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Yannis Gautier

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Des ténèbres à la lumière














































EDITIONS Gospelprod service
Site internet : gospelprod-service.com
C o p y r i g h t G a u t i e r Ya n n i s
Maquette-Révision : Catherine L. Narbeburu
ISBN 978-2-917192-00-9

I m p r i m é e n B u l g a r i e p a r G u n y f a l S . A . , w w w. g u n y f a l . c o m
























SOMMAIRE



BOIS D’ARCY ...................................................... p.5
Face à face avec le juge

M O N E N FA N C E . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p . 1 1
Mon père
Préadolescence

L’ A D O L E S C E N C E . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p . 2 5
M a j e u r, m a i s p a s l i b é r é d u p a s s é

L’ A S C E N S I O N D A N S L A D R O G U E . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p . 3 5

MANU ............................................................... p.41
Les braquages

FA C E À L A M O RT . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p . 4 9
Mon retour chez Manu

A R R E S TAT I O N E T D É T E N T I O N . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p . 5 9
La détention

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MA CONFESSION ............................................... p.69

MA NOUVELLE VIE ........................................... p.79
Le jugement
La mort de Frank
Face à face avec l’alcool
L’ a c c è s a u m i n i s t è r e

UN PETIT MOT DE MANU ................................. p.105

ÉPILOGUE ........................................................ p.109






























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BOIS-D’ARCY




M a i s o n d ’ a r r ê t d e B o i s - d ’ A r c y, l e 1 0 s e p t e m b r e 1 9 9 6 , c e l -
lule 229. Il est huit heures du matin, réveil mouvementé en
cette matinée. Cinq gardiens de la prison ont fait irruption
dans ma cellule pour m’en extirper, un détenu aurait appa-
remment déposé une plainte contre moi. Les mâtons m’ont
placé dans une cour située sur le toit de la prison en atten-
dant de pouvoir m’expliquer devant le prétoire qui devra
statuer de mon séjour ou non au mitard. Cela fait quatre
heures que je tourne en rond comme un lion en cage dans
cette cour de dix mètres carrés qui ne ressemble à rien.

La prison de Bois-d’Arcy est située en plein centre-ville,
v o u s n e p o u v e z p a s p a s s e r à c ô t é s a n s l a v o i r. L à o ù j e
suis, j’entends des bruits d’enfants qui jouent, des per-
s o n n e s q u i p a r l e n t … To u t c e l a m ’ a m è n e à p e n s e r q u e l ’ o n
peut très bien habiter dans cette ville, travailler dans cette
ville, ou même au sein de cet établissement pénitentiaire,
sans jamais comprendre ce qu’un prisonnier peut vivre ou
r e s s e n t i r. S e u l s c e u x q u i s o n t e n f e r m é s i c i l e s a v e n t .

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Il est vrai que dans le quartier, lorsque l’on voyait des
grands sortir de prison, on les admirait et on voulait à
tout prix leur ressembler. On se disait que la prison, c’est
l’école de la rue, qu’il fallait passer par là pour être res-
pecté et devenir un homme.

C’est vrai que c’est en prison que l’on se fait les meilleu-
res relations, que l’on rencontre des personnes intéres-
santes et même douées dans ce qu’elles font. En prison
on voit des gens de toutes classes sociales, cela va de
l’acteur au voleur de voiture, de l’homme qui vient de la
haute société à l’homme qui sort des bas-fonds de quar-
tie r. Ic i, d e rriè re c e s m u rs , to u t le m o n d e e s t a c c e s s ib le
parce qu’on est tous les mêmes et on est tous logés à la
même enseigne. La prison n’est pas simplement l’école de
la rue, mais l’école de la vie.

Elle a le pouvoir de te couper du monde, de ta famille, de
tes relations, de tes richesses, de ta pauvreté, elle te coupe
de tout pour t’amener à t’examiner toi-même.

Chaque prisonnier a son histoire, celle qui l’a amené ici
et, par conséquent nous avons tous notre propre leçon à
apprendre ici, derrière ces murs.

Chaque prisonnier a aussi sa propre conception de la li-
berté, cette liberté dont tout le monde parle en promenade
ou aux parloirs. C’est pour cette liberté que les détenus
passent leur temps chez le psychologue pour obtenir tou-
tes sortes de somnifères, histoire de ne pas voir les jours
passer, ou que cinquante pour cent des détenus font entrer
des drogues douces ou dures pour s’évader un peu de la
réalité, ou c’est encore au nom de cette liberté que les
gens font des grèves de la faim et vont parfois jusqu’à se
s u i c i d e r.

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BOIS-
D’ARCY


La première nuit que j’ai passée ici, deux jeunes de la cel-
lule face à la mienne y ont mis le feu et y ont laissé leur
vie. Il faut croire que pour eux la mort était une forme de
l i b e r t é . To u t c e l a p o u r v o u s d i r e q u e c ’ e s t l o r s q u ’ o n v o u s
retire votre liberté que vous comprenez réellement la va-
leur de celle-ci.

Je pense que la prison a été conçue par des psychologues,
elle vous amène à perdre tous vos repères avec le monde
e x té rie u r. C ’e st te rrib le d e p e n se r q u e v o u s ê te s s e u l a u
monde et que vous êtes oublié de tous. Sans aucun dou-
te, le système carcéral est fait pour vous détruire à petit
feu.

Quant à moi, ma psychothérapie est bien réglée, je tra-
vaille de 7 h 30 à 18 heures tous les jours pour deux
cents euros par mois. J’ai droit à certains avantages que
d’autres n’ont pas, notamment deux douches par semai-
ne, deux promenades d’une heure trente par jour ainsi
que trois parloirs d’une demi-heure par semaine, sans
oublier ma chambre quatre étoiles de dix mètres carrés,
avec trois codétenus, toilette et eau froide dans la cel-
lule sans télévision. Enfin, je ne suis pas ici par hasard
et la société se charge de me rappeler que je lui ai fait du
tort.

Alors peut-être vous posez-vous la question :comment
peut- on passer des mois, voire des années dans ces condi-
tions ? Est-il possible d’avoir envie de vivre, de se battre
pour s’en sortir sans perdre la tête ? Ma réponse est :tout
dépend de toi.

Souvent, lorsque nous traversons de dures épreuves, nous
avons besoin de notre famille, de nos amis ; de toutes
ces personnes qui étaient là autour de nous lorsque tout

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allait bien, vous savez… ces meilleurs amis qui prennent
la place de votre femme ou de vos enfants, ces amis que
l’on fait passer avant tout le monde, avec qui on part en
vacances, en laissant femme et enfants à la maison, ces
amis qui, lorsqu’ils ont bu, vous promettent de ne jamais
vous abandonner… J’entends encore les belles paroles de
certains : « S’il t’arrive une galère tu peux compter sur
moi, toi-même tu le sais. Je ne te laisserai jamais seul,
t’es mon pote ». Ah les belles paroles !

On dit toujours que c’est dans les moments difficiles que
l’on reconnaît ses vrais amis, et bien moi il m’a fallu aller
en prison pour constater que ces amis à qui j’accordais la
première place, que je faisais passer avant mes enfants,
avec qui j’ai traîné et vécu les pires galères pendant des
années, ces soi-disant frères, m’ont tous abandonné. Il n’y
a plus personne, je suis seul avec ces murs qui m’entou-
rent et qui m’écoutent, seul dans ma galère.


Face à face avec le juge


Ma première rencontre avec le juge d’instruction Mme
Legendre restera à jamais gravée dans ma mémoire, car je
ne m’attendais pas un seul instant à ce qui allait se passer.
Il faut dire qu’en quelques minutes, elle a su trouver les
mots justes pour démolir tout ce que j’avais construit.

Elle m’inculpa de plusieurs vols à main armée au sein
d’établissements bancaires, me qualifia de criminel et
d’être dangereux pour la société et, par conséquent, me
plaça en maison d’arrêt en m’annonçant que la peine en-
courue pour ce type d’affaires est de vingt ans de prison et
qu’étant donné la gravité de ces faits, je devrai être jugé
par une cour d’Assises.

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BOIS-
D’ARCY


La visite dans son bureau n’a pas dépassé trente minu-
tes, mais je peux vous assurer que ces trente minutes ont
bouleversé mon existence et changé le cours de ma vie à
jamais.

