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L . - J .

DI2LPECH

Un grand historien
contemporain :
Arnold Toynbee

A rnold Toynbee (1) est n é à Londres en 1889 d'un p è r e histo-


rien et d'une m è r e qui avait appartenu à la p r e m i è r e géné-
ration de femmes universitaires. I l fut m a r i é avec Rosalind, fille
de l'historien Gilbert M u r r a y (1913). A p r è s son divorce en 1945,
i l se remaria avec Veronica B u t l e r qui é t a i t depuis fort longtemps
son assistante et avait c o l l a b o r é avec l u i aux Annuaires de poli-
tique internationale depuis 1920. I l fut élevé sur la base d'un en-
seignement classique (gréco-latin). Dans une é t u d e sur sa concep-
tion de l'histoire (2), i l nous p r é c i s e les avantages du m o d è l e gréco-
latin pour comprendre les faits historiques. « Comme terrain d'en-

(1) A. Toynbee, directeur d'études du Royal Institut of International


Affairs et professeur (Research Professor of International History) à l'Univer-
sité de Londres, a publié de 1925 à 1939 : A Survey of International Affairs,
seul ou en collaboration. Son maître ouvrage est : A Survey of History Oxford
University Press, 3 volumes en 1934, 3 volumes en 1939, 4 volumes en 1954.
C'est sur cet ouvrage essentiel que se fonde notre étude. Un abrégé des 6 pre-
miers tomes est dû au professeur D.C. Somervel, 1947, traduction française
d'Elis. Julia : L'histoire, Gallimard. Bibliothèque des idées, 1951. Des articles
et conférences de Toynbee sont réunis dans Civilisation on Trial, 1948,
traduction française de Renée Villoteau. La civilisation à l'épreuve, Gallimard,
Bibliothèque des idées 1951. The World and the Wert, 1952, traduction fran-
çaise de P. du Bos. Le monde et l'Occident, Desclée de Brouwer, 1953.
Guerre et civilisation, extrait de A. Study of History, traduction Albert
Colnat. Gallimard, 1953. Le christianisme et les autres religions du monde,
traduction française par Léon Thoores, Editions Universitaires, 1959. La reli-
gion vue par un historien, traduction française Marcelle Weil, Bibliothèque des
idées, Gallimard 1963. Le changement et la tradition, traduction française
Louis-Jean Calvet, Payot, 1969. On a consulté et utilisé largement : Diogene,
numéro spécial n° 13, 1956. M. Crubellier : Sens de l'histoire et religion,
Desclée de Brouwer, 1957. J. Pucelle : Le règne des fins, E. Vitte, 1959.
L'histoire et ses interprétations. Entretiens autour d'Arnold Toynbee sous la
direction de R. Aron, Mouton, 1961.
(2) La civilisation à l'épreuve, ch. I.
UN GRAND HISTORIEN CONTEMPORAIN : ARNOLD TOYNBEE 587

traînement, l'histoire du monde gréco-romain présente des avan-


tages éminents. En premier lieu l'histoire gréco-romaine nous est
visible en perspective, et peut être embrassée dans son ensemble
parce qu'elle est terminée... En second lieu, le champ de l'histoire
gréco-romaine n'est pas encombré et obscurci par un excès d'in-
formations et nous pouvons donc voir la forêt, grâce à une extrême
raréfaction des arbres pendant l'interrègne séparant la dissolution
de la société gréco-romaine et l'apparition de la nôtre... Le troi-
sième et peut-être le plus grand mérite de l'histoire gréco-romaine
est que son horizon est œcuménique plutôt que paroissial. Athènes
peut avoir éclipsé Sparte et Rome Samnium, pourtant Athènes
dans sa jeunesse fit l'éducation de toute l'Hellade, et Rome dans
sa vieillesse fit de tout le monde gréco-romain une seule commu-
nauté œcuménique (3). »
Toynbee nous rapporte qu é t a n t é t u d i a n t à Balliol, collège d'Ox-
ford, un de ses condisciples, L . B . Namier, qui était allé passer
ses vacances dans sa maison de famille à la frontière galicienne
d'Autriche, l u i raconta en 1908, au moment de la crise bosniaque :
« Ah ! l'armée autrichienne est mobilisée sur les terres de mon
père, et l'armée russe en face, à la frontière, elle en est à une demi-
heure. » Cela, dit-il, sonnait à mes oreilles comme une scène du
Soldat de chocolat (4). O n pense à une phrase d'André Maurois
sur l'univers c o n s i d é r é comme un jardin au service de gentlemen
anglais.

