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UN SKINHEAD REPENTI

DEVENU SWAMI
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© Photo de Deligny William


Copyright © 2020 RadhaKripa Edition
Edité et imprimé en 200 exemplaires par RadhaKripa Edition
Édité en 2015 en 500 exemplaires par OMV
RadhaKripa Edition
41 rue du madrillet – 76800 Saint-Etienne-du-Rouvray
radhakripa-edition.fr
radhakripa.edition@gmail.com
Dépot légal : juillet 2020
ISBN 978-2-9571664-0-4
SWAMI BHAKTI SVARUPA DAMODAR

UN SKINHEAD REPENTI
DEVENU SWAMI

DE LA HAINE À L’AMOUR

Édité par RadhaKripa Edition


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PRÉFACE

Je n’avais pas décidé d’écrire une grande partie de mes mémoires, mais un
grand nombre de personnes m’a demandé de le faire. Aussi j’entreprends
cette tâche comme un service, en espérant que mon histoire amènera une
réflexion positive en ce monde.
Je tiens à informer mes lecteurs que je vais narrer cette histoire telle que je
l’ai vécue et que des passages vont certainement choquer des gens, mais il
est important que je fasse comme ceci, afin de faire revivre le personnage
qu’on appelait autrefois P’tit Willy, l’ancien skinhead.
Je ne suis qu’une personne des plus ordinaires et médiocres et je vais
sûrement faire des fautes de français, en utilisant de mauvaises tournures
de phrases. Peut-être vais-je à travers ces lignes offenser des personnes. Je
tiens à m’en excuser car ceci n’est pas mon but.
J’ai remarqué lors de la diffusion de mon blog « skinhead repenti » que
certains ont lu un résumé de ma vie avec un regard négatif envers ma
personne. Je le comprends tout à fait.
Mais je vous demande, si vous désirez tirer un bénéfice en lisant ces lignes
et comprendre véritablement ma démarche non violente, de le faire au
moins d’une façon neutre. Sans cela, votre lecture ne sera qu’une perte de
temps voire un poison qui renforcera votre animosité envers ma personne.
C’est vrai, j’ai commis des actes fort répréhensibles, et je tiens à témoigner
que le but de ma vie maintenant est de réparer la provocation extrémiste
de mes actes et de mes paroles à un certain moment de ma vie. Enfin
j’espère que ce livre nous rapprochera et qu’ensemble nous bâtirons un
monde plus beau. L’amour est plus puissant que la haine. Merci.
J’ai changé les noms de certains personnages afin que leur vie privée ne
soit pas affectée.

Swami Bhakti Svarupa Damodar


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L’NVIRONNEMENT DE MON ENFANCE

Je suis né le 16 juillet 1967 à Paris. J’ai vécu mon enfance dans une banlieue
parisienne à Bagnolet, en Seine-Saint-Denis. Mes parents étaient des
prolétaires, et nous vivions avec mon frère et ma sœur, dans une cité HLM
à forte proportion d’immigrés.
Ce genre de vie n’est pas des plus épanouissants, du bitume à perte de
vue. En un mot, vous n’aviez vue que sur l’autre immeuble. Les arbres et
les vaches dans les prés vous étaient étrangers, et le son des vagues de la
mer était présent à travers le fond sonore des autoroutes vrombissantes en
arrière-plan. Votre seule échappatoire était la télévision, le seul moyen de
découvrir un autre monde.
Je me rappelle que mon père était alcoolique. C’était son moyen d’oublier
ce monde et de se créer une autre réalité. Il rentrait saoul à la maison
presque tous les jours, au point qu’il n’arrivait plus à se déshabiller pour
se coucher. Il avait parfois un tempérament grossier, il lui arrivait donc
d’injurier ma mère.
Ma mère était très tolérante et je pense que cela devient rare à notre époque,
car les couples aujourd’hui se séparent facilement même s’ils ont des
enfants. Elle fut l’exemple d’une mère qui était prête à tolérer beaucoup
de choses pour ses enfants.
Mais parallèlement, il faut comprendre mon père, elle est dure la réalité
de ce monde. Bien que les gens préfèrent rester à faire ce qu’ils aiment,
la plupart ont un travail qu’ils n’aiment pas accomplir. Et si vous désirez
rendre réel votre rêve, lancer votre entreprise, cela apporte tellement
de problèmes, d’anxiété et d’insomnie. Tellement peu d’entreprises
réussissent. Ici, chacun est un peu comme un esclave car la liberté est
très restreinte. Le système est ainsi fait que vous devez travailler jusqu’à
épuisement, en espérant un jour être à la retraite. Mon père, comme la
plupart des gens, comptait les années qui lui restaient avant d’arriver à la
retraite, tout comme un tôlard compte également ses jours sur le mur de
sa prison.
La plupart du temps, celui qui travaille est entouré de personnes qu’il
n’aurait jamais côtoyées. Et par-dessus tout, il doit sourire et parler par
intérêt, faire des glorifications et des courbettes aux chefs, s’il désire ne
pas être mis à la porte. Telle est la réalité cruelle de ce monde. Bien sûr, on
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vous dira : « C’est la vie, il faut bien subsister. » Il y a ceux qui l’acceptent
et deviennent comme dressés par ce système, et il y a ceux qui n’arrivent
pas à s’y faire. Alors ils deviennent parfois hors-la-loi, SDF, ou encore
alcooliques comme mon père… L’alcool était son moyen de sortir de cette
existence. Mais en réalité, il ne vous libère aucunement de cette situation, il
ne fait que vous asservir encore plus.
C’est vrai que c’est très difficile de vivre avec des gens qui sont immergés
dans l’alcool, que dire avec son propre père. On voit sa mère pleurer, ses
frères et sœurs dans l’incertitude d’un futur. J’ai donc grandi dans cette
atmosphère. Mais mon père n’était pas un cas isolé, partout autour de moi
j’avais ce spectacle. Dans ces cités dortoirs, il y avait tant d’alcooliques, tant
de tristesse. Les murs résonnaient de cris, de pleurs, d’injures, de disputes
entre couple. Je revois ce voisin qui dépensait tout son argent au tiercé, ses
enfants et sa femme qui étaient dans le besoin. Un autre était resté bloqué
sous LSD. La nuit, il s’imaginait se transformer en loup-garou. Il hurlait
sur son balcon comme un loup et les ambulanciers venaient le chercher.
D’autres observaient leurs voisins avec des jumelles. Il y avait ceux qui
vous détestaient et ceux qui vous acceptaient. C’était une ambiance peu
chargée d’amour, parfois chargée de peur et d’animosité. Tant de choses
venaient frapper mon esprit lorsque j’étais un enfant.

L’ÉVOLUTION DE LA VIE

Ma jeunesse fut comme tous les gosses de cités. J’allais à l’école en


bas de mon immeuble. Je rentrais le midi pour manger. Je faisais mes
devoirs rapidement le soir pour retrouver les copains de la cité. En fait,
aucun de nous n’aimait aller à l’école, on n’avait qu’une envie, c’était de
jouer ensemble.
A cette époque, on faisait des batailles avec les cités adverses. On récupérait
les tickets usagés du métro parisien pour en faire des munitions qu’on
balançait à l’aide d’un gros élastique. On était la plus petite cité, trois
bâtiments, alors que les autres étaient énormes. Aussi, on était toujours
en alerte dans notre jeu, et quand on était attaqués, on avait l’habitude
de monter sur un local électrique qui formait une plateforme comme un
château-fort et on tirait de là des munitions tout en faisant des bruits de
L’évolution de la vie 9

bombes ou de mitraillettes. J’avoue qu’on n’était pas les plus forts et je me


rappelle qu’une fois je me suis fait coincer et j’ai été malmené pendant au
moins cinq minutes. J’avais pas mal de bleus et j’ai pleuré...
J’étais également un fan de bandes dessinées surtout la série Strange, et
avec mon ami Pierre Marc, on s’était imaginés devenir des super héros afin
de protéger la cité des brigands. A cette fin, on avait imaginé des costumes
et des gadgets qui nous permettraient de voler dans le ciel et d’arrêter les
brigands. Mon nom de super héros était Baram et lui Iron Fist. Je m’étais
confectionné une cagoule blanche avec deux trous pour les yeux et une
cape. J’avais rajouté de longues pointes au bout de mes chaussures et des
griffes à mes mains. Je me rappelle que Pierre Marc, lui, voulait mettre des
gros ressorts sous ses chaussures pour sauter plus vite et plus loin. Il avait
confectionné un masque et également une cape et un costume. De temps
en temps, on sortait en mission, quand la nuit commençait à tomber tôt
le soir. On s’habillait discrètement dans le local à poubelles, et alors on
se déplaçait en se cachant de voiture en voiture, pour gagner quelques
pavillons abandonnés et imaginer de terribles ennemis à combattre...
J’adorais également le football. On organisait des matches dans notre
cité, et avec quelques-uns des garçons comme Pascal, Patrice et Hervé,
on a décidé de s’inscrire dans un club de football, l’équipe de l’ESDM, à
Montreuil-sous-Bois. Je me revois au corner, cette balle qui file vers la tête
de Pascal et ce but dans la lucarne droite. Alors on imitait les professionnels,
on courait en hurlant et on s’étreignait sous le coup de la jubilation.
Vers 11 ans, le Rock’n’roll m’a rapidement sorti de tous ces jeux qu’on a
alors considérés comme enfantins. Avec Pierre Marc, j’aimais écouter les
disques qui appartenaient à mon père, de Gene Vincent, des Chaussettes
Noires, des Pirates et de Johnny. On s’est alors fait un pseudo-look de
rockers. On se peignait avec la laque de maman, pendant un long moment
chaque jour, en essayant de se faire une banane. On avait réussi à se faire
payer quelques fringues, et puis on avait récupéré de la chaîne pour la
faire pendre à nos pantalons. De là sont venues nos premières traînées à
rouler les mécaniques, nos premières séductions et les contacts avec une
première bande de voyous.
C’est à ce moment que j’ai commencé à être plus violent. Je me rappelle de
cette école. Il y avait toujours un plus grand qui était considéré comme le
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caïd. Un jour, il a voulu me taper dessus, je n’étais pas un grand bagarreur


mais je l’ai battu. De là, j’ai commencé à vouloir imposer ma personnalité
à mes propres amis. J’étais un enfant qui ne respectait plus ses parents.
J’étais devenu tellement insolent que mon père avait même parlé dans sa
colère de me jeter par le balcon de l’immeuble pour en finir avec moi.
Puis, du Rock’n’roll est venue à moi la vague du Hard-rock. Mon look a
alors changé, plus de semblant de banane sur la tête. Mes cheveux avaient
poussé, je m’étais confectionné une veste en jean couverte d’écussons
représentant nos groupes favoris comme Ted Nugent, Scorpions, Iron
Maiden, Judas Priest, ACDC, Téléphone, Trust.... J’ai alors découvert
le monde des concerts et une attirance pour commencer à jouer d’un
instrument de musique. C’est à cette époque que j’ai appris de mon frère
quelques accords de guitare et quelques riffs de rock aux influences 70.

LA VIE DANS LA CITÉ

Eh oui ! Il fallait bien trouver des occupations et l’imagination pour rester


dans ces dortoirs de cité. En vérité, c’était pas drôle, la plupart du temps,
les jeunes squattaient les halls d’immeuble. C’était tellement ennuyeux
qu’on passait notre temps à cracher par terre. Aussi les gens qui rentraient
chez eux trouvaient-ils cela vraiment dégoûtant, et ils allaient souvent se
plaindre à la gardienne.
Psychologiquement, c’est comme si on était enchaînés à ces murs de béton
armé. Paris, bien qu’à quelques mètres, nous semblait un autre monde. On
était un peu comme des chats qui délimitent un territoire et qui n’osent
pas le dépasser, une sorte de prison psychique qui ne peut être comprise
que si vous en faites l’expérience. On passait nos jours sans but, tous assis
en bas de l’immeuble à attendre, sans savoir quoi.
On prenait souvent refuge dans les cages d’escalier pour fumer des cigarettes,
et pour se réapprovisionner, faute d’argent, on allait en quémander à
la sortie du métro. On arrêtait les gens, et on récoltait comme cela une
vingtaine de cigarettes en deux heures. On voulait à ce point imiter les
grands qu’on rajoutait dans nos clopes des bâtons d’allumette pour les
rendre plus fortes. C’était vraiment choc. Puis, lorsqu’il était l’heure de
rentrer chez nous, on mangeait des bonbons à la menthe pour enlever de
La vie dans la cité 11

notre bouche l’odeur de cigarette, d’autres évitaient de parler en face de


leurs parents et allaient se laver les dents.
On était toujours à la recherche de nouvelles bêtises. C’est à ce moment
qu’on a commencé à voler des objets dans les supermarchés. Je m’étais fait
un manteau spécial avec une double poche intérieure pour tenter de passer
inaperçu à la caisse. Bilan, j’étais devenu un accro de la tire. Je goûtais en
mon cœur une peur qui me donnait une satisfaction. C’était comme dans
les films, je devais ne pas me faire prendre. Aussi, j’avais appris à repérer
les caméras et les vigiles. J’avais ma technique et ma façon d’éviter les
pièges. Tous les jours, j’allais au supermarché remplir cette poche avec une
grande expertise et puis un jour, bien sûr, je me suis fait coincer.
Telle fut ma première arrestation, et ma mère a dû aller me chercher au
poste de police. Dans ces moments-là, c’est toujours la même chose, on
promet de ne pas recommencer, mais il fallait bien trouver des passe-
temps. Alors comme on n’avait pas d’argent, on faisait des choses bien
basses et sans fondement avec les copains de la cité. Par exemple, on
volait les plaques et les emblèmes des voitures ou encore on fracturait les
portes des caves de l’immeuble… et bientôt est venu le temps de voler
une voiture.
Je devais avoir environ treize ans quand j’ai volé une voiture avec un
copain. C’était dans un parking à étages. Moi je n’y connaissais rien, et
pour tout dire je n’étais pas à l’aise. Ce n’était pas mon truc, mais en même
temps, il y avait l’honneur qui me poussait à le faire. Il a ouvert la porte,
fracturé le neiman et il a connecté les fils pour démarrer la voiture. On est
alors partis, mais le neiman s’est bloqué peu de temps après et la voiture a
percuté la barre de sécurité. Malheureusement, une patrouille de police qui
passait juste au-dessus de nous sur une bretelle de périphérique a entendu
l’accident. On est alors partis en courant. L’un des policiers qui était à une
cinquantaine de mètres a dit par trois fois : « Halte ou je tire ! » Puis il a tiré,
j’ai eu juste le temps de sauter d’un pont de six mètres de haut. La balle
a sifflé juste à côté de moi. J’ai atterri sur le capot d’une voiture. Puis j’ai
été à toute vitesse me planquer sur le toit d’un petit parking privé. Alors là,
c’était le mauvais trip. Une voisine m’avait entendu, et elle essayait de voir
dans le noir ce que c’était. Au même moment, la patrouille de police qui
me cherchait était juste au pied du parking. Mon cœur battait la chamade.
12 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI

Il faisait très froid, mais je n’ai pas bougé pendant des heures. Finalement,
il m’a semblé que la police faisait moins de rondes. Je suis donc rentré chez
mes parents. Mais j’avais peur que mon copain se soit fait prendre et qu’il
m’ait balancé aux condés (terme banlieusard pour désigner les agents de
police). J’étais dans une telle anxiété que je me voyais déjà en prison. Le
lendemain, j’ai pris mon courage à deux mains et je suis allé sonner chez
ses parents. Il était là, lui aussi avait peur que je l’aie dénoncé. Finalement,
on a rigolé et on a pu de nouveau reprendre la route de la liberté...
A partir de ce moment, on a commencé à fréquenter les plus grands qui
bien sûr consommaient de la drogue et buvaient de l’alcool. Bon, j’avoue
que l’alcool à la maison je connaissais, mais je n’avais jamais encore
consommé de drogue. Aussi cet apprentissage pour un gars des cités est-il
essentiel s’il veut être respecté. Je ne pouvais refuser si je voulais devenir
un grand. Mais les anciens ont joué un peu avec moi. Ils m’ont fait fumer
et boire jusqu’à ce que je sois presque comateux. Bilan, je suis rentré chez
moi, presque en rampant, direction les toilettes, et j’ai vomi de la mousse
verte. J’étais si malade que je ne cessais de répéter : « Je vais mourir ! Je vais
mourir ! Je vais mourir ! » Mes parents étaient en plein flippe, finalement
SOS médecins est arrivé, on m’a fait une piqûre et cela s’est calmé.
Je me rappelle que je faisais les poches de mon frère et de ma sœur et bien
sûr, le porte-monnaie de mes parents y passait également. Je faisais des
plans commando la nuit. Le jour, avec le peu d’argent récolté, je pouvais
acheter des cigarettes.
Un peu plus tard, pas mal de gars de la cité sont tombés dans la came.
Pour se payer leur dose, ils avaient organisé un trafic et ils coupaient la
rose avec de la mort aux rats. L’ambiance se dégradait chaque jour. Je me
rappelle encore de Laurent, un pote à moi, qui en avait acheté à un autre
copain. La veille, il en avait consommé. Le matin, il s’est réveillé et comme
d’habitude il s’est engueulé avec sa mère. Il a pris un jus d’orange, puis il
s’est recouché. Il ne s’est jamais réveillé. Il devait avoir treize ans. Cette
année-là, un autre de mes potes s’est défenestré en se jetant du septième
étage. D’autres encore sont morts plus tard d’overdose...
La découverte de l’Angleterre en 1980 13

LA DÉCOUVERTE DE L’ANGLETERRE EN 1980

Mes parents, de peur que je finisse mal, m’avaient inscrit dans une école
dans le vingtième arrondissement de Paris. C’était un lycée catholique
privé. J’avais comme professeur, entre autre, frère Héraux, le genre de
personnage qui aime reporter sa frustration sur les enfants de sa classe.
Malgré un nombre important d’enfants agités, il savait nous mâter. Dès
qu’il y avait le moindre tapage dans le cours, il se retournait avec son air
sadique et disait en faisant traîner les lettres : « Qui ose faire du bruit ? » Si
personne ne se dénonçait, il nous privait de récréation. Bien sûr, le fauteur
de trouble se dénonçait toujours car il se serait fait taper par les autres de
la classe qui auraient eu la haine d’avoir été privés de récré à cause de lui.
Alors, le frère lui disait : « Approche un peu ici ! » Puis, il avait l’habitude
de le repousser avec le poing sur la poitrine, puis de le coller au fond de
la classe, après lui avoir mis un bon coup de règle sur les doigts. C’était le
standard à l’ancienne du frère.
Il y avait également une remplaçante Mademoiselle Nathalie. La pauvre,
qu’est-ce qu’on a été méchants avec elle. A travers elle, on se vengeait du
frère Héraux. Dès qu’elle se tournait pour écrire au tableau, on projetait
sur elle de toutes nos forces, des craies, des boules de papier, des crayons,
tout cela dans un vacarme ahurissant. Puis, lorsqu’elle se retournait en
hurlant, on était devenus sages comme des images. On mettait également
de la colle sur son siège...
C’était très difficile pour elle, car elle nous aimait et désirait nous sortir
de cette impasse scolaire à laquelle on était identifiés. Elle essayait avec le
directeur de nous parler, mais on était tellement méchants qu’on n’a jamais
pu comprendre son cœur. Elle ne l’a pas supporté, elle a fini l’année dans
un hôpital psychiatrique.
Un autre professeur dont je me rappelle était Monsieur Banaquias qu’on
appelait entre nous « Bac à chiasse ». C’était le professeur d’anglais. Cet
homme avait l’habitude de frotter son pantalon au niveau de ses organes
génitaux sur le rebord des premières tables de la classe. Alors, pour remédier
à ce problème, on mettait nos règles d’école sur nos tables comme des pics,
de façon à repousser ses assauts, on mettait également de la craie sur les
bords de ses tables favorites...
14 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI

C’est dans cette école que j’ai découvert avec le professeur de musique les
groupes des Sex Pistols, des Clash, et d’autres groupes propagateurs du
mouvement punk. C’est également à cette époque que j’ai visité Londres
avec l’école. Ce voyage fut pour moi très important, car j’ai découvert une
autre culture et un autre mode de pensée.
Je me rappelle de cette visite aux puces de Londres et de ce premier contact
avec le monde skinhead. J’avais aperçu un skin. Il avait environ quarante-
cinq ans. Son crâne était rasé à blanc. Il portait un bomber kaki de l’armée
américaine, un jean très court avec revers et des Doc Martens bordeaux à
coque dix-huit trous. Il était accompagné d’une Bird (femme skinhead) qui
était vêtue d’un harlington noir, d’une mini jupe et de monkey boots. C’est
difficile à expliquer, je ne sais pas pourquoi, mais son image m’a fasciné.
Je le voyais marcher lentement avec assurance. Il semblait comme un lion
dominant la jungle de Londres. J’étais attiré, je ne pouvais plus le lâcher
des yeux. Je pensais en moi : « Quel est ce personnage qui me fascine ? » «
Que représentent ses signes, son habillement ? » Mais j’ai dû rejoindre ma
classe et il a disparu de ma vue, sans que j’en sache davantage. Ceci a laissé
un impact dans mon cœur.
J’avais en ce temps un très bon ami qui s’appelait Renald, lui c’était vraiment
un marginal, le genre de personne à essayer toutes les drogues, à tripper
sur de la musique et à vivre d’une façon extravagante. Il avait découvert le
punk avec moi. On a donc commencé en Angleterre à s’habiller avec des
rangers, des jeans déchirés, des chaînes, des blousons d’aviation avec des
inscriptions, des épingles à nourrice et à mettre nos cheveux en pétard à
l’aide de laque à cheveux. Mais je dois dire que pour moi c’était plutôt un
déguisement qu’une prise de conscience. Mais ça m’a donné envie de vivre
comme un marginal. C’est à ce moment que mes parents m’ont permis de
fumer des cigarettes librement et de boire du vin et de la bière au repas.

MA FASCINATION POUR LES SKINHEADS

En rentrant en France, mes parents, voyant que je tournais de plus en plus


mal, ont décidé de me changer de lycée. Là, ils ont trouvé un lycée privé,
rue d’Assas dans le sixième arrondissement de Paris. C’était à peu près la
même ambiance que dans mon ancien lycée. Au lieu de frère Héraux, il
Ma fascination pour les skinheads 15

y avait frère Hénol, un ancien légionnaire devenu prêtre puis professeur.


Quand on faisait des bêtises, il nous faisait défiler dans la cour du lycée
comme à l’armée, au pas, et on avait le droit aux pompes également en
guise de punition : « Une deux ! Une deux ! À droite, droite ! ... » « Allez !
Tout le monde en position pour quelques pompes ! » Au début c’était
rigolo, mais après quelques pompes y en avait qui rigolaient moins. Mais
Frère Hénol m’aimait bien...
Je me rappelle qu’en fin d’année, on a passé le BEPC. On avait préparé pas
mal d’antisèches, histoire d’avoir de bonnes notes. On avait à ce moment-
là un pion du nom de Rubito. Il était vraiment cool mais par contre, il nous
surveillait de près. Alors l’inévitable est arrivé, il a attrapé plusieurs d’entre
nous. C’était le test.
Rubito : « Tenez, venez voir là tous. Alors, on fait des antisèches, ça va
vous coûter le renvoi du lycée.... » On était vraiment mal. On a essayé
d’arranger le coup. Puis Rubito a dit à toute la classe : « Bon, je mets mes
pieds sur la table, vous avez jusqu’à midi pour tricher, mais attention, après
si j’en choppe un, ça va être sa fête ». Pendant toute la durée du BEPC, il
nous a laissé tricher. J’ai eu dix-huit de moyenne à l’écrit, par contre, j’ai
eu huit à l’oral.
C’est dans ce lycée que j’ai revu des skinheads pour la première fois en
France. Dans l’autre partie du lycée réservée au cycle de la seconde à la
terminale, il y avait un skinhead de la bande de Tolbiac. Son surnom était
Tiran. C’était un gars assez imposant. Il marchait comme s’il était le maître
du monde. Il déambulait dans le lycée, mal rasé, les jambes et les bras
écartés, son sac sur une épaule. Il dévisageait tout le monde, car il voulait
imposer son autorité et faire peur. Cela marchait, car tout le monde baissait
la tête devant lui.
Je me rappelle de son look, Doc Martens marron, crâne rasé, jean retroussé,
bretelles Fred Perry et bomber kaki anglais. Il avait également un drapeau
français sur son bomber, car à cette époque, début des années quatre-
vingts, les skins, pour la plupart, étaient nationalistes. On voyait de temps
en temps quelques skins l’attendre à la sortie du lycée. Tout le monde avait
peur, ils étaient vraiment très impressionnants. Cela faisait penser à un
véritable gang.
16 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI

La fascination que j’avais eue pour les skinheads en Angleterre a repris


vie à l’instant où mes yeux sont entrés de nouveau en contact avec eux.
J’avais vraiment envie de leur ressembler, d’entrer dans leur bande. Mais
lorsque j’ai fait part de cela à mes camarades, ils m’ont tous tenu le même
discours : « T’es devenu insensé. Ces gars-là, ils sont fous. Ils vont te casser
la tête et te braquer ! » « On ne peut pas entrer dans une bande de skins
comme ça, il faut assurer ! » « Regarde, t’es tout petit, quinze ans, laisse de
telles pensées ! »
C’est vrai que c’était vraiment très difficile d’entrer dans une bande dure
de Paris. La plupart des nouveaux venus se faisaient claquer, dépouiller, ou
les deux. C’était arrivé à un gars qui s’appelait Pascal qui était avec moi à
cette époque. Il avait tout fait pour être accepté mais ça n’avait pas marché.
Il avait simplement pris une grosse claque dans la tête.
Même s’ils tenaient tous de tels discours, mon attirance a grandi au point
que cela envoûtait mon esprit jour et nuit. J’avais besoin de savoir, de
croire en moi. Je ne voulais plus être comme tout le monde. J’avais envie
d’être craint, de trouver une place et d’être respecté. Pour cela, je devais
prouver à tout le monde que j’avais la force d’entrer et d’être accepté dans
une bande de vrais voyous, pas des imitations. J’étais prêt à tout, même à
accepter leur idéologie nationaliste s’il le fallait. En ce temps-là, tous ces
skinheads étaient nationalistes, y’avait pas le choix si je voulais m’intégrer.
Aussi, j’ai commencé à observer les skinheads de loin. Je dévorais des
yeux leurs habitudes, leurs façons de s’habiller… Mais en même temps,
mon anxiété s’était accrue, car ils étaient vraiment fous, baston sur baston.
Comment faire pour me faire accepter ? Mon cœur battait fort, de plus
en plus fort. C’était pour moi le but à atteindre. Puis un jour, j’ai décidé :
il faut que je me jette à l’eau. J’ai donc réussi à me faire payer une paire
de rangers, une chemise de bûcheron, une paire de bretelles et un bomber
par ma mère. En vérité, je l’ai trompée car elle n’aurait jamais accepté, si
elle avait su la véritable raison de ma demande. Puis, je me suis coupé les
cheveux courts, et j’ai débarqué au lycée.
Je dois vous avouer que ce jour-là, j’étais gonflé à bloc, et en même temps,
je tremblais à l’intérieur de moi-même. Il y avait une fierté en moi et une
incertitude sur cet avenir. Qu’est-ce qui allait se passer ? « Faut que j’assure !
Faut que j’assure ! » C’était la grosse pression. Mais je remarquais en moi
Les skinheads de Tolbiac 17

déjà un changement, ce look était en train d’influencer ma démarche, mon


regard, et les gens commençaient à prendre des distances à l’école. Ils
n’étaient pas comme d’habitude. Tout cela m’encourageait à continuer, car
j’avais tellement de pression qu’une personne normale aurait fait demi-
tour. Mais maintenant j’y étais, c’était trop tard.

LES SKINHEADS DE TOLBIAC

C’était la matinée, et comme j’étais dans le petit lycée, je n’avais pas encore
rencontré Tiran. Cela se ferait certainement à l’heure de la cantine. Et
l’inévitable est arrivé, qui voilà avec sa démarche titanesque. Il s’est arrêté,
il m’a dévisagé d’un air vraiment méchant et il a poussé un tchh ! Du style,
qu’est-ce que c’est que celui-là ? Qu’est-ce qu’il fait avec ce look ?
La vérité c’est qu’à cette époque dans Paris, c’était extrêmement dangereux
de porter un look skin, même simplement des Doc Martens. Pour être
habillé ainsi, il te fallait obligatoirement assurer ton entrée dans une bande
et assurer ton look. Sans cela, tu pouvais t’en prendre plein la tête et te
faire braquer dans la rue.
C’est vrai que je savais que j’allais être testé, mais le penser est une chose
et le vivre en est une autre. Je me sentais vraiment mal et en même temps
j’étais déterminé. La peur qui s’exprimait en moi semblait passer au second
plan. Aussi, je tenais tête de façon à ne pas paraître pour un bouffon. Le
jeu du Tiran a duré quelque temps et puis, graduellement, il m’a accepté.
C’est vrai que bien que petit j’avais une bonne tête. Il a su voir en moi une
bonne recrue. De toute façon, je ne me serais pas dégonflé même s’il avait
fallu que je me batte avec lui pour être accepté.
Son comportement était provocateur et surtout bagarreur. Il était un très
bon boxeur. C’est de lui que j’ai appris l’art de devenir un skinhead. Il était
pour moi un peu comme le parfait skinhead. Je buvais son comportement,
j’aimais être avec lui et lui-même m’appréciait énormément. A certains
moments, quand on n’avait pas cours, on traînait ensemble avec quelques
autres branchés au café du Lufac, rue d’Assas. On est devenus de vrais
amis. Puis il m’a présenté à la bande de Tolbiac.
Je me rappelle de Bruno, Vincent, Françoise, Pascal et sa femme, Sylvie,
Revel, Yves, Grandes dents et aussi de trois ou quatre dont je ne me rappelle
18 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI

plus le nom. Ils traînaient dans un café qui se nommait le Bobillot. C’était
le lieu où, en 1982, se rassemblait tous les soirs la bande de Tolbiac. Quand
il m’a présenté à la bande, ils m’ont tout de suite accepté. J’ai commencé
alors à prendre de plus en plus d’assurance.
Cette bande avait un groupe de musique qui s’appelait les Tolbiac’s Toads.
J’ai été à quelques unes de leurs répétitions. Ça assurait bien. Il avait un
bon charisme. Dans le groupe, il y avait Bruno au chant, Revel à la basse,
Vincent à la guitare, Pascal à la batterie et Petit Fred comme manager. Il
projetait à cette époque de sortir un quarante-cinq tours avec des morceaux
comme : zéra et skinhead de Berlin. Je me rappelle comment Bruno dansait
lorsqu’il chantait, toujours très concentré et sérieux. Lorsque Vincent est
parti du groupe, Renald l’a remplacé. Je revois encore Bruno me présenter
Renald et lui demander de me faire une démonstration de guitare, je revois
aussi l’enregistrement de leur deuxième 45 tours auquel j’ai assisté.
C’était une bande qui assurait bien, mais elle était pas mal politisée. La
plupart de ses membres travaillaient à cette époque. Ce groupe était
marginalisé et à la fois très préservateur dans l’esprit du patriotisme
français. Aussi, leurs idées ont commencé à dépeindre sur les miennes. Je
suis devenu très fier d’être un Français. Comme dans toutes les bandes, on
passait notre temps à se moquer des uns et des autres et à rigoler, tout en
buvant de la bière...

LES SKINS DE GAMBETTA 82-83

Parfois, à la sortie du lycée Saint-Sulpice, d’autres skinheads venaient voir


Tiran. Il s’agissait d’une nouvelle bande qui traînait à Gambetta dans le
vingtième arrondissement de Paris. C’est là que j’ai rencontré Bat et Fesni.
Leur look était plus provocateur que les skins que je connaissais, voire
pour Fesni plus punk. Il portait encore des clous à ses Doc Martens et un
anneau dans le nez. Il était dans une transition vers le look skinhead. On a
discuté un peu et ils m’ont invité à passer les voir.
C’est vrai que ça m’aurait arrangé d’être dans une bande plus près de chez
moi, car Tolbiac ça faisait un bout, il fallait pratiquement que je traverse
Paris en métro, alors que Gambetta était à trois stations de Bagnolet. Le
lendemain, je me suis arrêté à la station de métro Gambetta et je les ai
Les skins de Gambetta 82-83 19

cherchés. J’ai d’abord pris une mauvaise sortie, puis en prenant l’escalator,
j’ai enfin entendu un tumulte. C’étaient bien eux.
Il y avait ce jour-là, Porky un ancien Teddy Boy de Persan-Beaumont, Jean
Luc et Piaf. Porky était un monstre d’environ 140 kilos pour un mètre
quatre-vingt-cinq. Il venait juste de devenir skinhead. En fait, il avait plutôt
été fortement invité car il était toujours en vigueur d’avoir un colosse dans
une bande. La bande l’avait connu encore avec son look Teddy Boy. Ce
jour-là, il avait interpellé trois gars pour les braquer, deux gifles, deux
gars dans le coma sur trois. Vous comprenez pourquoi le troisième a
tout donné !
Je me rappelle une anecdote à son sujet. Un jour, la police l’a contrôlé à
Gambetta. Il a mis la casquette du policier sur sa tête et a commencé à
secouer le camion de police avec ses mains. Même la police avait peur de
lui. C’était vraiment le skinhead bête et méchant par excellence. Il avait un
comportement imprévisible. Il ne pouvait pas s’empêcher de mettre une
claque à quelqu’un tous les cinq mètres dans la rue. Il était constamment
agité par la colère mais le jour où je l’ai accompagné pour voir sa mère à
Persan-Beaumont, je l’ai vu se transformer complètement à son contact :
« Maman ! Regarde Willy, c’est ma mère ! » Il avait beaucoup de respect
pour elle. On avait l’impression qu’il perdait alors toute sa force et qu’il
redevenait un enfant. Il était tout heureux, doux et gentil en apparence. Sa
mère nous faisait alors des pastas (spaghettis), car il était d’origine sicilienne,
et l’assiette qu’il recevait était proportionnelle à sa taille : une montagne.
J’aimais beaucoup Porky. C’était mon grand frère. Lorsqu’il m’a vu la
première fois, il a été émerveillé de voir un petit skin comme moi de
14‑15 ans. Il s’est levé et m’a étreint, ou plutôt il m’a soulevé et je me suis
perdu dans sa masse. C’est un peu comme si vous étiez étreint par un petit
King Kong. Il avait une attitude vraiment à lui, unique. Il était parfois très
doux, et puis en un instant, complètement fou et incontrôlable, en un mot
imprévisible. Aussi, tout le monde prenait toujours des pincettes dans ses
relations avec lui.
Ce jour-là, la bande est arrivée graduellement au complet : Giovanni, puis
Bruno de Maux, Piaf, Bat, Fesni, Grand Eric, Anti, Boris, Marcel, Tiphaine,
Nina... Un peu plus tard, Porky m’a repris dans ses bras en criant : « Willy ! »
Puis il a dit aux autres que j’étais sous sa protection et qu’en plus j’étais un
20 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI

bon skin : « Celui qui le touche il aura affaire à moi ! C’est notre mascotte,
et en plus, il assure ! »
C’est de cette manière que j’ai été accepté dans cette bande. Porky était
toujours comme cela avec moi. On a été souvent ensemble à une époque.
C’était un peu le duo du petit et du colosse, comme dans les dessins animés.
Il y avait une grande différence avec la bande de Tolbiac. L’esprit de
Gambetta était plus rock’n’roll, bagarreur et provocateur, déjà dans le look.
Les skins étaient souvent habillés en jeans avec des taches délavées, les
crânes bien rasés et des bretelles rouges pendantes. Ils étaient également
toujours bourrés à la bière. Ils riaient, se chamaillaient, hurlaient dans la
rue, chantaient à tue-tête et faisaient des saluts fascistes.
Toutes ces scènes se passaient généralement dans le métro, dans les bus,
dans la rue. En fait, c’était constant. C’est à celui qui en ferait le plus. On
était à la fois des voyous et une bande de gamins qui passaient la journée
à se chamailler et à rire. Il n’y avait aucune attitude de responsabilité en
nous, mis à part peut-être quelques-uns quand même qui ne participaient
pas tout le temps à ces délires.
Je pense par exemple à Bat skin qui est maintenant connu, trente ans plus
tard, pour son engagement dans l’extrême droite. J’ai connu Bat dans sa
deuxième année de skin. C’était un personnage complètement différent
de maintenant. Il sortait avec une fille vraiment bien qui n’hésitait pas à se
battre avec lui afin de préserver son couple. C’était, vous l’avez compris,
une très forte personnalité au grand coeur. Elle était pour lui un équilibre
parfait. A cette époque, elle m’a confié des choses sur sa jeunesse. Pour
elle, il était, comme beaucoup, un enfant gentil qui se faisait peu respecter.
Il cherchait dans cette idéologie skinhead à changer cette situation. Les
gens qui connaissent Bat aujourd’hui voient en lui un personnage musclé,
à cause des anabolisants qu’il a pris par la suite. Mais à cette époque, il était
comme monsieur tout le monde, peu musclé.
A cette époque, en tout cas, je ne me rappelle pas de cet engagement
politique si extrémiste et si totalitaire auquel il se rattache maintenant. Il
était comme nous tous, un simple skinhead vivant dans la rue, peut-être
un peu plus cultivé que la masse. Aujourd’hui, selon ce que j’ai pu voir sur
Internet, il est reconnu comme un chef politique, mais à notre époque,
La guerre des bandes 21

ce n’était pas le cas, même si des gens peu informés qui n’étaient pour la
plupart même pas nés le disent aujourd’hui.
On doit comprendre en ceci que dans les bandes où j’ai vécu, il n’y a
jamais eu de chef, comme il est décrit de nos jours. On était de vrais potes.
Mourir pour sauver un gars de notre bande était un rêve à l’époque. Ce qui
implique qu’il y avait une notion d’amitié profonde entre nous. Celui qui
entrait véritablement dans une bande donnait sa vie à celle-ci. Le véritable
chef était manifesté comme l’esprit de la bande qui était composée par les
skinheads profondément ancrés dans cet idéal. Ce qui poussait les autres
à suivre profondément, ou à être éjectés, ou encore à être des lèche-bottes.
C’est vrai dans ces bandes, la plupart du temps, il y avait un noyau dur
de quelques skinheads tout au plus qui aimaient se faire adorer comme
des dieux. Ce qui les poussait à être de plus en plus extrêmes dans leurs
comportements. Ceci leur permettait d’atteindre une position, des femmes,
de l’argent…
A cette époque, on croyait profondément en cet idéal « skinhead » comme
un religieux croit à sa religion. On respirait skinhead. On entendait
skinhead. On mangeait skinhead. Il n’y avait que cela. On ne voyait rien
et on ne pensait à rien d’autre. On était imbibé de cela. Ce n’était pas
simplement une mode vestimentaire ou musicale c’était l’esprit skinhead.
Il n’y avait pas non plus cet engagement politique qui a enlevé aux
mouvements skinheads leur essence. Certains skins avaient leur opinion,
mais ils restaient des skins.

LA GUERRE DES BANDES

Le mouvement skinhead a pris naissance en Angleterre dans les années


1968. A l’origine, il est né d’une fusion d’individus appartenant à la branche
hard mod (la branche dure du mouvement modernisme qui écoute des
groupes de culture noire américaine) et des rude boys (principalement des
immigrés antillais et jamaïcains), habitant les mêmes quartiers prolétaires
et écoutant la même musique comme la soul, le r’n’b et le ska.
Plus tard, ce mouvement a connu différentes ramifications avec
l’acceptation, pour certains skinheads, de musique plus violente comme
le glam-rock, pour en venir à la musique punk. Les premiers groupes de
22 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI

musique de ces nouveaux skinheads sont apparus ensuite de cette vague


punk et ont créé leur style de musique : la oï. Ce mouvement a connu alors
son premier essor en France en 77-78, avec ses premiers skins : la bande
des Halles à Paris, puis celle de Bonsergent et enfin celle de Tolbiac. Ces
skinheads avaient un lien commun, la provocation dans la marginalisation
et l’esprit de bande. Certains comme ceux des Halles étaient plus proches
des galères de la rue : rejet du système, violence, squats et drogue.
D’autres comme ceux de Tolbiac étaient plus insérés dans la société et se
revendiquaient nationalistes et racistes.
La bande de Gambetta, contrairement aux autres bandes de skins à Paris,
était plus proche de certains skinheads anglais qui, dès la fin des années
70, avaient adopté les provocations des punks comme Sid Vicious (le
bassiste du groupe punk les Sex Pistols), qui portait souvent un t-shirt à
croix gammée. On faisait partie des skins qui pensaient que la plus grande
provocation était de montrer ces slogans dans un pays qui avait combattu
tant cette idéologie destructrice. Cette nouvelle génération de skins était
donc beaucoup plus provocatrice, afin d’agresser la population en général.
C’était une façon extrême de rejeter en bloc le système et les gens qui
étaient noyés dedans comme des moutons de Panurge.
Mais paradoxalement, les skins de Gambetta mélangeaient un peu tout.
Ils portaient sur leur bomber des badges skinhead reggae, trojan, rude
boys. Ils s’affichaient avec des groupes communistes comme les Angélic
Upstars ou encore avec des groupes qui étaient contre le racisme comme
Bad Manners... De plus, dans la bande, il y avait des Blacks, des Iraniens,
des Arabes, des Chinois, et même des Juifs. C’est une époque difficile à
comprendre pour les skins d’aujourd’hui qui cherchent à se différencier
de telle ou telle pensée. Maintenant, il y a des skins sharp, rash, bonhead...,
mais avant, il n’y avait en France qu’une sorte de skins, tout cela n’avait
pas encore d’existence. C’est différent des skins bonhead (purs nazis)
d’aujourd’hui. Tel était l’état d’esprit des skins de Gambetta en 1983.
Comme dans tout milieu de gangs, de bandes, il était à cette époque difficile
de se faire accepter par les autres. Pour certains, il y avait une épreuve à passer.
D’autres refusaient que de nouvelles bandes voient le jour. On retrouve
ce principe même chez les animaux : le territoire. Certains pensaient qu’ils
avaient un droit sur le territoire, d’autres estimaient qu’eux seuls avaient
Notre admission dans le monde des bandes 23

le droit d’exercer cette fonction. Aussi une rumeur était-elle venue à nos
oreilles que certains skins ne voulaient pas qu’une nouvelle bande voie le
jour à Paris sans leur consentement. On parlait d’une descente imminente
des skins des Halles à Gambetta dans le but de nous supprimer.
Je dois dire qu’une pression psychologique était apparue en nous. On
vivait sur la défensive. Je me rappelle que je prenais une autre sortie de
métro pour voir au loin s’il y avait un comité d’accueil. Pratiquement en
quelques jours, chaque membre du groupe avait réquisitionné une arme.
Bon, ce n’était pas des mitraillettes. On récupérait ce que l’on pouvait,
et puis on n’avait pas d’argent. Moi personnellement, j’avais pris comme
arme de défense le vieux hachoir massif de mes parents au cas où ils
me tomberaient dessus. Mais aucune descente de la bande des Halles
n’était encore arrivée. Je savais, par les autres skins de Gambetta, que cette
confrontation arriverait tôt ou tard.

NOTRE ADMISSION DANS LE MONDE DES BANDES

Cette année-là (1983), pour la première fête de la musique, les Tolbiac’s


toads allaient jouer sur une petite place de la rue de Tolbiac. C’est à cet
endroit que la bande des Halles comptait nous attraper. On s’en doutait
mais on était contraints d’y aller, sans cela, il en était fini de la réputation
des skins de Gambetta.
Avec quelques-uns de la bande, on s’était donnés rendez-vous à la sortie
du métro place d’Italie. Celle-ci n’était pas loin de l’endroit où devait se
dérouler le concert. Il y avait Grand Eric, Giovanni, Bruno de Maux, Jean
Luc et Piaf. Quelques centaines de mètres nous séparaient de la place. Une
fois le groupe au complet, on a commencé à descendre la rue Bobillot.
Mais en descendant vers la place, une personne nous a indiqué qu’une
quarantaine de skins viendraient pour nous lyncher. Il y a eu alors une
sorte de panique générale et on est tous partis vers le métro.
Même si j’étais le plus jeune et le plus petit, je me suis arrêté au bout de
quelques mètres. Il y avait quelque chose à l’intérieur de moi qui ne pouvait
pas accepter cette situation. Je ne voulais pas devenir un lâche. Je n’avais
pas fait tout ce chemin pour voir mon rêve d’être un véritable skinhead
s’évanouir. Non, cela n’était pas possible. La peur ne pouvait pas prendre
24 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI

le contrôle de cette ambition. Je ne pouvais les suivre. C’est comme si mon


cœur m’avait dicté de m’arrêter.
En fait, je me surprenais moi-même. Qui aurait osé faire cela ? Alors, je me
suis arrêté et je me suis adressé aux autres de la bande. Ils se sont arrêtés
également et je leur ai dit que je ne pouvais pas faire cela, car je savais que
Bat et Fesni étaient là-bas en train de nous attendre. C’était comme une
guerre pour moi et j’étais comme un militaire : des frères sont en danger,
comment ne pas aller à cette rencontre ? Grand Eric et les autres m’ont
dit une dernière fois de ne pas aller là-bas, car j’y rencontrerais de sérieux
problèmes: « Ne va pas là-bas, tu vas te faire défoncer la tête !!! » On s’est
alors séparés. Je pense qu’ils ont apprécié mon courage, mais en même
temps, ils devaient me trouver vraiment stupide d’aller vers la mort.
Il faut dire que j’étais petit et je n’étais pas encore considéré comme
appartenant au noyau dur des skinheads parisiens. Pour moi, c’était
le temps de faire véritablement mes preuves et de sortir du lot. Dès ce
moment, j’ai expérimenté un des plus intenses instants de ma jeunesse. Le
test était arrivé. J’ai commencé par courir pris d’un désir d’assurer, d’être
un skinhead. Puis j’ai ralenti, j’ai marché et je me suis concentré. Mon
cœur battait la chamade et des questions se sont bousculées à l’intérieur
de moi : « Qu’est-ce qui va m’arriver ? » « Est-ce que Bat et Fesni vont être
là ? » « Est-ce que je ne vais pas me retrouver à un contre quarante ? » J’ai
donc eu un moment de doute, tout allait très vite, mais j’ai continué. J’étais
comme dans un trip de martyr.
Lorsque je suis arrivé sur place, il n’y avait que les skins de Tolbiac qui
arrangeaient la place pour leur concert. Celui-ci avait lieu sur une petite
place au bord de la route. Ils étaient de notre côté mais en même temps,
ils ne s’impliqueraient pas pour nous aider. Bat et Fesni étaient également
présents. Je suis allé vers eux et je les ai salués. Puis à part, je leur ai raconté
ce qui s’était passé avec les autres de la bande. Entre temps, d’autres
personnes sont arrivées pour le concert.
C’est alors que toute la raya des Halles a débarqué, avec à leur tête Farid,
Jimmy le Black... Ils venaient bien avec l’idée de nous trouver sur place,
et à peine arrivés, ils se sont mis à crier : « Où sont les bouffons de
Gambetta ? » Ils allaient trouver chaque personne pour leur demander si
elle n’était pas un bouffon de Gambetta. C’était vraiment le test. On ne
Notre admission dans le monde des bandes 25

pouvait pas rester sans rien faire. Mais imaginez-vous l’ambiance. Cette
bande avait beaucoup d’expérience et ils savaient embrouiller. De plus,
la bande dégageait une telle puissance. Il y avait également de sacrés
personnages, tatoués de partout même sur le visage, avec de sales têtes. La
tension était au zénith. Alors Fesni est sorti du rang : « Quoi bouffon, y a
un problème ? »
La veille, on avait eu une grosse bagarre, et Fesni, en mettant des coups,
s’était écrabouillé les cartilages des mains. Ce qui veut dire qu’il était hors
combat, il ne pouvait se servir de ses mains. C’était donc un combat perdu
d’avance. Surtout qu’il devait s’opposer à Jimmy. Celui-ci était extrêmement
réputé pour sa technique de combat, son agilité et sa puissance physique.
Personne ne l’avait encore vaincu au combat. Dans la logique, c’est Bat qui
aurait dû affronter Jimmy, mais celui-ci ne bougeait pas. Alors Fesni s’est
approché de Jimmy et lui a mis deux gifles pour répondre à ses attaques
verbales. Ils étaient alors entourés de 40 personnes qui disaient à tour de
rôle : « Allez Jimmy, nique ce bouffon ! » « Tue-le ! » « Vas-y, tue-le ! ». On
se serait cru devant un tribunal de la mort, sans pitié, un endroit où l’on
vous exécute avec joie.
Un corps à corps très violent a commencé, mais Fesni ne pouvait pas se
servir de ses mains, alors Jimmy a pris le dessus. Après quelques échanges
de coups, rapidement il a saisi Fesni, et il a coincé sa tête dans son bras
gauche puissant. A chaque coup de poing, il disait : « Dis que t’es un
bouffon !!! » Mais malgré le fait qu’il soit dans une posture délicate, Fesni
continuait à insulter Jimmy avec bravoure et à essayer de se défaire de
cette situation. Finalement, après quelques instants, Jimmy l’a lâché, car il
n’arrivait pas à le terrasser et les deux combattants ont été séparés.
A ce moment-là, j’étais tout près des skins de Tolbiac. Je peux vous avouer
que j’étais anxieux, très anxieux. C’était évident, après Fesni c’était mon
tour. Ils étaient là pour cela, donc c’était inévitable. Mais à l’intérieur de
moi, j’étais prêt. La mort plutôt que la traîtrise. Je me conditionnais à
l’intérieur. J’étais remonté à bloc. C’est alors qu’un skin des Halles s’est
avancé dans ma direction. J’étais un gosse de 15 ans et lui semblait bien
avoir la trentaine. Sur son front était tatoué « Fait en France » et au-dessus,
une croix à l’envers était visible. Ses bras étaient également tatoués et sa
tête aurait fait peur à n’importe quel passant. Je me rappelle encore de ses
paraboots bordeaux et de son bomber bleu.
26 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI

Il m’a dit : « T’es de Gambetta toi ? » Alors les skins de Tolbiac ont essayé
de le calmer en lui disant que je n’étais qu’un gamin, mais il ne voulait rien
savoir. « T’es de Gambetta, t’es un bouffon ! T’as pas le droit de porter un
bomber, donne-moi ton bomber, ou je t’éclate la tête ! »
Je n’étais pas à l’aise du tout, mais en même temps je n’avais pas d’autres
choix que de livrer bataille. Tiran discrètement m’a fait un signe de lui
placer un coup de boule. C’est vrai que j’étais parfois surnommé « coup de
boule d’enfer », car je m’amusais à ouvrir les portes de sortie en mettant des
coups de tête, ou bien occasionnellement lorsque j’étais ivre, il m’arrivait
de mettre des coups de tête dans des vitrines de magasin. J’essayais ainsi
d’être un skinhead, bête et méchant en un mot.
Un attroupement a commencé à se faire pour assister à la seconde bataille.
Alors que ce skinhead allait m’attraper, je lui ai mis un coup de tête. Son
nez a explosé et du sang a commencé à couler, puis je lui ai mis une série
de coups de poing. Finalement, la raya des Halles s’est dispersée incognito
comme s’ils n’avaient pas vu la scène, et on nous a séparés.
Ça paraît une histoire toute simple, un peu banale, mais je dois vous dire
qu’à cette époque, il y avait de sacrés voyous, tatoués de partout, avec des
looks et des langages, des personnages extravagants, vraiment intimidants.
Quand vous avez un tel comité d’accueil, je peux vous dire que vous avez
le cœur qui palpite à cent à l’heure, vous ne savez pas si vous allez en
ressortir vivant. Mais c’était comme une mission militaire, il fallait le faire.
Plutôt mourir que le déshonneur.
Finalement le concert s’est terminé et on est partis tous les trois, Bat, Fesni
et moi vers le métro. Je me rappelle à quel point on était contents. On
était aux anges car on avait assuré. On avait gagné officiellement notre
place dans les skins de Paris. Je pense que c’est à ce moment que j’ai
véritablement été accepté dans le noyau dur des skinheads de Paris. Ma
réputation a alors commencé à grandir jour après jour.

LES HOOLIGANS

A l’époque en 1983, la bande a commencé à aller au Parc des Princes,


supporter le Paris Saint-Germain et l’équipe de France de football. On
faisait simplement ce que nos confrères anglais faisaient, du hooliganisme.
Mais en France, c’était la première vague de vrais hooligans skinheads.
Les hooligans 27

On partait de Gambetta tous ensemble pour aller au Parc. Comme à


l’habitude, on chantait dans la rue et dans le métro en hurlant. On buvait
des bières. Au passage, on braquait quelques supporters pour avoir des
écharpes, des casquettes du PSG. Le plus souvent, des bagarres éclataient
dans le métro avec d’autres supporters adverses, et il était toujours un
peu chaud d’arriver au stade sans se faire interdire par la police. Arrivés
là-bas, de nombreux contrôles nous attendaient, car la police savait bien
pourquoi on venait. Puis, on montait dans la tribune de Boulogne.
A cette époque, il y avait déjà une semence de supporters pour le
hooliganisme, mais ce n’est qu’à ce moment que cela a explosé véritablement.
Aussi, il y en avait des CRS, prêts à nous gratter la tête. Ils voyaient le
nombre de voyous qui s’assemblaient. Lorsqu’on est arrivés au Parc, on a
commencé par dévisager les membres de la tribune de Boulogne, histoire
de faire voir à tous qu’on était de vrais skinheads. Puis bien sûr, il fallait
aussi le prouver. Alors on a cassé à l’extérieur des vitrines, des cars de
visiteurs et bien sûr des supporters adverses. Ce qui était aussi fréquent,
c’étaient les batailles avec les CRS qui protégeaient des pauvres gens venus
voir un match de football.
Je me rappelle encore de ce fameux France – Angleterre de 1984, où les
skins de Paris s’étaient rassemblés au Parc des Princes. A l’exception des
skins de Tolbiac et de quelques skins de Bonsergent, tous les skins des
Halles voulaient se rallier aux hooligans anglais. Mais les Anglais n’avaient
pas accepté, et après avoir reçu pas mal de coups, ils avaient alors été
contraints de se rallier à nous. Ça s’était arrangé à l’amiable dans la tribune
Boulogne avant le match.
Mais tout avait commencé à Gambetta pour nous. On s’était bien préparés,
car on savait qu’il nous fallait assurer face aux Anglais, car c’étaient les
modèles du hooliganisme mondial. De plus, les Français n’avaient pas
de réputation, il nous fallait battre ces Anglais pour avoir d’un coup une
réputation mondiale. Mais voilà, ils seraient des centaines, alors qu’on était
qu’une dizaine. Mais bon, on avait l’avantage de la surprise, car ils venaient
pour tout casser sans savoir vraiment qu’ils auraient en face du répondant.
On savait également que le Parc et ses alentours seraient gavés de CRS et
de flics en civil.
Je vois encore Fesni venir avec des bouquins dans ses manches pour parer
les matraques des CRS, les autres avec des fringues militaires bien solides
28 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI

et des armes, des écharpes pour les lacrymogènes… Le plan était de


commencer à traquer les Anglais dans le métro. On a donc débuté très tôt
dans l’après-midi. Ça allait être très chaud, une guerre à Paris. On était tous
remontés à bloc, comme des soldats qui allaient au front. On partait un
peu tous ensemble au casse-pipe. Il y avait avec nous des nouvelles recrues
comme Jabbha, des skins du Havre comme Régis et Eric, et quelques skins
du Parc des Princes comme Chômeur.
L’ambiance était lourde, et en même temps, par fierté, on ne le laissait pas
voir. On a donc pris le métro. D’ordinaire, on chantait à tue-tête, mais
là on a joué le plan commando, simplement on a voyagé discrètement
pour traquer de l’Anglais. On ressentait en nous une forte pression. Puis
à la station Strasbourg-Saint-Denis, la guerre du foot a commencé. Des
hooligans anglais étaient là sur le quai, ils nous ont tout de suite repérés.
Ils étaient bien une vingtaine, ils hurlaient contre nous. On est alors sortis
également en hurlant du wagon et on a couru vers eux, en brandissant
le glaive de la victoire. Tous les voyageurs avaient peur, leur visage était
transformé. On entendait « A mort les Anglais ! Skinhead ! Skinhead ! »
On aurait dit que la vie parisienne s’était arrêtée. Le premier choc a été
violent. Il arrivait de plus en plus d’Anglais de l’extérieur, on était à dix
contre un. Mais on avait tellement foi dans notre idéal skinhead qu’on
faisait front. Les Anglais étaient sidérés d’avoir en face une bande si petite
qui leur résistait.
C’est alors que Jabbha a sorti sa bombe lacrymogène et a mis un coup de
gaz sur le quai du métro. C’est à croire que les Anglais ne connaissaient
pas le gaz lacrymo, ils sont tous entrés dans le nuage de gaz. Ils sont alors
devenus hystériques. Le gaz les brûlait tellement que certains donnaient
des coups de tête dans le mur. C’est alors qu’on est rentrés dans une
bataille encore plus féroce. Qu’est-ce qu’ils ont pris ce jour-là ! Tout était
permis avant d’entrer dans le Parc : coups de couteaux…
Le plus incroyable dans tout cela, c’est que le métro était arrêté. Le
chauffeur était avec nous et nous attendait. Aussi, après quelques instants,
il y a eu trop d’Anglais, on a dû battre en retraite, on est alors remontés
dans le métro et le chauffeur est vite reparti. Cet épisode s’est reproduit
à plusieurs arrêts de métro. C’est comme si le chauffeur faisait partie de
notre bande et que la police n’avait plus d’existence. Il semblait que tout
Les hooligans 29

était permis ce jour-là. Les Anglais étaient fous. Ils étaient attaqués. Ils
avaient en face d’eux d’autres vrais hooligans. En fait, ça explosait de
partout, c’était une vraie guerre.
Lorsqu’on est arrivés au Parc, on avait déjà du sang sur nos vêtements
et les flics avaient déjà eu vent de tous les affrontements. C’était une
ambiance des plus tendus. Il y allait avoir la guerre. On ressentait même
qu’ils n’étaient pas à l’aise tous ces CRS. Au Parc, des hooligans anglais
avaient été placés en bas du kop de Boulogne. Les pauvres, on a cassé les
dossiers de siège en plastique lourds et épais et on leur a balancé en pleine
tête, puis on a commencé à descendre dans la fosse aux lions pour affronter
la horde anglaise. La police française était complètement dépassée par la
violence des combats. Puis, il y a eu quelques affrontements à la sortie du
match. Je me rappelle que ce jour-là, j’avais mis sur mes paraboots des fers
de combat retournés et entaillés. On a lynché à terre des hooligans anglais
et un de mes fers est resté coincé dans la tête de l’un d’eux...
Le lendemain, cela a fait les premières lignes de la presse. Les Français ont
découvert l’ampleur du désastre. Tous étaient sous le choc. Comment du
sport pouvait-il engendrer une telle violence et une telle haine ? La faute a
été remise principalement sur les crânes rasés français : les skinheads. Ils
avaient affronté les célèbres hooligans anglais. Dès lors, les supporters du
Paris-Saint-Germain avaient une réputation de fous, de débiles rasés, ivres
et ultra violents. Les hooligans français étaient reconnus et respectés par
leurs homologues anglais et également dans le monde entier.
Une anecdote m’a été racontée à ce sujet : le lendemain à Londres, la
nouvelle a éclaté et sur les écrans, aux infos, un ruban défilait sur les images
d’un hooligan anglais en sang : « Les hooligans anglais ont trouvé leurs
maîtres à Paris. » Il y avait ce jour-là dans un pub, une des bandes de skins
les plus réputées de Londres qui regardait les infos à la télé. En voyant
des images d’Anglais en sang et cette défaite, ils sont devenus comme
fous. Dans cette bande, il y avait un Français mais qui parlait anglais sans
accent français. Le pauvre, en voyant ces images, il a eu le malheur de faire
échapper de sa bouche une expression en français sans accent anglais. Ils
ont alors compris qu’il était français. Le résultat a été terrifiant, il a pris je
ne sais combien de coups de couteaux.
30 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI

LA NAISSANCE DES EVILS SKINS

Mon souvenir m’amène vers Chippie Dool, la sœur de Bougs que je voyais
dans les débuts des années 80, assise par terre dans le métro, avec son
pétard sur la tête, ses rangers, sa minijupe écossaise et ses bas résilles
déchirés, son perfecto tagué, sniffant de la colle à rustine. Tous les gens la
regardaient, c’était le trip punk provocateur : « No futur ».
Dans la bande de Gambetta, il y avait Fesni. Il portait ce surnom car
lorsqu’il était punk, il sniffait également de la colle à rustine dans un sac en
plastique. Cela faisait partie de la panoplie du punk à cette époque. Mais ce
surnom lui venait de ce qu’il mettait tellement de colle à rustine dans son
sac que personne, à part lui, ne pouvait l’utiliser pour se droguer.
C’était un type basané aux cheveux bruns. Sa famille était des réfugiés
politiques. Sa mère était une actrice et son père un danseur célèbre dans
son pays. Ils ne parlaient que très peu le français. Mais ils semblaient des
gens très cultivés, de la haute société et très gentils. Ils vivaient à Paris dans
un immeuble de luxe. Je me souviens particulièrement de cet immeuble,
car il était gardé. On aurait dit un hôtel cinq étoiles. Moi qui venais de
banlieue et qui vivais dans une cité délabrée, je me sentais bizarre quand je
rentrais dedans avec ce look de skin. Il y avait vraiment un gros décalage...
Fesni était grand, il avait toujours un bon look. Le genre de personnage
qui aurait tout fait pour être un skin célèbre. Il vivait toujours orienté
vers l’acquisition d’une réputation. Aussi, il était toujours impliqué dans
les bagarres et dans tous les plans les plus fous pour se faire voir. C’était
à cette époque une bombe d’agressivité. Il était très fier de lui. Il était
comme tout le monde, il cherchait à devenir quelqu’un.
A cette époque, Fesni chantait sur des airs connus de musique skin et
punk. Il commençait à composer des textes et on se marrait à les chanter
avec Nina et Tiphaine. Il avait comme cela interprété la chanson des
Four Skin « Evil » par exemple, mais également un titre des Cokney, et
de la Souris déglinguée. Bon, je dois dire qu’il chantait faux au début. On
l’accompagnait pour rire, mais tout de suite, il s’est mis à croire en lui et
dans son avenir de chanteur dans un groupe skinhead. Mais vous savez,
dans une bande, dès que vous vous prenez pour quelqu’un, tout le monde
se moque de vous. C’est un prétexte pour se fendre la poire. Ainsi, Jabbha
La naissance des Evils Skins 31

et Bat se moquaient beaucoup de Fesni. Ils s’embrouillaient parfois entre


eux à cause de cela.
J’avais dans le passé appris quelques accords de musique avec mon frère
que ses copains appelaient Dodol. Aussi, dès que Fesni a su que je jouais de
la guitare, il m’a pris la tête pour que je joue dans un groupe avec lui. Bon,
je ne savais pas faire grand-chose, et quand je jouais ça sonnait comme un
banjo. Mais j’ai commencé à créer des chansons et on a commencé à se
voir pour faire des plans.
Il avait commencé à faire un groupe avec des skins du Havre. Il y avait
entre autres : Régis, Yvon, Eric l’Antillais et Cornette le spychobilly de
la bande. Régis avait quelques notions de basse et Cornette connaissait
quelques plans à la batterie, alors on a décidé ensemble de monter un
groupe. Au début, ça ne s’appelait pas « Evil Skins ». C’était en 1983.
Fesni avait un très grand esprit de création. Il voulait toujours inventer un
nouveau truc. Ce n’était pas le gars qui aimait suivre une voie déjà toute
tracée. Il fallait qu’il laisse sa marque. Aussi, il avait trouvé un logo pour le
groupe, mais bon, ce n’était pas trop notre truc. Ça ne faisait pas vraiment
skinhead, un skin avec des ailes de chauve-souris et une tête de mort en
train de danser le moon stomp. Il essayait également de créer cette danse
qui était un mélange de la danse des premiers skinheads reggae, avec celle
du pogo. Il l’appelait le « Evil-stomp-moonfia-crosis ». Je me rappelle qu’il
la dansait parfois dans les concerts.
A cette époque, j’ai composé dans le groupe pas mal de lignes de guitare
pour les morceaux comme : Bête et méchant, Marcel ne regrette rien,
Skinhead girls, Paris by night. Régis, lui, a trouvé la ligne de basse de
Docteur skinhead et mister oï. Fesni écrivait les paroles. On ne répétait
que très rarement, et lorsque cela arrivait, c’était vraiment une véritable
excursion. Faut dire que la bande se déplaçait avec nous. La plupart du
temps, on avait le droit au contrôle de police avant. Bah, on ne passait
pas inaperçus, même si on la jouait cool pour ne pas rater le plan répète.
Les skins commençaient à être tatoués de partout, dans le cou, sur la tête,
sur le corps et les bras, avec des look de guérilleros. Ceux qui n’avaient
pas d’instrument portaient les énormes packs de bière et un peu de
bouffe. On allait dans un studio à perpète, ça prenait une heure de train
de banlieue. De plus, on réservait le studio de répétition pour la nuit car
32 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI

c’était beaucoup moins cher. Le gars qui nous le louait n’était pas rassuré
et il tremblait.
Une fois dans le studio, ce n’était pas facile. Faut dire qu’on était beaucoup
plus des voyous que des musiciens. Alors, le mental peut vous faire croire
que faire un groupe c’est facile, mais une fois sur le terrain ! Mais bon,
c’était rock’n’roll : 1, 2, 3, 4, boum, paf, boum, paf, oï oï oï !!! On s’efforçait
donc de faire quelque chose, mais plus on consommait de la bière et plus
cela devenait inaudible. Mais, c’était la fête et finalement on était très fiers
de nous. On y croyait pas mal aussi, on saoulait des fois un peu trop les
autres avec cela.