Alors que j’étais conduit vers la maison d’arrêt, je voyais
ma vie, mon avenir s’écrouler devant moi. Je pensais à mes
deux garçons d’un an et trois ans, et à leur mère qui était en-
ceinte de quelques semaines. J’imaginais déjà leur mère leur
dire « Papa est parti, il ne rentrera plus à la maison ».

À cet instant, j’eus la certitude que je ne serais pas jugé
avant trois ans, ce qui correspond au temps de l’instruction
dans une affaire criminelle, et loin de moi l’idée que leur
mère soit prête à m’accompagner pendant ma détention. Il
est clair que je le comprenais très bien, car nous n’étions
p a s m a r i é s e t q u e j e l u i d o n n a i s t o u t s a u f d e l ’ a m o u r, a l o r s
à quoi bon gâcher sa vie avec quelqu’un qui a gâché la
sienne. Pourquoi en avoir envie ?

Je suis dans cette cour, et en attendant, je tourne en rond
en me posant les mêmes questions… Comment en suis-je
arrivé là ?

Qu’est-ce qui s’est passé pour que j’en arrive là ? Suis-je
donc né pour vivre ça ?

Je sais que je ne suis pas innocent, je ne suis pas victime
de ce qui m’arrive puisque je suis l’auteur des faits qui
me sont reprochés, mais à présent que je réalise l’ampleur
de mes actes, je me dis en moi-même que j’ai dépassé des
limites que je n’aurais jamais du dépasser, je suis arrivé
au stade de non-retour, et même dans mes pires cauche-
mars, je n’aurais jamais imaginé me retrouver dans une
telle situation.

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C’est vrai que je ne l’ai pas vu venir, je n’ai pas décidé
d’être un braqueur, mais je le suis devenu sans même m’en
rendre compte. J’aimerais faire machine arrière, mais je
sais que ce n’est pas possible, comme on dit, les jeux sont
faits. Je suis au milieu de cette cour levant les yeux vers
le ciel et je réalise que tout est fini pour moi, j’ai tout
perdu.

Je vais laisser une bonne partie de ma vie entre ces murs,
d a n s l a v i e o n d i t « To u t s a u f ç a ! » m a i s m o i , d a n s m a
vie j’ai eu ça !






























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M O N E N FA N C E



Je suis né le 14 décembre 1971 d’une mère française et
d’un père ivoirien. Mon père est arrivé en France après
onze jours de bateau, sans argent, ni diplôme. Il n’avait
rien mais ce qui était le plus important pour lui c’était
d’entrer en France qui, pour lui, était la terre promise, le
pays de la prospérité.

Mon père avait ce qu’on appelle le sens des affaires, sans
oublier son goût prononcé pour les boîtes de nuit et c’est
là qu’il rencontra ma mère qui n’avait que vingt ans à
cette époque. Alors que j’écris ces lignes, je n’arrive pas
à me souvenir d’avoir vécu avec mes parents, ni même de
les avoir vus ensemble. En fait, leur relation n’a duré que
le temps de ma conception, je ne peux donc pas dire que
j’étais un enfant désiré.

Très tôt, ma mère a appris que mon père avait deux autres
enfants avec une autre femme et je devins une source de
c o n f l i t s e n t r e e u x , p a r c e q u ’ a u c u n n e v o u l a i t m e g a r d e r.

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Après un séjour à la DDASS, mon père décida de me récu-
pérer et de m’introduire dans ma nouvelle famille où j’ai
pu faire connaissance avec mon grand frère Franck et mon
petit frère Julien ainsi que leur maman, Mireille.

C’est vrai qu’on pouvait penser que c’est beaucoup pour
un enfant de trois ans, mais très franchement à cet âge, on
ne se pose pas vraiment de questions, la seule personne
qui s’en posait était Mireille.

– Qui c’est ? dit-elle à mon père.

– Pourquoi tu me l’as caché ? Pourquoi tu l’as amené
ici ?

– Quand sa mère va venir le chercher ?

Etc. Pendant des mois, Mireille a posé les mêmes ques-
tions à mon père et pendant des mois mon père lui a donné
la même réponse.

– Bientôt !

Mais au bout d’un moment, ne voyant pas ma mère se ma-
nifester et mon père lui mentir à tout bout de champ, elle
a arrêté de se poser des questions et fut forcée d’accepter
la situation que mon père lui imposait.



Mon père


Comme je vous l’ai dit mon père est arrivé de Côte d’Ivoi-
re après onze jours de bateau, sans un sou, sans diplôme,
mais il avait une chose :un goût prononcé pour les affai-

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MON
ENFANCE


res en tout genre, d’ailleurs très vite il ouvrit une bouti-
que de prêt-à-porter qui aurait pu bien marcher s’il n’avait
pas confondu recettes et bénéfices.

J’ai encore les images de notre appartement vidé par les
huissiers ou des créanciers à la poursuite de mon père pour
être payés, ou celle de Mireille pleurant en constatant les
saisies sur son salaire pour payer les crédits que mon père
avait contractés à son nom.

Je ne sais pas si mon père nous considérait dans ses ac-
tes et ses prises de décision, mais en tout cas, il est clair
qu’il agissait de manière insensée, car il pensait à tout,
sauf à nous. Mireille s’en rendait parfaitement compte et
acceptait néanmoins les agissements de mon père, même
s’il mettait financièrement en danger la famille.

Au bout d’un moment, la situation devint tellement criti-
que pour mon père, qu’il s’en alla en Côte d’Ivoire pour
un temps, enfin c’est ce qu’il nous annonça.

J ’ a i c i n q a n s . Vo i l à d e u x a n s q u e m a m è r e n e d o n n e p l u s
de nouvelles et que mon père s’en est allé en Côte d’Ivoi-
re, me laissant chez Mireille avec mes deux frères, Julien
et Franck.

Dès le début de cette vie commune, j’ai senti la différence
avec Mireille. Elle avait beaucoup de mal à me suppor-
ter et à m’accepter peut-être à cause de ce que je repré-
sentais, une relation entre l’homme qu’elle aimait et ma
mère. La rupture avec mon père mais aussi les problèmes
et les dettes que mon père lui avait laissées, je pense que
n’importe qui aurait eu beaucoup de mal à accepter cette
situation.


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D’ailleurs, les deux années suivantes se sont révélées très
dif ficiles sur le plan financier et émotionnel pour Mireille,
au point que nous n’avions plus d’appartement et donc par
la force des choses étions hébergés chez ses amis. Petit à
petit, Mireille s’est rendu compte que mon père avait re-
fait sa vie en Côte d’Ivoire et qu’il ne reviendrait plus en
France. Il fallait absolument qu’elle trouve une solution
pour s’en sortir, alors elle décida de nous envoyer Franck
et moi en Côte d’Ivoire pour vivre avec notre père.

Dès notre arrivée à Abidjan, j’ai pu faire connaissance
avec mon autre belle-mère, Marie, et très vite Franck et
moi avons pris nos marques en Côte d’Ivoire. Nous étions
assez contents d’être avec notre père. La première année,
nous habitions une maison dans un beau quartier d’Abi-
djan et nous étions inscrits dans une école privée. Mon
père avait une boutique de prêt-à-porter qui marchait as-
sez bien, ma belle-mère Marie travaillait dans la fonction
publique et s’occupait très bien de moi. Elle m’aidait pour
mes devoirs, pour m’habiller, me faisant manger… enfin
elle était comme une mère pour moi.

Mon père était souvent absent de la maison, il travaillait
la journée et sortait en boîte de nuit le soir, nous laissant
seuls avec Marie. Comme je vous le disais, papa a toujours
confondu recettes et bénéfices, ce qui déjà lui avait coûté
son exil en Côte d’Ivoire mais apparemment, il n’avait pas
compris la leçon et ses bonnes habitudes étaient encore
là.

Mon père a reproduit les mêmes erreurs qu’il avait faites
en France en Côte d’Ivoire et très vite il a dû déclarer
faillite et fermer sa boutique.