F aisant des fouilles en Grèce, trois ans plus tard sur les traces
d'Epaminondas et de Philopomen, et é c o u t a n t les conver-
sations dans les cafés des villages, Toynbee appris pour la pre-
m i è r e fois l'existence de quelque chose qui s'appelait la politique
e x t é r i e u r e de sir E d w a r d Grey. E h bien, dit-il, « même alors je ne
réalisais pas que nous aussi, après tout, nous étions aussi dans
l'histoire (5) ». L a guerre générale de 1914 le surprit alors qu'il
expliquait Thucydide aux é t u d i a n t s de B a l l i o l qui p r é p a r a i e n t les
Litterae humaniores ; et alors tout d'un coup son entendement
s'éclaira. L'expérience que nous étions en train d'avoir dans notre
monde, Thucydide l'avait déjà eue dans le sien et i l prend cons-
cience de la quasi-simultanéité des civilisations « quoi qu'en pût
dire la chronologie, il était établi que le monde de Thucydide et le
mien étaient philosophiquement contemporains. Et si c'était cela
la vraie relation entre les civilisations gréco-romaine et occidentale,

(3) Ibid., p. 12-13.


(4) Ibid., p. 15.
(5) Ibid., p. 15.
588 IN GR\NI) HISTORIEN CONTEMPORAIN : ARNOLD TOYNBEE

est-ce que la relation entre toutes les civilisations connues de nous


ne pourrait pas se révéler aussi comme étant la même (6) ? »
Ce furent les ouvrages du professeur F. Teggarl de l'Université
de Californie qui a t t i r è r e n t son attention sur les extraordinaires
différences de niveaux culturels entre les diverses sociétés exis-
tantes (7).
E n é t é 1920, son ami le professeur Namier lui m i l entre les
mains le livre d'Ostwald Spengler : Le Déclin de l'Occident (8). Ce
livre lui apporta deux é l é m e n t s essentiels. U n premier point capi-
tal était que les plus petits domaines intelligibles de l'étude histo-
rique sont des sociétés entières et non des fragments d'entre elles
isolées arbitraitement. Un autre de ces points était que les his-
toires de toutes les sociétés de l'espèce, appelée civilisation furent
en quelque sorte parallèles et contemporaines. Mais quand il cher-
cha une r é p o n s e à la question de la genèse des civilisations et de
leur évolution entre naissance, m a t u r i t é et déclin, Spengler ré-
pond que c'est une loi de la nature.
Là où la m é t h o d e allemande a priori a laissé un blanc, i l cher-
cha ce que l'empirisme anglais pourrait faire. L a race et le milieu
étaient les deux grandes clefs rivales que les historiens du xix' siè-
cle p r é t e n d a n t à la science ont offert pour r é s o u d r e le p r o b l è m e
de l'inégalité culturelle des différentes sociétés humaines. N i l'une
ni l'autre de ces clefs ne s'est révélée, à l'épreuve, capable d'ouvrir
la porte solidement verrouillée. Pour prendre d'abord la théorie de
la race, quelle preuve avait-on que les différences de race physi-
que entre les différents membres du Genus H o m o se trouvaient
en c o r r é l a t i o n avec leur différence sur le plan. E t s'il fallait admet-
tre l'existence de cette c o r r é l a t i o n pour le bien de la cause, com-
ment se faisait-il qu'on ait t r o u v é des r e p r é s e n t a n t s de presque
toutes les races parmi les p è r e s d'une ou plusieurs civilisations ?
Quant au milieu, il y avait, naturellement, une similarité mani-
feste entre les conditions physiques de la vallée du Bas-Nil et celles
de la vallée du Bas-Tigre-Euphrate, berceaux respectifs des civili-
sations égyptiennes et s u m é r i e n n e s ; mais si ces conditions physi-
ques avaient vraiment été la cause de ces deux civilisations, pour-
quoi des civilisations parallèles n'avaient-elles pas surgi dans les
vallées physiquement comparables du Jourdain et du R i o Grande ?
Et pourquoi la civilisation du plateau equatorial des Andes n'avait-
elle pas d'équivalent clans les hautes terres du Kenya ?

(6) Ibid., p. 16.


(7) /bld., p. 17.
(8) Paru en 1919. traduction française, 2 volumes, Gallimard. 1931.
UN GRAND H I S T O R I E N CONTEMPORAIN : ARNOLD TOYNBEE 589

