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Gargantua, chapitre 13, le « torchecul »

- Il n’est pas besoin, dit Gargantua, de se torcher le cul sauf s’il est sale. La saleté ne
peut s’y trouver si on n’a pas chié. Il faut donc chier avant de se torcher le cul.

-Oh, dit Grandgousier, que tu as de l’esprit mon petit garçonnet. Par Dieu, je te ferai
rapidement passer docteur en gaie science, car tu as plus d’intelligence que d’âge. Mais
poursuis donc ce propos torche-culatif, je te prie. Et, par ma barbe, pour un tonneau, tu
auras soixante fûts, je veux dire de ce bon vin breton, qui d’ailleurs n’existe pas en Bretagne
mais en notre belle région du Véron.

Après je me torchai, dit Gargantua, d’un bonnet de nuit, d’un oreiller, d’une
pantoufle, d’une gibecière, d’un panier – Ô le déplaisant torchecul ! – puis d’un chapeau.
Notez au passage que parmi les chapeaux, les uns sont de feutre, d’autres de fourrure,
d’autres de velours, d’autres de taffetas, d’autres de satin. Le meilleur de tous est celui de
fourrure, car il enlève très bien la matière fécale.

Puis je me torchai avec une poule, un coq, un poulet, avec la peau d’un veau, un
lièvre, un pigeon, un cormoran, un sac d’avocat, un capuchon, une coiffe, un leurre (1).
Mais, pour conclure, j’affirme et je soutiens qu’il n’existe pas de meilleur torchecul
qu’un oison bien duveteux, pourvu qu’on lui tienne la tête entre les jambes. Croyez-m’en sur
mon honneur. Car vous sentez au trou du cul une merveilleuse volupté, aussi bien par la
douceur du duvet que par la douce chaleur de l’oison, qui se communique facilement au
boyau culier et aux intestins et de là remonte vers le cœur et le cerveau. Et n’imaginez pas
que la béatitude des héros et demi-dieux, qui vient aux Champs Elysées, leur vienne de
l’asphodèle (4), de l’ambroisie (5) ou du nectar, comme disent les vieilles par ici. Elle vient, à
mon avis, de ce qu’ils se torchent le cul d’un oison ; c’est aussi l’opinion de Maître Jean
d’Ecosse.

Notes :

3. Faux oiseau de cuir utilisé par les chasseurs pour attirer les faucons.

4. Plante dont on fleurit les tombes dans l’Antiquité

5. Substance à base de miel dont se nourrissent les dieux de l’Olympe.

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