UNE VIE DE GALÈRE

Notre vie n’était pas luxueuse. On n’avait pas d’argent. Le seul qu’on
pouvait avoir ne venait que des pauvres personnes qu’on dépouillait ou
d’autres petites magouilles. Pour manger et boire, on braquait parfois
des plateaux dans des fast-foods ou encore on volait de la nourriture à
l’arracher dans des magasins. L’été, la journée, on traînait en haut de la
sortie du métro, l’hiver dans le métro au chaud. Le soir, on allait à des
concerts ou encore on partait en galère pour trouver des plans fêtes.
Il y a beaucoup d’histoires de galères, puisque la vie d’un skinhead à cette
époque était une vie de galères. Je vais simplement en relater quelques-
unes pour ne pas alourdir le livre, mais en même temps pour que vous
puissiez saisir l’esprit de bande de cette époque bien particulière.
Je me souviens d’un soir où j’étais parti avec Fesni, Bat, Renaud, Gilles
de Bonsergent et Régis à un concert en banlieue de Paris. Bon, déjà faut
comprendre qu’on avait comme habitude de ne pas vouloir payer l’entrée.
C’était donc déjà la galère d’assurer pour les videurs. Puis une fois entrés,
on mettait en garde par des regards et des allures de vainqueurs les gens qui
étaient présents dans la salle de concert. Cela voulait dire en un mot : « Y a
un problème ? » « Si oui, on est là pour vous faire une grosse tête ! » C’était
un peu osé à quatre contre toute une salle de concert, mais c’était l’esprit
de l’époque. Puis, dès que le concert commençait, on dansait comme des
fous. C’était une baston en danse, et dès qu’une personne qui n’était pas
de chez nous venait s’y infiltrer, boum : coups de tête, coups de pieds dans
Une vie de galère 33

la tête... C’était vraiment chaud, la norme de l’époque. Tous les concerts se


passaient plus ou moins comme cela, avant qu’on ne soit interdits partout.
Ce soir-là, il y a eu une bataille rangée entre nous et pas mal de mecs. Fesni a
même pris un coup de couteau dans le nez. Puis, pour prouver notre force,
on a été sur la scène. On a viré le groupe qui jouait, on a réquisitionné
leurs instruments de musique et on a joué. Sur la scène, on a continué à
insulter et mettre tout le monde à l’amende. Du sang s’écoulait du nez de
Fesni. Après une demi-heure de concert, la sécurité, des gros bras, a voulu
intervenir et couper la sono, rebataille dans la salle. Je me rappelle qu’ils
avaient pris refuge derrière le bar avec leurs battes de baseball. Puis, ça
s’est calmé.
Cet esprit de galère nous obligeait à voyager de façon illégale pour nous
rendre à des concerts dans d’autres villes. On se cachait dans les placards
des trains corail réservés à la restauration. Pas évident de rester des heures
sans bouger, avec des contrôleurs qui parfois nous cherchaient partout.
Mais la plupart du temps ça marchait, sauf quand on ne voyait pas le train
partir et que la police arrivait pour nous déloger. Y en a eu des amendes,
et ça chiffrait pas mal suivant les minutes de retard que prenait le train à
cause de nous.
De cette vie de galère, des choses étranges survenaient également : la
croyance de Fesni par exemple sur la Force. Il disait toujours : « Que la
Force soit avec toi ». En fait, inconsciemment, il parlait de Dieu. Il priait
et invoquait une Force en marchant et en mettant ses mains sur ses yeux.
Dans la bande, il y en avait qui se moquaient de lui, même qu’ils disaient
qu’il devenait fou, comme Bat, mais d’autres le prenaient au sérieux,
comme Régis. En effet, ils avaient eu ensemble de drôles d’expériences,
une preuve tangible de Son existence, aussi ils trippaient beaucoup avec
la Force. Ils L’invoquaient et tombaient sur des bons plans. Mais c’était
vraiment unique de voir des skinheads des années 80 faire comme cela
dans la rue, marcher avec les mains sur les yeux en train d’invoquer la Force.
Ces bons plans nous ramenaient à de sacrées galères parfois. Rien que
ce jour, où j’étais dans le métro avec Porky entre autre. On allait à un
soi-disant bon plan lorsqu’on est tombé sur une autre bande. Ça a frappé
sec. L’embrouille habituelle : « Y a un problème bouffon ? » Puis comme
d’habitude coups de tête, coups de marteau, de trique, ce qu’on avait sous
34 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI

la main suivant le nombre de personnes en face. Je dirais qu’on était plus


doués à se battre contre plusieurs, qu’en individuel pour certains, parce
que c’était souvent le cas à Paris. Bilan, le métro a sonné l’alarme, un gars
était par terre dans le coma, la tête en sang, et les flics ont commencé à
débarquer et à nous courser. On est finalement entrés dans le tunnel du
métro. Les policiers se sont arrêtés pour demander du renfort. On les
entendait au talkie-walkie pendant qu’on courait dans le tunnel de la rame
du métro parisien. Mais dans notre bêtise, on allait finalement se faire
coincer car ils allaient nous cueillir au bout du tunnel. Alors on a prié la
Force. Ben oui, on en avait bien besoin. Et qu’est-ce qu’on a vu devant
nous : une station désaffectée. On est allés sur ce vieux quai sale et on a
découvert la sortie. On y est allés et miracle, elle n’était pas fermée à clef.
On est donc sortis indemnes de cette histoire. Cela avait été encore chaud
cette fois-là. Y en a des centaines comme cela, je ne vais pas m’étaler,
vous avez saisi l’ambiance. Simplement, je dirais qu’on arpentait pas mal
également les rues de Paris la nuit quand le métro était fermé, et c’était
vraiment chaud pour les gars des bandes adverses qu’on rencontrait. Telle
était notre vie de galère.

LES SKINS DE SAINT-MICHEL EN 83

En Inde, on dit que l’on développe les qualités et les défauts de ceux
avec qui l’on s’associe. Aujourd’hui, je réalise à quel point ceci est vrai,
car intérieurement s’était opérée une véritable transformation de ma
conscience. Je n’avais plus un gramme de compassion, ni de tolérance.
J’étais simplement habité par la haine. Je n’avais que 16 ans mais je n’avais
plus peur de rien. Je marchais dans la rue en dévisageant tout le monde
d’un regard haineux. Quand une personne me regardait dans les yeux, je
m’arrêtais pour me battre. Les gens étaient souvent très impressionnés et
partaient ou bien une bagarre éclatait. C’était ça, à cette époque, la fierté
d’être un skinhead.
On était dans un tel film intérieurement que les gens pensaient qu’on était
des monstres prêts à tuer. Oui, on était si fiers d’être skinheads qu’on ne
voulait jamais perdre une bagarre. Il fallait coûte que coûte assurer, des
armes étaient alors nécessaires pour battre ceux qui étaient plus forts.
Les skins de Saint-Michel en 83 35

Même la nuit je rêvais de bagarres, c’était comme si la violence prenait à


chaque instant possession de moi, une pression intérieure m’habitait. J’étais
devenu comme un animal, j’étais toujours en alerte, dès que j’entendais
quelqu’un courir derrière moi, je me retournais et me mettais en position
de combat, prêt à répondre à une attaque. Lorsque je prenais le métro,
je me mettais souvent dans le fond, pour pouvoir guetter un éventuel
ennemi. Je vivais dans un autre monde. Je respirais, voyais, marchais dans
une autre conscience que les autres. J’étais un skinhead pas dans l’habit
seulement, mais dans toutes mes pensées et mes actions. Je voyais donc
des ennemis dans toutes les directions.
Une telle conscience m’a amené rapidement à devenir asocial. Les
professeurs du lycée avaient peur de moi, ils s’arrangeaient pour que je ne
vienne pas en cours, sans avoir d’avertissement, sans prévenir le directeur.
Mes parents n’étaient donc pas au courant, j’en profitais alors pour passer
tout mon temps avec la bande. Je rentrais de temps à autre chez mes
parents, peut-être lorsque j’étais trop sale. Ma mère avait très peur car très
souvent du sang tâchait mes vêtements. En fait, elle est presque devenue
dingue à cette époque. Elle passait parfois des nuits à divaguer, ou à me
chercher. Je me souviens, elle venait me voir et rencontrer la bande. Elle
prenait alors la tête à tout le monde. Elle n’avait peur de rien. Mais bien
que voyous, personne ne lui a jamais manqué de respect, à part moi. J’étais
vraiment cruel avec elle, aucun respect, ni aucun cœur.
Avec mon père, j’étais aussi comme cela. Le pauvre, une fois, j’ai été jugé
au tribunal pour une affaire d’agression, j’ai écopé de soixante mille francs
d’amende. Comme je n’avais pas d’argent et que mon père était jugé
responsable, car j’étais mineur, il a dû s’endetter, prendre un crédit pour
payer cette somme. Même pas de repentir, pas de merci envers mon père,
la seule chose que je lui ai dit c’est : « Démerde-toi, c’est ton problème ! »
Je traitais mes parents comme des ennemis, car ils voulaient que je change.
Mais j’étais tellement identifié à être un skinhead, à appartenir à un gang,
que je ne pouvais pas percevoir le bien qu’ils voulaient pour moi. Au
contraire, je percevais cela comme une entrave à ma liberté, à mon besoin
d’accroître mon identification à être un skinhead et à appartenir à un gang.
Ainsi, la bande était devenue tout pour moi. Elle avait remplacé même
ma famille. J’avais oublié tout autre lien avec ce monde. Comme si tout
36 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI

cela n’avait pas eu vraiment d’existence ou encore comme si cela était de


moindre importance. Je n’avais plus de refuge, plus d’amis, plus de parents,
plus aucun repère, à part le gang. Tout était devenu négatif, à part ma vie
de skinhead. Ceci m’a amené de plus en plus dans l’agressivité, car cette
vie en temps que skinhead était tellement imprégnée en moi que je la
vivais comme une foi. Aussi, comme en ce monde tout allait à l’encontre
de mes aspirations et de mes désirs, je me suis mis à le détester. Je haïssais
pratiquement tous les êtres à cette époque. On pourrait dire qu’un être
raciste ou nazi hait les personnes des autres races, mais moi c’était encore
pire, je haïssais tous les êtres. C’était comme si je devais aller toujours plus
loin, me haïr moi-même et rejeter tout ce qui était bon en moi. Je ne sais
pas pourquoi j’ai pu être comme cela. Certains parlent de manipulation à
travers un leader, mais moi, je me manipulais tout seul. Je cherchais à être
un vrai skinhead et comme j’étais petit, il fallait que je fasse beaucoup pour
être au niveau de ces voyous. J’ai donc été très loin dans ce délire de haïr
les êtres, jusqu’à m’habiller en nazi et à m’identifier avec cela. Quand j’ai
revu Tramber, vingt années après, il m’a avoué que je n’étais pas facile, une
boule de haine, toujours sous pression pour être toujours plus haineux,
pour être au même niveau que les grands. Il m’a dit : « Les grands te
mettaient pour cela toujours en avant. »
Mais on ne peut enlever complètement la bonté chez l’être. On peut
recouvrir le joyau qu’il y a en nous, mais on ne peut pas le détruire. Aussi,
cette culture de la haine me trahissait parfois. Je ressentais parfois un amour
si puissant venir me chercher. Je me rappelle de ce jour où j’étais dans le
métro. J’avais, comme souvent, pris quatre places pour moi tout seul, et
j’aimais provoquer les gens. Je dévisageais tout le monde, je m’appliquais
toujours à avoir une tête de fou, à avoir une démarche titanesque. De plus,
j’avais des tatouages nazis sur la poitrine et le crâne. Mais ce jour-là, j’ai
ressenti quelque chose de différent qui prenait le dessus sur ma haine et
qui m’emplissait d’amour. Je n’aimais pas ces moments, j’en avais peur,
car je n’avais plus de haine, plus de force, je ne valais plus rien. Je ne
détestais plus les gens. Aussi, je n’arrivais plus à me battre. Je dois vous
avouer qu’il y avait parfois ce combat intérieur en moi, au début de ma vie
de skinhead. Puis il s’est accru au fil du temps, mais nous en reparlerons
davantage ultérieurement.
Les skins de Saint-Michel en 83 37

C’est à cette période qu’on a changé de fief et qu’un ménage s’est fait dans
la bande. On a quitté Gambetta pour squatter le quartier Saint-Michel. Il
y avait une petite boutique de disques appelée « New Rose ». C’était la
boutique branchée de Paris, tous les branchés y passaient. On a commencé
à traîner devant avec Bat skin, Fesni et Porky. Puis d’autres skins nous ont
rejoints : les skins du Havre, les skins de Lagny, Vitriol, Tintin, Jabbha,
Pierrot et Mathieu, Pascal, Tiphaine, Nathalie, Valériane et Myriam. On
voyait parfois des gars de province comme le Chinois Atila et Bébé skin.
Des skins de Belgique également venaient nous rendre visite. En fait, il y
avait le noyau dur du gang et pleins de skins qui gravitaient autour, on avait
une réputation de fous.
Dans ce temps-là, il n’y avait aucune boutique qui vendait des Doc Martens
et d’autres vêtements skinheads. Il fallait vraiment assurer pour en porter.
Sans cela, vous vous retrouviez en slip dans la rue si vous rencontriez de
vrais skinheads. Alors, la boutique de New Rose est rapidement devenue
un endroit stratégique où les punks et simili skins se retrouvaient pieds et
torse nus, les poches allégées.
Je me rappelle qu’on avait mis au point des embuscades dans la rue du
New Rose pour que personne ne puisse nous échapper. Oh, c’étaient
des techniques simples. Cette rue reliait deux autres grandes rues, entre
autre le boulevard Saint-Michel. On se postait à chaque bout. Lorsque des
marginaux arrivaient, on ne les regardait pas, histoire qu’ils n’aient pas peur,
puis lorsqu’ils passaient la frontière, l’étau alors se resserrait. On essayait
toujours que la dépouille se passe sans casse, c’est-à-dire sans frapper, mais
malheureusement ce n’était pas toujours le cas. C’était l’époque qui voulait
cela. Il y a eu beaucoup de gars qui ont fini massacrés par terre.
Un peu plus haut sur la gauche, en remontant le boulevard Saint-Michel,
il y avait une petite salle de cinéma. A cette époque, le fameux film «
Orange Mécanique » de Stanley Kubrick était programmé. Ce film traite
d’un jeune délinquant appartenant à une bande appelée « Droogs ». Celui-
ci était passionné par la musique de Beethoven, mais également obsédé par
le sexe et l’ultra violence. Dans ce film, on voit cette bande errer dans la
ville enchaînant lynchages, viols et affrontements avec des bandes rivales.
Bien que d’autres films aient traité de ce sujet, ce qui particularise celui-
ci, c’est l’ambiance dans lequel ces méfaits sont orchestrés, cette façon
d’extraire de la jouissance par le biais de faire souffrir les autres.
38 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI

Lorsqu’on a vu ce film, ça a été un véritable déclencheur dans l’escalade de


la violence. Je me rappelle ces pauvres gens qu’on frappait par la suite avec
une telle barbarie. On sautait à pieds joints sur leur tête jusqu’à ce qu’ils ne
bougent plus. On allait même jusqu’à trouver des variantes de ce principe
de lynchage, en coinçant la tête d’un membre d’une bande rivale sur le
capot d’une voiture, et on sautait du toit de cette voiture à pieds joints sur
sa tête, à tour de rôle.
Une fois, moi et B…, on est arrivés à s’introduire chez un rival. On s’est
caché. On l’a attendu alors sagement dans son appartement et lorsqu’il
est arrivé, on est apparus comme dans ce film pour le terroriser avant
de le frapper sadiquement : « Coucou, c’est nous ! Alors c’est sympa de
nous inviter ! » Tout cela avec un humour macabre. Une telle violence
s’était déclenchée en nous juste par l’association avec ce film. On tapait
des gens juste pour s’amuser avec une violence sans précédent. Ceci était
extrême et anormal pour des jeunes. Notre sensibilité à la souffrance
avait complètement disparu. Le visionnage de tels films peut avoir
des répercussions très négatives pour ceux qui sont attirés par cette
ultra violence.
Mais on doit également comprendre qu’à cette époque, il n’y avait pas
de police aussi organisée que maintenant. On avait le temps de faire ces
choses et puis de partir en courant sans jamais vraiment être inquiétés par
la police, c’est différent aujourd’hui. Il n’y a aucune bande qui pourrait
refaire ce qu’on a fait à Paris à cette époque. Ce n’est plus possible. Bien
sûr, il y avait tout de même des policiers qui tous les jours contrôlaient nos
papiers et nous fouillaient, certains d’entre nous ont même été condamnés
à la prison ferme. On était également fichés, mais ça, c’était la routine de
la vie d’un skinhead.
Il est facile de comprendre que la violence dans le quartier était devenue
telle que le commissaire de police nous a fait cueillir un après-midi par une
meute de policiers. Y en avait partout. Ils n’y ont pas été de main morte.
Une fois dans le panier à salade, ils nous ont emmenés au commissariat.
C’était comme dans les films : gyrophare, sirène avec motards, comme
pour un convoi exceptionnel. Puis on a été débarqués et accompagnés par
des policiers bien armés dans un bureau spécial. Il y avait dans cette pièce,
un haut gradé qui était responsable de l’arrondissement. Mais ce qui était
Les skins de Saint-Michel en 83 39

drôle, c’est qu’il était très petit, on aurait dit qu’il ne touchait pas le sol avec
ses pieds. En voyant cela, on a eu envie de se marrer avec Jabbha, mais on
s’est retenus avec du mal. On n’avait vraiment peur de rien.
Il a alors demandé à ses gardiens de nous laisser seuls, et là, il a été très
clair : « J’ai pas mal de charge contre vous. Je pourrais facilement vous
mettre au placard pour un bon bout de temps. Mais j’ai envie de vous faire
une fleur, à la condition que je ne vous voie plus une seule fois dans mon
arrondissement. Ai-je été clair ? Par contre, si on vous y revoit …! »
J’étais tellement à l’aise dans mon rôle de skinhead et tellement habitué
à jouer avec la police que le danger n’avait pas de sens, qu’il n’était plus
véritablement une valeur. Parfois, la police venait me cueillir chez mes
parents à six heures du matin pour un interrogatoire sur une histoire de
meurtre dans laquelle la bande était mouillée. Pendant ces interrogatoires
interminables, ils m’envoyaient leur fameux presse-purée pour essayer de
m’intimider, mais ça me faisait marrer. Presque tous les jours, j’étais fouillé
par la police en pleine rue et contrôlé, comme sous surveillance. Combien
de gardes à vue au commissariat ai-je faites ? C’est vrai la Providence a
voulu que je ne fasse pas de prison pour payer tous mes méfaits. Mais
si j’avais dû être jugé, il aurait fallu plusieurs vies d’incarcération pour
m’acquitter de cela.
Une histoire sanglante illustre ma seule condamnation. Un jour, je suis allé
au café rue d’Assas, une personne m’a dévisagé et s’est retournée pour me
regarder. Je l’ai frappée sans aucune compassion, avec une haine terrible.
Elle est tombée par terre et j’ai commencé à lui mettre des coups de pieds
en pleine tête. J’étais complètement fou, au point d’essayer de rentrer sa
tête à coups de pied entre le trottoir et la roue d’une voiture. Je l’ai en fin
de compte laissée inconsciente par terre et je suis allé jouer au flipper au
bar situé juste cinq mètres à côté. La police est venue me chercher dix
minutes plus tard. J’avais 16 ans. J’ai été jugé pour cela…
Si nous tentons d’analyser les faits, nous voyons qu’il y a une grave
distorsion entre la réalité et le mental d’une personne conditionnée à
l’ultra violence. Dans cette spirale, il n’y a plus de repères, de règles, de
cadres, de normes, d’autorité, de lois, de police… On s’habitue à des
choses tellement horribles qu’on n’a même plus peur d’être arrêté. Pour
celui qui vit dans cet état-là, le pire devient la normalité.
40 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI

Vous n’avez plus de sensibilité. Votre plaisir est de faire souffrir les autres.
Vous ne pouvez même plus changer, vous ne pouvez pas imaginer le
changement. Au contraire, vous pensez que c’est la voie du bonheur,
vous êtes certain que plus vous irez dans ce sens et plus vous serez
heureux. Vous ne vivez que par la violence. Elle est votre seul repère. A ce
niveau d’existence de vie, votre joie dépend du malheur des autres. Vous
développez alors une telle fixité dans cet idéal que vous pouvez devenir
une personne qui attire d’autres dans ce chemin. J’étais devenu ainsi.
Je vais vous faire part d’une discussion que j’ai eue avec un ancien skinhead
que j’ai formé à l’époque. J’ai repris contact avec lui pour essayer d’avoir
d’anciennes photos. J’ai téléphoné et je suis tombé sur sa femme.
Je lui ai dit : « Bonjour, vous êtes la femme de … ? Est-ce que je pourrais
lui parler, je suis un ancien ami. » Elle lui a dit : « Tiens, c’est pour toi. C’est
un ancien copain. »
Alors l’ambiance est devenue lourde, très lourde. Il a pris l’appareil :
« Allo !
– Salut, c’est William ! Tu te rappelles de moi ?
– Comment tu m’as retrouvé ? (d’un ton glacial) »
Je lui ai expliqué que j’étais devenu moine et que je le contactais car j’étais
en train d’écrire sur mon passé, afin de répandre la non-violence.
« Ça me fait plaisir mec que tu t’en sois sorti. Moi, il m’a fallu dix ans pour
redevenir normal. J’avais des montées constantes de violence. Je devenais
dingue. Pour un rien, je sortais de ma voiture et je mettais un mec sur le
capot prêt à le frapper…. »
J’ai ressenti combien il souffrait encore du traumatisme que cause la
violence et combien c’était ma faute. Du plus profond de moi-même, je
lui ai alors demandé de me pardonner de l’avoir entraîné dans ce chemin.
Il s’est alors mis à pleurer. Si vous saviez comme c’est dur de voir des
personnes dans un tel état. Il m’a avoué que même sans le vouloir, les gens
ont peur de sa démarche, de son regard … Parce que son être entier a été
imbibé de l’ultra violence skinhead, le passé est pour lui maintenant une
vision de cauchemar.
De temps en temps, je revois d’anciens gars du gang. Ils ont parfois besoin
de me voir ou encore il m’arrive d’en croiser. C’est vrai, ils ont pour la plupart
ces mêmes symptômes. Ils n’arrivent pas à se réinsérer dans la société. Ils
Rue d’Assas 41

vivent hantés par leur passé. Certains fuient ces souvenirs horribles et vont
même jusqu’à raconter l’inverse en essayant de dédramatiser les choses.
D’autres, au contraire, fabulent et se montrent aujourd’hui comme les
skinheads les plus puissants du passé ou comme d’anciens chefs de bande,
alors qu’ils n’étaient pas plus importants que les autres.

RUE D’ASSAS

Bon, c’était un peu dur de laisser ce quartier de Paris, mais à chaque fois
c’était comme cela, la violence engendrait une opposition proportionnelle.
C’est quelque chose de logique. Dans cet entretien avec le commissaire, il
nous avait dit qu’on pouvait aller dans n’importe quel autre arrondissement
de Paris, mais pas dans le sien. Sans cela, il allait vraiment se fâcher. Et
même si l’on n’avait pas l’habitude d’écouter la police, ça ne nous branchait
pas d’aller faire un petit séjour en prison, voire même un gros. Alors on a
décidé d’aller traîner de l’autre côté du jardin du Luxembourg qui donne
sur la rue d’Assas, un autre arrondissement de Paris.
Moi ça ne me dépaysait pas trop, car j’avais commencé ma vie de skinhead
ici. Puis du coup, la bande s’est encore agrandie, car Tiran s’est joint à
nous. Il y avait également Nono, Brochet, Bruno de Tolbiac, et les skins du
Havre qui squattaient également avec nous. C’était une sacrée bande dans
ces années 1984-85. Personne n’osait s’opposer à nous. On était le gang le
plus puissant de Paris.
La seule bande qu’on a vue débarquer rue d’Assas pour venir s’affronter à
nous, c’était une autre bande de skins. Ce jour-là, il y avait Tiran, Brochet,
Pascal, Tintin, Bruno de Tolbiac et moi. On était au café Le Lufac en
train de boire un coup quand on a vu arriver des skins avec des battes de
baseball. Ils étaient une dizaine et ils se sont arrêtés devant le bar. Y’avait
pas photo, ils étaient bien là pour nous. Alors on s’est marrés et on est
sortis par l’autre côté du bistro. On s’est retrouvés face à face dans la rue.
Les voitures commençaient à klaxonner, mais on s’en foutait. L’ambiance
n’était pas à la circulation. Tiran a alors montré quelque chose dans une
direction en disant : « hé !!! ». Il a alors chopé une batte de baseball des
mains des skins opposés. Au même moment, je me suis approché d’un des
skins et je lui ai mis un coup de tête, son nez a littéralement explosé, et il
42 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI

est tombé par terre. Alors, une bagarre violente a éclaté. Même s’ils étaient
armés, ça n’a pas duré longtemps. Ils ont dû battre en retraite à cause de
cette forte opposition.
Le quartier Assas est connu pour sa vocation à former la génération
d’extrême droite. Aussi, graduellement des responsables de partis
politiques ont commencé à se rapprocher de nous. Mais à vrai dire, il y
avait un tel décalage avec eux que ça ne collait pas du tout. Ils nous avaient
quand même informé des manifs étudiantes et la possibilité pour nous de
mettre le désordre. C’est donc à ce moment qu’on a participé à des manifs
étudiantes dans le quartier latin. En bande, on provoquait les CRS. C’était
vraiment violent. Je me rappelle qu’un gars de la bande avait même viré un
chauffeur de son bus pour foncer avec sur le barrage de police. Bref, les
CRS nous cherchaient. On était vraiment dans leur collimateur. C’était la
petite guérilla urbaine. Alors, un après-midi, ils nous ont tendu un piège.
Ils nous ont obligés à prendre une rue. Ils étaient au moins quarante à nous
poursuivre. On s’est retrouvés coincés dans une voie sans issue. Qu’est-ce
qu’on a pris. Je me rappelle, ils me lattaient à coups de rangers dans la tête
et à coups de matraque. Bonjour, le langage et les gros mots. On aurait dit
une bande de voyous venus nous lyncher. Faut dire qu’on les avait pas mal
brutalisés, et là, c’était de la pure vengeance. J’ai quand même réussi à me
dégager. Pendant au moins deux semaines, mon corps était plus ou moins
déformé et peu utilisable. Je pense que c’est la plus grosse raclée que j’ai
prise pendant toute cette période de ma vie.
C’est à cette époque, qu’un homme d’une cinquantaine d’années, professeur
de boxe et interlocuteur politique nous a rencontrés au café Le Lufac. On
n’était pas vraiment intelligents. Je pense que vous l’aviez déjà compris.
On cultivait plutôt la bêtise et la méchanceté. Un peu comme des gens
qui aiment être sans cerveau, proches des pitbulls qui font des grimaces
et qui sont prêts à mordre chaque passant. Tel était en gros le niveau de
la bande. Tout cela arrosé de bière ce qui n’arrangeait rien. Bref, difficile
pour des gars comme nous à cette époque de réfléchir, que dire de changer,
et chacun s’entraînait dans ce lavage de cerveau.
De plus, on était relativement influençables. Et même si on était une
bande de potes, il a réussi par ruse à nous manipuler. C’est vrai, finalement,
c’est tellement facile de manipuler des voyous. On se sent tellement
Rue d’Assas 43

invincibles qu’on est comme des agneaux dans les mains du loup. Aussi,
il a commencé par nous prendre la tête sur notre façon de vivre : notre
idéal de provocation. Il nous a dit que nous devrions mieux comprendre
comment arriver à être vraiment puissants et purs.
En quelques jours, c’était la confusion la plus totale. On était pris à notre
propre piège. Pour ne pas être pris pour des idiots, on acceptait de plus
en plus tous ses arguments, mais finalement on s’est fait complètement
berner. Tout ceci était bien mis en scène et ça marchait. Même notre façon
de nous habiller et de vivre a changé à son contact. Il nous a démontré
qu’un bon patriote ne prenait pas de drogue, ni d’alcool, qu’il s’habillait
proprement, qu’on ne devait pas être vulgaires.
A la fin, il nous a mis les uns contre les autres, et on en est venus à rejeter
nos potes parce que soi-disant ils étaient juifs, arabes, iraniens… Je le
revois encore nous sortant cet article de journal concernant le jugement
de Bat et de sa remise en liberté parce qu’il était juif, et aussi des origines
de Fesni. Cet homme avait réussi à nous monter les uns contre les autres
pour mieux nous manipuler. Résultat Bat fut rejeté du groupe et d’autres
comme Fesni, Jabbha, Régis et Eric du Havre l’ont suivi. Il n’y a pas eu
d’affrontement car ceux qui étaient rejetés avaient en face d’eux de sacrés
skinheads. Le gang s’est alors scindé en deux groupes : l’un a pris le camp
du rock’n’roll et l’autre de « Révolte occident », mouvement de ce leader.
C’est dans ces eaux-là, que la bande du Luco est devenue plus raciste,
plus fasciste et que des fafs ont commencé à nous côtoyer. On était bêtes
et méchants et sans cerveau. Mais on ne pouvait pas le percevoir, alors
pour paraître intelligents on acceptait tout. Ça paraît idiot et difficile à
accepter, mais pourtant, pour moi, ça s’est réellement passé comme cela.
J’ai d’abord évolué dans la violence et la culture de la méchanceté et de la
bêtise, puis je suis passé au stade du rejet de la société pour en arriver à
détester tous les êtres.
A cette époque, je ne connaissais rien de la politique. Qu’est-ce qui
différenciait la gauche de la droite, l’extrême droite de l’extrême gauche,
je n’en savais rien. A vrai dire, cela ne m’intéressait pas. Je n’avais même
jamais lu de biographies d’Hitler, de Staline, de Mussolini et d’autres. Je
savais simplement comme tout le monde qu’Hitler avait massacré des gens
cruellement comme Staline et d’autres dictateurs, sans en connaître les
44 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI

détails. J’étais très peu cultivé. Je pense que j’aurais pu accepter n’importe
quelle idéologie et faire la même chose, si j’étais au départ (de cette
fascination pour les skinheads) tombé avec des skins communistes.
La vie est comme une boule de neige. On est embarqué avec des personnes
et on évolue avec le gang, et plus on évolue et plus certains font du zèle.
A la fin, on se retrouve avec des idées, des slogans fascistes, des drapeaux
nazis et on ne sait même pas ce que cela représente véritablement : la
destruction. C’est comme une compétition, c’est à celui qui sera le
plus provocateur dans une bande, complètement retranché du monde.
Aujourd’hui avec le recul, je peux comprendre cela et examiner les faits.
Il y a tellement de soi-disant skins nazis ou racistes qui sont aujourd’hui
mariés avec des étrangères ou qui sont convertis à l’islam, au judaïsme …
Ce leader politique était vraiment obscur, mais c’était un très bon
professeur de boxe. Il enseignait dans le club de L. Eh bien oui, on aimait
ça la bagarre, alors la boxe ça nous attirait vraiment. J’y allais avec Bruno
et Tiran de Tolbiac, il y avait également Gilles de Bonsergent, Brochet et
d’autres. Je me souviens que je m’entraînais durement et parfois pendant
plusieurs heures d’affilée, trois à cinq fois par semaine. J’avais abandonné
l’alcool et la drogue, et je m’étais remis à faire du footing. J’avais une telle
forme et une telle assurance en moi que je me croyais surpuissant.
Il y a environ un an, le réalisateur d’un documentaire sur ma vie a interviewé
des anciens gars du gang dont un qui venait de sortir de prison. Il avait
écopé de 20 années de prison pour meurtre. Ils ont parlé un peu de cette
époque où la bande était divisée en deux :
« On était avec F. et trois autres de la bande et ce soir-là on s’est battus
dans un bar avec une bande adverse d’une vingtaine de personnes. » « Tout
a volé dans le bar, à coups de bouteilles, de chaises, on a tapé sans pitié.
Finalement, le camp adverse a pris la fuite. On a fini par rattraper un gars
de la bande adverse. Il a alors sorti un couteau pour se défendre. F. lui a
dit : « Range ta lame ou on te tue ! » Le pauvre, l’erreur qu’il a commise : il a
donné sa lame. On l’a frappé et lorsqu’il est tombé au sol, j’ai sauté à pieds
joints sur sa tête pendant plusieurs minutes. On l’a tellement massacré que
quarante-cinq minutes plus tard, quand on est repassés dans le quartier,
pour voir si le gang adversaire était là, il était toujours inconscient dans
le caniveau… »
Rue d’Assas 45

« Ce même soir, l’autre partie du gang qui avait rejoint le club de boxe
devait assurer la sécurité lors d’un gala de boxe. L… devait jouer son titre
de champion d’Europe. Finalement, ils étaient chargés d’assurer la sécurité
autour du ring. Aucune personne ne devait monter dessus. Lorsque le
combat a touché à sa fin et que L. a perdu contre l’Anglais S., des Anglais
au sang chaud ont commencé à monter sur le ring afin de fêter cette
victoire. Les gars du gang sont alors intervenus. Il y avait Tiran, Bruno
de Tolbiac, Brochet, Gilles de Bonsergent et p’tit Willy. Dans un premier
temps, ils ont essayé de les calmer et ils leur ont demandé de descendre.
Mais l’ambiance a dégénéré. Il y avait un colosse chez les Anglais. D’un
réflexe naturel, Willy lui a placé en plein menton un ciseau, ce qui l’a mis
K.O. d’un seul coup, puis bien sûr les autres du gang ont également frappé
sévèrement. Bilan, les journalistes s’en sont donnés à cœur joie. Dans les
journaux, on pouvait voir qu’il y avait eu un second round après le combat
officiel. On les voyait en photo en train de frapper des Anglais sur le ring.
Bonjour, la réputation du club.»
« Partout où des membres du gang allaient, il fallait qu’ils laissent leur
signature avec le sang de leurs ennemis. Tel était le prix à payer pour les
opposants. » « Aucun gang rival ne nous a jamais mis de tête… On était
très puissants à cette époque, on avait rien à envier au plus grand gang
skinhead étranger, on était uniques, c’était véritablement une époque que
personne ne pourra jamais plus connaître car les temps et les gens ont
vraiment changé… »
Mais bien que ces histoires marquent le temps où le gang était scindé en
deux, ceux qui avaient pris le camp de « Révolte » en ont eu vite marre de
ce leader facho militariste qui nous empêchait de nous éclater. Finalement,
à part deux ou trois, la bande du Luco s’est de nouveau réunie.
Notre affichage en tant que fachos, pour les quatre-vingt-dix-huit pour
cent de la bande, était davantage une façon de défier le monde, de rejeter
le système. Aussi, être avec des vrais fachos, ça ne collait plus avec notre
identité. C’était comme si on s’était trompés d’ambiance. Il y avait trop
de différences. Eux, c’étaient des bourgeois et nous des enfants de la rue.
Aussi, on doit comprendre que le véritable idéal politique des skinheads
du Luco n’était qu’un fond d’écran. Finalement, ce n’était pas cet idéal
politique qui nous procurait du plaisir. Nous, ce qu’on aimait, c’étaient la
46 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI

bagarre, la musique et la fête. On était avant tout des skinheads, le reste ce


n’était pas important.
Lorsqu’il y a quelques années, j’ai revu Fesni pour discuter avec lui, son
discours a été on ne peut plus clair : « C’était juste de la provocation, pour
faire chier les gens. On était dans le rejet total de la société… »
Mais, ce qui est évident c’est que lorsque vous affichez ces idées négatives
comme le fascisme, vous avez tellement d’opposition que vous êtes obligés
de développer de la haine envers les opposants. Il n’y a pas de sortie dans
cette voie. A la fin, vous n’aimez personne, vous développez haine et
rancœur envers tous les êtres, sans raison. Vous n’aimez ni les gauchos,
ni les démagos, ni les fachos, ni les blancs, ni les noirs, ni les jaunes, ni les
verts, en quelques mots : tous y passent. Je me rappelle même qu’on était
en embrouille avec toutes les nouvelles bandes de skins qui sont devenues
véritablement politisées par la suite. On n’aimait vraiment personne et
personne ne nous aimait.

UN COUP DUR POUR LA BANDE

C’était un soir comme les autres, on avait planifié d’aller à un concert au


Cithéa, rue Oberkampf. Ce soir-là, je me rappelle que je me sentais mal
car j’étais amoureux d’une Bird (fille skinhead), mais elle ne voulait pas de
moi, car j’étais plus jeune qu’elle, alors dans ma frustration, je n’étais pas
allé avec la bande au concert. J’avais besoin de prendre un bol d’air. Bah,
j’étais plus doué à la bagarre qu’avec les femmes, et je pense que c’était
pour presque tout le monde un peu comme cela à cette époque.
J’étais donc rentré chez mes parents et le lendemain j’ai reçu un coup de
téléphone de Renaud. « Tu sais, il s’est passé quelque chose au Cithéa,
un gars a tiré sur nous, il a tué Turlute et a blessé Fesni ! » Ouah ! Le
test ! Quand j’ai appris cela, c’est comme si tout le jeu de cartes s’écroulait.
Alors, j’ai demandé à Renaud : « Mais comment ça s’est passé ? »
« Comme d’habitude, ça a tapé devant le bar, mais l’un des mecs, un punk,
avait un fusil et il a commencé à le sortir. La bande a alors couru vers
lui pour le lyncher. Il a eu peur et il a tiré une balle qui a atteint Turlute
en pleine tête, une autre a atteint Fesni. Puis il voulait également avoir
Bruno de Tolbiac qui esquivait les balles en se cachant derrière une voiture.
Un coup dur pour la bande 47

Le gars s’est alors approché de Fesni et il lui a mis le fusil sur la tempe,
comme pour le finir. Mais il ne l’a pas fait, il est parti en courant et la police
est venue...»
C’était une épreuve terrible pour la bande. Turlute était si jeune (seize ans),
il n’était pas vraiment un skinhead c’était un pote de Tiran et de Jabbha.
Quelques jours plus tard, Brochet, Tiran, Bruno de Tolbiac, Nono, Jabbha,
Pascal sont allés à son enterrement. Ce n’était pas la folle ambiance. Ils
voulaient tous arrêter d’être skinheads par respect pour la famille et pour
Turlute. D’autres pensaient qu’on avait été trop loin dans le délire. A partir
de ce moment, la bande du Luco s’est décimée en quelques semaines.
Fesni est resté pas mal de temps en réanimation, on a appris qu’il allait
s’en sortir, mais il ne serait pas indemne. La balle avait touché une partie
sensible qui pourrait probablement le laisser handicapé à vie, mais cela
n’était pas encore sûr. Je me rappelle être allé le voir à l’hôpital, et lorsque
je l’ai vu avec tous ces tuyaux, dans le coma, le choc a été terrible et des
larmes ont coulé de mes yeux. Moi qui n’avais plus aucune sensibilité, j’ai
senti mon cœur s’ouvrir à l’émotion de nouveau. C’était si dur de voir un
frère dans un tel état. Lorsque je suis sorti de l’hôpital je divaguais, j’étais
dans un état second. J’ai alors ressenti un véritable attachement pour lui
et un besoin de lui venir en aide. Il était mon frère, comment ne pas me
donner complètement à lui dans un tel moment ?
Puis, un peu plus tard, il est sorti du coma et il a été transféré dans un
centre spécialisé, pour qu’il puisse sortir rapidement de cette situation. Ce
centre n’était pas facile d’accès, une heure de train et dix kilomètres de
marche à pied si vous n’aviez pas d’argent pour le taxi. J’ai donc entrepris
de réunir les anciens et toujours membres de la bande pour lui rendre
visite, mais cette expédition a vite découragé les gars et dès la deuxième
fois, plus personne ne voulait venir avec moi. Je me rappelle avoir mal pris
la chose, mais bon, fallait s’y faire : dix kilomètres à pied. Je partais alors
tout seul, car dans mon cœur je voulais lui venir en aide.
Une fois arrivé là-bas, je trouvais Fesni toujours en forme et avec un bon
moral, mais cela faisait drôle de le voir maintenant en chaise roulante avec
des jambes si maigres. Il me disait qu’il allait vite récupérer ses jambes, en
tout cas c’est ce que lui avaient dit les docteurs. J’apportais toujours de
quoi faire un peu la fête, alors on allait dans un coin retiré pour boire un
48 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI

coup et fumer un joint. Je pense que je l’ai beaucoup aidé à cette époque.
Lui qui rêvait de gloire, il se retrouvait maintenant sur une chaise roulante.
Il ne faisait rien paraître mais je savais que cela était extrêmement dur
pour lui. Aussi, je sentais qu’il était très important que j’aille lui rendre
visite régulièrement, que je le soutienne. J’ai senti en cette période un fort
amour pour mon ami Fesni, une puissante amitié était en train de nous lier
plus étroitement.

TENTATIVE DE RÉINSERTION

A ce moment, aux alentours de 1985, j’étais souvent chez mes parents,


c’était un moment difficile dans ma vie. Je ne savais plus trop quoi faire.
Il n’y avait plus de bandes sur Paris. Bon, on se retrouvait quand même
à quelques-uns mais c’était devenu moins trippant qu’avant. Porky et
Régis étaient en prison et tant de potes avaient disparu de la circulation
comme : Tiran, Pascal, Tintin, Nono, Bruno de Tolbiac, les skins de Lagny
et du Havre…
On doit comprendre en cela qu’avant, vivre dans une bande de skinheads
était difficile, vu le degré de violence qui s’en dégageait. Les gars l’ont
vécu un temps puis ont décroché. C’est tout à fait normal. Ils cherchaient
maintenant à se faire oublier, à construire une autre vie. Plus une bande
était dure, moins elle durait dans le temps.
C’est après cet âge d’or que les skinheads des débuts 80 ont disparu à Paris.
Toutes les bandes avaient disparu de la rue et les nouveaux skins qu’on
rencontrait n’avaient pas la même stature que ceux de l’autre génération.
Ils n’avaient pas le même charisme, ni le même degré de violence en eux.
Ils n’avaient aucune expérience dans la guérilla urbaine. Bref, on aurait dit
de pâles imitations.
C’était une autre époque, un autre âge. Dû à l’arrêt des vrais gangs skinheads,
on commençait à voir dans la rue les gens ordinaires mettre des bombers,
des Doc Martens. La peur des skinheads semblait disparaître du cœur
des Parisiens. D’autres mouvances ou bandes adverses commençaient à
apparaître en réaction à la provocation que les skins avaient engendrée
dans le passé, cette provocation n’ayant pas été contrée à cause de la
violence des bandes de cette époque. Mais je dois vous avouer que même
Tentative de réinsertion 49

si on entendait des rumeurs de bandes adverses (chasseurs de skins), je n’ai


jamais été inquiété par elles alors que je parcourais Paris dans tous les sens.
Mes parents me mettaient la pression pour que je travaille, alors avec l’aide
d’une personne, j’ai eu un job. C’était une place de commis de bar, dans
le restaurant chez F place Alma Marceau, dans les quartiers chics de Paris.
Quand je me suis présenté, j’étais bien rasé et habillé clean. J’ai été accepté,
car je venais de la part de quelqu’un qui était un ami du directeur.
Ce n’était pas un travail évident, il fallait bosser comme un forçat et
pendant douze heures d’affilée. C’était comme un marathon, il fallait te
dépasser tous les jours. Mais j’avoue que j’aimais bien le travail du bar, les
cocktails, et j’étais doué. Alors, le chef barman, voyant mon enthousiasme,
m’a appris tout sur cet art. En très peu de temps, j’ai été apprécié comme
un bon barman. Je portais maintenant des costumes, mes cheveux avaient
un peu poussé et je prenais des poses de playboy.
En fait, je cachais tout de mon passé. Pour ne pas faire voir mes tatouages,
je mettais un sous-vêtement sous ma chemise. J’apprenais à parler
correctement, et suivant les endroits et les périodes où j’ai travaillé, j’ai
rencontré au bar des stars comme Depardieu, Adjani, Pierre Richard,
Sylvie Vartan, Johnny Hallyday, Régine et d’autres…
Même si je ne parlais pas de mon passé, il réapparaissait parfois. Je me
rappelle de ce jour où le second chef de cuisine m’a mal parlé. Je l’ai
attrapé par la veste, je l’ai sorti par-dessus le meuble de la cuisine et lui ai
mis un coup de tête dans le nez. Imaginez-vous dans de tels lieux classes
de la société !
Je prenais goût à changer, mais ce passé me rattrapait. Dans ces moments,
je lâchais tout de nouveau. La violence reprenait le contrôle de moi. C’était
comme si tout mon être se transformait. Mes yeux devenaient haineux. Je
me remettais à marcher comme un skinhead, à dévisager les gens dans la
rue, à devenir comme une bête sauvage.
Je ressentais alors un profond sentiment de séparation avec mon ancien
gang. Je me mettais alors à chercher mes anciens potes, comme un drogué
qui est en manque. J’allais partout où je pouvais les trouver. Je revoyais
tant de scènes du passé. Tant d’attachements ressurgissaient en moi. Je me
rappelais de tous ces moments si forts. Alors de nouveau, tout devenait
secondaire. Je revoyais en moi la vie du gang comme un idéal, comme la
50 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI

seule alternative à mon épanouissement. J’envoyais balader mes parents


et le monde entier. Cette chose sortait de moi, comme une force qui me
poussait à redevenir un skinhead.
Quand j’étais avec mes potes, j’étais alors apaisé. Je replongeais dans un
monde où toutes les valeurs étaient inversées. Cela me permettait de
comprendre, de trouver un sens à mon échec en ce monde. A travers
cette vie de gang, mon existence était véritable. Je n’arrivais pas à trouver
quelque chose de supérieur qui m’aurait permis de véritablement changer.
Ma transformation n’était qu’externe et au moindre problème que je
rencontrais, je retombais dans l’ultra violence.

BAGNOLET CITY

Il y avait dans le quinzième arrondissement, une boutique branchée qui


s’appelait le « L », tenue par Pat un ancien Mod. C’était la première boutique
de Paris qui vendait, entre autre, des fringues de skinhead. Régulièrement,
à cette époque, j’y traînais mes guêtres avec des skins comme Couscous
des Halles. Graduellement, ce lieu était devenu un rendez-vous où l’on
pouvait rencontrer des anciens. Pat s’arrachait les cheveux, car la présence
de personnes comme moi, faisait que les jeunes ne venaient pas dans sa
boutique de peur d’être tabassés ou braqués. Disons qu’il faisait son chiffre
d’affaires de bonne heure le matin, après la clientèle se faisait rare.
J’y emmenais Fesni qui se déplaçait maintenant en fauteuil roulant. Son
père avait déménagé, à cause de problèmes financiers, dans une cité dortoir
dans le vingtième arrondissement de Paris. C’était vraiment près de chez
mes parents, à dix minutes à pied. Moi qui avais toujours connu Fesni avec
son un mètre quatre-vingt-dix, il fallait que je m’habitue. Mais il n’a pas
fallu longtemps pour qu’on reparte en galère. Il avait vite dépassé le fait
qu’il n’ait plus de jambes. Il avait toujours du charisme et bien plus que
tous ces nouveaux skinheads qui désiraient nous fréquenter. Et malgré ce
qui s’était passé, il restait toujours Fesni. La différence c’est qu’il fallait que
je le prenne sur mon dos pour monter des étages ou que je pousse son
fauteuil quand il était trop saoul.
C’est dans cette période que j’ai sympathisé avec un gars de ma cité à
Bagnolet. Il s’appelait Phil. Bon, ce n’était pas le mec qui avait inventé le
Bagnolet city 51

fil à couper le beurre. C’était un fan de Johnny Hallyday, bien beauf. Mais
j’ai senti qu’il était attiré par ce qui se dégageait de mon look skinhead. Il
était dans une mauvaise période de sa vie, sa mère lui avait caché la mort
de son père. Il avait lui aussi besoin d’expérimenter quelque chose de fort
pour oublier les misères de l’existence et trouver un sens à sa vie.
J’ai finalement sympathisé avec lui et je l’ai amené un jour avec moi voir
des amis skinheads. Tout le monde l’aimait bien, malgré son degré de
bêtise qui parfois était vraiment risible. On l’avait surnommé pour cela
Tebi. Cela signifiait quelque part qu’il n’avait vraiment rien dans le caillou
(le cerveau). C’était un peu celui qui faisait toujours rigoler tout le monde.
Graduellement, il a pris le look d’un skinhead et il a commencé à changer de
mentalité. Et puisqu’on habitait dans le même immeuble, on a commencé
à traîner ensemble et je lui ai appris alors l’art de la vie d’un voyou. Son
caractère a manifesté peu à peu de la haine et un goût pour la bagarre, la
bière et la provocation. Plus tard, son nom a été changé en Tobi, c’était
plus respectable.
Un soir, je suis allé avec Fesni et Régis (qui venait de sortir de tôle) squatter
l’appartement de mes parents qui n’étaient pas là et lorsqu’on est rentré
sous le porche de l’immeuble, il y avait quelques gars de la cité d’à côté.
Il s’agissait entre autre d’une espèce de chef de bande charismatique, très
fier et qui se prenait pour un mec invincible. C’est souvent le cas avec ces
gars de cité qui se croient des surhommes après qu’ils aient regardé des
films de bandes. On voit aujourd’hui les rues et Internet infestés de ces
personnes qui se créent des personnages et qui fabulent sur elles-mêmes,
bien qu’elles n’aient jamais vraiment rien fait.
Lorsqu’on est passés à côté d’eux, il a fait une remarque sur les paraboots
montantes de Fesni et de Régis : comme quoi, ils se seraient bien mesurés
à nous s’ils n’avaient pas eu ce genre de chaussures. Mais par contre, il a
remarqué que j’étais en baskets et que ça le brancherait bien de se mesurer
à moi. Tout ceci m’embêtait, car j’étais dans l’immeuble où habitaient mes
vieux. Alors, j’ai préféré laisser traîner l’histoire.
Deux jours plus tard, je me suis levé assez tôt et je suis descendu squatter
le hall de l’immeuble. Je n’ai pas tardé à voir ce gars. Je pense que j’avais
dû lui rester dans le mental, alors il me cherchait. Il a commencé à me
provoquer. Je me suis mis à courir vers lui pour lui défoncer la tête, mais il
52 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI

s’est enfui. Une telle vaillance pour un chef de bande ! Bien sûr, j’ai essayé
de le rattraper, mais en courant, il m’a déchargé le contenu d’une bombe
lacrymogène très forte qui m’a paralysé. J’ai donc dû m’arrêter. Ce gaz m’a
coupé la respiration, m’a brûlé les yeux et il en a profité pour me mettre
un coup dans le visage qui m’a fait basculer par terre. Je me suis relevé
rapidement, mais il est parti.
Bien sûr, les gens de la cité étaient aux fenêtres et regardaient le spectacle.
J’ai senti au fond de moi une grande colère m’emporter, car j’étais en
quelque sorte humilié. Tobi est venu me voir, sachant ce qui s’était
passé. La guerre était en quelque sorte déclarée. Il m’a proposé d’aller le
retrouver. On savait que toute sa bande traînait dans la galerie marchande
du supermarché. Mais en même temps à deux contre toute une cité, pas
évident. Je savais que si je le touchais, ça viendrait de tous les côtés, les
maghrébins sont comme cela : très unis dans ce genre de conflit, surtout
contre des skinheads.
Il fallait donc prendre une décision : direction le bistrot. Une fois entrés,
Tobi a dit au barman : « dix demis, s’il vous plaît ! » Le gars était un
peu étonné on n’était que deux. Hé hop, cinq demis chacun en deux
minutes, il a payé et direction la galerie marchande. Une fois dans la galerie
marchande, il n’y avait qu’un gars de la bande mais pas le chef. Bien sûr, la
nouvelle qu’on était venus s’est propagée rapidement. Le lendemain, on
est retournés là-bas mais pour faire des courses.
On était à peine entrés dans l’hypermarché qu’on s’est retrouvés face à
face avec le chef et un gars de sa bande qui faisait un bon cent vingt kilos.
Tobi s’est enflammé et a commencé un duel avec lui, en plein hypermarché.
Ce gars a pris un hachoir à viande pour se battre avec Tobi et celui-ci a
répliqué avec un autre ustensile. Tobi a hurlé : « Sale c..., je vais te tuer !!! »
L’autre également criait, les gens étaient complètement paniqués. Ils ont
appelé les agents de la sécurité, mais eux aussi flippaient. Ils ont évacué
les gens pour qu’il n’y ait pas de blessés. C’était une ambiance très spéciale.
Alors, j’ai commencé à dire à l’autre balaise : « Tiens si je prenais ça ! » Il
m’a regardé sans comprendre. En fait, je cherchais une arme pour me faire
le chef, car Tobi n’arrivait pas à finaliser. C’est normal, il avait un hachoir.
La bagarre avait évolué au rayon outillage. J’ai pris un gros serre-joint et
j’ai éclaté la tête du chef avec. Il avait du sang partout et ils ont réussi tant
Le fief des Evils en 85 53

bien que mal à prendre refuge dans le service de sécurité du magasin. On


est alors partis en courant, car les flics allaient certainement débarquer.
Bilan, le lendemain on a été convoqués à la gendarmerie. Mais ce qui était
étonnant c’est que les gendarmes n’étaient pas vraiment fâchés contre
nous. « Pour une fois que ce gars avait pris une dérouillée. » nous ont-
ils dit. « On le connaît bien. » Les torts n’étaient pas complètement à
notre charge, puisque ce gars avait commencé le premier et qu’il était armé.
L’affaire finalement s’est tassée. L’hypermarché n’a pas porté plainte. Mais
mes parents avaient peur. Ils connaissaient bien les maghrébins et leur
esprit de revanche. Alors, j’ai appelé du renfort. J’ai été voir Bat le soir
pour qu’il m’aide. On est allés faire une petite reconnaissance dans la cité
et on est tombés sur lui. J’ai alors sorti une matraque pour me le faire et
il a pris refuge dans un bar. C’est alors que le patron du bar, Pierrot, un
vieux que je connaissais depuis que j’étais gamin est sorti pour me prendre
la tête. J’ai dû lâcher l’affaire et m’en aller.
Le soir, sa bande a mis le feu à la porte du logement de mes parents,
elle a cassé toutes les boîtes à lettres et a mis également le feu dans le
hall de l’immeuble, en marquant des menaces de mort. C’était devenu
vraiment chaud. Mon père pensait qu’ils allaient se faire égorger, alors il
m’a demandé de quitter le foyer immédiatement.

