlez.
veur ! 01) ! ne me hais pas! WERNER. —A savoir que vous me permettrez de la racheter plus
ULRICH. — Moi! je haïrais mon père! tard trois fois sa valeur; c'est une bague de famille.
WERNER. — Hélas! mon père n'avait pour moi que de la haine; IDENSTEIN.—Une famille I... la vôtre! Un si beau bijou! la sur-
pourquoi mon fils ne l'huilerait il pas? prise m'ôte la respiration !
ULRICH. — Votre père ne vous connaissait pas comme jc vous WERNER. —11 faut aussi que vous me fournissiez, une heure
connais. avant le pointdu jour, les moyens de quitter ce lieu.
WERNER.—Il y a «les scorpionsdansles paroles! Tu me connaisl IDENSTEIN. — Est-ce vraiment une pierre fine? laissez-moi la re-
dans mon état actuel, tu nc peux me connaître ; je ne suis pas moi- garder. C'est un diamant, ma foi, par tout ce qu'il y a de glorieux!
nièn.-e. Cependant ne me bais pas, je serai bientôt ce queje dois être. WERNER. — Allons, je me confie à vous; vous avez deviné, sans
ULRICH. —J'attendrai : cependant tout cc qu'un fils peut faire doute, que ma naissance est au-dessus de ce qu'annonce mon exté-
pour ses parents, jc le ferai pour les miens. rieur actuel.
WERNER. — Je le vois el je le sens. Hélas ! je sens en outre que IDENSTEIN. — Je ne puis dire que je l'aie deviné, quoique celte
lu me méprises. bague en soit une assez bonne preuve; voilà le véritable indice d'un
ULRICH. — Pourquoi vous mépriserais-je? noble sang.
WERNER. — Dois-je m'humilier encore? WERNER. — J'ai d'importantesraisons pour garder l'incognito en
ULRICH. —Non; j'y ai mûrement pensé ainsi qu'à vous; mais poursuivantmon voyage.
n'en parlons plus, du moins pour le moment. , Voire
erreur a doublé IDENSTEIN. — Vous êtes donc l'homme «me cherche Slralenheim ?
tous nos périls : en guerre secrète avec Slralenheim, nous ne devons WERNER.—Jcne le suis pas; mais si l'on me confondait avec ce
songer qu'à tromper sa vengeance. Je vous ai indiqué un moyen. personnage, il pourrait en résulter de graves embarras pour moi
WERNER. — Le seul, et je l'embrasse avec la même joie que m'a d'abord, el pour le baron plus tard. C'est afin d'éviter ce double in-
cau:-ée le retour d'un fils qui ne s'est montré à moi que pour devenir convénientqueje veux tenir mon départ secret.
mon sauveur. IDENSTEIN. — Que vous soyez ou ne soyez pas l'homme en ques-
ULRICH. — Vous serez sauvé ; que cela suffise. Si une fois nous tion cela ne me regarde pas; d'ailleurs, je n'obtiendrai jamais la
étions dans nos domaines, la présence de Straleniieim en Bohème , de
moitié ce que vous m'offrez en servant ce noble orgueilleux et
nous troublerait-elle dans la jouissance de nos droits? ladre, qui voudrait soulever tout le pays pour rattraper quelques
WERNER.— Assurément il nous gênerait encore dans la situation ducats, et n'a jamais offert de récompense précise Mais, ce dia-
où nous sommes, quoique l'avantage puisse rester, comme il ar- mant! que je voie encore.
le
rive d'ordinaire, au premier possesseur, surtout s'il fonde son droit WERNER. — Regardez-le à votre aise : à la pointe du jour, il peut
sur les liens du sang. êlre à vous.
ULRICH. — Du sang! c'esl un mot qui a plusieurs significations; IDENSTEIN. —0 adorable brillant, préférable à la pierre philoso-
«fans les veines et hors des veines, ce n'est pas la même chose phale I pierre de touche de la philosophieelle-même. OEil étincelant
En effet, ceux qui sont du même sang deviennent quelquefois en- de la mine ! étoile de l'âme ! pôle magnétique vers lequel tous les
nemis, comme les frères tbébains; et lorsqu'une partie du sang estl coeurs se tournent comme des aiguilles aimantées! Esprit rayon-
corrompue, quelques gouttes répanduesà propos purifient le reste. nant de la lerre 1 placé sur le diadème des rois, tu attires plus
WERNER. — Je ne te comprends pas. d'hommages que n'en obtient la majesté même de leur personne...
ULRICH. — C'est possible peut-être lout est-il mieux ainsi..... Seras-tu bien à moi? 11 me semble déjà que je suis un monarque
et cependant à l'oeuvre ! il faut que ma mère et vous, vous parliez; moi-même, un alchimiste fortuné... un sage magicien, qui a lié le
celle nuit même. Voici l'intendant. Sondez-le avec la bague; cc> diable par un pacte, sans lui vendre son âme. Mais venez, Wcrtier,
trésor plongera dans son âme vénalecomme le plomb dans l'Océan, ou de quelque nom qu'il faille vous appeler.
cl en rapportera du limon el de la fange, en avertissantnolre navire WERNER. — Continuez a m'appeler Werner; vous me connaîtrez
du voisinage desécueils. La cargaison est riche, il faut lever l'ancre plus lard sous un plus noble titre.
350 LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES

IDENSTEIN. — Je crois en loi, Werner ! sous ton humble vêtement, danger


da plus grand que celui... n'importe... il aurail le mérite de la
lu es l'esprit dont j'ai longtemps rêvé... Mais viens, je te servirai, nouveauté,
ne et. les nouveaux périls sont comme les nouvelles maî-
et, en dépit des eaux, tu seras aussi libre que l'air. Parlons; je le tresses,.... Avançons, coûte que coûte... si je me trouve dans un
tr<
prouverai que je sais êlre honnête (ô cher diamant!)... je te four- mauvais
m pas, j'ai ma dague pour me défendre... Continue à luire,
lirai, Werner, de tels moyens de fuite que, fusses-tu un limaçon, pc flambeau ! lu es mon ignis fatums, mon feu follet slationnairel...
petil
les oiseaux ne pourraient devancer ta course... Ah ! permets que je Bien!
Bi bien! il a entendu mon invocation ; il m'exauce.
le regarde encore ! J'ai, à Hambourg, un mien beau- frère très con- (La- scène change.)
naisseur en pierres fines. Combien de carats peut-il bien peser?...
Viens, Werner, je vais te donner des ailes. (Ils sortent.) SCÈNE IV.

Un jardin.
SCÈNE H.
Entre VVEUNEU.
La chambre de Straleniieim.
Jc n'ai pu dormir!... et maintenant 1 heure approche; lout est
STllAtENHEIM et FRITZ- prêt.
p Idenstein a tenu parole : la voiture attend hors du bourg, sur
h lisière de la forêt. Les étoiles commencent à pâlir. C'esl la der-

FRITZ. — Tout est prêt, monseigneur. nière
n fois que je vois ces horribles murailles. Oh ! jamais! jamais je
STRALENIIEIM. — Je n'ai pas sommeil, et cependantj'ai besoin de nne les oublierai! je suis venu iei pauvre, mais l'honneur inlact, et
me coucher ; je sens je ne suis quel poids, je ne sais quelle sensation j< pars avec une tache, si ce n'est sur mon nom, du moins dans le
je
trop allanguissanle pour me permettre de veiller, trop poignante ccoeur; j'emporte un ver rongeur et immortel que ni la splendeur
pour dormir. C'est comme un nuage répandu sur le firmament, qui q m'attend, ni mes droits recouvrés, ni les terres el la souverai-
qui
intercepte les rayons du soleil, sans néanmoins se résoudre en neté
n de Siegendorf ne pourront assoupir un seul moment. Il faut
pluie. Je vais chercher mon oreiller. trouver
I quelque moyen de restitution qui soulage en partie mon
FRITZ. — Si le ciel écoule mes voeux, vous allez reposer proton- âme;
â mais comment sans in'exposerà être découvert?... Il le faut
dénient. .
cependant,
c et dès que je serai en sûreté, jc veux y réfléchir. Le dé-
STRALENIIEIM. —Profondément, je le sens el le crains. 1lire de ma misère m'a entraînéà cette infamie; le repentir peut l'ex-
FRITZ. — Pourquoi donc craindre? pier.
j Je nc veux rien avoir sur la conscience que Straleniieim puisse
STRALENIIEIM.— Je ne sais pourquoi, et c'esl ce qui fait que je revendiquer,
i quoiqu'il cherche à me ravir ma fortune, ma liberté,
crains davantage une chose indéfinissable... Mais c'esl une folie. i vie!... Et cependant, il dorl peut-être aussi paisible que l'en-
ma
A-l-on, comme je l'ai ordonné, changéaujourd'hui tes serrures île fance;
1 il dort sous de pompeux rideaux, sur des oreillers de soie,
celle chambre? L'aventure de la nuil dernière rendait celle précau- comme
« moi-même autrefois, alors que... Ecoulons! Quel est cc
tinii indispensable. bruit?...
1 Encore! les branches des arbres s'agitent, et quelques
FRITZ. —Certainement! loul a élé exécuté conformément à votre ]pierres se sont
détachées de cette terrasse. (ULRICH saute en bas
ordre, sous mon inspection, el sous celle du jeune Saxon qui vousi de
< la terrasse.) Ulrich! ah! toujours le bien-venu 1 trois fois le
a sauvé la vie. Je présume qu'on l'appelle Ulrich. Ibien-venu en cc moment! Ta tendresse filiale...
STUALENHEIM.— Tu résumes! dédaigneux esclave? De quel droit ULRICH. — Arrêtez! avant de m'approcher,dites-moi...
tourmentes-tu la mémoire, qui devrait être prompte, heureuse el WERNER. — D'où vient cet air étrange?
lière de retenir le nom du sauveur de ton înaitrc, comme une lita- ULRICH. — Est-ce mon père que je contemple ou...
nie qu'il esldc ton devoir de répéter chaque jour?... Relire-loi I lu pré- WERNER. — Quoi?
sumes! en vérité! toi qui restais à hurler et à secouer les vêlementsi ULRICH. — Un assassin?
humides sur la rive pendant que jc luttais contre la mort, et queÎ WERNER. — Insensé ou insolent!
l'étranger, s'élançanl dans l'onde mugissante, accouraitme rendre ài ULRICH.—Uépondcz-inoi, mou père, si vous tenez à voire vie ou
la vie! A lui ma reconnaissance et à toi mon mépris.Tu présumes... àla mienne.
el c'est a peine si tu peux le rappeler son nom! Jc ne perdrai pas3 WERNER. —, A quoidois-je répondre?
mon temps à l'en dire davantage, lléveille-nioi de bonne heure. ULRICH. —Èles-vous ou n'ôtes-vous pas le meurtrier de Slralen-
FRITZ —Bonne nuit. J'espère que demain Votre Seigneurie seB heiiii.
trouvera mieux portante et de meilleure humeur. WERNER. —Que veux-tu dire? je n'ai jamais donné la mort à
(La scène change.) personne.
ULRICH. — N'avez-vous pas cette nuit, comme la nuit précédente,
SCÈNE III. parcourule passage secret? N'êtes-vous pas entré de nouveau dans
la chambredo Slralenheim ? et.... (Il s'arrête.)
WERNER. — Poursuis.
Le passage secret. ULRICH. — N'cst-il pas mort de votre main?
WERNER. — Grand Dieu !
GAIIOII, seul. ULRICH. —Vous êtes donc innocent! mon père est innocent!
embrassez-moi! Oui... voire son de voix, voire air! .. oui, oui!...
<J ai compté quatre cinq six heures, comme une sentinelle e toul me le dit; mais répétez-le vous-même!
d'avanl-poslo, au triste son de la cloche, celle voix lugubre duu WERNER. — Si jamais une telle pensée esl venue, quand j'étais
temps... Oui, lugubre, car lors même qu'elle sonne pour le bonheur, r, eu possession de moi-même, s'offrir à mon esprit ou à mon cieur ;
chacun de ses tintements enlève quelque chose à la jouissance. Elle le si, lorsqu'elle m'est apparue un moment à travers l'irritaliou de
semble un glas de moil môme quand c'esl un hymen qu'elle an- i- mon âme découragée, je ne l'ai pas repousséc au fond de l'eu 1er,
nonce; on dirait qu'elle ,
sonne les funérailles de l'amour descendu u que le ciel soit pour jamais ravi a mes regards cl à mes espérances !
DOiir toujours dans la tombe de la possession. Mais lorsqu'elle linto
te ULRICH. — Et pourtant Straleniieim est mort!
pour le irépas d'un parent chargé d'années, c'est un écho de bon- i- WERNER. — C'est horrible! c'est affreux ! mais qu'ai-je de com-
heur qui résonne à l'oreille avide d'un héritier. J'ai froid... je n'y 'y inun avec ce crime?
vois goutte... j'ai soufflé dans nies doigts... j'ai compté el recompté té ULRICH. — Aucune serrure n'esl forcée ; on nc voit nulle trace
mes pas... j'ai heurté ma tête contre je ne sais combien de solives es de violence, si ce n'est sur le corps de la victime. Une partie de ses
poudreuses..,j'ai excité parmi les rats et les chauves-souris une in- n- gens a élé avertie; mais comme l'intendant est absent, j'ai pris sur
surreclion générale, si bien que le trépignement de leurs pattes et moi d'aller chercher la police. Nul doule qu'un meurtrier n'ait pé-
le bruissementde leurs ailes empêchaient tout autre bruit d'arriver er nélré secrètement dans sa chambre. Pardonnez-moi si la nature....
jusqu'à moi.... Ah! j'aperçois une lumière : autant que j'en puis lis WERNER. — 0 mon fils ! «pjels maux inconnus, oeuvre d'une
juger, elle est a quelque distance ; mais elle scintille, comme à tra- a- sombre fatalité, s'accumulent commedes nuages sur notre maison,
vers une fente ou le trou d'une serrure, dans la direction de la ULRICH. — Hélas! vous êtes innocenta mes yeux; mais aux yeux
partie qui m'est interdite. Approchons! ce sera toujours une diver- r- du monde en sera-t-il de même? Que dis-je? pensez-vous que les
sion : la clarté lointaine d'une lampe est un événementdans un in juges, si jamais... Parlez donc à l'instant même,
pareil repaire. Fasse le ciel qu'elle ne me conduise à aucune tenta- a- WERNER.— Non I je ferai face au danger. Qui osera me sotip-
tion ! sinon, te ciel me vienne en aide pour échapper sain et sauf, if, çonner?
ou obtenir l'objet convoité! Elle brille encore! Quand cc serait l'é- 'é- " ULRICH.— Vous n'aviez point d'hôtesauprès de vous... point «le
toile de Lucifer, ou Lucifer lui-même couronné des rayons de cette tte visiteurs... nul être vivant aulrc que ma mère?
clarté, jo ne puis me contenir plus longtemps. Doucement! Voilà ilà WERNER. — Ah! le Hongrois!
qui est à merveille! j'ai franchi un détour... Par ici... Non Fort
.. >rl esl parti ! il a disparu au lever du soleil,
ULRICH. —11
bien! la lumière se rapproche. Voici un angle ténébreux... bon... il WERNER. — Non, je l'ai caché dans cette même galerie secrète,
esl passé!... Arrêtons-nous! Si ce passage allait me conduire un à fatale à mon honneur.
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON. 3.it

ULRICH. — Jc vais l'y trouver. (Ulrichfait un pas pour sortir; jc réponds de l'événement : c'esl. mon premier devoir, et j'y serai
1 j<

IFerner l'arrête.) fidèle.


fi Nous nous reverrons au château de Sicgendorf ; nos bannières
WERNER. — Il est trop tard : Gabor a quittéle palaisavant moi ; s déploieront encore avec gloire! Pensez à cela seulement, et
s'y
j'ai trouvé le panneau secret lout ouvert, ainsi que les portes qui abandonnez-moi
a tous les autres soins; ma jeunesse fera face à
conduisent à la salle où aboutit le passage. Je pensais qu'il avait t
tout... Partez! el que votre vieillesse soil heureuse!... Je vais em-
profité d'un moment favorable pour échapper aux myrmidonsd'I- 1brasser encore une fois ma mère! et qu'ensuitele ciel vous soit en
denslein qui le traquaient hier soir. aide!
a
ULRICH. — Vous avez refermé le panneau? WERNER. — Ce conseil esl prudent... mais est-il honorable ?
WHRNER.— Oui, et ce n'est pas sans tremblerdu péril qu'il m'a- ULRICH. — L'honneur d'un fils consiste,avant tout, à sauver son
vait fait eourir, et sans maudire sa slupide négligence qui risquait père.
r (Ils sortent.)
de dénoncer son protecteur.
ULRICH. — Vous êtes sûr de l'avoir fermé?
WERNER. — J'en suis certain.
ULRICH.— C'est bien ! mais il eût élé mieux de no pas faire de
cette retraite un repaire de... (Il s'arrête.) ACTE IV.
WERNER. — De voleurs! veux-tu dire : je dois le supporter, et jc
le mérite; mais je ne m'attendais pas... SCÈNE PREMIÈRE.
ULRICH. — Non, mon père, ne nous arrêtons pas à cela: ce n'est
pas le moment de penser à des fautes secondaires; pensonsdonner plutôt Une salle gothique du château de Sicgendorf, prèsde Prague.
à prévenir les conséquences d'un attentat terrible. Pourquoi
asile à cet homme? Entrent ERIC et IIUNDIUCII, de la suite du comte.
WERNER. — Pouvais-je le refuser? un homme poursuivi par
mon plus grand ennemi, accusé dé mon propre crime, victime im- Emc. — De meilleurs temps sont enfin venus ; ces vieux murs ont
molée à ma sûreté, demande Un ubri pohr linéiques heures au m(- reçu ] de nouveaux maîtres, qui avec eux ont ramené la joie; nous
sérablc dont l'acte lui avait rendu cet abri nécessaire I Quand c'eut avions grand besoin de ce double renfort.
été un assassin, je n'aurais pu le repousser. HENDRICII.
— Les amateurs de nouveautés peuvent se réjouir
Ui.nicn. — El il a reconnu ce service cil véritable assassin ; mais d'avoir de nouveaux maîtres, quoiqu'ils les doivent à Ja tombe;
ces réflexions sont tardives. U faut que vous partiez aVaiil l'aube ;
,
hlnis pour la joie et les festins, il me semble que l'hospitalité féo-
je resterai ici pour atteindre le meurtrier, S'il est posMbtéi dale du éoljile.He Siegendorf pouvait rivaliser avec celle de tout au-
WERNER.— Ma fuite soudaine fera planer sur moi les soupçons ; tre prince dé l'ëiniiire.
d'un autre côté, si jc reste, il y aura deux victimes au iidu tl'utlé i Enid.. — Bous le rapport de la bouteille cl «le la bonne chère,
le Hongrois fugitifqui semble être le coupable, oL.. SiqUs étions assez bien , sans nul doute; mais pour ce iiui est de la
ULRICH Qui semble! Quel autre que lui pOUfrait-cd être? Ole di du plaisir, sans quoi un repas n'est guère assaisonné, noire
— bien h l'heure tu MusiifeB partage éittildes plus chétifs.
WERNER. — Ce n'est pas moi j que iOut '
des doutes... toi, mon fils! HENDRICH. — Le vieux comte n'aimait pas la gaîlé bruvunlc des
ULRICH. —Et vous, conservez-vous dêndôutcB sur le fugitif? feslhis ; èU)B-vbUii sûr que celui-ci en soil plus grand partisan ?
WERNER. — Mon enfant ! depuis que je «mis iômuc uûns l'iiltttné ERIC. —Jusqu'à présent il s'est montré aussi affuble (pie géné-
du crime (quoique ma faute soit d'une AatUfu mollis gt'tiVd), deniifg reux* dt liOtisle chérissons tous.
j'ai l'innocenta place, jd puis douter
que vu opprimer mtt même ~
HicNiiRliiit. La première année d'une royauté ressemble à la
de la culpabilité du criminel. Ton caJUr, ému d'uitd Vertueuse indi- luile de miel dd l'hymen : bientôt nous connaîtrons sou véritable
gnation, est prompt à tout accuser stlf de simples apparences, di caractère.
voit peut-êlre un criminel dans celui dont l'innuriclioô esl entourée Enioi — l'uisse-t-il rester toujours ce qu'il est! Et son brave fils,
de quelques légers nuages. le comte Ulrich 1 voilà un chevalier ! quel dommage qu'il n'y ail plus
ULRICH. — Et que fera donc le monde qui nd VOIll connaît pas, de guerre!
Opprimer? N'en
ou ne vous a connu que pour vousIdeiiBleln, dans éourdz pas le HENDRICII. — Pourquoi?
risque. Partez! j'arrangerai tout. son propre in- Elite. —Hcgnrde-lc, el réponds loi-môme.
térêt, et séduit d'ailleurs pur le présent dd In bogUô» ghrddrii le si- HENDRICII. — Un la beauté et la force d'un jeune liçre.
lence... en outre, il esl complice do Votre filitéi ERIU. — Celle comparaison n'est pas d'un vassal fidèle.
WERNER. — Moi, jc fuirais! je laisserais a'Ceoldf Ition nom h lliîNDiiicii — Mais peul êlre d'un vassal sincère.
celui du Hongrois! ou, comme le plus pauvre, j'accepterais ht flé- ERIC. — C'est dommage, disais-je, qu'il n'y ail plus de guérie;
trissure du meurtre! mais dans un salon qui, mieux que le comte Ulrich, sait déve-
ULRICH. — lîah! oubliez tout celai no songer, qu'à l'héritage et lopper cette noble fierté , qui impose
longtemps attendu* sans offenser? A la chasse . qui
au domaine do votre père, que vous avez Si I
manie comme lui l'épleu, quand, avec ses terribles défenses, le
Voire nom, dites-vous; quel nom? votis n'éli ttVde point; cal1 celui sanglier Ovehlrc à droite et à gauche les limiers hurlants? Oui
que vous portez est supposé. monte à cheval, qui porte un faucon au poing comme lui ? A qui
WERNER. — C'esl vrai; et néanmoins je hô voudrais pas voir ce l'épée sied-elle mieux? sur quel front de chevalier le panache so
nom d'emprunt gravé en caractères de sang dans lu mémoire des balance-Ml avec plus de grâce?
hommes, môme en ce canton obscur el isolé»». D'uiUojira les re- HENDRICH. — Personne ne l'égale eu tout cela, j'en conviens :
cherches... sois tranquille, si la guerre est longue à venir il est homme à la
ULRICH. — Je puis pourvoir à loul. Nul ne Vous Connaît ici pour ,
faire pour son compte; el peut-être a-l-il déjà commencé.
l'héritier de Sicgendorf; si Idenstein s'en doute, ce n'est qu'un ERIC. — Que veux-lu dire?
soupçon, cet homme n'est qu'un imbécile; (railleurs son cerveau HENDRICII. —Tu ne peux nier que ceux qu'il attache à sa suite et
stupide sera tcllcmcntoccupé, que force lui sera d'oublier l'inconnu parmi lesquels bien peu sonl nés sur ces domaines, ne soient de ces
Werner, afin de songer à des intérêts plus importants pour lui. Les sortes de ban dits que... (//. s'arrête.)
lois, si elles ont jamais été eu vigueur dans cc village, sont toutes ERIC. — Eh bien !
suspendues à la suite d'une guerre de trente années ; c'est à peine HENDRICII — Que la guerre, dont lu es si enthousiaste, laisse
si elles resurgissent lentement de la poussière où les a refoulées la vivants _ après elle; car ainsi que d'autres mères, elle favorise les
marche des armées. Slralenheim, quoique d'illustre naissance, est pires de ses enfants. ,
inconnu en cc lieu : il ne possède nul domaine, nulle autre in- Emc. Folie ! ce sonl tous des hommes de fer comme les aimait
fluence que celle qui a péri avec lui. Il est pou d'hommes dont le vieux — Tilly.
l'autorité se proloifge au-delà des huit jours qui suivent leurs funé- HENDRICII. — Et qui aimaitTnlly ? demande à Macdeboura-. Oui
railles, à moins que lotir pouvoir posthume n'agisse sur des parents aimait Wallenstein ? Ils sont allés lous deux...
mus pw l'intérêt. Or, tel n'est pus le cas: il est mort isolé, inconnu;' ERIC. — Jouir du repos de la tombe; quant au sort qui les attend
une tombe solitaire, obscure comme ses mérites, sans écusson au-delà , ce n'est pas à nous de le dire.
c'est toiil cc qu'il obtiendra , et tout ce dont il «a besoin. Si je de-'. HENDRICII. — Ils auraient bien dû nous laisser un peu de repos
couvre l'assassin, tant mieux... sinon, croyez que nul autrecomme ne le a nous. Au sein d'une paix nominale , te pavs est parcouru dans
découvrira! Tous ces valets pourront hurler sur sa cendre, lous les sens... Dieu sait par qui ! Ces bandits" se mettent en cam-
ils le faisaient autour de lui quand il allait périr sur l'Oder ; mais ils pagne la nuit, et disparaissent au lever du soleil, et leurs exploits
ne remueront pas plus aujourd'hui qu'alors. Parlez! parlez ! jc ne ne font pas moins de ravages ils en font plus peut-êlre, que n'en
(lois pas entendre votre réponse!... Voyez: les étoiles ont presque• lcrail une guerre ouverte. ,
disparu, et une teinte blanchâtre commence à se répandre sur la ERIC. — Mais quant au comte Ulrich... qu'esl-ce que tout cela
noire chevelure de la nuit. Ne me répondez pas... pardon nez-moit pont avoir de commun avec lui?
si jc prends ce Ion d'autorité; c'est votre fils qui vous parle voire>, HENDRICII. —Lui ! il pourraitempècherces désordres. Si, comme
lils si longtemps perdu, retrouvé si tard! Appelons ma ,mère-; lu dis il aime la guerre, pourquoi ne la l'ait-il pas à ces
marchez rapidement et sans bruit, el laissez-moi le soin du reste'; «leurs ? ' marau-
382 LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

ERIC. — Tu devrais lelui demanderà lui-même.


HENDRICH. — J'aimerais autant demander au lion pourquoi il ne
RODOLPHE.
— Aussi bien que je la connaissais celle nuit où nous
avons...
lappe pas du lait. ULRICH. —N'en parlons plus avant d'avoir obtenu le même suc-
ERIC. — Le voici. cès. Quand vous aurez rejoint les nôtres, remettez cette lettre à llo-
HENDRICH. — Diable! tu retiendras ta langue, n'est-ce pas? semberg.' (il lui donne une lettre) Vous ajouterez que j'ai envoyé
ERIC. — Pourquoi pâlis-tu? ce faible renfort avec vous et *Volff, pour précéder mon arrivée,
HENDRICH- .— Ce n est rien... mais tais-toi I bien qu'en ce moment ce sacrifice m'ait coûle, car mon père lient
ERIC —Sur ce que lu as dit? à ce que le château renferme une nombreuse suite de vassaux
HENDRICH.—Jet'assure que mes paroles n'avaient aucun sens... jusqu'à ce que lés fêles du mariage soient finies avec leurs pompeuses
simple plaisanterie. D'ailleurs, Ulrich doit épouser la gentille ba- niaiseries, el que le carillon nuptial ait cessé de faire entendie son
ronne Ida de Slralenheim, l'héritièredu feu baron; sans doute elle tapage.
adoucira ce que de longues guerres intestines ont laissé de sauvage RODOLPHE.— Je croyais que vous aimiez la baronne Ida.
dans lous les caractères, et surtout chez les hommes qui, nés pen-
dant leur cours ont ete
,
baptisés, pour ainsi dire,
dans le sang. Je t'en prie,
bouche close sur toul ce
que j'ai dit. (Entrent UL-
RICH et RODOLPHE.) Sa-
lut, comte !
ULRICH. — Bonjour,
mon brave Hendricii.
Eric, loul est-il prêt pour
la chasse ?
ERIC. — Les meutes
sont parties pour la fo-
rêt les vassaux battent
les ,taillis, et le jour s'an-
nonce bien. Appellerai-
jc la suite de Voire Ex-
cellence ? Quel cheval
voulez-vous monter ? .
ULRICH. — Le cheval
bai Walslein.
ERICH. — Je crains
qu'il ne soit pas rétabli
des fatigues de lundi der-
nier ; c'était une belle
chasse vous avez lue
:
quatre sangliers-dé votre
main.
ULRICH. — C'est vrai,
Eric, je l'oubliais Jc
monterai donc le gris, le
vieux Ziska. Voilà quinze
jours qu'il n'est sorti.
ERICH. — 11 sera capa-
raçonné dans l'instant.
Dé* combien de
vassaux
voulez-vous être suivi ?
ULRICH. Je laisse à
Wcilburgh,—mon écnycr,
le soin de régler lout ce-
la. (Eric sort.) Rodol-
phe!
RODOLPHE.—Seigneur!
ULRICH. —11 est arrivé
de fâcheuses nouvelles
de... (Rodolphe lui fait
remarquer Hendrich. )
Eh bien 1 Hendrich, que
faites vous là?
HENDRICH. — J'attends
vos ordres, monseigneur.
ULRICH. — Allez trou-
ver mon père, présentez-
lui mes devoirs, el sachez s il n a rien à me dire avant que je monte
à cheval. (Hendrich sort.)
Rodolphe1 nos amis ont essuyé un échec sur les frontières de
Franconie. On assure que les troupes envoyées contre eux doivent
êlre renforcées. Il faul que j'aille bientôt les rejoindre.
RODOLPHE.— 11 conviendrait d'attendre des avis ultérieurs et plus
positifs.
ULRICH. — C'est ce que je me propose de faire Certes, rien lie
pouvait déranger tous mes plans d'une manière plus fâcheuse.
RODOLPHE. — H sera difficile d'excuser votre absence aux yeux du
comte voire père.
ULRICH. — Sans doute; mais la mauvaise situation de notre do-
maine de la llatile-Silésie servira de prétexte à mon voyage. En
attendant, tandis que nous serons occupés à la chasse, vous emmè-
nerez les quatre-vingts hommes que commande Wollï... Suivez la
roule de la forêt, vous la connaissez!
**
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD «YRON. V/ 353

IDA. — Jc ne le suis pas trop, cher Ulrich, si ma présence ne vous ULRICH. — Toul rêve esl mensonge.
est point importune. Pourquoi m'appelez-vouscousine? IDA. —El pourlaul, jc te vois comme je vous vois.
ULRICH.—Nesommes-nous pas cousins? ULRICH. — Où?
IDA. — Oui, mais je n'aime pas ce titre : il a quehuie.chose de si IDA. — Dans mon sommeil... je le vois couché, pâle, sanglant,
froid! on dirait qu'en te prononçant vous pensez à notre généa- et un homme tenant un couteau levé sur lui.
logie et que vous mesurez à quel degré nous sommes rapprochés ULRICH. — Cel homme, vous ne voyez pas son visage?
, IDA, le regardant. — Non! ô mon Dieu! El vous le voyez,
par le sang.
ULRICH, tressaillant.— Le sang! vous ?
IDA. — Pourquoi le vôtre s'est-il retiré do joues?
lonl-à-coup vos ULRICH. — Pourquoi cette qucslion?
ULRICH. — Serait-il vrai? IDA. — Parce que vous avez l'air de celui qui voit un assassin.
ULRICH, agité. — Ida, c'est un enfantillage; votre faiblesse me
IDA. — Mais non ; le voilà qui se précipite de nouveau, comme un
torrent, par tout votre front. gagne, je l'avoue h ma houle, cela vient de ce que j'entre dans tous
ULRICH, se remettant. — S'il.8^sTrqnpé,vc'cstque valro présence vos sentiments. Veuillez, ma chère enfant, changer...
l'a l'ail refluer vers mon IDA. —Enfant! en vé-
coeur, qui ne bal que pour /." / rité! j'ai vu mou quin-
zième élé.
vous, charmante cousine.
IDA. —Encore! !;: (Un cor résonne.)
ULRICH. — Eli bien, je \ RODOLPHE.—Seigneur,
vous appellerai ma soeur. \. entendez-vous le cor?
IDA. — Ce nom me dé- ^ IDA, avec humeur, à
plaîl encore davantage. Rodolphe. — Pourquoile
Plùl à Dieu que nous lui dire? ne peut-il l'en-
n'eussions jamais élé pa- tendre sans que vous ser-
rents! viez d'écho à ce bruit?
ULRICH, d'un air som- RODOLPHE. Pardon-
bre. — Plùl à Dieu! nez-moi, belle—baronne.
IDA. — O ciel! pouvez- IDA. — Je ne vous par-
vous bien !... don lierai pas, si VOÎ-S ne
ULRICH. — Chère Ida, m'aidez à dissuader le
ma voix n'a élé que l'é- comte Ulrich de se ren-
cho de la vôtre. dre aujourd'hui à la citas-
IDA. — Sans doute, se.
Ulrich ; mais je n'ai point RODOLPHE.
— Madame,
accompagné mes paroles vous n'avez nul besoin
d'un semblable regard, de mou jiiilc.
el jc savais à peine ce ULRICH.
— Je ne puis
que jc disais. Mais queje me dispenserde cette par-
sois voire soeur ou votre tie.
cousine, toul ce que vous IDA. — Vous n'irez pas.
voudrez, pourvu que je ULRICH.
— Jo n'irai
vous sois quelque chose! pas?
ULRICH. — Vous serez IDA. — Non, ou vous
toul pour moi... tout... n'êtes point un vrai.che-
IDA. — Vous êtes déjà valier. Allons, cher Ul-
lout pour moi, el c'est rich cédez-moi sur co
moi qui vous ai devancé. point, pour aujourd'hui
ULRICH. — Chère Ida ! seulement : le temps est
IDA. — Oui! appelez- incertain, vous êtes pâle,
moi Ida, votre Ida ; car et semble/, mal à l'aise.
je veux être à vous, et à ULRICH. — Vous plai-
vous seul. El, en effet, il santez.
nc me reste plus que vous IDA. —Nullement;de-
depuis que mon pauvre mandez à Rodolphe.
père... (Elles'arrête.) RODOLPHE.
— Il est
ULRICH. — H vous reste vrai, seigneur; en un
le mien... et moi. quart d'heure, vous avez
IDA. — Cher Ulrich! plus changé que depuis
Mon tendre père! que des années.
n'csl-il témoin de mon ULRICH. — Ce n'est
bonheur, il n'y manque rien ; mais dans lous
,
que sa présence! les cas, le grand air me
ULRICH. — Vraiment 1 remettra. Je suis un vrai
IDA. — Vous l'auriez caméléon : je ne vis que
aimé ; vous lui eussiez été Fuyez ! je ne suis pas maître de mon château ni môme de cette tour. de l'air du ciel ; vos fêtes
cher, car les braves s'ai- dans les salons, vos bril-
ment et s'apprécient; ses lants banquets ne nour-
manières élaienl un peu rissent pas mon âme...
froides son âme était
,
il me faut la forêt, il me
fière : c'est l'apanage de la naissance; mais sous cet extérieur sé- faut l'air libre des hautes montagnes : j'aime tout ce qui fait ia vie
rieux... Oh! si vous l'aviez connu, si vous aviez élé près de lui pen- de l'aigle.
dant son voyage, il ne serait pas mort sans un ami pour allou- IDA. — Hormis sa proie, j'espère.-
ai ses derniers moments. ULRICH. — Charmante Ida, souhaitez-moi une heureuse chasse ,
ULRICH. Qui prétend cela? et je vous rapporteraipour trophées les hures de huit sangliers.

IDA.
— Quoi ? IDA —Vous persistez donc à partir... Vous ne partirez pas ! venez,
ULRICH. — Qu'il est mort dans l'isolement? je vous chanterai quelque chose.
IDA. — La rumeur publique, la disparition complète de ses servi- ULRICH. — Ida, vous n'êtes guère faite pour êlre l'épouse d'un
teurs. Elle devait être bien redoutable, la maladie qui les a tous soldat.
moissonnés! IDA. — Jc ne demande pointàl'èlre; j'espère bien que ces guerres
ULRICH. — S'ils étaient près de lui, il n'est donc pas mort seul et sont pour jamais finies, et que vous vivrez en paix dans vos
sans secours. domaines. (Entre WERNER, maintenantcomte de SIEGENDORF.)
IDA. — Hélas! qu'est-ce qu'un valet à notre lit de morl, alors que
l'oeil, prêt à se fermer pour toujours, cherche vainement ULRICH. —Mon père, je vous salue, et je regrette «rue ce soit
aimé! On dit qu'il est mort d'une fièvre. un objet
pour vous quitter si tôt Vous avei entendu le cor : les vassaux
ULRICH. —On dit!... cela est ainsi. attendent.
IDA.

Je rêve pourtant quelquefois anire chose. SIEGENDORF. — Qu'ils attendent!... Vous oubliez que demain es!
i;.\r.i3. — lîïip. I.ACÛUH et i:°. -ii-,- r-outaui, u. .Vl>
** LES-VEILLEES l.rn'F.PiAIP.ES ILLUSTRÉES.
•£,h ,y
le jour fixé pour ht fête par laquelle on doit célébrer, à Prague, le pareils
pa à ceux que j'ai passés, ne pourraient effacer ou expi-u- is
rétablissement delà paix. L'ardeur que vous mêliez a la chasse, ne démence cl la honte d'un instant. Ulrich, écoutez votre père!., .lo

vous permettra guère d'être de retour aujourd'hui; ou du moins vous n'ai
n'i pas écoulé le mien, et vous me voyez.
serez trop fatigué pour pouvoir demain vous joindre au cortège de ULRICH
— Je vois Sicgendorf heureux el chéri, en possessiondos
la noblesse. domaines
do d'un prince, honoré de ceux qu'il gouverne, ainsi que de
ULRICH.— Comte, vous occuperezma place cl la vôtre ; jen'aime se égaux.
ses
pas toutes ces cérémonies. SIEGENDORF. — Peux-tu bien me dire heureux, quand je crains
SIEGENDORF. — Ulrich, il no conviendrait pas que vous seul entre pour loi? chéri, quand lu ne m'aimes pas? Tous les coeurs, hormis
pc
lous nos jeunes nobles un seul, peuvent éprouver de l'affeclion pour moi... mais si celui
ui
IDA. — El le plus noble de lous par son extérieur et ses manières, de mon fils reste froid...
de
SIEGENDORF, à Ida.—C'eslvrai, ma chère enfant, quoique pour ULRICH. — Qui ose dire cela ?
une jeune demoiselle cc soil dil un peu hardiment... Ulrich rap- I SIEGENDORF. — Nul autre que moi ; je le vois... je le sens plus
pelez-vous notre position; songez que nous sommes depuispeu, rein- «li douloureusement que ton glaive ne se ferait sentir dans le coeur de
tégrés dans notre rang. Croyez-moi, cette absence dans une pareille Vi l'adversaire qui oserait le tenir ce langage. Mais mon coeur à moi
occasion serait remarquée de la part de toute autre maison el sur- si survit à sa blessure.
,
tout de la nôtre. En outre, le ciel, qui nous a rendu l'héritage de ULRICH. — Vous vous trompez ; jc nc suis pas accoutumé à des
nos aïeux en même temps qu'il a donué'Ja paix ou monde , a dou- manifestations n extérieures de tendresse; séparé de mes parents
blemcnt droit à nos actions «le grâces : nous devons le remercier, pendant
p douze années, comment pourrait-il en être autrement.?
d'abord pour notre pairie ensuite pour nous-mêmes. SIEGENDORF. — Et moi, ne les ai-je point également passées dans
ULRICH, à par t.—H ,
lui manquait plus d'êlredévot. (Ason h
la douleur de Ion absence? Mais c'est en vain queje te parle : des
nc que
père.) Eh bien! seigneur, je vous oh&\s.(Aun domestique.) Ludwig, remontrances r n'ont jamais changé la nature. Changeons de sujet
va congédier les vassaux. (Lvdwigsorl.) dde conversation. Mon fils, considérez, je vous prie, que si vous con-
tinuez
ti à fréquenter ces jeunes nobles violents, connus par de fu-
IDA. Ainsi vous accordez sur-le-champau noble comte ce que nestes n exploits (oui, des plus funestes, s'il faut en croire le bruit
j'aurais— pu demander en vain pendant des heures entières. public),
p ils vous conduiront...
SIEGENDORF souriant.—J'espère,petite rebelle, que vous n'êtes ULRICH (avec impatience). Je ne me laisserai jamais conduire
, voudriezdonc sanctionner la désobéissance —
pas jalouse de moi. Vous j personne.
par
envers loul autre que vous? Mais rassurez-vous : le temps viendra SIEGENDORF. — J'espère aussi que vous ne conduirez jamais de
bientôt où vous exercerez un pouvoirplus doux et plus sûr. ttels hommes. Afin de vous arracher, une rois pour toutes, aux pé-
IDA. — Mais jc voudrais régner dès à présent. rils
r de votre jeunesse et de votre audace, j'avais jugé convenable de
SIEGENDORF. régnez sur votre harpe, qui vous attend avec la vvous donner pour épouse Ida de Straleniieim d'autant plus que

comtesse, dans sa chambre ; vous faites infidélité la
a musique, et \vous paraissez l'aimer,
voire mère désire votre présence. ULRICH. — J'ai dit que je me conformerais à vos ordres, quand
IDA. — Adieu donc, mesgénéreuxproteclcurs.Ulrich, viendrez-- ivous m'ordonneriezd'èppuscr Hécate ; un fils peut-il en dire davan-
vous m'enteiulrc? tage
t ?
ULRICH. — Toul à l'heure. SIEGENDORF. — Un fils qui parle ainsi en dit trop. Il n'est point
IDA.
— Croyez bien que mes chants sonl préférables aux sons de dans « la nature de votre sang ni de voire caractère de parler si froi-
votre cor; soyez ponctuel à venir, je vous jouerai la marche du roi dement, « ou d'agir avec insouciance, dans une matière qui couronne
Gustave. iou
détruit (a félicité d'un homme : quelque penchant impérieux.
ULRICH. — Pourquoi pas celle du vieux Tilly? quelque
i sombre démon s'est emparé de vous; autrement, vons
IDA. — Co monstre! jamais! je croirais tirer de ma harpe des m'aurie?
i dit sur-le-ehamps : « J'aime la jeune Ida ! cl je l'épou-
gémissementshumains, el non «le l'harmonie... Mais venez promp- tserai » ; ou bien : « Je ne l'aime pas, cl toutes les puissances <k
tcmcnl ; votre mère sera heureuse de vous voir. ( Ida. sort.) 1la terre ne me la feront jamais aimer. » C'est ainsi qu'à voire âge
j'aurais répondu.
SIEGENDORF. — Ulrich, je désire vous pailer. ULRICH. — Mon père ! vous vous êles marié par amour.
ULRICH. — Mon temps vous appartient. (Bas à Rodolphe.) Ro^ SIEGENDORF. —C'est vrai; et cel amour à été mon unique refuge
dolplie, éloigne-loi ; fais ce que je t'ai dil, cl que j'aie une prompte dans bien des infortunes.
réponse de Roscmbcrg. ULRICH.— Infortunes qui n'auraient jamais existé sans ce ma-
RODOLPHE. —Comte de Siegendorf, avez-vous quelques ordresà riage par amour,
me donner? jepars pour un voyage au-delà do la frontière. SIEGENDORF, ^- Voilà encore un langage contraire à voire âge el
SIEGENDORF tressaillant. — Ah! quelle frontière? à votre nature. Qui jamais à vingt ans fil pareille objection?
,
RODOLPHE. — La frontièredeSilésie, pour me rendre... (Bas à ULRICH. —Ne m'avez-vous pas recommandé de ne pas suivre
vo-
Ulrich). Où lui dirai-je que je vais? tre exemple?
ULRIIUI,bas à Rodolphe. A Hambourg 1 (.'/ part. ) Ce mot mh SIEGENDORF.T—Jeune sophiste! En un mot, aimez-vous ou n'ni-

lira jc pense pour inctlrc un terme à son interrogatoire. mezrvous pas Ida v
RODOLPHE. — Comte pour, me rendre à Hambourg. ULRICH, Qu'importe, si je suis prêt à vous obéir en l'épousanl ?
, Hambourg? =*>
SiEiiiîNDoiiF, agité.—A (./ part.) Hou ,je n'ai laissé SIEGENDORF.—Pourvous, la chose peut êlre indifférente; mais
aucun souvenir de ce côté-là; je n'ai aucun rapport avec celte pour elle, il y va de sa vie toul entière. Elle est jeune, elle esl
ville. (Haut.) Ainsi, que Dieu vous soit eu aide ! nejje, elle vous adore... elle est revêtue de lous les'dons qui peu-
RODOLPHE.— Adieu comte de Siegendorf. (Rodolphe sort.) vent répandre sur vous le bonheur, cl Taire de votre vie un n'-v-
,
ineffable. Celle qui donnera tant de bonheur en mérite un peu en
SIEGENDORF.— Ulrich, eethomme estun des étrangescompagnonsi retour : je ne voudrais pas voir son coeur se briser pour un homme
dont je me proposais de vous parler. qui n'aurait pas de coeur à échanger contre le sien. Elle est...
ULRICH.
— Seigneur, il esl de noble naissance, et appartient ài
l'une des premières
ULRICH.— Elle esl la lille (te Slralenheim, votre ennemi. Néan-
maisons de la Saxo. moins jo l'épouserai, sans être violemment épris d'une telle al-
SIEGENDORF.—Il ne s'agit pas de sa naissance, mais de sa con- liance.
duite. On parle de lui d'une manière peu favorable. SIEGENDORF.— Mais elle vous aime.
ULRICH.— C'est cc qui arrive à la plupart des hommes. Le mo- ULRICH. — Jc l'aime également ; c'est pour cela que je voudrais
narque lui-même n'esl pas à l'abri de la médisance de son chambellani y penser deux fois.
ou de la haine du-dernier courtisan dont il a fait un ingrat en le3 SIEGENDOF.— Hélas ! c'esl ce que l'amour n'a jamais fait.
comblant d'honneurs. ULRICH.'—Alors, il est temps qu'il s'y mette, qu'il ôte le ban-
SiEGENDOiii'. S'il faut parler clairement, il court des bruits trèss deau de ses yeux , el qu'il regarde avant de prendre sou élan ; jus-
fâcheux sur ce — Rodolphe ; on dit qu'il fait partie des bandes noiress qu'ici il a toujours agi en aveugle.
qui infestent la frontière. SIEGENDORF.— Fixez donc l'époque du mariage.
ULRICH. —Ajoulericz-vous foi à ceson-diL? ULRICH. — L'usage el la courtoisie veulent que cette liberté ap-
SiÉRENnonp. — Dans ce cas, oui. partienne à la fiancée,
ULRICH. — Dans lous les cas, je croyais que vous connaissiez assez z SIEGENDORF.— Jc m'engagerai pour elle.
te monde pour ne pas considérer une accusation comme une sen- ULRICH. — C'est ce que je no voudrais faire pour aucune femme:
tence définitive. et comme rien nc doit être changé à ce que j'aurai une l'ois décidé,
SIEGENDORF. —Mon fils, je vous comprends, vous voulez parler r quand elle aura donné sa réponse, je donnerai la mienne.
de.... Mais la deslinée m'a tellement enlacé de ses filets, que, sem- SIEGENDORF.—Mais il csl.de votre devoir de fajrç les avances.
blable à la mouche prise dans la toile de l'araignée,je tic puis quee ULRICH. — Comte, cc mariage est votre oeuvre : .cliargcz-voiis
me débattre sans pouvoir les briser. Prenez gardé, Ulrich; vous is donc de lous ces soins. Mais, pour vous complaire, je vais inaiulc-
avez vu où m'ont conduit les passions. Vingllongucsannées d'indi- i- nant offrir mes devoirs à ma mère, auprès de qui, vous savez, Ida
gence cl de malheur n'ont pu les amortir : vingt mille ans encore,
3, se trouve en cc moment... Que voulez-vous de moi? vous m'avez
OEUVRES COMPLETES O:; I.OItl) liYHON. " 3/'.

