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Graber Alan alan.graber @etu.unige.

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Crimes de guerre japonais : expliquer l’inexplicable


Table des matières

Introduction p.3

Expériences médicales, bactériologiques et chimiques p.4

Ishii Shirō – origine de l’armement biologique japonais p.4

Les expériences p.6

Expliquer l’inexplicable p.9

Le massacre de Nankin p.13

En conquête de la Mandchourie p.14

L’horreur absolue p.16

Réexpliquer l’inexplicable p.18

Femmes de réconfort, un pansement sur une hémorragie ? p.23

Conclusion p.25

Références p.26

2
Introduction

Le 20ème siècle peut sans conteste être considéré comme le plus sanglant de l’histoire. Alors que
le domaine de la technologie est en évolution constante, la capacité de l’être humain à ressentir
de la compassion pour autrui semble stagner. Ce constat s’applique également en Asie du
Pacifique, et plus particulièrement au Japon. La seconde guerre sino-japonaise, par la suite
étendue à l’entièreté du Pacifique sous la dénomination de « guerre des 15 ans » ne fit nullement
exception.

Bien que relater des cas d’atrocités de guerre ne retranscrive aucunement toutes les horreurs
commises durant l’ensemble de la guerre Asie-Pacifique, celles-ci restent néanmoins de parfaits
exemples pouvant illustrer comment, sous certaines conditions, l’être humain peut en venir à
commettre les pires crimes imaginables. Il s’agira de s’efforcer de saisir, à travers les cas de
Nankin et des expériences médicales chimiques et bactériologiques au Japon, les éléments ayant
pu pousser des êtres humains, pour la plupart sain d’esprit, à commettre des actes inimaginables.
Ainsi, chacun des cas sera replacé dans son contexte socio-historique, afin de pouvoir émettre
des hypothèses quant aux potentielles prédispositions ayant pu déclencher l’apparition de
violence extrême.

Il est crucial de souligner que de s’essayer à expliquer des crimes ne rime aucunement avec le
fait de les cautionner. Le but n’est pas de justifier l’injustifiable. Cependant, il est important de
concevoir que chacun d’entre nous pourrait, compte tenu du contexte social, politique et culturel,
être capable du pire. Par conséquent, tâchons d’adopter une posture neutre vis-à-vis des
atrocités du passé, afin de pouvoir pleinement les comprendre.

3
Expériences médicales, bactériologiques et chimiques

Bien qu’il soit tentant de nommer cette section par le nom de la tristement célèbre « Unité 731 »,
cela serait réducteur tant le programme d’armement biologique japonais ne se limite pas
uniquement à celle-ci. De 1932 à 1945, on estime que plusieurs centaines de milliers de
personnes ont péri par suite des expériences de l’armée impériale japonaise.1 De ces milliers de
personnes, environ 3 000 périrent au sein de l’unité 731. Pourtant, une grande partie de cette
section y sera consacrée tant les atrocités qui s’y sont produites sont abominables. Cette section
sera divisée en trois parties. La première retracera brièvement l’implantation du programme
d’armement biologique japonais en Chine, menant finalement à la création de l’unité 731. La
seconde décrira les atrocités de l’unité 731 et de ses environs.2 La troisième partie tentera de
comprendre comment et sous quelles conditions l’être humain peut arriver à commettre de telles
atrocités.

Ishii Shirō – origine de l’armement biologique japonais.

Il est impossible d’évoquer l’arme de guerre biologique sans mentionner le nom d’Ishii Shirō.
Ishii Shirō était un brillant scientifique, diplômé en doctorat en microbiologie par l’université
de Kyōto. Fervent nationaliste, il était persuadé que l’arme bactériologique jouerait un rôle
majeur dans les futures victoires du Japon. Caractérisé par un désir immodéré de se hisser au
plus haut dans la hiérarchie, Ishii gravit brièvement les échelons et fut rapidement promu
Major.3 Mark Felton le décrit notamment comme « un scientifique brillant, mais possédant une
morale clairement défaillante ». 4
Ainsi, en 1932, Ishii reçut l’autorisation d’installer ses
bâtiments dans l’état fantoche de Mandchoukouo.

En août de la même année, sous la supervision du fraîchement promu Major Ishii Shirō, le
premier camp de recherche bactériologique fut construit. Celui-ci prit place en Mandchoukouo,
dans le village de Beiyinhe.

1
Jacob, F. (2018). Japanese War Crimes During World War II. Santa Barbara : Praeger.
2 Il faut néanmoins bien garder en tête que l’unité 731 n’est aucunement un cas isolé. Nombreuses autres
unités conduisaient des expériences similaires. Certaines étaient directement affiliées à l’unité 731, d’autres
indépendantes de celle-ci. Néanmoins leurs buts restaient relativement similaires, et leurs méthodes toutes
aussi atroces.
3 Jacob, F. op.cit.
4 Felton, M. (2012). The Devil’s Doctors: Japanese Human Experiments on Allied Prisoners of War.

Barnsley: Pen&Sword.

4
Profitant de la situation législative peu claire en Mandchourie et ayant officieusement pour but
de pouvoir expérimenter sur des cobayes humains, Ishii put créer l’unité dénommée « Tōgō ».5
Il pouvait ici s’adonner à des expériences inconcevables sur le territoire Japonais. L’unité
bénéficiait du soutien total de l’armée japonaise du Guangdong 6 et lorsqu’elle manquait de
cobayes humains, celle-ci pouvait également compter sur la coopération de la gendarmerie
japonaise (Kenpeitai). La majorité des victimes furent alors des opposants politiques ainsi que
des sympathisants communistes. 7 Des cobayes humains étaient utilisés pour diverses
expériences. D’importantes quantités de sang leur étaient prélevées, et lorsqu’ils devenaient
trop faibles, ils étaient sacrifiés. En outre, des expériences de résistance aux chocs électriques
se voyaient être réalisées. Si le cobaye n’en mourait pas, on mettait également fin à sa vie :
aucun cobaye ne sortait du camp vivant.8 Peu à peu, le programme se déploya dans toute l’Asie.
On peut débattre sur le fait qu’il s’agit du début de la violence de masse de l’Empire japonais
en Chine.9

Néanmoins, le camp devenant trop petit et ne répondant plus aux aspirations de grandeur d’Ishii,
il fit la demande de pouvoir déplacer son unité à Pingfang, dans le but d’obtenir plus de place,
plus d’équipements ainsi qu’un plus grand nombre de subordonnés.10 C’est alors qu’en 1936,
l’Empereur Hirohito publia un décret établissant une nouvelle unité militaire du nom de Boeki
Kyusui Bu, le « bureau d’apprivoisement et de purification de l’eau antiépidémique », unité
militaire visant officiellement à établir des laboratoires d’eau purifiée. Ishii fut nommé chef de
celle-ci. Il s’agissait ici d’une parfaite couverture afin qu’il puisse continuer ses expériences.
Bien qu’il nous soit impossible de savoir si l’empereur Hirohito fut au courant des expériences
d’Ishii, il semble clair que lui-même participa à la création du désastre qui allait suivre, que ce
soit directement ou par simple négligence.11

A Pingfang, l’unité Tōgō fusionna avec de nouveaux scientifiques afin de former une nouvelle
unité nommée « Ishii Unit ». Elle sera par la suite renommée Unité 731.

