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Le Bottom Théâtre

Dans le cadre de l'opération


"Ouvrez les Guillemets...

Attachements
Textes écrits par Philippe Ponty
avec des détenus du Centre de Détention d'Uzerche

Automne 2022

En partenariat avec le SPIP et le Labo des Histoires


Introduction
Le chemin jusqu’à eux

Il est 8h15 et je roule vers Uzerche. C'est un matin de pluie et d'incertitude.


J'ai l'œil sur l'horloge de la voiture, je ne voudrais pas être en retard et j'imagine que l'entrée
prendra du temps.
Je ne peux pas dire que je sois tendu, mais j'ai attendu cette première matinée avec impatience.
Il y a une grande part d'inconnu dans les moments que je vais traverser.
Je viens écrire avec les détenus du centre de détention.
"Ecrire"... "avec"...
J'anticipe le fait qu'il ne s'agira pas d'un atelier d'écriture mettant chacun seul face à une page
blanche. Je sais déjà qu'il va s'agir d'une conversation, de questions et de réponses, de silences, de
paroles enchevêtrées, et que j'en serai le secrétaire. C'est un exercice complexe mais j'y suis
exercé depuis des années. J'aime "écrire" de cette façon. Les textes qui en sortent sont faits de
paroles brutes, de traductions, d'écoute, de reformulation immédiate. Ils restent proches de la
chose dite. Une forme souvent chorale qui s'articule à partir de paroles individuelles, singulières
intimes.
Ce que ne connais pas, c'est ce dont va être faite cette rencontre, ni qui vont en être les
protagonistes. J'arrive ici chargé de l'imaginaire commun sur les prisons et leurs habitants, un
imaginaire de violence et de tragédie forgé par le cinéma.
Je ne sais pas à quoi m'attendre, et je me dis que ce sera sûrement différent, inattendu.
En revanche, je sais comment aller au centre de détention, je m'y suis déjà rendu il y plusieurs
années, mais ce matin il me semble qu'il est loin. L'idée de faire demi-tour m'effleure, ma
mémoire de ce paysage semble brouillée.
Enfin, j'aperçois les grilles d'enceinte, les bâtiments. Il fallait juste être confiant. Je me gare sur le
parking visiteurs. Il est 8h40.
Il a fallu choisir avec soin les éléments que j'emmène avec moi à l'intérieur. J'ai pris soin de vider
mon sac de son fatras habituel. J'en ai retiré le petit couteau suisse qui m'accompagne partout. Je
n'ai conservé qu'un carnet, un stylo, une enceinte pour écouter du son et mon téléphone comme
source musicale et éventuel enregistreur.
Le téléphone n'entrera pas, bien sûr. J'ai oublié de mentionner sa présence dans la liste des outils
utiles à ce travail. J'aurais pu anticiper les problématiques liées à la présence d'un smartphone en
prison. Je n'avais pas la tête à ça. J'entre donc simplement avec du papier et un stylo.
L'essentiel. Mais comme j'écris maintenant depuis longtemps sur un clavier, j'appréhende un peu
la mobilisation intense et durable de la main. Je n'ai plus l'habitude.
Le premier sas correspond à ce que j'en imaginais. C'est une heure d'entrée pour des intervenants
extérieurs et des personnels du centre.
Première porte, première vérification. Chacun dit pourquoi il est là, confie sa pièce d'identité,
attend que son accès soit validé.
J'entre, et c'est le moment de vider ses poches, de laisser dans un casier tout ce qui ne peut aller
plus loin, d'enlever ma ceinture, qui pourrait faire sonner le portique, de recevoir le badge
"visiteurs" qui ne me quittera pas. C'est exactement comme à l'aéroport, en moins glamour. Mon