interdil de mâles amnsemcnls hors de l'enceinte du château : je LE PRIEUR. — C'est une précaution louable dans l'inlérèl il'un
vous obéis ; vous voulez que jc me transforme en amoureux de sa- ai défunt.
ami
Ion ; que j'aille ramasser des gants, des éventails et des aiguilles, SIEGENDORF. — Le défunt n'était pas mon ami ; c'élail le plus
écouter dos chants et. de la musique, épier des sourires, sourire mortel,
n le plus acharné de mes ennemis.
moi-même a un babil frivole, cl contempler les yeux d'une femme, LE PRIEUR. — Encore mieux ! employer nos richesses à obtenir te
comme des guerriers contemplent l'étoile du malin avant une ha- ciel
c; pour les âmes de nos ennemis morts esl digne de ceux qui sa-
taille qui doit décider de l'empire du monde... que peuvent faire de vaient
v leur pardonner pendant leur vie.
plus un fils et un homme? (Ulrich sort.) SIEGENDORF. — Jc n'ai point pardonné à cet homme; je l'ai dé-
testé jusqu'au dernier moment, comme il me détestait lui-même.
SIEGENDORF, seul. — C'est trop !... c'est trop de soumission et
,
' En ce moment, je ne l'aime pas, mais
LE PRIEUR. — De mieux en mieux ! c'esl là de la religion toute
pas assez tic tendresse! Ce qu'il me paie, il ne me le doit pas ; telle
a élé ma deslinée, queje n'ai pu jusqu'à présent remplir auprès de haïssiez, pure:
P vous voulez soustraire aux châtiments divins celui que vous
lui !es devoirs d'un père. Maïs sa tendresse ne m'en esl pas moins " compassion loul-à-failcvangélknie...elde vos propres de-
'
duo ; car il n'a jamais élé absent de ma pensée, et, les yeux bai- niers encore !
SIEGENDORF. —Mon père, cet or n'est point à moi.
gués de larmes, je n'ai cessé de soupirer après le jour où je rever-
rais mon enfant. Et maintenant jc l'ai trouvé, mais dans quelles n'était LE l'iiiEun. — A qui apparlicnl-il donc? vous m'avez dit que ce
dispositions!... plein d'obéissance, mais aussi de froideur; soumis ' point un legs.
SIEGENDORF. l'eu importe l'originede celte somme... qu'il vous
en ma présence, "mais indifférent, mystérieux... concentré... s'ab- suffise de savoir—
scntunl fréquemment, pour aller où?... personne ne le sait... lié sacheter des prières, que son maître n'en a plus besoin, si ce n'est pour
lille est à vous et à voire monastère.
avec les plus distingués de nos jeunes seigneurs, quoique, pour lui a LE N'y a-t-il pas de sang sur cet or ?
rendre justice, jamais il ne s'abaisse à leurs vulgairesplaisirs. Néan- PRIEUR. —
moins, il existe entreeux des rapports dont j'ignore la nalure. Leurs éternelle SIEGENDORF. —Non ; mais il y a pire «pie du sang : il y a une
infamie.
yeux sont fixés sur lui... ils le consultent... se groupentautour de c LE pRiEun.—Celui qui le possédait est-il mort dans son lit?
'lui comme autour d'un chef; tandis que moi, Ulrich nc me témoi-
SIEGENDORF.— Hélas ! oui.
gne aucune confiance! Ah ! puis-je l'espérer, après que... Eh quoi I LE rRiEun. — Mon fils, vous retombez dans vôtre esprit de ven-
la malédiction de mon père descendrait-elle jusque sur mon fils? Le
Hongrois sanguinairerôde-t-il encore autour de nous? oubien serait- geance, j si vous regrettez que votre ennemi n'ait point péri de mort
violente.
ce loi, ombre de Straleniieim, qui erres ilans cette enceinte pour y .SIEGENDORF.— Sa mort a élé effroyable et sanglante.
frapperd'une fatale influence ceux qui nc t'ont pas immolé, il est
vrai, mais qui ont ouvert la porte à ton assassin ? Nous sommes in- LE PRIEUR. — Vous disiez qu'il élait mort dans son lit, el non sur
nocents de la mort. Tu étais mon ennemi, et pourtant je t'épargnai le champ de bataille.
dans un moment où ma ruine dormait avec toi, pour surgir à ton SIEGENDORF.— Il périt, je sais à peine comment.... mais il fut as-
réveil ! Je me contentai de prendre... Or maudit ! lu es comme un sassiné dans l'ombre, il fut égorgé dans son lit !... Maintenant vous
feu infecl dans mes mains ; je n'ose ni me servir de loi ni m'en sé- savez tout... Oui... regardez-moi! je ne suis pas l'assassin : sur cc
parer; ia manière dont je t'ai obtenu me fait penser que tu souille- point je puis affronter voire regard, comme un jour celui de Dieu.
rais toutes les consciences comme tuas souillé la mienne... Cepen- LE PRIEUR. — N'avez-vous élé en rien complice de sa morl?
dant, in lame métal, pour expier ma faiblesse, pour expier la mort SIEGENDORF.—Nullement : par lo Dieu qui voit et qui frappe !
de ton maître, quoiqu'elle ne soit l'ouvrage ni de moi ni des miens, LE PRIEUR. — Nc connaissez-vous pas le meurtrier?
j'ai l'ait autant que s'il eût été mon frère ! J'ai recueilli sa fille or- SIEGENDORF. — J'ai seulement soupçonné un homme ; il m'était
pheline... je l'ai chérie comme celle qui doil être la femme de mon étranger, aucun lien ne nous unissait; ii n'a poinl agi par mes or-
iils !... (Un domestique entre.) dres, et je ne l'ai connu qu'un seul jour.
LE PRIEUR. — Vous êtes donc pur de toute culpabilité !
SIEGENDORF, vivement. — Oh! le suis-je?... Parlez.
LE DOMESTIQUE. — Monseigneur, le saint abbé que vous avez LE pniEUR. — Vous l'avez dil, cl vous devez le savoir.
envoyé chercher altend qu'il plaise à Votre Excellence de le rece- SIEGENDORF.—Mon père! j'ai dit la vérité, rien que la vérité,
voir. (Le domestique sort; le prieur ALBERT entre.) sinon toute la vérité. Repétcz-moi que je ne suis pas coupable, car
le sang de cet homme pèse sur moi comme si je l'avais versé ; el
LE paiEun. — Paix à à
ces murs et tous ceux qui les habitent ! cependant, j'en atteste ce Dieu qui abhorre le sang humain, sa mort
SiEuENiioiiF.— Soyez le bienvenu, mon père! et puisse votre n'est pas mon ouvrage !... Bien plus, je l'épargnai,quand j'aurais pu
prière èlre entendue! lous tes hommes en onl besoin, el moi... et peut-êtredû le frapper, si toutefois il est permis à l'homme, poin-
LE PRIEUR. — Vous avez droit plus que personne aux prières de sa défense personnelle, d'immoler un ennemi (ont puissant. Mais
notre communauté. Notre couvent, fondé par vos ancêtres, est en- priez pour lui, pour moi et pour toute ma maison ; car, jc vous l'ai
core protégé par la même famille. dit, bien que je sois innocent, j'éprouve , je ne sais pourquoi, un
SIEGENDORF.— Oui, mon père, continuez à prier chaque jour douloureux remords. Priez pour moi, mon père ; en vain,j'ai moi-
pour nous dans ces temps d'hérésie el de sang, qui ne deviennent même prié bien longtemps.
pas meilleurs, quoique le Suédois schismalisque, quoique Gustave LE PRIEUR. —Je loferai, consolez-vous! innocent, vous devez
soit parti... être calme comme l'innocence.
LE PRIEUR. — Pour l'éternelle demeure des infidèles, pour ce sé- SIEGENDORF.— Ah I le calme, je le sens, n'est pas toujours le par-
jour des douleurs sans fin, où sont les grincements de dents les tage de l'innocence.
,
larmes de sang, le feu éternel, cl le ver qui ne meurt pas. LE PRIEUR. — Il en sera ainsi quand voire aine aura pu se re-
SIEGENDORF.— Il est vrai, mon père... et voulant délivrer de ces cueillir etse calmer, Rappelez-vous lagrande solennité qu'on célèbre
tourments un homme qui, appartenant à notre sainte Eglise, est demain, dans laquelle vous et votre vaillant fils devez prendre rang
'" mort néanmoins privé de ces secours suprêmes qui aplanissent le parmi nos premiers seigneurs; qu'au milieu des prières élevées vers
chemin de l'âme à travers les souffrances du purgatoire, voici une Dieu pour le remercier d'avoir mis un terme à l'effusion du sang,
donation queje vous offre humblement, afin d'obtenir des messes ce sang (juc vous n'avez point versé ne jette pas un nuage sur vos
le repos de son âme. (Siegendorfremet au prieur un rou- pensées : un pareil excès de sensibilité serait condamnable. Con-
pour d'or.)
leau solez-vous, seigneur; oubliez un triste événement, el laissez les
LE rniEUR. — Comte, je reçois ce don, sachant trop bien qu'un remords an* coupables. (Us sortent.)
refus vous offenserait. Soyez persuadé que tout cet argent sera em-
ployé en aumônes, et qu'on n'en dira pas'moins les messes que vous
demandez. Notre monastère n'a pas besoin de donations grâce à
celles que lui fil jadis votre maison; mais nous devons vous , obéir,
ainsi qu'aux vôtres, en toutes choses légitimes. Pour qui les mes- ACTE V.
ses seront-elles dites?
SIEGENDORF.— Pour... pour... un mort. SCÈNE PREMIÈRE.
LE PRIEUR. —Mais il faudrait indiquer son nom.
SIEGENDORF.— Ce n'est pas un nom, mais une âme «pie je vou- Grande et magnifique salle gothique du château de Siegendorf, décorée
drais soustraire aux peines dé l'autre monde. de trophées, do bannières et des armoiries do la (amilie.
LE PRIEUR.—Je ne prétends poinl pénétrer vos secrets; nous
prierons pour un inconnu, aussi bien que pour le plus élevé des; Entrent AUNHLIM et ÏUEISTEH, hommes de la suite du comte de
mortels. Siegendorf.
SIEGENDORF.— Des secrets ! je n'en ai pas ; mais, mon père, ce-
lui qui est mort pouvait en avoir un : ou bien il a légué... non, il ARNIIEIM. — Dépêchez-vous! le comte va revenir de l'église ; les
n'a i ien légué ; mais des intentions pieuses me dictent l'emploi dei dames sont déjà sous le portail Avez-vous envoyé à la recherche
cette somme. de l'individu en question?
356 LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

MEISTER.— J'ai fait parcourir Prague dans loules les direclions, SIEGENDORF {«. Ludwig).
homme dont ia figure le — Allez, el veillez a ce qu'on conlinuc
pour trouver un et costume fussent cou- sans
s interruption les recherches. (LUDWIG sort.) O Ulrich! combien
formes au signalement que vous m'avez donné. Le diable emporte jj'ai désiré votre présence!
les banquets et les processions! lout le plaisir, s'il y en a, est pour ULRICH. — Votre voeu est satisfait... me voici.
les spectateurs; il n'y en a guère pour nous qui sommes le spectacle SIEGENDORF. — J'ai vu le meurtrier.
môme. ULRICH — Qui? où?
ARNIIEIH. — Allez à votre affaire! voici madame la comtesse. SIEGENDORF.
— Le Hongrois qui a tué Straleniieim.
MEISTER. — J'aimerais mieux monter toul un jotir, à la chasse, ULRICH. — Vous rêvez!
une rosse éreinlée, que de marcher à la suite d'un grand person- SIEGENDORF. Aussi vrai que j'existe, je l'ai vu, je l'ai entendu!

nage dans ces ennuyeuses cérémonies. Il
I a même osé prononcer mon nom.
ARNIIEIBI. —Partez! allez plaisaatcrplus loin. (Ils sortent.— ULRICH. — Quel nom ?
Entrent la comtesse JOSÉPHINE DE SIEGENDORF et IDA DE STRA- SIEGENDORF. — Werner 1... c'était le mien.
LENIIEIM.} ULRICH.— r<- 'l'nsi plus votre nom, oubliez-le.
Sr.;:;!.\: ;':..'. —Jamais!jamais ! Toute ma destinée s'est rattachée
JOSÉPHINE. — Enfin, Dieu soit loué! la cérémonie est terminée. à' ce nom ; il ne sera pas gravé sur ma tombe, mais il peut m'y con-
IDA. — Comment pouvez vous parler ainsi? je n'ai jamais rien duire.
(
bannières, ULRICH. — Au fait!... le Hongrois?
rêvé desi beau. Ces fleurs, ces feuillages, ces ces seigneurs, SIEGENDORF.—Ecoulez!... L'église étail remplie, l'hymne pieuse
ces chevaliers, leurs pierreries, leurs manteaux, leurs panaches, s'élevait le ciel; la voix des nations plutôt que celle du choeur
ce bonheur empreint sur tous les visages, ces coursiers, cet encens, !entonnaitvers le Te Deum. Je me levai avec tous les seigneurs, et au mo-
ce soleil rayonnant à travers tes vitraux, jusqu'à ces tombes revê- \ment où, duhautdenotre galerie,jepromenaismes regards sur toutes
lues d'une beauté si calme, cesbymnes pieuses qui semblaient venir i
du ciel au lieu d'y monter; l'orgue faisant résonner sa voix grave, ' têtes, j'aperçus...ce fui pour moi comme un éclair qui me déroba
les
comme un tonnerre harmonieux; toutes ces,robesblanches, tous tout aulre objet... j'aperçus le visagedu Hongrois ; je me sen lis hors
de moi. Quand j'eus repris inessms, je regardai au même endroit...
ces regards tournés vers le ciel; le monde en paix et tous en paix 'il n'y était plus. Les chants avaient cessé, .et le cortège s'était remis
avec lous! O ma tendre mère. (Elle embrasse Joséphine.)
JOSÉPHINE. —Ma chère enfant ! car j'espère que vous serez bien- en marche.
tôt ma fille.
ULRICH.
— Continuez.
SIEGENDORF. — Bientôt nous arrivâmes au pont de la Moldan.
IDA. —Oh! nela suis-]e point déjà! sentez comme mon coeurljat. Toute
JOSÉPHINE. — En effet, ma teudre fille! puisse-t-il ne baltre ja- cette foule qui le couvrait, ces barques innombrables char-
gées de citadins en habits de fêle, qui glissaient sur l'onde au-
mais avec plus d'amertume. dessous de nous; la rue brillamment décorée, le long cortège, la
IDA. — Comment cela se pourrait-il ? Qui pourrait nous affliger?
Je ne puis souffrir qu'on parle de douleurs; comment serait-on blait direretentissante, le tonnerre lointain de l'artillerie, qui sem-
musique
triste quand on s'aime aussi tendrement que nous tous, vous, votre étendards qui un long et bruyant adieu à ses sanglants exploits; les
époux, Ulrich et voire fille Ida? flottaient sur ma lête, le bruit de lous ces pas, le mu-
gissement de cette foule précipitant ses vagues comme un torrent...
JOSÉPHINE. — Pauvre enfant! rien... rien ne pouvait écarter de mon souvenir cel homme, que ce-
IDA. —Vous me plaignez? pendant mes yeux ne voyaient plus.
JOSÉPHINE. — Non mais j'éprouve le sentiment d'une doulou- ULRICH. — Vous ne l'avez donc plus revu?
,
reuse envie, d'uneenvie qui nc ressemblepoint à ce que le monde en- SIEGENDORF. — J'avais soif de le revoir, comme un soldat mou-
tend par ce mol, à cc vice universel, si toutefoisil est un vice plus rant
général que les autres. sur le champ de bataille implore une gorgée d'eau ; je nc le
vis pas, mais à sa place...
IDA. — Jo ne veux pas qu'on dise du mal d'un monde qui con- ULRICH. — Eh bien I à sa place?
tient el vous cl mon Ulrich. Avez-vous jamais rien vu d'aussi beau SIEGENDORF.— Mes yeux rencontraient sans cesse voire ondoyant
que lui ? Comme il les dominait lous «le la tête ! Comme tous les panache qui, placé sur la tête la plus liante el la plus aimée, domi-
yeux le suivaient! Les fleurs jetées de chaque fenêtre tombaient à nait tout cet océan de plumes dont les Ilots inondaient les rues de
ses pieds plus nombreuses que devant toul nuire; partout où il a Prague.
marché, elles croissent encore pour nc jamais se flétrir. ULRICH. —Quel rapport avec le Hongrois?
JOSÉPHINE. — Vous le gâteriez, petite flatteuse, s'il vous enten-
dait.
SIEGENDORF.
— Jc l'avais oublié pour ne penser qu'à mon fils;
mais, au moment où la foule interrompit ses acclamations. les ci-
IDA. — Il nc m'entendrajamais; je n'oserais pas lui en dire au- toyens tombant tous dans les bras l'un de l'autre, j'entendis une
tant... je le redoute un peu. voix basse, mais plus distincte à mon oreille «pie la voix tonnante
JOSÉPHINE. —•• Pourquoi ? il vous aime. du bronze, prononcer cc nom... Werner I
IDA. — Je ne puis jamais trouver les paroles convenables pour le prononçait?
lui exprimer ce queje sens. El puis, quelquefois il me fait peur.
ULRICH.
— Qui Lui!
SIEGENDORF.— Je mé retournai., .je le vis et je tombai!
JOSÉPHINE. — Comment cela? ULRICH. —Et pourquoi?... Vous a-l-on aperçu ?
IDA. —Un nuage obscurcit tout-à-coup ses yeux bleus pendant SIEGENDORF.— Ceux qui m'entouraient, me voyant évanoui el en
qu'il reste silencieux el sombre. ignorant la cause, me transportèrent à l'écart. Vous étiez trop loin
JOSÉPHINE. — Ce n'esl rien. Les hommes, surtout en ces temps de dans le cortège des jeunes seigneurs pour venir à mon aide.
troubles, onl beaucoup à penser. ULRICH. — Je le ferai maintenant.
IDA. — Mais moi, jc ne puis penser qu'à lui. SIEGENDORF. — Gomment?
JOSÉPHINE. — Cependant il y a d'autres hommes aussi beaux ULRICH. — En cherchant cet homme, ou... Quand nous l'aurons
qu'Ulrich aux yeux du monde : par exemple, le jeune comte de trouvé, qu'en ferons nous?
Walilorf,dont les yeux aujourd'hui n'ont cessé d'être fixés sur vous. SIEGENDORF. — Je ne sais.
IDA. — Jc ne l'ai pas vu, je ne voyais qu'Ulrich. L'avcz-vous re-
marqué au moment où chacun fléchissaitle genou? jc pleurais, et, ULRICH. — Pourquoi donc le chercher?
SIEGENDORF.—Parcequ'il n'y aura point de repos pour moi queje
à travers mes larmes abondantes, il m'a semblé le voir me sourire. l'aie trouvé. Son destin, celui de Slralenheim, le nôtre, semblent
JOSÉPHINE. — Moi, je ne voyais que le ciel, vers lequel étaient ne enchaînés ensemble ! c'est un noeud mystérieux qui ne peut se dé-
levés mes yeux et ceux de lout un peuple. * (Un domestique entre.)
IDA. — Je pensais aussi au ciel en regardant Ulrich. nouer que...
JOSÉPHINE —Venez, retirons-nous; ils seront bientôt ici poul-
LE DOMESTIQUE. — Un étranger demande à parler à Votre Excel-
ie banquel. Allons quilter ces plumes et ces robes traînantes. lence.
IDA. — Et surtout ces pesants joyaux : je sens ma tète et mon SIEGENDORF. —Qui est-il?
coeur baltre douloureusement sous l'éclat dont ils brillent à mon LE DOMESTIQUE. — Il ne s'est poinl nommé.
front et à ma ceinture. Ma chère mère, je vous suis. (Elles sor- SIEGENDORF. — N'importe, faites entrer. (Le domestique intro-
tent. — Le comte de SIEGENDORF, en grand costume, entre avec duit GABOR et se relire.)
LUDWIG.)
GABOR. — C'est donc bien Werner !
SIÉGENDOBF.— Ne l'a-t-on pas trouvé ? SIEGENDORF, avec hauteur. Celui que vous avez connu sous
LUDWIG. — On fait partout d'activés perquisitions; et, si cet —
ce nom.
homme est à Prague, soyez sûr qu'on mettra la main dessus. GAROR, regardant autour de lui. — Je vous reconnais tous deux :
SIEGENDORF. — Où est Ulrich? le père et le fils, à ce qu'il semble. Comte, j'ai su que vous, on les
LUDWIG. — Il a pris l'aulre route, avec quelques jeunes nobles;; vôtres, vous me faisiez chercher; me voici.
mais il n'a pas tardé à les quitter ; el si je ne me trompe, je viensî SIEGENDORF. —Je vous cherchais, et je vous ai trouvé. Vous ôlcs
d'en tendre Son Excellence franchirau galop, avec sa suite, le. pout- accusé, votre propre coeur doit vous dire de quel crime...
lovisde l'ouesl. (Entiv ULRICH splendidement habillé.) (U s'arrête.)
OEUVRES COMPLETES DE LORD BYRON. 357

GADOR.—Soyez précis, et j'accepterai les conséquences dômes nmon innocence, clje ne mels pas la vôtre en doute... mais j'ai pro-
actes. n à cet homme d'être patient : qu'il continue!
mis
SIEGENDORF. — 11 le faudra bien... à moins. GABOR. — Je n'abuserai pas de vos moments en parlant lon-
GAIIOR. — D'abord, qui m'accuse? gguement de moi : j'ai débuté de bonne heuredans la vie... et je suis
SIEGENDORF.— Toutes choses, sinon toul le monde : le bruil gé- c que le monde in'a fait. L'hiver dernier, je me trouvais à Franc-
ce
néral, ce que j'ai vu moi-môme, étant présent sur les lieux... le ffort sur l'Oder, où je vivais obscurément. Le hasard me conduisit
lliéâlre du crime... enfin toules les circonstances se réunissent pour quelquefois q dans certains lieux de réunion , et là, au mois de fé-
vous désigner comme le coupable. vvrier, j'entendis raconter une étrange aventure. Un corps de troupes
GABOR. — Et moi seul? Réfléchissez avant de répondre : n'esl-il de l'Etal avail réussi à s'emparer, après une vive résistance, d'une
«i
point d'autre nom que le mien compromis dans celte affaire? tbande d'hommes désespérés qu'on supposait des maraudeurs du
SIEGENDORF.—Scélérat,qui te fais un jeu de ton crime! de tous ccamp ennemi ; il se trouva que ces hommes étaient des brigands que
les hommes, aucun ne connaît mieux que loi l'innocence de celui 1le hasard ou quelque expédition avait entraînés au-deHi des limites
contre lequel tu voudrais insinuer une sanglante calomnie. Mais je (ordinaires de leurs opérations... les forêts de laBohême... et amenés
n'adresserai point d'inutiles paroles à un misérable; je me bornerai jusqu'en j Lusace. Plusieurs d'entre eux, disait-on, étaientd'un haut
à ce qu'exige strictement la justice. Réponds donc sur-le-champ et rang... i On laissa dormir un momentles lois rigoureuses de la guerre,
sans équivoque, à mon accusation. et
« enfin ils furent escortés jusqu'aux frontières et placés sous la sur-
GAROR. — Elle est fausse. veillance
i des magistrats de la ville libre de Francfort. J'ignore ce
SIEGENDORF —Quiditc-.la? - qu'ils
( sont devenus depuis.
GAIIOR.
— Moi. Comment le prouveras-lu? SIEGENDORF. avec Ulrich?
— Quel rapport cela peut-il avoirhomme
SIEGENDORF. — GABOR.
— Parmi eux se trouvait, disait-on, un que la na-
GAIIOR. — En montrant ici l'assassin. ture
I avait comblé de ses dons... on vantail sa naissance, sa fortune,
SIEGENDORF.— Nomme-le. sa
s jeunesse, sa force, sa beauté plus qu'humaine, son courage sans
GAROR. — 11 peut avoir plus d'un nom: il fut un temps où Voire pareil;
i et l'on allribuailà lamagiesonascendantsurses compagnons,
Seigneurie en avait deux. surscsjuges,
'•
lantcéiteinfluence était irrésistible...Je n'ai pas grande
SIEGENDORF. — Si c'est moi que lu veux désigner, je brave les foi
1 à la magie, si ce n'est à celle de l'or... jc le crus donc riche...
accusations. une
t vive curiosité, mille instincts secrets me portaient à rechercher
GABOR.—Vous le pouvez en toute sûreté; un autre csll'assassin, ce prodige, à le voir du moins.
>
cl moi je le connais. SIEGENDORF.
— Et le vîtes-vous?
SIEGENDORF. — Où est-il? GAROR.
— La suite vous l'apprendra.'Lehasardvint me favoriser:
GABOR, montrant Ulrich.
— Près de vous (Ulrich veut se pré- un tumulte populaire avait rassemblé une grande loulc sur la place
cipiter sur Gabor, Sicgendorfle relient.) publique. C'était une de ces occasions où l'âme se montre lout en-
SIEGENDORF.'—Imposteur maudit! Mais on n'attentera pont à tière, où les hommes apparaissent tels qu'ils sont; du moment que
tes jours; ces murs m'appartiennent : lu seras en sûrelé dan sieur mes yeux rencontrèrent les siens, je m'écriai : Le voilà! Quoiqu'il
enceinte. (Se tournant vers Ulrich.) Ulrich, repousse comme moi fût alors, comme je l'ai trouvé depuis, au milieu des grands de la
celte calomnie; j'avoue qu'elle esl si monstrueuse, que je n'aurais ville, j'étais sûr de ne pas me tromper; je l'épiai longtemps, et tic
pu croire qu'un homme en fût capable. Calme-toi, elle se réfutera près; milieu j'examinai sa taille... ses gestes... ses traits... sa démarche...
d'cllc-mûnio; mais ne louche pas cet homme. (Ulrich s'efforce et au de tout cela, au milieu de lous ces dons naturels el ac-
do composer son visage.) quis, je crus discerner le regard de l'assassin et l'âme du gladiateur.
ULRICH souriant. —Voilàune histoire intéressante
GAIIOII. — Uegardcz-lc, comte ; et puis écoulez-moi. ,
SIEGENDORF, à Gabor. —Je vous entends. (Regardant Ulrich.)
GABOR.—lille le deviendra plus encore... 11 me parut un de ces
hommesauducieux,devant lesquelsla fortune s'incline... et qui tien-
Grand Dieu ! lu as l'aspect... îicnlsouvcnt dans leurs mains la destinée de leurs semblables. D'ail-
ULRICH. — Quel aspect? leurs une sensation inexplicable m'attirait vers cet homme, comme
SIEGENDORF.—Celui que je t'ai vu dans celle nuit terrible où nous si
nous rencontrâmesau jardin. ma forlune devait dépendre de lui... En cela je nie trompais.
SIEGENDORF. — Et vous pourriez bien vous tromper encore.
ULRICH, se remettant. — Ce n'est rien. GAIIOR —Je le suivis, jo sollicitai son attention... jc l'obtins...
GABOR.—Comle, vous êtes tenu de m'entendre, je ne vous cher- mais non son amitié.. Son dessein était de quitter la ville sccrèlc-
chais pas : vous m'avez cherché. Quand jc m'agenouillai au milieu itienl... nous partîmeseiisemble...cl ensemble nous arrivâmes dans
du peuple, dans l'église, je ne m'attendais pas ù rencontrer l'indi- la bourgade obscure où Werner était caché, el où nous sauvâmes
gent Werner sur le siège des sénateurs et des princes; mais vous les jours de Slralenheim. Maintenant nous voici à la catastrophé :
avez voulu me voir, et me voici devant vous. oserez-vousm'écouler encore ?
SIEGENDORF. — Continuez, monsieur. SIEGENDORF. —Je lu dois... ou j'en ai trop entendu.
GAROR.— D'abord, permet lez-moi devons demander àqui la mort GABOR.—Je reconnusen vous, sous le nom de Werner, un homme
«le Slralenheim a été profitable; esl-ce à moi... qui suis pauvre au-dessus de sa position. Vous étiez pauvre, vous aviez toul de la mi-
comme je l'étais, si les soupçons attachés à mon nom ne m'ont pas sère sauf les haillons : j'offris de partager avec vous ma bourse,
rendu plus pauvre encore? Dans ce dernier attentai, on n'a enlevé quelque , légère qu'elle fût; vous refusâtes.
au baron ni joyaux ni or; on n'a pris que sa vie... et cette vie. était SIEGENDORF. Mon refus m'a-t-il rendu votre obligé, que vous
nu obstacle aux prétentions de certains hommes qui convoitaient veniezainsi me — rappeler votre offre?
un rang el un» fortune. GAIIOR.— Cependant vous m'avez une obligation, quoique (l'une
SIEGENDORF. — Ces insinuations, aussi vagues qu'impuissantes, autre nature ; et moi jc vous dus, au moins eu apparence,ma sûreté,
sont dirigées contre moi et contre mon fils. quand les satellites de Slralenheim me poursuivaient,en m'accusaut
GAIIOR. — Ce n'est pas ma faute, mais que les conséquences re- de l'avoir volé.
tombent sur celui d'entre nous qui se seul coupable. C'est à vous SIEGENDOUI'.— Je vous ai abrité; el c'esl vous, vipère réchauffée
queje m'adresse, comte Sicgendorf, parce queje vous sais inno- dans mon sein, qui venez m'accuser, ainsi que les miens?
cent, el vous crois juste; mais avant que je poursuive... oscrez- GAROR. Je n'accuse personne... si ce n'est pour me défendre.
vous me protéger 9 oserez-vous m'ordonner de continuer —
? (Siegen- Vous, comte, vous vous êtes constitué accusateur et juge : voire
dorf regarde d'abord le Hongrois, puis Ulrich qui a ôtê son sabre palais est cour de justice ; votre coeur, mon tribunal. Soyez équi-
de sa ceinture, el qui trace avec le bout du fourreau des lignes sur table, el jema serai indulgent.
le plancher. SIEGENDORF.— Vous, indulgent! vous! lâche calomniateur!
ULRICH, jetant un regard à son père. Qu'il continue. GABOR. — Moi! du moins je pourrai l'être.... Vous me files

GABOR. — Comte, je suis désarmé... dites à votre fils de déposer cacher... dans un passage secret connu de vous seul, me dites-
son sabre. vous. Au milieu de la nuit, ennuyé de veiller dans les ténèbres, et
ULRICH, le lui offrant avec mépris. — Prends-le. incertain si je pourrais retrouver ma route, je vis de loin une lu-
GABOR. —Non, monsieur; il suffit que nous soyons désarmés l'un mière scintillera travers quelques fentes : j'approchai, el je parvins
cl l'autre... Je ne voudrais pas porter un glaive que peul avoir à une porle... à une porte secrète qui donnaitdans une chambre; là,
souillé un sang versé ailleurs que dans les combats. ayant d'une main prudente et circonspecte agrandi l'étroite ou-
ULRICH, jetant son sabre avec mépris. Ce même glaive... ou un verture je regardai et vis un lit lout rouge, et sur ce lit Slralen-

autre , épargna un jour votre vie lorsque vous étiez désarmé et à heim ! ,
,
ma merci. SIEGENDORF.—Endormi! et lu l'as assassiné... misérable!
GABOR. — C'esl vrai... je ne l'ai poinl oublié ; vous m'avez épar- GABOR. H était déjà égorgé et saignant comme une victime.
gné pour servir vos vues secrètes, pour faire peser sur moi l'igno- Tout mon — sang se glaça.
minie d'un autre. SIEGENDORF.—Mais il était seul. Tu nc vis personne tu ne vis
ULRICH — Continuez; le récit est digne, sans doute, de celui qui le pus le... (Son émotion l'oblige à s'arrêter.)
,
j
fait. (A Sicgendorf.) Mais convient-il que mon père l'entende?
— Non , non , celui que vous n'osez nommer, et que
I GAIIOR.
SIEGENDORF, prenant la main de son fils. —Mon fils, je connaiss I j'ose à peine me rappeler, n'était pas en ce moment dans la chambre,
358 LES VEILLEES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.
> " lin»
i i ' i IIP^M—^pl^i.—^»— —^m ———^—M«nw
Ulrich.— Alors,mon fils, lu es innocent encore...
Sir.GENDOitF «
ryumw
SIEGENDORF. Oui, avec la moitié de mes domaines; et plûl au

Un jour je m'en souviens, tu me suppliais de déclarer «pie j'étais ciel
< qu'avec l'autre moitié nous pussions effacer ce forfait!
innocent,; à présent je te fais la môme prière. ULRICH.
— Cen'est poinl le moment de dissimuler ou de se payer
GABOR. — Patience! je ne reculerai pas maintenant, quand mes de
« paroles. J'ai dil que son récit est conforme àla vérité, et j'ajoute
paroles devraient ébranler ces murs et les faire crouler sur nos têtes. de
( nouveau qu'il s'agit de le faire taire.
Vousvous rappelez... sinon vous, du moins votre fils... que les ser- SIEGENDORF. — Comment?
rures avaient été changées sous l'inspection spéciale d'Ulrich dans la ULRICH. Slralenheim. Etes-vous assez
— Comme on a fait taire rien jusqu'ici?
matinéede cc même jour ; commentil élait entré, c'est à lui de le simple
i pour ne vous èlre aperçu de Quand nous
dire... mais dans une antichambre dont la porte était entr'ouverle, nous sommes rencontrés dans le jardin , à moins d'avoir pris l'as-
je vis un homme qui lavait ses mains sanglantes, et tournait un rc- sassin
t sur le fait, comment aurais-je pu connaître la mort du ba-
gnrd farouche et inquiet vers le corps dé la victime... mais ce corps ron ? Si j'avais effectivementdonné l'alarme aux gens de la maison
élail sans mouvement. du prince, est-ce à moi, est-ce à un étranger qu'on eût confié le soin
SIEGENDORF.— O Dieu de mes pères! d'avertir la police? Si notre départ n'avait précédéde plusieurs heu-
GAIIOR.-— Je visson visage commeje vois le vôtre... mais ce n'é- res la découverte du crime, aurions-nous eu une seule minute à
tait pas le' vôtre quoiqu'il vous ressemblât. Jc le reconnais dans perdre en route? El vous, Werner, vous l'objet de la haine et des
celui du comte Ulrich, quoique l'expression de ses traits ne fût pas craintesdu baron, auriez-vous pu fuir? Je vous cherchai et je son-
alors ce qu'elle est à présent.... mais telle qu'elle élait encore toul dai voire âme, doutant s'il y avail en vous dissimulation ou faiblesse.
à l'heure au moment où je l'ai accusé du crime. Je reconnus que vous n'étiez que faible, et pourtant je vous, ai
SIEGENDORF, à part. — En effcl, j'ai remarqué... trouvé huit d'assurance que parfois je doutais encore.
GABOR, l'interrompant.—Ecoutez-moijusqu'au bout; vous le SiEGEMionF. — Parricide non moins qu'assassin vulgaire! quel
devez mai n tenant... Jc me crus trahi par vous elpar lui (car je dé- acte do ma vie, quelle pensée de mon coeur a pu le faire supposer
couvris alors qu'il existait un lien entre vous) ; je crus que vous ne que j'étais propre à devenir ton complice?
m'aviez accordé ce prétendu refuge que pour rejeter sur moi votre ULRICH.—Mon père, n'évoquez pas la discorde entre nous. Ce
forfait; et ma première pensée fut la vengeante. J'avais laissé mon qu'il nous faut maintenant, c'est do l'union et du courage, el non
épée., el quoique jo fusse armé d'un poignard, je ne pouvais lutter des querelles intestines. Pendant que vous étiez à la torture, pou-
avec Ulrich d'adresse ou de force : j eu avais lait l'épreuve dans la I vais-je être calme? Pensez-vous que j'aie entendu te récit do cet
matinée. Je icbroussui chemin el m'enfuis dans les ténèbres; le I homme sans quelque émotion?... Vous m'avez appris à ne songer
hasard me reconduisit à la porte secrète de la salle, puis à la cham- ji qu'à vous et à moi, quel autre sentiment humain avez-vous jamais
bre où vous étiezendormi. Si je vous avais trouvé éveillé, Dieu seul I mis dans mon coeur ?
peut dire à quelles extrémités la vengeance et le soupçon m'eussent ' SIEGENDORF.—O malédiction de mon père, lu agis maintenant!
porté contre vous; mais jamais le crime ne dormit comme dormait |'. ULRICH.—Le tombeau la contiendra! Des cendres sont des enne-
Werner. ' mis peu dangereux. Cependant écoutez-moi encore!... Si vous me
SIEGENDORF.— Et pourtant j'eus d'horribles rêves, et mon som- j; condamnez, rappelez-vous celuiqui me conjuraitjadis de l'écouter.
incil fut si court, que jc m'éveillaiavant que les étoiles eussent pâli. |i Qui m'a enseigné qu'il y avait «tes crimes que l'occasion rendait
Pourquoi m'as-tu épargné? |} excusable, que la passion constituait notre nature, que la faveur du
GABOR.—Jepris la fuite et me cachai... Le hasard, après un silong ciel s'attachaitaux biens de la fortune? qui m'a fait voir l'humanité
intervalle, m'a enfin amené ici, et m'a fait voir Werner, que j'avais ii placée sous l'unique sauve-garded'une sensibilité nerveuse? qui a
cherché vainementsous le chaume habitant le palais d'un souve- |! failli me priver de tout moyen de revendiquermon rang et mes
rai n ! Vous avez voulu me voir, vous , m'avez Maintenant la face du jour en imprimant sur mon front le stigmate de
vu ; droits à
vous connaissez mon secret, et vous pouvez en peser la valeur. |i la bâtardise, et sur le sien même celui de l'infamie? L'homme tout
SIEGENDORF après un moment de le
silence. — Nous pouvons. à la fois violent et faible invite à faire pour lui ce qu'il désire ac-
GAIIOR. — A, quoi songez-vous? à la justice ou à la vengeance? complir sans l'oser. Esl-il étrange que j'aie ex«':culé ce que vousavez
SIEGENDORF Ni à l'une ni à l'autre. Je pesais la valeur de votre pensé? Pour nous, la question du bien et du mal esl nulle; c'est
secret. aux effets el non aux causes que nous devons songer. Par un mou-
GAIIOR.—Je vais vous la faire connaître en peu de mots...Quand vement instinctif, j'avais sauvé la vie de Straleniieim sans le con-
vous étiez pauvre, et moi, quoique pauvre, assez riche pour secou- naître,commej'aurais sauvé celled'un paysan ou d'un chien; quand
rir un plus indigent que moi, je vous offris ma bourse : vous refu- je l'ai connu, je l'ai tué, non par vengeance, mais parce qu'il était
sâtes de la partager... jc serai plus franc avec vous : vous êtes riche, notre ennemi; c'était un rocher placé sur noire passage, cl jo l'ai
noble, en crédit auprès de l'empereur : vous me comprenez? I|
brisé comme eût fait la foudre, parce qu'il s'interposaitentré nous
SiiiGENDouF.—Oui. |; et notre destinée. Comme étranger, je l'ai sauvé, el il me devait la
GABOR. — Pas toul-à-fail : vous me croyez
vénal, et ne pouvez vie ; au jour de l'échéance, j'ai repris cc qui m'était dû. Lui, vous
nie croire sincère; il n'en est pas moins vrai que ma deslinée m'a et moi, nous étions au bord d'un gouffre, el j'y ai précipité notre
rendu l'un et l'autre. Vous m'aiderez : je vous aurais aidé; et d'ail- ennemi. Vous avez le premier allumé la torche; vous m'avez montré
leurs, .j'ai souffert dans ma réputation pour sauver la vôtre et celle lechemin: montrez-moi înainlenantceluide notresûreté...ou laissez-
de voire fils. Méditez ce que je vous ai dil. moi m'occnper de ce soin.
SIEGENDORF.— Voulez-vous nous permettre de délibérer quelques; SIEGENDORF. — J'en ai fini avec la viel
minutes? ULRICH.— Finissons-en plutôt avec ce qui ronge la vie... avec ces
GABOR, jetant un regard sur Ulrich qui est appuyé contre un pi- discordes intestines, ces vaines récriminations sur des choses con-
lier. — El dans le cas où j'y consentirais? sommées sans retour. Nous n'avons plus rien à nous apprendre ou
SIEGENDORF.— Jerépondsde votre, vie sur lamienne. Entrez dansi a nous cacher ; je n'éprouve aucune crainte, et j'ai, dans celte en-
celte tour. (Il ouvre une porte basse.) ceinte, des hommes que vous ne connaissez pas et qui sonl prêts à
GABOR hésitant. — Voilà le second asile sûr que vous m'offrez. tout. Vous êtes en crédit auprès du gouvernement; ce qui se pas-
,
SIEGENDORF. Le
— saispremier ne l'élait-il pas? ; sera ici n'excitera que faiblement sa curiosité; gardez votre secret,
,

GABOR. —Je n'en trop rien , même aujourd'hui... mais j'es-- \ contenez-vous, ne bougez pas, ne dites mot... abandonnez-moi lo
saierai du second. D'ailleurs j'ai une autre garantie... Je ne suis pas3 i lout; ii ne faut pas qu'il y ait entre nous l'indiscrétiond'un tiers.
venu seul à Prague; et, dans le cas où l'on m'enverrait dormirr (Ulrich sort.)
avec Slralenheim, il est des langues qui parleraient pour moi. Quei SIEGENDORF, seid. — Suis-je bien éveillé? Est-ce ici le château
votre décision soil prompte. de inespérés? Est-ce bien la mon fils? Mon fils! Moi qui abhorrai
SIEGENDORF. —Elle te sera... Ma promesse est sacrée et irrévo- toujours les lénèbres et le sang, me voici plongé dans un enfer de
- ,
cable ; mais elle ne garantit votre sûreté que dans l'enceinte de cc3 sang et de ténèbres. H faut me hâter, ou le sang va couler encore...
château. j celui du Hongrois 1... Ulrich... U parait avoir ici des partisans; j'au-
GABOR. — Je la prends pour ce qu'elle vaut. ! rais dû m'en douter. Oh! insensé
que je suis! Les loups rôdent
SIEGENDORF montrant le sabre d'Ulrich qui est resté à terre. — par bandes! Il a comme moi la clef de la porte opposée de la tour.
,
Prenez aussi cette arme... je vous ai vu la regarder d'un air in- C'est maintenant qu'il faut agir, si jc nc veux pas êlre père de nou-
quiet et jeter sur Ulrich un coup d'oeil plein de méfiance. veaux crimes, comme je suis père d'un criminel ! Holà ! Gabor !
GABOR, ramassant l'arme. — Je le veux bien ; je serai du moinss Gabor ! (Il entre dans la tour dont il ferme la porte après lui.)
en élat de vendre chèrement ma vie. (Gabor entre dans la tourr i
dont Sicgendorfferme la porte.) i
j
SIEGENDORF,s'avançantvers Ulrich. —Maintenant, comte Ulrich, SCENE II.
,
car je n'ose plus t'appeler mon fils, te justifieras-tu? | L'intérieur do la tour.
ULRICH. — Cc qu'il a dit esl la vérité.
SIEGENDORF. — La vérité, monstre! tiAUOft. el SIEUEKUOKI'.
ULRICH. — La vérité, mon père! et vous avez bien l'ail d'écouler1- I
sou récit : pour parer à-un danger, on doit d'abord le connaître. 11 II ' _ GABOR.—Qui m'appelle?
s'agit do faire taire cet homme. I SIEGENDORF.— C'est moi... Siegendorf! Prends ceci et fuis ! no
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD RYRON. 339.

perds pas un moment! (Il détache dcsa poitrine une étoile de ôt mon père ouvre-moi Ion sépulcre ; la malédiction est tombée sur
moi ,
plus terrible en me frappant dans mou fils' La race des
diamants et d'autresjoyaux, qu'iljette dans la main de Gabor.) i
Siegendorf esl finie.
GAROR. — Que ferai-je de cela?
ii

SIEGENDORF.— Ce que lu voudras; vends ces joyaux ou farde-


les el prospère ; mais fuis sans retard, ou lu es perdu ! FIN DE WERNER.
GABOR. — Vous vous êtes engagé sur l'honneur à veiller à ma
,
sûreté !
SIEGENDORF.— Je remplis en ce moment ma promesse. Fuis : je :
ne suis pas maître, à ce qu'il paraît, dans mon château... Je ne puis
commander à mes gens... ni môme à ces murs... ou je leur ordon-
nerais de crouler sur moi! buis, ou lu seras égorgé par... LE
GABOR. —Est-il vrai? adieu donc! Toutefois, comte, rappelez-
vous que vous-même avez cherché cette fatale entrevue. fatale
SIEGENDORF.— Je le sais; «ju'elle ne devienne pas plus en- BOSSU TRANSFORME.
core !... Fuis!
chemin par lequel je suis
— Faut-il prendre le même
GAIIOII.
entré?
SIEGENDORF. — Oui, il es! sûr encore; mais ne t'arrête pas à
Prague... tu ne sais pas à qui tu as affaire.
GABOR. — Je le sais trop bien... cl je le savais avant vous, mal-
heureux père! Adieu. (Gabor sort.) PERSONNAGES.
SIEGENDORF, seul et prêtant l'oreille. — 11 a franchi l'escalier 1 UN ÉTRANGER, ensuite appelé CÉSAR. —- ARNOLD. — BOURBON.
Ah! j'entends la porte se refermer sur lui! Il est sauvé! sauvé!...
— BERTIIE. — OLIMPIA. — Esprits,
PHILIBERT. — FELLINI.
Ombre de mon père! je ne me soutiens plus. (// s'appuie sur —
soldats, citoyens de Rome, prêtres, paysans, etc.
un banc de pierre contrele mur de la tour. ULRICH entre avec une
troupe de gens armés, te sabre nu à lamain.)
ULRICH. — Dépêchez-le!... il esl icil
LUDWIG. — Le comte, monseigneur !
ULRICH, reconnaissant Siegendorf.— Vous ici! mon père ! PIsKSlIEnE PAIMME.
SIEGENDORF. — Oui; s'il te faut une autre victime, frappe!
ULRICH, s'apercevant qu'il n'a: plus ses insignes. — Où est le scé- SCÈNE PREMIERE.
lérat qui vous a dépouillé? Vassaux ! hâtez-vous d'aller à sa re-
cherche! Vous voyez (pie jc disais vrai... le misérable a dépouillé Une forêt.
mon père de joyaux capables de formerl'apanaged'un prince! Pa
lez! jo vous suis. (Tous sortent à l'exception de Siegendorf et Entre ARNOLD, avec sa mère iii:n»'iii;.
d'Ulrich.) Que signifie cela? où est l'infâme?
llEiiniE. —À l'ouvragé, bossu I
SIEGENDORF. — 11 y en a deux; lequel cherches-tu? ARNOLD. — Je suis ne comme cela nia mère.
,
ULRICH.—No parlons pins de cela ! il faut que nous le trouvions. BisivriiR. — A l'ouvrage; incube! cauchemar ! de s,-pt fils que j'ai
Vous ne l'avez pas laissé échapper? eus, toi seul es un avorton.
SIEGENDORF. — Il est parti. ARNOLD. — Plût au ciel que je l'eusse été en effet et n'eusse
ULRICH. — Grâce à voire assistance? jamais vu la lumière!
SIEGENDORF.— Je lui ai donné toute l'aide que j'ai pu. BERTIIE. — Oui, plût au ciel 1 mais puisquetu l'as vue, va-t'en,
ULRICH. — Adieu doue! (Ulrich fait un mouvement pour s'é- va-ten et travaille de ton mieux! Ton dos peut porter une charge-
loigner.) il est plus haut, sinon aussi large que d'aulros. '
SIEGENDORF. —Arrête, jc te l'ordonne !... je t'en supplie! O Ul- ARNOLD. — Il porte son fardeau mais mon coeur ! soutiendru-
lich! veux-tu donc me quitter? l-il Celui dont Vous l'accablez, ô mère? Jc vous aime, ou du moins
ULRICH. —Eh quoi! je resterais pour me voir dénoncé, arrêté, je vous aimais : vous seule au monde pouviez aimer un être tel
chargé de chaînes, et. tout cela pour voire faiblesse, votre denii-hu- que moi. Vous m'avez nourri ne me tuez pas.
înauité, vos remords égoïstes,votre pilié vacillante qui sacrifie toute BERTIIE. — Oui... je l'ai nourri, parce que tu étais mon premier-
voire race pour sauver un misérable et l'enrichir par notre ruine ! ne queje ncsavais pas j'aurais un second enfant, moins affreux
et si
Non, comte ; à dater de ce jour, vous n'avez plus de fils 1 que toi, caprice monstrueux de la nature. Mais va-t'en ramasser
SIEGENDORF. — .le n'en ai jamais eu ; et plût au ciel que tu n'en du bois.
eusses jamais porté le vain nom ! Où vas-tu? je ne voudrais pas te ARNOLD. — J'y vais; mais quand je rapporterai ma charge,
voir partir dénué de toute ressource. parlez-moi avec bonté. Quoique mes frères soientbeaux el forts, el
ULRICH. —Laissez-moi ce souci. Je ne suis pas seul; jc ne suis aussi libres que le gibier qu'ils poursuivent, ne me repoussez pas •
pas uniquementlechétif héritier de vos domaines: mille, que dis-je ! eux et moi nous avons sucé le même lait.
dix mille glaives, dix mille coeurs sont à moi. BERTIIE. -pïu as fail comme le hérisson qui vient à minuit léler
SIEGENDORF. — Les brigands de la forêt! au milieu desquels le la mère du jeune taureau , en sorte que la laitière trouve le lende-
Hongrois te vil pour la première fois à Francfort?... main matin les mamelles taries et le pis malade. N'appelle pas mes
ULRICH. — Oui... des êtres qui méritent le nom d'hommes ! Que aulrcs enfants tes frères ! no m'appelle pas la mère; car si je l'ai nvs
vos sénateurs veillent sur Prague! ils se sont un peu trop hâtés" «le au monde, j'ai imité la poule stupide, qui parfois fait écloredcs vi-
célébrer le retour dela paix ; tous les gens de coeur nc sont pas morts pères eu couvant des oeufs étrangers. Va-l'en, magot ! va-t'en I
avec Wallcnstein ! [Entrent JOSÉPHINE et IDA.) (Bertiie sort.)
ARNOLD
.
,
seul. — O
,x mèrel... elle est partie, el jo dois lui obéir..
JOSÉPHINE. — Qu'avons-nous appris, mon Siegendorf? Dieu soit Ah! je travaillerais avec plaisir, quelque fatigué que je sois, si je
loué ! lu es sain et sauf. pouvais seulement espéreren retour un mot bienveillant. Que faire*
SIEGENDORF. — Sain et sauf! (Il se met a couper du bois, mais en travaillant il se blesse à ta
IDA. — Oui, mon cher père! main.) Voila que je ne pourrai plus travailler du reste de la journée
SIEGENDORF. —Non, non, je n'ai plus d'enfants : ne me donnez Maudit soil ce sang qui coule si vile! car maintenant une doublé
plus ce nom «le père, le dernier de lous les noms. malédiction m attend au logis... quel logis?... je n'ai poinlde logis
JOSÉPHINE. — Que veux-tu dire, cher époux ? point de parents, point de semblables. Je nesuis point fait comme
SIEGENDORF. — Que lu as mis au jour un démon ! les autres créatures, ni destiné à partager leurs jeux et leurs plai-
IDA, prenant la main d'Ulrich. — Qui ose parler ainsi d'Ulrich? sus. Dois-je donc saigner comme elles? Je voudrais que de chacune
SIEGENDORF.— Ida, prends garde : il y a du sang sur cette main de ces gouttes qui tombent à terre, il pût naître un serpent pour les
IDA, .se baissant pour baiser la main d'Ulrich. .
— Quand ce se- mordrecomme ils m'ont mordu, ou qu'au moins ledémon à qui l'on
rait le mien, mes baisers-l'effaceront. me compare, daignât venir eu aide a son image. Si j'ai sa dill'ormité
SIEGENDORF. — Tu l'as dil : c'est le tien. pourquoi pas aussi son pouvoir? Est-ce la volonté qui me manque'
ULRICH. — Arrière! c'esl le do
sang ton pore. Un mot bienveillant do celle qui m'a porté dans ses flancs suffirait
IDA. — Grand Dieu ! Et j'ai pu aimer un tel homme ! (Ida tombe pour me, réconcilier môme avec mon aspect odieux. Lavons celte
évanouie; Joséphine reste muette d'horreur.) blessure. ( // s'approche d'une source et. se baisse pour II nlonucr
ses mains : mais tout-à-coup il recule.)
SIEGENDORF.— Le misérable a tué le père et la fille... Ma José- Ils ont raison, et ce miroir do la naturenieinontrc à moi te! qu'elle
phine! nous sommes seuls !.. tout isl fini puiir moi! .. Maintenant, ! m'a tait- Je ne veux plus arrêter mes regards sur cette imago et
360 LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON. 36l

de cela plus lard. Mais je n'est pas plus que la tienne, sauf qu'elle est un peu plus haute et
L'ÉTRANGER.
— Nousjeparlerons nc se-
rai poinl exigeant, car vois en toi île belles dispositions. Tu n'au- plus droite. En voici un autre. (Un second fantôme paése.)
ras d'autre engagementque ta volonté, d'autre pacte que ta volonté. ARNOLD. —Quel est-celui ci?
Es-tu content ? L'ÉTRANGER.
— H fut le plus brave et le plus beau des Athéniens;
examine-le bien.
ARNOLD.
— Je te prends au mol.
L'ÉTRANGER. —A l'oeuvre donc! (// s'approclte de la source, puis ARNOLD. — Il est plus gracieux «me le premier : quelle admira-
se tourne vers Arnold.) Un peu de ton sang. ble beaulé !
L'ÉTRANGER. — Tel fut le fils de Clitiias, l'Athénien aux cheveux
ARNOLD.
— Pourquoi faire? bouclés... Veux-tu revêtir ce beau corps?
L'ÉTRANGER.
— Pour le mêler avec ces eaux magiques el rendre ARNOLD.—Plût au ciel qu'il m'eût élé accordé en naissant! Mais
le charmeefficace.
ARNOLD, lui présentant son bras blessé. —Prends tout! puisqu'il m'est donné de choisir, passons à d'autres.
L'ÉTRANGER. Pas encore : quelques gorilles suffiront. (L'é- (L'ombre d'Alcibiade disparait.)
— L'ÉTRANGER. —Regarde maintenant.
tranger prend dans sa main deux ou trois gouttes du sang d'Ar-
nold et (es jette dans la ARNOLD. — Quoi! ce
fontaine.) satyre trapu, basané
Ombres de la beauté! au nez court, aux yeux,
ombres de la puissanceI ronds, avec ses larges na-
obéissez à ma voix. rines, sesjiimbes cagneu-
L'heure est venue : sor- ses, sa taille engoncée et
tez, charmantes et doci- sa mine de Silène1 J'ai-
les du fond de cette merais mieux rester
,
source, comme le géant comme je suis.
enfant des nuages par- L'ÉTRANGER.
— Et
court les sommets du pourtant il fut l'idéal ter-
Harlz. Venez telles que restre de toute beauté
vous fûtes, afin que nos morale et la perfection
yeux puissent voir dans de "toute vertu. Mais ce
l'air le modèle de la forum n'esl pas ton affaire?
à créer. Apparaissez bril- ARNOLD. —Quand mê-
lantes comme Iris lors- me, avec sa forme, j'au-
qu'elle déploie son arc. rais aussi ce qui la com-
Tel est le désir du néo- pensait, jc n'en voudrais
phyte, tel est mou com- pas.
mandement. Héroïques L'ÉTRANGER.
démons, aulrefois revêtus •
puis le promettre— Je ne
cela;
de la l'orme du stoïcien mais lu peux essayer, et
ou du sophiste, ou de peut-être trouveras tu la
celle de tous les vain- vertu plus aisée, soit avec
queurs, depuis l'enfant celle forme, soii avec la
de la Macédoine jusqu'à tienne.
ces orgueilleux Romains ARNOLD.
— Non, je nc
qui " ne respiraient que suis pas né pour la'phi-
pour détruire! ombres de losophie, quoique j'en aie
la puissance! ombres de besoin : qu'il parle.
la beauté! obéissez à ma L'ÉTRANGER.
voix. L'heure esl venue. — Rede-
viens air, ô buveur «le ci-
(Divers fantômes s'élè- guë! (L'ombre de Sacrale
vent à la surface des disparait. Une autre la
eauxet passent l'unaprès remplace).
l'aulre devant l'étranger ARNOLD. Quel est
et Arnold.) celui-ci dont—
le large
ARNOLD.
— Qu'est-ce front, la barbe frisée et le
que celui-là? mâle aspect rappellent
L'ÉTRANGER.
— Le Ro- Hercule, si ce n'est que
maiii aux yeux noirs, au sou oeil joyeux tient plus
nez aquilin , qui jamais do Bacclius?
ne vil son vainqueur, L'ÉTRANGER.
qui jamais ne pénétra celui à qui l'amour— C'est
dans un pays sans le ran- lit
perdre l'ancien monde.
ger aux luis de Rome, ARNOLD. Je ne puis
tandis que Rome elle- le blâmer, — car moi j'ai
même se soumit à lui et aventuré mon âme, parce
à tous ceux qui héritèrent Allons, vous me charmez. que jc ne trouvais pas cc
de son nom. qu'il préférait à l'empire
ARNOLD. — Le faolôme de la terre.
est chauve : et c'est la L'ÉTRANGEH.
beaulé queje cherche.Si, tu — Puis-
que sympathises
avec ses défauts, je pou- lui, veux-tu revêtiravec ses
vais obtenir sa gloire... traits? ' : a*n
L'ÉTRANGER.
— Son front fut ombragé de lauriers plus que de ARNOLD -Non. Comme tu m'as donné la faculté de choisir, ie
cheveux. Tu vois son aspect : prends ou refuse. Je ne puis te pro- deviens difficile, ne fut-ce que pour voir des héros
que je n'aurais
mettre que son aspect; quanta sa gloire, on se tourmentera et jamais rencontres de ce côte du sombre fleuve qu'ils ont miitté Doiir
combattra longtemps pour l'obtenir. venu-voltiger devant nous. * *
ARNOLD. — Je veux aussi combattre, mais non en César pour L'ÉTRANGER
— Relire toi, triumvir: ta Cléopâlre t'attend
rire. Laissons-le : ce corps-là peut êlre beau, mais il ne nie con- (L'ombre d'Antoine disparaît; une autre surqit )
vient pas. ARNOLD.
— Quel est celui-ci ? Il a vraiment l'air d'un demi-dieu
L'ÉTRANGER.
— En cela tu es plus difficile la
que soeur de Calon jeune et brillant avec une chevelure dorée etune stature nui si ellô
.
et la mère de Brulus ou Cléopâlre à seize ans, âge où l'amour n'est n esl pas plus haute que celle des humains, a je
ne sais Quelle "tare
pas moins dans les yeux que dans le coeur. Mais soil! Ombre, immortelle et indicible, dont il est revêtu comme le soleil de
disparais! (Le fantôme de Jules César s'évanouit). ses
rayons... un je ne sais quoi qui brille en lui et qui n'est que l'écla-
ARNOLD. — Se peut-il que l'homme qui ébranla le globe ait ainsi tante émanation de quelque chose de plus noble encore? Cet être
disparu sans laisser traces?
de n etail-il qu'un homme?
L'ÉTRANGER. — Tu te trompes. Son existence a laissé après elle L'ÉTRANGER Que la (erra parle, s'il reste encore quelques
— ato-
assez de tombeaux, assez de calamités et plus de gloire qu'il n'en mes de lui ou de 1 or plus solide qui composait son urne
faut pour éterniser sa mémoire. Quanta son ombre, au soleil, elle | ARNOLD, — Et qui fut cet homme, la gloire de
son espèce ?
362 LÉS VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

L'ÉTRANGER,—La honte de la Grèce pendant la paix, son foudre da le même moule que moi. Tout à l'heure lu m'as vu maître de
dans
de guerre dans les combats.*, Démétrius le Macédonien, le Preneur ma m; propre vie et prêt à en faire le sacrifice : qui est maître de sa
de villes. vii est maître aussi de quiconque craint la mort.
vie
—Encore une autre ombre!
AnNOLD.
L'ÉTRANGER. — Retourne dans les bras de Lamia. êlre.
ôli
L'ÉTRANGER.
— Choisis enlre ce que tu as élé et ce que lu peux
(Démétrius Poliorcètes'évanouit; un autre fantôme parait.) ARNOLD.
— Le choix est fail. Tu as ouvert une perspective plus
Je trouverai ton affaire, nc crains rien, mon brave bossu : si les brillante
br à mes yeux el plus douce à mon coeur. Comme tu m'as
ombres de ceux qui onl existé ne peuvent satisfaire Ion goût déli- offert of différentes formes, jc prends celle qui est maintenant sous
cal, j'animerai, s'il le faut, le marbre idéal, jusqu'à cc que ton âme nos m yeux, Hâtons-nous! hâtons-nous!
daigne se placer dans sa nouvelle enveloppe. L'ÉTRANGER.
— Et moi, quelle forme prendrai-je?
ARNOLD. — Mon choix est fait : je me tiens à celui-ci. ARNOLD.
— Sans doute, celui qui dispose à son gré de toules les
L'ÉTRANGER. — Je dois applaudir à ton goût : c'est le divin fils formes
fo prendra la plus belle de toutes quelque apparence supé-
de la Néréide et «le Pelée : regarde ses longs cheveuxvoués au fleuve rieure ri ,
même à ce fils de Pelée qui est devant nous. Il pourrait pren-
Sperchius, aussi beaux el aussi brillants que les Ilots d'ambre «lu dre di celle du Troyen meurtrier d'Achille, celle «te Pâlis, ou s'élevanl
riche Pactolequi roule sur un sable d'or. Vois leurs anneaux adou- plus pi haut, il peut revêtir la beauté du dieu des poètes, beauté qui
cis par le cristal de celle source onduler comme des Heurs flottantes est es en elle-même une harmonie.
au souffle delà brise. Tel il élait auprès de Polyxcnc, conduit à l'autel L'ÉTRANGER.
— Jo me contenterai de moins; car moi aussi, j'aime
par un amour pur cl légiliuicclcoiitcmplunt son épouse Irovcnne : le
le changement.
les remords causés par le trépas d'Hector et les pleurs de Priam se ARNOLD. —Ton aspect esl sombre, mais non disgracieux.
mêlaient dans son creur a sa profonde tendresse pour la modeste L'ÉTRANGER.
— Si je voulais jo serais plus blanc; mais j'ai un
vierge dontia faible main tremblait dans celle du meurtrier de son penchant p pour noir
le C'esl une couleur si franche ! puis avec
frère. Tu le vois tel que la Grèce le vil pour la dernière lois dans elle e on n'est exposé ni à rougir de honte , ni à pâlir de crainte;
ce temple, avant que la flèche dé Paris eût immolé en lui le plus mais
ii je l'ai portée assez longtemps, et maintenant je vais prendre
grand des héros. ta
ti figure.
ARNOLD. — Je le contemple comme si j'étais son âme* lui dont la ARNOLD. — La mienne ?
forme va bientôt servir d'enveloppe àla mienne. L'ÉTRANGER.
— Qui : lu deviendras lo (ils de Thôtis, elmoi, celui
L'ÉTRANGER. —Tuas bien choisi. Le comble de la difformité ne d Beilhc, la progéniture de ta mère. Chacun son goût : tu as le
do
doit s'échanger que contre le comble de la beaulé, s'il est vrai, i
tien,- j'ai le mïçii; '
selon un proverbe des hommes, «iue les extrêmes se louchent. ARNOLD.— Hâtons-nous! hâtons-nous!
ARNOLD. — Allons. Dépôchons-iioUs.Je suis impatient. L'ÉTRANGER.—Soit. (// prend de la terre et la pétrit sur le sol;
L'ÉTRANGER. — Comme une jeune fille devant son miroir* Elle puis
;. il s'adresse au fantôme d'Achille.)
el toi vous voyez, non ce que vous êtes, mais ce que vous voudriez Belle ombre du fils de thélis endormi sous le gazon qui couvre
èlre.
ARNOLD. Faudru-t-il attendre? Troie,
„' comme lit l'être créateur d'Adam, el que j'imite ici, avec de
L'ÉTRANGER.

