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DEVENU SWAMI
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UN SKINHEAD REPENTI
DEVENU SWAMI
DE LA HAINE À L’AMOUR
PRÉFACE
Je n’avais pas décidé d’écrire une grande partie de mes mémoires, mais un
grand nombre de personnes m’a demandé de le faire. Aussi j’entreprends
cette tâche comme un service, en espérant que mon histoire amènera une
réflexion positive en ce monde.
Je tiens à informer mes lecteurs que je vais narrer cette histoire telle que je
l’ai vécue et que des passages vont certainement choquer des gens, mais il
est important que je fasse comme ceci, afin de faire revivre le personnage
qu’on appelait autrefois P’tit Willy, l’ancien skinhead.
Je ne suis qu’une personne des plus ordinaires et médiocres et je vais
sûrement faire des fautes de français, en utilisant de mauvaises tournures
de phrases. Peut-être vais-je à travers ces lignes offenser des personnes. Je
tiens à m’en excuser car ceci n’est pas mon but.
J’ai remarqué lors de la diffusion de mon blog « skinhead repenti » que
certains ont lu un résumé de ma vie avec un regard négatif envers ma
personne. Je le comprends tout à fait.
Mais je vous demande, si vous désirez tirer un bénéfice en lisant ces lignes
et comprendre véritablement ma démarche non violente, de le faire au
moins d’une façon neutre. Sans cela, votre lecture ne sera qu’une perte de
temps voire un poison qui renforcera votre animosité envers ma personne.
C’est vrai, j’ai commis des actes fort répréhensibles, et je tiens à témoigner
que le but de ma vie maintenant est de réparer la provocation extrémiste
de mes actes et de mes paroles à un certain moment de ma vie. Enfin
j’espère que ce livre nous rapprochera et qu’ensemble nous bâtirons un
monde plus beau. L’amour est plus puissant que la haine. Merci.
J’ai changé les noms de certains personnages afin que leur vie privée ne
soit pas affectée.
Je suis né le 16 juillet 1967 à Paris. J’ai vécu mon enfance dans une banlieue
parisienne à Bagnolet, en Seine-Saint-Denis. Mes parents étaient des
prolétaires, et nous vivions avec mon frère et ma sœur, dans une cité HLM
à forte proportion d’immigrés.
Ce genre de vie n’est pas des plus épanouissants, du bitume à perte de
vue. En un mot, vous n’aviez vue que sur l’autre immeuble. Les arbres et
les vaches dans les prés vous étaient étrangers, et le son des vagues de la
mer était présent à travers le fond sonore des autoroutes vrombissantes en
arrière-plan. Votre seule échappatoire était la télévision, le seul moyen de
découvrir un autre monde.
Je me rappelle que mon père était alcoolique. C’était son moyen d’oublier
ce monde et de se créer une autre réalité. Il rentrait saoul à la maison
presque tous les jours, au point qu’il n’arrivait plus à se déshabiller pour
se coucher. Il avait parfois un tempérament grossier, il lui arrivait donc
d’injurier ma mère.
Ma mère était très tolérante et je pense que cela devient rare à notre époque,
car les couples aujourd’hui se séparent facilement même s’ils ont des
enfants. Elle fut l’exemple d’une mère qui était prête à tolérer beaucoup
de choses pour ses enfants.
Mais parallèlement, il faut comprendre mon père, elle est dure la réalité
de ce monde. Bien que les gens préfèrent rester à faire ce qu’ils aiment,
la plupart ont un travail qu’ils n’aiment pas accomplir. Et si vous désirez
rendre réel votre rêve, lancer votre entreprise, cela apporte tellement
de problèmes, d’anxiété et d’insomnie. Tellement peu d’entreprises
réussissent. Ici, chacun est un peu comme un esclave car la liberté est
très restreinte. Le système est ainsi fait que vous devez travailler jusqu’à
épuisement, en espérant un jour être à la retraite. Mon père, comme la
plupart des gens, comptait les années qui lui restaient avant d’arriver à la
retraite, tout comme un tôlard compte également ses jours sur le mur de
sa prison.
La plupart du temps, celui qui travaille est entouré de personnes qu’il
n’aurait jamais côtoyées. Et par-dessus tout, il doit sourire et parler par
intérêt, faire des glorifications et des courbettes aux chefs, s’il désire ne
pas être mis à la porte. Telle est la réalité cruelle de ce monde. Bien sûr, on
8 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI
vous dira : « C’est la vie, il faut bien subsister. » Il y a ceux qui l’acceptent
et deviennent comme dressés par ce système, et il y a ceux qui n’arrivent
pas à s’y faire. Alors ils deviennent parfois hors-la-loi, SDF, ou encore
alcooliques comme mon père… L’alcool était son moyen de sortir de cette
existence. Mais en réalité, il ne vous libère aucunement de cette situation, il
ne fait que vous asservir encore plus.
C’est vrai que c’est très difficile de vivre avec des gens qui sont immergés
dans l’alcool, que dire avec son propre père. On voit sa mère pleurer, ses
frères et sœurs dans l’incertitude d’un futur. J’ai donc grandi dans cette
atmosphère. Mais mon père n’était pas un cas isolé, partout autour de moi
j’avais ce spectacle. Dans ces cités dortoirs, il y avait tant d’alcooliques, tant
de tristesse. Les murs résonnaient de cris, de pleurs, d’injures, de disputes
entre couple. Je revois ce voisin qui dépensait tout son argent au tiercé, ses
enfants et sa femme qui étaient dans le besoin. Un autre était resté bloqué
sous LSD. La nuit, il s’imaginait se transformer en loup-garou. Il hurlait
sur son balcon comme un loup et les ambulanciers venaient le chercher.
D’autres observaient leurs voisins avec des jumelles. Il y avait ceux qui
vous détestaient et ceux qui vous acceptaient. C’était une ambiance peu
chargée d’amour, parfois chargée de peur et d’animosité. Tant de choses
venaient frapper mon esprit lorsque j’étais un enfant.
L’ÉVOLUTION DE LA VIE
Il faisait très froid, mais je n’ai pas bougé pendant des heures. Finalement,
il m’a semblé que la police faisait moins de rondes. Je suis donc rentré chez
mes parents. Mais j’avais peur que mon copain se soit fait prendre et qu’il
m’ait balancé aux condés (terme banlieusard pour désigner les agents de
police). J’étais dans une telle anxiété que je me voyais déjà en prison. Le
lendemain, j’ai pris mon courage à deux mains et je suis allé sonner chez
ses parents. Il était là, lui aussi avait peur que je l’aie dénoncé. Finalement,
on a rigolé et on a pu de nouveau reprendre la route de la liberté...
A partir de ce moment, on a commencé à fréquenter les plus grands qui
bien sûr consommaient de la drogue et buvaient de l’alcool. Bon, j’avoue
que l’alcool à la maison je connaissais, mais je n’avais jamais encore
consommé de drogue. Aussi cet apprentissage pour un gars des cités est-il
essentiel s’il veut être respecté. Je ne pouvais refuser si je voulais devenir
un grand. Mais les anciens ont joué un peu avec moi. Ils m’ont fait fumer
et boire jusqu’à ce que je sois presque comateux. Bilan, je suis rentré chez
moi, presque en rampant, direction les toilettes, et j’ai vomi de la mousse
verte. J’étais si malade que je ne cessais de répéter : « Je vais mourir ! Je vais
mourir ! Je vais mourir ! » Mes parents étaient en plein flippe, finalement
SOS médecins est arrivé, on m’a fait une piqûre et cela s’est calmé.
Je me rappelle que je faisais les poches de mon frère et de ma sœur et bien
sûr, le porte-monnaie de mes parents y passait également. Je faisais des
plans commando la nuit. Le jour, avec le peu d’argent récolté, je pouvais
acheter des cigarettes.
Un peu plus tard, pas mal de gars de la cité sont tombés dans la came.
Pour se payer leur dose, ils avaient organisé un trafic et ils coupaient la
rose avec de la mort aux rats. L’ambiance se dégradait chaque jour. Je me
rappelle encore de Laurent, un pote à moi, qui en avait acheté à un autre
copain. La veille, il en avait consommé. Le matin, il s’est réveillé et comme
d’habitude il s’est engueulé avec sa mère. Il a pris un jus d’orange, puis il
s’est recouché. Il ne s’est jamais réveillé. Il devait avoir treize ans. Cette
année-là, un autre de mes potes s’est défenestré en se jetant du septième
étage. D’autres encore sont morts plus tard d’overdose...
La découverte de l’Angleterre en 1980 13
Mes parents, de peur que je finisse mal, m’avaient inscrit dans une école
dans le vingtième arrondissement de Paris. C’était un lycée catholique
privé. J’avais comme professeur, entre autre, frère Héraux, le genre de
personnage qui aime reporter sa frustration sur les enfants de sa classe.
Malgré un nombre important d’enfants agités, il savait nous mâter. Dès
qu’il y avait le moindre tapage dans le cours, il se retournait avec son air
sadique et disait en faisant traîner les lettres : « Qui ose faire du bruit ? » Si
personne ne se dénonçait, il nous privait de récréation. Bien sûr, le fauteur
de trouble se dénonçait toujours car il se serait fait taper par les autres de
la classe qui auraient eu la haine d’avoir été privés de récré à cause de lui.
Alors, le frère lui disait : « Approche un peu ici ! » Puis, il avait l’habitude
de le repousser avec le poing sur la poitrine, puis de le coller au fond de
la classe, après lui avoir mis un bon coup de règle sur les doigts. C’était le
standard à l’ancienne du frère.
Il y avait également une remplaçante Mademoiselle Nathalie. La pauvre,
qu’est-ce qu’on a été méchants avec elle. A travers elle, on se vengeait du
frère Héraux. Dès qu’elle se tournait pour écrire au tableau, on projetait
sur elle de toutes nos forces, des craies, des boules de papier, des crayons,
tout cela dans un vacarme ahurissant. Puis, lorsqu’elle se retournait en
hurlant, on était devenus sages comme des images. On mettait également
de la colle sur son siège...
C’était très difficile pour elle, car elle nous aimait et désirait nous sortir
de cette impasse scolaire à laquelle on était identifiés. Elle essayait avec le
directeur de nous parler, mais on était tellement méchants qu’on n’a jamais
pu comprendre son cœur. Elle ne l’a pas supporté, elle a fini l’année dans
un hôpital psychiatrique.
Un autre professeur dont je me rappelle était Monsieur Banaquias qu’on
appelait entre nous « Bac à chiasse ». C’était le professeur d’anglais. Cet
homme avait l’habitude de frotter son pantalon au niveau de ses organes
génitaux sur le rebord des premières tables de la classe. Alors, pour remédier
à ce problème, on mettait nos règles d’école sur nos tables comme des pics,
de façon à repousser ses assauts, on mettait également de la craie sur les
bords de ses tables favorites...
14 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI
C’est dans cette école que j’ai découvert avec le professeur de musique les
groupes des Sex Pistols, des Clash, et d’autres groupes propagateurs du
mouvement punk. C’est également à cette époque que j’ai visité Londres
avec l’école. Ce voyage fut pour moi très important, car j’ai découvert une
autre culture et un autre mode de pensée.
Je me rappelle de cette visite aux puces de Londres et de ce premier contact
avec le monde skinhead. J’avais aperçu un skin. Il avait environ quarante-
cinq ans. Son crâne était rasé à blanc. Il portait un bomber kaki de l’armée
américaine, un jean très court avec revers et des Doc Martens bordeaux à
coque dix-huit trous. Il était accompagné d’une Bird (femme skinhead) qui
était vêtue d’un harlington noir, d’une mini jupe et de monkey boots. C’est
difficile à expliquer, je ne sais pas pourquoi, mais son image m’a fasciné.
Je le voyais marcher lentement avec assurance. Il semblait comme un lion
dominant la jungle de Londres. J’étais attiré, je ne pouvais plus le lâcher
des yeux. Je pensais en moi : « Quel est ce personnage qui me fascine ? » «
Que représentent ses signes, son habillement ? » Mais j’ai dû rejoindre ma
classe et il a disparu de ma vue, sans que j’en sache davantage. Ceci a laissé
un impact dans mon cœur.
J’avais en ce temps un très bon ami qui s’appelait Renald, lui c’était vraiment
un marginal, le genre de personne à essayer toutes les drogues, à tripper
sur de la musique et à vivre d’une façon extravagante. Il avait découvert le
punk avec moi. On a donc commencé en Angleterre à s’habiller avec des
rangers, des jeans déchirés, des chaînes, des blousons d’aviation avec des
inscriptions, des épingles à nourrice et à mettre nos cheveux en pétard à
l’aide de laque à cheveux. Mais je dois dire que pour moi c’était plutôt un
déguisement qu’une prise de conscience. Mais ça m’a donné envie de vivre
comme un marginal. C’est à ce moment que mes parents m’ont permis de
fumer des cigarettes librement et de boire du vin et de la bière au repas.
C’était la matinée, et comme j’étais dans le petit lycée, je n’avais pas encore
rencontré Tiran. Cela se ferait certainement à l’heure de la cantine. Et
l’inévitable est arrivé, qui voilà avec sa démarche titanesque. Il s’est arrêté,
il m’a dévisagé d’un air vraiment méchant et il a poussé un tchh ! Du style,
qu’est-ce que c’est que celui-là ? Qu’est-ce qu’il fait avec ce look ?
La vérité c’est qu’à cette époque dans Paris, c’était extrêmement dangereux
de porter un look skin, même simplement des Doc Martens. Pour être
habillé ainsi, il te fallait obligatoirement assurer ton entrée dans une bande
et assurer ton look. Sans cela, tu pouvais t’en prendre plein la tête et te
faire braquer dans la rue.
C’est vrai que je savais que j’allais être testé, mais le penser est une chose
et le vivre en est une autre. Je me sentais vraiment mal et en même temps
j’étais déterminé. La peur qui s’exprimait en moi semblait passer au second
plan. Aussi, je tenais tête de façon à ne pas paraître pour un bouffon. Le
jeu du Tiran a duré quelque temps et puis, graduellement, il m’a accepté.
C’est vrai que bien que petit j’avais une bonne tête. Il a su voir en moi une
bonne recrue. De toute façon, je ne me serais pas dégonflé même s’il avait
fallu que je me batte avec lui pour être accepté.
Son comportement était provocateur et surtout bagarreur. Il était un très
bon boxeur. C’est de lui que j’ai appris l’art de devenir un skinhead. Il était
pour moi un peu comme le parfait skinhead. Je buvais son comportement,
j’aimais être avec lui et lui-même m’appréciait énormément. A certains
moments, quand on n’avait pas cours, on traînait ensemble avec quelques
autres branchés au café du Lufac, rue d’Assas. On est devenus de vrais
amis. Puis il m’a présenté à la bande de Tolbiac.
Je me rappelle de Bruno, Vincent, Françoise, Pascal et sa femme, Sylvie,
Revel, Yves, Grandes dents et aussi de trois ou quatre dont je ne me rappelle
18 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI
plus le nom. Ils traînaient dans un café qui se nommait le Bobillot. C’était
le lieu où, en 1982, se rassemblait tous les soirs la bande de Tolbiac. Quand
il m’a présenté à la bande, ils m’ont tout de suite accepté. J’ai commencé
alors à prendre de plus en plus d’assurance.
Cette bande avait un groupe de musique qui s’appelait les Tolbiac’s Toads.
J’ai été à quelques unes de leurs répétitions. Ça assurait bien. Il avait un
bon charisme. Dans le groupe, il y avait Bruno au chant, Revel à la basse,
Vincent à la guitare, Pascal à la batterie et Petit Fred comme manager. Il
projetait à cette époque de sortir un quarante-cinq tours avec des morceaux
comme : zéra et skinhead de Berlin. Je me rappelle comment Bruno dansait
lorsqu’il chantait, toujours très concentré et sérieux. Lorsque Vincent est
parti du groupe, Renald l’a remplacé. Je revois encore Bruno me présenter
Renald et lui demander de me faire une démonstration de guitare, je revois
aussi l’enregistrement de leur deuxième 45 tours auquel j’ai assisté.
C’était une bande qui assurait bien, mais elle était pas mal politisée. La
plupart de ses membres travaillaient à cette époque. Ce groupe était
marginalisé et à la fois très préservateur dans l’esprit du patriotisme
français. Aussi, leurs idées ont commencé à dépeindre sur les miennes. Je
suis devenu très fier d’être un Français. Comme dans toutes les bandes, on
passait notre temps à se moquer des uns et des autres et à rigoler, tout en
buvant de la bière...
cherchés. J’ai d’abord pris une mauvaise sortie, puis en prenant l’escalator,
j’ai enfin entendu un tumulte. C’étaient bien eux.
Il y avait ce jour-là, Porky un ancien Teddy Boy de Persan-Beaumont, Jean
Luc et Piaf. Porky était un monstre d’environ 140 kilos pour un mètre
quatre-vingt-cinq. Il venait juste de devenir skinhead. En fait, il avait plutôt
été fortement invité car il était toujours en vigueur d’avoir un colosse dans
une bande. La bande l’avait connu encore avec son look Teddy Boy. Ce
jour-là, il avait interpellé trois gars pour les braquer, deux gifles, deux
gars dans le coma sur trois. Vous comprenez pourquoi le troisième a
tout donné !
Je me rappelle une anecdote à son sujet. Un jour, la police l’a contrôlé à
Gambetta. Il a mis la casquette du policier sur sa tête et a commencé à
secouer le camion de police avec ses mains. Même la police avait peur de
lui. C’était vraiment le skinhead bête et méchant par excellence. Il avait un
comportement imprévisible. Il ne pouvait pas s’empêcher de mettre une
claque à quelqu’un tous les cinq mètres dans la rue. Il était constamment
agité par la colère mais le jour où je l’ai accompagné pour voir sa mère à
Persan-Beaumont, je l’ai vu se transformer complètement à son contact :
« Maman ! Regarde Willy, c’est ma mère ! » Il avait beaucoup de respect
pour elle. On avait l’impression qu’il perdait alors toute sa force et qu’il
redevenait un enfant. Il était tout heureux, doux et gentil en apparence. Sa
mère nous faisait alors des pastas (spaghettis), car il était d’origine sicilienne,
et l’assiette qu’il recevait était proportionnelle à sa taille : une montagne.
J’aimais beaucoup Porky. C’était mon grand frère. Lorsqu’il m’a vu la
première fois, il a été émerveillé de voir un petit skin comme moi de
14‑15 ans. Il s’est levé et m’a étreint, ou plutôt il m’a soulevé et je me suis
perdu dans sa masse. C’est un peu comme si vous étiez étreint par un petit
King Kong. Il avait une attitude vraiment à lui, unique. Il était parfois très
doux, et puis en un instant, complètement fou et incontrôlable, en un mot
imprévisible. Aussi, tout le monde prenait toujours des pincettes dans ses
relations avec lui.
Ce jour-là, la bande est arrivée graduellement au complet : Giovanni, puis
Bruno de Maux, Piaf, Bat, Fesni, Grand Eric, Anti, Boris, Marcel, Tiphaine,
Nina... Un peu plus tard, Porky m’a repris dans ses bras en criant : « Willy ! »
Puis il a dit aux autres que j’étais sous sa protection et qu’en plus j’étais un
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bon skin : « Celui qui le touche il aura affaire à moi ! C’est notre mascotte,
et en plus, il assure ! »
C’est de cette manière que j’ai été accepté dans cette bande. Porky était
toujours comme cela avec moi. On a été souvent ensemble à une époque.
C’était un peu le duo du petit et du colosse, comme dans les dessins animés.
Il y avait une grande différence avec la bande de Tolbiac. L’esprit de
Gambetta était plus rock’n’roll, bagarreur et provocateur, déjà dans le look.
Les skins étaient souvent habillés en jeans avec des taches délavées, les
crânes bien rasés et des bretelles rouges pendantes. Ils étaient également
toujours bourrés à la bière. Ils riaient, se chamaillaient, hurlaient dans la
rue, chantaient à tue-tête et faisaient des saluts fascistes.
Toutes ces scènes se passaient généralement dans le métro, dans les bus,
dans la rue. En fait, c’était constant. C’est à celui qui en ferait le plus. On
était à la fois des voyous et une bande de gamins qui passaient la journée
à se chamailler et à rire. Il n’y avait aucune attitude de responsabilité en
nous, mis à part peut-être quelques-uns quand même qui ne participaient
pas tout le temps à ces délires.
Je pense par exemple à Bat skin qui est maintenant connu, trente ans plus
tard, pour son engagement dans l’extrême droite. J’ai connu Bat dans sa
deuxième année de skin. C’était un personnage complètement différent
de maintenant. Il sortait avec une fille vraiment bien qui n’hésitait pas à se
battre avec lui afin de préserver son couple. C’était, vous l’avez compris,
une très forte personnalité au grand coeur. Elle était pour lui un équilibre
parfait. A cette époque, elle m’a confié des choses sur sa jeunesse. Pour
elle, il était, comme beaucoup, un enfant gentil qui se faisait peu respecter.
Il cherchait dans cette idéologie skinhead à changer cette situation. Les
gens qui connaissent Bat aujourd’hui voient en lui un personnage musclé,
à cause des anabolisants qu’il a pris par la suite. Mais à cette époque, il était
comme monsieur tout le monde, peu musclé.
A cette époque, en tout cas, je ne me rappelle pas de cet engagement
politique si extrémiste et si totalitaire auquel il se rattache maintenant. Il
était comme nous tous, un simple skinhead vivant dans la rue, peut-être
un peu plus cultivé que la masse. Aujourd’hui, selon ce que j’ai pu voir sur
Internet, il est reconnu comme un chef politique, mais à notre époque,
La guerre des bandes 21
ce n’était pas le cas, même si des gens peu informés qui n’étaient pour la
plupart même pas nés le disent aujourd’hui.
On doit comprendre en ceci que dans les bandes où j’ai vécu, il n’y a
jamais eu de chef, comme il est décrit de nos jours. On était de vrais potes.
Mourir pour sauver un gars de notre bande était un rêve à l’époque. Ce qui
implique qu’il y avait une notion d’amitié profonde entre nous. Celui qui
entrait véritablement dans une bande donnait sa vie à celle-ci. Le véritable
chef était manifesté comme l’esprit de la bande qui était composée par les
skinheads profondément ancrés dans cet idéal. Ce qui poussait les autres
à suivre profondément, ou à être éjectés, ou encore à être des lèche-bottes.
C’est vrai dans ces bandes, la plupart du temps, il y avait un noyau dur
de quelques skinheads tout au plus qui aimaient se faire adorer comme
des dieux. Ce qui les poussait à être de plus en plus extrêmes dans leurs
comportements. Ceci leur permettait d’atteindre une position, des femmes,
de l’argent…
A cette époque, on croyait profondément en cet idéal « skinhead » comme
un religieux croit à sa religion. On respirait skinhead. On entendait
skinhead. On mangeait skinhead. Il n’y avait que cela. On ne voyait rien
et on ne pensait à rien d’autre. On était imbibé de cela. Ce n’était pas
simplement une mode vestimentaire ou musicale c’était l’esprit skinhead.
Il n’y avait pas non plus cet engagement politique qui a enlevé aux
mouvements skinheads leur essence. Certains skins avaient leur opinion,
mais ils restaient des skins.
le droit d’exercer cette fonction. Aussi une rumeur était-elle venue à nos
oreilles que certains skins ne voulaient pas qu’une nouvelle bande voie le
jour à Paris sans leur consentement. On parlait d’une descente imminente
des skins des Halles à Gambetta dans le but de nous supprimer.
Je dois dire qu’une pression psychologique était apparue en nous. On
vivait sur la défensive. Je me rappelle que je prenais une autre sortie de
métro pour voir au loin s’il y avait un comité d’accueil. Pratiquement en
quelques jours, chaque membre du groupe avait réquisitionné une arme.
Bon, ce n’était pas des mitraillettes. On récupérait ce que l’on pouvait,
et puis on n’avait pas d’argent. Moi personnellement, j’avais pris comme
arme de défense le vieux hachoir massif de mes parents au cas où ils
me tomberaient dessus. Mais aucune descente de la bande des Halles
n’était encore arrivée. Je savais, par les autres skins de Gambetta, que cette
confrontation arriverait tôt ou tard.
pouvait pas rester sans rien faire. Mais imaginez-vous l’ambiance. Cette
bande avait beaucoup d’expérience et ils savaient embrouiller. De plus,
la bande dégageait une telle puissance. Il y avait également de sacrés
personnages, tatoués de partout même sur le visage, avec de sales têtes. La
tension était au zénith. Alors Fesni est sorti du rang : « Quoi bouffon, y a
un problème ? »
La veille, on avait eu une grosse bagarre, et Fesni, en mettant des coups,
s’était écrabouillé les cartilages des mains. Ce qui veut dire qu’il était hors
combat, il ne pouvait se servir de ses mains. C’était donc un combat perdu
d’avance. Surtout qu’il devait s’opposer à Jimmy. Celui-ci était extrêmement
réputé pour sa technique de combat, son agilité et sa puissance physique.
Personne ne l’avait encore vaincu au combat. Dans la logique, c’est Bat qui
aurait dû affronter Jimmy, mais celui-ci ne bougeait pas. Alors Fesni s’est
approché de Jimmy et lui a mis deux gifles pour répondre à ses attaques
verbales. Ils étaient alors entourés de 40 personnes qui disaient à tour de
rôle : « Allez Jimmy, nique ce bouffon ! » « Tue-le ! » « Vas-y, tue-le ! ». On
se serait cru devant un tribunal de la mort, sans pitié, un endroit où l’on
vous exécute avec joie.
Un corps à corps très violent a commencé, mais Fesni ne pouvait pas se
servir de ses mains, alors Jimmy a pris le dessus. Après quelques échanges
de coups, rapidement il a saisi Fesni, et il a coincé sa tête dans son bras
gauche puissant. A chaque coup de poing, il disait : « Dis que t’es un
bouffon !!! » Mais malgré le fait qu’il soit dans une posture délicate, Fesni
continuait à insulter Jimmy avec bravoure et à essayer de se défaire de
cette situation. Finalement, après quelques instants, Jimmy l’a lâché, car il
n’arrivait pas à le terrasser et les deux combattants ont été séparés.
A ce moment-là, j’étais tout près des skins de Tolbiac. Je peux vous avouer
que j’étais anxieux, très anxieux. C’était évident, après Fesni c’était mon
tour. Ils étaient là pour cela, donc c’était inévitable. Mais à l’intérieur de
moi, j’étais prêt. La mort plutôt que la traîtrise. Je me conditionnais à
l’intérieur. J’étais remonté à bloc. C’est alors qu’un skin des Halles s’est
avancé dans ma direction. J’étais un gosse de 15 ans et lui semblait bien
avoir la trentaine. Sur son front était tatoué « Fait en France » et au-dessus,
une croix à l’envers était visible. Ses bras étaient également tatoués et sa
tête aurait fait peur à n’importe quel passant. Je me rappelle encore de ses
paraboots bordeaux et de son bomber bleu.
26 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI
Il m’a dit : « T’es de Gambetta toi ? » Alors les skins de Tolbiac ont essayé
de le calmer en lui disant que je n’étais qu’un gamin, mais il ne voulait rien
savoir. « T’es de Gambetta, t’es un bouffon ! T’as pas le droit de porter un
bomber, donne-moi ton bomber, ou je t’éclate la tête ! »
Je n’étais pas à l’aise du tout, mais en même temps je n’avais pas d’autres
choix que de livrer bataille. Tiran discrètement m’a fait un signe de lui
placer un coup de boule. C’est vrai que j’étais parfois surnommé « coup de
boule d’enfer », car je m’amusais à ouvrir les portes de sortie en mettant des
coups de tête, ou bien occasionnellement lorsque j’étais ivre, il m’arrivait
de mettre des coups de tête dans des vitrines de magasin. J’essayais ainsi
d’être un skinhead, bête et méchant en un mot.
Un attroupement a commencé à se faire pour assister à la seconde bataille.
Alors que ce skinhead allait m’attraper, je lui ai mis un coup de tête. Son
nez a explosé et du sang a commencé à couler, puis je lui ai mis une série
de coups de poing. Finalement, la raya des Halles s’est dispersée incognito
comme s’ils n’avaient pas vu la scène, et on nous a séparés.
Ça paraît une histoire toute simple, un peu banale, mais je dois vous dire
qu’à cette époque, il y avait de sacrés voyous, tatoués de partout, avec des
looks et des langages, des personnages extravagants, vraiment intimidants.
Quand vous avez un tel comité d’accueil, je peux vous dire que vous avez
le cœur qui palpite à cent à l’heure, vous ne savez pas si vous allez en
ressortir vivant. Mais c’était comme une mission militaire, il fallait le faire.
Plutôt mourir que le déshonneur.
Finalement le concert s’est terminé et on est partis tous les trois, Bat, Fesni
et moi vers le métro. Je me rappelle à quel point on était contents. On
était aux anges car on avait assuré. On avait gagné officiellement notre
place dans les skins de Paris. Je pense que c’est à ce moment que j’ai
véritablement été accepté dans le noyau dur des skinheads de Paris. Ma
réputation a alors commencé à grandir jour après jour.