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MON
ENFANCE


Pendant la deuxième année, notre vie en Côte d’Ivoire
a changé du tout au tout, mon père faisait vivre la fa-
mille avec des petits boulots à droite et gauche, mais au
bout d’un moment, nous avons perdu la maison pour loyers
impayés. Mon père fut dans l’obligation d’aller dormir à
l’hôtel avec son épouse qui attendait un enfant. Quant à
nous, nous fûmes hébergés chez son cousin Didier et sa
femme Véronique.

Dès notre première nuit, nous avons pu nous apercevoir,
Franck et moi, de ce qui nous attendait. Nous étions lo-
gés dans une pièce humide et froide et avions un drap
pour matelas et un autre drap pour couverture. Pendant
toute la durée de notre séjour, c’est-à-dire un an, il en
a été ainsi. Très honnêtement, en arrivant chez Didier,
notre père nous avait dit que notre séjour serait pro-
visoire mais en fait, cette situation a duré jusqu’à no-
tre retour en France. Pendant une année, nous n’avons
pratiquement pas vu notre père et personne ne pour-
voyait à nos besoins vestimentaires. J’étais arrivé à un
point où je marchais les pieds nus faute de chaussures ;
je n’avais plus rien à me mettre, c’était vraiment la
misère.

Je pense que mon père a fini par réaliser qu’il était en
train de détruire notre enfance et c’est pour cela qu’il fut
contraint de nous renvoyer en France chez Mireille. Je le
vois encore, le visage collé sur les vitres de la salle d’em-
barquement, nous disant à bientôt, à Franck et moi. Du
haut de mes dix ans, je savais que nous n’étions pas prêts
d e l e r e v o i r.






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Préadolescence


Je rentre en sixième, et nous habitons Noisy-le-Roi au
sein d’une cité HLM. Le quartier est calme, mais la ville
en elle-même n’est pas franchement des plus paisibles.
Mes relations avec Mireille sont inexistantes. À présent,
je comprends et ressens les sentiments négatifs qu’elle
a à mon égard. Je suis devenu un peu comme son homme
à tout faire. Bien que je ne sois qu’un enfant, tous les
jours je dois ranger la maison et m’occuper de mon petit
frère et malheur à moi si cela n’est pas fait, parce que
Mireille a pris pour habitude de passer ses colères sur
moi.

Chaque jour, j’ai droit à ma raclée, parfois les coups pleu-
vent de toutes parts, parfois ce sont de simples gifles,
mais chaque jour j’y ai droit.

Alors que je vous écris ces lignes, les images me revien-
nent et je me demande pourquoi ? Pourquoi m’a-t-elle
gardé avec elle, pourquoi ne m’a-t-elle pas laissé à la
DDASS ?

Cela aurait été peut-être mieux pour moi, car j’avais vrai-
ment l’impression d’être un fardeau pour elle et dans cette
situation, ce qui paraissait le plus étonnant était qu’à mes
yeux, c’était elle ma mère.

N o u s a l l i o n s , F r a n c k e t m o i , a u c o l l è g e J u l e s - Va l l è s , s i t u é
au sein d’une cité les plus mal fréquentées de Noisy-le-
Roi.

Inutile de vous dire que tous les délinquants faisaient par-
tie de l’établissement.


16

MON
ENFANCE


Très vite, Franck a pris ses marques et s’est mis à avoir
de mauvaises fréquentations. Quant à moi, ma scola-
rité s’est très vite dégradée. Mireille n’a jamais eu le
temps ni la patience de suivre notre scolarité à Franck
et moi, et très franchement parfois il était difficile d’al-
ler à l’école. Je me rappelle certains matins où Mireille
me sortait du lit pour me donner des coups. Parfois, elle
me frappait tellement que je n’avais qu’une envie, celle
d’aller me plaindre à une assistante sociale de l’école.
J’avais tellement peur de sa réaction que je n’en faisais
rien.

Souvent, nous traversions de gros problèmes financiers
et il n’était pas rare que l’on se retrouve sans électricité
pendant des mois à la maison. Dans ce cas, impossible
de travailler. La plupart du tem ps, nous n’avions qu’un
repas par jour ; donc nous partions à l’école le ventre
v i d e j u s q u ’ a u s o i r . To u t c e l a p o u r v o u s d i r e q u e j ’ a i m a i s
l’école comme la plupart des enfants, j’avais des rêves
et des désirs comme tout le monde et je n’étais pas un
mauvais garçon, mais cette situation était invivable pour
un enfant de onze ans et plus les années passaient, moins
j ’ a l l a i s l ’ a c c e p t e r.

Après la cinquième, j’ai été orienté vers un CAP de cui-
sine car mes résultats scolaires étaient catastrophiques.
L’ é c o l e e n e l l e - m ê m e n e m ’ a p p o r t a i t p a s g r a n d - c h o s e .

À présent, j’ai quinze ans et j’entre dans le monde du tra-
vail. A sept heures du matin, je dois être en cuisine pour
travailler, des caisses de pommes de terre, de carottes
n’attendent que moi pour être épluchées. Inutile de vous
dire qu’à ce moment-là, l’avenir paraissait bien sombre
pour moi.


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To u s l e s m a t i n s , j e p r e n d s l e t r a i n e n d i r e c t i o n d e P a r i s
pour me rendre au restaurant dans lequel je travaille.
Pendant mon trajet, je découvre un autre monde, moi qui
ne quittais que très rarement ma cité. Un monde où les en-
fants de mon âge se font plaisir et sont heureux, un monde
où les parents sont attentionnés vis-à-vis de leur enfant.
Enfin, je vois des familles normales qui s’aiment et sont
heureuses d’être ensemble.

Au fur et à mesure de mes ballades, je réalise à quel point
les conditions dans lesquelles je vis sont lamentables.

Franck était ce qu’on appelle un rebelle. Il n’allait plus à
l’école, il n’acceptait aucune autorité et lorsque sa mère
avait le malheur de lui dire quelque chose, cela se termi-
nait en insultes.

C’était l’époque des bandes et du hip-hop, Franck avait
intégré une de ces bandes avec laquelle il dansait et jouait
de la musique. Chaque soir, une dizaine de copains de
Franck dormaient à la maison et la plupart du temps, ils
étaient accompagnés de filles avec lesquelles ils prenaient
du bon temps. Je me rappelle que parfois, ça tournait au
cauchemar pour les filles qui refusaient de se soumet-
tre à leurs désirs. Souvent il y avait violence au point
que les filles rentraient chez elles dans un pitoyable
état.

Pendant des mois, Franck et ses copains ont continué leurs
bêtises à la maison, sous mes yeux et ceux de Mireille qui
apparemment n’était pas trop affectée par la situation.

Je me souviens d’un matin, alors que nous étions encore
au lit, la police a fait irruption dans la maison. Ils étaient
venus pour arrêter Franck et ses copains car une fille avait

18

MON
ENFANCE


déposé plainte contre eux. Même Mireille s’est retrouvée
a u c o m m i s s a r i a t p o u r s ’ e x p l i q u e r.

Franck et ses copains ont tous été envoyés en prison et
Mireille a été relâchée. Franck tenait une grande place
dans ma vie, il était mon modèle, d’ailleurs dans la cité,
c’était plutôt valorisant d’aller en prison, mais son incar -
cération m’affectait beaucoup.

L’ i n c a r c é r a t i o n d e F r a n c k n ’ a p a s n o n p l u s a r r a n g é l a s i -
tuation financière de Mireille car il fallait qu’elle prenne
un avocat, qu’elle envoie de l’argent à son fils et en plus
qu’elle fasse vivre la famille, elle n’arrivait pas à s’en
sortir seule.

À cause de tout cela, nous nous sommes retrouvés une
fois de plus sans électricité et nous passions la plupart du
temps chez un voisin pour manger et dormir. Un soir, alors
que nous dormions chez notre voisin, notre appartement
a entièrement brûlé. Les pompiers nous ont dit que nous
avions laissé une bougie allumée.

Très vite, les services sociaux de la mairie nous ont relo-
gés, et nous ont donné des bons pour nous vêtir et manger
au secours catholique. Mireille a été placée sous tutelle
parce qu’elle n’arrivait pas à gérer ses finances. Malgré
tout cela, trois mois après avoir aménagé dans notre nou-
vel appartement, nous étions encore sans courant.