L a faillite de ces pseudo explications scientifiques imperson-


nelles engagea Toynbee à se tourner vers la mythologie. Il
remarque que c'était assez piteux de prendre ce tournant, i l en
avait d'ailleurs conscience comme d'une d é m a r c h e agressivement
r é t r o g r a d e . Ce qui le conduit à préciser : « J'aurais p u ê t r e plus
en confiance, si je n'avais pas ignoré à cette date le nouveau ter-
rain ouvert par la psychologie pendant la guerre de 1914-1918. Si
j'avais connu à l'époque les travaux de C.G. Jung, ils m'auraient
d o n n é le fil conducteur (9). Je le trouvais, en fait, dans le Faust
de Goethe dans la familiarité duquel j'avais heureusement été
élevé à l'école autant que YAgamemnon d'Eschyle. Le prologue
dans le ciel de Goethe s'ouvre par l'hymne des archanges à la
perfection de ce qu'a créé le Seigneur Dieu. Mais, justement parce
que ses œ u v r e s sont parfaites, le C r é a t e u r ne s'est laissé à lui-
m ê m e aucun champ pour un exercice u l t é r i e u r de sa puissance
c r é a t r i c e ; et cette impasse aurait pu rester sans issue, si Méphis-
t o p h é l è s — créé à cet effet — ne s'était p r é s e n t é devant le t r ô n e
de Dieu et ne l'avait mis au défi de l u i donner carte blanche, pour
ruiner, s'il le pouvait, une des œ u v r e s les plus précieuses du Créa-
teur. Dieu accepte le défi et trouve ainsi une occasion de pousser
plus avant son œ u v r e de création. Une rencontre de deux per-
sonnalités sous la forme de défi et r é p o n s e . Voilà l'archétype révé-
lateur pour Toynbee.
Dans l'exposition par Goethe de l'intention de la Divina Com-
tnoedia, Méphistophélès est créé pour ê t r e déçu. Ce que le d é m o n ,
à son grand dépit, découvre trop tard. Toutefois, si en r é p o n s e au
défi du Diable, Dieu met réellement les œ u v r e s de sa c r é a t i o n en
péril, comme nous devons admettre qu'il le fait afin de trouver
une occasion de découvrir quelque chose de nouveau, nous som-
mes également obligés d'admettre que le Diable ne perd pas tou-
jours (10). Ainsi donc, si cette é l a b o r a t i o n par défi et r é p o n s e rend
compte de la genèse et de la croissance inexplicable et impré-
visible autrement des civilisations, i l explique aussi leurs disloca-
tions et leurs désagrégations. L a notion de défi correspond à une
expérience fondamentale de la personne humaine comme l'ont mon-
t r é le psychanalyste Adler et le biologiste suisse A . P o r t m à n n (11).

(9) Ibid., p. 20. Il est à noter qu'aucun des commentateurs de Toynbee


n'a noté son rattachement aux conceptions de C.G. Jung.
(10) Ibid., p. 20.
(11) Selon Portmann, en effet, cette aptitude à la riposte serait constituée
de la nature biologique de l'homme Eranos Jahrbruch, tome 15, 1948, p. 40 sq.
590 U N GRAND H I S T O R I E N CONTEMPORAIN : ARNOLD TOYNBEE

D 'après Toynbee il existe vingt et une civilisations : l'égyptien-


ne, l ' a n d é e r m e , la p r é c h i n o i s e , la minoenne, la s u m é r i e n n e ,
la maya, la y u c a t è q u e , la mexicaine, l'histite, la syrienne, la babylo-
nienne, l'iranienne et l'islamique qui fusionnées, d o n n è r e n t l'isla-
mique, l'extrême-orientale, Textrême-orientale à rejeton japonais, la
p r é i n d i e n n e , l'indoue, l'hellénique, la c h r é t i e n n e orthodoxe corps
principal, la c h r é t i e n n e orthodoxe avec rejeton russe, occidentale.
Il y a ensuite les citations a v o r t é e s qui sont : la civilisation chré-
tienne d'Extrême-Occident, la civilisation c h r é t i e n n e d ' E x t r ê m e -
Orient, la Scandinave. Les civilisations immobilisées : les polyné-
siens, les esquimaux, les nomades, les Spartiates, les osmanlis. Le
p r o b l è m e que Toynbee se pose alors consiste à rendre compte de
cet état de chose, à savoir de l'histoire de l ' h u m a n i t é tout e n t i è r e .
L'élément moteur des civilisations ce sont les élites, c'est-à-dire
une m i n o r i t é c r é a t r i c e qui s'efforce d ' e n t r a î n e r une masse passive.
A ce propos, Toynbee précise qu'il faut distinguer entre élites vir-
tuelles et élites réelles. E n ce qui concerne la p r e m i è r e , i l adopte
la position nominaliste, c'est-à-dire c o n s i d é r e r les p e r s o n n a l i t é s
humaines en tant qu'individus. I l suppose que le nombre des per-
sonnalités, douées d'une puissance de créativité exceptionnelle est
à peu p r è s u n i f o r m é m e n t d i s t r i b u é à travers tous les temps, tous
les milieux, toutes les classes sociales. C'est là une proposition im-
possible à d é m o n t r e r , mais qu'on peut cependant admettre. Cette
élite virtuelle r e p r é s e n t e sans doute u n pourcentage infime de toute
l ' h u m a n i t é , mais Toynbee la suppose d i s t r i b u é e u n i f o r m é m e n t .
Seule cependant constitue l'élite effective cette partie de l'élite
potentielle qui trouve dans un certain cadre social, politique, éco-
nomique ou religieux, une occasion réelle d'agir sur le reste de l a
société. Ainsi seule une petite partie de ce qui n'est déjà qu'une
infime m i n o r i t é constitue l'élite effective. Mais peu à peu les rela-
tions entre l'élite et la masse passent de la persuasion à la con-
trainte. A l'intérieur des Etats se constitue alors u n p r o l é t a r i a t
i n t é r i e u r . Les relations avec les voisins ou barbares évoluent.
D'abord durant l'expansion de la civilisation, elles sont bonnes et
tendent à s'orienter vers Tœcuménicité. Après l a cassure, elles de-
viennent mauvaises et les Etats devant se d é f e n d r e à l ' i n t é r i e u r
comme à l'extérieur tendent au militarisme.
Mais i l arrive qu'un des Etats m i l i t a r i s é s entre lesquels se divi-
sait la civilisation p r é d o m i n e d é c i d é m e n t sur tous les autres et
fonde cet Etat universel que fut pour la civilisation hellénique,
l'empire romain. L o i n de marquer u n p r o g r è s , comme on l'a cru
longtemps, l'établissement de l'Etat universel est, suivant Toynbee,
la d e r n i è r e phase dans la d é s i n t é g r a t i o n d'une civilisation ; jamais
UN GRAND HISTORIEN CONTEMPORAIN : ARNOLD TOYNBEE 591