LES HOOLIGANS
était permis ce jour-là. Les Anglais étaient fous. Ils étaient attaqués. Ils
avaient en face d’eux d’autres vrais hooligans. En fait, ça explosait de
partout, c’était une vraie guerre.
Lorsqu’on est arrivés au Parc, on avait déjà du sang sur nos vêtements
et les flics avaient déjà eu vent de tous les affrontements. C’était une
ambiance des plus tendus. Il y allait avoir la guerre. On ressentait même
qu’ils n’étaient pas à l’aise tous ces CRS. Au Parc, des hooligans anglais
avaient été placés en bas du kop de Boulogne. Les pauvres, on a cassé les
dossiers de siège en plastique lourds et épais et on leur a balancé en pleine
tête, puis on a commencé à descendre dans la fosse aux lions pour affronter
la horde anglaise. La police française était complètement dépassée par la
violence des combats. Puis, il y a eu quelques affrontements à la sortie du
match. Je me rappelle que ce jour-là, j’avais mis sur mes paraboots des fers
de combat retournés et entaillés. On a lynché à terre des hooligans anglais
et un de mes fers est resté coincé dans la tête de l’un d’eux...
Le lendemain, cela a fait les premières lignes de la presse. Les Français ont
découvert l’ampleur du désastre. Tous étaient sous le choc. Comment du
sport pouvait-il engendrer une telle violence et une telle haine ? La faute a
été remise principalement sur les crânes rasés français : les skinheads. Ils
avaient affronté les célèbres hooligans anglais. Dès lors, les supporters du
Paris-Saint-Germain avaient une réputation de fous, de débiles rasés, ivres
et ultra violents. Les hooligans français étaient reconnus et respectés par
leurs homologues anglais et également dans le monde entier.
Une anecdote m’a été racontée à ce sujet : le lendemain à Londres, la
nouvelle a éclaté et sur les écrans, aux infos, un ruban défilait sur les images
d’un hooligan anglais en sang : « Les hooligans anglais ont trouvé leurs
maîtres à Paris. » Il y avait ce jour-là dans un pub, une des bandes de skins
les plus réputées de Londres qui regardait les infos à la télé. En voyant
des images d’Anglais en sang et cette défaite, ils sont devenus comme
fous. Dans cette bande, il y avait un Français mais qui parlait anglais sans
accent français. Le pauvre, en voyant ces images, il a eu le malheur de faire
échapper de sa bouche une expression en français sans accent anglais. Ils
ont alors compris qu’il était français. Le résultat a été terrifiant, il a pris je
ne sais combien de coups de couteaux.
30 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI
Mon souvenir m’amène vers Chippie Dool, la sœur de Bougs que je voyais
dans les débuts des années 80, assise par terre dans le métro, avec son
pétard sur la tête, ses rangers, sa minijupe écossaise et ses bas résilles
déchirés, son perfecto tagué, sniffant de la colle à rustine. Tous les gens la
regardaient, c’était le trip punk provocateur : « No futur ».
Dans la bande de Gambetta, il y avait Fesni. Il portait ce surnom car
lorsqu’il était punk, il sniffait également de la colle à rustine dans un sac en
plastique. Cela faisait partie de la panoplie du punk à cette époque. Mais ce
surnom lui venait de ce qu’il mettait tellement de colle à rustine dans son
sac que personne, à part lui, ne pouvait l’utiliser pour se droguer.
C’était un type basané aux cheveux bruns. Sa famille était des réfugiés
politiques. Sa mère était une actrice et son père un danseur célèbre dans
son pays. Ils ne parlaient que très peu le français. Mais ils semblaient des
gens très cultivés, de la haute société et très gentils. Ils vivaient à Paris dans
un immeuble de luxe. Je me souviens particulièrement de cet immeuble,
car il était gardé. On aurait dit un hôtel cinq étoiles. Moi qui venais de
banlieue et qui vivais dans une cité délabrée, je me sentais bizarre quand je
rentrais dedans avec ce look de skin. Il y avait vraiment un gros décalage...
Fesni était grand, il avait toujours un bon look. Le genre de personnage
qui aurait tout fait pour être un skin célèbre. Il vivait toujours orienté
vers l’acquisition d’une réputation. Aussi, il était toujours impliqué dans
les bagarres et dans tous les plans les plus fous pour se faire voir. C’était
à cette époque une bombe d’agressivité. Il était très fier de lui. Il était
comme tout le monde, il cherchait à devenir quelqu’un.
A cette époque, Fesni chantait sur des airs connus de musique skin et
punk. Il commençait à composer des textes et on se marrait à les chanter
avec Nina et Tiphaine. Il avait comme cela interprété la chanson des
Four Skin « Evil » par exemple, mais également un titre des Cokney, et
de la Souris déglinguée. Bon, je dois dire qu’il chantait faux au début. On
l’accompagnait pour rire, mais tout de suite, il s’est mis à croire en lui et
dans son avenir de chanteur dans un groupe skinhead. Mais vous savez,
dans une bande, dès que vous vous prenez pour quelqu’un, tout le monde
se moque de vous. C’est un prétexte pour se fendre la poire. Ainsi, Jabbha
La naissance des Evils Skins 31
c’était beaucoup moins cher. Le gars qui nous le louait n’était pas rassuré
et il tremblait.
Une fois dans le studio, ce n’était pas facile. Faut dire qu’on était beaucoup
plus des voyous que des musiciens. Alors, le mental peut vous faire croire
que faire un groupe c’est facile, mais une fois sur le terrain ! Mais bon,
c’était rock’n’roll : 1, 2, 3, 4, boum, paf, boum, paf, oï oï oï !!! On s’efforçait
donc de faire quelque chose, mais plus on consommait de la bière et plus
cela devenait inaudible. Mais, c’était la fête et finalement on était très fiers
de nous. On y croyait pas mal aussi, on saoulait des fois un peu trop les
autres avec cela.
Notre vie n’était pas luxueuse. On n’avait pas d’argent. Le seul qu’on
pouvait avoir ne venait que des pauvres personnes qu’on dépouillait ou
d’autres petites magouilles. Pour manger et boire, on braquait parfois
des plateaux dans des fast-foods ou encore on volait de la nourriture à
l’arracher dans des magasins. L’été, la journée, on traînait en haut de la
sortie du métro, l’hiver dans le métro au chaud. Le soir, on allait à des
concerts ou encore on partait en galère pour trouver des plans fêtes.
Il y a beaucoup d’histoires de galères, puisque la vie d’un skinhead à cette
époque était une vie de galères. Je vais simplement en relater quelques-
unes pour ne pas alourdir le livre, mais en même temps pour que vous
puissiez saisir l’esprit de bande de cette époque bien particulière.
Je me souviens d’un soir où j’étais parti avec Fesni, Bat, Renaud, Gilles
de Bonsergent et Régis à un concert en banlieue de Paris. Bon, déjà faut
comprendre qu’on avait comme habitude de ne pas vouloir payer l’entrée.
C’était donc déjà la galère d’assurer pour les videurs. Puis une fois entrés,
on mettait en garde par des regards et des allures de vainqueurs les gens qui
étaient présents dans la salle de concert. Cela voulait dire en un mot : « Y a
un problème ? » « Si oui, on est là pour vous faire une grosse tête ! » C’était
un peu osé à quatre contre toute une salle de concert, mais c’était l’esprit
de l’époque. Puis, dès que le concert commençait, on dansait comme des
fous. C’était une baston en danse, et dès qu’une personne qui n’était pas
de chez nous venait s’y infiltrer, boum : coups de tête, coups de pieds dans
Une vie de galère 33
En Inde, on dit que l’on développe les qualités et les défauts de ceux
avec qui l’on s’associe. Aujourd’hui, je réalise à quel point ceci est vrai,
car intérieurement s’était opérée une véritable transformation de ma
conscience. Je n’avais plus un gramme de compassion, ni de tolérance.
J’étais simplement habité par la haine. Je n’avais que 16 ans mais je n’avais
plus peur de rien. Je marchais dans la rue en dévisageant tout le monde
d’un regard haineux. Quand une personne me regardait dans les yeux, je
m’arrêtais pour me battre. Les gens étaient souvent très impressionnés et
partaient ou bien une bagarre éclatait. C’était ça, à cette époque, la fierté
d’être un skinhead.
On était dans un tel film intérieurement que les gens pensaient qu’on était
des monstres prêts à tuer. Oui, on était si fiers d’être skinheads qu’on ne
voulait jamais perdre une bagarre. Il fallait coûte que coûte assurer, des
armes étaient alors nécessaires pour battre ceux qui étaient plus forts.
Les skins de Saint-Michel en 83 35
C’est à cette période qu’on a changé de fief et qu’un ménage s’est fait dans
la bande. On a quitté Gambetta pour squatter le quartier Saint-Michel. Il
y avait une petite boutique de disques appelée « New Rose ». C’était la
boutique branchée de Paris, tous les branchés y passaient. On a commencé
à traîner devant avec Bat skin, Fesni et Porky. Puis d’autres skins nous ont
rejoints : les skins du Havre, les skins de Lagny, Vitriol, Tintin, Jabbha,
Pierrot et Mathieu, Pascal, Tiphaine, Nathalie, Valériane et Myriam. On
voyait parfois des gars de province comme le Chinois Atila et Bébé skin.
Des skins de Belgique également venaient nous rendre visite. En fait, il y
avait le noyau dur du gang et pleins de skins qui gravitaient autour, on avait
une réputation de fous.
Dans ce temps-là, il n’y avait aucune boutique qui vendait des Doc Martens
et d’autres vêtements skinheads. Il fallait vraiment assurer pour en porter.
Sans cela, vous vous retrouviez en slip dans la rue si vous rencontriez de
vrais skinheads. Alors, la boutique de New Rose est rapidement devenue
un endroit stratégique où les punks et simili skins se retrouvaient pieds et
torse nus, les poches allégées.
Je me rappelle qu’on avait mis au point des embuscades dans la rue du
New Rose pour que personne ne puisse nous échapper. Oh, c’étaient
des techniques simples. Cette rue reliait deux autres grandes rues, entre
autre le boulevard Saint-Michel. On se postait à chaque bout. Lorsque des
marginaux arrivaient, on ne les regardait pas, histoire qu’ils n’aient pas peur,
puis lorsqu’ils passaient la frontière, l’étau alors se resserrait. On essayait
toujours que la dépouille se passe sans casse, c’est-à-dire sans frapper, mais
malheureusement ce n’était pas toujours le cas. C’était l’époque qui voulait
cela. Il y a eu beaucoup de gars qui ont fini massacrés par terre.
Un peu plus haut sur la gauche, en remontant le boulevard Saint-Michel,
il y avait une petite salle de cinéma. A cette époque, le fameux film «
Orange Mécanique » de Stanley Kubrick était programmé. Ce film traite
d’un jeune délinquant appartenant à une bande appelée « Droogs ». Celui-
ci était passionné par la musique de Beethoven, mais également obsédé par
le sexe et l’ultra violence. Dans ce film, on voit cette bande errer dans la
ville enchaînant lynchages, viols et affrontements avec des bandes rivales.
Bien que d’autres films aient traité de ce sujet, ce qui particularise celui-
ci, c’est l’ambiance dans lequel ces méfaits sont orchestrés, cette façon
d’extraire de la jouissance par le biais de faire souffrir les autres.
38 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI
drôle, c’est qu’il était très petit, on aurait dit qu’il ne touchait pas le sol avec
ses pieds. En voyant cela, on a eu envie de se marrer avec Jabbha, mais on
s’est retenus avec du mal. On n’avait vraiment peur de rien.
Il a alors demandé à ses gardiens de nous laisser seuls, et là, il a été très
clair : « J’ai pas mal de charge contre vous. Je pourrais facilement vous
mettre au placard pour un bon bout de temps. Mais j’ai envie de vous faire
une fleur, à la condition que je ne vous voie plus une seule fois dans mon
arrondissement. Ai-je été clair ? Par contre, si on vous y revoit …! »
J’étais tellement à l’aise dans mon rôle de skinhead et tellement habitué
à jouer avec la police que le danger n’avait pas de sens, qu’il n’était plus
véritablement une valeur. Parfois, la police venait me cueillir chez mes
parents à six heures du matin pour un interrogatoire sur une histoire de
meurtre dans laquelle la bande était mouillée. Pendant ces interrogatoires
interminables, ils m’envoyaient leur fameux presse-purée pour essayer de
m’intimider, mais ça me faisait marrer. Presque tous les jours, j’étais fouillé
par la police en pleine rue et contrôlé, comme sous surveillance. Combien
de gardes à vue au commissariat ai-je faites ? C’est vrai la Providence a
voulu que je ne fasse pas de prison pour payer tous mes méfaits. Mais
si j’avais dû être jugé, il aurait fallu plusieurs vies d’incarcération pour
m’acquitter de cela.
Une histoire sanglante illustre ma seule condamnation. Un jour, je suis allé
au café rue d’Assas, une personne m’a dévisagé et s’est retournée pour me
regarder. Je l’ai frappée sans aucune compassion, avec une haine terrible.
Elle est tombée par terre et j’ai commencé à lui mettre des coups de pieds
en pleine tête. J’étais complètement fou, au point d’essayer de rentrer sa
tête à coups de pied entre le trottoir et la roue d’une voiture. Je l’ai en fin
de compte laissée inconsciente par terre et je suis allé jouer au flipper au
bar situé juste cinq mètres à côté. La police est venue me chercher dix
minutes plus tard. J’avais 16 ans. J’ai été jugé pour cela…
Si nous tentons d’analyser les faits, nous voyons qu’il y a une grave
distorsion entre la réalité et le mental d’une personne conditionnée à
l’ultra violence. Dans cette spirale, il n’y a plus de repères, de règles, de
cadres, de normes, d’autorité, de lois, de police… On s’habitue à des
choses tellement horribles qu’on n’a même plus peur d’être arrêté. Pour
celui qui vit dans cet état-là, le pire devient la normalité.
40 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI
Vous n’avez plus de sensibilité. Votre plaisir est de faire souffrir les autres.
Vous ne pouvez même plus changer, vous ne pouvez pas imaginer le
changement. Au contraire, vous pensez que c’est la voie du bonheur,
vous êtes certain que plus vous irez dans ce sens et plus vous serez
heureux. Vous ne vivez que par la violence. Elle est votre seul repère. A ce
niveau d’existence de vie, votre joie dépend du malheur des autres. Vous
développez alors une telle fixité dans cet idéal que vous pouvez devenir
une personne qui attire d’autres dans ce chemin. J’étais devenu ainsi.
Je vais vous faire part d’une discussion que j’ai eue avec un ancien skinhead
que j’ai formé à l’époque. J’ai repris contact avec lui pour essayer d’avoir
d’anciennes photos. J’ai téléphoné et je suis tombé sur sa femme.
Je lui ai dit : « Bonjour, vous êtes la femme de … ? Est-ce que je pourrais
lui parler, je suis un ancien ami. » Elle lui a dit : « Tiens, c’est pour toi. C’est
un ancien copain. »
Alors l’ambiance est devenue lourde, très lourde. Il a pris l’appareil :
« Allo !
– Salut, c’est William ! Tu te rappelles de moi ?
– Comment tu m’as retrouvé ? (d’un ton glacial) »
Je lui ai expliqué que j’étais devenu moine et que je le contactais car j’étais
en train d’écrire sur mon passé, afin de répandre la non-violence.
« Ça me fait plaisir mec que tu t’en sois sorti. Moi, il m’a fallu dix ans pour
redevenir normal. J’avais des montées constantes de violence. Je devenais
dingue. Pour un rien, je sortais de ma voiture et je mettais un mec sur le
capot prêt à le frapper…. »
J’ai ressenti combien il souffrait encore du traumatisme que cause la
violence et combien c’était ma faute. Du plus profond de moi-même, je
lui ai alors demandé de me pardonner de l’avoir entraîné dans ce chemin.
Il s’est alors mis à pleurer. Si vous saviez comme c’est dur de voir des
personnes dans un tel état. Il m’a avoué que même sans le vouloir, les gens
ont peur de sa démarche, de son regard … Parce que son être entier a été
imbibé de l’ultra violence skinhead, le passé est pour lui maintenant une
vision de cauchemar.
De temps en temps, je revois d’anciens gars du gang. Ils ont parfois besoin
de me voir ou encore il m’arrive d’en croiser. C’est vrai, ils ont pour la plupart
ces mêmes symptômes. Ils n’arrivent pas à se réinsérer dans la société. Ils
Rue d’Assas 41
vivent hantés par leur passé. Certains fuient ces souvenirs horribles et vont
même jusqu’à raconter l’inverse en essayant de dédramatiser les choses.
D’autres, au contraire, fabulent et se montrent aujourd’hui comme les
skinheads les plus puissants du passé ou comme d’anciens chefs de bande,
alors qu’ils n’étaient pas plus importants que les autres.
RUE D’ASSAS
Bon, c’était un peu dur de laisser ce quartier de Paris, mais à chaque fois
c’était comme cela, la violence engendrait une opposition proportionnelle.
C’est quelque chose de logique. Dans cet entretien avec le commissaire, il
nous avait dit qu’on pouvait aller dans n’importe quel autre arrondissement
de Paris, mais pas dans le sien. Sans cela, il allait vraiment se fâcher. Et
même si l’on n’avait pas l’habitude d’écouter la police, ça ne nous branchait
pas d’aller faire un petit séjour en prison, voire même un gros. Alors on a
décidé d’aller traîner de l’autre côté du jardin du Luxembourg qui donne
sur la rue d’Assas, un autre arrondissement de Paris.
Moi ça ne me dépaysait pas trop, car j’avais commencé ma vie de skinhead
ici. Puis du coup, la bande s’est encore agrandie, car Tiran s’est joint à
nous. Il y avait également Nono, Brochet, Bruno de Tolbiac, et les skins du
Havre qui squattaient également avec nous. C’était une sacrée bande dans
ces années 1984-85. Personne n’osait s’opposer à nous. On était le gang le
plus puissant de Paris.
La seule bande qu’on a vue débarquer rue d’Assas pour venir s’affronter à
nous, c’était une autre bande de skins. Ce jour-là, il y avait Tiran, Brochet,
Pascal, Tintin, Bruno de Tolbiac et moi. On était au café Le Lufac en
train de boire un coup quand on a vu arriver des skins avec des battes de
baseball. Ils étaient une dizaine et ils se sont arrêtés devant le bar. Y’avait
pas photo, ils étaient bien là pour nous. Alors on s’est marrés et on est
sortis par l’autre côté du bistro. On s’est retrouvés face à face dans la rue.
Les voitures commençaient à klaxonner, mais on s’en foutait. L’ambiance
n’était pas à la circulation. Tiran a alors montré quelque chose dans une
direction en disant : « hé !!! ». Il a alors chopé une batte de baseball des
mains des skins opposés. Au même moment, je me suis approché d’un des
skins et je lui ai mis un coup de tête, son nez a littéralement explosé, et il
42 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI
est tombé par terre. Alors, une bagarre violente a éclaté. Même s’ils étaient
armés, ça n’a pas duré longtemps. Ils ont dû battre en retraite à cause de
cette forte opposition.
Le quartier Assas est connu pour sa vocation à former la génération
d’extrême droite. Aussi, graduellement des responsables de partis
politiques ont commencé à se rapprocher de nous. Mais à vrai dire, il y
avait un tel décalage avec eux que ça ne collait pas du tout. Ils nous avaient
quand même informé des manifs étudiantes et la possibilité pour nous de
mettre le désordre. C’est donc à ce moment qu’on a participé à des manifs
étudiantes dans le quartier latin. En bande, on provoquait les CRS. C’était
vraiment violent. Je me rappelle qu’un gars de la bande avait même viré un
chauffeur de son bus pour foncer avec sur le barrage de police. Bref, les
CRS nous cherchaient. On était vraiment dans leur collimateur. C’était la
petite guérilla urbaine. Alors, un après-midi, ils nous ont tendu un piège.
Ils nous ont obligés à prendre une rue. Ils étaient au moins quarante à nous
poursuivre. On s’est retrouvés coincés dans une voie sans issue. Qu’est-ce
qu’on a pris. Je me rappelle, ils me lattaient à coups de rangers dans la tête
et à coups de matraque. Bonjour, le langage et les gros mots. On aurait dit
une bande de voyous venus nous lyncher. Faut dire qu’on les avait pas mal
brutalisés, et là, c’était de la pure vengeance. J’ai quand même réussi à me
dégager. Pendant au moins deux semaines, mon corps était plus ou moins
déformé et peu utilisable. Je pense que c’est la plus grosse raclée que j’ai
prise pendant toute cette période de ma vie.
C’est à cette époque, qu’un homme d’une cinquantaine d’années, professeur
de boxe et interlocuteur politique nous a rencontrés au café Le Lufac. On
n’était pas vraiment intelligents. Je pense que vous l’aviez déjà compris.
On cultivait plutôt la bêtise et la méchanceté. Un peu comme des gens
qui aiment être sans cerveau, proches des pitbulls qui font des grimaces
et qui sont prêts à mordre chaque passant. Tel était en gros le niveau de
la bande. Tout cela arrosé de bière ce qui n’arrangeait rien. Bref, difficile
pour des gars comme nous à cette époque de réfléchir, que dire de changer,
et chacun s’entraînait dans ce lavage de cerveau.
De plus, on était relativement influençables. Et même si on était une
bande de potes, il a réussi par ruse à nous manipuler. C’est vrai, finalement,
c’est tellement facile de manipuler des voyous. On se sent tellement
Rue d’Assas 43
invincibles qu’on est comme des agneaux dans les mains du loup. Aussi,
il a commencé par nous prendre la tête sur notre façon de vivre : notre
idéal de provocation. Il nous a dit que nous devrions mieux comprendre
comment arriver à être vraiment puissants et purs.
En quelques jours, c’était la confusion la plus totale. On était pris à notre
propre piège. Pour ne pas être pris pour des idiots, on acceptait de plus
en plus tous ses arguments, mais finalement on s’est fait complètement
berner. Tout ceci était bien mis en scène et ça marchait. Même notre façon
de nous habiller et de vivre a changé à son contact. Il nous a démontré
qu’un bon patriote ne prenait pas de drogue, ni d’alcool, qu’il s’habillait
proprement, qu’on ne devait pas être vulgaires.
A la fin, il nous a mis les uns contre les autres, et on en est venus à rejeter
nos potes parce que soi-disant ils étaient juifs, arabes, iraniens… Je le
revois encore nous sortant cet article de journal concernant le jugement
de Bat et de sa remise en liberté parce qu’il était juif, et aussi des origines
de Fesni. Cet homme avait réussi à nous monter les uns contre les autres
pour mieux nous manipuler. Résultat Bat fut rejeté du groupe et d’autres
comme Fesni, Jabbha, Régis et Eric du Havre l’ont suivi. Il n’y a pas eu
d’affrontement car ceux qui étaient rejetés avaient en face d’eux de sacrés
skinheads. Le gang s’est alors scindé en deux groupes : l’un a pris le camp
du rock’n’roll et l’autre de « Révolte occident », mouvement de ce leader.
C’est dans ces eaux-là, que la bande du Luco est devenue plus raciste,
plus fasciste et que des fafs ont commencé à nous côtoyer. On était bêtes
et méchants et sans cerveau. Mais on ne pouvait pas le percevoir, alors
pour paraître intelligents on acceptait tout. Ça paraît idiot et difficile à
accepter, mais pourtant, pour moi, ça s’est réellement passé comme cela.
J’ai d’abord évolué dans la violence et la culture de la méchanceté et de la
bêtise, puis je suis passé au stade du rejet de la société pour en arriver à
détester tous les êtres.
A cette époque, je ne connaissais rien de la politique. Qu’est-ce qui
différenciait la gauche de la droite, l’extrême droite de l’extrême gauche,
je n’en savais rien. A vrai dire, cela ne m’intéressait pas. Je n’avais même
jamais lu de biographies d’Hitler, de Staline, de Mussolini et d’autres. Je
savais simplement comme tout le monde qu’Hitler avait massacré des gens
cruellement comme Staline et d’autres dictateurs, sans en connaître les
44 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI
détails. J’étais très peu cultivé. Je pense que j’aurais pu accepter n’importe
quelle idéologie et faire la même chose, si j’étais au départ (de cette
fascination pour les skinheads) tombé avec des skins communistes.
La vie est comme une boule de neige. On est embarqué avec des personnes
et on évolue avec le gang, et plus on évolue et plus certains font du zèle.
A la fin, on se retrouve avec des idées, des slogans fascistes, des drapeaux
nazis et on ne sait même pas ce que cela représente véritablement : la
destruction. C’est comme une compétition, c’est à celui qui sera le
plus provocateur dans une bande, complètement retranché du monde.
Aujourd’hui avec le recul, je peux comprendre cela et examiner les faits.
Il y a tellement de soi-disant skins nazis ou racistes qui sont aujourd’hui
mariés avec des étrangères ou qui sont convertis à l’islam, au judaïsme …
Ce leader politique était vraiment obscur, mais c’était un très bon
professeur de boxe. Il enseignait dans le club de L. Eh bien oui, on aimait
ça la bagarre, alors la boxe ça nous attirait vraiment. J’y allais avec Bruno
et Tiran de Tolbiac, il y avait également Gilles de Bonsergent, Brochet et
d’autres. Je me souviens que je m’entraînais durement et parfois pendant
plusieurs heures d’affilée, trois à cinq fois par semaine. J’avais abandonné
l’alcool et la drogue, et je m’étais remis à faire du footing. J’avais une telle
forme et une telle assurance en moi que je me croyais surpuissant.
Il y a environ un an, le réalisateur d’un documentaire sur ma vie a interviewé
des anciens gars du gang dont un qui venait de sortir de prison. Il avait
écopé de 20 années de prison pour meurtre. Ils ont parlé un peu de cette
époque où la bande était divisée en deux :
« On était avec F. et trois autres de la bande et ce soir-là on s’est battus
dans un bar avec une bande adverse d’une vingtaine de personnes. » « Tout
a volé dans le bar, à coups de bouteilles, de chaises, on a tapé sans pitié.
Finalement, le camp adverse a pris la fuite. On a fini par rattraper un gars
de la bande adverse. Il a alors sorti un couteau pour se défendre. F. lui a
dit : « Range ta lame ou on te tue ! » Le pauvre, l’erreur qu’il a commise : il a
donné sa lame. On l’a frappé et lorsqu’il est tombé au sol, j’ai sauté à pieds
joints sur sa tête pendant plusieurs minutes. On l’a tellement massacré que
quarante-cinq minutes plus tard, quand on est repassés dans le quartier,
pour voir si le gang adversaire était là, il était toujours inconscient dans
le caniveau… »
Rue d’Assas 45
« Ce même soir, l’autre partie du gang qui avait rejoint le club de boxe
devait assurer la sécurité lors d’un gala de boxe. L… devait jouer son titre
de champion d’Europe. Finalement, ils étaient chargés d’assurer la sécurité
autour du ring. Aucune personne ne devait monter dessus. Lorsque le
combat a touché à sa fin et que L. a perdu contre l’Anglais S., des Anglais
au sang chaud ont commencé à monter sur le ring afin de fêter cette
victoire. Les gars du gang sont alors intervenus. Il y avait Tiran, Bruno
de Tolbiac, Brochet, Gilles de Bonsergent et p’tit Willy. Dans un premier
temps, ils ont essayé de les calmer et ils leur ont demandé de descendre.
Mais l’ambiance a dégénéré. Il y avait un colosse chez les Anglais. D’un
réflexe naturel, Willy lui a placé en plein menton un ciseau, ce qui l’a mis
K.O. d’un seul coup, puis bien sûr les autres du gang ont également frappé
sévèrement. Bilan, les journalistes s’en sont donnés à cœur joie. Dans les
journaux, on pouvait voir qu’il y avait eu un second round après le combat
officiel. On les voyait en photo en train de frapper des Anglais sur le ring.
Bonjour, la réputation du club.»
« Partout où des membres du gang allaient, il fallait qu’ils laissent leur
signature avec le sang de leurs ennemis. Tel était le prix à payer pour les
opposants. » « Aucun gang rival ne nous a jamais mis de tête… On était
très puissants à cette époque, on avait rien à envier au plus grand gang
skinhead étranger, on était uniques, c’était véritablement une époque que
personne ne pourra jamais plus connaître car les temps et les gens ont
vraiment changé… »
Mais bien que ces histoires marquent le temps où le gang était scindé en
deux, ceux qui avaient pris le camp de « Révolte » en ont eu vite marre de
ce leader facho militariste qui nous empêchait de nous éclater. Finalement,
à part deux ou trois, la bande du Luco s’est de nouveau réunie.
Notre affichage en tant que fachos, pour les quatre-vingt-dix-huit pour
cent de la bande, était davantage une façon de défier le monde, de rejeter
le système. Aussi, être avec des vrais fachos, ça ne collait plus avec notre
identité. C’était comme si on s’était trompés d’ambiance. Il y avait trop
de différences. Eux, c’étaient des bourgeois et nous des enfants de la rue.
