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Jean Robert Jean-Baptiste, cga, cpah

Professeur

COURS DE THEORIES COMPTABLES

Textes de référence commentés

ManuelTheories Comptables-01Dec10
TABLE DES MATIERES
INTRODUCTION 5

Lecture de référence no. 1 7

LA PROFESSION COMPTABLE FACE AU DÉFI DE L’EXCELLENCE DANS UN MONDE EN ÉVOLUTION 7

Lecture de référence no. 2 1

Le cadre conceptuel et légal de la comptabilité 1

Lecture de référence no. 3 57

Le cadre légal et institutionnel de la profession comptable en Haïti 57

Lecture de référence no. 4 67

La Comptabilité est une histoire 67

Lecture de référence no. 5 78

Existe-t-il une vérité comptable ? 78

Lecture de référence no. 6 96

L’éthique de la science et de la technologie 96

Lecture de référence no. 7 117

Ethique et expertise scientifique 117

Lecture de référence no. 8 134

Ethique et entreprise 134

Lecture de référence no. 9 145

L’éthique en comptabilité 145

Lecture de référence no. 10 152

La technique et la science comme idéologie de la formation comptable 152

Lecture de référence no. 11 169

L’hypothèse de la permanence de l’entreprise : une estimation critique 169

Lecture de référence no. 12 185

Le Concept d’Equité 185

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Lecture de référence no. 13 200

Le Passif : Une Notion qui évolue 200

Lecture de référence no. 14 216

Le Traitement comptable des survaleurs : l’éternel débat 216

Lecture de référence no. 15 236

L’approche réglementaire pour la formulation d’une théorie comptable 236

Lecture de référence no. 16 265

Les approches traditionnelles pour la formulation d’une théorie comptable 265

Lecture de référence no. 17 283

Les obstacles à l’harmonisation comptable internationale 283

Lecture de référence no. 18 301

La création d’un langage comptable international 301

Lecture de référence no. 19 309

LA COMPTABILITE DES RESSOURCES HUMAINES 309

Lecture de référence no. 20 335

La Comptabilité et l’Homme : perspectives internationales 335

Lecture de référence no. 21 348

L’ENTREPRISE ET L’AUDIT SOCIAL 348

Lecture de référence no. 22 356

Le Triple Bilan 356

Lecture de référence no. 23 366

L’INFORMATION SUR LA CONTINUITE DE L’EXPLOITATION 366

Lecture de référence no. 24 374

L’Information sectorielle 374

Lecture de référence no. 25 398

LES DIX GRANDES PRIORITES DU COMPTABLE 398

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Lecture de référence no. 26 406

LE SAVOIR-ETRE 406

Lecture de référence no. 27 412

Les Principes Comptables et leur mode de développement : une analyse critique 412

Lecture de référence no. 28 425

L’Economie du savoir 425

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INTRODUCTION

L’ensemble de ces textes constitue un cours sur la théorie en comptabilité financière.


Nous insistons sur l'expression "un cours" parce que, comme vous le savez peut-être,
l'unanimité est loin d'être faite, à l'intérieur de la profession comptable et des milieux
académiques, sur ce qu'est la théorie comptable, sur ce qu'elle devrait être ou encore
comment elle devrait être rattachée à la pratique. I1 existe un courant vigoureux aux
Etats-Unis et au Canada, dans les milieux académiques et des praticiens, pour
l'exigence d'un accroissement et d'un renouvellement des recherches théoriques et
empiriques sur des questions de théorie comptable telles que:

1) Quels sont ou devraient être, les objectifs de la comptabilité financière ?

2) Quels sont les utilisateurs actuels et potentiels de l'information comptable et


quels sont leurs principaux modèles de prise de décision ?

3) Les pratiques comptables actuelles fournissent-elles les données pertinentes aux


utilisateurs; sinon, comment peut-on développer les données pertinentes ?

4) La variété et les changements dans les pratiques comptables affectent-ils les


décisions des utilisateurs, ex. , l'évaluation des stocks ?

5) Parmi les différentes notions de valeur qui peuvent être utilisées en


comptabilité, (ex. , Coût historique, coût de remplacement, valeur nette
réalisable) en existe-il une valable pour toutes les circonstances, ou ont-elles
chacune leur place ?

6) Les états financiers préparés pour répondre à un besoin général sont-ils


significatifs ou devrait-on préparer des états différents pour des besoins
particuliers - une présentation différente pour chaque groupe majeur
d'utilisateurs ?

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Nous pourrions poursuivre ainsi longtemps l'énumération des thèmes fondamentaux
débattus par les théoriciens comptables. Toutefois, l'énumération précédente permet à
l'étudiant d'apprécier l'importance et l'utilité de la recherche en théorie comptable si la
comptabilité veut maintenir son leadership, dans la subvention de données propres à la
prise de décision à une gamme étendue d'utilisateurs.

Comme nous 1’avons mentionné précédemment, il s'agit d'un cours comme il pourrait
en exister bien d'autres en théorie comptable. Un cours parmi plusieurs de composition
différente que nous aurions pu rédiger et sans aucun doute un cours différent de ceux
qu'auraient pu dispenser d'autres Professeurs. I1 est donc important pour nous de
préciser les raisons du choix de la présente composition de ce cours. En fait, nous avons
choisi de structurer ce cours comme une introduction à la théorie comptable avec
l'objectif premier d'amener l’étudiant à la théorie comptable telle qu'elle fut et est
utilisée en pratique pour déterminer les "principes comptables généralement reconnus".
Dans cette revue des principes et concepts actuels, nous introduirons la question
toujours vivante de l'évaluation en comptabilité. Même si le coût historique est
généralement reconnu, le sujet du coût historique versus les valeurs actuelles, de
même que la question distincte mais connexe de l'indexation et de l'effet de l'inflation,
ont été débattus dans la littérature comptable depuis plus de cinquante ans.

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Lecture de référence no. 1

LA PROFESSION COMPTABLE FACE AU DÉFI DE L’EXCELLENCE DANS UN MONDE EN


ÉVOLUTION

par

Paul Lurkin
Professeur Institut Catholique des H.E.C.
Bruxelles (Belgique)

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Parler d’une profession, c’est dire comment s’y préparer et dire quelle est sa sphère
d’action. C’est donc parier formation et entreprise et c’est anticiper sur deux ateliers
prévus pour ce colloque et m’attirer les foudres des collègues qui me suivront dans mon
intervention.

Si H.E.C.-Moncréal est une affaire d’excellence, il faut être conscient que la profession
comptable est une profession d’excellence. C’est ce que je voudrais tenter de
démontrer ce matin.

I. L’ENVIRONNEMIENT ACTUEL

A) La perception de difficultés

Les caractéristiques générales du monde actuel ont été et sont encore quotidiennement
décrites ailleurs et mieux que je ne pourrais le faire. Si l’on s’arrête un instant en
regardant ce qui perturbe le recommande, les sujets difficiles sont légion

- les problèmes pétroliers et nucléaires,

- le défi japonais,

- l’agitation sociale et politique,

- le changement des priorités gouvernementales,

- l’émergence d’une nouvelle force de travail exprimant des besoins fort différents de
ceux du passé,

- les problèmes internationaux, les contacts avec le tiers monde,

- etc.

L’univers a basculé de l’abondance à la pénurie, de la croissance à la crise, à l’inflation


et au chômage.

Face à l’entreprise, le monde économique et social doute du management. Nombreux


sont les auteurs économiques qui ont émis des critiques sur le management chiffré

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«ignorant certaines fonctions essentielles dans l’entreprise». Tous ont critiqué les
systèmes d’analyse saris âme en soulignant les dégâts causés par l’intérêt porté aux
dossiers au détriment des individus. Comme le souligne très justement le professeur
Yves-Aubert Côté dans son remarquable article consacré à la « Comptabilité et au
contrôle dans la mouvance de l’avenir « : « Ce qui a changé à notre époque, c’est le
rythme des interpellations devenues beaucoup plus fréquentes, la diversité et la
complexité croissantes des problèmes soulevés, l’ampleur des moyens mis en œuvre
pour répondre aux attentes plus rapidement qu’auparavant, la vigueur des institutions
comptables qui en est résultée face à des forces externes grandissantes et de plus en
plus influentes. Rien ne laisse présager l’affaiblissement de ces tendances dans les
vingt prochaines années ».

Le monde économique est donc troublé mais exigeant et rarement satisfait de ce qu’il
a, espérant plus d’information, plus vite et sans coût complémentaire.

Est-ce une ère différente qui est à nos portes, faite de défis à relever par les
entreprises et leurs dirigeants, par les professionnels ou par la profession elle-même ?

B) Les défis à relever

Sans entrer dans le vif du sujet de l’atelier suivant, disons que l’entreprise est
confrontée à des défis permanents. Elle est confrontée à la fois à des pressions
externes que sont, d’une part, la concurrence des autres entreprises et, d’autre part,
l’intervention de l’État qui dessine le cadre juridique de l’entreprise en lui imposant
des charges fiscales et sociales rigoureuses, en réglementant le marché des capitaux,
etc. Par ailleurs. il y a les contraintes internes, inhérentes à toute organisation
humaine : conflits de personnes. soif du pouvoir, arrêts de travail, etc.

Le chef d’entreprise a pour mission d’assurer à long terme

• la sécurité et la rentabilité des capitaux qui lui sont confiés,

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• la sécurité et la rémunération des services rendus par les hommes dont il a la
responsabilité.

Les changements se présentent pour l’entreprise comme cinq défis à relever


A. Le défi technologique : innovation, information.

B. Le défi international,

C. Le défi social.

D. Le défi de la communication.

E. Le défi comptable.

A. Le défi technologique.

Si la main-d’œuvre est chère et les matières premières peu abondantes, la


qualité de la technologie devient une nécessité. L’innovation alliée à la
productivité devient aussi une exigence inéluctable. Les secteurs avancés,
comme l’Informatique ou la biochimie, se développent. Une stratégie
d’innovation se met en place.

Dans cette perspective, dirigeants et membres du personnel doivent revoir leur


attitude ; le défi technologique dérange les habitudes. II faut renouveler les
états d’esprit, les attitudes et les procédures pour répondre au défi
technologique.

B. Le défi international

L’internationalisation des échanges est entrée dans les fans et revêt souvent,
pour les divers pays, une importance considérable : source d’emplois et de
revenus, accroissement des échanges, mais aussi diversité des interlocuteurs par
leurs caractéristiques et les potentiels de développement qui sont les leurs.
Accroissement de la concurrence internationale, parfois difficile à égaler, voire à
détrôner. Pour l’entreprise, le repli sur soi-même n’est pas une solution. Elle

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doit affronter la concurrence en mettant l’accent sur les points forts qui lui sont
propres.

C. Le défi social

Le défi social concerne l’évolution sociale et humaine. Celle-ci s’attache à des


valeurs différentes de celles du passé. Le respect de l’autorité et la
subordination à une hiérarchie sont remis en cause ; le personnel estime que la
qualification sociale repose sur d’autres considérations que la fonction
économique. Le travail n’est plus un devoir, mais il est utile pour vivre.
L’autorité ne s’impose plus, elle se gagne par des résultats tangibles. Les travaux
fastidieux sont récusés, la participation aux décisions est revendiquée. Les
finalités humaines s’insèrent dans l’entreprise en demandant une association
plus profonde que la simple exécution d’un travail routinier.

Le chef d’entreprise devra tenir compte de la finalité humaine dans son action
économique ; mais celle-ci reste cependant prépondérante. S’il en était
autrement, la survie même de l’entreprise serait en péril.

D. Le défi de la communication

L’entreprise a souvent fait silence ; dans son isolement, elle a entretenu un vide
devenu souvent préoccupant. Le silence n’est plus d’or. Ce que l’entreprise sait,
d’autres sont prêts à le révéler, le déformer, réinventer. Dans les travaux du
Congrès de Madrid de la Chambre de Commerce Internationale, on a souligné
que « l’entreprise devait rendre des comptes sincères à ses publics dans des
langages adaptés ».

Le vide créé par un défaut de communication sera rapidement comblé par des
rumeurs, de faux rapports, des ragots et du poison. L’entreprise est débitrice
d’informations à l’égard de tous ceux qui sont intéressés par son action ou qui
sont susceptibles d’affecter son existence ou son développement.

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Selon A. Sauvy, «la nuit dans l’information entraîne la nuit tout court
L’ignorance ne peut être reprochée aux ignorants, la faute c’est le silence » . La
politique de communication succède à l’information, car on découvre celui qui a
quelque chose à dire, à défendre. L’entreprise doit mettre en place une
politique de communication claire, sincère, crédible, adaptée à son objectif,
adressant à des partenaires un message authentique, révélant son identité.

Faire comprendre et instruire plutôt que séduire. II faut dire et bien le dire.

E. Le défi comptable

Le monde économique et social a depuis longtemps attiré l’attention sur


l’importance de la comptabilité. La comptabilité est une technique d’information
économique indispensable à toute personne souhaitant prendre des
responsabilités au niveau économique et social, public ou privé. M’appuyant sur
l’exemple belge. je dirai que trois éléments renforcent l’importance immédiate
de la connaissance de la comptabilité dans notre pays:

- L’importance des directives européennes et leur insertion dans les droits nationaux,

- Le développement et le renforcement du droit comptable : les obligations nouvelles


en matière de comptabilité et de comptes annuels ont obligé les entreprises à adopter
dès 1984 des schémas légaux, abrégés ou complets, de comptes annuels et un plan
comptable légal,

- Le renforcement prochain des exigences légales en matière de contrôle des comptes


de sociétés par la désignation de commissaires professionnels du contrôle.

Au Canada, de même que dans les autres pays anglo-saxons tels que les Etats-Unis, la
Grande-Bretagne et les pays scandinaves, ce défi comptable est probablement moins
ressenti : on y parle des Principes comptables généralement admis alors que dans les
principaux pays d’Europe, soit la France, la Belgique, l’Italie et l’Allemagne, la
tradition professionnelle se trouve modifiée par les Directives européennes dans une
optique qui est celle dune réglementation, d’un droit juridique comptable. Faisant

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maintenant partie de la Communauté Économique Européenne, la Grande-Bretagne doit
faire face à ces directives, exigeant de plus leur insertion dans un droit national. Ceci
est une approche tout à fait nouvelle pour ce pays.

Les dirigeants d’entreprises auront à présenter des situations comptables respectant les
prescriptions légales nouvelles. Ils doivent répondre à ce défi en respectant la
législation et en prenant conscience de l’importance nouvelle des comptes annuels
comprenant le bilan, le compte de résultats et l’annexe dont l’importance est à
souligner. L’annexe, faisant partie intégrante des comptes annuels, comprend de
nombreux renseignements à communiquer dont l’exactitude et le caractère complet
ont autant d’importance au point de vue de la loi que le bilan et le compte de
résultats. II convient que chacun en soit conscient.

Ces cinq défis obligent l’entreprise à vivre et à lutter dans les turbulences du temps
présent, à appréhender des avenirs de plus en plus incertains avec de plus en plus de
souplesse mats aussi avec de plus en plus de rigueur.

Des réponses claires et des engagements précis et lucides permettront de :

- participer aux développements technologiques,

- partager les marchés internationaux,

- répondre aux préoccupations sociales,

- pratiquer une politique de communication,

- présenter des comptes annuels fiables et certifiés.

C) L E S E X I G E NC E S DE L ’ E NT R E P R I S E FU T U R E

Face à ces défis. les entreprises seront plus exigeantes.

- À côté du défi technologique, l’exigence de l’entreprise future sera le besoin


d’informations pertinentes et fiables, compréhensibles.

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- À côté du défi national, il y ale besoin d’informations nationales et internationales en
matière juridique, comptable et fiscale.

- À côté du défi social, l’exigence sera le besoin d’informations en matière de coût


social, de flexibilité sociale, d’avantages sociaux accordés aux investissements humains
et matériels.

- À côté du défi de communication, il y aura un besoin de dialogue avec le comptable


agréé ou l’expert-comptable, pour réfléchir aux informations utiles à la décision et à la
façon de les collecter et de les présenter.

Face au défi comptable, disons qu’à notre époque l’analphabétisme comptable est un
crime économique. La profession doit être consciente du besoin de connaissances
comptables nécessaires au respect des prescriptions légales et professionnelles, et des
besoins des clients relatifs à la formation permanente de son personnel en matière
comptable et financière.

II. LES HOMMES DANS L’ENTREPRISE

A) Les cadres comptables en proie au doute

« Enviés récemment encore pour l’aisance de leurs revenus et le prestige attaché à


leurs responsabilités, ils se sentent soudain désarçonnés et n’osent plus songer au
lendemain. Les voici bousculés par des invités inattendus : les techniques insolites,
qu’ils n’ont pas apprises, envahissent leur lieu de travail, les firmes en crise cherchent
à fusionner entre elles, ce qui les amène à se séparer d’équipes entières et de leurs
chefs. Ceux qui restent accrochés à leur place éprouvent de plus en plus de difficultés
à diriger des gens pour qui le travail ne constitue plus qu’une partie négligeable de
l’exercice. Pour comble, ils entendent déjà à leurs portes les trépignements
impatients de jeunes loups pressés de les remplacer 1 ».

1 BASILE, Joseph, Retrouver le sens de la vie, Renaissance du Livre, Brixelles, 1984, 116 pages

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Ce qui frappe l’homme mûr, c’est le changement survenu en une décennie ; ce qui
paraissait solide hier apparaît aujourd’hui bouleversé, incohérent ou fragile ; ce qu’il a
construit depuis le début de sa vie professionnelle est menacé, son entreprise et même
son emploi vacillent ; l ‘age mûr le trouve mal préparé au changement et au doute.

Les entreprises longtemps en progrès se voient menacées dans leur existence


quotidienne, voire dans leur survie.

B) Les jeunes sont sur le seuil

Les jeunes élevés en temps de crise n’ont connu le passé et s’engagent dans des études
qui conduisent à un milieu économique en proie à des difficultés. N’ayant pas connu
l’abondance, ils ne doutent pas mais se battent pour prendre place dans une société
que l’on a décrite comme difficile d’accès.

Cette façon d’attaquer le problème de sa place dans l’entreprise sans se lamenter sur
le passé mais en se battant pour l’avenir constitue un avantage psychologique
indéniable. Il ne faut pas l’oublier.

C) Prendre en main son destin

Le cadre en proie au doute doit éviter les pièges tendus par le défaitisme, le
renoncement à l’adaptation, la motivation et le laxisme ambiant. Si le cadre lucide
sent le changement et s’y prépare, il deviendra l’intermédiaire social indispensable
pour promouvoir une nouvelle dignité humaine. Il sera prêt au retour aux sources et au
progrès en s’appuyant

- Sur une formation permanente revalidant la formation de base, car l’expert-


comptable est un condamné à la formation à perpétuité,

- Sur une ambiance de travail encourageante plutôt que critiquante,

- Sur l’espérance de bien vivre.

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III. PROFESSIONNELS COMPTABLES ET PROFESSION

Le professionnel est quelqu’un qui, ayant reçu une formation appropriée et permanente
renforcée par l’expérience, accomplit une mission en toute indépendance sur une
question ou des faits qui lui sont soumis.

Arrêtons-nous sur les notions de professionnel et de profession. En 1982, une étude,


effectuée parmi la communauté comptable européenne, cherchait à définir l’identité
professionnelle. Des travaux écossais et canadiens ont alors été consultés et il en est
ressorti que pour parler d’un professionnel, il y a cinq caractéristiques à considérer et
que pour parler d’une profession, il y a trois caractéristiques fondamentales à
retrouver.

Les cinq caractéristiques propres aux professionnels :

1. maîtrise de certaines compétences acquises par un enseignement et une


formation pratique,

2. mise en application des compétences professionnelles au bénéfice des tiers,

3. prestations de services, sous contrat d’emploi ou comme indépendant

4. recherche d’objectivité fondée sur l’indépendance d’esprit et l’indépendance de


fait,

5. subordination des intérêts personnels à l’intérêt général.

Un bon professionnel doit nécessairement regrouper dans sa personnalité ces cinq


compétences.

Les trois caractéristiques propres aux organisations professionnelles concernent :

1. L’existence d’une association indépendante, de quelque pouvoir que ce soit, car


l’indépendance entraîne la crédibilité,

2. l’élaboration d’un code déontologique,

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3. la mise en commun, le partage des connaissances et techniques par les
membres.

Il faut les partage des connaissances et de l’expérience avec les jeunes entrant dans la
profession car, quoiqu’on en dise ou en pense, le jeune n’a pas autant de compétences
que le professionnel mûr. Il a l’avantage d’avoir un œil neuf mais il faut le parrainer,
le guider. Cela est fondamental non pas pour la survie mais pour le progrès de la
profession.

Face à ces caractéristiques, il résulte que ce que le professionnel classique doit avoir
reçu, c’est :

- Un enseignement du savoir,

- Un enseignement du savoir-faire, ce qui est déjà plus difficile,

- Un enseignement du savoir-être parce qu’on ne peut pas être un professionnel


sans «être»

- Et un savoir-devenir parce qu’une personne qui ne sait pas devenir perdra toutes
ces qualités du professionnel.

IV. LE CHEMIN DE L’EXCELLENCE

Toutes ces exigences ne suffisent que dans la mesure où la profession comptable


d’Amérique du Nord ou d’Europe est conditionnée à viser l’excellence. L’excellence
n’est pas une utopie. Pour obtenir une profession d’excellence, il faut que cette
profession fasse mieux ce qu’il faut faire. Et l’excellence est l’étincelle qui fait jaillir
la flamme de la qualité.

Certains ouvrages classiques récents, tels que Le Prix de l’Excellence, n’indiquent rien
de nouveau sauf qu’il faut retourner aux sources. Mais dans la pratique de
l’excellence, il y a une dimension sur laquelle il faut insister : c’est le BON SENS. Dans
les cabinets importants de revisorat, on enseigne aux nouveaux venus qu’il y a des
normes, des feuilles de travail, des procédures et quelqu’un qui les supervise. Mais le
nouveau venu peut avoir préparé quatre dossiers et être passé à côté de l’essentiel. On

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enseigne les procédures mais pas le BON SENS. Dans la pratique de l’excellence, le
retour aux sources est d’abord le bon sens. Dans une profession telle que la profession
comptable, parmi toutes les qualités qu’il faut avoir, il faut retrouver cette qualité et
la défendre. Il est fondamental de former le jeune, dès son premier jour de travail
dans un cabinet ou dans l’entreprise, à émettre lui-même un jugement. Et si ce
jugement est faux, on le corrige et à temps.

Rappelons-nous également que le comptable professionnel travaille au départ pour son


client. Il faut donc être à l’écoute des besoins du client et même, en ce faisant,
penser à l’innovation. Il y a toujours possibilité pour un bon vérificateur ou un bon
directeur financier d’innover intelligemment. Enfin, mentionnons que pour animer
cette profession, tout comptable professionnel oeuvrant à l’intérieur d’une entreprise,
comme directeur ou cadre, ou à l’extérieur, comme prestataire de services
indépendants, doit posséder le leadership. Le leadership professionnel se définit par
quatre aspects importants :

- rallier ses collaborateurs à sa vision des choses afin de les amener à faire ce qu’il
faut faire ;

- transmettre le massage afin que les collaborateurs apprennent efficacement leur


travail ;

- donner confiance aux autres en étant conscient des risques inhérents ;

- motiver, dans la mesure où le leader connaît ses propres limites, afin d’amener
ceux avec qui il travaille à se dépasser et à devenir meilleurs. S’ils sont
meilleurs, ils sont prêts de l’excellence.

Au niveau de la profession, la même démarche doit être envisagée afin d’assurer


l’innovation au sein des associations professionnelles, la recherche permanente de
même que la passion pour cette profession car si on ne parvient pas à passionner le
public et les clients à la profession comptable, on ne peut pas être passionnant.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 18
À côté de cette innovation et de cette passion, il faut conserver la rigueur dans le
raisonnement et la conclusion de même que la crédibilité. A ce niveau, la profession a
une grande responsabilité car la crédibilité du professionnel dépend de la crédibilité
qu’on attache à la profession.

En résumer, le bon professionnel ou la bonne association professionnelle est celle en


plus de tout ce qu’il-elle doit faire, sait ce qu’il faut faire pour :

- assurer le leadership d’une information fiable ;

- assurer le leadership d’une passion professionnelle ;

- assurer leadership d’une conscience professionnelle ;

- assurer le leadership d’une indépendance professionnelle.

Le leadership est une petite flamme vacillante qu’il est plus facile de laisser s’éteindre
que de lui conserver son éclat. La même image peut être reprise pour les idées qui,
trop souvent, meurent dans l’œuf faute d’avoir trouvé un support pour assurer leur
épanouissement, leur aboutissement.

Si dans les H.E.C., dans la profession, on a parfois servi une tradition, il faut conclure
que servir une tradition, ce n’est pas garder la cendre mais c’est raviver la flamme !

ManuelTheories Comptables-01Dec10 19
Lecture de référence no. 2

Le cadre conceptuel et légal de la comptabilité

par

E. Lande
2

L'objectif de cette analyse va être triple :

1. En guise d'introduction, seront rappelés les objectifs assignés à la comptabilité et


son rôle.

2. La comptabilité (c'est-à-dire tout à la fois la technique comptable, les règles


comptables qui la régissent et les organismes de normalisations qui l'élaborent) sera
analysée pour mettre en évidence le caractère contingent de l'information comptable.
Cette partie aura donc pour objectif de mettre en perspective les différentes
conceptions de la comptabilité et d'identifier pourquoi la comptabilité évolue dans le
temps et diffère dans l'espace (d'un pays à l'autre par exemple). La partie 2 sur la
relativité et la contingence du cadre comptable approfondira cette partie en mettant
en perspective les différences pouvant exister entre le secteur privé et le secteur
public entre autres.

3. Les caractéristiques et les objectifs de la comptabilité en France seront présentés.


Cette analyse des principes comptables sera l'occasion de rappeler les points essentiels
du programme du DPECF et de présenter au moins pour partie les différents thèmes qui
seront traités au cours de l'année dans les différences séries du cours par
correspondance.

INTRODUCTION : LE ROLE DE LA COMPTABILITE

Traiter du rôle de la comptabilité amène à en préciser ses fondements et ses objectifs.


D'une manière schématique, il est possible de considérer la comptabilité comme une
technique permettant de traduire ou de mesurer des événements économiques en
fournissant une information financière. Pour atteindre cet objectif d'information, deux
éléments supplémentaires doivent être introduits : la définition des règles et normes
comptables précisant la finalité de l'information et la définition des règles ou normes
d'audit permettant le contrôle de l'information diffusée (respect des règles comptables
d'élaboration…). Le schéma ci-après synthétise le rôle de la comptabilité.

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3

Figure 1 : Le rôle de la comptabilité

A travers ce schéma, il apparaît que la comptabilité par ses techniques et l'information


qu'elle diffuse est affectée par la définition des règles et normes comptables et qu'un
dispositif de contrôle permet d'en assurer la conformité aux règles comptables. Comme
l'analyse des règles et normes d'audit fait l'objet d'un cours spécifique, elles ne seront
pas abordées.

La comptabilité en tant que technique et information a pour objectif de mesurer et


traduire les activités d'une entité (activités juridiques pour les comptes sociaux ou
activités économiques pour les comptes consolidés). Mais cette mesure est directement
affectée par les règles ou normes d'élaboration, elles-mêmes résultant de différents
éléments tels que la culture, le développement économique, l'histoire, les institutions
en charge d'établir les règles comptables. En ce sens, la comptabilité est un enjeu
socioculturel comme le souligne CAPRON[1] qui met en avant le consensus social à la
base de la comptabilité :

Ce qui est alors perçu au travers de la comptabilité n'est pas tant une vérité absolue
que quelque chose à laquelle toutes les parties peuvent adhérer, même si ce n'est que
temporairement et même si cela est assorti de beaucoup de réserve (p.83).

Cette position est également soutenue par l'AAA[2] qui précise que "les états financiers
sont basés sur des conventions dérivées de l'expérience" (p. 359). Mais au-delà de cet
aspect consensuel et social de la comptabilité, il ne faut pas non plus exclure les

ManuelTheories Comptables-01Dec10 3
4

aspects politico-stratégiques associés à la comptabilité comme le souligne BOUSSARD[3]


: « L'élaboration des règles comptables est un processus politico-stratégique complexe
dans lequel chaque partie défend ses intérêts ».

Ces différents aspects affectant la comptabilité démontrent par là-même le caractère


contingent de la comptabilité. Le terme de contingent signifie que la comptabilité
évolue dans le temps et dans l'espace en fonction de différents critères qui peuvent
être d'ordre historique, culturel, économique… La comptabilité n'est donc pas une
mesure figée mais bien plutôt une mesure évolutive en fonction de différentes
caractéristiques.

A titre d'exemple, les biens acquis par le biais d'un crédit-bail ne sont pas comptabilisés
toujours de la même manière en France, puisque au niveau des comptes sociaux,
l'optique juridique a été privilégiée, alors que dans les comptes consolidés et à l'instar
de la pratique adoptée dans les pays anglo-saxons c'est une approche économique qui a
été privilégiée. Ainsi, en France les biens acquis en crédit-bail sont comptabilisés par la
société bailleresse qui en est juridiquement propriétaire dans ses comptes sociaux,
tandis que dans les pays anglo-saxons et dans les comptes consolidés français, les biens
sont comptabilisés dans les comptes de la société utilisatrice privilégiant ainsi la réalité
économique sur la forme juridique de l'opération (substance over form).

Il existe donc des différences de comptabilisation pour un même événement suivant le


référentiel comptable adopté. La pratique comptable est donc différente dans l'espace.

Autre exemple, le cas des provisions pour retraite. Il y a quelques années en France,
leur comptabilisation et leur inscription à l'annexe n'étaient pas exigées. Maintenant,
les entreprises doivent mentionner dans l'annexe de leurs états financiers les
engagements qu'elles ont pris envers leurs salariés et il est possible (mais pas
obligatoire pour l'instant) de faire apparaître au passif du bilan ces engagements par le
biais de provisions pour retraites. Cet exemple montre que la pratique comptable
évolue dans le temps pour une même catégorie d'entreprise.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 4
5

Ces deux exemples illustrent le fait que la comptabilité est contingente c'est-à-dire
qu'elle est fonction d'un certain nombre de facteurs ou variables qui vont l'influencer.
L'objectif de cette première partie va donc être de présenter ces différents facteurs
qui influencent la comptabilité et d'en déterminer l'impact sur l'information comptable
diffusée par les entreprises. Ces deux sections devront vous permettre d'avoir un regard
critique sur la comptabilité pratiquée en France.

SECTION 1 : LES FACTEURS INFLUENCANT LA COMPTABILITE

Cette première section a pour objet d'identifier les différents facteurs qui influencent
la comptabilité ce qui permettra dans la deuxième section de comprendre pourquoi et
comment la comptabilité est affectée par ces facteurs. Les facteurs influençant la
comptabilité sont de deux ordres :

- d'une part, les facteurs qui sont liés à l'environnement particulier d'un pays ou
d'une région, ce sont donc des facteurs d'ordre culturel, historique et économique
pour l'essentiel, auxquels il faut ajouter le rôle joué par les différents acteurs
(marchés financiers, organisations professionnelles…) ;

- d'autre part, les facteurs qui sont liés au fonctionnement des organismes de
normalisation et par conséquent au processus de normalisation comptable adopté par
les différents pays.

Ces facteurs environnementaux et organisationnels vont être étudiés successivement.

I. L'INFLUENCE DES FACTEURS ENVIRONNEMENTAUX SUR LA COMPTABILITE

L'étude de l'influence des facteurs environnementaux sur la comptabilité se


décomposera en deux étapes permettant :

- dans un premier temps, d'identifier ces différents facteurs (analyse générique) et


ainsi comprendre pourquoi différents pays peuvent adopter des comptabilités ayant
des finalités différentes ;

ManuelTheories Comptables-01Dec10 5
6

- dans un deuxième temps, d'analyser de manière plus précise les facteurs


influençant la comptabilité française et donc les finalités ou objectifs qui sont
assignés à l'information financière et comptable française.

1. Identification des facteurs et de la finalité de l'information financière et


comptable

Pour identifier les facteurs influençant la comptabilité et l'information financière et


comptable, il sera fait référence aux travaux de LUDER[4]. Selon cette approche
théorique, toute évolution ou toute caractéristique du système d'information
comptable est nécessairement contingente aux facteurs historiques et culturels. Cette
approche contingente postule qu'il existe une relation entre :

- les variables définissant le contexte national, c'est-à-dire l'environnement et,

- la finalité du système d'information comptable.

En adaptant les travaux de LUDER au cas des entreprises, il est possible d'identifier
trois finalités de l'information financière et comptable :

1. L'information du public : la comptabilité est considérée comme un moyen pour


fournir au public, c'est-à-dire les tiers, les actionnaires, les marchés financiers… une
information fiable sur l'ensemble de la situation financière de l'entreprise.

2. L'information de type légaliste : la comptabilité est alors considérée comme un


moyen de preuve entre commerçants ou à l'égard d'autres tiers (organismes officiels,
associés…) (position du droit français) et, à ce titre, doit retranscrire l'ensemble des
engagements juridiques de l'entreprise. Au sein de cette information légaliste, on peut
également inclure l'information macroéconomique destinée à l'Etat pour l'établissement
des comptes de la nation. Suivant cette conception de l'information, la finalité de la
comptabilité des entreprises est de fournir des informations pour pouvoir élaborer des
indicateurs juridiques comme le bénéfice distribuable aux associés ou le bénéfice

ManuelTheories Comptables-01Dec10 6
7

taxable à l'impôt (dans ce cas, la comptabilité est parfois assimilée à un instrument au


service du fisc et de l'information, fiscale).

3. L'information des gestionnaires : dans ce cas, la comptabilité doit fournir des


informations pour la gestion. En France, cette catégorie d'information fait référence à
la comptabilité de gestion ou analytique.

Quant aux variables définissant le contexte national, elles sont également au nombre
de trois :

1. L'importance relative des tiers, des actionnaires des marchés financiers, de l'Etat et
des gestionnaires internes. Par exemple, aux Etats-Unis, les marchés financiers et les
actionnaires sont comparativement plus importants que les autres utilisateurs et
influencent ainsi la finalité des informations financières et comptables en fonction de
leurs propres besoins. En France, la situation est plus complexe puisqu'il faut faire la
distinction entre les comptes sociaux qui ont une finalité juridique et fiscale
importante, et les comptes consolidés qui retiennent une optique plus économique
orientée vers l'information des actionnaires et des marchés financiers.

2. La place de la comptabilité au sein du droit. Cette deuxième variable s'intéresse au


système légal qui fait référence soit au système de droit écrit des pays latins et
germaniques (d'une manière générale les pays continentaux ayant adopté le Code
Napoléon), soit au système anglo-saxon de droit coutumier. Le système des pays de
droit écrit se caractérise par un ensemble détaillé et complet de lois, tandis que, dans
le deuxième système, les lois ont une portée plus générale. Ceci a pour conséquence
que :

- dans les pays de droit écrit, les lois encadrent les systèmes comptables qui
tendent à être plus unifiés mais moins flexibles puisqu'il faut mettre au point une
nouvelle législation pour que les changements soient adoptés,

- dans les pays de tradition anglo-saxonne, il existe une uniformité relativement


moins importante ce qui est à l'origine de pression pour faire évoluer le système vers

ManuelTheories Comptables-01Dec10 7
8

une plus grande uniformité. Les innovations du système comptable sont donc plus
fréquentes dans ce type d'environnement.

3. Enfin, la troisième variable intègre le rôle et l'influence des professionnels de la


comptabilité et de l'audit sur le développement des normes comptables. C'est ainsi que
dans les pays anglo-saxons la profession comptable est en charge de la normalisation
comptable tandis qu'en France et pour la majorité des pays européens continentaux,
c'est l'Etat qui est en charge de la normalisation comptable (les professionnels de la
comptabilité ou de l'audit sont associés au processus de normalisation mais n'en ont pas
la maîtrise).

L'ensemble de ces variables caractérisant le contexte permet de classer les systèmes


d'information comptable dans une matrice.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 8
9

Figure 2 : Les systèmes d'information financiers et comptables et leurs finalités

Cette matrice met en évidence les relations qui existent entre la finalité de
l'information financière et comptable (en direction des tiers, des gestionnaires ou de
l'Etat) et les différentes variables orientant ou influençant ces finalités. C'est ainsi que
les pays ayant une codification de la comptabilité par la loi importante et une faible
influence des organismes professionnels auront une comptabilité plutôt orientée vers
une information de type macroéconomique et juridique. C'est le cas de la France avec
les comptes sociaux mais aussi de l'Allemagne par exemple.

En revanche, les pays ayant une comptabilité faiblement codifiée par la loi et une forte
influence des organismes professionnels auront une comptabilité plutôt orientée vers
une information financière externe. C'est le cas par exemple des Etats-Unis et d'une
manière générale des pays anglo-saxons. Par conséquent, les facteurs
environnementaux influencent la finalité des états financiers et comptables (et donc de
l'information qu'ils véhiculent) et cette finalité conditionne les principes comptables en
vigueur.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 9
10

Figure 3 : L'influence des facteurs sur la finalité de l'information et les principes


comptables

Cette analyse des facteurs environnementaux va être approfondie et se focaliser sur le


cas de la France.

2. Analyse des facteurs influençant la comptabilité des entreprises françaises

Cette analyse des facteurs influençant la comptabilité des entreprises françaises se fera
en deux temps en présentant :

- l'influence des facteurs historiques et culturels sur la comptabilité française,

- puis l'influence des acteurs du système sur le développement de la normalisation


comptable.

a.. L'influence des facteurs historiques et culturels

Cette influence des facteurs historiques et culturels peut être analysée à travers trois
aspects : la place de la comptabilité au sein du droit, la place de l'Etat dans le
processus de normalisation et l'impact de la fiscalité sur le développement et
l'application de la norme comptable.

 La place de la comptabilité au sein du droit

Il est possible de relever la présence de livres de comptes dès le XVIIe siècle en


France, une ordonnance de 1673 sous le règne de Louis XIV[5] exigeant la tenue
de comptes pour les marchands et commerçants français. Toutefois, l'entrée
de la comptabilité au sein du droit commercial se fait plus tardivement en
1807 avec la création du code de commerce par Napoléon.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 10
11

Le Code napoléonien réglemente les registres obligatoires (grands livres, livres


d'inventaire, bilans). Il ne peut toutefois pas être considéré comme un
ensemble de règles et normes comptables, mais il définit les obligations
comptables minimales que les commerçants doivent respecter. Ces obligations
comptables seront renforcées, par la suite, par le biais de lois sur les sociétés
et par un mouvement en faveur de l'harmonisation des bilans.

C'est le début de la normalisation, avec, en 1903, la publication par Eugène


LEAUTEY d'une brochure sur "L'unification des bilans des sociétés par
actions[6]".

Dans son ouvrage "La normalisation comptable au service de l'entreprise, de la science


et de la nature", André BRUNET, professeur au CNAM, développe excellemment
l'historique de ces tentatives françaises de normalisation comptable et s'exprime ainsi
sur l'auteur du bilan "rationnel et intégral" : "Par la largeur de ses vues qui lui permet
de dégager les aspects fondamentaux du problème, Eugène LEAUTEY doit être
considéré comme le véritable précurseur de la normalisation comptable moderne"[7].

De même, en 1919, l'obligation est faite à toutes les sociétés de déposer leurs comptes
au registre du commerce. La comptabilité devient petit à petit une obligation légale
réglementée par des dispositions d'ordre légal (lois, décrets, arrêtés).

Ainsi, le décret-loi du 30 octobre 1935 impose les premières mesures qui tendent à
normaliser[8] la présentation des bilans et de comptes de pertes et profits qui "doivent
être établis chaque année dans la même forme que les années précédentes" et qui
précisent :

- que "les méthodes d'évaluation des divers postes doivent être immuables",

- que le compte de pertes et profits "doit exprimer sous des rubriques distinctes les
profits ou les pertes de provenances diverses".

ManuelTheories Comptables-01Dec10 11
12

Ce phénomène de légalisation de la comptabilité a été accentué au cours des années


1980 avec :

- l'introduction des directives européennes sur la comptabilité au sein de la


législation française (loi du 30 avril 1983 introduisant la 4e directive sur les comptes
individuels[9] et du 3 janvier 1985 introduisant la 7e directive sur les comptes
consolidés[10]) ;

- l'introduction des plans comptables dans la loi comptable (arrêté du 30 avril 1982
réformant le PCG français en tenant compte de la 4e directive européenne).

En conséquence, contrairement aux pays de droit coutumier (common law), la


comptabilité française s'insère dans une tradition légaliste très forte. Cela ne signifie
pas pour autant que dans les faits les dispositions n'ayant pas de force ne sont pas
utilisées par les entreprises françaises (voir infra, le rôle de la doctrine comptable),
mais que seules les dispositions d'ordre légal ont une force obligatoire.

 La place de l'Etat dans le processus de normalisation

Si la place de la comptabilité au sein du droit est une donnée importante, il en va de


même concernant le rôle joué par l'Etat sur le développement de la normalisation
comptable. Cette mainmise de l'Etat sur le développement de la normalisation
comptable s'est faite à travers la création d'organismes chargés de la réglementation
comptable, à savoir pour la France, la commission interministérielle du plan comptable
en 1941 (sous l'occupation), qui sera remplacée par :

- la commission de normalisation des comptabilités par décret n° 46619 du 4 avril


1946. Sa mission est de proposer un PCG, d'étudier ses modalités d'application et de
formuler des vœux en faveur des exploitations agricoles et l'établissement d'une
comptabilité économique nationale ;

- et le conseil supérieur de la comptabilité (CSC) par le décret n° 47-188 du 16


janvier 1947. Sa mission est de surveiller et coordonner l'élaboration des plans

ManuelTheories Comptables-01Dec10 12
13

comptables professionnels à établir dans le cadre du PCG, de coordonner les travaux


des différentes commissions (4), de maintenir l'intérêt économique de ces diverses
comptabilités en proposant au gouvernement les moyens de les rendre aptes à établir
une future comptabilité nationale et de procéder à toutes études relatives à
l'enseignement, à l'amélioration des techniques de la comptabilité et de l'organisation
comptable.

Le décret n° 57-129 du 7 février 1957 institue, sous l'autorité du ministre chargé des
affaires économiques, le conseil national de la comptabilité (CNC). Il se substitue à la
commission de normalisation des comptes et au CSC. Le CNC a été par la suite modifié
et élargi en 1964 et récemment en 1996 (cf. infra).

Ces organismes de normalisation font partie du ministère de l'Economie et des Finances


et sont gérés par des fonctionnaires publics. Le rôle de l'Etat est donc important.

Le rôle de ces organismes de normalisation a été, pour l'essentiel, d'élaborer un plan


comptable général et des adaptations sectorielles. La France a initié ce mouvement en
1947[11] avec la création du Plan comptable général (PCG) par le conseil supérieur de la
comptabilité[12]. Ce plan n'était pas obligatoire et était composé d'une liste de comptes
et d'une description du bilan et du compte de résultat :

Le plan comptable n'est ni loi, ni corps de doctrine officiel ; il tire son


autorité du consentement et de l'approbation de ses utilisateurs. Il était
naturel que le CSC soucieux des besoins des usagers, attentif au progrès de
la science comptable, s'efforçât de proposer, quand il lui semblerait
opportun, les modifications nécessaires"
(François-Louis CLOSON, introduction au Plan comptable général, Paris,
Imprimerie nationale, 1957).

Il ne nous paraît pas souhaitable d'imposer actuellement l'application générale (d'un


plan). En effet, si le plan proposé est bon, il sera tout naturellement adopté par la
plupart des techniciens. Plus tard, on pourra envisager, la preuve étant faite de sa
valeur pratique réelle, de le rendre et dans ses grandes lignes seulement obligatoire.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 13
14

(Paul BOURG, Le chef comptable, mars 1946, p. 16).

Le plan de 1947 ne comportait pas de principes comptables[13]. En ce sens, on peut dire


que l'harmonisation se fait au niveau de la forme des comptes (choix des libellés de
postes et forme des comptes annuels) mais pas tellement sur le fond[14]. Ce premier
plan français a été par la suite remplacé par celui de 1957 créé par le CNC.

Le PCG de 1957 n'a toujours aucune force obligatoire (il n'est pas inséré dans le code de
commerce, ni ne fait l'objet d'une loi ou d'un décret). Le plan comptable français de
1957 est plus complet que celui de 1947 car certaines règles et principes sont précisés,
il ne peut toutefois pas se comparer à un cadre conceptuel[15].

En conséquence, la normalisation comptable en France est exclusivement le fait de


l'Etat qui tient à conserver ce rôle, la comptabilité des entreprises s'inscrivant, en fait,
comme un sous-produit de la comptabilité nationale :

Un plan comptable sera toujours établi pour faciliter les travaux statistiques des
pouvoirs publics (administrations financières ou fiscales, ministère de l'Economie,
Comités d'organisation ou offices professionnels).[16]

Le plan comptable français de 1982 ne modifie pas cette vision de la comptabilité au


service de l'Etat, même si naturellement l'information financière et comptable est aussi
orientée en direction des actionnaires et des investisseurs, rôle qui s'est accru avec le
développement des marchés boursiers. Malgré tout, la comptabilité demeure un
instrument de contrôle et d'action économique pour l'Etat (par le biais principalement
des dispositions fiscales).

 L'impact de la fiscalité sur le développement et l'application de la norme


comptable

Le rôle de la fiscalité sur le développement de la comptabilité constitue le troisième


facteur influençant la comptabilité des entreprises, la séparation entre la comptabilité
et la fiscalité ne semblant toujours pas être à l'ordre du jour en France.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 14
15

Cette influence de la fiscalité a émergé en France en 1920, suite à l'adoption de la loi


1917[17] sur l'impôt sur les bénéfices. En effet, comme il n'existait pas de règles
comptables établies pour calculer le bénéfice comptable, celui-ci a été déterminé par
les règles fiscales. L'emprise de la loi fiscale sur la comptabilité sera malgré tout plus
importante à partir de 1965, date à laquelle la loi de finance (loi fiscale) rend
obligatoires les dispositions du PCG de 1957 pour le calcul du bénéfice imposable, et les
imprimés fiscaux reprennent fidèlement le plan de comptes défini par le PCG de 1957 :

Le premier rapprochement fiscal-comptable est venu en 1958-1959 dans le cadre de la


révision des bilans. Les avantages fiscaux étaient subordonnés à la production d'un
bilan conforme dans ses grandes lignes au Plan de 1947-1957. L'article 55 de la loi du
28 décembre 1959 prévoyait une application progressive du Plan comptable dans un
délai de 5 ans. Mais c'est le décret du 28 octobre 1965 pris en application de la loi du
12 juillet 1965 qui a imposé aux entreprises placées sous le régime du bénéfice réel,
la rédaction d'annexes standardisées conformes dans leur ensemble aux règles et à la
nomenclature du Plan comptable.[18]

Ceci explique pourquoi le PCG de 1957, bien que non obligatoire (il ne fait pas l'objet
d'une disposition légale le rendant obligatoire), ait été, dans les faits, suivi par
l'ensemble des sociétés et entreprises françaises. L'influence de la fiscalité sur la
comptabilité s'est également fait ressentir sur le contenu des normes puisque pour
bénéficier des avantages fiscaux (par exemple amortir un bien sur une durée plus
courte que sa durée de vie économique), les entreprises sont obligées de l'enregistrer
dans leurs comptes (dans l'exemple de l'amortissement fiscal, le surplus
d'amortissement devra être inscrit dans les comptes de l'entreprise en tant
qu'amortissement dérogatoire pour ouvrir droit à déduction au niveau du calcul du
résultat fiscal). Par conséquent, la comptabilité en France est pour partie contrainte
par des aspects fiscaux et à ce titre ne reflète pas la situation économique et
financière réelle de l'entreprise.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 15
16

Ce constat doit être relativisé suivant que l'on considère les comptes individuels ou les
comptes consolidés. En effet, seuls les comptes individuels servent de base pour le
calcul de l'impôt, par conséquent, seuls ces derniers intègrent des aspects fiscaux
étrangers à l'activité de l'entreprise. En revanche, les comptes consolidés font
abstraction des données fiscales par retraitement des comptes individuels et, à ce
titre, peuvent être considérés comme reflétant plus fidèlement l'information financière
et comptable du groupe.

Résumé :

La comptabilité française semble être influencée par différents facteurs ayant trait :

- à l'importance de la législation, faisant de la comptabilité une comptabilité


légaliste ;

- à l'importance des décisions étatiques sur le processus de normalisation ;

- à l'importance de la fiscalité sur la comptabilité tout spécialement pour les petites


entreprises, car les groupes, par le biais des comptes consolidés, sont moins touchés
par les dispositions fiscales.

Pour bien comprendre le développement de la normalisation, il est également


nécessaire de prendre en compte un autre élément, celui des acteurs du système
(organismes professionnels, associatifs, etc.) qui gravitent autour des organismes de
normalisation.

b.. L'influence des acteurs sur le développement de la normalisation comptable

En France, la normalisation comptable est le fait d'un organisme de normalisation, le


conseil national de la comptabilité (CNC). Toutefois, le rôle de cet organisme ne peut
se comprendre sans considérer les autres organisations ou acteurs pouvant intervenir
dans le processus de normalisation de manière directe ou indirecte. C'est le cas, en
particulier, des organisations professionnelles ou associatives, de l'influence des

ManuelTheories Comptables-01Dec10 16
17

marchés financiers ou bien encore du rôle de l'Europe dans le développement de


nouvelles normes.

 Le rôle des organisations professionnelles ou associatives comptables

En France, la profession comptable est composée d'experts-comptables et de


commissaires aux comptes[19].

Figure 4 : L'organisation de la profession comptable en France

L'Ordre des experts-comptables (OEC) regroupe l'ensemble des experts-comptables


exerçant à titre libéral[20] et, à ce titre, définit et doit faire respecter la déontologie de
la profession. Mais au-delà de cette première fonction, l'OEC est également amené à
répondre aux difficultés rencontrées par ses membres dans l'exercice de leur fonction
et à mener des actions de formation en direction des professionnels. L'OEC a ainsi été
amené à se prononcer sur certaines dispositions comptables. Il édite deux revues[21] et
publie des livres, des monographies, des études sur des aspects particuliers de la
profession comptable.

La Compagnie nationale des commissaires aux comptes (CNCC) a une action orientée
vers l'audit et plus particulièrement vers la réglementation de la profession d'auditeur
(définition et respect de la déontologie). La CNCC s'occupe de la déontologie de la
profession, répond aux questions liées à la pratique comptable, prend position à travers
sa revue (Le bulletin trimestriel des commissaires aux comptes) et des notes

ManuelTheories Comptables-01Dec10 17
18

d'information, elle a également en charge la définition des règles d'audit et à ce titre


doit être considérée comme l'organisme de normalisation pour l'audit.

Par conséquent, l'organisation et la gestion de la profession en France ont des


répercussions sur les domaines de normalisation comptable et d'audit comme le résume
le tableau suivant.

Tableau 1 : Organismes en charge de la normalisation

NORMALISATION COMPTABLE NORMALISATION DE L'AUDIT

Organismes officiels
CNC (France)

Organismes dont les avis permettent d'établir la doctrine comptable


CRC - Comité de réglementation comptable (France)

Références étrangères en cas de lacunes des dispositions nationales (1)


FASB (Financial Accounting Standards Board)
(Etats-Unis)
IASC - International Accounting Standards Committee Organismes officiels
CNCC (France)

Organismes dont les avis permettent d'établir la doctrine d'audit


CNCC (France)

(1) Cela peut poser des difficultés en particulier lorsque les dispositions de ces
organismes de normalisation internationaux ou étrangers adoptent des dispositions
qui peuvent aller à l'encontre des règles nationales. Voir en ce sens la deuxième
partie sur la fonction du comité de réglementation comptable.

Dans la suite de ce cours, le rôle du CNC sera traité de manière plus approfondie.
Toutefois, il est possible de remarquer dès à présent les interactions fortes existant

ManuelTheories Comptables-01Dec10 18
19

entre les organismes professionnels et les organismes de normalisation, démontrant que


si en apparence il existe une séparation nette entre les domaines de compétence, dans
les faits, le processus de normalisation associe les organismes professionnels.

 L'influence des marchés financiers

L'influence des marchés financiers joue également un rôle important sur le


développement de l'information financière et comptable. Cette influence est toutefois
récente en France et doit être reliée au développement des places boursières et
l'avènement de la désintermédiation financière. En effet, le rôle des banques dans le
financement des besoins financiers des entreprises a été pendant longtemps
prédominant (et il demeure le seul moyen de financement pour les PME). Ce
phénomène n'a pas favorisé le développement de l'information financière puisque les
banques, contrairement aux marchés financiers, peuvent se satisfaire de données
comptables et financières plus succinctes en raison de leur connaissance de la situation
économique locale, d'une plus grande proximité avec l'entreprise et des garanties
qu'elles prennent. Ceci explique, pour partie, que la comptabilité des entreprises a tout
d'abord été orientée vers l'information en direction du fisc (le point précédent ayant
mis en évidence les fortes incitations émises par les organismes fiscaux), plutôt qu'une
information orientée vers les tiers investisseurs.

Il apparaît donc nécessaire de scinder l'information financière et comptable publiée par


les grands groupes ou entreprises ayant accès au marché financier et devant, de ce
fait, fournir une information permettant aux investisseurs d'évaluer la situation
financière, de celle publiée par les petites entreprises beaucoup plus orientée vers
l'information en direction du fisc.

Cette influence des marchés financiers s'exerce au niveau national par le biais
d'organismes comme la COB (commission des opérations de bourse), qui organisent la
régulation des marchés boursiers et réglementent les informations qui sont diffusées.
Ces organismes sont également associés aux travaux des organismes de normalisation

ManuelTheories Comptables-01Dec10 19
20

comptable et peuvent, par ce biais, introduire de nouvelles normes comme la


publication des comptes prévisionnels.

L'influence des marchés financiers s'exerce également à un niveau international en


particulier pour les entreprises cotées sur des places boursières étrangères et qui, à ce
titre, sont amenées à respecter les normes comptables en vigueur sur ces places
boursières. Cela a conduit certains groupes français à publier des comptes respectant
les normes comptables émises par le FASB (Financial Accounting Standards Board :
organisme de normalisation américain pour le secteur privé) ou l'IASC (International
Accounting Standard Commitee : organisme de normalisation international), pouvant
générer des difficultés dans la mesure où ces normes ne font pas toujours partie de la
réglementation comptable française.

Il apparaît donc, indépendamment des problèmes de comptabilité des normes, que la


mondialisation des marchés de capitaux conduit à modifier la pratique financière et
comptable des grands groupes et par là-même introduit au sein de la réglementation
nationale française des normes comptables internationales (IASC) ou étrangères (FASB).

Cette influence internationale et américaine est la conséquence de la mondialisation


des marchés de capitaux et de l'économie ce qui l'en distingue de l'influence des
normes européennes correspondant à une volonté politique associée à un projet
économique.

 L'influence de l'Europe

L'Europe a indéniablement eu une influence sur la normalisation comptable française


par le biais des directives européennes qui ont été introduites dans la législation
nationale. Elles ont été à l'origine de la réforme du PCG de 1982. Toutefois, la mise en
œuvre des 4e et 7e directives européennes ne signifie pas pour autant qu'au niveau de
l'Europe les normes comptables soient harmonisées. En effet, les directives sont le
résultat d'un processus de concertation, et à ce titre, elles incluent des options ou des
choix dans les traitements comptables des opérations qui ont pu être repris ou non dans

ManuelTheories Comptables-01Dec10 20
21

les législations nationales. Il existe donc des différences dans le choix des options au
niveau européen, même si elles peuvent être considérées comme mineures, qui sont le
fait d'adaptations nationales et qui démontrent que, s'il est possible de définir un cadre
de normalisation commun à plusieurs pays, la mise en œuvre de ce cadre génère des
divergences d'application.

Par conséquent, est-ce que l'harmonisation comptable du fait d'une volonté politique
(la création de l'Europe) aura à terme un succès plus faible que l'harmonisation
comptable du fait de la mondialisation des marchés (par référence aux cas d'adoption
des normes de l'IASC ou du FASB par des entreprises française) ?

Pour pouvoir répondre à cette question, il faudrait pouvoir se projeter dans le temps.
Toutefois, on peut apporter quelques éléments de réflexion sur l'harmonisation
comptable. En tout premier lieu, l'Europe comptable, si elle se fonde sur une volonté
politique, est également adossée à une volonté et à une réalité économique d'échange.
En second lieu, les directives européennes ont eu un impact sur l'ensemble des
entreprises de taille moyenne ou grande[22], alors même que les normes de l'IASC ou du
FASB pour l'instant n'ont d'impact que sur la pratique des groupes internationaux cotés
ou faisant appel à l'épargne publique sur différentes places boursières[23].

Les directives européennes ont donc un impact plus large, car le critère économique de
la mondialisation pour harmoniser les positions comptables ne concerne que les grands
groupes alors que la volonté politique étend les critères ou normes comptables à un
ensemble plus large d'entreprises, n'ayant pas forcément accès aux marchés financiers.
L'harmonisation internationale des positions en terme de traitement comptable des
événements d'une entreprise est donc un besoin émis essentiellement par les
entreprises amenées à intervenir dans différents pays, mais elle ne pourra se réaliser
sans une volonté politique à l'instar de celle entourant les directives européennes sur la
comptabilité. Ceci démontre également, que le rôle des organismes nationaux de
normalisation est dépendant pour partie de volontés politiques émises par l'Etat
national ou l'Europe dans le cas de la France, mais aussi de contraintes économiques

ManuelTheories Comptables-01Dec10 21
22

internationales, d'échange d'idées et de pratiques comptables favorisant le


développement et l'adoption de nouvelles normes parfois en vigueur dans d'autres pays.

3.... Synthèse

La comptabilité française est influencée :

- historiquement par une forte codification par la loi et une forte influence de la
fiscalité,

- culturellement par une mainmise de l'Etat sur le processus de normalisation


comptable même si le CNC associe également les organismes professionnels,

- économiquement, par un développement récent des marchés de capitaux et la


désintermédiation financière ayant retardé la diffusion d'information pour les
investisseurs financiers.

Ces différents facteurs évoqués précédemment font que la finalité de la comptabilité


française est surtout orientée vers une information de type macroéconomique,
juridique et fiscale. Ce constat doit toutefois être nuancé puisque, si les comptes
sociaux ou individuels sont essentiellement orientés vers la production d'information
pour le fisc et servent de moyen de preuve entre commerçants, les comptes consolidés
pour leur part retiennent une approche beaucoup plus économique visant à informer les
investisseurs financiers.

Toutefois, la comptabilité n'est pas influencée par ces seuls facteurs


environnementaux, mais aussi par le fonctionnement des organismes de normalisation
comptable et donc du mode d'élaboration des normes comptables.

II..... LE FONCTIONNEMENT DU CNC ET LA REFORME COMPTABLE FRANCAISE

Schématiquement, on peut opposer deux catégories d'organismes de normalisation.


D'une part, ceux qui sont gérés par des organismes professionnels, c'est le cas par
exemple aux Etats-Unis avec le FASB (Financial Accounting Standards Board) et d'autre

ManuelTheories Comptables-01Dec10 22
23

part, ceux qui sont gérés par des Etats comme c'est le cas en France avec le CNC qui est
sous la tutelle du ministère de l'Economie et des Finances. Les normes comptables
suivront un mode d'élaboration différent suivant le mode de gestion de ces organismes
de normalisation et leur fonctionnement interne. Dans le cadre de ce cours, il ne sera
toutefois pas possible de faire une analyse comparative des différents modes
d'élaboration des normes comptables pour en mesurer l'incidence sur la
normalisation[24].

En revanche, il est tout particulièrement intéressant d'analyser la réforme comptable


initiée en France au cours de l'année 1996. En effet, le processus de normalisation en
France est en pleine mutation puisque le décret du 26 août 1996 a réformé les missions
et la composition du CNC en profondeur, et qu'une loi a été adoptée par le Parlement,
visant à créer un nouvel organisme en charge de l'adoption des normes comptables, le
comité de réglementation comptable (CRC). Ce point abordera les objectifs de cette
réforme, les moyens mis en œuvre et les avantages et inconvénients de cette nouvelle
organisation.

1.... Les objectifs de la réforme

La réforme française du processus de normalisation répond à deux grands besoins :

- en premier lieu, pouvoir satisfaire les exigences des grands groupes français cotés
ou faisant appel public à l'épargne sur des places étrangères souhaitant établir leurs
comptes consolidés suivant des référentiels comptables différents de celui en vigueur
en France (il s'agit des normes de l'IASC et du FASB) ;

- en second lieu, uniformiser et harmoniser le droit comptable français par des


dispositions plus détaillées et plus contraignantes en créant un organisme chargé de la
réglementation comptable aussi bien pour les entreprises commerciales que pour les
établissements de crédits et les compagnies d'assurance. Seules seraient exclues du
champ de compétence de ce comité les entités publiques relevant de la comptabilité
publique.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 23
24

Par conséquent, les objectifs de cette réforme sont d'adapter les normes comptables
françaises en tenant compte de la globalisation de l'économie et des marchés de
capitaux, et de fournir un cadre comptable plus cohérent pour l'ensemble des entités
du secteur privé en octroyant le pouvoir de réglementation comptable à un seul
organisme.

Plus précisément, concernant la dérogation aux normes comptables françaises pour les
groupes internationaux, ceci correspond à une prise en compte d'un état de fait
puisqu'en France, "une quarantaine de groupes déclarent utiliser soit les normes
françaises et celles de l'IASC, soit les normes françaises et celles du FASB, soit, enfin,
des principes internationaux sans autre précision ni référence aux normes
nationales[25]". Il apparaît donc qu'un nombre limité de groupes souhaite publier leurs
états financiers en faisant référence à des normes internationalement reconnues plutôt
qu'à des normes nationales.

Ce comportement peut se comprendre au regard de la mondialisation des marchés de


capitaux et aux difficultés à afficher des résultats financiers différents suivant les
référentiels utilisés, mettant en cause la sincérité et la crédibilité des comptes
diffusés. Dans ces conditions, ces groupes souhaitent pouvoir publier un seul jeu de
comptes reconnu à un niveau international (IASC ou FASB). Au niveau de la France, cela
suppose la mise en place de dérogations aux règles comptables nationales pour ces
groupes tout en faisant en sorte que ces sociétés françaises respectent la 7e directive
européenne. Par conséquent, le problème du choix du référentiel comptable le mieux
adapté pour les groupes côtés ou faisant appel public à l'épargne sur des places
étrangères est à la fois un problème national (en l'occurrence ici la France) et européen
(conformité des règles internationales ou étrangères aux dispositions des directives
européennes).

Pour le secrétaire général du CNC[26], une modification des normes nationales et


européennes pour répondre aux besoins des groupes côtés ou faisant appel public à
l'épargne sur des places étrangères, n'est pas une solution satisfaisante étant donné que

ManuelTheories Comptables-01Dec10 24
25

les besoins de ces groupes ne correspondent pas aux besoins des autres entreprises ni
n'intègrent les contraintes juridico-économiques nationales[27]. Dans ces conditions, le
choix de la France s'est porté sur un système dérogatoire s'organisant autour de trois
principes[28] :

- les groupes faisant appel à l'épargne sur des marchés de capitaux étrangers,
établissant des comptes consolidés, seraient autorisés à publier des comptes
consolidés établis suivant des normes internationales, sous des conditions à définir ;

- ils seraient en même temps dispensés de publier des comptes consolidés


"nationaux" afin de ne pas risquer de créer des malentendus ou des confusions dans
leur communication financière ;

- les comptes individuels des sociétés composant le groupe continueraient à être


établis suivant les normes nationales dont relèvent ces sociétés.

Concernant l'harmonisation et la cohérence du droit comptable français, correspondant


au deuxième objectif de la réforme, il s'agit de renforcer les pouvoirs réglementaires
des organismes de normalisation tout en unifiant le processus de normalisation
comptable applicable aux entreprises industrielles et commerciales, aux banques et
aux compagnies d'assurance. Cet objectif a pour finalité de renforcer les pouvoirs de
normalisation du CNC pour l'élaboration des normes comptables et de rendre ces
normes comptables obligatoires pour les entreprises par leur adoption par le CRC, le
Comité de réglementation comptable.

Cet objectif a nécessité de prendre un grand nombre de précaution ce qui s'est traduit
par un processus de réforme relativement lent (le CNC dès le début des années 1990 a
souhaité une réforme du processus de normalisation comptable) et associant des
instances politiques pour l'adoption des normes comptables (souci du respect de la
Constitution).

Pour bien comprendre ce besoin de réforme, le graphique suivant schématise


l'évolution du CNC depuis sa date de création en 1957 et les modifications intervenues

ManuelTheories Comptables-01Dec10 25
26

depuis le début des années 90 tendant à réformer l'organisation du CNC (voir figure 5
page suivante).

Il s'avère donc que cette réforme du processus de normalisation met en jeu des
contraintes économiques, financières et juridiques parfois antagonistes. Ceci explique
pourquoi la réforme française est en fait multiple car elle s'est opérée à plusieurs
niveaux comme cela va être exposé à présent.

2.... Les moyens de la réforme

La réforme comptable se décompose en deux étapes :

- d'une part, le décret du 26 août 1996 réformant le CNC ;

- et d'autre part, l'adoption de la loi créant le CRC (comité de réglementation


comptable).

Cette procédure en deux étapes vise à améliorer l'efficience et l'efficacité du CNC, à


augmenter le pouvoir réglementaire du CNC à travers le CRC et à harmoniser les
dispositions prises en matière comptable.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 26
27

Figure 5 : Evolution de l'organisation du CNC[29]

a.. La réforme du CNC

Le décret du 26 août 1996 instaure une réforme du CNC ayant pour objet d'établir ses
missions et de réformer son fonctionnement. Concernant les missions du CNC, il est en
charge d'émettre dans le domaine comptable des avis et recommandations concernant
l'ensemble des secteurs économiques. Plus spécifiquement, ses missions s'organisent
autour de 4 pôles dont les deux premiers sont novateurs par rapport aux dispositions
antérieures régissant le CNC (article 2), tandis que les deux suivants reprennent les
dispositions préexistantes :

- Le CNC donne un avis préalable sur toutes les dispositions d'ordre comptable,
qu'elles soient d'origine nationale ou communautaire, étudiées par les administrations
ou services publics, les commissions ou comités créés à l'initiative des pouvoirs

ManuelTheories Comptables-01Dec10 27
28

locaux, notamment le comité de réglementation bancaire et financière (CRBF) et la


commission de la réglementation du conseil national des assurances, et les organismes
contrôlés directement ou indirectement par l'Etat. Le rôle du CNC en tant
qu'organisme normalisateur est donc renforcé puisqu'il est amené à donner un avis
préalable sur toutes les dispositions comptables. Ces avis devraient permettre de
rendre plus cohérentes les dispositions comptables des entités régies par la
comptabilité privée en faisant en sorte que toutes les normes comptables soient
examinées au préalable par le CNC. De plus, ces avis pourront être transmis au CRD
pour adoption en tant que règlement puis homologation par arrêtés interministériels
(cf. figure ci-après)

Figure 6 : Organisation du processus d'adoption des règlements comptables

- Le CNC donne un avis sur les normes élaborées par les organismes internationaux
ou étrangers de normalisation comptable. Cette mission s'insère dans la

ManuelTheories Comptables-01Dec10 28
29

problématique de la reconnaissance des normes comptables internationales ou


étrangères pour les groupes cotés ou faisant appel public à l'épargne sur des places
étrangères.

- Le CNC propose toutes mesures relatives à l'exploitation des comptes, soit dans
l'intérêt des entreprises et des groupements professionnels d'entreprises, soit en vue
de l'établissement des statistiques nationales ou des budgets et comptes économiques
de la nation.

- Le CNC assure la coordination et la synthèse des recherches théoriques et


méthodologiques, réunit toutes informations, procède à toutes études, diffuse toute
documentation relative à l'enseignement comptable, à l'organisation, à la tenue et à
l'exploitation des comptes.

Les missions du CNC ont été élargies pour atteindre les objectifs d'unification du droit
comptable (toutes les normes comptables établies par les organismes de normalisation
que sont le Comité de réglementation bancaire (CRB) et le conseil national des
assurances doivent être soumises au CNC[30]) et de possibilité de dérogation aux normes
nationales par le biais de la reconnaissance de référentiels internationaux ou étrangers.
Pour autant, est-ce que le CNC aura les moyens d'accomplir ces missions ? En effet, le
CNC a souvent été critiqué sur ce point : "La structure du CNC, le manque de moyens
de son secrétariat général et la recherche systématique d'un consensus ont été un frein
à l'efficacité du CNC"[31]. Pour remédier à ces difficultés de fonctionnement, le décret
du 26 août 1996 a été amené à réformer en profondeur le fonctionnement du CNC en
adoptant trois dispositions.

1. Le conseil sera composé de 58 membres, à comparer aux 117 membres


précédemment. Le président du conseil exercera à temps complet ses fonctions ( et
non plus à temps partiel). Il est nommé par arrêté du ministre chargé de l'économie
pour une durée de 6 ans renouvelables et il est rémunéré. Tous les autres membres du
conseil exercent leurs fonctions à titre bénévole pour une durée de 3 ans

ManuelTheories Comptables-01Dec10 29
30

renouvelables. Ces membres sont nommés par arrêté du ministre chargé de l'économie
en raison de leur appartenance à l'une des catégories suivantes (article 3) :

- Les 6 vice-présidents sont : le directeur de la comptabilité publique, le président


du conseil supérieur de l'OEC, le président de la CNCC, deux représentants des
entreprises et un représentant des associations ;

- 40 personnes compétentes en matière de comptabilité et représentant le monde


économique ;

- 11 représentants des pouvoirs publics.

Cette réduction du nombre de membres devrait permettre de prendre des décisions


plus rapides. De plus, les décisions ne seront plus prises selon le principe du consensus
mais à la majorité des voix, la voix du président étant prépondérante en cas de partage
égal des voix. Cette modification en apparence minime est en fait une réforme
importante qui aura une influence très grande sur le fonctionnement du CNC. En effet,
avec la méthode de l'adoption des normes comptables par consensus, le processus
d'élaboration et d'adoption des normes était très long et pouvait même, dans certains
cas, conduire à des impasses en l'absence de consensus. Les normes adoptées étaient
donc le résultat de concessions entre les différentes parties prenantes et pouvaient
générer des discussions et marchandages très nombreux. Par opposition, le nouveau
mode d'adoption des normes à la majorité des voix devrait pallier une partie de la
lenteur du processus due à ces longues discussions et permettre d'adopter des normes
non consensuelles, c'est-à-dire non soumises au marchandage des différentes parties
représentées au sein des instances délibératives.

2. Le renforcement des moyens matériels et humains du secrétariat général qui sera en


fait commun au CNC et au CRC. Le secrétariat général pourra être renforcé par le
recrutement de contractuels et est chargé, sous l'autorité du président, de la gestion
administrative du conseil, de la préparation et du suivi des travaux techniques ainsi que
de toute question qui pourrait lui être confiée (article 8). L'organisation du secrétariat

ManuelTheories Comptables-01Dec10 30
31

général est fixée par arrêté du ministre chargé de l'économie pris sur proposition du
président du conseil. Le rôle et les attributions du secrétariat général n'ont pas
beaucoup évolués et à ce titre il ne devrait pas y avoir de grandes différences par
rapport au fonctionnement actuel. Toutefois, il faut noter que le secrétariat général
sera commun au CNC et au CRC. Cela devrait favoriser le suivi administratif des normes
comptables mais aussi accroître le nombre de personnes mises à la disposition de ces
deux structures.

3. Enfin, la création d'un comité d'urgence constitue une innovation majeure. En


réalité, le conseil se réunira en assemblée plénière ou en sections (le champ de
compétence et les modalités de fonctionnement de ces sections seront précisés par le
règlement intérieur du CNC). Toutefois, lorsque le CNC doit se prononcer rapidement, il
pourra se réunir en comité d'urgence. Ce comité est composé de 11 membres
comprenant :

- le président du CNC,

- les 6 vice-présidents,

- le représentant du Garde des Sceaux (ministre de la Justice),

- le représentant du ministre chargé du budget,

- le représentant du président de la COB.

Ce comité est saisi par le président du CNC ou par le ministre chargé de l'économie de
toute question relative à l'interprétation ou l'application d'une norme comptable
nécessitant un avis urgent. Il doit statuer dans un délai maximum de 3 mois à compter
de la date de saisine. Les décisions du comité d'urgence prendront la forme d'avis. A cet
égard, le président du CNC a précisé lors d'un entretien que :

Ces avis ne seront pas transmis au CRC et ne seront donc pas des règlements. Ils
auront donc la même force doctrinale que les avis du CNC d'aujourd'hui. De même que
le FASB américain n'est pas ligoté par les décisions de son comité d'urgence (EITF), il

ManuelTheories Comptables-01Dec10 31
32

ne faudra pas considérer que les avis du comité d'urgence seront gravés dans le
marbre. Comme les avis du CNC d'aujourd'hui, ils seront source de droit tant qu'un
avis futur du CNC ne les aura pas infirmés. (BCF, 1996, p. 20, op. cité).

Ces avis auront donc une force supérieure aux recommandations sans pour autant avoir
une force légale en l'absence d'adoption de ces normes par le CRC (voir infra) :

La distinction entre avis et recommandations sera précisée dans le règlement


intérieur. Toutefois, d'ores et déjà, il est possible d'affirmer qu'un avis du CNC
exprimera la position officielle du conseil sur une question relevant de la
normalisation comptable, une recommandation du CNC donnera le sentiment du CNC.
En outre, une recommandation pourra couvrir des domaines autres que la
comptabilité générale, comme la comptabilité de gestion et les méthodes à utiliser
pour faire le lien avec la comptabilité générale. (BCF, 1996, p. 21, op. cité).

Le CNC avec cette nouvelle organisation devrait donc être à même de mener ses
missions plus rapidement qui se concrétiseront par la publication :

- d'avis adoptés par le conseil et qui pourront être soumis au CRC en vue d'adopter
un texte réglementaire,

- d'avis du comité d'urgence qui ne seront par transmis au CRC,

- de recommandations du CNC qui ne seront pas transmises au CRC.

Le rôle d'organisme préparateur des normes comptables du CNC est réaffirmé avec
cette réforme, sans pour autant que cette réforme attribue un pouvoir réglementaire
au CNC. La réforme comptable française a opté pour la création d'un nouvel organisme,
le CRC, possédant ce pouvoir réglementaire. Le CNC garde donc son rôle d'instance
consultative tandis que le CRC est institué en tant qu'instance décisionnelle.

b.. La création du CRC

Le CRC est composé de 15 membres (article 2) :

ManuelTheories Comptables-01Dec10 32
33

- 7 représentants de la puissance publique : le ministre de l'Economie (président du


CRC), le ministre de la Justice (vice-président), le ministre chargé du budget, le
président de la COB, un membre du Conseil d'Etat, un membre de la Cour des comptes
et un membre de la Cour de cassation ;

- le président du CNC :

- 7 professionnels membres du CNC : le président du conseil supérieur de l'OEC, le


président de la CNCC, trois membres du CNC représentant les entreprises et deux
membres représentant les organisations syndicales représentatives de salariés.

Si l'on compare les membres du CRC avec ceux du CNC, il apparaît que les membres du
CRC sont presque tous représentés au CNC. Il devrait donc exister une forte identité
dans les positions exprimées par le CRC et le CNC. Le rôle du CRC est d'adopter des
règlements en matière comptable qui s'appliqueront à l'ensemble des secteurs de la vie
économique, à l'exception des personnes morales de droit public soumises aux règles de
la comptabilité publique. Ces règlements sont adoptés à la majorité des voix, la voix du
président est prépondérante en cas de partage égal des voix (article 5.1). Ces
règlements du CRC doivent être précédés de l'avis du CNC (article 3).

Les règlements comptables du CRC doivent ensuite être homologués par arrêtés
conjoints du ministre chargé de l'économie, du ministre de la Justice et du ministre
chargé du budget. Dès leur homologation par arrêtés, ces règlements qu'il s'agisse de
prescriptions comptables générales ou le cas échéant de règles sectorielles (par
exemple des règles bancaires ou d'assurances) qui s'y ajoutent ou s'y substituent, ont
force obligatoire et s'appliquent à toute personne physique ou morale légalement
soumise à l'obligation de tenir une comptabilité en raison de son activité ou de son
objet social.

Par conséquent, la procédure d'adoption des normes comptables a maintenu un volet


d'adoption politique pour que ces normes comptables puissent être obligatoires. Les
dispositions comptables antérieures à la création du CRC continueront à être appliquées

ManuelTheories Comptables-01Dec10 33
34

"tant que le CRC n'aura proposé l'homologation de règlements les remplaçant ou les
modifiant. En revanche, le problème de la coexistence des textes anciens et nouveaux
(décret du 29 novembre 1983 et futurs arrêtés) devra être étudié. Une solution possible
consiste à proposer de déclasser en arrêtés certaines dispositions du décret a précisé le
nouveau président du CNC (BCF, 1996, p. 23; op. cité).

Le droit comptable reviendrait donc à l'initiative du CRC et du CNC puisque ces deux
organismes élaboreraient la plus grande partie des normes incluses dans le droit
comptable, mais la validation finale serait du ressort des instances politiques en
l'occurrence par le biais d'arrêtés interministériels.

Figure 7 : Distinction des normes comptables françaises suivant leur appartenance au


droit ou à la doctrine comptable

Droit comptable Doctrine comptable

- Loi du 30 avril 1983

- Décret du 29 novembre 1984

- Arrêtés interministériels - Avis et recommandation du CNC non


homologués par le CRC.

- Avis et recommandation de la CNCC, de l'OEC et de la COB.

La réforme comptable initiée en France n'a pas pu s'affranchir d'une validation


politique étant donné que c'est le seul moyen pour l'instant de rendre obligatoire une
norme comptable en raison des dispositions de la Constitution.

3.... Avantages et inconvénients

On peut noter que le processus d'adoption des normes est plus cohérent puisque toutes
les normes comptables sont soumises pour avis au CNC. De même, le CRC, chargé de la
transformation des avis du CNC en règlements, travaille en étroite collaboration avec le
CNC, et à la limite on pourrait considérer que le CRC est un comité restreint du CNC

ManuelTheories Comptables-01Dec10 34
35

puisque presque tous les membres du CRC sont représentés au CNC. Enfin, comme la
structure administrative du CNC et celle du CRC sont identiques (le secrétariat général
travaillera pour le compte des deux organismes), on peut supposer que les délais de
transmission et d'adoption seront très courts.

Au vu de ces remarques sur les liens très étroits unissant le CNC et le CRC, il est
possible de se demander s'il n'aurait pas été possible de regrouper en une seule
structure les compétences du CNC et du CRC. Cette optique n'a pas été privilégiée
semble-t-il pour une raison juridique, le CNC étant créé par un décret et le CRC par une
loi.

En résumé :

Le CNC est chargé de l'élaboration de la normalisation comptable des entreprises mais


non de celles des banques ou assurances élaborées respectivement par le comité de
réglementation bancaire et financière, et le conseil national des assurances.

En revanche, toutes les normes comptables émises par ces deux organismes (le Comité
de réglementation bancaire et financière et le Conseil national des assurances) devront
être soumises pour avis au CNC avant qu'elles ne puissent être transformées en
règlements par le CRC et par la suite être homologuées sous la forme d'arrêtés
interministériels.

Il s'ensuit donc que la norme comptable doit suivre un processus d'adoption


relativement complexe mais qui devrait garantir une plus grande cohérence dans le
droit comptable français.

III.... CONCLUSION/SYNTHESE

La France appartient aux pays de droit écrit. Cela a des incidences directes sur la
comptabilité et le processus d'élaboration des normes comptables. C'est ainsi que la
comptabilité est un instrument de preuve entre commerçants et de calcul de l'impôt
avant d'être une information financière en direction des marchés financiers. Toutefois,

ManuelTheories Comptables-01Dec10 35
36

ce constat doit être relativisé depuis une dizaine d'années, l'introduction de la 4e


directive européenne sur les comptes sociaux mais surtout de la 7e directive
européenne sur les comptes consolidés ayant fait évoluer la comptabilité vers une
information financière.

Ainsi, des facteurs comme la fiscalité ou les aspects juridiques semblent avoir moins de
prises sur les normes comptables adoptées et par conséquent sur le processus
d'élaboration des normes comptables. Cette opinion doit là encore être relativisée en
faisant la distinction entre les petites entreprises pour lesquelles la comptabilité
demeure une obligation légale et fiscale, les grandes entreprises qui s'orienteraient plus
vers une information financière et les groupes cotés ou faisant appel public à l'épargne
sur des places étrangères qui aimeraient pouvoir adopter des normes privilégiant les
besoins des investisseurs financiers (normes de l'IASC et du FASB par exemple).

Par conséquent, la France est confrontée à des populations d'entreprises n'ayant pas la
même vision de la comptabilité et de son utilité ce qui complexifie l'action des
organismes de normalisation.

Cette action des organismes de normalisation se caractérise également par la lenteur


des processus d'élaboration et d'approbation des normes comptables. Les sources de
lenteur ont naturellement plusieurs origines : le manque de moyens financiers et
humains au sein des organismes de normalisation entrent en considération, mais cette
lenteur est accrue par la procédure d'adoption politique. En effet, la comptabilité étant
une matière du droit, le droit comptable, il revient aux instances politiques
(Parlement, gouvernement, ministères) de légiférer sur toutes les normes comptables
qui devront être appliquées obligatoirement par les entreprises. Cela a pour
conséquence de figer le droit comptable alors même que la pratique comptable peut
profiter du vide juridique ce qui a donné lieu aux problèmes de la comptabilité créative
ou de l'utilisation des référentiels internationaux ou étrangers, remettant en cause la
fiabilité et la crédibilité des informations financières.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 36
37

Pour pallier la lenteur du processus d'adoption des normes comptables, la France a


adopté une réforme en deux temps :

- en dotant le CNC d'un comité d'urgence chargé de publier des avis sur des
questions posées par les entreprises. Cela devrait permettre de pallier pour partie le
problème de la comptabilité créative, le CNC étant en mesure de répondre
rapidement aux difficultés d'enregistrement comptable des entreprises. De même, le
CNC voit son champ de compétence élargi ce qui lui permet de traiter le problème
des dérogations aux normes comptables nationales pour les grands groupes cotés ou
faisant appel public à l'épargne sur des places étrangères ;

- en créant le CRC chargé de la transformation des avis du CNC en règlements


devant être ensuite homologués par arrêtés interministériels pour qu'ils revêtent une
force obligatoire.

La France ne peut s'affranchir complètement des contraintes juridiques, culturelles et


historiques limitant le champ d'action et le pouvoir du CNC. Malgré tout, la démarche
initiée en France, même si elle doit être validée par l'expérience, doit permettre
d'obtenir un droit comptable cohérent tenant compte de l'évolution de l'environnement
des entreprises, tout en étant complété très utilement par la doctrine comptable (COB,
CNCC, OEC…). C'est en tout cas une voie de réforme qui, a priori, permet de concilier
les contraintes aux objectifs à atteindre.

La finalité de la comptabilité en France et son mode d'élaboration ont fait l'objet de la


première section. A présent, il faut étudier les répercussions de ces différents facteurs
sur les normes comptables ce qui va faire l'objet de la section suivante.

SECTION 2 : LES CONSEQUENCES DE LA CONTINGENCE DE LA COMPTABILITE SUR


L'INFORMATION COMPTABLE

Ces conséquences peuvent s'observer, au niveau des principes comptables qui sont pris
en référence. C'est ainsi que la comptabilité n'est pas un langage universel car elle fait

ManuelTheories Comptables-01Dec10 37
38

référence à des principes différents ou tout au moins l'interprétation de ces principes


est variable d'un pays à l'autre.

De manière schématique, on peut opposer les pays qui se sont dotés d'un cadre
comptable conceptuel, pour l'essentiel des pays anglo-saxons, des pays comme la
France ayant opté pour une série de principes comptables. En fait, s'il existe des
différences entre les cadres conceptuels et les principes comptables, elles résultent
pour l'essentiel dans l'effort des concepteurs des cadres conceptuels de définir de
manière explicite et dans la mesure du possible non contradictoire des différents
principes et objectifs devant servir de guide à l'établissement des états financiers et
comptables. Ces cadres conceptuels ne sont pas pour autant exempts de critiques, il
demeure toutefois intéressant de présenter cet effort de conceptualisation de la
comptabilité avant de présenter les principes comptables retenus en France.

I...... PRESENTATION DES CADRES CONCEPTUELS

Le premier cadre conceptuel a été conçu aux Etats-Unis par le FASB à la suite des
conclusions du rapport Trueblood[32] publié en 1973. L'étude des objectifs assignés aux
états financiers a amené le groupe Trueblood à s'intéresser :

- aux utilisateurs des états financiers,

- aux besoins informationnels émanant de ces utilisateurs,

- aux informations fournies par la comptabilité et leur adéquation avec les besoins
des utilisateurs,

- et enfin, au cadre conceptuel de cette information comptable.

C'est ainsi que le rapport Trueblood présente une série d'objectifs (voir ci-après figure
8) assigné à la comptabilité qui a été à la base de tous les cadres conceptuels
(conceptual frameworks) élaborés par la suite[33].

ManuelTheories Comptables-01Dec10 38
39

Après le rapport Trueblood, le FASB publia de 1978 à 1985 des "statements of financial
accounting concepts" (SFAC) en tout 5[34]. C'est l'ensemble des 5 SFAC qui forment le
cadre conceptuel du FASB :

Plus précisément, le cadre conceptuel du FASB s'organise autour de quatre pôles :

1. Les objectifs de l'information qui s'organisent autour d'un objectif fondamental :


l'utilité de l'information fournie par les états financiers. Ceci implique de définir les
utilisateurs qui seront pris en référence pour mesurer l'utilité de l'information, ici en
l'occurrence les investisseurs financiers. Cette position partiale du FASB a été énoncée
dans le SFAC 1 Objectives of financial reporting by business enterprises. Les objectifs
de l'information financière doivent servir les utilisateurs externes qui n'ont pas
l'autorité pour demander l'information précise dont ils ont besoin. Il s'agit
essentiellement des investisseurs et des créanciers (§ 30).

2. Les caractéristiques qualitatives de l'information financière et des états financiers.


Ces caractéristiques ont été précisées dans le SFAC 2 du FASB Qualitative
characteristics of accounting information publiée en 1980 qui a établi une hiérarchie
des qualités comptables reproduites ci-après, figure 9. Cette hiérarchie des qualités de
la comptabilité définit l'utilité de l'information par rapport :

- à ses qualités intrinsèques (la pertinence et la finalité) ;

- et à ses qualités relatives liées à l'intelligibilité et aux coûts de ces informations


par rapport aux bénéfices qu'en retireront les utilisateurs (la nature des utilisateurs
influence l'utilité de la comptabilité et de l'information financière en fonction de leur
aptitude à comprendre les données financières).

Plus spécifiquement, la pertinence de l'information fait référence à l'opportunité de


l'information pour les utilisateurs et doit permettre d'éclairer les événements passés
(valeur rétrospective de l'information) et de fournir des éléments d'information sur les
évolutions futures probables (valeurs prédictive de l'information). La pertinence est
donc fonction des objectifs assignés à la comptabilité.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 39
40

Quant à la fiabilité de l'information, il est fait plus référence aux processus d'obtention
de l'information et notamment à la nécessité de s'assurer que l'information est
véritable, neutre et qu'elle est bien représentative de la réalité.

Ces deux qualités, la pertinence et la fiabilité, doivent être confrontées pour qu'un
équilibre cohérent s'organise. En effet, une information opportune est une information
qui est fournie à temps en fonction des décisions que l'investisseur doit prendre. Mais
cette contrainte de temps peut nuire à la fiabilité de l'information. On peut ainsi poser
le problème de la manière suivante : est-ce qu'il vaut mieux fournir à temps une
information dont la fiabilité n'est pas sûre à 100 % ou bien attendre et ne diffuser que
les informations fiables à 100 % quitte à ce qu'elles ne soient plus opportunes pour
l'investisseur qui a dû prendre sa décision en n'ayant pas à sa disposition au moment
opportun les informations dont il avait besoin [35]?

Ces contraintes antagonistes sont en fait courantes et la comptabilité doit


nécessairement faire des compromis avec l'objectif final de fournir une information
utile, c'est-à-dire pertinente et fiable.

3. Les définitions des éléments composant les états financiers précisées par le SFAC 3
Elements of financial stantements of business enterprises en 1980. Ces définitions
marquent un effort louable pour définir des concepts comme les actifs, les passifs, les
capitaux propres, les charges, les produits, les pertes et les gains.

- Les actifs sont des avantages économiques futurs probables obtenus ou contrôlés
par l'entreprise à la suite d'événements passés.

- Les passifs sont des sacrifices futurs probables d'avantages économiques devant
être consentis à la suite d'obligations actuelles, les obligations d'une entreprise
peuvent être de deux natures : transférer des actifs ou fournir des services ; elles
résultent d'événements passés.

- Les capitaux propres sont un solde résiduel constitué des actifs de la société après
déduction de tous ses passifs.

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41

- Les charges sont des diminutions d'actifs ou des accroissements de dettes au cours
d'une période, à la suite de la production de biens, de la prestation de service ou
d'autres opérations liées à l'activité de l'entreprise.

- Les produits sont des accroissements d'actifs, ou remboursements de passifs au


cours d'une période, à la suite d'opérations de production, de prestation de service ou
autres opérations liées à l'activité de l'entreprise.

- Les gains (pertes) sont des augmentations (diminutions) de capitaux propres


provenant d'événements accessoires ou de tout autre fait ou opération affectant
l'entreprise, à l'exception de ceux résultant des produits (charges) ou apports
(distributions) de capitaux propres.

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42

Figure 8 : Listes des objectifs assignés à la comptabilité par le comité Trueblood

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44

4. Reconnaissance et évaluation (SFAC 5 Recognition and measurement in financial


statements of business enterprises - 1984). Pour le FASB, les éléments ou événements
doivent réunir 4 conditions pour être inscrits dans un état financier[36]

- avoir la nature d'un élément financier,

- être mesurable avec une précision suffisante,

- être pertinent ou significatif,

- être fiable, vérifiable et neutre.

Quant aux méthodes d'évaluation le FASB prévoit différentes méthodes : le coût


historique, le coût de remplacement, la valeur de marché et la valeur résiduelle nette.
Toutefois, le coût historique est dans la plupart des cas la base d'évaluation la plus
couramment admise et adoptée (voir à ce propos la position de la France).

Il existe d'autres cadres conceptuels dans le monde qui développent les mêmes thèmes
de réflexion abordés par le FASB. Leur contenu variant peu par rapport à celui du FASB,
il ne semble pas utile de les aborder tous ici.

Le cadre conceptuel américain est intéressant à titre de comparaison avec les principes
comptables retenus par la France et qui vont être étudiés à présent.

II..... ANALYSE DES PRINCIPES COMPTABLES APPLICABLES PAR LES ENTREPRISES


FRANCAISES

Les principes comptables en France sont depuis 1983[37] régis par un objectif fédérateur
inscrit dans le code de commerce : l'image fidèle traduisant l'expression anglo-saxone
true and fair view.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 44
45

(…) Les comptes annuels doivent être réguliers, sincères et donner une image fidèle
du patrimoine, de la situation financière et du résultat de l'entreprise.

Lorsque l'application d'une prescription comptable ne suffit pas pour donner l'image
fidèle mentionnée au présent article, des informations complémentaires doivent être
fournies dans l'annexe.

Si dans un cas exceptionnel, l'application d'une prescription comptable se révèle


impropre à donner une image fidèle du patrimoine, de la situation financière ou du
résultat, il doit y être dérogé. (art. 9 du code de commerce).

Il est à noter que le code de commerce mentionne "une image fidèle" et non "l'image
fidèle". Est-ce à dire qu'il peut en exister plusieurs et dans ce cas laquelle choisir ? En
fait, toute la première section sur la contingence de la comptabilité a mis en évidence
les différentes interprétations possibles de la comptabilité et de son utilisation. Par
conséquent, la notion d'image fidèle sera différente suivant les pays et les utilisateurs.
C'est ainsi que les états financiers et comptables produits par les différents membres de
l'Europe, et qui ont tous retranscrits dans leur législation, la 4e directive sur les
comptes sociaux et la 7e directive sur les comptes consolidés, ne produisent pas les
mêmes états financiers en raison principalement d'utilisation de dérogations[38]. Pour
autant, les comptes des entreprises européennes doivent tous refléter une image fidèle
de leur situation financière. Cette contradiction apparente entre un objectif commun,
l'image fidèle et les comptes publiés s'explique par la contingence de la comptabilité.

En France, à cet objectif fondamental d'image fidèle sont également associés deux
autres objectifs que l'on peut qualifier de dépendants et qui permettent de cerner la
conception de l'image fidèle en France : la sincérité qui est l'application de bonne foi
de la loi et des règlements et la régularité des comptes qui est la conformité à la loi et
aux règlements (décrets et arrêtés)[39]. En conséquence, l'image fidèle française est
liée aux normes comptables en vigueur (c'est-à-dire la doctrine comptable) car la
régularité et dans une moindre mesure la sincérité s'observent ou se mesurent par
rapport aux normes de références censées représenter les caractéristiques de l'image

ManuelTheories Comptables-01Dec10 45
46

fidèle. L'image fidèle est donc contingente aux règles comptables et à leur évolution.
C'est ainsi que les comptes peuvent être réguliers en ne comptabilisant pas les
amortissements pour dépréciation tant que la doctrine comptable n'oblige pas la
comptabilisation de ces amortissements. De même, peut-on considérer que les états
financiers ne sont pas sincères en ne comptabilisant pas certains engagements futurs
pour lesquels aucune norme comptable ne fait référence ? Cela a été le cas avec les
engagements pour retraites pris par les entreprises mais qui ne figuraient pas dans les
états financiers des entreprises. De même, les biens acquis en crédit-bail ne sont pas
comptabilisés dans les comptes sociaux mais le sont dans les comptes consolidés. Est-ce
à dire que les comptes sociaux sont plus (ou moins) réguliers et sincères que les
comptes consolidés ? Ce qui est certain, c'est que l'image fidèle n'est pas la même pour
les comptes sociaux et les comptes consolidés mais pour autant ces comptes sont
conformes (et donc réguliers et sincères) aux dispositions comptables les régissant.