sac est scanné, je passe, je me "rhabille", j'attends que l'on m'ouvre la porte vers la première cour.
Voilà... je suis dedans. Mais ce n'est pas encore la détention. Je vais retrouver la responsable du
service qui m'accueille et qui va m'accompagner pour la véritable entrée. Je ne serai pas seul.
Voilà, cette fois je vais entrer. Je reçois les deux outils de tout visiteur. Un carte magnétique pour
ouvrir les portes sur le chemin qui a été programmé pour moi, et une sorte de bipeur qui me
permettrait d'appeler en cas d'urgence. Je passe très vite sur la tentation de me représenter ce
que pourrait être un cas d'urgence. Ce n'est pas le moment.
Pour ce premier voyage, c'est mon accompagnatrice qui fait fonctionner sa carte. Il faut la faire
coulisser dans un boîtier fixé au mur. Un bip long nous indique que la demande a été enregistrée.
Puis l'on attend le petit "clac", qui annonce le déverrouillage de la porte. Pas de surveillant, pas de
clé, un parcours solitaire jusqu'à sa destination. Cette indépendance est troublante, inattendue.
Il est fréquent de devoir faire coulisser plusieurs fois la carte dans le boîtier avant d'obtenir le bip
long. C'est une première fois, j'observe. Dès la fin de la matinée je devrai me débrouiller seul. Je
comprendrai vite que l'ouverture est conditionnée à un ensemble de données qui m'échappent.
Des données techniques, humaines, des protocoles de sécurité, des processus qui ne me sont pas
familiers mais que je vais très vite intégrer.
Pour accéder depuis l'extérieur à la petite salle dans la quelle je vais rencontrer les participants de
l'atelier, j'ai franchi 10 portes, utilisé huit fois ma carte, attendu dix fois que les conditions soient
réunies pour mon passage. J'ai salué des surveillants et des surveillantes installé·e·s dans des
postes de contrôle, expliqué et identifié les raisons de ma présence, croisés des détenus, des
employés du centre, des intervenants. Tout un peuple actif, affairé, concentré.
Je vais me familiariser très vite avec ce mode de déplacement à la fois sécurisant et sécurisé. C'est
un rythme, des temps contraints, des passages de ciel, des salles aveugles, des vitres teintées, des
codes, des couleurs, des signes, des températures, une succession répétitive d'étapes, de marche
et d'attente. Tout le monde se salue, prend la peine de signifier sa présence. Tu es là, je suis là, on
se croise et chacun reste sur son chemin. Ce n'est pas un lieu pour l'accident, l'imprévu, l'incertain.
Dernière porte, j'entre dans le quartier non sans avoir une dernière fois expliqué ce que je viens
faire ici. C'est un couloir tout droit, assez large, long d'une quinzaine de mètres et plutôt bien
éclairé. Les cellules sont ouvertes, les détenus vaquent, dans un mélange d'activité et
d'observation. On m'accueille, on m'installe. Mon accompagnatrice me laisse avec les détenus. Je
me suis fait quelques idées sur ce moment et c'est plus simple et tranquille que ce que j'imaginais.
Nous sommes dans une toute petite salle triangulaire, avec de quoi être réunis à une dizaine.
4 tables, des chaises en plastique.
On m'offre très vite le café, quelques biscuits, un véritable accueil.
Chacun veut en savoir plus sur ce que nous allons faire ensemble.
Ecrire, leur a-t-on dit... Mais écrire, ça ne va pas de soi.
Alors j'explique, autant de fois que nécessaire car ils n'arrivent pas tous en même temps.
Je comprends très vite que ce partage va être exigeant.
Je commence à poser des questions.
Voilà...
Ça a commencé.
Paroles de détenus
Aphorismes