5
Tsuneishi, K. (2005). Unit 731 and the Japanese Imperial Army’s Biological Warfare Program. The Asia-
Pacific Journal. Volume 3. Issue 11
6 L’armée du Guangdong est un groupe de l’armée impériale japonaise localisé dans la péninsule du

Guangdong.
7 Doglia, A. (2011). Les Violences De Masse Japonaises et Leurs Victimes Pendant La « Guerre De Quinze

Ans » (1931-1945). SciencesPo.


8 Tsuneishi, K. op.cit.
9 Doglia, A. op.cit.
10 Jacob, F. (2018). Japanese War Crimes During World War II. Santa Barbara: Praeger.
11 Harris, S. (2003) Japanese Biomedical Experimentation During the World War II Era. In Military

Medical Ethics. 463-506. Washington, DC: Office of The Surgeon General.

5
Toutes les unités travaillant sur l’arme biologique seront par la suite dénommées par des noms
de code afin de cacher leurs réelles intentions. En 1939, l’énorme complexe constitué de plus
de 150 bâtiments fut terminé et opérationnel.12 Peu à peu, le personnel de l’unité se modela en
accueillant des chercheurs médicaux affiliés à de grandes universités.13 Les meilleurs étudiants
d’écoles étaient également encouragés par leur professeur à se rendre dans les unités en charge
de l’armement biologique.14 Ainsi, sous la tutelle d’Ishii Shirō, la machine 731 était lancée.
Propulsées par l’intensification de guerre en Asie, les atrocités qui s’y produiront n’auraient pu
être imaginées par le cerveau le plus vicieux qui soit.

Les expériences

Avant tout, il est important de rappeler que les atrocités qui seront décrites dans cette section
ne sont pas un phénomène isolé, mais bien étendu dans l’entièreté de l’Asie du Pacifique. Dû à
l’expansion de la guerre en Chine, de nombreux établissements seront bâtis autour des villes
majeures en Chine. Le réseau d’Ishii s’étendra même jusqu’à Singapour où une unité sera
établie.15

Entrer dans un camp d’expérimentation signifiait une mort inéluctable. Aucun cobaye humain
n’en ressortait vivant.16 Bien que la plupart des victimes furent des résistants ou des soldats
chinois, de nombreux Occidentaux périrent également dans les bâtiments de recherche. Lorsque
les scientifiques recherchaient un cobaye possédant une morphologie particulière (âge, sexe,
taille, poids), la Kentenpai s’occupait de kidnapper des habitants aux alentours.17 Au sein des
camps, la dénomination des cobayes était quelque peu particulière. Le personnel avait pris
l’habitude de désigner les cobayes par le nom de maruta (丸太), se traduisant en français par

« rondin, bûche ».

12
Harris, S. (2003) Japanese Biomedical Experimentation During the World War II Era. In Military
Medical Ethics. 463-506. Washington, DC: Office of The Surgeon General.
13 Tsuneishi, K. (2005). Unit 731 and the Japanese Imperial Army’s Biological Warfare Program. The Asia-

Pacific Journal. Volume 3. Issue 11.


14 Harris, S. op.cit.
15 Tsuneishi, K. op.cit, 3-4.
16 Jacob, F. (2018). Japanese War Crimes During World War II. Santa Barbara: Praeger.
17 Ibid.

6
Les victimes se voyaient dépersonnalisées de toute humanité. Elles étaient utilisées aux fins de
diverses expériences, puis, telles des bûches, elles étaient incinérées.18

L’unité 731 était subdivisée en 4 domaines d’expérimentations différents : le choléra, la fièvre


hémorragique épidémique, la peste et la gelure. 19 La préoccupation majeure de l’unité était de
pouvoir protéger les troupes japonaises des maladies. 20 Afin d’étudier l’effet de divers
pathogènes sur le corps humain, les cobayes subissaient l’injection de différentes maladies.
Lorsque les symptômes se révélaient, la victime se voyait traînée de force à la salle de dissection.
Comme d’importantes quantités de sang lui avaient été régulièrement prélevées, celle-ci ne
pouvait généralement pas se défendre tant son système immunitaire était affaibli. La vivisection
était une pratique récurrente au sein de l’unité 731. Les organes étaient prélevés, pesés, observés
au microscope. 21 Une expérience en 1943, consista entre autres à injecter différentes quantités
de vaccin à des cobayes et de leur faire boire de l’eau contaminée par la typhoïde. La plupart
moururent après avoir contracté la maladie. 22 Lorsqu’un cobaye survivait à une expérience,
celui-ci en était soumis à une autre, jusqu’à ce qu’il finisse par en périr. Les scientifiques et les
physiciens étudiaient également les effets de la gelure sur l’être humain. Ainsi, certaines parties
du corps de prisonniers étaient exposées à des températures de -40°C, et étaient réchauffées par
la suite.23 La cruauté au sein de ces murs ne semblait pas avoir de limites. L’environnement des
camps permit des expériences purement motivées par la curiosité scientifique. Par conséquent,
ces établissements de l’horreur étaient témoins de nombreuses expériences n’étant aucunement
relatées à la bactériologie. Le sang de cobayes était peu à peu drainé afin d’observer la quantité
de sang suffisante menant à leur mort.24 Des sujets étaient forcés à avoir des relations sexuelles
entre eux afin d’étudier la transmission de la syphilis. Déshydratation, mort par inanition,
transfusion de sang animal à l’humain, exposition prolongée aux rayons X, nombreuses furent
les expériences perpétuées afin de satisfaire la curiosité des scientifiques.25 Une fois entrés dans
cet enfer terrestre, les cobayes recevaient un numéro.

18
Harris, S. (2003) Japanese Biomedical Experimentation During the World War II Era. In Military
Medical Ethics. 463-506. Washington, DC: Office of The Surgeon General. 480.
19 Jacob, F. (2018). Japanese War Crimes During World War II. Santa Barbara: Praeger.
20 Baader, G., Lederer, S., Low, M., Schmaltz, F., & Schwerin, A. (2005). Pathways to Human

Experimentation, 1933-1945. Osiris. 2nd Serie, Vol.20, 205-231.


21 Jacob, F. op.cit.
22 Baader, G., Lederer, S., Low, M., Schmaltz, F., & Schwerin, A. op.cit.
23 Harris, S. op.cit.
24Ibid.
25Ibid.

7
Ainsi, ceux-ci perdaient toute trace d’humanité aux yeux du personnel : ils n’étaient plus qu’un
simple élément inclut dans la grande base de données du programme.

L’expérimentation biologique n’avait pas uniquement un but défensif, mais également offensif.
Un nombre considérable d’expériences se déroulèrent à l’extérieur des murs des établissements.
Des recherches étaient conduites visant à utiliser l’arme biologique de la manière la plus
efficace possible. Dans le complexe de Pingfang, plus de 500 incubateurs étaient opérationnels
et tournaient à plein régime, tous étant capables de produire 2 tonnes de liquide contenant des
pathogènes.26 Les ingénieurs travaillant sur l’arme biologique espéraient pouvoir utiliser des
bombes remplies de ce liquide sur le champ de bataille, mais se retrouvaient confrontés à
l’explosion que celle-ci produisait, tuant les pathogènes qu’elles contenaient. Les pathogènes
étant produit à une très grande échelle, les chercheurs s’évertuèrent à trouver le moyen le plus
efficace de les utiliser. De grandes quantités furent déversées dans des rivières sur le champ de
bataille afin d’empoisonner l’ennemi. En 1942, les habitants du village de Zhaiqian burent de
l’eau contaminée par la typhoïde, causant la mort de 400 personnes. 27 Des bombardements
visant à propager des maladies furent également orchestrés. À Ningbo, un avion déversa des
puces infectées de la peste, provoquant une épidémie qui fit 100 morts.28 En 1941 à Changde,
un avion déversa des grains de blé et de riz. Ceux-ci tombèrent majoritairement au sein d’une
29
même rue. Trois semaines plus tard, 3 habitants de cette rue périrent de la peste.
Majoritairement, les expériences servaient à pouvoir étudier l’efficacité de la propagation d’une
maladie au sein de la population. Ainsi, les chercheurs pouvaient maximiser l’efficacité de leur
arme biologique en optant pour les méthodes les plus efficaces.