Non. Ce serait dommage. Mais encore mot. la terre rouge je fais une créature à ton image. Argile , anime-toi !
— un
La stature d'Achille esl de douze coudées; vôudfais-tu l'élever si que J ses joues se colorent du carmin de la rose en boulon ! Violettes,
fort au-dessus de la taille de notre époque cl devenir un titan ? formez
' ses yeux ! cl toi onde, où le soleil réllécliitsa lumière, chan-
ARNOLD. — Pourquoi pas? ge-loi
' en sang; que ces liges d'hyacinthe deviennent sa longue
chevelure flottante sur son front comme elles se balançaient dans
L'ÉTRANGER.
— Noble ambitionI.échangé que l'on aime à voir surtout !l'air! Son
dans les nains. Un Goliath aurait sa' stature contre celle ' coeur se formera (lu granitqtic je détache de ce rocher ; sa
d'un petil David ; mais loi, mon humble nabot, lu aspires à la taille voix ' sera le ramage dés oiseaux qui chantent sur ce chêne ; .<a chair
plus qu'à l'héroïsme. Si tel est Ion désir, il sera satisfait; cepen- sera '' formée de l'argile la plus piife qui nourrissait les racines de ce
danl, crois- moi, en l'éloignant un pen moins des proportions de plusclagiles lys, qu'abreuvait la plus douce rosée. Que ses membres soient les
l'humunilé actuelle, lu la domineras plus facilement ; car avec cette qui aient jamais été formés, el son aspect le plus beau
taille gigantesque, lu verrais tous les hommes té courir sus, comme qu'on puisse voir sur la terre! Eléments qui m'entourez, inôlez-
pour chasser un mammouth ressuscité, et leurs mauditsengins, cOu- Rayons du soleil^
voiïs, animez -vous ; reconnaissez-moi, lovez-vous à mu parole.
levrincs et autres semblables pénétreraient l'armure do noire ami échauffe?, celle oeuvre terrestre!... C'en esl l'ail :
Achille avec plus de faciliteque la flèche de l'adultéré Paris ne perça l'être a pris son rang dans la création. (Jrnold tombe inanimé;
son talon que Thélis avail oublié de plonger dans lèStyx. son Ame passe dans le corps d'Achille qui se lèr.e de terre; cepen-
Puisqu'il esl ainsi fais «pie tu jugeras dant le fantôme a disparu membre u membre, à mesure que se
ARNOLD.
— en ( co conve- formait ht figure à laquelle il a servi de modèle.)
nable.
L'ÉTRANGER.
— Tu seras aussi beau que ce fantôme, aussi fort ARNOLD sous sa forme nouvelle. — J'aime el. je puis être aimé!
que l'était Achille, et... O vie, à la, fin je te sens! Esprit glorieux !
ARNOLD.
— Je ne demande pas à Être vaillant, car la difformitéi L'ÉTRANGER. — Arrête! (pic deviendra l'enveloppe que lu as
est naturellement pleine d'audaco. 11 est dans son essence de soi quittée, celte bosse, ce bloc do laideur que lu habitais, ou qui étail
mettre au niveau des autres hommes, et même de lés surpasser par loi il ny qu'un instant?
l'énergie de l'âme et du coeur. Il y a dans rirrégulariié moine de sesi AhNOib.— Que m'importe? Lcsloups el les vautours peuvent s'en
mouvements un aiguillon qui lui fait ainbiiionïier ce qui est refusé S accoTUm'odèr ; grand bien leur fasse I
à d'autres, pour compenser la parcimonie d'une nature marâtre. L'ÉTRANGER. —Et s'ils s'en cmparcul, s'ils ne s'en éloignent pas
Elle recherche par d'intrépides exploits les sourires de la fortune, avec ell'roi, tu pourras dire que la paix règne sur la terre, et que les
et souvent, comme Timour, cc Tarlare boiteux, elle parvient à les,3 champs ne leur olïrcnt pas d autre proie.
obtenir. ARNOLD. — Laissons là ce cadavre; que nous fait cc qu'il dc-
L'ÉTRANGER.
— Bien dil! lit en conséquence lu vas sans doute 3 viendra?
rester l'ait comme tu es. .le puis congédier celle ombre, modèle de3 L'ÉTRANGER. Cela n'esl pas poli ; c'est nièuic ingrat : quel qu'il
l'enveloppe de chair dans laquelle j'allais enchâssercelte âme hardie3 soil, ce corps a—logé Ion unie pendant bien longtemps.
qui n'eu a pas besoin pour achever de grandes choses. ARNOLD.— Oui, c'esl le fumier qui recelait une perle maintenant
ARNOLD. -—Si aucune puissance ne m'avait offert la possibilité3 enchâssée dans l'or, connue doit l'être un objel aussi précieux,
d'un changement, mon âme aurait fait de son mieux pour se frayerr L'ÉTRANGER. —Mais si je l'ai donné une nouvelle forme, cc doit
un chemin sous le poids funeste cl décourageant de la difformitéé être un échange loyal et non pas un larcin ; car ceux qui créent
qui pèse sur mon coeur et sur mes épaules comme une mr.n- des hommes sans l'aide de la femme ont depuis longtemps pris un
lagne, et qui rend hideux cl haïssable aux yeux des hommes pinss brevet, et n'aiment pas les contrefacteurs. Le diable prend 1rs hoin-
heureux. Alors la vue de ce sexe qui est le type de tout ce que nouss mes, mais il ne tes fail pas... bien qu'il recueille les profils du l'u-
connaissons ou rêvons de plus beau m'eût arraché des soupirs, nonii bricunl. Il faut doue trouver quelqu'un qui revête la forme que tu
d'amour mais de désespoir; el le coeur plein de tendresse, jo n'au as quittée.
rais point tenté de me faire aimer d'êtres qui ne pouvaient nie payer r ARNOLD. — Qui pourrait y consentir?
de retour a cause de cette enveloppe hideuse qui me condamne à L'ÉTRANGER.— Je no sais trop : c'est pourquoi je m'en chargerai
l'isolement.- Oui j'aurais pu tout supporter, si ma mère ne m'avaitil moi-même.
pas repoussé. L'ourse lèche ses nourrissons et finit par leur donner :r ARNOLD.— Toi ?
une espèce de forme... ma mère a vu que chez moi ii n'y avail pas ts L'ÉTRANGER.
— Je le l'avais dit avant que tu fusses entré dans ce
de remède. Si, comme une Spartiate', elle m'avaitex posé avant quee palais «te bcauléquc lu occupes actuellement.
je me connusse moi-même, je me serais confondu avec le sol de le ARNOLD. —C'est vrai. J'ai lout oublié dans la joie de celte ini-
la vallée plus heureux de n'être rien que d'être ce queje suis. s. mortelle transformation.
Mais dans mon étal actuel, étant le plus laid, le plus vil, lo dernier L'ÉTRANGER. Dans quelques instants jc serai ce que lu étais,
hommes,
.'i- —
des avec du courage et de la persévérance
,
peut être se-3- tt tu me verras-toujours auprès de loi, comme ton ombre.
rais-je devenu quelque chose... la chose est arrivée à des héros jetés6s j ARNOLD. — Je voudrai* éviter ce désagrément.
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON. 363:

se peut. Eh quoi! déjà ce que lu es nu- L'ÉTRANGER. — J'ai dix mille noms el deux fois autant d'attributs;
L'ÉTRANGER. — Cela neétais.
it peur de voir ce que tu mais,
n sous une figure humaine, jc prendrai un nom humain.
ARNOLD. — Fais comme il te plaira. ARNOLD. — Plus humain que ta forme t quouni'cllc ait élé la
L'ÉTRANGER, s'adressant au corps d'Arnold étendu sur la terre, mienne.
n
Argile qui n'es pas morte, mais où il n'y a plus d'âme, bien que L'ÉTRANGER. — Appelle-moi donc César.
-
ni homme nc voulût de loi, un immorteldaigne t'accepter. Tu es ARNOLD. — Ehl c'est un nom impérial, qui fut porté par les maî-
•giie, et aux yeux d'un esprit toute argile est égale. O feu ! sans ttres du monde.
ii rien ne peut vivre, mais en qui rien no vit, hormis ces âmes L'ÉTRANGER. — C est pour cela qu'il convient au diable déguisé...
imorlellesqui errentet brûlent dans des flammes inextinguibles, puisque
[ tu me prends pour le diable. '
îppliant celui qui ne pardonne pas, et implorant avec des liurle- ARNOLD. — Eh bien, soit! va pour César. Pour moi, je continuerai
icnls une seule goutte d'eau; ô feul seul élément dans lequel ni àl m'appelcr toul simplement Arnold.
oisson, ni quadrupède, ni oiseau, ni reptile ne peuvent conser- CÉSAR (ou l'étranger). +- Nous y joindrons un tilre : « Comte
er leur forme un seul instant, si ce n'est le ver qui ne meurt pas;
Arnold;
1 » c'esl un nom qui sonne bien cl fera bon effel sur un
ii qui absorbes tout, toi qui es pour l'homme un instrument de billet
1 doux.
dut et de mort; ô feu, premier-né de la création, annoncé d'a- ARNOLD. —Ou dans un ordre du jour, la veille d'une bataille.
ance comme devant apporter la ruine quand le ciel en aura fini CÉSAR, chantant. — A cheval ! à cheval ! mon coursier noir frappe
1 terre du pied, et ses naseaux aspirent l'airI nul coursier arabe
la
vec ce monde ; ô feu! aide-moià rappeler la vie dans ce corps qui
st là gisant, raide el glacé! Sa résurrection dépend de loi et de ne
i connaît mieux son cavalier. U gravira la colline sans se fatiguer;
îoi! Une légère étincelle de flamme, telle qu'U s'en élève parfois plus
i elle sera haute, plus il sera rapide. Dans les marais, il ne ra-
lentira jamais le pas; dans la plaine, on ne pourra pas l'atteindre;
ans les marécages... et il redeviendra ce qu'il était ; mais j'occu-
I

ci ai la place de son âme. (Un feu follet voltige à travers la forêt


dans
< les ondes, il ne sera point submergé; sur les bords des ruis-
/. vient se poser sur le front du cadavre. L'étranger disparaît. seaux,
'• il ne s'arrêtera pas pour boire; on ne le verra pas haletant
.e corps se lève.)
dans
' sa course ni affaibli au combat; sur les cailloux, il ne bron-
chera pas; le temps ni la fatigue ne pourront l'aballrc; il ne devien-
ARNOLD, SOUS sa nouvelle forme- — Horreur! horreur !
L'ÉTRANGER, qui, dès ce moment, reste sous la forme primitive
dra
( pas malade à l'écurie; mais, sans autres ailes que ses pieds, il
volera comme le grillon. Ne sera-ce pas un voyage délicieux? Vive
l'Arnold. — Quoi! lu trembles? la joie! jamais nos coursiers noirs ne feront un dangereux faux
ARNOLD.— Pas loul-à-fail...je frissonne seulement. Où est ailée pas! Des Alpes au Caucase courons, ou plutôt volons! Ces monta-
a forme dont lu étais revêtu tout à l'heure ? gnes vont disparaître derrière nous en un clin d'oeil.
L'ÉTRANGER. -- Dans le inonde des ombres.' Mais parcourons (Ils montent à cheval et disparaissent.)
;elui-ci. Où veux-tu aller?
ARNOLD. — Dois-je l'avoir pour compagnon ?
L'ÉTRANGER.
— Pourquoi pas ? Des gens qui valent mieux «pie toi
lanlcnl plus mauvaise compagnie. SCENE II.
ARNOLD. — Qui valent mieux que moi?
L'ÉTRANGER. —Oh! je le vois, ta nouvelle figure l'a rendu fier : Uii camp sous les murs de Rome.
'en suis bien aise. Tu deviens ingrat en oulre! fort bien; lu fais des
»rogrôs : deux transformations en un instant! le voilà déjà vieilli A1UNOL1) et CÉSAIl.
lans les voies du monde. Mais daigne me supporter : lu vernis
d'ailleurs que jeté serai utile dans ton pèlerinage.Voyons, décide où CÉSAR. — Te voici arrivé à bon port.
nous irons. ARNOLD. — Oui, en passant sur des cadavres; mes yeux sont
ARNOLD.—Dans les endroits les plus peuplés du monde, où je pleins de sang.
puisse voir ses oeuvres. CÉSAR.— Essuie-les, et lu y verras clair! Peste! sais-lu que tu es
L'ÉTRANGER. — C'est-à-dire aux lieux où la guerre et la femme un conquérant? Te voilà le chevalier favori et le frère d'armes du
déploient leur activité. Voyons! l'Espagne... l'Italie... le nouveau brave Bourbon, ci-devant connétable de France, à la veille de com-
inonde transatlantique... l'Afrique avec ses Maures. En vérité, il y mander dans Rome, jadis empire qui commandait à la terre, el de-
« peu de choix à faire : les hommes sonl partout
acharnés, comme
puis royauté hermaphrodite, changeant de sexe sans changer do
d'ordinaire, les uns contre les autres. sceptre, aujourd'hui la maîtresse de l'ancien monde.
ARNOLD. —J'ai entendu vanter Rome. ARNOLD. —Comment l'ancien monde? Y en a-l-il donc un nou-
L'ÉTRANGER. — Excellent choix! H serait difficile de trouver
mieux sur la terre depuis quo Sodome n'est plus. Certes, on peul s'y veau ?
donner carrière; car, au moment où nous parlons, le Franc, lo'
CÉSAR.
— Oui, nouveau pour vous autres hommes. Vous connai-
Hun, lu race ibérique des vieux Vandales, prennent leurs ébats à Irez bientôt son existence par ses riches productions, son or cl des
maladies nouvelles; une moitiéde la terre le nommera le nouveau
travers ce jardin du monde. monde, parce que vous ne connaissez rien quo sur le douteux lé-
ARNOLD. — Comment irons-nous d'ici là?
L'ÉTRANGER. —En braves chevaliers, sur nos bons coursiers de,
moignago de vos oreilles el de vos yeux.
ARNOLD. — Ce sont des organes que j'aime assez à croire.
bataille. Holà! mes chevaux! U n'y en eut jamais de meilleurs de-[ ! Ils te tromperont agréablement, el cela vaul
puis que Phaéton fut précipité dans l'Eridau. Allons! nos pages!
CÉSAR.
— Crois-les
mieux que l'amère vérilé.
(Deux pages entrent avec quatre chevaux tout noirs.) ARNOLD. —Chien!
ARNOLD. — Voilà un noble équipage ! CÉSAR. —Homme!
L'ÉTRANGER. — El des chevaux de noble race. Qu'on nie trouve$ ARNOLD. — Démon !
leurs pareils en Barbarie, en Arabie iiiènie! GESAn. — Votre très humble el 1res obéissant serviteur.
ARNOLD. — Les nuages de vapeurs qui s'échappent de leurs na- ARNOLD. — Dis plutôt mon maître. Tu m'as entraîné jusqu'ici
seaux embrasent l'air, et des étincelles brillantes, pareilles à dess à travers des scènes de carnage et de débauche.
mouches phosphoriques, tourbillonnent autour de leur crinière, CÉSAR.
— El où voudrais-tu ôlre ?
,
comme ces vulgaires insectes qui voltigent le soir autour des vul- ARNOLD. — Ah 1 en paix, en paix!
gaires coursiers. CÉSAR. — Et qui donc esl en paix dans l'univers? Depuis l'étoile
L'ÉTRANGER. — En selle, monseigneur; eux et moi, nous sommess jusqu'au vermisseau rampant, tout ce qui a vin esl en mouvement,
ii votre service. el une commotion esl le dernier degré de la vie. La planète tourne
ARNOLD. Et ces deux pages aux yeux noirs, comment s'appel- jusqu'à ce qu'elle devienne comète, cl que, détruisant tes étoiles
lenl-ils? — sur son passage, elle s'échappe de son orbite. Le ver chélif rampe
L'ÉTRANGER. — Vous les baptiserezvous-même. sur la terre, vivant de la mort des autres êtres. Ttt es tenu comme
ARNOLD. — Avec de l'eau bénite? lui d'obéir à ce qui commande l'obéissance de lous, à la loi im-
L'ÉTRANGER.
— Pourquoi pas? les plus grands pécheurs font less niuabie de la nécessité.
meilleurs saints. ARNOLD. — El quand la révolte réussit ?
ARNOLD. —Ils sont beaux et ne sauraient êlre des démons. CÉSAR. n'est plus la révolte,
— CeRéussira-t-elle
L'ÉTRANGER.
— Vous avez raison : le diable esl toujours laid, etil ARNOLD. — main tenant ?
ce qui est beau n'est jamais diabolique. CÉSAR.
— Bourbon a ordonné de livrer l'assaut, et à la pointe du
ARNOLD. Celui qui porte ce cornet d or cl qui a de si florissantes
— is jour, il y aura de l'ouvrage.
couleurs, je rappellerai lluon ; car il ressemble à un aimable enfant it ARNOLD.— Hélas! faul-il que Ruine succombe! Je vois d'ici le
•le ce nom qui s'est égaré dans la forêt et qu'on n'a plus retrouvé. i. temple gigantesque du vrai Dieu et de l'apôtre Pierre. Il élève son
Quant à l'aulre nlus sombre et plus pensif, sans sourire, mais sé- dôme et son divin symbole vers ce même ciel où lo Christ monta
tieux et calme comme la nuil, son nom sera celui de Memnon, d'a- i- en montant sur la croix, instrument de son supplice et gage du
i'rès cc roi d'Ethiopie dont la statue fait de la musique chaquee bonheur éternel de l'humanité.
"latin. Et toi? CÉSAR.
— Oui, on l'y voit el on l'y verra longtemps encore.
36fc LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

ARNOLD. — Quoi? qque la mort. Avec Bourbon, nous escaladerons les remparls de la
CÉSAR. — Le crucifix là-haut, et plus d'un autel à ses pieds; vieille v Rome, et alors qui comptera les dépouilles de tous ces édifi-
comme aussi des coulevrines sur les remparls, et des arquebuses cces? Vivent, vivent les lis! A bas les clés de saint Pierre! Dans
hommes qui doivent , la
h vieille Rome aux sept collines, nous prendrons à l'aise nos
et je ne sais quoi encore, sans compter les y
mettre le feu pour tuer d'autres hommes. é
ébats. Le sang couleradans ses rues; son Tibre en sera rouge, cl
ARNOLD. — Et ces arceaux superposés, ces constructions éternel- les
h temples antiquesrésonneront du bruit de nos pas. ViveBourbon|
les, qu'on a peine à croire l'ouvrage de l'homme! ce théâtre où les vive v Bourbon! vive Bourbon! c'esl le refrain de noire ronde! En
empereurs et leurs sujets (ces sujets étaient des Romains) conlem- avant, a en avant! Notre année cosmopolitea l'Espagne pour avant-
plaient le combat des monarques du désert, le lion et l'éléphant, garde;
g après l'Espagnol viennent les tambours de l'Allemagne, et
qu'on faisait lutter dans l'arène? 11 ne leur restait plus de peuples les li lances des Italiens sonl en arrêt contre leur mère; mais nous
à conquérir, et il fallait que la forêt payât son tribut de vie à l'am. aavons pour chef un enfant de la France, en guerre avec son roi!
phithéâtre ; il fallait que les guerriers de la Dacie s'égorgeassent Vive ^ Bourbon! vive Bourbon! Sans foyer, sans pairie, nous sui-
entre eux pour amuser un moment le peuple romain : et puis l'on vons v Bourbon au pillage de la vieille RÔnie.
passait à un nouveau gladiateur Faut-il aussi que tout cela soit
être
CÉSAR.
— Voilà une dianson qui, ce nie semble , ne doil guère
détruit? ~ ê «lu goût des assiégés.
CÉSAR. — La ville ou l'amphithéâtre? l'église de Saint-Pierre ou ARNOLD. —Certes non, si les chanteurs sont fidèles à leur refrain.
une aulre, ou toutes les autres églises? car lu confonds toutes ces Mais I voici le général avec ses officiers et ses affiliés ; un rebelle tli>
choses, et tu me confonds moi-même. Ibonne mine, ma foi! (Entrele connétable DE BOURBON aveesasuitc.)
ARNOLD.— Demain le signal de l'assaut sera donné au premier PHILIDERT.
— Qu'avez-vous , noble prince? vous ne paraissez
chant du coq. I gai.
pas
CÉSAR.
— loul se
Si termine le soir avec le premier chant du ros- BOURBON.
— Pourquoi le scrais-je?
signol, ce sera une nouveautédans l'histoire des grands sièges ; car PHILIDERT. —La plupart se montreraientjoyeux à !a veilled'une
après de longues fatigues, il faut bien que les hommes aient leur conquête
( comme celle qui vous attend.
proie. BOURDON.
— Si j'en étais sûr !
AnNOLD. — Le soleil se couche aussi calme, cl peut-être plus beau PHILIBERT.— Ne douiez pus de nos soldats. Quand les murs se-
que le jour où Rémus franchit le premier fossé de Rome. raient
i de diamant, nos hommes les briseraient. C'est une redoutable
CÉSAR.
— Je l'ai vu. artillerie
i que la faim.
ARNOLD.—Toi? BOURBON.
— Ils nc broncheront pas; c'esl la moindre de mes in-
CÉSAR. cher;
— Oui, monjusqu'au tu oublies que je suis, ou du moins quiétudes.
( Comment échoueraient-ils, ayant Bourbon a leur tête et
queje fus un esprit, jour où j'ai pris ta défroque cl un stimulés s par la faim?... Quand ces vieux'remparts seraient des mon-
nom pire encore. Maintenant je suis César el bossu. Eh bien ! le Itagnes, et ceux qui les défendent pareils aux dieux de la fable, je
premier des Césars était chauve, et, si l'on en croit l'histoire, il compterais < sur mes titans... Mais ici...
faisait plus de cas de ses lauriers comme perruque que comme PHILIBERT.
— Cc n'est, après lout, qu'à des hommes que nous ;
gloire. Ainsi va le monde ; mais cela ne doit pas nous ôler notre avons i affaire. i
gaîté. Tout pauvre diable que jc suis, j'ai vu ton Romulus tuer son BOURBON.—Il est vrai ; niais ces murs ont vîntes siècles de gloire, >
frère, son Irère jumeau, parce qu'il avait sauté un fossé. Rome el i il en esl sorti d'héroïquesgénies. Le passé de Rome triomphante^ !
n'avait pas de murs alors ; le premier ciment de la ville éternelle cl < son ombre actuelle
,
sont peuplés de ses guerriers. Je crois voir •
fut le sang d'un frère, et si demain le sang de ses habitants coule leurs fantômes errer sur les remparls de la ville éternelle, étendre
à grands Ilots jusqu'à cc que les eaux du Tibre deviennent aussi vers moi leurs mains glorieuses el sanglantes, el nie faire signe île
rouges qu'elles sontjaunes, cela nesera rien auprès du carnage dont m'éloigncr.
ce peuple «le brigands, cette postérité du fratricide, a pendant tant PHILIBERT. — Bah ! La menace de ces ombres vous fcra-t-cllc
de siècles rougi la terre cl l'Océan. reculer?
ARNOLD. — Mais qu'a fail leur postérité éloignée, celle population BOURBON.
— Elles ne menacent poinl. J'aurais bravé, je crois.
actuelle, qui a vécu dans la paix du ciel, et qui s'est réchauffée au les fureurs d'un Sylla; mais elles joignent leurs mains livides el
soleil de sa propre piété ? suppliantes, et les lèvent vers le ciel; leurs visages décharnéset leurs
CÉSAn.— Et qu'avaient fait ceux que les anciens Romains ont yeux fixes fascinent mes regards. Vois!
écrasés?... Ecoule! PHILUIERT. — Je n'aperçois que de hautes tours et...
ARNOLD. — Ce sont des soldats qui chantent une ronde joyeuse, liouiinoN. — Et de ce côté?
à la veille de tant de trépas et peut-être du leur. PHILUIERT.—Pasmême une sentinelle; elles se tiennent pru-
CÉSAR.
— Et
pourquoi ne feraient-ils pas entendre le chant du demment derrière le parapet pour éviter quelques balles égarées de
cygne ? Il est vrai que cc sont des cygnes noirs. nos lansquenets à qui il pourrait prendre envie de s'exercer à la
ARNOLD. — Je vois que tu es un savant. fraîcheur du crépuscule.
grammaire, assurément. Je fus élevé pour la BoiiiiiioN. —Tu es aveugle.
CÉsAn.
— En fait dej'étais autrefois liés versédans la connaissance —Si c'esll'ôtre que de ne voir quece qui est.
profession de moine; PHILUIERT.
des lettres étrusques, et si je voulais, je rendrais les hiéroglyphes BOURBON.— Dix siècles ont rassemblé leurs héros sur ces murs.
d'Egypte aussi clairs que vôtre alphabet. Le dernier Caton est là qui déchire encore ses entrailles plutôt «pie
ARNOLD. — Et pourquoi ne le fais-tu pas? de survivre à la liberté de celle Rome que je veux rendre esclave,
CÉSAR. —J'aime mieux transformer l'alphabeten hiéroglyphe. En et le premier César, entouré du cortège de ses victoires, vole de cré-
cela j'imite vos hommes d'Etui, vos prophètes , pontifes, docteurs, neaux eu créneaux.
alchimistes , philosophes, et je ne sais quoi encore; Ci3s gens-là ont PHILUIERT. — Rangez-donc sous vos lois la ville pour laquelle il
construit maintes tourstle Babel sans nouvelle dispersion des races. a vaincu, et soyez plus grand que lui.
Quant à la gent bégayantesortie de la vase du déluge, ces humains BouinioN. — 0"iii, il te faut, ou je périrai.
primitifs échouèrent el se séparèrent, pourquoi? Pour une misère : PHILUIERT. — Vous ne périrez pas. Mourir dans une telle entre-
parce que nul ne pouvait comprendreson voisin. Les hommes sont prise, ce n'esl pas mourir, c'est voir se. lever l'aurore d'un jour
mieux avisés maintenant; le non-sens et l'absurdité ne sont plus éternel. (Le comte Arnold et César s'avancent.)
une raison déterminante de séparation. Tout au contraire , c'est là CÉSAn. — Et ceux qui veulent rester tout uniment des hommes
ce qui constitue la base de leur sécurité, c'est leur Shibbolcth, leur sont-ils aussi condamnés à suer sous les rayons brûlants de celte
Koran, leur Talmud, leur cabale, la pierre angulaire sur laquelle dévorantegloire?
ils bâtissent... BOURBON.— Ah ! salut au caustique bossu 1 ainsi qu'à son ami,
ARNOLD, l'interrompant.— Eternel goguenard, tais-toi! le plus beau guerrier de notre armée, aussi brave que beau, aussi
Comme le chant grossier de ces soldats s'adoucitdans le lointain et généreux qu'aimable! Nous vous trouverons a tous deux de l'occu-
prend la cadence d'un hymne harmonieux!Ecoutons. pation avant l'aube.
CÉSAR. — Oui. J'ai entendu chanter les anges. CÉSAR. — N'en déplaise à Votre Altesse,elle aura pour elle-même
ARNOLD. — Et hurler des démons. suffisamment de quoi s'occuper.
CÉSAR. — Elles hommes aussi. Ecoutons : j'aime la musique. BOURBON.— Le cas échéant, il n'y aura pas de travailleur plus
(Chant des soldats dans le lointain.) — Les bandes noires ont zélé que toi, bossu.
franchi les Alpes neigeuses; avec Bourbon le proscrit elles ont tra- CÉSAR. — Vous pouvez me donner cc nom car vous m'avez vu
,
versé le large Eridan. Nous avons ballu lous nos ennemis; nous; par derrière, en votre qualité de général, placé à l'arriôrc-garde au
avons pris un roi; nul nc nous vit jamais tourner le dos. Ainsii moment de l'action... mais vos ennemis ne pourraient pas en dire
chantons : Vive à jamais Bourbon ! Quoique lous sans sou i autant. ni
maille, nous allons donner assaut à ces vieux murs ; Bourbon ài BOURRON.
— La réplique est bonne, et je l'ai provoquée... n\s\s
notre tête, à la pointe du jour, nous nous réunirons devant tes por- la poitrine du Bourbon s'est toujoursprésentéeel se présentera tou-
tes, et fous ensemble nous forcerons les remparts ou nous les fran- jours au danger, aussi promptcmeulque latienne, fusses-tu le diablc-
chirons. Quand chacun de nous posera sur l'échelle un pied cou- CÉSAR.
— Si je l'étais, j'aurais pu m'épargner la peine de ve-
rageux. nous pousserons des cris de joie, et il n'y aura de muett nir ici.
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON. 365

BOURRCN. ~LaPourquoicela? ARNOLD, à César. — Prépare mon armure pour l'assaut, et at-
CÉSAR.
— moitié de vos courageuses bandes ira bientôt à lui tends-moi
I dans ma tente. (Bourbon, Arnold, riiilibert, etc., sor-
de son propre mouvement, el vous y enverrez l'autre plus promp- tent.)
(
icmcnl encore el non moins sûrement. CÉSAR. — Dans la tente 1 penses-tu donc que je te perde de vue,
BOURDON— Arnold, voire ami le bossu ressemble au vieux ser- ou
< que ce coffre contrefaitqui contenait ton principevital soil autre
pcnt dans ses discours comme dans ses actes. chose
< pour moi qu'un masque? Parbleu! les voilà donc ces hom-
CÉSAR. — Votre Altesse se méprend beaucoup : le serpent élail un mes,
i ces héros, ces guerriers, la fleur des bâtards d'Adam! Voilà où
flatteur... je n'en suis pas un ; et quant à mes actes, je ne pique 1l'on arrive en donnant à la matière la faculté de penser ; sub-

que quand je suis piqué. stance


! opiniâtre, ses idées et ses actes sont un chaos, et sans cesse
BOURBON. — Tu es brave, el cela me suffit; lu i a montres aussi elle
< retombe dans ses premiers éléments. Eh bien! je vais m'amuser
prompt à la répartie qu'à l'action... et cela vaut mieux encore. Jc iavec ces chétives poupées : c'est le passe-lemps
d'un esprit à ses
ne suis pas seulement un soldat, mais le camarade de mes soldats. heures
1 de loisir. Quand cela m'ennuiera,j'ai de l'occupation parmi
CÉSAR. — C'est une fort mauvaise compagnie Altesse, et pire tes
1 astres que ces pauvres créatures croient fails tout exprès pour
, plaisir de leurs yeux. Ce serait un bon tour en ce moment que
encore pour lesamis que pourles ennemis, en ce sens que pour les le
1
premiers la connaissance esl de plus longue durée. d'en
' faire descendre un toul juste au milieu de ces géns-là, et de
PHILIBERT. — En vérité, drôle! lu pousses l'insolence au-delà des mettre le feu à leur fourmilière. Comme les fourmis courraient sur
privilègesd'un bouffon. le sol brûlant, et, cessant de se déchirer les unes les autres, comme
CÉSÂR.
— Vous entendez par là que je dis la vérité; je mentirai elles
'
feraiententendre une jérémiade universelle1 Hal ha! (César
si vous voulez, rien n'est plus facile ; alors vous me louerez de vous sort.)
avoir appelé un héros.
BOURBON.
— Philibert, laisse-le; il est brave, et avec sa figure
basanée cl son dos protubérant, on l'a toujours vu le premier au DEUXIÈME PAHT1E.
combat et à l'assaut, cl le plus palicnl à supporter les privations;
quant à sa langue, dans un camp on peut prendre quelques licen- SCÈNE PREMIÈRE.
ces, cl les vives réparties d'un gai vaurien sont de beaucoup préfé-
rables, selon moi, aux grognements slupides d'un valet grondeur, Les murs de Rome.—L'assaut.—Larmée avec les échelles est prête à es-
triste et affamé, à qui il faut, pour le contenter, un bon repas, du calader les remparts ; en tôle s'avance Bourbon avec une écharpe blan-
vin, du sommeilet quelquesmaravédis,avec lesquels il se croit riche. che sur son armure.
CÉSAR.
— Il serait heureux que les princes delà terre pussent se
contenter de cela CHOEUR D'ESPItlTS DANS LES AIRS.
BOURBON.
— Tais-loi.
CÉSAR. —Soil! Mais je ne resterai pas inactif. Vous, ne soyez 1.
pas chiche de paroles, vous n'en avez pas pour longtemps. Triste et sombre l'aurore se lève. Où fuit l'alouette sileneieuse?
PHILIBERT. —Que prétend cet audacieux buvard ? où se cache le soleil voilé ? Le jour a-t-il réellement commencé? La
CÉSAR.
— Bavarder comme tant d'autres prophètes. nalure jette un oeil morne sur cette ville illustre et sainte : autour
BOURBON.
— Philibert, pourquoi le tourmenter? N'avons-nous d'elle s'élève un vacarme capable de réveiller les saints qui dor-
pas assez à penser? Arnold, demain je commanderai l'assaut. ment dans son enceinte, cl de ranimer les nobles cendres parmi
ARNOLD. — C'est cc que j'ai appris, seigneur. lesquelles le Tibre précipite ses ondes jaunâtres. Héroïques colli-
BOURBON.
— lit vous nie suivrez? nes ! éveillez-vous, avant d'être ébranlées dans votre base!
ARNOLD.
— Puisqu'il ne me sera pas permis de marcher le 2.
pn inier.
BOURBON. Pour stimuler une armée en proie aux plus dures Entendez-vous le bruit régulier des pas! Mars lui-inêmeen dirige
privations, il—
faul que son chef soit le premier à mettre te pied sur la cadence! Les soldais observent la mesure, comme les ma-
l'éehcile. rées obéissent à la lune! Ils marchent à la mort en réglant leurs
CÉSAR.
— Et sur le plus haut échelon, j'espère : c'est ainsi qu'il mouvements comme les vagues de l'Océan qui franchissentles môles
prendra le rang qui lui est dû. en conservant toujours leur symétrie, et en se brisant par files
BOURBON.—Peut-êtredès demain la grande métropole du monde alignées. Entendez-vous lesnrmurcsqui résonnent! Voyez le guerrier
scra-l-ello en notre pouvoir. A travers lant de changements succes- fixer un regard courroucé sur les remparls ; voyez ces échelles qui
sifs, lu ville aux sepl collines a conservé sa domination sur les peu- avec leurs degrés ressemblent à la peau rayée «l'une couleuvre.
ples; les C.ésars ont fait place aux Alaric, lés Alarie aux ponlifes:
Romains, Goths et prêtres sont restes les maîtres du monde. Siège 3.
delà civilisation,de la barbarieou de la religion, les murs de Roinu- Regardez ees remparls hérissés de guerriers, garnis dans toute
Ins sont demeurés le siège d'un empire. Eh bien ! ceux-là ont eu leur étendue de canons à la gueule sombre , de lames élincelanles,
leur lotir... Nous aurons te nôtre; nous combattrons aussi bien, et de mèches allumées, d'engins infernaux prêts à vomir la mort 1 Tous
nous gouvernerons"mieux. les instruments de carnage, anciens et nouveaux sont réunis dans
CÉSAR.— Sans doute, les camps sonl l'école des droits civiques. ,
celte lutte entre le présent et le passé, aussi nombreux qu'un nuage
One lèrez-vous de Rome? de sauterelles. Ombre de Rémus! cc jour est aussi terrible que celui
BounnoN. — Nous lu rendrons ce qu'elle élait. où Ion frère versa ton sang! Des chrétiens sonl armés contre le
CÉSAR. —Au temps d'Alaric? Christ... son destin doit-il ressembler au tien?
BOURBON. —Non, drôle! au temps du premier César dont tu
portes le nom comme plus d'un chien... 4.
CÉSAR. —El plus d'un roiI c'est un beau nom pour des chiens Ils s'approchent : la terre tremble sous leurs pieds; un brnil sourd
(le combat. accompagne d'abord leur marche, comme celui de l'Océan à demi
BOURBON.
— Il y a un démon dans celle langue de serpent à réveillé, jusqu'au moment où, devenu plus fort et plus bruyant,
sonnettes. Nc parleras-tujamais sérieusement? son choc réduit les rochers en poussière... ainsi s'avancent les flots
CÉSAR.
— Ala veille d'une bataille... cela ne serait pas d'un sol- «le cette armée. O vous ! héros dont le nom est immortel! guerriers
dat. C'est au général à réfléchir; nous autres aventuriers nous pou- puissants! ombres éternelles! premières fleurs des sanglantes prai-
vons rire. De quoi nous inquiéterions-nous?Notre chef est une di- ries donl Rome est environnée, cette mère d'un peuple qui n'eut
vinité tutélairc qui prend soin de notre sort. Règle générale, que les point de frère ! tlormirez-vous pendant que les querelles des nations
soldais pensent le moins possible ! Si jamais ces gens-là se mettent déracinent vos lauriers? Vous qui pleurales sur Carlhage en een-
'i réfléchir, il vous faudra prendre Rome dres, ne pleurez pas... frappez ; car Rome va succomber.
a vous toul seul.
BOURBON. Tu peux narguer ; co qui te sauve, c'est que tu ne
l'en bats pas— plus mal. 5.
CÉSAR.
— Je vous remercie de celle liberté ; c'est la seule solde Les guerriers de vingt nations diverses s'avancent ! Depuis long-
«lue j'aie encore touchée au service de Voire Altesse. temps la famine a mesuré leurs vivres. Aussi nombreux mais plus
,
BOURBON.
— Eh bien! demain tu te paieras loi-même. Vois ces redoutables que des troupeaux de loups, la haine et la faim les
remparts, c'est là qu'est mon trésor. Mais, Philibert, il faut nous poussent vers ces remparls. Ocité glorieuse! faul-il que tu devien-
fendre au conseil. Arnold, nous requérons votre présence. nes un objet de pitié! Romains, combattez tous comme vos pères!
ARNOLD.
— Prince I disposez de moi au conseil comme sur le
champ de bataille.
Alaric élail un ennemi clément, comparé aux farouches bandits de
Bourbon! Lève-toi, cité éternelle ; lôve-toil répands de tes propres
BOURBON. En toute occasion, nous apprécionsvos services, et mains l'incendie dans ton enceinte plutôt que de voir de tels hôtes
demain, à la — pointe du jour, vous occuperez un poste de confiance. souiller le plus humble de les foyers.
CÉSAR.
— Kl moi! quel sera mon poste. 6.
[ BOURBON.
— Tu marcheras à la gloire sur les pas de Bourbon.
\ "oiino nuit. Vois ce spectre sanglant! Les enfants d'Ilion ne trouvent plus
j
36fi LÈS VEILLEES LITTERAIRES ILLUSTREES.

d'Hector; les fils de Priam aimaientleur frère ; le fondateurde Rome crionl)


ci : Bourbon! Bourbon! En avant, mes enfants! Rome est a
oublia sa mère quand il tua son vaillantjumeau , else souilla d'un nous!
ni
crime inexpiable. Vois-tu son ombre gigantesque planer île toute sa CÉSAR. — Bonne nuit, seigneur connétable; lu élais un homme,
hauteur sur les remparts? Le jour où il franchit la première eu- le (César suit Arnold; ils atteignent, les créneaux et sont renver-
loi.
ceinte, la fondation fui attristéedu présage de ta chute. Maintenant, si Une jolie culbute! Votre Seigneurie est-clte meurtrie?
sés.)
bien que lit sois aussi haute qu'une nouvelle Babel, qui peut arrêter ARNOLD. —Non. (Il remonte à l'échelle.)
ses pas? Enjambant tes édifices les plus élevés, Rémus réclame sa CÉSAR. —Le gaillard est franc du collier, une fois écbaull'é; et,
pi ma foi, ce n'est pas un jeu d'enfant. Comme il y va! Il
posé
vengeance : malheur à loi, ôRomel par
sa main sur le créneau... il le saisit comme on embrasserait u»
Si
7- autel;
a voilà qu'il y pose le pied, et... qu'est-ce qui arrive ici?... un
La lureur de l'ennemi t'atteint maintenant : la flamme, la fumée Romain. (Un homme tombe.) Le premier oiseau de la couvée! Il
R
et des bruits infernaux t'environnent, ô merveille du monde! Dans esl tombé en dehors du nid. Eh bien, camarade?
e:
tes murs, sous tes murs est la mort! L'acier fait résonner l'acier; LE BLESSÉ. — Une goutte d'eau?
l'échelle craque et se brise sous son fardeau d'airain qu'on voit au CÉSAR.— D'ici au Tibre, il n'y a d'autre liquide que du sang.
loin reluire, et à ses pieds éclatent les blasphèmes! De nouveaux LE DLESSÉ.—Je meurs pour Rome. (Il meurt.)
assaillantssurgissent! Chaque guerrier qui succombe est remplacé CÉSAR.—Bourbon aussi, dans un autre sens. Oh! lous ces hom-
liai- un autre qui gravit à son tour. La nièlée devient plus épaisse; mes
n immortels! avec leur généreux mobile! Mais il faut que j'aille
Jcsang de l'Europe inondetes fossés. Rome, tes murs peuvent loin- rrejoindre mon jeune maître; il doit être maintenant au Forum. En
ber; mais cet engrais fertilisera tes champs, el les couvrira d'une avantI
a en avant! (// monte à Féchelle.)
moisson vivante. Cependant, sois Rome encore; au milieu de tes
douleurs, combats comme aux jours de tes triomphes. SCÈNE II.
8. , ville de Rome. — Les assiégeants et les assiégés combattent dans
La les
O dieux Pénates! ne souffrez pas que vos foyers soient livrés de rues. — Les citoyens fuient en désordre.
nouveau à l'inflexible Aie! Ombres des héros, ne vous soumeltez
pas à ces Nérons étrangers 1 Si le César matricide répandit le sang CÉsAn entre- — Je ne trouve poinl mon héros'; il est confondu
de Rome, il étail voire frère : c'était un Romaiu qui opprimait les dans
< cette foule héroïque qui poursuit lcsfuyards.etaltaque ceux qui
Romains... l'étranger Brenntis fut repoussé. Saints et martyrs, le- combattent
( encore en désespérés. Que vois-je? Un ou deux cardi-
vcz-vous! vos litres sont plus sacrés encore! Divinités puissantes inaux qui ne paraissent pas Irèséprisdit martyre. Comme ces vieilles
des temples qui s'écroulent et dont la ruine est encore imposante! jambes
j rouges se démènent! S'ils pouvaient se débarrasser de leurs
et vous, fondateurs plus puissants de la vraie foi et des autels chré- grègues
j comme ils onl fuit de leur chapeau, ce serait bien heureux
liens... accourez lousl frappez les assaillants! Tibre.! Tibre! que les ]pour eux ; ils ne serviraient pas de point de mire aux pillards. Mais
flots témoignent du courroux de la nature. Que tout coeur vivant se qu'ils
i
fuient! les flols de sang ne lâcheront point leurs bas rouges.
soulève, comme le lion qui se retourne contre le chasseur ! Quand |(Suroient une troupe de combattants. — ARNOLD esl à la tête dei
tu devrais être pulvérisée, quand il ne devrait rester de loi qu'un assaillants.)
,
Voici mon homme qui arrive, tenant par la main ce-
vaste tombeau, ô Rome! sois toujours la Rome des Romains! deux
i jumeaux bénins, la gloire el le carnage. Holà! comte!
ARNOLD. — En avant! Ne leur donnons pas le temps de si
(BOURBON, ARNOLD, CÉSAR et autres arrivent au pied du rempart. rallier.
Arnold se dispose à y appuyer son échelle.) CÉSAR. — Je l'eu préviens, ne sois pas si téméraire; à l'enneni
BOURBON. —Arrêtez, Arnold! je dois monter le premier. qui fuit il faut faire un pont «l'or. Je t'ai donné la beauté extérieur!
ARNOLD. —11 n'en sera rien, seigneur. et une exemption de certaines maladies du corps, mais non «Ici
BouanoN. — Arrêtez, vous dis-je! suivez-moi! je suis fier d'être blessures qui atteignent l'âme, ccqui est hors de mon pouvoir. Quoi
suivi d'un Ici homme; mais je ne souffrirai pas qu'on me précède. que je t'aie donné la forme du fils de Pelée, je ne tai pas Iremp
(Il appuie son échelle et commenceà monter.) Maintenant,cillants! «lans le Styx; et contre l'épée d'un ennemi, je ne garantirais pas plu
en avant! en avant! (Un coup de feu l'atteint et il tombe.) ton coeurchevaleresqueque le taion d Achille; sois donc prudent c
CÉSAR. —Et le voilà par terre. rappelle-loi que lu es encore mortel.
ARNOLD.— Puissances éternelles! Le découragement va s'emparer ARNOLD. —El quel homme ayant du coeur voudrait combattres'
de l'armée... Vengeance! vengeance! étail invulnérable? Ce serait une singulière plaisanterie. Penses-I
BOURBON. — Ce n'est rien. Donnez-moi votre main. (Bourbon que si l'on fait la chasse aux lions, jc sois un;hoimne à courir apre
prend la main d'Arnoldetse lève; mais, au moment où il remet le «les lièvres? (Arnold se précipite dans la mêlée.)
pied sur l'échelle, il retombe.) Arnold! c'en est fail de moi : cachez CÉSAR. — Voilà un bel échantillonde l'humanité! Fort bien ! So
ma morl, el tout ira bien... Cachez ma mort, vous dis-je: jetez mon sang est échauffé; quand il en aura perdu quelques gouttes, s
manteau sur ce qui nc sera bienlôl plus que poussière; que les sol- fièvre se calmera. (Arnold attaque un Homain qui but en retrait
dats ne voient pas mon cadavre. vers un portique.)
ARNOLD. —11 faut vous transporter à l'écart; le secours de... ARNOLD. — Rends-loi, esclave; je le promets la vie sauve.
BOURDON. — Non, mon brave ; mon heure est venue. Mais qu'est- LE ROMAIN. — Cela est bientôt dil.
ce qu'une vie de plus ou de moins? L'âme de Bourbon plane encore ARNOLD. — Et bienlôl fait... ma parole esl connue.
que jc ne
sur les siens. Ils apprendront seulement après la victoirequ'il'vous LE ROMAIN.— Et mes actions YOIII l'être.
suis plus qu'une argile insensible... Faites alors ce (Ils recommencent le combat; César s'avance.)
plaira. CÉSAR. — Arrête, Arnold1 lu as affaire à un artistecélèbre, à i:
CÉSAR. Voire Altesse voudrait-elle baiser la croix?... Nous
—prêtre
n'a- habile sculpteur, non inoins exercé à manier l'épée el la dague q«
vons pas de ; mais la garde d'une épée pourra YOUSservir : c'est le ciseau, il se serl égalementbien du mousquet; c'est lui qui a ti
ainsi que fit Bayartl. sur Bourbon du haut du rempart.
BOURBON.—Esclaverailleur! me faire entendre ce nom en un ARNOLD. — Ah! c'est lui? Eh bien! c'est son monument qu'il
pareil moment! Mais je l'ai mérité. sculpté.
AnNOLD, à César.—Coquin, luis-toi. LE ROMAIN. — Je puis vivre encore assez pour achever celui
CÉSAR. — Quoi ! lorsqu'un chrétien meurt, ne puis-je lui offrir, gens qui valent mieux que toi.
en bon chrétien, un vade in pace? CÉSAR.—Bien dit, mon tailleur de marbre BenvenulolTu
ARNOLD. — Silence... Oh! comme ils sont ternes ces yeux qui re- connais aux deux métiers ; et celui qui tuera Cellini accomplira u
gardaient le monde avec dédain, les yeux de celui qui ne voyait lâche non moins rude que la tienne lorsque tu travaillais les b!c
point d'égal! de Carrare. (Arnolddésarme et blesse légèrement Cellini, qui U
BOURDON.—Arnold, si jamais vous revoyez la France... Maist de sa ceinture un pistolet et fuit feu, puis s'éloigne et disparu
écoutez! écoutez! l'assaut redouble d'acharnement. Oh! une heure,, sous le portique.) Comment l'en Irouves-lu? Tu asùn avant-goûl
une minute de vie pour mourir dans ces remparts! Hâtez-vous,, banquetde Bellone.
Arnold Miâtez-vous! ne perdez pas de temps... Ils prendront Romes ARNOLD, chancelant. —Ce n'est qu'uoe égratignure. Prête-n
sans vous. ton écharpe; cc bandil ne m'échappera pas ainsi.
ARNOLD. — Et sans vous! CÉSAR. — Où es-tu blessé?
BOURBON.—Non,non; mon âme y sera. Couvrez mes restes, ett ARNOLD. — A l'épaule gauche. Le bras qui tient l'épée esl inl»
silence I Partez1 et soyez vainqueur I el cela me suffit: j'ai soif. Je voudrais un peu d'eau dans un casqi
ARNOLD. — Mais je ne dois pas vous quitter ainsi. CÉSAR. —C'esl un liquide qui est maintenant en grande eslini
' BOURBON. -*II le faut... adieu... En avant! la victoire est a nous. mais qu'il n'est pas facile de se procurer.
(Il meurt.) ARNOLD. —Ma soif augmente... mais je trouverai le moyen
CÉSAR, à Arnold. — Venez, comte ; à l'ouvrage ! l'éteindre.
ARNOLD. — Tu as raison ; je pleurerai plus lard. (Arnold couvres CÉSAR. — Ou de te faire éteindre toi-même.
d'un manteau corps de Bourbon, et monte à
le l'échelle en s'é-- I
ARNOLD. — La chance esl ésralc; je jetterai le dé. Mais je pet
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON. »W

