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Hoffmann, Ernst Theodor Amadeus (1776-1822). L'élixir du diable : histoire tirée des papiers du frère Médard, capucin. 1829.

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Y2 69623

Paris
1829

SPINDLER, C.

f/E~jar dM diable
Histoire tirée des papier frère Médard, capucin

Tome 1
Symboleapplicable
pour tout,ou partie
des documentsmtcrofiimés

Texte déténoré reliure défectueuse


N F Z43-120-11
applicable
Symbole
oupartie
tout,
pour
m!croft!més
desdocuments

illisible
Ongma!
NFZ43
12010
L'ËMXIR
DUDIABLE.
JARiS. –IMPRIMERIE DE COSSON. 1
rue&int-G{''mattt-ttts-t'rcs,a<'o.
&'iMSM

DU
MABLE,
~Mr~ t<~ p~t~
M T~&B N&M:&~$
MïPM~
PCBH~E
PAR C. SPÏNDLBR,
BT TRADUtTE DE L'AHEMANB

PAR JEAN COHEN.

TOMEPREMIER.

<~
-~4p~

( ;.e~
'~s i

~MS,

~TB~UNAY-YALL~. UM~
&PZ GpjsjTijtOAcrt,.
x~ a5.

4829.

i'.
2

Ï~EMXÏR

E)~ MâBM.'

CHAPITREPREMIER.

;r JE n'ai jamaispu apprendre de ma


mèrel'état que monpèreoccupaitdansle
monde.En attendant,si je réunis toutes
les circonstancesqu'elle m'a racontées
dès ma plus tendrejeunesseet dont j'ai
conservéun souvenirexact, je ne puis
douter qu'il n'aitété douéde profondes
connaissanceset d'une grande habitude
des hommes.Cesmêmes circonstances
jointes à quelquesexpressionsqui lui
échappaientde tempsà autre et qui se
rapportaient auxévénemensde sa }eu-
nesse mais dontle vrai sensne m'a été

y
f<
6 L'ÉLIXIR DU DIABLE.
dévouéque plus tard
méprirent que
mes paronst après avoir
joui d'une
grande aisance, étaient tombés dans
une extrêmepauvreté tandis
que mon
Père, que l'espritmalin avait, à son en-
trée dans ïe monde, entraîné dans un
crime affreux,éclairévers la fin de tes
jours sur le péché mortel qu'il avait
commis, s'était décidé à faire un pèle-
rinage au Tilleul-Sacré monastèresi-
tué en Prusse, pays fort
étoile du lieu
de notredemeure.

C~fut pendant notre long et


pénible
voyageque ma mère,1 mariée depuis
plusieurs années, sentit pour la pre-
mière foisque sonunion ne serait
point
stérile, ainsi que mon père l'avait
craint; celui-ci maigrele mauvaisétat
de sa fortune, se réjouit fort de cette
espérance car elle accomplissait un
songe dans lequel saint Bernard lui
était apparuet lui avaitpromis
que son
t~MXtR M MABMf. 7

lui serait remispar la naissance


péché
d'un <Hs.Mon père tomba mahdepeo
de temps après notrearrivéeauTMeol-
Sacr~,et commeil ne.voulut point io-
terrompre les péniblespénitences qui
lui avaient été prescrites son état em-
pira de jour en jour, et il mourut enfin
consoleet reconciliéavec le ciel, aFin-
stant même où ma mère me mettait au
monde.

Mespremierssouvenirsprésentent
mon esprit lesdoucesimagesdu mona-
stère et de la magnifiqueéglisedu Til-
leul-Sacré.Je croisêtre encoredans la
forêt tourne, entouré du gazonvert et
épais et des fleurs qui me servaientde
berceau. Pas un reptile venimeux,pas
un insecte nuisible n'habite la sainte
demeuredu religieux.Ni lebourdonne-
ment des mouches~ ni le chant du
grillonne vient interromprele silence
solennel dans lequel ne retentissent
S i~HXîRM~MABtE.
d'autres sons que les hymmes des pré-
très qui, accompagnésde nombreux
pèlerins,agitentdesencensoirsd'ordans
de longues et superbesprocessions.Je
crois voir encore au milieu del'église
le tronccouvertd'argentduTilleul,dans
les branches duquel des
anges vinrent
déposer -le portrait miraculeux de la
Mèrede Dieu. Il me semble
que les an-
ges et les saintspeints ou sculptés sur
les murs et ïc dOi~cJe 1 égli&ewe t}ou-
Tient encore. Les récits que ma mère
m'a ~it de ce couvent merveilleux
où saprofondedouleurtrouvade
pieuses
consolations, se sont tellement identi-
nës avec moi-même, que je m'imagine
avoirtout vu tout entendu, quoiqu'il
soitimpossiblequema mémoires'étende
jusque là, car je n'avaisqu'un an et
demi quand ma mère quitta ce saint
lieu.

C'est ainsi que je ne puis bannir de


t~HXIRDUMABM. Q
<

mon cœur la conviction que, me trou-


vant un jour seul dans.l'église, j'y ai va
l'étrange figure d'un homme grave et
sévère et que cet homme était préci-
sément le peintre étranger
qui bien
long-temps auparavant, et au moment
où l'égitse venait d'être achevée,
s'y
~tait présenté parlant une
langue que
personne ne comprenait, et qui, avec
un talent merveilleux et en fort
peu de
temps, avait fait toutes les peintures
dont Fédince était décoré,
puis avait
disparu tout à coup sans demanderson
salaire.

C'est ainsi que je crois me


rappeler
encore un vieux pèlerin dont le costume
était fort singulier et qui avait une lon-
gue barbe Manche. Il me portait sou-
vent dans ses bras, cherchait dans le
bois des fleurs et des cailloux
pour
m'amuseret jouait avec moi. Il est ce-
pendant fort probable que son imagene
t0 t'~MXÏR DC DIABLE

s'est dépeinte avec tant de vivacité à


.mon esprit que par les fréquentes des-
criptions que ma mère m'en a faites.Un
jour il emmena avec lui un enfant
d'une beauté extraordinaire et qui était
du même âge que moi nous étions
assis sur le gazon où nous nous cares-
sions et nous nous embrassions. Je lui
donnais tous mes jolis caillouxet i! les
langeait par terre en toutes sortes de ~t-
gures, mais qui finissaient toujours par
offrir la forme d'une croix. Ma mère
était assise auprès de nous sur un banc
de pierre, et le vieux pèlerin, debout
derrière elle contemplait avec une
douce satisfaction nos jeux enfantins.
Tout à coup quelques jeunes gens sor-
tirent du taillis. Leur costume et leur
maintien indiquaient qu'un simple mo-
tif de curiosité lesavaitattirés auTilleul-
Sacré. Und'eux en nous voyants'écria

« Voyez donc! une sainte famillet


t/ÉMXÏH DU MABM. tt
Voilà un tableau pour mon portes
feuiHe! a

Il tira en effetdu papier et un crayon


de sa poche, et se préparait à dessiner
quand ie pèlerin leva la tête et s'écria
courrouce

Fade railleur tu prétends être un


artiste, et ton sein n*ajamais brute du
feu de la Fn! Pt df: la Charité. Aussi te&
ouvrages seront-ils froids et morts
comme toi-même.Livre à la solitude tu
te désespéraset tu périras par ta
propre
nullité <

Les jeunes gens s'éloignèrent, étour-


dis de ce discours,et le vieux pèlerindit
à ma mère

a Je vous avais amené un enfant


merveilleuxafin qu'il allumât dans le
sein de votre fils le feu de la Charité
mais il faut queje vous le retire de nou-
L'éHXïR BO DïABM.

veau, et, selon toutes les apparences,


vous ne nous reverrez plus ni l'un ni
Fautre. Votrefils a reçu du ciel plusieurs
dons précieux~ mais le péché de son
père bout dans ses veines. Il peut pour-
tant encore devenir un vaillant cham-
pion de la foi. Consacrez-leà l'église.

Toutes les fois que ma mère parlait


de cette aventure ellc répétait que les
paroles du pèlerin avaient fait sur elle
Tmeimpressionineffaçableet qu'elle ne
pouvait expliquer. Elle résolut pourtant
de ne gêner en rien mon inclination, et
d'attendre tranquillement ce que le sort
déciderait à mon égard et la direction
qu'il donnerait à mon esprit vu que,
dans sa position elle n'avait aucun
moyen de faciliter le développementde
mes dispositionsnaturelles.

Des souvenirs plus nets et dont je


suis aussi plus certain, datent de Fépo-
Ï~MXÏR Du MABHE. t5

que où ma mère, en retournant chez


elle, s'arrêta dans un couvent de Mli"
gieuses de l'ordre de saint Bernard, dont
la supérieure, née princessedel'empire,
avait connue mon père et la reçut avec
bonté. Depuis l'aventure du vieuxpèle-
rin, dont j'ai réellement conservé un
souvenir que ma mère n'a fait que com-
pléter en me rappelant ses discours et
ceux du jeune homme, jusqu'au jour
où je fus pt~uiJ<tpremière fois présenté
par ma mère à madame la supérieure,
il y a un videdont ma mémoire ne garde
pas la plus légère trace. Je n'en retrouve
qu'au moment où, prêt à partir pour le
couvent, ma mère s'efforçaitde donner à
ma modeste toilette une apparenceun
peu plus distinguée. Elle avait acheté à
la ville des rubans neufs; elle me coupa
les cheveux jusqu'alors négligés; elle
me para du mieux qu'elle put, et
m'exhorta à me conduire aveccalme et
sagesse en présence de madame l'ab-
14 L~MXÏR DU DIABLE.

besse. Ala fin, me prenant par la main,


elle moHtaavecmoi le grand escalierde
pierre et entra dans un appartement
élevé, à plafond cintré et orné de ta-
bleaux tirés de Histoire sainte. Ce fut
!à que nous trouvâmesla princesse. Je
vis une femme grande, majestueuse, et
à qui le costume de son ordre donnait
un air de dignité qui imprimait un res-
pect involontaire. Elle me regarda d'un
œil qui sembla~ ~uutua pe~rer jus-
qu'au fond de mon âme, et dit à ma
mère:
<Est-celà votrefils? Il
Sa voix, son maintien, les personnes
étrangères dont j'étais environné, l'ap-
partement élevé, les tableaux, tout se
réunit pour fane sur moi une impres-
sion d'effroi qui mefit fondreen larmes.
Sur quoi la princesse après m'avoir
-regardé d'un air plus doux et plus bien-
veillant, ajouta
Ï.~ÏX!R DO MABLE.

<Qu'as-tudonc, mon enfant? As-tu


peur de moi?. Comment s'appelle
votrefils, machère dame?8
«François, réponditma mère.

t François! e répétala supérieure du


ton de la plus profonde mélancolie, et
me soulevant dans ses bras, elle me
serra fortement contresa poitrine mais
au même moment réprouvât une
douleur «i vive au cou que je poussai
un grand cri. La princesse e&t'ayéeme
!âcha, et ma mère, honteuse et aMitgée
de ma conduite, accourut vers moi pour
m'emmener. La supérieure ne voulut
point le permettre, et mes cris conti-
nuant, on examina mon cou et F'm dé-
couvrit que la croix de diamans que la
princesseportait sur sa poitrine m'avait
blessé si fort que la place en était toute
rouge et pleine de sangextravasé.
< Pauvre François dit l'abbesse, je
j~MXÏR DU DïABM.

t'ai fait ma:, mais il faut que nous re-


devenions bons amis. a

Une des soeursapporta des confitures


avec du vm de liqueur. Devenu déjà
plus hardi, je ne me fis pas long-temps
prierpouren accepter, et je mangeai avi-
dement les sucreriesque l'aimable dame,
qui s'était rassise et m'avait pris sur ses
genoux, me mettait elle-même dans la
bouche. Apeine <?us-;<=' gn~te de ce breu-
vage sucré que je ne connaissais point
encore, que l'on vit revenir ma gaieté,
cette vivacitéparticulière qui, au.dire de
ma mère, m'avait distingué depuis les
premiers jours de mon existence. Je me
mis à rire et à babiller à la grande satis-
faction de l'abbesse et des sœurs qui
étaient restéesdans l'appartement. Je ne
ne saurais encore m'expliquer le motif
que ma mère put avoir pour m'engager
à faire à la princesse la description des
belles chosesque j'avais vues dans le lieu
I~M~M DP MAMB. t~
§ de ma naissance. En attendant, }c dé-
crivis les beaux tableaux du peintre
étranger avec une éloquence fort au-
;c dessus de mon âge et comme si gavais
été inspiré par quelque puissance d'un
ordre supérieur. Je racontai les magnin-'
ques légendesdes saints commesi j'avais
été profondément versé dans tous les
écrits de l'église. La princesse et ma
mère elle-mêmeme regardaient avecune
surprise extrême mais plus je parlais
plus motienthousiasureaugmentait, et la
princesse m'ayant enfin demandé d'où
me venait tant de connaissances, je ré-
pondis sans balancer que le bel et mer-
reilleux enfant qu'un pèlerm étranger
m avait un jour amené, m'avait cxpli-
que tous les tableaux de l'égUse, avait
peint lui-même pour moi des images en
,f pierres de couleur, m'en avait fait con-
naître le sens, et m'avait en outre ra-
conté un grand nombre de saintes his-
foires.
toires.
i8 Ï.'ÉMX!R BU MABM.

Cependant tes vêpres sonnèrent. La


sœur avait rempli de bonbons un cornet
qu'elle me donna et que je pris avec
grand pÏaisif. L'abbesse se leva et dit à
ma mère

a Je regarde dés aujourd'hui votre


fils comme mon élève, ma chère da-
me, et je !c prends sous ma protec-
tion.

Mamèrene savaitcomment exprimer


sa reconnaissance.Elle baisait en pleu-
rant, les mains de la princesse. Nous
étions au moment de nous éloigner
quand la princesse nous suivit, me prit
encore une fois dans ses bras et me
pressa contre son sein après avoir soi-
gneusement mis sa croix de côté. Elle
arrosamon front de larmes en disant

< François! sois toujours s~ge et


vertueux! c
t~HXÏR DC MABM. 1~
J'étaisému jusqu'au 6md du coeur,
je pleurais malgrémoi et sans savoir
pourquoi
CHAPITRE II.

GRACE à la protection de l'abbesse la


maison de ma mère, qui
occupait une
petite ferme dans les environs de l'ab-
baye, prit une meilleure apparence.
Nous retrouvâmes de
l'aisance, on
m'babiHaplus décemment, et
je jouisdes
instructions du curé de qui je servaisla
~HX!& M ÏMAME. ai
messe toutes les fois qu'il la disait dans
yégïisc du couvent.

H me semble que je suis encore livré


au plus doux songequand je me
rappelle
-cetheureux temps de ma
jeunesse. Les
foyers maternels sont pour moi un pays
délicieux qu'habitent !a joie et<~a
gaieté
sans nuage de l'innocente enfance;
mais quand je jette les yeux en arrière,f
je vois l'abîme sans fond qui m'en sé-
pare pour jamais. Rempli des plus ar-
dens désirs, je m'efforcede plus en
plus
de reconnaître les personnes chéries
que je vois marcher de l'autre eôtë,écÏai-
A'éesde la lumière douée et
pourprée de
l'aurore, et dont je crois pouvoir distin-
guer les voix harmonieuses. Hélasf y
a-t-i! donc un abîme par-dessus
lequel
l'amour avec ses fortes ailes ne
peut
élancer ? Qu'est-ce que l'espace,
qu'est-
ce que le temps pour l'amour? N'existe-
t-it pas par la penséeet la pensée con-
~a I.'ËHXtR BU NABUE.

naît-elle des Hontes?Maïs de sombres


images s'élèventautour de moi elles
m'environnent,leur cercle se resserre
de plus
*{' en plus, elles me cachent la
perspectiveet remplissentmon esprit
des souffrancesprésentes,au pointque
le désir qui naguèreme faisaitéprouver
la plus doucemélancolie, devientpour
moi la sourced'une peine effroyableet
mortelle.

Le curé était la booté même il sa-


vait captiver mon esprit trop vif et me-
surer si bien ses instructions d'après
mon caractèreque j'y trouvais du plaisir
et que je fis sous ses yeux de rapides
progrès. J'aimais ma mère par-dessus
tout et je respectais l'abbesse comme
une sainte le jour où il m'était permis
de la voir était toujours pour moi un
jour de fête. Chaque fois je prenais la
résolution de faire briller devant elle les
connaissancesque je venais d'acquérir;
L~UXÏRDUDIABLE. a5
maisaussitôt qu'elle paraissait et qu'elle
me souriait avec son amabilité aLCcoutu-
mée, je ne trouvais plus un mot à dire
et je ne pouvais que la regarder et
l'écouter. Chacune de ses paroles péné-
trait jusque dans mon âme. Pendant
tout le reste de la journée j'éprouvais
un bien-être inexprimable et solennel
et son image m'accompagnait dans mes
promenades, Il me serait impossiblede
décrirela sensation que j'éprouvais lors*
que je nie trouvais devant l'autel, l'en-
censoir à la main, et qu'au mitieu des~
riches tons de l'~gue, je reconnaissais
dans l'hymne sa voix qui, semblableà
un rayon céleste, pénétrait dans mon.
âme, et lui donnait un pressentiment
du bonheur suprême de l'éternelle sain*
teté.

Mais le plus beau jour de l'année y


celui dont rapproche me réjouissait
plusieurs sernaines d'avance et auquel
~4 î.'BHXÏR BU DtABÏ~.

je ne puis encore penser sans une vive


émotion, c'était ta fête de saint Ber-
nard. Cette fête étant celle du patron
du couvent se célébrait avecune solen-
nité toutep articunère,et desi ndu!gences
étaient accordéesà tous ceux quivenaient
y assister. Dès la veille une foule in-
nombrable de personnes arrivaientde la
ville voisineet de tous les paysdes envi-
rons elles campaient sur la vaste pe-
ïouse fleurie qui s'étendait jusqu'à la
porte du couvent, de sorte que le joyeux
tumulte ne cessait pas même pendant
la nuit. Je ne me rap~ilc pas que ja-
mais le temps ait été défavorableà cette
fête qui tombe du reste dans le plus
beau mois de l'année) le ig août. Là se
voyaient à la fois de pieux pèlerins
chantant des hymmes de jeunes
paysans se promenant gaiement avecles
ailles du village, des ecclésiastiques
marchant les bras croisés et les yeux
nxés sur le ciel, des ménages de la ville
,,¡
î.~MxmM~MA~E.' a$
tirant des provisionsde leurs paniers et
prenant leur repas assis en cercle sur
le gazon. Des chansons joyeuses, des
psaumes, les soupirs des pénitens le
gros rire de l'innocence, des plaintes,
des accens de gaieté, des plaisanteries
des prières remplissaient les airs d'un
concert étrange et assourdissant. Mais
aussitôt que la cbche du couvent com-
mence à sonner, le bruit cesse tout-
à-coup. Aussi inin que la vue peut
s'étendre on n'aperçoit plus que des
personnesà genoux, et le murmurede la
prière interrompt seul le silence solen-
nel. Ledernier coup a retenti, et à Hn-
stant chacun se relève et le tumulte re-
commence.

L'ëvêque,qui résidaitdans la villevoi-


sine, venait lui-même le jour de la St-
'Bernardau couvent, pour y célébrer la
messe avec les ecclésiastiquesde sa ca-
thédrale. ïï amenait avec lui sa cha-
ï.
t/~UXIR DU DIABLE.
~6

qui était placée sur une tribune


,pdle,
élevée à cet effet, à côté du maître-autel,
et recouverte de riches tapisseries. Les
émotions qui agitaient alors mon âme
n'ont rien perdu de leur force je les
sens toutes renaître quand je me reporte
à ce temps heureux qui s'est écoulé, hé-
las 1 avec trop de promptitude je me
rappelle particulièrement un CZor<<x qui
8e chantait souvent, parce que la prin-
cesse aimait ce morceau par-dessus tout
autre. Quand l'évéque l'avait entonné
et que le chœur entier chantait ensuite à
pleine voix Gloria <?~.r~sM Deo il me
semblait que la gloire des cieux s'ouvrait
sur l'autel, que par un miracledivin les
chérubins et les séraphins en peinture
prenaient du mouvement, étendaient
leurs ailes, et planaient sur nous en fai-
sant retentir les louanges de Dieu dans
un chant et une musique célestes. Ab3
sorbédans ma rêverie il me semblait
que des nuageséclatans me portaient
t.'ÉMXÏR DU MAM. 3~
versle lieu de ma naissance, que je me
retrouvaisdans la forêt fleurie et que le
merveilleuxenfant, sortant des bosquets
de lis et de roses, s'approchait de moi
et me disait en souriant Ot\ es-tu donc
resté si long-temps, François? Viens, j'ai
beaucoup de jolies fleurs que je te don-
nerai toutes si tu veux rester auprès de
moi et m'aimer toujours.

Après la messe, les religieuses, ayant


à leur tête l'abbesse coifféede la mitre,
et la crossed'argent à la main, faisaient
une processionsolennelle dans les cloî-
tres de l'abbaye et dans l'église. Quelle
piété, quelle dignité quelle grandeur
plus que terrestre brillaient dans chaque
regard, guidaient chaque mouvement
de cette femme incomparable c'était
t'égMsetriomphante eHe-mêmequi pro-
mettait à la foule des fidèles le salut et
la bénédiction. Quand ses yeux tom-
baient par hasard sur moi, j'étais prêt
~8 t/]ÈUXIR Dt DIABLE.

à noe jeter dans la poussière devant


elle.

L'omce terminé, les ecclésiastiques,


ainsi que les musiciensde la chapellede
réveque, se mettaient à table dans une
grande salle du couvent. Divers amisde
la maison, des prêtreset des marchands
de la villeprenaient part au festin et le
directeur de la musiquede monseigneur,
m'ayant pris en affection,j'obtenais aussi
la permissionde m'y asseoir.Simonâme,
remplie d'une sainte piété s'était jus-
qu'à ce moment élevée au dessus des
choses de la terre, je retombais alors
dans Jc~ pensées moins sublimes, et je
me lirrais tout entier aux plaisirs de la
vie. Des contes plaisans des railleries
des bons mots égayaientle repas
qu'ar-
tosaicut d'amples libations jusqu'à ce
que le jour tombât, et que les voitures
arrivassent pour ramener les convives
che&eux.
Ï/EUXÏR DU MABÎ.S.

Jevenaisd'acheverm a seizièmeannée,
quand le curédéclaraque j'étais sumsam-
ment prépayé pour pouvoir commencer
les haute? études théoÏogiquesdans le
séminaire de la ville voisine. Je m'étais
déclaréen faveurde l'état ecclésiastique,
et cette résolutionavait rempli de joie le
CŒurde ma mère car elle expliquait et
accomplissait les mystérieuses prédic-
tions des pèlerins qui paraissaientavoir
quelque rapport avec le songe remar-
quable de mon père, dont on ne m'a-
vait jamais fait part. Il semblait à ma
mère que ma décision effaçaitle pèche
de mon père et sauvait son âme des
horreurs d'une condamnation étcrneUe.
La princesseaussi que je ne pouvais
plus voir qu'au parloir, approuvaforte-
ment mon projet, et me réitéra la pro-
messe de me soutenir de toute son in-
fluencepour me faire obtenir une di~nifé
ecc!ésiastique.Quoique ta ville fut si-
~5o L'~HXïR DU DIABt.E.

uée si près du couvent que l'on voyait


distinctement ses clochers, et que de
bons marcheurs se rendaient souvent à
pied aux environs délicieuxde l'abbaye,
comme à un but de promenade, ce ne
fut pourtant pas sans peine que je me
séparai de ma mère de la respectable
dame qui m'inspirait une si profonde
vénération, et de mon bon curé. Du
moment où il faut quitter les personnes
que l'on aime qu'importe le plus ou
moins de distance qui nous en sépare ?
La princesse montra une émotion ex-
traordinaire en me faisant ses adieux
d'une voix tremblante elle prononça
quelques mots de consolation et d'ex-
hortation elle me fit présent d'un beau
chapelet et d'un petit livre de prières,
orné d'images enluminées; elle y ajouta
une lettre de recommandation au prieur
du couvent des capucins et elle m'en-
gagea à me rendre auprès de lui aussitôt
Ï/~MXÏR DUDIABLE. 5!
que je seraisarrivéà la ville parcequ'il
ne conquérait pas de me protégeravec
zèïe, tant par ses conseilsque par ses
démarches.
CHAPITREm.