Associées à ces objectifs assignés à la comptabilité, il existe également deux séries de


principes (voir figure 10 page suivante) qui font référence à quatre principes
d'observation et à deux principes d'évaluation.

.... Les principes d'observation

1.. Le principe d'indépendance des exercices

Ce principe est énoncé dans les articles 8 et 15 du code de commerce et établit que les
états financiers doivent être établis tous les 12 mois.

(…) Elle doit contrôler par inventaire, au moins une fois tous les 12 mois, l'existence
et la valeur des éléments actifs et passifs du patrimoine de l'entreprise. Elle doit
établir des comptes annuels à la clôture de l'exercice au vu des engagements
comptables et de l'inventaire. Ces comptes annuels comprennent le bilan, le compte
de résultat et une annexe : ils forment un tout indissociable. (art. 8)

De même, ces comptes annuels doivent enregistrer les bénéfices liés à ce seul exercice
ce que l'on nomme également le rattachement des charges aux produits (mécanisme de

ManuelTheories Comptables-01Dec10 46
47

variation des stocks, charges constatées d'avance, produits constatés d'avance) et les
régularisations de fin d'exercices permettant de comptabiliser toutes les charges et
tous les produits engagés (charges à payer, produits à recevoir…)

Seuls les bénéfices réalisés à la date de clôture d'un exercice peuvent être inscrits
dans les comptes annuels. Peut être inscrit, après inventaire, le bénéfice réalisé sur
une opération partiellement exécutée et acceptée par le cocontractant lorsque sa
réalisation est certaine et qu'il est possible, au moyen de documents comptables
prévisionnels, d'évaluer avec une sécurité suffisante le bénéfice global de l'opération.
(art. 15)

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La dernière phrase de l'article 15 fait référence à la comptabilisation des produits nets


partiels sur les contrats à long terme qui seront étudiés au cours de cette année.

Exercices / Rappel de l'UV4

2.. Le principe de la continuité d'exploitation

Ce principe est énoncé par l'article 14 du code du commerce :

Pour leur établissement (des comptes annuels), le commerçant, personne physique ou


personne morale, est présumé poursuivre ses activités.

Ce principe est très important car il conditionne pour une large part les autres principes
notamment ceux liés à l'évaluation des comptes. En effet, la constatation des
amortissements, l'enregistrement des biens pour leur coût d'achat, le calcul des
provisions… doivent faire l'hypothèse d'une continuité d'exploitation. Dans le cas
contraire, par exemple lorsque l'entreprise est en liquidation judiciaire, l'absence de
continuité d'exploitation remet en cause la valeur comptable du patrimoine qui devra
faire référence à leur valeur de liquidation, entraîne la comptabilisation de toutes les
charges liées à la liquidation, remet en cause l'étalement des charges, les
amortissements…

3.. Le principe de permanence des méthodes

Ce principe est rappelé par l'article 11 du code de commerce :

A moins qu'un changement exceptionnel n'intervienne dans la situation du


commerçant, personne physique ou morale, la présentation des comptes annuels
comme les méthodes d'évaluation retenues ne peuvent être modifiées d'un exercice à
l'autre. Si des modifications interviennent, elles sont décrites et justifiées dans
l'annexe.

Ce principe est très important dans une optique de comparaison des informations
financières et comptables diffusées par une entreprise, en mesurant l'incidence d'un

ManuelTheories Comptables-01Dec10 49
50

changement de principe comptable sur les états financiers. En général, les


changements de principes comptables ne sont admis que s'ils permettent de fournir une
"meilleure" image fidèle de la situation financière comme le rappelle l'article 9 du code
de commerce :

Si, dans un cas exceptionnel, l'application d'une prescription comptable se révèle


impropre à donner une image fidèle du patrimoine, de la situation financière ou du
résultat, il doit y être dérogé ; cette dérogation est mentionnée à l'annexe et dûment
motivée, avec l'indication de son influence sur le patrimoine, la situation financière
et le résultat de l'entreprise.

4.. Le principe de non-compensation

Ce principe est énoncé par l'article 13 du code de commerce :

Les éléments d'actif et de passif doivent être évalués séparément. Aucune


compensation ne peut être opérée entre les postes d'actif et de passif du bilan ou
entre les postes de charges et de produits du compte de résultat. Le bilan d'ouverture
d'un exercice doit correspondre au bilan de clôture de l'exercice précédent.

A titre d'exemple, si une entreprise A détient une créance de 100 F sur l'entreprise B et
une dette de 80 F envers cette même entreprise B, les états financiers doivent
mentionner à la fois la créance de 100 F et la dette de 80 F, mais en aucun cas le solde
de 20 F en créance. De même, lorsqu'une entreprise reçoit une subvention pour
financer l'acquisition d'une immobilisation, il n'est pas possible de minorer le coût
d'achat de l'immobilisation du montant de la subvention. Il existe malgré tout quelques
exceptions à ce principe en particulier l'enregistrement des factures d'achat ou de
vente pour le net commercial (c'est-à-dire déduction faite des rabais, remises ou
ristournes inscrits sur la facture).

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51

.... Les principes d'évaluat ion

1.. Le principe du nominalisme monétaire ou du coût historique

L'article 12 du code de commerce précise les modalités de valorisation des biens lors de
leur entrée dans le patrimoine de l'entreprise : coût d'achat, coût de production, valeur
vénale… Cet article précise également que :

La plus-value constatée entre la valeur d'inventaire d'un bien et sa valeur d'entrée


n'est pas comptabilisée.

En conséquence, le coût d'entrée du bien quelle que soit la valeur d'évaluation retenue
(le coût de production, le coût d'achat ou la valeur vénale), ne peut être modifié par la
suite pour constater une revalorisation du bien. On considère alors que les biens
figurent au bilan pour leur valeur historique et non pour leur valeur réelle.

Il est à noter que les moins-values sont en revanche systématiquement enregistrées soit
par le biais d'amortissement (dépréciation irréversible) soit par le biais de provisions
(dépréciation réversible) par référence au principe de prudence.

Il existe également une exception au principe du nominalisme monétaire prévue par


l'article 12 du code de commerce : la réévaluation des comptes.

S'il est procédé à une réévaluation de l'ensemble des immobilisations corporelles et


financières, l'écart de réévaluation entre la valeur actuelle et la valeur nette
comptable ne peut être utilisée à compenser des pertes ; il est inscrit distinctement
au passif du bilan.

Toutefois, les incidences fiscales très lourdes de la réévaluation font que dans la
plupart des cas, les entreprises ne réévaluent pas leur patrimoine en France.

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52

2.. Le principe de prudence

Ce principe de prudence est certainement celui qui est le plus en contradiction avec
l'objectif d'image fidèle, ou tout au moins conduit-il à adopter une vue
systématiquement pessimiste : comptabilisation des moins-values et ignorance des
plus-values, sauf rares exceptions comme pour les titres de participation évalués par
équivalence et qui seront étudiés cette année.

Ce principe de prudence est énoncé par l'article 14 du code de commerce :

Les comptes annuels doivent respecter le principe de prudence (…). Même en cas
d'absence ou d'insuffisance du bénéfice, il doit être procédé aux amortissements et
aux provisions nécessaires.

Il doit être tenu compte des risques et des pertes intervenus au cours de l'exercice,
même s'ils sont connus entre la date de la clôture de l'exercice et celle de
l'établissement des comptes.

La dernière phrase fait référence aux événements postérieurs à la clôture de l'exercice


qui doivent être pris en compte s'ils occasionnent des risques ou des pertes.

La présentation des objectifs assignés à la comptabilité française et des principes


comptables qui lui sont associés montre que l'information comptable est un compromis
devant permettre à la fois de présenter une image fidèle de la situation financière, des
comptes réguliers et sincères et respectant une série de principes parmi lesquels ceux
d'évaluation (nominalisme monétaire et prudence) ont un impact déterminant sur la
conception de l'image fidèle.

Synthèse

Les deux points précédents ont eu pour objectif de montrer quels étaient les impacts
de la contingence de la comptabilité sur l'information financière (sa finalité) sur la

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53

réglementation comptable (les principes généralement admis ou GAAP[40] aux Etats-


Unis ou les normes comptables en France).

La mise en perspective du cadre conceptuel du FASB et les principes comptables


retenus en France à la suite de l'adoption des 4e et 7e directives européennes mettent
en évidence des différences. Par exemples, le FASB définit un utilisateur de référence,
tandis qu'en France aucune mention n'est faite au sujet des utilisateurs et de leurs
besoins. Mais, fondamentalement, il y a convergence sur la nécessité de préciser les
objectifs assignés à la comptabilité et les principes à suivre. A cet égard, l'opposition
majeure que l'on peut relever se situerait au niveau des objectifs puisqu'en France ces
objectifs font référence à la seule qualité intrinsèque et relative de la comptabilité
(sincérité, régularité et image fidèle), tandis que le FASB relie de manière explicite la
qualité de l'information financière et comptable diffusée aux besoins et attentes des
utilisateurs.

Conclusion

La comptabilité ne doit pas être conçue comme une simple technique d'enregistrement
d'événements économiques et juridiques. Les objectifs de la comptabilité peuvent
varier dans le temps et dans l'espace en raison de facteurs historiques, culturels et
économiques principalement. Par conséquent, lorsque l'on mentionne que la
comptabilité française est régie par le PCG, on se situe dans un référentiel comptable
particulier et il est bon de savoir qu'il n'est pas universel.

[1]
Michel CAPRON, La comptabilité faut-il y croire pour avoir confiance ? Gérer et comprendre,
décembre 1990, pp. 75-83. Voir en ce sens également Bernard COLASSE, La notion de normalisation
comptable industrielle et normalisation sociale, Revue française de comptabilité, n° 182, pp. 42-46,
septembre 1987.
[2]
AAA (American association of accounting), The entity concept, The accounting review, April 1965,
PP. 358-367.
[3]
Daniel BOUSSARD, Séminaire de recherche de l'AFC, Grenoble, janvier 1981, cité par Michel CAPRON,
(1990), op.cité,P.30.

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54

[4]
En particulier, Klaus LUDER, Comparative government accounting study, Interim summary report,
Speyer, (Speyer Forschungsberichte n° 76), 1989. Ces travaux de recherche analysent les comptabilités
adoptées par les Etats, pour l'établissement des comptes nationaux. Il est donc nécessaire de les
adapter au secteur privé des entreprises.
[5]
Camille PINCELOUP, Comptes et comptables contemporains, 1er volume, P. 17, 1976 : "L'ordonnance
royale du 20 mars 1673, que prend Louis XIV, à la demande de Colbert, pour servir de "règlement pour
le commerce des négociants et marchands tant en gros qu'en détail". L'ordonnance comporte 12
chapitres, le 3me traite des "Livres et registres des commerçants, marchands et banquiers". Les
dispositions précises relatives à la tenue des registres et des inventaires, que n'appliqueront guère que
les plus importantes maisons, sont cependant à l'origine de la publication des premiers ouvrages de
comptabilité traitant de méthodes et de procédés pour la tenue des livres. Tels sont "Le parfait
négociant" (1975) et le "Dictionnaire du Commerce" (1724) de SAVARY ainsi que les "Livres et comptes
faits" de BARREME (1782)".
[6]
Cf. PINCELOUP, p. 51, op. cité qui reproduit également le modèle de bilan proposé par LEAUTEY et
qui comporte 4 rubriques : 1. Le capital, 2. Les valeurs d'inventaires (immobilisées, disponibles et
engagées), 3. Les tierces personnes, 4. Les résultats.
[7]
PINCELOUP, op. cité, p. 56
[8]
PINCELOUP, op. Cité, p. 121
[9]
4e directive européenne sur les comptes annuels publiée le 25 juillet 1978
[10]
7e directive européenne sur les comptes consolidés publiée le 13 juin 1983
[11]
En 1947, une proposition de plan de comptes avait été faite par la commission du plan comptable
basé sur le plan allemand de 1937, dit "plan Goering". En fait, le PCG47 français fait plus référence au
plan allemand de Schmalenbach de 1926 qu'à celui de 1937. Voir aussi Jacques RICHARD (1995), The
evolution of accounting chart in Europe from 1900 to 1945 : some historical elements, pp. 87-124, vol.
4, n° 1, The european accounting review.
[12]
Jean-Claude SCHEID & Peter STANDISH (1988), A study of french and English-speacking perceptions
on accounting standardization, European accounting association, Nice.
[13]
Ce plan était composé :
- d'un plan de compte appelé cadre comptable et comportant 10 classes (classes 1 à 5 : comptes de
bilan, classes 6 et 7 : comptes de gestion, classe 8 : comptes de résultat, classe 9 : comptes pour la
comptabilité analytique, classe 0 : comptes de statistiques qui peut s'assimiler à l'annexe) ;
- d'un compte d'exploitation générale (classe 6, 7 et 3 : variation des stocks),
- d'un compte de pertes et profits (classe 8) ;
- d'un bilan ;
- d'une annexe.
[14]
Voir en ce sens Yannick LEMARCHAND (1993), "Du dépérissement à l'amortissement - Enquête sur
l'histoire d'un concept et de sa traduction comptable", Nantes Ouest éd., 719 p., mettant en
évidence que la pratique des amortissements était très fluctuante d'une entreprise à l'autre, et même
au sein d'une même entreprise en fonction des résultats déficitaires ou bénéficiaires.
[15]
PINCELOUP, op. cité, p. 369 : "(…) La nomenclature des comptes s'est complétée de la précision du
langage technique, des définitions, par suite et plus généralement de la doctrine qui manquait à
l'enseignement et que recherchaient dans leur congrès et attendaient depuis longtemps tous les
professionnels".
[16]
BOURG, op. cité, p. 16
[17]
Cf. PINCELOUP, p. 83, "La loi de 1867 sur les sociétés anonymes donne mission à la comptabilité de
"déterminer les bénéfices" (lois de 1914 et de 1917). Les besoins du Trésor, nés davantage encore des
dépenses énormes occasionnées par les guerres, 1870 et 1914-1918, que par l'évolution économique et
sociale, provoquent la recherche de ressources nouvelles, et par suite une pression fiscale qui peut
brièvement se résumer comme suit :

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55

- loi du 29 juin 1872. Création de l'impôt sur le revenu des valeurs mobilières, dividendes et produits
des sociétés de capitaux,
- loi du 25 février 1901. Institution des droits de succession avec justification du passif commercial.
- loi du 15 juillet 1914. Création de l'impôt sur le revenu. La loi charge la comptabilité de déterminer le
bénéfice taxable.
- loi du 1er juillet 1916. Création de l'impôt sur les bénéfices de guerre qui nécessite comme
précédemment la détermination du bénéfice, solde du compte de pertes et profits et, de plus,
justification des variations du capital.
- loi du 31 juillet 1917. Création de la cédule des bénéfices industriels et commerciaux,
- loi du 25 juin 1920. La loi va plus loin : créant les taxes sur le chiffre d'affaires, elle définit le compte
d'exploitation, et les moyens qui permettent de le contrôler.
Il en résulte que le droit fiscal, par son besoin de contrôle et éventuellement de répression, a
profondément marqué les notions comptables et la comptabilité".
[18]
PINCELOUP, op. cité, p. 366.
[19]
Toute personne ayant obtenu le diplôme d'expert-comptable peut exercer la profession de
commissaire aux comptes. En revanche, les personnes qui n'auraient que l'examen de commissaire aux
comptes, ne peuvent pas exercer en tant qu'expert-comptable. Il existe des incompatibilités dans
l'exercice de ces activités, une même personne ne pouvant établir les comptes d'une société et les
réviser. Ces deux professions s'exercent à titre libéral.
[20]
Cela exclut les experts-comptables exerçant en tant que salariés d'une entreprise, pour lesquels
l'inscription à l'OEC est facultative.
[21]
La Revue française de comptabilité (RFC) et la Revue SIC (science, indépendance, conscience).
[22]
Les très petites entreprises ne sont que marginalement touchées par les normes comptables, en
France par exemple, les très petites entreprises sont dispensées de tenir une comptabilité du point de
vue fiscal (loi Madelin du 6 février 1995).
[23]
Il est vrai cependant que, de manière indirecte, les organismes de normalisation nationaux peuvent
être influencés par les normes publiées par d'autres pays. Par exemple, le traitement comptable des
fonds de pension en France est inspiré des normes de l'IASC et du FASB.
[24]
Toutefois, pour ceux qui souhaiteraient approfondir ce point, il est possible de se reporter aux
travaux menés par le CREA (Centre for research in european accounting) consistant en des analyses
comparatives des modes d'élaboration des normes comptables en Europe. ACCO editor, 1997.
[25]
BCF (1996), La réforme de la normalisation comptable - Entretien avec le nouveau président du
CNC, Bulletin comptable financier, juillet, août, septembre 1996, p. 24.
[26]
Jean-Paul MILOT (1996), Contribution au débat sur l'harmonisation comptable internationale,
Bulletin trimestriel du CNC, n° 107, 2me trimestre 1996, pp. 5-10.
[27]
MILOT (1996, op. cité), distingue "Les pays dans lesquels la comptabilité a pour objet essentiel
d'enregistrer et de quantifier des droits et obligations des destinataires des comptes par rapport à ceux
qui les établissent, de ceux dans lesquels elle sert avant tout à fournir une information sur la
performance et la situation financière de l'entreprise en laissant une certaine souplesse quant aux
conséquences à tirer de ces informations sur les divers domaines" p. 6.
[28]
MILOT, 1996, op. cité p. 8.
[29]
Cf. Jean-Claude SCHEID & Evelyne LANDE, The regulation of financial reporting in France, Centre for
research in european accounting (CREA), May 1996.
[30]
Les avis émis par les organismes professionnels tels que l'OEC ne sont donc pas soumis au CNC.
[31]
Henri GIOT, Création du CRC - Réforme du CNC, SIC n° 146, octobre 1996, p. 13.
[32]
Groupe de travail créé en 1971 sur l'initiative de l'AICPA (American institute of certified public
accountants) avec pour mission d'étudier les objectifs des états financiers.

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56

[33]
Aux Etats-Unis, le FASB de 1978 à 1985 pour le secteur privé et le GASB (governmental accounting
standards board) en mai 1987 pour le secteur public ont défini des cadres conceptuels, il en va de
même au Canada avec l'ICCA (Institut canadien des comptables agréés, 1988), l'ONCC (office des
normes comptables du Canada, 1987) et le comité secteur public de l'ICCA (1984), en Australie sous
l'impulsion de l'AARF (Australian accounting research foundation) et enfin au niveau international le
cadre conceptuel de l'IASC.
[34]
Les 5 SFAC sont :
- SFAC 1 : Objectives of financial reporting by business enterprises (nov. 1978),
- SFAC 2 : Qualitative characteristics of accounting information (mai 1980),
- SFAC 3 : Elements of financial statements of business enterprises (déc. 1980),
- SFAC 4 : Objectives of financial reporting by non-business organizations (déc. 1980),
- SFAC 5 : Recognition and measurement in financial statements of business enterprises (déc. 1984).
[35]
Ce problème existe également à un autre niveau, celui du journalisme. En effet, les journaux
doivent diffuser des informations fiables (donc vérifiables, neutres et proches de la réalité) et
pertinentes (donc opportunes ou fournies à temps). Or, l'effet d'annonce tout comme la primeur ou
l'exclusivité d'une information ont un impact publicitaire important en démontrant la capacité
d'information du journal par rapport à ses concurrents, mais il doit toujours s'assurer de la fiabilité de
ses sources s'il ne veut pas que son image en soit ternie.
[36]
Le FASB distingue 5 composantes dans les états financiers :
- une situation financière à la clôture de l'exercice (financial position)
- les résultats des périodes (earnings),
- le résultat global de la période (comprehensive income),
- un tableau des flux pendant la période (cash-flow),
- les investissements en capital et les distributions aux propriétaires du capital pendant la période
(investments by and distributions to owners).
[37]
Loi du 30 avril 1983 modifiant les articles 8 à 17 du code de commerce
[38]
Cf. Lefebvre "Communauté européenne" 1996/1997, n° 9502 "Les Etats membres sont chargés de les
intégrer dans leur législation nationale, en amendant ou complétant leur propre législation, lorsque
celle-ci ne comporte pas de dispositions correspondant à celles exigées. La méthode a l'avantage de
rendre chaque Etat membre responsable de la mise en place de la directive. L'inconvénient est que
certaines dispositions ont pu être interprétées de manière différente dans chacun des Etats membres et
que la mise en application est lente : certains pays n'ont toujours pas adapté leur législation ou n'ont
procédé qu'à une adaptation partielle de celle-ci". n° 9504 "Les directives ne contiennent que les
"exigences minimales", condition nécessaire pour arriver à une harmonisation des états financiers. Des
questions sur lesquelles il paraissait plus difficile d'arriver à un accord ont été volontairement laissées à
l'écart : crédit-bail, impôts différés, conversion en devises étrangères, engagement de retraite.
D'autres questions, devenues d'actualité plus récemment, n'ont pas reçu de réponse au niveau européen
: nouveaux instruments financiers".
[39]
Initialement il y avait seulement une obligation de sincérité et de régularité des comptes. C'est
seulement depuis la loi comptable de 1983 que la notion d'image fidèle a été ajoutée. En ce sens,
l'image fidèle peut s'assimiler à une "super" sincérité et autorise (en France) la dérogation aux règles.
Donc les comptes sont "réguliers" c'est-à-dire conformes aux lois et règlements sauf lorsqu'ils ne
permettent pas de satisfaire l'objectif d'image fidèle. On peut remarquer qu'en Allemagne, l'image
fidèle correspond au strict respect des normes en vigueur tandis qu'en Angleterre, l'image fidèle permet
au comptable de porter un jugement d'ensemble sur les règles comptables pour déterminer si leur
application permet de satisfaire l'objectif d'image fidèle. La France se situe donc à mi-chemin entre les
positions de l'Allemagne et de l'Angleterre.
[40]
Generally accepted accounting principle.

01 40 27 25

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57

Lecture de référence no. 3

Le cadre légal et institutionnel de la profession comptable en Haïti

par

Lucnaire Duval, cpah

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58

La réglementation de la profession comptable s’impose comme un impératif majeur


notamment pour les raisons suivantes :

a. L`information financière est un outil indispensable pour la prise de décisions


économiques à tous les niveaux. Et elle est destinée à des catégories
d’utilisateurs dont les objectifs et intérêts économiques sont souvent
divergents ; ce qui autorise que le travail comptable soit effectue en toute
objectivité par des professionnels compétents et indépendants dans le cadre de
normes légales et professionnelles établies.
b. La perception de recettes fiscales, le contrôle et l’affectation des ressources
publiques, la gestion des entreprises, la gouvernance même de l’Etat
s’effectuent plus adéquatement dans un environnement où la pratique
comptable est suffisamment saine et bien organisée.
En définitive, parler de la réglementation de la profession comptable pourrait
logiquement déboucher sur de multiples aspects touchant : la formation des
comptables, l`accès à l’exercice de la profession, l’éthique, la déontologie et la
normalisation en matière comptable etc. Dans cet écheveau complexe, nous avons
délibérément choisi d’aborder, du moins dans un premier temps, l’étude du cadre légal
et institutionnel dans notre pays :

1. Il nous semble que les écrits sur l’exercice de la profession comptable en Haïti
sont plutôt rares. Mais ce n’est pas là le motif principal de notre choix.
2. L’état actuel de la profession en Haïti, n’est pas tout à fait spontané ni détaché
de notre réalité socio-économique. Et pour preuve, le contexte professionnel
actuel semble vouloir nous rattacher beaucoup plus au passé qu’au présent, si on
considère, les nouveaux développements de la profession partout ailleurs. La
dialectique d’action voulant que le passé soit connu pour mieux comprendre le
présent et le futur, nous entendons profiter de l’étude du cadre légal et
institutionnel de la profession en Haïti comme source de renseignements
historiques et comme tremplin pour mieux poser et appréhender des problèmes
actuels.

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LA REFORME DES ANNEES 80

En Haïti, jusqu’au début de la décennie 1980-1990, l’exercice de la profession n’était


pas véritablement réglementé. L’enseignement de la comptabilité s’arrêtait au niveau
de la tenue des livres. En terme d’efforts de réglementation, la profession comptable
n’a été qu’indirectement visée, entre 1952 et 1970, par des dispositions légales,
portant l’obligation pour les finissants des Ecoles de Commerce de subir avec succès, un
Examen Officiel du Ministère de l’Education Nationale, pour avoir droit à une
reconnaissance de l’Etat Haïtien. Mais en réalité, faute de mécanismes de suivi et de
contrôle, l’application de cette mesure restait toujours sur un plan formel et sans
efficacité pratique.
Au cours de la décennie 1970-1980. la création du parc industriel de Port-au-Prince, la
multiplication des entreprises d’assemblage et de sous-traitance, l’ouverture
progressive du marché haïtien sur l’extérieur ont, entre autres, contribué à mettre en
lumière un manque de cadres administratifs et de professionnels comptables haïtiens
de haut niveau.
Parallèlement, l’Administration Fiscale faisait face à des difficultés de plus en plus
grande pour vérifier les déclarations d’impôts de bon nombre d’entreprises étrangères
établis en Haïti et qui, faute de normes de comptabilité ou de prescriptions légales
haïtiennes, présentaient leurs états financiers en fonction des normes et méthodes du
pays d’origine. Il est aussi important de souligner que l’environnement politique de la
fin des années 1970- jusqu’en 1983-1984 était particulièrement marqué par l’expression
de la volonté du Gouvernement d’opérer un virage économique ; à un point tel que les
gouvernants de l’époque allaient jusqu’à parler de «Révolution économique».
C’est dans ce contexte que les pouvoirs Publics Haïtiens avec l’aide du Gouvernement
Canadien, ont commencé, en 1980-1981, une réforme visant à réglementer l’exercice
de la profession comptable et à restructurer sur de nouvelles bases l’enseignement de
la comptabilité.

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60

1- OBJECTIFS DE LA RÉFORME COMPTABLE

L’analyse des considérants des différents décrets et arrêtés formant le cadre de la


professions comptable permet d’identifier théoriquement les objectifs poursuivis pas
l’Etat Haïtien en s’engageant dans une réforme de la profession comptable au début
des années 1890. Ces objectifs peuvent se résumer ainsi :
1. Uniformiser le système de comptabilité de manière à favoriser le contrôle fiscal
et à protéger les intérêts des différentes catégories d’utilisateurs des états
financiers.
2. Veiller à ce que la profession comptable s’exerce dans le cadre de normes
intellectuelles, légales, et morales.
3. S’assurer que la formation des comptables professionnels, des comptables et
teneurs de livres obéisse à des exigences académiques très strictes. C’est dans
cette perspective que la première filière universitaire de formation en sciences
comptables a été instituée à l’INAGHEI en 1981.
4. Favoriser l’expansion de toutes les catégories d’entreprises.
5. Protéger les intérêts des comptables professionnels et du grand public dans le
domaine de l’expertise comptable.
6. Améliorer les outils informationnels nécessaires pour promouvoir le
développement économique et social.
Pour atteindre ces objectifs l’Etat Haïtien a élaboré un cadre légal et créé, dans une
vision d’ensemble, des institutions auxquelles il a donné des attributions et objectifs
complémentaires. Le décret du 16 avril 1981 est le premier et principal élément du
cadre légal de la reforme comptable. Il porte création du Conseil National de la
comptabilité et de l’Ordre des Comptables Agréés d’Haïti. Et il institue le plan
comptable national, instrument visant à normaliser la tenue des livres et la
présentation des états financiers. En outre, par le décret du 30 octobre 1983 portant
restructuration de l’enseignement de la comptabilité, les Pouvoirs Publics Haïtiens
instituent le Comité de Programmes de l’Enseignement Comptable et prescrivent un
programme minimal pour la formation de Licenciés en Sciences Comptables. A noter

ManuelTheories Comptables-01Dec10 60
61

que ce programme est celui qui a été mis en application dès l’ouverture de la filière
des Sciences Comptables à l’INAGHEI en 1981 et qui est aujourd’hui encore en
application avec quelques modifications plutôt à la baisse.
En dehors de toute considération d’ordre évaluatif on peut dire que la reforme a
touché les domaines suivants : la formation, la normalisation et l’exercice
professionnel. Elle a donné naissance aux institutions suivantes :
1. Le Conseil National de la Comptabilité (CONACO)
2. L’Ordre des Comptables Professionnels Agrées d’Haïti (OCPAH)
3. Le Comite des Programmes de L’Enseignement Comptable (COPEC)
4. L’Ajout de la Filière des Sciences Comptables au Curriculum de L’INAGHEI

a.- ATTRIBUTIONS ET COMPOSITION DU CONACO

Les articles 4 et 5 du décret du 16 avril 1981 prescrivent la création du CONACO,


organisme décentralisé fonctionnant sous la tutelle du Ministère de l’Economie et des
Finances et définissent ses attributions que nous résumons ainsi :

1. Elaborer le plan Comptable National.


2. Proposer toutes modifications à apporter à la nomenclature et au contenu des
comptes ainsi que toutes solutions aux problèmes d’interprétation et
d’application du plan Comptable National.
3. Donner son avis sur toute matière qui soit de nature à protéger l’intérêt du
public dans le domaine de l’expertise comptable.

Selon l’article 6 le CONACO est ainsi composé :

 Un représentant du Ministère de l’Economie et des Finances, Président ;


 Un représentant du Ministère du Commerce et de l’Industrie ;
 Un représentant du Ministère de la Planification ;
 Un représentant du Ministère de la Cour Supérieure des Comptes et du
Contentieux Administratif.
 Un représentant de l’Université d’Etat d’Haïti ;
 Un représentant de l’Ordre des Comptables Agréés d’Haïti.

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62

 Un représentant de la Chambre de Commerce et d’Industrie d’Haïti.


Malheureusement, dans la pratique, le CONACO après avoir élaboré le premier Plan
Comptable National, n’a pas survécu aux bouleversements politiques qui ont provoqué
et suivi la chute du régime des Duvalier. Il a cessé de fonctionner depuis le début de
l’année 1986.

b.-L’ORDRE DES COMPTABLES PROFESSIONNNELS AGREES D’HAITI

Institué par le décret du 16 avril 1981 et mis en fonctionnement par l’Arrêté du 11


novembre 1983, l’OCPAH est une corporation sans but lucratif, jouissant de la
personnalité civile et dotée d’une autorité exclusive en ce qui concerne l’accès à
l’exercice de la profession comptable en Haïti. Ses attributions sont ainsi fixées :
 Déterminer les conditions d’accès à l’exercice de la profession comptable ;
 Veiller au respect des règles de l’éthique professionnelle ;
 Sauvegarder l’intérêt du public dans le domaine de l’expertise comptable.
 Favoriser le développement et l’avancement de la profession comptable en
Haïti ;
 Contribuer au développement de la Science Comptable.

DES MEMBRES DE L’OCPAH

L’article 4 des règlements intérieurs de L’Ordre prévoit quatre catégories de membres :


Les membres actifs, c’est-à-dire les comptables professionnels Agrées exerçant la
profession soit sous les liens d’un contrat de travail soit à titre indépendant.
Cependant, les membres actifs qui se trouvent entravés dans leur indépendance à
cause des fonctions qu’ils occupent dans l’Administration Publique (Ministère, Directeur
Général, Juge, Militaire, Fonctionnaire du Fisc. Etc..) sont en état d’incompatibilité.
Ils ne peuvent exercer la profession comptable à titre indépendant tant qu’ils sont en
fonction.
 Les Membres Honoraires, c’est-à-dire les anciens membres actifs qui ont cessé
d’exercer la profession après avoir fait carrière.

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 Les Membres d’Honneur ; ce sont des personnes qui ont rendu des services
méritoires à la profession et à qui le Conseil de l’Ordre a décidé d’octroyer ce
titre purement honorifique.

 Les Membres Affiliés ; ce sont les Associations Professionnelles agréées par


l’Ordre.

Toutefois, à coté de ces catégories on peut considérer les Stagiaires et Postulants et


Etudiants qui n’ont pas la qualité de membre.

1. Les Stagiaires sont des postulants qui ont subi avec succès les examens
d’admission mais qui n’ont pas encore le minimum de cinq ans (5) d’expérience
pratique pertinente prescrite par les règlements intérieurs parmi les exigences
pour devenir Membre Actif de l’Ordre.
2. Les Postulants Etudiants sont des étudiants admis, au moins, en deuxième année
dans un programme de formation universitaire en Sciences Comptables dispensé
par une institution d’Enseignement reconnue ; lesquels étudiants ont
volontairement demandé de se placer sous la Surveillance et l’autorité
disciplinaire de l’Ordre pendant leur cheminement pour en devenir membre actif
à part entière.

Il est important de mentionner le Titre distinctif de «Fellow CPAH» créé par la


résolution F-01 DU 12 SEPTEMBRE 2002 DU Conseil d’administration de l’Ordre. Cette
distinction peut être attribuée aux membres actifs et Honoraires ayant au moins 10 ans
au sein de l’OCPAH, doués d’un comportement exemplaire et qui ont apporté une
contribution éminente à l’avancement de la profession comptable en Haïti.

ADMISSION A L’OCPAH

Peuvent devenir membres actifs les personnes physiques réunissant les conditions
suivantes :
 Etre majeur et de nationalité haïtienne.
 Détenir à la date d’inscription un diplôme en Sciences Comptables.

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64

 Avoir satisfait aux examens d’admission requis


 Avoir, au moins cinq ans d’expériences professionnelles pertinentes.
 Avoir prêté serment par devant le Conseil de l’Ordre.
L’OCPAH est dirigé par un Conseil d’administration composés de membres actifs élus
par l’Assemblée générale. Le Conseil d’Administration peut s’ériger en Conseil de
Discipline pour connaître ou résoudre les conflits ou litiges survécus dans l’exercice de
la profession comptable.

c.-COMITE DES PROGRAMMES DE L’ENSEIGNEMENT COMPTABLE

Le COPEC est institué par le décret du 31 octobre 1983 portant restructuration de


l’Enseignement des sciences comptables. Il est chargé de donner au Ministère de
l’Education Nationale, un avis motivé sur :

 Les demandes de création d’établissements privés d’enseignement de la


comptabilité.
 Les demandes de permis d’enseigner ;
 Les demandes d’équivalence ;
 L’administration des examens officiels de comptabilité.
 La délivrance de certificats et diplômes comptables.
 Le contenu des programmes et des cours.
 Toutes autres questions à lui soumise par le Ministère de l’Education Nationale.

Au terme de l’article 25 du décret susmentionné, le COPEC est ainsi composé :

 Un représentant de l’INAGHEI, Président.


 Un représentant du Ministère de L’Education Nationale.
 Un représentant du Conseil National de la Comptabilité.
 Un représentant de l’Ordre des Comptables Professionnels Agréés d’Haïti.
Le COPEC n’a pas su résister aux bouleversements sociopolitiques de 1986. Mort-né, il
n’a jamais commencé véritablement à fonctionner.

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65

Conclusion

A l’heure actuelle, la profession est confrontée à un grand vide institutionnel que


l’OCPAH essaie parfois de combler maladroitement. L’enseignement des sciences
comptables n’est pas réglementé et on assiste à la prolifération désordonnée de
Centres d’enseignement de la comptabilité dispensant, de manière anarchique, une
formation parfois au rabais.
Il existe aussi une imprécision conceptuelle ou mieux une quasi absence en matière de
normalisation comptable. Et cela, malgré la résolution de décembre 1997 par laquelle
l’assemblée Générale de l’OCPAH a déclaré adopter pour Haïti les normes
internationales de comptabilité et de vérification de l’IFAC sous réserve de leur
adaptation le cas échéant. Cette décision n’a jamais eu d’effets véritables notamment
pour les raisons suivantes :

 La résolution en question n’a, jusqu’ici, jamais été véritablement rendue


publique.
 L’OCPAH, faute de moyens, n’est pas encore arrivé à mettre en application son
projet de promouvoir une large diffusion des normes de l’IFAC en Haïti.
 Les adaptions normatives conformes à la réalité économique et aux prescriptions
légales haïtiennes ne sont pas encore à l’ordre du jour ; et encore moins le
problème d’harmonisation internationale.
En définitive on doit admettre que même dans l’hypothèse où le CONACO et le COPEC
existeraient encore, les missions, attributions qui leur étaient définies en 1981 et 1983
pourraient être fortement mises en question aujourd’hui ; compte des incidences de
l’intégration économique et des technologies de l’information et de la communication
sur la pratique professionnelle actuelle. Et face à un tel vide institutionnel, tout effort
pour dynamiser la profession ou pour introduire les changements nécessaires autorise le
renforcement des institutions existantes et la création de nouvelles institutions plus
appropriées, mais toujours dans une vision d’ensemble qui prend en compte la
participation active des Comptables Professionnels et l’appui des pouvoirs publics
haïtiens et d’autres institutions ou forces vives du pays.

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66

RÉFÉRENCES :
 Décret du 16 avril 1981 instituant le Plan Comptable National, le Conseil National
de la Comptabilité et de l’Ordre des Comptables Professionnels Agréés d’Haïti.
 Décret du 11 octobre 1983 mettant le Plan Comptable National en application à
partir du 1er octobre 1983.
 Décret du 31 octobre 1983 restructurant sur de nouvelles bases l’enseignement
des sciences comptables et instituant le Comité des Programmes de
l’Enseignement Comptable.
 Arrêté du 11 novembre 1983 créant l’Ordre des Comptables Professionnels Agréés
d’Haïti.
 Le livre d’or des Comptables professionnels Agréés d’Haïti incluant : Le Code de
déontologie des CPAH ; Les statuts Règlements intérieurs de l’OCPAH

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Lecture de référence no. 4

La Comptabilité est une histoire

(Michel Capron, La Comptabilité en perspective, Éditions La Découverte, Paris 1994)

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1. Du Comptage Préhistorique aux Banques Antiques

Les découvertes des archéologues permettent aujourd’hui d’affirmer que les rudiments
de la comptabilité remontent à plusieurs milliers d’années avant notre ère. Les plus
anciennes traces de comptage figurent sur des os d’animaux, dont un radius de loup,
vieux de plus de vingt mille ans, comportant cinquante-cinq encoches réparties en deux
séries. Il constitue probablement la plus ancienne “machine à compter” connue
chaque fois que le chasseur tuait un gibier, il entaillait l’os d’un cran. Les multiples
encoches, sous forme de traits verticaux, retrouvées sur les parois des grottes
préhistoriques témoignent également du besoin que l’être humain a éprouvé très tôt de
compter. Avant que le nombre ne devienne une conception abstraite, l’utilisation des
cailloux a été très répandue et a donné naissance au mot calcul (du latin calculus:
petit caillou). Durant l’antiquité, les Grecs, les Perces se servaient de ficelles; les Incas
nouaient toujours, au moment de la conquête espagnole, des cordelettes de différentes
couleurs, désignant la nature des biens dénombrés; l’ensemble de ces cordelettes
constituait des registres comptables et statistiques.

Les bergers ont longtemps compté leurs têtes de troupeaux en gravant des traits
verticaux sur des planchettes de bois: cette pratique a laissé des traces jusqu’au xxe
siècle, notamment en France chez certains boulangers qui utilisaient cette méthode
pour vendre le pain à crédit.

Les cailloux ont laissé la place à des objets en terre crue, de tailles et de formes
différentes, chacun représentant conventionnellement un ordre d’unité d’un système
de numérotation. Certaines pratiques consistaient à enfermer ces objets dans des
bulles-enveloppes (sachets en argile sphériques ou ovoïdes), sur lesquelles pouvaient
figurer des inscriptions numérales. Au IVe millénaire avant notre ère, en basse
Mésopotamie, une brillante civilisation, celle des Sumériens, utilisa des tablettes
d’argile crue rectangulaires pour y tracer à la pointe des dessins représentant des êtres
et des objets. Ces signes permettaient d’effectuer des inventaires d’entrepôts et,
l’argile une fois séchée, d’en garder la mémoire. La transformation des signes utilisés,

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sous l’effet d’un changement du stylet qui gravait l’argile, donna progressivement
naissance à l’écriture cunéiforme. Presque simultanément, le même phénomène
conduisit, dans l’Égypte pharaonique, aux hiéroglyphes, puis à l’écriture hiératique,
cursive, que les scribes transcrivaient sur des papyrus. En liant leur sort à l’écriture,
les premiers systèmes comptables offraient la possibilité à l’humanité d’accéder du
langage à la durée.

Vers 1750 avant notre ère, l’Hammourabi, monarque de Babylone, fit graver sur un bloc
de diorite (exposé au Musée du Louvre) le plus ancien recueil de lois commerciales et
sociales connu, imposant notamment l’obligation légale de l’enregistrement, en forme
de comptes, de certaines transactions (par exemple, le contrat de commission). Étant
donné l’intense activité commerciale de cette région à cette époque, l’utilisation des
lettres de crédit nécessitait des techniques comptables appropriées et en particulier
des comptes récapitulatifs. Toute la vie publique et privée se déroulait sous l’égide
des temples, et ce sont eux qui constituaient les centres de tenue comptable. Ils
resteront très longtemps le lieu privilégié des échanges et deviendront, dans la Grèce
ancienne, les premières banques de dépôts, réunissant pratiquement tous les éléments
de la technique financière moderne, y compris les chèques et les virements directs de
compte à compte. Les premiers banquiers, qui étaient généralement des changeurs de
monnaie, tenaient un livre-journal ou éphémérides détaillant les opérations
quotidiennes. C’est ainsi que les recettes et dépenses étaient inscrites les unes en
dessous des autres dans un ordre chronologique donnant lieu à un jeu d’additions et de
soustractions. Il existait également des comptes synthétiques résumant les opérations
au cours d’une période donnée. Les registres de ces banques avaient une valeur
probatoire reconnue de tous.

Les livres comptables des romains dont il nous reste de nombreuses traces portaient le
nom de calendaria. Très précis et méticuleux, les banquiers romains perfectionnèrent
la technique comptable en ouvrant des comptes de tiers et appelèrent adversaria le
journal du premier enregistrement. On leur doit l’idée, bien qu’il ne s’agisse pas

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70

encore de comptabilité en partie double, de faire deux colonnes dans les livres de
caisse, afin de séparer les encaissements et les sorties de fonds, avec les intitulés
acceptum (crédit) et expensum (débit).

2. La Partie Simple Au Moyen Âge

L’évolution de la technique comptable est liée à l’évolution des échanges


commerciaux. Après la chute de l’Empire romain et l’arrivée des Barbares en Europe,
les aires de commerce se restreignent tandis que se développe l’économie domaniale
aux contours plus fermés. On retient généralement de cette époque que la
comptabilité a stagné, mais cette idée provient peut-être aussi de ce que, du Haut-
Moyen Âge, aucun compte ne nous est parvenu.

Au Moyen Âge, peu de gens savent écrire et les livres de comptes, lorsqu’ils existent,
ont surtout pour but de conserver une mémoire des opérations commerciales, d’où le
nom qui leur est attribué: “mémoriaux”. Dans leur forme primitive, les écritures dans
un mémorial se suivent dans un ordre chronologique, sans classification, et se limitent à
un enregistrement des créances et des dettes. Mais d’autres mémoriaux plus évolués
retracent des opérations de caisse et même des inventaires. Les moines dans les
abbayes jouent un rôle essentiel dans la tenue de ces documents.

Néanmoins, la période des croisades (1096 - 1251) fut propice à l’extension du crédit et
à la prospérité d’ordres militaro-religieux, comme les Templiers, véritables puissances
économiques et financières internationales. Leurs monastères devinrent des
forteresses, où leurs valeurs étaient en sécurité, et des établissements de crédit: les
templiers devaient tenir un compte exact de leurs recettes et de leurs dépenses et
pouvoir justifier de la gestion des biens à la moindre requête. Les comptes des clients
étaient tenus d’une manière identique à celle des comptes de banque aujourd’hui.
Innovation importante: ils prirent l’habitude d’arrêter les comptes périodiquement,
trois fois par an, au moment des échéances des fermages, et de reporter à chaque
échéance le solde de l’arrêté précédent. Il s’agissait là d’un véritable compte courant;

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71

au débit figurent les sommes dues par le client; au crédit, ses versements, le solde seul
étant dû. Les écritures étaient enregistrées chaque jour dans un journal, puis
reportées dans des grands livres.

Le mémorial évalua vers la comptabilité en partie simple lorsque les commerçants


eurent à enregistrer à part certains comptes de correspondants, et à ouvrir des
comptes de valeurs, tels que les comptes de marchandises, et non plus seulement des
comptes de personnes. Les plus anciens comptes connus (vers 1100) sont tenus sur une
seule colonne (disposition dénommée “à sections superposées”), ce qui avait l’avantage
d’économiser le parchemin. Par la suite, on trouve de nombreux comptes simples avec
deux colonnes (disposition dite “à la vénitienne”) qui constituent, malgré un coût
supérieur en parchemin, un progrès matériel important et une clarification répondant à
la fois à la complexification des transactions et aux exigences des clients.

3- Naissance et Genèse de la Partie Double

Les historiens de la comptabilité se sont longuement disputés, et se disputent encore,


sur les origines et les conditions d’apparition de la comptabilité en partie double. Il est
vrai que, faute de preuves écrites irréfutables, on ne sait pas exactement à quelle
époque remonte les premiers livres comptables de ce type et les raisons de leur
développement restent encore mystérieuses. Après avoir pensé que le principe de la
partie double provenait de recherches mathématiques, on considère aujourd’hui
qu’elle est le produit d’une évolution progressive de la pratique quotidienne des
affaires et qu’elle découle assez naturellement de la partie simple.

En effet, à la fin du Moyen-Age, le développement des rapports marchands entre les


villes italiennes, dans le bassin méditerranéen et entre l’Orient et l’Occident, induit
une extension du crédit dans un monde qui a pour centre Venise et Florence au XIIIe
siècle, puis Gênes au XIVe siècle. Les négociants, les armateurs et les banquiers qui
opèrent souvent très loin de leurs villes d’origine manipulent des capitaux de plus en
plus importants, recourent à des associés et à des mandataires et ont besoin d’ordre

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72

dans la tenue de leurs affaires. Il se forme alors des sociétés commerciales qui
préfigurent les sociétés par actions et constituent l’ossature du capitalisme naissant.
La comptabilité doit donc adapter et perfectionner ces méthodes pour répondre aux
nouvelles exigences de l’activité économique.

Dès la fin du XIIIe siècle, les comptables vénitiens et florentins tiennent un compte par
client et par fournisseur, sur lequel ils enregistrent le “doit” (synonyme de débit) et l’
“avoir” (synonyme de crédit) de chacun d’eux. Chaque opération requiert deux
écritures: l’une sur le compte de tiers, l’autre sur le compte de caisse, et nécessite la
tenue de livres différents. Parallèlement les commerçants et les premiers
“entrepreneurs” éprouvent le besoin d’évaluer les mouvements de leur patrimoine (par
exemple, la cargaison d’un navire avant après l’expédition).

A l’époque du Quattrocento ( Renaissance italienne) apparaissent des comptes de


“pertes et profits” (peut-être déjà utilisés par les Templiers) qui permettent d’avoir
une vision nette des éléments du patrimoine et de leur variation. Pour cela, il fallait
grouper les éléments de même nature dans des comptes distincts. On comprit alors
que toute modification de la consistance ou de la valeur du patrimoine avait un point
de départ et un point d’arrivée. Par conséquent, il fallait recourir à deux comptes
séparés. En outre, l’application aux comptes de caisse des méthodes utilisées pour les
comptes de tiers supposait des modifications importantes de la codification. D’après
Jean Fourastié, on aurait là l’origine de l’inversion des signes traditionnels des comptes
de caisse: l’application de la règle de l’écriture double de signe contraire obligeait, à
partir du moment où l’on créditait le compte du tiers (en cas de recette), à débiter la
caisse pour enregistrer la recette (ce qui paraît toujours étonnant aux non-initiés).
D’autres historiens de la comptabilité, tels que Joseph H. Vlaminick, ont contesté cette
hypothèse en faisant valoir que cette inversion n’était pas le résultat d’une recherche
technique, mais d’une évolution de la technique d’enregistrement du patrimoine
permettant de faire apparaître les droits de propriété des associés de l’entreprise sur
les composantes de son patrimoine.

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Quoi qu’il en soit, la comptabilité en partie double est née: si l’on en retient la
définition donnée par Pierre Garnier, elle se distingue d’une simple tenue des comptes
en deux colonnes par deux éléments caractéristiques: une dualité d’inscription dans les
comptes (chaque écriture a nécessairement sa contrepartie) et un jeu complet de
comptes (personnes, valeurs, débours, résultats et capital).

La pratique de la partie double apparaît bien antérieurement au premier traité de


littérature comptable qui l’a formalisé et systématisé. On doit le premier énoncé clair
de ses principes fondamentaux à un moine franciscain, natif de Toscane, Luca Pacioli.
Mathématicien renommé, et ami de Léonard de Vinci, il publia à Venise, en 1494 une
“Summa di Arithmetica, Geometrica, proportioni, et proportionnalita”, encyclopédie
de mathématiques qui contient, outre une sorte de répertoire des coutumes
commerciales, une partie relative à la tenue des comptes, exposée en trente-six
chapitres et intégrée dans l’arithmétique. Pacioli y parle de trois livres: le mémorial,
le journal et le grand livre, mais pas du bilan. Il expose notamment la manière de
reporter les écritures du journal au grand livre et démontre clairement la technique de
la partie double et le résultat mathématique de la constante égalité des “parties”.

Si Luca Pacioli n’est pas l’inventaire de la comptabilité en partie double, il en a été le


promoteur et le vulgarisateur, mais son œuvre ne sera redécouverte en Italie que dans
les années 1870, à l’époque de l’unification politique de la péninsule. Il faut ajouter
que la partie double n’aurait pu prendre corps, dès les XIVe et XVe siècle, sans le
support d’un facteur important: la diffusion en Europe du calcul écrit au moyen des
chiffres indo-arabes, dont les formes sont définitivement rationalisées et fixées au XIVe
siècle, ce qui permet de substituer à la lourdeur des chiffres romains une considérable
souplesse dans les calculs et la tenue des comptes.

4. Partie Double et Capitalisme

Les historiens se sont également affrontés sur le point de savoir si la comptabilité en


partie double avait donné naissance au capitalisme, ou si, du moins, celui-ci pouvait se

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concevoir sans la partie double. Un économiste allemand, Sombart, avait


catégoriquement affirmé, en 1928, qu’on ne pouvait imaginer le capitalisme sans la
comptabilité en partie double: “Ils se comportent l’un vis-à-vis de l’autre, comme la
forme et le contenu”. Cette position a, depuis lors, été sévèrement critiquée par de
nombreux historiens et notamment par Fernand Braudel qui, dans son ouvrage
“Civilisation matérielle, économie et capitalisme” rappelle que le premier livre connu
de comptabilité en partie double date de 1211. A cette date, les rapports de
production capitalistes sont encore embryonnaires, et cet auteur fait remarquer que la
diffusion de la partie double s’est effectuée lentement. De grandes entreprises (telle
la Compagnie Hollandaise des Indes Orientales) se sont longtemps passées de ses
services et une célèbre compagnie d’assurances londonienne n’y aura recours qu’en
1890. Enfin, il souligne que dans le registre des instruments rationnels propres au
capitalisme, il en existe d’autres autrement plus efficaces que la partie double: la
lettre de change, la banque, la bourse, le marché, l’endossement, l’escompte...

Karl Marx s’est attaché à décrire le rôle de la comptabilité dans la division sociale du
travail. Dans le livre I du Capital, il montre que les communautés archaïques des Indes
avaient déjà, pour les travaux agricoles, un comptable dont la fonction était exclusive.
Dans le livre II, il souligne que “la comptabilité, contrôle et synthèse idéale du
processus de production, devient d’autant plus nécessaire que la production s’effectue
davantage sur une échelle sociale et perd son caractère purement individuel; donc plus
nécessaire dans la production communautaire que dans la production capitaliste”.
Dans le seul texte où il esquisse les principes généraux de la société communiste
(Critique du Programme de Gotha du parti social-démocrate allemand), Marx fournit
des indications d’ordre comptable sur la manière dont doivent être constitués les
différents fonds d’affectation des fruits du travail.

Il ne faut donc pas exagérer la portée de la comptabilité dans l’histoire du


développement du capitalisme, mais si, comme Braudel le définit, le capitalisme est “à
chaque instant de son histoire, une somme de moyens, d’instruments, de pratiques,

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75

d’habitudes de pensée, qui sont sans conteste des biens culturels et qui, comme tels,
voyagent et s’échangent”, il faut reconnaître que la comptabilité en partie double
constitue l’un de ces moyens, et qu’elle s’est perpétuée jusqu’à nos jours.

Un système comptable ne modifie pas un système économique, mais il en consacre les


formes de liaisons productives et marchandes, tout en visant à les renforcer.

5. Les Temps Modernes et la Révolution Industrielle

Si, depuis le traité de Luca Pacioli, les méthodes d’enregistrement comptable n’ont pas
subi de profonds bouleversements, la comptabilité a évolué sous l’effet des progrès
techniques et des changements économiques et sociaux. A partir du XVe siècle,
l’invention de l’imprimerie permet de généraliser progressivement et inégalement la
partie double à l’ensemble de l’Europe et, en premier lieu aux régions où s’épanouit
l’expansion du commerce. Au XVIe siècle, le centre de la littérature comptable se
déplace de l’Italie du Nord vers les Pays-Bas, mais la partie double ne gagne pas encore
l’Allemagne. La France qui, au XVIIe siècle, occupe une place dominante en Europe, va
donner à la comptabilité son visage contemporain: une ordonnance de Colbert en 1673,
oblige les commerçants à tenir des livres comptables, tandis que le livre journal
devient un moyen juridique de preuve.

Ainsi apparaît une nouvelle fonction de la comptabilité qui devient auxiliaire de l’État
dans la surveillance et le contrôle de l’activité économique liant, par-là même, son
devenir au rôle fiscal et à l’interventionnisme de l’État.

Parallèlement, les analyses comptables éclatent en un nombre croissant de comptes


par nature. Ce cheminement vers la mise en forme des présentations comptables
atteint sa maturité vers le milieu du XIXe siècle en Allemagne, puis en 1867 en France,
avec la législation sur les sociétés anonymes.

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La comptabilité voit ainsi se développer sa fonction de reddition: il s’agit de


déterminer les résultats et la situation patrimoniale et, en publiant des comptes
sociaux, d’informer les actionnaires sur la gestion des dirigeants.

L’essor de la grande industrie, dans la seconde moitié du XIXe siècle, fait naître, en
particulier aux États-Unis, un besoin de connaissance des coûts de produits, qui ouvre
la voie à la comptabilité analytique qu’on appellera aussi comptabilité industrielle. La
comptabilité devient un instrument interne d’aide à la décision, de prévision et de
contrôle de gestion.

6. Les Développements Contemporains

Au XXe siècle, les États nations se préoccupent d’une formalisation des règles
comptables, imposée à toutes les entreprises, afin de répondre aux besoins de la
collectivité et, en particulier, aux exigences d’information du fisc. Dans les pays
occidentaux, c’est l’Allemagne nazie qui, la première, en 1937, adopte un plan
comptable (“plan Goering”) unifiant les principes et les méthodes de la comptabilité
des entreprises. En URSS, également, la réalisation des plans quinquennaux est suivie,
au niveau des unités de production, grâce à la mise en œuvre d’un plan comptable
général: le premier date de 1925.

Aux États-Unis, on s’est inquiété très tôt de définir des méthodes et des principes
communs, mais il faut attendre la crise de 1929 qui jette une lumière crue sur les
insuffisances de l’information financière, pour que les milieux professionnels, en liaison
avec les pouvoirs publics, édictent les premières règles essentielles.

En France, le premier plan comptable est élaboré en 1942 sous le régime de Vichy. Il
n’est pas appliqué, mais le plan de 1947 s’en inspire néanmoins. Il est révisé en 1957
et une troisième version, préparée à partie de 1971, débouche sur le plan actuellement
en vigueur, promulgué en 1982.

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De nos jours, les principaux débats tournent autour de l’harmonisation internationale


des principes comptables et, notamment, de la nécessité ou non de définir un cadre
conceptuel qui servirait de cadre de référence à la formulation de nouvelles normes ou
pratiques comptables et à l’évaluation des pratiques existantes.

Sur le plan technique, le développement de l’application de l’informatique ouvre de


nouvelles possibilités en même temps qu’elle pose le problème d’une nouvelle
adaptation. L’utilisation des ordinateurs allège les travaux matériels, accélère le
traitement des informations et modifie l’organisation du travail des comptables. Mais il
se pourrait bien que l’adaptation de la comptabilité à l’informatique remette
sérieusement en cause sa méthodologie et ses fondements mêmes.

La mise en œuvre de systèmes-experts, notamment, permet d’envisager l’intégration


de la comptabilité dans une base de données et l’automatisation de l’enregistrement
des données de base. Certains auteurs voient déjà la sacro-sainte partie double être
remise en question par ces évolutions techniques.

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78

Lecture de référence no. 5

Existe-t-il une vérité comptable ?

Par

Michel Capron, La Comptabilité en perspective, Editions La Découverte, Paris 1993

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La question de la vérité comptable ne se pose pas abstraitement ou d’une manière


ontologique. Les implications sociales sont particulièrement importantes et parfois
graves. On peut inculper et condamner un dirigeant d’entreprise pour avoir présenté un
« faux bilan ». Les salariés, et notamment leurs élus, se posent constamment les
questions : quelle crédibilité peut-on accorder aux chiffres présentés ? Que peut
révéler la comptabilité ? Que dissimule-t-elle 7 Or, nous avons déjà vu que la
comptabilité d’entreprise, par ses normes et par ses méthodes, est limitée et orientée :
la réponse n’est donc pas simple et comporte plusieurs niveaux d’analyse.

1. Le problème de la représentation de la réalité économique

On attend beaucoup de la comptabilité parce qu’elle est censée apporter, d’après les
termes de la législation française. une « image fidèle du patrimoine, de la situation
financière et du résultat de l’entreprise ». Cette idée a été empruntée à to législation
britannique qui a généré l’expression true and fair view (« vue exacte et loyale:). Or,
cette expression n’a jamais été vraiment définie et a suscité beaucoup de com-
mentaires critiques.

On a fait valoir qu’il pouvait exister plusieurs images « fidèles » d’une même réalité,
comme il peut exister plusieurs représentations photographiques à un même objet
selon l’angle de prise de vue, l’éclairage, la distance, etc. et qu’il faudrait, par
conséquent, choisir entre ce qui apparaîtrait le plus conforme à la loi ou le plus
conforme à la situation donnée. Et on a aussitôt mis l’accent sur les risques de
contradiction qui pouvaient apparaître entre le respect des principes comptables et le
souci de reflet de la réalité économique. On privilégiera, selon le cas, les valeurs
historiques, économiquement significatives ou des comptes fournissant des résultats
socialement admissibles ou bien encore des critères imposés par le fisc.

En outre, puisque l’on reconnaît que la comptabilité ne peut fournir qu’une


représentation de la réalité, il s’agit de ne pas confondre l’image et la réalité, d’être
parfaitement conscient des distances qui existent entre les deux et de ne pas se laisser

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prendre à de dangereuses illusions, comme en sont souvent victimes les utilisateurs,


non initiés, de la comptabilité. Mais on doit aussi reconnaître que cette image crée,
elle-même une nouvelle réalité ou tout au moins une apparence qui se donne pour
réalité et qui agit sur le comportement des agents économiques et produit des effets.

Le problème de la vérité comptable ou, plus précisément, de l’adéquation de l’image


comptable à la réalité économique doit s’apprécier en référence à des qualités de
fidélité, d’authenticité et de validité.

La qualité de fidélité ne peut vouloir dire exactitude d’une copie ou ressemblance à un


modèle, pour la raison que celui-ci n’est pas unique et dépend de la vision de chacun
des acteurs sociaux. C’est donc 1’autre sens du terme fidélité qu’il convient ici de
retenir : image à laquelle on peut donner foi, accorder crédit.

La question de l’authenticité ne peut être examinée sur un plan ontologique 2, car nous
avons vu que la comptabilité n’existe pas, en e1le-même, mais dans des conditions
sociales et historiques déterminées. L’authenticité peut renvoyer à la sincérité : un
bilan pourra être déclaré faux si l’on a pu prouver l’intention de tromper.
L’authenticité peut aussi renvoyer à la qualité d’un document émanant réellement de
l’auteur auquel on l’attribue, d’où l’importance des signatures (notamment celles des
Commissaires aux comptes) qui produisent un effet d’authenticité.

L’examen des conditions de validité renvoie de nouveau aux normes et à la


contradiction entre la recherche de la « vérité » et la conformité aux conventions et
aux règles établies, ou, en d’autres termes, entre la substance économique et le
formalisme juridique. A notre sens, des documents comptables valides sont ceux qui
présentent les conditions et les qualités requises pour produire les effets sociaux qu’on

2 ontologique adjectif
Philos.
1. Relatif à l'ontologie.
– Preuve ontologique de l'existence de Dieu, qui consiste, après avoir posé Dieu comme parfait, à soutenir que, s'il lui manquait
l'existence, il ne serait pas parfait, donc qu'il existe. (Elle a été utilisée en particulier par saint Anselme.)
2. Qui relève de l'être (par opp. à ontique). 2

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en attend, c’est-à-dire, pour l’essentiel, apporter ou non la confiance aux acteurs


économiques, dans le but de rendre possibles et de faciliter leurs transactions. Nous
avons déjà vu que la validation sociale s’obtient, d’une part, par la normalisation
comptable et, d’autre part, par l’intervention des professionnels accrédités qui
certifient individuellement les comptes des entreprises. Cette validation est, d’après
nous, réalisée grâce à un double processus de légitimation ;

- Une légitimation rationnelle fondée sur la croyance en la légalité et la


pertinence des règles normatives et en la compétence de ceux qui les ont
établies et sont chargés de les faire appliquer ;

- Une légitimation symbolique qui accompagne généralement toute production


technique et qui consiste en une action fondée sur le caractère de l’objet ; en
l’occurrence, ici, l’utilisation du chiffre, de la mesure, du code, qui sont deve-
nus des vecteurs mythiques de la modernité dans les sociétés contemporaines.

En vertu de cette analyse, il n’est donc pas’ possible de dire que la comptabilité est en
mesure de délivrer une vérité, un message objectif. Il est donc vain de vouloir
connaître, comme le font souvent certains médias, la « vraie » valeur ou le résultat «
réel » d’une société lorsque plusieurs estimations sont avancées. Comme l’écrit le
doyen André Cibert, il y a autant de vérités que de destinataires de l’information et
dans la mesure où elle exclut le qualitatif, l’effet réducteur de toute mesure est
inévitable. D’autres (Pierre Lassègue, Bernard Colasse, Daniel Boussard...) ont
également admis que la comptabilité ne dit pas le « vrai » et n’est qu’un filtre
permettant l’appréhension d’une réalité. Néanmoins, grâce à sa cohérence interne, qui
en fait à la fois sa force et sa faiblesse, la comptabilité permet d’arriver à une vérité
formelle qui repose sur ses postulats de départ: conventions, normes, règles de
classification... .

Ainsi, la comptabilité n’est pas le révélateur magique que d’aucuns attendent. On est
souvent tenté de dire qu’elle ferait bien, comme les miroirs de Jean Cocteau, « de
réfléchir avant de renvoyer les images ». A l’inverse, peut-on dire que la comptabilité

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assure une certaine fonction de dissimulation ? L’examen de la notion fondamentale de


résultat va permettre de l’apprécier.

2. Le résultat et ses principales déformations possibles

Sur la question essentielle de l’appréciation des performances de l’entreprise,


l’estimation faite à partir de son résultat comptable (dernière ligne des comptes de
synthèse) peut-elle être fiable ? Le résultat est généralement considéré comme la
variation de la richesse de l’entreprise induite de son activité pendant la durée d’un
exercice. Une remarque préalable s’impose : la comptabilité constate la mesure d’un
résultat, sans chercher à décrire les conditions dans lesquelles il a été obtenu ; elle ne
fournit donc qu’incidemment des indications sur celles-ci.

Nous avons déjà pu nous rendre compte que les directions pouvaient, en jouant de
toutes les possibilités fiscales légales, moduler le résultat final. Malgré la
réglementation apparemment rigoureuse, les entreprises ont de grandes latitudes pour
constituer des provisions qui ne sont pas déductibles fiscalement, mais diminuent le
résultat présenté aux actionnaires et aux représentants des salariés. Des « oublis » de
constitution de provision ou de non-reprise de provision sent aussi des moyens usuels
d’« ajustement » du résultat.

Ces pratiques sont maintenant appelées très élégamment « politique comptable » ou


« politique d’ajustement du résultat » ou encore « lissage du résultat ». Ce rappel est
déjà une limitation importante à la fiabilité de la notion de résultat. C’est la raison
pour laquelle on considère maintenant, dans les milieux professionnels, que le résultat
ne peut être qu’une approximation. Si tout le monde s’accorde sur ce point, personne
n’est cependant en mesure de déterminer les limites des écarts tolérables.

Main, d’autres « manipulations », illicites cette fois, sont couramment pratiquées.


Elles ne peuvent pas toujours être relevées par les Commissaires aux comptes, soit
parce qu’elles sont très soigneusement camouflées, soit parce qu’un usage habile de la

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législation en rend l’illégalité discutable. Dans tous les cas, ces pratiques conduisent à
une « déformation » du résultat, qui vise généralement à rendre un bénéfice moins
important, ou une perte moins conséquente. On constate ainsi, sur une longue période,
un effet d’atténuation des irrégularités des résultats des entreprises. La technique de
déformation consiste en une majoration ou minoration de produits ou de charges..

Les cas les plus connus, mais difficilement démontrables qui peuvent s’appliquer aux
quatre hypothèses précédentes, sont la livraison de produits sans factures et l’artifice
des prix de transfert. La première est surtout répandue dans l’artisanat et le petit
commerce et se trouve immanquablement liée au phénomène du travail clandestin. Les
prix de transfert, au contraire, ne peuvent se pratiquer que dans les groupes, c’est-à-
dire dans un ensemble de sociétés relevant d’une même autorité. Les prix de cession
de marchandises ou de services son majorés ou minorés par rapport aux prix usuels du
marché, de façon à transférer le bénéfice d’une société dans l’autre (généralement
dune société bénéficiaire à une société déficitaire) ou, dans les groupes
multinationaux, d’une société implantée dans un pays à lourde fiscalité vers une
société implantée dans un « paradis fiscal » (Luxembourg, Bahamas, Bermudes..).
L’industrie pharmaceutique est réputée pour effectuer cette pratique entre filiales
industrielles et filiales de commercialisation.

Les opérations de rattachement des produits et des charges à un exercice, en période


de clôture des comptes (problème de la césure), peuvent aussi considérablement
modifier les compte et le résultat par report de certaines opérations d’un exercice sur
l’autre. Par exemple, une majoration de résultat peut être obtenue par une
anticipation de vente de produits qui ne seront livrés qu’après la clôture de l’exercice ;
elle peut être aussi obtenue par une minoration des achats et des charges,
comptabilisés sur l’exercice suivant. Une minoration du résultat sera obtenue par des
opérations inverses. Certaines sociétés, notamment dans les milieux financiers, sont
coutumières de l’habillage de bilan, consistant à passer des écritures comptables
artificielles quelques jours avant la clôture des comptes, puis d’annuler ces écritures le

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lendemain de l’ouverture de l’exercice suivant ; le but ainsi recherché étant


généralement une physionomie plus rassurante du bilan pour les tiers.

Les postes comptables se prêtant le plus à des possibilités de majoration du résultat (ou
de minoration) sont les postes dons les valeurs sont appréciées en fonction du coût de
revient. Même sans intention de fraude, une mauvaise connaissance des données
analytiques par l’entreprise, ou tout simplement des modes de comptabilisation
différents conduisent à des résultats différents. C’est le cas avec la prise en compte
des produits nets partiels issus de travaux en cours d’exécution d’un contrat à long
terme : le prix de vente définitif est susceptible de modification et le degré
d’avancement des travaux à une date précise n’est pas aisé à déterminer (c’est le cas
notamment des entreprises qui ont à l’étranger des contrats de grands travaux
d’infrastructure ou des contrats d’ingénierie).

Un autre exemple est fourni par la production d’immobilisations, c’est-à-dire la


construction par les moyens propres de l’entreprise de certains biens destinés à être
immobilisés : les éléments du coût total sont disséminés dans différents comptes et il
peut être tentant, pour une entreprise déficitaire, de gonfler artificiellement le
montant de ces travaux pour limiter l’importance de ses pertes. Enfin, le problème de
l’évaluation des stocks de produits finis est un sujet sur lequel la littérature comptable
est intarissable car les différents mode de calcul et de comptabilisation offrent une très
large palette d’appréciations contradictoires, et donc des marges de manœuvres asses
grandes pour les directions des entreprises.

Au sein d’un même groupe, la vigilance à l’égard de l’estimation du résultat des


différentes sociétés doit être redoublée, car les possibilités de majoration ou de
minoration sont multiples. Indépendamment des prix de cessions, déjà cités, on peut
mentionner toutes les surfacturations ou sous facturations portant sur les prestations de
services, les loyers, les redevances pour utilisation de brevets ou de marques ou encore
la pratique des taux d’intérêt différenciés pour une société, selon qu’elle est prêteuse

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ou emprunteuse. Les exemples ne manquent pas où les sociétés d’exploitation indus-


trielle transfèrent ainsi une partie de leurs profits à leur société mère, holding du
groupe. La Lainière de Roubaix avait ainsi acheté à sa filiale industrielle les brevets et
marques que celle-ci exploitait ; après deux ans de paiement de redevances, elle avait
récupéré le montant de son achat ! Mais l’inverse est également vrai et l’on voit parfois
des sociétés mères voler au secours de leurs filiales en difficulté, en leur accordant des
abandons de créances. Il y a quelques années, un très sérieux périodique économique
grand public, peu vigilant, avait décerné le <c ruban bleu » de la meilleure
performance annuelle dans la chimie française à une entreprise en perdition, à la seule
vue du rapport entre son résultat net comptable et ses capitaux propres. En fait, cette
entreprise n’avait pratiquement plus de capitaux propres (absorbés par ses pertes
antérieures) et son résultat comptable était artificiellement gonflé d’un abandon de
créances octroyé par sa société mère qui tentait encore d’éviter l’arrêt de son activité
! Exemple caricatural certes, mais bien réel, des illusions que peut procurer le résultat
comptable.

Dans les petites et moyennes entreprises, à caractère familial, l’attention se porte plus
vers les virtualités de charges indues d’exploitation : frais généraux excessifs,
notamment, dus à des confusions (volontaires ou involontaires) entre les dépenses
privées du chef d’entreprise et de sa famille et les charges dues à l’activité spécifique
de l’exploitation de l’entreprise. Il est assez fréquent que la cuisinière ou le jardinier
attachés au service de la maison du chef d’entreprise soient salariés de l’entreprise,
sans parler de la voiture de fonction dont dispose sa famille. L’exemple, sans doute le
plus spectaculaire, est celui des frères Schlumpf qui, en quelques dizaines d’années,
avaient trouvé le moyen de mettre à la charge de leurs entreprises textiles en Alsace le
financement de leur hobby : la constitution, à Mulhouse, du plus grand musée mondial
de voitures anciennes !

Mais gare à ceux qui dénoncent trop haut et trop fort les sociétés qui pratiquent les
maquillages de comptes. Terry Smith, analyste financier de l’une des plus célèbres

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firmes de courtage londonien en sait quelque chose ; il a publié en 1992, un livre,


Accounting for Growth («La comptabilité au service de la croissance ») dans lequel il
révèle les manipulations légales d’une douzaine de compagnies cotées en Bourse et très
connues, qui ont présenté leurs comptes à leurs actionnaires et au public sous un jour
meilleur, en sous-estimant leur endettement et en surestimant leurs profits. Il a
finalement été licencié par son employeur après avoir été suspendu de ses fonctions
après la parution de son livre.

Toutes ces illustrations montrent à quel point le résultat comptable ne présente aucune
signification économique et que son usage, notamment dans les ratios d’analyse finan-
cière, doit être soigneusement évité. Ce n’est malheureusement pas la pratique de la
presse, des médias et de la plupart des analystes économiques qui continuent de
présenter et de commenter les réussites et les difficultés des entreprises à partir des
chiffres des résultats comptables (c’est le cas, en particulier, lorsqu’il s’agit
d’apprécier les entreprises publiques industrielles). Quand ouvrira-t-on enfin les yeux
du grand public en lui disant clairement qu’une perte (comptable) ne signifie pas
nécessairement « perdre de l’argent » ?

3. Les contradictions entre la recherche d’image fidèle et l’application de quelques


principes

Plusieurs auteurs ont souligné combien la recherche d’« image fidèle » pouvait entrer
en contradiction avec certains principes comptables ou comment certains principes
pouvaient être contradictoires entre eux. André Cibert s’est en particulier attaché à
montrer la « contradiction majeure » entre le principe de prudence et le principe de
continuité d’exploitation. Le principe de prudence conduit souvent à retenir des
valeurs d’actif proches des valeurs vénales de liquidation, par conséquent à sous-
évaluer les moyens d’activité de l’entreprise et, en gonflant les provisions pour dépré-
ciation, à avoir un effet de minoration des résultats, alors qu’à l’inverse la
comptabilisation des plus-values latentes n’est pas admise.

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D’autres principes paraissent également nuire à la recherche dune meilleure


représentation de la réalité économique : ainsi, le principe d’indépendance des
exercices qui segmente arbitrairement le temps en séquences annuelles qui n’ont
aucune raison de correspondre au rythme d’activité de l’entreprise ; le principe
d’entité qui privilégie des découpages juridiques qui ne s’accordent pas nécessairement
avec l’entité économique réelle.

L’exemple du problème de la prise en considération des effets de !’inflation

Nous avons vu que la méthode conventionnelle de comptabilisation retenait deux


principes : l’unité de mesure retenue est la valeur monétaire nominale et l’évaluation
de tout bien ou de toute dette est effectuée selon les coûts historiques. Cela conduit à
additionner tant à l’actif qu’au passif des unités monétaires datant de différentes
époques (monnaie « courante ») et, en période d’inflation, ne possédant pas le même
pouvoir d’achat.

Vouloir, à partir de ces valeurs, tirer des enseignements sur la situation de l’entreprise,
en mettant en rapport certaines grandes masses du bilan, en particulier entre le haut
et le bas, relève alors d’un exercice périlleux ou purement conventionnel. Tant en
France qu’à l’étranger, la littérature comptable relative aux problèmes posés par
l’inflation est abondante, mais aucune solution définitive n’a pu être trouvée. Les
comptabilités anglo-saxonnes ont été les premières, surtout depuis 1975, à se
préoccuper de trouver des remèdes appropriés.

En France, depuis la fin des années soixante, le patronat n’a cessé de réclamer une
réévaluation légale des actifs immobilisés, arguant principalement du fait que la sous-
évaluation de la valeur des moyens de production des entreprises donnait aux banquiers
et aux créanciers une vision pessimiste, les incitant à accorder les prêts de façon
parcimonieuse. Il s’est très longtemps heurté à l’administration des finances qui
traduisait réévaluation des bilans par manque à gagner pour les recettes fiscales de
l’État (une réévaluation des immobilisations entraîne, en effet, une charge

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d’amortissement supplémentaire qui, si elle est fiscalement déductible, diminue le


résultat imposable et donc l’impôt sur les bénéfices). Finalement, les lois de finances
pour 1977 et 1978 ont introduit la réévaluation des bilans pour les sociétés cotées en
Bourse et leurs filiales, mais n’ont pas autorisé la déduction fiscale de la charge
supplémentaire d’amortissement.

Même après une réévaluation, qui reste une mesure ponctuelle, plus le temps passe et
plus l’analyste financier se trouve confronté aux mêmes problèmes concernant la
mesure de la rentabilité (difficulté la plus souvent évoquée). En effet, la situation
inflationniste est plus complexe qu’une hausse générale des prix : les hausses sont
différenciées selon les biens et surtout les dettes et les créances, en vertu du Code
civil, restent à leur valeur nominale. On oublie trop souvent que l’endettement, en
période d’inflation, présente des avantages financiers incontestables qui ne sont pas
chiffrés par la comptabilité.

Plusieurs méthodes cherchent à pallier ces insuffisances. Celles dites de conversion,


dont l’objectif est de présenter les comptes en monnaie constante, font apparaître des
gains sur endettement. Mais la question se pose alors de savoir si ces gains doivent être
inclus (ou non) dans le résultat. Des méthodes d’évaluation comptabilisent des valeurs
de remplacement en monnaie nominale (valeur courante). Le calcul du résultat pose
également problème car il faut introduire une estimation des charges en coût du
moment où les produits sont cédés. Une méthode combinant les deux premières,
théoriquement plus riche, aboutit à une complexité qui rend l’information comptable
difficilement «lisible ». Le débat et les recherches restent donc largement ouverts,
mais toute solution visant à corriger les distorsions nées des effets de l’inflation
n’échappe pas aux contingences culturelles, politiques et sociales.

4. Le manque de rigueur de l’information comptable et financière

Dans son rapport annuel au président de la République en mai 1992, la Commission


des Opérations de Bourse dénonçait un certain nombre de sociétés cotées dont la

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qualité des informations délivrées au public manquait de rigueur. Elle visait en


particulier « les secteurs affectés par une variation conjoncturelle [qui] peuvent
avoir à fuir dans l’absence d’information ou dans l’information inexacte dans
l’attente du moment où leur situation s’améliorera. C’est ainsi que des communiqués
relativement optimistes des dirigeants ont été suivis à un mois d’intervalle par
l’annonce de pertes importantes ou même du dépôt de bilan ».

Même si ce genre de faits ne concerne qu’un nombre limité de sociétés, la question


du choix de présentation des informations comptables et financières diffusées aux
actionnaires, aux salariés et aux tiers, se pose à toutes les sociétés.

En effet, face aux différentes solutions que leur offrent, en particulier, les
possibilités fiscales, les directions d’entreprises doivent, avant l’arrêté définitif des
comptes, effectuer des choix entre des contraintes contradictoires et les intérêts qui
en résultent. Il leur faut notamment anticiper les comportements prévisibles des
différents « partenaires » de l’entreprise.

La première préoccupation est généralement d’ordre fiscal : pour ne pas avoir d’ennuis
avec le fisc, on aura tendance à décider des choix comptables en fonction des
possibilités de choix fiscal ; mais, parallèlement, pour payer le moins d’impôts
possibles, on s’efforcera, par exemple, d’accroître les charges déductibles afin de
réduire au maximum le bénéfice fiscal, voire d’induire une perte fiscale reportable sur
d’autres exercices ; c’est ce que les spécialistes appellent une « stratégie
d’optimisation fiscale ». Cette pratique ne peut cependant être reproduite
systématiquement à chaque exercice, car elle risquerait d’éveiller les soupçons du fisc
et de provoquer prématurément un contrôle fiscal qui n’a lieu, en moyenne, que tous
les huit ou neuf ans.

Il faut tenir compte de l’attitude des actionnaires qui sont surtout attentifs au montant
du bénéfice (comptable), car c’est à partir de ce bénéfice que pourront leur être
versés des dividendes ; or, une société qui ne distribue jamais ou rarement des
dividendes perd la confiance de ses actionnaires et ceux-ci cherchent alors à se

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désengager. Les dirigeants avisés adopteront une politique de distribution de


dividendes visant à étaler dans le temps le potentiel à répartir.

Les intérêts propres des dirigeants peuvent, eux-mêmes, être contradictoires : vis-à-vis
des salariés, ils auront tendance à vouloir réduire le bénéfice, voire à présenter une
perte de manière à pouvoir calmer les ardeurs revendicatives ou à pouvoir justifier des
mesures de compression de personnel ; mais si, simultanément, ils ont besoin d’un prêt
bancaire, ils doivent être en mesure de présenter une situation financière saine et des
résultats d’exploitation performants pour convaincre l’organisme financier de leur
accorder ce prêt. En général, les managers d’entreprise qui ne sont pas de gros
actionnaires souhaitent dégager un résultat confortable, distribuer relativement peu de
dividendes et conserver le maximum de ressources financières propres en vue de
développer l’entreprise.

La décision finale, appartenant aux organes statutaires de gestion, sera soit un savant
dosage entre ces divers intérêts contradictoires, soit un choix délibéré pour l’un
d’entre eux, en fonction de l’opportunité ou de l’urgence du moment.

Dans une étude réalisée en vue d’un congrès commun tenu en octobre 1989, l’Ordre
des experts-comptables et la Compagnie des commissaires aux comptes concluaient
que si les utilisateurs d’informations normalisées sont satisfaits, en revanche, les
demandeurs d’informations personnalisées ne le sont pas. Il est en effet
particulièrement difficile de concilier, dans un document unique de présentation des
résultats, des exigences qui relèvent de stratégies différentes et souvent
contradictoires.

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5. Une question récurrente : quel est le bon indicateur du profit ?

Cette question est au centre des objectifs et des préoccupations de la comptabilité.


Nous avons pourtant vu que bien des aspects conventionnels masquaient en fait la
mesure du profit. Si pratiquement tout le monde s’accorde pour reconnaître que le
résultat ne peut être un indice du profit, des polémiques assez passionnées se
développent lorsqu’il s’agit de savoir comment on peut le calculer à partir des données
comptables. L’enjeu social et politique est de taille, car les différentes catégories
d’agents économiques veulent connaître l’origine du profit et comment il se répartit.
L’accord est général pour considérer que le profit est un solde lorsqu’on soustrait la
somme de certaines charges de la somme de certains produits ; mais le problème est de
savoir quels types de charges et quels types de produits doivent être retenus pour
effectuer ce calcul.

Il faut reconnaître que la science économique n’éclaire pas de manière satisfaisante le


problème parce que les concepts de profit sont souvent flous ou complexes. De plus, la
transposition littérale de notions conçues pour une démonstration théorique
macroéconomique n’est guère possible dans le concret microéconomique que constitue
l’entreprise. En effet, celle-ci est soumise, lors de la formation de ses prix de pro-
duction, à des mouvements de transferts de valeur qui se répercutent au travers de ses
prix de vente et d’achat. Ainsi, une partie de la valeur créée (et par conséquent du
profit) échappe à certaines sociétés par le seul jeu des mécanismes du marché ;
d’autres, au contraire, accaparent ce que les précédentes ont dû laisser échapper.

Dans ces conditions, il faut d’abord se garder de n’utiliser qu’une seule notion de
profit. En effet, l’entreprise dégage une certaine masse de profits (bruts), mais celle-ci
se trouve amputée de différents prélèvements financiers : rémunération des prêteurs
de capitaux, ponction fiscale de l’État, « rémunération » éventuelle des actionnaires,
etc.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 91
92

Pour la partie du profit restant dans la firme, qui constitue ses ressources propres et
qu’on appelle autofinancement, une méthode relativement simple consiste à déduire
les charges des produits, à l’exception des charges calculées et en reprenant les
produits calculés ; ce qui, en calculant par le bas du compte de résultat, donne la
formule suivante

Autofinancement = Résultat + Dotations aux amortissements +


Dotations aux provisions -Reprises de provisions

Mais il existe bien d’autres définitions de l’autofinancement. Celle-ci peut être


critiquée et jugée trop extensive. La conception la plus restrictive consiste à n’ajouter
au résultat que les dotations aux amortissements : c’est la définition admise par la
majorité du patronat. D’autres, tels que les analystes financiers dans les banques,
adoptent une solution médiane, consistant à ajouter au résultat et aux amortissements,
uniquement les provisions ayant un caractère de réserve ; mais on peut aussi discuter à
l’infini les critères de sélection entre les provisions ayant le caractère de réserves et
celles qui ne l’ont pas. Bien d’autres variantes techniques sont possibles.

Quel que soit le degré d’extensivité de la notion d’autofinancement, celle-ci subit


d’autres critiques quant à sa capacité de refléter le montant du profit dégagé. Une
série d’objections porte sur la non-prise en compte du renouvellement à l’identique des
immobilisations. A l’autofinancement (brut) devraient être soustraites les sommes
nécessaires à la reconstitution de la partie du capital consommée au cours de
l’exercice ; cela revient à calculer un véritable montant d’amortissement économique
et nous en avons déjà souligné les difficultés. D’autres critiques estiment, au contraire,
que la notion d’autofinancement, telle que la présentent les différents modes de calcul
précédents, escamote des profits dissimulés dans certains postes de charges : « sur-
salaires » de dirigeants, loyers, redevances, jetons de présence... On peut aussi
considérer que certaines charges sont, en fait, du profit transféré à d’autres
entreprises (publicité, assurances, honoraires d’intermédiaires...), au même titre que

ManuelTheories Comptables-01Dec10 92
93

les charges financières sont une part du profit d’exploitation transférée aux organismes
financiers.

Il est probablement vain de vouloir rechercher une appréhension satisfaisante et


admissible par tous du profit de l’entreprise. Le mérite de l’autofinancement brut,
après déduction des dividendes versés, est cependant d’indiquer le montant des
ressources financières que la société a pu conserver pour ses besoins propres.

A la question initialement posée en tête de ce chapitre : « Existe-t-il une vérité


comptable ? », on peut assurément répondre par la négative. Mais peut-être peut-on
aussi répondre, à la façon de Pirandello : « A chacun sa vérité. »

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Commentaires du Professeur :

vérité
Définition : Qualité d'une représentation qui répond au double critère de la nécessité
et de l'universalité. (Larousse)

Une représentation nécessaire est une représentation qui saisit le réel tel qu'il est
dans son principe, tandis qu'une représentation universelle réalise l'accord de tous les
sujets humains raisonnables.

La représentation vraie

Seule une représentation peut être tenue pour vraie. Parler d'une " réalité vraie " n'a
pas de sens, c'est exclusivement la réalité représentée qui peut être considérée comme
vraie ou fausse.

La théorie de la connaissance, qui, dans le discours philosophique, a en charge le


problème de la vérité, se donne pour objet d'analyse la relation sujet-objet, du sujet
connaissant et de l'objet connu. Cette relation est doublement médiatisée : entre le
sujet et l'objet s'intercale toujours une représentation, qu'elle soit de l'ordre de la
sensation, de l'imagination ou de la conception, alors que le sujet n'est jamais un sujet
isolé mais un sujet en relation avec d'autres sujets. Ce sont ces deux médiations qui
sont prises en compte par les deux critères de la représentation vraie : la nécessité
caractérise le rapport du sujet et de l'objet, et l'universalité celui des sujets entre eux.

La représentation se distingue de l'opinion, qui est une représentation de l'objet non


pas tel qu'il est mais tel que les sujets désirent qu'il soit, selon leurs intérêts, leurs
préjugés, leurs désirs ou leurs angoisses. Qui a le souci de la vérité confronte sa
représentation à la réalité elle-même, alors que dans la logique de l'opinion la réalité
est sommée de se conformer à la représentation.

Les conceptions de la vérité

Depuis Thomas d'Aquin (1227-1274), la vérité est définie comme une adéquation, une
conformité de la chose avec l'esprit qui la conçoit (adequatio rei ad intellectum). Avant
d'examiner ce critère, il convient d'indiquer que la vérité exige d'abord l'adéquation ou
l'accord de la pensée avec elle-même (adequatio intellectus ad rem), qui détermine la
vérité formelle ou logique. Une telle vérité ne nous apprend certes rien sur les choses
elles-mêmes, mais une pensée contradictoire peut en revanche être d'emblée rejetée
comme fausse.

Dire d'une représentation vraie qu'elle doit être conforme au réel, c'est affirmer

ManuelTheories Comptables-01Dec10 94
95

qu'une représentation n'est vraie que si elle est la copie fidèle de la réalité. Or si la
représentation vraie n'est que la simple reproduction de l'objet, elle maintient celui-ci
dans son opacité. Le principe thomiste ne vaut donc que parce que la réalité est
interprétée comme l'expression de la volonté divine, principe de son intelligibilité. Le
critère de l'adéquation signifie l'adéquation de la pensée à l'ordre instauré par la
volonté divine. À cette problématique appartiennent la contemplation platonicienne et
la déduction cartésienne, qui présupposent également que le monde est organisé par
un principe d'intelligibilité.

Le paradoxe énoncé par Albert Einstein - " Il est incompréhensible que le monde soit
compréhensible " - ouvre sur une conception toute différente de la vérité.
L'intelligibilité n'est plus interprétée comme nichée au cœur de la réalité elle-même
mais comme importée dans le monde par l'activité du sujet connaissant. Cette
conception est soutenue par l'empirisme anglo-saxon, le criticisme kantien et mise en
œuvre par la science expérimentale : le réel est interrogé à la lumière d'hypothèses qui
sont vérifiées ou infirmées expérimentalement.

Ainsi se dégagent deux grandes conceptions de la vérité : une conception " réaliste ",
qui présuppose une vérité tapie dans le monde ; une conception " constructiviste ", qui
fait de la vérité le fruit tout entier de l'activité de connaissance.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 95
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Lecture de référence no. 6

L’éthique de la science et de la technologie

Par

Michel Métayer

ManuelTheories Comptables-01Dec10 96
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Avant propos

Nous vivons aujourd’hui dans un monde dominé par la science et la technologie. Notre
travail, nos loisirs et nos modes d’interaction et de communication avec autrui sont
continuellement remodelés par les découvertes scientifiques et les innovations
technologiques. Que serait notre quotidien sans l’automobile, le téléphone, la pilule
anticonceptionnelle, la télévision ou l’ordinateur ? Nos environnements familiers – la
maison, le bureau, les lieux publics – sont de plus en plus dominés par la technologie.
En moins d’un siècle, la science et la technologie ont complètement transformé notre
milieu de vie.

Tout ce développement présente un grand intérêt pour la réflexion éthique. Il définit


l’horizon général sur lequel se profile une grande partie des nouveaux enjeux de
l’éthique en cette fin de siècle. Cette marche forcée vers l’avenir nous oblige à nous
questionner sur ce qu’est essentiellement un être humain. Par exemple, en
perfectionnant les machines, en les rendant de plus en plus intelligentes et
performantes, nous sommes amenés à réfléchir sur ce qui différencie essentiellement
l’homme de la machine, sur l’éventualité que la machine surpasse un jour l’être
humain et sur le danger d’un système où l’être humain serait contrôlé par la machine.
La science et la technologie nous donnent des pouvoirs considérables, qui
s’accompagnent évidemment de responsabilités énormes. Nous devons faire des choix
très importants, pour nous, pour nos enfants et pour les générations futures. C’est le
sentiment de l’importance de ces choix qui leur confère une dimension morale.

Par ailleurs, nous pouvons constater que ce développement obéit à une logique où
n’entre en ligne de compte aucune préoccupation morale. Ce mouvement est si
puissant qu’il tend à écraser les considérations morales ou à les traiter comme des
obstacles. Les rapports entre la morale et le couple science-technologie sont souvent
conflictuels. Nous allons, tout d’abord, examiner les sources de ce conflit et quelques-

ManuelTheories Comptables-01Dec10 97
98

unes de ses manifestations les plus typiques, plus particulièrement dans les domaines
de la recherche scientifique et de l’informatique.

L’ordre des faits et l’ordre des valeurs

On sait que la méthode scientifique exerce aujourd’hui une hégémonie incontestable


sur l’évolution des connaissances humaines. Elle a délogé la religion et la philosophie
de la position dominante qu’elles occupaient dans le monde ancien. En faisant prévaloir
son modèle d’une connaissance objective de la réalité, fruit d’un mariage entre la
logique et l’expérimentation, la science a dévalué les autres types de pensée,
désormais considérés comme subjectifs, abstraits ou sans fondement. On peut dire que
l’éthique a elle-même été l’une des cibles de cette disqualification.

La scission entre l’éthique et la science repose en réalité sur une distinction


fondamentale entre l’ordre des faits et l’ordre des valeurs. La science se caractérise
notamment par sa capacité d’établir la réalité objective des phénomènes qu’elle
étudie, alors que la morale fait intervenir un processus d’évaluation subjectif de la
réalité. Ainsi, la science peut mesurer objectivement le déroulement, l’efficacité ou
les résultats d’une action. Par ailleurs, cette même action peut être soumise à une
évaluation morale et être qualifiée de « bonne » ou de « juste ». Or, cette qualité
morale n’appartient pas à l’action elle-même ; elle tient entièrement dans
l’appréciation subjective qu’on en fait.

La science cherche à décrire ce qui est. Elle élève une prétention à la neutralité et
s’abstient de porter des jugements de valeur. Un énoncé scientifique comme « Si on
fait usage du tabac, on compromet sa santé » ne contient aucune recommandation. Il
ne s’agit que d’un jugement hypothétique. C’est seulement par un jugement de valeur
sur l’importance qu’il accorde à la santé qu’un individu peut adopter une règle de vie
et se prescrire d’arrêter de fumer. Il peut aussi préférer continuer de fumer pour le
plaisir qu’il en retire, quitte à écourter sa vie de quelques années. C’est dans cet esprit
que Jacques Monod, prix Nobel de médecine, écrit : « Il n’y a strictement aucun moyen

ManuelTheories Comptables-01Dec10 98
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de prouver objectivement qu’il est mauvais de faire la guerre, de tuer un homme, de le


voler, ou de coucher avec sa mère 3.»

Les fondements éthiques de la science

L’analyse qui précède peut sembler mener à la négation de tout fondement solide et
objectif des jugements moraux et poser l’activité scientifique comme essentiellement
extérieure à la morale. Cette perception est pourtant très contestable et peut être
assez facilement réfutée. Il suffit de montrer que l’activité scientifique elle-même est
impossible sans un fondement éthique et qu’elle présuppose implicitement un certain
nombre de principes éthiques.