il n'y a plus de création pure. on recycle les choses. Toujours les mêmes choses. On parle toujours
de la même chose.
Mes amis ne sont pas fréquentables.
Le monde va mal monsieur, et puis c'est les gens, ils n'ont rien compris.
Il n'y a plus de cabine téléphonique, sauf en prison.
On vit aujourd'hui, à crédit sur le dos de la terre, sans penser à la suite, on mange de la merde, et
on continue à se prendre la tête.
Je suis très attaché à la discipline, les jeunes, ça leur manque.
On est obligé de s'y faire, de s'adapter. Quand je sortirai, je serai plus malin.
Au monde, il n'y a rien de plus beau que les vergers en fleur du Japon, en avril.
Il faudrait vivre dans la station spatiale internationale, voir la terre depuis l'espace. De là-haut,
l'histoire de la terre, c'est la même pour tout le monde.

Naissance
Je suis né à l'hôpital d'Istanbul et je ne m'en rappelle plus.
Je suis né avec un tournevis dans la main.
je suis né bûcheron, coupeur de bois.
Je suis né à Limoges pour souffrir.
je suis né voleur.
Ou alors, tout est arrivé après.

Ta cabane de rêve, celle où tu habites quand tu fermes les yeux, elle est où ? Elle est comment ?
Ma cabane, elle est dans l'Ariège au milieu de la nature. il y a ma femme et mes enfants.
Elle est dans le désert, c'est une tente de bédouin.
Elle est perchée dans un arbre, pas très haut.
Elle est sur la mer, loin de la civilisation, reliée au sable par une passerelle.
Elle est dans les montagnes. Il y a des animaux et je suis leur berger.
Elle est au sol, dans un sous-bois, loin de tout, bien cachée. on ne la voit presque pas.

Qu'est-ce que tu vois par la fenêtre ?


Un mur, des grillages, des barbelés, des tôles pour empêcher la vue, les Unités de Vie Familiale, La
cour de promenade, le terrain de sport avec trois personnes qui marchent, 2 jardins, des arbres,
des collines, un bois, la liberté, du carrelage, des projecteurs, trois maisons à étages, un 4x4, une
route, des lampadaires, un oiseau, des champs, le ciel, les barreaux de la fenêtre.
La langue
J'ai pas les mots
Il faut savoir s'exprimer dans la langue de la justice
Moi, je ne la connais pas
A cause de ça, je suis affaibli socialement
Il faut avoir le bon ton, le bon vocabulaire
Sinon on est rien
C'est un pouvoir
J'ai pas été beaucoup à l'école
Alors j'ai pas ce pouvoir
Avant, j'écrivais comme je parlais
Maintenant, j'écris des chansons
On subit beaucoup d'agression
On en inflige aussi
Mais il faut dompter sa colère
Et son langage
A l'école, quand on te demande "Qu'est-ce que tu veux faire plus tard ?"
Il faut savoir quoi répondre
Moi je savais pas
J'avais pas la chance pour démarrer
C'est les conditions sociales qu'il faudrait changer
Mais on répare comment ?
On répare comment ?

Gens du voyage
Dans la communauté des gens du voyage, on est voleur. On prend exemple sur le père et lui,
souvent, il était voleur. Dès l'enfance on ne connaît que cela. On voudrait bien s'intégrer, mais
quand tu ne connais que cela c'est difficile.
L'honnêteté ça pourrait marcher mais il y aura toujours un vice caché.
On est attaché au passé, il nous rattrape à un moment.
Moi je vole pas, je fais des emprunts à durée indéterminée.
Il n'y a pas de violence dans ce que je fais. Je dis une vérité, je vends du rêve. Si je dis que je suis
diamantaire, alors je dois me former pour ça. Je dois être crédible. Une escroquerie, pour que ça
marche, pour que la personne y croit, ça doit être parfait.
Je me suis marié à 19 ans. Quand t'as un gosse à cet âge-là il faut l'assumer, il faut penser aux
conséquences.
On voyage beaucoup et on n'a pas d'adresse. Du coup, on n'a pas conscience des actes
administratifs qui nous suivent et nous poursuivent.
Le lien entre nous, il voyage avec nous, partout, tout le temps.
Notre richesse c'est notre lien. On vit de ça.
Chacun à sa réputation, on monte, on descend, en fonction de nos actions. il y a une hiérarchie de
la vaillance, du courage, une reconnaissance. il y a une autorité entre nous, des jugements, des
médiations des amendes, des saisies. On règle ça entre nous.
Et on peut s'adapter à tout parce qu'on est philosophe.
C'est le matin de ta libération, la porte se referme derrière toi. Qu'est-ce qui se passe ?
Mes parents sont là, je saute dans leurs bras, je pleure de joie.
Je fume une clope en regardant ma voiture.
Je suis devant la prison, je savoure.
Je conduis jusqu'à Bordeaux, où Libourne.
Il y a la musique. J'oublie.
Je me demande ce que je vais manger.
J'arrive dans mon nouveau chez-moi Et je réfléchis.
Je réfléchis à mieux choisir mes amours et mes amis.
Je profite d'une solitude choisie.
Je travaille à être plus mesuré, à être moins dans la paranoïa.
L'humour, ça m'aide beaucoup.