IL serait difficile d'imaginer un site


plus agréableque celui du couvent des
capucins. Du magnifiquejardin qui s'é-
tendait jusqu'aux portes de la ville ou
jouissait d'une vaste perspective bornée
par une chaîne de montagnes; toutes.
les fois que j'en parcourais les longues
M MABM.
t/JÉHXÏR 33.
allées, )'y trouvais de nouvellésbeautés:
Ce fut dans ce jardin que je vis pour la-
première fois le prieur Léonard, quand
je vins au couvent pour lui, remettre la
lettre de recommandation que l'abbesse
m'avait donnée pour lui. L'amabilité
naturelle du prieur devint plus remar-
quable encore après qu'il eut achevé la
ccture de cette lettre ) et il me dit tant
de bien de madame l'abbesse, qu'il avait
connue autrefoisà Rome, que l'attache"
ment qu'il témoignait pour elle m'in-
spiradèsle premier momentle pïus grand
respect pour lui. Il était entouré de ses
religieux, et il suffisait d'un coup d'ccil
pour reconnaître le genre de ses rela-
tions avec eux, l'ordre et la manière de
vivre du couvent. Le calme et la douée
gaieté d'esprit du prieur se lisaient sur
son visage et se répandaient sur tous
les frères. On ne voyait nulle part ces
traces de mécontentement et d'inimitié,
rendues plus insurmontables par l'effet
34 t'~Hxm DU DïABM.
de la réclusion et qui ne se rencontrent
que trop souventdans les autresmonas~
tères. Malgré!a aévéritéde la
TègÏe les
pratiques de dévotion du prieur Léo.
nard paraissaientplutôt dictées
par le
besoin d'uQeâme tournée tout entiers
versle ciel que par la nécessitéde vain.
cre le penchantde la naturehumaineau
péché et il savaitsi bien inspirer auy
&ères cet esprit de véritable
dévotion
que ce qu'ils faisaientpour satisfaireà la
règle,t ils l'accomplissaientavec une
gaieté et une franchise qui montraient
qu'ils s'étaientformé une existencesu-.
périeure aux chosesde la terre.

En attendant,le pèreLéonardavaitsu
d'un autre côtéprocurerà ses
religieux
une sorte de liaison avec les hommes
qui ne pouvaitque leur êtreavantageuse.
De riches donsqu&le couventrecevait
de toutes parts lui donnaientle
moyen
d'accueiUirdanscertainsjoursdel'année
L'~HXIR Dt MABM. 3S

au réfectoire les personnes qui lui v<m"


laientdu bien. Onydressait pourtors une
longue table à la tête de laquelle le père
Léonard se plaçait avecles convives.Lea
frères, assis aux tables étroites raclées
le long du mur, mangeaient des Sttu~
ples mets que permettait la règle, tandis
que les étrangers étaient servis propre-
ment en porcelaine et en cristal. Le
cuisinier du couvent avaitun talent par-
ticulier pour apprêter le'maigre, et Ie$
convives trouvaient sa cuisine excei-
lente. Ils apportaient eux-mêmes leur
vin. Cet arrangement faisait des repas
du couvent des capucins d'amicales et
d'agréables réunions de solitaires et
de mondains qui avaient une in-
fluencemutuellement favorablesur leur
manière d'être respective. Car les per-
sonnes préoccupées des affaires et des
intérêts du monde, en fréquentant des
lieux où la vie se montrait sous un
aspect si diSérent de la leur, ne pou-
36 t~MXlRDUMABM.
vaientmanquerde sentir dans leur anM~
queÏquesétinceUesde lumière qui ïeur
apprenaientque le repos et le bonheur
pouvaientse rencontrersur une autre
route que cellequ'ellessuivaient je dis
plus, elles devaient reconnaître que
l'espriten s'ëievantau-dessusde la terre
peut obtenir dès cette vie une idée du
bonheur éternel. D'un autre côté, les
moines obtenaient par ces liaisonsde
l'expérienceet de la sagesse car les
réflexionsqu'ellesleur faisaientfairesur
~cequi se passaitdans le monde exci-
taient en eux des méditationsutiles et
profondes.Sansattacheraux chosester-
restresune vaïeur purement imaginaire~
ils avouaient, en considérant les ditfé'
rentes manières de vivredes hommes
que ce brisement des rayons du principe
spirituelétait indispensablepour donner
aux objets de ïa couleur et de l'éclat.

Le père Léonards'é!e~aïtau-dessus
t'~HXÏH DU MABM< "!<
~7

de tous les autres par les qualités de


l'esprit tant naturellesqu'acquises indé-
pendamment de ses connaissancespro-
fondes en théologie, qui faisaient que
les professeurs du séminaire venaient
souvent le consulter et s'instruirepar sa
conversation il avait un usage du
monde bien supéricHrà celui que l'on
s'attend à trouver chez un ecc!ésiastique
régulier. Il parlait avec éléganceet faci-
lité le français et l'italien ce qui l'avait
fait employer autrefois à des missions
importantes. Quoique déjà fort âgé
quand je~Ievis pour la premièrefois, et
ses cheveux blancs ne permettaient pas
d'en douter, il avait encore dans ses
yeux tout le feu de la jeunesse, et l'ai-
mable sourire qui animait ses lèvres
ajoutait à l'expression de calme et de
&<itisfaction intérieure qui régnait sur sa
physionomie. La même grâcequi ornait
ses discours se montrait aussi dans ses
mouvcmens, et le costume même de
58 Ï/~UXÏR DU DIABLE.

son ordre cadrait merveilleusement j


dans sa simplicité,avecles bellesformes
deson corps. <a

Il n'y avait pas un seul d'entre les


frères qui n'eût été attiré dans le cou-
vent par un choix entièrement libre ou
même par un besoinné de la tendance
de son esprit; mais quand même un a
malheureuxy fût venuchercherun asile
contre la destruction, le père Léonard g
l'eût bientôt consolé sa pénitencen'eut
été pour lui qu'un passage conduisant
au repos et reconciliéavecle monde g
sans craindreses mépris, il sefût bientôt s
élevé au-dessusde ce monde. Le père g
Léonard avait recueilli ces tendances
particulières de la vie de couvent en g
Ïtalie, où le culte, ainsique tout cequi a
rapport à la vie religieuse, a plus de
gaieté que dans l'Allemagnecatholique.
Demêmeque l'architecturedes églisesy g
a conservélesbelles formesantique~ ïi g
J~MXÏRDUMAME. 39
jpMaïtaussi qu'un rayon de ces temps ag
brillans s'y estintroduit dans la mystique
gravité de la religion chrétienne et l'a en-
vironnée d'une partie de l'éclat qui cou.
ronnait autrefoisles dieuxet les héros.

Je plus au père Léonard; il daigna


m'apprendre les langues étrangères$
mais ce fut surtout aux ouvrages nom-
breux qu'il me mit dansles mains ainsi
qu'à ses entretiens instructifs, que je dus
la culture de mon esprit. Je passais dans
le couvent des capucins presque tout le
temps dont mes études au séminaireme
permettaient de disposer, et je sentais
augmenter de jour en jour mon goût
pour la retraite. J'ouvris mon cœur au
prieur~ qui, sans chercher à me détour-
ner de mon projet, me conserila d*at-
tendre encore une couple d'années, et
pendant ce temps de vhre un peu pïus
que je ne l'avais encore fait dans le
monde. Je ne manquais pas de connais-'
4o L'ËMXÏR DU MABUË.

sances; le ma~re de chapelle de Fevê-


qui ïïie donnait des leçons de mu-
que,
m'en avait procurées; mais je
sique,
me sentaissï embarrassédans ia société,
et surtout dans celle des femmes, que
cette sensation, jointe à mon inclination
la vie contemplative, me semblait
pour
décisiveen faveur de ma vocation pour
le couvent.

Un jour le prieur m'avait dit les cho-


ses les plus remarquablesau sujet de la
vie profane. Il avait pénétré dans les
matures les plus délicates mais selon
son usage il les avait traitées avec une
Jë~crcté et un agrément d'expression
en évitant tout ce qui pouvait clio-
qui,
entendre
qucr, savait néaumoins faire
complètementce qu'il voulait. Me pre-
nant enfin,la main et me regardant uxe"
ment dans les yeux, il me demanda si
j'étais encore innocent.
Je rougis, car au moment où il me
Ï~ËMXÏR DU MABM. ~Ï
faisait cette question, une image se pré*
senta tout à coup avec une vivacité
extraordinaire à ma mémoire d'où elle
avait été long-tempsbannie. Le maître
de chapelle avaitune soeur qui, sans
être absolument belle, se trouvait dans
la ûeur de la jeunesse et pouvait passer
pour une jeune personne fort agréable<
EHe était surtout parfaitement bien
faite. Rien ne pouvait égaler la beauté
de ses bras et de sa poitrine, tant pour
la forme que pour la blancheur. Un ma-
tin, comme je me rendais chez son
frère pour prendre ma leçon de musi-
que, je l'avais surprise dans le plus
grand néglige, la gorge découverte.
Quoiqu'ellese hâtât de jeter sur elleun
fichu, mes regards avides n'en avaient
que trop vu. Des sensations encore in-
connues s'élevèrent dans mon sein; je
tremblais, mon cœur et mon pouls se
mirent à battre avecviolence. Mon sein
était oppressé,et je ne respirai qu'après
2*
4~ t/~LÏXÏRDUDIABLE.
avoir laissé échapper un léger soupir. La
jeune fille qui était fort innocente,
s'approcha de moi, me prit la main
me demanda ce que j'avais, ce qui ne
fit qu'augmenter mon embarras. Heu°
reusement le maître de chapelle entra
dans ce moment, et me délivra de ma
peine; mais je ne crois pas avoir de ma
vie pris des accords plus faux ou chanté
plus mal.

Ma piété était si grande que je ne


doutai pas que cette aventure n'eût été
une tentation que le démon m'avait
offerte, et je me félicitaien moi-même
d'avoir chassé l'ennemi à l'aide des
exercices spirituels auxquels je m'étais
livré. Maisà la question captieuse du
prieur $ toute cette dangereuse scène se
représenta de nouveau à mon imagina"
tion. Tout ce que j'avais vu, tout ce que
j'avais senti se peignit en traits de feu à
mon esprit, et mon unquiétude devint
J/EHXtR D~ MAStE. 43
extrême.Le père Léonard nie regarda
avecun sourireironiquequi me fit fri-
sonner.H me devintimpossiblede sup-
porter son regard;je baissai les yeux-0
le prieurmedonnapour lors une petitf
tape sur mes joues brûlantes, et me
dit:·

< Je vois, mon fils, que vous m'avez


compris,et que vousn'avezencorerien
à vous reprocher.Que le Seigneurvous
préservedes séductionsdu monde Les
plaisirs qu'il procurè sont de courte
durée, et l'on ne saurait méconnaître
qu'unemalédictionlesaccompagne car
ledégoûtinexprimable,l'affaiblissement
total, l'inaptitude à tout ce qu'il y a
de grandqu'ils causent, détruisentdans
les hommesle principespirituelqui les
anime.

Qudqueseffortsque je fissepour ou-


Mer ia questiondu prieur et le souve-
44 t/~HXÏR DU DIABLE.

nir qu'elle avait fait naitre en mon


esprit, je ne pus y parvenir et lors-
qu'ennn j'eus réussi à montrer mon
ancienne tranquillité en présence de
cette jeune nlle, je craignis plus que
jamais sa vae car la seule pensée me
causait un serrement de cœur, une in-
quiétude qui me parut d'autant plus
dangereuse qu'il s'y joignait des désirs
étranges et inexplicablesqui ne pou-
vaient manquer d'être coupables. A la
un cette position équivoque prit une
tournure décishe.

Le maître de chapelle m'avait invité


un soir, ainsi qu'il lui arrivait souvent y
à assister à un petit concertpour lequel
réunissait chez lui quelques amis.
il
Plusieurs femmes s'y trouverent indé-
pendamment de sa sœur,et cette circon-
stance ne fit qu'augmenter mon em-
barras. En attendant, la jeune personne
me parut ce soir-là plus belle quelja-
L'ét.!XÏR DU MAM.E. 4&

mais; elle était mise avec plus de soin


qu'à l'ordinaire, et je me sentais entraîné
vers-ellepar une puissanceà la foisinvi-
sible et irrésistible. Aussi je trouvai
moyen, sans m'en apercevoir moi-
même, de me placer toujours dans son
voisinage; je guettais chacun de sesre-
gards, chacune de ses paroles je m'ap-
prochai même d'elle à tel point qu'à
chaque mouvement qu'elle faisait sa
robe me touchait et me causait une
sensation de bonheur que je n'avais ja-
mais encore éprouvée. Elle avaitl'air de
remarquer mon trouble et d'y prendre
plaisir, et quand je l'observais cela me
mettait tellement hors de moi-mêmeg,
que j'étais parfois tenté de la serrer
dans mes bras en présence de toute la
société.

I! y avaitdéjà quelquetemps qu'elle


était assiseprès du clavecin quand elle
se levaet laissa un de ses gants sur sa
L'EHXIR Dû MAM.
46
chaise. Je m'en emparai sur-le-champ
contre
et dans ma folie je le pressai
mes lèvres. Une des ternir es de la com-
s'en aperçut, et s'étant appro-
pagnie
chée de la sœur du maître de chapelle,
elle lui dit quelques mots à l'oreille,
elles me regardèrent toutes
après quoi
deux et se mirent à rire d'un air mo-
queur.

J'étais anéanti; tout mon sang se


dans mes veines. Je quittai à l'in-
glaça
stant même l'appartement et courus
tout hors de moi au séminaire. Arrivé
dans ma cellule je me jetai sur le car-
reau dans le plus affreux désespoir; des
larmes brûlantes coulaient de mes yeux;
maudissais la jeune fille, je me mau~
je
dissais moi-même puis je me mettais
à prier, puis encore je riais comme un
insensé. De tous côtés j'entendais des
voix qui me raillaient, qui se moquaient
de moi. Je voulus me jeter par ma fe-
R'JÉHXÏR DU MABM.

aetre heureusement les barreaux dont


elle était~arniem'en empêchèrent. Mon
~tat était réeMement.affreux. Ce ne fut
que vers le point du jour que je retrou-
vai un peu de calme mais je pris en
même temps la ferme résolution de ne
plus revoir cette jeune personne et de
renoncer le plus tôt possible au monde.
Je me sentais plus que jamais convaincu
de ma vocationpour le couvent,et je ne
voulais pas qu'aucune séduction m'en
tînt plus long-tempséloigné.

En conséquence, aussitôt que je pus


me débarrasserdes classer je courus au
couvent des capucins, où je déclarai au
prieur que j'étais décidé à commencer
sans plus de retard mon noviciatet que
~'en avais déjà donné connaissance à
ma mère ainsi qu'à la princesse. Le père
Léonard parut surpris de mon zèle in-
opiné, et sans trop me presser, il cher-
cha néanmoinsà découvrir ce qui avait
48 Ï/ÉHXÏR DC DIABLE.

hâter ainsi ma résolution car il


pu
~vaxttrop de connaissancedes hommes
ne pas voir que j'avais été poussé
pour
.par quelque circonstance particulière.
6Unehonte secrète qu'il me fut impos-
sible de vaincre m'empêcha de lui dé-
couvrir la vérité; mais je m'étendis avec
tout le feu de l'enthousiasme sur les
,merveilleuxévénenoensdemon enfance,
qui tous semblaient indiquer que j'étais
destiné à la vie du cloître.

Le père Léonard m'écoutatranquille-


lement, et quoiqu'il n'exprimât aucun
doute sur la réalité de mes visions, il
ne parut pas y attacher une grande im-
il observa même que ma vo-
portance
cation pouvaitbien n'être qu'une illusion
comme le reste. En généra!) le père
Léonard ~aimait pas beaucoupà parler
des visions des saints, et il y avait des
momens où j'étais porté à l'accuser de
Une fois j'avais voulu le
pyrrhonisme.
Ï/~HXÏR
DODÏABM. 49
forcer à s'expliquerd'une manière po-
sitive au sujet de ceux qui attaquent la
religioncatholique, et en particulier de
ceux qui, avecun orgueilpuéril, taxent
de superstitionla croyanceà tout ce qui
échappe aux sens.
<Croyez-moi, mon û!s, répondit le
prieur en souriant, l'incréduHté est la
pire des superstitions.»
Et aur-le-chanapil se mit à parler de
choses indifférentes.

Ce ne fut que long-tempsaprès qu'il


me fut permis de connaitre ses idées
sublimes sur la partie dogmatique de
notre religion, qui renferme la liaison
mystérieuse de notre principe spirituel
avec des êtres d'uti ordre supérieur et
je fus alorsforcé de convenir qu'il fai-
sait bien de garder cc~ pensées pl<~
qu'humaines pour la plus haute initia
tion de sesélever
t. 5
tt~HXïR DU MABM.

Ma mèrem'écrivitqu'elleétait depuis
convaincue que l'état sécu-
long-temps
lier ne me conviendraitpas et que je
choisiraisla retraite; que le vieuxpèle-
rin du Tilleul-Sacrélui était apparu le
de Saint-Médard et lui avait pré-
jour
senté sonfils vêtud'unerobede capucin.
La princesseapprouvaaussipleinement
ma résolution.Je lesvisencoreune fois
l'une et l'autreavantde prendrel'habit,
ce qui ne tarda pas, attenduque, d'a-
mesinstantes prières, on m'avait
près
de la moitié du noviciat.La
dispensé
vision qu'avait eue ma mère fut cause
que je pris le nom de frèreMédard.

Jetrouvailes relationsdesfrèresentre
eux et toute l'organisationintérieure
du couvent,en ce qui avaitrapportaux
exercicesde piété, tellesqueje les avat~
au premier aspect. La doQce
jugées
;qui régnait autour de moi
tranquillité
une céleste paix dans mo&
répandit
L~MXïR DC MAMB. 5<
âme c'était la réalisation de ce songe
bienheureux dont me berçaient depuis
ma plus tendre enfance les souvenirsdu
TilIeuI-Sacré. Pendant la cérémonie de
ma prise d'habit, j'aperçus parmi Ïes
spectateurs la sœur du maître de cha-
pelle elleme parut triste, et je crus voir
des larmes dans ses yeux mais !e jour
de la tentation était passé et ce fut
peut-être le coupable orgueil que m'in-
spirait la facilité de ma victoire qui
donna lieu au sourirequi se peignit sur
mes lèvres.

aDe quoi te réjouis-tu si fort, mon


frère?'» demanda le frère Cyrillequi
marchaità mes côtés.
<Nedois-jepas me réjouir quandje
renonce au monde perverset à sesva-
nités~ répondis-je;et cependantje ne
puis nier que, tout en pariant ainsi, un
sentimentpénibleremplitsoudainmon
cœuret démentitmabouche.
L'~HXÏRDUMABM.
d'é-
Mais ce fut Ïà Ïa dernière atteinte
f éprouvai eHe fut suivie
~6me que
entier d'esprit. Plût au ciel
<~m repos
ne m'eût jamais quitté 1
que ce repos
Mais le pouvoir de l'ennemi est grand.
se Her la force de ses armes
Qui~eut
ou à sa prévoyance quand les puissances
io~na'esïe guettent?
CHAPITRE !V.

1~ y avait cinq ans


que j'habitais le
couvent quand le frère Cyrille,
que
l'âge commençait à affaiblir, reçut du
prieur l'ordre de me remettre ia garde
du riche reliquaire de la communauté
Cette chambre renfermait des ossemens
de, toute espèce, des morceaux de~
54 L'ÉLIXIR DU DIABLE.
ren-
vraiecroix, et d'autres objets sacrés
ferméssoigneusementdans desarmoires
vitrées, et qu'à certains jours solennels
fidèles.
on exposait à la vénération des
frère me montra chaque reli~
Le Cyrille
en et me fit voir en
que particulier
même temps les divers documens qui
en attestaient l'identité et certinaienHes
miraclesopérés par elle. Ce frère n'était
moins éclairé que le prieur; aussi ne
pas
aucune dimculté de lui confierles
fis-je
ses récits excitaient dans
sentimens que
mon coeur.

donc, mon cher frère


Croyez-vous
lui que ces objets soient
Cyrille, dis-je,
ceux pour lesquels on les
réellement
donne? L'aviditéintéressée n'aurait-elle
trouvé moyen de faire passer de
pas
fausses reliques pour de vraies? Ainsi
on m'a assuré qu'il y a
par exemple, en-
certain couvent qui possède tout
tière la croix de notre Sauveur, etcepen-
t/EMXÏR DU DïABM. 55

dant les morceaux qu'on en montre


d~nsune foule d'endroits suffiraient, à
ce que j'ai entendu dire en plaisantant
à l'un d'entre nous pour chauffer nos
cloîtres pendant une année entière. a

« Hne nous convient pas, à la vérité


répondit le frère Cyrille de soumettre
ces choses à une pareille investigation.
Cependant, je veuxbien avouerfranche-
ment qu'en dépit des attestations les
plus authentiques, je crois qu'il y a peu
de ces objets qui soient réellement ce
que l'on prétend. Maisj'ajouterai que je
ne vois pas la différence que cela peut
faire. Si tu fais bien attention, mon
cher frère Mëdard, à ce que notre prieur
et moi nous pensons à cet égard, tu
verras que notre sainte religion en ac-
quiert une nouvelle gloire. M'est-ce pas
une chose merveilleuse, mon cher frère
Médard, de voir notre église s'efforcer
en toute occasion de saisir le fil qui lie
56 Ï~ÊMXm M DIABLE.

les objets corporels avec les spirituels;


d'exciter nos organes, formés pour ~ne
~e et une existenceterrestres, de ma-
jtière à nous mettre sans cesse devant
jes yeux le principe spirituel auquel
mous devonsnotre ori~ne; son rapport
avecl'être puissant dont Jesouffleanime
toute la nature, et à renforcer en nous
le pressentiment d'une meilleure vie,
dont nous portons en nousle germe?
Ce sont là, nous dit-on, les restes des
ou des vêtemens des saints mais
corps
le ~dèlequi, sans rien examiner, ajoute
une pleine foi à cette assurance,9 ne
~arde pas à arriver à cet enthousiasme
surnaturel qui ouvre pourlui le royaume
du ciel dont il n'avait eu ici-bas qu'un
sentiment confus. Par ce moyen l'in-
ûuence du saint, que la relique, même
avait aideà réveiller,devient
prétendue,
Ja
réelle, et l'homme reçoit la force et
foi de cet esprit supérieurauquel il avait
dans le fond de son âme demandé du
DUMABM.
1/ÉMXtR S?
accourset de la consolation.Cette force
aller ;usqu'à lui fairesur-
peut parfois
monterles souffrances du corps,et delà
vient que ces reliquesopèrent souvent
des miraclesen présencedu peuplerM-
semblé, et dont il est impossiblede nier
la reaïité.
Je me rappel sur-Ïe-champcertaines
du prieur qui se rapportaient
expressions
avec ce que !e frèreCyrille
parfaitement
venaitde me dire, et je considéraid'à"
celacesreliques, que je 'n'avaisre-
près
que comme des hochets
gardejusque-là
avecune attention et un respect
pieux,
véritables.
L'effet que son discours avait fait sur
moi n'échappa point au frère Cyrille,et
il continua avec un redôublement de
zèle et de convictionà m'expliquer pièce
toute la collection. A la fin, il
par pièce
tira d'une armoire bien fermée une pe-
tite cassette et me dit
$9 t~MXÏR DU D~ABHE.

<fVofci)~noncher frère Médard, la


j~Rque la plus merveilleuseque notre
clottre possède.Depuis que j'habite le
souvent, personne n'a jamais touché
cette cassetteque le pèreprieuret moi.
Les autres frères, et à plus forteraison
les étrangers, ignorent jusqu'à l'exis-
tence de cette relique.Je ne puis porter
la main sur cette cassettesanséprouver
un frémissementsecret. Il me semble
qu'elle renfermeun charmedangereux
,qui si jamais il parvenaità briser la
prison qui le retient, répandraitautour
de lui la ruineet la destruction.L'objet
contenu danscette cassettevient direc-
tement de l'ennemi du genre humain,
et remonteà l'époque où il lui était en-
core permis de combattre les hommes
sous une formevisible.o

Je regardai le frère CyriHe avec un


Bonnement extrême. Il continua sans
me laisserle temps de rien dire.
L'iHXIR BU &tÂME.