C’est la thèse que soutient le philosophe allemand Karl-Otto Appel dans le passage
suivant : »L’argumentation rationnelle qui est déjà présupposée non seulement dans
chaque science, mais aussi dans chaque discussion de problèmes, présuppose elle-
même la validité de normes éthiques universelles 4. » Selon Appel, l’activité scientifique
est inconcevable en dehors d’une communauté de discussion réunissant l’ensemble des
scientifiques. Cette discussion ne peut avoir de sens que si elle respecte un certain
nombre de normes morales fondamentales, telles que l’interdit du mensonge, la liberté
d’expression, l’égalité de tous les participants à la discussion et la loi du meilleur
argument, suivant laquelle seule la force des arguments doit prévaloir dans une
discussion et non des éléments extérieurs tels que le pouvoir ou le statut social. Si les
savants mentent, s’ils commettent des fraudes, s’ils s’appuient sur l’argent et le
pouvoir pour faire avancer leurs idées, s’ils font entrave à la libre discussion et à la
libre circulation des idées, c’est tout l’édifice de la science qui s’écroule et toute
l’activité scientifique qui perd son sens. Sans cet ensemble de principes moraux
fondamentaux, la science ne peut plus aspirer à la rigueur objective et à la rationalité.

3 Jacques Monod, “De la relation logique entre connaissance et valeurs”, dans Watson Fuller (dir), Responsabilité biologique, Paris, Herman,
1974, p. 20.
4 Karl Otto Appel, L’éthique à l’âge de la science – L’a priori de la communauté communicationnelle et les fondements de l’éthique, trad. Par R. Lelloche et
I. Mittman, Presses Universitaires de Lille, 1987, p. 90.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 99
100

La même idée peut être abordée sous un autre angle. La recherche de la vérité
objective demande un engagement et des attitudes de vie qui ont une dimension
morale. L’impartialité, l’honnêteté intellectuelle, l’humilité, la maîtrise de soi et la
discipline sont des vertus essentielles au travail scientifique. Le parti d’accepter de voir
le monde tel qu’il est, d’aller au fond des choses et de regarder la réalité en face, sans
savoir à l’avance si cette réalité nous plaira ou non, est un engagement exigeant et
lourd de conséquences.

La pratique scientifique est donc impossible sans l’appui d’une éthique. Mais, le respect
de cette éthique n’a rien d’automatique.

La réalité de la recherche scientifique

L’activité scientifique ne s’exerce pas en vase clos. La recherche n’est pas à l’abri des
conflits d’intérêts et des activités illégales. On assiste, en cette fin de siècle, à une
prolifération de questionnements éthiques sur les pratiques scientifiques. Le milieu
scientifique ne jouit plus de la confiance aveugle du public et des gouvernements. Trop
de scandales, de fraudes et de pratiques répréhensibles ont été dévoilées pour qu’on
puisse se fier entièrement à la parole des chercheurs. On sait trop bien maintenant que
les scientifiques, malgré la grande rigueur que leur impose leur travail, peuvent être
tentés, comme le commun des mortels, de déroger à leurs devoirs moraux.

Le milieu scientifique est aussi un milieu où règne une compétition féroce, où la


poursuite de la gloire et la course à la découverte et aux contrats lucratifs sont des
motivations puissantes. La recherche scientifique s’exerce à l’intérieur d’organismes
privés ou publics qui sont en concurrence les uns avec les autres. Dans de nombreux
secteurs de la recherche, les entreprises gardent leurs découvertes secrètes. La
recherche civile industrielle est régie par les lois de la concurrence économique. Elle
s’effectue en grande partie sous le sceau de la confidentialité et de la protection des

ManuelTheories Comptables-01Dec10 100


101

brevets, et les chercheurs protègent jalousement le fruit de leurs travaux pour s’en
assurer la propriété intellectuelle.

Jusqu’à tout récemment, il n’exerçait aucun contrôle éthique rigoureux de la


recherche scientifique. Il est facile de rapporter un grand nombre de pratiques passées
qui seraient difficilement concevables aujourd’hui. Par exemple, on peut citer les cas
de chercheurs qui ont exposé des enfants arriérés au virus de l’hépatite, qui ont
transplanté des tissus cancéreux à l’insu des receveurs ou qui ont laissé évoluer la
syphilis sans traitement dans une population de Noirs, « pour voir « l’évolution de la
maladie. Il y a eu très clairement une évolution des sensibilités à l’égard des problèmes
moraux inhérents à la recherche, notamment en ce qui concerne la question de la
recherche avec des sujets humains.

Le dossier des fraudes scientifiques pèse lourd également dans ce bilan éthique. Dans
les dernières décennies, certains cas de fraudes ont eu un écho retentissant dans les
médias et ont contribué à nourrir la suspicion à l’endroit du milieu scientifique. Par
exemple, le psychologue américain Stephen Breuning a été condamné pour avoir publié
des travaux sur les enfants hyperactifs retardés en se réclamant d’études qu’il n’avait
jamais effectuées. Entre-temps, certains Etats américains s’étaient appuyés sur ces
études pour réorienter leur politique de traitement de ces cas. Un des plus éminents
psychologues américains, Cyril Burt, célèbre pour ses recherches sur l’hérédité de
l’intelligence auprès de couples de jumeaux, est tombé dans une disgrâce totale
lorsque des enquêtes ont révélé que la plus grande partie de ses observations étaient
de la pure fiction. On peut aussi mentionner le cas du docteur Roger Poisson. Le
docteur Poisson, un chirurgien québécois très respecté, a été accusé en 1994 d’avoir
contourné certaines règles de protocole concernant la sélection des participantes à une
recherche sur le traitement du cancer du sein. Cette affaire a fait la manchette durant
plusieurs jours.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 101


102

Les cas de fraudes majeures et délibérées demeurent toutefois exceptionnels. Il ne faut


pas oublier que le caractère ouvert de la recherche scientifique fait en sorte qu’une
fraude peut difficilement rester ignorée très longtemps. D’autre part, les écarts bénins
aux normes éthiques sont sans doute assez fréquents, mais les dénonciations fort peu
nombreuses. Il y a à cela plusieurs raisons. D’abord, on peut comprendre qu’il est très
difficile pour des étudiants ou des collaborateurs d’un chercheur de dénoncer celui-ci.
Ensuite, il est impossible pour la communauté scientifique de procéder à une
vérification systématique du respect des normes éthiques dans l’ensemble des
recherches qui sont publiées dans le monde.

L’éthique de la recherche en danger

A l’heure actuelle, nous assistons à un véritable retour en force de l’éthique. Les


questions d’éthique sont à l’ordre du jour. Tous les organismes publics sont engagés
dans l’élaboration de nouveaux codes de déontologie plus rigoureux et exigeants.
Certains croient même que cette vague moralisatrice risque de conduire à un abus de
contrôle. Malgré cela, certaines tendances actuelles font craindre à plusieurs une
certaine détérioration du niveau de moralité dans la communauté des chercheurs. Ce
sont notamment le tarissement progressif des sources de financement de la recherche
et la compétition de plus en plus féroce qui règne entre chercheurs concurrents. Avec
le raffinement toujours plus grand des méthodes de recherche, les coûts de la
recherche ont grimpé en flèche. Dans les universités et les organismes de recherche
subventionnés par l’Etat, les coupures budgétaires se multiplient. Elles obligent les
chercheurs à consacrer une grande partie de leur temps (près du tiers, selon certaines
estimations) à la quête de subventions, de commandites et de contrats. Ils sont ainsi
contraints de tourner de plus en plus vers le secteur privé.

Cette réorientation a des conséquences graves. Elle favorise une augmentation de la


recherche dite « appliquée », orientée vers des utilisations concrètes et immédiates, au

ManuelTheories Comptables-01Dec10 102


103

détriment de la recherche « pure » ou fondamentale. Elle met surtout en question


l’indépendance du chercheur, qui se voit de plus en plus imposer des objectifs de
recherche par ses commanditaires extérieurs et qui peut même se trouver en conflits
d’intérêts lorsqu’il doit parfois compromettre son objectivité et son intégrité pour
satisfaire les attentes des bailleurs de fonds qui lui a commandé une recherche dans un
but intéressé. Il peut être soumis à des pressions visant à dissimuler certains résultats
de la recherche qui nuiraient au commanditaire ou à modifier le sens de ses
conclusions. Il peut aussi, bien évidemment, se censurer lui-même à l’avance, devinant
très bien ce qu’on attend de lui.

La bonne réputation du milieu scientifique est aussi entachée par le comportement


d’experts qui témoignent dans un litige et soutiennent des positions contradictoires. Le
mythe de « l’objectivité scientifique » en prend alors pour son rhume. On assiste par
exemple assez souvent au spectacle de deux psychiatres venus témoigner en cour qui
portent des jugements parfaitement contradictoires sur la santé mentale d’un accusé.
L’un le déclare lucide, alors que l’autre le considère en proie au délire. C’est le cas
également des nombreuses causes où les gouvernements tentent d’imposer à des
compagnies des normes de sécurité ou de protection de l’environnement. Selon qu’ils
parlent au nom d’une partie ou de l’autre, les scientifiques défendent des positions
contradictoires. Chose certaine, il serait très naïf de croire que la recherche
désintéressée de la connaissance est la seule loi qui règne dans le milieu de la
recherche scientifique.

En fait, comme dans tous les secteurs d’activités d’une société, le comportement des
individus est déterminé par toutes sortes de motivations et de circonstances. Par
exemple, l’âge des chercheurs s’est avéré être un facteur important sur le plan
éthique. Des études ont en effet démontré que la préoccupation pour les questions
d’éthique décroît à mesure que les chercheurs avancent dans leur carrière. Par ailleurs,

ManuelTheories Comptables-01Dec10 103


104

dans certains pays, les savants et les médecins prêtent leur concours à des pratiques
immorales ou les cautionnent par leur statut. Au Pakistan, des médecins procèdent à
l’amputation des mains ou des pieds des voleurs. Au Chili et au Brésil, ils supervisent
des séances de tortures « scientifiques » menées par la police. Dans l’ex-URSS et en
Roumanie, des psychiatres se faisaient complices des politiques d’internement des
opposants politiques au régime.

La recherche sur des sujets humains

La recherche menée sur des sujets humains est l’un des aspects les plus controversés de
la recherche scientifique. Les attitudes du milieu scientifique ont beaucoup évolué en
cette matière tout au long du siècle. La date la plus importante dans cette évolution
est 1947, l’année de l’adoption du code de Nuremberg.

Le code de Nuremberg

Après la Deuxième Guerre mondiale, le tribunal international de Nuremberg tint des


procès contre les criminels de guerre nazis. Un tribunal américain particulier traita le
cas de plusieurs médecins et scientifiques accusés d’avoir mené des expériences
scientifiques inacceptables sur des cobayes humains. Les juges condamnèrent ces
médecins pour meurtres, atrocités, tortures et crimes contre l’humanité. Ces médecins
avaient entre autres étudié les mécanismes d’infection sur des blessures infligées aux
sujets pour les besoins de l’expérience. D’autres expériences portaient sur le
refroidissement entraînant la mort, sur des maladies mortelles telles que le typhus et le
paludisme volontairement inoculées aux sujets, sur les sujets de résistance à la
douleur, sur les méthodes de stérilisation comme l’injection de formol ou de nitrate
d’argent dans les voies génitales, qui condamnèrent des centaines de femmes à la mort
la plus atroce.

On sait que ces recherches servaient les desseins des nazis, qui visaient à assurer la
domination de l’Allemagne sur l’Europe. Pour Hitler, tous les moyens étaient bons pour

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105

arriver à cette fin et il importait, en particulier, que la science allemande devance


celle des autres pays. Il voulait donc laisser le champ libre à la recherche pour assurer
cette prépondérance. Les scientifiques allemands furent également mis à contribution
pour faire la preuve de la supériorité de la race aryenne sur les autres races, et
particulièrement sur les autres Juifs. Les historiens réécrivirent les manuels d’histoire
pour présenter les Aryens sous un jour favorable. Les anthropologues et les biologistes
contribuèrent également au développement des théories racistes. L’eugénisme, qui
vise l’amélioration d’une race sur le plan génétique, devint une entreprise d’Etat qui
mobilisa le milieu scientifique. D’une part, il fallait éliminer les éléments indésirables
(membres des races inférieures, personnes atteintes de maladies héréditaires, asociaux
et criminels, malades jugés incurables, alcooliques) soit par des pratiques
d’extermination systématique comme les chambres à gaz, la stérilisation forcée, la
castration ou l’euthanasie, soit par un contrôle de la natalité (par exemple, on
encourageait les femmes jugées saines à procréer le plus possible, même avec des
hommes jugés plus sains que leurs maris). Les médecins apportèrent leur contribution
en sélectionnant les indésirables et les chimistes se chargèrent de trouver les moyens
les plus efficaces pour les gazer.

En réaction aux horreurs dévoilées durant le procès des criminels nazis, le tribunal
militaire américain de Nuremberg formula un code de recherche médical comprenant
dix principes éthiques. C’est le code de Nuremberg. Voici un extrait des plus
importants de ces principes.

Le consentement volontaire du sujet humain est absolument


essentiel. Cela veut dire que la personne intéressée doit jouir da
la capacité légale pour consentir […]. Il faut aussi qu’elle soit
suffisamment renseignée, et connaisse toute la portée de
l’expérience pratiquée sur elle, afin d’être capable de mesurer
l’effet de sa décision. Avant que le sujet expérimental accepte, il
faut donc le renseigner exactement sur la nature, la durée, et le
but de l’expérience, ainsi que sur les méthodes et moyens
employés, les dangers et les risques encourus, et les conséquences

ManuelTheories Comptables-01Dec10 105


106

pour sa santé ou sa personne, qui peuvent résulter de sa


participation à cette expérience. Le sujet humain doit être libre,
pendant l’expérience, de faire interrompre l’expérience, s’il
estime avoir atteint le seuil de résistance, mentale ou physique,
au-delà duquel il ne peut aller 5 .

Ce nouveau code d’éthique professionnelle eut une grande influence. Il met l’accent
ce qui est devenu le principe d’éthique le plus important dans la recherche avec des
sujets humains, le principe du consentement libre et éclairé. Mais l’adhésion du milieu
scientifique à une éthique de la recherche véritablement respectueuse des sujets
humains fut un processus lent et progressif.

L’APPROCHE UTILITARISTE

Pendant très longtemps, beaucoup de scientifiques se sont bornés à régler de façon


expéditive les problèmes ethniques de la recherche sur les sujets humains, en se
contentant d’une analyse UTILITARISTE communément appelée analyse coûts-
bénéfices. Une telle analyse met en balance l’ensemble des conséquences
avantageuses et désavantageuses d’une recherche, tant pour le chercheur lui-même et
les participants à l’expérience que pour la société ou l’humanité dans son ensemble,
qui devrait bénéficier éventuellement des retombées positives de cette recherche. La
communauté scientifique a utilisé ce type d’analyse pour justifier à peu près n’importe
e
quoi. Par exemple, au XIX siècle, Von Hubbenet présenta avec fierté les résultats
d’une recherche1 dans laquelle il avait transmis la syphilis à des jeunes filles à leur
insu, à un moment où n’existait aucune thérapeutique efficace contre cette maladie.
Dans son esprit, il était évident que les bénéfices que pouvait espérer l’humanité d’une
telle recherche éclipsaient complètement le tort fait aux quelques victimes.

0
51 Tiré de Claire Ambroselli, l’éthique médicale, n 2422, Paris, PUF, coll. Que sais-je ? 1988, p. 104-105

0
1 Tiré de Claire Ambroselli, l’éthique médicale, n 2422, Paris, PUF, coll. Que sais-je ? 1988, p. 104-105

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107

Il est difficile toutefois de reconnaître la moindre rigueur à un tel calcul d’utilité. On


met ici en balance des choses incommensurables. D’une part, une expérience très
précise aux conséquences limitées, d’autre part des bénéfices hypothétiques et
généraux pour un futur lointain et dont la réalisation implique la mise en commun d’un
ensemble de travaux scientifiques. On peut facilement justifier n’importe quel tort
fait à un nombre limité de personnes en prétendant que des bénéfices plus larges en
seront éventuellement retirés. La tentation est encore plus forte quand on a recours à
des prisonniers, à des malades mentaux ou à des personnes déjà gravement malades.

On peut constater que la recherche scientifique est sûrement un des domaines où la


faiblesse de l’éthique utilitariste ressort le plus clairement et où le bonheur du plus
grand nombre semble pouvoir justifier le sacrifice de beaucoup d’individus. En 1963,
aux Philippines, des chercheurs menèrent une expérience sur les effets secondaires
d’un antibiotique efficace contre la typhoïde. Pour cela, ils utilisèrent un groupe de
contrôle auquel fut administré un Placebo (médicament neutre et sans effet) : vingt
trois membres du groupe de contrôle moururent, alors que l’on avait entre les mais un
médicament capable de les guérir. Ils furent donc sacrifiés pour assurer un plus grand
confort aux utilisateurs futurs de ce médicament. Il ne faut pas oublier que les
médecins qui avaient collaboré avec le régime nazi ont invoqué une argumentation
utilitariste de la même veine pour justifier leurs cruautés.

L’approche déontologique

De nos jours, il est clair que les considérations utilitaristes, bien que toujours
populaires, ont cédé le pas à une éthique déontologique qui affirme le primat du
principe de respect de la personne et des droits individuels. Un appel au PRINCIPE
KANTIEN DU RESPECT DE LA PERSONNE est tout à fait pertinent pour fonder les
principes d’une éthique de la recherche avec des suites humains :

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108

Toute démarche scientifique, par ses méthodes et quelle qu’en soit la discipline, vise à
acquérir des connaissances ou des savoir-faire sur des êtres humains. Or, certains
moyens de la mise en œuvre de la démarche scientifique sont susceptibles de
provoquer une relation d’objectivité entre le chercheur et le sujet de recherche. Ce
dernier devient alors un objet d’expérience. Il existe un réel danger de penser ou de
traiter le sujet de recherche simplement comme un objet d’expérience, en ignorant ou
en compromettant sa pleine humanité. […] La question éthique devient alors :
comment, dans la recherche scientifique, respecter la dignité des personnes et éviter
les multiples formes de déshumanisation ? Bref, comment traduire par des mesures
concrètes l’impératif kantien du respect de la personne ?

En pratique, l’impératif du respect se traduit par une série de NORMES stipulées dans
des codes de déontologie. Ces normes énoncent certains droits fondamentaux des
participants à la recherche. Le code de Nurremberg, que nous avons cité plus haut,
contenait déjà l’essentiel de ces normes. La plus importante de toutes est celle
affirmant le droit du participant à un consentement libre et éclairé. Cette norme
consacre l’autonomie inaliénable du sujet. Elle vise aussi à établir une égalité
fondamentale entre le scientifique chercheur et le sujet pressenti, qui se rencontrent
en tant que personnes libres et concluent un accord dans un contexte de respect
mutuel.

Que le consentement soit libre implique d’abord qu’aucune pression ne sera exercée
sur les sujets pour obtenir leur participation, qu’aucune sanction ne découlera d’un
refus de leur part. Par exemple, les étudiants d’université, qui sont la population de
cobayes préférée des chercheurs, ne devraient pas craindre une mauvaise évaluation
de leurs professeurs par suite d’un refus. Un patient ne devrait pas voir l’accès à un
service médical lié sa participation à une recherche. Un détenu ne devrait pas devoir

ManuelTheories Comptables-01Dec10 108


109

échanger sa libération conditionnelle contre sa participation à une recherche


dangereuse. Que le consentement soit éclairé implique que le chercheur aura informé
le sujet pressenti de tous les aspects de la recherche qu’il aurait intérêt à connaître et
surtout de tout ce qui pourrait avoir des effets désagréables sur lui ainsi de tout ce qui
présente le moindre risque pour sa santé physique ou mentale. À ces considérations, il
faut ajouter un autre aspect important du respect de l’autonomie du sujet qui est
formulé dans l’article 9 du code de Nuremberg, à savoir la liberté des sujets de mettre
en tout temps un terme à leur participation.

La question de la protection de la vie privée et aussi celle de la confidentialité des


données prennent de plus en plus d’importance dans les nouveaux codes de déontologie
régissant la recherche avec des sujets humains. Ces préoccupations sont absentes du
code de Nuremberg. Les chercheurs sont astreints à suivre des protocoles de plus en
plus stricts à cet égard. On sait que cette préoccupation est liée en particulier aux
développements de l’informatique et de l’enregistrement électronique des données,
dont nous traitons plus loin dans ce chapitre.

La norme du consentement libre et éclairé semble claire et sans équivoque. Mais,


comme cela arrive souvent, c’est à l’étape de l’application des principes et aux cas
concrets de la vie quotidienne que les choses se complexifient. Des problèmes
d’interprétations surgissent lorsque des expériences impliquent par exemple des
enfants, des malades mentaux, des malades à un stade avancé de la maladie
d’alzheimer ou des embryons. Comme ils ne sont pas en mesure de donner un
consentement libre et éclairé, les scientifiques devraient en principe les exclure de
toute recherche scientifique. Or, cela équivaudrait à les priver de la chance
d’améliorer leur condition, ce qui semble bien injuste. Une solution à ce problème
pourrait être d’obtenir le consentement d’un tiers, soit un parent ou un tuteur, mais

ManuelTheories Comptables-01Dec10 109


110

cette procédure soulève plusieurs objections. En particulier, il n’est pas certain qu’elle
garantisse toujours le respect du meilleur intérêt du sujet.

Un des pires exemples d’abus de ce genre a eu lieu à Montréal à la fin des années 50,
r
lorsque le D Ewen Cameron de l’Institut Allan Memorial, attaché à l’Université McGill,
a mené en secret une recherche, subventionnée par la CIA, sur 53 patients
schizophréniques, alcooliques ou dépressifs. Il s’agissait d’expérience de «lavage de
cerveaux». Elles consistaient à maintenir les patients dans un état de sommeil
prolongé, pendant plusieurs mois, en leur administrant des électrochocs et des drogues
comme le LSD et en leur faisant entendre des messages enregistrés des milliers de fois.
Ces expériences furent un échec total, mais elles eurent des effets dévastateurs sur
plusieurs des patients. Neuf d’entre eux ont intenté des poursuites contre la CIA et ont
obtenu en 1988 des indemnités totales de 750 000$. Il est intéressant de mentionner
que le docteur Cameron était considéré à cette époque comme une sommité dans son
domaine, qu’il occupa le poste de président de l’American Psychiatric Association et
qu’il fut même un des cinq spécialistes appelés à évaluer l’état de santé mentale des
criminels de guerre nazis lors des procès de Nuremberg !

La responsabilité prospective

L’ETHIQUE DE LA RESPONSABILITE PROSPECTIVE, de Hans Jonas, fournit une


perspective théorique pertinente pour l’étude de la recherche sur des sujets humains.
S’il est une situation où l’inégalité de pouvoir et de savoir est flagrante, c’est bien
celle créée par la relation entre le chercheur et les sujets de l’expérience.
L’expérience controversée de Milgram (voir le chapitre 8) a mis en évidence
l’incroyable prestige dont bénéfice le personnage du savant dans notre société. Il est
clair qu’en général les sujets pressentis pour participer à une expérience scientifique
ont une confiance aveugle dans le chercheur. Ils tiennent pour acquis que ses
intentions sont nobles. Ils sont curieux de connaître le déroulement de l’expérience.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 110


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Peu importent les actions bizarres qui leur sont demandées, ils présument
spontanément qu’elles doivent avoir une justification scientifique. La plupart des
gens sont prêts à faire dans le cadre d’une expérimentation scientifique toutes sortes
de choses qu’ils refuseraient ordinairement d’accomplir. Les sujets sont donc,
suivant l’analyse de Jonas, dans une situation d’extrême vulnérabilité qui devrait
commander une sollicitude extrême de la part du chercheur, qui doit alors protéger
le sujet contre sa crédulité et prendre ses intérêts à cœur.

[…] une expérience avec des sujets humains – tant en psychologie qu’en
médecine – constitue une situation tout à fait spéciale, une interaction
caractérisée par une énorme différence de pouvoir. D’un côté l’on
trouve une attitude de confiance et un abandon de l’identité propre,
de l’autre le pouvoir de contrôle et réglementation. Voilà qui donne
une responsabilité toute spéciale aux chercheurs, car la nature
singulière de la situation expérimentale leur confère un statut et un
rôle qui s’apparente davantage à celui d’un médecin face à un patient
qu’à celui d’un partenaire de statut égal.

Bien sûr, la norme du consentement libre et éclairé contribue à compenser l’inégalité


de pouvoir entre chercheur et sujets, mais il serait illusoire de penser qu’un respect
formel de cette garantit l’égalité réelle de cette relation. C’est pourquoi le principe
de responsabilité exige davantage du chercheur, car il peut être tentant pour celui-ci
de se retrancher derrière une position formaliste et de considérer qu’une fois qu’il a
obtenu le consentement libre et éclairé du sujet ou de son tuteur, il lui est loisible
d’agir à sa guise. Sa responsabilité peut exiger de lui qu’il intervienne pour protéger
le sujet contre lui-même, s’il voit par exemple que celui-ci réagit mal à certaines
conditions de l’expérience. Cette responsabilité s’accroît évidemment avec le degré
de vulnérabilité du sujet. Par exemple, soumettre des personnes âgées à un test de
mémoire peut demander beaucoup de tact, car un test peut menacer leur estime de
soi et provoquer chez elles des sentiments anxiété et d’humiliation. De même,

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soumettre des adolescents à un traitement ou à une opération qui laisse des marques
visibles sur leurs corps peut représenter pour eux une terrible violation de leur
intégrité physique, alors que des personnes âgées s’en offusqueront moins.

Il est intéressant de mentionner également que l’on fait appel dans certains manuels
portant sur la recherche scientifique aux notions de VERTUS ou de TRAITS DE
CARACTERE MORAUX. Les chercheurs disposent d’une grande autonomie dans leurs
activités. Il est sans doute peu souhaitable qu’ils soient l’objet de contrôles
systématiques, lourds et tatillons. On doit pouvoir s’en remettre, pour cette raison, à
des qualités humaines fondamentales, des attitudes et des traits de caractères qui
témoignent de la moralité de leurs actions

La détermination, la curiosité, l’originalité, la ténacité, la rigueur sont


au nombre des qualités qu’un chercheur doit nécessairement posséder
ou développer pour réussir en recherche ; c’est grâce à ces qualités des
chercheurs que la recherche a pu progresser et atteindre les niveaux
d’excellence que la société lui reconnaît aujourd’hui. Il arrive
cependant qu’à ces qualités essentielles s’ajoutent l’ambition, la
cupidité, l’orgueil, l’égocentrisme qui peuvent donner lieu à des
comportements répréhensibles dans certaines circonstances ou dans
certains environnements.

On ne peut envisager des vertus telles que l’humilité, la passion, la générosité ou


l’intégrité comme les éléments d’un code de déontologie. Elles doivent d’abord être
fortifiées par un système d’éducation familiale et scolaire. Elles peuvent ensuite être
intégrées aux programmes de formation des chercheurs et finalement être considérées
en tant que critères d’évaluation de leur performance.

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La recherche en sciences humaines

Bien sûr, le domaine médical est celui où il est le plus facile de trouver des cas litigieux
dans la recherche menée sur des sujets humains. Mais il en existe aussi dans le secteur
des sciences sociales et de la psychologie. Une de ces expériences controversées est
celle de Stanley Milgram, dont nous avons déjà parlé dans le chapitre sur l’éthique de
la responsabilité. Rappelons que, dans cette expérience, des sujets jouant le rôle
d’enseignants étaient que stimuler leurs souffrances. Cette expérience célèbre ne
soulève pas seulement la controverse par ses conclusions alarmantes sur le phénomène
de la soumission à l’autorité. Elle fut aussi sévèrement critiquée pour ses effets
perturbateurs potentiels sur les participants à l’expérience. Milgram lui-même
rapporta que plusieurs des sujets étaient secoués à la fin de l’expérience.

Cette expérience prêtait le flanc à la critique parce qu’elle ne respectait pas le


principe du consentement libre et éclairé à deux égards. D’abord, les sujets n’étaient
pas prévenus du fait que l’expérience pourrait se révéler pénible à traverser. Ensuite,
l’expérimentateur y avait délibérément recours à la tromperie et la dissimulation,
puisqu’il mentait aux participants sur la nature réelle de l’épreuve à laquelle ils
prêtaient leur concours. Milgram tenta de se justifier en disant d’abord qu’il lui était
impossible de prévoir que son expérience aurait des effets aussi dramatiques sur les
sujets. D’autre part, les sujets furent invités à des entrevues postexpérimentales dans
le but de s’assurer bonne condition psychologique et de les aider à comprendre et à
assumer leur expérience. Milgram cita même des lettres de sujets qui exprimaient leur
satisfaction d’avoir participé à cette recherche et d’autres qui disaient avoir appris à
mieux se connaître grâce à elle. Toutefois d’autres chercheurs qui répètent
l’expérience de Milgram constatèrent certains effets négatifs persistants chez plusieurs
sujets.

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114

D’autres expériences ont également alimenté les débats sur l’éthique de la recherche
en sciences humaines. Certains portaient sur la facilité à entraîner des sujets à
commettre des actes immoraux, tels que voler, escroquer, mentir ou mettre sa propre
vie en danger. La plupart des expériences portant sur le stress posent des problèmes
éthiques, car la validité de l’expérimentation dépend de l’authenticité des réactions
des sujets. Plusieurs expériences sur la peur de mourir furent conduites auprès de
soldats de l’armée américaine sans que ceux-ci soient avertis à l’avance de ce qui les
attendait. On leur fit vivre des expériences traumatisantes, tels que le risque
d’écrasement en avion. On fit croire à d’autres qu’une erreur fatale lors d’une prise
de sang allait les mener rapidement à la mort. Une autre expérience controversée
consistait à enfermer un groupe de personnes dans une pièce et à souffler de la fumée
sous la porte. En 1962, deux chercheurs, A. E. Bergin et D. Bramel, firent croire
faussement à des sujets que leurs résultats à des tests indiquaient la présence chez eux
de fortes tendances homosexuelles.

Par ailleurs, la recherche en sciences humaines s’accommode mal du principe du


consentement éclairé, car beaucoup d’expérimentations dans ce domaine ne sont
possibles que si les sujets restent ignorants des objectifs réels de la recherche ou de
certains de ses aspects. Dans bien des cas, cette ignorance ne présente aucun
inconvénient réel pour le sujet. Un compromis possible consiste donc à informer le
sujet pressenti de tout ce qui peut avoir des effets désagréables pour lui ou de ce qui
peut menacer son bien-être. Mais certains chercheurs ont néanmoins soutenu que
toute forme de dissimulation et de duperie était inacceptable sur le plan moral.

D’un strict point de vue kantien, toute duperie et tout mensonge implique une
manipulation d’autrui et un manque de respect à son égard. Toutefois, nous savons
également que le consentement moral est l’un des critères du PRICIPE DU RESPECT
chez KANT. Kant nous dit que nous devons nous demander avec la plus grande
honnêteté :«Est-ce qu’autrui pourrait consentir moralement à l’action que je veux

ManuelTheories Comptables-01Dec10 114


115

entreprendre ?» Transposée dans le contexte de la recherche, cette exigence appelle le


chercheur à un effort sincère pour se mettre à la place du participant à l’expérience et
pour faire siens ses intérêts. Il est possible de concevoir que le participant lui-même
pourrait donner son accord à la tromperie dont il est l’objet s’il en connaissait les
objectifs et les conditions de réalisation. Donc, pour autant que le chercheur peut
raisonnablement croire que le sujet pressenti n’aurait pas d’objection à participer à la
recherche et ne remettrait pas en question son consentement s’il disposait de toutes
les informations pertinentes, il pourrait considérer avoir été fidèle au principe du
respect, même s’il garde le secret sur certains aspects de l’expérience.

Par exemple, plusieurs recherches en sciences humaines se limitent à l’observation de


comportements publics. Cette pratique ne semble pas poser de problème moral, bien
qu’elle ne respecte pas la norme du consentement libre et éclairé, puisque les
personnes observées ne savent même pas qu’elles sont l’objet d’une étude. Des
chercheurs ont observé les utilisateurs d’une toilette publique à travers un miroir sans
tain pour étudier l’effet inhibiteur de la présence de tiers sur la miction. Ils ont
constaté qu’il est plus difficile d’uriner en présence d’autres personnes. Cette
recherche a été critiquée parce qu’elle constituait une violation de la vie privée et
qu’elle ne présentait pas un intérêt suffisant pour la justifier. Les auteurs de l’étude
répliquèrent qu’ils n’avaient fait qu’observer un comportement public dans

ManuelTheories Comptables-01Dec10 115


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Une recherche controversée

Voici un exemple de recherche controversée en sciences humaines. Elle porte sur un thème classique,
les effets de la récompense et de la punition sur la réussite scolaire.

L’étude consistait dans l’utilisation de cinq systèmes de notation différents dans la correction d’examens. Qu
est
Ces cinq systèmes étaient d’une sévérité graduée, allant du plus rigoureux au plus indulgent. Ils furent
ion
appliqués aux premiers examens mi-semestriels d’un cours dans un collège. On évalua ensuite les
s
conséquences de ces divers systèmes de notation sur le rendement des élèves lors d’un second examen

mi-semestriel. Les différences dans les notes étaient très marquées. Par exemple, le système le plus
An
rigoureux attribua un échec à 30% des élèves, alors qu’un autre système leur donnait des notes variant de aly

60% à 70%. Après le deuxième examen, on informa les élèves de l’affaire et on publia de nouvelles sez
cet
notes pour le premier examen conformes au système de notation habituel. Il est bien évident qu’entre-
te
ex
périence sur le plan éthique

1. Cette expérience est-elle conforme au PRINCIPE DU RESPECT DE KANT ?

2. Considérez maintenant l’expérience d’un point de vue UTILITARISTE. Est-


elle justifiable de ce point de vue ?

3. À votre avis cette expérience était-elle justifiable sur le plan moral ?

17

17 L.R. Goldbreg,«Grades as motivants», Psychology in the Schools, 1965, no 2, 17-24

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Lecture de référence no. 7

Ethique et expertise scientifique

par

Gérard Mégie

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1. Introduction

De nos jours, la demande des composantes de la société vis-à-vis du monde


scientifique apparaît de plus en plus pressante et variée. Cette demande est légitime,
quoique parfois confuse ou contradictoire. Elle entraîne un renouvellement des rapports
entre science et technologie d’une part et société d’autre part. Ainsi, le lien
traditionnel entre avancées scientifiques et développement technique et économique —
tout en devenant plus complexe — s’enrichit de considérations nouvelles, ou renforcées,
liées aux problèmes de sécurité ou de prévention des maladies, au développement
durable, aux solidarités dans le cadre d’une mondialisation devant être maîtrisée, aux
équilibres planétaires.
Peu à peu, l'humanité prend conscience qu’elle se trouve confrontée à de grands
problèmes, qui conditionnent son avenir : climat, séismes, environnement, énergie,
confidentialité, manipulations génétiques, problèmes dont l’analyse et la maîtrise
potentielle apparaissent cependant accessibles. En même temps, la plupart de nos
contemporains n’ont qu’une vision fragmentaire des processus d’élaboration du savoir
scientifique, ou de la nature réelle des objets techniques qui font intrusion dans son
quotidien.
Dans ce contexte, la place de la science dans la société change. Si la recherche est
souvent associée à un objectif immédiat d’application, l’innovation pour l’innovation est
remise en question et les avancées technologiques suscitent fréquemment des
inquiétudes. Cette évolution est liée à la fois à l’accélération de la découverte de
nouvelles connaissances, à la complexité accrue des problèmes considérés dans leur
globalité et à un « décrochage » par rapport à des fonctionnements et des rythmes
naturels. Certaines réalisations technologiques complexes, construites à partir de
multiples compétences, pénètrent tout le tissu social. Fragiles, parfois difficiles à
contrôler, elles requièrent analyse soignée et prise en considération des conséquences,
proches ou plus lointaines, de leur mise en œuvre.

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Face à cette évolution, on constate, dans les pays développés, plusieurs types de
réaction de la société et des multiples acteurs qui la composent :
- d’un côté, beaucoup se méfient des ‘progrès’ technologiques et des nouvelles
‘avancées’ de la science en extrapolant, d’expériences passées, certaines conséquences
qui ont été mal évaluées ou se sont révélées imprévisibles ;
- d’un autre côté, cette société aimerait obtenir des chercheurs, perçus comme
dépositaires du savoir, des avis qui soient sans ambiguïté, compréhensibles par un large
public et les plus objectifs possibles.

Par ailleurs, la demande d’expertise, exprimée tant par des instances politiques et
administratives que par des acteurs économiques ou des représentants de la société
civile, s'amplifie et se diversifie, ces différents acteurs ayant besoin d’informations pour
décider, d’arguments pour justifier une décision ou d’éléments pour la contester, voire
s’y opposer.

Il est fait, alors, appel aux chercheurs spécialistes, considérant tous ceux qui
‘savent’ comme des experts sans prendre conscience que, devant une question aux
dimensions multiples ou des situations complexes et lorsqu’il s’agit de l’avenir, le
chercheur ne peut souvent communiquer qu’une conviction, instruite par son expérience
et ses compétences.

Quand la demande d’expertise concerne des pays moins développés, entraînés dans
la mondialisation, les sensibilités, attentes, analyses de ces derniers sont à prendre
largement en compte sur le double plan d’impératifs de solidarité d’une part, de
valorisation d’expériences ou de pratiques spécifiques d’autre part.

Dans tous les cas, la complexité, la multiplicité des approches possibles relativisent
toujours le point de vue d’une expertise et incitent à une certaine humilité.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 119


120

Au total une expertise bien conduite peut, selon nous, représenter un moyen de
médiation important entre des espaces d’intervention souvent très éloignés —
producteurs de connaissance d’un côté, utilisateurs de technologies ou de procédés de
l’autre — et, de façon évidente, apporter une aide à la décision.

Dans ces différents contextes, on fera alors appel soit à l’expertise d’un individu
réputé pour son expérience et ses connaissances, soit à un groupe organisé d’experts.
Ainsi des organismes, des agences nationales — comme l’Agence française de sécurité
sanitaire des aliments (AFSSA) — ou internationales — comme le Groupe international
d’étude du changement climatique — ont pu organiser des expertises collectives pour
des problèmes complexes nécessitant une approche pluridisciplinaire.

Mettre en œuvre une expertise, qui porte sur des situations et des projets impliquant
des personnes et affectant le développement de la société, peut avoir un impact
considérable. L’approche et les conditions de l’expertise doivent donc être très
attentivement examinées et si possible codifiées.

Nous nous proposons ici de réfléchir au cadre éthique portant sur la fonction et les
modalités de l’expertise, lorsqu’elle est exercée dans le cadre individuel ou
institutionnel du CNRS. Cette réflexion éthique s’inscrit en amont de règles juridiques
qui pourraient encadrer cette expertise. Notre but est de proposer des conditions qui
puissent créer une confiance authentique dans la mise en œuvre des expertises. En
dégageant les valeurs, principes et règles éthiques pouvant servir de référence, ces
propositions veulent permettre aux scientifiques d’assumer leurs responsabilités devant
la société, de contribuer au renforcement des liens sociaux, de participer avec d’autres
à la résolution de grands problèmes qui concernent le monde et les sociétés humaines.

La dimension éthique concerne non seulement le processus de mise en place d’une


expertise et la relation entre les experts et la société, mais aussi les critères utilisés,

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121

l’intelligence de ceux-ci et l’utilisation qui peut en être faite. Une expertise n’existe
pas en soi, elle ne prend sens qu'en fonction de ses finalités et des modalités de son
appropriation par ceux auxquels elle est destinée. Aussi examinerons-nous
successivement le contexte éthique de l’expertise proprement dite, puis des aspects
concrets relevant de l’expertise lors de sa mise en place et son exploitation.

2. De l’expertise scientifique et de l’expert

Une expertise est un ensemble d’activités nécessaires pour analyser un problème posé
en s’appuyant sur l’état des connaissances, sur des démonstrations et sur l’expérience
des experts. Elle conduit en général à la rédaction d’un document (rapport d’expertise)
pouvant se conclure, selon la demande, par des interprétations, voire des
recommandations. Le demandeur peut être public ou privé. La prestation peut être
gratuite ou payante.

De nombreux recouvrements existent entre évaluation et expertise, et les deux termes


sont souvent utilisés l’un pour l’autre. Dans les deux cas, la recherche et les chercheurs
sont au cœur de ces activités. Cependant, dans le premier cas, c’est la recherche et les
chercheurs qui sont principalement appréhendés en tant qu’objets de l’évaluation. Dans
le second cas, la démarche, mise en œuvre par les institutions de recherche et les
scientifiques acteurs de l’expertise, possède un champ social beaucoup plus large.

Dans sa conception la plus traditionnelle, l’expertise peut concerner des aspects


extrêmement variés : relatifs à la certification, l’authenticité d’un produit, d’un
échantillon, ou à l’appréciation d’une situation ou d’un état — expertise judiciaire,
psychiatrique—.Dans une acception large incluant sciences économiques, sciences
humaines et sociales le domaine de l’expertise scientifique peut recouvrir certains des
secteurs précédents, lorsqu’il s’agit de l’analyse de situations de dysfonctionnement ou
celle de catastrophes, d’origine naturelle ou humaine, qui concernent des événements
passés. Cependant, une demande croissante, et spécifique, d’expertise scientifique
s’attache à des évaluations tournées vers l’avenir, telles que la prévision de l’impact

ManuelTheories Comptables-01Dec10 121


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global d’une opération, du développement de nouvelles technologies, de nouveaux


domaines de recherche : nanotechnologies, neurosciences, applications de la génomique
par exemple. Dans ces démarches, on souhaite disposer d’une estimation des bénéfices
et des risques possibles, éventuellement accompagnée de recommandations portant sur
les précautions à prendre.

Les demandes peuvent s’adresser à des experts individuels ou à des structures


d’expertise collective. Il a été aussi proposé que des structures d’expertise, ciblées
thématiquement et relativement pérennes, soient découplées des organismes ou
établissements qui produisent la connaissance. Cependant, cette position peut se
heurter à deux types de difficultés. D’une part, la diversité et la variété des questions
posées imposent une adaptation et une réponse rapides à la demande et peuvent
conduire à s’interroger sur la qualification des experts en place dans des champs
nécessairement fluctuants. D’autre part, elle pourrait conduire à déresponsabiliser
l’organisme de recherche, dont la mission d’expertise ne devrait pas être dissociée de
la production des connaissances.

Dans le contexte de l’expertise scientifique que nous privilégions, l’expertise n’est


pas un métier, mais une fonction et une responsabilité ponctuelle en réponse à une
sollicitation. L’expert est identifié et choisi en tout premier lieu en fonction de sa
compétence et de sa réputation d’excellence dans le domaine considéré. Cependant, il
est évident que cette seule qualité ne peut suffire, car une grande indépendance, des
capacités d’autocritique, des vertus de tolérance, d’écoute, d’humilité, concourent à la
réalisation d’une expertise de qualité. Ces caractéristiques relèvent d’une dimension
éthique de l’expertise et contribuent à la reconnaissance des experts et à une confiance
dans l’acte d’expertise. Confiance indispensable si l’on veut que l’expertise assure
efficacement ses fonctions de lien social.

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123

3. Éthique du comportement de l’expert et de la conduite de l’expertise

i. Expertise individuelle :

Si le chercheur consacre l’essentiel de son temps à la recherche, il est, par ailleurs,


sollicité pour des activités d’évaluation et, plus rarement, individuellement ou en
groupe restreint, pour des activités d’expertise. Comme évaluateur, il est appelé à
donner son point de vue sur le travail de recherche d’un collègue, sur un programme ou
bien sur un laboratoire ; il reste à l’intérieur de son environnement habituel de
recherche, c’est-à-dire à l’intérieur de sa communauté scientifique, pour évaluer des
recherches selon des méthodes mettant en jeu des procédures bien établies et
traditionnelles dans le milieu académique.

Comme expert, il est appelé à donner un avis ou à participer à une expertise au


bénéfice d’une ou plusieurs composantes du corps social — pouvoir politique, judiciaire,
collectivités, industries, associations, médias — sur des questions bien identifiées,
relevant de son champ de compétences ou sur des problèmes à composantes multiples.
Devant ces situations généralement très complexes, il doit aller au-delà de ses
connaissances, en exprimant alors une conviction qui résulte de son expérience et de sa
réflexion. Il agit alors hors de son environnement habituel pour délivrer des
appréciations que ces acteurs du corps social souhaitent aussi claires que possible.

Au-delà de la satisfaction naturelle d’être sollicité comme expert, le chercheur doit,


tout d’abord, avoir une conscience claire de la nature et du périmètre de l’expertise
demandée, de sa capacité à émettre des points de vue avec indépendance, de son
expérience et de ses connaissances, du temps dont il dispose pour répondre à la
demande, des conséquences possibles entraînées par ses réponses.

Pour énoncer des positions dans les meilleures conditions, il est tout d’abord
nécessaire de disposer d’une commande précise, explicite, de bien connaître les règles

ManuelTheories Comptables-01Dec10 123


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du jeu et les objectifs du commanditaire. C’est à partir de cette commande que


l’expert pourra juger de sa propre capacité de réponse, de son indépendance par
rapport au donneur d’ordre et à ses attentes, et de sa liberté par rapport à des
possibles syndromes de « pensée unique » ou « d’impérialisme moral ». D’une manière
générale, il devra veiller à distinguer clairement ce qui ressort de la recherche, de la
science, de l’expertise ou du politique, afin de bien se situer. Il devra se tenir en
dehors de la décision, qui relève du domaine politique. S’agissant des personnes
impliquées, la fonction d’expertise et les implications de l’expert doivent être
totalement découplées d’un processus décisionnel.

L’expert doit ensuite être très clair dans ses formulations. Une exigence majeure de
l'expertise est de présenter explicitement les conditions, les critères et les raisons qui
ont motivé les positions prises. C’est à cette condition impérative que la société pourra
comprendre et accepter les réponses proposées aux questions soulevées. L’expert doit
justifier ses conclusions, de façon à pouvoir les faire valoir en cas d’appel ou de contre-
expertise. Il doit les motiver de façon précise et argumentée, éviter les sous-entendus
et les ambiguïtés. Pour être compréhensibles par le plus grand nombre, ses analyses et
recommandations seront formulées avec pédagogie. Si l’importance du travail
d’expertise a été sous-évaluée, le risque est grand de voir dévoyées ces règles
essentielles.

L’expert a souvent été choisi grâce à des compétences reconnues par son
établissement. Donc son intervention peut affecter, positivement ou négativement,
l’image de cet établissement à l’extérieur de celui-ci. Dans ce contexte, la relation
entre le chercheur et son établissement a besoin d’être précisée. Il serait sans doute
bon que l’expert rappelle toujours qu’il intervient à titre personnel, sauf en cas de
procédure spécifique. En effet, si l’expert — qu’il soit chercheur ou ingénieur —
n’engage pas juridiquement l’établissement auquel il appartient, c’est souvent sa
situation professionnelle et sa reconnaissance au sein de cet établissement qui a conduit

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125

le demandeur d’expertise à faire appel à lui. Le problème est que la société aura
tendance à prêter les positions de l’expert à son établissement de rattachement. Les
insuffisances, les dérives d’un expert deviendront celles de son établissement ; une
prise de position personnelle, et respectable comme telle, sera perçue comme une
position collective.

Les chercheurs devront donc trouver le meilleur équilibre entre, d’une part liberté
d’expression et d’intervention, traditionnellement associée à la « culture CNRS », et
d’autre part esprit de responsabilité, dans la mesure où leur engagement es-fonction
implique leur établissement. Dans le maintien d’un contexte fondamental de liberté, le
travail d’expert se doit d’être davantage « cadré », sans devenir encadré.

L’expert peut entrer, volontairement ou involontairement, dans un jeu de pouvoir.


Ses avis peuvent être biaisés par des intérêts financiers, personnels ou collectifs. Ainsi,
les conflits d’intérêts doivent être très attentivement anticipés dans toute formule
d’expertise. Enfin, dans le déroulement de l’expertise, une logique d’information et
de communication prime souvent sur la logique scientifique de la connaissance. En
entrant dans l’espace public souvent médiatisé, les experts peuvent être tentés de
profiter de cette situation en tant que scientifiques militants, ils peuvent être
instrumentalisés par exploitation de leur renom scientifique, ils peuvent se prendre au
jeu du vedettariat médiatique, ils peuvent aussi être conduits à formuler des points de
vue sur des sujets qu’ils ne maîtrisent pas suffisamment. Autant de risques qui leur
imposent, dans tous les cas, de faire explicitement la part de ce qui relève du fait
scientifique, des incertitudes de celui-ci, enfin de leurs convictions personnelles. Une
telle explicitation possède d’ailleurs des vertus pédagogiques quant aux réponses
proposées.

Au final, on ne peut que réaffirmer l’indispensable humilité qui devrait caractériser


le chercheur dans ses jugements, qu’il demeure dans sa communauté d’origine et a

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fortiori lorsqu’il s’en écarte. Le chercheur exprimant, comme expert, une opinion qui va
au-delà de ses connaissances prendra conscience que, le plus souvent, la science n’est
pas l’élément essentiel du débat. Il doit alors exercer une responsabilité éthique de
scientifique et de citoyen, en marquant clairement les limites de l’une et de l’autre.

L’expert doit donc faire preuve de responsabilité et de prudence dans son


appréhension de la demande, dans la construction de son point de vue, dans la
formulation de son avis ainsi que dans son contact avec la société. Par responsabilité,
nous entendons aussi bien la crédibilité et le sérieux scientifique, que la responsabilité
juridique, l’activité d’expertise pouvant dans certains cas aboutir à la mise en jeu de
cette dernière par les tribunaux.
Ces différentes analyses et recommandations concernent aussi, à l’évidence, les
situations d’expertise collective réalisée par plusieurs experts qui seraient sollicités
indépendamment de la médiation d’un établissement.

ii. Expertise institutionnelle conduite par un organisme de recherche :

Un organisme de recherche est directement concerné par l’expertise, parce que ses
chercheurs et ses ingénieurs de recherche sont appelés, individuellement ou parfois en
groupe, à formuler des avis. Nous avons ci-dessus attiré l’attention sur le fait que ceux-
ci peuvent alors mettre en jeu la crédibilité scientifique de l’établissement.

Mais au-delà, l’établissement peut être, directement ou par l’intermédiaire de l’un


de ses laboratoires, sollicité pour formuler un point de vue, dans une démarche formelle
— issue par exemple du politique, au niveau national ou local — ou bien dans l’urgence à
la demande des médias. Il est souhaitable que l’établissement, employeur de chercheurs
et d’ingénieurs engagés dans l’expertise, ne se contente pas d'appels à la responsabilité
de chaque expert, mais rende crédibles les garanties sous lesquelles s’exerce cette
responsabilité et s’engage lui-même dans les conclusions formulées.
L’établissement peut ainsi :

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 aider à la mise en place d’un code de bonnes pratiques, et donner une formation
appropriée à ses agents.
 organiser des expertises institutionnelles, en veillant à la composition, la qualité
et l’indépendance des experts qu’il choisit, en veillant à ce que les conditions de
l’expertise soient les meilleures possibles — s’agissant de la qualité de la
commande, de la transparence du fonctionnement et des débats, de la clarté des
avis
 faire savoir à l’extérieur sa disponibilité et son intérêt pour l’organisation de
telles expertises, à condition qu’il soit prêt à assumer le travail qu’elles exigent.
 organiser des débats en son sein ou bien en partenariat, publics ou non publics,
pour des problèmes de société actuels, ou bien qu’il anticipe. Ces débats, au
CNRS, devraient avoir un caractère pluridisciplinaire, enrichissant ainsi la
pluralité des points de vue.
 faciliter la publication ultérieure de monographies de référence sur les thèmes
considérés.

La responsabilité d’un établissement de recherche se situe essentiellement au niveau


de la recherche et de la science. L’expertise, à cause de la complexité des demandes
exprimées hors du cercle de la recherche, va au-delà de la science. Elle rend
nécessaires des prises de responsabilité fortes qui intègrent des aspects scientifiques,
des convictions personnelles et des aspects citoyens. La responsabilité sera d’autant plus
assumée qu’elle sera individuellement identifiée. Ainsi, dans le cas d’expertise
institutionnelle, le président d’un comité d’experts peut s’engager personnellement en
expliquant le fonctionnement du comité, et en indiquant les noms des experts qui
signent le rapport final. S’il y a des contradictions au sein du comité, il serait sans doute
préférable d’avoir plusieurs porte-parole, avec les rapports correspondants, pour avoir
des avis forts, les choix étant ensuite effectués par le politique. Un établissement, s’il
cautionne la méthodologie et les conditions de l’expertise, peut in fine valider un

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rapport d’expertise, lequel sera alors considéré comme une expertise institutionnelle et
diffusé sous le label de l’établissement.

4. Éthique dans la mise en place et l’exploitation de l’expertise

L’expertise est initiée par un commanditaire et, après sa réalisation, exploitée in


fine par ce donneur d’ordres ou, de façon plus aléatoire, par divers médias. Ces
différents niveaux d’intervention appellent une réflexion éthique.
Le donneur d’ordre définit le thème de l’expertise et formule sa demande. S’il s’agit
d’une expertise individuelle ou collective, il identifie et choisit les experts. S’il s’agit
d’une expertise institutionnelle, son interlocuteur est alors l’institution qu’il a
interrogée et le choix des experts, comme l’organisation de l’expertise, reviennent à
cette dernière. Dans tous les cas, le périmètre de l’expertise doit être clairement
établi, et le cahier des charges correspondant minutieusement défini. Les objectifs du
commanditaire pour l’utilisation du rapport doivent être clairement énoncés. Le choix
des experts doit se réaliser sur les bases d’excellence scientifique, d’indépendance, et
de capacités critiques qui ont été évoquées précédemment, et non sur des critères de
proximité ou d’appartenance à des réseaux auto-entretenus. En particulier, ce choix
doit éviter une sélection d’experts possédant une sensibilité culturelle ou idéologique
commune.

Lors d’expertises institutionnelles faisant, par exemple, appel à des organismes


comme le CNRS, une co-construction du cahier des charges de l’expertise et du « panel
» d’experts pourrait être réalisée. Une telle méthode devrait contribuer à une
optimisation des structures d’expertise et à leur adaptation à des situations complexes.

Même si les conclusions de l’expertise sont claires, leur exploitation satisfaisante


demande cependant une grande vigilance. Le commanditaire doit s’attacher à ne pas
interpréter abusivement le contenu de l’expertise et ne pas en retenir sélectivement
certaines parties, qui seraient plus en adéquation avec ses souhaits ou ses analyses a
priori . Il doit se sentir moralement tributaire des conclusions de l’expertise et ne peut

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rejeter l’avis demandé sans justifications fortes, ou encore le laisser sombrer dans
l’indifférence. Il doit contrôler la diffusion des résultats de l’expertise en facilitant la
plus grande transparence — sauf cas spécifique —, et être attentif à la précision des
informations délivrées aux médias Ceux-ci doivent également manifester une exigence
éthique, en relatant objectivement les conclusions de l’expertise et en présentant avec
équilibre les analyses et commentaires ponctuels associés à la diffusion de l’expertise.

5. Recommandations

A l’attention des experts :


 L’expert doit veiller à disposer d’un cahier des charges précis, issu de son
commanditaire. Il doit aussi connaître les objectifs du commanditaire quant à
l’exploitation du rapport d’expertise.
 L’expert doit admettre, à proportion de la complexité du problème soumis,
les limites de ses connaissances ou compétences ainsi que de sa disponibilité.
Il doit discriminer son niveau de connaissances, depuis la certitude jusqu’à
l’hypothèse en passant par la forte probabilité.
 L’expert doit donner une opinion, mais ne pas donner l’impression qu’il
reflète ainsi la position de l’ensemble de sa communauté. S’il existe des
divergences parmi les experts, il doit les souligner et, lorsque c’est possible,
préciser si sa position est minoritaire ou majoritaire. Il doit ne pas se sentir
redevable auprès de celui qui l’a désigné et ne pas hésiter à prendre, si cela
s’impose en raison et conscience, des prises de position opposées à celles
éventuellement souhaitées par le commanditaire.
 L’expert doit être particulièrement attentif aux conflits d’intérêts,
susceptibles de moduler de façon orientée son jugement, qu’il s’agisse de
proximités d’intérêts industriels ou économiques ou, de façon plus subtile,
de l’adhésion à des positionnements idéologiques tranchés. Il doit apprécier
si, malgré son engagement personnel, il peut délivrer des points de vue
raisonnablement objectifs.

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 L’expert doit prendre en compte les effets potentiels de ses positions sur
d’autres partenaires ou composantes que le donneur d’ordre. Une expertise
peut conduire à des conséquences importantes concernant la justice sociale,
la liberté individuelle, la santé, le développement durable, la protection de
l’environnement, les solidarités Nord-Sud … Par son interaction avec la
société, le chercheur en tant qu'expert contribue donc aux relations entre
recherche et société.
 L’expert doit conduire l’expertise avec les approches intellectuelles et les
exigences de la méthodologie scientifique ; il doit aboutir à des positions
responsables, même s’il perçoit qu’elles puissent être impopulaires.
 L’expert doit prendre conscience de ses propres limites éthiques et éviter les
situations où il ne serait pas capable d’obéir aux principes éthiques ci-dessus
énoncés, attiré qu’il serait par des attitudes de pouvoir ou d’intérêt
personnel.

A l’attention de l’établissement :

 L’établissement inclura la dimension éthique dans le choix et l’équilibre des


experts retenus dans un dispositif d’expertise collective. Il veillera à ce que la
pluralité de compétences du CNRS soit largement exploitée.
 L’établissement définira des modalités d’expertise faisant appel à des
prescriptions éthiques. Il sera particulièrement attentif à tout ce qui pourrait
relever du conflit d’intérêts.
 L’établissement veillera à la large diffusion, en son sein, des expériences
relatives à l’expertise ; il sera attentif à toute possibilité de synergie ou de
mutualisation inter-organismes ou inter-établissements dans le domaine de
l’expertise.
 L’établissement veillera à mettre en place des formules de suivi de ses
activités d’expertise, pour s’assurer de la bonne mise en pratique des
recommandations éthiques.

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 Il se préoccupera d’une formation à la mise en oeuvre de préoccupations


éthiques dans l’activité de recherche, concernant — entre autres — la
diffusion des connaissances, sous toutes ses formes, y compris enseignements
universitaires et formation continue.

SUGGESTIONS À L’ATTENTION DES COMMANDITAIRES DE L’EXPERTISE :

 On recherchera une définition du cahier des charges de l’expertise aussi précise


 que possible, ainsi qu’une présentation claire des objectifs de l’expertise et des
suites qui lui seront données.
 Il sera nécessaire d’éviter la tentation de choisir un expert en fonction de son
attitude présupposée favorable aux vœux et analyses du donneur d’ordre.
 On devra considérer les limites de l’acte d’expertise et ne pas exiger une réponse
univoque et définitive, reconnaître et accepter que les experts puissent être
divisés, ne pas les pousser à un consensus s’il n’est pas atteignable.
 On exploitera les résultats de l’expertise dans leur intégralité avec honnêteté
intellectuelle, on en assurera et facilitera la diffusion sans biais, censure ou
subjectivité.

6. Conclusions

La fonction d’expertise, à supposer qu’elle soit développée et mieux organisée, en


particulier par le CNRS, peut devenir une interface efficace entre les scientifiques et les
différents acteurs de la vie sociale : le grand public, les milieux institutionnels et
politiques, les milieux industriels et économiques. Elle peut en effet créer des dialogues
et limiter les clivages entre des secteurs non suffisamment perméables les uns aux
autres. Elle peut aussi contribuer à développer la culture scientifique de la société civile
et, réciproquement, la compréhension des chercheurs vis-à-vis de la demande sociale.
Enfin, elle peut renforcer la place de la société civile dans le processus de décision
démocratique et libérer celle-ci d’une attitude qui l’entraîne parfois à s’opposer a priori
à des évolutions techniques raisonnables.

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Une expertise bien conduite doit permettre d’associer une démarche éthique de
précaution à une démarche éthique de l’action, rendant acceptable une certaine prise
de risque.
Septembre 2005.

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GLOSSAIRE
󲐀 Avis :
Il s’agit d’un terme qui s’applique au résultat d’une consultation souvent
effectuée dans l’urgence et fréquemment par les médias sur une
problématique donnée, un résultat récent et important. L’avis est le plus
souvent individuel et ne doit engager que son auteur.
󲐀 Expertise :
Il s’agit de la réponse à une demande spécifique et bien définie faite par
une autorité administrative, une structure, ou un tiers sur un sujet donné.
Elle a pour but de fournir des appréciations d’ordre technique mais aussi
sociétal sur une problématique afin d’éclairer les demandeurs.
󲐀 Expertise individuelle :
Expertise réalisée par un seul expert sous sa propre responsabilité.
󲐀 Expertise collective :
Expertise réalisée par plusieurs experts.
󲐀Expertise institutionnelle :
Expertise conduite sous la responsabilité propre d’une institution et
réalisée par un ou plusieurs experts habilités par elle-même.

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Lecture de référence no. 8

Ethique et entreprise

Par

Jean Robert Jean-Baptiste, cga, cpah

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Le domaine de l’éthique en entreprise est un sujet sensible et transversal. Il renvoie à


des débats actuels à propos de la lutte contre la corruption, la notion d’entreprise
citoyenne, le rôle du gouvernement d’entreprise ou la quête de la qualité. La place que
doit occuper l’éthique dans l’entreprise soulève de multiples interrogations : Quels sont
les domaines couverts par l’éthique d’entreprise ? Est-elle un élément de notoriété de
l’entreprise à usage externe ? Permet-elle de créer un consensus social à l’intérieur de
l’entreprise ? En d’autres termes, l’éthique peut-elle accéder au statut de nouvel art
de management ?

La distinction entre éthique, morale et déontologie

Selon Jean-Jacques Wunenburger, il existe deux traditions de définition permettant de


différencier les termes éthique et morale :

• L’éthique comme réflexion sur les fondements de la morale.

• Morale universelle et éthique particulière.

A la suite des travaux d’Isaac, on peut définir la déontologie comme un "ensemble de


règles dont se dote une profession, ou une partie de la profession, au travers d’une
organisation professionnelle, qui devient l’instance d’élaboration, de mise en œuvre, de
surveillance et d’application de ces règles".

Si l’on admet que les trois termes sont des éléments qui découlent l’un de l’autre, "la
morale, science du bien et du mal, permet de dégager une éthique qui est un art de
diriger sa conduite, son comportement, qui s’exprime dans les principes guidant les
aspects professionnels de ce comportement : la déontologie" [Rojot].

L’éthique permet donc d’élaborer un certain nombre de règles dirigeant la conduite des
individus pour distinguer la bonne et la mauvaise façon d’agir.

La liberté d’action

Les problèmes éthiques se posent quand les actions menées librement par un individu
ont un impact positif ou négatif sur d’autres. Ils apparaissent donc dès qu’il y un

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engagement à prendre, un choix à faire ou une responsabilité à assumer. Les décisions


de l’entreprise n’obéissent pas seulement par des éléments de caractère analytique
mais aussi par des références de valeurs.

Le choix éthique ne se pose donc que là où il existe un degré de liberté d’action : les
décisions prises sous une contrainte absolue ne sauraient être évaluées du point de vue
éthique. Cependant, au niveau de la direction des entreprises, il existe une marge de
manœuvre importante et les interrogations éthiques permettent de forger un choix
personnel. Ce degré de liberté est le point précis sur lequel la gestion rejoint l’éthique.

L’engagement des dirigeants

La réflexion éthique dans l’entreprise revêt un intérêt hautement stratégique et est


devenue une nouvelle dimension de la politique d’entreprise : par expression de son
éthique, l’entreprise affirme son caractère unique et permet à ses membres de vivre un
sentiment d’appartenance. Ainsi, la formation éthique se pose comme une nécessaire
prise de position de la part du Conseil d’Administration en jouant le rôle de cadre de
référence pour les différentes décisions qui seront prises. Les principes directeurs,
règles et normes qu’elle véhicule ont pour objectif d’orienter en permanence l’action.

L’engouement pour la réflexion éthique concerne plus spécifiquement les grandes


entreprises. Plus une organisation devient complexe, plus le maintien de sa cohésion
devient un enjeu important. Jusqu’à présent, les entreprises s’appuyaient
essentiellement sur une forte culture implicite. Or, la diversité des collaborateurs
devient trop grande pour que cela soit suffisant. Il est donc nécessaire de poser les
bases d’une éthique commune et explicite. L’intégration de la dimension éthique dans
le management relève donc d’abord de l’engagement des dirigeants.

La culture organisationnelle

Chaque organisation a une culture. Parfois, cette culture peut être fragmentée et
difficile à percevoir. Dans d’autres cas, au contraire, la culture est très forte, cohésive
et clairement perçue aussi bien par les employés que par ceux qui se trouvent à
l’extérieur de l’entreprise.

La culture remplit plusieurs fonctions dans l’entreprise :

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• Elle délimite les frontières de l’entreprise, c’est-à-dire qu’elle crée une distinction
entre une organisation et les autres.

• Elle permet de transmettre une certaine identité à ses membres, ce qui facilite la
notion d’implication à quelque chose de plus large que la recherche de l’intérêt
personnel. Elle peut donc contribuer à augmenter la stabilité du système social.

• Elle est un mécanisme de contrôle qui permet de guider et de façonner les attitudes
et les comportements des employés.

Le contrat psychologique

A travers la formalisation de son éthique, l’entreprise cherche donc à préciser le contrat


psychologique qui unit employeur et salarié : elle formalise les contributions et les
rétributions.
En échange du temps et de l’énergie consacrés au travail en son sein, l’entreprise
présente ses responsabilités envers le personnel. La dimension éthique est donc
fondamentale dans les contrats psychologiques :

• Plus la connaissance des attentes respectives de chacun est grande, plus la


probabilité de trouver un terrain d’entente entre l’employeur et l’employé est
élevée. Cela dépend donc de l’importance de la communication entre les membres
de l’organisation.

• La discussion, voire les concessions ne suffisent pas toujours à résoudre certains


désaccords. Il existe toujours des différences entre les attentes des individus et
celles de l’organisation.

Peut-on parler d’éthique en gestion ?

Pour certains, parler d’éthique en gestion est une absurdité. Le monde des affaires
n’obéit qu’à la loi du profit et est exempt d’interrogations éthiques. Pour d’autres, on
ne peut avoir d’éthique appliquée : l’économie et les affaires devraient simplement
être soumises aux mêmes normes que toute autre activité sociale. Cependant, de plus
en plus d’universitaires et de professionnels s’intéressent à la réflexion éthique
appliquée à l’entreprise.

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Les entreprises sont tenues, de plus en plus, de justifier leurs moyens d’action et la
finalité de leurs activités. L’étude de la relation entre moyens employés et les fins
visées fait donc apparaître une préoccupation d’ordre éthique.
La réflexion éthique en entreprise est au cœur des contradictions entre les logiques
économiques et sociales. C’est une réflexion concernant la responsabilité de
l’entreprise vis-à-vis des acteurs internes et externes. Cette notion de responsabilité
évoque l’obligation de justifier tout acte ou décision en fonction de normes morales et
de valeurs.
La formalisation de l’éthique

La formalisation éthique consiste à poser explicitement, par écrit, les idéaux, valeurs,
principes et prescriptions de l’entreprise. Elle prend donc l’aspect d’un document de
référence rédigé par l’entreprise, énonçant ses valeurs et comportant une dimension
éthique.

1. Les enjeux de l’éthique en entreprise

A- La dimension environnementale

Les pressions de l’environnement sociopolitique

Martinet définit une pression sociopolitique comme étant une "exigence formulée par
une partie de la société environnante envers l’entreprise afin que cette dernière
intériorise des coûts sociaux nouveaux, imputables ou non à ses activités de production".
L’environnement sociopolitique s’attend à plus d’engagement éthique de la part des
organisations et cherche à se situer dans un environnement plus honnête. Il est donc
prompt à condamner et à sanctionner le comportement d’entreprises mettant en danger
par leurs produits ou leurs pratiques de gestion la santé ou la sécurité humaine [Seider].
La pression morale et la mobilisation de l’opinion publique peuvent considérablement
réduire la marge de manœuvre des entreprises, voire leur imposer une démarche à
suivre.

Le rôle fondamental de la réputation et de la confiance

De plus en plus, les entreprises doivent répondre aux obligations et devoirs qui sont
leurs vis-à-vis de l’environnement. Il s’agit donc de maîtriser leur image externe auprès

ManuelTheories Comptables-01Dec10 138


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des différents publics : actionnaires et milieux financiers, pouvoirs publics, clients,


fournisseurs, grand public. Pour se faire, l’entreprise cherche à communiquer le plus
clairement possible les éléments clés de son identité.

Trois grandes croyances managériales guident la démarche des entreprises :

• La formalisation des règles éthiques favorise les relations avec les actionnaires et
permet d’obtenir et de conserver la confiance des investisseurs.

• Elle contribue à promouvoir le respect du client.

• La formalisation permet à l’entreprise de souligner l’importance accordée à la


protection de l’environnement.

L’adaptation à l’environnement technico-économique

Le contexte économique dans lequel les organisations évoluent s’est radicalement


transformé depuis une vingtaine d’années. Les entreprises sont confrontées à des
problèmes d’organisation interne car elles doivent s’adapter rapidement à
l’accroissement de la concurrence. Cela conduit les entreprises à prendre position sur le
plan éthique pour accélérer les changements devenus indispensables.

B- La dimension organisationnelle

Les nécessités stratégiques internes

Pour l’entreprise, il s’agit de trouver l’équilibre entre l’adaptation aux pressions et


exigences de l’environnement et le maintien de la cohésion et de l’efficacité du
système organisationnel.

Le besoin d’une référence culturelle commune

Les entreprises éprouvent, de plus en plus, le besoin de disposer d’une référence


culturelle commune. Il existe une croyance managériale dans l’influence des valeurs
pour promouvoir les comportements éthiques. La vitesse et l’amplitude des
changements des vingt dernières années ont brouillé les repères et les valeurs qui
concouraient à l’unité et à l’identité des organisations. Les valeurs et normes existantes
(et implicites) ne sont pas toujours suffisantes pour guider les employés confrontés à des

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problèmes éthiques. Il peut également exister des incohérences et des contradictions


entre les différentes valeurs et normes implicites dans l’entreprise.

La volonté de guider ou de contrôler les comportements

La formalisation éthique permet de guider et de contrôler les comportements afin de


maintenir la cohésion de l’entreprise. Cela est rarement mis en avant par les
responsables, mais il est évident que c’est une volonté sous-jacente à toute démarche
d’engagement éthique de la part des entreprises. La formalisation permet de mettre
en lumière les situations dans lesquelles un individu peut être amené à avoir des
réactions contraires à l’intérêt de l’entreprise. Il s’agit, pour l’entreprise de se
protéger contre des comportements malhonnêtes ou opportunistes. L’éthique
formalisée est donc vue comme un modèle de comportement : toute organisation
humaine fondée sur des relations entre personnes est amenée à établir une règle du
jeu qui fixe les normes fondamentales de son fonctionnement.

En résumé, il convient de noter que la formalisation éthique semble être une réponse à
des préoccupations tant externes qu’internes. L’objectif externe peut être de
promouvoir une image positive de la firme par la formulation d’engagements
autonomes. En effet, une telle démarche montre que l’entreprise est concernée par
l’éthique et qu’elle se soucie de la communauté dans laquelle elle opère. Du point de
vue interne, l’objectif est de déterminer des principes éthiques que les employés
devront suivre. La formalisation constitue donc un moyen de régulation. L’entreprise
cherche à susciter l’adhésion et le dévouement de ses collaborateurs, et donc à
instaurer stabilité et prévisibilité dans leurs comportements. Ce recours à l’éthique est
peut-être l’expression d’une quête de nouveaux rapports sociaux au sein de
l’entreprise.

2. Ethique et responsabilité

Pour Jonas, la responsabilité signifie la sollicitude, l’intérêt pour ceux qui sont touchés
par le cours de nos actions. Elle soulève une obligation fondamentale, sans réciprocité
envers autrui et comprenant la nature et le futur. La notion de responsabilité évoque
donc l’obligation de justifier tout acte ou décision en fonction de normes morales et de
valeurs.

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Le débat de la responsabilité sociale de l’entreprise

Le concept de responsabilité sociale de l’entreprise oscille entre deux extrêmes : l’un


réduit la responsabilité de l’entreprise à l’obtention du profit (le plus important
possible) pour ses actionnaires, et l’autre étend la responsabilité de la firme à tous les
acteurs ayant un intérêt dans l’entreprise.

Le débat concerne donc la finalité de l’entreprise : son rôle est-il d’enrichir ses
actionnaires ou peut-il être plus large ? D’un point de vue éthique, c’est bien sûr la
seconde perception qui semble la plus satisfaisante.

La responsabilité sociale de l’entreprise est d’accroître ses profits

L’entreprise n’a, dans ce cas, aucun devoir à l’égard des salariés, des consommateurs,
des fournisseurs, des sous-traitants ou des collectivités publiques. Ses rapports avec les
uns et les autres sont subordonnés à l’intérêt des seuls apporteurs de capitaux.

La théorie des parties prenantes

Pour les tenants de la théorie des parties prenantes, l’entreprise capitaliste a d’autres
responsabilités beaucoup plus étendues. Cette théorie présente une vision systémique
des rapports que l’entreprise entretient avec son environnement. Une entreprise qui
assume ses responsabilités sociales, d’une part, reconnaît les besoins et les priorités des
intervenants de la société ; d’autre part, évalue les conséquences de ses actions sur le
plan social afin d’améliorer le bien-être de la population en général tout en protégeant
les intérêts de son organisation et de ses actionnaires.

Les responsabilités de l’entreprise vis-à-vis de son personnel : éthique et gestion des


ressources humaines

La gestion des ressources humaines dans l’entreprise fait référence à des préoccupations
éthiques importantes. La relation entre le salarié et son employeur est
fondamentalement inégale. Cette relation est mise en œuvre au moyen d’une hiérarchie
et de procédures dans l’entreprise.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 141


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L’éthique comme clarification du contrat psychologique entre l’employeur et l’employé

La clarification du contrat psychologique peut contribuer à la stabilité. En effet, la seule


application du contrat économique entre chaque individu et l’entreprise n’est pas
suffisante. Cela pousse les membres de l’organisation à rechercher en priorité la
satisfaction de leurs propres besoins même si c’est aux dépens de l’atteinte des
objectifs organisationnels. L’existence, en parallèle, d’un contrat psychologique permet
donc d’en atténuer ces effets pervers.

Le contrat psychologique a une dimension dynamique : c’est un ensemble d’attentes


mutuelles qui a évolué de façon spectaculaire au cours de ces dernières années.

On assiste à un changement significatif dans les valeurs et attitudes des employés quant
à leurs attentes. La nouvelle génération d’employés réclame plus d’opportunités de
développement, plus d’autonomie et de flexibilité.

Dans ce contexte, l’organisation se doit d’être un lieu dans lequel les individus peuvent
se développer. Le style de management doit donc changer : il faut trouver de nouvelles
incitations pour attirer, retenir et motiver des collaborateurs de talent. Pour réussir,
l’entreprise cherche à faire converger ses besoins et valeurs avec ceux de l’individu. Ce
processus d’échanges réciproques est au cœur des politiques éthiques des organisations.

Le management des hommes dans la politique éthique de l’entreprise

Le personnel est un partenaire vital pour l’entreprise. Il est très dépendant de la firme
pour son bien-être. L’entreprise a donc une responsabilité forte face à ses employés. Il
existe bien évidemment diverses obligations imposées par la loi mais, dans une véritable
perspective éthique, la responsabilité de l’entreprise va au-delà de la loi. La politique
éthique est donc l’occasion pour les entreprises d’exposer leur politique sociale, de
décrire leur idéal de management (découlant de la vision de l’entreprise comme une
communauté humaine).

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Les responsabilités de l’entreprise envers ses partenaires externes

Le respect des partenaires de l’entreprise

L’éthique de l’entreprise vis-à-vis des tiers est une éthique du respect [La Bruslerie].
C’est un respect qui s’inscrit dans une logique de relations à long terme. Le respect du
partenaire actuel est une nécessité car il sera peut-être aussi le partenaire de demain.

Le respect de l’environnement

L’entreprise doit s’engager à fabriquer des produits de telle manière que


l’environnement n’en subisse pas des conséquences négatives. L’objectif est de faire en
sorte que procédés et produits aient le minimum d’impact sur l’environnement.

L’entreprise citoyenne

La notion d’entreprise citoyenne repose sur le fait que l’activité d’une entreprise est
inséparable de la communauté au sein de laquelle elle exerce. Etre "bon citoyen" pour
une entreprise, ce n’est pas seulement respecter scrupuleusement les lois et les
règlements du pays où elle opère, c’est, tout en apportant une plus-value économique,
constituer un élément vivant de l’environnement social.

Le concept d’entreprise citoyenne découle du constat que l’Etat ne peut prendre seul
en charge la solution des grands problèmes de société. Le danger est alors de dédouaner
les instances politiques de leurs responsabilités et de laisser supposer que le marché
peut remédier lui-même à ses imperfections.

Conclusion
La réflexion éthique permet de nous interroger sur ce que doit être la finalité d’une
entreprise. Depuis la fin des années soixante-dix, la gestion a tour à tour été séduite
par le management participatif, puis par la recherche de la qualité totale et, enfin,
par le projet et la culture d’entreprise. L’évolution naturelle a conduit l’entreprise à
s’interroger sur ses valeurs propres. Au-delà des modes, on note un intérêt croissant
pour la prise en compte du facteur humain. Cette redécouverte de l’entreprise non
plus comme une structure économique, mais surtout comme une communauté

ManuelTheories Comptables-01Dec10 143


144

humaine est le signe de l’élaboration de nouveaux rapports sociaux : l’éthique devient


un paramètre qui aide à la mise en place de nouvelles méthodes de travail.
Enfin, alors que la déontologie en tant que code de pratiques et de règles propres à un
métier particulier s’impose à tous ceux qui le pratiquent, l’éthique est un lieu
d’interrogation et de débat, elle ne vise donc pas le consensus. Cette caractéristique
explique sans doute l’attrait croissant que suscite ce champ de recherche prometteur.

Bibliographie

Mercier, Samuel : L’éthique dans les entreprises, Collection Repères, Ed. La


Découverte, Paris 1999
Wunerburger, Jean- : Questions d’éthique, PUF, Paris 2000
Jacques
Rojot, Jacques : Théorie des organisations, Ed. Eska, Paris 2003
Russ, Jacqueline : La pensée éthique contemporaine, PUF, Paris 1994
Isaac, Johsua : Le grand tournant – Une interrogation sur l’avenir du
capital, PUF, Paris 2000
Martinet, Charles : Droit du travail, Ed. Dalloz-Sirey, Paris 2001
Jonas, Hans : Evolution et liberté, Ed. Rivages, Paris 2000

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145

Lecture de référence no. 9

L’éthique en comptabilité

par

Jean Robert Jean-Baptiste, cga, cpah

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Les scandales d’Enron et de WorldCom nous ont montré la nécessité de soumettre la


profession comptable aux normes les plus rigoureuses d’éthique. Bien que beaucoup ait
été dit sur ce sujet, il n’est peut-être pas inutile de revenir là-dessus.

Quotidiennement, dans notre vie privée ou professionnelle, nous sommes tous


confrontés à des problèmes d’éthique. En fait, l’éthique est à la base même de toute
société. Les médias font régulièrement état de méfaits de toutes sortes qui montrent
l’importance de l’éthique : violation des droits de la personne, fraudes commises, par
exemple, avec des cartes de crédit, utilisation, par des dirigeants de grandes sociétés,
d’informations privilégiées pour réaliser des gains personnels. Tous ces méfaits, qui
vont à l’encontre de toute justice, minent la confiance que l’on peut avoir les uns
envers les autres.

Pour les comptables agréés, le respect d’un code de déontologie est essentiel puisque
l’objectif de la comptabilité est de fournir une information financière utile à laquelle
les décideurs peuvent se fier. Comment ceux-ci pourraient-ils se fier à l’information
financière s’ils ne peuvent pas faire confiance aux comptables agréés ? Afin d’éviter
cette situation, l’Ordre a conçu un Code de Déontologie qui énonce les règles de
conduite auxquelles les membres de la profession doivent se soumettre.

Comment peut-on définir l’éthique ?

Le dictionnaire Larousse définit l’éthique comme « l’ensemble des règles qui


permettent de déterminer si un acte ou une activité est honnête ou malhonnête ».
L’éthique concerne aussi la morale, l’art de diriger la conduite humaine. Remarquez
que les lois et l’éthique sont souvent en accord ; ainsi, certains actes qui vont à
l’encontre des règles d’éthique, comme le vol ou la violence, sont aussi des actes
illégaux. Par contre, il arrive que certains comportements ne soient pas réprimés par la
loi mais soient condamnables selon les règles d’éthique. Par exemple, la loi condamne
toute personne qui se parjure lorsqu’elle est sous serment alors qu’elle ne sévit pas
contre celle qui ment mais n’est pas sous serment. Or, nous savons que, selon les règles
de l’éthique, mentir pour conclure une transaction, par exemple, est tout simplement

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inacceptable. On ne peut donc pas présumer que quelqu’un qui respecte les lois a pour
autant un comportement qui correspond aux règles d’éthique.

Une personne peut être confrontée à une situation où il est difficile de décider si une
action est acceptable ou pas. La meilleure décision à prendre dans de telles
circonstances est celle qui ne laisse planer aucun doute sur la justesse de l’action. Par
exemple, à titre de membre du conseil d’administration d’un organisme sans but
lucratif, vous devez prendre une décision qui pourrait permettre à l’entreprise d’un
membre de votre famille d’obtenir un contrat. Devez-vous participer au processus de
décision ou devez-vous vous retirer de la discussion ? La réponse éthique serait d’éviter
ce conflit d’intérêt en refusant de participer à la discussion. De même, les utilisateurs
de l’information financière pourraient, par exemple, mettre en doute la fiabilité de
l’information financière contenue dans des états financiers vérifiés par des experts-
comptables qui auraient un lien financier avec l’entreprise et auraient donc intérêt à
présenter une situation financière favorable. Faut-il interdire aux vérificateurs le droit
d’investir dans les entreprises dont ils sont les vérificateurs à moins que le montant
investi soit minime ? Afin d’éviter d’avoir à définir ce qu’est un investissement minime,
le Code de Déontologie défend aux vérificateurs d’exprimer une opinion sur les états
financiers d’une entreprise dans laquelle ils auraient un intérêt financier quelconque,
quelle que soit l’importance des montants en cause. De plus, Il est défendu aux
vérificateurs d’accepter un mandat de vérification dont les honoraires seraient établis
en fonction des résultats divulgués dans les états financiers. Ces règles ont été établies
afin d‘éviter les conflits d’intérêt qui pourraient amener les utilisateurs de
l’information financière à mettre en doute l’intégrité et l’indépendance du
vérificateur.

Les obligations éthiques des comptables agréés rejoignent quatre aspects particuliers :

1- Les CPAH doivent maintenir un haut niveau de compétence


professionnelle ;

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2- Ils doivent respecter la confidentialité des informations auxquelles ils ont


accès ;

3- Ils doivent faire preuve d’une intégrité irréprochable ;

4- Enfin, ils doivent se montrer impartiaux dans la manière de divulguer


l’information financière.

Plusieurs situations controversées auxquelles vous aurez à faire face ont une dimension
qui relève des règles d’éthique. Au cours des dernières années, nombreux sont ceux qui
ont exprimé leur opinion sur la détérioration des règles d’éthique en affaires. Touche
Ross, firme internationale d’experts comptables, a effectué un sondage d’opinion sur
ce sujet. Ce sondage a été mené auprès de 1100 administrateurs de sociétés,
politiciens et doyens de facultés de gestion dans des universités. Selon les résultats, 94
% d’entre eux considèrent que, de nos jours, le milieu des affaires est préoccupé par
les problèmes d’éthique. Ce même sondage révèle que, pour survivre, une entreprise
doit respecter un code de déontologie très strict. Cela nous permet de conclure que le
respect des règles d’éthique très strictes est bon en affaires. Les entreprises qui se sont
donné des pratiques soumises à un code de déontologie ont créé un climat de confiance
qui leur permet de s’assurer de la fidélité de la clientèle et des fournisseurs, d’avoir à
leur emploi un personnel honnête et productif et de maintenir une solide réputation.
Pour ces entreprises, le code de déontologie contribue donc à leur succès.

A cause de l’intérêt très répandu dans le public pour l’éthique en affaires, de


nombreuses entreprises, particulièrement dans le secteur financier haïtien, ont adopté
un code de déontologie qu’elles révisent périodiquement. Un grand nombre d’autres
sociétés sont en train de se donner pour la première fois des règles d’éthique. Ces
codes précisent, entre autres, les règles qui régissent les relations entre les différents
services de l’entreprise, la conduite des affaires avec les clients, les fournisseurs, les
organismes de réglementation ou de tutelle, le public et même avec la concurrence.
Ces entreprises utilisent souvent leur code de déontologie comme un engagement social

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à maintenir des pratiques commerciales intègres. Il est aussi important de mentionner


que ce code sert de guide de comportement pour les employés.

Qu’en est-il de l’éthique en comptabilité ?

En comptabilité, l’éthique revêt une importance particulière à cause du rôle important


que joue le comptable agréé comme pourvoyeur d’une information financière fiable et
utile aux décideurs. Le comptable est souvent confronté à des questions d’éthique
lorsque vient le temps de choisir les informations qu’il doit fournir aux décideurs. Vous
n’ignorez pas que les services rendus par les comptables agréés peuvent comporter de
graves conséquences pour le public et les entreprises ou organismes.

Ainsi, les recommandations d’un comptable agréé peuvent influencer la politique de


dividendes des sociétés, le coût d’acquisition d’une entreprise, la rémunération des
cadres intermédiaires et supérieurs, le succès ou la faillite de certains produits ou de
certaines divisions, le montant des impôts ou des taxes qui sera payé, etc. De même,
des informations financières adéquates ou erronées peuvent provoquer la fermeture
d’une division, ce qui entraînera le licenciement d’employés et de nombreux torts aux
clients et aux fournisseurs. Le comptable agréé doit être conscient des conséquences
que peuvent avoir les informations financières qu’il communique. Pour guider les
CPAH’s dans les décisions qu’ils doivent prendre, l’OCPAH s’est donné un Code de
Déontologie. Les articles de ce Code sont révisés régulièrement afin qu’ils soient bien
adaptés à l’évolution constante du monde des affaires.

La confidentialité des informations privilégiées représente un autre aspect du code de


déontologie que les CPAH’s doivent respecter. Ils ont, par exemple, accès aux registres
des salaires, aux informations sur les projets d’expansion et de développement des
entreprises, aux coûts unitaires des produits, aux budgets et à une variété
d’informations concernant les clients et les employeurs. Un manquement au secret
professionnel peut créer un préjudice irréparable à l’entreprise de son client. C’est
pour cette raison que le Code de Déontologie prescrit que ces informations soient
traitées en toute confidentialité. De même, les comptables agréés travaillant au

ManuelTheories Comptables-01Dec10 149


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service de comptabilité d’une entreprise ne doivent pas utiliser les informations


financières confidentielles pour en retirer des avantages personnels.

Finalement, les comptables agréés sont fréquemment appelés à choisir entre plusieurs
méthodes comptables qui peuvent influer sur le bénéfice des entreprises. Les décisions
relatives au choix des pratiques comptables ne peuvent être prises à la légère car elles
peuvent avoir des conséquences sur l’attribution de biens et de ressources à des
individus ou à des groupes d’individus. Ainsi, le choix d’une méthode comptable doit
faire l’objet d’une analyse objective et ne devrait pas être influencé par l’impact qu’il
peut avoir sur les résultats de l’entreprise. Si c’était le cas, cela pourrait constituer un
manquement aux règles d’éthique.

De nombreuses entreprises versent à leurs gestionnaires, en plus du salaire, une


gratification dont le montant est établi en fonction du bénéfice net de l’entreprise. Ce
type de rémunération peut inciter les gestionnaires à choisir des méthodes comptables
permettant d’accroître le bénéfice net. Ces situations ne sont pas exceptionnelles.

Ces quelques exemples démontrent l’importance d’un code de déontologie autant pour
les CPAH que pour leurs clients et le public en général. Ce code leur sert de guide dans
les relations d’affaires et dans leurs prises de décision. Il les incite à être responsables
et intègres dans toutes les situations, peu importe les difficultés qu’elles soulèvent. Il
permet aussi aux clients de connaître les règles rigoureuses auxquelles sont assujettis
les CPAH dans l’exercice de leur profession et rassure le public en général sur la
fiabilité des états financiers. Il faut dire, en fait, que le bon fonctionnement de notre
système économique repose pour une bonne part sur une information financière digne
de confiance.

La pratique de l’expertise comptable placera les experts-comptables face à différentes


situations qui mettront en cause les règles d’éthique. Ils doivent être encouragés à
rechercher et à explorer les différentes options qui peuvent être envisagées et à les
évaluer sur le plan éthique. Ils doivent se rappeler que la comptabilité doit s’exercer

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selon un code de déontologie strict si l’on veut qu’elle soit un outil utile au service de
la société dans laquelle nous vivons.

En conclusion, nous appliquerons à la comptabilité cette phrase d’Earl Warren, ancien


Président de la Cour Suprême des Etats-Unis, à propos des lois : « Dans notre monde
civilisé, la comptabilité flotte sur une mer de questions qui font appel à l’éthique ». On
peut dire que le choix de notre mode de navigation ne dépend que des comptables. Ils
ne doivent pas sous-estimer pas l’importance des choix qu’ils auront à faire. Tôt ou
tard, les décisions qu’ils auront à prendre influeront sur la société dans laquelle ils
vivent ; c’est là le défi éthique auquel les CPAH sont tous confrontés.

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Lecture de référence no. 10

La technique et la science comme idéologie de la formation comptable

par

Bernard Colasse
Professeur, Université de Nancy-II, France

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Notre communication a trait à la formation initiale théorique du futur expert-


comptable, formation qui précède celle, pratique, qu'il reçoit «sur le tas» dans un
cabinet à l'occasion d'un stage de longue durée.

Ainsi que nous l'a dit Yves Lequin, l'appareil de formation des experts-comptables
français s'est considérablement perfectionné au cours de ces dix dernières années.

Deux filières mènent désormais au titre d'expert :

 une filière gérée en partie par les Universités et dont l'élément spécifique est un
diplôme de 2e cycle, la maîtrise dite des sciences et techniques comptables et
financières (M.S.T.C.F. );

 une filière gérée par la profession dont l'élément spécifique est le diplôme d'études
comptables supérieures (D.E.C.S.).

La création de ces filières s'est accompagnée d’une révision complète des programmes
qui sont devenus beaucoup plus multidisciplinaires que dans le passé.

Mais il ne suffit pas de réformer un appareil de formation et d'élaborer de nouveaux


programmes pour que la formation se trouve sensiblement améliorée; il s'agit de
conditions certes nécessaires mais, à l'évidence, insuffisantes. Il faut aussi que change
l'esprit même de la formation.

Nous souhaitons mettre l'accent sur deux maladies de la formation comptable qui
peuvent entraver le succès de toute réforme: le technicisme et le scientisme. II est
sans doute peu important de savoir si la comptabilité est une technique ou une science
mais il semble bien que les idées de technique et de science soient à l’œuvre dans les
pratiques comptables de formation comme elles le sont plus généralement dans nos
pratiques sociales ainsi que l'a montré le grand philosophe allemand contemporain
Jürgen Habermas auquel nous rendons hommage en récupérant le titre de l'un de ses

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ouvrages, La technique et la science comme idéologie, dans l'intitulé de la présente


communication.

Dans une première partie, nous tenterons de montrer en faisant appel à l'histoire de la
pédagogie comptable, que le technicisme et le scientisme sont des maladies anciennes
de la formation comptable.

Dans une deuxième partie, nous mettrons en question la notion de «sciences


comptables» comme catalyseur possible d'un nouveau scientisme tout aussi pernicieux
que l'ancien.

Enfin, dans une troisième partie, nous ferons quelques propositions visant à limiter les
effets négatifs du technicisme et du scientisme dans le contexte de la mise en oeuvre
de programmes de formation multidisciplinaires.

Bien sûr, tout notre exposé sera inspiré par la situation de l'enseignement supérieur
comptable français et c'est simplement pour ne pas trop alourdir son titre déjà long que
nous n'avons pas précisé ...en France. Toutefois, peut-être est-il suffisamment général
pour s'appliquer, au moins en partie, à la situation de l'enseignement supérieur
comptable dans d'autres pays; il semble d'ailleurs qu'un certain nombre de réflexions
faites tout au long de ce colloque rejoignent celles que nous allons présenter
maintenant.

1. TECHNICISME ET SCIENTISME

La comptabilité (générale) s'offre à l'étude sous trois aspects au moins:

- comme système de description, de modélisation des organisations;

- comme processus de traitement des informations nécessaires à cette modélisation;

- enfin, comme pratique sociale inscrite dans un réseau de contraintes réglementaires


plus ou moins strictes.

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Ainsi que nous l'a dit Edmond Marqués, elle a bien d'autres aspects qui stimulent la
réflexion: religieux, culturels, esthétiques, etc.

Par technicisme, nous entendons cette tendance de la formation comptable et des


pédagogues de la comptabilité à mettre l'accent sur le processus de saisie,
d'enregistrement et de traitement de l'information, ainsi que sur l'organisation
matérielle qui soutient ce processus, sur ce que l'on peut appeler la méthode
comptable, la comptabilité au sens étroit, aux dépens de la comptabilité comme
système de modélisation et pratique sociale, ce que l'on peut appeler la «comptabilité
au sens large»; le technicisme est une réduction de la comptabilité à ses aspects les
plus techniques, voire même les plus matériels.

Cette tendance est ancienne, on peut même dire qu'elle fut représentative de la
formation pendant plusieurs siècles.

À l'origine, elle relève, semble-t-il, d'une simple fascination des pédagogues de la


comptabilité pour la partie double.

Au X1Xe siècle, elle tend, paradoxalement, à devenir une sorte de positivisme


comptable. Précisons que ce que nous désignons sous le vocable de «positivisme
comptable» n'a rien à voir avec la théorie positive dons nous a entretenu Doria
Tremblay.

