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Attachements
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Textes écrits par Philippe Ponty
avec des détenus du Centre de Détention d'Uzerche
Automne 2022
il n'y a plus de création pure. on recycle les choses. Toujours les mêmes choses. On parle toujours
de la même chose.
Mes amis ne sont pas fréquentables.
Le monde va mal monsieur, et puis c'est les gens, ils n'ont rien compris.
Il n'y a plus de cabine téléphonique, sauf en prison.
On vit aujourd'hui, à crédit sur le dos de la terre, sans penser à la suite, on mange de la merde, et
on continue à se prendre la tête.
Je suis très attaché à la discipline, les jeunes, ça leur manque.
On est obligé de s'y faire, de s'adapter. Quand je sortirai, je serai plus malin.
Au monde, il n'y a rien de plus beau que les vergers en fleur du Japon, en avril.
Il faudrait vivre dans la station spatiale internationale, voir la terre depuis l'espace. De là-haut,
l'histoire de la terre, c'est la même pour tout le monde.
Naissance
Je suis né à l'hôpital d'Istanbul et je ne m'en rappelle plus.
Je suis né avec un tournevis dans la main.
je suis né bûcheron, coupeur de bois.
Je suis né à Limoges pour souffrir.
je suis né voleur.
Ou alors, tout est arrivé après.
Ta cabane de rêve, celle où tu habites quand tu fermes les yeux, elle est où ? Elle est comment ?
Ma cabane, elle est dans l'Ariège au milieu de la nature. il y a ma femme et mes enfants.
Elle est dans le désert, c'est une tente de bédouin.
Elle est perchée dans un arbre, pas très haut.
Elle est sur la mer, loin de la civilisation, reliée au sable par une passerelle.
Elle est dans les montagnes. Il y a des animaux et je suis leur berger.
Elle est au sol, dans un sous-bois, loin de tout, bien cachée. on ne la voit presque pas.
Gens du voyage
Dans la communauté des gens du voyage, on est voleur. On prend exemple sur le père et lui,
souvent, il était voleur. Dès l'enfance on ne connaît que cela. On voudrait bien s'intégrer, mais
quand tu ne connais que cela c'est difficile.
L'honnêteté ça pourrait marcher mais il y aura toujours un vice caché.
On est attaché au passé, il nous rattrape à un moment.
Moi je vole pas, je fais des emprunts à durée indéterminée.
Il n'y a pas de violence dans ce que je fais. Je dis une vérité, je vends du rêve. Si je dis que je suis
diamantaire, alors je dois me former pour ça. Je dois être crédible. Une escroquerie, pour que ça
marche, pour que la personne y croit, ça doit être parfait.
Je me suis marié à 19 ans. Quand t'as un gosse à cet âge-là il faut l'assumer, il faut penser aux
conséquences.
On voyage beaucoup et on n'a pas d'adresse. Du coup, on n'a pas conscience des actes
administratifs qui nous suivent et nous poursuivent.
Le lien entre nous, il voyage avec nous, partout, tout le temps.
Notre richesse c'est notre lien. On vit de ça.
Chacun à sa réputation, on monte, on descend, en fonction de nos actions. il y a une hiérarchie de
la vaillance, du courage, une reconnaissance. il y a une autorité entre nous, des jugements, des
médiations des amendes, des saisies. On règle ça entre nous.
Et on peut s'adapter à tout parce qu'on est philosophe.
C'est le matin de ta libération, la porte se referme derrière toi. Qu'est-ce qui se passe ?
Mes parents sont là, je saute dans leurs bras, je pleure de joie.
Je fume une clope en regardant ma voiture.
Je suis devant la prison, je savoure.
Je conduis jusqu'à Bordeaux, où Libourne.
Il y a la musique. J'oublie.
Je me demande ce que je vais manger.
J'arrive dans mon nouveau chez-moi Et je réfléchis.
Je réfléchis à mieux choisir mes amours et mes amis.
Je profite d'une solitude choisie.
Je travaille à être plus mesuré, à être moins dans la paranoïa.
L'humour, ça m'aide beaucoup.
C'est le matin de ta libération, la porte se referme derrière toi. Qu'est-ce qui se passe ?Ma
femme est là. Elle est venue me chercher en voiture. On va à la maison.
Je prends une bonne cuite.
On mange en famille un agneau à la broche.
Il y a mes frères et mes sœurs.
Ils sont 11, et il y a leurs enfants.
Une trentaine d'enfants.
C'est le soir.