<!Jem'abstreindmi mon chef frère


Médard, d'exprimer, dans une affaire
aussimystérieusela moindre opinion,t
ou de te faire part d'aucune des hypo-
thèses que j'ai pu former à son su;et;
me bornerai à te communiquer &dèle-
je
ment ce que les documens que nous
nous disent à l'égard de cette
possédons
Cesdocumens se trouvent dans
relique.
cette armoire et tu pourras les consul-
ter à ton aise. Tu connais la vie de saint
Antoine tu sais que, pour s'éloigner des
choses de la terre et se consacrer en-
tièrementà ceues du ciel, it s'étaitrendu
dansle désert où il passait sa vie dans
les exercices de pitié et dans les péni-
tencesles plus rudes. Le démon le pour-
suivit, et se présenta souvent à lui pour
le troubler dans ses pieuses méditations.
Or, il arriva qu'un soir, vers la nn du
saint Antoine vit venir à lui
crépuscule,
une figure sombre. Quand eUe se fut
il observa avec surprise des
approchée,
~0 Ï/EMXIR DU DtABM.

gouleaux de bouteilles se montrer sous


les trous de son manteau déchiré. C'é-
tait le démon qui, sous cet étrange cos-
tume, lui sourit d'un air railleur, et lui
demanda s'il n'avait pas envie de goûter
de quelqu'un des élixirs qu'il portait
dans ses bouteilles. Saint Antoine qui
savait que le démon n'avait plus de
puissance sur lui, et que; n'osant pas le
combattre ouvertement, il était obligé
de se borner à des discours moqueurs,
lui demanda à soïUour pourquoi il por-
tait sur lui tant de bouteilles et d'une
manière si singulière. A quoi le démon
lui répondit Quand un homme me
reneontre, il me regarde avec surprise
et ne peut s'empêcher de me demander
à boire, parce qu'il éprouve tout à coup
un grand désir de goûter de ce que je
porte avec moi. Parmi tant d'élixirs il
s'en trouve toujours q'~îqu'un dont le
goût lui plaît; il videalors la bouteille,
s'enivrent s'abandonne à moi et à mon
t'~HXtRDU MA8M. 6t
royaume. Voilà, continua le frère Cy<
rille, ce que l'on trouve dans toutes les
légendes, mais d'après le document par-
ticulier que nous possédons au sujet de
cette vision de saint Antoine, le dé-
mon en se retirant, posa quelques-unes
de ses bouteilles sur le gazon, et saint
Antoine s'empressa de les prendre et
de les cacher dans sa caverne, de peur
que même dans le désert, quelque
malheureux égaré, ou peut-être un de
ses discipïes, ne goûtât de ce breuvage
dangereux et ne tombât dans un mal-
heur éternel. Le document ajoute que
saint Antoine ayant ouvert une fois
par
hasard une de ces bouteilles, il en sor-
tit une vapeur étrange et enivrante, que
d'horribles images de l'enfer entourè-
rent le saint et essayèrent de le séduire
par d'agréables illusions, et qu'il ne
parvint à les chassep que par des jeûnes
assidus. Dans cette cassette se trouve
une de ces bouteUles, et les document
62 L'ÉLIXIR M DÏ&BtE.

sont si précis et si authentiques qu'il


est impossiblede douter que du moins
cette bouteille telle qu'elle est, ne se
soit trouvée parmi les effets que saint
Antoine a laissés après sa mort dans sa
caverne. Pour le reste, je puis t'assurer,
mon cher frère Médard, que toutes les
fois que je touche cette bouteilleou seu-
lement la cassettedans laquelle elle est
renfermée, j'éprouveun effroiintérieur
et inexplicable, et qu'il me semble
même sentir une odeur étrangequi m'é-
tourdit et qui me trouble l'esprit au
point de m'empêcher d'accorder à mes
exercicesde piété toute l'attention qu'ils
exigent. En attendant, je surmonte cette
disposition qui, si elle ne provient pas
de l'action directedu démon, est causée
sans nul doute par l'influence de quel-
que puissance ennemie, à l'aide de
prières persévérantes.Quant à toi, mon
cher frère Médard, tu esencoresi jeune,
on imagination est si vive, ton courage-
L'~MXÏR
Dp DÏAM.E. 6~
ardent, maisprivéd~expérience, te por.
tenait si facilementà risquer
l'impos-
sible, par une trop grande confiance
dans tes forces, que, par toutesces rai*-
sons, je ne te conseilleden'ouvrir cette
cassette que quand l'âge aura mûri ta
raison, et en attendant, de peur que
la curiositéne t'induise en tentation
de la tenir aussi éloignéeque
possible.
de tes regards. 0

Le 6~reCyrillerenfermade nouvel
la mystérieusecassettedans l'armoire,
et me remit le trousseau de clefs, au
nombredesquellesse trouvaitaussicelle
qm ouvraitcettearmoire.Cesecretavait
fait sur moi une impressionextraordi..
naire; mais, plusje sentais~s'é!everen
moi un désir secret de contempler"!a
merveilleuserelique, plus {ej
me*rap-
pelaisl'avisdu frère Cyrilleet je m'ef-
forçaisd'en éloignerla pensée.Quand
ce ûèrem'ettt quitté j'examinaiencore
p DDDIABM.
L'~MXm
64
'u4
une fois les saints objets dont la garde
venait de m'être connée,t après quoi
la dangereuse clef du trousseau
j'enlevai
et je la cachai au fond de mon pupitre
et sous tous mes papiers.

Au nombre des professeursdu sémi-


naire il s'en trouvait un qui était doue à
un fort haut degré du talent de la pa-
devaitprêcher,
role et chaque foisqu'il
avait peine & contenir les fidèles
l'église
affluaient. Le torrent enûammé de
qui y
son éloquence entraînait tout avec lui.
et allumait dans tous les cœurs le feude
la piété. Ses discours ne manquèrent
leur effet surmoi, et tout en l'ëcou~
pas
tant je croyais sentir au dedans de moi
une force qui me poussait vivementà
l'imiter. Toutes les fois que je l'enten-
dais, je me mettais à prêcher aussitôt
rentré dans ma cellule, et }e
que j'étais
m'abandonnais à l'enthousiasmedu mo-
ment jusqu'à ce que je parvinsseà nter
Ï/ËUXÏR M BÏABM.
mesidéeset mes paroleset à les mettre
sur le papier.
6

En attendant le frère qui avaitcou-


tume de prêcher dans le couvent s'affai-
blissait de jour en jour; ses discoum
coulaientuniformément commeun ruis-
seau à moitié dessèche; la diffusion,
suite natur~Hcdu manque d'idéeset de
paroles, car il n'écrivait riend'avance~$
rendait ses sermons d'une
longueur st
insupportable, que !a plus grande partie
de Ïa communauté s'endormait
long-
temps avantla nu, comme elle l'aurait
fait au tictac mesure d'unmouiin et ne
se réveillaitqu'au son de
Forgue.
Hormis le prieur Léonard,
qui était
fort éloquent, maisà qui son
âge avancé
ne permettait pas de se livrer aux
vives émotions que la
prédication lui
causait, il n'y avait personne dans le
couvent qui fût en état de
remplacer
3~
DU MABLS.
66 ï/éHXIR
ordinaire. Le prieur se
notre prédicateur
moi de cette fâcheusecirco~
plaignit à de per-
stance, qui empêchait beaucoup
de
sonnes pieuses du dehors fréquenter
Je donc courage et je
notre église. pris
j'étais encore
lui dis que pendant que
m'étais déjà senti de
au séminaire. je
parler en pu-
grandes dispositions pour écrit plu-
même mis par
blic et que j'avais
Il demanda à les
sieurs discours pieux.
et en fut si content qu'il m'engagea
voir,
à faire sur-le-champun essaienprêchant
la fête, ajoutant que je
à première
d'autant moins craindre d'é-
devais
nature m'avait doué de
chouer~que la
est nécessaire pour bien
tout ce qui
la chaire, c'est à dire d'une
parler dans et
taille noble, d'une figure expressive
et timbré. Le prieur
d'un organe pur
donner lui-même des
m'offrit de me
de
leçons de tenue et gestes.

étaitpluspleine
La fête anna FégUse
Ï~HXÏRDCMABM. 6.e
que d'ordinaire, et je montai en chaire,
non sans éprouverune secrète
inquië~
tude. En commençant demeurai
je ûdèle
à mon manuscrit, et le
père Léonard
aie dit plus tard que j'avais
parlé d'une
voixtremblote maiscette voix
s'accor-
dait assez avecles réûexions
pieuses et
mélancoliques par lesquelles mon dis-
cours s'ouvrait, et la
plupart de mes
auditeurs crurent y voir un artifice
o~oire.BientôtcependantdesétinceIIes
d'un enthousiasmecéleste enflammèrent
mon sein; je ne songeai
plus à mon ma-
nuscrit et je m'abandonnai
entièrement
à l'inspiration du moment. Je
sentais
mon sang pétillerdans mes
veines, j'en-
tendais ma voix tonner sous les
voûtes,
je voyaisma tête é!evée mes bras éten.
dus entourés de l'auréole de
l'enthou-
siasme. Je terminaimon discours
par un
court passage dans
lequel je trouvai
moyen de renfermerl'esprit de tout ce
que je venaisde proclamer de saint et
68 BUMABtE.
L'~MXXR
de sublime. L'effet de mon sermon fut
extraordinaire, sans exemple.Destor-
rens de larmes, des exclamationsd'une
joie, des prières retentissaientde
pieuse
toutes parts. Les religieuxm'accablèrent
de louanges;ie père Léonardm'embrassa
et m'appela l'honneur de son couvent.
Ma réputation ne tarda pas à s'étendre
au loin, etles hab~anstes plus distinguée
de la ville arrivaient en foule et long-
temps avant l'heure des offices, dans
notre petite église pour entendre prê-
cher le frère Médard.

Mon zèle augmentait avec l'admira-


tion que {'inspirais, et je m'efforçaisde
plus en plus de donner à mesdiscours
toute la perfection dont ils étaient sus-
ceptibles. Je réussis à captiverchaque
jour davantagemesauditeurs, etbientôt
les honneurs que l'on me rendait partout
oùj'allais ressemblèrent presque à ceux
l'on offre aux saints. Un dé~re
que
J~MXÏRDUMABM.
69v
religieux s'empara de Ïa~ï!Ie, dont les
habitans ne négîigerentaucune occasion
de venir au couvent, même
pendant tes
}oMsouvrables,pourvoirle frèreMédard
ou pour lui parler.

Cette espèce d'extravagancent naitre


tout à coup en moi la pensée
que j'étais
un élu du ciel. les circonstances
mysté-
rieuses qui avaient accompagnéma nais-
sance dans le saint lieu où mon
père
s'était rendu pour expier son péché; les
événemens extraordinairesde mon en-
fance, tout semblait indiquer que mon
âme, en liaison immédiate avec le ciel,
s'élevait dès cette vie au-dessus de la
terre. Je me persuadai que
je n'appar-
tenais point au monde ou aux
hommes,
et que je ne me trouvais parmi eux
que
pour travailler à leur salut et à leur con.
soutien. Je ne doutai pas que le vieux
pèlerin du Tilleul-Sacré n'eût été saint
Joseph et l'enfant merveilleuxqu'il m'a-
~0 Ï~HXÎR DU DÏABM.

vaït amené l'enfant Jésus lui-même,


qui. tous deux étaient venus saluer le
aaint destioe marchersur la terre.

Mais à mesure que ces idées se pré-


sentaient avec plus de clarté à mon
esprit, les objetsqui m'entouraient me
devenaient de plus en plus pénibles et
fatigans. Ce reposet cette gaietéd'esprit
dont je jouissais m'avaient abandonne.
Les expressionspleines de franchise des
frères, l'amitié du prieur n'excitaient
en mon cœur que des sentimens de
haine<Je prétendaisqu'ils reconnussent
en moi le saint, élevé à une grande
hauteur au-dessusd'eux, qu'ils s'abais-
sassent devant moi dans la poussière et
implorassent mon intercession auprès
du,trône de Dieu. Maiscommeils ne le
faisaient pas, je les regardais comme
livrés à un endurcissementqui les con-
duit aientinfailliblementà leur perte. Je
~ouvms moyen jusque dans mes ser-
DUDIABLE.
L'~UXIR 7~
mons, de faire certaines~lusions dans
lesquellesje donnais à entendre qu'un
temps miraculeux était arrivé sembla-
ble à une brillante aurore, <tans lequel
un élu de Dieu était descendu sur la
terre pour apporter la consolation et le
salut à ceux qui croiraient en lui. J'en-
veloppais ma mission imaginaire sous
des tableaux mystiques qui agissaient
avec d'autant plus de force sur l'esprit
de la foule qu'ils en étaient moins com-
pris. Le père Léonard devenait visible-
ment plus froid à mon égard il évitait
de me parler sans témoins mais pour-
tant un jour que le hasard avait éloigné
les autres frères, se trouvant seul avec
moi dans les alléesdu jardin du couvent,
il me dit

Je ne saurais te cacher, moncher


frère Médatd, que ta conduite me dé-
fort depuis quelque temps. Il est
plaît
entrédans ton âme des sentimensquite
L~UXtR DU MABLB.
73
rendent contraire à la simplicitéde la
vie religieuse. Dans tes discours règne
une obscurité hostile qui semblecacher
des idées quinous éloigneraientà jamais
l'un de l'autre. Je veux te parler à
cœur ouvert. Tu portes en ce moment
la peine du péché de notre origine oui;,
toutes les fois que notre esprit veut user
de ses forces pour s'éiever au-dessusde
lui-même, nous entraîne à notre perte.
Les éloges, l'espèce d'idolâtrie que t'a
témoignée un monde légerqui nerecher-
che que des sensations, t'ont aveugté,
et tu te vois toi-même sous une forme
dont l'illusion
qui ne t'appartient pas, et
te poussera dans l'abîme. Rentre en toi-
même, Médard, sors du délire qui
tu as
t'égare. Je crois te connaître déjà
perdu le calme de la conscience, sans
lequel il n'y a point de bonheur ici-bas.
Ecoute mon avis, fuis l'ennemi qui te
bon
poursuit. Redevienscejeune homme
~t loyal que j'ai aimédetoute monâme. ·
i~UXIRDUM~BM. ?5
Deslarmescoulèrentà ces mots des
yeux du prieur. Il avait pris ma maint,
mais,la quittanttout à coup,il s'éloigna
rapidementsans attendre ma réponse.
En attendant, ces paroles n'avaient
excitédansmoncoeurquedes sentimens
de haine. Il avait parlé de mes succès,
de l'admirationque {'avaisexerce par !e
talent extraordinaireque j'avais reçu de
la nature, et il me parut évidentqu'une
basse envie avaitpu seule faire naître
en lui cemécontentementqu'il avouait
avec tant de franchise. Je demeurais
depuis ce momentmuet et réservedans
les assembléesdesreligieux;et, entièrè-
ment remplidela nouvelleexistencequi
tétait développéeen moi, je passaismes
jours et jusqu'à mes nuits, que le som-
meil abandonnait,à réfléchirau moyen
d'exprimerpar lesparolesles plus pom-
peuses les idées qui ne cessaientde
naître en mon esprit.Plus je m'éloignais
du père Léonardet des religieux,
plus
L 4
DU MAjH.E. n
X~MXÏB
~4

moi I&foule par les liens les


{'attachais à
plus forts.

Le jour de saint Antoine, l'église fut


si pleine que l'on se vit obligé d'ouvrir
toutes les portes, afin que les personnes
n'avaient pu y pénétrer pussent au
qui
moins ~da dehors, entendre à la déro-
bée quelques-unes de mes paroles. Ja-
mais je n'avais parlé avec plus de force,
de feu, plus de persuasion. Je ra-
plus
contai, selon l'usage, plusieurs traits
de la vie du saint, et ;'y joignis des
réflexions pieuses qui pénétrèrent jus-
l'âme de mes auditeurs. Je parlai
qu'à
des séductions du démon et du grand
lui avait donné la chute de
pouvoir que
nos premiers pères, et la suite de mon
discours m'amena involontairement à
citer la légende des élixirs que j'avais
l'intention de représenter comme une
de sens. Tout à coup mes
allégorie pleine
erraient autour de l'église
regards qui
&Xm DC MABM.
?5
(tombèrentde côté sur un homme
long
et maigre,qui montésur un banc,
s'ap-
puyait contre un pilier. H portait un
manteau d'une couleur violette
foncée,
dont il s'était enveloppéd'une manière
étrange et sous lequel ses bras demeu-
raient cachés. Son visage était d'une
pâleur mortèlle; mais le regardde ses
grands yeux noirs et à Aeur de tête,
meperça le seincommed'un coup de
poignard enûammé.Je fus saisi immé-
diatementd'unesensationd'être!, et, dé-
tournant les yeux, je.rassemblaitoutes
mesforcespourcontinuermondiscours.
Maisj'étaisentraîné comme
par unpou-
voit magique il ramenait sans cesse
mes regardssur cet hommequi demeu.
rait toujours immobile au même en-
droit, ses yeuxde fantômeimperturba-
JMementfixéssurmoi. Un amerdédain,
Unehaine méprisantese lisaientsur ses
sourcilsfroncés,sur sa boucherelevée.
Toute sa figure avait quelque chose
ï.'EMXIR BU DIABLE.
~6
Le dirai~je~
~Mrayant, de terrible
c'était celle du peintre inconnu du
Tilleul-Sacré. Je crus en le voyant que
des mains glacées se posaient sur mon
cou une sueur froide découla de mon
front; j'étais interdit je ne pouvais plus
arrondir une phrase mon discours de-
venait de plus en plus confus. Un mur-
mure s'éleva dans l'église; je remar-
des chuchotemens; mais le terri-
-quai
ble étranger restait toujours immobile
contre son pilier et le regard fixé
appuyé
sur moi. Tout à coup, égaré par l'in-
et le désespoir, je m'écriai s
quiétude

c Infâme! retire-toi! retire-toi, te


car c'est moi-même,9 c'est moi
~lis-je
suis saint Antoine J)
qui

Quand je sortis de l'espèce d'anéan-


tissement dans lequel j'étais tombé après
.avoir profère ces paroles, }e me trouvai
sur mon lit. Le frère Cyrille était à mes
Ï.'EHXIRDUMABjLB. 77~
côtés; il me soignait et me consolai
L'image effrayante de l'inconnu me
poursuivaitencore mais plus le frère
Cyrilles'eSbrçaitde me persuaderque
ce n'était qu'un fantômede mon imagi-
nation exaltée par le feu de mon dis-
cours, plus j'éprouvais un affreux.
mélangede honteet de regretde la con--
duite que j'avaistenue en chaire. J'ap--
pris plustard que les auditeursétaient
sortis convaincusque j'avais été pri&
d'un accèssoudainde folie, et ma der-
nière exclamationne justifiaitque trop
cetteidée.

Je melivraisà une profondedouleur


mon esprit était abattu. Renfermédans
ma cellule,je me soumettaisaux pém-
tenceslesplusrudes, et je cherchaisdans
de ferventesprières la force nécessaire
pour combattrele tentateur, qui avait
osé m'apparahre dans le lieu saint et.
1 DUDIA~M.
L'ÉEtXm
ia figure du peintre
pieux~ du
emprunter
Tmeut-Sac~.

En attendant, personne n'avait w


au manteau violet, et le père
l'étranger
habi-
Léonard, avec sa bienveillance
~cue, répandît dans le pubtrc que
été subiternent attaqué d~e&e-
j'avais
vre chaude. J'étais réeMemeot malade, et
ce ne fut qu'au bout de plusieurs semai"
nés que je fus en état de reprendre
iïam de vie ordinaire du couvent. J'es~
faible encore,
~yai pourtant, quoique
de remonter en chaire; mais remp!ï
d'une inquiétude secrète, et toujours
poursuivi par cette horrib!e figure pâle
de la mettre un peu de
~eus peine &
raison dans mes sermons, et ils n'ofM-
yentplus rien de cette éloquence qui les
avait autrefois distingués. Ils étaient
roides, incohérens. Les au-
communs
la
diteursdéplorèrent perte de mon ta-
I~MXÏR DU DIABM. 79
lent; ils cessèrentpeuà peu de fréquen-
ter l'église,et le vieuxfrèreque j'avais
remplacéet qui prêchait encorebeau-
coup mieux que moi fut obligé de
reprendresesanciennesfonctions.
CHAPITREV.

Ït arrivaun jour qu'un jeune comtee


son gouverneur a ccompagnait dans
que
ses voyages,arrivadans notre couvent
et demandaà voirlesdiversescuriosités
renfermât. J'ouvris la salle des
qu'il
et nous y entrâmes. En ce mo-
reliques
le
ment prieurqui était venu jusque ta
ï.~MX!& M MABtB. 8:

avecnous ayant été appeléau .dehors,


je demeurai seul avec les étrangers.
rayais montréet expliquétousles objets
que cette salle renfermait, quand le&
regardsdu comtetombèrentpar hasard
sur l'armoire antique et richement
sculptéedans laquelle se conservaitla.
cassette avecl'élixir du diable. Je fis
d'abord quelques dimcultéspour leur
dire ce qui se trouvait dans cette ar-
moire maisle jeuneseigneuret songou-
verneurme pressèrentl'un et l'autre si
vivement,que je finis par leurraconter
la légende desaint Antoineavecle démon
ruse. Je répétai fidèlementtout ce que
le frère Cyrillem'avait dit au sujet de
la bouteille que nous gardionscomme
une reliqueprécieuse,et j'ajoutaimême
les avertissemensqu'il m'avaitdonnés
sur le dangerqu'il y auraità ouvrirseu-
lement la cassette.Quoiquele comte
professâtnotrereligion il ne parut pas
plus que son gouverneurajouter une
8~ t~MXIR DU MASM.

grandefoi à lavéritédes saintes légendes.


lis se Mvrèrenttous deux à une iMe
d'observationsspitttueïles et de raHteries
sur la sioguÏMi~ du déïnon qui p~taît
<:esbouteillesséductrices sous son !~an<'
teau. A la &n pourtant, le gouverneur
.prît un air plus sérieux et dit

e Ne vousscandalisezpas dé grâce
mon père,f des discours un peu lé-
gers de nous autres mondains. Soyez
persuadé que M. le comte et mût
Dous honorons !es saints comme des
hommes pleins du plus noble enthou-
siasmepour la religion, qui ont su re-
noncer, pour le salut de leur âme et
pour celui des hommes, à tous les p!aï-
sirs de la vie et souventà la vie eïle~
même mais quant à des histoiresdu
gen~ de celle que vous venez de nous
raconter. je croisque ce ne sont que de
~piritueUesanémonesimaginées par ces
rnême~ saints, et que, par un malen-
t']ÉMXt& M MABÏ.Ë.

tesdu, on a regardéescomme desfaits


réels.*

Enpadant ainsi legouveï'neu~avMt


ouvertavec promptitude le cû~~rcle à
coulissede !a cassette et en avaitHr~
bouteHtequi était noire et d'unef~fMe
singulière.Hse répandit vraimentdans
la chaoabpe, ainsi que le frère Cy'dM&
m'en avait prévenu, une odeur fort~
mais qui était plutôt agréabïeque suf-
focante.
<Je gage, dit le comte, que cet élixir
du diable n'est autre chose que d'excel-
lent vin de Syracuse. »

«Bien certainement, reprit le ~ou-


vemeur, et si cette bouteine vient en
effet delà succession de saint Antoine,9
vous êtes, mon père, plus heureux que
le roi de Naples, qui a été privé de la
satisfaction de goûter d'ancien vin ro-
main, par la mauvaise habitude que
84 t~MXM DU NABM.

ce peuple avait adoptée de ne point


boucher son vin et de ne le conserver
qu'en y versantune couched'huile. Ce-
lui-cin'est pas, à la vérité, aussi ancien
que l'aurait été celui d'Hercutanum;
mais, tel qu'il est, je ne croispas qu'il
en existede plus vieux, et je vouscon-
seillerais bien d'après cela de ne pas
laisserà d'autresla satisfactionde con-
naître à fondlesvertusde cette relique.It

aJe suis sûr, observale comte, que~


ce vieuxvin de Syracuserépandrait de
nouvellesforcesdans vosveines, et dis~
siperait jusqu'aux dernières traces de
votreindisposition,monpère.

