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simplement Zidore, prenait soin de cheval. C’était un maigre enfant haut
cet invalide, lui donnait, pendant sur jambes, très sale, coiffé de
l’hiver, sa mesure d’avoine et son cheveux roux, épais, durs et hérissés.
fourrage, et devait aller, quatre fois Il semblait stupide, parlait en
par jour, en été, le déplacer dans la bégayant, avec une peine infinie,
côte où on l’attachait, afin qu’il eût comme si les idées n’eussent pu se
en abondance de l’herbe fraîche. former dans son âme épaisse de
L’animal, presque perclus, brute.
levait avec peine ses jambes lourdes, Depuis longtemps déjà, il
grosses des genoux et enflées au- s’étonnait qu’on gardât Coco,
dessus des sabots. Ses poils, qu’on s’indignant de voir perdre du bien
n’étrillait plus jamais, avaient l’air pour cette bête inutile. Du moment
de cheveux blancs, et des cils très qu’elle ne travaillait plus, il lui
longs donnaient à ses yeux un air semblait injuste de la nourrir, il lui
triste. semblait révoltant de gaspiller de
Quand Zidore le menait à l’avoine, de l’avoine qui coûtait si
l’herbe, il lui fallait tirer sur la corde, cher, pour ce bidet paralysé. Et
tant la bête allait lentement ; et le souvent même, malgré les ordres de
gars, courbé, haletant, jurait contre maître Lucas, il économisait sur la
elle, s’exaspérant d’avoir à soigner nourriture du cheval, ne lui versant
cette vieille rosse. qu’une demi-mesure, ménageant sa
Les gens de la ferme, voyant litière et son foin. Et une haine
cette colère du goujat contre Coco, grandissait en son esprit confus
s’en amusaient, parlaient sans cesse d’enfant, une haine de paysan
du cheval à Zidore, pour exaspérer le rapace, de paysan sournois, féroce,
gamin. Ses camarades le brutal et lâche.
plaisantaient. Zidore.
Le gars rageait, sentant naître
en lui le désir de se venger du
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Lorsque revint l’été, il lui fallut disparaître au loin la blouse bleue du
aller remuer la bête dans sa côte. jeune paysan.
C’était loin. Le goujat, plus furieux Comme les nuits étaient
chaque matin, partait de son pas chaudes, on laissait maintenant Coco
lourd à travers les blés. Les hommes coucher dehors, là-bas, au bord de la
qui travaillaient dans les terres lui ravine, derrière le bois. Zidore seul
criaient, par plaisanterie : allait le voir.
— Hé Zidore, tu f’ras mes L’enfant s’amusait encore à lui
compliments à Coco. jeter des pierres. Il s’asseyait à dix
Il ne répondait point ; mais il pas de lui, sur un talus, et il restait là
cassait, en passant, une baguette une demi-heure, lançant de temps en
dans une haie et, dès qu’il avait temps un caillou tranchant au bidet,
déplacé l’attache du vieux cheval, il qui demeurait debout, enchaîné
le laissait se remettre à brouter ; devant son ennemi, et le regardant
puis, approchant traîtreusement, il sans cesse, sans oser paître avant
lui cinglait les jarrets. L’animal qu’il fût reparti.
essayait de fuir, de ruer, d’échapper Mais toujours cette pensée
aux coups, et il tournait au bout de sa restait plantée dans l’esprit du
corde comme s’il eût été enfermé goujat : « Pourquoi nourrir ce cheval
dans une piste. Et le gars le frappait qui ne faisait plus rien ? » Il lui
avec rage, courant derrière, acharné, semblait que cette misérable rosse
les dents serrées par la colère. volait le manger des autres, volait
Puis il s’en allait lentement, l’avoir des hommes, le bien du bon
sans se retourner, tandis que le Dieu, le volait même aussi, lui,
cheval le regardait partir de son œil Zidore, qui travaillait.
de vieux, les côtes saillantes, Alors, peu à peu, chaque jour,
essoufflé d’avoir trotté. Et il ne le gars diminua la bande de pâturage
rebaissait vers l’herbe sa tête osseuse qu’il lui donnait en avançant le
et blanche qu’après avoir vu
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piquet de bois où était fixée la genoux, tendant le cou, allongeant
corde. ses grandes lèvres baveuses. Ce fut
La bête jeûnait, maigrissait, en vain. Tout le jour, elle s’épuisa, la
dépérissait. Trop faible pour casser vieille bête, en efforts inutiles, en
son attache, elle tendait la tête vers efforts terribles. La faim la dévorait,
la grande herbe verte et luisante, si rendue plus affreuse par la vue de
proche, et dont l’odeur lui venait toute la verte nourriture qui
sans qu’elle y pût toucher. s’étendait par l’horizon.
Mais, un matin, Zidore eut une Le goujat ne revint point ce
idée : c’était de ne plus remuer jour-là. Il vagabonda par les bois
Coco. Il en avait assez d’aller si loin pour chercher des nids.
pour cette carcasse. Il reparut le lendemain. Coco,
Il vint cependant, pour savourer exténué, s’était couché. Il se leva en
sa vengeance. La bête inquiète le apercevant l’enfant, attendant, enfin,
regardait. Il ne la battit pas ce jour- d’être changé de place.
là. Il tournait autour, les mains dans Mais le petit paysan ne toucha
les poches. Même il fit mine de la même pas au maillet jeté dans
changer de place, mais il renfonça le l’herbe. Il s’approcha, regarda
piquet juste dans le même trou, et il l’animal, lui lança dans le nez une
s’en alla, enchanté de son invention. motte de terre qui s’écrasa sur le poil
Le cheval, le voyant partir, blanc, et il repartit en sifflant.
hennit pour le rappeler ; mais le Le cheval resta debout tant
goujat se mit à courir, le laissant qu’il put l’apercevoir encore ; puis,
seul, tout seul, dans son vallon, bien sentant bien que ses tentatives pour
attaché, et sans un brin d’herbe à atteindre l’herbe voisine seraient
portée de la mâchoire. inutiles, il s’étendit de nouveau sur
Affamé, il essaya d’atteindre la le flanc et ferma les yeux.
grasse verdure qu’il touchait du bout Le lendemain, Zidore ne vint
de ses naseaux. Il se mit sur les pas.
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Quand il approcha, le jour Et les hommes enfouirent le
suivant, de Coco toujours étendu, il cheval juste à la place où il était
s’aperçut qu’il était mort. mort de faim.
Alors il demeura debout, le Et l’herbe poussa drue,
regardant, content de son œuvre, verdoyante, vigoureuse, nourrie par
étonné en même temps que ce fût le pauvre corps.
déjà fini. Il le toucha du pied, leva
une de ses jambes, puis la laissa
retomber, s’assit dessus, et resta là,
les yeux fixés dans l’herbe et sans
penser à rien.
Il revint à la ferme, mais il ne
dit pas l’accident, car il voulait
vagabonder encore aux heures où,
d’ordinaire, il allait changer de place
le cheval.
Il alla le voir le lendemain. Des
corbeaux s’envolèrent à son
approche. Des mouches
innombrables se promenaient sur le
cadavre et bourdonnaient à l’entour.
En rentrant il annonça la chose.
La bête était si vieille que personne
ne s’étonna. Le maître dit à deux
valets :
— Prenez vos pelles, vous f’rez
un trou là oùs qu’il est.