Aussi, on doit comprendre que le véritable idéal politique des skinheads
du Luco n’était qu’un fond d’écran. Finalement, ce n’était pas cet idéal
politique qui nous procurait du plaisir. Nous, ce qu’on aimait, c’étaient la
46 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI
Le gars s’est alors approché de Fesni et il lui a mis le fusil sur la tempe,
comme pour le finir. Mais il ne l’a pas fait, il est parti en courant et la police
est venue...»
C’était une épreuve terrible pour la bande. Turlute était si jeune (seize ans),
il n’était pas vraiment un skinhead c’était un pote de Tiran et de Jabbha.
Quelques jours plus tard, Brochet, Tiran, Bruno de Tolbiac, Nono, Jabbha,
Pascal sont allés à son enterrement. Ce n’était pas la folle ambiance. Ils
voulaient tous arrêter d’être skinheads par respect pour la famille et pour
Turlute. D’autres pensaient qu’on avait été trop loin dans le délire. A partir
de ce moment, la bande du Luco s’est décimée en quelques semaines.
Fesni est resté pas mal de temps en réanimation, on a appris qu’il allait
s’en sortir, mais il ne serait pas indemne. La balle avait touché une partie
sensible qui pourrait probablement le laisser handicapé à vie, mais cela
n’était pas encore sûr. Je me rappelle être allé le voir à l’hôpital, et lorsque
je l’ai vu avec tous ces tuyaux, dans le coma, le choc a été terrible et des
larmes ont coulé de mes yeux. Moi qui n’avais plus aucune sensibilité, j’ai
senti mon cœur s’ouvrir à l’émotion de nouveau. C’était si dur de voir un
frère dans un tel état. Lorsque je suis sorti de l’hôpital je divaguais, j’étais
dans un état second. J’ai alors ressenti un véritable attachement pour lui
et un besoin de lui venir en aide. Il était mon frère, comment ne pas me
donner complètement à lui dans un tel moment ?
Puis, un peu plus tard, il est sorti du coma et il a été transféré dans un
centre spécialisé, pour qu’il puisse sortir rapidement de cette situation. Ce
centre n’était pas facile d’accès, une heure de train et dix kilomètres de
marche à pied si vous n’aviez pas d’argent pour le taxi. J’ai donc entrepris
de réunir les anciens et toujours membres de la bande pour lui rendre
visite, mais cette expédition a vite découragé les gars et dès la deuxième
fois, plus personne ne voulait venir avec moi. Je me rappelle avoir mal pris
la chose, mais bon, fallait s’y faire : dix kilomètres à pied. Je partais alors
tout seul, car dans mon cœur je voulais lui venir en aide.
Une fois arrivé là-bas, je trouvais Fesni toujours en forme et avec un bon
moral, mais cela faisait drôle de le voir maintenant en chaise roulante avec
des jambes si maigres. Il me disait qu’il allait vite récupérer ses jambes, en
tout cas c’est ce que lui avaient dit les docteurs. J’apportais toujours de
quoi faire un peu la fête, alors on allait dans un coin retiré pour boire un
48 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI
coup et fumer un joint. Je pense que je l’ai beaucoup aidé à cette époque.
Lui qui rêvait de gloire, il se retrouvait maintenant sur une chaise roulante.
Il ne faisait rien paraître mais je savais que cela était extrêmement dur
pour lui. Aussi, je sentais qu’il était très important que j’aille lui rendre
visite régulièrement, que je le soutienne. J’ai senti en cette période un fort
amour pour mon ami Fesni, une puissante amitié était en train de nous lier
plus étroitement.
TENTATIVE DE RÉINSERTION
BAGNOLET CITY
fil à couper le beurre. C’était un fan de Johnny Hallyday, bien beauf. Mais
j’ai senti qu’il était attiré par ce qui se dégageait de mon look skinhead. Il
était dans une mauvaise période de sa vie, sa mère lui avait caché la mort
de son père. Il avait lui aussi besoin d’expérimenter quelque chose de fort
pour oublier les misères de l’existence et trouver un sens à sa vie.
J’ai finalement sympathisé avec lui et je l’ai amené un jour avec moi voir
des amis skinheads. Tout le monde l’aimait bien, malgré son degré de
bêtise qui parfois était vraiment risible. On l’avait surnommé pour cela
Tebi. Cela signifiait quelque part qu’il n’avait vraiment rien dans le caillou
(le cerveau). C’était un peu celui qui faisait toujours rigoler tout le monde.
Graduellement, il a pris le look d’un skinhead et il a commencé à changer de
mentalité. Et puisqu’on habitait dans le même immeuble, on a commencé
à traîner ensemble et je lui ai appris alors l’art de la vie d’un voyou. Son
caractère a manifesté peu à peu de la haine et un goût pour la bagarre, la
bière et la provocation. Plus tard, son nom a été changé en Tobi, c’était
plus respectable.
Un soir, je suis allé avec Fesni et Régis (qui venait de sortir de tôle) squatter
l’appartement de mes parents qui n’étaient pas là et lorsqu’on est rentré
sous le porche de l’immeuble, il y avait quelques gars de la cité d’à côté.
Il s’agissait entre autre d’une espèce de chef de bande charismatique, très
fier et qui se prenait pour un mec invincible. C’est souvent le cas avec ces
gars de cité qui se croient des surhommes après qu’ils aient regardé des
films de bandes. On voit aujourd’hui les rues et Internet infestés de ces
personnes qui se créent des personnages et qui fabulent sur elles-mêmes,
bien qu’elles n’aient jamais vraiment rien fait.
Lorsqu’on est passés à côté d’eux, il a fait une remarque sur les paraboots
montantes de Fesni et de Régis : comme quoi, ils se seraient bien mesurés
à nous s’ils n’avaient pas eu ce genre de chaussures. Mais par contre, il a
remarqué que j’étais en baskets et que ça le brancherait bien de se mesurer
à moi. Tout ceci m’embêtait, car j’étais dans l’immeuble où habitaient mes
vieux. Alors, j’ai préféré laisser traîner l’histoire.
Deux jours plus tard, je me suis levé assez tôt et je suis descendu squatter
le hall de l’immeuble. Je n’ai pas tardé à voir ce gars. Je pense que j’avais
dû lui rester dans le mental, alors il me cherchait. Il a commencé à me
provoquer. Je me suis mis à courir vers lui pour lui défoncer la tête, mais il
52 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI
s’est enfui. Une telle vaillance pour un chef de bande ! Bien sûr, j’ai essayé
de le rattraper, mais en courant, il m’a déchargé le contenu d’une bombe
lacrymogène très forte qui m’a paralysé. J’ai donc dû m’arrêter. Ce gaz m’a
coupé la respiration, m’a brûlé les yeux et il en a profité pour me mettre
un coup dans le visage qui m’a fait basculer par terre. Je me suis relevé
rapidement, mais il est parti.
Bien sûr, les gens de la cité étaient aux fenêtres et regardaient le spectacle.
J’ai senti au fond de moi une grande colère m’emporter, car j’étais en
quelque sorte humilié. Tobi est venu me voir, sachant ce qui s’était
passé. La guerre était en quelque sorte déclarée. Il m’a proposé d’aller le
retrouver. On savait que toute sa bande traînait dans la galerie marchande
du supermarché. Mais en même temps à deux contre toute une cité, pas
évident. Je savais que si je le touchais, ça viendrait de tous les côtés, les
maghrébins sont comme cela : très unis dans ce genre de conflit, surtout
contre des skinheads.
Il fallait donc prendre une décision : direction le bistrot. Une fois entrés,
Tobi a dit au barman : « dix demis, s’il vous plaît ! » Le gars était un
peu étonné on n’était que deux. Hé hop, cinq demis chacun en deux
minutes, il a payé et direction la galerie marchande. Une fois dans la galerie
marchande, il n’y avait qu’un gars de la bande mais pas le chef. Bien sûr, la
nouvelle qu’on était venus s’est propagée rapidement. Le lendemain, on
est retournés là-bas mais pour faire des courses.
On était à peine entrés dans l’hypermarché qu’on s’est retrouvés face à
face avec le chef et un gars de sa bande qui faisait un bon cent vingt kilos.
Tobi s’est enflammé et a commencé un duel avec lui, en plein hypermarché.
Ce gars a pris un hachoir à viande pour se battre avec Tobi et celui-ci a
répliqué avec un autre ustensile. Tobi a hurlé : « Sale c..., je vais te tuer !!! »
L’autre également criait, les gens étaient complètement paniqués. Ils ont
appelé les agents de la sécurité, mais eux aussi flippaient. Ils ont évacué
les gens pour qu’il n’y ait pas de blessés. C’était une ambiance très spéciale.
Alors, j’ai commencé à dire à l’autre balaise : « Tiens si je prenais ça ! » Il
m’a regardé sans comprendre. En fait, je cherchais une arme pour me faire
le chef, car Tobi n’arrivait pas à finaliser. C’est normal, il avait un hachoir.
La bagarre avait évolué au rayon outillage. J’ai pris un gros serre-joint et
j’ai éclaté la tête du chef avec. Il avait du sang partout et ils ont réussi tant
Le fief des Evils en 85 53
rouge, le truc bien nazi qui se voit à cent mètres. J’avais des paraboots 14
trous montantes noires, un treillis militaire noir, une chemise noire, des
bretelles rouges, un bomber noir avec des insignes racistes et fascistes.
C’est bien simple avec un look comme celui-ci, c’est la mise à mort assurée
dans chaque rue de Paris. Mais moi dans ma débilité, je voyageais partout
comme cela et ma haine montait encore plus. Personne ne m’arrêtait, je
ne sais pas pourquoi. C’est comme si je faisais ma loi partout, comme
dans le vieux temps, en dévisageant tout le monde et me battant avec les
quelques opposants.
Imaginez le flash pour le frère de Tobi ! Bonjour le cadeau ! C’est comme
s’il avait vu Satan personnifié. Mais c’était difficile comme pour beaucoup
de rencontrer un énergumène comme moi. Alors dès cet instant, on peut
dire qu’il n’avait plus la possession du lieu. Il a bien essayé de convaincre
son frère dans un lieu retiré, mais Tobi lui a dit : « Quoi ? Tu voudrais que
je vire mon pote ? »
Graduellement, les membres des Evil Skins se sont incrustés dans
l’appartement. C’était devenu le fief des Evil Skins. Il y avait Fesni,
Tramber, Tobi, Moi, Guerrier urbain, Vitriol, Valérie la Cambodgienne,
Nathalie la métisse, Anne du Havre, d’autres passaient également comme
Jabbha, Pascale, Renaud, Luke...
Graduellement, on s’est organisés comme une communauté. Finie la
galère skinhead dans la rue marquant le début des années 80, maintenant
on expérimentait une autre alternative. On se débrouillait comme on
pouvait pour avoir un peu d’argent. Seul Tobi travaillait. Il avait réussi son
concours d’entrée à la RATP. Je dois dire que c’est quand même grâce à sa
paie qu’on arrivait à se maintenir.
Tobi avait un très bon cœur. Il était le genre de gars assez carré dans
ses démarches, voire militaire dans l’esprit d’organisation. C’est lui qui
organisait la communauté dans le domaine des charges quotidiennes.
Sous sa guidance, certains faisaient les courses, d’autres le ménage et la
cuisine. Vous savez dans ce genre de bande, y en a pas un qui fait du zèle
lorsqu’il s’agit de travailler. Mais pour filer un coup de main, c’était plutôt
à celui qui en faisait le moins. Alors, quand on se répartissait les tâches, ça
argumentait sévère, jusqu’à ce que cela soit équitable. Cela pouvait durer
un bon moment, avec de ces engueulades qui pouvaient en venir aux
Le fief des Evils en 85 55
mains parfois. Mais bon, c’était le standard du fief. Ça bouillait pas mal là
dedans. Mais après coup, ça le faisait.
L’appartement qu’on occupait était agencé ainsi : deux grandes chambres
en haut avec une douche et des toilettes, en bas, une entrée, une cuisine
et une grande salle à manger. C’était le genre d’appartement des années
cinquante, d’une tristesse pas possible. En plus, bonjour les goûts du frère,
c’était vraiment ringard. Les papiers, les meubles, tout sentait le vieux. On
avait donc arrangé cela à notre manière en enlevant les bibelots et autres
objets qui n’allaient pas avec le nouveau décor. On avait mis quelques
nouvelles décos, histoire que cela fasse plus rock’n’roll.
C’est vrai qu’on se cassait pas mal la bouche ensemble. Tous les soirs, la
fête et bien sûr une fringale pas possible lorsqu’on était en descente de
l’ivresse. Aussi, je me rappelle de ces plans bouffes qu’on faisait. Bon ce
n’était pas de la grande table : des pâtes au gruyère, à la crème fraîche, avec
des champignons et un dessert parfois. On devait bien faire au moins trois
kilos de pâtes. Pendant la distribution, il y avait une ambiance spéciale.
Chacun vérifiait bien qu’il ne s’était pas fait arnaquer sur la quantité et la
qualité. Souvent le meilleur restait au fond du pot. Je le savais bien avec
Tobi. Les autres nous trouvaient toujours vraiment sympa de les servir en
premier, mais ce n’était pas désintéressé. Mais à la fin, tout le monde s’en
est aperçu. Je me rappelle de Tramber qui disait : « Regarde l’arnaque ! Tout
est dans le fond ! » « Vas-y, donne-moi-z’en un peu ! » « Regarde, il se fait
ses plans en ... », et à tout le monde de renchérir. Bref, on était tous un peu
sur la défensive les uns et les autres. Il ne fallait pas se faire marcher sur les
pieds et en même temps, on était des vrais potes. C’est un peu l’ambiance
de chiens féroces qui vivent ensemble et qui luttent pour avoir toujours
la meilleure part dans tout, avec les femmes qu’on partageait c’était pareil.
Généralement Fesni dormait en bas car il était handicapé, les autres se
débrouillaient pour trouver de la place, soit par terre, soit sur un lit. Tobi
nous réveillait le matin avec le son du clairon (imité à la voix): « Bon, les
gars, debout là-dedans, c’est l’heure, bande de feignants !!! » Alors, bien sûr,
y avait toujours de l’accrochage : « Oh, ça va, calme-toi !!! » Mais c’était
toujours dans un esprit fair-play. Faut dire que tous les soirs, on se couchait
tard. Y en avait même qui restaient scotchés au lit. C’était toujours un peu
dur de mettre la machine en route. Alors il fallait bien qu’il y en ait un qui
prenne ça en charge.
56 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI
Comme tout bon skinhead à cette époque, j’étais fier d’être français. Aussi,
pour faire mon service militaire, j’avais pris quelque chose de péchu, les
paras. Mais je dois avouer qu’entre l’imagination et la réalité, il y a eu un
sacré décalage. D’abord, j’ai failli être réformé quand ils m’ont vu arriver. Il
a vraiment fallu que j’argumente pour être pris. Puis une fois arrivé, je peux
dire qu’avec les jours, mon sens du militarisme a diminué à chaque instant.
D’abord, j’étais commandé par des gars qui étaient des appelés et qui
avaient obtenu pour quelques mois le grade de sergent ou caporal. Bon, ils
m’embêtaient pas trop, comparé aux autres, mais les autres qu’est-ce qu’ils
prenaient. Ils vidaient leurs armoires par terre à trois heures du matin. Ils
60 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI
leur criaient dessus comme ce n’est pas permis. On se serait cru dans la
légion étrangère. Moi qui n’avais pas l’habitude d’être commandé, il a fallu
vraiment tolérer. Mais j’avais signé, alors il fallait en chier, comme on dit
dans le jargon.
Par contre, j’aimais bien sauter en parachute. A chaque fois, il y avait une
sacrée montée d’adrénaline. Aussi, certains souvenirs sont restés imprégnés
en moi, comme la manière dont on était équipés avec ces parachutes
ventral et dorsal, de la façon qu’on entrait dans le transall (avion militaire),
qu’on s’asseyait, puis on décollait. Cet avion de tôle semblait se désosser
sous la pression du décollage. C’est à peine si on ne voyait pas les vis
trembler. Un tel bruit sifflait à l’intérieur.
Y’avait avec tout cela, une sacrée pression dans la tête de tous ces apprentis
parachutistes. Puis cette sirène, ce voyant rouge, qui indiquaient que la
zone de parachutage approchait. Le sergent chef, un vieux chouf, nous
faisait alors signe de nous lever. On se mettait en ligne et on accrochait
notre harnais. C’est alors que la porte de l’avion s’ouvrait. On ressentait
une pression intense à l’intérieur à chaque fois qu’on sautait à plus de
quatre cents mètres d’altitude. En plus, on savait que parfois quelques
parachutistes restaient accrochés à l’avion en vol par la sangle d’ouverture
du parachute. Mais bien sûr, chacun faisait semblant de ne rien ressentir.
Tous étaient identifiés à être des parachutistes. C’était drôlement long cette
minute d’attente, avant que la lumière verte s’allume. Puis, cette sonnerie
qui transperce les oreilles et ce GO ! GO ! GO ! On sentait la file d’attente
rétrécir et on se rapprochait du vide, puis on sautait de l’avion.
Il y avait une telle appréhension juste avant de sauter, et puis une grande
claque. Vous étiez propulsé dehors par un vent si puissant, emporté au
loin comme une vulgaire feuille morte. Puis une impression de liberté
venait vous habiter, lorsque le parachute s’ouvrait. Vous étiez dans une
atmosphère de vide. Plus un bruit, plus un souci. Vous vous sentiez comme
en dehors de la pesanteur, le corps porté par le vent. Vous n’entendiez que
le bruit des oiseaux. Une vue et un magnifique panorama se présentaient
également à vous.
Mais ceci malheureusement ne durait pas longtemps. Plus vous vous
rapprochiez du sol, plus la pesanteur vous reprenait. Le vide disparaissait.
Cette impression de liberté était remplacée par une sensation de rapidité,
L’armée chez les parachutistes (1986) 61
de danger, comme si le sol vous aspirait. C’était de plus en plus violent, une
vitesse commençait à se faire ressentir. Ouah ! Je vais arriver en bouillie.
De plus en plus vite, et finalement blam, arrivée sur le cul, le parachute qui
vous traîne par terre sur des mètres. Cette course à le rattraper, l’étouffer
pour qu’il ne vous emporte plus et finalement le retour à la réalité de tous
les jours.
Après une formation de para militaire, je suis parti avec mon contingent
pour la Nouvelle Calédonie. Là, il fallait voir. On nous faisait gravir des
monts, marcher des centaines de kilomètres à pied. C’était juste de la
souffrance. Comme moi, tous les gars qui s’étaient fait un film comptaient
les jours qui leur restaient à purger pour cette peine.
Je me rappelle qu’on m’avait filé la radio à porter. Je n’en pouvais plus, il
fallait que je plante mes mains dans la terre pour monter cette montagne.
Ça n’en finissait plus. Mais il ne fallait pas faire voir aux autres qu’on était
à bout. Ma tête tournait, je n’avais plus de vitalité dans mon corps, et ce
lieutenant qui s’est trompé dans la lecture de sa carte. Ce jour-là, il faisait
plus de cinquante degrés à l’ombre. C’était épouvantable. Plus d’eau, le
sergent nous a demandé nos balles réelles, de peur d’une mutinerie. Tout
le monde était épuisé. Ils nous ont fait asseoir à l’ombre et ils ont contacté
des hélicoptères pour nous rapatrier. C’était tellement dur que j’ai eu
une hallucination : un énorme papillon me faisait de l’air. Imaginez-vous
l’ambiance : c’était presque la guerre.
Je dois avouer que j’avais commencé à changer pendant mon service
militaire. Dans ce régiment, il y avait des personnes d’origine africaine,
arabe, juive et chinoise. Je m’entendais vraiment bien avec tout le monde.
Personne n’aurait reconnu en moi un skinhead antisocial. J’étais vraiment
entré dans ce sentiment d’avoir rallié une unité de personnes. On était tous
devenus des amis. Ce combat d’être ensemble pour affronter la dureté de
l’armée nous unissait un peu plus tous les jours. Cela me rappelait quelque
peu cet équilibre que m’apportait la vie du gang face au combat qui nous
opposait à nos ennemis.
Bon, il y avait des traces de cette vie skinhead sur mon corps que je ne
pouvais effacer, comme cette rune d’Odal tatouée sur mon crâne. Mais
tous avaient compris que ça n’était pas ma réalité intérieure et tout le
monde m’appréciait. Je n’ai jamais eu de heurt à cause de cela, ni de
62 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI
s’est retournés, on a alors aperçu le sergent chef !!! Quand on l’a vu, on
l’a salué, puis il nous a dit : « Messieurs je vois qu’on aime les balades, très
bien, je vais vous en donner des balades !!! Venez avec moi ! …. »
Après cela, on avait droit à un régime spécial. Et surtout, on nous parlait
de quatre-vingt-dix jours de placard, donc un rallongement de trois mois
d’armée. Mais j’avais entendu dire qu’ils ne pouvaient faire cela sans qu’on
puisse avoir avant cette sanction une permission, car on était des appelés
et non des engagés, et puis on était en mission de 6 mois et il est interdit
de couper les appelés de leur famille plus longtemps. Aussi, lorsqu’on est
rentré en France, j’ai pu avoir cette permission. Bon, ça grinçait des dents.
J’en ai profité pour revoir la bande et puis je suis allé à l’hôpital militaire
au lieu d’aller au régiment. On m’avait filé un tuyau. Si j’en avais marre,
je pouvais encore me faire réformer P4 ou comme fou. J’ai donc été à
l’hôpital et je leur ai dit que s’ils me forçaient à rentrer dans la caserne,
je tuerais tout le monde. Le lendemain, j’étais réformé. Ils m’ont quand
même gardé quelques jours, afin de s’assurer que je n’allais pas péter un
plomb là-bas, puis j’ai été au régiment rendre mes affaires et j’ai de nouveau
rejoint la bande.
J’ai donc repris ma vie où je l’avais arrêtée. Je suis revenu vivre au fief des
Evil Skins. Mais je dois vous avouer qu’un décalage s’était créé en moi à
cause de cette expérience de l’armée, cette communion avec des personnes
différentes. Ma conscience avait évolué hors de la vie d’un gang. Une
grande part de mon agressivité était partie de moi. J’étais devenu meilleur.
J’avais même du mal à répondre parfois à certaines agressions de la part de
militaires pendant mon séjour à l’armée. Dans la rue, je pouvais prendre
une arme pour arriver à bout d’une personne physiquement plus forte que
moi, mais à l’armée c’était différent, je ne le pouvais pas. Aussi j’ai connu
une défaite, chose que dans un gang vous ne connaissez pas. Je me suis
retrouvé plaqué à terre par un gars bien plus balaise qui m’avait coincé les
bras avec ses genoux et qui m’a frappé pendant un long moment. Mais je
ne ressentais pas les coups. J’avais été formé psychologiquement à ne pas
ressentir la douleur des coups donnés par un ennemi. C’était difficile pour
64 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI
C’est une époque où on passait notre temps à faire la fête, à être entre
nous. Peut-être même un peu trop. Il y en a eu des délires. On prenait
pas mal de drogue. Je me rappelle avec Tobi, on aimait s’asseoir dans le
canapé et après avoir fumé un joint, on écoutait le morceau Solidarity des
Angelic Upstarts. C’est alors que je lui décrivais une scène où des milliers
de skinheads se rassemblaient pour trouver la liberté…
Un jour, une punkette est venue nous voir. Elle faisait du spiritisme. On
s’est dit : pourquoi pas se faire un petit délire avec ça ? On s’est réunis à
quelques uns dans une chambre. Sur une table, elle a posé une planche de
bois sur laquelle étaient marquées les lettres de l’alphabet. Puis elle a posé
un verre au milieu. Une bougie a été allumée et la lumière éteinte. On a mis
notre index au-dessus du verre. Elle a alors appelé les esprits et le verre
s’est mis à bouger afin de nous transmettre un message. On est entrés en
contact avec quelque chose. On a senti et entendu l’armoire bouger et le
verre s’est éclaté violemment contre le mur. « Ouah ! Le test ! Qu’est-ce
que c’est ce délire ? » Il y avait une atmosphère vraiment lourde et de
mauvais augure.
Je dois vous avouer qu’on a tous flippé, car on avait affaire à quelque chose
qu’on ne pouvait pas définir. Quand on est sortis de la chambre, on avait
vraiment l’impression qu’un esprit malveillant était dans l’appartement et
qu’il nous attendait en bas de l’escalier. On a alors fait une barricade avec
un meuble et on a sorti des couteaux pour nous défendre. Quel délire !
C’était vraiment une ambiance de fous dans ce fief. Tout se mélangeait
entre nous, la haine, l’amitié, l’amour, la colère, ce qui faisait que souvent
les journées n’étaient pas ordinaires.
Dans toutes ces ivresses, on en oubliait le monde extérieur, alors un décalage
a commencé à se faire lorsqu’on sortait dans la rue. Notre comportement
Les derniers instants skinhead (1988) 67
On allait parfois manger chez eux et ils nous racontaient leur tradition. Or,
ce jour-là, je suis sorti de chez mes parents, et sur le palier de l’immeuble
est apparue Cathy, une jeune fille de cette famille juive. Elle était avec son
bébé âgé d’un mois.
J’étais habillé comme un SS, tout en noir, avec des emblèmes nazis sur
mon blouson et cette rune d’Odal tatouée sur mon crâne. Quand elle
m’a vu habillé dans cette tenue, j’ai commencé à ressentir une ambiance
très lourde. Elle était terrifiée. Elle avait peur de moi. Ça m’a fait mal,
car je l’aimais beaucoup. En fait, je réalisais dans cette situation que je
n’étais pas conscient véritablement de la signification de tous ces insignes
et ces tatouages que je portais. Mais là, je ne voulais plus assumer cela
avec Cathy. J’ai alors pris l’ascenseur avec elle. Je peux vous dire que j’avais
vraiment l’impression de vivre ce qu’elle était en train de vivre : la peur
des camps de concentration, l’extermination nazie. Un véritable choc s’est
produit à l’intérieur de moi. Je n’ai rien dit. Je suis simplement parti sous
ce choc émotionnel.
Juste après, j’ai pris le métro. Comme d’habitude, je prenais quatre places et
mettais mes pieds sur les sièges de devant. Mais je pensais à Cathy, alors un
maghrébin s’est approché et il m’a demandé gentiment s’il pouvait s’asseoir
à côté de moi. Je l’ai regardé et j’ai enlevé mes pieds du fauteuil d’en face.
Je me suis alors senti bien à côté de lui. Il m’a dit : « Pourquoi portes-tu
tous ces insignes ? » Je me suis levé comme si je devais le descendre, car
j’avais ressenti une certaine provocation dans ma folie. Mais je ne pouvais
rien faire. Je le voyais comme un messager, comme un miroir de la Vérité.
Je suis descendu du wagon, en essayant d’oublier tout cela.
J’essayais intérieurement de lutter contre ce changement. Les derniers
instants de ma vie de skinhead ont été des moments où j’étais complètement
perdu. J’étais tiré de deux côtés. Dans ma folie, j’essayais de résister à mon
changement de cœur en me lançant vers une provocation fasciste toujours
plus extrême. Je m’étais même fait tatouer sur tout le torse l’aigle nazi. Je
voulais de cette manière enrayer ce mal qui commençait à me ronger. Mais
l’instant d’après, je n’étais plus le même. Quelle souffrance !
Je me rappelle à cette époque être allé voir Catherine. Elle venait d’une
très bonne famille. C’est une fille avec laquelle j’étais sorti à un moment.
Je m’étais dit qu’elle pourrait peut-être m’aider à m’en sortir. Je l’ai appelée
Les derniers instants skinhead (1988) 69
au fur et à mesure que j’étais avec lui. Je ressentais qu’il était mon ami.
C’était vraiment étrange comme situation. Alors je me suis mis, moi le
skinhead habillé en nazi, à lui parler de tout et de rien. Je n’étais plus dans
cet habit. C’est comme si de nouveau je me dissociais de ce rôle absurde
que je me donnais et qu’un autre apparaissait. Un sentiment me prenait
et me faisait ressentir qu’il était stupide de se faire la guerre. C’est à ce
moment que j’ai commencé à voir la vie avec une autre vision. C’était
comme un aboutissement.
Dans cette conscience, je pouvais percevoir à quel point ce Ducky Boy
n’était pas à l’aise dans cette situation, il essayait de ne pas faire voir sa
peur, d’être un héros. Comme tout ceci était ridicule. Tout cela pourquoi ?
Quel était le but ? N’y avait-il pas une chose meilleure ? On était tellement
dans l’ignorance tous les deux. Mais bon, lorsque je lui parlais, il essayait
toujours de revenir dans son rôle. Je pense même qu’il n’a pas dû
comprendre mes propos car j’étais gentil avec lui. Alors je lui ai dit : «
Ne t’inquiète pas, tu vas l’avoir ta confrontation ! » Mais j’ai ressenti que
je ne le reverrais pas quand Bat est revenu avec Rocky et qu’il m’a dit en
montrant le chef des Ducky Boy avec mépris : « J’en ai fini avec lui. On
peut y aller maintenant. » Ce jeune homme noir a été également l’un des
déclencheurs de mon changement, puisse-t-il être béni.