Lister toutes les expériences conduites par le programme d’armement biologique japonais serait
inconcevable. Il semble toutefois impossible de retranscrire toute la douleur éprouvée à
l’intérieur et autour de ces camps. Il reste difficile d’estimer combien de personnes se virent
amenées en enfer pour des raisons scientifiques plus que douteuses. Les temps de guerre
semblaient avoir créé une bulle dans laquelle la morale n’avait plus sa place.

26
Harris, S. (2003) Japanese Biomedical Experimentation During the World War II Era. In Military
Medical Ethics. 463-506. Washington, DC: Office of The Surgeon General.
27
Ibid.
28
Ibid.
29
Powell, J. (1980). Japan’s germ warfare: The U.S. cover-up of a war crime. In Shōwa Japan. Vol 2, 155-
180.

8
Expliquer l’inexplicable

Des crimes de guerres japonais, l’expérimentation sur des êtres humains est sans conteste le
plus difficile à expliquer. L’organisation minutieuse des camps retire la possibilité de pouvoir
qualifier les faits comme des « accidents ». Les raisons bancales quant à la perpétration des
crimes tendent à discréditer les aspirations des auteurs les ayant commis. Pourtant, les faits sont
là. Comment des êtres humains, pour la plupart sains d’esprits et éduqués en sont-ils arrivés à
commettre de telles atrocités ?

Au Japon, les années 1920 marquent un tournant dans la politique intérieure du pays, plus
particulièrement au sein de l’armée. Jusqu’en 1922, l’armée se voyait être sous contrôle
d’Aritomo Yamagata, chef oligarque. Bien qu’impérialiste, ses choix restaient prudents.30 C’est
à la suite de sa mort, dans une période de ralentissement économique que le gouvernement
d’Osachi Hamaguchi peinait à redresser, que le militarisme japonais prit de plus en plus
d’essor.31Bien que le processus de militarisation du Japon fût loin d’être un processus linéaire
ayant fait consensus32, dans les années 1930, l’idée que l’expansion militaire résoudrait une
grande partie des problèmes économiques au Japon se vit de plus en plus rependue. Peu à peu,
des politiciens commencèrent à insuffler l’idée que la supériorité des Japonais en Asie est
évidente, et que cette simple croyance suffit à envahir le continent Asiatique. 33 Certains
soulignaient que l’occidentalisation du Japon lui faisait perdre sa réelle essence. Les plus
extrêmes allaient jusqu’à définir la race japonaise comme une race divine, tant l’entièreté de
celle-ci descendait et donc partageait le même sang que la déesse du soleil.34 Peu à peu, le Japon
se tournait à un ultranationalisme dangereux. Traduis par la sortie du Japon de la Société des
Nations en 193335le refus des puissances occidentales de les traiter comme égal joua son rôle
dans l’équation. La machination dangereuse du Japon était lancée, personnifiée par l’image
d’un empereur divinisé et d’une armée portée vers la conquête. 36

30
Tsuneki, A. (2019). Nationalist Thought in Prewar Japan. The institute of Social and Economic Research:
Osaka university
31
Ibid.
32
Plusieurs coups d’états eurent lieux, comme l’incident du 26 février.
33
Tsuneki, A. (2019). op.cit.
34
Fukurai, H., & Yang, A. (2018). The History of Japanese Racism, Japanese American Redress, and the
Dangers Associated with Government Regulation of Hate Speech. Hastings Constitutional Law Quarterly.
Vol.45,533-576.
35 Souyri, P.-F. (2010). Nouvelle Histoire du Japon. Paris: Perrin. 522.
36
Ibid. 510.

9
C’est dans ce contexte politique tendu que les étudiants dans le domaine de la médecine reçurent
leur formation. Certains se voyaient immédiatement enrôlés au sein d’écoles directement
supervisées par l’armée. Pourtant, un point crucial coïncidait entre toutes les écoles médicinales
du Japon : l’absence de cours d’éthique. Aucun élève n’était d’ailleurs amené à passer le
serment d’Hippocrate.37 Il semble y avoir eu, dans un domaine médical majoritairement régi
par l’armée, un basculement des normes morales caractéristique. De manière générale, au Japon,
l’obéissance se voit enseignée comme une vertu suprême : le sens de la valeur individuelle se
voit remplacé par celui d’un maillon au sein d’un engrenage.38

« When I pulled the knife out of his body, blood dropped on my hand. I can never forget that
moment. I could not eat my dinner that day, and I had nightmares for the whole week.
Although I didn’t regard the Chinese as human beings, I hated cutting them up like this.
However, I could not disobey the order. »39

Malgré la dimension de regrets nuancée du perpétrateur, deux choses apparaissent à travers ce


témoignage de manière flagrante : le fait de devoir suivre l’ordre, et le racisme évident. Bien
que cela ne suffise à comprendre pleinement l’acte, il s’agit ici d’indications ayant leur
importance. Nombreux sont les aveux d’anciens adhérents au programme bactériologique ne
laissant transparaître aucune dimension de remords. Pour eux, ces sacrifices semblaient
nécessaires à la réussite du Japon. Ils étaient, en quelque sorte, conduit au nom de l’Empereur
et de l’essence de la nation japonaise. La croyance en une cause supérieure dépassant celle du
simple individu peut ainsi amener à un basculement des normes morales.40 Comment pouvoir
estimer la vie d’autrui, de surplus celle de l’ennemi, lorsque sa propre de vie ne comporte
aucune importance comparée à celle de l’Empereur ? C’est lorsque l’individualité de l’Homme
se voit submergée par des forces sociales le poussant à croire en plus grand que lui-même que
de telles dérives peuvent arriver.41

37
Harris, S. (2003) Japanese Biomedical Experimentation During the World War II Era. In Military
Medical Ethics. 463-506. Washington, DC: Office of The Surgeon General. 474.
38 Chang, I. (1998). The Rape of Nanking. London: Penguin.

39 Hoshi, T. (2002) “The Japanese War Criminals Who Returned to China” 中国 へ『帰郷』した日本人

戦犯たち, “Military Police, Military Surgeons and Unit 731” 憲兵、軍医、そして七三一部隊, in What
We Did in China: Testimonies from the Association of Returned Prisoners of War from China, 私たちが
中国でしたことー 中国帰還者連絡会の人びとー. Tokyo: Ryokufu Shuppan.
40 Jacob, F. (2018). Japanese War Crimes During World War II. Santa Barbara: Praeger.
41 Dutton, D. (2007). The Psychology of Genocide, Massacres, and Extreme Violence: Why “Normal”

People Come to Commit Atrocities. Westport : Praeger Security International.

10
Cette idéologie dangereuse mixée à un mépris des Japonais à l’égard des Chinois42, entretenue
par la propagande nationale, sembla créer un déclin de normes morales vis-à-vis des détenus.