Le gouverneurtira de sa poche un
tire-bouchon d'acier et ouvrit la bou-
teille en dépit de mes remontrances.
Aumomentoù le bouchon partit, je crus
voir sortirune petite flammebleue qui
s'éteignit sur-le-champ.L'odeur devint
t'ËMXIR DU MABÏ.E. 85

beaucoupplus forteet se répandit dans


toutela chambre.Le gouverneurgoûta
}epremierdu vinet s'écria

«C'est, commeje l'avaisdit, d'excel-


lent vin de Syracuse Il faut convenir
que la cavede saint Antoinen'était pas
mal fournie, et si le diableétait son
-fournisseur,le saint n'a pas eu autant
à se pl.undrede lui qu'on le prétend.
Goûtez-en,monsieurle comte.

Le comteen but et connrmace que


~on gouverneurvenait dedire. Ils plai-
santèrentde nouveaul'un et l'autre sur
cetterelique, qui était seloneuxla plus
bellede toute la collection ils souhai-
tèrent d'avoir toute une cave pleine de
reliquespareilles, etc. J'écoutais tout
celasans rien dire et les yeux baisser
La gaietédes étrangersavaitpour moi,
dansla tristesseà laquellej'étais livré
quelquechosede pénible. Ce fut inu-
.4)V Ï~HXXR ,DUMAM.E.
tilement qu'ilsme pressèrentde gpùtcï
montour du vin de saint Antoine.Je
m'y refusaiavecfermeté)et aprèsavoir
soigneusementrebouchéla bouteilleje
la renfermaide nouveaudans la cassette
et dans l'armoire.

Les étrangersquittèrent le couvent;


mais quand je me retrouvaiseul dans
ma cellule, je ne pus m'empêcherde
reconnaîtreque {'éprouvaisun certain
bien-être,unecertainegaietéplusgrands
que de coutume.Il étaitévidentque!e
parfum seul du vin m'avaitredonnédes
forces.Je ne sentispas la moindretrace
des funesteseffetsdontle frère Cyrille
m'avait parle, mais, au contraire, Fin-
jfluencela plus bienfaisante.Plus je ré-
j&écbissaisàla légendede saint Antoine,
plus les parolesdu gouverneurs'impri-
maient dans mon esprit, plus je me
persuadaisque l'explication qu'il en
avaitdonnéeétait la seule véritable, et
~jÈMXIR DU MABRE.
~7
soudain je me rappelai que dans ce
malheureux jour où une vision :hostile
avait si cruellement interrompu mon
~ermon~ j'avais été surle point d'expliquer
cette histoire-dela même mamièM.Cette
pensée, qui me frappa comme un coup
de foudre, se joignit à une autre qui
ne tarda pas à me remplir au point de
me faire oublier tout le reste.

Ke serait-il pas possible, pensai-je


que ce breuvage miraculeux rendît à
mon esprit sa première vigueuret rallu-
mât dans mon âme une flammeéteinte?
I~ai-je pas déjà éprouvé la sympathie
qui existe entre mon esprit et les qua-
lités de ce vin, puisque les vapeurs qui
ont étourdi le faible Cyrille ont agi sur
moi d'une façon si bienfaisante?

Aprèsces réûexions, je me sentis près*


que décidé à suivre les conseils des
étrangers mais un sentiment intérieur
et inexplicableme retenait malgré moi.
88 Ï/~MXÏR DU DIABLE.

Au moment d'ouvrir l'armoireje crus


voirdanslesmouluresdu boisla terrible
figuredu peintre avecses yeuxperçans
moitiévivanset moitié morts, et saisi
d'une frayeursurnaturelleje sortis à la
hâte de la saUedes reliquespour aller
au pied des autels pleurer mon indis-
crétion.

En attendant j'étais de plus en plus


p ar la pensée que le vin mira-
poursuivi
culeuxétait seulen état de rendreà mon
son éclat et sa vivacité.La con-
esprit
duitedu prieuret celledes moines, qui,
me regardantcommeun hommede qui
la raison était affaiblie, me"traitaient
avecdes égards avilissans me mettait
audésespoir,etle pèreLéonardm'ayant
mêmedispensédesexercicesordinaires,
afin de me donner le tempsde repren-
dre des forces, je résolus,pendant une
cruelleinsomnie, et déchiré par une
douleurprofonde, de risquer,s'il le fal-
ï.'ÉMXm DU MAM. 89

mon existence, et de recouvrerl'es-


lait,
ou de périr dans
prit que j'avais perdu
l'entreprise.

Je quittai mon lit et, tenant à


main ma lampe, que j'allumai a~
cierge qui brûlait devant la petite image
de la Vierge dans le corridor je m<?
comme un fantôme à travers l'é-
glissai
et jusqu'à la salle des reliques..
glise
Eclairées par la lumière vacillantede mar
les saintes statues de l'église me
~ampe,
avoir du mouvement; elles
parurent
eurent l'air de jeter sur moi des regards
de pitié. Je crus entendre dans les gë-
missemens delà tempête,quipénétraient
dans le choeurpar les fenêtresdélabrées~
des voix plaintives qui m'avertissaient.
du danger que je courais je crus même
reconnaître dans le nombre celle de ma
mère qui me disait Mon fils Médard
fais-tu? Renonce à ta coupableen--
que
treprise.
4~
t/ËMXMt M MME.

Quand {'entraidans la salledes reï{-


ques) une tranqui!!itéprofondey ré~
gnait. J'ouvris l'armoire, je m'empaMi
de ïa cassette de la bouteiÏte et, au
bout d'un instant, j'avaisbu une gorgée
assezforte du vin qu'elle contenait Un
feu coula dans mes veineset n~erem-
plit d'unesensationde hien-êïreimpos-
sîbleàdëcnre. Je bus encoreunefois
et je crus me sentir anime d'une nou-
vellevie.Je me hâtai de renfermerdans
~'armoirela cassette vide et, revenu
dans ma cellule avec ïa bienfaisante
bouteillesous marobe, je memis à mon
bureau.

Le premier objet sur lequel je mis la


main fut la petite clef que, pour éviter
jusqu'à !a tentation, j'avais autrefoisdé-
tachée du trousseau et cachéesous mes
papïers. Le souvenir mefrappa deceque
gavais pu ouvrir s~nseMëlacassette, soit'
à répoque de la visite des étranger~ soit
t.ÉHXT& J&CMABtE: 9~

~Bce moment J'examinaitnon trotta


seau)et, àmagrandesurprise,j'y ~)~ai.
Tm~clefinconnuequi m'avaitservidâS~
ces deux occasions.Je trembhi malgré.
moi; maislesimagesles plus brillantes
qMise présentaientl'une après.l'autreà
mon esprit réveiHé,me ~rent bientôt
oubliercette circonstancemystëne~se.
Je n'eus point de reposque je ne visse
~.premiers rayons du soleil s~ lever
derrièreles montagnes,et que je pusse
courir au jardin me baigner dans leur
doucechaleur.

Le père Léonard et les frères remar-


quèrent le changement qui s'était fait
en moi. Au lieu de la tristesse et de la
ïéservc que je montrais depuis queï-~
que temps j'étais gai et aolmé. Je par-
lais avec l'éloquencequi i&'étsnt aatu~-
reHeet comme si j'eusse été devant Ï'as-
semblée des fidèles.Resté seul avec
p~euy y H me regardaloag-temps avec
9~ t'~MXIR DU BïABt.E.

attention; il semMaitvouloir pénètre?


jusqu'au fond de mon âme. Enfinil
me dit avecun sourirelégèrementiro.
nique t

<Le frère Médard aur~t-ï! recueil


de nouvelles forces dans une vision
céleste c

Je rougis, car je ne
pus m'empêcher
d'éprouver 'quelque honte à l'idée que
je ne devais mon renouvellement d'en-
thousiasme qu'à un verre de vin vieux.
Je baissai les yeux et la tètent le
père
Léonard me laissa à mes réflexions.
Moi-même je n'étais pas sans crainte de
voir cesser au bout de fort
peu de temps
l'exaltation que je ne devais qu'au vin
et de la voir remplacéepar une faiblesse
d'autant plus~grande; mais il n'en fut
pas ainsi. Je sentisau contraire, avec le
retour de mes forces, une
augmenta..
tion d'énergie et le besoin de satisfaire
Ï.UXÏR M DIABLE.
93
toute l'ambition que ïâ vie du couvent
me permettait (réprouver.

J'insistai en conséquencepour
qu'on
me permît de prêcher de nouveauà la
prochaine fête, et cela me fut accordé.
Peu d'instans avant de monteren chaire
je pris un verre du vin merveilleux.Ja-
mais je n'a vaisparléà Jafois avec
plus de.
feu et d'onction. Le bruit de ma
guéri-
son complète serépanditbientôt au
loin;
l'élise se remplit de nouveau comme
autrefois mais plus j'obtenaisde succès
auprès de la fouie, plus le père Léo-
nard devenait gravent réservéavec moi.
Je commençais à lehaïr du fond de mon
âme, car je. ne doutais pas qu'il ne fût
rempli d'envie et d'orgueilmonastique.

Le jour de saint Bernard


approchait,
et je brûlais du désir le plus ardent de
déployer toute mon éloquence en pré-
sence de la princesse. Je
suppliai donc
L~M~M D11 N&BI.E.
94
le prieur d'cotenir pour moi Faute-
risation de prêchef à l'abbaye.Cette
pïièrc parut surprendre singulière-
xnent le père Léonard·, il m'avoua
franchementque sonintention avaitété
de monter lui-même en chaireà cette
occasion,et qued~sarrangemensavaient
déjacté pris à cet effet; mais il ajouta
que cette circonstance ne ferait que
faciliterInexécutionde mon plan, puis-
une
feindrait etm'en-
indisposition
~u'il
verraità sa place.

Jevisma mère, ainsique la princesse,


la veillede la fête maismon âmeétaitsi
rempliede l'idée des succèsque j'aUais
obtenir le lendemain, que~eur vue ne
sur moi qu'une bien faible impfes'-
sion<Le bruit s'étant répandu dans la
villeque je devais prêcheren p~ce du
Léonard indisposé, la réunionor-
père
dinairedela saintBernard futbien plus
nombreuseencore cette année que les-
~EttXYR
~U DïABIE.
~V
I.

prudentes. Je ne mis rien


surlëpapier
conter de disposerdans ma
tête les principaux
points de monser-
mon. Je comptais sur
l'inspirationqae
mecommuniqueraient Je sacrifice de !a
~esse, Ïes ~breux
auditeur réten-
'ï~et la beauté de
l'église.Monattente
ne fut pas
trompée. Mesparoiescou~.
rent comme un torrent
enHammë.
mê!ai aux traits de Ja vie de
saint Ber-
nard lesimagesles
plus briHanteset les
Vexions les plus pieuses.Je Usais
dans
les regards nxés sur moi
l'étonnement
et radmiration.

~e brûlais d'impatiencede
savoirce
queia princesseme dirait, et j'attendais
Expression de sa satisfactionavec un
~ésïr que je ne saurais
dépeindre.H me
semblaitqu'aprèsavoir
montrësonéton-.
Dementdesdisposîtionsquemon enfance
avait offertes, eUe ne
pouvaitmanquer
alors de me recevoir avec un
respect
96 Ï/~MXIR DUMABM.
involontaire.Cependant, quandl'office
fut terminé, et que je demandaià la
voir, elle me fit répondrequ'éprouvant
une indispositionsubite, il luiétait im-
possiblede recevoirqui que ce fût. J'en
fus d'autant plus aSUgé,que dans mon
orgueil,je m'étaisimaginéquel'abbesse~
pleine d'enthousiasmepour mestalens,
éprouveraitd'elle-mêmele besoind'en-
tendre encorede ma bouche quelques
pieusesexhortations. Mamère, que je
vis) me parut agitée par une douleur
secrètedontje ne demandaipas la cause,
parce que ma conscienceme disait va-
guementque je n'y étais pas étranger.
Elle me remit une lettrede la princesse
en me disant que je ne devais l'ouvrir
que quandje seraisde retourdans mon
couvent*A peineétais-jerentré dansma
celluleque j'en rompisle cachet et que
je lus avecétonnementce qui suit

« Moncher fils ( carje veux encore


~MXM DC DtABt.E.
97
~te donner ce nom), le sermonquetu
<as prononcé dans notre couventm'a
< profondémentaSitgée.Tes parolesne
~sont point sortiesd'âne âmepieuse et
tentîêrement tournée vers Ïec!~L Ton
tinsp!yatïon n'a pas ~é de celles qui
élèventlesespritsreligieuxsurdesai!ë~
a de séraphin et leur permettentde por-
Bter leur regardjusque dansle royauaï~
'céleste. Hétas! les omenaensorgueil-
tieux de tes discours, les peinesquetu~
»prends pour dire des chosesMmar-
~quabÏes et brillantest m'ont prouva
qu'au lieu d'instruireles auditeurset
J de les enflammer dufeu d'une véfitaMe
a piété, tu ne cherches qu'à obtenir la
frivoleadmirationdes personnesmon.
cdaines. Tu as feint des sentimens
quf
âne sont point dans ton cœur; tu a?
Mnêmeadoptécertainsgestes et mou-
evemenscalcuïéscommeceux d'un co-
'médien et tout cela dans l'espoird'un
honteux succès.L'espritde l'tmposture
ï.
98 tjEMXÏR nu MABM3.

ws'estintroduit en toi, et te perdra si tu


~ne rentres en toi-même et ne renonces
au pèche car tes pensées et tes actions
<sont très-coupables et d'autant
plus
wqu'eQentrant au couvent tu t'es engagé
enversJeciel à marcher dans la
pieté
'et à TCQûncerà toutes les vanités du
amende. Puisse saint Bernard,
que tu
<as si cruellement offensé. i
Y par ton ser-
»mon, te pardonner dans sa céleste cîé-
meace, et t'éclairer aûa que tu puisses
~retrouverle bon chemin dont le maïin
~esprit t'a écarté) et terendre~digne de
»son intercession pour le satut de ton
~a~ Porte-toi bien. a

Les paroles de l'abbesse me percèrent


comme autant de ueches emflammées.
Je brûiaîs d'une colère tntédeure, car je
ne doutais pasque le père Léonard, dont
ropinionsur mes sermons était st con-
forme à la sienne, n'eût éveiUe en elle
une dévotion minutieuse~ et ne reût)
t/~UXÏR DU MABLE. 99

par ce moyen, prévenue contre moi. A


compter de ce moment, j'eus de la peine
à regarder le'prieur sans frémir, et il me
vint dans la pensée des projets contre
lui qui m'effrayèrent moi-même. Les
observations de Fabbesse et du prieur
m'étaient d'autant plus insupportables,
qu'en descendant au fond de mon cœur
je ne pouvais nier qu'elles ne fussent
justes. Je n'en persistai pas moins pour
cela dans mes projets je continuai a.
puiser des forces dans la bouteille mys-
térieuse, à orner mes sermons,de toutes
les fleurs de la rhétorique, à étudier
mes regards et mes gestes, et je gagnai
de plus en plus les applaudissemens et
l'admiration du public. «
CHAPITREVI.

Il LES rayons dorés de l'aurore pêne-


traientpar les fenêtresde l'église.J'étais
assis seul dans un confessionnal,ab-
sorbé dansde profondesréflexions.Les
pas du frère qui balayait l'église re"
tentissaientseuls sous les voûtes. Tout
à coup j'entendis du bruit près de
J~MXm M MA~E. tût

moi et ~aperçusune femme grandeet


bien faite, vêtue d'un costume
un peu
étrange,le visagecouvertd'un voile,qui
était entréepatune petite
portelatérale,
et qui avançait versmoi
pourse con-
fesser. Ses mouvemens avaient une
grâce impossibleà décrire elle s'age-
nouiÏÏa, un profond soupir échappade
son sein,et elle n'avait encore
pas parlé
que déjà sa présence faisait sur moi
Met d'un charme qui ïn'étourdissait.
CommentpeMrai-)e Ïe shn dé sa voix
si pénétrante et d'un genresi
particu-
lier? Chaque mot qu'eHeprononça me
perçale seinquand elle m'avouaqu'e!!e
nourrissaitun amourdéfendu que de-
puislong-tempselle combattaiten vain,
et que cet amour était d'autant
plus
coupable que celui qui gavait inspiré
était engagédansdes liens sacrés, Jiens
que~dans l'égarementde son désespoir,
el!e avait osé maudire. Parvenueà cet
endroitde sa confession,elle s'arrêta
K)2 Ï~M~tR DO MAM.
d
puis eHeajouta ~u !~ï!!@u
d ~ ~t de
larmes °

< C'est vous c~estTous-même,Mé~


dard, que j'aimede cet ~mourinex~n"
mable.

A ces mots, tous mes nerfs furent


agitéscommed&asles dernierscombat
de la mort; j'étaishors de moi; uo sen'
timent qui m'était inconnu me déchira
le sein je désiraislaTou*yia serrersuf
mon cœur, mourirde plaisiret de dou-
leur. J'aurais acheté une seule.minate
d'une pareilleféticitéau prix des peines
éternellesde l'enfer.

Elle se tut; mais je pus entendre


qu'elle respirait a~ec diCScuhé. Ptem
d'une sortede sauvage
désespoirres-
sayai de prendrecourageet de lui faire
quelques exhortations.Je n'ai plus a~
cun souvenirde ce que je lui dis xn~s
t~MXÏR DU DIABLE. T03

je me rappelleque quand j'eus uni, eUe


se !evaen silence et s'éloigna pendant
que }e mettais mon mouchoir devant
mes yeux et que je demeurais immobile
et presque sans connaissance dans !e
confessionnal.

Par bonheur, personne n'entra plus


dans FégUse, et je pus sans être aperçu
me glisser dans ma cellule. Cette aven-
ture donna à toutes choses un aspect
bien différent de ce qu'eues avaient eu
jusqu'alors. Mes c~orts me parurent
bien vains et bien insensés. Je n'avais
pas vu ïes traits de l'inconnue, et cepen-
dantson image vivaiten moi. Il me sem-
blait qu'elle me regardait avecde beaux'
yeux bleus, dans lesquels brillaient des
larmes qui ressemblaient à des perles.
Elles tombaient sur mon sein comme
un feu dévorant qu'aucune prière, au-
cune pénitence n'étuit capable d'étein-
dre. J'en essayai pourtant de toute
!0~ Ï-~ÉMXÏRDU MABM.

espèce. Je me déchirai}usqu*ausang
avec la discipline,afin
d'échapperà î~
damnation éternellequi me menaçait:
car Je feu que cette femme
étrangère
avait aÏïumédans ma poitrine excitait
en moi les désirs les plus
coupables,et
me causait une souffranceà
laquelle je
cherchaïs vainementle moyen de me
dérober.

I! y avait dans notre égliseun autel


consacréà sainteRosalie,au-dessusdu-
quel se voyait un magnifiqueportrait
de la sainte, représentéeau moment où
elle recevait3emartyre.En regardant ce
portrait, je me sentis convaincu que
citait celui de ma pénitente. H
n'y
avaitpas jusqu'à soncostume ne fût
qui
pareil à celui qu'elle portait et qui
m'avait paru si étrange. Je demeurais
parfoispendantdesheuresentièrescou.
ché sur les marchesde
l'autel, et pous-
sant d'affreuxcris, de
désespoirqui fai-
Ï~MXÎR pu DtABLB. to5
raient fuir loin de moi les
religieux.
épouvantes. Dans des momens plus
caïmes~je couraisça et là, dans le jardin
du couvent, et alors je la
voyais tantôt
se promenerdans un vague
lointain,J
tantôt sortir des bosquets
pour venir à
ma rencontre,e tantôt s'élever du sein
des fontaines,tantôt glisser sur la
prai..
rie emaiHée elle était
partout!

Dans ces momens9 je maudissais


mes vœuxet mon existence. Je voulais
allerdansle monde, ne
prendre aucun
repos avantde l'avoirtrouvée, et ache-
ter sa possessionau prix du salut de
mon
âme. Je réussispourtant enfinà
modérer
les élans d'un délire
qui demeurait
inexplicableau prieur comme aux frè-
res. Je fusen état de paraître
pluscalme,
mais intérieurementla Nammeme dé-
voraittoujours.Je n'avaisni sommeil
ni
repos.Poursuivipar son image, je me
retournaissur ma dure couche et
j'im.
to6 L~MXÏR M MABÎ.E.

plorais le secours des saints, non pour


ïce sauver de cette illusion séductrice,
Don pour préserver mon âme d'une
damnation éterneiïe, mais pour me
donner cette' femme, pour me relever
de mes voeux, et pour approuver mon
apostasie.

A la fin je pris la ferme résolution de


mettre un terme à mes souffrances en
fuyant loin du couvent car it me sem-
blait que je n'avais besoin d'autre chose
que de me voir rc!evé de mon vœu de
réclusion, pour posséder cette femme
et apaiser le feu qui me dévorait. Mon
projet fut de me rendre méconnaissable
en me rasant la barbe et en prenant des
Iiabits séculiers, et de rester ensuite
dans la viMejusqu'à ce que je l'eusse
trouvée. Je ne songeaipas à ïadimcaité
ou, pour mieux dire, à l'impossibilité
d'un pareil plan attendu qu'entière-
ment dépourvu d'argent, je n'aurais pas
Ï/BMXIR D~ M&Bï.Ë.
Oy
pu v!vf€deux }ourshors des murs da
cû~veNt. a~'

Le
dernier
jour que}ecomptaisy re~
ter était enfinarrivé.Par un hasard fa-
vorable, je &*éta!sprocuré des habits
boufg~oisassezpropres,et je résolusde
quitter le couventdansh nuit pour n'y
p!us jamaisrentrer. Le soïei! était déjà
couchequand le prieur me fit appeler
inopinémentauprèsde lui. Je tremblais
en m'y rendant, car je ne doutais
pas
qu'il n'eût découvertmon projet I.e
père Léonardme reçut d'un air beau-
coup plus sérieux qu'à l'ordinaire et
même avecune dignité
imposante qut
me fit frémirmalgrémoi.

a Frère Médard, me
dit-il ta con-
duite insensée, que je ne
regarde que
comme Met de cette exaltation d'es-
prit exagérée à laquelle tu te i;vrp3
depuis quetque temps, par des vues qui,
Ïû8 I.'ËMXtR DU DïABtE.

je le crains, ne sontpas desplus pures,


rompt la tranquillitéde notre/vie com-
ntune; elle trouble cette douée gaieté
que je me suisefforcéjusqu'àprésent de
maintenir entre les frères, comme le
rësultat naturel d'une existencecalme
et pieuse.Peut-être aussi cette exaha~
tion provient-eHe de quelqueévënement
malheureuxqui t'estarrivé.Si tu t'étais
confié à mon amitié paternelle tu
aurais trouvé auprèsde moi de la con-
solation maistu as préféréte taire, et
;e désire d'autant moins te presser de
m'apprendre ton secret que je crains
présent de ne pouvoirl'entendre sans y
sacrinermon repos si nécessaireà mon
3ge. A plusieursreprises,et surtout au
pied de l'auteldesainteRosalie,tu as pro-
noncédesdiscourshorriMes,
inspiréssans
doutepar la démence,etqui ont griève-
ment scandalisénon seulementles re!i-
gieux, mais encoreles étrangersqui se
trouvaientpar hasard dans l'église.Je
t'JÉMXÏR M MABMS.
V

pourraisd'aprèscela, conformément Ala


du couvent, te condamner à un
règle
châtimentsévère maïs ce n'est
pas mon
'intention car je veux croire.
qu'une
puissance ennemie,peut-être ïe démon
lui-même, a causétonerreur,parce que
tu ne l'auraspascombattueavecassezde
courage. Je ne t'impose donc d'autre
pénitenceque desprièresassidues.Je lis
jusqu'au f$nd de ton âme. Tu veux
lifter le couvent.»