mon temps en paroles. (César met fécharpc au bras d'Arnold.) I


LES SOLDATS. — Par saint Pierre ! il dil vrai ; les hérétiques em-
Pourquoi rcsles-lu à ne rien faire? Pourquoi ne frappes-tu pas? porteronl
por lout cc qu'il y a de meilleur.
CÉSAR.— Les anciens philosophes regardaient tranquillement CÉSAR.—Quelle
C honte pour vous! Allez donc 1 aidez-les dans leur
agir l'humanité, comme de simples spectateurs regardiaeiitlcsjoux conversion.
coi (Les soldats se dispersent, plusieurs quittent l'église,
olympiques. Lorsque je Irouvcrai un prix digne d'être disputé, je d'autres
d'ù y entrent.) Ils sont partis; leurs compagnons arrivent.
deviendrai un nouveau Milon. Ail se succèdent les flots de ce que ces gens appellent l'éter-
Ainsi
ARNOLD.— Oui, pour lutter contre un cliône. nU se croyant les vagues de cel océan, tandis qu'ils n'en sont que
nité,
CÉSAR. — Contre une forêl quand cela me conviendra. Je com- l'écume...
l'é< Allons, une femme! (Entre Olimpia poursuiviepar des
hais contre des masses, ou pas du loul. En attendant, poursuis ton soldais... sol elle s'élance sur l'autel.)
(ouvre, comme moi la mienne : celle-ci se borne à regarder faire, UN
t SOLDAT. — Elle est à moi.
puisque lous ces ouvriers récoltent ma moisson gratis. UN AUTRE SOLDAT arrêtant le premier. — Tu mens ; c'est moi
,
ARNOLD.— Tu es toujours un démon. qui,
qu avant tous, l'ai dépistée; et, fûl-elle la nièce du pape, je ne la
CÉSAR.—Etloi, un homme. céderai pas.
céi (Us se battent.)
ARNOLD.
— Tel aussi jc veux me montrer : mais les hommes que TROISIÈME SOLDAT, s'avançant vers Olimpia. ré-
sont-ils? — Vous pouvez
gler vos prétentions;je vais faire valoir les miennes.
CÉSAR. —Tu le sens el lu le vois. (Arnolds'éloigne et se mêle au °1, OLIMPIA.
combat qui continue partiellement.) — Esclave de l'enfer, lu nemorte! me toucheras pas vivante.
LE TROISIÈME SOLDAT. — Vivante ou
OLIMPIA embrassant un crucifix d'or massif. — Respecte ton
,
SCÈNE III. Dieu
,}l !
LE TROISIÈME SOLDAT. — Oui, quand il esl d'or cl qu'il brille.
Ma fille, c'esl ta dot que lu liens là dans tes bras. (Au moment où
L'intérieur do l'église de Saint-Pierre. — Le pape esl.à l'autel. — Prêtres il ^..'. s'avance, Olimpia, d'un violent et soudain effort, lance le cruci-
accourant en désordre. Citadins cherchant un asile, et poursuivis par fix,
les soldats. ' qui va frapper le soldat et l'étend à terre.) Grand Dieu !
CÉSAR entre. OLIMPIA. — Ah! lu le reconnais maintenant.
LE TROISIÈME SOLDAT. —J'ai le crâne fracassé! Camarades, à
UN SOLDAT ESPAGNOL. — Frappez, camarades! emparez-vous de mon secours! Ali ! loul est ténèbres!
nl (// meurt.)
AUTRE SOLDAT, accourant.—Tuez-la, quand elle serait mille fois
res candélabres! cassez-moi lesreinsàce moine tondu! son rosaire plus I", belle encore ; elle a tué notre camarade.
est en or!
UN SOLDAT LUTHÉRIEN. — Vengeance! vengeance! le pillage OLIMPIA. — Une telle mort sera la bien-venue I la vie que vous
après : d'abord la vengeance... Voilà l'Antéchrist ! me donneriez, il n'est pas d'esclave qui en voulûl. Grand Dieu ! au
1V
CÉSAR, s'interposant. — Eh bien! hérétique, que prétends-tu nom
n de voire fils rédempteur et de sa sainte mère, rccevcz-nioi telle
faire? que jc désire mourir, digne d'elle, el de lui, cl de vous. (ARNOLD
<I
LE SOLDAT LUTHÉRIEN.— Détruire au nom du Christ cel orgueil- entre.)
e' 9
leux Antéchrist. Je suis chrétien. ARNOLD.— Qui vois-je? Maudits chacals ! arrêtez!
CÉSAR à part cl riant. — Ha!.ha! en voilà de la justice! Ces
CÉSAR.
— Oui , si bien que le fondateur de la foi y renoncerait gens-là ont , les mêmes droits «pic lui. Mais voyons ce qui va s'en-
en voyant do pareils prosélytes. 11 vaudrait mieux t'en tenir au g
pillage. suivre.
s
LE SOLDAT LUTHÉRIEN. —Jc ledisquec'estlediahle en personne. LE SOLDAT. — Comte, elle a tué notre camarade.
CÉSAR.
— Chili ! Garde ce secret, de peur qu'il ne te reconnaisse
ARNOLD. — Avec quelle arme ?
pour l'un des siens. LE SOLDAT. — Avec celle croix sous le poids de laquelle il est
écrasé ,
LE SOLDAT LUTHÉRIEN.— Voudrais-tu le sauver ? je le répèle que « ; voyez-le ici gisant, plusscnihluhleà un ver qu'à un homme :
c'est te diable ou le vicaire du diable sur la terre. elle
« lui a lancé le crucifix à la lête.
CÉSAR. Et c'esl justement pour cela que lu ne dois pas lui faire ARNOLD. — Vraiment! voilà une femme digne de l'amour d'un

de mal; voudrais-tu lo brouiller avec les meilleurs amis ? Tiens-loi brave:
' si vous l'étiez, vous l'auriez honorée. Mais éloignez-vous,
tranquille ; son heure n'est pas encore venue. J rendez grâce à voire bassesse: c'est la seule divinité «pie vous ayez
cl
Lis SOLDAT LUTHÉRIEN. — Nous allons voir. (H se précipite en à' remercier de voire existence, Si vous aviez touché un seul cheveu
arant; un des gardes du pape lui tire un coup de mousquet, el il' de \ cette tête, j'aurais éclairci vos rangs plus que n'a fail l'ennemi.
tombe au pied de l'autel) Parlez, chacals! rongez les os «lue le lion vous laisse; mais atten-
CÉSAR, «M luthérien. — Je te l'avais bien dil. dez
' pour cela sa permission.
LE SOLDAT LUTHÉRIEN. — Ne me vcngeras-lu pas? UN SOLDAT murmurant. — Alors que le lion sache vaincreà lui
seul. ,
CÉSAR.
— Moi ? nullement. Tu sais que « In vengeance appartient[ ARNOLD, le rappe et le renverse.
au Seigneur; » et tu vois que ceux qui usurpent cc droit sont malI — Mutin, va le révolter contre
venus auprès de lui. Satan ! Obéis sur la terre! (Les soldais attaquent Arnold.)
Lis SOLDAT LUTHÉRIEN, mourant. — Oh ! si jc l'avais tué, je serais3 Venez ! j'en suis enchanté t Je vais vous montrer esclaves «pic
monté au ciel,couronné d'une éternelle gloire IDieu, pardonne à lai vous êtes, comment on doit vous conduire. Vous allez ,
cou naître
faiblesse de mon bras qui n'a pu l'atteindre, et reçois ton serviteurr celui qui vous a précédés sur ces murs que vous hésitiez à escala-
dans la miséricorde. Notre triomphe esl encore glorieux; l'orgueil- der jusqu'au moment où vous avez vu ma bannière flotter sur les
leuse Babylone n'est plus; la prostituée des sept collines a échangéé ,
créneaux I Maintenant que vous êles entrés le courage vous est
i sa robe d'écarlate contre lecilicc el la cendre. (// meurt.) donc revenu ? (Arnold renverse le plus avancé, , les autres jettent
; CÉSAR. —Oui, la cendre y compris la tienne. (Les gardes du u bas leurs armes.)
défendent ,
acharnement pendant
3 'T pape se avec que le pontife gagnee LES SOLDATS.—Quartier!quartier I
un passage secret,et s'enfuiiau l'atican, puis au château Saint- AiiNOLii. Apprenez «loue vous-mêmesà l'accorder. Connaissez-
Ange.) - —
!' vous maintenant celui qui vous a guidés sur les remparls de là ville
Allons ! voilà qui s'appelle se baltre comme il faut. Le prêtre cl éternelle?
le soldai, les deux grandes puissances, sonl aux prises ! Jc n'ai pas
l LES SOLDATS.—Nousle connaissons; mais pardonnez un momen t
IS
vu de pantomime plus comique depuis le jour où Titus prit Jérusa- t_
d'erreur dans l'emportement de la victoire à laquelle vous nous
lem. Mais les Romains eurent l'avantage alors ; c'est maintenant lee avez conduits.
tourdes autres. ARNOLD.
établis — Retirez-vousI Allez à vos quartiers! vous les trouverez
" LES SOLDATS.
— Il s'est enfui! mettons-nous à sa poursuite. au palais Colonna.
UN SOLDAT. — Ils onl barricadé l'étroit passage obstrué du reste OLIMPIA, à part.
., ,
le — Dans la maison de mon père !
par une masse de cadavres! ARNOLD, aux soldats—Laissezvos armes, vous n'en avez plus
. échappé
CÉSAR.
— Jc suis bien aise qu'il ait : c'est bien à moisi besoin, et souvenez-vous de tenir vos mains nettes, ou je vous bap-
i
qu'il le doit. Je ne voudrais pas pour loul au monde voir abolir ses bul-1- Userai dans une eau rouge comme l'est maintenantle Tibre.
les; elles f'onl la moitié de mon empire. En retour deses indulgences, i, LES SOLDATS, déposant leurs armes et partant.
nous pouvons en avoir un peu pour lui... Non, non, il ne faut nt sons. — Nous ohéis-
.
pas qu il succombe... et d'ailleurs sa délivrance actuelle peul four- r- AnNOLD, « Olimpia.
— Madame, vous êtes en Sûrclé.
',' nir matière à un nouveau miracle, a preuve de son infaillibilité. é. OLIMPIA.
— Je le serais, si j'avais seulement un couteau; mais
(lux soldais espagnols.) Eh bien! coupe-jarrets, pourquoi rcslcz- z- n'importe... mille.vojcs sont ouvertes à la mort, et, avant que lu par-
" vous lûtes bras croisés? Si vous ne faites hâte , il ne vous rcs- s- viennes jusqu'à moi, ma tête sera brisée sur ce marbre, au pied de
JC
tera pas un seul chaînon d'or pieux. Et vous êles des catholiquessi! cel autel d'où je contemple ma destruction. Homme, quo Dieu te
vundriez-vous donc revenir d'un semblable pèlerinage sans une ne pardonne!
seule relique? Les luthériens eux-mêmes ont une dévotion plus us I ARNOLD. —Jc désire mériter son pardon el le lien, quoique je
M'aie: ils dépouillent les autels. ne
is voyez comme I l'aie poinl oli'ensée.
368 LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

OLIMPIA. — Non, tu as seulement saccagé ma cité natale... Non! 1 tout pour s'en défaire; car telle est la difficulté, du moins pour les
toi
lu as fait de la maison de mon père une caverne de voleurs! mortels.

Non 1 tu as inondé ce temple du sang des Romains et des prêtres ! Et ARNOLD. — Silence, je t'en prie! doucement! il me semble que ses
maintenant lu voudrais me sauver pour faire de moi... mais cela ne lèvres
lèv remuent, que ses yeux s'ouvrent.
sera jamais ! (Elle lève les yeux vers le ciel, s'entoure des plis de sa CÉSAR. —Comme des astres, sans doute; car c'est une métaphore
robe, etseprépare à se précipiter du haut de l'autel du côté opposé inspirée par Lucifer ou Vénus.
int
àceluioù se lient Arnold.) ARNOLD. — Au palais Colonna, comme je te l'ai dit.
AnNOLD. Je jure... CÉSAR. — Oh ! jc connais mon chemin dans Rome.
— Arrêtez! arrêtez. ARNOLD.—Allons! marchonsdoucement.
OLIMPIA. —Epargne à ton âme, déjà maudite, un parjure qui te
rendrait odieux a l'enfer même : je le connais! (Us sortent en portant Olimpia.)
ARNOLD.— Non, lu ne me connais pas ; je ne suis pas de ces gens-
là, quoique...
OLIMPIA. —Je te juge par les compagnons : Dieu te jugera tel
que tu es. Je te vois rougi du sang de Rome; prends le mien : c'est TROISIÈME PARTIE.
tout ce que lu auras de moi- Ici, sur le marbre de ce temple dont
les fonts baptismaux m'ont vue consacrée à Dieu, je lui offre un ~ cliâleau des Apennins, entouré d'une contrée sauvage, mais riante.
Un
sang aussi pur qu'il l'était le jour où le baptême racheta mon âme Cîioeur de villageois chantant devant les portes.
d'enfant. (Olimpia fait un geste de dédain à Arnold, et se préci-
pite du haut de l'autel sur le marbre.) LE CHOEUR.
ARNOLD. — Dieu éternel! je te reconnaismaintenant. Au secoursl
au secours ! Elle est morte. 1.
CÉsAn, s'approchant. — Me voici. La guerre est terminée; le printemps est de retour. La fiancée el
ARNOLD. —Toi ! mais viens, sauve-la !
CÉSAR, l'aidant à relever Olimpia— Elle y a été de franc jeu! st amant sonl rentrés au manoir : ils sont heureux, réjouissons-
son
n
nous ! Que leurs coeurs aient un écho dans nos voix.
La chute est grave.
ARNOLD. — Oh ! elle est sans vie.
CÉSAR. — Dans ce cas, jc ne puis rien pour elle : la résurrection t.
n'est pas de mon ressort. Le printemps est de retour; la violette est fléfrie, la première-née
ARNOLD. — Esclave ! ddu premier soleil : cc n'est pour nous qu'une fleur d'hiver: la licite
CÉSAR.—Oui, esclave ou maître, c'est lout un : il me semble des d montagnes ne la fait poinl périr; elle lève au milieu d'elles sa
pourtant que de bonnes paroles ne gâtentjamais rien. tôle
l< humide de rosée, et ses yeux bleus réfléchissent l'azur du jeune
ARNOLD. — Des paroles!... Peux-tu la secourir ? firmamcnl.
fi
CÉSAR. — J'essaierai. Nous nc ferons peut-être pas mal de l'asper- 3.
ger un peu decetle eau bénite. (// apporte de l'eaubénite dans son El quand vient le printemps avec ses légions rosées, la fleur la
casque.) plus aimée s'éloigne de la foule avec ses parfums célesteset sescou-
j'
ARNOLD. — Elle est mêlée de sang. letirs virginales.
CÉSAR.
— En ce moment, il n'y en a pas a Rome de plus claire. 4.
ARNOLD.—Qu'elle est pâle! qu'elle est belle! La vie l'apourlanl
abandonnée! Vivante ou morte, ô toi ! essence de toute beauté, jc ne Cueillez touteslcs autres; mais rappelez-vons celle qui les devança
dans le sombre Décembre, celle qui fui leur étoile du malin, cl nous
veux aimer que toi ! «
l'approche des longs jours; même nu milieu des roses,
CÉSAR. — C'est ainsi qu'Achille aima Fenlhésiléc : il paraît que annonça
*
lu as aussi le coeur du héros, et cependant il n'était pas très tendre. n'oubliez
' jamais la violette, la violette virginale.
ARNOLD. —Elle respire! mais non, ce n'élait que le faible el der- (CÉSAR entre )
nier souffle que la vie dispute à la mort. CÉSAR.
— Les guerres sonl finies ; nos épées sont oisives ; te cour-
respire. sier mord son frein ; le casque est appenduà la muraille. L'aventu-
CÉSAR.
— Elle !
se repose; mais son armure se rouille. Le vétéran s'engourdit,
ARNOLD. — Tulcdis, donc c'esl vrai. rier
'
CÉSAR. —Tu me rends justice... Le diable dit la vérité plus fran- < bâille dans
el lechâtenu. U boit ; mais qu'est-ce que l'ivresse? une
chôment qu'on ne croit; mais il a souvent affaire à un auditoire trêve l à la pensée t Les sons belliqueux du cor ne le réveillent.plus.
ignorant. LE CIIOEUII. — Déjà le limier aboie; le sanglier court la forêt,
ARNOLD, sans l'écouter. — Oui, son coeur bal! Hélas! pourquoi
el l'orgueilleux faucon esl impatient de prendre son essor : le voilît
le poing du noble seigneur, perché comme un cimier sur un
faut-il que le seul coeur que j'aie jamais désiré sentir à l'unisson du{ sur
mien palpite sous la main d'un meurtrier. casque; et les oiseaux, désertant leurs nids, troublent l'air de leur;
mais qui vient un peu lard ! clameurs.
CÉSAR.
— Réflexion sage, CÉSAR.—Ombrede la gloire ! faible imagede la guerre 1 mais la vé-
AnNOLD. — Vivra-t-eilc? nerie n'a pointd'annales, scshérosn'onlpointderenommée: àpeitii
CÊSAn.
— Autant que peut vivre la poussière. cile-t-on Ncmrod, l'inventeur de la chasse, le fondateur d'empires
ARNOLD. — Elle est donc morte ? qui le premier épouvanta les forêts. Quand le lion étail jeune, c
CÉSAR. —Baht bah! tu es mort toi-même sans le savoir. Elle re-"
vient à la vie à ce que tu appelles la vie, à cet élut où tu es' dans tout l'orgueil de sa puissance, les forts se faisaient un jeu d
lutter contre lui ; armés d'un sapin en guise de lance, ils altaquaicn
maintenant; mais il nous faul recourirà des moyens humains. le mammouth ou le béhémoth écumant. La laille de 1 homme éga
ARNOLD. —Nous allons la transporter au palais Golonna, où j'aij lait alors en hauteur les tours de notre temps. Premier-né de la na
arb oré m a ban n i ère. turc, il était sublime comme elle.
CÉSAR. —Viens donc! Relevons-la. LE CIIOEUII. — La guerre est terminée ; le printempsest de i-oloui
AnNOLD.
— Doucement. qu'on porte les morts, par la raison La fiancée et son amant sont rentrés au manoir : ils sont heureux
CÉSAR. —Aussi doucement réjouissons-nous! Que leurs coeurs aient un écho dans nos voix.
peut-être qu'ils ne peuvent plus sentir les eahots.
ARNOLD. — Mais vit-elle réellement? (Les villageois sortent en chantant.)
CÉSAR. —Ne crains rien ! Toutefois, si plus tard tu en as regret,
ne t'en prends pas à moi.
ARNOLD. —Qu'elle vive seulement!
CÉSAR. — Le souffle de la vie est encore dans son sein, et peut se C Ici s'arrête le ninnumrlt du
r,animer. Comte! comte! je suis ton'serviteur en toutes choses, et
;t
voilà un emploi nouveau pour moi. Il est rare que j'en exerce du11 BOSSU TRANSFORMÉ.
même genre; mais lu vois quel ami dévoué lu as dans celui que tuu
appelles démon. Sur la terre, vous n'avez souvent que des démons
pour amis : moi, je n'abandonnepas le mien. Allons, emportons ce
beau corps! J'en, suis presque amoureux, comme les auges le fu-
ren l jadis des premières filles des hommes.
ARNOLD.
— Toi ?Mais
CÉSAR. —Moi! ne erains rien, je ne serai pas ton rival.
ARNOLD.
— Mon rivalformidable
!
tué
CÉSAR. Je serais
— ; mais depuis que j'ai les
sept maris de la fiancée de Tobie (il a suffi d'un peu d'encens pour
arranger l'affaire), j'ai mis de côte l'intrigue amoureuse : ce qu'on
y gagne vaut rarementles efforts nécessaires pour l'obtenir, et sur-
^*
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON. 3(i )

briller dans la galerie les joyaux élincelants des jeunes beautés


qui sont tout à la fois les chanteuses des choeurs et les membres de
SARDAN flPALE son conseil ; et au milieu d'elles, sous des vêtemenls aussi effémi-
nés el presque aussi femme quelles, voici venir le descendant de
,
Sémiramis, rhomme-rcinel...Levoici!L'attendrai-je? oui, el je l'a-
borderai sans crainte,etjc lui répéterai ce que les honnêtes gens di-
senlde lui etdes siens. Ils viennent, les esclaves,précédés du monar-
que soumis à ses esclaves. (Entre SARDANAPALE, dans un costume
PERSONNAGES. \3 ^*£''! l
.cl efféminé, vêtu d'une robe flottante, la tête couronnée de roses, ac-
compagné d'un cortège de femmes et déjeunes esclaves.)
Hommes : — SARDANAPALE, roi de Ninive et ri*^syr'ij(]7^Ànn£CE, SARDANAPALE s'adressant â quelques-uns des gens de sa suite.
,
Mède aspirant au trône. — BÉLÉSÉS, Chaldéeh>ei 'Hèbïk:^- SA- — Que le pavillon sur l'Ëuphrale soit décoré de guirlandes, illu-
LÉMENES beau-frère mine et dispose pour
du roi. , — ALTADA, un banquet; au milieu
officier du palais. — de la nuil, nous y sou-
ZAMÈS. perons : ayez soin que
— PANIA. —
SFÉRO. — BALÉA. rieu ne manque, el tenez
Femmes . — ZARINA la. les galères prêles. Une
,
reine. — MVRRIIA, jeu- brise fraîche ride la vaste
ne Ionienne, esclave surfacedu fleuve limpide;
favorite de Sardana- nous nous embarquerons
pale. bientôt. Belles nymphes,
FEMMES du harem de
qui daignez partager les
Sardanapale.— GAR- moments fortunes de
Sardanapale, nous nous
DES el SERVITEURS ,
PRÊTRES CIIALDÉENS reverrons à cette heure
MÉDES, etc., etc. , délicieuse où les étoiles
se grouperont sur nos
têtes pendant que vous
formerez ici-bas un ciel
aussi brillant que le leur;
ACTE PREMIER. jusque-là, chacune peut
disposer de son temps.
Une salle du palais. El toi, Myrrha, ma char-
mante Ionienne, veux-tu
SALIÎMENES, seul. aller avec elles, ou rester
avec moi?
11 esl coupable envers MYRRHA.
— Seigneur!
la reine, mais il est son SARDANAPALE. Sei-

époux ; coupable envers gneur ! pourquoi donc, ô
ma soeur, mais il esl mon ma vie f me répondre si
frère ; coupable envers froidement?c'esllc mal-
son peuple, mais il est heur des rois de rece-
encore souverain : mon voir de semblables ré-
devoir est de rester son ponses. Dispose de tes
ami, son sujet. Il ne doit heures comme tu dis-
pas périr ainsi. Je ne ver- poses des miennes... dis-
rai pas la lerre boire le moi, veux-tu accompa-
sang de Ncmrod et de Sé- gner nos convives, ou
miramis, un empire de charmer uni solitude?
treize siècles finir comme MYRRHA.
— Le désir
un conte de berger; il du roi est le mien.
faut le réveiller de sa lé- SARDANAPALE.
— Jc
thargie. Dans son coeur t'en conjure, ne parle
efféminé il y a encore pas ainsi : mon plus
, grand bonheur est de
un courage insouciant,
que la corruption n'a pu combler tes souhaits. Je
étouffer, et une énergie n'oso exprimer mes
latente, comprimée pat- voeux, de peur qu'ils ne
ios circonstances, mais soient en opposition avec
non détruite... submer- les tiens; car tu es trop
gée mais non pas noyée prompte à sacrifier tes
dans, l'océan des volup- Ne voudrais-tu pas ôter la vie il ceux qui en veulent ii la tienn". goûts.
tés. Né sous le chaume, il MYRRHA. — Je préfère
se fût frayé un min rester; je n'ai d'autre
jusqu'au trône ; né sur bonheur que de te voir
le trône, il ne le léguera heureux; mais...
pas à ses hls : il ne leur transmettraqu'un nom qui ne paraîtra pas SARDANAPALE. Mais I pourquoi ce mais ? Ta volonté chérie est
— s'élèverajamais
un suffisanthéritage Cependant il n'est pas perdu sans retour; la seule barrière qui entre nous.
il peut encore racheter sa mollesse et sa honte en revenant au de- MYRRHA. —Je crois que voici l'heure fixée pour le conseil : il esl
voir, chose aussi facile que de s'en écarter. Serait-il plus pénible de convenable que je me retire.
gouvernerses peuples que d'user ainsi sa vie dans les plaisirs , de SALÉMENÈS s'avançant. — L'esclave ionienne a raison. 11 est
commander une armée que de présider un sérail? 11 se consume , relire.'
temps qu'elle se
en voluptés sans saveur, énerve son âme et use ses forces dans des SARDANAPALE. Qui a parlé? Ahl c'est vous, mon frère?
fatigues qui ne lui donnent ni la sanlc commela chasse, ni la gloire — fidèle vassal, ô
comme la guerre : il faut le réveiller. Hélas! il n'est besoin pour
SALÉMENÈS.
— Le frère de la reine et votre très
cela de rien moins qu'un coup de lonneire. (On entend les sons mon royal maître. ,
d'une musique mélodieuse.)Ecoutons! lo luth, la lyre, le tambou- SARDANAPALE, aux femmes de sa suite. — Comme je l'ai dit, que
rin, les sons amollissants d'une musique lascive, les douces voix chacune de vous dispose de son temps jusqu'à minuit, heure où
des femmes, se mêlent aux accents de la débauche, pendant que le nous vous prions toutes dé nous accorder de nouveau voire pré-
grand roi, le souverain de toute la terre connue, chancelle couronné sence. (La cour se retire. A Myrrha qui s'éloigne. ) Myrrha, je
de roses, et abandonne son diadème à la première main hardie qui croyais que tu restais ici.
osera s'en saisir. Les voilà qui s'avancentde ce côlé : déjà viennent MynunA. — Grand roi, lu ne nie l'as pas ordonné.
jusqu'à moi les parfums que sasuile porte partout avec elle; je vois. SARDANAPALE.
— Je l'ai lu sur ton visage : je devine jusqu'au
PAMS. — Inip. LACOUR el C*, rue Soulftot, lu.
* n
*
370 LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

moindre regard de ces beaux yeux dTonie; ils me disaient que tu SALÉMENÈS.
— La faute en est aussi un peu .nu monarque qui ne
ne me quitterais pas. voit
vo rien de ce qui se passe hors de son palais, on qui n'en s.ni qu,;
' MYRRHA. — Sire votre frère... pc se rendre à quelque résidence d'été, où il attend la fin des cha-
pour
,
SALÉMENÈS.—Le frère de la reine, esclave d'ionie ! peux-tubien ! leurs.
le O glorieux Baal ! qui créas ce vaste empire et fus admis au
me nommer sans rougir? I
ra des dieux, ou du moins brillas comme tel dans une longue
rang
SARDANAPALE.
— Sans rougir! il faut que lu n'aiespas d'yeux; lu su de siècles de gloire, cet homme, réputé ton descendant ,Va
suite
appelles sur ses joties des couleurs pareilles a celles du jour mou- ja
jamais vu en roi ces royaumes que lu lui léguas en héros. Si ces
i-artt sur le Caucase, quand le soleil couchant colore la neige d'une Etals
15 furent conquis au prix de Ion sang el de tant d'années de Ira-
teinte de rose, et puis lu lui fais un reproche de Ion propre aveu- i vt et de périls, cc fut... pourquoi? pour fournir aux frais d'un
vaux
glement! Eh quoi!' tu verses des larmes, ma Myrrha? ;
banquet
b; joyeux, aux exactionsd'un favori.
SALÉMENÈS.
— Qu'elle pleqre; ce n'esl pas pour ejle seule; elle j SARDANAPALE. —Je te comprends... lu voudrais faire de moi un
est la causé de larmes plus amères.
. j conquérant.
ce Par tous lps astres dont le langage esl intelligible a la
SARDANAPALE.
— Maudit soit l'être qui fait couler tant de pleurs ! j science
se des Chaldécns... ces esclaves remuants mériteraient do nie
SALÉMENÈS. Ne le maudis pas toi-même; des millions d'hom- voir, pour leur malheur, exaucer leurs voeux et les conduire à la
— ti v« i
mes le maudissent déjà. ! gloire.
gl i
SARDANAPALE. — Tu t'oublies ; ne me force pas à me rappeler jt SALÉMENÈS.—Pourquoinon ? Sémiramis....unefemme... a bien ;:
queje suis roi. ; conduit
ci nos Assyriens sur les rives du Gange, que le soleil éclaire ,\
SALÉMENÈS. Plût au ciel 1 de ses premiers rayons.
'> d'

MYRRHA. — Mon souverain, et vous, mon prince, permettez que I SARDANAPALE.—Bien de plus vrai; et comment en est-elle re- j
jc m'éloigne. ;
>
venue?
v t

— En homme... en héros,
SARDANAPALE.—Puisque tu le veux, el que cet homme sans : SALÉMENÈS. trompée dans son espoir, ^
pitié vient affliger une âme si douce, j'y consens. Mais rappelle- mais
n non vaincue. Accompagnée de vingt gardes seulement, elle '
toi que nous devons bientôt nous revoir : j'aimerais mieux perdre effectua
e sa retraite en Bactriane. i
un empire que d'être privé de ta présence. (Myrrfta sort.) i SARDANAPALE.—Et combien en laissa-t-elle dans l'Inde pour
servir
g, de pâture aux vautours?
SALÉMENÈS.
— Peut-être perdras-tu pour jamajs l'un et l'autre. |
j ' SALÉMENÈS.—Nosannales ne le diser.t pas.
SARDANAPALE. Mon frère, il faut du moins qqp je sache régner ij SARDANAPALE.—lïh ! bien, je dirai, moi, qu'il eut mieux valu pour

sur moi-même pour écouler un pareil langage; niais ne. me fais pas i c]le c fjlpr dans son palais vingt tuniques de lin, que de rentrer eu
sortir de ma nature. IBactriane avec vingt hommes,abandonnantaux corbeaux, aux loups
SALÉMENÈS.
— C'est de cette nature trop facile, beaucoup trop et c atix bftinnies, la plus féroce des Irois espèces, des myriades de
facile, qucjo voudrais le faire sortir. Oh! que ne puis-je te réveiller, sujets s dévpués. Esl-ce done là ce qu'on appelle la gloire? lin ce \
fût ce en l'irritant contre nioi-mêmcl pas,
« je consens à vivre pour jamais dans l'ignominie.
SAIIDANAPALE. — Par le dieu Baal I cel homme voudrait faire de SALÉMENÈS.-!-Toutes les âmes belliqueuses n'ont pas le même
moi un lyrati. destin. Sémiramis, la glorieuse mère de cent rois, quoiqu'elle eut ;
«i
SALÉMENÈS.
— Tu l'es en effet. Penses-tu qu'il n'y ail de tyran- {échoué dans l'Indo, réunit la Perse, la Médie et la Bactriane, à tant
nie que celte des chaînes et du sang? Le dcspplispie' du vieil...., la de c royaumesque lu pourrais gouverner connu e elle.
faiblesse et la corruption d'une vie fastueuse,., la négligence... j'a- SARDANAPALE,
rr^ Je les gouverne... elle ne fil que les subjuguer.
palliie, les besoins de la mollesse el de la sensualité..', enfantent dix SALÉMENÈS.
—, Le moment peut-êlre
approche où ils auront plus :
mille tyrans dont la cruauté subalterne surpasse dans ce qu'ils ont 1besoin de sop glaive que de ton sceptre.
de pire les actes d'un maître énergique, quelque dlH'P et pesante SARTIANAPALE.rrr-Jadis a vécu un certain Bacchus, n'est ce pas?
que soit sa domination. Le décevant et'séduisant exemple de (es ; .1J'en ni entendu palier à mes jeunes Grecques : elles disent que ce
débauches ne corrompt pas moins qu'il n'opprime, el mine tout n la |! fut I un dieu, c'esùàrdire un dieu de la Grèce, une idole étrangère
fois ton vain pouvoir el ceux qui devraient le soutenir; en sorte que au J
cijjledo l'Assyrie. 11 fit la complète de ce royaume opulent, de
l'invasion étrangère et la guerre civile |o seront également fîmes- J. icptle Inde «|onl lu parles, et où Sémiramis fut vaincue.
les; tes sujets n'auront pas le courage cle réBJstpr'à la première; j] SALÉMENÈS.-!- J'ai entendu parler de cel homme: lu vois que c'est
l'autre trouvera en eux non des adversaires, inajs des Complices. ]; pour ] ses exploits qu'on en a fait un dieu.
SARDANAPALE. — Qui ,donc le donne |e jjrojt d'|||i|rpréler les sen- SARDANAPALE.^- C'est dans sa divinité queje veux l'honorer
timents du peuple ? " comme
< homme, j'en fais peu de cas. Holà! mon' échans.in !
SALÉMENÈS. — L'oubli des outrages infljgéB à ma soeur; une tftn- SALÉMENÈS, ±A Que veut le roi?
dresse naturelle pour mes jeunes neveux ; ma llfléjjlé envers le rpj, SARDANAPALE, — Adorer le Dieu, elnon le conquérant. Qu'on me
fidélité qui trouvera bientôt peut-être l'occasion (|p sp manifester ft\)- donne du vin! (Entre TÉCIÙNSON.) Apporte-moi la coupe d'or in-
trement que par des paroles ; mon respect pour la race dc-Noi^i'pd, crustée de pierreries el connue sous le nom de coupe de Ncmrod.
et un autre motif encore que lu qp connais pas. Emplis-la jusqu'au* bords et hâle-loi. (L'échanson sort.)
SARDANAPALE.—Quelest-il? SALÉMENÈS. EsL-pe le moment de reprendre tes interminables
SALÉMENÈS.— C'est un mol qui l'est inconnu. —
SARDANAPALE, — Nomme-le : j'aime a îii'instrujre,
excès? (L'échatispn- rentre avec du vin.)
SALÉMENÈS.—Lavertu. SARDANAPALE,prenant la coupe.— Mon noble pareil I, si ces Grecs
SARDANAPALE. — Moi ! je ne connais pas cc mol! quand je l'en- barbares, habitants des lointains rivages qui bordent nos lilals, no
tends sans cesse résonner à mon oreille,,.,, les cris de la populace, sont pas lous menteurs, ce Bacchus a conquis l'Inde entière, n'esl-
les sons de la trompette, me sont moins odieux ; |a soeur no me par- il pas vrai ?
lait pas d'autre chose. SALÉMENÈS.
— Oui sans doute, cl c'est pour cela qu'on en a fait
SALÉMENÈS.— Pour passer a un sujet «le conversation moins pé- un dieu,
nible pour loi, entends parler de vice. ii SARDANAPALE. -^H n'en esl rien : de toutes ses conquêtes, quel-
SARDANAPALE. — Qui m'en parlera ? ques colonnes qui sont à lui, el qui seraient à moi si jc les croyai-;
SALÉMENÈS. Les vents eux-mêmes, si lu veux prêter l'oreille ài dignes d'être achetées et transportées ici, voila toul ce qui rappelle
l'écho qui répète — de
la voix la nation. les mets de sang versées, des royaumes mis au pillage, cl les coeurs
SARDANAPALE. — Allons, jc suis indulgent, tu te sais ; patient, lui brisés- Mais celte coupe cou lient ses véritables titres à l'immorlalilé...
l'as souvent éprouvé... parle, quel motif l'amène? la grappe divine dont il exprima l'âme, et qu'il nous donna pour
SALÉMENÈS.—Ton péril. réjouir celle de l'homme en expiation du mal qu'avaient fait ses
SARDANAPALE.
— Poursuis. victoires. Sans ce litre, il n'aurait obtenu que le nom d'un mortel,
SALÉMENÈS.
— Entends-moi donc. Toutes les nations tributaires, comme il en eut la lombe : il ne serait aujourd'hui, comme mon
,
et elles sonl nombreuses, celles que ton père t'a laissées en héritage, aïeule Sémiramis, qu'un monstre humain, paré d'utic gloiiv. dou-
exhalent hautement contre loi leur indignation. , teuse. C'est ce jus immortel qui l'a déifié... que maintenant il t'hu-
SARDANAPALE.
— Coolre moi? Que veulent ces esclaves?
SALÉMENÈS. Un roi.
manise, frère morose et grondeur : bois avec moi au dieu des Grecs!
— SALÉMENÈS.—Pour tous tes royaumes, je ne consentirais pas à
SARDANAPALE. Et
— que suis-jc donc ? blasphémer ainsi les croyances de mon pays.
SALÉMENÈS.—A leurs yeux, tu n'es rien ; mais, aux miens, tu u SARDANAPALE. —- Ainsi,' à tes yeux, Bacchus esl un héros, parce
es un homme qui pourrait encore redevenir quelque chosp. qu'il a versé le sang par torrents : mais il ne mérite pas d'être un
SARDANAPALE.
— Les insolents! que demandent-ils?N'onl-ils pas is «lieu pour avoir transformé un fruit en un breuvage enchanté, qui
la paix et l'abondance ? dissipe le chagrin, ravive la vieillesse, inspire je jeune âge, l'ait ou-
SALÉMENÈS. Quant à la première, ils en ont plus que la glpire e blier au travail la fatigue, à la crainte te danger, et ouvre à notre
!
n'en comporte;—pour la seconde, ils en ont moins que le roi pé iO âme un monde nouveau quand celui-ci a perdu tout atlrail. lili bien !
pense. pour être d'accord a\cc toi, jc bois à lui comme à IIII simple mortel
SARDANAPALE. — A qui la faute, si ce n'est aux satrapes infidèles ;s qui, en bien ou en mal, a fait tout ce qu'il a pu pour étonner le genre
qui nc s'acquittent pas mieux de ce soin ? humain.
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYUON. 371

SALÉMENÈS.—Vas-tu donc recommencer les orgies? ' 1 peut-être


pt éclatera la tempête qui doit te renverser, ainsi que les
SARDANAPALE. — Quand cela serait, je préférerais une orgie à une tiens
ti« et les miens; encore un jour, et ce qui subsiste de la race de
victoire, car elle ne coûterait de larmes à personne. Mais ce n'est Délus aura disparu.
B<
pas maintenant mon intention de m'y livrer, puisque tu ne veux pas SARDANAPALE. — Qu'avons-nous à redouter ?
me faire raison ; tu peux continuer. (A l'échanson.) Enfant, retire- SALÉMENÈS.
— L'ambition perfide dont les pièges t'environnent;
loi. (IJéchimson sort.) m il y a encore une ressource : confie-moi le sceau royal, je ré-
mais
SALÉMENÈS. J'aurais voulu dissiper ton rêve; il est bon que tu primerai
pi lés complots, et jetterai àtespiedslcstêtes de tes ennemis.
sois réveillé par—une voix amie et non par la révolte. ' SARDANAPALE.— Leurs têtes... Combien ?
SARDANAPALE.—Qui se révolterait? pourquoi? quel en serait le SALÉMENÈS.— Dois-jem'arrêlerà les compter lorsque la tienne
prétexte cl la cause? Je suis un souverain légitime, descendu d'une elle-même
el est en péril? Je pars ; donne-moi Ion sceau... et pour le
race de rois qui n'ont point eu de prédécesseurs. Que t'ai-je fait, reste,
r< aie confiance en moi.
qu'ai-je fait aii peuple, pour que tu viennes me railler ainsi ou qu'il SARDANAPALE.— Je ne confierai à personne un pouvoir illimité
se révolte contre moi? de vie et de mort. Quand on ôte la vie aux hommes, on ne sait ni
d>
SALÉMENÈS. Je ne parlepoint de ce que lu m'as fait.
— ce qu'on leur enlève, ni ce qu'on leur donne.
ci
SARDANAPALE.— Mais tu penses que j'ai des torts envers la reine, SALÉMENÈS. — Ne prendrais-tu pas la vie de ceux qui veulent
n'est-ce pas? pprendre la tienne?
SARDANAPALE. — C'est une question difficile ; cependant, je ré-
SALÉMENÈS.
— Je pense 1 non, j'affirme que tu es coupable envers ponds
elle. p : je la prendrais. Mais ne peut-on se dispenserd'en venir là ?
SARDANAPALE. — Patience, prince, et écoute-moi. La reine est en Qui sont ceux que tu soupçonnes?... qu'on les arrête.
Ç
possession de tout le pouvoir, de toute la splendeur attachés à son SALÉMENÈS.
— Je te prié de ne pas me questionner à cet égard ;
rang; elle est respectée; les héritiers du trône d'Assyrielàsont placés n réponse circulerait Bientôt parmi la troupe babillarde de les
ma
sous sa tutelle ; elle jouit des honneurs et des droits de souverai- maîtresses,
D de là au palais, puis dans la ville, et tout serait man-
nclc. Je l'ai épousée comme se marient les monarques..... pour les qué...
q Il faut le fier à moi.
avantages qu'elle m'apportait; je l'ai aimée comme la plupart des SARDANAPALE.— Tu sais que je l'ai toujours fait ; prends mon
maris aiment leurs femmes. Si elle ou toi vous vous êtes imaginé, sceau
s royal. (Il lui donne son anneau.)
que j'étais homme à m'enchaîner à une femme, comme un paysan SALÉMENÈS. — J'ai encore une demandeà te faire.
chaldéen à sa moitié, vous n'avez connu ni moi, ni' les monarques, SARDANAPALE.— Quelle est-elle ?
ni l'humanité. SALÉMENÈS. — Que tu veuilles bien, celle nuit, décommander le
SALÉMENÈS. Je t'en supplie, parlons d'autre chose : je suis d'un banquet
1 dans le pavillon de l'Buphrate.
— la plainte; SARDANAPALE.—Décommanderle banquet! je n'en ferai rien, eu
sang qui dédaigne et la soeur de Salémenès ne réclame
point un amour force, môme du souverain de l'Assyrie! Elle ne i dépit de tous les conspirateurs qui ontjamais ébranlé un royaume !
voudrait point d'une affection qu'il lui faudrait parlager avec des Qu'ils ( viennent et accomplissentleur oeuvre; ils ne me feront point
courtisanes étrangèreset des esclaves ioniennes. La reine se tait. pâlir
I ; je ne m'en lèverai pas unmoment plus tôt ; je n'en boirai pas
SARDANAPALE. — Et pourquoi son frère n'en fait-il pas autant? unecoupe
i de moins, une rosedemoinsnecouronnerapasmon front;
suis que l'écho de la voix de l'empire; qui- ils i ne m'ôleront pas une seule heure de joie... Je ne les crains pas!
SALÉMENÈS.
— Je nevoix
conque dédaigne celte ne saurait longtemps régner. SALÉMENÈS.
— Mais tu t'armeras, n'est-ce pas, s'il est néces-
SARDANAPALE.— Esclaves ingrats et grossiersl s'ils murmurent saire?
s
c'est que je n'ai pas versé leur sang , que ne je les ai pas en- SARDANAPALE.— Peut-êlre. J'ai une superbe armure, un glaive
voyés se dessécher par millions dans la poudre des déserts, ou blan- d'une < admirable trompe, un arc et une javeline que Ncmrod aurait
chir de leurs ossements les rives du Gange; c'est que je n'ai pas pu 1 envier ; ces armes sont un peu lourdes, mais mon bras les ma-
employé leurs sueurs à balir des pyramides ou des murailles comme nie l aisément. Maintenant que j'y pense, il y a longtempsque je. ne
celles de Dabylone. m'en
i suis servi, même à la chasse. Les as-tu vues, mon frère?
SALÉMENÈS.— Pourtant ce sont la des tropliées plus dignes d'une SALÉMENÈS.
— Est-ce un temps convenable pour badiner ainsi?
nation cl de ses princes que des chants, des luths, des banquets, S'il ! le faut, t'en serviras-tu?
des concubines, que le gaspillage des trésors et le mépris des vertus. SARDANAPALE. — Si je m'en servirai 1 Oh! cela esl-il absolument
SARDANAPALE. — J'ai pour trophées des villes fondées par moi : nécessaire? ces esclaves insensés ne peuvent-ilsêtre gouvernés qu'à
par exemple, Tarse et Anchialp, toutes deux construites en un jour. cette condition?Alors je manierai le glaive de manière à leur faire
Ma belliqueuse aïeule, la reine sanguinaire, la chaste Sémiramis, souhaiter de le voir changer en quenouille.
qu'anrait-cllc pu faire de plus , si ce n'est de les détruire? SALÉMENÈS. — Ils disent que la transformation est déjà faite.
SALÉMENÈS. C'est vrai. Je te reconnais dans la fondation de SARDANAPALE.— C'est faux ! mais qu'ils le disent : les anciens
— et célébrée par des vers où ton Grecs , si nous en croyons les chants de nos captives , en disaient
ces villes, provoquée par un caprice,
nom et le leur sont dénoncés aux mépris de la postérité. autant du plus grand de leurs héros, Hercule, parce qu'il aima une
SARDANAPALE.— Les mépris ! par Baal,les villes, quoique super- reine de Lydie. Tu vois que partout le peuple saisit avec empresse-
bcmcnl bâties, ne remportent pas sur les vers! Dis ce qu'il le plaira ment toutes les calomnies qui peuvent avilir ses souverains.
contre moi. contre ma manière de vivre ou de régner, mais respecte SALÉMENÈS. — On ne parlait pas ainsi de tes pères.
celte inscription véridique et concise. Certes, ces quatre lignes con- SARDANAPALE. — Non, parce qu'on les craignait; les peuples
tiennent l'Iiisloire de toutes les choses humaines. Les voici... « Le étaient occupés à travailler el à combattre; ils n'échangeaient leurs
roi Sardanapale, fils d'Anacyndaraxès, à construit en un jour An- chaînes que contre des armes. Aujourd'hui ils ont la paix et des
chialc cl Tarse.' Miipgez, buvez, aimez : tout le reste ne vaut rien. » loisirs; ils peuvent se réjouir et railler; je ne m'en offense pas, je
SALÉMENÈS. — Digne morale, sages conseils offerts par un roi à ne donnerais pas le sourire d'une belle tille pous lous les sufi'ragcs
ses sujets ! Iiopulaires qui ontjamais tiré un nom du néant ! Que valent les
SARDANAPALE. — Oh ! sans doute, lu eusses préféré qu'elle fût ré- ângues empoisonnées de ce vil troupeau, que l'abondance a rendu
digée en forme dédit; par exemple « Obéissez au
roi..'... portez; insolent, pour que j'attache du prix à sa bruyante approbation ou
,
votre argent à son trésor... recrutez ses phalanges... versez'votrei que je redoute ses assourdissantesclameurs?
levez-vous et travaillez. » Ou bien tu aurais voulu qu'elles SALÉMENÈS.—Tes sujets sont des hommes as-lu dis; comme tels,
sang
fût conçue en ces termes..! « Dans ce lieu, Sardanapale tua cin- leur affection est quelque chose.
quante mille de ses ennemis ; c'est ici que sont leurs tombeaux , ett SARDANAPALE.— Celle de mes chiens aussi, et j'en fais plus de
voilà son trophée. » Je laisse cela aux conquérants ; c'est assez pour cas ; car ils sont plus fidèles... Mais agis ; lu as mon sceau... puis-
moi si mes sujets portent plus légèrement le fardeau des misèresi qu'ils veulent faire du bruit, qu'on les ramèneà la raison, mais sans
humaines, et descendentsans gémir dans la tombe. Tout ce que je> moyens violents, à moins d'absolue nécessité. En effet, je hais
fais, je leur permets de le faire : nous sommes tous hommes. toute souffrance donnée ou reçue ; nous en portons assez en nous-
SALÉMENÈS. — Tes pères ont été révérés comme dieux. mêmes, depuis le plus humble vassal jusqu'au plus haut monarque;
SARDANAPALE. — Oui, dans la poussière et dans la mort, où ils neî au lieu d'ajoutermutuellemenlau fardeau de nos misères mortelles, il
sont ni dieux ni hommes. Ne me parle pas de cela! les vers sontt vaut mieux diminuer'par une aide réciproque la somme fatale des
dieux, du moins ils se sontrepusdevos dieux , et nesonl morts quei1 maux. Mais cela, ils l'ignorent ou veulent l'ignorer. Baal m'est té-
lorsque ce mets leur a manqué. Ces dieux n'étaient que des hom- moin que j'ai tout essayé pour me les concilier : je n'ai point fait la
mes : regarde leur descendant... je sens en moi mille choses mor- guerre; je n'ai décrété aucun nouvel impôl ; je ne suis point inter-
telles, mais rien de divin... hormisce penchant que tu condamnes, venu dans leur vie privée ; je leur ai laissé passer leursjours comme
et qui me porte à aimer, à être miséricordieux, à pardonner les foliess ils l'entendaient, passant les miens comme je l'entends.
de mon espèce, et (mais c'est là un sentiment humain) à être indul- SALÉMENÈS.— Tu ne remplis pas les devoirs d'un roi ; c'est pour-
gent pour les miennes.. quoi ils disent que tu n'es pas fait pour régner.
c'en est fait de Ninive!... malheur... mal- SARDANAPALE.— Ils mentent. Malheureusement,je suis incapa-
SALÉMENÈS
— Hélas! ble d'autre chose que de régner ; sans cela Je céderais ma place au
heur à la cité sans rivale !
SARDANAPALE. — Que crains-lu? dernier des Modes.
SALÉMENÈS.— Tu es entouré d'ennemis; dans quelques heures s SALÉMENÈS
— H est un Mède du moins qui aspire à le remplacer.
372 LES VEILLEES LITTÉRAIRES ILLUSTREES.