LE FIEF DES EVILS EN 85

On s’est alors retrouvés Tobi et moi à la rue du jour au lendemain.


Heureusement, Tobi avait un frère sympa qui s’appelait P. Il avait un
duplex à Bastille, boulevard Bourdon qu’il n’occupait pas à ce moment-là
car il vivait chez sa copine. Sachant son frère dans la galère, il lui a proposé
de le lui prêter. Bien sûr, dans un premier temps, Tobi ne lui a pas parlé
de me loger. Technique purement duelle, car il savait bien que le but était
d’occuper les lieux à plusieurs. Tobi a emménagé et moi aussi d’une façon
discrète. Mais évidemment, quelque temps après, quand le frère est entré
avec ses clefs pour voir l’état des lieux et qu’il m’a découvert, je ne peux
pas dire qu’il était joyeux. C’était un choc pour lui. Il a vraiment eu peur.
J’avais à cette époque une sacrée dégaine. J’avais le crâne rasé à blanc et
je m’étais fait tatouer sur le côté du crâne une grosse rune d’Odal bien
54 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI

rouge, le truc bien nazi qui se voit à cent mètres. J’avais des paraboots 14
trous montantes noires, un treillis militaire noir, une chemise noire, des
bretelles rouges, un bomber noir avec des insignes racistes et fascistes.
C’est bien simple avec un look comme celui-ci, c’est la mise à mort assurée
dans chaque rue de Paris. Mais moi dans ma débilité, je voyageais partout
comme cela et ma haine montait encore plus. Personne ne m’arrêtait, je
ne sais pas pourquoi. C’est comme si je faisais ma loi partout, comme
dans le vieux temps, en dévisageant tout le monde et me battant avec les
quelques opposants.
Imaginez le flash pour le frère de Tobi ! Bonjour le cadeau ! C’est comme
s’il avait vu Satan personnifié. Mais c’était difficile comme pour beaucoup
de rencontrer un énergumène comme moi. Alors dès cet instant, on peut
dire qu’il n’avait plus la possession du lieu. Il a bien essayé de convaincre
son frère dans un lieu retiré, mais Tobi lui a dit : « Quoi ? Tu voudrais que
je vire mon pote ? »
Graduellement, les membres des Evil Skins se sont incrustés dans
l’appartement. C’était devenu le fief des Evil Skins. Il y avait Fesni,
Tramber, Tobi, Moi, Guerrier urbain, Vitriol, Valérie la Cambodgienne,
Nathalie la métisse, Anne du Havre, d’autres passaient également comme
Jabbha, Pascale, Renaud, Luke...
Graduellement, on s’est organisés comme une communauté. Finie la
galère skinhead dans la rue marquant le début des années 80, maintenant
on expérimentait une autre alternative. On se débrouillait comme on
pouvait pour avoir un peu d’argent. Seul Tobi travaillait. Il avait réussi son
concours d’entrée à la RATP. Je dois dire que c’est quand même grâce à sa
paie qu’on arrivait à se maintenir.
Tobi avait un très bon cœur. Il était le genre de gars assez carré dans
ses démarches, voire militaire dans l’esprit d’organisation. C’est lui qui
organisait la communauté dans le domaine des charges quotidiennes.
Sous sa guidance, certains faisaient les courses, d’autres le ménage et la
cuisine. Vous savez dans ce genre de bande, y en a pas un qui fait du zèle
lorsqu’il s’agit de travailler. Mais pour filer un coup de main, c’était plutôt
à celui qui en faisait le moins. Alors, quand on se répartissait les tâches, ça
argumentait sévère, jusqu’à ce que cela soit équitable. Cela pouvait durer
un bon moment, avec de ces engueulades qui pouvaient en venir aux
Le fief des Evils en 85 55

mains parfois. Mais bon, c’était le standard du fief. Ça bouillait pas mal là
dedans. Mais après coup, ça le faisait.
L’appartement qu’on occupait était agencé ainsi : deux grandes chambres
en haut avec une douche et des toilettes, en bas, une entrée, une cuisine
et une grande salle à manger. C’était le genre d’appartement des années
cinquante, d’une tristesse pas possible. En plus, bonjour les goûts du frère,
c’était vraiment ringard. Les papiers, les meubles, tout sentait le vieux. On
avait donc arrangé cela à notre manière en enlevant les bibelots et autres
objets qui n’allaient pas avec le nouveau décor. On avait mis quelques
nouvelles décos, histoire que cela fasse plus rock’n’roll.
C’est vrai qu’on se cassait pas mal la bouche ensemble. Tous les soirs, la
fête et bien sûr une fringale pas possible lorsqu’on était en descente de
l’ivresse. Aussi, je me rappelle de ces plans bouffes qu’on faisait. Bon ce
n’était pas de la grande table : des pâtes au gruyère, à la crème fraîche, avec
des champignons et un dessert parfois. On devait bien faire au moins trois
kilos de pâtes. Pendant la distribution, il y avait une ambiance spéciale.
Chacun vérifiait bien qu’il ne s’était pas fait arnaquer sur la quantité et la
qualité. Souvent le meilleur restait au fond du pot. Je le savais bien avec
Tobi. Les autres nous trouvaient toujours vraiment sympa de les servir en
premier, mais ce n’était pas désintéressé. Mais à la fin, tout le monde s’en
est aperçu. Je me rappelle de Tramber qui disait : « Regarde l’arnaque ! Tout
est dans le fond ! » « Vas-y, donne-moi-z’en un peu ! » « Regarde, il se fait
ses plans en ... », et à tout le monde de renchérir. Bref, on était tous un peu
sur la défensive les uns et les autres. Il ne fallait pas se faire marcher sur les
pieds et en même temps, on était des vrais potes. C’est un peu l’ambiance
de chiens féroces qui vivent ensemble et qui luttent pour avoir toujours
la meilleure part dans tout, avec les femmes qu’on partageait c’était pareil.
Généralement Fesni dormait en bas car il était handicapé, les autres se
débrouillaient pour trouver de la place, soit par terre, soit sur un lit. Tobi
nous réveillait le matin avec le son du clairon (imité à la voix): « Bon, les
gars, debout là-dedans, c’est l’heure, bande de feignants !!! » Alors, bien sûr,
y avait toujours de l’accrochage : « Oh, ça va, calme-toi !!! » Mais c’était
toujours dans un esprit fair-play. Faut dire que tous les soirs, on se couchait
tard. Y en avait même qui restaient scotchés au lit. C’était toujours un peu
dur de mettre la machine en route. Alors il fallait bien qu’il y en ait un qui
prenne ça en charge.
56 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI

L’appartement du frère de Tobi était en train de devenir un vrai squat.


Aussi, quand son frère venait, on voyait qu’il avait vraiment peur. Puis il
y avait de sacrées plaintes de la part des voisins avec le tapage nocturne
qu’on faisait chez lui. Mais qu’est-ce que vous voulez, tout le monde avait
peur des représailles et personne n’alertait la police. C’est à peine si son
frère osait prendre son courrier. Mais on était toujours respectueux envers
lui. On avait un code d’honneur. D’ailleurs, quand j’étais un voyou, jamais
je n’ai frappé un vieil homme, un enfant ou une femme. Je me rappelle
qu’à cette époque ma mère s’est faite agresser. Deux gars des cités sur une
vespa l’avaient traînée sur quelques mètres en lui arrachant son sac. Je suis
entré dans une grande colère, quand j’ai appris cela, je sifflais comme un
serpent. Je voulais trouver ces deux gars. Je ne pouvais pas comprendre
qu’un voyou puisse faire une chose pareille à une personne inoffensive.

LE KLAN ET LES EVILS SKINS (1985-1986)

Même si on était embarqués depuis des années dans un délire fasciste,


je dois avouer qu’il y avait certains skins de la bande du Luco (époque
remontant avant qu’on ait fait le fief des Evil Skins) qui étaient fascistes.
Ils avaient plus qu’une graine plantée dans leur cœur pour admirer et
embrasser un fascisme pur et dur. Je pense entre autre à Bat que beaucoup
de gens connaissent évidemment.
C’est vrai, il y a eu une époque où il était comme nous ou presque on va
plutôt dire. Mais avec le temps, on a remarqué que cette graine était en
train de germer et de donner des fruits différents. Il y a eu donc à cette
époque un début de séparation dans la bande. Une division naturelle du
fait que pour lui, on n’était finalement que des fous qui ne pensaient qu’à
s’enivrer et à délirer entre nous. Surtout que moi à cette époque j’étais en
flirt avec une métisse et une Chinoise.
Je pense que sa personnalité a basculé radicalement à un moment de
son existence, à cause de son envie d’entrer dans la politique, de devenir
un dirigeant et d’être reconnu comme un chef. C’est vrai qu’avec nous
ça ne marchait pas du tout. On n’a jamais accepté de chef parmi nous,
contrairement à ce que disent certaines personnes. C’est pourquoi les rares
fois où Bat est venu nous visiter au fief, il y avait vraiment un décalage.
Le klan et les Evils Skins (1985-1986) 57

On avait l’impression qu’on vivait un autre trip. Mais on avait en nous


un fort respect pour ceux qui avaient vécu dans la rue avec nous, alors
on s’accordait. C’était la norme des bandes dans les débuts des années
80. C’est pour cela qu’on voyait de tels mélanges entre les skins. Mais je
dois dire que là, on sentait dans l’air une autre génération de skins à venir.
Plus de fun, plus de rock’n’roll, la politique commençait simplement à tout
gâcher. Mais c’est comme dans un couple, parfois on tolère des différences,
surtout si on n’est pas toujours ensemble. Difficile à comprendre mais on
était comme cela.
On était simplement paumés dans un trip extrême et bien entendu, ça
pouvait évoluer en pire à tout moment. Surtout que Fesni n’avait pas de
limites dans son humour noir. Il a commencé à écrire des chansons de
plus en plus extrêmes. Et moi je forçais les membres des Evil à s’habiller
tout en noir avec un écusson représentant une rune d’Odal de couleur
rouge, sur la poche du bomber. J’étais vraiment heavy pour cela. Fesni et
Tramber avaient vraiment marre de ce look si triste. Ils voulaient s’habiller
différemment. Mais je leur prenais tellement la tête qu’ils finissaient
par accepter.
Je crois qu’à ce moment on a vraiment pété un plomb. On ne savait plus ce
qui était bon ou pas bon. Je ne sais pas comment on a pu en arriver à jouer
avec de tels sujets comme le nazisme. On avait un cœur si dur lorsqu’on
était entre nous. C’est à celui qui serait sans sentiment. On s’enflammait
les uns les autres dans cette ignorance dévastatrice. Comme si tout cela
n’était pas important, seulement un jeu, on a été pire que des punks, on
s’en foutait simplement.
C’est à ce moment qu’on a repoussé davantage la limite de l’acceptable
en faisant partie du Klan et que Bat a essayé de franchir le pas dans la
politique. Je me rappelle de cette soirée où il m’a invité chez lui et qu’il m’a
fait boire comme un trou, avant de me refiler une carte du Klan. Le même
insigne qu’on portait sur notre bomber noir des Evil Skins était dessiné
sur la face de cette carte. Je revois la scène où il en a refilé à tout le monde
et je revois aussi, le lendemain, la tête des autres de la bande.
Lorsqu’on a été entre nous, il y a eu une grosse discussion car ça ne branchait
vraiment pas tout le monde, alors que d’autres s’en foutaient. C’était juste
encore un délire de plus ou de moins. On était encore bien imbibés de cet
58 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI

esprit de solidarité de la vieille bande d’antan. Ce qui implique que notre


implication avec le Klan n’a jamais été vraiment plus loin. On s’en foutait.
C’était encore une autre façon de vomir notre haine.
Pour revenir au fief des Evil Skins, cette épopée où on vivait ensemble
a marqué évidemment le moment où le groupe a connu son âge d’or,
puisqu’on passait beaucoup de temps à jouer de la musique, à composer
des chansons. Bon y en avait de l’ego quand on composait, chacun voulait
mettre sa sauce, son grain de sel. C’était vraiment toujours cette ambiance
de ne jamais se laisser marcher sur les pieds : « Oh vas-y ! Il est bien mon
plan de basse ! » « Quoi, ça va ! Calmos, on a compris ! » « « T’as pété un
plomb ou quoi ! » « Attends j’te connais ... »
Ce moment a coïncidé avec le fait que Tramber a touché un petit héritage
de sa chère grand-mère. Il a décidé de l’investir afin de produire un 45 tours
du groupe. Après quelque temps de répétition, on a décidé d’enregistrer
trois morceaux : Docteur skinhead et mister oï, Sat cong et Bête et méchant.
Il a pris contact avec un studio d’enregistrement situé vers Belleville et il
a bloqué deux dates, une pour les prises de son et l’autre pour le mixage.
Pour 10 000 francs, on aurait la possibilité d’avoir mille disques gravés.
Lorsque le groupe est arrivé dans le studio, l’ingénieur a commencé à
réaliser quelle sorte d’énergumènes on était. Aussi, il était mort de trouille.
Faut dire qu’à peine débarqués, une baston a éclaté entre Tobi et moi, je lui
ai mis un gros coup de tête et les autres sont intervenus dans un tumulte
pour m’arrêter. Ça commençait bien, bonjour l’arrivée rock’n’roll ! Bon,
finalement, les choses ont commencé à rentrer dans l’ordre, Luke et
Tramber ont joué de la basse et de la batterie, Renaud et moi de la guitare,
Yves du saxo, Fesni a chanté, et ensemble avec Vitriol, Couscous, Petit
corse et Jabbha, on a fait les chœurs.
Une anecdote me vient à l’esprit, pour vous dire à quel point on était nuls
en musique. J’étais devant l’ingénieur du son. Il était en train de faire des
réglages de son avec ma guitare. Il m’a dit : « Fais un La ! » Je les ai alors
regardés comme une personne bête et méchante, car je ne savais pas ce
que c’était faire vibrer la corde La. J’étais donc sur la défensive. Il n’a pas
osé me vexer et heureusement, Renaud est arrivé. Je pense qu’il n’avait
jamais vu cela auparavant : aussi bêtes que nuls en musique.
Le deuxième jour c’était le mixage, et à notre grande surprise, ça rendait
vraiment bien. Ouah, on était aux anges. On chantait ensemble « Docteur,
L’armée chez les parachutistes (1986) 59

docteur, docteur skinhead, docteur skinhead et mister oï ... » Même


l’ingénieur chantait les morceaux. Bon, allez savoir s’il chantait pour ne
pas se faire taper dessus. Ça restera un mystère, mais je pense qu’il doit
encore se rappeler de nous, il n’y a pas de doute à ce sujet. Un groupe
comme ça, y’en a pas tous les jours. Après une heure de bataille verbale
entre nous, on est arrivés à tomber d’accord sur l’ensemble du mixage et
le disque a été imprimé.
C’est Fesni qui a fait le design de la pochette. Bon, ce n’était pas terrible,
encore un de ses délires résultant de sa provocation et de sa punk attitude,
mais y’avait personne pour nous filer un coup de main. Et puis, quand
Fesni était attaché à ses dessins, il avait alors des arguments pour arriver à
ses fins. Il ne lâchait pas l’affaire, donc on baissait les bras.
Il a aussi inventé la mascotte du groupe qui apparaît derrière la pochette
du disque, une sorte de gargouille avec des ailes de chauve-souris habillée
en skin qui interprétait la danse du Evil stomp mumphyacrosisse, un
mélange de pogo et de la danse des premiers skinheads reggae. Fesni
aimait inventer toutes sortes de choses au profit du groupe. C’était sa
façon d’être. Il disait également : « Que la force soit avec toi ! » C’est pour
cela que sur le 45 tours, derrière la pochette en haut, il y a marqué : « Que
la force soit avec toi »
Qu’est-ce qu’on s’est fendu la poire lorsqu’on a vu la mascotte. Ça ne
plaisait pas à tout le monde. Ça ne faisait pas pur skinhead, mais un délire
entre les mouvances psycho punk et skinhead.

L’ARMÉE CHEZ LES PARACHUTISTES (1986)

Comme tout bon skinhead à cette époque, j’étais fier d’être français. Aussi,
pour faire mon service militaire, j’avais pris quelque chose de péchu, les
paras. Mais je dois avouer qu’entre l’imagination et la réalité, il y a eu un
sacré décalage. D’abord, j’ai failli être réformé quand ils m’ont vu arriver. Il
a vraiment fallu que j’argumente pour être pris. Puis une fois arrivé, je peux
dire qu’avec les jours, mon sens du militarisme a diminué à chaque instant.
D’abord, j’étais commandé par des gars qui étaient des appelés et qui
avaient obtenu pour quelques mois le grade de sergent ou caporal. Bon, ils
m’embêtaient pas trop, comparé aux autres, mais les autres qu’est-ce qu’ils
prenaient. Ils vidaient leurs armoires par terre à trois heures du matin. Ils
60 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI

leur criaient dessus comme ce n’est pas permis. On se serait cru dans la
légion étrangère. Moi qui n’avais pas l’habitude d’être commandé, il a fallu
vraiment tolérer. Mais j’avais signé, alors il fallait en chier, comme on dit
dans le jargon.
Par contre, j’aimais bien sauter en parachute. A chaque fois, il y avait une
sacrée montée d’adrénaline. Aussi, certains souvenirs sont restés imprégnés
en moi, comme la manière dont on était équipés avec ces parachutes
ventral et dorsal, de la façon qu’on entrait dans le transall (avion militaire),
qu’on s’asseyait, puis on décollait. Cet avion de tôle semblait se désosser
sous la pression du décollage. C’est à peine si on ne voyait pas les vis
trembler. Un tel bruit sifflait à l’intérieur.
Y’avait avec tout cela, une sacrée pression dans la tête de tous ces apprentis
parachutistes. Puis cette sirène, ce voyant rouge, qui indiquaient que la
zone de parachutage approchait. Le sergent chef, un vieux chouf, nous
faisait alors signe de nous lever. On se mettait en ligne et on accrochait
notre harnais. C’est alors que la porte de l’avion s’ouvrait. On ressentait
une pression intense à l’intérieur à chaque fois qu’on sautait à plus de
quatre cents mètres d’altitude. En plus, on savait que parfois quelques
parachutistes restaient accrochés à l’avion en vol par la sangle d’ouverture
du parachute. Mais bien sûr, chacun faisait semblant de ne rien ressentir.
Tous étaient identifiés à être des parachutistes. C’était drôlement long cette
minute d’attente, avant que la lumière verte s’allume. Puis, cette sonnerie
qui transperce les oreilles et ce GO ! GO ! GO ! On sentait la file d’attente
rétrécir et on se rapprochait du vide, puis on sautait de l’avion.
Il y avait une telle appréhension juste avant de sauter, et puis une grande
claque. Vous étiez propulsé dehors par un vent si puissant, emporté au
loin comme une vulgaire feuille morte. Puis une impression de liberté
venait vous habiter, lorsque le parachute s’ouvrait. Vous étiez dans une
atmosphère de vide. Plus un bruit, plus un souci. Vous vous sentiez comme
en dehors de la pesanteur, le corps porté par le vent. Vous n’entendiez que
le bruit des oiseaux. Une vue et un magnifique panorama se présentaient
également à vous.
Mais ceci malheureusement ne durait pas longtemps. Plus vous vous
rapprochiez du sol, plus la pesanteur vous reprenait. Le vide disparaissait.
Cette impression de liberté était remplacée par une sensation de rapidité,
L’armée chez les parachutistes (1986) 61

de danger, comme si le sol vous aspirait. C’était de plus en plus violent, une
vitesse commençait à se faire ressentir. Ouah ! Je vais arriver en bouillie.
De plus en plus vite, et finalement blam, arrivée sur le cul, le parachute qui
vous traîne par terre sur des mètres. Cette course à le rattraper, l’étouffer
pour qu’il ne vous emporte plus et finalement le retour à la réalité de tous
les jours.
Après une formation de para militaire, je suis parti avec mon contingent
pour la Nouvelle Calédonie. Là, il fallait voir. On nous faisait gravir des
monts, marcher des centaines de kilomètres à pied. C’était juste de la
souffrance. Comme moi, tous les gars qui s’étaient fait un film comptaient
les jours qui leur restaient à purger pour cette peine.
Je me rappelle qu’on m’avait filé la radio à porter. Je n’en pouvais plus, il
fallait que je plante mes mains dans la terre pour monter cette montagne.
Ça n’en finissait plus. Mais il ne fallait pas faire voir aux autres qu’on était
à bout. Ma tête tournait, je n’avais plus de vitalité dans mon corps, et ce
lieutenant qui s’est trompé dans la lecture de sa carte. Ce jour-là, il faisait
plus de cinquante degrés à l’ombre. C’était épouvantable. Plus d’eau, le
sergent nous a demandé nos balles réelles, de peur d’une mutinerie. Tout
le monde était épuisé. Ils nous ont fait asseoir à l’ombre et ils ont contacté
des hélicoptères pour nous rapatrier. C’était tellement dur que j’ai eu
une hallucination : un énorme papillon me faisait de l’air. Imaginez-vous
l’ambiance : c’était presque la guerre.
Je dois avouer que j’avais commencé à changer pendant mon service
militaire. Dans ce régiment, il y avait des personnes d’origine africaine,
arabe, juive et chinoise. Je m’entendais vraiment bien avec tout le monde.
Personne n’aurait reconnu en moi un skinhead antisocial. J’étais vraiment
entré dans ce sentiment d’avoir rallié une unité de personnes. On était tous
devenus des amis. Ce combat d’être ensemble pour affronter la dureté de
l’armée nous unissait un peu plus tous les jours. Cela me rappelait quelque
peu cet équilibre que m’apportait la vie du gang face au combat qui nous
opposait à nos ennemis.
Bon, il y avait des traces de cette vie skinhead sur mon corps que je ne
pouvais effacer, comme cette rune d’Odal tatouée sur mon crâne. Mais
tous avaient compris que ça n’était pas ma réalité intérieure et tout le
monde m’appréciait. Je n’ai jamais eu de heurt à cause de cela, ni de
62 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI

reproche. Les gens de couleur m’appréciaient énormément, comme quoi


il y a des gens qui peuvent, grâce à leur culture, comprendre des choses
bien plus profondes que toutes ces choses externes : le cœur de l’être, et
non la carapace qui le recouvre.
Je me rappelle de ce caporal, un gars vraiment sympa qui aimait faire les
quatre cents coups. Un jour, il m’a appelé : « Hé Deligny, ça te dirait pas de
faire une petite virée ? On pourrait aller s’éclater en centre ville !
– Ouais, pourquoi pas, mais on n’a pas de permission et on est à la base.
C’est loin de Nouméa.
– T’inquiète, j’ai mon plan. Je vais prendre le livret de sortie d’un camion
et imiter la signature du chef pour avoir l’autorisation de sortir. On mettra
des polochons dans les lits, il n’y verra que du feu. »
C’était vraiment le truc qui était rarement fait. Mais l’idée m’a enchanté.
C’était bien rock’n’roll. Je lui ai dit alors : « Ok, ça marche ! »
Comme prévu, il a pris un livret dans le bureau, il a imité la signature du
chef et il est venu me chercher en pleine nuit. C’était chaud, faire cela
chez les paras. On est montés dans un véhicule. On a démarré et on s’est
présentés à la sécurité : « On sort pour une mission en ville. Voici l’ordre
signé. » Puis on est sortis de la caserne. Une fois en ville, on a été en boîte
de nuit, puis on a commencé à vouloir rentrer. Mais on a senti que toute
une bande de Kanaks avec des machettes nous attendaient. Ils voulaient
vraiment nous couper en morceaux. Et les Kanaks, ils font facilement cinq
fois notre gabarit. Alors ce n’était pas le moment d’être sentimental, mais
par la Providence au même moment une patrouille de gendarmerie est
passée et elle nous a escortés. On a alors pu regagner le véhicule et rentrer
à la caserne.
C’était juste avant le lever du jour, peut-être une heure avant que la caserne
ne se lève pour les activités matinales. Les habitations des militaires étaient
de grands hangars. Mais qu’est-ce qu’on a vu de loin : devant notre hangar,
il y avait le sergent chef qui dormait par terre dans son sac de couchage. «
Ouah, le test, qu’est-ce qu’il fout là ! ». C’était plus qu’étrange, mais il fallait
quand même jouer le jeu. On s’est déchaussés délicatement et à pas de
velours on a essayé de se faufiler incognito. Mais à notre grande surprise,
quand on est arrivés près de notre lit, on a vu que le polochon qu’on avait
glissé dans le lit pour faire croire qu’on dormait était enlevé. Quand on
Le retour au fief (1987) 63

s’est retournés, on a alors aperçu le sergent chef !!! Quand on l’a vu, on
l’a salué, puis il nous a dit : « Messieurs je vois qu’on aime les balades, très
bien, je vais vous en donner des balades !!! Venez avec moi ! …. »
Après cela, on avait droit à un régime spécial. Et surtout, on nous parlait
de quatre-vingt-dix jours de placard, donc un rallongement de trois mois
d’armée. Mais j’avais entendu dire qu’ils ne pouvaient faire cela sans qu’on
puisse avoir avant cette sanction une permission, car on était des appelés
et non des engagés, et puis on était en mission de 6 mois et il est interdit
de couper les appelés de leur famille plus longtemps. Aussi, lorsqu’on est
rentré en France, j’ai pu avoir cette permission. Bon, ça grinçait des dents.
J’en ai profité pour revoir la bande et puis je suis allé à l’hôpital militaire
au lieu d’aller au régiment. On m’avait filé un tuyau. Si j’en avais marre,
je pouvais encore me faire réformer P4 ou comme fou. J’ai donc été à
l’hôpital et je leur ai dit que s’ils me forçaient à rentrer dans la caserne,
je tuerais tout le monde. Le lendemain, j’étais réformé. Ils m’ont quand
même gardé quelques jours, afin de s’assurer que je n’allais pas péter un
plomb là-bas, puis j’ai été au régiment rendre mes affaires et j’ai de nouveau
rejoint la bande.

LE RETOUR AU FIEF (1987)

J’ai donc repris ma vie où je l’avais arrêtée. Je suis revenu vivre au fief des
Evil Skins. Mais je dois vous avouer qu’un décalage s’était créé en moi à
cause de cette expérience de l’armée, cette communion avec des personnes
différentes. Ma conscience avait évolué hors de la vie d’un gang. Une
grande part de mon agressivité était partie de moi. J’étais devenu meilleur.
J’avais même du mal à répondre parfois à certaines agressions de la part de
militaires pendant mon séjour à l’armée. Dans la rue, je pouvais prendre
une arme pour arriver à bout d’une personne physiquement plus forte que
moi, mais à l’armée c’était différent, je ne le pouvais pas. Aussi j’ai connu
une défaite, chose que dans un gang vous ne connaissez pas. Je me suis
retrouvé plaqué à terre par un gars bien plus balaise qui m’avait coincé les
bras avec ses genoux et qui m’a frappé pendant un long moment. Mais je
ne ressentais pas les coups. J’avais été formé psychologiquement à ne pas
ressentir la douleur des coups donnés par un ennemi. C’était difficile pour
64 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI

cet homme qui me frappait. Il hallucinait. Quand on nous a séparés, c’est


comme s’il ne m’avait rien fait. Je suis revenu vers lui pour un deuxième
affront, mais les gradés sont intervenus, et on a dû nous réconcilier, selon
le code des parachutistes.
Mais des flashes de violence venaient me hanter. Quelque chose en moi
voulait sa mort et j’ai vraiment dû lutter pour ne pas en finir avec lui, car
dans un gang vous ne pouvez pas connaître véritablement la défaite. C’est
le déshonneur total.
Toutes ces impressions ont fait que lorsque je suis revenu à Paris et que
j’ai repris contact avec le gang, cela n’a pas été facile. Il y avait un décalage
en moi. C’est comme si j’étais dans un autre rôle. Je n’étais pas dans une
position normale. Aussi, j’ai dû de nouveau effacer ce qui avait germé de
bon en moi afin de redevenir un personnage haineux, afin de réintégrer
l’esprit du gang. Il fallait de nouveau que je revienne à cette conscience
négative, tout comme un sportif qui désire retrouver sa forme maximale.
Mais cela n’a pas été long, il n’a fallu que quelques jours d’association avec
les personnages du gang. Alors, ma conscience est devenue de nouveau
atrophiée. Une telle méchanceté est venue me chercher.
Je dois vous avouer que depuis que je suis un homme de Dieu, beaucoup
de choses du passé se sont effacées en moi. J’ai oublié des choses même
les plus dures. Ce que je vous narre ne sont que quelques bribes qui sont
restées en souvenir à l’intérieur de moi-même. Récemment, lorsque j’ai
rencontré dans la rue un ancien du gang, il m’a fait cette remarque : « Hé
Willy, en fait, tu as fait un blocage sur le passé, pour l’oublier, mais tu as
bien changé ! Moi je t’ai connu autrement ! Tu ne te rappelles pas avec...
lorsque vous avez mis des coups de couteau dans la gorge à des Ecossais !
Du sang coulait partout… ! »
Alors que cet ancien du gang me parlait, je pensais au fond de moi : «
Comment est-ce possible que j’ai pu être comme cela ? » Je ne peux même
pas l’imaginer aujourd’hui. Pour moi maintenant qui m’efforce d’aimer
tous les êtres vivants, c’est bien étrange un tel degré de violence envers
d’autres personnes. C’est une époque où je concevais la vie à travers des
clans. Certains devaient être haïs, d’autres protégés.
Avec le sport et toutes les austérités que j’avais pratiqués à l’armée, je me
sentais en grande forme, alors bien sûr, la violence était au rendez-vous.
Le retour au fief (1987) 65

J’avais repris ma tenue vestimentaire ultra provocatrice, avec ses écussons


fascistes. Mon crâne était toujours rasé à blanc et on y voyait de très loin
cet emblème sur ma tête de couleur sang : la rune d’Odal. De nouveau, les
vieux réflexes sont revenus, la haine sur le visage, mettre la terreur, ce goût
de jouir du malheur des autres et cela a encore duré un bon bout de temps.
J’avais à la fois tant de haine envers les êtres qui n’étaient pas de la bande,
alors que j’aimais tant mes potes. Jamais je n’aurais pensé qu’un jour je
les quitterais. Je les aimais profondément, comme on aime quelqu’un qui
nous est le plus cher. Je ne pouvais me passer d’eux, même pour une
journée. C’étaient mes frères.
Le groupe Evil Skins commençait à bien marcher. Un label allemand
« rockorama » nous avait proposé un enregistrement d’un 33 tours. Le
groupe a accepté et sa notoriété a alors dépassé les limites de la France
pour s’étendre dans le monde entier lorsque ce disque s’est vendu. Je ne
sais pas pourquoi mais beaucoup de gens de tous horizons ont aimé ce
groupe. Certains en parlent même comme d’un groupe culte aujourd’hui,
et ses disques sont encore bien vendus dans le monde entier.
A cette époque, même si on était interdits de jouer dans toutes les salles
de concert, on avait réussi à faire quelques concerts. Je me souviens de
celui de Bourges. On était invités comme le groupe vedette d’un festival
RAC (rock against communism). C’est vrai qu’avec nos looks et nos têtes
ça déménageait. Lorsqu’on est arrivés sur place, ça a fait son effet. Bon,
y’avait pas grand monde, peut-être une cinquantaine de skins venue des
environs, et puis le cadre était étrange. Le festival se déroulait dans une
ancienne église.
D’autres groupes ont joué avant nous, mais lorsqu’on est montés sur scène
on s’est affirmés comme le groupe du moment. Je me rappelle qu’on a
débarqué habillés tout en noir avec nos runes d’odal sur le bomber. Puis on
a mis un drapeau nazi en fond de scène. Fesni a quitté son fauteuil roulant
pour pouvoir chanter debout avec des béquilles. Alors on a commencé à
enchaîner les morceaux sans fautes avec une forte puissance. Puis, pour
faire plus que les autres, lorsqu’on a chanté le morceau sat congs, sur
le refrain « Communiste je te hais », on a brûlé le drapeau communiste
(rouge avec la faucille et le marteau) dans la foule qui était hystérique et qui
reprenait en cœur le refrain.
66 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI

Nos concerts n’étaient qu’une démonstration de haine et notre expérience


faisait que les jeunes buvaient notre idéal de destruction. On devenait
graduellement un groupe phare dans ce milieu. Notre réputation ne faisait
qu’augmenter. Ce qui a entraîné malheureusement beaucoup de jeunes
dans la violence et dans des pensées extrêmes.

LES DERNIERS INSTANTS SKINHEAD (1988)

C’est une époque où on passait notre temps à faire la fête, à être entre
nous. Peut-être même un peu trop. Il y en a eu des délires. On prenait
pas mal de drogue. Je me rappelle avec Tobi, on aimait s’asseoir dans le
canapé et après avoir fumé un joint, on écoutait le morceau Solidarity des
Angelic Upstarts. C’est alors que je lui décrivais une scène où des milliers
de skinheads se rassemblaient pour trouver la liberté…
Un jour, une punkette est venue nous voir. Elle faisait du spiritisme. On
s’est dit : pourquoi pas se faire un petit délire avec ça ? On s’est réunis à
quelques uns dans une chambre. Sur une table, elle a posé une planche de
bois sur laquelle étaient marquées les lettres de l’alphabet. Puis elle a posé
un verre au milieu. Une bougie a été allumée et la lumière éteinte. On a mis
notre index au-dessus du verre. Elle a alors appelé les esprits et le verre
s’est mis à bouger afin de nous transmettre un message. On est entrés en
contact avec quelque chose. On a senti et entendu l’armoire bouger et le
verre s’est éclaté violemment contre le mur. « Ouah ! Le test ! Qu’est-ce
que c’est ce délire ? » Il y avait une atmosphère vraiment lourde et de
mauvais augure.
Je dois vous avouer qu’on a tous flippé, car on avait affaire à quelque chose
qu’on ne pouvait pas définir. Quand on est sortis de la chambre, on avait
vraiment l’impression qu’un esprit malveillant était dans l’appartement et
qu’il nous attendait en bas de l’escalier. On a alors fait une barricade avec
un meuble et on a sorti des couteaux pour nous défendre. Quel délire !
C’était vraiment une ambiance de fous dans ce fief. Tout se mélangeait
entre nous, la haine, l’amitié, l’amour, la colère, ce qui faisait que souvent
les journées n’étaient pas ordinaires.
Dans toutes ces ivresses, on en oubliait le monde extérieur, alors un décalage
a commencé à se faire lorsqu’on sortait dans la rue. Notre comportement
Les derniers instants skinhead (1988) 67

changeait. On devenait plus ramollis. C’est un peu comme des soldats en


guerre qui commencent à être fatigués de la guerre. Au début, c’est super,
puis, avec le temps, on commence à s’apercevoir qu’il n’y a pas vraiment
d’avenir là dedans. Mais de temps en temps, notre look nous obligeait de
nouveau à rentrer en guerre.
Graduellement, j’ai ressenti au plus profond de moi cette haine se dissiper
et la bonté me prendre. Je commençais à avoir du mal à frapper les gens.
Des personnes que j’aurais auparavant battues facilement me paraissaient
parfois imprenables. Aussi, lorsque je rencontrais des potes qui cultivaient
toujours cette agressivité, je m’apercevais de ce décalage en moi, mais
pas eux. Je ne disais rien, mais je sentais que cela n’allait pas, ou plutôt
aujourd’hui, je dirais que je guérissais de cette haine des autres. D’habitude,
j’arrivais à chasser le positif en moi, mais là, je n’y arrivais plus.
Je me rappelle de ce jour où avec Bat on est allés tous les deux aux Halles
et qu’on a embrouillé une bande d’une quinzaine de gars à la Fontaine des
Innocents. J’ai été avec le plus balaise dans un coin, je n’ai même pas pu
le toucher bien qu’il fasse une tête de plus que moi, lui non plus d’ailleurs.
J’ai été lamentable dans cette embrouille. C’était comme une simulation de
combat, une danse. Je n’arrivais pas à dégager de la haine. Il n’y avait plus
rien en moi qui sortait.
Alors je suis revenu vers le groupe. Bat m’a dit : « C’est bon t’en as fini
avec lui ? » J’ai répondu : « Oui », car c’était impensable pour nous que ça
se soit passé ainsi. J’étais au fond de moi complètement perturbé par mon
changement intérieur. Mais j’étais tributaire de l’habit et d’une réputation,
alors j’ai caché cela au fond de moi. A vrai dire, je ne comprenais pas ce
qui m’arrivait. Je n’arrivais plus à taper sur quelqu’un. Je me sentais si mal.
J’avais honte.
Dans ces moments, j’étais dans un état de non-violence, de réflexion
profonde. C’est comme si l’amour venait me chercher. Or, petit à petit,
je me suis détaché de cette mauvaise identification qui me recouvrait. Un
personnage plus positif a commencé à fleurir. Tout allait contre cet habit
fasciste que je portais. Oh ! comme je me sentais mal ! Je me rappelle
quelques épisodes qui m’ont aidé à changer définitivement. Je vais vous en
narrer quelques-uns.
Il y avait une famille juive qui habitait dans l’immeuble en face de celui de
mes parents. Je la connaissais depuis mon enfance et on s’aimait beaucoup.
68 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI

On allait parfois manger chez eux et ils nous racontaient leur tradition. Or,
ce jour-là, je suis sorti de chez mes parents, et sur le palier de l’immeuble
est apparue Cathy, une jeune fille de cette famille juive. Elle était avec son
bébé âgé d’un mois.
J’étais habillé comme un SS, tout en noir, avec des emblèmes nazis sur
mon blouson et cette rune d’Odal tatouée sur mon crâne. Quand elle
m’a vu habillé dans cette tenue, j’ai commencé à ressentir une ambiance
très lourde. Elle était terrifiée. Elle avait peur de moi. Ça m’a fait mal,
car je l’aimais beaucoup. En fait, je réalisais dans cette situation que je
n’étais pas conscient véritablement de la signification de tous ces insignes
et ces tatouages que je portais. Mais là, je ne voulais plus assumer cela
avec Cathy. J’ai alors pris l’ascenseur avec elle. Je peux vous dire que j’avais
vraiment l’impression de vivre ce qu’elle était en train de vivre : la peur
des camps de concentration, l’extermination nazie. Un véritable choc s’est
produit à l’intérieur de moi. Je n’ai rien dit. Je suis simplement parti sous
ce choc émotionnel.
Juste après, j’ai pris le métro. Comme d’habitude, je prenais quatre places et
mettais mes pieds sur les sièges de devant. Mais je pensais à Cathy, alors un
maghrébin s’est approché et il m’a demandé gentiment s’il pouvait s’asseoir
à côté de moi. Je l’ai regardé et j’ai enlevé mes pieds du fauteuil d’en face.
Je me suis alors senti bien à côté de lui. Il m’a dit : « Pourquoi portes-tu
tous ces insignes ? » Je me suis levé comme si je devais le descendre, car
j’avais ressenti une certaine provocation dans ma folie. Mais je ne pouvais
rien faire. Je le voyais comme un messager, comme un miroir de la Vérité.
Je suis descendu du wagon, en essayant d’oublier tout cela.
J’essayais intérieurement de lutter contre ce changement. Les derniers
instants de ma vie de skinhead ont été des moments où j’étais complètement
perdu. J’étais tiré de deux côtés. Dans ma folie, j’essayais de résister à mon
changement de cœur en me lançant vers une provocation fasciste toujours
plus extrême. Je m’étais même fait tatouer sur tout le torse l’aigle nazi. Je
voulais de cette manière enrayer ce mal qui commençait à me ronger. Mais
l’instant d’après, je n’étais plus le même. Quelle souffrance !
Je me rappelle à cette époque être allé voir Catherine. Elle venait d’une
très bonne famille. C’est une fille avec laquelle j’étais sorti à un moment.
Je m’étais dit qu’elle pourrait peut-être m’aider à m’en sortir. Je l’ai appelée
Les derniers instants skinhead (1988) 69

au téléphone et on s’est donné rendez-vous dans un café. J’ai ressenti de la


joie véritablement à la voir. Elle était pleine de vie. A un moment, je lui ai
parlé de mes problèmes et je lui ai fait voir mon aigle nazi tatoué sur tout
mon torse. Elle a eu peur, je ne l’ai jamais revue. Je ne trouvais donc pas
d’aide, pas de solution à mon problème, et puis la réputation faisait qu’il y
avait toujours quelque chose pour me remettre dans le chemin de la haine.
En effet, dans le milieu des bandes, lorsque vous avez une notoriété, il y
a toujours une nouvelle terreur qui émerge on ne sait d’où, qui veut se
mesurer à vous. S’il perd, il n’a rien à perdre, mais s’il gagne, tout de suite
il est hissé à un niveau exalté de réputation. Il est alors automatiquement
respecté dans sa bande et craint des bandes adversaires. Tant de jeunes
voyous rêvent de s’opposer à une personne réputée. C’était réellement
une obsession pour certains. J’étais vraiment fatigué de tout cela. C’était
comme des éléments qui se mettaient en place pour faciliter davantage
encore mon changement.
A ce sujet, un jour, Bat est venu me voir au fief des Evil Skins. C’était
en 1988. Il a commencé à me parler d’une bande dont je n’avais jamais
entendu parler. Elle s’appelait les Duky Boys. Elle chassait soi-disant les
skins de Paris.
Il m’a raconté qu’ils faisaient une publicité très large de leur guerre de
bandes. Selon eux, ils avaient anéanti notre ancienne bande de Saint Michel
et du Luxembourg et même celle de Tolbiac et de Bonsergent. J’ai alors
rigolé car je n’avais jamais entendu parler d’eux. Pourtant, j’allais librement
dans tout Paris. J’étais également ami avec la bande de Tolbiac et avec
certains skins de Bonsergent et des Halles entre 1982-85. Ils ne m’avaient
jamais parlé d’eux dans cette période. Alors je me suis dit : allez encore
une embrouille à un sou.
Son chef voulait se battre avec Bat et un autre avec moi. On est allés à
Bagnolet dans un café pour les rencontrer et pendant que Bat se battait
dans un terrain vague avec le chef qui s’appelait Rocky, je suis resté avec
l’autre. Notre confrontation devait se passer une semaine plus tard. C’était
hallucinant. D’ordinaire, je n’aurais jamais attendu une autre occasion pour
me battre. Je lui serais rentré dedans le jour même. J’étais le gars qui aimait
s’emballer tout de suite. Mais je n’avais aucune haine qui apparaissait en
moi. Je n’arrivais pas à détester ce soi-disant ennemi. Ma vision changeait
70 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI

au fur et à mesure que j’étais avec lui. Je ressentais qu’il était mon ami.
C’était vraiment étrange comme situation. Alors je me suis mis, moi le
skinhead habillé en nazi, à lui parler de tout et de rien. Je n’étais plus dans
cet habit. C’est comme si de nouveau je me dissociais de ce rôle absurde
que je me donnais et qu’un autre apparaissait. Un sentiment me prenait
et me faisait ressentir qu’il était stupide de se faire la guerre. C’est à ce
moment que j’ai commencé à voir la vie avec une autre vision. C’était
comme un aboutissement.
Dans cette conscience, je pouvais percevoir à quel point ce Ducky Boy
n’était pas à l’aise dans cette situation, il essayait de ne pas faire voir sa
peur, d’être un héros. Comme tout ceci était ridicule. Tout cela pourquoi ?
Quel était le but ? N’y avait-il pas une chose meilleure ? On était tellement
dans l’ignorance tous les deux. Mais bon, lorsque je lui parlais, il essayait
toujours de revenir dans son rôle. Je pense même qu’il n’a pas dû
comprendre mes propos car j’étais gentil avec lui. Alors je lui ai dit : «
Ne t’inquiète pas, tu vas l’avoir ta confrontation ! » Mais j’ai ressenti que
je ne le reverrais pas quand Bat est revenu avec Rocky et qu’il m’a dit en
montrant le chef des Ducky Boy avec mépris : « J’en ai fini avec lui. On
peut y aller maintenant. » Ce jeune homme noir a été également l’un des
déclencheurs de mon changement, puisse-t-il être béni.
C’est une époque, où j’avais tellement besoin d’amour. Je vivais avec cette
déchirure intérieure. Mais elle n’avait pas encore de véritable fondement.
C’est comme si elle me faisait errer et m’apprenait graduellement à faire un
choix. J’étais entre deux eaux. Je sentais cette force positive qui venait me
chercher et j’étais attiré par ce changement. En fait, ce n’est qu’au contact
des Védas, des Textes sacrés de l’Inde, que j’ai pu comprendre plus tard
cette situation, à l’époque, je ne le pouvais pas. Nos actions en ce monde
sont comme des graines qui portent avec le temps différents fruits. Parfois,
on est emporté par ces réactions vers des choses terribles, puis quand
vient le moment de récolter de bons fruits, on est emporté d’une manière
différente. Alors, une autre vision de la vie s’ouvre à nous. Parfois encore,
on est à un moment où une transition se fait, et c’était mon cas.
Entre ces deux eaux, je pouvais percevoir une autre réalité bien supérieure.
C’était tellement plus merveilleux d’être gentil, les gens réciproquaient avec
moi. Mais j’étais perdu dans tout cela, car même si j’étais habillé comme
Les mods de Gambetta (1989) 71

un nazi, au fond de moi, je commençais à apprécier les gens. Je n’arrivais


plus à les regarder avec violence. Et même si la plupart avait peur de moi,
je n’étais plus dans cet élément. Je ne voyais plus la nécessité de me battre
pour des choses auxquelles je ne croyais plus maintenant : la réputation
d’une bande, ou quelque autre idéal temporaire. Puis je n’étais pas le
seul, Fesni également avait beaucoup changé. A partir de ce moment, en
quelques mois, nos cheveux ont poussé et on s’est graduellement coupés
du monde skinhead.

LES MODS DE GAMBETTA (1989)

C’est une période transitoire que je m’apprêtais à rencontrer. Je ne


m’occupais plus d’avoir un look qui faisait peur aux gens, mais je voulais
au contraire les attirer. J’étais dans une période after skin, c’est-à-dire que
j’avais quand même un look bien branché. Même si mon cœur changeait,
j’étais toujours habité par le fait d’être entouré de gens et de faire la
fête. J’avais simplement abandonné toutes ces idées et cette provocation
extrémistes. Ce qui impliquait que je ne rencontrais plus d’embrouille
dans la rue. Je pouvais enfin cultiver en moi quelque chose de différent,
rencontrer des gens d’autres horizons. J’étais ouvert à toutes sortes de
rencontres. Alors qu’avant, j’étais une personne très sectaire. Mais bon, je
n’étais pas pour autant devenu un saint.
A cette époque, à Gambetta, l’ancien endroit où l’on traînait, il y avait
une nouvelle bande. C’était des marginaux qui suivaient le mouvement
Mod des années 1960-70. Leur look était dirigé vers le modernisme de ces
années-là, c’est-à-dire qu’ils avaient les cheveux courts en opposition aux
rockeurs des années 60. Ils portaient des costumes taillés sur mesure avec
trois boutons, trois poches, un pantalon assez cintré, des clarks, une parka
et d’autres habits. Ils étaient très rigoureux sur leur manière de s’habiller,
toujours très propres et class. Ils étaient également très cultivés dans la
musique qu’ils écoutaient : le rytm’n’blues, la soul music, pour certains le
ska et le trojan. Ils aimaient particulièrement les scooters.
Chacun chérissait son engin et le personnalisait de toutes sortes de
manières : par des peintures spéciales, des chromes, des découpes de la
carrosserie, des rajouts d’ustensiles comme des dizaines et des dizaines de
72 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI

drapeaux, de rétroviseurs ou de phares. C’était vraiment impressionnant et


beau. Une véritable passion vibrait en eux.
C’étaient des gens cultivés, rien à voir avec les skinheads « bêtes et
méchants ». Ils avaient une éducation, on sentait qu’ils venaient pour la
plupart de milieux plus favorables ou aisés de la société. Aussi, par leur
façon de s’habiller et de se tenir, ils étaient en tous points, pour les gens du
commun, plus attirants que les skinheads. Ils s’intégraient dans le décor de
la société et les gens les aimaient bien.
Leur passion pour la musique les amenait à très bien danser. Chacun
s’évertuait à surpasser l’autre. Des pas de danse étaient cherchés, inventés.
Il fallait attirer et se faire apprécier par un charisme particulier : danse,
habillage et scooter. C’était complètement différent des skinheads que
j’avais connus. Il y avait certes une compétition, mais pas par la violence,
par la mode. Il n’y avait plus cette violence excessive. Il y avait la bande, le
look, l’esprit, la fête mais orientée complètement différemment.
Je me rappelle qu’on connaissait déjà dans le passé des Mods qui habitaient
près de Gambetta, comme Cid, Munck et Pilon. Des anciens skins comme
Piaf l’étaient devenus. Ceci a fait qu’avec Fesni on a commencé à les
fréquenter. Bien sûr, avec notre passé skinhead, on a été les bienvenus
dans la bande. Car bien que moins violente, une bande reste quand même
la cible d’autres bandes, alors des anciens skinheads étaient appréciés
pour donner une réputation plus forte. C’est tout à fait normal, toutes les
bandes fonctionnent comme cela.
On avait vécu en bande depuis des années, entourés de potes. Aussi, cette
association nous procurait véritablement une satisfaction, un équilibre
intérieur. Je pense que je n’aurais pas supporté le fait de ne plus avoir un
contact avec une bande à ce moment de ma vie. Ceci m’a permis de ne
pas revenir en arrière. Pour Fesni c’était pareil, de plus, il aimait bien être
entouré de personnes qui le considéraient. C’était sa nature à cette époque.
Cette bande traînait dans un café nommé l’Edelweiss. On se retrouvait tous
à cet endroit. On pouvait atteindre parfois le nombre d’une vingtaine, voire
exceptionnellement une trentaine, lorsqu’on se donnait rendez-vous pour
aller à des soirées que d’autres Mods organisaient. Moi, personnellement,
j’aimais beaucoup monter derrière leur scooter. On partait tous ensemble
à plus de quinze scooters pour aller dans ces soirées. Des courses alors
Les Teep’n’teepatix (1989) 73

se déroulaient naturellement entre telle et telle personne, parfois certains


accomplissaient des acrobaties et bien sûr des accidents arrivaient de
temps en temps. On chantait ensemble pendant ces trajets le fameux
slogan « We are the Mods ! ». C’était vraiment cool comme ambiance. Le
vent vous rafraîchissait l’été et cette sensation de rouler vous procurait une
impression de liberté. J’étais un véritable spectateur admiratif.
Bon, les Mods étaient bien connus entre autre pour se droguer. Ils prenaient
des amphétamines pour ne pas dormir et danser pendant toute la nuit, afin
d’avoir une pêche d’enfer pendant ces plans fêtes. Ils se procuraient le
plus souvent ces amphétamines par le biais d’ordonnances volées pendant
une consultation chez un généraliste. Une fois les papiers volés, ils se
prescrivaient des amphétamines en imitant l’écriture et la signature des
médecins, en spécifiant que le médicament était à renouveler.
Issus de bonnes familles, certains avaient également de bons portefeuilles
bien garnis, l’alcool et d’autres drogues coulaient à flot. Les modettes
étaient également très belles. C’était pour des anciens skinheads comme
nous, une oasis, une autre planète.
La musique qu’ils écoutaient était également admirable. J’en écoutais
maintenant régulièrement, et j’ai délaissé graduellement la musique
punk. J’ai même commencé par prendre un look de mod. Ce n’était
pas compliqué, j’ai simplement détourné les fringues de mon père, ces
costards des années 60. Il faisait la même taille que moi, pile poil. Je me
sentais bien avec les Mods, au point où j’avais pratiquement délaissé toute
violence. Même quand ils rencontraient une embrouille, je ne bougeais
pas. Je pouvais commencer réellement à devenir gentil. Cela me faisait de
plus en plus de bien. En plus, des potes comme Tramber venaient souvent
nous visiter. Alors, une nouvelle famille se reconstituait.

LES TEEP’N’TEEPATIX (1989)

Puis est venu le temps où Fesni a passé le permis voiture. Il a acheté une
vieille Golf grise d’occasion sur laquelle il a fait faire les transformations
pour l’adapter à la conduite handicapée. Les vitesses étaient automatiques,
le frein c’était une manette au volant, et l’accélérateur un poussoir sur le
volant. C’était un bon plan car on allait pouvoir se déplacer plus librement.
74 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI

Fesni lui avait donné un surnom entre autre : la Bat mobile. Lorsqu’elle
avait quelques ennuis de démarrage, il la caressait et l’appelait aussi
gentiment « Taras Boulba » pour qu’elle reparte, mais ça ne marchait pas
toujours. C’est une époque où on passait les journées à rigoler et à faire la
fête comme des gamins.
On avait envie de refaire de la musique. Personnellement, j’avais commencé
à prendre des cours de guitare avec un gars de ma cité qui s’appelait Khalid.
C’était l’ancien guitariste de Dygitals, un groupe de métal de Bagnolet.
Alors, j’ai demandé à Fesni s’il voulait venir avec moi acheter une guitare.
On a été vers Montparnasse sur un boulevard. Puis on a essayé différentes
guitares. Finalement, j’ai essayé une Takamine acoustique modèle Jumbo.
Je la sentais bien. C’était différent d’une guitare électrique mais on avait
envie de faire un groupe vraiment différent.
En regardant toutes ces guitares, Fesni a eu lui aussi envie d’en acheter une
afin d’apprendre à jouer de cet instrument. On a alors pris deux guitares à
crédit, moi la Takamine et lui une Gibson demi-caisse. Chacun dans notre
coin, on bossait pas mal notre instrument, des heures entières tous les
jours, on commençait à progresser et à composer de nouveaux morceaux.
J’aimais vraiment bien la façon de chanter de Fesni à ce moment-là. Ses
textes avaient un message positif, rien à voir avec les Evil Skins et il avait
un charisme propre à lui. On avait un bon feeling tous les deux. Alors, on
a branché Tramber pour remonter un groupe. C’était cool de se retrouver
tous les trois. Tramber a ramené un pote à lui, Christophe le Belge, à la
seconde guitare, et un batteur, Marc. On a alors commencé le groupe.
Le nom décidé pour le groupe était « Teep’n’teepatix. » Bon, n’allez pas
chercher à comprendre un tel nom, c’était encore du Fesni dans l’air, avec
son blues du passé. Evidemment, un nom de groupe reflète les gars qui
y jouent. C’était une façon de faire remarquer au monde qu’on était des
anciens voyous. En fait, y’avait pas besoin d’en parler. Tout le monde le
savait déjà. Mais bon, c’était l’ambiance d’une transition. Il restait toujours
une senteur dans l’air.
A force d’écouter de la soul avec les Mods, notre musique s’en est trouvée
influencée. On avait même formé une troupe de choeur constituée de
Mods qui danseraient et chanteraient dans le groupe. Il y avait Sylvain,
Alexandre et François entre autre. C’était vraiment classe. Y en avait un
Les Teep’n’teepatix (1989) 75

qui jouait même de l’harmonica. C’était une époque où on sentait un «


revival » dans l’air. Il y avait plein d’énergie. Plus on côtoyait les Mods et
plus on amenait également notre feeling. Je me rappelle qu’on avait même
constitué dans la bande un petit groupe qui s’appelait « les chaouis ». On
se marrait bien.
Dans cette bande, il y avait : Cid et Anne, Pilon, Sylvain, Munck, Alex,
Cyril, Top, Yonnel, Bougs, Stéphane, Stan, Radhu, Virginie et sa soeur,
Jacques et Magali, Karim, Fred, Piaf, Valentin, Françoise, Sophie, l’agent
immobilier et sa femme. J’y ai vu également quelquefois Karim, Caruso et
Boufathal, des anciens du Jet club.
C’était vraiment une époque où je tentais d’oublier mon passé. Cette vie
de skinhead m’avait fait faire une overdose de violence. Aussi, je cultivais
en moi un autre personnage : celui d’un garçon gentil, non raciste, non
violent, ouvert d’esprit. Je me plaisais ainsi, je ne voulais plus retomber
dans ces extrêmes. J’avais tellement changé que j’avais même du mal à me
défendre contre des agresseurs. Il m’arrivait de me faire insulter sans que
je ne dise un mot.
Mais le passé venait malgré moi me rechercher. Je me rappelle par
exemple de ce jour à la terrasse d’un café, j’étais seul assis paisiblement et
soudainement j’ai aperçu une fille chinoise se rapprocher de moi. C’était
une fille de mon ancien gang. Je la voyais mais je n’ai pas bougé. J’ai
essayé de faire comme si de rien n’était, comme si je ne l’avais jamais
connue. Elle a pris alors une chaise du café et s’est assise en face de moi.
Je lui ai dit d’un ton hésitant : « Ça va ? » J’essayais de tenir mon nouveau
rôle, d’effacer le passé, mais elle était là et elle me regardait fixement
dans les yeux, car j’étais son passé. Elle s’est mise alors à pleurer. Elle a
complètement craqué. J’essayais tant bien que mal de ne pas culpabiliser,
d’oublier, mais c’était tellement difficile d’être à ce point si dur de cœur.
Pourtant je demeurais en face de cette personne en essayant de ne pas
prêter attention à ce qu’elle représentait pour moi. Elle m’a alors posé
cette question : « Cela ne te fait rien de me voir ? Toutes ces atrocités que
tu as faites, tu ne peux quand même pas faire comme si tu n’avais jamais
rien fait ? Tu te rends pas compte de ce que tu m’as fait subir et également
à tous ces gens ? » J’étais là comme un lâche, n’assurant pas mes actes
passés et essayant de minimiser mes actes si cruels en les faisant passer
pour des erreurs de jeunesse.
76 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI

En fait, c’était une époque où plus je fuyais mon passé, plus il revenait
me chercher. Je me revois encore à cette terrasse de café et ces skinheads
qui défilaient sachant qu’on traînait ici Fesni et moi. Ils faisaient des
saluts nazis et embrouillaient des gens comme pour nous faire voir qu’ils
suivaient notre exemple. On fuyait maintenant tout cela, mais ça nous
rattrapait. C’était comme un cauchemar. Ça revenait à nous tout le temps.
La vérité c’est qu’on avait bien changé. On essayait simplement comme
des lâches de chasser notre passé, sans pour autant réparer tous ces actes
barbares. Ce n’était pas correct. Même si on se considérait comme des
provocateurs plus que des nazis, les faits étaient là et les conséquences
défilaient devant nous. Ces skinheads eux l’étaient et ils nous considéraient
maintenant comme leurs héros. De plus, comment penser simplement à
de la provocation lorsqu’on avait affiché de telles idées ouvertement dans
la rue ? Non, ce n’est pas correct, de tels délires ne peuvent être pardonnés
aussi facilement. Il doit y avoir une limite. Ce que tu fais, il faut le payer. Il
y a une justice. On appelle ce principe la loi du karma. Une action entraîne
une réaction égale et opposée. Ce que tu sèmes, il faut le récolter.
Aussi, par moments, je n’arrivais pas toujours à me fixer dans la non-
violence. J’avais des hauts et des bas, une certaine nostalgie du passé venait
me chercher. Il m’arrivait alors de passer à la boutique du L située dans
le quinzième arrondissement de Paris. J’y revoyais des personnes comme
Jean Marc, un ancien skin des Halles et bien sûr Pat, le boss du magasin.
Il envisageait d’ouvrir une autre boutique. Il m’a alors branché pour que
je travaille avec lui. Ça coïncidait avec le temps où j’avais besoin d’argent,
alors j’ai accepté.
Ce boulot était cool, mais le problème c’est que cet endroit était un peu la
plaque tournante des branchés de Paris et des skins. Avec cette association,
il m’est donc arrivé de péter les plombs. A ce sujet, je me rappelle de ce
jour où une bande de skins a commencé à embrouiller Pat, là où se trouvait
l’autre magasin. Quelqu’un est venu me prévenir : « Willy ! Pat est en train
de se faire embrouiller par des skins ! » J’ai alors pris une barre de fer et je
suis sorti pour l’aider. Il était vraiment en train de se prendre la tête avec
une bande de skins. Je suis arrivé et tout de suite, les gars m’ont demandé
si j’avais un problème. Bilan, je me suis mis à hurler et avec ma barre je les
ai coursés sur 200 mètres : « Je vais vous tuer ! Ah ! » Je me rappelle que
Menilmontant 77

Jean Marc était sorti de la boutique et qu’il m’a fait un signe pour me dire
que j’avais pété un plomb, car tout le quartier était aux fenêtres, bonjour
la pub pour le magasin. Pat n’était pas content lui non plus, mais il avait
été impressionné par ma démonstration. Mais je dois vous dire qu’il n’y
a rien d’extraordinaire à faire ce genre de chose. C’est l’art du combat de
la rue. Quand tu as vécu des années dans la rue en tant que skinhead, tu
connais tous les trucs pour assurer à un contre dix. C’est tout un cinéma.
Par exemple, quand tu vois au loin quelques lascars d’une autre bande, au
lieu de faire demi-tour, tu ralentis de plus en plus. Automatiquement, ils
trouvent cela bizarre et ils pensent par exemple que tu es armé. Combien
de fois, j’ai tenu tête à des bandes juste avec du bluff. C’est vraiment une
technique de cinéma. De même, il y a rien de plus facile de se battre seul
contre plusieurs avec une barre, car dès que tu en touches un, les autres se
sentent également touchés. Il n’y a donc rien de prestigieux en tout cela.