Le père Léonard me jeta un regard


scrutateur que je ne pus soutenir
je
tombai baignéde larmes à ses
pieds,
car je me sentais intértcurement cou-
pable.
e Je te comprends continua
le
prieur, et je suis moi-même porté à
croireque le monde, pourvu
que tu le
parcouresavecsimplicitéd'esprit, con-
tribueraplusque la solitudedu couvent
'àte tirer de ton erreur. Les intérêts de
Ëta L'ÉLIXIR M MAM.E.

Je passai!a nuit à prier et à me pré.


parer au voyage.Je versaile reste du
vin mystérieuxdans un flacongarni en
osier, afin de pouvoir m*en servir en
cas de besoin, et je replaçaila bouteille
vide dans la cassette.
Masurprise fut grande lorsqueje dé-
couvris, par la lecture des instructions
détailléesdu prieur, que mon voyageà
Rome n'était point une plaisanterie, et
que la missionque je devaisy remplir
était réellementde la plus haute impor-
tance pour les intérêtsdu couvent.Cela
ne laissapas que de m'embarraser, car
je ne savais comment concilier cette
affaireavecla résolutionquej'avaisprise
de jouir detoute ma libertéaussitôtque
je seraissorti du couvent.Mais je pen-
sai à elle, et reprenant courage je me
fortifiaidans l'idéede resterAdclé à mes
projets.
Les frèresse rassembièreot le congé
t~UXÏRMMAB~Ë. M5

que je pris d'eux et du père Léonard


meremplitde.laplusprofondetristesse
mais bientôt les portes du couvent se
fermèrent sur moi, et je commençai
mon voyagedansle monde.

5'
CHAPITREVÏL

LA première hauteur sur laquelleje


m'arrêtai me fit voir le couventsituéau
fond dela vallée,enveloppédes vapeurs
bleuâtres du matin. Les chants pieux
des frèresmontèrent jusqu'à moi, dans
le silencede la nature. Je m'y joignis
par un mouvementinvolontaire.Bientôt
Ï~UXm DU M&SM?. n5

le so!eHversa dés ton'ens de feu sur !a


TJtMeses rayons bridèrent à travers Ïe
rosée tombè-
feuillage, et les gouttes de
rent comme autant de diamant sur des
milliers d'insectes de toutes couleurs
se révcinaient pour voltiger et bour-
qui
donner autour de mo!. ï.es oiseaux rem-
leurs chansons joyeu-
plirent la forêt de
ses et de leurs douces caresses. Une
de jeunes paysans et de paysan-
troupe
Desparées descendirent la montagne.

Loué soit Jésus-Christ ï «medirent-


ils en passant à côté de moi.

< Atoute étermté a Ïeur répondis-je,


et il me sembla que j'en commençais
une nouvelle vie pleine de bonheur et,
de liberté, qui otTraità mon esprit une
foule d'images délicieuses.

Jamais je n'avais éprouvé ce que je


sentais en ce moment j'étais un autre
homme. Animé d'une vigueur nouvelle',
ti6 i/~HXJRDUMABM.
je traversai d'un pas rapide Je bois et je
descendis h côte. Je demandai ensuite
à un paysan que je rencontrai !e che-
min du lieu porte sur mon itinéraire
pour ma première couchée, et il m'en
indiqua un à travers les montagnes,
qu'il me dit être beaucoup plus court
que la grande route, lavais déjà par-
couru un espace assez
considérable,
quand je songeai de nouveau à mon in-
connue et au pr~ct que j'avais formé
de la chercher. Mais son
image était
eSacëe de mon esprit comme par une
puissance étrangère, et {'eus de h peine
à rassembler les traits épars et affaiblis
de son portrait. Plus je m'eSbrçais de
ies fixer dans ma tête, plus ils se dissi-
paient dans une espèce de brouillard,

La seule chose qui fût encore claire-


ment présenteà ma mémoireétait mon
extravagante conduite dans le cou-
.ventaprès cette mysténeuseaventure.
Ï-~MXiR
6C MABM. tty
Il m'était impossibled'expliquerla bonté
du prieur en soudant cette conduits et
en m'envoyantdansle monde, en place
de me faire subirie châtiment que
j'avais
si bien mérité.Je ne tardai
pas à me per<
~uader que l'apparition ~e cette femme
inconnue n'avait été qu'une vision,suite
d'une trop grande tension d'esprit, et au
lieu d'attribuer, commeje l'avaisfait
jus-
qu'alors, cette funeste aventureà la per"
sécution du démon, je mis mon erreur
sur le compte dema propre imagination.
La circonstance du costume de l'étran-
gère, si semblableà celle de sainte Ro-
salie, contribua à me persuader que le
portrait de cette sainte, que, du confes-
sional onj'étais assis, je pouvais
aper-
cevoirde biais et à une assez grande dis-
tance, avait eu beaucoup de part a mon
illusion. J'admirai la sagesse du
prieur
qui avait choisi le plus sûr moyen de
me guérir, puisque renfermé dans les
murs du couvent,
toujours entouré
t/ÉHXÏR M MABM.
~8
occupé d'une
des mêmes objets l'esprit
cette vision, se colorant
même pensée,
dans!aso!itudede nuances toujours plus
9aurait facilement m'entraîna
vives, p u
fo!ie. Me confirmant de plus en
dans la
dans ridé~ que je n'avais fait que
plus
la peine à m'empêcher
yêver, j'eus de
avec une frivolité qui ne m'~
de rire, et
plaisantais inté-
tait pas natuteMe, ;e
de la que gavais eue
rieurement pensée
fût devenue amoureuse de
qu'une sainte
Je me dis que cela n'avait
moi. pourtant
rien d'étonnant, puisque moi-ïnêm~
été un jour saint Antoine.
j'avais
déjà je mar-
Depuis plusieurs jours côté
les montagnes, tantôt à
cMs dans
derocherssourcnieuxd'unehauteurpro-
dans d~tro~ dë~és ou
dïg!cuse, t~tôt
~vms creusés par des torrens.
dans des
devenait de p!us en plus
Monchemin
H étaU midî; ïesoleU
désert et pémble.
sur ma tête nue;
dardaïtses~yons
t.'ELïXïK Ml MABM. 11 j~
serrais u~e soif horriMe mais~je ne
voyaispas de source où je pusse l'etân'*
cher, et le viïtage que roa m'avait an-
noncé semblait recutef devant mes pas.
Épuisé de fatigue }e m'assis 6ttr un
quartier de roche, et }e ne pus m'em-
pêcher de boire âne gorgée du précieux
breuvage que je désirais économiser
autant que possible. Une force nouvelle
remplit soudain mesveines. Rafraîchiet
ranimé, je me remis en route pour par-
venir eafm ait but qui ne pouvait plus
être éloigné.

Cependant le bois de sapins devenait


ph)s touS'u. J'entendis du bruit dans la
p~rt!e plus épaisse, et b!eot0t &pfès
un cheval attacha à un arbre se mit à
hennir. J'avançai dé Quelques pas en-
cote et je frémisd'eiM en me voyant
tout à eoup sur le bord d'un a~reux
pfécipice, au fond~da~uel un toiTent
r~uÏait ses eau~ ëcuman~esav~~n fra-
t~O Ï~MXm DU DIAMB.

cas qui de loin avait déjà frappé mon


oreine.Dansl'endroitle pÏusdangereux
était assisun jeunehommeenuniforme.
Il avait à côté de lui son chapeau à
plumet, sonépce et un portefeuille.Son
corps tout entierétait penché en avant
au-dessusdu précipice,Ilétaitendormi.
Sa chute était inévitable. Je m'appro-
chai de lui, et commejeportaisla main
sur son épaulepour ïc retenîr, je criai

« Au nomde D!eu, Mons!eur ré-


veiÏtez-YOUSau nom de Dieuî ))

A peine l'eussetouché qu'ilsortit d'an


mêcoe in?:
profond somme! mais aa
stant, perdant son équilibre, il tomba
dans le precip~e~et fut lancé de ro~
cher en rocher. J'entendis le bruit de
ses membresqu~ se br~aient. Le c~ï
qu'il jeta, étouËfe' par la vaste profon-
deur de ~bim~ ne,par~at jusqu'à moi
qu~ coa)Meun faîbic génussesient qui
L'~UXÏR DU MABM. tS!j
ne t,arda pas à se dissiper. Saisi d'hor-
reur et d'effroi, je demeurai quelque
temps immobile, puis prenant le cha-
peau, l'ëpée et le porte-feuille, je voulus
m'etoigncr pM~nptement de ce Heu de
maïheur, quand je vis venir à moi un
jeune homme en habit de chasseur qui
sortit du taillis et me regarda d'abord
fixement au visage,après quoi il se mit à
rire avec une si follegaieté qu'une sueur
froide coula sur tous mes membres.

« En vérité, monsieur le comte, dit le


jeune homme, la mascarade est parfaite,
et si madame la baronne n'en était pas
avertied'avance,je suis sûr qu'elle ne re-
connaîtrait pas son bien-aimé sous cet
habit. Mais qu'avez-vous fait de l'uni-
forme, Monsieur?

« Je l'ai jeté au fond du précipice,~


répondis-je. Mais non, j'ai tort 3 ce ne
fut pas moi qui prononçai ces paroles;
ï. 6
t/~MXtn DU DtABM.
~22

eil~s firent mvotbntatrëmentde mes


¡'
lèvres.

Absorbédansmespensées, je me te-
nais sur le bord de Fabîme, les yeux'
ûxës surle fond, d'où il me semblait que
le corps sanglant du comte allait sortir
me menacer. J'éprouvais la même
pour
sensation que si je l'eusse assassiné, et
tenais fermement dans ma
je toujours
main !e chapeau, l'épée et le porte-
feuille. Le jeune homme continua

« Maintenant, Monsieur, ;e vais me


à la ville par la grande route, et
rendre
me tiendrai caché dans la maison qui
je
de la
est située sur la gauche, tout près
à vous, je pense que vous
porte. Quant
châ-
a~iex descendre sur-le-champ au
doute déjà.
teau on vousy attend sans
avec moi votre chapeau et
J'emporterai
votreépee.M
Je !m tendis Fuo e~FautM.
~L~MXIR
Du DÏABM. !a3
a Adieu donc, ïn.pnsieur ïe comte }e
vous souhaite beaucoup de succès au
château. »

En disantces mots, le jeune homm$


s'enfonçadans le taitHs, et partit en
chantant et en donnanttoutesles man-
ques de la gaieté.

Quand je -fusrevenu de mon premier


étourdissement, et que je réfléchis avec
calmesur cette aventure, je ne puson'em-
pêcher de convenir que j'étais le jouet du
hasard, qui d'un seul coup m'avait placé
dans la position la plus extraordinaire.
Il était évident, d'un côté, que le chas-
seur avait été trompé par une grande
ressemblance de traits et de taiile entre
le malheureux comte et moL~ et de
l'autre, que ce jeune militaire avait fait
chom du costume de capucin pour en-
treprendre quelque aventure dans un
château voisin. La mort l'avait surpris~
t2~ t/ËUXïH DU DIABLE. <

et ma destinéeextraordinaire m'avait au
même instant envoyélà pour le rempla-
cer. La force irrésistible de cette même
destinée me poussa à continuer le rôle
commencé involontairement
que j'avais
à jouer; elle remporta sur tous mesdou~
tes et écouta la voixintérieure qui m'ac-
cusait de meurtre et de sacrilége.J'ouvris
le portefeuille, dans lequel je trouvai
lettres et des valeurs consi-
quelques
dérables en effetsde commerce.Je voulus
examiner les unes et les autres, afin de
me mettre au fait des relations du comte;
mais l'inquiétude qui me dévorait, la
foule d'idées différentesqui se croisaient
dans mon esprit ne me laissèrent pas
assez de sang-froid pour y rien com-
prendre.
a'
avoir fait pas, je m'ar-
Après quelques
de nouveau; je m'assis sur un ro-
rêtai
voulais essayer. de me calmer
cher je
de me ris-
un peu, je sentaisle danger
L'~HXIRDUDIABLE. ~a5
quer ainsisans avoirété préparé au mi-
lieu d'un cerclede personnes et d'objets
qui m'étaient tous également inconnus.
Des cors retentirent dans le bois, et des
voix joyeusesse firent entendre et s'ap-
prochèrent de moi. Le cœur me battit
avec violence; ma respiration s'arrêta;
un monde nouveau une nouvelle exis-
tence allaient donc s'ouvrir pour moi i
Je me détournai dans un étroit sen-
tier qui me conduisit à une descente ra"
pide. Ensortant du bois je visau-dessous
de moi, dans la vaUée, un grand et
beau château.

C'était là le théâtre de l'aventure que


le comte avaitvoulu tenter et je résolus
d'aUer courageusementau-devant de ce
qui pourrait m'y arriver. Je ne tardai
pas à metrouver dans les alléesdu parc
dont le château était environné. Dans
une allée latérale et obscure, je vis se
promener deux hommes, l'un desquels
:J26 t/JÉMXÎR DU DIABLE.

portait I~a.bit d'un ecclésiastique Sécu"


lier. ïïs s~pprochérent de moi, mais
iïs costiauàrent leur conversation sans
m'apercevoir. L'ecctésiastique était un
}eune homme sur les beauxtraits duquel
on voyait une pâleur mortene, marque
d'un profond chagrin l'autre dont les
habits étaient simples mais propres, me
parut être d'un âge déjà avancé. Ils
s'assirent sur un banc en me tournant
Je dos, et assez près de moi pour que
je pusse entendre chaque mot qu'ils se
disaient.

a Hermogène, dit le plus âgé des


deux, votre silence opiniâtre fait le dés-
'espoir de votre famille. Totre sombre
chagrin augmente tous les jours; la
vigueur de votre jeunesse est abattue,
sa ~eur est Pétrie. Votre résolution
d*embra$ser l'état ecclésiastique rompt
tous les projets, détruit toutes les espé-
rances de votre père. lï renoncerait
ï.'jÉMXM DU NApM.
C", ta~
néanmoins vpÏonUersà ces espérances,
si citait une yoca~on réelle, uo go~t
Mresïstïbïe pourra solitude, téMoigne
depuis !ong-temp~,quiv~usy entraîaât.
H pe cherchetait point dans ce cas à
combattre u~ destmée ûxee par le ciel
même. Matsïe changement soudaïa qui
s'est jfantdans Yosmamèfes ne prouve
que trop clatfement qu'il vous est a~
nvé quelque événement que vous ne
,voulezpas dire qui a fortementébranlé
~votrecoeuret dont reifet continue encore
à se faire sentir. Vousétiez autrefois un
~u)&ehomme pléiade gaieté, d'ardeur,
de franchise. Qu'est-ce qui a donc pu
vous donner tant d'éÏoi~ncment pour
ï'humanité, que vous doutiez qu'i! y ait
un homme au monde dont tes discours
soient capabïesde conso!ervotre esprit
tuatade? Vous vous taisez, vous fixez
sur moi des regards vagues, vous sou-
pirez. Hermo~ène!vousaiuuezautrefois
128 Ï*éMXtR DU DIABM.

votre père avec une tendresse plus


s'il vous est devenu im-
qu'ordinaire
de lui oùvrir'votrecœur, ne
possible
du moins par la vue d'u&
l'aftligezpas
habit qui lui rappellesans cessevoire
terrible résolution.Je vousen supplie,
Hermogène,quittezcecostume. Croyez
moines chosesexténeuresont un pou-
voir mystérieux sur notre âme. Ne
donc pas que si cette robe
pensez-vous
large et traînante ne vous forçait à
donner une certaine gravité à votre
marche, vous sauteriez et danseriez
comme vous faisie~ autrefois? L'éclat
des épaulettesqui brilleraientsurvotre
habit rappelleraitles couleursde la
sur vos joues pâles, et le bruit
jeunesse
des éperons retentirait comme une
musique agréable à l'oreille de votre
coursierqui viendraitau-devantde son
maître en hennissantet en tendant le
cou.Levez-vous donc,monsieurlebaron,
t~MXÎRDUDIABLE. la~
ôtez cesombrecostumequi ne vouss!eâ
pas. Voulez-vous que Frédéric vous
apportevotre unïformp a
?
Le vieîMard
selevaet veututseretirer;
le jeunehommese jeta-danssesbras.

«Hélas! vous me tourmentez, bon


Reinhold i, dit-il d'une voix affaiblie.
Plus vous vous efforcez de toucher les
cordes qui jadis répondaient aux senti-
~mensde mon cœur, plus je sens que la
main de fer delà destinées'est appesantie
~ur moi, et que, semblableà un luth
brisé, je ne rends plus que des sons sans
timbre. »

a Celavous paraît ainsi, mon cher


baron vousme parlez d'up sort épou-
vantable qui vouspoursuit, et vousne
dites point en quoi ce sort consiste.
Quoi qu'il en soit, un jeune homme
comme vous, doué d'une force inté-
Meurc,rempli du courageardentnatu-
ï3o ï/~ÏXtR DU MABtE.

yet à son âge, doit pouvoirse débarrasser


de la main de fer e la destinée$ il dont~
inspiré par une oatu~e ~iviae~ s'elevef
au-dessus de son sort, et réverllant en
]tuicette nature assonpie, tnompherdes
maux de cette misérable vie~ Je ne
conçois rien baron qui soit en état
de neutraliser Ja force de cette volonté
intérieure, a

Hermogene recuta d*unpas, et jetant


au vieillard un regard sombre, et dans
lequel on Usait un courrou~ coacetttré
qui avait quelque chose d'enrayant, i!
s'écria d'une voix creuse et étouS'ée

c Sachedonc que c'est moi-même


qui suis cette destinée qui me perd
qu'un crime monstrueux pèse $ur ma
conscience un épourantabÏe sacritcge,
dont je fais pénitence dans la douleur
et le désespoir. Prends donc pïtié de
moi, et obtiens de monpère qu'il me
t.~HXm DU DIABtE. t3t

permette de me renfermer dans un


cloître, e

<Baron interrompît le vieillard


vous êtes dans une situation d'esprit qui
n'appartient qu'à une raison troublée.
Vous ne partirez pas, vousné devez pas
partir; madame la baronne et Aurélie
reviendront sous très-peu de jours il
faut que vous les voyiez.
A cesmots le jeune homme partit d'un
rire affreuxet s'écriad'une voixqui me fit
ifëmir:é
(*
<Tu dis que je dois rester?. oui
vraiment, vieillard, tu as raison: je
dois rester. Ma pémtencc sera plus rude~
encore que dans les murs d'un couvent.~

ÏÏ s*é!ançaaussitôt dans les bosquets


les plus touffus, et le vieUIarddemeura
la tête appuyée sur sa main et livré à
une profonde douleur.
CHAPITREVIIL

«Lo~ soit notre Seigneur Jésus-


christ! c dis-je en m'approchant de
Reinhold..s
H tressaillitet me regarda avecsur-
prise mais bientôt il eut l'air de -se
rappelerquelquechosequi avaitrapport
à ma présenceet il me dit

aAh! c'est sans doute vous, mon


Ï/~MXM bu MAM. t33
père dont madamela baronnenous
annoncé il y a quelque tempsl'arrivée,
et qui devezapporterla consolationau
sein de notre maison amigée?

Je répondis amrmattvement, et
Reinholdne tarda pas à selivrerà une
gaieté qui paraissaitêtre naturelleà son
caractère. Noustraversâmesle parc et
nous arrivâmesenfinà un bosquet situé
tout près du château, et d'oùla vue s'é-
tendait sur une délicieuseperspective
dans les montagnes. Un
domestique
sortaiten ce momentdela grande
porte
du château. Reinhold l'appela lui
donna quelquesordres, et au bout de
peu de tempson nousservitun fort bon
déjeuner.Pendant que noustrinquions,
je crus remarquerque Reinholdme re-
gardait attentivement,et commes'il eût
cherché à rassemblerses idées pour
rappelerun souvenirconfus; à la fin il
éclata
t34 1/JÉMXm DU MABÏ.E.

<!MonDieu! mon père, il faut que


ma mémoiresoit devenue bieninfidèle
si vousn'êtes pas le père Médard, du
couventdes capucinsde* Vousl'êtes,
oh! vousl'êtes bien certainement.Par-
lez de grâce.'

Les parolesde Reinhold me frappé"


rent commeun coup de foudre. Je me
découvert, démasqué, accuséde
voyais
meurtre! Le désespoir me donna du
Il s'agissaitde la vie et de la
.courage.
mort) et je dis:
« H est vrai que je suis le père Mé-
~ard du couventdes capucinsde et
me rends à Rome, chargé des
que je
affairesde la communauté.»

Je parlaiainsiavec toute la tranqùil-


lité et toutle sang-froiddontje me sen«
taïs capable.

<C'estdonc le hasard qui voNS~


I-~HXïH DC MABLE. l55

Mquitter la grande route, et qu~vous


a amené ici à votre insu ou bien ma-
dame la baronne vous aurait-elle réelle-'
ment envoyé? En ce cas, comment avez"
vous fait sa connaissance~n

Sans prendre le temps de la réflexion


et ne faisant que répéter ce qu'une voix
intérieure me dictait, je répondis

< J'ai fait pendant mon voyage la


connaissance du confesseurde madame
la baronne, et c'est lui qui m'a recom-
mandé d'exécuter la commission que
l'on me donnerait pour cette maison. a

–a ÏÏ est vrai; c'est aussice que ma-


dame la baronne a écrit. Eh bien je
rends grâceau ciel de ce qu'il vousa en-
voyéde ce côté, et de ce qu'il vous a
inspiré ridée pieusede suspendrevotre
voyage, pour faire en ce lieu un acte de
chanté. Je me suis trouvé par hasard,
l56 L'.ÉUXIR BO DIABLE.

il y a peu d'années, à j'y ai entend


ces sermons pleins d'onction que vous
avec un enthousiasme vrai-
prononciez
ment céleste. Votrepieté, votre vocation
qui est de combattre avec un zèleardent
le don
pour le salut des âmes égarées,
merveilleux d'éloquence que vous avez
reçu du ciel, tout cela m'assure que
vous obtiendrez ici ce que personne n'a
encore obtenir. Je suis bien aise de
pu
vous avoir rencontré avant que vous
vu M. !e baron je profiterai de
n'ayez
cette circonstance pour vous faire con-
naître l'intérieur de cette famine, et je
serai aussi franc que je dois l'être avec
un saint homme comme vous, que le
ciel lui-même nous envoie pour notre
consolation. ï! est d'ailleurs nécessaire,
vous puissiez donner à vos
pour que
efforts.une direction convenable, que
vous receviezsur diverspoints des éclair-
cissemens sur lesquels, sans cela, j'ai-
merais mieux garder !e silence. Du
nu DIABLE.
R'ÉMXIR
reste, ce que j'ai vousdire ne sera pas
long.

J'ai été élevé avec le baron l'har-


monie qui régnait entre nos âmes fit
de nous deux frères, et anéantit les
barrières que la naissance avait placées
entre nous. Je ne me séparai jamais de
lui, et lorsque nous sortîmes l'un et
l'autre de l'académie, où nous avions
achevé ensemble nos études il vint ici
son
prendre possession des biens que
père lui avait laissés, et moi je devins
l'intendant de ces mêmes,biens. Je ne
cessai point d'être son frère et son meil-
leur ami, et c'estce qui me donne l'occa-
sion d'être instruit de tous les secrets de
sa maison.

Son père avaitdésiréson union avec


une famille à laquelleil était fort atta-
ché, et le baron eut d'autant moins de
peineà remplir, à cet é~ard, les derniè-
6~
t38 Ï/ÉHX BUBtABÏ.E.
resintèntiûns de son père, qu'iï trouva 1
dans la personne qui devait être le Hen
de cette union une femme d'une beauté
remarquable, qui lui inspira dès ïe pre-
mier abord un amour tfès.vif. Il est rare
que les vœuxdes parens se trouvent ainsi
à tous égardsd'accord avec les désirsdes
enfans. Lésfruits de cet heureux hymen
furent Hermogèneet Aurélie.

a Kous passions le
plus souvent i'hi-
ver dans la résidence voisine; mais
peu
de temps aprèsla naissance d'Auréi!e,la
baronne ayant senti s'affaiblir sa santé,t
nous y passâmes aussi l'été, attendu
qu'elle avait besoin sans retâche des
soins des plus habiles médecins. Elle
mourut à l'entrée du printemps, et pré-
cisément au moment où une améliora-
tion sensibledonnait lieu d'espérer une
prompte et parfaite guérison.