SARDANAPALE.
— Que veux-tu dire?... c'est ton secret : tu veux SARDANAPALE.
— Est-ce bien là ta pensée?...Pourquoi ?
que je m'abstiennede questions, et je ne suis pas curieux de ma MYRRHA.
— Parce que tu saurais alors ce que tu ne saurasjamais.
nature. Prends les mesures nécessaires; et puisque la nécessité SARDANAPALE.
— Quoi donc?
l'exige,j'approuve et sanctionne tout ce que tu feras. Jamais homme MYRRHA. du moins un coeur de femme.
— Ce que vaut un coeur, mille...
n'eut plus a coeur de gouverner paisiblement une nation paisible. SARDANAPALE.
— J'en ai éprouvé et mille, el mille encore.
S'ils me font sortir de mon caractère, mieux vaudrait pour eux qu'ils MYRRHA.
— Des coeurs?
eussent évoqué de ses cendres le sombre Nemrod, « le puissant SARDANAPALE. le pense.
— Jeseul ;
chasseur. » Je changerai ces royaumes en un vaste désert ; et ceux MYRRHA.
— Pas un ! Un temps viendra peut-êlreoù tu feras
qui furent des hommes, et qui, par leur propre choix, n'auront plus cette
ci épreuve. ' \
voulu l'être, seront traqués par moi comme des bêtes fauves. Ils in- SARDANAPALE.—Cetemps viendra. Ecoute, Myrrha. Salémenès a
sultent à ce que je suis... ah! ce que je serai dépassera tout ce que déclaré...
d comment l'a-t-il deviné? Bélus, le fondateurde ce vaste
leurs calomnies ont pu inventerde pire, et c'est à eux-mêmes qu'ils royaume,
r< le sait mieux que moi... mais enfin Salémenès a déclaré \
devront s'en prendre. q mon
que trône était en péril.
SALÉMENÈS. peux donc enfin t'émouvoirl
— TuM'émouvoir MYRRHA.
— Il a bien fait.
1 qui ne s'émeut au spectacle de
SARDANAPALE.
l'ingratitude? —
SARDANAPALE.
— Et lu tiens celangagc, toi qu'il a traitée avec un I
si dur mépris, toi qu'il a chassée de notre présence avec ses barba- [
si
SALÉMENÈS.—Je nem'arrèteraipas à te répondrepar des paroles, res
r< sarcasmes, toi qu'il a fait rougir et pleurer?
ce sont des actes qu'il faut. Ne laisse pas retomber cette énergie qui MYRRHA—Je devrais rougir et pleurer plus souvent; il a bien i
parfois sommeille, mais qui n'est pas morte dans ton âme, et tu fait fi de me rappeler à mon devoir. Mais tu parles de périls... de •
peux donner encoreautant de gloire à ton règne que de puissance p périls qui te menacent. t
à ton empire. Adieu. (Salémenès sort.) SARDANAPALE.
— Oui, ce sont de noirs complots ourdis par des i
Mèdes...
a des mécontentements dans l'armée et dans le peuple, cl 1
SARDANAPALE,seul. — Il est parti, emportant à son doigt mon an-. je j ne sais quoi encore... C'est un labyrinthe où je me perds... un |
neau, qui est pour lui un sceptre. Cethommeeslaussifermequejesuis confus c amas de menaces et de mystères : lu connais l'homme... tu [;
insouciant; et les esclaves méritent de sentir la main d'un maître, sais s que telle est son habitude; mais il est vertueux.Viens, n'y pen-
J'ignore de quelle nature est le danger : il l'a découvert, qu'il lo sons s plus... Ne nous occupons que de la fête de cette nuit.
comprime. Dois-je consumer ma vie... celte vie si courte... à me MYRRHA. Il est temps de penser à autre chose qu'à des fôtes.
— dédaigné
prémunir contre tout ce qui pourrait l'abréger? Elle ne vaut pas Tu 1 n'as point ses sages avis?
tant de peines ; ce serait mourir d'avance que de vivre ainsi dans la SARDANAPALE. Quoi donc ? Aurais-lu peur ?

frayeur de la mort, occupé à rechercher sans cesse des conspira- MYIIRHA.
— Peur!... Je suis Grecque, puis-je craindre la mort ?
teurs; soupçonnantel ceux qui m'entourent, el ceux qui s'éloignent, esclave,
c puis-je redouter ma liberté?
Mais s'il en "doit être ainsi, s'ils m'exilent à la fois de l'empire et SARDANAPALE.
— Pourquoi donc t'ai-je vuepâlir?"
de la vie, eh bien ! qu'est-ce que l'empire? qu'est-ce que la vie? J'ai MYHRIIA. —J'aime.
aimé, j'ai vécu, j'ai multiplie mon image ; mourir est un acte non SARDANAPALE.— Et moi donc? Je t'aime plus... beaucoup pins
moins naturel que ceux-là I 11 est vrai que je n'ai pas fait couler des que ( la vie et le vaste empire que je suis menacé de perdre... Pour-
lleuvcs de sang, comme je l'aurais pu, jusqu'à faire de mon nom le tant I je ne pâlis point.
synonyme de Trépas, une terreur et un trophée. Mais je le re- MYRRHA. — Cela prouve que tu n'as d'affection pour rien; cor
grette peu ; ma vie, c'est l'amour. Si j'envoiejamais des hommes à i celui qui aime doit s'aimerlui-môme pour l'amour de l'objet aimé.
la mort, ce sera contre mon gré. Jusqu'à ce jour, pas une goutte de C'esl ( pousser trop loin l'imprudence : la vie et la couronne ne doi •
sang assyrien n'a coulé par moi; pas une obole n'est sortie des vent point se perdre ainsi.
vastes trésors de Ninive pour des objets qui pouvaient coûter une SARDANAPALE. —Se perdre!... Quel est l'audacieux qui oserait
larme à ses fils. Si donc ils me haïssent, c'est que je ne hais point; aspirera me les ravir?
s'ils se révoltent, c'est que je n'opprime point 0 hommes! on MYRRHA.
— Qui pourrait craindre de le tenter? Quand celui qui I
doit vous gouverner avec le 1er, et non avec ie sceptre ; il faut vous gouverne s'oublie, qui sesouviendrade lui? ~ i
faucher comme l'herbe, si l'on ne veut recueillir des piaules mau- SARDANAPALE. Myrrha !
dites el une moisson d'ivraie qui change un sol fertile en désert. II MYRRHA. — Ne — me regarde point avec colère; je t'ai vu trop |
Je n'y veux plus penser. Holà! quelqu'un! (Entreun serviteur.) I souvent me sourire pour que ce regard mécontent ne me soit pas i
SARDANAPALE. — Esclave, dis à Myrrha l'Ionienne que je souhaite le plus cruel de tous les supplices. Roi, je suis voire sujette I maître,
sa présence. je suis votre esclave ! homme, je vous ai aimé!... je vous ai aimé
LE SERVITEUR. —Grand roi! la voici. (MYRUIIA entre.) par je ne sais qu'elle fatale faiblesse ; bien que je sois Grecque, éle-
vée dans la haine des rois... esclave et maudissant mes fers...
SARDANAPALE au serviteur. — Retire-toi ! [A Myrrha.) O reine Ionienne, et conséquemment, si je suis, éprise d'un étranger, plus
,
de beauté! tu devines mon coeuravanl qu'il ail|parlé : il battait pour dégradée par cette passion que par mes fers! pourtant je vous ai
toi, cl voilà que tu viens : laisse-moi penser que, si nous nous quit- aimé. Si cet amour a été assez fort pour dompter ma nature, ne le
tons, une intluence inconnue, un doux oracle, nous met en com- serait-il pas assez pour vous sauver?
munication invisible, et nous attire l'un vers l'autre. SARDANAPALE.
— Me sauver, beauté charmante! Tu es merveil-
MYRRHA.
— Je le crois. leusement belle : et cequeje te demande,c'est ton amour,ton amour
SARDANAPALE. — Je sens l'existence de ce pouvoir, mais j'ignore de femme... et non ma sécurité.
son nom : quel est-il? MYRRHA. — C'est au sein d'une femme que vous commencez à
MVURIIA. — Dans ma terre natale, c'est un dieu et dans mon boire la vie; ses lèvres vous ont enseigné vos premières paroles ;
c'est sentiment exallé qui porte une ,
empreintedivine; mais elle sèche vos premières larmes, et recueille vos derniers soupirs
coeur, un
j'avoue qu'il est mortel, car ce que j'éprouve, c'est quelque chose lorsque déjà les hommes ont reculé devant la pénible tâche de veil
d'humble, et cependant d'heureux, ou du moins qui aspire à l'être ; 1er les derniersinstants de celui qui fut leur maître.
mais... (Myrrha s'arrête.) I SARDANAPALE. —Mon éloquente Ionienne! la parole est une har-
SARDANAPALE. — Toujours quelque chose vients'interposer entre monie; elle me rappelle les chants de ces choeurs tragiques, si chers
nous et ce que nous regardons comme le bonheur. Que ne puis-je aupays de tes pères. Ohl ne pleure pas... calme-toi.
faire tomber l'obstacle qui s'oppose à ta félicité comme ta voix timidei MYRRHA.— Je ne pleure pas... Mais je t'en prie, ne me parle pas
me l'annonce!... de mes pères et de mon pays.
MYRRHA. —Mon seigneurI SARDANAPALE.— Cependant tu en parles souvent.
SARDANAPALE.—Mon seigneur1... mon roi!... mon souverain!... MvanHA. — C'est vrai... c'est vrai : toujours l'objet qui remplit
voilà; c'est toujours ainsi: ou ne me parle qu'avec terreur. Je ne la pensée se trahit sur les lèvres; mais quand un autre que moi
puis voir un sourire, si ce n'est à la folle lumière d'un grand ban- parle de la Grèce, cela me fait mal.
quet, quand l'ivresse a rétabli l'égalité entre mes bouffons et moi, SARDANAPALE.—Ehbien donclcomment voudrais-tu me sauver?
ou quand l'intempérance m'a ravale jusqu'à leur abaissement. Myr- MYRRHA.
— En t'apprenant à te sauver toi-même, et non-seule-
rha, tous ces noms de seigneur... de roi... de monarque... je puisi ment toi, mais ces vastes royaumes, des fureurs de la pire de toutes
les entendre de la bouche des esclaves et des nobles... il fut même! les guerres... une guerre intestine.
un temps où j'en faisais cas, c'est-à-dire où je les supportais; mais> SARDANAPALE.—Eh! mon enfant,j'abhorretouteespèce deguerre;
quand je les entends sortir des lèvres que j'adore, de lèvres quei je vis au sein de la paix et des plaisirs : que peut faire de plus un
les miennes ont pressées, un froid glacial saisit mon coeur; je sensi nomme ?
alors tout (y^qu'il y a de faux dans ce rang suprême qui refoule les MYRRHA. — Hélas I seigneur, envers le commun des mortels, l'ap-
sentiment'i'/^sl'âme de tant d'êtres chéris, et je regrette de neî pareil de la guerre n'est que trop souvent nécessaire pour conserver
pouvoir déposer ma tiare importune, partager avec toi une cabane5 tes bienfaits de la paix, el, pour un roi, il vaut mieux quelquefois
sur le Caucase, et, pour toute couronne, porter une couronne dej inspirer la crainte que l'amour.
Heurs. SARDANAPALE.
— Je n'ai jamais ambitionné que co dernier sen-
n'e'n esl-il ainsi I
— Que
MYRRHA. 4 timent. <
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON. 373

MYRIUIA. —Et tu n'as obtenu ni l'un ni l'autre. dderais. Eh bien t pour l'amour de loi, je me rends. Pania, retire-toi 1
SARDANAPALE Est-ce bien toi, Myrrha, qui me dis cela? 1Tu m'entends.
— PANIA. — Etj'obéis. (Pania sort.)
MYRRHA. — Je parle de l'amour populaire, qui n'est que l'amour
de chacun pour soi-même; on l'obtient en tenant les hommes dans
une crainte respectueusecl sous le joug des lois, sans toutefois qu'ils SARDANAPALE.— Tu m'étonnes, Myrrha; quel peut être ton motif
soient opprimés... Il faut du moins qu'ils ne croient pas l'être, ou, j
pour me faire ainsi violence?
s'ils le savent, qu'ils jugent cette oppressionnécessaire pour se sous- MYRRnA. — Le soin de ta sûreté et la certitude qu'il n'y a qu'un
traire à un joug plus dur, celui de leurs passions. Un roi de fes- danger
c imminent qui puisse engagerle prince à faireune demande
tins et de débauches, un roi d'amour et de plaisir ne fut jamais un aussi
i pressante.
roi de gloire. SARDANAPALE.— Si je ne le redoute pas ce danger, pourquoi le
SARDANAPALE.— La gloire! qu'est-ce que cela? redouterais-tu?
i
MYRRHA. — Demande-leaux dieux tes ancêtres. MYRRHA.— Parce que lu ne lecrains pas.
SARDANAPALE. —Ils sont muets; les prêtres seuls parlent en leur SARDANAPALE.— Demain tu souriras de ces vainesterreurs.
nom quand un nouveau tribut est apporté à leur temple. MYRRHA. — Si tout est perdu, je serai dans ces lieux où nul ne
MYRRHA. — Consulte les annales des fondateurs de ton empire. pleure,
1 eleela vaudra mieux que le pouvoir desourire. Et toi?
SARDANAPALE.— Elles sont tellement souillées de sang que je ne SARDANAPALE.— Je serai roi comme auparavant.
puis les lire. Mais qu'exiges-tu de moi? L'empire a été fondé; je ne MYRRIIA. — Où ?
puis multiplier à l'infini les empires. SARDANAPALE.—AvecBaal, Nemrod et Sémiramis, et seul monar-
MvRRnA. — Conservele tien. «que en Assyrie, ou
ailleurs. Le destin m'a fait ce que je suis... et il
SARDANAPALE.— J'en jouirai du moins. Viens, Myrrha, rendons- ]peut faire que je ne sois
plus rien... mais je ne vivrai pas avili.
nous sur l'Eupbrate, l'heure nous y invite, la galère est prête ; le pa- MYRRHA.— Si tu avaistoujours pensé ainsi, personne n'eût songé
villon, orné pour le banquet du soir, resplendira de beaulé et de à t'avilir.
lumière, si bien que les étoiles au-dessus de nos tètes le prendront SARDANAPALE.— Et qui le fera maintenant?
MYRRHA. — Ne soupçonnes-tu personne?
pour un astre rival. Nous serons là couronnés de fleurs comme... SARDANAPALE. — Soupçonner!... c'est le fait d'un espion. Oh!
MYRRHA. —Commedes victimes.
SARDANAPALE. — Non, comme des souverains; comme ces rois combien de moments précieux perdus en vaines paioles et en ter-
bergers du temps patriarcal, qui ne connaissaientpas de plus bril- reurs plus vaines encore! Holà! qu'on vienne!... Esclaves, prépaie/.
lants diadèmes que les guirlandes dci'été,etdontlestriomphes ne la salle de Nemrod pour le banquet du soir ; s'il faut que mon pa-
coûtaient point de larmes. Allons ! (Entre PANIA.) lais soit changé en prison, du moins nous porterons gaîment nos
fers; l'Euphralc nous est interdit, ainsi que le pavillon d'été qui
PANIA. — Que le roi viveàjamais! orne ses rives charmantes, mais ici du moins on ne nous menace
SARDANAPALE.— Tant qu'il pourra aimer, pas une heureau-delà. pas encore. Holà! quelqu'un ! (Sardanapale sort.)
Combien je déteste ce langage qui fait de la vie un mensonge, en
flattant la poussière de l'espoir de l'éternité! Eh bien! Pania, MYRRHA, seule.— Pourquoi faut-il que j'aime cet homme? Les
sois bref. filles de ma patrie n'aiment que des héros. Maisje n'ai point de pa-
PANIA. — Je suis chargé par Salémenèsde réitérer au roi la prière trie: l'esclave n'a plus rien, rien que ses chaînes. Je l'aime; hélas!
que le frère de la reine lui a déjà faite, de ne point quitter le palais, aimer ce que nous n'eslimons pas, de toutes les chaînes c'est la
au moins pour aujourd'hui : le général, à son retour, fera connaître Flus pesante. Eh bien! soit; l'heure s'approche où il aura besoin de
ses motifs ; ils sont tels qu'ils justifieront sa hardiesse et lui obtien- affection de tous, et où il n'en trouvera dans personne. Il y aurait
dront peut-être le pardon de la liberté qu'il a prise. plus de lâcheté à l'abandonner maintenant que la Grèce elle-même
SARDANAPALE.—Eh quoi! veut-on donc me mettre en charte
n'eût trouvéd'héroïsmeà le poignarder sur son trône et dans toute
privée? Suis-jo déjà captif? Ne puis-je même respirer l'air du ciel? sa puissance; je ne suis faite ni pour l'un ni pour l'autre de ces
Va dire au princeSalémenèsque, dûtï'Assyrie tout entière s'insurger
actes. Si je pouvais le sauver, ce n'est pas lui, mais moi que j'en
aimeraisdavantage; et j'ai besoin de cela, car je suis déchue dans ma
contre moi, el des myriades de révoltés assiéger ces murs, je propre estime depuis que j'adore ce voluptueux étranger. Mainte-
sortirai. nant , ce qui me le rend encore plus cher, c'est de le voir en butte
PANIA. — Je dois obéir; cependant... à la haine des Barbares, ces ennemis naturels de tout ce qui a du
MYRRIIA. —O monarque! ecoule-moi... Combien de jours n'es-tu
pas resté dans l'enceinte de ton palais, étendu mollement sur lasoie. sang grec dans les veines. Si je pouvais seulement éveiller dans
sans vouloir te montrer aux yeux de ton peuple; privant tes sujets son coeur une pensée semblable à celle qui animait les Phrygiens
de ta présence, laissant les satrapes sans contrôle, les dieux sans eux-mêmes alors qu'ils combattaient entre la mer et les remparts
culte, el toute chose dans l'anarchie ou l'inaction; si bien que tout, d'Ilion, il foulerait à ses pieds triomphants la multitude des Barba-
hormis le mal, dormait dans ton royaume! Et maintenant tu refu- res. Il m'aime, et je l'aime; l'esclave chérit son maître, et voudrait
serais de rester ici un seul jour... un jour quidoit peut-être assurer l'affranchir du joug de ses propres vices. Sinon, il me reste un
ton salut? Au petit nombre de ceux qui te sont restés fidèles, tu moyen de liberté! et si je ne puis lui apprendre à régner, je puis
refuserais quelques heures pour eux, pour toi, pour l'honneur de tes du moins lui montrer la seule roule par laquelle un roi doit quitter
ancêtres, pour l'héritage de tes fils? son Irône. Il ne faut pas le perdre de vue. (Elle sort.)
PANIA. — C'est la vérité! D'après l'empressementque le prince a
mis à m'envoyer en votre présence sacrée, je prends la liberté de
joindre ma faible voix à celle qui vient de parler.
SARDANAPALE.— Non, cela ne sera pas.
MYRRHA. — Au nom de l'empire.
ACTH II.
SARDANAPALE.— Partons! SCÈNE PREMIÈRE.
PANIA. — Au nom de tous vos fidèles sujets, qui se rallieront au-
tour de vous et des vôtres! Le portique du même appartement dans le palais.
SARDANAPALE.— Ce sont des illusions ; il n'y apas de péril... Pure
invention de Salémenès, pour montrer son zèle et se rendre né- BÉLESÈS, seul.
cessaire !
MYRRHA. —Par tout ce qu'il y a de juste et de glorieux, écoute ce Déjà le soleil descend vers l'horizon ; l'astre semble s'affaisser
conseil.
SARDANAPALE.— A demain les affaires1 avec plus de lenteur en laissanttomber son dernier regard sur l'em-
MYRRHA. —Et cette nuit, la mort!
pire d'Assyrie. Sa rouge clarté brille au milieu de ces nuages som-
bres, comme le sang dont elle est l'avant-coureur. Soleil qui vas
SARDANAPALE.— Eh bien ! qu'elle vienne inattendue, qu'elle me1 disparaître, étoiles qui vous levez dans les cieux, si ce n'est pas en
surprenne au milieu de la joie et des plaisirs, de la gaîté et de l'a- vain que j'ai lu dans chacun de vos rayons les décrets tracés par
mour ; que je tombe la
comme rose cueilliel... Plutôt finir ainsi que* vos orbites, décrets, qui font frémir le temps lui-même à l'aspect
de me flétrir lentement! des destinéesqu'il apporte aux nations; si je vous comprends bien,
MYRRHA. — Eh quoi! tous les motifs les plus capables d'agir sur la dernière heure de l'Assyrie est venue. Et néanmoins que cette
le coeur d'un monarque ne pourront obtenir de toi que tu renoncesi heure est calme! Une chute si grande devrait être annoncée par un
à une fête frivole? tremblementde terre c'est un soleil d'été qui la révèle. Pour le
SARDANAPALE.— Non. Chaldéen qui sait lire dans les astres, ce disque porte écrit sur sa
MYRRHA. - Eh bien!... pour l'amour de moi!
SARDANAPALE. — De toi, ô ma Myirha?
page éternelle la fin de ce qui semblait éternel comme lui. Mais, ô
soleil infaillible ! brûlant oracle de tout ce qui vit, source de toute
MYRRIIA.-— C.'estla première faveur que j'aurai demandée au roii existence, et symbole de celui qui la donne, pourquoi ne nous an-
d'Assyrie. nonces-tu que les calamités? pourquoi ne point nous révêler des
SARDANAPALE.— Et quand ce serait mon royaume, je te l'accor- I jours plus dignes de ton cours glorieux? Pourquoi ne pas darder
-
374 LK8 VimxÉKS LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES;

dans l'avenir un rayon d'espérance, tôlit âlissi bien qtié dé colère? il y est toujours
BÉLESÈS.
— Mais il ne s'éloigne pas du conseil :
Entends-moi! oh 1 entends-moi 1 je suis ton adorateur, ton prêtre , assidu.
a
Ion serviteur... Je l'ai contemplé à ton lever et à ton coucher, et j'ai ARBACB.
— Et toujours contrarié. Que faut-il de plus pour faire
courbé mon front devant ton midi, alors que mes yeux n'osaient c lui un rebelle? Voir un insensé sur le trône, son sang désho-
de
s'élever vers toi. J'ai épié ton réveil, je l'ai prié, je t'ai offert des noré
r et lui-même rebuté 1 comment donc ? c'est pour le venger que
sacrifices, je t'ai consulté, je l'ai craint, je t'ai interrogé; et tu m'as rnous travaillons-.
répondu... liélas! tes réponses sont toujours restées enfermées dahs BÉLESÈS.
— Plût au ciel qu'on pût l'amener à penser ainsi!
un cerclé fàtàl... Mais tandis que j élève ainsi la voix vers lui, l'as- ARBACE.—11 faudrait le sonder.
— Oui, si l'occasion s'en présente. (Entre
tre du jour s'abaissede plus en plus... Il est parti...: laissant un BÉLESÈS. BALÉA.)
reflet de sa beauté, mais non de sa science, à l'Occident charmé qui
s'enivre jlcs teintesdesamouranle gloire. Qu'est-cedohcque la mort BALÉA. — Satrapes, le foi réclame voire présence à la fête celte
quand elle est glorieuse? c'est un coucher de soleil : el les mortels nuit.
]
doivent s'estimer heureux de ressembler aux dieux, ne fût-ce que BÉLÈSÈS: Entendre; c'est Obéir. La fête a lieu dans le pavillon,
d.aiis leur déclin. (AnBACE'entre pat une porte intérieure.) cloute?

sans
t
BALÉA.—Non, ici, dans le palais.
ARBACE. — Bélesès, pourquoi té vois-je ainsi absorbé dans tes ARBACE—Comment, dans le palais?. tel. n'était pas l'ordre.
pieuses rêveries? Es-tu occupé à contempler la disparition de ton BALÉA. — C'est l'ordre maintenant.
il ieii dans les domaines d'un jouir inconnu ? Nous avons affaire à la ARBACE.— Et pourquoi?
nuit. Elle est venue. BALÉA. — Je l'ignore. Puis-je me retirer?
BÉLESÈS.
— Mais elle
—Qu'elle
n'est pas partie:
s'écoule... nous sommesprèls.
ARRAGE.— Demeure.
AhhACE. BÉLESÈS, à part à Arbace.—Laisse-le partir. (A ïtaléa.) Oui, Ba-
BÉLESÈS. — Oui ! Que n'est-elle à sa fin ! léa,
_ remercie le monarquede notre part, baise le bord de son man-
AUUACE. — Est-ce que' le doule se serait emparé du prophète, teau impérial, et dis-lui que ses esclaves ramasseront les miellés qu'il
alors qu'à ses yeux les àsirés font briller la victoire? daignera laisser tomber de sa royale table à l'heure de... C'est à
BÉLESÈS. Je né doute pas de là victoire, mais du vainqueur: minuit, je pense?

AniiAciï. — Eli bien ! que ta science détermine ce poiut. Eu atten- BALÉA. — A minuit; dans la salle de Nemrod. Seigneurs, je m'in-
dant, j'ai préparé des lances élinCelantcs en assez grand nombre cline devant vous, et prends congé. (Baléa sort.)
pour éclipser l'éclat de nos alliées les planètes. Rien ne contrarie
plus nos projets.Leroi-femnie,moins que femme, esl à présent sur ARBACE.— Ce changementsubit n'annonce rien de bon ; il y a
les Ilots avec ses compagnes;l'onlf'ô est donné pourque la fêle ait quelque mystèrelà-dessous.
lieu dans lé pavillon. La première Coupe qu'il boira sera la der- BÉLESÈS. — lit ne change-l-il pas mille fois par jour? L'indo-
nière vidée par la race de Nemrod. lence est ce qu'il y a au monde de plus capricieux ; ses projets se
BÉLESÈS. —Ce fui une race vaillante. modifient plus souvent que les marches et les contremarches d'un
AUDACE.
— C'est maintenant une racé affaiblie... usée... A nous général qui veut prendre son adversaire en faute. A quoi penses-tu ?'
<!e la régénérer. ARBACE.—Il aimait ce pavillon, son séjour favori pendant l'été.
BÉLESÈS. es-lu
— En fondateur sûr? BÉLESÈS. U a aimé aussi la reine... puis, après elle, trois mille
AUUACE. —Son fut un chasseur.... je suis un soldat.... —-
courtisanes... Il n'est rien que lour-à-tour il n'ait aimé, hormis la
Qu'y a-l-il à craindre? sagesse et la gloire.
BÉLESÈS.
— Le lesoldat. ARBACE.— Quoi qu'il en soit... il y a là quelque chose qui ne me
AUDACE.— Ou prêtre, peut-être; mais si lu pensais ainsi, si plaît pas; puisqu'il a changé de caprice.:, nous devons changer
c'est encore ta pensée, pourquoi ne pas garder ton roi de concubin aussi nos plans:-L'attaque était facile dans ce pavillon solitaire, en-
ncs? Pourquoi exciter mon courage? Pourquoi me pousser à celte touré de gardes appesantis par le vin et de courtisans tout-à-fait
entreprise, qui n'est pas moins la tienne que la mienne? ivres ; mais dans>la salle de Nemrod...
BÉLESÈS.
— Regarde le ciel. BÉLESÈS. — Comment donc ! l'orgueilleux guerrier semblait
ARBACE.—Je le regarde. craindre que les avenues du Irône ne fussent trop faciles... Se-
BÉLESÈS. —Que vois-tu? rais-lu donc fâché de trouver un degré ou deux plus glissants que
beau crépuscule d'été èl les étoiles qui commen- tu ne l'y attendais?
AUDACE.
— Un
cent à paraître. AUUACE. •— Le moment venu, tu sauras si j'ai peur. Tu m'as vu
liÉLissÈs. — Et parmi elles, remarques-lu la plus précoce, la plus jouer gaimenl ma vie ; mais aujourd'hui, il y va de beaucoup plus
brillante, dont la lumière vacille connue si elle allait changer dé que ma vie..... un royaume est l'enjeu.
place dans le bleu firmament? BÉLESÈS.
— Je t'ai prédit que lu gagnerais...
AUDACE.
— Eh bien? ARBACE:— Si j'étais devin, je m'en serais prédit aillant. Mais
BÉLESÈS.—C'estton étoile natale... C'est la planète dont les obéissons aux étoiles: je ne veux me brouiller ni avec elles ni avec
rayons présidèrent à la naissance. leur interprète. Qui vient ici? (Entre SALÉMENÈS.)
ARIIACE, nïettant la main sur le fourreau de son épie. — Mou
étoile est ici: quand elle va briller elle éclipsera les comètes. l*cnsons SALÉMENÈS. Satrapes !

à ce qu'il faut faire pour justifier les planètes et leurs présages. BÉLESÈS.
— Prince!
Quand nous aurons vaincu, elles auront des temples... oui, el des SALÉMENÈS.— lleureux de vous rencontrer... je vous cherchais
prêtresaussi... el toi lu seras le pontife... de tels dieux qu'il te plaira: lous deux, mais ailleurs qu'au palais.
car j'ai remarqué qu'ils sont tous également justes, et qu'à leurs ARBACE. — Pourquoi donc?,..
yeux le plus brave est le plus dévot. SALÉMENÈS.
— Ce n'est pas l'heure,
BÉLESÈS. —Oui, et les plus religieux se montrent aussi devant AUUACE. — L'heure... quelle heure?
SALÉMENÈS. De minuit.
eux les plus braves... Tu ne m'as pas vu tourner le dos. BÉLESÈS.

Minuit, seigneur?
AIIBACI!. — Non, je le reconnais pour chef aussi vaillant que tu —
SALÉMENÈS. Quoi donc? n'êles-vous pas invités?
es habile dans le culte de la Chaldée ; maintenant lé plairail-il d'ab- —
Ah ! oui... nous avions publié ce dont vOiis pariez.
diquer un moment le prêtre .et de me faire voir le guerrier? BÉLESÈS. —
BÉLESÈS. — Pourquoi pas l'un et l'autre? SALÉMENÈS. —Ést-il habituel d'oublier l'invitation d'un souve-
ARBÀCE. — Cela n'eti vaudra que mieux, et cependant .je suis rain ?
n'avons appris qu'à l'instant fttêmc
— C'est que nous
ARBACE. ,
presque honteux de voir que nous avons si peu à faire. Cette guerre
(ie femme dégradé jusqu'au vainqueur. Renversjèr de son trône un l'heure et le lieu.
despote hardi, sanguinaire; lutter,contre lui le fer à la main, vain- SALÉMENÈS.— Que faites-vous ici ?
ARBACE. — Notre service nous y appelle.
queur ou vaincu; c'eût été d'un héros; mais lever mon épée contré SALÉMENÈS.—Quel service?
ce ver à soie, entendre peut-être sa voix plaintive... BÉLESÈS.— Le service dé l'Etat. Nous avons le privilège d'ap-
BÉLESÈS. N'en crois rien il y à en lui quelque chose qui peut

donner de l'occupation,
;
et, fùl-il même tu le crois, procher le monarque ; mais iibus l'avons trouvé absent.
encore te ce que SALÉMENÈS.— lit moi aussi, j'ai un service à faire.
ses gardes sonl braves et commandés par l'habile et austère Sa- ARBÀCE. — Pourrions-nousconnaître sa
nature?
lémenès. SALÉMENÈS.— C'est d'arrêter deux traîtres. Gardes à moi ! (Les
AUDACE. — Us ne résisteront pas. gardes entrent.)
BÉLESÈS. Pourquoi hoil ? ils sont soldats.

AKBÀCÈ.— C'est vrai ; el il leur eii faut un pour chef: SALÉMENÈS, continuante — Satrapes, vos épées !
BÉLESÈS. Salémenès est soldat. BÉLESÈS, rendant son épée. — Seigneur voici mou cimeterre,
—Mais
ARIIACE.— il n'est pas leur roi. D'ailleurs, lui-même; à causei ARIIACE, tirant son glaive du fourreau. — Viens prendre le
de la reine sa soeur, déteste l'être efféminé qui nous gouverne. mien.
.Vas-lu pas remarqué qu'il s'éloigne île toutes les fêtes? SALÉMKNÉS, .l'avançant. — J'y vais.
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYIION. 375

AnuACE. —Tu en recevras la lume dans le coeur... la poignée ne SALÉMENÈS.


— N'en douiez pas, il l'obtiendra sans ce semblant
quittera pas ma main. de
de respect.
SALÉMENÈS, mettant le fer à la main. — Ah ! ah ! tu veux donc BÉLESÈS.
— Je ne sais qui a pu prévenir si malheureusement le
résister? C'est bien... cela épargnera un jugement el peut-être une prince
P| contre deux sujets dont personne n'a égalé le zèle pour le
funeste démena--. Soldats, frappez ce rebelle! l)ieu
nl de l'Assyrie.
ARUACE.—Tes soldats! oui seul, lu ne l'oserais pas. SALÉMENÈS.—Tais-loi, prêtre factieux, guerrier perfide ; tu réu-
SALÉMENÈS. Seul! esclave insensé ! qu'y a-t-il en toi qui puisse

nis
j1 dans la personne les vices les plus hideux des deux professions
faire reculer un prince? Nous redoutons la trahison, mais non pas '<-' plus dangereuses. Garde tes paroles emmiellées elles homélies
les
la force ; ta dent n'est rien sans son venin, c'esl celle du serpent, menteuses
1,! pour ceux qui ne le connaissent pas. Le crime de Ion
non du lion. Qu'on l'immole. complice
Ç' est du moins un crime hardi, qui n'est point déguisé par
le?
' ruses que l'enseigna la Chaldée.
BÉLESÈS, s'interposant. — Arbace! ouest votre raison? n'ai- .BÉLESÈS. L'entendez-vous! ô mon souverain, fils de Bélus?
je pas rendu mon épée, moi? Fiez-vous également à la justice de *-
., blasphème le culte do l'empire, la divinlé de vos pères.
11
notre souverain.
ARBACE. — Non, j'aime mieux me fier aux étoiles, dont lu nous SARDANAPALE.
dispense — Ah ! pour cela, je vous prie de l'absoudre; je
parles tant, el à ce faible bras ; je veux mourir souverain de moi- me du culte des morts, sentant que je suis mortel, el con-
même, maître au moins de mon souffle el de mon corps... vaincu que la race dont je suis issu est... ce que je la vois... de la
SALÉMENÈS, aux gardes.
cendre.
— Vous l'entendez , el vous entendez BÉLESÈS.
— Roi, n'en croyez rien ; vos ancêtres sonl avec les
mes ordres; ne le prenez pas... tucz-le. (T.cs gardes attaquent astres,
a el...
Arbace, qui se défend avec bravoure elàdresse, cl les [ait reculer) SARDANAPALE.—Tu iras bientôt les rejoindre là-haut, si lu con-
SALÉMENÈS.
— Eh quoi ! faut-il donc que je fasse l'office de bour- tinues
t à prêcher sur ce ton... Comment donc ! mais c'est un crime
rcau ? Lâches! vous allez voir comment on punit un traître. (Sa- yde lèse-majesté au premier chef.
lémencs attaque Arbace ; SARDANAPALEentre avec sa suite.) SALÉMENÈS. —Seigneur...
SARDANAPALE.— Me faire ici la leçon sur les idoles d'Assyrie !
SARDANAPALE.
— Arrêtez! sous peine de la vie, vous dis-je. Qu'on ( l'éloigné... donnez-lui son cpéë.
Eh quoi! êles-vous sourds ou ivres? Mon épée!... Imprudent que je
suis, je ne porte point d'épéc. (.-•/ vn garde.) Voyons, toi, donne- je
SALÉMENÈS.
— Mon seigneur , mon roi, mon frère, réfléchissez,
: vous prie 1
moi ton arme. (Sardanapale prend'l'épée d'un soldat, se jette SAUDANAPALE.—Oui, oui, n'est-ce pas? pour être sermonné,
entre les combattants et les sépare.) Jusque dans mon palais ! Je ne étourdi, < assourdi de l'histoire des morts, el de Baal, et de lous les
sais qui m'empêche audacieux querelleurs ! ,' mystères astrologiques de la Clialdéul
BÉLESÈS. Sire c'esl voire justice. ,
— , BÉLESÈS. — Monarque, respectez les feux du ciel !
SALÉMENÈS. --Oui... votre faiblesse.
SARDANAPALE. —Comment?
SAUDANAPALE.
— Oh! pour eux, je les aime. J'aime à les con-
SALÉMENÈS.
templer dans la voûte azurée, cl à les comparer aux yeux de ma
Krappel pourvu que tu frappes aussi le traître... IMyrrha;j'aime à voir leurs

mais si lu l'épargnes un moment, sans doute, c'est pour le livrer rayons se refléter dans l'onde argentée,
el tremblante de l'Eupliralc quand la brise légère de la nuit ride la
aux tortures... Frappe-moi d'abord j'y consens. surfacedu fleuve et soupire ,dans
les roseaux qui couvrent, ses bords ;
SARDANAPALE. Lui, un traître ! Qui donc ose attaquer Arbace ?
SaLÉMENÈS.
— mais que ce soient des dieux, comme vous le dites, ou le séjour des
— Moi ! dieux, connue d'autres lo prétendent, ou simplement les flambeaux
SARDANAPALE. Prince, vous vous oubliez. En vertu de quel de la nuit; que ce soient des mondes ou les luminaires distincts
litre agissez-vous— ici ? des mondes, je l'ignore et me soucie peu de le savoir. 11 y a dans
SALÉMENÈS, montrant le sceau. En vertu de celui tu m'as
donne. — que mou incertitudeje ne sais quoi de doux, que je n'échangerais pas
contre votre sciencâ chaldéennc. D'ailleurs, tout ce que l'argile hu-
AUDACE, confus. — Le sceau du roi! maine peut connaître de ce qui est au-dessus cl au-dessous d'elle...
SALÉMENÈS.
— Oui! le roi peut le confirmer. se réduit à rien. Je vois l'éclat des astres, et je sens leur beauté.:,,
SAKUANAPALE. —Je ne le l'ai pas remis pour un semblable usage. brillant sur mon tombeau, ils ne seront plus rien pour moi.
SALÉMENÈS. — Je l'ai reçu de vous pour garantir votre sûreté... BÉLESÈS.— Dites plutôt, grand roi, que vous les connaîtrez mieux.
j'en ai fait l'usage que j'ai"cru le meilleur. Prononcez vous-même.
Ici je ne suis que voire esclave, tout à l'heure j'étais votre repré- pas pressé de posséder
SAUDANAPALE.
— J'attendrai, s'il vous plaît, pontife; je ne suis
celte science. Cependant, reprenez votre
sentant. épée, el sachez que je préfère vos services militaires à votre minis-
SAUOANAPALE. — Eh bien ! remettez vos glaives datis le fourreau. tère sacerdotal... quoique je me soucie pou de l'un el do l'autre.
(Arbace et Salémenès obéissent.)
— Ses débauches l'ont privé de sa raison ; il
SALÉMENÈS, « part.
SALÉMENÈS.
— Soit ! mais je vous supplie de garder le vôtre : faut le sauver malgré lui.
eVl le seul sceptre assuré qui vous reste. SAUDANAPALE.—Veuillez m'écouler, satrapes, et loi surtout, prê-
SARDANAPALE.— llesl bien pesant; la poignée me blesse la main. tre de Baal,'parce que je me méfie plus de loi que de ce guerrier ;
(.7 vn garde.) Soldat, reprends ton arme. Eh bien! seigneurs, queî c! je m'en méfierais plus encore si lu n'étais à demi soldat. Sépa-
signifié tout cela? rons-nous en paix... je ne parle pas de pardon.., on ne l'accorde
BÉLESÈS.
— C'est au prince à répondre. qu'aux coupables; el je n'affirmerai pas que vous l'êtes. Cependant
SALÉMENÈS.
— De mon côté est la fidélité, du leur la trahison. vous savez que votre vie dépend d'un souffle de ma bouche, et que
SARDANAPALE.— Trahison !... Arbace! trahison cl Bélesès! voilài la moindre appréhension vous serait fatale. Mais ne craignez
des noms que je n'auraisjamais cru voir réunis. rien... car-je suis clément et ne me laisse point dominer par la
BÉLESÈS.
— Où est la preuve? crainte... Vivez donc. Si j'étais ce que vous me croyez, vos tètes se-
SALÉMENÈS. — Je répondrai quand le roi aura demandé l'épéc de3 raient déjà suspendues aux portes de ce palais.... N'en parlons
ton complice. plus. Comme je vous l'ai dil, je ne vous crois pas coupables, et je
ARIIACE. «Salémenès. — Cette épée a été tirée aussi souvent quee ne vous proclame pas non plus innocents. Des hommes qui valent
la tienne contre ses ennemis. mieux que vous et moi sonl prêts à vous accuser; et si j'àbandon-
SALÉMENÈS. —Ellevient d'être tirée contre le frère du roi, elle e nais votre destinée à des juges plus sévères, je pourrais sacrifier
le sera dans une heure contre le roi lui-môme. deux hommes qui, dans tous les cas, ont été autrefois fidèles. Vous
SAUOANAPALE. — 11 n'oserait... non, non, je ne veux point en- êtes libres, seigneurs,
tendre de telles choses. Ces vaines accusations sonl propagées parr ARBACE. —Sire, cette clémence...
de \ ils mercenaires qui vivent de la calomnie déversée sur les genss BÉLESÈS, l interrompant. Est digne de vous ; et, bicii qu'inno-

de bien. Il faut qu'on vous ait trompé, mon frère. cents, nous vous rendons grâces.
SALÉMENÈS.
— Qu'il commence par rendre son épée, que par cet!t SAUDANAPALE. — Prêtre, gardez vos actions de grâces pour Bé-
acte de soumission il se proclame voire sujet, et je répondrai à tout. l. lus ; son descendant n'en a pas besoin.
SARDANAPALE. — Si je le croyais!... mais non, le Mède Arbace... BÉLESÈS. — Mais étant innocents...
ce guerrier loyal... le meilleur de mes lieutenants..i non , je ne lui
ii SARDANAPALE.— Vous devez vous taire... le crime a la voix
ferai point l'insulte de l'obliger à rendre un cimeterre qu'il ne ren-
i- haute. Si vous êtes fidèles, ou vous a fail outrage, el vous devez
dit jamais à nos ennemis. Satrape, gardez votre arme. éprouver de la douleur, non de la reconnaissance,
SALÉMENÈS, lui rendant le sceau. —Monarque, reprenez votre •e BÉLESÈS.
— Sans doute , si la justice était toujours rendue sur la
sceau. terre par un pouvoir tout puissant; mais l'innocence est souvent
SAUDANAPALE. —Non garde-le 1 mais lâcha d'eu user avec plus îs obligée de recevoir la justice comme une faveur.
ed modération. ,
SARDANAPALE. — La remarque serait bonne dans un sermon ;
SALÉMENÈS.— Grand roi, j'en ai usé dans l'intérêt de voire hon- i- mais ici elle est déplacée. Je vous prie de garder ces belles choses
neur , ut je vous le rends parce que je n'eu puis faire l'usage que îe pour plaider devant le- peuple la cause do votre souverain.
mou honneur me prescrit. Confiez-le à Arbace. BÉLESÈS.
— Certes, il n'y a pas pour cela de motifs.
SAUOANAPALE.
— Jo le devrais : il m me l'a jamais demandé. SARDANAPALE.— Point de motifs,peul-èlre ; mais beaucoup do gens
376 LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

qui cherchentàen faire naître. Si vous rencontrez deces gens-là dans BÉLESÈS. —Comme tu voudras... trêve à ces querelles ; écoule-
l'exercice de vos fonctions sur la terre, ou si vous en lisez l'exis- nt( un moment.
moi
tcnce au ciel, n'oubliez pas qu'entre le ciel et la terre il y a quel- ARBACE. —Non... Il y a plus de périls dans ton esprit subtil que
que chose de pire qu'un roi qui gouverne un grand nombre de su- aa toute une phalange.
«ans
jcls et n'en immole nas un seul; qui, sans se haïr lui-même, BÉLESÈS.— Puisqu'il en est ainsi, je marcheraiseul en avant.
aime assez ses semblables pour épargner ceux qui ne l'épar- ARBACE.
— Seul 1
gneraient pas s'ils devenaient un jour les maîtres... Satrapes, vous BÉLESÈS. Sur un trône il n'y a de place que pour un.
— 1
Êtes libres de faire ce qu'il vous plaira de vos personnes et de vos ARBACE.
— Mais celui-ci est occupé.
épées ; mais, à dater de ce moment, je n'ai plus besoin ni des unes BÉLESÈS.— Par un monarque méprisé, ce qui est pire que s'il
ni des autres. Salémenès, suivez-moi. (Sardanapalesort avec Sa- était vacant. Réfléchissez, Arbace : je vous ai toujours aidé, chéri,
et:
lémenès et sa suite, laissant Arbace et Bélesès.) encouragé
en ; j'aimais à vous servir, dans l'espoir de servir l'Assyrie.
L« ciel même semblait d'accord avec nous, et tout nous a souri
Le
ARBACE. — Bélesès ! ju
jusqu'au dernier moment, où tout-à-coup votre ardeur s'est chan-
BÉLESÈS. — Eh bien 1 que penses-tu? gée
g« en une honteuse faiblesse. Mais maintenant, plutôt que de
ARBACE. — Que nous sommes perdus. voir
v< gémir ma patrie, je veux être son sauveur ou la viclime de
BÉLESÈS. — Que le royaume est à nous. son tyran, ou peut-être l'un et l'autre, comme il arrive quelque-
se
ARBACE.—Eh quoi! ainsi soupçonnés... le glaive suspendu sur fo ; et si je triomphe, Arbace sera mon sujet.
fois
nos tètes par un cheveu que pourrait briser le souffle impérieux ARBACE. —Ton sujetI
qui nous aépargnésî... j'ignore pourquoi I BÉLESÈS. Pourquoi pas ? cela vaut mieux que d'être l'esclave,

BÉLESÈS.— Ne cherche point à le savoir; mettons le temps à el l'esclave pardonné d'un roi-femme.
et (Entre PANIA.)
profit. L'heure est encore à nous... notre puissance est la même...
celle nuit est celle que nous avions destinée à notre entreprise. PANIA. —Seigneurs, je suis porteur d'un ordre du roi.
Rien n'est changé pour nous, si ce n'est que nous ne pensions pas ARBACE.
— Avant de le connaître, nous obéissons.
être soupçonnés, et que maintenant nous le savons avec une certi- BÉLESÈS. —Ccpeudanl quel est-il?
tude qui ferait de tout délai une folie. PANIA.—11 vous est enjoint de partir, celle nuit même, pour
ARBACE.— Pourtant... vous
v rendre dans vos satrapies respectives de Babylone et de Médie. j
BÉLESÈS. — Quoi 1 encore des doutes?
ARBACE.—11 a épargné notre vie ; que dis-je? il nous a défendus
BÉLESÈS.
— Avec nos troupes ?
PANIA. — Mon ordre ne comprend que les satrapes et leur suite.
contre son frère I AUDACE.
— Mais...
BÉLESÈS. — Et combien de temps serons-nous épargnés ? jusqu'à BÉLESÈS. —Il faut obéir. Dis que nous parlons.
la première minute d'ivresse. PANIA. — Mon ordre est de vous voir partir, et non de transmet-
ARBACE.— Ou plutôt de sobriété ! Quoi qu'il en soit, il a noble- tre t votre réponse.
ment agi il donné avec une générosité royale BÉLESÈS, à part.
; nous a
avions lâchement mérité de perdre.
ce que nous — Oh, oh ! (A Pania.) Nous vous suivons.
. PANIA. —Je vais commander la garde d'honneur à laquelle
voire
BÉLESÈS. — Dis donc courageusement. rang vous donne droit puis, j'attendrai votre convenance, pourvu
i ;
ARBACE.— L'un et l'autre peut-être. Mais sa confiance m'a ton- que le délai ne dépasse pas une heure. (Pania sort.)
ché, et, quoi qu'il advienne,je n'irai pas plus loin. i
<

BÉLESÈS.
— Et tu abandonnerais l'empire du monde 1 !
! BÉLESÈS.—Obéisdonc à présent.
AnnACE. — J'abandonnerais tout plutôt que l'estime de moi- ARBACE. — Sans nul doute.
même. i.
1 BÉLESÈS. — Oui, ton obéissance te conduira jusqu'aux portes du
BÉLESÈS.
— Je rougis de voir que nous devons la vie à ce roi, '. palais
' , qui nous sert actuellement de prison... pas au-delà.
dont le sceptre est une quenouille ! |i ARBACE.—Tu as touché juste! le royaume dans sa vaste étendue
ARBACE. — Toujoursla lui devons-nous, et je rougiraisbien plus '
d'ôter la vie à qui me la donne. ne nous offre plus à tous deux que des cachots.
BÉLESÈS. — Tu peux endurer tout ce qu'il le plaira... les astres ||
!' BÉLESÈS.
— Dis plutôt des tombeaux.
ARBACE. — Si je le pensais, cette bonne épée en creuserait un
en ont décidé autrement. autre avant le mien.
ARBACR. Dussent-ils descendre du ciel et marcher devant moi BÉLESÈS.— Elle aura suffisammentà faire; j'augure plus favo-
dans toute — leur splendeur, je ne les suivrai pas. ;
! rablement que toi. A présent, sortons d'ici
<
BÉLESÈS. Voilà faiblesse... pire celle d'une femme ef- comme nous pourrons ;
— une que tu reconnais avec moi que cet ordre est une condamnation.
frayée d'un rêve de mort, et s'évcillanldans les ténèbres. En avanl!
ARBACE.— Quelle aulre interprétation pourrait-on lui donner?
ARIIACE. — Quand il parlait, il m'a semblé voir en lui Neinrod,
dont la statue impériale règne encore dans son temple, au milieu C'est la politique des monarques de l'Orient: le pardon et le poi-
des images des autres monarques. son... des faveurs et un glaive, un voyage lointain et un sommeil
BÉLESÈS. — Je t'avais dit moi-même que tu faisais trop peu de cas ' éternel. Combien de satrapes, du temps de son père... car lui, je
de cet homme, et qu'il y avait en lui quelque chose de royal... j: l'avoue, est ennemi du sang, ou du moins il l'a élé jusqu'à ce jour...
qu'en conclure? C'esl au moins un noble ennemi. BÉLESÈS.
— Mais maintenant il ne le sera plus el ne saurait l'être.
ARIIACE. —Et nous, nous sommes de lâches adversairesl... Oh! ARBACE. — Je doute qu'il le puisse. Combien, du temps de son
pourquoi faut-il qu'il nous ail épargnés? ; père, n'ai-je pas vu de satrapes se metlre en route pour aller pren-
;, dre possession de puissantes vice-royautés, et rencontrer un tom-
BÉLESÈS.
— Voudrais-lu donc avoir péri de la sorte?
! beau sur leurs pas ! Je ne sais comment cela
se faisait ; mais tous
ARIIACE. — Non... mais c'eût élé mieux que de vivre ingrats. '
tombaient malades en chemin, tant route étail pénible.
la
BÉLESÈS.
— Oh! que certains hommes'ont l'âme étrangement, i!
faite ! Tu envisageais froidement ce que les politiques appellentt BÉLESÈS.
abrégerons — Gagnons seulement l'air libre de la ville, et nous
un crime d'Etat, et des insensés une trahison... el voifêi que tout-. j le voyage.
à-coup, par je ne sais quel caprice, ce roi débauché s'élant interposé 5 ;; ARBACE.— Peut-être qu'aux portes mêmes on nous l'abrégera.
orgueilleusemententre toi el Salémenès, tu changes de pensée... teB ! BÉLESÈS.
— Ils n'oseront
périr
risquer la chose ; leur projet est sans
voilà devenu... quoi?... un Sardanapale! je ne connais pas de pluss ;: doule de nous faire secrètement, mais non dans le palais ni
ignominieux surnom. i dans l'enceinte de la ville, où
' i nous sommes connus et pouvons
AUUACE. —11 y a une heure, malheur à qui me l'eût donné ! sa a j
| avoir des partisans ; s'ils avaient eu l'intention de nous immoler
vie eût tenu à peu de chose... Maintenantje le pardonne comme ilil !' ici, nous ne serions déjà plus du nombre des vivants. Partons.
nous a pardonné... Sémiramis elle-même n'en eût pas fait autant.,. j! ARBACE. — Si je croyais qu'on n'en voulût pas à ma vie !
BÉLESÈS.
— Non... la reine n'aimait pas que l'on tentât de par-._ jI BÉLESÈS.—Insensé! Eloignons-nous... Quel autre bul pourrait
lager son autorité royale, et son époux en a su quelque chose. ;i avoir le despotisme alarmé? Allons rejoindre nos troupes.
ARBACE. — Désormais je veux le servir loyalement. |
] ARBACE. — Pour marcher vers nos provinces?
BÉLESÈS.
— Et humblement. j
i BÉLESÈS.
— Non, vers ton royaume. Nous avons du temps, du
ARBACE.— Non, prêtre, mais avec fierté... car je serai vertueux, ;. ij coeur, de l'espoir, et des moyens que nous laissentamplement leurs
Ainsi, je serai plus près du trône que tu ne l'es du ciel; pas toul-à- L_ i
demi-mesures...En avant!
fait si hautain peut-être, mais plus élevé. Tu peux faire ce qu'il lee ARBACE. — Au milieu de mon repentir me faut-il donc encore re-
plaira... tu as des explications mystiques, des règles subtiles du justee tomber dans le crime ?
el de l'injuste, dont je manque pour me conduire; moi, je m'a- i- BÉLESÈS.
— La défense personnelle est une vertu, et le seul hou-
bandonne à la direction d'un coeur simple. Et maintenant tu me ie levarl de tout droit. Partons, dis-je! quittons ce lieu; on y respire
connais. un air épais et funeste; les murailles y sentent la prison... Sor-
BÉLESÈS. — As-tu fini ? tons, ne leur laissons pas le temps de délibérer davantage; un
ARBACE.— Oui, avec loi. prompt départ prouve notre zèle el empêche le digne Pania qui
BÉLESÈS
— El lu me trahiras sans doute comme tu me quittes ?' ii doit nous escorter, d'anticiper sur les ordres qui pourraient lui, être
ARBACE-
— C'est la pensée d'un prêtre et non celle d'un soldat ! i' donnés à quelques parasangesd'ici. Non , il n'y a pas d'autre parli
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON. 377

à prendre... partons ! dis-je. (Il sort avec Arbace qui le suit à re- SALÉMENÈS.
— Je serviraitoujours loyalementmon souverain.
gret; entrent SARDANAPALE et SALÉMENÈS.) (Salémenès sort.)
SARDANAPALE,seul. Cet homme est d'un caractère trop in-

SARDANAPALE. —Eh bien ! tout est réparé sans effusion de sang, flexible : il a la dureté d'un roc. Mais il en a aussi l'élévation. 11
le plus sot de tous les remèdes ; l'exil de ces hommes assure notre est exempt des souilluresde la commune argile... tandis que moi je
tranquillité. suis fait d'une pâte plus molle, tout imprégnée du suc des fleurs...
SALÉMENÈS.— Oui, nous sommes en sûreté, comme celui qui mar- hélas! nos actes doivent être conformes à notre nature. Si j'ai erré
che sur des fleurs est à l'abri de la vipère enlacée autour de leurs cette fois, ma faute est de celles qui pèsent le plus légèrement sur
racines. ce sens inconnu, auquel je ne sais quel nom donner, mais qui me
SARDANAPALE. — Que faudrait-il donc faire ? cause une impression parfois de peine el parfois de plaisir; sur cet
SALÉMENÈS.
— Annuler ce que vous avez fait. esprit qui semble place auprès de mon coeur pour compter ses bat-
SARDANAPALE.
— Révoquer mon pardon ? tements, et qui m'interroge comme n'ose jamais faire aucun mor-
SALÉMENÈS. Fixer la couronne qui chancelle sur votre tête. tel. Chassons ces vaines pensées, ne songeons qu'à la joie! Voilà

bAIlDANAPALE.— &aie- justement son messager
menès,ce serait une con- qui m'arrive.
duite tyrannique. (Entre MYRRIIA.)
SALÉMENÈS.
prudente. — Mais
SARDANAPALE. —Quel
MYRRHA.
— Le ciel se
couvre et s'assombrit ; le
danger peuvent-ils nous tonnerre gronde sourde-
susciter à la frontière? ment dans les nuages qui
SALÉMENÈS.
— Ils n'y s'accumulent, et l'éclair,
sont pas encore et si dardant ses flèches de
l'on m'en croyait, ils n'y feu, nous annonce une
arriveraientjamais. horrible tempête. Grand
SAUDANAPALE.
— Je roi, quilteras-tudonc le
t'ai écouté... pourquoi palais ?
ne les entendrais-je pas SAnDANAPALE. Une
à leur tour? tempête, dis-lu ? —
SALÉMENÈS.
— Vous le MvnRiiA. —• Oui, sei-
saurez plus tard; main- gneur.
tenant je cours rassem- SARDANAPALE-
— Pour
bler votre garde. moi, je ne serais pas fâ-
SAUDANAPALE.
— El tu ché de varierl'uniformité
nous rejoindras au ban- du spectacle, et de con-
quet? templer la guerre des élé-
SALÉMENÈS.
— Sire, ments; mais cela n'ac-
veu illez m'en dispenser... commoderait guère les
je ne suis pas un ami de vêtements de soie el les
Ja table ; commandez- membres délicats de nos
moi pour tout autre ser- convives. Dis, Myrrha,
vice. es-lu de celles qui crai-
SARDANAPALE. Mais gnent le mugissement

il est bon de se réjouir des orages ?
de temps en temps. MYRRIIA.
— Dans mon
SALÉMENÈS.
— Il est pays nous respectons leur
bon aussi qu'on veille voix comme les augures
pour ceux qui se réjouis- de Jupiter.
sent trop souvent. Puis- SARDANAPALE.
— Jupi-
je me retirer ? ter! Ah! oui, votre Baa!,
SARDANAPALE.
— Reste à vous... le nôtre préside
encore un moment, mon aussi au tonnerre, et do
bon Salémenès, mon frè- temps à autre la chule de
re, mon fidèle sujet, meil- la foudre atteste sa divi-
leur prince que je ne suis nité. Malheureusement,
i roi. Tu auraisdû être mo- il arrive parfois que ses
!
narque, toi; et moi... peu coups s'égarent et vont
i importe 1 mais ne crois frappersespropresautels.
: pas que je sois insensible MYRRIIA.—Ceseraitun
à ta vertueuse sagesse, à funeste présage.
ton affection franche et
sincère, à ton indulgence Arbace, Salémenès et Bélesès. SARDANAPALE.
les prêtres. — Oui,
j
pour Eh bien I
i
pour mes folies, bien que nous ne sortironspas cet-
'; tu ne sois pas pour moi te nuit de l'enceinte du
T ménager de reproches. palais; c'estici que la fête
! Si, conlre ton avis, j'ai a lieu.
t épargné ces hommes, ou MYRRHA. — Mainte-
:
du moins leur vie ce nant, nue Juniter snit
n est pas que je doute de.Ja prudence de les conseil; miiis laissons- loué! il a entendu la prière que lu ne voulais pas entendre. Les
les vivre pour se corriger. Leur bannissement me laissera un som- dieux sont plus bienveillants pour toi que tu ne l'es toi-même; ils
meil tranquille, ce que leur mort n'eût pas fait. interposent cet orage entre tes ennemis et toi.
j; SALÉMENÈS.
— Pour sauver des liaîtres, vous courez le risque de
dormir à jamais.
SARDANAPALE. — Enfant ! s'il y a du danger, n'est il pas tout aussi
!,; Un moment de rigueur eût épargné des années de grand dans ces murs que sur les bords du fleuve?
[, crimes. Cet exil, cette demi-indulgence,ne servira qu'à les irriter... MYRRIIA. —Non : ces murailles sont hautes et solides ; elles sont
11 faut que la grâce soit entière, bien gardées; ii faut pour arriver à toi que la trahison franchisse
J;
sans quoi elle est nulle.
SARDANAPALE.
— Je m'étais borné à les destituer, ou du moins à plus d'un détour, plus d'une porte massive; mais dans le pavillou
les éloigner de ma présence; n'est-ce pas toi qui m'as pressé de les du fleuve tu n'avais aucun moyen de défense.
renvoyer dans leurs satrapies? SARDANAPALE. — Contre la trahison, il n'est de sûreté ni dans le
SALÉMENÈS.
— C'est vrai ; je l'avais oublié. S'ils arrivent
1cm- gouvernement, c'est alors que vous aurez raison de
dans palais, ni dans la forteresse, pas même au sommet du Caucase,
me repro- qu'entoure un rempart de nuages, et où l'aigle suspend sou aire aux
l cher mon conseil. rocs inaccessibles; de même que la flèche atteint partout le roi des
SARDANAPALE.—Els'ils n'y arrivent pas Prends bien garde airs, le poignard peut atteindre le roi de la terre. Mais rassure-loi :
il faut qu'ils s'y rendent en toute sûreté... les deux satrapes, innocents ou coupables, sont bannis, et déjà loin.
— Permettez que je sorte; je veillerai sur eux.
S SALÉMENÈS MYRRIIA.— Us vivent donc ?
SAUDANAPALE. —Va donc el pense mieux de ton frère.
i SAUDANAPALE.
— Toi ! demander do sang !
378 LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

MYRRHA.'—Je demande un juste châtiment pour ceux qui osent MYIÎRHA.