C'est le matin de ta libération, la porte se referme derrière toi. Qu'est-ce qui se passe ?Ma
femme est là. Elle est venue me chercher en voiture. On va à la maison.
Je prends une bonne cuite.
On mange en famille un agneau à la broche.
Il y a mes frères et mes sœurs.
Ils sont 11, et il y a leurs enfants.
Une trentaine d'enfants.
C'est le soir.
Je reste avec mes 4 enfants et avec ma femme.
Le lendemain je vais manger à McDo avec mes gosses.
Après, je passe 3 jours au lit.

C'est le matin de ta libération, la porte se referme derrière toi. Qu'est-ce qui se passe ?
Ma mère vient me chercher.
On rentre à la maison, à 4h d'ici.
Je me roule des clopes, je retrouve mon poto, y a que ça à faire.
Mon poto, il fait des trucs pour moi.
Moi, je dors.
Après, je trouve du travail.

C'est le matin de ta libération, la porte se referme derrière toi. Qu'est-ce qui se passe ?Ma
femme m'attend dehors.
Je conduis la voiture, c'est une Mégane blanche.
On arrive chez nous à Saint-Jean.
Là, je profite de mes enfants, de ma femme.
J'ai pas trop envie de trouver du boulot.
Je traîne avec mes frères.

C'est le matin de ta libération, la porte se referme derrière toi. Qu'est-ce qui se passe ?Ma
femme m'attend.
Je fais une vidéo sur Snapchat, pour que tout le monde sache que je suis dehors.
notamment certaines personnes.
je fais passer un message.
Coucou ! C'est fini !
Je suis là, je vais bien et certaines choses vont changer.
Ensuite je vais chez nous en voiture.
La virgule mes amis et ma famille viennent me voir et on fait une grillade.
C'est le matin de ta libération, la porte se referme derrière toi. Qu'est-ce qui se passe ?
Ma femme et mes enfants sont là, ils m'attendent.
On prend la voiture jusqu'à la maison.
Voilà, maintenant je suis à la maison.
Je pose les affaires du centre de détention.
Je prends un petit café, le temps que nos esprits se retrouvent.
Ensuite, on va chez mes grands-parents, sur leur terrain.
Là, commence la grillade.
On fait la fête jusqu'au petit matin.
Le lendemain la vie continue.
Je redémarre le camion de dépannage.
La petite routine.

C'est le matin de ta libération, la porte se referme derrière toi. Qu'est-ce qui se passe ?Je prends
un taxi pour aller dans un bar.
Je consomme.
Je refais ma magouille.
je fais la fête.
Ensuite, je prends le train pour Limoges.
Là, je retrouve ma voiture pour aller voir ma maman.

C'est le matin de ta libération, la porte se referme derrière toi. Qu'est-ce qui se passe ?Ma sœur
vient me chercher et on va direct au McDo.
Je prends un filet O'fish avec des potatoes et de la sauce potatoes.
Et de la bière.
Ensuite, je fais la fête chez moi avec mes amis proches.

C'est le matin de ta libération, la porte se referme derrière toi. Qu'est-ce qui se passe ?Je prends
une grande respiration et j'allume une cigarette.
Je fais le vide dans ma tête.
Ma tante vient me chercher et m'emmène à Paris en voiture.
Là, je fais mes comptes.
J'apprends toutes les mauvaises nouvelles qu'on n'a pas voulu me donner quand j'étais en prison.
Je savais qu'il y en aurait et ça m'a rongé pendant toute la détention.
Ensuite, à je brûle tous les vêtements que j'ai porté ici.
Puis je quitte la France.
je ne veux plus vivre en France.

C'est le matin de ta libération, la porte se referme derrière toi. Qu'est-ce qui se passe ?
Je suis angoissé.
Une boule au ventre.
Et je suis heureux aussi.
Je vais à la gare à pied, ça fait 3 ou 4 km, 40 min de marche.
Je n'ai que le nécessaire.
Je prends le train pour Bordeaux.
Là je trouve un logement et un travail, je reprends une vie.
Je suis loin de ma ville d'avant, de ma vie d'avant, de mon ex, de mes amis d'avant.
Je m'éloigne de tout ça et du passé.
J'ai peur de sortir, j'ai peur que ce passé revienne dans ma vie.
Qu'est-ce qui te rend heureux ?
Le bonheur c'est la fête, un travail, une maman, du soutien, la famille, la liberté.
C'est avoir de l'argent, un logement, du café des clopes, un téléphone portable.
C'est la moto, la voiture, la musique, les copains.
Le bonheur c'est avoir la foi, une bonne éducation, des valeurs, des principes.
C'est l'honnêteté, la franchise, la droiture, la loyauté, la générosité, la bonté, la capacité de faire.
C'est la structure familiale, un foyer, une femme, des enfants, des parents, des cousins, des frères
et des sœurs.
Le bonheur c'est une maison, un endroit calme.
C'est un feu.