Très franchement, je commençais à être fatigué de vivre
dans de telles conditions, parce qu’à la maison c’était
vraiment la misère, il n’y avait pas d’eau chaude, rien
à manger et les huissiers venaient encore frapper à no-
tre porte, pour nous prendre quoi ? Nous n’avions plus
rien.

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La situation était devenue ingérable pour moi et je ne pou-
vais plus continuer mes études de cuisine dans de telles
conditions. À cause de toutes ces choses je décidais de
ne plus aller à l’école, de toute façon, Mireille ne s’inté-
ressait pas beaucoup à ce que je faisais ou non à l’école,
d’ailleurs je n’ai pas le souvenir qu’elle se soit intéres-
sée à quoi que ce soit me concernant. Quant à Franck, là
où il était, il ne pouvait rien me dire ni rien faire pour
moi.

Donc, me voici sans activité à la maison et la seule pré-
occupation de mes pensées était qu’il fallait que je trouve
une solution financière afin de vivre dans de meilleures
conditions. Je savais que Franck avant de se faire arrêter
avait pris l’habitude d’agresser les gens dans la rue ou à
la sortie de boîtes de nuit.

C’est ce qui lui permettait d’ailleurs d’avoir de l’argent
de poche et de se faire plaisir… Enfin, il fallait absolu-
ment que je trouve une solution pour avoir de l’argent.

Moi qui avais l’habitude de prendre le train pour me ren-
dre à mon travail, je voyait qu’il y avait pas mal de jeunes
qui se rendaient à l’école avec de beaux habits et de l’ar-
gent de poche.

Après en avoir parlé avec quelques copains, nous décidâ-
mes de prendre le train de bon matin en direction de Paris
en vue de commettre quelques agressions.

Il faut dire que jusqu’à présent je ne m’étais jamais mis
hors-la-loi, c’était quelque chose de nouveau pour moi, et
je l’abordais avec un peu d’appréhension, sans pour autant
être effrayé. J’avais vraiment envie de me procurer un peu
d’argent et pour cela j’étais prêt à dépasser les limites.

20

MON
ENFANCE


Dès la première matinée nous avons dépouillé au moins
cinq personnes, nous leur avons pris leurs bijoux, leurs
blousons, leur argent et cela avec la plus grande facilité.

Je pense que nous étions partis vers sept heures du matin
et à treize heures, nous étions de retour à la cité. J’avais
les poches bien remplies, et j’étais assez content de ma
journée.

Oui, ça a été un bon moment, et le fait d’obtenir toutes ces
choses aussi facilement a attisé en moi l’envie de recom-
mencer… Ce que je m’empressai de faire dès le lendemain
matin.

La journée fut aussi fructueuse que la précédente, donc
nous décidâmes de continuer ainsi pendant plusieurs se-
maines et plus le temps passait, plus je prenais goût à ce
que je faisais. J’avais pris pour habitude de faire quelques
courses pour la maison et d’envoyer toutes les semaines
de l’argent à Franck, ce qui rendait sa vie en prison un peu
plus agréable.

Ce qui est bizarre dans tout ça, c’est qu’en quelques mois,
je suis devenu une nouvelle personne.

J’ai toujours quinze ans, mais comme on dit à la cité,
j’assure. D’ailleurs, je commence à avoir une petite répu-
tation et les jeunes de la cité me respecte.

j’aimais avoir de l’argent dans les poches, cela me procu-
rait d’agréables sensations, ce qui m’amenait à croire que
du haut de mes quinze ans j’étais quelqu’un.

Mireille était consciente du mauvais chemin que je com-
mençais à prendre, mais comme cela servait ses inté-

21

529 64



rêts elle ne me disait rien, ainsi qu’elle l’avait fait pour
Franck.

Au cours des quelques mois qui suivirent, j’ai multiplié
les agressions en tout genre. Je sillonnais les wagons de
train à la recherche de personnes susceptibles de m’in-
téresser. R ien ne m ’échappait, au point que parfois, les
personnes qui croisaient ma route rentraient chez elles
pieds nus et en caleçon, qu’elles le veuillent ou non, ces
personnes étaient obligées de me donner ce que je leur
demandais.

Un soir, alors que nous venions de commettre quelques
agressions, mes copains et moi avons été arrêtés par les po-
liciers en pleine rue. Directement, nous avons été conduits
au commissariat où on nous a stipulé que plusieurs per-
sonnes avaient déposé plainte contre nous.

Le lendemain matin, j’étais déféré devant un juge d’ins-
truction pour enfants qui m’inculpait de vols avec vio-
lence en réunion. Il décidait de me faire incarcérer à la
m a i s o n d ’ a r r ê t d e B o i s - d ’ A r c y.

Le juge d’instruction avait pris le temps de m’expliquer
qu’à travers cette détention, elle tenait à me donner une
leçon afin que je ne réédite pas de tels actes. Il est vrai
que parfois la détention peut te remettre sur le droit che-
min si tu évolues dans un bon environnement, mais en ce
qui me concerne j’étais conscient de ce qui m’arrivait tout
comme j’avais pris conscience du milieu social et familial
dans lequel je grandissais et je savais que la seule chose
qui pouvait me sortir de là, c’était l’argent.

Donc je n’ai pas pris mon incarcération comme une le-
çon, mais comme une opportunité pour évoluer dans la

22

MON
ENFANCE


délinquance. Dès mon arrivée, j’ai pu faire de multiples
connaissances avec d’autres jeunes de cités qui étaient
là pour différentes affaires. Je me suis aperçu à travers
le témoignage de certains qu’il était possible de gagner
beaucoup d’argent par différents moyens.

Bien sûr, j’étais conscient qu’à mon âge, on ne pouvait
pas tout faire, mais je prenais quand même le temps de me
renseigner sur ces moyens de procéder, sachant qu’un jour
ou l’autre ils me serviraient.

Au bout d’un mois la juge décida de me libérer, et j’ac-
cueillis la nouvelle avec joie. Alors que je faisais mon
paquetage pour sortir de cette prison, j’ai encore l’image
du directeur me disant :

– J’espère que c’est la première et la dernière fois que je
vous vois ici.

– O u i m o n s i e u r, l u i r é p o n d i s - j e .

Dès mon retour à la maison, j’ai constater que les choses
n’avaient pas changé pour Mireille. Franck n’était tou-
jours pas sorti de prison et elle était toujours dans les
mêmes problèmes. À la cité, on m’accueillit comme un
roi, mon passage en prison n’avait fait que renforcer ma
réputation aux yeux de mes copains.

23




























L’ A D O L E S C E N C E



Alors que je regarde en arrière, je m’aperçois que ma vie
ressemble à tout sauf à celle d’un enfant, et c’est peut-être
à cause de tout cela que j’étais plus débrouillard que les
autres jeunes de mon âge.

J’étais ce qu’on appelle un leader. J’aimais entreprendre
et diriger mes camarades, ce qui faisait de moi le véri-
table cerveau de ma bande. Comme je vous le disais, la
prison m’avait donné pas mal d’idées pour m’enrichir et
petit à petit, j’essayais de mettre certaines de ces idées en
pratique.

Franck est sorti de prison au bout d’une année, en nous
disant à tous que la prison avait été pour lui semblable aux
colonies de vacances. Son retour à la maison fut accueilli
avec joie et tout le monde était aux petits soins avec lui,
Mireille la première. Il faut dire que malgré toutes les
choses qu’il lui faisait subir, Franck restait son enfant
chéri et tout l’amour qu’elle déversait était pour lui. C’est

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lui et lui seul qui passait avant qui que ce soit, mais très
franchement je restais au-dessus de tout ça car la maison
me servait à dormir et à rien d’autre.

Franck continua à apprendre à jouer du piano en prison
et dès sa sortie, il monta un groupe de reggae avec le-
quel il donna différents concerts à travers la France. Moi,
je l’observais évoluer dans ce milieu, pensant que c’était
une bonne chose pour lui, mais très vite je m’aperçus du
contraire. En effet, il vivait dans un autre monde. Il s’était
mis à boire et fumer du haschisch et tout cela le rendait
très violent. Franck était parti dans un mauvais délire et
Mireille le regardait et ne disait rien. D’ailleurs si mes
souvenirs sont bons, c’est elle qui lui donna sa première
cigarette.