Dans « La psychologique des foules », Gustave le Bon argumente sur le fait que dans un groupe
partageant un but commun, celui-ci est capable d’atrocités qui n’auraient jamais eu lieu hors de
son cadre. Ainsi, il suggère que la perte d’une responsabilité personnelle, celle-ci étant répartie
à l’ensemble du groupe, peut mener à la violence. 43 Au sein de la société, de tels actes ne
pourraient jamais se produire. Néanmoins, au sein d’une période de guerre à travers laquelle le
meurtre de l’ennemi se voit justifié et dont sa perception se voit métamorphosée par une vision
nationaliste, les normes de moralités se distordent. Au sein des camps, les normes se voyaient
fixées et modelées par ceux qui dominaient. 44 Bien que, à contrario des soldats, le personnel
scientifique ne subissait pas de violence directe de la part de leur supérieur, refuser de participer
à une expérience pouvait mettre fin à une carrière. En 1963, la célèbre expérience de chocs
électriques de Stanley Milgram tendait à démontrer la tendance de l’être humain à se soumettre
à l’autorité, quitte à blesser autrui. Dans un cadre militarisé ou l’obéissance est une obligation
et sous la pression de jouer leur propre carrière, bon nombre de scientifiques se plièrent aux
ordres formulés par leur supérieur. Passer à l’acte devenait aussi plus envisageable en sachant
qu’en période de guerre, personne ne les réprimanderait pour leurs actions. Graduellement, les
nouveaux arrivants s’acclimataient et leurs normes morales se transformaient. Certains
participants se voyaient être mal à l’aise, voire choqués au début de leur affectation au sein des
programmes, mais s’acclimataient graduellement à la participation aux expériences. 45 La
responsabilité de leurs actes se voyait autant partagée avec les supérieurs qui avaient formulé
l’ordre qu’avec l’entièreté de la nation pour laquelle ils agissaient. Certains, ayant perdu un
proche dans la guerre, étaient imprégnés d’un désir de vengeance. Il est possible que l’on ait
assisté à une forme de Top-down violence, venant d’un environnement militarisé prenant
avantage d’une courbure des normes de moralité afin de pouvoir expérimenter sur l’être humain,
ici déshumanisé par les perpétrateurs des crimes, afin de potentiellement atteindre des buts
scientifiques plus rapidement.

42
90% des cobayes de l’unité 731 étaient de nationalité chinoise.
43 Le Bon, G. (1895) La Psychologie des Foules. Paris: Orléans.
44
Jacob, F. (2018). Japanese War Crimes During World War II. Santa Barbara: Praeger.
45
Nanyan, G. (2010). Discovering Traces of Humanity, Taking Individual Responsibility for Medical
Atrocities. In Japan's Wartime Medical Atrocities. London: Routledge.

11
Bien qu’il soit impossible de se mettre à la place des acteurs des expériences, plusieurs axes
ouvrant des pistes à la compréhension des actes ont été discutés dans cette section. Il ne s’agit
nullement de minimiser les crimes commis, mais de lister les potentielles raisons d’une
dangereuse baisse des normes morales au sein des établissements. Ainsi, nous pouvons noter
que les crimes furent motivés par :

1) Une idéologie impérialiste faisant passer le bien de la nation avant la pensée personnelle.
Les crimes étaient commis pour le bien de la nation, afin que celle-ci puisse progresser
et sortir vainqueur de la guerre. Les victimes pouvaient en quelque sorte être qualifiées
de sacrifice nécessaire au bien du Japon.
2) Une nécessité inconditionnelle d’obéir aux ordres des supérieurs.
3) Une militarisation menant à fragiliser les normes morales de la population.
4) Un environnement propice au développement d’atrocités.
5) Un racisme entretenu par la propagande nationale.
6) Un manque d’éthique dans les cours des étudiants.
7) La nature de l’être humain.

Le point 7 pourrait être grandement débattu. Néanmoins, les expérimentations médicales des
nazis entre autres, ainsi que la faculté de l’être humain à se formater aux normes sociales,
tendent à faire penser que la nature même de celui-ci peut mener à de telles dérives. Ainsi, il
est important de comprendre que ce genre d’atrocité n’est pas unique au Japon, mais peut bien
apparaître dans n’importe quelle région du monde, lorsque les conditions nécessaires à leurs
apparitions sont réunies.

12
Le massacre de Nankin

Le massacre de Nankin caractérise sans aucun doute ce que l’humain peut faire de pire. En fin
d’année 1937, l’armée impériale japonaise s’introduit dans la capitale de la Chine nationaliste.
Il s’ensuivra 6 semaines d’horreur absolue. Massacre de militaires s’étant rendu et de la
population civile, viols, compétition de tuerie, les rues de la ville seront théâtre d’un véritable
enfer vivant. Le fleuve Qinhuai sera teint d’une couleur rouge tant il sera empli de cadavres et
de sang. Le nombre de victimes du massacre suscite encore actuellement de vigoureux débats.
On évoque généralement un nombre oscillant entre 200 000 et 300 000 morts, voire pouvant
atteindre jusqu’à 400 00046. Pourtant, certains conservateurs japonais suggèrent un nombre bien
plus bas se situant autour des 15 000 morts.47 En réalité le nombre de morts se situe réellement
dans les fourchettes hautes des nombres évoquées ci-dessus, bien que jouer avec les chiffres ne
restaure ni le passé, ni ne donne de crédit aux victimes des atrocités. Il arrive que cet évènement
soit aussi surnommé « Viol de Nankin » dû aux très nombreux viols perpétués par l’armée
impériale japonaise. Encore une fois, les historiens semblent ne pas s’accorder sur un ordre de
grandeur quelconque. Néanmoins, il semble que le nombre de viols commis à Nankin semble
osciller autour des 50 000.

À l’instar du découpage du cas des expériences bactériologiques et chimiques, cette section sera
découpée en trois parties. La première visera à recontextualiser les événements afin de fixer un
cadre dans lequel s’est déroulé le massacre. La deuxième portera sur la description des atrocités
commises durant les 6 premières semaines d’occupation de la ville par les Japonais. La
troisième tentera d’éclaircir les raisons ayant poussé l’armée japonaise à conduire un tel
massacre.

46
Chang, I. (1998). The Rape of Nanking. London: Penguin. 101-103.
47
Fujiwara, A. (2008). The Nanking Atrocity: An Interpretive Overview. In The Nanking Atrocity, 1937-
1938. Complicating the Picture. New York: Berghahn Books.

13
En conquête de la Mandchourie.

Le 18 septembre 1931, une explosion survient sur des chemins de fer en Mandchourie. Les
autorités japonaises accusent des rebelles chinois d’avoir causé l’explosion. Par conséquent,
l’armée du Guandong envahit la partie ouest de la Mandchourie et recherche des potentiels
terroristes. Rapidement, l’armée japonaise se voit affronter les troupes chinoises de Tchang
Kai-chek. Les Japonais signent une victoire éclair. Il est pourtant maintenant acquis que
l’explosion elle-même fut commise par les services de l’armée du Guandong. Bien que celle-ci
ait agi de manière indépendante au gouvernement de Tōyko et en désaccord avec certains
militaires, le gouvernement japonais passe l’éponge sur l’évènement. Les faits sont là : le Japon
est en guerre ouverte pour le contrôle de la Mandchourie.48