De nos fours, elle s'est détournée du positivisme mais continue de s'épanouir et a pour
conséquence extrême une hyper spécialisation du futur professionnel dont elle risque
de faire moins un expert qu'un hyper-comptable.

1.1. Fascination pour la partie double

L'histoire de la comptabilité est en grande partie celle de la partie double et l'histoire


de la pédagogie comptable fut pendant plusieurs siècles celle de la façon de
l'enseigner.

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156

L'ouvrage de Vlaemminck (1956) intitulé Histoire et doctrines de la comptabilité est, à


cet égard, révélateur de la fascination que la partie double a exercé, du X1Vème siècle
jusqu'au milieu du XXème siècle. sur les auteurs comptables européens.

A la suite de Luca Pacioli, c'est toute une longue lignée d'auteurs qui, à des fins
essentiellement pédagogiques, se consacrera à la diffusion et à l'illustration de la partie
double.

Si l'on en croit Vlaemminck, jusqu'au XVIIe siècle, il ne s'agissait que d'enseigner aux
futurs comptables la tenue des livres: les divers comptes à ouvrir, le moyen de
distinguer les comptes à créditer et à débiter, les procédés de vérification, etc. Le plus
souvent, l'auteur se contentait de passer en revue toutes les opérations possibles de
l'entreprise pour en indiquer le traitement routinier et ce, sans faire référence à une
quelconque théorie explicative.

Néanmoins, quelques auteurs, et Pacioli lui-même, tenteront très tôt d'imaginer une
théorie, en l'occurrence la «théorie de la personnification» (tous les comptes sont des
personnes qui doivent et reçoivent), pour faire comprendre le mécanisme du débit et
du crédit et, plus généralement, le jeu des comptes. Ils étaient les précurseurs de tous
ces auteurs qui, à partir du XVIIe siècle, se mirent à élaborer, toujours à des fins
pédagogiques, des théories explicatives de la méthode comptable.

Cet effort de théorisation, en fait de la pratique raisonnée plus que de la théorisation,


allait culminer au XIXe siècle et, dans l'atmosphère intellectuelle très particulière de ce
siècle, devait, chez certains auteurs, se muer en tentative positiviste pour faire de la
comptabilité une science. Comment s'est faite cette jonction a priori improbable?

1.2. Technicisme et positivisme

Le positivisme, comme doctrine philosophique, est constitué par les différentes thèses
(ou «lois») du philosophe Auguste Comte (1798-1857) sur l'évolution de l'esprit humain

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et de la société. II apparaît que beaucoup d'auteurs comptables ont été marqués par la
doctrine d'Auguste Comte, que celle-ci a donné naissance à un positivisme comptable
qui n’est en fait qu'un dévoiement du positivisme proprement dit. Mais pouvait-il en
être autrement avec un tel nom? Les mots sont souvent chargés de déterminisme.

La principale thèse d'Auguste Comte est relative à l'évolution des sciences. Selon lui,
elle passerait nécessairement par trois états successifs. Le premier est l'état
théologique ou actif: les phénomènes y sont expliqués par l'intervention d'agents
surnaturels. Le deuxième est l'état dit métaphysique ou abstrait: les phénomènes y sont
expliqués par des abstractions lointaines telles la «vertu dormitive», la «génération
spontanée» ou le < phlogistique». Enfin, le troisième est l'état scientifique ou positif:
les phénomènes y sont expliqués par des lois, c’est-à-dire des relations entre faits
observés susceptibles de faire l'objet de vérifications expérimentales. La principale
application de cette thèse dite des trois états est une hiérarchie des domaines de la
connaissance en haut de laquelle on trouve les mathématiques, en bas les sciences
humaines, et dont est absence la comptabilité...

Qu’est-ce donc, par rapport à la pensée d'Auguste Comte, que le positivisme


comptable? C'est la tentative de certains auteurs comptables, sans doute fort déçus que
la comptabilité ne figure pas dans la hiérarchie comtienne des sciences, d'abord, pour
l'y faire rentrer et, ensuite, pour la faire accéder aussi rapidement que possible à l'état
positif. Et, pour ce faire, ils vont la réduire à ses aspects les plus formels, la
transformer en une sorte de mécanique.

Qu'il nous suffise, pour illustrer notre propos, d'évoquer les figures de deux grands
pédagogues de la fin du XIXe et du début du XXe siècle, Eugène Léautey et Adolphe
Guilbaut dont le principal ouvrage, au titre très évocateur, La science des comptes
mise à la portée de tous (1889), vient d'être réédité, en français, par un éditeur new-
yorkais. Ils expriment sans ambages leur volonté de faire de la comptabilité une
science, et pas n'importe quelle science, une branche des mathématiques; autrement

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dit de la faire accéder au troisième état d'Auguste Comte, l'état positif : La


comptabilité, branche des mathématiques, est, disent-ils, la branche de la coordination
rationnelle des comptes. On trouve dans leur ouvrage bien d'autres traces positivistes,
notamment du positivisme en tant que doctrine sociale mais nous n'insisterons pas
davantage sur l’œuvre de ces deux auteurs... 11 s'agissait seulement d'illustrer l'esprit
du positivisme comptable que l'on retrouve chez d'autres, comme De Fages (1933) avec
sa comptabilité «pure» ou Culmann (1973) avec sa comptabilité «fondamentale», et qui
est l'une des sources intellectuelles de la pensée comptable française.

En définitive, le positivisme comptable est l'expression d'un technicisme exacerbé,


d'une volonté de placer la technique au niveau de la science en lui donnant le masque
de celle-ci. Ceci pourrait faire sourire si nous n'étions, par l'esprit, les enfants et les
petits-enfants des pédagogues d'hier et si, sans être positivistes comme ils l'étaient,
nous n'avions tendance, malgré tout et sans doute malgré nous, à valoriser dans nos
enseignements les aspects les plus formels et les plus matériels de l'outil aux dépens
d'une réflexion sur ses fondements économiques, juridiques et sociaux. Cette tendance
est très néfaste du point de vue de la formation des futurs experts-comptables car elle
débouche naturellement sur une hyper-spécialisation mutilante.

1.3. Technicisme et hyper-spécialisation

Comment, par exemple, ne pas voir dans la place faite aux comptabilités spéciales et à
l'informatique dans certains programmes et dans certains sujets d'examens, l'expression
d'un technicisme poussant à une hyper-spécialisation du formé. Ce n'est pas en
renforçant le technicisme que l'on négociera au mieux le fameux «virage technolo-
gique».

Certes, le futur expert doit être un technicien et la formation qu'il reçoit a pour
vocation d'en faire un technicien et il est bon, par exemple, qu'il connaisse les
particularités comptables des entreprises des grands secteurs de l'économie mais il
paraît inutile qu'il reçoive, en première formation, un enseignement approfondi de

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comptabilité des assurances ou de comptabilité bancaire... L'excès de spécialisation,


dans un secteur, risque de lui faire perdre cette capacité d'adaptation (cette capacité
de «désapprendre» pour «réapprendre») dont, comme plusieurs intervenants du
colloque l'ont souligné, il aura besoin tout au long de sa carrière professionnelle.

De la même façon, le futur expert doit connaître l'informatique mais est-il nécessaire
qu'il acquiert des compétences de programmeur? Non, sans doute... Des compétences
d'analyste? Peut-être... Par contre, il importe qu'il sache dialoguer avec les
informaticiens, qu'il sache apprécier l'intérêt et les limites des solutions informatiques;
aptitudes qui n'impliquent pas nécessairement une très forte spécialisation en
informatique mais qui supposent, par contre, des capacités de communication. Fasse
que soient entendues les recommandations très pondérées faites en la matière par
André Pérès.

2. VERS UN NOUVEAU SCIENTISME

Par rapport au mal que nous venons de dénoncer, une formation techniciste,
l'apparition de programmes de sciences comptables, au pluriel, apparaît, de prime
abord, comme une saine médication. Et pourtant. . .

Un ami, expert-comptable, avec lequel nous discutions du contenu de la présente


communication, nous fit la boutade suivante: Dans les programmes de formation,
plus il y a de sciences comptables, moins il y a de comptabilité. Ce n'est qu'une
boutade, le trait lancé par quelqu'un qui a le goût de la plaisanterie... Néanmoins, la
remarque mérite réflexion car, si salutaire soit-elle, l'émergence de la notion plurielle
de sciences comptables s'accompagne incontestablement d'un certain nombre de
risques qui sont ceux de toute stratégie éducative fondée sur l'interdisciplinarité, car
c'est bien d'interdisciplinarité dont il s'agit.

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2.1. L'émergence de la notion de « sciences comptables »

En France, la notion de «sciences comptables» s'est trouvée consacrée par la création


en 1976 dans certaines universités des maîtrises de sciences et techniques comptables
et financières qui font désormais partie de la filière universitaire débouchant sur
l'expertise comptable. La création du vocable a sans doute obéi autant à des
considérations tactiques que proprement stratégiques: ne s’agissait-il pas de faire
accepter par une Université hostile à toute professionnalisation (les choses ont changé)
une formation qu'elle avait jusqu'ici jugée indigne d'elle ...? On note que le libellé de
cette maîtrise met sur un pied d'égalité sciences et techniques et associe comptabilité
et finance. Quelles disciplines y trouve-t-on? Des mathématiques et de la statistique
(12% de l'horaire), de l'économie d'entreprise (19%), du droit (29%), de la comptabilité
et de la finance (40%). La comptabilité et la finance se trouvent donc associées dans un
même programme avec des disciplines qui ont à la fois un statut scientifique et un
statut universitaire bien établis. Il convient par ailleurs de remarquer que la comp-
tabilité, en raison sans doute du caractère très techniciste et des prétentions
positivistes de son enseignement, n'a été introduite que récemment dans l'Université et
d'ailleurs comme technique auxiliaire soit du droit, soit de l'économie. Aussi, la mise en
oeuvre de tels programmes pour la formation théorique des futurs experts présente-t-
elle potentiellement quelques risques.

2.2. Les risques d'un nouveau scientisme

La pratique comptable moderne se situe effectivement au carrefour de nombreuses


disciplines scientifiques et techniques et la formation plus particulièrement la
formation théorique initiale doit se donner pour objectif d'opérer, pour les besoins
futurs de la pratique une symbiose entre ces différentes disciplines.

Par rapport à cet objectif, deux grands risques: l'éclatement du savoir professionnel et
l'hypo-spécialisation.

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L'éclatement du savoir professionnel

Tout d'abord, remarquons qu'il ne suffit pas de juxtaposer dans, un programme des
disciplines pour qu'elles se fécondent réciproquement. La multidisciplinarité, entendue
comme simple juxtaposition de disciplines au sein d'un programme, ne fait pas naître
spontanément l'interdisciplinarité, entendue comme interaction entre les disciplines; la
multidisciplinarité est un état, l'interdisciplinarité est une dynamique. Chaque
discipline cherche en effet spontanément à se singulariser à la fois par son objet et par
sa méthodologie et dresse autour d'elle de forts remparts épistémologiques. Si bien que
l'étudiant, engagé dans un programme multidisciplinaire et voulu tel parce que la
pratique l’est, fait souvent l'expérience d'un savoir en morceaux dont la maîtrise à des
fins professionnelles lui paraît problématique.

L'hypo-spécialisation

D'autre part, ainsi que nous l'avons déjà remarqué, les disciplines ont des statuts
universitaires très différents. Reconnaissons-le, bien qu'il se soit considérablement
amélioré depuis une dizaine d'années, le statut de la comptabilité dans l'Université
française n'est guère très élevé. Aussi peut-on craindre que, dans les programmes à
finalité professionnelle comptable, la comptabilité en tant que technique, para-
doxalement, ne soit dominée par ces disciplines bien assises que sont par exemple la
statistique, l'économie ou le droit et qui, sans doute, ne sont guère prêtes à se
considérer comme ses auxiliaires, ce que pourtant elles devraient être du point de vue
de la formation de futurs comptables. Ces sciences sont ainsi conviées à une petite
révolution: alors que certaines, comme l'économie et le droit, considéraient facilement
la comptabilité comme leur auxiliaire, il leur faut se mettre à son service..

Très concrètement, on peut craindre que cette révolution n'ait pas lieu, du moins
rapidement, et que les futurs experts soient plus statisticiens, plus économistes ou plus
juristes que comptables. Ce serait, du point de vue de l'exercice même de la
profession, une nouvelle forme, très pernicieuse, de scientisme qui, poussée à

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l'extrême, formerait des experts-économistes ou des experts-juristes et... des hypo-


comptables.

2.3. Néo-scientisme et technicisme: une seule idéologie

Un problème non négligeable réside dans le fait que ce nouveau scientisme qui pointe à
l'horizon de la formation comptable peut faire bon ménage avec la vieille tradition
techniciste; l'une et l'autre peuvent en effet se soutenir et se renforcer mutuellement.

On imagine facilement que l'étudiant engagé dans un programme de formation bien


composé et comportant à la fois des enseignements de comptabilité et des
enseignements de sciences auxiliaires se voit enseigner, d'un côté, la comptabilité dans
ses aspects les plus techniques et, de l'autre, les sciences auxiliaires indépendamment
de leurs applications comptables. Le professeur de comptabilité peut en effet légitimer
son technicisme en se disant que l'étudiant s'initie par ailleurs aux sciences comptables
et les professeurs de sciences comptables légitimer leur maintien dans la
problématique de leur discipline en disant que l'étudiant étudie par ailleurs la
technique comptable.

Ainsi donc, les programmes de sciences et techniques comptables pourraient, si l'on n’y
prenait garde, devenir d’une certaine façon les lieux d'un soutien et d'un renforcement
réciproques et pervers du technicisme et du scientisme.

Le problème, c'est en définitive de créer les conditions d’une pluridisciplinarité


efficace et c'est dans cette perspective que nous allons faire quelques propositions.

3. PAR-DELÀ LE TECHNICISME ET LE SCIENTISME: PROPOSITIONS

Comme tout notre exposé, ces propositions sont inspirées de la situation française et
peut-être sont-elles, dans d'autres contextes, déjà complètement dépassées.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 162


163

Par ailleurs, elles restent générales et exigeraient incontestablement une élaboration


complémentaire pour devenir opératoires dans le cadre d’une formation comptable.

3.1. Ouvrir les programmes de formation aux sciences humaines

La notion de sciences comptables constitue essentiellement une ouverture sur les


techniques quantitatives, le droit et l'économie, c'est-à-dire sur des disciplines qui
apparaissent comme assez directement opératoires ou comme devant le devenir, dans
le cadre de l'exercice de la profession. Nous pensons que, même si elles sont moins
directement opératoires, il serait souhaitable que la formation du futur professionnel
soit également ouverte à d'autres sciences et, en particulier, aux sciences du
comportement. Le comptable est un acteur social, c'est-à-dire quelqu'un d'engagé dans
la vie des organisations et de la société, quelqu'un qui, de plus, doit se comporter selon
une déontologie qui valorise l'indépendance. Une initiation du futur expert à la théorie
des organisations, à la sociologie, voire même à la psychologie serait sans doute le
moyen de l'aider à devenir cet acteur social indépendant que doit être tout bon
professionnel. Et ce serait le protéger contre le technicisme qui, en survalorisant la
dimension purement technique de la comptabilité, tend à faire oublier ses dimensions
socio-organisationnelle et culturelle. Il n'est peut-être pas nécessaire d'inscrire dans les
programmes ces nouvelles disciplines; il suffit d'accepter que l'étudiant puisse les
choisir hors programme et les substituer à certaines disciplines du programme.

3.2. Aménager dans la formation des moments d'interdisciplinarité

Comment éviter que ne se développent simultanément le technicisme et le scientisme


sinon en créant dans le processus de formation des moments d'interdisciplinarité? Il
existe sans doute de nombreuses réponses au problème; nous nous en tiendrons à deux:
l'une assez superficielle, l'autre plus profonde.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 163


164

Les limites des épreuves de synthèse

La solution pédagogique dont nous voulons parler est celle tardive qui consiste à prévoir
des examens sur la base d'épreuves commune à plusieurs disciplines; cette solution
existe pour l'obtention en France du nouveau Diplôme d'Études Comptables Supérieures
(D.E.C.S.) sous la forme de deux épreuves dites de synthèse: l'une, portant simulta-
nément sur l'économie et 1a comptabilité et l'autre, sur le droit et la comptabilité.
L'idée de telles épreuves est a priori satisfaisante même si le champ de la synthèse ne
couvre que deux disciplines et se trouve singulièrement limité. Mais, malheureusement,
pour différentes raisons et, en particulier, parce que l'élaboration d'un sujet se prêtant
à la synthèse est chose délicate, les sujets donnés à ces épreuves ne sont le plus
souvent que des juxtapositions d'exercices qui accentuent les clivages disciplinaires et
illustrent davantage l'éclatement du savoir professionnel que son unité. Mais quelles
qu'en soient les modalités, de telles épreuves posent la question fondamentale
suivante: peut-on laisser faire à l'étudiant une synthèse que nous avons, en tant que
professeurs, bien du mal à faire nous-mêmes?

L'importance de la théorie comptable

La deuxième solution, de notre point de vue la meilleure mais bien plus difficile, se
trouve dans ces enseignements dits de théorie comptable pour lesquels l'ouvrage
d'Hendricksen, traduit en français par Alain Beauchesne, reste une référence. Que faut-
il entendre par théorie comptable? Il convient de le préciser car le mot théorie, comme
l’ont montré les communications de Doria Tremblay et de Van The Nhut, est chargé
d'acceptions très diverses. Et il est à remarquer au passage, que les acceptions du mot
français «théorie» ne couvrent pas exactement celles du mot anglais «theory» et qu'il
est quelque peu incorrect de traduire accounting theory par «théorie comptable».
Disons, en l'occurrence, qu'il s'agit de développer un discours critique, au sens

ManuelTheories Comptables-01Dec10 164


165

épistémologique 6 du qualificatif, sur les concepts et les méthodes de la comptabilité


pour mieux saisir leur évolution historique (l'étude de l'histoire de la comptabilité
s'inscrit naturellement dans un enseignement de théorie comptable), leur signification
dans le système socio-économique, et pour évaluer leur pertinence par référence au
rôle même de la comptabilité. Conçu dans cet esprit, l'enseignement de théorie
comptable devrait être le creuset où se précise, autour de la comptabilité proposée
comme objet d'étude et non plus d'apprentissage, le sens même de la juxtaposition
dans un même programme de disciplines assez éloignées les unes des autres; c'est en
faisant émerger ce sens que l'enseignement de théorie comptable crée, par-delà le
technicisme et le scientisme qui menacent un programme simplement multidisci-
plinaire, une véritable interdisciplinarité.

Ajoutons que l'enseignement de théorie comptable, parce qu'il est fondé pour partie sur
une critique des concepts et des méthodes, développe chez l'étudiant un sens du
relatif, un sens des limites de l'outil, sans lequel il ne peut devenir un bon professionnel
sachant adapter sa démarche aux situations, sachant aussi déroger aux principes et aux
règles usuels quand ils s'avèrent inadaptés pour rendre compte d’une situation
particulière. Dans un univers de plus en plus normé, l'aptitude à déroger devient de
plus en plus nécessaire. À noter que le sens du relatif, qui est aussi le sens de la
différence, est non seulement une aptitude scientifique mais aussi une attitude
éthique; s'il en est ainsi, en le développant, l'enseignement de théorie comptable
participe aussi à la formation déontologique du futur expert, laquelle doit commencer
très tôt et ne saurait se faire exclusivement «sur le tas».

6 épistémologie nom féminin


(grec epistêmê, science, et logos, étude)
Partie de la philosophie qui étudie l'histoire, les méthodes, les principes des sciences.
– Épistémologie génétique : théorie de la connaissance scientifique, développée par J. Piaget, fondée sur l'analyse
du développement de la connaissance chez l'enfant, et sur celle de la constitution du système de notions utilisées par
chaque science particulière au cours de son histoire. 6

ManuelTheories Comptables-01Dec10 165


166

3.3. Renforcer le lien entre formation et recherche

Enfin, dans la mesure où le technicisme et le scientisme se nourrissent souvent du


rabâchage ou du commentaire à l'infini des mêmes connaissances vieillies, suggérons
que soit considérablement renforcé le lien entre formation et recherche.

Diffuser les résultats de la recherche,

Il importe tout d'abord que l'enseignement supérieur comptable joue, comme tous les
enseignements supérieurs, dans quelque discipline que ce soit, son rôle de véhicule des
connaissances nouvelles et qu'il fasse donc connaître les résultats de la recherche
comptable. Nous pensons par exemple que la théorie positive de la comptabilité de
Watts et Zimmerman constitue une contribution importante à la formation
déontologique du futur expert. C'est encore malheureusement loin d'être le cas en
France où, fait symptomatique, la grande majorité des ouvrages utilisés ne comportent
pas de références bibliographiques; et, quand ils en contiennent, ce sont le plus
souvent des références relatives à d'autres ouvrages et non à des articles issus de
revues scientifiques; à la décharge des auteurs cependant, il faut dire que la recherche
comptable française est récente mais elle existe. La création en 1980 de l'Association
Française de Comptabilité (A.F.C.) qui réunit les professeurs des Universités et des
Grandes Écoles a joué le rôle décisif de déclencheur. Il faut également dire que
l'obstacle de la langue empêche certains d'entre eux d'avoir accès aux grandes revues
américaines.

Former par la recherche

Mais, il faut sans doute aller encore plus loin et faire de la recherche un instrument de
formation en intégrant dans le cursus du futur professionnel un travail qui soit une
initiation à la recherche. L'intérêt d'un tel travail est double : d'une part, il développe
la créativité, le sens de la rigueur méthodologique et aussi la débrouillardise dont Yvon
Houle nous a dit qu’e11e était une qualité du bon professionnel (le chercheur doit aussi
être débrouillard); d' autre part, dans la mesure où la recherche appliquée est

ManuelTheories Comptables-01Dec10 166


167

interdisciplinaire, il invite l'étudiant à mobiliser et, surtout, à faire converger ses


différentes connaissances disciplinaires. La préparation et la soutenance d'un mémoire
est l'une des trois épreuves, les deux autres étant un devoir écrit de révision et un
entretien, prévues pour l'obtention en France du diplôme d'expert-comptable. Malheu-
reusement, les candidats manquent souvent de temps et n'ont pas l'encadrement
scientifique qui leur permettrait de s'engager dans un véritable processus de recherche
et beaucoup de mémoires sont des compilations ou des monographies d'un intérêt très
limité. Mais il reste que l'exigence d'un mémoire ou d'une thèse de fin d'études
constitue une opportunité à bien gérer pour introduire la recherche dans la formation.

EN RÉSUME ET POUR CONCLURE, EN F1N DE COMPTE...

Il est aujourd'hui admis que, compte tenu notamment de la diversité des tâches qui les
attendent, la formation des futurs professionnels de la comptabilité doit être
interdisciplinaire. Mais il ne suffit pas d'inscrire dans les programmes diverses
disciplines, scientifiques ou techniques, pour qu'elle le soit effectivement. Deux
dangers, qui peuvent coexister, la guettent en permanence: l'un ancien, le
technicisme, qui survalorise la comptabilité comme outil de traitement de
l'information: l'autre, plus récent, le scientisme, à l'état potentiel dans la notion de
«sciences comptables», qui survalorise les sciences auxiliaires de la comptabilité aux
dépens de celle-ci. L'interdisciplinarité, nécessaire en vue de l'exercice de la
profession, vent qu’il y ait relation et dynamique entre les disciplines et que soient,
d’une certaine façon, abolis les remparts que dressent autour d'elles le technicisme et
le scientisme. Pour promouvoir une formation véritablement interdisciplinaire, il
faudrait:

1) ouvrir les programmes à d'autres sciences et notamment aux sciences du


comportement;

2) créer des moments d'interdisciplinarité réelle dans le processus de formation,


l'enseignement de théorie comptable peut être un tel moment; 3) introduire la

ManuelTheories Comptables-01Dec10 167


168

recherche dans la formation et, notamment, en proposant au futur professionnel


un travail de recherche dont le débouché serait le mémoire ou la thèse. En fili-
grane de ces propositions apparaissent les caractéristiques d’une formation
supérieure à la comptabilité: ouverte, critique et nourrie par la recherche... et
le profil d'un professionnel intermédiaire, entre l’hyper et l'hypo-spécialiste. Ce
qui semble souhaitable tant il est vrai qu' «entre une pratique sans tête et une
théorie sans jambes, il n'y aura jamais à choisir».

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169

Lecture de référence no. 11

L’hypothèse de la permanence de l’entreprise : une estimation critique

Par

James Fremgen
Professeur Associé de Comptabilité à l’Ecole Navale de Post-
graduation

ManuelTheories Comptables-01Dec10 169


170

I1 est rare qu’un texte d’introduction à la comptabilité manque d’aviser son lecteur
néophyte que l’entité comptable est supposément une permanence de l’entreprise.
Avec ce fragment évidemment important (c’était en italique n’est-ce pas :)
d’information soigneusement emmagasiné dans son esprit et /ou, dans son cahier de
notes, l’étudiant continue son étude de la comptabilité - en ayant probablement jamais
à rencontrer cette idée évidemment importante, sauf, peut-être, lors d’un examen. I1
est certain que l’hypothèse de la permanence de l’entreprise ou de la continuité
semble être un des concept de base de comptabilité le plus fermement confirmé et le
moins controversé (conventions.? Postulats ?). Mais, un survol de la littérature
comptable, particulièrement les énoncés qui font autorités, nous force à questionner
l’importance et possiblement la validité même de l’hypothèse. Tel est le but de cet
exposé.

DEFINITION DE LA PERMANENCE DE L’ENTREPRISE

Tandis qu’elle a été décrite de diverses façons, l’affirmation la plus générale de


l’hypothèse de la permanence de l’entreprise suit un modèle commun. « En l’absence
d’évidence du contraire, l’entité est vue comme demeurant en opération indéfiniment
7
». Cette vue de l’entité fut une entreprise faite pour effectuer une simple et
habituellement substantielle transaction, (c’est-à-dire expédier un navire ou une
caravane, acheter de la soie et des épices en Orient et les ramener en Europe pour la
vente). Une telle entreprise n’était pas destinée à survivre après l’achèvement de
cette seule transaction. La permanence de l’entreprise, d’autre part, est destinée à
effectuer une succession indéfinie de transactions. Elle n’a pas de limite prédéterminée
sur sa longévité. Indiscutablement, il y a une différence significative entre la simple
entreprise et la corporation moderne. Cependant, on pourrait se demander s’il s’en suit

7
Accounting and Reporting Standards for Corporate Financial Statements and Preceeding Statements and Supplements (Association
Américaine de Comptabilité, 1957), p.2

ManuelTheories Comptables-01Dec10 170


171

que, cette différence d’intention justifie une hypothèse différente de la vie de


l’entreprise.

Malgré qu’elle est généralement acceptée, l’hypothèse de continuité est très


contestée. Un mémoire préparé par Arthur Andersen & Co., rejette complètement
l’idée. I1 prétend que l’idée de permanence de l’entreprise n’est pas fondée en tant
que prémisse générale et n’est pas un postulat approprié à la comptabilité. Pire, le
mémoire suggère que l’hypothèse de continuité a souvent été utilisée par les
comptables pour justifier l’ignorance8 d’une éminence évidente de liquidation.

Même les auteurs qui acceptent et utilisent l’hypothèse reconnaissent ses limites.
Plusieurs concèdent que ce n’est pas « un fait scientifique ou même une hypothèse
complètement rationnelle » 9 . Paton admet que l’hypothèse « est impossible à
démontrer en cas particulier, malgré qu’il soutient qu’elle « est absolument
raisonnable et a besoin de peu de qualification 10 . Tandis qu’il l’employait à supporter
son argumentation, Carson observa: « L’hypothèse de la permanence de l’entreprise
n’est pas sans défauts. Les statistiques sur la longueur de vie des entreprises ne la
supportent pas » 11.

IMPLICATIONS DE LA CONTINUITE

La plupart des discussions de la convention de la permanence de l’entreprise font


simplement remarquer que l’entité peut supposer que l’entreprise continuera
indéfiniment et, ainsi, ne sera pas liquidée dans un avenir rapproché. Si cela est tout ce
que l’hypothèse implique, alors elle est au mieux un postulat stérile et est invalide
relativement aux milieux de petites entreprises qui sont organisées chaque année et

8
The Postulate of Accounting: What It Is, How It Is Determined, Flow It Should Be used, (Arthur Andersen & Co.,' (September 1960),
pp.18-20
9 George O. May, « Postulates of Income Accounting », The Journal of Accountancy, August 1948, p. 108
10 W.A. Paton, « Assumptions of the Accountant », in Herbert F. Taggart, (ed)
11 A.B. Carson, « Replacement Cost is compatible with Going Concern Postulate », The Journal of Accountancy, Janvier 1949, p. 33

ManuelTheories Comptables-01Dec10 171


172

son destinées à échouer durant l’année. Plus d’attention devrait être donnée aux bases
de l’hypothèse pour chaque entité individuelle. Peut-être que la définition citée plus
tôt devrait se lire: « L’Entité est vue comme restant en opération indéfiniment » en
reconnaissance de l’évidence à cet effet, non « en l’absence de l’évidence du
contraire ». Le changement dans les mots suggère que la continuité devrait être un
jugement basé sur l’évidence dans le cas. Ainsi, si pertinent à tout, la continuité serait
une conclusion, non une hypothèse. En fait, si le comptable cherchait actuellement à
déterminer s’il y avait une évidence du contraire « et n’en trouvait aucune, il pourrait
postuler la continuité comme une conclusion plutôt qu’une hypothèse. D’autre part, si
le comptable et particulièrement le vérificateur suppose qu’une firme a la permanence
sans même considérer l’évidence de supporter ou de refuser cette opinion, alors
l’hypothèse de continuité devient une charade sans sens, une nullité. Pire, si une
comptabilité appropriée dépend de la permanence ou non de l’entité, une acceptation
aveugle de l’hypothèse peut résulter en états financiers erronés.

ALLER OU ?

Même s’il y a une évidence que l’entité continuera pro,bablement à exploiter


indéfiniment, qu’est-ce que la continuité implique à part la seule existence ? Est-ce
que cela implique,.par exemple, la continuité de la propriété ? Si c’est le cas, alors les
grosses corporations dont les actions ordinaires sont régulièrement échangées, n’ont
pas leur permanence. I1 apparaît clairement qu’une telle interprétation s’oppose à la
notion habituelle de la continuité. Ladd12 signale la distinction entre la liquidation
d’une affaire et la vente d’une affaire. Dans le premier cas, la firme cesse d’exister.
Ses employés perdent leurs emplois. Ses clients de nouvelles sources
d’approvisionnement. Dans le second cas, cependant, la firme continue d’exister même
si elle a de nouveaux propriétaires et peut maintenant être perçue sur le plan de
l’organisation, comme une division d’une plus grande corporation plutôt que comme

12 Duright R. LADD, Contemporary Corporate Accounting and the Public (Richard D. Irwin, Inc, 1963) p. 44

ManuelTheories Comptables-01Dec10 172


173

une compagnie séparée. Ses employés gardent leurs emplois. Ses clients continuent à
être servis 13 .

Chambers raffine plus la notion de liquidation. Il distingue la liquidation forcée et la


liquidation ordonnée. Dans une liquidation forcée, l’initiative est du ressort des
créanciers de l’entreprise. Les actifs sont vendus sans restriction à des prix souvent
désavantageux au vendeur.

Dans une liquidation ordonnée, d’autre part, l’initiative est du ressort de


l’administration de l’entreprise. Les actifs sont vendus ou consommés dans le cours
ordinaire de l’entreprise à des prix aussi favorables à l’entreprise qu’il est alors
possible 14. Le lecteur reconnaîtra que la liquidation ordonnée n’est rien de plus ou de
moins que des opérations normales d’une entité n’affrontant pas une liquidation
forcée. Ainsi Chambers le perçoit-il. I1 signale « A moins qu’une firme ne soit en cours
de liquidation ordonnée, elle ne peut être décrite comme « partante » .

La même idée a été substantiellement exprimée dans des mots différents. On suppose
que l’entité continuera d’exploiter assez longtemps pour compléter ses « plans et
programmes existants » 15 ou « pour remplir ses engagements existants. L’achèvement
des programmes et engagements existants inclurait la conversion de ressources
productives en produits commerciaux et en vente subséquente de tels produits par les
canaux normaux du marché, et ceci est le sens essentiel d’une liquidation ordonnée.

Ladd suggère que l’hypothèse de continuité (il l’appelle « permanence ») implique


qu’une entreprise continuera à maintenir sa capacité compétitive. Cette implication va
même plus loin que celle de la liquidation ordonnée, parce qu’elle suggère que l’entité
continuera au-delà de l’achever des programmes existants en formulant d’autres
programmes et en acquérant les ressources nécessaires pour les mener â bon terme.

13 Raymond J. Chambers, Accounting, Evaluation and Economic Behaviour, Prentice-Hall, Inc, p. 204
14 Ibid
15 American Accounting Association, opus ct. p. 49

ManuelTheories Comptables-01Dec10 173


174

Carson 16 et Spronse partagent cette opinion que l’hypothèse de permanence de


l’entreprise implique le remplacement des actifs existants. Comme nous le verrons
bientôt, ces auteurs emploient leur interprétation de la continuité pour supporter les
approches particulières à la question de l’évaluation de l’actif. En ce moment, il est
suffisant de noter que cette interprétation va loin au-delà de l’implication habituelle
que l’entité ne sera pas forcée vers une liquidation dans un futur rapproché. Mais, il est
entièrement consistant avec la définition de base qu’une permanence d’entreprise est
supposée demeurer en opération indéfiniment. I1 est clair qu’une telle interprétation
extensive de continuité doit être basée sur l’évidence d’une existence probablement
indéfinie, non sur une simple hypothèse.

Un dernier point reste à considérer ici. Est-ce qu’une hypothèse de permanence


d’entreprise, particulièrement si elle implique le remplacement des ressources
existantes, inclut l’hypothèse d’opération continue avec un profit ? Si nous acceptons
l’hypothèse qu’une entreprise commerciale (en opposition à une organisation
gouvernementale ou charitable) doit faire un profit à long terme afin de rester en
opération, alors l’hypothèse de permanence semblerait impliquer un profit aussi bien
qu’une simple continuité. Si nous nions cette hypothèse, alors nous devons reconnaître
que le lot de la pratique comptable courante, avec son orientation vers le revenu est
mal dirigé.

CONTINUITE ET PRINCIPES COMPTABLES

L’étude de la comptabilité en tant que telle n’a aucune raison de postuler des
observations abstraites au sujet de l’environnement. Le fait que la terre est ronde et
que les hommes préfèrent les blondes, par exemple, est peut-être vrai, mais il n’a rien
à voir avec la comptabilité. Ainsi, le fait (s’il est tel), qu’une entité a une vie indéfinie
doit avoir des implications pour la comptabilité. Autrement, les comptables cesseraient

16
CARSON, 1c . cit.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 174


175

de s’en préoccuper.. I1 est légitime de se demander si les principes et procédures de


comptabilité sont d’une certaine façon déterminés par l’hypothèse de continuité. Si la
convention de la permanence de l’entreprise est pertinente à la comptabilité, alors les
principes comptables devraient être prônés du moins en partie, avec la permanence
comme base.

De plus, les principes comptables applicables à une préoccupation de liquidation


devraient être différents. Si ces conclusions ne sont pas valables, alors le sens de
l’hypothèse de permanence en comptabilité n’est pas défini, ni même existant.

POSTULATS ET PRINCIPES

I1 est clair que Moonitz 17 croyait que la continuité est significative en comptabilité, car
il l’a décrit comme un des postulats de base sur lesquels reposent les principes
comptables18. Ainsi, firent Sanders, Hatfield, et Moore et Gilman avant lui, malgré que
ces auteurs s’y référaient comme à une convention plutôt qu’à un postulat. Mais, les
discussions s’ensuivirent sur les principes comptables et ne purent préciser comment le
postulat de la permanence de l’entreprise détermine les principes â être appliqués.
Malgré que Spronse et Moonitz19 suggérèrent que leurs grands principes comptables
dérivant des postulats mis en place dans 1’étude de la recherche antérieure à leurs
discussions des principes spécifiques n’incluent pas les explications, du comment le
postulat de la continuité les y mena. I1 en est de même pour le rapport de Sanders,
Hatfield et Moore. Malgré qu’ils considérèrent la permanence de l’entreprise comme

17
MAURICE MOONITZ, The Basic Postulates of Accounting: Accounting Research, Study no 1 (American's Institute of CPAs, 1961),
pp. 38-41

18
THOMAS HENRY SANDERS, HENRY RAND HATFIELD, -and UNVERHILI MOORE, A statement of Accounting Principles
(American Accounting Association, 1959), p.3

19
(17)ROBERT T. SPRONSE et MAURICE MOONITZ, A Tentative Set of Broad Accounting Principles for Business Enterprises:
Accounting Research Study no 3 (American Institute of CPAs, 1961), p.9

ManuelTheories Comptables-01Dec10 175


176

une convention importante, ils ne l’utilisèrent pas pour justifier directement des
principes comptables. Peut-être que ce manque de lien direct entre postulat et
principes ne reflète simplement le fait que la permanence de l’entreprise est une
hypothèse si fondamentale qu’elle ne nécessite pas une justification en termes de
principes conséquents. Peut-être, aussi, que le postulat est accepté dès le départ parce
qu’il apparaît être raisonnable, mais il n’est plus mentionné parce qu’il n’est pas
suffisamment spécifique pour supporter un quelconque principe particulier.

Possiblement que l’indication la plus forte de l’utilité du postulat de la permanence de


l’entreprise comme base de principes comptables est le fait que différents principes
comptables sont appliqués à une préoccupation de liquidation. Les bases de
l’évaluation de l’actif dans un bilan de liquidation sont différentes (sauf dans le cas de
la liquidité) de celles d’un bilan ordinaire. Aussi, le champ d’action de dettes
rapportées dans le premier bilan est plus compatible avec des considérations futures
qu’avec des concepts économiques. I1 n’apparaît pas évident que les principes
comptables appliqués à une seule entreprise furent grandement différents de ceux
utilisés dans une permanence de l’entreprise. Ceci pourrait être expliqué par le fait
que l’entreprise devait supporter une liquidation ordonnée plutôt que forcée. Mais, ci
c’est le cas, pourquoi l’hypothèse de permanence devrait-elle être nécessaire pour
opposer l’entreprise moderne à son prédécesseur à vie limitée ?

COMPTABILITE D’EXERCICE

May allégua que toutes les répartitions entre le passé et le futur dépendent de
l’hypothèse de la continuité des opérations 20. En d’autres mots, la comptabilité
d’exercice suppose que l’entité a une permanence. Donc, la comptabilité de
l’amortissement, par exemple, serait basée sur le postulat de la continuité.
Conséquemment, dans une entité affrontant une liquidation forcée, la comptabilité de
l’amortissement serait inapplicable. Examinons cette implication. Supposez qu’un gros

20 MAY, op. cit.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 176


177

département à rayons doit être exploité par un liquidateur pour une année afin de
liquider son stock à des prix raisonnables, favorables aux créanciers. Le liquidateur a
décidé que la continuation du service de livraison du magasin est compatible avec cet
objectif. Afin d’y arriver, il doit acheter un nouveau camion de livraison d’une durée de
vie utile de cinq ans. Il est clair qu’ici, l’entité n’a pas de permanence. Comment,
alors, tenir compte du camion de livraison ? On le consignera initialement à son coût
actuel. La différence entre ce coût et la valeur estimée de revente à la fin de l’année
sera chargée à la dépense d’amortissement pour l’année du liquidateur. Ainsi, à la fin
de l’année, l’actif sera consigné à sa valeur originairement estimée réalisable.
Comment ce traitement diffère-t-il de la comptabilité conventionnelle de
l’amortissement ? Seuls les montants sont touchés par la possibilité d’une liquidation
forcée. Le principe est le même. Le vie utile et la valeur de récupération estimative
peuvent être différentes de ce qu’elles seraient si le magasin s’attendait à utiliser le
camion pendant cinq ans. En conséquence, le montant de l’amortissement serait
manifestement différent, mais le principe de la comptabilité de l’amortissement serait
appliqué de la même manière. Si le magasin avait déjà possédé le camion lorsque le
liquidateur assuma la responsabilité des opérations, la comptabilité de l’amortissement
aurait continué, malgré que la dépense annuelle aurait été ajustée pour se conformer à
une vie utile prévue courte et à une valeur de récupération révisée. Ceci n’est pas
différent des procédés appliqués par une permanence de l’entreprise lorsque la vie
utile de l’actif est redéterminée.

COMPTABILITE DES IMPOTS SUR LE REVENU

Si les répartitions entre le passé et le futur étaient réellement préconisées d’après


l’hypothèse de la permanence de l’entreprise, on pourrait raisonnablement s’attendre
à ce que cette hypothèse soit soulevée pour supporter le principe controversé de
répartition de l’impôt. Mais, le Comité sur les Procédés Comptables recommandait la
reconnaissance d’une dette d’impôt différée qui n’est pas couramment due et, en fait,
ne sera jamais due à moins qu’il y ait des opérations futures profitables, sans avoir à

ManuelTheories Comptables-01Dec10 177


178

mentionner la convention de la permanence de l’entreprise. Quoique inconsistant, mais


conservateur, le Comité nie l’existence d’un actif en relation avec un report anticipatif
des pertes opérationnel 21. I1 est clair, cependant, que tout ce qui doit être supposé
pour justifier la reconnaissance d’un tel actif, est l’ensemble d’opérations futures
profitables. D’une façon semblable, le Comité des Principes Comptables se trouva
capable de décider (à deux occasions) comment le crédit de placement devrait être
consigné, sans avoir à recourir au postulat de la permanence de l’entreprise 22.

Le but de ce paragraphe n’est pas de nier la validité de la répartition de l’impôt ou de


la méthode acceptée (quelle qu’elle soit) de comptabilité du crédit de placement. I1
ne suggère pas plus que ces principes comptables violent l’hypothèse de la continuité.
C’est simplement pour signaler que les principes comptables, qui touchent directement
les opérations futures de l’entité, ont été formulés sans une référence explicite à
l’hypothèse de la permanence de l’entreprise. Les principes comptables devraient être
préconisés d’après des observations de et/ou la déduction logique de leur utilité aux
lecteurs de bilans 23 . Ils ne devraient pas entrer en conflit avec les faits évidents de
l’environnement en deçà duquel la comptabilité fonctionne c’est-à-dire avec des
postulats, comme le définissait Moonitz. Mais, l’énoncé d’un postulat ne mène pas
directement à un principe. I1 ne définit qu’une condition à la lumière de laquelle un
principe utile et justifiable devrait être conçu.

21
Accounting Research Bulletin no 43: Restatement and Revision of .Accounting Research Bulletin (American Institute of CPAs, 1953),
ch. 10-B.

22 APB Opinion no 2: Accounting for the "Investment Credit" (American Institute of CPAs, 1962) et APB Opinion no 4: Accounting
for the "Investment Credit" (American Institute of CPAs, 1964). Au moment de cette rédaction, le Comité des Prinoipes
Comptables a fait circuler un projet d'une nouvelle opinion au sujet de la comptabilité d'impôts différés et de crédit de placement.
Dans ce projet, la convention de la permanence de l'entreprise est spécifiquement citée comme hypothèse de base
23 PATON, op. cit. p. 128.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 178


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EVALUATION DE L’ACTIF - VALEUR DE LIQUIDATION

La plupart des références à l’hypothèse de la permanence de l’entreprise se produisent


lors de discussions sur la base appropriée de l’évaluation de l’actif. L’application la plus
familière de la permanence de l’entreprise dans ce contexte justifie simplement
l’ignorance de la valeur de liquidation forcée ou de la « valeur de succès » des actifs 24.
Peu d’attention, cependant, a été accordée à l’évidence, tendant à supporter ou à
réfuter l’hypothèse. Paton suggère que, même dans une entité présumée avoir une vie
indéfinie, un actif individuel qui aurait vieilli ou serait devenu inutile, devrait être
comptabilisé à une valeur ne dépassant pas sa valeur de récupération. Cet avis devrait
être perçu comme une règle générale. Le fait qu’une entité ne semble pas affronter
une liquidation imminente forcée ne veut pas dire qu’un de ses actifs ne l’affronte pas.
Par exemple, la Studebaker Corporation discontinua une fois la production
d’automobiles domestiques, ses facilités conçues pour cette fin exclusivement furent
proprement considérées comme des actifs retenus pour la vente à des prix de
liquidation forcée. Les biens n’étaient pas offerts en vente en tant que partie des
opérations permanentes. De plus, aucun acheteur n’apparut avec l’intention d’usiner
des automobiles aux facilités de South Bend. Lorsqu’une usine d’assemblage est mise
en vente pour un usage quelconque qu’un éventuel acheteur pourrait avoir en tête,
(comme entrepôt), l’initiative du prix dépend de l’acheteur. I1 est clair que ceci est un
cas de liquidation forcée. Mais, Studebaker, comme entité totale, était plus apte à
continuer indéfiniment après avoir arrêté sa production d’automobiles qu’auparavant.

Même si la liquidation forcée d’actifs spécifiques est évidemment imminente, le


problème de l’évaluation de l’actif ne peut être résolu. La négation explicite de la
continuité ne mène pas nécessairement à une valeur monétaire spécifique des actifs
attendant leur disposition. Peut-être, qu’aucune valeur de liquidation objectivement
déterminable ne peut être établie tant qu’une ou plusieurs offres n’ont été reçues.

24 SANDERS, HATFIELD et MOORE, loc. cit. Les créanciers, évidemment, sont ici vus comme saisissant les actifs diminuants d'une
entreprise moribonde.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 179


180

Dans une telle situation, les actifs retenus pour la vente peuvent continuer à apparaître
dans le bilan à leurs coûts originaires moins l’amortissement accumulé, avec une note
indiquant leur statut et la vraisemblance d’une perte au moment de leur disposition
ultime.

COUT D’ORIGINE

Affirmer que l’hypothèse de la permanence de l’entreprise justifie ignorer la valeur de


liquidation forcée dans le mesurage des actifs ne veut pas dire qu’elle devrait être la
base appropriée de l’évaluation de l’actif. Cependant, plusieurs auteurs auparavant
prirent apparemment le point de vue opposé. Le rejet de la valeur de la liquidation
forcée fut pris comme preuve que les actifs devraient être évalués à leur coût
originaire. Vu que le coût originaire était alors largement accepté comme la seule
alternative de ce point de vue n’est pas surprenant. Cependant, aucune relation
logique entre la convention de la permanence de l’entreprise et le coût originaire ne
fut jamais démontrée. Plutôt, il y avait deux notions essentiellement distinctes,
l’entité avait une permanence et les actifs devaient être enregistrés au coût originaire.
Ces notions coïncidaient, il n’y avait pas de relation causale entre elles.

VALEURS COURANTES

En 1949, Carson argumenta que le coût de remplacement est plus compatible avec
l’hypothèse de la permanence de l’entreprise qu’avec le coût originaire. « L’hypothèse
d’une vie indéfinie », soutenait-il, « ne fournit pas autant une base pour la
comptabilité conventionnelle de l’amortissement (basé sur le coût originaire), qu’une
raison pour penser en termes de remplacement et de coûts de remplacement »25 .
Edwards et Bell acceptent spécifiquement l’hypothèse de la permanence de

25 Carson, op. cit.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 180


181

l’entreprise en choisissant de se concentrer sur le concept de profit d’affaires, lequel


limite l’évaluation des actifs à un coût courant (de remplacement)26.

Semblablement, Ladd reconnaît l’existence indéfinie comme convention de base de la


comptabilité et voit le coût de remplacement comme la base la plus appropriée de
l’évaluation de l’actif d’un point de vue pratique et théorique27. Spronse, aussi, trouve
le coût de remplacement plus compatible avec les opérations continues28. Cette
conclusion découle naturellement de la position notée plus tôt, que la continuité
implique le remplacement d’actifs, afin que l’entité survive à ses actifs à la vie plus
courte29.

Chambers rejette le coût de remplacement comme base préférable de l’évaluation de


l’actif. I1 recommande à la place l’utilisation de la liquidité courante équivalente à
l’actif, le prix auquel il pourrait être réalisé dans le procédé d’une liquidation
ordonnée. Ce prix, soutient-il, est entièrement compatible avec la notion de continuité
des opérations30. Spronse et Moonitz prônent la valeur nette réalisable comme base
générale de l’évaluation de stock probablement en accord avec les postulats sous-
jacents incluant la continuité31. La valeur nette réalisable, semble-t-il, est

26 EDGAR 0. EDW:1RDS et PHILIP W. BELL, The Theory and Measurement of Business Income (University of California Press,
1961), pp.90-2 et 275.

27 LADD, op. cit. pp.43 et 55-6


28 SPRONSE, loc. cit.
29
Evidemment, quand les actifs aux vies les plus courtes sont remplacés, d'autres, prennent leurs places comme ayant des vies les plus
courtes. Donc, la firme a toujours des actifs à vies les plus courtes qui doivent être remplacés pour obtenir le plein bénéfice des actifs de
longue durée. .Carson, op. cit.

30 CHIAMBERS, o=. cit., pp.92 et 204


31
SPRONSE et MOONITZ, op. cit., pp.27-28

ManuelTheories Comptables-01Dec10 181


182

fondamentalement la même chose que l’équivalent en liquidité courante dans le cas


des stocks 32.

LA VALEUR D’EXPLOITATION

La valeur d’exploitation d’un actif est la valeur présente des mouvements futurs de
trésorerie que l’actif peut possiblement générer. On pourrait être tenté de conclure
que, en théorie, ceci est la base de l’évaluation de l’actif le plus compatible avec
l’hypothèse de la permanence de l’entreprise. C’est, évidemment, sujet à la limite
pratique importante qu’elle ne peut être mesurée objectivement. Les mouvements
futurs de trésorerie ne peuvent être prédits de façon certaine. De plus, les
mouvements de trésorerie attribuables aux actifs individuels employés en harmonie
(e.g. usine et machinerie) sont indéterminés. Ainsi, où plusieurs actifs sont
mutuellement interdépendants dans le procédé de production, les mouvements futurs
totaux de l:a trésorerie venant des opérations de production pourraient être connexes à
n’importe quel ou à tous les actifs. Canning signala, par exemple, qu’une installation
minière complexe pourrait être tout à fait inopérable, à cause de la nécessité d’un
simple tuyau de chaudière. Ainsi, avec tous les autres actifs en place, la valeur
anticipée de ce tuyau de chaudière est égale au courant entier des mouvements prévus
de la trésorerie venant de l’opération de la mine 33. Tandis que ceci peut être une
application valable, mais extrême, d’une analyse marginale, ce n’est guère une base
utile pour l’évaluation des actifs individuels dans les rapports financiers. Ainsi, la valeur
d’exploitation est une mesure qui peut être appliquée utilement qu’à une entité
entière. Même alors, elle ne peut être quantifiée avec le degré d’objectivité que les

32
En fait, Chambers indique que l'équivalent liquide courant des stocks usinés est le coût courant de remplacement des biens et services
sacrifiés dans la production (op. cit.,p.232). Ceci est équivalent; en fait, au "coût courant" d'Edwardss et de Bell. Ainsi, Spronse et Moonitz
semblent actuellement s'approcher davantage de l'équivalent en liquidité courante dans leur, recommandations, touchant les stocks que ne
le fait Chambers lui-même .

33
JOHN B. CANNING, The Economics of Accountancy (The' Ronald Press Company 1929), pp.189-190.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 182


183

comptables exigent normalement. Mais, dans l’abstrait, elle semblerait entièrement


compatible avec l’hypothèse d’existence indéfinie.

CONCLUSION

Une revue de la discussion précédente suggère trois conclusions générales :

1) Malgré qu’elle est un des concepts les plus consacrés de la comptabilité,


l’hypothèse de la permanence de l’entreprise n’a eu aucune influence
importante sur la formulation des principes comptables. Divers auteurs l’on
trouvé compatible avec des principes sensément différents d’évaluation d’actif.
Les énoncés officiels sur les principes comptables ont grandement ignoré
l’hypothèse de la continuité en développant des arguments supportant leurs
conclusions.

2) I1 n’y a pas d’accord général sur l’implication exacte de la convention de la


permanence de l’entreprise. Elle n’a été retenue que pour simplement signifier
l’absence d’une liquidation forcée imminente. Elle peut signifier que l’entité
survivra assez longtemps pour permettre l’achèvement des présents programmes
et la liquidation ordonnée des actifs maintenant détenus. Elle a été accrue pour
impliquer le remplacement d’actifs actuels par des nouveaux à être utilisés pour
l’achèvement des programmes actuels et futurs. Finalement, elle peut être
logiquement traduite pour signifier une opération continue avec profit. Peut être
que cette diversité d’explication aide à expliquer pourquoi la convention n’est
pas largement utilisée pour supporter des principes proposés de comptabilité.

3) La continuité est au mieux une hypothèse tenue. Le comptable ne devrait pas


supposer qu’une firme a une permanence. Il devrait enquêter pour s’assurer si
tel est le cas ou non. Si la continuité était un postulat général valable sur lequel
les principes comptables doivent reposer, alors il n’y aurait pas de principes pour
le problème de la liquidation. Mais, il y a trop de problèmes de liquidation pour
que la comptabilité les ignore. Ils ne sont pas ignorés, non plus. Des principes

ManuelTheories Comptables-01Dec10 183


184

comptables pour une firme subissant une liquidation forcée existent. Ils
découlent d’une conclusion irréductible que l’entité n’a pas une permanence. De
la même manière, des principes pour la firme continuant à exploiter devraient
être appliqués seulement où il y a évidence, que l’entité exploitera dans le
futur.

Donc, en résumé, la convention de la permanence de l’entreprise peut être une


description valable de l’entité comptable, si elle est justifiée par l’évidence dans le cas
particulier; mais non si elle est offerte comme hypothèse générale non vérifiée. Même
où elle est une description valable de l’entité, elle n’aide cependant pas à formuler des
principes comptables significatifs. Elle est, au mieux, une observation inoffensive de
l’environnement dans lequel le comptable effectue son travail. Elle ne lui offre aucune
ligne de conduite réelle dans son travail.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 184


185

Lecture de référence no. 12

Le Concept d’Equité

par

Harold E. Arnett

ManuelTheories Comptables-01Dec10 185


186

Les dernières années ont vu les comptables mettre de nouveau de l’avant le concept de
l’équité comme un élément essentiel dans le développement de la théorie comptable.
I1 est probable que la première suggestion explicite en vue de considérer ce concept
dans cette perspective vient du Docteur Scott en 1951, alors qu’il rangea ce concept
sous les principes comptables et publia l’énoncé suivant: « Les règles, procédures et
techniques comptables devraient être justes, non biaisées et impartiales. Elles ne
34
devraient pas privilégier un intérêt particulier ».

Il y eut peu de discussions ou de publications sur l’idée que le concept de l’équité


représentait une notion essentielle dans le développement de la théorie comptable,
jusqu’en 1960, année ou Arthur Andersen & Co., publia une monographie traitant de ce
concept. Elle contenait le paragraphe suivant:

« Ainsi, le postulat fondamental sous-jacent aux principes comptables peut être


énoncé comme celui de la fidélité et de l’équité - présentation équitable pour tous
les segments de la communauté des affaires (administration, travailleurs,
actionnaires, créanciers, clients, ainsi que le public), déterminée et évaluée à 1a
lumière de l’environnement économique et politique et des façons de penser et
coutumes de tous ces segments - pour en arriver à ce que les principes comptables
issus de ce postulat permettent d’établir une discipline comptable qui soit équitable
35
pour les droits et intérêts économiques de tous les segments.

En 1965, le concept de fidélité et d’équité fut le sujet d’un livre de James W. Pattillo,
qui incluait le passage suivant:

De ces observations sur la relation entre la comptabilité. et les attitudes et concepts


sociaux actuels, l’on conclût que la comptabilité a une nature essentiellement
sociale et qu’elle a des responsabilités envers la société. Appliquées aux objectifs de
la comptabilité financière, ces idées mettent en évidence la responsabilité de la

34
Dr. SCOTT, "The Basis for Accounting Principles", The Accounting Review, December 1971, p. 343.
35 ARTHUR ANDERSEN & CO., "The Postulate of Accounting" September 1960, p.31.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 186


187

communication d’informations financières à la communauté économique.


Finalement, parmi les notions sociales de justice, de vérité et d’équité, la notion
d’équité est retenue comme le standard fondamental pouvant mesurer la justesse
des principes et règles comptables qui sont présentés comme étant le moyen
d’atteindre l’objectif de la communication de ces informations. La présentation
équitable et fidèle à tous les partis est donc le standard fondamental en
comptabilité, le test ou le critère auquel doivent répondre toutes les propositions
36
avant d’être incluses dans la structure de la comptabilité.

Quand nous ajoutons cette phrase de Scott voulant que « Les énoncés généraux qui
relient les règles et procédures comptables aux principes sociaux sous-jacents
pourraient eux-mêmes être appelés principes comptables » 37 , il devient clair que ces
auteurs privilégient une approche sociale ou éthique au développement de la théorie
comptable.

Les écrits desquels sont tirés ces extraits représentent des tentatives réfléchies et bien
documentées pour faire avancer les connaissances en comptabilité; elles méritent donc
une certaine considération.

Mon sentiment est, toutefois, que le concept de fidélité et d’équité n’est pas une base
utile comme cadre de développement de la comptabilité. Ce qui suit a pour objet
d’expliquer ce point de vue .

QUEL EST LE SENS DU MOT « EQUITE » ?

Dans tous domaines de recherches, les participants doivent comprendre le sens des
termes employés dans le domaine. Pour ce faire, idéalement, chaque mot devrait

36 JAMES W. PATTILLO, "The Foundation of Financial Accounting", (Louisiana State University Press, 1965), pp. 60-61.

37
SCOTT, p. 342.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 187


188

identifier sans équivoque une notion ou devrait invoquer un objet qui lui est propre.
Autrement, il y a place pour l’incertitude et la confusion. Vraisemblablement peu de
mots, dans un domaine comme la comptabilité, rencontrent pleinement ces exigences;
mais ce concept d’équité et dé fidélité que les comptables anglophones appellent
« fairness » m’amène à me demander si cette terminologie s’approche même quelque
peu de l’exigence mentionnée ci-haut. Le problème ressort mieux si on utilise le mot
anglais « fair ». Ainsi, que signifie-t-on, lorsqu’on dit dune femme qu’elle est « fair » ?
Cela peut signifier qu’elle est belle ou qu’elle a des cheveux blonds ou qu’elle est
honnête, franche, impartiale ou juste. Ce mot est utilisé en anglais de certaines façons
comme synonyme de plausible, gracieux, courtois, élégant, désirable, propre, pure,
moyen, très bon et ainsi de suite. .On pourrait entreprendre une discussion semblable
sur le sens des mots « équitable » et « fidèle ».

Si des termes comme « fair » ou « fairness » doivent être utilisés en comptabilité, les
comptables doivent l’utiliser dans un sens précis ou au moins éduquer les utilisateurs
des états financiers de telle sorte qu’ils reconnaissent la signification du mot lorsqu’il
est utilisé dans une communication à leur adresse. Ceci constituerait une tâche très
difficile pour deux raisons:

(1) les comptables devraient tout d’abord s’entendre sur un sens précis et

(2) il faudrait convaincre les utilisateurs qu’ils doivent accepter le sens convenu
dans leur utilisation des états financiers.

Aussi longtemps que ces deux obstacles n’auront pas été surmontés, les termes ne
véhiculeront pas les observations d’une personne à une autre d’une façon claire et sans
équivoque.

Je n’ai pas l’impression que ces obstacles seront vraisemblablement surmontés.


L’expérience démontre la difficulté qu’éprouvent les comptables d’obtenir un
consensus sur la signification de termes comme actifs, bénéfice, revenu et passifs. On
peut facilement imaginer les difficultés rencontrées en tentant d’obtenir un consensus

ManuelTheories Comptables-01Dec10 188


189

sur des termes comme « fairness » ou fidélité et équité, mots qui ont des sens
infiniment plus subjectifs.

« Combien nombreux sont ceux dont la réflexion s’arrêtent aux mots alors qu’ils
voudraient réfléchir à une idée, en particulier lorsqu’il s’agit d’exercer son esprit
sur des questions d’ordre moral; et qui peut s’étonner ensuite que ces réflexions
sur rien de plus que des sens en réalité, ne produisent que la confusion et l’erreur
comme résultat, d’autant plus que les idées sous-jacentes à ces mots sont fragiles
et confuses et peut-être même inexistantes...? » . 38
Si on ajoute à la difficulté du consensus entre les comptables, l’obstacle de l’accord
avec les utilisateurs des états financiers, le problème est substantiellement accru.
Chacun aime à penser qu’il est équitable et personne ne peut nier que tous devraient
réfléchir à la notion d’équité dans leurs rapports avec leurs concitoyens. C’est l’utilité
de ce concept comme fondement de la pensée comptable qui est mis en cause ici, et
non pas l’importance du concept comme telle. Les opinions varient considérablement,
et plus un sujet devient complexe (et l’expérience nous a appris combien la tâche de
présenter des informations financières aux utilisateurs de bonne foi est complexe et
difficile), plus il est vraisemblable qu’une ambiguïté même légère à propos de la
signification d’un terme sera amplifiée.

Quand nous abordons des mots qui expriment un concept, une relation complexe, un
symbole intangible ou peu connu, les déformations par l’usage courant, l’usage
inapproprié et la confusion prennent une importance considérable. Prenons des
mots comme « monarchie », « tyrannie », « libertés civiles », « liberté de
contracter », « hôte », « gentilhomme », « suffisance », « culture », « éducation »,
« tempérance », « générosité ». Non seulement trouvons-nous difficile de donner
une définition analytique de tels mots: nous pourrions même être incapables de le
faire et pourtant prétendre avoir une compréhension nette de leur signification.
Mais si l’on observe une discussion entre deux personnes sur un sujet qui met en

38 JOHN LOCKE, "Essay Concerning Human Understanding", book 3, chapter 11.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 189


190

cause n’importe quel de ces mots, on ne tarde pas à s’apercevoir qu’ils l’utilisent
39
dans des sens différents.
I1 est facile de reproduire un mot. C’est une chose beaucoup plus difficile que de
reproduire l’idée qu’il représente.
« Quelle est la signification de termes tels que « bonheur », « liberté », « justice
sociale » ? Moi qui analyse leurs significations depuis des années, j’avoue être
40
encore sceptique devant certains usages de ces termes ».

La même chose peut être dite de mots comme « équité » ou « fidélité ». -

Appliquons notre réflexion à des situations concrètes où ce genre de problèmes se


rencontre. Combien de fois, avons-nous entendu ou lu des déclarations faites par des
représentants syndicaux à l’effet que les états financiers ne présentent pas
équitablement les faits ? Combien de fois, ont-ils soutenu que les profits étaient sous-
évalués aux états financiers, donnant des points de référence inéquitables pour les
négociations (information biaisée en faveur de la partie patronale). Combien de fois
également avons-nous lu, vu, entendu dire que les employés reçoivent plus que leur
part équitable des fruits de l’activité des affaires comparée à celle des propriétaires.
D’un autre côté, plusieurs sont allés jusqu’à dire que l’insuffisance de l’investissement
en capital vient principalement du fait que les actionnaires reçoivent un rendement
trop bas pour les risques qu’ils assument. Plusieurs allèguent que le gouvernement est
inéquitable envers certaines entreprises, car par le biais de l’impôt sur le revenu, il
taxe les entreprises rentables et ne taxe pas celles qui ne sont pas rentables. Si, en
réalité, toutes les entreprises bénéficient des services gouvernementaux pourquoi ne
devraient-elles pas toutes contribuer à l’impôt ? Rappelons-nous de la décision du
Président des Etats-Unis de forcer les scieries à annuler leurs augmentations de prix.
Cela avait été fait, présumément, pour réduire les pressions inflationnistes parce que

39 WILLIAM MINTO, "Logic, Inductive and Deductive" (1896), p. 86.


40 R.W. SELLERS, "The Essentials of Logic" (1917), p. 47.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 190


191

l’inflation est inéquitable pour certains groupes sociaux, comme les personnes à
revenus fixes. Je suis assuré que les propriétaires des scieries n’ont pas eu le sentiment
que cette décision était équitable. De nouveau, si nous considérons les différents
groupes affectés par une décision, il devient amplement évident que ce qui est
équitable ou inéquitable dépend de la position de ceux qui sont affectés par la
décision. Lorsque nous considérons des groupes ayant des intérêts contradictoires, un
groupe considèrera vraisemblablement une décision équitable alors que l’autre la
considèrera grossièrement inéquitable. Nous n’avons pas de standard fixe, qui puisse
nous servir â jauger l’équité ou l’iniquité. Si nous prétendons pouvoir présenter une
information équitable pour tous les, groupes, alors, nous devons vraisemblablement
nous attendre à subir le courroux de tous ces groupes.

POSSIBILITE DUNE INTERVENTION GOUVERNEMENTALE ACCRUE

L’à-propos de la discussion précédente est que les comptables devront s’entendre sur
des critères ou des standards pour jauger l’équité avant que ce terme ne puisse devenir
opérationnel en comptabilité Même en assumant que les comptables puissent en venir à
un consensus, une grande difficulté, telle que mentionnée précédemment, viendrait de
la nécessité d’obtenir l’accord des utilisateurs des états financiers sur cette définition
de ce qui est équitable. A défaut d’une entente volontaire, ce qui est peu probable, la
profession comptable devrait imposer sa décision. Contrairement aux questions légales
où les jugements de la Cour ont un pouvoir exécutoire, la comptabilité ne dispose
d’aucun mécanisme de pouvoir exécutoire. Si elle en avait un, l’état serait sans aucun
doute le pilier nécessaire à ce pouvoir. Au pire, dans ces conditions, l’état
s’attribuerait le pouvoir de dicter les règles, procédures et principes comptables; au
mieux, elle pourrait superposer son jugement à celui des comptables.

La comptabilité est déjà considérablement influencée par les agences


gouvernementales. Je ne crois pas que ceux qui sont desservis par la comptabilité
auraient intérêt à ce que cette influence augmente. Si les comptables avaient cette

ManuelTheories Comptables-01Dec10 191


192

autorité de dicter aux utilisateurs ce qui est équitable et ce qui n’est pas équitable, ils
devraient nécessairement penser en termes des effets de certaines causes sur les
utilisateurs plutôt que de déterminer l’effet des transactions financières sur les
entreprises. En d’autres mots, le centre de gravité de la comptabilité serait déplacé de
l’entité vers ceux qui ont un intérêt quelconque dans l’entité.Etant donné que ceux qui
ont un intérêt dans les entités ont été définis, par bien des comptables, comme la
société en général, et si la comptabilité se préoccupe avant tout de refléter avant tout
les droits économiques et les intérêts de la société, la porte est naturellement ouverte
à une plus grande intervention gouvernementale et peut-être même à une étatisation
de cette fonction. Les tribunaux ont maintenu à plusieurs reprises que l’Etat a pleine
autorité pour réglementer ce qui touche à l’intérêt public. Cela pourrait sonner le glas
de la comptabilité telle qu’elle existe présentement.

Dans des rapports entre humains, des conflits naissent. Le compromis entre les
différentes opinions est une condition de la survie culturelle. Les lois ont pris naissance
de la nécessité de résoudre les conflits d’intérêts et les institutions légales ont surgi
comme moyen de sanctionner et de faire appliquer les lois. Les comptables ont
toujours considéré l’entité comme centre d’intérêt ou de gravité et ont laissé le
marché et/ou les tribunaux déterminer ce qui constitue une répartition « juste », ou
« équitable » d’un revenu, ou ce que sont les droits légaux de deux parties en conflit.
L’expérience passée offre de nombreux exemples démontrant que « quels que soient
les changements sociaux, des conflits d’intérêts demeurent ». De nouvelles lois devront
être créées et d’anciennes seront modifiées avec les changements de l’environnement.
Toutefois, l’expérience seule ne nous indique pas dans quelle direction évolueront les
conflits, ni ne donne un aperçu sur les principes légaux qui les résoudront. Les lois qui
les concilieront se développeront à partir de ces conflits mêmes. Il serait donc
présomptueux de la part des comptables, de tenter de présenter des états financiers
qui prétendraient refléter les droits légaux des intérêts divers et souvent
contradictoires que l’on retrouve dans une entité.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 192


193

Il n’est pas suffisant de suggérer que l’équité pourrait être mesurée « à la lumière de
l’environnement économique et politique et des façons de penser et coutumes de tous
ces segments, pour en arriver à ce que les principes comptables issus de ce postulat
permettent d’établir une discipline comptable qui soit équitable pour les droits et
41
intérêts économiques de tous les segments » .

Tout d’abord, « équitable » est rarement utilisé en droit. « Juste » est utilisé et un
principe en droit veut qu’une décision soit juste quand toutes les avenues de la loi ont
été explorées et qu’une décision ultime a été atteinte. Bien que l’expérience passée, la
jurisprudence et les grands principes agissent comme indicateurs dans un cas donné,
c’est l’interprétation des faits relatifs à un cas donné qui finalement amène la décision.
Lorsque les faits sont différents, les décisions sont différentes; les faits ne sont
habituellement pas complètement connus jusqu’au moment où le cas est soumis aux
tribunaux. Avec la gamme des intérêts présents dans une entreprise donnée et les
innombrables conflits d’intérêts qui peuvent surgir, il serait difficile pour les
comptables d’assurer que les droits économiques des individus ou des groupes
(créanciers, actionnaires, travailleurs, etc.) soient respectés.

En conséquence, on comprendra que le raisonnement juridique n’est en aucun cas la

seule réflexion personnelle des juges. Ils examinent un problème à la lumière de la

législation qui a été développée dans des cas précédents et avec un juste regard sur
42
les cas connexes qui pourraient se produire dans le futur.

Si nous chargeons les comptables d’être à la fois juge, jury, avocat de la défense et
procureur de la couronne, en prenant de telles décisions’(c’est-à-dire si les comptables
insistent pour que de tels « faits » soient représentés), il est, bien sur, raisonnable

41
ARTHUR ANDERSEN & CO., p. 31
42
ARTHUR T. VANDERBILT, "Judges and Jurors: Their Functions, Qualifications, and Selection" (Boston University Press, 1956), p.
4.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 193


194

qu’ils assument la responsabilité accompagnant une telle présentation des faits


financiers. On peut facilement se rendre compte de la responsabilité légale potentielle
qui accompagnerait une telle approche, particulièrement si on considère le nombre
croissant de poursuites pour responsabilité.

RELATION DE L’EQUITE AVEC LES AUTRES CONCEPTS

Suggérer que l’équité doit être le fondement de la formulation de la théorie comptable


suppose implicitement que l’on pense que l’approche sociologique doit être suivie. En
réalité, tous les auteurs cités ont indiqué clairement leur accord avec cette approche.
En conséquence, des concepts comme ceux de « justice » et de « vérité » doivent être
considérés et rattachés d’une façon significative et opérationnelle à la notion d’équité
et à d’autres concepts actuellement reconnus en comptabilité (à moins que les
concepts actuels ne soient abandonnés).

La première difficulté dans les rapports avec ces autres concepts de nature éthique,
comme dans ceux avec la notion d’équité, est de les définir. Cela est en soi une tâche
difficile que Pattillo reconnaît lorsqu’il mentionne: « Considérant le concept de vérité,
on ne peut espérer en donner une définition (car les philosophes n’en ont pas encore
trouvée après des siècles de recherches) autre que d’exprimer que ce qui est vrai est
43
conforme à la réalité. » . Mais ne pourrions-nous pas dire également que ce qui est
conforme à la réalité est « objectif », « équitable », « juste ». Autrement dit, cet
énoncé ne mentionne pas de critères pour distinguer le concept de « vérité » des autres
concepts. Et, en réalité, comme il a été mentionné précédemment, le dictionnaire
donne comme synonyme d’ « équitable » des mots tels que « juste », « impartial »,
« objectif » et « non biaisé ». Pattillo ajoute :

« Equitable » implique un traitement égal pour toutes les personnes concernées.


« Juste » est plus rigide et implique l’adhésion stricte à un critère pour établir ce

43
PATTILLO, p 5q

ManuelTheories Comptables-01Dec10 194


195

qui est correct sans considérations pour les autres facteurs. « Impartial » implique
l’absence d’un préjugé favorable ou défavorable envers un parti. « Non biaisé » est
plus fort et suppose l’absence de préjugé et une disposition à être équitable pour
tous. « Objectif » implique une tendance à considérer les événements et les
personnes (et les concepts) de façon impartiale et sans tenir compte de ses propres
sentiments. 44

Malgré que j’admire l’approche directe de Pattillo dans sa tentative pour saisir ces
concepts intangibles, ses définitions me laisse perplexe sur la question de savoir quand,
où et comment je devrais les utiliser. Par exemple, certains mots sont utilisés pour en
définir d’autres ce qu’est un cercle vicieux en quelque sorte. I1 emploie également,
pour définir d’autres mots, des mots qui eux-mêmes, demandent à être définis.

Sans s’acharner sur la question, le point demeure qu’aucun de ces concepts de nature
éthique n’a un contenu opérationnel. Chaque comptable devrait décider dans chaque
cas ce qui est équitable, juste et vrai, puisqu’il ne pourrait utiliser de critères
généralement reconnus pour se guider. De plus, dans toutes les circonstances où des
concepts entreraient en contradiction, le comptable devrait décider lequel aurait
préséance. Encore là, l’opinion personnelle devrait trancher puisqu’il n’existe pas de
relations établies entre ces concepts. Cela augmenterait encore les controverses au
sujet de certaines pratiques.

Le but n’est pas ici de convaincre le lecteur que l’on doit développer des méthodes
telles que le comptable n’aura pas à exercer son jugement. Au contraire; puisqu’il
existe des pratiques et des procédures différentes, un bon jugement est toujours de
circonstances. D’autre part, on ne devrait pas appliquer des pratiques différentes pour
une même situation (ce qui est souvent le cas aujourd’hui). Si nous acceptons l’appro-
che sociologique au développement de la comptabilité, la variété des pratiques ne

44
PATTILLO,

ManuelTheories Comptables-01Dec10 195


196

ferait qu’augmenter. Nous verrions vraisemblablement plus d’exemples d’entreprises


traitant un item d’une certaine façon alors que d’autres, dans des situations très
semblables pour ne pas dire similaires, adopteraient un traitement différent, toutes
présentant en fin de compte un rapport du vérificateur vierge. L’approche
sociologique, donc, n’apporte pas l’espoir d’une plus grande uniformité (si l’on admet
qu’une plus grande uniformité est souhaitable).

LA NATURE DE LA COMPTABILITE

Ceux qui mettent de l’avant l’équité comme le fondement de la comptabilité semblent


être principalement concernés par la fonction attestation ou la vérification. Au mieux,
la vérification est seulement une grande subdivision du champ de la comptabilité et
certains pensent même qu’elle est une discipline distincte. 45 Même si l’équité est
reconnue comme un fondement nécessaire en vérification, cela n’implique pas
nécessairement que ce concept devrait être la considération fondamentale dans la
formulation de toute la théorie comptable. (Ceci est donc, particulièrement vrai,
évidemment, si l’on considère la vérification comme une discipline distincte). Par
exemple, je ne peux pas voir l’équité comme une notion très importante pour les
gestionnaires internes qui sont fondamentalement concernés par l’efficacité et la
maximisation de l’OUTPUT. Ils sont beaucoup plus concernés par la pertinence des
données, les projections et des choses semblables. La comptabilité doit satisfaire ces
besoins aussi bien que les autres. Si nous voulons avoir une structure de la comptabilité
bien intégrée qui aidera les praticiens, il est nécessaire que le fondement de la
comptabilité tienne compte de tous ces usages diversifiés. I1 est facile de soutenir que
le choix d’une activité, telle que la vérification, comme prédominante, pourrait biaiser
les résultats ayant rapport aux autres préoccupations de la comptabilité.

De plus, le mot « fairly » (fidèlement en français) est utilisé dans le paragraphe de


l’opinion du rapport du vérificateur dans le sens de « en conformité avec les règles du

45 R.K. Mautz and Hussein S. Sharaf, « The Philosophy of Auditing », American Accounting Association, pp 13-14

ManuelTheories Comptables-01Dec10 196


197

jeu (comptabilité) ». C’est seulement en acceptant cette signification du concept


d’équité et de fidélité, qu’il est possible d’expliquer les différentes façons de traiter
des items identiques quand les circonstances sont virtuellement les mêmes. Par
exemple, les frais de recherche et de développement peuvent être capitalisés dans les
livres d’une entreprise et être traités comme dépense dans les livres d’une autre. Les
deux méthodes sont conformes aux principes comptables généralement reconnus et la
plupart des vérificateurs n’hésiteraient pas à déclarer que les états financiers des deux
entreprises présentent fidèlement la situation financière. Même si certains peuvent
être en désaccord, le concept de fidélité et équité n’est pas violé, au moins au sens où
on l’entend dans le rapport du vérificateur, car les deux méthodes sont conformes aux
règles du jeu. Ainsi, bien qu’un terme comme « fairly » ou « fidèlement » soft utilisé en
comptabilité, cela ne veut pas dire qu’il a une signification précise. Au contraire, son
sens varie avec les situations. I1 est, de plus, évident dans la littérature financière et
comptable que les utilisateurs des états financiers ne comprennent pas pleinement le
message que le rapport du vérificateur prétend passer.

L’ENVIRONNEMENT POLITIQUE ET ECONOMIQUE

Au cours des dernières années, plusieurs auteurs ont fait valoir l’idée que la théorie
comptable devrait être fondée en considérant « l’environnement politique et
économique et les façons de penser et coutumes de tous les segments de la
46
communauté des affaires ». Je n’ai pas encore vu de discussions sur ces coutumes et
façons de penser qui en auraient fait une notion suffisamment claire pour justifier leur
utilisation comme fondement de la comptabilité. De plus, les considérations qui
seraient ainsi accordées à ces facteurs pourraient nous conduire dans des voies que
nous ne voulons vraisemblablement pas emprunter. Prenons quelques exemples
pratiques pour mettre ces points à l’épreuve.

46 ARTFIUR ANDERSEN & CO., p. 31, par exemple

ManuelTheories Comptables-01Dec10 197


198

Certains peuvent raisonnablement conclure que les hommes d’affaires en général


croient aux principes du libre-marché. Le management scientifique est une forme de
contrôle élaborée en tenant compte du contrôle qu’impose la concurrence. Les
travailleurs, pour une raison ou pour une autre, semblent eux avoir perdu confiance
dans les mécanismes et les principes du libre-marché et de son contrôle. Les
travailleurs semblent peu concernés par les notions de droits à la propriété inhérentes
au libre-marché. Comment des points de vue si divergents et si sérieusement
contradictoires peuvent-ils être pondérés quand il s’agit de considérer les « façons de
penser et les coutumes de tous les segments de la communauté des affaires ? ».

La philosophie du capitalisme se préoccupe surtout de la production et de l’allocation


optimale des ressources selon les loi du marché tel que contrôlé par le mécanisme des
prix. Le mouvement socialiste se préoccupe surtout de distribution (partage du revenu
national). Les deux fonctionnent actuellement dans l’économie. Comment pondérer ces
facteurs sans la considération de l’environnement économique et politique comme base
du développement de la théorie comptable ?

Des économistes s’occupant de bien-être prêchent l’intervention gouvernementale


quelque soit le degré d’intervention nécessaire pour obtenir ce qu’ils croient être une
juste répartition des richesses du pays. D’autres, plus conservateurs, soutiennent que
l’adhésion aux principes du libre-marché et de la concurrence amèneront la répartition
la plus juste du revenu national. Comment ces attitudes peuvent-elles être interprétées
et analysées en tant que partie intégrante de notre environnement économique, social,
et politique et de la communauté des affaires ?

CONCLUSION

Tout développement de la théorie comptable, devrait à mon avis, être fondé sur des
points de vue scientifiques et objectifs. Les conclusions seront ainsi bien fondées et
vérifiables. Nous devons nous baser dans une large mesure sur l’observation si nous
voulons obtenir un consensus. C’est sur un tel fondement que l’on peut exercer une

ManuelTheories Comptables-01Dec10 198


199

logique déductive. En conséquence, si l’expérience ne peut démontrer qu’une chose


est raisonnable, celle-ci ne devrait pas être retenue comme un postulat ou une
hypothèse fondamentale en comptabilité. Si l’expérience a démontré une chose, c’est
bien celle-ci: les concepts intangibles tels que ceux d’équité, de justice et ainsi de
suite ne peuvent être mesurés; les critères qui pourraient servir à les juger sont si
sujets à controverse que ces concepts ne peuvent servir de tremplin à des analyses
ultérieures. La raison pure indique peut-être que ces concepts sont utiles, mais leur
utilité dans le développement de la théorie comptable est sujet à de sérieuses
questions.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 199


200

Lecture de référence no. 13

Le Passif : Une Notion qui évolue

Par

Maurice Moonitz

ManuelTheories Comptables-01Dec10 200


201

Quand on compare les différentes façons de définir le passif, on constate bien que
cette notion n'est pas si simple, ni toujours bien comprise.

I1 semble que la notion de passif change, évolue. On a beaucoup discuté, ces dernières
années, du "crédit" du bilan. En effet, on s'est souvent penché sur la signification de
taxes reportées, sur la présentation des coûts de fonds de retraite et sur la durée,
courte mais importante, des "réserves pour dépenses estimées". A la suite de ces
études, on constate qu'il n'existe pas de distinction très nette entre les aspects "débit"
et "crédit" des transactions observées. On découvre que ces réflexions ont porté surtout
sur l'établissement du "débit" d'abord, le "crédit" venant après coup. Selon certains
indices, le procédé courant consiste à se servir des dépenses et des autres frais pour
déterminer le profit sans avoir, au préalable, analysé la situation et s'être demandé si
la valeur d'un actif n'a pas été diminuée ou si une dette n'a pas été contractée. C'est
pourquoi, nous apercevons assez souvent des dépenses associées à des crédits faisant
partie de l'avoir des actionnaires.

Evidemment, il n'y a là rien de nouveau puisque tout ceci reflète bien une difficulté
plus grande que l'on rencontre de façon régulière: la méconnaissance de la relation
entre le bilan des revenus et des dépenses. Et il semble que le nombre d'exemples de
ce genre, de même que leur niveau d'importance, s'accroissent continuellement. Plus
loin, nous nous étendrons sur la définition du passif; notons, pour le moment, que
l'interprétation qu'on en fait n'est pas conforme à la réalité. Par exemple; nous nous
opposons à ce qu'une "taxe différée" puisse être considérée indifféremment comme une
taxe réelle ou non; et, à supposer que cette taxe soit réelle, nous nous opposons à ce
qu'elle apparaisse indifféremment comme passif ou comme soustraction d'un actif. Tout
passif doit, en effet, être inscrit du côté "crédit" du bilan, mais certains crédits (par
exemple: amortissement accumulé, provision pour créances douteuses) ne sont pas des
passifs. Nous avons donc besoin de différencier les crédits qui représentent des passifs
de ceux qui n'en représentent pas.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 201


202

C'est pourquoi, il semble nécessaire de mener une enquête qui déterminera la vraie
nature du passif. Cependant, il est une question plus difficile et plus importante encore
que de déterminer la véritable définition d'un passif, c'est celle de savoir si nous
sommes prêts à envisager les nouveaux problèmes au fur et à mesure qu'ils se
présentent.

GRANDE VARIETE DE PASSIFS

Accounting Trenas and Techniques rapporte que les états financiers publiés récemment
présentaient les postes suivants comme des passifs, sous des rubriques les distinguant
clairement de l'avoir des actionnaires. Dans le but d'alimenter la discussion, nous en
avons nous-mêmes établi la classification. Cette classification est composée d'exemples
spécifiques tirés de Accounting Trenas and Techniques; nous avons simplement
explicité les titres de comptes reproduits littéralement dans cette publication:

A) Cas impliquant un déboursé dans un avenir prochain:

1) coûts estimés de recouvrement des comptes à recevoir;

2) coûts supplémentaires encourus sur contrats terminés;

3) coûts supplémentaires estimés en vertu d'une clause de garantie d'exécution;

4) coûts estimés de produits ou de garantie de service.

B) Cas impliquant un déboursé partiel dans un avenir prochain:'

 perte estimée sur option d'achat

C) Cas impliquant un déboursé conditionnel futur:

 rendus et rabais sur ventes estimées

ManuelTheories Comptables-01Dec10 202


203

D) Cas impliquant des déboursés futurs à court terme ou à long terme:

 paiements en vertu d'un bail

E) Cas impliquant un déboursé futur éventuel:

1. impôt fédéral différé;

2. taxe sur ventes à tempérament différé.

F) Cas impliquant des accords d'ordre financier:

 facturations en vertu de contrats non complétés

G) Cas impliquant des points qui ne sont probablement pas du tout des actifs:

 Réserve pour auto-assurance;

 Participation minoritaire dans un bilan consolidé;

 Réserve pour revêtement de cuves;

 Réserve pour réparations.

Le lien ou les liens qui relient entre eux ces "passifs" nombreux et variés posent un réel
problème. Plus loin, nous soumettrons une structure qui pourra contenir la plupart de
ces passifs.

Il ne s'agit pas, ici, de savoir si les passifs comprennent quelque forme de capital-
actions. Si nous mettions l'avoir des actionnaires dans cette catégorie, il y aurait encore
des problèmes. Néanmoins, nous posons comme hypothèse qu'une distinction est
établie entre le passif et l'avoir des actionnaires comme, en fait, elle existe dans la
plupart des états financiers publiés. Vaut-il mieux traiter le capital-actions privilégié
comme une dette plutôt que de le traiter comme partie de l'avoir des actionnaires ?

ManuelTheories Comptables-01Dec10 203


204

Cela devient un sujet d'ordre secondaire puisque, pour les fins de notre discussion, nous
parlons de créanciers externes.

Toute définition acceptable du passif nous permet tout de suite de décréter que
certains des postes mentionnés plus haut n'expriment pas réellement des passifs.
Décision qui serait sûrement entérinée par un côtiseur d'impôt. Toutefois, afin
d'amorcer la discussion, voici des énoncés qui démontrent bien pourquoi on ne peut
faire l'unanimité sur la nature d'un passif :

1) D'après l'expérience, la plupart des comptables admettent que le développement


"normal" d'une entreprise ne se fait pas sans encourir des dettes d'un certain ordre.
Par exemple, on présume ordinairement que les parties à un contrat vont l'honorer,
comme ça se fait généralement. Le bris de contrat n'est pas considéré comme
quelque chose de normal. La "provision pour créances douteuses" évalue, en
quelque sorte, l'imprécision de cette hypothèse;

2) Selon la nature même de leur profession, les avocats sont plutôt intéressés à
connaître d'abord les conséquences d'un bris de contrat c’est-à-dire à en
déterminer les conséquences financières. Ainsi, le droit - dans la mesure où cette
attitude l'influence - tend à ne reconnaître les dettes que lorsqu'un ensemble de
conditions précises à été réalisé.

3) Le service de l'impôt sur le revenu, quant à lui, subit l'influence de la comptabilité


et du droit; de plus, il doit rencontrer les exigences de l'administration. Par
exemple, l'authenticité et la justesse du revenu et des déductions pensant lui être
plus importants que l'exactitude des résultats. De plus, le désir du Conseil du Trésor
d'assurer des revenus doit toujours influer sur la loi de l'impôt sur le revenu.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 204


205

FAIBLESSES DES DEFINITIONS ACTUELLES

Quand on compare les différentes façons de définir le passif, on constate bien que
cette notion n'est pas si simple, ni toujours bien comprise.

"En rapport à un bilan, on peut définir le passif comme suit: Quelque chose qui
est exprimée par un solde créditeur et qui, à la fermeture des livres, est ou
serait reporté selon les règles ou principes de la comptabilité, pourvu que ce
solde créditeur ne représente pas la contre-partie d'un actif. Utilisé ainsi, le
terme "passif" inclut non seulement les postes exprimant des dettes ou
obligations au sens populaire du terme, - incluant les provisions pour dettes
éventuelles - mais aussi les comptes à solde créditeur n'exprimant aucun rapport
entre un débiteur et un créancier. Ainsi, le capital-actions et les autres postes
constituant l'avoir des actionnaires représentent des soldes dont il faut tenir
compte bien que n'étant pas des dettes, au sens légal du mot. S'appuyant sur
cette dernière phrase des comptables ont conclu:

que le passif devait englober les dettes et l'avoir des actionnaires; que le
bilan est composé des sections "actifs", "passifs" et "avoir des
actionnaires"; que le montant total de la première section doit égaler la
somme des montants des deux autres. Nous sommes d'avis que ce point de
vue et la définition exprimée plus haut sont cohérents". 47

Cette définition révèle que si vous voulez connaître la nature d'un passif, demandez à
un comptable. Je suis comptable moi-même, et vous l’êtes également. A qui le
demanderons-nous?

47
American Institute of Certified Public Accountants, Accounting Terminology Bulletins, Review and Resume, 1953, pp.13-14

ManuelTheories Comptables-01Dec10 205


206

48
Kohler définit le "passif" comme suit :

"Un montant dû par une personne (débiteur) à une autre (créancier), payable en
argent, biens ou services; le résultat de l'acquisition d'un actif ou d'un service reçu ou
d'une perte encourue; particulièrement, toute dette:

a) due ou échue (dette à court terme);

b) due à une date déterminée dans le futur (dette à long terme, dette courue); ou,

c) conditionnelle à la réalisation d'un acte futur (passif éventuel).

D'autre part, voici ce que pense American Accounting Association:

"Les intérêts des créanciers (passifs) sont des réclamations qui, résultant ou d'activités
ou d'événements passés, exigent d'être satisfaites par des sorties de ressources de la
part de l'entreprise. (...) On doit comptabiliser les créances dans la période où l'argent,
les biens ou les services sont reçus ou les obligations encourues, et on doit les évaluer
en argent ou en quelque chose d'équivalent. On doit éliminer une créance dans la
période ou elle cesse effectivement d'exister". 49

Cette définition est assez vague. Le seul point qu'on doive retenir à ce moment-ci, c'est
que The Committee on Concepts and Standards identifie "passif" à « créanciers ». Les
notions de créancier et de débiteur relevant du domaine légal, apparemment, on se
base sur le droit pour déterminer ce qui devrait apparaître dans la section "passif" du
bilan.

On résume ainsi le point de vue légal:

48 KOHLER., A Dictionary For Accountants, 1952.


49
American Accounting Association, The Committee on Concepts and Standards, Revision, 1957.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 206


207

« Les différentes façon de définir le terme (passif) impliquent soumission ou


responsabilité légale; (...) l'état d'une personne légalement liée ou obligée de
faire, payer, accomplir quelque chose; (...) l'état de celui qui soit,
immédiatement ou plus tard, doit faire quelque chose et qui peut en être
contraint. Le terme (passif) exprime un état créant l'obligation d'accomplir une
action.

Dans un sens plus restreint, le passif exprime ce qu'une personne doit


obligatoirement payer à une autre, ce dont une personne est responsable, ce
qu'une personne doit obligatoirement payer ou ce dont elle est responsable; les
obligations ou l'ensemble des dettes". 50

La première partie de cette définition est très vaste. Cependant, si nous examinons la
définition légale de "dette", nous avons un point de vue différent.

"(...) une dette, c'est une obligation de payer une somme d'argent précise à une
date déterminée (avec possibilité de recours de la part du créancier), et
l'intérêt, même s'il n’est pas gagné. ("Pas gagné" par le débiteur, je présume)". 51

Les définitions de Corpus Juris Jecundum et de Hills se rapprochent de celle de Kohler.


Apparemment, la plupart des comptables utilisent "dette" comme étant un synonyme
de "passif" et, par conséquent, sont astreints aux critères légaux pour déterminer une
dette. Pas tous les comptables, évidemment : Si nous nous référons aux cas cités au
début, nous constatons, par exemple, que le passif créé par la signature d'un bail à long
terme est bien, au sens légal, une "dette", cependant, la plupart ne présenteront pas
cette "dette" au bilan.

50
Corpus Juris Jecundum , Vol. 53, p.17

51
HILLS, GEORGES S., The Law of Accounting and Financial Statement. Boston, 1957, pp.119-120.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 207


208

La définition "comptable" qui suit, celle de Vatter, s'éloigne beaucoup de la définition


légale:

"Distinctes des notions d'obligation ou de passif légal, les créances sont des droits
sur les actifs de l'entreprise; elles peuvent résulter de considérations légales,
économiques ou administratives. Bien que certaines créances disparaissent
lorsqu'elles sont payées, elles peuvent aussi disparaître pour une foule d'autres
raisons". 52

Après ce tour d'horizon des définitions, nous nous permettons une conclusion: tous les
items qui répondent aux critères légaux de "dette" se qualifient également comme
"passifs". Une définition idéale de "passifs" devrait, par exemple, permettre de
déterminer:

a) si tous les postes qu'on étiquette comme des "passifs" aux états financiers le sont
réellement;

b) parmi les différentes façons de traiter un passif, laquelle est la meilleure;

c) si les événements de caractère financier notés au bas d'un bilan doivent apparaître
au bilan lui-même.

En plus, une telle définition devrait nous permettre d'analyser les nouvelles situations
afin d'être en mesure de confirmer s'il existe quelque élément de passif.Ainsi, nous
pourrions apporter une certaine continuité à notre travail, et nous n'aurions pas besoin
de nous fier à des déclarations d'autorité qui surviennent du fait qu'on ait adopté deux
ou plusieurs façons de traiter le sujet.

52
VATTER, Fund Theory of Accounting, p.95

ManuelTheories Comptables-01Dec10 208


209

CARACTERISTIQUES D'UN PASSIF

Les quatre caractéristiques suivantes nous serviront de point de départ pour établir une
définition des passifs:

1) un passif présuppose un déboursé d'argent dans l'avenir ou la remise de quelque


chose d'équivalent accepté par le créancier ;

2) un passif résulte d’une transaction passée, et non d’une transaction future. On


utilise, ici, le mot "transaction" dans son sens primitif: un événement impliquant
deux entités comptables - une "transaction externe" .

Par "transactions", on entend les événements financiers suivants :

a) l'encaissement d'argent de source externe;

b) le paiement d'argent à une personne externe;

c) l'achat de biens ou de services de tous genres: matières premières,


fournitures, électricité, équipement, terrain, dépôts de minerai, etc;

d) la vente de biens ou services de tous genres;

e) le prêt et l'emprunt d'argent à court ou à long terme.