Qu'est- ce que tu sais faire ?


Moi, je sais bien faire les grillades, cuisiner en général.
Je sais couper du bois, voyager, travailler dans le bâtiment.
Ouvrir des portes.
Je sais aussi jouer à la pétanque, aux cartes, faire du moto-cross.
Conduire tout ce qui peut se conduire.
Me faire respecter, parfois.
Mais l'orthographe, l'écriture, me passer de ma communauté, patienter, trahir un ami, jouer au
tennis...
Ça je sais pas faire.

Comment est-ce que tu es arrivé ici ?


Moi, je suis primaire.
Ça veut dire que c'est la première fois que je suis incarcéré.
j'ai été imprudent et j'ai manqué de chance. La mort de mon grand-père m'avait bouleversé.
Être ici, c'est un mal pour un bien.
J'ai beaucoup appris.
Sur mon entourage, sur les humains en général, sur les gens ici.
Ça a remis toute ma vie en question.
Avant, l'enfermement ne me faisait pas peur.
Maintenant je sais.

Moi, J'ai fait plusieurs peines de 2 ou 3 ans.


J'ai été arrêté plusieurs fois.
Tout ça pour pouvoir trouver les moyens de construire ma maison.
Maintenant, ma maison est finie.
J'ai bien compris
j'aurai plus besoin de voler.
Ma dernière fille de 18 mois ne m'a jamais vu.
Maintenant, je vais la regarder grandir.

Moi, J'ai été incarcéré à 19 ans la première fois.


J'en ai 28 et j'ai fait 9 ans de prison.
Quand je vois quelque chose qui me plaît, il me le faut.
Alors je le prends. Ça peut être au bord de la route ou n'importe où.
je ne sais pas comment nourrir mes enfants autrement.
Je suis obligé de me faire à la vie ici s, de m'adapter.
Des fois, quand je suis trop tendu, trop énervé, il vaut mieux que j'aille au mitard.
C'est dur, très dur le mitard, mais parfois ça permet de faire redescendre la température.
A quoi est-ce que tu tiens ? A qui ?
À mes enfants / à mon père / à la franchise / à ma famille / à mes percussions / à mes guitares / à
mes chansons / à ma femme / à une façon de vivre dehors / aux rencontres / à ma mère / aux
autres / à la solitude / à l'argent / à mon travail / à la nature / au café / au sucre dans le café / au
tabac / à ma maison / à la chasse et à la pêche / à ma ville / à l'or / à mon monde à moi / à l'alcool
/ à ma bagnole / à la tombe de mes ancêtres / à mes bijoux de famille / aux bonnes choses / à
l'hygiène / à ma communauté / au confort / à mon chemin / à ma Xbox / à mon lit / à la vie / au
luxe / à ne jamais se mêler du cul du voisin / à ma télé / à la justice / à la liberté.

Tu peux me dire où tu as été dans ta vie ? Les endroit que tu as visité ?


Moi, je suis allé en Espagne, à Cahors, au Maroc, en Italie, en Allemagne, à Paris château rouge, à
Strasbourg, au Portugal, dans le neuf-trois, à Nevers, à Rome, à Bruxelles, à La Rochelle, à Anvers,
à Barcelone, à Milan, en Algérie, à Oran, à la Mounette, au Puy-en Velay, à Rennes, à Ginestoux, à
Llore del Mar, à Albi, à Montpellier, à Palma di Majorca, à Brive, à Santu Mare, à Malakoff, à
Benicarlo, à Constantine, à Rouen, à Bucarest, à Poitiers, à Givors, à Beograd, au Lardin, à
Toulouse, à Lodève, à Montreuil, au jardin de l'Europe, à Annecy, au Capitole, en Suisse, à la prison
d'Uzerche à Istambul et à Limoges.
Et toi ?