Quant à moi, j’ai réussi à former une petite équipe avec
laquelle je commets quelques cambriolages, histoire de
se faire un peu d’argent. On avait commencé à cambrioler
quelques caves de voisins, puis on était passé au cambrio-
lage d’appartements. Le problème est que l’on en vou-
lait toujours un peu plus, alors on est passé aux entrepôts
de magasins et cela fonctionnait plutôt bien pour nous,
jusqu’à ma rencontre avec Alain !

J’ai rencontré Alain dans une cité, alors qu’il venait se
p r o c u r e r d u s h it a u p r è s d ’ u n d e a l e r. Tr è s v i te n o u s a v o n s
plus ou moins sympathisé sans pour autant se connaître.
Au bout d’une semaine, Alain avait une certaine confiance
en moi, ce qui l’amena à me proposer du matériel multi-
média qui sortait d’un cambriolage. J’étais un peu épaté
d’entendre tout ce qu’il avait à vendre alors je lui ai de-
mandé de me faire voir son matériel.




26









L’ADOLESCENC
E



– OK ! Pas de problème, on va chez moi, me dit-il.

Et en arrivant chez lui, je n’en croyais pas mes yeux. Il
avait carrément dévalisé un entrepôt multimédia et avait
mis tout le matériel dans sa cave et son appartement.

Après un inventaire du matériel, il me fixa un prix pour
le tout et nous prîmes rendez-vous pour le lendemain. Dès
mon retour à la cité, je m’empressai d’associer Franck et
un de ses copains à cette affaire, chose qu’ils acceptèrent
a v e c p l a i s i r.

Le plan était simple, je faisais passer Franck et son copain
comme des acheteurs potentiels, Alain leur montrait le
matériel et là-dessus, Franck le maîtrisait pendant qu’un
autre copain et moi, nous chargions les deux voitures qui
n o u s a t t e n d a i e n t à l ’ e x t é r i e u r.

Le lendemain, les choses semblaient bien se présenter.
Après avoir présenté Franck et son copain à Alain, ce der-
nier nous conduit chez lui, mais là, grosse surprise… Il
était marié et sa femme était là.

Le problème c’était que nous ne pouvions pas faire machi-
ne arrière, donc après avoir maîtrisé et ligoté Alain dans
sa cave, Franck enferma gentiment son épouse dans les toi-
lettes, pendant que mon copain et moi nous chargions les
voitures. Il y avait tellement de matériel que l’on aurait
pu croire que nous procédions à un déménagement.

Mais, très rapidement, la police est intervenue. Un des
voisins qui trouvait cela suspect les avait appelés. Sans
même avoir eu le temps de prendre la fuite, nous nous
sommes tous fait interpeller, même la victime qui était
a u x y e u x d e l a j u s t i c e u n r e c e l e u r.

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Le lendemain, tout le monde a été présenté devant un juge
et la seule personne à être ressortie libre du tribunal c’est
moi, Franck est incarcéré pour la deuxième fois. Mireille
me tient pour responsable de ce qui lui arrive, quelque part
je sais qu’elle a raison car si je n’avais pas proposé cette
affaire à Franck, il ne serait pas en prison aujourd’hui.
Mais la démarche de Mireille n’était pas simplement un
reproche, elle voulait aussi que j’assume financièrement
la détention de Franck, chose que j’aurais faite de toute
façon sans qu’elle me le demande.

Pendant l’incarcération de Franck, Mireille a décidé de
déménager pour habiter à Paris dans l’appartement d’une
amie ; apparemment les choses semblent aller mieux pour
elle financièrement, elle et son copain ont ouvert un salon
de thé oriental qui marche plutôt bien.

Je vais voir Franck trois fois par semaine en prison et à
chaque visite, je lui ramène du shit. Je prends des risques
énormes pour lui, car je me sens vraiment responsable de
ce qui lui arrive et quelque part, je prends conscience que
les choses que j’avais entreprises étaient dangereuses et
pouvaient m’attirer de gros ennuis.

Le juge m’a placé sous contrôle judiciaire avec obligation
d e t r a v a i l l e r . To u s l e s q u i n z e j o u r s , j ’ a i r e n d e z - v o u s a v e c
un éducateur qui suit ma recherche d’emploi. Je sais que,
dans ce cas, la moindre faille peut me reconduire en pri-
son, donc une de mes premières initiatives a été de trou-
ver un travail. En très peu de temps, j’ai réussi à me faire
embaucher au Mac Donald.

Je pense que le fait de passer par tous ces changements
m’a ramené à la raison et à présent mes objectifs ont chan-
gé. Mon intention est de travailler et de prendre un appar-

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L’ADOLESCENC
E



tement car dans un mois je serai majeur et il est important
pour moi d’être indépendant.

En quelques mois ma vie avait pris un autre élan, celui
de l’honnêteté et même si mes revenus n’étaient plus
les mêmes, j’avais la paix et une vie honnête, ce qui
me permettait de me projeter dans l’avenir sans trop de
crainte.

Quelques mois passèrent et ma vie ne faisait qu’évoluer
dans le bon sens du terme. J’étais considéré comme un em-
ployé modèle dans mon travail et le directeur envisageait
de m’accorder une promotion interne avec le salaire qui
va avec. C’était plutôt valorisant pour moi de me rendre
compte que j’étais capable de faire quelque chose de bien
avec mes deux mains.



M a j e u r, m a i s p a s l i b é r é d u p a s s é


Vo i l à , à p r é s e n t j e s u i s m a j e u r e t j ’ e n t a m e m e s d é m a r -
ches pour trouver un appartement. Entre-temps, je me suis
inscrit pour passer le permis de conduire, j’ai ouvert un
compte en banque bref, ce que je pensais être impossible
est devenu possible simplement en travaillant et tout cela
est plaisant et m’apporte une certaine satisfaction. Mes
relations avec Mireille sont un peu meilleures car en moi-
même, je me dis qu’elle n’était pas obligée de faire tout
ce qu’elle a fait pour moi, même si parfois elle l’a fait à
c o n t r e c œ u r, e l l e l ’ a q u a n d m ê m e f a i t .

Un soir alors que nous étions à la maison, Julien et moi,
Mireille n’est pas rentrée et les deux jours qui ont suivi
il en a été de même. J’étais assez inquiet de ce qui avait

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pu lui arriver, jusqu’à ce que l’hôpital nous appelle pour
nous informer que Mireille était hospitalisée.

Pendant la première semaine de son hospitalisation, Mi-
reille a subi des examens jusqu’à ce que les médecins lui
annoncent qu’elle était atteinte d’une leucémie, ce qui a
eu l’effet d’une bombe sur toute la famille.

Les médecins ont pris le temps de nous expliquer que son
hospitalisation serait longue, douloureuse et qu’il n’était
pas sûr qu’elle s’en sorte.

Lorsque j’ai entendu tout cela, j’étais ébranlé et je ne sa-
vais plus quoi penser ni quoi faire car cette situation était
trop lourde pour mes épaules, Mireille ne pouvait plus
travailler, Franck était toujours en prison et je n’avais
personne pour m’aider financièrement.

Donc, la première chose que j’ai faite a été de rendre l’ap-
partement qui était trop coûteux pour moi. J’ai déposé Julien
dans la famille, quant à moi je me suis retrouvé à la rue.

Le premier mois j’ai pu dormir chez un copain et conti-
nuer à travailler, mais les mois suivants se sont avérés
très difficiles pour moi, car entre la détention de Franck et
l’hospitalisation de Mireille, je me suis retrouvé avec tou-
tes les charges financières sur les bras et en plus de cela,
il fallait que je paye ma chambre d’hôtel et mon salaire
était loin de suffire.

Parfois il m’arrivait d’aller visiter Franck en prison le ma-
tin et me rendre à l’hôpital l’après-midi pour voir Mireille
qui n’était plus que l’ombre d’elle-même. Par la force des
choses, j’étais devenu son soutien, le pont qui la reliait
à Franck. Petit à petit, Mireille va m’ouvrir son cœur et

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L’ADOLESCENC
E



parfois même elle ira jusqu’à pleurer dans mes bras. Il est
clair que je ne restai pas insensible à tout cela.