MENILMONTANT

C’est à cet endroit que j’ai rencontré pour la première fois des mecs d’un
moto club. Ils étaient des anciens skinheads. Ils avaient des choppers et
leur look dégageait bien. C’était un peu la progression naturelle pour celui
qui désirait arrêter d’être un skin mais qui voulait en même temps rester
dans un gang. Je retrouvais un peu le même état d’esprit mais moins axé
sur la provocation raciale.
Ces motards ont généralement des looks bien rock’n’roll. Ils portent les
couleurs de leur club dans le dos. Ils ont également un local où ils se
rassemblent, lieu qui délimite un territoire qu’ils défendent. Ils ont des
règles strictes, un code d’honneur et une grande fraternité entre eux.
Leur passion est la moto, les femmes, le rock et la fête. Je me rappelle
qu’ils confectionnaient eux-mêmes leurs choppers. C’étaient des
mécaniciens avérés.
Ils m’ont tout de suite invité à se rapprocher d’eux. On se voyait
régulièrement et on n’a fait pas mal la fête ensemble. C’est là que j’ai revu
deux anciens membres des Evil Skins qui traînaient avec eux.
Il y avait dans leur groupe une fille très belle. A cette époque, je cherchais
à me caser avec une nana qui puisse m’apporter un équilibre. C’est vrai,
78 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI

j’avais connu toutes sortes de femmes et je n’ai pas toujours été tendre ou
respectueux, voire fidèle. J’en ai fait du mal, surtout qu’elles s’attachaient
facilement à moi. Au passage, je leur demande humblement pardon.
Je dois dire que ma rencontre avec cette fille a été comme un coup de
foudre. Même si elle sortait d’un désastre amoureux, elle a simplement été
attirée par moi et vice versa. Je me rappelle de ce premier soir où elle m’a
invité chez elle. Dans ma tête, je ne voulais plus de ces rapports bestiaux
que j’avais connus avec d’autres filles. J’avais besoin d’amour. Le sexe
n’était plus ma première raison d’être. Je cherchais quelque part l’amour
mais dans une forme plus pure. Aussi, je n’avais pas envie d’avoir comme
premier rapport avec elle, des relations sexuelles. Je désirais la respecter
et partir sur des bases différentes. Mais à vrai dire cela ne s’est pas passé
comme je voulais. Cela m’a fait souffrir intérieurement, car je réalisais que
ce que je cherchais n’existait peut-être pas.
Elle vivait dans son appartement à Ménilmontant, un quartier populaire de
Paris et après quelque temps, elle m’a invité à vivre avec elle. J’avais déjà eu
quelques expériences de vie en commun avec une femme, et à vrai dire ça
n’avait jamais duré longtemps. Quel genre de vie pouvait avoir une femme
avec un gars comme moi ? Mais là je sentais que c’était différent. Déjà, elle
était une femme qui avait du caractère. Elle était intelligente et ambitieuse.
Ceci m’a apporté une sorte d’équilibre et j’aimais jouer avec elle à l’homme
casé. Et puis, elle n’était pas contraignante puisqu’elle venait d’un milieu
marginale, aussi elle partageait également mes amis, et je partageais les
siens. Sa meilleure copine était la compagne d’un des bikers et on se voyait
pour cela très souvent. Je sentais qu’ils voulaient que je rentre dans leur
bande mais je n’avais pas envie de retourner dans la violence.
Son père était le PDG d’une entreprise en Guyane française. Naturellement,
il a invité sa fille à venir vivre dans ce département français. Elle m’en
a parlé, car elle désirait continuer à vivre avec moi. Après réflexion, j’ai
décidé d’y aller. Cela pouvait être une bonne aventure et surtout j’étais
attaché à elle. J’ai donc parlé à Fesni et à Tramber que je voulais arrêter
le groupe. Ils ont été très compréhensifs, surtout qu’on tournait pas mal
en rond. Je pense qu’ils avaient besoin de nouveaux, ça tombait bien en
quelque sorte. Fesni avait déjà pris la seconde guitare dans le groupe, car
Christophe était parti et Jean était maintenant à la batterie. Tramber voulait
prendre ma place et il allait trouver un nouveau bassiste.
La guyane (1990) 79

Quand j’ai quitté le groupe des Teep’n’teepatix, j’ai senti une très grande
déchirure. Tant d’années passées ensemble, ce n’était pas facile de franchir
le pas. Aisé à dire, mais difficile à réaliser. C’était une partie de moi-même
qui mourait. Je me rappelle encore de ce Noël 1990 où le groupe m’a
invité. Il passait à la radio ce soir-là en direct. Il allait jouer en acoustique
accompagné d’une boîte à rythme. C’était un morceau que j’adorais.
Quand je les voyais jouer sans moi, j’étais si mal. Mais c’était maintenant
trop tard, c’est moi qui étais parti. Fesni m’a dit ce soir-là : « Hé, Willy, ça
va marcher le groupe maintenant, t’inquiète pas, on va pas t’oublier ! » On
était de si bons copains...
Mon amie était propriétaire de son appartement. Elle avait comme plan de
le vendre pour assurer la transition en Guyane. Je l’ai aidée à le retaper et
elle a pu le vendre rapidement et à un bon prix. Avec l’argent, elle voulait
ouvrir un salon de coiffure là-bas, car elle était coiffeuse de métier. On a
contacté une personne qui louait à Paris son salon de coiffure en Guyane.
On s’est mis d’accord pour une date de location, et on a payé le bail et les
trois premiers mois de loyer.
On avait décidé qu’elle partirait vivre en premier là-bas, pour commencer
son activité et chercher une habitation. Faut dire que je n’étais pas pressé
de rencontrer son père. J’appréhendais cette première rencontre. Il fallait
mieux la jouer cool. Pendant ce temps, j’ai continué à travailler au L.

LA GUYANE (1990)

Puis le moment est venu où il a fallu que je quitte la France pour rejoindre
mon amie. Arrivé là-bas, il faisait une chaleur écrasante et une telle
humidité, c’est comme si vous respiriez de l’eau. Eh oui, c’était la région
de l’Amazonie, le poumon du monde. Telle a été ma première prise de
conscience lorsque je suis sorti de l’avion. C’était écrasant. Bon, j’avais
connu la Nouvelle Calédonie, mais là c’était pire, le climat était bien plus
humide. Mon amie m’attendait à l’aéroport.
J’ai repris ma vie avec elle, mais j’ai remarqué d’entrée que son caractère
avait un peu changé. Elle n’était pas comme avant. Parfois, lorsqu’on
devient patron et qu’on a des employés à sa botte, ça monte un peu à
la tête. Surtout là-bas, les employés vous bichonnent. Et puis, c’est elle
80 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI

qui finançait tout, moi j’étais un peu l’arriviste, celui qui profitait du bon
plan. Aussi, j’ai senti qu’il fallait que je trouve du boulot, que je crée un
équilibre financier dans le couple. Ceci m’a permis de prendre rapidement
un contact avec le pays.
La ville de Cayenne était une ville coloniale. Lorsque j’arpentais ses rues,
j’avais l’impression de remonter dans le temps : des maisons avec des
colonnes, des personnes habillées à l’ancienne. Tout semblait imprégné
du temps. Comme tous ces pays colonisés, c’étaient souvent les Blancs
qui avaient le pouvoir et on ressentait facilement un certain racisme des
Noirs envers les Blancs. Vous étiez dès le début perçu comme un nouvel
arriviste. C’était vraiment étrange comme ambiance. Ceci me rappelait un
peu la vieille campagne française, avec ces paysans qui vous épiaient par
les fenêtres. Les habitants locaux faisaient vraiment tout pour que vous
repartiez le plus vite possible.
C’est dans cette atmosphère que je me suis présenté à un bar restaurant,
situé sur la place principale de la ville. Il était la propriété de monsieur
L, un riche propriétaire, renommé pour avoir été souvent malhonnête
dans ses affaires. Il était habillé avec le costume traditionnel colonial. Sa
gouvernante était madame Suzie, une dame à la cinquantaine bien passée,
très forte, et très commandante. J’avais l’impression de revivre le temps
de l’inégalité entre les Noirs et les Blancs. Ils étaient tous deux comme des
monarques avec leurs employés guyanais. Ceux-ci avaient très peur d’eux
et leur obéissaient comme à des maîtres. C’était vraiment une approche
différente de la métropole.
J’ai eu un entretien avec eux et j’avoue qu’ils m’ont placé tout de suite au-
dessus des autres employés guyanais, parce que j’étais un Blanc. L’ambiance
ne me plaisait pas du tout, mais j’avais besoin d’argent, alors je n’ai pas eu
d’autre choix que d’accepter et ils le savaient. Madame Suzie m’a présenté le
lendemain aux autres employés qui faussement m’ont accueilli avec chaleur
et elle m’a expliqué mes fonctions. Je serais une partie au restaurant et une
autre en tant qu’administrateur. Le lendemain, j’ai pris place dans mes
fonctions, et là le coup de théâtre : pas un employé ne me parlait ni ne me
regardait. J’étais la bête noire. On me haïssait. On me dénigrait. Je n’avais
jamais expérimenté cela. J’étais un Blanc. J’expérimentais la condition du
racisme. C’était un revers de médaille, moi qui avais tant déliré avec des
La guyane (1990) 81

emblèmes fascistes, je me retrouvais à ressentir ce que beaucoup avaient


dû ressentir en ma présence. C’était vraiment le choc. J’essayais de parler,
d’être gentil, rien ne passait. Pendant quinze jours, que des mots durs, des
regards discriminatoires, aucun échange possible, alors j’ai commencé à
accepter, à prendre mon mal en patience. Il fallait que je bosse. C’est la vie
comme on dit.
Bon, ça paraît banal, mais franchement quinze jours, c’est drôlement
long. La douleur que vous ressentez intérieurement devient profonde. Je
me rendais compte à quel point ceci n’avait aucun sens. Mais j’apprenais
à changer et ça a été pour moi la meilleure école. J’étais inconnu, mes
tatouages, mon passé étaient camouflés, en plus j’étais bien habillé et je
réussissais à tolérer de telles attaques. Je sentais en moi un autre rôle, une
autre identité, celui d’un homme de plus en plus gentil.
Tout d’un coup, la situation a basculé, on me souriait, on m’acceptait, on
plaisantait avec moi. C’était à rien y comprendre. Vraiment étrange. Ils
m’appelaient Doudou William maintenant. Ils avaient soudainement pris
confiance en moi. Ils avaient compris que je n’étais pas un de ces Blancs
qui les considérait comme des êtres inférieurs, car malheureusement il y
avait, dans ce pays, cette mentalité encore bien vivante mais cachée. Alors,
j’ai commencé à faire connaissance avec des gens locaux. On se retrouvait
à la maison où l’on parlait de la vie. Et parfois, je leur faisais écouter du
punk, et sous l’effet du petit punch, ils se mettaient à sauter dans tous les
sens. C’était vraiment des gens rigolos qui aimaient bien rire. Maintenant,
j’avais des copains complètement différents : des créoles. Je découvrais un
autre monde, d’autres horizons : l’Amazonie, le reggae… C’était pour moi
un nouveau film, une découverte. Je tournais une autre page de ma vie.
Mais j’ai compris bien vite que d’avoir une belle femme dans ce pays était
l’objet d’une convoitise accrue. En effet, en Guyane, il n’y a pratiquement
pas de fidélité. Tous les couples se trompent les uns avec les autres. Aussi,
vos soi-disant amis étaient parfois des hommes qui vous approchaient, pour
en fait, s’approcher de votre femme. C’était une ambiance très spéciale.
Lorsque j’ai compris le manège, je suis entré dans une grande colère, puis
j’ai été tranquille par la suite. Elle, également, devait faire attention, car des
femmes me trouvaient également très beau.
On a vécu comme cela pendant six mois, mais c’était fade cette vie pour
moi. De plus, son business ne marchait pas fort. Elle travaillait des journées
82 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI

de douze heures qui lui permettaient tout au plus de payer ses employés et
ses factures. Graduellement, notre relation s’est dégradée au point où j’en
ai eu marre et que j’ai voulu m’en aller et retrouver mes potes. Je lui ai parlé
de notre couple. Je lui ai avoué que je ne pouvais pas continuer ainsi. Alors,
elle a été prise de sentiment et elle a décidé de rentrer également dans le
but de préserver notre liaison.
On est donc rentrés à Paris. Dans un premier temps, on a vécu chez sa
mère. C’est dans ce lieu que j’ai découvert une lettre qu’elle avait écrite à sa
mère lorsqu’elle vivait en Guyane avec moi. Elle lui révélait son hésitation
à partir avec un autre homme. Lorsque j’ai lu ça, sous la colère, j’ai décidé
de rompre avec elle. Comment pouvais-je faire ma vie avec une femme
comme elle ? J’ai alors retrouvé mes potes à Gambetta et je me suis enivré.
J’avais la haine, mais lorsqu’elle est venue me chercher au bar, je n’ai pas
pu la rejeter car j’étais attaché à elle. Elle s’est expliquée et m’a demandé
pardon. On a convenu de déménager, car à cause de cette lettre, il y avait
eu quelques problèmes avec sa mère. On a préféré habiter plutôt chez mes
parents. C’est alors qu’on a travaillé à mi-temps dans un commerce, pour
pouvoir gagner un peu d’argent.
Parlons un peu de ce magasin avec ses deux étages et son sous-sol en plein
cœur de Paris. Quelle atmosphère, dans ce sous-sol où je travaillais. Les
vendeurs étaient hyper frustrés. Ils ne voyaient pas le jour de la journée. Ils
étaient constamment en guerre avec les clients du magasin et vice et versa.
Il y avait tellement de magouille également. Ceux qui avaient une caisse à leur
stand pouvaient se mettre plein d’argent dans les poches. Le système était
simple. L’article le plus vendu dans le stand était choisi pour la magouille.
Lorsqu’un client en achetait un, le vendeur encaissait simplement l’argent
sans lui donner le ticket. Puis le ticket était réutilisé pour un autre acheteur.
L’argent pouvait être soutiré ainsi de la caisse. Un vendeur pouvait voler
de la caisse jusqu’à huit cents francs par jour.
Il y avait également ceux qui magouillaient avec la vente de plus gros
objets comme les alarmes. Les vendeurs proposaient aux clients qu’ils
achètent illégalement pour moitié prix des systèmes très sophistiqués. Le
vendeur pouvait ainsi se faire dans les dix mille francs par mois minimum.
Mais il devait sortir le matériel et assurer la livraison. Les responsables de
l’établissement savaient qu’il y avait des voleurs. Mais dans une si vaste
La guyane (1990) 83

entreprise, c’était difficile de véritablement savoir qui était coupable, à


moins qu’il y ait de la délation.
Or, il y avait beaucoup d’inspecteurs en civil qui testaient les vendeurs.
Déguisés, ils achetaient ces mêmes objets plusieurs fois dans la journée
pour essayer de prendre en flagrant délit les voleurs. Mais c’était vraiment
rare qu’ils en choppent un, car ces inspecteurs étaient facilement repérables
pour une personne qui avait un peu d’intelligence.
Bien sûr, comme dans tout établissement conséquent, il y avait à chaque
étage un chef de rayon. Le mien avait vraiment une haute estime de lui-
même. De temps en temps, il déambulait dans les rayons tout comme un
lion qui se pavane dans la jungle et qui sème la terreur. Tout le personnel le
redoutait. Il représentait celui qui pouvait les virer, surtout qu’il cherchait
les fautes.
Lorsqu’il apparaissait, les vendeurs devenaient des plus serviables avec les
clients. Vous les voyiez s’affairer de tous les côtés : « Je peux vous servir ? »
« Mais oui Madame, nous sommes ici pour votre plaisir ! » C’était comme
dans un théâtre. Puis, lorsque le chef retournait à son bureau, on entendait :
« C’est bon, il est rentré ! » Alors la guerre avec les clients reprenait. La
même scène se reproduisait tous les jours, sans que jamais ils ne se posent
de questions sur leur condition. Une méchanceté les prenait dès qu’ils
arrivaient sur la zone de travail. C’était en quelque sorte impressionnant
de pouvoir observer cette condition d’existence.
C’est à cette époque où ma compagne est venue me dire qu’elle attendait
un enfant de moi. Je me rappelle de ce jour, c’était l’hiver et elle était vêtue
d’un poncho. Elle était très belle. J’avais l’impression qu’une radiance
s’échappait d’elle. Elle avait l’air si heureuse. Mais ce n’était pas facile pour
moi d’être confronté à cette situation. Je n’avais, pour ainsi dire, jamais été
une personne responsable. Mais j’ai pensé que c’était une phase dans la vie
que tout être doit accepter, alors j’ai accueilli comme elle l’événement avec
une grande joie.
Au fur à mesure que l’enfant grandissait dans son ventre, elle était de plus
en plus belle. Elle rayonnait de beauté et de joie. D’ailleurs, tout le monde le
voyait et me disait : « Qu’est-ce qu’elle est belle ! » Beaucoup me jalousaient
d’avoir une si belle compagne. Je sentais que le fait que je lui donne un
enfant, transformait son attachement pour moi. C’était quelque chose de
84 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI

plus sérieux, comme un engagement pour la vie. En effet, la psychologie


d’une femme tend vers le fait de devenir une mère. Aussi, celui qui comble
son désir lui devient naturellement cher. Dans cette atmosphère, la vie de
famille devient plus tangible et les désirs communs s’accroissent sous la
forme de projets (maison, compte en banque…) et de liaison plus forte
avec les membres de la famille. Le mental parfois nous fait rêver à tant de
choses, mais la vérité était tout autre. On vivait chez mes parents dans une
petite chambre de dix mètres carrés tout au plus. Et les relations entre ma
compagne et ma mère n’étaient pas toujours faciles. Aussi, des tensions
sont apparues inévitablement avec le temps.
Oh ! De ces tensions internes, j’avoue que j’y étais également pour quelque
chose. C’est à cette époque que j’ai revu deux anciens skinheads de la
bande et j’ai eu à nouveau une crise de violence. On a été au restaurant
ensemble. Bilan, des Anglais costaux comme des bœufs nous ont regardés
à table, on s’est levés, les tables et les chaises du restaurant ont valsé, la
vaisselle a été cassée et un Anglais est resté par terre. Je suis revenu chez
ma mère, ivre avec du sang sur mes vêtements, et j’ai hurlé sur cette femme
qui portait mon enfant.
La pauvre, je la voyais pleurer par terre avec son ventre bombé. Comme on
peut être cruel lorsqu’on est en proie à de mauvaises associations. Toutes
les mauvaises tendances ressortent et ce sont des personnes innocentes qui
en sont le réceptacle. Dans ces moments, je redevenais sans pitié. Bien sûr,
je ressentais en moi que je faisais du mal, mais ma fierté m’amenait à vivre
cette cruauté. Toutefois, lorsque ma colère redescendait, mon attachement
pour elle et cet enfant prenait de nouveau le dessus. Je lui demandais alors
pardon, regrettais amèrement mes fautes et redevenais un garçon doux.
Je la serrais alors contre moi avec beaucoup d’amour et je caressais son
ventre qui portait notre enfant.

MON ENFANT

Un jour, elle a eu des contractions, et j’ai dû l’emmener d’urgence en taxi


à l’hôpital. J’ai téléphoné à quelques copains pour les prévenir. Ils m’ont
alors rejoint et je suis resté avec eux pour attendre l’heureux événement.
Bon, j’avoue qu’on a commencé ce jour-là à le fêter précocement. J’étais
Mon enfant 85

complètement ivre. On était à l’hôpital dans une salle d’attente. C’est


alors qu’une infirmière est venue me chercher. Je l’ai suivie et suis
entré dans la chambre où ma compagne se trouvait. Elle était épuisée
par l’accouchement. Je me rappelle l’avoir embrassée et avoir reçu une
décharge électrique due à son contact. L’enfant n’était pas dans cette pièce.
L’infirmière m’a emmené dans une autre pièce. Il y avait dans cette salle
de soins ce nouveau-né, ma petite fille. Elle avait encore du sang sur tout
son corps. Elle pleurait amèrement, posée sur une balance, enveloppée
dans un papier blanc.
A vrai dire, je ne m’attendais pas à cette vision assez sanguinolente et à
ces pleurs. Je ressentais que la naissance n’était pas une chose facile, mais
une chose plutôt difficile. Je voyais mon enfant souffrir, car elle ne pouvait
pas s’exprimer, ni être comprise. Les infirmières l’ont alors nettoyée et
me l’ont mise dans les bras, enveloppée dans un papier. Elle était si petite,
j’avais peur de la casser. Je ne me sentais pas du tout à l’aise. Je ressentais
à quel point il fallait une qualification pour s’occuper d’un nouveau-né.
Seule une femme est capable de faire cela. C’est dans sa nature, pas dans
celle de l’homme. L’enfant pleurait. Cela m’a fait une impression si étrange.
C’était nouveau. Il fallait que j’entre dans cette conscience d’être un père.
Mais il y avait un tel décalage, surtout dans l’état où j’étais. Cette rencontre
a été un choc dans ma vie, un palier à passer, une chose naturelle, mais
qui ne s’est pas manifestée d’une façon évidente. C’était vraiment étrange
pour moi de recevoir mon enfant sans la présence de ma compagne.
J’ai alors embrassé l’enfant. J’ai senti son petit corps. Puis on me l’a
reprise et on m’a redirigé vers la chambre de ma compagne. Je n’étais pas
vraiment libre de m’exprimer, de l’aimer. C’était étrange cet hôpital. Ils
s’interposaient entre nous tous. Un coup j’étais sans eux, un autre avec ma
compagne, puis avec ma fille. Mais on n’était toujours pas ensemble. J’étais
à la fois heureux et insatisfait. Je ne m’étais pas préparé à rencontrer ma
compagne et mon enfant de cette manière.
Lorsque j’ai revu ma compagne, elle était si fatiguée qu’elle avait du mal à
parler. Alors pour détendre l’atmosphère j’ai voulu faire une petite blague.
Lorsqu’elle m’a demandé si j’avais vu notre enfant, je lui ai répondu qu’elle
était très belle, qu’elle avait de grands pieds et un grand nez comme moi.
Elle a mal pris la chose, elle n’a pas compris que je plaisantais. Elle a appelé
86 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI

l’infirmière avec grande anxiété pour savoir si cela était vrai. Le résultat
c’est que l’infirmière m’a passé une sauce et j’ai dû quitter la chambre.
Lorsque j’ai raconté à mes potes comment cela ça s’était passé, ils ont dit
tout en rigolant : « C’est du Willy ! »
Lorsque ma compagne est sortie de l’hôpital avec notre fille, on a continué
à vivre chez mes parents. Mais la petite pleurait toutes les nuits, aussi ce
n’était pas facile et ma compagne s’énervait. Je pense que j’ai dû entendre
pas mal de fois cette réflexion à cette époque : « Elle est comme son
père !!! » Je remarquais certains changements également dans notre couple,
car lorsqu’une femme a un enfant, son attachement pour son compagnon
devient partagé. C’est parfois quelque chose de difficile à vivre pour
le conjoint. En un mot, la femme se focalise davantage sur son enfant,
délaissant son mari. Le conjoint peut alors passer par une phase difficile dû
à ce manque d’affection. Ce qui implique que l’homme et la femme vivent
différemment cette évolution dans le couple, du fait que la mère a porté
l’enfant et qu’elle a déjà établi une relation avec l’enfant, contrairement au
père. Il faut attendre un certain temps avant qu’un équilibre se crée. J’ai
ressenti cela en moi, je le reconnais, mais ça n’a pas duré très longtemps.
Ma vie avait commencé à changer davantage. J’étais, comme dirait le
jargon, une personne casée. Plus de look, plus de bagarre, un travail, une
femme et ma fille, une vie des plus normales. Bon, lorsque j’allais à la plage
ou à la piscine avec mes tatouages d’avant, ça me remettait dans le passé,
vu que personne n’osait se mettre à côté de moi. Il y avait toujours un petit
vide autour, mais je l’avoue, il y avait parfois des moments où je jouais au
voyou ou tout simplement des remontées de violence s’emparaient de moi
à de rares occasions.
Je me souviens à ce sujet que j’avais postulé pour être embauché à la R
comme mon père, histoire de subvenir à ma petite famille. J’ai attendu
longtemps une réponse qui n’est pas venue. Au bout de six mois, j’ai alors
décidé d’appeler. J’ai eu un rendez-vous pour un entretien. J’ai rencontré
une dame des plus antipathiques. Elle m’a simplement dit : « Vous ne
trouvez pas bizarre de ne pas avoir téléphoné avant. Nous n’avons pas
besoin de personne comme vous à la R, et ce n’est pas la peine de postuler
une autre fois, le « non » est définitif. » Je l’ai alors regardée sans rien dire.
Elle était derrière un énorme bureau, des dossiers étaient empilés dessus.
Mon enfant 87

Ma colère a monté d’un seul coup, j’ai retourné le bureau. Cela a fait un
tel tumulte. Tous les employés ont accouru et cette fille était là, devant
moi, pétrifiée comme une statue. J’ai regardé la femme et les employés et
je suis parti tranquillement. Arrivé en bas, j’ai dit à ma compagne : « Vite,
on s’en va ! »
Juste un peu plus tard, on a pris le métro avec la poussette. Ma compagne
était assise dans le métro avec l’enfant. Elle s’est levée pour passer, un
homme lui a dit : « Mais elle se prend pour qui celle-là !!! ». Il n’avait pas
vu que j’étais avec elle. Je l’ai pris par la gorge et je l’ai traîné par terre
jusqu’à l’ouverture des portes, avec un calme glacial. Je me suis arrêté et
je n’ai pas tapé sa tête contre le bord de la marche du métro comme je le
visionnais. Je l’ai alors lâché et je me suis retourné pour regarder toutes
les personnes qui étaient dans le wagon, au cas où une autre personne en
voudrait également. Mais les gens ont eu vraiment peur au point qu’ils
ont tiré le signal d’alarme, car le gars était encore par terre, choqué par ce
degré de violence. Je pense qu’à ce moment-là, j’étais redevenu un peu ce
que j’étais avant. Et comme dans ce temps, j’ai dû partir en courant pour
ne pas être arrêté par la police.
Ma compagne ne m’a jamais fait de réflexion sur cette violence. Je pense
qu’elle aimait être avec un homme dur, quelqu’un qui puisse la protéger.
Je dois avouer qu’ensemble on a fait pas mal de plans frauduleux pour
maintenir notre couple, donc elle était également loin d’être une sainte.
Sans cela, elle ne se serait jamais mise avec une personne comme moi.
C’est évident.
Je me rappelle qu’ensemble on dealait de la drogue. On allait régulièrement
chez un grossiste chercher du haschich qu’on planquait sous le berceau
de l’enfant. Puis une fois revenus chez mes parents, on faisait des parts
de vingt-cinq ou de douze grammes et aussi des barrettes pour la revente,
et ceci se passait chez mes parents sans qu’ils le sachent. On avait ainsi
un petit réseau de clients qui nous permettait de gagner de l’argent, car
je n’arrivais pas à trouver du boulot. Il fallait bien se débrouiller et pour
un ancien voyou, c’était évident que la vente de drogue était la chose la
plus naturelle et la plus rémunératrice. Pour moi, il n’y avait pas de lois,
pas de règles. Ce monde était simplement une jungle. Il fallait se battre
pour survivre.
88 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI

La vie chez mes parents devenait graduellement insupportable pour ma


compagne. Elle désirait de nouveau vivre en Guyane, retrouver une vie
normale. Ça devenait une situation précaire, et puis on désirait arrêter de
vendre de la drogue et trouver une situation normale. Moi, j’avais un petit
peu un doute de trouver le bonheur là-bas, surtout avec l’expérience que
j’avais eue, mais bon, dans un couple, c’est toujours un peu comme un deal
si l’on veut que ça tienne, alors j’ai accepté.
Cette période a marqué le temps où mon ami Fesni commençait à
s’intéresser à la spiritualité. Il lisait pas mal de livres sur le sujet, il pratiquait
la méditation et il s’est tourné vers une alimentation végétarienne. Bon,
quand Fesni faisait quelque chose, c’était toujours à fond. Alors, du jour au
lendemain, c’était choc : « Hé Willy ! C’est puissant, tu devrais essayer ! »
Il m’a donc prêté des bouquins et j’ai commencé à m’intéresser à la vie
spirituelle d’une façon secondaire.

UN ÉVEIL SPIRITUEL (1991-92)

Ma fille grandissait. Elle était si belle et si intelligente ! Elle a commencé


également à dire quelques mots, puis à marcher à quatre pattes et enfin
sur ses deux pieds. J’avais beaucoup d’amour pour ma petite fille, ainsi
que pour ma compagne. Je faisais comme tous les pères, je l’amusais, je
l’embrassais. J’y prenais tellement de plaisir. C’est dans cette atmosphère
qu’on est repartis en Guyane. Mais cette fois c’était différent. Ma compagne
avait abandonné l’idée d’ouvrir un commerce, d’être une femme chef
d’entreprise. Elle préférait rester à la maison pour s’occuper de notre
enfant. Je dois avouer qu’il est difficile pour un homme d’avoir à ses côtés
une femme trop dirigeante. Aussi, le fait qu’elle ait un enfant avait changé
énormément sa mentalité. Elle participait davantage à l’harmonie du
couple. On a donc loué un appartement sur Cayenne et j’ai commencé à
prospecter pour chercher du travail. Finalement, j’ai trouvé une place de
serveur dans un restaurant à Roura.
Roura était un petit village, tout au bord du fleuve Amazonie. C’était en
pleine brousse à cette époque. C’était vraiment un coin paumé. Je me
demandais bien pourquoi le patron avait ouvert un restaurant ici. A vrai
dire, il déprimait souvent. Il s’appelait Didier. Bien qu’il ait une situation
Un éveil spirituel (1991-92) 89

de famille avec une femme très gentille et travailleuse, il parlait toujours de


la mort. Ça se voyait qu’il n’était pas heureux. A part les Amérindiens qui
descendaient par le fleuve, on ne voyait pas grand monde au restaurant.
Si, il y avait ma copine la mygale qui venait de temps en temps me rendre
visite lorsque je travaillais au bar. La première fois ça surprend d’avoir au-
dessus de sa tête une araignée d’une taille de vingt centimètres, mais au
bout de quelque temps, vous la trouvez mignonne comme tout. D’ailleurs,
il y avait un autre serveur qui avait adopté une petite mygale. Il la mettait
dans sa bouche et lorsqu’il l’ouvrait devant nous, la mygale en sortait.
Je continuais à m’intéresser à la vie spirituelle. Tous les livres que je lisais sur
la spiritualité me semblaient comme une évidence. Au bout de quelques
jours, j’ai commencé à ressentir tellement de choses en mon être. Je voyais
bien que quelque chose de supérieur était au-dessus de moi. C’était une
évidence. Mais je ne savais pas comment définir cela. Aussi, j’étais de plus
en plus absorbé dans cette recherche. Et plus je m’absorbais, plus cette
chose se révélait à moi intérieurement. J’ai alors commencé à vivre un
décalage avec mon entourage, car il ne me comprenait pas toujours.
Puis, j’ai fait un petit autel à la maison. J’ai acheté un beau Bouddha qui
m’inspirait beaucoup. Je méditais devant lui, les yeux mi-clos. J’avais
également acheté une Bible. Tous ces éléments ont transformé ma vie
intérieure. J’avais tellement envie de savoir. Alors, un soir, lorsque tout le
monde était couché, j’ai prié de tout mon être, de toute ma force : « O Dieu,
si tu existes, s’il te plaît, révèle-toi à moi ! » J’étais assis en position de yoga
et je me suis absorbé en prière de tout mon être, d’un seul coup, j’ai senti
une force si puissante m’envahir. Tout mon corps frémissait et tremblait.
C’était si puissant que je me suis dit en moi-même que j’allais certainement
mourir. Quelque chose de si grand me traversait, me contrôlait, et j’étais si
infime à côté. Tout comme lorsque l’océan vous emporte et que vous ne
pouvez rien faire, de même j’étais emporté par cette force et je ne savais
si j’allais revenir. J’avais peur et en même temps j’étais émerveillé. Quand
cette force est repartie, je suis resté sous le choc. Des larmes coulaient de
mes yeux. Je me sentais purifié. C’est comme si quelque chose était entré
en moi et m’avait complètement lavé. J’étais comme transformé.
Après quelques minutes, je me suis couché près de ma femme et des pensées
m’ont empêché de dormir. J’avais connu une expérience exceptionnelle.
90 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI

Dieu m’avait tendu la main, que faire maintenant ? Je n’arrivais plus à être
ce que j’étais. Véritablement quelque chose avait changé à l’intérieur de
moi. C’était une renaissance, une nouvelle vie qui se manifestait devant
moi. J’étais complètement dérouté. Je n’avais plus de repères du passé.
C’est comme si je me retrouvais dans un nouvel environnement. Cette
expérience semblait se projeter sur toutes les choses qui entraient à
mon contact, même ma fille et ma compagne. Dieu était là entre moi et
toute chose. Tout me paraissait plus beau, plus vrai dû à ce contact. Tout
m’apparaissait comme supérieur.
Ma relation avec ma compagne et ma fille a alors changé. J’étais vraiment
différent. Mon cœur commençait à ressentir de l’amour pour tous les
êtres vivants, même pour les animaux, les plantes et les autres créatures. Je
respectais tout comme la création de Dieu, et j’en ressentais un tel bonheur
que je pouvais entrer en contact avec toute chose. Tout m’apparaissait
comme personnel, comme quelque chose qui vibrait sur ce même plan
d’existence et non comme je l’observais avant, coupé de Dieu et des uns
et des autres. Je voyais une grande famille universelle. Même le soleil et
la lune ne m’étaient plus inconnus. Une relation personnelle avec toute
chose s’offrait à moi.
Dans cette situation, j’ai commencé à ressentir plus d’amour pour tout.
Je ne pouvais donc plus me nourrir avec des aliments qui entraînaient
la souffrance chez des êtres vivants comme la viande, le poisson... Les
intoxicants ne m’attiraient plus. J’ai ressenti qu’ils endormaient l’être et
qu’ils ne l’éveillaient pas à la réalité. J’ai donc également arrêté de boire
et de fumer. Simplement, je recherchais l’amour en toute chose, au point
que même les relations sexuelles me paraissaient insignifiantes, des plus
fades comparées à cet amour. Je réalisais que la sexualité n’était pas libre
d’égoïsme, alors que l’amour avec Dieu était tout autre. Dans l’amour de
Dieu, je cherchais et je trouvais quelque chose de bien supérieur. Aussi les
plaisirs de ce monde ont commencé à avoir de moins en moins d’emprise
sur moi.
Je me rappelle que dans cette effervescence intérieure, j’allais marcher
dans la forêt amazonienne. Quelle puissance, cette forêt. C’est immense.
C’est sauvage. On y rencontre tellement de choses merveilleuses. Je me
sentais compris et aimé dans cet environnement, alors que ce n’était pas
Un éveil spirituel (1991-92) 91

toujours le cas avec les hommes. Je pouvais communier avec la nature en


toute liberté. C’était magique. Je me revois marchant dans ces sentiers
sauvages et naturels, des papillons merveilleux bleutés et d’autres de
toutes les couleurs m’accompagnaient sur tout le trajet. Des plantes se
mettaient à vibrer quand je les approchais. Des animaux m’observaient.
J’avais vraiment l’impression de redevenir un être sensible, une personne
qui vit un langage universel : la communion avec tous les êtres. C’était
vraiment merveilleux, réparateur et libérateur. C’était si magique d’être en
communion avec Dieu et Sa création. Tous mes sens s’éveillaient à une
autre dimension. Une autre réalité se révélait en mon cœur. Dieu ne me
quittait plus. Je pouvais Le voir à travers Sa création, Le sentir et L’entendre.
J’étais instruit et guidé à chaque instant.
Parfois encore, j’allais sur les bords des hautes falaises qui bordaient
l’océan. Le vent frappait mon corps, mon visage, et les oiseaux volaient
juste au-dessus de moi. Je me sentais, face à ce soleil merveilleux, un être
si petit et si léger. Je fermais alors mes yeux pour méditer et une béatitude
emplissait ma vie. Tout semblait m’apporter une nourriture spirituelle.
Aussi, lorsque je revenais vers la ville, je remarquais que l’homme était
parfois moins sensible que tous ces êtres dits inférieurs qu’il exploitait.
Il y avait chez l’homme un ego qui l’amenait à prendre tout de haut. Je
réalisais que cette vision fausse due à l’ego voilait la vérité aux hommes.
Ils étaient, par cet ego, coupés de cette harmonie. L’homme voulait égaler
Dieu, prendre Sa place. Tant de souffrances étaient expérimentées à cause
de cela. C’est comme si tous se mangeaient les uns les autres pour arriver
à cette place : Dieu. Il fallait rabaisser les autres pour cela et lorsqu’un
homme-dieu rencontrait un autre, il fallait que l’un des deux disparaisse.
Dans ce monde faux, il y a une guerre de position sans limites de temps.
Lorsqu’un homme dieu disparaît, un autre apparaît, engendrant un autre
conflit. Voir cette réalité me procurait une sensation de souffrance et de
compassion. Cela me faisait pleurer. J’avais envie que tous soient ensemble,
que tous les êtres s’aiment, que cette harmonie soit enfin retrouvée.
Au début, ma compagne a été surprise par cette nouvelle mentalité. Ce
n’est pas qu’elle n’acceptait pas car elle m’aimait, mais graduellement elle
s’est mise à ne pas partager mes vues et j’ai senti qu’elle décrochait de
plus en plus avec ma nouvelle personnalité. Elle préférait l’homme- dieu
92 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI

à ce nouvel homme qui avait découvert ce monde d’harmonie et d’amour.


Mais je comprends cela et c’est normal. C’est moi qui avais changé. Elle
aimait l’autre personnage, pas le nouveau. Elle ne me reconnaissait plus.
Elle pensait même que j’étais devenu homosexuel, tant j’étais devenu
doux. C’est pour vous dire à quel point ma nature avait changé. Il y a eu
graduellement une déconnexion entre nous deux, mais pas avec ma fille.
Elle a cessé de m’aimer tout bêtement.
Vous savez cette histoire est arrivée à tellement de religieux dans le passé.
Quand vous recevez cet appel de Dieu, votre cœur devient changé et
votre personnalité se métamorphose. Alors certaines personnes que vous
connaissez peuvent se détacher graduellement de vous. Ceci est tout à
fait normal, car certaines mentalités ne s’accordent pas dans ce monde
où la disharmonie règne. Si l’harmonie apparaît en vous, ceux qui sont
puissamment contrôlés par la disharmonie vous rejetteront. Dans les
Védas, ces deux mentalités sont appelées « devique » et « asurique ». Ceci
existe de tout temps. Celui qui désire être un homme-dieu déteste ceux qui
sont des serviteurs de Dieu, car ils sont comme un miroir de la réalité pour
lui. Il voit Dieu en eux et puisqu’il envie Dieu, qu’il désire prendre Sa place,
il ne peut vous apprécier. C’est scientifique. Alors les relations se sont
dégradées très vite et nous avons fait des plans pour rentrer en France.

MA QUÊTE VERS DIEU

Je ressentais profondément le désir de donner ma vie à Dieu, d’aider


l’humanité à retrouver l’harmonie. Aussi, je voulais m’engager de tout
mon cœur dans une mission, dans une voie religieuse pour réaliser cet
objectif. Mais à cause de cette expérience de Dieu, je m’étais fait un idéal
de l’homme religieux à qui je voulais ressembler : quelqu’un qui ne buvait
pas d’alcool, qui ne mangeait pas de viande, qui ne prenait pas d’intoxicants
et qui était véritablement en son cœur plein d’amour, une personne qui
pouvait comprendre la foi des autres et vivre dans l’harmonie universelle.
J’allais pour cela rencontrer des personnes religieuses, afin de partager avec
eux cet idéal. Mais je dois vous avouer qu’il y avait toujours quelque chose
qui me perturbait dans ces rencontres. Bien sûr, je comprends qu’il y a de
bonnes personnes dans toutes les religions, mais les circonstances ont fait
que je n’ai pas eu le privilège de les rencontrer à ce moment-là.
Ma quête vers Dieu 93

Je me rappelle de ce jour où je m’étais mis dans la tête de rentrer dans


l’Eglise Catholique. J’ai alors approché un responsable, mais lorsque je
me suis adressé à lui et qu’il m’a répondu, de sa bouche émanait une telle
haleine de vin que cela m’a refroidi. Son haleine était si fétide que ça m’a
fait reculer.
J’ai alors décidé d’essayer dans une autre Eglise. J’en ai choisi une très
belle et je suis entré à l’intérieur. J’ai fait le signe de la croix, puis je me
suis assis pour prier. Je sentais que les personnes qui venaient se recueillir
ici étaient ferventes. Je remarquais que les visages des statues des saints
étaient couverts. Il y avait une dame avec un voile sur la tête qui priait avec
dévotion. Intrigué, je l’ai approchée pour lui poser des questions.
« Bonjour Madame, puis-je vous poser une question ?
– Oui, bien sûr !
– J’aimerais savoir pourquoi les visages de ces statues sont couverts ? »
Elle m’a donné une explication très détaillée de ce rite, puis elle m’a posé
une question :
« Etes-vous baptisé ?
– Non.
– Vite, venez avec moi, nous allons vous sauver ! »
Elle m’a pris alors par la main, avec un profond sentiment d’urgence. Moi,
j’étais vraiment un spectateur. Je me demandais : « Qu’est-ce qui va se
passer, où m’emmène-t-elle ? » Puis elle m’a emmené précipitamment
dans le presbytère. Elle a frappé à une porte. De là, un homme habillé en
soutane noire a ouvert. Elle lui a dit : « Père, cette homme n’est pas baptisé,
sauvez-le, s’il vous plaît. » Puis elle est repartie, me laissant seul avec lui. Il
m’a invité à entrer dans son bureau, m’a fait asseoir, puis il m’a dit :
« Alors, vous n’êtes pas baptisé ?
– Non monsieur.
– Si vous voulez l’être et être sauvé, vous devez savoir que Satan existe.
Il empêchera sûrement cela, en vous envoyant des tentations comme aller
vers une autre religion qui est forcément trompeuse, car nous ne pouvons
être sauvés qu’en Christ...
Plus il parlait et plus je réalisais à quel point cet homme était sectaire. Je
voyais en face de moi un homme qui matérialisait la religion. Il n’y avait
pas d’harmonie en lui, mais une disharmonie qui apparaissait sous un
personnage indépendant du nom de Satan. D’après lui, son Dieu n’était
94 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI

pas le même que dans l’autre religion. Toutes ne participaient pas à un plan
unique. J’étais encore plus triste quand je l’ai quitté. Je me disais au fond de
moi : « Si Dieu est une réalité, tout doit exister par Lui et pour Lui. Il doit
être tout puissant. Il ne saurait donc exister une autre entité indépendante
de Lui, sans cela, Il ne saurait être Absolu. »
Je me suis alors dirigé vers les Eglise évangéliste et évangélique. Il y avait
certes plus de vie. Les gens dansaient et communiaient, c’était très beau.
Je ressentais beaucoup de plaisir à être avec eux et à chanter. Mais dès
que la musique s’arrêtait et que ces croyants venaient me parler, il y avait
également un tel sectarisme, une telle fermeture sur les autres. Il n’y avait
qu’eux seuls, pas de salut pour les autres.
Alors la Providence a guidé mes pas vers les T. de J. J’étais chez moi quand
j’ai entendu frapper à la porte. J’ai ouvert et j’ai vu trois personnes habillées
en costume avec des attachés cases. L’un semblait être le leader et les deux
autres des apprentis stagiaires. Il m’a parlé ouvertement de sa religion. A
cette époque, je croyais déjà en la réincarnation. Je lui ai demandé s’il
croyait à cela. Sa réponse a été négative. A un moment dans la discussion,
on a abordé le thème des voyages astraux.
Selon les Védas, l’âme est revêtue de deux types de corps. Elle a deux
vies actives à travers ces corps : lorsqu’elle rêve et lorsqu’elle est éveillée.
Lorsqu’elle rêve, l’âme voyage à travers le corps subtil. Elle peut également
avoir une expérience entre les deux. Aussi, parfois des personnes peuvent
se voir sortir de leur corps grossier et par exemple voir celui-ci dormir. Il
se trouvait que ce religieux avait eu cette expérience. J’en ai donc profité
pour lui indiquer qu’il avait, grâce à cette expérience, réalisé qu’il était
différent de ce corps grossier et qu’il pouvait maintenant comprendre le
principe évident de la réincarnation. Ouah ! Qu’est-ce que je n’avais pas
dit ! Il est entré dans une grande colère, puis il m’a traité de Satan et ils sont
partis. J’étais encore plus perplexe.
J’ai pensé à l’Islam et à la grande mosquée de Paris. Dans mon cœur, je
me voyais déjà musulman puisque pour moi tous les êtres, peu importe
la religion qu’ils pratiquaient, étaient des frères. Je ressentais un grand
bonheur. Je me suis dirigé vers l’entrée. Une personne s’est adressée à moi.
Elle voulait que je paie pour la visite, mais moi je ne venais pas pour cela,
je venais pour trouver Dieu. Alors je lui ai expliqué et elle m’a fait entrer
gratuitement au même titre que les autres musulmans.
Ma quête vers Dieu 95

Comme ce lieu était beau avec son architecture et ses jardins. J’étais très
inspiré. Je voyais les hommes faire leurs ablutions, puis aller à la mosquée
prier. Je les ai suivis et j’ai laissé comme eux mes chaussures à la porte. Je
suis entré et comme eux, j’ai rendu mes hommages en baissant ma tête
à même le sol, lorsque j’étais dans la salle de prières. A ce moment, le
gardien de la mosquée s’est précipité sur moi, avec une telle violence et
avec un tel langage, puis il m’a mis dehors avec perte et fracas. J’ai tenté de
le raisonner, lui expliquant que je venais prier avec mes frères musulmans,
mais il a été intransigeant en me disant que je n’avais pas le droit d’être
là. Je suis donc reparti, encore une fois très perplexe. Que me réservait
la Providence ?
J’ai donc pensé au fond de moi : j’ai offensé le peuple juif en portant dans le
passé des emblèmes nazis, peut-être que le Seigneur désire que je devienne
juif pour m’absoudre de ces activités passées. J’ai donc rencontré la famille
juive qui habitait en face de l’appartement de mes parents. Ils étaient très
enthousiastes à cette idée. J’ai visionné de mon côté des cassettes vidéo sur
leurs pratiques, mais avec tristesse j’ai remarqué qu’ils tuaient les animaux,
et cela a été pour moi discriminatoire. De plus, leur vue sur les autres
religions n’était pas positive. Il ne me restait à ma connaissance que la
religion bouddhiste à essayer.
J’avais entendu parler d’un monastère bouddhiste en Dordogne. C’est vrai
que lorsque je voyais des images des moines tibétains, j’étais attiré. Les
couleurs des vêtements, leurs cérémonies, leurs leaders, leur visage doux
me faisaient croire que j’allais certainement trouver ma réponse auprès
d’eux. J’y suis allé avec des personnes également intéressées. Ce monastère
se trouvait dans un endroit merveilleux en pleine campagne. Les moines
et les nonnes y vivaient cloîtrés. On a sonné à la porte et quelqu’un nous
a parlé à l’interphone. On lui a expliqué qu’on aimerait rencontrer une
personne pour comprendre la religion bouddhiste. Puis un lama français
d’une cinquantaine d’années est sorti.
On a été invités à rejoindre une salle commune où il y avait d’autres jeunes.
Ce lama était très sympa. Il nous a demandé si on désirait boire quelque
chose, puis il nous a amenés au temple des mille Bouddhas. C’était un
temple magnifique avec une énorme statue de Bouddha de couleur or.
Les plafonds étaient peints avec des chakras et toutes sortes d’emblèmes
bouddhistes. Les couleurs pastelles étaient magnifiquement choisies avec
96 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI

des tons bleu, vert, jaune et rouge. Ils avaient également des thangkas qui
pendaient aux murs. On voyait de chaque côté du grand Bouddha les mille
petits Bouddhas et aux pieds de la statue, toutes sortes d’offrandes : du
vin, de la viande…
Puis le lama nous a invités à nous rapprocher de l’autel et il nous a dit : «
La première chose que vous devez savoir c’est que dans le bouddhisme,
Dieu n’a pas d’existence. Ce Bouddha représente notre véritable soi. Il
nous appartient de l’éveiller et de découvrir notre propre vérité. » Cette
phrase me laissait perplexe car j’avais eu cet appel de Dieu. Ceci n’était
pas en accord avec ma propre vérité. Puis il nous a amenés à un stupa,
lieu où une relique d’un grand lama est enterrée. On a tourné autour avec
sérénité et introspection. Puis, de retour à la salle commune, j’ai posé
quelques questions :
« Si vous dites que Dieu n’a pas d’existence, que pensez-vous de tous ces
saints d’antan qui ont entendu Dieu leur parler ?
– Je pense que ce sont des gens qui ont un problème, qui se font tricher
par leur mental. »
Je pensais comme beaucoup que Bouddha était adoré par les bouddhistes
comme Dieu. Mais en rencontrant ce lama, je commençais à comprendre
que je m’étais trompé, surtout lorsqu’il m’a dit que la foi des religieux
envers Dieu était une chose qui était fausse, comme une imagination qui
n’a aucun sens. Je voyais également qu’il était très proche de la science et
qu’il ne croyait pas dans la Création mais dans la théorie du bing bang. Je
suis donc également reparti de cet endroit sans réponse à ma quête.

CHEZ MONSIEUR ZARAN

J’étais maintenant séparé de ma femme et de ma fille et je n’avais guère


le souhait de revenir chez mes parents, ni de travailler, à vrai dire. J’avais
envie de vérité. Maintenant que je n’avais pas trouvé ma voie, je désirais
la chercher au fond de moi tout simplement. Fesni m’a beaucoup aidé en
cette période. Il m’a proposé de parler à son père, car dans l’appartement
qu’ils habitaient, une chambre était libre. Son père a été d’accord pour que
je l’occupe.
M. Zaran était un homme de cœur, un homme hors du commun. J’avais
affaire, à travers cet homme, à une autre culture. Il était des plus hospitaliers.
Chez monsieur Zaran 97

Il m’offrait, sans trop me connaître, une chambre, à manger et de l’affection.


C’était un homme qui croyait en Dieu, et qui avait la profonde conviction
que ce que l’on faisait aux autres avait un contrecoup sur nous. Aussi son
comportement était-il toujours droit et plein de responsabilité.
Fesni avait arrêté le groupe des Teep’n’Teepatix. Il se consacrait lui aussi
à une quête spirituelle. On avait alors des activités communes comme la
méditation et la lecture de livres spirituels. On avait arrangé nos chambres
de façon très particulière afin de nous inspirer à vivre plus profondément
notre recherche. Il l’avait comme moi décorée avec des tissus et des objets.
J’avais carrément construit un petit temple en tissu orange et mauve.
C’était extravagant.
J’aimais méditer. Je ressentais tellement de choses en moi au cours de ces
méditations. Je pouvais rester de longs moments assis les yeux fermés. Je
commençais par ralentir ma respiration de plus en plus, afin de déconnecter
avec toutes activités externes. Dans cet état, je rentrais profondément en
prière et j’invoquais Dieu de toute mon âme. Alors je pouvais expérimenter
des choses intérieures tellement puissantes. Tellement de choses venaient
à moi.
Il m’arrivait fréquemment dans ces méditations de me fondre dans un
amour universel. Dans ces expériences des plus incroyables et merveilleuses,
je sentais que je faisais partie d’un tout et que ce tout était Amour. J’avais
alors cette réalisation intérieure que mon être rejoignait un océan d’amour,
que je pouvais le ressentir en moi et l’expérimenter pleinement. C’était
parfois si puissant que je sentais mon âme s’y liquéfier. C’était si bon et
merveilleux que je me suicidais de plein gré dans cet Amour. Je me sentais
alors complètement comblé, et lorsque j’en ressortais, j’étais transformé.
Aussi, j’essayais le plus possible de m’absorber dans cette transe mystique
tout au long de la journée, comme l’ont fait tellement de yogis dans le
passé. Je ne pensais plus qu’à cela, le monde me paraissait sans intérêt
à côté.
Mais même si j’expérimentais toutes ces choses, il y avait en moi un vide
qui n’était pas comblé. Je cherchais un moyen pour donner ma vie à Dieu.
Mais dans cette recherche intérieure et mystique, je devenais simplement
une personne qui se déconnectait du monde. J’étais certes intérieurement
connecté avec Dieu à travers toutes ces expériences, mais j’étais de plus
en plus éloigné des êtres. Or, ce n’était pas mon désir profond. Je désirais
98 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI

approcher Dieu afin de comprendre l’humanité et de la servir pour que ce


monde devienne meilleur.
A travers toutes ces expériences, je réalisais qu’un véritable spiritualiste
devait avoir cet équilibre entre Dieu et le monde qui nous entourait. Or, ce
n’était pas le cas. Je ne voulais pas devenir ce genre d’illuminé qui invente
son truc et qui trompe les gens, en leur faisant croire qu’il est devenu Dieu.
Je ressentais que les êtres vivants avaient différents niveaux de conscience,
que Dieu se révélait à eux à travers différents courants selon leurs
qualifications et qu’il me faudrait un jour accepter l’une de ces voies afin
d’être guidé d’une manière authentique vers Dieu. Je désirais arriver à cet
équilibre et ainsi servir l’humanité d’une manière réaliste et non imaginaire.
Le lendemain j’ai été voir ma mère. Il y avait son professeur de yoga chez
elle, ils buvaient ensemble un thé. C’était une dame d’une cinquantaine
d’années qui avait un maître de yoga (Guru). Or, lorsqu’on a parlé de mes
expériences, elle était très enthousiaste. Elle a dit : « Ce n’est pas la peine
qu’il cherche une religion, il est sur la voie de la réalisation spirituelle. Il va
bientôt réaliser qu’il est Dieu. » Lorsque j’ai entendu cela, je n’ai rien dit
mais ses paroles ont été comme une confirmation.
Je pensais : « C’est du délire ! » J’ai alors compris, que je m’étais trompé
tout seul et que la voie que j’avais prise ne pouvait pas complètement
m’amener à la Réalité. En effet, dans ces expériences, je sentais mon âme
se fondre dans un Dieu d’amour universel et sans forme et que j’étais moi-
même une parcelle de ce Dieu impersonnel. Or, tout comme une goutte
d’eau qui entre dans l’océan ne peut plus se reconstituer, si véritablement
une personne pouvait se fondre dans cet amour universel (être une partie
de cet amour), elle ne pourrait pas revenir de cette expérience.
En effet, le fait même que l’on puisse y revenir prouve irréfutablement que
l’âme ne perd jamais son identité. Simplement la Vérité Absolue laisse les
êtres L’approcher comme ils le souhaitent, sans pour autant se dévoiler à
celui qui aspire encore au pouvoir. Or, existe-t-il un plus grand désir de
pouvoir que de vouloir devenir l’égal de Dieu ? Et comment est-il possible
d’établir une véritable relation avec le Seigneur dans ces conditions ?
Tout comme nous avons des sentiments, une personnalité et que nous
sommes faits pour aimer et être reliés, pourquoi Dieu dont tout émane
et qui a en Lui tous les aspects de Sa création ne pourrait-Il pas être une
Chez monsieur Zaran 99

Personne Suprême ? Cette question m’obstinait car si l’âme ne pouvait


perdre son identité, cela voulait dire que la véritable fonction de l’âme
serait d’être reliée à Dieu à travers une relation d’amour.
Or, dans les voies où l’on enseigne l’impersonnalisme, il n’y a pas de
conception du service de dévotion pour l’âme, car Dieu et l’âme n’ont pas
de personnalité. Ce qui implique qu’il n’y a également personne qui peut
échanger et goûter l’amour. C’était donc une voie qui était à l’antipode de
ma recherche. Elle prônait simplement la destruction de l’être. Mais en
vérité, personne ne peut détruire l’âme. Celle-ci est éternelle.
Aussi, les sages expliquent que ces expériences yogiques ne sont enfin de
compte qu’une expérience incomplète de la nature merveilleuse de l’âme
qui est présente dans le corps, mais non de Dieu. On ne peut connaître
Dieu en rivalisant avec Lui. Celui-ci se dévoile aux êtres en proportion de
leur dévotion. Or, la dévotion veut dire relation entre deux êtres : Dieu
et l’âme.
Mais en même temps, j’avais essayé de rencontrer tant de voies religieuses
afin de me relier à Dieu, sans pour autant en trouver une qui me convienne.
Mais maintenant, j’avais envie d’avoir une expérience de vie religieuse, une
expérience de vie communautaire avec des gens, tout en comprenant que
je ne pourrais pas forcément avoir ce que je désirais. J’étais prêt à accepter
un compromis, une expérience quelconque.
C’est dans cette atmosphère qu’un jour Fesni m’a montré trois livres qui
ont été à l’origine d’un autre tournant de ma vie. C’étaient des livres sur
les Védas : le Srimad Bhagavatam traduit du sanskrit et commenté par un
grand maître spirituel indien , Srila A.C Bhaktivedanta Svami Prabhupada.
Son père les avait achetés à une personne qui faisait du porte à porte. Il
ne les avait jamais lus. Il les avait rangés dans un placard, d’où ils n’en
avaient pas bougé pendant des années. Un jour, Fesni a rangé ce placard et
il les a découverts. Il me les a prêtés en pensant que ces livres pourraient
m’intéresser car je ne m’étais jamais véritablement intéressé à l’hindouisme.
J’avais assisté tout au plus à quelques conférences de maîtres indiens, mais
je n’avais jamais approfondi la question. En effet, les Védas sont les textes
les plus vieux de l’humanité. Ils sont dits provenir de Dieu. Ils sont Sa
forme littéraire.
Lorsque je suis entré en contact avec ces livres, j’ai ressenti tout de suite
que c’était quelque chose d’une nature supérieure à tout ce que j’avais lu
100 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI

auparavant. J’étais véritablement attiré par le contenu de ces livres. Mais


lorsque j’ai entrepris de les lire, je n’arrivais pas à comprendre ce qu’il
y avait dedans. C’était un langage nouveau et une philosophie vraiment
complexe, une véritable science spirituelle sur Dieu. Ma conscience s’était
simplement arrêtée sur ce mot : « Krishna ».
Krishna est un nom de Dieu en sanskrit. Il signifie celui qui est infiniment
fascinant. Ce nom résonnait à l’intérieur de moi comme un disque rayé.
Alors, j’ai commencé à prier Dieu en l’appelant « Krishna ». Une foi dans
l’hindouisme était née en moi. Mon désir était d’approfondir cette religion,
de tout bêtement rencontrer des personnes qui la pratiquaient.