Les courus n'apparaissent pas sur cette liste; il en est de même de l'amortissement des
coûts ainsi que des "transactions internes", tel que le transfert de produits en cours en
produits finis. Cependant, ces courus, amortissements et transferts résultent de
"transactions passées", à l'encontre de certains événements qui, eux, ne se sont pas
encore produits: la paye du mois prochain; l'achat l'an prochain d'actifs immobilisés;
l'émission d'obligations du prochain trimestre. Cependant, d'après la deuxième
caractéristique, ces derniers événements ne peuvent être identifiés comme des
"passifs".

ManuelTheories Comptables-01Dec10 209


210

3.- le montant du passif doit être le résultat de calculs ou d'estimation précise. C'est
d'ailleurs vrai de toute écriture comptable.

"(...) à cause de ces facteurs, si le coût total des prestations de réussite qui
seront versées ne peut être déterminé d'avance avec exactitude, on peut, en se
servant de techniques actuarielles, l'estimer de façon assez précise. La marge
d'erreur étant si minime, nous croyons qu'on ne doive pas exclure un cas comme
celui-là. Et, il y en a d'autres cas de ce genre". 53

"De l'avis de plusieurs personnes, les coûts encourus en vertu d'un régime de
retraite ne devraient pas nécessairement dépendre des ententes conclues en
vertu de ce régime ou ne devraient pas être déterminés selon la seule
interprétation légale face à ce régime". 54

En d'autres mots, il faudrait que les coûts d'un fonds de retraite soient en fonction des
facteurs d'opérations auxquels ils se rapportent. Cependant, dans la recommandation
suivante, on se base sur la définition légale de dette:

"(...) pour le moment, le comité croit que, à tout le moins, les comptes et les
états financiers devraient montrer des courus qui soient égaux à la valeur
actuelle, calculée selon les techniques actuarielles, des options de prestations
aux employés dans la mesure où ceux-ci ont des droits acquis; au bilan, cette
valeur devrait être réduite de tout montant accumulé en fiducie ou de rentes
viagères achetées". 55

53
Accounting Research Bulletin, no 47.Septembre 1956, par.4

54
Ibid., par.5

55 Ibid., par.7

ManuelTheories Comptables-01Dec10 210


211

4.-un passif présuppose l'utilisation du système de tenue de livres à partie double. En


effet, si on doit tenir compte d'achats futurs d'actifs sujets à amortissement on doit,
selon toute évidence, tenir compte des dettes correspondantes.

REPERCUSSION SUR LE PROFIT

Aujourd'hui, que ce soit en théorie ou en pratique, on décide si un item doit apparaître


ou non à la section "passif" du bilan en se fiant beaucoup à son incidence sur le profit.
I1 y a des items qui répondent bien aux critères de "dettes" mais qu'on ne voit pas au
passif du bilan parce que leur présence ou leur absence ne modifie en rien le résultat
de l'exercice ou les bénéfices non répartis. C'est le cas des contrats exécutoires et, le
plus bel exemple, c'est celui des baux à long terme.

FRAGMENTATION DES ETATS FINANCIERS

Cette importance qu'on accorde à l'effet ou 1’incidence d’une transaction sur le profit a
comme résultat de fragmenter les états financiers. Prenons, par exemple, la "réserve
estimée pour perte sur option d'achat". La "perte" n’est pas la dette. Ne sommes-nous
pas, en effet, responsables du montant total en contrat ? Littéralement, la "perte" c'est
le montant qu'on estime devoir payer s'il y a bris de contrat. Aussi, si nous
comptabilisons selon le système à partie double – 1’actif (marchandises commandées) -
cette sorte de distinction n'a plus sa raison d'être et le problème de 1’établissement du
passif disparaît.

Le calcul du profit est certainement l'une des fonctions importantes de la comptabilité


d'aujourd'hui; c'est peut-être même la fonction la plus importante. Mais on ne devrait
pas se concentrer exclusivement sur cet aspect au détriment de tout ce que l'on fait ou
de tout ce que l'on pourrait faire.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 211


212

Autres exemples

Discutons maintenant des différents cas cités au début de cet article. Pour fins de
sondages, nous nous servirons des quatre caractéristiques du passif établies
antérieurement qui sont, en résumé:

1) déboursé futur d'argent ou remise de quelque chose d'équivalent;

2) résultat de transaction passée;

3) sujet à une estimation fidèle;

4) élément du système â portée double.

Tous les cas impliquant un déboursé dans l'avenir se qualifient comme passifs. Les
estimations de coûts de recouvrement, de coûts supplémentaires sur contrats terminés
et de coûts encourus en vertu de différentes sortes de garanties impliquent non
seulement des déboursés futurs, mais sont aussi les résultats de transactions passées et
sont des éléments de la comptabilité à partie double.

Le cas des rendus et rabais sur ventes estimés est intéressant. Si on doit rembourser le
client, il s'agit d'un passif. Si, par contre, cette estimation réduit le montant à
recouvrer d'un client, elle est semblable à une provision pour créances douteuses et
devrait être inscrite au bilan.

Les déboursés en vertu de baux se qualifient nettement comme des passifs, non
seulement d'après notre définition, mais aussi d'après la définition légale. En fait, un
vieux cas de jurisprudence établit assez bien le principe légal. Une personne avait loué
un magasin pour une période de cinq ans à un taux mensuel fixe. Elle a fait faillite
après dix-huit mois. La cour décréta que le montant représentant les quarante-deux
(42) mois non écoulés constituait une dette pour le locataire. Ces dernières années, des

ManuelTheories Comptables-01Dec10 212


213

avertissements ont été donnés de toutes part concernant l'omission de ce genre de


dette au bilan. Mais les comptables ne s'en sont pas occupés.

TAXES DIFFEREES

The Journal of Accountancy et Accounting Review ont longuement discouru sur


l'opportunité de montrer les "taxes différées" aux états financiers. Quant à nous, nous
croyons que, si des taxes différées existent réellement, elles impliquent un déboursé
futur, elles proviennent de transactions passées effectuées par une entreprise en
opération et elles font partie de la structure de comptabilité d'exercice (à partie
double). Quant à la fidélité de l'estimation nous nous devons d'être circonspects. De la
"divulgation de certaines différences entre le revenu imposable et le revenu ordinaire".
Accounting Research Bulletin, dit ceci:

"Si, à cause de la différence entre la comptabilité pour fins d'impôt et la comptabilité


ordinaire, aucun montant de taxe n'a été payé ou prévu, on devrait le divulguer.
Cependant, si une taxe doit être payée, on doit en estimer la provision. Cette règle
s'applique, par exemple, aux profits sur ventes à tempérament ou aux contrats à long
terme qui, pour fins de taxes, sont différés. Elle s'applique aussi à certaines sociétés
d'investissement qui tiennent compte de l'augmentation des valeurs mobilières même si
cette augmentation, ce profit n'a pas été réalisé".

Ces cas sont importants, car il est fort probable que les revenus déjà réalisés ou
reconnus aux livres seront taxés une année ou l'autre. S'ils n'ont pas été déclarés pour
fins d'impôt, mais différés, on est alors certain de devoir payer l'impôt sur ces revenus.
Les probabilités d'imposition sont minimisées si, profitant de la loi, nous avons déduit,
pour fins d'impôt, un plus grand montant que celui qui est inscrit aux états financiers.
Prédire les revenus futurs constitue un plus grand risque que de prédire un paiement
d'impôt sur des revenus déjà connus.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 213


214

Quant aux "facturations sur contrats non terminés", leur montant total constitue un
passif si on les considère comme des avances du client pour financer le contrat. Si tel
est le cas, ce passif disparaîtra lors du remboursement ou, plus couramment, lors de la
livraison du produit fini au client. De plus, selon cette interprétation, le passif est
composé du montant total facturé ou à facturer; tous les coûts encourus à une certaine
date équivalent, en somme, à ceux d'un produit en cours et de ce fait, constituent un
actif pour l'entreprise. Si, par contre, le montant facturé excède les coûts réels, cet
excédent constitue un "profit non réalisé" qui, diminué de l'impôt, est l'un des éléments
composant l'avoir des actionnaires. Traditionnellement, la section "avoir des
actionnaires" incluait les bénéfices réels à l'exception du "surplus d'évaluation"; ceci
nous forçait à inscrire les "profits non réalisés", quelque part ailleurs. Mais nous
constatons qu'il n'y a pas de place ailleurs, au bilan, pour cette sorte de "profit" et que,
d'ailleurs, quelle que soit l'interprétation que l'on fasse du bilan, cet excédent n’est pas
un passif.

Nous abordons maintenant les cas qui ne possèdent pas les caractéristiques de passifs.
Une "réserve pour auto-assurance" représente une transaction future qui pourrait ne
jamais avoir lieu; cette "réserve" ne résulte pas d’une transaction passée. Le fait de
posséder un édifice ne me condamne pas à le voir incendier en tout ou en partie à un
certain moment. Le fait de n'avoir pas payé de prime d'assurance l'an dernier ne
m'oblige pas à payer quoi que ce soit à quelqu'un cette année-ci ou les années
prochaines. Si une "réserve pour auto-assurance" doit exister, elle doit être une
affectation des bénéfices non répartis.

Dans un bilan consolidé, "l'intérêt minoritaire" reflète l’intérêt d'un groupe


d'actionnaires, c'est-à-dire les propriétaires d’une partie de l'un des éléments qui
constituent le groupe consolidé. Personne n'a à payer quoi que ce soit à qui que ce soit
pour se prétendre l'un des éléments de l'avoir des actionnaires et ne doit pas être
inscrit à la section "passif".

ManuelTheories Comptables-01Dec10 214


215

Les "réserves pour revêtement et reconditionnement de cuves" ou les "réserves pour


réparations" représentent des déboursés futurs pouvant être estimés de façon assez
précise; mais elles ne sont pas le résultat de transactions passées. Les coûts de
revêtement de cuves doivent être amortis au cours d'exercices subséquents; ces coûts
ne découlent pas d'engagements pris au cours d'exercices précédents. Le vrai problème,
ici, consiste à bien classifier un actif et non pas à établir un passif. En effet, la
difficulté au niveau du passif n'existe pas si, par exemple, nous spécifions que les coûts
de revêtement constituent un actif distinct devant être amorti durant sa vie utile et
retiré, par la suite, pour faire place à un nouvel actif évalué du coût de remplacement.
Ce procédé donne le même résultat sur le bénéfice que la "réserve", mais le bilan est
plus véridique. Enfin, au lieu d'essayer de faire reconnaître la "réserve pour réparations"
comme un passif, ce qu'elle n'est pas, on devrait plut6t essayer d'obtenir une meilleure
classification des actifs et de meilleurs procédés d'amortissement.

CONCLUSION

Les difficultés se rapportant aux passifs sont plus faciles à résoudre que celles qui se
rapportent aux actifs. Néanmoins, la croissance de situations dans lesquelles les
engagements financiers semblent de plus en plus importants et l'acceptation comptable
des courus ont augmenté la difficulté à déceler un passif. D'autre part, en utilisant la
partie double de façon plus rigoureuse et en envisageant moins le court terme, nous
pouvons améliorer le bilan de façon sensible, le faisant passer de son rôle technique de
balance de vérification après fermeture à son rôle beaucoup plus important d'état de la
situation financière.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 215


216

Lecture de référence no. 14

Le Traitement comptable des survaleurs : l’éternel débat

Par

Dang Pham 56

Résumé

La survaleur est un point important de la stratégie des groupes qui adoptent une
politique de croissance externe, tant elle pèse sur les bilans et les résultats consolidés.
La comptabilisation de cette différence entre le prix payé lors d’une acquisition et la
valeur comptable après revalorisation de certains éléments identifiables du bilan de la
société acquise fait l’objet de controverses permanentes depuis le début du siècle. Le
présent article permet de mieux appréhender la complexité du problème à travers la
revue des fondements théoriques ambigus de la survaleur, de ses modes de traitement
comptable et de la diversité des normes et des enjeux. L’évolution de l’harmonisation
internationale est mise en évidence et ses difficultés évaluées à la lumière de la
théorie des marchés efficients, qui préconise l’adoption d’une solution moins
ambitieuse sur le plan conceptuel mais acceptable dès lors qu’elle est accompagnée
par des informations détaillées en annexe.

56 56
Dang Pham est professeur au département comptabilité-contrôle de gestion du Groupe HEC. Il est l’auteur de
plusieurs ouvrages et articles sur la comptabilité anglo-saxonne et la consolidation des comptes de groupe. Ses
recherches portent sur l’harmonisation internationale des normes, la communication financière et la valeur
actionnariale, et l’évolution du management.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 216


217

La survaleur est aujourd’hui au centre des préoccupations comptables de beaucoup de


groupes. En effet, son traitement comptable affecte la mesure des performances et la
structure du bilan consolidé. Or, le développement des fusions-acquisitions, (en
particulier de celles visant des sociétés de services ou des firmes dotées d’actifs
immatériels importants non reconnus avant l’acquisition), et l’envolée des cours de
Bourse sur certaines places financières, qui a accru les différences entre les prix
d’acquisition et les valeurs comptables, ont fortement accentué son poids : 16 milliards
pour Pechiney après le rachat d’American Can, 6,8 milliards pour Hachette après la
prise de contrôle de Diamandis,Grolier et Salvat, 9 milliards après le rapprochement
entre Adia et Ecco... La communauté financière est désormais sensibilisée à
l’importance des enjeux, mais est restée longtemps divisée sur le choix du traitement
comptable : comment expliquer le caractère persistant, pour ne pas dire éternel du
débat ?

 La nature ambiguë de la survaleur

Quand une société M acquiert le contrôle d’une société F qu’elle intègre dans son
périmètre de consolidation, un « écart de première consolidation», constitué par la
différence entre le prix d’achat et la quote-part des capitaux propres de F qui revient à
M, est dégagée. Cet écart doit être ensuite décomposé en « écarts d’évaluation »
afférents à la revalorisation un par un des actifs et passifs identifiables du bilan de F
(pour les amener de leurs valeurs comptables à leurs valeurs à la date d’acquisition de
F) et en un solde résiduel appelé « écart d’acquisition » ou survaleur (« purchased
goodwill »). En schématisant, la survaleur est donc la différence entre le prix payé et la
valeur comptable de ce qu’on acquiert, compte tenu des revalorisations de certains
éléments identifiables du bilan.

Comment interpréter économiquement cette différence ?

Certains font coïncider goodwill financier et survaleur comptable : celle-ci serait alors
la capacité de la société acquise à produire un surcroît de rentabilité par rapport à une

ManuelTheories Comptables-01Dec10 217


218

rentabilité considérée comme normale par le marché. D’autres poussent plus loin
l’analyse en attribuant cette sur-rentabilité à l’existence d’actifs intangibles
spécifiques à la société acquise et non reconnus dans ses comptes, (savoir-faire,
réputation, etc.), de synergies internes ou externes avec l’acheteur. Il semble toutefois
illusoire de chercher à attribuer une sur-rentabilité anticipée à des actifs particuliers
en raison des interactions obligatoires entre tous les actifs utilisés, qu’ils soient
tangibles ou intangibles. Enfin, on ne peut écarter l’hypothèse de distorsions
d’opportunité dues au contexte de négociation, et d’erreurs dans la revalorisation des
actifs identifiables. Dans la réalité, dès lors qu’il s’agit d’isoler et de mesurer ces
éléments, les difficultés souvent sont telles que l’on peut s’interroger sur l’opportunité
d’une telle décomposition. Cela d’autant plus que, pour certains, lorsque le prix payé
s’est fondé uniquement sur l’anticipation globale des revenus futurs, il n’y a pas de lien
avec les valeurs des actifs acquis. Dans ces conditions, la différence n’aurait pas de
justification, et pour des auteurs comme Canning, la survaleur n’est qu’un simple
résidu arithmétique dont il faudrait se débarrasser au plus vite.

 Les modes de traitement de la survaleur

On peut tout d’abord, avec la doctrine comptable américaine, inscrire la survaleur au


bilan et l’amortir, si elle est positive, sur sa durée d’utilisation comme tout autre actif
amortissable.

La survaleur est source d’avantages économiques futurs pour l’acquéreur. L’existence


d’une transaction passée atteste à la fois de la réalité de ces avantages, sauf à
remettre en question la rationalité économique des opérateurs, et du caractère
objectif de la mesure. Dès lors, la survaleur semble satisfaire aux conditions de
reconnaissance d’un actif. Toutefois, il est prudent de considérer que ces avantages
futurs ne dureront pas éternellement (c’est aussi le point de vue de l’IASC dans son
projet de norme E60) et il convient par conséquent de les amortir systématiquement.
La durée de vie pouvant être difficile à déterminer, une limite maximale peut être

ManuelTheories Comptables-01Dec10 218


219

conventionnellement fixée (40 ans aux Etats-Unis). De plus, l’amortissement permet de


bien respecter le principe de rattachement des coûts aux revenus (matching principle).

Mais on peut également envisager une inscription à l’actif sans amortissement


systématique, quitte à provisionner une dépréciation occasionnelle lorsque le besoin se
fait sentir. Les partisans de cette solution font valoir que l’actif intangible acquis peut
très bien avoir une durée indéfinie (comme par exemple certaines marques très
anciennes qui continuent à être exploitées) et une valeur qui non seulement ne se
dégrade pas mais peut se trouver en croissance. Par ailleurs, un amortissement
systématique ferait double emploi avec la comptabilisation de charges telles que les
frais de promotion, de publicité, de recherche, qui contribuent à maintenir, voire à
augmenter, les avantages économiques acquis. En outre, cette solution serait
incohérente avec le non-amortissement du poste « titres » dont la survaleur n’est qu’un
composant.

On peut enfin préconiser une imputation de la survaleur en déduction des capitaux


propres consolidés.

Plusieurs raisons sont avancées, notamment par les Britanniques : difficulté à identifier
les origines de la survaleur et à déterminer la durée d’un éventuel amortissement,
ambiguïté du concept qui fait que son caractère d’actif peut être contesté (ce n’est pas
un élément séparable qui peut être vendu sans céder d’autres éléments du patrimoine
ou l’entreprise), cohérence avec la non-reconnaissance à l’actif du goodwill créé en
interne.

 Les impacts des modes de traitement

Les modes de traitements précédents n’ont pas le même impact sur les états financiers
: les deux derniers présentent l’avantage de ne pas pénaliser le résultat comme le fait
l’amortissement systématique, et ce d’autant plus que dans certains pays comme la
France et le Royaume-Uni, il n’y a pas de déductibilité fiscale. Les adversaires de

ManuelTheories Comptables-01Dec10 219


220

l’amortissement systématique ont beau jeu de souligner les conséquences économiques


de cet affaiblissement du résultat sur le cours de Bourse et sur la compétitivité lors des
OPA concurrentielles.

L’imputation sur les capitaux propres, en les diminuant, permet de doper le taux de
rentabilité

financière mais peut aboutir à des situations nettes négatives (cas de Blenheim et
Saatchi et Saatchi dans le passé) et à des ratios d’endettement dégradés. Elle a aussi
comme inconvénient de voiler le montant investi et de faire disparaître toute mauvaise
affaire rendant ainsi plus difficile l’appréciation de la performance après l’acquisition.

Pour alléger le poids de l’amortissement systématique des survaleurs, d’autres


stratégies sont possibles.

D’une part, on peut d’abord réduire le montant de la survaleur en jouant le plus


possible en amont au niveau des écarts d’évaluation. Comme beaucoup de pays n’ont
pas encore de législation très précise en ce domaine, on a souvent procédé à des
affectations à des incorporels non amortissables comme les marques et les parts de
marché. Il en est résulté dans les années 90 un déplacement du débat vers
l’opportunité de cette comptabilisation, ces éléments étant difficilement identifiables
et mesurables séparément.

D’autre part, on peut dans les pays anglo-saxons recourir à la méthode de mise en
commun d’intérêts (pooling of interests) qui permet, dans certains cas, de
comptabiliser les regroupements d’entreprises non comme des acquisitions mais comme
des mariages: on se contente alors d’agréger des valeurs comptables, les survaleurs
n’étant pas dégagées.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 220


221

Comment les différents pays se sont-ils positionnés face à cette diversité de


traitements ?

Comparaison des normes (traitement de la survaleur positive)


Etats- Royaume- France Allemagne Japon IASC
Unis Uni
Immobilisation et Oui Oui Oui Oui Oui Oui
57
amortissement (option)
systématique
Durée 40 ans - non Non chiffrée 5 ans ou + 5 ans 5
d’amortissement spécifié ans/20
maximum - 20 ans ans
- ou 58
Imputation de la Non Oui Oui (cas Oui Non Non
survaleur sur les exceptionnel)
capitaux propres
Maintien de la Non Non Non Non Non Non
survaleur à l’actif
sans amortissement
Déduction fiscale Oui Non Oui Oui Oui N/A
de l’amortissement Durée : (durée : 15 (durée :
de la survaleur 15 ans ans) 5 ans)
Méthode de mise Oui Oui Non spécifié Non Non Non
en commun spécifié spécifié
d’intérêts

57
Norme SSAP 22 (actuellement en vigueur) : traitement préférentiel : imputation de la survaleur en déduction des réserves traitement
alternatif : immobilisation et amortissement sur la durée d’utilisation.
58
A partir de 1999, norme FRS10 : amortissement obligatoire sur une durée en principe limitée à 20 ans : en cas de durée supérieure
justifiée, un test de dépréciation annuel est requis. Dans le cas particulier de la durée infinie, cela équivaut à un maintien à l’actif sans
amortissement, sous réserve de ce test.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 221


222

Les réglementations nationales et internationales

Le tableau (voir page V) donne une idée de la variété des solutions retenues, et met en
évidence la flexibilité qui peut exister, certains pays autorisant plusieurs traitements.

L’inscription à l’actif avec amortissement systématique et l’imputation en déduction


des capitaux propres ont été les deux méthodes principales, et se sont longtemps
combattues. Les choix récents de l’IASC d’abord dans la norme IAS 22 révisée qui
consacre la première méthode, puis dans les projets E60 (qui prévoit désormais
l’amortissement de tout incorporel) et E61, semblent indiquer que la solution de
l’activation suivie d’amortissement systématique est en voie de l’emporter. La victoire
est d’autant plus notable que même les Britanniques s’y sont ralliés tout dernièrement,
bien que la norme FRS10 ait réservé la possibilité d’un maintien sans amortissement
systématique pour les survaleurs à durée indéfinie, sous réserve d’un test annuel de
dépréciation. Mais pour savoir s’il y a une réelle unification des pratiques, il faudra
attendre de voir s’il y a convergence dans la mise en œuvre concrète de ce test(par
ailleurs requis également par l’IASC dans son projet E55).

Cependant, les projets de norme de l’IASC se heurtent encore à des oppositions,


notamment celle de la France. Celle-ci, dans sa réponse officielle, s’est d’abord élevée
contre l’amortissement systématique. Toutefois, elle accepterait un amortissement
systématique des incorporels sur 40 ans à condition que la dotation ne transite pas par
le résultat mais par un futur état financier prochainement créé par l’IASC : l’état des
mouvements de capitaux propres non relatifs aux actionnaires (Snome). Celui-ci
regrouperait les plus et moins-values latentes qu’on souhaiterait mettre en lumière
sans pour autant affecter le résultat. Elle suggère également que tant que ce nouveau
état n’est pas encore créé, on n’amortisse pas les incorporels et la survaleur, quitte à
donner des informations en annexe.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 222


223

Le débat est-il en voie d’extinction pour cause de convergences, via l’IASC, ou n’a-t-il
fait que de changer de formes, allant d’abord de l’amortissement vers les marques,
puis de celles-ci vers les modalités du test de dépréciation ? Les mois qui viennent nous
le diront, mais quoi qu’il en soit, si l’on en croit la théorie des marchés efficients, il
aurait dû être clos depuis longtemps.

En effet, sur de tels marchés, les cours boursiers sont censés refléter rapidement toute
information publique disponible. Normalement, ces marchés seraient capables de
décrypter n’importe quel mode de traitement, d’analyser la situation économique
réelle et de l’incorporer dans les cours. Cette constatation n’implique pas qu’il faille
renoncer à s’entendre sur une solution commune : le décryptage pouvant être long et
ardu, il faut en optimiser le coût. Il importe cependant de ne pas s’essouffler à
chercher un consensus sur un traitement ultra-sophistiqué, « le meilleur possible
conceptuellement ». Il suffit de retenir une solution simple et claire, qui serait
accompagnée de la diffusion en annexe de suffisamment de détails pour que chaque
utilisateur puisse retraiter les comptes s’il le juge opportun.

Dans ces conditions, une solution pragmatique du type de celle proposée par la France
(amortissement avec recours au Snome), même si elle ne se situe pas dans la droite
ligne du cadre conceptuel de l’IASC, pourrait fournir une bonne base de discussion.

Mais le bon sens peut-il encore l’emporter sur les intérêts et les passions après tant
d’années de débats ?

On a souvent présenté la comptabilité comme étant le langage des affaires. Pourtant,


si on examine de près ce langage, force nous est de conclure qu'il renferme plusieurs
lacunes sérieuses:

 Son vocabulaire est limité, au point d'être parfois incapable d'exprimer certaines
réalités économiques importantes.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 223


224

 Ce même vocabulaire, en plus d'être limité, est étonnamment imprécis et ambigu:


par exemple, des termes comme "actif" et "dette" sont suffisamment vagues pour
permettre le choix entre la capitalisation ou non des baux à long terme dans les
états financiers.

 Enfin, la syntaxe de ce langage manque de rigueur avec la conséquence que parfois


les mêmes réalités économiques peuvent être représentées de façon si-
gnificativement différentes dans les états financiers.

Peut-on dès lors s'étonner des critiques plus ou moins sévères dont la comptabilité fait
l'objet? I1 n'y a qu'à parcourir les revues et journaux spécialisés du monde des affaires
pour constater le doute largement répandu dans le public concernant la validité des
états financiers. Le commentaire suivant en est un exemple typique: « …le bilan est
devenu un état pratiquement sans signification en tant qu'indicateur des ressources et
des obligations réelles d'une compagnie. De plus, l'état des revenus et dépenses est
distorsionné davantage par le fait que les compagnies peuvent utiliser une myriade de
méthodes comptables alternatives."59

Là où la situation devient plus inquiétante, c'est lorsque, dépassant le stade de la


critique des états financiers, l'intégrité même du comptable en tant que vérificateur
des états financiers est remise en cause. Qu'il nous suffise à cet effet de relever le
commentaire suivant:

"Un simple précédent, peut-être accompagné par une menace de l'entreprise de confier
à d'autres son travail de- vérification, peut suffire à transformer un traitement
60
comptable douteux en une pratique généralement reconnue."

59
Business Week, 23 décembre 1972.

60 Forbes, 15 mai 1967, tel que reproduit dans: Accounting: Socially Responsible and Socially Relevant, Richard G. J. Vamgermeersch, New-York,

Harper & Row Publishers, 1972.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 224


225

Bref, il semble que les réactions du public convergent dans une même direction:
surprise devant le peu de crédibilité qui peut être accordé aux états financiers et
devant la capacité d'accommodement des comptables dans leur rôle de vérificateurs.
D'autre part, cette surprise face aux états financiers semble d'autant plus grande que le
public avait toujours cru que l'élaboration des états financiers devait se faire
conformément à des principes comptables professionnellement établis. N’est-il pas dit
dans le rapport du vérificateur que "les états financiers représentent équitablement la
situation financière en conformité avec les principes comptables généralement ac-
ceptés"?. De là à penser que parce que les états financiers étaient rédigés selon ces
principes comptables généralement acceptés ils représentaient équitablement la
situation financière de l'entreprise, il n'y avait qu'un pas: le public l'avait franchi.

Se pourrait-il que la faiblesse des principes comptables généralement reconnus (PCGR)


soit à l'origine de cette porte ouverte à tant d'interprétations et fasse que les
vérificateurs ne puissent se mettre suffisamment à l'abri do pressions indues? Si tel est
le cas, la question qui nous vient immédiatement à l'esprit est la suivante : Comment
expliquer qu'après tant d'années d'efforts, la profession comptable n'ait pas encore
réussi à bâtir un ensemble satisfaisant de principes comptables?

L'urgence d'avoir une réponse satisfaisante à cette interrogation nous apparaît évidente
pour plusieurs raisons:

 La confiance du public envers une profession est un bien particulièrement intangible


qui constitue cependant son actif le plus important. La perdre, serait remettre en
cause l'existence même de cette profession. Permettre ou accepter que cet actif se
déprécie constituerait un pas dans la même direction. Dans la mesure où la
profession reconnaît qu'elle se doit de maintenir la confiance du public, elle accepte
du même coup de rechercher les causes possibles d'une détérioration de cette
confiance.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 225


226

 L'hypothèse de la faiblesse des principes comptables comme l'une des causes


possibles est suffisamment plausible pour mériter d'être examinée.

C est précisément 1'objectif du présent article que d'explorer le bien-fondé de cette


hypothèse. Dans un premier temps, nous examinerons le processus de développement
des PCGR qui a été historiquement suivi par la profession. Nous verrons ensuite que
cette approche comportait en elle-même de sévères limitations qui ont freiné le
développement de la théorie comptable. Enfin, une exploration sera faite de divers
éléments de solution. Cette exploration nous amènera à poser le problème de la
recherche à l'intérieur de 1a profession.

Le processus d'élaboration des PCGR

o Difficultés théoriques de l'approche suivie

Les PCGR se sont traditionnellement développés au rythme des situations plus ou moins
urgentes auxquelles avait à faire face la profession comptable. Cette dernière a
toujours été plus empressée de trouver des solutions satisfaisantes à des problèmes
précis d'actualité que de vérifier le degré d'intégration de ces solutions à l'ensemble de
la théorie comptable. Là réside à notre avis une des causes importantes de la faiblesse
des PCGR. En effet, cette approche comporte en elle-même plusieurs difficultés
susceptibles de freiner le développement de principes comptables féconds et robustes.

L'histoire de la comptabilité montre que le comptables ont toujours manifesté une


réticence notoire à voir leur discipline se développer selon un cadre de référence
pré-établi, dicté par des théoriciens à partir d'un schéma déductif rigoureux. Ils ont
toujours préféré utiliser une approche dite "common law" 61 au développement de leur
discipline et laisser les situations qui se présentaient, ainsi que les solutions qui y
étaient apportées, forger la structure théorique de leur discipline. Dans cette optique,

61
common law noun droit m coutumier61

ManuelTheories Comptables-01Dec10 226


227

le rôle des techniciens de la comptabilité devait se limiter dans une large mesure à un
travail de codification des coutumes comptables et à un effort de rationalisation de ces
coutumes..

Cependant, ce mode de PCGR faisait courir le risque que l’ensemble des standards,
règles et procédures qui en résulteraient viendraient à se contredire partiellement.
Bien plus, en admettant qu’on puisse éviter l’écueil de la contradiction et, par
conséquent de l'incohérence, rien ne garantissait qu'en suivant cette approche, la
codification des coutumes comptables puisse aboutir à un corps de doctrine
suffisamment complet et riche pour servir de guide à la résolution des problèmes
futurs. De fait, de ces deux écueils possibles inhérents à l'approche suivie, la
comptabilité n'a su en éviter aucun.

Les contradictions constatées au niveau dés PCGR ont eu comme conséquence de


diminuer d'autant la capacité du public à trouver un sens véritable aux états financiers.
Ces derniers peuvent de moins en moins être expliqués en fonction des activités écono-
miques qu'ils sont supposés refléter, et de plus en plus en fonction des règles
comptables dont ils sont l'aboutissement.

Les principes comptables ont aussi été lourdement handicapés par l'absence remarquée
d'explications satisfaisantes concernant certains concepts fondamentaux.. Si on
examine la codification des PCGR qu'a faite Paul Grady aux Etats-Unis ou la version
canadienne de ces mêmes principes par Skinner, on est frappé tout d'abord par l'effort
qui s'y est fait pour expliquer comment chaque poste des états financiers doit être
traité, ou bien comment les postes du bilan et de l'état des revenus et des dépenses
doivent être classifiés ou encore comment procéder pour en arriver à la détermination
du profit comptable. Cependant, très peu d'efforts sont consacrés à la définition du
sens qui doit être donné à des termes aussi fondamentaux que "position financière,"
"profit," "bilan," etc.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 227


228

Le mode de développement des PCGR qu'ont traditionnellement choisi les comptables,


a favorisé la tendance vers la multiplication des règles et des procédures. Cependant, il
devient de plus en plus apparent qu'il manque à la structure de la théorie comptable
des éléments fondamentaux nécessaires à son développement harmonieux..

o Difficultés pratiques de l'approche suivie

La préférence marquée par la profession pour privilégier la voie de la coutume comme


facteur déterminant des PCGR devait fatalement déboucher tôt ou tard sur deux autres
difficultés inhérentes à cette façon dé procéder :

1) Difficulté de codification des PCGR.

2) Difficulté de pondérer l'importance relative des divers groupes influençant la


coutume comptable.

La difficulté de codifier venait du fait qu'il fallait trouver réponse à plusieurs questions
avant que tout effort de codification puisse espérer avoir du succès. Par exemple, il
fallait déterminer à quel moment une coutume était suffisamment établie pour qu'on
puisse la considérer comme un PCGR. Les coutumes comptables devant constituer les
PCGR devaient-elles se restreindre à quelques concepts de base très généraux ou au
contraire s'étendre aux règles et procédures'? Comment pourrait-on s'assurer que toutes
les principales coutumes comptables avaient été recueillies? Des difficultés de ce genre
firent que ce n'est que très récemment que des tentatives de codification des PCGR ont
abouti. Cette absence de codification dans le passé n'a pas été sans soulever certaines
difficultés pour le moins embarrassantes pour la profession. Par exemple, Ie
gouvernement fédéral introduisit en 1947 un projet de loi dans lequel il était stipulé
que "le revenu pour une année d'imposition d’une entreprise ou une propriété devait
être déterminé selon les principes comptables généralement acceptés". La profession
comptable dut demander que l'expression "principes comptables généralement
reconnus" soit retirée du projet de loi parce qu'elle ne référait à aucune codification au

ManuelTheories Comptables-01Dec10 228


229

Canada. Heureusement, la situation a changé depuis dans ce domaine puisqu'une


référence aux PCGR a été inscrite récemment dans les directives des Commissions des
Valeurs Mobilières de quelques provinces.

La deuxième difficulté, soit celle de pondérer l'importance relative des divers groupes
influençant la coutume comptable, était encore plus importance car elle posait le
problème de l'autorité relative des divers groupes ayant un intérêt dans la
comptabilité. Traditionnellement, la profession comptable a laissé à la direction des
entreprises une voix très importante dans la détermination des coutumes comptables.

D'après Maurice Moonitz, cette voix prépondérante accordée au management dans


l'établissement des PCGR est une des causes fondamentales de la faiblesse de ces
62
derniers principes parce que, selon lui:

"... le management n'a pas pour objectif premier le développement d'un ensemble de
principes comptables sur lesquels il y aurait accord général. Le management voit les
"principes comptables" comme un aspect de l'environnement dans lequel il doit opérer.
En conséquence, les principes comptables sont considérés comme des contraintes
(facteurs, forces) auxquelles il faut s'adapter. Si les forces de l'environnement ne
peuvent être changées, le management s'adaptera à ces forces. Si ces forces peuvent
être manipulées, le management les façonnera selon ses besoins. La profession

62
Cette prépondérance concédée au management dans l'élaboration des PCGR explique aussi la timidité traditionnelle du Comité de
recherche de l'Institut. Par exemple, il est intéressant de voir comment ce comité concevait son rôle en ce qui concerne l'élaboration des
bulletins comptables il y a environ 20 ans : "II est inévitable, et à bien y réfléchir, il est éminemment désirable que !es bulletins dans cette
série contiennent peu qui soit nouveau aux membres do la profession. I1 serait déplorable que les bulletins contiennent de fait de telles
surprises, car ce que le Comité désire faire dans cette série de bulletins c'est d'énoncer ce qu'il croit être ces principes et ces procédures qui
sort généralement acceptés par les membres de la profession. La valeur des bulletins, s'ils sont généralement acceptés par les membres de
la profession, réside dans le fait que la profession elle-même et non pas quelqu'un d'autre détermine ce qui peut être considéré comme une
bonne pratique comptable <ru Canada." (7, pp. 284-235)

ManuelTheories Comptables-01Dec10 229


230

comptable concède vraiment trop lorsqu'elle accepte de laisser la priorité dès le départ
au management dans le domaine des principes." .

11 est intéressant de noter qu'il n'y a pas que des personnes venant du milieu
académique à partager ce point de vue. La Fédération des Analystes Financiers par
exemple, dans son mémoire soumis au Groupe d'étude de l'American Institute of
Certified Public Accountants sur les objectifs des états financiers, faisait remarquer que
le rôle du management implique plusieurs situations de conflit d'intérêt,
particulièrement dans le cas où le management a la responsabilité des rapports de la
compagnie, alors que sa propre performance est le sujet de ces rapports.

Aujourd'hui, la difficulté de déterminer ceux qui ont voix au chapitre dans la


détermination des PCGR n'a pas encore été résolue et est encore source de confusion.
Par exemple, le livre « Les principes comptables » de Skinner décrit de la façon
suivante les PCGR ainsi que le façon dont ils sont déterminés:

"II est difficile de définir d'une façon précise l'expression "généralement reconnus". On
en comprendra probablement plus facilement le sens en étudiant la manière dont la
pratique comptable devient généralement reconnue. La pratique comptable en
question devra avoir au moins une, et la plupart du temps, plusieurs des
caractéristiques suivantes:

o Etre en usage dans un nombre suffisant de cas, pourvu, bien entendu, que les
circonstances le justifient.

o Recevoir l'appui des associations comptables professionnelles ou d'autres organismes


compétents, comme la Securities and Exchange Commission aux USA.

o Rencontrer l'accord de plusieurs professeurs éminents de comptabilité et de


nombreux théoriciens comptables qui en ont reconnu le bien-fondé dans leurs
écrits." (5, p. 28)

ManuelTheories Comptables-01Dec10 230


231

Peut-on s'étonner des libertés que certains ont pu prendre avec autant de latitude, en
ce qui concerne les états financiers? Il n'est pas étonnant non plus de voir des praticiens
réclamer la disparition de l'expression "en conformité avec les principes comptables
généralement reconnus" parce que selon eux::

1) La conformité avec les principes comptables généralement reconnus n'est pas la


garantie d'une présentation équitable des états financiers.

2) On n'a pas su établir d'une façon suffisamment claire par qui ils devaient être
acceptés et le degré d'acceptation nécessaire.

3) Une présentation équitable des états financiers est incompatible avec un mode de
présentation prisonnier de règles détaillées et précises qui restreignent la pos-
sibilité pour le praticien d'exercer son jugement.

En résumé, nous venons de voir que les PCGR étaient déficients sous deux aspects
différents: l'aspect conceptuel et l'aspect pratique. Sous l'aspect conceptuel, il semble
y avoir un manque évident d'une approche plus systématique pour guider l'élaboration
des PCGR. Du point de vue pratique, l'absence d'une méthode d'élaboration des PCGR
qui ne prête pas le flanc aux conflits d'intérêts se fait sentir.

Les commentaires qui précèdent ont nettement fait ressortir les limitations d'une
approche "common law" trop strictement appliquée pour le développement des
principes comptables. Par conséquent, on ne s'étonne pas de constater aussi que la
structure théorique de la comptabilité, si étroitement liée aux PCGR, soit elle aussi
déficiente au point de ne pouvoir toujours servir de guide sûr à la pratique.

Quelques observations concernant les difficultés identifiées

Si le processus d'élaboration des principes comptables plus haut décrit était


caractéristique de la mentalité de la profession, il faudrait en conclure qu'elle est plus
préoccupée "à éteindre des feux qu'à prévenir les incendies". Pour pouvoir se mettre en

ManuelTheories Comptables-01Dec10 231


232

position "d'agir", il faut absolument que la profession se dote d'un corps de doctrine
beaucoup plus solide. A cet effet, on serait bien avisé de s'inspirer davantage de la
démarche scientifique, qui maximise les chances d'en arriver à de meilleures solutions.
Or, cette démarche scientifique ne met pas en opposition l'approche inductive
caractéristique de la situation actuelle et l'approche déductive, mais en fait au
contraire les éléments complémentaires et nécessaires d'un processus de recherche
itératif. Dans cette optique, les résultats auxquels aboutit une méthode servent de
point de départ pour l'activité de l'autre méthode. Il s'agit donc d'un processus constant
d'autorégulation qui ne manifeste aucune préférence quant à l'endroit où il doit
démarrer. La solution au problème de la méthodologie à utiliser pour la construction
d'une théorie comptable robuste ne réside donc pas dans le remplacement de la
méthode inductive par la méthode déductive, mais plutôt dans une volonté de
décloisonnement des efforts qui sont faits à partir des deux méthodes. C'est dans cette
optique que le plaidoyer de Skinner (5, p.331) en faveur d'une forte injection de
logique déductive dans le développement des théories comptables prend tout son sens.

Au-delà de l'amélioration qui peut être apportée à la méthodologie utilisée pour la


construction d'une théorie comptable, il importe de réaliser l'importance de la relation
entre les objectifs des états financiers et les principes comptables. De la clarté et de la
cohérence des premiers dépendront en partie la clarté et la cohérence des seconds.
Illustrons par deux exemples la relation entre objectifs et principes.

o S'il advenait qu'un accord s'établisse autour de la nécessité pour les états financiers
de présenter de l'information non seulement historique mais de faire voir davantage
de l'information interprétative et prévisionnelle, ce choix nécessiterait au niveau de
la théorie comptable une modification profonde de l'interprétation actuelle du
concept "d'objectivité".

o Le rapport Trueblood a proposé qu'un des objectifs des états financiers soit de servir
prioritairement ceux qui, à cause de leur situation particulière, n'ont pas d'autres

ManuelTheories Comptables-01Dec10 232


233

sources d'information que les états financiers pour juger des activités économiques
d'une entreprise. L'acceptation de cet objectif pour la profession aboutirait tôt ou
tard à une interprétation modifiée du concept de "divulgation".

Une bonne partie de la faiblesse actuelle des PCGR provient d'objectifs non clairement
établis ou parfois contradictoires pour les états financiers. A notre avis, aussi longtemps
qu'un consensus plus grand n'aura pas été atteint concernant les objectifs des états
financiers, nous serons condamnés à tourner en rond en ce qui regarde le
développement des PCGR. On a vu dans le passé des recommandations cohérentes et
pratiques n'être pas retenues parce qu'elles présumaient des objectifs pour les états
financiers qui n'étaient pas alors acceptés par la profession.

A partir d'un ensemble suffisamment opérationnel d'objectifs clairement énoncés, une


démarche scientifique fera beaucoup pour améliorer la qualité des PCGR. Le "Financial
Accounting Standards Board" aux USA, semble l'avoir compris puisqu'il a accepté de
discuter les recommandations du groupe d'étude de l'AICPA concernant les objectifs des
états financiers. Au Canada, il n'est pas certain qu'un tel besoin ait été ressenti avec
autant d'intensité.. A ce propos, la timidité des initiatives de l'Institut canadien est peu
rassurante.

Il nous apparaît évident que si les difficultés d'ordre théorique que nous venons de
discuter étaient amoindries, il en résulterait un ensemble de PCGR dont la robustesse
emporterait une plus grande adhésion, diminuant d'autant le problème de l'autorité
dans la détermination des principes comptables. D'autre part, un effort certain a été
fait pour solutionner le problème de l'autorité lorsqu'en 1973 l'Institut des comptables
agréés scinda le Comité de recherches en comptabilité et vérification, en un Comité de
recherche comptable et un Comité des normes de vérification et accepta que des
représentants d'autres organismes fassent partie du Comité de recherche comptable.
Ce faisant, l'Institut reconnaissait du même coup que la comptabilité et son
développement n'était pas l'affaire exclusive des comptables agréés. Il élargissait aussi

ManuelTheories Comptables-01Dec10 233


234

la base sur laquelle une autorité véritable en matière de développement des PCGR
pouvait désormais s'appuyer.

Il est certes trop tôt pour juger des résultats de ce changement. Cependant, en n'allant
pas au moins aussi loin qu'on le fit aux USA alors que le "Financial Accounting Standards
Board" est devenu indépendant de l'A.I.C.P.A., nous estimons que l'Institut a perdu une
belle occasion de prendre toutes les mesures appropriées pour donner au Comité de
recherche comptable une indépendance telle que personne ne puisse plus le
soupçonner d'être indûment influencé par des groupes particuliers.

Le rôle de la recherche

Dans un récent article, le Directeur de la recherche de l'Institut des comptables agréés


définissait ainsi le rôle de la recherche:

"Une des façons par lesquelles toute profession responsable répond au changement est
en s'assurant (sic) que les principes fondamentaux ainsi que les frontières de son bagage
de connaissances soient tournés vers les besoins de ses membres et ceux qu'elle sert. La
recherche doit tendre à s'assurer que la profession dirige ses nouvelles idées à
l'intérieur d'un cheminement de développement ordonné. L'histoire nous donne (sic) des
exemples de rejets causés par un développement désordonné et, (signe d'avertissement
à nous tous) retrace les souvenirs de disparition d'espèces et de civilisations qui n'ont
pas évolué avec leur environnement." (6, p. 50) (italiques ajoutées).

Nous souscrivons pleinement quant à nous à cet objectif pour un programme de


recherche. Cependant, en examinant comment se sont développés historiquement les
PCGR, force nous est de conclure que le programme de recherche de l'Institut n'a pas,
dans le passé, joué ce rôle de leadership vers un cheminement ordonné.

Quant à la recherche présente, il est difficile de ne pas conclure qu'elle soit encore
largement ballottée et orientée au gré des problèmes immédiats qui se présentent. De

ManuelTheories Comptables-01Dec10 234


235

par les thèmes qui y sont étudiés, nous ne pouvons déceler chez elle cette volonté de
vision globale de la comptabilité nécessaire à quiconque prétend orienter un
développement ordonné. Un ensemble de principes comptables cohérents, complets et
robustes est largement tributaire d'un effort de recherche approprié. Cet effort de
recherche existe; il importe de le mieux orienter.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 235


236

Lecture de référence no. 15

L’approche réglementaire pour la formulation d’une théorie comptable

Par

Ahmed Belkaoui

ManuelTheories Comptables-01Dec10 236


237

L'établissement et le renforcement des normes comptables constituent des problèmes


importants pour la profession comptable et les usagers de l'information. La
détermination du meilleur mécanisme pour établir et renforcer les normes comptables
peut être essentielle à l'acceptabilité et à l'utilité des normes. Devra-t-on confier cette
tâche à un marché libre, au secteur prive ou au secteur public? Ce chapitre présente
une discussion des mérites et des utilités de chacune de ces approches. Avant cette
discussion, le chapitre présente une explication des normes comptables, détermine les
entités intéressées par les normes comptables et trace le développement des principes
comptables.

1.1. LA NATURE DES NORMES COMPTABLES

Les normes comptables dominent le travail du comptable. Ces normes sont


constamment changées, éliminées ou améliorées. Elles se définissent comme étant des
règles pratiques guidant la conduite du travail du comptable. Elles sons généralement
acceptées comme des règles d'importance avec des sanctions imposées pour toute non-
conformité à ces règles. En général, les normes comptables sont composées de trois
parties

a) une description du problème à résoudre;

b) une discussion logique, préférablement basée sur une théorie, des moyens à
résoudre le problème;

c) une solution choisie préférablement sur la base dune théorie.

En général, les normes comptables et spécialement les normes de vérification sont


conformes à la troisième partie, en ce sens qu'elles constituent une solution à un
problème comptable, ce qui entraîne beaucoup de controverse au sujet de l'absence de
support théorique et l'emploi d'approche ad hoc à la formulation des normes. De plus en
plus, la tendance est d'inclure également les deux premières parties dans la
formulation des normes, procurant ainsi un certain support théorique.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 237


238

Les normes peuvent être classifiées en quatre catégories principales :

Catégorie 1: spécifie que les comptables doivent communiquer ce qu'ils font par
la publication des principes comptables qu'ils ont adoptés.

Catégorie 2: cherche à établir une certaine uniformité dans la présentation des


états financiers.

Catégorie 3: demande la publication des faits spécifiques qui nécessitent de


l'usager l'utilisation de son propre jugement.

Catégorie 4: requiert des décisions explicites ou implicites sur le choix de la


méthode d'évaluation des actifs et de détermination du profit.

Premièrement, est-ce que les normes de la quatrième catégorie sont établies sur une
base théorique et, deuxièmement, est-il possible de les choisir sur une base théorique ?
Beaucoup de gens sont convaincus que la réponse est doublement négative. De toute
façon, les quatre types de normes font partie de la situation comptable courante. Il
doit donc y avoir un bon côté aux normes comptables. Ainsi :

1. Elles fournissent aux usagers des informations sur la position, la performance et


la conduite financière de l'entreprise. Ces informations sont supposées être
claires, fidèles, fiables et comparables.

2. Elles servent de guides et de règles aux comptables pour s'assurer, dune façon
prudente et indépendante, de leur expertise et de leur intégrité en vérifiant les
rapports des entreprises et en certifiant leur validité.

3. Elles fournissent au gouvernement des données de base sur différentes variables


considérées essentielles à la conduite de l'imposition, à la réglementation des
entreprises, à la planification et réglementation de l'économie, et à
l'amélioration de l'efficience économique et autres buts sociaux.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 238


239

4. Elles développent un intérêt pour les principes et théories chez ceux qui sont
intéressés à la discipline comptable. En fait, l'établissement même d’une norme
comptable crée beaucoup de controverses et de débats dans les mondes
pratiques et académiques.

1.2. ENTITÉS CONCERNÉES PAR LES NORMES COMPTABLES

Les approches traditionnelles pour la formulation d’une théorie comptable ont été
proposées surtout par les associations comptables. Ces dernières se divisent en:

1) associations qui s'intéressent principalement à la réglementation des principes


comptables financiers ; et

2) associations qui s'intéressent aux principes comptables de gestion. Nous nous


limiterons ici à présenter les associations préoccupées d'abord par la formulation
de principes comptables financiers.

Aux Etats-Unis, ces associations comprennent les organismes suivants :

- l'American Institute of Certified Public Accountants (A.LC.P.A.),

- l'American Accounting Association (A.A.A.),

- la Securities and Exchange Commission (S.E.C.),

- l'Internal Revenue Service (IRS.),

- le New York Stock Exchange (N.Y.S.E.),

- le National Association of Accountants (N.A.A.),

- le Financial Executive Institute (F.E.L),

- le Cost Accounting Standard Board (C.A.S.B.),

ManuelTheories Comptables-01Dec10 239


240

- l'Institute of Internal Auditors et

- le Federal Government Accountants Association.

Au Canada, ces associations comprennent :

- l'Institut canadien des Comptables Agréés (ICCA),

- la Société des Comptables en Administration industrielle (R.LA.),

- l'Association des Comptables généraux licenciés (C.G.A.), et

- les Commissions des Valeurs mobilières de chacune des provinces.

Les principales associations comptables que nous venons de citer sont fédérales et
chacune a une section provinciale (au Québec, par exemple, on trouve l'Ordre des
Comptables Agréés du Québec, la Corporation professionnelle des Comptables en
administration industrielle et la Corporation professionnelle des Comptables généraux
licenciés).

Sur le plan international, mentionnons l'existence du Comité international de


normalisation de la comptabilité (C.LN.C.).

1.2.1. L'American Institute of Certified Public Accountants (A.I.C.P.A.)

L'Institut américain des experts-comptables est formé exclusivement d'experts-


comptables appelés Certified Public Accountants (C.P.A.). Depuis les années 30, cet
institut a énormément influencé la pratique et la recherche comptables aux Etats-
Unis :

1. En 1932, un comité spécial de l'Institut propose cinq règles comptables au


N.Y.S.E. Ces règles, qui régissent la préparation des états financiers, se
résument comme suit :

ManuelTheories Comptables-01Dec10 240


241

a) Un profit non réalisé ne devrait pas figurer directement ou indirectement


dans un compte de revenu de l'entreprise. Un profit est censé être réalisé
quand une vente liée au cours normal des affaires de l'entreprise est
faire, à moins que les circonstances soulèvent un doute raisonnable quant
à la possibilité de percevoir le montant de la vente.

b) Le surplus de capital ne devrait pas être utilisé pour soulager le compte


de revenu d’une année, quel qu’il soit, sauf dans le cas dune entreprise
en réorganisation.

c) Le surplus provenant dune filiale créée avant la date d'acquisition ne


peut faire partie du surplus accumulé consolidé de la compagnie mère et
des filiales. Le dividende déclaré de ce surplus gagné ne peut également
être imputé à la compagnie mère.

d) Les dividendes perçus sur les actions du trésor (Treasury Stock) ne


doivent pas être imputés au compte revenu de l'entreprise.

e) Les effets et comptes à recevoir, dus par des directeurs, des employés,
ou des filiales, doivent être indiqués séparément et ne doivent pas
apparaître sous la rubrique « Effets à recevoir et comptes à recevoir ».

2. En 1933, le Congrès américain adopta le Securities Act destiné à protéger les


investisseurs contre route pratique frauduleuse lors de transactions sur les
valeurs.

3. En 1934, une autre loi fur adoptée par le Congrès américain : le Securities
Exchange Act donna naissance à la Securities Exchange Commission (S.E.C.) et
exigea l'enregistrement des valeurs inscrites et des courtiers sur les marchés
boursiers.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 241


242

4. En 1938, l'A.LC.P.A. créa le Comité des procédures comptables (Committee on


Accounting Procedures). Jusqu'en 1959, ce Comité publia ses recommandations
concernant les principes et pratiques comptables sous forme de 51 Accounting
Research Bulletins.

5. A partir de 1959, la recherche comptable de l'A.ICPA fur dirigée par la Division


de recherche comptable. Les résultats, publiés sous le titre de Accounting
Research Studies (A.R.S.) (Études de recherche comptable), visaient à créer un
intérêt et à présenter une discussion détaillée des problèmes comptables. Ainsi
l'Accounting Research Study No. 1 (« The Basic Postulates of Accounting », par
Maurice Moonitz) et l'Accounting Research Study No. 3 («A Tentative Set of
Broad Accounting Principles for Business Enterprises », par Robert T. Sprouse et
Maurice Moonitz) furent publiés, en 1961 et 1962 respectivement. Cependant,
ces textes furent rejetés parce qu'ils n'étaient pas représentatifs des techniques
comptables existantes. C'est pourquoi l'Accounting Research No. 7 (« Inventory
of Generally Accepted Accounting Principles for Business Enterprises » par Paul
Grady) fur publié. Cette dernière étude diffère des deux autres par son
caractère inductif et pragmatique. D'autres études se sont révélées très utiles
pour l'élaboration des principes comptables. Ce sont les suivantes :

a) AR.S. No. 2, «Cash Flow Analysis and the Funds Statement, par Perry
Mason, A.I.C.P.A., 1961.

b) A.R.S. No. 4, « Reporting of Leases in Financial Statements », par John H.


Myers, A.I.C.P.A., 1962.

c) A.R.S. No. 5, « A Critical Study of Accounting for Business Combinations »,


par Arthur R. Wyatt, A.I.C.P.A., 1963.

d) A.R.S. No. 6, « Reporting the Financial Effects of Price Level Changes »,


par le personnel de la Division de recherche, A.I.C.P.A., 1963.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 242


243

e) A.R.S. No. 8, « Accounting for the Cost of Pension Plans », par Ernest L.
Hicks, A.I.C.P.A., 1965.

f) A.R.S. No. 9, « Interperiod Allocation of Corporate Income Taxes », par


Homer A. Black, A.I.C.P.A., 1966.

g) A.R.S. No. 10, « Accounting for Goodwill », par George R. Catlett et


Norman O. Olson, A.I.C.P.A., 1968.

h) A.R.S. No. 11, « Financial Reporting in the Extractive Industries », par


Robert R. Field, A.I.C.P.A., 1970.

i) A.R.S. No. 12, « Reporting Foreign Operations of U.S. Companies in U.S.


Dollars », par Leonard Lorenson, A.I.C.P.A., 1972.

j) A.R.S. No. 13, «The Accounting Basis of Inventories», par Horace G.


Barden, A.I.C.P.A., 1973.

k) A.R.S. No. 14, « Accounting for R & D Expenditures », par Oscar S. Gellein
et Maurice S. Newman, A.I.C.P.A., 1973.

l) A.R.S. No. 15, « Stockholders Equity », par Beatrice Melcher, 1973.

6. Depuis 1959, l'Accounting Principles Board (A.P.B.) s'occupe de la


réglementation des principes comptables. Entre 1959 et 1973, l'A.P.B. publia 31
Opinions (recommandations comptables) et 4 Statements (études). La
publication d'une Opinion exigeait l'approbation des deux tiers des membres du
Comité de l'A.P.B. et les opposants pouvaient également faire publier leur point
de vue. Les Opinions du Comité de l'A.P.B. étaient généralement accompagnées
d'une note précisant que «la valeur des opinions est basée sur leur acceptation
générale; il appartient aux tenants d'une opinion différente d'en faire la justifi-
cation ». L'A.P.B. avait à se prononcer sur des sujets litigieux. Des critiques

ManuelTheories Comptables-01Dec10 243


244

venant de différentes parties du monde économique s'opposaient aux Opinions


de l'A.P.B., ce dernier ne pouvant présenter une ligne de pensée qui faisait
l'unanimité chez ses membres. Ceux-ci, au nombre de 18 (en majorité des
comptables agréés), adoptaient des méthodologies différentes pour la
formulation des solutions comptables, chacun voulant justifier la pratique
adoptée par sa firme. Aussi l'A.P.B. fut-il dissous le 30 juin 1973, après avoir
publié 31 Opinions depuis sa création; il donna naissance au Financial
Accounting Standards Board (F.A.S.B.).

1.2.2. Le Financial Accounting Standards Board (FASB)

Pendant des années, la profession comptable américaine fut vivement critiquée pour ne
pas avoir prévu et permis d'éviter des abus qui nécessitèrent, dans certains cas,
l'intervention de la justice (par exemple, les procès de Westec, Mill Factors, Four
Seasons Nursing Homes, Continental Vending, Revenue Properties, Black Watch Farms,
Orvis Brothers et Penn-Central). Pour répondre à ces critiques, l'A.I.C.P.A. créa en 1971
deux groupes d'études, l'un chargé de la formulation des objectifs de la comptabilité, le
Trueblood Committee (du nom de son président), et l'autre chargé de la formulation
des principes comptables, le Wheat Committee (du nom de son président). Ce dernier
était chargé plus précisément d'étudier le mode de développement des principes
comptables et de faire des recommandations afin d'accélérer ce processus de
développement. Une des recommandations de ce comité donna naissance au Financial
Accounting Standards Board (F.A.S.B.), qui remplaça l'A.P.B.

Le tableau n° 1 décrit l'organigramme du F.A.S.B. Le comité le plus important est le


F.A.S.B. Son rôle consiste à formuler des règlements concernant les normes comptables
et à interpréter, sur demande, les Opinions de l'A.P.B. ou les recommandations des
Accounting Research Bulletins. Il convient de voter que les normes édictées par le
F.A.S.B. ont priorité sur celles édictées par l'A.P.B. et les Accounting Research
Bulletins. Le F.A.S.B. remplace en fait l'A.P.B. pour les tâches consistant à commenter,
interpréter et édicter les normes comptables. Le F.A.S.B. est constitué de 7 membres

ManuelTheories Comptables-01Dec10 244


245

dont 4 sont des experts-comptables (C.P.A.). Les autres membres, bien que non
experts-comptables, sont parmi les mieux informés de la discipline comptable. On a
souvent critiqué le F.A.S.B. pour la lenteur de ses détails de publication. Contrairement
au C.A.P. et à l'A.P.B. qui faisaient partie de l'A.IC.P.A., le F.A.S.B. fut créé en 1972
comme comité indépendant avec l'objet de formuler et de publier des normes
comptables destinées à améliorer l'information publiée par les entreprises à but lucratif
et les organismes à but non lucratif. Le F.A.S.B. procède à la résolution des problèmes
comptables premièrement, par la publication d'un mémoire dans lequel est étudié le
problème comptable et qui contient également toutes les solutions possibles,
deuxièmement, après avoir reçu le point de vue d'audiences publiques, par la
publication d'un exposé-sondage sur le sujet et, troisièmement, après avoir reçu les
commentaires de la publication d’une norme comptable, par la publication de bulletins
d'interprétation.

1.2.3. L'Institut canadien des comptables agréés (ICCA)

L'ICCA joue au Canada le rôle que joue l'A.ICPA aux USA. L'Institut s'occupe d'édicter des
normes comptables et des principes d'enseignement, de recrutement et de pratique
professionnelle. Depuis sa fondation, l'ICCA. a beaucoup évolué.

- En 1880, l'Association des comptables fut créée.

- En 1883, l'«Institute of Chartered Accountants of Ontario » vit le jour.

- Le 15 mai 1902, une loi créant l'Association Dominion des Comptables Incorporés
fut sanctionnée.

- En 1949, la loi fut changée pour donner à l'association le nom d'Institut canadien
des comptables agréés.

- En 1911 apparut le premier numéro de la revue de l'Institut, Le Comptable


Agréé Canadien.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 245


246

- Depuis 1939, un examen identique en anglais et en français est offert aux


étudiants.

- Depuis 1945, l'Institut publie le «Manuel de l'ICCA» contenant les


recommandations sur les normes de comptabilité et de vérification.

Le tableau n° 2 décrit la structure de l'ICCA. Les comités les plus importants sont le
Comité de recherche comptable et le Comité des normes de vérification. Tous deux
sont chargés d'édicter des normes comptables ; ils se différencient par leur domaine
d'intérêt respectif. Leur principale tâche est de publier dans le Manuel de l'ICCA des
recommandations et des prises de position relatives à la comptabilité. Les deux comités
utilisent les exposés-sondages pour connaître l'opinion des membres de l'Institut et du
monde des affaires concernant divers sujets comptables. Toute prise de position doit
être ratifiée par au moins les 2/3 des membres du comité concerné avant d'être
publiée. Il convient de voter que six membres du Comité de recherche comptable
peuvent être nommés par d'autres associations telles que la Société des comptables en
administration industrielle, l'Association des comptables généraux licenciés du Canada,
le « Financial Executive Institute of Canada » et le «Financial Analysts Federation » .

1.2.4.La Commission des bourses de valeurs (Securities Exchange Commission)

Aux USA et au Canada, les bourses de valeurs et les commissions des valeurs mobilières
tentent de protéger les intérêts des lecteurs des Etats Financiers, en exerçant une
surveillance sur l’évolution des principes comptables.

Aux USA, le Krach de 1929 et la dépression des années 30 furent à l'origine de la


fondation du S.E.C. Cet organisme fut créé pour administrer le « Securities Act » de
1933, le « Securities Exchange Act » de 1934 et d'autres lois. Le « Securities Act » de
1933 exige qu'une valeur soit enregistrée et que certaines garanties soient soumises
avant qu'elle ne soit vendue au public. Le « Securities Exchange Act » de 1934 exige

ManuelTheories Comptables-01Dec10 246


247

l'enregistrement des marchés boursiers nationaux, ainsi que celui des courtiers et
agents transigeant des valeurs sur le marché hors bourse ou au comptoir.

Le S.E.C. édicte les procédures à utiliser pour l'établissement des rapports spéciaux qui
lui sont destinés. Ces recommandations publiées sous forme de manuels appelés
«Accounting Series Release», sont la plupart du temps conformes aux Opinions de
l'A.P.B. Cependant, le S.E.C. intervient parfois pour formuler des règles lorsque la
solution apportée par l'A.P.B. n’est pas jugée satisfaisante. En fait, le S.E.C. a un
certain pouvoir pour influencer le développement des pratiques comptables. Ce pouvoir
n'a pas été continuellement utilisé, le S.E.C. laissant à la profession comptable le soin
de réglementer les principes comptables. Cependant, lorsque la profession comptable
est trop lente à réagir, le S.E.C. risque d'intervenir et d'imposer des solutions rigides.

Au Canada, la Commission des valeurs mobilières de chacune des provinces encourage


les firmes à dresser leurs états financiers en conformité avec les principes comptables
généralement reconnus tels que formulés dans le Manuel de l'ICCA par le Comité de
recherche comptable de l'ICCA.

II convient de noter que tant au Canada qu'aux USA, les lois fiscales ont aussi exercé
une influence importante sur la formulation des pratiques comptables.

1.2.5. L'« American Accounting Association » (AAA)

L'A.A.A. est avant tout une association d'académiciens comptables, quoiqu'elle inclue
parmi ses membres tout comptable. Elle fat fondée en 1935 pour :

1) encourager et diriger la recherche comptable et

2) développer des principes et normes comptables et s'assurer de leur acceptation


par la profession.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 247


248

Ainsi, en 1936, le Comité exécutif de l'A.A.A. publia un ouvrage sur les principes
comptables intitulé: « A Tentative Statement of Accounting Principles Underlying Cor-
porate Financial Statements». Différents autres travaux traitant du même sujet furent
publiés dans les années suivantes. Le plus important, publié en 1966 et intitulé «A
Statement of Basic Accounting Theory » souligna les nouvelles directions de la pensée
comptable en redéfinissant la comptabilité et en proposant une structure théorique de
cette discipline.

La recherche constitue l'activité principale de l'A.A.A. Chaque année, l'A.A.A. rend


public les rapports des divers comités. De plus, des études menées par des membres de
l'A.A.A. ont été publiées avec l'aide de comités consultatifs en rédaction et du directeur
de la recherche. Ces études sont les suivantes :

1. « Investment Analysis and General Price-level Adjustments », par T.R. Dydeman.

2. «Accounting and Information Theory », par Baruch Lev.

3. « The Allocation Problem in Financial Accounting Theory », par Arthur L.


Thomas.

4. «Accounting Controls and the Soviet Economic Reform.r of 1966», par Bertrand
Horwitz.

5. « Information Evaluation », par Gerald Feltham.

6. « Statement of Basic Auditing Concepts », par le « 1960-1971 Committee on


Basic Auditing Concepts.

7. « Valuation of Used Capital Assets », par Carl R. Beidleman.

8. « Obtaining Agreement on Standards in the Accounting Profession », par Maurice


Moonitz.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 248


249

9. « The Allocation Problem: Part Two », par Arthur L. Thomas.

10. « Theory of Accounting Measurement », par Yuji Ijiri.

11. « The Impact of Audit Frequency on the Quality of Internal Control », par R.M.
Barefield.

12. «A Comparative Analysis of Selected Income Measurement Theories in Financial


Accounting », par James A. Anderson.

13. « Measurement and Accounting Information Criteria », par Theodore J. Mock.

14. « Phantasmagoric Accounting Research and Analysis of Economic, Social


Environment Impact on Corporate Business », par Robert E. Jensen.

15. « Adaptive Behavior: Management Control and Information Analysis », par


Hiroyudi Itami.

De même, l'A.A.A. publie les résultats des recherches des membres dons la revue
« Accounting Review ». En général, les approches de l'A.A.A. pour la formulation dune
théorie comptable sont essentiellement normatives et déductives.

1.2.6. Le Comité international de normalisation de la comptabilité (CINC)

En 1937, le Comité international de normalisation de la comptabilité fut créé à Londres


par un accord entre neuf pays. Les objectifs du C.INC tels que définis par l'accord sont
les suivants

a) «définir et publier, dons l'intérêt du public, les normes de base qui doivent être
respectées lors de la vérification des livres et la présentation des états
comptables ;

b) promouvoir l'acceptation et le respect de ces normes à travers le monde ».

ManuelTheories Comptables-01Dec10 249


250

Le tableau suivant présente une liste des membres fondateurs et des membres associés
du CINC. (Remarquons que le F.A.S.B. ne peut siéger au Comité car cela pourrait créer
des conflits entre les normes édictées par chacun des deux organismes).

ManuelTheories Comptables-01Dec10 250


251

Membres fondateurs et associés du C.LN.C. (juillet 1975)

Membres fondateurs

Australie - The Institute of Chartered Accountants in Australia

- The Australian Society of Accountants Canada

Canada - L'Institut canadien des comptables agréés

France - L'Ordre des experts comptables et des comptables


agréés

Allemagne - Institut der Wirschaftsprüfer in Deutschland e.v.

- Wirtschaftsprüferkammer

Japon - The Japanese Institute of Certified Public Accountants

Mexique - Instituto Mexicano de Contadores Publicos, A.C

Pays-Bas - Nederlands Institut van Registeraccounts

Royaume-Uni - The Institute of Chartered Accountants in England &


Wales

- The Institute of Chartered Accountants of Scotland

Irlande - The Institute of Chartered Accountants in Ireland

- The Association of Certified Accountants

- The Chartered Institute of Public Finance and


Accountancy

USA - American Institute of Certified Public Accountants

ManuelTheories Comptables-01Dec10 251


252

Membres associés
Bangladesh - The Institute of Chartered Accountants of Bangladesh

Belgique - Collège national des experts comptables de Belgique

- Institut des réviseurs d'entreprises

- Institut beige des réviseurs de banques

Brésil - Instituto dos Auditores Independentes do Brazil

Chypre - The Institute of Certified Public Accountants of Cyprus

Danemark - Foreningen Af Statsautoriserede Revisorer

Fidji - The Fiji Institute of Accountants

Finlande - KHT-Yhdistys - Foreningen CGR

Ghana - The Institute of Chartered Accountants (Ghana)

Grèce - Institute of Certified Public Accountants of Greece

Hong-Kong - Hong Kong Society of Accountants

Inde - The Institute of Chartered Accountants of India

- The Institute of Cost and Works Accountants of India

Israël - The Institute of Certified Public Accountants in Israel

Jamaïque - The Institute of Chartered Accountants of Jamaica

Corée - Korean Institute of Certified Public Accountants

Luxembourg - Ordre des experts-comptables luxembourgeois

Malaisie - The Malaysian Association of Certified Public Account-


ants

Malte - The Malta Institute of Accountants

Nouvelle-Zélande - New Zealand Society of Accountants

ManuelTheories Comptables-01Dec10 252


253

Nigéria - The Institute of Chartered Accountants of Nigeria

Norvège - Norges Statsautoriserte Revisorers Forening

Pakistan - The Institute of Cost and Management Accountants of


Pakistan

- The Institute of Chartered Accountants of Pakistan

Philippines - Philippine Institute of Certified Public Accountants

Rhodésie - The Rhodesia Society of Chartered Accountants

Sierra Leone - The Association of Accountants in Sierra Leone

Singapour - Singapore Society of Accountants

Afrique du Sud - The National Council of Chartered Accountants (S.A.)

Espagne - Instituto de Censores Jurados de Cuentas de Espana

Sri Lanka - The Institute of Chartered Accountants of Sri Lanka

Suéde - Foreningen Auktoriserade Revisorer

Trinité & Tobago - The Institute of Chartered Accountants of Trinidad and


Tobago

Yougoslavie - Yugoslav Association of Accountants of Financial


Experts

- Social Accounting Service of Yugoslavia

Zambie - Zambia Association of Accountants

Chacun de ces membres est tenu d'appliquer les normes du CINC. dans son pays. C'est
pourquoi, les normes de base définies par le CINC. devraient être conçues de façon à
être acceptées et respectées à l'échelle internationale. Cependant, les normes du
C.LN.C. peuvent être en conflit avec les normes propres à chaque pays. Dans un tel cas,

ManuelTheories Comptables-01Dec10 253


254

les normes publiées par le CINC. n'ont pas préséance sur les règlements locaux
s'appliquant à la publication des états financiers. Toutefois, le vérificateur est tenu
d'inclure dans son rapport une déclaration de non-conformité ou d'indiquer les
différences qu’il a notées. Ceci ne résout pas pour autant le problème de l'uniformité
des normes internationales.

Notons finalement qu’en 1966, l' « Accounting International Study Group» fut créé par
les trois instituts britanniques de comptables agréés et par l'ICCA et l'AICPA. Cette
nouvelle association a publié quinze études comparatives des pratiques utilisées dans
les pays d'expression anglaise.

1.2.7. Les cabinets d'experts-comptables

Les experts-comptables sont chargés de fournir des services comptables à leurs clients.
Une des tâches principales est de vérifier les livres comptables d’une entreprise et
émettre un rapport dans lequel ils portent un jugement professionnel sur l'exactitude
et la fiabilité des états financiers. Les cabinets d'experts-comptables les plus influents
sont connus comme les «huit géants ». Par ordre alphabétique, ce sont :

1. Arthur Anderson et Co..

2. Arthur Young et Co.

3. Coopers et Lybrand

4. Ernst et Whitney

5. Price Waterhouse et Co.

6. Deloitte Haskins et Sells

7. Peat Marwick, Mitchell et Co.

8. Touche Ross et Co.

Les experts-comptables sont supposés être indépendants des intérêts de leurs clients.
En plus du travail de vérification, ils fournissent d'autres services tels que la

ManuelTheories Comptables-01Dec10 254


255

préparation des rapports d'impôt, la mise en place de système de comptabilité et la


comptabilité de gestion.

1.2.8. Les usagers de l'information

Différents groupes d'intérêt sont concernés par les résultats des entreprises à but
lucratif et des organismes à but non lucratif. Ils sont généralement identifiés soit
comme usagers directs, soit comme usagers indirects.

Les usagers directs sont composés :

1) des propriétaires de l'entreprise et de ses actionnaires,

2) des créditeurs et des fournisseurs,

3) des dirigeants de la firme,

4) des autorités fiscales,

5) des employés de l'organisation et

6) des clients.

Les usagers indirects sont composés :

1) des analystes et conseillers financiers,

2) des bourses des valeurs mobilières,

3) des avocats,

4) des autorités gouvernementales,

5) de la presse financière,

ManuelTheories Comptables-01Dec10 255


256

6) des associations de commerce,

7) des syndicats,

8) de la concurrence, et

9) du public en général.

Ces usagers demandent des informations différentes. En fait, il y a trois besoins


informationnels, ce sont :

1. des états financiers à but général pour satisfaire les besoins généraux des
usagers;

2. des états financiers à but spécifique pour satisfaire les besoins des usagers
spécifiques;

3. différentes publications qui présentent différentes informations mises la


disposition de tout usager.

1.3 DEVELOPPEMENT DES PRINCIPES COMPTABLES

Le développement des principes comptables aux USA consiste en trois phases :

1.3.1. La phase de contribution des dirigeants d'entreprises (1900-1933)

Cette période est marquée par l'influence et l'intervention des dirigeants d'entreprises
pour la formulation des principes comptables. Cela consiste en fait dans l'adoption de
solutions ad hoc à tout problème ou controverse comptable. Comme résultat, on a
constaté les conséquences suivantes :

a) Étant donné le caractère pragmatique des solutions adoptées, la plupart des


techniques manquaient de support théorique.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 256


257

b) L'accent était plutôt mis sur la détermination du profit imposable et la


minimalisation des impôts.

c) Les techniques adoptées étaient motivées par le désir de normaliser le profit


comptable.

d) Tout problème complexe était évité et toute solution pratique était adoptée.

Cette situation a naturellement entraîné beaucoup d’insatisfaction.

1.3.2. La phase de contribution de la profession comptable (1933-1973)

La deuxième phase de la formulation d’une théorie comptable, de 1933 à 1973, était


marquée par la création de différentes organisations chargées de réglementer les
normes comptables. C'est durant cette période que l'A.ICPA créa premièrement le
C.A.P. puis l'A.P.B. L'influence de la profession sur la formulation des normes
comptables a eu les conséquences suivantes

a) Les organisations chargées de réglementer les normes comptables n'ont pas eu


recours à une théorie comptable quelconque.

b) L'autorité des normes n'était pas bien claire.

c) L'existence de différentes alternatives comptables permet une certaine


souplesse dans le choix des techniques comptables.

Naturellement, l'intervention de la profession comptable a aussi entraîné beaucoup de


dissatisfaction.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 257


258

1.3.3. La phase politique (1973 au présent)

Les limitations des contributions des dirigeants d'entreprises et de la profession


comptable à la formulation de normes comptables ont entraîné non seulement
l'adoption d'approches plus déductives mais aussi une politisation du processus de
formulation des normes comptables. Cette situation naquit de la notion bien acceptée
que les chiffres comptables ont un impact sur le comportement économique et que par
conséquent, les règles comptables devraient être établies dans l'arène politique. C'est
pourquoi le F.A.S.B. a adopté un mélange d'approches déductives et politiques à la
formulation des normes comptables. Le F.A.S.B. en fait cherche d'un côté à développer
un cadre théorique comptable et d'un autre côté, à faire participer dans le processus
plusieurs groupes d'intérêt.

1.4 QUI DEVRAIT ÉTABLIR LES NORMES COMPTABLES ?

1.4.1. Théories de réglementation

La réglementation est créée pour une industrie donnée et fonctionne principalement


pour lui assurer des avantages. Il y a deux catégories principales de réglementation:

1) Les théories d'intérêt public et

2) Les théories des groupes d'intérêt

Les théories d'intérêt public maintiennent que la réglementation est fournie en réponse
à la demande par le public d’une correction des pratiques du marché considérées
inefficaces ou inéquitables. Elles sont créées principalement pour la protection et
l’avantage du public en général.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 258


259

Les théories des groupes d'intérêt maintiennent que la réglementation est fournie en
réponse à la demande des groupes spéciaux d'intérêt qui cherchent à maximaliser le
revenu de leurs membres. Ces théories sont généralement divisées entre :

1) la théorie politique de l’élite gouvernante et

2) la théorie économique de réglementation

Alors que la théorie politique repose sur le pouvoir politique pour réglementer le
contrôle, la théorie économique repose sur le pouvoir économique.

Laquelle de ces théories peut mieux expliquer le processus de formulation des normes
comptables ? Malheureusement, la théorie de ce que constitue un comportement
optimal en matière de réglementation comptable est à ses débuts. Cependant,
Benston 63 a essayé d'expliquer le comportement de S.E.C. en se référant à la notion de
prudence suggérée par la théorie économique de réglementation. De la même façon,
Hussein et Ketz64 ont examiné et rejeté la possibilité d'expliquer la réglementation
comptable par la théorie politique. Plus d'études empiriques seront nécessaires avant
de développer une théorie de réglementation des normes comptables. II peut s'avérer
utile de considérer en premier les avantages et limitations des différentes formes de
formulation des normes comptables. Dans ce qui suit, chacune des approches à la
formulation de normes comptables est considérée.

1.4.2. La théorie du marché libre

L'approche du marché libre à la formulation de normes comptables repose sur


l'hypothèse de base que l'information comptable est un produit économique au même

63
BENSTON, G., «Accounting Standards in the U.S. and the U.K.: Their Nature, Causes and Consequences », Vanderbilt aw Review
(janvier 1975), p. 255.
64
HUSSEIN, M.E. et J.E. KETZ, « Ruling Elites of the F.A.S.B.: A Study of the Big Eight », Journal of Accounting, Auditing, and
Finance (été 1980), pp. 354-367.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 259


260

rang que les autres produits ou services. Ainsi, l'information comptable sera sujette aux
forces des demandes par les usagers et des offres pour les producteurs d'information. Il
en résulte un montant optimal d'information produit à un prix optimal. Chaque fois
qu’une information est requise à un bon

prix, le marché produira la dite information si le prix est supérieur au coût de


l'information. Le marché constitue donc le mécanisme idéal pour décider des types
d'information à divulguer, des usagers de l'information et des normes comptables à
utiliser pour produire la dite information.

Certaines critiques sont cependant soulevées à l'égard de l'approche du marché libre.


Ces critiques ont trait particulièrement à l'échec ou défaillance explicite ou implicite
du marché. Ces deux genres d'échec sont examinés dans ce qui suit :

1. L'échec explicite du marché est créé quand soit la quantité, soit la qualité d'un
produit dans un marché non réglementé laisse à désirer en matière d'optimum
social. Cette situation peut arriver aussi à l'information comme produit du
marché.

2. L'échec implicite du marché résulte des défaillances suivantes dans les marchés
privés d'information comptable :

a) l'exercice d'un monopole sur l'information par les dirigeants d'entreprises,

b) la présence d'investisseurs naïfs,

c) la distorsion des chiffres comptables,

d) la flexibilité dans le choix des techniques comptables,

e) la fixité fonctionnelle, et

f) le manque d'objectivité

ManuelTheories Comptables-01Dec10 260


261

Chacune de ces défaillances résulte en un échec du marché libre d'information de


produire une information optimale.

1.4.3. La réglementation des normes comptables par le secteur privé

La réglementation des normes comptables par le secteur privé repose sur l'hypothèse
principale que l'intérêt public en comptabilité est mieux servi par le secteur privé.

Ceux qui favorisent la réglementation des normes comptables par le secteur privé
mentionnent les arguments suivants pour soutenir leur position:

1. Le F.A.S.B. comme l’ICCA. semblent concernés par les intérêts de tous leurs
électeurs.

2. Le F.A.S.B. comme l’ICCA. semblent avoir attiré, comme membres ou comme


employés, des gens qui possèdent les connaissances techniques nécessaires pour
développer et rendre effectifs différents systèmes de mesure et de publication.

3. Le F.A.S.B. comme l'ICCA. semblent avoir des électeurs dans le processus de


formulation de normes comptables.

Ceux qui s'opposent à la réglementation par le secteur privé utilisent les arguments
suivants :

1. Le secteur privé n'a pas le pouvoir et l'autorité du secteur public pour rendre
effective la réglementation comptable.

2. Le F.A.S.B. comme l'ICCA souffrent du manque d'indépendance des cabinets


d'experts-comptables et des entreprises. Ceci est plus évident aux USA à
témoigner par le « Metcalf Report » qui maintient que le processus de
formulation des normes comptables est dominé par les huit cabinets importants
d'experts-comptables.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 261


262

3. Le F.A.S.B. comme l'ICCA. sont souvent accusés de réagir trop lentement aux
controverses importantes. Ceci est aggravé par le temps que les deux
organisations prennent dans leurs délibérations.

1.4.4. La réglementation des normes comptables par le secteur public

La réglementation des normes comptables est constamment le sujet de débats. Sans


aucun doute, la réglementation par le secteur public a atteint un niveau élevé
d'acceptation et de légitimation et fait part des traditions internationales et des
structures légales de chaque pays. Pour être efficace. la réglementation doit respecter
certains principes :

1. La réglementation ne doit pas violer les droits constitutionnels.

2. Elle existe pour éliminer ou prévenir tout dommage social, réel, ou probable.

3. Elle doit agir dans l'intérêt public.

4. Elle ne devrait pas être utilisée si les mêmes buts pouvaient être atteints par des
organisations dans le secteur privé.

5. Elle doit être justifiée.

6. Elle ne devrait pas être utilisée juste pour corriger un comportement social
occasionnel.

Ceux qui favorisent la réglementation des normes comptables par le secteur public
mentionnent les arguments suivants pour soutenir leur position.

1. Le processus d'innovation en comptabilité dépend du rôle « irritant » du secteur


public quand celui-ci demande des améliorations pour protéger l’intérêt public.
En d'autres termes, le secteur public agit comme un meilleur agent de
changement que le secteur privé ou le marché des capitaux..

ManuelTheories Comptables-01Dec10 262


263

2. La réglementation des normes comptables par le secteur public est motivée par
le besoin de protéger l’intérêt public.

3. La réglementation des normes comptables par le secteur public est aussi motivée
par le désir de créer un niveau de divulgation estimé nécessaire et adéquat à la
prise de décision.

4. À l'encontre du secteur privé, le secteur public jouit de plus de pouvoir et


d'autorité pour faire accepter des normes comptables et pour expérimenter avec
de nouvelles normes comptables.

5. Il est généralement dit que le secteur privé doit être surveillé et contrôlé étant
donné le fait que ses objectifs peuvent être en conflit avec l'intérêt public.

Il y a aussi des arguments bien acceptés contre la réglementation des normes


comptables par le secteur public. Par exemple :

1. Énormément de coûts sont engendrés par les entreprises qui doivent se


conformer à la réglementation par le secteur public.

2. Les bureaucrates travaillant pour le secteur public sont motivés par la


maximalisation de leurs budgets, ce qui peut les entraîner à produire trop de
réglementation.

3. Le processus de formulation des normes comptables risque de devenir politique.


Ainsi, les groupes d'intérêt peuvent être amenés à formuler et négocier des
demandes en faveur de leur position favorite.

4. La réglementation par le secteur public risque de décourager route recherche et


expérimentation en comptabilité.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 263


264

1.5. CONCLUSION

L'approche réglementaire pour la formulation d’une théorie comptable peut avoir


recours à un des mécanismes suivants : le marché libre, le secteur privé ou le secteur
public. Chacune de ces approches présente certains avantages et certaines limitations.
Pour le moment, la réglementation des normes comptables par le secteur privé semble
l'emporter sur les autres méthodes, spécialement au Canada et aux USA.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 264


265

Lecture de référence no. 16

Les approches traditionnelles pour la formulation d’une théorie comptable

Par

Ahmed Belkaoui

ManuelTheories Comptables-01Dec10 265


266

Les Gestionnaires ont besoin d'information concernant les effets de leurs décisions sur
le profit comptable et les mouvements de trésorerie. Les actionnaires soucieux de
maximaliser la rentabilité de leurs investissements utilisent l'information pour évaluer
l'efficacité des méthodes de gestion de l'entreprise. Enfin, les investisseurs et les
créditeurs cherchent dans l'information divulguée, un indicateur de la capacité qu'a la
firme de payer ses dettes et ses dividendes. La comptabilité financière fournit la
plupart de ces informations. Elle a un but pratique très précis : informer de façon
pertinence les divers lecteurs. Pour accomplir cette tâche, le comptable dispose d'un
ensemble de techniques de collection, de classification, d'enregistrement et de
communication. Certaines de ces techniques ont une portée assez vaste, une
acceptation dite générale. Connues sous le nom de «principes comptables
généralement reconnus », (PCGR), elles guident depuis longtemps la profession
comptable dans le choix des techniques et la préparation des états financiers. Ces
PCGR se sont traditionnellement développés au rythme des crises qu'a connues la
profession comptable, et dans le but d'apporter des solutions satisfaisantes à des
problèmes précis. Cette approche a freiné le développement d’une base logique, d’une
théorie comptable. à cause de l'accent mis sur la recherche de solutions à court terme
plutôt que sur l'intégration de ces solutions à l'ensemble de la théorie.. Cependant,
cette approche a été utilisée par la profession comptable dans la formulation d'une
théorie comptable.Elle résulte, la plupart du temps, de. l'application de diverses
méthodes d'analyse, appelées approches traditionnelles de formulation d'une théorie
comptable.

Parmi ces approches traditionnelles (caractérisées par l'absence de cheminement


rigoureux et théorique), on peut distinguer :

a) l'approche déductive;

b) l'approche inductive;

c) l'approche morale;

ManuelTheories Comptables-01Dec10 266


267

d) l'approche psychologique;

e) l'approche sociologique;

f) l'approche macro-économique;

g) l'approche de la théorie de la communication; et

h) l'approche de la théorie des comptes.

Avant d'entamer l'analyse de ces approches traditionnelles, le chapitre traite des


différentes images de la comptabilité, des notions de théorie comptable et des
méthodologies de formulation d'une théorie comptable.

2.1. LA NATURE DE LA COMPTABILITÉ : DIFFÉRENTES IMAGES

La comptabilité est généralement définie comme étant l’art de la mesure, du


classement et de l'enregistrement des données ayant trait à des transactions et
événements économiques affectant l'entreprise, et de l'interprétation des résultats
périodiques. La comptabilité est donc définie comme étant un résultat de l’application
de techniques et pratiques bien déterminées, à savoir les principes comptables
généralement reconnus. Le Bulletin numéro 4 65 du Comité sur les principes comptables
de l'A.I.C.P.A. (appelé par la suite l'A.P.B.) énonce ce qui suit : « L'expression
«principes comptables généralement reconnus» a un sens technique en comptabilité
financière. Ces principes comprennent à la fois les conventions et les règles qui sont
nécessaires pour préciser à quel moment une pratique comptable devient acceptable.
Les principes comptables généralement reconnus ne désignent pas seulement des
directives générales, mais aussi des pratiques précises. »

65
The Accounting Principles Board, Statement n'. 4 - Basic Concepts and Accounting Principles Underlyng Financial Statement of
Business Enterprises (New York: American Institute of Certifies Public Accountants, Int , 1971, paragraphe 138.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 267


268

Ces techniques servent de base à la plupart des fonctions entamées par les comptables;
entre autres:

a) la comptabilité générale: s'occupe surtout de l'inscription des données et de


l'établissement des états financiers et d'autres rapports destinés à la direction,
aux propriétaires, aux créanciers, au gouvernement et au grand public;

b) la comptabilité fiscale: s'occupe de l'établissement des déclarations d'impôts et


de la formulation de suggestions en vue d'aider la direction à prendre des
décisions qui risquent ainsi de minimiser les impôts à payer;

c) la vérification interne: s'occupe de l'établissement de mécanismes pour assurer


que tous les services respectent les procédures comptables établies et les
directives des cadres supérieurs;

d) la vérification externe: s'occupe de la vérification des comptes et permet au


comptable d'exprimer une opinion portant sur la sincérité ou la fidélité des états
financiers;

e) la comptabilité de prix de revient: s'occupe de la compilation et du contrôle des


coûts de fabrication, de la distribution et de l'administration, et enfin de la
planification de contrôle des activités de l'entreprise. La comptabilité de prix de
revient est aussi connue comme la comptabilité de gestion ou de «
management»;

f) la consultation en administration: s'occupe d'études spécialisées dont l'objectif


est d'améliorer l'exploitation et l'installation d'un meilleur système comptable.
Les comptables s'inspirent de différentes « images » du processus comptable
pour transformer ces fonctions et ces techniques en théorie comptable. Avant
d'examiner les différentes approches de formulation d'une théorie comptable, il

ManuelTheories Comptables-01Dec10 268


269

serait utile d'étudier certaines de ces images qui ont façonné les
développements en comptabilité financière. Parmi ces images, on peut
distinguer la comptabilité comme :

 une idéologie,

 un langage,

 un enregistrement historique,

 une réalité économique actuelle,

 et un produit.

2.1.1. La comptabilité comme idéologie

La comptabilité peut être perçue comme un phénomène idéologique. Par exemple,


Marx maintient que la comptabilité engendre une forme de fausse conscience et crée
un moyen de mystifier plutôt que de révéler la vraie nature des relations sociales que
constituent les activités de production.

De ce fait, la comptabilité a aussi été perçue comme un mythe, un symbole ou un rite.


Elle permet la création d'un ordre symbolique au sein duquel les agents sociaux peuvent
réagir réciproquement.

Ces deux perceptions de la comptabilité, idéologie ou symbole rituel, sont aussi à la


base de la perception de la comptabilité comme instrument de rationalité économique
et instrument du système capitaliste. Cette perception de la comptabilité comme
instrument de rationalité économique est bien exemplifié par Weber quand il définit
cette rationalité formelle de l'action économique comme étant « le degré de calcul

ManuelTheories Comptables-01Dec10 269


270

économique ou de comptabilité, qui est techniquement possible et qui est


actuellement appliqué » 66.

2.1.2. La comptabilité comme langage

La comptabilité peut être perçue comme le langage des affaires. C'est l'un des moyens
de communiquer toute information sur une entreprise. La perception de la comptabilité
comme langage est bien acceptée dans les milieux académiques. Par exemple, Ijiri
maintient que:

« Comme langage des affaires, la comptabilité a beaucoup en commun avec les


autres langages. Les différentes activités de l'entreprise sont enregistrées dans
les états financiers sur la base du langage comptable, tout comme les nouvelles
sont enregistrées dans les journaux sur la base d'un langage, comme l'anglais.
Pour exprimer un événement en comptabilité ou en anglais, on doit suivre
certaines règles. Sans ces règles, on court le risque d'être pénalisé pour avoir
présenté un faux rapport, un mensonge ou un faux témoignage. La comparabilité
des représentations ou expressions est essentielle au fonctionnement efficace de
tout langage incluant la comptabilité. En même temps, tout langage doit être
flexible afin de s'adapter à un environnement qui change constamment.67

Cettesituation est bien reconnue, par la profession comptable, comme en


témoigne la publication des bulletins de terminologie comptable. Elle est
également reconnue dans le milieu de recherche empirique, à témoigner par les
efforts entrepris pour la mesure de la communication des concepts
comptables. 68

Qu’est-ce qui fait que la comptabilité peut être perçue comme un langage?

66 WEBER, M.., Economy and Society. Vol. 1, Bechminscer Press, 1909;. p. 85.

67 I)uu, Y., Theory of Accownting Meatxrement. Studies in Accounting Research No. 10, (American Accounting Association, 1975) p. 14.
68
Belkaoui Ahmed, « Linguistic Relativism in Accounting», Accounting, Organizations and Society, 1978, p. 97-104

ManuelTheories Comptables-01Dec10 270


271

Tout langage a deux dimensions qui sont les symboles et les règles de grammaire. La
reconnaissance de la comptabilité comme un langage repose donc sur l'identification de
ces deux dimensions comme les deux niveaux de la comptabilité. Ceci peut être
expliqué de la façon suivante:

a) Les symboles ou caractéristiques lexiques d'un langage sont les unités ou mots
identifiables dans tout langage. Ces représentations symboliques existent
aussi en comptabilité. Par exemple, Macdonald a identifié les chiffres et les
mots, les débits et les crédits comme des symboles généralement acceptés et
tout à fait uniques à la discipline comptable.

b) Les règles de grammaire d'un langage ont trait à la syntaxe existant dans tout
langage. De telles règles existent en comptabilité. Elles ont trait à l'ensemble
des procédures utilisées dans la création de données financières de
l'entreprise. Par exemple, Jain établit le parallèle suivant entre les règles de
grammaire et les règles de comptabilité. Le vérificateur certifie l'exactitude
de l'application des règles de comptabilité de la même façon qu'on vérifie la
bonne grammaire d’une phrase. Les règles de comptabilité organisent la
structure de la comptabilité de la même façon que la grammaire structure un
langage naturel. 69

Étant donnée l'existence de ces deux dimensions (symboles et règles grammaticaux), la


comptabilité peut être définie a priori comme un langage.