C'est quoi, c'est où ton lieu préféré ici ?


Mon lieu préféré c'est le QG.
C'est notre PMU, notre épicerie, on évacue le stress, on rigole, on échange.
C'est le cœur.
Mais il y a aussi le gymnase, la promenade, le dehors, quoi.
Et puis surtout il y a ma grotte.
Ma cellule, pour dormir, faire la marmotte, avoir un peu de solitude.

Bribes

Nous ne parlons que de la condition humaine.


Encore et encore.

Je préfère me priver, donner ma dernière cigarette, que la garder pour moi.


Celui-là, par exemple, il a rien. Il a pas de mandat et il travaille pas donc il a jamais d'argent.
Je peux pas le laisser comme ça, me regarder manger, fumer, boire le café.
Et j'attends rien en retour. Sauf du respect.
Il y a d'autres gens, quand ils donnent un, il faut leur rendre 2.

Entre nous, les gens du voyage, on se soutient beaucoup, mais les autres on les aide aussi.

Ce qu'on a fait, on l'a fait pour des raisons.


Des mauvaises et des bonnes.
On a fait du mal mais on avait des raisons.

Mes amis ne sont pas fréquentables.

Je déteste l'injustice, le cochon, mon ex et la misère.

Moi, c'est terminé, affaire classée. On arrête tout. Ici, c'est pas une vie.
Les pirates
Ils sont sur ma main, les pirates. Je les ai là, tatoués pour toujours.
Ils vivent selon leur propre loi, avec un bon sens de la vie.
Il y a l'ancienne piraterie, avec les bateaux à voile, et la piraterie des temps modernes.
Le vol, le trafic, le racket.
Et les plus grands des pirates ne sont pas toujours hors-la-loi.
J'ai vécu comme ça moi aussi, selon ma propre loi, mais il faut apprendre de ses erreurs.

Brive
Moi je connais que Brive et j'aime que Brive.
C'est ma ville, c'est ma vie.
Je ne voudrais pas vivre ailleurs, certainement pas.
J'aime tout à Brive, c'est ma famille, mes copains, mes copines, mes habitudes.
Ailleurs je me perdrais.
Je veux être enterré au Cimetière d'Estavel, dans mon quartier.
Celui qui parle mal de Brive, je peux lui faire du mal.
J'adore le centre, la Guierle, avec les Foires-Franches, et mon quartier aussi.
Je vais à la Charrette, je joue à la Pétanque à Objat ou à Terrasson.
Je suis allé à Toulouse une fois, mais c'est trop loin et j'y connais personne.
Aller à l'Etranger ? Non, c'est pas la peine.

Les pâtes à la tomate


Hier, j'ai fait des pâtes à la tomates pour les gars.
Avec des oignons, des poivrons, de la harissa, du beurre.
J'ai fait cuire 1kilo5. 7 personnes ont mangé. Il était 18h.
Il y a la gamelle du Centre de Détention mais c'est pas bon.
On mange presque jamais la gamelle, on se débrouille, on cantine.
On fait nos commandes sur catalogue le dimanche, et on reçoit les denrées 8 jours après. Tous
ceux qui cantinent partagent et on est deux à faire plus souvent la cuisine.
Heureusement, on a le four dans la petite salle commune. Il faut tenir l'économat, bien gérer les
approvisionnements.
Ceux qui ont faim dans le quartier, ils mangent, c'est tout.

Il y a des choses auxquelles tu as dû renoncer ?


La plus importante, c'est le camp. Il y avait trop d'amis qui faisaient les cons. Chaque fois que je
revenais, je récidivais. C'était la courses pour faire la plus grosse connerie, voler la plus grosse
voiture, faire de plus en plus fort.
J'ai laissé derrière moi beaucoup de passions. La boxe, le ping-pong, le foot. Tout ce que j'aimais
faire. Il y a aussi la maison où j'ai grandi qui me manque.
Il y a les soirées, la fête, partir en goguette, avec des filles.
Tout ça je ne pourrai plus le faire, j'ai assez profité.
Il fallait que je dise stop dans ma tête.
À 26 ans je ne sais pas ce qui s'est passé, mais dans ma tête ça s'est mis à parler autrement.
Avec ma femme, un jour de parloir, on s'est dit que c'était le moment d'arrêter. On était dans la
même maison d'arrêt.
Ce que j'ai eu le plus de mal à abandonner, c'est mon pays. Ce qui s'est passé ici après pour moi, ça
m'a dégoûté.
J'ai laissé derrière moi mon grand-père et la culture agricole au Maroc. Le blé, les oliviers.
Même quand j'y retourne ça n'existe plus.
J'ai dû renoncer à voir mon fils quand il avait 3 mois, et aujourd'hui il a il a 10 ans. Je pense à lui, à
ce qu'il est devenu, à la personne qu'il est maintenant. il reviendra vers moi un jour.
Tu peux me raconter un bon souvenir ? Un de tes meilleurs ?