Il y a des jours où mes larmes sortaient seules de mes yeux,
où je trouvais que la vie était injuste avec moi, je me disais
qu’après tout j’étais peut-être destiné à vivre ça !

Il y a tant de questions qui passaient dans ma tête pendant
ces moments-là.

Des questions que je m’étais déjà posées auparavant telles
que :« Comment je vais sortir de là ?» « Il faut que je
trouve une solution !»

Financièrement, mon travail ne suffisait pas et j’étais
obligé de trouver une solution car je n’avais personne
pour m’aider, ni même me conseiller sur ce que je devais
faire ou ne pas faire.

E t trè s h o n n ê te m e n t à c e t in sta n t-là , je p e n sa is ré e lle m e n t
q u e j’é ta is fa it p o u r v iv re c e g e n re d e g a lè re to u te m a v ie , e t
p u isq u ’il e n é ta it a in si, je d é c id ai d e la isse r m o n tra v a il e t
to u t c e q u e j’a v a is e n tre p ris . Je n ’a v a is q u ’u n e c h o s e e n tê te ,
c h e rc h e r l’a r g e n t là o ù il y e n a v a it, c ’e st-à -d ire à la c ité .

En tout et pour tout, il devait me rester deux mille francs
environ, soit trois cents euros pour terminer le mois et
après ça, j’étais bon pour dormir sous les ponts. Donc mon
premier souci était de me faire un peu d’argent. Comme je
vous l’ai dit, j’avais appris pas mal de trucs lors de mon
incarcération, il y a quelques années.

Je savais que la vente de haschisch pouvait me rapporter
pas mal, alors je décidai d’en acheter pour deux cents
euros à un dealer de la cité.

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Normalement, à la revente cela devait me rapporter cinq
cents euros, mais fallait-il encore que je trouve des ache-
teurs, et cela n’était pas facile car je n’avais pas d’en-
droit fixe pour vendre ma marchandise et je ne connaissais
aucun acheteur potentiel.

À force d’observer ceux qui avaient de l’expérience dans
ce domaine, voir leurs techniques de vente et identifier
les consommateurs qui avaient pour habitude de s’appro-
visionner à la cité, je réussis à faire connaissance avec
certains consommateurs qui apparemment avaient leurs
habitudes et leurs vendeurs attitrés.

Par la suite j’élaborai une technique de vente qui était
simple. Cela consistait à intercepter le client avant qu’il
ne pénètre dans la cité et à lui présenter une plus grosse
quantité de shit pour le même prix, ce qu’il avait plaisir
à a c c e p t e r.

Je dois dire que la réputation de Franck me servait beau-
coup car les gars les plus âgés de la cité le connaissaient
et le respectaient, alors lorsque je marchais sur leur ter-
ritoire et que j’interceptais leur clientèle sous leurs yeux,
ils faisaient preuve d’indulgence envers moi, d’ailleurs, la
plupart d’entre eux avaient les poches pleines et connais-
saient ma situation.

Durant les premiers mois de mon nouveau travail, j’ai
agi comme un chef d’entreprise et réussi à me construi-
re un petit capital, même si je n’étais qu’un petit dea-
l e r. J e c o m m e n ç a i s à a v o i r u n e p e t i t e c l i e n t è l e a s s e z
fidèle et je faisais tout pour que mes clients soient sa-
t i s f a i t s e t r e v i e n n e n t m e v o i r . L’ a r g e n t m e p e r m e t t a i t
de dormir à l’hôtel et d’aider Mireille et Franck finan-
cièrement.

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L’ADOLESCENC
E



Un jour, alors que je me rendais à l’hôpital, les médecins
ont demandé à me voir et ont pris le temps de m’expliquer
que la leucémie de Mireille s’était aggravée et qu’il fal-
lait nous préparer au pire.

Je pense que le juge d’instruction a été sensible à cette
situation et a décidé de libérer Franck. Cela a apporté un
grand soulagement à Mireille qui apparemment avait dé-
cidé de se battre contre cette maladie et je dois dire que je
f a i s a i s t o u t p o u r l ’ a i d e r.

Dès sa sortie, Franck rendit visite à sa mère et lorsqu’il
s’aperçut de son état, il pleura comme un bébé dans ses
bras, mais je savais que ce n’était pas quelqu’un sur qui je
pouvais compter même dans cette situation ; il n’a jamais
été sérieux dans ce qu’il faisait car il se laissait dominer
par le cannabis et l’alcool.

Je pense qu’au fil du temps et au gré des circonstances, les
rôles avaient été inversés entre lui et moi, car c’est moi
qui pourvoyais à ses besoins et jamais le contraire. Donc
je fis en sorte de le mettre à l’aise financièrement afin
qu’il se réinsère le mieux possible, mais dès son retour,
Franck reprit ses bonnes vieilles habitudes tout en conti-
nuant à travailler dans le monde de la musique.

Le temps passait et mon « bizness » allait de mieux en
mieux, au point que j’ai pu m’acheter une petite voiture et
trouver un appartement en colocation avec deux copains.
Franck avait intégré le groupe d’un chanteur de reggae
bien connu et donnait des concerts à la télé et à travers la
France. Pour lui aussi ça marchait pas mal, mais le pro-
blème était qu’il dépensait tout son argent dans les boîtes
de nuit et l’alcool n’arrangeait pas ses affaires car il ne
cessait de se battre et de se retrouver au commissariat.

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Quant à Mireille, sa santé ne faisait que s’améliorer au
point qu’elle put sortir de l’hôpital. Elle trouva un appar-
tement et pu récupérer Julien pour son plus grand bonheur.
Quant à Franck, il décida de revenir habiter chez sa ma-
man qui, quelques mois plus tard, fut déclarée guérie par
les médecins.




































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L’ A S C E N S I O N DA N S L A D RO G U E



Je suis ce q u ’ o n a p p e l l e u n i n s a t i s f a i t , j e n e s u i s j a m a i s
content et je veux toujours plus.

La vente de barrettes me permettait de gagner environ
cinq cents euros par jour et je dois dire que pour un ga-
min de 19 ans, c’était plutôt pas mal car la plupart des
jeunes de mon âge dans la cité n’arrivaient pas à en faire
a u t a n t . Av e c c e t a r g e n t , j ’ a r r i v a i s à a v o i r u n e v i e à p e u
près correcte, mais quelque part j’étais insatisfait, surtout
en voyant les grossistes auprès de qui je me fournissais.
Eux, ils gagnaient de l’argent, ils se faisaient plaisir, ils
avaient de belles voitures et partaient en vacances dans
des endroits somptueux.

Av e c l e t e m p s , j ’ a v a i s a p p r i s t o u t e s l e s f i c e l l e s d u m é t i e r
et je connaissais la plupart des grossistes de la région, ce
qui me permettait de traiter directement avec eux, sans
passer par des intermédiaires qui à chaque fois prenaient
de l’argent sur mes transactions.

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Les clients étaient plutôt contents de la qualité de ma mar-
chandise et lorsqu’ils venaient à la cité, si je n’étais pas
là, ils n’achetaient à personne. J’étais ce que l’on appelle
un bon dealer et ma réputation en tant que telle ne s’est
pas fait attendre pour se mettre en place.

Franck allait souvent jouer dans les concerts de reggae
et je l’accompagnais, ce qui me permettait de nouer des
contacts pour faire tourner mon bizness. Au bout d’un
certain temps, j’avais assez d’argent pour m’acheter du
haschich en grosses quantités et cela était important pour
moi, car j’en avais assez de vendre des barrettes.

Je m’étais fait une place dans le quartier et personne ne
me disait quoi que ce soit, il est vrai que j’avais grandi
avec la plupart des jeunes de la cité et on était assez soli-
daire contre les menaces externes, d’ailleurs nous étions
armés et prêts à faire face à tout type d’attaque venant de
l ’ e x t é r i e u r.

Même si chacun faisait son bizness, la cité était notre ter-
ritoire, notre lieu de travail, on était là de huit heures à
minuit, qu’il vente ou qu’il neige et il était hors de ques-
tion que qui que ce soit y pénètre sans notre autorisation.