C’est une époque, où j’avais tellement besoin d’amour. Je vivais avec cette
déchirure intérieure. Mais elle n’avait pas encore de véritable fondement.
C’est comme si elle me faisait errer et m’apprenait graduellement à faire un
choix. J’étais entre deux eaux. Je sentais cette force positive qui venait me
chercher et j’étais attiré par ce changement. En fait, ce n’est qu’au contact
des Védas, des Textes sacrés de l’Inde, que j’ai pu comprendre plus tard
cette situation, à l’époque, je ne le pouvais pas. Nos actions en ce monde
sont comme des graines qui portent avec le temps différents fruits. Parfois,
on est emporté par ces réactions vers des choses terribles, puis quand
vient le moment de récolter de bons fruits, on est emporté d’une manière
différente. Alors, une autre vision de la vie s’ouvre à nous. Parfois encore,
on est à un moment où une transition se fait, et c’était mon cas.
Entre ces deux eaux, je pouvais percevoir une autre réalité bien supérieure.
C’était tellement plus merveilleux d’être gentil, les gens réciproquaient avec
moi. Mais j’étais perdu dans tout cela, car même si j’étais habillé comme
Les mods de Gambetta (1989) 71
Puis est venu le temps où Fesni a passé le permis voiture. Il a acheté une
vieille Golf grise d’occasion sur laquelle il a fait faire les transformations
pour l’adapter à la conduite handicapée. Les vitesses étaient automatiques,
le frein c’était une manette au volant, et l’accélérateur un poussoir sur le
volant. C’était un bon plan car on allait pouvoir se déplacer plus librement.
74 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI
Fesni lui avait donné un surnom entre autre : la Bat mobile. Lorsqu’elle
avait quelques ennuis de démarrage, il la caressait et l’appelait aussi
gentiment « Taras Boulba » pour qu’elle reparte, mais ça ne marchait pas
toujours. C’est une époque où on passait les journées à rigoler et à faire la
fête comme des gamins.
On avait envie de refaire de la musique. Personnellement, j’avais commencé
à prendre des cours de guitare avec un gars de ma cité qui s’appelait Khalid.
C’était l’ancien guitariste de Dygitals, un groupe de métal de Bagnolet.
Alors, j’ai demandé à Fesni s’il voulait venir avec moi acheter une guitare.
On a été vers Montparnasse sur un boulevard. Puis on a essayé différentes
guitares. Finalement, j’ai essayé une Takamine acoustique modèle Jumbo.
Je la sentais bien. C’était différent d’une guitare électrique mais on avait
envie de faire un groupe vraiment différent.
En regardant toutes ces guitares, Fesni a eu lui aussi envie d’en acheter une
afin d’apprendre à jouer de cet instrument. On a alors pris deux guitares à
crédit, moi la Takamine et lui une Gibson demi-caisse. Chacun dans notre
coin, on bossait pas mal notre instrument, des heures entières tous les
jours, on commençait à progresser et à composer de nouveaux morceaux.
J’aimais vraiment bien la façon de chanter de Fesni à ce moment-là. Ses
textes avaient un message positif, rien à voir avec les Evil Skins et il avait
un charisme propre à lui. On avait un bon feeling tous les deux. Alors, on
a branché Tramber pour remonter un groupe. C’était cool de se retrouver
tous les trois. Tramber a ramené un pote à lui, Christophe le Belge, à la
seconde guitare, et un batteur, Marc. On a alors commencé le groupe.
Le nom décidé pour le groupe était « Teep’n’teepatix. » Bon, n’allez pas
chercher à comprendre un tel nom, c’était encore du Fesni dans l’air, avec
son blues du passé. Evidemment, un nom de groupe reflète les gars qui
y jouent. C’était une façon de faire remarquer au monde qu’on était des
anciens voyous. En fait, y’avait pas besoin d’en parler. Tout le monde le
savait déjà. Mais bon, c’était l’ambiance d’une transition. Il restait toujours
une senteur dans l’air.
A force d’écouter de la soul avec les Mods, notre musique s’en est trouvée
influencée. On avait même formé une troupe de choeur constituée de
Mods qui danseraient et chanteraient dans le groupe. Il y avait Sylvain,
Alexandre et François entre autre. C’était vraiment classe. Y en avait un
Les Teep’n’teepatix (1989) 75
En fait, c’était une époque où plus je fuyais mon passé, plus il revenait
me chercher. Je me revois encore à cette terrasse de café et ces skinheads
qui défilaient sachant qu’on traînait ici Fesni et moi. Ils faisaient des
saluts nazis et embrouillaient des gens comme pour nous faire voir qu’ils
suivaient notre exemple. On fuyait maintenant tout cela, mais ça nous
rattrapait. C’était comme un cauchemar. Ça revenait à nous tout le temps.
La vérité c’est qu’on avait bien changé. On essayait simplement comme
des lâches de chasser notre passé, sans pour autant réparer tous ces actes
barbares. Ce n’était pas correct. Même si on se considérait comme des
provocateurs plus que des nazis, les faits étaient là et les conséquences
défilaient devant nous. Ces skinheads eux l’étaient et ils nous considéraient
maintenant comme leurs héros. De plus, comment penser simplement à
de la provocation lorsqu’on avait affiché de telles idées ouvertement dans
la rue ? Non, ce n’est pas correct, de tels délires ne peuvent être pardonnés
aussi facilement. Il doit y avoir une limite. Ce que tu fais, il faut le payer. Il
y a une justice. On appelle ce principe la loi du karma. Une action entraîne
une réaction égale et opposée. Ce que tu sèmes, il faut le récolter.
Aussi, par moments, je n’arrivais pas toujours à me fixer dans la non-
violence. J’avais des hauts et des bas, une certaine nostalgie du passé venait
me chercher. Il m’arrivait alors de passer à la boutique du L située dans
le quinzième arrondissement de Paris. J’y revoyais des personnes comme
Jean Marc, un ancien skin des Halles et bien sûr Pat, le boss du magasin.
Il envisageait d’ouvrir une autre boutique. Il m’a alors branché pour que
je travaille avec lui. Ça coïncidait avec le temps où j’avais besoin d’argent,
alors j’ai accepté.
Ce boulot était cool, mais le problème c’est que cet endroit était un peu la
plaque tournante des branchés de Paris et des skins. Avec cette association,
il m’est donc arrivé de péter les plombs. A ce sujet, je me rappelle de ce
jour où une bande de skins a commencé à embrouiller Pat, là où se trouvait
l’autre magasin. Quelqu’un est venu me prévenir : « Willy ! Pat est en train
de se faire embrouiller par des skins ! » J’ai alors pris une barre de fer et je
suis sorti pour l’aider. Il était vraiment en train de se prendre la tête avec
une bande de skins. Je suis arrivé et tout de suite, les gars m’ont demandé
si j’avais un problème. Bilan, je me suis mis à hurler et avec ma barre je les
ai coursés sur 200 mètres : « Je vais vous tuer ! Ah ! » Je me rappelle que
Menilmontant 77
Jean Marc était sorti de la boutique et qu’il m’a fait un signe pour me dire
que j’avais pété un plomb, car tout le quartier était aux fenêtres, bonjour
la pub pour le magasin. Pat n’était pas content lui non plus, mais il avait
été impressionné par ma démonstration. Mais je dois vous dire qu’il n’y
a rien d’extraordinaire à faire ce genre de chose. C’est l’art du combat de
la rue. Quand tu as vécu des années dans la rue en tant que skinhead, tu
connais tous les trucs pour assurer à un contre dix. C’est tout un cinéma.
Par exemple, quand tu vois au loin quelques lascars d’une autre bande, au
lieu de faire demi-tour, tu ralentis de plus en plus. Automatiquement, ils
trouvent cela bizarre et ils pensent par exemple que tu es armé. Combien
de fois, j’ai tenu tête à des bandes juste avec du bluff. C’est vraiment une
technique de cinéma. De même, il y a rien de plus facile de se battre seul
contre plusieurs avec une barre, car dès que tu en touches un, les autres se
sentent également touchés. Il n’y a donc rien de prestigieux en tout cela.
MENILMONTANT
C’est à cet endroit que j’ai rencontré pour la première fois des mecs d’un
moto club. Ils étaient des anciens skinheads. Ils avaient des choppers et
leur look dégageait bien. C’était un peu la progression naturelle pour celui
qui désirait arrêter d’être un skin mais qui voulait en même temps rester
dans un gang. Je retrouvais un peu le même état d’esprit mais moins axé
sur la provocation raciale.
Ces motards ont généralement des looks bien rock’n’roll. Ils portent les
couleurs de leur club dans le dos. Ils ont également un local où ils se
rassemblent, lieu qui délimite un territoire qu’ils défendent. Ils ont des
règles strictes, un code d’honneur et une grande fraternité entre eux.
Leur passion est la moto, les femmes, le rock et la fête. Je me rappelle
qu’ils confectionnaient eux-mêmes leurs choppers. C’étaient des
mécaniciens avérés.
Ils m’ont tout de suite invité à se rapprocher d’eux. On se voyait
régulièrement et on n’a fait pas mal la fête ensemble. C’est là que j’ai revu
deux anciens membres des Evil Skins qui traînaient avec eux.
Il y avait dans leur groupe une fille très belle. A cette époque, je cherchais
à me caser avec une nana qui puisse m’apporter un équilibre. C’est vrai,
78 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI
j’avais connu toutes sortes de femmes et je n’ai pas toujours été tendre ou
respectueux, voire fidèle. J’en ai fait du mal, surtout qu’elles s’attachaient
facilement à moi. Au passage, je leur demande humblement pardon.
Je dois dire que ma rencontre avec cette fille a été comme un coup de
foudre. Même si elle sortait d’un désastre amoureux, elle a simplement été
attirée par moi et vice versa. Je me rappelle de ce premier soir où elle m’a
invité chez elle. Dans ma tête, je ne voulais plus de ces rapports bestiaux
que j’avais connus avec d’autres filles. J’avais besoin d’amour. Le sexe
n’était plus ma première raison d’être. Je cherchais quelque part l’amour
mais dans une forme plus pure. Aussi, je n’avais pas envie d’avoir comme
premier rapport avec elle, des relations sexuelles. Je désirais la respecter
et partir sur des bases différentes. Mais à vrai dire cela ne s’est pas passé
comme je voulais. Cela m’a fait souffrir intérieurement, car je réalisais que
ce que je cherchais n’existait peut-être pas.
Elle vivait dans son appartement à Ménilmontant, un quartier populaire de
Paris et après quelque temps, elle m’a invité à vivre avec elle. J’avais déjà eu
quelques expériences de vie en commun avec une femme, et à vrai dire ça
n’avait jamais duré longtemps. Quel genre de vie pouvait avoir une femme
avec un gars comme moi ? Mais là je sentais que c’était différent. Déjà, elle
était une femme qui avait du caractère. Elle était intelligente et ambitieuse.
Ceci m’a apporté une sorte d’équilibre et j’aimais jouer avec elle à l’homme
casé. Et puis, elle n’était pas contraignante puisqu’elle venait d’un milieu
marginale, aussi elle partageait également mes amis, et je partageais les
siens. Sa meilleure copine était la compagne d’un des bikers et on se voyait
pour cela très souvent. Je sentais qu’ils voulaient que je rentre dans leur
bande mais je n’avais pas envie de retourner dans la violence.
Son père était le PDG d’une entreprise en Guyane française. Naturellement,
il a invité sa fille à venir vivre dans ce département français. Elle m’en
a parlé, car elle désirait continuer à vivre avec moi. Après réflexion, j’ai
décidé d’y aller. Cela pouvait être une bonne aventure et surtout j’étais
attaché à elle. J’ai donc parlé à Fesni et à Tramber que je voulais arrêter
le groupe. Ils ont été très compréhensifs, surtout qu’on tournait pas mal
en rond. Je pense qu’ils avaient besoin de nouveaux, ça tombait bien en
quelque sorte. Fesni avait déjà pris la seconde guitare dans le groupe, car
Christophe était parti et Jean était maintenant à la batterie. Tramber voulait
prendre ma place et il allait trouver un nouveau bassiste.
La guyane (1990) 79
Quand j’ai quitté le groupe des Teep’n’teepatix, j’ai senti une très grande
déchirure. Tant d’années passées ensemble, ce n’était pas facile de franchir
le pas. Aisé à dire, mais difficile à réaliser. C’était une partie de moi-même
qui mourait. Je me rappelle encore de ce Noël 1990 où le groupe m’a
invité. Il passait à la radio ce soir-là en direct. Il allait jouer en acoustique
accompagné d’une boîte à rythme. C’était un morceau que j’adorais.
Quand je les voyais jouer sans moi, j’étais si mal. Mais c’était maintenant
trop tard, c’est moi qui étais parti. Fesni m’a dit ce soir-là : « Hé, Willy, ça
va marcher le groupe maintenant, t’inquiète pas, on va pas t’oublier ! » On
était de si bons copains...
Mon amie était propriétaire de son appartement. Elle avait comme plan de
le vendre pour assurer la transition en Guyane. Je l’ai aidée à le retaper et
elle a pu le vendre rapidement et à un bon prix. Avec l’argent, elle voulait
ouvrir un salon de coiffure là-bas, car elle était coiffeuse de métier. On a
contacté une personne qui louait à Paris son salon de coiffure en Guyane.
On s’est mis d’accord pour une date de location, et on a payé le bail et les
trois premiers mois de loyer.
On avait décidé qu’elle partirait vivre en premier là-bas, pour commencer
son activité et chercher une habitation. Faut dire que je n’étais pas pressé
de rencontrer son père. J’appréhendais cette première rencontre. Il fallait
mieux la jouer cool. Pendant ce temps, j’ai continué à travailler au L.
LA GUYANE (1990)
Puis le moment est venu où il a fallu que je quitte la France pour rejoindre
mon amie. Arrivé là-bas, il faisait une chaleur écrasante et une telle
humidité, c’est comme si vous respiriez de l’eau. Eh oui, c’était la région
de l’Amazonie, le poumon du monde. Telle a été ma première prise de
conscience lorsque je suis sorti de l’avion. C’était écrasant. Bon, j’avais
connu la Nouvelle Calédonie, mais là c’était pire, le climat était bien plus
humide. Mon amie m’attendait à l’aéroport.
J’ai repris ma vie avec elle, mais j’ai remarqué d’entrée que son caractère
avait un peu changé. Elle n’était pas comme avant. Parfois, lorsqu’on
devient patron et qu’on a des employés à sa botte, ça monte un peu à
la tête. Surtout là-bas, les employés vous bichonnent. Et puis, c’est elle
80 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI
qui finançait tout, moi j’étais un peu l’arriviste, celui qui profitait du bon
plan. Aussi, j’ai senti qu’il fallait que je trouve du boulot, que je crée un
équilibre financier dans le couple. Ceci m’a permis de prendre rapidement
un contact avec le pays.
La ville de Cayenne était une ville coloniale. Lorsque j’arpentais ses rues,
j’avais l’impression de remonter dans le temps : des maisons avec des
colonnes, des personnes habillées à l’ancienne. Tout semblait imprégné
du temps. Comme tous ces pays colonisés, c’étaient souvent les Blancs
qui avaient le pouvoir et on ressentait facilement un certain racisme des
Noirs envers les Blancs. Vous étiez dès le début perçu comme un nouvel
arriviste. C’était vraiment étrange comme ambiance. Ceci me rappelait un
peu la vieille campagne française, avec ces paysans qui vous épiaient par
les fenêtres. Les habitants locaux faisaient vraiment tout pour que vous
repartiez le plus vite possible.
C’est dans cette atmosphère que je me suis présenté à un bar restaurant,
situé sur la place principale de la ville. Il était la propriété de monsieur
L, un riche propriétaire, renommé pour avoir été souvent malhonnête
dans ses affaires. Il était habillé avec le costume traditionnel colonial. Sa
gouvernante était madame Suzie, une dame à la cinquantaine bien passée,
très forte, et très commandante. J’avais l’impression de revivre le temps
de l’inégalité entre les Noirs et les Blancs. Ils étaient tous deux comme des
monarques avec leurs employés guyanais. Ceux-ci avaient très peur d’eux
et leur obéissaient comme à des maîtres. C’était vraiment une approche
différente de la métropole.
J’ai eu un entretien avec eux et j’avoue qu’ils m’ont placé tout de suite au-
dessus des autres employés guyanais, parce que j’étais un Blanc. L’ambiance
ne me plaisait pas du tout, mais j’avais besoin d’argent, alors je n’ai pas eu
d’autre choix que d’accepter et ils le savaient. Madame Suzie m’a présenté le
lendemain aux autres employés qui faussement m’ont accueilli avec chaleur
et elle m’a expliqué mes fonctions. Je serais une partie au restaurant et une
autre en tant qu’administrateur. Le lendemain, j’ai pris place dans mes
fonctions, et là le coup de théâtre : pas un employé ne me parlait ni ne me
regardait. J’étais la bête noire. On me haïssait. On me dénigrait. Je n’avais
jamais expérimenté cela. J’étais un Blanc. J’expérimentais la condition du
racisme. C’était un revers de médaille, moi qui avais tant déliré avec des
La guyane (1990) 81
de douze heures qui lui permettaient tout au plus de payer ses employés et
ses factures. Graduellement, notre relation s’est dégradée au point où j’en
ai eu marre et que j’ai voulu m’en aller et retrouver mes potes. Je lui ai parlé
de notre couple. Je lui ai avoué que je ne pouvais pas continuer ainsi. Alors,
elle a été prise de sentiment et elle a décidé de rentrer également dans le
but de préserver notre liaison.
On est donc rentrés à Paris. Dans un premier temps, on a vécu chez sa
mère. C’est dans ce lieu que j’ai découvert une lettre qu’elle avait écrite à sa
mère lorsqu’elle vivait en Guyane avec moi. Elle lui révélait son hésitation
à partir avec un autre homme. Lorsque j’ai lu ça, sous la colère, j’ai décidé
de rompre avec elle. Comment pouvais-je faire ma vie avec une femme
comme elle ? J’ai alors retrouvé mes potes à Gambetta et je me suis enivré.
J’avais la haine, mais lorsqu’elle est venue me chercher au bar, je n’ai pas
pu la rejeter car j’étais attaché à elle. Elle s’est expliquée et m’a demandé
pardon. On a convenu de déménager, car à cause de cette lettre, il y avait
eu quelques problèmes avec sa mère. On a préféré habiter plutôt chez mes
parents. C’est alors qu’on a travaillé à mi-temps dans un commerce, pour
pouvoir gagner un peu d’argent.
Parlons un peu de ce magasin avec ses deux étages et son sous-sol en plein
cœur de Paris. Quelle atmosphère, dans ce sous-sol où je travaillais. Les
vendeurs étaient hyper frustrés. Ils ne voyaient pas le jour de la journée. Ils
étaient constamment en guerre avec les clients du magasin et vice et versa.
Il y avait tellement de magouille également. Ceux qui avaient une caisse à leur
stand pouvaient se mettre plein d’argent dans les poches. Le système était
simple. L’article le plus vendu dans le stand était choisi pour la magouille.
Lorsqu’un client en achetait un, le vendeur encaissait simplement l’argent
sans lui donner le ticket. Puis le ticket était réutilisé pour un autre acheteur.
L’argent pouvait être soutiré ainsi de la caisse. Un vendeur pouvait voler
de la caisse jusqu’à huit cents francs par jour.
Il y avait également ceux qui magouillaient avec la vente de plus gros
objets comme les alarmes. Les vendeurs proposaient aux clients qu’ils
achètent illégalement pour moitié prix des systèmes très sophistiqués. Le
vendeur pouvait ainsi se faire dans les dix mille francs par mois minimum.
Mais il devait sortir le matériel et assurer la livraison. Les responsables de
l’établissement savaient qu’il y avait des voleurs. Mais dans une si vaste
La guyane (1990) 83
MON ENFANT
l’infirmière avec grande anxiété pour savoir si cela était vrai. Le résultat
c’est que l’infirmière m’a passé une sauce et j’ai dû quitter la chambre.
Lorsque j’ai raconté à mes potes comment cela ça s’était passé, ils ont dit
tout en rigolant : « C’est du Willy ! »
Lorsque ma compagne est sortie de l’hôpital avec notre fille, on a continué
à vivre chez mes parents. Mais la petite pleurait toutes les nuits, aussi ce
n’était pas facile et ma compagne s’énervait. Je pense que j’ai dû entendre
pas mal de fois cette réflexion à cette époque : « Elle est comme son
père !!! » Je remarquais certains changements également dans notre couple,
car lorsqu’une femme a un enfant, son attachement pour son compagnon
devient partagé. C’est parfois quelque chose de difficile à vivre pour
le conjoint. En un mot, la femme se focalise davantage sur son enfant,
délaissant son mari. Le conjoint peut alors passer par une phase difficile dû
à ce manque d’affection. Ce qui implique que l’homme et la femme vivent
différemment cette évolution dans le couple, du fait que la mère a porté
l’enfant et qu’elle a déjà établi une relation avec l’enfant, contrairement au
père. Il faut attendre un certain temps avant qu’un équilibre se crée. J’ai
ressenti cela en moi, je le reconnais, mais ça n’a pas duré très longtemps.
Ma vie avait commencé à changer davantage. J’étais, comme dirait le
jargon, une personne casée. Plus de look, plus de bagarre, un travail, une
femme et ma fille, une vie des plus normales. Bon, lorsque j’allais à la plage
ou à la piscine avec mes tatouages d’avant, ça me remettait dans le passé,
vu que personne n’osait se mettre à côté de moi. Il y avait toujours un petit
vide autour, mais je l’avoue, il y avait parfois des moments où je jouais au
voyou ou tout simplement des remontées de violence s’emparaient de moi
à de rares occasions.
Je me souviens à ce sujet que j’avais postulé pour être embauché à la R
comme mon père, histoire de subvenir à ma petite famille. J’ai attendu
longtemps une réponse qui n’est pas venue. Au bout de six mois, j’ai alors
décidé d’appeler. J’ai eu un rendez-vous pour un entretien. J’ai rencontré
une dame des plus antipathiques. Elle m’a simplement dit : « Vous ne
trouvez pas bizarre de ne pas avoir téléphoné avant. Nous n’avons pas
besoin de personne comme vous à la R, et ce n’est pas la peine de postuler
une autre fois, le « non » est définitif. » Je l’ai alors regardée sans rien dire.
Elle était derrière un énorme bureau, des dossiers étaient empilés dessus.
Mon enfant 87
Ma colère a monté d’un seul coup, j’ai retourné le bureau. Cela a fait un
tel tumulte. Tous les employés ont accouru et cette fille était là, devant
moi, pétrifiée comme une statue. J’ai regardé la femme et les employés et
je suis parti tranquillement. Arrivé en bas, j’ai dit à ma compagne : « Vite,
on s’en va ! »
Juste un peu plus tard, on a pris le métro avec la poussette. Ma compagne
était assise dans le métro avec l’enfant. Elle s’est levée pour passer, un
homme lui a dit : « Mais elle se prend pour qui celle-là !!! ». Il n’avait pas
vu que j’étais avec elle. Je l’ai pris par la gorge et je l’ai traîné par terre
jusqu’à l’ouverture des portes, avec un calme glacial. Je me suis arrêté et
je n’ai pas tapé sa tête contre le bord de la marche du métro comme je le
visionnais. Je l’ai alors lâché et je me suis retourné pour regarder toutes
les personnes qui étaient dans le wagon, au cas où une autre personne en
voudrait également. Mais les gens ont eu vraiment peur au point qu’ils
ont tiré le signal d’alarme, car le gars était encore par terre, choqué par ce
degré de violence. Je pense qu’à ce moment-là, j’étais redevenu un peu ce
que j’étais avant. Et comme dans ce temps, j’ai dû partir en courant pour
ne pas être arrêté par la police.
Ma compagne ne m’a jamais fait de réflexion sur cette violence. Je pense
qu’elle aimait être avec un homme dur, quelqu’un qui puisse la protéger.
Je dois avouer qu’ensemble on a fait pas mal de plans frauduleux pour
maintenir notre couple, donc elle était également loin d’être une sainte.
Sans cela, elle ne se serait jamais mise avec une personne comme moi.
C’est évident.
Je me rappelle qu’ensemble on dealait de la drogue. On allait régulièrement
chez un grossiste chercher du haschich qu’on planquait sous le berceau
de l’enfant. Puis une fois revenus chez mes parents, on faisait des parts
de vingt-cinq ou de douze grammes et aussi des barrettes pour la revente,
et ceci se passait chez mes parents sans qu’ils le sachent. On avait ainsi
un petit réseau de clients qui nous permettait de gagner de l’argent, car
je n’arrivais pas à trouver du boulot. Il fallait bien se débrouiller et pour
un ancien voyou, c’était évident que la vente de drogue était la chose la
plus naturelle et la plus rémunératrice. Pour moi, il n’y avait pas de lois,
pas de règles. Ce monde était simplement une jungle. Il fallait se battre
pour survivre.
88 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI
Dieu m’avait tendu la main, que faire maintenant ? Je n’arrivais plus à être
ce que j’étais. Véritablement quelque chose avait changé à l’intérieur de
moi. C’était une renaissance, une nouvelle vie qui se manifestait devant
moi. J’étais complètement dérouté. Je n’avais plus de repères du passé.
C’est comme si je me retrouvais dans un nouvel environnement. Cette
expérience semblait se projeter sur toutes les choses qui entraient à
mon contact, même ma fille et ma compagne. Dieu était là entre moi et
toute chose. Tout me paraissait plus beau, plus vrai dû à ce contact. Tout
m’apparaissait comme supérieur.
Ma relation avec ma compagne et ma fille a alors changé. J’étais vraiment
différent. Mon cœur commençait à ressentir de l’amour pour tous les
êtres vivants, même pour les animaux, les plantes et les autres créatures. Je
respectais tout comme la création de Dieu, et j’en ressentais un tel bonheur
que je pouvais entrer en contact avec toute chose. Tout m’apparaissait
comme personnel, comme quelque chose qui vibrait sur ce même plan
d’existence et non comme je l’observais avant, coupé de Dieu et des uns
et des autres. Je voyais une grande famille universelle. Même le soleil et
la lune ne m’étaient plus inconnus. Une relation personnelle avec toute
chose s’offrait à moi.
Dans cette situation, j’ai commencé à ressentir plus d’amour pour tout.
Je ne pouvais donc plus me nourrir avec des aliments qui entraînaient
la souffrance chez des êtres vivants comme la viande, le poisson... Les
intoxicants ne m’attiraient plus. J’ai ressenti qu’ils endormaient l’être et
qu’ils ne l’éveillaient pas à la réalité. J’ai donc également arrêté de boire
et de fumer. Simplement, je recherchais l’amour en toute chose, au point
que même les relations sexuelles me paraissaient insignifiantes, des plus
fades comparées à cet amour. Je réalisais que la sexualité n’était pas libre
d’égoïsme, alors que l’amour avec Dieu était tout autre. Dans l’amour de
Dieu, je cherchais et je trouvais quelque chose de bien supérieur. Aussi les
plaisirs de ce monde ont commencé à avoir de moins en moins d’emprise
sur moi.
Je me rappelle que dans cette effervescence intérieure, j’allais marcher
dans la forêt amazonienne. Quelle puissance, cette forêt. C’est immense.
C’est sauvage. On y rencontre tellement de choses merveilleuses. Je me
sentais compris et aimé dans cet environnement, alors que ce n’était pas
Un éveil spirituel (1991-92) 91
pas le même que dans l’autre religion. Toutes ne participaient pas à un plan
unique. J’étais encore plus triste quand je l’ai quitté. Je me disais au fond de
moi : « Si Dieu est une réalité, tout doit exister par Lui et pour Lui. Il doit
être tout puissant. Il ne saurait donc exister une autre entité indépendante
de Lui, sans cela, Il ne saurait être Absolu. »
Je me suis alors dirigé vers les Eglise évangéliste et évangélique. Il y avait
certes plus de vie. Les gens dansaient et communiaient, c’était très beau.
Je ressentais beaucoup de plaisir à être avec eux et à chanter. Mais dès
que la musique s’arrêtait et que ces croyants venaient me parler, il y avait
également un tel sectarisme, une telle fermeture sur les autres. Il n’y avait
qu’eux seuls, pas de salut pour les autres.
Alors la Providence a guidé mes pas vers les T. de J. J’étais chez moi quand
j’ai entendu frapper à la porte. J’ai ouvert et j’ai vu trois personnes habillées
en costume avec des attachés cases. L’un semblait être le leader et les deux
autres des apprentis stagiaires. Il m’a parlé ouvertement de sa religion. A
cette époque, je croyais déjà en la réincarnation. Je lui ai demandé s’il
croyait à cela. Sa réponse a été négative. A un moment dans la discussion,
on a abordé le thème des voyages astraux.
Selon les Védas, l’âme est revêtue de deux types de corps. Elle a deux
vies actives à travers ces corps : lorsqu’elle rêve et lorsqu’elle est éveillée.