Oui mon meilleur souvenir c'est mon mariage. Ce qui compte le plus c'est l'engagement qu'on a
pris ce jour-là. Bien sût il y avait tout le monde. La famille élargie, comme on dit, avec les cousins,
les voisins, les anciens, les enfants, les amis, les amis des amis. On était 300, je crois.
Et la musique.

Je me souviens que mon père m'a emmené à Lourdes. J'avais huit ans. Il était très croyant, et tout
ça était très impressionnant. On avait pris le funiculaire, c'est un train qui peut monter des côtes
incroyables parce qu'il est accroché aux rails. Il y avait tous ces pèlerins, par milliers.
La seule chose qui était pas bien, c'était qu'il fallait marcher beaucoup.

C'est quand mon ex m'a annoncé qu'elle était enceinte de moi.


Ça c'était le meilleur, mais le pire est venu tout de suite après.

Pour moi c'est les fêtes, toutes les fêtes, les baptêmes, les mariages, les communions, les
ribambelles d'enfants, les barbecues... avec les décors blingbling dans la salle des fêtes. Les
cortèges, les danses, les discours. J'aime la fête, j'adore la fête.
Avec la famille surtout. Sans la famille on est zéro.

La naissance de ma fille. La naissance de ma fille. La naissance de ma fille.

C'est quoi, c'est où le lieu où tu te sens bien ?

Moi c'est Carcans, c'est l'océan. Tu sais, quand tu quittes le parking et que tu montes dans le sable.
Souvent, au sol il y a des planches, du bois. Et à un moment, tu découvres l'immensité. Là, je lâche
tout, c'est magique. Je m'arrête. Je respire. Il y a ces herbes qui dansent dans le vent, on appelle ça
les cheveux d'ange.

Moi c'est la campagne au Maroc. Des océans d'oliviers. C'est très vert, il y a des collines, presque
des petites montagnes. Ça s'appelle Khimifra. Il fait chaud en été et froid en hiver, c'est le moyen
Atlas. Il peut même neiger l'hiver. Il y a des anomaux sauvages. J'y pense tous les jours.
Le voyage c'est 28 heures en voiture, sans dormir. Je passe par Bordeaux, Bilbao, Madrid, Tolède,
Malaga, Gibraltar. Et puis c'est Tanger, et il faut encore une demi-journée pour arriver.
C'est ma terre, c'est ma vitamine.

Ce lieu je ne le connais pas, je l'imagine.


C'est une île grecque. Je suis sur l'eau, sur un grand voilier, et il y a un grand cuisinier à bord.
Ou peut-être c'est en Afrique.

Pour moi c'est ma maison, dans mon village , en Dordogne. Il y a tout le confort, une piscine, un
jacuzzi. Mais surtout il y a une grande haie, une clôture qui me protège des regards. J'ai besoin
d'intimité, j'ai peur que l'on se moque de moi.

Moi aussi c'est chez moi, dans mon appart. C'est un quartier calme, avec deux bâtiments pas trop
hauts, pas trop grands. C'est pas la cité, c'est quelque chose de plus tranquille.

C'est une maison avec un étage. Une maison simple et confortable, dans la campagne, pas très
loin de la ville. Devant la maison il y a un terrain, et sur ce terrain il y a une caravane.
Pour partir. A un moment j'aurai besoin de partir, c'est sûr. Le voyage aussi c'est mon lieu.
C'est quoi le plus beau cadeau que tu aies reçu ?
Mes parents, parce qu'ils m'ont choisi en m'adoptant.

C'est quoi le plus beau cadeau que aies fait ?


Mon amitié.

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