le danger extérieur représenté par les barbares hostiles n'est plus


pressant qu'à l'époque de l'Etat universel.
Alors se produit un étrange phénomène : les masses opprimées
cherchent à rendre leur condition moins inacceptable en adhé-
rant à une religion chrysalyde de salut, et l'on voit ainsi se déve-
lopper, au sein du prolétariat intérieur, une Eglise universelle.
Tandis que le devant de la scène est occupé par un Etat univer-
sel qui brandit le glaive, dans les profondeurs de la société en
voie de désintégration se construit le vaisseau de l'Eglise qui sur-
vivra à l'Etat et transmettra à quelque civilisation future une
partie des valeurs de la civilisation qui est en voie de disparaî-
tre. C'est ainsi, par l'intermédiaire d'une Eglise universelle que,
des débris d'une civilisation, en naît une autre.
De leur côté, les barbares donnant l'assaut de l'extérieur à la
civilisation moribonde, vivent l'âge de l'Epopée. C'est la rencon-
tre de l'Epopée et de l'Eglise, du prolétariat extérieur et du prolé-
tariat intérieur qui donne naissance à une nouvelle civilisation.
On voit immédiatement comment cette explication vaut pour le
passage de la civilisation hellénique à la civilisation chrétienne
occidentale qui est la nôtre, ou à la civilisation chrétienne
orientale qui est, suivant Toynbee, celle de la Russie. Peut-être
Toynbee a-t-il quelque peu forcé les choses lorsqu'il a voulu appli-
quer la m ê m e grille à d'autres séries de civilisations. S i par exem-
ple, dans le passage de la civilisation Cretoise à la civilisation hellé-
nique, on voit bien la place de l'Epopée, puisqu'il ne s'agit rien
de moins que des poèmes homériques, on voit beaucoup moins
bien ce que put être l'Eglise universelle du prolétariat intérieur
de la Grèce décadente.
L a vitalité d'une civilisation s'éprouve par une réaction originale
à une stimulation du dehors par une heureuse adaptation et par
l'accord entre l'élite et la masse. Dès que l'homme ne répond plus
à une nouvelle provocation extérieure par une réaction également
nouvelle, c'est la décadence proche ou lointaine. S i les civilisations
sont périssables, c'est que l'homme trouve ses limites en lui-même.
Simple en lui-même, ce principe a des applications variées, car,
s'il y a toujours à l'origine une résistance, celle-ci prend bien des
formes. Toynbee énumère les principales et leur consacre des
analyses remarquables.

C 'est d'abord le durcissement, « la mécanisation, la mimesis,


qui fait jouer la dangereuse solidarité de l'homme avec l'ou-
til, de l'élite avec la masse. Pour garder le contrôle, le petit nom-
bre doit entraîner les autres, sans quoi la relation se renverse et
592 UN GRAND HISTORIEN CONTEMPORAIN : ARNOLD TOYNBEE

c'est la chute. La technique est-elle responsable de nos malheurs ?