Lorsqu’elle rêve, l’âme voyage à travers le corps subtil. Elle peut également
avoir une expérience entre les deux. Aussi, parfois des personnes peuvent
se voir sortir de leur corps grossier et par exemple voir celui-ci dormir. Il
se trouvait que ce religieux avait eu cette expérience. J’en ai donc profité
pour lui indiquer qu’il avait, grâce à cette expérience, réalisé qu’il était
différent de ce corps grossier et qu’il pouvait maintenant comprendre le
principe évident de la réincarnation. Ouah ! Qu’est-ce que je n’avais pas
dit ! Il est entré dans une grande colère, puis il m’a traité de Satan et ils sont
partis. J’étais encore plus perplexe.
J’ai pensé à l’Islam et à la grande mosquée de Paris. Dans mon cœur, je
me voyais déjà musulman puisque pour moi tous les êtres, peu importe
la religion qu’ils pratiquaient, étaient des frères. Je ressentais un grand
bonheur. Je me suis dirigé vers l’entrée. Une personne s’est adressée à moi.
Elle voulait que je paie pour la visite, mais moi je ne venais pas pour cela,
je venais pour trouver Dieu. Alors je lui ai expliqué et elle m’a fait entrer
gratuitement au même titre que les autres musulmans.
Ma quête vers Dieu 95
Comme ce lieu était beau avec son architecture et ses jardins. J’étais très
inspiré. Je voyais les hommes faire leurs ablutions, puis aller à la mosquée
prier. Je les ai suivis et j’ai laissé comme eux mes chaussures à la porte. Je
suis entré et comme eux, j’ai rendu mes hommages en baissant ma tête
à même le sol, lorsque j’étais dans la salle de prières. A ce moment, le
gardien de la mosquée s’est précipité sur moi, avec une telle violence et
avec un tel langage, puis il m’a mis dehors avec perte et fracas. J’ai tenté de
le raisonner, lui expliquant que je venais prier avec mes frères musulmans,
mais il a été intransigeant en me disant que je n’avais pas le droit d’être
là. Je suis donc reparti, encore une fois très perplexe. Que me réservait
la Providence ?
J’ai donc pensé au fond de moi : j’ai offensé le peuple juif en portant dans le
passé des emblèmes nazis, peut-être que le Seigneur désire que je devienne
juif pour m’absoudre de ces activités passées. J’ai donc rencontré la famille
juive qui habitait en face de l’appartement de mes parents. Ils étaient très
enthousiastes à cette idée. J’ai visionné de mon côté des cassettes vidéo sur
leurs pratiques, mais avec tristesse j’ai remarqué qu’ils tuaient les animaux,
et cela a été pour moi discriminatoire. De plus, leur vue sur les autres
religions n’était pas positive. Il ne me restait à ma connaissance que la
religion bouddhiste à essayer.
J’avais entendu parler d’un monastère bouddhiste en Dordogne. C’est vrai
que lorsque je voyais des images des moines tibétains, j’étais attiré. Les
couleurs des vêtements, leurs cérémonies, leurs leaders, leur visage doux
me faisaient croire que j’allais certainement trouver ma réponse auprès
d’eux. J’y suis allé avec des personnes également intéressées. Ce monastère
se trouvait dans un endroit merveilleux en pleine campagne. Les moines
et les nonnes y vivaient cloîtrés. On a sonné à la porte et quelqu’un nous
a parlé à l’interphone. On lui a expliqué qu’on aimerait rencontrer une
personne pour comprendre la religion bouddhiste. Puis un lama français
d’une cinquantaine d’années est sorti.
On a été invités à rejoindre une salle commune où il y avait d’autres jeunes.
Ce lama était très sympa. Il nous a demandé si on désirait boire quelque
chose, puis il nous a amenés au temple des mille Bouddhas. C’était un
temple magnifique avec une énorme statue de Bouddha de couleur or.
Les plafonds étaient peints avec des chakras et toutes sortes d’emblèmes
bouddhistes. Les couleurs pastelles étaient magnifiquement choisies avec
96 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI
des tons bleu, vert, jaune et rouge. Ils avaient également des thangkas qui
pendaient aux murs. On voyait de chaque côté du grand Bouddha les mille
petits Bouddhas et aux pieds de la statue, toutes sortes d’offrandes : du
vin, de la viande…
Puis le lama nous a invités à nous rapprocher de l’autel et il nous a dit : «
La première chose que vous devez savoir c’est que dans le bouddhisme,
Dieu n’a pas d’existence. Ce Bouddha représente notre véritable soi. Il
nous appartient de l’éveiller et de découvrir notre propre vérité. » Cette
phrase me laissait perplexe car j’avais eu cet appel de Dieu. Ceci n’était
pas en accord avec ma propre vérité. Puis il nous a amenés à un stupa,
lieu où une relique d’un grand lama est enterrée. On a tourné autour avec
sérénité et introspection. Puis, de retour à la salle commune, j’ai posé
quelques questions :
« Si vous dites que Dieu n’a pas d’existence, que pensez-vous de tous ces
saints d’antan qui ont entendu Dieu leur parler ?
– Je pense que ce sont des gens qui ont un problème, qui se font tricher
par leur mental. »
Je pensais comme beaucoup que Bouddha était adoré par les bouddhistes
comme Dieu. Mais en rencontrant ce lama, je commençais à comprendre
que je m’étais trompé, surtout lorsqu’il m’a dit que la foi des religieux
envers Dieu était une chose qui était fausse, comme une imagination qui
n’a aucun sens. Je voyais également qu’il était très proche de la science et
qu’il ne croyait pas dans la Création mais dans la théorie du bing bang. Je
suis donc également reparti de cet endroit sans réponse à ma quête.
Lorsque cette femme me parlait, j’étais plus inspiré par les réalisations
intérieures que j’avais eues que par son discours, car je ressentais que ce
qu’elle disait n’était pas quelque chose de vraiment réalisé. Mais j’ai apprécié
son dévouement et sa foi, et puis je désirais en savoir davantage sur ces
livres. Mais je n’avais pas beaucoup de temps, ma compagne commençait
déjà à s’énerver, alors elle m’a laissé l’adresse d’un centre à Paris où je
pourrais recevoir de plus amples renseignements sur cette philosophie.
Puis, nous nous sommes quittés.
Quand je suis rentré chez Fesni, j’ai regardé cette invitation. Autour de
moi, mes amis n’étaient pas tous chauds à l’idée que je leur rende visite.
Ils étaient considérés comme une secte dangereuse. Mais moi, l’ancien
skinhead, tout cela me faisait rire, qu’est-ce que pouvaient bien me faire ces
gens ? Il n’y avait pour moi aucune crainte. Je pensais que cette étiquette
de secte leur était attribuée à cause d’un manque d’ouverture d’esprit des
Français. Et puis j’avais envie d’en savoir plus, un point c’est tout. J’ai donc
décidé d’aller les rencontrer.
C’était un mercredi. Sur le petit papier, il y avait marqué : conférence à dix-
huit heures. J’ai donc pris le métro. Arrivé à Jussieu, j’ai eu du mal à trouver.
Après quelques détours, je suis enfin arrivé dans la bonne rue. Quand je
suis arrivé devant le centre, j’ai d’abord fait comme si je le découvrais de
l’extérieur. Bah ! J’avoue qu’il y avait en moi un certain trac. C’était bizarre
comme ambiance de là où je regardais. On avait vraiment l’impression
d’un guet-apens : la secte.
Les personnes qui étaient à l’intérieur avaient des looks vraiment étranges,
des robes et des chemises orange, les cheveux rasés avec une petite queue
derrière la tête. Il y avait un énorme Africain à la peau très noire, il avait
une énorme tête et sur son front, un emblème dessiné en argile jaune vif.
Ouah ! j’ai vraiment été scotché. Je me suis dit : « Si je rentre là dedans,
j’aurais certainement du mal à en ressortir. » Mais je ne sais pas ce qui s’est
passé. D’un seul coup, je me suis retrouvé à l’intérieur, comme contre
ma volonté. Je devais être trop absorbé dans mes pensées ou alors j’ai
dû ouvrir la porte machinalement et entrer ? J’ai pensé : « Qu’est-ce que
j’ai fait !!! »
Alors comme pour une nouvelle recrue, ils se sont approchés de moi : «
Bonjour, vous venez pour la première fois ? » « Vous nous avez connus
comment ? » Je n’étais vraiment pas à l’aise. Ils m’ont invité à venir dans
102 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI
une autre pièce. Je me suis assis. C’est à cet endroit que se donnaient
les conférences. Puis une personne différente est entrée, c’était un maître
spirituel, un être vraiment zen, il était venu donner la conférence.
Il était habillé un peu différemment des autres. Il était propre, beau,
rayonnant et ses gestes étaient très gracieux. Il s’est assis sur un siège
un peu élevé et a commencé à entonner des mantras que les autres ont
répétés. Pendant qu’il chantait, j’ai alors ressenti l’appel de Dieu comme je
l’avais déjà expérimenté auparavant. J’ai alors compris que cette personne
était bonne.
Après ces chants, il a commencé à expliquer le sens d’un verset de la
Bhagavad-gita (la Bible des hindous). C’était pour moi fort surprenant et
lorsqu’il a demandé si une personne avait une question ou un commentaire,
j’ai commencé à lui parler de certaines de mes expériences spirituelles. Il
était très personnel et ne prenait pas les gens de haut. Au contraire, on
avait l’impression de voir l’humilité et la tolérance se manifester dans un
homme. Aussi, j’ai ressenti qu’il avait déjà vécu toutes ces expériences
que j’avais eues et peut-être d’autres supérieures. Il dégageait vraiment de
l’amour de son cœur.
Après la conférence, les autres membres m’ont entouré d’une façon pas
très appropriée. Je sentais leur désir un peu trop intense de me convertir.
Ils m’ont offert une assiette végétarienne de nourriture sanctifiée. Mais
j’avoue que le cuisinier n’était pas très bon. Le halva (gâteau de semoule)
avait le goût de savon. C’était vraiment difficile à avaler et ils étaient autour
de moi en train de m’encourager à manger plus, car cette nourriture était
selon eux, purifiante ou consacrée à Dieu. J’étais vraiment mal à l’aise.
J’avais l’impression d’être avec des gens bizarres et j’avais hâte de m’en aller.
J’ai alors trouvé une excuse pour partir. C’est alors qu’un des leurs m’a dit :
« Tu viens vivre avec nous ? ». Ma peur s’est accrue et j’ai alors franchi
le seuil de la porte rapidement. Mais quand je suis sorti de leur centre,
je me sentais comme libéré de tous maux matériels. J’avais l’impression
d’être léger, de voler quand je marchais dans la rue. J’avais le chant : «
Hare Krishna Hare Krishna Krishna Krishna Hare Hare, Hare Rama Hare
Rama Rama Rama Hare Hare » qui résonnait en moi.
Quand je suis rentré chez Fesni, je lui ai fait part de mon expérience. J’ai
commencé alors à aller dans leur temple à Paris. J’y allais parfois seul
où encore avec Fesni. C’était un grand pavillon de style moderne. Au
Ma rencontre avec un groupe hindou 103
rez-de-chaussée, une salle avec un grand autel avait été aménagée. Sur
celui-ci, on y voyait des Déités de Radha Krishna, Jagannath Baladeva
et Subhadra et Gaura Nitaï et dans la salle de temple, une déité de Srila
Prabhupada, leur maître spirituel fondateur. Le jour du culte, le dimanche,
ce petit centre accueillait une centaine de personnes à majorité indienne.
Le programme commençait à 17 heures par des chants indiens, puis il y
avait une conférence et enfin une distribution de mets indiens offerts aux
Divinités : le prasadam.
Le culte de la Déité est partout présent en Inde sous cette forme. La
Divinité est considérée comme Dieu Lui-même venu s’incarner en ce
monde, pour permettre aux âmes voilées par la matière de pouvoir Le
contempler et Lui rendre un culte. Aussi, je remarquais dans ce temple
une effervescence autour de cette adoration. Ces Déités étaient habillées,
nourries et adorées tout le long de la journée, à travers des règles très
précises comme en Inde.
J’aimais particulièrement la Déité de Krishna. A vrai dire, j’étais fasciné par
elle. Elle me paraissait manifester la toute-puissance de Dieu. Quand j’y
allais, je La fixais et en ressentais un immense plaisir. Aussi, je devenais de
plus en plus attiré par Krishna qui est considéré dans le Bhagavat Purana
comme la Personne originelle de Dieu. Dans la chambre que m’avait
prêtée le père de Fesni, j’avais placé une photo de Krishna que j’adorais.
J’imitais ce que les prêtres faisaient au temple. Je lui offrais de l’encens, de
la nourriture et vivais avec Krishna à travers cette photo.
Je ressentais véritablement que le Seigneur réciproquait avec moi. C’était
tout simplement merveilleux. En moi se manifestait graduellement une
relation personnelle avec Dieu. Ce n’était plus simplement une énergie
d’amour que je pouvais rencontrer, mais je pouvais réaliser que Dieu
avait également un aspect personnel, qu’Il pouvait même à travers une
image vous attirer à Lui et vous faire développer un sentiment particulier
envers Lui. Il n’y avait plus simplement une méditation passive mais une
méditation active, dans le fait que je sentais que je pouvais Lui offrir un
service personnel et que le goût de la félicité expérimenté dans le cœur
était bien plus supérieur.
J’avais acheté au temple une Bhagavad-gita qui est le texte par excellence
de l’hindouisme et un chapelet pour chanter « Hare Krishna Hare
Krishna Krishna Krishna Hare Hare, Hare Rama Hare Rama Rama Rama
104 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI
Hare Hare » J’ai commencé par chanter un chapelet, puis deux, jusqu’à
soixante-dix par jour. Je m’étais pratiquement transformé en ascète. Je
ne faisais plus que prier et étudier les textes sacrés qui me paraissaient
maintenant tout à fait compréhensibles avec le support des commentaires
de Srila Prabhupada. A leur contact, je priais pour le bien-être de tous les
êtres vivants.
Puis j’ai ressenti le désir de m’associer de nouveau avec ce maître spirituel.
J’avais envie de vivre une vie de moine, de couper les ponts avec toutes
mes fréquentations et de refaire complètement ma vie. Les enseignements
de Srila Prabhupada avaient changé ma vie. Je commençais à ressentir en
moi, que je n’avais pas réparé, vis-à-vis de Dieu, mes fautes passées et que
pour cela, il fallait que je Lui donne ma vie.
Je savais que ce maître spirituel était souvent dans leur communauté dans
le Berry. J’avais envie de le voir. Je cherchais de l’aide à ce moment de
ma vie, afin d’aller plus loin dans ma quête spirituelle. Je ressentais que je
n’avais plus ma place ici et que je désirais vivre selon les préceptes de la
Bhagavad-gita. J’avais besoin de parler, de réparer ce que j’avais fait dans le
passé. De plus, je sentais en moi une connexion profonde avec ce maître
spirituel depuis le premier instant où je l’avais rencontré. Je ressentais qu’il
était comme un intermédiaire entre moi et Krishna, qu’il m’accompagnait
partout. Aussi un amour profond s’est-il manifesté pour lui dans mon
cœur. Il y était apparu comme mon protecteur et mon guide et je désirais
être dans sa compagnie.
Après avoir pris mon courage à deux mains, je lui ai téléphoné et il m’a
invité à passer quelque temps dans leur communauté. Celle-ci était située
à cinquante kilomètres de Châteauroux, dans un bled vraiment paumé. Il
m’avait pourtant indiqué qu’il fallait que j’aille jusqu’à une certaine gare et
qu’un membre de leur communauté irait me chercher, mais j’ai zappé et je
me suis arrêté à Châteauroux. Quand je lui ai téléphoné pour lui dire que
j’étais arrivé à la gare de Châteauroux, il m’a d’abord repris, car il fallait
qu’on fasse cinquante kilomètres pour venir me chercher. Je vous avoue
que j’ai été profondément déçu par sa réaction. Je ne m’attendais pas à
Entre deux faux 105
« Tout cela est l’illusion des hommes. Il ne faut pas prendre part à cela.
Reste en dehors, tout est sous contrôle. Garde tes pensées sur le Seigneur
Suprême et ne dévie pas de Son amour. Les choses vont revenir en ordre.
C’est une question de temps... » Même si je buvais ses paroles, mon allergie
à la violence me donnait envie de m’en aller de cette communauté. A part
le maître, rien ne me retenait plus ici. Je recherchais l’amour. J’étais donc
partagé entre l’amour que me donnait le maître et la réalité que j’avais
perçue de cette communauté. Aussi, je suis finalement revenu vivre un
petit temps chez mes parents afin de prendre un peu de recul.
Je profitais de ma venue à Paris pour rencontrer mon ex-compagne et ma
fille. Je me revois frapper à la porte de l’appartement de sa mère. Elle avait
acheté à crédit un F3 à Sartrouville dans lequel elle les hébergeait. La porte
s’est ouverte. J’ai fait la bise à mon ancienne compagne et à ma fille, dès
qu’elle m’a vu, a couru spontanément et rapidement vers moi. Je l’ai prise
alors dans mes bras et elle m’a serré très fort. Elle avait tellement besoin
de mon amour. De ses yeux coulaient tellement de larmes. Je voyais à quel
point elle souffrait d’être séparée de moi. Mais qu’est-ce que je pouvais
faire ? Sa mère ne voulait plus de moi. Alors, quand je suis reparti, ça a été
la catastrophe. Elle pleurait et criait : « Papa ! Papa !... »
C’était vraiment dur d’entendre ses cris d’amour et de désespoir. Elle
criait et je voyais sa mère avoir tant de mal à l’emmener loin de moi. Mais
en même temps c’est moi qui avais pris un autre chemin. Pour sa mère,
je faisais partie maintenant d’une secte. Elle commençait réellement à
changer de comportement avec moi. Elle me comprenait de moins en
moins. La barrière était de plus en plus visible et sa crainte également. Je
sentais qu’elle ne voulait pas que je vienne souvent les voir. En un mot,
j’étais rejeté.
Même si j’étais attaché à ma fille, je sentais que ma vie avait véritablement
changé, que je ne pouvais plus revenir en arrière. De plus, je pouvais voir
que la vie dévotionnelle était une vie bien supérieure à la vie matérielle.
Je n’avais pas de goût à revenir dans mon ancienne condition : une vie
loin de Dieu. Celle-ci me faisait souffrir. Et puis je me sentais mourir à
l’intérieur de moi sans ce contact avec mon Seigneur adorable. Quand je
marchais dans les rues, je sentais intérieurement que Krishna m’appelait
à Lui. C’était tellement puissant, tant d’amour coulait de mon cœur. Tout
108 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI
à avoir des sens imparfaits. Ceci leur voile pour quelque temps la vérité
sur le chemin qui mène à retrouver leur pure relation avec Krishna et tous
les êtres vivants. Ils peuvent à cause de cela, tomber de nouveau sous le
joug de l’envie, de la convoitise, de l’illusion, de l’avidité et de la colère, et
finalement commettre parfois des actes nuisibles envers autrui.
Le fait de réaliser cela m’a aidé à revenir et à graduellement comprendre
différemment, avec un recul spirituel, les scènes qui s’offraient à moi. J’ai
ainsi développé davantage de tolérance, de pardon et d’humilité, car la
majeure partie des gens qui sont engagés dans le service de dévotion sont
surtout des personnes qui débutent dans ce chemin de l’amour. Aussi, les
erreurs sont inévitables. Je n’étais moi-même pas parfait. Aussi, j’ai décidé
de retourner vivre à la communauté.
Lorsque je suis revenu dans la communauté, peu de temps après, j’ai reçu
une lettre de mon ex-compagne. Elle me disait que j’avais gâché notre
couple et qu’elle s’était trouvée un nouvel ami. Elle indiquait également
que désormais je ne pourrais plus voir ma petite fille qui n’était alors âgée
que d’un an et demi. Mais elle m’assurait qu’elle lui parlerait de moi à sa
majorité et que si elle le désirait, elle prendrait contact avec moi.
Lorsque j’ai reçu cette lettre, je me suis effondré et j’ai commencé à
marcher et à divaguer dans les chemins de la forêt de la communauté.
J’étais véritablement testé dans ma foi et je me demandais si tout ce sacrifice
m’avait mené à quelque chose finalement. La vérité était que j’étais encore
profondément attaché à cette femme et à ma fille et que mon abandon
à Dieu me les avait maintenant enlevées. J’étais déchiré, entre deux eaux.
J’avais l’impression de tout avoir perdu. Je ne savais plus quoi faire. Alors
je m’en suis complètement remis à Krishna, d’une façon totale, en mon
cœur. Il n’était plus que la dernière chose qui me restait.
C’est alors que j’ai senti au beau milieu de la forêt un si grand amour
venir me chercher que des larmes ont commencé à couler de mes yeux.
C’est comme si l’amour pour Krishna m’avait totalement envahi. Cette
expérience fut tellement forte qu’elle me fit oublier toutes les autres pensées,
l’environnement et la crainte d’être observé. Dans cette conscience, je
cherchais Krishna partout et sentais pour Lui une telle séparation …
J’ai réalisé au plus profond de moi comment le Seigneur était encore
venu me chercher. Parce que j’avais tout perdu pour Lui, j’ai senti qu’Il
110 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI
Quelques jours avant cela, j’avais discuté avec le maître de mon projet de
me rapprocher de ma fille qui devait aller vivre avec sa mère en Guyane.
Mais avec tous ces événements successifs, ma vie avait pris une autre
direction. Je désirais maintenant complètement m’immerger dans la vie
spirituelle. Dans la philosophie des Védas, tout novice doit être éduqué
dans le service de dévotion par le biais d’un maître spirituel. Aussi, un jour
je suis allé voir le maître et je lui ai demandé humblement de devenir mon
maître spirituel. A partir de ce jour, j’ai senti que les autres membres de la
communauté me considéraient davantage, comme véritablement l’un des
leurs. J’ai été affecté dans la chambre des novices et j’ai suivi une formation
sur les enseignements de Srila Prabhupada. Chaque journée était divisée
en heures de cours de philosophie et en service à la communauté.
On m’avait également affecté au service de couper le bois pour l’hiver et
d’aider aux travaux des champs. C’était austère pour un Parisien. J’étais
à des moments tellement fatigué que parfois je me reposais à même la
terre dans les pâturages pour récupérer un peu pendant une pause. Faut
dire qu’on se levait tôt : 3h45 afin d’assister à l’office du matin, et on se
couchait pas souvent de très bonne heure. Cela veut dire qu’on ne dormait
parfois pas suffisamment. Il fallait vraiment trouver des petits moments
pour récupérer un peu, sans cela on se retrouvait comme un légume.
J’aimais particulièrement ces moments où les enseignements sur la
philosophie des Védas étaient donnés, et même si je constatais des
imperfections dans cette communauté, parallèlement j’apprenais tellement
ici. Or, au contact de cette connaissance ancestrale, je voyais ma foi en
Dieu et dans Ses purs dévots augmenter à chaque instant.
Krishna était devenu le but de mon existence. Je m’étais intérieurement
complètement remis à Lui. Et les fois où je m’éloignais un temps soit peu
Le temple de Paris (1993) 111
LES DOGMES
pouvais même pas les voir au début car j’avais ces deux piles de livres que
je tenais dans chaque main et qui dépassaient ma tête. Mais rapidement
sans que je ne dise presque un mot, la pile est descendue de moitié. J’étais
complètement absorbé dans cette atmosphère. C’était dingue, les gens
venaient de partout. Au bout de quelque temps, il ne me restait plus que
cinq livres, c’est alors qu’une pensée de fierté est entrée en moi et que
ma méditation s’est cassée. Finalement, les gens ont arrêté de venir, et
bien que j’aie essayé ensuite par moi-même, pendant plusieurs heures, de
distribuer mes cinq derniers livres, je n’ai pas réussi.
J’étais maintenant apprécié par les autres membres du mouvement pour
mon dévouement dans les différents services qui m’étaient attribués. Je
sentais même que j’étais pour des anciens, une sorte de nouvelle relève.
Certains comptaient énormément sur moi. Mais je dois avouer qu’au
début j’ai eu du mal à m’intégrer dans cette nouvelle ambiance. Pour
véritablement y entrer, j’avais mis de côté mon élan de cœur. A cause de
l’association avec certains des membres de ce mouvement, ma conscience
était maintenant recouverte d’un certain sectarisme.
En effet, certaines personnes qui vivaient au temple en critiquaient d’autres
qui n’étaient pas dans leur institution et ils critiquaient aussi les saints
vaisnavas qui étaient dans d’autres institutions. Je pense qu’avec toutes les
critiques que j’ai entendues, j’étais devenu une personne qui ne pouvait
plus discerner entre le bon et le mauvais. En effet, Dieu est dans le cœur
et n’apprécie nullement que l’on critique ou que l’on entende de telles
critiques envers Ses très chers dévots aimants et également envers tous les
êtres vivants. Le résultat est, qu’intérieurement, une vision sectaire était
née en moi. Pour cela, je me suis mis à voir des démons et des dévots. J’ai
donc dû couper les ponts avec mes anciens amis de peur d’être contaminé.
Je me suis plongé dans ce fanatisme mélangé avec un désir de sauver
le monde.
En ce temps, on m’avait promu membre du conseil du temple et du conseil
national, ce qui veut dire que j’étais véritablement un membre pleinement
engagé dans ce mouvement. Ma foi qui avait mûri au contact d’autres
membres n’était dirigée que dans la seule conviction que : « Le fondateur
de ce mouvement était le seul et l’unique à pouvoir nous sauver. On lui
devait toute chose. Dieu l’avait envoyé pour cela et nul autre. Seul son
mouvement pouvait sauver le monde. »
Les dogmes 115
C’est en 1993 que j’ai créé ma propre association 1901. Elle s’appelait
Isvara. J’avais établi son siège social dans une pièce au sous-sol du temple.
J’avais ma propre ligne téléphonique, un compte en banque, bref une
autonomie. Elle avait comme objectif de propager la non-violence dans
le milieu du rock. J’avais entendu parler d’un squat artistique, du nom de
l’ « Hôpital éphémère », où toutes sortes de groupes de musique s’étaient
installées. J’ai donc décidé d’y aller.
C’était vraiment grand, imaginez un hôpital à Paris. Il y avait même une
sécurité dans le bureau d’accueil à l’entrée, ce qui impliquait que ce n’était
pas si facile pour s’infiltrer lorsqu’on ne connaissait personne à l’intérieur.
L’association Isvara : les débuts 119
Or, je n’avais pas le feu vert du dirigeant du temple pour faire la grasse
matinée, alors je ne dormais pas beaucoup. La fatigue a commencé à
s’accumuler à cause du rythme intense que je m’étais infligé. Mon corps
un jour a complètement craqué.
C’était dingue. J’avais comme une paralysie du corps. Parfois, il n’y avait
que mes yeux qui bougeaient et je sentais ma respiration devenir de plus en
plus difficile elle aussi. C’est comme si mon corps avait fait une overdose
d’activités et qu’il en refusait davantage. J’étais comme prisonnier d’un
véhicule qui ne fonctionnait plus. Je pouvais, dans cette circonstance,
réaliser la base de la philosophie des Védas, à savoir qu’on est une âme
spirituelle incarcérée en ce monde dans un corps de matière.
Mais voilà certains membres du temple ont commencé à penser que je
faisais du cinéma pour ne pas faire de service. Je n’ai donc pas été aidé,
au contraire. On venait me prêcher pour que je sorte de mon mental et
la plupart d’entre eux ont commencé à me considérer moins bien, tout
au plus comme un faible d’esprit. Ce n’était pas facile comme situation.
Mais je savais que ce n’était pas une maladie facile à comprendre, puisque
extérieurement tout paraissait normal chez moi. Heureusement, un
membre de la communauté du Berry connaissait bien ce genre de
problème auquel j’étais confronté. Il a fait un diagnostic. Pour lui, ma
maladie provenait certainement d’une carence en magnésium. C’était
possible, car tout petit j’avais tout le temps des carences en magnésium
et en calcium et il m’arrivait par conséquent d’avoir ce genre de problème,
mais moins important. En fait, j’avais banni de mon alimentation le dhal
ou les pois cassés qu’on consommait tous les jours au temple, ce qui
représente l’apport le plus important en protéines. J’ai réalisé mon erreur
et j’ai commencé, sur le conseil de ce dévot, à faire une cure de magnésium
et à m’alimenter correctement. Ma santé s’est rétablie alors rapidement.
LE RATHA YATRA
chariot a fini sa course. Là, des stands étaient installés pour accueillir les
curieux et les sympathisants.
Quelques mois après, Pierrot et Fred sont venus au temple. Fred avait un
look particulier. Il avait les cheveux longs et il était habillé tout en noir. Sa
démarche rappelait un prédateur. Ils sont entrés, mais je remarquais que
Fred hésitait à entrer dans la salle du temple. La double porte de cette salle
donnait sur la déité de Srila Prabhupada, le fondateur de ce mouvement
hindouiste. C’est vrai qu’elle était très réussie. La ressemblance était
impressionnante. Il la regardait fixement à travers les rideaux. A vrai dire,
il pensait en lui-même : « Ouah, il est puissant leur Guru. Il ne bouge pas.