MA RENCONTRE AVEC UN GROUPE HINDOU

A cette époque, je revoyais souvent mon ancienne compagne et ma fille,


on avait de très bons rapports. Ma compagne avait encore un certain
attachement pour moi. On passait parfois des journées ensemble avec la
petite. Ce jour-là, j’allais prendre le métro avec elles quand j’ai été interpellé
par une femme occidentale habillée en sari. Elle m’a dit : « Bonjour, je
vends ces livres, ils traitent de la philosophie ancestrale de l’Inde. » A mon
grand étonnement, c’étaient les mêmes livres que m’avait donnés Fesni. Je
lui ai dit que je les avais déjà. C’est alors qu’elle a commencé à me parler
du mouvement auquel elle appartenait.
Ce mouvement était une branche de l’hindouisme et une branche récente
du Gaudiya vaisnavisme qui est reliée au culte de Krishna. Tout comme il
existe de nombreuses branches reliées à la tradition biblique (chrétienne,
protestante, évangélique, évangéliste, témoins de Jéhovah ...), ce mouvement
était l’une des nombreuses branches suivant cette tradition. Chacune de
ces branches suivent, comme les branches chrétiennes, les mêmes textes
canoniques comme la Bhagavad-gita et le Srimad-Bhagavatam, mais elles
ont une approche, une façon de vivre et de partager différemment cette
vie religieuse. Bien qu’en Inde, dans les différentes branches Gaudiya
Vaisnavas les fidèles portent les mêmes habits et les mêmes signes externes
et qu’il soit difficile pour les Occidentaux de les différencier, elles ont
véritablement un charisme différent propre à chacune d’elles. Ces mêmes
charismes sont présents dans toutes les religions. On trouve alors une
variété de courants allant du sectaire au non sectaire.
Ma rencontre avec un groupe hindou 101

Lorsque cette femme me parlait, j’étais plus inspiré par les réalisations
intérieures que j’avais eues que par son discours, car je ressentais que ce
qu’elle disait n’était pas quelque chose de vraiment réalisé. Mais j’ai apprécié
son dévouement et sa foi, et puis je désirais en savoir davantage sur ces
livres. Mais je n’avais pas beaucoup de temps, ma compagne commençait
déjà à s’énerver, alors elle m’a laissé l’adresse d’un centre à Paris où je
pourrais recevoir de plus amples renseignements sur cette philosophie.
Puis, nous nous sommes quittés.
Quand je suis rentré chez Fesni, j’ai regardé cette invitation. Autour de
moi, mes amis n’étaient pas tous chauds à l’idée que je leur rende visite.
Ils étaient considérés comme une secte dangereuse. Mais moi, l’ancien
skinhead, tout cela me faisait rire, qu’est-ce que pouvaient bien me faire ces
gens ? Il n’y avait pour moi aucune crainte. Je pensais que cette étiquette
de secte leur était attribuée à cause d’un manque d’ouverture d’esprit des
Français. Et puis j’avais envie d’en savoir plus, un point c’est tout. J’ai donc
décidé d’aller les rencontrer.
C’était un mercredi. Sur le petit papier, il y avait marqué : conférence à dix-
huit heures. J’ai donc pris le métro. Arrivé à Jussieu, j’ai eu du mal à trouver.
Après quelques détours, je suis enfin arrivé dans la bonne rue. Quand je
suis arrivé devant le centre, j’ai d’abord fait comme si je le découvrais de
l’extérieur. Bah ! J’avoue qu’il y avait en moi un certain trac. C’était bizarre
comme ambiance de là où je regardais. On avait vraiment l’impression
d’un guet-apens : la secte.
Les personnes qui étaient à l’intérieur avaient des looks vraiment étranges,
des robes et des chemises orange, les cheveux rasés avec une petite queue
derrière la tête. Il y avait un énorme Africain à la peau très noire, il avait
une énorme tête et sur son front, un emblème dessiné en argile jaune vif.
Ouah ! j’ai vraiment été scotché. Je me suis dit : « Si je rentre là dedans,
j’aurais certainement du mal à en ressortir. » Mais je ne sais pas ce qui s’est
passé. D’un seul coup, je me suis retrouvé à l’intérieur, comme contre
ma volonté. Je devais être trop absorbé dans mes pensées ou alors j’ai
dû ouvrir la porte machinalement et entrer ? J’ai pensé : « Qu’est-ce que
j’ai fait !!! »
Alors comme pour une nouvelle recrue, ils se sont approchés de moi : «
Bonjour, vous venez pour la première fois ? » « Vous nous avez connus
comment ? » Je n’étais vraiment pas à l’aise. Ils m’ont invité à venir dans
102 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI

une autre pièce. Je me suis assis. C’est à cet endroit que se donnaient
les conférences. Puis une personne différente est entrée, c’était un maître
spirituel, un être vraiment zen, il était venu donner la conférence.
Il était habillé un peu différemment des autres. Il était propre, beau,
rayonnant et ses gestes étaient très gracieux. Il s’est assis sur un siège
un peu élevé et a commencé à entonner des mantras que les autres ont
répétés. Pendant qu’il chantait, j’ai alors ressenti l’appel de Dieu comme je
l’avais déjà expérimenté auparavant. J’ai alors compris que cette personne
était bonne.
Après ces chants, il a commencé à expliquer le sens d’un verset de la
Bhagavad-gita (la Bible des hindous). C’était pour moi fort surprenant et
lorsqu’il a demandé si une personne avait une question ou un commentaire,
j’ai commencé à lui parler de certaines de mes expériences spirituelles. Il
était très personnel et ne prenait pas les gens de haut. Au contraire, on
avait l’impression de voir l’humilité et la tolérance se manifester dans un
homme. Aussi, j’ai ressenti qu’il avait déjà vécu toutes ces expériences
que j’avais eues et peut-être d’autres supérieures. Il dégageait vraiment de
l’amour de son cœur.
Après la conférence, les autres membres m’ont entouré d’une façon pas
très appropriée. Je sentais leur désir un peu trop intense de me convertir.
Ils m’ont offert une assiette végétarienne de nourriture sanctifiée. Mais
j’avoue que le cuisinier n’était pas très bon. Le halva (gâteau de semoule)
avait le goût de savon. C’était vraiment difficile à avaler et ils étaient autour
de moi en train de m’encourager à manger plus, car cette nourriture était
selon eux, purifiante ou consacrée à Dieu. J’étais vraiment mal à l’aise.
J’avais l’impression d’être avec des gens bizarres et j’avais hâte de m’en aller.
J’ai alors trouvé une excuse pour partir. C’est alors qu’un des leurs m’a dit :
« Tu viens vivre avec nous ? ». Ma peur s’est accrue et j’ai alors franchi
le seuil de la porte rapidement. Mais quand je suis sorti de leur centre,
je me sentais comme libéré de tous maux matériels. J’avais l’impression
d’être léger, de voler quand je marchais dans la rue. J’avais le chant : «
Hare Krishna Hare Krishna Krishna Krishna Hare Hare, Hare Rama Hare
Rama Rama Rama Hare Hare » qui résonnait en moi.
Quand je suis rentré chez Fesni, je lui ai fait part de mon expérience. J’ai
commencé alors à aller dans leur temple à Paris. J’y allais parfois seul
où encore avec Fesni. C’était un grand pavillon de style moderne. Au
Ma rencontre avec un groupe hindou 103

rez-de-chaussée, une salle avec un grand autel avait été aménagée. Sur
celui-ci, on y voyait des Déités de Radha Krishna, Jagannath Baladeva
et Subhadra et Gaura Nitaï et dans la salle de temple, une déité de Srila
Prabhupada, leur maître spirituel fondateur. Le jour du culte, le dimanche,
ce petit centre accueillait une centaine de personnes à majorité indienne.
Le programme commençait à 17 heures par des chants indiens, puis il y
avait une conférence et enfin une distribution de mets indiens offerts aux
Divinités : le prasadam.
Le culte de la Déité est partout présent en Inde sous cette forme. La
Divinité est considérée comme Dieu Lui-même venu s’incarner en ce
monde, pour permettre aux âmes voilées par la matière de pouvoir Le
contempler et Lui rendre un culte. Aussi, je remarquais dans ce temple
une effervescence autour de cette adoration. Ces Déités étaient habillées,
nourries et adorées tout le long de la journée, à travers des règles très
précises comme en Inde.
J’aimais particulièrement la Déité de Krishna. A vrai dire, j’étais fasciné par
elle. Elle me paraissait manifester la toute-puissance de Dieu. Quand j’y
allais, je La fixais et en ressentais un immense plaisir. Aussi, je devenais de
plus en plus attiré par Krishna qui est considéré dans le Bhagavat Purana
comme la Personne originelle de Dieu. Dans la chambre que m’avait
prêtée le père de Fesni, j’avais placé une photo de Krishna que j’adorais.
J’imitais ce que les prêtres faisaient au temple. Je lui offrais de l’encens, de
la nourriture et vivais avec Krishna à travers cette photo.
Je ressentais véritablement que le Seigneur réciproquait avec moi. C’était
tout simplement merveilleux. En moi se manifestait graduellement une
relation personnelle avec Dieu. Ce n’était plus simplement une énergie
d’amour que je pouvais rencontrer, mais je pouvais réaliser que Dieu
avait également un aspect personnel, qu’Il pouvait même à travers une
image vous attirer à Lui et vous faire développer un sentiment particulier
envers Lui. Il n’y avait plus simplement une méditation passive mais une
méditation active, dans le fait que je sentais que je pouvais Lui offrir un
service personnel et que le goût de la félicité expérimenté dans le cœur
était bien plus supérieur.
J’avais acheté au temple une Bhagavad-gita qui est le texte par excellence
de l’hindouisme et un chapelet pour chanter « Hare Krishna Hare
Krishna Krishna Krishna Hare Hare, Hare Rama Hare Rama Rama Rama
104 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI

Hare Hare » J’ai commencé par chanter un chapelet, puis deux, jusqu’à
soixante-dix par jour. Je m’étais pratiquement transformé en ascète. Je
ne faisais plus que prier et étudier les textes sacrés qui me paraissaient
maintenant tout à fait compréhensibles avec le support des commentaires
de Srila Prabhupada. A leur contact, je priais pour le bien-être de tous les
êtres vivants.
Puis j’ai ressenti le désir de m’associer de nouveau avec ce maître spirituel.
J’avais envie de vivre une vie de moine, de couper les ponts avec toutes
mes fréquentations et de refaire complètement ma vie. Les enseignements
de Srila Prabhupada avaient changé ma vie. Je commençais à ressentir en
moi, que je n’avais pas réparé, vis-à-vis de Dieu, mes fautes passées et que
pour cela, il fallait que je Lui donne ma vie.

ENTRE DEUX FAUX

Je savais que ce maître spirituel était souvent dans leur communauté dans
le Berry. J’avais envie de le voir. Je cherchais de l’aide à ce moment de
ma vie, afin d’aller plus loin dans ma quête spirituelle. Je ressentais que je
n’avais plus ma place ici et que je désirais vivre selon les préceptes de la
Bhagavad-gita. J’avais besoin de parler, de réparer ce que j’avais fait dans le
passé. De plus, je sentais en moi une connexion profonde avec ce maître
spirituel depuis le premier instant où je l’avais rencontré. Je ressentais qu’il
était comme un intermédiaire entre moi et Krishna, qu’il m’accompagnait
partout. Aussi un amour profond s’est-il manifesté pour lui dans mon
cœur. Il y était apparu comme mon protecteur et mon guide et je désirais
être dans sa compagnie.
Après avoir pris mon courage à deux mains, je lui ai téléphoné et il m’a
invité à passer quelque temps dans leur communauté. Celle-ci était située
à cinquante kilomètres de Châteauroux, dans un bled vraiment paumé. Il
m’avait pourtant indiqué qu’il fallait que j’aille jusqu’à une certaine gare et
qu’un membre de leur communauté irait me chercher, mais j’ai zappé et je
me suis arrêté à Châteauroux. Quand je lui ai téléphoné pour lui dire que
j’étais arrivé à la gare de Châteauroux, il m’a d’abord repris, car il fallait
qu’on fasse cinquante kilomètres pour venir me chercher. Je vous avoue
que j’ai été profondément déçu par sa réaction. Je ne m’attendais pas à
Entre deux faux 105

cela. J’étais venu à sa rencontre afin de trouver de l’amour, des réponses


et de l’aide. Son mécontentement m’avait troublé, je me demandais même
si j’avais fait véritablement le bon choix. Mais je n’allais pas repartir alors
qu’une personne venait me chercher. Ce n’était pas fair-play de ma part.
Alors j’ai été jusqu’au bout pour vivre cette aventure.
C’est Jean-Marie qui est venu en Renault 4 me chercher. Lorsqu’il est
descendu de la voiture, j’ai ressenti vraiment que c’était un frère. Il était
habillé comme un paysan, avec des bottes et une cotte de travail, car il
venait de quitter le travail des champs de la communauté. Il était jeune et
simple. Il respirait la vie. Lorsque je suis monté dans la voiture, je sentais
qu’il me communiquait son enthousiasme. Il aimait beaucoup le maître lui
aussi. Il était son aspirant disciple. Ceci nous a rapprochés l’un de l’autre.
On a échangé nos impressions sur le maître tout le long de la route.
Une fois arrivés près de la communauté, j’ai remarqué au loin un arbre
immense qui semblait harmoniser tout l’environnement. Il semblait être
le centre du paysage. Plus on se rapprochait et plus il semblait grandir et
être imposant. Mais ce n’est que lorsqu’on est entrés dans les terres de la
communauté que j’ai pu voir que cet arbre en faisait partie.
J’ai découvert alors cette propriété immense avec son château, moi qui
avais vécu la majorité de ma vie dans une cité de bitume, j’étais admiratif
et vraiment impressionné. Je suis sorti de la voiture et on m’a emmené
dans la chambre où étaient logés certains membres de la communauté.
On m’a présenté rapidement puis j’ai été invité à rencontrer le maître. Plus
j’approchais de sa chambre, plus je ressentais une atmosphère profonde
et spirituelle. Finalement, Jean-Marie a frappé à sa porte et on est entrés.
Lorsque j’ai vu le maître, j’ai ressenti à quel point il était content que je sois
là. Il m’a alors invité à le suivre.
Le château avait plusieurs étages, ma chambre était au second et celle du
maître au premier. La salle du temple se trouvait au rez-de-chaussée. Il m’a
alors invité à entrer dans cette magnifique salle. Le sol était en marbre, les
murs et le plafond en bois agrémenté de moulures. Au plafond, on pouvait
y voir un lustre magnifique. De grandes fenêtres du style renaissance
donnaient une grande clarté à cette salle de temple. En entrant, on voyait
un magnifique trône en marbre où Srila Prabhupada, le maître spirituel
fondateur de leur mouvement, était représenté en statue habillée du
106 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI

vêtement du renonçant ou sannyasa. C’était vraiment impressionnant. Puis,


quelques pas sur la gauche, je découvris un autre autel, mais beaucoup
plus grand avec des Déités de Gaura-Nitai, Radha Krishna et Krishna
Balarama. C’était très beau, les Déités étaient superbement habillées, on
avait une impression de vie, de joie et d’amour.
Puis on est sortis par les caves et on a pris la sortie qui donne sur cet arbre
gigantesque. Son tronc ne faisait pas loin de quatre mètres d’envergure
pour une hauteur de vingt mètres de haut. J’ai senti en moi que cet arbre
représentait une puissance de la création de Dieu, tellement il était grand
et imposant, je lui ai alors offert mon hommage spontanément. Le maître
m’a alors dit que le Seigneur me réservait quelque chose en cette vie.
Peu après, j’ai rejoint ma chambre. Dès le deuxième jour, j’ai pu percevoir
que tous les membres de cette communauté n’étaient pas sur le plan de
l’amour. Aussi, tout cela me perturbait. J’étais déçu. Et puis j’assistais à
des scènes bizarres entre eux, comme le président de temple qui devant
moi en est venu aux mains avec un autre, parce que celui-ci ne voulait pas
exécuter ses ordres. Tellement de problèmes défilaient devant mes yeux.
Moi qui avais quitté le monde de la violence, c’était bizarre pour moi de
voir cela ici.
Mais le pire, peu de temps après, est arrivé. Plusieurs membres ont
pris carrément le temple en otage par la force. Ils affirmaient que leur
communauté avait dévié des véritables principes de leur fondateur. Ils
empêchaient les autres membres présents de donner des conférences, de
chanter pendant les offices. Ils essayaient par tous les moyens de changer
tout le système intérieur. C’était violent pour des spiritualistes. Lorsque je
voyais qu’ils s’en prenaient au maître, ceci me faisait remonter des idées de
violence. Je me demandais : « Qu’est-ce que je dois faire ? Dois-je laisser le
maître se faire insulter ou dois-je prendre une barre de fer et leur fracasser
la tête à tous ? » Pour moi, c’était si facile cette violence. Mais en même
temps, je n’avais pas envie de retomber là-dedans, alors je ne savais pas
quoi faire. J’étais indécis. Je ne connaissais rien d’autre que la violence pour
défendre quelqu’un. Avec cette pensée en tête, je suis allé voir le maître à
un moment propice.
Je me rappelle qu’il était là dans sa chambre, très peiné de voir des frères
se quereller. Il pleurait presque. Il m’a dit avec une très grande humilité :
Entre deux faux 107

« Tout cela est l’illusion des hommes. Il ne faut pas prendre part à cela.
Reste en dehors, tout est sous contrôle. Garde tes pensées sur le Seigneur
Suprême et ne dévie pas de Son amour. Les choses vont revenir en ordre.
C’est une question de temps... » Même si je buvais ses paroles, mon allergie
à la violence me donnait envie de m’en aller de cette communauté. A part
le maître, rien ne me retenait plus ici. Je recherchais l’amour. J’étais donc
partagé entre l’amour que me donnait le maître et la réalité que j’avais
perçue de cette communauté. Aussi, je suis finalement revenu vivre un
petit temps chez mes parents afin de prendre un peu de recul.
Je profitais de ma venue à Paris pour rencontrer mon ex-compagne et ma
fille. Je me revois frapper à la porte de l’appartement de sa mère. Elle avait
acheté à crédit un F3 à Sartrouville dans lequel elle les hébergeait. La porte
s’est ouverte. J’ai fait la bise à mon ancienne compagne et à ma fille, dès
qu’elle m’a vu, a couru spontanément et rapidement vers moi. Je l’ai prise
alors dans mes bras et elle m’a serré très fort. Elle avait tellement besoin
de mon amour. De ses yeux coulaient tellement de larmes. Je voyais à quel
point elle souffrait d’être séparée de moi. Mais qu’est-ce que je pouvais
faire ? Sa mère ne voulait plus de moi. Alors, quand je suis reparti, ça a été
la catastrophe. Elle pleurait et criait : « Papa ! Papa !... »
C’était vraiment dur d’entendre ses cris d’amour et de désespoir. Elle
criait et je voyais sa mère avoir tant de mal à l’emmener loin de moi. Mais
en même temps c’est moi qui avais pris un autre chemin. Pour sa mère,
je faisais partie maintenant d’une secte. Elle commençait réellement à
changer de comportement avec moi. Elle me comprenait de moins en
moins. La barrière était de plus en plus visible et sa crainte également. Je
sentais qu’elle ne voulait pas que je vienne souvent les voir. En un mot,
j’étais rejeté.
Même si j’étais attaché à ma fille, je sentais que ma vie avait véritablement
changé, que je ne pouvais plus revenir en arrière. De plus, je pouvais voir
que la vie dévotionnelle était une vie bien supérieure à la vie matérielle.
Je n’avais pas de goût à revenir dans mon ancienne condition : une vie
loin de Dieu. Celle-ci me faisait souffrir. Et puis je me sentais mourir à
l’intérieur de moi sans ce contact avec mon Seigneur adorable. Quand je
marchais dans les rues, je sentais intérieurement que Krishna m’appelait
à Lui. C’était tellement puissant, tant d’amour coulait de mon cœur. Tout
108 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI

semblait insignifiant à côté de Lui. Oui, le Seigneur est si miséricordieux


qu’Il désire ramener à Lui, même des êtres aussi vils que moi.
Je comprenais que si Dieu m’avait mis dans cette expérience de vie
communautaire, en manifestant devant mes yeux tant d’hypocrisie
et d’erreurs venant de la part de certains de Ses serviteurs, ces erreurs
n’étaient finalement que la manifestation externe des imperfections des
âmes conditionnées engagées dans Son service de dévotion. C’est vrai
la plupart des gens qui viennent au contact de religieux s’attendent
toujours à voir des gens parfaits. Mais en réalité, une communauté est
comme un grand hôpital où les êtres viennent se soigner de la maladie
matérielle dont les symptômes sont décrits comme l’envie et l’aversion
pour Dieu. C’est pourquoi les êtres qui sont guidés par leurs sentiments
liés à des désignations corporelles sont parfois déçus. Aussi nous faut-
il approcher une communauté avec la connaissance spirituelle, si nous
désirons comprendre sa vocation véritable qui est de guérir des gens
malades spirituellement.
En effet, les Ecritures védiques expliquent que Krishna, Dieu, est la liberté
personnifiée. Tous les êtres qu’Il crée sont également suprêmement libres,
car sans cette liberté, il n’y aurait pas de libre arbitre donc on n’aurait pas
de personnalité individuelle. On ne pourrait pas choisir notre destinée.
Krishna n’interfère donc jamais dans notre décision. Aussi, lorsqu’on
désire expérimenter l’indépendance de Dieu et prendre Sa place, devenir
le bénéficiaire, Il manifeste un endroit dans la création qu’on appelle le
monde matériel, afin de combler ce désir. Dans ce monde, Dieu reste
caché et laisse l’âme faire ce qu’elle veut. Malheureusement parce que les
êtres souhaitent dominer les autres, ils s’empêtrent dans les réactions de
leurs actes et doivent souffrir.
Afin de permettre à l’être vivant de sortir de cette situation, Krishna
manifeste en ce monde la voie du service de dévotion qui permet à l’âme
de L’accepter de nouveau comme son objet d’amour et par là, de se libérer
de la condition matérielle de l’existence. Mais dans ce chemin, la libération
de la matière est proportionnelle à l’abandon qu’on a envers Dieu. Aussi,
ceux qui débutent dans cette voie libre de toute imperfection, sont
principalement recouverts des défauts des âmes incarnées en ce monde
c’est-à-dire la tendance à l’illusion, à tromper autrui, à faire des erreurs et
Entre deux faux 109

à avoir des sens imparfaits. Ceci leur voile pour quelque temps la vérité
sur le chemin qui mène à retrouver leur pure relation avec Krishna et tous
les êtres vivants. Ils peuvent à cause de cela, tomber de nouveau sous le
joug de l’envie, de la convoitise, de l’illusion, de l’avidité et de la colère, et
finalement commettre parfois des actes nuisibles envers autrui.
Le fait de réaliser cela m’a aidé à revenir et à graduellement comprendre
différemment, avec un recul spirituel, les scènes qui s’offraient à moi. J’ai
ainsi développé davantage de tolérance, de pardon et d’humilité, car la
majeure partie des gens qui sont engagés dans le service de dévotion sont
surtout des personnes qui débutent dans ce chemin de l’amour. Aussi, les
erreurs sont inévitables. Je n’étais moi-même pas parfait. Aussi, j’ai décidé
de retourner vivre à la communauté.
Lorsque je suis revenu dans la communauté, peu de temps après, j’ai reçu
une lettre de mon ex-compagne. Elle me disait que j’avais gâché notre
couple et qu’elle s’était trouvée un nouvel ami. Elle indiquait également
que désormais je ne pourrais plus voir ma petite fille qui n’était alors âgée
que d’un an et demi. Mais elle m’assurait qu’elle lui parlerait de moi à sa
majorité et que si elle le désirait, elle prendrait contact avec moi.
Lorsque j’ai reçu cette lettre, je me suis effondré et j’ai commencé à
marcher et à divaguer dans les chemins de la forêt de la communauté.
J’étais véritablement testé dans ma foi et je me demandais si tout ce sacrifice
m’avait mené à quelque chose finalement. La vérité était que j’étais encore
profondément attaché à cette femme et à ma fille et que mon abandon
à Dieu me les avait maintenant enlevées. J’étais déchiré, entre deux eaux.
J’avais l’impression de tout avoir perdu. Je ne savais plus quoi faire. Alors
je m’en suis complètement remis à Krishna, d’une façon totale, en mon
cœur. Il n’était plus que la dernière chose qui me restait.
C’est alors que j’ai senti au beau milieu de la forêt un si grand amour
venir me chercher que des larmes ont commencé à couler de mes yeux.
C’est comme si l’amour pour Krishna m’avait totalement envahi. Cette
expérience fut tellement forte qu’elle me fit oublier toutes les autres pensées,
l’environnement et la crainte d’être observé. Dans cette conscience, je
cherchais Krishna partout et sentais pour Lui une telle séparation …
J’ai réalisé au plus profond de moi comment le Seigneur était encore
venu me chercher. Parce que j’avais tout perdu pour Lui, j’ai senti qu’Il
110 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI

ne m’abandonnerait jamais. J’ai alors été complètement rassuré, car Dieu


offre toujours Sa protection aux âmes abandonnées. A partir de cet instant,
j’ai toujours ressenti Sa protection et Son soutien. Maintenant que ma
compagne et ma petite fille étaient parties et que je ne les reverrais plus, je
n’avais plus qu’une chose à faire : m’abandonner à Dieu.

LE TEMPLE DE PARIS (1993)

Quelques jours avant cela, j’avais discuté avec le maître de mon projet de
me rapprocher de ma fille qui devait aller vivre avec sa mère en Guyane.
Mais avec tous ces événements successifs, ma vie avait pris une autre
direction. Je désirais maintenant complètement m’immerger dans la vie
spirituelle. Dans la philosophie des Védas, tout novice doit être éduqué
dans le service de dévotion par le biais d’un maître spirituel. Aussi, un jour
je suis allé voir le maître et je lui ai demandé humblement de devenir mon
maître spirituel. A partir de ce jour, j’ai senti que les autres membres de la
communauté me considéraient davantage, comme véritablement l’un des
leurs. J’ai été affecté dans la chambre des novices et j’ai suivi une formation
sur les enseignements de Srila Prabhupada. Chaque journée était divisée
en heures de cours de philosophie et en service à la communauté.
On m’avait également affecté au service de couper le bois pour l’hiver et
d’aider aux travaux des champs. C’était austère pour un Parisien. J’étais
à des moments tellement fatigué que parfois je me reposais à même la
terre dans les pâturages pour récupérer un peu pendant une pause. Faut
dire qu’on se levait tôt : 3h45 afin d’assister à l’office du matin, et on se
couchait pas souvent de très bonne heure. Cela veut dire qu’on ne dormait
parfois pas suffisamment. Il fallait vraiment trouver des petits moments
pour récupérer un peu, sans cela on se retrouvait comme un légume.
J’aimais particulièrement ces moments où les enseignements sur la
philosophie des Védas étaient donnés, et même si je constatais des
imperfections dans cette communauté, parallèlement j’apprenais tellement
ici. Or, au contact de cette connaissance ancestrale, je voyais ma foi en
Dieu et dans Ses purs dévots augmenter à chaque instant.
Krishna était devenu le but de mon existence. Je m’étais intérieurement
complètement remis à Lui. Et les fois où je m’éloignais un temps soit peu
Le temple de Paris (1993) 111

de Son service, je passais ces instants à ressentir une profonde séparation.


Tout me paraissait n’avoir aucune substance sans Krishna. Dieu était
devenu pour moi une réalité tangible. C’est comme si le Seigneur avait tout
simplement pris mon cœur. Aussi, un goût prononcé s’est graduellement
éveillé en moi pour effectuer le service de dévotion et tout particulièrement
pour la méditation sur les Saints Noms du Seigneur et le service de Srila
Prabhupada et des dévots. Je passais donc mes jours dans cette conscience.
Mais un jour, le maître m’a fait appeler dans sa chambre. Il m’a fait part
du désir du temple de Paris que j’aille les rejoindre. En fait, je n’avais pas
vraiment envie d’aller là-bas, car j’étais bien ici. De plus, je sentais bien
que cela ne s’était pas fait sans pression de leur part, mais j’ai finalement
accepté de partir vivre à Paris.
Dès mes premiers instants, j’ai vite compris qu’il y avait une énorme
différence de vie entre ces deux communautés. La vie rurale offrait
davantage de possibilités d’échanges entre personnes, le cadre était plus
grandiose : un château, quatre-vingts hectares de terres et de forêts, alors
qu’ici le temple était établi dans une propriété qui comprenait un pavillon
et un minuscule jardin et qui était située dans une banlieue lointaine
de Paris. Le cadre était loin d’être exceptionnel et les voisins étaient
plutôt antagonistes.
Ce pavillon comprenait quatre chambres au premier étage, dont une
réservée au maître. Je dormais dans la plus grande, deux doubles lits et
deux armoires la meublaient, ce qui impliquait que seulement quatre dévots
dormaient dans des lits, les autres dormaient à même le sol sur une natte.
Seules la chambre du maître et la grande chambre possédaient une salle
de bains. On partageait donc à quinze dévots une salle de bains. Comme
la cérémonie du matin commençait à 4h30, il fallait se lever drôlement tôt,
ou disons qu’il fallait être extrêmement rapide pour prendre sa douche
et s’habiller. C’est bien simple, à peine étiez-vous entré dedans que vous
receviez déjà la pression de celui qui suivait derrière.
Par rapport à la communauté rurale, ce temple était plus axé sur le
prosélytisme. Sa mission avait pour but de ramener à Dieu les âmes
perdues. Aussi, il y avait une grande ébullition pour sauver les âmes dans
ce temple, tous chantaient leurs tours de chapelet en étant fixés sur ce
but. Les conférences données tous les matins étaient ainsi données afin
112 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI

de gonfler à bloc les sauveurs. On entendait souvent après les classes : «


Gloire ! Gloire ! à la prédication aux âmes conditionnées ! » C’est bien
simple, c’est à peine si on avait le temps de se connaître. On partait presque
en courant emplir les camions de livres saints pour les distribuer dans les
rues de Paris.

LES DOGMES

Graduellement, j’ai commencé à trouver ma place dans ce temple,


notamment en aidant à remettre en marche une distribution de nourriture
végétarienne pour les pauvres qui était arrêtée depuis quelques années. On
faisait cette distribution une fois par semaine, le samedi, dans le centre
de Paris aux Halles. Un Antillais m’aidait à cuisiner. On préparait le plus
souvent des légumes, un riz, un dessert et une boisson. Pour transporter
cette nourriture, on avait d’énormes conteneurs de l’armée qui pesaient
très lourd. C’était vraiment difficile de les mettre dans notre petite estafette.
Puis on partait distribuer les repas à Châtelet-les Halles.
Les Halles étaient à cette époque squattées par beaucoup de junkies et de
zonards. Ce n’était pas un endroit très sûr. Aussi, il était fréquent, lors de
la distribution de nourriture, qu’une bagarre éclate entre eux et que nous
courions après nos louches qu’ils prenaient à la sauvette, afin de se taper
dessus. C’était assez théâtral tous les samedis.
Je ressentais le besoin d’aider tous ces pauvres gens. Aussi, j’avais pris à
cœur ce service. Mais il y avait en moi une énorme frustration. Je n’arrivais
pas à être régulier toute l’année dans cette distribution, notamment lorsque
les fêtes de Noël approchaient. En effet, le temple, pendant cette période,
organisait ce qu’ils appelaient « Le marathon de la distribution des livres »
et à cette fin, on m’obligeait à arrêter mon service pour aller distribuer des
livres. Le résultat était que les gens démunis qui dépendaient de ces repas
perdaient leur confiance en nous et désertaient la distribution. Tout mon
travail était plus ou moins mis à l’eau de cette manière.
Ce marathon de Noël devait être spécial. C’était comme on nous
l’annonçait, une compétition transcendantale. On nous envoyait dans des
villes pour distribuer la miséricorde, sous la forme des Saintes Ecritures.
Les camions qui nous transportaient étaient aménagés par un membre de
Les dogmes 113

la communauté rurale. Il y avait à l’intérieur une grande réserve à livres


qui servait au-dessus de plateforme pour dormir et un petit espace devant
pour cuisiner.
Quand il ne faisait pas trop froid, on se lavait à 4h00 du matin au jerricane, à
l’eau froide, dans la campagne, puis on faisait un petit programme spirituel.
On chantait nos chapelets, puis, pendant qu’une personne cuisinait, une
autre donnait une petite conférence. Ensuite, on mangeait et on partait
distribuer les livres. Quand il faisait trop froid, on faisait ce même
programme dans des hôtels pas chers. C’était plutôt folklorique, surtout
lorsqu’on arpentait les couloirs de l’hôtel pour chanter nos chapelets à
quatre heures du matin.
Certains se focalisaient sur la qualité et non sur la quantité de livres
distribués. D’autres avaient pour but d’en distribuer le plus grand nombre,
car celui qui entrerait en leur contact pourrait en avoir un grand bénéfice
spirituel. J’avais, comme la plupart à cette époque dans ce temple, opté
pour le choix de la quantité.
Le soir, lorsqu’on se retrouvait au temple après une journée de distribution,
il y avait une grande ébullition, on se racontait toutes les aventures qui
étaient arrivées dans la journée. Je m’en rappelle d’une particulièrement
me concernant qui s’était passée en lointaine banlieue parisienne. J’étais
avec une personne qui s’appelait Krishna Aksa das. Le plan était qu’il
me déposerait sur un parking de supermarché pour la distribution, mais
que je devais prendre tous mes livres avec moi, et qu’il ne repasserait pas
m’en donner.
Il était 12h30 et j’avais cinq heures devant moi. Je ne sais pas pourquoi,
sûrement l’ego d’être un superman de la distribution des livres, mais j’ai
pris une double pile de 200 livres moyens. Il m’a alors regardé en rigolant :
« T’es sûr, ça va aller ? C’est pas trop ? » Puis il est parti en voiture, en me
laissant dans les bras cette double pile qui me dépassait hautement.
Au bout de quelques secondes, je n’en pouvais plus. J’étais mort de fatigue.
Je me disais au fond de moi : « Qu’est-ce que je fais ? Maintenant, je suis
avec tous ces livres ? » Je pensais que je n’avais même pas le droit de les
poser à même le sol, car c’étaient des livres saints. J’ai alors prié du plus
profond de moi : « O Krishna ! Viens-moi en aide, s’il Te plaît ! » Alors,
graduellement, les gens se sont précipités pour m’acheter les livres. Je ne
114 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI

pouvais même pas les voir au début car j’avais ces deux piles de livres que
je tenais dans chaque main et qui dépassaient ma tête. Mais rapidement
sans que je ne dise presque un mot, la pile est descendue de moitié. J’étais
complètement absorbé dans cette atmosphère. C’était dingue, les gens
venaient de partout. Au bout de quelque temps, il ne me restait plus que
cinq livres, c’est alors qu’une pensée de fierté est entrée en moi et que
ma méditation s’est cassée. Finalement, les gens ont arrêté de venir, et
bien que j’aie essayé ensuite par moi-même, pendant plusieurs heures, de
distribuer mes cinq derniers livres, je n’ai pas réussi.
J’étais maintenant apprécié par les autres membres du mouvement pour
mon dévouement dans les différents services qui m’étaient attribués. Je
sentais même que j’étais pour des anciens, une sorte de nouvelle relève.
Certains comptaient énormément sur moi. Mais je dois avouer qu’au
début j’ai eu du mal à m’intégrer dans cette nouvelle ambiance. Pour
véritablement y entrer, j’avais mis de côté mon élan de cœur. A cause de
l’association avec certains des membres de ce mouvement, ma conscience
était maintenant recouverte d’un certain sectarisme.
En effet, certaines personnes qui vivaient au temple en critiquaient d’autres
qui n’étaient pas dans leur institution et ils critiquaient aussi les saints
vaisnavas qui étaient dans d’autres institutions. Je pense qu’avec toutes les
critiques que j’ai entendues, j’étais devenu une personne qui ne pouvait
plus discerner entre le bon et le mauvais. En effet, Dieu est dans le cœur
et n’apprécie nullement que l’on critique ou que l’on entende de telles
critiques envers Ses très chers dévots aimants et également envers tous les
êtres vivants. Le résultat est, qu’intérieurement, une vision sectaire était
née en moi. Pour cela, je me suis mis à voir des démons et des dévots. J’ai
donc dû couper les ponts avec mes anciens amis de peur d’être contaminé.
Je me suis plongé dans ce fanatisme mélangé avec un désir de sauver
le monde.
En ce temps, on m’avait promu membre du conseil du temple et du conseil
national, ce qui veut dire que j’étais véritablement un membre pleinement
engagé dans ce mouvement. Ma foi qui avait mûri au contact d’autres
membres n’était dirigée que dans la seule conviction que : « Le fondateur
de ce mouvement était le seul et l’unique à pouvoir nous sauver. On lui
devait toute chose. Dieu l’avait envoyé pour cela et nul autre. Seul son
mouvement pouvait sauver le monde. »
Les dogmes 115

Cette mentalité m’obligeait à considérer que rien n’avait véritablement


d’authenticité à part leur mouvement, au point que pour garder cette foi, je
ne pouvais voir que des fautes dans les autres institutions. Cela ressemblait
à certains dogmes qu’avaient instaurés d’autres religions où le salut n’était
obtenu qu’à travers le processus donné par leurs meneurs respectifs. Aussi,
pour ceux qui avaient comme moi endossé cette conscience, une certaine
angoisse de s’aventurer ailleurs imprégnait leur esprit. Sans m’en rendre
vraiment compte, je m’étais enfermé dans une sorte de conditionnement
psychique qui m’empêchait de voir la Vérité en toute chose.
Mais il faut comprendre à quel point ces dogmes sont naturels en ce
monde. Ils sont présents dans toutes les institutions religieuses. Ils évoluent
progressivement. Ils sont un moyen de réunir ensemble des milliers de
fidèles à travers une même foi. Or, bien que dans la pure voie du Gaudiya
vaisnavisme il y ait également ce principe de l’adoration de l’acarya ou
du maître spirituel, on apprend que ce n’est pas à sa personne que l’on
rend un culte en accomplissant cette adoration, mais au Seigneur Suprême
Krishna qui est le Guru originel.
Le Guru est un, c’est Dieu Lui-même. C’est Lui, en tant que l’Ame Suprême
présente dans le cœur de Son dévot, qui met en pouvoir celui-ci et le dirige
pour établir la religion, tout comme celles qui se sont transmises à travers
les prophètes ou les messies. Ce qui implique que les maîtres spirituels
ne sont que des instruments du Seigneur. C’est le tattva (la vérité) sur Sri
Guru, le Maître spirituel originel.
En amenant une autre vérité, on crée un désordre, une disharmonie, des
missions différentes et finalement des conflits d’intérêts matériels. En
fait, les conflits entre institutions ou religions n’existent que parce que
cette vérité est mal comprise. Malheureusement, sans saisir ce tattva
(vérité philosophique), le dogme établi par une institution demeure une
source de sectarisme : « Ton Dieu n’est pas mon Dieu. » « Ma voie est
la seule authentique. » « Les autres religions écartent les innocents de la
miséricorde de Dieu. »
Une institution sectaire est donc celle qui ne comprend pas le Guru tattva
(cette vérité sur Dieu qui est le Maître originel de toutes les religions) et qui
discrédite les autres, sans voir qu’en agissant ainsi, elle critique ce même
Seigneur qu’elle adore. Ce qui mène leurs membres à commettre des
erreurs parfois destructrices pour le développement de l’amour (vaisnava-
116 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI

aparadha), mais également pour le message originel de la religion qui


devient teintée de sectarisme.
On peut comprendre que les dévots du Seigneur qui agissent de cette façon
dans n’importe quelle institution ne peuvent pas percevoir l’essence de la
véritable religion parce que Dieu ne se révèle pas dans leur cœur. Lorsqu’ils
servent Krishna, ils ne peuvent ressentir Son amour et Sa miséricorde.
Leurs activités dévotionnelles ne portent pas leurs fruits. Aussi, au lieu
de développer leur conscience spirituelle, de voir comment Dieu aide
tous les êtres vivants, à travers différentes institutions ou religions, ils
développent une vision sectaire : croire qu’eux seuls sont véritables. Aussi,
ils s’enfoncent toujours plus dans une conscience sectaire, amenant avec
eux un grand nombre d’innocents qui vont, à leur contact, développer la
conscience sectaire de Dieu. Cette mauvaise mentalité est à l’origine de
toutes les déviations religieuses, car elle coupe l’adepte de la miséricorde
de Dieu. Pour cela, les religieux sectaires accomplissent au nom de Dieu
tellement de choses répréhensibles, sans comprendre qu’elles ne plaisent
pas à Dieu. Ils n’ont aucun discernement sur ce que Dieu attend d’eux.
Ces tendances sectaires ne peuvent être supprimées dans le cœur que par
une bonne association, c’est-à-dire au contact de dévots de Dieu qui sont
libres de tout sectarisme.
Faire partie d’une institution est normal, avoir foi en elle également, que
dire de développer l’amour pour les grands serviteurs du Seigneur comme
Srila Prabhupada. Mais il est vital que l’on comprenne que Krishna
s’occupe de tous les êtres vivants, à travers d’autres institutions et d’autres
religions, car tous les êtres sont différents et ont des besoins différents. Il
n’est donc pas possible qu’une seule institution ou qu’une seule religion
couvre toutes ces demandes. Il est donc naturel qu’une diversité existe
dans une unité. Tel est le plan de Dieu.
Krishna nous aime et s’occupe de chacun. Il n’est pas sectaire, mais
miséricordieux. Aussi, un véritable dirigeant devrait être une personne qui
est proche de Dieu, qui puisse comprendre les intentions du Seigneur et
rester libre de tout esprit sectaire. Il ne doit pas monter les institutions les
unes contre les autres, en inculquant à ses membres une vision sectaire,
mais il doit les enthousiasmer à partager leur propre mission, tout en leur
expliquant le principe de Sri Guru, que c’est ce même Seigneur qui est
Les dogmes 117

présent partout et que nous servons d’une manière différente. En effet,


cette pluralité d’institutions dans une même religion implique qu’une
même voie peut être ressentie et vécue différemment. Ce même principe
s’applique à travers les religions entre elles. On ne peut donc forcer les
êtres à accepter une seule vérité, un seul sauveur. On doit s’efforcer de
comprendre la foi d’une autre personne et la respecter.
Un véritable vaisnava doit aussi profondément respecter les personnes
athées. Le Seigneur est dans le cœur de tous les êtres et c’est Lui qui
donne le souvenir ou l’oubli de Sa personne, selon les désirs qu’ont les
êtres vivants. La foi et l’oubli de Dieu ont, par conséquent, pour origine
le Seigneur. Telle est la vision d’un homme de Dieu. Il doit respecter tous
les êtres et leurs choix de vie. Tous sont des frères. Krishna laisse toutes
les entités vivantes libres de leurs pensées et de leurs actes. Krishna est la
liberté personnifiée. On ne saurait Le réaliser sans comprendre cette vérité.
Bien sûr, un homme de Dieu comprend et observe comment les âmes
souffrent loin de la source de l’amour qui est Krishna. Il doit donc s’efforcer
d’enseigner cette vérité sans sectarisme, afin qu’elles puissent comprendre
l’importance de revenir à Dieu, en les inspirant par son exemple personnel
et par son propre amour pour Krishna.
Cette vision non sectaire est la bonne attitude d’une institution authentique.
Plus elle est observée, plus on voit une union avec Dieu et avec la diversité
des êtres vivants, et moins elle est observée et plus on voit une désunion
entre tous les groupes.
Il existe de nombreux symptômes de cette maladie mentale (le sectarisme),
que l’on peut observer chez des religieux sectaires. Ce sont, par exemple,
les manipulations mentales, les pressions psychologiques pratiquées sur les
personnes en vue d’enlever leurs libertés, les nombreuses arnaques dites
transcendantales car faites au nom de Dieu, la colère parfois exprimée
contre ceux qui ont perdu la foi dans le dogme. Ceux-là peuvent être
considérés comme des démons, des envoyés de Kali ou de Satan, surtout
s’ils remettent en cause la doctrine. Cette colère peut les amener à maudire
une personne ou voire même à la tuer.
Un autre symptôme est leur ferveur à critiquer les autres religieux, à
les diminuer et à mettre leur propre doctrine au-dessus des autres. Le
dogme doit être le seul et l’unique. Aussi, les échanges de coeur ne sont
118 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI

plus véritablement possibles avec des personnes appartenant à d’autres


institutions. Si on a une relation avec d’autres personnes, ce n’est que pour
le bien de notre institution. On exploite les autres simplement au profit de
l’institution. Et lorsque ceux-ci ne nous apportent plus rien, on les rejette.
On ne doit jamais être redevable. Ce sont les autres qui doivent l’être car
ils ont, eux, la miséricorde d’être à notre contact, nous les sauveurs.
Tout ceci est bien sûr orchestré avec une telle duplicité que ces religieux
font paraître le contraire et se disent ouverts d’esprit. Cette mentalité est
des plus basses. Elle détruit toute moralité et humanité. Elle est à l’origine
des déviations religieuses qui ont existé dans le passé. Elle trouve leur
apogée dans les soi-disant guerres saintes.
Toutes ces expériences avec différents groupes et différentes institutions
religieuses m’ont permis d’acquérir la compréhension de ces déviations,
et par la suite de fonder quelques années plus tard, une Congrégation
religieuse reconnue par l’Etat français, libre de sectarisme. On ne peut
comprendre véritablement ces tendances sectaires sans les avoir vécues et
sans en être sorti par une véritable foi.
Mon analyse m’a permis de saisir que c’est généralement les membres d’un
mouvement qui interprètent mal les enseignements d’un grand maître
lorsqu’il est mort. Au fil du temps, ils adoptent des comportements qui ne
sont pas représentatifs de leur fondateur. Or, malheureusement, ces faits
condamnables se reportent sur Lui et ternissent sa réputation.

L’ASSOCIATION ISVARA : LES DÉBUTS

C’est en 1993 que j’ai créé ma propre association 1901. Elle s’appelait
Isvara. J’avais établi son siège social dans une pièce au sous-sol du temple.
J’avais ma propre ligne téléphonique, un compte en banque, bref une
autonomie. Elle avait comme objectif de propager la non-violence dans
le milieu du rock. J’avais entendu parler d’un squat artistique, du nom de
l’ « Hôpital éphémère », où toutes sortes de groupes de musique s’étaient
installées. J’ai donc décidé d’y aller.
C’était vraiment grand, imaginez un hôpital à Paris. Il y avait même une
sécurité dans le bureau d’accueil à l’entrée, ce qui impliquait que ce n’était
pas si facile pour s’infiltrer lorsqu’on ne connaissait personne à l’intérieur.
L’association Isvara : les débuts 119

Mais j’étais à l’époque assez culotté. Le désir de propager la spiritualité


prenait le dessus de ma timidité. Aussi, je venais avec des petites sucreries
et me liais d’amitié avec le garde pour pouvoir entrer après dans l’hôpital.
Elles étaient bonnes les pâtisseries consacrées que je faisais. Au début, ils
étaient assez méfiants, mais au bout de deux petits gâteaux, ils changeaient
de vision et me laissaient passer.
Quand je rentrais dans cet espace grandiose, j’essayais de rencontrer des
personnes, mais j’étais perdu là dedans. On ne voyait que très rarement
des gens. Faut dire que j’avais du mal à avoir des tuyaux de la part du
gardien. Il n’était pas trop coopérant, alors je laissais mon cœur me guider.
Je tentais ma chance un peu partout. C’est comme cela que je suis entré
dans un bâtiment et au deuxième étage, j’ai vu inscrit que c’étaient les
bureaux de certains groupes de musique populaires chez les jeunes. Après
un petit moment d’hésitation, je me suis jeté à l’eau. J’ai ouvert la grande
porte et j’ai vu plusieurs bureaux avec des gars en train de se fendre la
poire. Ils ne me voyaient pas car j’étais dans une sorte de salle d’attente. J’y
voyais pas mal de canettes de bière et des mégots de joints traîner de ci, de
là. C’était une ambiance de fêtards.
Sur la porte d’un des bureaux j’ai vu marqué « No pasaram ». C’était le
bureau du manageur du groupe F.F.F et d’Human Spirit. Ça m’a laissé à
penser que c’était positif, il accepterait sûrement de m’aider dans mon
programme à propager la non-violence. Après réflexion, je me suis jeté à
l’eau. J’ai frappé et j’ai ouvert la porte. « Salut à tous !!! Je suis venu à votre
rencontre, car j’ai une association pour promouvoir la non-violence, alors
je me suis dit que ça vous brancherait bien de m’aider... »
Le premier contact a été fort sympa. J’avais des petites pâtisseries que je leur
ai fait goûter. Ils adoraient cela. Je leur ai donc expliqué mes intentions de
distribuer de la nourriture végétarienne dans les concerts pour sensibiliser
les jeunes à la non-violence. Je leur ai également dit que j’étais un membre
d’un mouvement hindou. Je n’ai jamais été une personne qui affichait une
vitrine pour entraîner des gens dans autre chose. J’ai toujours respecté les
individus pour ce qu’ils étaient, ainsi que leur libre arbitre. Je sentais que
cela plaisait aux jeunes et j’aimais partager des moments forts avec eux.
Plusieurs d’entre eux étaient rastas donc végétariens, alors vous pensez :
l’idée a été bien acceptée.
120 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI

Même si les responsables du temple savaient que j’avais d’autres activités,


ce n’est pas pour autant qu’ils avaient allégé mon emploi du temps : lever
à 3h45 pour suivre le programme spirituel, puis je cuisinais seul le matin
pour les dévots du temple, 20 personnes environ. J’avais la responsabilité
des courses (les M.IN, les supermarchés...), sans oublier la distribution de
repas pour les pauvres. Je m’étais également mis un quota journalier de
livres à vendre, qui étaient de soixante-dix puis quatre-vingts livres.
Bon, je vous avoue que c’était difficile, surtout que je n’avais pas de voiture.
Je partais toujours du temple en transport en commun (RER et Métro)
avec un gros sac à dos où je mettais des livres saints. Quand j’arrivais à
Paris, j’étais épuisé. Mais j’avais un esprit missionnaire. Je savais que les
Ecritures védiques étaient les paroles de Dieu et qu’Elles pourraient aider
les gens qui entreraient à leur contact à établir une vie pleine d’harmonie.
J’étais prêt à tout pour cela. Aussi, j’étais toujours à fond, limite parfois de
tomber de fatigue.
J’essayais donc d’harmoniser le mieux possible tous mes services. Aussi,
je m’arrêtais au Métro Guy Moquet pour distribuer les livres, car c’était
le plus proche du squat artistique. Je me vois encore avec cet énorme sac,
fatigué et me demander comment j’allais avoir la force de distribuer autant
de livres. Mais c’était magique tous les jours, en deux heures, tous les livres
étaient distribués, ce qui me permettait d’avoir largement le temps de
rendre visite à mes amis de l’hôpital éphémère.
A force de venir, j’ai commencé à vraiment être apprécié. On m’avait
surnommé gentiment l’apôtre de la non-violence. On commençait donc
à vouloir m’intégrer dans le groupe. C’est un samedi que le manageur m’a
proposé pour la première fois de distribuer de la nourriture à un concert
de F.F.F à l’Olympia. C’était gros pour le premier, j’ai donc été aidé par
tous les membres du temple. Puis les plans ont commencé à venir, presque
toutes les semaines, des concerts, des manifestations comme Sidaction
qui attirait des milliers de personnes. Mais je sentais à l’intérieur de moi
qu’il y avait un trop grand décalage entre les membres du temple et ma
démarche envers les gens en général. J’ai alors commencé à créer ma
propre équipe pour assurer les actions de l’association. Tout d’abord, j’ai
commencé avec Christophe et Svarupananda. On a fait des distributions
de nourriture dans pas mal de festivals, mais on rentrait tard dans la nuit.
Le Ratha Yatra 121

Or, je n’avais pas le feu vert du dirigeant du temple pour faire la grasse
matinée, alors je ne dormais pas beaucoup. La fatigue a commencé à
s’accumuler à cause du rythme intense que je m’étais infligé. Mon corps
un jour a complètement craqué.
C’était dingue. J’avais comme une paralysie du corps. Parfois, il n’y avait
que mes yeux qui bougeaient et je sentais ma respiration devenir de plus en
plus difficile elle aussi. C’est comme si mon corps avait fait une overdose
d’activités et qu’il en refusait davantage. J’étais comme prisonnier d’un
véhicule qui ne fonctionnait plus. Je pouvais, dans cette circonstance,
réaliser la base de la philosophie des Védas, à savoir qu’on est une âme
spirituelle incarcérée en ce monde dans un corps de matière.
Mais voilà certains membres du temple ont commencé à penser que je
faisais du cinéma pour ne pas faire de service. Je n’ai donc pas été aidé,
au contraire. On venait me prêcher pour que je sorte de mon mental et
la plupart d’entre eux ont commencé à me considérer moins bien, tout
au plus comme un faible d’esprit. Ce n’était pas facile comme situation.
Mais je savais que ce n’était pas une maladie facile à comprendre, puisque
extérieurement tout paraissait normal chez moi. Heureusement, un
membre de la communauté du Berry connaissait bien ce genre de
problème auquel j’étais confronté. Il a fait un diagnostic. Pour lui, ma
maladie provenait certainement d’une carence en magnésium. C’était
possible, car tout petit j’avais tout le temps des carences en magnésium
et en calcium et il m’arrivait par conséquent d’avoir ce genre de problème,
mais moins important. En fait, j’avais banni de mon alimentation le dhal
ou les pois cassés qu’on consommait tous les jours au temple, ce qui
représente l’apport le plus important en protéines. J’ai réalisé mon erreur
et j’ai commencé, sur le conseil de ce dévot, à faire une cure de magnésium
et à m’alimenter correctement. Ma santé s’est rétablie alors rapidement.