La réponse c'est Volnay qui rious la donne dans un passage génial :
« La source de nos calamités réside dans l'homme même : il la porte
dans son cœur. » Le germe de mort, quand i l existe, réside dans
l'économie interne de la société elle-même : ce nouveau train dans
lequel l a société est lancée, tous devraient le suivre ; or, ce n'est
pas possible. I l faudrait que tous fussent des génies, or, la société
est faite de gens ordinaires. C'est une prouesse, q u i a infiniment
peu de chance de se faire. I l faudrait, comme le dit Bergson, une
mutation de l'espèce. L a flamme spirituelle dont parle Platon dans
e
sa 7 lettre ne se communique d ' â m e à â m e que chez u n petit
nombre. Pour ceux qui restent insensibles aux accents de la lyre
d'Orphée, i l ne reste é v i d e m m e n t que l a voix rauque du sergent
recruteur et son brutal commandement, et le fouet de X e r c è s . E t
c'est bien ainsi que tout finit. Le principe de dégénérescence est
dans le renversement du principe de la technique, originairement
triomphe de la vie sur la matière, puis triomphe de l a m a t i è r e sur
la vie. Mécanisation des fonctions, des relations humaines, qui finis-
sent par perdre ce qu'elles voulaient sauver. L a vie monte des
m é c a n i s m e s qui nous émerveillent et sont merveilleux. Mais ils se
retournent contre nous. A l a voix d ' O r p h é e succède celle d u ser-
gent recruteur. Comme le Dieu Janus, la technique a deux faces,
ce qui nous fait dire parfois qu'elle nous trahit. Mais ce sont les
mauvais ouvriers qui se plaignent de leurs outils. L ' h u m a n i t é a
finalement le sort qu'elle m é r i t e . I l se peut qu'une civilisation
qui mise sur l a technique comme agent d'exécution soit vouée à
vivre dangereusement. Car i l y a dans la mimesis une r é p o n s e q u i
n'est pas de m ê m e nature que l'impulsion q u i l'a déclenchée. E l l e
est donc naturellement p r é c a i r e et exposée à dégénérer, en retour-
nant son action contre ses intentions initiales. E t c'est u n risque
contre lequel nulle civilisation ne peut s'assurer à l'avance. Le seul
r e m è d e radical serait la communion des saints. Nous en sommes
loin.

e deuxième obstacle est l a r é s i s t a n c e des institutions. Nous


-I—/ en avons u n exemple dans le tragique e n t r a î n e m e n t q u i , de-
puis le x v i i r siècle, a précipité l ' h u m a n i t é dans des guerres totales.
Après le fanatisme des guerres de religion au xvr et au xvir* siè-
e
cles ; les guerres d u XVIII siècle furent des jeux de princes comme
la chasse et relativement anodines, sans passions collectives. Quand
la Révolution française a p r o c l a m é l'Evangile d é m o c r a t i q u e , o n
put croire qu'on allait vers l a sagesse. C'est le contraire q u i s'est
produit. A u lieu de faire é c l a t e r les patriotismes en universalis-
IN GRAND HISTORIEN CONTEMPORAIN : ARNOLD TOYNBEE 593

mes, la d é m o c r a t i e ne fait que généraliser la passion belliciste :


d'un petit nombre, elle l'a fait passer dans le peuple entier. Chez
les conventionnels naît le concept de guerre totale. D é s o r m a i s les
guerres seront des guerres nationales et non des sports de rois.
Elles drainent toutes les passions, les haines, mobilisent toutes les
énergies vers des buts destructifs. A l'idéologie p a s s i o n n é e des
soldats de la Révolution, et à l'esprit de c o n q u ê t e n a p o l é o n i e n n e
r é p o n d e n t bientôt « les discours à la nation allemande » de Fichte,
le messianisme de la Befreiungskrieg : c'est le régime de la nation
a r m é e . Déjà Kant, dans l'Essai sur la paix perpétuelle, incriminait
les a r m é e s de métier.
E n m ê m e temps l'industrialisme ,naissait, d é c u p l a n t la nocivité
des conflits. (La guerre de sécession est la p r e m i è r e des guerres
industrielles). Ainsi les deux grandes institutions qui eussent dû
libérer l ' h u m a n i t é , la d é m o c r a t i e et l'industrie, se retournent con-
tre elle et multiplient leur influence l'une par l'autre en produisant
les guerres d'extermination. L a d é m o c r a t i e en s'emprisonnant dans
des Etats isolés, a n i m é s d'un patriotisme de clocher, a produit
l'antagonisme des nationalismes. Nous cumulons donc les méfaits
de l'industrialisme et du fanatisme.

L a troisième cause de l'écroulement des civilisations est la


« némésis du pouvoir créateur », revanche du destin, envie
des dieux ou sanction des excès du pouvoir. L'histoire nous donne
f r é q u e m m e n t le spectacle d'un revirement de fortune. U n homme,
un parti qui avait jusque-là t r i o m p h é des épreuves, est abattu par
le sort. L a sagesse antique s'en é m e u t , elle aime à m é d i t e r sur
ce fait ; elle en propose des i n t e r p r é t a t i o n s . C'est ainsi un des
principaux t h è m e s du Nouveau Testament. Il semble que l'on
puisse à la suite de J . Pucelle, introduire dans la théorie de Toynbee
plusieurs cas qui l'éclairent. Ou bien l'homme excite l'envie des
dieux par son bonheur, mais un bonheur m é r i t é et légitime, alors
ce sont les dieux qui en le frappant se d é s h o n o r e n t . O u bien —
variante de ce cas — l'homme, sans y ê t r e pour rien, jouit, on ne
sait pourquoi, d'une chance insolente et m a l g r é ses efforts pour
apaiser les dieux en donnant des gages au destin (l'anneau de Poly-
crate), i l est finalement victime de la reversion, effet d'une sorte
de l o i de compensation. Ou bien les é p r e u v e s se révèlent de plus
en plus difficiles, et, malgré son intelligence et son courage, l'homme
succombe : alors i l est, simplement dépassé par des questions aux-
quelles i l ne peut plus r é p o n d r e . Ou bien, le puissant, grisé de pou-
voir et de succès, enhardi, en abuse et se croit tout permis, i l ren-
tre dans la d é m e s u r e ; i l tente le sort et en est puni (Xercès dans
594 U N GRAND HISTORIEN CONTEMPORAIN : ARNOLD TOYNBEE