Il cligne même pas des yeux et ne respire pas. Il est en samadhi, absorption
complète ! » Il était tellement impressionné qu’il n’osait pas entrer. Je l’ai
donc invité à entrer pour qu’il puisse également contempler les Divinités
du temple. Après cette rencontre, j’ai gardé le contact avec Pierrot et Fred.
Ils venaient tous deux régulièrement au temple.
Fred se rappelle de moi : « La première fois que j’ai vu des Vaisnavas,
c’était à travers le groupe de Hardcore qui s’appelait les Cro-mags. Quand
j’ai regardé la pochette de l’album, j’ai vu des gars balaises, tatoués avec
des têtes de durs. Ça m’a vraiment attiré, en plus ils avaient un message
positif et ils étaient végétariens. Je pensais que j’aimerais rencontrer de
telles personnes. Quand j’ai rencontré Willy au temple, j’ai eu l’impression
de rencontrer des gars comme les Cro-Mags... »
Je me souviens particulièrement de la première fois où j’ai contacté Fred.
C’était à un moment où je m’étais cassé le pied. Je lui ai téléphoné car j’avais
besoin d’être aidé par une personne pour assurer mon service au temple.
Ce jour-là, je devais faire les courses pour le temple et j’avais besoin de
quelqu’un pour conduire la petite estafette.
« Salut Fred ça va bien ?
– Ouais !
– Je voudrais savoir si t’as le permis, car j’ai besoin de quelqu’un pour me
conduire pour faire les courses du temple ?
– Ouais, pas de problème. Bon, j’arrive. »
Le développement de notre association 125
Fred était un personnage très caricatural, avec un look et des manières très
accentués. Il était bien tatoué et très fêtard. Il est arrivé vers dix heures
du matin avec sa démarche et son parler titi parisien. Bon moi, j’avais
l’habitude, mais les autres membres du temple hallucinaient pas mal sur
sa tête. On s’est approchés de l’estafette. On est montés dedans, Fred est
passé au volant. J’ai remarqué tout de suite qu’il n’avait pas beaucoup les
automatismes d’un conducteur expérimenté. Il a mis les clefs avec pas mal
de difficultés dans le neiman, puis il a commencé à vouloir démarrer la
camionnette. Mais il n’a pas embrayé. La voiture faisait des à-coups et on
calait à chaque fois. Alors, j’ai commencé à m’inquiéter. Et avec un langage
approprié au personnage, j’ai commencé à le reprendre en lui disant qu’il
fallait embrayer quand même. Il a donc réussi à sortir de la place de parking
avec grande difficulté. Mais sur le petit bout de route, c’était encore pire,
un véritable rodéo. Le moteur criait. Il calait...
Alors là, je me suis fâché et je lui ai demandé : « Attends, tu as le permis
ou quoi ? » Alors quand il m’a avoué qu’il ne l’avait pas, j’ai halluciné. Mais
bon, c’était rock’n’roll. Je lui ai dit de passer à ma place et j’ai conduit avec
le plâtre au pied.
Fred était un gars avec un grand cœur, mais physiquement, il faisait peur
aux gens. Il avait une façon de les regarder qui était très impressionnante.
En fait, il ne regardait pas les gens tout bêtement et parce qu’il était très
identifié à vouloir être un personnage de gang, il dégageait une énergie
pas toujours positive. Il était glacial lorsqu’un gars lui parlait. Mais je
dois vous avouer que pour aller faire les courses à Rungis, c’était pratique.
Généralement, les gens qui s’occupaient de prendre les commandes au
M.I.N n’étaient pas très raffinés, aussi le fait d’avoir Fred avec moi, ça les
impressionnait et on était servis plus rapidement.
attentif sinon vous vous râpiez la main et ça faisait mal. Ça peut vous en
faire fuir plus d’un, surtout qu’on le faisait chaque semaine pour offrir une
bonne salade aux nécessiteux qui avaient faim. Total, avec le plat de légumes,
le riz, la boisson et le gâteau de semoule, il fallait deux jours pour cuisiner
(du matin au soir). Le reste de la semaine, on vendait des petits paquets
d’encens dans la rue pour acheter la nourriture et parer à d’éventuels frais
(essence, assurance, gaz …) liés à la distribution de nourriture.
Une fois qu’on a eu une équipe, une cuisine et une trésorerie, on a
commencé nos distributions en face du centre Georges Pompidou. Mais
on a constaté qu’il y avait moins de monde qu’avant, aussi on a essayé
directement sur la place des Innocents. Il y avait une telle queue au bout de
quelques semaines qu’on distribuait trois conteneurs de cent cinquante litres
de nourriture en moins d’une heure. Faut dire qu’on avait pour habitude
de préparer de sacrés plats. Tout le monde se régalait. Ce n’était pas de la
nourriture de basse qualité. C’était de la plus haute, car dans la tradition
védique, on cuisine avant tout pour Dieu. C’était une nourriture tellement
merveilleuse, si succulente. Elle brillait de miséricorde. Je me rappelle que
les membres du temple désiraient en manger. Certains disaient même que
les sans-logis étaient mieux nourris qu’eux. On a distribué jusqu’à mille
repas chaque semaine. C’était une bonne performance pour notre petite
équipe qui ne recevait aucune aide extérieure.
Mais que voulez-vous, on y a été peut-être un peu fort. On a été jusqu’à
amener sur place un pandal indien pour animer nos distributions. C’est
bien simple, les riverains commençaient à se plaindre car à cause de
nous, la place des Innocents était complètement gorgée de monde. Les
commerçants prenaient ce prétexte pour faire valoir leur baisse dans leur
chiffre d’affaire. Même Canal plus, la chaîne de télévision nous avait filmés
et interviewés. On devait également souvent faire face à des attaques
verbales de la part d’autres religieux.
Je me rappelle de ce jour où des évangélistes sont venus nous attaquer.
Ils disaient qu’on était des suppôts de Satan. C’est alors que tous ceux
qui attendaient pour avoir une assiette ont commencé à leur mettre une
sauce : « Attendez ! Vous êtes là en train de critiquer ces gens, mais qu’est-
ce que vous faites pour nous ? Eux, ils nous donnent à manger ! » Ils se
sont retrouvés complètement désarmés et sont partis.
128 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI
Ils étaient hésitants. Puis quelqu’un est venu, puis un autre, ils ont pu
voir la qualité de la nourriture, puis trois, puis quatre et finalement dans
un grand tumulte, tous les nécessiteux sont venus et en trente minutes,
on avait fini notre distribution. L’équipe des restos du cœur appréciait
notre geste, surtout qu’il y avait, à cette époque, beaucoup de Polonais qui
faisaient leur loi parmi les sans-logis. Des bagarres éclataient facilement et
ceux qui désiraient passer avant eux se faisaient frapper. Le résultat était
que les bénévoles des restos du cœur avaient peur.
On a dû, dès le début, faire la loi et montrer aux Polonais qu’on était
différents et qu’on ne les laisserait pas faire, sinon ils n’auraient pas de
nourriture. C’était chaud, il fallait retrousser les manches et leur faire voir
les tatouages pour qu’ils comprennent qu’on avait également un passé. Il
y a eu un moment délicat, puis les choses se sont graduellement calmées.
On a alors réfléchi pour éviter les frictions et on a trouvé la solution. On
a récupéré des barrières métalliques et on les a placées de façon à créer
une file d’attente. De cette manière, personne ne pouvait passer devant
l’autre. Les plus faibles et les plus vieux étaient naturellement respectés
et en sécurité. Mais le troisième jour, les sans-logis ont critiqué les restos
du cœur et ils ont fini par ne plus se restaurer que chez nous. Bilan, leur
responsable nous a contactés pour qu’on arrête la distribution de la
nourriture à cet emplacement. On s’est alors arrangés pour distribuer des
repas à la gare de l’Est. On permutait avec les restos du cœur un jour
sur deux.
Je revois encore tous ces gens, toutes ces familles dans le besoin, rongés
par la faim. Ils venaient avec leurs gamelles prendre de la nourriture pour
la famille entière. On établissait des contacts de cœur, on échangeait
véritablement avec eux, sans jugement. Ils venaient nous parler des
difficultés qu’ils rencontraient, en quête d’écoute, de chaleur, d’un peu
d’amour ou d’espoir. On se donnait totalement à eux. Ils nous aimaient
car ils sentaient qu’on avait vécu comme eux dans la rue. On n’était pas
simplement juste des bénévoles mais des personnes qui les comprenaient
véritablement. Ils avaient une telle confiance en nous. C’était une
expérience incroyable. On était leur famille. C’est si beau l’amour. Je vois
encore ces mères pleurer devant moi ou encore dans mes bras, touchées
par notre action et notre sincérité.
130 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI
LES CONCERTS
C’était une époque où l’on vivait pour aider les autres véritablement.
Notre équipe aurait fait n’importe quoi pour donner de l’amour. Bien sûr,
chacun engageait ses tendances dans cette aspiration. Mais la motivation
était réelle. On était jeunes et pleins d’énergie. En nous vibraient la
compassion et le désir de servir Dieu et l’humanité. On allait parfois dans
les pires endroits, habillés en voyou pour donner l’amour. On était du style
à accepter n’importe quel look ou n’importe quel langage pourvu que des
êtres aient un bénéfice. Aussi, dans cet élan puissant, on cherchait toutes
sortes de plans pour accroître notre mission. On partait ensemble dans
des concerts de rock, dans des squats, des raves….
Fred : « A cette époque, William et moi, on était de véritables guerriers. On
dormait quatre heures par nuit. On distribuait de la nourriture aux sans-
logis la journée. Le soir, on allait également distribuer de la nourriture
végétarienne dans des concerts. On faisait cela sept jours sur sept. En
fait, on vivait pour et par notre service. C’était notre vie et notre âme
et on était prêts à tout pour faire ce service. On était dédiés à cent pour
cent. C’était une époque formidable. On a rencontré beaucoup de gens
intéressants. Ensemble, on a vraiment vécu des moments extraordinaires
à travers ce service... »
Si mes souvenirs sont bons, après une première vague de distribution
de nourriture dans les concerts grâce au manageur de F.F.F, l’association
Isvara a pris une démarche plus radicale. On s’est mis à viser des milieux
plus durs comme les concerts de hardcore et de punk, car dans ces milieux,
il y avait davantage de végétariens. Je me rappelle de ce premier concert
à Saint Denis. A cette époque, j’avais les cheveux rasés à blanc avec une
sikha (petite mèche de cheveux derrière la tête). Pour les concerts, je me
faisais un look, histoire d’être accepté par les jeunes. Je revois encore au
loin les deux videurs mal à l’aise en me voyant, et Fred qui me dit : « Tiens,
on dirait que P’tit Willy est de retour ! »
Finalement, c’étaient des videurs qui connaissaient mon ancien gang. On
a parlé de Porky, puis on est allés s’installer avec nos pots pour l’ouverture
du concert. Au début, c’est vrai que ce n’était pas évident car les gars
ne m’avaient pas oublié, il y avait un véritable froid avec le public. Puis,
graduellement, ils ont vu que j’avais vraiment changé, que j’étais devenu
132 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI
comprendre ma vision, que je n’y étais pour rien, mais ça ne passait pas du
tout. C’est à ce moment qu’ils m’ont appris qu’ils m’avaient reconnu bien
avant, mais qu’ils pensaient que j’avais changé. Mais avec cette nouvelle
histoire, j’étais redevenu leur ennemi.
C’est vrai qu’avec la philosophie des Védas on vit sans prendre en
considération les origines, les idées positives ou négatives des gens. On
apprend à voir ce qu’il y a de réel en eux (l’âme) et pas ce qui les recouvre
(les idéaux temporaires qui disparaissent avec la mort). On voit dans cette
perspective, tous les êtres unis sur un même niveau d’existence. On peut
donc aimer tous les êtres à travers cette vision. Mais ce genre de pensée
n’est pas apprécié des gens parfois.
Les réactions n’ont pas attendu. Dès le lendemain, ils ont fait une grosse
campagne contre ce concert et les trois quarts des groupes se sont désistés.
Bilan, le jour du concert, il n’y a pas eu grand monde. Tout au plus une
cinquantaine de personnes. De plus, fallait voir le service d’ordre que les
bikers avaient choisi, bonjour le concert pour la paix. Y en a même qui
prenaient des claques à l’entrée. On se sentait si mal. Pour moi, c’était un
véritable échec, car je désirais rapprocher tous les êtres, enlever de leur
cœur toutes ces frontières, et en finalité, on avait été le canal de la violence.
Cette expérience m’a appris à observer une certaine discrimination en
ce monde.
NOS AVENTURES
personne ne s’en était aperçu. Quand Fred a eu une petite soif et qu’il
s’est servi un verre, on a alors compris d’où venait le problème. Le plus
étonnant dans l’histoire, c’est que tout le monde en redemandait. Qu’est-
ce qu’on a rigolé avec cela. On les voyait vraiment se transformer devant
nous. Mais le bilan de la soirée a été catastrophique, on n’avait distribué
qu’une dizaine d’assiettes, alors à peine rentrés sans avoir dormi, on est
repartis pour distribuer cette nourriture aux sans-logis et dans les squats
afin de ne pas en jeter.
L’été, au mois d’août, on faisait une trêve avec nos actions sur Paris. Toute
l’équipe d’Isvara partait en voyage. On en profitait pour prendre un peu de
temps, pour se connaître davantage et pour renforcer nos liens. On avait
acheté des tentes, l’une servait à notre culte quotidien, l’autre à dormir.
On adorait ensemble ma petite Déité de Gopal (Krishna enfant). C’était
vraiment le bonheur. Dans la tente où on avait construit un autel, on
commençait par chanter le matin des chants dévotionnels de l’Inde. Puis
on sortait et dans une joie débordante, on dansait comme des fous pendant
de très longs moments en chantant, en sautant dans les champs, dans les
forêts, c’était vraiment dingue, qu’est-ce qu’on était heureux. Il y avait une
telle énergie qui nous soutenait à chaque instant. Il fallait vraiment être là
pour le croire.
Puis, on chantait nos prières sur le chapelet et enfin on cuisinait. On était
devenus des cuisiniers hors pair. Tout ce qu’on cuisinait avait le goût du
nectar. On était si dédiés à Krishna qu’on pouvait vraiment ressentir qu’Il
acceptait tout ce qu’on Lui offrait. C’était une évidence. On ressentait
cette chose. Il y avait véritablement une relation qui s’était manifestée dans
le fait que partout on distribuait cette nourriture sanctifiée.
MA VÉRITÉ
lèvres. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’on désigne par « Sruti » les Védas,
car ils sont comme une mère. En effet, seule notre mère peut nous révéler
qui est notre véritable père. Nous n’avons pas d’autres choix possibles.
De la même manière, les Védas peuvent nous révéler qui est notre Père
Suprême et l’origine des choses. Telle est la pensée de l’Inde antique.
J’apprenais dans ces Textes qu’à l’origine toutes les êtres vivants sont
manifestés pour être situés dans une relation d’amour avec Dieu, libres de
la naissance, de la maladie, de la vieillesse et de la mort. Il y avait beaucoup
de détails sur cet amour affranchi de tout égoïsme, sur ces relations dans
la demeure suprême. Krishna était dépeint comme Dieu, l’Etre Originel,
d’une infinie beauté et d’une infinie douceur. Cette Personnalité Suprême
et merveilleuse se donnait à chacun et tous se donnaient à Elle. Tout cela
d’une façon puissante, par la seule force d’attraction et d’amour qui se
dégageait d’Elle. C’était évident pour moi qu’on était faits pour cela et non
pour cet amour limité qu’on connaissait dans le monde matériel, mélangé
à tellement d’impuretés.
A travers ces Ecritures, je comprenais pourquoi j’étais dans cette situation,
mais surtout je pouvais saisir l’étendue de la liberté que Krishna me
donnait. Bien qu’Il soit le contrôleur de toute chose, en même temps Il me
laissait complètement libre de choisir ma destinée. C’était extraordinaire
d’apprendre que l’amour signifiait la liberté. Mais cette liberté impliquait
que je pouvais faire un mauvais choix.
C’était donc mon désir qui m’avait amené ici. Ce monde matériel était créé
dans l’intention de m’offrir cette liberté de pouvoir expérimenter mon
indépendance envers Dieu, de devenir mon propre dieu, le contrôleur de
mon existence et de mes actions. J’étais libre de faire ce que je voulais. Une
grande liberté m’était offerte.
Par cette connaissance, je réalisais que Krishna s’était retiré extérieurement
de ce monde. Il semblait ne pas avoir d’existence pour ceux qui ne
voulaient pas de Lui. Tout avait été manifesté ici-bas pour nous permettre
de L’oublier. C’était une vision inconcevable. C’était parfait. Tout avait été
arrangé dans les détails : un Père suprême se retirant pour permettre à Ses
enfants que nous sommes d’expérimenter l’indépendance.
Ces Ecritures expliquaient que bien qu’absent extérieurement, Dieu était à
la fois présent en chaque chose pour nous soutenir et nous accompagner
138 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI
la main. Ils étaient à quelques pas de moi, mais comme par magie, ils n’ont
pas vu mes chaussures. J’étais complètement coincé. Ils auraient pu me
finir à coups de couteau sans que je ne puisse rien faire. Aussi, ce jour-là,
pour la première fois, j’ai prié. Moi qui ne l’avais jamais fait. « O Dieu, si tu
existes, protège-moi ! Je te promets, si je sors vivant je te donne ma vie ! »
Ils sont alors partis plus loin et je suis enfin sorti du camion et j’ai repris
ma route, tout en oubliant cette prière et Dieu.
Je voyais comment la haine avait pris possession de moi quand j’étais un
skinhead, alors que je n’étais qu’un garçon comme les autres. Parallèlement,
je revoyais comment Dieu n’avait pas oublié ma promesse. Il avait changé
graduellement ma vie, en chassant cette haine qui m’habitait. Puis la foi
était apparue en moi sans que je ne l’aie véritablement demandée, celle-ci
m’amenant progressivement à réaliser ma vérité.
C’était inconcevable comment les choses venaient à moi. Je réalisais
comment Krishna m’avait fait traverser tant d’expériences pour me
permettre de me donner à Lui. Rien ne pouvait plus m’éloigner de Lui. Il
était pour moi comme un phare. Je ressentais que ce sentiment qui habitait
maintenant mon cœur n’avait pas d’existence en ce monde d’oubli. Tout
me paraissait dépourvu de toute véritable substance sans Lui.
Une autre personnalité avait pris naissance en moi, laissant l’ancienne, le
skinhead, comme un lointain rêve. Dans cette conscience, je ne pouvais
qu’avec du mal me remémorer cette ancienne vie. C’est comme si je
m’efforçais de comprendre une autre personne. J’avais expérimenté en
cette vie la mort et la renaissance, tout comme l’âme qui passe d’un corps
à un autre au moment de la mort et qui ne peut véritablement se souvenir
de son ancienne vie sans la grâce de Dieu.
Je pouvais réaliser grâce à ceci comment tous mes actes passés avaient été
purifiés et pardonnés grâce à la miséricorde du Seigneur et de Son pur
dévot, Srila Prabhupada. Cette chose établie dans mon cœur, je réalisais
que cette réalité pouvait devenir également la vérité pour les autres. Alors,
un désir profond et constant est apparu en moi : celui de voir chaque être
vivant en ce monde comprendre son lien éternel avec Dieu.
Ce désir si puissant paraissait jaillir de mon cœur et agir comme un filtre
sur la perception de tous mes sens. Il imprégnait toute chose qui venait
à moi. Je ne pensais plus qu’à aider les autres. A travers l’équipe d’Isvara,
140 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI
INITIATION
Les Védas expliquent que tout adepte d’une voie spirituelle doit recevoir
d’un maître l’initiation. Elle est une formalité importante, car l’initiation
marque le moment où le disciple devient relié à une filiation spirituelle
et reçoit de celle-ci un mantra et un nom spirituel. Un mantra est
généralement une invocation de Dieu qui est effectuée à travers Ses
noms. En chantant le nom de Krishna, Celui-ci est rendu présent, ce qui
fait apparaître en l’adorateur : l’amour pour Dieu. Or, tout mantra n’est
authentique que s’il est reçu à travers une filiation autorisée. C’est pourquoi
les Védas enjoignent une personne d’accepter ce processus pour atteindre
la perfection spirituelle.
Je me rappelle de ce jour. Il y avait un yajna, un feu de sacrifice, où l’on
adorait Visnu à travers le feu. Les initiés étaient présents autour du feu et
le maître présidait la cérémonie. Les gens qui assistaient à cette cérémonie
jetaient des grains de riz dans le feu, et du beurre clarifié était également
offert à l’aide de mantras védiques. A un moment, j’ai été appelé à prononcer
des vœux. Il y en avait quatre. Le premier était de ne pas manger de viande,
de poisson et d’œufs, le deuxième, de ne pas avoir de relations sexuelles
illicites, le troisième, de ne pas jouer aux jeux de hasard et le quatrième, de
ne pas prendre d’intoxicants.
Chaque vœu correspond à un pilier fondamental de la religion hindouiste.
Le fait de suivre ces quatre principes permet à une personne d’acquérir en
son cœur des bases solides pour la vie spirituelle, car les Textes védiques
enseignent que la consommation de viande diminue la compassion, la vie
sexuelle illicite enlève la pureté chez l’être, le jeu de hasard diminue la véracité
ou le fait de voir Dieu en chaque chose, et finalement l’intoxication enlève
chez l’être le fait d’accomplir des austérités, d’avoir la force d’abandonner
ses mauvaises tendances pour en accepter des positives qui lui permettra
de se rapprocher de la Vérité.
Initiation 141
Une personne qui devient libre de ces activités qui sont particulièrement
liées aux influences de l’ignorance et de la passion, peut atteindre
l’influence de la vertu qui est la plus propice à l’épanouissement spirituel.
C’est pour cela que toutes les filiations des Védas suivent ces quatre vœux
fondamentaux. Ensuite, le maître m’a remis mon chapelet et m’a donné
un nom spirituel : Vraja Sundar das. Celui-ci est un nom de Krishna qui
signifie que je suis un serviteur de l’Etre Suprêmement merveilleux qui
accomplit Ses divertissements dans Sa demeure éternelle du nom de Vraja.
Six mois après, je recevais la seconde initiation.
Lorsque j’ai reçu la deuxième initiation (brahmanique), j’ai tout de suite été
introduit à l’adoration de la Déité. C’est vrai que pour les gens, en général,
le culte de la Déité est mal compris, il est souvent associé à de l’idolâtrie. Je
me dois donc de l’expliquer succinctement.
Les Textes védiques enseignent que la Vérité Absolue n’est pas dénuée
de personnalité, ni de sentiment. Pour être absolue, Elle doit au moins
contenir tous les aspects de Sa création, soit comme nous, avoir une
forme, un nom, des attributs, mais également des sentiments. Seulement,
ils ne sont pas comme les nôtres, matériels, imparfaits et limités. Le Corps
de Dieu est, selon les Védas, transcendantal. La Brahma-samhita révèle le
Nom de Dieu, Krishna, et décrit Sa forme comme étant sac-cid-ananda ou
emplie d’éternité, de connaissance et de félicité transcendantales.
Dans son état de conscience conditionnée, l’être humain ne peut voir ce qui
est au-delà de la matière grossière et subtile. Ce qui signifie que dans notre
état d’existence, nous ne pouvons pas pleinement entrer en contact avec
le Seigneur et éveiller notre pur amour pour Lui. Seuls ceux qui sont situés
au niveau de la pure existence spirituelle sont compétents pour L’adorer.
Ceux qui sont sur la plateforme matérielle ne peuvent pas comprendre ce
plan spirituel. Ainsi, lorsqu’ils méditent sur le Seigneur dans leur mental,
la forme qu’ils imaginent et la relation qu’ils désirent échanger avec Lui
sont matérielles et imparfaites. C’est d’ailleurs pourquoi certaines religions
interdisent de se mêler à de telles méditations imaginaires.
Il existe donc une grande différence entre l’idolâtrie et l’adoration de
la Déité. L’idolâtrie est l’adoration d’une forme de Dieu imaginée par
l’homme, alors que la Déité est une incarnation du Seigneur. Dieu interdit
l’idolâtrie, mais préconise l’adoration de la Déité.
142 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI
C’est en 1995 que j’ai organisé avec Fred notre premier voyage en Inde.
C’était pour nous un grand moment d’aller en terre sainte. Le jour J, j’ai
emporté avec moi mes Déités, plus quelques affaires personnelles. Les
contrôles à la douane se sont passés sans problèmes et on est arrivés le
lendemain à l’aéroport de Calcutta. Bon, c’est vrai qu’on avait tous les
deux une sacrée dégaine. On était tatoués de partout avec un look de
moine. Aussi, on a fait attraction. Les Indiens nous suivaient pour nous
regarder. On était un peu comme des martiens arrivés sur Terre. Mais dès
qu’on est sortis de l’aéroport, on a compris très vite que l’Inde n’était pas
un pays facile. La misère était partout présente. On a réalisé aussi que pour
ses résidents, on était une source d’argent à exploiter.
Tout le monde était après nous. On entendait : « Taxi ! Change ! Hôtel ! »…
Des dizaines de personnes criaient en espérant nous soutirer de l’argent.
C’était vraiment le test. Cette pression qu’on recevait faisait qu’on était
perdus dans ce pays dont on ne connaissait rien, même pas la langue. On
marchait et ces gens nous suivaient, de plus on parlait très peu anglais. On
s’est alors concertés. Il était préférable de dormir à l’hôtel pour la nuit.
On a alors convenu de partir avec un transporteur de passagers qui menait
à un hôtel. Arrivés à l’établissement, on a payé la chambre et on s’est
installés. Pour un hôtel, ce n’était vraiment pas terrible, mais bon, on était
assurés d’être enfin libres de cette horde de personnes qui cherchaient à
nous extorquer de l’argent. Après une bonne nuit, on a fait nos ablutions,
puis pratiqué notre sadhana (pratique spirituelle journalière). On avait
commandé un taxi pour aller à Mayapura qui était situé à deux cent
cinquante kilomètres. Ce trajet nous coûterait environ l’équivalent de deux
cents francs, soit trente euros aujourd’hui. On avait rendez-vous en bas de
l’hôtel à dix heures du matin.
On est donc descendus vers neuf heures quarante-cinq, et surprise, le
patron de l’hôtel nous a annoncé qu’on ne pouvait pas partir avant de payer
notre chambre. On s’est regardés et on a tout de suite compris l’arnaque.
144 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI
D’un ton affirmatif, on lui a fait comprendre qu’on avait déjà payé et qu’il
était hors de question de verser le moindre centime en plus. On a pris nos
bagages pour partir, mais, dans la cour, avant d’arriver à la sortie de l’hôtel,
on a été encerclés par quelques gars. On n’avait pas le choix, on a posé les
sacs et on leur a fait comprendre qu’on ne donnerait pas un centime de
plus. Finalement, ils ont lâché l’affaire et on a pu prendre notre taxi.
Les taxis en Inde ont à peu près tous le même aspect. Ce sont des voitures
des années cinquante, une des dernières traces de la colonisation anglaise.
Le conducteur nous attendait. Il a chargé les bagages, puis on a pris la route.
Dans les rues de Calcutta, on assistait à un tel spectacle. D’innombrables
voitures et personnes circulaient dans les rues. Calcutta était un énorme
embouteillage. Vous n’entendiez que le bruit des klaxons et ne respiriez
que les gaz d’échappement des voitures. Des hommes, des femmes et des
enfants sans jambes, sans bras faisaient la manche. Ce n’était pas facile de
voir ces mendiants taper à nos vitres et la misère étalée devant nous.
Le type qui nous conduisait n’avait pas l’air très clair. Au bout d’une
dizaine de kilomètres, il a chargé une autre personne qu’il connaissait. On
est alors sortis de Calcutta et peu de temps après, on a commencé à voir
un environnement plus rural. On voyait devant nous une vie des plus
simples et des gens vraiment différents de la ville. Mais un autre danger
nous attendait, car la façon de conduire en Inde est très spéciale : pas de
permis de conduire, chacun fait ses propres lois. C’est bien simple, toutes
les trente secondes vous voyez un énorme camion surchargé, huit mètres
de hauteur de chargement bâché, foncer sur vous en sens interdit et qui
vous klaxonne pour que vous le perceviez, et comme toujours, juste au
dernier moment l’accident est évité. C’est la norme du klaxon. C’est la
seule façon de rester en vie. Alors pour le premier voyage, quand vous
n’avez pas l’habitude, vous priez intensément pour que la Providence vous
permette d’arriver à bon port. C’est vraiment intense.
Après une heure et demie de route, le taxi a quitté la route principale.
On a trouvé cela étrange. Puis il s’est arrêté dans un endroit vraiment
isolé. Le chauffeur et l’autre passager se sont alors retournés et nous
ont fait comprendre que pour qu’ils continuent il fallait qu’on paie plus.
De nouveau, il a fallu qu’on retrousse les manches et après une petite
embrouille, le conducteur a accepté de continuer et a laissé son copain à
l’entrée d’un village.