Je reste avec mes 4 enfants et avec ma femme.
Le lendemain je vais manger à McDo avec mes gosses.
Après, je passe 3 jours au lit.
C'est le matin de ta libération, la porte se referme derrière toi. Qu'est-ce qui se passe ?
Ma mère vient me chercher.
On rentre à la maison, à 4h d'ici.
Je me roule des clopes, je retrouve mon poto, y a que ça à faire.
Mon poto, il fait des trucs pour moi.
Moi, je dors.
Après, je trouve du travail.
C'est le matin de ta libération, la porte se referme derrière toi. Qu'est-ce qui se passe ?Ma
femme m'attend dehors.
Je conduis la voiture, c'est une Mégane blanche.
On arrive chez nous à Saint-Jean.
Là, je profite de mes enfants, de ma femme.
J'ai pas trop envie de trouver du boulot.
Je traîne avec mes frères.
C'est le matin de ta libération, la porte se referme derrière toi. Qu'est-ce qui se passe ?Ma
femme m'attend.
Je fais une vidéo sur Snapchat, pour que tout le monde sache que je suis dehors.
notamment certaines personnes.
je fais passer un message.
Coucou ! C'est fini !
Je suis là, je vais bien et certaines choses vont changer.
Ensuite je vais chez nous en voiture.
La virgule mes amis et ma famille viennent me voir et on fait une grillade.
C'est le matin de ta libération, la porte se referme derrière toi. Qu'est-ce qui se passe ?
Ma femme et mes enfants sont là, ils m'attendent.
On prend la voiture jusqu'à la maison.
Voilà, maintenant je suis à la maison.
Je pose les affaires du centre de détention.
Je prends un petit café, le temps que nos esprits se retrouvent.
Ensuite, on va chez mes grands-parents, sur leur terrain.
Là, commence la grillade.
On fait la fête jusqu'au petit matin.
Le lendemain la vie continue.
Je redémarre le camion de dépannage.
La petite routine.
C'est le matin de ta libération, la porte se referme derrière toi. Qu'est-ce qui se passe ?Je prends
un taxi pour aller dans un bar.
Je consomme.
Je refais ma magouille.
je fais la fête.
Ensuite, je prends le train pour Limoges.
Là, je retrouve ma voiture pour aller voir ma maman.
C'est le matin de ta libération, la porte se referme derrière toi. Qu'est-ce qui se passe ?Ma sœur
vient me chercher et on va direct au McDo.
Je prends un filet O'fish avec des potatoes et de la sauce potatoes.
Et de la bière.
Ensuite, je fais la fête chez moi avec mes amis proches.
C'est le matin de ta libération, la porte se referme derrière toi. Qu'est-ce qui se passe ?Je prends
une grande respiration et j'allume une cigarette.
Je fais le vide dans ma tête.
Ma tante vient me chercher et m'emmène à Paris en voiture.
Là, je fais mes comptes.
J'apprends toutes les mauvaises nouvelles qu'on n'a pas voulu me donner quand j'étais en prison.
Je savais qu'il y en aurait et ça m'a rongé pendant toute la détention.
Ensuite, à je brûle tous les vêtements que j'ai porté ici.
Puis je quitte la France.
je ne veux plus vivre en France.
C'est le matin de ta libération, la porte se referme derrière toi. Qu'est-ce qui se passe ?
Je suis angoissé.
Une boule au ventre.
Et je suis heureux aussi.
Je vais à la gare à pied, ça fait 3 ou 4 km, 40 min de marche.
Je n'ai que le nécessaire.
Je prends le train pour Bordeaux.
Là je trouve un logement et un travail, je reprends une vie.
Je suis loin de ma ville d'avant, de ma vie d'avant, de mon ex, de mes amis d'avant.
Je m'éloigne de tout ça et du passé.
J'ai peur de sortir, j'ai peur que ce passé revienne dans ma vie.
Qu'est-ce qui te rend heureux ?
Le bonheur c'est la fête, un travail, une maman, du soutien, la famille, la liberté.
C'est avoir de l'argent, un logement, du café des clopes, un téléphone portable.
C'est la moto, la voiture, la musique, les copains.
Le bonheur c'est avoir la foi, une bonne éducation, des valeurs, des principes.
C'est l'honnêteté, la franchise, la droiture, la loyauté, la générosité, la bonté, la capacité de faire.
C'est la structure familiale, un foyer, une femme, des enfants, des parents, des cousins, des frères
et des sœurs.
Le bonheur c'est une maison, un endroit calme.