H é r o d o t e , les Perses). Se croyant au-dessus des lois, i l commet


des crimes dont Dieu se fait le vengeur (Psaumes, P r o p h è t e s ) . I l
y a intériorisation de la faute. Or, d ' a p r è s Toynbee, la reversion est
bien la sanction de la d é m e s u r e , ou le fait qu'un ê t r e d é p a s s é par
les é p r e u v e s sans p r é c é d e n t , ne trouve plus de riposte. L a Némé-
sis peut ê t r e la sanction d'une simple perte de vigilance. Les
groupes agissants, pas plus que les individus, ne doivent s'endor-
m i r sur leurs succès. Elle peut aussi r é s u l t e r d'une idolâtrie, d'un
m o i é p h é m è r e , d'une institution ou d'une technique é p h é m è r e (ce
fut le cas des Américains avec la bombe atomique et les g é n é r a u x
p r é p a r e n t toujours la p r é c é d e n t e guerre). Les phases de la catas-
trophe se r é s u m e n t dans la tragédie en trois actes qui est familière
à la tragédie grecque sous les noms de satiété, d é m e s u r e et désas-
tre ; auxquels correspondent le fait d'être gâté par le succès, l a
perte de l'équilibre mental et moral, enfin l'impulsion aveugle qui
pousse à tenter l'impossible. L a morale de l'histoire c'est que le
succès se m é r i t e et qu'il faut en rester digne par des actes répé-
tés, une certaine vigilance, un sens de la mesure à ne pas d é p a s s e r ,
enfin un certain pouvoir de création.

A l'aspect social du déclin des civilisations correspond une rup-


ture à l'intérieur de l'âme. Toynbee écrit : « Parmi tous les
aspects infiniment multiples de la nature humaine, l'âme est seule
capable d'être le sujet d'expériences spirituelles et l'auteur d'actes
spirituels. » Dans la phase de d é c o m p o s i t i o n des civilisations l'âme
ne r é p o n d plus de façon c r é a t r i c e . Sa seule possibilité d é s o r m a i s
est d'opter pour u n comportement actif ou passif. Dans le com-
portement individuel, l'âme soucieuse de s'exprimer, peut choisir
l'attitude passive de l'abandon. Elle laisse libre cours à ses incli-
nations s p o n t a n é e s et vit « selon la nature, dans l'espérance illu-
soire que cette mystérieuse déesse trouvera dans sa corne d'abon-
dance le présent qui lui restituera sa force créatrice perdue. » L'at-
titude active, qui constitue l'autre terme de l'alternative, est la
v o l o n t é de m a î t r i s e de soi. I l s'agit de parvenir, par exercice spi-
rituel, ( a s c é t i s m e ) à dominer la nature et les passions. Dans le
comportement social, le dressage et le m i m é t i s m e sont abandon-
nés pour l'attitude passive de d é s e r t i o n ou r e m p l a c é s par l'attitude
active du martyr. S i nous passons du plan d u comportement à
celui de la sensibilité, nous constatons que l'élan p r o m é t h é e n q u i
c a r a c t é r i s e la croissance s'est transforme en impulsion de fuite en
face des forces du m a l et en douloureux sentiments d'impuissance.
L'expression passive de cette situation est le sentiment d'aller à la
dérive, l'expression active la conscience du péché. Dans le domaine
UN GRAND HISTORIEN CONTEMPORAIN : ARNOLD TOYNBEE 595