Même la police n’avait pas son mot à dire, d’ailleurs nous
faisions notre propre ménage, par exemple nous n’accep-
tions pas les vendeurs d’héroïne ou de cocaïne, car malgré
tous nos défauts, nous pensions que ce type de drogue
pouvait tuer des personnes et nous étions farouchement
opposés à cela, la cité était un cul-de-sac cloisonné par
des murs en pierre, et si tu y rentres, tu es obligé de faire
demi-tour pour en sortir, ce qui fait que nous savions qui
entrait et qui sortait de la cité et si on ne te connaissait
pas, tu devais nous expliquer pourquoi tu étais là.

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L’ASCENSION DANS LA DROGUE



Bref tout ça pour vous dire que j’étais organisé et struc-
turé dans ce que je faisais. Je voulais prendre le moins de
risque possible même si cela était difficile, car en plus des
policiers, je devais me méfier des balances, de la jalousie
de certaines personnes qui m’entouraient et me voyaient
p r o s p é r e r.

Au bout de quelque temps, j’étais devenu ce qu’on appelle
un grossiste, c’est-à-dire que je fournissais ceux qui ven-
daient en petites quantités, mais je ne me suis pas arrêté
là, car je savais que la vente de barrettes était lucrative,
alors je recrutais cinq personnes sérieuses et désireuses de
se faire de l’argent, afin qu’elles vendent pour moi.

Après avoir formé mon équipe, je plaçais chaque personne
dans une cité afin d’étendre mes affaires. Mes employés
travaillaient non-stop. La journée, ils étaient postés dans
leur secteur et le soir, ils écumaient les boîtes de nuit.
Quant à moi, mon travail consistait à les fournir et à re-
lever les compteurs, c’est-à-dire récupérer les recettes.
Je dois dire que ce mode de fonctionnement était plutôt
bénéfique car en quelques mois, mes affaires ont pris une
ampleur phénoménale et les quartiers dans lesquels nous
étions installés sont devenus des plaques tournantes, où
toute l’Île-de-France venait s’approvisionner. La clientèle
affluait de tous les côtés et à toute heure. Parfois, les
journées étaient si impressionnantes que de huit heures du
matin à minuit, on n’arrêtait pas, les clients affluaient de
tous les horizons et demandaient toujours plus.

L’ a r g e n t a r r i v a i t d e t o u s l e s c ô t é s e t c h a q u e j o u r , j ’ e n
avais toujours plus. Au début, c’est moi qui courais après,
mais là c’était l’argent qui me courait après. Cela n’a pas
tardé à me monter à la tête, car je n’étais pas préparé à
gagner autant.

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Très vite, mon train de vie a changé. À présent, je roule
en décapotable, je passe mes soirées dans les restaurants
et les boîtes de nuit les plus branchés de la capitale, où je
flambe au cigare et au champagne.

Je pars en vacances deux, trois fois dans l’année où je
dépense des sommes astronomiques à faire la fête, et dans
ces moments d’euphorie totale, je pense vraiment que rien
n e p e u t m ’ a r r i v e r.

Mireille était quelque part envieuse de me voir réussir et
e l l e a v a i t r é u s s i à m o n t e r F r a n c k c o n t r e m o i . To u s l e s d e u x
n’arrêtaient pas de me harceler pour que je leur donne de
l’argent. À chaque fois, c’était le même discours « Prête-
moi de l’argent je te le rendrai plus tard », mais le tard
n’arrivait jamais.

Quand à Franck, la prison était devenue sa deuxième mai-
son, il ne faisait que des allers-retours, toujours pour le
même motif, bagarre. Franck n’était pas quelqu’un de mé-
chant, mais lorsqu’il avait bu c’était un autre homme qui
était capable du pire. Un soir, alors que nous étions dans
une soirée, j’ai été mêlé à une de ces histoires qui s’est
terminée en bagarre générale et cela m’a coûté un coup de
couteau au niveau du poumon gauche. Ça s’est terminé par
un séjour à l’hôpital.

Après cette histoire, je me suis fait la promesse de ne plus
jamais passer de soirée avec lui, car il était bien trop vio-
lent à mes yeux.

Mes affaires fonctionnent à merveille au point que j’en-
v i s a g e d ’ i n v e s t i r d a n s u n e s o c i é t é . To u t s e p a s s a i t p o u r l e
mieux jusqu’à ce que je m’aperçoive que j’avais un pro-
b l è m e q u e j e n ’ a v a i s p a s v u v e n i r, l ’ a l c o o l .

38









L’ASCENSION DANS LA
DROGUE



C’est vrai que lors de mes soirées, contrairement à la ma-
jeure partie de mes amis, je ne consommais pas de drogue
dure ou douce, alors j’avais pour habitude de les accom-
pagner avec quelques verres d’alcool, et je suis devenu
dépendant sans m’en rendre compte.

L’ a l c o o l é t a i t d e v e n u s a n s q u e j e m ’ e n a p e r ç o i v e m o n a m i
silencieux, celui qui m’accompagnait dans toutes mes sor-
ties.

39




























MANU



Je me rappellerai à jamais ce jour où j’ai fait connais-
sance avec Manu, nous étions en pleine période de Noël,
un ami commun nous avait invités à sortir avec lui, et très
franchement, je m’attendais à tout sauf à ce que j’allais
voir !

Jusqu’à ma rencontre avec elle, je n’étais jamais tombé
amoureux… Oui, j’avais eu des petites aventures, mais rien
de bien sérieux, car mes affaires passaient avant tout.

Mais là ! À sa vue, j’ai été foudroyé à jamais !

Manu était une très belle fille qui d’ailleurs faisait ses
débuts en tant que modèle et travaillait avec les enfants ;
très honnêtement, j’avais l’air d’un ringard à côté d’elle.

Elle était si bien habillée et avait tellement de classe qu’el-
le paraissait inabordable pour moi qui, jusqu’à présent,
pensais que tout m’était accessible avec de l’argent.

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Les semaines qui ont suivi, nous avons pris le temps de
nous observer, de faire connaissance. Dès le départ j’ai été
honnête avec Manu sur certaines de mes activités, je lui
faisais comprendre que je n’étais pas un saint, elle avait un
e n f a n t e n b a s â g e e t j e n e v o u l a i s p a s l e p e r t u r b e r. M a i s c e
qui devait arriver arriva, Manu tombait amoureuse de moi ;
elle disait que ce qu’elle aimait en moi était le fait que
j’avais été franc avec elle dès le départ et les semaines qui
suivirent furent dignes d’une lune de miel aux Bahamas, au
point que j’emménageai dans son appartement.

Je savais que les histoires sentimentales n’étaient pas bon-
nes pour les affaires et très vite, j’en fis la douloureuse
expérience au point de perdre une partie de ma clientèle,
faute de présence sur mon lieu de travail.

Quelques mois se sont écoulés et pendant ces quelques
mois, je me faisais rare à la cité et cela m’a valu d’échap-
per à la prison, car les policiers avaient investi à notre
insu quelques appartements du quartier pour filmer tout
ce qu’il s’y passait ; au bout de quelques semaines, ils en
avaient assez filmé pour faire une descente et arrêter tous
les suspects.

To u t e s l e s p e r s o n n e s d e m o n é q u i p e a i n s i q u e l a m a j e u r e
partie des trafiquants du quartier ont été filmés et empri-
sonnés pour trafic de stupéfiants. Ma seule chance a été de
ne pas être présent ces jours-là.

Il nous avait fallu au moins quatre années pour mettre en
place une telle or ganisation et en quelques semaines, tout
s’est effondré. À présent, il n’était plus question pour moi
de réinvestir le quartier pour recommencer le trafic. Il
fallait que je trouve quelque chose d’autre, quelque chose
de moins contraignant et rapportant autant.

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MANU



Ma vie commune avec Manu était des plus merveilleuses.
Même si j’avais tendance à tout gâcher avec mon ami le
silencieux qu’était l’alcool, nous passions des moments
délicieux ensemble.

Quelques mois plus tard, Manu tomba enceinte et j’ac-
cueillis cette nouvelle avec joie.

Manu avait quatre ans de plus que moi et elle savait déjà
ce qu’elle voulait. Quant à moi, je ne pensais qu’à deux
choses, mes potes et l’argent. Et cela devint une source de
conflits entre nous, parce que je n’étais pas prêt à faire
d e s e f f o r t s p o u r c h a n g e r.