C'est un feu.
Bribes
Entre nous, les gens du voyage, on se soutient beaucoup, mais les autres on les aide aussi.
Moi, c'est terminé, affaire classée. On arrête tout. Ici, c'est pas une vie.
Les pirates
Ils sont sur ma main, les pirates. Je les ai là, tatoués pour toujours.
Ils vivent selon leur propre loi, avec un bon sens de la vie.
Il y a l'ancienne piraterie, avec les bateaux à voile, et la piraterie des temps modernes.
Le vol, le trafic, le racket.
Et les plus grands des pirates ne sont pas toujours hors-la-loi.
J'ai vécu comme ça moi aussi, selon ma propre loi, mais il faut apprendre de ses erreurs.
Brive
Moi je connais que Brive et j'aime que Brive.
C'est ma ville, c'est ma vie.
Je ne voudrais pas vivre ailleurs, certainement pas.
J'aime tout à Brive, c'est ma famille, mes copains, mes copines, mes habitudes.
Ailleurs je me perdrais.
Je veux être enterré au Cimetière d'Estavel, dans mon quartier.
Celui qui parle mal de Brive, je peux lui faire du mal.
J'adore le centre, la Guierle, avec les Foires-Franches, et mon quartier aussi.
Je vais à la Charrette, je joue à la Pétanque à Objat ou à Terrasson.
Je suis allé à Toulouse une fois, mais c'est trop loin et j'y connais personne.
Aller à l'Etranger ? Non, c'est pas la peine.
Oui mon meilleur souvenir c'est mon mariage. Ce qui compte le plus c'est l'engagement qu'on a
pris ce jour-là. Bien sût il y avait tout le monde. La famille élargie, comme on dit, avec les cousins,
les voisins, les anciens, les enfants, les amis, les amis des amis. On était 300, je crois.
Et la musique.
Je me souviens que mon père m'a emmené à Lourdes. J'avais huit ans. Il était très croyant, et tout
ça était très impressionnant. On avait pris le funiculaire, c'est un train qui peut monter des côtes
incroyables parce qu'il est accroché aux rails. Il y avait tous ces pèlerins, par milliers.
La seule chose qui était pas bien, c'était qu'il fallait marcher beaucoup.
Pour moi c'est les fêtes, toutes les fêtes, les baptêmes, les mariages, les communions, les
ribambelles d'enfants, les barbecues... avec les décors blingbling dans la salle des fêtes. Les
cortèges, les danses, les discours. J'aime la fête, j'adore la fête.
Avec la famille surtout. Sans la famille on est zéro.
Moi c'est Carcans, c'est l'océan. Tu sais, quand tu quittes le parking et que tu montes dans le sable.
Souvent, au sol il y a des planches, du bois. Et à un moment, tu découvres l'immensité. Là, je lâche
tout, c'est magique. Je m'arrête. Je respire. Il y a ces herbes qui dansent dans le vent, on appelle ça
les cheveux d'ange.
Moi c'est la campagne au Maroc. Des océans d'oliviers. C'est très vert, il y a des collines, presque
des petites montagnes. Ça s'appelle Khimifra. Il fait chaud en été et froid en hiver, c'est le moyen
Atlas. Il peut même neiger l'hiver. Il y a des anomaux sauvages. J'y pense tous les jours.
Le voyage c'est 28 heures en voiture, sans dormir. Je passe par Bordeaux, Bilbao, Madrid, Tolède,
Malaga, Gibraltar. Et puis c'est Tanger, et il faut encore une demi-journée pour arriver.
C'est ma terre, c'est ma vitamine.
Pour moi c'est ma maison, dans mon village , en Dordogne. Il y a tout le confort, une piscine, un
jacuzzi. Mais surtout il y a une grande haie, une clôture qui me protège des regards. J'ai besoin
d'intimité, j'ai peur que l'on se moque de moi.
Moi aussi c'est chez moi, dans mon appart. C'est un quartier calme, avec deux bâtiments pas trop
hauts, pas trop grands. C'est pas la cité, c'est quelque chose de plus tranquille.
C'est une maison avec un étage. Une maison simple et confortable, dans la campagne, pas très
loin de la ville. Devant la maison il y a un terrain, et sur ce terrain il y a une caravane.
Pour partir. A un moment j'aurai besoin de partir, c'est sûr. Le voyage aussi c'est mon lieu.
C'est quoi le plus beau cadeau que tu aies reçu ?
Mes parents, parce qu'ils m'ont choisi en m'adoptant.