Nous cherchâmes une retraite à la


MABtE.
Ï~HMR~U 1 t3a
:<'

campagne, et le temps seul put calmer


~pro~Dde djoulenrdont le baron ~t~t
accablé. Cependant Hermogene devint
un supe~e jeune homme et AuréHe
fessctnbïa chaque ~onydavantage sa
mère. L'éducation de ces deux atma-
Mes enfans étaït notre occupation la
pïus assidue et la plus chère. Hermogene
inontraltungo~t si prononcé pour rétat
oaintaire, que le baron se décida ;<ren-
voyer à la capitale, pour y faireson ap-
prentissage sous les yeux de son ancien
ami le gou~cyncut.
e

» Il y a trois ans que pour la première


fois nous passâmes de nouveau un hiver
entier à ville. Le baron s'y rendit tant
pour rester quelque tempsauprès de son
j&iStqueparegatdpourlc&soUicitattonsde
ses anais qui l'en press~îetLtdepuis plu-
s~urs années. L'appariHon d'une nièce
du gouverneurfaisait à cette époque un
grand bruit dans le monde. Elle était
<4~ Ï-~MXÎR DU M~BUS.

orpheline et s'était placée, de son pro-


pre gré, sousïa protection de son ënct~
quoique pour le reste elle habitat une
aile séparée du palais et
<~eHe tint sa
propre maison où elle rassemblait tout
le beau monde autour d'eUef Sanscher-
cher à vous décrire
p!us particuiière-
ment mademoiselle Euphémie, ce
qui
serait d'ailleurs inutile
puisque vous
allez bientôt la voir, il suffit d'observer
que tout ce qu'elle disait, tout ce qu'elle
faisait était rempli d'une grâce
inexpri-
mable, qui rendait tout-à-fait hrésistÏ-
ble une beauté déjà par elle mérne
extraordinaire. Partout oil e!te parais-
-sait, la société brillaitd'une vie nouvelle,
et les hommages qu'on tui rendait res-
semblaient à de l'enthousiasme' Me
savait inspirer les personnes les plus
froides, les plus nu!!es, au point de les
élever au-dessusde leur propre petitesse,
~t de les rendre méconnaissablesà elles-
mêtnes.
Ï.HXÏR DU MAME. 0 t~t t

? D'aptesce que je viensde dire, vous


jugez qu'elle ne manquait pas d'adora-
teurs mais il était impossible de dire
qu'il y en eût aucun qu'elle distinguât
par-dessus les autres. Elle avait au con-
traire un art merveilleuxpour les retenir
tous dans ses liens sans rien accorder à
personne et cependant sans en mécon-
tenter aucun. Cette nouvelle Circé avait
fait surle baron une impression extraor-
dinaire. Elle lui témotgna dès les pre-
miers momens de son arrivée des égards
qui ressemblaient en quelque sorte à de
i'amour nHaj. Dans tous les entretiens
qu'eue eut avec lui, elle montra l'esprit
le plut cultivé joint à cette profonde sen-
sibilité qui ne se rencontre que chez les
femmes. E!Ierechercha et obtint l'ami-
tié d'AuréÏie, et lui niontra tant d'atta-
chement qu'elle ne dédaigna pas de
s'occuper des plus petits détails de sa
toilette comme l'aurait pu faire une
mère. Eue savait, dans les plus brillan~
<4~ R'BLHMR
MMABtE.
~essociétés, venir avec.tant d'art ause-
coua de cette ;eune personneaaÎYc.et
Mus expérience, que ce secours, auueu
d'être remarqué, ne servait
qu'~ ~aire
briHer davantage l'esprit nature! et
l'excellent jugement (TAuréUe aussi
ûbtint-eUe bientôt les égards les
plus
inarqués.

Le baron ne cessait de se
fepandre
en louanges d'Eupbémie, et ce
fut
~ne de ces occasionssi raresoù nos avis
diSerèrent. J'avam rhab!tude dans la
société de tout observeren silence, mais
sans prendre une part directe à ce
qui
se passait. D'après cela je n'avais
pas
manque d'examiner Euphémie, qui, se-
lon son habitude de ne jamais
négligea
p'erstmne, m'avait plusieurs fois adressé
quelques mots pleins d'aSab:Ute. Je ~s
forcé d'avouer qu'elle était la plus Me
femme quej'eusse vue, que l'esprit et
~ensibUitebrillaient dans tout.ce qu'eUe
R'~UXïR M MABM.

disait t et cependant un sentiment


inexpUcabIem'étoignait d'elle. J& ne
pouvais réprîfner une sensation pénible
qui s'emparaitde moi à l'instant mêm~
où elle.me regardaït ou commençait à
me parler. Ses yeux brillaient d'un feu
extraordinaîre~qu!,lorsqu'ellene croyait
pas être observée, lançait des éclairs
ressemblant aux éruptions d'un volcan
intérieur.

Comme il lui arriva plus d'une foi&


de regarder de cette façon Hermogène,
qui faisait peu <~upoint d'attention à
elle, j'en conclus que ce beau masque
cachait bien des choses dont le monde
ne se doutait pas. A la vérité, je n'avais
Menà opposeraux élogesexcessifsduba-
ïon que mespropresobservationsphy$io-
nomiques auxquelles il rattachait
aucun prix, tandis que, dans l'aversion
inexplicable que m'inspirait Euphëmie~
H ne trouvai qu'un jeu de !a nature qui
144 t/~HXÏR M MABMS.

ne pouvait être fondé que sur quelque


particularitéphysique.Hme confiaque,
selon toutes les apparences,Euphémie
ne tarderait pas à entrerdanshfamïÏÏe,
puisqu'il comptait emptoyertoute son
influence pour l'unir avecHermogène.

Un jour nous venions de parler


sérieusement sur ce sujet, et j'employais
toute mon éloquence pour justifier ma
façon de penser sur Euphémie, quand
Hermogène entra dans la chambre, et
le baron, qui avait coutume de toujours
agir avec une grande franchisé) lui fit
part sur-le-champ de ses plans et de
ses espérances. Hcrmogène écouta tout
ce qu'on avait à lui dire avec le plus
grand sang-froid, et quand son père
eut fini de parler il répondit qu'il ne se
sentait aucune inclination pour Eu~-
phémie, qu'il était sûr de ne pouvoit
jamais l'aimer et qu'il suppliait en con.
séquence que l'on voulut bien renoncer
ï/~UXÏR
M MASM. t~5
à tout projet d'union entre eux. Le
baron fut vivement contrarié de voir
renverser ainsi du premier coup un
plan qui lui souriait; maisil songea d'au-
tant moins à presser son fils à ce sujet
qu'il ignorait encore ce qu'Euphémie
elle-même en pensait. Avecia gaieté et
la bonté qui lui étaient naturelles, il
plaisanta le premier sur l'inutilité de
ses efforts, observa qu'Hermogène par-
tageait peut-être ma constitution physi-
que, mais ajouta qu'il ne pouvait pas
concevoir quel principe repoussant une.
femme si belle et si intéressante pou-
vait avoir. Ses relations avec Euphémie~
n'éprouvèrent, comme de raison aucun.
changement; il s'était tellement accou-
tumé à sa société qu'il ne pouvait
plus
passer un jour sans ia voir. Il arriva
d'après ceta que, se trouvant unefbis
dans unehumeur particulièrement gaie,
il lui dit qu'il n'y. avait qu'un seul
ho~ame dans tout son cercle qui ne fû~
i< 7
~46 Ï/ÉMXIR
DUMABM.
pas amoureux d'elle, et que c'était soa
fils Hermogèoe. ïi avoua même que ce
6~ n'avait pas voulu permettre qu'il de-*
mandât pourÏui la main d'une pe~onne
si charmante.

&Euphémie répondît en riant qu'il


n'était pas sûr qu'elle eût acceptél'offre
de la main d'Hermo~ène, ajoutant que
quelque prix q u'elle pût mettre a une
alliance avecla maison de M.le baron,
e!îe ne pensait pas qu'Hermogène en
pût jamais être le lien attendu qu'il
était beaucoup trop sérieuxet trop ca.
pncieux pour elle. A compter du jour
de cet entretien, dont le baron me
rendit compte sur-ie-cbamp, EupbëmM
redoubta d'attentions pour lui et pour sa
~HIeAuréUe elle trouva ïneïne moyen
par une foule d'allusionsdétournées de
persuader au baron que ce serait dana
une union avec lui-même bien plutôt
son fils qu'elle se natterait de
qu'avec
t~UXÏR M BtABt~. '4?
trouva te vrai bonheur conjugat EUe
avait toujours de nouveaux argumens4
opposerà tout ce qu'on lui disait sur
di~érence des â~es, et elle mettait dans
ses manoeuvres tant,d'art et de-prudence
que !e baron ne put s'empêcher de
croire que toutes les idées, tous les dé-
sirs qu'Euphémie lui inspirait. étaient
nés au contraire dans son cœur aussi
ne tarda-t-il pas à brûter d'une passion
digne d'un jeune homme. Il ne me fut
plus possible de m'opposer au terre nt~
je l'essayai, mais il était trop tard. Ala
grande surprise des habitans de la ca-
pitale, Euphémie devint l'épouse du
baron. Ce fut alors queje me persuadai
que Têtre terrible et menaçant que je
n'avais vu jusqu'alors quedans l'éloigné-
mentavait rée!!e<T<ent croisé mon che-
min et il me semblaqu'un devoir sacré
m'ordonnait,deveuleravecsoin sur moa
amiet sur moi-même. Hermo~ène
ap-
pdt le mana~e de son pe~ avec une
ï48 M MABM.
L'~MXÏR
compléte indifférence Faisable Aurélie,
yemp!ied'un cruelpressentiment, fondit
alarmes.

a Peu de temps après la cérémonie,


exprima le désir d'aller dans
Euphémie
Dûs montagnes. Elle vint ici avec son
conduite
époux, et je doisconvenir quesa
fut si aimable et démentit si peu tout
ce qu'elle avait montré de charme jus-
me força moi-même à
qu'alors, qu'elle
Fadmirer.

Deuxannées s'écoulèrent ainsi dans


un bonheur que rien ne troubïa. Nous
les deux hivers dans la ca-
passâmes
mais même au sein'des sociétés
pitale
ïes plus brillantes la baronne témoignait
un respect si profond pour son mari,
une si parfaite attention à ses moindres
désirs que la langue venimeuse de l'en-
vie futTorcéede se taire ,et queles jeunes
gens qui s'étaient Ûattés d'un triomphe
t'~HXïR DU MABM.
t~
facile près de épouse d'un vieillard
n'osèrent pas mêmese permettrela
plus
légère indiscrétion. Dans le cours du
dernier hiverje fus peut-être le seul
qui,
toujours par suite de ma constitution,
commençaià éprouver d~ nouveau de la
ïnénance.

Avant le mariage d'Euphémie avec


!e baron, Je comte
Victorin, jeune
homme d'une iigure
remarqLiab!ement
belle, major dans Ja garde
d'honneur,
et qui ne venait que par momens dans
la capitale, avait été de tous ses admi-
rateurs le seul auquel, de
temps en
temps, et comme entraînée par un sen..
timent qui était plus fort
que sa volonté,
elledonnait quelqueslégères
marques de
préférence. On avait même un .moment
parlé de leur mariage mais ce bruit
se dissipa
aussi p romptement qu'il s'était
élevé.

Le dernier des deux hivers' dont


je
~5o ï/JÉMXïA
M OïABM.
tiens de parler, îe c~mte Victorin se
tro~a par hasard dansla capîtaïe et ff~
quenta, commeon devaîts~yattendre, lea
ïnemescerc~s qu*Euphëm!c~ïï nepamt
pourtants'occuperd'elle enaucunefaçon
et même il e~!ti'aîf de i'évtter. Maïgré
cela je crus remarquer que leurs regards
se rencontraient, quand ils ne pensaient
pas être vus et que ces regards étaient
rempHsdu feu le plus ardent.

» Cn soir une brillante société était


réunie chez le gouverneur. Je me tenais
dans l'embrasure d'une fenêtre~àmoitié
caché par l'ample draperie des rideaux.
Le comte Victorin était à deux ou trois
pas devant moi. Euphémie, dans un
costume brillant etpïus bel!e quejamais,
passa à côté de lui. Il lui prit le bras
avec un mouvement passionné. J'étais
par ma position la seule personne qui
pût les voir. Euphémie tressaillit et lui
lança un regard que je ne tenterai pas
ï/ÉMXtR OC MÂME. t5~
de décrire. Lé seul souvenir m'en fait
encore horreur, tant il était rempli de
cet amour qu'il semble que la vertu ne
Murait éprouver. Ils se dirent
quelques
mots à l'oreille, que je n'entendis point.
Euphémie qui peutétre-m'avaitaperçu,
se retourna vivementet je lui entendis
prononcer ces mots: On nous observe
Je demeurai immobile d'étonne-
ment, d'effroi et de douleur. Comment
pourrai-je vousdécrire, mon père, ce qui
sepassa dans monâm~PSongezà ramifié,
auûd~e attachement que j'avaispour le
baron, à mes tristes pressentimensque
je voyais se réaliser caril était impossi-
ble de ne pas reconnaître, après ce
que
je venaisd'entendre, qu'une intelligence
secrète existait entre la baronne et le
comte. J'étais obligéde me taire
pour le
moment, mais je pris la résolution d'ob~.
servcrdeprèsla baronne, et aussitôt que
~'aurais acquis la certitude de soncrime,
d'ouvrir les yeux de mon ami sur le lien
t5a Ï/ËLÏXÏR DU DIABLE.

honteux dans lequel il s'était engagé.


Mais qui peut se flatter de vaincre le dé-
mon en ruse ? Tous mes efforts furent
inutiles, et il aurait été absurde de faire
part au baron de ce que j'avais vu et
entendu, car son artificieuse épouse
n'aurait pas manqué de trouver assez
de prétextes de me faire passer pour un
visionnaire.

La neige couvrait encore les mon-


tagnes quand, au printemps passée
nous arrivâmesici, ce qui ne m'empêcha
pas de fairede longues promenades. Un
jour je rencontrai dans le village voisin
un paysan dont la tournure et le main-
tien avaient quelque chose d'étrange.
J'eus bientôt reconnu en lui le comte
Victorin; maisquand je voulus le suivre,
il disparut derrière une maison et il me
fut impossibïede le retrouver. Je jugeai
que sa liaison avec la baronne avait
seule pu le porter à prendre ce degui-
t/ÉMXïR DU DIABLE.
~3
sèment. D'ailleurs je suis sûr
qu'il se
trouve en ce moment dans ces
environs
car j'ai vu passer son chasseur à
cheval
seulement il me paraît
inexplicablequ'il
ne soit pas resté de
préférence à la ville,
puisque la baronne y est. Il faut
que
Tous sachiez qu'il y a trois mois
que le
gouverneur est tombé dangereusement
malade et a demandé à voir
Euphémie.
Elle s'est rendue
sur-le-champ auprès de
lui avec Aurélie, et une
indispositiondu
baron Fa seule
empêchée de l'y accom-
pagner.

Ce fut a cette
époque qu'une série
de malheurs vint accabler
cette maison
et y porter le deuil.
Euphémie ne tarda
pMà écrire au baron
qu'Hermogëneavait
été attaqué subitrment d'une
profonde
mélancolie qui parfois dégénéraiten
fré-
nésie qu'il cherchait la solitude, mau-
hissait son destin et ne voulait
écouter
ni Ïes conseilsde son ami
ni ceux des
~5~ L~MXïR DU MABM.

médecins. Je vouslaisse à penser, moo


père, de l'effet que cette nouvelle ût sur
le baron. La vue de son fils l'aurait trop
ému; je me rendis donc seul à la ville.
Je trouvaiHermogène délivréde ses ac-
cèsdefureur,grâce aux remèdespuissans
que l'on avait employés; mais sa mé-
lancolie restait toujours la même) et les
médecinsassuraient qu'elle était mcu*
rable. Il fut très-ému en me voyant. Il
me dit qu'un sort malheureuxl'obligeait
à abandonner pour toujours sa profes-
sion, et que ce n'était qu'au fond d'un
cloître qu'il pouvait espérer de sauver
son âme d'une damnation éternelle. 11
avait même déjà pris le costume dans
lequel vousvenez de le voir. Je parvins,
non sans peine, à obtenir de lui qu'il
me suivîtau château de son père. Il est
calme, maisrien ne peut lui ôter l'idée
qu'il a prise, et les efforts que j'ai faits
pour découvrir la cause
tusqu'à présent
qui l'a mis en cet état ont été mutiles,
t~MXIB
MJtSAB~E. t55
quoiquela connaissancede ce secretsoit
peut-êtreindispensabl&àsa guérison.

n y a quelquetempsque la baronne
écritque, d'aprèsle conseildesoncon.
fe6S€Uï',e!leenverraitici un religieux,de
qui le commerceet les discoursconso.
lans auraient peut-être sur
Hermogène
uneinfluenceavantageuse,attenduque
€â mélancolie avait une tendanceévt<-
dammentpieuse.Je suis,en venté, bien
aise~nmop~re, q~un heureuxhasard
vous ait conduit à la capitale, et quele
choixsoit tombé sur vous.Vouspourrez
rendre le reposà une familleaffligéesi
vous voulezbien vous rappelerde du't-
gerversun doublebut vosefforts,que le
seigneurdaignebeoir!Tâchezd'un côté
de découvrirle terrible secretd'Hermo-
gène. Quand il s'en sera confesséil se
sentira pïus tranquille, et vouspourrez
alors tâcher de le convaincrequ'Hpeut
~ire son salutdans le mondeaussibien
i56 DuniÀ~M.
ï.~MXïR
que dansle cïditre.Maisd'un autre côté,
Tapprochez-vous auss! de la baronne~
Voussaveztout. Vousavouerezavecmoi
que si ce que j'ai vu ne suffit,pas pour
fonderune accusation,il estnéanmoins
impossiblequ'elle soit innocente.Vous
penserez,je suis sûr, comme moisous
tous les rapports, quand vousaurezvu.
de près Euphémic.Sa constitution ar-
dentelui donnedu penchautpour !adé-
votion.Peut-êtreréussirez-vous,grâceà
l'éloquence dont vousêtes doué, à pé*-
Détrerjusqu'au fond de son coeur,
i'ébranïer et à la corriger, ann qu'elle
cessede trahirsonépouxet devivredans
un péché qui seraitla perte de sonâme.

s H me reste encoreune choseàvous


-dire,mon père, c'est qu'il y a bien des
momensoù il me sembleque le baron
courritdanssoncœuruï)chagrinqu'ihNe
cacheet dont la causeest indépendante
de l'état de son fils. Il m'arriveparfois
Ï/ÈUXHDOMABLE. t5~
de penserqu*Ha obtenudes preuvesen<
corre plus clairesque les miennes de
nn6déKtéde son épouse. Jerecom"
m&ndedonc aussià vos soinsle b~roog
monmeiMeuranu.e i>
CHAPITREIX.

Ij~récit que Reinholdterminaen ces


mots m'avait causé les sensationsles
plus pénibles car il avait excité dans
mon âmeun combatdemillesentimens
opposés.Jouetdu sort le plus bizarre,
je me voyaisexistersous deux formes
différenteset je me perdaisdans la mer
t~MXÏR DU MABMS.
~5~
des événemens do~t tes flots m~ntra~
paient malgré moi. Je ne pouvais plus
me retourner. Ï! était clair que le comte
Victorin était tombé dans Ïe précipice,
poussé par ma main, mais non pas par
ma volonté.Je prenaissa place s'en m'en
douter; mais Remho!d avait reconnu le
père Médard, le prédicateur du couvent
des capucins, de sorte qu'à ses yeux
j'é-
tais toujours moi-même. Cependant
les liaisons de !a baronne avec Victorin
retombant sur w<M,car j'étais aussi ce
Victorin. Je suis ce que je parais, et je
parais ce que je ne suis pas; énigme
inexplicableà moi-même, ma personne
est en quelque sorte partagée en deux.

En dépit de l'orage qui


'régnait dans
mon cœur, je réussis a feindre le calme
convenable à un ecctésiastique, et je me
présentai devant Ïc baron. C'était un
homme âgé mais qui portait encore
sur ses traits les marques d'une sasté
t6o !/iHXÏR DU MABÏ.E.

et d'uneforceextraordinaires.On voyait
que c'était le chagrin, et non pas lés an-
néea, qui avaitsillonné sonfrontet blan-
chi ses cheveux. Malgré cela il régnait
dans ses discours et dans toute sa con-
duite un enjouement et unebienveillance
qui disposaient chacun en sa faveur.
Quand Reinhold m'eut présenté comme
la personne dont la baronne avait an-
noncé l'arrivée, il me regarda d'un oeil
scrutateur, quidevint plus aimable après
que Reinhold eut a{outé qu'il m'avait
connu autrefois au couventdes capucins
à* où il m'avait entendu prêcher et
où j'entraînais tout~c monde parla force
demon éloquence. Le baron metendit la
main d'un air plein de franchise, et dit
en se tournant vers Reinhold

« Je ne sais, mon cher ami, pour-


quoi les traits de ce vénérable père
m'ont fait à la premiére vue un effet si
singulier. Ils ont réveillé en moi un sou-
Ï.'iMXtR Dt DfAB~B. !6i
venirauquel }echerche en vainà don-
ner de la netteté, e

ï! me sembla que le baron allait dire


sur-Ïe-champ C'est le comte Victoria;
car j'avais fini par me persuader que
J'étais réellement Victorin. Aussi je sen.
tis battre mon cœur avec violence, et
une rougeur subite me monta à la fi.
gure. Je n'avais d'espérance qu'en Rein-
hold qui m'avait connu comme le frère
Médard, quoique je fusse intérieure-
ment convaincu que je ne titans pas. H
est impossible d'imaginer la confusion
qui régnait dans mes idées.

Le baron désirait queje nsse nnme"


diatement la connaissance d'Hermo-
géne, mais quand on voulutle cherchée
il ne se trouva nulle part. On Favaitvu
partir pour une. promenade dans les
montagnes,et l'on n'éprouvapoint d~n-
quietude, attendu qu'!t avaït l'habitude
'Ï~2 J~JSHXÏR &U MAB~

<jkfairede longuescorses. Je demeuf~


toute la journéedansla ~octétédu baron
et deReinhold et je prispeu à peu tant
décourage que !e soirje me semisen
~tat d'aller sans crainte au-devant de
tous les évenemensquipourraienttn'ar-
~ver*

Quand je me'retrouvai seut la nuit,


j'ouvris le porte-feuilleet j'acquis ïa cer-
titude que c'était en effetle comte Vic-
torin qui avait péri dans le précipice.
Du reste., les lettres que je trouvai rou-
laient toutes sur des sujets indiffërens,
et il n'y en eut pas une seule qui me
donnât le plus léger éclaircissement sur
sa famille et sa positiondans le monde.
Je ne m'en embarrassaidonc pas davan.
tage, et je résolus, en me laissant aller
entièrement aux circonstances, de sui-
vre ce que le sort décideraitde moi, une
fois que la baronne serait de retour.

Dèsle lendemaineUe arrivaavec


Ï/ÉHXIR DP MAME. )63

Anrélie au château, oû elle n'était pas


encore attendue. Je les v!s toutes deux
descendre de voiture.Le baron et Rein-
hold leur donnèrent la main et les in-
troduisirent dans le vestibule. Je me
promenais pendant ce temps à grands
pas dans ma chambre, tourmenté par
d'étranges pressentimens. Au bout de
quelques instans on me fit prier de des-
cendre. La baronne vint au-devant de
moi. C'était une femme d'une beauté
remarquable et dans la ileur de ]a jeu-
Desse*Quand'elle m'aperçut, elle mon-
tra une émotion extraordinaire. Sa voix
trembla elle eut de la peine à parler.\1
Son embarras me donna du courage
je la regardai fixementau visage, et lui
donnai la bénédiction selon l'usage du
couvent. Elle pâlit et fut obligée de s'as-
seoir. Reinhold me regarda en souriant
d'un air satisfait. Eu ce moment h
porte s'ouvrit, et lebaron parut avecAu-
yéUe.
!<~ L'ÉMXtR DU DÏABM.