Cependant, les idées qui se tissent au sein de l’armée du Guandong ne se limitent pas à la
Mandchourie. L’obtention du territoire est vue comme une manière de pouvoir pallier à la crise
économique du pays. Pourtant, celle-ci n’est qu’uniquement considérée comme une étape
nécessaire à la prise de la Chine, puis, au futur affrontement contre l’URSS. Le rêve est le
suivant : redistribuer totalement les cartes en Asie afin d’aboutir à un nouvel ordre mondial
dans lequel la répartition des forces serait redistribuée entre les États-Unis et l’Empire japonais.
La Mandchourie sera par la suite renommée Mandchoukouo, et bien qu’un empereur soit
nommé à sa tête, le territoire sera entièrement géré par l’armée. En 1933, le Japon quitte la
société des nations après avoir été clairement unanimement condamné par celle-ci vis-à-vis de
sa gestion de la Mandchourie. Environ un million de Japonais considéreront ce nouveau
territoire comme un moyen de fuir la crise économique de leur propre pays. 49

Nombreux sont les historiens considérant le début de la guerre d’Asie du Pacifique à travers
l’incident du pont de Marco Polo. Le 7 juillet 1937, des soldats japonais et chinois échangent
des tirs à proximité du pont de Marco Polo, proche de Pékin. Les détails de l’évènement sont
difficilement retraçables. Il est généralement stipulé que les Japonais avaient, à la suite de coups
de feu, remarqué l’absence d’un soldat. Les Chinois n’auraient pas laissé les Japonais entrer
dans la ville de Wanping afin de le chercher50.

48
Souyri, P.-F. (2010). Nouvelle Histoire du Japon. Paris: Perrin. 519-520.
49
Ibid. 521-522.
50
Crowley, J. (1963). A Reconsideration of the Marco Polo Bridge Incident. The Journal of Asian Studies.
Vol 22, No.3. 277-291. Michigan: Association for Asian Studies.

14
Nommer les réels responsables de l’évènement est complexe, bien que certaines pistes mènent
à penser que certains leaders politiques japonais seraient impliqués.51 Malgré le fait qu’une
partie de l’état-major soit favorable à une issue pacifique, d’autres envisagent de prendre cet
évènement comme tremplin afin d’envahir la Chine du Nord. Konoe Fumimaro, Premier
ministre étant convaincu de la supériorité japonaise vis-à-vis des Chinois, pense pouvoir mener
une blitzkrieg. En fin juillet, les troupes japonaises se déploient en Chine du Nord.52

En août, les troupes impériales japonaises envahissent Shanghai : la guerre est alors irréversible.
Cependant, le combat se voit bien plus compliqué que prévu. Les Japonais sont totalement
surpassés en nombre. Pendant plusieurs mois, les Chinois opposent une solide résistance et
défendent la métropole. Les Japonais, pensant pouvoir envahir la Chine en seulement 3 mois
sont déstabilisés et le moral au sein des troupes décline.53 En novembre, plus de 9 000 soldats
japonais avaient péri à Shanghai, et plus de 30 000 avaient été blessés.54 En fin de mois, la ville
tombe finalement aux mains des Japonais. La plupart des troupes Chinoises s’étant retirées en
direction de Nankin, cette réussite ne put être perçue comme une victoire. Par conséquent, les
troupes de l’armée japonaise avancent inexorablement en direction de Nankin. Sur le chemin,
celle-ci constate que des uniformes de l’armée chinoise ont été abandonnés lors de leur retrait.
Lentement, la peur de s’exposer à une guérilla se répand au sein des troupes.55 L’avancée des
Japonais est si fulgurante que la logistique ne suit pas. Manquant de quoi se sustenter, ils pillent
la population locale. Viols, meurtres et incendies sont laissés tels des cicatrices du passage des
troupes japonaises.56

La stratégie de défense à Nankin est plus que désastreuse. Prévoyant une guerre de positions,
le général chinois retire la plupart de ses troupes. Il laisse environ 90 000 soldats à Nankin, la
plupart étant soit mal armés et sous entrainés, soit revenants épuisés de la bataille de Shanghai.57
Sous la pression japonaise, le 12 décembre 1937, le général Chinois ordonne le retrait de ses
troupes. Certains soldats chinois abandonnent leurs uniformes afin de se fondre dans la masse.

51
Auer, J. (2006) Who Was Responsible? From Marco Polo Bridge to Pearl Harbor. Tōkyo, The Yomiuri
Shinbun.
52
Souyri, P.-F. (2010). Nouvelle Histoire du Japon. Paris: Perrin. 523.
53
Chang, I. (1998). The Rape of Nanking. London: Penguin. 33.
54
Jacob, F. (2018). Japanese War Crimes During World War II. Santa Barbara : Praeger.
55
Ibid.
56
Souyri, P.-F. op.cit.
Chang, I. (1998). The Rape of Nanking. London: Penguin. 33. 35-38.

15
Le 13 décembre, Nankin est encerclée par les troupes japonaises. Malgré un exode massif de la
population civile de Nankin, environ 500 000 d’entre eux subsistent encore dans la ville.58 La
logistique japonaise se voit totalement dépassée par le nombre de prisonniers de guerre à
entretenir. Un ordre est administré : tuez tous les captifs. 59 Ainsi, les troupes de l’armée
impériale japonaise, munies d’un ordre et d’un esprit empli de vengeance entrent dans la ville.
Pendant 6 semaines, les rues de Nankin allaient être le théâtre d’une brutalité inhumaine.60

L’horreur absolue

Afin d’éviter des problèmes logistiques ainsi que des potentielles guérillas, 50 000 Japonais
entrent dans Nankin avec l’ordre d’éliminer tout captif. Cependant, la différence de nombre est
énorme. Les troupes chinoises n’ayant pu fuir se rendent rapidement61 tant celles-ci sont mal
armées et inexpérimentées. Il n’y a plus aucune défense pour les civils. Les Japonais, en
recherche de soldats chinois se fondant dans la masse, passent de maison en maison et tirent de
manière systématique sur les habitants.62 Les soldats chinois sont répartis par groupes de 100
et 200. Les yeux bandés, ils sont amenés hors de la ville et fusillés.63 Des Occidentaux résidant
à Nankin établissent une « safety zone » autour de l’ambassade des Etats-Unis. Cette zone est
démilitarisée et constitue un refuge pour les civils chinois.64 Autour de celle-ci, les atrocités se
démultiplient, tant y accéder est dangereux. Sortir de chez soi pour la rejoindre signifie pouvoir
croiser le chemin des troupes de l’armée impériale.

Les femmes sont violées, peu importe leur âge : être une femme à Nankin signifie l’enfer. Les
viols s’accompagnent de l’anéantissement de familles entières. Certaines se voient violées
devant les membres de leur famille, puis sont ensuite témoins de leur massacre, avant d’être
achevée d’un coup de baïonnette.65

58
Dutton, D. (2007). The Psychology of Genocide, Massacres, and Extreme Violence: Why “Normal”
People Come to Commit Atrocities. Westport : Praeger Security International. 65
59
Il est fortement présumé que l’ordre fut promulgué par Yasuhiko Asaka, de manière autonome et en
contradiction directe avec le général Iwane Matsui, devant quitter ses troupes pour cause de maladie. Voir:
Chang, I. (1998). The Rape of Nanking. London: Penguin. 38-41.
60
Les atrocités continuent même après les 6 semaines, mais c’est durant ce laps de temps qu’elles sont en
grande majorité déroulées.
61 Sûrement trop rapidement au goût des Japonais pour qui se rendre est un acte hautement déloyal : la

résistance des soldats Chinois est totalement inexistante.