La vie de famille ce n’était pas pour moi et il était hors de
q u e s t i o n q u e j e p l a q u e t o u t p o u r a l l e r t r a v a i l l e r.

La plupart de mes journées, je les passais avec mes potes,
ceux avec lesquels nous nous étions lancés dans un autre
genre d’affaires, beaucoup plus fructueux que la vente de
cannabis, mais aussi beaucoup plus dangereux.

Même si les policiers avaient interrompu le trafic, il n’en
reste que certains clients revenaient à la cité avec parfois
de grosses sommes d’argent. Pour nous, il était hors de
question de les laisser partir, car l’argent se faisait rare.
Alors notre plan était simple, on faisait mine d’avoir de
la marchandise afin qu’ils nous suivent dans un endroit
calme, et là, on les braquait et prenait leur argent.

Je pense que la convoitise de l’argent m’avait endurci et ren-
du violent, car j’étais prêt à tout pour arriver à mes fins.

À présent, je rentre à la maison simplement le soir et la
plupart du temps en état d’ivresse. Le dimanche, j’avais

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pris l’habitude de rester avec Manu, mais rien de plus.
Nos sorties, nos dîners en tête-à-tête ont été mis de côté,
pourtant c’était le moment où elle avait le plus besoin de
moi.

Pendant son quatrième mois de grossesse, Manu ne sup-
portait plus ma façon d’agir, de vivre et me demanda de
partir. Après avoir eu une discussion avec elle, je me suis
rendu compte que malgré l’amour que je lui portais, je
n’étais pas prêt à me ranger et vivre avec elle la vie dont
elle rêvait, même si nous attendions un enfant.

Donc, j’ai pris mes affaires et je suis parti pour vivre ma
vie, celle que j’avais planifiée à ma manière.



Les braquages


M ire ille é ta it p lu tô t c o n te n te d e m a r u p t u r e a v e c M a n u ,
Franck était de nouveau en prison et elle pensait que j’al-
lais retourner vivre avec elle, ce que je ne désirais abso-
lument pas.

J’avais pas mal d’argent de côté, donc j’envisageais de
louer une chambre d’hôtel. Pendant la journée je consa-
crais la majeure partie de mon temps à attendre des clients
susceptibles d’être braqués, mais, en quelques mois, la
cité était devenue infréquentable pour qui que ce soit. Il
y avait trop de violence et d’agressions, les rares clients
n’osaient plus venir de peur d’être attaqués.

Vo u s s a v e z , d a n s l a r u e , c ’ e s t u n p e u l a l o i d e l a j u n g l e ,
c’est-à-dire que le prédateur peut lui aussi devenir une
proie. Et cela, je m’en suis aperçu lorsque la police a

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MANU



retrouvé un de nos amis mort dans les bois ; il avait été
torturé et poignardé.

Bien sûr, la mort n’était pas quelque chose d’inconnu dans
notre milieu. Plusieurs personnes de la cité avaient déjà
perdu la vie de différentes manières. La police ne faisait
pas franchement preuve d’enthousiasme pour trouver les
coupables.

J’ai commencé à en avoir assez de traîner dans les cités
avec des mythomanes et des paranoïaques en tout genre et
de voir des gens qui ne progressaient pas.

Ces personnes qui habitent encore chez leurs parents à
quarante ans, qui sont respectées par les gamins parce
qu’elles ont fait des choses ou de la prison. Elles ont tel-
lement fait de choses qu’elles sont encore à la même place
vingt ans après. Très franchement, je n’avais pas envie de
l e u r r e s s e m b l e r.

Depuis mes vacances aux îles Caraïbes, un ami et moi
avions un projet à cœur : celui d’ouvrir un magasin de
location de scooters de mer sur la plage. Les Caraïbes
étaient pour moi l’image du paradis et je désirais vraiment
m’exiler là-bas.

Lors de mes vacances, je m’étais aperçu combien la vie
pouvait être différente à quelques heures d’avion ; le so-
leil, la plage et surtout un autre état d’esprit que celui
dans lequel je vivais. Les gens étaient moins stressés,
moins agressifs et plus accueillants. Bref, j’avais vrai-
ment l’impression d’être sur une autre planète.

Faute de moyens financiers, pour l’instant ce projet res-
tait un rêve, mais ce rêve était comme une porte de sortie

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dans mes pensées, parce qu’il représentait un espoir pour
m o n a v e n i r.

La cité, c’était une spirale, un labyrinthe, un éternel re-
commencement et pour nous en sortir, nous étions prêts à
prendre des risques et à aller chercher de l’argent là où il
y en avait.

Après nous être équipés en armes et en postiches, nous
avons ciblé nos attaques sur les vendeurs de drogues du-
res, c’est-à-dire d’héroïne et de cocaïne. Il faut savoir que
ce type de personnes en général n’est pas très apprécié
dans les cités, donc cela ne nous dérangeait absolument
pas de leur prendre leur argent.

Nous savions que cela ne serait pas sans risque car les dea-
lers ne portent pas plainte, mais se vengent. Pour éviter
d’être pris pour cible, nous prenions le temps d’agir avec
le maximum de précautions, c’est-à-dire que nous agis-
sions toujours le visage couvert et les personnes ciblées
n’étaient jamais des personnes que nous connaissions.

Il est vrai que ce projet nous motivait et que nous étions
p r ê t s à t o u t p o u r y a r r i v e r. M ê m e s i n o u s a r r i v i o n s à é l a -
borer quelques affaires, je sentais que les choses étaient
différentes. On aurait dit que j’étais entré dans une pé-
riode sombre et noire où rien ne fonctionnait comme je le
d é s i r a i s . To u t a l l a i t d e t r a v e r s e t r i e n n ’ a b o u t i s s a i t c o m m e
je le souhaitais. Plus les mois passaient, plus le temps
s’assombrissait.

Quelque temps plus tard, Manu reprit contact avec moi
pour m’annoncer que j’étais papa. Cette nouvelle était
comme un rayon de soleil qui venait pénétrer les ténèbres
qui m’environnaient, car rien ne s’arrangeait pour moi.

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MANU



Je traversais le désert dans tous les sens du terme au point
que je me suis mis à prendre des drogues synthétiques
telles que l’extasie, qui a pour particularité de te rendre
joyeux.

Manu me permettait de venir voir mon fils une fois par
semaine. Pendant ces visites, nous nous rendions compte
combien les sentiments que nous avions l’un pour l’autre
étaient encore présents et forts , malgré tout ce qui s’était
passé. Parfois, il m’arrivait de passer la nuit chez elle,
c’était des moments où j’étais ailleurs, dans le sens où
réellem ent je vivais le vrai bonheur. M anu avait toujours
le désir de fonder une famille. Certains matins, elle me
disait :« Ne pars pas, reste avec nous. »

Malgré l’envie de rester, mes pensées se tournaient vers
mes affaires, mes projets, mes amis, et je partais. J’étais
comme un aveugle qui refusait la vue et tous les arguments
que Manu employait pour me mener à la lumière n’avaient
aucun effet sur moi. Je préférais vivre dans mes ténèbres.

Av e c l e t e m p s , n o t r e v i e à d e u x c o n t i n u a a i n s i . N o u s n o u s
fréquentions sans être réellement ensemble et cela n’était
pas plus mal pour elle et pour moi, jusqu’au jour où Manu
fut enceinte pour la deuxième fois et me demanda de faire
un choix entre construire notre vie ou construire ma vie
seul.

C’était un choix impossible à faire pour moi, parce que
même si je l’aimais plus que tout, je ne pouvais pas aller
dans son sens, car ma vie avait pris un autre sens dans le
monde de la délinquance. J’étais entré dans ce qu’on ap-
pelle le banditisme, et mes activités faisaient de moi non
seulement un homme dangereux mais un danger potentiel
pour elle.

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Pour rien au monde je n’aurais voulu la mettre en danger,
donc je fus dans l’obligation de lui demander de patienter
j u s q u ’ à c e q u e j ’ a i e t e r m i n é c e q u e j e d e v a i s f a i r e . L’ i d é e
était simplement de réaliser mon projet, celui de partir
avec elle et les enfants aux Caraïbes et pour cela, il fallait
que je continue mes activités afin d’amasser assez d’ar-
gent pour réaliser ce projet.



































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