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C'est ce qu'indique le début de cette même lettre de Jacqueline : « J'ai k
autant de joie de vous trouver gai dans la solitude que j'avais de dou- |.'
leur quand je voyais que vous l'étiez dans le monde. Je ne sais néan- K.
moins comment M. de Saci s'accommode d'un pénitent si réjoui, et II:
qui prétend satisfaire aux vaines joies et aux divertissements du f
monde par des .
joies un peu plus raisonnables et par des jeux d'esprit "1
plus permis, au lieu de les expier par des larmes continuelles. Pour N
moi, je trouve que c'est une pénitence bien douce, et il n'y a guère de «?
gens qui n'en voulussent faire autant. Je m'en rapporte pourtant bien fi%
à sa conduite et en demeure fort en repos... » C'est ce qu'indique sur- i
tout le célèbre Entretien avec M. de Saci, qui nous a été conservé par
Fontaine dans ses Mémoires, pour sévir à l'histoire de Port-Royal.
Comme le montre le préambule, la conversation avait été préparée à '[
l'avance; peut-être Pascal avait-il rassemblé des notes qui ont servi à la -"3
rédaction, peut-être en a-t-il après coup fixé le souvenir. En tout cas, nul
doute que le fidèle secrétaire de M. de Saci ne nous ait transmis l'écho
sincère de la parole de Pascal. L'Entretien avec M. de Saci est un dia- "'
logue naturel qui ne s'en trouve pas moins conçu et composé comme
l'oeuvre d'un grand écrivain ; il évoque irrésistiblement le souvenir de
Platon : « N'est-il pas beavi, dit Sainte-Beuve que nous nous repentirions ^
de ne pas citer ici, et n'est-ce pas une figure parlante de voir ainsi -»
Pascal posant dès l'abord ces deux colonnes d'erreur (si on peut appeler ''
Montaigne une colonne), et entre elles deux, l'une de pierre et l'autre if
de fumée, après qu'il en a donné la mesure, passant de la philosophie t?
à.ia religion, pour être reçu à l'entrée par l'humble, fin et irréfra- J
gable M. de Saci? N'y a-t-il pas là, pour le fond, grandeur supérieure; I
et pour la bordure, pour l'intérêt du drame et de la scène, beauté "',
presque égale à ce qu'on admire aux plus célèbres dialogues anciens? ||
Ah! sans doute Platon est aussi charmant qu'inimitable lorsque, dans ,|j,,
ffi
ce divin dialogue du Phèdre, il fait asseoir ses interlocuteurs sous le ;|>
platane, les pieds baignés dans l'Illissus. Ici rien de tel. Pourtant, sous
les ombrages que nous connaissons, vers la fin d'automne peut-être, la ;-»
scène aurait de la grâce encore. Ombrage à part, on a dans M. de Saci 'f
le vrai Socrale chrétien, je l'ai dit, et non pas un Socrate d'après Platon, ,i,
mais plutôt d'après Xénophon; juste, rien de trop, presque docile en '&
enseignant; un petit train de terre à terre, mais qui découvre tout j|
d'un coup le ciel. » f|
XIV
Entretien avec M. de Saci sur Épictète et Montaigne .