62
Chang, I. op.cit. 46-47.
63
Ibid. 44.
64
Ibid. 105-108
65
Ibid. 91.

16
Des hommes sont forcés à des actes sexuels avec des membres de leur propre famille.66 Les
Japonais font subir des tortures insoutenables aux habitants Chinois. Certains sont enterrés
vivants, d’autres mutilés. Des chiens sont utilisés pour dévorer des victimes semi-enterrées. Des
méthodes de mise à mort par le feu ou par la glace sont organisées. Des victimes sont amenées
en haut d’immeubles qui sont par la suite incendiés, certaines sautent de ceux-ci afin d’éviter
les flammes. D’autres, sont forcées à se jeter dans des étangs gelés, puis sont criblées de balles.
67
Des hommes et des femmes sont éventrés vivants. Des bébés sont empalés sur les baïonnettes
et laissés pour morts, voire parfois coupés en plusieurs morceaux. 68 Les troupes impériales
japonaises flânent dans les rues, tuent, violent tous ceux qu’ils croisent. Se cacher chez soi est
dangereux, être dehors l’est encore plus. « Des Japonais rigolent et applaudissent à la vue d’une
personne s’accrochant à la vie après avoir été brûlée, aspergée d’essence et criblée de balles.
D’autres, ont décapité la tête de réfugiés, l’ont placée sur leur baïonnette et paradent à travers
la ville ». 69 On organise des concours de tuerie : le premier à avoir décapité 100 victimes
gagne.70 Les rues sont jonchées de cadavres dont les chiens se nourrissent. Les tanks roulent
sur les cadavres bien trop nombreux. Une majorité de ceux-ci sont lancés dans le fleuve qui se
teint d’une couleur rougeâtre. Certains tentent d’atteindre la zone de sécurité, d’autres n’y
parviendront jamais.

Il est difficile de retranscrire toutes les atrocités et la dimension de chaos s’étant emparée de la
ville pendant les 2 premiers mois de l’occupation japonaise. Il n’est décrit ici qu’une infime
portion des douleurs subies par la population de la ville. De nombreux témoignages de
journalistes occidentaux décrivent les horreurs depuis la zone de sécurité. Le docteur Robert O.
Wilson, seul chirurgien en charge de l’hôpital à Nankin écrit notamment :

« The slaughter of civilians is appalling. I could go on for pages telling of cases of rape and
brutality almost beyond belief. (…) I wonder when it will stop, and we will be to catch up with
ourselves again. »71

66
Dutton, D. (2007). The Psychology of Genocide, Massacres, and Extreme Violence: Why “Normal”
People Come to Commit Atrocities. Westport: Praeger Security International. 65.
67
Chang, I. (1998). The Rape of Nanking. London: Penguin. 87-89.
68
Dutton, D. op.cit. 65.
69
The Painful Memory. (2009). Beijing Review. 19.
70
Chang, I. op.cit. 94.
71
Brook, T. (1999). Documents on the Rape of Nanking. The university of Michigan Press. 214

17
À la fin janvier, la majeure partie de la ville ne possède plus d’électricité et d’eau courante. Un
gouvernement de collaboration est mis en place et les atrocités diminuent peu à peu. Il faudra
plus de 6 mois pour que la ville reprenne une vie plus ou moins normale.72

Réexpliquer l’inexplicable

Il est avant tout important de mentionner que de s’évertuer à expliquer les atrocités s’étant
déroulées à Nankin ne signifie en aucun cas de les cautionner. Comprendre comment et sous
quelles conditions l’être humain peut être amené à commettre des actes abominables est un
point crucial. Ainsi, il est avant tout question d’exposer les éléments ayant pu engendrer une
telle cruauté au sein des troupes de l’armée impériale japonaise.

Comme vu précédemment73, des années 1920 à 1930, le Japon est témoin d’une forte montée
du militarisme. Les écoles sont peu à peu transformées en unités militaires miniatures dans
lesquelles certains professeurs sont des officiers militaires. L’histoire est modelée pour donner
l’idée d’une race japonaise suprême.74 La discipline est enseignée comme une vertu suprême et
la notion du respect de l’ordre est intransgressible.75 La violence devient omniprésente au sein
de l’armée.

« There was never a day I didn’t get hit. I often counted how many times it happened in one
day »76

Les supérieurs frappent régulièrement les soldats se situant plus bas dans la hiérarchie comme
moyen d’apprendre la discipline. La violence est enseignée comme seconde nature et se voit
ainsi largement banalisée. 77 À la suite de la sortie du Japon de la Société des Nations, les lois
internationales ne sont plus autant enseignées aux recrues.78

72
Chang, I. (1998). The Rape of Nanking. London: Penguin. 159-163.
73
Revoir point « expliquer l’inexplicable » à propos des expériences bactériologiques et chimiques.
74
Chang, I. op.cit. 32.
75
Chang, I. op.cit. 29-31.
76
Oguma, E. (2018). The Oral History of a Japanese Soldier in Manchuria. The Asia-Pacific Journal.
Volume 16. Issue 19.
77
Jacob, F. (2018). Japanese War Crimes During World War II. Santa Barbara: Praeger.
78
Kyoichi, T. (2008). The Treatment of Prisoners of War by the Imperial Japanese Army and Navy
Focusing on the Pacific War. National Institute for Defense Studies. (45-90).70.

18
La montée de l’ultranationalisme dans un Japon militarisé a fait naître l’idée que la destinée du
pays est tracée : le Japon se doit de s’étendre, non pas uniquement pour son propre bien, mais
également pour celui des autres.79 La propagande de guerre justifie l’expansion du Japon en
Asie à travers son caractère divin, personnalisé par la pureté du sang japonais et de la figure
divine de l’Empereur.80 La violence se voit ainsi imprégnée d’un sens sacré, en quelque sorte
dénaturalisée et peut être utilisée pour le bien de la nation. Il semble déjà y exister des
prédispositions aux violences qui allaient suivre. Pourtant, celles-ci ne suffisent pas entièrement
à expliquer l’ampleur de l’horreur de Nankin.

Lorsque l’armée japonaise débarque à Nankin, le moral des troupes est au plus bas. La
frustration de ne pas avoir pu vivre Shanghai comme une victoire se mêle à un désir de
vengeance. La facilité avec laquelle les Chinois se rendent répugne les soldats japonais. 81 En
effet, se rendre est synonyme de trahison à l’égard de l’Empereur : il est amplement préférable
de mourir au combat plutôt que de se laisser aux mains de l’ennemi 82 . Le sentiment de
supériorité des Japonais s’entremêle avec le dégoût qu’ils éprouvent à l’égard des Chinois. De
plus, comme expliqué précédemment, la logistique ne suit pas. La quantité de nourriture est
insuffisante tant le nombre de prisonniers de guerre a été sous-estimé.83 Ainsi, les Japonais sont
munis d’un ordre de n’épargner personne. L’abandon d’uniformes militaires de la part de
soldats chinois fait flotter le spectre de guérillas au sein de l’armée japonaise.

On peut ainsi dénoter plusieurs émotions ressenties par les troupes de l’armée japonaise :

1) Fierté d’être part d’une nation dite « supérieure » renforcée par la position que le Japon
s’est créé grâce aux différentes guerres précédant celle de l’Asie Pacifique. 84 Ce
sentiment est amplifié par la figure de l’Empereur tant celui-ci est divinisé. Chaque
action, chaque crime est commis pour le bien de la nation et est en quelque sorte justifié
par le statut divin de l’Empereur.