— Tu
n'es donc pas un dieu , puisque tu ne peux ac- j
attenter à ta vie; si je pensais autrement, je ne mériterais p%s de complir
co: voeu d'une
un bienveillance aussi universelle.
conserver la mienne. D'ailleurs, tu as entendu le prince. SARDANAPALE.— El vos dieux, donc, qui le peuvent el uc le
SAUDANAPALE. — Voilà qui esl étrange! la douceur et la sévérité font pas?
foi
sont également liguées contre moi et nie poussent à la vengeance. MYRRHA.
— Taisons-nous, de peur de les irriter.
MYRRHA. — La vengeanceest une vertu grecque. SAUDANAPALE.
— C'esl vrai; ils n'aiment pas plus que les hom-
SAUDANAPALE. — Mais non une vertu royale,.. Je n'en veux pas; in à être censurés. Mes amis, il me vient une pensée : s'il n'y
mes
ou si je m'y abandonne, ce sera contre des rois mes égaux. avait pas de temple, croyez-vousqu'il y eût des adorateurs de l'air,
av
MYRRHA. — Ces hommes aspiraient à le devenir. surtout lorsqu'il fnil lapage comme en ce moment?
su
SARDANAPALE: — Myrrha, ce sont là des sentiments de femme : ils MYRRIIA. — Le Persan prie sur sa montagne.
viennent de la crainte. SAUDANAPALE. — Oui, quand le soleil luit.
MVURIIA:— De ma crainte pour tes jours. MYUIUIA. — Si ce palais était sans toiture et en ruines, crois-tu
SARDANAPALE. — N'importe, c'est toujours de la crainte. Ton sexe qi y eût beaucoup de flatteurs qui viendraient baiser la poussière
qu'il
timide, une fois irrité, pousse sa vindicative fureur à un degré de si laquelle le roi serait étendu.
sur
persévérance que je ne voudrais pas imiter. Je te croyais exemple ALTADA. — La belle Ionienne abuse de la satire envers une na-
de la puérile faiblesse des femmesde l'Asie. tion qu'elle ne connaît pas suffisamment : les Assyriens ne con-
li<
MYRRIIA.— Seigneur, il ne m'appartient pas de vanter mon amour naissent de bonheur que celui de leur roi, et c'est dans l'hommage
n;
ou mon dévoûment : j'ai partagé votre splendeur, je partagerai vos qu'ils
qi lui rendent qu'ils mettent leur orgueil.
périls. Peut-être trouverez-vous un jour plus de fidélité dans une SAUDANAPALE. — Mes nobles hôtes voudront bien pardonner à la
esclave-que dans des myriades de sujets. Mais puissent les dieux b Grecque sa parole un peu vive.
belle
écarter ce présage! plutôt être aimée sans en paraître digne que de ALTADA.
— Lui pardonner, sire! après vous, c'est elle que nous
vous prouver mon amour dans des afflictions, que peut-être tous hhonorons le plus. Silence! qu'ai-je entendu?
mes soins ne pourraient adoucir. ZAMÈS.
— Le bruit de quelque porte éloignée,
ébranlée par le
SAUDANAPALE.—Où existe l'amour parfait, l'affliction ne sau- vent.
v
rail pénétrer; elle reconnaît bientôt son impuissance el s'éloigne. ALTADA. — J'ai cru reconnaître le cliquetis des... Ecoulez encore.
Entrons, l'heure approche; il faut nous préparer à recevoir nos ZAMÈS.
— C'esl laIlpluie qui bondit sur le toit.
convives. (Ils sortent.) SAUDANAPALE. — suffit 1 Myrrha mon amour, ta lyre esl-elle
_ pi'êle?
P chante-nous ,
un hymne de Sapho, tu sais, celle qui, dans
hton pays, se précipita... (PANIA entre avec son épée cl ses vête-
ments
il ensanglantés; les convives se lèvent en désordre.)
ACTE 111. PANIA, aux gardes. — Veillez aux portes! courez aux murs ex-
SCÈNE PREMIÈRE. {térieurs! Aux armes! aux armes! le roi est en danger! Monarque,
excusez cet empressement : c'est celui de la fidélité.
SAUDANAPALÈ. — Parle !
Lu salie du palais est illuminée. — Sardanapale el ses botes sont à tablu. PANIA. — Les craintes de Salémenès se sonl réalisées : les per-
— On entend le bruit d'une
tempête, elle tonnerre gronde à plusieurs [
fides satrapes.:.
reinises pendant le banquet. SAnoANAPALK. —tii es blessé !... du vin. Reprends haleine, brave
i
Pânià:
SAUllANAl'ALL, ZAMlvS , ALTADA, NV1UUIA , etc. PÀNiÀ. — Ce n'est rien : les chairs seules sont entamées. Je suis
pllls'
. fatigué de là hâte que j'ai mise à venir avertir mon souverain
SAUDANAPALE. — Remplissezjusqu'aux bords! Voilà qui est bien, que
( de ma blessure même.
je suis ici dans mon vrai royaume, entouré de ces yeux brillants et MVithuA. — Eh bien ! les rebelles?
de ces visages resplendissants de bonheur el de beauté. Ici là dou- PANIA.
— A pciite Arbàce et Bélesès furent-ils arrivés à leurs
leur ne saurait nous atteindre. quarliefs
< datis la viliè, qu'ils se sont refusés à pousser plus loin ; el
est le roi, le plaisir brille. Ilorsque j'ai essayé dé faire usage des pouvoirs qui m'avaientété dé-
ZAMÈS.
— Ici ni ailleurs... où légués, ils Ont appelé à leur aide leurs troupes, qui se sont auda-
SARDANAPALE. — Ceci ne vaut-il pas mieux que les chasses de 1
Nemrod, ou ces expéditions de mon aïeule insensée chassait! aux cieusenlent
i
soulevées.
royaumes, et, après les avoir conquis, ne pouvant les garder ? MVIIUHA: — Toutes?
ALTADA.— Quelque puissants qu'ils aient élé nul de vos pré- PANIA. — Un trop grand nombre.
décesseurs n'égala Sardanapale; car il a placé son, bonheur dans' la SARDÀNAPALE. — Dis tout ce que tu sais ; n'épargne pas la vérité
paix, seule gloire véritable. à mon oreille.
SAUDANAPALE.— Et dans le plaisir, don.t la gloire n'est qtié lô PÀNIA.—Ma faible garde s'est montrée fidèle, et ce qui reste l'est
chemin, cher Altada. Que cherche l'homme? les jouissances! Nous encore:
en avons abrégé la route, el nous n'avons pas voulu y marcher en MYURHA.
— Sonl-ce les seuls qui soient restés dans le devoir?
creusant une tombe sous chacun de nos pas. PANIA. — Non : notis avons encore les Bactricns commandés par
ZAMÈS. Non tous les sont heureux el toutes les voix Salémenès, qui s'était mis en marche conséquence des soup-
— : coeurs , , en
bénissent le roi pacifique qui tient le monde en joie. çons que lui inspiraient les généraux mèdes. Les Baclriens sonl
SAUDANAPALE. — En es-tu bien sûr ? J'ai, entendu parler diffé- nombreux ils tiennent tète aux rebelles, disputent le terrain pied
remment. On prétend qu'il esl des traîtres. à pied, el ,se sonl concentrés autour du palais, où Salémenès se
ZAMÈS.
— Traîtres eux-mêmes qui parlent ainsi... c'est impossi-• . propose de réunir toutes ses forces pour la défense du roi. (Il hé-
ble : quels seraient leurs motifs? site.) Je suis chargé de...
SAUDANAPALE. — Leurs motifs?c'est vrai... remplissez ma coupe!! MYRKIIA.— Ce n'est pas le moment d'hésiter.
Ne pensons pas à ces gens-là ; ils n'existent pas ; ou s'ils existent, PANIA. —Le prince Salémenès supplie le roi de s'armer, ne fût-
ils sonl loin. ,
ce que pour un moment, et de se montrer aux soldats ; sa seule pré-
ALTADA. — Convives, écoutez la santé que je vais porter! tout lei sence pourrait faire en ce moment plus qu'une al-inée entière.
monde à gcno'ux I Buvons au salut du roi... buvons au monarque, SAUDANAPALE. — Allons, mes armes!
,
au dieu Sardanapale ! (Zamès et les convioes s'agenouillent et s'é- MYRRHA.—Tu veux donc...
crient : Au dieu Sardanapale, plus grand que Baal, son aïeul!)) SAUDANAPALE.
— Si je le veux?... Voyons, qu'on se dépêche!..,
(Au moment où les convives s'agenouillent, le tonnerre, gronde: .le ne prendrai point mon bouclier; il est trop lourd... une légèn
quelques-uns se lèvent effrayés.) cuirasse et mon épée! Où sonl les rebelles?
ZAMÈS.
— Pourquoi vous levez-vous , mes amis? Par la voix dee PANIA. — Le plus fort du combat esl à un stade tout au plus di
la foudre, les dieux, ancêtres du monarque, expriment leur assen- mur extérieur.
linienl. SARDANAPALE. — Alors je puis combattreà cheval. Holà, Sféro
MYRHHA. —Ou plutôt leur courroux. Roi, commentpeux-tu souf- qu'on amène mon coursier. On trouveraitassez d'espace môme dan
frir celle folle impiété? les cours et près de la porte extérieure pour Cuire manoeuvrer li
SAUDANAPALE. — Impiété !... si mes prédécesseurs sont des dieux, moitié des cavaliers de l'Arabie. (Sféro sort pour chercher les ai
,
je ne ferai pas honte à leur lignage. Mais levez-vous, mes pieux
x mes du roi.)
amis ; gardez vos prières pour le dieu qui tonne en ce moment :
je désire l'amour, et non l'adoration. 11 me semble que le tonnerree MYURHA.— Combien je t'aime !
redouble : là nuit est affreuse. SAUDANAPALE.—Je n'en ai jamais douté.
MYURHA. —Oh! oui, pour ceux qui n'ont pas de palais où ils re- i- MYRRHA.—- Ce n'est qu'à présent que je te connais.
çoivent leurs adorateurs. SAUDANAPALE à un de ses serviteurs. — Qu'on apporte aussi m
SAUDANAPALE —Tu as raison, ma Myrrha ; que ne puis-je trans-
i- lance... Où est Salémenès?
former mon royaume m «n vaste asile pour tous les malheureux ! PANIA.
— Au poste
d'un soldat, au plus fort de la mêlée.
OEUVRES COMPLÈTES J)E LORD BYRON. 379

SARDANAPALE. — Va le trouver sur-le-champ*.. Le passage est-il ci doil être ainsi (elle tire une fiole), ce snblil poison de. la Col-
en
libre ? Les communications sont-elles maintenues entre lé palais et cliide,
ci que mon père apprit à composer sur le rivage du Porit, et
les troupes?
PANIA. -r- Oui,
prince, et je n'ai pas de crainte ; nos soldats
......
sire, du moins elles l'étaient lorsque j'ai quitté le
faisaient bonne
Conte-
qu'il me dit de conserver ; ce poison me délivrera ! 11 m'eût déjà
<l\
délivrée
Ai depuis longtemps, si je n'avais aimé au point d'oublier que
j'étais esclave... dans un pays où, hormis un fC'jJ, tous sonl escla-
j'<
nance, et la phalange élail formée. ves, el fiers de leur servitude; pourvu qu'ils dominent .à-leur tour
ve
SARDANAPALE.—Dis-lui de ménager sa personne pour le ino- si d'autres hommes placés plus bas sur l'échelle. Ils oublient. hé-
sur
ment ; ajoute que je n'épargnerai pas la mienne:., et que je vais le las ! que des chaînes portées Comme parure n'en sont pas moins
la
rejoindre. de chaînes. Encore des cris! le cliquetis des armes s'approche
des
PANIA. — Ce mot décide la victoire. (Pania sort.) il esl temps::: il est temps.;. (Entre ALTADA.) ..
SARDANAPALE.—Altada!...Zamès 1... allons, armez-vous! Vous
trouverez des armes dans l'arsenal. Qu'on mette les femmes en sû- ALTADA.
— Holà! Sféro! holà!
reté dans les appartements les plus reculés; qu'une garde y soit MYUUHA. — Il n'est pas ici, que lui voulez-vous? Où en est le
placée, avec l'ordre formel de ne quitter ce poste qu'avecla vie. Za- combat?
ci
mes, tu en prendras le commandement. Altada, va t'armer, el re- ALTADA.
— Il est douteux et terrible.
viens; ton poste est auprès de notre personne. (Zamès, Altada MYRRIIA. — Et le roi ?
el tous sortent, à l'exception dé Myrrha ; Sféro et d'autres offi- ALTADA.
— Se conduit en roi. Je cherche Sféro pour qu'il apporte
ciels du palais arrivent portant les armes du roi.) à son maître une nouvelle lance et son casque. Jusqu'à présent, il
an combattu sans armure de lête, et beaucoup troj> exposé. Les sol- •
SFÉRO. — Prince, voici votre armure. dats
d l'ont reconnu, et l'ennemi aussi : à la clarté brillante de là luiie,
SARDANAPALE, s'armanl. — Donnez-moi ma cuirasse... bien; _
s tiare de soie el sa chevelure flollaiitc ont fait dé lui un but par
sa
mon baudrier, maintenant mon épée; j'oubliais le casque... où est- i
trop royal ; toutes les flèches sont dirigées vers son beau front et
il ? C'esl bien... non, il esl trop lourd ; vous vous êtes trompé, ce lle large bandeau qui le ceint.
n'est pas celui ci que je voulais, mais l'autre qui porte un diadème. MYURHA. — O vous, dieux puissants! qui lancez vos foudres sur là
SFÉRO. —J'ai craint que les pierreries dont il est Orné n'attiras- t
terre de mes aïeux, prolégcz-lc!...Etcs-vousenvoyé par le roi?
petit trop les regards, et n'exposassentvoire front sacré... Croyez- ALTA'DA.
— Par Salémenès, qui m'a expédié à l'insu de l'insou-
moi, celui-ci, quoique moins riche, est d'un métal plus solide. ciant
c monarque. Le roi! le roi combat comme il s'amuse! Holà!
SAUDANAPALE. — Tu as craint 1 Serais-tudevenu un rebelle? Ton Sféro!
6 Sféro! Je vais à l'arsenal ; il doit y être: (Altada sort.)
devoir est d'obéir ; retourne sur tes pas, et... Non, il est trop tard... MYRRIIA. — 11 n'y a pas de déshonneur... non il n'y a pas de dés-
je m'en passerai. honneur
1 à être éprise de cet homme. Peu s'en faut môme que je
— Portez du moins celui-ci.
SFÉUO. i désiré maintenant ce que je n'aurais pas désiré naguère , qu'il
ne
SAUDANAPALE. — J'aimerais autant porter le Caucase I c'est une soit
s Grec. Si Alcidcdescendit jusqu'à porter les vêlements et la que-
| vraie montagne que j'aurais sur la tète. inouille de la Lydienne Ompbale, certes, celui qui, depuis ses ten-
! SFÉRO. — Sire, il n'est pas un soldat qui voulût combattreexposé dres
< années élevé dans la mollesse i s'élève lout-à-coup au niveau
\ ainsi. Tout le monde vous reconnaîtra; car l'orage a cessé, et la d'Hercule,
< el passe du banquet au champ de bataille comme à un
| lune brille de tout son éclat. jlit d'hyménéc, celui-là mérite
une fille grecque pdui- amante, un
! SARDANAPALE. — Je sors pour qu'on me reconnaisse... Mainte- poète
] grec pouf le chanter, un tombeau grec pour monument.
j uaui... ma lance ! Je suis armé. (Sur le point de sortir, il s'arrête (Un officier entre.)
! <! se tourne vers Sféro.) Sféro... j'avais oublié... donne-moi un MYRRHA.— Où eh est la bataille, seigneur ?
| miroir. L'OFFICIER.— Perduel perdue presque sans ressourcé. Zàmèsl
— Un miroir, sire ? où est Zàmôs?
i SFÉRO.
i
SAUDANAPALE. — Oui, le miroir de bronze poli rapporté parmi MYRRIIA. — A la tôle des gardes qui veillent sur l'appartement
i les dépouilles de l'Inde... mais dépêche-loi. (Sféro sort.) Myrrha, des femmes. (L'officier sort.) H est parti, et il s'est borné à me
\ retire-toi dans un lieu sûr. Pourquoi n'es-tu pas avec les femmes? dire que lout est perdu ! Qu'ai je besoin d'en savoir davantage? Ces
MYURHA. — Parce que ma place esl ici. mots si courts annoncent là ruine d'un royaume et d'un roi, d'une
SAUDANAPALE. —El quand je serai parti ? racede treize siècles,d'innombrables existences, delà fortune même
MYUUHA.—Je te suis. de tous ceux qui survivront ; et moi aussi, dans ce naufrago, je dois
i SAUDANAPALE. — Toi, au combat ! Iiérir avec les grands de la terre pareille à la bulle d'eau qui se
I MYUUHA. — Si cela était, je ne serais pas la première fille de la irise avec la vague qui la portail. Du, inoins,
mon sort est dans mes
I Grèce qui aurait pris ce chemin. J'attendrai ici ton retour. mains ; nul insolent vainqueur ne me comptera au nombre de ses
I SAUDANAPALE. — Ce lieu est découvert, c'est le premier où l'en- dépouilles. (Pania entre.)
j ncnii pénétrera s'il est vainqueur. S'il en était ainsi, et que je ne
| icvinssepas PANIA. —Fuyez avec moi; fuyez, Myrrha; hatons-nous, nous n'a-
j MYRRIIA. — Nous nous rejoindrions également. vons pas un moment à perdre... c'est lout ce qu'il nous reste main-
SARDANAPALE. — Où ? tenant.
MYURHA. — Dans le lieu où tous doivent se réunir un jour...
dans le domaine des ombres, s'il est, comme je le crois, un rivagei
MYUUHA. — Le roi?
par-delà le Styx ; et, s'il n'en est pas, dans le tombeau.
PANIA. — M'a envoyé ici pour vous emmener de l'autre côté du
fleuve par uii passage secret.
SAUDANAPALE.
— Oseras-tu ? MYHUIIA.— 11 vit donc?
MïiutiiA.—J'oserai loul! mais non survivre à ce que j'ai tantL PANIA. — Il m'a chargé de mellre vos jours en sùrcié el vous
aime, et consentirà être la proie d'un rebelle. Pars, et que rien n'ar- prie de vivre pour l'amour de lui, jusqu'à ce qu'il puisse, voiis re-
rête Ion courage. (Sféro rentre avec le miroir.) joindre.
MYUUHA. — Veut-t-ildoncabandonner la lutte ?
SARDANAPALE,se mirant. Celte cuirasse me sied à ravir, lei PANIA. — 11 résistera jusqu'au dernier moment ; déjà il fait tout
baudrier mieux encore, elle— casque pas du tout. (Il rejette le cas- ce que le désespoir peut tenter, et dispute pied à pied le terrain de
I que après l'avoir essayé de nouveau.) 11 me semble
que je suis trèss son propre palais.
bien sous celle parure : il s'agit maintenant de la mellre à l'épreuve. MYURIIÀ. —ils ont donc pénétré dans l'enceinle?... Oui, leurs
Aliada! où est Allada? clameurs retentissent dans les salles antiques, dont l'écho, avant
SFÉRO. —Seigneur, il allend dehors et porte votre bouclier ; c'estt celte huit fatale, n'avaitjamais été profanépar des voix rebelles. C'en
un droit de naissance transmis de génération en génération. est fait de la race assyrienne! c'en est fait du sang de Nemrod! son
SAUDANAPALE.— Myrrha! embrassé-moi... encore!... encore!...
iume-moi, quoi qu'il advienne; ma principale gloire sera de mee nom môme va s'éloindre.
PANIA. — Venez avec moi... venez!
rendre plus digue de ton amour. MYRRIIA. — Non, je veux mourir ici ! Partez, et dites au roi
que je l'ai chéri jusqu'au dernier moment. (Sardanapale entre avec
MYRRHA.— Pars, et reviens vainqueur! (Sardanapale et Sféro o Salémenès et ses soldats ; Pania quitte Myrrha et se joint à eux.)
sortent.) Maintenant me voilà seule ; tous sonl partis : combien peuu
reviendront! Qu'il soit vainqueur, dussé-je périr ! S'il est vaincu, SARDANAPALE.— Puisqu'il en est ainsi, je mourrai où je suis
; je meurs ; car je lie veux pas lui survivre. Il s'est enlacé à mon il, né... dans mon propre palais. Serrez vos rangs;., tenez ferme. J'ai
coeur, je ne sais ni comment ni pourquoi. Ce n'est pas parce qu'il il dépêché un fidèle satrape à la gardé commandée par Zamès ; c'est
est roi, car à présent son trône vacille sous lui, et la léi're s'ou- une troupe fraîche et dévouée, elle accourt. Tout n'est pas perdu,
i-
vre prête à ne lui laisser qu'un tombeau ; él cependantje l'en aime e Pania, ne perds point Myrrha de vue. (Pania rétourne se placer
davantage. O puissant Jupiter! pardonne-moi ce monstrueux x auprès de Myrrha.)
amour pour un barbare qui ne connaît pas l'Olympe ! Oui, je l'aime ic SALÉMENÈS.
— NOUS pouvonsreprendre haleine. Encoreûft effort,
maintenant, maintenant, beaucoup plus que... Ecoutons !... J'en- ï- amis effort l'Assyrie,
tends les cris des combattants! on dirait qu'ils s'approchent. S'ilil
mes , encore un pour
SAUDANAPALE.
— Dis plutôt pouf la Bactrmne! Mes fidèles Bac-
380 LES VEILLEES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

triens, je veux désormais être roi de votre nation ; et quant à ce serve


si et composé d'excellentes troupes, poursuivît l'ennemi dans
royaume, nous en ferons une province. si relraile, qui ne tardera pas à devenir une fuite.
sa
SALÉMENÈS. —Garde à vous! les voici I... les voici! (BÉLESÈS et SARDANAPALE. — C'en est déjà une ; du moins ils courent plus
AUDACE entrent avec les rebelles.) vvite que je n'ai pu les suivre avec mes Bactriens qui marchaient
ARBACE. — En avantl nous les tenons dans le piège. Chargez !
fort bon pas. Je n'en peux plus; que l'on me donne un siège.
chargez! SALÉMENÈS.
— Sire, le trône est là.
en avant! le ciel combat pour nous et
SARDANAPALE. un lieu de repos ni pour l'esprit ni
— Ce n'estdonne
BÉLESÈS.— En avant ! (Ils '
pour le corps; qu'on me un antre siège, l'escabelle d'un
avec nous... En avant! attaquent le roi, Salémenès et leurs
troupes qui se défendent jusqu'à l'arrivée de Zamès avec les gar- paysan,
v peu m'importe, pourvu que je puisse reprendre baleine.
des. Alors les rebelles sont repoussés et poursuivis par Salémenès; (On apporte un siège.)
SALÉMENÈS.
— Celte heure est la plus brillante et la plus glo-
au moment où le roi s'élance aussi à leur poursuite, il rencontre rieuse
r de votre vie.
Bélesès.)
BÉLESÈS. — Arrête, tyran!... je vais d'un seul coup terminer la
SARDANAPALE.
qu'on — Et la plus fatigante. Où est mon échanson?
m'apporte de l'eau.
q
guerre. SALÉMENÈS, souriant.
— C'est la première fois que vous lui avez
SARDANAPALE. — En vérité I mon prêtre belliqueux, mon gêné- i
donné pareil ordre; moi-même, le plus austère de vos conseillers,
reux prophète, mon fidèle et reconnaissant sujet! rends-toi, je te je
j vous engage à prendre un breuvage teinl de pourpre.
prie : au lieu de tremper mes mains dans un sang consacré, je te SARDANAPALE.
— Du sang!... on en a suffisamment répandu
. réserve
un plus digne sort. (Quant au vin j'ai appris aujourd'hui tout ce que vaut le pur élé-
,
BÉLESÈS-
— Ton heure est venue. iment liquide : j'en ai bu trois fois; et trois fois, renouvelant mes
SARDANAPALE.— Non, c'est la tienne... Quoique je ne sois qu'un forces
I mieux que n'eût pu faire le jus du raisin, il m'a misa même
novice en astrologie, j'ai dernièrement consulté les étoiles et en de
< retourner à la charge. Où est le soldat qui m'a présenté de l'eau
,
parcourant le zodiaque, j'ai lu ton destin dans le signedu scorpion dans
: i son casque?
ce qui veul dire que lu vas être maintenant écrasé. UN DES GARDES. —Il est mort, seigneur; une flèche lui a traverse
1 tête au moment où, secouant les dernières gouttes qui étaien
BÉLESÈS.
— Ce ne sera pas par toi. (Ils combattent; Bélesès est la
blesséet désarmé ) dans
i son casque, il allait le remettre sur sa tête.
SARDANAPALE levant son épée pour le tuer, s'écrie :
SARDANAPALE.— Mort sans avoir été récompensé! et mort poui
, — Invoque avoir étanché ma soif! Pauvre esclave ! cela est dur! S'il vivait, j<
maintenant tes planètes ; descendront-ellesdu ciel pour sauverleur l'aurais gorgé d'or ; tout l'or de la terre ne pourrait payer Je plaisi
prophète et leur réputation? (Une troupe de rebelles entre et dé-
livre Bélesès. Ils attaquent le roi, qui, à son tour, est délivrépar que m'a fait cette gorgée d'eau, car j'avais le gosier desséché comnu
à présent. (On apporte de l'eau. Il boit) Je commence à revivre
un détachement de ses soldats : ceux-ci chassent les rebelles.) Le à dater de ce moment, je garde le vin pour l'amour, el l'eau pou
scélérat s'est montré prophète, après tout! Poursuivons-les al- la guerre.
lons! la victoire est à nous! (Il sort à la poursuite des rebelles.) SALÉMENÈS. Et ce bandage qui entoure votre bras ?
MYRRHA, à Pania. — Va donc avec eux! Pourquoi rester ici?

SARDANAPALE. Rien qu'une egratignure de ce brave Bélesès.

— 0
Pourquoiquitter les rangs de tes compagnons d'armes, et les lais- MYRRIIA. ciel ! il est blessé I
ser vaincre sans toi ? SARDANAPALE.
— C'est peu de chose ; cependant, en me trouvan
PANIA. — J'ai ordre du roi de ne pas vous quitter. plus calme, j'éprouve une certainedouleur.
MYRRIIA. — Moi! ne t'occupe pas de moi... H n'est pas un soldat MYRRIIA. Vous avez bandé votre blessure?
dont le bras maintenant ne soit nécessaire ; je n'ai pas besoin de —
SARDANAPALE.—Avecle bandeau démon diadème, clc'cstla pre
gardes. Quoi donc! quand le deslin du monde va se décider, veiller mière fois que cet ornement m'a servi à autre chose qu'à me gêner
sur une femmel Pars, te dis-je, ou tu es déshonoré! Mais j'irai ti\\»M\n, aux serviteurs. — Qu'on aille vite chercherle plus ha
moi-môme, faible femme, me jeter dans la mêlée sanglante; et si bile médecin. Je vous en prie, ô mon roi, rentrez dans vos appai
lu veux me garder, que ce soit là du moins où ton bouclier pourra tements. Je lèverai l'appareil et panserai votre blessure.
couvrir ton souverain. (Myrrha sort.) SARDANAPALE. Je le Veux bien, car le sang y bat avec forci

Mais, est-ce que tu te connais aux blessures ? Mais pourquoi ecll
PANIA. —Arrêtez!... Elle est partie! s'il lui arrive quelque chose,
malheur à moi! elle est plus chère à Sardanapale que son propre demande? Vous ne devineriez pas, mon frère, où j'ai trouvé ccll
enfant?
royaume, pour lequel ilsombal cependant... Et puis-je moins faire
que ce monarque qui manie un cimeterre pour la première fois?
SALÉMENÈS.— Réunie aux autres femmes comme une gazcll
Revenez, Myrrha, et je vous obéis, dussé-je désobéir au roi. (Pa- effrayée ?
nia sort. Altada et Sféro entrent par ta porte opposée.) SARDANAPALE.—Non, certes ; mais près de moi, comme la con
pagne du jeune lion qui, dans sa rage féminine (el féminine vei
ALTADA. — Myrrha 1 Eh quoi ! elle esl partie ! pourtant elle était: dire furieuse ; car ce sexe porte toutes les passions à l'extrême]
ici au moment du combat, et Pania avec elle. Que peut-il leur être'. s'élance sur le ravisseur de ses lionceaux. Les cheveux épars, 1<
arrivé? yeux élincelanls, elle animait les soldats du geste et de la voix.
SFÉRO. — Je les ai vus tous deux sains cl saufs quand les rebellesi
ont pris la fuite ; ils sont sans doute à l'appartement des femmes.
SALÉMENÈS.
— Noble coeur ! seul, tu le vois, dont celle nu
SARDANAPALE.— Je ne suis pas le
ALTADA. — Si le roi est vainqueur, ce qui est maintenant pro- ait fait un guerrier. Je me suis arrêté pour la contempler, cl st
bable, et qu'il ne retrouve plus son Ionienne, notre sort sera pire: joues enflammées, ses grands yeux noirs, brillant à travers le Ion
que celui des rebelles captifs. voile de ses cheveux flottants, les veines azurées qui se marquaici
SFÉRO. — Courons sur ses traces; elle ne peut être loin, et eni sur son front transparent, ses narines dilatées, ses lèvres entr'oi
la retrouvant, nous ferons à noire amoureux souverain un présentt vertes, sa voix qui résonnaità travers le tumulte du combat, conin
plus agréable que son royaume reconquis. un lulh qu'on entend parmi les sons discordants des cymbales ; s<
ALTADA.— Baal lui-même ne combattitjamais avec plus décou- bras étendus, effaçant par leur blancheur l'éclat de l'acier que lena
rage pour conquérir l'empire que ce fils qui paraissaitdégénéré ne3 sa main, et qu'elle avait arraché à un soldat mourant ; tout en el
combat pour le conserver. 11 dément les augures de ses amis comme5 montrait aux yeux des soldats la prophétessede la victoire, ou
de ses ennemis. C'est un homme incompréhensible. victoire elle-même descendue parmi nous pour nous appeler s
SFÉRO.
— Pas plus que les autres. Nous sommes tous les enfantss enfants.
des circonstances... Mais parlons!... lâchons de retrouver cette es- SALÉMENÈS, à part. — C'en est trop, voilà de nouveau l'amoi
clave, ou préparons-nous à un triste sort. (Altada et Sféro sor- qui s'empare de lui ; et lout est perdu, si nous ne donnons le chanj
tent. Salémenès rentre avec ses soldats, etc.) à ses pensées. (Tout haut.) Seigneur, je vous en conjure, song
à votre blessure; vous disiez tout à l'heure qu'elle devenait doi
SALÉMENÈS.
— Ce premier succès promet beaucoup : les rebelless loureuse.
sont repoussés du palais, et nous avons ouvert une communication
régulière avec les troupes stationnéesde l'autre côté de l'Euphrate;I SARDANAPALE. —11 est vrai ; mais ce n'est point le temps d
elles sont peut-être restées fidèles; elles le seronlsans aucun doute?
' penser.
quand elles apprendront notre triomphe. Mais où est le principalII SALÉMENÈS. — J'ai pris toutes les dispositions nécessaires ; je vr
auteur de la victoire? où est le roi? (Sardanapale entre accom- voir comment onl été exécutés mes ordres, et je reviendrai prei
pagné de sa suite et de Myrrha.) dre les vôtres.
SARDANAPALE. —Va, frère!
SARDANAPALE.— Me voici, frère. SALÉMENÈS, en se retirant.
SALÉMENÈS. — Sain et sauf?
— Myrrha !
MYRRHA. — Seigneur !
SARDANAPALE. — Pas tout-à-fait; mais n'en parlons pas; nous s SALÉMENÈS.—Vous avez montré cette nuit un courage qui, s
avons purgé le palais de ces vils ennemis. ne s'agissait pas de l'époux de ma soeur Mais le temps pressi
SALÉMENÈS.
— Et la ville également, je pense. Notre nombree vous aimez le roi ?
s'accroît; j'ai ordonné qu'un gros de Parthes, jusque-là tenu en ré-:- MYUUHA.—J'aimeSardanapale.
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON. 381

SALÉMENÈS.
— Mais vous voudriez qu'il continuât à régner. MYRRHA. — El moi aussi. La poussière sur laquelle nous marchons
MYRRHA.— Je ne voudrais pas qu'il fût moins qu'il ne doit être. fui autrefoisanimée et souffrante. Mais continue : qu'as-tu vu? parle;
SALÉMENÈS. Eh bien donc ! pour qu'il soit roi, pour qu'il soit à
— cela te soulagera et dissipera les ombres qui assiègent ton esprit.
vous, pour qu'il soit tout ce qu il doit être, pour qu'il vive enfin, SARDANAPALE.—11 me semblait, ou plutôt je rêvais que j'étais
faites en sorte qu'il ne retombe pas dans la mollesse. Vous avez ici... ici... dans ce même lieu. Nous étions à table, et jeme croyais
plus d'empire sur son esprit que n'en a la sagesse dans ces murs, l'un des convives, n'ayant autour de moi que des égaux; mais à
ou la rébellion au-dehors. Veillez à ce qu'il n'y ait pas île rcchule. mes côtés je n'avais ni toi, ni Zamès, ni aucun de nos convives lia-
MYRRIIA. — Je n'avais pas besoin pour cela de l'ordre de Saléme- bilucls. A ma gauche était assis un fantôme au visage hautain
nès; je l'accepte toutefoisavec respect. Ce que peut une femme sombre et terrible; je ne pus le reconnaître, et pourtant je l'avais,
SALÉMENÈS. —Esl une puissance illimitée sur un coeur tel que le vu, quoiqueje ne puisse dire où. Il avait les proporlions d'un géant ;
sien. Usez-en sagement. (Salémenès sort.) son oeil était brillant, mais immobile; ses longs cheveux retombaient
SAUDANAPALE.— Myrrha! quoi! des secrets avec mon inflexible sur ses larges épaules, derrière lesquelless'élevait un énorme car-
frère ? sais-tu que je deviendrai jaloux ? quois garni de flèches empennées avec des plumes d'aigle. Je l'in-
MYRRIIA. —Vous auriez raison prince ; car il 11'exisle pas sur la vitai à remplir la coupe placée entre nous, mais il ne me répondit
, d'une femme... de la con-
terre un homme plus digne de l'amour pas... Je la remplis... il la poussa loin de lui, et ses yeux s'arrêtèrent
fiance des guerriers... du respect des sujets... de l'estime d'un roi... sur moi; si bien que je tremblai sous la fixité de son regard. Je
de l'admiration du monde... fronçai le sourcil en monarque offensé... il ne fronça pas le sien,
SARDANAPALE.— Fais son éloge, soit, mais avec moins de cha- mais il continua de me regarder avec une inaltérableimmobilité qui
leur ; je n'aime pas que ces lèvres charmantes consacrent leur élo- ajoutait encore à ma terreur. Je voulus, pour éviter ce regard, repo-
quence à ce qui me laisse dans l'ombre. Néanmoins, lu dis vrai. ser le mien sur des traits plus doux , et je te cherchai à ma droite ,
I MYRRHA.— Maintenant, seigneur, venez faire visiter votrebles- où lu as coutume de t'asseoir, mais... (Il s'arrête).
I sure ; appuyez-vous sur moi, je vous prie.
SARDANAPALE.— Oui, mon amour ! mais ce n'est pas parce que
MYRRIIA.
— Que vis-tu ?
SARDANAPALE.— A la place que tu occupes dans nos banquets, je
je souffre. (Tous sorlent.) cherchai ton charmant visage mais, au lieu de toi un spectre
décharné, aux cheveux gris, ayant du sang dans les yeux, du sang
sur les mains; un spectre sépulcral, vêtu comme une femme, por-
ACTE IV. tant
j une couronne sur son front ridé par l'âge, ayant le sourire de
la vengeance sur les lèvres, el dans les yeux une flamme lascive...
SCÈNE PREMIÈRE. Tout mon sang se glaça.
MYURHA.
— Est-ce tout?
SARDAiVAi'Ai.fi endormi sur un lit, de repos; son sommeil est SARDANAPALE.
— Dans sa main droite sa main décharnée et
agité, MYIUUIA veille auprès de lui. crochue,
< cette femme tenait une coupe dans laquelle bouillonnait
du
i sang; el, dans la gauche, elle avait une autre coupe pleine de...
MYUUHA en le regardant. — Je inc suis glissée auprès de lui je
i ne pus voir ceque c'était, car l'horreur me força dé détourner les
pendant qu'il repose, si c'est reposer que dormir dans cet état con- yeux. Tout autour de la table siégeait une longue file de spectres
,

vulsif. Dois-jc l'éveiller? Non; il paraît maintenant plus Iran- couronnés, d'aspecls divers, mais frappants de ressemblance.
quille. O toi! dieu du sommeil, qui formes les paupières des mor- i
MYUUHA.
— Et tu ne sentais pas que co n'élait qu'une illusion?
tels, el leur envoies soit les doux songes, soit un assoupissement SAUDANAPALE. Non, tout semblait tellement réel que j'aurais pu '
profond que rien ne peut troubler, oh ! daigne descendre sur lui, les toucher de la— main. J'examinai successivement chaque visage,
semblable à ta soeur la Mort... si calme... si immobile... car nous dans l'espoir d'en trouver
, un que j'eusse antérieurementconnu...
ne sommes jamais plus heureux que sous l'empire de colle divinité pas un seul ne m'était familier. Tous restaient tournés vers moi et
également sombre, silencieuse; mais qui n'a pas comme loi le ré- me regardaient. Ils ne buvaient ni
veil... Ah! il s'agite de nouveau... les traces de la douleur se ma- étaient occupés, si bien ne mangeaient; leurs yeux seuls
I iiifcsluiil sur ses traits, comme le souffle soudain de la brise ride la
que je me vis comme changé en marbre,
ainsi qu'ils le paraissaient eux-mêmes en marbre vivant, car
surface du lac tranquille, ou comme le vent agile les feuilles d'au- je sentais de la vie
1 lomne. Il faut que je l'éveille !... Non, pas encore! Qui sait ce que
en eux ainsi qu'en moi. 11 se trouvait entre nous
je ne sais quelle horrible sympathie, comme s'ils se fussent dé-
; le réveil va lui ôler? Il seuibio souffrir; mais si celle douleur pouillés d'une portion de mort pour venirà moi, et moi de la moitié
doil faire place à une douleur plus grande? La lièvre du combat la de
; douleur de sa blessure, toute légère qu'elle esl, produisent peut-être
ma vie pour me joindre à eux; notre existence ne tenait ni du
ciel ni de la lerre... Ohl plutôt voir la mort tout entière!
ces symptômes. Abandoiinons-ie aux soins de la nature ; veillons, MYUUHA. Et enfin?
' non pour la contrarier, mais pour aider ses efforts. —
SAUDANAPALE.— Enfin, j'étais immobile et froid comme un mar-
1 SAUDANAPALE,s'éneUlant. — Non... quand vous multiplieriez les bre, quand le chasseur et la vieille femme se levèrent en me sou-
- astres à l'infini, quand vous m'en feriez partager avec vous le do- riant... Oui, le gigantesque el majestueuxchasseur me sourit... du
* maincl je n'achèterais pas à ce prix l'empire do l'éternité. Ar-
moins sa bouche, car ses yeux ne bougèrent pas... et sur les ièvt-es
rière 1... arrière!... vieux chasseur des premiers hôtes dos forêts! amincies de la vieille parut aussi une sorte de sourire... Tous deux
lit vous qui après lui avez chassé aux hommes, comme s'ils étaient1
1 îles hôtes féroces! autrefois mortels sanguinaires... idoles aujour- se levèrent, et les spectres couronnés, placés à droile et à gauche,
levèrent aussi, comme pour suivre l'exemple des deux ombres
'' d'hui, plus sanguinaires encore, si vos prêtres ne mentcnl pas! el'1 se
' loi... spectre sanglant de mon aïeule, qui foules aux pieds les ca- souveraines... pures copies même après la mort... Mais moi, je ne
bougeai pas, je ne sais quel courage désespéré s'infusa dans tous
1 davi-cs de l'Inde... arrière, arrière 1 (Il se lève.) membres, et, enfin, ces fantômes ne me firent plus peur : j'osai
Mais, où suis-je? que sont devenus ces fantômes?... Non... ce' mes même éclater de rire à leur face. Et alors! alors, le chasseur posa
\ n'est plus une illusion trompeuse... Myrrha !
main sur la mienne; je la pris, je la serrai... mais elle s'évanouit
s, MÏURIIA.— Hélas! mon bien-aimé, comme tu es pale! des gout- sa
de s'amassent front, pareilles à la rosée sous mon étreinte; lui aussi disparut, ne me laissant que le souve-
les sueur sur ton
!j i nuit. Silence I... calme-loi. Tes paroles semblenld'un
de la| nir d'un héros, car il semblait tel... Mais celle femme, la femme qui
autre monde; restait se jeta sur moi ; elle brûla mes lèvres de ses odieux baisers-,
1 toi, le souverain de celui-ci, sois calme : tout ira bien. >

SARDANAPALE.— Ta main... Bien... c'est la main, c'esl une main1


et, rejctajit les coupes qu'elle tenait dans chaque main, il me sembla
le sang et le poison se répandaient à grands Ilots autour de
vivante ; presse la mienne plus étroitement encore, jusqu'à ce queB que jusqu'à former deux fleuves hideux. Cependant elle restait at-
je me sente redevenu ce que j'étais. Ah ! Myrriia ! j'ai visité less nous, tachée à moi, pendantque les autres fantômes, pareils à une rangée
-
lieux que nous devons tous habiter. J'ai vu le séjour de la tombe... de
; statues, restaient immobiles comme dans nos temples. Elle me
vers sont souverains et où les rois sont... Mais je ne croyaiss serrait dans ses bras, et moi je cherchais
? ^ où les
_'
à la repousser comme si
pas que la mort fùl ainsi ; je pensais que ce n'élait rien. j'eusse été le fils qui l'immola pour punir son inceste. Alors... alors
MYRRHA. — Ce n'est rien, en effet, sinon pour les âmes timides s je
JY . qui anticipent me trouvai au milieu d'un épais chaos d'objets hideux et informes :
par la pensée sur ce qui ne sera peut-être jamais. j'étais, mort et vivant... enterré et ressuscité... dévoré par les vers
SARDANAPALE. O Myrrha ! si le sommeil fait voir de telles choses,
j3 - — '» purifié par la flamme, dissous dans l'air ! Toul ce que je me rap-,
Hue ne doit pas révéler la mort!
. MYRRIIA. Je ne sais point de maux que la mort puisse montrerr pelle ensuite, c'est qu'au milieu de ces tortures j'appelais ta pré-

cl que la vie n'ait déjà l'ail connaître à ceux qui ont passé quelques sence
el lorsque je m'éveillai, je le trouvai près de moi.
' années sur la terre. S'il est, en effel, un rivage où l'âme doit ',_ MYRUHA. — Tu m'y trouveras toujours, dans ce monde et dans
sur- l'autre, si ce dernier n'est point un mensonge. Mais ne pense plus à
vivre, ce sera comme âute et d'une manière incorporelle; ou s'il lui tj
il : reste encore une ombre de cette importune enveloppe qui s'inter- ces illusions... pur effet des derniers événements sur un corps non
i pose entre l'âme el le ciel....: notre fantôme, quoi qu'il puisse avoir jr accoutumé à la fatigue.
à craindre, du moins ne redoutera pas la mort. SAUDANAPALE.—Jeme sens mieux; maintenant que je te revois,
SARDANAPALE. Je ne la redoute pas; mais j'ai senti... j'ai vu u ceque j'ai vu ne me semble plus rien. (SALÉMENÈS entre.)

une légion de trépassés. SALÉMENÈS.
— Le roi est-il déjà réveillé?
582 LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

SARDANAPALE.— Oui, mon frère, et je voudrais n'avoir pas tiennent


lie plus de votre famille que de leur malheureux père. Je les
dormi, lai
laisse avec confiance auprès de vous; rendez-les dignes d'un trône;
SALÉMENÈS.
— Je propose de faire une sortie à la pointe du jour, ou plutôt... Vous avez entendu le tumulte de cette nuit?
et d'attaquer de nouveau'les rebelles, qui continuent à se recruter, ZARINA. — Je l'avais presque oublié.....
repousses, mais non tout-à-fail vaincus. SARDANAPALE.
— Le trône... el ce n'est pas la peur qui me faii
SARDANAPALE. — La nuit est-elle avancée? parler...
pa le trône est en péril, et peut-êlre mes fils n'y monteront-
SALÉMENÈS.
— Il reste encore quelquesjheurcs d'obscurité; pro- ils jamais; mais que jamais ils ne le perdent de vue." J'oserai tout
filez-eri pour vous reposer encore. pour le leur transmettre: et si j'échoue, ils doivent alors le re-
po
SARDANAPALE. — Non pas cette nuit, si elle dure encore, H m'a conquérir en braves. et l'occuper en sages. Qu'ils usent mieux de
co
semblé que ce rêve avait duré bien des heures. la royauté que je n'ai fait moi-même.
MYRUIIA. — Une heure à peine; j'ai veillé auprès de vous : ce fut ZARINA.
— Ils n'apprendront de moi qu'à honorer leur père.
une heure longue et pénible, mais une heure seulement. SARDANAPALE.
— Qu'ils apprennent la vérité de vous, plutôt que
SARDANAPALE,—Tenons donc conseil. Nous ferons une sortie d' monde injuste.
d'un S'ils vivent dans l'adversité ils éprouveront |
SALÉMENÈS. —Avant de traiter ce point,j'avais une grâce à vous trop lot le mépris de la foule pour les princes sans, couronne, el on f
tri
demander. rejettera
re sur eux les fautes de leur père. Mes fils !... j'aurais pu tout i
SAUDANAPALE. — Elle est accordée. supporter
su si j'avais élé sans enfants. i;
SALÉMENÈS.
— Ecoutez avant de me faire une réponse trop ZARINA.
— Oh ! ne parle point ainsi... Si lu triomphes ils régne- l
prompte. C'est à vous seul que je désire parler. rc et honoreront celui qui conserva pour eux un trône, dont il se |:
ronl
MYRRHA. —Prince, je me relire. (Myrrha sort-) souciait
s« peu pour'lui-même .... Ah! prends soin de tes jours; vis !
SALÉMENÈS. esclave a mérité sa liberté,
— Celteliberté du moins pour ceux qui t'aiment.
di
SARDANAPALE.—Sa seulement? elle est digne de partager SARDANAPALE.—Et qui sont-ils? des amisqui ont partagémes plai- j
un trône! sirs et qui ne font qu'un avec moi... car si je tombe, ils ne seront
si
SALÉMENÈS.
— Attendez..... ce trône n'est pas vacant, et celle qui plus rien... un frère offensé... des enfants négligés... une épouse... \,
P'
l'occupe avec vous est l'objet dont dont je voulais vous entretenir. ZAniNA.
— Qui t'aime. j
SARDANAPALE. —Comment? la reine? SARDANAPALE.
— Et me pardonne? i
SALÉMENÈS. —Elle-même. Je crois convenable pour sa sûreté et
la
ZARINA.
— Celle pensée ne m'est jamais venue...
celle de ses enfants de les faire partir à la pointe du jour pour SARDANAPALE.
— Ma femme!'...
Paphlagonie, où commandeColta, notre parent; à tout événement, ZARINA.