2.1.3. La comptabilité comme enregistrement historique

La comptabilité a été généralement perçue comme un moyen de fournir l'histoire de


l'organisation et de ses transactions avec son environnement Pour le propriétaire ou les
actionnaires, la comptabilité fournit la gestion et la sauvegarde des ressources des

69
MCDONALD, D., Comparative Accoionttng Theory (Addison-Wesley Publishing Co., 1972).

ManuelTheories Comptables-01Dec10 271


272

actionnaires par la direction. Ce principe de sauvegarde constitue un trait principal de


la relation entre le propriétaire et l'agent où l'agent est chargé d'assurer la sauvegarde
des ressources de l'entreprise. Ce concept de sauvegarde a beaucoup évolué. Birnberg
fait la distinction entre quatre périodes :

1. la période de sauvegarde pure;

2. la période de sauvegarde traditionnelle;

3. la période d'utilisation des actifs;

4. la période de libre choix ".

Dans les deux premières périodes, l’agent devait retourner intactes les ressources au
propriétaire, après avoir accompli des tâches vraiment minimales pour s’acquitter de sa
tâche de sauvegarde. Ces deux périodes considèrent la publication et la divulgation des
données du bilan comme étant suffisamment adéquates.

Dans la troisième période, l'agent devait montrer de l'initiative et du bon jugement


dans l’utilisation des actifs, conformément aux plans préétablis. En plus du bilan, cette
période a nécessité la divulgation de données sur l’évaluation de la performance dans
l’utilisation des actifs.

La dernière période de libre choix diffère de la période d'utilisation des actifs en


donnant plus de souplesse dans l’utilisation des actifs et en permettant à l’agent de
décider de la bonne utilisation des actifs.

2.1.4. La comptabilité comme réalité économique actuelle

La comptabilité a également été perçue comme un reflet de la réalité économique


actuelle. La thèse principale supportant cette perception est que le bilan et l'état des
revenus et dépenses devraient être basés sur une évaluation des actifs plus
représentative de la réalité économique que les coûts d’origine. La base d’évaluation la

ManuelTheories Comptables-01Dec10 272


273

plus représentative de la réalité économique repose sur les prix actuels ou futurs plutôt
que sur les coûts d’origine. L’objectif principal de cette image de la comptabilité est la
détermination du « vrai profit » (ou profit idéal »), un concept qui reflète le
changement de richesse de la firme pour une période donnée. Quelle est la base
d'évaluation des actifs qui pourrait engendrer ce profit idéal, est généralement le sujet
d'études théoriques et empiriques qui font d'ailleurs l'objet des chapitres 8-10.

2.1.5. La comptabilité comme système d'information

La comptabilité peur être perçue comme un système d'information. Elle constitue un


processus qui relie une source d'information (généralement lecomptable), un canal de
communication et un ensemble de récepteurs (les usagers externes). C'est donc un
processus de communication bien défini comme«le processus de codification des
observateurs utilisant le langage du systèmecomptable, la transformation des chiffres
et rapports, et la transmission des résultats » 70. Ce point de vue de la comptabilité a
des ramifications théoriques et empiriques.

- premièrement, cela implique que le système comptable est le seul système formel
de mesure dans l'entreprise.

- Deuxièmement, cela implique la possibilité de construire un système optimal de


comptabilité, capable de fournir des informations pertinentes à tous les usagers.

- Troisièmement, cela suppose que le transmetteur de l'information (le comptable)


est aussi important que le récepteur de l'information (l'usager). Le comportement
du transmetteur est important pour le choix de l'information et la manière dont
elle est communiquée. Le comportement du récepteur est important en termes
de réaction engendrée par l'information, et d'utilisation finale de cette
information.

70 BELKAOUI, Ahmed, « Linguistic Relativity and Accounting., Accounting Organization and Society, octobre 1978, pp. 97-104.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 273


274

Ces deux comportements constituent le sujet de recherches conceptuelles et


empiriques dans la comptabilité dite «béhaviorale », qui fera partiellement l'objet du
troisième chapitre.

2.1.6. La comptabilité comme produit

La comptabilité peut aussi être perçue comme un produit résultant d'une activité
économique. Ce produit existe du fait de l'existence d'une demande pour des
informations données et de la bonne volonté et capacité des comptables à les produire.
En tant que produit, l'utilité de la comptabilité peut être évaluée sur une base de coût-
avantage. Elle devient aussi un candidat idéal à la réglementation et à la supervision de
tout type de contrats entre la firme et son environnement. Le choix d une information
comptable et/ou d'une technique comptable peut donc avoir un impact sur le bien-être
des différents groupes sociaux. Il s'en suit d'un marché d'information comptable
résultant des forces d'offre et de demande de la dite information.

2.1.7. La comptabilité comme résultat du choix de la fonction objective

La comptabilité repose sur des bases de béhaviorisme. Son objectif principal est
d'orienter le comportement des individus dans des directions favorables à une gestion
optimale de l'organisation. Pour réaliser ses objectifs, la comptabilité doit s'adapter aux
différentes dimensions qui composent la personnalité des individus dans l'organisation
et qui influencent aussi leur rendement. Une des dimensions concerne le choix de la
fonction objective en comptabilité. Ce choix affecte le comportement de l'organisation,
la conduite de la comptabilité et la construction d'un système d'information. Un choix
optimal conduit nécessairement à une bonne performance. Les alternatives présentées
dans la littérature et dans la pratique comptable se résument à trois fonctions
objectives :

1) le modèle de la maximalisation de la richesse des actionnaires;

2) Le modèle de la maximalisation du bien-être des gestionnaires; et,

ManuelTheories Comptables-01Dec10 274


275

3) Le modèle de la maximalisation du bien-être social. Chacun de ces modèles


affecte la perception et la conduite de la comptabilité.

1) Selon le modèle de la maximalisation de la richesse e des actionnaires, le but


principal de la gestion est de maximaliser le bien-être des actionnaires. Ainsi,
l'entreprise accepte tous les projets dont le taux de rentabilité est supérieur au
coût du capital et préfère investir ses bénéfices plutôt qu'émettre de nouvelles
actions. Le modèle implique le choix de techniques comptables qui sont dans le
meilleur intérêt des propriétaires de la firme. Dans le cas où les gestionnaires ne
respectent pas ces règles, les droits de gestion sont soit mis en question, soit
révoqués, étant donné que la firme appartient aux actionnaires qui, en fin de
compte, élisent aussi les gestionnaires.

2) Selon le modèle de la maximalisation du bien-être des gestionnaires, le but


principal des gestionnaires est de gérer les firmes pour leur propre avantage.
Ceci est possible étant donné le grand nombre des actionnaires, ce qui permet
aux gestionnaires d'avoir beaucoup de liberté dans l'administration des affaires.
Ainsi, plutôt que de maximaliser les profits, les gestionnaires peuvent
maximaliser les ventes ou les actifs, le taux de croissance ou encore leurs
propres utilités. Dans le contexte comptable, le modèle de la maximalisation du
bien-être des gestionnaires implique une acceptation peu enthousiaste des
normes du budget et du contrôle, une tentation de manipuler la publication des
informations afin de présenter des résultats favorables, mieux connu sous
l'appellation «normalisation du profit», et finalement l'adoption de techniques
comptables qui soient dans le meilleur intérêt des gestionnaires.

3) Selon le modèle de la maximalisation du bien-être social, l'entreprise accepte


tous les projets qui, en plus de répondre au critère de rentabilité, permettent de
minimiser les coûts sociaux et de maximaliser les bénéfices sociaux créés par les
opérations de production de l'entreprise. Ainsi, selon ce modèle, l'entreprise est

ManuelTheories Comptables-01Dec10 275


276

non seulement responsable vis-à-vis des actionnaires et des gestionnaires, mais


aussi vis-à-vis de la société en général. Le modèle de la maximalisation du bien-
être social implique le développement d'un système de comptabilité sociale
orienté vers la mesure de la performance sociale, tenant compte des coûts et
des bénéfices sociaux. Cela implique aussi le développement d'un nouveau
concept de performance de l'organisation qui est plus indicatif de la
responsabilité sociale de la firme que celui utilisé dans la comptabilité
conventionnelle. Par exemple, un comité de l'« American Accounting Association
» a suggéré en 1974 une mesure de la performance de l'organisation composée
des cinq résultats suivants

a. profit net: intéresse les actionnaires et fournit des ressources pour la


croissance future;

b. contributions aux ressources humaines: assistent les individus dans


l'organisation à développer de nouvelles connaissances et talents;

c. contributions publiques : aident la communauté dans laquelle se trouve


l'entreprise à mieux fonctionner et à servir le public;

d. contributions environnementales : affectent la «qualité de la vie » dans la


société ;

e. contributions en termes de produits et de services : affectent le bien-être et


la satisfaction des consommateurs.

2.2. NOTIONS DE THÉORIE COMPTABLE

Bien qu'un grand effort ait été fait pour développer l'ensemble des principes
comptables généralement reconnus, peu d'auteurs ont essayé de prouver que la
comptabilité est une théorie. Quelques exceptions méritent cependant notre attention.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 276


277

2.2.1. Un cadre de référence

Hendriksen 71 propose une définition de la notion de théorie qui peut être appliquée à la
comptabilité. Une théorie représenterait un ensemble cohérent de principes
hypothétiques, conceptuels et pragmatiques, formant un cadre de référence pour un
champ d'intérêt. Ainsi, la théorie comptable pourrait être définie comme étant un
raisonnement logique, exprimé par un ensemble de principes généraux, et qui :

1) fournit un cadre de référence pour l'évaluation des techniques comptables


existantes ;

2) sert de guide pour le développement de nouvelles techniques comptables.

Cette définition permet de concevoir la théorie comptable comme un outil d'explication


et de prédiction. L'objectif principal d'une telle définition est de fournir un ensemble
cohérent de principes basés sur la logique et servant de cadre de référence pour
l'explication et la prédiction des techniques comptables Cependant, il faut remarquer
qu'une théorie comptable ainsi définie n'est pas satisfaisante pour les raisons suivantes :

1. Une théorie comptable ne peut à elle seule expliquer toutes les pratiques
comptables à ce stade embryonnaire de la comptabilité. Ce dont on a besoin, c'est
d'un ensemble de théories comptables complémentaires ou concurrentes, qui nous
amèneraient à une vision exhaustive de la discipline comptable. Chacune de ces
théories serait composée de propositions basées sur la logique, et chacune des
propositions serait elle-même composée de différentes hypothèses. Le choix d'une
théorie à l'intérieur de cet ensemble reposerait sur un test d'explication et de
prédiction d'événements économiques.

71
HENDRIKSEN, Eldon, Accounting Theory, 3ème édition, R.D. Irwin Inc. 1977, p. 1

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278

2. Une théorie comptable a une base logique, alors que la plupart des techniques
comptables ne sont pas conçues d'une façon logique. En d'autres termes, certains
faits comptables peuvent être expliqués par une théorie comptable, tandis que
d'autres dépendent de facteurs non comptables. Le choix d'une théorie comptable
optimale reposerait donc sur le pouvoir d'explication et de prédiction de tous les
faits affectant l'entreprise.

2.2.2. Un ensemble de représentations symboliques

McDonald 72 conçoit une théorie comme étant un ensemble de représentations


symboliques assorties de règles de traduction et d'association permettant de faire des
prédictions. On peut donc, d’après cette définition distinguer trois éléments dans une
théorie.

Le premier élément concerne l’emploi de représentations symboliques. Les chiffres et


les lettres sont des exemples de symboles. Pour que ces symboles puissent être
identifiés à une théorie, ils doivent avant tout être acceptés et uniques. La
comptabilité utilise beaucoup de symboles acceptés par la profession et uniques à la
discipline, comme le débit, le crédit, etc.

Le deuxième élément d’une théorie consiste dans les règles de traduction. La


représentation symbolique implique la mise en code de transactions ou événements à
l'aide de symboles définis. Ce processus de codification correspond aux règles de
traduction identifiées dans la définition d'une théorie. Ces règles de traduction existent
en comptabilité. Par exemple, les termes comptables ont une signification unique,
comme les postes d’actif ou de passif, etc.

Le troisième élément d'une théorie comprend les règles de manipulation et


d'association des représentations symboliques. Ce sont des règles qui permettent
d’exprimer des relations, propositions ou hypothèses propres à la discipline. De

72 McDonald, Daniel L., Comparative Accounting, Addison-Wesley Publishing Company, 1972 p. 4

ManuelTheories Comptables-01Dec10 278


279

nouveau, on peut affirmer que la comptabilité comporte de telles règles; par exemple,
les techniques de tenue des livres, de détermination du profit comptable, etc.. ou
encore, le profit comptable qui est exprimé par une relation de postes de revenus et de
dépenses correspondant spécifiquement à la différence entre les revenus réalisés de la
période et les dépenses correspondantes. --

2.2.3. Une science sociale

La comptabilité est d'abord une profession. Les comptables offrent différents services
aux entités économiques qui composent le marché. Cependant, le côté conceptuel et
académique de la comptabilité peut nous amener à la percevoir comme une science
sociale. Certains soupçonneront peut-être l’auteur de ce livre d’essayer de donner à la
comptabilité un statut qu'elle n'a pas encore atteint, de l'honorer du titre de science»
ou de la classifier avec les autres sciences sociales reconnues pour qu'elle puisse jouir
du même statut. En fait, la comptabilité a déjà atteint ce statut, car les services
qu'elle rend demandent une grande compétence, le niveau et le résultat de la
recherche dans son domaine sont élevés, et des règles morales existent et sont
respectées dans la profession.

Cependant, est-ce que la comptabilité peut être considérée comme une science
sociale? La réponse à cette question repose sur la détermination du degré de
correspondance entre les critères qui définissent une science comme étant « sociale »
et les caractéristiques de la comptabilité.73

Les critères de définition d'une science sociale diffèrent dans la littérature. Seligman et
Alvin, par exemple, l'ont définie en ces termes

73
MAUTZ, R.K., « Accouiuing as a Social Science », Accounting Review, Avril 1963, pp. 317-325

ManuelTheories Comptables-01Dec10 279


280

« Les sciences sociales peuvent être définies comme étant les sciences
culturelles qui ont trait aux activités de l'individu comme membre d'un groupe». 74

Herring, pour sa part, a tenté de découvrir un dénominateur commun aux sciences


sociales :

« Les scientistes sociaux partagent un souci commun dans le développement et


l'emploi de méthodes permettant de classifier les données de manière systématique
et analytique, et interpréter les résultats le plus objectivement possible». 75

Si on examine ces quelques définitions, il devient facile de percevoir la comptabilité


comme une science sociale. En effet, la comptabilité traite des transactions entre
différentes entités qui sont certainement des groupes sociaux ; elle s'occupe de
transactions qui ont des conséquences sociales; et enfin, elle produit des rapports
utiles aux personnes engagées dans des activités sociales. La comptabilité pourrait donc
être définie comme étant une science sociale.

Cependant, avant que la comptabilité puisse vraiment être qualifiée de science sociale,
d'importants changements devront survenir clans la discipline comptable. Le point de
vue suivant en témoigne :

« Nous avons besoin d'enseignants qui soient plutôt des sociologues que des
praticiens. I1 faut aussi améliorer notre système d'éducation. Il faudrait une
approche qui reconnaîtrait la comptabilité comme une méthode d'analyse plutôt
que de la considérer comme un art, une façon de faire ou une série de
procédures et techniques ». 76

74
SELIGMAN, Edwin, R.A. et Hamson, Alini, Encyclopedia of the Social Sciences, New York, Macmillan Co., 1930, Vol. 1, p.3

75
HERRING, Pendleton, « Toward an Understanding of Man », in New Viewpoint in the Social Sciences, Twenty Eight Yearbooks of the
National Council for the Social Studies, Ray A. Price. Editor, National Council of the Social Studies, 1958.

76 MAUTZ., op. tit.. p. 324.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 280


281

2.3. MÉTHODOLOGIES DE FORMULATION D’UNE THÉORIE COMPTABLE

Nous avons montré, dans la section précédente, que la comptabilité peut être
considérée comme une théorie parce que :

1) elle constitue un cadre de référence;

2) elle forme un ensemble de représentations symboliques;

3) elle peut être qualifiée de science sociale.

Comme toute discipline, la comptabilité nécessite une méthodologie de formulation


d’une théorie. En comptabilité, les disparités existant entre la pratique et la théorie
ont entraîné l'utilisation de deux: méthodologies, une descriptive et une normative.

Dans le monde professionnel, on a pendant assez longtemps maintenu que la


comptabilité est un art qui ne peut être formalisé. Selon cette conception, la
méthodologie utilisée pour la formulation d’une théorie comptable est par nécessité
strictement descriptive. En d'autres termes, la théorie comptable cherche à déterminer
ce qui appartient à la comptabilité, en termes de pratiques existantes. Le résultat est
une théorie de la comptabilité. La définition suivante illustre cette méthodologie:

« La comptabilité est l’art d'enregistrer, de classifier et de résumer de façon


significative et en termes monétaires, des transactions et événements qui sont,
en partie au moins, de caractère financier, et d'interpréter les résultats ». 77

Cette approche a cependant été beaucoup critiquée par les tenants d’une
méthodologie normative, pour qui la théorie comptable cherche à déterminer ce qui

77
American Institute of Certified Public Accountants, Committee on Terminology Accountting, Bulletin No. I., Review and Résumé.
New York, A.LC.P.A., 1959. p. 9

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282

devrait appartenir à la comptabilité en termes de pratiques existantes et, aussi,


futures. Le résultat est une théorie pour la comptabilité. Ijiri décrit les raisons qui
militent en faveur d’une méthodologie normative de la façon suivante.

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283

Lecture de référence no. 17

Les obstacles à l’harmonisation comptable internationale

Par
Richard Leftwich78
Résumé

Malgré l’intégration croissante des places boursières internationales, les normes


comptables réglementant l’information financière varient encore d’un pays à l’autre.
Certaines disparités sont certes minimes, mais nombre d’entre elles concernent des
questions clés de la vie des entreprises (fusions, systèmes de retraite, etc.) et trouvent
leur origine dans des philosophies propres à chaque pays, telles que la volonté, en
Allemagne, de protéger les créanciers ou telles que les différentes conceptions du
gouvernement d’entreprise.

La comptabilité est le fruit d’un système économique et politique ; c’est pourquoi la


convergence des référentiels comptables sera vraisemblablement la conséquence et
non l’origine d’un processus de convergence plus vaste.

Toutefois, la concurrence à laquelle se livrent les places boursières nationales pour


attirer de nouvelles entreprises et l’abîme séparant le système réglementaire américain
et celui des autres marchés ont suscité un regain d’intérêt pour les normes
internationales et les travaux de l’IASC. Les défis à relever sont considérables et selon
toute probabilité, c’est dans les domaines où les normes internationales seront
suffisamment souples pour être compatibles avec de nombreuses normes nationales que
les progrès les plus significatifs seront réalisés.

Néanmoins, la SEC resterait violemment opposée à toute reconnaissance, même


implicite, d’une information financière à deux niveaux, qui pourrait inciter les
entreprises à se délocaliser pour constituer une nouvelle entité juridique dans un pays
où l’environnement comptable serait moins exigeant.

78 Richard Leftwich est titulaire de la chaire de comptabilité et de finance Fuji Bank and Heller de la Graduate School of Business de l’Université de Chicago. Ses
recherches portent sur l’audit, la notation des émissions obligataires, les changements de statuts et les achats en blocs.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 283


284

La Securities and Exchange Commission (SEC)américaine joue un rôle clef dans les
efforts faits pour développer un référentiel comptable international qui puisse être
accepté partout. Sans son accord, les sociétés cherchant à se financer aux Etats-Unis ne
peuvent pas présenter des états financiers selon les normes internationales pour
satisfaire aux exigences en matière d’information financière.

La SEC a déclaré qu’elle était prête à reconnaître des règles comptables


internationales, à condition que celles-ci soient conformes aux principales
caractéristiques des normes américaines. Elle fait ainsi peser de sérieuses menaces sur
la viabilité des normes internationales, car un grand nombre de grandes sociétés
internationales souhaitent avoir accès au marché financier américain. Mais la SEC doit
également faire face à un dilemme : nombre de ses membres, notamment les Bourses
et les investisseurs institutionnels américains, tireraient sans conteste le plus grand
profit d’un allégement des conditions d’accès aux marchés financiers américains,
actuellement imposées aux sociétés cotées à l’étranger. La SEC devra déployer des
trésors de diplomatie pour favoriser l’accès des entreprises étrangères à ces marchés,
en « assouplissant » les règles d’information financière tout en apaisant les sociétés
américaines contraintes d’établir des états financiers selon les normes nationales, plus
strictes, et donc plus onéreuses.

Des différences existent aussi entre les pays dans les systèmes de reporting interne
(informations destinées aux dirigeants d’une société), mais elles sont moins discutées
pour deux raisons.

- D’une part, l’hétérogénéité de ces informations, à usage interne, passe davantage


inaperçue aux yeux des investisseurs extérieurs et se prête moins à la vérification
scrupuleuse de tiers.

- D’autre part, dans le choix d’un système comptable interne, l’influence des instances
réglementaires est moindre. En effet, les entreprises peuvent tester plus facilement un
nouveau système comptable ; elles peuvent également adopter des pratiques et des

ManuelTheories Comptables-01Dec10 284


285

normes qu’elles jugent plus performantes, sans avoir à convaincre les autorités de la
pertinence de leur choix.

En revanche, dans le domaine de l’information financière, l’influence des différents


organes réglementaires, dont les priorités économiques et politiques diffèrent, semble
écarter toute possibilité de voir converger les normes comptables.

1. Disparité des méthodes comptables

Parfois tout à fait anodines, ces divergences peuvent porter sur la forme ou sur le fond.
Deux pays ayant la même langue (l’anglais, par exemple) peuvent adopter des
terminologies différentes : sales (Etats-Unis) et turnover (Royaume-Uni) pour chiffre
d’affaires ou retained earnings (Etats-Unis) et undistributed profits (Royaume-Uni) pour
report à nouveau.

Même lorsque les pays utilisent des normes similaires, la présentation des comptes
varie. Aux Etats-Unis, par exemple, l’actif est présenté à gauche du bilan et les
différents postes sont classés par liquidité décroissante, actif circulant en tête. Au
Royaume-Uni, l’actif peut être présenté à droite du bilan, et les postes sont classés
dans l’ordre inverse, en commençant par les immobilisations.

Dans certains pays (Allemagne, Belgique, France et Italie), les actionnaires ne reçoivent
généralement que deux tableaux de synthèse (le compte de résultat et le bilan). Dans
d’autres pays, un troisième état (tableau de financement) est également présenté,
mais il décrit les ressources et les emplois du fonds de roulement, et non les ressources
et les emplois de la trésorerie.

Si les disparités se limitaient à des questions de terminologie et de présentation,


l’élaboration d’un ensemble de normes universelles ne présenterait aucune difficulté.
Toutefois, il existe des divergences fondamentales dans le traitement de nombreuses
activités économiques (telles les fusions, les retraites, le crédit-bail ou les variations de

ManuelTheories Comptables-01Dec10 285


286

valeur des instruments financiers), reflétant les disparités entre les principes généraux
qui sous-tendent les référentiels de chaque pays.

Le tableau 1 illustre ces différences. Si on applique à une transaction donnée les


principes régissant les normes comptables d’un pays, on peut obtenir un traitement
comptable qui viole les principes sous-jacents au référentiel d’un autre pays. Les
réserves latentes - ou occultes - des entreprises allemandes, si décriées, en sont un
parfait exemple.

En Allemagne, la comptabilité est fortement influencée par le désir de protéger les


créanciers. De plus, c’est le résultat comptable publié qui sert généralement de base
d’imposition. Ainsi, les entreprises sont fortement incitées, sur le plan juridique et
économique, à évaluer résultat et actifs de façon prudente. Par conséquent, les normes
comptables allemandes imposent aux entreprises de constituer des provisions pour
toutes les pertes éventuelles. Tout risque pouvant être considéré comme possible, les
chefs d’entreprise ont toute latitude pour fixer le montant de ces dotations.

De plus, l’absence de notes dans l’annexe sur les mouvements de provisions empêche
les analystes financiers d’évaluer dans quelle mesure le résultat est affecté par ces
transferts ou de déterminer la part du résultat imputable à l’activité économique et
celle imputable aux services comptables.

Paradoxalement, nombre de ces techniques apparemment prudentes peuvent être


utilisées pour gonfler le résultat en imputant (sans que cela soit mentionné dans
l’annexe) certaines charges sur les réserves et non sur le résultat. De telles pratiques
sont expressément proscrites dans d’autres pays (tels les Etats-Unis et le Royaume-
Uni), où les entreprises ont certes la possibilité de constituer des provisions pour
compenser les pertes probables, mais sont tenues de signaler tout mouvement de ces
postes dans l’annexe.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 286


287

Le tableau 2 utilise le prospectus établi par Daimler-Benz pour la SEC pour souligner
l’impact considérable des mouvements de provisions. Les débats sur les mérites relatifs
des normes comptables de divers pays, et notamment depuis que ces débats ont été
portés au niveau politique, exagèrent souvent les divergences des différentes
philosophies.

Interrogeons-nous sur la précision des diverses normes comptables nationales, ou, en


d’autres termes, sur la liberté laissée aux chefs d’entreprise dans l’application de ces
normes à certains événements ou transactions. Nous constatons alors que tous les pays,
Etats-Unis compris, laissent une certaine marge de manœuvre aux dirigeants.

Certaines entreprises américaines dont la rigueur comptable fait l’admiration de tous,


comme General Electric, adoptent des pratiques prudentes depuis si longtemps qu’elles
disposent de réserves qu’on a du mal à ne pas qualifier d’occultes. De plus, malgré les
réglementations américaines en matière de notes explicatives et de commentaires, il
est tout à fait possible (notamment à l’aide de provisions pour frais de restructuration
si chères aux entreprises) de dissimuler des mouvements de ces réserves présumées.

L’information financière est un élément clé des dispositifs d’information et de contrôle


conçus pour résoudre certains problèmes induits, dans les grandes entreprises, par la
séparation entre la détention du capital et la direction des affaires. En termes
économiques, la comptabilité fait partie du système du gouvernement d’entreprise,
dont l’objectif est d’amener les dirigeants à agir dans l’intérêt des actionnaires. Les
normes comptables applicables dans un pays donné doivent être appréciées au regard
des autres systèmes d’information et de contrôle employés dans ce pays. Le tableau 3
nous donne des exemples de ces différentes conceptions.

2. Pourquoi les différences persistent-elles ?

Les systèmes de gouvernement d’entreprise diffèrent très nettement d’un pays à


l’autre, reflétant les disparités des systèmes juridiques, le rôle des marchés financiers,

ManuelTheories Comptables-01Dec10 287


288

l’influence des gouvernements sur les marchés financiers et autres marchés, ainsi que
les traditions et les cultures. Des méthodes comptables économiquement sensées dans
un pays peuvent se révéler peu appropriées dans un autre.

Les grandes banques sont ainsi les principaux actionnaires des grands groupes allemands
; elles sont représentées au conseil d’administration et ont accès au reporting interne.
Les dirigeants allemands sont sanctionnés ou récompensés essentiellement par les
représentants de ces actionnaires, et non en fonction des performances boursières de
l’entreprise. L’impact des choix comptables fait donc l’objet d’une analyse moins
détaillée dans les états financiers en Allemagne que dans un environnement où les
actionnaires sont moins bien représentés au conseil d’administration.

Prenons un autre exemple. Au Japon, le Keiretsu est un groupe d’entreprises à


participations croisées qui entretiennent des relations très étroites de type clients-
fournisseurs. Des systèmes similaires existent en Corée. Les relations entre ces sociétés
ne sont pas comparables à celles qui lient un holding et ses filiales, système si courant
au Royaume-Uni et aux Etats-Unis. Dans l’environnement économique japonais, les
entreprises nationales établissent donc rarement des comptes consolidés, alors que ce
type de présentation est la norme dans les pays où les rapports société mère-filiale sont
courants (Australie, Etats-Unis, Nouvelle-Zélande, Royaume-Uni).

La situation est d’autant plus complexe que le choix des normes comptables est
réglementé dans chaque pays. Les normes comptables et les procédures de
gouvernement d’entreprise d’un pays sont le fruit de processus économiques et
politiques, et pas simplement le résultat du jeu du marché. De plus, aucun argument
économique précis n’a pu être apporté pour justifier la réglementation des normes
comptables.

Pourquoi les pratiques diffèrent-elles si nettement d’un pays à l’autre en matière de


gouvernement d’entreprise ? On peut certes invoquer la culture, la tradition et
l’histoire. Toutefois, les économistes privilégient les explications reposant sur des

ManuelTheories Comptables-01Dec10 288


289

facteurs tels que le système judiciaire et la législation sur les droits de propriété,
même si, en fin de compte, ces facteurs eux-mêmes font intrinsèquement partie de
chaque culture.

La comptabilité étant le fruit des systèmes économique et politique, l’harmonisation


des référentiels comptables devrait être la conséquence, et non le moteur, de la
convergence de ces systèmes. En outre, les normes comptables étant largement
influencées par la législation et la réglementation, le marché ne saurait à lui seul être
le catalyseur d’une telle convergence.

3. Les normes comptables internationales

L’IASC (International Accounting Standards Committee), comité international de


normalisation de la comptabilité, fut créé en 1973 par des représentants des
associations professionnelles d’experts-comptables de plusieurs pays. Depuis lors, il a
édicté 32 normes comptables internationales, ou IAS (International Accounting
Standards).

Pendant les dix premières années de son existence, l’IASC a essentiellement oeuvré
dans l’ombre, et le processus d’élaboration de normes comptables internationales était
davantage considéré comme un pur exercice intellectuel que comme un moyen de
faciliter la comparaison des états financiers des entre-prises de pays différents.

Rares ont été les grands marchés financiers mondiaux à reconnaître formellement les
normes comptables internationales et l’IASC n’avait aucun moyen de contraindre les
sociétés à adopter ses normes. Dans un premier temps, l’IASC s’est essentiellement
attaché à concevoir des normes internationales qui soient cohérentes avec des
référentiels nationaux très disparates. Par conséquent, ces normes internationales
autorisaient différents traitements comptables et les normes nationales de la majorité
des pays constituaient en quelque sorte des sous-ensembles des normes internationales.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 289


290

Toutefois, l’IASC a trouvé un second souffle. Un nouveau concept, l’harmonisation, est


désormais au cœur des débats, signe d’un subtil changement d’orientation ; les efforts
de marketing sont eux aussi à l’ordre du jour, afin de convaincre les membres de l’IASC
d’adopter les normes internationales.

Ce regain d’intérêt en faveur des normes comptables internationales s’explique par la


concurrence que se livrent les places boursières nationales pour attirer à elles de
nouvelles entreprises souhaitant être admises à la côte, et par les disparités très
profondes entre le système réglementaire américain et celui d’autres marchés
financiers internationaux.

Les grandes Bourses cherchent à optimiser leurs bénéfices et leur croissance comme
leur rentabilité sont tributaires des nouvelles cotations. Elles sont également
conscientes que les entreprises considèrent les contraintes d’information financière
comme un droit d’entrée implicite très élevé, notamment aux Etats-Unis.

L’existence d’un corps de normes comptables internationales renforcerait le pouvoir


des Bourses dans leurs négociations avec les organes réglementaires et plusieurs
Bourses (notamment la Bourse de New York, Nyse) ont oeuvré, dernièrement, en faveur
d’une amélioration du budget, de la visibilité et de la crédibilité de l’IASC.

En 1987, l’IASC a entrepris de réduire le nombre d’options pour chaque norme


internationale et promulgué 10 nouvelles normes en 1993. Mais l’IASC a surtout changé
d’attitude à propos des normes nationales.

Auparavant, ses membres devaient s’assurer de la compatibilité de leurs normes


nationales avec les normes internationales. Aujourd’hui, l’IASC semble décidé à mettre
au point des normes internationales susceptibles de remplacer les normes nationales
pour les émetteurs étrangers.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 290


291

En 1995, l’Organisation internationale des commissions des valeurs (OICV), regroupant


les organes réglementaires de la plupart des marchés financiers du monde, et l’IASC ont
décidé, d’un commun accord, d’élaborer un « noyau dur » de normes comptables d’ici
à 1999 susceptible d’être adopté et imposé par tous les pays, du moins pour les
émetteurs étrangers. Afin d’harmoniser plus avant les normes nationales, l’IASC a
également annoncé son intention de formuler des interprétations destinées à expliquer
aux entreprises comment appliquer les normes internationales à certaines transactions
ou certains événements particuliers.

Dans d’autres domaines, l’IASC a remporté quelques succès. Plusieurs pays (la Malaisie
ou le Pakistan, par exemple) ont adopté les IAS existantes, qui constituent donc leur
référentiel national, et de nombreux Etats (notamment en Europe de l’Est) venant de
se doter d’une place boursière mais dépourvus de système comptable national
semblent prêts à leur emboîter le pas.

4. Américanocentrisme

D’autres pays ont adopté certaines normes internationales venant se substituer à leurs
normes nationales ou les compléter. Certaines places boursières, au premier chef celle
de Londres, ont admis des sociétés dont la comptabilité est conforme aux normes IAS et
plus de 200 grands groupes (la plupart domiciliés au Canada, en France et en Suisse)
ont produit un deuxième jeu de comptes établi selon ces normes.

La SEC a même concédé à certaines sociétés étrangères le droit d’appliquer certaines


règles IAS comme la norme relative au tableau de financement (IAS 7), aux devises (IAS
21), au regroupement d’entreprises (IAS 22) et à la comptabilisation des effets de
l’inflation (IAS 29).

Au sein de l’Union européenne, certains efforts d’harmonisation des méthodes


comptables ont été entrepris, notamment avec les IVèmes et VIIèmes directives.
Celles-ci ont toutefois connu le même sort que bien d’autres et doivent encore produire

ManuelTheories Comptables-01Dec10 291


292

des effets tangibles. De plus, les pays européens ayant adopté le principe de
reconnaissance mutuelle des normes, le processus d’intégration a marqué le pas.
Malgré la création d’un groupe de travail ad hoc en 1990, l’harmonisation comptable
n’est plus une priorité, aucune proposition ni déclaration en ce sens n’ayant été faite
depuis.

Il est d’usage de considérer les normes américaines comme la référence. Cela


n’implique nullement leur supériorité à tous - ni même à certains - égards ; cela reflète
seulement la réalité économique et politique.

A moins que les normes IAS ne soient acceptées par la SEC, les sociétés qui s’y
conforment ne remplissent pas les conditions pour être admises sur les places
boursières américaines. Pour être coté outre-Atlantique, un groupe allemand comme
Daimler-Benz doit satisfaire aux règles et spécifications (conditions d’admission à la
cote) de la Bourse où ses actions seront échangées et se conformer à l’arsenal des
règles d’information comptable imposé par la SEC, légèrement amendées à titre de
concession pour les émetteurs étrangers.

La SEC exige notamment que les sociétés étrangères présentent soit des comptes
conformes aux US GAAP 79, soit un tableau de rapprochement avec les US GAAP des
comptes préparés selon le plan comptable de leur pays d’origine (l’Allemagne dans le
cas de Daimler-Benz). Peu de sociétés optent pour la première méthode, néanmoins,
même la méthode du rapprochement comptable coûte cher.

Selon une étude de la SEC, les tableaux de rapprochement comptable (Formulaire 20f)
publiés par des sociétés étrangères font apparaître de profondes différences, même
lorsque le référentiel appliqué est considéré comme similaire aux normes américaines
(comme pour les sociétés britanniques et canadiennes).

79 GAAP : General Accounting Accepted Principles : Principes comptables généralement reconnus

ManuelTheories Comptables-01Dec10 292


293

De plus, les divergences vont souvent dans le même sens - s’il existe une différence, il
y a 70 % de chances que le résultat net publié en fonction des US GAAP soit inférieur à
celui publié selon le référentiel national.

A l’inverse, pour faire admettre sa société sur la plupart des places boursières
(Londres, Hong-Kong ou Tokyo par exemple), il suffit de mettre à la disposition des
investisseurs des comptes conformes aux règles comptables prévalant dans le pays
d’origine après traduction dans la langue officielle du marché sur lequel la société doit
être introduite.

Si le marché boursier américain demeure l’un des plus importants marchés mondiaux,
les normes IAS non conformes aux règles américaines deviendront caduques. Mais si la
SEC persiste dans son attitude exclusive, la domination des Bourses américaines
pourrait bien être compromise.

C’est bien ce qui préoccupe les acteurs de ces marchés soucieux de leur rentabilité, et
notamment ceux du New York Stock Exchange (NYSE). Les membres du Nyse ont vu se
profiler la concurrence d’autres places boursières attirant à elles des sociétés
étrangères souhaitant ouvrir leur capital, voire des sociétés déjà cotées. Les grands
groupes américains non cotés à New York ne sont pas légion, mais il existe dans le
monde des centaines de sociétés très importantes dont l’éventuelle cotation au Nyse
n’est pas à négliger.

Attirer ces sociétés accroîtrait les bénéfices des organisations membres, rehausserait la
visibilité et le prestige de la place new-yorkaise et augmenterait, ou du moins
préserverait, les rémunérations des membres de sa direction. A l’évidence, si le Nyse
était libre de choisir, il accueillerait les sociétés étrangères en les autorisant à
présenter une comptabilité ne se référant pas nécessairement aux US GAAP.

Le défi que l’IASC doit relever est considérable. Nombre de sujets à aborder dans le
cadre du noyau dur comportent des points épineux comme la comptabilisation des

ManuelTheories Comptables-01Dec10 293


294

écarts d’acquisition, des instruments financiers, l’information sectorielle, la


présentation des situations intermédiaires, les contrats de location, les transactions
non-monétaires et les provisions. Tous ces points sont hautement controversés, même
sur le plan national. En dépit du formidable élan d’optimisme qui a conduit l’IASC à
promettre de boucler le noyau dur de son programme en avance sur le calendrier, tout
laisse aujourd’hui à penser qu’il sera difficile de respecter la date de 1999.

Aucun critère objectif ne permet de désigner le meilleur traitement comptable pour tel
ou tel élément. De façon plus générale, il n’existe aucun consensus sur certaines
grandes questions de comptabilité fondamentales entre les membres de l’IASC.Pour
parvenir à un accord sur un projet de norme, la méthode la plus simple consiste à
adopter une formulation assez souple pour être compatible avec les règles nationales.
Comme prévu, le processus de normalisation progresse sans heurt dès lors qu’il y a peu
de conflit entre les référentiels nationaux et lorsque la norme internationale édictée
est compatible avec le plus grand nombre de normes nationales.

5. Une solution en vue ?

L’IASC a plus que des problèmes épineux à régler. Politiquement, le comité est placé
entre le marteau et l’enclume et semble enclin à élaborer des normes susceptibles
d’être adoptées par les sociétés étrangères en remplacement du référentiel national.
Implicitement, cela reviendrait à créer un système d’information financière à deux
niveaux si les émetteurs nationaux continuent à utiliser le référentiel national ; un tel
système créerait inévitablement des tensions considérables dans les pays comme les
Etats-Unis où les normes nationales sont jugées au moins aussi coûteuses.

La SEC a fait comprendre que tout référentiel international s’éloignant de la


philosophie, de l’étendue et de la spécificité des normes américaines ne serait pas
acceptable. Elle bénéficie de l’appui du Financial Accounting Standards Board (FASB),
dans la mesure où l’acceptation généralisée des normes IAS pourrait compromettre la
crédibilité des normes FASB.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 294


295

En s’opposant à une solution à deux vitesses, la SEC court le risque de révéler que le roi
est nu. Elle déclare redouter un nivellement par le bas si les sociétés étrangères étaient
autorisées à adopter des normes comptables jugées moins onéreuses et moins strictes
que les normes américaines. Si la SEC refuse d’assouplir les règles nationales, il serait à
craindre en effet que les groupes américains ne se délocalisent à l’étranger pour y
fonder une nouvelle structure juridique et revenir lever des fonds sur les marchés
financiers américains en s’appuyant sur les normes IAS.

Avec ce raisonnement, la SEC feint d’ignorer que si les normes américaines sont
effectivement meilleures (même en prenant en compte leurs coûts supérieurs), les
sociétés adoptant les normes internationales supposées moins strictes devraient voir
leur valeur boursière chuter du fait du coût plus élevé des capitaux.

Qui connaît les péripéties de la monnaie unique en Europe peut avoir une idée de la
complexité du chantier que représenterait la création d’un véritable espace comptable
international. l

ManuelTheories Comptables-01Dec10 295


296

Tableau 1 : Divergence des philosophies comptables

D’une part D’autre part

Objectif premier Informer les actionnaires (ex. Protéger les créanciers, éviter
de l’information Etats-Unis et Royaume-Uni) de communiquer des
financière informations susceptibles de
pénaliser l’entreprise par
rapport à ses concurrents (ex.
Allemagne et Japon)
Orientations Instructions d’application très Grandes lignes uniquement,
données par les précises, couvrant toutes les laissant aux dirigeants une
normes transactions (ex. Etats-Unis) grande marge de manœuvre
pour de nombreuses transactions
(ex. Allemagne et Japon)
Sujets traités dans Des normes très pointues Pas de normes précises pour
les normes traitent largement les activités certaines activités essentielles
principales et annexes des (ex. systèmes de prévoyance
entreprises, par exemple le coût pour les retraités en Allemagne,
de modification des logiciels au Canada et aux Pays-Bas)
pour le passage à l’an 2000
(Etats-Unis)
Liens avec la L’information financière et la C’est le résultat publié qui sert
législation sur déclaration fiscale obéissent à essentiellement de base
l’impôt sur les des règles si différentes qu’il d’imposition (ex. Allemagne,
bénéfices existe deux jeux de compte (ex. France et Royaume-Uni)
Australie, Canada, Etats-Unis et
Pays-Bas)

ManuelTheories Comptables-01Dec10 296


297

Fréquence de Trimestrielle (Canada, Etats- Semestrielle (Allemagne,


publication des Unis, Israël et Mexique) France, Japon, Pays-Bas et
comptes Royaume-Uni)

Informations sur les Note et commentaires détaillés Regroupement de nombreux


retraitements : choix et applications des postes de l’actif et du passif,
comptables méthodes comptables et peu de notes explicatives et tout
(transparence) d’évaluation, variations des au plus commentaires succincts
provisions et autres écritures de sur les modalités d’application
retraitement (ex. Australie, des normes comptables, les
Canada, Etats-Unis, Nouvelle- variations des provisions et la
Zélande et Royaume-Uni) base retenue pour divers
retraitements comptables (ex.
Allemagne, France, Japon et
Suisse)

Imputation des En principe, toutes les charges, Certaines charges, notamment


charges sur les y compris les effets cumulés des celles qui sont liées aux effets
capitaux propres changements de méthodes rétrospectifs des changements
comptables, doivent passer par de méthodes comptables,
le compte de résultat (ex. Etats- peuvent être imputées sur les
Unis, et avec davantage réserves (ex. Allemagne)
d’exceptions, le Royaume-Uni)

ManuelTheories Comptables-01Dec10 297


298

Tableau 2 : Des écarts considérables pour Daimler-Benz

En millions de DM Résultat publié Transferts Avant mouvements


de provisions

1992 1.450 (770) 2,220

1993 610 4,260 (3,650)

ManuelTheories Comptables-01Dec10 298


299

Tableau 3 : Les différents traitements comptables dans le monde

Événement ou Options disponibles


transaction

Réévaluation des actifs - Autorisée (Australie, Hong Kong, Inde, Royaume-Uni).


Autorisée dans certains cas (France, Italie, Suède).
- Interdite (Allemagne, Canada, Etats-Unis, Japon).
Tableau de - Tableau des flux de trésorerie (Corée, Etats-Unis, Israël,
Royaume-Uni).
financement
- Etat des ressources et des emplois du fonds de roulement
(Mexique, Singapour, Suède).
- Facultatif (Allemagne, France, Pays-Bas, Suisse).
Comptabilisation des - Peut faire l’objet d’une note (Australie, Etats-Unis, Pays-
Bas, Royaume-Uni).
effets de l’inflation
- Facultative (Allemagne, Canada, Corée, Indonésie, Japon).

Ecart d’acquisition - Inscription à l’actif et imputation sur les capitaux propres


(Afrique du Sud, Italie, Singapour et Royaume-Uni).
- Inscription à l’actif et amortissement (Australie, Canada,
Etats-Unis et France).

Frais de recherche et - Enregistrement en charges (Allemagne, Etats-Unis,


Mexique).
de développement
- Immobilisation (Argentine, Corée, Norvège, Pays-Bas).
- Immobilisation des frais de développement, enregistrement
des frais de recherche en charges (Canada, Danemark,
Israël, Nigeria, Royaume-Uni).
- Aucune précision (Chine, Irlande).
Information sectorielle - Présentation des chiffres d’affaires, bénéfice et actifs par
secteur d’activité et zone géographique (Canada, Israël,
Italie, Singapour et Royaume-Uni).
- Présentation du chiffre d’affaires par secteur d’activité et
zone géographique (Allemagne, Belgique, France, Pays-
Bas).
- Présentation des chiffres d’affaires et bénéfice par secteur
d’activité (Corée). Aucune précision (Inde, Indonésie,
Norvège, Suisse).
Crédit-bail - Immobilisation obligatoire (Belgique, Etats-Unis, Hong
Kong, Israël).
- Immobilisation facultative ou autorisée dans des cas

ManuelTheories Comptables-01Dec10 299


300

extrêmement précis (Danemark, France, Japon, Suède).


- Pas d’inscription au bilan (Inde, Italie).
Avantages autres que - Provisionnement (Indonésie, Nigeria, Royaume-Uni, Etats-
Unis).
les retraites consentis
- Comptabilisation au moment du paiement (Allemagne,
aux retraités Australie, Hong -Kong, Japon).

Engagements de - Provisions couvrant les engagements non financés auprès


de tiers (Etats-Unis, Mexique).
retraite
- Pas de provisions (Allemagne, Canada, Pays-Bas, Royaume-
Uni).
- Aucune précision (Belgique, Hong-Kong, Nouvelle-Zélande).

ManuelTheories Comptables-01Dec10 300


301

Lecture de référence no. 18

La création d’un langage comptable international

Par

Dominique Thouvenin80
Résumé

Pour faire face aux disparités existant entre les normes et les pratiques comptables
nationales, l’IASC a été créé, en 1973, pour contribuer à l’amélioration et
l’harmonisation des états financiers essentiellement en publiant des normes
comptables internationales. Successivement harmonisateur puis innovateur, l’IASC
affiche un bilan largement positif quant à la réalisation de ses travaux et leur
utilisation dans le monde entier. Néanmoins, l’IASC se trouve aujourd’hui à la croisée
des chemins compte tenu de ses moyens limités par rapport à la diversité des objectifs
fixés : recherche sur des thèmes nouveaux, développement d’un package de normes
pour les opérations trans-frontières, développement d’un référentiel pour les petites
entreprises... L’IAS a accompli un travail considérable et a obtenu de grands résultats,
mais il ne faudrait pas que l’accélération trop rapide du processus et les évolutions
récentes puissent remettre en cause les chances de succès final, en particulier auprès
des vrais utilisateurs potentiels de l’IASC, les entreprises d’Europe continentale et
d’Extrême-Orient.

80 Dominique Thouvenin est Associé à la firme comptable Ernst & Young Audit et Responsable de la doctrine comptable. Il est également
membre du Conseil National Français de la Comptabilité

ManuelTheories Comptables-01Dec10 301


302

Chargé d’élaborer un véritable langage comptable mondial au plus tard pour 1999,
l’IASC doit conjuguer aujourd’hui des objectifs divers et des moyens limités.

Devant les disparités des référentiels comptables nationaux, les professionnels


comptables d’une dizaine de pays ont créé, en 1973, l’International Accounting
Standards Committee (IASC) pour contribuer à l’amélioration et à l’harmonisation des
états financiers, essentiellement en publiant des normes comptables internationales.
Vingt-cinq ans après, l’IASC est sur le point de compléter un ensemble cohérent de
normes qui vont être utilisées pour les opérations financières trans-frontières et il
semble donc important de faire le point sur ce qui a été fait, sur la situation actuelle et
sur les problèmes à régler pour continuer de progresser dans l’élaboration d’un
véritable langage comptable mondial.
L’IASC a beaucoup évolué
A son origine, l’IASC travaillait sur un programme d’harmonisation des pratiques
comptables mondiales, d’abord souple avec de nombreuses options, puis de plus en
plus contraignant avec la réduction de ces options. L’IASC avait une approche simple :
il analysait les pratiques existantes et retenait les meilleures comme normes
internationales, remplissant ainsi pleinement son rôle d’harmonisateur. Mais, l’IASC a
changé de nature avec la signature, en 1995, des accords avec l’IOSCO (organisme
regroupant les Commissions de Bourse) par lesquels il doit développer, au plus tard
pour 1999, un package complet de normes permettant aux entreprises de se faire coter
à l’étranger sans présenter deux jeux d’états financiers (en fait, permettant aux
entreprises non anglo-saxonnes de se faire coter aux Etats-Unis sans appliquer ou sans
se rapprocher complètement des normes américaines). Ce nouvel objectif a conduit
l’IASC à sortir de son rôle d’harmonisateur pour devenir un innovateur : il ne construit
plus seulement ses normes à partir des meilleures pratiques existantes, mais crée des
normes novatrices ne correspondant à la pratique actuelle d’aucun pays. Pour ce faire,
l’IASC s’est rapproché des organismes normalisateurs des grands pays anglo-saxons dans
le cadre du groupe G 4=1 pour mettre en commun les moyens et réfléchir à des normes
traitant de problèmes non résolus à ce jour.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 302


303

Un bilan très positif


Si l’on regarde les progrès accomplis, on constate aujourd’hui que :
- Le premier résultat majeur est que nul ne conteste plus, ouvertement, que l’IASC
soit le seul normalisateur comptable international. En effet, les autres organismes
internationaux ou multinationaux qui avaient entrepris de jouer un rôle dans la
normalisation comptable internationale se sont progressivement retirés (ONU,
OCDE) ou collaborent maintenant directement aux travaux de l’IASC (Iosco,
Commission européenne, Fédérations d’analystes...).
- L’accord de 1995 qui devrait aboutir à un corps de normes complet en 1998 et à son
acceptation par l’Iosco en 1999 devrait faire des normes de l’IASC le langage unique
reconnu pour les cotations trans-frontières.

- Plusieurs centaines d’entreprises, originaires de pays où les normes ne sont pas


reconnues internationalement, présentent leurs comptes consolidés conformément
aux normes de l’IASC (en particulier en Europe continentale et en Extrême-Orient).

- Certains pays, en retard dans le développement de leurs propres normes comptables


ont (Moyen-Orient, Extrême-Orient) ou vont (Europe de l’Est) adopter en bloc le
référentiel de l’IASC comme leur propre référentiel ; d’autres, comme l’Australie,
se sont engagés à rendre leur référentiel national conforme aux normes IAS.

- Certains autres pays enfin envisagent de se servir de l’IASC comme référentiel pour
leurs sociétés nationales ayant des activités internationales (France, Allemagne) et
ce en dérogation de leur propre référentiel.

Ce bilan traduit bien l’importance des efforts accomplis; néanmoins, l’IASC se


trouve aujourd’hui à la croisée des chemins car il est engagé au même moment
sur plusieurs fronts, sans avoir nécessairement l’organisation et les moyens d’y
faire face. Si l’on exclut la comptabilité publique et la comptabilité des
organismes à but non lucratif qui font également partie de son domaine mais ne
concernent pas directement les entreprises, l’IASC se trouve impliqué dans le
développement d’un référentiel :

ManuelTheories Comptables-01Dec10 303


304

- susceptible d’être adopté comme référentiel national par les pays en voie de
développement ou par d’autres pays qui connaissent de profondes mutations
économiques et ne disposent pas d’un référentiel reconnu ;

- destiné aux entreprises en général (et pas seulement aux grandes multinationales
cotées qui souhaitent utiliser un référentiel connu internationalement pour la
préparation de leurs états financiers ;

- qui doit servir à toutes les entreprises souhaitant obtenir une cotation de leurs titres
ou faire appel public à l’épargne à l’étranger (accord Iosco).

Dans le même temps, l’IASC se trouve impliqué dans un travail collectif d’innovation
pour développer, conjointement avec les normalisateurs comptables les plus avancés,
des normes novatrices sur des sujets non encore résolus.

Tous ces travaux sont menés avec l’hypothèse implicite qu’ils concernent un référentiel
international unique et, en fait, tout se passe comme s’il y avait un seul référentiel en
cours de développement pour ces différents objectifs. Cette approche est à la base
d’une partie des difficultés actuelles de l’IASC et, à terme, peut l’amener à un échec si
des actions correctrices ne sont pas décidées rapidement.

Pour chacun des objectifs précités, on constate en effet des insuffisances ou certaines
évolutions qui peuvent remettre en cause l’objectif visé.

Développement de normes novatrices avec les grands normalisateurs

Ce travail de coordination des recherches des grands normalisateurs nationaux sur des
problèmes qui n’ont pas encore trouvé de solution satisfaisante est un des éléments
essentiels du rôle de l’IASC dans le développement des normes futures ; il ne doit
cependant pas nécessairement aboutir à l’introduction systématique de ces réflexions à
plus long terme dans des normes d’application quasi immédiate. En effet :

ManuelTheories Comptables-01Dec10 304


305

- le travail en commun n’aboutit pas nécessairement à des solutions communes. Ainsi


le travail commun réalisé avec le FASB sur l’information sectorielle n’a pas abouti à
des normes convergentes faute d’une approche commune de l’information
financière ;

- la « reculade » que l’IASC a dû effectuer sur son discussion paper sur les instruments
financiers en est une autre illustration : les marchés financiers, clé de voûte du
nouveau modèle comptable que veut introduire l’IASC, n’ont pas le même degré de
développement partout dans le monde, et la mise en oeuvre rapide de la norme
telle qu’elle était prévue aurait été impossible dans de nombreux pays faute de
marchés organisés et liquides ;

- les concepts qui sont utilisés dans l’étude de ces normes nouvelles, comme la mise
systématique à la valeur de marché des actifs et des passifs, ne font pas partie
intégrante du cadre conceptuel (qui prévoit le maintien de divers modèles) et n’ont
pas fait l’objet d’une discussion ouverte, en particulier en ce qui concerne leur
impact sur la mesure de la performance. Toute finalisation de norme sans accord
formel sur ces concepts de base serait, à terme, vouée à l’échec.

Ces travaux de recherche doivent être poursuivis mais dans le cadre d’une
réflexion plus ouverte et plus complète sur le cadre conceptuel et en prévoyant
des degrés dans leur mise en oeuvre selon le type d’entreprise et les régions du
monde concernées.

Développement du « package Iosco »

La pression énorme que s’est imposée l’IASC avec l’objectif d’aboutir à un package
complet en 1998 affecte le processus d’élaboration des normes et risque de nuire à leur
qualité : nombreuses normes à réaliser dans des délais très courts, groupes de travail
menant en parallèle des projets séparés sans pouvoir se coordonner. Un décalage d’une
année serait beaucoup moins dommageable que des normes de moindre qualité ou
n’ayant pas fait l’objet d’un consensus.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 305


306

Le package minimum n’est pas encore complet et les normes qui restent en discussion
sont parmi les plus délicates (provisions, immobilisations incorporelles, dépréciation
des actifs, instruments financiers...).

De plus, le package prévu, même s’il peut être acceptable par l’Iosco, ne pourra être
considéré comme un référentiel complet tant qu’il ne traitera pas des spécificités
sectorielles (banques et assurances bien sûr, mais aussi entreprises pétrolières et
minières...). Enfin, les entreprises ont besoin d’être rassurées sur la position de la SEC
pour les cotations aux Etats-Unis. Or celle-ci laisse planer des doutes sur sa décision ;
en particulier, elle a fait savoir à plusieurs reprises que les normes de l’IASC actuelles
manquaient d’interprétations, ce qui a conduit à la création du comité SIC, responsable
de la préparation de telles interprétations. Le risque est qu’en l’absence
d’interprétations officielles, la SEC prenne des positions différentes de celles retenues
par les entreprises.

Enfin sur des aspects très importants (pooling of interests, dépréciation des actifs...),
l’IASC a ou va retenir des normes beaucoup plus strictes que les normes du FASB
risquant de mettre ainsi les entreprises qui ont opté pour l’IASC dans une situation
concurrentielle défavorable par rapport à celles qui appliquent les US GAAP. Ce point
est primordial car il peut pousser des entreprises qui envisageaient d’adopter l’IAS à ne
pas le faire : ainsi l’IAS ne prévoit pas, comme la norme SFAS 121, un premier calcul
non actualisé des cash-flows futurs pour déterminer si une provision pour dépréciation
est requise mais impose directement un calcul actualisé, ce qui peut entraîner des
différences très significatives au niveau du résultat.

Développement d’un référentiel pour les autres entreprises

La priorité absolue donnée actuellement au « package Iosco » amène de nombreux


observateurs à penser que les normes récentes ne sont plus adaptées à une grande
partie des entreprises visées par l’IASC, les petites entreprises et les entreprises des
pays en voie de développement ou en cours de mutation vers l’économie de marché.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 306


307

Le problème se pose en particulier pour de nombreuses entreprises qui ne font pas


partie d’un groupe, ne présentent donc pas de comptes consolidés et ne peuvent ainsi
bénéficier d’une certaine autonomie par rapport à leur réglementation nationale. Dans
de nombreux pays, en particulier en Europe continentale, les comptes sociaux servent
d’abord à déterminer l’impôt et les dividendes et sont donc soumis à un cadre juridique
et fiscal rigoureux. Plusieurs normes de l’IASC sont incompatibles avec ce cadre ou
pénaliseraient trop sur le plan fiscal les entreprises concernées ; ainsi, celles-ci,
souvent exportatrices ou importatrices et ressentant le besoin d’avoir des états
financiers reconnus internationalement, n’ont en fait pas accès au référentiel de
l’IASC.

De plus, les normes de l’IASC, qui visent à satisfaire les besoins des marchés financiers
internationaux, imposeraient des contraintes beaucoup trop lourdes, en termes de
retraitements comptables ou d’informations à donner, aux entreprises des pays en voie
de développement qui envisageraient de l’adopter comme référentiel national.

Le Board, conscient de ce problème, a prévu que, lorsque le « package Iosco » serait


terminé, il envisagerait de revoir l’ensemble des normes pour éventuellement prévoir
les adaptations nécessaires pour les petites entreprises ou les pays moins avancés en
matière de marchés financiers. Mais, pour les raisons évoquées ci-dessus, ce travail ne
pourra être entrepris avant plusieurs années, privant, en attendant, toutes ces
entreprises du référentiel IAS. Le fait d’avoir commencé à innover n’aurait pas dû
empêcher l’IASC de continuer à harmoniser des normes simples et de base pour la
grande majorité des entreprises qui n’est pas encore prête pour les opérations
financières trans-frontières.

Un comité stratégique

Le Board a constitué un comité stratégique pour réfléchir à l’ensemble de ces


problèmes et proposer

ManuelTheories Comptables-01Dec10 307


308

des solutions tant en ce qui concerne le programme de travail que l’organisation et le


mode de fonctionnement.

- Le premier projet de rapport de ce groupe semble vouloir accélérer encore plus


l’évolution évoquée : - il veut faire passer l’IASC du statut d’harmonisateur et de
développeur du langage comptable international à celui de normalisateur universel,
c’est-à-dire que les normes développées en commun dans ce cadre devraient servir
directement de base à toutes les normes nationales. Cette évolution, si elle semble
conceptuellement idéale, ne correspond pas à la réalité du monde des entreprises
d’aujourd’hui. De plus, les grands normalisateurs nationaux, Etats-Unis et Royaume-
Uni, qui seraient les piliers renforcés de ce nouveau système, ne se sont, jusqu’à
présent, jamais engagés à appliquer les normes IAS dans leur propre référentiel ; et
les exemples sont nombreux de cas où ils ne l’ont pas fait (par exemple,
consolidation proportionnelle ou information sectorielle aux Etats-Unis);

- pour atteindre cet objectif, le comité stratégique envisage de transférer le pouvoir


qui appartient aujourd’hui aux préparateurs, vérificateurs et utilisateurs des états
financiers, vers les normalisateurs comptables des grands pays, ce qui risque d’en
accentuer le caractérise élitiste et de faire perdre une partie de sa légitimité à
l’IASC, au moins en ce qui concerne les entreprises qui ne sont pas de grandes
multinationales.

Il semble donc important que le comité stratégique réexamine ses conclusions


préliminaires et réoriente en conséquence l’évolution future. L’IASC a accompli un
travail considérable et a obtenu de grands résultats ; il ne faudrait pas que
l’accélération trop rapide du processus et la continuation de certaines évolutions
récentes puissent remettre en cause ses chances de succès final, en particulier auprès
de ses « vrais clients potentiels », les entreprises d’Europe continentale, d’Extrême-
Orient ainsi que les entreprises des pays émergents. Une remise à plat s’impose
d’urgence.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 308


309

Lecture de référence no. 19

LA COMPTABILITE DES RESSOURCES HUMAINES


par
Elsa Delaunay & als

ManuelTheories Comptables-01Dec10 309


310

Introduction
Jusqu’à une époque récente les procédures comptables se sont développées dans une
optique patrimoniale. Ainsi, pour l'entreprise la comptabilité assure trois fonctions :
évaluer les résultats et le patrimoine :
 contrôler l'activité‚ de l'entreprise

 soutenir la gestion

Mais la comptabilité est aussi une source d'informations qui intéresse également les
actionnaires qui suivent l'évolution de la firme.
Or, les investisseurs ont beaucoup de mal à identifier, mesurer et analyser les données
sociales. Les entreprises rencontrent également des difficultés à communiquer une
information pertinente dans le domaine des ressources humaines car il leur faut
transformer des données qualitatives en données quantitatives.
Pour surmonter cette difficulté, de nombreux auteurs ont imaginé intégrer les
ressources humaines dans les actifs de l'entreprise. C'est ainsi que dans les années 60 -
70, Gary BECKER a développé la théorie de capital humain. L'être humain est considéré
comme un actif ayant une valeur monétaire caractérisée par l'ensemble de ses
aptitudes, ses connaissances et son savoir-faire. Comme tout capital, il doit faire l'objet
d'un investissement et de dépenses d'entretien qui procurent des avantages aux
entreprises qui l'emploient.
L'émergence de la comptabilité des ressources humaines renvoie au problème de la
difficulté d'obtenir l'information financière et à celui des limites des états comptables
en matière de prise de décisions. De façon plus générale, elle pose le problème de
l'évaluation économique et financière des ressources humaines dont l'entreprise utilise
le savoir faire et les connaissances pour créer de la valeur.

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311

Comment témoigner de façon concrète de la valeur représentée par le capital


immatériel que constituent les ressources humaines d'une organisation ?
I – Vers un pilotage socio-économique des organisations

Le pilotage socio-économique des organisations pose le problème de la notion de


capital humain (1) et des objectifs de la comptabilité‚ des ressources humaines (2).

- I - La notion de capital humain

L'art 911-1, al 1 du P.C.G 1999 définit l'actif comme "tout élément du patrimoine ayant
une valeur‚ économique positive pour l'entité". Ainsi, les actifs sont des valeurs
positives indifférentes au découpage du temps en période, conservés dans le
patrimoine, convertibles, récupérables dans l'attente d'une affectation ultérieure sous
forme de produits et de charges.
Cette définition a par la suite été modifiée. Une conception patrimoniale et juridique
du bilan s'est imposée. Ainsi, les actifs sont considérés tels que les biens durables, les
créances, les liquidités. Ils sont objet de propriété ou de créance et ils ont une valeur
vénale : les actifs sont garants de la solvabilité‚ de l'entreprise car susceptibles de
procurer un revenu par l'utilisation ou par la location.
A côté‚ de ces actifs qui ont une valeur vénale, ont été rajoutés des actifs fictifs
entraînant une nouvelle conception économique du bilan : un actif est devenu un
instrument de production durable qui procurera des recettes dans l'avenir par sa
contribution à la production. Il n'a pas forcément une valeur vénale et n'est pas
nécessairement objet de propriété.
Cette dernière définition de l'actif a permis de prendre en compte le capital
immatériel dont fait partie le capital humain. Ce dernier est défini par Gary BECKER,
auteur de la théorie du capital humain, comme l'ensemble des capacités productives
qu'un individu acquiert par accumulation de connaissances générales ou spécifiques, de
savoir-faire etc …
Malgré cette définition, le concept de capital humain demeure un concept pauvre
difficilement interprétable car la notion de capital humain exprime l'idée que c'est un
stock immatériel imputé à une personne pouvant être accumulé et s'user. Cette

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constatation est appuyée par le fait que le capital immatériel est défini comme étant
"la détention d'un savoir d'une expérience concrète, d'une technologie d'organisation,
de relations avec les clients et de compétences professionnelles qui confèrent un
avantage compétitif sur le marché".
Cependant, la notion de capital immatériel n'inclut pas seulement la capacité cérébrale
humaine, mais aussi les marques déposées et les actifs comptabilisés à leur coût
d'acquisition et qui sont valorisés avec le temps.

- II - Les objectifs de la comptabilité des ressources humaines.

L'identification du capital humain dans la comptabilité des ressources humaines a pour


objectifs majeurs :
 De fournir une information chiffrée concernant le coût et la valeur des individus
en tant que ressources pour une organisation
 Servir de cadre d'aide à la prise de décision, notamment en ce qui concerne le
recrutement, la sélection, la formation du personnel : fournir un moyen
d'évaluation des politiques de gestion des ressources humaines.
 Inciter les employeurs à imaginer les salariés comme une ressource évaluable
pouvant s'apprécier selon la manière dont elle est gérée.
Ainsi, les travaux relatifs à la comptabilité des ressources humaines ont engendré
diverses méthodes dans un contexte de management de l'investissement humain.

II – ACTIVATION DU CAPITAL HUMAIN : une origine ancienne (1960, 1970)

Il faut remonter aux années 60 pour trouver les premières tentatives développées
pour intégrer les ressources humaines dans le bilan comptable. Dans les années 1970,
le programme de recherche sur le Capital humain par T. Schultz et G. Becker a
donné lieu à divers projets sur la comptabilité des ressources humaines ; plus
précisément la reconnaissance de l’investissement humain comme un actif.

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I - Logique de l’activation comptable

On part d’un constat : l’information financière, les états comptables sur lesquels
s’appuient les managers, les investisseurs, traduisent mal la valorisation du capital
humain.
- A - Charge ou immobilisation ?

En référence aux principes comptables, et plus précisément à celui de l’indépendance


des exercices, une question se pose tout naturellement encore aujourd’hui quant aux
dépenses de personnel :
S’agit-il de :

 Coûts propres à la période ?

Auquel cas les dépenses sont enregistrées en charges et n’apparaissent clairement


qu’au compte de résultat.
Ou de

 Coûts d’investissement ?

Auquel cas il doit être fait état d’une immobilisation incorporelle portée à l’actif du
bilan et sujette à amortissement.
Face à l’absence de définition précise de l’ancien PCG et du nouveau (1999), référons
nous à la norme IAS 38 quant aux conditions d’activation des éléments incorporels :
 L’élé
ment doit générer des avantages économiques futurs qui profiteront probablement à
l’entreprise (l’estimation doit reposer sur des données objectivement vérifiables).

 Le coût de cet actif doit être mesuré de façon fiable.

En remarque, lorsque l’immobilisation est générée en interne (« production


immobilisée »), c’est surtout la phase de développement qui doit être immobilisée.
L’entreprise doit démontrer « sa capacité technique à terminer l’actif pour permettre

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son usage interne ou sa commercialisation ; l’existence d’un marché pour les produits
qui seront issus de l’incorporel ou pour l’incorporel lui-même, ou son utilité pour un
usage interne et l’existence des ressources financières et techniques qui lui
permettront d’achever le développement. »

La question de l’activation comptable est légitime lorsque l’on pense au coût de


recrutement, de formation, d’apprentissage des tâches et d’organisation du travail. Ces
dépenses engendrent des effets productifs sur plusieurs périodes (amortissement). Ces
effets peuvent donc générer des avantages économiques futurs, et l’on peut tenter de
mesurer le coût des diverses dépenses.

Afin d’illustrer ces propos, prenons l’exemple de la seule entreprise ayant présenté des
documents de synthèse intégrant les ressources humaines au bilan : la R. G. Barry
Corporation (1968,1969). Il s’agit d’une entreprise de taille moyenne dans l’Ohio à
Colombus (USA) qui fabrique des chaussures.

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Système de gestion comptable des Ressources Humaines


de R.G. Barry Corporation

Dépenses de la période

Dépenses en Autres dépenses


Ressources Humaines

Coût des services Coût des « actifs humains »


consommés

Salaires rémunérant les Embauche Formation


services rendus

Amortissement des Recrutement Apprentissage


investissements en «
actifs humains »

Accueil Développement de
l’expérience

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Source : R.G. Barry Corporation (d’après REY 1978)

- B - Une solution opérationnelle au management

De façon plus générale, la comptabilité des ressources humaines pose le problème


de l’évaluation économique et financière des ressources humaines dont l’entreprise
utilise le savoir-faire et les connaissances pour créer de la valeur.
Les travaux relatifs à la comptabilité des ressources humaines ont donc eu pour
objectif d’apporter une solution opérationnelle à un certain nombre de problèmes de
management tels que :
- Le suivi du coût des investissements en ressources humaines dans une
perspective d’évaluation des projets d’investissement et de calcul du retour sur
investissement (R.O.I. ). Ce retour sur investissement est appréhendé de deux
façons. D’une part en calculant le ROI interne à la DRH. Il s’agit ici de diminuer
le ratio nombre de salariés RH / effectif total. Par exemple, l’investissement
dans un progiciel RH est l’un des meilleurs moyens de diminuer ce ratio.
Cependant, ce ratio est difficile à manipuler car les écarts se révèlent
gigantesques dans ce domaine en fonction de l’organisation de l’entreprise et
des méthodes de travail des salariés. De ce fait, il semble illusoire de penser
qu’un progiciel permettra à toutes les entreprises d’atteindre le ratio affiché
haut et fort par Cisco : « deux personnes pour gérer les notes de frais de 20 000
salariés ». D’autre part en calculant le ROI en terme d’opportunités business. Le
ROI en termes d’opportunités pour l’entreprise demeure souvent intuitif dans les
groupes français. C’est dans cette optique que la comptabilité des ressources
humaines vient en aide au management car elle permet de se baser sur des
éléments concrets et non plus sur l’intuition des managers.
- L’explication du goodwill, les ressources humaines devant justifier une partie de
cette survaleur. Le goodwill consiste à corriger la valeur patrimoniale d’une
entreprise afin de tenir compte de la capacité bénéficiaire future de
l’entreprise. La méthode consiste à calculer un superbénéfice annuel (rente de

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goodwill), à l’actualiser sur une durée à fixer. Ce superbénéfice est ensuite


ajouté à la valeur patrimoniale pour avoir la valeur de l’entreprise. Cependant
deux problèmes se posent. D’une part le choix de la durée d’actualisation. Il
s’agit de la durée pendant laquelle l’actif économique est susceptible de
produire le superbénéfice. D’autre part, le choix du taux d’actualisation. En
principe, on utilise le coût du capital majoré d’une prime, pour tenir compte du
niveau de risque de l’entreprise. Cependant, dans cette formule on ne tient
compte que de l’actif économique. De ce fait la comptabilité des ressources
humaines, intégrant les ressources humaines dans l’actif de l’entreprise,
permettrait d’évaluer l’entreprise telle qu’elle est réellement. Ainsi, la valeur
d’une entreprise se verrait majorer ou minorée en fonction de la qualité de son
personnel.
- Le développement d’une gestion de personnel reposant sur des informations
comptables analytiques, voire individuelles.

II - Méthodes d’évaluation

Bien que se référant étroitement au modèle comptable, les travaux relatifs à la


comptabilité des ressources humaines ont suscité un large débat autour des concepts
de coût et de valeur. Ils ont engendré différentes propositions d’utilisation, dans le
contexte du management de l’investissement humain, de méthode d’évaluation qui
reposent sur des logiques de nature différente.

- A - Evaluation au coût historique

Cette méthode a été développée à l’origine par Brummet, Flamholtz et Pyle (1968).
L’analyse du coût des ressources humaines en investissement, susceptible
d’amortissement, et charges de période ne soulève pas de difficulté technique, dès lors
que le système d’évaluation reste fondé sur le coût historique. Dans cette optique,
c’est le coût réel d’obtention des ressources par l’entreprise qui fonde l’évaluation.
Cette problématique classique nécessite la conception d’un réseau d’analyse des
dépenses de personnel permettant la mise en œuvre, à un niveau suffisamment

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détaillé, de critères de rattachement à la période et à l’analyse en coûts directs et


indirects. Cette méthode offre deux avantages. D’une part, elle ne rompt pas avec la
logique globale d’enregistrement des investissements au coût historique. D’autre part,
elle offre la possibilité de vérifier le calcul des données.
Dans cette approche deux types de coûts sont identifiés : Le coût de détection de la
ressource et le coût d’entretien de celle-ci. Dans le coût d’entretien, la formation pose
le problème de l’appropriation du savoir : le savoir est capitalisé par l’individu et lui
confère donc un caractère inaliénable ou inappropriable mais il peut être admis que les
comportements individuels ou collectifs vis-à-vis de la formation pendant la période
précédent le travail et pendant l’activité pourraient correspondre à un investissement
que consent le salarié et qu’il cherche lui-même à rentabiliser.
La reconnaissance de l’investissement en ressources humaines pose le problème
fondamental de l’amortissement de cet investissement. Comme le souligne E. Marquès
(1974), la durée de vie probable des investissements humains dépend de nombreux
facteurs tels que la durée de vie des individus, l’état de leur santé, l’âge de la retraite,
le climat social, la probabilité de rupture du contrat de travail, l’obsolescence des
connaissances techniques. Deux voies ont été proposées pour mesurer cette durée de
vie : l’une, de nature statistique, repose sur l’élaboration de courbes de carrière par
catégorie de personnel à partir des données historiques ; l’autre, de nature
comportementale, examine le jeu des variables conduisant un individu à quitter une
entreprise afin d’en déduire une probabilité.
La Barry Corporation a choisi de publier ses comptes en respectant les normes
légales pour intégrer l’élément humain, après identification de ses composantes et
prise en compte d’un plan d’amortissement. Elle a considéré comme investissement
toutes les dépenses liées au recrutement, à la formation et au perfectionnement
interne et externe.

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BILAN DE BARRY CORPORATION

ACTIF Eléments financiers Eléments


avec intégration financiers seuls
des ressources
humaines
Valeurs immobilisées 70 000 70 000
Immobilisations nettes en ressources 32 000
humaines 100 000 100 000
Valeur d’exploitation 50 000 50 000
Autres actifs
Total 252 000 220 000
PASSIF
Capitaux propres et réserves 80 000 80 000
Capitalisation en ressources humaines 21 333
Impôt théorique sur capitalisation 10 667
Dettes dont impôt sur les sociétés 120 000 120 000
Bénéfice net 20 000 20 000
Total 252 000 220 000

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COMPTE DE RESULTAT DE BARRY CORPORATION


Eléments Avec prise en Sans prise en
compte des compte des
ressources ressources
humaines humaines
Chiffre d’affaires net 530 000 530 000
Coût de revient 440 000 480 000
Marge brute 90 000 50 000
Dotation aux amortissements 20 000 20 000
Bénéfice d’exploitation 70 000 30 000
Dotation aux amortissements des R. H. 8 000
Dotation pour impôt latent 10 667
Bénéfice avant impôt 51 333 30 000
Impôt 10 000 10 000
Bénéfice net après impôt 41 333 20 000

Les charges supportées par l’entreprise et correspondant à une valorisation des


ressources humaines sont évaluées à 40 000. Leur durée d’amortissement est estimée à
5 ans, ce qui représente un amortissement de 8 000 par an.
L’immobilisation nette en ressources humaines tient compte d’un amortissement de
8 000 pour le premier exercice. L’importance relative du facteur humain est à prendre
en considération dans cette entreprise puisque les actifs humains représentent environ
le tiers des actifs immobilisés. Naturellement la capitalisation des ressources humaines
suppose un attachement des salariés à leur entreprise. Le traitement comptable décrit
est analogue à un transfert de charges accompagné d’une inscription d’une valeur à
l’actif.
La reconnaissance d’une partie des charges comme investissement net en ressources
humaines se traduit mécaniquement, dans les états financiers présentés sous cette
option, par un bénéfice d’exploitation plus élevé.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 320


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Si le bénéfice est majoré l’impôt reste le même du fait de la création d’une


dotation pour impôt latent dont le principe est fiscalement retenu par hypothèse. Le
montant de l’impôt est alors de ((70 000 – 8 000)* 1/3) – 10 667 = 10 000
Afin de respecter les contraintes réglementaires et les pratiques comptables ne
permettant pas de publier des états financiers fondés sur le principe d’une
reconnaissance des investissements en ressources humaines, Barry Corporation a dû
procéder, dans ses rapports annuels de 1969 à 1973, à une double présentation du bilan
et du compte de résultat.
B - L’évaluation au coût de remplacement
On s’attache ici à évaluer le potentiel humain au coût auquel s’exposerait
l’entreprise si elle devait remplacer les ressources humaines existantes. Cette
évaluation trouve son origine à partir des travaux d’Edwards et Bell (1961) mais ceux-ci
ont dû être adaptés au contexte (Likert 1967, Flamholtz 1973). En effet, la méthode
repose sur une estimation par rapport aux prix relatifs actuels. Mais en matière de
gestion des hommes, le remplacement à l’identique n’a aucun sens, tant au plan
individuel que collectif. On ne peut envisager d’appliquer la méthode à l’ensemble du
personnel d’une entreprise, sous peine de faire courir un risque important de
surévaluation sur la base de l’hypothèse absurde d’un remplacement de tous les
salariés. Toutefois, la méthode peut être pertinente pour estimer la valeur de quelques
équipes clefs : vendeurs spécialisés, techniciens ou financiers pointus, par exemple. Il
faudrait donc se baser sur le coût de recrutement, formation et développement des
savoir-faire des collaborateurs qui ont une efficacité et une connaissance de
l’organisation équivalente. Marquès (1974) nous amène donc à distinguer plusieurs
types de remplacement :
• Le remplacement en services présents équivalents.
Il convient pour un personnel non spécialisé et facilement substituable.
• Le remplacement en services potentiels équivalents.
• Le remplacement en services potentiels probables .
Ces deux derniers types sont adaptés pour des collaborateurs de niveau plus élevé.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 321


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Enfin, il ne faut pas omettre d’intégrer des coûts spécifiques directs et indirects
propres à la substitution de personnel comme les coûts liés au départ du salarié, coûts
de recherche et de mise en place d’un salarié assurant des services équivalents.

- C - Evaluation au coût d’opportunité

Les besoins et la rareté des ressources sont mis en relation, de sorte que la valeur
des biens est ainsi établie. Les agents économiques effectuent donc des choix en
essayant d’obtenir les biens qui leur sont personnellement les plus utiles, selon la
rareté relative : ils cherchent la meilleure valeur. Ce choix implique un schéma de
référence qui pondère les valeurs en détermine un ordre de priorité. Par exemple, il
faut manger avant de profiter des loisirs sinon nous mourrons de faim et nous ne
pouvons plus profiter des loisirs. Cependant on peut se demander qui fait le choix ? La
personne qui a le pouvoir économique c’est-à-dire la personne qui contrôle les
ressources rares d’une part et celle qui peut pondérer ses besoins d’autre part.
Pour un étudiant le bénéfice d’opportunité représente la différence entre son futur
salaire de diplômé et le meilleur salaire qu’il aurait perçu avant de faire ses études. Il
faut évidemment tenir compte aussi de l’intérêt de ce salaire non perçu.
L’opportunité peut donc se définir comme le résultat, le gain obtenu ou perdu suite
à un choix économique. L’opportunité est positive quand nous considérons les
avantages du choix effectué et négative dans le cas contraire.
Dans l’entreprise, dès qu’on se limite aux productions efficaces, on ne peut
accroître la quantité d’un bien qu’en diminuant la quantité d’un autre bien. Cette
diminution est inévitable alors que les ressources utilisées dans la production du second
bien sont dorénavant consacrées à la production du bien désiré en plus grande
quantité. Inversement si on diminue la quantité d’un bien, il faut augmenter le niveau
de production d’un autre bien sinon des ressources seront gaspillées. De ce fait le coût
d’opportunité d’un bien est la quantité de l’autre qu’il faut sacrifier pour obtenir une
unité supplémentaire du premier bien. On peut mesurer le coût d’opportunité d’un
bien en diminuant sa quantité. Alors son coût est la quantité de l’autre qu’on obtient.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 322


323

En ce qui concerne les ressources humaines, le coût d’opportunité est défini comme
la valeur des ressources humaines dans leur utilisation alternative la plus favorable.
HEKIMIAN et JONES ont suggéré un système concurrentiel d’enchères au sein de
l’entreprise où les responsables de division jouent le rôle d’acheteurs de personnel.
L’enchère doit permettre de déterminer une situation d’équilibre qui représente le prix
du groupe de personnes, assimilé à la valeur économique incorporable aux actifs de
l’entreprise. La valorisation au coût d’opportunité suppose donc la mise en place d’un
marché interne des ressources humaines, la valeur de chaque individu étant la
résultante naturelle de la confrontation de l’offre et de la demande. La valeur du
capital humain correspondrait à la somme des valeurs individuelles ayant fait l’objet
d’une confrontation interne. Cette méthode fait référence à un prix du marché donc
est très proche de la méthode du coût de remplacement, l’apport résidant
essentiellement dans la détermination de la valeur de chaque individu par un
mécanisme d’évaluation interne. Selon une procédure d’appréciation interne des
compétences et des disponibilités du marché, la valeur de l’individu est estimée et
capitalisée.
- D - L’évaluation économique

En marge des principes comptables (principe de prudence notamment), B. Lev et A.


Schwartz (1971) ont suggéré l’idée d’évaluer les ressources humaines à partir des
dépenses de recrutement et de formation augmentées de la valeur actualisée des
salaires que recevra un collaborateur pendant une période d’activité dans l’entreprise.
Mais comment estimer les salaires futurs ?
Les salaires vont être évalués en fonction de divers catégories homogènes :
qualification, âge et fonction. Des statistiques disponibles à l’échelon national et des
tables de survie peuvent aider à l’estimation. L’actualisation est réalisée au coût du
capital.

Lorsque l’entreprise évolue dans une situation de concurrence pure et parfaite alors
le salaire versé correspond à la productivité effective marginale du salarié, c’est à dire
à ce que celui-ci « rapporte » par son travail. Dans cette situation, les flux actualisés

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324

des revenus sont équivalents à ceux des salaires versés. Mais dans la réalité, l’entité est
confrontée à un certain nombre de facteurs qui limitent cette situation. De plus,
Friedman et Lev (1974) ont comparé les salaires probables actualisés aux salaires réels
de la société. Chaque année, la différence constatée entre les deux reflète une
économie de coûts (salaire réel < salaire probable actualisé), propre à la politique de
rémunération mise en œuvre. Cette économie représente le retour sur investissement
de l’investissement qui est ainsi valorisé.

Dans cette optique, il n’est prévu aucune évolution de carrière pour le salarié, Sadan
et Auerbach (1974) ont donc proposé un modèle faisant appel aux chaînes de Markov
pour déterminer une matrice des probabilités de transition afin d’estimer à terme
l’évolution d’une population de base.

Enfin, les auteurs considèrent comme non pertinente la méthode de comptabilisation


des actifs lorsque l’on traite les investissements en ressources humaines. Ils privilégient
un enregistrement à l’actif et simultanément, en contrepartie, dans les dettes au bilan.

- III - Influence sur la normalisation comptable et sur les états financiers actuels
- A - Le traitement comptable de l’immatériel
Les travaux relatifs à la prise en compte des ressources humaines dans le états
financiers, en s’inscrivant dans une problématique de type charges contre
immobilisations, ont préfiguré les réflexions actuelles sur le traitement comptable de
l’immatériel.
Le Comité de l’Information Statistique (CNIS) définit l’investissement immatériel
comme « une dépense qui, bien qu’inscrite en charge d’exploitation, développe la
capacité de production et valorise l’entreprise en s’accumulant sous la forme d’un
capital amortissable sur une production future en constituant une valeur patrimoniale
cessible sur le marché ».
On considère comme investissement immatériel la recherche et développement, les
fonctions commerciale et marketing, les ressources humaines, la formation,
l’organisation et les systèmes d’information, les systèmes et les processus de
production.

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325

Des chercheurs comme BOISSELIER (1993), MARTORY et PIERRAT (1996) se sont


interrogés sur le bien-fondé d’activer certains coûts de gestion des ressources
humaines.

Modalités de comptabilisation

Charges de la période Charges à répartir Immobilisations incorporelles

Frais d’acquisition Frais d’émission Charges différées Charges à étaler


des immobilisations des emprunts obligataires

En principe les charges constatées lors d’un exercice constituent des charges de cet
exercice et sont comptabilisées en tant que telles.
Leur constatation à l’actif n’est que facultative et s’agissant d’une dérogation au
principe de prudence assortie le plus souvent de conditions, cette constatation
constitue donc une décision de gestion. Dans tous les cas si les entreprises le souhaitent
elles peuvent laisser ces frais en charges.
Si une entreprise décide d’inscrire à l’actif ces éléments immatériels, deux options
s’offrent à elle.
Soit elle les enregistre en immobilisations incorporelles. Pour cela, ces éléments
doivent cumulativement constituer une source régulière de profits, être dotés d’une
pérennité suffisante et être cessibles.
Soit elle les enregistre en charges à répartir. Les charges à répartir sur plusieurs
exercices comprennent :
- Les frais d’acquisition des immobilisations
- Les frais d’émission des emprunts

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326

- Les charges différées : Elles ne concernent que les charges dépensées dans le
cadre d’opérations spécifiques à venir ayant de sérieuses chances de rentabilité
globale.
- Les charges à étaler : représentent des charges importantes, non renouvelables
que l’entreprise peut décider de répartir sur plusieurs exercices. Ne peuvent
être valablement étalées que les charges ayant un caractère bénéfique durable
pour l’entreprise.

Par exemple concevoir la formation comme un investissement immatériel suppose


l’identification précise et l’isolement des dépenses. Dans les cas exceptionnels où une
entreprise aurait effectué sur un exercice un effort particulièrement important de
formation, l’ensemble de l’effort, et non pas seulement le montant supérieur à
l’obligation légale, pourrait éventuellement être étalé s’il ne devait pas être répété les
exercices suivants.
Les frais engagés lors de la mise en route d’un atelier, d’une usine ou d’un matériel
tels que matières premières, frais généraux ou formation du personnel, sont rattachés
à la production à venir et cela conduit donc à différer leur prise en charge effective
pendant la période entre la fin de son installation (date d’arrêté du cumul des coûts
d’entrée) et son utilisation à capacité normale, se rapportant à des productions
déterminées à venir, si leur rentabilité durable est démontrée.
L’inscription des charges de personnel en charges à répartir est donc strictement
réglementé et est assez rare. De plus on constate que les normes comptables nationales
n’ont jamais intégré la comptabilisation des ressources humaines. A l’inverse, les
principes issus de la normalisation internationale relative aux éléments incorporels
peuvent trouver à s’appliquer dans certains cas particuliers d’actifs humains.

- B - Un exemple : les clubs sportifs

Nous pouvons trouver une influence relativement limitée du concept de capital


humain dans le cas du référentiel comptable applicable aux clubs sportifs et plus
précisément chez les joueurs professionnels.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 326


327

En France, les clubs de football professionnel ont l’obligation de présenter des


documents financiers visés par un commissaire aux comptes. Selon la Compagnie
Nationale des Commissaires aux Comptes (CNCC 1995), les règles de comptabilisation
des coûts liés aux joueurs distinguent :

 Les coûts de mutation


C’est à dire les coûts de transfert liés à « l’acquisition » de joueurs professionnels par
un club. Dans ce cas, deux traitements comptables sont identifiables selon les
situations :
• Enregistrement en charges d’exploitation avec étalement possible sur plusieurs
exercices (charges à répartir).
Cette solution est privilégiée par les guides comptables des fédérations sportives
de football, basket,…
• Enregistrement comme élément d’actif incorporel.
Cette solution est retenue par la CNCC uniquement dans le cas d’un apport de
joueur avec présence d’un contrat susceptible de générer une valeur incorporelle.
Il faut savoir que cette pratique a largement été reconnue dans les clubs de
football du Royaume-Uni, en particulier ceux côtés en bourse, jusqu’à l’arrêt
Bosman. En effet, en 1995, la Cours de Justice des Communautés adoptait cet arrêt,
par lequel, elle reconnaissait le caractère d’entreprise commerciale aux clubs
sportifs et préconisait le principe de libre circulation des sportifs. Elle permettait
donc l’organisation d’un marché unique des sportifs professionnels.

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328

L'évolution des charges et des recettes des clubs de football de D1 (en KF)

87/88 97/98
% % Variation
(20 clubs) (20 clubs)

Produits d'exploitation :
Matches de championnat 295 962 24 322 209 10 9%
Matches de coupe d'Europe 29 888 2 64 135 2 115%
Autres matches 40 362 3 33 987 1 -16%
Sponsors, publicités 167 768 14 433 847 14 159%
Subventions collectivités
territoriales 212 608 17 250 328 8 18%

Droits TV 899 033 28


Indemnités de mutation reçue 780 519 25
Transfert de charges 497 383 40 290 929 9 318%
Autres produits 109 671 3
TOTAL 1 243 971 100 3 184 658 100 156%

Charges d'exploitation :
Achats marchandises et stock 81 375 7 101 083 3 127%
Services extérieurs 83 849 3
Frais de déplacement 58 990 5 146 509 4 148%
Frais d'organisation des matches 64 716 5 101 021 3 56%
Autres services extérieurs 100 203 8 285 249 9 185%
Impôts et taxes 32 671 3 140 650 4 331%
Charges de personnel 645 749 54 1 458 663 45 126%
Indemnités de mutation versées 140 976 12 446 827 14 217%

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329

Amortissement indemnités de
mutation 383 436 12
Autres charges 72 948 6 27 433 1 548%
Dotations amortissements et
provisions 61 524 2
TOTAL 1 197 628 100 3 236 244 100 170%

Résultat d'exploitation 46 343 -51 586


Résultat comptable -18 042 -59 890

Source : La ligue nationale de football et le rapport Sastre (1989, p.68)

ManuelTheories Comptables-01Dec10 329


330

 Les coûts de formation (cf III - A)

En se penchant sur le bilan d’un club de football professionnel, on se rend vite


compte que l’actif devrait surtout comprendre des éléments immatériels, à savoir les
investissements humains à l’origine des résultats du club. Or seules les indemnités
versées pour le transfert des joueurs sous contrat avec d’autres équipes sont
comptabilisées en charges à répartir puis étalées sur la durée du contrat. Il
conviendrait plutôt de les enregistrer en immobilisations incorporelles sans réaliser de
dotations, sauf pour constater un amoindrissement de leur valeur ou une impossibilité
de revente avant le terme du contrat.

Cet « actif humain » est donc sous-évalué, d’autant plus que la valeur des joueurs peut
considérablement augmenter et que ceux issus du centre de formation ou recrutés en
fin de contrat ne sont pas valorisés. Le bilan ne donne donc pas une image fidèle du
club, la valeur des joueurs n’est pas intégrée, la situation des comptes reflète une
fragilité exagérée.

L’activation du capital humain a connu un intérêt beaucoup plus académique que


pratique. En effet le monde des affaires et les professionnels de la comptabilité ne
l’ont guère exploitée outre mesure. Néanmoins sans user d’un système aussi
sophistiqué de comptabilisation tel celui de la Barry corporation, on suit toujours avec
attention les coûts de recrutement, d’embauche et de formation.

III – Les problèmes de mise en place d’une comptabilisation des ressources humaines :
les limites

L’intégration des ressources humaines dans les bilans comptables semble être soumise à
quelques contraintes. Ces contraintes se matérialisent par des problèmes de définition
des objectifs et d’évaluation.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 330


331

- I - Problèmes de définition d’objectif


La comptabilisation des ressources humaines a essayé de répondre à un besoin
- Le besoin exprimé
Les tentatives développées dans les années 60-70 avaient pour objet de mieux traiter
dans les documents financiers : le coût d'acquisition, de maintien ou de
perfectionnement du facteur travail.
Cependant, ces tentatives n’appréhendent que le coût d'une ressource particulière : le
travail, et non cette ressource elle-même. Dès lors, la comptabilisation des ressources
humaines semble s’inscrire dans un cadre conceptuel limité.
La comptabilisation des ressources humaines a également essayé de fournir des
instruments comptables et financiers concernant la gestion du personnel.
- L’apport pour les gestionnaires
Selon G. Lecointre – la comptabilité des actifs humains (1975), l’intérêt limité de
l’approche “ Comptabilisation des ressources humaines ” fondée sur le coût historique
tient à ce que les états financiers élaborés n’apportent qu’une réponse partielle et
réductrice aux besoins d’information des gestionnaires de l’entreprise et des tiers. “
En effet, la valeur économique des ressources humaines est moins révélée par leurs
coûts que par leurs capacités ”.
L’inscription des actifs humains au bilan ne présente pas, de plus, d’intérêt en terme
d’information dans la mesure où ces éléments peuvent aussi bien figurer dans les
documents annexes, par exemple ceux destinés à informer les partenaires sociaux ou
financiers.

- II - Problèmes de définition d’évaluation


La comptabilité des ressources humaines pose des problèmes de mise en place et
d’évaluation. L’intérêt majeur des recherches et expériences menées dans ce domaine
réside dans le fait qu’elles donnent naissance à des approches pluridisciplinaires
(psychosociologie, économie, mathématiques, comptabilité)

ManuelTheories Comptables-01Dec10 331


332

- Les difficultés juridiques et fiscales

Les problèmes d’évaluation présentent avant tout des difficultés juridiques dans la
mesure où les actifs humains au bilan ne répondent pas aux critères de patrimonialité,
et fiscales, puisqu’elle pourrait être considéré comme une réévaluation libre
génératrice d’une imposition.