LE RATHA YATRA

L’année 1993 s’annonçait propice, car le Ratha Yatra refaisait son


apparition dans les rues de Paris, après dix années d’interruption. Ce
festival est originellement observé en Inde depuis des temps très anciens,
dans la ville de Jagannatha Puri en Orissa. Il marque le retour du Seigneur
122 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI

Krishna à Vrindavana. En effet, Celui-ci avait quitté Sa demeure en laissant


Ses très chers dévots dans une séparation avec Sa personne. Ne pouvant
plus supporter d’être séparés de Lui, ils décidèrent d’aller Le chercher dans
la région de Kuruksetra. Par leur amour, ils le placèrent sur un chariot et
le tirèrent jusqu’à Vrindavana, accompagné de Balarama et de Subhadra.
Pendant ce festival en Inde, les Déités de Jagannatah (Krishna), Baladeva
(Balarama) et Subhadra sont sorties du temple principal de Jagannatha
Puri, pour être hissées chacune sur un chariot de bois. Un million de
personnes vient en pèlerinage pour assister à cette fête qui est l’une des
plus célébrées en Inde. C’est alors que les pèlerins tirent les chariots sacrés
tout en entonnant des chants dévotionnels, jusqu’à un autre temple appelé
Gundica, considéré comme le retour de Krishna dans Sa terre natale. Cette
cérémonie symbolise également le fait de placer en notre cœur le Seigneur,
dans le cœur de notre vie.
Le fondateur de ce mouvement hindouiste avait introduit en Occident
ce festival dans le monde entier. J’étais très motivé et excité à l’idée de
participer à cette fête. Il est de coutume, une quinzaine de jours avant, de
baigner les Déités avec différents ingrédients. On appelle ce festival le
stan-yatra. J’avais invité mon ami Fesni à y participer et il avait beaucoup
apprécié l’atmosphère spirituelle du temple ce jour-là. Après cette
cérémonie, les Divinités sont amenées dans des appartements spéciaux et
ne sont ressorties que le jour du grand festival.
Le président du temple ainsi que sa femme étaient très dédiés à ce festival.
C’est eux qui se chargeaient de rencontrer la Mairie de Paris et d’établir
une possibilité de trajet dans un quartier des rues de la ville. La mairie du
dix-huitième arrondissement avait été choisie comme lieu de départ de
la procession et Châtelet-Les Halles comme arrivée, plus précisément la
Fontaine des Innocents, et on passerait par Barbès-Rochechouart.
Le jour précédent, certains membres du temple avaient travaillé toute la
nuit sur la place pour monter un char destiné à accueillir les Déités. Il
avait été réalisé artisanalement en acier avec des roues d’avion. Il pesait
plusieurs tonnes. Le trône des Divinités était surmonté d’un immense
dôme en tissu, qui pouvait descendre et monter selon les obstacles que la
procession allait rencontrer. Celui-ci était de couleur jaune vif, agrémenté
de motifs indiens en tissus rouge, blanc et bleu. Le gouvernail était un
Le Ratha Yatra 123

énorme volant de bateau qu’on pouvait tourner à trois personnes. Le


chariot allait être également décoré somptueusement de fleurs.
Le matin du Ratha-yatra, on s’est apprêtés à accueillir au temple les Déités
amenées dans une limousine. C’était une ambiance effervescente. Des
sons de conques retentissaient et le chant « Hare Krishna Hare Krishna
Krishna Krishna Hare Hare Hare Rama Hare Rama Rama Rama Hare
Hare » battait son plein. Tout à coup, les prêtres portant les Divinités
sont apparus et on a tous rendu nos hommages à Krishna, Balarama
et Subhadra, qui ont été rapidement placées dans les voitures pour être
transportés sur le lieu du départ de la procession.
Nous avons suivi le transport des Déités avec d’autres membres du temple
dans une voiture, mais nous n’avons pas pu nous garer à l’arrivée près de la
Mairie du dix-huitième arrondissement. Après quelque temps, nous avons
enfin réussi à nous garer. Nous sommes alors partis à pied dans nos robes
pour rejoindre le festival. A un moment, nous sommes passés devant un
café et à ma grande surprise, j’ai croisé Pierrot, un gamin, qui faisait partie
de mon ancien gang. Il était en train de boire une bière à la terrasse avec
un copain à lui, un dénommé Fred. Il était vraiment content de me voir. Il
avait entendu parler qu’un ancien skinhead était devenu un moine hindou,
mais il ne savait pas que c’était moi. En fait, il avait déjà fait connaissance
avec ce mouvement en Angleterre, terre de la naissance du mouvement
skinhead. Aussi, je lui ai proposé de visiter le temple de Paris, chose qu’il
a acceptée.
Quand on est arrivés à la mairie du dix-huitième, il y avait déjà beaucoup
de monde et le chant collectif du mantra Hare Krishna battait son plein.
Je sentais une grande atmosphère spirituelle. J’avais vraiment l’impression
de danser sans avoir à le faire. Puis, les Déités de Jagannatha, Baladava,
Subhadra sont arrivées et ont été hissées sur le char. Enfin, le moment de
partir a été célébré par des chants et des sons de conques. C’est alors qu’en
se servant d’immenses cordes, des centaines de personnes ont commencé à
faire bouger le char et un cri a empli l’espace « Hari bol ! Jaya Jagannatha ! »
Du char et d’un véhicule, toutes sortes de nourritures étaient distribuées
aux passants. Lorsqu’on est passés dans le quartier de Barbès, les
musulmans dansaient avec nous. Partout où l’on passait, l’espace semblait
se transformer. Puis, on a approché de Montmartre où finalement le
124 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI

chariot a fini sa course. Là, des stands étaient installés pour accueillir les
curieux et les sympathisants.

MA RENCONTRE AVEC FRED

Quelques mois après, Pierrot et Fred sont venus au temple. Fred avait un
look particulier. Il avait les cheveux longs et il était habillé tout en noir. Sa
démarche rappelait un prédateur. Ils sont entrés, mais je remarquais que
Fred hésitait à entrer dans la salle du temple. La double porte de cette salle
donnait sur la déité de Srila Prabhupada, le fondateur de ce mouvement
hindouiste. C’est vrai qu’elle était très réussie. La ressemblance était
impressionnante. Il la regardait fixement à travers les rideaux. A vrai dire,
il pensait en lui-même : « Ouah, il est puissant leur Guru. Il ne bouge pas.
Il cligne même pas des yeux et ne respire pas. Il est en samadhi, absorption
complète ! » Il était tellement impressionné qu’il n’osait pas entrer. Je l’ai
donc invité à entrer pour qu’il puisse également contempler les Divinités
du temple. Après cette rencontre, j’ai gardé le contact avec Pierrot et Fred.
Ils venaient tous deux régulièrement au temple.
Fred se rappelle de moi : « La première fois que j’ai vu des Vaisnavas,
c’était à travers le groupe de Hardcore qui s’appelait les Cro-mags. Quand
j’ai regardé la pochette de l’album, j’ai vu des gars balaises, tatoués avec
des têtes de durs. Ça m’a vraiment attiré, en plus ils avaient un message
positif et ils étaient végétariens. Je pensais que j’aimerais rencontrer de
telles personnes. Quand j’ai rencontré Willy au temple, j’ai eu l’impression
de rencontrer des gars comme les Cro-Mags... »
Je me souviens particulièrement de la première fois où j’ai contacté Fred.
C’était à un moment où je m’étais cassé le pied. Je lui ai téléphoné car j’avais
besoin d’être aidé par une personne pour assurer mon service au temple.
Ce jour-là, je devais faire les courses pour le temple et j’avais besoin de
quelqu’un pour conduire la petite estafette.
« Salut Fred ça va bien ?
– Ouais !
– Je voudrais savoir si t’as le permis, car j’ai besoin de quelqu’un pour me
conduire pour faire les courses du temple ?
– Ouais, pas de problème. Bon, j’arrive. »
Le développement de notre association 125

Fred était un personnage très caricatural, avec un look et des manières très
accentués. Il était bien tatoué et très fêtard. Il est arrivé vers dix heures
du matin avec sa démarche et son parler titi parisien. Bon moi, j’avais
l’habitude, mais les autres membres du temple hallucinaient pas mal sur
sa tête. On s’est approchés de l’estafette. On est montés dedans, Fred est
passé au volant. J’ai remarqué tout de suite qu’il n’avait pas beaucoup les
automatismes d’un conducteur expérimenté. Il a mis les clefs avec pas mal
de difficultés dans le neiman, puis il a commencé à vouloir démarrer la
camionnette. Mais il n’a pas embrayé. La voiture faisait des à-coups et on
calait à chaque fois. Alors, j’ai commencé à m’inquiéter. Et avec un langage
approprié au personnage, j’ai commencé à le reprendre en lui disant qu’il
fallait embrayer quand même. Il a donc réussi à sortir de la place de parking
avec grande difficulté. Mais sur le petit bout de route, c’était encore pire,
un véritable rodéo. Le moteur criait. Il calait...
Alors là, je me suis fâché et je lui ai demandé : « Attends, tu as le permis
ou quoi ? » Alors quand il m’a avoué qu’il ne l’avait pas, j’ai halluciné. Mais
bon, c’était rock’n’roll. Je lui ai dit de passer à ma place et j’ai conduit avec
le plâtre au pied.
Fred était un gars avec un grand cœur, mais physiquement, il faisait peur
aux gens. Il avait une façon de les regarder qui était très impressionnante.
En fait, il ne regardait pas les gens tout bêtement et parce qu’il était très
identifié à vouloir être un personnage de gang, il dégageait une énergie
pas toujours positive. Il était glacial lorsqu’un gars lui parlait. Mais je
dois vous avouer que pour aller faire les courses à Rungis, c’était pratique.
Généralement, les gens qui s’occupaient de prendre les commandes au
M.I.N n’étaient pas très raffinés, aussi le fait d’avoir Fred avec moi, ça les
impressionnait et on était servis plus rapidement.

LE DÉVELOPPEMENT DE NOTRE ASSOCIATION

Au bout de quelque temps, Fred a décidé de faire partie à plein de temps


de l’association. D’autres jeunes ont rejoint notre équipe, comme Max,
Fabrice, Xavier, Etienne, Christophe, ainsi que Johmo et un autre William
qui étaient tous deux rastas. C’est à ce moment qu’on a commencé
véritablement à planifier des actions, notamment envers des personnes
126 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI

nécessiteuses. J’avais vraiment à cœur de recréer une distribution de repas


gratuits et mon enthousiasme s’est transmis aux autres.
Mais il fallait trouver des fonds pour l’association, la rendre vraiment
fonctionnelle. On a donc dû mettre en place un moyen pour faire rentrer
de l’argent. J’avais appris des membres du temple comment collecter des
fonds dans la rue en vendant de l’encens. Il fallait pour cela se déclarer à
la mairie et avoir une carte de colportage en relation avec l’association. On
pourrait comme cela déposer l’argent collecté sur un compte, tenir une
comptabilité et être en règle par rapport aux lois françaises. J’ai ensuite
appris à certains comment collecter des fonds.
Fred : « C’est William qui m’a appris à collecter des dons. La première fois
qu’on a fait ça ensemble, j’avais simplement envie d’aider Willy. C’était
en 1993. A cette époque, il allait collecter dans les beaux quartiers de
Paris. Donc il m’a montré comment faire, puis il m’a demandé d’essayer.
Alors je me suis dirigé vers un jeune homme qui sortait du métro. Je lui ai
demandé un peu d’argent pour aider la mission. Mais le gars était tellement
paniqué qu’il m’a tendu son portefeuille et il est parti en courant. Alors
j’ai dû poursuivre le gars. « Attends, reprends ton portefeuille. J’veux pas
t’braquer ! Ce que j’veux, c’est te vendre un objet pour ensuite distribuer
des repas gratuits aux pauvres. Je veux simplement dix balles pas tout
ton argent ! » Je me suis retrouvé à poursuivre le gars pour lui rendre
son portefeuille. »
C’est vrai, la collecte était assez folklorique. Les gars qui étaient avec moi
n’avaient pas toujours l’air très clair. C’étaient pour la plupart des anciens
voyous. Il y en a eu des anecdotes. Ce n’était pas triste. Mais l’essentiel,
c’est qu’on avait de l’argent pour acheter tout ce dont on avait besoin pour
aider tous ces gens.
Notre cuisine était vraiment rudimentaire. On n’avait qu’un pot en cuivre
pour cuire les légumes, deux autres en aluminium pour le riz, le gâteau et
la boisson, une immense passoire et des conteneurs pour transporter cette
nourriture. Comme feu, on avait des trépieds. Notre cuisine était située
dans une petite cabane dans une cour, bien sûr pas chauffée l’hiver. Une
vieille estafette des années cinquante nous servait de véhicule.
On épluchait et on râpait les légumes à la main. On commençait par cent
kilos de carottes à râper, rien que pour l’entrée. Imaginez-vous. Je me
rappelle de ces longues heures de râpage de carottes. Il fallait vraiment être
Le développement de notre association 127

attentif sinon vous vous râpiez la main et ça faisait mal. Ça peut vous en
faire fuir plus d’un, surtout qu’on le faisait chaque semaine pour offrir une
bonne salade aux nécessiteux qui avaient faim. Total, avec le plat de légumes,
le riz, la boisson et le gâteau de semoule, il fallait deux jours pour cuisiner
(du matin au soir). Le reste de la semaine, on vendait des petits paquets
d’encens dans la rue pour acheter la nourriture et parer à d’éventuels frais
(essence, assurance, gaz …) liés à la distribution de nourriture.
Une fois qu’on a eu une équipe, une cuisine et une trésorerie, on a
commencé nos distributions en face du centre Georges Pompidou. Mais
on a constaté qu’il y avait moins de monde qu’avant, aussi on a essayé
directement sur la place des Innocents. Il y avait une telle queue au bout de
quelques semaines qu’on distribuait trois conteneurs de cent cinquante litres
de nourriture en moins d’une heure. Faut dire qu’on avait pour habitude
de préparer de sacrés plats. Tout le monde se régalait. Ce n’était pas de la
nourriture de basse qualité. C’était de la plus haute, car dans la tradition
védique, on cuisine avant tout pour Dieu. C’était une nourriture tellement
merveilleuse, si succulente. Elle brillait de miséricorde. Je me rappelle que
les membres du temple désiraient en manger. Certains disaient même que
les sans-logis étaient mieux nourris qu’eux. On a distribué jusqu’à mille
repas chaque semaine. C’était une bonne performance pour notre petite
équipe qui ne recevait aucune aide extérieure.
Mais que voulez-vous, on y a été peut-être un peu fort. On a été jusqu’à
amener sur place un pandal indien pour animer nos distributions. C’est
bien simple, les riverains commençaient à se plaindre car à cause de
nous, la place des Innocents était complètement gorgée de monde. Les
commerçants prenaient ce prétexte pour faire valoir leur baisse dans leur
chiffre d’affaire. Même Canal plus, la chaîne de télévision nous avait filmés
et interviewés. On devait également souvent faire face à des attaques
verbales de la part d’autres religieux.
Je me rappelle de ce jour où des évangélistes sont venus nous attaquer.
Ils disaient qu’on était des suppôts de Satan. C’est alors que tous ceux
qui attendaient pour avoir une assiette ont commencé à leur mettre une
sauce : « Attendez ! Vous êtes là en train de critiquer ces gens, mais qu’est-
ce que vous faites pour nous ? Eux, ils nous donnent à manger ! » Ils se
sont retrouvés complètement désarmés et sont partis.
128 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI

Puis, à un moment, la police a commencé à nous faire des histoires. Mais ce


n’est qu’aux élections présidentielles que cela s’est corsé. Quand le nouveau
président de la République a été élu, on a eu la visite du commissaire de
Police. Il nous a gentiment prévenus : « Je vous préviens que vous êtes
hors-la-loi. Si je vous reprends à distribuer des repas ici, je vous fais un
procès-verbal et vous colle une amende de six mille francs ! » Alors comme
d’habitude, on a argumenté et la foule a pris notre parti. C’était puissant,
comme une manif sur la place. La police n’a pas pu faire grand chose. De
plus, la campagne électorale avait une priorité : faire un nettoyage de Paris.
Tous les sans-logis ainsi que tous les marginaux ont été invités à quitter
les Halles. C’est devenu rapidement un endroit sans intérêt pour nous. On
était passés de mille repas à une centaine et à chaque distribution, il nous
fallait voyager dans tout Paris pour trouver des sans-logis afin de finir nos
pots de nourriture. Bilan, on rentrait très tard, vers deux heures du matin.
C’était une dure épreuve pour l’équipe. Il fallait trouver un nouvel endroit
pour continuer notre action, attirer le plus rapidement possible des gens
pour mettre en marche quelque chose qui puisse vraiment épanouir notre
cœur et celui des autres.
On avait remarqué, en vagabondant dans Paris, que d’autres associations
distribuaient également de la nourriture aux sans-logis. Je me suis dit que le
plus facile serait de travailler en coopération avec l’une de ces associations
déjà existantes. La plupart du temps, ces associations distribuaient des
repas en sachets qui provenaient des compagnies aériennes. Elles avaient
également des boissons et des soupes, mais ce n’était vraiment pas terrible.
On pourrait comme cela les aider à mieux nourrir les nécessiteux. Ce
serait une bonne chose. D’une façon unanime, les membres de l’équipe
ont été partants. L’objectif était de se placer pas loin d’une distribution de
repas déjà existante, afin de créer des liens. On a décidé d’aller prospecter
pour comprendre comment les différents réseaux sociaux fonctionnaient.
Finalement, on a décidé de commencer notre première action vers Denfert-
Rochereau.
C’était une équipe des restos du coeur qui était là. On s’est mis, avec leur
permission, sur le trottoir d’en face et on a commencé à monter nos tables
pour la distribution, on a mis en place nos poubelles, et on a sorti nos
conteneurs. Dans un premier temps, les gens ne nous connaissaient pas.
Le développement de notre association 129

Ils étaient hésitants. Puis quelqu’un est venu, puis un autre, ils ont pu
voir la qualité de la nourriture, puis trois, puis quatre et finalement dans
un grand tumulte, tous les nécessiteux sont venus et en trente minutes,
on avait fini notre distribution. L’équipe des restos du cœur appréciait
notre geste, surtout qu’il y avait, à cette époque, beaucoup de Polonais qui
faisaient leur loi parmi les sans-logis. Des bagarres éclataient facilement et
ceux qui désiraient passer avant eux se faisaient frapper. Le résultat était
que les bénévoles des restos du cœur avaient peur.
On a dû, dès le début, faire la loi et montrer aux Polonais qu’on était
différents et qu’on ne les laisserait pas faire, sinon ils n’auraient pas de
nourriture. C’était chaud, il fallait retrousser les manches et leur faire voir
les tatouages pour qu’ils comprennent qu’on avait également un passé. Il
y a eu un moment délicat, puis les choses se sont graduellement calmées.
On a alors réfléchi pour éviter les frictions et on a trouvé la solution. On
a récupéré des barrières métalliques et on les a placées de façon à créer
une file d’attente. De cette manière, personne ne pouvait passer devant
l’autre. Les plus faibles et les plus vieux étaient naturellement respectés
et en sécurité. Mais le troisième jour, les sans-logis ont critiqué les restos
du cœur et ils ont fini par ne plus se restaurer que chez nous. Bilan, leur
responsable nous a contactés pour qu’on arrête la distribution de la
nourriture à cet emplacement. On s’est alors arrangés pour distribuer des
repas à la gare de l’Est. On permutait avec les restos du cœur un jour
sur deux.
Je revois encore tous ces gens, toutes ces familles dans le besoin, rongés
par la faim. Ils venaient avec leurs gamelles prendre de la nourriture pour
la famille entière. On établissait des contacts de cœur, on échangeait
véritablement avec eux, sans jugement. Ils venaient nous parler des
difficultés qu’ils rencontraient, en quête d’écoute, de chaleur, d’un peu
d’amour ou d’espoir. On se donnait totalement à eux. Ils nous aimaient
car ils sentaient qu’on avait vécu comme eux dans la rue. On n’était pas
simplement juste des bénévoles mais des personnes qui les comprenaient
véritablement. Ils avaient une telle confiance en nous. C’était une
expérience incroyable. On était leur famille. C’est si beau l’amour. Je vois
encore ces mères pleurer devant moi ou encore dans mes bras, touchées
par notre action et notre sincérité.
130 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI

Il y avait également dans ce réseau des gens en très grande difficulté,


des personnes pour la plupart rejetées de tous, sans logis, sans famille
et sans amis. Ils arrivaient complètement ivres. Ils sentaient vraiment
mauvais également. Ils étaient grossiers, violents et n’aimaient personne,
en particulier ceux qui les aidaient, donc nous. Il faut comprendre que les
gens de la rue refusent souvent l’aide qu’on leur propose, pour eux, c’est
un signe de rabaissement. Il y a donc une forme de rejet. On se retrouvait
confrontés à des réactions parfois violentes du genre : « J’en n’ai rien à
foutre de ta bouffe ! » « De la merde encore ! » « C’est ça, on veut me faire
bouffer de la merde ! » … C’est un schéma classique. Mais à part quelques
rares personnes, ils ne repartaient jamais sans prendre une assiette. Aussi,
l’effet de cette distribution de nourriture était graduellement visible à
nos yeux. Notre action les touchait. C’était frappant. Un changement
s’effectuait en eux.
Au bout de quelques semaines, ils faisaient attention, n’arrivaient plus
bourrés et nous parlaient avec respect. Ils sentaient qu’ils étaient aimés et
respectés. Le fait qu’on soit d’anciens voyous annihilait toute frontière et
permettait un climat de confiance, une profondeur dans l’échange.
Dans ces échanges, il y en a même qui demandaient à apprendre à prier.
Bon, il faut comprendre qu’on savait que pour la plupart, ils faisaient
cela pour échanger des liens, pour ne plus être seuls. Mais on a toujours
répondu à leur demande dans la limite de nos compétences. Aussi, on
leur expliquait l’importance d’agir positivement pour Dieu et les bénéfices
qu’ils recevraient. Il y avait quelque chose d’extraordinaire, de merveilleux
qui se mettait en place. Ils désiraient profondément changer leur situation.
Je me rappelle de cet homme d’une quarantaine d’années qui venait
manger chez nous. Il s’était graduellement rapproché de nous et nous
aimait beaucoup. Un jour, on a eu des ennuis avec des Polonais ivres qui
voulaient frapper un vieil homme. On est alors intervenus et les Polonais
n’ont pas aimé. L’affaire était très délicate. Cet homme a alors pris notre
défense en sortant une batte de baseball et en les menaçant. On est alors
intervenus de nouveau et les évènements se sont calmés. C’est incroyable,
trois jours après, quelqu’un lui a proposé un travail et un logement. Il
est devenu de nouveau inséré dans la société, comme quoi Dieu donne
toujours à ceux qui protègent Ses serviteurs dévoués.
Les concerts 131

LES CONCERTS

C’était une époque où l’on vivait pour aider les autres véritablement.
Notre équipe aurait fait n’importe quoi pour donner de l’amour. Bien sûr,
chacun engageait ses tendances dans cette aspiration. Mais la motivation
était réelle. On était jeunes et pleins d’énergie. En nous vibraient la
compassion et le désir de servir Dieu et l’humanité. On allait parfois dans
les pires endroits, habillés en voyou pour donner l’amour. On était du style
à accepter n’importe quel look ou n’importe quel langage pourvu que des
êtres aient un bénéfice. Aussi, dans cet élan puissant, on cherchait toutes
sortes de plans pour accroître notre mission. On partait ensemble dans
des concerts de rock, dans des squats, des raves….
Fred : « A cette époque, William et moi, on était de véritables guerriers. On
dormait quatre heures par nuit. On distribuait de la nourriture aux sans-
logis la journée. Le soir, on allait également distribuer de la nourriture
végétarienne dans des concerts. On faisait cela sept jours sur sept. En
fait, on vivait pour et par notre service. C’était notre vie et notre âme
et on était prêts à tout pour faire ce service. On était dédiés à cent pour
cent. C’était une époque formidable. On a rencontré beaucoup de gens
intéressants. Ensemble, on a vraiment vécu des moments extraordinaires
à travers ce service... »
Si mes souvenirs sont bons, après une première vague de distribution
de nourriture dans les concerts grâce au manageur de F.F.F, l’association
Isvara a pris une démarche plus radicale. On s’est mis à viser des milieux
plus durs comme les concerts de hardcore et de punk, car dans ces milieux,
il y avait davantage de végétariens. Je me rappelle de ce premier concert
à Saint Denis. A cette époque, j’avais les cheveux rasés à blanc avec une
sikha (petite mèche de cheveux derrière la tête). Pour les concerts, je me
faisais un look, histoire d’être accepté par les jeunes. Je revois encore au
loin les deux videurs mal à l’aise en me voyant, et Fred qui me dit : « Tiens,
on dirait que P’tit Willy est de retour ! »
Finalement, c’étaient des videurs qui connaissaient mon ancien gang. On
a parlé de Porky, puis on est allés s’installer avec nos pots pour l’ouverture
du concert. Au début, c’est vrai que ce n’était pas évident car les gars
ne m’avaient pas oublié, il y avait un véritable froid avec le public. Puis,
graduellement, ils ont vu que j’avais vraiment changé, que j’étais devenu
132 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI

inoffensif. Rapidement, on a sympathisé avec plus de la moitié de la salle


et la nourriture de nos pots a alors été distribuée très rapidement.
Notre programme marchait très bien, un peu trop peut-être. Les gens
nous faisaient la bise, venaient discuter avec nous de la non-violence,
de la spiritualité. C’était comme si on faisait partie du décor. Alors on a
commencé à avoir une sérieuse opposition. Fred recevait des menaces par
téléphone : « Si on vous voit dans les concerts, on vous tue ! »
Je me rappelle d’un ancien gang de skinheads qui ne nous aimait pas du
tout. Des échos nous étaient venus jusqu’aux oreilles : ils désiraient nous
tomber dessus, et d’autres aussi voulaient nous faire des ennuis. Mais
on n’avait peur de rien, on savait que le Seigneur était avec nous, et les
opposants finissaient toujours par nous accepter. De la même manière,
on a distribué beaucoup de nourriture dans les squats et il nous est arrivé
également de rencontrer de l’opposition.
On avait différents plans d’actions. Lorsqu’on n’était pas invités
officiellement à un concert, on s’arrangeait pour pouvoir se mettre devant
l’Elysée Montmartre pour faire notre distribution de nourriture et prêcher
la non-violence à la sortie des concerts. On avait inventé une technique.
On préparait, pendant le trajet en voiture, des petites boules de halva
(gâteau de semoule indien) dans des mini barquettes, qu’on rangeait dans
des cageots à légumes. On pouvait en entasser jusqu’à quatre cents dans
une seule cagette. On en faisait environ pour mille deux cents personnes.
Notre objectif était de distribuer cette nourriture dans un but spirituel. En
effet, en Inde, la nourriture offerte à Dieu porte le nom de « prasadam »
ou miséricorde. Les Védas expliquent qu’elle est très bénéfique pour les
êtres vivants. Si une personne en prend ne serait-ce qu’un petit morceau,
elle gagnera le bénéfice d’être engagée dans des actes liés à la dévotion.
Ceci entraîne graduellement l’être vivant à se libérer du cycle des morts
et des renaissances. De cette manière, on était très concernés envers
tous les êtres vivants. Bien sûr, c’est une question de foi. Mais au-delà
de notre démarche spirituelle, en distribuant cette nourriture, on prêchait
également la non-violence et le végétarisme en faisant déguster des mets
végétariens. C’était une action vers les autres pour essayer d’aller vers un
monde meilleur sans violence.
Pendant une distribution, je me rappelle avoir rencontré Filo, une ancienne
connaissance d’avant. C’était un gars vraiment sympa qui était branché
Les concerts 133

bandes dessinées. A l’époque, on le surnommait Marque jaune. Avec


Fred, on avait vraiment envie d’organiser notre propre concert en vue de
promouvoir la paix. Aussi, j’en parlais pas mal autour de moi et certains
groupes de musique étaient partants pour jouer gratuitement.
En vérité, j’avais un véritable agenda de contacts et je passais pas mal de
temps à prendre des rendez-vous pour avoir différents plans, en vue de
propager la non-violence. J’avais carrément des contacts avec des gens
du show-business et je leur prenais la tête pour organiser un évènement
pour pouvoir avoir des fonds pour acheter un camion et d’autres choses.
Aussi, j’en ai parlé à Filo. Il m’a tout de suite dit qu’il pouvait m’aider. En
fait, il était devenu biker et avait rejoint une organisation (un moto club). A
travers eux, il organisait des concerts toute l’année et également la sécurité.
Il m’a convié à un rendez-vous dans le café des Hell’s Angels pour mettre
au point ce festival pour la paix.
Trois jours plus tard, j’ai été à ce rendez-vous avec Fred. Filo se chargerait
de trouver une date, un lieu et de faire la publicité. Quant à nous, on devait
trouver des groupes qui accepteraient de jouer gratuitement pour la bonne
cause. Chacun avait fait son travail. Une salle de concert avait été réservée,
la publicité était faite et on avait une dizaine de groupes partants. Tout
allait pour le mieux, on était excités à l’idée de rassembler des jeunes pour
cet objectif. Puis Filo nous a proposé de rencontrer les groupes dans leur
local avant ce festival. Or, il s’est avéré que les gars du moto club étaient
des anciens skinheads pour la plupart. Bon, moi j’étais très loin de tout
cela. J’étais devenu une autre personne qui vivait véritablement dans un
autre monde, mais on ne m’avait pas oublié pour autant.
Vers vingt et une heures, les membres de certains groupes de musique sont
arrivés. Pour la plupart, ils étaient engagés dans une lutte active contre le
racisme et le fascisme. Et c’est à ce moment que la catastrophe est arrivée.
Des skinheads très renommés sont entrés dans le local des bikers. Ouhaa !
le froid glacial ! Qu’est-ce qu’ils faisaient là ? J’ai halluciné, en plus, toute la
bande de skinheads est venue me dire bonjour : « Ça va P’tit Willy ! » En
un instant, tous mes efforts en vue de prêcher la non-violence avaient été
anéantis. J’étais devenu aux yeux des membres des groupes, un tricheur,
un fasciste déguisé.
Quand tous les skinheads sont entrés dans le local et que je suis resté avec
les membres des groupes dans la rue, on a parlé. J’ai essayé de leur faire
134 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI

comprendre ma vision, que je n’y étais pour rien, mais ça ne passait pas du
tout. C’est à ce moment qu’ils m’ont appris qu’ils m’avaient reconnu bien
avant, mais qu’ils pensaient que j’avais changé. Mais avec cette nouvelle
histoire, j’étais redevenu leur ennemi.
C’est vrai qu’avec la philosophie des Védas on vit sans prendre en
considération les origines, les idées positives ou négatives des gens. On
apprend à voir ce qu’il y a de réel en eux (l’âme) et pas ce qui les recouvre
(les idéaux temporaires qui disparaissent avec la mort). On voit dans cette
perspective, tous les êtres unis sur un même niveau d’existence. On peut
donc aimer tous les êtres à travers cette vision. Mais ce genre de pensée
n’est pas apprécié des gens parfois.
Les réactions n’ont pas attendu. Dès le lendemain, ils ont fait une grosse
campagne contre ce concert et les trois quarts des groupes se sont désistés.
Bilan, le jour du concert, il n’y a pas eu grand monde. Tout au plus une
cinquantaine de personnes. De plus, fallait voir le service d’ordre que les
bikers avaient choisi, bonjour le concert pour la paix. Y en a même qui
prenaient des claques à l’entrée. On se sentait si mal. Pour moi, c’était un
véritable échec, car je désirais rapprocher tous les êtres, enlever de leur
cœur toutes ces frontières, et en finalité, on avait été le canal de la violence.
Cette expérience m’a appris à observer une certaine discrimination en
ce monde.

NOS AVENTURES

Après cet évènement, on a continué un peu à faire quelques festivals rock


parallèlement à notre distribution de nourriture pour les démunis, puis
Fabrice nous a proposé de participer à une transe Goa express, une mega
rave. Il connaissait les organisateurs et il avait réussi à nous avoir un stand
gratuit. Cet évènement aurait lieu en région parisienne, on y attendait
minimum cinq mille personnes.
On est arrivés sur place en début d’après-midi. On avait ramené tout notre
matériel dans le camion : le gaz, les trépieds, les pots, les épices, les légumes,
les jerricanes d’eau… Puis, on a commencé à installer notre cuisine sur le
parking. C’était assez folklorique je dois dire. On avait amené d’énormes
quantités de légumes, imaginez-vous des milliers de personnes. On était à
Nos aventures 135

fond. On avait huit heures pour cuisiner. C’était un challenge, mais on y


est arrivés.
On a ensuite fait du rangement, puis on a commencé à mettre en place
notre stand. On prenait pour ce genre d’événement notre pandal indien
avec ses motifs du Cachemire et ses éléphants. On mettait également
en fond un énorme Jagannatha. Les gens ont commencé à arriver de
partout et la musique a pris les devants. C’était puissant le son, tellement
de kilowatts. On avait l’impression que le public était transporté par la
musique, soulevé par le beat. Ils entraient en transe et sautaient au même
moment tous ensemble. C’était impressionnant de voir autant de gens
vibrer ensemble. Mais ceci n’était pas un fait naturel. La plupart de ces
gens étaient sous ecstasy, une drogue chimique à base de MDMA et
d’amphétamine. Cette drogue ultra puissante leur permettait de s’évader,
de s’oublier complètement et de faire monter à l’intérieur d’eux-mêmes
une extase puissante qui, à son tour, prenait le contrôle d’eux et les amenait
à se transformer en personnages imaginaires.
Certains avaient des tubas, des palmes et étaient absorbés dans un délire
de nager dans les profondeurs de l’océan. D’autres avaient des ailes et
s’imaginaient voler dans les airs. Quelques-uns étaient complètement
déguisés comme à l’époque féodale ou à l’image de divinités indiennes,
ils marchaient à l’aide d’échasses et criaient à tue-tête. Des milliers de
personnes étaient de cette manière emportés dans une transe et tournaient
autour d’une plateforme où des animations se déroulaient. Tant de
phénomènes se manifestaient sous nos yeux. C’était impressionnant.
Les heures passaient et parce que les gens étaient sous amphétamine, ils
n’avaient pas faim et on ne distribuait aucune nourriture. De temps en
temps, certains prenaient un verre de tchaï. On les voyait sous l’effet du
MDMA tout gentils, souriants, doux, comme des guimauves humaines. Ils
restaient à notre stand nous regarder pendant de très longs moments. On
avait l’impression qu’à chaque fois qu’ils buvaient, ils se transformaient,
leur teint passait du jaune au violet. Mais pas un n’osait dire quoi que ce
soit, et à chaque fois, le même cinéma. On était vraiment perplexes. On se
disait : « Ouah !!! Elle est drôlement puissante la boisson ? » En fait, Fred
s’était trompé dans la préparation et avait renversé une pochette de 250 g
de piment de Cayenne en poudre dans la boisson à la place de la cannelle,
136 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI

personne ne s’en était aperçu. Quand Fred a eu une petite soif et qu’il
s’est servi un verre, on a alors compris d’où venait le problème. Le plus
étonnant dans l’histoire, c’est que tout le monde en redemandait. Qu’est-
ce qu’on a rigolé avec cela. On les voyait vraiment se transformer devant
nous. Mais le bilan de la soirée a été catastrophique, on n’avait distribué
qu’une dizaine d’assiettes, alors à peine rentrés sans avoir dormi, on est
repartis pour distribuer cette nourriture aux sans-logis et dans les squats
afin de ne pas en jeter.
L’été, au mois d’août, on faisait une trêve avec nos actions sur Paris. Toute
l’équipe d’Isvara partait en voyage. On en profitait pour prendre un peu de
temps, pour se connaître davantage et pour renforcer nos liens. On avait
acheté des tentes, l’une servait à notre culte quotidien, l’autre à dormir.
On adorait ensemble ma petite Déité de Gopal (Krishna enfant). C’était
vraiment le bonheur. Dans la tente où on avait construit un autel, on
commençait par chanter le matin des chants dévotionnels de l’Inde. Puis
on sortait et dans une joie débordante, on dansait comme des fous pendant
de très longs moments en chantant, en sautant dans les champs, dans les
forêts, c’était vraiment dingue, qu’est-ce qu’on était heureux. Il y avait une
telle énergie qui nous soutenait à chaque instant. Il fallait vraiment être là
pour le croire.
Puis, on chantait nos prières sur le chapelet et enfin on cuisinait. On était
devenus des cuisiniers hors pair. Tout ce qu’on cuisinait avait le goût du
nectar. On était si dédiés à Krishna qu’on pouvait vraiment ressentir qu’Il
acceptait tout ce qu’on Lui offrait. C’était une évidence. On ressentait
cette chose. Il y avait véritablement une relation qui s’était manifestée dans
le fait que partout on distribuait cette nourriture sanctifiée.

MA VÉRITÉ

Pendant ces voyages, j’en profitais pour approfondir ma connaissance sur


les Textes sacrés de l’Inde, comme le Srimad Bhagavatam et la Bhagavad-
gita, qui étaient commentés par un très grand Vaisnava, Srila Prabhupada.
C’était vraiment extraordinaire. Cette lecture m’offrait un grand voyage
intérieur. Je pouvais apprendre beaucoup de choses sur notre univers, sur
nous-mêmes et sur Dieu, car cette connaissance à l’origine émanait de Ses
Ma vérité 137

lèvres. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’on désigne par « Sruti » les Védas,
car ils sont comme une mère. En effet, seule notre mère peut nous révéler
qui est notre véritable père. Nous n’avons pas d’autres choix possibles.
De la même manière, les Védas peuvent nous révéler qui est notre Père
Suprême et l’origine des choses. Telle est la pensée de l’Inde antique.
J’apprenais dans ces Textes qu’à l’origine toutes les êtres vivants sont
manifestés pour être situés dans une relation d’amour avec Dieu, libres de
la naissance, de la maladie, de la vieillesse et de la mort. Il y avait beaucoup
de détails sur cet amour affranchi de tout égoïsme, sur ces relations dans
la demeure suprême. Krishna était dépeint comme Dieu, l’Etre Originel,
d’une infinie beauté et d’une infinie douceur. Cette Personnalité Suprême
et merveilleuse se donnait à chacun et tous se donnaient à Elle. Tout cela
d’une façon puissante, par la seule force d’attraction et d’amour qui se
dégageait d’Elle. C’était évident pour moi qu’on était faits pour cela et non
pour cet amour limité qu’on connaissait dans le monde matériel, mélangé
à tellement d’impuretés.
A travers ces Ecritures, je comprenais pourquoi j’étais dans cette situation,
mais surtout je pouvais saisir l’étendue de la liberté que Krishna me
donnait. Bien qu’Il soit le contrôleur de toute chose, en même temps Il me
laissait complètement libre de choisir ma destinée. C’était extraordinaire
d’apprendre que l’amour signifiait la liberté. Mais cette liberté impliquait
que je pouvais faire un mauvais choix.
C’était donc mon désir qui m’avait amené ici. Ce monde matériel était créé
dans l’intention de m’offrir cette liberté de pouvoir expérimenter mon
indépendance envers Dieu, de devenir mon propre dieu, le contrôleur de
mon existence et de mes actions. J’étais libre de faire ce que je voulais. Une
grande liberté m’était offerte.
Par cette connaissance, je réalisais que Krishna s’était retiré extérieurement
de ce monde. Il semblait ne pas avoir d’existence pour ceux qui ne
voulaient pas de Lui. Tout avait été manifesté ici-bas pour nous permettre
de L’oublier. C’était une vision inconcevable. C’était parfait. Tout avait été
arrangé dans les détails : un Père suprême se retirant pour permettre à Ses
enfants que nous sommes d’expérimenter l’indépendance.
Ces Ecritures expliquaient que bien qu’absent extérieurement, Dieu était à
la fois présent en chaque chose pour nous soutenir et nous accompagner
138 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI

dans cette quête. La raison de cet accompagnement était claire. L’être


infime que nous étions ne pouvait contrôler et entrer en contact avec ce
monde fait de matière sans un pouvoir suprême. Bien que nous soyons
d’une nature semblable à Dieu, c’est-à-dire une entité spirituelle, nous
n’étions jamais véritablement indépendants, car nous dépendions même
sans le savoir de Lui pour toute chose, à cause de notre petitesse.
Mais cette liberté voulait aussi dire assumer les résultats de nos actes ici-
bas. Tout était régi par des lois subtiles qui donnaient à l’être vivant la
redistribution du fruit de ses agissements : un acte bon entraînant la joie,
un mauvais la souffrance, la somme de tous ces actes déterminant un
type de corps adapté à la somme de joie et de souffrance que l’être devait
connaître dans une prochaine vie. Ceci étant appelé la transmigration de
l’âme ou la loi de la réincarnation.
C’est pourquoi certains êtres connaissent le bonheur, puis le malheur ou
l’inverse. Il n’y a pas de hasard à cela. L’injustice n’existe pas. Celui qui
tue devra être tué de la même manière. Celui qui fait du bien recevra tôt
ou tard ce bien. Il y a en ce monde une réaction égale et opposée à nos
propres actes. Le but n’étant pas de nous punir, mais par nos propres
désirs de nous rééduquer. En effet, parfois un enfant peut désirer quelque
chose de mauvais et le père le lui offrir pour que par lui-même, l’enfant
puisse comprendre son mauvais choix et changer d’attitude. De la même
manière, bien que ce monde soit un cortège de souffrances, ces mêmes
souffrances ont le pouvoir de sortir l’être vivant de son désir marginal,
d’être indépendant de Dieu. Une fois cette relation établie avec Krishna,
l’être devient de nouveau en harmonie avec le Tout, goûte au parfait
bonheur de réaliser sa propre vérité et n’en déviera plus jamais.
Je pouvais revoir en moi des scènes du passé, comme ce jour où Jabbha,
Fesni, Bat et moi, en 1983, on s’était fait courser par une multitude de
personnes en passant devant un gros concert. C’était vraiment chaud, ils
avaient viré à droite dans une ruelle et moi à gauche. Les gars avaient des
armes et ils voulaient vraiment nous terminer. Ils se vengeaient de toutes
les raclées qu’on leur avait passées. J’étais essoufflé, j’avais quelques mètres
d’avance. Je me suis hissé sous un camion avec beaucoup de mal, mais je
n’arrivais pas à entrer complètement, mes chaussures dépassaient. Alors
ils sont arrivés. Ils criaient. Je les voyais qui me cherchaient, leurs armes à
Ma vérité 139

la main. Ils étaient à quelques pas de moi, mais comme par magie, ils n’ont
pas vu mes chaussures. J’étais complètement coincé. Ils auraient pu me
finir à coups de couteau sans que je ne puisse rien faire. Aussi, ce jour-là,
pour la première fois, j’ai prié. Moi qui ne l’avais jamais fait. « O Dieu, si tu
existes, protège-moi ! Je te promets, si je sors vivant je te donne ma vie ! »
Ils sont alors partis plus loin et je suis enfin sorti du camion et j’ai repris
ma route, tout en oubliant cette prière et Dieu.
Je voyais comment la haine avait pris possession de moi quand j’étais un
skinhead, alors que je n’étais qu’un garçon comme les autres. Parallèlement,
je revoyais comment Dieu n’avait pas oublié ma promesse. Il avait changé
graduellement ma vie, en chassant cette haine qui m’habitait. Puis la foi
était apparue en moi sans que je ne l’aie véritablement demandée, celle-ci
m’amenant progressivement à réaliser ma vérité.
C’était inconcevable comment les choses venaient à moi. Je réalisais
comment Krishna m’avait fait traverser tant d’expériences pour me
permettre de me donner à Lui. Rien ne pouvait plus m’éloigner de Lui. Il
était pour moi comme un phare. Je ressentais que ce sentiment qui habitait
maintenant mon cœur n’avait pas d’existence en ce monde d’oubli. Tout
me paraissait dépourvu de toute véritable substance sans Lui.
Une autre personnalité avait pris naissance en moi, laissant l’ancienne, le
skinhead, comme un lointain rêve. Dans cette conscience, je ne pouvais
qu’avec du mal me remémorer cette ancienne vie. C’est comme si je
m’efforçais de comprendre une autre personne. J’avais expérimenté en
cette vie la mort et la renaissance, tout comme l’âme qui passe d’un corps
à un autre au moment de la mort et qui ne peut véritablement se souvenir
de son ancienne vie sans la grâce de Dieu.
Je pouvais réaliser grâce à ceci comment tous mes actes passés avaient été
purifiés et pardonnés grâce à la miséricorde du Seigneur et de Son pur
dévot, Srila Prabhupada. Cette chose établie dans mon cœur, je réalisais
que cette réalité pouvait devenir également la vérité pour les autres. Alors,
un désir profond et constant est apparu en moi : celui de voir chaque être
vivant en ce monde comprendre son lien éternel avec Dieu.
Ce désir si puissant paraissait jaillir de mon cœur et agir comme un filtre
sur la perception de tous mes sens. Il imprégnait toute chose qui venait
à moi. Je ne pensais plus qu’à aider les autres. A travers l’équipe d’Isvara,
140 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI

j’essayais du mieux que je pouvais de réaliser cet objectif, même si cela ne


représentait qu’une goutte dans l’océan. C’était une véritable libération,
une réponse, un aboutissement. Le plus merveilleux étant que cette réalité
ne m’était pas imposée, inculquée par d’autres personnes, elle était apparue
d’elle-même, de mon cœur.

INITIATION

Les Védas expliquent que tout adepte d’une voie spirituelle doit recevoir
d’un maître l’initiation. Elle est une formalité importante, car l’initiation
marque le moment où le disciple devient relié à une filiation spirituelle
et reçoit de celle-ci un mantra et un nom spirituel. Un mantra est
généralement une invocation de Dieu qui est effectuée à travers Ses
noms. En chantant le nom de Krishna, Celui-ci est rendu présent, ce qui
fait apparaître en l’adorateur : l’amour pour Dieu. Or, tout mantra n’est
authentique que s’il est reçu à travers une filiation autorisée. C’est pourquoi
les Védas enjoignent une personne d’accepter ce processus pour atteindre
la perfection spirituelle.
Je me rappelle de ce jour. Il y avait un yajna, un feu de sacrifice, où l’on
adorait Visnu à travers le feu. Les initiés étaient présents autour du feu et
le maître présidait la cérémonie. Les gens qui assistaient à cette cérémonie
jetaient des grains de riz dans le feu, et du beurre clarifié était également
offert à l’aide de mantras védiques. A un moment, j’ai été appelé à prononcer
des vœux. Il y en avait quatre. Le premier était de ne pas manger de viande,
de poisson et d’œufs, le deuxième, de ne pas avoir de relations sexuelles
illicites, le troisième, de ne pas jouer aux jeux de hasard et le quatrième, de
ne pas prendre d’intoxicants.
Chaque vœu correspond à un pilier fondamental de la religion hindouiste.
Le fait de suivre ces quatre principes permet à une personne d’acquérir en
son cœur des bases solides pour la vie spirituelle, car les Textes védiques
enseignent que la consommation de viande diminue la compassion, la vie
sexuelle illicite enlève la pureté chez l’être, le jeu de hasard diminue la véracité
ou le fait de voir Dieu en chaque chose, et finalement l’intoxication enlève
chez l’être le fait d’accomplir des austérités, d’avoir la force d’abandonner
ses mauvaises tendances pour en accepter des positives qui lui permettra
de se rapprocher de la Vérité.
Initiation 141

Une personne qui devient libre de ces activités qui sont particulièrement
liées aux influences de l’ignorance et de la passion, peut atteindre
l’influence de la vertu qui est la plus propice à l’épanouissement spirituel.
C’est pour cela que toutes les filiations des Védas suivent ces quatre vœux
fondamentaux. Ensuite, le maître m’a remis mon chapelet et m’a donné
un nom spirituel : Vraja Sundar das. Celui-ci est un nom de Krishna qui
signifie que je suis un serviteur de l’Etre Suprêmement merveilleux qui
accomplit Ses divertissements dans Sa demeure éternelle du nom de Vraja.
Six mois après, je recevais la seconde initiation.
Lorsque j’ai reçu la deuxième initiation (brahmanique), j’ai tout de suite été
introduit à l’adoration de la Déité. C’est vrai que pour les gens, en général,
le culte de la Déité est mal compris, il est souvent associé à de l’idolâtrie. Je
me dois donc de l’expliquer succinctement.
Les Textes védiques enseignent que la Vérité Absolue n’est pas dénuée
de personnalité, ni de sentiment. Pour être absolue, Elle doit au moins
contenir tous les aspects de Sa création, soit comme nous, avoir une
forme, un nom, des attributs, mais également des sentiments. Seulement,
ils ne sont pas comme les nôtres, matériels, imparfaits et limités. Le Corps
de Dieu est, selon les Védas, transcendantal. La Brahma-samhita révèle le
Nom de Dieu, Krishna, et décrit Sa forme comme étant sac-cid-ananda ou
emplie d’éternité, de connaissance et de félicité transcendantales.
Dans son état de conscience conditionnée, l’être humain ne peut voir ce qui
est au-delà de la matière grossière et subtile. Ce qui signifie que dans notre
état d’existence, nous ne pouvons pas pleinement entrer en contact avec
le Seigneur et éveiller notre pur amour pour Lui. Seuls ceux qui sont situés
au niveau de la pure existence spirituelle sont compétents pour L’adorer.
Ceux qui sont sur la plateforme matérielle ne peuvent pas comprendre ce
plan spirituel. Ainsi, lorsqu’ils méditent sur le Seigneur dans leur mental,
la forme qu’ils imaginent et la relation qu’ils désirent échanger avec Lui
sont matérielles et imparfaites. C’est d’ailleurs pourquoi certaines religions
interdisent de se mêler à de telles méditations imaginaires.
Il existe donc une grande différence entre l’idolâtrie et l’adoration de
la Déité. L’idolâtrie est l’adoration d’une forme de Dieu imaginée par
l’homme, alors que la Déité est une incarnation du Seigneur. Dieu interdit
l’idolâtrie, mais préconise l’adoration de la Déité.
142 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI

« Le Seigneur Suprême dit : Mes dévots doivent pleinement établir


l’adoration de la Déité en construisant un temple, ainsi que de beaux
jardins. Et ces jardins doivent s’étendre aux alentours, afin de cultiver des
fleurs pour l’adoration et d’effectuer des processions pour la Déité. »
Bhagavat Purana
Ces formes de Déités sont minutieusement décrites à travers les Védas,
dans les Textes appelés « Silpa-sastras » qui donnent les précisions exactes
pour leur représentation (gestes de leurs mains, proportions du corps...).
Puis, à travers un processus décrit dans les Védas, la Déité est installée
dans le temple où Elle reçoit une adoration journalière.
Krishna Se manifeste de cette manière dans ce monde, afin que les êtres
vivants puissent Le contempler et Lui rendre un service avec leurs sens
matériels, de manière à graduellement développer la qualification nécessaire
pour éveiller l’amour pour Sa personne et tous les êtres. Aussi les Védas
déclarent que la Déité est une incarnation spéciale de la miséricorde
du Seigneur appelée arca-vigraha. Une personne peut donc facilement
satisfaire le Seigneur en rendant un service à la Déité et finalement
retourner à Sa demeure.
« Quel besoin y a-t-il d’exécuter les différents systèmes de yoga qui sont
difficiles à parfaire, même en une centaine de naissances ? Quel besoin y
a-t-il de peiner pour atteindre la connaissance transcendantale ? J’offrirai
mes respectueux hommages au Seigneur Krishna, car simplement en
Lui offrant ses hommages une personne peut être libérée des chaînes du
karma et atteindre le monde spirituel suprême. »
Hari-bhakti-kalpa-latika (9.2)
Dès les premiers instants de ma seconde initiation, j’ai reçu une formation
élémentaire sur l’adoration de la Déité. J’ai été introduit aux rites de
purification, de propreté et de ponctualité. Puis un matin, le président du
temple m’a fait aller sur l’autel et m’a montré comment adorer les grandes
Déités de Nityananda et Gauranga, qu’on nomme dans ce temple Nitaï
Sacisuta. C’était vraiment pour moi une expérience merveilleuse. J’aimais
tant ces Divinités. Je pouvais maintenant les toucher, leur offrir tout mon
amour, d’une façon plus intime. C’était pour moi une grande expérience.
Ces Divinités m’apparaissaient comme des personnes et mon cœur était
naturellement emporté par les servir toujours davantage. Puis est venu
Mon premier voyage en Inde 143

le temps où on m’a fait adorer les Divinités de Jaganatha, Baladeva


et Subhadra...

MON PREMIER VOYAGE EN INDE

C’est en 1995 que j’ai organisé avec Fred notre premier voyage en Inde.
C’était pour nous un grand moment d’aller en terre sainte. Le jour J, j’ai
emporté avec moi mes Déités, plus quelques affaires personnelles. Les
contrôles à la douane se sont passés sans problèmes et on est arrivés le
lendemain à l’aéroport de Calcutta. Bon, c’est vrai qu’on avait tous les
deux une sacrée dégaine. On était tatoués de partout avec un look de
moine. Aussi, on a fait attraction. Les Indiens nous suivaient pour nous
regarder. On était un peu comme des martiens arrivés sur Terre. Mais dès
qu’on est sortis de l’aéroport, on a compris très vite que l’Inde n’était pas
un pays facile. La misère était partout présente. On a réalisé aussi que pour
ses résidents, on était une source d’argent à exploiter.
Tout le monde était après nous. On entendait : « Taxi ! Change ! Hôtel ! »…
Des dizaines de personnes criaient en espérant nous soutirer de l’argent.
C’était vraiment le test. Cette pression qu’on recevait faisait qu’on était
perdus dans ce pays dont on ne connaissait rien, même pas la langue. On
marchait et ces gens nous suivaient, de plus on parlait très peu anglais. On
s’est alors concertés. Il était préférable de dormir à l’hôtel pour la nuit.
On a alors convenu de partir avec un transporteur de passagers qui menait
à un hôtel. Arrivés à l’établissement, on a payé la chambre et on s’est
installés. Pour un hôtel, ce n’était vraiment pas terrible, mais bon, on était
assurés d’être enfin libres de cette horde de personnes qui cherchaient à
nous extorquer de l’argent. Après une bonne nuit, on a fait nos ablutions,
puis pratiqué notre sadhana (pratique spirituelle journalière). On avait
commandé un taxi pour aller à Mayapura qui était situé à deux cent
cinquante kilomètres. Ce trajet nous coûterait environ l’équivalent de deux
cents francs, soit trente euros aujourd’hui. On avait rendez-vous en bas de
l’hôtel à dix heures du matin.
On est donc descendus vers neuf heures quarante-cinq, et surprise, le
patron de l’hôtel nous a annoncé qu’on ne pouvait pas partir avant de payer
notre chambre. On s’est regardés et on a tout de suite compris l’arnaque.
144 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI

D’un ton affirmatif, on lui a fait comprendre qu’on avait déjà payé et qu’il
était hors de question de verser le moindre centime en plus. On a pris nos
bagages pour partir, mais, dans la cour, avant d’arriver à la sortie de l’hôtel,
on a été encerclés par quelques gars. On n’avait pas le choix, on a posé les
sacs et on leur a fait comprendre qu’on ne donnerait pas un centime de
plus. Finalement, ils ont lâché l’affaire et on a pu prendre notre taxi.
Les taxis en Inde ont à peu près tous le même aspect. Ce sont des voitures
des années cinquante, une des dernières traces de la colonisation anglaise.
Le conducteur nous attendait. Il a chargé les bagages, puis on a pris la route.
Dans les rues de Calcutta, on assistait à un tel spectacle. D’innombrables
voitures et personnes circulaient dans les rues. Calcutta était un énorme
embouteillage. Vous n’entendiez que le bruit des klaxons et ne respiriez
que les gaz d’échappement des voitures. Des hommes, des femmes et des
enfants sans jambes, sans bras faisaient la manche. Ce n’était pas facile de
voir ces mendiants taper à nos vitres et la misère étalée devant nous.
Le type qui nous conduisait n’avait pas l’air très clair. Au bout d’une
dizaine de kilomètres, il a chargé une autre personne qu’il connaissait. On
est alors sortis de Calcutta et peu de temps après, on a commencé à voir
un environnement plus rural. On voyait devant nous une vie des plus
simples et des gens vraiment différents de la ville. Mais un autre danger
nous attendait, car la façon de conduire en Inde est très spéciale : pas de
permis de conduire, chacun fait ses propres lois. C’est bien simple, toutes
les trente secondes vous voyez un énorme camion surchargé, huit mètres
de hauteur de chargement bâché, foncer sur vous en sens interdit et qui
vous klaxonne pour que vous le perceviez, et comme toujours, juste au
dernier moment l’accident est évité. C’est la norme du klaxon. C’est la
seule façon de rester en vie. Alors pour le premier voyage, quand vous
n’avez pas l’habitude, vous priez intensément pour que la Providence vous
permette d’arriver à bon port. C’est vraiment intense.
Après une heure et demie de route, le taxi a quitté la route principale.
On a trouvé cela étrange. Puis il s’est arrêté dans un endroit vraiment
isolé. Le chauffeur et l’autre passager se sont alors retournés et nous
ont fait comprendre que pour qu’ils continuent il fallait qu’on paie plus.
De nouveau, il a fallu qu’on retrousse les manches et après une petite
embrouille, le conducteur a accepté de continuer et a laissé son copain à
l’entrée d’un village.
La terre sainte de Mayapur 145

Plus on s’éloignait de Calcutta, plus le paysage était beau. On a vu des


gens avec des tenues vestimentaires exotiques, des femmes très chastes
habillées en sari de multiples couleurs, les hommes eux avaient le plus
souvent un morceau de tissu autour des hanches et une chemise. On a
vu comment ces gens apparemment pauvres vivaient une vie si simple et
étaient heureux. Cela respirait sur leur visage. Leurs sourires apparaissaient
dans leurs yeux. Comme demeures, ils avaient de petites huttes faites de
paille et de boue. On a remarqué l’importance de la vache, chacun de ces
fermiers avait son lopin de terre et des vaches. Ces images semblaient
nous apprendre la simplicité. Elles nous donnaient une grande leçon sur
la vie. On a réalisé à quel point l’Occident s’était enfermé dans une vie
artificielle qui finalement rendait les gens malheureux.

LA TERRE SAINTE DE MAYAPUR

Plus on s’est rapprochés de Mayapura, plus on se sentait inspirés. Mayapura


est la terre sainte par excellence. C’est l’endroit où Sri Caitanya Mahaprahu
est apparu. Il est, selon les Ecritures védiques, Krishna qui revient en
cet âge pour distribuer l’amour pour Sa propre personne. Il est donc la
personne centrale chez les gaudiya vaisnavas, et son lieu d’apparition le
lieu de pèlerinage le plus important, car le plus miséricordieux. Il est dit
que Krishna réciproque avec la valeur de la dévotion de chacun. Alors que
lorsqu’il vient en tant que Sri Caitanya, il se donne sans concession. Sa
miséricorde est comme un immense raz-de-marée qui prend tout sur son
passage. Aucune discrimination n’a d’existence dans Sa générosité, et les
authentiques Vaisnavas sont habités par cet état d’esprit. C’est pour cette
raison qu’ils parcourent le monde afin de connecter les gens à cet amour.
Arrivés aux portes de Mayapura, on a commencé à voir des publicités
reliées au centre mondial du mouvement hindouiste auquel j’étais relié
en France. Puis on a remarqué qu’il existait bien d’autres branches que ce
mouvement, car de nombreux autres centres gaudiya vaisnavas occupaient
cette terre sainte. Des Vaisnavas et Vaisnavis étaient partout présents dans
ce lieu, c’était un autre monde.
Comme on se revendiquait être reliés à ce mouvement, on a fait escale
dans leur centre. On se serait cru dans un immense centre hindouiste
mêlé à des traditions occidentales. L’architecture était différente. C’était
146 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI

à l’américaine, grandiose. Des jardins, des biches, des boutiques où vous


pouviez vous fournir en toute chose, des restaurants, des animations, des
expositions… Bref, c’était une sorte de parc d’attractions spirituelles et les
Indiens adoraient cela. Ils venaient de partout pour visiter. C’était énorme.
On a, dans un premier temps, réservé une chambre et on s’est installés.
Après un peu de repos, on est sortis du centre et on a pris un rickshaw. C’est
une sorte de taxi à vélo. Puis on est allés au lieu d’apparition du Seigneur
Caitanya, le Yoga-Pitha. Cet endroit originellement avait été découvert par
Srila Bhaktivinoda Thakura, le père de Srila Prabhupada Bhaktisiddhanta.
Ce grand Vaisnava était venu en ce monde de 1838 à 1914, afin de faire
revivre les enseignements de Sri Caitanya. Après quatre cents années, ses
enseignements avaient été interprétés par un grand nombre de sectes en
Inde. Elles avaient dévié de l’enseignement originel. Aussi, sous prétexte
de l’amour de Dieu, de nombreuses doctrines inauthentiques avaient vu le
jour, donnant naissance à des déviations. Les gens en général n’avaient donc
pas une bonne appréciation pour Sri Caitanya. Aussi, Srila Bhaktivinoda
Thakura a commencé à enseigner la vraie doctrine de l’amour qu’avait
enseignée Sri Caitanya et en quelques années, il a fait revivre ses véritables
enseignements en écrivant plus de cent ouvrages autorisés et en ravivant les
véritables lieux de divertissements du Seigneur, dont son lieu d’apparition.
Arrivés sur place, on a ressenti une grande félicité. C’était un lieu magique.
Il restait encore l’arbre neem sous lequel le Seigneur était apparu. On
pouvait voir des objets accrochés à cet arbre. En les accrochant, les Indiens
faisaient des vœux, car cet arbre était considéré comme un arbre à souhaits.
Tant de dévotion, de pureté s’offraient à nos yeux. On était comme des
enfants comparés à tous ces gens. C’était merveilleux de découvrir l’origine
de notre foi et de la voir sous un vrai jour, non vécue par le biais d’autres
perceptions parfois impures.
On était comme des abeilles avides de nectar et on s’envolait de temple
en temple, découvrant des Vaisnavas et des institutions différents. Mais
je voyais beaucoup de pureté autour de moi et j’étais attiré à être avec
tous ces Vaisnavas différents. Ils étaient si doux. Ils s’absorbaient dans
le chant des Saints Noms de Krishna également, mais je sentais qu’ils
goûtaient quelque chose de bien spécial, lorsqu’ils chantaient ces mantras.
Cela émanait d’eux et frappait mon cœur. C’était si bon de se comprendre.
Même si je ne parlais pas leur langue, leur amour venait me chercher.
Srila Bhakti Promoda Puri Goswami 147

Mon cœur commençait donc à s’ouvrir à un vaisnavisme sans sectarisme,


la grande famille de Sri Caitanya Mahaprabhu. On découvrait une terre
de saints vaisnavas et c’était pour nous une révolution intérieure. Cela
avait pour effet de faire évoluer notre champ de vision et d’ouvrir notre
conscience à une réalité supérieure. On était dans cet environnement,
prêts à apprendre davantage.