Oh ! sois béni pour ce mot ! je ne l'espérais plus. i
la vie de vos fils, mes neveux, y sera en sûreté, et de là ils pourront SAUDANAPALE. —Oh! tu l'entendras de la bouche de mes sujets, I
soutenir leurs justes prétentions à la couronne, dans le cas où e lu l'entendras comme une injure. Oui... ces esclaves que j'ai ;
et
SARDANAPALE. — Je viendrais à mourir. C'est bien penser nourris,
n fêtés, comblés des biens de la paix et de l'abondance, jus- 't
qu'ils parlent avec une escorte sûre. qu'à
q les rendre rois eux-mêmes; les voilà qui se révoltent ; el ils '
SALÉMENÈS. —Elle est déjà prêle; mais avant leur départ, ne demandent
d la mort de celui qui fit de leur vie une fête continuelle; \
coiisenlirez-vous pas à voir..l tandis que le petit nombre de ceux qui ne me doivent rien me sont j
!'
SARDANAPALE. —Mes fils? Cela pourrait énerver mon courage; restés
r fidèles! cela esl vrai, mais cela est monstrueux. j
les pauvres enfants pleureraient. Et que puis-je faire pour les con- ZAniNA. — Ce n'est peut-être que trop nature); car, dans les I
sokr? je n'ai à leur offrir que des espérances peut-être trompeuses Aâmes perverses, les bienfaits se changent en poison. i.
et des sourires contraints. Tu sais qu'il m'est impossiblede feindre.
SALÉMENÈS —Mais du moins vous êtescapable desentir... Lu reine
SARDANAPALE.
— Et les âmes vertueuses tirent le bien du mal. j
ZAniNA. — Recueille donc le bien sans l'enquérir d'où il vient. \
demande à vous voir.avant de vous quitter pour jamais. Sois
S en convaincu, lous ne t'ont pas abandonné.
SARDANAPALE. — Pourquoi ? dans quel but? Je suis prêt à lui ac- SARDANAPALE.
— Je le crois, puisque je vis.
corder tout ce qu'elle voudra, hormis celte entrevue. ZARINA.
— Vis pour l'amour de mes de nos enfants.
— Vous connaissez vous devez connaître assez les — Ma douce Zarina, loi que j'ai tant offensée 1 Je i-
SALÉMENÈS. I SAUDANAPALE.
femmes, vous qui en avez fait , une élude approfondie, pour suis s l'esclave des circonstances el de mes impulsions...Emporté an j.
savoir que ce qu'elles demandent en affaires de coeur les touche gré ( du moindre souffle, déplacé sur le trône, déplacé dans la vie, [
plus que le monde extérieur lout entier. Je pense comme vous du Jje ne sais ceque j'aurais pu être... N'en parlons plus. Mais écoute, j
désir de ma soeur; mais c'esl son désir... Elle est ma soeur... vous! Je n'étais pas fait pour un amour comme le lien, une âme telle que jr
êtes son époux... voulez-vousle lui accorder? 1la tienne, et si je n'ai point adoré ta beauté,
comme j'ai encensé de j;
SARDANAPALE. — Celle entrevue sera inutile ; mais qu'elle vienne. moindres
' charmes, c'est uniquement que celle adoration était pour
SALÉMENÈS. — Je vais la chercher. (// sort. ) moi
' un devoir, et que je détestais tout ce qui avait l'apparence d'une
SAUDANAPALE. — Nous avons trop longtemps vécu séparés pour chaîne. Entends cependant mes paroles, qui sont peut-êlre les der-
nous revoir... et dans un pareil moment I N'ui-je pas assez de soucisi nières: personnen'a estimé plus que moi tesvertus, bien que je n'aie j
à supporter seul? Pourquoi uniraient-ils leurs afflictions ceux que. pas su en profiler...
l'amour a cessé d'unir? ( Salémenès rentre avec ZARINA.) ZARINA.
— Oh ! si lu as à la fin découvert que mon amour est j
SALÉMENÈS.
— Du courage, ma soeur ! ne faites pas honte à notre» semble, digne d'estime, je n'en demande pas davantage... Mais fuyons en- i
sang par d'indignes frayeurs. Seigneur, la reine! et pour moi... permets-moi de dire pour nous... il y aura j
ZARINA.—Je vous prie, mon frère laissez-nous.
,
encore du bonheur. L'Assyrie, n'est pas loule la terre ; nous nous fe- \
SALÉMENÈS.
T*-
Puisque vous le désirez... (// sort.) ions un monde à nous, et nous serons plus heureux que je ne l'ai ja- i
ZAIUNA. —Seule avec lui ! Nous sommes bien jeunes encore, ett mais été, que tu ne l'as été toi-même. (Entre SALÉMENÈS.) '
pourtant combien d'années se sonl écoulées depuis que nous neÎ SALÉMENÈS. —11 faut que je vous sépare...
nous sommes vus I el lout ce temps , je l'ai passé dans le veuvages ZARINA.
— Frère inhumain I veux-tu donc abréger des instants si
du coeur. Hélas! il ne m'aimait pas! 11 ne me parle point... à peine3 précieux el si chers ?
me voit-il... pas une parole... pas un regard... cependant il y avaitt SALÉMENÈS.
— Sichersl ;.-
naguère de la douceur dans son aspect et dans sa voix ; il était in- ZAIUNA.
— 11 s'est montré si bon envers moi, que je ne puis
différent, mais non sévère. Seigneur! SALÉMENÈS. —Ainsi cet adieu de femme se termine, comme ton - |
SAUDANAPALE. — Zarina! jours, par la résolution de ne pas se séparer ; je le prévoyais. Mais j
ZAIUNA. —Non, pas Zarina... ne m'appelez pas Zarina; cet ac- cela né doil point être. j
cent, ce mot, effacent de longues années et des choses qui les ontt ZAniNA.—Ne doit point être? V-
rendues plus longues et péris...
encore.
Iln'est songcràces
SALÉMENÈS.
— Reste époux, ]}
SARDANAPALE.— plus temps de rêves dupasse. I. ZAniNA. — Avec mon soit ! j
Ne nous faisons pas... c'est-à-dire ne me faites pas de reproches... SALÉMENÈS—El les enfants. i.
pour la dernière fois. ZARINA.
— Hélas ! '
ZAMNA. — Ce serait la première. SALÉMENÈS.—Ecoutez-moi, comme doil m'écouler ma soeur.--
SAUDANAPALE. — 11 est vrai, et cette idée peso plus sur mon n Tout esl prêt pour assurer votre salut et celui de vos enfants, noire
coeur que... Mais notre coeur n'est pas en notre pouvoir! dernière espérance. Il ne s'agit pas seulement d'une question de
ZARINA. — Notre main non plus; mais j'ai donné l'un et l'autre. ï. sentiment, quoique ce fût déjà beaucoup... c'esl encore une qties-
SARDANAPALE. — Votre frère m'a dit que vous désiriez me voir ir lion d'Etat; il n'est rien que les rebelles ne fissent pour s'emparer
avant de partir pour Ninive avec... (// hésite.) de la postérité de leur souverain, et détruire ainsi...
ZARINA. — Avec nos enfants. C'est vrai : je voulais vous remer- c- ZARINA. — Ah ! n'achève pas !
cier de n'avoir pas séparé mon coeur de tout ce qpi lui reste main- i- SALÉMENÈS.—Ecoutez-moidonc. Quandccsenfanlsauront échappa
tenant à aimer... ceuxde qui sont vous elà moi, qui vous ressem-
à i- aux coups des Mcdes, les rebelles auront manqué le but principal
blent, et me regardent comme vous me regardiez autrefois... Mais is qu'ils se proposent... l'extinction delà race de Nemrod. Quand le
ils n'ont pas changé, eux... ils sont maintenant le seul lien qui ui roijactucl devrait succomber, ses fils vivront pour le venger.
existe entre nous. ZARINA.—Maisne puis-je rester seule?
SAUDANAPALE.— Croyez que je vous ai rendu justice. Faitesqu'ils ils SALÉMENÈS.—Quoi! laisser vos enfants orphelins du vivant de
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON. 383

irenls!... si jeunes, dans unetcrreloinlaine! MYUUHA.— La fuite ne détruira pas le passé... elle ne me rendra
«A. —Non... mon coeur se brisera plutôt. ni mon honneur, ni la paix de mon âme. Non, je veux triompher
ni
MENÉS.—Maintenant vous savez tout, décidez! 01 succomber avec vous. Vainqueur, je vivrai pour jouirde votre vic-
ou
ANAPAI.E.—Parlezdonc, Zarina. Si nous nous revoyons, peut- toire ; si votre destinée esl autre, je ne pleurerai pas, mais je la par-
le
ai-jc digne de vous... Maisvoilànion couragequi faiblit, cela ta tagerai. Vous ne doutiez pas de moi il y a quelques heures !
pas être'; c'est de la fermeté qu'il me faut maintenant; la fer- SAUDANAPALE.— je n'en doute plus. Mais la nécessitéde soutenir
don l l'absence a fa il toutes mes fautcs...Cache-moi tes larmes... IÏ mes droits par la force pèse plus lourdement sur mon coeur que
?. dis pas de ne point en répandre.... il serait plus facile tous les outrages sous lesquels ces hommes voudraient courber ma
l(
:r
j'Euphrale à sa source que les larmes d'un coeur (idole et t< tôle. Jamais,jamais je n'oublierai cette nuit. Je croyais avoir fait
; mais que je ne les voie pas, elles
m'ôteraienl la force dont dde mon règne iiioff'ensif une ère de paix au milieu de nos sanglan-
uis armé. Mon frère, cmniènc-la. ti annales ; une verte oasis dans le désert des siècles, sur laquelle
tes
VA. — O Dieu ! je ne le verrai plus ! l'avenir
1' tournerait ses regards charmés, en regrettant de ne pouvoir
MENÉS, s'efjorçant de l'entraîner.— II le faut, ma soeur. Si rappeler
r; le règne d'or de Sardanapale. Je croyais avoir fait de mon
ie la violence"; vous la pardonnerezà l'affliction d'un frère. royaume un paradis, où chaque lune nouvelle devenait le signal de
r
KA. — Jamais ! Au secours ! Sardanapale, souffriras-lu qu'il nnouveaux plaisirs. Je prenais les acclamations de la populace pour
ilie d'auprès de loi ? d l'amour... la voix de mes amis pour la vérité... les lèvres de la
de
MENÉS.
— Tout est perdu si nouss'obscurcissent...
ne partons pas. femme
fi pour ma seule récompense... Cela du moins esl vrai, ma
KA. — Ma lêle tburne... mes yeux Où est-il ? douce
d Myrrha! embrasse-moi. Qu'ils prennent maintenant mon
ANAPAI.E, «'avançant.—Non...laissez-la..'. Jîlle esl morte... r
royaume et ma vie ; ils auront l'un el l'autre, mais toi, jamais !
: l'avez tuée I
' (Elle s'évanouit.) MvnniiA.—Non jamais! L'homme peut dépouiller son sembla-
n'est l'épuisement amené l'excès de la ,
Ible de tout ce qui est grand, de toul ce qui brille... les empires
MENÉS.
— Ce que par
; le grand air la ranimera. Je vous en prie, éloignez-vous s'écroulent...
s les armées sont, vaincues... les amis abandonnent...
la
/.) 11 faut que je profitede ce moment pour transporter sur les
I esclaves fuient... tous trahissent... ceux-là surtout, et les pre-
rc où ses enfants sont embarqués. (Il l emporte.) miers,
r qui doivent le plus; tous, excepté le coeur qui aime sans in-
>ANAPALE seul. — Voilji encore, voilà ce que je dois souffrir... ttérêt ! Tel est le mien... mets-le à l'épreuve. (SALÉMENÈS entre.)
îi jamais n'infligeai volontairement la moindre douleur!
— Je vous cherchais... Comment! elle encore ici I
SALÉMENÈS.
aimait... fatale passion 1 pourquoi n'expircs-tu pas en môme SARDANAPALE. Ne recommence pas les reproches. Ton visage
dans les deux coeurs que tu as embrasés à la fois ? Zarina d'autres —
événements que la présence d'une femme.
l'avais aimé que toi, je régnerais maintenant sans obstacle, , annonce
SALÉMENÈS. La seule femme qui, dans un tel moment, a do
;pic respecté de mes peuples. Dans quelabîme une seule dévia- —
sentier des devoirs entraîne ceux qui réclament l'hommage l'importance j pour moi, est en sûreté... la reine esl embarquée.
SAUDANAPALE.— Est-elle plus calme ? parle.
re humain. (MYURHA entre ) Vous ici I qui vous a demandée? SALÉMENÈS. — Oui, sa faiblesse passagère csf dissipée, du moins
RUA. — Personne... mais j'ai entendu de loin des gémisse- elle s'est transformée en un silence sans larmes ; ses yeux bril-
et des pleurs, el je pensais... lants,
j après un regard jeté sur ses enfants endormis, se sont tour-
MNAPALE. — Vous aviez tort !... nés vers les tours du palais, pendant que la galère voguait à la
RUA. r—Je pourrais rappeler de votre part des paroles plus lueur
j des étoiles ; mais elle n'a rien dit I
:, quoiqu'elles exprimassent aussi des reprochés; vous me SARDANAPALE.—Plût au ciel que je fusse comme elle!
essiez quand je craignais de me rendre importune, résistant SALÉMENÈS.— 11 est trop tard maintenant pour se livrer à des
propres désirs et à vos ordres qui m'enjoignaient de vous regrets ils
:her à toute heure, et sans être appelée... Mais je me relire. ] ; ne sauraient guérir une seule douleur. Pour nous oc-
; cuper d'autres objets, je viens vous annoncer comme une chose
DANAPAI.H. — Non, restez puisque YOUS êtesvenue. Pardon ! i trop
«viendrai bientôt ce que j'étais. çef|i(ine que les rebelles de la Médie et de la Chaldée, com-
mandés |)a|> les deux chefs de l'entreprise, sont de nouveau en ar-
RUA. —J'attends avec patience çp que je verrai avec plaisir.
DANAPALE.— Un momentavant vptre entrée dans celle salle,
mes, et, fpFipanl leurs rangs, se préparent à nous assiéger ; on dit
i, reine d'Assyrie, en sortajt.
nue d'aulrfls satrapes se sont joints à eux.
SARDANAF4LK.—Quoi! de nouveaux rebelles? A eux les premiers I
,RHA. — Je sais la plaindre. §,ALÉJ!ENJS9, C'était ce (juc je voulais vous proposer d'abord ;
DANAPALE. —C'est trop, c'est outrepasser la nature... Ce sen- aurait—
maintenant imprudence à le faire. Si demain à midi
t n'est ni mutuel ni possible : vous ne pouvez la plaindre, et mais il y
flOUSrecevonsles renforts que j'ai envoyé chercher par des messagers
3 doit que sûrs,
imiA. — Mépriser l'esclave favorite ? elle ne peul le faire plus nous pourrons hasarder une attaque, et espérer la victoire;
suis méprisée moL-même. i
mais jusque-là, mon avis est d'attendre l'ennemi.
: ne me SAUDANA»AJ.E. —. J'abhorre ce délai ; il y a sans doute moins de
DANAPALE.— Yous, méprisée! vou,s qui faites l'envie de votre dangers à cpmhallre derrière de hautes murailles, à précipiter les
vous qui régnez sur le coeur du maître du monde I ennemis dans des fossés profonds, à les voir se débattre dans les
miiA. — Fussiez-yous le maître Ile vingt mille mondes... pièges qu'on leur tendus; mais ou
ic vous êtes à la veille peut-être (je perdre celui qui vous était j'y perds toute a ardeur. Au contraire, ce genre de combat me déplaît...
is... je me suis aillant avilie en devenant votre maîtresse, que fussent-ils mon une fois lancé sur eux,
ais celle d'un paysan... et surtout d'un paysan grec. entassés les uns sur les autres comme des montagnes,
il faul bien aller jusqu'au bout. Si je dois mourir, que ce soit dans la
IDANAPAI.E.— Vous parlez bien. chaleur dela mêlée!... A l'attaqué donc!
luuiA. —Je ne dis que la vérité.
IDANAPALE.— Quand vient l'heure des revers, tous deviennent
SALÉMENÈS.
— A'ous parlez en jeune soldai.
SAUDANAPALE.— Je ne suis pas soldat, mais homme; ne me parle
geux envers celui qui tombe; mais, comme je ne suis pas en- ' pas de soldais j'en déleste le nom el ceux qui s'en font gloire. Ce
lombé tout-à-fait, et ne me sons pas disposé à entendre des ,
ches, par cela même peut-être que je les mérite, separons- sonl des soldats ceux auxquels je veux faire sentir mes coups.
du moins en paix. SALÉMENÈS.
— Vous ne devez pas exposer témérairement votre
vie; elle n'est pas comme la mienne ou celle de toul autre de vos
RRIIA. — Nous séparer ! Pourquoi ? sujets : toute la guerre en dépend.
IDANAPALE.— Pour votre sûreté ; je me propose de vous don- SAUDANAPALE.—Terminons donc : pourquoi la prolonger? je
ne escorte pour vous reconduire dans voire patrie. Si vous suis las de l'une, et peut-être de toutes deux. (Une trompette sonné.)
z pas élé tout-à-fail reine, les présents que vous emporterez
— Ecoutons.
feront une dot égale au prix d'un royaume. SALÉMENÈS.
nmiA. —Je vous en prie, ne parlez point ainsi.
SAUDANAPALE.
— Répondons au lieu d'écouler.
IDANAPALE.— La reine est partie ; vous pouvez sans honlo,
SALÉMENÈS. —Et votre blessure?
SAUDANAPALE.
r son exemple. Je veux succomber seul... je n'aime à parta- bliée... L'esclave qui m'aeslfait
, —Elle pansée... elle esl guérie... je l'avais ou-
ue le bonheur... celle blessure devrait être honteux
d'avoir frappe un si faible coup.
RRHA. — Et moi, lout mon bonheur esl de ne jamais vous
:r. Vous ne m'éloignerez point de vous.
SALÉMENÈS..
— Puisse maintenant personne ne vous en porter
RDANAPALE. — Pensez-y mûrement ; bientôt peut-être il sera
de plus sûr!
lard. SAUDANAPALE.-— Soil ! si nous sommes vainqueurs; sinon ce sérail
nm laisser une tâche qu'ils devraient m'épargner. Marchons 1
uiuiA. — Tant mieux ; car alors vous ne pourrez me renvoyer.
[IDANAPALE. — Je n'en ai pas la volonté ; mais je pensais que
SALÉMENÈS.
— Je vous suis. ( Les trompettes sonnent encore.)
vouliez partir. SARDANAPALE.
— Allons , mes armes! mes armes, vous dis-je !
nmiA. —Moil ( Us, sortent.)
RDANAPALE.— Vous parliez de votre avilissement.
nmiA. — Et je le sens vivement, plus vivement que lout au
le, si ce n'est l'amour.
RDANAPALE.— Alors que la fuite vous en délivre.
384 LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.
t|
MYRRHA. —Vous virez aussi, je l'espère.
ACTE V. SALÉMENÈS. Je voudrais vivre encore une heure, afin de con- F-

naître le résultat du combat; mais je doute que je puisse aller aussi l
MYRRHA, près d'une fenêtre. — Le jour enfin a paru. Quelle nuit loin. Pourquoi m'avez-vous transporté ici? [=

l'a précédée! nuit magnifique dans le ciel 1... l'orage qui l'a tra- UN SOLDAT. — Par ordre du roi.
versée n'a fait qu'ajouterla variété à sa magnificence! nuit affreuse SALÉMENÈS.
— 11 a bienlesfait : puisqu'on me croyait mort, celle
sur la terre, où la paix, l'espérance, l'amour et la joie, foulés aux vue aurait pu décourager soldats-, mais... c'est en vain; je sens
pieds par les passions hamaines, ont fait place en un instant au revenir ma faiblesse.
chaos!... La guerre conlinue! le soleil peut-il bien se lever si bril- MYRRHA. — Laissez-moi voir la blessure, je m'y connaisun peu |I
lant? Comme il chasse devant lui les nuages, qui se déroulent en dans ma patrie, l'art de soigner les blessés fait partie de l'instruc
vapeurs plus riantes à la vue qu'un ciel uniformémentserein. Elles tion qu'on donne aux femmes.et la guerre étant continuelle, nous "
figurent des dômes d'or, des montagnes de neige, des vagues plus sommes habituées à de tels spectacles. i.
belles que l'Océan. O spectacle qui saisit l'âme, la console el s'i- LE SOLDAT. — Il faudrait extraire le javelot. •:
dentifie avec elle! Oui, MYRRHA. — Arrêtez!
le lever et le coucher du non, cela n'est pas pos-
soleil deviennent des sible.
heures consacrées, à la SALÉMENÈS.
— Alors,
douleur et à l'amour. Ce- c»en est fait de moi.
lui qui les voit avec ndiffé- MYRRHA. — Le sang
rence n'a jamais connu coulerait avec voire vie.
les deux génies qui en- SALÉMENÈS.
— Je ne
noblissent et purifient crains pas la mort. Où
nos coeurs. élait le roi quand vous
m'avez emporté?
BALÉA.
— Jeune fem- LE SOLDAT. — ïNon
me, vous vous livrez à loin de vous, encoura-
une rêverie bien pai-
sible : pouvez-vous re- geant de la voix et du
garder ainsi le lever d'un geste les troupes alar-
soleil qui peut-être est mées qui vous avaient vu
pour nous le dernier ? lomber, et déjà com-
MYRRIIA. — C'est pour mençaientà ployer.
cela même que je le con- SALÉMENÈS. Avcz-
temple; je me reproche vous entendu —nommer
de l'avoir regarde sou- celui qui me remplace?
vent ',' trop souvent, saiis LE SOLDAT. — Non,
la vénération due à cet seigneur.
astre , qui seul commu- SALÉMENÈS.
— Allez
donc en toute hâte trou-
nique à ia terre une vie
moins fragile que celle ver le roi, et dites lui que
de l'homme. Venez! re- ma dernière demandeest
gardez le dieu de la que in.in poste soit confié
Chaldée ! quand
.
je le con- à Zamès, jusqu'à ce
temple je me convertis qu'Oi'ratanôs,satrape de
,
presque à votre Baal. Suze, ait opéré sa jonc-
BALÉA.—Assurément tion tant différée el si
c'est un dieu. ardemmentdésirée.Lais-
MYRRIIA. Nous le sez-moi ; nos. guerriers

croyons aussi, nous au- ne sont pas trop nom-
tres Grecs, et néanmoins breux.
je pense quelquefois que LE SOLDAT. — Mais,
eet astre éclatant doit mon prince...
être plutôt un séjour ha- SALÉMENÈS.
— Partez,
bité par des dieux qu'un vous dis-je! voilà mi
dieu lui-même. Le voilà courtisan el une femme,
maintenant qui perce les lout ce qu'il faut à un
nuages et Trappe mes malade. (Les soldats
yeux d'un éclat qui m'em- sortent.)
pêche de voir le reste du MYRRHA. — Ame vail-
monde. Je ne puis plus lante et glorieuse! la
regarder. lerrc doit-elle donc le
BALÉA. Ecoutez !..
— rien
perdre si lot?
n'avez-vous enten- SALÉMENÈS.
— Aima-
du? ble Myrrha! j'aurais
Mort de Salémenès. choisi cette mort si j'a-
MYRRHA. — Non, ce
n-'est qu'une illusion
: on
vais réussi à sauver le
combat hors des murs et monarque ou la monar-
non plus dans l'enceinte chie ; du moins j'ai la
du palais comme la nuit satisfaction de ne pas
dernière ; le palais est devenu une lorlcresse depuis cette heure leur survivre. <-iÂ,il^lË3',.->;:
périlleuse, et ici, au centre même , entourés de vastes cours et de MYRRIIA. — Vous devenez plus pâle. "
salles gigantesques, qu'il faut emporter l'une après l'autre avant de SALÉMENÈS.
— Donnez-moi votre main... ce javelot brisé ne fait
pénétrer aussi loin que la première fois, nous sommes hors de la que prolonger mes tortures, sans prolonger assez mon existence
portée du danger... aussi bien que delà gloire. pour me rendre utile ; je l'arracheraismoi-même et ma vie en même
combat!
BALÉA.
— Mais les rebelles sont déjà venus ici. temps, si je pouvais seulement apprendre où en est le
MYRRHA. — Oui, par surprise, et la valeur les en a repoussés ; (SARDANAPALE entre avec quelques soldats.)
maintenant nous avons à la fois la vigilance et le courage. SARDANAPALE.—Monbien-aimé frère 1
BALÉA. — Puissent-ils réussir! Ecoutez. SALÉMENÈS.
— El la bataille est perdue?
MYRRHA. —Vous avez raison; on s'approche, mais lentement. SAUDANAPALE.
— Tu me vois.
— J'aimerais mieux le voir ainsi. (// arrache
(On voit entrer des soldats portant SALÉMENÈS blessé d'unjavelot; SALÉMENÈS. le jave-
Us le déposent sur un lit de repos.) O Jupiter! lot de sa blessure et expire.)
BALÉA. — Tout esl donc perdu? SARDANAPALE.—Eton me verra bientôtde même, à moins qu'Ofra-
SALÉMENÈS. — C'est faux I mort au soldat qui dit cela. tanès n'arrive avec ses renforts, faible et dernier roseau sur lequel
MYRRIIA. — Ce n'en est point un, épargnez-le. Ce n'est que l'un s'appuie notre espoir.
de ces papillons de cour qui voltigent dans le cortège d'un roi. MYRRIIA. —N'avez-vouspas reçu un message de votre frère mou-
SALÉMENÈS. — En ce cas, qu'il vive. rant , qui vous désignait Zamès pour lui succéder?
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON. 388

SARDANAPALE.
— Je l'ai reçu. chemin au travers de l'armée ennemie, pour que cette enceinte re-
MYRRIIA.
— Où esl Zâmès? devienne ce qu'elle était... un palais, non une prison on une forte-
SARDANAPALE.
— Mort. resse. . (Un officier entre précipitamment.)
MYRRHA.
— Et Altada? SAUDANAPALE. —Ton visage annonce de trisles nouvelles. Parle.
SARDANAPALE.
— Mourant. L'OFFICIER. — Je n'ose, seigneur.
MYRRIIA.
— Pania? Sféro? SARDANAPALE. — Tu n'oses pas ! quand des millions de nos sujets
SARDANAPALE. — Pania vit encore ; mais Sféro esl en fuite ou pri- osenl se révolter les armes à la main 1 voilà qui est étrange. Je l'en
sonnier. Je suis seul. prie romps ce silence de la loyauté qui craint d'affliger sou souve-
MYRRIIA. — Tout est donc perdu? rain ,; je puis en supporter plus que lu n'as à en dire.
SARDANAPALE. Nos remparts, malgré
— notre petit nombre, peu- L'OFFICIER. — La partie du rempart qui borde le fleuve vient
vent encore tenir contre les forces de l'ennemi si la trahison ne d'être renversée par une inondation soudaine de l'Euphrate, qui,
s'en mêle; mais en rase campagne '"T"-!-^"'-^ gonflé par les pluies tombées dernièrement dans les montagnes, a
MYRRIIA.
— Je pensais que l'intention/^SàléiBenïis, était de ne franchi brusquement ses rives.
pas risquer une sortie PANIA. — runesle pré-
avanld'avoirreçules ren- sage! Depuis des siècles,
forts attendus. * il existe une prédiction
SARDANAPALE.
— C'esl qui annonce que jamais
moi qui l'ai voulu. la ville ne tombera sous
MYRRHA.
— Eh bien ! les efforts de l'homme, à
c'est la faute d'un hom- moins que le fleuve ne se
me de coeur. déclare son ennemi.
SARDANAPALE. —Fau- SARDANAPALE.—Qu'im-
te trop funeste ! O mon porte l'augure! c'est le
frère! je donnerais ces fait qu'il faut voir. Quelle
royaumes dont tu étais longueur de murailles a
le plus bel ornement ; je été emportée?
donnerais mon épée et L'OFFICIER.— Environ
mon bouclier, seule gloi- vingt stades.
re qui me reste, pour le SARDANAPALE.
— Et
rappeler à la vie. Mais je tout cet espace est laissé
ne te pleurerai pas; lu accessible?
seras honoré comme tu L'OFFXIER. — Pour le
as désiré l'être. Ce qui moment le courroux du
m'afflige le plus c'esl fleuve rend loule attaque
,
que tu aies quitté la vie impossible; mais, aussi-
avec la pensée que je tôt qu'il rentrera dans
pouvais survivre à l'anti- son lit, le palais tombera
que royauté de notre au pouvoir des rebelles.
race, pour laquelle tu SARDANAPALE.
— C'est
es mort. Si je parviens à ce qui n'arrivera jamais.
la reconquérir, je t'offri- En dépit des hommes,
rai pour apaiser ton om- des dieux des éléments
bre le sang de milliers ,
et des augures, tous li-
d'hommes, les larmes de gués contre un roi qui ne
millions de rebelles (cel- ies a jamais provoqués,
les des gens de bien t'ap- la demeurede mes pères
partiennentdéjà); si non, ne sera pas une caverne
bientôt nous serons réu- où les loups viendront
nis. Si le souffle qui est hurler.
en nous vit au-delà de la PANIA. — Avec votre
tombe .. tu lis dans mon permission, je vais me
âme maintenant, cl tu me rendre sur les lieux, et
rends justice. Que je ser- prendre les mesures né-
re pour la dernière fois cessaires pour fortifier à
cette main encore chau- la hâle l'espace laissé
de! Maintenant, qu'on sans défense.
emporte le corps! SARDANAPALE.—Cours-
UN SOLDAT. — Où, sei- y sur-le-champ, et rap-
gneur? porte-moi aussi prompte-
SARDANAPALE. — Dans ment que possible, mais
mon propre apparte- exactement le véritable
ment. Placez-lesous mon élat des choses. (Pania
dais comme si c'était le et l'officiersortent.)
.Te ne te dois plus rien, pas même un tombeau.
corps du roi; cela fait, MYHRHA. — Ainsi les
nous aviserons aux hon- flots eux-mêmess'arment
neurs qu'il faut rendre à contre vous 1
de telles cendres. (Des SARDANAPALE.—Jeu ne
soldats emportent le fille, ils ne sont point
corps de Salémenès. — PANIA entre.) mes sujels, et 11 faut leur pardonner puisque je ne puis les punir.
SAUDANAPALE.— Eh bien, Pania! les soldais se comportent tou- MYRRHA. —Je me réjouis de voir que celte prédiction ne vous a
jours bravement? point abattu.
PANIA. — Prince... SARDANAPALE. — Les prédictions n'ont plus d'effet sur moi. On
SARDANAPALE. — Tu m'as répondu I quand un roi demande deux ne peut rien me dire que je ne me sois déjà dit moi-même depuis
fois la même chose, sans obtenir une réponse favorable, c'est un fu- celte nuit ! le désespoir anticipe sur tout ce qui peut survenir.
neste augure. Quoi donc! sont-ils découragés? MYRRIIA. — Le désespoir!
PANIA. — La morl de Salémenès, et les cris de victoire des rebel- le mot ; quand
les en le voyant tomber ont excité en eux...
SARDANAPALE.
— Non, ce n'est point tout-à-fait
nous savons tout ce qui peut arriver, et que nous y sommes prépa-
SAUDANAPALE. — Non du découragement,mais de la rage... c'est rés, noire résolution, si elle esl ferme, mérite un nom plus noble
là du moins ce qui aurait dû arriver. Mais nous trouverons moyen que celui-là. Mais que nous importent les mots ? bientôt nous en
de ranimer leur énergie. aurons fini avec eux et avec loule chose.
PANIA. — Une telle perle est bien faite pour mellre la victoire plus important pour tous
même en deuil.
MYRRIIA.
— Hormis un dernier acte, lequi fut, tout ce qui est...
les mortels, celui qui couronne tout ce
SAUDANAPALE. —Hélas t qui le sent plus vivement que moi? Ce- tout ce qui sera... la seule chose commune à tous le3 hommes,
pendant, ces murs où nous sommes assiégés peuvent opposer quel- quelles que soient les différences de naissance, de langage, de sexe,
que résistance, et les renforts que nous attendons se fraieront un de couleur, de climats, d'époque, de sentiments, d'intelligence...
PARIS. — Imp. Lftcoim el C*, me Souftlot, lfi. in
386 LES VEILLEES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

Îioinl de réunion universelle vers lequel nous marchons dans ce les rangs des rebelles, el son corps dans le fleuve. Qu'on l'em-
le
abyrinllic mystérieux qu'on nomme la vie. mène.
m (Pania et les gardes saisissent le héraut d armes.)
SAUDANAPALE. — Le fil de notre existence tirant à sa fin, livrons- PANIA. — Jamais je n'ai obéi à aucun ordre avec plus de plaisir
nous à la joie. Ceux qui n'ont plus rien à craindre peuvent sourire qt celui-ci. Soldais, enlraînez-le! ne souillez point du sang d'un
qu'à
de ce qui naguère causait leur effroi, comme des enfants qui dé- traître
tr ce séjour de Ta royauté.
couvrent le secret d'un vain épouvaulail. (PANIA rentre.) LE HÉRAUT. — Un mot, roi! mes fonctions sont sacrées.
PANIA. — Grand roi, les choses sont comme on vous Ta rapporté: SARDANAPALE.
demander de les abdiquer?— Et que sont donc les miennes, que lu oses me
j'ai doublé la garde pour veiller près de la brèche occasionnée par d<
les eaux, en diminuant le nombre de ceux qui sont préposés à la LE HÉRAUT. — Je ne fais qu'exécuter les ordres que j'ai reçus. Le
défense de la partie des remparts la mieux fortifiée. danger
d; que me fait courir mon obéissance , un refus me l'eût égale-
SARDANAPALE. Tu as rempli fidèlement Ion devoir, et comme ment attiré.
m
je l'attendais de — toi, mon digne Pania ! Le moment approche où SAUDANAPALE. —Ainsi, des monarques d'une heure de durée I.
les liens qui nous unissaient n'existeront plus. Prends celle clef sont
s< aussi despotiques que des souverains élevés dans la pourpre, j
(il lui donne une clef) ; elle ouvre une porte secrète derrière ma LE HÉRAUT. — Ma vie dépend d'un mot de ta bouche. La tienne j»
couche royale, sur laquelle esl déposé maintenant le plus noble (j le dis avec humilité)... il se peut que la tienne soit dans un dan-
(je
fardeau qu'elle ait-jamais porté, quoiqu'une longue suite de souve- S non moins imminent ; serait-il digne des derniers instants d'une ;
ger
rains se-soient étendus sur l'or qui la compose... elle porte celui race comme celle do Nemrod d'ôter la vie à un héraut pacifique, cl
r:
qui naguère était Salémenès. Cherche le lieu caché où ce passage dde fouler aux pieds, avec ce qu'il y a de plus sacré chez les hommes, };
le conduira, il renferme un trésor ; prends-le pour loi el tes com- c lien plus saint encore qui nous unit aux dieux?
ce
pagnons. Quel que soit votre nombre, il y a autant de richesses que SARDANAPALE. —Il a raison... Qu'on le laisse libre...-Le dernier |:
vous pourrez en porter. Je veux aussi que les esclaves soienl af- aacte de ma vie ne sera pas un acte de colère. Approche, héraut : i
franchis el que tous les babitantsdu palais, de l'un et de l'autre sexe, prends
p cette coupe d'or (il prend sur une table une coupe d'or |
le quittent dans une heure. Mettez à Ilot les barques royales, na- qu'il
q lui donne), verscs-y Ion vin, et pense à moi en la vidant, ou I
guère destinées au plaisir, cl qui doivent maintenant servir à votre fais-la
f fondre en lingot, cl ne songe qu'à son poids et à «a valeur.
sûreté : le fleuve est large cl grossi encore par la crue des eaux ; LE HÉRAUT. — Je le remercie doublement, prince, el pour ayoir j
plus puissant qu'un roi, il n'a rien à craindre des assiégeants. Par- épargné
< ma vie, el pour nravoir fait ce don magnifique,qui me la
tez et soyez heureux. rend
i encore plus précieuse. Mais porlerai-je une réponse? j
PANIA. — Oui, sous voire protection ; car vous accompagnez vo- SARDANAPALE. —Oui; je demande une heure de trêve pour ré- !

tre fidèle garde... " fléchir


f au parti que je dois prendre.
SARDANAPALE.—Non, Pania, cela ne peut être; éloigne-toi, el LE HÉnAUT. — Une heure seulement ?
laisse-moi à ma destinée. SAUDANAPALE.
— Une heure. Si, à l'expiration de ce terme , les
PANIA. — C'est la première fois que j'aurai désobéi... mais main- maîtres
i ne rcçoiventpnsd'autre réponse de moi, ils doivenlen con-
tenant... clure
< que je repousse leurs conditions, cl agir en conséquence.
SARDANAPALE. Tout le monde me brave donc aujourd'hui, cl LE HÉRAUT. — Je ne manquerai pas de transmettre la volonté.

l'insolence dans mon propre palais imite la trahison à l'extérieur! (Le héraut fort.)
Plus d'hésitation; ce sont mes ordres, mes derniers ordres. Veux- SARDANAPALE. — Pania!... c'est maintenant,mon fidèle Pania !...
tu t'y opposer, toi, Pania ? hâle-loi
] d'exécuter mes ordres.
PANIA. — Mais... il n'est pas lemps encore.., PANIA.—Seigneur... les soldats s'en occupent déjà. Los voici
SAUDANAPALE. Eh bien ! jure donc ici que lu obéiras quand je qui viennent. (Des soldatsentrent et construisent un bûcher au-
donnerai — i
le le signal. tour du trône.)
PANIA. — Mon coeur affligé, mais fidèle, vous en fail le serment.
SAUDANAPALE. —Plus haut, mes braves ; mettez y plus de bois :
SARDANAPALE.— 11 suffît... Maintenant, fais entasser ici du bois
établissez les fondements du bûcher de telle sorte qu'il meure
sec, des pommes de pin , des feuillages flétris et tous les combusti- pas faute d'nlimnnls, el qu'aucun secours officieux ne ne puisse l'é-
bles qu'une étincelle peut embraser; qu'on apporte aussi du cèdre, teindre. Que le. trône
des essences précieuses, des aromates, do grandes planches pour en forme le centre ; je ne veux le laisser aux
nouveau-venus qu'embrasé d'une flamme inextinguible. Arrangez-
formerun vaste bûcher; qu'on y joigne de l'encens el de la myrrhe, le
tout comme s'il s'agissait iVincendicr une forteresse ennemie.
car c'est un grand sacrifice que je veux offrir ; tu feras disposer Maintenant, voilà qui prend quelque apparence! Qu'en dis-tu.
tous ces matériaux autour du trône. Pania? ce bûcher scra-l-il suffisant pour les funérailles d'un roi?
PANIA. — Seigneur!
PANIA. — Oui, et pour celles d'un royaume. Je comprends.
SARDANAPALE.—J'ai parlé, et lu as juré d'obéir.
PANIA. — Je vous serais fidèle sans l'avoir juré. (Pania sort.)
SARDANAPALE.
— Et tu ne me blâmes pas?
PANIA. — Permettez senlemont que je mette le feu au bûcher el
MYRRIIA.— Quel esl voire dessein ?"
que j'y monte avec vous.
SARDANAPALE. —Tu connaîtras bientôt un fait que la terre no MYURHA. — Ce devoir mo regarde.
doit jamais oublier. (PANIA revient avec vn héraut d'armes.) PANIA. — Une femme I
PANIA. — Seigneur, au moment où j'allais exécuter vos ordres, MYRRIIA.
— Le devoir d'un soldat esl de mourir pour son souve-
on a conduit devant moi ce héraut qui demande audience. rain : celui d'une femme de mourir avec celui qu'elle aime.
SARDANAPALE. Qu'il parle ! PANIA. — Dévoûmenl étrange!
— Moins rare, Pania, que lu ne l'imagines. Vis cepen-
LE HÉRAUT. — Arbace, roi d'Assyrie... MYRRIIA.

SARDANAPALE.—Quoi 1 déjà couronné! mais poursuis. dant. Adieu, le bûcher est prêt.
LE HÉnATJT. — Bélesès, le grand-prêtre sacré... PANIA. — Je rougirais de laisser mon souverain avec une femme
SARDANAPALE.—Dequel dieu ou do quel démon?... De nouveaux seulement pour partager sa mort.
autels s'élèvent avec de nouveaux rois; mais continue. Tu as élé SARDANAPALE.
— Un trop grand nombredéjà m'ont précédé. Pars,
envoyé pour exécuter les volontés de ion mailrc cl non pour ré- va l'enrichir.
— El vivre misérable!
pondre a mes questions. , PANIA.
LE nÉnAUT. — Et le satrape Ofr.alanès. SAUDANAPALE.—Pense à ton serment il'eslsacrô et irrévocable.
SARDANAPALE. — Comment! il est des vôtres? PANIA. —.Puisqu'il en est ainsi, adieu !
LE HÉRAUT, montrant un anneau— Ce gage te prouve qu'il est SAUDANAPALE.
— Cherche bien dans mon appartement : emporte
maintenant dans le camp des vainqueurs ; lu vois la bague qui lui sans j scrupule tout l'or que lu y trouveras ; ce que lu y laisserais serait
sert de sceau. pour les esclaves qui me tuent. Quand tu auras toul mis en sûreté
SARDANAPALE. — C'est la sienne. Pauvre Salémenès I lu es mortt sur les barques, au moment où tu quitteras le palais , fais retentir
à propos ; cel homme était ton fidèle ami el paraissait mon sujet le, danslesairslesonprolongôdelatrompette. Fuis alors avec tes compa-
plus dévoué. Poursuis. gnons, mais en détournant la tête de ce côte; suis le cours de l'Eu-
LE HÉRAUT. — Us t'offrent la vie; lu seras libre de choisir la ré- phratc. Si lu arrives dans la Paphlagonie, à la cour de Colla où la
sidence dans l'une des provinces éloignées; lu seras surveillé sans5 reine est en sûreté avec ses trois fils, dis-lui ce que tuas vu en
être captif, et tu couleras tes jours en paix; mais à celle condiiion, parlant, et prie-la dose rappeler mes paroles.
que les trois jeunes princes seront livrés comme otages. PANIA. — Seigneur, veuillez me donner votre main royale que
je la presse une l'ois encoresur mes lèvres. Recevez le mènie hom- ,
SARDANAPALE, ironiquement. Généreux vainqueurs I

LE HÉRAUT. ---J'attends la réponse. mage de ces pauvres soldats qui serrent leurs rangs aulourdu trône,
SAUDAN-APALE.— Ma réponse, misérable! Depuis quand les escla- cl qui voudraient mourir avec vous! (Les soldats entourent Sar-
ves ont-ils décidé du sort des rois? danapale, el baisent\sa main'ainsi, que les pans de sa robe.)
LE HÉRAUT. — Depuis qu'ils sont libres 1 SAUDANAPALE.—Mesmeilleurs mes derniers amis! n'énervons
Organe de la révolte! loi, du moins, lu rece- pas mutuellement nos courages. Parlez ,
SARDANAPALE.— sans délai ; les adieux doi-
vras le châtiment dû à la trahison, quoique lu n'en sois (pic le re- vent être prompts. Parlez, el soyez heureux. Croyez-moi, je ne
présentant. Pania, que du haut des remparts sa tète soit jetée danss suis pas à plaindre maintenant; ou, si je lo suis, c'est bien plus
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD RYRON. 387

pour le passé que pour le présent. Quant à l'avenir, il esl entre 1 S


SAUDANAPALE. —Comme la torche que lu tiens. (Myrrha met le
les mains des dieux, s'il en existe je le saurai bientôt. Adieu...
.. et les soldats sortent.) feu au bûcher.) *
adieu! (Pania MYRRHA.
M
— Le bûcher est allumé!... Me voilà! (Au moment
MTRRIIA. — Ces hommes étaient fidèles: c'est une consolation
où Myrrha s'élance dans les flammes, la toile tombe.)
que nos derniers regards puissent tomber sur des visages amis.
SARDANAPALE. — El sur des traits charmants, belle Myrrha!
Mais écoule-moi... le terme falal s'approche... si en ce moment lu FIN DE SARDANAPALBI
éprouves une répugnance secrète à t'élancer dans l'avenir, à travers
les flammes de ce bûcher, parle : pour avoir cédé à ta nature, je ne
l'en aimerai pas moins, peut-êlre même l'en aimerai-jc davantage.
MYRRIIT. — Allumerai-jc l'une des torches entassées sous la lampe
=
éternelle de l'autel de Baal, dans la salle voisine?
SARDANAPALE.
— Oui. Est-ce là ta réponse?(Myrrha sort.) LES
MYRBHA. — Tu vas voir.
SARDANAPALE,seul. — Elle est inébranlable! O mes pères! vous
que je vais rejoindre, purifié peut-êlre par la mort de quelques- DEUX FOSCARI
unes des grossières souillures de la nature matérielle , je n'ai pas
voulu que des esclaves révoltés déshonorassent par leur présence
votre antique demeure. Si je n'ai pas conservé votre héritage Ici que
vous me l'avez légué , du moins ce palais qui en contient une por- TRAGÉDIE niSTOniQUBi
tion splendide, vos trésors, vos armes consacrées, vos archives,
vos monuments, vos trophées, dont ces misérables auraient paré
leur triomphe ; lout cela, pour vous le rendre, je l'emporte avec
moi dans cet élément destructeur... Ce grand bûcher funéraire de la
royauté sera une leçon pour les siècles, pour les nations rebelles,
pour les princes voluptueux. Le temps couvrira de l'oubli les an-
nales de plus d'un peuple, les exploits de plus d'un héros; mais il PERSONNAGES.
respectera mon dernier acte, exemple que peu oseront imiter, que ^
nul n'osera mépriser; et peut-êlre celte fin délournera-t-elle plus
d'un roi d'imiter la vie qui m'y a conduil. (Myrrha revient avec FRANCESCO „ FOSCARI doge de Venise.
, — JACOPO FOSCARI , son fils.
JACOPO LOREDANO, patricien. MARCO MEMMO, membre du
une torche dans une main, et une coupe dans l'autre. ) —
conseil des Quarante. — BAHDARIGO,sénateur.—MARINA, femme
MYRRIIA..— Vois, j'ai allumé le flambeau qui doit éclairer notre dujeune Foscari. — Autres sénateurs, le conseil des Dix, gar-
vol vers les astres. des, serviteurs, etc.
SAUDANAPALE. — Et la coupe?
MYRRIIA. — 11 est d'usagedans ma pairie de faire unelibation aux La scène est à Venise, dans le palais ducal.
dieux.
SARDANAPALE. — El dans la mienne de faire une libation aux
hommes; c'est unecoutume que je n'ai pas oubliée ; et quoique seul,
je viderai une coupe en mémoire de tant de banquets joyeux.
( Sardanapale prend la coupe qu'il renverse après avoir bu, et ACTK PRUlMIEIl.
s'écrie en voyant tomber une goutte : ) Cette libation est pour
l'excellent Bélesès. Une salle du palais duca).
MvnniiA.— Pourquoi le nom de cet homme se présente-l-il à ta LOREDANO. — Où est le prisonnier?
pensée plutôt que celui de son complice en scélératesse? BARIIAUIGO. — H se repose aprè3 avoir été mis à la question.
SAUDANAPALE. — L'un n'est qu'un soldai, un instrument, une
LOUEDÂNO. nier pour reprendre le procès est déjà
— L'heure fixéecollègues
sorte d'épéo vivante dans la main de son ami ; l'autre fait jouer les passée... Allons rejoindrenos
fils de cette marionnette guerrière. Mais je les bannis tous deux de [parution de l'accusé. au conseil et presser la com-
mon souvenir... Un moment encore, ma Myrrha I Est-ce librement » BARRAUIGO.
cl sans crainte que lu m'accompagnes? — Accordons-luiplutôt encore qiiclqucsminiites
l'a épuisé
pour
MYUUHA.—Doutes-tu donc qu'une fille grecque ose faire pour reposer sessuccomber membres souffrants : hier la torture et il
lot.
l'amour ce que fait une veuve indienne pour obéir à la coutume? ' LOREDANO. Soit. si on la renouvelait trop
pourrait y
SARDANAPALE. — Alors nous n'attendons plus que le signal. —
MYRRHA. —11 tarde bien à retentir.
BARIIARHIO. —Je ne vous le cède ni en amour delà justice, ni en
.haine pour les ambitieux Foscari, le père, le fils et toute leur dan-
SAUDANAPALE. — Allons, adieu t un dernier embrassemcnl!
MYUUHA. —11 en reste un encore. gereuse
] race ; mais le malheureux a souffert plus que ne peut en-
SAUDANAPALE. —11 est vrai, le feu mêlera nos cendres.
durer la nature la plus stoïque.
LOREDANO.—Sans avouer son crime?
MYRRIIA. — Oui, mes cendres se mêleront aux lionnes, pures Peut-être n'en a-t-il commis aucun. Mais il avoue
BARUAIUGO.
comme mon amour pour loi, dégagées des souillures et des passions la lettre au duc—de Milan ; el cotte erreur esta demi expiée par ses
terrestres. Une seule pensée m'afflige. souffrances.
SAUDANAPALE. — Laquelle ?
LOREDANO. — Nous verrons.
MvnniiA.—C'est qu'aucune main amie ne recueillera nos deux BAnnARiGO. — Loredano vous poursuivez trop loin votre haine
poussières dans une urne commune. héréditaire. ,
SARDANAPALE. — Tant mieux ; qu'elles soient dispersées dans LOREDANO. —Jusqu'où?
l'air, jetées à tous les vents, et non souillées par le contact des
BARIIAUIGO. —Jusqu'à la mort.
mains de traîtres et d'esclaves. Dans ce palais en flammes, dans LOREDANO. —Quand il n'existera plus un Foscari, vous pourrez
les ruines fumantes de ces gigantesques murailles, nous laissons un parler ainsi... Rendons-nous au conseil.
monument plus imposant que l'Egypte n'en a construit dans ces
montagnes de pierres entassées pour servir de tombeau à ses rois. complet il —faut moment
BARDAUIGO. Un encore : nos collègues ne sont pas au
MYUUHA. —Adieu donc, ô terre ! el toi, le plus beau lieu do la ; en encore deux pour que nous puissionsagir.
LOREDANO. —Et le président du tribunal, le doge?
terre ! adieu, mon Ionic ! Puisses-tu toujours êlrc libre cl belle ! cl BAUUARIGO. —Oh! lui...
que jamais la désolation n'approche les rivages 1 ma dernière prière! il arrive toujours le premieravec une fortitude plus que romaine,
est pour loi ; tu as aussi mes dernières pensées, hormis une seule. contre pour siéger dans ce malheureux procès
SAUDANAPALE. — El celle-là? son dernier et unique fils.
LOREDANO. — Oui oui... c'est bien le derjjjer.
MYURHA. — Elle est pour loi. (La trompette de Pania se fait{ ,
•BAUUARIGO. — Bien ne pourra-t il vous émouvoir?
entendre.) LOREDANO. — Croyez-vous qu'il s'émeuve, lui ?
SAUDANAPALE. — Ecoule ! BARBAMGO; — H n'en laisse rien voir-
MYRRIIA.— Le moment est venu ! LOREDANO. — C'est ce que j'ai observé... Le scélérat!
SAUDANAPALE. —Adieu, Assyrie! je t'aimais, ô ma terre natale!! BAUUARIGO.—Maishier on m'a dit qu'à son retour dans ses ap-
\ terre de mes aïeux ; je l'aimais plus comme ma patrie que commee parlements, en franchissant le seuil, le vieillard s'est évanoui,
' mon royaume; je l'ai rassasiée de paix el de plaisirs, et voilà maa LOREDANO. — Cela commence donc à faire son effet,
i récompense ! A présent, je no te dois rien pas môme un tombeau.i. BARIIAUIGO. — C'est en partie votre ouvrage.
(// monte sur le bûcher.) Maintenant,'Myrrha ,
! LOREDANO. — Je devrais l'avoir fait loul entier... mon père et mon
MYUUHA. — Es-tu prêt? oncle ne sonl plus.
388 LES VEILLEES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