de la sensibilité sociale on voit se perdre le sentiment du style que


p o s s è d e toute civilisation en croissance. L'âme s'abandonne à l'in-
forme. On voit se fondre dans le m ê m e creuset des traditions et
des valeurs inconciliables. Le mélange des styles a pour effet le
s y n c r é t i s m e philosophique et religieux. A cette réaction passive
s'oppose la recherche active d'un style et d'une forme unitaires
pour substituer au chaos informe u n ordre universel et éternel.
Comme le comportement et la sensibilité, la vie elle-même est
livrée aux tendances dissolvantes. Là aussi des alternatives se subs-
tituent au mouvement unanime de la croissance. Nous retrouvons
ici l'opposition des réactions violentes et des réactions douces. Les
r é a c t i o n s violentes sont l'archaïsme (passif) et le futurisme (actif).
Les r é a c t i o n s douces sont le d é t a c h e m e n t (passif) et la transfigu-
ration (active). Toynbee désigne sous le nom d ' a r c h a ï s m e toutes
les actions et les doctrines qui exigent un retour en a r r i è r e . Dans
l'archaïsme, ce ne sont plus les p e r s o n n a l i t é s c r é a t r i c e s , mais les
esprits des a n c ê t r e s qui deviennent les m o d è l e s , Le futurisme au
contraire s'ouvre sur l'avenir, le transcendant, voire la religion (12).
L a p e n s é e de Toynbee a évolué dans le sens de la religion.
Dans les six premiers volumes des Etudes la religion a p p a r a î t
comme un moyen, dans les quatre derniers elle a p p a r a î t véritable-
ment comme une fin. C'est dans les six premiers volumes que
Toynbee expose sa théorie des religions chrysalides, entendant
par là que les religions surgissent au déclin d'une civilisation,
groupant en églises une partie du p r o l é t a r i a t et canalisant pour
un temps toute la créativité qui se réveille dans le corps social.
Une fois disparue l'ancienne société, cette Eglise bourgeonne et
donne naissance à une société nouvelle. Ce qui fut le cas pour
le christianisme vis-à-vis de la civilisation gréco-romane.
A ce niveau la pensée de Toynbee restait sur le plan morpho-
logique. Mais peu à peu on assista dans ses conceptions à une
évolution q u i tient, semble-t-il à deux raisons. L a p r e m i è r e est qu'il
d é c o u v r e des exceptions à cette règle : tous les passages de sociétés
m è r e s à sociétés filles ne supposent pas la m é d i a t i o n d'une Eglise
universelle. Mais la seconde, de loin la plus importante est que
sa perspective m ê m e change et qu'il ne peut plus se contenter
pour la religion d'un rôle secondaire. I l s'est produit, comme i l
le dit, un renversement des rôles. D o r é n a v a n t les civilisations
apparaissent au service des religions s u p é r i e u r e s , non plus les
religions au service des civilisations. Les religions survivent aux
sociétés, et m ê m e aux sociétés qu'elles ont c o n t r i b u é à faire n a î t r e .

(12) L'histoire, ch. 19, parag. 8 à 11.


596 U N GRAND HISTORIEN CONTEMPORAIN : ARNOLD TOYNBEE

On peut se demander si subjectivement cette évolution n'a pas


eu pour cause la maturation d'un élément de sa vie. Toynbee
a évoqué incidemment une expérience religieuse faite par lui au
cours de l'été 1936 « en un temps de maladie physique et de crise
spirituelle ». Il lui arriva alors de rêver pendant un bref instant
de sommeil, au cours d'une nuit blanche, qu'il étreignait le pied
du crucifix qui est suspendu au-dessus du maître-autel de l'abbaye
d'Ampleforth et qu'il entendait une voix lui disant : amplexue
expecta {Tiens bon et attends) (13).
Toynbee croit non seulement nécessaire, mais également pos-
sible la réconciliation des religions s u p é r i e u r e s . Ayant c o n s t a t é la
permanence des grandes religions, il écrit : « 77 y a une explication
psychologique possible à la persistance de 8 communions sur la
planète {le confucianisme, les écoles hinayanienne et mahayonienne
du bouddhisme, le zoroastrisme, le judaïsme, le christianisme et
l'islam). Il est possible que chacune des communions survivantes
se trouve avoir une affinité avec une des diverses organisations et
orientations possibles de la Psychée humaine. A l'heure actuelle,
cette explication psychologique ne peut être proposée qu'à titre
d'essai, car l'étude des types psychologiques entreprise par C. G.
Jung est encore au stade de Vexploration. Mais il est concevable
qu'une affinité entre l'un de ces types psychologiques et l'une des
communions survivantes puisse être l'explication de la perpétua-
tion de cette foi particulière, en contraste avec le sort de ses pre-
mières concurrentes, aujourd'hui disparue ; il n'est pas inconce-
vable que la persistance de toutes les communions qui subsistent
encore puisse s'expliquer, en partie au moins, selon ces don-
nées ( 14). »
Ainsi Toynbee admet comme possible la réconciliation des reli-
gions s u p é r i e u r e s . I l la justifie par de nombreuses citations. C'est
la parole de saint Paul aux Corinthiens. « Il y a diversité de don,
mais un seul et même esprit. » C'est le mot de Symnaque : Uno
itinere non potest pervertiré ad tant grande secretuni. Il rappelle
l'exemple des j é s u i t e s en Chine au x v i ' siècle et surtout celui du
P. R i c c i (15). Pour l u i les huit grandes religions contemporaines
seraient comme huit variations sur un seul t h è m e .
De ce curieux s y n c r é t i s m e relève l'original final de son livre —
cette longue invocation, renouvelée des litanies des saints, au
Christ J é s u s , à sa Mère, à saint Michel archange, à tous les ar-
changes et anges, mais conjointement aussi à toutes les divinités

(13) Etudes d'histoire, tome 9, p. 634 à 635.