La terre sainte de Mayapur 145
avec le prêtre en chef et enfin notre arrivée dans ces lieux. Comme par
enchantement, c’est comme si on nous attendait. Normalement, à cette
heure-là, on ne dérangeait pas Srila Bhakti Promode Puri Gosvami
Maharaja car il était déjà âgé de quatre-vingt-dix-huit ans et les visites
étaient réglées afin de ne pas affaiblir sa santé. Mais on nous a fait signe de
monter dans son appartement.
Je me rappelle de ce temple. Vous n’y rencontriez que des moines. Une
certaine austérité était visible à nos yeux, mais également une ambiance
mystique se dégageait de cet endroit. Les murs étaient de couleur saumon,
les toits surmontés de nombreux dômes. Des reliefs représentaient des
lotus, des éléphants et d’autres emblèmes étaient peints avec des couleurs
pastel, verte, bleue, jaune… Le portail d’entrée était en fer forgé avec des
formes de lotus. Au-dessus, une pancarte indiquait : Sri Gopinatha Gaudiya-
Matha, président fondateur, Sri Srimad Bhakti Promoda Puri Goswami.
On ressentait qu’une personne spéciale habitait ici et qu’elle était tellement
pure qu’elle pouvait par son amour purifier même la terre sainte. C’était si
puissant. On était transporté par ce parfum de dévotion qui entrait dans
tout notre être. Notre anxiété s’est alors accrue. En fait, elle augmentait à
chaque pas. On devenait comme des enfants qui allaient à la rencontre d’un
véritable père. Notre nature intérieure avait l’air de se transformer afin de
pouvoir rencontrer le sage. C’était une expérience des plus magiques que
de vivre cette transformation.
On a d’abord pris le darshan (on est allés voir) et prié les Divinités du
temple. Celles-ci étaient habillées simplement et les chants traditionnels
qui étaient chantés à l’office nous étaient inconnus. Puis, on nous a
conduits dans une cour qui menait à un escalier. Arrivés au second étage,
l’atmosphère est devenue de plus en plus dense. Il y avait une chambre des
plus communes. On nous a fait patienter devant quelques instants.
C’était vraiment différent de ce qu’on avait vécu. On ne percevait pas
d’opulence matérielle dans ce lieu, mais une tradition authentique préservée.
C’est bien simple, vous étiez mis à nu. Vous ne pouviez plus vous croire
une personne ayant quelque érudition, ni même connaissant les simples
fondements de cette tradition. De nombreux rituels accompagnaient les
pas de ces personnes. Autour de nous un grand spectacle s’offrait à nos
yeux, nous étions vraiment retournés. De plus, une pression intérieure
Srila Bhakti Promoda Puri Goswami 149
Fred m’a alors accueilli dans la chambre de bonne qu’il habitait. Ce n’était
pas grand, six mètres carrés sous les toits, au sixième étage, sans ascenseur,
rue Crozatier dans le douzième arrondissement de Paris. Ma venue a bien
sûr chamboulé sa vie. En deux jours, son appartement s’est transformé
en temple.
On a divisé cette petite pièce en deux : une partie pour dormir ou faire
d’autres activités comme manger et dans l’autre, on a aménagé un autel. C’est
bien simple, à mon contact Fred s’est transformé en un strict bhakti-yogi.
On vivait comme des moines. On se levait très tôt le matin pour démarrer
nos activités spirituelles, puis dans la journée, on se répartissait les tâches
quotidiennes. Une autre personne nous a rejoints, il s’appelait Yohann.
On partageait notre vie spirituelle entre l’Inde et l’Occident. En Inde, on
vivait dans des temples. En France, on rencontrait des maîtres spirituels
qui nous prodiguaient leurs enseignements. De cette manière, on a appris
à vivre une vie spirituelle authentique, dans le domaine de la pratique ou
de la philosophie.
Je me rappelle de cette vie dans les temples en Inde. C’était une vie simple
basée sur de hautes pensées. On se levait très tôt le matin vers deux heures
trente pour méditer sur les Noms de Dieu, puis une première cérémonie
commençait. On y louait la succession de maître à disciple auquel ce
temple appartenait. Celle-ci représentait les maillons d’une chaîne de
saints à travers lesquels le savoir transcendantal était arrivé jusqu’à nous
et ainsi préservé. Des chants en bengali y étaient chantés avec beaucoup
de dévotion et de profondeur. Ils étaient accompagnés d’instruments du
Bengale comme le mridangam (percussion indienne).
On nous apprenait que pour recevoir la miséricorde de Krishna, on devait
apprendre à aimer Ses serviteurs, tout comme on touche le cœur des
parents en aimant leur enfant. Ce principe existait dans la transcendance.
Il était même considéré comme supérieur à l’adoration directe de Dieu,
car il touchait Son cœur, Son intimité. On ne pouvait véritablement être
reconnu de Lui sans ce principe vital. C’était pour cette raison que cette
première cérémonie était accomplie.
Pendant ces chants, la déité de Srila Prabhupada Bhaktisiddhantha Sarasvati
Thakura (le fondateur de la Gaudiya-matha) était adoré à travers de l’encens,
des mèches imbibées de beurre clarifié, de l’eau du Gange, d’un mouchoir,
des fleurs, d’un chamara et d’un éventail en tissu. Lorsque l’adoration était
La vie dans les temples en Inde 153
Dans certains temples, les cuisines sont archaïques. Les préparations sont
cuites dans des pots en terre. Ils sont posés sur des conduits faits en terre
à même le sol et alimentés en bouse de vache séchée qui leur donne un
goût particulier.
Les cuisiniers du temple fabriquent beaucoup de sucreries à base du lait. Ils
commencent par le faire bouillir et le réduire à feu doux. Puis ils récupèrent
la crème qu’ils mélangent avec du sucre. Lorsque le lait est devenu plus
épais, ils le récupèrent pour faire du kir, un mélange de lait condensé et de
sucre. Puis ils ajoutent du beurre clarifié et du sucre et le cuisent jusqu’à
ce que le lait forme une sorte de caramel mou. Ces préparations sont alors
servies aux Divinités le matin, juste avant le premier office.
Tous les matins les prêtres adorent les Divinités. Ils les baignent et les
habillent. Parallèlement, les cuisiniers préparent d’autres offrandes à base
de légumes, de lait, de céréales et de fruits. Généralement, les préparations
salées sont faites à l’aide de beurre clarifié. Celui-ci est obtenu en faisant
cuire du beurre à feu doux. Lorsqu’il cuit, toutes ses impuretés remontent
à la surface. Il suffit simplement de les enlever jusqu’à ce que le beurre soit
sans impuretés. Il devient alors comme de l’or.
On en prend un peu dans une casserole et lorsqu’il est chaud on jette dans
un ordre chronologique les différentes épices en graines, le gingembre, le
piment et finalement les épices en poudre. On peut rajouter les légumes et
réaliser des préparations merveilleuses. Parfois, certains légumes sont frits,
d’autres sont cuits à l’eau. On réalise également du fromage à l’aide du
lait. On le fait bouillir et on rajoute du yaourt. Le lait au contact du yaourt,
par une action chimique, se sépare en petit lait et en fromage. Celui-ci est
recueilli dans une étamine et pressé. Le morceau de fromage obtenu est
découpé et frit, puis mélangé aux légumes. Du riz, du dhal (pois cassés),
des galettes de blé sans levain (chapatis) et d’autres sucreries sont aussi
préparés. Le tout est servi aux Divinités pour leur repas du matin.
Lorsque les Divinités avaient mangé, vers huit heures trente, le repas des
moines était alors annoncé. On allait avec nos assiettes en métal vers un
endroit réservé à cet effet. Une sorte de hall où de grandes paillasses
étaient déroulées sur le sol pour servir de siège. On mangeait en ligne.
D’un côté étaient les hommes et de l’autre les femmes. Puis une fois que
les moines étaient installés, certains servaient la nourriture à l’aide de
La vie dans les temples en Inde 155
un énorme autel en bois qui pesait une tonne. Mes parents ont alors flippé,
car la chape de béton a commencé à se fissurer. Il y avait également des
plaintes de certains voisins concernant notre vie religieuse. En effet, les
douches à trois heures du matin, puis les chants religieux même chantés à
voix basse les dérangeaient et cela semblait les torturer.
Je me rappelle encore de la concierge de la cité. Elle pensait vraiment qu’on
était des gens bizarres : une secte. Elle voyait de nombreuses personnes
défiler au moment de nos programmes, des moines vaisnavas de l’Inde
et des fidèles. Elle venait frapper à notre porte et forcer pour ainsi dire
l’entrée afin d’enquêter sur nous. Elle regardait partout, tout en faisant
fi de rien. Le pire a été le jour où on a ramené d’Inde des statues pour
notre autel. Elles faisaient à peu près un mètre. Elles étaient en laiton et
pesaient chacune quatre-vingts kilos. Elle a alors pensé qu’on faisait un
trafic d’armes lourdes. Ce qui l’a amené à faire une enquête encore plus
minutieuse et à prendre contact avec la police. Mais elle a graduellement
sympathisé avec nous et a compris qu’on était des gens de bonne foi.
C’est le moment où j’ai reçu l’inspiration intérieure et l’autorisation de
fonder une Congrégation religieuse. J’ai commencé à réfléchir sur la
manière de créer un organisme qui pourrait permettre d’établir en France
la spiritualité authentique que je pratiquais, d’une façon non sectaire et
reconnue par l’Etat. J’avais appris au contact d’autres institutions ce qu’il
fallait faire et ne pas faire. J’avais donc une bonne expérience pratique
générale. Pour avoir une plus ample vision, je me suis mis à étudier les
religions traditionnelles, leur organisation, leur charisme, mais également
les mouvements reconnus comme sectaires par l’Etat français et ce qu’il
leur reprochait. Ceci m’a permis, en quelques années, de saisir parfaitement
comment implanter cette Congrégation en France, que ce soit sur le plan
humain de la vie religieuse ou sur le plan des relations externes avec les
gens en général et avec le Gouvernement. J’ai également étudié avec cette
perspective les Ecritures canoniques vaisnavas. J’ai photocopié des milliers
de pages et j’ai classé des passages de ces textes par sujet afin de pouvoir
appuyer mon travail par les saintes Ecritures.
Mais pour rendre concret ce projet, il me fallait créer une association
religieuse avec un nom qui puisse être facilement accepté par les Français.
Le nom que j’ai choisi a été « Ordre Monastique Vaisnava ». Il était lourd
158 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI
C’est vrai que dans mon cœur j’étais un renonçant. Aussi, je voulais
me diriger vers une vie monastique traditionnelle et me consacrer
complètement à la propagation du prema-dharma (la religion de l’amour
enseignée par Sri Caitanya). Or, le terme « Ordre Monastique » est employé
dans la Gaudiya Matha pour traduire le mot « sannyasa » ou l’ordre du
renoncement. Ce qui impliquerait que cette organisation accueillerait en
majorité des personnes qui voudraient renoncer à la vie de famille pour
pouvoir entièrement se focaliser sur ce but. Je ne voulais pas non plus
fonder une organisation basée sur des principes sectaires, car pour moi, le
renoncement impliquait de chasser en soi tout sectarisme.
Mes voyages m’avaient amené à réaliser que les Occidentaux étaient
différents des Indiens : moins disciplinés, moins soumis à une autorité,
une vie passée souvent moins vertueuse… En effet, les expériences
communautaires dont j’avais été le témoin en Occident avaient été souvent
plus que décevantes, je n’y ai vu que des conflits et très peu d’amour en vérité.
Il fallait que je trouve un moyen pour créer une harmonie communautaire.
C’est vrai, tous parlaient beaucoup d’amour mais où était-il dans ces
communautés ? Le plus souvent, les gens s’enfermaient dans des
conceptions sectaires et les empêchaient de voir la vérité chez les autres.
Je pensais que je devais mettre en place un moyen de vivre avec des êtres
un même idéal, mais également ne pas enfermer ceux-ci dans une impasse
160 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI
dans un travail sans l’approbation d’une autorité supérieure, car dans le cas
où le service ne serait pas sous l’approbation d’une autorité supérieure, il
serait alors considéré comme apasampradaya ou en dehors de la filiation
spirituelle, c’est-à-dire sans reconnaissance dans la tradition religieuse ou
encore considéré comme une déviation. Je n’ai pour ma part jamais fait
de choses indépendantes d’une autorité spirituelle. J’ai toujours porté
un intérêt particulier à cette règle, afin de n’induire aucun être dans un
chemin inauthentique.
J’ai donc commencé à méditer sur la manière de réaliser ce travail. Après
de mûres réflexions, j’ai établi les différents thèmes à développer. Puis,
j’ai fait des recherches sur ces thèmes dans différents Ecrits vaisnavas et
je les ai compilés dans un petit recueil de trois cents pages. Enfin, j’en ai
extrait la quintessence sous la forme d’une petite règle d’une dizaine de
pages accompagnée des soixante-quatre règles fondamentales établies par
Srila Rupa Goswami. Cette règle servirait de base pour établir le charisme
propre à la Congrégation.
Ceci a marqué dans ma vie un élan naturel pour l’écriture. Après la
composition de cette règle de vie, j’ai écrit pendant les trois années passées
à Bagnolet et en Inde et j’ai rédigé des livres. L’écriture, à vrai dire, était
devenue mon cœur, une de mes façons de servir le Seigneur Krishna.
climat de peur chez tous ceux qu’ils contactaient. Les gens parlaient entre
eux et spéculaient sur nous. Le bruit qu’on était une secte a commencé
à circuler. Auparavant, on avait des contacts très sympathiques avec nos
riverains et notre banque. Mais on voyait qu’au fil du temps leurs habitudes
changeaient, et leur méfiance grandissait jour après jour vis-à-vis de nous.
Entre-temps, le dossier concernant notre reconnaissance a été transmis
à la Mairie de Rouen dont nous étions citoyens. Ce dossier devait passer
devant la commission du conseil municipal pour définir si la commune
consentait à donner un accord favorable à notre reconnaissance. Le Maire,
à cette époque, était connu pour son engagement pro catholique. Or,
deux semaines après, on a reçu une lettre de son adjoint nous indiquant
que notre dossier n’était pas acceptable au vu des lois françaises. Ceci
était vraiment étonnant puisqu’on avait monté le dossier avec l’aide du
Ministère de l’Intérieur. Ce qui révélait que l’atmosphère était plutôt
tendue. Or, c’est dans cette ambiance que notre reconnaissance allait être
votée au conseil municipal de Rouen.
Durant cette période, on a rencontré une personne pleine de cœur. Il
s’agissait d’un expert comptable. On avait fait appel à ses services car
on pensait qu’il nous fallait une comptabilité faite par un professionnel
pour présenter nos comptes à l’Etat. C’était un chrétien pratiquant, une
personne vraiment ouverte. Il a tout de suite compris qu’on était de bonne
foi, mais peu expérimentés pour atteindre un tel objectif : être reconnus
en France. Il s’est donc dès le début vraiment démené pour qu’on y arrive.
C’est lui qui a pris les choses en main en quelque sorte, en nous guidant
graduellement et en nous faisant gratuitement notre comptabilité.
C’est pendant cette période qu’on a pu ouvrir notre commerce dans
la boutique qu’on avait achetée. On avait, dans un premier temps, pris
l’orientation d’une boutique indienne. On y vendait de tout, des épices, une
large gamme d’encens, des habits, des tentures, des livres, de la musique et
beaucoup d’autres choses. Les gens l’appelaient la caverne d’Ali Baba. On
se relayait pour la faire fonctionner et quelques bénévoles ont commencé
à nous aider.
La stratégie était, par le développement de ce commerce, de devenir
solvable auprès des banques afin d’avoir un prêt pour acheter un lieu où
bâtir un monastère. Cette idée plaisait beaucoup à notre comptable, car
166 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI
A vrai dire, cela n’a pas été aussi simple, car l’agence immobilière qui
vendait ces bâtiments insalubres était la même qui avait voulu nous vendre
antérieurement l’hôtel. Or, la signature de notre ancien compromis de
vente avait, pendant deux mois, empêché l’agence de vendre cet hôtel.
Quand ils ont compris que c’étaient nous, ils ont été vraiment durs, c’est
ce qu’une tierce personne nous a rapporté : « C’est la secte ! Ils vont nous
faire le même coup et aucune banque ne voudra leur prêter de l’argent ! »
« Il ne faut pas traiter avec eux ! »
Mais la banque avec laquelle on traitait, avait véritablement compris qu’on
n’était pas une secte. Elle avait déjà rédigé un accord de prêt. Il ne restait
plus qu’à faire le lien entre les deux partis. Le compromis de vente de
cette façon a pu se réaliser le jour même, et deux mois plus tard, on a pu
disposer des clefs de la propriété.
A cette époque, on était en location dans une maison, mais voilà on n’avait
pas assez d’argent pour à la fois payer un loyer et rembourser un crédit.
On a dû prendre la décision de rendre la maison en location et de venir
s’installer dans ces bâtiments insalubres.
On a donc pu emménager. C’était en plein mois de décembre 2004 et
cette année-là, il faisait particulièrement froid avec des températures
jusqu’à moins dix degrés. Je nous revois entrer dans cette maison, de l’eau
ruisselait sur les murs tellement il y avait d’humidité. Il n’y avait ni eau,
ni électricité, tout était arraché et cassé. Le système de chauffage avait
explosé. On allait chercher de l’eau dans des jerricanes à l’extérieur. Pour
prendre notre douche, on faisait chauffer l’eau sur une gazinière alimentée
par une bouteille de gaz. On se lavait avec un sceau et un pichet. C’est bien
Sur les lieux 169
Plus je m’absorbais dans ce projet, plus mon esprit s’ouvrait aux autres
et plus Krishna réciproquait avec moi. J’étais maintenant guéri de tout
sectarisme qui m’avait empêché à un moment de cette vie de réaliser
comment Krishna s’occupait de tous les êtres vivants. Je réalisais en moi
comment Dieu nous laissait libres, et que si je voulais encore plus me
rapprocher de Lui, je devais laisser davantage les êtres libres de penser
et d’agir.
Contrairement à ce que j’avais perçu chez certains spiritualistes et religieux
qui, par leur prêche et leur conversion forcée, infligeaient à leurs adeptes
des peurs, des conceptions erronées de Dieu afin de les convertir et de
les maintenir dans une foi forcée, je vivais en moi maintenant une liberté
totale avec ma foi.
Bien que je sois un vaisnava exclusivement fixé en Krishna, je comprenais
cette réalité : que Dieu aide chacun sous différentes formes de foi. Je
désirais donc que cet endroit respecte l’évolution, les pensées de chacun,
sans pour autant enseigner une autre voie que le pur service de dévotion.
Je voulais ouvrir un temple où chacun serait libre d’entrer et de ressortir
comme il le désirait. Simplement, si une personne le voulait, elle aurait la
possibilité d’accepter notre foi. Je ne désirais pas devenir un obstacle au
désir de Krishna d’aider tous les êtres vivants.
Puis est venu le moment où les après-midis je gardais notre boutique en
centre ville. J’en profitais pour écrire des livres. Mais j’étais si absorbé dans
ce service que certaines personnes qui entraient dans la boutique étaient
confrontées à une atmosphère si méditative qu’elles marchaient alors sur
la pointe des pieds pour ne pas déranger mon travail et s’excusaient en
sortant. D’autres, à cause de cette atmosphère, s’arrêtaient devant mon
bureau et se mettaient à me déverser avec grande affliction leurs malheurs.
C’était si intense parfois. Elles craquaient complètement devant moi. Elles
s’effondraient en larmes. Je ne faisais pourtant rien de particulier pour cela,
simplement j’écrivais sur l’amour. Cette boutique était devenue comme un
refuge pour certains et je m’appliquais à aider ces gens dans le malheur du
mieux que je pouvais, du plus profond de mon coeur.
Un jour à cette boutique, j’ai rencontré Annick. C’était une dame d’une
cinquantaine d’années. Elle était tout simplement au bord du suicide car
Un esprit non sectaire 171
elle avait perdu son ami atteint d’une maladie mortelle. J’ai tout de suite
perçu que c’était une personne qui pouvait devenir une Vaisnavi. Je me suis
occupé d’elle et graduellement elle a changé. Elle est passée graduellement
d’un état constant de conscience suicidaire à une personne pleine de joie.
Elle s’est progressivement désintéressée de la vie mondaine et est venue
vivre au temple.
A travers elle, le Seigneur nous a apporté l’argent qui nous manquait pour
accomplir les travaux du monastère. Un jour, elle a gagné une grosse
somme d’argent aux jeux et elle nous a légué par gratitude une partie. En
tout, nous avons reçu un don de 350 000 euros. Bien sûr, cette somme
bien que considérable, ne permettrait pas de réaliser la totalité des travaux,
si on les faisait réaliser par des entreprises. On a alors réfléchi et on a fait
appel à un maçon, pour constituer avec nous une équipe capable avec ce
budget de réaliser quelque peu l’objectif.
On a travaillé dur pour arriver au résultat souhaité avec nos petits moyens.
Je vais vous citer quelques exemples pour vous donner un aperçu de
l’ampleur des travaux. Pour réaliser un grand bassin, on a dû casser une
dalle de béton de vingt centimètres d’épaisseur avec un marteau piqueur
de premier prix, sans compresseur. Celle-ci avait une longueur de huit
mètres sur sept mètres de largeur. Puis, le trou a été creusé à la main à
l’aide de pelles. L’évacuation des gravats et de la terre a été réalisée à l’aide
de poubelles de 80 litres qu’on entassait dans un camion … et qu’on allait
décharger environ quinze fois par jour à la déchetterie. Enfin, il a fallu faire
la pose des structures d’acier, le dallage, la pose des parpaings, concevoir le
système de filtration de l’eau, le coulage du béton, l’enduit et finalement la
peinture plastique. Cela nous a pris cinq mois en tout à un rythme intense.
Un autre bassin, plus petit, a été construit avec un petit temple extérieur
dédié à Shiva. On a creusé les canalisations, fait les allées et les chapes
de béton, on a détruit et refait les poteaux et le portail extérieur, on a
construit un appentis en bois massif de cent mètres carrés, on a posé le
dallage sur 400 m2 et construit un agrandissement de soixante mètres
carrés pour réaliser une deuxième salle de culte.
Toutes les constructions existantes ont été transformées et réhabilitées.
Combien de murs, de fenêtres et de portes a-t-on montés ou détruits ?
Combien de centaines de mètres carrés d’isolation, de rails, de laine de
172 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI
Cela faisait déjà quelques années que notre démarche pour être reconnus par
l’Etat français avait été engagée. On avait reçu un avis favorable du Préfet
de la Seine Maritime, ainsi que des Renseignements Généraux et étrangers
qui avaient fait une enquête en France et en Inde. Notre déménagement à
Saint Etienne du Rouvray avait retardé la démarche et on attendait l’avis
du Conseil municipal de Saint Etienne du Rouvray pour que le dossier
passe devant le Conseil d’Etat. Notre Congrégation était maintenant bien
stable. On avait des locaux qui permettaient de rendre manifeste un culte
journalier, un commerce et une école de yoga. Ce qui était au mieux. De
plus, durant nos contacts avec les Renseignements Généraux, un policier
nous avait fait part de notre comportement exemplaire envers la société. Il
nous avait parlé de la difficulté de l’Etat à nous refuser cette reconnaissance,
même dans ce moment critique où le Gouvernement, après avoir allégé
son combat contre les sectes, l’avait à nouveau renforcé durement.
Dans ce moment de pression, les mairies avaient peur de donner un accord
favorable pour notre reconnaissance et un refus avait été voté à l’unanimité
par le conseil municipal de Saint Etienne du Rouvray. On a donc pris un
rendez-vous avec le maire pour comprendre cette décision négative.
On est allés au rendez-vous. C’est l’adjoint au maire qui nous a reçus, le
pauvre, il était mal à l’aise. Il tremblait presque. Il s’est adressé à nous
avec beaucoup de passion. On était vraiment surpris. En fait, il nous a
appris qu’un avis défavorable avait été voté antérieurement par le conseil
municipal de Rouen, avant qu’on ne déménage. Il nous a expliqué que le
Maire de Saint Etienne du Rouvray ne voulait prendre aucun risque et qu’il
Le combat pour notre reconnaissance 173
était obligé de suivre dans les traces du conseil municipal de Rouen, c’est-
à-dire s’opposer fermement à notre reconnaissance. Il a été jusqu’à nous
dire que même si on faisait un recours devant le tribunal administratif, il
ferait traîner le dossier au moins une dizaine d’années avant que celui-ci ne
repasse en commission.
On a pu avoir, par Internet, le compte-rendu du conseil municipal de
Rouen concernant l’avis défavorable envers notre reconnaissance légale.
Le maire personnellement avait invité les autres membres du conseil a
voté contre. Pour appuyer sa mauvaise foi, il nous avait attaqués sur deux
points. Le premier, comme on l’avait mentionné avant, c’est que notre
Congrégation n’était pas en accord avec les lois du pays. Ce qui était
complètement faux puisqu’on avait monté notre dossier avec l’aide du
Ministère des Cultes, et que celui-ci l’avait approuvé pour pouvoir ensuite
le faire suivre. Le deuxième était que l’UNADFI nous considérait comme
une secte.
On a alors pris un rendez-vous avec le Ministère des Cultes pour avoir
des conseils. D’après lui, c’était la plus mauvaise période pour se faire
reconnaître, car le Gouvernement avait renforcé son dispositif antisecte.
Aussi, présenter le dossier d’une demande de reconnaissance au Conseil
d’Etat en cette période, en ayant une réponse négative de la part du conseil
municipal, était complètement disqualifiant.
On a donc directement contacté l’UNADFI en leur demandant sur quelle
base elle nous considérait comme une secte. Mais à notre stupéfaction, la
responsable nous a répondu qu’elle n’avait jamais entendu parler de nous
et qu’elle n’avait jamais rédigé un avis sur nous. On a convenu qu’elle
enverrait une lettre au maire de Saint Etienne du Rouvray pour nous venir
en aide.
Lorsque cette lettre est parvenue au maire, on a contacté la mairie en leur
faisant part des avis favorables du Préfet, des Renseignements Généraux
en France et à l’étranger envers notre reconnaissance. Leur comportement
a changé. Ils ont établi un contact avec le Ministère de l’Intérieur, et après
avoir été rassurés sur notre Ordre religieux, ils ont pris la décision de
repasser notre demande au conseil municipal. Cette fois, un avis favorable
a été voté pour notre reconnaissance. Le dossier a suivi au Conseil d’Etat
qui lui aussi a voté favorablement, puis notre reconnaissance légale a
174 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI
UN ACCOMPAGNEMENT
toutes mes activités spirituelles. Nous avons établi de devenir une branche
officielle de la Sri Gopinatha Gaudiya Matha en France.
Quelques mois plus tard, en octobre 2010, il m’a donné l’ordre du
renoncement et mon nouveau nom spirituel est « Srila Bhakti Candan Yati
Swami ». Ce nom n’a pas été donné par hasard. Il signifie : « la radiance
qui émane du santal qui a été offert avec dévotion au Seigneur Suprême ».
Il m’a demandé de devenir comme ceci, d’amener partout avec moi le
parfum de la dévotion offert à Krishna. Il est devenu pour cela mon maître
spirituel et mon soutien.
Lors de sa venue à notre temple, une mère de famille m’a demandé de
devenir son maître spirituel. Je lui ai répondu qu’il m’était impossible
d’accepter en la présence de mon propre maître spirituel. Alors, elle est allée
lui demander l’autorisation et Srila Bhakti Bibudha Bodhayan Goswami a
répondu positivement à sa demande en présence de Krishna Murti das.
Il m’a également autorisé à écrire des livres et des commentaires sur la
Bhagavad-gita et le Srimad Bhagavatam, en écrivant dans l’introduction
de cette Bhagavad-gita (dans la seconde édition) qu’il priait pour que je
sois mis en pouvoir pour réaliser ce service très important. J’ai également
reçu ces mêmes bénédictions de Srila Bhakti Nandan Swami, l’acarya, le
dirigeant de l’institution internationale de la Sri Caitanya Sarasvata Matha.
Depuis, je suis reconnu comme un maître spirituel et je guide, dans mes
activités religieuses, des personnes vers le développement d’une vie
intérieure non sectaire.
Bien que je me considère comme un ignorant et un être dépourvu de la
moindre dévotion pour Krishna, je vois à travers les personnes que je
guide tant de choses merveilleuses. Tout comme un père voit ses enfants
grandir sur ses conseils et développer l’amour, je peux voir mes enfants
spirituels évoluer. Ceci est tellement formidable pour moi. Dans nos
relations, il n’y a pas l’animosité et la compétition que l’on voit dans ce
monde. Plus ces relations se développent, plus le don de soi se manifeste.
Ce qui implique que l’on devient les uns envers les autres toujours plus
redevables par le fait que Krishna est dans nos relations, puisque nous
sommes Ses serviteurs. Aussi, comme des êtres qui sont attachés au nectar,
on ne peut qu’être toujours plus ensemble et s’aimer.