M. Pascal vint aussi, en ce temps-là, demeurer à Port-Rpyal-
des-Champs. Je ne m'arrête point à dire qui.était cet homme
été deux fois
1. Le texte de l'Entretien est difficile à établir. 11 a
imprimé, par le P. Desmolets, dans la Continuation des les memM^
littérature et d'histoire (Paris, 1728), et par Tronchai, dans Mcmon
OPUSCULES. - DEUXIÈME PARTIE. 147
que non seulement toute la France, mais toute l'Europe a ad-
miré. Son esprit toujours vif, toujours agissant, était d'une
étendue, d'une élévation, d'une fermeté, d'une pénétration et
d'une netteté au delà de ce qu'on peut croire.... Cet homme admi-
rable, enfin, étant touché de Dieu, soumit cet esprit si élevé au
joug de Jésus-Christ, et ce coeur si noble et si grand embrassa avec
humilité la pénitence. Il vint à Paris se jeter entre les bras de
M. Singlin, résolu de faire tout ce qu'il lui ordonnerait. M. Singlin
crut, en voyant ce grand génie, qu'il ferait bien de l'envoyer à
Porl-Royal-des-Champs, où M. Arnauld lui prêterait le collet en
ce qui regarde les autres sciences, et où M. de Saci lui appren-
drait à les mépriser. Il vint donc demeurer à Port-Royal. M. de
Saci ne put se dispenser de le voir par honnêteté, surtout en ayant
été prié par M. Singlin; mais les lumières saintes qu'il trouvait
dans l'Écriture et dans les Pères lui firent espéi'er qu'il ne serait
point ébloui de tout le brillant de M. Pascal, qui charmait néan-
moins et qui enlevait tout le mondé. Il trouvait en effet tout ce
qu'il disait fort juste. Il avouait avec plaisir la force de son esprit
etde ses discours. Mais il n'y avait rien de nouveau : tout ce que
M. Pascal lui disait de grand, il l'avait vu avant lui dans saint
Augustin.; et faisantjustice à tout le monde, il disait : «M.Pascal
est extrêmement estimable en ce que, n'ayant point lu les Pères
de l'Église, il avait de lui-même, par la pénétration de son esprit,
trouvé les mêmessvérités qu'ils avaient trouvées. Il les trouve
surprenantes, disait-il, parce qu'il ne les a vues en aucun en-
droit; mais pour nous, nous sommes accoutumés à les voir de
tous côtés dans nos livres. » Ainsi, ce sage ecclésiastique trou-
vant que les anciens n'avaient pas moins de lumière que les
.nouveaux, il s'y tenait; et estimait beaucoup 31. Pascal de ce
s qu'il se rencontrait en toutes choses avec saint Augustin.
La conduite ordinaire
avec M. de Saci, en entretenant les gens,
'lLf°!ltai!le U-7S6).'l'oiir les manuscrits, M. Bédier
en compte cinq dif-
"f ux sont aujourd'hui publiés : Gazier, Revue de l'histoire lit-
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/T- d,^i,aJ'r«-nce,
J 1895, p. 372 sqq; et seconde édition Faugère,
i En outre du ms- 29S0 de la bibliothèque Mazarine, étudié
*m m)' .
^llpiivo , et l,ar M' Adam, M. Bédier a consulté le manuscrit de Sainte-
?
« l'ai rendu. Mon fils .est mort, je l'ai rendu: Ma femme est morte, ;
«je l'ai rendue4». Ainsi des biens et de tout le reste. «Mais celui \
«
mettez-vous en peine par qui celui qui vous l'a prêté vous le
redemande? Pendant qu'il vous en permet l'usage, ayez-en soin
comme d'un bien qui appartient à autrui, comme un homme qui
fait voyage se regarde dans une hôtellerie. Vous ne devez pas,
dit-il, désirer que ces choses qui se font se fassent comme vous le
voulez ; mais vous devez vouloir qu'elles se fassent comme elles
se font. Souvenez-vous, dit-il ailleurs, que vous êtes ici comme un
acteur, et que vous jouez le personnage d'une comédie,, tel qu'il
plaît au maître de vous le donner. S'il vous le donne court,
jouez-le court ; s'il vous le donne long, jouez-le long ; s'il veut que
vous contrefassiez le gueux, vous le devez faire avec toute la
naïveté qui vous sera possible 1; ainsi du reste. C'est votre fait
de jouer bien le personnage qui vous est donné; mais de le
choisir, c'est le fait d'un autre. Ayez tous les jours devant les
yeux la mort, et tous les maux qui . semblent les plus insup-
portables; et jamais vous ne penserez rien de bas, et ne désirerez
rien avec excès. Il montre aussi en mille manières ce que doit
faire l'homme. Il veut qu'il soit humble, qu'il cache ses bonnes
résolutions, surtout dans les commencements, et qu'il les accom-
plisse en. secret : rien ne les ruine davantage que de les pro-
duire. Il ne se lasse point de répéter que toute l'étude et le
désir de l'homme doit être dé reconnaître la volonté de Dieu et
de la suivre.
« Voilà, monsieur, dit M, Pascal à M. de Saci, les lumières de
ce grand esprit qui a si bien connu les devoirs de l'homme.
J'ose dire qu'il méritait d'être adoré, s'il avait connu son im-
puissance, puisqu'il fallait être Dieu pour apprendre l'un et
l'autre, aux hommes. Aussi, comme jl était terre et cendre, après
avoir si bien compris ce qu'on doit, voici comment il se perd
dans la présomption de ce qu'on peut. Il dit que Dieu a donné