A peine eus-je aperçu cette jeune


personne qu'un trait de Natnmepénétra
dans mon sein et y alluma une foule de
sentimens cachés les désirs de la vo-
lupté, la tendresse du plus sincère
amour, tout ce qui jusqu'alors y était
demeuré assoupi dans un vague pres-
sentiment prit tout à coup une exis-
tence réelle et instantanée. La vie se
montra à mes yeux sous des couleurs
~'autant plus brillantes, que le passé
demeurait ensevelidans une nuit som-
bre et glacée en un mot, Aurëlie était
la vision que j'avais eue au confession-
nal. Ses yeux bleus et métanconques,
si naïfs et si pieux, sa bouche char-
mante, son cou penché en avant dans
l'attitude de la prière, sa taille éïancéé,
tout m'offrait en elle, non pas Aurélie,t
mais sainte Rosalie elle-même. ÏÏ n'y
~\ait pas jusqu'au schall bleu qu'elle
portait gracieusement jeté sur sa robe
rouge qui ne complétât sa ressemblance
DCDIABLE.
ï/jÉMXÏR t65
à la fois avec le tableauet avec la femme
inconnue qui était venue se confesserà
moi. La beauté de la baronne ne me
parut pas comparable à la grâce céleste
d'Aurëîie. Du moment où elle eut paru
dans la saïle, je ne vis plus qu'elle. Mon
émotion ne put échapper aux assistans.

<Qu'avez-vous, mon père? dit le


baron, vous paraissez singulièrement
agité. a
Ces paroles me firentrentrer en moi-
même. Je sentis en ce moment une
force surnaturelle poindre en moi, un
courage inconnu qui me mettait en état
de tout supporter, puisqu'elle devait
être le prix du combat.

« Félicitez-vous, monsieur le baron,t


répondis-je avec un enthousiasmesou-
dam, une bienheureuse habite avec
nous cette maison. Le ciel s'ouvrira
bient~ pour nous, et, entoutee de~es
t~6 ~MXÏR M MABM*

anges, sainte Rosalie répandra les con~.


~olations et le bonheur sur les pieux
adorateurs qui auront imploré son as-
sistance. J'entends les hymnes des es-
prits célestes, qui appellent la sainte ~t
la contemplent du sein de leurs nuages
échtans; je vois sa tête couronnée de
l'auréole de la gloire et élevée vers le
chœur des saints que son œil distingue.
tS~c~! Rosalia, ora pro Mo~<s. 7)

Je m'agenouillai, les regards tournés


"versle ciel et les mams juiutes. Tout le
monde imita ce mouvement; du reste,
on ne me fit aucune question; on attri-
bua mon exclamation à une inspiration
soudaine, et le baron prit la résolution
de faire dire des messes sur l'autel de
sainte Rosalie dans la principale église
de la viMe.Je m'étais fort adroitement
tiré d'embarras, et je me sentais plus
que jamais décidé à tout risquer, puis-
qu'il s'agissait de posséder Aur.élie,seul
Ï~HXmM! MABHE.
objet qui m'attachât à la vie. Quanta
la baronne, elle meparut être danaune
humeur toute particuÏtère. Ses regards
me poursuivaient;mais aussitôt que je
tournaisles yeuxsur elïe, les siens pre-
naient une autre direction et erraient
vaguementautour de la chambre.
La familles'étant séparée je me hâtai
de descendreau jardin dont je me mis
à parcourirles allées, roulant dans ma
tête mi!ïe plans différens pour 'la vie
que je cMT~taïsmener au château. Le
jour baissait déjà quand Reinho!dvint
me dire que la baronne, pleine d'admi-
ration pour mon pieux enthousiasme, t
m'attendaitdans sa chambre.

Quand j'y entrai ellefit quelquespas


au-devant de moi, et me prenant
par
les deux bras, elle me regardanxément
dans les yeux et s'écria

<Bs$-apossible? est.i! possible?.


t68 Ï/~HXm DU DÏABUÈ.

Es-tu Médard, le capucïn?. Maist&


voix, ta taille, tes yeux, tes cheveux~
Parle, ou j~ meurs de doute et d'in-
quiétude, c
c VictormïNrépondis-jeà voixbasse.

Elle me serra aussitôt sur son sein et


me prodigua les caressesles plus volup-
tueuses. Un feu inconnu parcourut ïnes
veines; j'oubliai mon serment, mesde-
voirs, l'espérance de mon salut; mais
ce ne fut point à Euphémie que je les
sacriûni. Unedouce illusion me fit croire
que je tenais Amélie dans mes bras.

Oni, Aurélieseule vivaiten moi. Mon


esprit n'était rempli que d'elle, et ce-
pendant je frémis en secret à la pensée
de la revoiraprès ce que j'avais,fait.Nous
devions nous retrouver an souper. ÏI me
semblait que son regard si pur me con-
vaincrait de mon péché, et qu'anéanti
et démasque, je seraislivré à la honteet
Ï.t.tXm DU D!ABM.
ï6~
à une perte irrévocable. D'un autre côté,
je ne me sentais pas non plus le courage
de revoir de sitôt la baronne, de sorte
que prenant pour prétexte un exercice
de piété auquel j'étais force de me livrer,
je fis dire que je désh'als rester dans ma
chambre, quand on vint m'avertir que
le souper était servi.

En attendant, je n'eus besoin que de


peu de jours pour surmonter ma honte
et mon inquiétude. La baronne était
d'une arnabiiitc parfaite,e et
plus no-
tre liaison devenait intime,
plus nous
nous iivdons à de coupables
ptaisirs
plus aussi elle redoublait d'attentions
pour le baron. Elle m'avoua que ma
tonsure, ma barbe naturelle, ma dé-
marche monastique que du reste
je.
commentais à observer moins scrupu~
Jeuse~eat, hnavaientcausé dans le com-
mencement les plus vives alarmes. Mon
élan subit, au sujet de sainte
Rosalie
8
t/~UXm DC DiABtE.
!yo
l'avait presque convaincue qu'une er-
reur, une destinée ennemie avait ren-
versé le plan qu'elle avaitsi adroitement
conçu avec Victoria et luiavait envoyé
à sa place un véritable capucin qu'elle
maudissait du fond de son âme. Elle me
dit qu'elle admirait ma prudence en me
faisant tonsureret en laissant croître ma
barbe, èt qu'elle ne concevaitpas com-
ment j'avais fait pour prendre des ma-
nières si bien adaptéesà mon ro!e,qu'eÏïe
était souventobttgéc de meregarder nxe-
ment pour ne pas tomber malgré elle
dans les doutes les plus étranges.

Le chasseur de Victorinse faisaitvoir


de temps à autre, déguisé en paysan
l'extrémité du parc, et je ne manquais
de lui parler en secret et de luidir~
pas
de se tenir prêt à fuir avec moi au pre-
mier moment si quelque événement
malheureux me faisait courir des danr"
Le baron et Reinhold paraissaient
sefs.
ï/~MXmM MAMË.
~oft contens de moi ils me pressèyent
de m'occuper d'Hermogeneet de mettre
toute m@néloquence en œuvrepo~r
guérir de sa mélancolie. Je n'avais pas
encore pu trouver l'occasion de lui dire
en seul mot cariiet~t clair qu'il
fuyait
toutes les .occasions de se trouver seul
avec moi, et quand il me rencontrait
dans la société de son père ou de Rein".
hold il me regardait d'tine façon si ex-
traordinaire que j'avais bïea de la peine
àcacheri'embarras qu'Hme fa~saitéprou*
ver. Il semblait vouloir pénétrer dans le
fond de mon âme et y lire tous mes se-
crets. Unmécontentementprofond et in*
vincible, un dépit concentré, un délire
qu'il réprimait avecpeineselisaientsursa
physionomieaussitôt qu'il m'apercevait,'

Il arriva qu'un }our, comme je me


promenais dans le parc, nous nousrea-
co~tEame&inopinément au détour d'une
&Uée }e crus que le moment était fa-
ï~2 L'ÉCtXiRM DIABLE.
vorable pour éclaircirnotre positon res.!
pective.3e lu: prisdonc mainpour l'em<
de me fuir, et je lui parlai avec
pêcher
tant de force, d'onction, depeMuas~
finit par montrer un peu d'atten-
qu'il
tion à mon discours,et par ne pouvoir se
défendred'une légèreémotion.Mousnous
étions assis sur un banc, à l'extrémité
d'une allée qui conduisait au château.
Toutenparlant je sentis augmenter mon
Je lui dis que l'homme était
inspiration.
torsqu'H se laissait consumer
coupable
une intérieure au point de
par peine
refuser les secours et les consolations
Fegliseonre àtous ceux quisouSrent~
que
contrariait ainsi le but pourle-
puisqu'il
la vie lui avait été donnée. J'ajoutai
quel
le grand criminel ne devait pas
que plus
de la bonté du ciel, puisque
desespérer
ce doute le privait du salut que son re-
lui aurait sans cela assuré. Je
pentir
l'exhortai à seconfesserà moitié plus tôt
à son âme dans le
possible, épancher
Ï~MXtRDu DÏABÏ.E. t~5
sein de son Dieu, et je lui fis espérer,
quel que fût le péché qu'il eût commis,
que l'absolution ne luxerait pas refusée.
A ces mots il se leva, ses sourcils se
froncèrent, ses yeux lancèrent desAarn-
ïnes) une vîve rougeur remplaçala pâ-
leur de ses joues, et il s'écria d'une voix
éclatante

« Es-tu donc exempt de péché, toi


qui veux prendre ici la place de Dieuet
pénétrer dans mon âme? Tu me promets
l'absolution de mes péchés, toi qui peut-
être un jour la demanderas vainement
pour les tiens, et qui verrasles portes da
royaume céleste se fermer pour toi Mi.
sérable hypocrite! l'heure de la rétribu-
tion sonnera, et alors, écrasé dans la
poussière comme un ver, tu imploreras
en vain dans une mort ignominieuse
des secours contre les peines que tu
souuriras; mais tu périras au sein de la
démence et du désespoir, a
CHAPITREX.

ENachevantde parlerHermogènese
retirad'un pas précipité.J'étaisanéanti.
Tout mon courage, toute ma présence
d'espritavaientdisparu.En ce moment,
je vis Euphémie sortir du ch&teauen
costumede promenade. Je n'avais de
secourset de consolationà espérer que
ï/ÊLMnR
BCMABM. !~5
d'elle. J'allai donc à sa rencontre. Et-
~ràyëeà la vue démonf rouble, elle m'eu
demanda la cause, et je lui racontai en
détait l'entretien que je venais d'avoir
avec HcrtnogènC) ajoutant que je ne
pouvais me défendre de la crainte que,
par quelque circonstance inexplicable,t
il n'eût découvert notre secret. Eupbë-
mie traita fort légèrement une circon-
stance qui me mettait au désespoir;
elle sourit d'une manière si étrange
qu'elle me fit frissonner et répondit
e Enfonçons nous davantage dans
le parc, car d'ici l'on peut nous ob-
server, et l'on pourrait s'étonner de ce
que le révérend père Médard me parle
avectant de feu.

Arrhes dans un bosquetsolitaire, Eu-


phemîem*embrassaavecle délirede la
passion.
eTu peux être tranquille, Victorin,
,6 L'EMXïR !)P DIABLE.

dit-elle, sur tout ce qui fa causé tant


d'mquiétude; je ne suis même pas fâ-
chée de ce qui vient d'arriver, car cela
me force à te dire enfin des choses que
je te cache depuis long-temps. Il faut
d'abord que tu conviennesque j'ai su me
ménager un grand empire sur tout ce
qui m'entoure ce qui du reste est plus
facile aux femmesqu'à vous autres. Ala
vérité, il faut qu'elles joignent aces dons
extérieurs que la nature leur accorde
quand elles sont belles, un esprit en
état de fa'rc tourner leur beauté ~leur~
avantage et de la gouverner à leur gré.
H faut qu'elles sachent, pour ainsi dire,
sortir d'elles-mêmeset employer, pour
parvenir au but de leur ambition, leur
propre personne comme elles feraient
un objet étranger. Victorin, tu as de
tout temps fait partie du petit nombre
de personnes qui m'ont parfaitement
comprise, et c'est pour cela que je n'ai
pas dédaigné de te faire partager la po-
L'ÉLIXIR DU DIABLE. 1~
sition élevéeque je me suis choisiedans
Ïe monde.Le mystèrea ajouté uncharme
à notre liaison, et notre séparation ap-
parente n'a servi qu'à donner Fesserà
la bizarreriede notre imagination, ~otre
réunion actuelle n'est-elle pas le couple
plus hardi que l'impuissance, retenue
dans leslie~s de la société, pouvait oser
tenter ? Tu sais combien dans la pro-
fondeur de mes vues, je méprise tous
ces liens. Le baron m'est devenu com-
plètement indiffèrent Reinhold est
placé trop au-dessous de moi pour que
je fasse la moindre attention à lui. Au-
relie est une bonne enfant sans esprit.
Hermogène est donc ici le seul individu
qui soit digne de m'occuper. Je t'ai déjà
avoué qu'Hermogeneavait fait sur moi,
dèsia première vue, une impressionfort
extraordinaire. Je le crus "capable de
pénétrer avec moi dans les hauteurs de
la vie auxquellesje voulais le conduire;9
mais, pour la première fois, je me
ï~8 L'ËHXÏR DU MABt.8.

trompât, Il y avait quelque chose en lui


qui le mettait sans cesse en opposition
avec mot, et le charme que j'employais
pour attirer les autres malgré eux dans
mes filets semblait au contraire le re-
pousser. ïl demeurait froid sombre et
réservé. Par la force merveilleuse avec
laquelle il me résistait, il excita ma
susceptibtHté, et je commençai la lutte
dans laquelle il devait succomber.

a Marésolution fut prise le jour où !e


baron m'annonça que son fils avaitrefusé
une union qu'il lui proposait avec moi.
L'idée me frappa soudain, comme un
rayon céleste, d'épouser le baron lui-
ïnême, afin d'écarter d'un seul coup
toutes ces petites considérationsconven"
tionnelles qui s'opposeraient à mes pro-
jets. Mais }e t'ai déjà souvent parlé de
ce mariage, mon cher Victorin; j'ai ré-
solu tous tes doutes par le fait car il ne
me fallut que peu de jours pour changer
BCDtABM.
ï.'ÉLtXt~ ~9
ce vieillard sensé en un amant iràns!, et
pour lui faire croire que les pensées que
}elui inspirais lui étaient venues d'elle~
mêmes. J'avais toujours devant les yeux
te désir de la vengeance contre Hermo~
gène, vengeance qui allait devenir plus
facile et plus satisfaisante. Je différaile
coup pour le rendre plus mortel. Si je
connaissais moins bien ton âme, si j@
ne savais pas que tu n'as jamais craint
de t'élever à ma hauteur, je balancerais
à te confier ce qui s'est passé et ce qu'H
est maintenant trop tard pour rappeler.

a Afinde faire sur Hermogène une


impressionplus vive, je me montrai,à
mon derniervoyageà la capitale, som-
bre, triste) réservée,et je formaidecette
manièreun contrasteavec le tourbillon.
de laviemilitairedans lequel il se trou-
vait. La maladie de mon oncle fut un
prétexte pour me faire fuir toutes les
sociétésbrillantes, et j'évitaimême de
t8o DUMABÏ.E.
L'ËHXÏR
recevoir les visitesde mes plus proches
parens. Hermogène vint me voir, sans
doute pour remplir son devoir envers sd
belle-mère. H me trouva absorbée dans
de,profondes réflexions,et lorsque sur-
pris du changement qui s'était fait en
moi, il m'en demanda la raison, je lui
confiai, en fondant en larmes, que la
santé du baron me causait les plus vives
inquiétudes; que je voyais bien qu'il
cherchait à me cacher son état, et que
l'idée de perdre mon époux m'était in-
supportable. Hermogène se sentit ému,
et quand après cela je !ut eus peint le
bonheur dont je jouissais dans mon
union avec son père, quand je fus en-
trée dans tous les moindres détails de
notre vie intérieure a la campagne
quand j'eus fait rétoge du baron, dont le
portrait prit sous mon pinceau un éclat
qu'il ne possède pas, je vis que son
étonnement et son admiration pour moi
ne connaissaientpresqueplus de bornes;
Ï.~MX!R DU DIABLE.

je pénétrai le combatcaché qui se li.


vrait dans son coeur.Maisma puissance
remporta la victoiresur le principe has-
tile que ce coeurrenfermait contre moi.
Le lendemain soir it revint me voir, et
je ne pus plus douter de mon triomphe.

B Il me trouva seule. Il était


plus
triste, plus troublé encore que la veille
je parlai beaucoupdu baron et du désir
extrême que j'éprouvais de le revoir.
Hermogènc n'cta:t <tc~ plus le même.
Ses yeux demeuraient attachés sur les
mienS)quh)l!umaientd~nsson semuue
flamme dangereuse.Quand je posais ma
main sur la sienne, celle-ci tressaillait,
€tfde profondssoupirs s'échappaient de
sa! poitrine. J'avais bien calculé le
plus
aut point de cette exaltation involon-
aire. Le soir que j'avais destmé pour sa
œhute,t je ne dédaignai pas même ces
rtificessi uséset que l'on peut pourtant
oujours si utilement employer. Je réus*
<8a DUMÂMB.
L'EUXÏR
sis mais les suites de ma victoirefu~
rent plus terriblesque )e neï'avaispense,
quoiqu'eMesaient servi à montrer ma
puissance dans toute son étendue. Sa
maisons'est égarée.Tuïe sais, quoique tu
en aies ignoré jusqu'à présent la véri-
table cause. C'est un&u'ctpatticuiierde
la démecce de détacher en quoique
sorte le principe spirituel de Finuuence
du corps, et de lui permettre de voirdes
choses cachées à la vue ordinaire. Mest
doncpossible qucdansïcs reïaUonapar-
ticulières où nous nous trouvons, toi,
Hermogène et moi, i! t'ait pënëtrë d'une.
façon mystérieuse, et soit devenu pour
cela ton ennemi; mais nous n'avonspaa
le moindre danger à craindre car.
ëc!at<
quand même il se déciderait à
et à dire Ne vous nezpas au prêtre de~.
guise! Ne regarderait-on pas ce discours
comme une nouveaupreuvede dé menée.
surtout après que Reinhold a eu la bonté.
de reconnaître en toi !epèt<eMédardr?
I~UM BU MABM. $6~
~En attendant, il est inutile
que ta
t'occupes davantage d'Hermogène. Ma
vengeanceest accomplie, et je ne désire
plus que de l'oubUer, surtout c ommeil
paraît qu'il regarde ma vue comme une
pénitence pour lui car il ne cesse de
me poursuivre de ses
regards fixes et
qui tiennent le milieu entre la vie et la
mort. Il faut qu'il parte; je voulais me
servir de ton in~uence pour renforcer
encore son désir de se renfermer dans
un c!oitre,t et p~up persuader tant le
baron que l'officieuxconseiller Reinhold
que c'est là seulement que son salut
pourra être assuré, afin de les rendre par
ce moyenmoins contraires à ses désirs;
mais cela ne se peut plus maintenant.
Dureste, Hermogène m'inspire une aver-
sion insupportable il faut
qu'il parte.
La seule personne en
qui il parait met-
tre une véritable confiance est la
douce
et naïveAuréiie.PareUeseuletu
pourras
Muée sur Fesprit
d'Hermogéae, et
t8~ L'ÉLIXIR DU DIABLE

j'aurai soin par cette raison de te met-


tre plusparticulièrement-enrapport avee
elIe.Situ trouvesuneoccasion favorable
tu pourrasconfierà Rcinho!dou au baron
qu'Hermogènet'a révélé, sous le secret
de la confession un grand crime qu'il
aurait commis, mais que ton devoirne
te permet point de divulguer. Nous
parlerons de cela plus tard. Tu sais
maintenant tout, Victorin, agis et con-
serve du dévouement pour moi. Règne
avecmoi SU!'ce m~netede martonnctte~
qui nous entoure. ï! faut que!a vie nous
prodigue ses plus délicieusesjouissances
sans nous renfermer dans le cercleétroit
de ses devoirs, »

En ce moment nous aperçûmes de


loin le baron, et nous allâmes au-de-
vant de lui comme si nous avionsété
occupés d'un entretien pieux.

H ne m'avaitpeut-être fallu que la


L'~MMR M MABM. t$5

description qu'Euphémïevenait de me
faire dé ta tendance de savjtepour me
faire sentir aussila puissanceprépondé-
rante qui m'animait moi-même comme
l'émanation d'un principe plus élevé.
Je nie sentais pénétré de quelquechose
de surnaturel qui me plaçait tout à coup
dans une position d'où je voyaisles ob.
jets dontj'étais entouré sousdescouleurs
tout-à-fait nouvelles.La forced'esprit
le pouvoir dont Euphémie s'était van-
tée, me paraissaientdignes du plus pro~
fondmépMs.Dans le moment même où
cette malheureuse croyaitjouer son jeu
imprudent avecles combinaisons les plus
dangereusesde la vie, elle était livrée au
hasard ou à une fatale destinée que ma
maindirigeait. C'était ma forceseulequi,
excitée par des puissancesmystérieuses,
pouvait l'obliger à regarder comme un
a<met un alHé celui qui ne portait lat
ressemblanceextérieurede son ami que
pour la perdre et qui l'enlaçait de ma-
8*
t~6 E~HX~R DÏABM.

hïére à ne ïui baisseraucuneïiberté.Eu"


phémie, dànësonégoïsme,me paraissait
~aépnsabïe,et ma ïiaison avecëHem'é-
tait d'autant p!us désagréable qu~Au~
TéHeseule vivaitdans mon ccear que
C'étaitellequt répondaitde mes péchés,
si }epouvaisencoreregardercommeun
péchécequi mesemblaitlecomblede Ïa
féliché humaine. Je résous de faire
ïtsage dans toute son étendue, de la
puissance qui m'était accordée, de sai-
sir la baguette magique et de tracer
ïe cercle da~s !<&qucl tous tes ob{etg
qui m'environnaient marcheraient à
mon gré.

Le baron et Reinhold s'eSorçaientà


yenvïede merendre la vie agréabteau
château. Il n'épTouvèreatpas!emoindre
soupçonde mesliaisonsavecEuphémie.
Le baron observaau contraire plusieurs
fois, commeavecun épanchecoentinvo~
Ïontaire, que ce notait que depuismon
E~HXÏR
BHJ
MABÏ.E. t~
arrivéechezlui qu'Euphémielui avaitété
entièrement rendue et cela trieprouva
que Reinhold s'était trompé en suppo-
sant que quelque circonstance avait
donne à son mari des motifs fondés de
croire à l'mndélité de sa femme. Je
voyaisrarementHermogène.Il m'évitait~
avec un embarras et une inquiétude
que le baronet Reinhold attribuaient
Macrainte que lui inspiraient ma haute
~tété et la force d'esprit qui me mettait
en état de pénétrer dans sa conscience
troublée. Aurélie semblait aussi s'éloi-
gner de moi, et quand je lui adressais
la parole elle montrait le même em-
barras que son frère. Je conclus de là
que, selon toute apparence, Hermo~ène
avait fait part à sa sœur de ses terribles
soupçons et je m'attachai en consé-
quence a détruire cette funeste impres-
sion.

Le baron sans doute à l'instigation


188 M MABM.
L'~LÏXÏR
de sa femme qui voulait me mettre en
rapport avec Aurélie, afin d'agir par elle
sur l'esprit d'Hermogene, me pria d'in<
struire sa fille dans les grands mystères
de ïa religion. Ce fut ainsi qu'JRuphémie
me facilitait elle-même le moyen d'ar-
river -au but de mes désirs les plus ar-
deus, au but que mon imagination me
peignait sous les couleurs les plus dé-
licieuses. La vision que j'avais eue dans
Féglisen'était-eMepas une promesse du
pouvoirqui me gouvernait, de me don-
ner celle de qui la possessionpouvait
seule calmer l'otage qui grondait dans
mon sein? Un regard d'Aurëlic, sa pré-
sence, le frottement de sa robe nie met-
taient en feu.