79
Chang, I. (1998). The Rape of Nanking. London: Penguin. 219.
80
Fukurai, H., & Yang, A. (2018). The History of Japanese Racism, Japanese American Redress, and the
Dangers Associated with Government Regulation of Hate Speech. Hastings Constitutional Law Quarterly.
Vol.45,533-576. 544.
81
Chang, I. op.cit. 43.
82
Dutton, D. (2007). The Psychology of Genocide, Massacres, and Extreme Violence: Why “Normal”
People Come to Commit Atrocities. Westport: Praeger Security International. 65.
83
Des problèmes logistiques similaires mènent également à un autre cas d’atrocité japonais : la marche de
la mort de Bataan.
84
Jacob, F. (2018). Japanese War Crimes During World War II. Santa Barbara: Praeger.

19
2) Sentiment de vengeance dû aux pertes importantes japonaises.
3) Sentiment de supériorité raciale à l’égard de l’adversaire.
4) Dégout, répugnance à l’égard des Chinois.
5) Frustration d’une guerre se prolongeant plus que prévu.
6) Sentiment de soumission et d’injustice vis-à-vis du traitement des supérieurs.
7) Peur de la mort.

Il est important de ne pas détacher les émotions du contexte dans lesquelles celles-ci sont
ressenties : un contexte de guerre à travers lequel les normes morales sont préalablement
distordues. Un meurtre normalement puni par la loi se voit ici justifié par la profession du
tueur.85 On pourrait stipuler qu’il ne serait, en quelque sorte, que le simple devoir d’un soldat
de tuer son adversaire. Dans cet environnement, se faire punir pour des actes criminels est peu
probable. Autrement dit, l’environnement favorise inévitablement les crimes. De plus, le mépris
à l’égard des lois internationales ajoute également une composante dangereuse dans une
équation pourtant déjà complexe. Ainsi, les troupes entrent dans Nankin à l’instar d’un véritable
cocktail explosif. Imprégnées de sentiments dangereux et munis d’un ordre de tuer, au sein d’un
environnement à travers lequel la punition se voit être peu probable, les troupes japonaises
laissent présager le pire. Ainsi, les violences à Nankin semblaient être inévitables. Cependant,
un point d’ombre subsiste et se doit d’être éclairci. Comment et quels sont les éléments ayant
permis au massacre de Nankin d’atteindre un véritable apogée dans l’atrocité ?

La première piste évidente est celle de l’effet de foule. Comme cité précédemment86, la violence
au sein d’un groupe partageant un but commun est fortement propice à s’intensifier. Or, le but
commun ici est clair : une victoire par l’anéantissement explicitée par un ordre clair des
supérieurs. La faute individuelle se voit ainsi partagée entre celle du groupe et celle des
supérieurs ayant émis l’ordre. L’individualité se perd dans un engrenage complexe87 facilitant
le passage à l’acte.

85
Jacob, F. (2018). Japanese War Crimes During World War II. Santa Barbara: Praeger.
86
Voir P10 et le point sur « La psychologique des foules » de Gustave Le Bon.
87
Au sein de l’armée impériale japonaise l’engrenage est d’autant plus complexe : il dépasse la simple
définition du groupe constitué par les soldats à Nankin. En effet, il est constitué du groupe même, mais
également de l’entièreté de la nation, tant tous les actes sont justifiés par la figure de l’Empereur et de la
réussite de la nation.

20
Il est également grandement probable que le contexte de violence au sein de l’armée japonaise
ait favorisé un « transfert d’oppression » des soldats japonais à l’encontre des victimes
Chinoises.88 À travers un processus de compensation psychologique, la frustration des soldats
d’être fréquemment battu par leur supérieur s’est ainsi vue redirigée sur la population, pour
laquelle ils n’avaient déjà que peu d’estime. Pourtant, le psychologue Philip Zimbardo suggère
que la violence génère de la rage, et que celle-ci s’auto-amplifie lorsque celle-ci ne peut être
canalisée.89 À Nankin, la gestion des troupes est négligée, les soldats de l’armée japonaise sont
laissés libres de leurs actions et ne sont soumis à aucune restriction. La violence est
généralement encouragée par les supérieurs hiérarchiques. Ainsi, on peut supposer qu’il y ait
eu une intensification de la violence à Nankin, déformant peu à peu les normes morales des
assaillants. Un élément appuyant cette supposition est l’habituelle révulsion vis-à-vis des
90
horreurs des nouvelles recrues arrivant à Nankin. Puis, pour la majorité, celles-ci
s’acclimatent et leurs normes morales se transfigurent, se calquant en quelque sorte sur celles
du groupe. Il est également possible que, dû à un important besoin de troupes, le recrutement
d’individus au sein de l’armée n’ait pas subi un processus de sélection assez stricte. Laisser
entrer dans les rangs des profils instables ou intellectuellement limités a pu faciliter le
déclenchement et la persistance de la violence dans les rues de Nankin.91 92 Le viol est quant à
lui, même si inexcusable, non intrinsèque au caractère japonais tant les délits sexuels sont
rependus au sein de nombreuses armées.93 Il serait à ce sujet plus judiciable de s’intéresser à la
psychologie humaine quant aux viols, et non pas uniquement au caractère japonais de ceux-ci.
Ainsi, la violence dégagée à travers les crimes à caractère sexuel à Nankin est l’expression des
mêmes symptômes cités ci-dessus, imbibés d’un caractère purement charnel.

88
Matsumara, J. (2016). Combating Indiscipline in the Imperial Japanese Army: Hayao Torao and
Psychiatric Studies of the Crimes of Soldiers. War in History. Vol.23, 79-99. 80.
89 Zimbardo, P. (1969). The Human Choice: Individuation Reason and Order versus Deindividuation

Impulse and Chaos. In Nebraska Symposium on Motivation. Vol 17. 237-307. Lincoln: University of
Nebraska Press.
90 Dutton, D. (2007). The Psychology of Genocide, Massacres, and Extreme Violence: Why “Normal”

People Come to Commit Atrocities. Westport : Praeger Security International. 67.


91 Matsumara, J. op.cit.
92 Ici, il n’est en aucun cas mention de la capacité intellectuelle des Japonais en général, mais bien de cas

particuliers. L’admission « d’éléments turbulents », potentiellement dangereux au sein des troupes peut,
associé à l’effet de groupe, favoriser l’apparition de violences qui se verront par la suite banalisées.
93 Il existe tant d’exemples qu’il est impossible de tous les citer. Comme liste non exhaustive : Rwanda,

Serbie, El Mozote, My Lai.

21
Il est néanmoins évident que violer la femme de l’ennemi puisse être vu comme un énième
stratagème d’humiliation de l’adversaire : c’est une prise de territoire et une marque de
supériorité évidente.

Bien que s’efforcer à discerner les mécanismes psychologiques pouvant mener à de telles
atrocités soit une tâche complexe, la mise en lumière de certains éléments permet d’ébaucher
les raisons principales des abominations perpétuées à Nankin. Il s’agit ici de les lister de
manière claire et exhaustive :

1) Le contexte dans lequel s’est déroulé l’incident a favorisé l’apparition de la violence à


travers :
a. Un désir de vengeance des troupes japonaises vis-à-vis de l’ennemi.
b. La frustration d’une guerre qui s’éternise.
c. La peur de la mort et de potentielles guérillas.
d. La communication d’un ordre clair de tuer, en parti due à des problèmes
logistiques.

2) Une idéologie dangereuse et raciste menant à :


a. Justifier les actes des individus à travers un caractère divin.
b. Un sentiment de supériorité vis-à-vis de l’adversaire caractérisé par la personne
de l’Empereur.
c. Un dégout de l’adversaire inculqué par la propagande nationale, puis renforcé
par la facilité des Chinois à se rendre.