BARRARIGO. —J'ai là leur épilaphc, qui rapporte qu'ils sontmorts les mains pleines deecs trésors, qui prouvaient que j'avais sondé
par le poison. l'a
l'abîme. Fier de ma prouesse, je frappais l'onde qui rejaillissait au
LOREDANO. — Le doge ayant déclaré un jour que jamais il ne se loin,
loi je rendais un libre cours à mon haleine comprimée; puis je
croirait souverain tant que Pielro Loredano serait en vie, les deux rejetais
re l'écume qui s'élevait autour de moi el reprenais ma course
frères tombèrent malades peu de temps après... et il esl souverain, avec la légèreté de l'oiseau des mers... J'étais alors enfant.
av
BAHBARIGO. —Souverain infortuné. LE GARDE.— Maintenant, soyez homme.
LOREDANO.—Queméritent d'être ceux qui ont fait des orphelins? J. FOSCARI,regardant par là fenêtre. —O ma belle Venise ! uni-
BARBARIGO. — Mais si vous l'êtes, est-ce bien le doge qu'il en faut qi dans le monde I... c'est maintenant que je respire! Comme la
que
ac Miser? brise,
bi ta brise de l'Adriatique caresse doucement mes traits! Il y a
LOREDANO. — Sans doute. dans
d: le souffle du vent un charme natal qui rafraîchit el calme le
BARBARIGO. — Et les preuves? sang
sa dans mes veines I Combien il diffère de ce vent de feu des tris-
LOREDANO. — Quand les princes agissent en secret, les preuves tes
te Cyclades qui hurlait à Candie autour de mon cachot et faisait
et les poursuites deviennentdifficiles : mais j'ai assez des premières défaillir mon coeur.
di
pour me passer des secondes. LE GARDE. — La couleur revient sur vos joues : que le ciel yous
BARBARIGO. — Mais vous aurez recours aux lois ? envoie
ei la force de supporterles souffrances qui peuvent encore vous
LOREDANO. — A toutes les lois qu'il voudra bien nous laisser. être imposées!... Je n y puis penser sans frémir.
êl '
' BARBARIGO. — Elles sont telles dans celle république que l'on y J. FOSCARI.—Sans doute ils ne me banniront plus?... Non,
obtient réparation plus facilement que chez aucun peuple. Est-il non...
n qu'ils me torturent: il me reste des forces. [;
vrai que sur vos livres de commerce, source de la richesse de nos LE GARDE. — Avouez tout, et la question vous sera épargnée.
Çlus nobles maisons, vous ayez écril ces mois : « Doit le doge J. FOSCARI. — J'ai avoué une première fois , une seconde : deux
oscari, pour la mort de Marco et Pielro Loredano, mon père et fois
f< ils m'ont exilé.
mon oncle... LE GARDI!. — Et à la troisième ils vous tueront.
LOREDANO. — Cela est écril. J. FOSCARI. — Qu'ils en fassent à leur gré. Je serai du moins
BARBARIGO. — Et ne l'effacercz-vous pas ?
enseveli
e dans ma terre natale : plutôtêtre poussière ici que de vivre
LOREDANO. — Quand il y aura balance. partout
p ailleurs.
BARBARIGO.—Etcomment? (Deuxsénateurs traversent la scène LE GARDE. — Comment aimer à ce point un pays qui vous bail ?
se rendant à la salle du conseil des Dix. ) J. FOSCARI.— Le paysl... oh ! non : ce sont les enfants de ce pays
LOREDANO. — Vous voyez que le nombreest complet : suivez-moi. qui me persécutent; mais la terre natale me recevra dans ses bras
c.
BARBARIGO, seul. — Te suivre! Je l'ai suivi trop longtemps dans (comme une mère. Je ne demande qu'un tombeau vénitien, un ca-
la carrière de destruction, commelavague suit la vague, toutes deux chot,
( tout ce qu'on voudra, pourvu que ce soit ici.
submergeante!le navire que fait craquerle souffle des vents furieux, (Entre un officier.)
cl le malheureux naufragé qui crie dans ses flancs entr'ouverts où L'OFFICIER.— Amenez le prisonnier.
LE GARDE. — Seigneur, vous entendez l'ordre.
se précipitent les flots. Un pareil fils, un pareil père pourraient J. FOSCARI.—Oui,je suis accoutumé à de semblables appels; c'est
fléchir la rage des éléments ; et moi je dois les poursuivre sans re-
lâche... Oh! que ne suis-je, comme les vagues, aveugle el sans ' troisième fois... (Au garde.) Prèle-moi l'appui de ton bras.
la
remords... Le voici qui s'avance!... Tais-toi, mon coeur! Ils sont L'OFFICIER.
— Prenez le mien ; mon devoir est de me tenir auprès
mes ennemis et doivent être mes victimes. Te laisseras-tu loucher de
' votre personne.
par ceux qui ont failli te briser? (Entrent des gardes , con- J. FOSCARI.— Vous! c'esl vous qui, hier, avez présidé à mon sup-
duisant le jeune FOSCARI. ) plice... Arrière! je marcherai seul.
L'OFFICIER.—Comme il vous plaira, seigneur : la sentence n'a
UN GARDE.—Laissons-lereposer. Seigneur, ne vous pressez pas.
JACOPO FOSCARI. —Je te remercie, mon ami ; je suis faible. Mais pas été signée par moi ; mais je n'ai pu désobéir au conseil quand...
lu t'exposes à une réprimande.
J. FOSCARI.—Quand on t'a commandé de m'étendre sur cet hor-
rible instrument.Je t'en prie, ne me louche pas, c'est-à-dire pas en-
LE GARDE. — J'en courrai le hasard.
J. FOSCARI. —Tu es bon.... Je trouve encore de la compassion, core : ils ne tarderont pas à renouveler cet ordre; jusque-là, reste
loin de moi. Quand je regarde ta main, tous mes membres se gla-
mais point de merci : c'est la première fois. cent et frissonnent au pressentiment de tortures nouvelles, et une
LE GARDE. — Et ce pourrait être la dernière si ceux qui nous
gouvernent nous voyaient. , sueur froide baigne mon front, comme si... Mais marchons. J'ai
supporté ces tourments...je puis les supporter encore... Quel aspect
BARBARIGO, s'avançantvers le garde.
— 11 en esl un qui te voit: a mon père?
cependant ne crains rien ; je ne serai ni ton juge ni ton accusateur;
bien que l'heure soit passée, attends leurs dernier» ordres... Je suis L'OFFICIER.
— Son aspect accoutumé. firmament, de la mer
J. FOSCARI.— Il en est ainsi de la terre, du
un des Dix, el ma présence serait Ion excuse: quand on entendra le azurée, de notre brillante cilô, de l'éclat de ses édifices, de la gaîlé
dernier appel, nous entrerons ensemble... de la place publique : en cet instant même, le joyeux murmure de
J. FOSCARI. — Quelle est celle voix ?... Celle de Barbarigo, l'en- la foule, venue des quatre coins du monde, arrive jusqu'ici, jusque
nemi de notre maison, cl l'un de mes juges. dans ces salles où quelques inconnus gouvernent, où d'autres in-
BARBARIGO. — Pour balancer son inimitié, si elle est réelle tu as1
ton père qui siège au tribunal. , connus sans nombre sont jugés et immolés en silence... Toul a con-
J. FOSCARI. — C'est vrai : il esl mon juge. servé le même aspect, tout, jusqu'à mon pèrel Rien ne compalil au
BARBARIGO.—N'accusedonc pas la sévérité de nos lois. sort de Foscari, pas même un autre Foscari. Monsieur, je vous suis.
J. FOSCARI. — Je me sens faible : permettez-moi, je vous prie (Jacopo Foscari, l'officier et les gardes sortent. Entre MEMMO avec
pour respirer un peu, d'approeber de cette fenêtre qui me donne sur,\ un autre sénateur.)
la mer. ( Entre un officier qui parle bas à Barbarigo ) MEMMO.
— Il est parti... nous sommes venus trop lard... Pensez-
vous que les Dix restent longtemps en séance aujourd'hui?
BARBARIGO, aux gardes. —Conduisez-leà la fenêtre. Je ne puis* LE SÉNATEUR.— On assure que le prisonnier est on ne peut plus
lui parler davantage : j'ai transgressé mon devoir en lui adressantt endurci et persiste dans ses premières déclarations ; mais je n'en
ce peu de mois; el il faut que je renlrc dans la salle du conseil. sais pas davantage.
( Barbarigo sort. Le garde conduit J. Foscariprès de la,fenêtre.)) MEMMO. — C'est déjà beaucoup : les secrets de celte salle terrible
LE GARDE. — Ici, seigneur: la croisée est ouverte... Commentt nous sont cachés, à nous, les premiers de l'Etat, comme ils le sont
vous Irouvez-vous? au peuple.
J. FOSCARI. — Faible comme un enfant... O Venise! LE SÉNATEUR. — Ici, certaines rumeurs, pareilles à ces contes de
LE GARDE. —El vos membres? revenants qu'on débite dans le voisinage des châteaux en ruine, ne
J. FOSCARI. Mes membres! Combien de fois ils m'ont emportéS sonl jamais pleinement vérifiées, ni totalementniées... mais, sauf
bondissant sur— celte mer d'azur avec la gondole que je guidais, danss cela, les actes réels du gouvernementsont aussi inconnus que les
ces joules enfantines où, tout noble que j'étais, je disputais le prixi mystères du tombeau.
de la vigueur à mes joyeux rivaux : cependantune foule de beautés s MEMMO. — Mais, avec le temps, nous avançons dans la connais-
plébéiennes el patriciennes nous encourageaientpar leurs sourires s sance de ces secrets, cl j'espère bien être un jour au rang des dé-
éblouissants, l'expression de leurs voeux leurs mouchoirs agités enii cemvirs.
,
l'air, leurs battements de mains!... Combien de fois, d'un bras pluss LE SÉNATEUR. — Ou devenir doge?
robuste encore, d'un coeur plus hardi, j'ai fendu la vague irritée ! MEMMO.
— Non, si je puis l'éviter.
D'un seul effort, je rejetais en arrière les flots qui baignaienlma a LE SÉNATEUR.— C'est le premier poste de l'Etat : de nobles con -
chevelure, et d'un souffle je brisais la lame audacieuse qui, comme e currents peuvent y aspirer légitimement, et légitimement l'obtenir.
une coupe de vin, venait humecter mes lèvres : je suivaisle mouve- MEMMO. —Je le leur abandonne. Quoique d'une haute naissance,
ment de l'onde; et plus elle m'emportait haut, plus j'étais fier. Sou- mou ambition est limitée : j'aime mieux être au nombre des unités
vent, dans mes joyeux ébats, je plongeais au fond de leur verdâtre e qui composent le pouvoir impérial et collectif des Dix, que de bril-
et vilreux domaine et j'atteignais les coquillages et les plantess 1er en zéro couvert d'or, mais isolé... Mais qui vient ici? l'épouse de
marines, invisiblesaux spectateurs épouvantés ; bientôtje reparaissaisis Foscari ! (Entre MARINA avec une suivante.)
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON. 38«

MARINA.
— Quoi ! personne?... Je me trompe, il y a encore deux soi que des assassins. Place ! place ! (Marina sort. — L'officier
sont
nobles Vénitiens ; mais ce sont des sénateurs. tn
traverse la scène avec une attire personne.)
MEMMO.
— Noble dame, nous attendons vos ordres. MEMMO. —Je ne croyais pas que les Dix fussent capables de tant
MARINA.
— Mes ordres !... hélas I ma vie a été une longue suppli-
J6 compassion, et pussent permettre qu'on secourût le patient.
de
cation... el une supplication inutile! LE SÉNATEUR.— De la compassion! est-ce en montrer que de
MEMMO. —Je vous comprends; mais ne puis vous répondre.
MARINA, avec feu. —11 esl vrai, nul ici n'ose répondre, si ce n'est
rendre
[£ le sentiment à un être trop heureux d'échapperà la mort par
l'évanouissement,
J.* dernière ressource de la faible nature contre
sur le chevalet... nul ne doit questionner, excepté ceux... l'excès des souffrances?
MEMMO, l'interrompant.—Nobledame! rappelez-vous où vous
êtes en ce moment. MEMMO.
— Je m'étonnequ'ils ne le condamnentpas sur-le-champ.
LE SÉNATEUR.—Tellen est pas leur politique : ils veulent lui lais-
MARINA.— Où je suis !... dans le palais du père de mon époux.
MEMMO. — Oui, le palais du doge. f~ la vie, précisément parce qu'il ne redoute pas la mort; ils veu-
ser
MARINA.— Et la prison de son fils... Certes, je ne l'ai point ou-
lent le bannir, parce que tout pays autre que sa terre natale est pour
blié ; et, à défaut d'autre souvenir plus proche et plusamer, je vous ,,"| une vaste prison, et que chaque souffle d'air étranger qu'il res-
lui
remercierais de m'avoir rappelé les charmes de ce lieu. pire
™ est un poison lent qui le consume sans le tuer.
MEMMO — Calmez-vousI
MEMMO.
— On a maint indice de ses crimes, mais il n'avoue pas.
. LE SÉNATEUR.— Il ne reconnaît que la lettre qu'il dit avoir écrite
MARINA. suis calme. (Levant les yeux au ciel.) Mais loi, d
— Jedemeurer
Dieu, peux-tu calme en voyant ce monde. ~î duc de Milan sachant bien qu'elle tomberait entre les mains du
au
MEMMO. — Voire mari peut encore être absous.
sénat, et qu'on le ramèneraità Venise.
MARINA. — Il esl absous dans le ciel. Mais, je vous prie, seigneur
MEMMO.
— Comme accusé toujours.
LE SÉNATEUR.— Sans doute ; mais il pouvait revoir son pays ; et,
sénateur, ne me parlez pas de cela : ils sont là, ou du moins ils y j de son propre aveu, c'est tout ce qu'il demandait.
étaient tout à l'heure, face à face, le juge et l'accusé : le condam- MEMMO. — La corruption a élé prouvée.
nera-t-il? LE SÉNATEUR.— Pas clairement, et l'accusation d'homicide a été
MEMMO.—J'espère que non. annulée
MARINA. — Mais s'il ne le fait pas, il est des hommes qui les Ira- * par la confession qu'a faite à son lit de mort Nicolas Erizzo,
duiiont en jugement tous les deux. Mon époux est perdu! mAirliïcr du dernier président du conseil des Dix.
MEMMO. —11 doit y avoir quelque chose de plus dans cet étrange
MEMMO. — A Venise, madame, c'est la justice qui juge.
MARINA. — S'il en était ainsi, il n'y aurait plus de Venise aujour-
procès
{! que les crimes apparents de l'accusé... Mais voici deux mem-
d'hui. Cependant, qu'elle vive, pourvuque les bons ne meurentqu'à sortent. bres
" du conseil des Dix : retirons-nous. (Memmo et le sénateur
l'heure où la nature les appellera. (Un faible cri se fait entendre.) Entrent LOREDANO et BARBARIGO.)
Ah!... un cri de douleur. BARBARIGO. — C'est aller trop loin. Il n'était pas convenable,
LE SÉNATEUR. — Ecoutons. croyez-moi,
ci de continuer la procéduredans un tel moment.
LOREDANO. — Il faudrait donc que le conseil des Dix se séparât,
MEMMO.
— C'était...
MARINA^— Ce n'élait pas mon époux, ce n'était pas Foscari. qque la justice s'arrèlàt dans son cours, parce qu'une femme pré-
MEMMO.—Mais la voix... tendrait
l( interrompre nos délibérations?
MARINA. — Ce n'était pas la siennc,"non. Lui, pousser un cri! cela BARBARIGO. — Non, ce n'est pas pour ce motif : vous avez vu
conviendrait à son père... mais lui. . lui... il mourra en silence. l'étal
I' de l'accusé.
(Nouveau cri de douleur.) LOIIEDANO. — N'cst-il pas revenu à lui ?
MEMMO. — Encore 1 BAUUARIGO. — Oui, pour succomber à toute torture nouvelle.
MARINA. — C'esl sa voix! scmhlc-t-il.... Ahl je ne puis le croire. LOREDANO. —On ne l'a pas essayé.
S'il faiblissait, je ne cesserais pas de l'aimer'; mais non... il faudrait BAUUARIGO.
— Vous auriez tort de vous plaindre ; la majorité du
une horrible torture pour lui arracher un gémissement. conseil
c était contre vous.
LE SÉNATEUR.
— Sensible comme vous l'êtes aux souffrances de LOREDANO. — Grâce à vous, seigneur, et au vieux doge imbécile,
votre époux, voudriez-vous donc qu'il supportât en silence des dou- qui <] avez ajouté vos voix à celles des opposants.
leurs au-dessus des forces d'un mortel? BARBARIGO.
— Je suis juge ; mais j'avoue que celle partie de mes
MARINA. — Nous avons tous nos tortures à souffrir. Je n'ai pas austères
n fondions qui prescrit la torture et nous contraint d'assister
laissé stérile l'illustre maison des Foscari; et, quoi qu'ils puissent »aux souffrances du prévenu, me fait désirer...
endurer en quitiant la vie, j'ai souffert autant pour la donner à LOREDANO.
— Quoi?
leurs héritiers. Celaient des tortures joyeuses que les miennes, et BARBARIGO. — Que vous sentiez parfois ce que je sens toujours.
pourtant assez déchirantes pour m'arracher des cris... mais je n'en LOREDANO. — Allez : vous êtes un enfant, aussi capricieux d»™»
ai point poussé un seul ; car j'espérais mettre au monde des héros, vos i sentiments que dans vos résolutions, changeant au moindre
et jve ne voulais pas les accueillir par des larmes. souffle,
s ébranlé par un soupir, amolli par une larme... admirable
MEMMO.—On se tait maintenant. juge
j pour Venise I digne associe de ma politique !
MARINA. — Tout est fini peut-être : mais je ne puis le croire; il a BARBARIGO.— Il n'a point versé désarmes.
rappelé son énergie, et il brave ses bourreaux. LOREDANO. — Deux fois il a poussé un cri.
(Un officier entre précipitamment.) BARBARIGO.
— Un la saint n'aurait pas pu s'empêcher d'en faire
MEMMO. — Eh bien ! que cherchez-vous? autant,
« même avec couronne de gloire devant les yeux mais
L'OFFICIER.— Un médecin. Le prisonnier s'est évanoui. i n'a pas crié pour implorer la pitié : pas une parole, pas un gémis-
il
(L'officier sort.) 'sement 1 Les deux cris
qu'il a poussés n'avaient rien de suppliant;
MEMMO. — Madame, il serait sage de vous retirer. la douleur les arrachait, et nulle prière ne les a suivis.
LE SÉNATEUR.— Je vous en conjure, parlez. LOREDANO. —11 a plusieurs fois murmuré entre ses dents des pa-
MARINA. —Arrière! je veux lui donner mes soins. roles inarticulées,
MEMMO. — Yous ! rappelez-vous, madame, que personne ne peutt BARBARIGO. — Il m'a semblé, à ma grande surprise, que vous étiez
entrer dans ces salles, hormis les Dix et leurs familiers. louché de compassion; car au momentoù il s'est évanoui, vous avez
MARINA. — Oui, je sais que nul de ceux qui entrent là n'en sortt élé le premier à demander du secours,
comme il y est entré... que beaucoup n'en sortent jamais ; mais oni LOREDANO. — Je craignais que cet évanouissementne fût le
ne m'empêchera point d'y pénétrer. dernier,
MEMMO. — Hélas ! c'est vous exposer à un dur refus, à une attente e BARBARIGO. —Et ne vous ai-je pas entendu dire souvent que votre
plus cruelle encore. plus ardent désir serait sa mort et celle de son père ?
MARINA. — Qui osera m'arrêter? LOREDANO. — S'il meurt innocent, c'est-à-dire sans avouer son
MEMMO. — Ceux dont le devoir est de le faire. crime il sera regretté.
, tuer sa mémoire?
MARINA. — C'est donc leur devoir de fouler aux pieds tout senti- i- BARBARIGO. — Voudriez-vous donc aussi passât à ses enfants ; ce
ment d'humanité, tous les liens qui unissent l'homme à ses sem- ,. LOREDANO.— Faudrait-il que sa fortune
blables, de rivaliser avec les démons qui, un jour, les lécompense- 3- qui doit avoir lieu si sa mémoire n'est flétrie?
ront en exerçant sur eux des tortures non moins variées ! Cepen- L- BARBARIGO. — Guerre donc à ses enfants?
dant je passerai... LOREDANO.— Et à toute sa race, jusqu à l'anéantissement des
MEMMO. — Impossible1 siens ou des miens.
MARINA. —C'est ce que nous verrons. Le désespoir défie le des- 5. BARBARIGO. — Et la cruelle agonie de sa pâle épouse ; et les con-
potisme lui-même. Il y a quelque chose dans mon coeur qui me fe- ». vulsions réprimées du front majestueux et fier de son vieux père,
rait passer à travers les lances hérissées d'une armée. Pensez-vous js Toul cela n'a-l-il donc pu vous émouvoir ? (Loredano sort.)
donc que deux ou trois geôliers suffisent pour m'arrêter? Place! îl Muet dans sa haine, comme Foscari l'était dans ses souffrances I
noiis sommes dans le palais du doge, je suis l'épouse pu fils du
lu Ah ! l'infortuné était plus louchant par son silence que n'auraient élé
de
doge, son fils innocent: voilà ce qu'ils entendront de ma bouche. e. mille clameurs. Ce fut une scène affreuse, quand son épouse égarée
MEMMO.— Ceci ne fera qu'exaspérerdavantage ses juges. par la douleur s'est précipitée dans la salle du tribunal, et a vu ce
MARINA. — Qu'est-ce que des juges qui écoutent la colère? Ce ne ne I que nous pouvions à peine supporter, nous accoutumés à de tel»
390 LES VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

spectacles. Je ne dois plus penser à cela, de peur que la compas- m'arrêta;


n un messager fui envoyé aux Dix ; mais la cour n'étant
sion pour nos ennemis ne me fasse oublier leurs injures et perdre pplus en séance, cl la permission ne m'ayant pas élé donnée par
la vengeance que Loredano prépare pour lui et pour moi, ; mais la éécrit, on m'a renvoyée, et jusqu'à la réunion prochaine du haul tri-
mienne se contenterait de moindres représailles que celles dont il a bunal,
L les murs de la prison doivent continuer à nous séparer.
soif, et je voudrais modérer sa haine trop profonde Du moins LE DOGE, — En effet, dans la précipitation avec laquelle la cour j
Foscari a obtenu maintenant quelque répit, sur la demande des an- s'est
s séparée, on a omis cette formalité, et jusqu'à ce que le tribu-
ciens du conseil, émus sans doute par la présence de sa femme et nal
r se réunisse, votre demande ne peul être accueillie. j
par le spectacle de ses tortures... Mais les voici : quelle faiblesse et MARINA.
— Jusqu'à ce que le tribunal se réunisse! ctquahd il se f
quel abattement! je ne puis supporter leur vue : parlons el allons es- réunira,
i ce sera pour le livrer de nouveau à la torture; et c'est à ce j:
sayer d'adoucir Loredano. ( Barbarigo sort.) prix
j que lui el moi nous devrons acheter une réunion fondée sur le
Ilien le plus saint qui soit sous le ciel O Dieu! peux-tu voir de I
— pareilles
1 choses ! i
LE DOGE. — Mon enfanl! mon enfant!
ACTE H. MARINA brusquement.
, — Ne m'appelez pas votre enfant, vous ij
n'aurez bientôt plus d'enfants; vous n'en méritez pas, vous qui
Une salle du palais ducal. pouvez parler aussi tranquillement d'un fils dans des circonstances \
qui feraient verser des larmes de sang à un Spartiate. Il esl vrai j
Le DOGE et un SÉNATEUR. que les citoyens de Lacôdémone ne pleuraient pas leursfils morts [
sur le champ de bataille; mais il n'est pas écrit qu'ils le's voyaient j
LE SÉNATEUR. — Vous plaît-il de signer maintenant le rapport, déchirer lentement sans étendre la main pour les sauver. \

ou préférez-vous le renvoyer à demain? LE DOGE.


— Vous me voyez : je ne puis pleurer... je le voudrais : ]
LE DOGE. Je le signerai maintenant ; je l'ai parcouru hier : il mais si chacun des cheveux blancs qui sonl sur ma tète était une
n'y manque— plus que la signature. Donnez-moila plume. (// s'assied jeune vie, si celle toque ducale était le diadème de la terre, si cet
et signe.) Voilà, seigneur. anneau ducal avec lequel j'épouse la mer était un talisman capable
LE SÉNATEUR,après avoir regardé le papier. —Vous avez orfblié de dompter les flots... eh bien! jedonnerais lout cela pour lui.
de signer. MARINA.
— 11 n'en faudrait pas tant pour le sauver.
LE DOGE. — Je n'ai pas signé? Ah! je m'aperçois que l'âge af- LE DOGE.
— Celle réponse me prouve seulement que vous ne
faiblit ma vue : je n'avais pas remarqué qu'il n'y avait pas d'encre
connaissez pas Venise. Hélas! comment la connaîtriez-vous?elle
à ma plume. ne se connaît pas elle-même avec tous ses mystères. Ecoulez-moi :
LE SÉNATEUR. (// trempe la plume dans l'écriloire, et remet le ceux qui en veulent à Foscari n'en veulent pas moins à son père;
papier devant le doge.) — Votre main tremble : permettez... la ruine du chef de la maison ne sauverait pas son fils ; ses adver-
LE DOGE. — C'est fait : je vous remercie. saires visent au même but pat- des moyens divers, et ce but est
LE SÉNATEUR.—Ainsi, l'acte ratifié par vous el par les Dix donne, mais ils ne sonl pas encore vainqueurs.
la paix à Venise. MARINA.
— Pourtant ils vous ont écrasés.
LE DOGE. — Pas encore... je vis.
LE DOGE. — Elle n'en a pas joui depuis bien des années : puisse-
t-il s'en écouler autant avant qu'elle reprenne les armes! MARINA.
— Et votre fils... combien de temps vivra-t-il?
LE SÉNATEUR. — Voilà bientôt quatre ans de guerres presque in- LE DOGE. — Malgré tout ce qui s'est j^issé, jo compte que sa vie
cessantes avec les Turcs et les Etats d'Italie. La République avaitl sera plus longue cl plus heureuse que celle de son père. L'impru-
besoin de repos. dent jeune homme, dans sa féminine impatience de revoir sa patrie,
LE DOGE. —Sans doute : je l'ai trouvée reine de l'Océan, et je lat a tout détruit par celte fatale lettre qu'on a interceptée : crime pa-
laisse souveraine de la Lombardic. J'ai la consolation d'avoir ajouté. lent que je ne puis nier ou excuser, comme père ou comme (loge.
à son diadème deux perles :Brcsciael BavennejCrcma et Bergaine3 S'il eût supporté un peu plus longtemps son exil à Candie, j'avais
lui appartiennent également. Ainsi son empire sur terre s'est étendu1 des espérances... il les a toutes détruites : il faut qu'il retourne...
sous mon règne sans qu'elle perdît rien de sa domination maritime.1 MARINA. — En exil?
LE SÉNATEUR. —Bien de plus vrai, cl vous méritez la reconnais- LE DOUE. —Je l'ai dit.
sance de la patrie. MARINA.
— Et ne puis-je raccompagner?
LÉ DOGE. —Je ne me suis pas plaint, seigneur. LE DOGE. — Vous savez que celte demande acte rejetée deux l'ois
LE SÉNATEUR. — Prince, mon coeur saigne pour vous. par le conseil des Dix ; elune troisième requête serait difficilement
LE DOOE. — Pour moi, seigneur? écoutée, maintenantqu'une aggravation d'offensesde la pari de votre
LE sÉHATEiin.—Et pour votre... époux rend ses juges plus sévères.
LE DOGE. — Arrêtez ! MARINA.
— Sévères?... diles atroces. Ces vieillards à l'âme de
LE SÉNATEUR. — Prince, je parlerai. Je vous ai trop d'obliga- démons, avec un pied dans la tombe, des yeux éteints qui ne con-
tions, ainsi qu'à voire farailto, pour ne pas m'inlércsser vivement auu naissent d'autres larmes que celtes d'une caducité imbécile, ave;
sort de votre fils. leurs cheveux blancs, longs et clairsemés, avec leurs mains Irem-
LE DOGE. — Cela cnlrc-t-il dans les devoirs de votre charge? f blanles el des (êtes aussi faibles que leurs coeurs sont endurcis, ils
Pourquoi tenir ces propos inutiles sur des choses qui ne sonl pass délibèrent, ils intriguent, ils disposent de la vie des hommes...
de votre compétence. Mais le traité esl signé! reportez-le à ceuxx LE DOGE. — Vous ne savez pas...
qui vous ont envoyé. MARINA.
— Je sais... oui, je sais... cl vous devez le savoir comme
LE sÉNATEun. — J'obéis. Les membres du conseil m'avaient éga- moi... que ce sont de mauvais esprits incarnés. Commcnl des boni
lement chargé de vous prier de fixer l'heure de la réunion. mes nés des flancs de la femme, ayant sucé son lait, ayant aimé cm
LE DOGE. — Dites-leur que ce sera quand ils voudront... en ce
Q
du moins parlé d'amour ayant uni leurs mains par des scrmcois
moment même si cela leur convient : je suis le serviteur de l'Etat.I sucrés, ayant fait danser, leurs pclils-cnfanls sur leurs genoux eu
LE SÉNATEUR.— Ils auraient voulu vous laisser quelque repos. peut-êlre ayant pleuré les souffrances, les dangers, la mort de , e-s
LE DCGE. — Je n'en veux point... du inoins je ne veux pas que c enfants; ayant, ou du moins ayant eu autrefois l'apparencehumaine,
mon repos fasse perdre une heure à l'Etal. Qu'ils se rassemblent ,1 comment auraicnl-ils pu en agir ainsi avec les vôtres et avec vous-
quand il leur plaira : on me trouvera où je dois être, et tel que j'aix[ môme, qui les soutenez ?
toujours été. (Le sénateur sort. Entre un SERVITEUH.) LE DOGE. — Je vous pardonne : vous ne savez ce que vous dites.
LE SERVITEUR. —* Prince. MARINA.
— Vous, vous le savez... mais vous êtes insensible.
LE DOGE. — J'ai eu tant à supporter, que les mots ne peuvent
LE DOGE. — Parlez.
LE SERVITEUR. L'illustre dame Foscari demande audience. plus rien sur moi.
— MARINA. Oh ! sans doute, vous avez vu couler le sang de votre
LE DOGE. — Faites entrer... Pauvre Marinai (Le serviteur sort.
Le DOGE reste silencieux comme auparavant. Entre MARINA.)
.
fils, et votre—chair n'a pas tressailli : après cela, que sont les paroles
d'une femme? pas plus que ses larmes.
MARINA.
— Mon père, je vous dérange peut-être? LE DOGE. — Femme, je le le dis, cette douleur bruyante n'esl
LE DOGE. — Je suis toujours visible pour vous, mon enfant. Dis- rien comparée à celle qui... maisje le plains, ma pauvre Marina !
;-
posez de mon temps quand l'Etat ne le réclame pas. MAUINA. Plains mon époux, ou je ne veux pas de ta compas-
MARINA. —Je désirais vous parler de lui. sion; plains—ton fils!., loi, plaindre!... c'esl un mot étranger à ton
LE DOGE. — De votre époux ? comment esl-il lèvres?
MARINA. De votre fils. coeur : venu sur les
— LE DOGE. — Je supporte tes reproches bien qu'ils soient injus-
LE DOGE. — Poursuivez, ma fille. tes... Si lu pouvais seulement lire... ,
MARINA.
— J'avais obtenu des Dix la permission de passer auprès
es MARINA. — Ce n'est pas sur ton (Vont, ni dans les yeux, ni dans
de mon mari un certain nombre d'heures. Elle est révoquée. les actes où donc pourrais-jc trouver celle svinpaihic?
LE DOGE. — Par qui ? LE DOGE, en montrant la terre du doigt.
MARINA. Par les Dix. Arrivés au poiil dos Soupirs comme je — Là !

me disposais-à passer avec Foscari, te sombre gardien de, ce passage
MARINA.
— Dans la terre!
;c LE DOGE.
— Où je serai bientôt : quand elle pèsera sur mon
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD RYRON. 39!

coeur, bien plus légère, malgré le marine don! elle sera chargée, LE DOGE.—Je vous entends : vos pères ne m'aimaient pas, et vous
que. les pensées qui m'oppressent, alors tu me connaîtras mieux. av tout hérité d'eux.
avez
MARINA.
— Kles-vous donc en effet si digne de pitié? LOREDANO.
— Vous savez mieux que personne si j'ai raison.
LE DOGE.— De pitié! nul n'accolera jamais à mon nom ce mol LE DOGE.—Vos pères furent mes ennemis, cl je sais qu'il a circulé
funeste sous lequel les hommes aiment à voiler leur orgueil Iriom- sur eux etsurmoides bruits mensongers; j'ai luaussi leur épilaphe,
su
pliant : ce nom, tanl que je le porterai, restera ce qu'il était. dans laquelleleur morl est attribuée au poison. Elle est probablement
dr
MARINA.
— Sans les pauvres enfants de celui que tu ne peux ou aussi
ai vraie que la plupart des inscriptions tumulaires; maisceu'en
que lu ne veux pas sauver, toi et ton fils vous seriez les derniers. es pas moins une fable.
est
LE DOGE. — Plût au ciel ! il eût mieux valu pour lui qu'il ne fût cela?
jamais né; et cela eût mieux valu aussi pour moi j'ai vu noire
LOREDANO.
— Qui ose dire
LE DOGE —Moi !... 11 est vrai que vos pères se montrèrent envers
maison déshonorée. moi
m aussi acharnés que peut l'être leur fils, cl quejoleurrendaiscelle
MARINA. C'est faux ! jamais coeur plus sincère, plus noble, plus haine; mais mon hostilité fui toujours ouverte : je n'eus jamais re-
fidèle, plus—aimant, plus loyal que le sien ne battit dans le sein U!
cours aux intrigues dans le conseil, aux cabales dans la Republique;
Cc
d'un homme. Cet époux exilé, persécuté, mutilé, opprimé mais 110:1 ja
jamais je n'entrepris rien contre eux par le fer ou le poison : la
avili, écrasé, aballu, je ne le changerais pas morl ou vivant contre preuve, c'esl que vous vivez.
pi
le plus grand prince ou paladin de l'histoire ou de la fable, dût-il LOUEDANO. —Je ne crains rien.
m'offrir l'empire d'un monde. Déshonoré, lui, déshonoré! je te le LE DOGE. — Yous n'avez rien à craindre, moi étant- ce que je suis;
dis, ôdoge! c'est Venise qui esl déshonorée! le nom de mon époux mais
m si j'étais tel que vous me représentez, ily a longtempsque vous
constitue en effet le litre le plus honteux de celte cité-perfide ; mais seriez
se à l'abri de toule crainte. Haïssez-moi toul à votre aise.
c'est à cause de ce qu'il souffre el non de ce qu'il a fait : c'esl vous
— J'ignorais que la vie d'un noble vénitien pût être
LOREDANO.
lous qui êtes des traîtres et des tyrans. Si vous aimiez voire pairie menacée la
comme l'aima cctlp victime qui passe chancelante du cachot à la n par colère d'un doge marchant à découvert.
torture, el se soumet à lous les supplices plulôl qu'à l'exil, vous vous de
LE VOUE.
— Mais moi, seigneur, je suis ou j'ai été quelque chose
i( plus qu'un simple doge,
jetteriez à ses genoux en implorant son pardon. par mou sang, par mon caractère et les
LE DOGE. —11 fui en cfi'el tout ce que vous avez dit. J'ai supporté ressources dont je dispose : ils ne l'ignoraient pas, ceux qui redou-
taient
t.
èSoyez-en mon élection el qui depuis ont toul l'ail pour m'abaisser.
avec moins de douleur la mort des deuxfilsquele ciel m'a ravis que ,
convaincu : si avant ou depuis celle époque, je vous avais
le déshonneur de Jacopo.
MARINA. — Encore cc mot fatal! n assez haut pour souhaiter voire absence, un mot de moi eût sus-
mis
Lis DOGE.— N'n-l-il pas clé condamné?
cité contre vous on pouvoir capable de vous réduire à rien. Mais
MARINA. — Ne condamnc-l-on que des coupables? cen toule chose j'ai agi avec la plus grande régularité, en me con-
formant
f( aux lois el a.l'extension que vous leur avez donnée contre
LE DOGE. Le temps peut réhabiliter sa mémoire...j'aime à l'es-
pérer. 11 fui—mon orgueil, ma-., mais toul cela esl inutile mainte- moi (je parle toujours de YOUS comme formant une voix parmi tant
j
d'autres),
liant. Je ne répands point facilement des larmes, el pourtant j'ai extension que mon auloritô n'eût acceptée qu'avec peine,
pleuré de joie le jour de sa naissance : ces larmes étaient un sinis- si
s" j'eusse été enclin aux contestations. Bien plus, aussi respectueux
que
g' le prêtre en face de l'autel, j'ai observé, même au prix de mon
Ire augure. de mon repos, do ma sûreté de toul, sauf mon honneur,
MARINA.—Je vous dis qu'il estlinnoccnl; el ne le fût-il pas, nos sang, décrets,
proches doivent-ilsnous renier dans les jours de malheur? ttous vos comme intéressantla, gloire el le bieu-ôlre de l'Etal.
LE DOUE. — Je ne l'ai^oinl renié ; mais j'ai d'autres devoirs nue
Maintenant,
^ seigneur, à l'objet de votre mission!
ceux d'un père, devoirs dont l'Klal ne m'a pas dispensé; dix lois LOREDANO.
— Jugeant inutile de recourir encore à la question,
j'ai demandé qu'on m'en déchargent, dix foison a rejeté ma prière: ou c de poursuivre le procès, lequel ne lemlqu'à manifester l'obsti-
je dois les remplir. (Entre un SERVITEUR.) nation
j du coupable, les Dix renoncent à la stricte application de la
LE SERVITEUR. — Un message de la pari dos Dix. loi
J qui ordonne la torture jusqu'à pleine et entière confession du
LE DOGE. — Qui l'apporte? délit;
( et considérant que le provenu a en partie avoué son crime
Lu SERVITEUR. — Le noble Loredano. 'en ne désavouant pas la lcllre adressée au duc de Milan, ils ont dé-
LE nor.iï. — Lui!... qu'il entre. (Le serviteur sort.) cidé
( que Jacopo Foscari retournera au lieu de son exil.
MARINA. — Faut-il me retirer? MARINA.
— Dieu soit loué ! du moins ils ne le traîneront plus de-
horrible
LE DOGE. — Peut-être cela n'csl-il point nécessaire, si la chose vant
' cet tribunal. Je voudrais qu'il pensât comme moi ; car
concerne votre époux -, dans le eus contraire.. (// Loredano qui ce j qu'il y aurait de plus heureux à mes yeux, non-seulement pour
entre.) Eh bien ! seigneur, quel est votre bon plaisir? lui, mais pour tous ceux qui habitent cette cité, ce sérail de fuir
LOREDANO. — Je vous apporte la volonté des Dix. loin
' d'une telle patrie.
LE DOGE. —lis ont bien choisi leur envoyé. LE DOGE. — Ma fille, ce n'est point là une peiy^ vénitienne.
LOREDANO. — C'esl en elle! lc.ur choix qui m'amène.
LE DOGE. — Il l'ail honneur à leur discernement, aussi bien qu'à
leur courtoisie. Arrivons au fait.
LOUEDANO. —Nous avons décidé
de
1 partager son exil ?
LOREDANO.
MARINA.

.......
MAUINX. — Non : c'est une pensée hum»'"C- Mesera-t-U permis

A cet égard. '<-• U'x n.011.t v!el.1 doCK e-


Jo le pep*«'=> '• cela aussi cul cte trop humain.. ..Mais
.
LE DOGE. — Nous! on ne l'a pas non pWs interdit?
LOUEDANO. — Les Dix assemblés en conseil. LOUEDANO. — Il »'en a Poinl elu question.
LE DOGE. — Eh quoi! ils se sonl réunis de nouveau sons m'en MARINA au doge. — En cc cas, mon père, vous pouvez m'oblcnir
avoir averti ? ou m'noco'rder cctlo faveur. (A Loredano.)Kt vous, seigneur, vous
LOREDANO. — lis ont voulu épargner votre sensibilité, et prendre ne vous opposerez sans doute pas à ma demande?
en considération voire Age. LE OOGE. — Je ferai mes efforts.
LE DOGE.— Voilà qui esl nouveau... quand esl-ce donc qu'ils ont MARINA. —Et vous, seigneur?
épargné l'un ou l'autre? Je les remercie toutefois. LOUEDANO.
— Madame ! il ne me conviendrait pas d'anticipersur
LOUEDANO. —Yous savez qu'ils oui le pouvoir d'agir à leur choix le bon plaisir du tribunal.
soil devant le doge, soit en son absence. MARINA. — Le bon plaisir! quelle expression pour désigner les
LE DOGE. — H y a des années que j'ai appris cela, longtemps décrets de...
avant d'être nommé doge, ou d'avoir rêvé à cet honneur. Yous n'a- LE DOGE. — Ma fille ! savez-vous devant qui vous parlez?
vez pas, seigneur, de leçons à.me donner : je siégeais au conseili MARINA. — Devant un prince et son sujet.
que vous n'étiez encore qu'un jeune patricien. LOREDANO. — Son sujet!
LOUEDANO. — Oui, du temps de mon père : je le lui ai entendu1 ! ce mol vous blesse... Yous vous croyez son égal;
MARINA.
— Oli
dire, ainsi qu'à son frère l'amiral. Votre Altesse peut se le rappe- mais vous ne l'êtes pas, et vous ne le seriez pas encore, quand
ler : tous deux sonl morts subitement. môme il ne serait qu'un simple paysan... Eh bien! soit, vous êtes
LE DOGE. — Si cela esl, mieux vaut mourir ainsi que de languir: un prince, un haut seigneur ; cl moi que suis-je donc?
dans les souffrances. LOREDANO.— La fille d'une noble maison.
LOUEDANO. — Sans doute ; mais en général ou est bien aise de3 MARINA. — Unie par l'hyménéc à une autre maison non moins
vivre son temps. noble. Quels sonl donc ceux dont la présence-me forcerait à taire
•LE DOGE. — Et n'onl-ils pas vécu le leur? mes libres pensées?
LOUEDANO. — La tombe le sait : ils sont morts, comme j'ai dit, LOREDANO. — Les juges de votre époux.
,
subitement. LE DOGE. — Joignez-y la déférence due à la moindre parole pror
LE DOGE. — Cela est-il donc si étrange que vous deviez répéterr I
noncée par ceux qui gouvernent Venise.
ce mol avec emphase ? iI MARINA. — Gardez ces maximes pour la tourbe de vos lâches ar-
LOUEDANO. — Loin de me sembler étrange, aucune mort ne m'a a tisans, de vos marchands, de vos esclaves dalniales et grecs, pour
jamais paru plus naturelle. N'ôlcs-vous point de cet avis? vos tributaires, vos citoyens muets, votre noblesse masquée, vos
LE DOGE. — Que voulez-vous que je dise? ils étaient mortels. sbires, vos espions, vos galériens, tous ceux enfin dans l'esprit
LOREDANO.—Etils avaient, de mortels ennemis. desquels vos enlèvements el vos noyades nocturnes, vos cachots
392 LUS VEILLÉES LITTÉRAIRES ILLUSTRÉES.

pratiqués sous les toits du palais ou plus bas que le niveau des flots, volonté que le fut notre naissance. D'où je conclus que nous avons
vos assemblées mystérieuses, vos jugements secrets, vos exécutions commis un grand crimedans quelque monde antérieur, et que celui-
subites, votre pont des Soupirs, voire salle de strangulation et vos ci est notre enfer : heureusementqu'il n'est pas éternel!
instruments de torture, vous font passer pour des êtres d'un monde MARINA. — Ce sont là des choses qui sur la terre échappent à
pire que celui-ci. Gardez-les pour eux ! je ne vous crains pas ; je notre jugement.
vous connais; j'ai connu, j'ai .éprouvé toule votre cruauté dans l'in- LE DOGE. — Et comment alors serons-nous les jugesles uns des f
fernal procès de mon malheureux époux. Traitez-moi comme vous autres, nous lous qui sommes nés de la terre? et moi, comment [
l'avez traité je partage déjà les maux que vous lui avez faits. pourrai-je juger mon fils? J'ai gouverné mon pays fidèlement, vie- f.
LE DOGE. — Vous l'entendez, elle parle en insensée. lorieusemcnt... j'en appelle à sa carte ancienne et nouvelle ; mon \
MARINA.
— Je parle imprudemment,mais non pas eu insensée. règne a doublé ses domaines, et pour me récompenser, la recon- '
LOREDANO. —Madame,je n'emporterai point au-delà du seuil de naissante Venise m'a laissé ou va melaisser seul sur la terre.
cet appartementle souvenir des paroles que j'y ai entendues : je ne MARINA. — Et Foscari? Je ne puis songer à tout cela; mais je !
veux me rappeler que celles qui ont été échangées entre le duc el demande qu'on me laisse avec lui.
moi pour le service de LE DOGE. — vous rac-
l'Etat. Doge, avez-vous compagnerez : ou ne peut [
quelque réponse? YOUS refuser cela.
LE DOGE. — J'ai à vous MARINA. — Et s'ils me [
parler comme doge, et le refusent, je fuirai avec
peut-être aussi comme lui.
père. LE DOGE. — Impossi-
LOREDANO. — C'est au ble : où fuiriez-vous?
doge seulement que s'é- MARINA. — Je ne sais,
tend ma mission. et peu m'importe.... en.
LE DOGE— Eh bien ! Syrie, en Egypte, chezles
répondez que le doge Ottomans, partout où
choisira son ambassadeur nous pourrons respirerà ;
ou ira s'expliquer en per- l'abri des geôliers, des j
sonne. Quant au pèic... espions el des inquisi- j
LOREDANO. — Je nie teurs.
rappelle le mien... Adieu! LE DOGE. — Voudriez-
je baiseles mains de cette vous donc avoir un rené-
illustre dame, et je m'in- gat pour époux el faire de
cline devant ic doge. lui un traître?
(Il sort.) MARINA. — Il ne le se-
MARINA. — Elcs-vous rait pas! Sa patrie seule
conlenl? est perfide en repoussant
LE DOGE. — Je suis ce de son sein le meilleur, le
que vous voyez. &plus brave de ses fils. La
MARINA. — Vous êtes tyrannie esl de beaucoup
un mystère. * la pire des trahisons. Cro-
LE DOGE. — Tout est yez-vous que les sniels
mystère pour les mortels: seuls puissent être rebel-
qui peut comprendre les les? Le princequi néglige
choses de ce monde, si ou enfreint sou mandai
ce n'csl 1 êlrc qui les créa? esl un scélérat plusodieux
Le petit nombre de ceux qu'un chef de brigands.
qui en sonl capables, ces LE DOGE. —Je n'ai point
génies privilégiés, après à me reprocher un pareil
avoir longtemps étudié cc manque de foi.
in. -i.iiieUA jV„'on appelle MARINA. —Non : vous
I homme '.près,1 Jvoir faites
médite sur ces pages lu- observer des lois en
gubres el sanglantes qui comparaison desquelles
constituent son coeur el les décrets de Dracon sont
son cerveau, ceux-là n'ar- un code de clémence.
rivenl qu'à une science LE DOGE. —J'ai trouvé
magique qui se retourne la loi établie, je ne l'ai
contre l'adepte lui-même. point faite. Simple sujet,
Tous les crimes que nous jepourrais trouver desde-
trouvons dans autrui, la tails à réformer; prince,
nature les a mis en nous ; jamais je ne changerai
tous nos avantages, nous dans l'intérêt des miens
les tenons de la fortune : la charte de nos pères.
naissance, richesse, san- Jacopo et Marina. MARINA.—L'ont-ilséla-
té, beauté, ncsontquedes blie pour la ruine de leurs
accidents, et quand nous enfanis?
crions contre le sort, nous LE DOGE. — Sous de
ferions bien de nous rap- telles lois, Venise est de-
peler qu'il nous Ole seulement ce qu'il nous a donné... Le reste n'élait Etat qui égale venue ce qu'elle est... un
quenudilé, convoitises, appétits, vanités, héritage universel de en exploits, en durée, en grandeur, et je puis dire
maux
contre lesquels nous avons à lutter, et qui sont les moins nombreux tout aussi en gloire (car nous avons eu parmi nous des âmes romaines),
dans les rangs les plus humbles : car ici la faim absorbe toul dans leursceplus que l'histoire nous raconte de ltome el de Cartilage dans
un besoin vulgaire, et celte loi universelle qui prescrit à l'homme diaire du sénat.
beaux jours, alors que le peuple régnait par l'intermé-
de gagner son pain à la sueur de
son front fait luire loutcs les pas-
sions, hormis la crainte de la famine MARINA. — Dites plutôt qu'il gémissait sous le joug de l'oligarchie.
! Toul eu nous est rampant, faux LE DOGE. — Peul-ôlrc ; cependant ce peuple a conquis le monde.
et vide... lout n'est qu'argile, depuis le premier jusqu'au dernier, Dans Elats, un individu, qu'il soil le plus riche et le plus
aussi bien l'urne du prince que le vase du potier. Notre gloire dépend élevé de tels
du souffle des hommes; noire vie lient à moins en dignités, ou qu'il reste le dernier, le plus inconnu des ci-
est fondée sur des jours, nos jours sur des saisons, encore : sa durée toyens, n'est rien quand il s'agil de maintenir en vigueur une po-
entier sur quelque chose qui n'est pas nous. Ainsi, notre être tout litique invariablement dirigée vers de grandes fins.
grand jusqu'au plus petit, nous sommes lous esclaves depuis le plus | MARINA.—Cesparoles montrent que vous êtes plus doge que père.
découle de notre volonté; la volonté elle-même rien ne | LE DOGE. — Elles montrent qu'avant tout je suis citoyen. Si pen-
brin de paille aussi bien que d'une tempête. Quand peut dépendre d'un dant des siècles nous n'avions eu de pareils hommes (et j'espère
commander, nous obéissons passivement, el le bul final nous croyons j que nous en aurons encore), Venise ne serait plus au rang des cités.
la mort ; la mort, aussi indépendantede notre est toujours MARINA.
— Maudile la cité où les lois étouffent la nature !
concours et de notre I LE DOGE. —Eussé-je autant de fils que j'ai d'années, je les don_
OEUVRES COMPLÈTES DE LORD RYRON. 393

ncrais tons, non sans douleur, mais enfin je les donnerais à l'Elat LE SERVITEUR. — Je l'ignore... on m'acoinmandé en même temps
pour le servir sur terre ou sur mer, et s'il le fallait (comme il le faut, de laisser entrer votre illustre épouse.
hélas!) pour subir l'ostracisme, l'exil, la prison, cl tout ce que sa J. FOSCARI. — Ah ! ils se relâchent donc... j'avais cesséde l'espé-
volonté pourrait leur infliger de pire encore. rer : il était temps. (Entre MARINA.)
MARINA. — Esl-cc là du palriolisme? Ce n'est à mes yeux que la MARINA.
— Mon
bien-ajmé!
plus affreuse barbarie. Je veux voir mon époux : les Dix, malgré leur J. FOSCARI, l'embrassant. — Ma fidèle épouse ! mon unique amiel
cruauté jalouse, ne pousseront jamais la rigueur contre une faible MARINA.
— Nous ne nous séparerons plus.
femme jusqu'à lui interdire l'accès du cachot de son époux. J. FOSCARI. — Voudrais-tu donc partager mon cachot?
LE DOGE.—J'ordonneraique vous y soyez admise. MARINA.— Oui, et la lorlure aussi, et la tombe, lout. tout avec
. plus l'un
MARINA.
— Et que dirai-je à Foscari de la part de son père ? toi -, mais la tombe le pluslard possible ; car là nousneserons
LE DOGE. — Qu'il obéisse aux lois. à l'autre ; néanmoins je veux aussi la partager avec toi tout, ex-
MARINA.
— Rien de plus? ne le verrez-vous point avant son dé- cepté une séparation nouvelle : c'esl déjà trop d'avoir survécu à la
part ? C'est pour la dernière fois peut-être. première. Comment le trouves-tu? en quel état sont tes membres
LE DOGE.— La dernière épuises? Iiclasl pourquoi
fois!... mon fils! La der- ledcmander?Tapâleur...
nière fois que je verrai le J. FOSCARI.—Lajoiede
dernier de mes enfants! te revoirsi lôtetd'unema-
J'irai. (Ils sortent.) nière si imprévue a fait
refluer le sang vers mon
coeur, et rendu mes joues
comme les tiennes; car

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