Lorsque j’ai emprunté cette voie de l’amour, je me suis retrouvé
graduellement dépouillé de toute chose. Quand je me suis de plus en plus
176 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI
a fait que j’ai baissé la tête comme une personne qui a été complètement
vaincue. Il m’a forcé à aller là où son vainqueur le voulait, même dans des
circonstances que je n’aurais jamais acceptées auparavant.
Cet amour est si merveilleux qu’on a parfois l’impression de ne plus avoir
de libre arbitre, que l’on est comme obligé de continuer malgré tant de
difficultés. On est parfois si humilié et frappé lorsqu’on veut faire Sa
volonté, mais on ne peut refuser ces souffrances, si l’on sait que celles-ci
Lui apportent une simple petite satisfaction. Telle est la loi de l’amour. C’est
vrai que j’ai rencontré des personnes qui m’ont triché en ce monde même
chez les religieux. Si vous saviez toutes les épreuves que j’ai rencontrées
pour pouvoir faire la volonté du Seigneur !
Certains religieux étaient si envieux qu’ils ont même été jusqu’à dire des
mensonges sur ma position et mes actions. Quand j’ai essayé d’ouvrir un
centre, ils m’ont dénigré auprès des personnes qui le fréquentaient. En
résultat, elles l’ont déserté. Une autre fois, alors qu’un retraité désirait
vendre une propriété pour que nous puissions faire un temple, ils ont
rencontré le propriétaire pour le convaincre de ne pas nous la vendre.
J’ai même vu une autorité spirituelle qui m’avait autorisé à initier des
personnes renier ses paroles. Cette situation s’est même réitérée dix ans
plus tard avec une autre autorité spirituelle, même si celle-ci avait déclaré
devant témoins qu’elle acceptait que je sois maître spirituel, et qu’elle avait
fait les arrangements auprès de l’une de ses disciples qui est professeur de
sanskrit pour que j’aie un pranam-mantra pour mes disciples. Tout cela a
fait que des Vaisnavas du monde entier ont pensé que j’étais un tricheur.
J’ai été, par conséquent, rejeté, jugé, rabaissé et humilié.
Aujourd’hui encore, je rencontre des gens qui ont été contactés par ces
religieux dans le but de les convaincre de ne pas me rencontrer. Pour eux,
je suis un serviteur de kali, ce qui correspond à un suppôt de Satan pour
les chrétiens. Je l’avoue, la première fois, tout ceci a été tellement loin que
j’ai failli craquer. J’avais le choix de me mettre en colère et de laisser la
haine à nouveau prendre place en moi, mais je n’ai pas pu, car j’aimais tant
Krishna que j’ai accepté de voir tous ces gens comme des messagers de
Sa miséricorde. J’ai alors ressenti Son amour et j’ai pu réellement voir en
ces êtres des maîtres venus me faire progresser dans ma vie spirituelle. En
effet, plus on est rabaissé et plus on est élevé spirituellement.
178 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI
Pour moi, le bonheur de Krishna est plus important que le mien. Or,
Dieu désire que l’on porte secours aux autres, c’est pourquoi j’ai toujours
œuvré pour aider les êtres qui souffrent. A cette fin, j’ai créé toutes sortes
d’activités et écrit des livres. Si j’avais couru après la renommée, je n’aurais
jamais accepté de faire un groupe de rock ou un moto club, car je savais
que de tels religieux conservateurs me critiqueraient et me traqueraient. Ce
qui implique que pour satisfaire le désir du Seigneur, je suis prêt à être mis
dans n’importe quelle condition, car je sais qu’elle sera la meilleure pour
moi. Ce qui implique que je ne serai pas forcément le vainqueur comme je
le désire. Mais si je connais complètement la défaite, elle me sera meilleure
que la gloire.
Krishna n’est donc pas un Dieu de justice, car jamais je n’aurais eu le
privilège de m’en sortir et de progresser toujours plus. Il est un Dieu
d’amour. Je le sais. Je l’ai réalisé. Ceci est dans mon coeur. Il nous amène là
où on ne veut pas aller, afin de purifier complètement notre cœur de toute
l’avidité pour le prestige et l’ambition matériels. Peut-être que ce n’est pas
toujours facile mais le résultat est là. Il ne nous triche jamais.
Il m’a toujours accompagné et aidé pour me ramener à Lui. Il a fait tous
les arrangements pour que je m’en sorte, et en ce moment, Il le fait avec
chacun de nous. Ce qui implique que l’amour triomphe toujours et que
toute chose retrouve graduellement sa place, mais dans sa pleine beauté.
On réalisera tout ceci au fil du temps et pour certains peut-être pas dans
cette vie. Chacun aura un jour cette réalisation et trouvera la voie de l’amour.
Alors il fera comme moi, il acceptera de marcher, pour enfin voir ce qui
se passe derrière toute chose, comprendre la réalité de Dieu et réaccepter
toute chose d’un œil aimant. A partir de cet instant, on pourra voir la
Vérité qui nous permettra d’obtenir la joie en toute chose. On sera alors
situés dans le véritable chemin de la vie. Dans ce monde merveilleux, tout
devient positif en dernier lieu et vous amène à développer toujours plus
de l’amour même contre ceux qui ne vous aiment pas. De cette manière, à
travers cet amour, les gens découvrent que vous êtes tout le contraire de
ce qu’on leur a dit.
Un skinhead repenti 179
UN SKINHEAD REPENTI
Je dois vous avouer que pendant une longue période de ma vie, il ne s’est
passé une journée sans que je ne repense aux actes de violence que j’ai
commis dans ma jeunesse et sans que je ne m’en repente. J’avais en moi
un désir de demander pardon au monde. Aussi un jour, j’ai commencé à
écrire sur un blog, un petit aperçu de ma vie, dans le but de me repentir.
Son titre était « Skinhead repenti ».
Il y a alors eu une effervescence énorme autour de ce blog. Au fur à mesure
que j’écrivais, beaucoup de gens se sont mis à le suivre. Des personnes
m’ont même apporté des photos et de la musique pour l’illustrer, car il
ne me restait plus rien de mon passé. Mais j’avais du mal à m’en souvenir.
La vie spirituelle est comme une machine qui vous change à l’intérieur
et qui vous lave de toute négativité. A cause de cela, je n’arrivais pas
à comprendre comment j’avais pu en venir à porter sur moi des croix
gammées et à devenir aussi méchant envers des gens.
Mon lourd passé était parti de moi, laissant place à un autre homme. Je
ne pouvais même plus comprendre cette vie négative. Je ne trouvais plus
en mon cœur d’ennemis, ni de personnes à haïr. Aussi, je n’arrivais pas
véritablement à répondre à ces questions que je me posais. Simplement,
j’essayais d’analyser les choses pour demander pardon aux gens d’une
manière sincère. Alors j’ai voyagé en moi-même afin de rechercher des
souvenirs et d’écrire.
Je voyais une personne emportée vers quelque chose qu’elle ne pouvait
comprendre. Un individu qui ne pouvait peser la gravité de ses actes et qui
voulait répondre à sa frustration par une violence extrême. Mais je voyais
que je n’avais jamais frappé de gens pour la couleur de leur peau, pour leur
nationalité et pour leurs croyances. Ma violence n’avait été dirigée que vers
les ennemis du gang. Mais en même temps, j’avais affiché de telles idées.
C’était difficile d’écrire et de comprendre ce personnage, car il est pour
moi impossible de vraiment détester quelqu’un aujourd’hui. Même s’il
m’arrive de temps en temps de m’emporter, la connaissance et le pardon
viennent au plus vite laver cette ignorance de mon cœur.
Je ne peux que me rappeler de ce jour, lorsque j’ai revu d’une manière
inattendue un ancien membre du gang, j’ai dû, dans cette circonstance,
parler du passé. Il m’a alors raconté des choses horribles à mon sujet. Mais
180 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI
qu’ils ont faites et parfois bien plus. Je peux parfaitement les comprendre.
Je suis donc très concerné par eux. D’ailleurs, je suis pour eux cet ancien
qui peut seul les comprendre. Je suis une sortie, un moyen de trouver un
équilibre, quelque chose auquel ils peuvent se raccrocher. Je n’ai donc pas
le droit à l’erreur car tout peut s’écrouler si facilement si j’en commets
simplement une. C’est peut-être le seul tournant de leur vie qui les fera aller
vers l’amour et délaisser la haine. C’est très lourd comme responsabilité.
Si vous saviez l’amour qui se dégage de ces êtres dans ces moments. Ils
retrouvent une réalité perdue, quelque chose qui n’existait plus en eux. Ils
semblent redevenir des enfants et vouloir réapprendre à vivre. La violence
n’a alors plus de place en eux. Ils désirent progresser et tout réapprendre.
C’est si merveilleux.
Mais parfois, ils reprennent leurs distances et replongent dans la haine.
Puis vous les voyiez de nouveau apparaître quelques mois plus tard.
L’amour devient comme leur seul médicament. En effet, seul l’amour
guérit la haine. Mais cette guérison est souvent graduelle. Or, lorsque
l’amour est véritablement installé dans le cœur de ces personnes, jamais la
haine ne pourra de nouveau s’emparer d’eux. L’amour devient comme un
professeur qui leur fait découvrir en profondeur la haine. Ils découvrent
alors tous ces secrets et deviennent très experts à l’éviter. En fait, ils se
mettent à rejeter la haine de plus en plus au plus profond de leur cœur et
s’attachent à l’amour. Je suis devenu moi-même comme cela.
Combien de fois par jour ai-je eu ces questions : « Où est l’amour ? » «
Où est l’objet d’amour ? » « Comment puis-je aimer toujours davantage ? »
Celui qui a rencontré l’amour ne perd plus de temps avec la haine. Il
comprend l’urgence de l’amour et le sent tellement présent dans son cœur.
Il développe un besoin de le partager et d’aider ceux qui ont la haine et qui
souffrent à cause de cela.
Aussi ceux qui viennent lui demander de l’aide sont comme une
récompense, un aboutissement. Jamais il ne les voit comme inférieurs, au
contraire. C’est ça l’amour. Dans l’amour, il n’y a pas d’exploitation de
l’autre en vue de se bâtir une renommée, mais il y a un don de soi pour
éveiller chez l’autre l’amour. C’est un autre monde. Plus on donne, plus on
reçoit. Celui qui nous permet d’aimer plus devient comme une personne
avec qui l’on est endetté.
182 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI
Il du sectarisme en Lui ? Tout vient de Lui. Tout existe pour Lui et par
Lui. Il faut simplement utiliser les choses mais d’une façon propre, sans
vouloir obtenir la renommée, de l’argent en contrepartie, juste le faire par
amour pour Lui. Je voulais cela au plus profond de moi. Tel était le but de
ma démarche.
Je désirais également prouver aux jeunes qu’un véritable vaisnava n’est
pas une personne sectaire qui se coupe du monde, mais qui s’adapte à
son environnement. Je voulais apporter quelque chose à la société et non
la condamner comme certains religieux. Un authentique vaisnava est une
personne qui doit voir la vérité chez les êtres et non les mauvaises choses
qui les recouvrent. Seule une telle vision pouvait unir les êtres dans une
dimension supérieure.
Il a fallu au moins deux ans avant que notre groupe commence à trouver
un son et un charisme particuliers. Puis nous avons enregistré un premier
album puis un deuxième. Nous avons effectué quelque concert également.
A vrai dire, je ne passais pas inaperçu. Quelques personnes avaient entendu
dire, par le biais de mon blog « skinhead repenti », que j’avais remonté un
groupe et certains étaient venus pour me voir lors de notre premier concert.
Il y avait une centaine de gars, la plupart des anciens skinheads. On a joué
en deuxième partie de ce festival. On avait pour idée de commencer le
concert en chantant un petit chant sacré de l’Inde. Dès les premiers mots,
la plupart n’ont pas supporté et la moitié du public est sortie dehors afin
de rejeter notre côté religieux. Je pense que si je n’avais pas eu ce passé, un
groupe comme le nôtre se serait fait virer avec perte et fracas, mais que
voulez-vous, il fallait bien que je débute….
A la fin du concert, certains skinheads sont venus me voir et m’ont invité
à les rencontrer. Ils étaient différents de ceux que je connaissais à mon
époque. Déjà, ils étaient beaucoup moins violents et ils n’étaient pas
racistes. Certains étaient des militaires de carrière tout au plus, ils aimaient
leur pays.
J’ai donc été plusieurs fois à leur rencontre. Ils ont été très cordiaux avec
moi. Mais je remarquais que même si j’avais tissé des liens d’amitié avec
ces skinheads, la plupart n’étaient intéressés que par mon passé et la non-
violence ne les passionnait pas. J’ai également essayé de faire apprécier
mon groupe dans ce milieu punk. Pour cela, on a réalisé quelques clips
Ahimsa non-violence 185
AHIMSA NON-VIOLENCE
Lorsque j’étais plus jeune, j’étais fortement attiré par l’esprit des bikers.
J’avais même traîné un certain temps avec quelques uns. Or, en me
promenant sur le Net, j’ai découvert qu’il existait des bikers chrétiens aux
Etats-Unis et même des sikhs au Canada. Ils avaient fondé pas mal de
moto clubs pour rassembler les gens au nom de Dieu. Ceci m’a donné
l’idée de fonder un moto-club vaisnava. Je désirais l’appeler « Ahimsa
Non-Violence ». J’en ai parlé avec mon maître spirituel et il m’a donné son
approbation pour réaliser ce projet.
La non-violence est une belle arme contre la disharmonie qui hante ce
monde. Si de plus en plus de gens pouvaient prendre en considération
tous les êtres vivants, tous pourraient vivre ensemble en harmonie. Bien
sûr, la vraie non-violence veut qu’on accepte le principe de Dieu, car Il est
en toute chose et sans Lui une telle sensibilité ne peut être obtenue. Aussi
aller vers Dieu signifie faire Sa volonté qui est d’aimer tous les êtres et les
aider à progresser vers l’amour. La vraie non-violence ne saurait prendre
en considération que les êtres humains. Elle doit s’adresser à tous les êtres
sans exception.
La non-violence est cette sensibilité, cette compassion qui s’éveillent dans
le cœur lorsque la présence de Dieu s’éveille en nous. Lorsqu’on sent au
fond du cœur comment Krishna aime toute Sa création, on vit alors pour
que le monde aille mieux et on devient spontanément ce dont le monde a
besoin pour cet épanouissement. On ressent pour chaque être un lien et
de l’amour.
A travers ce moto-club, je comptais enseigner ce principe et réinsérer des
gens violents dans une vie spirituelle positive et faire d’autres activités
186 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI
qualification dans ce domaine, mais j’ai besoin de faire ce moto club pour
aider des gens, alors je vous demande humblement de m’aider. » « Vous
êtes les chefs de cette zone, vous devez donc protéger ceux qui sont plus
faibles que vous et les aider. »
Leur discours a alors graduellement changé et j’ai ressenti même de l’amour
venant d’eux. Ils savaient tous que j’étais un ancien voyou et je pense que
c’est pour cela qu’ils ont finalement accepté que je fasse un ministère de
motards. L’un deux m’a dit : « D’habitude, des gars comme vous on les
démonte, mais je sais pas pourquoi, j’adore votre démarche. »
A vrai dire, avec cette vision de l’amour qui s’était développée en moi, je
voyais chez eux des bonnes qualités. Je ne voyais pas des gens négatifs.
Aussi, cela les a tout simplement touchés et ils m’ont aidé comme des pères
qui auraient épaulé des enfants à monter un projet pour qu’il aboutisse.
Je me rappelle que quelques jours avant, ils m’avaient invité à une grande
réunion où tous les motos clubs 1% (gangs hors-la-loi) de la région seraient
regroupés. Ils avaient hésité car ils ne savaient pas si on allait être acceptés
ou maltraités. D’après eux, cela pouvait être très dangereux. Je suis arrivé
avec deux membres de mon futur moto-club et je dois dire que l’accueil a
été un peu froid, mais bon on s’y attendait.
Après un certain temps, tous les présidents de chaque club ont été conviés
à une réunion privée, puis ils ont réapparu une heure plus tard. On a
alors été prié de nous asseoir tous autour d’une grande table d’environ 60
personnes. Chaque moto-club a été invité par le sergent d’armes du club
international à prendre la parole. Puis ça a été mon tour, je me suis levé et
j’ai donc présenté le projet. Puis le sergent d’armes a demandé à l’audience
s’il y avait quelqu’un contre l’acceptation de notre moto-club. C’est alors
qu’un président d’un club a pris la parole avec un ton très ferme. Il était
assez loin de moi et m’a demandé quelle était ma position envers leurs
ennemis. Je lui ai répondu que je ne pouvais pas avoir d’ennemis. Il m’a dit
alors que je ne pourrais aller chez eux.
C’était une ambiance des plus lourdes et c’était le tournant de la plaque.
Il fallait que je fasse face à l’affront sans pour autant briser nos principes.
Si je ne répondais pas à cette attaque c’en était fini. Je me suis donc de
nouveau levé et avec un ton ferme, j’ai expliqué à tous que je ne pouvais
avoir d’ennemis. Ceci n’était pas possible et contraire à notre position...
188 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI
Les jours précédents, on m’avait demandé de faire une page avec les futures
couleurs et barrettes que l’on désirait porter sur nos jackets. Le président
du club international en a distribué à chaque représentant des moto-clubs,
puis il a redemandé au club qui occupait notre zone s’il avait une objection,
puis également à tous les autres et le vote a été positif. Il a été décidé
qu’on pourrait mettre nos couleurs sur la jacket de devant, mais qu’il fallait
attendre une année avant qu’on soit autorisés à les porter derrière.
On m’avait conseillé de rencontrer les autres clubs rivaux pour avoir
également leur assentiment. Dans un même temps, l’un d’eux m’a envoyé
un de leurs représentants au monastère afin de me rencontrer. Celui-ci
était plus jeune que moi. Il connaissait pas mal mon passé et je peux dire
que je n’ai pas eu de mal à me faire accepter. J’ai donc pris rendez-vous
pour rencontrer ce gang de motards.
C’était une ambiance plus méfiante. On a été bien fouillés à l’entrée et
obligés de déposer nos papiers et faire l’enregistrement de nos identités.
Puis, on nous a dit qu’on n’était autorisés à rester que jusqu’à 22 heures.
Puis notre interlocuteur s’est occupé de nous avec bienveillance et l’accueil
a été alors bien plus chaleureux. On a parlé un peu et il nous a présentés
à différentes personnes. Il y avait un mur du souvenir avec des photos
de certains de leurs membres qui avaient été tués par des membres
d’autres gangs.
Au bout d’une heure, on m’a invité à une table avec les différents
représentants. Je me suis présenté et ils m’ont dit qu’ils savaient qui j’étais.
Certains étaient des anciens skinheads. J’ai présenté mon projet. Ils ont
tous regardé le logo du club et surtout le nom « Ahimsa Non-Violence ».
L’un d’eux a dit : « Eh ! Willy, on est dans un milieu violent ! » Je lui ai
répondu : « Vous inquiétez pas, on vous prendra pas la tête, simplement
on fera de notre côté nos bonnes actions ! » Finalement, ils ont accepté et
m’ont donné l’autorisation de faire ce moto club, de porter des couleurs et
de passer sur leur territoire sans problème.
Puis j’ai été dans une autre zone pour rencontrer le dernier moto-club
international. J’ai envoyé un email mais la réponse s’est fait attendre.
Finalement une rencontre a été convenue un vendredi soir à leur club
house. On a été bien accueillis et après un moment, le président du club
a fait son entrée. Il nous a conviés à une réunion dans une salle privée où
habituellement seuls les membres du club pouvaient aller. On a présenté
Ahimsa non-violence 189
à l’amour, il faut parfois que les nouvelles choses qu’ils acceptent soient
en relation avec des choses reconnues par ces milieux. On doit pouvoir
engager le rock, la moto et toute passion pour permettre à des gens de s’en
sortir. C’est un moyen véritable pour canaliser cette violence. C’est aussi
un moyen puissant de partager une vie fraternelle et spirituelle entre nous.
On a graduellement construit sur trois années notre local avec bar
restaurant et salle de concert près de Rouen où nous recevons toutes
sortes de personnes. On organise également des randonnées en moto, des
rencontres et des festivals en faveur de la non-violence. On est présents
sur de nombreux rassemblements. On a aussi introduit une distribution
de nourriture hebdomadaire pour les plus démunis, un culte le samedi,
nous permettant de nous unir et de créer une véritable famille. Toutes ces
choses nous permettent de répandre l’amour et de redonner un sens à la
vie pour beaucoup de gens. Tous ces événements m’amènent à rencontrer
des gens de tout bord, à répondre à des journalistes, à passer à la télévision
et à arpenter des salles de concert avec des riffs de guitare. En vérité, je
ferais n’importe quoi pour que les gens évoluent vers le positif et non vers
la haine.
Bien sûr, ce n’est pas toujours facile. Je rencontre parfois des voyous qui
me testent, qui m’en veulent. Ils n’acceptent pas ce changement. Ça les
ennuie que je sois devenu non violent. Certains en profitent même, mais
j’apprends grâce à eux à tolérer et à développer toujours plus d’amour.
Ils sont devenus comme des instructeurs, car sans eux je ne pourrais pas
progresser davantage dans cette voie.
On doit véritablement s’adapter à l’environnement si on veut construire
un monde meilleur. Ce n’est pas l’environnement qui s’adaptera à nous.
Alors suivant cette règle, je suis devenu comme un caméléon. Mon cœur
reste le même, mais ma carapace change en fonction du besoin. Pour moi,
tous les êtres ont la même valeur. Je ne fais aucune discrimination. Aussi,
je vais parfois dans les pires endroits. C’est ça pour moi l’amour.
Aujourd’hui, je suis partagé entre mes activités. Il m’arrive de passer des
semaines dans un studio afin d’enregistrer un album. Parfois je fais des
centaines de kilomètres, afin de donner une conférence sur les Textes
sacrés de l’Inde. A d’autres moments, j’écris des livres sur la spiritualité,
j’aide des gens qui souffrent ou encore je rencontre des amis. Je roule
Un changement de situation 191
également en Harley Davidson, avec le moto club et porte dans le dos ses
couleurs «Ahimsa, non-violence». Pour moi, toutes ces activités ne sont
pas différentes car elles ont un même but : propager l’amour.
UN CHANGEMENT DE SITUATION
C’est vrai, j’ai voyagé et j’ai rencontré dans ma voie de nombreux courants
et de nombreux maîtres avec des interprétations parfois différentes.
Finalement, je suis revenu dans le refuge de mon premier maître spirituel,
Srila Prabhupada, qui est pour moi le plus miséricordieux, et j’ai reçu
un nouveau nom de sannyasa : « Bhakti Svarupa Damodar Swami » qui
signifie « la forme personnifiée de la dévotion pour Damodar (Krishna) ».
C’est comme si j’avais fait tout ce voyage pour me confirmer que c’était
avec lui que je me retrouvais dans ma vérité, tout en respectant les autres.
Il est pour moi un océan de miséricorde et mon refuge.
Il est revenu me chercher par un concours de circonstances que je ne
peux expliquer ici. En ce qui me concerne, il m’a fait réaliser qu’il était
mon maître spirituel éternel. Il est cette personne qui a infusé en moi, la
connaissance, le pardon, l’amour et la miséricorde. Je lui dois tout. Ce que
je suis aujourd’hui, c’est grâce à lui. Sa présence a fait disparaître en moi
toute volonté de trouver un autre refuge. Bien que je sois toujours aussi
ouvert d’esprit, je suis fidèle à mon maître. Puisse-t-il rester à mes côtés,
rectifier mes erreurs et m’instruire davantage sur la voie de l’Amour.
J’ai vu beaucoup de belles choses comme des mauvaises. Tout en ce monde
est influencé par le désir et le pouvoir. J’ai pu réaliser cela à mes dépens,
bien des fois.
Le pardon est notre seule voie pour atteindre le succès. On ne peut
atteindre l’amour avec un cœur empli de haine ou de rancœur. Tout est fait
pour nous mener à la perfection. Rien ne saurait être négatif dans la voie
de l’amour. Tout est transformé et sublimé. Ainsi, nous sommes parfois
trompés. C’est inévitable en ce monde. Mais grâce à cela, nous pouvons
apprendre à pardonner et à aimer.
192 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI
UNE REQUÊTE
chaque instant. En effet, c’est ce même Seigneur qui est en toute chose et
qui réciproque avec tous. Puisse cette Liberté m’emmener avec elle.
Pour obtenir toujours plus cette qualification, les Vaisnavas nous enseignent
qu’il faut devenir comme un brin de paille qui est emporté par le vent et
qui n’a plus aucun désir personnel, mais simplement que cette Liberté
l’emmène où elle le désire.
O S’il te plaît Radha (la personnification de l’énergie d’amour du Seigneur
Krishna) toi qui es la personnification de l’amour et de la Liberté, puisses-
tu entendre ma prière et combler mon désir en me permettant de rester
sous la protection de mes maîtres spirituels et de chanter sans offenses
les Saints Noms de Dieu « hare krishna hare krishna krishna krishna
hare hare, hare rama hare rama rama rama hare hare », Eux qui sont la
personnification de la beauté, de la douceur et de l’amour.
O Radha, si simplement je peux devenir qualifié pour donner ma vie pour
les autres et faire que mes activités puissent leur apporter la véritable joie,
je considérerai que ma vie sera un succès.
Je ne saurais finir ce livre sans demander humblement pardon à tous ceux
que j’ai offensés, humiliés et frappés dans le passé. J’étais dans l’ignorance,
je ne savais pas ce que je faisais, mais aujourd’hui par la grâce de mes
maîtres spirituels, mon esprit s’est ouvert et je peux voir la vérité. Donc s’il
vous plaît, veuillez me pardonner.
J’ai écrit ce livre en étant conscient que mon passage de la haine à l’amour
peut inspirer toute sorte de personnes. Dans cette voie, chacun peut
progresser. Elle est universelle et s’adresse à tous. J’espère que ce livre
vous aura apporté de l’inspiration, de la joie et de l’enthousiasme pour
aller vers une vie positive dépourvue de tout sectarisme. Puissions-nous
trouver l’amour ensemble. Merci beaucoup. Bénissez-moi, s’il vous plaît.
194 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI
Préface.......................................................................................................... 5
L’nvironnement de mon enfance............................................................. 7
L’évolution de la vie.................................................................................... 8
La vie dans la cité....................................................................................... 10
La découverte de l’Angleterre en 1980................................................... 13
Ma fascination pour les skinheads........................................................... 14
Les skinheads de Tolbiac.......................................................................... 17
Les skins de Gambetta 82-83................................................................... 18
La guerre des bandes................................................................................. 21
Notre admission dans le monde des bandes.......................................... 23
Les hooligans.............................................................................................. 26
La naissance des Evils Skins..................................................................... 30
Une vie de galère........................................................................................ 32
Les skins de Saint-Michel en 83............................................................... 34
Rue d’Assas................................................................................................. 41
Un coup dur pour la bande...................................................................... 46
Tentative de réinsertion............................................................................. 48
Bagnolet city................................................................................................ 50
Le fief des Evils en 85............................................................................... 53
Le klan et les Evils Skins (1985-1986).................................................... 56
L’armée chez les parachutistes (1986)..................................................... 59
Le retour au fief (1987)............................................................................. 63
Les derniers instants skinhead (1988)..................................................... 66
Les mods de Gambetta (1989)................................................................ 71
Les Teep’n’teepatix (1989)........................................................................ 73
Menilmontant............................................................................................. 77
La guyane (1990)........................................................................................ 79
Mon enfant.................................................................................................. 84
Un éveil spirituel (1991-92)...................................................................... 88
Ma quête vers Dieu.................................................................................... 92
Chez monsieur Zaran................................................................................ 96
Ma rencontre avec un groupe hindou.................................................... 100
Entre deux faux.........................................................................................104
Le temple de Paris (1993)........................................................................ 110
Table des matières 195
Les dogmes................................................................................................112
L’association Isvara : les débuts.............................................................. 118
Le Ratha Yatra...........................................................................................121
Ma rencontre avec Fred........................................................................... 124
Le développement de notre association................................................ 125
Les concerts...............................................................................................131
Nos aventures............................................................................................134
Ma vérité.....................................................................................................136
Initiation.....................................................................................................140
Mon premier voyage en Inde.................................................................. 143
La terre sainte de Mayapur...................................................................... 145
Srila Bhakti Promoda Puri Goswami..................................................... 147
La vie dans les temples en Inde.............................................................. 151
La naissance de l’Ordre Monastique Vaisnava (1996)......................... 156
Une règle de vide communautaire.......................................................... 159
Les premiers pas vers la reconnaissance................................................ 162
La chasse aux sorcières............................................................................. 164
Sur les lieux................................................................................................168
Un esprit non sectaire............................................................................... 170
Le combat pour notre reconnaissance................................................... 172
Un accompagnement................................................................................ 174
Un skinhead repenti..................................................................................179
Mon retour sur la scène............................................................................ 182
Ahimsa non-violence................................................................................ 185
Un changement de situation.................................................................... 191
Une requête................................................................................................192