3) La structure de l’armée elle-même caractérisée par :


a. Une banalisation de la violence au sein des troupes menant à un potentiel
transfert d’oppression sur les victimes.
b. Un refus de se plier aux lois internationales.
c. Une gestion fantomatique des troupes à Nankin.
d. Un recrutement pas assez strict.

4) Un effet de masse poussant à :


a. Une perte de responsabilité individuelle facilitant les actes atroces.
b. Un basculement des normes morales progressif.

22
Femmes de réconfort, un pensement sur une hémorragie ?

Cette partie sera plus courte que les deux précédentes. Il ne s’agira pas d’expliquer les raisons
des maltraitances des soldats japonais à l’égard des femmes tant elles sont intimement liées à
celles vues précédemment. Il s’agit avant tout d’en faire mention en expliquant les raisons de
l’apparition du phénomène ainsi que son fonctionnement.

Bien que les violences et les premières stations de réconfort débutent bien avant Nankin 94, le
phénomène s’intensifie et devient directement géré par les autorités post 1938. En réaction aux
événements de Nankin et du nombre de viols considérable de l’armée impériale japonaise, le
gouvernement se doit de réagir. La réputation de l’armée est atteinte et il faut trouver une
solution. Ainsi, l’institutionnalisation de « stations de réconfort » possède des avantages
théoriques. Elle permettrait premièrement de réduire les viols de civils en procurant un endroit
aux soldats pour assouvir leurs pulsions, mais également de contrôler la transmission de
maladies sexuellement transmissibles en leur fournissant des protections ainsi qu’un suivi
médical.95 Des superstitions se développent et l’on pense que les relations sexuelles agissent
comme un charme défensif sur le champ de bataille. 96 L’expansion est si fulgurante que
rapidement, les stations de réconforts se retrouvent dans l’entièreté de l’Asie du Pacifique.

L’expansion des stations implique un plus grand besoin en femmes. Pour ce faire, les recruteurs
n’hésitent pas à mentir afin d’attirer les femmes les plus démunies dans un enfer vivant. Afin
d’éviter d’envoyer un trop grand nombre de femmes japonaises97, les recruteurs se tournent
majoritairement vers la Corée. Etant donnée que celle-ci se trouve au sein de l’empire japonais,
l’incorporation de femmes Coréennes des institutions se fait plus aisément. 98 La situation
économique et sociale vis-à-vis de la place de la femme en Corée facilite également le travail
des enrôleurs. Ceux-ci visent des femmes issues de familles pauvres, et leur promettent des
emplois à fort revenu salarial ainsi qu’un accès à l’éducation. La dévaluation de la femme en
Corée mène généralement à un abandon de l’éducation des jeunes filles.

94
Doglia, A. (2011). Les Violences De Masse Japonaises et Leurs Victimes Pendant La « Guerre De
Quinze Ans » (1931-1945). SciencesPo.
95
Lee, S. (2003) Comforting the Comfort Women: Who Can Make Japan Pay. 24 U. Pa. J. Int’l L. 509-
547. 512.
96
Souyri, P.-F. (2016). Les femmes de réconfort : un esclavage d’Etat ? L’histoire.
97
Cela pourrait constituer un réel problème pour les soldats s’ils apprenaient que des membres de leur
famille sont envoyés en tant que femme de réconfort.
98
Jacob, F. (2018). Japanese War Crimes During World War II. Santa Barbara: Praeger.

23
Ainsi, celles-ci, dans un espoir de liberté, d’émancipation et d’éducation se laissent amadouer
par les promesses des recruteurs, et terminent dans des stations de réconfort. D’autres sont
directement enlevées.99 Le kidnapping est également un procédé fréquemment utilisé en Chine.
Bien que l’âge moyen des femmes se situe autour des 17 ans, certaines n’ont qu’11 ou 12 ans
lorsqu’elles sont enlevées.100

Les stations de réconfort sont un véritable cauchemar éveillé pour les femmes de réconfort.
Chaque femme doit servir environ 30 soldats par jour. Elles sont régulièrement frappées et
torturées par les soldats. Les normes vis-à-vis des protections sont couramment ignorées et les
femmes sont sujettes aux maladies sexuellement transmissibles. Les grossesses sont récurrentes
et les femmes ne disposent pas de pauses suffisantes. 101 La rémunération est basse et
généralement non entièrement versée, voire confisquée par le gouvernement japonais à la fin
de la guerre.102 On estime qu’uniquement 30% des femmes de réconfort survirèrent à la guerre.
La plupart moururent de mauvais traitements, de maladie, d’épuisement, ou se suicidèrent ne
supportant plus le calvaire qu’elles vivaient.

L’établissement de stations de réconfort constitue un réel crime contre l’humanité directement


orchestré par le gouvernement lui-même. Afin de protéger l’image de l’armée impériale
japonaise, le gouvernement japonais a permis une légalisation du viol et de la violence à
l’encontre d’environ 200 000 femmes. La plupart des survivantes ne pourront jamais se
réintégrer dans la société tant la préservation de la chasteté est tabou dans les pays asiatiques.
Pourtant, les stations de réconfort n’auront jamais le résultat escompté. Les taux d’incidence de
viol ne baisseront pas, et de même manière, les maladies sexuellement transmissibles resteront
un fléau au sein de l’armée japonaise.

99
Jacob, F. (2018). Japanese War Crimes During World War II. Santa Barbara: Praeger.
100
Ibid.
101
Ibid.
102
Lee, S. (2003) Comforting the Comfort Women: Who Can Make Japan Pay. 24 U. Pa. J. Int’l L. 509-
547. 515-516.

24
Conclusion

Certains auteurs dépeignent les atrocités de guerre japonaises comme étant majoritairement
issues du code du bushidō.103Ainsi, elles apparaissent comme purement produites d’une histoire
homogène sillonnée par la violence. Pourtant, le code du bushido souligne l’importance de la
noblesse du guerrier et la nécessité de traiter l’ennemi avec courtoisie et honneur. 104 Le
traitement des prisonniers de guerre, de la population ou des cobayes au sein des camps
d’expérimentation semblent être le produit d’une transition sociétale rapide, militarisée, prenant
avantage de la figure de l’empereur. Ainsi, les atrocités ne semblent nullement découler d’une
tradition de violence féodale intrinsèque au Japon.

Il est important de saisir que de telles atrocités sont passables de se produire dans n’importe
quelle partie du globe, et à n’importe quelle période. Elles sont généralement le résultat de
glissement des normes morales au sein de sociétés militarisées. Les processus les sous-tendant
sont complexes et sont intimement liés à la psychologie humaine. Ainsi, la violence ne connaît
aucune nationalité, ethnie ou couleur de peau. Elle est susceptible de s’emparer de chacun
d’entre nous lorsque les conditions et l’environnement nécessaire sont réunis. Il est important
de comprendre les mécanismes sous-jacents à l’apparition de celle-ci, afin d’éviter de futures
atrocités similaires. De ce fait, il nous faut pouvoir être capable d’analyser l’histoire d’un point
de vue cartésien. L’Humanité se doit, de manière globale, d’apprendre de ses erreurs passées,
afin de ne pas les répéter à l’avenir. Les pages les plus sombres de notre histoire ne peuvent être
effacées, mais la compréhension de celles-ci devrait pouvoir nous permettre d’avancer avec le
sentiment d’être plus éclairé qu’auparavant.

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