SRILA BHAKTI PROMODA PURI GOSWAMI

Quand on allait à Navadwipa, on prenait un rickshaw (taxi à vélo), afin


de rejoindre les rives du Gange. On passait alors devant un temple, et à
chaque fois, on avait remarqué qu’une force nous attirait dans ce temple.
On ne pouvait que penser qu’un saint vaisnava hors du commun y résidait.
J’avais reçu comme instruction de faire expertiser deux Salagrama silas
que l’on m’avait confiés en France. Les Textes védiques expliquent que
les Salagrama Silas sont des manifestations du Seigneur sous la forme
de pierres sacrées. Elles ont des signes bien distinctifs qui permettent de
reconnaître quelle incarnation du Seigneur elles représentent. Aussi, avant
de les adorer, beaucoup de Vaisnavas les font expertiser afin de savoir les
mantras (prières) respectifs qui leur sont appropriés.
Mais par la Providence, on ne se rappelait plus du nom du prêtre qu’on devait
rencontrer pour les faire expertiser. Alors, comme on était à Mayapura, on
s’est concertés et on a décidé que ça devait être certainement les chefs
pujaris (prêtres officiants) du temple. Dans un premier temps, on a pris
un rendez-vous avec l’un d’eux. La rencontre a été fort chaleureuse. On
a été invités dans le complexe d’adoration des Divinités. On lui a fait part
de notre souhait de faire expertiser les Salagrama Silas. Mais celui-ci nous
a conseillé d’aller voir un grand saint du nom de Srila Bhakti Promoda
Puri Gosvami Maharaja qui selon lui était chevronné dans l’expertise des
Salagrama silas.
Mais quelle n’a pas été notre surprise lorsqu’on a pris le vélo taxi pour aller
rencontrer ce personnage, il nous a arrêtés exactement devant le temple
qui nous attirait à chaque fois qu’on passait devant. Une certaine angoisse
s’est emparée de nous. Qui allait-on bien pouvoir rencontrer ici ?
On a commencé à réaliser que tout était un arrangement de la Providence.
Notre oubli du nom du prêtre qu’on devait rencontrer, notre rencontre
148 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI

avec le prêtre en chef et enfin notre arrivée dans ces lieux. Comme par
enchantement, c’est comme si on nous attendait. Normalement, à cette
heure-là, on ne dérangeait pas Srila Bhakti Promode Puri Gosvami
Maharaja car il était déjà âgé de quatre-vingt-dix-huit ans et les visites
étaient réglées afin de ne pas affaiblir sa santé. Mais on nous a fait signe de
monter dans son appartement.
Je me rappelle de ce temple. Vous n’y rencontriez que des moines. Une
certaine austérité était visible à nos yeux, mais également une ambiance
mystique se dégageait de cet endroit. Les murs étaient de couleur saumon,
les toits surmontés de nombreux dômes. Des reliefs représentaient des
lotus, des éléphants et d’autres emblèmes étaient peints avec des couleurs
pastel, verte, bleue, jaune… Le portail d’entrée était en fer forgé avec des
formes de lotus. Au-dessus, une pancarte indiquait : Sri Gopinatha Gaudiya-
Matha, président fondateur, Sri Srimad Bhakti Promoda Puri Goswami.
On ressentait qu’une personne spéciale habitait ici et qu’elle était tellement
pure qu’elle pouvait par son amour purifier même la terre sainte. C’était si
puissant. On était transporté par ce parfum de dévotion qui entrait dans
tout notre être. Notre anxiété s’est alors accrue. En fait, elle augmentait à
chaque pas. On devenait comme des enfants qui allaient à la rencontre d’un
véritable père. Notre nature intérieure avait l’air de se transformer afin de
pouvoir rencontrer le sage. C’était une expérience des plus magiques que
de vivre cette transformation.
On a d’abord pris le darshan (on est allés voir) et prié les Divinités du
temple. Celles-ci étaient habillées simplement et les chants traditionnels
qui étaient chantés à l’office nous étaient inconnus. Puis, on nous a
conduits dans une cour qui menait à un escalier. Arrivés au second étage,
l’atmosphère est devenue de plus en plus dense. Il y avait une chambre des
plus communes. On nous a fait patienter devant quelques instants.
C’était vraiment différent de ce qu’on avait vécu. On ne percevait pas
d’opulence matérielle dans ce lieu, mais une tradition authentique préservée.
C’est bien simple, vous étiez mis à nu. Vous ne pouviez plus vous croire
une personne ayant quelque érudition, ni même connaissant les simples
fondements de cette tradition. De nombreux rituels accompagnaient les
pas de ces personnes. Autour de nous un grand spectacle s’offrait à nos
yeux, nous étions vraiment retournés. De plus, une pression intérieure
Srila Bhakti Promoda Puri Goswami 149

montait. On devenait à chaque instant de plus en plus petits. L’attente


dura un certain temps, mais elle nous sembla intérieurement durer une
éternité, finalement un moine est venu nous chercher.
Je me rappelle encore de ce moment, j’avais mes deux Salagrama Silas
(pierres sacrées représentant Krishna) dans une boîte en bois que je
portais avec grand soin, et je suis entré dans une pièce. Celle-ci était tout
en longueur, peut-être une trentaine de mètres carrés. On pouvait y voir
plusieurs étagères où étaient stockés des livres en bengali et en hindi, puis
au fond, un lit avec des draps safran, couleur du renoncement. Se tenant
sur ce lit, une personne très âgée nous observait en nous rendant son
hommage. Son teint semblait rayonner comme de l’or et diffusait une
ambiance mystique. Son contact nous a touchés profondément le cœur,
et comme frappés d’émerveillement par ce qui dégageait de lui, on lui a
offert notre hommage d’une façon spontanée de tout notre corps. J’avais
l’impression que ce qui se dégageait de lui imprégnait mon être tout entier.
Je me retrouvais ainsi, sans comprendre mon bouleversement, tenant au
bout de mes mains cette boîte où étaient rangés les Salagrama Silas.
On nous a fait rapidement retrouver nos esprits, car Srila Bhakti Promoda
Puri Gosvami Maharaja n’aimait pas que je lui rende mes hommages avec
cette boîte contenant les Salagrama Silas. Un de ses disciples a pris ma
boîte et lui a apportée. On était tous les deux en admiration devant cette
grande âme. C’est alors que son disciple lui a remis la boîte ouverte où l’on
apercevait les pierres sacrées à l’intérieur.
Il a rendu d’abord hommage aux Déités, puis il les a pris dans ses mains
et les a examinées afin de trouver leur signe distinctif. Une telle dévotion
émanait de lui, c’était stupéfiant. Puis il a prononcé son verdict sur leur
origine. Il les a reconnus comme d’authentiques Salagrama Silas, mais il
m’a donné comme instruction de les adorer avec un Govardhana Sila (une
pierre sacrée de la colline Govardhana qui est considérée comme non
différente du Seigneur).
On est alors ressortis avec un sentiment si fort en notre cœur car Srila
Bhakti Promoda Puri Gosvami Maharaja y était entré. C’était une
personne hors du commun. Sa pureté attirait tant d’êtres que lorsqu’il
apparaissait en public, les gens se bousculaient pour le toucher et le voir.
C’était un spectacle impressionnant. Aucun vaisnava ne lui manquait de
150 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI

respect. Il était accepté de tous comme le vaisnava du moment le plus


avancé spirituellement.
Il avait l’habitude de venir régulièrement à Vrindavana, dans le complexe du
vieux temple de Dauji. Un jour, il y avait à cette occasion, un regroupement
de Vaisnavas aînés. On lui avait installé un siège élevé pour qu’il puisse
parler sur les Saintes Ecritures et notamment sur le Bhagavat Purana. Un
sannyasi, suivi de plusieurs Vaisnavas, est allé le chercher dans sa chambre.
Il était déjà âgé de cent années, il avait du mal à marcher. Alors, il a été
amené en chaise roulante.
Arrivé devant le siège élevé, deux personnes l’ont porté pour le mettre
dessus. Il a rendu ses hommages de ses mains tremblantes au livre sacré,
en le portant sur sa tête. Il a commencé à réciter des prières. Lorsqu’il s’est
adressé à la foule, il s’est mis à pleurer. Tous avaient la tête baissée. Il s’est
mis à protester humblement. Il disait avec des larmes que parce qu’il était
vieux, on l’avait contraint à monter sur ce siège élevé, mais qu’il n’était pas
qualifié pour cela.
L’atmosphère est devenue si chargée d’extase et son humilité a tellement
touché le cœur de la foule que tous se sont mis à pleurer. Srila Bhakti
Promoda Puri Gosvami Maharaja n’avait même pas besoin de parler pour
vous faire progresser spirituellement, son cœur, ses émotions venaient
vous chercher et vous emmenaient dans le royaume de l’amour. Aucune
duplicité n’habitait en lui. Il ne faisait pas de manœuvres politiques pour
préserver sa position de leader, rien de sectaire ne pouvait émaner de lui.
Son humilité et sa douceur n’étaient pas de ce monde. Il considérait tous
les êtres vivants comme supérieurs à lui, car il voyait Krishna dans le cœur
de chacun. Aussi, il avait l’habitude d’offrir son hommage à Dieu qui
résidait dans nos cœurs, lorsqu’il voyait un vaisnava. Je réalisais toujours
cette vérité en moi, lorsque j’allais le voir.
Un jour, je me rappelle, on était avec lui, sur le toit d’une terrasse d’un
bâtiment dans le complexe du temple. On lui a alors amené un jeune
veau qui venait juste de naître. Il voyait tous les êtres d’un oeil égal, sur
la plateforme de l’âme et non du corps et il initiait même les animaux au
chant des Saints Noms. Il s’est alors approché de son oreille droite et lui
a chanté : hare krishna hare krishna krishna krishna hare hare, hare rama
hare rama rama rama hare hare. Le petit veau était complètement absorbé
par son amour et restait là auprès de lui comme s’il était devenu sa propre
La vie dans les temples en Inde 151

mère. Ce jour-là, je lui ai demandé de devenir officiellement son disciple


et il a accepté.
On avait reçu une telle décharge de miséricorde. Mais en même temps, un
sentiment de colère en était sorti. On avait vraiment l’impression de s’être
fait tricher lorsqu’on avait appris de certains membres du mouvement
hindouiste que l’on connaissait en France que toutes les autres institutions
gaudiya vaisnavas avaient dévié, alors qu’on découvrait tout le contraire.
Oui, à chaque pas, on découvrait l’opposé…
J’étais vraiment perturbé lorsqu’on est rentrés à l’hôtellerie du temple de
ce mouvement. Un bouleversement intérieur m’accompagnait, mais j’ai
essayé de partager cette rencontre, cette expérience intérieure. A vrai dire,
cela n’a pas été facile. J’ai été confronté à une telle violence. J’assistais à des
manifestations de fanatisme. Certains de leurs membres commençaient à
me rejeter car je ressentais de l’amour pour d’autres Vaisnavas appartenant
à d’autres institutions. Je revois encore cette personne nous faire la morale,
nous demander de rebrousser chemin et de revenir humblement dans ce
mouvement. C’était vraiment du délire. Une grande fermeture d’esprit
apparaissait à nos yeux.

LA VIE DANS LES TEMPLES EN INDE

Lorsque je suis rentré en France, au temple de Paris, quelque chose avait


changé en moi. Le contact avec Srila Bhakti Promoda Puri Gosvami
Maharaja avait enlevé en moi la graine profonde du sectarisme. Je n’étais
plus le même. Je me sentais un peu comme un étranger, mal à l’aise, car
tous les membres dans ce temple étaient peu ouverts d’esprit. Par le biais
des autorités, j’ai trouvé une place pour me loger, et dans un endroit, j’ai
installé mon autel personnel avec mes Salagrama Silas et mon Govardhana
Sila. J’y ai placé une photo de Srila Bhakti Promoda Puri Gosvami Maharaja,
et c’est là que les problèmes ont continué. Je ne pouvais cacher mon amour
pour ce saint vaisnava. Alors, les membres de ce temple ont commencé à
me dire que je ne pouvais pas mettre cette photo ici, que je devais rester
fidèle envers le guru. C’était vraiment une ambiance des plus froides et des
plus lourdes. Le lendemain, j’ai pris mes affaires discrètement et j’ai quitté
ce mouvement hindouiste krishnaïte.
152 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI

Fred m’a alors accueilli dans la chambre de bonne qu’il habitait. Ce n’était
pas grand, six mètres carrés sous les toits, au sixième étage, sans ascenseur,
rue Crozatier dans le douzième arrondissement de Paris. Ma venue a bien
sûr chamboulé sa vie. En deux jours, son appartement s’est transformé
en temple.
On a divisé cette petite pièce en deux : une partie pour dormir ou faire
d’autres activités comme manger et dans l’autre, on a aménagé un autel. C’est
bien simple, à mon contact Fred s’est transformé en un strict bhakti-yogi.
On vivait comme des moines. On se levait très tôt le matin pour démarrer
nos activités spirituelles, puis dans la journée, on se répartissait les tâches
quotidiennes. Une autre personne nous a rejoints, il s’appelait Yohann.
On partageait notre vie spirituelle entre l’Inde et l’Occident. En Inde, on
vivait dans des temples. En France, on rencontrait des maîtres spirituels
qui nous prodiguaient leurs enseignements. De cette manière, on a appris
à vivre une vie spirituelle authentique, dans le domaine de la pratique ou
de la philosophie.
Je me rappelle de cette vie dans les temples en Inde. C’était une vie simple
basée sur de hautes pensées. On se levait très tôt le matin vers deux heures
trente pour méditer sur les Noms de Dieu, puis une première cérémonie
commençait. On y louait la succession de maître à disciple auquel ce
temple appartenait. Celle-ci représentait les maillons d’une chaîne de
saints à travers lesquels le savoir transcendantal était arrivé jusqu’à nous
et ainsi préservé. Des chants en bengali y étaient chantés avec beaucoup
de dévotion et de profondeur. Ils étaient accompagnés d’instruments du
Bengale comme le mridangam (percussion indienne).
On nous apprenait que pour recevoir la miséricorde de Krishna, on devait
apprendre à aimer Ses serviteurs, tout comme on touche le cœur des
parents en aimant leur enfant. Ce principe existait dans la transcendance.
Il était même considéré comme supérieur à l’adoration directe de Dieu,
car il touchait Son cœur, Son intimité. On ne pouvait véritablement être
reconnu de Lui sans ce principe vital. C’était pour cette raison que cette
première cérémonie était accomplie.
Pendant ces chants, la déité de Srila Prabhupada Bhaktisiddhantha Sarasvati
Thakura (le fondateur de la Gaudiya-matha) était adoré à travers de l’encens,
des mèches imbibées de beurre clarifié, de l’eau du Gange, d’un mouchoir,
des fleurs, d’un chamara et d’un éventail en tissu. Lorsque l’adoration était
La vie dans les temples en Inde 153

terminée, un jaya-vani, un hommage à tous les saints vaisnavas ainsi qu’à


tout ce qui touche à la dévotion pour Krishna était récité.
Ensemble, ils rejoignaient la cour du temple, où une autre cérémonie allait
commencer. Cette fois, elle était destinée à l’adoration de Radha et Krishna
(Dieu et Son énergie d’amour). Les conques résonnaient et les rideaux de
l’autel s’ouvraient. Les moines fixaient les Déités avec passion et après les
avoir adorées et bu leur beauté, ils rendaient leurs hommages allongés sur
le sol en signe d’abandon. C’est alors qu’un chant merveilleux dépeignant
les activités éternelles du Seigneur était chanté et repris en chœur.
On voyait dans cette salle de temple une corde descendre du plafond. Elle
était reliée à un carillon. Durant cette cérémonie, un vieux moine la tirait
avec précision, afin de le faire résonner en harmonie avec le chant sacré.
De nombreux joueurs de mridangam (percussion indienne) jouaient, tout
en accomplissant des danses au rythme de la musique. D’autres jouaient
toutes sortes de cymbales passant des basses à la rythmique. Tous ces sons
et ces chants rendaient la musique magique. Puis graduellement, le rythme
s’accélérait jusqu’à permettre à tous d’entrer ensemble dans une transe
mystique. C’était si puissant et cette danse était si enivrante que votre cœur
était complètement absorbé dans la dévotion. Tous alors levaient les bras
et sautaient, le cœur empli d’allégresse. Le rythme s’accroissait toujours
plus et un tumulte transcendantal commençait à emplir l’espace pour
finalement s’arrêter et rendre à la nature ses sons habituels.
Après une méditation personnelle, tous assistaient à la lecture du Srimad-
Bhagavatam, le livre qui dévoile l’essence de tous les Védas aussi appelé
Bhagavat-purana. Celle-ci était faite par un vaisnava aîné qui en expliquait
le sens. Ce moment est considéré comme l’un des plus importants car
il permet d’obtenir une compréhension plus vaste du sujet. Il accorde
également la dévotion par l’association avec celui qui l’explique. Après
cette lecture, vers huit heures trente, c’était le repas du matin.
Là où Krishna est adoré il y a toujours des vaches. C’est un animal très
cher à Dieu. Siva lui-même explique que celui qui s’occupe d’une vache
pendant toute sa vie peut par cette simple action, si elle est faite avec
conscience pour le plaisir de Krishna, être libéré du cycle des morts et des
renaissances. La présence de la vache est donc considérée comme de bon
augure, car l’adoration de Krishna implique l’utilisation de produits laitiers.
154 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI

Dans certains temples, les cuisines sont archaïques. Les préparations sont
cuites dans des pots en terre. Ils sont posés sur des conduits faits en terre
à même le sol et alimentés en bouse de vache séchée qui leur donne un
goût particulier.
Les cuisiniers du temple fabriquent beaucoup de sucreries à base du lait. Ils
commencent par le faire bouillir et le réduire à feu doux. Puis ils récupèrent
la crème qu’ils mélangent avec du sucre. Lorsque le lait est devenu plus
épais, ils le récupèrent pour faire du kir, un mélange de lait condensé et de
sucre. Puis ils ajoutent du beurre clarifié et du sucre et le cuisent jusqu’à
ce que le lait forme une sorte de caramel mou. Ces préparations sont alors
servies aux Divinités le matin, juste avant le premier office.
Tous les matins les prêtres adorent les Divinités. Ils les baignent et les
habillent. Parallèlement, les cuisiniers préparent d’autres offrandes à base
de légumes, de lait, de céréales et de fruits. Généralement, les préparations
salées sont faites à l’aide de beurre clarifié. Celui-ci est obtenu en faisant
cuire du beurre à feu doux. Lorsqu’il cuit, toutes ses impuretés remontent
à la surface. Il suffit simplement de les enlever jusqu’à ce que le beurre soit
sans impuretés. Il devient alors comme de l’or.
On en prend un peu dans une casserole et lorsqu’il est chaud on jette dans
un ordre chronologique les différentes épices en graines, le gingembre, le
piment et finalement les épices en poudre. On peut rajouter les légumes et
réaliser des préparations merveilleuses. Parfois, certains légumes sont frits,
d’autres sont cuits à l’eau. On réalise également du fromage à l’aide du
lait. On le fait bouillir et on rajoute du yaourt. Le lait au contact du yaourt,
par une action chimique, se sépare en petit lait et en fromage. Celui-ci est
recueilli dans une étamine et pressé. Le morceau de fromage obtenu est
découpé et frit, puis mélangé aux légumes. Du riz, du dhal (pois cassés),
des galettes de blé sans levain (chapatis) et d’autres sucreries sont aussi
préparés. Le tout est servi aux Divinités pour leur repas du matin.
Lorsque les Divinités avaient mangé, vers huit heures trente, le repas des
moines était alors annoncé. On allait avec nos assiettes en métal vers un
endroit réservé à cet effet. Une sorte de hall où de grandes paillasses
étaient déroulées sur le sol pour servir de siège. On mangeait en ligne.
D’un côté étaient les hommes et de l’autre les femmes. Puis une fois que
les moines étaient installés, certains servaient la nourriture à l’aide de
La vie dans les temples en Inde 155

sceaux sur roulettes. Généralement, le menu était du riz, du sabji (recette


de légumes), du dhal (soupe de soja) et du riz au lait.
Avant de manger, une prière était chantée. Celle-ci louait la miséricorde du
Seigneur de nous donner cette nourriture sanctifiée. Puis on prenait notre
repas tout en méditant sur la signification de cette prière. La règle était
de ne jamais commencer à manger avant que le dévot le plus aîné ne l’ait
fait. Puis lorsqu’on avait fini le repas, on allait nettoyer notre assiette. Un
petit repos était observé puis chacun allait vaquer à ses tâches. Celles-ci
étaient distribuées par le commandant du temple. Certains étaient chargés
d’adorer les Divinités, d’autres de s’occuper des vaches ou de faire la
cuisine et le ménage.
Je revois encore ces vieux moines vaisnavas qui étaient invalides et pour
cette raison, ils ne faisaient presque pas de service. Certains étaient courbés
en deux à cause de la vieillesse. Ils étaient si miséricordieux et tant d’amour
se dégageait de leur cœur. Ils passaient leur temps à chanter le Maha-mantra
(Nom de Dieu) sur leur chapelet pendant de longues heures, sans manger,
sans boire. On sentait qu’intérieurement ils voyageaient dans la région
des sentiments d’amour pour Dieu. On percevait parfois des larmes qui
coulaient de leurs yeux. C’était si merveilleux de simplement les voir ou de
s’asseoir à côté d’eux ! Cela vous transportait dans leur dévotion et sans
pratiquer aucune austérité vous vous voyiez progresser spirituellement. Ils
étaient si contents de nous voir engagés dans l’adoration de Krishna, et
pour cela ils nous bénissaient.
Nos habitations étaient rudimentaires : une petite chambre pour deux ou
quatre avec pour seuls meubles un lit ou une paillasse et une étagère pour
ranger nos quelques affaires. On se lavait à l’aide d’un seau et d’un pichet.
Tous les jours, il fallait faire sa lessive qui séchait en quelques minutes au
soleil, tout était très simple, sans aucun luxe.
Pendant toute l’année des festivals animaient le temple, et à chaque occasion,
on recevait plusieurs milliers d’invités. Il fallait cuisiner d’énormes quantités
de nourriture afin de nourrir tous ces pèlerins. On était engagés à couper
les légumes, à décorer le temple avec de très nombreuses guirlandes de
fleurs, des feuilles de bananier, pour rendre l’endroit merveilleux.
Des pèlerinages étaient également organisés sur la terre sainte afin de
découvrir les lieux de divertissements où le Seigneur s’était manifesté, en
156 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI

compagnie de Ses dévots. Des milliers de personnes marchaient ensemble


au son des instruments de musique et des chants sacrés afin d’atteindre
ces places. Généralement, un temple y était érigé en souvenir. Alors arrivés
sur place, de grands kirtans (chants des Saints Noms) étaient chantés, puis
les maîtres spirituels et les dévots aînés prenaient la parole afin de narrer
ces histoires. Les pèlerins dormaient sur place sous d’énormes tentes et la
nourriture était ramenée du temple, ceci pendant une semaine.
On faisait également au temple des distributions de nourriture pour les
pauvres. D’autres activités visaient la prédication comme la distribution de
la connaissance à travers des livres, mais aussi, tout au long de l’année, des
processions en chantant et en prêchant les gloires du Saint Nom étaient
organisées dans des villages.

LA NAISSANCE DE L’ORDRE MONASTIQUE


VAISNAVA (1996)

Lorsqu’on était en France, parallèlement on continuait à vivre cette vie


dévotionnelle à trois dans un minimum d’espace vital. Mais un jour, Fred a
commencé à rencontrer des problèmes dans sa vie spirituelle et finalement,
il s’est graduellement écarté de celle-ci. Mais son comportement a été
exemplaire, il nous a laissé cette petite chambre le temps qu’on trouve
un autre endroit pour installer les Déités. Je dois vous avouer que j’aimais
beaucoup Fred et ceci m’a causé beaucoup de peine. Lorsque vous avez un
frère qui quitte le sentier de l’amour pour retourner à la rue, c’est quelque
chose qui vous déchire le cœur. Mais il fallait accepter. Le Seigneur laisse
libre les êtres vivants de Le suivre ou de Le rejeter.
Finalement, ce sont mes parents qui nous ont prêté leur appartement à
Bagnolet pour que nous puissions continuer nos activités. Ils désiraient
seulement garder une petite chambre lorsqu’ils remontaient de la province
sur Paris. Mon père avait en ce temps reçu en héritage une petite maison
de vingt mètres carrés à la campagne. Il préférait y vivre une partie de
l’année, mais il gardait l’appartement en location pour l’hiver.
On s’est alors retrouvés à quatre puis à cinq. On a commencé par enlever
tous les meubles, à les descendre dans la cave et on a aménagé cet
appartement en temple. A cette fin, on a construit dans la salle à manger
La naissance de l’Ordre Monastique Vaisnava (1996) 157

un énorme autel en bois qui pesait une tonne. Mes parents ont alors flippé,
car la chape de béton a commencé à se fissurer. Il y avait également des
plaintes de certains voisins concernant notre vie religieuse. En effet, les
douches à trois heures du matin, puis les chants religieux même chantés à
voix basse les dérangeaient et cela semblait les torturer.
Je me rappelle encore de la concierge de la cité. Elle pensait vraiment qu’on
était des gens bizarres : une secte. Elle voyait de nombreuses personnes
défiler au moment de nos programmes, des moines vaisnavas de l’Inde
et des fidèles. Elle venait frapper à notre porte et forcer pour ainsi dire
l’entrée afin d’enquêter sur nous. Elle regardait partout, tout en faisant
fi de rien. Le pire a été le jour où on a ramené d’Inde des statues pour
notre autel. Elles faisaient à peu près un mètre. Elles étaient en laiton et
pesaient chacune quatre-vingts kilos. Elle a alors pensé qu’on faisait un
trafic d’armes lourdes. Ce qui l’a amené à faire une enquête encore plus
minutieuse et à prendre contact avec la police. Mais elle a graduellement
sympathisé avec nous et a compris qu’on était des gens de bonne foi.
C’est le moment où j’ai reçu l’inspiration intérieure et l’autorisation de
fonder une Congrégation religieuse. J’ai commencé à réfléchir sur la
manière de créer un organisme qui pourrait permettre d’établir en France
la spiritualité authentique que je pratiquais, d’une façon non sectaire et
reconnue par l’Etat. J’avais appris au contact d’autres institutions ce qu’il
fallait faire et ne pas faire. J’avais donc une bonne expérience pratique
générale. Pour avoir une plus ample vision, je me suis mis à étudier les
religions traditionnelles, leur organisation, leur charisme, mais également
les mouvements reconnus comme sectaires par l’Etat français et ce qu’il
leur reprochait. Ceci m’a permis, en quelques années, de saisir parfaitement
comment implanter cette Congrégation en France, que ce soit sur le plan
humain de la vie religieuse ou sur le plan des relations externes avec les
gens en général et avec le Gouvernement. J’ai également étudié avec cette
perspective les Ecritures canoniques vaisnavas. J’ai photocopié des milliers
de pages et j’ai classé des passages de ces textes par sujet afin de pouvoir
appuyer mon travail par les saintes Ecritures.
Mais pour rendre concret ce projet, il me fallait créer une association
religieuse avec un nom qui puisse être facilement accepté par les Français.
Le nom que j’ai choisi a été « Ordre Monastique Vaisnava ». Il était lourd
158 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI

à afficher ce nom d’association, mais parallèlement populaire à travers


d’autres organismes religieux, tels que les ordres chrétiens. Il a donc
été choisi stratégiquement. Mon but était clair : fonder des monastères
vaisnavas en France.
J’avais appris par expérience que les communautés formées de couples
n’étaient que peu fonctionnelles. On remarquait dans ces communautés
beaucoup de problèmes internes, dus entre autre au fait que les couples
ne suivaient pas toujours strictement les principes vaisnavas. De plus,
l’éducation des enfants était une difficulté en France par rapport à l’Etat.
Je préférais de loin, le système d’une vie monastique traditionnelle où le
culte était pratiqué par des renonçants (brahmacaris et sannyasis), dans
un complexe spirituel pourvu de parties privées. Il pouvait ainsi accueillir
des fidèles vivant à l’extérieur pendant les heures de culte ou encore
ponctuellement pour des aides individuelles, dans les parties réservées à
cet effet. Ceci dans un double but.
Le premier est que la vie monastique et la vie de famille sont bien
différentes, aussi bien dans leur mentalité que dans leur façon de se
développer spirituellement. Elles ne s’accordent parfaitement ensemble
dans le cadre d’une vie communautaire que si leurs membres sont avancés
spirituellement. Dans le cas contraire, cela donne lieu à des conflits.
Un moine vaisnava est celui qui a un dévouement total pour la Congrégation
et sa mission. Il n’a pas de vie indépendante, pas de possession. Une
personne qui vit à l’extérieur n’a pas cette obligation. Elle est libre. Aussi,
un renonçant ne doit pas juger une personne qui désire une vie différente.
De même, une personne qui vit à l’extérieur ne doit pas juger la vie stricte
d’un renonçant. Sur cette base, les religieux et les oblats peuvent vivre
en harmonie, sans conflit et développer l’amour pour Krishna selon
leur qualification.
Le deuxième est le fait pratique de s’insérer dans les lois françaises. Les
gens qui vivent une vie de famille ont pour la plupart des enfants et ils ont
chacun des conceptions particulières sur l’éducation de leurs enfants. C’est
un domaine complexe. Une Congrégation religieuse ne saurait s’impliquer
dans ces domaines. Elle risque sans cela de rencontrer des problèmes dans
le futur si ses membres ne sont pas intègres avec les lois de l’Etat, avec
par exemple une scolarité non conforme à l’éducation française ou encore
Une règle de vide communautaire 159

à l’application d’une médecine ou d’un régime alimentaire non reconnus


par l’Etat.
Il y a également le risque, lorsque l’enfant grandit dans la communauté, de
le forcer à pratiquer une vie religieuse qu’il ne désire pas ou encore de le
voir ne pas suivre les règles de la communauté et faire toute sorte de non-
sens qui pourrait nuire à celle-ci.
Pour être fonctionnelle en France, une Congrégation doit être libérée
de toutes ces responsabilités et de toutes ces contraintes. Elle doit avoir
pour seul rôle de donner la possibilité aux gens de l’extérieur de mettre en
pratique chez eux les enseignements qu’elle leur donne. Elle doit laisser
chacun prendre ce qu’il désire et le mettre en pratique dans sa vie, sans
s’introduire dans sa vie privée.

UNE RÈGLE DE VIDE COMMUNAUTAIRE

C’est vrai que dans mon cœur j’étais un renonçant. Aussi, je voulais
me diriger vers une vie monastique traditionnelle et me consacrer
complètement à la propagation du prema-dharma (la religion de l’amour
enseignée par Sri Caitanya). Or, le terme « Ordre Monastique » est employé
dans la Gaudiya Matha pour traduire le mot « sannyasa » ou l’ordre du
renoncement. Ce qui impliquerait que cette organisation accueillerait en
majorité des personnes qui voudraient renoncer à la vie de famille pour
pouvoir entièrement se focaliser sur ce but. Je ne voulais pas non plus
fonder une organisation basée sur des principes sectaires, car pour moi, le
renoncement impliquait de chasser en soi tout sectarisme.
Mes voyages m’avaient amené à réaliser que les Occidentaux étaient
différents des Indiens : moins disciplinés, moins soumis à une autorité,
une vie passée souvent moins vertueuse… En effet, les expériences
communautaires dont j’avais été le témoin en Occident avaient été souvent
plus que décevantes, je n’y ai vu que des conflits et très peu d’amour en vérité.
Il fallait que je trouve un moyen pour créer une harmonie communautaire.
C’est vrai, tous parlaient beaucoup d’amour mais où était-il dans ces
communautés ? Le plus souvent, les gens s’enfermaient dans des
conceptions sectaires et les empêchaient de voir la vérité chez les autres.
Je pensais que je devais mettre en place un moyen de vivre avec des êtres
un même idéal, mais également ne pas enfermer ceux-ci dans une impasse
160 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI

qu’offrait un dogme sectaire. Il fallait trouver un moyen de pratiquer


ensemble une spiritualité avec une conscience large, sans changer pour
cela le moindre fondement de la philosophie gaudiya-vaisnava et des
enseignements de Srila Prabhupada.
J’avais remarqué, lors de mes recherches et mes expériences, que la plupart
des dogmes sectaires amenaient les adeptes à vivre en marge de la société.
Pour remédier à cela, je pensais qu’il fallait au contraire suivre les lois du
pays, travailler en collaboration avec l’Etat. C’était pour moi essentiel. J’ai
donc réfléchi à la manière de vivre en harmonie avec l’Etat.
Dans mes études, j’avais observé que la plupart des communautés et ordres
religieux étaient sous l’observance d’une règle de vie. Ceci m’a intéressé.
Il existait déjà beaucoup de règles dans la voie spirituelle que je suivais,
mais il fallait quelque chose de plus adapté à la circonstance, une règle qui
décrirait en quelque sorte la vie de la Congrégation. Ceci représentait pour
moi deux atouts majeurs.
Le premier visait à faire disparaître la mauvaise tendance qu’offrent
certains groupes dits sectaires qui, pour recruter leurs adeptes, leur font
miroiter une vie future merveilleuse, alors que vous découvrez tout
l’opposé lorsque vous vivez avec eux, tout comme un appât est présenté
à une proie afin de l’attirer. Une fois dedans, bien que l’être ne trouve pas
l’épanouissement voulu, il reste de nombreuses années en pensant que
cette vie promise arrivera. Finalement, le seul fruit dont il hérite, lorsqu’il
quitte la communauté, est une blessure profonde.
Une règle de vie devait permettre au postulant d’appréhender
véritablement ce qui l’attendait, de comprendre le fonctionnement et le
but de la Congrégation. Elle devait enlever toute possibilité de tricher.
Ceci avait également un effet positif sur la famille du postulant puisqu’elle
pouvait saisir davantage la démarche de leur enfant et ne pas craindre pour
son avenir.
Deuxièmement, une règle communautaire permettrait à des Vaisnavas de
vivre ensemble un même charisme. En effet, la philosophie vaisnava est
large et on observe dans le monde beaucoup de Vaisnavas qui vivent avec
des visions différentes. Tout comme dans le christianisme, certains ordres
religieux sont plus ascétiques et d’autres plus philanthropes.
De cette manière, une règle permettrait d’unir des Vaisnavas en un charisme
commun et de préserver pendant des générations l’épanouissement de
Une règle de vide communautaire 161

cet idéal, ce qui est essentiel pour le développement d’une communauté


durable et forte. Le pire ennemi d’une communauté étant l’individualisme.
La règle aurait comme idéal fondamental de faire abandonner aux membres
de la communauté leur aspiration égoïste, d’aller ensemble vers un don de
soi, une communion, pour rendre vivante la réalité de Dieu et de pouvoir
quitter la communauté si cet idéal ne leur convenait plus. Il y avait donc
à la fois une sécurité pour le groupe et les personnes d’aller vers quelque
chose de bien défini et de le construire ou de pouvoir le quitter.
Dans cette règle, je désirais également introduire l’idée d’une clôture : un
endroit réservé uniquement aux membres de la Congrégation. Celle-ci
pourrait facilement réguler les visites et isoler les cas difficiles, comme
certaines personnes qui aiment critiquer les autres et introduire la zizanie
dans un groupe. En effet, il existe des différences de compréhension entre
les différentes institutions vaisnavas. Ainsi lorsque certains se rapprochent
d’une autre institution, ils ne peuvent comprendre, à cause de leur manque
d’avancement spirituel ces différences et ils voient en elle des erreurs. Alors
ils essaient de convaincre des membres de l’autre institution de rejoindre
leur camp qui, selon eux, est dans la seule vérité. Le résultat est que si on
laisse ces choses se faire, on se retrouve dans une situation dramatique où
l’on observe une division au sein de la même communauté qui finalement
la détruit. Ceci est déjà arrivé dans le passé.
Bien qu’au niveau absolu, nous sommes tous liés à un même Père Suprême
et que nous sommes faits pour vivre ensemble une vie d’harmonie, à
cause d’un manque de pureté, ceci ne peut se manifester pleinement
dans ce monde matériel. J’ai donc appris par l’expérience que les gens
de différentes institutions ne peuvent pas toujours vivre ensemble. Seuls
les êtres libres de l’envie et de l’aversion peuvent l’être. Ceux-là n’ont pas
besoin de règles pour vivre ensemble. Seul l’amour de Dieu les guide.
Je remarquais que les Français étaient pour la plupart rassurés de
rencontrer d’autres religieux avec un fonctionnement traditionnel qui leur
était familier, et comme la plupart des ordres religieux étaient gouvernés
par une règle, ceci était rassurant pour eux si on avait notre propre règle.
Je suis allé rencontrer mon autorité spirituelle pour lui faire part de mon
intention de composer une règle et pour avoir son approbation. L’idée de
faire une règle l’a enchantée. Il a trouvé l’idée merveilleuse et m’a permis
de me mettre au travail. En fait, dans notre tradition, on ne s’engage pas
162 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI

dans un travail sans l’approbation d’une autorité supérieure, car dans le cas
où le service ne serait pas sous l’approbation d’une autorité supérieure, il
serait alors considéré comme apasampradaya ou en dehors de la filiation
spirituelle, c’est-à-dire sans reconnaissance dans la tradition religieuse ou
encore considéré comme une déviation. Je n’ai pour ma part jamais fait
de choses indépendantes d’une autorité spirituelle. J’ai toujours porté
un intérêt particulier à cette règle, afin de n’induire aucun être dans un
chemin inauthentique.
J’ai donc commencé à méditer sur la manière de réaliser ce travail. Après
de mûres réflexions, j’ai établi les différents thèmes à développer. Puis,
j’ai fait des recherches sur ces thèmes dans différents Ecrits vaisnavas et
je les ai compilés dans un petit recueil de trois cents pages. Enfin, j’en ai
extrait la quintessence sous la forme d’une petite règle d’une dizaine de
pages accompagnée des soixante-quatre règles fondamentales établies par
Srila Rupa Goswami. Cette règle servirait de base pour établir le charisme
propre à la Congrégation.
Ceci a marqué dans ma vie un élan naturel pour l’écriture. Après la
composition de cette règle de vie, j’ai écrit pendant les trois années passées
à Bagnolet et en Inde et j’ai rédigé des livres. L’écriture, à vrai dire, était
devenue mon cœur, une de mes façons de servir le Seigneur Krishna.

LES PREMIERS PAS VERS LA RECONNAISSANCE

Afin que je me démarque de toute institution sectaire, il fallait que je


puisse légalement créer une institution religieuse non sectaire. Pour cela, il
a fallu que je rédige des statuts et que je les dépose à la Préfecture afin de
l’enregistrer. Mais le plus dur restait à faire, il fallait établir les fondations
de l’association en ayant un siège social, c’est-à-dire une habitation et
enfin, établir un moyen de subsistance. Bref, il nous fallait trouver des
fonds. On a donc fait des démarches auprès de personnes afin de collecter
de l’argent. Or, à ce moment-là, on était mal renseignés. On pensait qu’en
nous enregistrant en tant qu’association cultuelle, cela suffisait pour être
reconnue par l’Etat français.
On a pris connaissance de cela en déclarant des dons manuels à la recette
des impôts. Un jour, un receveur nous a demandé des documents qui
prouvaient notre reconnaissance légale auprès de l’Etat et notre numéro
Les premiers pas vers la reconnaissance 163

d’immatriculation afin de faciliter l’exonération des dons. Ce qu’on a été


incapables de lui fournir. Le receveur désirait alors nous taxer sur les dons
manuels qu’on avait déclarés afin de régulariser notre situation, car en
France un don manuel est taxable jusqu’à soixante pour cent, sauf si vous
avez une autorisation de recevoir des dons par décret de l’Etat.
On a fait appel à un avocat qui nous a sortis d’affaire. Il a réussi à prouver
que l’erreur venait de la recette des impôts, en justifiant que celle-ci
aurait dû nous demander nos justificatifs de reconnaissance la première
fois où on avait voulu déclarer nos dons. Ils n’auraient pas dû croire nos
dires, lorsqu’on prétendait être reconnus en tant qu’association cultuelle
simplement par le fait qu’on s’était déclarés à la Préfecture en tant que telle
et qu’on pensait que cette déclaration nous exonérait de taxation sur les
dons. En fait, eux-mêmes étaient mal renseignés. Ce n’était pas la première
fois que les impôts exonéraient des associations alors qu’ils n’en avaient
pas le droit.
On a essayé de comprendre comment nous diriger vers une véritable
reconnaissance d’Etat, mais ces renseignements étaient très durs à avoir. On
a passé beaucoup de temps à cette recherche et cela a porté ses fruits. On a
contacté le Ministère de l’Intérieur pour tout ce qui touche à ces questions.
Il avait une section réservée aux cultes. Elle nous a envoyé un dossier
contenant de nombreuses explications et notamment ce qu’impliquait le
fait d’être reconnu et toutes les exigences demandées afin d’obtenir une
reconnaissance. Ceci nous a renvoyé à une réalité : il fallait maintenant se
construire, car dans l’état actuel des choses, une reconnaissance ne serait
pas envisageable.
On a commencé par faire un plan d’action. Il fallait établir notre authenticité
auprès de l’Etat. Pour cela, on a écrit un historique de notre religion, de
notre filiation spirituelle sur papier, puis on a envoyé une personne en
Inde afin d’avoir différentes preuves de notre authenticité. Ceci établirait
de bonnes bases pour notre dossier. Par la grâce de la Providence, on avait
collecté assez de fonds pour acheter plus tard un petit commerce et pour
louer une maison en province, car notre capital ne permettait pas qu’on
s’installe sur Paris.
On a également acheté d’occasion un van aménagé à bon marché et on est
partis pour un tour de France pendant un mois afin de trouver une ville
intéressante pour s’établir. Finalement, après des milliers de kilomètres
164 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI

et une vie de bohème, on est retournés presqu’à la case de départ, pour


visiter la ville de Rouen.
Cette ville avait un énorme avantage c’est qu’elle n’était située qu’à cent
kilomètres de Paris. De plus, les prix de l’immobilier étaient très accessibles
comparés à la plupart des autres villes, et contrairement à beaucoup de
villes, des murs commerciaux étaient à vendre. Alors tous ces éléments
nous ont amenés à prospecter dans cette ville. Finalement, on a trouvé, en
plein cœur du quartier touristique, dans la deuxième rue la plus visitée de
Rouen, une petite boutique à vendre à un prix très accessible. On l’a visitée
et on a signé le compromis de vente. Ce qui nous laissait deux à trois mois
pour louer un endroit pour installer la petite communauté religieuse.
Le problème est qu’on n’avait pas d’activité commerciale. Ce qui rendait
impossible pour l’association de louer une habitation. Il a fallu alors se
rapprocher de nos familles pour trouver des garants potentiels. Mais ceci
n’a pas été facile, mon père avait l’impression que s’il se portait garant
pour nous il allait tout perdre. C’était vraiment difficile, finalement il a
accepté avec une autre personne et nous avons pu constituer un dossier
dans une agence immobilière qui nous a alors trouvé une maison.
Ce n’était pas un palais, c’était une maison plutôt humide, avec plein de
vices cachés et un propriétaire vraiment méfiant et bizarre. Bref, ça sentait
les ennuis à plein nez, mais pour le prix, on ne trouverait évidemment pas
mieux. C’était pour nous comme une première marche avant de pouvoir
ériger un temple, alors on a accepté. En un temps record, on a aménagé
dans la grande pièce au sous-sol une salle de temple, puis on a mis en place
un programme spirituel journalier. Après un certain temps, on a envoyé
à l’Etat notre dossier afin d’obtenir la reconnaissance. Après quelques
erreurs rectifiées, notre dossier a été accepté et c’est là que les problèmes
ont commencé.

LA CHASSE AUX SORCIÈRES

L’acceptation du dossier a entraîné une grande étude sur notre association.


Les Renseignements Généraux nous ont rencontrés, car ils menaient une
enquête approfondie sur nos activités. Ils allaient pour cela questionner
nos voisins, notre banque… Ce qui bien sûr a commencé à créer un
La chasse aux sorcières 165

climat de peur chez tous ceux qu’ils contactaient. Les gens parlaient entre
eux et spéculaient sur nous. Le bruit qu’on était une secte a commencé
à circuler. Auparavant, on avait des contacts très sympathiques avec nos
riverains et notre banque. Mais on voyait qu’au fil du temps leurs habitudes
changeaient, et leur méfiance grandissait jour après jour vis-à-vis de nous.
Entre-temps, le dossier concernant notre reconnaissance a été transmis
à la Mairie de Rouen dont nous étions citoyens. Ce dossier devait passer
devant la commission du conseil municipal pour définir si la commune
consentait à donner un accord favorable à notre reconnaissance. Le Maire,
à cette époque, était connu pour son engagement pro catholique. Or,
deux semaines après, on a reçu une lettre de son adjoint nous indiquant
que notre dossier n’était pas acceptable au vu des lois françaises. Ceci
était vraiment étonnant puisqu’on avait monté le dossier avec l’aide du
Ministère de l’Intérieur. Ce qui révélait que l’atmosphère était plutôt
tendue. Or, c’est dans cette ambiance que notre reconnaissance allait être
votée au conseil municipal de Rouen.
Durant cette période, on a rencontré une personne pleine de cœur. Il
s’agissait d’un expert comptable. On avait fait appel à ses services car
on pensait qu’il nous fallait une comptabilité faite par un professionnel
pour présenter nos comptes à l’Etat. C’était un chrétien pratiquant, une
personne vraiment ouverte. Il a tout de suite compris qu’on était de bonne
foi, mais peu expérimentés pour atteindre un tel objectif : être reconnus
en France. Il s’est donc dès le début vraiment démené pour qu’on y arrive.
C’est lui qui a pris les choses en main en quelque sorte, en nous guidant
graduellement et en nous faisant gratuitement notre comptabilité.
C’est pendant cette période qu’on a pu ouvrir notre commerce dans
la boutique qu’on avait achetée. On avait, dans un premier temps, pris
l’orientation d’une boutique indienne. On y vendait de tout, des épices, une
large gamme d’encens, des habits, des tentures, des livres, de la musique et
beaucoup d’autres choses. Les gens l’appelaient la caverne d’Ali Baba. On
se relayait pour la faire fonctionner et quelques bénévoles ont commencé
à nous aider.
La stratégie était, par le développement de ce commerce, de devenir
solvable auprès des banques afin d’avoir un prêt pour acheter un lieu où
bâtir un monastère. Cette idée plaisait beaucoup à notre comptable, car
166 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI

sans la possession de capitaux immobiliers, il serait très difficile de prouver


à l’Etat que notre ordre monastique durerait dans le temps, ce qui serait
une clause négative pour la reconnaissance. Mais parallèlement, il nous
a proposé de faire une demande pour entrer à la CAVIMAC qui est la
Caisse des Cultes. En effet, toutes les organisations religieuses reconnues
cotisent pour ses membres à cette caisse de sécurité sociale et de retraite.
En y accédant, on montrait par là même notre désir de nous insérer dans
le système national. Il nous a expliqué que généralement, les sectes ne
faisaient pas ce genre de démarche. Leurs membres donnaient leur vie à
un groupe et quand ils en sortaient, ils n’avaient rien, car ils n’avaient pas
cotisé pour leur retraite.
Peu de temps après, on a reçu une réponse favorable de la CAVIMAC, mais
en même temps c’était un test, car il nous fallait maintenant payer tous les
mois la somme de 430 € par membre pour cotiser pour notre retraite et
notre assurance maladie. Alors on a vite compris qu’il était impossible
pour nous de payer une telle somme. On a donc opté pour une cotisation
au tiers, ce qui nous revenait à la moitié. De cette manière, on cotisait pour
la retraite et on était remboursé pour les frais d’hospitalisation. Puisqu’on
n’était malade que très rarement, cette décision a été des plus rentables.
Peu de temps après, on a commencé à chercher un lieu pour établir
définitivement notre monastère. On a pour cela contacté des agences
immobilières. Après quelques rendez-vous, on a visité un vieil hôtel datant
de plusieurs siècles qui servait de relais de diligence dans un temps ancien.
C’était en très mauvais état, mais c’était grand, en plein centre de Rouen
et pas cher pour la superficie et l’emplacement. On était donc intéressés
et on a signé un compromis de vente avec l’agence immobilière qui nous
avait fait visiter le lieu.
Avec ce compromis de vente, on a rencontré les banques sur Rouen
afin d’obtenir de l’une d’elles un prêt immobilier, le bien valant 170 000
euros. Mais toutes les banques nous fermaient la porte. On sentait cette
méfiance. On nous refusait au motif que peut-être on pouvait être une
secte. On était confrontés à une vérité propre à la France : cette chasse
aux sorcières à laquelle s’était adonné l’Etat français contre les groupes
sectaires. Ce dispositif de répression s’était mis en place dans les mairies,
dans les banques et dans toute chose afin d’empêcher des organismes
La chasse aux sorcières 167

douteux de se développer. Elle avait été d’une envergure si grande que


toutes les banques ne voyaient plus que des sectes. Si vous n’aviez pas
une reconnaissance de l’Etat, vous étiez condamnés d’office et pour nous
c’était le cas.
C’était vraiment étrange cette impression d’être pris pour des êtres
dangereux alors qu’on cherchait simplement à développer l’amour pour
tous les êtres. Cela vous blessait au plus profond de votre être. Une telle
sensation venait vous chercher. Vous aviez l’impression que tout le monde
vous montrait du doigt, que vous étiez un sous-homme, une personne
nuisible pour les autres, un monstre, une personne à éliminer, moi qui me
battais justement contre toutes ces déviances sectaires.
Mais on s’est battus pour ne pas entrer dans leur jeu. Au fond de moi,
je ne pouvais pas accepter cela. J’avais connu dans le passé des groupes
sectaires, mais j’en étais sorti avec la détermination de faire revivre une
religion vaisnava dépourvue de sectarisme. C’était mon combat. J’avais
même fait sortir des personnes de mouvements sectaires pour les amener
à comprendre une façon de pratiquer une vie spirituelle authentique
dépourvue de ces tendances.
Aussi, pour moi, c’était véritablement une accusation grave. Cela me
touchait profondément. J’ai alors décidé qu’on ne devait pas se laisser
faire. Il y avait bien une loi pour se défendre. Mais en vérité, aucune loi ne
pouvait nous défendre. Vous étiez suspectés, mais pas véritablement traités
de secte. Bien que cela revienne au même dans l’application, juridiquement
cela n’est pas attaquable. Cette suspicion était légitime en France puisque
validée par le Gouvernement. On ne pouvait que baisser la tête et réaliser
le vrai visage du pays des droits de l’homme. J’étais devenu un monstre
car je voulais penser, vivre et croire autrement que les autres. Même quand
j’étais un skinhead, je n’étais pas rejeté comme cela. C’était inconcevable.
J’assistais à une telle discrimination. Tant de gens étaient engagés dans des
causes contre le racisme, le sexisme, l’homophobie… mais personne ne
nous défendait, même ces gens nous regardaient d’un mauvais oeil. Tout
semblait devenir négatif pour nous.
Heureusement, la Providence a fait qu’une banque a bien voulu nous ouvrir
les portes, mais pas pour le montant voulu. Il s’avérait qu’on tombait au
bon moment puisque les dirigeants avaient donné comme politique de
168 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI

relancer l’ouverture de prêts pour les communautés religieuses. On a donc


obtenu une promesse de prêt de 150 000 euros. Avec cette somme, on a pu
racheter un ancien squat dans un état complètement délabré situé à Saint
Etienne du Rouvray, à la limite de Rouen. Ce complexe comprenait un
ancien magasin, une maison et une autre petite maison, pour une surface
totale de six cent cinquante mètres carrés.

SUR LES LIEUX

A vrai dire, cela n’a pas été aussi simple, car l’agence immobilière qui
vendait ces bâtiments insalubres était la même qui avait voulu nous vendre
antérieurement l’hôtel. Or, la signature de notre ancien compromis de
vente avait, pendant deux mois, empêché l’agence de vendre cet hôtel.
Quand ils ont compris que c’étaient nous, ils ont été vraiment durs, c’est
ce qu’une tierce personne nous a rapporté : « C’est la secte ! Ils vont nous
faire le même coup et aucune banque ne voudra leur prêter de l’argent ! »
« Il ne faut pas traiter avec eux ! »
Mais la banque avec laquelle on traitait, avait véritablement compris qu’on
n’était pas une secte. Elle avait déjà rédigé un accord de prêt. Il ne restait
plus qu’à faire le lien entre les deux partis. Le compromis de vente de
cette façon a pu se réaliser le jour même, et deux mois plus tard, on a pu
disposer des clefs de la propriété.
A cette époque, on était en location dans une maison, mais voilà on n’avait
pas assez d’argent pour à la fois payer un loyer et rembourser un crédit.
On a dû prendre la décision de rendre la maison en location et de venir
s’installer dans ces bâtiments insalubres.
On a donc pu emménager. C’était en plein mois de décembre 2004 et
cette année-là, il faisait particulièrement froid avec des températures
jusqu’à moins dix degrés. Je nous revois entrer dans cette maison, de l’eau
ruisselait sur les murs tellement il y avait d’humidité. Il n’y avait ni eau,
ni électricité, tout était arraché et cassé. Le système de chauffage avait
explosé. On allait chercher de l’eau dans des jerricanes à l’extérieur. Pour
prendre notre douche, on faisait chauffer l’eau sur une gazinière alimentée
par une bouteille de gaz. On se lavait avec un sceau et un pichet. C’est bien
Sur les lieux 169

simple, à la fin de votre douche, il y avait tellement de buée dans la salle de


bains que vous ne voyiez plus à vingt centimètres en face de vous.
On a aménagé dans une chambre un autel pour continuer notre adoration.
Il faisait tellement froid que lorsqu’on entonnait des chants dévotionnels,
de la vapeur sortait de nos bouches. Vivre dans ce complexe a été un
moment difficile. L’un de nous avait attrapé des engelures aux pieds et aux
mains, mais le moral restait bon. On savait que Krishna nous viendrait
en aide.
Rapidement, cette aide est venue par l’entremise de différentes personnes.
Bruno, le facteur, nous a remis l’électricité, on a pu remettre également
l’eau et on a rencontré un plombier qui, pour une misère, nous a remis
en marche un système basique de chauffage, afin de réchauffer les pièces
qu’on habitait. Ceci nous a permis de vivre sans trop de dureté, mais ce
n’était pas encore ça, la maison était encore plus que très humide. Mais
c’était déjà un autre univers. On pouvait reprendre une vie à peu près
normale et de nouveau s’organiser.
A partir de ce moment, on a commencé à faire des plans pour aménager
l’endroit. La stratégie était de privilégier le maintien de la communauté et
pour cela on voulait ouvrir une école de yoga, parce que l’un des moines
était un professeur de yoga diplômé. Il ne nous restait pas beaucoup
d’argent, donc on a préféré l’investir dans l’aménagement d’une école de
yoga, dans une partie du complexe.
A vrai dire, certains nous prenaient pour des gens complètement
irresponsables, car on n’avait pas d’argent pour réaliser les innombrables
travaux dans la propriété. Cela se chiffrait à peu près à 650 000 euros si les
travaux avaient été faits par des entreprises. De plus, il n’y avait pas assez
d’argent qui rentrait par mois dans nos caisses pour maintenir un tel lieu.
Mais je savais contrairement à eux que Krishna désirait cette propriété
et qu’Il ferait tous les arrangements nécessaires pour que l’argent vienne,
afin de réaliser l’ensemble des travaux. Cela paraissait incompréhensible
pour eux mais pas pour moi, surtout que j’ai amplifié les choses en voulant
énormément grossir le projet. J’avais vraiment envie d’un lieu qui soit
merveilleux, chaleureux et accueillant, avec des bassins et des ambiances.
170 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI

UN ESPRIT NON SECTAIRE

Plus je m’absorbais dans ce projet, plus mon esprit s’ouvrait aux autres
et plus Krishna réciproquait avec moi. J’étais maintenant guéri de tout
sectarisme qui m’avait empêché à un moment de cette vie de réaliser
comment Krishna s’occupait de tous les êtres vivants. Je réalisais en moi
comment Dieu nous laissait libres, et que si je voulais encore plus me
rapprocher de Lui, je devais laisser davantage les êtres libres de penser
et d’agir.
Contrairement à ce que j’avais perçu chez certains spiritualistes et religieux
qui, par leur prêche et leur conversion forcée, infligeaient à leurs adeptes
des peurs, des conceptions erronées de Dieu afin de les convertir et de
les maintenir dans une foi forcée, je vivais en moi maintenant une liberté
totale avec ma foi.
Bien que je sois un vaisnava exclusivement fixé en Krishna, je comprenais
cette réalité : que Dieu aide chacun sous différentes formes de foi. Je
désirais donc que cet endroit respecte l’évolution, les pensées de chacun,
sans pour autant enseigner une autre voie que le pur service de dévotion.
Je voulais ouvrir un temple où chacun serait libre d’entrer et de ressortir
comme il le désirait. Simplement, si une personne le voulait, elle aurait la
possibilité d’accepter notre foi. Je ne désirais pas devenir un obstacle au
désir de Krishna d’aider tous les êtres vivants.
Puis est venu le moment où les après-midis je gardais notre boutique en
centre ville. J’en profitais pour écrire des livres. Mais j’étais si absorbé dans
ce service que certaines personnes qui entraient dans la boutique étaient
confrontées à une atmosphère si méditative qu’elles marchaient alors sur
la pointe des pieds pour ne pas déranger mon travail et s’excusaient en
sortant. D’autres, à cause de cette atmosphère, s’arrêtaient devant mon
bureau et se mettaient à me déverser avec grande affliction leurs malheurs.
C’était si intense parfois. Elles craquaient complètement devant moi. Elles
s’effondraient en larmes. Je ne faisais pourtant rien de particulier pour cela,
simplement j’écrivais sur l’amour. Cette boutique était devenue comme un
refuge pour certains et je m’appliquais à aider ces gens dans le malheur du
mieux que je pouvais, du plus profond de mon coeur.
Un jour à cette boutique, j’ai rencontré Annick. C’était une dame d’une
cinquantaine d’années. Elle était tout simplement au bord du suicide car
Un esprit non sectaire 171

elle avait perdu son ami atteint d’une maladie mortelle. J’ai tout de suite
perçu que c’était une personne qui pouvait devenir une Vaisnavi. Je me suis
occupé d’elle et graduellement elle a changé. Elle est passée graduellement
d’un état constant de conscience suicidaire à une personne pleine de joie.
Elle s’est progressivement désintéressée de la vie mondaine et est venue
vivre au temple.
A travers elle, le Seigneur nous a apporté l’argent qui nous manquait pour
accomplir les travaux du monastère. Un jour, elle a gagné une grosse
somme d’argent aux jeux et elle nous a légué par gratitude une partie. En
tout, nous avons reçu un don de 350 000 euros. Bien sûr, cette somme
bien que considérable, ne permettrait pas de réaliser la totalité des travaux,
si on les faisait réaliser par des entreprises. On a alors réfléchi et on a fait
appel à un maçon, pour constituer avec nous une équipe capable avec ce
budget de réaliser quelque peu l’objectif.
On a travaillé dur pour arriver au résultat souhaité avec nos petits moyens.
Je vais vous citer quelques exemples pour vous donner un aperçu de
l’ampleur des travaux. Pour réaliser un grand bassin, on a dû casser une
dalle de béton de vingt centimètres d’épaisseur avec un marteau piqueur
de premier prix, sans compresseur. Celle-ci avait une longueur de huit
mètres sur sept mètres de largeur. Puis, le trou a été creusé à la main à
l’aide de pelles. L’évacuation des gravats et de la terre a été réalisée à l’aide
de poubelles de 80 litres qu’on entassait dans un camion … et qu’on allait
décharger environ quinze fois par jour à la déchetterie. Enfin, il a fallu faire
la pose des structures d’acier, le dallage, la pose des parpaings, concevoir le
système de filtration de l’eau, le coulage du béton, l’enduit et finalement la
peinture plastique. Cela nous a pris cinq mois en tout à un rythme intense.
Un autre bassin, plus petit, a été construit avec un petit temple extérieur
dédié à Shiva. On a creusé les canalisations, fait les allées et les chapes
de béton, on a détruit et refait les poteaux et le portail extérieur, on a
construit un appentis en bois massif de cent mètres carrés, on a posé le
dallage sur 400 m2 et construit un agrandissement de soixante mètres
carrés pour réaliser une deuxième salle de culte.
Toutes les constructions existantes ont été transformées et réhabilitées.
Combien de murs, de fenêtres et de portes a-t-on montés ou détruits ?
Combien de centaines de mètres carrés d’isolation, de rails, de laine de
172 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI

roche, de revêtements, de peinture, de lasure a-t-on posés ? On a réalisé les


toitures, une partie de l’électricité et toute la décoration intérieure. C’était
tout simplement énorme. On n’en voyait plus le bout. Même si on ne
connaissait rien en travaux de bâtiment, on a fini par devenir de vrais
professionnels, au point que les gens qui passaient nous demandaient de
venir travailler chez eux. Les travaux ont duré sept années intensives et
malgré certaines erreurs dues à un manque d’expérience, le résultat est
admirable. D’un ancien squat, on a fait un oasis spirituel.