L’évaluation commence toujours par un recueil d’information. Mais comme toute


empreinte de subjectivité, elle comporte un élément décisionnel. L’élément de
subjectivité peut intervenir de plusieurs façons. Ainsi, la reconstitution d’une équipe
peut être estimé en fonction des coûts probables qu’il faudrait dégager ou bien en
fonction du taux de dépréciation (donc le rythme de dépréciation d’un actif humain).

Si nous prenons l’exemple de Barry Corporation, l’amortissement correspond à la notion


comptable la plus élémentaire de répartition des charges sur plusieurs périodes. Cela
signifie que toute organisation qui souhaite suivre l’exemple de Barry Corporation doit
choisir des durées d’amortissement qui correspondent à la durée de vie des actifs
qu’elle a pris en compte : frais de recrutement, d’adaptation et de formation en
fonction de l’obsolescence de cette formation.

- La notion de valeur du potentiel humain

L’évaluation est susceptible d’intéresser le chef d’entreprise, le personnel et les tiers


apporteurs de capitaux ou éventuels acquéreurs. La compréhension de la notion de
valeur du potentiel humain semble être intimement liée à la représentation que l’on a
de l’entreprise et de ses finalités. Un contrôleur de gestion s’attachera aux méthodes
fondées sur l’observation des coûts alors qu’un éventuel investisseur s’intéressera
plutôt au potentiel global des équipes.
- Le contrôle de gestion de l’immatériel

ManuelTheories Comptables-01Dec10 332


333

Selon Gary Entwistle, professeur agrégé de comptabilité à l’Université de la


Saskatchewan à Saskatoon, dans sa thèse de doctorat, intitulée R&D Disclosure in
Knowledge Based Firms, en 1997, les normes comptables actuelles sont discriminatoires
envers les entreprises basées sur la connaissance et celles qui font de la recherche et
du développement.
En effet, traditionnellement, les éléments d'actif d'une entreprise (usine, matériel,
baux, etc.) sont inscrits au bilan comme biens corporels. Toutefois, les entreprises du
secteur de la haute technologie, en particulier dans les domaines des logiciels et
d'Internet, ont très peu de biens corporels. La reconnaissance de l'importance
croissante des biens incorporels dans le bilan est apparue dès lors que ces entreprises
avaient des bénéfices plus élevés que ce que le bilan faisait prévoir.
Ainsi, la valeur du potentiel humain n’est qu’une partie de la valeur globale des
éléments incorporels de l’entreprise. Le sujet ne se rapporte donc pas qu’aux
ressources humaines.

Conclusion

En France, l'observation des pratiques comptables montre que peu d'entreprise ont
recourt à l'activation de l'investissement en ressources humaines. En effet, le recours à
la comptabilité des ressources humaines est une comptabilité sophistiquée que seule la
Barry Corporation a su mettre en oeuvre. Cependant, beaucoup d'entreprises sans
mettre en oeuvre cette comptabilité, suivent avec attention les coûts de recrutement,
d'embauche et de formation.
Une évidence s'impose : la dimension humaine est le fondement et le moteur de
l'entreprise. Les structures, les systèmes ne génèrent rien par eux-même. Seul l'humain
donne vie et futur à l'entreprise. Or, cette évidence est à l'opposé de ce que les outils
de mesure reflètent.
On peut ainsi conclure qu'il n'existe pas de méthode simple pour mesurer la valeur de
ce qui se passe dans les têtes et les cœurs des dirigeants et des employés.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 333


334

BIBLIOGRAPHIE

 Compagnie Nationale des Commissaires aux Comptes (1995), Le commissaire aux


comptes dans les clubs sportifs, CNCC Edition, Paris

 Deloitte & Touche (1997), Annual Review of football Finance, Deloitte Touche
Tohmatsu International, London

 Edwards E. O. and Bell P.W. (1961), Theory and Measurement of Business Income,
University of California Press, Berkeley

 Francis Lefèvre, Mémento Comptable

 Lev B. and Schwartz A. (1971), On the Use of the economic Concept of Human
Capital in Financial Statements, The Accounting Review, January, pp. 103-112

 Likert R. (1967), The Human Organization : Its Management and Value, McGraw-Hill
Book, New-York

 Marquès E. (1974), La comptabilité des ressources humaines, Editions Hommes et


Techniques, Paris

 Sastre F. (1989), Rapport sur la situation du football de haut niveau, secrétariat


d’état auprès du Ministre d’état, Ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse
et des sports, octobre 1989

 Contrôle de gestion et pilotage de l’entreprise, éd. DUNOD – Demeestere René /


Lorino Philippe / Mottis Nicolas

 Gestion prévisionnelle et mesure de la performance, éd. DUNOD – Brigitte DORIATH,


Christian GOUJET

 L’investissement intellectuel, éd. CPE – CASPAR Pierre et AFRIAT Christine

 Contrôle de gestion sociale, éd. VUIBERT, B. Martory

 L’investissement immatériel, éd. CNRS – EPINGARD Patrick

ManuelTheories Comptables-01Dec10 334


335

Lecture de référence no. 20

La Comptabilité et l’Homme : perspectives internationales

Par

Edmond Marquès, Professeur, HEC – ISA (France)

ManuelTheories Comptables-01Dec10 335


336

Pour le commun des mortels, la comptabilité apparaît comme une technique tout à fait
neutre. Les comptables donnent l'image d'êtres rigoureux... un peu tristes dans leur
rigueur. Ils semblent faits de la même matière que les chiffres qu'ils manipulent avec
aisance et délectation. On s'en moque et on les respecte tout à la fois comme on l'a
toujours fait de ce genre de personnages qui semblent détenir quelque pouvoir magique
et inquiétant.

II est assez rare que la question soit posée des caractéristiques profondes de la
comptabilité, et du véritable rôle des comptables. De même que le paysan ne s'étonne
plus du rythme régulier des saisons. tout en se réjouissant que la nature fonctionne
«normalement», les chefs d'entreprise, les banquiers, les salariés... tous les utilisateurs
des documents financiers considèrent comme tout à fait normal la production d'états
chiffrés, régissant de fait de très nombreux rapports économiques, juridiques et sociaux
entre individus. Il semblerait que la comptabilité soit un instrument à peine plus
compliqué que le compteur de gaz ou d'électricité que chaque abonné s'est vu placé à
l'entrée de sa résidence et qui, silencieusement, impartialement, et sans jamais faillir,
enregistre les consommations énergétiques.

Une vision strictement nationaliste des choses ne fait d'ailleurs qu'accroître cet état de
fait: à l'intérieur des frontières d'un même pays, il semblerait que toutes les
conventions étant bien en place, les règles de droit solidement élaborées, les pratiques
largement admises, la technique comptable ne puisse souffrir d'aucune critique
fondamentale. Que l'on s'assure que toutes les précautions ont été prises pour éviter les
erreurs d'enregistrement, les erreurs techniques, les éventuelles malversations, bref,
que l'instrument soit fiable, et les instrumentistes moralement irréprochables, et tout
le monde est rassuré. Cette quasi-sacralisation de la comptabilité la met au rang des
religions: face à tant de rigueur, l'on ne peut qu'accomplir un acte de foi, et le doute
est déjà péché...

ManuelTheories Comptables-01Dec10 336


337

Qu'un jour l'on découvre que 1'on peut adorer un même Dieu suivant des rites
différents, et voilà que naît l'inquiétude métaphysique... Et s'il y avait plusieurs
« vérités» ? Et si des comptables de bonne foi avaient une lecture différente des tables
de la loi: les fameux «principes comptables généralement admis»? La comptabilité
deviendrait-elle alors exercice d'exégèse? 81

En restant dans l'évêché, il est difficile de s'apercevoir que ce qui est vertu pour les uns
est péché pour les autres. Les grands conciles oecuméniques auxquels les organisations
comptables internationales nous ont habitués ne semblent pas avoir réuni l'adhésion de
tous les fidèles sur les points les plus délicats de notre pratique. C'est peut-être là le
signe qu'il ne peut y avoir de vérité «révélée» dans notre discipline, et pas davantage
de vérité «fondamentale». Par fondamentale, j'entends celle que l'on découvre par les
voies habituelles de la démarche scientifique. Si c'était vraiment le cas, la comptabilité
apparaîtrait alors comme la manifestation technique d'un consensus social, ce qu'en
termes un peu pédants l'on pourrait qualifier d'«artefact 82 social». Les rigueurs de la
technique parent la comptabilité des apparences de la science. Sous la charpente
rigoureuse se cachent des fondations plus incertaines, plus mouvantes, relief toujours
remodelé par les courants politiques, économiques et sociaux. C'est ce que j'essaierai
de montrer en faisant référence au contexte international qui est aujourd'hui le nôtre.

La vieille Europe présente à ce sujet un avantage sur le nouveau continent. Diverse par
la géographie, les langues, l'histoire, les religions, ayant subi dans le passé toutes les
influences, ayant façonné l'Amérique, subissant à son tour la très forte influence du
«nouveau monde», l'Europe permet à un observateur attentif d'identifier les causes des

81 exégèse nom féminin


(grec exêgêsis)
1. Science qui consiste à établir, selon les normes de la critique scientifique, le sens d'un texte ou d'une œuvre
littéraire (terme surtout appliqué à l'interprétation des textes bibliques).
2. Interprétation (notamment, sur les bases philologiques) d'un texte. 81
82 artefact [artefakt] nom masculin
(latin artis facta, effets de l'art)
Didact. Phénomène d'origine artificielle ou accidentelle, rencontré au cours d'une observation ou d'une expérience.
82

ManuelTheories Comptables-01Dec10 337


338

divergences de vues concernant la façon dont les comptabilités doivent être élaborées.
Si d'ailleurs l'on n'oublie pas que l'Europe s'étend jusqu'aux frontières de l'Oural, l'on
englobe dans cette mosaïque de peuples, de régimes politiques, de systèmes de
pensée, aussi bien les économies centralisées que les économies libérales, l'on
comprend mieux encore que les documents comptables ne font que traduire une vue
particulière des rapports entre les individus et les richesses qu' ils produisent et se
partagent.

Le continent africain est encore largement le reflet des colonisations récentes. Les
Anglais, les Français, et à un degré moindre les Allemands, les Italiens, les Hollandais et
les Portugais ont marqué les modes de vie africains de façon quelquefois caricaturale.
Je n'en veux pour preuve que cette anecdote, tout à fait authentique: deux étudiants
noirs, l'un de l'ex-Nigéria anglais, l'autre de ce qui fut 1'A.O.F.(Afrique Occidentale
Française), sirotent une bière dans un bar de Dakar, et le premier dit à son camarade
avec un accent mi-oxfordien, mi-africain: Comprenez-vous, mon cher, vous autres
latins, et nous autres anglo-saxons, nous ne nous entendrons jamais... Même plusieurs
décennies après la «décolonisation», la marque de l'européen se fait encore fortement
sentir. Toutefois, la colonisation par la puissance économique et linguistique, celle des
Etats-Unis, est déjà présente.

L'Amérique latine porte bien son nom, et ses modes de pensée, ses réflexes profonds
sont encore largement ceux d’une lointaine péninsule ibérique, même si l'influence
nord-américaine gagne progressivement le Mexique et le Venezuela.

Le Moyen-Orient et l'Extrême-Orient ont également subi fortement l'influence


européenne, et plus particulièrement anglaise, et c'est plus évident encore en ce qui
concerne le continent australien. Faisant un peu exception dans le monde asiatique, le
Japon a été marqué par des liens privilégiés avec l'Allemagne entre les deux guerres,
alors qu'il a adopté des modes de vie et de pensée très américains depuis les années
cinquante.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 338


339

La pensée comptable, les usages comptables, l'aspect même de nos documents


financiers se ressentent très fortement de ces grands traits culturels, et il nous faut
examiner certains d'entre eux pour comprendre et mesurer leur influence .

Je retiendrai à cette fin les paramètres sociologiques suivants:

• la religion,

• le droit,

• le niveau de développement économique,

• les régimes politiques et les modes de gouvernement.

1) La religion

C'est un élément fort important pour notre propos. À travers la comptabilité, nous
traitons du rapport des individus entre eux et avec les biens de ce monde. La Bible, le
Coran, le Talmud, et d'une façon générale tous les livres sacrés ont édicté certains
préceptes de conduite concernant l'attitude que les hommes devaient avoir vis-à-vis de
la richesse. Le monde judéo-chrétien a ensuite évolué, et, après la réforme,
catholiques et protestants ont divergé à ce sujet sur bien des points. Ainsi, la pauvreté
est vertu pour les catholiques, alors que le profit, la richesse, sont la récompense
temporelle que Dieu accorde au «bon serviteur» qui, suivant la parabole, a su faire
fructifier les talents que le Seigneur lui avait confiés. Aujourd'hui encore les manuels
américains de comptabilité font référence à la notion de stewardship et rappellent que
ceux à qui l'on a confié de l'argent dans l'espoir qu'ils le feraient fructifier se voient
aussi confier la mission de rendre compte du bon usage de ces fonds.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 339


340

2) Le droit

L'Europe offre de nouveau un champ d'observation de tout premier plan lorsqu'il s'agit
de comprendre l'influence de la pensée juridique sur les actuels systèmes comptables.
La Rome antique nous a légué le droit civil; elle a fait que pendant des siècles les
rapports entre les individus, tant collectifs que privés ont été régis par des documents
servant tantôt de référence, tantôt d'instrument de preuve. Les pays méditerranéens
mais aussi une partie des actuelles contrées germaniques (la région de Cologne par
exemple) furent dominés par les Romains.

Par contre, dans l'Europe du Nord et du Nord-ouest, le droit coutumier a longtemps


prévalu, et sa philosophie subsiste. Ainsi, dans les rapports entre individus, la notion
d'engagement moral, de respect de la parole donnée, du gentleman's agreement a
beaucoup plus de poids, beaucoup plus de valeur que celle qui s'attache à la
formulation écrite d'un accord.

De façon quasi caricaturale ces deux modes de régulation de la vie sociale se sont
diffusés dans le monde entier par le biais des colonisations. Il se trouve par ailleurs que
par une coïncidence historique notoire, les pays se réclamant du droit écrit sont aussi
ceux où la religion catholique prévaut, alors que les pays de droit coutumier ont été
conquis par les idées de la réforme.

3) Le niveau de développement économique

L'agriculture et le commerce ont précédé, et de loin, l'industrie... L’on semait déjà le


blé en Mésopotamie et les Phéniciens traversaient les mers pour leur négoce. Les
premiers vrais commerçants ont été les armateurs; les premières places de commerce,
les ports maritimes et fluviaux. Depuis l'antiquité, le commerce est, par essence,
international. Il est donc normal de rechercher les premières manifestations de la
pensée comptable là où l'activité économique a débuté. Or, le plus ancien document
comptable que l'on connaisse, qui est aussi le plus ancien document écrit, se présente

ManuelTheories Comptables-01Dec10 340


341

sous la forme d'un médaillon d'argile sur lequel l'inventaire de ce qu'il faut déjà appeler
« exploitation agricole » est consigné en langage cunéiforme. Les livres de comptabilité
les plus anciens que l'on ait retrouvés, tenus en partie double, appartenaient à des
commerçants de Gènes vivant au XIIe siècle, et les comptables peuvent s'honorer du
fait que parmi les tout premiers livres sortis des presses de Gutenberg, à la fin du XVe
siècle, figurait, en même temps que la Bible, le premier manuel de comptabilité. Or,
dans ce fameux ouvrage de Luca Pacioli, l'on décrit entre autres choses la façon
d'inventorier un patrimoine, de consigner des créances et des dettes, et ceci en tenant
compte des diverses monnaies en usage dans les grandes places commerciales.

Il faudra attendre la révolution industrielle dont chacun sait qu'elle est née en
Angleterre et qu'elle a gagné ensuite l'Allemagne (alors que l'Italie, l'Espagne et la
France restaient agricoles) pour que la comptabilité prenne une autre dimension: la
naissance de la grande industrie, c'était aussi celle de la grande entreprise, qu'à son
tour supposait la réunion de capitaux fort importants, ce qui devait avoir pour consé-
quence la conception de modèles juridiques nouveaux, fixant les modes de partage de
la propriété, de la responsabilité, des risques, des fruits de l'activité économique. Alors
que la pensée comptable française était encore marquée par une conception quasi
terrienne de la vie économique, les Ecossais, les Anglais, les Hollandais devaient
développer une vision capitaliste, une vision financière des principes comptables, vision
qui s'est très largement développée par la suite dans toute l' Amérique du Nord. Un peu
schématiquement l'on pourrait dire que les comptables français, soucieux de respecter
l'esprit des codes napoléoniens (civil et commercial) attachés à la propriété terrienne
et immobilière, ont orienté la comptabilité essentiellement vers la notion de
sauvegarde d'un patrimoine, gage commun des créanciers, alors que les comptables
britanniques se sont très tôt tournés vers la notion de profit distribuable, d'où
l'élaboration des fameux «principes comptables de base» qui n'ont d'autre effet que de
déterminer correctement les charges et les produits d'une période.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 341


342

L'Allemagne industrielle aurait dû logiquement s'orienter dans la même voie que


l'Angleterre. En fait, les conceptions juridiques françaises ont été largement reprises
chez nos voisins suisses et allemands au cours du XIXe siècle, et il nous semble que dans
le cas de l'Allemagne en particulier, la pesanteur sociologique du système juridique ait
freiné le développement d'une pensée comptable économique jusqu'à ce que les
doctrines de Schmalenbach ne viennent bouleverser des conceptions jusqu'alors très
traditionnelles.

Le développement de 1'industrie devait aussi faire naître le besoin d'une comptabilité


industrielle, ayant des buts bien différents d'une comptabilité commerciale, juridique,
attachée à la notion de période. Il nous semble que ce sont précisément les Allemands
d'une part et les Américains d'autre part qui aient donné le plus vite à la comptabilité
analytique, qu'à juste titre l'on qualifie aujourd'hui de « managériale», à la fois ses
fondements les plus solides mais aussi ses lettres de noblesse.

4) Les régimes politiques et les modes de gouvernement

II est évident qu'en dehors des influences lointaines de la religion, du droit, en dehors
des influences plus proches, plus immédiates des modes du développement
économique, les systèmes de gouvernement propres à chaque nation ont modelé les
pratiques comptables nationales. Certains exemples sont assez caricaturaux pour qu'ils
méritent d'être rappelés: la France est, depuis Colbert, marquée par une attitude
gouvernementale particulièrement centralisatrice. De Napoléon à nos jours, cette
tendance s'est maintenue, même si le discours politique actuel est différent. La
profession comptable joue dans notre pays un rôle de prescription nettement moins
important que ne le font les autorités gouvernementales à travers l'organisme de
normalisation qu'est le Conseil National de la Comptabilité qui dépend du Ministère des
Finances. Au Royaume-Uni, aux Etats-Unis, il nous apparaît que la situation est tout
autre, et que la profession joue un rôle d'orientation fort important, alors que les
gouvernements n'interviennent que de façon indirecte pour délimiter une zone de

ManuelTheories Comptables-01Dec10 342


343

liberté qui satisfasse à la fois l'impératif de liberté économique et financière, et le


besoin de gouverner en prêtant attention aux intérêts de l'ensemble de tous les
citoyens.

Dans les pays d'économie centralisée où l'idée de profit capitaliste est officiellement
refusée, où il n'existe pas de marché financier, donc pas de sanction par les lois
traditionnelles de l'offre et de la demande, où gouverner c'est fixer les règles d'un
échange, déterminer les besoins des individus et le prix des biens, la comptabilité est
avant tout analytique, orientée vers la détermination des coûts, utilisée pour accorder
ou refuser des subventions, récompenser ou sanctionner un gestionnaire. La
comptabilité «privée» a de ce fait certains traits des comptabilités «publiques». Le
comptable est le gardien d'une propriété collective; il n'est point le gestionnaire des
fonds confiés par des actionnaires.

Entre ces visions un peu extrêmes de la comptabilité et de ces usages, chaque pays a
cherché une voie, soit par mimétisme ou habitude (c'est la voie un peu passive), soit en
raison d'impératifs économiques (c'est la voie dynamique). Ainsi, l'Espagne, le Portugal,
et par tradition, les pays africains d'expression française ont-ils pour habitude de copier
le système français (règles juridiques, méthodes d'évaluation. plan comptable
normalisé). Tout à fait à l'opposé, les Hollandais dont la vocation capitaliste
internationale s'est depuis des siècles largement manifestée ont-ils adopté les vues
économiques et libérales les plus avancées en matière de comptabilité. L'école du coût
de remplacement de Limpberg a fait aux Pays-Bas de nombreux adeptes, et environ la
moitié des entreprises cotées à la bourse d'Amsterdam publient leurs comptes à partir
de cette méthode. Il n'existe cependant pas de méthode unique en ce pays qui attache
une très grande importance à la liberté des pratiques comptables, et qui accepte
difficilement l' idée de normes, qu'elles soient nationales ou internationales.

Et pourtant …

ManuelTheories Comptables-01Dec10 343


344

Pourtant, l'internationalisation du commerce et de l'industrie s'accompagne d'une


internationalisation financière (ce qui oblige Philips, par exemple, à tenir sa
comptabilité et à publier ses résultats financiers suivant plusieurs méthodes et en
plusieurs langues). Il ne s'agit donc plus pour l'investisseur de savoir lire l'anglais,
l'allemand, le néerlandais, le français..., encore lui faut-il décrypter le document finan-
cier. savoir si ce qu'un français appelle «bénéfice» pourrait signifier «perte» pour un
anglais, un américain ou un hollandais. Car c'est bien

là tout le problème de la comptabilité: il faut savoir::

 pourquoi l'on mesure,

 pour qui l'on mesure,

 ce que l'on mesure,

 suivant quelles conventions,

 avec quel instrument de mesure, étant entendu qu'en la matière, aucune méthode
véritablement scientifique (au sens épistémologique du terme) ne peut être
adoptée.

De notre point de vue, un résultat comptable est «exact» donc « vrai» s'il est
socialement acceptable. 83

83
Il est arrivé, trop souvent hélas, dans l'histoire de l'humanité, que des vérités scientifiques naturelles, donc hors de la
portée de l'homme, soient refusées parce qu'elles n'étaient pas, dans leur contexte historique, socialement
acceptables...

o La Terre devait être plate et la voûte céleste supportée par des colonnes.

o Le soleil devait tourner autour de la Terre.

o Et même, plus proche de nous, Einstein se refusait-il à accepter que la position d’une particule élémentaire ne
puisse être déterminée dans le temps et l'espace, que par une «densité de probabilité» parce que le croyant qu'il
était ne pouvait admettre que Dieu qui décide tout. laissait une part au hasard.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 344


345

Or, il y a encore quelques siècles, le socialement acceptable s'étendait à la province, il


y a quelques décennies à la nation, aujourd'hui, et de plus en plus, à un ensemble de
nations. Cavour, Bismarck ont fait l'unité italienne et allemande sur des bases
politiques. II fallait alors réunir sous un même drapeau quelques provinces.

Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, quelques hommes de bonne volonté


essaient de faire de ce «bouillon de cultures» qu’est la vieille Europe, un ensemble
économique et politique cohérent, en même temps que l'on tente d'harmoniser les
points de vue de part et d'autre de l'Atlantique...

Mais les développements technologiques, industriels et commerciaux jouent en ce sens


un rôle moteur plus grand encore. Le monde des affaires ignore les frontières, fait fi
des barrières linguistiques, des pesanteurs sociales. La comptabilité, c'est la langue des
affaires, mais nous n'avons pas encore, sur le plan international, noire «académie».
L'IASC, (International Accounting Standards Committee, en français: C.LN.C. = Comité
international de normalisation de la comptabilité) les commissions d'harmonisation de
Bruxelles et d'autres organisations internationales ont, dans une certaine mesure,
amorcé ce rôle, ce qui a d’ores et déjà pour effet de rendre les documents financiers
davantage comparables. Il nous semble toutefois que cette harmonisation est plus
normative que profonde. On ne change pas les mentalités, on ne bouleverse pas les
cultures par une «directive» fut-elle européenne. Il faut frotter très longtemps deux
pierres l'une sur l'autre pour que leurs surfaces de contact deviennent parfaites. Il en
est de même de nos mentalités: l'adaptation est lente et progressive. Si l'une des
pierres est de granit et l'autre de grès, c'est surtout le grès qui s'usera. C'est aussi ce qui
se passe en matière d'harmonisation comptable. Par un renversement des forces
économiques, la puissante Amérique impose de fait à l'Europe ses façons de concevoir
la comptabilité.

Les fumes multinationales américaines dictent à leurs filiales du vieux continent leurs
méthodes comptables en vue d’une consolidation. Les Big Eight répandent leur évangile

ManuelTheories Comptables-01Dec10 345


346

dans le monde entier. Les professeurs d'université ne limitent plus leur enseignement
aux pratiques nationales, mais introduisent une part plus ou moins importante de
«comptabilités comparées» dans leurs cours. Tous ces éléments contribuent à ouvrir les
esprits, à admettre le point de vue d'autrui, à abandonner les certitudes rassurantes
d'un chauvinisme intellectuel au profit d'une nouvelle réflexion fondamentale sur ce
qu'est notre discipline.

L'harmonisation comptable pourrait et devrait être plus rapide encore si, au lieu d'être
le seul fait de praticiens cherchant à fixer des règles acceptables par le plus grand
nombre, elle était proposée par ceux que j'appellerais un peu pompeusement les
«professionnels de la conceptualisation», c’est-à-dire les enseignants et chercheurs.
Nous, les enseignants, portons tous une certaine part de responsabilité, car nous
n'avons que trop peu proposé de nouveaux schémas théoriques aux praticiens. Notre
rôle ne peut être de découvrir les «lois naturelles>. de la comptabilité. Ce serait une
absurdité, car notre discipline n'est en rien comparable aux sciences physiques.

II nous appartient par contre, de proposer des modèles d'information cohérents,


adaptés au contexte socio-économique d'un vingt et unième siècle tout proche. Nous
devrions être à la base d'un universalisme de la pensée comptable. Nous devrions faire
en sorte que des normes internationales venaient à réellement s'établir, cela se fasse
par rapport à une théorie cohérente, à une doctrine socio-économique véritable plutôt
qu'à la suite d'un compromis sur un ensemble de règle: dont le seul effet serait de
minimiser les conflits entre les pratiques; existantes, ce qui est un peu le cas
aujourd'hui.

Nous sommes, en cette ville de Montréal, issue de l'esprit d'aventure des pionniers
européens des siècles derniers, au carrefour de mondes latins et anglo-saxons, dans une
école qui affiche légitimement et avec fierté sa vocation internationale. Notre ami, le
Professeur Yves Aubert Côté, a eu le grand mérite de provoquer ce carrefour d'idées,
d'aiguiser noire appétit de réflexion sur le thème alléchant de l'enseignement et la

ManuelTheories Comptables-01Dec10 346


347

recherche en sciences comptables et en gestion internationale. II ne peut s'arrêter en si


bon chemin, et nous devrions lui demander d'étendre au-delà son ambition en créant,
en collaboration avec les associations académiques internationales existantes, une
cellule de réflexion, une «académie internationale» de la comptabilité qui fournirait
aux praticiens qui, ne l'oublions pas, ont d'abord été nos élèves, la théorie qu’ils
attendent et à laquelle ils aimeraient se référer. La théorie trouve ses assises dons la
recherche. La recherche, c'est la méthode plus l'invention, l'imagination. L'imagination,
c'est le futur.

L'on peut avoir deux attitudes vis-à-vis du futur que les deux boutades suivantes, l'une
pessimiste, l'autre optimiste, peuvent résumer. La première, pessimiste, en langue
anglaise: Due to a lack of interest, tomorrow is cancelled. La seconds,
optimiste dons notre langue: Le futur m'intéresse, c’est là que j'ai !'intention
de passer mes prochaines années .

Je me range personnellement résolument du côté des optimistes. Vous me reprocherez


peut-être d'avoir introduit un peu de rêve dans notre austère discipline. J'espère que
vous voudrez bien me le pardonner, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, si je
vous dis que, personnellement, je pence que le rêve est le moteur de la réalité et que
je crois aux vertus constructives de l'utopie.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 347


348

Lecture de référence no. 21

L’ENTREPRISE ET L’AUDIT SOCIAL


par
Pierre-Louis Opont, cpah, MBA

ManuelTheories Comptables-01Dec10 348


349

Il existe différents défis auxquels doit faire face le professionnel comptable


d’aujourd’hui. Parmi eux nous avons retenu le défi social, réalité qui interpelle
l’expert comptable à différents moments de sa pratique professionnelle. En effet, le
fait pour l’entreprise de devoir de plus en plus tenir compte de la finalité humaine de
son action, à part sa finalité économique, implique d’autres missions pour l’expert
comptable, lesquelles se trouvent en dehors du champ financier traditionnel. Pressuré
par son environnement, l’extension de son champ d’investigation et de sa compétence a
fini par le mettre en concurrence avec d’autres professionnels, spécialement en gestion,
et gestion ressources humaines. Ce qui a donné lieu à la nécessité d’apporter des
réponses nouvelles, afin de satisfaire des exigences et des et des besoins d’informations
autres que financières. Cette volonté croissante des entreprises, de disposer des
données de nature sociale, a donné naissance à une nouvelle approche de vérification
qui questionne de préférence l’impact social des activités de l’organisation. Ceci a
ouvert la voie à la comptabilité sociale qui est devenue une préoccupation de
l’entreprise du troisième millénaire.

L’AUDIT SOCIAL
Depuis l’introduction du concept de l’audit Social dans les années cinquante selon CA
Magasine, des centaines d’articles ont été consacrés à ce sujet tant aux USA qu’en
Europe. Les experts en Comptabilité et les spécialistes de la responsabilité sociale ont
depuis, fait converger leurs efforts pour dégager un cadre théorique satisfaisant dans le
but de consacrer la notion de comptabilité sociale et élaborer des moyens concrets de la
mettre en application. Ainsi donc la plupart des chercheurs et spécialistes ont préfère
l’utilisation de l’expression comptabilité sociale à celle d’audit social qui rappelle trop
la vérification comptable au sens traditionnel.
Ce qui nous a valu très peu de définition de l’audit social, en terme d’approche de
vérification d’un nouveau genre, mais plutôt beaucoup de tentatives de définitions des
champs, couverts par la comptabilité sociale. Selon Brooks et Davis, ` »Le but de la
comptabilité sociale est de déterminer les effets que les actions d’une entreprise ont sur
la qualité de la vie de la société. ».

ManuelTheories Comptables-01Dec10 349


350

N’empêche que la plupart des auteurs qui se sont penchés sur la problématique de la
comptabilité sociale, se sont mis d’accord sur un ensemble d’éléments qui caractérisent
l’audit social.
Les principales caractéristiques de l’audit social sont :
Le caractère professionnel de l’audit découle de l’utilisation de démarches et d’outils
rigoureux et d’une compréhension approfondie du domaine audité.
• Le champ de l’audit social est large : Tous les aspects qui découlent de la
mobilisation des ressources humaines par une organisation en font partie.
• L’utilisation de référentiels pertinents est essentielle. Les constats faits, ne
prennent toute leur valeur que lorsqu’ils sont comparés à des données qui
permettent des comparaisons avec les résultats d’autres entreprises du même
secteur d’activité.
• La formulation d’une opinion est essentiellement et la qualité de celle-ci dépend
à la fois du choix de l’indicateur et de celui du référentiel.
• Au delà de l’opinion, de l’audit doit permettre de formuler des recommandations
afin d’améliorer la qualité de la Gestion des Ressources Humaines (GRH).

UN OUTIL DE GESTION DES RESSOURCES HUMAINES

Les années quatre-vingt dix ont marqué le développement de l’audit social. Des
procédures de certification d’auditeurs sociaux ont été mises en place en 1994 (normes
ISO 9002) pour répondre aux attentes des entreprises et des organisations.
En tenant compte de différentes réflexions produites sur la comptabilité sociale, cinq
étapes de la démarche d’audit social peuvent être distinguées : Fixation de la mission,
pré-diagnostique, adaptation du programme de travail, réalisation des travaux, rapport
d’audit avec sa présentation.
Un nombre croissant de directeurs des Ressources Humaines s’intéresse aux pratiques et
aux apports de l’audit social pour améliorer la qualité de leur Gestion des Ressources
Humaines. Le développement de nouveaux instruments d’évaluation et cette
préoccupation des gestionnaires pour la performance social de l’entreprise ont porté les
DRH à développer une série d’attente face à l’audit social. Ces attentes se situent à

ManuelTheories Comptables-01Dec10 350


351

cinq niveaux : plus de sécurité (audit de conformité), des informations sociales fiables
et pertinentes, plus d’efficacité (vérifier que les objectifs sont atteints), plus
d’efficience (meilleure maîtrise des coûts), meilleurs choix stratégiques. A chaque
niveau correspondent des missions spécifiques.
Cependant, il faut préciser que si parmi les pays industrialisés les plus avancés, la
comptabilité sociale a commencé à se développer jusqu`à arriver au concept de profit
social ou encore de profit socio-économique depuis plus de 25 ans, il n’est pas moins
vair qu’à cause du caractère nouveau et complexe du profit social et économique,
différents problèmes de mesure et de comptabilisation se sont posés, et font l’objet
aujourd’hui encore de recherches assez sérieuses.

LE BILAN SOCIAL

Les notions d’audit social, de profit social, revoient naturellement à celle de bilan
social. En effet, le bilan social a été à l’origine, un tableau de bord imposé aux
entreprises par le législateur. Il s’agissait d’avoir la base d’un référentiel d’obligations
à caractère social dans le but d’arriver à établir un cadre de dialogue social dans
l’entreprise.
Ceci dit, on notera que ce sont les Etats-Unis qui, les premiers, ont recherché les
mesures pertinentes des facteurs sociaux de l’entreprise. A l’image de la comptabilité
générale et de la comptabilité analytique, ils ont cherché à exprimer à travers un
certain nombre d’indicateurs, un bilan annuel de la gestion sociale dans son ensemble.
En Europe, le besoin s’est fait sentir à la fin des années 60, d’abord aux Pays-Bas puis en
Allemagne. Dans le même temps, le patronat français a commencé à réfléchir à la
promotion du bilan social et a émis des propositions qui ont été largement reprises dans
le projet de loi relatif au bilan social adopté en Conseil des ministres du 26 janvier 1977.
La loi du 17 juillet 1977 a fait du bilan social le premier tableau de bord social,
obligatoire pour les entreprises et les établissements dont l’effectif habituel est d’au
moins trois cents salariés.

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352

OBJECTIFS DU BILAN SOCIAL ET LES PRINCIPAUX INDICATEURS

Les objectifs poursuivis par le bilan social sont de trois ordres :

• Information
• Concertation
• Planification
Ces objectifs expriment ce que le professeur Pierre Sudreau désigne comme étant :
` »la volonté de transformer la vie de l’organisation et en particulier de nouer un
dialogue social dans l’entreprise ». S’agissant de la structure, le bilan social présente
un grand nombre d’indicateurs sociaux regroupés en sept grands groupes, elles-mêmes
divisées en sous-groupes avec comme unité de base : L’indicateur social.
Les sept grands groupes d’indicateurs du bilan social sont :

• L’emploi
• Les rémunérations
• Les conditions d’hygiène et de sécurité
• Les autres conditions de travail
• La formation
• Les relations professionnelles
• Les autres conditions de vie relevant de l’entreprise

Les indicateurs de bilan social se repartissent à l’intérieur de ces grands groupes.


Chaque indicateur est comparé aux valeurs qu’il prenait au cours des deux années
précédentes l’année de référence du bilan social.
Il existe plusieurs modèles de bilans sociaux et ils dépendent le plus souvent du secteur
d’activité auquel ils font référence. Il y a donc un modèle pour le secteur industriel et
agricole, un autre propre au secteur du commerce et des services, un troisième pour le
bâtiment et les travaux publics, un autre modèle pour les secteurs des transports et
enfin un modèle adapté aux préoccupations des NTIC.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 352


353

C’est dans le secteur du commerce et des services que le bilan social comporte le plus
grand nombre d’indicateurs puisqu’on en dénombre plus d’une centaine.

CONCLUSION

Traitant de la comptabilité sociale, la Firme UTOPIES, spécialisée en stratégie et


citoyenneté d’entreprise, en 1996 a sorti un article intitulé : L`Audit éthique et social
ou, `` le rapport annuel du troisième type ``. En effet depuis 1971, le cabinet
d’experts comptables Ernst & Ernst publie annuellement une étude sur l’application
sociale des cinq cents plus importantes compagnies américaines telles que leurs rapports
annuels présentent.
Cette étude répertorie le nombre de pages et de fraction de pages consacrées à la
responsabilité sociale de l’entreprise. Ces informations brutes sont divisées en vingt
sept catégories, regroupées sous sept rubriques à savoir : environnement, énergie
pratique acceptables de gestion, ressources humaines, implication au sein de la
communauté, produits et autres. De plus, l’étude classe les pages réservées à la
responsabilité sociale selon leur localisation dans le rapport annuel et selon la présence
ou l’absence de quantifications en valeurs monétaires.

Cependant il faut souligner que ce concept de responsabilité sociale est loin de faire
l’unanimité car, pour répéter le professeur Léo-Paul Lauzon, «Plusieurs administrateurs,
comptables politiciens et économistes croient encore fermement au point de vue
traditionnel qui limite le rôle de l’entreprise strictement à ses fonctions économiques».
L’économiste Milton Friedman fait partie de cette catégorie. Dans son célèbre ouvrage
``Capitalisme et Liberté``, il s’exprimait ainsi : «le Business n’a qu’une responsabilité
sociale et une seule : utiliser ses ressources et s’engager dans des activités destinées à
accroître ses profits, et cela aussi longtemps qu’il pratique une concurrence ouverte
libre, sans tromperie, ni fraude…Si les hommes d’affaires ont une responsabilité sociale
autre que celle de maximiser les profits de leurs actionnaires, comment pourront-ils
discerner de quelle responsabilité il s’agit exactement ?»

ManuelTheories Comptables-01Dec10 353


354

Ceci dit, nous concluons en disant comme l’ont souligné C. Gougnaud & E. LAVILLE, les
points commun entre toutes ces initiatives ont fait apparaître divers principes
méthodologiques, fondateurs de l’audit social et ont justifié du même coup le bilan
social :
Il croise les points de vue des différents publics ayant un intérêt dans l’entreprise :
clients, employés, fournisseurs, actionnaires, environnement et société au sens large.
L’évaluation est en outre faite sur la base des valeurs de l’entreprise de sa mission
affichée, de ses objectifs spécifiques et de différents indices appropriés.
Il est comparatif : lorsque c’est possible et pertinent, la performance de l’entreprise
est rapprochée des standards externes (statistiques nationales ou meilleures pratiques
connues), pour mettre aux divers publics d’évaluer par eux-mêmes la performance de
l’entreprise par rapport à des entreprises comparables.
Il complète et prend en compte toutes les facettes de l’activité de l’entreprise, pour
être sûr de ne pas exclure ni ``oublier`` des points faibles ou ``douteux``.
Il est régulier et est conduit la plupart du temps chaque année, en phase avec l’audit
financier ; l’audit éthique et social fait en effet partie intégrante du processus
d’évolution d’une organisation.
Il est soit réalisé par un ``auditeur`` extérieur spécialisé soit, au minimum, soumis à
une vérification extérieure, afin de garantir l’objectivité des résultats et la crédibilité
de la démarche notamment vis-à-vis des publics extérieurs à l’entreprise.
Enfin, il est rendu du public, une dimension qui ne doit pas être sous-estimée. De même
que la diffusion du rapport financier permet aux actionnaires (réels ou potentiels)
d’évaluer la performance d’une organisation puis de décider soit d’influencer telle ou
telle pratique de l’entreprise soit d’acheter ou de vendre des actions, la publication de
l’audit éthique et social remplit ce rôle auprès des divers autres publics.
Pour finir nous dirons, que les expériences existantes montrent que les entreprises
engagées dans cette voie sont perçues par les consommateurs différemment de celles
qui ne font que parler de leur responsabilité sociale. En outre, l’audit éthique et social
apparaît d’une part comme un outil de marketing réel auprès des consommateurs

ManuelTheories Comptables-01Dec10 354


355

attentifs aux engagements des entreprises dont ils achètent les produits ou service, et
d’autre part comme une formidable source de motivation pour les employés qui
attendent de leur entreprise honnêteté et transparence.

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Lecture de référence no. 22

Le Triple Bilan

par

Anne Papmehl, MA

ManuelTheories Comptables-01Dec10 356


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AU- DELA DES PCGR,

Le triple bilan transforme la façon dont les sociétés et les actionnaires envisagent les
impératifs de l’entreprise.

Bien que l’évocation du triple bilan puisse inviter aux sarcasmes sur l’affaire Enron,
ceux pour qui l’expression est familière considèrent cette forme de rapport comme une
étape obligée du périple vers une plus grande transparence de l’entreprise. Le triple
bilan - ou triple résultat - comme on le nomme parfois – renseigne sur trois impératifs
organisationnels qui sont en corrélation : la prospérité économique, l’intégrité
environnementale et la contribution sociale.

Le triple bilan (TB) est le résultat des plus récents progrès réalisés en ce qui
concerne ce que l’on appelle souvent les rapports sur le développement durable de
l’entreprise ou la responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) ; il en diffère toutefois,
de façon subtile mais néanmoins importante, à deux égards. Alors que les rapports sur
la RSE livrent en très grande partie de l’information prospective de nature qualitative,
le TB résume à l’aide d’information quantitative la performance économique,
environnementale, sociale de l’entreprise au cours de l’exercice écoulé. La popularité
du TB dénote un virage à l’échelle mondiale, vers la standardisation de l’information
qui doit être transmise au public et du mode de communication de cette information,
afin de créer une base de comparaison pertinente relativement à des critères autres
que la performance financière.

La transition vers le TB est régie par plusieurs facteurs. Premièrement, l’entreprise


obtient l’autorisation d’exercer ses activités non plus d’un échelon de gouvernement
quelconque ou d’autre autorité de réglementation donnée, mais des parties prenantes
publiques qui ont un excès sans précédent à la gestion financière et non financière
de l’entreprise.<<C’est l’un des aspects souvent méconnus de la mondialisation>>,
explique David Mc Guinty, président de la Table ronde nationale sur l’environnement et
l’économie (TRNEE) l’organisme gouvernemental Fédéral indépendant établi à Ottawa.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 357


358

<<l’information est à la disposition de quiconque peut la télécharger, y compris les


causes environnementales et sociales, et les entreprises se rendent comptent qu’elles
ne peuvent échapper à un examen minutieux. Cet indicatif amène maintenant maintes
entreprises à produire de l’information plus transparente.>>

Deuxièmement, l’on constate de plus en plus, chez les investisseurs institutionnels,


que les fonds d’investissement socialement responsable (ISR) ne sont plus des entités
marginales. Les sociétés ouvertes sont maintenant désireuses de satisfaire aux critères
de sélection des placements qu’appliquent plusieurs de ses fonds, et un TB, axé sur
l’évaluation quantitative, est un véhicule idéal pour communiquer l’information
pertinente aux investisseurs institutionnels.

Troisièmement, de nombreux actionnaires et consommateurs qui souhaitent éviter


les entreprises dont les antécédents sont peu reluisants en ce qui à trait à la protection
de l’environnement et au respect des valeurs sociales exigent de l’information plus
complète pour prendre leurs décisions.

Enfin, l’utilisation du TB est également motivée par le désir d’améliorer la


performance du cours des actions. Tous ces éléments ont certaines répercussions sur
l’avantage concurrentiel d’une société.

Les indicateurs environnementaux

Le passage au TB est extrêmement exigeant. La principale de ces exigences consiste à


déterminer quel doit être le contenu du bilan social. Les Principes comptables
généralement reconnus (PCGR) régissent la présentation de l’information financière,
mais il n’existe pas de mesures normalisées pour évaluer les coûts et les avantages du
comportement environnemental ou social de l’entreprise. En outre, le TB est
facultatif, et bon nombre des critères d’ères d’évaluation actuellement utilisés,
appelés indicateurs, sont au moins fragmentaires.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 358


359

Les organismes de normalisation comme Accountability et The Global Reporting


Initiative (GRI) ont cependant participé activement à l’évolution des normes relatives
au TB selon des paramètres mieux définis, en travaillant de plus près avec les cabinets
d’expertise comptable, les groupes d’intérêts publics et les entreprises elles-mêmes à
étendre l’application des (PCGR) aux bilans environnemental et social.

L’adoption du TB présente une autre complexité qui tient à la variabilité des


indicateurs environnementaux et sociaux, selon les secteurs d’activités et les
emplacements géographiques. << Une société pétrolière et gazière qui exerce ses
activités dans l’ouest canadien fait face à des problèmes environnementaux et sociaux
très différents de ceux qui doivent affronter un fabricant de chaussures de sport dans
un pays en développement>>, explique Mel Wilson, premier directeur et spécialiste de
la gestion de l’environnement chez Price waterhouse Coopers, à Calgary.

<< En termes concrets, explique Mel Wilson, cela signifie que la société pétrolière et
gazière canadienne examinera, pour ce qui est de l’environnement, les émissions de
CO2 et leur incidence sur les sols, tandis que sa principale préoccupation sociale sera
probablement ses négociations avec les communauté autochtones. Les questions
relatives aux normes du travail sont rarement soulevées dans les sociétés pétrolières
canadiennes, mais elles revêtent généralement d’une grande importance chez les
fabricants de produits de détail établis dans les pays en développement. Pour que
l’information développée soit pertinent, il faut donc lier les indicateurs aux activités de
l’entreprise et aux parties prenantes.>>

Mais dans un contexte ou les indicateurs et les normes prolifèrent, le choix des
indicateurs qui conviennent le mieux à une entreprise particulière peut se révéler
difficile. C’est pourquoi certaines sociétés comme DuPont ont élaboré leurs propres
indicateurs. << Nous estimons que les indicateurs doivent avoir un lien stratégique
avec ce que nous nous efforçons d’accomplir dans notre entreprise >> , explique
Colleen Brydon, directeur du projet d’innovation sociale chez DuPont Canada Inc., à

ManuelTheories Comptables-01Dec10 359


360

Mississauga. <<Plutôt que d’utiliser un certains type de normes dont l’objectif serait
générique et qui déterminerait la nature de l’information que nous devons diffuser et
le mode de communication de cette information, nous examinons quelles sont les
interdépendances des trois éléments que sont l’environnement, l’économie et la
société, en vue de réaliser cette stratégie.>>

D’autres sociétés, comme BC Hydro, associent les lignes directrices du GRI et leur
propre travail indépendant au sein de l’organisation pour déterminer les indicateurs qui
conviennent à la fois aux objectifs de l’entreprise et à ceux des parties prenantes.

David McGuinty admet que la prolifération des indicateurs contribue parfois à


augmenter la confusion plus qu’à l’éliminer. << Il existe une douzaine de façons
différentes d’envisager la situation, et l’information présentée ne se prête pas toujours
à des comparaisons pertinentes. Nous avons examiné bon nombre de ces normes il y a
quelques années et les avons jugées problématiques, non seulement en essayant de
comparer les entreprises entres secteurs différents, mais aussi en comparant des
entreprises appartenant au même secteur.>>

Envisageant une possibilité d’amélioration, l’organisation de David McGuinty a uni ses


forces à celles de douze sociétés canadiennes dans la réalisation d’un projet pilote
visant à déterminer et à définir les indicateurs d’efficacité environnementale et
économique (éco-éfficacité). Le projet a débouché sur la définition de trois indicateurs
assez fermes, robustes et mesurables de l’éco-éfficacité : les critères d’intensité pour
l’énergie, les déchets et l’eau, qui, de l’avis de M. McGuinty, on fait beaucoup pour
établir les mesures et permettre les la comparaison sur les plans environnemental et
économique des entreprises appartenant à un même secteur et des entreprises de
différents secteurs.>>

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361

Les indicateurs de base de la TRNEE

La table ronde nationale sur l’environnement et l’économie (TRNEE), sise à Ottawa, a établi
trois indicateurs de base visant à cerner et à mesurer l’utilisation des matières et qui sont
fondamentales dans l’évaluation de l’élément d’intégrité environnementale du triple bilan : les
indicateurs d’intensités pour l’énergie, les déchets et l’eau.

L’indicateur de base de l’intensité énergétique mesure tous les carburants directs et indirects
servant à la fabrication de produits ou à l’offre de services. Cette intensité se mesure en
mégajoules et inclut la mesure de l’électricité, du gaz, du pétrole, du charbon, du coke et
d’autres sources énergétiques utilisés pour fabriquer un produit ou offrir un service.

L’indicateur de base de l’intensité des déchets mesure la matière totale entrant dans le
processus de fabrication d’un produit, moins la matière qui finit dans le produit. Les déchets
englobent tout entrant que l’on élimine, qui est libéré dans l’environnement ou qui n’est pas
considéré comme le produit désiré d’un procédé de fabrication.

L’indicateur de base de l’intensité de l’eau mesura la quantité d’eau utilisée par unité de
produit fabriqué ou de services offerts. Il englobe l’eau des puits, de l’approvisionnement
municipal et l’eau amenée des plans d’eau.

Dans son guide calcul des indicateurs de l’éco-éfficacité, la TRNEE explique clairement
comment calculer ces indicateurs et offres divers conseils aux entreprises qui désirent calculer
divers autres indicateurs complémentaires. Les indicateurs complémentaires visent à aider les
entreprises à obtenir une image plus complète des indicateurs de base.
Le guide offre également aux lecteurs des conseils relativement à certains particuliers qui
peuvent se présenter dans l’exécution de ces calculs. Par exemple, comment procéder si
l’entreprise produit sa propre électricité, si elle a son propre site d’enfouissement ou si elle
recueille l’eau de pluie comme source d’eau de refroidissement pour son procédé de
fabrication ? Pour plus d’information, consultez le site web de la TRNEE, www.nrtee-
trnee.ca/Publications/ eco-efficient_workbook/ index.html.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 361


362

Les indicateurs sociaux

Les indicateurs du bilan social sont plus difficile à mesurer. << Il est très malaisé de
dire ‘’ Nous réalisons tel profit si nous posons tel geste social’’>>, déclare Allison
Morrison, directrice du projet de bilan social chez BC Hydro. Si les indicateurs
environnementaux ou les indicateurs d’éco-éfficacité ont certaines répercussions
mesurables sur les coûts ou les économies du bilan financier, ce n’est pas le cas des
systèmes sociaux. << Peu importe l’ardeur que vous mettez à quantifier, vous faites
toujours face à un élément subjectif avec les indicateurs de performance sociale.>>
Les indicateurs sociaux peuvent aussi être onéreux pour l’entreprise. << Si vous
informez les parties intéressées de votre performance sociale, certains seront
associés à toute consultation initiale visant à déterminer quel sont les indicateurs
appropriés, explique Allison Morrison. Ensuite, il vous faudra prendre les
dispositions nécessaires pour mesurer votre performance en en fonction de ces
indicateurs et faire états des résultats aux parties intéressés, ce qui pourrait
entraîner des coûts importants, ne serait-ce qu’en une heure de travail. De plus,
vous voudrez vous assurer de choisir des indicateurs qui sont pertinents et qui sont
porteurs de valeur pour l’entreprise.>>

L’évaluation de la performance sociale présente une autre difficulté : les questions


sociales ont tendance à changer et à évoluer dans le temps .<< Nous avons constaté,
entre autres choses, que les gens ne s’intéressent pas aux résultats de sondages mais
bien à savoir si nos données relatives à la sécurité se sont améliorées ou détériorées
avec les années, affirme Allison Morrison. L’an dernier, nous avons fait état d’un moins
grand nombre d’indicateurs sociaux, mais nous avons tenté d’en accroître la pertinence
pour les destinataires de notre rapport. Pour nous, de BC Hydro, les risque associes au
bilan social dans son ensemble ont mois trait à l’approbation du public ou au succès
médiatique. Nous essayons de trouver la voie vers la valeur pour l’entreprise afin de
comprendre comment notre performance sociale se répercute dans notre rentabilité.>>

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363

Il peut être relativement simple d’évaluer la performance sociale lorsqu’il s’agit de


la santé et de la sécurité des employés et que les coûts ou les économies apparaissent
clairement dans le bilan, mais comment une entreprise peut-elle attribuer une valeur à
des éléments sociaux mois précis comme celui d’une <<contribution à la société>> ?

<< Je crois que c’est là la superposition du modèle social au modèle de l’entreprise


laisse un incontestable écart, dit David McGuinty. Il est difficile de définir la
responsabilité sociale. La chose est possible dans le cas de négociations avec les
communautés autochtones, mais je crois qu’il est irréalistes de s’attendre à ce que la
responsabilité sociale exige des entreprises qu’elle soient désormais responsable du
plein emploi ou de la justice sociale.>> Selon M. McGuinty, il est possible de mesurer
une grande partie des préoccupations sociales d’ordre pratique, comme la santé, la
sécurité et le traitement des communautés autochtones, au moyen des mesures que
contient le bilan environnemental. << Je crois qu’il il possible de tirer de nombreux
avantages, sur les plans économique et social des dérivés de la qualité
environnementale>>, dit-il. Peut-être est-ce d’ailleurs l’orientation que devra prendre
l’information dans l’avenir. Quoi qu’il en soit, de plus en plus d’entreprises
enregistrent actuellement des progrès dans la production d’information économique,
sociale et environnementale en appliquant les principes du rapport de RSE ou de TB, ou
d’une variante de ces modèles. A l’heure actuelle, environ 150 de ces rapports sont
produits au Canada, et leur nombre à l’échelle mondiale se situe, selon les estimations,
entre 1500 et 2000

La gestion du risque et ses avantages intangibles

Pour de nombreuses sociétés, la motivation à produire un triple bilan ou un rapport de


RSE tient au fait qu’elle ont la conviction que se genre de rapport se répercute
favorablement sur le cours des actions. Peu d’entreprises se sont toutefois réellement
arrêtées à la question et interrogées sur cette hypothèse. Jusqu’à maintenant, aucune
relation directe de cause à effet n’a encore été établie entre le TB ou le rapport RSE et

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364

le cours de l’action, bien que bon nombre des adeptes de ces rapports envisagent leur
valeur sous l’angle de la gestion du risque.

<< Le risque est un facteur intangible mais primordial qui influe sur le coup de
l’action et réside au cœur des stratégies d’investissement, explique Mel Wilson.
Presque toute l’information qu’une entreprise peut publier au sujet de ses activités et
de son exploitation, y compris l’information environnementale et sociale, peut être
intégrer à l’évaluation plus large de sa capacité à diagnostiquer et à gérer le risque,
l’entreprise les rassure quant à la sécurité de l’investissement qu’elle représente.>>

En dernière analyse, si les avantages financiers directs du TB ne sont pas évidents, le


modèle peut offrir des avantages indirects au chapitre de la performance financière, et
donc de la valeur pour les actionnaires, grâce à un enchaînement de causes et
d’effets : en produisant un triple bilan, la société indique qu’elle n’a rien à cacher ;
cette attitude rehausse, en retour, son image de bon citoyen corporatif, ce qui est de
bon augure pour la qualité de ses relations avec ses partenaires. Une société réputée
pour l’excellence de sa gestion a généralement plus de facilité à attirer des capitaux,
à obtenir l’assentiment du public à l’égard de ses activités d’exploitation et à
emprunter.

Mis ensemble, ces facteurs peuvent avoir des répercussions positives sur le cours de
l’action et justifier pour de nombreuses sociétés, semble-t-il, la production d’un triple
bilan.

Si l’on inverse le raisonnement, peu nombreux sont ceux qui nieraient qu’une image
défavorable, provoquées par des pratiques environnementales et sociales
irresponsables, puise avoir une influence négative sur la capacité de l’entreprise à
créer de la valeur pour les actionnaires. << Les sociétés initiatrices de projets qui ne
respectent l’environnement ou qui le détruisent ne seront soutenues par personne, ce
qui inclut les bailleurs de fonds institutionnels, fait remarquer Mel Wilson. Prêter à
des sociétés dont la valeur nette risque d’être compromise par un lourd passif
environnemental serait manifestement contraire aux principes de saine gestion.>>

ManuelTheories Comptables-01Dec10 364


365

Quant à savoir si le TB sera imposé aux entreprises, Mel Wilson croit que le Canada
adoptera certaines règles élémentaires en cette matière, mais pas dans un avenir
immédiat.<< Il serait illogique de réglementer la production du TB durant l’étape
initiale de croissance du modèle. Il est préférable de laisser agir le marché, car c’est là
que le modèle prendra son essor. La réglementation vise presque toujours, de part sa
nature, à faire en sorte que les retardataires se plient à la norme ; pour le moment, le
mieux est de laisser le marché faire son œuvre et de permettre aux leaders de se
manifester.>>

Puisque le milieu des affaires s’entend sur le fait que les questions
environnementales sont là pour rester, c’est aussi le cas du TB. << L’on convient
aujourd’hui de la nécessité de respecter la capacité limite de la planète, ajoute David
McGuinty. Cet acquiescement est un premier pas vers une grande diversité d’activité
de gestion du changement, dans le domaine de l’éco-éfficacité, que l’on commence à
observer dans un grand nombre d’entreprises qui se disputent la maternité des progrès
accomplis.>>
Mais David McGuint y met en garde : << Le TB doit baigner dans la réalité des règles
et de réglementation de la comptabilité, de la fiscalité et du marché libre, et les
entreprises d’aujourd’hui ne disposent pas de beaucoup de temps pour contempler le
paysage. Diverses questions se posent maintenant quant à la façon dont les entreprises
doivent cheminer de manière créatrice et graduelle dans cette voie, mais c’est
essentiellement en rétrospective que l’on évalue le chemin parcouru et le type de
valeurs que les entreprises en sont venues à produire dans ce domaine.>>

ManuelTheories Comptables-01Dec10 365


366

Lecture de référence no. 23

L’INFORMATION SUR LA CONTINUITE 84 DE L’EXPLOITATION


par
Alison Arnot

84 Continuité de l’exploitation : Hypothèse selon laquelle l’entité poursuivra ses activités dans un avenir
prévisible et justifiant la comptabilisation des actifs en fonction de leur utilisation continue plutôt que de
leur valeur de marché ou de liquidation. (TRADUCTION LIBRE — Terminology for Accountants, 4th
Edition, 1992)

ManuelTheories Comptables-01Dec10 366


367

Les sociétés exercent toutes leurs activités suivant l’hypothèse que leur exploitation se
poursuivra. Ce n’est cependant pas toujours ce que disent les chiffres.

Les parties prenantes doivent être mises au fait des finances réelles de la société. S’ils
sont informés suffisamment à l’avance des risques de faillite d’une entreprise, les
investisseurs y réfléchiront à deux fois avant d’investir et les actionnaires pourront
limiter leurs pertes. Les bailleurs de fonds pourront également évaluer le risque de
manquement auquel ils s’exposent.

Or, les entreprises font-elles toutes état des incertitudes relatives à la continuité de
l’exploitation dans leurs états financiers? Selon une étude récente, non.

Dans leur étude intitulée Predicting Going Concern Risks in Canada (janvier 2004), les
professeurs J. Efrim Boritz et Jerry Sun (Université de Waterloo) se sont penchés sur
249 sociétés qui étaient en difficulté entre 1987 et 2002 et ont constaté que 46 % de
ces sociétés avaient présenté des notes narratives sur ce type d’incertitudes. Les
sociétés en difficulté englobaient les entreprises qui avaient demandé la protection de
la loi sur les faillites, avaient été mises sous séquestre, liquidées ou restructurées, ou
étaient visées par des mesures inhabituelles comme une interdiction d’opérations sur
valeurs ou une radiation de la cote. Les divers modèles de prévision des faillites
permettaient pourtant de prévoir la faillite de 75 % à 90 % de ces sociétés. Il n’est pas
étonnant de constater, par ailleurs, que plus l’intervalle est court entre la date des
états financiers et la date de la faillite, plus les informations fournies sur l’incertitude
relative à la continuité de l’exploitation sont exactes. Pourquoi donc l’écart est-il si
vaste entre les prévisions des entreprises quant à leur propre avenir financier et les
résultats des modèles de prévision utilisés dans l’étude?

« Tous reconnaissent les lacunes des informations présentées par de nombreuses


sociétés sur la continuité de l’exploitation, souligne M. Boritz. Ces lacunes découlent
probablement du fait que la direction n’est nullement motivée à attirer l’attention sur
ce type de difficulté et qu’il n’existe aucune norme exigeant une participation
proactive des vérificateurs dans ce domaine. »

ManuelTheories Comptables-01Dec10 367


368

Quelles sont les responsabilités de la direction en ce qui a trait aux informations


relatives à la continuité de l’exploitation? Quelles sont les obligations du vérificateur?
Les normes canadiennes n’étant pas claires, le Conseil des normes comptables (CNC) et
le Conseil des normes de vérification et de certification (CNVC) ont décidé d’agir.

Prévision des faillites

Lorsque la continuité de l’exploitation d’un client en vérification lui semble douteuse,


le Néo-Écossais David Etter, FCGA, lui demande d’abord d’en faire état par voie de
note. Il doit donc être en mesure de justifier son opinion à ce sujet. À son avis, le
modèle d’analyse de la cote Z établi en 1968 par Edward Altman permet d’obtenir un
indice de faillite fiable.

L’analyse de la cote Z figure parmi les modèles utilisés dans l’étude de Boritz et Sun.
Parmi les autres modèles que M. Boritz trouve encore plus efficaces, mentionnons trois
modèles canadiens, soit les modèles Springate (1978), Altman et Levallee (1980), et
Legault et Véronneau (1986), ainsi que le modèle américain Ohlson (1980).

Lorsque la cote Z de son client est faible, M. Etter demande à celui-ci de présenter une
note sur l’incertitude relative à la continuité de l’exploitation. « Je prends cette
question très au sérieux. Cela fait partie du rôle du vérificateur. Il nous incombe de
nous assurer que l’entreprise est viable... Si j’estime qu’une entreprise se dirige droit
vers la faillite, je dois en faire état. Si l’entreprise ne présente pas l’information par
voie de note, je dois le mentionner dans mon rapport de vérification. »

Il ajoute que le vérificateur court un risque en fournissant l’information dans son


rapport car il engage alors sa responsabilité. Comme la plupart des vérificateurs, il
préfère que ces informations soient présentées dans les états financiers. « Si
l’information est présentée dans les états financiers, ceux-ci donnent une image
fidèle », précise-t-il. Il n’est pas nécessaire que le vérificateur en fasse mention.

Les modèles de prévision des faillites peuvent aider les vérificateurs à évaluer
l’hypothèse de la continuité de l’exploitation car ils leur fournissent les munitions

ManuelTheories Comptables-01Dec10 368


369

nécessaires pour discuter des problèmes avec leurs clients et recommander des
modifications aux états financiers. Ils peuvent également servir de défense en droit.

Les modèles de prévision peuvent toutefois donner lieu à deux types d’erreurs : des
erreurs de type un (une entreprise en difficulté est classée à tort comme une
entreprise saine) et des erreurs de type deux (une entreprise saine est classée comme
une entreprise en difficulté). Dans le premier cas, expliquent Boritz et Sun, il se peut
que la direction ne soit pas consciente de la gravité de la situation, que les
investisseurs ne soient pas suffisamment prévenus de la faillite imminente et que les
vérificateurs ternissent leur réputation ou s’exposent à des litiges. En revanche, une
erreur de type deux peut devenir une sorte de « prophétie qui s’exauce », c’est-à-dire
que la prévision peut entraîner la faillite d’une entreprise saine. Pour éviter les erreurs
de type deux, il est possible que les vérificateurs aient à engager des frais d’enquête
élevés.

« Au Canada, la profession semble estimer que les erreurs de type deux sont plus
coûteuses que les erreurs de type un », souligne Stephen Spector, FCGA, qui enseigne
la comptabilité à l’Université Simon Fraser (Colombie-Britannique). « Si le vérificateur
affirme publiquement avoir des doutes quant à la continuité de l’exploitation, les
investisseurs décamperont et ce sera le début d’un cercle vicieux. » Selon M. Spector,
le vérificateur devrait plutôt expliquer le problème à la direction et s’assurer que celle-
ci prendra des mesures correctives ou fournira les informations nécessaires.

Le problème des normes

En matière de continuité de l’exploitation, les normes canadiennes sont déficientes.


« Certaines normes de vérification n’ont pas leur pendant en comptabilité, précise
M. Boritz. Il est difficile de vérifier un élément que la direction n’a pas comptabilisé au
préalable... Le vérificateur est limité dans son travail... L’hypothèse de la continuité
de l’exploitation relève avant tout du cadre comptable, pas du cadre de vérification. »

Les normes comptables canadiennes définissent l’hypothèse de la continuité de


l’exploitation, mais n’offrent pas d’indications spécifiques sur ce qu’il faut faire en

ManuelTheories Comptables-01Dec10 369


370

présence de risques, explique M. Boritz. En outre, les normes canadiennes diffèrent des
normes américaines et internationales. Selon le chapitre 5510 du Manuel de l’ICCA, si la
société présente adéquatement les informations sur l’incertitude liée à la continuité de
l’exploitation dans les notes complémentaires, le vérificateur ne peut mentionner cette
incertitude dans son rapport. Cette position va à l’encontre du SAS 59, qui exige que les
vérificateurs américains ajoutent dans leur rapport un paragraphe énonçant leurs
conclusions quant à la continuité de l’exploitation.

M. Spector explique que, lorsque le CNC s’est penché sur la question à la fin des
années 1990, il a décidé de ne pas formuler d’exigences, en raison de la responsabilité
à laquelle les vérificateurs s’exposaient en mentionnant l’incertitude relative à la
continuité de l’exploitation. Le raisonnement était le suivant : si une société présente
toute l’information pertinente sur la continuité de l’exploitation dans les notes, alors le
vérificateur s’est acquitté de sa responsabilité car les notes font état de la situation
financière de la société. « Les états financiers sont réputés donner une image fidèle et
être conformes aux PCGR », précise M. Spector.

Cette situation est appelée à changer. Devant les études attestant de l’insuffisance de
l’information fournie aux investisseurs sur les incertitudes liées à la continuité de
l’exploitation, le CNVC a décidé d’élaborer des recommandations sur la responsabilité
du vérificateur dans le cadre de l’évaluation de la capacité d’une entreprise de
poursuivre son exploitation. Ces recommandations fourniront aux vérificateurs des
indications de base sur les mesures qu’ils doivent adopter et sur l’information qu’ils
doivent présenter dans leur rapport. Elles permettront en outre d’harmoniser les
normes canadiennes avec les normes américaines et internationales (voir l’encadré
« Une norme canadienne »).

Parallèlement, le CNC élabore des indications plus claires sur les responsabilités de la
direction quant à la continuité de l’exploitation. Le CNC révisera le chapitre 1000,
« Fondements conceptuels des états financiers », en s’inspirant de l’IAS 1, Financial
Statement Presentation. « Avant que le CNVC puisse rédiger des directives sur la
vérification de l’hypothèse de la continuité de l’exploitation, il fallait d’abord définir

ManuelTheories Comptables-01Dec10 370


371

les responsabilités de la direction dans la section comptable du Manuel, souligne


Ian Hague, du Conseil des normes comptables. La seule mention de la continuité de
l’exploitation dans la section comptable se résume à un paragraphe au chapitre 1000.
Aucune indication n’est fournie sur les facteurs et l’horizon temporel dont la direction
doit tenir compte pour déterminer si elle peut préparer ses états financiers suivant
l’hypothèse de la continuité de l’exploitation. »

Un problème courant

Les constatations de Boritz et Sun, tout comme les résultats d’études américaines et
britanniques, laissent entrevoir des lacunes importantes au chapitre de l’information
sur la continuité de l’exploitation.

M. Etter se dit néanmoins surpris des résultats de l’étude. Il se serait attendu à ce que
le pourcentage des sociétés en difficulté qui ne présentent pas d’informations sur
l’incertitude relative à la continuité de l’exploitation s’établisse aux alentours de 10 %.
« La situation échappe parfois complètement au contrôle de la société », insiste-t-il, en
citant la dépendance économique envers une autre société, les désastres
environnementaux et les poursuites inattendues.

« Les informations fournies dans les notes afférentes aux états financiers d’un seul
exercice ne constituent pas un indice de faillite sûr », souligne M. Spector. Il ajoute
qu’il n’est pas étonnant que les modèles de prévision donnent des résultats plus précis
car ils reposent sur des analyses chronologiques ou autres faisant intervenir plusieurs
points de données.

Il est possible de mieux prévoir les risques avant la faillite, indique M. Boritz,
notamment en ayant davantage recours aux modèles de prévision. « Il est époustouflant
de voir avec quelle rapidité et quelle facilité ces modèles peuvent condenser les
données numériques contenues dans les états financiers pour produire un diagnostic
positif ou négatif. » Le vérificateur peut alors poser des questions, tout comme
l’analyste financier, et les investisseurs peuvent choisir leurs placements de façon plus
circonspecte.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 371


372

Le climat d’incertitude et de risque sur le plan juridique pourrait bientôt se dissiper.


Les nouvelles directives du CNVC et du CNC permettront aux dirigeants d’entreprise et
aux vérificateurs de mieux connaître leurs responsabilités en ce qui a trait aux
informations à fournir sur la continuité de l’exploitation.

Une norme canadienne

Le CNVC a lancé, en janvier 2004, un projet d’élaboration de recommandations qui


aideront le vérificateur à évaluer l’incertitude relative à la continuité de l’exploitation
d’une entreprise. Ces recommandations mettront l’accent sur la responsabilité du
vérificateur de tenir compte de l’existence de faits et de conditions susceptibles de
jeter un doute sur la capacité de l’entreprise de poursuivre son exploitation. Elles
énonceront également les obligations d’information applicables en présence de tels
faits et conditions.

Ce projet vise la publication d’une nouvelle norme qui intégrerait les principes et
procédés fondamentaux contenus dans la norme ISA 570, Going Concern, de
l’International Auditing and Assurance Standards Board, et dans le SAS 59, The Auditor’s
Consideration of an Entity’s Ability to Continue as a Going Concern, de l’American
Institute of Certified Public Accountants.

Il consistera également à évaluer la nécessité d’apporter des modifications au


paragraphe 5510.53, « Restrictions dans le rapport du vérificateur », en vue d’exiger
l’ajout d’un paragraphe d’observations au rapport du vérificateur même lorsque les
informations appropriées concernant la continuité de l’exploitation sont fournies dans
les états financiers. Les normes internationales et américaines exigent l’inclusion d’un
paragraphe d’observations dans le rapport du vérificateur, position fondée sur la
prémisse que, lorsqu’il existe un doute significatif quant au bien-fondé de l’hypothèse
de la continuité de l’exploitation, le rapport du vérificateur doit attirer l’attention du
lecteur sur cette question. Cette exigence va directement à l’encontre des normes
canadiennes actuelles, qui interdisent au vérificateur de faire mention des incertitudes

ManuelTheories Comptables-01Dec10 372


373

quant à la continuité de l’exploitation si les informations appropriées sont fournies dans


les états financiers.

Bien que les normes internationales et américaines contiennent des indications précises
sur les informations à fournir sur la continuité de l’exploitation, elles divergent quant à
la période future sur laquelle le vérificateur fait porter son appréciation. Le CNVC
tiendra compte des incidences juridiques et des attentes des utilisateurs des états
financiers pour déterminer la durée appropriée de la période future couverte par
l’appréciation du vérificateur au Canada.

L’approbation de l’exposé-sondage du CNVC et des modifications corrélatives à


apporter par le CNC au chapitre 1000 du Manuel, qui fournira des indications à
l’intention de la direction, est prévue pour octobre 2004, et la date limite de réception
des commentaires est prévue pour le 31 décembre 2004. Le CNVC souhaite que les
recommandations définitives du Manuel puissent être approuvées en avril 2005.

Alison Arnot est une rédactrice-réviseure à la pige qui habite à Ottawa.

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374

Lecture de référence no. 24

L’Information sectorielle

Par

Nadi Chlala

ManuelTheories Comptables-01Dec10 374


375

INTRODUCTION

LE PROBLÈME FONDAMENTAL

1-Les états financiers d’une entreprise sont généralement établis sur une base
consolidée, c’est-à-dire regroupant les données financières pertinentes à toutes les
activités variées de l’entreprise. Bien qu’investisseurs et créanciers reconnaissent
l’importance de ces données regroupés pour rendre compte de la performance
d’ensemble de l’entreprise, ils soulignent également l’utilité de décomposer cette
information en vue d’une analyse plus détaillée des opérations. L’évaluation de la
rentabilité et du degré de risque d’une entreprise particulière constitue un facteur
déterminant dans les décisions d’investissement et de prêt. Or, dans le cas d’une
entreprise aux activités diversifiées, il est impossible d’effectuer une telle évaluation
sans détenir de l’information sur ses différents secteurs d’activité. Bien qu’il y ait
plusieurs possibilités d’envisager la composition de l’information sectorielle, les
présentations généralement suggérées sont surtout celles portant sur la gamme des
biens et des services, sur les secteurs géographiques et sur les principaux clients.

2-. Bien que le paragraphe précédent fournisse un aperçu général des avantages de
l’information sectorielle, il existe des arguments contre la publication de ce type de
renseignements. Voici ces principaux arguments :

A. Ce genre d’information est trop sujette a interprétation pour pouvoir se


ranger parmi l’information comptable et, des lors, n’a pas sa place dans les
états financiers.

B. Cette information est susceptible de ne pas pouvoir être vérifiée avec la


même précision que l’information consolidée.

C. Le coût de dresser cette information est élevée.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 375


376

D. La publication d’une information sectorielle peut nuire aux intérêts de


l’entreprise en dévoilant des renseignements utiles aux concurrents.

On peut accorder certains mérites aux arguments précités. Les organismes


responsables de l’établissement des normes comptables aux Etats-Unis et au Canada
ont toutefois jugé que les avantages qui résultent de la présentation de l’information
sectorielle dans les états financiers excèdent largement les inconvénients qu’une telle
norme pourrait entraîner.

LES PRISES DE POSITION PERTINENTES

3- Aux Etats-Unis, le Financial Accounting Standards Board a publié plusieurs


Normes, ou Statements of Financial Accounting Standards, traitant de l’information
sectorielle. En voici la description :

A. En décembre 1976, le Financial Accounting Standards Board publie le Statement of


Financial Accounting Standards no. 14, intitulé Financial Reporting for Segments of a
Business Enterprise. Cette Norme exige de tout entreprise qui publie un ensemble
d’états financiers, la présentation de l’information sectorielle. Cette présentation est
donc exigée, non seulement dans les états financiers annuels, mais aussi dans les
rapports financiers périodiques. La Norme no. 14 explique également en détail les
méthodes de calcul et de présentation de ces renseignements. Cette Norme demeure
encore la prise de position fondamentale en matière de publication de l’information
sectorielle aux Etats-Unis.

B. En novembre 1977, le Financial Accounting Standards Board publie le


Statement of Financial Accounting Standards no. 18, intitulé Financial
Reporting for Segments of a Business Enterprise – Interim Financial
Statements. L’unique objet de cette brève Norme est d’éliminer l’obligation
contenue dans la Norme no 14, en vertu de laquelle l’information sectorielle
doit faire partie des états financiers périodiques. La décision de retirer cette
obligation a été prise dans l’attente du parachèvement d’un projet, mis sur

ManuelTheories Comptables-01Dec10 376


377

pied par le Financial Accounting Standards Board, et portant sur les états
financiers périodiques.

C. En avril 1978, le Financial Accounting Standards Board publie le Statement


of Financial Accounting Standards no. 21, intitulé Suspension of the
Reporting of Earnings Per Share and Segment Information by Non-Pubic
Enterprises. Comme son nom l’indique cette Norme retire aux entreprises
dont les titres ne sont pas négociés sur un marché public, l’obligation de
satisfaire à la Norme no. 14.

D. En décembre 1978, le Financial Accounting Standards Board publie le


Statement of Financial Accounting Standards no. 24, intitulé Report
Reporting Segment Information in Statements That Are Presented in Another
Enterprise’s Financial. Cette Norme, également brève, a pour objet
d’éliminer l’obligation de présenter l’information sectorielle dans les états
financiers distincts :

1. de la société mère ou d’une société émettrice , lorsque cette société


fait partie de la consolidation ;

2. de certaines sociétés émettrices étrangères ;

3. de sociétés émettrices dont la participation est comptabilisée à la


valeur d’acquisition ou à la valeur de consolidation, lorsque cette
information sectorielle est négligeable par rapport aux états financiers
consolides.

E. En août 1979, le Financial Accounting Standards Board publie le Statement of


Financial Accounting Standards no. 30, intitulé Disclosure of Information
about Major Customers. La Norme no 14, publiée à l’origine, exigeait la
présentation d’information lorsque 10 pour cent ou plus du chiffre d’affaires
de l’entreprise provenait de l’ensemble des ventes à des établissements
gouvernementaux nationaux ou de l’ensemble des ventes à des
gouvernements étrangers. Cette mesure ne tenait pas compte du fait qu’un

ManuelTheories Comptables-01Dec10 377


378

groupe unifié d’établissements gouvernementaux nationaux ou étrangers est


peu susceptible de mettre l’entreprise en présence d ‘une menace ou d’une
politique commune. En conséquence, la modification apportée par la Norme
no. 30 précise que l’information n ‘est requise que lorsque 10 pour cent ou
plus du chiffre d’affaires de l’entreprise provient du gouvernement fédéral,
gouvernement étranger.

4-. Comme c’est habituellement le cas, l’établissement de normes canadiennes


concernant l’information sectorielle s’est faite de façon beaucoup plus simple. En avril
1979, le Comité des normes comptables de l’Institut Canadien des Comptables Agrées
publie une version révisée du chapitre 1700 du Manuel de l’I.C.C.A. Hormis une seule
exception importante, le chapitre 1700 est identique au Statement of Financial
Accounting Standards no. 14, tel qu’amendé. La différence concerne l’obligation de
présenter des renseignements sur les principaux clients de l’entreprise. L’exposé-
sondage qui a précède la publication du chapitre 1700 contenait cette obligation.
Celle-ci a toutefois été retirée de la version finale du chapitre. Puisque les normes
américaines et canadiennes sur le sujet sont très semblables, nous porterons désormais
notre attention sur le chapitre 1700 du Manuel de l’I.C.C.A., sans plus nous attarder
aux recommandations américaines.

LES OBJECTIFS DE L’INFORMAATION SECTORIELLE

5-. Ainsi que nous l’avons déjà indiqué, l’objectif des normes contenues dans le
chapitre 1700 du Manuel de l’I.C.C.A. est d’aider les utilisateurs à analyser et à
comprendre les états financiers de l’entreprise, en leur permettant une meilleure
évaluation de la performance passée et des perspectives d’avenir de cette dernière, au
moyen d’une analyse plus détaillée de ses activités. En d’autres mots, l’information
sectorielle vise à fournir les renseignements utiles à la comparaison d’un exercice à
l’autre des opérations d’une entreprise particulière. Cette étude plus détaillée des
tendances économiques fourn9it une aide précieuse dans l’établissement des prévisions
concernant le montant, le calendrier et le degré de risque liés aux flux monétaires
futurs anticipés.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 378


379

6-. Il faut toutefois prendre garde de faire des comparaisons d’une entreprise à
l’autre pour des secteurs d’activité en apparence similaires. Pour rendre de telles
comparaisons valables, il faudrait établir des normes assez détaillées sur le procédé à
suivre par toutes les entreprises pour délimiter les secteurs. De même, il faudrait
préciser des méthodes uniformes à utiliser pour comptabiliser les cessions
intersectorielles et pour procéder à la répartition des frais communs à plusieurs
secteurs, en vue d’établir le bénéfice sectoriel. Au Canada et aux Etats-Unis, le
sentiment général est qu’il serait inapproprié de contraindre toutes les entreprises qui
publient une information sectorielle à se plier à de telles exigences. De plus, il est
pratiquement difficile, voire impossible d’établir des règles uniformes qui
conviendraient à toutes les entreprises. C’est le point de vue reflété dans les prises de
décisions des deux pays. On doit donc s’attendre à ce que les règles utilisées dans la
préparation de l’information sectorielle varient sensiblement d’une entreprise à une
autre. Par conséquent, la comparaison d’une manière significative de l’information
sectorielle d’une société à l’autre est rendue difficile, voir même trompeuse.

L’ÉTABLISSEMENT DE L’INFORMATION SECTORIELLE

LES PRINCIPES COMPTABLES RÉGISSANT L’INFORMATION SECTORIELLE

7-. L’information sectorielle consiste simplement en une ventilation des données


financières comprises dans les états financiers d’une entreprise. Pour la préparation et
la présentation de l’information sectorielle, on doit donc suivre les mêmes principes
comptables que ceux qui régissent l’établissement des états financiers globaux de
l’entreprise. Toutefois, dans le but de bien faire ressortir le niveau d’activité de
chaque secteur de l’entreprise, les opérations intersectorielles seront traitées d’une
manière assez différente, ainsi qu’il est stipulé au paragraphe 1700.12 du Manuel de
l’I.C.C.A. :

L’information sectorielle doit reposer sur les mêmes principes comptables que
ceux qui président à l’établissement des états financiers de l’entreprise. Les

ManuelTheories Comptables-01Dec10 379


380

opérations intersectorielles qui ont été éliminées des états financiers doivent
être rétablies dans l’information sectorielle.

8-. Selon le Comité des normes comptables, il est peu probable que, pour rendre
compte des opérations intersectorielles dans les états financiers, on puisse concevoir
des règles uniformes pour la publication de l’information sectorielle, notamment en ce
qui concerne les prix de cession interne. Par conséquent, on n’a pas cherché à
uniformiser les règles qui prévalent dans ce domaine. Le paragraphe 1700.14 en
témoigne :

Les ventes et les cessions intersectorielles doivent être évaluées de la même


manière qu’aux fins de la comptabilité interne de l’entreprise. Les achats
intersectoriels doivent être évalués selon des critères identiques à ceux
qu’utilise l’entreprise pour la valorisation des ventes et des cessions
intersectorielles correspondantes.

L’ÉTABLISSEMENT DE L’INFORMATION SECTORIELLE

DÉFINITIONS DES MESURES COMPTABLES PARTICULIÈRES Á L’INFORMATION


SECTORIELLE

9-. Nous avons déjà souligné, au paragraphe 7, que les principes comptables qui
régissent la présentation de l’information sectorielle sont, général, les mêmes que ceux
qu’on utilise pour la publication des états financiers. Toutefois l’information
sectorielle nécessite d’établir des données supplémentaires. Le chapitre 1700 du
Manuel de l’I.C.C.A. contient donc des définitions appropriées pour ces mesures
comptables additionnelles particulières à l’information sectorielle. La première de ces
mesures est celle du CHIFFRE D’AFFAIRES SECTORIEL, ou PRODUITS SECTORIELS. Elle
est définie au paragraphe 1700.10 de la façon suivante :

PRODUITS SECTORIELS ou CHIFFRE D’AFFAIRES SECTORIEL : produits directement


imputables à un secteur, provenant de ventes faites à des tiers ainsi que de
ventes et de cessions intersectorielles de biens et de services.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 380


381

10-. La définition précédente se poursuit en précisant un certain nombre d’éléments à


exclure du chiffre d’affaire sectoriel :

Normalement, les intérêts gagnés sur des avances ou des prêts consentis à d’autres
secteur ne sont pas inclus dans les produits sectoriels à moins que les activités du
secteur ne soient essentiellement des activités de financement. Les éléments suivants
sont exclus des produits sectoriels soit parce qu’ils ne concernent pas le secteur, soit
parce qu’il n’est pas toujours possible de les répartir entre les secteurs : produits
gagnés au niveau du siège social ou de la direction générale de l’entreprise et qui ne
proviennent pas de l’exploitation d’un secteur particulier, gains provenant de
participations comptabilisées à la valeur de consolidation, intérêts créditeurs et
dividendes provenant de titres ne faisant pas partie des éléments d’actif sectoriels,
gains extraordinaires. Les facturations intersectorielles relatives au coût d’installations
partagées par plusieurs secteurs ou à d’autres frais engagés conjointement ne
constituent pas des ventes ou des cessions intersectorielles aux fins de la présente
définition ; elles représentent plutôt une récupération de frais dont il faut tenir compte
dans les charges sectorielles.

11-. La définition des produits sectoriels, ou chiffre d’affaires sectoriel, ne présente


aucun problème particulier. Notons toutefois que le fait d’inclure les cessions
intersectorielles, mesurées aux prix de cession interne qu’utilise l’entreprise, est de
toute évidence l’une des raisons pour lesquelles cette information n’est forcément utile
pour faire des comparaisons d’une société à l’autre. Notons également le fait que les
normes canadiennes (voir le paragraphe IS-32) exigent que les produits provenant de
ventes intersectorielles soient présentées pour chaque secteur de manière distinct de
ceux provenant des ventes à tiers, c’est-à-dire à des clients externes à l’entreprise ou
au groupe consolidé.

12- La seconde mesure comptable particulière est celles des CHARGES SECTORIELLES.
Etablir une définition appropriée de cette notion de charges sectorielles constitue le
problème le plus difficile à résoudre de la publication d’information sectorielle. La
question fondamentale est d’établir si l’information présentée doit être fondée sur les

ManuelTheories Comptables-01Dec10 381


382

produits d’un secteur, diminués de charges directement attribuables à ce secteur (ce


résultat s’appelle généralement la marge brute sectorielle), ou bien si l’information
doit être fondée sur les produits du secteur diminués des charges directement
attribuables à ce secteur et de celles qui peuvent être ventilées selon une formule
logique entre les divers secteurs (ce dernier concept est généralement désigné par le
bénéfice ou la perte d’exploitation sectoriel). Dans l’exposé sondage qui a précédé la
publication du Statement of Office Financial Accounting Standards no. 14, le Financial
Accounting Standards Board proposait d’exiger la publication simultanée de la marge
brute sectorielle et du bénéfice d’exploitation sectoriel. L’analyse des réactions
obtenues face à cette proposition a révélé au Financial Accounting Standards Board un
assentiment général en sectoriel seulement. Toutefois un grand nombres d’intéressés
ont tenu à souligner qu’il est souvent impossible de distinguer en pratique les frais qui
peuvent être que « ventilés. » Ces personnes ont également fait remarquer que la
capacité d’attribution de ces frais dépend souvent du degré de complexité du système
comptable de tenue des livres de l’entreprise et du degré de décentralisation de son
exploitation. Ces deux arguments ont amené le Financial Accounting Standards Bord à
abandonner l’obligation de publier les marges brutes sectorielles.

13-. Le Manuel de l’I.C.C.A. Epouse la conclusion qui précède. Le paragraphe 1700.10


définit et précise de la façon suivante la nature des charges sectorielles :

CHARGES SECTORIELLES : dépenses directement attribuables à un secteur et quote-part


des dépenses qui peuvent être ventilées, selon une formule logique, entre les divers
secteurs à l’avantage desquels elles ont été engagées. Les éléments suivants sont
exclus des charges sectorielles soit parce qu’ils ne concernent pas le secteur, soit
parce qu’il n’est pas toujours possible de les répartir entres les secteurs : frais engagés
au niveau de la direction générale de l’entreprise, pertes provenant de participations
comptabilisées a la valeur des consolidation, intérêts débiteurs lorsque les activités de
secteur ne sont pas essentiellement des activités des financement, impôts sur le
revenu, charges extraordinaires, part des actionnaires minoritaires.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 382


383

14-. Compte tenu des définitions précédentes, le bénéfice (ou la perte) d’exploitation
sectoriel (le) consiste simplement en la différence entre les produits sectoriels et les
charges sectorielles. Certaines entreprises peuvent toutefois vouloir fournir d’autres
mesures de rentabilité. Le paragraphe 1700.35 note à ce sujet :

En plus d’indiquer le bénéfice (ou la perte) d’exploitation sectoriel (le),


l’entreprise peut décider de fournir une autre mesure de la rentabilité pour
chacun de ses secteurs d’activité ou pour certains d’entre eux. Ainsi, dans
certains cas, on voudra imputer à un secteur particulier les impôts sur le revenu
qui lui reviennent, ou encore en indiquer le bénéfice net. Lorsqu’on choisit de
présenter une mesure supplémentaire de rentabilité, il est souhaitable de
préciser la nature et le mode de répartition des éléments imputés au secteur.

15-. Enfin, une dernière définition est donnée pour les ELEMENTS D’ACTIF SECTORIELS.
Voici cette définition, contenue également au paragraphe 1700.10 :

ELEMENTS D’ACTIF SECTORIELS : tous les éléments d’actifs corporels et


incorporels attribuables à un secteur, y compris la partie des éléments d’actif
utilisés conjointement par plusieurs secteur qui peut être attribuée, selon une
formule logique, au secteur en question. Les avances sert les prêts accordés à
d’autres secteurs ainsi que les participations dans d’autres secteurs ne sont pas
inclus dans les éléments d’actif sectoriels sauf si les activités du secteur sont
essentiellement des activités de financement et si les éléments en cause sont
semblables à ceux qui résultent d’opérations conclues avec des tiers. Dans
l’évaluation des éléments d’actif d’un secteur, on tient compte de la provision
pour créances douteuses, de l’amortissement accumulé et des autres éléments
de même nature.

16-. La ventilation des éléments d’actif qu’utilisent concurremment deux ou plusieurs


secteurs est, bien sûr, compatible avec le point de vue adopté dans les définitions de
charges sectorielles et de produits sectoriels.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 383


384

LA PORTEE DES NORMES DE PRESENTATION DE L’INFORMATION SECTORIELLE

17-. On peut se demander quelles sont les entreprises qui devraient être assujetties à
la publication de l’information sectorielle comme partie intégrante de leurs états
financiers. Les paragraphes 1700.10 et 1700.08 répondent à cette question de la
manière suivante :

Les états financiers des entreprises dont les titres se négocient sur un marché
public ou qui sont assujetties au dépôt annuel de leurs états financiers auprès
d’une commission des valeurs mobilières doivent fournir des renseignements
sectoriels établis premièrement par secteurs d’activité et deuxièmement par
secteurs géographiques. De plus, ces entreprises doivent indiquer le montant de
leurs ventes à l’exportation.

Les états financiers de l’entreprise doivent présenter, a l’égard de toute filiale


qui est exclue de la consolidation mais comptabilisée a la valeur de consolidation
conformément au chapitre 3050, PLACEMENTS A LONG TERME, l ‘information
sectorielle requise en vertu du présent chapitre.

18-. Il faut noter que les obligations en matière de présentation d’information


sectorielle se limitent aux sociétés dont les titres se négocient sur les marchés publics.
Cette restriction est compatible avec la décision prise aux Etats-Unis, en vertu du
Statement of Financial Accounting Standards no.21, de retirer l’obligation de publier
une information sectorielle pour les sociétés qui ne font pas appel public à l’épargne.

LES SECTEURS D’ACTIVITE

LE GROUPE EN SECTEURS D’ACTIVITE

19-. La première catégorie fondamentale d’information sectorielle exigée repose sur le


groupement des biens et des services de l’entreprise en secteurs d’activité. Le
paragraphe 1700.10 définit un secteur d’activité de la façon suivante :

ManuelTheories Comptables-01Dec10 384


385

SECTEUR D’ACTIVITE : dans une entreprise, composante distincte dont l’activité


consiste à fournir un bien, un service ou un groupe de biens ou de services
connexes, principalement a des tiers.

20-. Cette définition demande que l’on fasse preuve de beaucoup de discernement dans
le groupement des biens ou des services en secteurs d’activité. En raison de la grande
diversité des activités qu’exercent les entreprises, le paragraphe 1700.17 ne fait
qu’énoncer des procèdes généraux pour aider celles-ci à choisir et définir leurs secteurs
d’activité propres :

Lorsque l’on cherche à déterminer si des biens et des services ont quelque chose en
commun et s’ils doivent être groupés en conséquence dans un même secteur
d’activité, il faut considérer un certain nombre de facteurs, dont les suivants :

a) La nature du bien ou du service

b) La nature du processus de fabrication, en tenant compte de facteurs comme le


genre de matières premières utilisées et le fait que l’on partage des installations
communes.

c) La nature des marchés en tenant compte de facteurs comme les caractéristiques


du marché, les méthodes de commercialisation et la sensibilité du marché à la
conjoncture économique et aux fluctuations de prix.

21-. Le paragraphe 1700.21 fournit d’autres indications :

La «Classification des activités économiques » publiée par Statistique Canada


peut faciliter la définition des différents secteurs d’activité. Toutefois, on ne
saurait se baser sur cette seule nomenclature pour déterminer quels sont les
secteurs particuliers pour lesquels il conviendrait de publier des renseignements
distincts ; en effet, elle n’a pas été conçue à cette fin et elle ne tient pas
compte de l’interdépendance de certains biens et services.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 385


386

22-. L’usage auquel on destine le produit d’un secteur d’activité donné exerce une
certaine influence sur son classement. C’est ce que reflète le paragraphe 1700.20 du
Manuel de l’I.C.C.A. :

Dans la mesure ou une entreprise est présente dans plusieurs domaines


d’activité directement liés à la fabrication et à la distribution de ses produits
finis, elle est considère comme une entreprise à intégration verticale. Les
activités intégrées d’une entreprise de ce genre peuvent englober la production
et la transformation des matières premières, la fabrication, la commercialisation
et parfois même le transport des produits finis et le crédit à la consommation.
Dans une entreprise de ce genre, bien qu’à divers stades il puisse y avoir des
ventes à des tiers, la part la plus importante de la production à chaque stade
est destinée à la fabrication du produit final. Donc, encore que l’on puisse
souvent classer sous divers domaines d’activités la part des activités d’une
entreprise qui est intégrée verticalement, ces activités sont interdépendantes
et, de ce fait, on peut considérer qu’elles constituent un seul secteur d’activité.

23-. Les paragraphes 1700.18 et 1700.19 font ressortir le fait que les grandes catégories
d’activité comme la fabrication, le commerce de gros, le commerce de détail ou les
biens de consommation ne sont pas, en elles-mêmes, des indications valables des
secteurs d’activités tels que définis dans le Manuel de l’I.C.C.A. De même le fait
qu’une entreprise s’engage dans plusieurs activités appartenant a des domaines
connexes ou ayant des produits voisins ou complémentaires ne démontre en rien
l’existence de secteurs d’activité distincts.