Je traçai mon plan avec profondeur.


Je voulais parler des incompréhensibles
mystèresde la religion en traits de flam-
me, dont le se ns caché ne serait autre
que l'ardeur de mes désirs amoureux.
L'ÉMXÏR DP NAME. ï8~

J'espérais communiquer par ce moyen


cette ardeur Aurélie remplir son sein
d'une émotion dont la source lui serait
inconnue et la porter enfin au point de
se jeter elle-même dans mes bras. En
conséquence je ne me rendais jamais
auprèsd'elle sans avoir d'avance préparé
le sujet de ma leçon et les termes dont
)e voulais le revêtir. Je graduaisavec un
art infini la force de mes discours. La
pieuse enfant m'écoutait les mains join-
tes les yeux baissés mais pas la plus
légère emntion pas le plus faible sou-
pir n'indiquait que mes paroles eussent
rcnct que je m'en étais promis. Tous
mes effortsne m'avancèrent pas d'une
li~ce. Au lieu d'allumer dans le sein
d'Auréliele feu dévastateur qui devaitla
faire succomber à la séduction celui
qui consumait mon sein n'en devenait
que plus ardent.

Mille projets se préseMtèrentà mon


~0 Ï.']ÊHXÏR DU DÏÂBM.

esprit pour perdre Aurélie, et le peu de


succès que j'obtenais auprès d'elle réâ"
gtssantsurmes liaisonsavecÏa baronne,
merendait celle-ci odieuse. En feignant
de l'amour, je n'éprouvaispour elle que
de Ïa haine, et le contraste entre mesac"
tions et mes sentimens donnait à ma
conduite quelque chosede sauvageet de
terrible dont je ne pouvais m'empê-
cher de frémir. Elle n'avait pas !emom-
dre soupçon du secret de mon cœur, et
se livrait maïgré elle à l'autorité que
j'exerçais sur elle et qui devenait chaque
jour plus forte. Par momens je prenais
la résolution de mettre fin à mes souf*
frances en usant de violenceà l'égard
d'Auréue mais à peine me retrouvais-
je avec elle que je croyais voir un ange
debout à ses côtés qui la protégeait et
qui défiaiten sa faveurtoutela puissance
de l'ennemi. Un frisson parcourait aus"
sitôt mes veines, et je renonçais à mon
projet.
i5
L'JÉHXM DC MABÏ.B. '9~

A la finla pensée me vint de prier avec


elle car l'ardeur de la piété brûle avec
plus de force dans la prière. Lesinclina*
tions les plus secrètes s'éveillentet cher"
chent à saisir l'objet inconnu qui doit
apaiserlesdésirsinexplicablesdontlesein
se remplit. Alors les passions terrestres
peuvent à l'improviste prendre la place
des désirs célestes et l'innocence se
tromper sur le but vers lequel eHeesten-
traînée. Je calculais en outre que le seul
acte de répéter les prières que je compo-
serais pour elle m'nJEfnraitdes occasions
précieuses dont je n'aurais qu'à profiter.
En effet agenouillée à côté de moi, les
yeux tournés vers le ciel, répétant mes
paroles ses joues brillèrent d'un incar-
nat plus vif, sonsein palpitad'un mouve-
ment plus précipité. Dans la choeur de
la prière je pris ses mains et les serrai
contre ma poitrine ses cheveux tom-
baient sur mes épaules je n'étais plus
maître de mes actions. Sans savoir à
t~a Ï/~MXIR DU MABI.E.

peine ce que je faisais~repassaimon bras


autour de sa taille t je la pressai sur
mon cœur déjà ma bouche imprimait
des baisers sur la sienne quand, avec
un cri perçant elle s'arracha de mes
bras. Je ne me sentis pas la force de
la retenir il me semblait que la foudre
venait de tomber sur moi et de m'ë~
craser.

Elle se sauva promptement dans la


chambre voisine.La porte s*ouvrit Her-
mogènes'y présenta. H resta tmtnobUe
et fixa sur moi des yeux qui offraient
~'expressiond'une sauvage démence. Je
rassemblaitoutes mes forces, et m'a-
vançant vers lui je lui dis d'une voix
fièreet impérieuse é

« Que vicns~tu faire ici ? retire-toi


insensé &

étendit vers moisa


MaisHermogène
Ï.'ÉHXIR DU M&BM. !~3
main droite, et me dit d'une voix étouf-
fée.et terrible:

« Je voulais te combattre mais je


n'ai point d'epée et tu es un assassin
car des gouttes de sang coulent de tes
yeux et souillent ta barbe, D

Il s'éloigna et ferma la porte aprèslui


avecviolence. Je demeuraiseul, furieux
contre moi'même de ce que je m'étais
laissé entrainer par la circonstance au
point de me voirmaintenant exposéaux
dangers les plus éminens. Personne ne
parut et }'eus le temps de me calmer.
Bientôt l'esprit qui m'inspirait me four-
nit le moyen d'obvier aux suites fu.
nestes que pourrait avoir mon impru-
dence.

9
CHAPITREXI.

AuMïTÔT que cela me fut possible je


m'empressaid'allertrouverEuphëmie
et je lui racontaiavecfiertéet hardiesse
toute mon aventure avec Aurélie.Eu-
~hëoaiene prit pas la choseaussitran-
quiilementque je t'aurais désiré, et je
comprisqu'en dépit de la force d'esprit
t.~HX~BU&ïÂBM. ~o5
~ont euese vantait, et du
point de vue
élevé dont elle prétendait
envisager les
objetselle n'était pas incapable de res.
sentir de la jalousie.Elle devait
craindre
d'ailleurs qu'AuréHe ne se
p!a!gnît de
ïnoi, ce qui aurait dissipe l'auréole de
sainteté qui entouraît ma tête, et mis
Rotre secret en
danger. Par une timi-
dité que je ne pus
m'expliquera moi~
même, je ne parlai nullement du rôle
qu'Hermogène avait joué dans cette
aventure ni des paroles mordantes
m'avait dites. qu'il

Ëuphémiegarda quelques momens le


silence, pendant !esque!s elle parut ab.
~o~éedans de profondes régions.

« Ne devines-tu pas,
Victorin, dit<
~le a la Rh,!es pensées sublimes et bien
dighe~de moi qui se pressent dans mon
esprit ~lais non, cela n'est pas possible.
Prépare, eh atténdaïtt, tes ailes pour me
t~HXtR DU DÏABM.
Ï~6
<~

suivre dans le vol élevé où }e vais te


servir de guide. Je m'étonne à la vérité
toi, qui devrais planer sur tous les
que
êvénemens de la vie, tu ne puisses te
mettre à genouxà côté d'une jolie fille
sans l'embrasser mais je ne te reproche
la faiblesseà laquelle tu t'es laissé
pas
entraîner si je connais bien Auré!ie, sa
ne lui permettra pas de parler
pudeur
de cette aventure et tout ce qu'elle
fera sera de saisir quelque prétexte pour
se dérober à tes leçons un peu trop
necrains donc en aucune
passionnées.Je
tes désirs
façon les suites fâcheuses que
eHrénés auraient pu occasioner. Je ne
la hais point, cette Aurél:e mais son
absence de toute prétention sa tran-
vertu souslaquelle ellecache unor-
quille
sans bornes me chagrinent.Je n'ai
gueil
pu gagner sa confiance, quoique
jamais
n'aie dédaigné de jouer avec eUe.
je pas
Cette espèce d'aversion qu'elle me té-
excite en moi les sensations les
moigne
~ÉMXtR
DUDIABLE.
plus pénibles. C'est une pensée sublime
de songer que cette ûeur, si fière de ré-
el at de ses couleurs, se brisera et se flé-
trira! Je veux que tu exécutes cette
pensée, et les moyens ne te manque-
Mnt pas pour arriver facilement et sûre<
ment à ton but. La faute en devra re-
tomber sur la tête d'Hermogène et com-
pléter sa mine !N

Euphemie s'étendit encoredavantage


sur son plan, et chaque mot qu'elle pro-
nonçait me la rendait plus odieuse; car
elle ne se montrait à moi que comme
une femmecoupable, dépouillée de tout
prestige. Aussi, quel que fût mon désir
de triompher de la vertu d'Aurelie, puis-
que je ne pouvais espérerque de là la dé-
livrance des tourmens dont mon sein
était déchiré, le secours .d'Êuphémie
m'était insupportable. Elle fut donc fort
étonnée de me voir rejeter sa proposi-
tion car j'étais intérieurement ré-
~HXÏ& ~U DIABLE.

so;u d'accomplir, p~r mes propres


moyens, un projet pour ïequel Euphé~
ïï)ie voulait meforcer d'accepter sa cop~
përation.

Ainsi que la baronne l'avait pensé


Aurelie resta dans son appartement, et
prit le prétexte d'une indisposition pour
ne pas paraître dans le salon et recevoir
une instruction le lendemain. Hermû~
beau-
gène, contre son habitude, passait
coup de tempsavec lebaronetReiMhotd~
rë~
Ïl paraissait moin~ sombre et moins
serve mais plus égare plus courroucé.
On l'entendait souvent parler à haute
voix et avec force, et j'observais'qu'il me
des de dépit caché toutes
jetait regards
dans
les foisque le hasard m'amenait
La conduite dn baron et de
sonchen~o.
de
Reinhold-changea aussi en peu jours
d'une manière fort étrange. Sans dimi-
nuer extérieurement en rien de ratten-
tîon et du respect qu'ils avaientcoutume
t~!Xm DU ÏHABM.
de metémoigner,il paraissaitqu'unpres-
sentiment extraordinaireles empêchait
de se livrer à ce ton d'aimablefamilia-
rité qui régnait naguère dansleur con-
versation.Toutcequ'ilsme disaientétait
~contraint, si froid,que j'eus toutesles
peinesdu monde, dans l'inquiétudequi
s'emparaitde moi, à conserverunetran-
q~tlïitéapparente.

Lesregardsd'Euphemie,dont j'avais
appris à connaîtrele senscaché, me di-
saient qu'il venaitde se passerquelque
chose dont elle se sentait particulière-
ment irritée mais il me fut impos-
sible, pendant toute la journée,r de
trouver un moment pour la voirsans
témoins.

Au milieu de la nuit, quand tout le


châteauétait depuislong-tempslivréau
sommeil,je vis s'ouvrirdansmacham-
bre une portepratiquée dans la tapis-
aoo L~HXÏR DU DIABLB.

série que je n'avais pas encore remar-


et Euphémie entra chez moi t
quée,
par un trouble que je ne lui avais
agitée
jamais vu.

Victorin, me dit-elle, la trahison


nous menace c'est Hermogène Fin-
sensé Hermogène qui, jeté sur la voie
d'étranges pressentimens a décou-
par
vert notre secret. Il a inspiré au baron
-sessoupçonspar les discours sombres et
a tenus.'Alavérité, Her-
mystérieux qu'il
ne sait pas que tu es le comte
Tnogène
Victorin; mais il soutientque la trahison,
la malice, l'infortune, sont entrées dans
le château avec toi il te compare au dé-
mon. Les choses ne peuvent pas rester
dans l'état où ellessont; cette position me
ne puis supporter la dépen-
fatigue je
dance dans laquellece vieillardjaloux va
sans doute me tenir: car il paraît que son
intention est de surveillertoutes mes
démarches. Je veux briser les jouets qui
Ï/~MXÏR DC BÏABM. aot
n

me sont devenusinutiles, et tu te prête-


ras d'autant plus volontiersà monprojet,
Victorin, queparce moyentu échapperas
toi-même au danger d'être découvert et
~e voir ainsi le fruit original de notre
imagination dégénérer en une aventure
commune et une mascarade usée. Hfaut
nous débarrasser de l'incommode vieil-.
lard et je suis venue pour consulter
avec toi sur !a manière d'y parvenir.
Ecoute d'abord ma proposition. Tu sais
que tous les matins quand Reinhold
est occupé lebaron va faireseulune pro-
menade dans les montagnes; sors avant
lui et tâche de !e trouver à l'entrée du
parc. Non loin d'ici, il y a un rocher
sauvageet terrible.Quand on est parvenu
au sommet, ïe voyageur voit sous ses
pieds un abîme noir et sans fond. Au
bord même de cet abîme, une avance
dans le rocher formece que l'on appelle
dans le pays le Siègedu Diable.On pré"
tend que des vapeurs empoisonnées8'é-'
2M ïi'ÉMXïR BP BÏABUE.

lèventdufonddeceprécipice~et causent
à ceux qui osent y regarder un étour-.
dissecaentaux suites fatalesduquel il
est impossible de résister.Le baron,e
aucune foi à ce conte s'est
n'ajoutant
fois placé sur le bord de
dé}àplusieurs
ce précipice,pourjouir de la belle per-
l'on y.découvre.ïl ne te sera
spectiveque
dif&ci!ed e l'engager à te conduire
pas
lui-mêmedanscelieu dangereux.Quand
tu y serasaveclui, il suffirad'un conp
de ta main pour nous délivrerà jamais
de ce vieilinsensé.

Non,jamais m'écriai-jevivement:
connaisce affreux,)e con-
je précipice
le du Diable. Retire-toiet
nais Siège
de me au crime. D
cesse porter

s'élança ver
Acesmots, Euphémie
moi les yeux ennammésde coléreuses
traits étaient renversés. Une passion
agitaitson sein ·
fougueuse
Ï'ÉMXÏR BB BÏABEE. aeS

a Hommefaibleet pusiManime!s*é-
CNa-t-etie,oses-tubien dansta lâcheté
~'opposerà ce que {~n'ésotuPTu~alEoe~
doncmieuxte soumettreà un joug hon~
teux que de ïégner avec moî? Mais tu
es en mon pouvoir.Vainementespères-
tu te dérober aux liens qui te tiennent
enchaîné à mes pieds. Obéisà mesvo-
lontés. Il faut que demain l'homme
dont l'aspect m'est odieux, ait cesséde
vivre.?a

Pendant qu'Euphémiemeparlait, je
me sentispénétrerdu plus profondmé-
pris pour sa jactance, et je lui répon-
dis en riant d'un air si dédaigneux,que
la pâleur de l'effroi et de l'inquiétude
couvrit soudainsonfront:

e Insenséequi croiste jouer de la ~ie


des autres, crains que Ie~armes que tu
emploies ne ss t jumentcontre toi-
même. Sache, malheureuse, que moi,
304 1/éMXÏR DU DIABLE.
tu
que dans ton erreur impuissante
crois gouverner, je te.tiens au contraire
enchainée à mon pouvoir semblable&-
la destinée elle-même. Tes jeux crimi~
nels ne sont que les convulsions d'uK
tigre renfermé dans une cage; sache te
ton amant repose au fond de
dis-je, que
ce précipice et que tu as tenu dans tes
bras, en sa place le démon de la Ven-
Va, et livre-toi au e
désespoir!'
geance.

Euphémie chancela elle était sur le


de se laisser t~nobof aansconnais-
point
sance sur le parquet, quand je la pris
dans mes bras, et la fis sortir de ma
chambre par la porte qui l'y avait intro-
duite. J'eus un moment l'idée de la
tuer; j'y renonçai sans le savoir, car~
~près avoir refermé la porte, je crus
réellement lui avoir ôté la vie. J'entendis
un cri perçant, suivi de plusieurs portes
qu'ils se fermaient avecviolence.
Je venaisde me placer dans une po-
ï~Mxmnu oïABM. aoS
jau~
eihon qui ne me
permettait pa9 de eui-
we !a marche ordinaire des
hommes. H
fallaitque les coups se MccedaMentMas
MtervaHe et m'étant annoncé moi-
même comme le démon de la
de~h venge.nce,
je accomplir en effet une ven-
geance terrible. La perte
d-Euphemie
~re~e, et la haine
se joignant à l'amour )ela plus violente
plus ardent de.
vait meprocurer le seul
bonheur digne
de l'esprit plus
qu'humain dont je m.
sentais animé. Au moment
même ou
Euphémie succomberait,e
je voulais
qu'Auréiiefûtàmoi.

Je m'aide
permit à Euphémie ladeforce d'âme qui
se montrer le
lendemain aussi
tranquille et aussi gaie
que de coutume. EUe raconta
même
qu'elle avait éprouvé pendant la
une ~P~ed'acc~ de nuit
avait somnambuii,me,t
qui été suiv, d'une
attaquede nerfs.
Le baron parut la
plaindre. Les regards
~Og E~!M DC MAS~Ë.

-de Reinholdexpnmérentle doute et


tïtéâance.Auréliene sortit pas de son
et moins ;e trouvaisd'oe.
appartenir
casionsde la rencontrer,plus le feu qui
brûlait dansmon seinacquérattd'inten~-
site. E~phémïe m'engageaà merendre
dans sa chambre par des chemins qui
m'étaient connus,quandtout reposeràït
dansle château.J'en fus ravi, car je me
dis que le momentqui devaitscellersa
destinéeétait arrivé.Je cachai sousma
robe un petit couteaufort aigu. que je
sur moi depuis ma plus tendre
portais
et à l'aide duquel je sculptai
jeunesse,
une foule de petits meubles en bois.
Ainsipréparé au meurtre, je me rendis
chezelle.

c Je crois, dit-elle en me voyantt


nous avons faittousdeux, la nuit
que
defn!~ des songesfort.inquiets.Nous
avonsvu des précipicessous nos pas~
~is tïtainienaMttout est paMé.
Ï.~UXtR M MABM.
~0~
Eue voulut à ces mots, me pr<~d~
guer, seiûn su coutume, ses infâme
caresses mais H me fut impossiblede
feindre En me dé~eant de sesbras, }e
iatssaï tomber mon couteau; eHerecula
~Srayée. Je ramassa! rinstrument de
mort et différa!l'exécution qu'Euphé-
mM elle-même me facilita d'une toute
autre façon.

E!!e avait fait servir du vin d'haïie


avec des confitures. Pénétrant son des-
sein, je m'étonnai qu'elle n'eût pas
imagine un moyen moins usé. Je chan-
geai adroitement les verres, et je cachai
dans les larges manches de ma robe les
confitures que je faisais semblant de
porter à ma bouche. J'avais déjàbu deux
ou trois verresde vin, mais dansle verre
qu'Euphëmie avait préparé pour elle;
soudain elle feignit d'entendre du bruit t
et noe pria de la quitter promptement.
Son projet était sans doute que je ter-
208 L'BLIXIR DU DÏABLE.

minasse ma.vie dans. ma chambre..Je


me glissaisle long d'un corridor faible-
mentéclairé, quand j'arrivai devant la
porte de l'appartement d'Aurélie, et je
demeurai immobile à la place. Il me
semblait la voir me jetant des regarda
d'amour, comme dans ma vision, et
m*invitantà la suivre. J'approchai légè-
rement la main contre la porte. Nie
céda. Je me trouvai dans la chambre
elleétaitvide. La porte d'un cabinetétait
entrebaillée. Une atmosphère épaisse
m'environnait, j'avais de la peine à res-
pirer. J'écoutai attentivement. Des sou-
pirs accompagnésde prières se faisaient
entendre dans le cabinet où elle dormait
et rêvait sans doute de meurtre et de
trahison. La puissance inconnue qui ré-
gissait mesactionsme poussaiten avant.
Déjà j'avais fait un pas dans !e cabinet,.
quand j'entendis crier derrière moi
a Infâme assassin maintenant je te
tiens, s
t/iHxm M DIABLE..209

Et au mêmeinstant, je me sentis
aaisir avec une force gigantesque.
C'était Hermogène!

Je fus obligéd'appeler toute ma vi-


gueur à mon aidepour me débarrasse:
de lui. Je voulusme sauver, maisil me
saisit encoreune foispar derrière,et se
mit à mordre mon cou avec fureur.
,Plein de rage et de douleur~je luttai
long-tempsen vainaveclui. A la fin, je
parvinsà le repousser,et quand il revint
à la charge je tuai mon couteau.Deux
coupsl'étendirentpar terre. Sesplaintes
retentirentdansle corridoroùle combat
nousavaitentraînés.

Aussitôt qne je vis tomber Hermo-


gène) je m'élançaiavec la promptitude
de l'éclairjusqu'àl'escalier.Là j'enten-
dis crier dans le château, au meurtre1
à l'assassin Deslumièresse montrèrent
Çaet là des pas retentirent dans les
9~
~t o t~Ï~M ~U MA1SM.
~ongspassager Dans mon inquiétude,
je m'étais égaré fj'avai~~ris un escalier
dérobé. Les lumières et le bruitaugmen-
taient de moment en moment dans le
château. Les crisr, au meurtre! sem-
Maient partir à mes côtes, ~e distinguai
ïes voix du baron et de Reinhold qui
parlaient avec force aux domestiques.
Où fuir? où me cacher? Peu d~Dstans
auparavant, quand }'avaîsformé leprb.
jet de tuer Euphémie avecce mêmecou-
teau qui avait donné la mort à Hérmo-
génère m'étais iMog<~que, muntd'aûe
pareille arme, je pouvais braver la terre
entière réunie contre moi mais, en ce
moment, je me sentis saisi d'une terreur
mortelle. Ala fin pourtant j'arrivai sur
le principal escalier. Le tumulte s'était
dirigé vers l'appartetùent de la baronne.
te bruit diminua pour un moment. Je
mefis que trois sauts pour arriveren bas,
et je n'élis pliasqu'à quelquespas dé
porte. Tout à c0u~ un cri terrible, seoi-
Ï/ÉHXÏR~0 MABM. an
MaMea celuique j'avaisentendula nuit
précédente$ frappa mes oreilles.Elleest
morte, me dî~-}een moi-même, par le
poisonqu'elle m'avait destiné! Bientôt
les lumières se firent voir de nouveau
dans la chambre d'Euphémie.AuréMe
appelaità grands cris au secours.Les
mots, au meurtre! devinrent plus ffé-
queoa et plus terribles. On apporta le
corpsd'Hermogène.J'entendisReinhold
dire

<Courezaprés l'assassin e

Maisje fis un grand éclat d'un rire


affreux qui ébranla les voûtes,t et je
m'écriaid'une voixterrible

a Insensés voulez-vous arrêta


destinéequi a puni des criminels

Ils prêtèrent l'oreilleet demeurèrent


immobilessur l'escalier.Ence moment
.je jrenocçaià l'idée de fuir. Je voulais
3!2 !/ELIXIH DU MABME.

Me présenter à eux et leur annoncer


<Tunevoixde tonnerreque la vengeance
divineétait tombée sur les coupables
mais. spectacleépouvantable! de-
'vantmoi. devant mesyeux, je visla
~gm'e sanglantede Victorin Ce n'était
pas mo!, c'était lui qui avait prononcé
ces paroles.L'effroifit dressermes che-
veuxsur ma tête, et, dansmon égare-
ment, je m'élançaipar laporte duchâ-*
teau dans Ïe parc. Au bout de quelques~
instans, je me trouvât en pleine cam-
d~s pas
pagne. J'entendis derrière
dechevaux, et comme je rassemblais
mes forces pour éviter la poursuite,
je heurtai une racine d'arbre et je
tombai par terre. Quand je me relevai
vis tes chevaux à côté de moi c'était
je
le chasseur de Victorin.

o Au nom de Dieu M. le comte, me


dit-il, qu'est-il donc arrivé au château?
J'entends crier au meurtre, le village
Ï~MXmM MABM. at3
est déjà réveiUé.Quoi qu'il en
soit, un
bon ange m'a inspiré l'idée de faire vos
paquetset de venirjusqu'iciau devantde
vous. Voustrouvereztout ce
qu'il vous
faut dans la'valisequi est sur votre che-
val, car nous seronssans doute
obligés
de nous séparerpour
quelque temps; il
est arrivé quelquechosede bien
dange..
reux, n'est-il pasvrai, M. le comte?.a

Je me remis, et m'étant
jeté sur le
cheval, je dis au chasseurde retourner
à la petite villeet
d'y attendre mes or-
dres. Aussitôt qu'il eut
disparu dans
l'obscurité, je descendisde nouveaude
cheval,et, le prenantpar la bride, le
je
conduisisavec précautiondans
l'épaisse
forêtde sapinsque j'avaisdevantmoi et
dans laquelleje crus devoirm'enfoncer.

MN DU T~ÏE PREMÏER.

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