LE COMBAT POUR NOTRE RECONNAISSANCE

Cela faisait déjà quelques années que notre démarche pour être reconnus par
l’Etat français avait été engagée. On avait reçu un avis favorable du Préfet
de la Seine Maritime, ainsi que des Renseignements Généraux et étrangers
qui avaient fait une enquête en France et en Inde. Notre déménagement à
Saint Etienne du Rouvray avait retardé la démarche et on attendait l’avis
du Conseil municipal de Saint Etienne du Rouvray pour que le dossier
passe devant le Conseil d’Etat. Notre Congrégation était maintenant bien
stable. On avait des locaux qui permettaient de rendre manifeste un culte
journalier, un commerce et une école de yoga. Ce qui était au mieux. De
plus, durant nos contacts avec les Renseignements Généraux, un policier
nous avait fait part de notre comportement exemplaire envers la société. Il
nous avait parlé de la difficulté de l’Etat à nous refuser cette reconnaissance,
même dans ce moment critique où le Gouvernement, après avoir allégé
son combat contre les sectes, l’avait à nouveau renforcé durement.
Dans ce moment de pression, les mairies avaient peur de donner un accord
favorable pour notre reconnaissance et un refus avait été voté à l’unanimité
par le conseil municipal de Saint Etienne du Rouvray. On a donc pris un
rendez-vous avec le maire pour comprendre cette décision négative.
On est allés au rendez-vous. C’est l’adjoint au maire qui nous a reçus, le
pauvre, il était mal à l’aise. Il tremblait presque. Il s’est adressé à nous
avec beaucoup de passion. On était vraiment surpris. En fait, il nous a
appris qu’un avis défavorable avait été voté antérieurement par le conseil
municipal de Rouen, avant qu’on ne déménage. Il nous a expliqué que le
Maire de Saint Etienne du Rouvray ne voulait prendre aucun risque et qu’il
Le combat pour notre reconnaissance 173

était obligé de suivre dans les traces du conseil municipal de Rouen, c’est-
à-dire s’opposer fermement à notre reconnaissance. Il a été jusqu’à nous
dire que même si on faisait un recours devant le tribunal administratif, il
ferait traîner le dossier au moins une dizaine d’années avant que celui-ci ne
repasse en commission.
On a pu avoir, par Internet, le compte-rendu du conseil municipal de
Rouen concernant l’avis défavorable envers notre reconnaissance légale.
Le maire personnellement avait invité les autres membres du conseil a
voté contre. Pour appuyer sa mauvaise foi, il nous avait attaqués sur deux
points. Le premier, comme on l’avait mentionné avant, c’est que notre
Congrégation n’était pas en accord avec les lois du pays. Ce qui était
complètement faux puisqu’on avait monté notre dossier avec l’aide du
Ministère des Cultes, et que celui-ci l’avait approuvé pour pouvoir ensuite
le faire suivre. Le deuxième était que l’UNADFI nous considérait comme
une secte.
On a alors pris un rendez-vous avec le Ministère des Cultes pour avoir
des conseils. D’après lui, c’était la plus mauvaise période pour se faire
reconnaître, car le Gouvernement avait renforcé son dispositif antisecte.
Aussi, présenter le dossier d’une demande de reconnaissance au Conseil
d’Etat en cette période, en ayant une réponse négative de la part du conseil
municipal, était complètement disqualifiant.
On a donc directement contacté l’UNADFI en leur demandant sur quelle
base elle nous considérait comme une secte. Mais à notre stupéfaction, la
responsable nous a répondu qu’elle n’avait jamais entendu parler de nous
et qu’elle n’avait jamais rédigé un avis sur nous. On a convenu qu’elle
enverrait une lettre au maire de Saint Etienne du Rouvray pour nous venir
en aide.
Lorsque cette lettre est parvenue au maire, on a contacté la mairie en leur
faisant part des avis favorables du Préfet, des Renseignements Généraux
en France et à l’étranger envers notre reconnaissance. Leur comportement
a changé. Ils ont établi un contact avec le Ministère de l’Intérieur, et après
avoir été rassurés sur notre Ordre religieux, ils ont pris la décision de
repasser notre demande au conseil municipal. Cette fois, un avis favorable
a été voté pour notre reconnaissance. Le dossier a suivi au Conseil d’Etat
qui lui aussi a voté favorablement, puis notre reconnaissance légale a
174 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI

été également approuvée par le Premier ministre. Imaginez-vous les


exclamations de joie qui ont retenti dans le monastère, lorsqu’on a reçu par
la poste en septembre 2007, notre reconnaissance officielle. Quel combat !
Cette nouvelle a fait rapidement le tour d’autres institutions. Cette
reconnaissance nous donnait un certain poids et un intérêt non négligeable
pour des institutions qui étaient considérées comme des mouvements à
caractère sectaire en France. Aussi, j’avais à ce moment le désir d’aider
ces institutions à changer, à s’insérer dans la société. C’était pour moi la
meilleure façon de lutter contre les déviations sectaires. Mais en vérité,
au fur et à mesure que cette aide était fournie, qu’on expliquait toute
la procédure à suivre et l’attitude à avoir pour être reconnu, je réalisais
que ces institutions ne désiraient pas véritablement changer leurs mœurs
sectaires. Elles désiraient simplement avoir la reconnaissance de l’Etat. Je
me suis par conséquent retiré de cet engagement.
Je voyais comment ma vision était différente. Pour eux, l’Etat et les gens
athées étaient le plus souvent des démons. Alors que pour moi il n’en était
rien. J’avais maintenant du mal à vivre ou à côtoyer ces personnes qui
voyaient le mal en toute chose excepté en eux. Ma vision m’amenait à voir
que Krishna s’occupait de chacun et qu’on pouvait vivre simplement en
ce monde avec sa foi sans voir des fautes constamment chez les autres. Je
voulais développer de l’amour, pas de la haine, au nom de Dieu.
Toutes ces expériences m’ont amené à ne plus rencontrer ces personnes car
ces rencontres n’offrent jamais rien de constructible. J’œuvre maintenant à
informer les gens pour les préserver de ces mentalités sectaires, sans pour
autant critiquer ces personnes. J’apprends à ceux qui le désirent à vivre
leur foi en Krishna d’une façon merveilleuse et libre de toutes tendances
sectaires. Tel est l’un des objectifs principaux de ma vie.

UN ACCOMPAGNEMENT

Plus tard, on m’a recommandé de prendre le refuge dans le successeur


de Srila Bhakti Promode Puri Goswami, Srila Bhakti Bibudha Bodhayan
Goswami. J’ai l’ai donc rencontré en Hollande. Dès qu’il m’a vu, il m’a
donné la bénédiction de prendre sannyasa (l’ordre du renoncement), puis
il m’a autorisé à me servir de son autorité pour valider l’authenticité de
Un accompagnement 175

toutes mes activités spirituelles. Nous avons établi de devenir une branche
officielle de la Sri Gopinatha Gaudiya Matha en France.
Quelques mois plus tard, en octobre 2010, il m’a donné l’ordre du
renoncement et mon nouveau nom spirituel est « Srila Bhakti Candan Yati
Swami ». Ce nom n’a pas été donné par hasard. Il signifie : « la radiance
qui émane du santal qui a été offert avec dévotion au Seigneur Suprême ».
Il m’a demandé de devenir comme ceci, d’amener partout avec moi le
parfum de la dévotion offert à Krishna. Il est devenu pour cela mon maître
spirituel et mon soutien.
Lors de sa venue à notre temple, une mère de famille m’a demandé de
devenir son maître spirituel. Je lui ai répondu qu’il m’était impossible
d’accepter en la présence de mon propre maître spirituel. Alors, elle est allée
lui demander l’autorisation et Srila Bhakti Bibudha Bodhayan Goswami a
répondu positivement à sa demande en présence de Krishna Murti das.
Il m’a également autorisé à écrire des livres et des commentaires sur la
Bhagavad-gita et le Srimad Bhagavatam, en écrivant dans l’introduction
de cette Bhagavad-gita (dans la seconde édition) qu’il priait pour que je
sois mis en pouvoir pour réaliser ce service très important. J’ai également
reçu ces mêmes bénédictions de Srila Bhakti Nandan Swami, l’acarya, le
dirigeant de l’institution internationale de la Sri Caitanya Sarasvata Matha.
Depuis, je suis reconnu comme un maître spirituel et je guide, dans mes
activités religieuses, des personnes vers le développement d’une vie
intérieure non sectaire.
Bien que je me considère comme un ignorant et un être dépourvu de la
moindre dévotion pour Krishna, je vois à travers les personnes que je
guide tant de choses merveilleuses. Tout comme un père voit ses enfants
grandir sur ses conseils et développer l’amour, je peux voir mes enfants
spirituels évoluer. Ceci est tellement formidable pour moi. Dans nos
relations, il n’y a pas l’animosité et la compétition que l’on voit dans ce
monde. Plus ces relations se développent, plus le don de soi se manifeste.
Ce qui implique que l’on devient les uns envers les autres toujours plus
redevables par le fait que Krishna est dans nos relations, puisque nous
sommes Ses serviteurs. Aussi, comme des êtres qui sont attachés au nectar,
on ne peut qu’être toujours plus ensemble et s’aimer.
Lorsque j’ai emprunté cette voie de l’amour, je me suis retrouvé
graduellement dépouillé de toute chose. Quand je me suis de plus en plus
176 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI

approché de Dieu, j’ai pu voir que mes proches se déconnectaient de moi,


jusqu’à ne presque plus manifester leur existence. Même si les premières
années je passais les voir et leur téléphonais, j’ai vu qu’ils n’en faisaient pas
de même. Alors, quand j’ai compris cette réalité, j’ai décidé graduellement
d’arrêter de les appeler, afin de ne pas les déranger. En réalité, si j’ai accepté
que tout me soit enlevé c’est par amour pour Krishna. C’est pourquoi je
n’en veux à personne. Au contraire, je comprends et respecte leur vision et
leurs choix. Moi-même, dans le passé j’étais profondément athée.
En réalité, Krishna m’a envoyé des gens formidables. Il m’a tout redonné
d’une manière merveilleuse. Ces personnes ont beaucoup d’amour pour
moi. Je n’ai donc aucun manque. Je dirais qu’aujourd’hui, j’ai bien plus.
Ceci ne veut pas dire que je rejette qui que ce soit, mais mon amour ne
peut plus être exclusivement réservé à une petite famille, il est pour une
grande famille qui est l’humanité, la famille de Dieu. J’ai donc trouvé un
plus grand amour, car lorsque l’on est vraiment connecté intérieurement à
Krishna, on ressent réellement de l’amour pour tous les êtres.
Je prie mon Seigneur Gopal qu’Il puisse me garder avec Lui dans cette
atmosphère et ne pas me laisser retomber dans l’illusion de ce monde
matériel avec cette folie de vouloir devenir un dieu et d’exploiter ce monde
aux dépens du malheur des autres, pour simplement maintenir une famille
ou un pays. Je Le prie également pour qu’Il protège mes enfants spirituels.
J’ai tellement d’amour pour eux tous. Je prie également pour que le monde
entier s’harmonise dans l’amour de Dieu.
L’amour ne s’arrête pas dans ce monde mais continue à jamais pour celui
qui est engagé dans une voie spirituelle authentique. Cet amour a le pouvoir
de ramener tellement de personnes à la demeure suprême. Tout ce que
Son dévot accepte, Krishna l’accepte. C’est pourquoi j’aspire moi-même
à devenir un serviteur d’un serviteur du Seigneur des Gopis (servantes du
Seigneur Krishna). De cette manière, on peut tous devenir un membre de
cette grande chaîne et ramener à Dieu tous les êtres vivants, simplement
en aimant.
C’est si beau l’amour. Je peux en parler car j’ai connu la haine. Mais que
peut faire la haine à côté d’un amour si puissant ? Qui peut se battre contre
cet amour, contre la personnification de l’amour, Krishna ? Personne, je
le sais, car moi-même j’ai capitulé devant cet amour. Il est si puissant qu’il
Un accompagnement 177

a fait que j’ai baissé la tête comme une personne qui a été complètement
vaincue. Il m’a forcé à aller là où son vainqueur le voulait, même dans des
circonstances que je n’aurais jamais acceptées auparavant.
Cet amour est si merveilleux qu’on a parfois l’impression de ne plus avoir
de libre arbitre, que l’on est comme obligé de continuer malgré tant de
difficultés. On est parfois si humilié et frappé lorsqu’on veut faire Sa
volonté, mais on ne peut refuser ces souffrances, si l’on sait que celles-ci
Lui apportent une simple petite satisfaction. Telle est la loi de l’amour. C’est
vrai que j’ai rencontré des personnes qui m’ont triché en ce monde même
chez les religieux. Si vous saviez toutes les épreuves que j’ai rencontrées
pour pouvoir faire la volonté du Seigneur !
Certains religieux étaient si envieux qu’ils ont même été jusqu’à dire des
mensonges sur ma position et mes actions. Quand j’ai essayé d’ouvrir un
centre, ils m’ont dénigré auprès des personnes qui le fréquentaient. En
résultat, elles l’ont déserté. Une autre fois, alors qu’un retraité désirait
vendre une propriété pour que nous puissions faire un temple, ils ont
rencontré le propriétaire pour le convaincre de ne pas nous la vendre.
J’ai même vu une autorité spirituelle qui m’avait autorisé à initier des
personnes renier ses paroles. Cette situation s’est même réitérée dix ans
plus tard avec une autre autorité spirituelle, même si celle-ci avait déclaré
devant témoins qu’elle acceptait que je sois maître spirituel, et qu’elle avait
fait les arrangements auprès de l’une de ses disciples qui est professeur de
sanskrit pour que j’aie un pranam-mantra pour mes disciples. Tout cela a
fait que des Vaisnavas du monde entier ont pensé que j’étais un tricheur.
J’ai été, par conséquent, rejeté, jugé, rabaissé et humilié.
Aujourd’hui encore, je rencontre des gens qui ont été contactés par ces
religieux dans le but de les convaincre de ne pas me rencontrer. Pour eux,
je suis un serviteur de kali, ce qui correspond à un suppôt de Satan pour
les chrétiens. Je l’avoue, la première fois, tout ceci a été tellement loin que
j’ai failli craquer. J’avais le choix de me mettre en colère et de laisser la
haine à nouveau prendre place en moi, mais je n’ai pas pu, car j’aimais tant
Krishna que j’ai accepté de voir tous ces gens comme des messagers de
Sa miséricorde. J’ai alors ressenti Son amour et j’ai pu réellement voir en
ces êtres des maîtres venus me faire progresser dans ma vie spirituelle. En
effet, plus on est rabaissé et plus on est élevé spirituellement.
178 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI

Pour moi, le bonheur de Krishna est plus important que le mien. Or,
Dieu désire que l’on porte secours aux autres, c’est pourquoi j’ai toujours
œuvré pour aider les êtres qui souffrent. A cette fin, j’ai créé toutes sortes
d’activités et écrit des livres. Si j’avais couru après la renommée, je n’aurais
jamais accepté de faire un groupe de rock ou un moto club, car je savais
que de tels religieux conservateurs me critiqueraient et me traqueraient. Ce
qui implique que pour satisfaire le désir du Seigneur, je suis prêt à être mis
dans n’importe quelle condition, car je sais qu’elle sera la meilleure pour
moi. Ce qui implique que je ne serai pas forcément le vainqueur comme je
le désire. Mais si je connais complètement la défaite, elle me sera meilleure
que la gloire.
Krishna n’est donc pas un Dieu de justice, car jamais je n’aurais eu le
privilège de m’en sortir et de progresser toujours plus. Il est un Dieu
d’amour. Je le sais. Je l’ai réalisé. Ceci est dans mon coeur. Il nous amène là
où on ne veut pas aller, afin de purifier complètement notre cœur de toute
l’avidité pour le prestige et l’ambition matériels. Peut-être que ce n’est pas
toujours facile mais le résultat est là. Il ne nous triche jamais.
Il m’a toujours accompagné et aidé pour me ramener à Lui. Il a fait tous
les arrangements pour que je m’en sorte, et en ce moment, Il le fait avec
chacun de nous. Ce qui implique que l’amour triomphe toujours et que
toute chose retrouve graduellement sa place, mais dans sa pleine beauté.
On réalisera tout ceci au fil du temps et pour certains peut-être pas dans
cette vie. Chacun aura un jour cette réalisation et trouvera la voie de l’amour.
Alors il fera comme moi, il acceptera de marcher, pour enfin voir ce qui
se passe derrière toute chose, comprendre la réalité de Dieu et réaccepter
toute chose d’un œil aimant. A partir de cet instant, on pourra voir la
Vérité qui nous permettra d’obtenir la joie en toute chose. On sera alors
situés dans le véritable chemin de la vie. Dans ce monde merveilleux, tout
devient positif en dernier lieu et vous amène à développer toujours plus
de l’amour même contre ceux qui ne vous aiment pas. De cette manière, à
travers cet amour, les gens découvrent que vous êtes tout le contraire de
ce qu’on leur a dit.
Un skinhead repenti 179

UN SKINHEAD REPENTI

Je dois vous avouer que pendant une longue période de ma vie, il ne s’est
passé une journée sans que je ne repense aux actes de violence que j’ai
commis dans ma jeunesse et sans que je ne m’en repente. J’avais en moi
un désir de demander pardon au monde. Aussi un jour, j’ai commencé à
écrire sur un blog, un petit aperçu de ma vie, dans le but de me repentir.
Son titre était « Skinhead repenti ».
Il y a alors eu une effervescence énorme autour de ce blog. Au fur à mesure
que j’écrivais, beaucoup de gens se sont mis à le suivre. Des personnes
m’ont même apporté des photos et de la musique pour l’illustrer, car il
ne me restait plus rien de mon passé. Mais j’avais du mal à m’en souvenir.
La vie spirituelle est comme une machine qui vous change à l’intérieur
et qui vous lave de toute négativité. A cause de cela, je n’arrivais pas
à comprendre comment j’avais pu en venir à porter sur moi des croix
gammées et à devenir aussi méchant envers des gens.
Mon lourd passé était parti de moi, laissant place à un autre homme. Je
ne pouvais même plus comprendre cette vie négative. Je ne trouvais plus
en mon cœur d’ennemis, ni de personnes à haïr. Aussi, je n’arrivais pas
véritablement à répondre à ces questions que je me posais. Simplement,
j’essayais d’analyser les choses pour demander pardon aux gens d’une
manière sincère. Alors j’ai voyagé en moi-même afin de rechercher des
souvenirs et d’écrire.
Je voyais une personne emportée vers quelque chose qu’elle ne pouvait
comprendre. Un individu qui ne pouvait peser la gravité de ses actes et qui
voulait répondre à sa frustration par une violence extrême. Mais je voyais
que je n’avais jamais frappé de gens pour la couleur de leur peau, pour leur
nationalité et pour leurs croyances. Ma violence n’avait été dirigée que vers
les ennemis du gang. Mais en même temps, j’avais affiché de telles idées.
C’était difficile d’écrire et de comprendre ce personnage, car il est pour
moi impossible de vraiment détester quelqu’un aujourd’hui. Même s’il
m’arrive de temps en temps de m’emporter, la connaissance et le pardon
viennent au plus vite laver cette ignorance de mon cœur.
Je ne peux que me rappeler de ce jour, lorsque j’ai revu d’une manière
inattendue un ancien membre du gang, j’ai dû, dans cette circonstance,
parler du passé. Il m’a alors raconté des choses horribles à mon sujet. Mais
180 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI

je ne m’en rappelais plus. J’étais stupéfait. Comment est-il possible que je


ne puisse pas me rappeler de choses aussi graves ?
Telle est la nature d’une vie spirituelle authentique. Elle efface tout. Elle
répare tout. Elle a le pouvoir de vous libérer de tous vos actes, de vous
changer afin de vous élever au plan de l’amour. Sur ce plan, plus d’ennemis
mais des rencontres qui vous permettent à chaque instant de progresser
toujours plus vers l’amour. C’est une vie si inconcevable, si merveilleuse.
Tous les êtres même les pires peuvent vous apporter un bienfait, car il
vous est donné la grâce de voir en chacun la vérité. Vous êtes simplement
subjugué et émerveillé de voir comment la Providence arrange toute chose
pour vous.
Tous ces événements me faisaient réaliser au plus profond de moi que ce
niveau d’existence n’était pas réservé à une élite, à des personnes qui sont
nées de bonne famille, qui ont été honnêtes ou qui n’ont jamais fait d’actes
nuisibles au cours de leur vie. Elle est disponible à tous, sans exception. Je
réalisais que j’en étais la preuve vivante.
C’est alors que des gars de gangs ont commencé à me contacter du monde
entier. Ils parlaient avec moi de leur problème, certains par lettres, d’autres
par téléphone ou à travers le blog. C’était vraiment intime, de véritables
cris vers l’amour. Certains, comme je l’avais vécu, étaient emportés par la
violence, d’autres étaient mal dans leur peau et étaient sur le point de se
suicider. Ils avaient besoin d’aide pour s’en sortir. J’ai alors décidé de les
aider, mais toujours en respectant le code du non-sectarisme. Je voulais
simplement aider ces gens à se construire une vie intérieure pour qu’ils
puissent trouver par eux-mêmes l’amour dans leur vie.
Je revois ces voyous, nombreux étaient des skinheads, venir me rencontrer.
Certains pleuraient et ne comprenaient pas pourquoi ils avaient été aussi
loin dans leur haine. Au premier regard, ils semblaient complètement
détruits et en même temps ils avaient en eux une immense fierté d’avoir
accompli toutes ces choses. Une dualité les hantait. Celle-ci les détruisait
car ils n’arrivaient pas à la dépasser. Beaucoup se demandaient ce qu’ils
allaient devenir s’ils n’étaient plus comme cela. Ils avaient donné leur vie
pour un idéal. Alors sauter le pas n’était pas si facile.
J’aime tous les êtres. Je ne porte aucun jugement externe sur l’habit que
portent les gens. Aussi un lien d’amour me lie à eux. C’est normal. De plus,
je suis moi-même un ancien voyou. J’ai donc accompli toutes les choses
Un skinhead repenti 181

qu’ils ont faites et parfois bien plus. Je peux parfaitement les comprendre.
Je suis donc très concerné par eux. D’ailleurs, je suis pour eux cet ancien
qui peut seul les comprendre. Je suis une sortie, un moyen de trouver un
équilibre, quelque chose auquel ils peuvent se raccrocher. Je n’ai donc pas
le droit à l’erreur car tout peut s’écrouler si facilement si j’en commets
simplement une. C’est peut-être le seul tournant de leur vie qui les fera aller
vers l’amour et délaisser la haine. C’est très lourd comme responsabilité.
Si vous saviez l’amour qui se dégage de ces êtres dans ces moments. Ils
retrouvent une réalité perdue, quelque chose qui n’existait plus en eux. Ils
semblent redevenir des enfants et vouloir réapprendre à vivre. La violence
n’a alors plus de place en eux. Ils désirent progresser et tout réapprendre.
C’est si merveilleux.
Mais parfois, ils reprennent leurs distances et replongent dans la haine.
Puis vous les voyiez de nouveau apparaître quelques mois plus tard.
L’amour devient comme leur seul médicament. En effet, seul l’amour
guérit la haine. Mais cette guérison est souvent graduelle. Or, lorsque
l’amour est véritablement installé dans le cœur de ces personnes, jamais la
haine ne pourra de nouveau s’emparer d’eux. L’amour devient comme un
professeur qui leur fait découvrir en profondeur la haine. Ils découvrent
alors tous ces secrets et deviennent très experts à l’éviter. En fait, ils se
mettent à rejeter la haine de plus en plus au plus profond de leur cœur et
s’attachent à l’amour. Je suis devenu moi-même comme cela.
Combien de fois par jour ai-je eu ces questions : « Où est l’amour ? » «
Où est l’objet d’amour ? » « Comment puis-je aimer toujours davantage ? »
Celui qui a rencontré l’amour ne perd plus de temps avec la haine. Il
comprend l’urgence de l’amour et le sent tellement présent dans son cœur.
Il développe un besoin de le partager et d’aider ceux qui ont la haine et qui
souffrent à cause de cela.
Aussi ceux qui viennent lui demander de l’aide sont comme une
récompense, un aboutissement. Jamais il ne les voit comme inférieurs, au
contraire. C’est ça l’amour. Dans l’amour, il n’y a pas d’exploitation de
l’autre en vue de se bâtir une renommée, mais il y a un don de soi pour
éveiller chez l’autre l’amour. C’est un autre monde. Plus on donne, plus on
reçoit. Celui qui nous permet d’aimer plus devient comme une personne
avec qui l’on est endetté.
182 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI

Aussi, une vision particulière se manifeste au contact de l’amour et vous


fait voir toute chose comme supérieur. Vous pouvez apprendre de tout
le monde. Vous obtenez de vivre dans un monde d’émerveillement où
tout devient positif. Tellement de sensibilité vous accompagne et une telle
urgence vient vous chercher que vous vous mettez simplement à aimer
sans discrimination.
Mais je dois vous avouer que j’ai également reçu de sacrées menaces. Quand
vous désirez aider, cela ne plaît pas à tout le monde. Certains voyaient en
moi un recruteur d’une nouvelle secte. La vérité, c’est que les gens sectaires
voient des sectes partout, alors que ceux qui voient l’amour, le voient en
toute chose. Il ne saurait y avoir de haine entre moi et ces opposants.
J’essaie simplement de partager et je tolère leurs incompréhensions.
Donner l’amour aux êtres est le devoir de chacun, ce n’est pas un délit. On
doit parfois également combattre pour une noble cause. Mais la violence
doit en être exclue au maximum. On doit pour cela agir intelligemment
pour ne pas inciter les gens sans amour à attaquer ceux qui essaient d’en
développer. L’antipode de l’amour est l’envie. Aussi ceux qui le développent
deviennent naturellement la cible de ceux qui sont envieux. On a vu cette
vérité tout au fil de l’histoire de l’humanité.

MON RETOUR SUR LA SCÈNE

J’avais envie de refaire mon apparition dans des milieux où régnait la


violence. En réalité, j’ai toujours ressenti en moi ce désir d’aider ceux qui
désiraient sortir de cette violence. J’avais pour ambition de revenir dans
cet environnement afin de construire un organisme capable de réinsérer
des gens. J’ai donc commencé par réfléchir sur la manière de parvenir à
cet objectif.
Quand j’ai revu Tramb après plus de vingt années, j’ai passé une journée
avec lui. Il n’a pas pu s’empêcher de me dire que j’étais un rocker dans
l’âme, un vrai marginal, que jamais je ne serais comme tout le monde.
Même si j’étais un moine, je pouvais aussi être à l’aise dans toutes les
circonstances, sans peur et libéré de tout préjugé. Cette vie avait fait que
bien que Dieu soit entré en mon cœur, j’avais besoin de vivre une aventure.
Je ne pouvais pas rester paisible dans un monastère. J’avais un message à
Mon retour sur la scène 183

délivrer. De plus, mes maîtres spirituels m’ont toujours encouragé à aller


dans cette voie.
Aussi, il m’arrivait parfois de regarder un groupe de rock jouer sur scène.
Je voyais alors tous ces milliers de jeunes chanter, sauter et danser sur ces
mélodies. Je sentais alors mon cœur fondre et des larmes coulaient de
mes yeux. Je pensais : « Si je pouvais faire un groupe et faire chanter les
gens dans l’amour et la félicité et les amener vers une vie positive, je serais
tellement heureux ! »
C’était comme un besoin vital. J’avais tellement reçu et j’avais tellement
envie de donner. Je souffrais tant de rester sans partager. Cela me consumait
jour après jour.
Mais voilà, le maître spirituel, qui me suivait à ce moment, désirait que
je rentre dans l’ordre du renoncement (sannyasa). Je lui ai alors écrit, car
d’habitude un sannyasi adopte plutôt une vie en recul de la société. C’était
donc impensable que je puisse réaliser ce projet. Mais sa réponse fut
complètement révolutionnaire, il m’a dit que je devais le faire pour aider
les êtres vivants.
Alors j’ai décidé de me remettre à la musique avec cette ambition. J’ai acheté
avec l’aide de certaines personnes un peu de matériel pour composer et
enregistrer quelques morceaux en solo. Mais j’avoue que toutes ces années
de prières m’avaient pas mal déconnecté de cette ambiance que j’avais bien
connue auparavant : le rock’n’roll. Les premiers essais ont été pitoyables.
Mais il fallait que je continue, que je remette la machine en route. C’était
pour moi important.
J’ai donc reconstitué un premier groupe qui s’appelait « Dayal Nitaï ».
Ce nom vient du sanskrit. Dayal veut dire « miséricordieux » et Nitaï «
éternellement ». J’avais pris comme musiciens deux personnes de la
Congrégation à laquelle j’appartiens. C’étaient des débutants, mais je savais
que c’étaient des gars fiables et droits, que je pouvais m’engager avec eux
dans une aventure musicale qui pourrait durer de nombreuses années.
Je sais que certaines personnes pensent que l’amour et le rock’n’roll sont
incompatibles. Mais dans ma façon de voir la vie, je ne mets aucune
barrière. Pour moi, tout peut être utilisé, mais avec amour. Si l’Absolu
est en toute chose, alors pourquoi ne pourrait-Il pas venir et unir dans
l’amour tous les êtres dans n’importe quelle condition ? Pourquoi aurait-
184 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI

Il du sectarisme en Lui ? Tout vient de Lui. Tout existe pour Lui et par
Lui. Il faut simplement utiliser les choses mais d’une façon propre, sans
vouloir obtenir la renommée, de l’argent en contrepartie, juste le faire par
amour pour Lui. Je voulais cela au plus profond de moi. Tel était le but de
ma démarche.
Je désirais également prouver aux jeunes qu’un véritable vaisnava n’est
pas une personne sectaire qui se coupe du monde, mais qui s’adapte à
son environnement. Je voulais apporter quelque chose à la société et non
la condamner comme certains religieux. Un authentique vaisnava est une
personne qui doit voir la vérité chez les êtres et non les mauvaises choses
qui les recouvrent. Seule une telle vision pouvait unir les êtres dans une
dimension supérieure.
Il a fallu au moins deux ans avant que notre groupe commence à trouver
un son et un charisme particuliers. Puis nous avons enregistré un premier
album puis un deuxième. Nous avons effectué quelque concert également.
A vrai dire, je ne passais pas inaperçu. Quelques personnes avaient entendu
dire, par le biais de mon blog « skinhead repenti », que j’avais remonté un
groupe et certains étaient venus pour me voir lors de notre premier concert.
Il y avait une centaine de gars, la plupart des anciens skinheads. On a joué
en deuxième partie de ce festival. On avait pour idée de commencer le
concert en chantant un petit chant sacré de l’Inde. Dès les premiers mots,
la plupart n’ont pas supporté et la moitié du public est sortie dehors afin
de rejeter notre côté religieux. Je pense que si je n’avais pas eu ce passé, un
groupe comme le nôtre se serait fait virer avec perte et fracas, mais que
voulez-vous, il fallait bien que je débute….
A la fin du concert, certains skinheads sont venus me voir et m’ont invité
à les rencontrer. Ils étaient différents de ceux que je connaissais à mon
époque. Déjà, ils étaient beaucoup moins violents et ils n’étaient pas
racistes. Certains étaient des militaires de carrière tout au plus, ils aimaient
leur pays.
J’ai donc été plusieurs fois à leur rencontre. Ils ont été très cordiaux avec
moi. Mais je remarquais que même si j’avais tissé des liens d’amitié avec
ces skinheads, la plupart n’étaient intéressés que par mon passé et la non-
violence ne les passionnait pas. J’ai également essayé de faire apprécier
mon groupe dans ce milieu punk. Pour cela, on a réalisé quelques clips
Ahimsa non-violence 185

vidéo et on a essayé de trouver quelques concerts, mais à vrai dire, mon


groupe a été pas mal boycotté. Certains parlaient même de danger de
me faire jouer car il y avait un risque d’émeute dû à mon passé. Il y avait
aussi comme une allergie à notre pensée positive. Pourtant les textes de
nos chansons pour la plupart ne parlaient même pas de Dieu, mais de
l’écologie, du végétarisme et de la non-violence. J’ai donc dû me diriger
vers un autre milieu.

AHIMSA NON-VIOLENCE

Lorsque j’étais plus jeune, j’étais fortement attiré par l’esprit des bikers.
J’avais même traîné un certain temps avec quelques uns. Or, en me
promenant sur le Net, j’ai découvert qu’il existait des bikers chrétiens aux
Etats-Unis et même des sikhs au Canada. Ils avaient fondé pas mal de
moto clubs pour rassembler les gens au nom de Dieu. Ceci m’a donné
l’idée de fonder un moto-club vaisnava. Je désirais l’appeler « Ahimsa
Non-Violence ». J’en ai parlé avec mon maître spirituel et il m’a donné son
approbation pour réaliser ce projet.
La non-violence est une belle arme contre la disharmonie qui hante ce
monde. Si de plus en plus de gens pouvaient prendre en considération
tous les êtres vivants, tous pourraient vivre ensemble en harmonie. Bien
sûr, la vraie non-violence veut qu’on accepte le principe de Dieu, car Il est
en toute chose et sans Lui une telle sensibilité ne peut être obtenue. Aussi
aller vers Dieu signifie faire Sa volonté qui est d’aimer tous les êtres et les
aider à progresser vers l’amour. La vraie non-violence ne saurait prendre
en considération que les êtres humains. Elle doit s’adresser à tous les êtres
sans exception.
La non-violence est cette sensibilité, cette compassion qui s’éveillent dans
le cœur lorsque la présence de Dieu s’éveille en nous. Lorsqu’on sent au
fond du cœur comment Krishna aime toute Sa création, on vit alors pour
que le monde aille mieux et on devient spontanément ce dont le monde a
besoin pour cet épanouissement. On ressent pour chaque être un lien et
de l’amour.
A travers ce moto-club, je comptais enseigner ce principe et réinsérer des
gens violents dans une vie spirituelle positive et faire d’autres activités
186 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI

humanitaires. Je savais de ma jeunesse que ce monde était géré par des


gangs et qu’il me fallait les rencontrer pour avoir leur autorisation pour le
faire. J’avais quelques contacts d’avant et j’ai pu facilement rencontrer un
représentant d’un des plus grands gangs internationaux.
Ce premier contact s’est bien passé, j’ai pu comprendre ce que je devais
faire et ne pas faire. Cette personne m’a conseillé fortement de rester
neutre, de ne pas devenir un club support d’un gang particulier, mais de
demander la permission à tous les gangs. En effet, habituellement, un
moto club nouveau doit devenir un club support du moto-club qui a en
charge la zone géographique au risque de représailles.
C’est avec ces conseils que j’ai pris contact avec différents moto-clubs. Je
me rappelle de la visite de l’un d’eux. J’y étais allé avec un de mes frères.
C’était un local à l’aspect peu accueillant, tout noir à l’extérieur avec des
caméras et une sonnerie à l’entrée. J’ai sonné, puis un prospect (novice)
nous a ouvert la porte et nous a accompagnés dans une salle. Il y avait
plusieurs personnes du gang. Je revois mon frère peu à l’aise dans cette
atmosphère. J’ai dû alors prendre les choses en main et casser la glace en
m’asseyant à leurs côtés et en engageant la conversation.
Ils savaient déjà pourquoi je venais et à vrai dire on sentait qu’ils n’étaient
pas partants. Ils ont donc commencé à me mijoter pendant plus d’une
heure pour me convaincre qu’il vaudrait mieux que je renonce à ce projet.
Tout cela dans le style « police judiciaire », il manquait plus que la lampe
en plein visage. Un gars à gauche, un autre à droite et un en face, et à tour
de rôle, toutes sortes de questions, dans le style : « Qu’est-ce que tu viens
foutre dans notre milieu ? » Il fallait donc que j’explique mes intentions.
Quand j’ai expliqué que je voulais à travers ce moto-club réinsérer des
gens violents, ils m’ont dit que si je réinsérais des gars d’un gang adverse,
il y aurait des représailles. C’était l’impasse totale. Que dire que ce moto
club soit indépendant.
Mais en même temps, je venais de la part de l’un de leurs frères et
j’appliquais à la lettre ses instructions. Ils étaient donc à la fois perplexes et
ils ne savaient pas ce qu’ils devaient faire. Ce n’était pas une affaire facile,
loin de là.
Alors j’ai joué la carte de l’humilité, car c’était ma nouvelle vie et elle était
naturelle pour moi. Je leur ai donc dit : « D’accord, je reconnais ma non-
Ahimsa non-violence 187

qualification dans ce domaine, mais j’ai besoin de faire ce moto club pour
aider des gens, alors je vous demande humblement de m’aider. » « Vous
êtes les chefs de cette zone, vous devez donc protéger ceux qui sont plus
faibles que vous et les aider. »
Leur discours a alors graduellement changé et j’ai ressenti même de l’amour
venant d’eux. Ils savaient tous que j’étais un ancien voyou et je pense que
c’est pour cela qu’ils ont finalement accepté que je fasse un ministère de
motards. L’un deux m’a dit : « D’habitude, des gars comme vous on les
démonte, mais je sais pas pourquoi, j’adore votre démarche. »
A vrai dire, avec cette vision de l’amour qui s’était développée en moi, je
voyais chez eux des bonnes qualités. Je ne voyais pas des gens négatifs.
Aussi, cela les a tout simplement touchés et ils m’ont aidé comme des pères
qui auraient épaulé des enfants à monter un projet pour qu’il aboutisse.
Je me rappelle que quelques jours avant, ils m’avaient invité à une grande
réunion où tous les motos clubs 1% (gangs hors-la-loi) de la région seraient
regroupés. Ils avaient hésité car ils ne savaient pas si on allait être acceptés
ou maltraités. D’après eux, cela pouvait être très dangereux. Je suis arrivé
avec deux membres de mon futur moto-club et je dois dire que l’accueil a
été un peu froid, mais bon on s’y attendait.
Après un certain temps, tous les présidents de chaque club ont été conviés
à une réunion privée, puis ils ont réapparu une heure plus tard. On a
alors été prié de nous asseoir tous autour d’une grande table d’environ 60
personnes. Chaque moto-club a été invité par le sergent d’armes du club
international à prendre la parole. Puis ça a été mon tour, je me suis levé et
j’ai donc présenté le projet. Puis le sergent d’armes a demandé à l’audience
s’il y avait quelqu’un contre l’acceptation de notre moto-club. C’est alors
qu’un président d’un club a pris la parole avec un ton très ferme. Il était
assez loin de moi et m’a demandé quelle était ma position envers leurs
ennemis. Je lui ai répondu que je ne pouvais pas avoir d’ennemis. Il m’a dit
alors que je ne pourrais aller chez eux.
C’était une ambiance des plus lourdes et c’était le tournant de la plaque.
Il fallait que je fasse face à l’affront sans pour autant briser nos principes.
Si je ne répondais pas à cette attaque c’en était fini. Je me suis donc de
nouveau levé et avec un ton ferme, j’ai expliqué à tous que je ne pouvais
avoir d’ennemis. Ceci n’était pas possible et contraire à notre position...
188 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI

Les jours précédents, on m’avait demandé de faire une page avec les futures
couleurs et barrettes que l’on désirait porter sur nos jackets. Le président
du club international en a distribué à chaque représentant des moto-clubs,
puis il a redemandé au club qui occupait notre zone s’il avait une objection,
puis également à tous les autres et le vote a été positif. Il a été décidé
qu’on pourrait mettre nos couleurs sur la jacket de devant, mais qu’il fallait
attendre une année avant qu’on soit autorisés à les porter derrière.
On m’avait conseillé de rencontrer les autres clubs rivaux pour avoir
également leur assentiment. Dans un même temps, l’un d’eux m’a envoyé
un de leurs représentants au monastère afin de me rencontrer. Celui-ci
était plus jeune que moi. Il connaissait pas mal mon passé et je peux dire
que je n’ai pas eu de mal à me faire accepter. J’ai donc pris rendez-vous
pour rencontrer ce gang de motards.
C’était une ambiance plus méfiante. On a été bien fouillés à l’entrée et
obligés de déposer nos papiers et faire l’enregistrement de nos identités.
Puis, on nous a dit qu’on n’était autorisés à rester que jusqu’à 22 heures.
Puis notre interlocuteur s’est occupé de nous avec bienveillance et l’accueil
a été alors bien plus chaleureux. On a parlé un peu et il nous a présentés
à différentes personnes. Il y avait un mur du souvenir avec des photos
de certains de leurs membres qui avaient été tués par des membres
d’autres gangs.
Au bout d’une heure, on m’a invité à une table avec les différents
représentants. Je me suis présenté et ils m’ont dit qu’ils savaient qui j’étais.
Certains étaient des anciens skinheads. J’ai présenté mon projet. Ils ont
tous regardé le logo du club et surtout le nom « Ahimsa Non-Violence ».
L’un d’eux a dit : « Eh ! Willy, on est dans un milieu violent ! » Je lui ai
répondu : « Vous inquiétez pas, on vous prendra pas la tête, simplement
on fera de notre côté nos bonnes actions ! » Finalement, ils ont accepté et
m’ont donné l’autorisation de faire ce moto club, de porter des couleurs et
de passer sur leur territoire sans problème.
Puis j’ai été dans une autre zone pour rencontrer le dernier moto-club
international. J’ai envoyé un email mais la réponse s’est fait attendre.
Finalement une rencontre a été convenue un vendredi soir à leur club
house. On a été bien accueillis et après un moment, le président du club
a fait son entrée. Il nous a conviés à une réunion dans une salle privée où
habituellement seuls les membres du club pouvaient aller. On a présenté
Ahimsa non-violence 189

notre projet et demandé leur approbation. Celui-ci a été accepté, puis le


président a demandé aux autres de sortir car il désirait s’entretenir avec
moi d’un sujet particulier : « Comment j’avais pu m’en sortir ». C’était un
gars qui avait fait de la prison pour meurtre. Cette discussion a duré trois
heures et a été pour moi très constructive.
En fait, je réalisais à quel point dans ces milieux de violence, il y avait,
sous ces apparences, des gens avec un grand cœur, droits et d’une grande
sensibilité. Bien sûr, il y avait aussi des personnes moins réceptives, mais
je constatais que l’amour et l’humilité étaient toujours vainqueurs. Aussi,
graduellement on a été de plus en plus acceptés, ce qui est, dans ce milieu,
très surprenant.
En réalité, ces gars nous apprécient car nous avons également des valeurs
que nous défendons et des principes que nous appliquons strictement. Je
me rappelle d’un soir lors d’une rencontre avec un moto-club, il y avait un
prospect qui faisait le service au bar, et je discutais avec un des dirigeants. Il
me parlait de la difficulté pour un prospect de gagner les couleurs du club.
A mon tour, je lui ai parlé de la difficulté que nous avions également pour
devenir un véritable vaisnava, et que j’avais attendu vingt années avant de
recevoir l’ordre du sannyasa. Alors il s’est retourné vers le prospect et lui
a dit : « Tu vois, il te reste encore vingt ans à attendre… »
Une autre fois, j’ai parlé avec un membre d’un gang qui nous apprécie
beaucoup. Pour eux, il ne peut y avoir de frères que les membres de leur
propre gang. Aussi m’a t-il dit : « Tu vois Willy, tu pourras jamais devenir
un de mes frères ! » Alors, je lui ai pris les mains et je lui ai dit : « Alors
deviens mon père ! » Il m’a dit que si je parlais comme cela, c’est parce
que je ne savais pas ce qu’il était et ce qu’il avait fait en cette vie. Sa vie
était sanglante et il en avait même du mal à en dormir, tant de flash-backs
le hantaient… » Mais moi, je lui ai simplement répondu que je voyais une
autre vérité en lui et beaucoup d’amour et que je l’aimais. L’amour peut
toucher le cœur de tous les êtres. C’est comme cela que j’ai vu quelquefois
des larmes couler des yeux de membres de gangs. Parfois même, certains
nous ont défendus et nous ont protégés, même si dans leurs lois, ils n’en
ont pas le droit.
Pour moi, c’est important que ce moto-club s’insère réellement dans
ce milieu dur et qu’on ait obtenu l’autorisation de porter des couleurs.
En effet, pour que des gens puissent accepter de passer de la violence
190 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI

à l’amour, il faut parfois que les nouvelles choses qu’ils acceptent soient
en relation avec des choses reconnues par ces milieux. On doit pouvoir
engager le rock, la moto et toute passion pour permettre à des gens de s’en
sortir. C’est un moyen véritable pour canaliser cette violence. C’est aussi
un moyen puissant de partager une vie fraternelle et spirituelle entre nous.
On a graduellement construit sur trois années notre local avec bar
restaurant et salle de concert près de Rouen où nous recevons toutes
sortes de personnes. On organise également des randonnées en moto, des
rencontres et des festivals en faveur de la non-violence. On est présents
sur de nombreux rassemblements. On a aussi introduit une distribution
de nourriture hebdomadaire pour les plus démunis, un culte le samedi,
nous permettant de nous unir et de créer une véritable famille. Toutes ces
choses nous permettent de répandre l’amour et de redonner un sens à la
vie pour beaucoup de gens. Tous ces événements m’amènent à rencontrer
des gens de tout bord, à répondre à des journalistes, à passer à la télévision
et à arpenter des salles de concert avec des riffs de guitare. En vérité, je
ferais n’importe quoi pour que les gens évoluent vers le positif et non vers
la haine.
Bien sûr, ce n’est pas toujours facile. Je rencontre parfois des voyous qui
me testent, qui m’en veulent. Ils n’acceptent pas ce changement. Ça les
ennuie que je sois devenu non violent. Certains en profitent même, mais
j’apprends grâce à eux à tolérer et à développer toujours plus d’amour.
Ils sont devenus comme des instructeurs, car sans eux je ne pourrais pas
progresser davantage dans cette voie.
On doit véritablement s’adapter à l’environnement si on veut construire
un monde meilleur. Ce n’est pas l’environnement qui s’adaptera à nous.
Alors suivant cette règle, je suis devenu comme un caméléon. Mon cœur
reste le même, mais ma carapace change en fonction du besoin. Pour moi,
tous les êtres ont la même valeur. Je ne fais aucune discrimination. Aussi,
je vais parfois dans les pires endroits. C’est ça pour moi l’amour.
Aujourd’hui, je suis partagé entre mes activités. Il m’arrive de passer des
semaines dans un studio afin d’enregistrer un album. Parfois je fais des
centaines de kilomètres, afin de donner une conférence sur les Textes
sacrés de l’Inde. A d’autres moments, j’écris des livres sur la spiritualité,
j’aide des gens qui souffrent ou encore je rencontre des amis. Je roule
Un changement de situation 191

également en Harley Davidson, avec le moto club et porte dans le dos ses
couleurs «Ahimsa, non-violence». Pour moi, toutes ces activités ne sont
pas différentes car elles ont un même but : propager l’amour.

UN CHANGEMENT DE SITUATION

C’est vrai, j’ai voyagé et j’ai rencontré dans ma voie de nombreux courants
et de nombreux maîtres avec des interprétations parfois différentes.
Finalement, je suis revenu dans le refuge de mon premier maître spirituel,
Srila Prabhupada, qui est pour moi le plus miséricordieux, et j’ai reçu
un nouveau nom de sannyasa : « Bhakti Svarupa Damodar Swami » qui
signifie « la forme personnifiée de la dévotion pour Damodar (Krishna) ».
C’est comme si j’avais fait tout ce voyage pour me confirmer que c’était
avec lui que je me retrouvais dans ma vérité, tout en respectant les autres.
Il est pour moi un océan de miséricorde et mon refuge.
Il est revenu me chercher par un concours de circonstances que je ne
peux expliquer ici. En ce qui me concerne, il m’a fait réaliser qu’il était
mon maître spirituel éternel. Il est cette personne qui a infusé en moi, la
connaissance, le pardon, l’amour et la miséricorde. Je lui dois tout. Ce que
je suis aujourd’hui, c’est grâce à lui. Sa présence a fait disparaître en moi
toute volonté de trouver un autre refuge. Bien que je sois toujours aussi
ouvert d’esprit, je suis fidèle à mon maître. Puisse-t-il rester à mes côtés,
rectifier mes erreurs et m’instruire davantage sur la voie de l’Amour.
J’ai vu beaucoup de belles choses comme des mauvaises. Tout en ce monde
est influencé par le désir et le pouvoir. J’ai pu réaliser cela à mes dépens,
bien des fois.
Le pardon est notre seule voie pour atteindre le succès. On ne peut
atteindre l’amour avec un cœur empli de haine ou de rancœur. Tout est fait
pour nous mener à la perfection. Rien ne saurait être négatif dans la voie
de l’amour. Tout est transformé et sublimé. Ainsi, nous sommes parfois
trompés. C’est inévitable en ce monde. Mais grâce à cela, nous pouvons
apprendre à pardonner et à aimer.
192 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI

UNE REQUÊTE

Je serais tellement comblé si j’avais le pouvoir de faire découvrir au monde


la foi que je vis, de faire comprendre aux gens la différence fondamentale
qui existe entre le fait de pratiquer la spiritualité d’une manière sectaire et
d’une manière non sectaire et aussi de faire comprendre quel résultat on
obtient en pratiquant d’une façon non sectaire. J’aimerais tant redonner
aux gens la foi dans l’amour de Dieu. Je serais si heureux si j’obtenais des
résultats dans cette tâche. Tant de gens ont délaissé le chemin de Dieu à
cause des fautes qu’ont faites des religieux sectaires.
Ce qu’il y a de plus inconcevable, c’est que deux êtres peuvent sembler
pratiquer la même voie spirituelle, mais être à l’opposé dans la façon de la
comprendre, de la vivre et de l’enseigner. Tout est dans la manière de la
recevoir. Une fois la bonne graine plantée, si on apprend à s’en occuper
convenablement, le sectarisme ne pourra germer dans l’être, mais l’amour
s’y développera. De cette manière, le vrai dharma (religion) sera véhiculé
et restera authentique.
Ce que les gens rejettent c’est le sectarisme, pas Dieu, car on est tous
faits pour être reliés à Krishna. C’est quelque chose de très important à
comprendre. Le sectarisme recouvre d’un voile la Vérité et éloigne les gens
de Dieu. Krishna est non sectaire. Ce sont les êtres qui ne comprennent
pas Son message et qui l’interprètent.
Bien que Krishna accepte tous les êtres, Il ne peut être compris par de
telles personnes, car celles-là n’enseignent pas le dharma de l’amour.
Extérieurement, c’est ressemblant, elles ont les mêmes signes externes,
mais intérieurement, il n’y a pas d’amour pour Dieu, car Il ne se révèle
pas dans leur cœur. Si un religieux désire comprendre Krishna, il doit
trouver un guide libre de tout sectarisme, et réapprendre de lui une façon
authentique d’aller vers Dieu.
En fait, par la grâce de mes maîtres spirituels qui sont mes sauveurs, plus
j’avance dans cette voie, plus je me libère de tout esprit de sectarisme.
Je réalise à chaque instant, comment le fait de pratiquer d’une façon
authentique la véritable religion a le pouvoir de libérer l’esprit, de faire
connaître toutes les consciences de vie. Bien qu’à la fois, je demeure
exclusivement dédié au service de Krishna, je vois mon respect pour
les êtres vivants et les autres voies spirituelles authentiques augmenter à
Une requête 193

chaque instant. En effet, c’est ce même Seigneur qui est en toute chose et
qui réciproque avec tous. Puisse cette Liberté m’emmener avec elle.
Pour obtenir toujours plus cette qualification, les Vaisnavas nous enseignent
qu’il faut devenir comme un brin de paille qui est emporté par le vent et
qui n’a plus aucun désir personnel, mais simplement que cette Liberté
l’emmène où elle le désire.
O S’il te plaît Radha (la personnification de l’énergie d’amour du Seigneur
Krishna) toi qui es la personnification de l’amour et de la Liberté, puisses-
tu entendre ma prière et combler mon désir en me permettant de rester
sous la protection de mes maîtres spirituels et de chanter sans offenses
les Saints Noms de Dieu « hare krishna hare krishna krishna krishna
hare hare, hare rama hare rama rama rama hare hare », Eux qui sont la
personnification de la beauté, de la douceur et de l’amour.
O Radha, si simplement je peux devenir qualifié pour donner ma vie pour
les autres et faire que mes activités puissent leur apporter la véritable joie,
je considérerai que ma vie sera un succès.
Je ne saurais finir ce livre sans demander humblement pardon à tous ceux
que j’ai offensés, humiliés et frappés dans le passé. J’étais dans l’ignorance,
je ne savais pas ce que je faisais, mais aujourd’hui par la grâce de mes
maîtres spirituels, mon esprit s’est ouvert et je peux voir la vérité. Donc s’il
vous plaît, veuillez me pardonner.
J’ai écrit ce livre en étant conscient que mon passage de la haine à l’amour
peut inspirer toute sorte de personnes. Dans cette voie, chacun peut
progresser. Elle est universelle et s’adresse à tous. J’espère que ce livre
vous aura apporté de l’inspiration, de la joie et de l’enthousiasme pour
aller vers une vie positive dépourvue de tout sectarisme. Puissions-nous
trouver l’amour ensemble. Merci beaucoup. Bénissez-moi, s’il vous plaît.
194 UN SKINHEAD REPENTI DEVENU SWAMI

TABLE DES MATIÈRES

Préface.......................................................................................................... 5
L’nvironnement de mon enfance............................................................. 7
L’évolution de la vie.................................................................................... 8
La vie dans la cité....................................................................................... 10
La découverte de l’Angleterre en 1980................................................... 13
Ma fascination pour les skinheads........................................................... 14
Les skinheads de Tolbiac.......................................................................... 17
Les skins de Gambetta 82-83................................................................... 18
La guerre des bandes................................................................................. 21
Notre admission dans le monde des bandes.......................................... 23
Les hooligans.............................................................................................. 26
La naissance des Evils Skins..................................................................... 30
Une vie de galère........................................................................................ 32
Les skins de Saint-Michel en 83............................................................... 34
Rue d’Assas................................................................................................. 41
Un coup dur pour la bande...................................................................... 46
Tentative de réinsertion............................................................................. 48
Bagnolet city................................................................................................ 50
Le fief des Evils en 85............................................................................... 53
Le klan et les Evils Skins (1985-1986).................................................... 56
L’armée chez les parachutistes (1986)..................................................... 59
Le retour au fief (1987)............................................................................. 63
Les derniers instants skinhead (1988)..................................................... 66
Les mods de Gambetta (1989)................................................................ 71
Les Teep’n’teepatix (1989)........................................................................ 73
Menilmontant............................................................................................. 77
La guyane (1990)........................................................................................ 79
Mon enfant.................................................................................................. 84
Un éveil spirituel (1991-92)...................................................................... 88
Ma quête vers Dieu.................................................................................... 92
Chez monsieur Zaran................................................................................ 96
Ma rencontre avec un groupe hindou.................................................... 100
Entre deux faux.........................................................................................104
Le temple de Paris (1993)........................................................................ 110
Table des matières 195

Les dogmes................................................................................................112
L’association Isvara : les débuts.............................................................. 118
Le Ratha Yatra...........................................................................................121
Ma rencontre avec Fred........................................................................... 124
Le développement de notre association................................................ 125
Les concerts...............................................................................................131
Nos aventures............................................................................................134
Ma vérité.....................................................................................................136
Initiation.....................................................................................................140
Mon premier voyage en Inde.................................................................. 143
La terre sainte de Mayapur...................................................................... 145
Srila Bhakti Promoda Puri Goswami..................................................... 147
La vie dans les temples en Inde.............................................................. 151
La naissance de l’Ordre Monastique Vaisnava (1996)......................... 156
Une règle de vide communautaire.......................................................... 159
Les premiers pas vers la reconnaissance................................................ 162
La chasse aux sorcières............................................................................. 164
Sur les lieux................................................................................................168
Un esprit non sectaire............................................................................... 170
Le combat pour notre reconnaissance................................................... 172
Un accompagnement................................................................................ 174
Un skinhead repenti..................................................................................179
Mon retour sur la scène............................................................................ 182
Ahimsa non-violence................................................................................ 185
Un changement de situation.................................................................... 191
Une requête................................................................................................192

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