24-. Le paragraphe 1700.22 indique que le Comité des normes comptables souhaiterait
que le groupement en secteurs d’activité d’une entreprise multinationale soit fait à
l’échelle mondiale. Toutefois, celui-ci reconnaît que cela soit souvent irréalisable en
pratique. Lorsque tel est le cas, la partie des opérations à l’étranger, pour lesquelles il
est impossible de ventiler l’information par secteurs d’activités, doit être regroupée
dans un secteur d’activité distinct.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 386


387

LES SECTEURS D’ACTIVITE

LES SECTEURS D’ACTIVITE ISOLABLES

25-. En procédant au choix et à la définition des secteurs d’activité, il est probable


qu’on en dénombre plus qu’il ne serait utile ou pratique de présenter dans les états
financiers. Ceux d’entre eux qui revêtent suffisamment d’importance pour faire l’objet
d’une présentation distincte sont appelés « secteurs d’activités isolables. » Le
paragraphe 1700.23 du Manuel de l’I.C.C.A. donne les indications suivantes sur la façon
d’établir quels secteurs d’activité sont isolables :

Les principaux facteurs dont il faut tenir compte lorsqu’on cherche à déterminer si
un secteur d’activité est isolable pour fins de présentation de l’information
sectorielle sont les suivants : l’importance du chiffre d’affaires sectoriel, le
bénéfice (ou la perte) d’exploitation sectoriel (le) et les ressources engagées dans
l’exploitation du secteur. Le Comité considère qu’un secteur d’activité est
important s’il satisfait a l’une des conditions suivantes :

a) Les produits sectoriels comptent pour 10 pour cent ou plus des produits réalisés
par l’ensemble des secteurs d’activité (y compris les ventes et les cessions
intersectorielles) ;

b) Le montant absolu du bénéfice d’exploitation sectoriel ou de la perte


d’exploitation sectorielle représente 10 pour cent ou plus du plus élevé des deux
montants absolus suivants :

i) Le bénéfice d’exploitation totale de tous les secteurs d’activité qui


ont réalisé un bénéfice d’exploitation.

ii) La perte d’exploitation totale de tous les secteurs d’activité qui ont
subi une perte d’exploitation

c) Les éléments d’actif sectoriels comptent pour 10 pour cent ou plus du total des
éléments d’actif sectoriels afférents aux divers secteurs d’activité.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 387


388

26-. EXEMPLE – La complexité apparente de la seconde condition, soit celle fondée sur
le bénéfice d’exploitation sectoriel, justifie un exemple simple. Supposons qu’une
entreprise ait défini huit secteurs d’activité, dont les bénéfices ou les pertes
d’exploitation respectifs sont les suivants :

SECTEUR D’ACTIVITE BENEFICE (PERTE)

A 63 000 $

B 210 000 $

C 50 000 $

D 277 000 $ 600 000 $

E ( 239 000 $)

F (64 000 $)

G (45 000 $)

H (302 000 $) (650 000 $)

27-. La perte d’exploitation tous les secteurs d’activité qui ont subi une perte
d’exploitation, est supérieure au bénéfice d’exploitation total de tous les secteurs
d’activité qui ont réalisé un bénéfice d’exploitation. En vertu du paragraphe 1700.23,
un secteur d’activité est considéré isolable si la perte ou son bénéfice d’exploitation
excède 65 000 $ ou 10 pour cent de 650 000 $. Ceci signifie donc que les secteurs B,D,E
et H sont considérés comme des secteurs d’activités isolables, en vertu du paragraphe
1700.23 (b). Les secteurs A,C,F, et G ne sont pas assez importants pour mériter d’être
isolés en vertu du paragraphe 1700.23 (b). Toutefois, ces derniers secteurs pourraient
être classés isolables en vertu de l’une ou l’autre des deux autres conditions énoncées
au paragraphe 1700.23 (a) ou (c).

28-. Dans la poursuite de la description se ce qui constitue un secteur d’activité


isolable, le paragraphe 1700.24 mentionne ce qui suit :

ManuelTheories Comptables-01Dec10 388


389

Pour présenter l’information sectorielle d’une manière qui permette les


comparaisons entre exercices, la direction peut être amener à publier des
données sectorielles pour un secteur d’activité qui n’est plus assez important
pour mériter d’être isolé mais qui était important au cours des exercices
précédents et qui semble-t-il, recouvrera son importance au cours des prochains
exercices. Par contre, on peut être amené parfois à décider qu’il ne convient pas
de publier des données distinctes à l’égard d’un secteur d’activité pour lequel on
n’a pas publié de données distinctes au cours des exercices précédents mais qui,
pour l’exercice considéré, deviendrait isolable pour la simple raison que ses
résultats d’exploitation ont atteint un niveau exceptionnellement élevé ou que
les résultats globaux de l’ensemble des secteurs d’activité ont été
exceptionnellement bas. Dans l’un et l’autre de ces cas, il convient d’inclure les
explications appropriées dans l’information sectorielle.

29-. En mettant en application les conditions énoncées au paragraphe 1700.23, il est


possible d’en arriver à établir un grand nombre de secteur d’activité considérés
isolables. Ce résultat est possible à cause de l’utilisation de plusieurs conditions
possibles être à cause de l’utilisation de plusieurs conditions possibles et à cause du fait
qu’il suffit de satisfaire à une seule de ces conditions pour que le secteur soit considéré
isolable. A la lumière de cette possibilité, le paragraphe .26 du chapitre 1700 suggère
ceci :

(…) Lorsque la multiplicité des secteurs isolables aboutirait à une information


sectorielle trop détaillée, il faut penser à regrouper les secteurs voisins en des
secteurs plus vastes aux fins de présentation de l ‘information sectorielle.

LES SECTEURS D’ACTIVITE

LA PRESENTATION AUX ETATS FINANCIERS

30-. L’objectif des directives précédentes sur le choix et la définition des secteurs
d’activité isolables est de faire en sorte que la majeure partie de l’ensemble des
activités de l’entreprise soit décomposée en secteurs faisant l ‘objet d’une

ManuelTheories Comptables-01Dec10 389


390

présentation distincte dans l’information sectorielle. Cet objectif est reflété dans les
paragraphes 1700.27 et 1700.28 du Manuel de l’I.C.C.A. :

Tout secteur d’activité juge important pour l’entreprise doit être considéré
comme isolable pour fins de présentation de l’information sectorielle.

Par le choix et la définition des secteurs d’activité isolables, on doit faire en


sorte que ces secteurs couvrent la majeure partie de l’ensemble des activités de
l’entreprise.

31-. Comme nous l’avons déjà mentionné, ces normes de présentation de l’information
sectorielle s’appliquent à toutes les entreprises dont les titres se négocient sur le
marché public, et à celles qui sont assujetties au dépôt annuel de leurs états financiers
auprès d’une commission des valeur mobilières (voir le paragraphe 17). Seules les
entreprises dont pratiquement toutes les opérations sont concentrées dans un seul
secteur d’activité sont dispensées de ces normes. Cette situation est prévue au
paragraphe 1700.30, comme suit :

Si une entreprise exerce la totalité ou la quasi-totalité de ses activités dans un


seul secteur d’activité, on doit considérer ce secteur comme un secteur
dominant et non comme un secteur d’activité isolable pour fins de présentation
de l’information sectorielle.

32-. Le paragraphe 1700.33 donne une description détaillée des renseignements à


présenter pour chaque secteur d’activité. Voici ce paragraphe :

On doit donner une description générale des biens et des services dont chaque
secteur d’activité isolable tire son chiffre d’affaires. Pour chaque secteur d’activité
isolable, et pour tous les autres secteurs d’activité de l’entreprise considérés
globalement, on doit indiquer :

a) les produits sectoriels provenant de ventes à des tiers

b) les produits sectoriels provenant de ventes ou de cessions intersectorielles, et la


méthode de comptabilisation utilisée à leur égard

ManuelTheories Comptables-01Dec10 390


391

c) le bénéfice (ou la perte) d’exploitation sectoriel(le), le montant des provisions


pour amortissement des biens incorporels et pour épuisement ainsi que les
éléments exceptionnels inclus dans le calcul du bénéfice (ou de la perte)
sectoriel (le)

d) la valeur comptable de l’actif sectoriel à la fin de l’exercice et le montant des


dépenses en immobilisations engagées au cours de l’exercice.

On doit fournir la conciliation du montant global des produits sectoriels, du montant


global des bénéfices (ou pertes) d’exploitation sectoriels (les) et du total des actifs
sectoriels avec le chiffre d’affaires, le bénéfice net et le total de l’actif figurant dans
les états financiers de l’entreprise.

33-. Dans le cas des entreprises qui ne comportent qu ’un seul type de secteur
d’activité, le paragraphe 1700.34 exige la présentation suivante :

Si l’entreprise comporte un secteur d’activité dominant, on doit le mentionner


et fournir une description générale des biens et des services dont elle tire son
chiffre d’affaires.

LES SECTEURS GEOGRAPHIQUES

LE GROUPEMENT EN SECTEURS GEOGRAPHIQUES

34-. Comme c’était le cas pour le groupement en secteurs d’activité, la conception


d’un modèle approprié de classement des activités de l’entreprise dans diverses zones
géographiques, notamment des établissements à l’étranger, pose certains problèmes.
Le paragraphe 1700.38 de Manuel de l’I.C.C.A. donne un aperçu global du problème et
donne des directives générales sur la façon de l’aborder :

Du fait de la diversité des méthodes d’exploitation en usage dans les pays étrangers
et de la diversité des conditions économiques que l’on trouve dans ces pays, il est
impossible en pratique de prescrire une méthode précise qui permettrait de
regrouper en zones géographiques les pays étrangers ou l’entreprise est implantée
en tenant compte de toutes ces différences. Il incombe à la direction de

ManuelTheories Comptables-01Dec10 391


392

l’entreprise de grouper ses établissements à l’étranger en secteurs géographiques


en se fondant sur les traits communs les plus importants eu égard aux circonstances.
Parmi les facteurs à considérer, on peut mentionner les suivants :

a) la distance entre ces établissements

b) la situation économique et politique qui prévaut a chaque endroit

c) la nature et l’importance des relations entre les divers établissements à


l’étranger.

35-. Ces principes directeurs laissent une large place à l’exercice du jugement dans la
définition des secteurs géographiques étrangers. Une entreprise pourrait, par exemple,
opter pour un groupement fondé sur le lieu géographique (l’Europe, l’Afrique et le
reste du monde), alors qu’une autre pourrait choisir un groupement fondé sur les
conditions économiques qui prévalent (les pays développés et les pays en voie de
développement). Il existe, bien sûr, une foule d’autres possibilités que celles-ci.
Toutefois, étant donne la nature même du problème, cette diversité de choix possibles
est pratiquement inévitable et démontre encore une fois que la comparaison de
l’information sectorielle d’une entreprise à l’autre n’est pas souhaitable.

LES SECTEURS GEOGRAPHIQUES

LES SECTEURS GEOGRAPHIQUES ISOLABLES

36-. Une fois établi un groupement approprié en secteurs géographiques, on doit


ensuite décider lesquels parmi les secteurs définis méritent d’être considérés isolables
aux fins de la présentation de l’information sectorielle dans les états financiers de
l’entreprisse. A ce sujet, on trouve les points de repère suivants au paragraphe
1700.42 du Manuel de l’I.C.C.A. :

Le Comite estime qu’un secteur géographie étranger mérite habituellement d’être


considéré comme important si l’une des conditions suivantes est remplie :

a) les produits qu’il tire des ventes à des tiers comptent pour 10 pour cent ou plus
de l’actif total des produits déclarés dans l’état des résultats de l’entreprise

ManuelTheories Comptables-01Dec10 392


393

b) son actif sectoriel compte pour 10 pour cent ou plus de l’actif total figurant au
bilan de l’entreprise.

37-. Notons que, contrairement à la situation qui prévaut pour la définition des
secteurs d’activité isolables, la règle du 10 pour cent des produits exclut les ventes ou
les cession intersectorielles dans le cas des secteurs géographiques étrangers. Cette
différence est justifiée au paragraphe 1700.40, comme suit :

Les composantes des produits finis d’une multinationale peuvent être fabriquées
dans diverses zones géographiques. Il est possible, dans certains cas, que les
ventes ou les cessions intra-entreprises de telles composantes représentent une
partie considérable des produits réalisés par un secteur donne. Cependant,
comme ces opérations dépendent d’autres secteurs d’exploitation de
l’entreprise, on ne tient normalement pas compte du chiffre d’affaires qu’elles
produisent lorsqu’on cherche à déterminer l’importance d’un secteur
géographique étranger.

39-.Ces principes soulignent le fait que, dans le groupement sur la base des diverses
activités, les composantes intégrées verticalement ne sont pas présentées en tant que
secteurs distincts, mais le seraient si ces composantes étaient localisées dans
différentes zones géographiques.

39-. Il existe une autre différence entre les directives données pour la définition des
secteurs d’activité isolables et les règles similaires servant à définir les secteurs
géographiques étrangers isolables : c’est l’absence du critère de rendement. Selon le
paragraphe 1700.41, le rendement n’est pas un critère généralement admis pour la
définition des secteurs géographiques étrangers isolables. Voici comment le Comité
justifie ce point de vue :

En raison des différences qui caractérisent les divers milieux économiques


étrangers et du fait que parfois les activités de diverses zones geographiques
sont intégrés à un ensemble plus grand, on ne se base pas habituellement sur le
rendement pour déterminer l’importance d’un secteur géographique étranger.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 393


394

40-. Lorsqu’un secteur géographique étranger est défini comme isolable, le paragraphe
1700.43 présente la norme à satisfaire à cet égard, comme suit :

Tout secteur géographique étranger jugé important pour l’entreprise doit être
considéré comme un secteur géographique isolable aux fins de présentation de
l’information sectorielle.

LES SECTEURS GEOGRAPHIQUES

LA PRESENTATION AUX ETATS FINANCIERS

41-. Une fois les secteurs géographiques étrangers établis, les renseignements suivants
doivent être fournis dans les états financiers, en vertu du paragraphe 1700.44 du
Manuel de l’I.C.C.A. :

On doit indiquer où se trouve chaque secteur géographique étranger considéré


comme isolable. On doit de plus fournir les données suivantes pour chaque secteur
géographique étranger isolable, pour l’ensemble des autres secteurs géographiques
étrangers lorsqu’ils constituent un tout important et pour le secteur géographique
national :

a) les produits sectoriels provenant de ventes à des tiers

b) les produits sectoriels provenant de ventes ou de cessions entre secteurs


géographiques et la méthode de comptabilisation utilisée à leur égard

c) le bénéfice (ou la perte) d’exploitation sectoriel(le) ou toute autre mesure de


rentabilité jugée pertinente (il peut être plus pertinent, par exemple, de
présenter l’information relative à la rentabilité en tenant compte des impôts
lorsque le régime fiscal régissant le secteur géographique est très différent du
régime auquel sont assujettis les établissements nationaux de l’entreprise)

d) la valeur comptable de l’actif sectoriel a la fin de l’exercice.

On doit fournir la conciliation du montant global des produits sectoriels, du montant


global de toute autre mesure de la rentabilité et du total de l’actif sectoriel avec le

ManuelTheories Comptables-01Dec10 394


395

chiffre d’affaires, le bénéfice net et le total de l’actif figurant dans les états financiers
de l’entreprise.

AUTRES NORMES

42-. LES VENTES A L’EXPORTATION – Lorsque les établissements nationaux de


l’entreprise dépendent largement du chiffre d’affaires réalisé auprès de clients
domicilies à l’étranger, l’évaluation du risque peut différer de celle qui résulterait d’un
chiffre d’affaires réalisé auprès de clients domicilies au pays. Le paragraphe 1700.45
du Manuel de l’I.C.C.A, propose comme directive que les ventes à l’exportation soient
généralement considérées comme importantes lorsqu’elles comptent pour 10 pour cent
ou plus du total des produits présentés dans les états financiers de l’entreprise. Dans
un tel cas, le paragraphe 1700.46 exige ce qui suit :

Lorsque les ventes de biens et les prestations de services à des tiers situés à
l’étranger effectuées par les établissements mais nationaux de l’entreprise sont
importantes, on doit en indiquer le montant total.

43-. On souligne également qu’il peut être souhaitable de fournir une ventilation des
ventes à l’exportation par zones géographiques.

44-. LES PRINCIPAUX CLIENTS - Soulignons simplement que le chapitre 1700 ne


comporte aucune obligation d’information sur le chiffre d’affaires réalisé auprès des
principaux clients de l’entreprise. Ceci contraste avec les normes contenues dans les
Statement of Financial Accounting Standards no. 14, qui exige la présentation de cette
information particulière des entreprises qui publient leurs états financiers aux Etats-
Unis.

45-. LES PARTICIPATIONS COMPTABILISEES A LA VALEUR DE CONSOLIDAATION –


Lorsqu’on utilise la méthode de la valeur de consolidation pour comptabiliser des
participations permanentes, le paragraphe 1700.47 indique ce qui suit :

Lorsqu’une participation dans une compagnie émettrice autre qu’une filiale


exclue de la consolidation est comptabilisée à la valeur de consolidation, il n’est

ManuelTheories Comptables-01Dec10 395


396

pas obligatoire de présenter des données sectorielles à l’égard de cette


participation. Il peut être souhaitable, toutefois, de fournir certains
renseignements au sujet de la compagnie émettrice : description générale des
biens et des services dont la compagnie émettrice tire ses produits, indication de
la zone ou des zones géographiques où elle exerce ses activités, etc. Dans le cas
d’une compagnie émettrice dont l’exploitation est intégrée verticalement avec
l’exploitation d’un secteur d’activité ou d’un secteur géographique, il peut-être
indiqué de préciser, dans l’information sectorielle relative au secteur en
question, le bénéfice net que l’entreprise tire de cette compagnie émettrice
ainsi que le montant de sa part de l’actif de cette dernière.

46-. AUTRES NORMES GENERALES – Le chapitre 1700 permet une grande flexibilité dans
la présentation des renseignements sectoriels. Cette information peut être consignée
dans le corps des états financiers, par voie de note afférente aux états financiers, ou
dans un tableau connexe auquel renvoient les états financiers. Lorsque sont présentés
des états comparatifs, les paragraphes 1700.51 et 1700.52 dictent les règles suivantes :

Chaque fois que l’on modifie la composition des secteurs d’activité ou des
secteurs géographiques étrangers, on doit redresser les renseignements ayant
trait aux exercices précédents donnés pour fin de comparaison à l’égard des
divers secteurs de l’entreprise.

On doit indiquer la nature et l’effet de tout changement apporté au mode de


répartition des frais d’exploitation entre les secteurs ou à la façon de rendre
compte des opérations intersectorielles ainsi que l’effet de tout changement des
conventions comptables de l’ensemble de l’entreprise sur le bénéfice ou la perte
d’exploitation du secteur.

47-. Les autres normes générales comprennent également une recommandation relative
à la publication des conventions comptables. Les principes comptables que l’entreprise
a adopté pour un secteur d’activité ou un secteur géographique étranger particulier
peuvent ne pas avoir été jugés important pour l’ensemble de l’entreprise, et ne sont

ManuelTheories Comptables-01Dec10 396


397

donc pas décrits dans l’énoncé des conventions comptables de l’entreprise. Toutefois
dans les cas où l’on juge qu’il pourrait être utile au lecteur de connaître une
convention comptable particulièrement significative pour un secteur isolable, le
paragraphe 1700.49 exige d’en informer le lecteur :

On doit informer le lecteur de toute convention comptable qui est important


pour un secteur isolable.

LES PRATIQUES COURANTES AU CANADA EN MATIERE D’INORMATION SECTORIELLE

48-. L’édition de 1985 de Financial Reporting in Canada, publié par l’Institut canadien
des Comptables Agrées, relève qu’en 1984, parmi les 325 rapports annuels de sociétés
canadiennes composant l’étude, 205 contenaient une information sectorielle par
secteurs d’activité, par secteurs géographiques ou les deux à la fois. Par contre, 80
autres sociétés ont déclaré exercer leur activité essentiellement dans un seul secteur
d’activité dominant. Les 40 sociétés restantes n’ont tout simplement fourni aucune
information sectorielle, ni par secteurs d’activité, ni par secteurs géographiques.
L’information sectorielle publiée en 1984 par les 205 sociétés relevées dans l’étude de
l’I.C..C.A. présentait le plus fréquemment des renseignements à la fois par secteurs
d’activité et par secteurs geographiques, soit chez 78 de ces sociétés. Suivent les 66
rapports annuels contenant des renseignements sectoriels par secteurs d’activité
seulement. Enfin 61 sociétés présentaient l’information sectorielle uniquement par
secteurs géographiques.

49-. Le nombre de secteurs d’activité que présentent les sociétés composant l’étude
varie de deux à huit. Quant au nombre de secteurs géographiques présentes, il varie
entre deux et six. Dans les deux cas, la plupart des sociétés présentent quatre secteurs
ou moins, les autres faisant exceptions. Notons également que 103 sociétés ont publie
leur chiffre de ventes à l’exportation.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 397


398

Lecture de référence no. 25

LES DIX GRANDES PRIORITES DU COMPTABLE

par

John Yu

ManuelTheories Comptables-01Dec10 398


399

Plus que jamais, les comptables doivent se tenir au fait des progrès technologiques et
de leurs innombrables répercussions.

TIRÉ DU NUMÉRO : SEPT.-OCT. 2002 | PAR JOHN YU

L'effondrement des sociétés point.com, la débâcle d’Enron et, récemment, l'affaire


WorldCom ont amené les organismes de réglementation et le grand public à remettre
en question le rôle de l'expert-comptable. Les TI n'ont pas été étrangères aux
problèmes de ces sociétés, c'est indéniable. Pourtant, ces mêmes TI peuvent aussi offrir
des solutions. En effet, les experts-comptables peuvent mettre à profit leurs
connaissances informatiques pour jouer un rôle plus actif et éviter que de telles
catastrophes ne se reproduisent. Les paragraphes qui suivent traitent des dix principaux
enjeux informatiques auxquels les comptables du monde entier doivent faire face de
nos jours.

1) Connaissances informatiques

L'ordinateur personnel a beau exister depuis 20 ans, les connaissances informatiques


générales des comptables sont singulièrement faibles, et pas seulement dans les pays
en développement mais parfois aussi dans les pays développés. En général, les
nouveaux CGA ont des connaissances satisfaisantes en informatique, grâce aux 18 ans
d'efforts qu'ont consacrés les associations de CGA à l'intégration des TI au programme
d'études. De nombreux CGA se tiennent convenablement au courant de l'évolution des
TI. Étonnamment, pourtant, nombreux sont les comptables qui savent à peine utiliser
des outils aussi élémentaires qu'Excel et qui ne s'en servent que pour additionner des
colonnes de chiffres. En outre, de nombreux comptables ne se servent toujours pas du
courriel, et certains ne tirent pas encore parti des ressources qu'offre Internet.
Heureusement, ces comptables ne sont généralement pas des CGA.
Pendant ce temps, l'Agence des douanes et du revenu du Canada (l'Agence) accepte la
transmission des inscriptions d'entreprises et des déclarations fiscales par voie

ManuelTheories Comptables-01Dec10 399


400

électronique. De plus, le nombre imposant d'entreprises qui se dotent de stratégies en


matière de commerce électronique ne peut qu'augmenter. La formation des comptables
dans le domaine des TI est donc devenue un enjeu prioritaire pour la profession
comptable à l'échelle mondiale.

2) Intégrité de l'information

L'affaire Enron et l'affaire WorldCom ont révélé le manque d'intégrité de l'information


financière de certaines entités et le manque d'intégrité de certains comptables,
vérificateurs et dirigeants. Bien sûr, les systèmes d'information ne peuvent pallier le
manque d'intégrité personnelle portant sur la création et la gestion de l'information.
Cependant, ils doivent être conçus de manière à assurer l'intégrité de l'information
mémorisée et traitée. Depuis que les systèmes de TI gagnent en complexité technique,
les comptables et les vérificateurs, tant internes qu'externes, ont beaucoup de
difficulté à évaluer l'intégrité de l'information créée et gérée par ces systèmes. De
nouveau, il est clair que les comptables doivent continuellement parfaire leurs
connaissances et leurs compétences dans ce domaine.

3) Confidentialité et sécurité

La confidentialité et la sécurité des systèmes de TI demeurent une préoccupation


importante pour les comptables et les vérificateurs. Les comptables qui conseillent des
PME doivent particulièrement s'y connaître afin d'aider leurs clients à protéger leurs
systèmes et les informations essentielles à l'exploitation de leur entreprise. Devant la
profusion de virus et d'attaques pirates, les comptables doivent plus que jamais avoir
des connaissances de pointe dans ces domaines.
Les comptables doivent également connaître les répercussions de la Loi sur la
protection des renseignements personnels et les documents électroniques qui est en
vigueur depuis le 1er janvier 2001, particulièrement en ce qui concerne le profilage des
clients et des utilisateurs par les sites Web et les entreprises qui s'adonnent au
commerce électronique. Les comptables doivent s'intéresser aux conséquences de ce

ManuelTheories Comptables-01Dec10 400


401

profilage sur la vie privée, tant en leur qualité de consommateurs que d'intervenants
dans l'élaboration de processus administratifs.
4) Application stratégique des technologies Internet
Les technologies Internet n'ont pas été reléguées à l'histoire après l'effondrement des
sociétés point com. Au contraire, elles demeurent un outil stratégique important pour
les entités de toutes tailles. De nombreux organismes, notamment dans le secteur
public, continuent à accroître leur efficience, à améliorer leur efficacité et à
rationaliser leur exploitation avec des stratégies de commerce électronique qui
intègrent les technologies Internet aux processus opérationnels de base. Nombreuses
sont les grandes sociétés qui intègrent les technologies Internet à la gestion de leur
chaîne logistique et de leurs relations avec la clientèle, ainsi qu'à leur système de
planification d'entreprise.
Les comptables doivent aider les entités à mettre en œuvre les technologies Internet
de façon stratégique en cherchant des applications qui conviennent à ces technologies
et en jouant un rôle de premier plan dans leur utilisation.

5) Fiscalité Internet

Faut-il imposer les transactions conclues dans Internet? Comment s'y prendre? Les
législateurs du monde entier n'ont toujours pas trouvé réponse à ces questions. Certains
pays, notamment les États-Unis, ont opté pour un moratoire sur l'imposition des
services Internet et des transactions électroniques, mais ce n'est là qu'une mesure
temporaire. Les comptables doivent intervenir dans le débat mondial pour veiller à ce
que les mesures fiscales qu'adopteront finalement les pouvoirs publics soient fondées
sur des principes d'intégrité et d'équité. Plus que jamais, les comptables du monde
entier doivent se concerter pour faire en sorte que toute la question de la fiscalité
Internet soit abordée de manière cohérente. (Pour plus de renseignements, voir « Tout
est permis » dans le numéro de mars 2000 de CGA Magazine.)

6) Droit Internet

ManuelTheories Comptables-01Dec10 401


402

Internet remet en question un bon nombre de lois et de principes de droit. Dans la


plupart des pays, les lois qui régissent les opérations commerciales ne tiennent pas
compte du caractère international d'Internet. Par conséquent, la situation devient
extrêmement confuse lorsqu'il faut déterminer à quel territoire rattacher une
transaction électronique dans laquelle le vendeur, l'acheteur, le fabricant et
l'expéditeur sont tous situés dans des pays différents. Ces questions de droit
s'embrouillent encore plus lorsque le produit est entièrement électronique, par
exemple de la musique. (Pour plus de renseignements, voir « Autres pays, autres lois »
dans le numéro de mars-avril 2001 de CGA Magazine.)
Bien que certains secteurs aient parfois réussi à faire respecter les lois sur le droit
d'auteur (comme l'a fait le secteur de la musique pour éliminer Napster), de tels
recours ne sont que des expédients. Après la fermeture de Napster, de nombreux sites
offrant des services analogues ont surgi. La victoire de sociétés comme Sony n'a été que
de courte durée puisque les utilisateurs obtiennent toujours leur musique dans
Internet, que ce soit légal ou non. Il faut de toute évidence adopter une nouvelle
structure juridique qui tiendra compte de la réalité Internet. Et il faut que les
comptables mettent leurs connaissances au profit du débat sur l'élaboration de cette
structure.

7) XBRL

CGA Magazine s'est déjà penché sur les répercussions du langage XBRL (Extensible
Business Reporting Language) pour la profession comptable et pour les CGA (voir
« Double clic » dans le numéro de septembre-octobre 2001). XBRL est une spécification
ouverte qui se sert de marqueurs XML pour décrire les états financiers des sociétés
publiques et privées. Ce langage se prête particulièrement bien à la publication d'états
financiers dans Internet. À l'heure actuelle, un consortium international regroupant plus
de 120 organismes, dont CGA-Canada, travaille à l'élaboration des normes XBRL.
Depuis l'affaire Enron, XBRL revêt une importance particulière pour la profession
comptable ainsi que pour le secteur des placements. En effet, bien que ce langage ne
puisse empêcher la manipulation par la direction de l'information financière que

ManuelTheories Comptables-01Dec10 402


403

présente une société, il peut en faciliter considérablement l'analyse par les


investisseurs, lesquels pourront ainsi faire un examen plus minutieux des résultats de
cette société. Les comptables doivent, par l'intermédiaire de leurs associations
professionnelles, s'intéresser de près à l'élaboration des normes XBRL.
8) Plans antisinistres
Pendant la crise du bogue de l'an 2000, la plupart des organismes ont élaboré des
stratégies de poursuite des activités et des plans antisinistres détaillés. Cependant, la
plupart de ces plans n'ont pas été mis à jour périodiquement. Les plans antisinistres
demeurent une préoccupation importante des comptables et des vérificateurs. En cas
de panne majeure des systèmes de TI, de nombreuses entreprises risquent de faire
faillite si elles ne se sont pas dotées d'un plan antisinistre fiable.
À l'heure où de plus en plus d'organismes axent leur stratégie informatique sur Internet,
les plans antisinistres revêtent une importance cruciale. Selon Gartner Inc., une société
de recherche sur l'entreprise et l'économie établie à Stamford au Connecticut, les
mesures antisinistres demeurent l'une des principales préoccupations des gestionnaires
des TI. Les comptables et les vérificateurs devraient suivre leur exemple. (Pour plus de
renseignements sur les plans antisinistres, voir le numéro de juillet-août 2002 de
CGA Magazine.)

9) Technologies mobiles et sans fil

Les technologies sans fil comme Bluetooth, WiFi et les téléphones cellulaires 3G
annoncent l'ère du mobile et du sans fil (voir la chronique « Double clic » du présent
numéro). Au Japon et en Suède, on s'intéresse même au commerce mobile, lequel met
à profit les technologies d'Internet et du téléphone cellulaire.
La société japonaise DoCoMo est l'un des chefs de file du commerce mobile. Les
utilisateurs de DoCoMo peuvent non seulement naviguer dans Internet grâce à leur
téléphone format poche, mais ils peuvent échanger de courts messages et payer
certaines marchandises achetées dans des distributeurs automatiques. Les technologies
mobiles et sans fil posent toutefois des problèmes de taille aux comptables. L'intégrité
des transactions, les pistes de vérification, la sécurité, la confidentialité et les mesures

ManuelTheories Comptables-01Dec10 403


404

antisinistres sont autant de questions qui n'ont pas encore été étudiées à fond. Les
vérificateurs et les comptables qui participent à l'élaboration des systèmes et à l'achat
des produits informatiques de leur entreprise doivent intervenir dans la conception et
la vérification de ces systèmes.

10) Embauche et encadrement du personnel informatique

L'embauche et l'encadrement du personnel informatique sont des activités cruciales


pour les comptables, et particulièrement pour les contrôleurs et les directeurs
financiers dont relèvent les services des TI des entreprises. Contrairement aux
comptables, les informaticiens n'ont pas de mécanismes d'accréditation professionnelle
généralement reconnus sur lesquels les employeurs peuvent s'appuyer. Et la
prolifération des diplômes et certificats en TI est loin de simplifier la situation. Certains
de ces certificats, créés par des fournisseurs et axés expressément sur les produits de
ces fournisseurs, ont une valeur discutable. Les programmes de TI offerts par les
universités reposent souvent sur une démarche trop théorique, tandis que les
programmes offerts par les collèges ont souvent tendance à ne pas approfondir
suffisamment la matière. Pour que le processus d'embauche soit efficace, les
comptables doivent pouvoir évaluer les compétences techniques des candidats. S'ils ne
peuvent en faire une évaluation détaillée, ils doivent tout au moins être en mesure d'en
faire une évaluation générale au lieu de se fier simplement aux différents diplômes et
certificats énumérés dans le curriculum vitæ du candidat.
L'encadrement du personnel informatique est encore plus problématique, puisque de
nombreux comptables et contrôleurs ne connaissent pas suffisamment les difficultés
techniques auxquelles doit faire face le personnel informatique dans le cadre de
l'élaboration et de la gestion de systèmes de TI complexes. Pour choisir et encadrer
efficacement leur personnel informatique, les comptables doivent s'y connaître
suffisamment en TI et se tenir au courant des tendances technologiques.

Une démarche intégrée

ManuelTheories Comptables-01Dec10 404


405

Bien que ces dix priorités doivent toutes être abordées individuellement, elles sont
souvent indissociables. Par exemple, les technologies mobiles et sans fil sont liées aux
questions de confidentialité et de sécurité. À vrai dire, on ne saurait concevoir et
mettre en œuvre des technologies mobiles et sans fil sans avoir d'abord réglé les
questions de confidentialité et de sécurité. Et comment dissocier l'utilisation
stratégique d'Internet, de la fiscalité et du droit Internet? De nombreux organismes
n'utiliseraient jamais Internet de façon stratégique à moins de savoir à quoi s'en tenir
en matière de droit et de fiscalité. De même, XBRL ne sera jamais efficace si l'intégrité
de l'information ne peut être garantie. Et les comptables ne peuvent encadrer
efficacement leur personnel informatique s'ils n'ont pas une connaissance suffisante
des TI.
De toute évidence, les comptables du monde entier doivent continuer à approfondir
leur connaissance des TI pour conserver la place de choix qu'ils occupent dans le monde
des affaires.
[ Haut de la page ]

John W. Yu, M.Sc., CDP, FCGA, travaille depuis 1970 dans le secteur des TI, où il a
occupé divers postes à titre de gestionnaire et de conseiller. M. Yu est vice-président,
Technologies de l'information, à CGA-Canada.

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406

Lecture de référence no. 26

LE SAVOIR-ETRE

Par

Merge Gupta-Sunderji, M.B.A., CGA

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Exploiter son savoir-être

Le monde des affaires exige aujourd'hui beaucoup plus que de solides compétences
techniques; pour réussir, les professionnels doivent également parfaire leurs aptitudes
en relations humaines.

TIRÉ DU NUMÉRO : SEPT.-OCT. 2003 | PAR MERGE GUPTA-SUNDERJI

Les CGA ont les connaissances techniques et spécialisées voulues pour faire face aux
nombreux enjeux propres à la profession. Et les exigences en matière de formation
professionnelle continue garantissent que les CGA de demain disposeront des
compétences nécessaires pour affronter les difficultés de l'avenir, du moins en ce qui a
trait aux aspects techniques de la comptabilité. Je me suis toutefois demandé, en tant
que CGA, si nous possédions les compétences appropriées en matière de savoir-être.

Le savoir-être, c'est-à-dire les aptitudes en relations humaines, regroupe diverses


habiletés reliées à la communication, à la résolution de problèmes, à l'écoute des
autres, à la direction et à la constitution d'équipes, de même qu'à la diplomatie, à la
créativité, à la souplesse, à l'adaptabilité et à la conscience de soi.

Dans son livre publié en 1995, L'intelligence émotionnelle : Comment transformer ses
émotions en intelligence, le psychologue américain Daniel Goleman a créé l'expression
« intelligence émotionnelle » pour décrire cet ensemble de compétences. Selon
M. Goleman, l'intelligence émotionnelle, ou QE, se compose de compétences acquises.
Ainsi, contrairement au QI, qui est notre potentiel intellectuel inné, notre intelligence
émotionnelle peut être exploitée et enrichie.

Un an après la publication du livre de Daniel Goleman, Robert Sternberg, psychologue à


l'Université Yale, a publié Successful Intelligence où il expliquait l'importance du savoir-
être. M. Sternberg raconte l'histoire de deux jeunes étudiants de l'Université Yale, Penn

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408

et Matt. Penn est un étudiant exceptionnellement intelligent et doué, mais, au dire


d'un professeur, « terriblement arrogant ». Malgré ses solides compétences, il déplaît
aux autres, particulièrement à ses collègues de travail, en raison de sa prétention à
tout savoir, de son style autocratique et de sa tendance à juger ses méthodes de travail
comme étant les seules valables. Il ne tient compte que des solutions qu'il a lui-même
proposées, ce qui nuit à ses relations avec ses collègues de travail. Par contre, son
curriculum vitæ est impressionnant. C'est pourquoi, après l'obtention de son diplôme,
Penn est courtisé par toutes les grandes sociétés dans son domaine. Elles le convoquent
toutes en entrevue après examen de son curriculum vitæ. Mais en entrevue, les
recruteurs constatent d'emblée l'arrogance de Penn. Il ne reçoit qu'une seule offre
d'emploi, et ce, d'une société de deuxième ordre.

Matt est compétent mais ses notes ne sont pas aussi remarquables que celles de Penn.
Cependant, ses compétences interpersonnelles sont très efficaces. Il établit et
entretient de nombreuses relations, est optimiste, a une grande estime de lui-même,
est prêt à saisir les occasions, sait régler des différends et s'adapte aux nouvelles
situations. Bref, tous ceux qui ont travaillé avec lui l'apprécient, ce qui est manifeste
au cours des entrevues. Matt reçoit sept offres d'emploi après huit entrevues, et
connaît un grand succès professionnel. Penn perd son premier emploi au bout de
deux ans.

On trouve des gens comme Penn et Matt dans toutes les entreprises. Penn et Matt se
distinguent l'un de l'autre par leur degré d'intelligence émotionnelle, ou de savoir-être,
lequel est élevé dans le cas de Matt et restreint dans celui de Penn.

Compétences recherchées

Et en quoi consiste l'intelligence émotionnelle? Goleman divise le QE en deux grands


domaines, soit les compétences personnelles, c'est-à-dire la gestion de soi-même, et les
compétences sociales, c'est-à-dire la gestion de ses rapports avec les autres.

Les compétences personnelles se composent des éléments suivants :

• connaître ses émotions et leurs incidences;

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409

• se fier à ses instincts dans la prise de décisions;

• connaître ses forces et ses limites;

• avoir confiance en soi;

• contrôler les émotions perturbatrices;

• faire preuve d'honnêteté, d'intégrité et de fiabilité;

• s'adapter au changement et surmonter les obstacles;

• axer le rendement sur ses propres normes d'excellence;

• être prêt à profiter des occasions qui se présentent;

• pouvoir cerner les éléments positifs de toutes les situations, même les plus
difficiles.

Les compétences sociales se composent des éléments suivants :

• percevoir les sentiments d'autrui;

• comprendre le point de vue des autres et s'intéresser à leurs préoccupations;

• cerner l'ambiance et le climat politique de l'entreprise et agir selon les principes


de l'éthique pour atteindre les objectifs tout en gagnant l'estime des autres;

• reconnaître les besoins et les attentes des clients, y satisfaire et les dépasser;

• guider et motiver en faisant valoir des arguments irrésistibles;

• utiliser son pouvoir de persuasion pour la satisfaction des intérêts communs;

• stimuler les habiletés des autres par des commentaires et des conseils;

• provoquer, gérer et diriger le changement;

• régler les différends;

• établir et entretenir de bonnes relations;

• constituer des équipes.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 409


410

Ce ne sont pas là des qualités que nous recherchons généralement chez des experts
techniques. Ces compétences humaines sont-elles réellement nécessaires dans le
quotidien des experts-comptables? En un mot : oui. En réalité, elles jouent un rôle
déterminant dans la réussite des CGA et de tous les professionnels canadiens.

Raisonnement

En 1969, Laurence Peter, de l'Université Southern California et de l'Université de la


Colombie-Britannique, énonçait le « principe de Peter ». Selon cette théorie, les
membres d'un organisme gravissent les échelons jusqu'à leur plus haut niveau de
compétence et sont ensuite promus, en permanence, à un poste auquel ils se révèlent
incompétents. Supposons qu'une personne reçoive une promotion en raison de sa
grande compétence avec les chiffres, mais qu'on lui confie un poste où elle doit
s'occuper surtout de gestion des ressources humaines, plutôt que de mettre à profit ses
compétences techniques. Cette personne risque d'être un patron épouvantable. En fait,
selon les études de Goleman, le QE d'une personne est un facteur de réussite au travail
deux fois plus important que le QI ou les compétences techniques. En outre, plus une
personne progresse dans la hiérarchie d'un organisme, plus son QE devient un facteur
important.

En 2002, le Centre for Creative Leadership, un institut international de recherche et de


formation en direction établi en Caroline du Nord, a mené une enquête sur l'efficacité
des divers styles de gestion en période difficile. Selon cette enquête, plus le stress
auquel fait face l'organisme est intense, plus les compétences humaines des dirigeants
prennent de l'importance. Les dirigeants qui se distinguaient par leur efficacité
possédaient les compétences suivantes : aptitude à communiquer de façon honnête et
proactive, aptitude à écouter, sensibilité et capacité à présenter clairement les motifs
et la nécessité du changement.

Une étude menée en 2001 par RHI Consulting auprès de plus de 1 400 directeurs
financiers confirme ces résultats. Ces directeurs financiers prévoient qu'en 2006, un
responsable de mission consacrera 37 % de son temps à des questions et à des

ManuelTheories Comptables-01Dec10 410


411

responsabilités qui s'éloignent des fonctions comptables traditionnelles. Selon eux,


outre l'expertise financière, les compétences les plus importantes pour les spécialistes
des finances de demain seront principalement les connaissances en technologie (44 %)
et les aptitudes en communication (24 %). Les autres réponses les plus courantes
étaient le sens des affaires et l'aptitude à diriger le personnel. De toute évidence, le
savoir-être constitue un facteur clé pour assurer le succès d'un comptable dans le
monde des affaires.

Leçons à tirer

Les CGA ont le potentiel intellectuel pour réussir au XXIe siècle, mais ont-ils également
les compétences humaines nécessaires? Ils en ont certainement les moyens : leur
décision de les parfaire leur appartient totalement.

La chronique « Savoir-être » de CGA Magazine vous expliquera les divers aspects du


savoir-être et vous aidera à exploiter les compétences sous-jacentes. Que ce soit pour
établir un réseau d'affaires, motiver des employés, gérer des projets ou comprendre
l'importance du langage corporel dans la communication, le savoir-être fera de vous
beaucoup plus qu'un simple comptable; il vous définira clairement comme un CGA.

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412

Lecture de référence no. 27

Les Principes Comptables et leur mode de développement : une analyse critique

Par

Maurice Landry85, Ph.D, CA (CA Magazine, Aug. 1975)

85
Maurice Landry, Ph.D., C.A., est professeur agrégé à la Faculté des Sciences de l'administration de !'Université Laval.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 412


413

On a souvent présenté la comptabilité comme étant le langage des affaires. Pourtant,


si on examine de près ce langage, force nous est de conclure qu'il renferme plusieurs
lacunes sérieuses:

 Son vocabulaire est limité, au point d'être parfois incapable d'exprimer certaines
réalités économiques importantes.

 Ce même vocabulaire, en plus d'être limité, est étonnamment imprécis et ambigu:


par exemple, des termes comme "actif" et "dette" sont suffisamment vagues pour
permettre le choix entre la capitalisation ou non des baux à long terme dans les
états financiers.

 Enfin, la syntaxe de ce langage manque de rigueur avec la conséquence que parfois


les mêmes réalités économiques peuvent être représentées de façon si-
gnificativement différentes dans les états financiers.

Peut-on dès lors s'étonner des critiques plus ou moins sévères dont la comptabilité fait
l'objet? I1 n'y a qu'à parcourir les revues et journaux spécialisés du monde des affaires
pour constater le doute largement répandu dans le public concernant la validité des
états financiers. Le commentaire suivant en est un exemple typique: « …le bilan est
devenu un état pratiquement sans signification en tant qu'indicateur des ressources et
des obligations réelles d'une compagnie. De plus, l'état des revenus et dépenses est
distorsionné davantage par le fait que les compagnies peuvent utiliser une myriade de
méthodes comptables alternatives."86

Là où la situation devient plus inquiétante, c'est lorsque, dépassant le stade de la


critique des états financiers, l'intégrité même du comptable en tant que vérificateur
des états financiers est remise en cause. Qu'il nous suffise à cet effet de relever le
commentaire suivant:

86
Business Week, 23 décembre 1972.

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414

"Un simple précédent, peut-être accompagné par une menace de l'entreprise de confier
à d'autres son travail de- vérification, peut suffire à transformer un traitement
87
comptable douteux en une pratique généralement reconnue."

Bref, il semble que les réactions du public convergent dans une même direction:
surprise devant le peu de crédibilité qui peut être accordé aux états financiers et
devant la capacité d'accommodement des comptables dans leur rôle de vérificateurs.
D'autre part, cette surprise face aux états financiers semble d'autant plus grande que le
public avait toujours cru que l'élaboration des états financiers devait se faire
conformément à des principes comptables professionnellement établis. N’est-il pas dit
dans le rapport du vérificateur que "les états financiers représentent équitablement la
situation financière en conformité avec les principes comptables généralement ac-
ceptés"?. De là à penser que parce que les états financiers étaient rédigés selon ces
principes comptables généralement acceptés ils représentaient équitablement la
situation financière de l'entreprise, il n'y avait qu'un pas: le public l'avait franchi.

Se pourrait-il que la faiblesse des principes comptables généralement reconnus (PCGR)


soit à l'origine de cette porte ouverte à tant d'interprétations et fasse que les
vérificateurs ne puissent se mettre suffisamment à l'abri do pressions indues? Si tel est
le cas, la question qui nous vient immédiatement à l'esprit est la suivante : Comment
expliquer qu'après tant d'années d'efforts, la profession comptable n'ait pas encore
réussi à bâtir un ensemble satisfaisant de principes comptables?

L'urgence d'avoir une réponse satisfaisante à cette interrogation nous apparaît évidente
pour plusieurs raisons:

 La confiance du public envers une profession est un bien particulièrement intangible


qui constitue cependant son actif le plus important. La perdre, serait remettre en
cause l'existence même de cette profession. Permettre ou accepter que cet actif se

87 Forbes, 15 mai 1967, tel que reproduit dans: Accounting: Socially Responsible and Socially Relevant, Richard G. J. Vamgermeersch, New-York,

Harper & Row Publishers, 1972.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 414


415

déprécie constituerait un pas dans la même direction. Dans la mesure où la


profession reconnaît qu'elle se doit de maintenir la confiance du public, elle accepte
du même coup de rechercher les causes possibles d'une détérioration de cette
confiance.

 L'hypothèse de la faiblesse des principes comptables comme l'une des causes


possibles est suffisamment plausible pour mériter d'être examinée.

C est précisément 1'objectif du présent article que d'explorer le bien-fondé de cette


hypothèse. Dans un premier temps, nous examinerons le processus de développement
des PCGR qui a été historiquement suivi par la profession. Nous verrons ensuite que
cette approche comportait en elle-même de sévères limitations qui ont freiné le
développement de la théorie comptable. Enfin, une exploration sera faite de divers
éléments de solution. Cette exploration nous amènera à poser le problème de la
recherche à l'intérieur de 1a profession.

Le processus d'élaboration des PCGR

o Difficultés théoriques de l'approche suivie

Les PCGR se sont traditionnellement développés au rythme des situations plus ou moins
urgentes auxquelles avait à faire face la profession comptable. Cette dernière a
toujours été plus empressée de trouver des solutions satisfaisantes à des problèmes
précis d'actualité que de vérifier le degré d'intégration de ces solutions à l'ensemble de
la théorie comptable. Là réside à notre avis une des causes importantes de la faiblesse
des PCGR. En effet, cette approche comporte en elle-même plusieurs difficultés
susceptibles de freiner le développement de principes comptables féconds et robustes.

L'histoire de la comptabilité montre que le comptables ont toujours manifesté une


réticence notoire à voir leur discipline se développer selon un cadre de référence

ManuelTheories Comptables-01Dec10 415


416

pré-établi, dicté par des théoriciens à partir d'un schéma déductif rigoureux. Ils ont
toujours préféré utiliser une approche dite "common law" 88 au développement de leur
discipline et laisser les situations qui se présentaient, ainsi que les solutions qui y
étaient apportées, forger la structure théorique de leur discipline. Dans cette optique,
le rôle des techniciens de la comptabilité devait se limiter dans une large mesure à un
travail de codification des coutumes comptables et à un effort de rationalisation de ces
coutumes..

Cependant, ce mode de PCGR faisait courir le risque que l’ensemble des standards,
règles et procédures qui en résulteraient viendraient à se contredire partiellement.
Bien plus, en admettant qu’on puisse éviter l’écueil de la contradiction et, par
conséquent de l'incohérence, rien ne garantissait qu'en suivant cette approche, la
codification des coutumes comptables puisse aboutir à un corps de doctrine
suffisamment complet et riche pour servir de guide à la résolution des problèmes
futurs. De fait, de ces deux écueils possibles inhérents à l'approche suivie, la
comptabilité n'a su en éviter aucun.

Les contradictions constatées au niveau dés PCGR ont eu comme conséquence de


diminuer d'autant la capacité du public à trouver un sens véritable aux états financiers.
Ces derniers peuvent de moins en moins être expliqués en fonction des activités écono-
miques qu'ils sont supposés refléter, et de plus en plus en fonction des règles
comptables dont ils sont l'aboutissement.

Les principes comptables ont aussi été lourdement handicapés par l'absence remarquée
d'explications satisfaisantes concernant certains concepts fondamentaux.. Si on
examine la codification des PCGR qu'a faite Paul Grady aux Etats-Unis ou la version
canadienne de ces mêmes principes par Skinner, on est frappé tout d'abord par l'effort
qui s'y est fait pour expliquer comment chaque poste des états financiers doit être
traité, ou bien comment les postes du bilan et de l'état des revenus et des dépenses

88
common law noun droit m coutumier88

ManuelTheories Comptables-01Dec10 416


417

doivent être classifiés ou encore comment procéder pour en arriver à la détermination


du profit comptable. Cependant, très peu d'efforts sont consacrés à la définition du
sens qui doit être donné à des termes aussi fondamentaux que "position financière,"
"profit," "bilan," etc.

Le mode de développement des PCGR qu'ont traditionnellement choisi les comptables,


a favorisé la tendance vers la multiplication des règles et des procédures. Cependant, il
devient de plus en plus apparent qu'il manque à la structure de la théorie comptable
des éléments fondamentaux nécessaires à son développement harmonieux..

o Difficultés pratiques de l'approche suivie

La préférence marquée par la profession pour privilégier la voie de la coutume comme


facteur déterminant des PCGR devait fatalement déboucher tôt ou tard sur deux autres
difficultés inhérentes à cette façon dé procéder :

1) Difficulté de codification des PCGR.

2) Difficulté de pondérer l'importance relative des divers groupes influençant la


coutume comptable.

La difficulté de codifier venait du fait qu'il fallait trouver réponse à plusieurs questions
avant que tout effort de codification puisse espérer avoir du succès. Par exemple, il
fallait déterminer à quel moment une coutume était suffisamment établie pour qu'on
puisse la considérer comme un PCGR. Les coutumes comptables devant constituer les
PCGR devaient-elles se restreindre à quelques concepts de base très généraux ou au
contraire s'étendre aux règles et procédures'? Comment pourrait-on s'assurer que toutes
les principales coutumes comptables avaient été recueillies? Des difficultés de ce genre
firent que ce n'est que très récemment que des tentatives de codification des PCGR ont
abouti. Cette absence de codification dans le passé n'a pas été sans soulever certaines
difficultés pour le moins embarrassantes pour la profession. Par exemple, Ie

ManuelTheories Comptables-01Dec10 417


418

gouvernement fédéral introduisit en 1947 un projet de loi dans lequel il était stipulé
que "le revenu pour une année d'imposition d’une entreprise ou une propriété devait
être déterminé selon les principes comptables généralement acceptés". La profession
comptable dut demander que l'expression "principes comptables généralement
reconnus" soit retirée du projet de loi parce qu'elle ne référait à aucune codification au
Canada. Heureusement, la situation a changé depuis dans ce domaine puisqu'une
référence aux PCGR a été inscrite récemment dans les directives des Commissions des
Valeurs Mobilières de quelques provinces.

La deuxième difficulté, soit celle de pondérer l'importance relative des divers groupes
influençant la coutume comptable, était encore plus importance car elle posait le
problème de l'autorité relative des divers groupes ayant un intérêt dans la
comptabilité. Traditionnellement, la profession comptable a laissé à la direction des
entreprises une voix très importante dans la détermination des coutumes comptables.

D'après Maurice Moonitz, cette voix prépondérante accordée au management dans


l'établissement des PCGR est une des causes fondamentales de la faiblesse de ces
89
derniers principes parce que, selon lui:

"... le management n'a pas pour objectif premier le développement d'un ensemble de
principes comptables sur lesquels il y aurait accord général. Le management voit les
"principes comptables" comme un aspect de l'environnement dans lequel il doit opérer.

89
Cette prépondérance concédée au management dans l'élaboration des PCGR explique aussi la timidité traditionnelle du Comité de
recherche de l'Institut. Par exemple, il est intéressant de voir comment ce comité concevait son rôle en ce qui concerne l'élaboration des
bulletins comptables il y a environ 20 ans : "II est inévitable, et à bien y réfléchir, il est éminemment désirable que !es bulletins dans cette
série contiennent peu qui soit nouveau aux membres do la profession. I1 serait déplorable que les bulletins contiennent de fait de telles
surprises, car ce que le Comité désire faire dans cette série de bulletins c'est d'énoncer ce qu'il croit être ces principes et ces procédures qui
sort généralement acceptés par les membres de la profession. La valeur des bulletins, s'ils sont généralement acceptés par les membres de
la profession, réside dans le fait que la profession elle-même et non pas quelqu'un d'autre détermine ce qui peut être considéré comme une
bonne pratique comptable <ru Canada." (7, pp. 284-235)

ManuelTheories Comptables-01Dec10 418


419

En conséquence, les principes comptables sont considérés comme des contraintes


(facteurs, forces) auxquelles il faut s'adapter. Si les forces de l'environnement ne
peuvent être changées, le management s'adaptera à ces forces. Si ces forces peuvent
être manipulées, le management les façonnera selon ses besoins. La profession
comptable concède vraiment trop lorsqu'elle accepte de laisser la priorité dès le départ
au management dans le domaine des principes." .

11 est intéressant de noter qu'il n'y a pas que des personnes venant du milieu
académique à partager ce point de vue. La Fédération des Analystes Financiers par
exemple, dans son mémoire soumis au Groupe d'étude de l'American Institute of
Certified Public Accountants sur les objectifs des états financiers, faisait remarquer que
le rôle du management implique plusieurs situations de conflit d'intérêt,
particulièrement dans le cas où le management a la responsabilité des rapports de la
compagnie, alors que sa propre performance est le sujet de ces rapports.

Aujourd'hui, la difficulté de déterminer ceux qui ont voix au chapitre dans la


détermination des PCGR n'a pas encore été résolue et est encore source de confusion.
Par exemple, le livre « Les principes comptables » de Skinner décrit de la façon
suivante les PCGR ainsi que le façon dont ils sont déterminés:

"II est difficile de définir d'une façon précise l'expression "généralement reconnus". On
en comprendra probablement plus facilement le sens en étudiant la manière dont la
pratique comptable devient généralement reconnue. La pratique comptable en
question devra avoir au moins une, et la plupart du temps, plusieurs des
caractéristiques suivantes:

o Etre en usage dans un nombre suffisant de cas, pourvu, bien entendu, que les
circonstances le justifient.

o Recevoir l'appui des associations comptables professionnelles ou d'autres organismes


compétents, comme la Securities and Exchange Commission aux USA.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 419


420

o Rencontrer l'accord de plusieurs professeurs éminents de comptabilité et de


nombreux théoriciens comptables qui en ont reconnu le bien-fondé dans leurs
écrits." (5, p. 28)

Peut-on s'étonner des libertés que certains ont pu prendre avec autant de latitude, en
ce qui concerne les états financiers? Il n'est pas étonnant non plus de voir des praticiens
réclamer la disparition de l'expression "en conformité avec les principes comptables
généralement reconnus" parce que selon eux::

1) La conformité avec les principes comptables généralement reconnus n'est pas la


garantie d'une présentation équitable des états financiers.

2) On n'a pas su établir d'une façon suffisamment claire par qui ils devaient être
acceptés et le degré d'acceptation nécessaire.

3) Une présentation équitable des états financiers est incompatible avec un mode de
présentation prisonnier de règles détaillées et précises qui restreignent la pos-
sibilité pour le praticien d'exercer son jugement.

En résumé, nous venons de voir que les PCGR étaient déficients sous deux aspects
différents: l'aspect conceptuel et l'aspect pratique. Sous l'aspect conceptuel, il semble
y avoir un manque évident d'une approche plus systématique pour guider l'élaboration
des PCGR. Du point de vue pratique, l'absence d'une méthode d'élaboration des PCGR
qui ne prête pas le flanc aux conflits d'intérêts se fait sentir.

Les commentaires qui précèdent ont nettement fait ressortir les limitations d'une
approche "common law" trop strictement appliquée pour le développement des
principes comptables. Par conséquent, on ne s'étonne pas de constater aussi que la
structure théorique de la comptabilité, si étroitement liée aux PCGR, soit elle aussi
déficiente au point de ne pouvoir toujours servir de guide sûr à la pratique.

Quelques observations concernant les difficultés identifiées

ManuelTheories Comptables-01Dec10 420


421

Si le processus d'élaboration des principes comptables plus haut décrit était


caractéristique de la mentalité de la profession, il faudrait en conclure qu'elle est plus
préoccupée "à éteindre des feux qu'à prévenir les incendies". Pour pouvoir se mettre en
position "d'agir", il faut absolument que la profession se dote d'un corps de doctrine
beaucoup plus solide. A cet effet, on serait bien avisé de s'inspirer davantage de la
démarche scientifique, qui maximise les chances d'en arriver à de meilleures solutions.
Or, cette démarche scientifique ne met pas en opposition l'approche inductive
caractéristique de la situation actuelle et l'approche déductive, mais en fait au
contraire les éléments complémentaires et nécessaires d'un processus de recherche
itératif. Dans cette optique, les résultats auxquels aboutit une méthode servent de
point de départ pour l'activité de l'autre méthode. Il s'agit donc d'un processus constant
d'autorégulation qui ne manifeste aucune préférence quant à l'endroit où il doit
démarrer. La solution au problème de la méthodologie à utiliser pour la construction
d'une théorie comptable robuste ne réside donc pas dans le remplacement de la
méthode inductive par la méthode déductive, mais plutôt dans une volonté de
décloisonnement des efforts qui sont faits à partir des deux méthodes. C'est dans cette
optique que le plaidoyer de Skinner (5, p.331) en faveur d'une forte injection de
logique déductive dans le développement des théories comptables prend tout son sens.

Au-delà de l'amélioration qui peut être apportée à la méthodologie utilisée pour la


construction d'une théorie comptable, il importe de réaliser l'importance de la relation
entre les objectifs des états financiers et les principes comptables. De la clarté et de la
cohérence des premiers dépendront en partie la clarté et la cohérence des seconds.
Illustrons par deux exemples la relation entre objectifs et principes.

o S'il advenait qu'un accord s'établisse autour de la nécessité pour les états financiers
de présenter de l'information non seulement historique mais de faire voir davantage
de l'information interprétative et prévisionnelle, ce choix nécessiterait au niveau de
la théorie comptable une modification profonde de l'interprétation actuelle du
concept "d'objectivité".

ManuelTheories Comptables-01Dec10 421


422

o Le rapport Trueblood a proposé qu'un des objectifs des états financiers soit de servir
prioritairement ceux qui, à cause de leur situation particulière, n'ont pas d'autres
sources d'information que les états financiers pour juger des activités économiques
d'une entreprise. L'acceptation de cet objectif pour la profession aboutirait tôt ou
tard à une interprétation modifiée du concept de "divulgation".

Une bonne partie de la faiblesse actuelle des PCGR provient d'objectifs non clairement
établis ou parfois contradictoires pour les états financiers. A notre avis, aussi longtemps
qu'un consensus plus grand n'aura pas été atteint concernant les objectifs des états
financiers, nous serons condamnés à tourner en rond en ce qui regarde le
développement des PCGR. On a vu dans le passé des recommandations cohérentes et
pratiques n'être pas retenues parce qu'elles présumaient des objectifs pour les états
financiers qui n'étaient pas alors acceptés par la profession.

A partir d'un ensemble suffisamment opérationnel d'objectifs clairement énoncés, une


démarche scientifique fera beaucoup pour améliorer la qualité des PCGR. Le "Financial
Accounting Standards Board" aux USA, semble l'avoir compris puisqu'il a accepté de
discuter les recommandations du groupe d'étude de l'AICPA concernant les objectifs des
états financiers. Au Canada, il n'est pas certain qu'un tel besoin ait été ressenti avec
autant d'intensité.. A ce propos, la timidité des initiatives de l'Institut canadien est peu
rassurante.

Il nous apparaît évident que si les difficultés d'ordre théorique que nous venons de
discuter étaient amoindries, il en résulterait un ensemble de PCGR dont la robustesse
emporterait une plus grande adhésion, diminuant d'autant le problème de l'autorité
dans la détermination des principes comptables. D'autre part, un effort certain a été
fait pour solutionner le problème de l'autorité lorsqu'en 1973 l'Institut des comptables
agréés scinda le Comité de recherches en comptabilité et vérification, en un Comité de
recherche comptable et un Comité des normes de vérification et accepta que des
représentants d'autres organismes fassent partie du Comité de recherche comptable.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 422


423

Ce faisant, l'Institut reconnaissait du même coup que la comptabilité et son


développement n'était pas l'affaire exclusive des comptables agréés. Il élargissait aussi
la base sur laquelle une autorité véritable en matière de développement des PCGR
pouvait désormais s'appuyer.

Il est certes trop tôt pour juger des résultats de ce changement. Cependant, en n'allant
pas au moins aussi loin qu'on le fit aux USA alors que le "Financial Accounting Standards
Board" est devenu indépendant de l'A.I.C.P.A., nous estimons que l'Institut a perdu une
belle occasion de prendre toutes les mesures appropriées pour donner au Comité de
recherche comptable une indépendance telle que personne ne puisse plus le
soupçonner d'être indûment influencé par des groupes particuliers.

Le rôle de la recherche

Dans un récent article, le Directeur de la recherche de l'Institut des comptables agréés


définissait ainsi le rôle de la recherche:

"Une des façons par lesquelles toute profession responsable répond au changement est
en s'assurant (sic) que les principes fondamentaux ainsi que les frontières de son bagage
de connaissances soient tournés vers les besoins de ses membres et ceux qu'elle sert. La
recherche doit tendre à s'assurer que la profession dirige ses nouvelles idées à
l'intérieur d'un cheminement de développement ordonné. L'histoire nous donne (sic) des
exemples de rejets causés par un développement désordonné et, (signe d'avertissement
à nous tous) retrace les souvenirs de disparition d'espèces et de civilisations qui n'ont
pas évolué avec leur environnement." (6, p. 50) (italiques ajoutées).

Nous souscrivons pleinement quant à nous à cet objectif pour un programme de


recherche. Cependant, en examinant comment se sont développés historiquement les
PCGR, force nous est de conclure que le programme de recherche de l'Institut n'a pas,
dans le passé, joué ce rôle de leadership vers un cheminement ordonné.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 423


424

Quant à la recherche présente, il est difficile de ne pas conclure qu'elle soit encore
largement ballottée et orientée au gré des problèmes immédiats qui se présentent. De
par les thèmes qui y sont étudiés, nous ne pouvons déceler chez elle cette volonté de
vision globale de la comptabilité nécessaire à quiconque prétend orienter un
développement ordonné. Un ensemble de principes comptables cohérents, complets et
robustes est largement tributaire d'un effort de recherche approprié. Cet effort de
recherche existe; il importe de le mieux orienter.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 424


425

Lecture de référence no. 28

L’Economie du savoir

par

Jean-Michel Charpin

ManuelTheories Comptables-01Dec10 425


426

L’ÉCONOMIE DE LA CONNAISSANCE : QUELLE


DÉFINITION POUR QUEL PHÉNOMÈNE ?

L’économie de la connaissance décrit à la fois une discipline de l’économie, dont


l’objet de recherche est la connaissance, et un phénomène propre à la période
contemporaine qui se traduit par un changement dans le fonctionnement des
économies, tant en ce qui concerne les processus de croissance que l’organisation des
activités économiques. Certains auteurs utilisent l’expression « économie de la
connaissance » quand ils se réfèrent à la discipline et l’expression « économie fondée
sur la connaissance » (comme traduction de knowledge-based economy) pour décrire le
phénomène. Dans ce rapport, qui porte spécifiquement sur le phénomène économique
de transformation des modes d’organisation et des processus de croissance, les deux
expressions sont employées sans distinction.

Trois ensembles de clarifications sont nécessaires à la définition de l’économie de la


connaissance de façon, en particulier, à bien distinguer ce concept de celui de «
nouvelle économie » ou encore d’ « économie de l’information ». Un
premier ensemble de clarifications porte sur la notion même de connaissance ; un
second a trait au phénomène économique, c’est-à-dire à ses origines et ses
caractéristiques principales ; un troisième, enfin, concerne la mesure de la
connaissance et l’évaluation quantitative du phénomène.

La connaissance : quelle définition ?

Le sens donné à la connaissance dans les sciences économiques varie selon les travaux.
Il convient donc de présenter les différentes approches de la connaissance et la
définition retenue par le groupe de travail. Celles-ci peuvent être caractérisées à partir
des réponses apportées à trois questions :
- De quels savoirs parle-t-on ?
- Distingue-t-on connaissance et information ?
- Limite-t-on la connaissance aux résultats des activités délibérées de production de
savoir ?

De quels savoirs parle-t-on ?

A priori, l’économie de la connaissance, en tant que champ disciplinaire, s’intéresse à


toutes les connaissances produites et utilisées dans les activités économiques.
Pourtant, si dans la littérature, le terme de connaissance est le plus souvent utilisé de
manière générique sans préciser de quel type de savoir il s’agit, c’est généralement à
un domaine particulier de la connaissance qu’il est fait référence, à savoir au domaine
technologique, au sens large, y compris le domaine scientifique.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 426


427

La focalisation sur la connaissance technologique pose deux problèmes. Tout d’abord,


la définition même de la technologie ne fait pas l’unanimité. Ensuite, il apparaît
clairement que les savoirs produits et mobilisés dans les activités économiques ne
concernent pas uniquement le domaine de la technologie.
Ainsi, les nombreux changements organisationnels qu’ont connus les entreprises depuis
les années quatre-vingt, tels que l’organisation par projet, les méthodes
d’ordonnancement en « juste à temps », et plus généralement les innovations destinées
à améliorer la réactivité au marché, ont poussé un nombre croissant d’économistes à
s’intéresser à l’innovation et à la connaissance organisationnelles. De même,
l’innovation dans les services, qui repose moins sur la connaissance technologique que
dans les secteurs manufacturiers, commence à être plus largement étudiée 2. Si la prise
en compte de la connaissance organisationnelle et de l’innovation dans les services
constitue un progrès, il n’en demeure pas moins que certains domaines de la
connaissance restent très peu explorés. Il s’agit notamment de la connaissance des
marchés et plus généralement des savoirs mobilisés dans la prise de décision, qui ne
sont pas composés uniquement de connaissances technologiques et organisationnelles.

Au-delà de la question du domaine auquel appartient la connaissance, il est important


de souligner qu’une réflexion sur l’économie de la connaissance englobe les questions
relatives aux déterminants des compétences, qui reflètent la capacité des individus et
des organisations à mobiliser effectivement leurs savoirs.

Les études existantes, sur lesquelles le groupe de travail s’est appuyé, donnent une
place prépondérante aux savoirs technologiques. Pourtant, tout au long de ses travaux
le groupe a tenu à ne pas limiter son intérêt à un type particulier de savoir et à traiter
toutes les connaissances et les compétences mobilisées dans les activités économiques.

Distingue-t-on connaissance et information ?

Kenneth Arrow, prix Nobel d’économie en 1972, est à l’origine d’une première
conception économique de la connaissance, qui conduit à l’assimiler à la notion
d’information. Les savoirs sont produits par un secteur d’activité spécialisé, à partir
d’une fonction de production qui combine du travail qualifié et du capital. L’output de
ce secteur consiste en information échangée sur un marché.

Cette conception insiste sur trois propriétés qui font de la connaissance un bien
économique particulier, tant dans l’usage que dans la production, en comparaison des
biens tangibles.

Tout d’abord, la connaissance est difficilement contrôlable ; elle tend à se diffuser et à


être utilisée par d’autres agents que celui qui en a assuré la production, sans que ce
dernier en soit rétribué. Le savoir est donc à l’origine d’externalités positives puisque
sa production a un impact positif sur des tiers, sans compensation de leur part. Tout se
passe comme dans le cas d’un apiculteur qui profite, sans le rétribuer, du travail de

ManuelTheories Comptables-01Dec10 427


428

celui qui entretient le verger voisin, dans lequel ses abeilles vont butiner. Ensuite, la
connaissance est un bien non rival au sens où elle ne se détruit pas dans l’usage ; le
théorème de Pythagore peut être utilisé à l’infini sans perdre ses qualités.
Par conséquent, le prix d’une connaissance ne peut pas être fixé comme celui de la
plupart des biens 90. Enfin, la connaissance est cumulative ; la production de savoirs
nouveaux repose largement sur les savoirs existants si bien que les progrès de la
connaissance sont d’autant plus rapides que celle-ci est largement diffusée.

Ces trois propriétés, qui donnent au savoir les caractéristiques d’un bien public, sont à
l’origine de ce que l’on appelle le dilemme de la connaissance.

D’un côté, comme les nouvelles théories de la croissance l’ont souligné, les activités de
production de connaissance ont un rendement social particulièrement élevé et sont un
fondement déterminant de la croissance économique. De ce point de vue, il faut
encourager la diffusion des savoirs de manière à garantir leur exploitation optimale, il
est donc préférable d’attribuer au savoir un prix nul.

D’un autre côté, le rendement privé est plus faible que le rendement social. Les agents
privés ne seront incités à prendre en charge la production de connaissances nouvelles
que s’ils peuvent exclure les autres agents de l’usage ou bien vendre les savoirs dont ils
sont à l’origine à un prix qui couvre au moins les coûts de production. Ce dilemme, «
entre l’objectif d’assurer à l’échelle de la société un usage efficient de la
connaissance, une fois celle-ci produite, et l’objectif de fournir une motivation idéale
au producteur privé », justifie l’intervention publique dans le financement de
l’éducation et de la recherche et dans la conception d’un système de protection de la
propriété intellectuelle, notamment par le biais du système de brevet.

Les travaux des vingt dernières années en économie de l’innovation ont permis de
relativiser le problème de bien public attaché à la connaissance. Ils ont souligné le
caractère déterminant, pour comprendre les processus de création et de diffusion des
savoirs, de la distinction entre connaissance et information. En effet, par information,
il faut entendre des flux de messages, alors que la connaissance implique une activité
cognitive de la part de l’agent ; celle-là consiste à sélectionner, traiter et interpréter
des messages pour en produire de
nouveaux. Ainsi, contrairement à l’information, qui existe indépendamment des
individus, la connaissance est « attachée » aux individus puisqu’elle repose sur leurs
facultés subjectives, ce qui en fait un bien plus facilement contrôlable.

Pour illustrer cette idée, on peut songer à la différence évidente qui existe entre
l’information contenue dans une recette de cuisine et le savoir mobilisé par le cuisinier
pour la réaliser.

90
Le coût marginal d’usage de la connaissance est nul ce qui rend impossible la fixation de son prix sur la
base des coûts marginaux.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 428


429

La distinction entre connaissance et information renvoie à une seconde distinction :


entre connaissance codifiée et connaissance tacite. Une partie de la connaissance peut,
en effet, être « objectivée », c’est-à-dire convertie, au travers d’un processus de
codification, en messages qui peuvent être manipulés comme de l’information, et pour
lesquels le problème de bien public se pose effectivement de façon aiguë. Toutefois,
une partie des savoirs demeure tacite, soit parce que l’arbitrage avantage/coût n’est
pas favorable à la codification, soit parce qu’ils ne sont pas codifiables étant donné
l’état des techniques de codification. Les connaissances tacites renvoient au fait que «
nous savons toujours plus que nous en pouvons dire ».
Ainsi, il nous est impossible de décrire l’ensemble des savoirs que nous mobilisons pour
faire de la bicyclette, pour réaliser une recette de cuisine ou pour accomplir la plupart
des tâches dans notre travail. Ce type de savoir, les savoirs tacites, ainsi que les
compétences, sont incorporés dans les individus et les organisations et sont, de ce fait,
difficilement transférables.

Le raisonnement qui consiste à assimiler connaissance et information revient en fait à


confondre deux types de diffusion des savoirs.

Le premier concerne l’information sur les résultats des activités de R & D ou de


conception ou encore sur une expérience en matière d’organisation du travail, dont la
diffusion se fait effectivement à un faible coût.
Cependant, le deuxième type de diffusion, qui consiste en la transformation de cette
information en connaissances opérationnelles, est beaucoup plus difficile. Il nécessite
la mise en place, par chaque firme, d’une capacité d’absorption, c’est-à-dire d’une
capacité d’apprentissage suffisante pour mobiliser en interne les savoirs créés ailleurs.

La distinction entre connaissance et information permet de préciser les problèmes


économiques relatifs à ces deux notions. La reproduction de l’information se faisant à
un coût quasi nul, le problème économique qui lui est associé est celui de sa révélation
et de sa production ; c’est un problème de bien public. En revanche, le principal
problème économique associé à la connaissance est celui de sa reproduction, qui passe,
même quand elle est sous forme codifiée, par un processus d’apprentissage 9.

Limite-t-on la connaissance aux résultats des activités délibérées de


production de savoir ?

Dans le modèle de Kenneth Arrow, certains agents sont spécialisés dans la production
de savoir ; ils sont localisés dans les laboratoires de R & D 91 des grandes firmes et dans
les industries de la connaissance. Cette conception a suscité de nombreux travaux
empiriques dans lesquels un secteur spécialisé dans la production de connaissance est
isolé. Fritz Machlup regroupe dans ce secteur l’éducation, les activités de
91
R & D: Recherche et Développement

ManuelTheories Comptables-01Dec10 429


430

communication, les équipements de traitement de l’information, les services


d’information et les autres activités
associées à l’information. Dans la même perspective, l’OCDE définit les industries
fondées sur la connaissance comme « celles qui sont directement fondées sur la
production, la distribution et l’utilisation de la connaissance et de l’information ».

Dans cette perspective, une part considérable des activités économiques et des agents
n’est pas considérée comme partie prenante de l’économie de la connaissance.
Pourtant, le savoir produit par les entreprises ne provient pas seulement des activités
formelles de R & D. Toutes les activités de production et d’usage des biens et services
peuvent être l’occasion d’un apprentissage et donc d’une production de connaissance.

Ces formes non délibérées de production de savoir ou, tout du moins, dont l’objectif
principal n’est pas la production de savoir, peuvent être appréhendées au travers des
concepts d’apprentissage par la pratique et d’apprentissage par l’usage.

L’apprentissage par la pratique (learning by doing) reflète une efficacité croissante à la


fois aux niveaux individuel et organisationnel, avec l’expérience d’utilisation d’un
nouveau procédé de production. Il est souvent représenté par la courbe d’expérience
associant le coût en travail à la production cumulée avec le procédé en question.
L’apprentissage par l’usage (learning by using) permet à l’utilisateur d'une nouvelle
technologie d’accroître la connaissance qu’il a de son potentiel. Par ailleurs, il se
traduit par un processus d’amélioration de la technologie au travers des interactions
entre producteurs et utilisateurs.

Considérant l’ensemble des approches présentées ci-dessus, le groupe de travail a opté


pour une définition large de la connaissance, en considérant a priori l’ensemble des
connaissances produites et mobilisées dans les activités économiques, que celles-ci
soient codifiées ou tacites ou qu’elles résultent d’activités intentionnelles ou de
processus d’apprentissage plus informels.

L’économie de la connaissance : quel phénomène ?

Parler d’entrée de l’économie du savoir suggère l’existence d’une rupture dans les
modes de fonctionnement des économies qui serait due au rôle nouveau joué par la
connaissance. Ceci soulève trois questions traitées
successivement :

• Y a-t-il une rupture dans le mode de fonctionnement des économies associée à un


rôle nouveau de la connaissance ?
• Quel est le rôle nouveau joué par la connaissance ?
• Pourquoi la connaissance a-t-elle vu son rôle se transformer ?

ManuelTheories Comptables-01Dec10 430


431

L’économie de la connaissance : rupture ou continuité ?

La question de l’existence de ruptures dans le mode de fonctionnement des économies


est débattue depuis longtemps au sein de la communauté des économistes. Elle oppose
traditionnellement les approches néoclassiques et les
approches institutionnalistes.

Les premières tendent à rejeter l’existence d'une historicité dans la dynamique des
économies. Les ruptures dans la croissance sont considérées comme des phénomènes
de déséquilibre passagers, les économies finissant toujours par retourner vers la
trajectoire de long terme.

Les secondes considèrent que l’histoire du capitalisme est marquée par une succession
de modes de développement92. Dans cette perspective, les transformations qu'ont
connues nos économies depuis les années quatre-vingt marqueraient l’avènement d'un
nouveau mode de développement ou régime
de croissance.

Si l’on accepte l’existence d’une rupture dans le fonctionnement des économies, l’idée
selon laquelle le nouveau régime de croissance reposerait sur la connaissance peut
susciter la perplexité, puisque la connaissance a toujours été au coeur des processus de
croissance 93. Le groupe de travail n’a pas tranché en ce qui concerne l’évolution de la
quantité de connaissance produite et mobilisée dans le système économique ; ceci
étant, il préfère souligner que le rôle joué par la connaissance dans le nouveau régime
de croissance tient moins à un changement dans la quantité de savoirs produits qu’à
l’évolution de l’organisation des acteurs dans la dynamique de production des
connaissances.

Les trois approches complémentaires de l’économie de la connaissance

La question du rôle nouveau joué par la connaissance conduit à distinguer trois


approches complémentaires de l’économie de la connaissance :

• l’approche centrée sur l’innovation,

92
Dans les travaux évolutionnistes, inspirés de Joseph Schumpeter, la périodicité tient essentiellement à
des innovations technologiques majeures (voir notamment Freeman et Perez, 1988) ; dans d’autres
travaux, en particulier ceux de l’école de la régulation, elle est davantage associée à des
transformations institutionnelles (voir Boyer et Saillard, 2002).

93
Ainsi, Peter Howitt, un des économistes à l’origine de la théorie de la croissance endogène, refuse
cette idée et considère que la période actuelle s’inscrit dans la continuité des périodes précédentes,
Howitt, 1996.

ManuelTheories Comptables-01Dec10 431


432

• l’approche centrée sur le mode de production du savoir,


• l’approche centrée sur les externalités de connaissance.

L’approche centrée sur l’innovation

Selon cette première approche, l’entrée dans l’économie de la connaissance se


caractérise par une accélération du rythme des innovations. Un régime d’innovation
permanente s’est substitué au régime traditionnel fondé sur des périodes brèves
d’innovations radicales et des périodes plus longues d’exploitation et d’améliorations
incrémentales des nouveaux produits et procédés.

Cette approche se révèle difficile à valider car le rythme tout comme l’intensité de
l’innovation sont délicats à mesurer. Le manque de recul peut conduire à considérer la
période actuelle comme exceptionnelle, alors qu’elle peut simplement correspondre à
une période de turbulence, caractéristique des phases d’ajustement à un nouveau
régime de croissance. Toutefois, la capacité à innover apparaît clairement comme un
critère de compétitivité déterminant dans les économies contemporaines.

L’approche centrée sur le mode de production de la connaissance

Selon cette deuxième approche, l’entrée dans l’économie du savoir se caractérise par
un changement dans le mode de production de la connaissance ; celui-ci est de plus en
plus collectivement distribué.

Le caractère plus collectif de la production de la connaissance concerne à la fois


l’organisation interne des entreprises et les relations des entreprises avec leurs
partenaires externes. Au niveau intra-entreprise, on voit se multiplier les « entreprises
apprenantes », dont le trait dominant est le décloisonnement entre les activités de
recherche et les activités de production. L’objectif poursuivi est de favoriser les liens
entre les processus formels de recherche, qui ont notamment lieu dans les laboratoires
de R & D, et les processus d’apprentissage, qui donnent lieu à de la création de savoir
comme produit-joint des activités de production. Au niveau inter-organisationnel, le
réseau devient le modèle dominant d’organisation. On assiste à une intensification des
interactions et des relations de coopération autour de la production de connaissance
entre diverses organisations et institutions.

L’approche centrée sur les externalités de connaissance

La troisième approche caractérise l’entrée dans l’économie du savoir par une


croissance massive des externalités de connaissance. Comme on l’a vu, ces externalités
tiennent en particulier au caractère difficilement contrôlable des
connaissances codifiées, qui sont manipulables comme de l’information, alors que les
connaissances tacites sont quant à elles peu transférables. Les technologies de
l’information et de la communication (TIC) renforcent les externalités de connaissance

ManuelTheories Comptables-01Dec10 432


433

car elles permettent une baisse des coûts de codification, de transmission et de


stockage des connaissances, tout en autorisant de réaliser ces opérations pour des
savoirs de plus en plus complexes.

Les facteurs à l'origine de l’entrée dans l’économie de la connaissance

Selon Dominique Foray, les économies de la connaissance se constituent à partir d’un


double phénomène : « une tendance séculaire relative à l’accroissement de la part du
capital intangible (éducation, formation, etc.) et, d’autre part, l’irruption et la
diffusion spectaculaire des technologies de l’information etde la communication ».

Le premier phénomène, l’augmentation des investissements dans la connaissance, est


notamment mis en évidence par deux historiens de l’économie, Moses Abramovitz et
Paul David. Selon ces auteurs, le progrès technique a été déterminant pour la
croissance économique au cours des deux derniers siècles mais il a changé de nature.
Pendant le XIXe siècle, il est biaisé en faveur du capital matériel et permet des
économies en travail. La nature du biais change à partir des années 1920, puisque le
progrès technique tend alors à accroître la part du capital intangible (éducation,
formation, ressources consacrées à l’innovation, etc.) parmi les facteurs de production.
Ainsi, la croissance du capital physique par heure travaillée représente les deux tiers de
la croissance de la productivité du travail au cours de la seconde moitié du XIXe siècle
et seulement entre un quart et un cinquième au XXe siècle.

Le second phénomène à l’origine de l’avènement des économies de la connaissance est


la diffusion et les progrès des TIC 94. Le rôle déterminant des TIC dans l’économie de la
connaissance apparaît clairement si l’on se réfère aux trois approches de l’économie du
savoir présentées ci-dessus. Tout d’abord, les TIC sont un facteur d’accélération du
rythme de l’innovation (première approche) puisque ces technologies, que l’on peut
qualifier de technologies génériques, sont à l’origine d’innovations de procédé et de
produit dans l’ensemble de l’économie. Ensuite, les TIC sont un support à une
production plus collective et plus interactive du savoir (deuxième approche). Enfin, les
TIC en permettant une baisse des coûts de transmission, de stockage et de codification
constituent un facteur important de croissance des externalités de connaissances
(troisième approche).

Sans sous-estimer le rôle des TIC, il convient d’éviter le biais techniciste qui consiste à
voir dans ces technologies la cause principale des transformations contemporaines de
l’économie.

Tout d’abord, les TIC ne constituent qu’un support de la connaissance parmi d’autres.
Ainsi, si le groupe de travail a choisi de caractériser le nouveau régime de croissance
par le concept d’économie de la connaissance, alors que d’autres se réfèrent à la «
94
TIC : Technologies de l’Information et de la Communication

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nouvelle économie », à l’« économie de l’information » ou encore à l’« e-économie »,


c’est parce qu’il considère que le rôle des TIC dans le nouveau régime de croissance
tient aux effets de ces technologies sur l’organisation des agents dans la dynamique de
création, de traitement et de diffusion des connaissances. Par ailleurs, les changements
économiques structurels survenus dans les économies développées depuis les années
quatre-vingt résultent de changements technologiques, organisationnels et
institutionnels interdépendants et se renforçant mutuellement, sans qu’il soit possible
d’attribuer au progrès technique, et en particulier aux TIC, le rôle de « déclencheur
unique ». La mondialisation des économies et l’évolution des normes de consommation
jouent, au même titre que les progrès dans les TIC, un rôle important dans l’avènement
d’un nouveau régime de croissance fondé sur la connaissance.

La mesure de l’économie du savoir

La question de la mesure de l’économie de la connaissance est importante au moins à


deux égards. D’une part, la mesure aide à se prononcer sur l’existence d’une nouvelle
dynamique de croissance fondée sur le savoir et sur le rythme auquel les économies
évoluent vers ce nouveau régime. D’autre part, la mesure permet d’évaluer les
performances de la France, d’identifier ses forces et ses faiblesses, en comparaison
avec ses principaux partenaires commerciaux.

Il s’agit ici de présenter les différentes tentatives de mesure globale et comparative de


l’économie de la connaissance. Au vu des limites des indicateurs statistiques, les
principes retenus dans ce rapport sont ensuite exposés, quant à la mesure de l’insertion
de la France dans l’économie de la connaissance.

Les indicateurs synthétiques de l’économie de la connaissance

Depuis 1999, l’OCDE fournit une évaluation quantitative de l’économie fondée sur le
savoir, à l’occasion de la publication des Perspectives et du Tableau de bord de la
science, de la technologie et de l’industrie 22. Parallèlement, la Commission
européenne, suite au sommet de Lisbonne tenu en mars 2000, a publié un Tableau de
bord de l’innovation comme outil visant à fonder un exercice d’étalonnage
(benchmarking) des politiques d’innovation. Ces publications fournissent une série
d’indicateurs construits à partir des statistiques disponibles et comparables sur le
thème de l’économie du savoir, c’est-à-dire pour l’essentiel relatifs à l’innovation
technologique. Par ailleurs, de façon à évaluer de manière globale l’évolution vers une
économie de la connaissance et à comparer les performances relatives des différentes
nations, l’OCDE et la Commission européenne présentent également, à l’occasion de
ces publications, des indicateurs synthétiques de l’économie du savoir.

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Les indicateurs synthétiques conçus par l’OCDE, fournissent une « indication


approximative » de l’investissement dans le savoir et du poids des industries fondées
sur la connaissance :

• L’investissement dans le savoir est défini par trois ensembles de dépenses :

1) les dépenses publiques et privées consacrées à l’enseignement supérieur,


2) les dépenses de R & D et
3) les dépenses de logiciel.

Ainsi mesuré, l’investissement dans le savoir représente 4,7 % du PIB à l’échelle de


l’ensemble des pays de l’OCDE en 1998 ; il a progressé de 3,4 % par an en moyenne tout
au long des années quatre-vingt-dix, ce qui représente une croissance supérieure à
celle de l’investissement en capital fixe.

• Les industries du savoir sont définies comme les secteurs « qui emploient
relativement intensément la technologieet/ou le capital humain ». Il s’agit des
industries manufacturières de haute et de moyenne-haute technologie et de trois
catégories de service : 1) les services fournis à la collectivité, sociaux et personnels,
2) les activités de banque, assurance et autres services aux entreprises et 3) les
services de communication. L’entrée dans une économie fondée sur le savoir ne fait
pas de doute non plus quand on s’intéresse à l’évolution du poids économique de
ces industries dans la valeur ajoutée des entreprises de l’OCDE ; il représente plus
de 50 % au milieu des années quatre-vingt-dix, contre environ 45 % au milieu des
années quatre-vingt.

Quant à l’indice synthétique de l’innovation, élaboré par la Commission européenne, il


est destiné à classer les pays en fonction de leur performance relative en matière
d’innovation. Il repose sur 17 indicateurs reflétant quatre dimensions de l’innovation
technologique :
1) les ressources humaines,
2) la création de nouvelles connaissances,
3) la transmission et la mise en oeuvre du savoir,
4) le financement, la production et les marchés de l’innovation.

Cet indice est relatif ; il ne permet pas une évaluation, dans l’absolu, de l’entrée dans
une économie de la connaissance puisque son propos est de comparer les pays de l’UE
en niveau et en tendance.

Certes, les indicateurs synthétiques permettent de déceler une évolution générale vers
une économie fondée sur la connaissance, ils posent pourtant un certain nombre de
problèmes qui font qu’ils ne peuvent pas être repris dans le présent rapport.

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Le premier problème tient à ce que les données disponibles concernant l’économie de


la connaissance ne permettent pas, à ce jour, à un indicateur synthétique d’atteindre
un niveau de fiabilité suffisant. En outre, les limites des données disponibles obligent à
faire des choix, qui peuvent s’avérer très réducteurs. Par exemple, faute de données
comparables concernant,l’ensemble des dépenses consacrées au système éducatif,
l’indicateur d’investissement dans le savoir a, dans un premier temps, été construit à
partir des dépenses publiques d’éducation puis, dans un second temps, sur la base des
dépenses publiques et privées consacrées à l’enseignement supérieur. Ces variables,
toutes deux réductrices, révèlent davantage les spécificités institutionnelles de certains
pays en matière d’éducation que l’ampleur de l’investissement réalisé. Ainsi, la France
se situe au second rang des pays de l’OCDE pour l’intensité de son investissement dans
le savoir quand la variable d’éducation retenue est la dépense publique d’éducation
alors qu’elle rétrograde au douzième rang quand la variable retenue porte sur
l’enseignement supérieur.

Le second problème posé par les indicateurs synthétiques proposés par l’OCDE et la
Commission européenne est qu’ils ne sont pas compatibles avec la définition retenue
par le groupe de travail. D’une part, la connaissance considérée, pour construire ces
indicateurs, est pour l’essentiel technologique, et résulte d’activités formelles de
production de connaissance.

D’autre part, le choix des variables ne repose pas sur une distinction claire entre
information et connaissance. Ainsi, par exemple, les dépenses de logiciel apparaissent
davantage comme des investissements spécifiques à une économie de l’information. De
même, la spécificité des secteurs de la banque et de l’assurance est leur intensité en
information plutôt qu’en connaissance.

Les principes retenus relatifs à la mesure de l’économie du savoir

Les indicateurs synthétiques existants correspondent à la conception de l’économie de


la connaissance initiée par Kenneth Arrow. Cette conception a le mérite de rendre
possible la mesure puisqu’elle délimite, au sein de l’économie, un certain nombre de
secteurs spécialisés dans la production et le
traitement de la connaissance. Toutefois, elle conduit à manquer une bonne part des
vecteurs de l’économie du savoir et des transformations qualitatives du fonctionnement
des économies. La conception de l’économie de la connaissance élaborée au sein du
groupe de travail, qui correspond à une approche plus large et plus complète,
rencontre, quant à elle, de nombreux problèmes de mesure puisque la plupart des
phénomènes relatifs à la connaissance ne sont pas directement observables.

Pourtant, malgré leurs limites, il ne faut pas écarter les analyses comparatives fondées
sur des indicateurs quantitatifs. En effet, sous certaines conditions, ces analyses
peuvent s’avérer très utiles non seulement en termes de compréhension du
fonctionnement des économies mais également en tant qu’outils de politique publique,

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puisqu’elles permettent, pour reprendre l’expression employée par Bengt-Ake Lundvall


et Marc Tomlinson, « d’apprendre en se comparant » (learning by comparing) 95 .

Trois principes généraux sont retenus par le groupe, en ce qui concerne la mesure de
l’économie du savoir :

• Il est vain de chercher à montrer la réalité du phénomène d’entrée dans une


économie du savoir à partir des seuls indicateurs quantitatifs, puisque l’essentiel de
la connaissance mobilisée dans les activités économiques n’est pas mesurable,
notamment celle qui est « attachée » aux individus et aux organisations. De plus,
l’entrée dans une économie fondée sur la connaissance ne se traduit pas
nécessairement par une augmentation de la quantité de connaissance ; plutôt que
de chercher à déceler une évolution quantitative, il importe d’identifier et de
comprendre les transformations de l’organisation des acteurs dans la dynamique de
production des connaissances.

• Étant données les limites des données disponibles, il est préférable de fonder le
diagnostic de l’insertion de la France dans l’économie du savoir sur une batterie
d’indicateurs plutôt que sur un indicateur synthétique.

• Les indicateurs quantitatifs doivent être considérés comme le point de départ de la


réflexion ; d’une part, de manière à réaliser un exercice comparatif approfondi et
fructueux, il faut engager une analyse critique des indicateurs utilisés en termes de
pertinence et de comparabilité ; d’autre part, l’analyse statistique doit être
complémentaire d’une analyse plus qualitative des phénomènes induits par l’entrée
dans une économie du savoir.

Ces principes sont à la base du chapitre suivant, qui propose un état des lieux général
et comparatif de l’insertion de la France dans l’économie du savoir. Les données
utilisées, qui sont pour l’essentiel celles de l’OCDE et de la Commission européenne,
correspondent à un panel très large d’indicateurs conçu de manière à limiter le plus
possible le biais technologique. Par ailleurs, considérant que l’entrée dans l’économie
de la connaissance correspond à un nouveau régime de croissance et de
développement, les indices de performance retenus reflètent non seulement l’ampleur
de l’investissement dans le savoir mais aussi les conséquences de cet investissement sur
la performance économique et sociale de l’économie dans son ensemble, au travers
notamment de la croissance, de l’emploi, de la compétitivité des entreprises et de
l’attractivité du territoire.

95
Lundvall et Tomlinson, 2001 ; voir également Barré, 2001 et le chapitre 7 du document de synthèse des
travaux du séminaire d’experts sur l’économie de la connaissance consacré à l’étalonnage des politiques
de la recherche et de la technologie, CGP, 2001.

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