(14) La religion, p. 143.
(15) Le monde et l'Occident, ch. 4.
IN GRAND HISTORIEN CONTEMPORAIN : ARNOLD TOYNBEE 597

des religions s u p é r i e u r e s , à lous les p r o p h è t e s , à tous les sages


de tous les pays — et dont voici, à titre d'exemple, les premiers
versets.
Christ, atidi nos
Christ, Tainmonz, Christ Adonis, Christ Osiris, Christ Balder,
écouterions, par quel nom que ce soit nous te bénissons
d'avoir souffert la mort pour notre salut

Christ Jesu, exaudi nos


Bouddha Gautama montre-nous le chemin qui nous conduise
hors de nos afflictions
Sancta Dei Génitrix, intercède pro nobis
Mère Marie, Mère Isis, Mère Cybèle, Mère Ishtar, Mère Kwa-
nynin, aie pitié de nous, par quel nom que ce soit nous te
bénissons d'avoir mis notre Sauveur au monde (16)

E n un mot :
L ' h u m a n i t é est suspendue à Dieu. Et Toynbee ne craint pas
d'écrire : « Ainsi au sommet de la pente visible de la falaise en
haut de laquelle la créature est attirée par l'appel de son Créateur
à tenter une ascension périlleuse, nous entrevoyons la main de
Dieu se tendant vers le bas pour rencontrer la main dressée de
l'alpiniste en difficulté ; et, au point où les mains se rencontrent
dans l'étreinte de l'Amour, la Loi et la Liberté cessent de se dis-
tinguer ».

P ar son œ u v r e splendide Toynbee rejoint saint Augustin dans


sa théologie de l'histoire et cela à travers l a notion de trans-
figuration. Elle suppose un modèle transcendant de l'histoire au-
quel l ' h u m a n i t é , en son c œ u r s e c r è t e m e n t complice, é p r o u v e r a i t
le besoin de se conformer. Les sociétés humaines sont vouées à
l'échec aussi longtemps qu'elles ne sont qu'humaines. Une société
n ' é c h a p p e r a i t à l'échec que si elle pouvait transformer sa nature,
passer de l'état de société à celui de communion, plus précisé-
ment de communion des saints. Mais aucune civilisation connue
ne s'en est j u s q u ' à ce jour, distinctement a p p r o c h é e .
Pour que le temporel s'accomplisse i l faut une double circu-
lation : l'éternel é t a n t voulu à travers le temporel et l'éternel
informant le temporel. Comme l'a écrit Chaix R u y à propos de
saint Augustin : « Si l'histoire des deux cités s'entremêle dans le
cours des siècles, comportant d'incessants changements et de per-
pétuels échanges, nul ne pouvant se flatter de posséder un statut

(16) Etudes d'histoire, tome X, p. 143-144.


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définitif qui puisse lui garantir son destin, il faut qu'un mouve-
ment constant aille du temps à l'éternité et de l'éternité au temps,
qu'une partie du temps passe dans l'éternité par une insertion
mystérieuse, que l'éternité soit dans le temps par un pressenti-
ment et une espérance » (17).
On peut dire que peut-être inspiré par l'esprit d'un Newman,
Toynbee a réalisé avec le maximum d'ampleur le v œ u d'un des
plus grands philosophes religieux catholiques du d é b u t du siècle,
l'oratorien Lucien L a b e r t h o n n i è r e qui écrivait en 1904.
« Au risque d'en scandaliser quelques-uns, nous continuons de
regarder comme absolument juste l'idée qu'a eue Bossuet, dans
le Discours de l'histoire universelle, de faire du Christ le centre
et la vérité de l'histoire et de se servir de l'histoire pour mettre
en valeur la vérité du Christ. Seulement au lieu de donner pour
objet à l'histoire les événements extérieurs, la naissance et la chute
des Empires, les exploits des grands capitaines et les intuitions
des grands politiques, c'est la vie même de l'humanité qu'il faut
lui donner pour objet, dans cette immense inquiétude enfin qui
en se renouvelant toujours est toujours la même et ne lui permet
de trouver le repos nulle part. Et il y aurait lieu de montrer que
le Christ est présent à toute cette diversité, inconnu, connu ou
méconnu, désiré, accepté ou repoussé, mais toujours principe et
centre de mouvement.
L'histoire par la critique devenant de plus en plus une étude
de l'humanité ainsi envisagée par le dedans, on peut rêver pour
les Bossuet de l'avenir la tâche de faire, à ce point de vue, une
nouvelle synthèse de l'humanité dans le Christ et un nouveau dis-
cours sur l'histoire universelle » (18).

L.-J. D E L P E C H

(17) La Cité de Dieu et la structure du temps dans Augustinus Magister,


tome II, p. 926-927.
(18) Essai de philosophie religieuse, Lethielleux, 1904, p. 171.

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